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Commission des affaires sociales

Mercredi 15 juin 2016

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 59

Présidence de Mme Catherine Lemorton, Présidente

– Audition de M. Jean-Paul Vernant, professeur d’hématologie à l’hôpital de la Pitié Salpêtrière, et de M. Dominique Maraninchi, professeur de cancérologie à l’Institut Paoli-Calmettes à Marseille

– Audition de Mme Catherine de Salins, présidente du conseil d’administration de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), et de M. Dominique Martin, directeur général

Audition de Mme Agnès Buzyn, présidente du conseil d’administration de la Haute Autorisé de santé (HAS), et de M. Dominique Maigne, directeur

– Information relative à la commission

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mercredi 15 juin 2016

La séance est ouverte à neuf heures cinq.

(Présidence de Mme Catherine Lemorton, présidente de la Commission)

La commission procède à l’audition de M. Jean-Paul Vernant, professeur d’hématologie à l’hôpital de la Pitié Salpêtrière, et de M. Dominique Maraninchi, professeur de cancérologie à l’Institut Paoli-Calmettes à Marseille.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Le 15 mars dernier, une tribune a relayé un appel de 110 cancérologues et hématologues demandant aux pouvoirs publics « de définir un juste prix pour les médicaments du cancer et de rendre le système d’arbitrage des prix plus démocratique et transparent ». Les deux premiers signataires de cet appel sont nos premiers invités de ce cycle d’auditions sur le prix des médicaments. Je souhaite la bienvenue à M. Jean-Paul Vernant, professeur d’hématologie à l’hôpital de la Pitié Salpêtrière, et à M. Dominique Maraninchi, professeur de cancérologie à l’Institut Paoli-Calmettes à Marseille, qui connaît bien notre commission pour avoir été directeur général de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS), puis directeur général de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), lorsque celle-ci a succédé à l’AFSSAPS après le vote de la loi de 2011 sur la sécurité sanitaire du médicament, dite « loi Bertrand ».

Le débat sur le prix des médicaments n’est pas nouveau : cela fait des années que les députés y réfléchissent dans le cadre de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Lors de l’examen des deux derniers PLFSS, en particulier, le traitement de l’hépatite C a fait l’objet de grandes discussions entre nous, certains arguant qu’un groupe « voulait la peau » de l’industrie pharmaceutique, d’autres se posant en défenseurs de l’industrie pharmaceutique. La question ne se pose pas en ces termes : il s’agit de savoir comment tous nos concitoyens peuvent avoir accès à des soins innovants pour se faire soigner au mieux et au juste prix.

Je précise que ces auditions avaient été programmées bien avant la campagne lancée, lundi, par Médecins du Monde visant à dénoncer le prix des médicaments.

Dans un calendrier contraint, et pour pouvoir auditionner un maximum de personnes sur ce sujet, cette première salve d’auditions sera suivie, mercredi prochain, d’une deuxième matinée d’auditions.

M. Jean-Paul Vernant, Professeur d’hématologie à l’hôpital de la Pitié Salpêtrière. D’autres pays agitent cette question du prix des médicaments, en particulier depuis au moins cinq ans, les États-Unis où il n’existe pas de régime de santé solidaire et où le prix de certains médicaments est proprement ahurissant, si bien que des malades meurent faute d’avoir accès à ces médicaments. Le prototype de ces médicaments est le Glivec, qui permet de maintenir en vie et en excellent état général les personnes souffrant de la leucémie myéloïde chronique pendant cinq ans, dix ans, quinze ans, vingt ans, trente ans peut-être. Ce médicament aux États-Unis coûtait au départ 30 000 dollars par an, puis il est passé à 90 000 dollars par an, avant de devenir un générique. Par conséquent, les patients qui n’avaient pas cette somme, trop riches pour bénéficier d’une aide d’État ou trop pauvres pour souscrire une assurance santé personnelle, mouraient. Cette situation avait choqué nos collègues américains qui avaient alors publié des textes dans un grand nombre de revues médicales, avant que la presse généraliste aux États-Unis ne s’empare du sujet.

Certes, notre pays n’en est pas encore là, car notre régime de santé solidaire permet de financer ces nouveaux médicaments, mais il n’est pas certain que nous pourrons le faire éternellement. En effet, le prix des innovations thérapeutiques en cancérologie augmente de manière exponentielle : les dépenses en médicaments contre le cancer dans le monde s’élevaient à 24 milliards de dollars en 2004, à 40 milliards en 2008, à 80 milliards en 2014, et elles pourraient atteindre 150 à 160 milliards de dollars en 2020.

Pourquoi ces prix fous ? Parce que la manière dont ils sont fixés a complètement changé. Il y a vingt à quarante ans, les dépenses en recherche et développement (R&D) des laboratoires, ainsi que les bénéfices redistribués aux actionnaires définissaient le prix des médicaments, alors qu’aujourd’hui, il y a une déconnexion totale entre les dépenses des laboratoires et les prix demandés. En effet, les grandes firmes pharmaceutiques dépensent 14 % de leur chiffre d’affaires en R&D, mais leurs dépenses en marketing atteignent 20 % à 30 %, et les bénéfices redistribués environ 20 % – ces derniers sont de beaucoup supérieurs à ceux de l’industrie du pétrole ou de l’industrie du luxe : LVMH dégage 12 % de bénéfices…

Les laboratoires pharmaceutiques ne pouvant plus prétendre que le prix fou de ces médicaments est lié à la R&D, l’argument qu’ils avancent maintenant est celui du service médical rendu : leurs médicaments sont tellement efficaces qu’ils peuvent demander un prix important, disent-ils, quelles que soient leurs dépenses pour les mettre sur le marché. Je remarque simplement que si ce même raisonnement avait été tenu pour le vaccin contre la poliomyélite – vaccin formidable qui a fait disparaître cette maladie dans notre pays –, les malades mourraient encore de cette maladie en France parce que le prix de ce vaccin serait colossal. De la même manière, fait-on payer l’insuline à un prix fou au prétexte qu’elle permet de maintenir dans un état normal des tuberculeux pendant trente, quarante, cinquante ans ? Non !

En fait, l’industrie pharmaceutique définit ses prix en fonction de ce que le marché peut payer. La preuve : aux États-Unis, le Glivec coûtait 30 000 dollars au début des années 2000, mais comme le marché pouvait payer, le laboratoire a décidé de fixer le prix à 60 000 dollars, puis à 90 000 dollars. Ainsi, les États-Unis paient extrêmement cher les médicaments issus des innovations thérapeutiques, et les pays européens, jugés moins riches par les laboratoires, les paient un petit peu moins cher.

La situation risque de devenir difficile à court ou moyen terme dans la mesure où un certain nombre de pays ont d’ores et déjà pris la décision de ne pas payer. Les Anglais ont décidé de dérembourser dans certaines indications onze molécules, dont certaines sont pourtant extrêmement efficaces et que, heureusement, nous utilisons en France. Par exemple, le brentuximab, médicament utilisé en France pour soigner la maladie de Hodgkin, n’est plus remboursé en Grande-Bretagne, où les gens très riches peuvent l’acheter à 60 000 livres par an, alors que les gens qui ne peuvent pas se le payer meurent.

En conclusion, si cette inflation des prix se poursuit, notre système de santé solidaire risque d’être remis en question.

M. Dominique Maraninchi, professeur de cancérologie à l’Institut Paoli-Calmettes à Marseille. Je n’ai aucun lien d’intérêts, ni personnel ni familial, avec des industries de santé.

M. Jean-Paul Vernant. J’ai oublié de le dire : moi non plus.

M. Dominique Maraninchi. Pour le cancer, on dispose maintenant d’un flux de molécules extrêmement important : plus de 600 molécules sont en phase clinique et seront enregistrées d’ici à 2020. Toutes les agences de régulation – la Food and Drug Administration (FDA) et l’Agence européenne des médicaments – ont créé des dispositifs pour rendre les médicaments utiles et très vite accessibles : breakthrough therapy aux États-Unis, adaptative licensing en Europe, qui sont des autorisations de mise sur le marché (AMM) accordées très précocement. Les coûts de développement sont donc devenus beaucoup moins importants que par le passé pour les médicaments du cancer, qui peuvent être enregistrés pratiquement quatre ans après leur découverte ou le brevet d’une cible moléculaire. Dans ce domaine, la France est très bien placée au niveau mondial.

Là où le bât blesse, c’est que nous sommes dans un système de spéculation sur les prix qui devient dangereux sur le plan de l’économie réelle.

Premier problème : une bulle financière est en train de se créer et des actionnaires commencent à se retirer de ces ambiances spéculatives. Toutes les molécules ne méritent pas d’être affichées à des coûts de 100 000 à 150 000 dollars : sur les 400 molécules qui vont arriver, les pays riches n’arriveront pas à payer, sans parler des pays les moins riches.

Deuxième problème : le marché est mondial, certes, mais certains pays ne profitent absolument pas des médicaments éventuellement curatifs. Jusqu’à présent, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) n’a soutenu que des politiques de prévention et de traitement des maladies infectieuses ; autrement dit, pour que ces pays ne nous contaminent pas par des maladies infectieuses, on accepte de payer, alors que le droit à la santé ou au traitement d’une maladie curable pourrait être de plus en plus universel – c’est du moins la vocation de l’OMS. Je rappelle que les firmes pharmaceutiques ont été soutenues pour permettre à tous les pays du monde d’accéder aux vaccins et aux traitements anti-infectieux : le prix des médicaments issus des innovations thérapeutiques est peut-être un nouvel enjeu économique.

Troisième problème : ces médicaments sont vendus à des prix exorbitants. Le jeu du marché, normalement issu de l’équilibre entre les productions et la concurrence, ne se fait pas en raison d’une inflation importante.

Face à cette situation, heureuse par certains côtés, au regard du flux très important d’innovations, mais très inquiétante par ailleurs, dans la mesure où des sociétés comme la nôtre ne vont plus pouvoir payer, nous appelons à une véritable prise de conscience et demandons à votre commission de se pencher à nouveau sur ce problème, d’autant que les actions de sensibilisation collective se développent. À la suite à notre appel relayé par Le Figaro, une pétition lancée par les cancérologues a reçu 5 000 signatures, une autre lancée par la Ligue contre le cancer a recueilli 50 000 signatures, et récemment Médecins du Monde a lancé une campagne pour dénoncer le prix des médicaments. Une nouvelle régulation à l’échelle mondiale s’impose, pas seulement sur la sécurité, mais aussi sur les prix pour permettre aux populations de bénéficier de ces produits.

Nous proposons plusieurs mesures, certaines pouvant être concrétisées au niveau national, d’autres défendues par la France au niveau international, d’autant que notre pays est généralement à l’avant-garde en matière de médicaments et très écouté.

Première mesure : garantir la transparence dans l’évaluation de la valeur et du prix des médicaments. D’abord, nous demandons que les travaux de la commission de la transparence de la Haute autorité de santé, instance scientifique qui évalue les médicaments ayant obtenu une AMM, soient rendus publics et accessibles à tous les citoyens grâce à une diffusion vidéo. Je rappelle que cette instance comporte désormais des représentants des usagers. Ensuite, nous demandons que le Comité économique des produits de santé (CEPS), organisme qui fixe les prix des médicaments, assure la représentation des usagers et des professionnels – Madame la présidente de la commission a souhaité la présence de parlementaires. En effet, la valeur et le prix méritent un arbitrage transparent car, il faut le rappeler, nous parlons de vies sauvées et de vies perdues, et il ne sert à rien d’enregistrer des produits si l’on ne peut pas les rendre accessibles aux patients.

Deuxième mesure : s’orienter vers une nouvelle régulation pour faire diminuer ces prix exorbitants. D’ores et déjà, le bon usage du médicament devrait permettre de faire diminuer les coûts de ces produits, pas à l’anglaise, car nous nous refusons d’interdire les bénéfices de l’innovation au prétexte de coûts affichés, mais de façon raisonnable. À titre d’exemple, même pour les médicaments innovants en cancérologie, il existe des « me too » ; or, les « me too » sont plus chers que le premier médicament de la classe. Par conséquent, grâce à l’introduction d’une transparence dans l’attribution de la valeur et du prix, ce flux d’innovations pourrait être partagé entre plusieurs industriels, ce qui favoriserait une diminution des prix. C’est un exemple de régulation. D’autre part, nous souhaitons que nos patients puissent bénéficier très rapidement de l’innovation. Le système des autorisations temporaires d’utilisation (ATU), introduit par le législateur, est devenu plus transparent. Par contre, il n’y a aucune raison que la valeur donnée au premier jour persiste : les renégociations de prix pourraient être beaucoup plus systématiques, et donc plus transparentes, pour faire bénéficier la société de l’arrivée des produits concurrents sur le marché. C’est un deuxième exemple de régulation,

Troisième mesure : instaurer un nouvel équilibre pour l’accès aux médicaments innovants et utiles à l’échelle mondiale. Le Président de la République a défendu cette idée lors du G7, en plaidant pour la régulation du prix du médicament, comme va le faire la ministre de la santé devant ses homologues des pays en voie de développement. Cette mesure permettrait aux industriels de bénéficier d’un marché beaucoup plus large, comme pour les maladies infectieuses. Et elle est indispensable pour les patients des pays émergents : je trouve insupportable que, de l’autre côté de la Méditerranée, des personnes n’aient pas accès à un médicament qui guérit le cancer. Cette régulation est possible à l’échelle mondiale. La France et les États-Unis peuvent porter la voix des pays riches – les plus gros consommateurs de médicaments – en faveur d’un nouvel équilibre, comme cela a été le cas pour le sida.

Mme la présidente Catherine Lemorton. L’industrie pharmaceutique française a la particularité d’être subventionnée au travers du crédit d’impôt recherche et du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), alors que les salaires dans ce secteur, à part ceux des employés qui mettent les médicaments en boîtes, sont supérieurs à deux fois et demie le SMIC. De surcroît, elle est solvabilisée par notre protection sociale, surtout par les régimes obligatoires – car les cancers sont des affections de longue durée (ALD) prises en charge à 100 % –, mais aussi par les assurances complémentaires. Par conséquent, les industriels de la santé ont le devoir de fixer des prix raisonnables, afin de contribuer à l’équilibre de nos comptes sociaux. Or je crois que l’État n’utilise pas forcément les leviers dont il dispose vis-à-vis de cette industrie. Ainsi, la France fait partie des pays qui aident le plus l’industrie pharmaceutique : nous la solvabilisons chaque fois qu’un médicament obtient une AMM et a fortiori une ATU.

M. Gérard Sebaoun. La spéculation s’est emparée en France d’un système formidable de prise en charge de nos malades qui s’appuie sur des équipes de chercheurs et de soignants de haut niveau et une industrie pharmaceutique performante, mais aussi extrêmement gourmande – avide, diront certains – en dividendes. Une industrie devenue folle, essentiellement financière, comme si la santé était l’otage d’une course aux bénéfices. L’Assemblée nationale s’était penchée sur le cas d’un antiviral qui coûtait une véritable fortune, mais grâce au vote du PLFSS, un certain nombre de patients y ont accès – pas tous, donc –, ce qui fait débat au sein de notre société.

Dans un rapport sur les groupements hospitaliers territoriaux, commandé l’an dernier par la ministre de la santé à la directrice générale du CHU de Grenoble et au médecin président de la commission médicale d’établissement du CH de Bayonne, on peut lire que, « aujourd’hui, une partie des usagers de l’hôpital public bénéficie de ce que l’on pourrait qualifier de "parcours d’initiés". Ce constat percute l’un des fondements de l’hospitalisation publique, à savoir l’égalité d’accès à des soins sécurisés et de qualité ». Ainsi, au-delà du prix des médicaments, il existe dans notre pays des parcours d’initiés qui ne permettraient pas à certains patients de pouvoir accéder à l’essentiel : la vie.

M. Dominique Tian. Je suis heureux de saluer le professeur Maraninchi qui, à lui seul, représente l’excellence dans le domaine de la cancérologie.

Nous avons eu ce débat à propos du traitement de l’hépatite C et nous avons trouvé l’argent nécessaire dans le cadre du PLFSS.

Le déremboursement de certains médicaments en Grande-Bretagne est extrêmement choquant. Des médicaments de plus en plus efficaces, souvent produits par des laboratoires français – une filière d’excellence créatrice d’emplois – permettent de soigner des maladies graves : limiter ce type de soins serait scandaleux. Certes, il ne faut pas payer les médicaments à n’importe quel prix, mais votre propos, monsieur Vernant, comporte des points intéressants : par exemple, nous payons un médicament deux fois moins cher qu’aux États-Unis – 41 000 euros contre 90 000 dollars –, ce qui n’est déjà pas si mal. Vous évoquez également une marge importante de 20 %, mais dans une économie libérale, il faut faire confiance aux laboratoires, car encadrer le prix des médicaments pourrait se révéler catastrophique.

L’industrie pharmaceutique n’est pas soutenue par l’État, madame la présidente. Ce n’est pas une industrie florissante qui fait d’énormes bénéfices : les laboratoires connaissent des difficultés, certains ferment, d’autres sont délocalisés. D’autant que, d’année après année, le Gouvernement signe des accords de modération des prix. Il faut donc être vigilant vis-à-vis des campagnes menées par certains organismes, mais également se poser les bonnes questions, comme celle de la consommation excessive de médicaments en France.

En conclusion, les cancers sont de mieux en mieux soignés en France, ce dont nous ne pouvons que nous réjouir. Mais il faut payer les médicaments au juste prix.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je vous rappelle que j’ai rédigé un rapport en 2008 sur le thème « Prescrire mieux, consommer moins », et que, lors de l’affaire du Mediator, nous avons pris des mesures de transparence pour que les Français consomment un peu moins de médicaments – mais ce problème, culturel, ne sera pas résolu du jour au lendemain. D’ailleurs, sur la transparence de certains médecins vis-à-vis de l’industrie pharmaceutique, nous attendons un arrêté de la ministre sur les expertises menées par les médecins, car on ne sait toujours pas combien ils touchent des laboratoires…

Mme Dominique Orliac. Je tiens à remercier notre présidente d’organiser ces auditions sur un sujet crucial. Pendant plusieurs années, j’avais attiré l’attention sur le traitement de la dégénérescence maculaire exsudative par les médicaments anti-VEGF, sujet récurrent sur lequel nous avons avancé. Puis, l’an dernier, vu le prix du traitement contre l’hépatite C, nous nous sommes demandé comment tous les malades pouvaient en bénéficier – la décision avait même été prise à un moment de traiter les patients les plus atteints, ce qui semblait difficile sur le plan éthique. Cette semaine, deux questions d’actualité ont été posées sur le sujet à la ministre de la santé, à laquelle nous demanderons des précisions sur les réponses intéressantes qu’elle a apportées.

La campagne de Médecins du Monde sur le prix des médicaments a été censurée, mais son impact est encore plus visible en étant relayée par les réseaux sociaux. La Ligue contre le cancer a elle-même lancé en avril dernier une pétition sur le prix « exorbitant » des médicaments anticancéreux. En mars, ce sont 110 cancérologues, dont vous êtes les initiateurs, messieurs, qui ont lancé un appel dans la presse sur le même thème. Toutes ces initiatives permettent d’avancer des pistes pour réduire les prix pratiqués par l’industrie pharmaceutique.

L’industrie pharmaceutique est écornée au travers des PLFSS depuis 2012. Faut-il systématiquement porter les économies sur le prix du médicament ? L’exportation des brevets à l’étranger me semble aussi un sujet important. Les coûts de développement ne suffisent pas à justifier les prix des médicaments : ces prix doivent en principe refléter l’efficacité réelle du traitement. Le paiement à la performance, mis en place dans d’autres pays, comme l’Italie, amène le laboratoire à reverser le chiffre d’affaires trop perçu, par exemple 60 % si le médicament est efficace chez 40 % des malades. Cette piste vous semble-t-elle envisageable ?

Dans le cadre du groupe d’études sur les maladies orphelines, que je préside, une présidente d’association et un hémato-oncologue ont été auditionnés sur le syndrome de Wilms. Sur les quinze malades en France, un seul patient est traité, celui le plus touché, étant à un stade cancéreux. En fait, le laboratoire, dans un but compassionnel, permet à ce patient d’accéder au traitement, dont le coût est de 6 000 euros par jour : deux injections de 3 000 euros pendant plusieurs mois – sans savoir s’il y aura rémission ou guérison. Contrairement aux États-Unis, les patients en France n’ont pas accès à ce traitement, dont l’AMM est utilisée pour une autre pathologie. Il est inconcevable dans une société comme la nôtre, où l’éthique doit primer, que tous les malades ne puissent pas être soignés. Par conséquent, nous devons avancer rapidement sur le sujet du prix des médicaments.

Mme Kheira Bouziane-Laroussi. Vous avez raison : il est très important de porter le sujet au niveau mondial, comme cela a été le cas pour le sida.

Vous évoquez le développement de l’innovation. L’immunothérapie en fait partie, mais elle est actuellement inaccessible – son prix est faramineux aux États-Unis. En réalité, ne menace-t-elle pas l’industrie pharmaceutique, ce qui expliquerait la lenteur de son développement et de sa mise à disposition des malades ? Je connais un jeune Grenoblois qui, grâce à la générosité médiatique, a pu en bénéficier et dont la maman a tenu à me sensibiliser sur le sujet – dans ma circonscription, deux mamans ont perdu leur fille.

M. Dominique Dord. En matière de santé, l’inégalité est insupportable. Mais l’inégalité ne concerne pas que le médicament, elle concerne aussi l’accès aux soins, totalement inégalitaire au niveau mondial. Même sur le territoire national, il existe des inégalités flagrantes. Cela étant dit, votre cri d’indignation, messieurs, est tout à fait légitime : il faut trouver le moyen de rendre les traitements du cancer accessibles et universels.

Madame la présidente, grâce à vous, nous ouvrons un vaste sujet. Je pense donc nécessaire d’entendre la « défense », c’est-à-dire les laboratoires, ainsi que « l’arbitre », à savoir les autorités de régulation des prix.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Mercredi prochain, nous auditionnerons Les entreprises du médicament (LEEM) et leur branche recherche, l’Association des laboratoires internationaux de recherche (LIR), mais aussi le Comité économique des produits de santé (CEPS), ainsi que des représentants du Collectif interassociatif sur la santé (CISS), de la Revue Prescrire, et de Médecins du Monde.

Mme Chaynesse Khirouni. Selon l’Institut national du cancer, après les accidents, le cancer est la deuxième cause de décès en France chez les enfants de 1 à 14 ans. Les cancers pédiatriques sont mieux soignés, mais des complications importantes sont liées aux traitements. Les données chiffrées que vous nous avez fournies, messieurs, montrent que le secteur du médicament fonctionne comme un marché lucratif. Selon vous, le retard en matière d’innovations thérapeutiques pour les enfants est-il lié à une approche marketing amenant les industriels à considérer qu’il n’y a pas de marché ?

Vous l’avez dit, madame la présidente : l’industrie pharmaceutique bénéficie de financements publics importants. Comment orienter les politiques publiques de recherche sur le médicament et inciter l’industrie pharmaceutique à prendre en compte ces attentes particulières ?

M. Elie Aboud. Sur ce sujet, la vérité d’hier n’est pas celle d’aujourd’hui, et la vérité d’aujourd’hui n’est certainement pas celle de demain.

On connaît l’apport de l’oncogénétique, de l’immunothérapie, de la protonthérapie ; effectivement, les médicaments issus de ces avancées scientifiques coûtent très cher. En revanche, on ne dit pas que beaucoup de chimiothérapies conventionnelles, codifiées depuis des années, ne servent plus à rien ; pis, certaines molécules sont susceptibles d’être extrêmement dangereuses. Quelle est la responsabilité du législateur en la matière ? L’Assurance maladie n’a-t-elle pas la responsabilité de dire la vérité sur le millefeuille thérapeutique ?

Dans la mesure où l’on n’a pas le courage de dire qu’une thérapie, même si elle a été vérifiée antérieurement, ne sert plus à rien, des pays en viennent à ne plus rembourser certains médicaments, comme les États-Unis, où les gens ne bénéficient pas d’une couverture maladie comme la nôtre ; la France l’a fait aussi, mais seulement pour les veinotoniques, comme le Daflon, et autres choses de ce genre…

Mme la présidente Catherine Lemorton. Monsieur Aboud, vous n’ignorez pas l’action des lobbies de l’industrie quand on commence à toucher à l’une de leurs molécules...

M. Denys Robiliard. Je remercie notre présidente d’organiser des auditions contradictoires sur le prix des médicaments.

Au vu des chiffres cités sur l’activité des laboratoires – recherche et développement, 15 % ; marketing, 25 % ; marge bénéficiaire, 15 % –, il existe des marges de progression. Messieurs, faut-il faire évoluer les contraintes juridiques au niveau international ? Quels instruments juridiques devraient être utilisés au niveau national ? En particulier, que pensez-vous de la licence d’office, défendue par Médecins du Monde ?

M. Jean-Sébastien Vialatte. Le prix d’une molécule vendue en Europe est trois à cinq fois plus élevé aux États-Unis et dix fois moins élevé dans les pays émergents. Les laboratoires fixent donc le prix, non en fonction du coût de revient et de la recherche et développement, mais en fonction de la capacité des systèmes de santé à payer ces médicaments. Ce sont donc les pouvoirs publics qui devraient fixer les prix en fonction de la réalité, et non pas de l’estimation des laboratoires au regard de la capacité des États à payer.

La réalité d’aujourd’hui n’est pas celle d’hier et encore moins celle de demain, comme le dit mon collègue Aboud. Aujourd’hui, les laboratoires pharmaceutiques connaissent une révolution de leur modèle économique : la médecine étant de plus en plus personnalisée, les médicaments produits s’adressent à des groupes de patients de plus en plus étroits – on est loin du temps des blockbusters où étaient vendues des dizaines de millions d’antidiabétiques, d’anticholestérolémiants, etc. Le coût de développement des médicaments est donc de plus en plus élevé. Néanmoins, de vieilles molécules sont très efficaces sur des segments très particuliers, et les laboratoires font un gros travail de recherche sur ces molécules très anciennes qui permettent parfois de traiter des pathologies chez des groupes restreints de la population. Par conséquent, il ne faut pas trop accabler l’industrie pharmaceutique.

M. Gérard Bapt. La mise en place du contrat de performance, un nouveau modèle de prise en charge du coût du médicament qui dépendrait de son efficacité, semble possible grâce aux progrès technologiques en matière de systèmes d’information. Selon vous, le contrat de performance est-il une solution, d’une part, pour le prescripteur et le suivi, et, d’autre part, pour l’évaluation de l’efficience du médicament ?

Mme Monique Orphé. Je vous remercie, madame la présidente, d’organiser ces auditions très intéressantes.

En outre-mer, le coût de la vie est plus élevé et les soins de santé sont plus chers : les prix des actes médicaux sont plus élevés, de 20 %, ainsi que les prix des médicaments, de 15 % à 30 %, notamment à la Réunion, par rapport à ceux de la métropole. Ce coût est justifié par l’éloignement, mais les patients sont pénalisés, notamment quand les médicaments ne sont pas remboursés. Je ne comprends pas qu’on puisse fermer les yeux sur les dérapages des laboratoires pharmaceutiques et, surtout, qu’on remette en cause ces faits.

Notre pays subventionne les industries pharmaceutiques. Nous devons donc exiger de leur part des contreparties, notamment en matière de prix. Vous avez raison de le souligner, messieurs, la régulation s’avère nécessaire.

Il y a quelques années, la production de milliers de vaccins notamment contre la grippe aviaire a coûté à notre pays 1 milliard d’euros. Or très peu de vaccins ont été utilisés. Que sont devenus les vaccins non utilisés ? Vous êtes pour la transparence, je le suis également.

Enfin, le médicament contre l’hépatite C coûte cher. Alors pourquoi ne pas produire le générique pour permettre à tous les patients d’accéder au traitement ?

M. Arnaud Richard. Sur ce sujet, la place du Parlement est quasi inexistante, sauf en cas de problématique grave qui amène le Gouvernement à demander au Parlement de faire des choix qu’il n’est pas capable de faire lui-même. En fait, depuis deux ou trois ans, l’industrie pharmaceutique est perçue par les pouvoirs publics comme la vache à lait du PLFFS. Face aux enjeux financiers extrêmement lourds, liés aux résultats de la recherche sur les nouveaux médicaments du cancer, quelle place le Parlement devrait-il avoir, selon vous, à propos du prix du médicament ?

Il faut mesurer la chance que nous avons de vivre dans un pays qui comporte énormément de chercheurs et de grands laboratoires. En tout cas, je partage l’avis de notre collègue sur la nécessité de transparence et d’éthique.

M. Renaud Gauquelin. La ministre de la santé, Marisol Touraine, a souhaité que les traitements innovants contre l’hépatite C soient remboursés. Sauf erreur de ma part, 500 000 personnes en France sont atteintes de cette maladie, dont beaucoup développeront malheureusement au bout de dix ans, vingt ans, trente ans, un cancer primitif du foie. Que pensez-vous du prix des médicaments par rapport au prix de leur production ?

D’autre part, que pensez-vous des produits de la dernière chance utilisés en cancérologie – je pense à un traitement récent contre le myélome multiple –, dont la notice indique qu’il s’agit d’un traitement palliatif qui peut, dans le meilleur des cas, prolonger l’espérance de vie du patient de quatre à huit semaines ? Quid de l’acceptabilité par les patients, mais aussi les cancérologues, de telles molécules qui ne peuvent, dans le meilleur des cas, que prolonger de quelques semaines la vie du malade, qui en est parfaitement informé ? Comment les malades et vous-mêmes vivez cela ?

Mme la présidente Catherine Lemorton. Monsieur Aboud, vous n’avez pas compris mon propos tout à l’heure – et j’en profite pour répondre à d’autres députés. Il ne s’agit pas d’accabler l’industrie : il s’agit simplement de la mettre à sa place.

Ensuite, monsieur Aboud, vous évoquez le tri des médicaments anciens. Mais souvenez-vous de la montée au créneau des industries pharmaceutiques et des associations de patients – financées par ces industries – lorsque la Haute Autorité de santé (HAS) a voulu réévaluer les médicaments de la maladie d’Alzheimer et travailler sur l’hormone de croissance. Il est donc difficile pour la HAS de travailler loin des pressions de ces groupes d’intérêt. Vous n’ignorez pas que tous ces gens montent au créneau par tous les moyens pour faire reculer les autorités sanitaires ! Je ne dis pas cela contre les industries, ce n’est pas leur faire injure de le dire !

M. Jean-Sébastien Vialatte. Par contre, c’est faire injure aux autorités sanitaires !

Mme la présidente Catherine Lemorton. Non, nous essayons de les aider, monsieur Vialatte. À chaque fois qu’elles nous demandent de l’aide pour être indépendantes, nous prenons des mesures en ce sens.

M. Dominique Maraninchi. Ce foisonnement de questions montre votre intérêt sur le sujet, ce dont je vous remercie.

Vous avez raison, le monde est en train de changer : il n’est plus celui d’hier, il n’est pas non plus celui de demain. Cependant, on assiste à un flux d’innovations sans précédent, qu’il va falloir gérer différemment et sereinement. Je tiens à dissiper tout malentendu : nous ne nous positionnons pas en accusateurs, nous souhaitons que les innovations soient utiles et accessibles.

Donc, le monde du médicament a changé, mais tous les industriels ne sont pas dans le même monde du médicament. Attention au risque d’amalgame : nous ne parlons pas des industriels qui font de grands volumes ou travaillent sur la « santé bien-être » ; nous parlons aujourd’hui de médicaments d’exception pour des maladies rares.

Pourquoi parlons-nous du médicament, plutôt que du système de santé ? Parce qu’avec un comprimé, on peut traiter des millions de gens dans le monde de façon équitable, et éventuellement les sauver d’une maladie mortelle. Ce n’est pas la même chose de créer des hôpitaux : le délai est plus important.

Le problème est donc que des médicaments efficaces contre le cancer deviennent inaccessibles aux pays riches, et a fortiori aux pays non riches. Nous ne prônons pas la régulation de l’accès à ces médicaments par dogmatisme : nous savons que des efforts ont été réalisés en France, mais aussi à l’échelle mondiale, pour améliorer l’accès à l’innovation, et que les molécules sont désormais enregistrées très vite – de grandes molécules de traitement du cancer du poumon ont été enregistrées quatre ans après la publication de leur découverte dans la revue Nature. Ainsi, les cycles se sont accélérés, pas pour tous les industriels, et il faut veiller à ce que les représentants des branches soient à l’écoute des changements de certains de leurs partenaires. Ce que nous soulignons, c’est que le marché est de plus en plus segmenté, avec une médecine de précision : on ne parle plus du médicament en vrac pour tout le monde, mais d’un médicament pour une seule personne ou un petit groupe de personnes.

Pour autant, le prix exorbitant de ce médicament est-il légitime ? Il faut y réfléchir, et nous sommes là pour ça. Pour reprendre l’exemple classique du Glivec, son coût de production par les sous-traitants indiens pour une année de traitement est de 125 dollars, mais il est vendu 90 000 dollars aux États-Unis et 30 000 euros en France – il y a donc des marges. Faire des marges n’est pas honteux, mais certaines sont parfois problématiques : les prix des médicaments suscitent l’émoi car, vu le coût de 90 000 dollars aux États-Unis, où le reste à charge est considérable, beaucoup de malades arrêtent leur traitement. Vous vous battez pour un accès équitable à l’innovation, et nous vous en remercions, mais notre crainte est qu’un système trop inflationniste empêche d’atteindre cet objectif. Bien évidemment, il n’est pas question de fixer des taux de marge : nous demandons la fixation de prix raisonnables et adaptés. Le débat sur la régulation existe à l’échelle mondiale, dans le cadre du G7, pour les produits très innovants dont l’utilisation est nécessaire pour les situations de vie ou de mort – pas pour le vrac. Aux industries françaises d’être présentes dans le domaine de l’innovation.

Beaucoup de vos questions ont porté sur la transparence. Il faut aller jusqu’au bout : il n’y a pas de raison que les commissions de l’ANSM et de l’Agence européenne des médicaments soient publiques en étant retransmises grâce à la vidéo, permettant la transparence dans l’évaluation du rapport bénéfice/risque, et que les débats de la commission de la transparence sur la valeur ne soient pas publics. Cette situation est troublante. Certes, le secret industriel et commercial doit être respecté ; néanmoins, il n’y a pas de secret quand on parle du rapport bénéfice/risque pour défendre la valeur de son produit. Le manque de transparence risque d’aboutir à une perte de confiance dans la régulation, une perte de confiance dans les industriels, ce qui serait grave, alors qu’ils ont parfois de très bons arguments : rendons ces arguments publics. C’est la même chose pour le Comité économique des produits de santé : il n’y a pas de honte à défendre le prix des médicaments.

Le changement dont nous parlons va-t-il être l’occasion de faire d’énormes bénéfices ? Oui. Nous sommes reconnaissants à certains industriels de s’adapter. Ils ne pourront plus faire un énorme chiffre d’affaires sur du vrac, c’est-à-dire sur des médicaments de confort moyennement efficaces distribués à des millions de personnes et de moins en moins remboursés. Restent des médicaments précieux, gérés par la « liste en sus » ou non. Notre devoir est de dire que le prix de ces médicaments précieux ne doit pas être exorbitant, car il est difficilement compréhensible qu’un médicament produit à 120 euros dans un pays soit vendu dans un autre 90 000 dollars. La France est très forte pour négocier, mais cette inflation des prix touche aussi notre pays : il faut défendre un système de santé sur le médicament qui soit très puissant, transparent, et qui soutienne l’industrie française.

L’effort de recherche au niveau national est considérable, non seulement en faveur des entreprises, grâce au crédit d’impôt recherche, mais aussi au niveau de la recherche publique. Les grandes découvertes en termes d’innovation sont issues le plus souvent de laboratoires publics dont les licences sont rachetées par les industriels. Les coûts de R&D sont donc plutôt à la baisse : il est plus facile de réaliser une étude sur 200 malades que sur 20 000, et on enregistre fréquemment des médicaments du cancer avec les données de 40 ou 50 patients.

Sans me prononcer sur les autres systèmes de régulation, je conclus en disant qu’il est temps de tirer la sonnette d’alarme, sans accuser les industriels. Eux-mêmes doivent réfléchir à la question de savoir combien nos sociétés vont pouvoir payer. Il a un risque de bulle économique : les sociétés riches ne vont plus pouvoir payer, et les sociétés pauvres seront exclues de ces innovations. D’où l’urgence de remettre ce sujet sur la table des négociations mondiales.

M. Jean-Paul Vernant. Les nouvelles immunothérapies – qu’on appelle dans notre jargon les anti-PD1 – qui coûtent 150 000 ou 200 000 dollars le traitement aux États-Unis, et qui seront également extrêmement chères en France, sont issues de la recherche publique ! C’est la recherche publique qui a étudié le rôle des lymphocytes et la voie PD1 dans les mécanismes de défense mis en place par les tumeurs, avant que l’industrie lise le papier et décide de produire un anticorps dirigé contre PD1 ! Tout le travail de recherche réalisé en amont est payé par les pouvoirs publics, que ce soit en France, aux États-Unis ou ailleurs – mais surtout en France. Ainsi, non seulement la recherche coûte de moins de moins cher à l’industrie, mais le développement lui-même coûte de moins en moins cher, puisque les produits sont désormais enregistrés très rapidement.

Le sofosbuvir, le médicament contre l’hépatite C, coûte 80 000 euros le traitement aux États-Unis, 42 000 euros en France. Et partout en Europe, le prix est le même : 42 000 euros en Angleterre, 41 000 euros en Belgique, 43 000 euros en Allemagne. Je suis inquiet : il faut que nous nous mobilisions, que vous vous mobilisiez, mais quel pouvoir avons-nous au niveau national face à des multinationales extrêmement puissantes ? Quand j’étais interne, 80 laboratoires existaient dans le monde ; aujourd’hui, 12 ou 13 très gros laboratoires se répartissent les tâches. Certes, le prix du sofosbuvir en Égypte – 800 dollars – est moins élevé que celui des pays occidentaux. L’industrie pense normal de faire payer les pays riches pour les pays pauvres, et c’est vrai. Mais le coût de production du produit est de 100 ou 150 dollars, c’est-à-dire que même en Égypte, les laboratoires font 700 dollars de bénéfices par malade – et 13 millions d’Égyptiens sont malades de l’hépatite C – et même pour l’Égypte, 800 dollars représentent un coût colossal. Il y a donc un vrai problème : les laboratoires définissent le prix en fonction de ce que le pays peut payer et ils tirent les prix au maximum. CQFD : le Glivec coûtait aux États-Unis 30 000 dollars au début, avant de passer à 90 000 dollars, simplement parce que les laboratoires estiment que ce pays peut payer.

Faut-il conditionner le prix du médicament à sa performance ? Cela me semble une bonne idée, mais si l’industriel ne décide pas de diminuer ses bénéfices, les 50 % de malades pour lesquels le traitement marche vont payer pour les 50 % de malades pour lesquels le traitement ne marche pas, si bien que les bénéfices globaux risquent de rester les mêmes. Par conséquent, si l’industrie ne décide pas de définir un prix raisonnable, le contrat de performance ne changera pas grand-chose.

M. Gérard Bapt. Ce n’est pas l’industriel qui fixe le prix.

M. Jean-Paul Vernant. Aux États-Unis, c’est l’industriel qui fixe le prix : il n’y a pas de négociation. Dans les autres pays, l’industriel est en position de force, comme le prouvent les prix en Europe, qui sont pratiquement identiques à plus ou moins 10 %. Quel pouvoir avez-vous, quel pouvoir avons-nous, au niveau d’un seul pays, de faire baisser les prix ?

L’industrie pharmaceutique est la « vache à lait des PLFSS », ai-je entendu. Je ne sais pas si l’on peut dire cela. En 2012, les bénéfices de Sanofi ont représenté 23 % de son chiffre d’affaires – contre 11 % pour LVMH et 7 % pour le groupe Total. Le malade est-il un consommateur contre les autres ? Le médicament est-il un produit de consommation comme les autres ? Peut-être pas. Dans un monde éthique, l’industrie pharmaceutique devrait être une industrie un peu différente des autres. Comme tout le monde, je suis choqué par les primes et salaires des PDG du CAC40 : eh bien il est choquant que le premier d’entre eux soit M. Brandicourt, le PDG de Sanofi ! (Exclamations.)

Mme la présidente Catherine Lemorton. Laissez parler M. Vernant. Même si cela peut ne pas plaire, ce qu’il dit est une vérité incontournable.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Le salaire du PDG de Sanofi a-t-il une incidence sur le prix du Glivec ?

M. Jean-Paul Vernant. Sanofi n’a pas produit beaucoup de médicaments innovants : ce n’est pas lui qui est en cause, c’est l’industrie pharmaceutique dans son ensemble. La plupart des produits innovants actuellement à disposition ne sont pas des produits français : ils viennent de Novartis et de Roche, qui sont des laboratoires suisses, et des États-Unis.

Vous avez posé une question sur les traitements innovants peu efficaces. Sur des centaines de produits qui vont arriver, j’espère que quelques dizaines seront utiles pour nos patients. Malheureusement, beaucoup d’entre eux coûtent extrêmement cher, mais sont peu efficaces : ils vont prolonger de quelques semaines ou quelques mois seulement la vie de patients qui seraient beaucoup mieux en soins palliatifs. Il faut donc reposer clairement les indications thérapeutiques de ces innovations.

L’industrie dit que la recherche et le développement coûtent de plus en plus cher parce que des produits de plus en plus sophistiqués sont utilisés. Mais paradoxalement, c’est parce que le produit est sophistiqué que la R&D est devenue plus simple : la recherche, car elle est avant tout financée par les pouvoirs publics – la recherche publique en France est représentée par l’INSERM, le CNRS, l’INRA – ; et le développement, car il va extrêmement vite : un nouveau médicament du cancer est enregistré deux à trois plus vite qu’un blockbuster. Pour le cancer du pancréas, par exemple, si une nouvelle molécule permet d’assurer la survie à un an de 15 malades sur 20, on va enregistrer très vite ce médicament pour des raisons éthiques. À l’inverse, le développement d’un ancien médicament – un nouveau médicament du cholestérol, par exemple, un « me too » du Crestor – va coûter très cher, car il faut faire un essai randomisé, réalisé par tirage au sort, en double aveugle, vérifier l’absence d’embryopathie sur les animaux, etc.

Voilà. La recherche coûte de moins en moins cher, le développement coûte de moins en moins cher, et, paradoxalement, les médicaments sont de plus en plus chers.

M. Dominique Maraninchi. Nous sommes à un tournant dans le domaine des médicaments du cancer : les thérapies ciblées représentent actuellement 87 % du chiffre d’affaires et en représenteront probablement 95 % en 2020. Par conséquent, l’investissement qu’il faut faire dans l’immunothérapie est considérable. Va donc se poser le problème du choix de la régulation par rapport à tous ces produits et toutes ces techniques qui arrivent.

Dans le domaine de l’innovation, un nouveau paradigme s’offre aux industriels avec les essais cliniques, comme aux États-Unis. Les essais cliniques sont le meilleur moyen de rendre le traitement accessible, et cela est vrai également pour les pathologies orphelines : quinze malades peuvent être traités ainsi. Pour ce faire, l’industriel fournit son produit ou des données qui lui permettront d’enregistrer son produit. En France, il y a un déficit d’essais cliniques avec produits innovants – les traitements expérimentaux existent surtout pour le vrac. Le jeune Matéo, qui a ému la France entière, a été traité aux États-Unis, dans le cadre d’un essai clinique financé par le National cancer Institute, au Centre de recherche contre le cancer de Seattle.

S’agissant des licences d’office, comme les autres moyens de régulation, l’arbitrage doit se faire à l’échelle mondiale. Je le redis, nous soutenons le dynamisme de l’industrie : son avenir se joue sur le marché mondial, mais avec des produits innovants. Ces marchés sont solvables. Pour ceux qui ne sont pas solvables, l’action de l’OMS, comme pour les maladies infectieuses, a permis d’améliorer l’accès au traitement du sida dans le monde – même s’il y a encore de graves inégalités. L’utilisation de la licence d’office, ou la menace d’y recourir, a fait baisser les prix très vite ; beaucoup d’industriels ont compris que le marché du Brésil ou de l’Égypte, ce n’est pas si mal, parce que cela permet de traiter des centaines de milliers de personnes. Pourquoi pas pour le traitement du cancer ?

Personnellement, je suis réservé sur l’idée que les pays riches doivent payer le médicament très cher pour permettre aux pays pauvres d’y accéder. Car ce n’est pas tout à fait vrai, ce n’est pas une vraie régulation. En effet, non seulement les pays pauvres ne reçoivent pas les médicaments du cancer, mais les pays riches ne vont plus pouvoir se les payer. C’est pourquoi nous tirons la sonnette d’alarme, en prônant une nouvelle régulation à l’échelle mondiale, et, à l’échelle nationale, une réelle transparence sur le mécanisme de fixation de la valeur ajoutée médicale, au niveau de la commission de la transparence, et de la valeur monétaire du médicament, au niveau du Comité économique des produits de santé.

Le directeur de l’Agence européenne des médicaments, Guido Rasi, a publié récemment dans le New England Journal of Medecine un plaidoyer en faveur du paiement à la performance, mais aussi pour l’inclusion dans les dossiers d’autorisation de mise sur le marché d’une analyse économique coût/efficacité, que les régulateurs autorisant les produits ne peuvent plus ignorer. Le traitement par les cellules CAR-T est affiché à plus de 150 000 dollars par patient, au prétexte que son prix est équivalent à une greffe de moelle, mais s’il coûte beaucoup moins cher, il n’y a aucune raison qu’on le paie à ce niveau-là.

Je voudrais dire à l’élu marseillais, M. Tian, que la découverte des facteurs du système immunitaire qui contrôlent le check-point de l’immunité anticancéreuse a été faite au Centre d’immunologie de Marseille. C’est Pierre Golstein qui a découvert CTLA-4, mais, de par sa culture de chercheur à l’INSERM, il ne l’a pas breveté. Aujourd’hui, les jeunes chercheurs marseillais brevettent beaucoup et ont créé des sociétés qui génèrent des profits.

Bref, on est dans ce nouveau mouvement. Il ne faut pas en faire une guerre idéologique, en se positionnant pour ou contre l’industrie. Bien sûr, nous avons besoin de l’industrie. Mais nous avons aussi besoin d’avoir confiance dans la solvabilité de notre système de santé.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Merci, messieurs, de ces explications. Et merci pour votre tribune qui nous a conduits à organiser cette série d’auditions.

*

Puis, elle procède à l’audition de Mme Catherine de Salins, présidente du conseil d’administration de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), et de M. Dominique Martin, directeur général.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Nous poursuivons nos auditions sur le prix des médicaments, en recevant maintenant Mme Catherine de Salins, présidente du conseil d’administration de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), que nous avons auditionnée le 26 avril, avant sa nomination à la tête de cette instance, et son directeur général M. Dominique Martin, que nous avons auditionné en juillet 2014.

Madame la présidente, Monsieur le directeur, je vous remercie d’avoir accepté cette audition, qui a été décidée à la suite de publication de la tribune de MM. Vernant et Maraninchi, autrement dit bien avant la « campagne choc » lancée il y a deux jours par Médecins du Monde visant à dénoncer « le prix révoltant » des médicaments.

L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé n’a pas de rôle direct dans la fixation du prix du médicament. Néanmoins, son avis sur la qualité et l’efficacité des produits est important, puisque celui-ci est pris en compte par le Comité économique des produits de santé (CEPS) dont le rôle est de fixer le prix des médicaments.

Mme Catherine de Salins, présidente du conseil d’administration de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Comme vous l’avez indiqué, madame la présidente, le prix du médicament ne figure pas au nombre des missions, pourtant nombreuses, de l’ANSM. Cette situation n’est pas le fruit du hasard : elle découle d’un choix de politique de santé publique selon laquelle la sécurité sanitaire doit être le seul objectif poursuivi par l’Agence et que cet objectif ne doit pas être pollué par des préoccupations économiques ou de financement de la sécurité sociale. Ce partage des rôles entre les différents intervenants publics dans le champ de la politique de santé publique me semble pertinent : son maintien devrait constituer l’une des lignes conductrices de votre réflexion.

Pour autant, l’ANSM est parfaitement consciente de l’impact de ses actions sur la fixation du prix de chaque médicament et, plus largement, sur le budget de la sécurité sociale. C’est le cas par exemple au travers de la délivrance d’autorisations de mise sur le marché (AMM), que ce soit au plan européen pour des médicaments innovants, ou au plan national notamment pour un premier générique. C’est le cas également pour la délivrance d’autorisations temporaires d’utilisation (ATU) ou, plus récemment, de recommandations temporaires d’utilisation (RTU). En la matière, l’ANSM est bien consciente de l’importance de la diligence qu’elle peut mettre à instruire ces dossiers.

L’Agence est également consciente qu’elle est un lieu d’observation et de recueil d’informations et d’analyses, très utiles à la fixation du prix des médicaments. Vous avez évoqué, madame la présidente, l’analyse du bénéfice/risque du médicament, laquelle intervient ultérieurement dans la prise en compte de l’amélioration du service médical rendu (ASMR) et in fine dans la fixation du prix. Un autre exemple est celui des données réelles d’utilisation des médicaments, qui interviennent dans la partie volume de l’utilisation des médicaments pour la fixation du prix. Je laisse M. Dominique Martin vous exposer précisément ces différents points.

M. Dominique Martin, directeur général de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Dans la chaîne du médicament, l’ANSM intervient très en amont, à savoir sur les problématiques de qualité intrinsèque du produit et de l’équilibre bénéfice/risque. Les décisions d’autorisations de mise sur le marché sont prises dans la quasi-totalité des cas au niveau européen – les AMM prises sur le territoire national concernent essentiellement les génériques.

Notre pays bénéficie, et c’est une particularité dont nous pouvons être fiers, d’un accès à l’innovation globalement plus favorable que dans beaucoup d’autres. Les dispositifs de facilitation de l’accès à l’innovation, laquelle coûte cher, ont un impact économique. A titre d’exemple, pour les autorisations temporaires d’utilisation, qu’elle soit nominatives ou de cohorte, les prix sont libres : ils sont fixés par l’industriel, et non négociés par l’Agence. Les ATU de cohorte permettent un accès à des thérapeutiques innovantes plusieurs mois avant l’autorisation de mise sur le marché. Après l’arrivée du médicament sur le marché à un prix déterminé et utilisé pendant plusieurs mois, les discussions qui ont lieu dans le circuit normal – Haute Autorité de santé (HAS) puis CEPS – peuvent être affectées par ce prix, même si un mécanisme de récupération permet de récupérer un éventuel différentiel entre le prix utilisé dans le cadre de l’ATU de cohorte et le prix fixé in fine par le CEPS. Ce mécanisme de récupération de différentiel est assez complexe, mais il permet de rétablir les équilibres.

Autre exemple : le développement des biosimilaires, de plus en plus nombreux sur le marché, pose la question de leurs conditions d’utilisation et celle des possibilités de leur interchangeabilité – comme c’est déjà le cas pour les génériques. En effet, l’impact économique de l’utilisation des biosimilaires – moins chers que les princeps – sera différent selon qu’ils sont largement utilisés parce que les conditions de sécurité sont réunies ou que des conditions très restrictives sont posées à leur utilisation.

Les recommandations temporaires d’utilisation (RTU) ne constituent pas à proprement parler un mécanisme d’accès à l’innovation, mais s’en rapprochent, notamment dans le domaine de la cancérologie. En effet, les extensions d’indication peuvent passer par des RTU de médicaments d’immunothérapie, qui sont, chacun le sait, très coûteux ; ces extensions d’indication peuvent donc avoir un impact économique.

En particulier, la RTU pour l’Avastin permet d’utiliser ce médicament à la place du Lucentis à des coûts bien moindres. Pour établir cette recommandation temporaire, l’ANSM est intervenue, non sur des considérations économiques, mais sur l’aspect bénéfice/risque, l’Avastin apportant le même bénéfice et garantissant la même sécurité dans le traitement de la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) que les produits Lucentis ou Eylea. Le dispositif est en train de se mettre en place, certes péniblement car il reste quelques points à résoudre.

À côté de l’accès à l’innovation, l’accès aux traitements renvoie à une question importante : le développement des génériques, médicaments essentiels au regard des équilibres économiques. Conscients du retard pris en matière d’autorisations, nous avons mis en œuvre un programme pour l’accès au premier générique, qui permettra de donner l’autorisation de mise sur le marché du premier générique le plus rapidement possible. En effet, l’arrivée d’un générique sur le marché a un effet sur le prix du princeps dans les mois qui suivent. Ainsi, l’Agence prend en considération, dans ses choix prioritaires, les aspects économiques.

L’ANSM est représentée au sein de la Commission de la transparence, ce qui nous permet d’apporter à celle-ci des informations sur les discussions relatives aux autorisations menées par le Committee for medicinal products for human use (CHMP), de l’Agence européenne des médicaments, en particulier sur le champ des indications, qui sont plus ou moins larges. La conception que l’on a de l’indication peut évidemment avoir un impact sur la population concernée. Ainsi, la fixation par la HAS de l’amélioration du service médical rendu (ASMR) se fait sur la base de données d’efficacité et de sécurité apportées par les industriels, mais aussi par l’Agence au travers de son action dans le cadre européen.

L’ANSM n’est pas représentée au sein du Conseil économique des produits de santé. En revanche, elle fait partie du groupe de travail où sont décidées les études post-AMM, c’est-à-dire des études de médicaments en vie réelle, utiles à la réévaluation du prix des médicaments en fonction des stratégies, en termes de bénéfice ou de risque.

Dans ce domaine des études en vie réelle, l’Agence a créé des plateformes de pharmaco-épidémiologie et travaille très étroitement avec la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM), notamment sur les bases du système national d’information inter-régimes de l’Assurance maladie (SNIIRAM). Des améliorations sont encore possibles au travers de nos coopérations avec la HAS et le CEPS dans le suivi des médicaments en vie réelle, tant du point de vue de la sécurité que des impacts économiques.

Au-delà du prix des médicaments, une autre question importante concerne le financement des innovations, qui sont particulièrement coûteuses. La nécessité de dégager les moyens pour financer des innovations essentielles – antiviraux, médicaments d’immunothérapie – s’accompagne de la nécessité de mieux contrôler la consommation des médicaments. En effet, notre pays se caractérise par une surconsommation de certaines classes de médicaments, comme les psychotropes, notamment les benzodiazépines, les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) et les antibiotiques. Si ces consommations étaient ramenées dans une moyenne européenne, des marges financières pourraient être dégagées afin de financer l’innovation. Cette démarche trouverait aussi un intérêt en termes de sécurité puisque la surconsommation est assimilée à un mésusage des médicaments.

À plusieurs reprises, l’Agence s’est interrogée sur la disparition de certains médicaments du marché français. Nous n’avons pas d’explications précises sur ce phénomène, car nous ne connaissons pas la nature des circuits financiers, mais il semble que cette disparition de certains médicaments du marché s’explique par un trop faible prix. Cela a été le cas de l’Extencilline, un médicament important et très peu cher. Il a fallu déployer beaucoup d’efforts pour importer un produit étranger et ainsi trouver un médicament similaire à l’Extencilline sur le marché français. D’autres médicaments ont disparu du marché, comme le Marsilid, un antidépresseur IMAO, et le Di-Hydan. Il est tout à fait normal que de nouveaux médicaments arrivent et que d’autres disparaissent du marché, mais la question se pose parfois des effets compliqués que cela peut engendrer.

Enfin, des interrogations portent sur la qualité des produits et sur les conditions dans lesquelles les essais de bioéquivalence sont conduits dans des pays lointains pour les génériques. Vous avez tous en tête l’affaire « GVK », qui a entraîné, sur décision de la Commission européenne, la suspension de plusieurs dizaines de génériques en France et de plusieurs centaines au niveau européen parce que l’entreprise qui avait conduit les études de bioéquivalence en Inde n’avait pas respecté les conditions de sécurité. L’ANSM conduit en effet des inspections sur les sites où se déroulent les essais, en Inde, en Chine, au Canada, pour s’assurer du respect des conditions de sécurité, malgré la tension économique susceptible de conduire certaines entreprises à ne pas respecter les normes européennes. L’Agence n’a pas accès à toutes les informations, mais nous sommes très attentifs au problème : plus de 10 % à 15 % de nos inspections sont conduites à l’étranger pour nous assurer, dans un marché globalisé, du respect des bonnes pratiques de fabrication et des bonnes pratiques en matière d’essais cliniques.

M. Renaud Gauquelin. Merci, madame la présidente, monsieur le directeur, pour les informations que vous nous avez apportées.

L’ANSM n’intervient pas directement sur le prix des médicaments, mais l’un de ses objectifs est de permettre à tous nos concitoyens un accès équitable aux médicaments innovants, dont le prix est un facteur déterminant. Votre deuxième objectif est de garantir la sécurité des produits de santé tout au long de leur cycle de vie, depuis leurs essais initiaux jusqu’à leur consommation. Vous avez raison, il existe en France une surconsommation de médicaments, dont l’impact financier entrave la prise en charge de molécules innovantes. D’où un sujet important pour les parlementaires que nous sommes, même si nous n’avons qu’un rôle minime sur le prix des médicaments.

Aux États-Unis, entre 2010 et 2014, le Center for biomedical innovation du Massachussets Institute of technology a lancé une étude sur de nouvelles formes d’autorisation de mise sur le marché : les adaptive pathways. Il s’agit d’autorisations de mise sur le marché fractionnées octroyées au terme d’essais cliniques très courts et sur des périmètres plus restreints, dans la mesure où aucun autre traitement n’existe. Les firmes pharmaceutiques y voient un intérêt médical, mais aussi financier, car ces AMM fractionnées leur permettent d’exiger un prix du médicament plus élevé que dans les marchés saturés, et que leurs essais cliniques sont ainsi simplifiés et mieux valorisés. En mars 2014, l’Agence européenne des médicaments a lancé un projet pilote sur ces adaptive pathways, le programme « Priority medicines » (PRIME) visant à soutenir le développement de médicaments répondant à un besoin médical partiel non satisfait. Cependant, certains observateurs craignent que cela ne mette en danger la santé des patients. Quel est votre avis sur ce nouvel aspect de la médecine ? Quels efforts devraient être déployés pour améliorer l’évaluation de l’innovation et assurer la pharmacovigilance des médicaments innovants ?

Concernant l’Extencilline, je pense que l’arrêt de ce médicament tient à son prix, qui était bas. Une autre raison est sans doute la disparition progressive, grâce aux antibiotiques, du rhumatisme articulaire aigu ou maladie de Bouillaud. La troisième raison est liée aux douleurs que provoquait ce médicament sur les muscles fessiers de nos enfants qui, en général, refusaient la deuxième piqûre…

Les IMAO, des antidépresseurs utilisés pendant des décennies pour une fraction des maladies dépressives, ont disparu faute d’un nombre suffisant de malades. Leur prix était trop bas. Mais sauf erreur de ma part, le Marsilid a été remis sur le marché à la demande de la ministre de la santé pour que les gens en manque puissent en bénéficier. Le prix a été revalorisé, mais le problème est que ce médicament est actuellement remboursé en ambulatoire, mais pas dans les cliniques psychiatriques ou les hôpitaux. Or ces malades, au nombre de quelques centaines pour lesquels la prise de ce médicament est vitale, ont souvent besoin d’hospitalisations itératives à certaines périodes de leur maladie maniaco-dépressive. C’est donc la clinique ou l’hôpital qui financent sur leur budget ce médicament, ce qui est aberrant.

M. Bernard Accoyer. La durée des procédures des organismes tels que le vôtre est souvent considérée comme beaucoup plus longue que celle des autres pays. Certains y voient une finalité économique pour l’Assurance maladie. Quels sont les mécanismes d’autocontrôle de votre institution ? Existe-t-il un contrôle extérieur des procédures et des opérations que vous conduisez ? Si oui, êtes-vous satisfaits de ces contrôles ?

Avez-vous une opinion sur le fait que la législation actuelle conduise à écarter un nombre d’experts tel qu’il arrive que certains groupes de travail soient privés d’experts pointus, tant ils sont suspectés de conflit d’intérêts ?

Enfin, une inquiétude s’exprime dans le pays sur l’accès à l’innovation. Finalement, notre pays est-il organisé pour sauvegarder durablement l’accès à l’innovation, alors que la recherche pharmaceutique et l’investissement dans ce domaine diminuent fortement ?

Mme Dominique Orliac. Madame, monsieur, je vous remercie de votre présentation. Je réitère mes remerciements à notre présidente d’organiser ces auditions sur le prix des médicaments.

Finalement, la visibilité de la campagne de Médecins du Monde est accrue grâce à la censure dont elle fait l’objet.

L’ANSM entretient des liens privilégiés avec d’autres organismes, tels que la HAS et le CEPS. Votre agence a pour mission d’offrir à tous les patients un accès équitable aux traitements innovants, mais aussi de garantir la sécurité des produits de santé tout au long de leur cycle de vie, depuis les essais initiaux jusqu’à la surveillance après autorisation de mise sur le marché.

Comme l’a indiqué mon collègue Accoyer, les procédures d’admission réglementaire sont très longues. En effet, la France est lourdement pénalisée pour sa filière médicaments, car sa chaîne réglementaire est bien plus longue que celle de nos voisins européens : entre 2008 et 2013, les délais entre les AMM et la fixation des prix sont passés de 93 à 332 jours, contre seulement 102 jours au Danemark et zéro jour en Allemagne, où les remboursements et les prix sont décidés a posteriori, après un an d’utilisation. Récemment, j’ai reçu une association représentant les patients atteints de la mucoviscidose : ils attendent l’autorisation de mise sur le marché du médicament dans sa forme pédiatrique, car cette AMM n’existe actuellement que pour le traitement de cette maladie congénitale à partir de six ans. Il est donc important de raccourcir les délais.

De surcroît, ce problème risque d’amener les laboratoires à abandonner la France pour aller faire étudier leurs dossiers ailleurs. Que comptez-vous entreprendre pour éviter la délocalisation des laboratoires pharmaceutiques qui iraient faire étudier leurs dossiers dans d’autres pays ?

Autre question : votre budget est-il suffisant pour maintenir une évaluation scientifique et technique de qualité qui permette de mesurer l’efficacité et la sécurité des médicaments et des produits biologiques ?

Enfin, vous avez évoqué la RTU pour l’Avastin. Pendant de nombreuses années, j’ai soulevé le problème du prix des médicaments, en particulier le coût des anti-VEGF pour le traitement de la dégénérescence maculaire exsudative, lorsque le Lucentis était utilisé à l’époque. Aujourd’hui, le foisonnement des médicaments innovants est une chance pour les patients, en particulier ceux qui sont atteints de l’hépatite C. Mais le problème de la fixation du prix de ces nouvelles thérapeutiques doit être résolu pour faire en sorte que tous les patients puissent en bénéficier.

Mme Chaynesse Khirouni. Dans le cadre du groupe d’études sur le handicap, une audition a attiré notre attention sur le Sativex, un médicament dérivé du cannabis, sans effet psychotrope, dont l’ANSM a autorisé la mise sur le marché au début de l’année 2014. Selon la Ligue française contre la sclérose en plaques, le Sativex a démontré son efficacité sur les douleurs musculaires et neuropathiques, cette molécule permettant de soulager les contractures sévères résistantes aux autres traitements. Or, depuis de très longs mois, la discussion est en cours avec le Comité économique des produits de santé pour fixer le prix de ce médicament, et il semble que les négociations soient bloquées avec l’unique laboratoire qui le commercialise. Ainsi, le Sativex n’est toujours pas disponible en France, alors qu’il est prescrit dans plus de 17 pays européens, notamment en Grande-Bretagne, en Suisse, en Allemagne et en Italie, ce qui suscite l’incompréhension totale des malades dans notre pays. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur les modalités relatives à ces négociations avec les laboratoires, et nous indiquer les raisons des retards dans la mise en place de ce traitement ?

M. Dominique Tian. Monsieur le directeur, vous avez évoqué le problème, non résolu par les autorités depuis longtemps, contrairement à ce que pense notre présidente, de la surconsommation de médicaments dans notre pays. Cette surconsommation n’empêche-t-elle pas le remboursement des produits innovants, notamment des anti-cancéreux ?

Le décret sur la « liste en sus » est attendu par les professionnels, mais il suscite la crainte des hôpitaux publics et des associations de malades et de médecins. En effet, s’il aboutissait à faire supporter par les hôpitaux des sommes importantes, cela risquerait de créer des inégalités dans l’accès aux traitements innovants.

M. Fernand Siré. Les génériques sont à la mode en Allemagne, aux États-Unis, etc. En France, après appel d’offres, les hôpitaux peuvent acheter le médicament identique le moins cher. Pourquoi la sécurité sociale ne rembourserait-elle le médicament identique le moins cher ? Ceux qui voudraient un autre médicament plus cher se le paieraient eux-mêmes. Cette solution ne pénaliserait pas les patients, qui bénéficieraient d’un médicament moins cher, et laisserait la possibilité aux laboratoires de fabriquer des produits moins chers que le générique.

Autre sujet : des médicaments destinés aux adultes ne sont pas autorisés pour les enfants de moins de 3 ans, faute d’études réalisées par les laboratoires, car elles ne sont pas rentables. Par conséquent, il y a deux poids deux mesures : les pédiatres et les médecins libéraux ne peuvent pas utiliser ces produits, mais ces médicaments sont utilisés sans AMM dans les hôpitaux par les services spécialisés de réanimation infantile et les services de pédiatrie. Autrement dit, faute de trouver sur le marché des produits pour les enfants de moins de 3 ans, ces enfants doivent se faire hospitaliser pour être soignés.

M. Gérard Sebaoun. S’agissant des génériques, faut-il maintenir le système actuel, avec une incitation au niveau des cabinets médicaux et des pharmacies, ou faut-il passer à un autre système pour bouleverser ce qui semble être une machine assez lente à se mettre en place dans notre pays ?

L’hôpital a-t-il un rôle à jouer dans les habitudes de prescription, sachant que des princeps pourraient être remplacées par d’autres médicaments moins chers ?

Mme la présidente Catherine Lemorton. En France, il y a une résistance aux génériques par rapport à d’autres pays européens, comme l’Allemagne ou l’Espagne.

Mme Catherine de Salins. Je vais vous apporter des éléments d’ordre général ; Dominique Martin entrera dans les détails.

Plusieurs de vos questions ont porté sur la phase aval de l’intervention de l’Agence. En particulier, vous vous êtes demandé pourquoi des délais de plus de 90 jours séparent la délivrance de l’AMM et la fixation du prix. C’est une question sur laquelle l’Agence n’a aucune prise : elle ne peut pas répondre de ce qui se passe au niveau de la phase aval une fois l’autorisation délivrée. Sa part de responsabilité peut interférer sur la date de délivrance de l’AMM lorsqu’il s’agit d’une autorisation nationale. Je dirai donc deux choses. D’une part, les délais sont plus longs pour des raisons totalement étrangères à des préoccupations de financement de la sécurité sociale. D’autre part, l’Agence a mis en place un programme visant à rattraper ce retard et même à délivrer les AMM dans les délais les plus brefs, compatibles avec une bonne analyse de la sécurité du produit.

Ensuite, les dispositifs innovants préconisés par les Américains et repris par la Commission européenne que vous avez évoqués me font très largement penser aux autorisations temporaires d’utilisation (ATU), qui sont données avant la délivrance de l’AMM pour des populations cibles et qui sont très encadrées.

Enfin, d’un point de vue économique, on est confronté à la difficulté d’un prix à moitié administré : c’est l’État qui fixe le prix, mais sur la base de contraintes ou de critères, et il est confronté à un industriel qui garde une certaine liberté, notamment sur le fait de fractionner le marché, de pratiquer des prix différents d’un marché à un autre, avec plus ou moins de justifications. De ce point de vue, l’Autorité de la concurrence a certainement des choses à vous dire.

M. Dominique Martin. Monsieur Gauquelin, les nouvelles adaptive licensing, qui existent aux États-Unis et qui sont en train de se mettre en place au niveau européen, ne sont pas sans risque, vous l’avez rappelé. Entre l’arrivée précoce de médicaments innovants sur le marché, d’une part, et le recul de plus en plus limité en termes d’essais cliniques, d’autre part, il faut trouver le juste équilibre bénéfice/risque. La France a la particularité d’être en avance par rapport aux autres pays européens grâce aux dispositifs législatifs que sont les autorisations temporaires d’utilisation nominatives et les autorisations temporaires d’utilisation de cohorte. Chaque année, l’ANSM délivre 25 000 autorisations temporaires nominatives, ce qui est considérable – vous imaginez la charge de travail que cela représente en termes de contrôle. La délivrance de ces autorisations individuelles, qui répond souvent à des situations de fin de vie, se base sur la confiance que nous avons dans les praticiens – les cancérologues et les autres spécialistes compétents – qui nous disent avoir besoin de ces médicaments. Les autorisations temporaires d’utilisation de cohorte sont elles-mêmes très contrôlées par l’Agence : elles n’entrent pas dans le cadre d’essais cliniques ; elles sont, en quelque sorte, des essais en vie réelle et leur accès est extrêmement large. Ainsi, à côté du mouvement qui se développe au plan européen, auquel nous participons, la France enregistre une avance sur ces questions.

On entend dire que la disparition de certains médicaments du marché s’expliquerait par des raisons économiques, que, je le redis avec beaucoup de précaution, nous ne sommes pas capables de vérifier. Concernant l’Extencilline, monsieur le député, je connais bien, en tant que médecin, la troisième raison que vous avez évoquée, la raison principale étant que l’indication de ce médicament est devenue, et c’est heureux, très rare.

Madame Orliac, la question des procédures d’autorisation renvoie à plusieurs aspects. Certains aspects, comme l’a rappelé la présidente du conseil d’administration, ne concernent pas l’Agence. En effet, une fois l’AMM octroyée, les échéances – qui dépassent de très loin les échéances réglementaires – concernent d’autres institutions, en l’occurrence la Haute Autorité de santé et le CEPS. D’autant qu’en matière d’innovation, les autorisations de mise sur le marché sont toutes européennes. Mais je précise que la France prend toute sa part dans ces procédures européennes, qui font intervenir un pays rapporteur et un pays corapporteur : notre pays participe avec les autres États à ces autorisations, en particulier dans le domaine de la cancérologie.

Pour autant, en tant que directeur général de l’ANSM, je prends ma part sur la partie AMM : nous avons parfois des retards pour les AMM ou sur les transcriptions de certaines autorisations pour leur extension sur le territoire national. C’est pourquoi nous avons mis en place des projets prioritaires visant à rattraper ces retards. À titre d’exemple, pour remédier à notre retard dans la traduction de notices écrites dans d’autres langues que le français, nous avons décidé que cette traduction devait être réalisée par les industriels eux-mêmes, et non plus par l’Agence. Cette simple modification, au travers de laquelle nous nous mettons en situation de contrôle et non plus en situation de faire, améliore considérablement les délais. En outre, je rappelle que nous avons inscrit dans nos priorités l’autorisation du premier générique, dont l’impact économique est très important.

Monsieur Accoyer, les organismes mènent bien sûr des contrôles. Surtout, nous avons mis en place des systèmes de traçabilité pour garantir la transparence. Le respect ou non des délais qui relèvent de notre responsabilité doit faire l’objet de contrôles : ces éléments sont publiés dans les rapports d’activité transmis au Parlement. Cela étant dit, les retards en matière de délais réglementaires sur les autorisations ne représentent qu’une partie des retards ; pour en avoir discuté avec des représentants des industriels, l’essentiel des retards porte sur la phase aval, c’est-à-dire entre l’autorisation de mise sur le marché et la fixation du prix.

Nos règles déontologiques seraient-elles un frein à l’expertise ? Certes, cela complique les choses, car nous devons avoir une gestion très attentive. Néanmoins, il est hors de question de céder un pouce en matière de déontologie ; sinon, la situation deviendrait catastrophique et donc ingérable pendant des mois, voire des années. Les règles sont équilibrées. Il y a des situations d’incompatibilité, c’est vrai ; mais les liens ne sont pas interdits : ils sont gérés, c’est-à-dire que l’Agence s’assure qu’ils ne sont pas susceptibles de créer un conflit d’intérêts. Pour autant, il faut trouver un juste équilibre, et nous le faisons en développant deux aspects. D’abord, nous développons l’expertise en interne, grâce à la mise en place de programmes de formation pour une montée en compétence de nos agents, qui sont déjà de très haut niveau – beaucoup sont titulaires de deux doctorats scientifiques. Ensuite, nous développons l’expertise institutionnelle, en ayant créé deux plateformes en épidémiologie des produits de santé, à Rennes et à Bordeaux dans un environnement universitaire ; ces plateformes démultiplient la capacité de l’Agence à réaliser des études pour surveiller et assurer la sécurité des produits de santé. Mon souhait est de passer des conventions, par exemple avec des départements de pharmacologie dans des universités, afin de développer les échanges d’expertise entre ces structures et l’Agence. Nous commençons à en discuter, toujours dans un cadre déontologique.

La première mission de l’Agence est d’offrir un accès équitable à l’innovation pour tous les patients. Lorsque nous décidons des autorisations temporaires d’utilisation, des recommandations temporaires d’utilisation ou encore des autorisations d’essais cliniques, nous participons activement à l’accès à l’innovation dans les meilleures conditions. Sur le coût de l’accès à l’innovation, nous ne sommes pas compétents. Un article de Martin Hirsch posait la question de la soutenabilité de l’accès à l’innovation : il y a sans doute un équilibre à trouver.

Monsieur Siré, le Comité européen des médicaments pédiatriques (Paediatric Committe, PDCO) est responsable de la coordination des activités relatives aux médicaments pédiatriques. Il y a une vraie difficulté, mais aussi une réelle prise de conscience au plan européen quant à la nécessité de développer des formes pédiatriques. En effet, des médicaments pour adultes ne sont pas utilisés pour des enfants ou, s’ils le sont, ce sont quasiment des préparations au sens juridique, ce qui n’est pas satisfaisant. L’accès des enfants à des médicaments qui leur sont utiles est clairement insuffisant, parce que des formes pédiatriques de médicaments, parfois essentiels, ne sont pas mises à disposition.

Vous l’avez rappelé, madame Khirouni, faute d’accord sur un prix acceptable du Sativex, il y a un blocage entre l’industriel et le CEPS. L’Agence a donné l’AMM pour ce médicament depuis longtemps, considérant qu’il est extrêmement utile dans les indications que vous avez évoquées – nous avons même dû vaincre quelques obstacles, compte tenu de la nature de ce produit… Nous n’avons aucun mode d’action pour faire en sorte que la situation se débloque.

Monsieur Tian, je ne sais pas où en est le décret sur la « liste en sus » ; je vous renvoie donc au ministère. Mais je peux lui poser moi-même la question, et éventuellement vous répondre par écrit.

M. Dominique Tian. Mais quel est votre avis sur le fond ?

M. Dominique Martin. La question que vous m’avez posée ne relève pas de la compétence de l’Agence – je me ferais tirer les oreilles si je m’aventurais sur ce terrain.

Enfin, Monsieur Sebaoun, en tant qu’agence qui s’intéresse au bénéfice/risque, autrement dit à l’efficacité et à la sécurité des médicaments, nous sommes de fervents partisans de l’utilisation des génériques. Dans la mesure où il n’y a pas de différence entre les génériques et les princeps, il n’y a aucune raison – en dehors bien sûr des situations très exceptionnelles, où les marges thérapeutiques sont très étroites – que la couverture en génériques de notre pays se limite à 30 %, alors qu’elle devrait être de 60 %. Il est préoccupant que des médecins eux-mêmes expriment des réticences sur la prescription de génériques, ne les jugeant pas tout à fait équivalents aux princeps. Cette insuffisance de couverture en génériques fait perdre des marges de manœuvre pour financer les innovations. Face à cette situation anormale, il faut réactiver les solutions, et c’est pourquoi la ministre de la santé a décidé la mise en place d’un « plan génériques » dont la déclinaison sera bientôt présentée. Les génériques sont mis sur le marché dans les mêmes conditions que les princeps, avec les mêmes garanties : nous faisons des contrôles, y compris sur les études de bioéquivalence – et nous avons prouvé que notre pouvoir de contrôle est important, puisque c’est la France qui a été l’origine de l’inspection en Inde. Ainsi, que ce soit pour des génériques ou des princeps, l’Agence est capable de prendre des décisions de suspension de produits. Nous contrôlons ce marché des génériques aussi bien que le marché des princeps : nous avons autant de contrôles qui posent problème sur des matières premières qui donneront lieu à la fabrication de princeps que sur des problématiques touchant aux génériques.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Concernant la « liste en sus », monsieur Tian, la difficulté est de faire sortir des produits de cette liste pour en faire entrer d’autres. On ne peut pas maintenir un régime d’exception pour des produits qui ont été utilisés, réutilisés, et qui doivent tomber dans le « droit commun ».

D’autre part, l’intérêt pour les laboratoires de garder une molécule en ATU, avant qu’elle tombe en AMM, a souvent été pointé du doigt car le prix libre leur permet de dégager de la trésorerie pendant quelque temps.

En fait, je pense que l’ANSM a un rôle sur le prix des médicaments innovants quand il est réévalué. Notre collègue Gauquelin a évoqué les AMM fractionnées : plus les essais cliniques sont courts, moins les effets secondaires sont évalués. Or un médicament a des effets positifs, mais aussi des effets secondaires dont le coût est supporté par la collectivité. Et là, l’action de l’Agence en matière de pharmacovigilance est importante, car elle donne son avis sur la balance bénéfice/risque, si bien que le prix d’un médicament innovant peut être revu à la baisse au regard du risque. C’est une manière indirecte d’agir sur le prix du médicament.

Merci, madame la présidente, monsieur le directeur général, d’avoir répondu à toutes les questions.

*

Enfin, elle procède à l’audition de Mme Agnès Buzyn, présidente du conseil d’administration de la Haute Autorisé de santé (HAS), et de M. Dominique Maigne, directeur

Mme la présidente Catherine Lemorton. Nous terminons cette matinée d’auditions sur le prix des médicaments en accueillant Mme Agnès Buzyn, présidente du Collège de la Haute Autorité de santé (HAS) – dont la candidature à la tête de cette instance a fait l’unanimité ici même en janvier dernier – et M. Dominique Maigne, directeur.

Je rappelle que ces auditions ont été programmées à la suite de l’appel lancé, en mars, par 110 cancérologues et hématologues pour dénoncer « l’inflation des prix pratiqués par l’industrie pharmaceutique ». Avant-hier, Médecins du Monde a lancé une campagne contre les prix « exorbitants des nouveaux traitements anti-cancéreux ou ceux pour soigner l’hépatite C ». Ainsi, le hasard fait parfois bien les choses.

La Haute Autorité de santé mène des évaluations médico-économiques pour les médicaments et dispositifs médicaux particulièrement coûteux et innovants lorsqu’il y a une demande de remboursement. Ces évaluations médico-économiques sont des outils d’aide à la décision pour la fixation des prix qui font l’objet d’une négociation entre le Comité économique des produits de santé (CEPS) et l’industriel.

Mme Agnès Buzyn, présidente du Collège de la Haute Autorité de santé (HAS). Comme il s’agit d’un sujet assez polémique, je souhaite rappeler que, pour l’instant, aucun patient français n’est exclu des soins innovants au prétexte de prix prohibitifs. Autrement dit, contrairement à ce que certains prétendent, notre système de solidarité garantit l’accès aux médicaments innovants et aux soins de qualité de façon équitable. Ce débat sur le prix des médicaments nous permet d’anticiper ce que pourrait être notre système de santé à l’avenir.

Dans la chaîne décisionnaire de la fixation du prix des médicaments, la Haute Autorité de santé est un maillon. Parmi les différents acteurs, il y a donc des choses qu’elle fait et d’autres qu’elle ne fait pas. Elle définit le service médical rendu (SMR) et l’amélioration du service médical rendu (ASMR) des médicaments. Elle réalise également une évaluation médico-économique. Par contre, elle ne négocie pas avec les industriels ; elle n’intervient pas non plus dans les négociations menées entre Les Entreprises du médicament (LEEM) et le gouvernement, conformément à l’accord-cadre qui régit les règles de fixation du prix entre les industries du médicament et le Comité économique des produits de santé. Enfin, les règles internationales, selon lesquelles un médicament dispose d’un prix européen, et l’accord-cadre, aux termes duquel la France s’engage à respecter les prix européens, ne sont pas du tout du ressort de la HAS.

Pour revenir au rôle de la HAS, une fois que l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et que l’Agence européenne des médicaments (EMA) ont délivré une autorisation de mise sur le marché (AMM) pour un médicament, reconnu vraisemblablement efficace et surtout non toxique, la Haute Autorité de santé évalue, d’une part, le service médical rendu (SMR), c’est-à-dire l’intérêt médical de ce médicament dans le traitement d’une pathologie, et, d’autre part, l’amélioration du service médical rendu (ASMR), c’est-à-dire le bénéfice supplémentaire apporté par ce médicament par rapport à d’autres médicaments existants sur le marché. Ces deux étapes permettent, d’abord, de fixer le taux de remboursement du médicament – l’évaluation du SMR permet de dire si le médicament mérite d’être remboursé à 65%, 30% ou 15%  – et, d’autre part, de négocier le prix du médicament : l’avis rendu par la commission de la transparence de la HAS sur l’ASMR est l’outil qui permet au CEPS de négocier ce prix. Plus l’ASMR est importante, plus le médicament est reconnu comme innovant, ce qui permet à l’industriel de négocier un prix élevé. À l’inverse, si l’ASMR est faible, l’industriel négocie avec le CEPS sans être certain de pouvoir atteindre le prix européen – en référence au « corridor de prix européens ». Ainsi, en fonction de l’ASMR, l’industriel obtient ou pas le prix minimal européen dans la négociation avec le CEPS.

En dehors de cette évaluation purement médicale, nous menons un deuxième type d’évaluation lorsque les médicaments engendrent un coût important pour l’Assurance maladie. Au-delà d’un chiffre d’affaires estimé par le laboratoire à plus de 20 millions d’euros, les médicaments sont soumis à une évaluation médico-économique qui permet d’évaluer, non pas un QALY au sens anglais, mais le bénéfice en termes de qualité de vie, en termes de survie, par rapport au coût revendiqué par l’industriel. Cette évaluation médico-économique n’est réalisée que pour les médicaments très innovants qui auront un impact budgétaire important pour l’Assurance maladie. Elle sert également de base à la négociation du prix par le CEPS.

En conclusion, qu’ils soient médicaux ou médico-économiques, les avis scientifiques rendus par la HAS servent de base à la négociation pour le CEPS.

M. Dominique Maigne, directeur de la Haute Autorité de santé. Les avis médico-économiques ont été mis en place grâce au PLFSS 2013. Depuis 2014, nous en avons rendu une quarantaine, soit beaucoup plus que prévu initialement, et aujourd’hui, une dizaine de produits sont en cours d’examen dans nos services. Par ailleurs, nous avons fait évoluer la méthodologie, en mettant en consultation publique un guide méthodologique portant sur l’analyse d’impact budgétaire. Celle-ci ne traite pas uniquement de l’Assurance maladie, mais de tout financeur, cette analyse d’impact budgétaire s’insérant dans une approche économique globale, en lien avec l’évaluation de l’efficience – laquelle met en regard l’ensemble des coûts et les bénéfices cliniques, notamment les données sur la qualité de vie. Ce guide portant sur l’analyse d’impact budgétaire devrait être prochainement intégré à notre méthodologie.

Le rapport de Mme Dominique Polton sur « la réforme des modalités d’évaluation des médicaments » comporte des préconisations visant à donner une meilleure visibilité aux avis médico-économiques. L’une d’elles, qui sera vraisemblablement adoptée très rapidement par le Collège, consiste à donner une publicité immédiate à ces avis sans attendre la finalisation par le CEPS des négociations sur la fixation du prix. En effet, des avis sont actuellement publiés six mois, voire plus, après qu’ils ont été rendus, ce qui fragilise le dispositif, tout au moins pour les acteurs qui ne sont pas directement concernés par la procédure du CEPS. Nous allons assurer la publicité de ces avis rendus dans les mêmes conditions que nous le faisons pour les avis de la commission de la transparence. Nous allons également les simplifier pour les rendre moins jargonnants, c’est-à-dire plus directement accessibles au lecteur éclairé. Par ailleurs, nous réfléchissons à l’instauration de ce qu’on pourrait appeler un « score d’efficience », qui donnerait des gradients aux avis médico-économiques – un peu à l’image des avis médicotechniques sur les SMR et les ASMR –, de façon à les rendre également plus lisibles pour les décideurs et l’opinion.

Enfin, le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), « Évaluation médico-économique en santé, établi par M. Lopez et Mme Jeantet, repris par le rapport de Mme Polton, nous engage à réfléchir à la mise en place de « valeurs de référence », non pas des QALY plafonds au sens du National Institute for Health and Care Excellence (NICE), mais des zones multicritères qui permettent au décideur de placer au mieux le curseur de l’efficience en fonction de la gestion du panier de soins.

Ainsi, nous travaillons continûment à améliorer le dispositif. L’accord-cadre signé cette année entre l’État, le CEPS et le LEEM organise assez finement le lien entre nos avis notamment médico-économiques et l’examen au CEPS, en particulier par l’obligation de nous motiver lorsque nous excipons de réserves méthodologiques majeures. Ce travail de transparence et de publicité est important : il nous appartient d’expliquer aux industriels les raisons pour lesquelles nous considérons que les modèles qu’ils nous ont fournis ne répondent pas aux questions. Nous avons une relation bijective avec le CEPS à ce niveau.

M. Renaud Gauquelin. Madame, monsieur, je vous remercie de vos interventions très éclairantes.

Nos concitoyens se demandent souvent pourquoi un médicament est remboursé à 30 %, 60 %, 80 %, 100 %. Qu’y a-t-il de subjectif et d’objectif dans tout cela ? Mais vous avez largement répondu en nous rassurant sur la transparence de vos décisions.

Le rôle de la HAS est d’évaluer l’amélioration du service médical rendu, qui permet de savoir dans quelle catégorie est classé le médicament, s’il est toujours remboursé ou pas. Il serait intéressant de connaître les conséquences des déremboursements sur le long terme, même s’ils ont été assez rares ces dernières années. Le déremboursement des veinotoniques, par exemple, a-t-il entraîné, comme certains l’ont prétendu à l’époque, une augmentation de la consommation des anti-inflammatoires, aussi bien en prescription qu’en automédication ?

Lors de l’audition tout à l’heure de MM. Vernant et Maraninchi, respectivement hématologue et cancérologue, nous avons longuement parlé du prix de l’innovation en cancérologie, mais aussi pour le traitement de l’hépatite C, dont le coût est faramineux dans les pays développés et inabordable pour les pays moins développés. Il est donc nécessaire de faire sortir certains produits de la « liste en sus » pour en faire entrer d’autres. Ce sujet ne doit pas être tabou, car tout évolue très vite notamment en cancérologie. Les prix des médicaments anticancéreux devraient être négociés beaucoup plus finement. Que pensez-vous de la possibilité de faire évoluer la « liste en sus » pour y faire entrer notamment des produits anticancéreux moins coûteux.

M. Jean Leonetti. Je vous remercie, madame, d’avoir rappelé que, dans notre pays, aucun patient ne se voit refuser un traitement, même innovant, pour des raisons financières. Il est très important d’obtenir cette clarification de la part de la HAS, car les tribunes sur le sujet et les débats qui s’en sont suivis ont laissé entendre qu’actuellement le frein financier empêche certains patients d’accéder à des médicaments capables d’améliorer leur santé, voire de les guérir.

Quels critères utilisez-vous pour faire la part entre un produit dont l’ASMR est faible et un produit équivalent ? La validation d’un médicament qui n’apporte pas plus d’amélioration que le précédent ne comporte-t-elle pas une part de subjectivité, voire de flou, ou même une dimension marketing ?

Question plus large : qu’est-ce que le prix d’un médicament ? Ce prix représente-t-il le bénéfice apporté à une population de masse ? Si c’est le cas, certains produits, comme les antibiotiques et les vaccins BCG, devraient être les plus chers. Encore que le bénéfice apporté au plus grand nombre permette d’amortir plus facilement le prix. Ou bien le prix doit-il tenir compte de l’investissement en recherche sur le médicament ? Autrement dit, la démarche est-elle purement économique, en lien avec le retour sur investissement de l’industrie pharmaceutique, ou est-elle purement médicale au regard de l’intérêt du malade pris individuellement ou de manière collective ?

M. Gérard Sebaoun. Parmi ses missions, la HAS définit des recommandations à destination des professionnels de santé. Dans notre pays, la liberté de prescription des médecins est inscrite dans la loi et les molécules sont nombreuses. Certains pays vont au-delà de l’incitation ou de la préconisation, en établissant des listes médicales strictes qui permettent à un médecin d’exercer son art dans de bonnes conditions tout en ne dépassant pas un niveau de prescription de quelques molécules réputées efficaces. Quel est votre sentiment sur cette évolution, notamment au niveau européen ?

M. Gérard Bapt. Tout à l’heure, le professeur Vernant a indiqué que la recherche sur l’innovation médicamenteuse émane avant tout de la recherche publique. Or selon les documents annexés à l’accord du Conseil stratégique des industries de santé (CSIS), émanation du LEEM, le financement de la R&D est de 40 millions d’euros dans le secteur public, et de 3,1 milliards dans le secteur privé – « ensemble des contrats de sous-traitance passés par les laboratoires ». Le chiffre de 40 millions me paraît donc très faible pour affirmer que l’innovation vient du secteur public.

Les représentants des laboratoires pharmaceutiques, notamment de filiales françaises, dont le corporate est situé en pays anglo-saxons, pointent souvent la bureaucratie française. En France, la lenteur de l’accès sur le marché en termes de régulation tient-elle à nos règles, nos dispositifs administratifs, ou à un manque de moyens – car je sais que le CEPS souffre d’un manque de moyens ?

Enfin, que pensez-vous des contrats de performance ?

Mme la présidente Catherine Lemorton. Des patients pensent que l’innovation est ce qu’il y a de mieux ; or, des stratégies thérapeutiques de prise en charge – élaborées par la HAS – leur permettent d’être soignés aussi bien, au moindre coût, avec d’autres médicaments. Pour le Sovaldi, par exemple, vous aviez donné une ASMR II pour les patients en fonction du stade de la fibrose, et une ASMR III pour les patients de génotype 3 ; des gens m’ont alors écrit pour me dire que leur médecin leur avait interdit le dernier traitement innovant. De la même manière, des patients demandent à être soignés avec la statine pour leur hypercholestérolémie, alors que ce médicament peut ne pas être le plus approprié à leur cas. Aux médecins, donc, d’expliquer les stratégies thérapeutiques à leurs patients.

MM. Vernant et Maraninchi ont évoqué le problème de la transparence de la commission de la transparence. Pensez-vous qu’il serait utile de rendre publics les comptes rendus de ses réunions, dont découlent les avis rendus par la HAS ?

Mme Agnès Buzyn. Merci pour toutes ces questions très intéressantes.

Monsieur Gauquelin, le calcul médico-économique sur les antiviraux à action directe (AAD) a montré qu’ils sont extrêmement efficients en termes de qualité de vie et de durée de vie par rapport à d’autres médicaments tout aussi coûteux. Ainsi, les médicaments de l’hépatite C se sont révélés très intéressants du fait de leur efficacité.

Ensuite, il nous paraît évident que la « liste en sus » doit être plus dynamique. Il y a dix ou quinze ans, les innovations arrivaient à un rythme relativement lent, avec une innovation vraie tous les deux ans : le fait que l’innovation était systématiquement plus chère que le comparateur antérieur – puisque c’est la règle – n’impactait pas tant les dépenses de santé. Aujourd’hui, les nouveaux médicaments présentant une ASMR sont toujours plus chers que le précédent, mais les innovations se succèdent à un rythme effréné, ce qui entraîne des gammes de prix inégalées. Cette règle ne dépend pas de la HAS.

Par contre, un décret de mars 2016 sur la « liste en sus » stipule que, sur la base de la réévaluation de la HAS, en fonction de l’ASMR que nous donnerons aux molécules, celles-ci seront susceptibles d’être retirées de cette liste. Nous faisons ces premières réévaluations, mais les choses sont plus compliquées qu’il n’y paraît. En effet, un médicament peut être extrêmement intéressant dans une sous-indication, mais inintéressant dans une indication plus large, ce qui nécessite pour la HAS de rendre des avis extrêmement précis, indication par indication – c’est probablement ce à quoi nous n’étions pas tout à fait préparés au moment de la publication du décret.

Ce travail de la HAS consistant à rendre un avis par indication, voire par sous-indication, est en cours. Il va probablement aboutir à des sorties de la « liste en sus », non pas d’un médicament dans sa totalité, mais d’un médicament dans une indication donnée, ce qui devrait permettre au CEPS de renégocier le prix avec l’industriel pour que, dans une indication qui s’avère moins intéressante, le prix du médicament rejoigne un prix susceptible d’être inclus au GHS, c’est-à-dire au coût global de la prise en charge du patient à l’hôpital. Cela participera très certainement de la dynamique de la « liste en sus » que vous souhaitez, monsieur le député. Les premiers effets de ce travail se feront sentir dans le courant de l’été.

Monsieur Leonetti, vous avez posé une question très conceptuelle ! On peut dire ce que le prix du médicament est aujourd’hui : il est le fruit, dans le cadre d’une négociation au sein du secteur marchand, d’une revendication d’un industriel qui prend en compte sa R&D, ses bénéfices et ses actionnaires. La question qu’on peut se poser est de savoir jusqu’à quel point l’industrie du médicament est un secteur purement marchand, sachant que les patients sont en quelque sorte obligés d’accéder au médicament. C’est une question sociétale, à laquelle la HAS ne peut pas répondre. Par contre, elle peut rendre un avis sur le bénéfice rendu par le médicament, à la fois sur le plan individuel et sur le plan collectif, puisque l’aspect santé publique est pris en compte dans l’évaluation du SMR et de l’ASMR. Ces deux volets, bénéfice individuel et bénéfice collectif, sont pris en compte dans les évaluations de la HAS. Mais en tout état de cause, le modèle actuel est celui du secteur marchand.

M. Dominique Maigne. Nos avis médico-économiques sont certes complexes, mais ils permettent d’ores et déjà au non-initié de savoir quel est le niveau de prix auquel l’efficience est au rendez-vous, en fonction des éléments de coût inclus dans le modèle d’analyse et du prix revendiqué par l’industriel. En d’autres termes, ils permettent de déterminer, non pas la valeur en elle-même, mais le point d’intersection compte tenu des éléments intégrés dans le modèle d’analyse et sans notion de plafond ou de QALY à l’anglaise. Cet éclairage est utile au décideur, via le CEPS, dans la négociation.

Mme Agnès Buzyn. L’évaluation d’une ASMR faible par rapport à un comparateur comporte toujours une part de subjectivité, même si les avis médicaux de la Haute Autorité de santé sont basés sur l’analyse fine de la littérature et sur le niveau de preuve des articles scientifiques qui fondent l’avis. A priori, tous les essais cliniques sont inclus dans les avis. En fait, malgré une AMSR assez faible par rapport au comparateur, la nouvelle molécule peut se révéler indispensable, notamment en cancérologie, où la question ne consiste pas à substituer un médicament à un autre, mais de disposer d’un maximum de lignes thérapeutiques pour prolonger la vie du patient. C’est cette difficulté à laquelle nous sommes confrontés quand nous donnons une ASMR faible, alors que le médicament est important dans la stratégie thérapeutique. Par contre, l’ASMR faible permet au CEPS de négocier un prix plus faible.

Monsieur Sebaoun, les recommandations ne sont pas opposables aux praticiens, et toutes les tentatives pour les rendre opposables se sont révélées infructueuses. Par contre, la loi de modernisation de notre système de santé prévoit en son article 143 l’établissement par la HAS de listes de médicaments à utiliser préférentiellement. Au sein d’un arsenal thérapeutique, il est donc possible de se concentrer sur certaines molécules, peut-être moins chères ou tout aussi efficientes, qui s’avèrent utiles dans le cadre des stratégies thérapeutiques. Nous allons commencer à rédiger ces listes préférentielles dans le cadre desquelles il sera fortement recommandé aux médecins d’inscrire leurs prescriptions.

Monsieur Bapt, sur l’investissement public, je pense que M. Jean-Paul Vernant et les industriels ne parlent pas de la même chose. Les industriels parlent des investissements publics, y compris du crédit impôt recherche, ce qui explique un financement public relativement faible en termes d’affichage. À mon avis, le professeur Jean-Paul Vernant évoque une R&D réalisée la plupart du temps, non par les groupes industriels, mais par la recherche académique – entièrement financée par le secteur public – qui dépose des brevets lesquels sont ensuite valorisés par des biotechs rachetées très cher par des industriels. Ainsi, la valeur ajoutée vient du brevet, issu le plus souvent de la recherche académique.

M. Gérard Bapt. Mais il y a généralement des royalties.

Mme Agnès Buzyn. Effectivement, lorsqu’un brevet déposé par un chercheur du CNRS ou de l’INSERM est racheté puis valorisé par une biotech, ces structures de recherche publique doivent en tirer des bénéfices. Je suis incapable de vous indiquer la part de la recherche publique et la part du privé dans ces investissements. Mais dans un article scientifique, un économiste anglais avait montré que la recherche publique dans le développement des médicaments est très importante en incluant les fonds des associations caritatives ajoutés aux fonds publics anglais.

Certes, le système français peut ralentir la fixation du prix du médicament, car les étapes ANSM, HAS puis CPES font que le processus s’étale sur au moins un an ou un an et demi. Néanmoins, ce processus est compensé grâce aux autorisations temporaires d’utilisation (ATU) qui permettent aux patients d’accéder aux médicaments payés par les hôpitaux, et donc l’argent public, avant la fixation du prix par la négociation. Ainsi, le modèle français est extrêmement rapide par rapport aux autres pays, où n’existe pas ce dispositif des ATU. Les industriels se plaignent de la bureaucratie française, mais tout cela est un jeu d’acteurs, car ils savent très bien que le marché français est un très bon marché où tout le monde accède aux médicaments de façon équitable et très rapidement, ce qui est loin d’être le cas dans beaucoup de pays européens. De surcroît, la HAS respecte le délai des 90 jours à partir de la réception du dossier de l’industriel jusqu’à la transmission de l’avis d’efficience au CEPS.

M. Dominique Maigne. Une disposition votée dans le cadre du PLFSS 2014 a en outre permis de raffiner le dispositif des ATU. En effet, même si un produit va sortir de l’ATU pour passer par la procédure du Comité des médicaments à usage humain (CHMP) de l’Agence européenne des médicaments (EMA) et entrer dans le cadre d’une AMM éventuellement plus restrictive que cette ATU, la HAS examine l’intérêt de continuer à donner l’ATU dès lors qu’il n’y a pas d’alternative. Ainsi, le dispositif est véritablement centré sur l’accès précoce au marché et l’équité de traitement.

Mme Agnès Buzyn. En fait, tous les industriels s’accordent à dire que le dispositif des ATU est remarquable et que ce modèle devrait être développé dans d’autres pays. La contrepartie de notre « bureaucratie » est que nous valorisons avant tout l’accès des patients aux médicaments le plus précocement possible.

Les contrats de performance sont négociés par le CEPS ; la HAS n’a pas de rôle à jouer à cet égard. Il semble que la mise en œuvre de ce dispositif soit difficile, notamment parce qu’il est rétroactif et qu’il nécessite le suivi en vie réelle du médicament dans son utilisation grâce à des registres appropriés. Or le système national d’information inter-régimes de l’Assurance maladie (SNIIRAM) est avant tout une base de données de remboursement, et non un registre médical permettant de suivre l’intérêt d’un médicament. Les contrats de performance nécessitent donc la mise en place de registres lourds, auxquels les médecins ont du mal à adhérer au regard de la paperasserie.

Madame Lemorton, vous avez raison de rappeler que l’innovation n’est pas toujours ce qu’il y a de mieux. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, un médicament innovant peut être un bénéfice, mais il représente parfois une absence de bénéfice par rapport à l'existant, voire une prise de risque. D’où l’intérêt de l’évaluation médicale réalisée par notre autorité.

Actuellement, les avis de la commission de la transparence sont publiés, mais pas le verbatim, c’est-à-dire la retranscription des débats.

M. Dominique Maigne. Les comptes rendus sont publiés, à distance pour tenir compte du contradictoire. Par contre, la retranscription des prises en sténotypie n’est pas publiée, mais elle est communiquée aux firmes – qui ne participent plus à nos travaux –, après validation de nos services. Nous avons choisi d’enregistrer intégralement ces réunions – toutes nos bandes sont conservées et communicables – plutôt que d’en assurer la retransmission en vidéo. En effet, au-delà des questions matérielles et budgétaires, le Collège estime nécessaire de conserver une forme de liberté inhérente à la collégialité au sein de la commission, en évitant que des experts soient ciblés par des porteurs de projet ou des représentants des parties prenantes. D’où la préoccupation de la HAS de ne pas cibler nominativement les votes qui traduisent la collégialité de la commission.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Merci beaucoup, madame la présidente, monsieur le directeur.

La séance est levée à douze heures quinze.

——fpfp——

Information relative à la Commission

La Commission des affaires sociales a désigné :

– Mme Jacqueline Fraysse, membre de la mission d’information relative au syndrome d’épuisement professionnel (ou burn out).

Présences en réunion

Réunion du mercredi 15 juin 2016 à 9 heures

Présents. – M. Élie Aboud, M. Bernard Accoyer, M. Pierre Aylagas, M. Alexis Bachelay, M. Gérard Bapt, Mme Gisèle Biémouret, Mme Kheira Bouziane-Laroussi, M. Yves Censi, M. Gérard Cherpion, M. Philip Cordery, M. Jean-Louis Costes, M. Rémi Delatte, M. Dominique Dord, M. Richard Ferrand, M. Renaud Gauquelin, M. Jean-Patrick Gille, M. Henri Guaino, Mme Joëlle Huillier, Mme Monique Iborra, M. Michel Issindou, M. Denis Jacquat, Mme Chaynesse Khirouni, Mme Conchita Lacuey, Mme Catherine Lemorton, M. Jean Leonetti, M. Céleste Lett, M. Gilles Lurton, Mme Véronique Massonneau, M. Pierre Morange, M. Hervé Morin, M. Philippe Noguès, M. Robert Olive, Mme Dominique Orliac, Mme Monique Orphé, Mme Luce Pane, Mme Bérengère Poletti, M. Pierre Ribeaud, M. Arnaud Richard, M. Denys Robiliard, M. Arnaud Robinet, M. Jean-Louis Roumégas, M. Gérard Sebaoun, M. Fernand Siré, M. Christophe Sirugue, M. Dominique Tian, M. François Vannson, M. Francis Vercamer, M. Arnaud Viala, M. Jean-Sébastien Vialatte

Excusés. – M. Alain Ballay, M. Jean-Pierre Barbier, Mme Marie-Arlette Carlotti, M. Stéphane Claireaux, Mme Marie-Françoise Clergeau, Mme Michèle Delaunay, Mme Isabelle Le Callennec, Mme Gabrielle Louis-Carabin, M. Jean-Philippe Nilor, M. Jonas Tahuaitu, M. Jean-Louis Touraine, M. Jean Jacques Vlody