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Commission des affaires sociales

Mercredi 23 juillet 2014

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 63

Présidence de Mme Catherine Lemorton, Présidente

– Audition, ouverte à la presse, de M. Dominique Martin, dont la nomination à la direction générale de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) est envisagée par le Gouvernement (application de l’article L. 1451-1 du code de la santé publique)

Examen, ouvert à la presse, en vue de la lecture définitive du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2014 (M. Gérard Bapt, rapporteur)

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mercredi 23 juillet 2014

La séance est ouverte à onze heures.

(Présidence de Mme Catherine Lemorton, présidente de la Commission)

La Commission des affaires sociales procède d’abord à l’audition, ouverte à la presse, de M. Dominique Martin, dont la nomination à la direction générale de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) est envisagée par le Gouvernement (application de l’article L. 1451-1 du code de la santé publique).

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je souhaite la bienvenue à M. Dominique Martin, que nous auditionnons avant son éventuelle nomination par le Gouvernement en tant que directeur général de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé.

M. Martin nous a fait parvenir son CV ainsi que la déclaration d’intérêts qu’il a souscrite. Ces documents sont en distribution dans cette salle.

Notre commission a beaucoup travaillé sur la loi relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé, qui a redéfini notre système de pharmacovigilance. Je tiens à saluer ici plusieurs personnes, au premier rang desquelles Gérard Bapt, qui a relayé avec force, dans l’affaire du Mediator, les mises en garde du Dr Hélène Frachon. Je salue également M. Xavier Bertrand, alors ministre de la santé, qui a réagi très rapidement face au scandale en mettant en place les assises du médicament, directement à l’origine du projet de loi sur le médicament. Je félicite ici son rapporteur, M. Arnaud Robinet : ensemble, nous avons accompli un travail qui a modifié en profondeur l’organisation de notre politique du médicament, bousculant les habitudes et mettant en exergue les conflits d’intérêts, dont le scandale du Mediator – remarquable par sa durée, puisque le médicament est resté sur le marché pendant plus de trente-cinq ans – est l’illustration la plus criante que nous ayons connue.

Vous êtes aujourd’hui pressenti, monsieur Martin, pour succéder à M. Dominique Maraninchi, nommé en 2011 à la tête d’une agence qui, entre-temps, a changé de nom. C’est un poste important, étant donné la lourdeur des dossiers à traiter et compte tenu du poids du médicament dans l’économie générale de notre système de santé.

M. Dominique Martin. C’est un honneur pour moi que d’être reçu par votre commission dans le cadre de la procédure de recrutement du futur directeur général de l’ANSM. Cette procédure d’audition par le Parlement d’un directeur pressenti par le Gouvernement a, pour moi, une valeur symbolique puisqu’elle prend sa source dans la loi de 2011 qui a créé l’ANSM. Elle a pour objet de garantir la pleine inscription de cet établissement d’expertise dans son environnement politique et social. J’y vois un signe fort et positif de l’évolution de nos organisations vers plus d’ouverture et plus de transparence. Indispensable au bon fonctionnement démocratique, l’expertise doit pouvoir être questionnée par les citoyens et leurs représentants.

J’ai parfaitement conscience de la responsabilité qui pèsera sur les épaules du futur directeur général, concernant non seulement sa gestion de l’établissement mais également sa capacité à rendre compte, de manière régulière et en tant que de besoin, de son action. C’est dans cet esprit que j’aborde cette audition.

À cinquante-huit ans, mon long parcours professionnel témoigne de mon profond intérêt pour les questions de santé publique et de sécurité sanitaire. À ma sortie de l’ENA, en 1997, j’ai exercé comme administrateur civil à la Direction générale de la santé (DGS), puis j’ai été conseiller au cabinet des ministres en charge de la santé, de 1999 à 2002. J’ai ensuite été nommé directeur de l’Office national de l’indemnisation des accidents médicaux, à sa création en 2002, fonction que j’ai exercée jusqu’en 2011, date à laquelle j’ai été nommé directeur de la branche « accidents du travail et maladies professionnelles » de la CNAMTS. Je suis médecin, spécialiste en psychiatrie, mais j’ai également une formation scientifique en épidémiologie et en statistiques appliquées à la médecine. J’ai, par ailleurs, complété ma formation par un DEA en sciences sociales, centré sur l’anthropologie et la sociologie, dans le cadre d’une formation organisée conjointement par l’École normale supérieure et l’École des Hautes études en sciences sociales. Cette double compétence médicale et administrative participe de mon intérêt pour les enjeux des établissements publics à forte composante scientifique ou technique dans le secteur de la santé.

Mes premiers contacts avec les agences sanitaires datent de 1997. J’ai en effet participé, en tant que chargé de mission à la DGS, à la préparation de la loi du 1er juillet 1998, relative au renforcement de la veille sanitaire et au contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l’homme ; j’ai également participé à la rédaction des premiers décrets.

Au cabinet du ministre de la santé, j’ai été en charge du pilotage et de l’élaboration de la loi du 4 mars 2002 sur les droits des malades. À ce titre, j’ai notamment eu à préparer et à négocier les dispositions dites anti-cadeaux relatives aux avantages consentis aux professionnels de santé par l’industrie pharmaceutique, dispositions qui complétaient celles de 1993 et qui ont, depuis, été renforcées. Je garde de cette période le souvenir d’un travail particulièrement intense et fécond. Je sais surtout la chance qui a été la mienne d’avoir occupé un poste où la concertation était essentielle.

En 2002, j’ai eu en charge la création et le développement de l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (ONIAM), présidé à l’époque par Claude Huriet, avec lequel nous avons formé une équipe efficace et enthousiaste. Créer de toute pièce un nouvel établissement public est sans doute une des meilleures écoles de management public qui soit. J’ai pu acquérir une connaissance concrète et directe du fonctionnement des établissements publics, et j’ai conduit avec détermination le développement de cet office, qui est un outil indispensable du ministère de la santé dans le cadre de la réparation du dommage corporel.

Au cours de ces neufs années, j’ai acquis une solide formation juridique, tant en droit administratif qu’en droit civil de la responsabilité médicale. J’ai également eu à traiter des problématiques liées aux médicaments et à leurs effets iatrogènes, notamment dans le cadre des essais thérapeutiques. J’ai suivi le procès pénal de l’hormone de croissance, puisque l’ONIAM avait hérité par la loi des obligations de l’association France Hypophyse. J’ai enfin mis en œuvre, avec le cabinet de Mme Bachelot, les procédures collectives d’indemnisation issues du drame de Furiani et utilisées dans le cas des catastrophes collectives, que nous avons appliquées pour la première fois dans le domaine de la santé aux victimes de sur-irradiations à Épinal et à Toulouse.

Depuis 2011, j’ai en charge la direction de la branche des accidents du travail et des maladies professionnelles de la CNAMTS. Je suis donc à la tête d’un réseau de caisses représentant environ 10 000 agents, parmi lesquels 1 500 ingénieurs et contrôleurs de sécurité, techniciens de très haut niveau qui interviennent dans le domaine de la prévention. L’animation de ce réseau ainsi que l’élaboration et la conduite des politiques publiques suppose de mettre en œuvre des compétences à la fois juridiques, techniques, économiques et budgétaires. Pourtant, cette expérience à la CNAMTS est rarement évoquée dans les articles me concernant, leurs auteurs estimant sans doute qu’elle ne se rattache que de très loin aux problématiques de santé publique. C’est une erreur, car participer avec les partenaires sociaux à prévenir les risques à l’origine de près de mille décès et d’un million d’accidents du travail par an relève évidemment de la santé publique.

Membre du comité de direction de la CNAMTS, j’ai par ailleurs suivi avec attention, certes dans une optique davantage axée sur les enjeux économiques que sur les problèmes de sécurité, les questions liées au médicament – je pense à l’Avastin, au traitement de l’hépatite C, aux œstroprogestatifs ou aux nouveaux anticoagulants.

Je pense enfin utile de rappeler mon expérience en zone de conflit avec Médecins sans frontières, qui m’a préparé à la gestion de crise. J’ai exercé la médecine et la chirurgie sur le terrain avant de m’engager vers l’organisation des missions.

Mon parcours conjugue donc des responsabilités officielles et une expérience clinique de praticien auprès des patients. En milieu hospitalier, comme dans l’administration et au sein des cabinets ministériels, il témoigne avec récurrence de mon engagement comme praticien – de l’humanitaire, de la clinique médicale et de l’administration – au service du public, en particulier du public en difficulté.

Mon souhait aujourd’hui est de mettre ma formation, mon expérience et mon attachement à l’action publique au service des valeurs portées par l’ANSM. Les objectifs de cet établissement, qu’ils concernent la sécurité des patients, la qualité des produits de santé ou la garantie pour tous de l’accès au médicament, constituent des enjeux majeurs de santé publique. Si l’Agence est parfois au centre des tourmentes, c’est bien parce qu’elle est au cœur de processus essentiels pour nos concitoyens, qui sont en droit d’exiger des pouvoirs publics sécurité et qualité des produits de santé. Je suis donc conscient de l’ampleur de la tâche demandée aux agents.

Tant par culture personnelle que par expérience professionnelle, je suis particulièrement sensible à la nécessité de renforcer la transparence et l’accès à l’information, de garantir la déontologie de l’expertise et d’inscrire clairement l’action de l’établissement dans son environnement administratif, politique et social. Par conséquent, c’est avec responsabilité mais aussi avec enthousiasme que j’ai proposé ma candidature au poste de directeur général de l’ANSM.

J’en viens à ma perception des enjeux auxquels est confrontée l’Agence, qui a été profondément bouleversée par le drame du Mediator. En 2010, les assises du médicament ont permis une réflexion collective sur les raisons d’une telle catastrophe. Ces réflexions ont conduit à la loi de décembre 2011 qui, d’une certaine façon, a fixé à l’établissement sa feuille de route pour les prochaines années.

L’enjeu général est donc bien la déclinaison jusqu’à leur terme des principes de la loi. Malgré l’ampleur des changements induits, l’Agence a, dans un délai exceptionnellement court, mis en œuvre l’essentiel de ces principes. Absorber toutes ces réformes exige néanmoins du temps.

Pour prendre un exemple concret, l’internalisation de l’expertise, qui permet de se rapprocher des normes des pays voisins, suppose une évolution des compétences au sein de l’Agence, en d’autres termes des recrutements et un programme de formation permettant la montée en compétence des agents concernés. Si beaucoup a déjà été fait, beaucoup reste encore à faire pour atteindre le niveau d’expertise nécessaire.

Le développement de la politique de surveillance est également un enjeu important, ainsi que le rappelait hier encore dans la presse M. Maraninchi. Si la pharmacovigilance reste un maillon essentiel du dispositif, elle doit cependant se moderniser, disposer de systèmes d’information plus efficaces et s’appuyer sur des réseaux de santé efficaces, par exemple celui des pharmacies, grâce notamment au développement du dossier pharmaceutique. Il convient également de renforcer la puissance de l’outil que constitue aujourd’hui la capacité donnée aux usagers de signaler les effets secondaires négatifs d’un médicament. Enfin, il importe que la France affirme sa présence dans les instances européennes.

Au-delà de la pharmacologie, il faut développer tout le dispositif de pharmaco-épidémiologie, à travers notamment des coopérations entre l’ANSM et la CNAMTS. L’Agence dispose pour cela d’un département dédié. Le travail de réévaluation des molécules anciennes devra être poursuivi dans ce cadre.

La mise en œuvre d’une politique coordonnée du médicament constitue l’un des autres enjeux essentiels, même si cette question dépasse le seul champ de l’ANSM et inclut les administrations centrales ainsi que la Haute Autorité de santé et la CNAMTS. Le chaînage nécessaire entre les différentes étapes du processus, qui va de la fabrication d’un médicament à sa prescription à l’usager, voire aux habitudes de consommation de ces derniers, est une question majeure, comme l’a montré le rapport des professeurs Bégaud et Costagliola. Il y a un lien entre la surconsommation d’une certaine classe de médicaments – les statines, les antibiotiques, les benzodiazépines – et le mésusage de ces produits. Cela équivaut à une triple peine car, en cas de mésusage, non seulement l’action thérapeutique sur la pathologie visée est nulle mais on constate des effets secondaires, tout cela alors que les dépenses engagées auraient pu être mieux ciblées vers des thérapeutiques innovantes. Le rapport propose des solutions de régulation extrêmement intéressantes, que ce soit dans le domaine de la coordination des données ou dans celui de la formation, initiale et continue, des professionnels de santé.

Un meilleur chaînage suppose également une forte coordination entre les entités concernées. Pourquoi ne pas imaginer un service public du médicament qui réunirait les grands intervenants du secteur et permettrait de renforcer autour d’un pôle commun les liens fonctionnels des différentes agences sanitaires ?

Autre enjeu, les thérapeutiques innovantes. L’ANSM ne doit pas se cantonner dans un rôle défensif, elle doit également favoriser la mise à disposition des produits. Nous disposons pour cela de la procédure d’autorisation temporaire d’utilisation (ATU), qui conditionne l’autorisation à une surveillance des traitements administrés ainsi qu’à la réalisation par des organismes publics comme l’INCa, l’Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales (ANRS) ou l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) d’études cliniques dans les domaines jugés non prioritaires par les laboratoires. J’insiste, à cet égard, sur la nécessité pour l’ANSM de soutenir la recherche concernant le développement des formes pédiatriques et de faire pression au plan européen pour la délivrance d’autorisations de mise sur le marché (AMM) adaptées.

L’essentiel des décisions est, en effet, pris aujourd’hui au niveau européen. La seule façon de faire valoir notre point de vue est de restaurer notre capacité d’influence. J’ai lu avec plaisir dans le dernier rapport de l’Agence que la tendance s’inversait, ce qui est de bon augure. Il faut poursuivre cet effort, non pas seulement pour des raisons de représentation, mais pour développer notre capacité à protéger notre santé publique.

L’ANSM s’est réformée en 2012 et 2013 à un rythme soutenu, en particulier pour remédier à son cloisonnement excessif. Durant cette période, l’établissement a été soumis à forte pression, et la direction a œuvré avec le Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) pour traiter les difficultés qui se faisaient jour. Il est donc souhaitable pour les agents que l’Agence connaisse à présent une phase d’atterrissage. Je sais que certains s’inquiètent du départ de l’actuel directeur, et je m’engage, si je suis nommé à ce poste, à inscrire mon action dans la continuité de ce qui a déjà été entrepris concernant les réformes et la poursuite de la mise en œuvre de la loi de 2011. J’exclus toute idée de rupture, qui n’aurait aucune justification et ne correspond ni à mon analyse de la situation ni à ma manière de concevoir le management d’une communauté humaine. Parce que je crois à l’action collective, mon projet est, au contraire, d’œuvrer pour développer un climat de sérénité. Je m’engage à assurer une politique de dialogue social forte, permettant à chacun de trouver sa place dans ce projet collectif fédérateur qui consiste à redonner à l’Agence toute sa place dans notre organisation sanitaire et à assurer son rayonnement national et international. Beaucoup a déjà été accompli par les équipes actuelles. C’est donc sur ces dernières, telles qu’elles sont constituées, que je souhaite appuyer mon action.

Au rang des échéances que devra affronter l’ANSM dans les prochains mois se trouve la procédure pénale relative au Mediator. L’instruction arrive à son terme et le juge devrait, avant la fin de l’année, rendre son ordonnance de règlement.

Par ailleurs sont en cours les discussions sur le budget, et donc sur les moyens alloués à l’Agence en 2015 mais également sur le contrat d’objectifs et de performance pour les années qui viennent. Les réformes en cours sont ambitieuses mais nécessaires. Je souhaite évidemment que la contrainte budgétaire ne soit pas un frein à cette ambition.

Enfin, la Cour des comptes effectue actuellement un contrôle de l’Agence et devrait rendre ses conclusions provisoires avant la fin de l’année. Ces contrôles sont souvent rudes pour les directeurs d’établissement, mais ils sont également pleins d’enseignements permettant d’améliorer la gestion et le fonctionnement de nos organisations. Enfin, une mission d’évaluation de l’Agence a été demandée à l’IGAS, qui devrait rendre ses conclusions à la rentrée.

Pour conclure, je voudrais rendre hommage à l’actuel directeur général de l’Agence, Dominique Maraninchi. Je ne le fais pas uniquement par courtoisie, encore que je considère celle-ci comme une bonne pratique de l’administration, mais parce que je voudrais insister sur deux points essentiels. Dominique Maraninchi a fait preuve d’un courage exemplaire quand, en 2011, il a accepté de prendre le poste de directeur général de l’Agence, à un moment critique et alors qu’il avait une fonction prestigieuse à la tête de l’INCa, qu’il a remarquablement redressé. C’est un bel exemple de ce que le courage personnel d’un homme peut apporter à l’action publique. Il a ensuite, avec l’ensemble des personnels de l’Agence, conduit de manière efficace le changement appelé par la loi dans des délais extrêmement courts. C’est parce que ce travail a été fait que je suis convaincu que le prochain directeur pourra, dans des conditions meilleures aujourd’hui qu’hier, approfondir la réforme, tout en conduisant l’établissement sur le chemin de la stabilité indispensable à une action qui puisse s’inscrire dans la durée.

Mme la présidente Catherine Lemorton. On évoque toujours le médicament, or l’ANSM s’occupe aussi des produits cosmétologiques.

Arnaud Robinet et moi-même avons conduit l’an dernier une mission d’évaluation de l’application de la loi de décembre 2011, qui avait notamment révélé des problèmes concernant les demandes de publicité des industries pharmaceutiques. Cela signifie qu’une nouvelle évaluation devra être effectuée si l’on veut que la loi soit appliquée correctement.

Vous avez rappelé l’intérêt de renforcer la pharmacovigilance. Mettre en distribution dans les grandes surfaces des médicaments dont la prescription n’est pas obligatoire ne me paraît pas le meilleur moyen d’y parvenir, même si ces médicaments, disposant d’une autorisation de mise sur le marché (AMM), peuvent être vendus en libre-service.

Vous avez enfin souligné combien la loi de 2011 avait bousculé l’Agence et ses personnels. Si je salue, à mon tour, M. Maraninchi pour le travail qu’il a accepté de faire en pleine crise du Mediator, plusieurs d’entre nous ont néanmoins été interpellés par des agents de l’Agence sur le manque de dialogue social. J’aurais souhaité savoir si vous aviez des idées sur la manière, le cas échéant, de le faire progresser.

M. Olivier Véran. Je salue votre engagement au service du public et de l’intérêt général dont témoigne votre parcours ainsi que la déclaration publique d’intérêts
– entièrement vierge – que vous nous avez communiquée.

J’aimerais votre avis d’expert ayant travaillé au sein de l’organisme payeur des dépenses de santé, la CNAMTS, sur la capacité de l’ANSM à répondre à l’une de ses missions premières, qui consiste à « offrir un accès équitable à l’innovation pour tous les patients ».

Nos établissements de santé ont parfois du mal à s’équiper en matériel innovant, car le marché souffre, d’une part, de la faiblesse de la commande publique et, d’autre part, du parcours du combattant auquel s’apparentent les procédures de mise sur le marché. Nous nous réjouissons certes que la future loi sur la santé prévoie d’améliorer sensiblement les choses, mais le risque n’est-il pas désormais que ce soit l’accès aux médicaments les plus innovants qui devienne un luxe ? Le prix exorbitant de certains médicaments anticancéreux ou, tout dernièrement d’un remarquable médicament contre l’hépatite C sont au cœur des débats. Demain, ce sera au tour des nouveaux anticorps monoclonaux ou des nouvelles chimiothérapies.

Au-delà du coût, se pose la question du modèle économique par lequel les grands laboratoires remplaceront un système fondé sur la vente de médicaments-phares, diffusés par millions de boîtes. Les plus optimistes tablaient sur le développement d’une médecine personnalisée et prédictive. Est-ce cela qui se profile ?

Certains laboratoires semblent s’orienter vers un modèle économique qui fait fi des coûts de recherche et développement et des coûts de production pour ne retenir comme paramètre que l’efficacité d’une molécule, ce qui revient à vendre non pas tant la molécule elle-même que l’utilisation qui peut en être faite. Selon cette logique poussée à l’extrême, rien n’empêcherait le détenteur du brevet d’une molécule de la remettre sur le marché à un prix dix ou cent fois supérieur au prix originel, dès lors qu’il a été prouvé qu’elle répondait à de nouveaux usages thérapeutiques. Est-il encore temps, dans ces conditions, de reprendre la main ? Certes c’est aux niveaux européen et mondial qu’il faut agir, mais comment concilier à l’avenir l’exigence d’un accès aux meilleurs traitements avec la nécessaire réduction des dépenses de santé ?

Ma seconde question porte sur notre défaut d’autosuffisance. Quelques pays producteurs ont le monopole des matières premières indispensables à la fabrication des médicaments, ce qui rend la France et l’Europe particulièrement vulnérables. Qu’en est-il réellement ?

Les médicaments contrefaits qui affluent en Europe, si l’on en croit le nombre de saisies en douane, doivent-ils nous faire craindre une invasion du marché français ? La vente sur internet constitue-t-elle un risque supplémentaire ? À l’inverse, le monopole pharmaceutique est-il un gage de sécurité dans l’approvisionnement et la distribution ?

Enfin, êtes-vous favorable à un transfert de la cosmétovigilance à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES), si d’aventure cette dernière se dotait de capacités de contrôle ?

Dans un tout autre domaine, l’ANSM dispose-t-elle désormais de moyens pour contrôler l’origine éthique des médicaments dérivés du sang commercialisés en France ? Le label éthique instauré par la loi dite DADU santé (diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans le domaine de la santé) est-il réservé aux seuls médicaments produits à partir du sang de donneurs bénévoles ?

M. Arnaud Robinet. Je tiens également à rendre hommage à M. Maraninchi pour le travail qu’il a accompli. Le scandale du Mediator a mis en lumière des pratiques que nous ne pouvons plus accepter et auxquelles la loi de 2011 a entendu mettre un terme. C’est cette loi qui a mis en place l’ANSM et lui a donné de nouvelles missions, renforçant notamment son pouvoir de contrôle en matière de pharmacovigilance. Aussi ai-je été surpris, monsieur Martin, que vous ayez déclaré n’être pas spécialiste de pharmacovigilance. J’aimerais néanmoins connaître votre sentiment sur ce renforcement de la pharmacovigilance.

La loi indiquait qu’il fallait un centre de pharmacovigilance par région. Aujourd’hui, le nombre de ces centres est supérieur à celui des régions. Cela va-t-il évoluer ? Quels seront les moyens alloués à ces centres ? Envisageriez-vous de renforcer les liens de l’ANSM avec la CNAMTS pour développer les études de pharmacovigilance ? Avez-vous des informations sur les études déjà en cours ?

La présidente a soulevé la question du dialogue social. Les personnels sont-ils suffisamment accompagnés pour s’adapter aux transformations de l’Agence ?

Je souhaiterais également votre avis sur l’automédication. Je suis, moi aussi, opposé à la vente de médicaments en grande surface, mais doit-on, comme dans d’autres pays européens, élargir la liste des médicaments à prescription non obligatoire et renforcer le rôle du pharmacien pour limiter les consultations de « bobologie », ce qui serait une source substantielle d’économies ? Faut-il envisager le déremboursement d’un certain nombre de ces médicaments ?

Comment envisagez-vous l’évolution de l’Agence elle-même et celle des liens qu’elle entretient avec la Haute Autorité de santé et le comité économique des produits de santé (CEPS) ? Ne faudrait-il pas mutualiser certaines missions assumées par ces trois organismes institutionnels ? Quelles solutions proposeriez-vous pour résoudre le problème de l’encombrement de la Commission de contrôle de la publicité, dont jouent un certain nombre de laboratoires pharmaceutiques ?

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je rappelle que siègent au conseil d’administration de l’ANSM nos collègues Arnaud Robinet, Sandrine Hurel et Gérard Bapt.

M. Gérard Bapt. À mon tour, je m’associe à l’hommage rendu à Dominique Maraninchi. À deux reprises, il a su jouer les pompiers, d’abord en arrivant à la tête de l’INCa, qui traversait une grave crise, puis en prenant la direction de l’ANSM.

J’ai noté l’importance que vous attachiez à réaffirmer la présence de la France en Europe, en redonnant de la force à l’engagement de l’Agence au niveau européen.

L’ANSM doit se montrer plus réactive face aux alertes. Rencontrer des associations de victimes ou accueillir au sein de son conseil d’administration des représentants d’associations d’usagers n’est pas suffisant. On a vu qu’elle avait trop tardé à entendre les mises en garde lancées par l’Association des victimes d’embolie pulmonaire au sujet des pilules de troisième et quatrième générations.

J’ai apprécié ce que vous avez dit sur la nécessité de revoir le circuit du médicament en instaurant plus de fluidité entre les différentes structures. La loi de 2011 a introduit une certaine redondance dans le dispositif puisque l’Agence intervient désormais dans le processus d’évaluation du service médical rendu (SMR) qui détermine l’inscription au remboursement. Est-il inévitable que, chaque fois qu’un laboratoire soumet à l’AMM un produit dont le SMR est nul par rapport aux thérapeutiques existantes, il soit automatiquement proposé au remboursement, ce qui n’est pas le cas dans les pays nordiques ? Démonstration a été faite, à propos du Sovaldi, du Crestor ou des nouveaux anticoagulants oraux que la complexité de notre circuit du médicament ne permettait pas une évaluation correcte des prix en fonction d’une amélioration du service médical rendu. Cette notion semblant devenue obsolète, ne faudrait-il pas établir un index d’efficacité thérapeutique qui prenne en compte non seulement l’intérêt du produit en termes de santé publique mais également d’un point de vue médico-économique ?

Mme la présidente Catherine Lemorton.  M. Robinet, rapporteur de la loi de 2011, avait accepté un amendement socialiste exigeant la réévaluation systématique, tous les cinq ans, de tous les produits commercialisés.

Mme Véronique Louwagie. Une grande loi sur la santé publique est en préparation. L’ANSM étant en charge d’une politique coordonnée du médicament, entendez-vous être une force de proposition et contribuer activement à l’élaboration de cette loi ?

Vous souhaitez renforcer les moyens d’action des usagers en matière de pharmacovigilance. Certains exemples étrangers vous servent-ils plus particulièrement de modèles ?

Thierry Mandon, secrétaire d’État à la réforme de l’État, a indiqué que certaines professions réglementées auront à faire des efforts. Arnaud Montebourg a, de son côté, fait part de sa volonté de déréglementer certaines de ces professions. Ces annonces, si elles concernent les pharmaciens, ne sont-elles pas de nature à remettre en cause la sécurité du médicament ?

Mme Martine Pinville. Vous avez évoqué la perte d’influence de la France au niveau européen. Qu’entendez-vous faire pour restaurer cette influence et renforcer les liens de vos équipes avec les experts européens ?

M. Rémi Delatte. Le rapport sur la surveillance et le bon usage des médicaments en France met en évidence la nécessité de compléter notre système de surveillance des médicaments, notamment grâce à la connaissance en temps réel de ce qui est prescrit, à qui, comment et pourquoi. Le 8 septembre 2011, la CNIL a autorisé un opérateur à traiter les données issues du GIE SESAM-Vitale, sécurisées grâce à des clefs de chiffrement. Or la CNAMTS ne semble pas disposée à transmettre ces clefs, qui permettraient cependant d’éviter 18 000 décès liés chaque année au mésusage des médicaments. Comment, dans ces conditions, la coordination des données pourra-t-elle être assurée et quels outils entendez-vous promouvoir pour obtenir une connaissance en temps réel de la prescription de médicaments, afin d’en évaluer rapidement les effets secondaires ?

Mme Chaynesse Khirouni. L’ANSM, née à la suite du scandale du Mediator, semble très impliquée dans la lutte contre les conflits d’intérêts. L’institution est dotée d’un nouveau corps de 270 experts externes censés n’avoir aucun lien avec l’industrie pharmaceutique. Cependant, au vu des déclarations publiques d’intérêts signées par ces experts, on constate que ce n’est pas le cas de tous. Comment, dès lors, obtenir des garanties d’indépendance suffisantes ?

Mme la présidente Catherine Lemorton. La déclaration publique d’intérêts de M. Martin, entièrement vierge, est la preuve qu’il existe des personnes parfaitement aptes à remplir ces fonctions.

M. Bernard Perrut. L’ANSM a deux missions essentielles : offrir un accès équitable à l’innovation pour tous les patients et garantir la sécurité des produits de santé tout au long de leur cycle de vie. Ses actions débouchent donc sur la prise de décision de police sanitaire, pour le compte de l’État, qu’il s’agisse d’autorisations ou de recommandations. Les récents scandales sanitaires ont ébranlé la confiance de nos concitoyens dans la qualité des médicaments, et c’est toujours a posteriori que les défauts de notre système de vigilance et de protection sont apparus. Comment mieux repérer les risques a priori ? L’Agence en a-t-elle véritablement les moyens ? Comment améliorer la réactivité et l’efficacité de l’Agence dans la mise en place d’actions et de décisions sanitaires transparentes ? Comment entendez-vous améliorer notre système de pharmacovigilance ?

Jugez-vous suffisante l’information des patients ? Les outils dont nous disposons sont-ils adaptés ? On peut s’interroger, face à toutes les publicités comportant des allégations de bénéfice pour la santé dont la preuve ne peut être établie. Comment renforcer l’action de l’Agence dans ce domaine ? Serait-il envisageable de développer des procédures d’autosaisine ?

Mme Michèle Delaunay. Comment l’ANSM peut-elle peser sur la politique du prix des médicaments ? L’amortissement de la recherche doit-il être intégré dans sa totalité au coût d’une molécule mise sur le marché ?

Lorsque j’étais praticienne, les hôpitaux pouvaient négocier, après un certain temps d’usage, une baisse de prix pour les molécules innovantes. Cela n’a pas grand sens pour les produits d’usage très fréquent, dont l’amortissement est assuré par les volumes vendus. Dans le traitement des cancers les plus répandus, comme le cancer du sein, les volumes que nous atteignions permettaient largement aux laboratoires d’amortir leurs coûts, alors que nous n’avions pas encore la possibilité de négocier les prix. L’ANSM a-t-elle les moyens de réformer de telles pratiques ?

M. Dominique Martin. Il ne serait pas responsable de ma part de chercher à répondre à toutes les questions, néanmoins je m’efforcerai d’apporter des éclairages sur la plupart d’entre elles.

Plusieurs intervenants se sont inquiétés du dialogue social. Je n’ai encore qu’une vision extérieure, mais il fallait s’attendre à ce que des tensions se fassent sentir au sein de l’établissement compte tenu de l’extrême pression que la réorganisation spectaculaire a fait peser sur les agents : la quasi-totalité d’entre eux a changé de fonction au terme d’un processus qui se fait normalement par étapes. Si l’opération a été menée vite fait bien fait, il faut maintenant se saisir du dialogue social pour redonner à l’établissement son efficacité collective. Je crois non pas à la prouesse individuelle, mais à l’efficacité collective : c’est avec des agents bien à leur place que l’Agence pourra assurer la sécurité qu’on attend d’elle.

Il m’est difficile de détailler aujourd’hui comment sera organisé le dialogue social. Ce que je peux dire, c’est que l’enjeu est tel que je conduirai personnellement ce chantier, bien sûr en collaboration avec les personnes en charge. Mon parcours montre combien je suis attaché au dialogue social, surtout par souci d’efficacité administrative – transparence, dialogue social, action collective sont la marque d’un bon fonctionnement de l’administration.

La base du dialogue social, c’est la discussion avec tous, à tous les niveaux. Pour une aussi grande agence, il faut bien sûr l’organiser. Le dialogue doit précéder le dialogue social, c’est tout à fait primordial.

La prise en charge des innovations coûteuses, qui sont souvent des thérapeutiques ciblées ou de niche, se heurte à l’amortissement du coût de développement. Force est de constater qu’il pose un réel problème d’accès aux soins. Ainsi, le traitement contre l’hépatite C est parfaitement efficace et serait certainement rentable à long terme, mais il nous pose aujourd’hui un vrai problème du fait de son coût exorbitant.

Vous avez déjà donné des éléments de réponse avec l’amendement Avastin/Lucentis et en faisant évoluer la loi sur les recommandations temporaires d’utilisation (RTU). J’ai bien suivi ce débat et je me félicite de cette évolution qui suppose une collaboration entre l’ANSM et les autorités publiques. Des évaluations peuvent être également conduites en collaboration avec des organismes publics comme l’INCa, l’ANRS ou l’INSERM, sur des produits très spécialisés qui n’intéressent pas les laboratoires pour des raisons de rentabilité évidentes. Le produit de santé n’est pas un produit comme un autre et certains impératifs de santé publique ne sont pas forcément spontanément portés par l’industrie pharmaceutique, même si celle-ci participe grandement à la production des médicaments. Dans de tout petits secteurs de la cancérologie, ce sont des essais réalisés par des équipes publiques sur un médicament fourni par un laboratoire qui permettent d’en identifier la bonne utilisation en toute sécurité et le protocole à respecter.

Les ruptures de stock et l’importation des matières premières sont de vrais sujets qui sont liés aux modalités économiques de la production des médicaments. L’année dernière, plus de 400 ruptures de stocks ont été constatées. D’ores et déjà, des dispositions existent visant à inciter les entreprises à faire remonter l’information de sorte que l’ANSM puisse proposer des produits alternatifs ou éventuellement décider des importations. Au regard des risques que ces ruptures de stock peuvent faire courir, il ne serait pas anormal d’engager avec les producteurs une discussion relative aux contraintes liées à la gestion de risque, dans le cadre d’une politique de maîtrise de la production et de l’approvisionnement.

Le débat sur le monopole est du ressort interministériel. Néanmoins, je peux dire qu’au regard de la pharmacovigilance, les pharmacies constituent probablement le réseau le plus efficace. C’est vrai aussi dans d’autres domaines. Ce réseau est extrêmement dynamique ; il s’est doté très tôt d’équipements de dématérialisation, il a participé à la création du dossier pharmaceutique. Il doit être préservé. Dans notre pays, où, avec une consommation de médicaments de 20 % à 30 % supérieure à la moyenne européenne, notre problème est plutôt la surconsommation que la sous-consommation, nous avons intérêt, pour des raisons de sécurité autant qu’économiques, à en assurer la maîtrise avec l’ensemble des parties prenantes.

Je ne sais pas quoi répondre à l’éventualité du transfert de la cosméto-vigilance à l’ANSES. Si j’osais une touche d’humour, je dirais qu’en gestionnaire avisé, j’y verrais un intérêt pourvu qu’on me laisse les personnels qui y sont attachés. Si je connais bien l’ANSES, je ne connais pas le sujet. L’important est que quelqu’un s’en occupe. Les produits cosmétiques peuvent avoir des effets, notamment dermatologiques, et nécessitent une vigilance. Je ne sais pas si l’ANSES a une organisation qui s’y prête mais, si elle héritait de la cosméto-vigilance, elle aurait sûrement besoin de s’appuyer sur nos réseaux de vigilance. Quant au contrôle de l’origine éthique du sang, ma réponse est à peu près la même. Je connais bien l’Établissement français du sang pour avoir beaucoup travaillé avec, mais je ne connais pas le sujet.

M. Robinet a évoqué les liens à établir entre divers dispositifs dans le domaine de la pharmacovigilance. Clairement, même si l’on doit développer de nouvelles méthodes comme la pharmaco-épidémiologie, la pharmacovigilance telle qu’elle existe doit rester un dispositif essentiel. Les responsables en sont des cliniciens, ils travaillent dans des CHU et ils ne se contentent pas de faire remonter des informations ; ils délivrent également l’information auprès des praticiens.

J’en viens à l’incompétence en matière de pharmacovigilance dont j’aurais fait état me concernant au Sénat, au cours d’une audition relative au Mediator. Comme je l’avais précisé alors, j’intervenais strictement au titre de directeur de l’ONIAM sur la réparation du dommage corporel. Lorsqu’au terme de l’audition, Mme Hermange m’a demandé ce que je pensais des insuffisances du dispositif de pharmacovigilance, j’ai répondu, en omettant de me référer au principe de spécialité attaché à ma fonction de directeur de l’ONIAM, que cette question ne rentrait pas dans mon champ de compétence. J’ai néanmoins fait part de mes observations en tant que citoyen. Étant médecin, je connais bien les centres de pharmacovigilance. En réalité, leur problème n’est pas lié à la biologie mais bien aux moyens, qui leur sont fournis pour partie par l’ANSM et pour partie par les financements destinés aux MIGAC (missions d’intérêt général et à l’aide à la contractualisation). Le patron d’un de ces centres me disait qu’alors qu’il attendait 200 000 euros à ce titre, il en avait touché 20 000. Ce type de problème, je sais le traiter. Ce sont des questions que je connais bien, qui relèvent de l’organisation. À cet égard, on n’attend pas forcément de moi des compétences en biologie.

Quant à savoir comment j’imagine l’organisation et la gouvernance de l’Agence, je suis conscient qu’avec le départ de Dominique Maraninchi, c’est une compétence nationale et internationale qui s’en va. Bien que doté d’une formation médicale, je suis plutôt un administratif, et je vais évidemment m’adjoindre très rapidement une personne compétente dans le domaine médical, non seulement sur le plan national mais aussi sur le plan international. Il s’agira donc d’une réorganisation de la gouvernance tout à fait traditionnelle, dans laquelle tout n’est pas concentré dans les mains ou la tête d’une seule personne. C’est un modèle qui ne me paraît pas très difficile à mettre en place.

J’ajoute qu’il entre dans mes attributions d’acquérir les compétences minimales, et un peu plus, requises pour être capable de discuter avec les uns et les autres. Quand j’ai créé l’ONIAM, je n’avais aucune compétence en matière de réparation du dommage corporel, et je les ai acquises rapidement. Quand j’ai pris en charge la branche AT-MP, je n’étais pas un spécialiste de la tarification des entreprises dans cette matière qui est la plus compliquée du code de la sécurité sociale. Cette fois, s’agissant du domaine médical, j’ai l’avantage d’être médecin et d’avoir été formé à la pharmacologie.

S’agissant de l’automédication, j’ai déjà répondu que nous avions un problème de surconsommation dans le pays. Si elle constitue une voie d’évolution intéressante, elle doit être accompagnée par les professionnels de santé et contrôlée tant d’un point de vue de sécurité qu’économique.

Plusieurs questions ont porté sur la collaboration des agences impliquées dans le processus du médicament – ANSM, HAS, CEPS, mais aussi l’État et la CNAMTS. C’est un vrai sujet. Les mutualiser dans une seule grande agence me paraîtrait délicat, car le lien entre sécurité et médico-économique doit continuer d’exister. Il est ainsi étonnant que des médicaments soient totalement déremboursés sans autre forme de débat. Le nécessaire dialogue entre les unes et les autres s’établira plus facilement entre entités distinctes coordonnées par l’État à travers des textes ou une gestion au quotidien. Si j’avais à choisir, je préfèrerais avoir des établissements juridiquement distincts soumis à une obligation de coopération.

De toute évidence, l’ANSM a contribué à la loi de santé publique, notamment au regard de la simplification des processus. Comme dispositif majeur de la santé publique, je ne conçois pas qu’elle n’ait pas son mot à dire.

Les pays dont il faut, à mon avis, s’inspirer en matière d’alerte en provenance des usagers sont notamment les Pays-Bas et le Danemark. À cet égard, l’ouverture juridique qui a été ménagée doit être exploitée à fond. J’ai des relations maintenant anciennes et très étroites avec les associations d’usagers et j’y tiens beaucoup. L’expertise patient, comme on dit, est essentielle et il faut l’utiliser au maximum.

Le renforcement du positionnement européen de l’équipe passe par une parole forte en termes de pharmacovigilance et de crédibilité scientifique, mais pas seulement. Le travail au niveau européen est très consommateur de temps, et il ne devra pas pâtir des arbitrages qui ne manqueront pas d’intervenir. Dans une période où l’on n’augmente pas les effectifs des structures publiques, seules les procédures de simplification et l’augmentation des gains de productivité permettront de dégager des marges de manœuvre à réintégrer dans l’action européenne. Les systèmes d’information ont toute leur part à prendre dans cette démarche, puisque ce qui caractérise notre environnement aujourd’hui, c’est la circulation de volumes importants et complexes d’information. Je crois savoir que le travail est en cours, et que beaucoup a déjà été fait ces deux dernières années.

S’agissant du recueil de données, je vois deux modèles intéressants. Soit on travaille sur le système national d’information inter-régimes de l’assurance maladie (SNIIRAM), c’est-à-dire sur la totalité des données, que l’on recoupe avec le programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI), qui couvrent la totalité de la population mais qui sont peu spécifiques ; soit on arrive, comme les Anglais, à créer un échantillon représentatif permanent qui permet de recueillir beaucoup de données utiles. Ce qu’il faut, c’est trouver des modalités de fonctionnement et une base de données communes. Et, dans la mesure où un tel système donnerait accès à des informations individuelles, il faudrait associer la CNIL à sa sécurisation. Nos voisins y sont parvenus, et nous sommes bien partis, semble-t-il, pour réussir aussi.

L’indépendance des experts vis-à-vis de l’industrie pharmaceutique est un sujet compliqué : s’ils n’ont jamais eu aucun lien avec elle, leur compétence, au sens de l’expertise scientifique, a de quoi être interrogée. La question a été traitée d’assez bonne manière par la loi de 2011 avec la réinternalisation de toute une partie de l’expertise, l’expertise externe intervenant dans un deuxième temps. La souscription de déclarations publiques d’intérêts accessibles à tous participe également de la transparence, qui est un outil puissant de contrôle grâce auquel la situation a évolué du tout au tout. Pour autant, la vigilance reste de rigueur, et un service de l’ANSM est d’ailleurs entièrement dédié à cette question.

Je reviens sur l’information des patients et le lien avec les associations d’usagers, dont je suis convaincu qu’il est un élément de gestion tout à fait majeur et moderne. En 2002, alors que j’assurais la coordination de la loi sur les droits des malades, j’ai pu constater que le système de santé publique avait tout à gagner de la démocratie sanitaire et de la place faite à ces associations. Je suis donc très attaché à ce lien, sachant toutefois qu’il n’est pas évident à organiser. L’expertise des patients est celle du vécu, de la maladie et des traitements, et toute la difficulté est d’inciter des experts très pointus et des administratifs très têtus à s’y intéresser. C’est une relation qui demande à être construite, ce qui passe par le débat. Je sais que l’Agence s’implique dans cette démarche depuis des années, puisque certaines dispositions de la loi de 2011 sont issues d’expériences qu’elle avait engagées antérieurement. Je ne révèle donc là rien de nouveau, mais c’est une piste qu’il faut continuer à explorer.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Sur les questions touchant aux liens d’intérêts, le Gouvernement a ouvert le site « transparence.santé.gouv.fr » qui recense tous les dons créant un lien d’intérêt que les industriels ont faits aux professionnels de santé – repas, nuits d’hôtel, weekends dans le cadre de colloques, etc. Cette déclaration est obligatoire et tous les professionnels sont concernés, qu’ils soient médecins, pharmaciens ou infirmiers. Quelques erreurs constatées montrent que le système est perfectible, mais globalement le processus est en marche.

Merci, monsieur Martin, d’avoir répondu aussi précisément que possible à nos questions assez riches. Faisant preuve d’humilité, vous avez reconnu avoir encore à apprendre ; nous-mêmes, si nous n’avons pas fait de droit avant d’être élus, nous devons acquérir des compétences législatives et juridiques. Confiants dans votre volonté en la matière, nous souhaitons une issue favorable à votre candidature, sans vous dire toutefois « à bientôt » : en général, nous recevons le directeur général de l’ANSM lorsqu’il y a un problème.

La Commission procède ensuite à l’examen, ouvert à la presse, en vue de la lecture définitive du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2014 (M. Gérard Bapt, rapporteur).

Mme la présidente Catherine Lemorton. Après l’échec de la commission mixte paritaire, réunie le 17 juillet, et du fait du rejet par le Sénat, hier, du texte adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, le Premier ministre demande à l’Assemblée nationale, par une lettre datée du 22 juillet, de statuer définitivement, en application de l’article 45, alinéa 4, de la Constitution. Ce texte sera examiné en séance publique cet après-midi.

À ce stade de la procédure, l’Assemblée nationale ne peut se prononcer que sur le dernier texte adopté par elle, en nouvelle lecture, le lundi 21 juillet dernier, sans possibilité de l’amender.

M. Gérard Bapt, rapporteur. Tout en regrettant le rejet, une nouvelle fois, du texte du projet de loi par le Sénat, je ne peux que donner un avis favorable à l’adoption du texte que notre assemblée avait adopté en nouvelle lecture.

La Commission adopte le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2014, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture.

En conséquence, la Commission des affaires sociales demande à l’Assemblée nationale d’adopter le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2014 tel qu’elle l’a adopté en nouvelle lecture.

La séance est levée à midi trente.

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Présences en réunion

Réunion du mercredi 23 juillet 2014 à 11 heures

Présents. – M. Bernard Accoyer, M. Pierre Aylagas, M. Gérard Bapt, Mme Gisèle Biémouret, Mme Marie-Françoise Clergeau, M. Rémi Delatte, Mme Michèle Delaunay, Mme Françoise Dumas, M. Henri Guaino, Mme Gilda Hobert, Mme Joëlle Huillier, M. Michel Issindou, Mme Chaynesse Khirouni, Mme Bernadette Laclais, Mme Conchita Lacuey, Mme Annie Le Houerou, Mme Catherine Lemorton, M. Jean Leonetti, M. Céleste Lett, Mme Geneviève Levy, Mme Véronique Louwagie, M. Bernard Perrut, Mme Martine Pinville, M. Arnaud Robinet, M. Christophe Sirugue, M. Olivier Véran

Excusés. – Mme Véronique Besse, M. Richard Ferrand, M. Christian Hutin, Mme Monique Iborra, Mme Dominique Orliac, M. Fernand Siré, M. Jean-Sébastien Vialatte

Assistait également à la réunion. – M. Dino Cinieri