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Commission des affaires sociales

Mercredi 11 septembre 2013

Séance de 17 heures 30

Compte rendu n° 82

Présidence de Mme Catherine Lemorton, Présidente

– Audition, ouverte à la presse, des représentants des employeurs (CGPME, MEDEF, UPA) sur le projet de loi garantissant l’avenir et la justice du système de retraites

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mercredi 11 septembre 2013

La séance est ouverte à dix-sept heures trente-cinq.

(Présidence de Mme Catherine Lemorton, présidente de la Commission)

La Commission entend des représentants des employeurs (CGPME, MEDEF, UPA) sur le projet de loi garantissant l’avenir et la justice du système de retraites

Mme la présidente Catherine Lemorton. Nos auditions sur le projet de loi garantissant l’avenir et la justice du système de retraites se poursuivent. Le débat sur ce texte constitue un moment important de cette législature. Il s’agit d’assurer la pérennité d’un dispositif de solidarité entre les générations, essentiel pour notre société.

Après les représentants des salariés, nous recevons à présent les représentants des employeurs. Nous sommes heureux d’accueillir M. Jean-François Pilliard, vice-président du Mouvement des entreprises de France (MEDEF) et président de son pôle social ; Mme Geneviève Roy, vice-présidente de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME), chargée des affaires sociales ; et M. Pierre Burban, secrétaire général de l’Union professionnelle artisanale (UPA).

M. Jean-François Pilliard, vice-président du Mouvement des entreprises de France (MEDEF). Le projet de loi sur les retraites a pour objectif de garantir l’avenir et la justice de notre système de retraite. Les enjeux sont considérables : il s’agit d’assurer la soutenabilité des régimes de retraite par répartition, auxquels nous sommes tous très attachés, et de rétablir la confiance des salariés, plus particulièrement celle des jeunes générations.

Étant donné l’état des comptes publics, celui des entreprises, la démographie et le changement de paradigme économique, il est impossible de garantir la pérennité des régimes et de la protection sociale en général sans soutenir, dans le même temps, la compétitivité des entreprises et sans maîtriser le niveau des dépenses de protection sociale. Je rappelle que le taux de marge des entreprises françaises est revenu à son niveau des années 1950 : 28 % tous secteurs confondus, 25 % pour les industries manufacturières, soit dix points de moins que dans la plupart des pays européens. Avec de telles marges, il n’est plus possible d’investir. Le manque d’investissement provoque une hausse du chômage, avec les drames humains que cela entraîne. Les conséquences ne sont pas moins catastrophiques sur le plan économique : lorsque les recettes baissent, c’est l’ensemble des équilibres du financement de la protection sociale qui est menacé.

Dans ce contexte, seule une réforme structurelle des régimes de retraite, fondée sur une perspective d’allongement de la durée de l’activité à l’horizon 2020, permettrait d’atteindre les objectifs qui sont les nôtres, y compris pour les régimes complémentaires. Aussi notre organisation a-t-elle avancé, dès la fin du mois de juillet, dans le cadre de la concertation, vingt-quatre propositions concrètes.

La réforme qui nous est présentée se fonde sur une erreur de diagnostic. On nous parle du seul régime général et d’un déficit de 7 milliards d’euros. Or, au-delà du régime général, il faut envisager les régimes complémentaires – bien mal nommés, puisque la retraite complémentaire AGIRC représente à peu près 60 % du revenu d’un cadre retraité. De même, la réforme ignore les régimes applicables dans la fonction publique et les régimes spéciaux qui font l’objet, chaque année, d’une subvention d’équilibre de plus de 7 milliards.

Les hypothèses économiques qui ont été retenues correspondent à un des scénarios du Conseil d’orientation des retraites (COR) qui, pour la période 2011-2020, table sur un taux de croissance annuelle de 1,6 % et un taux de chômage de 7,8 %. Sur la période 2011-2014, la croissance a été nulle. Pour tenir cet objectif, il faudrait donc une croissance supérieure à 2 % sur la période 2014-2020. On ne peut s’empêcher d’émettre un doute sérieux sur une telle ambition dans la mesure où tous les économistes s’accordent à penser que, dans le meilleur cas, le taux de croissance s’établira autour de 1,5 %.

En définitive, ce n’est pas une réforme structurelle qui a été présentée, mais un agrégat de dispositions disparates se caractérisant par des augmentations de charges, pour les salariés et les entreprises, et par des droits nouveaux qui entraîneront des dépenses supplémentaires au détriment du rééquilibrage de nos régimes.

Nous considérons que l’augmentation des cotisations n’est pas la bonne solution pour assurer la pérennité des régimes de retraite à court terme. Depuis trente ans, on nous explique qu’une augmentation des cotisations de 0,1 ou 0,2 point est anecdotique. Mais l’anecdotique devient dramatique pour l’emploi en raison des charges qui pèsent sur les entreprises françaises. La France se distingue en effet des autres pays européens et de ceux de l’OCDE par le financement de sa protection sociale, assuré à 63 % par les cotisations patronales et salariales, mais aussi par le niveau élevé des prélèvements obligatoires qui pèsent sur les entreprises. Je rappelle que la cotisation spécifique employeur représente 14,4 % du PIB, ce qui en fait un des plus hauts niveaux de dépense de protection sociale. Une fois de plus, notre pays se distingue par son exception : hélas, elle ne nous place pas en tête de la compétition internationale, mais a au contraire tendance à nous marginaliser. Chaque augmentation des cotisations sociales des entreprises de 0,1 point entraîne la destruction de 2 000 à 6 000 postes à court terme – à l’horizon 2015 – et de 6 000 à 12 000 emplois à long terme.

Certes, ces cotisations sont compensées, mais cela ne change rien à notre diagnostic, car, en définitive, cela contribue au déséquilibre global. Bien sûr, nous demandons cette compensation, mais nous y sommes obligés, puisque la mesure de départ est mauvaise.

On nous dit que l’objectif visé par le projet de loi est la justice et l’équité. Or nous considérons que le projet est loin du compte, en particulier s’agissant des jeunes générations vis-à-vis desquelles nous avons collectivement une responsabilité. Seul un allongement de la durée d’activité à un horizon rapproché permettrait d’atteindre cet objectif.

Est-il normal que le projet de loi n’envisage pas le rapprochement progressif des trente-six régimes existants ? Non seulement leur dispersion gonfle les frais de gestion – ces fonds seraient bien plus utiles pour maintenir, voire augmenter, le niveau des prestations pour les retraités –, mais elle fait apparaître des disparités, ce qui contredit le principe d’équité. Pour certains régimes spéciaux, on peut dire qu’il y a deux poids deux mesures, puisque, en dépit de conditions de travail parfois très proches de celles de nos entreprises, des départs anticipés sont financés par le contribuable.

Par ailleurs, comment un régime de retraite par répartition pourrait-il avoir pour vocation de corriger les inégalités de la vie professionnelle ? Certes, les parcours professionnels, notamment ceux des femmes, et la pénibilité sont des problématiques auxquelles nous attachons une grande importance, mais en quoi concernent-elles notre régime par répartition ?

Sur la pénibilité, notre position est claire. Contrairement à ce qui semblait se dessiner pendant la concertation, le dispositif proposé est un joyeux mélange entre, d’une part, la prévention et, d’autre part, la réparation. Paradoxalement, il amènera des salariés évoluant dans des environnements pénibles à s’orienter vers des solutions les gardant durablement dans la pénibilité au lieu de les en sortir.

Le financement du dispositif, tel qu’il est proposé, alourdira les charges des entreprises et, par conséquent, les graves difficultés en matière d’emploi.

Sans préjuger des améliorations qui seront apportées grâce au débat parlementaire et aux décrets d’application, la mise en œuvre opérationnelle du dispositif sera d’une extrême complexité, en particulier pour les petites et moyennes entreprises. Notre pays a une grande capacité à développer toutes sortes de systèmes dont la première caractéristique est d’être quasiment impossibles à mettre en œuvre dans les entreprises.

En outre, peut-on considérer que le fait, pour des salariés, d’évoluer dans un environnement de travail donné les place dans des conditions identiques ? En fait, chaque salarié voit sa santé évoluer en fonction d’autres paramètres. Or il nous semble important de prendre en compte ce croisement entre l’approche collective et la dimension individuelle sous l’angle médical.

Dans quelles conditions le nouveau système se substituera-t-il au système actuel ? Des dispositifs de pénibilité ont été développés dans les entreprises, en particulier par le biais de primes parfois importantes. Il existe également des dispositifs de retraite anticipée pour carrière longue, amiante et invalidité, dont bénéficie chaque année environ un quart d’une classe d’âge. Est-il légitime de cumuler le nouveau dispositif avec tous ceux-ci ?

En matière de gestion paritaire des régimes de retraite complémentaires, on fait très fort ! Ces régimes, gérés par les partenaires sociaux, sont autonomes. Toutefois, on nous a toujours interdit d’agir sur les paramètres structurels de la retraite. Ainsi, lors de la dernière négociation sur les régimes complémentaires, les organisations syndicales et patronales ont accepté – pour sauver les régimes complémentaires – une moindre revalorisation des retraites pendant trois ans et de légères augmentations de cotisations. Nous avons consenti ces efforts en espérant que la réforme du régime général serait structurelle et nous apporterait une visibilité sur le long terme. Nous nous sommes probablement trompés : les réserves de l’AGIRC seront épuisées en 2018 ; celles de l’ARRCO en 2020 ou 2022. Or le projet de loi prévoit que l’État pourra nous demander de remettre les régimes complémentaires à l’équilibre ! Cela nous paraît irréaliste en termes d’efficacité et, surtout, contradictoire avec le principe d’autonomie qui caractérise la gestion paritaire.

Notre organisation est profondément attachée au régime par répartition et à la notion d’équité. Nous pensons avoir une responsabilité vis-à-vis des nouvelles générations. Malheureusement, le texte qui nous est proposé est très loin de répondre aux objectifs qui figuraient dans les attendus de la concertation à laquelle nous avons participé.

Mme Geneviève Roy, vice-présidente de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME). J’approuve totalement les propos de M. Pilliard sur plusieurs points, mais je voudrais insister sur certains aspects qui fragilisent particulièrement les TPE que nous représentons.

Cette réforme, qualifiée de « Canada Dry » par notre président Jean-François Roubaud, est très loin de garantir la pérennité des régimes, notamment celle du régime général des salariés du secteur privé. Au contraire, elle risque d’aggraver la situation, en particulier pour les régimes complémentaires.

Elle prévoit l’augmentation des prélèvements qui pèsent sur les salariés et les employeurs à travers un relèvement des cotisations de l’assurance vieillesse sur quatre ans, ce qui représente une charge supplémentaire de plus de 12 milliards, qui viendra s’ajouter aux 10 milliards de la réforme de 2012 sur les carrières longues. En définitive, en augmentant le coût du travail pour les employeurs et en diminuant le pouvoir d’achat des salariés, cet effet cumulatif nuira une fois de plus à l’emploi. Et, selon l’adage selon lequel trop d’impôt tue l’impôt, les recettes seront considérablement amoindries.

La mise en œuvre du compte individuel de pénibilité nous inquiète au plus haut point. À la cotisation de base de l’ensemble des entreprises, s’ajoutera une surcotisation pour celles concernées par des travaux reconnus pénibles. Le coût du dispositif est estimé par le Gouvernement à 600 millions d’euros au début de sa mise en œuvre, puis à 1 milliard en 2030 et enfin à 2,5 milliards en 2040. Cependant, faute de connaître le comportement futur des acteurs, il est à craindre que ce coût se révèle plus élevé à terme.

En pratique, les entreprises devront attribuer des points à leurs salariés en établissant tous les ans une fiche de poste. Non seulement cela alourdira les charges administratives des TPE-PME, mais cela créera des conflits avec les salariés qui pourront estimer leur travail plus pénible que ne le juge l’entreprise au regard des dix critères de pénibilité. Cette situation ouvrira une boîte à contentieux que nos entreprises seront dans l’incapacité de gérer. Par conséquent, elles refuseront d’assumer de telles charges. Un employeur pourra très bien refuser d’embaucher une personne pour un poste de nuit, le jugeant bien trop compliqué à gérer. Au final, cette situation risque d’engendrer de très importantes pertes d’emploi et de chiffre d’affaires.

Les vingt premiers points seront réservés à la formation. Mais que se passera-t-il si, après s’être formés, les salariés s’entendent dire par le chef d’entreprise qu’aucun poste ne peut leur être proposé ? L’employeur devra-t-il licencier, à sa charge, le salarié désireux de changer de poste ? Il s’agit là d’un vrai problème car vous ne pouvez pas imaginer ce que représentent pour une TPE-PME les obligations de reclassement en cas d’inaptitude !

Au surplus, cette réforme ne tient pas compte de tout ce que les employeurs ont mis en œuvre en termes de travail de nuit et de compensations horaires et salariales. Elle est en quelque sorte une deuxième peine. La CGPME est très attachée à la prévention. Les TPE-PME ont également fait d’énormes efforts en matière de prévention de manière à améliorer les conditions de travail, en particulier en ce qui concerne le port de charges lourdes.

Ainsi, même si l’idée de la pénibilité est plaisante, le dispositif sera source de multiples contentieux, il augmentera les charges administratives des TPE-PME et alourdira leur coût du travail. Notre pays est le seul en Europe dans cette situation. Ces difficultés s’ajouteront à celle que nous connaissons déjà en raison de la directive concernant le détachement des travailleurs, qui permet à des salariés de l’Union européenne de venir travailler en France sans que leur employeur ait à s’acquitter des charges françaises. Si cette pratique prend de l’ampleur, elle sera une grave menace pour nos emplois.

La pénibilité a déjà été traitée pour les carrières longues, et le Gouvernement a souhaité élargir le dispositif. Avec cette réforme, 20 % de salariés supplémentaires vont pouvoir partir à la retraite. Ainsi, 40 % d’une classe d’âge sera exonérée du régime de droit commun. Comment parler de justice et d’équité ? Certains ont choisi de travailler la nuit, comme les « disc jockey » : se verront-ils appliquer le doublement des points pénibilité ? Bref, la mise en œuvre du dispositif nous paraît totalement irréaliste dans les TPE-PME.

Enfin, nous regrettons que la convergence entre le public et le privé, à laquelle le président Roubaud est extrêmement attaché, n’ait pas été retenue par la réforme. Le déficit global des régimes de retraite devrait dépasser les 20 milliards en 2020, mais le Gouvernement limitera ses efforts à combler celui de 7 milliards du régime de base des salariés du privé. Si, comme on nous l’explique, il n’y a pas de différence entre le secteur privé, d’une part, et la fonction publique et les régimes spéciaux, d’autre part, pourquoi le déficit est tel pour ces deux derniers avec quatre fois moins de salariés ?

Pour nous, l’important est de relever les bornes d’âge afin d’envoyer un signal aux jeunes. Avec quarante-trois annuités de cotisations, les jeunes diplômés qui entreront sur le marché du travail à vingt-cinq ans ne pourront pas partir avec une retraite à taux plein à soixante-deux ans. Ce ne sont pas les jeunes qui ont créé les déficits, c’est ma génération. Il serait donc juste que celle-ci participe davantage à l’effort collectif par l’augmentation de l’âge d’ouverture de ses droits à la retraite.

Les annonces faites le 27 août et transcrites dans le projet de loi donnent l’impression d’une fuite en avant. Si notre pays ne prend pas ses responsabilités, le régime par répartition, auquel la CGPME est très attachée, disparaîtra purement et simplement. Si nous ne parvenons pas à prendre les bonnes mesures capables de mettre fin au déficit, nous devrons renoncer au régime par répartition au profit d’un système par capitalisation.

M. Pierre Burban, secrétaire général de l’Union professionnelle artisanale (UPA). Nous partageons l’intégralité des propos de Jean-François Pilliard et de Geneviève Roy. Mon intervention sera donc brève.

Nous sommes très attachés au régime de retraite par répartition, pour tous les régimes et bien sûr pour le régime social des indépendants auquel sont affiliés un grand nombre de chefs d’entreprise. Toutefois, le projet de loi sur les retraites n’est pas une réforme structurelle, puisqu’il ne touche pas aux bornes d’âge. Étant donné le rythme auquel se sont succédé les réformes depuis vingt ans, on peut craindre qu’il faille rapidement revenir sur celle qui s’annonce. Pour l’instant, seule la hausse des cotisations paraît assurée, ce qui nous inquiète beaucoup, même si l’on nous promet qu’elle sera compensée. Plus grave est la création du compte pénibilité, d’abord parce qu’elle entraînera de nouvelles cotisations, mais surtout parce que ce dispositif constituera une véritable usine à gaz.

C’est une erreur, nous semble-t-il, de lier la question de la pénibilité, à laquelle les professions représentées par l’UPA sont loin d’être indifférentes, et celle des retraites, car la notion de pénibilité évolue au fil des années. Par ailleurs, les branches professionnelles ont déjà engagé des actions de prévention – ce ne sont pas nos entreprises, le plus souvent très petites, qui peuvent le faire, car la plupart ne comportent pas de service du personnel. Ainsi, le secteur de la boulangerie mène des actions très concrètes pour lutter contre l’asthme causé par les poussières de farine. Si nous avons pu organiser des actions collectives de prévention dans les branches qui ont mis en place des complémentaires santé, la décision du Conseil constitutionnel qui remet en cause la possibilité d’une mutualisation au sein des branches va poser un grave problème pour l’avenir.

La mise en œuvre du dispositif pénibilité nous préoccupe énormément. En effet, si le projet de loi était voté en l’état, il faudrait remplir des fiches pour chaque moment de la journée, sachant qu’un salarié travaillant dans une entreprise artisanale ou un commerce de proximité peut être exposé à des contraintes susceptibles d’être associées à des facteurs de pénibilité pendant deux heures, par exemple, mais pas pendant le reste de la journée. Comment nos entreprises qui, je le répète, n’ont pas de service du personnel, pourraient-elles faire ce travail ? Comme l’a dit Geneviève Roy, ce dispositif sera source de contentieux, sans compter que la directive Détachement est pour nous un très grand sujet de préoccupation. Nos entrepreneurs devront-ils se convertir en auto-entrepreneurs, statut sur lequel vous connaissez la position de l’UPA ?

M. Michel Issindou, rapporteur. Madame, messieurs, vous avez exprimé très franchement vos inquiétudes sur le projet de loi, ce dont je vous remercie. Néanmoins, nous partageons un souci essentiel : la volonté de préserver notre système par répartition.

Monsieur Pilliard, nous avons montré par des mesures récentes, en particulier le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), combien nous sommes soucieux de la compétitivité des entreprises. Nous n’opposons pas compétitivité et modèle social français. Sans doute peut-on parler de particularité française. Faut-il pour autant s’aligner sur les moins-disants européens ? Nous sommes plutôt fiers de ce que nous avons réussi à faire pour le développement économique de notre pays et son modèle social.

Vous indiquez que nous ne nous attaquons qu’aux 7 milliards de déficit du régime général. N’opposons pas les travailleurs du secteur public à ceux du privé ! D’une part, malgré des règles différentes pour le calcul des pensions, les taux de remplacement du secteur privé et du secteur public sont proches. D’autre part, seule la fonction publique d’État est déficitaire. En outre, la réforme des régimes spéciaux de 2008 a constitué une première étape vers la convergence avec un allongement de la durée de cotisation. Ainsi, un conducteur de la SNCF qui souhaiterait partir à la retraite après trente ans d’activité toucherait une pension très faible du fait de l’application de la décote.

En ce qui concerne la pénibilité, nous avons des convictions. Certains métiers méritent la solidarité nationale, et ceux qui les ont exercés doivent pouvoir bénéficier d’une compensation – relativement modeste, vous en conviendrez, avec au maximum deux ans de réduction de leur temps de travail. La mise en œuvre du dispositif serait un enfer, nous expliquez-vous. Laissez-lui une chance d’exister à travers les décrets d’application ! Je ne doute pas que ce dispositif pourra être autre chose qu’une usine à gaz si nous parvenons à le faire vivre ensemble, si chacun y met de la bonne volonté. C’est une mesure de solidarité et de justice à laquelle nous tenons tout particulièrement.

M. Arnaud Robinet. Monsieur Pilliard, vos propos m’ont rassuré, car votre organisation m’avait semblé plutôt tiède à l’issue des concertations avec le Premier ministre. Certes, on vous a promis une baisse des charges pesant sur le travail, avec un transfert pour financer la politique familiale. Mais les mêmes, en 2003, avaient promis aux syndicats un retour à la retraite à soixante ans et une abrogation de la loi Fillon.

Madame, messieurs, vous avez raison : cette réforme n’en est pas une. C’est un projet de loi, plutôt synonyme de choc fiscal, qui va porter sur un financement à hauteur de 7,5 milliards d’euros sur les 20 milliards nécessaires à l’ensemble des régimes de retraite. Le plus grave est qu’il s’inscrit sous le signe de l’iniquité. Il ouvre de nouveaux droits, dont certains sont justifiés – je pense aux polypensionnés et aux femmes –, mais il crée aussi, en quelque sorte, de nouveaux régimes spéciaux. Or nos concitoyens espéraient une véritable convergence de l’ensemble des régimes. Cessons d’ailleurs d’associer travail et pénibilité. À force d’affirmer que les métiers du bâtiment sont pénibles, ce secteur ne parviendra plus à recruter. Parlons plutôt de métiers physiques.

L’opposition partage les inquiétudes des représentants des employeurs, notamment sur le choc de fiscalité pour les entreprises qui ont déjà été mises à contribution avec le décret de 2012 qui prévoit le rétablissement de la retraite à soixante ans pour certaines catégories de personnels. Sans ce décret, dont l’impact sur le déficit du régime de base des salariés est considérable, l’équilibre aurait pu être atteint en 2020. Comme vous l’avez également souligné, les retraités et les salariés subiront une baisse de leur pouvoir d’achat.

Il faut bien sûr préserver le régime par répartition. Néanmoins, un problème démographique appelle une solution démographique. C’est pourquoi nous aurions souhaité une augmentation de la durée de cotisation, mais également un recul de l’âge de départ à la retraite, ce paramètre ayant un impact rapide sur le financement des retraites.

Si nous laissons en l’état le système par répartition, nous risquons de provoquer sa disparition. Je crois donc souhaitable de l’adosser, non à un système par capitalisation – mot tabou dans notre pays –, mais à l’épargne retraite. Madame, messieurs, quel est votre avis sur ce que nous appelons l’acte II de l’épargne retraite ? Comment inciter les Français, notamment les jeunes générations, à s’orienter vers une retraite supplémentaire, en complément du système par répartition ?

Nos entreprises – PME, PMI, TPE, artisans et commerçants – sont confrontées à de grandes difficultés. On leur a promis monts et merveilles avec le CICE, dont le financement n’est pas assuré, et avec les contrats de génération. La compétitivité de nos entreprises et la création d’emplois appellent des réformes d’une autre envergure.

M. Philippe Vigier. Madame, messieurs, vous êtes quasiment à l’unisson dans vos critiques contre le texte gouvernemental. Le groupe UDI a eu l’occasion d’exprimer sa position sur le rapprochement entre le public et le privé, l’extinction progressive des régimes spéciaux, la prise en compte du problème des retraites complémentaires et la capitalisation. Il a également souligné son attachement au régime par répartition.

Monsieur Pilliard, j’ai été surpris de voir votre président plutôt satisfait de cette réforme, après avoir été reçu par le Premier ministre. Comme vous l’avez indiqué, le taux de marge, élément fondamental de la compétitivité des grandes, moyennes et petites entreprises, s’est effondré. Or nous savons tous qu’une hausse des cotisations est nuisible à la compétitivité. Le Monde a beau annoncer que la facture sera plus élevée pour les salariés et neutre pour les entreprises, le document de présentation gouvernementale indique que l’impact sera de 2,2 milliards pour les entreprises et de 2,2 milliards pour les salariés. Avez-vous obtenu des garanties sur une baisse des charges patronales lors de votre rencontre avec Jean-Marc Ayrault ?

S’agissant du compte pénibilité, dont le coût est estimé à 2,5 milliards en 2040, je suis favorable à la définition de critères. J’entends parfaitement votre inquiétude sur la complexité de la mise en œuvre du dispositif, madame Roy. Pour nous, la pénibilité implique un plan de prévention. Avez-vous des préconisations en la matière ? Avez-vous réalisé des études d’impact, sachant que le financement du dispositif sera assuré par les entreprises ? Enfin, comment mettre en place le compte pénibilité, qui sera plafonné à 100 points, sans risque de dérives ? Les représentants des salariés ont exprimé ces mêmes craintes ce matin.

Enfin, j’ai trouvé le représentant de l’UPA extrêmement sévère. Monsieur Burban, avez-vous mesuré l’impact de la directive Détachement, mais aussi de la hausse des cotisations vieillesse et de la création du compte pénibilité pour les professionnels relevant de votre organisation ?

Mme Véronique Massonneau. Le compte personnel de prévention de la pénibilité me semble une mesure essentielle, innovante et juste. Quelle solution alternative proposez-vous pour son financement ?

La réforme propose de réduire les inégalités entre hommes et femmes, ce dont on ne peut que se réjouir. Hélas, elles se perpétuent, malgré la loi qui exige que les entreprises mettent en place des dispositions pour les atténuer. Quelle mesure préconisez-vous pour mettre fin à cette situation ?

Enfin, les dispositions relatives aux apprentis leur permettent de valider des trimestres correspondant au nombre de trimestres travaillés. Pensez-vous que cet excellent dispositif pourrait être élargi aux stagiaires ?

Mme Jacqueline Fraysse. Le Gouvernement envisage de compenser l’effort demandé aux entreprises pour financer les retraites afin de ne pas alourdir le coût du travail et de ne pas pénaliser la compétitivité. Cela revient à faire payer seulement les salariés et les retraités, ce qui, à nos yeux, est injuste. Cette mesure nous préoccupe d’autant plus que les entreprises ont déjà bénéficié de 20 milliards d’euros au titre du CICE, qui s’ajoutent aux plus de 20 milliards d’exonérations de cotisations sociales existantes. Pour nous éclairer sur la pertinence de cette nouvelle subvention, pouvez-vous nous dire comment les entreprises ont utilisé le CICE ? Quels en sont les premiers effets ? A-t-il provoqué une augmentation des investissements ? Seriez-vous favorables à une plus grande transparence de l’utilisation de ces fonds ? Comment expliquez-vous que, malgré ces milliards d’argent public, le chômage, non seulement ne diminue pas, mais continue d’augmenter ?

Lors de l’université d’été du MEDEF, M. Pierre Moscovici a assuré aux entreprises que le CICE et le crédit d’impôt recherche (CIR) seraient sans contreparties ni contrôle fiscal. Cette déclaration nous a surpris. Comment la justifiez-vous dans un contexte où la part des salaires et des investissements dans la valeur ajoutée ne cesse de baisser au profit des dividendes et de la rémunération des dirigeants, et où les grandes entreprises françaises utilisent massivement ce qu’il est convenu d’appeler « l’optimisation fiscale », au détriment de l’État ? Selon une enquête d’Alternatives économiques, les entreprises du CAC 40 possèdent 1 470 filiales dans les paradis fiscaux ! Seriez-vous favorables à une plus grande transparence de l’utilisation des fonds publics ?

Quelle place envisagez-vous pour les représentants du personnel dans l’évaluation de la pénibilité ?

Aujourd’hui, les revenus financiers des entreprises ne sont pas investis pour créer des emplois et ne participent pas au financement de notre protection sociale ; cela nous paraît anormal, car ces revenus sont issus de la valeur ajoutée créée par le travail. Êtes-vous prêts à les soumettre à cotisation ?

Comment justifiez-vous la persistance des inégalités salariales entre les hommes et les femmes ? Il paraît choquant qu’à travail et compétences égaux, les salaires versés aux hommes et aux femmes ne soient pas identiques, alors que le problème est reconnu et que, comme, vient de le rappeler Mme Massonneau, nous avons adopté des lois afin d’y remédier.

Vous militez pour un recul de l’âge de départ à la retraite ; pourtant, le taux d’emploi des 55-64 ans n’est que de 37 %. N’est-ce pas contradictoire ? Comment expliquez-vous la frilosité des entreprises en matière d’embauche des seniors ?

M. Denis Jacquat. Il ne s’agit pas, à mes yeux, d’une véritable réforme, mais d’un texte aux ambitions bien plus modestes – qui contient par ailleurs des mesures, concernant notamment les polypensionnés, avec lesquelles nous sommes d’accord. Pourtant, en 2010, nous avions prévu deux rendez-vous : un en 2013, un en 2018. On est loin du compte !

En outre, le projet de loi prévoit de nouvelles charges, et cela malgré la crise économique.

Nous sommes viscéralement attachés au système de retraite par répartition. Le problème, c’est que, avec un tel texte, il est certain que nous serons contraints de nous retrouver ici même dans deux ou trois ans pour discuter du même sujet. La question est de savoir si nous devons, comme l’a fait M. Gerhard Schröder – membre du SPD – en Allemagne, mettre en place un système qui comprendrait plusieurs piliers, tout en restant fondé sur le principe de la répartition. Là-bas, cela a marché, puisque 13 millions d’Allemands ont désormais accès à l’épargne retraite.

La question de la pénibilité avait déjà été abordée en 2010, et même dès 2003, puisque le dispositif pour carrière longue a été mis en place à l’époque ; c’est la France qui, la première, a traité ce problème – l’Autriche avait essayé de le faire en son temps, avant de faire machine arrière. Je pense que, en ce domaine, il faut mener une politique basée sur la santé au travail et sur la prévention ; je suis partisan de conserver une approche médicale – bien que beaucoup y soient opposés –, car je crains les dérives ; et je crois qu’il convient d’éviter toute surenchère : en tant qu’élu local, je suis souvent sollicité par des personnes qui souhaitent travailler de nuit dans des hôpitaux.

M. Christian Paul. Merci d’avoir contribué à éclairer les décisions que nous aurons à prendre dans quelques semaines. Comme nous ne tenons pas un double langage, je répéterai ce que, ce matin, j’ai dit aux organisations syndicales au nom du groupe SRC.

La présente réforme du régime général répond à la recherche d’un compromis social, auquel nous souhaitons associer le maximum d’acteurs sociaux et syndicaux. Ce compromis, nous sommes en train de le construire, ce qui, en période de crise économique et sociale, n’est pas toujours aisé.

Cela passe par deux exigences. En premier lieu, nous devons avoir le souci du dialogue, afin d’améliorer le projet de loi avant son adoption ; c’est pourquoi nous avons été désireux de vous rencontrer aujourd’hui, tout comme nous le serons à chaque étape de l’examen du texte – notamment, dans quelques jours, dans le cadre de mon groupe.

D’autre part, il nous faut trouver un compromis de progrès. Nous n’envisageons pas qu’une réforme du régime général puisse se limiter à un simple ajustement budgétaire, comme celui tenté dans les années précédentes, avec un succès limité. Si les efforts consentis doivent permettre l’équilibre du régime, nous croyons possible de réaliser aussi un certain nombre de progrès à cette occasion.

Je suis un peu surpris par vos critiques à l’encontre des dispositions relatives à la pénibilité : je pensais que les organisations patronales portaient une plus grande attention à ces questions. Connaissant bien plusieurs branches ou professions que vous représentez – notamment à l’UPA –, j’avais le sentiment que la pénibilité du travail, qui est actuellement un obstacle au recrutement dans les entreprises, était mieux comprise. Nous souhaiterions poursuivre le dialogue avec vous sur ce sujet.

Mme Isabelle Le Callennec. Le compte individuel de pénibilité semble poser de sérieux problèmes de coût et de mise en œuvre ; les organisations syndicales que nous avons reçues ce matin s’en sont également fait l’écho – pour d’autres raisons.

Vous dites que, plutôt que d’établir un lien entre la pénibilité du travail et la retraite, il vaudrait mieux travailler sur les conditions de travail des personnes dès le premier jour de leur insertion professionnelle. La réforme de 2010 posait une obligation, pour les entreprises de cinquante salariés ou plus dont la moitié de l’effectif est exposée à un facteur de pénibilité, de négocier un accord ou d’élaborer un plan d’action et de prévention. Quelles conséquences a eu la mise en œuvre de cette disposition ?

Je crois savoir que certaines entreprises ayant des difficultés de recrutement ont fait de réels efforts pour améliorer les conditions de travail de leurs salariés. En 2010, nous avions décidé de mettre en place un Fonds national de soutien relatif à la pénibilité, doté de 20 millions d’euros, afin d’aider les entreprises à adapter les postes aux salariés. Je n’arrive pas à obtenir du ministère des informations sur son utilisation. Savez-vous ce qu’il en est ?

Pour définir la pénibilité, on a évoqué le dialogue entre l’employeur et le salarié, mais on pourrait aussi faire appel à d’autres acteurs – notamment à la médecine du travail. Quel devrait être selon vous le rôle de celle-ci et celui des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) dans la lutte contre la pénibilité au travail ?

Enfin, avez-vous discuté avec les organisations syndicales et le Gouvernement de la retraite progressive ?

M. Jean-Marc Germain. Évitons les faux débats : au fond, les critiques que vous émettez sont relativement douces – le président du MEDEF avait d’ailleurs fait une déclaration beaucoup plus positive sur le perron de Matignon.

On ne peut faire croire qu’il existe des solutions autres que l’augmentation à court terme des prélèvements obligatoires pour rééquilibrer les régimes de retraite. Disons les choses clairement : soit on diminue les pensions, soit on augmente les prélèvements sur les salariés, les employeurs ou les ménages ; mais le relèvement de l’âge de départ à la retraite et l’allongement de la durée de cotisation n’ont d’effets qu’à long terme, sous réserve que la croissance reprenne et que le chômage régresse – sinon, on transforme de jeunes retraités en vieux chômeurs.

D’autre part, il convient que les efforts soient partagés. Or ce qui me paraît important dans cette réforme, c’est précisément qu’on ne stigmatise personne : l’effort demandé sera le même pour les fonctionnaires et pour les salariés du privé, pour les retraités et pour les actifs. Il est essentiel que cette parité soit maintenue entre les salariés et les employeurs. Si je comprends que l’on débatte de la compensation de la hausse du coût du travail, il importe que, au bout du compte, l’ensemble des parties contribuent à l’effort collectif – y compris les employeurs. J’espère que les décisions prises dans le cadre des réformes du financement de la protection sociale et des allocations familiales le permettront, et que la partie patronale saura soutenir cet effort.

Mme Bérengère Poletti. Vous avez raison : il ne s’agit pas d’une réforme, tout au plus d’une série d’ajustements destinés à ne pas froisser les personnes concernées…

La pénibilité n’est pas un problème nouveau ; s’il a été rappelé qu’un fonds dédié a été créé en 2010, dès 2003, on avait demandé aux partenaires sociaux de faire des propositions sur le sujet. Qu’est-ce que cela a donné ?

M. Gérard Sebaoun. Si je récapitule, personne ne conteste que la pénibilité est un sujet d’actualité et les partenaires sociaux travaillent déjà ensemble à établir les facteurs de risque.

En outre, je souscrirais volontiers à la proposition n° 8 du MEDEF ; tout y est, ou presque : l’anticipation des carrières, l’amélioration des conditions de travail, la prévention des situations de pénibilité, le développement des qualifications, la formation, l’aménagement des fins de carrière, la transition entre activité et retraite.

Pourtant, quand j’entends votre argumentation, je m’inquiète : ce que vous mettez en avant, c’est plutôt la réparation médicalisée, qui concerne assez peu de personnes. Nous sommes loin de la réalité de ce qu’est la pénibilité !

Vous dites que des efforts de prévention ont été faits dans les petites entreprises. Dans ce cas, pourquoi les chiffres de la sinistralité ne s’améliorent-ils pas ?

De mon point de vue, il y a une double réalité : d’un côté, l’action menée au sein des entreprises par les partenaires sociaux, qui aboutit à des progrès que nous saluons tous ; de l’autre, une posture des organisations patronales, qui les conduit à rejeter dans sa globalité le texte présenté.

M. Lionel Tardy. D’aucuns évoquent une réforme équilibrée, fondée sur l’équité et le partage des efforts. Rappelons les chiffres : pour équilibrer les régimes de retraite, il faut trouver 20 milliards d’ici à 2020 – 7 milliards pour le régime général, 4 milliards pour les retraites complémentaires et 8,6 milliards pour les régimes publics ; si l’on ne tient pas compte du déficit de l’AGIRC et de l’ARRCO, qui sont gérées par les partenaires sociaux, ce sont donc 15 milliards que l’État doit trouver. Dans l’état actuel des choses, il manque toujours 8,6 milliards, et ce sont les salariés du privé qui vont devoir payer : voilà le vrai problème !

Avant de parler de la pénibilité, encore faudrait-il rétablir l’équilibre du régime. La moindre des choses eût été de présenter un projet de loi qui traite de tous les régimes, privé comme public. Ce n’est pas le cas !

M. Michel Liebgott. Force est de constater que nous sommes plus proches des positions du MEDEF, de la CGPME et de l’UPA que de celles de l’opposition, qui nous propose, par la voix de M. Robinet, l’acte II de l’épargne retraite – ce qui implique le passage à la capitalisation ! Je me félicite, madame, messieurs, que vous ayez rappelé que le système de répartition devait perdurer dans notre pays. Quant à la capitalisation, les Français y participent déjà largement, à commencer par la propriété immobilière – qui vient en déduction des dépenses lorsqu’on est retraité –, mais aussi en utilisant d’autres instruments, comme l’assurance-vie.

Puisqu’on doit trouver de l’argent, il faut bien augmenter les cotisations. C’est d’ailleurs ce que vous avez fait pour l’AGIRC : vous avez pris vos responsabilités ; alors, ne vous étonnez pas que nous prenions les nôtres afin d’assurer l’équilibre du système !

Pour ce qui est de la pénibilité, il me semble préférable qu’un salarié soit en formation ou travaille à temps partiel plutôt qu’il ne soit plus opérationnel : il est de l’intérêt de l’entreprise de reclasser les personnes en difficulté.

Enfin, les retraités sont aussi des consommateurs : il est là encore de l’intérêt de l’entreprise qu’ils aient un minimum de pouvoir d’achat.

Mme Monique Iborra. Votre réaction à ce projet de loi me surprend un peu. Je suis d’accord avec M. Pilliard : l’existence de trente-six régimes nuit à la lisibilité du système ; toutefois, je lui rappelle que l’indemnisation chômage est elle aussi très complexe, mais que, pour le moment, les partenaires sociaux ne veulent ou ne peuvent pas y toucher…

En outre, tenir compte de la pénibilité, c’est aussi aller vers une amélioration des conditions de travail, qui peut améliorer la productivité.

Une telle attitude défensive et négative, qui n’est qu’une posture, me préoccupe, car nous n’y arriverons que si nous travaillons ensemble. Je regrette que ce ne soit pas le cas pour le moment.

M. Jean-François Pilliard, vice-président du MEDEF. Je propose de regrouper vos nombreuses questions et observations en quelques grandes thématiques.

En premier lieu, il importe de clarifier la question de la compétitivité : quoiqu’elle dépasse le débat sur les retraites, elle explique en grande partie les positions de chacun.

Je le répète : depuis la Seconde Guerre mondiale, jamais les marges des entreprises françaises n’ont été aussi faibles. D’autre part, je pense que nous nous accorderons sur le fait que nous avons pour préoccupation commune de permettre à notre pays de se développer et de réduire le niveau actuel du chômage : c’est une question d’intérêt général. Or, avec des marges à ce niveau, les conditions d’une reprise durable ne sont pas réunies. Ce dont on nous parle aujourd’hui, ce ne sont que feux de paille ; si nous ne faisons rien, la France continuera à sombrer, lentement mais inexorablement, dans le déclin.

La principale explication de la baisse substantielle des marges des entreprises françaises réside, non pas dans l’action menée durant ces derniers mois, mais dans le fait que, depuis trente ans, chaque fois que l’on doit faire face à un problème sérieux, on cherche à l’éviter et on ne propose que des solutions provisoires.

Certains d’entre vous ont évoqué les exonérations de charges et le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), mais pourquoi ces dispositifs ont-ils été inventés ? Précisément parce qu’à un aucun moment vous n’avez voulu – ou nous n’avons voulu – regarder la réalité en face et traiter le problème de fond, qui est de rendre le travail compétitif. Tant que nous n’aurons pas la volonté d’apporter une réponse à cette question, nous ne ferons que poser des pansements sur une plaie qui ne cesse de s’agrandir. Au-delà de nos divergences de sensibilité, nous devrions pouvoir nous accorder sur ce point.

Le CICE n’est pas un cadeau qui a été fait aux entreprises, mais une disposition que vous avez prise parce que, à un moment donné, vous avez considéré que la situation dans laquelle nous étions placés était intenable et nuisible à la croissance et à l’emploi. Si nous avons applaudi à sa mise en œuvre, nous estimons que l’on est encore loin du compte et qu’il faut continuer à travailler ensemble, selon des objectifs et des calendriers à définir ensemble. Je rappelle que si, dans nos comptes d’exploitation, il y a d’un côté le CICE, de l’autre, nous avons subi 30 milliards de prélèvements obligatoires supplémentaires durant les cinq dernières années !

Quant aux obligations de transparence, je rappelle que le dispositif prévoit que le chef d’entreprise doit rendre compte chaque année aux instances représentatives du personnel de l’utilisation du CICE – ce qui nous semble parfaitement légitime.

Mme Geneviève Roy, vice-présidente de la CGMPE. J’attire en outre votre attention sur le fait que la plupart des entreprises n’ont encore rien à inscrire dans leur compte d’exploitation, puisque le CICE sera calculé sur le bilan 2013. Certaines ont reçu des avances de trésorerie, mais elles sont peu nombreuses. Les autres n’ont rien eu.

M. Jean-François Pilliard. En revanche, elles ont déjà subi la hausse des prélèvements obligatoires !

Mme Geneviève Roy. D’autre part, l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 prévoit le contrôle de l’utilisation de ce crédit ; cette disposition a été reprise dans la loi.

M. Jean-François Pilliard. Un autre point qui mérite clarification, c’est la question de la pénibilité.

Aucune de nos organisations ne conteste qu’elle est d’importance et qu’elle doit trouver réponse majoritairement dans le champ de la prévention. Je souligne en passant que, concernant la sinistralité, les accidents du travail ont diminué de façon substantielle au cours des vingt dernières années. Nous pouvons tous nous en réjouir !

Quant aux positions que nous avons exprimées, qu’est-ce qui les justifie ? D’abord, il y a un ordre de priorité : quand un régime de retraite est aussi gravement malade, avant de dépenser de l’argent, il faut commencer par le remettre à l’équilibre ! Or, si la réforme proposée n’apporte aucune véritable réponse sur le court et le long terme, elle prévoit des dépenses supplémentaires – sur lesquelles une discussion eût été possible dans d’autres circonstances.

Ensuite, il faudrait arrêter d’accumuler les couches géologiques. Dans notre pays, nous passons notre temps – et vous y participez plus que largement ! – à empiler les textes, sans que soit jamais posée la question de la pertinence du nouveau dispositif. Ainsi, à une époque, on a introduit dans les entreprises des dispositifs de prime – ce qui, soit dit en passant, est probablement le meilleur moyen d’installer durablement une personne dans la pénibilité. Il nous paraît pertinent de chercher une autre solution, mais encore faudrait-il se poser la question des modalités de substitution du nouveau dispositif à l’ancien !

Même chose pour la réparation : il existe déjà un dispositif pour les carrières longues, qui s’adresse aux personnes entrées très jeunes dans la vie professionnelle ; en général, ces personnes ont des niveaux de qualification peu élevés et une proportion non négligeable d’entre elles travaillent dans des environnements dits de pénibilité. Puisque l’on met en place un nouveau système, posons-nous la question de l’opportunité de le faire cohabiter avec ce précédent dispositif.

Troisièmement, la complexité à laquelle nous sommes aujourd’hui confrontés dans le champ de la réglementation sociale nous amène – pour reprendre une formule facile – à faire du « Canada Dry » : nous nous donnons l’illusion que la législation sociale française protège les salariés, mais nous aboutissons à des résultats inversement proportionnels à la densité de cette législation, parce que les textes sont pour la moitié d’entre eux inapplicables ou, quand ils le sont, dépendent de l’interprétation des tribunaux, ce qui crée des zones d’insécurité préjudiciables à l’emploi. Travaillons donc sur la simplification – et c’est une conviction, non une posture !

Dernier point : nous considérons qu’il faut aussi tenir compte de la dimension individuelle du problème. Deux personnes peuvent exercer le même métier, si l’une fume depuis l’âge de quinze ans alors que l’autre n’a jamais touché à une cigarette, ou si l’une doit faire un trajet quotidien de deux heures tandis que l’autre habite à cinq minutes, ou encore si l’une souffre de pathologies familiales et l’autre non, au bout du compte on observera la conjonction de deux phénomènes : le fait qu’une personne aura travaillé dans un environnement pénible – ce que nous ne contestons pas –, et le fait que d’autres facteurs auront pesé sur cette situation. On ne peut s’en tenir aux aspects collectifs ; essayons de croiser les deux approches.

Si, ensemble, nous travaillons intelligemment sur ces différents points, nous saurons apporter des réponses en matière de financement. Comme certains d’entre vous l’ont noté, des négociations ont déjà été engagées, soit au niveau des entreprises, soit au niveau des branches, afin qu’une partie de la prime dite « de pénibilité » vienne alimenter des dispositifs d’épargne ; cela est également suggéré par le projet de loi. Nous ne sommes pas opposés au principe, mais à la façon dont le sujet est abordé dans le texte.

Mme Geneviève Roy. Je précise, madame Iborra, que notre réaction négative n’est pas une posture : nous sommes vraiment inquiets ! Prenez garde à la faisabilité du dispositif que vous allez adopter : le compte pénibilité sera très compliqué à mettre en œuvre dans les TPE-PME et cela nuira probablement aux embauches.

M. Pierre Burban, secrétaire général de l’UPA. Il s’agit en effet d’un problème majeur posé par cette réforme.

Les entreprises membres de l’UPA passent leur temps à essayer d’améliorer les conditions de travail, et cela pour des raisons d’attractivité ; cela ne nous pose donc aucun problème. D’autre part, comme je l’ai dit, des actions de prévention concrètes ont déjà été menées.

Après, il faudrait nous donner les moyens d’agir ! Or j’ai le sentiment – et cela ne fait qu’empirer – que l’on vote des lois en oubliant ce qu’est le monde entrepreneurial. Je rappelle que 53 % des salariés français travaillent dans des entreprises de moins de cinquante salariés et 37 % dans des entreprises de moins de vingt salariés ; ces chiffres ne sont pas appelés à s’inverser, bien au contraire ! Tant que l’on ne posera pas le problème différemment pour les grandes entreprises et pour les petites entreprises, on n’y arrivera pas.

Tout cela semble très généreux, et nous ne pouvons pas dire que nous nous désintéressons de la question de la pénibilité : mais il faudrait commencer par la définir. On vous demande de voter des dispositions dont la mise en œuvre concrète est laissée dans le vague, au prétexte qu’elle ne sera pas effective avant le 1er janvier 2015. Résultat : on ne sait rien des modalités d’attribution des points ou des conditions dans lesquelles une exposition à un facteur de pénibilité ouvrirait certains droits !

M. Michel Liebgott et Mme Monique Iborra. Il y aura un décret d’application !

M. Pierre Burban. Je vous invite quand même à vous mettre à la place d’un artisan qui aurait un, deux ou trois salariés : nous sommes vraiment inquiets – et ce n’est ni une posture, ni un parti pris idéologique !

M. Jean-François Pilliard. Ce qui peut vous apparaître comme un recul ou une position dogmatique est probablement lié à une forme d’exaspération par rapport à un discours en vigueur dans notre pays – et c’est malheureusement une fois de plus un cas unique en Europe – selon lequel tout travail serait pénible ; on l’entend jusqu’à des niveaux très élevés. Quand on présente comme une grande victoire le fait que 100 000 personnes par an – chiffre invérifiable faute d’étude d’impact – vont bénéficier chaque année d’un dispositif de pénibilité, je m’inquiète ! D’un côté, il y a des hommes et des femmes qui souffrent parce qu’ils ont perdu leur emploi ; de l’autre, des personnes qui travaillent, certaines étant placées dans des conditions difficiles : il faut garder une juste mesure ! Nous considérons pour notre part – sans nier les difficultés inhérentes à certains travaux – que le travail est la source du développement d’une société moderne et un facteur d’épanouissement individuel et collectif.

Nous sommes prêts à discuter ; mais il faut que vous ouvriez les bonnes portes, car, si l’on reste sur les propositions actuelles, le débat risque d’être difficile ! Une fois de plus, le Parlement votera une loi dont l’application ne sera que partielle, non parce que nous sommes des rebelles, mais parce que nous serons dans l’impossibilité de la mettre en œuvre correctement.

J’en viens à l’égalité entre les hommes et les femmes. Comme je l’ai dit dans mon propos liminaire, nous considérons qu’un système de retraite par répartition n’a pas pour objet de réparer les inégalités de la vie professionnelle. Nous n’évacuons pas pour autant de notre champ de réflexion et d’action ce sujet fondamental à la fois pour la société française et pour l’efficacité des entreprises – dans une entreprise, la diversité, de quelque nature qu’elle soit, est un facteur d’innovation et de progrès. Mais, chaque fois qu’on est confronté un problème, c’est la même chose : premièrement, on produit une loi, deuxièmement, on lui adjoint une réglementation – la plus légère se traduisant par un texte de 250 pages –, troisièmement, on se désintéresse de la mise en œuvre opérationnelle, tout en faisant de temps en temps un rappel à l’ordre et en agitant la menace d’une sanction et d’une pénalisation de l’employeur !

Au niveau de ma branche, qui représente 1,6 million de salariés, soit à peu près la moitié des effectifs de l’industrie française, nous avons signé un accord avec les organisations syndicales ; cela a permis de stopper les conversations de salon et de poser un diagnostic, avec l’aide d’experts, sur la question : dans ma branche, à emploi et formation équivalents, les écarts de rémunération se situent, dans la durée, dans des fourchettes de plus ou moins 5 % – ce qui est considéré par les experts comme non significatif. Le vrai problème, c’est le « plafond de verre » : comment se fait-il qu’un homme et une femme commençant dans le même emploi, avec le même niveau de formation, n’aient pas ensuite des parcours professionnels, non pas identiques – car l’entreprise n’est pas un lieu d’égalité, mais d’équité –, mais approchants ? Concrètement, cela a abouti à la mise en œuvre de programmes de sensibilisation et d’actions rectificatives.

Nous sommes prêts à continuer à travailler sur le sujet, mais dans un esprit différent, en commençant par demander à ceux qui sont concernés comment ils conçoivent les choses avant de les enfermer dans des lois successives. La France est le pays d’Europe qui détient le plus grand nombre de lois sur l’égalité entre les hommes et les femmes, mais nos progrès en ce domaine sont inversement proportionnels au nombre de textes !

Avons-nous d’autres solutions à proposer ? Certains d’entre vous estiment qu’une hausse des cotisations est inéluctable ; mais c’est ce qu’on nous répète depuis trente ans, et c’est pourquoi nous atteignons de tels niveaux de charges ! Et que dire de la méthode ? La concertation dure depuis près de six mois ; elle a donné lieu à des travaux de qualité, comme ceux du Conseil d’orientation des retraites (COR) ou le rapport de Yannick Moreau – qui ouvrait des pistes intéressantes, même si nous n’étions pas d’accord sur tout –, ainsi qu’à de multiples réunions avec les cabinets et avec le Premier ministre. Des propositions, nous en avons fait, mais nous n’avons jamais obtenu de retour et aucune étude d’impact n’a été lancée.

Une solution aurait été de croiser une action sur la durée de cotisation et une action sur l’âge de départ à la retraite. Que l’on soit d’accord ou non, on gagnerait, vis-à-vis de nos concitoyens, à expliquer en quoi une augmentation de la durée de cotisation à partir de 2020 serait de nature à mieux répondre aux problèmes actuels que ce que nous proposions ; personne ici n’ignore qu’une action relativement vigoureuse, mais progressive sur l’âge de départ à la retraite apporte en termes financiers des résultats bien plus rapides qu’une action sur la durée de cotisation. Pourquoi ne pas avoir accepté d’en débattre ? Répondre « Circulez, y’a rien à voir ! » dès que l’on aborde la question de l’âge nous paraît pour le coup une position dogmatique à la fois inacceptable et préjudiciable. Comme je l’entendais dire ce matin, vu l’âge auquel les jeunes entrent sur le marché du travail, une augmentation régulière de la durée de cotisation sera bien plus inéquitable sur le long terme. Ce que nous demandons, c’est qu’il y ait un débat sur le sujet.

Quand nous évoquons les différences entre le public et le privé, il ne s’agit pas d’opposer les salariés ; tous, quel que soit le secteur auquel ils appartiennent, sont respectables. Ce que nous fustigeons, ce sont les différences entre les systèmes et le traitement collectif du problème – qui est d’ailleurs contraire à la loi républicaine, puisque la loi de 2010 prévoyait que, en 2013, serait engagée une réflexion entre le Gouvernement et les parties prenantes sur ce qui avait été appelé une « réforme systémique ». Ce débat a été complètement évacué ! Pourquoi la loi n’a-t-elle pas été appliquée ?

Nous ne sommes pas de ceux qui ont demandé l’alignement en 2014 du régime des fonctionnaires sur celui des salariés du privé. Nous avons simplement souhaité que soit lancé un travail collectif, méthodique et rigoureux, afin d’arrêter une feuille de route, fondée sur la considération suivante : à long terme, ne serait-il pas plus simple et plus sain de disposer d’un socle commun à l’ensemble des salariés, qu’ils soient du secteur privé ou du secteur public, avec quatre régimes complémentaires : un pour le secteur privé, un pour la fonction publique, un pour les professions libérales et un pour l’agriculture ? Suivre une telle démarche ne nécessiterait pas un effort démesuré !

En outre, l’argent aujourd’hui dépensé pour financer la gestion dispersée des régimes de retraite pourrait être utilisé avec profit, soit pour éviter les augmentations de cotisation, soit pour améliorer des régimes de pension. L’argent du contribuable et des entreprises doit d’abord servir à verser une retraite décente aux personnes affiliées à ces régimes : je pense qu’on ne peut être que d’accord sur ce point !

S’agissant de la capitalisation et de l’épargne retraite, soyons clairs : nos trois organisations sont profondément attachées au régime de répartition. Si nous étions des tenants de la capitalisation pure et dure, il y a bien longtemps que nous aurions renoncé à participer à la gestion des régimes complémentaires de retraite ! Si, malgré les difficultés rencontrées, nous ne l’avons pas fait, c’est que nous avons la conviction que le système par répartition est bénéfique. Mais, là encore, tout est question d’équilibre ; à nous de le trouver ensemble. Dans des pays qualifiés de sociaux-démocrates, il a été considéré qu’il était sain d’ajouter au socle de la répartition quelques éléments d’épargne retraite, un régime par répartition étant soumis à des aléas. Nous avons fait des propositions dans ce domaine : permettre aux entreprises d’adapter leur effort de financement des retraites supplémentaires à leur situation économique, laisser une latitude suffisante au dialogue social pour la détermination des collèges de salariés éligibles à un dispositif collectif, ouvrir aux entreprises, en particulier aux PME, la possibilité d’alimenter les dispositifs de retraite supplémentaire individuels. Là aussi, notre propos est raisonnable et équilibré ; il ne s’agit pas de substituer la capitalisation à la répartition, mais de prévoir, parce que c’est une saine gestion, une épargne complémentaire pour les salariés que nous représentons.

Nous avons aussi suggéré de lancer, comme l’ont fait d’autres pays, une réflexion collective pour étudier comment réorienter l’épargne – qui atteint en France un niveau très élevé, ce qui n’est pas un signe de confiance –, afin que, au lieu de dormir sans être employée efficacement pour l’économie française, elle puisse renforcer la capitalisation des petites et moyennes entreprises ou favoriser des projets de développement, au service de l’emploi. Là encore, nous n’avons pas eu le moindre retour.

Voilà autant d’éléments qui démontrent que les trois organisations patronales que nous représentons souhaitent profondément, comme vous, le développement de notre pays, le retour à un niveau d’emploi plus favorable et la mise en place d’un système équitable. Nous voulons construire, non détruire – et l’énergie avec laquelle nous déployons nos arguments est à la hauteur de nos convictions.

Une dernière remarque, pour terminer, sur les expressions relevées à la sortie d’une certaine réunion : je trouve plutôt heureux que les responsables politiques et économiques conservent un certain sens de l’humour ! Plus sérieusement, j’ai participé à cet entretien ; aucun des membres de notre délégation n’imaginait que la concertation qui avait été engagée six mois auparavant allait s’achever dans de tels délais et dans les conditions qui nous ont été annoncées. On nous avait pourtant promis un temps de réflexion entre le résultat de la concertation et la prise de décision ; sans vouloir faire de procès d’intention, permettez-moi de dire qu’il est un peu surprenant de voir dégringoler une avalanche de décisions alors que le processus de concertation vient à peine de s’achever !

D’autre part, il est vrai que les propos qui nous avaient été tenus en matière de coût du travail étaient plutôt encourageants. Toutefois, qu’il n’y ait pas de malentendu à ce sujet : nous souhaitons que ce dossier soit retravaillé et que l’on adopte un calendrier et une méthode. Si les résultats sont bons, nous les saluerons et nous les encouragerons ; mais cela ne gommera en rien les critiques que nous venons d’émettre sur la réforme des retraites.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Vous proposez de reculer l’âge de départ à la retraite, mais, avec un taux d’inemployabilité des plus de cinquante-cinq ans aussi élevé – c’est une autre particularité de la France que de réaliser l’exploit d’avoir un taux d’inemployabilité aussi élevé chez les jeunes et chez les seniors, et ça ne date pas de ces dix-huit derniers mois ! –, cela n’aboutira qu’à appauvrir de plus en plus les retraités ; les gens prendront leur retraite à soixante-cinq ou soixante-six ans en touchant des pensions de misère : ce n’est pas l’objectif !

Intéressons-nous déjà à l’employabilité des seniors. Les ruptures conventionnelles touchent de manière très importante les plus de cinquante-cinq ans ; or je ne vois pas comment un salarié de cinquante-huit ou cinquante-neuf ans peut aller à la rupture conventionnelle alors qu’il sait pertinemment qu’il ne retrouvera pas de travail… Cela nous interpelle, et nous souhaiterions regarder ce qu’il se passe vraiment.

D’autre part, je tiens à vous rassurer : le Parlement a désormais les moyens de contrôler l’application des lois ; le Comité d’évaluation et de contrôle (CEC) est spécifiquement chargé de cette mission et il existe des missions d’évaluation d’application de la loi – je viens d’en terminer une avec M. Robinet sur la mise en œuvre de la loi relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé. Ce n’est donc pas « Vogue la galère ! » !

Monsieur Burban, nous avons entendu vos interrogations. Tout comme les salariés, vous pourrez interpeller les parlementaires sur ce que vous trouvez contestable dans ce projet de loi. Le débat sera le moment de faire sortir du bois le Gouvernement : les propos tenus par les ministres dans l’hémicycle – qui sont enregistrés par la vidéo et transcrits par le compte rendu – peuvent avoir des conséquences importantes, y compris aux niveaux légal et réglementaire.

Madame, messieurs, je vous remercie d’avoir répondu à notre invitation.

La séance est levée à dix-neuf heures quarante-cinq.

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Présences en réunion

Réunion du mercredi 11 septembre 2013 à 17 heures 30

Présents. – M. Jean-Pierre Barbier, Mme Kheira Bouziane, Mme Fanélie Carrey-Conte, M. Christophe Cavard, Mme Marie-Françoise Clergeau, Mme Jacqueline Fraysse, Mme Hélène Geoffroy, M. Jean-Marc Germain, M. Jean-Patrick Gille, M. Jérôme Guedj, Mme Monique Iborra, M. Michel Issindou, M. Denis Jacquat, Mme Isabelle Le Callennec, Mme Annie Le Houerou, Mme Catherine Lemorton, M. Michel Liebgott, M. Gilles Lurton, Mme Véronique Massonneau, M. Christian Paul, Mme Bérengère Poletti, M. Denys Robiliard, M. Arnaud Robinet, Mme Barbara Romagnan, M. Gérard Sebaoun

Excusés. – M. Bernard Accoyer, M. Christophe Sirugue

Assistaient également à la réunion. – M. Lionel Tardy, M. Pascal Terrasse, M. Philippe Vigier