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Commission des affaires sociales

Mercredi 23 juillet 2014

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 62

Présidence de Mme Catherine Lemorton, Présidente

– Audition, ouverte à la presse, de M. Thierry Breton, dont la nomination à la direction générale de l’Institut national du cancer (INCa) est envisagée par le Gouvernement (application de l’article L. 1451-1 du code de la Santé publique)

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mercredi 23 juillet 2014

La séance est ouverte à neuf heures trente.

(Présidence de Mme Catherine Lemorton, présidente de la Commission)

La Commission procède à l’audition, ouverte à la presse, de M. Thierry Breton dont la nomination à la direction générale de l’Institut national du cancer (INCa) est envisagée par le Gouvernement (application de l’article L. 1451-1 du code de la santé publique).

Mme la présidente Catherine Lemorton. L’article L. 1451-1 du code de la santé publique, qui régit les auditions auxquelles nous allons procéder ce matin, est issu de l’article 1er de la loi sur le médicament que nous avons adoptée en 2011. L’Institut national du cancer (INCa) et l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) font partie des neuf organismes dont les présidents, directeurs généraux et directeurs doivent être auditionnés par le Parlement, en l’espèce les commissions des affaires sociales des deux assemblées, avant leur nomination. Nous ne sommes pas dans le cadre de la procédure de mise en œuvre de l’article 13 de la Constitution : il ne s’agit pas d’avis demandés aux commissions compétentes, mais de simples auditions qui ne seront pas suivies d’un vote.

Nous commençons par l’audition de M. Thierry Breton, dont la nomination à la direction générale de l’INCa est envisagée par le Gouvernement.

Je rappelle brièvement que l’Institut national du cancer est l’agence sanitaire et scientifique de l’État chargée de coordonner les actions de lutte contre le cancer. Créé par la loi de santé publique du 9 août 2004, il est placé sous la tutelle conjointe du ministère des affaires sociales et de la santé, et du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche.

L’INCa est constitué sous la forme d’un groupement d’intérêt public qui rassemble en son sein l’État, les grandes associations de lutte contre le cancer, les caisses d’assurance maladie, les organismes de recherche et les fédérations hospitalières. Sa principale mission, dans les mois à venir, sera d’assurer la mise en œuvre du Plan cancer 2014-2019 lancé par le Président de la République, le 4 février dernier.

M. Breton nous a fait parvenir son CV ainsi que la déclaration d’intérêts qu’il a souscrite. Ces documents sont en distribution dans cette salle.

Monsieur Breton, je vous remercie de votre présence. Avant de vous passer la parole, permettez-moi une première question : votre CV ne vous amenait pas naturellement à postuler à la direction générale de ce type d’institut. Quelles sont donc vos motivations ?

M. Thierry Breton. Madame la présidente, permettez-moi d’abord de vous remercier d’avoir organisé cette audition dans des délais rapides, malgré la charge de travail de l’Assemblée. Il était important que cette procédure de nomination puisse avancer, indépendamment du candidat qui sera retenu in fine.

Mon parcours est, en effet, atypique, si c’est le sens de la question que vous venez de me poser. Je vais vous en donner brièvement les grandes lignes, avant d’en venir au poste qui m’amène devant vous.

Les quatre premières années de ma carrière se sont déroulées dans des entreprises de taille moyenne, des sociétés de service en ingénierie informatique. En tant que responsable de grands comptes, j’ai travaillé sur des projets de gestion logistique et de télévente.

En 1995, après avoir été reçu au concours d’attaché, j’ai rejoint le ministère des affaires sociales en gardant la même spécialité. J’y ai été chargé de plusieurs projets intéressant les établissements de santé, les hôpitaux et les agences régionales de l’hospitalisation, avant de me voir confier l’informatique décisionnelle. J’en ai retiré une solide expérience dans le domaine des systèmes d’information publics et privés. Cela me semble important à souligner, car c’est souvent un sujet de blocage.

À la fin des années 90, ma carrière a pris un tour plus administratif, en tant que chef du bureau des affaires générales et financières de la direction générale de la santé (DGS). J’ai ainsi commencé à goûter aux politiques publiques en matière de santé publique et à la gestion en administration centrale. J’avais la responsabilité de la préparation et de l’exécution du budget de la DGS ainsi que de la politique menée par cette direction. Cette période fut très stimulante et j’en garde un souvenir particulièrement ému.

J’ai ensuite suivi le parcours menant au concours interne de l’ENA, que j’ai intégrée en 2004 et dont je suis sorti en 2006 en tant que membre de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS).

Pendant quatre ans, j’ai accompli de nombreuses missions assez variées, qui m’ont permis de conforter mes compétences en termes de gestion, d’organisation et de pilotage, d’approfondir mes connaissances en termes de politique de santé ou d’organisation des soins, et d’étudier plus avant de nouvelles politiques publiques – travail, emploi et formation professionnelle. J’ai notamment participé à la mise en place du premier contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens des agences régionales de santé (ARS), évalué la convention d’objectifs et de moyens (2006-2009) de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés du régime général (CNAMTS), et contrôlé plusieurs établissements hospitaliers en lien avec la mise en place de la tarification à l’activité, bref des missions assez variées dans le champ de la sécurité sociale, de l’organisation des soins et du travail.

Puis, en tant que chargé de mission auprès de la Secrétaire générale en charge des ministères chargés des affaires sociales, j’ai mis en place une démarche de contrôle de gestion et de pilotage de l’activité pour l’ensemble des administrations rattachées au secrétariat général – affaires sociales, santé, mais aussi travail, emploi et formation professionnelle. J’ai également coordonné, au sein du secrétariat général, le réseau des DIRECCTE, les directions régionales qui sont, notamment, en charge des politiques du travail.

À partir de mai 2012, et pendant deux ans, j’ai travaillé, en tant que conseiller social de Mme Najat Vallaud-Belkacem, à l’époque ministre des droits des femmes et porte-parole du Gouvernement, aux différentes réformes que vous connaissez, en mettant plus particulièrement l’accent sur l’égalité professionnelle dans les entreprises.

J’ai donc une expérience variée, avec des compétences touchant à la fois aux politiques publiques et à la gestion. C’est fort de ce parcours-là que je me présente devant vous comme candidat au poste de directeur général de l’INCa.

Pourquoi l’INCa, madame la présidente ? Avant tout, je trouve la mission de cet institut stimulante. Le cancer, principal fléau sanitaire de notre pays avec 350 000 nouveaux cas et 150 000 décès par an, est un sujet majeur des politiques de santé publique. Le positionnement, la construction et la logique de fonctionnement de l’INCa, qui a adopté une approche globale et une vision intégrée de la lutte contre le cancer, sont tout à fait intéressants. Il est important qu’un organisme puisse réfléchir et actionner l’ensemble des leviers existants pour mettre en œuvre une politique efficace. La recherche, l’innovation, l’information des patients et des professionnels, la prévention, la recherche fondamentale, l’organisation des soins, la prise en charge et les conditions d’insertion sociale et économique sont autant de leviers que l’INCa mobilise en développant une vision intégrée.

Cela suppose, pour le directeur général et pour l’INCa, de supporter ces cloisonnements. Pour moi qui ai déjà eu, lors d’expériences récentes, à rallier différents acteurs et partenaires à des objectifs et des projets communs, en intervenant à tous les niveaux, c’est particulièrement exaltant.

En toute humilité, je peux dire que j’ai engrangé, tout au long de mon parcours professionnel, nombre de compétences en matière de gestion et de connaissance des politiques publiques, qui trouveraient à être utilement valorisées dans la vision intégrée de l’INCa.

Le poste que je brigue participe d’une gouvernance spécifique à l’INCa, qui fonctionne avec un président exécutif – aujourd’hui, une présidente exécutive, Agnès Buzyn, professeure de médecine –, et un directeur général, traditionnellement de formation administrative. Ce binôme à double lecture est intéressant pour les équipes en place et constitue la garantie, dans la mise en œuvre des politiques, d’avoir la vision la plus complète possible, gage d’efficacité.

Le directeur général est, par nature, actif sur l’ensemble des champs d’intervention de l’INCa. Il participe à l’ensemble des décisions. De par sa formation, son rôle est d’abord d’assurer le fonctionnement et la gestion de l’Institut. De ce point de vue, si j’ai la chance d’être nommé à ce poste, je poursuivrai le travail engagé par mes prédécesseurs pour consolider le fonctionnement institutionnel, administratif et financier de l’Institut, et travailler sur la maîtrise des risques – comptables, financiers ou liés aux métiers – auxquels il est confronté.

D’une manière générale, s’il fallait définir une ligne pour l’INCa dans les prochaines années, je proposerais de conforter son positionnement en tant qu’agence d’expertise et sanitaire de référence sur les pathologies liées au cancer. Cela suppose de développer une culture de service en tissant des relations avec l’ensemble des partenaires qui travaillent sur ces questions-là, qu’ils soient nationaux ou régionaux. L’objectif est que l’expertise de l’INCa réponde aux besoins de ses destinataires, dans des conditions d’exigence et de rigueur exemplaires.

La particularité de l’INCa tient à sa vision intégrée et à sa vocation à mettre en œuvre des mesures touchant à tous les aspects de la lutte contre le cancer. Cette particularité doit se retrouver au sein même de l’INCa. Les précédents directeurs généraux ont ouvert ce chantier ; si j’avais la chance de leur succéder, je m’attacherai à ce que l’INCa, dans son fonctionnement et à travers son action, exprime et fasse vivre la collégialité et la transversalité.

Pour rester sur les questions liées à la gestion, un autre domaine dans lequel mon parcours pourrait être utile est celui des systèmes d’information, qu’ils soient ou non internes à l’Institut. De tels systèmes sont à développer, en interne, d’une part, pour améliorer ses performances et son fonctionnement, avec les partenaires nationaux ou locaux, d’autre part, pour partager des informations, disposer de davantage d’éléments de diagnostic, apprécier les situations liées au cancer, définir les politiques les meilleures et les plus efficaces.

J’en viens maintenant aux orientations et aux enjeux des métiers de demain. Comme vous le faisiez remarquer, madame la présidente, la feuille de route de l’INCa est principalement inspirée par le troisième plan cancer, qui a été présenté par le Président de la République en février dernier. Ses objectifs généraux sont dans la continuité d’une politique maintenant ancienne : réduire l’incidence du cancer, guérir davantage de malades, améliorer la qualité de vie des patients et des ex-patients, accompagner les familles.

Traditionnellement, au sein de l’INCa, le directeur général a le rôle particulier de suivre et de mettre en œuvre le plan cancer. Dans le cadre de ce troisième plan, son rôle sera plus important encore puisque ce sont 110 actions sur 180 que l’INCa devra piloter directement, toujours avec le suivi de l’ensemble de la mise en œuvre du plan. Le nouveau directeur général aura donc une responsabilité accrue.

Le troisième plan cancer s’inscrit dans un contexte marqué par plusieurs éléments qui doivent guider l’action publique : d’importantes inégalités sociales et territoriales ; des progrès médicaux et des modalités de prise en charge en évolution auxquels les politiques publiques doivent s’adapter ; une forte demande d’implication des usagers ; une forte contrainte financière.

Quels sont les grands axes des politiques et de l’action que l’INCa aura à mener dans les prochaines années ?

Si nous voulons réduire l’incidence des cancers, il faut d’abord s’attaquer aux inégalités face à la maladie. Les inégalités sociales sont importantes, au point que le risque de mourir d’un cancer entre trente et soixante-cinq ans est deux fois plus élevé chez les ouvriers que chez les cadres. Les inégalités sont aussi territoriales et peuvent s’expliquer, par exemple, par l’absence de progression de certains programmes de dépistage, comme ceux du cancer du sein ou du cancer colorectal.

La réduction des inégalités implique d’améliorer notre connaissance de toutes les populations, afin de trouver la bonne façon de les toucher, de leur faire passer le message du dépistage ou d’autres messages de prévention. Sans doute faudra-t-il aussi régler l’aspect financier de la question.

Le plan cancer prévoit l’organisation du dépistage systématique du cancer du col de l’utérus. Avec 3 000 nouveaux cas par an et 1 100 décès, ce n’est pas le plus important par le nombre de personnes touchées, mais il est emblématique des inégalités que l’on constate en matière de cancer.

Réduire l’incidence des cancers passe aussi par la prévention, qui est une priorité à la fois du plan cancer et de la stratégie nationale de santé publique présentée par la ministre Marisol Touraine.

À cet égard, le tabagisme est particulièrement significatif. Celui-ci reste le principal facteur de décès par cancer, puisqu’il en provoque 44 000 par an. Malgré les mesures qui ont été prises, notamment en direction des jeunes, les derniers chiffres ne sont pas très bons, ce qui n’est pas très rassurant pour les années à venir. Le niveau d’usage récent – c’est-à-dire le fait d’avoir fumé au moins une fois dans le mois précédant l’enquête – est de 38 % chez les jeunes Français de quinze à vingt-cinq ans, contre 28 % en moyenne en Europe, ce qui nous place dans le peloton de queue des pays européens. La ministre des affaires sociales a lancé, dans le cadre du plan cancer, le programme national de réduction du tabagisme, dont l’objectif est de réduire d’un tiers la prévalence du tabagisme quotidien.

De nombreuses actions de prévention ont déjà été engagées, mais il y a encore à faire pour sensibiliser nos concitoyens. On estime que 80 000 décès par cancer pourraient être évités chaque année grâce à des comportements collectifs – l’action des pouvoirs publics et de ses différents partenaires – et individuels appropriés. Nos concitoyens ne sont pas toujours conscients des risques que certaines pratiques leur font courir. D’après le Baromètre cancer de 2010, un tiers d’entre eux pensent que l’on ne peut rien faire pour éviter le cancer. Un travail pédagogique à leur intention doit, sans intention de jugement, leur montrer, en les hiérarchisant, les risques qui sont attachés à certains comportements.

La stimulation de l’innovation est inscrite dans l’ADN de l’INCa. Non seulement il a pour mission de la soutenir, mais il doit aussi faire en sorte qu’elle puisse bénéficier le plus rapidement possible aux patients. Des actions ont été engagées, qui ont déjà abouti à des résultats concrets. C’est le cas en radiologie interventionnelle ou en médecine personnalisée – qui permet de lancer des analyses génétiques de tumeurs –, dans laquelle la France occupe une place importante sur la scène internationale. Toutefois, une fois que l’innovation a fait ses preuves et que ses effets positifs ont été démontrés, il faut trouver des relais de financement. C’est ainsi que l’INCa pourra concentrer ses moyens sur le soutien de solutions plus émergentes.

L’organisation des soins et l’orientation des patients constituent un autre volet important de l’action de l’INCa. La qualité et les délais de la prise en charge conditionnent le diagnostic et l’avenir des personnes potentiellement touchées par le cancer. Il est donc très important de réduire la perte de chances. La variabilité des délais est importante d’une région à l’autre, aussi faut-il absolument travailler sur l’organisation : partout sur le territoire, on doit pouvoir piloter le délai de prise en charge des patients et les orienter le plus rapidement possible vers les bonnes équipes.

La question de l’organisation est d’autant plus importante que les modes d’intervention changent. Avec le développement de la chirurgie ambulatoire, la prise en charge des cancers, est également concernée par l’articulation entre la médecine de ville et la médecine hospitalière. Différents outils prévus dans le plan cancer devraient permettre d’assurer cette articulation, comme le dossier communicant en cancérologie (DCC), le programme personnalisé de soins ou le programme personnalisé d’après cancer. Cette approche, qui vise aussi à réduire les inégalités territoriales, suppose que l’INCa travaille avec les agences régionales de santé (ARS). Mais pour organiser et structurer des relations au service des usagers, l’Institut a sans doute des efforts à faire.

Dans ce volet de la prise en charge, il ne faut pas négliger la promotion des parcours des professionnels de santé qui interviennent dans ce secteur, ni leur formation continue. Dans la mesure où les patients guérissent mieux et vieillissent davantage, il faut pouvoir les prendre en charge différemment et leur accorder du temps. D’où la création, dans le troisième plan cancer, d’un métier d’infirmier clinicien en cancérologie.

En matière d’amélioration de la qualité de vie, l’objectif du plan est ambitieux : réduire, d’ici à cinq ans, de 10 % la proportion des patients qui perçoivent une dégradation de leur qualité de vie. Pour cela, nous savons qu’il faut travailler sur la fluidité et l’adaptation des parcours ainsi que sur la globalité de la prise en charge. Nous devons aussi nous intéresser aux soins de support, à la réduction des séquelles des cancers, telles que l’infertilité, et à la façon de prendre en compte la situation économique et sociale des patients.

Celle-ci n’est pas un élément secondaire. Si l’on est à même de proposer une prise en charge sociale et économique du même niveau que la prise en charge médicale, on ne pourra qu’obtenir de meilleurs résultats. Cela vaut pour les jeunes, dont il faut éviter la désocialisation – d’où l’extension de la gratuité de l’accès aux cours du Centre national d’enseignement à distance (CNED) au-delà de seize ans, prévue par le plan. Cela vaut aussi pour les personnes touchées par le cancer ou qui l’ont été. On sait que deux ans après un diagnostic de cancer, un tiers des malades a perdu son emploi ; l’objectif est donc de travailler à leur insertion dans l’emploi, soit par le retour soit par le maintien en place. Cela suppose de tisser de nouveaux liens et un nouveau partenariat avec les partenaires sociaux, car l’insertion entraîne l’aménagement des conditions de travail et, éventuellement, des horaires. Jusqu’à présent, ces questions n’ont pas été suffisamment approfondies, et il faudra s’y atteler dans les années à venir.

Je terminerai sur la démocratie sanitaire qui suscite de grandes attentes. L’INCa y a travaillé, puisque ses différents comités sont ouverts à des représentants des usagers. Si j’ai la chance d’être nommé directeur général, il me reviendra de faire vivre cette démocratie et faire en sorte que nos différents partenaires s’y conforment.

Voilà comment je vois les enjeux et les orientations de l’INCa dans les prochaines années. Je souligne que le futur directeur général, comme son actuelle présidente, peuvent compter sur des équipes mobilisées et compétentes. Celles-ci ont déjà beaucoup fait dans la mise en œuvre des deux plans et ont démontré leur valeur.

M. Jean-Louis Touraine. En même temps que je félicite M. Breton pour son exposé très clair et documenté, je salue l’efficacité de l’action que l’INCa mène depuis 2004, même s’il lui reste encore beaucoup à faire.

Monsieur Breton, si vous avez suivi une excellente formation et exercé des activités très valorisantes dans le domaine des affaires sociales et de la santé, vous ne vous êtes jamais consacré spécifiquement à la cancérologie. Il peut être utile que vous arriviez avec un regard neuf. Ainsi, vous ne considérerez pas l’augmentation de la prévalence de cancers dans notre pays comme un phénomène normal.

L’allongement de la durée de vie n’explique que l’augmentation des cancers chez les personnes âgées. Les progrès de la médecine ont davantage concerné les maladies cardiovasculaires, et le cancer est devenu la première cause de mortalité dans notre pays. Notre médecine curative est saluée comme étant de très bonne qualité ; en revanche, la prévention est très insuffisante.

La prévention doit porter sur tous les facteurs connus : tabac, alcool, sédentarité, exposition à des cancérigènes professionnels ou d’environnement, perturbations de l’alimentation.

Le seul tabac est responsable du décès, par cancer ou maladie cardiovasculaire, de 73 000 Français chaque année. En un siècle, ce fléau a tué un milliard d’êtres humains dans le monde. Clairement, nos actions de lutte contre le tabagisme sont très insuffisantes, et il est temps d’adopter la culture de l’efficacité. Mon collègue Denis Jacquat et moi-même avons suggéré, dans un récent rapport parlementaire, que l’INCa pilote une stratégie de recherche multidisciplinaire sur le tabagisme, et réalise une nouvelle estimation du coût du tabac pour la collectivité. Ce coût nous semble en effet considérable.

Le dépistage des différents cancers doit être amélioré, en particulier celui du sein qui est le premier des cancers chez les femmes. Le système de dépistage mis en place en France souffre d’une inégale répartition sur le territoire ; surtout, il est moins efficace que chez nos voisins européens. Une fois effectué, et s’il en révèle la nécessité, il n’y a pas d’engagement immédiat dans le processus thérapeutique ; on laisse à la femme la liberté d’en prendre l’initiative. Mieux vaudrait lui donner immédiatement, si elle le souhaite, les rendez-vous pour confirmer le diagnostic et mettre en place les soins nécessaires. Actuellement, il peut s’écouler quelques mois à quelques années entre le premier dépistage et le traitement des femmes atteintes d’un cancer du sein, ce qui provoque des décès supplémentaires. C’est inadmissible.

L’épidémiologie est également insuffisante dans notre pays. La France a d’ailleurs rarement su dépister les causes de cancer. Nous devons développer notre analyse épidémiologique et accélérer l’ouverture des données de santé, en particulier à partir de l’assurance maladie, parce qu’il y a là une source considérable d’informations.

Les traitements du cancer sont onéreux. Pour lutter contre les inégalités, il va falloir développer de nouvelles stratégies dans la fixation des prix. Ce sera là un défi majeur pour l’INCa. Certains nouveaux traitements physiques, comme l’hadronthérapie et la protonthérapie, ne peuvent pas être dispensés en France. Nos malades doivent être envoyés à Heidelberg ou à Pavie pour en bénéficier. Ce n’est pas sain ; nous devons disposer d’au moins un centre de traitement dans notre pays.

La recherche doit être appréhendée sans naïveté. On est loin d’avoir atteint l’objectif de Richard Nixon de vaincre le cancer en dix ans grâce aux moyens supplémentaires qu’il avait décidé de consacrer à cette tâche. Si dix ans s’est avéré un délai réaliste pour le défi de John Kennedy de marcher sur la lune, la lutte contre le cancer réclame des efforts de recherche dans la durée.

Enfin, les cancers sont des maladies chroniques, mais transitoires, puisqu’elles aboutissent soit à la guérison, soit à la mort. Il faut donc s’y adapter et mettre en place une stratégie de parcours de soins plus adaptés, avec une prise en charge non seulement médicale mais aussi sociale. Sur le plan financier, il faudrait mettre fin à la prise en charge du patient par les affections de longue durée (ALD) dès que la guérison peut être prononcée.

Il y a donc beaucoup à faire pour que le nouveau plan cancer donne l’impulsion attendue aussi bien par les professionnels que par les malades.

Mme Véronique Louwagie. Monsieur Breton, vous avez un parcours atypique, qui s’est développé aussi bien dans le public que dans le privé, avec des missions très variées.

J’ai quatre questions à vous poser.

En citant les quatre missions essentielles de l’INCa – recherche, innovation, information et prévention –, vous avez parlé de cloisonnements, précisant que le directeur général devait les « supporter ». Ce terme m’interpelle. Qu’entendez-vous par là ?

Envisagez-vous de travailler avec des réseaux existants, notamment avec le milieu associatif ? Je pense à la Ligue contre le cancer, entre autres associations. Dans l’affirmative, selon quelles modalités ?

Comptez-vous engager une démarche au niveau européen, pour tisser des liens ou mettre en place des réseaux ?

Enfin, l’expertise doit répondre aux besoins « dans des conditions d’exigence et de rigueur exemplaires », avez-vous dit. Avez-vous des pistes pour la conforter en ce sens ?

Mme Gilda Hobert. Monsieur Breton, j’ai suivi avec intérêt votre présentation, votre parcours professionnel et les motifs de votre candidature au poste de directeur général. Votre exposé m’a paru clair et circonstancié. On ne peut que souscrire aux idées de hiérarchisation des risques et de prévention. D’autres sujets me paraissent importants.

En premier lieu, la mise en œuvre des orientations choisies par l’INCa en matière de lutte contre le cancer. Le plan cancer 2014-2019 a pour principal objectif de répondre aux besoins et aux attentes des personnes malades, de leurs proches et de l’ensemble des citoyens. Faisant suite à deux premiers plans, il traduit et soutient la mobilisation de l’ensemble d’une communauté de soignants, de chercheurs, d’acteurs de prévention, mais aussi de professionnels du secteur social ou de l’éducation, qui travaillent tous au quotidien au service des malades et de la population.

L’INCa coordonne les actions sur le cancer en partenariat avec ses principaux acteurs associatifs et institutionnels. Ceux-ci sont nombreux, au point que leurs missions et activités risquent de se recouper et de se télescoper. En tant que représentant de l’agence sanitaire et scientifique de l’État, comment voyez-vous votre future coopération avec les différents intervenants, notamment territoriaux ?

Vous avez évoqué la nécessité de transversalité. Quelles relations envisagez-vous de développer, notamment avec les agences régionales de santé, qui sont devenues des maillons essentiels de la santé sur nos territoires ?

Deuxième sujet important à mes yeux, le rôle de l’INCa dans sa recherche sur la maladie, et sa relation avec les 3 300 chercheurs, enseignants et techniciens. La France a certes lancé des programmes innovants, mais elle a encore du chemin à parcourir en matière de prévention.

L’INCa participe activement à la recherche à travers le financement de nombreux projets et une étroite collaboration avec les organismes du domaine. Compte tenu du nombre de ces derniers, elle va devoir élaborer une stratégie pour les organiser en ordre cohérent, afin de cibler les financements et de mener des actions de grande ampleur. Pensez-vous qu’il soit possible de développer, voire de renforcer, la coopération entre les cancéropôles et l’INCa sur l’avancement de la recherche ? Quel pourrait être le rôle de l’INCa dans le cadre d’une coopération européenne, voire internationale ?

Mme Gisèle Biémouret. Une récente étude américaine, publiée dans la revue Cancer, a révélé que la richesse ou la pauvreté des patients aurait un lien avec le type de cancer développé, et que la létalité des cancers était plus élevée dans les milieux pauvres. Selon certains médecins, on fait le même constat en France, mais les études sont rares dans notre pays.

Le plan cancer 2014-2019 insiste sur la nécessité de diagnostics plus précoces, pour lutter contre les incidences des inégalités sociales. Il renforce également la lutte contre les inégalités de recours vis-à-vis des problèmes d’environnement, d’inégalité au travail, d’alimentation, de vaccination, bref de tout ce qui, à long terme, a un impact sur la fréquence des cancers. Le statut social ou territorial constitue également une source d’inégalité dans l’accès à l’information et dans le choix du traitement.

La lutte contre le cancer est complexe. Quel est votre sentiment sur ces différents points ?

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je rappelle que Mme Biémouret est une spécialiste des questions liées à la pauvreté, à l’exclusion et à l’aide alimentaire.

Mme Isabelle Le Callenec. Merci, monsieur Breton, de nous avoir rappelé quelles sont les missions essentielles de l’INCa.

Si un tiers des Français pense que l’on ne peut rien faire contre le cancer, il en reste deux tiers pour qui on peut faire quelque chose. Faisant partie de ceux-là, je considère qu’il ne faut surtout pas relâcher les efforts en matière de prévention. Selon moi, les ARS ont à jouer un rôle de terrain en mobilisant les différents partenaires autour de cette grande cause. Comment pensez-vous articuler les missions nationales de l’Institut avec cette action des ARS ?

Je trouve très intéressant que votre parcours vous ait conduit à œuvrer dans le domaine de l’emploi. Je suis moi-même attachée à ce qu’on travaille véritablement à l’insertion et la réinsertion professionnelle des personnes atteintes d’un cancer, notamment grâce à des contrats à temps partiel thérapeutique. Comment allez-vous traiter cette question ?

L’habitat à proximité des lignes à très haute tension a des incidences sur la prévalence des cancers infantiles. Il entre donc dans le champ de l’objectif 12 du plan cancer de prévention des cancers liés au travail et à l’environnement. Allez-vous travailler sur ce sujet en vue de prendre des mesures ?

Enfin, nous allons débattre d’une loi sur la santé publique. J’imagine que l’Institut nous fera des propositions pour l’enrichir.

M. Gérard Sebaoun. Selon l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS), 2 millions de salariés seraient exposés à des agents cancérogènes, très nombreux : produits chimiques, poussières, fibres, rayonnements, agents biologiques notamment. Ceux-ci sont à l’origine de cancers à survenue différée, qui se déclarent souvent plus de trente ans après l’exposition initiale. C’est d’ailleurs pourquoi le législateur a voulu inscrire la prise en compte de ce risque comme un facteur de pénibilité.

J’ai été très impressionné par les communications de certains scientifiques lors de la Journée mondiale de la sécurité et de la santé au travail, consacrée aux risques chimiques, souvent désignés comme des « liaisons dangereuses ». La question centrale des cancers professionnels a été largement évoquée, faisant apparaître que notre pays est très en retard en matière de prévention, à laquelle très peu de moyens de recherche sont consacrés.

Quel regard portez-vous sur ce sujet, que je considère comme explosif ? Alors que les budgets sont de plus en plus contraints, quelles coopérations entendez-vous mettre en place avec les autres agences d’État, l’INRS et les caisses d’assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT) ?

M. Rémi Delatte. L’Institut de veille sanitaire (InVS) fait état de chiffres inquiétants concernant les programmes de dépistage du cancer du sein et du cancer colorectal. Cinq ans après sa généralisation à l’ensemble du territoire, le taux de participation au programme de dépistage du cancer colorectal est très faible, de l’ordre de 45 %, soit bien en dessous des recommandations de la Commission européenne. Et ce taux a encore baissé en 2012-2013. Le constat est le même s’agissant du dépistage du cancer du sein : le taux de participation est de 51,6 % quand le référentiel européen est de 70 %.

Comment interprétez-vous ces chiffres ? Comment peut-on les améliorer ? Y aurait-il une réticence culturelle des Français vis-à-vis de la prévention ?

Mme Françoise Dumas. Vous avez évoqué les inégalités sociales en matière de dépistage. Dans le cadre des efforts à fournir pour augmenter la participation des personnes socialement fragilisées aux programmes de dépistage, il conviendrait d’adapter les outils et les moyens aux habitudes, aux comportements et aux craintes de certaines femmes. Y avez-vous réfléchi ?

Certaines femmes, issues de l’immigration, ont des réticences liées aux coutumes, à l’accès aux soins et à la barrière de la langue ; d’autres, âgées, vivant en milieu rural, sont trop éloignées des centres-villes. En l’absence de lien avec un médecin traitant, fondamental en la matière, les barrages culturels et psychologiques renforcent la crainte du dépistage. Puisqu’il est le moyen de découvrir la maladie, tant qu’on ne s’y prête pas, on ne sait pas. Pour certaines femmes, cette crainte est insurmontable, et nombreuses sont celles qui ne veulent pas accéder au dépistage du cancer du sein. Comment les y inciter ?

M. Bernard Accoyer. En France, la place de la culture scientifique ne cesse de régresser. Dans les ministères et les directions des grandes institutions publiques, les ingénieurs et scientifiques sont maintenant en nombre insignifiant. Il s’ensuit parfois des décisions qui pèchent par un manque d’objectivité flagrant vis-à-vis des connaissances scientifiques reconnues par la communauté scientifique mondiale.

S’il est un sujet qui constitue un défi scientifique, assorti d’une dimension sociale, c’est bien le cancer. Jusqu’à présent, la France a essayé de tenir son rang dans la lutte contre les maladies identifiées comme les premières causes de mortalité dans notre pays. Moyennant quoi, nous avons beaucoup progressé dans la prévention contre les maladies cardiovasculaires et dans leur traitement. Les difficultés sur lesquelles nous buttons maintenant ne pourront être identifiées et résolues que par la science.

Monsieur Breton, la dimension scientifique n’est que peu présente dans votre parcours et votre formation. Cela peut être un atout comme un handicap. Ce sera un handicap si vous vous laissez aller à l’émotion, si vous cédez aux lobbies ou aux groupes qui, de façon tout à fait légitime, pensent que la maladie cancéreuse est essentiellement liée à des raisons de société ou d’exposition à certains agents cancérigènes. Vous pouvez en faire un atout si vous vous entourez de scientifiques reconnus, de haut niveau, qui vous éviteront bien des erreurs en vous incitant à peser vos décisions à l’aune du bénéfice/risque. Force est de reconnaître que, depuis l’émergence du principe de précaution, nous avons perdu, en France, le regard objectif et équilibré qui nous permettait de prendre distance et hauteur vis-à-vis de ces questions. Certaines questions posées ici sont révélatrices de ce qu’aujourd’hui on a tendance à soulever des problèmes d’ordre scientifique sans prendre d’abord l’avis des scientifiques. Les médias relaient beaucoup plus les expressions émotionnelles, parfois dans le but de faire peur. C’est très inquiétant.

La lutte contre le cancer passe par la prévention, mais aussi et surtout par la recherche, fondamentale et thérapeutique. Elle doit évoluer dans le domaine de l’innovation et du progrès. Or la France est sous-équipée pour le dépistage, ce qui devient un vrai problème. Quant aux traitements qui promettent des progrès spectaculaires et suscitent de grands espoirs, ils méritent qu’on prenne à la fois des risques et des engagements financiers.

Ces questions doivent être appréhendées de façon scientifique et les décisions étayées et prises sur des bases objectives, hors de toute considération émotionnelle, arbitraire, voire dogmatique, et encore moins politique. Comment entendez-vous respecter ces impératifs ?

M. Gérard Bapt. Monsieur Breton, vous postulez à l’INCa dans une atmosphère plus apaisée que celle qui prévalait lors de la transition entre les professeurs Khayat et Maraninchi.

Si j’ai pu, de prime abord, éprouver un regret à la lecture de votre parcours, celui-ci a vite été balayé par votre expérience en matière de déploiement de systèmes d’information. Les réseaux de cancérologie n’ont-ils pas été précurseurs en matière de dossiers patients informatisés ?

L’INCa et l’ASIP (Agence des systèmes d’information partagés de santé) ont récemment signé une convention. Or l’Agence n’a pas enregistré de succès très probants dans le déploiement du dossier médical personnel (DMP) et de systèmes d’information. Une nouvelle approche, avec un pilotage plus cohérent, ainsi que le transfert de la maîtrise d’ouvrage du DMP à la CNAMTS pourraient-ils offrir de nouvelles possibilités de déployer des systèmes d’information s’inspirant des acquis des réseaux de cancérologie ?

Mme Bernadette Laclais. J’ai été frappée par les résultats de l’étude sur les inégalités constatées chez les patients atteints de cancer. En dix ans, les choses n’ont pas évolué dans le bon sens. Concernant cette étude précisément, on peut être interpellé : deux ans après, le malade est rarement considéré comme guéri. Aussi, une étude postérieure montrerait sans doute encore des inégalités au regard des rechutes ou de la survenue d’un deuxième cancer, et de manière encore plus flagrante.

Les malades sont très bien pris en charge dans le cadre hospitalier, mais une fois leur traitement terminé, ils sont abandonnés à un certain flottement. J’ai noté avec intérêt votre souhait de mieux formaliser cette période de fin de traitement pour mieux l’articuler avec la prise en charge de premier recours. Comment appréhendez-vous ce sujet, sachant qu’il s’agit d’une période clé pour de nombreux malades, qui peut avoir une influence sur la suite ?

Par ailleurs, en dépit des efforts accomplis dans le cadre des deux premiers plans cancer, l’annonce de la maladie reste un moment extrêmement difficile, surtout si elle touche des patients jeunes ou des femmes. Or, en dehors de celle que proposent les associations, une aide psychologique pour faire face au choc n’est pas systématique. Une telle prise en charge doit être généralisée.

Mme Annie Le Houérou. Je souhaite vous alerter sur les inégalités territoriales. Dans le document de synthèse du plan cancer 2014-2019, au chapitre « Garantir la sécurité et la qualité des prises en charge », il est indiqué que le fait de fonder la prise en charge des patients atteints de cancer sur les seuils d’activité des établissements et par groupes de pathologie a permis de structurer l’offre de soins et d’améliorer la sécurité et la qualité générale des pratiques.

Je considère, pour ma part, que cette orientation a eu pour conséquence d’éloigner les équipes compétentes des patients, puisque les hôpitaux de proximité ne réalisant pas suffisamment d’actes ont perdu leur habilitation.

La qualité technique de la prise en charge est certes essentielle, mais les conditions dans lesquelles elle se déroule sont parfois insupportables, notamment pour les patients âgés : allongement des délais pour le diagnostic comme pour les soins, multiplication des déplacements et augmentation des temps de transport, longue attente dans les gros centres spécialisés.

Une organisation de la prise en charge de proximité est possible, en lien avec les centres spécialisés, en relocalisant les unités de chimiothérapie dans les hôpitaux locaux. En tant que spécialiste des systèmes d’information, vous devriez être sensible à une autre organisation de la prise en charge alliant compétences techniques et qualité des soins en proximité.

Mme Michèle Delaunay. Parmi les nombreuses questions que j’aurais à vous poser, je ne retiendrai que celles qui ont trait au sujet majeur qui m’occupe de manière régulière : le tabac, dont plus personne aujourd’hui ne légaliserait la consommation. Avez-vous des perspectives de progrès en matière de lutte contre le tabagisme ? De mon point de vue, compte tenu de la contrebande et des prix différents, une politique efficace ne peut être qu’européenne. Envisagez-vous des collaborations européennes en la matière ? Je sais que le sujet est vaste, mais je suis à l’affût de la moindre étincelle, si je puis dire.

Mme la présidente Catherine Lemorton. N’étant encore que postulant, monsieur Breton, nous comprendrions que vous ne soyez pas en mesure de répondre à toutes nos questions.

M. Thierry Breton. Plusieurs questions ont porté sur les partenariats de l’INCa avec les acteurs nationaux et régionaux. L’Institut travaille, avec l’ensemble des services d’administration centrale concernés, les directions et le secrétariat général, à structurer les relations avec les agences régionales de santé qui doivent être encore plus impliquées dans la mise en œuvre du troisième plan cancer. Les ARS ont notamment un rôle important dans l’organisation du travail avec les associations, en particulier celles qui interviennent dans la prise en charge des patients, y apportant un complément tout à fait utile. Depuis 2006, l’INCa a soutenu, avec un budget de 4 à 5 millions d’euros, près de 160 actions engagées par les associations. Cet effort doit être poursuivi et organisé au niveau local.

Les ARS jouent un rôle important dans la lutte contre les inégalités sociales et territoriales. L’INCa intervient auprès d’elles en appui, pour leur apporter son expertise scientifique. Dans le cadre de la mise en œuvre du troisième plan cancer, il les aidera en tant que de besoin à en organiser la territorialisation et à définir des actions ciblées tenant compte des réalités socioéconomiques et démographiques régionales.

Plus généralement, la lutte contre les inégalités sociales implique de renforcer les programmes de dépistage qui n’atteignent pas les objectifs fixés. À cette fin, un programme de prévention peut être défini au niveau national puis adapté en fonction des publics visés. Connaître la cible et comprendre les leviers sur lesquels agir est un gage d’efficacité. C’est pourquoi une déclinaison de la réflexion initiée au niveau national doit pouvoir être proposée au niveau régional. La question est d’élaborer une pédagogie qui mette en regard certains comportements – consommation d’alcool et de tabac, habitudes alimentaires – et les risques qui s’y rattachent pour aider nos concitoyens à en comprendre les enjeux sanitaires.

À ma connaissance, l’impact du cancer sur l’insertion professionnelle et économique des patients n’a pas encore fait l’objet d’études particulières. C’est pourtant un point essentiel, car en plus de souffrir d’une pathologie compliquée à vivre, se retrouver en situation de précarité économique n’est pas évident. Actuellement, un tiers des salariés atteints d’un cancer a perdu son emploi dans les deux ans qui suivent le diagnostic. C’est un chiffre dont on ne peut se satisfaire et qui nécessite d’engager une discussion de nature générale avec les partenaires sociaux. Des solutions autres que le temps partiel thérapeutique pourraient être envisagées, sous forme d’aménagements du poste de travail ou des horaires. Avec les entreprises, cette discussion devra être abordée sous un angle plus pragmatique. L’INCa s’efforcera de le faire en lien avec le ministère du travail.

L’exposition aux cancers professionnels fait l’objet, dans le troisième plan cancer, d’actions qui reposent sur une meilleure connaissance, que nous acquerrons en améliorant le partage de données et notre capacité à les analyser collectivement. Doit s’ensuivre le renforcement du suivi médical, avec l’articulation entre médecine du travail, équipes hospitalières et médecine de ville. L’information des salariés doit également être améliorée.

D’ores et déjà, le ministère du travail et les DIRECCTE travaillent avec les entreprises à substituer, à chaque fois que cela est possible, des procédés ou produits moins porteurs de risques que ceux habituellement utilisés. Cette démarche de prévention, d’information et de suivi des salariés, en coordination avec la médecine du travail, est précisément ce qui permettra de réduire l’exposition aux cancers professionnels.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Merci, monsieur Breton, d’avoir répondu à nos questions. Si vous n’êtes encore que postulant, vous avez déjà bien appréhendé le périmètre de l’INCa, et vous y avez toute votre place auprès de Mme Buzyn. Nous vous souhaitons bonne chance.

La séance est levée à onze heures.

Présences en réunion

Réunion du mercredi 23 juillet 2014 à 9 h 30

Présents. - M. Bernard Accoyer, M. Pierre Aylagas, M. Gérard Bapt, Mme Gisèle Biémouret, M. Gérard Cherpion, M. Rémi Delatte, Mme Michèle Delaunay, Mme Françoise Dumas, M. Jean-Patrick Gille, Mme Gilda Hobert, Mme Joëlle Huillier, M. Michel Issindou, Mme Bernadette Laclais, Mme Isabelle Le Callennec, Mme Annie Le Houerou, Mme Catherine Lemorton, M. Jean Leonetti, Mme Geneviève Levy, Mme Véronique Louwagie, M. Bernard Perrut, Mme Martine Pinville, M. Arnaud Robinet, M. Gérard Sebaoun, M. Dominique Tian, M. Jean-Louis Touraine, M. Olivier Véran

Excusés. - Mme Véronique Besse, M. Richard Ferrand, M. Christian Hutin, Mme Monique Iborra, Mme Dominique Orliac, M. Fernand Siré, M. Christophe Sirugue, M. Jean-Sébastien Vialatte