Accueil > Travaux en commission > Commission des affaires sociales > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission des affaires sociales

Mercredi 18 mai 2016

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 53

Présidence de Mme Catherine Lemorton, Présidente

– Audition de M. Roger Genet, dont la désignation en tant que directeur général de l’Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) est envisagée par le Gouvernement, en application de l’article L. 1451-1 du code de la santé publique

– Présences en réunion 21

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mercredi 18 mai 2016

La séance est ouverte à seize heures vingt.

(Présidence de Mme Catherine Lemorton, présidente de la Commission)

La Commission des affaires sociales procède à l’audition de M. Roger Genet, dont la désignation en tant que directeur général de l’Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) est envisagée par le Gouvernement, en application de l’article L. 1451-1 du code de la santé publique.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Nous accueillons M. Roger Genet, actuel directeur général de la recherche et de l’innovation au ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, dont la nomination en tant que directeur général de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) est envisagée par le Gouvernement, pour succéder à M. Marc Mortureux.

Cette audition a lieu en application de l’article L. 1451-1 du code de la santé publique : l’ANSES fait partie des organismes dont les dirigeants pressentis doivent être auditionnés par le Parlement avant leur nomination. Je précise que nous ne sommes pas dans le cadre de la procédure prévue par l’article 13 de la Constitution : il s’agit non pas d’un avis demandé aux commissions compétentes, mais d’une simple audition, qui ne sera pas suivie d’un vote.

Je rappelle brièvement les missions de l’ANSES, établissement public créé le 1er juillet 2010 par la fusion de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) et de l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail (AFSSET). L’ANSES assure des missions de veille, d’expertise, de recherche et de référence dans un large champ couvrant la santé humaine, la santé et le bien-être animal, et la santé végétale. Elle offre une lecture transversale des questions sanitaires et couvre ainsi de manière globale l’ensemble des expositions – exposition aux particules et aux ondes, inhalation, ingestion, etc. – auxquelles un individu peut être sujet, volontairement ou non, à tous les âges et moments de sa vie, au travail, pendant ses transports ou ses loisirs. À cet égard, notre collègue Jean-Louis Roumégas propose des dispositions législatives s’appuyant sur le concept d’exposome.

Le curriculum vitae de M. Genet est en distribution dans la salle, de même que la déclaration publique d’intérêts qu’il a spontanément mise à notre disposition sans que nous la lui demandions. Nous apprécions cette initiative de votre part, monsieur le directeur général, car notre commission est très attentive aux éventuels conflits d’intérêts. Nous avons besoin d’experts compétents, mais, dans le domaine de la santé, il vaut mieux que ceux-ci soient clairs quant à leurs liens avec tel ou tel acteur.

Je vous invite à présenter votre parcours professionnel et les raisons pour lesquelles vous avez postulé à la fonction de directeur général de l’ANSES.

M. Roger Genet. Je suis très heureux de me présenter devant vous dans le cadre de ma candidature à la direction générale de l’ANSES, qui a été proposée par le Gouvernement. Votre commission a mené de très nombreux travaux sur la modernisation du système de santé ainsi que sur les agences sanitaires, qui ont été créées par la volonté du Parlement. J’ai d’ailleurs eu l’honneur d’être auditionné dans le cadre de travaux menés par des membres de votre commission à propos de questions sur lesquelles j’ai travaillé, notamment l’indépendance de l’expertise scientifique et la déontologie des chercheurs.

Depuis mars 2012, je suis directeur général de la recherche et de l’innovation au ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Je crois avoir acquis, au cours de ces dix dernières années, une assez large expérience du management et de la gestion d’établissements de recherche et d’expertise, ou à la frontière entre les deux, dans un large champ couvrant la santé, l’agriculture et l’environnement.

Mais c’est sur la recherche scientifique que se fondent mon parcours et ma candidature à la direction générale de l’ANSES. Biochimiste et enzymologiste, j’ai été pendant plus de vingt ans chercheur et directeur de recherche à la direction des sciences du vivant du Commissariat à l’énergie atomique (CEA). J’ai mené des travaux scientifiques, notamment sur le métabolisme hormonal, en particulier sur le métabolisme des hormones peptidiques. J’ai également enseigné dans ce cadre : j’ai été professeur à l’Institut national des sciences et techniques nucléaires (INSTN) et coresponsable d’un master à l’université Paris-Sud.

Cette première partie de ma vie professionnelle, en tant que chercheur et enseignant, m’a conduit, en 2005, à m’orienter plus particulièrement vers les politiques de recherche. Entre 2005 et 2007, j’ai été conseiller pour les sciences du vivant, la santé et la bioéthique au cabinet de deux ministres délégués à la recherche, M. François d’Aubert puis M. François Goulard. À ce titre, je me suis impliqué sur des sujets qui sont au cœur de ce qui nous intéresse dans le cadre de la présente audition, à savoir la mise en œuvre du volet recherche des premiers plans nationaux santé environnement et santé au travail, qui ont été lancés en 2004, mais aussi la gestion, pour la partie recherche, des crises sanitaires de la grippe aviaire et du chikungunya en 2006, qui a nécessité la mobilisation de l’Institut de veille sanitaire (InVS), de l’AFSSA et des organismes de recherche compétents.

En mars 2007, j’ai rejoint le CEA en tant que directeur adjoint des sciences du vivant – le directeur était alors le professeur André Sirota – et directeur du centre de recherche de Fontenay-aux-Roses, dont certaines équipes sont très impliquées sur des sujets qui nous intéressent particulièrement aujourd’hui, notamment l’encéphalite spongiforme bovine – il s’agit de l’équipe de feu le professeur Dominique Dormont – ou les effets du bisphénol sur la reproduction.

Puis, en 2009, le Gouvernement m’a nommé directeur général du Centre national du machinisme agricole, du génie rural, des eaux et des forêts (CEMAGREF). Mon parcours au CEMAGREF explique, dans une certaine mesure, ma candidature à la direction générale de l’ANSES. Créé en 1985, il y a plus de trente ans, le CEMAGREF a connu une profonde mutation. Il est aujourd’hui au cœur des politiques agro-environnementales : c’est le premier opérateur public de recherche dans le domaine de l’eau et de la qualité des eaux, et c’est un acteur clé de la mise en œuvre de la directive-cadre européenne de 2000 sur l’eau.

L’action que j’ai menée au sein de cet établissement visait trois objectifs principaux. Le premier était la promotion de l’excellence scientifique, car je suis absolument convaincu qu’il ne peut pas y avoir d’expertise qui ne s’appuie pas sur une recherche au meilleur niveau international. Un organisme dépourvu de notoriété et de reconnaissance scientifique ne peut pas produire une expertise crédible dans le domaine de la santé environnementale.

Le deuxième objectif était l’affirmation, pour cet établissement, d’un lien très fort entre la recherche et l’appui aux politiques publiques, dans trois domaines clés : la gestion de l’eau, les territoires et les écotechnologies. Le CEMAGREF dispose d’un potentiel de recherche de très haut niveau, qu’il sait mobiliser pour des expertises en appui aux politiques publiques dans toute une série de domaines : les écotoxicologies, la détection des micropolluants dans les eaux, la résistance des ouvrages hydrauliques, notamment des barrages, les crues, les avalanches, mais aussi le froid industriel. Cette recherche au meilleur niveau en appui aux politiques publiques est au cœur des missions des établissements de ce type.

Le troisième axe de mon mandat était la reconnaissance de l’établissement et l’accroissement de sa notoriété aux niveaux national, européen et international, enjeu majeur pour la France. C’est pour bien marquer le nouveau positionnement de l’établissement en appui aux politiques publiques et faire reconnaître son rôle et ses missions que j’ai proposé aux ministères de tutelle de changer son nom : le CEMAGREF est devenu, en 2011, l’Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (IRSTEA). J’en ai donc été le premier président exécutif en 2012.

Pendant toutes ces années, c’est la mobilisation d’une expertise transparente, indépendante et au plus haut niveau scientifique international, en appui aux politiques publiques, qui m’a vraiment motivé. Cette réflexion s’est concrétisée par la rédaction de la charte nationale de l’expertise scientifique et technique, mission qui m’avait été confiée en 2009, à ma prise de fonctions, conjointement avec le président-directeur général de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (IFREMER), M. Jean-Yves Perrot, par la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, Mme Valérie Pécresse, à la suite d’une décision prise dans le cadre du Grenelle de l’environnement. Cette charte a été adoptée, dès 2011, par l’ensemble des universités, des écoles et des organismes de recherche.

La réflexion globale que nous avons menée au cours de ces années sur un large champ d’expertise englobant la santé, l’eau, l’agriculture, l’alimentation, l’environnement, la biodiversité et les territoires nous a fait prendre conscience de la grande dispersion et de la variété des acteurs de la recherche dans ces domaines. C’est de ce constat qu’est née, en 2010, l’Alliance nationale de recherche pour l’environnement (AllEnvi), qui regroupe l’ensemble de ces acteurs : universités, écoles, organismes de recherche et agences sanitaires. Les présidents de ces établissements m’ont confié la première présidence d’AllEnvi, de février 2010 à mars 2012.

Depuis mars 2012, en tant que directeur général de la recherche et de l’innovation, j’ai essayé de mettre en œuvre le concept d’ « État stratège », objectif que nous poursuivons depuis plusieurs années. Le Président de la République a rappelé les missions de cet État stratège : « donner le cap, fixer les priorités, créer un environnement favorable, faire émerger et encourager les initiatives, accompagner les actions, faire réussir les acteurs ». Loin d’adopter une démarche descendante – top-down –, il s’agit donc de donner un sens et une cohérence aux politiques publiques. C’est ce que j’ai tenté de faire pendant quatre ans et demi à la direction générale de la recherche et de l’innovation (DGRI). C’est aussi le sens de la stratégie nationale de recherche, qui a été inscrite dans la loi pour l’enseignement supérieur et la recherche de 2013, défendue par la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, Mme Geneviève Fioraso. À cette occasion, nous avons inscrit, dans le code de la recherche, les missions des chercheurs en matière d’expertise et d’appui aux politiques publiques.

Après ces quatre années et demie à la tête d’une direction d’administration centrale, j’aspire aujourd’hui à une mission plus opérationnelle, où les compétences que j’ai pu acquérir soient mobilisées au bénéfice du service public. C’est ce qui a motivé ma candidature à la direction générale de l’ANSES. J’ai pris la décision de la présenter après en avoir discuté avec Marc Mortureux, pour lequel j’ai beaucoup de respect.

Je connais assez bien l’ANSES. D’une part, le directeur général de la recherche et de l’innovation est membre de droit de son conseil d’administration – même si je n’y ai pas siégé moi-même. D’autre part, j’ai suivi la création de l’AFSSET et travaillé avec l’AFSSA, ainsi que je l’ai indiqué. La création d’une grande agence par fusion de l’AFSSA et de l’AFSSET était un enjeu majeur, et j’ai été frappé par l’excellent travail accompli par Marc Mortureux et ses équipes : ils ont fait de l’ANSES une agence d’excellence en appui à la décision publique dans le domaine de la prévention des risques sanitaires. Cinq ans après sa création en 2010, je crois qu’on peut dire que l’ANSES est une réussite.

L’ANSES est la plus grande agence de sécurité sanitaire en Europe par son champ de compétence, ce qui constitue indéniablement un progrès en matière de sécurité sanitaire. Elle couvre cinq domaines clés : l’alimentation et la nutrition, la santé et le bien-être des animaux, la santé du végétal, la santé environnementale et la santé au travail. Au niveau européen, ce champ est couvert par quatre agences de sécurité sanitaire : l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) – qui est chargée de la mise en œuvre du règlement concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH) –, l’Agence européenne des médicaments (EMA) et l’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail (EU-OSHA).

Le champ de compétence de l’ANSES a été encore élargi depuis sa création. En 2011, le laboratoire national de la protection des végétaux, qui dépendait auparavant du ministère de l’agriculture, lui a été rattaché. En 2015, la délivrance des autorisations de mise sur le marché des produits phytosanitaires lui a été transférée, en application de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt du 13 octobre 2014. Depuis le 1er janvier dernier, en application de la loi de modernisation du système de santé, elle assure le pilotage de la toxicovigilance, prenant à ce titre la suite de l’InVS. Enfin, à partir du 1er juillet 2016, elle délivrera également les autorisations de mise sur le marché des produits biocides, mission actuellement assumée par le ministère de l’environnement.

Compte tenu de ce spectre très large, l’ANSES emploie aujourd’hui 1 350 personnes, dont 70 % de femmes. Elle dispose d’un réseau de onze laboratoires, où travaillent environ 700 personnes, soit près de la moitié de ses effectifs, et qui sont implantés sur l’ensemble du territoire, au plus près des activités de terrain, des zones d’élevage et de culture, ce qui est indispensable pour recueillir des données permettant de faire progresser les connaissances scientifiques. L’ANSES exerce trois métiers : l’évaluation scientifique des risques sanitaires ; la délivrance – et, donc, le retrait, lorsque c’est justifié – des autorisations de mise sur le marché ; la référence et la recherche, au travers de son réseau de laboratoires.

Je suis absolument persuadé que c’est le caractère transversal des missions de l’ANSES qui fait son originalité et fonde sa capacité à émettre des avis et des recommandations utiles aux décideurs publics que vous êtes. L’ampleur du champ de compétence de l’ANSES lui permet de développer une approche transversale des risques, qui tient compte, pour chaque type de risque, de l’ensemble des expositions auxquelles un même individu peut être soumis, en tant que consommateur, travailleur ou citoyen. C’est une approche à la fois pluridisciplinaire et interdisciplinaire, dans laquelle les sciences humaines et sociales sont appelées à jouer un rôle de plus en plus important.

Tout cela confère au directeur général de l’ANSES une responsabilité que j’entends assumer pleinement si vous m’accordez votre confiance : éclairer, en toute indépendance, le débat et la décision publics sur la base de connaissances fondées scientifiquement. Cela implique de donner une information totale, non seulement sur ce que l’on sait du point de vue scientifique – ce qui est sans doute le plus facile à faire –, mais également sur ce que l’on ne sait pas, c’est-à-dire sur les limites de la certitude scientifique, dont la connaissance est indispensable à une décision publique éclairée. L’actualité législative, avec le projet de loi de modernisation du système de santé, voté il y a quelques mois, ou encore le projet de loi de reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, actuellement en navette, qui a notamment donné lieu à un débat sur les néonicotinoïdes, montre à quel point ces sujets sont sensibles.

J’en viens à mes priorités en matière de santé environnementale.

Il ne se passe pas un jour sans que les médias abordent un ou des sujets qui sont au cœur des responsabilités de l’ANSES. Au cours deux dernières semaines, ils ont notamment évoqué le glyphosate, le moustique tigre vecteur de maladies dans le sud-ouest, l’épizootie de grippe aviaire dans les élevages d’oies et de canards, la qualité de l’air et les pesticides, l’impact des radiofréquences, l’information nutritionnelle des consommateurs. On peut prolonger la liste avec les perturbateurs endocriniens – dont les critères d’identification continuent à faire l’objet d’un débat avec la Commission européenne –, la santé des abeilles, l’antibiorésistance, les résidus de substances chimiques dans l’alimentation, l’air et l’environnement, les travaux de veille sur le bisphénol – qui sont menés, entre autres, par l’ANSES –, l’impact des pesticides sur la santé, etc. Bref, on peut faire une liste à la Prévert ! Chacun de ces sujets étant essentiel aux yeux de nos concitoyens, il est extrêmement difficile de définir des priorités en matière de santé environnementale.

Je prends donc la pleine mesure des enjeux auxquels je serai confronté, d’autant que le champ de compétence de l’agence a été élargi, ainsi que je l’ai indiqué, à la gestion des autorisations de mise sur le marché, à la phytopharmacovigilance et à la toxicovigilance. Ma première priorité en matière de santé environnementale sera la mise en œuvre des dispositifs que je viens de citer. Il faut absolument coordonner, aux niveaux national et régional, les réseaux qui seront capables de conduire ces actions. Croyez bien que je m’attacherai à faire preuve de la même rigueur en matière d’autorisation de mise sur le marché qu’en matière de retrait du marché, lorsque cette démarche sera justifiée par de nouvelles informations ou données scientifiques.

De mon point de vue, l’ANSES est aussi une réussite en raison de son mode de gouvernance très ouvert, que l’on doit très largement à Marc Mortureux, et de la mise en œuvre d’une large concertation avec l’ensemble des acteurs concernés : les partenaires sociaux, les organisations professionnelles, les organisations non gouvernementales (ONG), les associations de consommateurs et, bien sûr, les cinq ministères de tutelle. L’agence peut être saisie par l’État, mais aussi par les acteurs de la société civile : les ONG, les associations et les partenaires sociaux. Elle peut également s’autosaisir. Cette ouverture ainsi que la mise en œuvre de la loi d’avril 2013 relative à l’indépendance de l’expertise en matière de santé et d’environnement et à la protection des lanceurs d’alerte permettent d’intégrer les préoccupations de tous les acteurs et des citoyens et de détecter les signaux faibles. Elles sont, de fait, le gage que nous prendrons bien en compte tous les risques qui méritent d’être évalués.

En matière de santé au travail, j’estime que l’ANSES doit jouer un rôle clé dans la mise en œuvre du plan santé au travail pour la période de 2016 à 2020, que la ministre du travail et de l’emploi a présenté en décembre dernier. Ce troisième plan met nettement l’accent sur la prévention, afin d’anticiper les risques professionnels et de garantir la bonne santé des salariés et la qualité de vie au travail. Cela implique un dialogue de qualité avec les partenaires sociaux et avec toutes les parties prenantes. En outre, l’agence anime le Réseau national de vigilance et de prévention des pathologies professionnelles (RNV3P) qui permet de recueillir auprès des centres antipoison des informations sur certains risques professionnels, sur lesquels elle peut ensuite décider de lancer des travaux spécifiques. Cette ouverture à la société civile est, pour moi, une caractéristique fondamentale de l’agence.

Je souhaite bien évidemment poursuivre dans cette voie, notamment au travers des très nombreux espaces d’échange qui ont été mis en place par mon prédécesseur, mais aussi en étant particulièrement attentif aux remontées de l’ensemble des acteurs, dans le respect du rôle de chacun. Je veillerai aussi, bien entendu, à maintenir une relation fructueuse et constructive avec chacun des cinq ministères de tutelle, afin que l’agence remplisse pleinement son rôle d’appui aux politiques publiques, dans le respect de son indépendance.

Assurer cette indépendance et maintenir le niveau d’excellence de l’expertise sont les points clés, me semble-t-il, de la mission du directeur général de l’ANSES telle que le législateur l’a souhaitée. Pour atteindre cet objectif, mon prédécesseur a mis en place un processus d’évaluation des risques basé sur une expertise à la fois collective et contradictoire, dont l’indépendance est très strictement protégée de tout risque d’influence d’intérêts particuliers, avec une très forte culture interne de remise en question permanente des pratiques et de refus de l’accoutumance, une traçabilité et une prise en compte des avis minoritaires. L’agence s’est dotée d’un cadre déontologique renforcé, en adoptant un code de déontologie de l’expertise en novembre 2012 – l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) vient de publier le sien – et en mettant en place un comité de déontologie et de prévention des conflits d’intérêts. Le scandale du Mediator, que nous avons tous en tête, et les événements qui défrayent encore régulièrement la chronique montrent à quel point rien n’est jamais acquis en la matière. L’indépendance de l’expertise doit être une préoccupation constante et faire l’objet d’une vigilance de tous les instants dans nos agences.

Ainsi que je l’ai indiqué, j’ai été, avec d’autres, à l’origine de la charte nationale de l’expertise scientifique, et je sais que le respect des procédures, même lorsqu’elles sont extrêmement strictes, ne fait pas tout. On ne peut pas laisser un agent de l’ANSES ou un expert, interne ou externe, seul face aux questions de déontologie. Il appartient au directeur général d’y veiller personnellement.

Pour mener à bien toutes ces missions, qui ont été renforcées, l’agence a besoin de moyens. Le budget de l’ANSES est, comme celui de l’État, contraint – ce n’est pas à vous que je l’apprendrai. Il s’élève actuellement à 136 millions d’euros, dont 90 millions de subvention pour charges de service public, le reste provenant des subventions pour des projets de recherche dans le cadre de programmes nationaux ou européens, des taxes affectées et des redevances, notamment sur les dossiers d’autorisation de mise sur le marché. J’ignore quelle est la valeur cible du budget d’une agence sanitaire : compte tenu des enjeux sanitaires, il pourrait être quasiment illimité ! Mais nous savons tous que tel n’est pas le cas. Dès lors, le directeur général doit agir en gestionnaire éclairé. Il faut faire des choix, hiérarchiser les priorités et garder un équilibre entre les différentes sources de financement. Surtout, l’agence doit entretenir des relations de confiance avec ses tutelles, de manière à être renforcée dans son positionnement et à obtenir le meilleur budget possible pour conduire ses missions en fonction des financements de l’État ; le reste est une question de priorisation.

Je voudrais résumer les cinq priorités qui pourraient être celles de mon mandat.

La première, c’est de renforcer la crédibilité et l’indépendance de l’agence, en confirmant l’excellence de son expertise et de sa recherche, en garantissant la transparence de ses méthodologies et de ses processus décisionnels, et en confortant l’organisation qui a été mise en place en 2015 lorsque la délivrance des autorisations de mise sur le marché lui a été transférée – celle-ci repose sur une séparation des rôles extrêmement rigoureuse. C’est là une condition sine qua non pour restaurer la confiance de nos concitoyens dans l’expertise sanitaire, qui est parfois très décriée.

Deuxième objectif : maintenir le très haut niveau d’expertise scientifique qui est actuellement celui de l’ANSES, grâce à une politique ciblée de soutien à la recherche et d’investissement qui permettra à ses laboratoires de développer leur rôle de référence et de se doter de moyens technologiques au meilleur niveau. Il importe également de maintenir le très haut niveau d’expertise scientifique du réseau d’experts extérieurs auxquels l’ANSES fait appel – ils sont environ 800 par an – avec une politique qui permette d’attirer et de renouveler les talents, dans le respect des règles extrêmement strictes mises en place pour prévenir les conflits d’intérêts – je sais que vous avez organisé, il y a quelques mois, des tables rondes sur la question de l’expertise. Selon moi, de ce point de vue, la situation de l’ANSES n’est pas tout à fait la même que celle des agences compétentes en matière de médicament ou de santé publique.

Troisième objectif : définir une stratégie scientifique qui permette d’être performant au quotidien tout en sachant se mobiliser dans l’urgence en cas de crise. Ces deux temps différents doivent être gérés, non seulement au sein des laboratoires et des entités d’évaluations de l’ANSES, mais également dans leur interaction avec les autres établissements, notamment avec les organismes de recherche tels que l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) ou l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM). Il s’agit de mieux anticiper les risques émergents et de détecter les signaux faibles afin d’orienter très en amont non seulement les travaux de l’agence, mais aussi ceux des autres opérateurs publics de recherche. En effet, ainsi que le prévoit le décret relatif à l’ANSES, l’agence a pour mission de coordonner et d’animer un vaste réseau d’organismes publics français – le réseau R31 – qui agissent dans son domaine d’expertise. Il est indispensable que l’ANSES se coordonne avec les autres agences de financement de la recherche en santé publique, afin de couvrir l’ensemble des champs – il ne doit pas y avoir de « trou » dans le dispositif – et de mieux se structurer au niveau européen. Les choix stratégiques qui seront opérés doivent nous donner un temps d’avance et assurer une grande réactivité de l’agence en cas de crise.

Quatrième objectif : renforcer l’ouverture de l’agence et le dialogue avec les parties prenantes et la société. Il s’agit non seulement de poursuivre ce dialogue au sein des instances de l’agence, mais aussi de contribuer au débat public dans ses domaines de compétence, en le nourrissant d’informations scientifiques de référence. Le point commun de tous les sujets sanitaires, surtout ceux qui sont marqués par une forte incertitude – lorsque la toxicité est avérée, les sujets sortent, de fait, du champ des agences –, c’est le manque de connaissances scientifiques. D’où l’attente à l’égard de la recherche publique indépendante. Je considère que l’ANSES doit être proactive, communiquer plus et mieux en s’adressant à un public le plus large possible sur la base de ses travaux scientifiques. Il est essentiel de fournir une information exhaustive sur les connaissances disponibles sur lesquelles se fonde la décision publique : c’est le gage de la transparence. Il nous faut communiquer plus et mieux sur les risques et les incertitudes, davantage d’ailleurs que sur le principe de précaution, qui fait l’objet d’un débat complexe à appréhender pour nos concitoyens.

Cinquième priorité : gagner en visibilité et en reconnaissance, se développer aux niveaux européen et international, pour mieux peser sur les normes, sur les standards et les référentiels, et sur les décisions prises aux niveaux communautaire et mondial. L’agence conduit une politique très active au niveau international. Elle constitue un modèle qui intéresse beaucoup nos partenaires, en Europe et au-delà. Le fait de pouvoir fonder notre expertise scientifique et de garantir que les décisions et les avis formulés reposent sur un socle scientifique extrêmement solide doit nous permettre de renforcer nos positions. Nos partenaires doivent comprendre que notre analyse est fondée sur des règles qui sont opposables. La crédibilité de notre expertise doit servir d’appui lors des négociations européennes et internationales où il s’agit de faire valoir le point de vue la France. À cet égard, l’ANSES doit apporter les arguments nécessaires pour soutenir les positions françaises dans ces négociations.

Je souhaite bien entendu que l’ANSES reste à la disposition de votre commission. Je considère qu’éclairer la représentation nationale dans le cadre de ses travaux fait partie du rôle de l’agence. Je me suis livré à cet exercice chaque fois que j’y ai été invité.

M. Arnaud Richard. Le groupe Union des démocrates et indépendants se réjouit de vous accueillir devant notre commission, monsieur le directeur général. Nous souhaitons recueillir votre analyse sur deux dossiers qui nous semble constituer des enjeux majeurs pour le prochain directeur général de l’agence, fonction que vous avez toutes les qualités pour exercer.

Ma première question porte sur la stratégie internationale de l’agence, que vous avez déjà largement évoquée. Je pense notamment aux enjeux d’harmonisation des réglementations scientifiques au niveau européen. Selon vous, quels outils l’ANSES serait-elle à même de mettre en place pour faciliter les échanges et les réflexions en la matière, et influer sur les directives qui peuvent en résulter ?

Ma deuxième question concerne la santé au travail, point dont nous n’avons malheureusement pas pu discuter dans le cadre du funeste débat sur le projet de loi « travail » – mais il y a aura un match retour. Vous n’êtes pas sans connaître les nouveaux enjeux en matière de santé au travail. Alors que les objets connectés deviennent la norme et que la barrière entre la vie privée et la vie professionnelle devient de plus en plus poreuse, quelle dynamique souhaitez-vous insuffler afin d’accompagner les entreprises et les branches professionnelles pour leur permettre de mieux appréhender les questions relatives à la santé au travail et de développer les outils adaptés sur ces sujets ?

M. Gérard Bapt. Compte tenu de vos compétences scientifiques et administratives et des différentes fonctions que vous avez assumées, notre commission ne discutera très probablement pas du bien-fondé de votre nomination, qui a été proposée par le Gouvernement.

Vous prenez la tête d’une agence d’excellence – vous l’avez dit vous-même –, à la suite du directeur général qui l’a portée sur les fonts baptismaux. Au cours des dernières années, à la différence d’autres agences, l’ANSES n’a pas posé de problème particulier donnant lieu à des interrogations, voire à des polémiques ou à des interpellations médiatiques.

L’ANSES est née de la fusion de l’AFSSA et de l’AFSSET. En 2009, plusieurs parlementaires s’intéressant aux questions de santé environnementale, mais aussi certaines personnes au sein des rangs gouvernementaux, craignaient que la grosse AFSSA ne digère la petite AFSSET, gommant ainsi ce que cette dernière avait apporté de nouveau, à savoir la transparence, l’ouverture à la société civile et une meilleure gestion des liens d’intérêt, alors que les relations entre l’AFSSA et l’industrie avaient souvent posé problème. Un certain nombre de députés et de sénateurs issus de toutes les formations politiques avaient alors adressé une pétition au Premier ministre. Cependant, je dois dire que la fusion telle qu’elle s’est passée a tenu compte de nos préoccupations : les aspects novateurs de l’AFSSET ont été préservés.

En tout cas, vous aurez beaucoup de pain sur la planche. Des problèmes se posent en matière d’effectifs, de nouvelles missions ayant été attribuées à l’ANSES, notamment la délivrance des autorisations de mise sur le marché des produits phytosanitaires et des biocides, ainsi que la toxicovigilance, en vertu de la loi « santé ». Sur ces questions, un certain nombre d’entre nous seront d’ailleurs amenés à être en relation directe avec vous.

Parmi les sujets d’actualité, vous avez cité le problème du bisphénol. C’est grâce à la nouvelle agence que le débat très contradictoire qui était né sur le bisphénol a pu être tranché in fine par le Gouvernement de l’époque. Elle avait reconnu les effets sanitaires que pouvait avoir ce type de produit, véritable perturbateur endocrinien, alors qu’ils étaient totalement niés jusque-là.

Ainsi que vous l’avez souligné, vous aurez aussi à traiter, au niveau européen, de la définition de la perturbation endocrinienne. Celle-ci aura de lourdes conséquences sur les autorisations de mise sur le marché – ou, au contraire, sur le retrait de tel ou tel produit –, ainsi que sur le degré de précision des recommandations dont seront assorties, le cas échéant, ces autorisations.

Autre sujet au cœur de l’actualité : le glyphosate. Si j’ai bien compris, l’ANSES demande des études complémentaires pour essayer de sortir du débat actuel : faut-il considérer seulement le glyphosate ou bien le produit Roundup qui contient des substances associées, notamment des adjuvants ? Je note qu’une quarantaine d’ONG ont demandé à la Commission européenne de refuser la prolongation de l’autorisation, ou de limiter celle-ci dans le temps en attendant que nous disposions de tous les éléments pertinents. Je suppose que l’ANSES sera très attentive à ce dossier.

Enfin, il y a la question ô combien actuelle de ces pesticides particuliers que sont les néonicotinoïdes. Ils sont beaucoup plus efficaces que le dichlorodiphényltrichloroéthane (DDT) qui a été retiré du marché, et nous avons constaté une augmentation exponentielle de leurs ventes, en France et dans le monde. Ce qui me choque le plus dans cette affaire, c’est qu’ils ont été mis sur le marché dans l’ignorance absolue de leurs éventuels effets sanitaires à long terme, sans qu’aucune étude n’ait été conduite en la matière. On a commencé à les étudier surtout par le biais des abeilles, mais, aujourd’hui, un certain nombre d’éléments apparaissent sur leurs effets sanitaires. Il s’agira clairement d’un sujet de préoccupation pour vous.

M. Bernard Accoyer. Je vous remercie, monsieur le directeur général, d’avoir retracé votre parcours et de nous avoir fait part des convictions que vous vous êtes forgées au cours de celui-ci.

Je souhaite aborder un problème général qui concerne toutes les agences, en particulier l’ANSES. Depuis quelques années, les agences ont pris une place considérable, les pouvoirs publics se déchargeant de plus en plus sur elles, par nécessité, mais aussi, il faut le dire, pour des raisons politiques et, parfois même, par manque de courage politique. Je vais vous soumettre un problème pratique qui a été soumis à l’ANSES elle-même, en vous racontant l’histoire du bouquetin du Bargy. Celle-ci concerne toutes les compétences de l’ANSES : la sécurité alimentaire, la santé et le bien-être animal, la santé végétale, la santé humaine, la santé au travail et la santé publique. Vous connaissez cette histoire, mais j’y reviens, car elle est grave : elle témoigne d’une inversion des priorités. Les problèmes sûrement réels que vous avez mentionnés – en disant qu’on pouvait en faire une liste à la Prévert – ne doivent pas faire oublier les problèmes antérieurs, à savoir les maladies infectieuses que l’humanité a mis si longtemps à maîtriser. Ils peuvent avoir des conséquences pour la santé, mais celles-ci ne sont pas du niveau des risques que font courir les agents infectieux. Vous avez cité quelques agents de nature virale ; pour ma part, je vais vous parler de risque microbien.

L’histoire du bouquetin du Bargy a commencé en 2012 avec deux cas humains de brucellose diagnostiqués dans une ferme du Grand-Bornand, dans le massif des Aravis. La brucellose est une maladie grave, dont on ne guérit jamais sans séquelles, le cas échéant invalidantes, les antibiotiques n’agissant pas parfaitement sur la Brucella. Tel a été le cas pour les deux jeunes qui ont été frappés en 2012.

L’enquête épidémiologique, admirablement conduite par les services de l’État, a révélé une infection importante de la population sauvage de bouquetins dans le Bargy, petit massif de la chaîne des Aravis, où les troupeaux sont conduits en alpage l’été. Face à cette situation, les services de l’État ont adopté une attitude tout à fait rationnelle : après avoir établi que le taux d’infection du cheptel dépassait 30 % et s’être assuré que les troupeaux de bouquetins vivant dans les autres massifs de la chaîne n’étaient pas contaminés, ils ont prévu un abattage total des bouquetins du Bargy, soit environ 300 têtes, puis une réintroduction après une période de sécurisation sanitaire.

L’opération a débuté, mais s’est vite heurtée à l’obstruction d’associations militantes. Il ne s’est plus rien passé jusqu’à ce que Mme la ministre de l’environnement reprenne, à l’occasion d’une visite dans le département de la Haute-Savoie en 2014, la conclusion unanime de tous les vétérinaires et de tous les médecins infectiologues : il fallait « assainir » et « réintroduire » – ce sont les mots qu’elle a prononcés en public, à plusieurs reprises. On s’attendait donc à ce que l’abattage ait lieu à l’automne 2014, avant la période de rut. C’était compter sans la pression des ONG, qui ont poussé la ministre à ne rien faire et à saisir l’ANSES.

L’ANSES a alors émis un avis d’une hypocrisie totale, qui ne veut rien dire et qui supposerait des prélèvements impossibles à faire, dans des conditions menaçant la sécurité des agents de l’État. Dans un pays tel que la France, héritier des Lumières et de la rationalité, c’est absolument désolant ! L’agence a cédé à la pression des militants d’un certain nombre d’ONG – vous avez insisté sur la nécessité du dialogue et des échanges, je suis donc au cœur du sujet. Ces ONG s’appuient non pas sur des arguments scientifiques – vous avez pourtant souligné qu’ils devaient toujours prévaloir –, mais sur d’autres considérations, que l’on peut comprendre, mais qui ne sont pas scientifiques. On parle toujours des conflits d’intérêts ; en l’espèce, nous avons affaire à un conflit idéologique. L’ANSES est confrontée à un certain nombre de conflits de cette nature.

Des directives seront peut-être données prochainement. Elles risquent de confondre allègrement l’abattage indispensable de la population de bouquetins infectés dans le massif du Bargy – le taux d’infection dépassant désormais 40 % – avec la gestion de l’espèce, qui prolifère dans les massifs alpins. Il s’agit d’une espèce sauvage protégée, mais qui n’est nullement menacée. Rappelons que la maladie est douloureuse chez l’animal et que l’on voit des bouquetins souffrir physiquement à l’œil nu. On estime toutefois qu’il ne faut pas les abattre, parce que cela choque un certain nombre d’observateurs.

L’attitude qui consiste à dire qu’il ne faut pas toucher aux animaux et qu’il faut procéder à des prélèvements, en réalité symboliques, est de plus en plus dangereuse. Par exemple, on se rend compte aujourd’hui que la multiplication des cas de maladie de Lyme, laquelle peut avoir des complications extrêmement invalidantes pour certaines personnes, est liée à la prolifération des cervidés.

Je vous invite à porter un regard sur cette attitude. En l’adoptant, on tourne le dos aux connaissances scientifiques, auxquels on devrait pourtant donner la priorité et qui sont, avez-vous dit, votre obsession. Avec une telle attitude, les responsables publics laissent le pouvoir à des militants qui mènent une véritable bataille idéologique, au mépris de la rationalité. Plus grave : ils prennent des décisions erronées qui pourraient un jour les mener
– je pèse mes mots – devant la Cour de justice de la République.

Il faudrait sans doute des procédures d’évaluation des agences elles-mêmes, afin d’éviter qu’elles connaissent une dérive les empêchant de remplir la mission pour laquelle elles ont été créées.

M. Jean-Louis Roumégas. Je copréside avec une collègue le groupe d’études sur la santé environnementale, j’ai travaillé sur les perturbateurs endocriniens et je suis l’auteur d’une proposition de loi visant à intégrer le principe de substitution dans le cadre réglementaire national applicable aux produits chimiques.

Ainsi que Mme la présidente l’a mentionné en introduction, une des questions qui se pose est celle de l’exposome. L’agence est souvent saisie à propos d’une substance donnée, considérée séparément des autres, même si, dans le cas du glyphosate, on étudie le produit vendu dans son ensemble. D’autre part, peu d’études sont en cours sur les expositions multiples que subissent les individus. Or la notion d’exposome, que nous avons intégrée dans le code de la santé publique, souligne la multiplicité et la complexité des expositions tout au long de la vie, ainsi que la difficulté d’évaluer l’impact sanitaire de ces expositions multiples et de dégager les responsabilités tant du point de vue scientifique que du point de vue juridique. Car la question est aussi juridique : selon moi, une évolution tant du droit que des politiques publiques s’impose si nous voulons réellement protéger la population non pas contre le risque de maladies infectieuses – qui reste, bien sûr, toujours d’actualité –, mais contre celui de maladies non transmissibles, qui ne cesse de croître, si l’on en croit l’Organisation mondiale de la santé (OMS), et dont les causes sont souvent liées au mode de vie ou aux expositions environnementales. Comment la notion d’exposome pourrait-elle être prise en compte dans les objectifs scientifiques et opérationnels de l’ANSES ? Quelles sont vos éventuelles réflexions à ce sujet ? Comment pensez-vous les mettre en œuvre ?

Vous avez indiqué que le rôle de l’ANSES était avant tout d’aider à la décision politique, mais vous avez aussi évoqué d’autres missions qui me paraissent de plus en plus nécessaires.

Je pense d’abord au lien avec les citoyens. Ceux-ci ont besoin d’une expertise et de conseils. L’agence prodigue des recommandations, mais elles ne sont pas toujours accessibles au grand public. En outre, on ne peut pas se promener dans un supermarché avec un ordinateur connecté au site de l’ANSES ! Comment améliorer cette communication ?

Je pense aussi au lien avec les entreprises. Il apparaît de plus en plus nécessaire d’apporter un soutien technique et scientifique aux entreprises qui veulent faire de la substitution, afin de répondre à des alertes, ou plus simplement, à une demande des consommateurs, lesquels sont un peu ballottés entre des informations contradictoires. Comment développer le lien avec les entreprises ?

Je pense, enfin, au lien avec le niveau européen. La situation est très complexe : la réglementation européenne et la réglementation nationale s’imbriquent ; les politiques publiques sont censées s’appuyer sur les avis des agences, mais ceux de l’ANSES – en qui j’ai, pour ma part, toute confiance – et ceux des agences européennes sont parfois contradictoires, au moins en partie. Comment gérer ces contradictions ? Comment mieux articuler le niveau européen et le niveau national ? Ne faut-il pas mieux répartir les rôles et les tâches entre les agences européennes et les agences nationales ? Ne doivent-elles pas coopérer davantage pour être plus efficaces ?

M. Michel Liebgott. Je souhaite vous faire part de quelques anecdotes qui illustrent ce que nous pouvons vivre et la difficulté que peuvent avoir nos concitoyens à appréhender les dangers.

En tant que maire, j’ai connu à une certaine époque le problème des pesticides, en particulier de l’atrazine. On l’a à peu près réglé. Cela étant, beaucoup de gens vont cueillir des pommes dans les champs, pensant qu’elles sont parfaitement comestibles et même meilleures que celles que l’on achète au supermarché. Je vous pose la question : qu’en est-il ? lesquelles sont meilleures ? Pour ma part, très sincèrement, je n’en sais strictement rien.

Je préside le groupe d’études sur la sidérurgie et la fonderie, secteurs où l’amiante a malheureusement sévi. La vallée de la Fensch est d’ailleurs considérée comme la « vallée des cancers », peut-être aussi pour d’autres raisons, notamment la pollution. Le débat porte toujours sur l’équilibre à trouver entre l’économie et les nuisances.

Non loin de là se trouve la centrale nucléaire de Cattenom, très contestée par les Luxembourgeois, qui seraient en effet les premières victimes en cas d’accident.

Dans d’autres fonctions, j’ai été confronté au problème de la construction de maisons au-dessous de lignes à haute tension qui, selon certains, étaient susceptibles de provoquer des leucémies et des cancers chez les animaux et, peut-être aussi, chez les humains.

Tous ces sujets sont d’une extrême complexité. Pour les néophytes que nous sommes, il est très difficile de les expertiser et de donner des conseils. Or il faut tenir un discours très clair à la population. Nous devons en tout cas progresser dans cette direction. Sur certains sujets, les choses sont claires – par exemple, on sait que le tabac est nocif –, mais, sur d’autres, elles peuvent s’avérer très complexes.

Je termine par deux autres anecdotes. La mise en place d’un crapauduc a bloqué pendant six mois à un an la construction d’une route d’intérêt national le long du Luxembourg. Je n’en veux pas aux écologistes, mais cela nous a empêchés d’avancer au rythme voulu. À ce propos, le président du conseil départemental de la Moselle – dont je ne partage par les idées – dit souvent que l’on veut toujours « des projets utiles, mais ailleurs », les fameux PUMA !

Enfin, la vaccination, sujet cher à Mme la présidente, fait aujourd’hui débat. Certes, il faut vacciner, mais j’entends beaucoup de gens qui sont extrêmement réservés. J’ai moi-même eu un incident de santé il y a cinq ans – une diplopie liée à une paralysie des nerfs crâniens qui a duré cinq jours –, dont la seule explication possible est une vaccination. Sur ce sujet comme sur beaucoup d’autres, la population est très mal informée.

Mme la présidente Catherine Lemorton. C’est un peu le principe de précaution poussé à l’extrême. Certes, la vaccination n’est jamais anodine : on sait très bien qu’elle peut entraîner des effets secondaires. Mais, si l’on fait un bilan bénéfices-risques, on se rend compte que les vaccins ont largement contribué à l’éradication des maladies infectieuses, évoquée tout à l’heure par M. Accoyer. De mon point de vue, cela ne fait aucun doute.

M. Gérard Sebaoun. Vous avez raison, madame la présidente : le bilan bénéfices-risques pour les vaccins est fondamentalement favorable. Surtout, défendons la vaccination !

De plus en plus d’agents chimiques sont classés CMR – cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction. La question qui se pose est celle de la substitution. Intervenant lors d’un colloque organisé par l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) il y a deux ans, William Dab, ancien directeur général de la santé, professeur au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), avait dressé un tableau extrêmement sombre concernant la santé au travail : les risques étaient très élevés, et le champ restait relativement méconnu malgré les travaux européens et français et la transposition des directives européennes dans notre droit. J’avoue que j’en étais sorti très inquiet pour la santé des salariés concernés, dont on ne savait pas mesurer l’exposition et dont on ne savait pas quel serait le nombre à l’avenir.

À cet égard, on sait que les lobbys, notamment celui de l’industrie chimique, sont très actifs au niveau européen. Selon vous, leur action est-elle nuisible ? Peut-elle freiner la substitution à laquelle il est nécessaire de procéder pour des substances extrêmement dangereuses pour la santé humaine ?

Mme Martine Carrillon-Couvreur. J’ai apprécié la façon dont vous avez présenté votre action, monsieur le directeur général, en particulier vos cinq priorités, que nous pouvons partager. Nous aurons sans douter l’occasion d’échanger à nouveau avec vous pour voir où nous en sommes sur les différents sujets qui ont été évoqués.

Je voudrais vous alerter sur les risques liés à l’utilisation des pesticides en milieu rural. J’avais été alertée sur la question des abeilles, mais une visite que j’ai faite récemment dans une école n’a fait que m’inquiéter un peu plus. Les enfants ont en effet expliqué, dans l’exposé des motifs d’une proposition de loi qu’ils ont préparée pour le Parlement des enfants, que treize des vingt-six élèves de leur classe étaient allergiques ou asthmatiques, et que six d’entre eux manquaient en moyenne une semaine par mois. J’ai discuté ensuite avec l’inspectrice et l’enseignant : ces enfants vivent dans un environnement rural, de même que beaucoup d’autres dans ce département de la Nièvre. Comment suit-on concrètement ces situations ? Comment accompagne-t-on les personnes concernées ? Comment allez-vous renforcer la coordination avec les territoires, notamment avec les régions et les départements ? Envisagez-vous d’amplifier les remontées d’information ? Comment allez-vous vous assurer que les risques sont connus dans nos territoires ? Il faut vraiment que nous nous préoccupions de ces sujets nombreux et complexes, même s’il ne s’agit pas de dramatiser.

Nous sommes aussi régulièrement alertés sur la question de l’eau, en particulier sur la pollution des rivières. Je pensais que nous étions parvenus, dans notre pays, à une certaine maîtrise en matière d’entretien des rivières, mais je suis frappée de constater que la situation n’est pas du tout satisfaisante dans certaines zones. Là encore, c’est un problème dont nous devons vraiment nous préoccuper. Disposez-vous d’informations à ce sujet ?

M. Gilles Lurton. Je vous remercie, monsieur le directeur général, pour votre présentation.

À l’instar de Gérard Bapt et de Martine Carrillon-Couvreur, je souhaite évoquer le problème des néonicotinoïdes. Dans le cadre de l’examen du projet de loi « biodiversité », le Sénat est revenu sur la décision prise par l’Assemblée nationale d’interdire leur utilisation à partir du 1er janvier 2018. Il me semblait – mais cela a été contesté au cours des débats – que l’ANSES avait recommandé d’encadrer l’utilisation des néonicotinoïdes plutôt que de les supprimer totalement, car cela pourrait conduire les agriculteurs dans des impasses techniques. Pouvez-vous nous le confirmer ? Pour ma part, j’étais plutôt enclin à suivre ces recommandations. Depuis lors, j’ai continué à travailler sur le sujet, et ma position a un peu évolué.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Nous sommes interpellés régulièrement dans nos circonscriptions par des associations et des collectifs sur les dangers que représenteraient les émetteurs-récepteurs de téléphonie mobile. L’ANSES s’est déjà exprimée sur le problème des ondes. Néanmoins, selon vous, est-ce encore un sujet à suivre, qu’il s’agisse de rassurer définitivement nos concitoyens ou non ?

Dans le cadre de la loi « santé », la ministre de la santé et les parlementaires se sont beaucoup battus, notamment face au puissant lobby de l’agroalimentaire, pour mettre en place un étiquetage nutritionnel. Il y aura donc un double étiquetage : l’un sera géré par le secteur agroalimentaire lui-même, plus précisément par l’Association nationale des industries alimentaires (ANIA), l’autre par les pouvoirs publics. Je pense que, à un moment donné, tous les acteurs concernés se mettront autour de la table pour s’entendre sur les mêmes « codes ». Quel sera le rôle de l’ANSES dans le suivi de cet étiquetage nutritionnel ?

M. Roger Genet. Ainsi que M. Bapt l’a souligné, en 2009, on pouvait avoir des craintes concernant la fusion entre l’AFSSA, dont on connaissait les liens avec la profession et qui employait 1 300 personnes, et l’AFSSET, qui n’en employait que 130. Il n’était pas gagné d’avance que cela donnerait un ensemble cohérent. Aujourd’hui, tout le monde se réjouit de voir ce que le premier directeur général et son équipe ont fait de l’ANSES : l’agence est bien construite, extrêmement bien perçue, et ses avis n’ont pas été remis en cause.

De plus, l’ANSES a pu absorber les nouvelles missions que l’État lui a confiées. Néanmoins, cela reste un défi pour l’agence d’assurer à la fois l’évaluation des risques et la délivrance des autorisations de mise sur le marché, d’autant que ce modèle ne se retrouve pas nécessairement au niveau international. Notons toutefois que, au sein de l’AFSSA, l’Agence nationale du médicament vétérinaire (ANMV) exerçait déjà ces deux missions dans le domaine particulier du médicament vétérinaire.

La création de l’ANSES a préfiguré la réflexion conduite par le ministère de la santé sur la réorganisation du système d’agences, lesquelles étaient très nombreuses. On a cherché à réduire le nombre des agences et à créer un système plus lisible et cohérent, avec des responsabilités claires pour chacune d’entre elles Il faut absolument que ce système soit compréhensible pour les citoyens, mais aussi pour les acteurs eux-mêmes, ceux du monde sanitaire comme ceux du monde de la recherche et de l’expertise. Cela va également nous aider à mieux nous intégrer au niveau européen. Ainsi que je l’ai indiqué, face à l’ANSES au niveau national, il existe quatre agences au niveau européen.

La création de l’Agence nationale de santé publique (ANSP) participe de cette rationalisation du système d’agences. La direction générale de la santé (DGS) joue un rôle de coordination. L’ANSES participe à de nombreuses réunions de coordination : réunion hebdomadaire de sécurité sanitaire, sous l’égide de la DGS ; réunion mensuelle du système d’agences, également animée par la DGS ; réunions bilatérales de l’ANSES avec chacune de ses tutelles ; réunion trimestrielle avec les cinq tutelles.

Madame Carrillon-Couvreur, la question de la pollution des rivières relève des agences de l’eau, qui sont coordonnées et financées par l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques (ONEMA). Pour sa part, l’ANSES s’occupe des eaux de boisson et de la qualité des eaux de baignade.

Monsieur Liebgott, les risques liés aux activités nucléaires relèvent de la compétence de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). C’est d’ailleurs à ce titre que l’institut est une agence sanitaire.

Quant à la vaccination, madame la présidente, elle entre dans le champ couvert par l’ANSP. En tant que directeur général de l’ANSES, je n’aurai pas d’avis à donner sur la question.

S’agissant de tous les autres sujets que vous avez évoqués, mesdames, messieurs les députés, je ne suis pas en mesure de vous répondre précisément sur la teneur des avis déjà rendus par l’ANSES, mais je suis bien conscient qu’il s’agira de priorités absolues pour moi au cours des prochaines semaines ou des prochains mois.

L’ANSES est très impliquée sur la question des perturbateurs endocriniens. Elle coordonne la stratégie nationale en la matière, de même que le plan national santé environnement et le plan national sur les résidus de médicaments dans les eaux. Elle finance, sur appels à projets, des travaux de recherche dans le domaine de la santé environnementale pour environ 5 millions d’euros par an. Il est très important qu’elle puisse continuer à soutenir de tels travaux.

La question de l’harmonisation, au niveau européen, des critères d’identification des perturbateurs endocriniens est essentielle. La ministre de l’environnement a d’ailleurs saisi l’ANSES au début du mois de mai en lui demandant de s’impliquer pleinement au niveau européen pour faire valoir le point de vue de nos acteurs sur cette classification. En 2012, l’ANSES avait rendu un avis sur la question. Le 25 avril dernier, l’INSERM a publié une étude dont les conclusions sont totalement cohérentes avec l’avis de l’ANSES. Il nous reste donc à parvenir à un point de vue partagé au niveau européen.

L’ANSES doit continuer à exercer une veille sur les études concernant le bisphénol. Les équipes du CEA continuent à travailler non seulement sur le bisphénol A, mais aussi sur ses substituts, les bisphénols F et S, qui pourraient – c’est un euphémisme – présenter autant d’inconvénients que le bisphénol A lui-même. Encore une fois, il est important que l’ANSES puisse financer, sur appels à projets, des travaux conduits en dehors de ses propres laboratoires. Ce faisant, elle joue un rôle de coordination essentiel.

Nous avons besoin d’un corpus scientifique beaucoup plus détaillé sur le glyphosate. Nous disposons déjà de travaux sur le glyphosate en association avec un certain nombre de coformulants. Certaines formulations sont déjà interdites, notamment en Allemagne. L’ANSES est en train de prendre position à cet égard vis-à-vis des industriels. En tout cas, il faut attendre la décision qui sera prise demain au niveau européen sur la prolongation ou non de l’autorisation de mise sur le marché du glyphosate en tant que principe actif – la France prendra part au vote. Les décisions sur les principes actifs sont communautaires, mais ce sont ensuite les autorités nationales qui prennent position sur chaque produit commercialisé. Ainsi, si l’autorisation de mise sur le marché du glyphosate est prolongée, l’ANSES, qui a pour mission de délivrer les autorisations de mise sur le marché, se prononcera sur chaque produit et chaque formulation contenant du glyphosate. Le point le plus important, en la matière est que l’ANSES ait la capacité de mener des expertises en toute indépendance sur chaque produit.

Lorsque les néonicotinoïdes ont été introduits, en substitution au DDT, on considérait qu’ils présentaient de nets avantages par rapport au DDT, dont la toxicité aiguë a été démontrée. On constate aujourd’hui qu’ils peuvent avoir des inconvénients, qu’il s’agit désormais d’objectiver, produit par produit. Nous verrons, à l’issue de la navette parlementaire, ce qui est demandé à l’ANSES dans la loi « biodiversité ».

Monsieur Roumegas, l’évaluation des avantages et des inconvénients des produits de substitution aux produits phytosanitaires est une priorité pour l’ANSES. L’agence ne répond pas simplement aux demandes de mise sur le marché : elle évalue aussi les stratégies alternatives. Prenons l’exemple de la culture des bananiers outre-mer. Le traitement de certaines maladies étant obligatoire, la question qui se pose est soit de supprimer complètement les cultures, soit d’utiliser les produits actuellement employés pour traiter ces maladies, soit de recourir à des substituts. Dans ce cas comme dans les autres, l’ANSES doit prendre en compte l’ensemble des considérants pour apporter à la puissance publique les différents éléments d’éclairage qui lui permettent de fonder sa position.

S’agissant des bouquetins du Bargy, monsieur Accoyer, je me garderai de commenter l’appréciation que vous portez sur l’avis de l’ANSES, car je ne le connais pas en détail. En tout état de cause, sur chacun des sujets qui ont été abordés, qu’il s’agisse des bouquetins ou des autres, l’ANSES doit rendre les avis les plus clairs possibles afin qu’ils soient utiles à la décision publique. Il lui appartient de faire ressortir les avantages et les inconvénients des différentes options qui s’offrent aux décideurs. Reste qu’il y a une séparation claire entre l’évaluation des risques, qui relève de l’ANSES, et la gestion des risques, qui revient au ministre et aux administrations compétentes. L’agence n’est à la fois évaluateur et gestionnaire des risques que dans un seul cas : lorsqu’elle délivre les autorisations de mise sur le marché des produits vétérinaires, phytosanitaires ou biocides. Elle statue alors en toute indépendance, le ministre de l’agriculture conservant toutefois un droit de veto.

Les sujets que vous avez mentionnés sont tous très complexes. Je ne connais pas encore suffisamment les dossiers au fond pour vous donner la position de l’ANSES sur tel ou tel point, mais, si j’ai l’honneur d’être nommé directeur général, je reviendrai volontiers devant vous pour éclairer le rôle et le positionnement de l’agence sur chacun de ces sujets, pour indiquer, le cas échéant, en quoi nous pouvons améliorer notre évaluation des risques, pour expliquer jusqu’où l’agence peut aller ou, au contraire, indiquer la limite au-delà de laquelle elle ne peut pas aller s’agissant de la gestion des risques.

L’ANSES continue à s’impliquer sur la question des radiofréquences, madame la présidente. Elle a mis en place et anime un groupe de parole sur la question avec l’ensemble des parties prenantes. D’après les travaux scientifiques menés à ce jour, il n’y a pas de lien direct entre l’hypersensibilité et l’exposition aux radiofréquences, mais nous devons absolument continuer à collecter et accumuler des données afin de vérifier l’absence de risque ou, au contraire, mettre en évidence un risque à court, moyen ou long terme. C’est toute la question du risque zéro ou de l’absence de risque, qui est très difficile à objectiver. Lorsqu’un risque existe, on peut le quantifier. Mais lorsqu’on ne voit pas de risque, on dispose seulement d’un faisceau d’arguments, et c’est alors le niveau d’incertitude, le niveau sur une échelle de risque, qu’il faut absolument arriver à évaluer pour éclairer la prise de décision publique.

J’en viens à l’action de l’agence au niveau européen. D’une part, il convient d’encourager fortement la présence des représentants de l’agence et des experts scientifiques français au niveau européen, afin de faire valoir les travaux scientifiques qui sont conduits en France. L’agence doit amener le plus possible de leaders d’opinion et de scientifiques qui ont des connaissances ou ont mené des études ou des évaluations à contribuer aux réflexions au niveau européen et à peser sur les décisions qui y sont prises.

D’autre part, il importe de nouer des relations directes et étroites avec l’EFSA et les autres agences sanitaires européennes – je m’y impliquerai personnellement – afin notamment d’acquérir une bonne compréhension réciproque des normes et des procédures de chacune de nos agences. Car celles-ci diffèrent. Par exemple, les avis rendus par l’EFSA sont, en réalité, ceux de ses comités : c’est le président du comité chargé d’évaluer telle ou telle question qui forge l’avis de l’EFSA. Au niveau national, les comités de l’ANSES font un travail de fond, mais c’est ensuite l’agence et son directeur général qui rendent un avis sur cette base.

Pour construire notre posture au niveau européen, il faut que nos processus d’évaluation soient parfaitement fondés et opposables, de telle sorte que nos évaluations ne soient pas remises en cause lorsque nous les mettons sur la table, voire qu’elles fassent loi. Nous devons donc être irréprochables, tout d’abord, en ce qui concerne la qualité et l’indépendance des experts car, lorsque l’on critique l’avis d’une autre agence, c’est souvent l’indépendance du comité d’experts qui l’a rendu que l’on met en doute. Nous devons être irréprochables, ensuite, en ce qui concerne le fond scientifique, l’étude elle-même, à partir de laquelle nous forgeons l’avis que nous rendons. Et, lorsque nous sommes amenés à évaluer un niveau d’incertitude, nous devons le faire en travaillant de plus en plus en commun, de façon à avoir une approche du risque et de l’incertitude qui soit partagée au niveau européen, voire au niveau international.

J’ai été frappé par la position défendue par les États-Unis, dans le cadre des négociations sur l’accord de libre-échange, à propos des poulets traités avec des solutions chlorées. Les Américains nous opposent le fait que le chlore n’est pas toxique et n’a pas d’impact sur la santé. En disant cela, ils font preuve d’une méconnaissance totale de l’approche sanitaire française : la question est non pas celle de la toxicité du chlore – nous en mettons nous-même dans nos piscines –, mais celle de la traçabilité dans la chaîne alimentaire, qui est un impératif pour nous. Le chlore masquant certaines traces, des produits ayant une durée de vie excessive par rapport aux normes en vigueur chez nous pourraient se retrouver sur le marché. Il faut vraiment que nous comprenions et acceptions mutuellement le fondement de nos politiques sanitaires, afin d’éviter que les avis que nous sommes amenés à rendre ne soient remis en question par les uns ou par les autres.

S’agissant du bisphénol A, les États-Unis remettent en cause l’interdiction que nous avons prononcée, notamment en ce qui concerne les biberons. D’après une dépêche de l’agence Reuters publiée hier, ils demandent à la Commission européenne de revoir son évaluation et souhaitent que les normes qui pourraient être adoptées au niveau européen
– lesquelles fixent un seuil de transfert entre les matières plastiques et les aliments, exprimé en microgrammes par kilogramme d’aliment – soient appliquées à tous les produits et se substituent aux décisions prises au niveau national, notamment à l’interdiction totale du bisphénol A dans les biberons édictée en France. Nous devons être très vigilants sur la façon dont nous construisons nos positions, afin de pouvoir les faire valoir dans les discussions internationales.

Pour ce qui est de la communication, la mission d’appui aux politiques publiques n’est en rien contradictoire, selon moi, avec le fait de nouer un lien direct avec les citoyens. Il n’est pas question que l’ANSES communique à tout-va sur les avis qu’elle rend en matière d’évaluation des risques ou sur les décisions qu’elle prend en matière de mise sur le marché des produits phytosanitaires, dans le seul but d’assurer sa visibilité et sa notoriété au niveau national. Il ne s’agit pas non plus pour l’agence de communiquer à la place des ministères sur les décisions qu’ils prennent en tant que gestionnaires de risques, mais d’expliquer, à un public aussi large possible, la base scientifique et l’évaluation des risques sur lesquelles se fondent ces décisions. Certes, cela revient un peu à marcher sur une ligne de crête, mais nous avons beaucoup d’efforts à faire en la matière, tant en termes de formation – la question de l’évaluation des risques doit être mieux prise en compte dans les cursus d’enseignement supérieur – qu’en termes d’information à l’égard des parties prenantes – professionnels, ONG, organisations syndicales –, mais aussi du grand public, y compris des scolaires.

La question que vous avez posée sur l’évaluation des agences est très pertinente, monsieur Accoyer. L’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (AERES) non seulement dispose de procédures normalisées et certifiées dans le cadre d’une démarche d’assurance qualité, mais elle est aussi évaluée par ses pairs au niveau européen. La qualité de l’évaluation qu’elle produit est donc elle-même évaluée. Quant à l’ANSES, elle est elle aussi engagée dans une démarche de certification et d’assurance qualité. Mais il ne s’agit pas d’une évaluation qualitative : il s’agit de montrer que l’agence a des procédures et qu’elles sont suivies ou, à défaut, d’analyser les raisons pour lesquelles elles ne le sont pas et, le cas échéant, de les faire évoluer. Vous avez relevé, monsieur Bapt, que l’agence, les avis qu’elle a rendus et son positionnement étaient plutôt bien perçus. Cela étant, la question de savoir si l’évaluation des risques est bien faite, si elle l’est mieux ou moins bien qu’ailleurs, peut se poser. Très honnêtement, j’ignore si cette réflexion a déjà eu lieu ou non dans les agences sanitaires, que ce soit au niveau national ou au niveau international. J’examinerai de près cette question.

La santé au travail est un domaine dans lequel l’ANSES doit se positionner très fortement. Elle mène déjà des actions permanentes très importantes en la matière.

Ainsi, l’ANSES anime le Réseau national de veille et de prévention des pathologies professionnelles (RNV3P), qui regroupe tous les centres antipoison et huit services de santé au travail. Il est de sa responsabilité de le faire fonctionner pour faire remonter les données et détecter des signes précoces, de façon à anticiper par rapport à une crise éventuelle. Il faut que ce réseau soit opérationnel et actif. Je vous en dirais plus sur ce point une fois que j’aurai pris la mesure de la façon dont il fonctionne actuellement. En tout cas, le transfert de la phytopharmacovigilance et de la toxicovigilance à l’agence lui donne les moyens de détecter rapidement les éventuels effets indésirables des produits dont elle autorise la mise sur le marché, et de réagir en conséquence. Il est très important de coordonner les deux activités.

En outre, je l’ai dit, l’ANSES pilote les plans nationaux santé environnement et santé au travail, et finance des travaux de recherche à hauteur de 5 millions d’euros au travers d’appels à projets qui s’adressent à toute la communauté scientifique. À cet égard, elle doit se coordonner le mieux possible avec les autres agences, en particulier avec l’Agence nationale de la recherche (ANR). Ce sera l’un des enjeux des prochains mois.

L’agence travaille sur les risques liés aux substances particulièrement préoccupantes, avec trois axes : l’amiante, les nanotechnologies et les nanomatériaux – qui font, eux aussi, l’objet d’un groupe de parole – et les substances chimiques telles que la silice ou le formaldéhyde, souvent présent dans les meubles. Ces travaux donnent lieu à des propositions de réglementation, notamment dans le cadre du règlement REACH.

L’agence travaille aussi sur les professions particulièrement exposées, à la suite de saisines par les organisations syndicales ou d’autosaisines. Elle rendra dans les prochaines semaines un avis sur l’exposition des travailleurs agricoles. D’autres travaux sont en cours : sur les travailleurs du bitume, sur les égoutiers et sur les travailleurs en horaires atypiques et décalés.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Merci, monsieur le directeur général. Nous nous reverrons probablement en début d’année prochaine, puisque nous envisageons d’auditionner à nouveau à ce moment-là les personnes que nous avons entendues préalablement à leur nomination.

La séance est levée à dix-sept heures cinquante-cinq.

Présences en réunion

Commission des affaires sociales

Réunion du mercredi 18 mai 2016 à 16 heures 15

Présents. – M. Bernard Accoyer, M. Alain Ballay, M. Gérard Bapt, Mme Martine Carrillon-Couvreur, M. Michel Issindou, Mme Chaynesse Khirouni, Mme Annie Le Houerou, Mme Catherine Lemorton, M. Michel Liebgott, M. Gilles Lurton, M. Arnaud Richard, M. Gérard Sebaoun

Excusés. – M. Philip Cordery, M. Richard Ferrand, Mme Monique Iborra, M. Arnaud Robinet, M. Jean-Sébastien Vialatte