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Commission des affaires sociales

Mardi 5 avril 2016

Séance de 16 heures 45

Compte rendu n° 38

Présidence de Mme Catherine Lemorton, Présidente

– Examen des articles sur le projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs (n° 3600) (M. Christophe Sirugue, rapporteur)

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mardi 5 avril 2016

La séance est ouverte à seize heures quarante-cinq.

(Présidence de Mme Catherine Lemorton, présidente de la Commission)

La Commission procède à l’examen des articles du projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs (n° 3600) (M. Christophe Sirugue, rapporteur).

Mme la présidente Catherine Lemorton. Après l’audition, la semaine dernière, de Mme la ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, qui a donné lieu à une discussion générale nourrie, après l’audition des partenaires sociaux, après la vingtaine d’auditions auxquelles a procédé le rapporteur Christophe Sirugue et auxquelles vous avez tous été invités à participer, nous abordons aujourd’hui l’examen des articles du projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs.

Je rappelle que 1 053 amendements ont été déposés sur le texte, parmi lesquels on compte peu d’amendements identiques, ce dont nous pouvons nous féliciter. En ce qui concerne l’organisation de nos débats, nous sommes convenus, lors de la dernière réunion du bureau de la Commission, que nous pourrions nous inspirer de l’article 100, alinéa 7, de notre règlement, qui s’applique aux discussions en séance publique. Cet article dispose que ne peuvent être entendus, sur chaque amendement, outre son auteur, qu’un orateur favorable à l’amendement, un orateur d’opinion contraire et le rapporteur. Bien entendu, si un amendement mérite une discussion plus ample, celle-ci pourra se poursuivre aussi longtemps que nécessaire. Mais je crois que nous devons nous en tenir à cette méthode si nous voulons achever l’examen du texte dans des délais raisonnables.

La Commission en vient à l’examen des articles du projet de loi.

TITRE PREMIER
Refonder le droit du travail et donner plus de poids à la négociation collective

Chapitre Ier
Vers une refondation du code du travail

Article 1er : Commission de refondation et principe essentiels du droit du travail

La commission examine les amendements identiques AS33 de M. Patrick Hetzel, AS42 de M. Lionel Tardy, AS256 de Mme Jacqueline Fraysse, AS447 de M. Alain Tourret, AS569 de M. Arnaud Richard et AS742 de Mme Eva Sas.

M. Patrick Hetzel. L’amendement AS33 vise à supprimer l’article 1er, car les principes qui y figurent, proposés par le comité que présidait Robert Badinter, ne sont pas de nature normative et ne doivent donc pas figurer dans le code du travail. Dans le cas contraire, nous créerions ipso facto une insécurité juridique considérable. Les experts qui se sont exprimés sur le sujet estiment en effet que si l’article 1er tel qu’il est rédigé était adopté, s’ouvrirait une période de cinq à dix ans d’instabilité de la jurisprudence, négative pour nos entreprises.

M. Lionel Tardy. Le projet de loi commence bien mal, puisque son article 1er compte soixante-treize alinéas correspondant aux principes qui serviront de base de réflexion à une commission chargée de réécrire le code du travail. Certes, les principes ainsi énoncés ne viennent pas alourdir celui-ci, mais il ne s’agit que de bavardage puisqu’ils ne font que reprendre, sous une formulation différente, des textes existants dans le code du travail. Au lieu de nous concentrer sur l’essentiel, nous allons discuter de ces principes alors qu’une simple feuille de route destinée à la commission aurait suffi. À part figer des choses parfois contestables, ils n’apportent rien. Or, dans la loi, tout ce qui n’est pas nécessaire doit être évacué. C’est pourquoi nous proposons, par l’amendement AS42, de supprimer l’article 1er.

Mme Jacqueline Fraysse. L’article 1er, qui porte sur les modalités de la refondation du code du travail, est emblématique de la philosophie de ce projet de loi, que nous contestons tant sur la forme que sur le fond. Sur la forme, « une commission d’experts et de praticiens des relations sociales » sera chargée de la réécriture du code du travail ; les organisations professionnelles d’employeurs et syndicales de salariés y seront seulement « associées ». Cette démarche, qui n’est pas sans rappeler celle du comité Badinter, simplement composé d’éminents spécialistes du droit, nous paraît très insuffisante pour accomplir une tâche d’une telle ampleur qui concernera au premier chef les travailleurs et leurs employeurs.

Sur le fond, cet article consacre l’inversion de la hiérarchie des normes, puisqu’il s’agira d’attribuer une place centrale à la négociation collective d’entreprise, en remettant en cause le principe de faveur. Ainsi, les principes nos 56 et 57 du comité Badinter, désormais réduit à guider la main de la commission chargée d’écrire le nouveau code du travail, ouvrent clairement la porte à la conclusion d’accords collectifs moins favorables que la loi.

Pour ces différentes raisons, qui sont diamétralement opposées à celles que viennent d’exposer les orateurs qui m’ont précédée, nous demandons la suppression de l’article 1er.

Mme Dominique Orliac. Les principes essentiels définis par le comité Badinter, même s’ils constituent l’armature des normes applicables en droit du travail, n’ont pas à figurer dans un texte de loi par essence normatif, d’autant qu’ils mêlent des normes législatives, constitutionnelles, conventionnelles, européennes et jurisprudentielles. S’appuyer sur de telles propositions tout en donnant une place centrale à la négociation collective est un facteur d’imprécision et une source de difficultés contentieuses, car, dans chaque conflit, les parties ne manqueront pas d’invoquer la violation de tel ou tel des soixante et un principes établis par le rapport Badinter. Il est donc proposé de supprimer l’article 1er.

M. Arnaud Richard. L’article 1er soulève deux difficultés : la première concerne la fameuse commission de refondation du code du travail ; la seconde a trait à l’énumération des principes essentiels du droit du travail. Si, bien entendu, la plupart de ces principes nous conviennent, la méthode choisie par le Gouvernement nous étonne, pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, il nous semble étrange de confier à une commission ad hoc le soin de réécrire le code du travail en lieu et place du Parlement, sachant qu’une fois les travaux de cette commission achevés, à une date d’ailleurs inconnue, le Gouvernement décidera des suites à leur donner. En outre, les partenaires sociaux n’ont manifestement pas été consultés sur le projet de loi, puisque M. Mailly a indiqué dans une lettre adressée à la ministre que le fameux document d’orientation qui doit leur être transmis n’existe pas. De ce fait, le projet de loi ne respecte pas le premier article du code du travail. J’ajoute que nous aurions pu examiner en premier lieu l’amendement AS876 du rapporteur, qui vise à supprimer, comme nous le souhaitons tous, les principes « Badinter » figurant à l’article 1er. Ainsi nous aurions pu débattre plus sereinement de la création de cette commission.

Telles sont les raisons qui nous conduisent à demander la suppression de l’article 1er.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je vous rappelle, monsieur Richard, que nous commençons toujours par examiner les amendements de suppression d’un article.

Mme Eva Sas. Contrairement à l’ambition affichée, le projet de loi ne réécrit que les passages du code du travail consacrés au temps de travail. L’article 1er vise, pour le reste, à confier la réécriture du code à un groupe d’experts dont la composition ne figure pas à l’article 1er. En encadrant cette réécriture par l’énonciation de principes essentiels du code du travail, cet article fait passer pour une opération technique un sujet éminemment politique. Il est important de noter, en outre, que les principes censés guider la réécriture du code ont, eux aussi, changé de statut, puisqu’ils ne constituent plus un préambule. Surtout, l’article 1er consacre l’inversion de la hiérarchie des normes.

De plus, contrairement à ce que prétend la communication officielle, le texte ne simplifie pas le code du travail. En effet, si la législation actuelle, que le projet entend modifier, représente environ 151 000 caractères, soit une centaine de pages, selon le groupe de recherche « Pour un autre code du travail », sa réécriture augmenterait ce volume de 27 %. Du reste, cette épaisseur est relative, compte tenu de l’importance des sujets traités : le code monétaire et financier pèse le double du code du travail et le livre du code du commerce consacré aux sociétés commerciales plus du triple ! Le véritable problème du droit du travail est son caractère mouvant et l’absence de mécanismes de conseil et d’accompagnement qui aideraient les salariés et les employeurs à se repérer dans ces changements permanents. Il nous paraît donc judicieux de supprimer l’article 1er.

M. Christophe Sirugue, rapporteur. J’avoue que je me suis moi-même demandé s’il fallait supprimer l’article 1er, qui comporte deux éléments distincts : d’une part, la création et la composition de la commission et, d’autre part, la liste des soixante et un principes dits du comité Badinter.

Tout d’abord, je précise qu’il n’est aucunement question que cette commission réécrive le code du travail, tout simplement parce que cela n’entre pas dans ses prérogatives. Elle proposera des conclusions, que le Gouvernement retiendra – en totalité ou en partie – ou non. Du reste, il m’a paru important de bien limiter le rôle de cette commission – et c’est l’objet de plusieurs de mes amendements – à celui d’une commission technique, en précisant qu’elle doit travailler à droit constant et que sa vocation est d’éclairer le Gouvernement. Encore une fois, ne lui prêtons pas des objectifs et des prérogatives qu’elle n’aura pas. Quant aux principes dits du comité Badinter, j’ai considéré – c’est l’objet d’un amendement que nous examinerons ultérieurement – qu’ils n’avaient pas de raison de figurer dans l’article 1er.

En résumé, je suis donc défavorable aux amendements de suppression de cet article, qui amalgament la question de la commission – dont le rôle est de réfléchir et d’éclairer le législateur, lequel prendra ses responsabilités le moment venu – et celle des soixante et un principes.

Mme Isabelle Le Callennec. Vous nous dites, monsieur le rapporteur, que cette commission sera chargée de faire des propositions, mais c’était également la mission du comité présidé par M. Badinter. Pourquoi le Gouvernement n’a-t-il pas rendu ses premiers arbitrages sur les préconisations de ce comité ? Pourrions-nous déjà avoir connaissance de la liste des experts qui composeront cette commission ? Combien de temps se donne-t-on pour réformer le code du travail ? M. Combrexelle, lors de son audition, avait évoqué un délai de trois ans. Des entreprises auront disparu, d’ici là !

M. Christophe Cavard. La suppression des soixante et un principes proposés par le comité Badinter semble faire l’unanimité. Or je souhaiterais rappeler que la plupart de ces principes ont été formulés à droit constant.

Mme Jacqueline Fraysse. Cela ne sert donc à rien !

M. Christophe Cavard. Je mets chacun d’entre vous au défi de me dire où se trouvent précisément ces soixante et un principes dans le code du travail. Cette liste présente l’avantage de rappeler les droits fondamentaux des salariés – je pense, par exemple, à l’égalité entre les hommes et les femmes ou à la question du harcèlement – de manière claire et précise, si bien que quiconque lit ce seul article comprend la réalité du droit du travail. C’est, du reste, la raison pour laquelle je proposerai, par l’amendement AS401, que ces principes fassent « office de préambule au code du travail ».

M. Patrick Hetzel. Monsieur le rapporteur, vous vous êtes vous-même interrogé, et vous l’avez rappelé, sur la possible suppression de l’article 1er, en insistant notamment sur les risques d’insécurité juridique qu’il comporte. Pourquoi n’avez-vous pas évoqué ce risque tout à l’heure ?

Mme Jacqueline Fraysse. Comme l’a souligné le rapporteur, l’article 1er comporte deux aspects : d’une part, la liste des soixante et un principes formulés à droit constant – qui ne présente, selon moi, aucun intérêt puisque ces principes figurent déjà dans le droit – et, d’autre part, la création et la composition de la commission. Or, sur ce dernier point, le résultat des comités présidés par M. Combrexelle et M. Badinter ne nous incite pas à renouveler l’expérience. C’est pourquoi j’estime nécessaire de supprimer l’article 1er dans son ensemble et de confier le soin de réfléchir à ces questions à la société – y compris à des experts, mais pas exclusivement – dans des formes que nous saurons certainement définir. Je maintiens donc mon amendement de suppression.

M. Francis Vercamer. Dès lors que le rapporteur entend supprimer les soixante et un principes de l’article 1er, je m’étonne qu’il souhaite y maintenir la création et la composition de la commission qui, comme l’a fait remarquer le Conseil d’État, relèvent du domaine réglementaire. Par ailleurs, certains de ces principes peuvent poser problème. Je n’en citerai qu’un seul exemple : il est énoncé au 25° que « le salarié peut librement mettre fin au contrat à durée indéterminée ». Or ce principe est contraire au code du travail, puisque celui-ci impose un préavis au salarié. Que ferait le juge dans un tel cas ?

J’ajoute que ces principes sont en partie issus de la jurisprudence. Mais depuis quand la jurisprudence est-elle la loi ? Jusqu’à nouvel ordre, le Parlement est seul habilité à la voter ; la jurisprudence n’est que l’interprétation que les juges font de la loi et elle ne peut en aucun cas y être transposée sans avoir été discutée au Parlement.

Mme Dominique Orliac. Monsieur le rapporteur, j’ai bien entendu vos arguments, mais je maintiens, au nom de mon groupe, mon amendement de suppression. La loi ne peut pas comporter un article qui renvoie à une commission d’experts. C’est au Parlement de voter la loi. Le Gouvernement peut toujours solliciter, s’il le souhaite, l’avis de tel ou tel expert sans pour autant faire de cet avis une refondation législative du code du travail.

M. Bernard Accoyer. L’article 1er, qui est un objet législatif absolument inqualifiable, au sens littéral du terme, est l’illustration d’un mauvais travail législatif. Ces soixante et un paragraphes seront autant de prétextes à des décisions judiciaires qui contribueront à rendre notre droit du travail encore plus complexe et instable, et donc encore plus dissuasif pour un employeur qui souhaite embaucher. L’article 1er est ainsi totalement contraire non seulement au bon travail législatif, mais aussi à l’emploi et aux droits des salariés. En conséquence, il convient de le supprimer.

M. Gérard Sebaoun. Je soutiens, quant à moi, la position équilibrée du rapporteur. Ayant assisté à l’ensemble des auditions, j’ai été très impressionné par le président Badinter et Antoine Lyon-Caen, éminent professeur de droit du travail, lorsqu’ils sont venus nous présenter leurs travaux auxquels ont contribué les sommités du droit de notre pays, travaux qui avaient pour objectif de synthétiser l’ensemble des textes relatifs au travail. Le fait que nous prévoyions dans la loi la création d’une commission d’experts – même si elle relève, selon certains, du domaine réglementaire – me paraît donc une bonne idée, d’autant que le champ de réflexion des membres de cette commission – qui, bien évidemment, n’ont pas encore été nommés, madame Le Callennec – a déjà été largement exploré par des spécialistes du droit du travail.

Mme Eva Sas. Comme l’a indiqué notre collègue Vercamer, on peut s’étonner qu’une telle commission soit instituée par la loi : cela ne paraît pas nécessaire. Par ailleurs, les différents principes énoncés à l’article 1er consacrent déjà, de fait, une inversion de la hiérarchie des normes. En effet, en précisant que certains domaines relèvent du domaine de la loi – « La durée normale du travail est fixée par la loi […] », « Tout salarié a droit chaque année à des congés payés […], dont la durée minimale est fixée par la loi » –, ils laissent entendre a contrario que le reste est du ressort de la négociation de branche ou de la négociation d’entreprise. Il me paraît donc plus sage de supprimer l’article 1er.

M. Rémi Delatte. L’article 1er envoie d’emblée un mauvais signal, puisqu’il place des verrous là où il faudrait donner de l’air. Les principes du comité Badinter verrouilleraient en effet la réflexion de la commission de refondation du code du travail et créeraient de la confusion plus qu’ils n’apporteraient de la clarté. Or, aujourd’hui, on attend de la souplesse, de l’audace, de la lisibilité : bref, les conditions d’une confiance retrouvée entre les employeurs et les salariés. C’est pourquoi je suis favorable à la suppression de l’article 1er.

M. Richard Ferrand. J’estime, à l’instar de mon collègue Sebaoun, que la position du rapporteur est parfaitement équilibrée. Tout d’abord, il serait paradoxal que le législateur renonce à créer une commission, préférant en confier le soin au pouvoir réglementaire. Il est en effet de notre devoir d’exercer autant que possible nos compétences et de ne pas en laisser toujours plus au pouvoir exécutif. Cet argument ne me paraît donc pas recevable, surtout dans cette enceinte.

Ensuite, l’un de nos collègues a affirmé que la jurisprudence n’était pas la loi. C’est une découverte assez ancienne… Il n’en reste pas moins que la jurisprudence s’applique dans le règlement des conflits. Aussi convient-il de se réjouir lorsque la loi vient opportunément la codifier, car, ce faisant, elle crée de la sécurité en en supprimant les aléas et les variations.

Quant à l’argument selon lequel l’article 1er enverrait un mauvais signal parce qu’il poserait un verrou là on attendrait de l’air, il n’est pas non plus valable. Il me semble, au contraire, que définir précisément les principes crée l’espace requis pour l’organisation des relations sociales. « Donner de l’air », comme le souhaite l’un de nos collègues, permettrait toutes les variations et insécuriserait les rapports sociaux.

L’article 1er tel que le conçoit notre rapporteur est donc équilibré. C’est pourquoi il faut accepter sa proposition.

M. Arnaud Richard. Je tiens à préciser qu’il ne s’agit pas, pour nous, de critiquer les travaux du comité Badinter, qui seront utiles à l’avenir, mais ses conclusions qui, selon l’engagement qu’avait pris le Gouvernement, devaient être le grand préambule du code du travail – à l’instar de ce qu’est la Charte pour l’environnement pour la Constitution – ne sont finalement que la feuille de route d’une commission. J’en suis désolé, mais il est temps de mettre fin à ce triste épisode.

M. Bernard Perrut. Évoquant la commission d’experts et de praticiens mentionnée à l’article 1er, le rapporteur nous a indiqué qu’il s’agissait d’une « commission technique ». À quoi bon prévoir dans la loi la création d’une simple commission technique, sur laquelle nous avons, de surcroît, peu de précisions ? Surtout, les principes essentiels du droit du travail énoncés par MM. Badinter et Lyon-Caen n’ont pas à figurer dans un texte de loi par définition normatif, d’autant qu’ils mêlent des normes législatives, constitutionnelles, européennes et conventionnelles. On imagine sans peine les difficultés contentieuses que provoquerait, dans un droit du travail avant tout jurisprudentiel, l’inscription dans la loi de ces principes.

Par ailleurs, si l’on veut que cette commission propose un nouveau code du travail, on doit lui laisser toute liberté de juger par elle-même quels sont les points les plus importants, ceux qui méritent d’être repris. Je pense notamment au principe relatif au fait religieux : on ne peut lui imposer qu’un tel principe soit mentionné dans le texte.

M. le rapporteur. Je ne reviendrai pas en détail sur les soixante et un principes, puisque je défendrai dans un instant un amendement visant à les supprimer de l’article 1er – et j’expliquerai les raisons d’une telle proposition. Néanmoins, sur le rôle de ces principes, j’ai entendu tout et son contraire : certains estiment qu’ils devraient avoir valeur constitutionnelle tandis que d’autres ne veulent pas qu’ils perturbent la législation existante. J’y reviendrai.

En ce qui concerne la commission, on ne peut pas à la fois regretter de n’en rien savoir et nous reprocher de la mentionner dans le texte pour qu’elle ait une place et pour qu’une réflexion s’engage sur son rôle et sa composition. J’ajoute que nous devons être prudents. En effet, cette commission devant avoir une influence sur le débat, il est préférable que nous l’encadrions par la loi. Comme Mme Fraysse le disait elle-même, consulter des experts n’est pas en soi scandaleux. Ainsi, si l’on poussait son raisonnement jusqu’au bout, cette commission pourrait exister, mais elle serait en dehors de la loi. Je préfère, quant à moi, qu’elle soit encadrée.

Pour ces différentes raisons, je maintiens mon avis défavorable sur les amendements de suppression de l’article 1er.

La Commission rejette les amendements.

Puis elle examine, en discussion commune, l’amendement AS232 de Mme Marie-Lou Marcel et les amendements AS175 et AS178 de Mme Isabelle Bruneau.

Mme Marie-Lou Marcel. Il n’apparaît pas souhaitable qu’une commission composée d’experts et de praticiens des relations sociales se charge de la refondation de la partie législative du code du travail, qui doit demeurer du ressort du législateur. Je propose donc de substituer aux alinéas 1 à 4 de l’article 1er l’alinéa suivant : « La refondation du code du travail s’appuie sur les principes essentiels. »

Mme Isabelle Bruneau. Dans sa version actuelle, l’article 1er confie à une commission d’experts et de praticiens la responsabilité de refonder le code du travail. Or le mode de désignation des membres de cette commission n’est pas précisé, non plus que l’obligation de respecter le principe de parité. Les parlementaires ayant la légitimité et les compétences pour engager une réflexion visant à refonder le code du travail selon les principes établis à l’article 1er, mes deux amendements visent donc à substituer à la commission dont la création est proposée par le Gouvernement une commission mixte composée de parlementaires des deux assemblées issus des commissions et délégations compétentes en matière de droit du travail, et ce, afin de garantir la transparence des discussions, d’assurer la légitimité de la commission et d’associer le Parlement, en amont et dans un délai raisonnable, à toute réforme du droit du travail.

M. le rapporteur. Avis défavorable à l’amendement AS232. J’ai en effet indiqué les raisons pour lesquelles il me paraît important que cette commission soit créée.

S’agissant des amendements AS175 et AS178, il me paraît contradictoire de refuser que la commission ait des prérogatives qui donneraient à ses propositions une force particulière, notamment par rapport à la loi, et de vouloir dans le même temps qu’elle soit composée de parlementaires. Que ces derniers souhaitent auditionner les membres de la commission et qu’il existe un lien particulier entre celle-ci et le Parlement me paraît tout à fait légitime. Mais, si la commission était composée de parlementaires, elle aurait une force que je ne souhaite pas lui donner, préférant lui réserver un caractère technique. Avis défavorable, donc.

Mme Isabelle Le Callennec. Madame la présidente, comment expliquer que ce texte ne soit pas examiné, à l’instar du projet de loi Macron, par une commission spéciale qui aurait réuni, outre les membres de la commission des affaires sociales, ceux des commissions des affaires économiques et des affaires européennes, qui se sont saisies du projet de loi pour avis, ainsi que de la délégation aux droits des femmes ?

Mme la présidente Catherine Lemorton. Madame Le Callennec, il faudrait que vous vous mettiez d’accord avec les autres membres de votre groupe, car certains d’entre eux m’ont remerciée d’avoir su défendre notre commission. Certes, d’autres commissions se sont saisies pour avis du texte, comme c’est le cas pour de nombreux autres textes. Mais le projet de loi relève essentiellement du droit du travail et il n’y avait aucune raison de créer une commission spéciale.

La Commission rejette successivement les amendements AS232, AS175 et AS178.

Puis elle examine l’amendement AS433 de Mme Dominique Orliac.

Mme Dominique Orliac. La loi n’a pas à comporter, à titre de prolégomènes, un article prévoyant la création d’une commission d’experts. C’est au Parlement de voter la loi. Le Gouvernement peut toujours solliciter, s’il le souhaite, l’avis de tel ou tel expert sans pour autant qualifier cet avis de refondation législative du code du travail.

M. le rapporteur. Je partage entièrement votre avis, Madame Orliac. Je ne confonds pas le travail parlementaire et la mission de la commission. Que les choses soient claires : celle-ci n’a pas le pouvoir de modifier la loi. En outre, votre amendement présente un problème de rédaction, puisque vous maintenez le mot : « commission » alors que vous entendez supprimer celui-ci. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement AS612 de Mme Catherine Coutelle.

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Merci, madame la présidente, de m’accueillir au sein de votre commission. Mes collègues et moi défendrons un certain nombre d’amendements qui ont été examinés par la délégation aux droits des femmes.

Par l’amendement AS612, nous demandons que la commission qui sera créée afin de proposer une refondation de la partie législative du code du travail soit composée à parité de femmes et d’hommes. La commission Badinter, où siégeaient, d’après ce que nous a dit le ministère du travail, « les figures les plus reconnues en matière de droit du travail », ne comptait qu’une seule femme parmi ses six membres. La commission Combrexelle comprenait seize membres, dont seulement quatre femmes. J’incline à penser qu’il y a, en France, quelques femmes reconnues pour leur compétence en droit du travail. S’il y a des difficultés pour trouver des chercheures ou des femmes personnalités qualifiées, nous pouvons donner des noms.

Suivant l’avis favorable du rapporteur, la Commission adopte l’amendement.

Puis elle examine l’amendement AS705 de Mme Monique Orphé.

M. Gérard Sebaoun. Je défends cet amendement au nom de Mme Orphé. Elle souhaite que la commission d’experts et de praticiens des relations sociales qui sera instituée prenne en compte la spécificité des outre-mer, car elle constate, dans sa pratique quotidienne d’élue locale et de députée d’outre-mer, des difficultés d’application de la loi dans les outre-mer, en dépit du principe d’assimilation législative prévu par la Constitution pour les départements et les régions d’outre-mer.

M. le rapporteur. Je vous invite à retirer cet amendement. Les départements d’outre-mer sont régis par l’article 73 de la Constitution et ne bénéficient pas du principe de spécialité législative : la loi s’y applique systématiquement, contrairement à ce qui se passe dans les collectivités d’outre-mer qui relèvent de l’article 74 de la Constitution. D’autre part, le problème soulevé par Mme Orphé est celui de l’application des conventions collectives outre-mer. Nous sommes convenus de travailler ensemble sur ce point.

L’amendement est retiré.

La Commission en vient à l’amendement AS874 du rapporteur.

M. le rapporteur. Il s’agit de faire en sorte que la commission d’experts travaille à droit constant. Ainsi que je l’ai expliqué précédemment, je ne souhaite pas que nous lui reconnaissions une capacité à modifier la loi.

M. Francis Vercamer. Je n’ai pas compris votre explication, monsieur le rapporteur.

M. Jean-Patrick Gille. Pour ma part, j’ai compris, mais je suis un peu surpris. Selon moi, le terme de « refondation » n’est pas approprié, car « refonder », cela signifie « revenir sur les principes ». Or il est précisé que la commission devra s’appuyer sur les principes de la commission Badinter, laquelle a fait un travail – tout le monde en convient – à droit constant. Donc, en réalité, la commission sera chargée de proposer une « réécriture » du code du travail, simplifiée par rapport à la version actuelle, en passant de la hiérarchie entre la loi, l’accord de branche et l’accord d’entreprise à une organisation entre l’ordre public, le champ de la négociation collective et les dispositions supplétives. C’est ce qui a été fait dans les articles 2, 3 et 4 du projet de loi. Sauf que je n’ai pas le sentiment que ces articles ont été rédigés totalement à droit constant. D’où mes interrogations : ces articles n’ont pas été rédigés à droit constant, mais on explique que le reste du code du travail devra être rédigé, lui, à droit constant. C’est bien le cœur du sujet.

M. le rapporteur. Il y a une confusion entre le rôle de la commission et celui du Parlement. Je souhaite que la commission travaille à droit constant, notamment en ce qui concerne les dispositions supplétives, car je ne souhaite pas que nous lui reconnaissions des prérogatives qui appartiennent au législateur.

M. Gérard Cherpion. Je crains de ne pas avoir bien compris non plus. Comment peut-on introduire des dispositions supplétives à droit constant ? Il y a, selon moi, un problème d’incompatibilité.

M. Christophe Cavard. Jusqu’à preuve du contraire, le droit, c’est la loi. Dès lors que nous aurons voté les articles qui modifient le droit actuel, cela deviendra du droit constant.

Je regrette que l’amendement suivant du rapporteur fasse disparaître du texte les soixante et un grands principes de la commission Badinter, car ceux-ci rappelaient de manière très claire et lisible ce qu’était le droit constant. Tout le monde pouvait en prendre connaissance. Certes, ces soixante et un principes figurent déjà dans le code du travail, mais je défie quiconque de les y retrouver ! Ceux-là mêmes qui, hier, dénonçaient un code du travail illisible de plus de 1 000 pages, renoncent finalement à ces principes, qui nous auraient pourtant simplifié la vie.

Ainsi que l’a relevé M. Vercamer, nous aurions d’ailleurs pu avoir un débat sur certains de ces principes, notamment sur ceux qui figurent respectivement à l’alinéa 6 et à l’alinéa 25. Il est dommage de reporter ce débat.

Néanmoins, l’amendement du rapporteur protégera le droit constant, ce qui est déjà une bonne chose.

M. Francis Vercamer. Que se passera-t-il entre la promulgation de la présente loi et le moment où la commission rendra son travail ? Comment fera-t-on si, après l’adoption de ce texte, un projet ou une proposition de loi, voire des amendements à des textes qui ne portent pas sur le champ social, modifient le droit ? Dans votre amendement, vous indiquez que la commission devra travailler à droit constant en se basant sur les « règles légales en vigueur à la date de promulgation de la présente loi ». J’en déduis qu’on ne fera aucun cas de ce qui peut se passer ensuite.

M. Jean-Patrick Gille. Si j’ai bien compris la démarche telle qu’elle a été clairement expliquée par le rapporteur, la commission procédera non pas à une « refondation », mais à une « réécriture », avec une nouvelle organisation du code, mais non avec de nouveaux principes. Selon moi, il faudra récrire l’alinéa 1er en séance publique, car, si l’on indique qu’il s’agit d’une refondation, cela signifie que l’on s’interrogera à nouveau sur les principes. Quant aux soixante et un principes de la commission Badinter, si on les retire du texte, on ne les renie pas pour autant.

M. Arnaud Richard. Le présent amendement, qui a l’air anodin, n’est vraiment pas neutre. Il est même fondamental. C’est « Signé Furax » ! Monsieur le rapporteur, vous laissez entendre que les articles 2, 3 et 4 ne changent rien ou presque au droit actuel. Tel n’est pas, cependant, l’avis de M. Gille ni le mien. En tout état de cause, vous considérez que le travail de la commission ne devra, pour sa part, rien changer au droit. Je m’inquiète en peu de l’interprétation qui sera faite de cette disposition.

M. le rapporteur. Je redis les choses clairement : le droit peut être modifié par le législateur chaque fois qu’il le souhaite et qu’il dispose de la majorité pour le faire. Quant à la commission, elle travaillera à droit constant. Elle pourra le cas échéant suggérer, dans ses conclusions, de faire évoluer le droit sur tel ou tel point, mais il appartiendra au législateur d’en décider ensuite. Je ne veux pas donner à la commission le droit de modifier, par elle-même, la législation en vigueur. C’est d’ailleurs pour cette raison que la présence de parlementaires au sein de la commission n’est, selon moi, pas souhaitable. Il ne faut pas qu’il y ait de confusion entre le travail de la commission et celui de la représentation nationale, qui a seule la légitimité pour modifier le droit, à tout moment.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle examine l’amendement AS566 de M. Arnaud Richard.

M. Arnaud Richard. Nous nous apprêtons à créer une commission de « refondation », ou plutôt de « réécriture » ou de « chambardement », qui va discuter sur la base des travaux d’une autre commission, lesquels travaux ont été repris dans le texte… Il nous paraît nécessaire que le Parlement exerce un contrôle sur la composition de cette commission. Par cet amendement, nous proposons, d’une part, que ses membres soient auditionnés, préalablement à leur nomination, par les commissions parlementaires compétentes et, d’autre part, que la désignation de son président fasse l’objet d’un vote conforme desdites commissions parlementaires. Il s’agit d’un ultime amendement de repli.

M. le rapporteur. Avis défavorable. Si l’on vous suivait, ces dispositions devraient relever de la loi organique.

Mme Isabelle Le Callennec. Pardon d’insister, mais il faudrait que nous ayons des éléments plus concrets sur cette commission et sur sa composition : combien de membres comptera-t-elle ? Combien de temps lui donnera-t-on ? Qui envisage-t-on d’y nommer ? Cette dernière question est importante, car, en fonction des personnes que l’on choisira, on orientera les fameux principes dont nous parlons – d’autant que, si j’ai bien compris, nous allons retirer du texte les principes de la commission Badinter. On fait toujours appel aux mêmes experts du droit du travail. Ils font des propositions, mais, à un moment donné, il faut que les responsables politiques, au Gouvernement et au Parlement, arbitrent et fassent des choix. J’ai le sentiment qu’on ne cesse de repousser la réécriture du code du travail, qui était pourtant, a priori, une des ambitions de ce texte. Or notre pays ne peut plus attendre. L’article 1er va se résumer à la création d’une commission d’experts sans qu’on en sache davantage, si ce n’est qu’elle sera composée à parité, conformément à l’amendement que nous avons voté. Je trouve que cela ne fait pas très sérieux.

M. le rapporteur. J’avoue que je ne sais plus trop comment vous répondre... Il s’agit d’une commission d’experts, qui sera en effet composée à parité. Je ne me vois pas inscrire les noms de ses membres dans la loi. Mme Fraysse a demandé tout à l’heure si les organisations syndicales et patronales pourraient disposer de représentants en son sein. Nous pourrions en débattre. Cependant, à mon sens, le terme « expert » est assez large et n’interdit pas d’y nommer, le cas échéant, des représentants syndicaux ou patronaux, lesquels disposent souvent, en tout cas de mon point de vue, d’une expertise réelle. Si nous commençons à dresser une liste, je crains que nous ne « fermions » cette commission. Notre objectif, c’est qu’elle soit composée de personnes qui ont une compétence relative au monde du travail.

La Commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement AS665 de M. Jean-Patrick Gille.

M. Jean-Patrick Gille. Le projet de loi prévoit que la commission associera à ses travaux les organisations professionnelles d’employeurs et syndicales de salariés représentatives au niveau national. Pour ce qui est des organisations professionnelles d’employeurs, je propose de préciser qu’il s’agit des organisations représentatives « au niveau interprofessionnel et multi-professionnel ». Au niveau interprofessionnel, il s’agit du Mouvement des entreprises de France (MEDEF), de la confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) et de l’Union professionnelle artisanale (UPA). Dans la loi relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale, nous avons reconnu en outre la représentativité au niveau multi-professionnel, dans le domaine de l’agriculture, dans celui de l’économie sociale et solidaire, ainsi que pour les professions libérales. Le projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine prévoit de la reconnaître également dans le domaine de la culture. L’amendement vise donc à ce que toutes les organisations patronales représentatives à ces niveaux soient associées aux travaux de la commission.

Suivant l’avis favorable du rapporteur, la Commission adopte l’amendement.

La séance, suspendue à dix-sept heures quarante-cinq, est reprise à dix-huit heures quarante.

La Commission est saisie de l’amendement AS613 de Mme Catherine Coutelle.

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Outre les organisations patronales et syndicales, nous demandons que la commission chargée de la refondation du code du travail associe à ses travaux le Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP). Je tiens à souligner l’importance et la qualité du travail du CSEP. Nous aimerions d’ailleurs que ses avis soient rendus publics plus tôt. Nous présenterons tout à l’heure un amendement à cette fin.

S’agissant des principes de la commission Badinter repris à l’article 1er, le CSEP nous a alertés sur un certain nombre de formulations qu’il conviendrait, selon lui, de modifier. Nous avons déposé des amendements en ce sens.

À l’alinéa 9, nous demandons que l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes soit non pas « respectée », mais « assurée » dans l’entreprise. Ce terme figure déjà dans notre législation.

À l’alinéa 10, il conviendrait de préciser que les discriminations sont interdites non seulement « dans toute relation de travail », mais aussi « à l’embauche », avant que la relation de travail soit établie.

À l’alinéa 14, nous souhaitons qu’il soit question non pas de « conciliation », mais d’« articulation » entre la vie professionnelle et la vie personnelle et familiale, afin de les mettre sur un pied d’égalité.

La rédaction du principe repris à l’alinéa 23 – « La grossesse et la maternité ne peuvent entraîner des mesures spécifiques autres que celles requises par l’état de la femme » – est un peu surprenante. Elle montre que les commissions ne sont pas assez féminines ou féministes. Nous souhaiterions écrire : « Pendant la grossesse et la maternité, les salariées bénéficient de mesures spécifiques en cas de risque pour leur santé et leur sécurité. »

Enfin, l’alinéa 38 dispose : « L’employeur assure l’égalité de rémunération entre les salariés pour un même travail ou un travail de valeur égale. » Nous ajouterions que cette égalité doit être assurée « entre les femmes et les hommes » et préciserions que « les salariés à temps partiel bénéficient des mêmes droits ».

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je précise que Mme Coutelle m’avait demandé la permission d’intervenir à propos des principes dont la rédaction pose problème au regard de l’égalité entre les femmes et les hommes. L’avenir de ces alinéas étant incertain, j’ai jugé important qu’elle puisse le faire.

M. le rapporteur. Je ne reviens pas sur les principes eux-mêmes : j’expliquerai ma position lorsque je présenterai mon amendement qui vise à les supprimer.

Le projet de loi précise que la commission associera les partenaires sociaux à ses travaux, ce qui me paraît important. En revanche, je ne suis pas favorable à ce que nous inscrivions dans le texte le fait qu’elle doit y associer également le CSEP. Si nous le faisons, nous risquons d’avoir à dresser la liste de tous les conseils et organismes qui pourraient légitimement être consultés par la commission, ce qui surchargerait inutilement le texte. Rien n’interdira à la commission de se rapprocher du CSEP et de travailler avec lui. Je partage d’ailleurs votre avis, madame Coutelle, sur la qualité des travaux du CSEP. Je vous invite à retirer votre amendement. À défaut, je donnerai un avis défavorable.

Mme Isabelle Le Callennec. Lorsqu’elles seront associées aux travaux de la commission, les organisations patronales et syndicales devront-elles être représentées à parité par des femmes et des hommes ? La parité s’imposera-t-elle à elles ou bien seulement à la commission elle-même ?

M. le rapporteur. « Être associé aux travaux de la commission » ne signifie pas « participer à tous ses travaux ». Aux termes de l’amendement AS612 de Mme Coutelle que nous avons adopté, la parité s’appliquera à la composition de la commission, mais non à celle des délégations patronales et syndicales qui participeront ponctuellement à ses travaux. Selon moi, nous ne pourrions d’ailleurs pas prévoir une telle disposition dans le cadre de ce texte.

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Je me rends aux arguments du rapporteur. Je rappelle néanmoins que le CSEP doit être consulté par le Gouvernement sur tous les projets de loi ayant trait à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

Je précise à l’attention de Mme Le Callennec que nous avons instauré la parité dans les institutions représentatives du personnel. Les syndicats ont d’ailleurs parfois des difficultés à trouver des femmes et à les placer à des postes de responsabilité, ainsi que nous le constatons dans d’autres domaines.

L’amendement est retiré.

La Commission examine l’amendement AS704 de Mme Monique Orphé.

Mme Monique Orphé. Bien que le principe de l’assimilation législative prévu à l’article 73 de la Constitution prévoie l’application systématique du droit national dans les départements et collectivités d’outre-mer, l’expérience révèle souvent une inadaptation du droit aux spécificités de nos territoires. C’est notamment le cas en matière de droit du travail, le présent projet de loi ne faisant pas exception à la règle. Son ambition de refondation pourrait être l’occasion de remédier définitivement à ce problème.

La commission d’experts et de praticiens des relations sociales créée par l’article 1er est présentée comme une instance fondamentale de cette refondation. Sa tâche serait incomplète si son mode de fonctionnement ne permettait pas de tenir compte des problématiques spécifiques aux territoires d’outre-mer. C’est pourquoi cet amendement vise à y associer les représentants des organisations d’employeurs et de salariés représentatives dans les territoires d’outre-mer, dont la représentativité aura été établie conformément au nouvel article L. 2121-1-1, à côté de ceux des organisations nationales.

M. le rapporteur. Je comprends votre intention, madame Orphé, mais il me semble qu’il n’existe aucune organisation syndicale ou patronale compétente dans l’ensemble des départements et territoires d’outre-mer. Or il est naturellement impossible d’ajouter à cette commission l’ensemble des organisations professionnelles de chacun de ces territoires. En l’état, je vous suggère donc de retirer cet amendement.

Mme Monique Orphé. Il est vrai qu’il n’existe pas de représentant compétent pour l’ensemble des territoires d’outre-mer.

L’amendement est retiré.

La Commission examine, en discussion commune, les amendements AS875 du rapporteur et AS567 de M. Arnaud Richard.

M. le rapporteur. L’étude d’impact prévoit que la commission remet ses travaux au Gouvernement dans un délai de deux ans à compter de la promulgation de la loi, mais l’article ne mentionne aucun délai. Par cohérence, cet amendement vise à ce que ces travaux soient remis au plus tard en juillet 2018, étant entendu que le Gouvernement sera libre de proposer au Parlement de suivre – ou non – les recommandations de la commission.

M. Arnaud Richard. Dans le même esprit, l’amendement AS567 vise à donner un cadre temporel aux travaux de cette commission. Il nous a semblé qu’un délai de dix-huit mois, quoique discordant par rapport à l’étude d’impact, serait plus pertinent puisqu’il aboutirait à fixer une date de remise en octobre 2017, après les élections législatives. Contrairement au comité Badinter, cette commission aurait ainsi travaillé utilement pour la prochaine majorité.

M. le rapporteur. Je préfère un délai cohérent avec l’étude d’impact. Quoi qu’il en soit, la date de remise des travaux sera postérieure aux élections législatives – un horizon dont j’ai préféré ne pas tenir compte en l’occurrence. Votre objectif est donc satisfait.

M. Bernard Accoyer. Ne s’agit-il pas d’une injonction au Gouvernement ?

M. le rapporteur. Encore une fois, il n’y a là nulle injonction au Gouvernement : une fois saisi du rapport de la commission, le Gouvernement aura toute liberté de retenir en tout ou partie les recommandations qui y figurent. Sa liberté de choix et celle du législateur demeurent donc entières.

Mme Bérengère Poletti. Compte tenu des délais de publication des décrets d’application de la loi, qui retardent souvent la mise en œuvre concrète des textes, je m’interroge sur la pertinence d’un tel délai.

Mme Isabelle Le Callennec. La commission devra proposer au Gouvernement une réécriture intégrale du code du travail. Est-ce à dire qu’elle dispose de deux ans pour accomplir cette tâche ?

M. le rapporteur. À droit constant, ce délai, prévu dans l’étude d’impact, devrait suffire. Quant aux délais de publication des décrets, madame Poletti, les dispositions créant la commission de refondation donneront lieu à des décrets d’application directe.

M. Arnaud Richard. Par souci de concorde, je me range à l’avis du rapporteur.

L’amendement AS567 est retiré.

La Commission adopte l’amendement AS875.

Puis elle examine les amendements identiques AS876 du rapporteur, AS157 de M. Gérard Cherpion, AS324 de M. Élie Aboud, AS568 de M. Arnaud Richard, AS598 de M. Rémi Delatte et AS604 de M. Bernard Perrut.

M. le rapporteur. Cet amendement vise à supprimer les alinéas 4 à 73 de l’article 1er, afin d’en ôter les soixante et un principes énoncés par le comité Badinter. Permettez-moi d’emblée de souligner la valeur des travaux et des réflexions de cette instance. Comme plusieurs d’entre vous l’ont dit, ces soixante et un principes ne sont pas nouveaux : ils existent déjà, tantôt dans la Constitution, tantôt dans la jurisprudence ou dans le droit international. Tous ont leur pertinence, en dépit de leurs origines disparates.

Ces principes n’ont pas force constitutionnelle, mais, s’ils étaient intégrés au préambule du code du travail, ils se superposeraient à la législation existante. Il en résulterait un risque important de contentieux et le juge pourrait peiner à interpréter la loi au regard de ces principes. Soyons clairs : le texte ne prévoit pas qu’ils soient inscrits dans le préambule, mais qu’ils éclairent les travaux de la commission de refondation. En toute franchise, je n’imagine guère qu’elle ne s’en inspire pas, puisque le débat public sur le code du travail se les est déjà appropriés. Nonobstant leur qualité et leur raison d’être, je vous propose donc de retirer ces soixante et un principes du texte dès lors qu’ils ne possèdent plus de valeur législative.

M. Gérard Cherpion. L’article 1er inscrit dans la loi les soixante et un principes issus des conclusions du comité Badinter afin de fonder les travaux de la commission d’experts qui est appelée à proposer au Gouvernement une nouvelle rédaction de la partie législative du code du travail. Aussi essentiels soient-ils, ces principes n’ont pas davantage vocation à figurer dans la loi que dans un préambule du code du travail créé spécialement pour l’occasion : nul besoin, en effet, de les graver dans le marbre législatif pour guider la réécriture du futur code.

Pour mémoire, nous avons déposé, il y a environ deux ans, une proposition de loi signée par quatre-vingts de nos collègues, qui visait la réécriture du code du travail et fixait même la composition de la commission qui en serait chargée ; vous l’avez balayée d’un revers de main sans même vouloir l’examiner. Je me réjouis de constater que l’idée nous revient aujourd’hui, même si nous avons perdu deux ans.

Quoi qu’il en soit, l’inscription dans la loi de normes de valeur différente – qu’elle soit constitutionnelle, législative ou jurisprudentielle – qui se superposent au code du travail ne peut que favoriser la complexité et même l’illisibilité du droit et nourrir les inquiétudes des salariés et des employeurs, comme en témoigne l’accueil qui a été fait au sixième de ces principes relatif au fait religieux. C’est pourquoi l’amendement AS157 vise à s’en tenir aux premiers alinéas de l’article et à supprimer les alinéas 4 à 73.

M. Élie Aboud. Pour simplifier et oxygéner le code du travail, l’inscription de ces principes est inutile, voire contre-productive. Il serait salutaire de les supprimer.

M. Arnaud Richard. Nous ne remettons nullement en cause les travaux du comité Badinter et les différents rapports qui l’ont précédé, mais l’inscription dans la loi de ces soixante et un prolégomènes dits « essentiels » nous pose plusieurs problèmes. Dans la version initiale du texte, ces principes devaient constituer le préambule du code du travail. Dans le projet de loi dont nous sommes saisis aujourd’hui, leur énumération constitue une sorte de guide légistique sur lequel la commission de refondation devra s’appuyer en vue de réécrire le code du travail. A priori, ces principes n’ont pourtant pas de valeur normative ; ils demeureraient pourtant in fine inscrits dans une loi votée par le Parlement, et nul ne sait le sort qui pourrait leur être réservé.

Autre reproche : ces principes, qui sont à droit constant, ne répondent pas à l’évolution du code du travail initialement souhaitée. Pire, s’ils étaient repris dans la loi, ils s’ajouteraient aux principes du droit actuel, créant une complexité et une instabilité juridiques aussi bien pour les salariés que pour les employeurs.

Enfin, il faut envisager avec la plus grande prudence toute remise en cause de la jurisprudence établie. De ce point de vue, il nous semble maladroit d’avoir consacré le 6° aux questions de neutralité et de laïcité, qui sont encore très sensibles dans notre pays, et que l’on ne saurait traiter par une simple ligne dans un guide légistique. Pour aborder ce sujet plus en détail, nous défendrons un amendement visant à offrir la possibilité aux chefs d’entreprise d’inscrire le principe de laïcité dans le règlement intérieur de leur société.

Mme Véronique Louwagie. L’amendement AS598 vise également à supprimer les alinéas 4 à 73 de l’article, et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, nous devons, en ce domaine comme en d’autres, rechercher la simplification, la lisibilité et la visibilité des mesures. Pour ce faire, il faut se contenter de cadres généraux et de principes essentiels sans pour autant s’abandonner dans un enchevêtrement complexe.

Ensuite, l’article 1er doit demeurer général et ne pas enfermer les choses, ce que ne permettraient pas des normes aussi précises et détaillées.

Enfin, il y aurait beaucoup à dire des valeurs contenues dans ces principes, dont certaines ne sont pas partagées – je pense à la mention, pour la première fois, du fait religieux dans l’entreprise.

M. Bernard Perrut. L’article 1er vise à apporter une reconnaissance à des principes qui sont issus de travaux et de rapports et qui n’ont pas leur place dans la loi, comme le reconnaît le rapporteur lui-même. Nous pouvons tous en convenir : pourquoi ajouter de la complexité, de l’illisibilité, de l’instabilité juridique alors qu’il vaudrait mieux ménager la liberté de cette commission de refondation sans lui imposer un quelconque principe relatif au fait religieux, par exemple ? On ne saurait pas davantage mélanger des règles de niveaux différents, certaines étant législatives, d’autres constitutionnelles, d’autres encore conventionnelles. Chacun sait en effet que le droit du travail est essentiellement jurisprudentiel ; s’ils avaient force législative, ces principes pourraient être utilisés devant une juridiction, ce qui nuirait à la clarté du code du travail que nous souhaitons tous.

M. Christophe Cavard. Je ne soutiendrai pas ces amendements précisément parce que nous souhaitons un code du travail clair. Certes, l’absence de ces soixante et un principes dans le texte facilitera sans doute les travaux de la commission, mais je rappelle qu’ils existent en droit, ce qui permet aux juridictions de s’appuyer sur eux, en dépit de leurs origines variées. Il me semble utile que ces soixante et un principes rassemblent une série de droits créés au fil des années dans les textes et par la jurisprudence. En les ôtant du texte, nous prendrions le risque qu’ils soient revus dans leur ensemble, même à droit constant. Le juge est libre de décider s’il souhaite ou non suivre la jurisprudence, nous dit-on ; au contraire, il me semble pertinent de faire de la jurisprudence un élément de droit qui protège les salariés.

Plusieurs alinéas – le 6° et le 25°, par exemple – auraient certes pu donner lieu à un débat, et nous aurions même pu préciser que la commission a la possibilité, et non le devoir, de fonder ses travaux sur eux. Quoi qu’il en soit, la lecture de ces soixante et un principes permet à tout salarié, à tout chef d’entreprise de comprendre ce qu’est le code du travail en l’état. Sans en faire un article opposable à part entière, il me semble judicieux de les placer en préambule du code du travail pour rappeler leurs droits aux salariés – car, soyons francs, ils les ignorent souvent.

M. Gérard Sebaoun. Je soutiendrai quant à moi ces amendements. Concernant la laïcité, j’estime néanmoins que certains de nos collègues commettent un contresens profond. Une entreprise est un lieu privé, et le droit actuel reconnaît tout à fait la liberté de chacun d’exprimer ses convictions religieuses, sous réserve qu’un règlement intérieur ne limite la manière dont peut s’exprimer cette liberté à l’intérieur de l’entreprise. Ainsi, le débat parfois polémique ouvert au sujet du 6° méconnaît totalement le droit en vigueur qu’a repris le comité Badinter.

Mme Dominique Orliac. Je voterai contre ces amendements, puisque nous souhaitions la suppression de l’ensemble de l’article 1er. La loi n’a pas à contenir un article renvoyant à une commission d’experts.

Je me félicite tout de même de la suppression de certains alinéas, en particulier l’alinéa 11. En effet, la liberté de manifester ses convictions, y compris religieuses, dans l’entreprise, reflète la jurisprudence actuelle. Rappelons toutefois que le rôle du législateur ne consiste pas à enregistrer passivement la jurisprudence, mais à fixer le cas échéant des règles plus appropriées. De surcroît, la formulation retenue – « manifester ses convictions, y compris religieuses » – est très proche du prosélytisme. Or, l’entreprise ne saurait devenir un lieu de propagande confessionnelle sans que cela se traduise par des clivages et des tensions. En revanche, le principe de neutralité permet à tous de vivre et de travailler ensemble par-delà les diverses appartenances religieuses.

Mme Isabelle Le Callennec. En clair, si ces amendements sont adoptés, l’article 1er ne comportera plus que trois alinéas portant création d’une commission d’experts, précisant que la refondation attribue une place centrale à la négociation collective et que la commission associe à ses travaux les organisations professionnelles d’employeurs et syndicales de salariés. Cependant, le chapitre Ier est intitulé « Vers une refondation du code du travail », tandis que l’étude d’impact utilise l’expression de « réécriture » dudit code.

Dès lors, je m’interroge sur le démarrage de nos travaux : nous examinons un texte portant refondation du code du travail en édulcorant d’emblée l’article 1er, et en parlant tantôt de refondation, tantôt de réécriture – deux mots qui ne sont pas synonymes. Les intentions ne sont pas claires, y compris aux yeux de l’opinion publique. Sans doute s’agit-il d’éviter telle ou telle discussion, mais j’estime que nous ne donnons pas un signal fort de notre volonté de refonder le code du travail de telle sorte qu’il soit plus adapté à la période de mutations que nous traversons et à la volonté manifeste – exprimée dans le titre du projet – de donner davantage de libertés et de protections aux entreprises et aux actifs.

Mme Eva Sas. L’amendement du rapporteur est tout à fait judicieux, car il permet de ne pas ériger en guide présidant aux travaux de la commission des orientations que nous estimons contraires au principe de faveur. Il me semble particulièrement important de supprimer le 6°, qui crée plus de problèmes que de solutions ; il n’est pas opportun d’aborder la question des libertés religieuses dans l’entreprise d’une façon aussi lapidaire.

M. Élie Aboud. Personne, monsieur Sebaoun, n’a condamné l’esprit des travaux du comité Badinter. Toutefois, s’il faut naturellement tenir compte de l’esprit des textes et de l’interprétation qui peut en être faite, il faut aussi prendre garde aux éventuelles dérives. Même dans une entreprise privée, il est essentiel d’être intraitable en matière de laïcité.

M. Gérard Sebaoun. Vous faites un contresens sur la laïcité !

M. Jean-Patrick Gille. Le rapporteur a la sagesse de nous proposer de ne pas entrer dans un débat sur les travaux du comité Badinter. Nous sommes nombreux à saluer la qualité de ces travaux et même à regretter qu’ils n’aient pas été le fait de parlementaires, tant on nous accuse souvent de complexifier les choses – je crains de ce point de vue que, à l’issue de nos débats, nous ne soyons pas parvenus à simplifier le code du travail… Quoi qu’il en soit, le comité Badinter a fourni un remarquable travail qui permet à chacun de s’approprier l’esprit du code du travail tel qu’il existe. Si nous entrions dans un débat sur le contenu de ces principes, en particulier le sixième, nous en modifierions la teneur ; quel serait alors le statut du texte que nous rédigeons ? Il me semble plus sage de ne pas faire figurer ces principes dans le texte.

S’agissant de la distinction entre réécriture et refondation, précisons que la commission est chargée de réécrire le code du travail à droit constant en vue de préparer un travail de refondation qu’il appartiendra au législateur de mener le moment venu – travail déjà effectué pour partie dans les articles 2, 3 et 4. Le titre est donc exact : la réécriture est préalable à la refondation. En l’occurrence, il me semble que nous avons nettement clarifié la portée de l’article 1er.

Enfin, je m’interroge sur l’opportunité de supprimer non seulement les principes eux-mêmes, mais aussi toute référence auxdits principes. Sans doute pourrons-nous y revenir en séance publique.

M. Lionel Tardy. Je soutiens cet amendement, qui fera tomber un certain nombre d’amendements ultérieurs. Le sixième principe a suscité de nombreux débats et, à juste titre, des inquiétudes : à quoi bon lier religion et entreprise en en faisant un principe fondamental, si ce n’est pour ouvrir une brèche favorable au communautarisme ? Laissons les entreprises et le monde du travail en dehors de tout cela. Encore une fois, il est risqué d’inscrire dans la loi des dispositions dont on ne mesure pas toujours la portée.

M. Arnaud Viala. À ce compte-là, monsieur Gille, mieux vaut tout simplement supprimer le texte entier ; le Premier ministre pourra nommer une commission sur les travaux de laquelle nous nous contenterons de nous prononcer dans un an. Si le débat sur les intentions du Gouvernement n’a plus lieu d’être en commission saisie du texte, je me demande à quoi nous servons et pourquoi nous nous apprêtons à discuter de dispositions dont nous savons qu’elles ne seront pas appliquées. Pourquoi Mme El Khomri et le Premier ministre ont-ils fait tout ce barouf médiatique concernant leur intention d’améliorer les conditions économiques du pays, pour que nous envisagions maintenant de supprimer l’essentiel des alinéas, voire des articles et pourquoi pas du texte, afin de laisser travailler une commission dont nous ignorons la composition, qui rendra des conclusions dans un délai indéterminé et qui nous conduira à prendre des décisions dont nous ignorons la nature ?

M. le rapporteur. Je précise à M. Gille que l’amendement tel qu’il est proposé vise notamment à supprimer l’alinéa 4.

Si je propose la suppression des principes du comité Badinter, ce n’est pas pour éviter le débat sur tel ou tel d’entre eux. La question que je pose est la suivante : quelle légitimité auraient ces soixante et un principes dès lors qu’il a été décidé de ne pas les insérer dans le préambule du code du travail ? Je ne répondrai donc pas à l’interprétation qui a été faite de tel principe particulier : je ne crains pas le débat, mais il n’est pas mon objectif.

J’ajoute, monsieur Viala, que les articles 2, 3 et 4 constituent déjà une modification dont la commission devra tenir compte. Il est faux de prétendre que nous sommes passifs alors que nous modifions déjà l’architecture du code.

La Commission adopte les amendements.

En conséquence, les amendements AS401 de M. Christophe Cavard, AS243 de M. Yannick Moreau, AS319 de M. Christophe Cavard, AS585 de M. Philippe Houillon, AS614 à AS616 de Mme Catherine Coutelle, AS34 de M. Patrick Hetzel, AS43 de M. Lionel Tardy, AS158 de M. Gérard Cherpion, AS377 de M. Arnaud Viala, AS434 de M. Roger-Gérard Schwartzenberg, AS565 de M. Arnaud Richard, AS610 de M. Bernard Perrut, AS759 de Mme Eva Sas, AS510 de M. Jean-Louis Costes, AS182 de Mme Isabelle Bruneau, AS159 de M. Gérard Cherpion, AS571 de Mme Anne-Yvonne Le Dain, AS231 de M. Marcel Rogemont, AS233 de Mme Marie-Lou Marcel, AS497 de Mme Anne-Yvonne Le Dain, AS32 de M. Patrick Hetzel, AS617 et AS618 de Mme Catherine Coutelle, AS741 de Mme Eva Sas, AS564 de M. Arnaud Richard, AS436 et AS435 de M. Alain Tourret, AS547 de M. Arnaud Richard, AS619 de Mme Catherine Coutelle, AS437 de M. Alain Tourret, AS290 de M. Christophe Cavard, AS438, AS439 et AS441 de M. Alain Tourret, AS620 de Mme Catherine Coutelle, AS402 de M. Christophe Cavard, AS378 de M. Arnaud Viala, AS1 de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, AS379 de M. Arnaud Viala, AS442 de M. Alain Tourret, AS740 de Mme Eva Sas, AS440 de M. Alain Tourret, AS292 de M. Christophe Cavard, AS443 et AS444 de M. Alain Tourret, AS31 de M. Patrick Hetzel, AS45 de M. Lionel Tardy, AS730 de Mme Eva Sas, AS445 et AS446 de M. Alain Tourret et AS727 de M. Jean-Louis Roumégas n’ont plus d’objet.

La Commission adopte l’article 1er modifié.

Après l’article 1er

La Commission examine l’amendement AS537 de M. Arnaud Richard.

M. Arnaud Richard. La notion de neutralité religieuse est très débattue en France. La laïcité est un principe constitutionnel énoncé dès l’article 1er de la Constitution de 1958. Le principe de neutralité religieuse s’applique aux agents publics ; il est rappelé par la charte de la laïcité dans les services publics du 13 avril 2007, qui précise que « tout agent public a un devoir de stricte neutralité ». En revanche, aucun texte législatif ou réglementaire n’impose cette obligation de neutralité aux salariés des entreprises privées. Les employeurs qui désirent limiter la liberté d’expression religieuse de leurs employés ne peuvent le faire que dans un cadre précis, pour des motifs déjà admis par la jurisprudence tels que l’hygiène, la santé, la sécurité ou les relations avec la clientèle accueillie.

L’amendement AS537 propose une solution – certes imparfaite – concernant la neutralité dans l’entreprise et visant à renforcer la sécurité juridique, en inscrivant dans la loi la possibilité pour le chef d’entreprise d’inscrire dans le règlement intérieur le principe de neutralité et de définir ses modalités d’application en s’inspirant de la charte de la laïcité et de la diversité adoptée par une fameuse entreprise de recyclage de papier voici quelques années.

Il serait ainsi possible de transcrire dans les entreprises la règle existant dans les administrations et les services publics, déduite du principe de neutralité des pouvoirs publics et d’interdiction générale pour leurs agents du port de signes religieux. En un mot, il s’agit d’appliquer le modèle de la République dans l’entreprise.

M. le rapporteur. Le 1° et le 2° de cet amendement me semblent entrer en contradiction. Le 1° prévoit la possibilité de faire figurer des règles relatives au principe de laïcité dans le règlement intérieur de l’entreprise : pourquoi pas ? Mais, dans le même temps, le 2° vise à abroger le troisième alinéa de l’article L. 1321-3 du code du travail qui dispose que le règlement intérieur ne peut contenir « des dispositions discriminant les salariés dans leur emploi ou leur travail, à capacité professionnelle égale, en raison de leur origine, de leur sexe, de leurs mœurs, de leur orientation sexuelle, de leur âge, de leur situation de famille ou de leur grossesse, de leurs caractéristiques génétiques, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales ou mutualistes, de leurs convictions religieuses, de leur apparence physique, de leur nom de famille ou en raison de leur état de santé ou de leur handicap ». Avis défavorable.

Mme Isabelle Le Callennec. Si nous déposons en séance publique un amendement comportant le 1°, mais pas le 2° de cet amendement AS537, y serez-vous favorable ?

M. le rapporteur. Je ne me prononce pour l’instant que sur les amendements déposés.

M. Arnaud Richard. Puis-je proposer une rectification supprimant le 2° de mon amendement ? Compte tenu des remarques de notre rapporteur, nous ne pourrions que l’adopter.

M. le rapporteur. Je souhaiterais pouvoir expertiser le fait que ce soit « à l’initiative de l’employeur » que le règlement intérieur peut définir les modalités d’application du principe de neutralité religieuse. Si l’amendement, même rectifié, n’est pas retiré, j’y serai défavorable.

M. Jean-Louis Roumégas. Il paraît sage, en effet, de rejeter cet amendement, de même qu’il faut refuser la consécration d’un droit à l’expression religieuse dans l’entreprise. Les deux positions sont tout aussi risquées. On ne peut parler des « modalités d’application du principe de neutralité religieuse » alors qu’il ne s’applique pas aujourd’hui aux lieux privés. Mieux vaut en rester à la situation actuelle.

M. Jean-Patrick Gille. La proposition de M. Richard n’est pas inintéressante. Mais, s’il proposait, dans le 2°, de supprimer l’article L. 1321-3 du code du travail, c’est que cet article dispose qu’un règlement intérieur ne peut contenir de dispositions discriminantes à l’égard du salarié, du fait de ses convictions religieuses. On ne peut supprimer complètement cet article sans ouvrir une brèche considérable, mais, dans le même temps, nous devons trouver un équilibre. L’introduction du principe de neutralité est peut-être une idée à creuser – elle est en tout cas attendue par beaucoup. Mais, en attendant que la bonne formulation soit trouvée, le rapporteur a raison de proposer de retravailler sereinement l’amendement.

M. Gérard Cherpion. Cet amendement est intéressant, à condition d’en supprimer le 2°, car le règlement intérieur est en règle générale élaboré à l’initiative de l’employeur. D’autre part, il existe aujourd’hui dans certaines entreprises des salles de prière qui ont été autorisées par le règlement intérieur. Il me semble donc possible d’adopter cet amendement rectifié.

M. Hervé Morin. Cet amendement permet de donner une base légale à des initiatives qui ont été prises dans nombre d’entreprises. Ainsi, le groupe PAPREC a adopté une charte de laïcité dont tout le monde s’accorde à reconnaître qu’elle manque de fondement légal, mais l’opinion publique a salué cette initiative. Nous ne créons pas ici les conditions de l’affrontement, mais, au contraire, celles de la sérénité dans l’entreprise.

M. Arnaud Richard. Ceux de nos collègues qui considèrent que cet amendement est imparfait ont raison. Le mieux serait certainement de ne pas légiférer. Mais le problème devient de plus en plus criant. Voilà des années que nous parlons du fait religieux en droit du travail et nous savons qu’il va falloir traiter le sujet. Il n’y aura pas mort d’homme si nous ne le faisons pas dans cette loi, et peut-être la France serait-elle condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme si nous votions mon amendement. Cependant, des entreprises pourraient avoir besoin d’utiliser un tel dispositif. Il me paraît donc sage de permettre aux chefs d’entreprise, qui ont à affronter des problèmes de ce genre et qui sont désemparés face au vide sidéral de la loi en la matière, de faire figurer les modalités d’application du principe de neutralité religieuse dans leur règlement intérieur.

Je m’en suis entretenu hier encore au ministère du travail avec les représentants patronaux. Le représentant du MEDEF, que j’ai interrogé à la fin de son intervention sur cet amendement, a répondu qu’il lui paraissait fondé de donner la possibilité aux chefs d’entreprise d’intégrer ces modalités d’application dans le règlement intérieur.

J’entends les positions des uns et des autres sur ce sujet délicat. Même s’il ne faut peut-être pas légiférer, je vous propose d’adopter la position qui me paraît la plus sage.

Mme Bérengère Poletti. Il faut de toute urgence légiférer sur ce sujet, car certaines entreprises ayant déjà décidé de modifier leur règlement intérieur, elles se trouvent dans une situation d’insécurité juridique : en cas de recours, cette décision, demandée par l’employeur et validée par les partenaires sociaux présents au sein de l’entreprise, sera annulée. Il est donc indispensable que nous assurions rapidement la possibilité d’appliquer le principe de laïcité dans l’entreprise, à l’initiative de l’employeur et après vote du comité d’entreprise.

M. Jean-Louis Costes. Nous ne pouvons pas, alors que nous travaillons sur un texte qui a la prétention de refonder les relations en entreprise, ne pas y inscrire le principe de neutralité. Il ne serait pas sérieux de renvoyer à une commission le soin d’étudier ce problème quand les incidents se multiplient dans les entreprises. Cet amendement me semble tout à fait satisfaisant, puisque, en faisant référence au règlement intérieur, il laisse la liberté, tant à l’employeur qu’aux organisations syndicales, de trouver un accord. Sans doute pourrait-il être réécrit, mais à condition de conserver le principe qu’il énonce.

M. Jean-Louis Roumégas. Le mieux est parfois l’ennemi du bien. Contrairement à la loi en vigueur, cet amendement permettrait à un employeur d’interdire le port de la croix, de la kippa ou du voile dans une entreprise. Ce débat me paraît excessif et cette disposition risque de créer plus de problèmes qu’elle n’en résoudra. Autant il était dangereux de consacrer un droit à l’expression religieuse, autant vous allez ici beaucoup trop loin et donnez trop de pouvoir à l’employeur. La loi ne prévoit pas aujourd’hui l’application du principe de neutralité religieuse dans l’entreprise : elle réserve cette application à l’école et aux lieux publics.

M. Francis Vercamer. Le projet de loi dispose que le salarié a la liberté de manifester ses convictions à condition que cela n’entrave pas le bon fonctionnement de l’entreprise. Or c’est bien le règlement intérieur qui fixe les modalités de ce fonctionnement. Il ne me semble donc pas contraire au droit européen ni au droit en vigueur de permettre au règlement intérieur de définir les modalités d’application du principe de neutralité religieuse. Il s’agit simplement d’acter dans un texte que la manifestation de convictions religieuses peut contrevenir au fonctionnement normal de l’entreprise et de conforter le chef d’entreprise au cas où un salarié se targuerait de la loi actuelle pour manifester de telles convictions. Le règlement intérieur permettra de régler les litiges potentiels.

M. Jean-Louis Costes. Monsieur Roumégas, nous demandons seulement l’application du principe de laïcité.

Mme Isabelle Le Callennec. En permettant au règlement intérieur de traiter cette question, nous apporterions de la sécurité juridique à des situations de plus en plus nombreuses. Nous venons de supprimer du projet de loi l’énoncé des soixante et un principes fondamentaux du rapport Badinter qui allait assez loin – partant du principe que la liberté religieuse primait. C’est cela qui inquiétait à la fois des chefs d’entreprise et des salariés. Si nous n’adoptons pas l’amendement d’Arnaud Richard, très pragmatique en ce qu’il fait référence au règlement intérieur, nous risquons encore de passer à côté de l’occasion d’apporter dans la loi des précisions qui sont très attendues et le débat risque de s’envenimer. Au lieu de renvoyer à cette fameuse commission d’experts le soin de traiter ce sujet récurrent, n’avons-nous pas intérêt à trancher ?

Mme Véronique Louwagie. Ne nous voilons pas la face. La question de la neutralité religieuse se pose sur le terrain dans les entreprises. Il nous faut donc l’aborder. J’ai entendu un de nos collègues qualifier ce débat d’excessif : il porte au contraire sur un sujet délicat, nous devons avoir le courage de le mener et nous avons la responsabilité de proposer des solutions. Le règlement intérieur, dont l’objet est de prendre en compte les particularités de l’entreprise en matière de relations avec le public, de métier et d’environnement, me semble l’outil adapté pour répondre aux situations susceptibles de créer des tensions dans l’entreprise. Ce serait commettre une faute que de ne pas aborder la question du principe de neutralité religieuse alors même que le débat a été ouvert parmi les Français.

M. Alain Calmette. Il s’agit bel et bien d’un débat d’actualité : des questions concrètes, pragmatiques, se posent sur le terrain, auxquelles il est de notre devoir de répondre. Mais encore faut-il évaluer l’ensemble des conséquences juridiques et pratiques de l’adoption d’un tel amendement. Si je suis d’accord avec l’esprit de cette proposition, il me semble prématuré de la voter.

M. Jean-Patrick Gille. Chacun conviendra que personne ne refuse de débattre. Nous sommes face à un amendement, introduisant un principe de neutralité religieuse, qu’il a fallu rectifier, son auteur lui-même ayant compris qu’on ne pouvait, sans créer de difficultés, supprimer un alinéa du code du travail interdisant les dispositions discriminatoires dans le règlement intérieur. Mais cet amendement me semble encore devoir faire l’objet d’une expertise plus approfondie. Si nous l’adoptons, certains employeurs pourront interdire tout signe religieux dans l’entreprise – ce qui, d’ailleurs, satisfera beaucoup de gens – à la suite de quoi des salariés objecteront que cela est contraire au droit européen. Je salue le travail d’Arnaud Richard, mais il me semble que cela ne tient pas juridiquement.

M. Jean-Louis Bricout. Il me semble que le règlement intérieur n’est obligatoire que dans les entreprises de plus de vingt salariés. En passant par ce biais pour faire appliquer le principe de neutralité religieuse, on risquerait donc de créer une différence de traitement entre les petites entreprises et les autres – à moins de rendre le règlement obligatoire dans toutes les entreprises, ce qui serait source de complexité.

M. Arnaud Richard. Je tiens à saluer la sagesse du rapporteur qui a proposé un amendement, identique au nôtre, de suppression des alinéas 4 à 73 de l’article 1er. Si nous avions eu cette discussion sur le fait religieux dans l’entreprise au regard du 6° de cet article, sans doute l’ambiance et la qualité du débat n’auraient-elles pas été les mêmes.

Très satisfait de partir sur cette base, j’entends l’argument de Jean-Patrick Gille. Il est vrai que nous proposons une évolution importante, mais cela fait plusieurs années que, en tant qu’élu de Chanteloup-les-Vignes, je réfléchis à la question de la laïcité au travail. Bien qu’imparfaite, la réponse forte que nous proposons d’apporter permettra d’appliquer le modèle de la République dans l’entreprise.

M. Gérard Sebaoun. Je vous renvoie à la lecture exacte et exhaustive du 6° proposé par Robert Badinter et ses collègues. Cet alinéa fait référence non seulement à la liberté du salarié de manifester ses convictions, y compris religieuses, mais aussi aux restrictions « justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché ». Cette liberté était donc tout de même extraordinairement encadrée et cet alinéa ne faisait que rappeler le droit en vigueur.

Nous nous accordons tous à dire que nous nous exposons à un océan de difficultés si nous n’expertisons pas l’amendement d’Arnaud Richard. Lors d’une audition, le professeur Antoine Lyon-Caen, à qui je demandais si les salariés qui le souhaitaient pouvaient prier pendant les pauses qui leur étaient accordées, a répondu que personne n’était empêché de méditer. Nous ne pourrons pas empêcher un salarié de prier. Si, demain, une entreprise emploie comme salariés des moines ou des religieuses, leur interdirons-nous de porter l’habit ? On sait qu’il y a des activistes dans certaines entreprises. Légiférer à la va-vite comme nous le faisons leur donnerait l’oriflamme de la discrimination. Je vous demande donc à tous d’être extrêmement prudents.

M. le rapporteur. Ce sujet étant en effet très présent aujourd’hui dans le débat politique, il mérite que nous y réfléchissions. Mais, en levant une insécurité juridique par le biais de l’outil le plus faible dans l’échelle normative, nous prendrions un risque considérable. Une multitude de normes relevant de la loi, du droit européen et du droit international, sans parler de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, s’impose au règlement intérieur. C’est pourquoi je réitère ma proposition, qui n’est pas une fin de non-recevoir, et vous suggère, monsieur Richard, de retirer cet amendement pour que je puisse l’expertiser et vous transmettre mon analyse. À défaut, j’y serai défavorable.

M. Arnaud Richard. Je maintiens mon amendement.

La Commission rejette l’amendement AS537 rectifié.

Puis elle est saisie des amendements AS635 et AS634 de Mme Catherine Coutelle, qui peuvent faire l’objet d’une présentation commune.

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. La délégation aux droits des femmes a adopté cinq amendements relatifs au harcèlement sexuel au travail et aux agissements sexistes dans l’entreprise.

Lors d’une audition, une association de défense des salariés a attiré l’attention de la délégation aux droits des femmes sur la difficulté de faire la preuve du harcèlement sexuel au travail. Je rappelle que nous avions défini cette notion dans une loi de 2012 pour ensuite la faire figurer dans le code du travail. Cette association nous a fait remarquer que, lorsqu’une personne se considérait comme victime d’une discrimination, elle ne devait présenter, aux termes de l’article L. 1134-1 du code du travail, que des « éléments de fait laissant supposer l’existence » d’un tel acte et que c’était à l’employeur de démontrer que ces éléments n’étaient pas réunis. Lorsque, en revanche, un salarié se considère comme victime de harcèlement sexuel ou moral, il doit, selon l’article L. 1154-1 du même code, en faire la preuve, c’est-à-dire établir les faits, ce qui lui est beaucoup plus difficile. Nous voudrions donc aligner le régime probatoire du harcèlement sexuel sur celui des discriminations.

Quant à l’amendement AS635, il concerne les agissements sexistes. Lors du vote de la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi, nous avons prévu dans le code du travail que « nul ne doit subir d’agissement sexiste […] ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ». Nous n’avons cependant pas précisé à l’époque le régime de probation applicable. Or il semble là aussi très difficile de faire la preuve de tels agissements. Nous proposons donc là encore d’aligner le régime probatoire des agissements sexistes sur celui des discriminations.

M. le rapporteur. Je suis favorable à l’amendement AS634 et à un alignement des régimes probatoires. J’ai cependant une difficulté concernant l’amendement AS635. Car, lorsque l’on parle de discriminations, les faits sont là. Vous proposez une inversion de la charge de la preuve en matière d’agissements sexistes : ce serait à l’employeur de justifier qu’il n’y a pas eu d’agissements sexistes. Cela me paraît très difficile à définir. Avis défavorable.

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Des études ont montré que les agissements sexistes au travail peuvent dégrader la santé des salariés, provoquer des arrêts de travail... Nous avons inscrit ces agissements dans le code du travail, en les définissant comme, notamment, « créant un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ». Toutefois, le régime de la preuve rend difficile la tenue d’un procès et les salariés n’arrivent pas à faire condamner ces agissements. Il faut résoudre ce problème.

M. Hervé Morin. Nous avons voté une loi relative au harcèlement sexuel en 2012 et de nouvelles dispositions en 2015. L’encre de ces textes est à peine sèche, il n’y a pas encore la moindre jurisprudence, et voilà qu’on voudrait légiférer à nouveau ! Cela me paraît ahurissant. La situation en matière de harcèlement sexuel et d’agissements sexistes a-t-elle vraiment beaucoup changé en deux ans ? Ces textes étaient-ils vraiment bien rédigés ? N’y a-t-il pas là un dysfonctionnement de la fabrique de la loi ?

M. le rapporteur. Monsieur Morin, cet amendement ne traite pas de harcèlement sexuel, mais d’agissements sexistes – dont les dommages sont en effet démontrés. Certes, le problème est réel, madame Coutelle, et je partage votre analyse sur ce point ; mais je n’en tire pas les mêmes conclusions. Demander à l’employeur de prouver qu’il n’y a pas d’atteinte à la personne ne me paraît pas une réponse adaptée.

La Commission rejette l’amendement AS635.

Puis elle adopte l’amendement AS634.

Elle se saisit ensuite de l’amendement AS638 de Mme Catherine Coutelle.

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Il s’agit de prévoir un rappel obligatoire dans le règlement intérieur des entreprises des dispositions relatives au harcèlement moral ainsi qu’au harcèlement sexuel. Le droit européen va d’ailleurs dans le même sens de promotion d’une égalité de traitement des femmes et des hommes.

M. Bernard Accoyer. Comme l’exposé des motifs de l’amendement le précise lui-même, la législation réprimant le harcèlement sexuel est déjà abondante. Il n’y a pas lieu d’en rajouter.

M. le rapporteur. Je ne commenterai pas les propos de M. Accoyer.

Avis favorable à l’amendement.

Mme Isabelle Le Callennec. Quid des entreprises qui n’ont pas de règlement intérieur, c’est-à-dire celles qui comptent moins de vingt salariés ?

M. Francis Vercamer. Quand il s’agit du fait religieux, monsieur le rapporteur, vous dites que le règlement intérieur est l’outil le plus bas de la hiérarchie normative ; par contre, pour traiter d’agissements sexistes, il vous paraît adapté ! On voit bien quelle est votre échelle de valeurs.

M. Élie Aboud. La remarque de Mme Le Callenec est d’autant plus judicieuse que c’est souvent dans les TPE, peu structurées, pas assez organisées, que l’on voit ce genre de comportements. À ce niveau-là, le vide demeure.

M. le rapporteur. Monsieur Vercamer, je rappelle simplement qu’il existe, dans le cas des agissements sexistes, une base législative : c’est l’article L. 1142-2-1 du code du travail. Nous ne parlons pas ici d’une liberté, mais au contraire d’un délit ! Le sujet n’a rien à voir.

Avis favorable à l’amendement.

M. Francis Vercamer. On voit bien quelle est votre échelle de valeurs !

M. le rapporteur. Je le dis de façon quelque peu solennelle, monsieur Vercamer : une lutte doit être menée contre les agissements sexistes, et évoquer ma soi-disant échelle de valeurs comme vous le faites me paraît particulièrement déplacé.

M. Francis Vercamer. N’exagérons rien : il y a cinq minutes, le règlement intérieur, c’était le plus bas niveau de l’échelle normative, mais, pour les agissements sexistes, il est parfaitement adapté. Et c’est moi qui dévaloriserais les femmes ? Soyons sérieux !

M. le rapporteur. Je viens de vous dire, monsieur Vercamer, que les agissements sexistes étaient réprimés par la loi – ce qui n’est pas le cas du sujet dont nous traitions précédemment. Vos propos sont honteux !

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle se saisit de l’amendement AS637 de Mme Catherine Coutelle.

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Je ne comprends pas bien vos propos, monsieur Vercamer : harcèlement sexuel et agissements sexistes figurent dans la loi ; ils se déclinent ensuite dans le règlement intérieur des entreprises.

L’employeur est aujourd’hui tenu de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de ses salariés. Dans la logique des amendements précédents, l’amendement AS637 vise à prévoir que la prévention des agissements sexistes est incluse dans ces actions.

Ces agissements sont nombreux, des études le montrent, et pas seulement dans les TPE, mais dans l’ensemble des entreprises ; or la santé des femmes victimes de ces agissements peut être gravement atteinte. Certaines sont mêmes amenées à démissionner. J’ai recueilli des témoignages qui montrent la gravité de ces faits.

M. le rapporteur. Je vous suggère de retirer cet amendement : il me paraît faire double emploi avec le suivant, AS 638, qui renforce les missions du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), et qui me paraît préférable.

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Je vous fais confiance, monsieur le rapporteur ; il me semblait qu’il s’agissait de deux étapes quelque peu différentes : le CHSCT doit s’impliquer dans la prévention des agissements sexistes – ce qui vaut la peine d’être précisé, car rien ne dit que tous les représentants du personnel sont sensibilisés à ces problèmes –, mais l’employeur met ensuite les mesures en œuvre.

Mme Jacqueline Fraysse. Je voudrais insister sur l’importance des problèmes soulevés par Mme Coutelle. Il y a là des problèmes de santé, sans aucun doute, mais aussi tout simplement de respect de la personne, quelle qu’elle soit.

Mme Isabelle Le Callennec. Toutes les entreprises n’ont pas de CHSCT.

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. D’où la pertinence de cet amendement, peut-être plus protecteur de tous les salariés.

M. le rapporteur. Ces arguments sont convaincants : avis favorable.

La Commission adopte l’amendement.

Puis, suivant l’avis favorable du rapporteur, elle adopte l’amendement AS636 de Mme Catherine Coutelle.

La séance est levée à vingt heures cinq.

Présences en réunion

Commission des affaires sociales

Réunion du mardi 5 avril 2016 à 16 heures 45

Présents. – M. Élie Aboud, M. Bernard Accoyer, M. Pierre Aylagas, M. Alexis Bachelay, M. Gérard Bapt, M. Jean-Pierre Barbier, Mme Kheira Bouziane-Laroussi, Mme Sylviane Bulteau, M. Alain Calmette, Mme Marie-Arlette Carlotti, Mme Martine Carrillon-Couvreur, M. Christophe Cavard, M. Gérard Cherpion, Mme Marie-Françoise Clergeau, M. Philip Cordery, M. Jean-Louis Costes, M. Rémi Delatte, M. Richard Ferrand, Mme Jacqueline Fraysse, M. Jean-Patrick Gille, Mme Joëlle Huillier, Mme Monique Iborra, M. Michel Issindou, M. Denis Jacquat, Mme Chaynesse Khirouni, Mme Bernadette Laclais, Mme Conchita Lacuey, Mme Isabelle Le Callennec, Mme Annie Le Houerou, Mme Catherine Lemorton, Mme Marie-Thérèse Le Roy, Mme Gabrielle Louis-Carabin, M. Gilles Lurton, Mme Véronique Massonneau, M. Hervé Morin, M. Philippe Noguès, M. Robert Olive, Mme Dominique Orliac, Mme Monique Orphé, Mme Luce Pane, M. Bernard Perrut, Mme Bérengère Poletti, M. Arnaud Richard, M. Jean-Louis Roumégas, M. Gérard Sebaoun, M. Christophe Sirugue, M. Francis Vercamer, M. Arnaud Viala

Excusés. – Mme Gisèle Biémouret, M. Stéphane Claireaux, M. Dominique Dord, M. Denys Robiliard, M. Jean-Sébastien Vialatte

Assistaient également à la réunion. – Mme Isabelle Attard, M. Serge Bardy, M. Yves Blein, M. Philippe Briand, M. Jean-Louis Bricout, Mme Isabelle Bruneau, Mme Fanélie Carrey-Conte, M. Alain Fauré, M. Benoît Hamon, M. Patrick Hetzel, Mme Véronique Louwagie, Mme Marie-Lou Marcel, M. Marcel Rogemont, Mme Eva Sas, M. Lionel Tardy, M. Alain Tourret, M. Stéphane Travert