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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Troisième session extraordinaire de 2012-2013

Compte rendu
intégral

Première séance du mercredi 11 septembre 2013

SOMMAIRE

Présidence de M. Claude Bartolone

1. Souhaits de bienvenue à une délégation étrangère

2. Questions au Gouvernement

Pause fiscale

M. Philippe Vigier

M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances

Syrie

M. Noël Mamère

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre

Syrie

M. Bruno Le Maire

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères

Projet de loi de finances pour 2014

M. Dominique Lefebvre

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre

Projet de loi de finances pour 2014

M. Christian Eckert

M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances

Retraites

M. Éric Woerth

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé

Politique fiscale

M. Jacques Krabal

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé du budget

Fiscalisation des heures supplémentaires

M. Olivier Marleix

M. Michel Sapin, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

Rentrée scolaire

M. Yves Durand

M. Vincent Peillon, ministre de l’éducation nationale

Retraites

Mme Jacqueline Fraysse

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé

Lutte contre l’insécurité

Mme Marie-Louise Fort

M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur

Retraites

M. Pascal Terrasse

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé

Réforme des rythmes scolaires

M. Guy Geoffroy

M. Vincent Peillon, ministre de l’éducation nationale

Logements insalubres

M. Mathieu Hanotin

Mme Cécile Duflot, ministre de l’égalité des territoires et du logement

Pause fiscale

M. Gilles Lurton

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé du budget

Suspension et reprise de la séance

Présidence de M. Christophe Sirugue

3. Transparence de la vie publique

Présentation commune

M. Alain Vidalies, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Motion de rejet préalable (projet de loi organique)

M. Guy Geoffroy

M. Alain Vidalies, ministre délégué

M. André Chassaigne

M. Jean-Yves Le Bouillonnec

M. Jean-Frédéric Poisson

Mme Michèle Bonneton

Discussion générale commune

M. Patrick Devedjian

M. Yannick Favennec

M. François de Rugy

M. Joël Giraud

M. André Chassaigne

M. René Dosière

M. Jean-Frédéric Poisson

M. Gilbert Collard

M. Alain Vidalies, ministre délégué

Discussion des articles (Projet de loi)

Amendements nos 1 , 2

Discussion des articles (projet de loi organique)

Suspension et reprise de la séance

4. Accès au logement et urbanisme rénové (suite)

Discussion des articles

Article premier

M. Guillaume Chevrollier

Mme Dominique Nachury

Amendements nos 64 , 134

M. Daniel Goldberg, rapporteur de la commission des affaires économiques

Mme Cécile Duflot, ministre de l’égalité des territoires et du logement

Amendements nos 916 , 284 , 28 , 1113 , 317 , 65 , 135 , 66 , 136

Amendements nos 67 , 29 , 68 , 69

5. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Claude Bartolone

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Souhaits de bienvenue à une délégation étrangère

M. le président. Mes chers collègues, je suis heureux de souhaiter en votre nom la bienvenue à une délégation de la Chambre des communes du Canada conduite par son président, M. Andrew Scheer. (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent et applaudissent.)

2

Questions au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Pause fiscale

M. le président. La parole est à M. Philippe Vigier, pour le groupe Union des démocrates et indépendants.

M. Philippe Vigier. Monsieur le Premier ministre, il y a un an, vous nous disiez que neuf Français sur dix ne seraient pas concernés par les hausses d’impôts. Or, il n’en a rien été. En effet, votre première année de mandat, qui a débuté par la suppression de la défiscalisation des heures supplémentaires pour neuf millions de salariés, vient de s’achever sur un niveau record des prélèvements obligatoires.

La baisse historique du pouvoir d’achat, l’explosion du chômage, la croissance en berne ne sont pas dues seulement à la crise, mais aussi et surtout aux 30 milliards d’euros d’impôts supplémentaires que vous avez fait voter.

Plusieurs députés UMP. Eh oui !

M. Philippe Vigier. Il est aujourd’hui vital de marquer cette pause fiscale que François Hollande s’est engagé à réaliser à deux reprises et que le groupe UDI a réclamée par la voix de son président, Jean-Louis Borloo. Ce matin même, Ségolène Royal vous exhortait à marquer une telle pause.

Monsieur le Premier ministre, la promesse d’une pause fiscale devrait se traduire par l’absence d’augmentation des impôts en 2014. Elle n’est donc pas compatible avec les augmentations de TVA annoncées, ni avec la hausse des cotisations pour financer les retraites, avec l’abaissement du quotient familial, avec la suppression des aides pour la scolarisation des enfants et avec la taxe sur les mutuelles.

M. Lucien Degauchy. C’est du racket !

M. Philippe Vigier. Monsieur le Premier ministre, cette pause fiscale est une condition indispensable pour rétablir la confiance des ménages et des entreprises en notre économie. C’est une condition indispensable pour renouer avec la croissance et enrayer la hausse du chômage. Pouvez-vous, devant la représentation nationale, prendre l’engagement solennel cet après-midi de ne pas augmenter les impôts en 2014 ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDIsur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie et des finances.

M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances. Monsieur le député Philippe Vigier, il me souvient d’un temps où vous étiez dans la majorité. (Exclamations sur les bancs des groupes UDI et UMP.)

M. Yannick Moreau. C’est loin !

M. Pierre Moscovici, ministre. C’est un temps au cours duquel vous avez proposé cinq budgets consécutifs qui se sont traduits pour chacun d’eux, notamment ceux pour 2011 et 2012, par une augmentation très conséquente des prélèvements obligatoires.

Il me souvient aussi, puisque vous évoquez la situation de certains Français, que le gel du barème de l’impôt sur le revenu a été décidé par la majorité précédente. J’ajoute que, si les Français avaient reconduit cette majorité, le taux de TVA serait, non pas de 20 % au 1er janvier prochain, mais de 21,2 % depuis un an et demi. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jacques Myard. C’était la TVA sociale !

M. Pierre Moscovici, ministre. Vous auriez ainsi prélevé 12 milliards d’euros supplémentaires sur les ménages.

Pour notre part, nous ne voulons pas de cette politique. (Exclamations sur les bancs des groupes UDI et UMP.)

M. le président. Mes chers collègues, je sais bien que c’est la rentrée, mais je vous demande de vous calmer.

M. Pierre Moscovici, ministre. Nous avons dû, et je l’ai souvent dit ici pendant la première année, réparer les dégâts que vous avez causés aux finances publiques de ce pays, qui étaient extraordinairement dégradées. (Mêmes mouvements.)

Cette année, nous allons présenter un budget tourné vers la croissance et vers l’emploi.

Mme Anne Grommerch. Tourné vers l’impôt !

M. Pierre Moscovici, ministre. Il fera peser l’effort à 80 % sur des économies dans les dépenses publiques – ce que vous n’avez jamais fait (Mêmes mouvements) – à hauteur de 15 milliards d’euros, niveau jamais atteint jusque-là. Le budget baissera, en 2014, de 1,5 milliard d’euros.

M. Claude Goasguen. Ce n’est pas vrai !

M. Pierre Moscovici, ministre. Nous allons appliquer une quasi stabilisation des prélèvements obligatoires, si l’on excepte les mesures de lutte contre la fraude fiscale pour les entreprises et les ménages. Et il n’y aura pas de hausse généralisée de l’imposition des ménages, hors du taux de TVA qui a déjà été voté.

M. Gilles Carrez. Mensonges !

M. Pierre Moscovici, ministre. Vous le voyez, monsieur Vigier, il y a des questions que vous devriez vous abstenir de poser. La croissance, la compétitivité, l’emploi, le pouvoir d’achat, ce sont nos priorités, pas les vôtres ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur plusieurs bancs du groupe écologiste.)

Syrie

M. le président. La parole est à M. Noël Mamère, pour le groupe écologiste.

M. Noël Mamère. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre et concerne la Syrie.

Il faut sans doute voir dans la décision prise par M. Poutine de contrôler les armes chimiques d’Assad un effet positif de la pression exercée par Washington et Paris. Cependant, l’espoir diplomatique que nous avons placé dès hier dans cette décision a été très vite refroidi par le rejet, exprimé par le ministre des affaires étrangères russe, du projet de résolution contraignante présenté par la France. Ma première question concerne donc ce projet de résolution : que compte faire la France, qui siège au Conseil de sécurité, sur cette résolution contraignante pour que l’ONU retrouve enfin une légitimité ? C’est un espoir, mais aussi une inquiétude puisque nous pouvons supposer qu’il s’agit d’une manœuvre dilatoire de la part du président russe pour permettre à Bachar el-Assad et à son clan de continuer à perpétrer des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre. Je rappelle que ce conflit a causé 150 000 morts, 2 millions de réfugiés et 5 millions de personnes déplacées.

Ce sont les djihadistes qui profitent de ce chaos. Cette question est donc posée à la France : considérez-vous que vous devez aider l’armée syrienne libre, donc la partie démocratique de l’opposition, pour rééquilibrer les forces et permettre ainsi l’organisation d’une conférence internationale qui associerait tous les acteurs, y compris l’Iran, et qui serait un « Genève 2 » ?

Enfin, monsieur le Premier ministre, la France est-elle prête à sortir d’une forme d’indignité,…

M. Philippe Meunier. Elle est à la remorque d’Obama !

M. Noël Mamère. …puisqu’elle ne répond pas au Haut commissariat pour les réfugiés sur la question de l’installation des réfugiés syriens, dont je rappelle qu’ils sont 2 millions, alors que les autres pays de l’Union européenne ont répondu favorablement au HCR ? (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur quelques bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Monsieur le député Noël Mamère, vous avez raison :…

M. Jacques Myard. Ça commence mal ! (Sourires.)

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. …la France a fait preuve de la plus grande détermination. (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et UDI.) C’était le cas la semaine dernière lors du débat sur la situation en Syrie dans cet hémicycle ; je remercie d’ailleurs les députés de la majorité d’avoir compris qu’il fallait, après ce que le secrétaire général des Nations unies a appelé un crime contre l’humanité, dire clairement au régime de Bachar el-Assad que l’usage des armes chimiques, qui a causé près de 1 500 morts, devait susciter la réponse la plus claire et la plus ferme. C’est la France qui a pris l’initiative d’aller jusqu’au bout dans cette fermeté. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP et sur plusieurs bancs du groupe UDI.) C’est l’honneur de la France d’avoir tenu bon, d’avoir commencé à faire reculer le régime syrien et à faire prendre conscience à la communauté internationale de la nécessité de se mobiliser. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)



Sur ce sujet, c’est l’ensemble de la représentation nationale qui devrait se rassembler,…

M. Philippe Meunier. Pas avec vous !

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. …plutôt que de se laisser aller.

S’agissant de la question syrienne, la France a toujours privilégié la solution politique. À Saint-Pétersbourg, alors que l’on disait la France isolée (« Oui ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP)

Qui disait cela, sinon les membres de l’opposition (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et UDI)

M. le président. S’il vous plaît, mes chers collègues !

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. …qui devraient au contraire être fiers qu’à Saint-Pétersbourg, la France ait rassemblé une majorité des membres du G20 (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP – Exclamations sur les bancs du groupe UMP et sur plusieurs bancs du groupe UDI) pour condamner le régime de Bachar el-Assad et l’usage des armes chimiques ?

François Hollande a fait preuve de patience, de pédagogie, de clarté et de détermination.

M. Philippe Meunier. Ridicule !

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Le lendemain, à Vilnius, le ministre des affaires étrangères Laurent Fabius a également pu obtenir une déclaration dans le même sens de tous les Européens. Croyez-vous que tout cela a été inutile ? (« Oui ! » sur de nombreux bancs des groupes UMP et UDI.)

M. Philippe Vitel. Inutile et dangereux !

M. le président. S’il vous plaît, mes chers collègues…

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Cela a fait bouger les lignes.

M. François Rochebloine. Merci Poutine !

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Aujourd’hui, la menace de la France est la suivante : si nécessaire, nous interviendrons avec une coalition pour poser un acte fort de dissuasion, pour que le droit international soit respecté, pour que la prolifération des armes chimiques comme de l’arme nucléaire ne soit pas la pratique quotidienne. La France a permis que les choses bougent sur le plan diplomatique. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP.) Oui, sur le plan diplomatique !

S’agissant de la proposition russe, qui consiste à faire l’inventaire des armes chimiques,…

M. François Rochebloine. Très bien !

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. …je vous rappelle qu’il y a encore quelques jours, M. Bachar el-Assad niait le fait qu’il disposait de telles armes. Aujourd’hui, nul ne peut nier – lui le premier – que c’est ce pays qui dispose de l’arsenal chimique le plus important au monde : 1 000 tonnes ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

M. Jacques Myard. Et les États-Unis ?

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Par ailleurs, la Russie propose de contrôler et démanteler : nous l’avons prise au mot. Hier, le ministre des affaires étrangères Laurent Fabius a tenu une conférence de presse ; la France a pris une initiative dans le cadre du Conseil de sécurité des Nations unies.

M. Philippe Meunier. La France est isolée !

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Nous voulons des actes concrets. L’acte concret que nous voulons, c’est l’inventaire de l’arsenal, sa vérification et sa destruction. Voilà ce que nous attendons du Conseil de sécurité ! Dès lors, nous verrons bien la sincérité des uns et la sincérité des autres – y compris la vôtre, mesdames et messieurs les députés de l’opposition. (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et UDI.)



Enfin, monsieur le député, vous avez évoqué les réfugiés, qui sont plus de 2 millions, en particulier dans la région. La situation est terrible. La France a déjà pris ses responsabilités et commencé à accueillir des réfugiés : 95 % de ceux qui entrent dans le cadre ont été accueillis. Notre coopération avec le HCR est entière. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

Syrie

M. le président. La parole est à M. Bruno Le Maire, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Bruno Le Maire. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre et porte également sur la Syrie.

Monsieur le Premier ministre, depuis quelques jours, une proposition visant à mettre sous contrôle l’ensemble de l’arsenal chimique du Gouvernement syrien est sur la table. Cette proposition est fragile et techniquement complexe à mettre en œuvre, mais elle a le mérite d’exister. Cela prouve, monsieur le Premier ministre, qu’il existe une alternative politique à l’emploi de la force militaire contre le Gouvernement syrien. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur plusieurs bancs du groupe UDI.) Cela prouve, monsieur le Premier ministre, qu’il n’était pas nécessaire d’affaiblir depuis le premier jour la voix de la France en nous alignant systématiquement sur la position du président des États-Unis d’Amérique (Mêmes mouvements), qui ne sait pas lui-même ce qu’il veut pour la Syrie.

Monsieur le Premier ministre, nous regrettons que, pour la première fois de notre histoire récente, l’emploi des forces armées françaises soit suspendu à une éventuelle décision du Congrès américain : c’est une perte de souveraineté pour la France. (Mêmes mouvements.)



C’est également la preuve, monsieur le Premier ministre, qu’il n’y a pas d’un côté les munichois pacifistes et de l’autre les interventionnistes courageux.

M. François Rochebloine. Très bien !

M. Bruno Le Maire. Il existe une voie politique, dans le cadre du Conseil de sécurité des Nations unies, avec le soutien de tous nos partenaires européens, pour apporter une réponse forte aux agissements et aux crimes inacceptables de Bachar el-Assad contre le peuple syrien.

M. François Rochebloine. Bravo !

M. Bruno Le Maire. Monsieur le Premier ministre, depuis le premier jour de cette crise des armes chimiques en Syrie, le Président de la République n’a pas jugé bon de s’expliquer devant les Français.

M. Bernard Deflesselles. Eh oui !

Mme Claude Greff. Courage, fuyons !

M. Bruno Le Maire. Face au risque d’embrasement régional, face à la menace que fait peser l’islamisme radical dans cette région, face aux risques qui pèsent sur nos compatriotes dans la région, en particulier sur nos forces armées basées au Liban, nous demandons au Président de la République d’expliquer enfin quelle est sa stratégie politique pour la Syrie. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères. Monsieur le député, si j’ai bien entendu, votre question en comporte trois.

D’abord, le Président de la République a eu l’occasion d’aborder cette question à différentes reprises, mais je vous confirme qu’il s’adressera aux Français dans un proche avenir et au moment qu’il jugera bon. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Deuxièmement, concernant la proposition russe lancée récemment, personne ne peut contester de bonne foi que cette proposition, qui avait été abordée dans le passé – vous vous le rappelez peut-être – mais rejetée d’un revers de main à la fois par les Syriens, par les Russes et par d’autres, n’a pu être prise en compte que du fait d’une pression extrêmement ferme à la fois des États-Unis d’Amérique et de la France. Personne ne peut dire le contraire ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur plusieurs bancs du groupe écologiste.).)



Enfin, monsieur Le Maire, s’agissant d’un alignement éventuel sur le président américain,…

Mme Claude Greff. Pas éventuel ! Évident !

M. Laurent Fabius, ministre. …je pourrais le nier et vous me contesteriez. Aussi vais-je faire appel à une voix que vous ne contesterez pas, qui s’exprime ce matin dans un grand hebdomadaire. Cette question lui est posée : « M. Hollande apparaît-il comme un supplétif des États-Unis ? »

Mme Valérie Boyer. Oui !

M. Laurent Fabius, ministre. Cette voix répond : « La position de la France a été cohérente et claire depuis le départ. » Cette phrase est signée Alain Juppé, et je l’approuve. (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

Projet de loi de finances pour 2014

M. le président. La parole est à M. Dominique Lefebvre, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Dominique Lefebvre. Monsieur le Premier ministre, dès son installation en mai 2012, votre gouvernement a mis en œuvre, pour la durée du quinquennat, une stratégie d’ensemble de redressement des comptes publics et de l’économie française au service de la croissance, de l’emploi et du modèle social français.

Il s’agissait de répondre au triple déficit que nous avait laissé la droite que je dois, hélas ! encore une nouvelle fois rappeler : déficit de compétitivité avec un déficit du commerce extérieur de 70 milliards d’euros ; déficit de crédibilité budgétaire avec une explosion de la dette publique au-delà de 90 % du PIB ; mais aussi et surtout déficit d’emplois avec une augmentation continue du chômage depuis 2009.

Depuis dix-huit mois, vous avez donc avec courage, constance et détermination engagé les efforts indispensables pour restaurer l’indépendance financière de la France.

Vous l’avez fait avec le souci de ne pas sacrifier à l’assainissement des comptes publics le retour de la croissance comme le financement des priorités de demain : l’emploi, l’éducation, le logement, la sécurité et la justice, les dépenses d’investissement qui préparent l’avenir. Vous l’avez fait aussi et surtout avec le souci de la justice, justice fiscale et justice sociale, en appelant d’abord à l’effort ceux qui peuvent le plus.

Aujourd’hui, les premiers résultats des efforts importants demandés aux Français en 2012 et 2013 sont perceptibles : le déficit public sera proche de 4 % en 2013 ; les prévisions de croissance s’améliorent ; les chiffres de chômage se stabilisent.

Et, comme les récents débats au niveau européen et lors du G20 l’ont montré, la stratégie économique et financière de la France est désormais très largement soutenue et partagée par nos partenaires.

Alors, monsieur le Premier ministre, à quelques jours de l’adoption en conseil des ministres du projet de loi de finances pour 2014 et compte tenu de ces premiers résultats, pouvez-vous nous indiquer comment vous entendez poursuivre votre politique économique et budgétaire pour soutenir ce retour de la croissance encore fragile, favoriser la création d’emplois qui est et reste la première de nos priorités et enfin soutenir la consommation et le pouvoir d’achat des ménages ? (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP. – « Allô ! » sur quelques bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Monsieur le député, mesdames, messieurs les députés, la bataille pour le redressement du pays, la bataille pour la croissance, la bataille pour l’emploi, elle est engagée mais elle n’est pas terminée, elle doit s’amplifier. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) C’est l’objet des décisions que le Gouvernement vient de prendre à travers le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 qu’il soumettra dans quelques jours au Parlement.

M. Philippe Vigier. Plus d’impôts !

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Le premier budget était d’abord un budget de souveraineté. Mesdames et messieurs de la droite, vous nous aviez laissé une dette de 600 milliards supplémentaires ! (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et UDI). Chaque année, nous devons rembourser 50 milliards d’euros d’intérêts, c’est-à-dire autant que le budget de l’éducation nationale. Eh bien, nous avons mis fin à cette spirale et nous allons poursuivre l’assainissement des finances publiques. C’est l’intérêt de la France, il y va de son indépendance. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP et sur plusieurs bancs du groupe écologiste.)



Mesdames, messieurs les députés, dans le même temps, nous avons engagé nos actions prioritaires : politique de l’emploi avec le soutien aux emplois aidés ; politique pour la refondation de l’école : croyez-vous que si nous n’avions pas fait cet effort, la rentrée se serait déroulée dans d’aussi bonnes conditions ? – l’effort est à amplifier, c’est vrai, mais la majorité a déjà voté en faveur de ces mesures importantes – ; politique pour le logement ; politique pour l’efficacité énergétique ; politique pour les infrastructures.





Nous avons quelques indices qui montrent que la croissance peut revenir. Vous dites, monsieur le député, qu’il faut consolider cette situation. C’est bien là la question. Le Président de la République a fixé un objectif essentiel : inverser la courbe du chômage d’ici à la fin de l’année 2013. Cette bataille n’est pas encore gagnée …



M. Jacques Alain Bénisti. Pas encore, c’est sûr !

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. …et toutes les décisions budgétaires que nous prenons doivent avoir pour objectif essentiel, majeur, central de gagner la bataille pour la croissance, une bataille qui passe par la compétitivité des entreprises, l’investissement, l’innovation, les embauches, une bataille qui suppose de redonner des marges de manœuvre aux entreprises pour leur permettre de négocier des améliorations salariales et de créer en même temps des emplois.

M. Bernard Deflesselles. Des mots, toujours des mots !

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. C’est le sens du budget que nous présentons pour cette année. Nous allons à l’essentiel et je demande à la majorité de l’Assemblée nationale de soutenir cette option. Il n’y aura pas de retour de la confiance sans retour de la croissance et sans recul durable du chômage. Voilà la priorité du Gouvernement. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)



Vous allez me demander ce qu’il en est des réformes. Eh bien, les réformes, nous les poursuivons, nous continuons à les engager et nous sauvons notre modèle social. Nous le réformons, à travers la politique de la famille (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), à travers la politique qui permet à notre régime de retraite par répartition d’être sauvé. Vous me direz : mais à quel prix pour les contribuables ?

M. Yves Fromion. Oui, à quel prix !

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Eh bien, c’est très clair : nous devons ajuster au plus près nos prévisions budgétaires. Cela veut d’abord dire faire des économies. À ceux qui crient à droite, je voudrais rappeler qu’ils ont été incapables de faire ce que nous sommes en train de faire dans le budget 2014 : 15 milliards d’économies ! Cela ne s’est jamais vu sous un gouvernement de droite et en tout cas pas pendant les cinq dernières années où la droite était aux responsabilités (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Mesdames et messieurs les députés, c’est le changement, en particulier en 2014. (Exclamations sur plusieurs les bancs des groupes UMP et UDI.)



S’agissant de l’effort fiscal, les prélèvements obligatoires, si l’on tient compte de la lutte contre la fraude fiscale, n’augmenteront pas. Le coût du travail n’augmentera pas non plus. L’objectif est de donner des marges de manœuvre aux entreprises. Pour les ménages – car la question du pouvoir d’achat se pose aussi –, nous avons mis fin dans le projet de budget à une injustice qui était de votre fait : la non-indexation du barème de l’impôt sur le revenu. Nous avons décidé d’en finir avec la situation qui faisait que des ménages pouvaient devenir redevables de l’impôt sur le revenu du seul fait qu’il n’y avait pas d’actualisation du barème en fonction de l’inflation.





Nous voulons même aller plus loin, c’est-à-dire mettre en place une décote pour ceux qui ont des petits salaires et des petites pensions afin de leur éviter de devenir imposables, avec ce que cela implique, notamment la fin des avantages liés au plafonnement de la taxe d’habitation.





En résumé : une politique offensive pour la croissance et l’emploi, une politique de réforme, une politique qui sauve le modèle social français et une politique de justice sociale et de solidarité ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.)



Projet de loi de finances pour 2014

M. le président. La parole est à M. Christian Eckert, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Christian Eckert. Monsieur Moscovici, je ne sais si je dois vous appeler monsieur le ministre des économies ou monsieur le ministre de l’économie. (Rires sur quelques bancs du groupe UMP.)

M. le président. Mes chers collègues, économisez-vous !

M. Christian Eckert. Comme vient de le dire parfaitement le Premier ministre, ce projet de budget poursuit un double objectif.

Il s’agit tout d’abord de faire des économies, mais pas de façon aveugle, mes chers collègues. Il n’est pas question de rabot uniforme de RGPP, qui détruit les services publics. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.– Exclamations sur les bancs des groupes UMP et UDI.) Les économies budgétaires sur lesquelles le ministre du budget Bernard Cazeneuve, dont je tiens à saluer l’engagement, a travaillé avec l’ensemble des ministères, sont équilibrées : elles ne tuent pas les priorités que sont pour nous l’éducation nationale, la sécurité et la justice. Ces économies se montent, pour la première fois, à 15 milliards d’euros. Et je souhaiterais, monsieur Moscovici, que vous nous donniez des précisions à leur sujet.

Ministre des économies mais aussi ministre de l’économie. Il n’y a pas d’entreprises sans salariés et de salariés sans entreprises. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI dont quelques députés se lèvent.) Nous ne pouvons pas séparer les mesures fiscales des mesures économiques de façon aussi abrupte que certains le font. Alors, monsieur le ministre, pourriez-vous nous rappeler quelles mesures de soutien à l’économie sont envisagées ? Car ce qui est bon pour l’économie est bon pour l’emploi et la situation de l’emploi, et donc le pouvoir d’achat, est bien le premier facteur d’inquiétude de nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP. – Exclamations sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie et des finances.

M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances. Monsieur le rapporteur général du budget, je ne voudrais pas que vous rebaptisiez de la sorte ce ministère qui existait avant que je n’en prenne la tête et qui existera après.

Ce que nous voulons faire avec Bernard Cazeneuve, sous l’autorité du Premier ministre, c’est mettre en place un budget qui permette tout simplement – et c’est une grande ambition – de soutenir la croissance qui revient dans notre pays et de permettre l’inversion de la courbe du chômage et le développement de l’emploi.

Vous avez évoqué les trois dimensions de nos choix.

Première dimension : les économies. Comme le disait le Premier ministre, c’est sans précédent qu’un Gouvernement puisse réaliser 15 milliards d’euros d’économies. Celles-ci sont sélectives, car il y a des priorités de dépenses…

M. Philippe Vigier. Lesquelles ?

M. Pierre Moscovici, ministre. …l’éducation nationale, l’emploi, la sécurité et la justice. Elles sont stratégiques.

Je vais prendre l’exemple du ministère de l’économie et des finances : ce sont 2350 emplois que nous ne remplaçons pas. Et nous le faisons selon des plans stratégiques. Nous supprimons 50 millions d’euros d’investissements et de fonctionnement.

Voici de vraies économies, sélectives, stratégiques, liées à une vraie modernisation.

Deuxième dimension : le soutien à la compétitivité. Ce gouvernement a mis en place le crédit d’impôt compétitivité emploi. Nous voulons poursuivre cette démarche, qui consiste à réduire le coût du travail pour permettre l’investissement et l’embauche. Il n’y aura donc pas de prélèvements supplémentaires sur les entreprises.

Troisième dimension : le pouvoir d’achat des ménages. Pouvoir d’achat qui vient d’abord de l’emploi et des mesures de soutien à l’emploi incluses dans ce projet de budget. Pouvoir d’achat qui vient aussi de la justice fiscale : nous allons revenir sur le gel du barème de l’impôt sur le revenu – comme l’a dit le Premier ministre, nous sommes prêts à travailler avec les parlementaires sur une mesure qui permette de corriger les effets négatifs.

Ces trois dimensions permettent de faire une bonne économie pour la croissance et pour l’emploi. C’est mon ambition. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)

Retraites

M. le président. La parole est à M. Éric Woerth, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Éric Woerth. Monsieur le Premier ministre, vous vouliez réformer les retraites et vous n’avez pas réformé les retraites ! Vous avez simplement réussi l’exploit de poursuivre méthodiquement votre matraquage fiscal.

Alors que, pour répondre à la conjoncture, il fallait accélérer l’effort réalisé en 2003 et en 2010, vous avez au contraire ralenti cet effort. En 2003 et en 2010, nous avons lié la retraite à l’espérance de vie, nous avons créé le dispositif de carrières longues, nous avons commencé à faire converger les régimes publics et les régimes privés, nous avons introduit la notion de pénibilité, et nous avons économisé 30 milliards d’euros – 30 milliards d’euros ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)



Heureusement que nous étions là, sinon vous seriez devant un mur budgétaire infranchissable par vous ! Pour cela, monsieur le Premier ministre, que fallait-il ? Il fallait du courage, simplement du courage ! Il ne faut pas avoir peur de réformer ; or vous avez peur, tout le temps, toujours, de réformer. Vous refusez l’obstacle, vous contournez l’obstacle !

Votre réforme se résume à une augmentation pure et simple des impôts : 10 milliards d’euros pour les retraites – 7 milliards dans la réforme de 2013, 3 milliards dans la réforme de 2012 que vous aviez menée. C’est le degré zéro de la pensée politique : c’est Mme Royal qui le dit, ce n’est pas nous ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Outre l’impôt, votre réforme est inefficace et injuste : inefficace parce qu’elle ne couvre qu’une partie des déficits – 20 milliards, vous répondez à 7 – et injuste parce qu’en créant cette notion de pénibilité, vous allez créer de nouveaux régimes spéciaux, ce qui est inacceptable.

Pourquoi, monsieur le Premier ministre, avoir pris le risque de décrédibiliser notre pays en Europe par cette fausse réforme ? Pourquoi le choix de l’obésité fiscale ? Pourquoi avoir calé devant l’obstacle ? Pourquoi aussi, monsieur le Premier ministre, ce renoncement privilégiant l’intérêt des syndicats à l’intérêt des Français ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Monsieur le député Woerth – monsieur le ministre ! –, vous avez été aux responsabilités, et vous feriez bien d’être un peu plus lucide sur la réalité de ce que vous avez fait ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Par votre intervention, monsieur le député, vous montrez que vous êtes le roi des illusionnistes, parce que les 30 milliards d’économies que vous prétendez avoir réalisées n’existent que dans vos souvenirs ou dans votre imagination !

Votre réforme nous a menés dans le mur, puisqu’elle n’aura résisté que quelques mois – quelques mois seulement ! Dès notre arrivée aux responsabilités, nous avons dû engager les concertations pour réformer et apporter à nos concitoyens des garanties sur l’avenir de leur régime de retraite – des garanties, monsieur le député, puisque vous leur avez apporté de l’inquiétude et du manque de confiance.

Mme Claude Greff. Vous n’avez rien réformé du tout !

M. Bernard Deflesselles. Qu’avez-vous fait au juste ?

Mme Marisol Touraine, ministre. Nous avons besoin de leur garantir que, demain, la retraite par répartition sera sauvegardée, alors que vous avez ouvert en grand les portes à la capitalisation et à la privatisation.

M. Claude Goasguen. Hélas non !

Mme Marisol Touraine, ministre. Nous avons besoin, monsieur le député, d’apporter des garanties en termes de financement, puisque vous avez fait porter tout l’effort sur celles et ceux qui ont commencé à travailler jeunes ; or nous avons besoin d’un effort réparti, mesuré et équitable.

M. Yves Fromion. Ce n’est pas ce que nous avons fait !

Mme Marisol Touraine, ministre. Nous avons surtout besoin, monsieur le député, de mettre en place une réforme de justice, parce qu’il faut faire preuve d’audace pour avoir le courage de la justice. Cette audace et ce courage, vous ne l’avez pas ! Vous n’avez jamais reconnu la vérité des carrières pénibles de celles et ceux qui, pendant toute leur vie, travaillent en trois-huit ou portent des charges lourdes. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Plusieurs députés du groupe UMP. C’est faux !

Mme Marisol Touraine, ministre. Vous n’avez jamais reconnu la réalité de ces femmes qui connaissent le chômage, des carrières heurtées et le travail à temps partiel. Vous n’avez jamais reconnu la réalité de ces hommes et de ces femmes qui sont confrontés au chômage et à la précarité dans leur vie professionnelle.

M. Daniel Fasquelle. Arrêtez !

Mme Marisol Touraine, ministre. Nous, monsieur le député, nous faisons preuve de détermination, de responsabilité et de justice. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Claude Greff. C’est incroyable d’entendre cela !

Politique fiscale

M. le président. La parole est à M. Jacques Krabal, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Jacques Krabal. Monsieur le ministre, la pression fiscale et la question des heures supplémentaires défiscalisées sont d’actualité sur tous les bancs.

La suppression de la défiscalisation s’inscrivait dans la nécessité de lutter contre le déficit et contre le chômage. Or la défiscalisation permettait à de nombreux ouvriers et employés aux salaires les plus modestes d’améliorer leurs revenus. J’aimerais donc savoir si l’on peut évaluer cette mesure : combien d’emplois ont-ils été créés ? Il nous faudrait un bilan complet pour envisager un réaménagement au profit des bas salaires.

De plus, les Français reçoivent ces jours-ci leurs feuilles d’imposition sur les revenus. (« Ah ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP.) Il nous faut entendre le ras-le-bol fiscal, rappelé sur tous les bancs.

Même si c’est l’avenir qui nous intéresse, je voudrais tout de même rappeler ici qu’entre 2007 et 2012, la baisse de l’ISF et le bouclier fiscal ont profité aux plus riches et entraîné de fait la hausse des impôts des classes moyennes, sans oublier non plus la quarantaine de nouvelles taxes qui ont été créées ou augmentées.

M. Philippe Meunier. Vous ne croyez tout de même pas que vous allez vous en tirer comme ça ?

M. Jacques Krabal. Les prélèvements obligatoires ont quant à eux progressé de 102 milliards : voilà l’exemple qu’il ne faut plus suivre !

Jean de La Fontaine aurait pu écrire une fable sur ces fameux « pigeons » et « poussins », et inviter les plus modestes à faire entendre leurs voix, pour ne pas devenir les dindons de la farce !

Je suis convaincu que le Gouvernement l’entend. Monsieur le ministre, les dispositions annoncées ce matin au cours du Conseil des ministres vont dans le bon sens. Quelle politique pour le pouvoir d’achat comptez-vous mettre en œuvre dans le cadre de la loi de finances pour 2014 ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé du budget.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé du budget. Monsieur le député, merci pour votre question qui permet de faire un point précis (« Allo ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP.) sur les décisions qui ont été annoncées en Conseil des ministres ce matin et d’apporter quelques précisions sur l’évolution de la politique fiscale au cours des dernières années.

Il y a, sur ces bancs, des théoriciens du matraquage fiscal qui, pendant des années, ont tenu une énorme matraque, et auxquels je veux rappeler ce qu’était leur politique. 2011 : 20 milliards de prélèvements sur les Français ! 2012 : 13 milliards de prélèvements sur les Français !

À partir de 2011, mise en place, comme vous l’avez très bien signalé, monsieur le député, de la non réindexation du barème de l’impôt sur le revenu, qui a contribué à faire rentrer dans l’impôt, de façon massive, des Français, parmi les plus modestes ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Lucien Degauchy. N’importe quoi !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Suppression de la demi-part des veuves, qui elle aussi a constitué une mesure d’injustice fiscale caractérisée !

Et, dans le même temps où la matraque tapait systématiquement sur les mêmes têtes, ils diminuaient l’impôt sur la fortune des plus riches et multipliaient les mesures d’exonération et de faveur fiscale à l’égard de ceux qui n’en avaient nul besoin et qui étaient parmi les plus riches des Français ! Voilà la politique d’injustice fiscale qui a caractérisé la précédente majorité et que nous nous employons à corriger ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)



Aussi, quand vous parlez de matraquage fiscal, nous, nous allons réindexer le barème de l’impôt, par souci de justice.

M. Claude Goasguen. Répondez à la question !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Lorsque vous parlez de matraquage fiscal, nous allons prendre des mesures de pouvoir d’achat adossées à la réindexation du barème pour les plus modestes des Français et pour les Français moyens.

Lorsque vous parlez de pouvoir d’achat, nous avons décidé dans le budget 2014 de faire en sorte, par des efforts sur le budget de l’emploi, que des Français qui n’ont pas accès à l’emploi puissent y avoir accès et améliorent leur pouvoir d’achat.

Le budget que nous présentons, c’est un budget de justice, c’est un budget de solidarité, c’est un budget pour la croissance ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Fiscalisation des heures supplémentaires

M. le président. La parole est à M. Olivier Marleix, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Olivier Marleix. Monsieur le Premier ministre, il y a un peu plus d’un an votre Gouvernement, obsédé par l’idée de défaire tout ce que Nicolas Sarkozy avait fait (Exclamations sur les bancs du groupe SRC), supprimait le régime social et fiscal des heures supplémentaires, créé par l’ancienne majorité.

Il y a un an, vous traitiez avec dédain la perte de pouvoir d’achat que cela entraînerait pour les Français : « Cinq euros de moins sur la feuille de paie », disait M. Sapin. Et vous annonciez, en contrepartie, que cela allait créer des dizaines de milliers d’emplois. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe UMP.) Mais un an après, où en sommes-nous ?

Un an après, 9 millions de salariés du privé ont perdu le bénéfice d’heures supplémentaires qui pouvaient représenter 100 à 150 euros par mois et constituaient parfois au total un véritable treizième mois. Un an après, les Français commencent à découvrir la double peine et vont désormais payer des impôts sur les heures supplémentaires qui leur restent.

M. Bernard Deflesselles. Eh oui !

M. Olivier Marleix. Un an après, pour la première fois depuis trente ans, le pouvoir d’achat des Français a reculé. Et il continuera à reculer avec la frénésie fiscale de votre gouvernement, qui fait les poches de tous les Français : salariés, retraités, parents, artisans, et tant d’autres. Un an après, l’impact attendu de cette mesure sur l’emploi est, reconnaissez-le – vous avez été interrogé à l’instant sur ce sujet par un membre de votre majorité –, un échec total ! La suppression des heures supplémentaires n’a pas créé un seul emploi. Au contraire, depuis un an, 120 000 emplois privés ont été supprimés.

Mme Marie-Christine Dalloz. Eh oui !

M. Olivier Marleix. Alors monsieur le Premier ministre, quand allez-vous écouter M. Thierry Mandon, porte-parole du groupe socialiste dans notre assemblée, qui verrait dans le retour des heures supplémentaires défiscalisées une mesure favorable au pouvoir d’achat ?

M. Marc Le Fur. Très bien !

M. Olivier Marleix. Quand allez-vous écouter M. Mailly, secrétaire général de Force ouvrière, qui vous dit que vous êtes allés beaucoup trop vite et que ce dossier doit être réexaminé ? Quand allez-vous écouter les 71 % de Français qui souhaitent le retour au régime des heures supplémentaires mis en place par Nicolas Sarkozy ?

M. François Rochebloine. Très bien !

M. Olivier Marleix. Quand allez-vous entendre le ras-le-bol fiscal des Français et marquer cette pause fiscale à laquelle même Ségolène Royal vous exhorte ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

M. Julien Aubert. Monsieur « 5 euros » !

M. Michel Sapin, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Monsieur le député, nous revenons une fois encore – mais ce n’est pas injustifié – sur cette politique que vous aviez votée et qui était principalement, non pas une politique de défiscalisation des heures supplémentaires, mais un encouragement donné aux entreprises, par la diminution des cotisations, à distribuer des heures supplémentaires plutôt qu’à embaucher des salariés. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.Protestations sur les bancs du groupe UMP))



M. Krabal a demandé que l’on évalue ce dispositif.

M. Jean-Christophe Lagarde. Répondez à la question de M. Marleix !

M. le président. Monsieur Lagarde !

M. Michel Sapin, ministre. Oui, il a raison : il faut évaluer ce dispositif. Du reste, sous la majorité précédente, un rapport d’évaluation et d’information a été consacré à cette question. Il portait sur plusieurs années d’application du dispositif. Or, la principale conclusion de ce rapport, cosigné par un député de l’ancienne majorité et par un député de l’ancienne opposition, est que le dispositif a contribué à détruire des emplois.

M. Daniel Fasquelle. Ce n’est pas vrai !

M. Michel Sapin, ministre. Quand une heure supplémentaire coûte moins cher à une entreprise qu’une heure normale, pourquoi voulez-vous que l’entreprise embauche ? Elle commence, au contraire, par distribuer des heures supplémentaires. A cause de ce dispositif, 100 000 emplois ont été détruits. Il était donc légitime que l’une des premières décisions de cette majorité consiste à le supprimer. (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

M. Daniel Fasquelle. Où sont les 100 000 emplois que vous avez créés ?

M. Michel Sapin, ministre. Faut-il considérer pour autant que ceux qui ont bénéficié naguère de ce dispositif de défiscalisation ne rencontrent pas de difficultés en termes de pouvoir d’achat ? Non, mais ce n’est pas en rétablissant un dispositif mauvais pour l’emploi que l’on réglera le problème du pouvoir d’achat des Français les plus faibles.

C’est grâce aux dispositions qui figurent dans le projet de budget pour 2014, c’est-à-dire la réindexation du barème de l’impôt sur le revenu et la mise en place de mesures en faveur des plus faibles, que nous réglerons, dans la justice, ce problème. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur plusieurs bancs du groupe écologiste.)

Rentrée scolaire

M. le président. La parole est à M. Yves Durand, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Yves Durand. Monsieur le ministre de l’éducation nationale, votre rentrée scolaire est réussie. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP. – Rires et exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Tous les observateurs de bonne foi l’ont affirmé. Nous devrions d’ailleurs tous nous réjouir de cette réussite, quand on pense à l’intérêt général et d’abord à la réussite des enfants.

Lors de cette rentrée, l’école a enfin retrouvé la sérénité qu’elle avait perdue depuis bien des années, en raison des suppressions de postes et du sacrifice de la formation des enseignants.

Pour cette rentrée, 7 500 postes ont été créés…

M. Philippe Meunier. Ils sont où ?

M. Yves Durand. …et la formation des maîtres a été rétablie. D’ailleurs, les nouvelles écoles sont en train d’ouvrir. La confiance dans l’école est revenue. Les jeunes étudiants se tournent à nouveau vers le métier de professeur, notamment les jeunes qui en étaient exclus pour des raisons financières et qui retrouvent enfin espoir avec les emplois d’avenir professeur.

Les 28 000 AVS, assistants d’éducation, hier précaires, pourront continuer à accompagner les élèves handicapés grâce à des CDI qui leur sont offerts cette année.

Mais cette rentrée est aussi la première à se faire dans le cadre de l’application de la loi sur la refondation de l’école. Cette loi, portée par vous, monsieur le ministre, votée par l’ensemble de la majorité de gauche, doit être mise en œuvre rapidement.

Nous l’avons répété pendant nos débats, elle ne clôt pas la refondation de l’école mais crée une dynamique qui doit s’ouvrir sur des chantiers nouveaux. Le collège est encore trop souvent un lieu d’échec et de souffrance, la voie professionnelle reste encore souvent une orientation subie alors qu’elle devrait être une filière d’excellence. C’est bien l’ambition pour l’école de la République qui doit, sur tous ces bancs, nous habiter.

Monsieur le ministre, quels sont les nouveaux chantiers à ouvrir, et leur calendrier, pour refonder complètement l’école de la République ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur plusieurs bancs du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale.

M. Vincent Peillon, ministre de l’éducation nationale. Monsieur le député, ce n’était pas ma rentrée mais celle de 12 millions d’élèves – à qui nous devons donner le maximum de chances et assurer le maximum de réussite dans un pays qui, depuis quinze ans, vit trop durement le déclin scolaire – et celle de près d’un million de fonctionnaires de l’éducation nationale, dont plus de 800 000 professeurs auprès desquels nous devons être, tant leur mission est importante.

Je ne sais pas encore si cette rentrée est réussie,…

M. Michel Herbillon. En tout cas, les rythmes scolaires, c’est un échec !

M. Vincent Peillon, ministre. …mais il est vrai que, l’an passé, il y avait encore eu 13 000 suppressions de postes. Le fait d’en créer 7 500 permet d’aborder les choses avec plus de confiance.

L’an dernier, les stagiaires qui arrivaient n’avaient pas encore d’heures de formation, contrairement à cette année. Le service public du numérique se met en place, et je me rendrai, demain, en Bretagne avec le Premier ministre pour inaugurer un collège numérique. Enfin, les AVS bénéficient de meilleures conditions.

En même temps, et nous le savons les uns et les autres, ce travail doit être conduit dans la durée et avec persistance. Les réformes engagées, qu’il s’agisse de la réforme pour un meilleur temps scolaire, c’est-à-dire d’un temps meilleur pour les apprentissages fondamentaux, ou de la réforme de la formation des professeurs, devront être accompagnées dans la durée.

D’autres chantiers nous attendent, qui seront ouverts dès cette année. Je pense à celui de l’éducation prioritaire : notre système est bon pour 70 à 80 % des enfants, mais il est très dur, et de plus en plus, pour 20 % des jeunes Français. Je pense également à celui du collège, bien entendu, qui est un lieu de difficultés, à celui des métiers des professeurs et de tous les personnels ainsi qu’à celui des programmes, car c’est l’essentiel : il faut en effet que nous soyons capables de revoir ce qui se transmet entre un professeur et un élève qui sera un citoyen du XXIsiècle. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur plusieurs bancs du groupe écologiste.)

Retraites

M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Fraysse, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

Mme Jacqueline Fraysse. Monsieur le Premier ministre, le contenu de la réforme des retraites que vous envisagez nous préoccupe. (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP.) Et la grande journée de mobilisation d’hier montre que nos préoccupations sont largement partagées par nos concitoyens.

Contrairement à ce que vous affirmez, les mesures proposées d’augmentation du taux et de la durée de cotisation à quarante-trois annuités ne sont pas une fatalité et sont injustes. Injustes pour les femmes, dont les salaires sont bas et les carrières trop souvent incomplètes. Injustes pour les jeunes, qui tardent à entrer dans la vie active. Injustes, parce que seuls les salariés et les retraités supporteront la charge financière de votre réforme, puisque vous avez d’ores et déjà annoncé que la contribution des entreprises sera compensée, y compris sur la pénibilité.

M. François Rochebloine. Exactement !

Mme Jacqueline Fraysse. Et compensée comment ? Par un transfert des cotisations familiales patronales vers l’impôt des ménages : ceux-ci paieront donc deux fois !

Pourtant, d’autres choix sont possibles et les moyens existent. Le souci de la justice exigerait précisément que les revenus des placements financiers des entreprises cotisent au même taux que les salaires, ce qui rapporterait entre 10 et 20 milliards par an ; que les cotisations des entreprises soient modulées en fonction du niveau des salaires et des investissements réalisés, ce qui, de surcroît, constituerait un puissant levier au service du développement économique.

De même, la justice voudrait que les salaires des femmes soient alignés sur ceux des hommes, ce qui rapporterait 5 à 7 milliards de plus par an. Quant aux exonérations de cotisations sociales patronales censées lutter contre le chômage, sans contrôle ni contrepartie, nous en mesurons tous les jours l’inefficacité ! Leur suppression rapporterait plus de 20 milliards par an. Voici quelques-unes des propositions que nous formulons. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Oui, les Français, nos concitoyens, ont de grandes attentes concernant leur système de retraite, parce que la retraite est au cœur de notre pacte social. Et c’est parce qu’il y a de grandes attentes dans le pays que le Gouvernement présente une réforme à la fois équilibrée, responsable et juste.

Là où la droite avait fait le choix de la brutalité et du passage en force, nous avons fait celui de la concertation et de la discussion. Et c’est ainsi que nous proposons une réforme financée de manière juste et équilibrée, madame la députée.

Oui, les actifs vont être amenés à contribuer de manière raisonnable, à travers une augmentation du taux de cotisation de 0,15 % l’année prochaine, ce qui représente 2,15 euros pour quelqu’un qui perçoit une rémunération au Smic.

Dans le même temps, un effort est demandé aux entreprises, puisque nos régimes de retraite seront également financés par celles-ci, par le compte pénibilité. Par ailleurs, les retraités sont mis à contribution parce que l’égalité entre les générations, le pacte entre les générations, supposent que chacune et chacun apporte sa pierre à l’édifice.

Ce financement équilibré, madame la députée, il se poursuivra, puisque l’allongement de la durée de cotisation, qui interviendra à partir de 2020, permettra aux jeunes d’aujourd’hui de vivre plus longtemps à la retraite que ceux qui partent à la retraite actuellement, au terme de leur vie professionnelle.

Nous faisons donc le choix d’un financement équilibré, mesuré, responsable, qui s’accompagnera des mesures de justice indispensables. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Lutte contre l’insécurité

M. le président. La parole est à Mme Marie-Louise Fort, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

Mme Marie-Louise Fort. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’intérieur.

Dans la lutte contre l’insécurité comme dans la lutte contre le chômage, l’heure du bilan de votre première année a sonné. Et vous avez échoué ! (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe UMP.)

Cet échec est le vôtre et celui du Gouvernement. Nous rendons un hommage appuyé aux forces de l’ordre, qui font tout pour protéger nos concitoyens, mais qui ne sont vraiment pas aidées par vos décisions hasardeuses. En effet, nous dénonçons vivement la politique d’impunité dont vous êtes le complice consentant. Vous avalisez une politique pénale qui déresponsabilise et fait quasiment passer les délinquants pour des victimes ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Vous préférez perdre vos arbitrages plutôt que renoncer à un poste ministériel tremplin… Toujours plus de communication et de médiatisation, avec les mêmes mots et les mêmes mimiques martiales, le doigt menaçant ! (Interruptions sur les bancs du groupe SRC.)

J’anticipe votre réponse : cessez donc de mettre sur le dos de vos prédécesseurs les résultats de votre inaction ou de vos arbitrages perdus !

D’après les indicateurs établis à votre demande et par vos services, il apparaît ainsi, par exemple, que les cambriolages augmentent de 10 %, tout comme les violences sexuelles. Et tous les indicateurs vont dans le sens d’une hausse des infractions commises.

Moi qui ai pris l’initiative d’une loi contre l’inceste, je sais que derrière ces chiffres désincarnés, il y a des victimes qui souffrent dans leur chair et dans leurs biens. Alors, monsieur le ministre, ressaisissez-vous ! Vous pourrez doubler les effectifs, la délinquance continuera d’augmenter tant que le Gouvernement persistera dans la voie du laxisme pénal.

Avec l’abolition des peines planchers, quel signal envoyez-vous aux récidivistes ? Vous leur dites : « Continuez ! » Avec cette nouveauté de la liberté en dessous de cinq ans de prison, quel message lancez-vous ? « N’hésitez pas ! »

Alors, pour vous paraphraser, lorsqu’à ma place vous interpelliez ici un ministre, je vous dis : « Épargnez-nous votre morgue et veuillez enfin nous écouter ! » (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur. Madame la députée Marie-Louise Fort, personne ne nie l’existence de la violence dans la société. Malheureusement, elle est présente. Oui, il y a une augmentation depuis déjà très longtemps – près de 30 % au cours de ces dix dernières années – des vols avec violence, des braquages qui blessent et qui tuent. Oui, il y a une augmentation des violences faites aux femmes qui sont insupportables. Oui, le trafic de drogue gangrène de nombreux quartiers.

Alors, il y a deux attitudes face à cela : alimenter la polémique à partir d’éléments tronqués, de statistiques biaisées, d’arguments fallacieux, ou dire la vérité et agir. Vous avez choisi, nous l’avons compris, la première solution.

M. Guy Teissier. La seconde !

M. Manuel Valls, ministre. Vous n’êtes pas la même quand nous nous retrouvons sur le terrain pour parler ensemble des problèmes de sécurité. (« Ah ! » sur les bancs du groupe SRC.) Mais je reconnais qu’ici, à l’Assemblée nationale, les choses sont différentes. Assumez-le tranquillement.

La majorité précédente, le Gouvernement précédent ont masqué la réalité. Vous avez maquillé les statistiques de la délinquance : à partir de 2006, 130 000 faits annuels ont tout simplement disparu des statistiques. Nous, nous avons fait le choix d’affronter la réalité. Nous avons assuré l’indépendance de l’Observatoire national de la délinquance. Nous n’avons pas peur de la réalité, contrairement à vous. Il faut la regarder en face, pour agir.

Vous avez supprimé 13 700 postes de policiers et de gendarmes en cinq ans, dont 1 800 postes de CRS. Nous, nous remplaçons tous les départs à la retraite, et nous créons des postes de policiers et de gendarmes tous les ans. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Vous, vous avez laissé la situation se dégrader dans les quartiers. Nous, nous créons les zones de sécurité prioritaires, qui donnent des résultats parce que nous nous attaquons aux racines de la délinquance. Vous, vous opposez la police et la justice. Nous, nous considérons que les magistrats et les forces de l’ordre doivent travailler ensemble, pas pour polémiquer. La sécurité est un sujet suffisamment sérieux pour ne pas polémiquer, mais pour se rassembler, pour les Français ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Retraites

M. le président. La parole est à M. Pascal Terrasse, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.

M. Pascal Terrasse. Madame la ministre des affaires sociales, l’avenir de nos retraites préoccupe les Français, certains d’entre eux ayant d’ailleurs manifesté leur inquiétude hier dans les rues. Ont-ils raison ? Certainement, s’ils font le bilan des précédentes réformes qui, il faut bien le dire, se sont traduites par des reculs sociaux majeurs comme nous l’avions alors dénoncé.

M. Woerth ne manque pas d’aplomb, car, en 2010, nous avions raison de rappeler que la réforme des retraites n’était pas financée et qu’aucune mesure structurelle à long terme n’était mise en place, renforçant ainsi les inquiétudes chez les jeunes, chez les femmes et, surtout, chez les futurs retraités ayant des carrières longues ou incomplètes.

Madame la ministre, la réforme que vous nous proposez aujourd’hui a été élaborée dans la concertation et la sérénité. Elle s’inscrit dans la continuité de nos engagements visant à ce que celles et ceux qui ont travaillé longuement puissent partir à la retraite à taux plein dès 2012. C’était un engagement présidentiel, et nous l’avons respecté.

Vous avez mis sur la table des mesures de justice issues de la concertation. Ainsi, les salariés qui ont exercé des métiers pénibles bénéficieront de départs anticipés, les femmes d’une meilleure prise en compte des temps de maternité et, enfin, les salariés à temps partiel de valorisations de trimestres complémentaires.

Pour les jeunes, l’État s’engage également à prendre en charge une importante partie des cotisations durant les années d’études ainsi que la totalité des trimestres pour les apprentis et ceux qui bénéficient de contrats en alternance. Pour les agriculteurs, enfin, la retraite sera revalorisée.

Pouvez-vous nous rappeler quelle démarche, quelle ambition et quelle logique animent le Gouvernement dans la conduite de votre réforme ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Monsieur le député, oui, le Gouvernement veut présenter une réforme des retraites rompant avec les réformes précédentes et s’engageant de manière déterminée et résolue sur la voie de la responsabilité et de la justice.

M. Bernard Deflesselles. Quel baratin !

Mme Marisol Touraine, ministre. Nous faisons le choix d’une réforme visant à conforter l’avenir, à donner confiance en notre système de retraite par répartition, en particulier pour les jeunes générations. C’est en effet à elles, plus qu’à quiconque, que s’adresse cette réforme ! Aux jeunes, nous disons qu’ils doivent avoir confiance ! A ceux qui sont en apprentissage, nous disons que l’ensemble de leurs trimestres sera comptabilisé ! A ceux qui font des études supérieures, nous proposons un système ambitieux de rachat qui leur permettra de valider des trimestres ! En proposant la validation de ces derniers dès 150 heures travaillées au lieu des 200 heures exigées à ce jour, nous envoyons un signal à toutes celles et à tous ceux qui souffrent de ce que le travail à temps partiel – qui est trop souvent réservé aux jeunes – ne soit pas pris en considération.

Parce que nous voulons une réforme juste, nous mettons en place un compte pénibilité qui, dès 2016, permettra à des hommes et à des femmes de partir à la retraite de manière anticipée et qui, au-delà, leur permettra de se former ou de bénéficier d’une retraite progressive.

Nous voulons une réforme juste en prenant mieux en compte les périodes de maternité, de même que nous tiendrons compte, de façon plus équilibrée, des interruptions de travail dues au chômage, en particulier pour les jeunes qui commencent leur vie active.

Notre réforme est juste ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Réforme des rythmes scolaires

M. le président. La parole est à M. Guy Geoffroy, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Guy Geoffroy. Monsieur le ministre de l’éducation nationale, lors de votre échange un peu « téléphoné » avec notre collègue Yves Durand, vous avez oublié d’évoquer ce qu’il faut bien appeler le vrai fiasco de l’application de la réforme des rythmes scolaires lors de cette rentrée 2013. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)



Avec l’emphase que nous vous connaissons parfois, vous aviez pourtant assuré que, juré craché, cette réforme bénéficierait dès cette rentrée à plus d’un enfant sur deux en école maternelle et élémentaire. Qu’en est-il ? À peine un enfant sur quatre, tout juste un enfant sur cinq sont concernés ! Dans des départements entiers – ainsi du Val-de-Marne – aucun maire, à commencer par certains parlementaires de la majorité, n’a choisi d’appliquer la réforme en 2013. Pourquoi ? Parce qu’elle est précipitée, que les maires n’ont ni le temps ni les moyens d’appliquer une réforme qui demande du temps, de la réflexion, des collaborations avec de nouveaux partenaires.





Les parents sont dubitatifs, les enseignants sont grognons et les maires en colère parce que vous avez voulu leur imposer une réforme que vous ne voulez pas financer ! Vous avez donné une obole à la rentrée 2013, vous ne donnerez rien à la rentrée 2014 !





Face à ce fiasco que nous avions annoncé et qui s’est avéré, qu’allez-vous faire ? Allez-vous enfin faire preuve de sagesse en remettant tout cela sur le métier (Protestations sur les bancs du groupe SRC) afin de pouvoir dialoguer avec les communes et, si cela est possible, réussir cette réforme ? (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)



M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale.

M. Vincent Peillon, ministre de l’éducation nationale. Monsieur le député, je suis ravi de votre question et du ton que vous avez adopté car vous avez été porteur d’une bonne nouvelle : nous n’avions pas perçu jusqu’ici à quel point vous souhaitiez la réussite de cette réforme ! Si tel est bien le cas, nous allons y travailler ensemble.

M. Guy Geoffroy. Ah !

M. Vincent Peillon, ministre. Nulle sanction ne s’impose. Cette réforme n’est pas faite pour les adultes mais pour les élèves et c’est dans cet état d’esprit que nous l’appliquons.

Nous savons tous qu’un pays, le seul au monde, dans lequel les enfants travaillent 144 jours par an ne doit pas s’étonner de la baisse des résultats scolaires année après année. Il est toujours préférable d’apprendre à lire, écrire et compter – enseignement qui représente 15 heures hebdomadaires dans les programmes de cours préparatoire – le matin à 9 heures 30 plutôt que le vendredi soir à 16 heures 10. (« Cela n’a rien à voir ! » sur les bancs du groupe UMP.)

Cela suppose que les adultes fassent un effort et que l’on s’engage. Un quart des communes l’ont déjà fait, dont certaines comptent parmi les plus déshéritées de France. Certaines communes riches ne l’ont pas souhaité. Tout dépend d’où l’on part…

Le plus important, comme le Président de la République l’a souhaité, c’est que nous parvenions au terme de cette réforme comme au terme d’autres réformes que nous avons engagées. Pourquoi ? Il ne s’agit pas, en l’occurrence, de se lancer dans une polémique politique puisque vous étiez favorables à cette réforme il y a deux ans, mais de redresser le niveau scolaire du pays et de redresser ainsi le pays lui-même.

M. Michel Herbillon. Nous ne sommes pas dans une cour d’école !

M. Vincent Peillon, ministre. Cette réforme est nécessaire. Elle demande un peu de bonne volonté, du temps,…

M. Patrice Verchère. De l’argent !

M. Vincent Peillon, ministre. …de la concertation, de l’argent – et jamais il n’y en a eu autant pour les activités périscolaires…

M. Patrice Verchère. Parlez-en aux maires !

M. Vincent Peillon, ministre. …alors que vous aviez diminué le budget de l’ éducation nationale et celui de ces activités-là, où les inégalités sont pourtant de un à dix ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)



Merci de vouloir la réussite de cette réforme pour les élèves dès cette année ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur plusieurs bancs du groupe écologiste.)

Logements insalubres

M. le président. La parole est à M. Mathieu Hanotin, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Mathieu Hanotin. Monsieur le président, mes chers collègues, ma question s’adresse à Mme Cécile Duflot, ministre de l’égalité des territoires et du logement.

Il y a un an, dans la nuit du 8 au 9 septembre 2012, l’incendie qui ravagea un immeuble insalubre du centre-ville de Saint-Denis fit trois morts et une quinzaine de blessés, surpris en pleine nuit par les flammes. Les occupants de l’immeuble, des locataires, mais aussi des propriétaires de bonne foi, étaient logés dans des conditions absolument indignes. Les deux tiers des appartements étaient détenus par deux marchands de sommeil totalement dénués de scrupules. En quelques années, le bâtiment s’est dégradé à grande vitesse, parce que ces propriétaires malhonnêtes n’assuraient même plus l’entretien minimal. Au moment de l’incendie, l’immeuble n’était plus raccordé à l’eau courante depuis plusieurs mois, les plafonds des caves menaçaient de s’effondrer et les installations électriques représentaient un danger visible. Malgré les arrêtés de péril et d’insalubrité, ces propriétaires, continuaient, de manière parfaitement illégale, à percevoir des loyers exorbitants, puisque ces logements étaient loués à plus de 40 euros le mètre carré, un prix équivalent à celui pratiqué sur les Champs-Élysées !

Il ne faut pas laisser de tels drames se reproduire. Avec le Gouvernement, avec les rapporteurs du projet de loi ALUR, Mme Linkenheld et M. Goldberg, avec le groupe socialiste, républicain et citoyen, nous avons travaillé à un dispositif de déclaration, voire d’autorisation préalable de mise en location dans des quartiers qui comprennent une forte proportion de logements insalubres. La mise en place de ce dispositif se ferait sur demande des communes. Il leur donnerait un outil alliant contrôle, prévention et sanction, qui protégerait aussi bien les locataires contre les marchands de sommeil, que les propriétaires de bonne foi.

Ma question est donc la suivante, madame la ministre : l’État est-il prêt à prendre ses responsabilités pour lutter contre l’habitat indigne et donner aux communes tous les outils et les moyens permettant de rendre l’ensemble de ces dispositions possibles et opérationnelles ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’égalité des territoires et du logement.

Mme Cécile Duflot, ministre de l’égalité des territoires et du logement. Monsieur le député Mathieu Hanotin, vous me demandez si l’État est prêt à prendre ses responsabilités pour éliminer les marchands qui exploitent la misère. Ma réponse est tout simplement oui. Et je crois, pour avoir écouté la discussion générale du projet de loi ALUR, que j’ai eu l’honneur de vous présenter hier, que cette volonté est partagée sur tous les bancs de cet hémicycle. Pourquoi ? Parce que 500 000 personnes sont aujourd’hui contraintes de vivre dans un habitat indigne, qui met parfois en danger leur santé, et même leur vie. L’incendie dont vous avez rappelé le triste anniversaire n’aurait pas dû pouvoir se produire.

Un certain nombre de dispositions légales existent effectivement, mais elles sont insuffisantes face à la mauvaise foi et face aux marchands de sommeil. Sur ce sujet, notre détermination est très grande. Je ne reviendrai pas sur l’ensemble des dispositions introduites par le projet de loi, mais je peux vous dire que nous sommes tout à fait résolus à faire disparaître les failles qui permettent à certains d’exploiter la misère, en mettant en danger la vie des habitants de leurs logements. Notre engagement sera très fort et nous soutiendrons toutes les collectivités locales, pour qu’il ne soit plus possible de mettre en péril la vie des habitants, mais aussi celle des pompiers, qui interviennent parfois dans des situations dramatiques, comme ce fut le cas à Saint-Denis. L’impossibilité d’acheter un bien, pour les personnes reconnues coupables de ce délit – parce que c’en est un – est l’une des dispositions très novatrices introduites par notre projet de loi.

Vous pouvez donc, je le répète, compter sur notre entière détermination. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur quelques bancs du groupe écologiste.)

Pause fiscale

M. le président. La parole est à M. Gilles Lurton, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Gilles Lurton. Ma question s’adressait à M. le Premier ministre, mais je crois qu’il est parti. L’arrivée des feuilles d’impôts dans les familles a provoqué une véritable onde de choc dans le pays. Et les Français ont raison d’être inquiets, avec la multiplication des signaux contradictoires donnés par votre majorité depuis plus d’un an. En mars 2013, le Président de la République promettait lui-même qu’en dehors de la hausse de la TVA, qui avait déjà été votée, aucune augmentation d’impôts n’aurait lieu. Le 14 juillet, il annonçait qu’il n’y aurait des augmentations d’impôts que si c’était indispensable. Ces déclarations contradictoires démontrent une chose, que votre unique réponse à tous les problèmes est l’augmentation des prélèvements : 22 milliards en 2012, et 33 milliards en 2013.

L’inquiétude des Français est également liée au nouveau coup de massue fiscale qui se prépare pour les classes moyennes et pour les familles. Monsieur le ministre du budget affirmait ces jours derniers ne pas vouloir être le ministre des impôts, mais le ministre des économies. Nous savons qu’une hausse de la TVA est aujourd’hui en préparation, ainsi qu’une baisse du plafond du quotient familial, une hausse des cotisations retraite pour les salariés, et bien d’autres mesures – sans parler des coups de rabot sur certaines réductions d’impôts, comme celle qui bénéficie aux parents d’enfants scolarisés ou étudiants, ou celle qui permet aux salariés de déduire de leurs revenus la cotisation payée par leur employeur pour leur complémentaire santé. La conséquence de cette politique est inévitablement une baisse des recettes fiscales. Cet effet sur notre économie est logique : si l’argent doit aller à l’impôt, il n’ira donc pas à la consommation et, par voie de conséquence, à l’activité et à l’emploi.

Les Français sont à bout de souffle. Ils ne perçoivent pas vos réductions de dépenses et ont le sentiment que c’est toujours aux familles et aux classes moyennes de faire des efforts supplémentaires. Les réponses que le Premier ministre nous a apportées aujourd’hui ne nous ont pas rassurés et elles ne rassureront pas les familles. Je réitère donc ma question : êtes-vous prêts à une pause fiscale en 2014 ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé du budget.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé du budget. Monsieur le député, je souhaite apporter quelques éléments de réponse très simples à votre question, qui porte sur la possibilité de diminuer les dépenses et sur l’évolution des impôts. S’agissant d’abord de la diminution des dépenses, le budget que nous présentons prévoit une diminution des dépenses de l’État de 1,5 milliard d’euros, ce qui est historique, puisque nous avons réussi à documenter 15 milliards d’économie : 9 milliards sur le budget de l’État et 6 milliards pour la sphère sociale. Je voudrais simplement vous rappeler – mais je suis sûr que vous ne l’avez pas oublié – que la révision générale des politiques publiques, qui est emblématique pour vous de ce qu’il faut faire en matière de gestion de l’argent public, a dégagé en cinq ans une économie nette de 10 milliards d’euros : 10 milliards sur toute la durée du quinquennat, cela fait donc 2 milliards par an. Faire deux milliards d’économie par an, ce serait le signe d’une bonne gestion de l’argent public, et en faire sept fois plus, ce serait le signe de la gabegie ? Je dois dire que j’ai un peu de mal à suivre votre raisonnement.

M. Philippe Le Ray. Et les feuilles d’impôts ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Pour conclure sur la question des économies de dépenses et de l’évolution de la dépense publique, je voudrais également vous rappeler qu’entre 2007 et 2012, la dépense publique a connu une augmentation de 170 milliards d’euros, ce qui ne traduit pas, de votre part, une grande capacité à faire des économies en dépenses.

M. Philippe Le Ray. Les feuilles d’impôts !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. S’agissant maintenant des prélèvements obligatoires, les chiffres que vous avez donnés pour 2012 sont tout à fait faux. En 2012, c’est vous qui avez prélevé 13 milliards d’euros sur les Français, après en avoir prélevé 20 en 2011.

M. Thierry Solère. Arrêtez de parler du passé !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Vous avez procédé à la non-indexation du barème de l’impôt sur le revenu ; vous avez laissé, dans cette assemblée, un taux de TVA à 21,2 %, ce qui aurait conduit à prélever 12 milliards d’euros de TVA sur les Français.

M. Philippe Le Ray. Les feuilles d’impôts !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Eh bien tout cela, monsieur le député, nous le corrigeons. Nous réindexons le barème de l’impôt sur le revenu, en restituant 700 millions d’euros aux Français. Nous prendrons également une mesure en faveur du pouvoir d’achat. Nous sommes en train de prendre des mesures qui sont destinées, avec le budget de l’emploi, avec ce que nous faisons sur les bourses scolaires, à redonner du pouvoir d’achat aux Français…

M. Philippe Le Ray. Allez donc voir les Français !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. …c’est-à-dire à corriger les inégalités que, pendant des années, vous avez contribué à creuser sans vergogne, comme les déficits et les dettes. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures dix, est reprise à seize heures vingt, sous la présidence de M. Christophe Sirugue.)



Présidence de M. Christophe Sirugue

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

3

Transparence de la vie publique

Lecture définitive d’un projet de loi et d’un projet de loi organique

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, en lecture définitive, du projet de loi relatif à la transparence de la vie publique (nos 1335, 1345) et du projet de loi organique relatif à la transparence de la vie publique (nos 1334,1346).

La conférence des présidents a décidé que ces textes donneraient lieu à une discussion générale commune.

Présentation commune

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des relations avec le Parlement.

M. Alain Vidalies, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, mesdames et messieurs les députés, nous nous retrouvons donc aujourd’hui, probablement pour la dernière fois, autour des projets de loi relatifs à la transparence de la vie publique. Nous nous retrouvons après quatre mois d’échanges fructueux entre nous comme entre les deux assemblées. Nous nous retrouvons pour la lecture définitive du texte adopté par votre assemblée en nouvelle lecture le 23 juillet dernier.

Au cours de ces débats, le Gouvernement a écouté les deux assemblées et les députés de tous les groupes parlementaires et de nombreux amendements sont venus enrichir le texte. La discussion et l’échange entre nous ont, c’est manifeste, fait évoluer ces textes. Mesdames et messieurs les députés, le fait que les parlementaires fassent, in fine, la loi n’est pas une découverte ni une difficulté pour le ministre chargé des relations avec le Parlement. C’est la règle dans un régime parlementaire. C’est aussi cela, la revalorisation du rôle du Parlement !

C’est ainsi que les assemblées ont consacré jusqu’à aujourd’hui plus de soixante-trois heures en séance publique à ces projets, sans compter le travail en commission. Ce travail, conduit notamment par votre rapporteur et président de la commission des lois, Jean-Jacques Urvoas, que je tiens particulièrement à saluer, a été essentiel et son rapport de près de 500 pages a constitué un apport décisif au débat public sur la transparence.

L’enjeu des textes qui viennent pour la dernière fois en discussion aujourd’hui est simple, mais exigeant pour l’ensemble des responsables publics, car il s’agit de retrouver la confiance de nos concitoyens, de rétablir une capacité d’écoute de la parole publique. J’ai la conviction que, pour combattre le poison du soupçon, le meilleur des remèdes est l’exemplarité républicaine. Certes, la faute de quelques-uns ne peut emporter l’opprobre contre tous les autres, mais nul ne peut s’exonérer de la lecture de ces sondages qui révèlent une défiance grandissante, inquiétante des Français à l’égard de leurs représentants.

La démocratie est une quête permanente. Il nous semble donc que l’inaction n’est pas une option en ces domaines qui constituent les fondements, j’allais dire les fondations de notre maison commune, la République. Toutes les législations en la matière, sous tous les régimes, sont toujours nées des grands scandales politico-financiers. Je crois que chacun, dans la majorité comme dans l’opposition, peut partager ce constat qui est fidèle à l’histoire.

Ces projets de loi font le pari de restaurer la confiance dans les institutions comme dans leurs serviteurs en faisant précisément le pari de la confiance en nos concitoyens. Le contrôle des électeurs sur ceux à qui ils ont confié le soin de les représenter est une exigence démocratique ancienne. Ce regard citoyen est l’essence même de la démocratie représentative. Ces textes entendent adapter cette exigence à notre temps. Les propositions de la majorité sont donc précises, elles sont aussi très novatrices.

Pour la première fois, les quelque 8 000 plus hauts responsables publics de notre pays seront soumis à des règles nouvelles, afin qu’au lieu d’être ignorées, certaines situations soient organisées par ce droit nouveau : le droit des conflits d’intérêts. Pour la première fois, un texte législatif va donc définir la notion de conflit d’intérêts et mettre en place des outils pour prévenir ce genre de situation. Je l’ai souvent dit, je crois que l’on ne mesure pas les implications que ce dispositif induira pour l’avenir dans la conduite des affaires publiques.

Ces textes organisent ainsi un système de déport s’imposant par exemple aux membres des autorités administratives du domaine économique – car il ne faut surtout pas réduire ces textes aux seuls élus. Pour la première fois, les déclarations de situation patrimoniale seront véritablement contrôlées, car vous avez décidé de doter la nouvelle Haute autorité de moyens nouveaux et extrêmement efficaces pour détecter les irrégularités, ce sera l’alerte citoyenne, et combattre le détournement de nos lois fiscales, ce sera, par exemple, la possibilité de mettre en œuvre l’assistance fiscale internationale.

Pour la première fois, un texte de cette portée va prévoir et encadrer le travail des lanceurs d’alerte dont l’actualité, ces derniers mois, a pu illustrer l’utilité pour le progrès de la vérité et des consciences. Pour la première fois, le financement des micro-partis va se trouver précisé. Il nous semble que ces dispositions introduites par le groupe écologiste seront extrêmement utiles pour assurer une meilleure application des lois sur le financement de la vie politique.

Il me semble donc que l’on ne peut pas sérieusement prétendre, si on veut bien les lire et les comparer à l’état du droit positif, que ces textes sont au rabais. L’énergie dépensée à les combattre atteste qu’ils doivent bien receler de puissants instruments de renouvellement de nos pratiques. Afin d’assurer le contrôle de ces différentes obligations, une Haute autorité de la transparence de la vie publique sera créée. Elle disposera de pouvoirs effectifs et sera dotée de l’autonomie financière et de la possibilité de fixer son organisation interne et ses procédures par un règlement général, comme l’a spécialement voulu votre rapporteur.

La Haute autorité pourra demander à l’administration fiscale d’exercer son droit de communication. C’est là une avancée très importante puisque, sous le contrôle du juge, l’ensemble des fichiers comptables ou fiscaux seront à sa disposition. Nous avons eu quelques échanges tenant à la composition de ce collège. Nous nous félicitons, là encore, que les travaux de votre commission aient rétabli une composition ouverte à des personnalités qualifiées, mais dans un format compatible avec les implications d’une ratification aux trois cinquièmes.

Ces projets de loi contiennent enfin deux séries de dispositions tenant aux incompatibilités parlementaires et à une amélioration de la répression pénale. Nos premières propositions consistent à protéger les parlementaires des intérêts particuliers. Il s’agit là, je le crois, d’une préoccupation consensuelle, si l’on veut bien se souvenir des travaux en 1995 du groupe de travail du président Séguin et du rapport d’information de Jean-Jacques Hyest sur les conflits d’intérêts en 2011. Depuis 1958, la logique des incompatibilités – je n’ose parler de sens de l’histoire – n’est pas d’interdire l’exercice de toute activité professionnelle, mais plutôt de soustraire le mandat parlementaire aux influences susceptibles de l’écarter de la prise en compte de l’intérêt général.

Un consensus s’est dégagé entre les chambres pour interdire, par exemple, le cumul du mandat de parlementaire avec des fonctions au sein d’entreprises dont une part importante de l’activité commerciale est entretenue avec l’administration. Cela paraît important. Je tiens à rappeler que, concernant le contrôle de ces incompatibilités éventuelles en cas de conflits d’intérêts, le respect de la pleine autonomie des assemblées est assuré, car c’est et ce sera toujours le bureau des chambres qui aura le dernier mot, sous le contrôle du Conseil constitutionnel.

En ce qui concerne l’interdiction de toute nouvelle activité professionnelle pour les parlementaires, introduite à l’Assemblée nationale par un amendement du groupe socialiste, le Gouvernement considère qu’il s’agit d’une avancée utile pour prévenir les situations de conflits d’intérêts. Cette interdiction est simple et préserve la liberté des parlementaires, qui peuvent ainsi poursuivre ou débuter des activités littéraires ou artistiques. Par ailleurs, les bureaux des assemblées pourront tout à fait permettre à des députés en fin de mandat, et qui ne se représenteraient pas, d’amorcer une reconversion professionnelle, dès lors que cette activité n’est pas incompatible avec les impératifs du mandat national.

Si vous deviez adopter en lecture définitive, le 17 septembre prochain, les textes qui vous sont soumis, notre démocratie se trouverait renforcée.

M. Jean-Frédéric Poisson. Sûrement pas !

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Ces règles nouvelles interdiront ainsi, de façon claire, le cumul de mandat parlementaire avec le métier de conseil ou de lobbyiste. C’est une avancée notable.

S’agissant des dispositions pénales, le Gouvernement s’est là encore rangé aux arguments de l’Assemblée. Le projet de loi ordinaire vous propose donc de mettre en œuvre l’engagement n49 de François Hollande afin que l’ensemble des élus du suffrage universel et des membres du Gouvernement puissent être condamnés à une peine d’inéligibilité pouvant être portée jusqu’à dix ans en répression des infractions portant atteinte à la moralité publique telles que la corruption, la fraude fiscale ou l’abus de bien social. Le Gouvernement considère en effet que l’on doit pouvoir assurer une juste répression de ces infractions et de ces comportements qui participent à écarter les Français de leurs élus et tout simplement de la démocratie.

Les textes qui vous sont soumis me semblent avoir notablement été enrichis par le débat parlementaire de ces derniers mois. Le Gouvernement entend dès lors, comme votre rapporteur, que le texte adopté en nouvelle lecture par votre assemblée soit adopté par elle en lecture définitive.

Il n’y a là nulle défiance à l’égard du Sénat, car c’est là que certaines avancées ont été acquises. Je n’en citerai que deux mais elles sont d’importance. D’abord, les informations contenues dans les déclarations d’intérêts, qui seront rendues publiques par la Haute autorité pour la transparence de la vie publique, seront librement réutilisables. Il s’agit d’une avancée vers l’open data, auquel nous sommes favorables. Par ailleurs, la transparence de la réserve parlementaire sera désormais assurée et encadrée. C’était une initiative du Sénat.

Aujourd’hui, le temps est venu de conclure nos échanges. Il est temps de faire aboutir une réforme qui viendra consolider ce lien de confiance devant exister entre les citoyens et leurs représentants. Nous connaîtrons évidemment d’autres étapes, tout d’abord avec la décision du Conseil constitutionnel. Nous aurons ensuite à installer la nouvelle Haute autorité et à prendre les mesures réglementaires qui s’imposent.

Je remercie tous ceux qui ont participé à ce débat, dans la majorité bien sûr mais aussi dans l’opposition, débat qui a été riche et de bonne qualité. Je salue tout particulièrement le rapporteur Jean-Jacques Urvoas ainsi que René Dosière, qui se sont particulièrement investis en amont dans la préparation de ce texte et dans les débats parlementaires.

Mesdames et messieurs les députés, le Gouvernement, comme la commission, vous demande d’adopter ce texte en lecture définitive. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Urvoas, président et rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme le prévoit le mécanisme de notre système bicaméral dans sa rationalité, l’article 45 de la Constitution donne donc le dernier mot à l’Assemblée nationale puisqu’il subsiste quelques désaccords avec nos collègues du Palais du Luxembourg.

M. Jean-Frédéric Poisson. Ce ne sera pas la dernière fois !

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Ce ne sera pas la dernière fois et nous aurons sûrement l’occasion, effectivement, d’appliquer à nouveau cet article pour des textes qui sont actuellement en discussion au Sénat.

M. Guy Geoffroy. Il y a un cumul des désaccords !

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Il nous faut donc revenir, au moment de ce bilan, à l’essentiel. Je remercie tous ceux qui ont contribué à l’évolution que le ministre vient de rappeler et je salue les parlementaires qui se sont investis, ceux de l’opposition et ceux de la majorité. Tous l’ont fait dans le souci du bien public, en tentant de retrouver le chemin pour que nos institutions puissent retisser la confiance avec nos concitoyens. En effet, vous l’avez souligné, monsieur le ministre, c’est bien elle qui fonde le pacte social et en constitue le moteur.

On parle souvent dans nos sociétés de traçabilité. C’est bien, mais comme le disait Adam Smith, c’est parce que l’on a confiance dans le boucher que l’on fréquente sa boutique. La traçabilité, c’est donc bien, mais la confiance, c’est mieux. Sans confiance, je ne crois pas qu’il y ait de système démocratique : c’est au contraire le règne du soupçon, du cynisme, du désenchantement généralisé, désenchantement sur lequel prospèrent toutes les radicalités mensongères.

Seule la confiance permet la distanciation, entre soi et l’autre, entre la sphère privée et la sphère publique, entre l’État et la société, et la distanciation est la condition indispensable de la liberté. La transparence, naturellement, peut faciliter son avènement. Nos débats ont montré qu’il existait une multitude de domaines où elle a un effet indubitablement bénéfique. Ils nous ont aussi permis de rappeler tous ceux dans lesquels l’intérêt général gagnerait encore à ce qu’elle s’impose. En même temps, l’expérience démontre que la transparence ne peut être qu’une réponse ciblée, non un remède universel.

C’est justement l’un des mérites de ces textes dont nous avons discuté : exploiter toutes les potentialités de la transparence sans pour autant succomber à la tentation d’en faire une panacée. Ils parviennent à instituer un équilibre fructueux entre les exigences inhérentes à la transparence et le respect de la vie privée.

Hannah Arendt l’a souligné dans Condition de l’homme moderne, aucune frontière en démocratie n’est plus importante à défendre que celle, ténue, fragile, entre la sphère privée et la sphère publique, la confusion de ces deux sphères étant le propre des régimes totalitaires

Certes, l’exercice d’une responsabilité publique génère par principe une obligation, celle de rendre des comptes. Il existe, pour les élus notamment, un devoir absolu de probité, et tout écart éventuel de conduite en la matière doit pouvoir être identifié et sanctionné. Cependant, un homme public à l’état pur, cela n’existe pas. Une telle vérité s’apparente à un truisme, mais il n’est visiblement pas inutile de le rappeler tant elle entre en flagrante contradiction avec la volonté de tout savoir, qui est le fondement d’un certain dogme de la transparence.

Le nécessaire et salutaire questionnement sur les limites à fixer, les frontières à tracer, les jalons à poser a été au cœur de nos débats. Jusqu’où doit se déployer la transparence et quelle place doit-elle laisser au secret des organisations publiques et à l’intimité de l’être humain ? Plus précisément encore, comment fixer la frontière entre ce qui, dans la vie des élus en particulier, relève de l’indispensable visibilité liée à leur mandat et ce qui relève du périmètre de leur vie privée ? Aucune méthode idéale, aucune recette miracle n’existe. L’émergence d’une solution est le résultat du tâtonnement que nous avons pratiqué.

Je suis convaincu que le compromis auquel nous sommes parvenus sur les déclarations de patrimoine, face à la revendication d’une espèce de démocratie paparazzi, comme l’a dit le président de l’Assemblée nationale, est un bon compromis. Au demeurant, l’essentiel était peut-être non pas dans cette question de la publicité mais bien plus, comme vous l’avez souligné, monsieur le ministre, dans l’effectivité d’un contrôle optimal dans la lutte contre les conflits d’intérêts. Aucun intérêt particulier, aucune raison prétendument supérieure ne saurait venir entraver ce contrôle nécessaire. C’est par ce truchement que nous parviendrons à tarir les sources du mal, à juguler les conditions de survenue de ces désastreuses « affaires » qui ébranlent si dangereusement notre système représentatif. C’est ainsi que nous parviendrons à atteindre le seul objectif qui vaille, la restauration de la confiance.

Tel était le défi ambitieux que portaient ces textes. Il nous fallait le relever. Je me réjouis que nous ayons contribué à le faire de belle manière, en instituant une Haute autorité dotée de moyens renforcés et d’un périmètre d’investigation élargi, en durcissant les sanctions pénales à l’endroit de ceux qui prendraient le risque de s’affranchir des règles établies, en instaurant des mécanismes efficaces de prévention des conflits d’intérêts.

L’une des associations qui ont beaucoup suivi nos débats, Transparency International, nous donne d’ailleurs une forme de quitus dans sa dernière publication, d’août 2013. Le président de la section française, Daniel Lebègue, écrit que ces nouvelles lois constituent indiscutablement un progrès, même si l’association dit qu’il y en a d’autres encore à réaliser. Qui pourrait au demeurant le nier ?

Nous répondons donc de manière indiscutable à l’exigence d’efficacité dans le contrôle des conflits d’intérêts, que nos concitoyens considèrent avec beaucoup de bon sens comme une préoccupation fondamentale.

Je veux encore et à nouveau dire quelques mots de ces avancées majeures que contiennent ces textes en matière de prévention et de lutte contre ces conflits. Elles sont irréfutables et leur portée très audacieuse, eu égard aux petits accommodements et grandes ambiguïtés qui prévalaient jusqu’à présent. Elles devraient d’ailleurs suffire à elles seules à garantir à cette réforme un soutien unanime. Mais ce n’est pas tout. Demain, deux projets de loi relatifs aux obligations déontologiques des fonctionnaires et des magistrats de l’ordre judiciaire viendront compléter ceux que nous nous apprêtons à adopter.

La France peut ainsi devenir, dans le monde, un pays à la pointe du combat, comme une sorte de référence contre les conflits d’intérêts. Osons dire que ce serait inespéré si l’on veut bien considérer les choquantes carences et les lourds dysfonctionnements qui caractérisent la situation actuelle. Mais il convient d’abord de franchir une première étape, ce que nous ferons mardi puisqu’un vote solennel a été demandé.

Je vois mal en vérité ce qui pourrait justifier le rejet de ces deux textes ambitieux…

M. Jean-Frédéric Poisson. On va vous le dire !

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. …qui parviennent à concilier exigence accrue de transparence, respect de la vie privée et garantie d’un contrôle optimal. Bien sûr, ils ne suffiront pas à éradiquer tous les maux, personne ne peut le prétendre, mais nul ne peut contester que les tentations de fraudes seront demain plus risquées et partant, espérons-le, beaucoup plus rares. Ce sera déjà un énorme progrès.

Pour le reste, reconnaissons que le problème est pour partie culturel. Aucune loi, fût-elle comme celle-ci excellente, n’est en mesure d’en appréhender l’ensemble des dimensions.

En l’occurrence, il me semblerait opportun que, dans les phases d’emballement médiatique et les vagues d’indignation populaire comme nous en avons récemment connu, chacun, demain, s’efforce de garder la tête froide : les élus, d’abord, en faisant la part entre la nécessaire information du citoyen et la tentation d’un exhibitionnisme teinté de démagogie, les citoyens, ensuite, en distinguant ce qui relève de leur droit légitime à réclamer des comptes de ce qui s’apparente à des pulsions voyeuristes, et les médias, enfin, en évitant toute surexploitation des affaires à des fins qui seraient non plus informatives mais seulement commerciales. Nul n’a à gagner à sacrifier son sens du discernement à l’émotion de l’instant, qui est toujours mauvaise conseillère.

Ces considérations peuvent paraître éloignées du périmètre du droit, elles n’en sont pas moins au cœur du sujet qui nous occupe. Dans sa Politique, Aristote présentait la prudence, définie comme la faculté à appréhender où portent les conséquences de ses actes, comme la seule vertu spéciale du commandement. Nul doute qu’elle puisse faire l’objet d’un apprentissage. L’actualité démontre d’ailleurs hélas que peu de dispositions de l’esprit humain mériteraient ainsi d’être promues. Je forme dès lors le vœu que les écoles de prudence fleurissent dans les partis et que leur enseignement finisse par imprégner les esprits au point de rendre inopérantes les rigueurs en l’état nécessaires de la présente loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Motion de rejet préalable (projet de loi organique)

M. le président. J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe de l’Union pour un mouvement populaire une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement, sur le projet de loi organique.

La parole est à M. Guy Geoffroy.

M. Guy Geoffroy. Dans votre propos, monsieur le rapporteur, vous avez évoqué un certain nombre de concepts, cité un certain nombre de mots dont le sens est fort, et je voudrais, en introduction, y revenir.

Vous avez indiqué qu’il fallait, ce serait l’objectif de ces textes, permettre à notre pays de quitter, pour ce qui concerne sa vie publique, l’ère du soupçon et celle du cynisme. Nous sommes d’accord.

Vous avez rappelé, comme s’il était nécessaire de le faire, que parmi tous les acteurs de la vie sociale, et donc en particulier de la vie publique, il y en avait certains, les élus, à qui s’imposait un devoir absolu : la probité. Nous sommes d’accord.

Vous avez rappelé fort opportunément, en oubliant de vous citer, mais nous connaissons votre modestie, l’interpellation quelque peu musclée du président de l’Assemblée nationale, que vous avez partagée, visant à expliquer au Gouvernement qu’il faudrait tout faire pour éviter une République paparazzi telle qu’il se proposait de l’encourager, si j’ai bien compris ce que contenait à l’époque le projet de loi initial. Nous sommes d’accord.

Vous avez indiqué qu’il fallait trouver les voies et moyens de restaurer la confiance entre les habitants de notre pays et leurs élites politiques et, parmi celles-ci, leurs élus. Et nous sommes d’accord.

Cependant, au moment de l’examen, en lecture définitive, de ces deux textes, nous sommes plus que jamais amenés à nous poser la question : permettront-ils d’atteindre ces objectifs sur lesquels nous sommes d’accord ? Au groupe UMP, nous avons longuement réfléchi à notre réponse, nous avons beaucoup travaillé en commission des lois et nous ne partageons pas votre enthousiasme, mitigé mais enthousiasme tout de même, sur ce que vous appelez ces « textes ambitieux ».

Il faut revenir à l’origine, se demander si ces textes sont adaptés à la question de départ. L’on en vient dès lors à se poser des questions sur le côté où se trouvent le soupçon et le cynisme. À l’origine de tout cela, et vous n’aimez pas qu’on vous le rappelle, il y a l’affaire Cahuzac.

M. Marc Le Fur. Très juste !

M. Guy Geoffroy. Un ministre de la République, qui était en charge, en sa qualité de ministre du budget, de tout ce qui concerne les questions fiscales, et qui se voulait un pourfendeur de la fraude fiscale, s’avère avoir été, dans des proportions apparemment très importantes, un fraudeur. Là où les choses commencent à déraper, par rapport à vos belles déclarations et à vos belles ambitions, c’est que ce qui est reproché à ce ministre de la République n’a rien à voir avec l’exercice de ses fonctions d’élu. Bien sûr, nous en saurons plus quand la justice aura fait son travail et se sera prononcée, mais tout semble indiquer que ce qui lui est reproché n’a pas de lien avec ses activités d’élu municipal dans le Sud-Ouest, ni d’élu national issu d’un département du Sud-Ouest, ni probablement non plus de ministre.

Cet homme ayant failli, le Gouvernement ayant dû se séparer de lui, ce qui a créé au sein de votre majorité mais aussi dans tout le pays, au sein du monde de la vie publique, un véritable traumatisme, votre réponse a été, et c’est votre première faute, de changer de sujet. Pour faire croire à l’opinion que vous aviez vraiment décidé de traiter la question au fond, vous êtes allés sur le terrain de la dénonciation a priori des turpitudes potentielles du monde des élus de la République

C’est votre première faute, et cette faute, nous voulons la rappeler aussi bien au Gouvernement, qui en est l’initiateur – par cette « accélération de l’histoire », comme vous l’avez vous-même dit de l’affaire Cahuzac, monsieur le ministre, il vous faut l’assumer – qu’à la majorité, qui a été, rappelons-le, bien embarrassée. Quand nous rappelons les propos du président de l’Assemblée nationale, nous n’en reprenons pas le ton ! Nous savons que la levée de boucliers au sein de la majorité a été énorme et qu’il n’a pas été question une seule seconde, pour des raisons que je ne veux d’ailleurs pas connaître mais qui peuvent parfaitement se comprendre, que les parlementaires soient du jour au lendemain soumis à la même règle de publication des déclarations de patrimoine que les ministres, qui y ont été obligés dans des conditions qui ont d’ailleurs davantage fait sourire nos concitoyens qu’elles ne les ont rassurés. La déclaration d’un des membres du Gouvernement allait jusque dans le détail du prix d’occasion de ses vélos ! Et dans une autre, la valeur actuelle d’un bien immobilier acquis en nue-propriété n’était pas estimée, au motif que pour que ce bien soit vendu, il faudrait l’accord de l’usufruitier. Sauf que pour estimer un bien, il n’est pas besoin de le vendre ! Le plus souvent d’ailleurs, on ne le vend qu’après l’avoir fait estimer, pour être sûr de proposer le bon montant… Ainsi, ce grand moment de libération de la transparence ministérielle a été un formidable flop, qui a fait rire nos concitoyens, ce qui est triste pour un tel sujet, au lieu de les rassurer.

La majorité, de manière différente à l’Assemblée et au Sénat, s’est beaucoup écartée du souhait initial du Gouvernement. Ce dernier souhaitait une publication intégrale, dans les conditions que je viens de décrire. Cela aurait été assez savoureux, avec toutes les omissions possibles, toutes les manières d’éluder certains sujets, mais aussi tout ce qui aurait été jeté en pâture à la presse et aux concitoyens les plus confiants en notre direction.

Un dispositif a donc finalement été adopté, qui nous stupéfie encore. Nous sommes d’accord pour créer une Haute autorité : c’est un mieux – il y en a dans ce texte. Mais ce que vous en faites est proprement ahurissant : c’est pire que ce que faisait le Gouvernement qui, d’après vous, ne faisait pas bien. Qu’est-ce, en effet, que cette déclaration de patrimoine qui sera reçue par la Haute autorité, laquelle, pour des raisons tenant au respect de la vie privée, en fera une présentation édulcorée, et sera ensuite adressée en préfecture, où nos concitoyens auront le droit de les consulter ? La première chose qu’ils verront, c’est que ce n’est pas la déclaration de patrimoine de leur député, car il y manquera des choses. Par ce souci de protéger la vie privée, vous renforcez d’emblée l’idée que la transparence n’y est pas. Ensuite, vous avez refusé, Gouvernement et majorité, que les élus mis en cause puissent savoir qu’une personne s’est rendue en préfecture afin de voir leur déclaration. Avec cette usine à gaz qui s’est construite au cours de la navette parlementaire, vous créez quelque chose qui va totalement à l’encontre de ce que vous souhaitiez.

Nous sommes partisans de sanctions aggravées pour ceux qui fraudent. Or ce n’est pas en jetant en pâture des déclarations de patrimoine édulcorées que vous restaurerez la confiance de nos concitoyens, mais en faisant apparaître clairement des différences non naturelles, qui posent manifestement problème. Et en l’occurrence, personne ne pourra les déceler puisque seule la dernière déclaration de patrimoine sera consultable en préfecture et qu’aucune comparaison ne sera donc possible avec la précédente !

Votre dispositif ne tient pas la route. Il est scabreux. C’est le fruit de cet « accord », si on peut l’appeler ainsi, passé entre le Gouvernement et la majorité, et des péripéties qui se sont de surcroît produites entre l’Assemblée et le Sénat, dont on ne peut pas dire qu’elles soient l’exemple d’une volonté de mettre un terme au cynisme.

Vous parliez de cynisme, eh bien, venons-y. La majorité à l’Assemblée n’a pas voulu du texte du Gouvernement. Elle a élaboré un texte, sur lequel le Gouvernement est tombé d’accord. Le Sénat, lui, a fait savoir qu’il n’était pas d’accord. Alors vous avez considéré, de manière parfaitement décontractée, qu’il n’y avait aucune raison d’envisager un accord entre la majorité de l’Assemblée et celle du Sénat ! Vous nous avez donc fait le coup de la majorité de l’Assemblée qui contraint le Gouvernement à être plus sage et qui, en présence d’un désaccord persistant avec le Sénat, s’arroge le dernier mot conformément, comme vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur, au texte de notre Constitution. Cela donne des gages à tout le monde : le Gouvernement est allé au bout de son texte, la majorité du Sénat n’a pas mangé son chapeau et vous avez eu le dernier mot, comme la Constitution le prévoit !

Nos concitoyens y verront-ils clair ? Allons-nous vers une confiance restaurée ? Je ne le crois pas car, à cette première faute commise en changeant de terrain, après l’affaire Cahuzac, vous en avez ajouté d’autres. Il existe chez vous une volonté qui n’est pas seulement présente dans les textes d’aujourd’hui : elle se retrouve dans tous vos textes, dont celui relatif au cumul des mandats, qui vient de recevoir un camouflet en commission des lois du Sénat et se voit donc remis sur le métier – nous verrons sans doute, entre les deux assemblées, la même pantomime qu’aujourd’hui.

Vous voulez que les élus de la République soient les élus des partis, qu’ils soient désignés par ceux-ci et n’aient plus aucun contact avec la réalité. Vous voulez décourager ceux qui exercent une activité professionnelle de continuer à le faire, et vous interdisez à ceux qui n’en exercent pas encore de l’envisager. Je suis persuadé que le Conseil constitutionnel dira ce qu’il faut en penser, car vous allez créer deux catégories d’élus : le stock, qui a le droit de continuer, et le flux, qui n’a pas le droit d’exister.

Vos arguments, si nous les partageons, comme je l’ai rappelé au début de mon propos, ne nous conduisent pas pour autant à soutenir ces textes, qui feront beaucoup de mal à la transparence au lieu de l’améliorer. Au terme de ces trois lectures, celle d’aujourd’hui étant de pure forme, c’est d’ailleurs ainsi que vous la présentez, vous n’aurez pas réussi à convaincre l’UMP qu’il fallait vous suivre. Je suis au regret de vous dire, monsieur le rapporteur, que vous avez au contraire semé la confusion, aggravé le sentiment de beaucoup de nos concitoyens que leurs élus ne veulent pas tout leur dire. Vous avez donc tiré, involontairement je l’espère, bien que nous vous ayons prévenus à plusieurs reprises, une balle dans le pied de la démocratie représentative. Nous n’entendons pas être vos complices. C’est pourquoi nous ne voulons pas de ces textes, alors que nous aurions pu travailler ensemble sur des projets plus intelligents, plus transparents, plus efficaces. Pour toutes ces raisons, je souhaite que notre assemblée vote cette motion de rejet préalable. À défaut, nous ferons ce qu’il faut pour que le Conseil constitutionnel remette de l’ordre après ce mauvais coup porté à la démocratie de notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Quelques mots en réponse à cette motion, qui n’est pas nouvelle non plus – mais c’est la loi du genre. Vous commencez toujours l’examen de ces textes par la même démonstration, qui se veut une accusation, afin de jeter d’emblée la suspicion sur eux ; mais qu’il y ait un lien entre l’affaire Cahuzac et le contenu de ces textes n’a jamais été contesté par le Gouvernement ! La situation est-elle nouvelle ? En quoi le fait de la dénoncer montrerait-il que le Gouvernement a agi de manière blâmable ?

Il s’agit de notre histoire commune. Sous tous les régimes, cela s’est toujours passé ainsi. Je ne citerai que quelques exemples. En 1971, l’affaire dite de la Garantie foncière, dont nous nous souvenons tous…

M. Patrick Devedjian. C’est depuis toujours !

M. Alain Vidalies, ministre délégué. …a eu une conséquence législative directe, car la première déclaration d’activité, certes sans aucun contrôle, date de 1971.

Les lois sur le financement des partis politiques étaient évidemment en lien avec un certain nombre d’affaires qui ont concerné tous les partis dans les années 1990.

Mais, monsieur Geoffroy, notre projet de loi comporte une différence. De fait, il y a eu une affaire qui vous a posé des questions de conflit d’intérêts alors que vous étiez dans la majorité : l’affaire dite Woerth-Bettencourt. Vous avez eu raison de demander à cette époque un rapport, réalisé par M. Sauvé, qui concluait à la nécessité de rédiger un texte relatif aux conflits d’intérêts. Mais la comparaison s’arrête ici. Il existe en effet une grande différence entre ce que vous avez fait et ce que nous avons fait. Vous, face à ce scandale, vous en êtes tenus à une commission et à un projet de loi qui n’a jamais été soumis au Parlement. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Au contraire, le courage de cette majorité et de ce Gouvernement est d’avoir tiré toutes les conséquences qui s’imposaient et d’avoir inscrit ce débat à l’ordre du jour. De ce point de vue, vous auriez dû être plus prudent dans votre démonstration.

Sur le fond, nous sommes d’accord, de même que sur les objectifs que vous avez rappelés. Heureusement, personne n’a jamais attaqué les exigences qui sont les nôtres. S’agissant de vertu républicaine, nous reconnaissons que nos objectifs étaient partagés, mais il est impossible d’en rester là. Si nous divergeons à ce point, c’est parce que vous considérez qu’il n’y a pas à répondre à une question pourtant dramatique : comment essayer de combattre le soupçon et de réagir à ce constat terrible et répété par tous les sondages selon lesquels l’opinion publique pense que plus de 80 % des parlementaires sont corrompus ? On aurait spontanément tendance à ignorer un tel reproche ou à protester, mais c’est la question de la crédibilité de la parole publique qui est posée. On pourrait aussi dire, à l’instar de M. Geoffroy, que ce sentiment est provoqué par la presse, mais dans tous les cas, les seuls qui peuvent apporter une réponse à cette question, c’est nous. Nous pouvons l’ignorer et la trouver détestable, mais une réponse est nécessaire, car ce sont ces textes de loi qui permettront que ce que nous disons, vous et nous, sur d’autres sujets, soit écouté. Aujourd’hui, le problème n’est pas tant d’être entendus dans nos divergences que d’être écoutés en tant que responsables publics. Là est toute la gravité de ces textes.

Le travail mené par la majorité s’inscrit parfaitement dans nos conceptions, que vous n’étiez d’ailleurs pas si loin de partager. Nous attendrons la décision du Conseil constitutionnel, mais je peux d’ores et déjà vous dire que le Gouvernement a été très à l’écoute du travail effectué par la majorité et que rarement un texte parlementaire aura à ce point été travaillé en collaboration. Notre majorité ne veut pas de la transparence pour la transparence, mais d’une transparence comme garantie de la démocratie. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

M. le président. Dans les explications de vote sur la motion de rejet préalable, la parole est à M. André Chassaigne, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. André Chassaigne. Comme chacun d’entre nous, j’ai écouté la défense de cette motion par Guy Geoffroy. Son intervention alliait la délicatesse de la diatribe geoffroyienne aux tribulations qui font la marque de fabrique de toute opposition.

M. Patrick Devedjian. Ces propos ne sont pas très transparents !

M. André Chassaigne. Ces tentatives de déconstruction des projets de loi qui nous sont soumis ne sont pas une bonne chose. Rien ne sert d’en rajouter aujourd’hui, en laissant penser que la représentation nationale et plus largement le Parlement n’essaient pas d’apporter des réponses. Certes, ces réponses ne sont pas parfaites. Certes, il s’agit d’un premier pas. Mais au moins nous disposons d’un texte législatif qui permet d’avancer dans le domaine de la transparence.

Je suis comme obsédé par cette phrase de Balzac dans La Maison Nucingen : « Les lois sont des toiles d’araignées à travers lesquelles passent les grosses mouches et où restent les petites. » Tel est bien le sentiment que partage l’opinion publique : que les lois que nous votons dans cet hémicycle servent les plus riches et les plus puissants, mais desservent les plus pauvres. Si imparfait que soit ce texte, nous devons montrer l’exemple en étant prêts à sortir de ce « syndrome de l’armoire normande » dont témoignait votre intervention, monsieur Geoffroy, une armoire si lourde, si pleine à craquer qu’on ne se risque pas à la déplacer. Mais au contraire, il faut la déplacer ! C’est pourquoi je ne voterai pas votre motion de rejet préalable. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Je crains que ce ne soit l’opposition qui fasse l’objet d’un jugement sévère de la part de nos concitoyens.

M. Jean-Frédéric Poisson. On verra !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Je reprendrai ce qu’ont exprimé avant moi le ministre chargé des relations avec le Parlement ou le président de la commission des lois et rapporteur de ce texte : cette volonté d’amener les acteurs politiques au-delà peut-être de ce qu’ils pourraient vouloir eux-mêmes, parce qu’ils doivent être les acteurs de la transparence politique. Si ce texte n’a pas une dimension universelle, il est un remède. Le soupçon qui pèse sur la classe politique impose de trouver une solution. Notre responsabilité est grande, quand il s’agit de répondre à un tel soupçon. Le président de la commission des lois a eu raison de parler d’« enjeu de démocratie ». Au-delà de nos personnes et de nos mandats, c’est bien la démocratie qui est en jeu quand un si grand nombre de nos concitoyens disent, comme le dernier sondage l’a révélé, leur méfiance à l’égard de ceux à qui ils confient le soin de l’action publique.

Notre dispositif ne saura répondre à tout, mais la réponse qu’il apporte est par nature utile. C’est pourquoi nous ne voulons pas manquer ce rendez-vous avec nos concitoyens, d’autant que d’autres lois viendront répondre aux interrogations qui demeurent. Nous voterons contre cette motion de rejet et nous approuverons la semaine prochaine le projet de loi. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Jean-Frédéric Poisson. Puisque le président de la commission des lois nous a invités à réfléchir d’après Aristote, je vais le suivre en rappelant que ce qui est utile, c’est ce qui permet d’atteindre la fin que l’on poursuit. Certes, les présents textes vous permettront peut-être de répondre à certaines questions dont vous avez fait mention, relativement aux engagements du Président de la République – à ce propos d’ailleurs, nous attendons toujours la liste des engagements du Président que vous entendez respecter et ceux auxquels vous ne vous sentez pas tenus… Ainsi, sur votre objectif de rétablir la confiance entre les Français et leurs représentants politiques, nous sommes d’accord. Pour renforcer les moyens de contrôle, nous aurions également été d’accord. Nous partageons donc les fins que vous poursuivez. Ce que nous critiquons, comme l’a rappelé Guy Geoffroy dans sa motion de procédure, c’est que, tout d’abord, les moyens que vous proposez ne permettront pas d’atteindre cette fin et que, deuxièmement, ils auront des conséquences que vous ne souhaitez pas.

Cette transparence qui n’en est pas une représente un véritable danger, de même que cette publication qui n’en est pas une, ce flou jeté par la possibilité offerte à n’importe qui d’aller dénoncer à l’administration fiscale et à la justice des parlementaires ou des élus qui seraient soupçonnés de ne pas répondre à je ne sais quelle exigence. Tout cela, vous ne le souhaitez pas, parce que cela irait à l’encontre des objectifs que vous visez, le renforcement de la confiance entre les Français et leurs représentants et celui des pouvoirs du Parlement. Les conséquences que vous obtiendrez seront exactement inverses à ces objectifs !

M. Hervé Gaymard. Très bien !

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est pourquoi, monsieur le ministre, nous voterons la motion de rejet défendue par Guy Geoffroy. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Michèle Bonneton, pour le groupe écologiste.

Mme Michèle Bonneton. Ce texte est un premier pas vers plus de transparence, et c’est bien comme tel que nous le considérons. Il nous permettra de retisser des liens avec nos concitoyens et nos électeurs sur des bases saines. Nous, élus de la nation au suffrage universel, avons à montrer que notre premier souci est celui de l’intérêt général et qu’en aucune façon nous ne tirerons un profit personnel de ce statut d’élu. Aussi, bien que ce texte ne nous satisfasse pas entièrement, ne voterons-nous pas la motion de rejet. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

(La motion de rejet préalable, mise aux voix, n’est pas adoptée.)

Discussion générale commune

M. le président. Dans la discussion générale commune, la parole est à M. Patrick Devedjian.

M. Patrick Devedjian. Pour commencer, je reprendrai votre observation, monsieur le ministre, sur l’objectif de ce projet, qui est de tenter de remédier à l’impopularité du personnel politique. Je ne vous jetterai pas à la tête l’affaire Cahuzac, même si elle a permis de sensibiliser à la question dont nous débattons. Vous avez raison de dire que les scandales ont existé de tout temps, qu’ils ont touché tous les partis et que cela continuera malheureusement encore longtemps. À bien y réfléchir, il semble qu’il existe un rapport entre l’idée de scandale et la démocratie, dans la mesure où la démocratie permet l’émergence des scandales. Dans les sociétés totalitaires, en effet, il n’y a que très peu de scandales et quand ils surviennent, ils sont souvent montés en épingle ou utilisés politiquement. C’est donc le propre de la démocratie que de permettre l’émergence de certaines injustices et anomalies, qui existeront toujours. De ce point de vue, peut-être cela nous rendra-t-il plus raisonnables et plus sages de penser que c’est inhérent à toute société.

Tocqueville écrivait qu’il ne faut pas, en politique, attendre autre chose que la satisfaction du devoir accompli. Si nous cherchons la popularité et les remerciements de la population, nous devrons attendre très longtemps. Mais, monsieur le ministre, vous dites que les anomalies et les scandales, qui sont le fait d’un très petit nombre d’hommes politiques mais dont l’opprobre se répand sur l’ensemble, forment le fond du problème et qu’il faut donc davantage de transparence, de sorte que tout le monde soit convaincu de l’absence de tout scandale, de tout soupçon. Votre souci est donc de faire disparaître le soupçon : vaste programme ! Mais ce qui nourrit le soupçon et que, loin d’y remédier, vous venez aggraver, c’est le fait que la justice fonctionne si mal et surtout si lentement dans les démocraties, en particulier dans notre pays.

L’opinion publique est souvent indignée par le fait que les hommes politiques auteurs de turpitudes soient, en raison de cette extrême lenteur, poursuivis très tardivement et sanctionnés encore plus lointainement. Voilà finalement le fond du problème. Il y a plusieurs causes à la lenteur de la justice, mais vous ne remédiez à aucune dans votre programme visant à laver plus blanc et à écarter les soupçons. La plus importante, c’est la complexité de notre système judiciaire, de nos lois et de la définition même des obligations et des infractions. Mais vous compliquez encore les choses en matière de répression et de surveillance, en créant des institutions nouvelles qui vont interférer dans les dispositifs de droit commun ! Au passage, cela m’amuse que vous vous félicitiez de pouvoir recourir à l’assistance fiscale internationale : s’il y a bien une chose que l’affaire Cahuzac ait démontrée, c’est que dans le domaine fiscal, l’assistance judiciaire est beaucoup plus efficace que celle du ministère des finances ! Et pour cause : c’est un vrai métier que la recherche des infractions et la coopération internationale dans ce domaine. La commission d’enquête sur l’affaire Cahuzac a été très frappée par le fait que le ministère des finances ait obtenu, au titre de l’assistance fiscale internationale, une réponse tendant à exonérer le ministre alors que le ministère de la justice, à travers le parquet de Paris, recevait lui une réponse pertinente. Par conséquent, ne comptez pas nous distraire avec de tels zakouskis.

Monsieur le président de la commission des lois, je retrouve avec plaisir le débat philosophique que nous avions engagé en première lecture. Je ne veux pas le prolonger, mais je me réjouis que vous vous ralliiez plutôt à Hannah Arendt qu’à Jean-jacques Rousseau. J’y vois un vrai progrès. (Sourires.) Votre observation était très pertinente et j’avais presque envie de vous applaudir. Je l’ai fait dans mon coeur…

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Il ne fallait pas avoir peur !

M. Patrick Devedjian. Pas du tout ! J’ai été arrêté par la suite de vos propos. Vous avez raison de souligner qu’une société devient totalitaire quand la sphère privée est presque totalement recouverte par la sphère publique, comme l’a montré Hannah Arendt. Mais justement, même si nous n’en sommes pas là, nous nous en approchons…

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est exact !

M. Patrick Devedjian. …et vous y contribuez très largement.

En effet, ces textes de loi ne sont pas isolés. Ils font partie d’un tout et si l’on recherche la cohérence de l’ensemble, l’on voit, et ce que nous avons examiné ce matin en commission l’a clairement montré, que nous sommes vraiment très avancés dans cette voie.

J’ai donc été coupé dans mon envie de vous applaudir quand vous avez dit que ces deux textes constituaient un bon compromis : vous vous contentez vraiment de peu ! Pourtant, vous êtes au fait de la législation en cours d’élaboration. Où en êtes-vous, ainsi que votre gouvernement, dans ce domaine ?

Premièrement, vous en êtes à renverser la charge de la preuve,…

M. Yves Albarello et M. Jean-Frédéric Poisson. En effet !

M. Patrick Devedjian. …ce qui est contraire à la Déclaration des droits de l’homme. Vous en êtes à nier partiellement, dans certains cas, la présomption d’innocence. Vous en êtes à vouloir que les parlementaires soient des purs et durs qui se consacrent entièrement à leur mandat, au point de faire tout votre possible pour les empêcher de faire autre chose. Mais il y a là une contradiction puisque je constate que dans le même temps, votre gouvernement emploie de plus en plus le procédé consistant à légiférer par voie d’ordonnances, après que vous et vos amis avez si longtemps critiqué un tel procédé. Vous voulez donc des parlementaires à plein-temps auquel vous soumettrez de moins en moins de textes.

Mme Marie-Christine Dalloz. Excellente observation !

M. René Dosière. Ce que vous dites ne manque pas d’humour, mon cher collègue, après les derniers propos de Jean-François Copé !

M. Patrick Devedjian. J’en conclus que ces textes ne règlent pas les problèmes que vous dénoncez à juste titre. Vous avez raison de vouloir simplifier et améliorer le dispositif actuel et trouver des solutions, même si les scandales continueront à exister dans toutes les démocraties, il faut peut-être en prendre son parti, tout en luttant contre. Mais il ne faut pas en faire un absolu. Vous êtes à la recherche de la vérité absolue dans ce domaine, et ce n’est pas sage.

Les présents textes ne règlent pas les problèmes parce que vous agissez dans l’improvisation sur des sujets extrêmement compliqués : le problème du conflit d’intérêts, ce n’est pas rien ! C’est d’ailleurs une question tellement difficile que vous réussissez le prodige de ne pas en donner exactement la même définition dans les deux textes que vous nous soumettez. Il fallait le faire… Et vous l’avez fait ! Cela ne va évidemment pas aider à la simplification du dispositif et faciliter la répression. Heureusement qu’il restera encore quelques avocats au Parlement, cela les occupera ! (Sourires.)

Vous voulez répondre à un défi qui vous a certes été posé par l’affaire Cahuzac mais qui est un défi permanent pour la démocratie, et vous le faites dans la précipitation. Du coup, évidemment, vous ne réussissez pas à traiter le problème. Vous allez seulement compliquer la situation. Prenons par exemple la déclaration de patrimoine : le projet de loi organique précise qu’elle doit être « exhaustive ». Vous n’avez pas mesuré le caractère totalitaire d’un tel mot – reportez-vous encore à Hannah Arendt ! En outre, une déclaration de patrimoine exhaustive est juridiquement impossible (« Eh oui ! » sur de nombreux bancs du groupe UMP) et vous allez créer un fabuleux nid à contentieux qui va entraîner une très longue impunité pour les personnes concernées.

M. le président. Il faut conclure.

M. Patrick Devedjian. Je termine par un constat : avec les textes que vous sortez les uns après les autres, les élus, de toute sorte, voient leurs pouvoirs, leurs responsabilités et leurs mandats de plus en plus réduits. Ils sont de plus en plus contrôlés, l’essentiel des pouvoirs et des moyens de contrôle est de plus en plus transféré à la haute administration.

Mme Marie-Christine Dalloz. C’est la peau de chagrin !

M. Patrick Devedjian. Il n’y a qu’une seule personne dans ce pays dont les pouvoirs augmentent en permanence, sous tous les mandats, avec vous comme auparavant avec nous : c’est l’homme le plus puissant de France et même de toute l’Europe démocratique, c’est le Président de la République. Or vos textes ne proposent rien à son sujet : il continue à bénéficier d’une impunité totale pour tous les actes commis dans l’exercice de ses fonctions. Bonjour les dégâts ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Guy Geoffroy. Ce devait être dit !

M. Charles de Courson. C’est la monarchie républicaine…

M. le président. La parole est à M. Yannick Favennec.

M. Yannick Favennec. Après deux lectures par chacune de nos assemblées, nous sommes appelés à nous prononcer définitivement sur les projets de loi relatifs à la transparence de la vie publique. À ce stade final de leur examen, nos convictions sont toujours les mêmes : nous pensons, au groupe UDI, qu’ils s’apparentent davantage à une vaste opération de diversion qu’à une véritable amélioration de la transparence de la vie publique, une opération qui consiste à rejeter la faute d’un seul ministre sur la grande majorité des élus et qui ne fera à terme qu’entretenir une forme de suspicion permanente à l’égard de l’ensemble de la représentation nationale.

Nous avons pourtant été les premiers à reconnaître la nécessité d’un projet de loi améliorant la transparence de la vie publique. Sans conteste, il fallait renforcer la prévention des conflits d’intérêts. Sans conteste, il était temps de mettre fin à un certain nombre de situations dont la démocratie s’accommode mal. À ce titre, nous avons accueilli favorablement certaines dispositions que nous estimions justes et nécessaires.

Depuis longtemps la République a su créer un régime d’incompatibilités relativement efficace entre les fonctions publiques électives et non électives pour protéger les élus de l’État. Il fallait donc mettre de l’ordre entre les fonctions publiques électives et les activités privées. À ce titre, certaines dispositions du texte, qu’elles concernent les fonctions de conseil, notamment exercées après des fonctions ministérielles, ou certains postes dans des entreprises ayant des intérêts avec l’État, sont nécessaires. De même, le texte a été enrichi de quelques dispositions au cours des différentes lectures, je pense notamment à la publication de la réserve parlementaire ou à l’extension des contrôles sur le patrimoine des élus locaux. Mais les motifs de satisfaction sont rares comparés aux nombreux défauts que comptent ces deux projets de loi.

Au fond, ces textes ne remplissent pas leur objectif premier : ils ne nous prémunissent en rien d’une nouvelle affaire puisqu’en l’espèce, la déclaration ou la publicité du patrimoine n’a jamais empêché le voleur ou le fraudeur d’exercer sa coupable activité. Nous continuons de penser que rendre ainsi possible la consultation des déclarations ne présente aucun bénéfice, ni pour le législateur, ni pour la justice, ni pour nos concitoyens, ni même pour notre démocratie.

Le vrai sujet n’est pas l’exhibition du patrimoine mais le contrôle de son évolution ; le problème n’est pas la richesse, mais l’enrichissement dont on ne peut trouver la cause. C’est pourquoi nous sommes favorables à la création d’une Haute autorité dotée de moyens de contrôle et d’investigation suffisants. Mais la publication des patrimoines ne résoudra rien, pas davantage que la solution retenue par la commission : la consultation en préfecture, finalement la pire solution puisqu’elle ne va pas jusqu’au bout de sa logique. Soit l’on considère que la question est l’évolution du patrimoine et des moyens de contrôle de la Haute autorité, auquel cas la publication est inutile. Soit l’on opte pour la publication du patrimoine, et dans ce cas il faut avoir le courage d’aller jusqu’au bout, notamment en soumettant les candidats aux mêmes règles que les élus, dans un souci d’égal accès aux fonctions publiques électives. Or vous avez malheureusement refusé nos amendements allant dans ce sens.

Deuxième erreur et non des moindres : la protection des lanceurs d’alerte, version modernisée de la loi des suspects. Au lieu de renforcer la prévention des conflits d’intérêts, vous allez instaurer des délateurs en puissance, sources de déstabilisation et de pressions en tout genre.

Autre erreur fondamentale : la disposition introduite en séance qui interdit à tout parlementaire de commencer à exercer une activité professionnelle qui n’était pas la sienne avant le début de son mandat. La nécessité de concevoir une disposition aussi générale et absolue que l’interdiction de toute activité nouvelle est extrêmement discutable. Plutôt que de prévenir efficacement tout conflit d’intérêts, il y a fort à craindre qu’une telle disposition ne soit préjudiciable à l’oxygénation et au renouvellement de la classe politique, que nos collègues socialistes n’ont pourtant cessé de défendre. Je regrette que le Gouvernement n’ait pas su saisir l’occasion qui lui était donnée de remédier à la profonde iniquité qui existe au sein de cette assemblée entre ceux qui, à l’issue de leur mandat, auront la certitude de retrouver leur poste et leur fonction car ils appartiennent à la fonction publique nationale ou territoriale, et ceux qui sont issus du secteur privé au sens large.

Au-delà d’un premier mandat, il nous semblerait de la plus élémentaire élégance démocratique qu’un parlementaire issu de la fonction publique se faisant réélire ne puisse réintégrer la fonction publique. Là encore, nos propositions n’ont pas été entendues.

Nous ne sommes pas dupes. Ces projets de loi qui devaient restaurer la confiance de nos concitoyens envers les élus et redonner du crédit à la parole publique, ces textes dont vous prétendiez qu’ils allaient renforcer la démocratie ne résoudront malheureusement rien. D’une part, parce que le ventre de l’antiparlementarisme n’est jamais assez nourri. D’autre part, parce que la confiance repose d’abord sur la capacité des élus à respecter leurs engagements.

C’est pour l’ensemble de ces raisons que la majorité du groupe UDI s’abstiendra sur ces deux textes.

M. le président. La parole est à M. François de Rugy.

M. François de Rugy. L’heure est venue de faire un petit bilan de la discussion parlementaire sur ce thème de la transparence et sur les présents textes qui la font avancer dans le domaine de la vie politique, notamment pour ce qui est des rapports entre argent et politique, puisque tout le monde sait qu’il s’agit de cela.

Le texte rédigé par le Gouvernement et présenté en première lecture au printemps dernier est sans aucun doute le plus ambitieux qu’un gouvernement ait jamais proposé sur la moralisation de la vie politique. Il témoigne de la volonté de régler des problèmes qui avaient été identifiés depuis longtemps : le diagnostic avait été fait, les remèdes étaient connus mais l’adoption des mesures avait été trop souvent reportée à plus tard.

Le rapporteur se souvient qu’au cours de la précédente législature, alors que nous étions tous les deux députés de l’opposition, nous avions porté au nom de nos groupes respectifs des propositions de loi sur différents sujets qui se retrouvent dans le texte du Gouvernement. C’est un progrès que nous avions reconnu et que nous saluons à nouveau.

Mais au gré des débats à l’Assemblée nationale et au Sénat, le texte a évolué. Il y a eu des améliorations notables, mais aussi quelques reculs sur des dispositions peut-être trop symboliques, sachant que les symboles ont leur importance en la matière.

Parmi les avancées, nous retiendrons la création de la Haute autorité, qui sera dotée de moyens et de pouvoirs importants. C’est un acquis très fort de cette loi. Nous retiendrons aussi la publication des déclarations d’intérêts, une idée que nos débats ont pu faire progresser. Une autre avancée porte sur un sujet dont on parle moins : l’encadrement des dons et des rattachements des parlementaires aux partis politiques. À cet égard, une décision récente du Conseil constitutionnel, suivie d’une campagne de collecte de fonds très médiatisée par l’un des principaux partis, a montré que ce sujet méritait des clarifications et des encadrements.

Notons encore deux avancées importantes : la protection des lanceurs d’alerte et la transparence de la réserve parlementaire, autre thème récurrent qui fait son apparition dans la loi, allant au-delà des pratiques nouvelles instaurées notamment dans notre assemblée par le président Bartolone.

Toutes ces mesures font de ce projet de loi un texte résolument progressiste et réformateur. Toutefois, nous ne pouvons que regretter que des dispositions prévues par le projet de loi initial et réintroduites par nos collègues du Sénat aient finalement été retirées du texte.

Je pense, bien entendu, à la question de la publication du patrimoine des élus au Journal officiel. Avec mes collègues écologistes, j’avais déposé un amendement en commission allant dans ce sens. Non seulement il a été rejeté mais en plus, la commission a restreint le droit existant en prévoyant que la divulgation des informations contenues dans ces déclarations publiques mais sans être publiables serait désormais considérée comme un délit.

Cette mesure de pénalisation est non seulement contraire à notre jurisprudence et aux principes du droit européen, mais surtout contre-productive puisqu’elle risque de réactiver le climat de suspicion et de nous conduire à en reparler dans les années, voire dans les mois qui viennent, notamment à l’occasion de la campagne pour les élections municipales.

En définitive, nous concluons aujourd’hui une séquence parlementaire qui nous aura permis de traduire dans la loi des principes que les écologistes défendent et pratiquent pour eux-mêmes depuis un certain nombre d’années.

Cette étape est donc, en soi, un motif de satisfaction. Sera-t-elle la dernière ? Non, parce que certaines restrictions à la transparence contenues dans ce texte ne résisteront pas à l’épreuve du temps et parce que l’exigence citoyenne demeurera sans doute forte. Il n’est pas à exclure non plus que le Conseil constitutionnel, qui ne manquera pas d’être saisi une fois le texte adopté…

M. Guy Geoffroy. Sur la loi organique, c’est automatique !

M. François de Rugy. En effet. Il n’est donc pas exclu que certaines dispositions soient considérées comme non constitutionnelles. Je n’ai pas de conseil à donner aux membres du Conseil constitutionnel, mais il me semble que, dans les dispositions sur les incompatibilités professionnelles, la distinction faite entre ceux qui démarreraient une activité durant leur mandat et ceux qui l’auraient commencée avant constitue une rupture d’égalité devant la loi.

M. Guy Geoffroy. C’est assez clair !

M. François de Rugy. Cela étant, soyez assurés d’une chose : comme ce fut le cas à chaque étape de l’examen de ce texte, les écologistes seront présents et actifs pour l’adopter. (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste et SRC.)

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Joël Giraud.

M. Joël Giraud. Nous abordons maintenant l’ultime examen de ces deux projets de loi relatifs à la transparence de la vie publique puisqu’il revient à l’Assemblée nationale de les adopter définitivement.

Je ne reviendrai pas sur la genèse de ces textes, les membres du groupe RRDP, notamment par la voix de notre président Roger-Gérard Schwartzenberg, ayant eu l’occasion lors des lectures précédentes de dire haut et fort ce qu’ils en pensaient. Et l’opposition n’aura pas besoin non plus de m’applaudir à tout rompre pour masquer sa propre impéritie car elle aurait été très inspirée d’inscrire à l’ordre du jour, lorsqu’elle était majoritaire, le projet de loi adopté en conseil des ministres en 2010 suite au rapport de la commission Sauvé, ainsi que le ministre l’a rappelé. Ledit projet, permettez-moi de le dire, étant bien mieux rédigé que celui qui nous est soumis depuis quelques mois.

Est-il besoin de redire tout le mal que nous pensons de ces textes bancals, tellement mal ficelés que les deux chambres n’ont pu parvenir à un texte de compromis crédible ?

Si la question de la composition de la Haute autorité n’est plus d’actualité, nous n’en sommes pas pour autant satisfaits. Cette instance comptera neuf membres, comme celle prévue par le rapport Jospin, mais seulement deux personnalités qualifiées alors que le projet de 2010 en prévoyait six : deux désignées par le chef de l’État, deux par le président de l’Assemblée nationale et deux par le président du Sénat.

Cette marque de défiance envers le Parlement, en outre, n’est pas compatible avec le principe de séparation des pouvoirs. Confier le contrôle de l’action des parlementaires à une autorité administrative indépendante, théoriquement présente dans la sphère de l’action de l’exécutif, ne garantira pas son efficacité.

Je reprendrai le mot de Marc Dolez, qui avait déclaré dans cet hémicycle le 22 juillet dernier, applaudi d’ailleurs par la majorité comme l’opposition : « Ce n’est pas la déclaration de patrimoine qui garantit l’intégrité car elle n’empêche pas une déclaration mensongère. Ce qui garantit l’intégrité, c’est la transparence du contrôle de la déclaration. » Le Sénat, dans sa sagesse, avait prévu d’associer le bureau de l’Assemblée et le déontologue concernés à la procédure d’information.

Je rappellerai également que la commission présidée par Lionel Jospin, que j’évoquais à l’instant, écrivait dans son rapport en novembre 2012 : « La commission ne juge pas souhaitable d’amender le régime applicable aux déclarations de patrimoine qui doivent rester confidentielles. »

Quant au régime déclaratif, les positions adoptées par les deux assemblées sont assez différentes. Globalement, l’Assemblée était favorable à un régime lourd, tant s’agissant des obligations pesant sur les personnes assujetties que des sanctions dont elles seraient passibles en cas de déclaration incomplète ou mensongère, régime assorti de la désormais fameuse « consultation sans publication » et prévoyant une peine de 45 000 euros d’amende. Le Sénat avait supprimé cette peine, la considérant comme disproportionnée et impossible à mettre en œuvre à l’heure d’internet, selon les termes de son rapporteur, notre excellent collègue Jean-Pierre Sueur, dont nous partageons l’analyse. Le Sénat a donc préféré un régime déclaratif moins lourd et moins durement sanctionné, cependant assorti d’une publication des déclarations au Journal officiel. Cette position ne nous agrée pas non plus mais nous la trouvons moins hypocrite que celle adoptée par l’Assemblée nationale

Les députés RRDP défendaient le principe d’une publication uniquement en cas de déclaration incomplète ou mensongère. On nous a rétorqué que c’était un système punitif. L’est-il plus que celui que vous nous proposez, alors que des milliers d’élus, nationaux et locaux, seront soumis à un voyeurisme qui risque de dégénérer en véritable traque ?

Comme aucune des deux formules ne rencontre notre approbation, conformément à la règle de l’entonnoir en cette lecture définitive, nous n’avons déposé aucun amendement sur ce point. Considérons, avec d’autres, que cette affaire est désormais derrière nous.

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Très bien !

M. Joël Giraud. Mais nous en reparlerons bientôt lorsqu’il s’agira de défendre la vie privée des élus et de leurs proches qui peuvent légitimement se prévaloir de l’article 12 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.

En revanche, nous avons déposé un amendement maintenant la suppression de l’article 17 de la loi ordinaire, comme le Sénat l’avait fait et comme son rapporteur Jean-Pierre Sueur le proposait dès la première lecture. Celui-ci étrillait le dispositif dit de protection des lanceurs d’alerte. Il rappelait qu’un dispositif similaire figurait dans le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale que nous examinerons en nouvelle lecture la semaine prochaine, selon une rédaction plus convaincante d’un point de vue juridique, et que les deux dispositifs devraient s’articuler.

En effet, les cas de figure envisagés par le texte dont nous débattons sont complètement invraisemblables. Le rapporteur prend l’exemple d’un gérant de SARL qui priverait d’une prime un salarié qui aurait signalé, à lui ou à une association type « Anticor », un conflit d’intérêts concernant un ministre et dont il aurait pu avoir connaissance dans l’exercice de ses fonctions. Pour les romans-feuilletons, je préfère encore la version américaine pourtant souvent nullissime des séries télévisées !

En outre, le dispositif, en confiant à des associations la faculté de recueillir des témoignages en matière d’éventuels conflits d’intérêts sans que les faits puissent forcément constituer une infraction pénale, apparaît complètement disproportionné. Enfin, l’inversion de la charge de la preuve fait s’interroger Jean-Pierre Sueur sur les effets pervers susceptibles d’en résulter.

Nous partageons complètement cette analyse, comme nous l’avons exprimé depuis le début. C’est le rapporteur et président de la commission des lois du Sénat qu’il faut suivre aujourd’hui, pas celui de notre assemblée. Vous l’aurez compris, les membres du groupe RRDP restent constants dans leur critique de ces textes qu’ils désapprouvent très majoritairement. Je vous le redis, en latin cette fois : nemo auditur propriam turpitudinem allegans.

M. Jean-Frédéric Poisson. Très bien !

M. le président. La parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. Au terme d’un cheminement parlementaire pour le moins tortueux…

…nous examinons en lecture définitive les projets de loi sur la transparence de la vie publique. Chacun a pu noter la lenteur de cet accomplissement. Comme je l’ai dit à propos de la motion de procédure de Guy Geoffroy, cette lenteur tient sans doute du syndrome de l’armoire normande : lourd héritage, bien calée, pleine à craquer, difficile à bouger… Nous en faisons encore le constat aujourd’hui.

M. Guy Geoffroy. Ah oui alors !

M. André Chassaigne. Alors que nous sommes plongés dans une profonde crise économique et sociale, lever les soupçons qui pèsent sur les élus constitue pourtant plus que jamais un impératif démocratique.

Aussi, l’instauration de règles et de procédures permettant de garantir l’intégrité des responsables publics constitue-t-elle une avancée notable.

M. Jean-Frédéric Poisson. Nous sommes d’accord !

M. Guy Geoffroy. Si c’était le cas, ce serait bien.

M. André Chassaigne. Nous pensons que cette réforme favorisera la restauration du lien de confiance entre les Français et leurs élus et institutions.

Au cours de l’examen de ces projets de lois, la question de la publication des déclarations de situation patrimoniale des parlementaires et des élus titulaires de fonctions exécutives locales a constitué une pierre d’achoppement entre notre assemblée et le Sénat. En définitive, nous sommes satisfaits du rétablissement du régime de publicité des déclarations de situation patrimoniales sous la forme d’un droit de consultation en préfecture par tout citoyen inscrit sur les listes électorales.

M. René Dosière. Très bien !

M. André Chassaigne. C’est une solution équilibrée qui concilie transparence et respect de la vie privée.

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Très bien !

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Très juste !

M. André Chassaigne. En outre, rappelons qu’il sera possible aux citoyens d’adresser à la Haute autorité des observations écrites à propos des déclarations qu’ils ont consultées. Une certaine forme de contrôle citoyen est donc permise.

Surtout, comme nous n’avons cessé de le souligner depuis le début de l’examen de la réforme, ce n’est pas la publicité de la déclaration du patrimoine qui garantit l’intégrité, car elle n’empêche pas que la déclaration soit mensongère : ce qui garantit l’intégrité, c’est la transparence du contrôle de la déclaration.

M. Guy Geoffroy. Eh oui !

M. André Chassaigne. Il importe en effet de s’assurer que l’élu ne s’est pas anormalement enrichi pendant l’exercice de son mandat. C’est la raison pour laquelle on ne peut que se réjouir de la mise en place d’une nouvelle Haute autorité pour la transparence de la vie publique, qui devient en quelque sorte la clé de voûte du mécanisme de contrôle de l’intégrité des responsables publics.

L’essentiel, comme l’a souligné Marc Dolez tout au long de la discussion, est d’octroyer à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique de véritables pouvoirs d’investigation, donc de contrôle, et de lui attribuer les moyens humains, juridiques et financiers nécessaires pour remplir sa mission.

Soulignons également que, pour la première fois, un texte législatif définit la notion, jusqu’à présent floue et ambiguë, de conflit d’intérêts et met en place des outils pour prévenir de telles situations.

La déclaration d’intérêts est rendue obligatoire pour les 8 000 personnes visées par les projets de loi. Les déclarations seront vérifiées, contrôlées et publiées par la Haute autorité. Notons que les informations qu’elle rendra publiques seront, en outre, librement réutilisables.

La mise en place d’un dispositif de prévention des conflits d’intérêts, l’amélioration de leur détection et de leur contrôle, le renforcement des mesures tendant à la transparence financière et des dispositifs répressifs constituent autant de gages de l’intégrité de tous ceux qui exercent des responsabilités publiques. En définitive, les députés du Front de gauche soutiennent ces deux projets de loi. Ils considèrent que cette réforme permettra indubitablement de renforcer la transparence de la vie publique et de garantir l’impartialité des principaux responsables publics grâce à l’efficacité des contrôles. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Frédéric Poisson. Ça…

M. le président. La parole est à M. René Dosière.

M. René Dosière. À ce stade final de l’examen de ces textes, il est utile d’en rappeler les principales dispositions, l’essentiel du contenu, et cela d’autant plus que nous avons tout à l’heure entendu Patrick Devedjian commettre une erreur liée au parcours chaotique de ces textes au Sénat et à leurs versions différentes.

En effet, les textes adoptés par l’Assemblée ne comportent pas deux définitions différentes du conflit d’intérêts, mais une seule. C’est au Sénat que l’on avait voulu faire une distinction entre les déclarations d’intérêts des parlementaires et celles des autres. Mais je comprends parfaitement que la pluralité des textes venus du Sénat et leur cohérence toute relative rendent nécessaire d’en rappeler le contenu exact.

J’insisterai donc sur les aspects principaux de ces textes.

Le premier, et c’est la grande nouveauté, c’est qu’ils parlent des conflits d’intérêts. Ils définissent pour la première fois dans notre législation ce qu’est un conflit d’intérêts. Compte tenu des confusions possibles, il est utile de rappeler cette définition : « toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés de nature à influencer ou à paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction ». Pour le dire plus simplement, mais cette formulation eût été moins appropriée dans le cadre d’un texte de loi, il faut éviter toute interférence entre des intérêts privés ou particuliers et l’intérêt général, qui, seul, doit guider les responsables politiques.

Comment prévenir ces conflits d’intérêts ? Tout d’abord, en demandant à tous les responsables publics – élus, fonctionnaires… bref, près de 9 000 personnes, monsieur le ministre, selon les comptages que j’ai pu faire, dont 5 000 élus et 4 000 non-élus : responsables, collaborateurs des ministres, des présidents des assemblées ou des parlementaires, etc… – de faire une déclaration d’intérêts ainsi qu’une déclaration d’activités, que ces activités soient rémunérées ou non, exercées à la date de leur prise de fonction ainsi qu’au cours des cinq années précédentes. En ce qui concerne les activités professionnelles, le champ de cette déclaration est étendu aux conjoints, enfants et parents.

La déclaration est rendue publique. Des dispositions protectrices spécifiques s’appliquent aux informations relatives aux membres de la famille. Remplie par les parlementaires, elle l’est aussi par les principaux élus locaux, mais aussi par les responsables publics associés aux décisions. C’est ainsi que les membres des cabinets ministériels sont désormais soumis à cette obligation, de même que les membres des cabinets des présidents des assemblées parlementaires, les collaborateurs des parlementaires, les membres des hautes autorités administratives ainsi que les hauts-fonctionnaires nommés en conseil des ministres, tels les recteurs d’académie ou les préfets.

La Haute autorité rendra publiques ces déclarations. La publicité permettra aux responsables de prendre les mesures nécessaires pour éviter de se trouver dans une situation de conflit d’intérêts. Il est vrai que, s’agissant des parlementaires, la loi a renforcé le régime des incompatibilités qui pourraient nourrir la suspicion quant aux décisions qu’ils prennent. On a vu, dans le passé, un certain nombre de dérives qui rendaient nécessaire que le régime des incompatibilités fût renforcé, sans interdire toutefois l’exercice éventuel d’une activité parlementaire.

De mon point de vue en effet, monsieur Geoffroy, être parlementaire n’est pas un métier, c’est une fonction. Par conséquent, on peut être médecin, avocat, notaire, agriculteur ou que sais-je encore et être parlementaire. Ce n’est sans doute pas très simple à concilier…

M. Jean-Frédéric Poisson. Vous en savez quelque chose, cher collègue !

M. René Dosière. …mais enfin, nous n’en sommes pas encore au point où ce serait un métier que d’être parlementaire, et je souhaite que nous ne l’atteignions pas.

S’agissant des parlementaires, nous ne pouvions pas, en vertu de la séparation des pouvoirs, légiférer sur un certain nombre de modalités pratiques qui sont de la responsabilité des bureaux des assemblées. Rappelons donc qu’ils doivent se prononcer sur les modalités pratiques qui permettront concrètement aux parlementaires d’éviter les conflits d’intérêts.

Le deuxième aspect important du texte, c’est qu’il concerne le patrimoine. Nous ne partions pas tout à fait de rien, mais presque. Il existait une loi de 1988, dont nous avons vu qu’elle était inappliquée car la commission chargée de contrôler les déclarations de patrimoine n’avait pas les moyens de le faire. Jusqu’à il y a peu, elle n’avait, faut-il le rappeler ? même pas le pouvoir de connaître le revenu des intéressés. Mais elle devait apprécier l’évolution de leur patrimoine ! C’était un peu mission impossible…

Il en ira désormais autrement. Le contenu des déclarations de patrimoine sera amélioré, puisqu’elles comporteront une information sur les revenus. Surtout, il sera vérifié, au besoin avec l’aide des services fiscaux, sous la houlette de la Haute autorité. Autrement dit, la Haute autorité créée par le texte aura le moyen de découvrir les évolutions anormales de patrimoine, ce qui est l’essentiel, comme l’a rappelé André Chassaigne. Et non seulement ces évolutions anormales seront décelées, mais en outre elles seront publiées au Journal officiel. On dira, le cas échéant, qu’une évolution anormale du patrimoine a été constatée, pour laquelle la Haute autorité n’a pas obtenu de réponse satisfaisante de l’intéressé. Par ailleurs, le dossier sera transmis au parquet, puisque des sanctions sont prévues en cas d’évolution anormale.

Cette Haute autorité est une autorité administrative indépendante. Son président et ses membres ne seront pas renouvelables, ce qui est une garantie d’indépendance. Elle aura un budget propre, et donc les moyens de se doter du personnel nécessaire pour accomplir sa mission. C’est un progrès par rapport à la commission qui existait jusqu’à présent.

Enfin, les déclarations seront rendues publiques, alors qu’aujourd’hui, je le rappelle, elles sont secrètes, mais ne pourront pas être diffusées sans l’accord des intéressés. Il est bien évident que si un élu veut publier sa déclaration, il peut toujours le faire, et j’en suis partisan. Nous sommes parvenus là à un point d’équilibre entre le souci de faire la transparence dans tout ce qui concerne la sphère publique et celui de respecter la sphère privée. De ce point de vue, Patrick Devedjian avait raison de rappeler qu’en démocratie, la sphère publique ne doit pas absorber la sphère privée, contrairement à ce qui se fait en régime totalitaire – mais nous l’avions dit avant lui.

S’agissant également des patrimoines, relevons cette nouveauté : désormais, tous les candidats à l’élection présidentielle devront rendre publique leur déclaration de patrimoine, qui aura été vérifiée par la Haute autorité. Quant à la déclaration de patrimoine du Président de la République, elle fera désormais l’objet d’un contrôle à l’issue de son mandat, ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent. C’est également un progrès.

M. Jean-Frédéric Poisson. Il n’est pas exclu que ces fonctionnaires soient intègres, monsieur le député !

M. René Dosière. Cette affaire a été soulevée par la précédente Commission pour la transparence financière de la vie politique : je peux donc citer le nom de la personne à laquelle je fais allusion. Je ne vois pas comment les services fiscaux pourraient contrôler la déclaration du président actuel de la Polynésie, M. Gaston Flosse, qui a fait par le passé des déclarations tout à fait inexactes. La Commission pour la transparence financière de la vie politique avait relevé ces inexactitudes. On a là un vrai problème. Si cela ne concerne que peu de personnes, cela n’en a pas moins valeur d’exemple.

Une troisième amélioration importante concerne le financement de la vie politique. D’une part, la réserve parlementaire est utilisée dans une plus grande transparence : c’est le résultat d’un apport du Sénat – même si certains, fort heureusement, n’avaient pas attendu cette disposition législative pour rendre publics un certain nombre de renseignements. Il est également mis un terme au détournement de la législation sur le financement de la vie politique par une utilisation abusive de la législation outre-mer. Je pense à ce que l’on pourrait appeler, en quelque sorte, les micro-partis guichets. Un plafonnement global des sommes déductibles des impôts est également prévu : désormais, un donateur ne pourra plus verser 7 500 euros par parti. La limite de 7500 euros s’impose à chaque donateur, quels que soient les partis destinataires de leurs dons.

Enfin, il ne sera plus possible de bénéficier de la déduction fiscale de 66% lorsque le parti politique destinataire n’aura pas respecté ses obligations légales. À ce propos, je dois dire que ce texte oublie un point. Nous n’avions pas prévu la situation qui a prévalu après les dernières élections présidentielles. L’annulation par le Conseil constitutionnel des comptes de campagne d’un candidat a interdit le remboursement par l’État des sommes normalement dues à son parti. Cette absence de remboursement a été compensée par un appel aux citoyens qui a permis de collecter 11 millions d’euros. Puisqu’il s’agit de dons de particuliers, ils sont exonérés d’impôts à 66%. Autrement dit, d’un côté, ce parti est sanctionné, de l’autre, les dispositions en vigueur favorisent son renflouement par une incitation fiscale. Il y a là une anomalie que l’on ne pouvait prévoir à l’avance : il faudra, ultérieurement, la corriger.

M. Jean-Frédéric Poisson. Vive la liberté !

M. René Dosière. Mes chers collègues, ce texte est un grand texte de modernisation et de moralisation de notre vie politique.

M. Jean-Frédéric Poisson. Certainement pas !

M. Guy Geoffroy. N’allons pas jusque-là !

M. René Dosière. Oui, il s’agit bien d’une moralisation ! Il est d’autant plus utile que – si vous me permettez de paraphraser Charles Péguy – la République sera morale ou elle ne sera pas. Ce texte contribuera, avec le temps, à rétablir en partie la confiance qui doit régner entre les citoyens et leurs élus. C’est pourquoi, d’ailleurs, nous regrettons l’attitude de l’opposition. Faute de parvenir à un accord entre les diverses tendances qui l’animent, l’opposition s’est opposée avec beaucoup de démagogie à ce texte, en le caricaturant.

M. Guy Geoffroy. Pas du tout ! En le décrivant tel qu’il est !

M. René Dosière. Bien entendu, on peut toujours estimer qu’il faut aller plus loin : aucun texte n’est définitif, même si celui-ci a été considérablement amélioré par notre rapporteur et président de la commission des lois, Jean-Jacques Urvoas. Même s’il doit, à l’avenir, être encore amélioré, c’est encore une raison supplémentaire de l’adopter : ce n’est qu’un premier pas. C’est donc avec enthousiasme que le groupe socialiste adoptera ce texte qui améliore notre législation en matière de transparence de la vie publique. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson.

M. Alain Vidalies, ministre délégué. De l’enthousiasme !

M. Jean-Frédéric Poisson. Oui, monsieur le ministre, il faut dire que vos soutiens sont très enthousiastes. Monsieur le président de la commission des lois et rapporteur, mes chers collègues, si j’en crois ce que je viens d’entendre de la bouche de notre collègue René Dosière, nous vivons dans un monde merveilleux ! J’apporterai quelques réserves au tableau idyllique qu’il a brossé à l’instant de ce texte et de ses conséquences.

Si je devais dire, en quelques mots, ce que m’inspirent les textes dont nous débattons, je dirais qu’il s’agit d’un magnifique oxymore, monsieur le ministre ! Il s’agit d’une espèce de gros paradoxe, constitué d’un ensemble de petits paradoxes dont je vais essayer de faire un inventaire précis.

Nous débattons de transparence, mais d’une transparence camouflée, résultat d’un arbitrage assez difficile. Il y a quelques mois, au cours d’une période difficile, le Président de la République a formellement pris un engagement devant les caméras de télévision. Il s’est ensuite heurté à une résistance très organisée de la part de sa propre majorité, résistance dont nous avons vu les conséquences à l’Assemblée nationale et au Sénat. Nous sommes partis d’une annonce tonitruante, annonçant la communication obligatoire et sans réserve du patrimoine des parlementaires ; cela se termine par un système prévoyant la mise à disposition, presque en catimini, d’un certain nombre d’informations concernant notre activité et celle de quelques milliers d’autres personnes – 9 000 personnes environ – comme notre collègue René Dosière nous l’a rappelé à l’instant.

Deuxièmement, je ne comprends toujours pas comment vous comptez accroître à la fois la liberté des parlementaires et leur capacité de travail tout en réduisant leur capacité de choix.

M. Bernard Roman. C’est pourtant clair !

M. Jean-Frédéric Poisson. Effectivement, je comprends très bien que vous ayez voulu faire en sorte que chacun, ici, soit d’abord préoccupé par l’intérêt général. Nous avons bien entendu les précisions apportées par notre collègue René Dosière sur la question des conflits d’intérêts. Il a raison : je lui en donne acte. Cependant, il vous reste à m’expliquer pourquoi l’on considérerait qu’un parlementaire dont le métier est depuis longtemps de diriger un cabinet de conseil est en situation de conflit d’intérêts, alors qu’un autre pourrait continuer d’être ingénieur en chef d’une grande entreprise de travaux publics, ou directeur général d’une grande entreprise de services publics, tout en exerçant ses fonctions de parlementaire. Il y a là quelque chose de parfaitement incohérent.

Troisièmement, vous voulez protéger la vie privée, mais en nous obligeant – nous, parlementaires, et plusieurs milliers d’autres personnes – à communiquer des éléments qui relèvent de la sphère privée et qui ne devraient pas apparaître dans l’espace public de quelque manière que ce soit.

M. René Dosière. Contrairement aux éléments de patrimoine des ministres, ceux-là ne seront pas rendus publics !

M. Alain Chrétien. Si : il y aura des fuites !

M. Jean-Frédéric Poisson. Vous n’arriverez pas, monsieur le ministre et monsieur le rapporteur, à faire respecter l’interdiction de publier ces éléments. Chacun sait bien – nous en avons largement discuté ici – que des fuites auront lieu, et seront même parfois organisées, non pas afin de veiller à l’honnêteté des parlementaires et des autres personnes concernées, mais pour de basses et viles raisons de concurrence politique. Il s’agit de délation : je maintiens ce mot, en dépit des protestations vives et réitérées de notre collègue François de Rugy.

Quatrième paradoxe : vous voulez rétablir la confiance dans la classe politique, en instaurant la possibilité d’une authentique délation. Je maintiens ce terme : contrairement à ce que pensent certains de nos collègues, il n’est pas réservé à certaines périodes troubles de l’histoire de notre nation. Le mot de délation figure dans le dictionnaire : on a parfaitement le droit de l’utiliser.

Cinquième paradoxe : vous voulez rétablir la confiance envers le Parlement en accroissant, en définitive, la suspicion. Nous l’avons dit à chacune des lectures de ce texte dans cette assemblée : la façon dont le chef de l’État d’abord, le Premier ministre ensuite, puis vous, monsieur le ministre – remplissant en cela votre mission : je ne vous en fait pas reproche à titre personnel – avez engagé ce débat public, l’organisation même de ce débat, ont conduit en réalité à accroître la suspicion envers le personnel politique. Il y a un précédent : ce n’est pas comme si nous partions d’une feuille blanche. Nos collègues de la majorité ont raison de dire qu’à elle seule, la publication des patrimoines ne peut garantir le rétablissement de la confiance. Ce précédent, c’est la publication du patrimoine des membres du Gouvernement ! Qu’est-ce que cela a changé à l’affaire ? Réponse : rien !

M. Marcel Rogemont. Alors pourquoi aviez-vous demandé cette publication dans la presse ?

M. Jean-Frédéric Poisson. Voilà la preuve de l’inutilité totale des dispositions que vous soumettez à notre assemblée.

Enfin, dernier paradoxe, vous voulez accroître la puissance du pouvoir législatif, en soumettant une partie de notre vie, c’est-à-dire de notre action et de nos missions, au contrôle d’une autorité dont le patron est désigné par le président de l’exécutif. Il y a là une bizarrerie que nous ne manquerons pas d’indiquer au Conseil constitutionnel – qui n’aura pas besoin de saisine pour examiner le projet de loi organique.

M. René Dosière. Conformément à la procédure applicable aux lois organiques.

M. Jean-Frédéric Poisson. Monsieur le rapporteur, vous nous disiez tout à l’heure, en conclusion, que ce texte est équilibré.

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Justement, je n’ai pas employé ce mot, car il me fait peur !

M. Jean-Frédéric Poisson. Du moins était-ce le sens de votre conclusion, monsieur le président de la commission des lois. Faites-moi ce crédit : cela ne changera pas pour autant le sens de mon argumentation, ne vous inquiétez pas.

M. Marcel Rogemont. Ce n’est pas exact !

M. Jean-Frédéric Poisson. Soyez patient, monsieur Rogemont : vous pouvez vous inscrire sur un article dont nous discuterons tout à l’heure, cela ne pose pas de problème. Nous écouterons avec plaisir ce que vous avez à dire sur ce texte.

Monsieur le président de la commission des lois, vous êtes mieux placé que personne pour savoir qu’il s’agit, en réalité, d’un mauvais compromis. Ce texte n’est pas équilibré : au contraire, il est inachevé. Chers collègues écologistes, je comprends l’argument selon lequel il ne s’agit là que d’une première étape, en attendant d’autres dispositions – je voudrais bien savoir lesquelles ! Je les attends avec intérêt, et impatience, mais à mon avis, compte tenu de la difficulté que vous avez eue à accoucher de ce texte et à nous le présenter, je pense que cette évolution n’est pas pour demain.

Quoi qu’il en soit, je répète que nous sommes favorables au renforcement des moyens de contrôle et à leur indépendance. Nous ne sommes pas favorables en revanche aux dispositions que vous nous présentez, qui iront à l’encontre de ce que vous cherchez, c’est-à-dire le rétablissement de la confiance. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Guy Geoffroy. Absolument !

M. le président. La parole est à M. Gilbert Collard.

M. Gilbert Collard. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, ce texte, ou, à tout le moins, le but qu’il poursuit, aurait pu me convenir. Cependant il ne me convient pas : je vous dirai pourquoi.

D’abord et avant tout, je vous dirai toute mon admiration. J’ai rarement rencontré des hommes capables, comme vous, de transformer une faillite morale – l’affaire Cahuzac – en une entreprise de moralisation. Chapeau ! Vous avez réalisé un beau tour de prestidigitation. Ces projets de loi vous permettent, une fois encore, de nous faire la leçon, alors que vous êtes dans le camp du fautif – ce qui aurait pu arriver à tout le monde. J’en arrive à me demander si, dans le cas où un député aurait déclenché un incendie, vous n’auriez pas fait voter une loi exigeant la présence d’extincteurs chez chaque député. Ou encore, dans le cas où Dominique Strauss-Kahn aurait encore été député, si vous n’auriez pas fait voter une loi de moralisation de la vie sexuelle imposant aux députés de sexe masculin d’absorber régulièrement des doses de bromure. (Protestations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Bernard Roman. C’est affligeant !

Mme Catherine Quéré. Lamentable !

M. Razzy Hammadi. On est à l’Assemblée nationale, ici, enfin !

M. Gilbert Collard. Chaque fois qu’une situation vous embarrasse, vous faites voter une loi, pour pouvoir dire que vous corrigez les erreurs que vous avez vous-mêmes commises ! L’intitulé même de ce texte – « relatif à la transparence de la vie publique » – vous dédouane, alors même que le douanier a pris l’un d’entre vous – Jérôme Cahuzac – la main dans le sac. Quand même, soyez un peu lucides ! Que le travail effectué pour améliorer la transparence de la vie publique soit de bonne volonté, je n’en disconviens pas, mais ayez au moins l’honnêteté de reconnaître qu’il trouve son origine dans un désastre moral – lequel nous concerne tous : députés d’hier ou d’aujourd’hui, d’ici ou d’ailleurs.

Bravo : vous en arrivez à nous faire la morale, alors que le point de départ du processus est un acte immoral. Chapeau ! Vous en arrivez à nous faire adopter un texte qui a une portée particulière. Il concerne une catégorie particulière de citoyens, et pas n’importe laquelle : celle des élus, de gens qui représentent la Nation, et qui ont pour mission fondamentale de représenter un contre-pouvoir. Or, qu’on le veuille ou non, vous allez limiter ce contre-pouvoir ! Quand on soumet un élu, un député, à des contrôles administratifs, on prend le risque de voir ce contrôle se pervertir. Là se trouve un danger pour nos libertés, pour l’exercice de notre contre-pouvoir. Nous pouvons, à n’importe quel moment, être victimes d’une perversion de ce contrôle. Cela peut arriver : personne, ici, ne peut jurer que cela n’arrivera pas.

Notre arsenal juridique comporte pourtant déjà tout ce qu’il faut pour réprimer ces agissements répréhensibles. Nous disposons des incriminations de corruption, de favoritisme, de prise illégale d’intérêt, d’abus de confiance : le code pénal est rempli de dispositions permettant de réprimer tous les comportements fautifs. Vous me direz que certaines de ces infractions ne sont punies que de cinq ans de prison. La peine de probation envisagée par Mme Taubira sera donc applicable : tout va bien, la vie est belle, il n’y a pas de quoi s’affoler !

Il y a encore plus grave. Je conclurai en évoquant, à ce sujet, deux points. Premièrement, vous incluez dans la définition du conflit d’intérêts une chose fantomatique, qui me fait peur : la notion d’apparence. Vous employez le verbe « paraître » : vous rendez-vous compte de ce que cela signifie ? Nous serons observés non pas sur la réalité des faits, mais sur leur apparence. Franchement, c’est grave !

C’est d’autant plus grave que l’on voit se profiler ce que l’on appelle les « lanceurs d’alerte ». Rappelez-vous : comment les appelait-on, ces lanceurs d’alerte, au moment où la démocratie se mourait à Athènes ? Des sycophantes ! C’est eux qui causent la mort de la démocratie.

Ce n’est pas la peine de relire Aristophane pour s’en souvenir !

M. Bernard Roman. C’est Aristote, et non Aristophane !

M. Gilbert Collard. À partir du moment où on introduit la capacité à cultiver la suspicion, la démocratie commence à mourir. Alors, vous dis-je, vos intentions peuvent être bonnes. Il n’y a pas que de mauvaises intentions – loin s’en faut. Mais rappelez-vous que qui veut faire l’ange fait la bête – et une bête avec parfois une grosse voix.

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à M. le ministre délégué.

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Merci, monsieur le président. Je souhaiterais répondre aux orateurs qui ont participé à cette discussion générale intéressante, même si elle revêt un caractère répétitif, puisque nous avons déjà eu l’occasion de débattre précédemment de ce sujet. M. Devedjian n’est plus parmi nous…

M. Jean-Frédéric Poisson. Il vous entend sûrement !

M. Alain Vidalies, ministre délégué. … mais je souhaiterais simplement lui faire observer que la référence à Hannah Arendt ne me paraît pas raisonnable dans ce débat. Elle décrivait les rapports entre les individus et le risque concentrationnaire, non pas la situation des élus ! Passer des thèses d’Hannah Arendt au risque encouru par des élus qui ont librement choisi de se présenter devant le suffrage des électeurs me semble être un raccourci intellectuel difficile à emprunter. D’ailleurs, M. Dosière a répondu à M. Devedjian qu’il avait fait une erreur d’interprétation des textes. Il y a bien, je le répète, une seule définition du conflit d’intérêt. M. Devedjian a probablement lu un peu trop vite les textes du Sénat et de l’Assemblée nationale. Mais nous ne discutons ici que du texte que vous avez examiné en deuxième lecture. Quant à la question du renversement de la charge de la preuve, elle est évoquée dans le texte prévoyant la création du procureur financier, non dans ce texte. Il aura donc l’occasion de reprendre ce débat prochainement.

Je veux remercier M. Favennec, qui a résumé la position de son groupe et indiqué qu’il prévoyait de s’abstenir. Je tiens à lui préciser ce texte prévoit une certaine évolution de la situation des élus issus de la fonction publique. En effet, ces derniers ne seront plus en position de détachement – avec la garantie de retrouver leur poste antérieur –, mais en disponibilité, ce qui est une évolution importante.

M. Guy Geoffroy. Ce n’est pas vrai du tout !

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Quant à M. de Rugy, il a soutenu le texte depuis son origine et a contribué à l’enrichir avec un certain nombre de dispositions fort pertinentes, dont on reparlera. Il reste attaché au texte originaire du Gouvernement et, même si je ne suis pas sûr de soutenir l’amendement qu’il défendra tout à l’heure, je sais qu’in fine le groupe Vert sera au rendez-vous.

M. Giraud a repris des arguments déjà entendus. Je ne suis pas sûr qu’il ait mesuré la véritable étendue du pouvoir conféré aux lanceurs d’alerte. Il semble croire qu’ils auraient une forme d’impunité. Ce n’est évidemment pas le cas.

M. Jean-Frédéric Poisson. Ce sera le cas, de fait !

M. Alain Vidalies, ministre délégué. L’activité des lanceurs d’alertes est encadrée par le texte sanctionnant les dénonciations calomnieuses. Il n’y a donc aucun risque d’impunité. Je remercie René Dosière pour l’enthousiasme avec lequel il a présenté le texte et pour ses observations pertinentes, y compris sur des cas particuliers sur lesquels je ne reviendrai pas, mais que nous devons garder à l’esprit.

Jean-Frédéric Poisson a répété son expression de « transparence camouflée ». Nous avons eu du mal à dialoguer pendant ce débat, car vous êtes plus enclin à dénoncer les difficultés supposées entre le Gouvernement et sa majorité qu’à présenter votre position et les solutions alternatives…

M. Jean-Frédéric Poisson. Cela ne va pas recommencer ! Je vous l’ai dit quatre fois, monsieur le ministre !

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Quant à votre critique sur les lanceurs d’alerte, je ne sais comment l’interpréter, sinon comme un repentir : c’est bien votre majorité qui, pour la première fois, a créé leur statut dans le droit positif, en leur conférant un rôle dans les entreprises !

M. Jean-Frédéric Poisson. Cela n’a rien à voir avec ce texte !

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Nous avons repris mot pour mot ce statut, afin de garantir sa conformité aux exigences du Conseil constitutionnel.

M. Guy Geoffroy. Ce ne sont pas les mêmes, les vôtres sont des délateurs !

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Les vôtres seraient donc parfaits, et les nôtres, des délateurs ! Cela manque de pertinence, on le voit bien.

J’ai entendu la démonstration de M. Collard. Je souhaite lui rappeler qu’il aurait pu, me semble-t-il, évoquer André Malraux, qui nous conseillait de transformer l’expérience en conscience. Il me semble que ce qui s’est passé lorsque vos amis ont eu la gestion de quelques collectivités locales aurait dû vous amener à être un peu plus mesuré dans vos leçons de vertu.

M. Gilbert Collard. On n’a violé personne !

Discussion des articles (Projet de loi)

M. le président. J’appelle en premier lieu, conformément au troisième alinéa de l’article 114 du règlement, le projet de loi dans le texte adopté par l’Assemblée en nouvelle lecture.

La parole est à M. François de Rugy, pour soutenir l’amendement n1 à l’article 11.

M. François de Rugy. Merci, monsieur le président. Cet amendement vise à revenir à la transparence sur les déclarations des patrimoines. Je souhaite faire deux observations. D’abord, le Sénat, qui avait été pourtant réticent sur plusieurs dispositions du texte, avait finalement trouvé un compromis en revenant non seulement à l’intention initiale du texte du Gouvernement, mais aussi à celle affichée par le Président de la République, à laquelle nous souscrivions. Ensuite, je voudrais attirer l’attention du Gouvernement – peut-être pourra-t-il m’éclairer – sur la qualification en délit de la publication des informations contenues dans la déclaration, qui est pourtant consultable. Il nous semble que cela contreviendrait à une jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qui a condamné la France dans un cas assez similaire, lors de la publication par le Canard enchaîné d’une déclaration fiscale. Il s’agit de l’arrêt de 1999, Fressoz et Roire c. France. Nous pensons que la création d’un délit de publication des informations contenues dans la déclaration de patrimoine contrevient à cette décision de la Cour européenne des droits de l’homme.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Sans surprise, la commission a émis un avis défavorable sur l’amendement déposé par M. de Rugy. La position de la commission est caractérisée par la constance, puisque l’amendement existe depuis le début de nos débats. Il est de bonne politique de parler d’équilibre et de compromis quand on arrive à ce stade des échanges. La position de l’Assemblée nationale n’a pas varié depuis le début. Nous sommes favorables à la publication du patrimoine, mais nous sommes conscients qu’il y a des frontières à ne pas franchir. Nous avons donc créé un droit de consultation des renseignements, souhaité par les citoyens. Le citoyen pourra connaître le patrimoine de ses élus si cela lui chante. Nous respectons ainsi la parole du Président de la République, et ne sombrons pas pour autant dans un culte du voyeurisme qui ne nous paraît pas de bon aloi.

M. Bernard Roman. Très bien !

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable. Cela ne surprendra pas notre collège M. de Rugy, qui a participé aux travaux de notre commission, alors même qu’il n’en est pas membre. Je le remercie également pour sa constance.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Avis défavorable.

M. le président. La parole est à M. Guy Geoffroy.

M. Guy Geoffroy. Merci, Monsieur le Président. J’ai conscience que ma prise de parole est un peu décalée par rapport au contenu de l’amendement. Je souhaiterais abonder dans le sens des propos du Ministre et préciser, s’il m’y autorise, les contours du progrès apporté par le texte pour les fonctionnaires. M. le ministre a dit qu’un fonctionnaire en détachement récupérait son poste à l’issue de sa période de détachement. Cela n’est pas vrai. Il récupère un poste, mais son détachement lui a permis de poursuivre sa carrière. Un fonctionnaire mis en disponibilité – ce sera le cas désormais des parlementaires qui étaient antérieurement des fonctionnaires – pourra retrouver, lui aussi, un poste. Mais sa carrière n’aura pas été poursuivie pendant sa période de disponibilité. Je voulais apporter ces précisions pour que tous ceux qui nous écoutent – et je ne doute pas qu’ils soient nombreux –, aient la totalité des informations transmises par le ministre et par votre serviteur. Je vous remercie.

M. le président. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson.

M. Jean-Frédéric Poisson. Je voterai contre l’amendement de M. de Rugy, ce qui ne l’étonnera pas. Nous militons depuis le début contre la publication du patrimoine, mais pour un renforcement des contrôles qui s’exercent sur lui. Telle est la position très majoritaire de notre groupe.

Un mot, monsieur le ministre, sur « nos »lanceurs d’alerte et les « vôtres ». Un spécialiste du droit du travail tel que vous ne peut ignorer que, dans le cas des nôtres, il y a un lien de subordination, et cela fait toute la différence. C’est pourquoi ils doivent être protégés, pour qu’on ne puisse prendre de sanctions contre eux en raison des informations qu’ils rendent publiques. Dans les cas que vous visez ce lien de subordination est absent : la comparaison n’est donc pas valide.

(L’amendement n1, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Joël Giraud, pour soutenir l’amendement n2 à l’article 17.

M. Joël Giraud. Le Sénat, en nouvelle lecture, avait supprimé l’article 17. Les auteurs du présent amendement, très défavorables au mécanisme de protection des « lanceurs d’alerte » prévu dans ce texte, souhaitent que l’Assemblée nationale se rallie à la position sénatoriale.

Ce système n’appartenant guère à notre tradition juridique, il paraît préférable, au lieu de légiférer dans la précipitation, qu’un travail conséquent de réflexion, soit mené au préalable autour de cette procédure et de ses possibles déclinaisons dans notre droit.

En tout cas, telle qu’elle est rédigée, cette section « Protection des lanceurs d’alerte » est susceptible d’entraîner des excès et des abus.

La rédaction actuelle de l’article 17 du présent projet de loi peut conduire à une « culture de la dénonciation », voire de la délation. Il nous semble dangereux d’introduire une présomption de bonne foi des lanceurs d’alerte dans nos textes. La partie défenderesse mise en cause devra alors prouver sa non-culpabilité. Le renversement de la charge de la preuve est exceptionnel dans notre droit. Certains, s’estimant protégés par une sorte d’immunité, pourront porter des accusations dépourvues de fondements réels. Voilà pourquoi nous demandons la suppression de cet article 17.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable. Je voudrais répondre sur les deux arguments avancés par notre collègue. D’abord, sur la novation que représenteraient les lanceurs d’alerte. Ensuite, sur le fait que nous favoriserions une culture de la dénonciation.

Je veux rassurer notre collègue sur le fait que ce n’est pas une novation dans notre droit. Il existe une loi votée en avril 2013, qui était destinée à protéger les salariés qui alertent sur les faits relatifs aux risques graves pour la santé publique ou l’environnement. C’est exactement le principe du lanceur d’alerte, que nous confirmons et étendons.

Quant à la crainte que nous ne favorisions une culture de la dénonciation, j’attire votre attention sur le fait que toute dénonciation de mauvaise foi serait passible des sanctions précisées à l’article 226-10 du code pénal. Il n’y a donc pas de risque que nous n’encouragions quelqu’un uniquement à nuire. Nous créons au contraire un principe que nous croyons vertueux.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Avis défavorable également.

M. le président. La parole est à M. Guy Geoffroy.

M. Guy Geoffroy. Cette fois-ci, je m’exprimerai sur l’amendement, monsieur le président ! Dussé-je paraître quelque peu insistant auprès du ministre et du rapporteur, je souhaite reprendre l’excellente démonstration faite par notre collègue Jean-Frédéric Poisson il y a quelques instants. Ce n’est pas parce que les termes sont les mêmes et que la procédure peut sembler identique qu’il y a conformité entre la notion de lanceur d’alerte que vient de rappeler le rapporteur et celle introduite dans ce texte.

M. Jean-Frédéric Poisson. Bien sûr !

M. Guy Geoffroy. Cela n’a rigoureusement rien à voir ! C’est une fable de prétendre qu’elle existe déjà en partie parce qu’elle a été créée sous l’ancienne majorité. Vous utilisez les mêmes termes en vue d’un objet totalement différent et avec un lien entre la personne qui lance l’alerte et la personne à propos de laquelle l’alerte est lancée qui est tout à fait différent.

De ce fait, c’est le deuxième argument de notre rapporteur qui tombe, car vous instituez bien la profession de délateur à l’encontre des élus de la République, et c’est une faute très lourde que vous commettez contre notre démocratie représentative.

(L’amendement n2 n’est pas adopté.)

Discussion des articles (projet de loi organique)

M. le président. J’appelle maintenant, conformément au troisième alinéa de l’article 114 du règlement, le projet de loi organique dans le texte adopté par l’Assemblée en nouvelle lecture.

La parole est à M. François de Rugy, pour soutenir l’amendement n1 à l’article 1er.

M. François de Rugy. Il est défendu.

(L’amendement n1, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. Je rappelle que la conférence des présidents a décidé que le vote par scrutin public dans les salons sur le projet organique tel qu’il résulte du texte adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture aura lieu le mardi 17 septembre.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures trente, est reprise à dix-huit heures trente-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

4

Accès au logement et urbanisme rénové (suite)

Suite de la discussion d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (nos 1179, 1329, 1286).

Le temps de parole restant pour la discussion de ce texte est de six heures vingt-huit minutes pour le groupe SRC, dont 358 amendements restent en discussion ; neuf heures et vingt-sept minutes pour le groupe UMP, dont 593 amendements restent en discussion ; trois heures et six minutes pour le groupe UDI, dont 99 amendements restent en discussion ; une heure et quarante et une minutes pour le groupe écologiste, dont 61 amendements restent en discussion ; une heure et trente-huit minutes pour le groupe RRDP, dont 64 amendements restent en discussion ; une heure et quarante-sept minutes pour le groupe GDR, dont 63 amendements restent en discussion ; et vingt-quatre minutes pour les députés non inscrits.

Discussion des articles

M. le président. J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles du projet de loi.

Article premier

M. le président. Plusieurs orateurs sont inscrits sur l’article premier. La parole est à M. Guillaume Chevrollier.

M. Guillaume Chevrollier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le texte qui nous réunit en cette fin d’après-midi sert des objectifs tout à fait louables ; malheureusement les moyens que vous proposez pour y parvenir nous laissent sceptiques une fois de plus. Proposer de traiter le problème des logements indignes et d’aborder la problématique des logements abordables est un vœu pieux, et vos propositions sont quelque peu angéliques.

Votre Gouvernement ne tient pas compte des leçons du passé. En 1981, les socialistes avaient déjà des buts similaires.

M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques. Nous n’étions pas encore nés !

M. Guillaume Chevrollier. Je me suis plongé dans l’exposé des motifs de la loi Quilliot de 1982 qui tendait à protéger les locataires, à restaurer un contrôle des loyers afin de les protéger les locataires contre les loyers jugés excessifs, et rendre plus difficile leur expulsion, même en cas de défaut de paiement. Vous n’avez donc rien inventé en 2013, madame la ministre. Duflot-Quilliot, même combat : la gauche prône le changement, mais la gauche ne change pas...

Les effets de votre loi seront les mêmes que ceux de la loi Quilliot, qui ont été désastreux, à savoir une chute brutale des constructions de logements locatifs privés, une grande réticence des propriétaires à louer, et donc une aggravation de la situation de la location. Car ce n’est pas par la contrainte que l’on résout les problèmes, bien au contraire. Or votre texte ne contient que des contraintes.

Vous proposez un encadrement des loyers qui va créer une usine à gaz de plus. C’est d’ailleurs une formule que je ne cesse d’employer depuis un an, tant les projets de votre gouvernement s’inspirent toujours du fonctionnement de ces usines.

L’encadrement des loyers va être source de bien des conflits et de bien des injustices. Que représente une modulation de 20 % entre un appartement au rez-de-chaussée et un appartement ensoleillé à un étage élevé ; entre un appartement qui n’a pas connu de travaux depuis des lustres et un appartement qui a été modernisé et optimisé ? Avez-vous rencontré des professionnels de l’immobilier avant de faire vos propositions ?

Il en est de même pour la garantie universelle des loyers. Le coût en est mal évalué par l’État, c’est-à-dire qu’il est sous-évalué par vos services, puisque les spécialistes, professionnels de l’immobilier, évoquent un coût minimum de 1,5 milliard d’euros, soit le double de vos prévisions. Cette garantie représente aussi des charges supplémentaires pour tous les locataires et les propriétaires. On parle de 2 % des loyers, ce qui est très important. C’est une taxe supplémentaire, le matraquage fiscal continue. Où est la pause fiscale ?

Votre dispositif est beaucoup trop lourd et trop cher, surtout lorsque l’on sait qu’il n’y a que 3 % d’impayés. En outre, cette garantie va avoir un effet pervers très dommageable : elle va favoriser la déresponsabilisation des locataires en matière de paiement.

M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques. Mais non !

M. Guillaume Chevrollier. Le bilan est que ce projet de loi va faire peur aux propriétaires et va faire fuir les investisseurs. Vous allez donc freiner l’offre de logements, et par-là même faire empirer la situation dans notre pays.

Or la situation est déjà très difficile. Le Président de la République avait fait de belles promesses en matière de construction de logements, elles ne seront pas tenues. Le secteur du bâtiment va mal, nous sommes interpellés en permanence dans nos circonscriptions. Entre mai et avril, nous avons constaté un recul de 21,7 % du nombre de permis de construire par rapport à 2012.

Vous aggravez cette situation morose en alourdissant sans cesse les impôts et les charges. Et non contents de cela, voilà que vous touchez aujourd’hui aux rapports difficiles entre propriétaires et locataires. La protection systématique et unilatérale des locataires en place dissuade les propriétaires potentiels. L’inflation juridique et fiscale est un repoussoir, tout comme l’incertitude. Or, pour que le marché fonctionne bien, il faut assurer la fluidité de la demande et de l’offre. Ce gouvernement, spécialiste des contraintes, des lourdeurs, de la rigidité, de la complexité, va donc rendre la situation plus pénible pour tous avec ce texte, propriétaires comme locataires. Une fois de plus, nos collègues de la majorité vont voter une loi nocive pour notre pays. Le déclin, c’est maintenant pour le secteur immobilier.

M. le président. La parole est à M. Gilles Lurton.

M. Gilles Lurton. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’article premier de ce texte vise à améliorer les rapports entre propriétaires et locataires dans le parc privé. Le projet de loi tend donc à moderniser la loi du 6 juillet 1989 afin de sécuriser les locataires et les bailleurs et de mieux équilibrer leurs rapports.

Pour ce qui me concerne, je crois en effet utile de protéger les locataires face à des pratiques peu encourageables de location de biens souvent insalubres, dans des conditions qui parfois  ne respectent pas l’être humain. Cependant, je crois aussi pouvoir dire qu’il existe des professionnels de l’immobilier honnêtes et dont la motivation principale est d’arriver à une relation de confiance avec leurs futurs clients. D’ailleurs, la réforme du secteur immobilier était souhaitée par l’ensemble des professionnels.

Il est donc regrettable que certaines dispositions de ce texte conduisent à discréditer leur métier. Aussi, je veux insister ici sur la question de la rémunération des intermédiaires. La forte baisse des honoraires de location à la charge du locataire risque de fragiliser encore plus une profession déjà frappée par l’atonie du marché immobilier, avec une perte de chiffre d’affaires évaluée à 400 millions d’euros. Elle aura également un impact direct sur l’emploi de 10 000 agents de location et provoquera une baisse de 80 millions d’euros de la TVA collectée par l’État. La modification des rapports entre locataires et propriétaires risque de se faire au détriment des locataires, soit l’inverse de l’enjeu de ce texte. La remise en cause de l’équilibre des honoraires entre le locataire et le propriétaire risque en outre d’encourager le retour des commissions occultes pour la petite minorité de professionnels peu scrupuleux.

Dès lors, il existe à mon point de vue un risque réel pour les locataires de voir s’amenuiser le parc locatif privé : c’est l’effet contraire de ce que vous recherchez, madame la ministre. Au lieu de remettre sur le marché locatif un grand nombre de logements privés vacants, je crains que votre projet de loi ne fasse qu’augmenter le nombre de ces logements. Face à de telles augmentations de charges et à un avenir incertain lié à une inflation de textes législatifs, les propriétaires préféreront ne pas louer leur bien. Et si le propriétaire se détourne des agences pour louer son bien, il sera plus difficile pour l’État de vérifier l’application de sa réglementation.

M. le président. La parole est à Mme Dominique Nachury.

Mme Dominique Nachury. Cet article 1er modifie significativement la loi du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs. Certains apports peuvent sans doute être utiles et acceptés. Néanmoins, ces dispositions donnent le sentiment d’une grande complexification et d’une judiciarisation certaine des rapports locatifs. D’autre part, si l’on doit reconnaître qu’il y a des abus, ils sont le fait d’une minorité de bailleurs, et on ne peut donner à penser que les propriétaires et les professionnels de l’immobilier sont par nature malhonnêtes. Je ne suis donc pas sûre que l’on contribue ainsi à la dynamisation de l’investissement immobilier.

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 64 et 134, tendant à supprimer l’article 1er.

La parole est à Mme Marie-Christine Dalloz, pour soutenir l’amendement n64.

Mme Marie-Christine Dalloz. Cet amendement a pour objectif de supprimer l’article 1er de ce projet de loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové. En effet, cet article modifie de façon très significative la loi du 6 juillet 1989 et crée, sous le coup d’une volonté qui peut être louable, notamment pour lutter contre les marchands de sommeil – tout le monde approuvera ce combat –, un tel déséquilibre entre le propriétaire bailleur et le locataire que l’effet produit sera en réalité l’inverse de l’effet attendu. Vous allez amplifier la crise du logement.

Ce ne sera pas faute de vous l’avoir dit : ce déséquilibre ne résoudra en rien les problèmes de nos concitoyens à la recherche d’un logement locatif. Il eût fallu trouver une solution moins encadrée et laisser plus de place à l’initiative pour régler le vrai problème du logement. Vous ne répondrez pas à la préoccupation de l’accession au logement de façon idéologique. Sincèrement, cet article 1er mérite d’être revu : c’est pourquoi j’en propose la suppression.

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Tetart, pour soutenir l’amendement n134.

M. Jean-Marie Tetart. Finalement, cet article 1er commence bien ! Il commence en proposant de rendre plus universel et plus fondamental le droit pour chacun de pouvoir accéder à un logement, en supprimant tous les cas de discrimination. Nous pourrions nous en réjouir. Par ailleurs, nous retrouvons dans cet article un certain nombre de mesures contenues dans le projet de loi Lefebvre, qu’il est proposé d’adopter pour corriger des erreurs de gestion volontaires qu’il faut condamner.

Tout cela s’annonce donc bien ; cependant, l’article 1er aurait pu justifier à lui seul la motion de rejet préalable présentée hier par mon collègue Apparu. En effet, une fois que l’on a dit que cet article consacrait le droit de chacun à avoir un logement et qu’il corrigeait un certain nombre d’erreurs, on se rend compte qu’il annonce tous les gros ennuis que l’on peut attendre de l’ensemble du projet de loi.

Tout d’abord, cet article 1er donne un signal de méfiance totale vis-à-vis de la profession et des propriétaires : on annonce dès cet article que l’on va leur tenir la bride bien courte dans tous leurs comportements.

Il lance aussi le signal de la complexification de la gestion locative : il met en place un tel nombre de procédures nouvelles et de démarches à suivre que l’on peut se demander si un bailleur d’un seul logement agissant en bon père de famille pourra encore assurer sa gestion locative tout seul, sans encourir de contentieux.

Il annonce aussi une avalanche normative : on y trouve en effet l’annonce de documents-types comme le bail, l’état des lieux et de nombreuses annexes qu’il faudra insérer dans le cadre de multiples démarches. Il rend très clair le fait que le document entier déterminera les conditions d’encadrement du loyer, avec l’indication d’un loyer médian dont chaque orateur a déjà souligné les possibles effets pervers.

Enfin, il encadre l’action des professionnels – je l’ai déjà dit – en transférant également certaines charges sur les propriétaires. Finalement, il annonce un transfert de responsabilités du locataire vers le bailleur.

L’ensemble de ces raisons justifie, en cohérence avec la motion de rejet préalable de l’ensemble du texte, notre demande de suppression de cet article.

M. Daniel Goldberg, rapporteur de la commission des affaires économiques. Avis défavorable.

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’égalité des territoires et du logement, pour donner l’avis du Gouvernement.

Mme Cécile Duflot, ministre de l’égalité des territoires et du logement. Avis défavorable.

J’ajouterai quelques mots pour présenter l’état d’esprit qui préside à l’article 1eret corriger quelques interventions, notamment au sujet de tous les documents qui deviennent, par l’effet de la loi, des documents-types. Ces dispositions ont été préparées avec le soutien, le souhait et l’approbation d’un grand nombre de professionnels de l’immobilier, parce que cette clarification, cette transparence des relations entre propriétaires et locataires est attendue par tous. Contrairement à ce que vous pensez, la simplification et la clarification des relations entre propriétaires et locataires est utile aux uns comme aux autres. Il s’agit donc de modernisations de la loi de 1989, qui vont dans le bon sens : il me semble regrettable de ne pas les soutenir, dans l’intérêt de l’ensemble des parties.

M. le président. La parole est à M. Marc Le Fur.

M. Marc Le Fur. À l’occasion de l’examen de cet article, je veux rappeler un certain nombre de choses qui me semblent extrêmement révélatrices dans ce débat. La gauche et vous-même, madame la ministre, arrivez avec vos défauts habituels : tout est fondé sur la suspicion et sur l’intervention publique. La notion de confiance à l’égard des partenaires ne prévaut pas dans votre texte.

Qui sont les propriétaires voués à vos gémonies ? Ce sont bien souvent des gens relativement modestes qui ont investi une grande partie de leurs économies dans un logement et qui ne perçoivent pas toujours des retraites satisfaisantes ; je le vois dans ma circonscription, où je suis interpellé par un certain nombre de propriétaires qui possèdent une ou deux maisons qu’ils louent et qui leur rapportent un revenu conséquent : il est important qu’ils puissent conserver l’essentiel de ce revenu.

Quelle est la situation de ces propriétaires aujourd’hui ? Très peu investissent. Dans toute une partie du monde rural, on observe encore un peu d’investissement d’accession à la propriété, mais il n’y a plus d’investissement locatif, c’est-à-dire destiné à la construction d’immeubles à mettre à bail. C’est une vraie difficulté, puisqu’on a le sentiment, au moins sur une partie du territoire, que l’essentiel de l’offre locative sera demain une offre locative publique, ce qui ne saurait nous satisfaire.

La vraie logique qui devrait présider à nos travaux est une logique de l’offre. Il faut faire en sorte d’encourager ceux qui veulent investir. Sur une grande partie de notre territoire, les demandes de permis de construire sont en train de s’effondrer. La vraie réponse consisterait à encourager l’offre ; or votre logique du contingentement, de la suspicion et de l’administration des rapports entre particuliers est, de ce point de vue, totalement contre-productive.

(Les amendements identiques nos 64 et 134 ne sont pas adoptés.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson, pour soutenir l’amendement n916.

M. Jean-Frédéric Poisson. Dans l’alinéa 5 de cet article 1er, il est fait mention de la résidence principale et de la durée à partir de laquelle la résidence principale doit être considérée comme telle. Le présent amendement propose d’abaisser cette durée de huit mois à six mois et un jour, en prenant en compte le fait qu’un certain nombre de nos compatriotes partagent de manière à peu près égale leur vie entre ce qui pourrait être leur résidence principale et leur résidence secondaire, en profitant peut-être d’un climat un peu meilleur pour une moitié de l’année plus favorable, et plus méridionale en toute hypothèse. (Sourires.) Afin de ne pas modifier de manière trop sensible le mode de vie de ces personnes…

M. Michel Piron. Il fait pourtant très beau en Bretagne !

M. Jean-Frédéric Poisson. À défaut d’être méridionale, cette moitié de l’année peut être maritime, en effet, monsieur Piron !

M. Michel Piron. Les Bretons pourraient protester ! (Sourires.)

M. Jean-Frédéric Poisson. Nous souhaitons donc abaisser la durée à partir de laquelle une résidence peut être considérée comme principale de huit mois à six mois et un jour.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Daniel Goldberg, rapporteur. Si j’ai été très concis sur les amendements de suppression, je serai plus précis sur les amendements portant sur le fond de certains dispositifs du texte.

Monsieur Poisson, votre amendement vise à établir la durée prise en compte pour qualifier une résidence de principale à six mois et une semaine, et non six mois et un jour.

M. Jean-Frédéric Poisson. Au temps pour moi !

M. Daniel Goldberg, rapporteur. C’était un petit défaut de prononciation, j’en suis sûr.

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est cela ! (Sourires.)

M. Daniel Goldberg, rapporteur. La durée de huit mois n’est pas inédite : le code de la construction dispose à plusieurs reprises que sont considérés comme résidences principales les logements occupés au moins huit mois. Ce délai conditionne d’ailleurs l’accès à un certain nombre de droits et de prestations sociales comme le maintien du PTZ+ ou les aides de l’ANAH. L’avis de la commission est donc défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Cécile Duflot, ministre. Je confirme les propos du rapporteur : bien évidemment, il s’agit d’une disposition qui existe déjà et qui ne nécessite pas d’être modifiée. L’avis du Gouvernement est défavorable.

(L’amendement n916 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à Mme Jeanine Dubié, pour soutenir l’amendement n284.

Mme Jeanine Dubié. Hier, lors de la discussion générale, Joël Giraud, président de la commission permanente du conseil national de la montagne, s’est étonné que les saisonniers ne soient pas concernés par ce projet de loi. En effet, leur mobilité professionnelle, consécutive à la nécessité d’exercer leur emploi sur des lieux géographiques différents selon les saisons, les besoins du marché, les offres d’emploi ou leurs compétences, les conduit le plus souvent à louer des logements meublés pour des durées variant en fonction de la durée de leur contrat de travail et forcément inférieures à huit mois. Pour cette catégorie de locataires, il nous paraît donc nécessaire de compléter l’alinéa 5 par les mots : « , ou pour mobilité professionnelle ont les travailleurs ayant un contrat de travail saisonnier au sens du code du travail ».

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Daniel Goldberg, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable. Comme le rappelle l’alinéa 10 de cet article 1er, les dispositions de la loi de 1989 que nous modifions par le présent projet de loi ne s’appliquent pas « aux logements attribués ou loués en raison de l’exercice d’une fonction ou de l’occupation d’un emploi et aux locations consenties aux travailleurs saisonniers, à l’exception des dispositions de l’article 3-3, des deux premiers alinéas de l’article 6 et de l’article 20-1 ». Je pense que ces explications répondent à une partie de vos préoccupations…

M. Michel Piron. C’est lumineux ! (Sourires.)

M. Daniel Goldberg, rapporteur. …en termes de prise en compte réelle des problèmes des saisonniers, lesquels ne peuvent pas être considérés comme des locataires classiques.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Cécile Duflot, ministre. C’est justement parce que les besoins des saisonniers sont différents de ceux des locataires classiques que l’extension de la loi de 1989 n’est pas opportune. Avec les précisions préalablement apportées par le rapporteur, l’avis du Gouvernement est donc défavorable.

(L’amendement n284 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Tetart, pour soutenir l’amendement n28.

M. Jean-Marie Tetart. Jusque fin juillet, la définition des meublés de tourisme que nous connaissions était donnée par l’article D. 324-1 du code du tourisme, qui était très précis. Le Gouvernement a voulu innover en parlant de « locations meublées touristiques définies comme des logements meublés offerts en location à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile ». Cela ajoute un peu de confusion dans le paysage ; nous proposons donc de revenir simplement à la qualification de « meublés de tourisme tels que définis par l’article D. 324-1 du code du tourisme ».

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Daniel Goldberg, rapporteur. La définition donnée par le code du tourisme est de niveau réglementaire. Ainsi, elle n’est pas assez générale pour figurer dans un texte de loi. Par ailleurs, les points essentiels qui figurent dans cette définition du code du tourisme ont été repris dans le projet de loi ; seules ont disparu la qualité du logement – au sens de savoir s’il s’agit d’une villa, d’un appartement ou d’un studio – et la durée de location, à savoir la journée, la semaine ou le mois. Pour ces raisons, la commission émet un avis défavorable à cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Cécile Duflot, ministre. L’avis du Gouvernement est identique, pour les mêmes motifs. La définition de l’article D. 324-1 du code du tourisme est plus restrictive que la formulation proposée dans l’article 1er : c’est pourquoi nous pensons utile de conserver la formulation de l’article 1er. L’avis du Gouvernement sur l’amendement n28 est défavorable.

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Tetart.

M. Jean-Marie Tetart. Ne pourrait-on pas plutôt apporter une correction de cohérence à l’article D. 324-1 du code du tourisme ?

M. Daniel Goldberg, rapporteur. Cela relève du domaine réglementaire !

(L’amendement n28 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement n1113.

M. Daniel Goldberg, rapporteur. Cet amendement vise en partie à répondre à l’amendement présenté tout à l’heure par nos collègues du groupe RRDP sur les travailleurs saisonniers.

Les personnes qui louent un logement en raison de l’exercice d’une fonction sont souvent mal logées. Elles doivent pouvoir avoir recours aux facilités ouvertes par l’article 24-1 de la loi de 1989. Cet amendement vise ainsi à leur permettre de se faire représenter par une association à l’occasion d’un litige locatif.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Cécile Duflot, ministre. Il est favorable à cet amendement qui ouvre la possibilité aux saisonniers d’être représentés par des associations de locataires.

(L’amendement n1113 est adopté.)

M. le président. La parole est à Mme Véronique Louwagie, pour soutenir l’amendement n317.

Mme Véronique Louwagie. L’alinéa 12 définit les modalités d’établissement du contrat de location. Vous envisagez un contrat-type, défini par décret en Conseil d’État, pris après avis de la commission nationale de concertation. Il ne nous paraît pas du tout souhaitable de remettre en cause un principe essentiel du droit français, celui de la liberté contractuelle, d’autant plus que la loi du 6 juillet 1989 définit déjà de manière très précise les nombreuses mentions qui doivent impérativement être précisées dans le bail.

La rédaction d’un contrat de location doit en effet permettre une certaine souplesse afin de s’adapter à toutes les situations que la loi ne prévoit pas naturellement. Cependant, elle doit aussi respecter des dispositions impératives, dispositions déjà prévues par la loi de 1989 à travers trois de ses articles : l’article 2 indique que les dispositions de la loi sont d’ordre public, ce qui implique que l’on ne peut y déroger – c’est une protection pour les deux parties ; l’article 3 précise l’ensemble des mentions de base obligatoirement contenues dans le contrat, qui sont des éléments essentiels ; l’article 4 énumère une série de dix-neuf clauses réputées non écrites.

La diversité qui prévaut actuellement dans la rédaction des baux ne pose pas problème. La commission des clauses abusives exerce un contrôle sur le contenu des contrats en publiant régulièrement des recommandations à ce sujet.

Chaque contrat doit s’établir sans déséquilibre significatif. C’est l’objet de la loi que d’agir dans ce sens et la loi de 1989 va déjà dans cette direction.

Vous évoquiez il y a quelques instants, madame la ministre, la clarification et la simplification. Pourquoi ne pas suivre cette voie ? Un contrat-type ne pourra forcément prévoir l’ensemble des éléments particuliers à chaque situation ou alors il devra à l’inverse envisager un éventail tellement large de situations, des appartements en copropriété aux maisons de ville avec annexe souterraine, en passant par les maisons de campagne au sein de corps de ferme, qu’il sera un modèle carcan.

Ce n’est pas un bon dispositif pour l’ensemble des parties. Aussi proposons-nous dans notre amendement de le supprimer.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Daniel Goldberg, rapporteur. La commission a donné un avis défavorable à cet amendement pour des raisons que je vais développer et qui vaudront également pour les amendements proposant la suppression du contrat-type qui vont suivre.

Certains orateurs qui sont intervenus sur l’article 1er ont insisté sur la nécessité de prendre en compte les propriétaires. Pour ma part, je me refuse à choisir mon camp entre locataires, propriétaires, syndics, copropriétaires, acheteurs, vendeurs, professionnels de l’immobilier. Je préfère raisonner en termes d’intérêts convergents et le bail-type est l’exemple même de cette logique que je défends.

Il va aider les propriétaires, en particulier les petits propriétaires, ceux qui ont un seul bien à mettre sur le marché, provenant d’un héritage ou d’un investissement, qui ne passent pas par un professionnel de l’immobilier et qui se trouvent souvent bien démunis dans les relations qu’ils peuvent avoir avec leurs locataires.

En établissant clairement les mentions qui doivent figurer dans le contrat, le bail-type permettra d’éviter qu’il y ait débat à la demande du locataire pour déterminer celles qui doivent ou non y figurer. La loi instaure ainsi une médiation publique sur ce qui doit être exigé ou non dans le bail.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Cécile Duflot, ministre. Votre amendement, madame la députée, vise à supprimer le contrat-type. J’ai déjà expliqué l’intérêt de ces documents et je me contenterai ici de préciser que, contrairement à ce que vous affirmez, le bail-type ne porte pas atteinte à la liberté contractuelle dans la mesure où il n’a pas vocation à comporter les seules dispositions contenues à l’article 3 de la loi de 1989. Simplement, cette liberté contractuelle est encadrée puisque le bail doit respecter le bail-type.

Comme l’a indiqué le rapporteur, ce contrat introduit une simplification. Les propriétaires-bailleurs qui louent leur bien de manière autonome auront à leur disposition un document très clair et exhaustif.

Le Gouvernement est donc défavorable à votre amendement.

M. le président. La parole est à Mme Véronique Louwagie.

Mme Véronique Louwagie. Je comprends votre volonté de protéger les bailleurs en incluant d’éventuelles autres mentions. Mais pourquoi, en ce cas, ne pas plutôt choisir de compléter la liste des mentions figurant à l’article 3 de la loi de 1989 ou celle des clauses réputées non écrites figurant dans son article 4 ? Cela aurait été une formule possible.

Vous parlez de simplification au bénéfice des petits propriétaires, madame la ministre. Mais je crois que vous méconnaissez la diversité des situations de location et des biens. Il y a tellement de cas différents qu’il faudra prévoir un éventail très large, laquelle risquera de faire perdre du temps aux personnes concernées qui ne sauront pas quelles cases remplir et quelles dispositions s’appliquent à elles. Ce n’est donc en rien une mesure de simplification.

Permettez-moi de m’en étonner alors que le Gouvernement a annoncé, le 18 juillet dernier, deux cents mesures pour simplifier la vie quotidienne des citoyens. Là, nous allons au-delà.

M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques. Oui, c’est la deux cent unième !

M. le président. La parole est à M. Julien Aubert.

M. Julien Aubert. Je suis un peu étonné par le degré de précision de cet article relatif au contrat-type. Je me demande d’ailleurs si, d’un point de vue juridique, il relève bien du domaine de la loi. L’article 34 de la Constitution précise que la loi fixe les principes fondamentaux relatifs au droit de la propriété. Dans le cas présent, le projet de loi va bien au-delà des principes fondamentaux. C’est un peu comme si une loi prévoyait que le code général des impôts fixe les caractéristiques du formulaire de déclaration d’impôt sur les revenus. Cela me semble incongru.

M. le président. La parole est à M. Patrick Hetzel.

M. Patrick Hetzel. J’irai dans le même sens que Julien Aubert. Fondamentalement, nous aimerions connaître l’avis du Conseil d’État sur l’alinéa 12 de cet article 1er. Nous touchons-là un point clef. Selon nous, une telle rédaction pose un problème de constitutionnalité. L’article 34 de la Constitution insiste sur le fait que le droit de propriété est un droit inaliénable.

Si nous défendons ces amendements, c’est que nous estimons que ce n’est pas seulement la liberté contractuelle qui est remise en cause mais, au-delà, des principes fondamentaux et essentiels …

M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques. Lesquels ?

M. Patrick Hetzel. …qui touchent au droit de propriété et que ce projet de loi conduit à limiter. Nous entendons donc, par nos amendements, supprimer cette rédaction que nous estimons inconstitutionnelle.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Daniel Goldberg, rapporteur. Je constate que les orateurs de l’opposition fourbissent leurs arguments en vue d’un possible recours.

M. Guy Teissier. On ne peut rien vous cacher !

M. Daniel Goldberg, rapporteur. C’est à rapprocher d’interventions entendues hier lors de la discussion générale pointant le fait que certaines mesures concernant l’habitat indigne – je me rappelle notamment les propos de Jean-François Copé – risqueraient d’être jugées inconstitutionnelles.

M. Benoist Apparu. Mme la ministre aime bien le Conseil constitutionnel !

M. Daniel Goldberg, rapporteur. Si vous attaquez la constitutionnalité de ces dispositions au titre du droit de propriété, vous devriez de la même manière attaquer la loi du 6 juillet 1989 dont l’article 3 énumère les mentions qui doivent figurer obligatoirement dans le bail que le contrat type tel que nous le prévoyons ne fait que compléter.

M. Julien Aubert. Ce n’est plus possible !

M. Benoist Apparu. Il faudra prévoir une QPC !

M. Daniel Goldberg, rapporteur. Encore faudrait-il être sûr que ces dispositions touchent au droit de propriété, ce que je conteste. Elles relèvent du droit contractuel et non du droit de la propriété : définir la manière dont un contrat de location doit être conclu ne prive personne de son droit de propriété.

(L’amendement n317 n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements, nos 65 et 135, pouvant être soumis à une discussion commune.

La parole est à Mme Marie-Christine Dalloz, pour soutenir l’amendement n65.

Mme Marie-Christine Dalloz. Quand je vous entends dire, monsieur le rapporteur, que l’alinéa 12 de l’article 1er va apporter une aide aux petits propriétaires, je crois que c’est de la pure idéologie. Je ne sais pas si vous en avez rencontré beaucoup. La complexité de ce dispositif va plutôt dérouter les petits propriétaires, qui souvent n’ont qu’un bien en location et qui entretiennent de bonnes relations avec leurs locataires. Du jour au lendemain, ils vont se retrouver devant une usine à gaz.

Vous dites, madame la ministre, – le poids des mots a son importance – que l’encadrement n’est pas une entrave à la liberté contractuelle. Comment pouvez-vous affirmer des choses pareilles ? Votre loi encadre tellement les loyers que c’est bel et bien une entrave à la liberté contractuelle. Un bail n’est en rien un simple formulaire administratif. Il s’agit d’un contrat entre un bailleur et un locataire. La liberté contractuelle est fondée sur le postulat de la liberté des individus de définir eux-mêmes les termes de leurs droits et obligations réciproques, sans interférence d’autrui. Ce principe est fondamental, il est constitutif d’un véritable consentement. Imposer un bail-type porterait une atteinte sérieuse à la liberté contractuelle.

Enfin l’encadrement, tel que vous le préconisez, relève de ce que j’appelle la loi bavarde – et nous l’avons vu aussi lors de la précédente législature. Que vous définissiez par décret en Conseil d’État les mentions obligatoires, limitativement énumérées, cela me paraîtrait assez logique, et c’est ce que propose mon amendement. Mais que vous alliez au-delà en définissant par décret un bail-type, cela constitue une entrave à la liberté contractuelle.

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Tetart, pour soutenir l’amendement n135.

M. Jean-Marie Tetart. Les dispositions liées à l’article 3 n’ont rien de choquant. Il n’y a que du bon sens à énumérer les mentions qui doivent être inscrites dans le contrat de location. Et j’espère que tous les contrats de location actuels indiquent bien le nom du propriétaire, le lieu qui fait l’objet de la location. La seule nouveauté, c’est le loyer médian qui n’existait pas auparavant.

Pourquoi pas ? Mais le présent amendement a pour objet de préciser que les mentions obligatoires dans un contrat, à l’exception des mentions déjà communes à tous les contrats – sauf des contrats malhonnêtes –, peuvent être fixées par décret en Conseil d’État, sans qu’il soit besoin d’établir un contrat type.

Pour cette raison, nous proposons de nous contenter d’un décret en Conseil d’État pour fixer la liste des mentions obligatoires.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur les amendements n65 et 135 ?

M. Daniel Goldberg, rapporteur. Je crois avoir déjà répondu. Encore une fois, si l’on suivait votre raisonnement, il faudrait poser une question prioritaire de constitutionnalité sur l’actuelle loi du 6 juillet 1989, qui prévoit de manière obligatoire un certain nombre de mentions, auxquelles M. Tetart vient d’ailleurs de faire référence. Certaines mentions, qui ne figurent pas dans ce texte, sont donc hors la loi.

M. Jean-Marie Tetart. Pourtant vous en rajoutez une !

M. Daniel Goldberg, rapporteur. Si vous pensez, comme l’a développé Mme Dalloz, que ne doit figurer de manière obligatoire, dans le contrat entre le locataire et le propriétaire, rien d’autre que – je ne sais pas quoi, d’ailleurs ! Le nom, probablement ! –, alors attaquez tout ce qui figure déjà dans la loi du 6 juillet 1989 en question prioritaire de constitutionnalité, et nous pourrons ainsi en discuter.

Si je reprends l’argumentation que je viens d’entendre, bien peu de chose différencie l’actuelle loi du 6 juillet 1989 de ce qui est proposé aujourd’hui dans le bail type, si ce n’est l’ajout, dont nous discuterons lors de l’examen d’un autre article, du loyer médian de référence et du montant du dernier loyer payé, parce que nous pensons que cela fait partie de l’information dont doit disposer le locataire qui rentre dans les lieux.

Dernier point : fixer cette liste uniquement par décret priverait la représentation nationale de tout droit de regard sur la liberté contractuelle entre les parties, ce qui me paraîtrait particulièrement spécieux !

Mme Marie-Christine Dalloz. C’est pourtant tellement courant de renvoyer à un décret !

M. Michel Piron. À ce compte-là, il n’y aurait plus de décrets !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Cécile Duflot, ministre. Nous pourrions en effet avoir un grand débat sur la liberté contractuelle et ses limites, notamment en matière de location. Mais nous reviendrons, lors de l’examen de certains amendements, sur diverses pratiques qui se sont développées du fait de la crise du logement : on peut considérer que la liberté contractuelle doit s’arrêter lorsque les droits humains ne sont pas respectés.

Pour être très précise, aujourd’hui de nombreux bailleurs – et croyez bien que nous rencontrons beaucoup de petits propriétaires – téléchargent de fait des contrats types. Ils achètent sur internet ou en librairie des contrats types fabriqués, dont ils ont effectivement besoin.

Le présent texte a simplement pour objet de rendre ces documents plus simples et plus lisibles, en remplaçant l’obligation d’insérer certaines clauses par l’obligation de recourir à un contrat type dont les termes doivent être respectés par le bail – respecter, cela ne signifie pas que ces clauses sont exclusives d’autres dispositions que les parties pourraient décider ensemble de respecter.

Par ailleurs, je le répète, la concertation qui s’est tenue lors de l’élaboration de ce projet de loi, et dont vous avez pu constater qu’elle a donné lieu à beaucoup de bruit médiatique, a permis d’obtenir l’accord de l’ensemble des associations de locataires, des propriétaires et même des professionnels de l’immobilier.

L’avis du Gouvernement est donc, tant sur le fond que sur la forme, défavorable à ces deux amendements.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Dalloz.

Mme Marie-Christine Dalloz. Je crois que le rapporteur n’a pas compris ce que je voulais dire, à moins que je ne me sois mal exprimée. Mon amendement est très clair : je propose simplement que vous précisiez à la fin de l’alinéa 12 de l’article 1er que le contrat comporte certaines mentions obligatoires, limitativement énumérées par décret en Conseil d’État.

On évite ainsi de rentrer dans le détail, car il y aura peut-être, dans les mois ou les années à venir, d’autres éléments à intégrer, par exemple en matière de sécurité ; vu l’évolution de notre système normatif, on peut l’imaginer. Il faudrait alors à chaque fois voter une nouvelle loi pour redéfinir les nouveaux critères.

En revanche, si vous acceptez que le décret en Conseil d’État définisse les mentions obligatoires à intégrer, alors vous laissez une vraie liberté contractuelle, avec un encadrement précis. C’est cela, le but de cet amendement !

M. le président. La parole est à M. Julien Aubert.

M. Julien Aubert. Comme vous l’avez souligné, madame la ministre, des contrats types existent et peuvent être téléchargés. Vous remplacez ainsi une faculté, celle de télécharger un contrat type si on le souhaite, par une obligation : cela constitue donc bien une atteinte à une liberté.

Par ailleurs, je ne comprends pas votre argument, monsieur le rapporteur, lorsque vous faites référence à la loi du 6 juillet 1989. Comme vous le savez, les parlementaires ont la possibilité de saisir, ou pas, le Conseil constitutionnel ex post ; cette possibilité s’achève à l’expiration d’un délai, rendant ainsi possible la promulgation de la loi.

Vous ne pouvez donc pas vous baser sur le fait que, par le passé, des parlementaires auraient laissé passer des éléments anticonstitutionnels dans une loi pour justifier l’adoption d’une loi encore plus anticonstitutionnelle !

Il existe en latin un adage : nemo auditur propriam turpitudinem allegans. Vous ne pouvez pas alléguer le fait que vous n’avez pas repéré l’inconstitutionnalité de la loi votée en 1989 – proposée du reste par un gouvernement qui vous était cher – pour prétendre aujourd’hui aller encore plus loin. Je n’entre pas sur le fond, mais juridiquement, cela me semble un peu spécieux

M. le président. La parole est à M. Marc Le Fur.

M. Marc Le Fur. Madame la ministre, le propre du contrat, c’est la liberté ! La liberté n’interdit pas au législateur de s’intéresser à la nature du contrat : des clauses peuvent être proscrites, et dans ce cas nous devons les préciser dans la loi.

M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques. Ce n’est pas le sujet !

M. Marc Le Fur. Des clauses peuvent être rendues obligatoires, et devenir ainsi d’ordre public ; c’est notre travail.

M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques. C’est justement ce que nous faisons !

M. Marc Le Fur. Il n’empêche que, en dehors de cela, c’est la liberté totale !

À partir du moment où il ne s’agit pas d’un contrat type produit par je ne sais quel formulaire internet, mais bien d’un contrat type émanant d’une initiative administrative et publique, il prend une tout autre dimension.

Que se passera-t-il quand les deux partenaires du contrat voudront ajouter des clauses, comme cela est tout à fait possible ? Cela créera une occasion de contentieux, une occasion de complexité, une occasion de rapport de force, peut-être au détriment du locataire d’ailleurs, qui voudra préciser un certain nombre de choses dans le contrat et qui s’en verra empêché par le propriétaire au nom de je ne sais quel contrat type.

Soyons simples ! Respectons la logique du contrat : je sais qu’elle n’est peut-être pas au cœur de votre philosophie politique, mais elle est au cœur de la nôtre. La liberté contractuelle, cela compte ! Cela n’interdit pas au législateur d’intervenir, mais pas sous la forme d’un contrat type.

M. le président. La parole est à M. Patrick Hetzel.

M. Patrick Hetzel. Cette discussion est intéressante. Le rôle de la loi, dans un certain nombre de cas, est aussi de réguler. Très bien ! Admettons que nous sommes dans un dispositif de régulation : la moindre des choses, lorsque l’on cherche à réguler, est de maintenir un équilibre entre les parties en présence.

Or les mentions supplémentaires qui nous sont aujourd’hui proposées visent très clairement à déséquilibrer la relation entre locataire et propriétaire, manifestement au bénéfice du premier et au détriment du second. Pourtant, si l’on veut améliorer le marché de l’immobilier en général, et par conséquent la situation du logement en France, il faut s’assurer que l’équilibre est maintenu.

Ces dispositions, telles que vous les envisagez, créeront un déséquilibre et aboutiront de surcroît à une situation exactement inverse de celle que vous recherchez, votre objectif étant que plus de logements soient disponibles à la location.

La situation est donc extrêmement paradoxale puisque votre texte risque de produire l’effet exactement inverse de celui recherché. Vous allez en effet créer une très forte inhibition de la part de potentiels propriétaires, qui décideront justement de ne plus accéder à la propriété en raison d’un certain nombre de vos dispositions. Il s’agit là d’un dispositif parfaitement contre-productif, raison pour laquelle nous défendons ces amendements.

M. le président. La parole est à M. Lionel Tardy.

M. Lionel Tardy. Mes collègues l’ont souligné : le contrat type soulève un certain nombre de problèmes, notamment juridiques. Par exemple, dès lors que le contrat type est défini par la loi, comment éviter, en cas de mention complémentaire, que celle-ci soit considérée comme abusive ? J’aimerais que vous nous rassuriez sur ce point.

M. le président. La parole est à M. Benoist Apparu.

M. Benoist Apparu. Juste un mot, monsieur le président. Madame la ministre, lorsque vous-même ou vos collaborateurs avez des idées en matière de logement, j’imagine que le directeur de votre administration centrale, l’éminent Etienne Crépon, vous répond à chaque fois : « Bonne idée, madame la ministre. Malheureusement, il faut une loi pour le faire ! ».

L’une des difficultés majeures dans le domaine du logement, c’est que tout est législatif. Sous la précédente majorité, nous avons élaboré six lois en six ans. Vous-même, en une année, en êtes à votre troisième loi.

Si l’on nous présente aujourd’hui un texte de 250 pages, lequel à la fin de la discussion fera probablement 300 pages, c’est parce que les parlementaires et le Gouvernement ont, depuis une vingtaine d’années, tout mis dans la loi en matière de logement. Autrement dit, à chaque fois que l’on a une idée et que l’on veut bouger une virgule, il faut une nouvelle loi.

L’argument développé tout à l’heure par notre collègue Marie-Christine Dalloz me paraît frappé au coin du bon sens. Si nous voulions une vraie et bonne réforme du logement, il faudrait diviser par deux le code de la construction et le code de l’urbanisme, déclassifier de nature législative à nature réglementaire, afin de donner beaucoup plus de souplesse aux idées que nous pouvons avoir les uns et les autres.

À force de vouloir tout mettre dans la loi, nous rendons la matière du logement beaucoup plus complexe à transformer et à faire évoluer au gré des circonstances économiques, parce qu’à chaque fois, nous avons besoin d’une loi cathédrale pour bouger trois virgules.

M. le président. La parole est à M. Michel Piron.

M. Michel Piron. Mes observations vont totalement dans le sens de ce que je viens d’entendre ; j’avais déjà évoqué ce problème lors de la discussion générale.

Je me demande sincèrement, madame la ministre, s’il n’y a pas, parallèlement à l’examen de ce texte, une décision que vous pourriez prendre, même si elle relève peut-être du niveau interministériel. Cette décision pourrait être la suivante : ce gouvernement ayant encore devant lui plus de trois ans et demi, ne serait-il pas possible de mettre en place, une bonne fois pour toutes – je reconnais que nous ne l’avons pas fait – une mission consistant à revisiter en totalité le code de la construction et le code de l’urbanisme ?

Cette mission, composée de trois, quatre ou cinq conseillers d’État – je ne sais pas combien il en faudrait –, aurait pour objet de réaliser ce travail de bénédictin, qui peut prendre six mois, un an peut-être. Elle aboutirait à proposer, dans une première colonne, tout ce qui pourrait relever du champ réglementaire et à indiquer, dans une deuxième colonne, les dispositions qui seraient soumises au pouvoir politique pour déterminer celles qui doivent être effectivement déclassées ou au contraire conservées dans le champ de la loi.

M. Benoist Apparu. Tout à fait d’accord !

M. Michel Piron. Aujourd’hui, vous êtes condamnée à modifier la loi par la loi ; nous nous y enlisons en permanence, aboutissant ainsi à des textes qui exonèrent quasiment le pouvoir politique de tout exercice.

Le pouvoir politique perd de plus en plus la main au fil des années, parce que la complexité des textes n’est plus accessible qu’à quelques spécialistes, cantonnés dans leur champ de spécialité.

Je vais prendre un exemple très simple. Certes, je ne suis pas opposé au contrat type, mais à une condition : qu’il soit maigre, qu’il reste dans le domaine de la loi et soit limitatif – pourquoi pas ? Or, l’alinéa 8 prévoit ceci : « La désignation des locaux et équipements d’usage privatif dont le locataire a la jouissance exclusive et, le cas échéant, l’énumération des parties, etc. ». Pourquoi inscrire dans la loi « le cas échéant » ? Pardonnez-moi, mais il s’agit là typiquement d’une sorte de mauvais compromis, qui pourrait relever du règlement, voire de la circulaire !

Très franchement, cela pose un vrai problème de fond. Pour le reste, je le répète, je ne suis pas de ceux qui sont hostiles au contrat type ; je pense même que la clarification par la mise en place d’un certain standard, s’il n’est pas trop complexe, est une bonne idée, plutôt sécurisante.

Pour autant, cette rédaction me paraît, là encore, relever en partie seulement de la loi. Elle donnera malheureusement très probablement lieu, dans quelque temps, à une loi modifiant la loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

(Les amendements nos 65 et 135, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 66 et 136.

La parole est à Mme Marie-Christine Dalloz, pour soutenir l’amendement n66.

Mme Marie-Christine Dalloz. Défendu.

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Tetart, pour soutenir l’amendement n136.

M. Jean-Marie Tetart. Défendu.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements identiques ?

M. Daniel Goldberg, rapporteur. Défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Cécile Duflot, ministre. Défavorable.

M. le président. La parole est à M. Marc Le Fur.

M. Marc Le Fur. M. Hetzel a posé en quelque sorte une question de procédure. Le Conseil d’État a été consulté. Aussi, il serait bon que nous disposions de son avis. Je prie donc Mme la ministre, comme l’a fait notre collègue, de nous communiquer l’avis du Conseil d’État sur le contrat type qui intéresse la gestion de l’administration ainsi que la vie quotidienne de nos concitoyens.

(Les amendements identiques nos 66 et 136 ne sont pas adoptés.)

M. Marc Le Fur. Je constate que nous n’avons pas eu de réponse !

M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Dalloz, pour soutenir l’amendement n67.

Mme Marie-Christine Dalloz. Tout à l’heure, je disais que ce projet de loi était bavard et j’en ai la démonstration avec l’alinéa 14 de l’article 1er qui indique que le contrat de location précise le nom ou la dénomination du bailleur et son domicile ou son siège social, ainsi que, le cas échéant, ceux de son mandataire. Est-il nécessaire de stipuler que le bail de location doit mentionner le nom du bailleur ? On est en train d’imposer dans la loi des éléments de bon sens. Connaissez-vous un locataire qui accepterait de signer un bail de location sur lequel ne figurerait pas la dénomination du bailleur ? On est dans un tel excès que cela devient pathétique !

M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques. Non, c’est votre amendement qui est pathétique !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Daniel Goldberg, rapporteur. Madame Dalloz, vous estimez que le nom du bailleur doit figurer sur le contrat alors que certains de vos collègues proposent – et c’est l’objet de l’amendement suivant – de supprimer le nom du bailleur lorsqu’il y a un mandataire.

M. Marc Le Fur et M. Patrick Hetzel. Vous caricaturez !

M. Daniel Goldberg, rapporteur. Calmez-vous ! Nous sommes encore là quelques heures, et c’est avec plaisir.

Je note seulement qu’il y a une petite incohérence entre vos deux amendements, et ce d’autant plus que le nom du bailleur figure déjà dans la loi du 6 juillet 1989.

M. Benoist Apparu. Si cela figure déjà dans la loi, pourquoi alors le mettre à nouveau ?

M. Daniel Goldberg, rapporteur. Si vous n’êtes pas d’accord, je vous suggère de poser une question prioritaire de constitutionnalité.

La commission est donc défavorable à cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Cécile Duflot, ministre. Je vous indique que le rapport du 28 août sur les baux relatifs aux logements meublés a identifié quarante-trois clauses abusives dans des contrats type fournis à destination des locataires. Le fait d’avoir un dispositif et un contrat type garanti par la loi est beaucoup plus sécurisant pour le locataire et le propriétaire.

Je trouve votre réflexion spécieuse. En effet, vous dites d’un côté qu’il est nécessaire de faire figurer le nom du bailleur et de l’autre que comme il est évident qu’il va figurer il est inutile de le préciser dans la loi. Et, comme l’a pointé le rapporteur, dès lors que l’on met le nom du propriétaire, il vous paraît évident dans votre amendement suivant qu’il ne faut plus le mettre puisqu’il y a un mandataire. Je propose quelque chose de simple : faire figurer dans un contrat type tout ce qui doit y être, ce qui n’exclut pas, pour répondre à une question de M. Tardy, d’ajouter des clauses. Les clauses abusives sont, comme leur nom l’indique, des clauses abusives.

M. Guy Teissier. On pourrait supprimer des clauses !

Mme Cécile Duflot, ministre. Tout à fait, vous pourriez présenter des amendements de suppression de certaines clauses si celles-ci ne vous conviennent pas. Mais admettez que supprimer le nom du bailleur ou du locataire est quelque peu exotique.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires économiques.

M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques. Voilà un débat extrêmement intéressant.

Pour avoir fait assez fréquemment un travail d’opposant, je peux dire que dès lors que l’on veut présenter un grand nombre d’amendements, on arrive parfois à l’absurde.

M. Marc Le Fur. En 2006 par exemple !

M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques. Là, vous êtes en train de nous dire qu’il ne faut pas mettre la date de prise d’effet et de sortie du bail, le nom du locataire, etc. On a bien compris que ce qui nous oppose c’est la question du loyer médian, du loyer précédent. Nous sommes face à un débat de fond et politique, et je conçois parfaitement qu’il ait lieu. Mais passer du temps à essayer de nous convaincre qu’il ne faut pas mentionner ni le nom du locataire ni celui du bailleur ni la date d’effet du bail frise un peu le ridicule. On a bien compris qu’il s’agit de dérouler une litanie d’amendements. Certes, je n’ai pas de leçon à donner puisque j’ai pu me comporter de cette façon par le passé, mais ce n’est pas forcément dans ces moments-là que je me suis senti le plus intelligent.

M. Michel Piron. Quel aveu !

M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques. Concentrons-nous plutôt sur les points de désaccords importants.

M. le président. La parole est à M. Patrick Hetzel.

M. Patrick Hetzel. Monsieur le rapporteur, je ferai deux commentaires. Là encore, vous avez déformé l’objet de nos amendements. En réalité, nous disons qu’il ne nous paraît pas opportun de faire figurer le nom du bailleur dès lors que celui-ci fait appel à un mandataire. Nous sommes donc dans une situation tout à fait particulière.

Tout à l’heure, nous avons par ailleurs évoqué un problème de constitutionnalité que vous essayez de balayer en nous répondant que nous n’avons qu’à poser une question prioritaire de constitutionnalité. En amont de ce projet de loi, le Gouvernement a évidemment demandé l’avis du Conseil d’État. Mais comme nous savons que le Gouvernement peut passer outre ses recommandations, nous nous demandons si, sur ce point précis, le Conseil d’État n’a pas émis un avis différent de celui que nous explique le Gouvernement. C’est la raison pour laquelle nous souhaiterions connaître l’avis du Conseil d’État. C’est une information qui devrait être accessible pour le bon fonctionnement de notre débat démocratique, sauf à vouloir cacher des éléments.

M. le président. La parole est à M. Guy Teissier.

M. Guy Teissier. Je ne vois pas comment des parties pourraient être liées à un contrat si les noms, prénoms, adresses, le lieu de la location, la surface, le coût n’y figurent pas. Si ces éléments ne sont pas présents, par nature il n’y a pas de contrat.

Mme Marie-Christine Dalloz. C’est évident !

M. Guy Teissier. On peut toujours ajouter des éléments, comme le droit à l’air pur. Mais je ne comprends pas cette volonté de mettre dans la loi des éléments qui me paraissent de nature contractuelle. C’est une tautologie juridique.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Dalloz.

Mme Marie-Christine Dalloz. Je crois que je n’ai pas été comprise, à moins que ce ne soit délibéré de la part du président et du rapporteur de la commission, avec une quasi mauvaise foi.

M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques. Jamais ! (Sourires.)

Mme Marie-Christine Dalloz. Notre rôle d’opposants consiste à construire quelque chose de différent de ce que vous nous proposez.

Les amendements nos 67 et 68 ne visent pas à supprimer les mentions du locataire et du propriétaire et je vais vous donner un exemple.

Dans le cadre de la loi bancaire, avons-nous précisé dans la loi qu’il fallait qu’un contrat quel qu’il soit comporte le nom de l’établissement bancaire et le nom du client ? Dans un contrat, les deux signataires sont bien désignés. Je ne vois pas l’intérêt d’inscrire dans le projet de loi ces éléments puisqu’il s’agit d’un contrat. Pour nous, un contrat a force de loi, il s’agit d’un accord entre deux parties nommément désignées. Inscrire dans la loi qu’il faut porter ces mentions me semble totalement superfétatoire.

(L’amendement n67 n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements, nos 29 et 762, pouvant être soumis à une discussion commune.

La parole est à M. Jean-Marie Tetart, pour soutenir l’amendement n29.

M. Jean-Marie Tetart. J’espère être moins exotique avec la disposition que je propose.

Un propriétaire, en choisissant un mandataire, outre qu’il délègue sa gestion peut aussi vouloir se réserver une certaine confidentialité. Pourquoi vouloir absolument mettre le nom du propriétaire et son adresse sur le contrat ? Pourquoi ne pas mettre aussi son numéro de téléphone ? Il a délégué une responsabilité à son mandataire qui assumera l’ensemble des responsabilités qui sont les siennes.

Nous demandons, avec cet amendement, que le besoin de confidentialité puisse être respecté.

M. le président. La parole est à Mme Véronique Louwagie, pour soutenir l’amendement n762.

Mme Véronique Louwagie. Lorsque le propriétaire choisit de donner la gestion de son patrimoine immobilier à un mandataire, c’est justement pour se dégager d’un certain nombre de contraintes. Dans ce cas, s’il fait le choix de confier la gestion à un mandataire, nous demandons que son nom n’apparaisse pas sur les contrats, de sorte qu’il soit complètement détaché et que la délégation soit entière au profit du mandataire. Il n’y a aucun intérêt à ce que le locataire dispose du nom du propriétaire. Pourquoi ne pas laisser le mandataire uniquement réaliser la fonction que lui a confié le propriétaire ?

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Daniel Goldberg, rapporteur. La présentation qui vient d’être faite de ces deux amendements répond à l’intervention de Mme Dalloz. Lorsque le propriétaire donne un mandat à une autre personne pour négocier à sa place, nous pensons que le nom du propriétaire est une information de base qui doit être donnée. Il s’agit de la signature d’un contrat entre deux personnes, quelle que soit la délégation de pouvoir que l’une des deux ait pu donner à une troisième. Quel intérêt de confidentialité a un propriétaire qui met son bien sur le marché ?

Le fait que la commission ait donné un avis défavorable me complaît parfaitement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Cécile Duflot, ministre. Cet amendement n’est pas exotique mais un peu étonnant. Tout à l’heure, il vous paraissait évident de connaître le nom du propriétaire et son adresse alors que désormais cela le devient moins. Je ne vois pas l’intérêt de ne pas faire figurer le nom du propriétaire qui a par ailleurs une responsabilité directe sur ce bien, responsabilité que n’a pas le mandataire. Cela rendra les choses beaucoup plus transparentes et claires de faire en sorte que le contrat comporte l’ensemble de ces éléments.

Le Gouvernement est donc défavorable à cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Marc Le Fur.

M. Marc Le Fur. Monsieur le rapporteur, vous caricaturez un peu nos amendements.

M. Patrick Hetzel. C’est le moins qu’on puisse dire !

M. Marc Le Fur. L’amendement n762 propose que le nom du propriétaire figure dans le contrat mais pas son adresse. Je crains que vous n’alliez à l’encontre de l’intérêt de gens très modestes. Pour illustrer mon propos, je prendrai un exemple très concret.

Il y a, dans ma circonscription, un propriétaire qui a décidé de passer par un mandataire, en l’occurrence une association à but tout à fait social, qui loge des gens qui sont dans des situations très compliquées. Ce propriétaire veut que ses logements soient loués, mais il ne souhaite pas rentrer dans une gestion plus compliquée. Par ce biais, on arrive à loger des gens qui ne trouveraient pas de place, même dans le parc public. Mais si ce propriétaire avait le sentiment d’être en première ligne, il se découragerait. Vous allez donc, je crois, à l’encontre d’un certain nombre de préoccupations très sociales.

Partons d’un principe simple : le nom du propriétaire figure sur le contrat, mais on n’en sait pas plus, le locataire ayant vocation à traiter avec le mandataire. Tout le monde y trouve son compte : les intérêts du propriétaire sont préservés et il garde une certaine distance à l’égard de la gestion de son affaire.

L’intérêt, c’est que cette formule maintient dans le parc locatif des propriétés qui, sans elle, risquent d’en sortir, au détriment de catégories très modestes de nos contribuables qui bénéficient de ce parc en tant que locataires.

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Tetart.

M. Jean-Marie Tetart. Je crois qu’il ne faut vraiment pas ouvrir une polémique inutile dans cette affaire. On a le droit de réclamer que des propriétaires ne soient pas ennuyés tous les jours par un locataire irascible ou tatillon qui viendrait sonner à la porte. Cela arrive dans la vie réelle ! Il est important, sans doute, qu’il y ait le nom dans le contrat, mais quand quelqu’un donne un mandat à un mandataire, il lui délègue une partie de la responsabilité de la gestion courante, tout en restant juridiquement responsable en cas de contentieux majeur. L’équilibre est tout à fait satisfaisant. De grâce, laissez tranquilles les propriétaires, qui ne se cachent pas à cause d’une gestion qui serait mauvaise, mais simplement qui ne peuvent être ennuyés tous les jours par des coups de téléphone indélicats.

M. le président. La parole est à Mme Véronique Louwagie.

Mme Véronique Louwagie. Je voudrais rebondir sur les propos de Mme la ministre qui évoquait la « responsabilité personnelle » du propriétaire pour justifier la nécessité de faire apparaître son nom. L’amendement 762 convient parfaitement, puisqu’il prévoit que le nom du bailleur puisse figurer sur le contrat, ce qui répond à votre souci. En revanche, ce qui est demandé dans cet amendement, c’est que des indications personnelles comme l’adresse du bailleur ou de son siège social n’apparaissent pas. Ce renseignement est dénué de tout intérêt pour le locataire.

M. le président. La parole est à M. Michel Piron.

M. Michel Piron. En entendant ces échanges, je me dis qu’il faut tout de même faire attention, madame la ministre. Je suis sensible à certaines expériences qui ont été menées, avec un certain succès, grâce au courage de certains élus : je pense à Étienne Pinte.

Il y a l’intermédiation : vous savez ce que c’est, mieux que personne. Est-ce qu’on ne risque pas, avec l’exigence que vous posez, de décourager un certain nombre de propriétaires de confier à des associations, dans le cadre de l’intermédiation, leur logement à des personnes particulièrement fragiles, dont ils ne se sentent pas en capacité d’assumer le suivi ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Cécile Duflot, ministre. Il y a d’abord un argument très spécieux sur l’intermédiation locative et l’allusion au propriétaire qui voulait louer dans un élan de grande générosité à des personnes en grande difficulté, avec le sous-entendu qu’on n’a pas envie qu’elles viennent sonner à la porte parce qu’elles ne savent pas se tenir… (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Il y a quand même des a priori sur les locataires qui sont un peu désagréables dans vos interventions.

Dans ce cadre-là, c’est le dispositif de l’intermédiation locative : nous sommes sous le régime juridique de la location sous location, c’est-à-dire que le locataire, c’est l’association qui exerce la fonction d’intermédiation locative. Celle qui aura le nom du propriétaire sur son bail, c’est l’association. Et l’adresse dont disposera le sous-locataire est celle de l’association. C’est toute la fonction de l’intermédiation locative que de fournir au propriétaire une sécurité et un locataire solvable, qui peut faire des travaux de réfection et qui assure la gestion sociale du bien. Mais il agit en tant que propriétaire auprès de ses locataires : disons qu’il en a l’ensemble des compétences.

Par ailleurs, moi je vous dis que l’absence de l’adresse du propriétaire est un problème juridique en soi. Pourquoi ? Parce que, s’il faut mettre en demeure le propriétaire, en raison de travaux non réalisés ou d’une situation d’indécence, comment le locataire peut-il faire sans l’adresse ? L’absence de celle-ci empêche le locataire d’exercer ses droits.

Le point que vous soulevez est donc réglé par le régime de l’intermédiation locative et il est légitime que le locataire puisse avoir un interlocuteur pour exercer ses droits. Avis défavorable.

M. le président. La parole est à M. Marc Le Fur.

M. Marc Le Fur. Nous ne nous comprenons pas. L’exemple que j’ai parfaitement à l’esprit, c’est celui d’un propriétaire, d’un monsieur âgé qui a un patrimoine et veut en tirer un revenu : tout cela est parfaitement légitime. Simplement, il ne veut pas être en première ligne. Et l’association ne joue pas seulement un rôle de gestionnaire de biens, elle va accompagner le locataire au plan social. On arrive ainsi, grâce au parc privé, à accueillir des gens qui ne sont pas ou plus admis dans le parc public.

Ce que vous ne dites pas, madame le ministre, c’est qu’il y a des régions où le niveau de vie des gens qui logent dans le parc privé est plus modeste que dans le parc public. Au lieu d’embêter les propriétaires, agissez dans le domaine du PACT ARIM et de l’aide à la restauration d’un certain nombre de propriétés !

M. Guy Teissier. Il a raison ! C’est vrai !

M. Marc Le Fur. Nous serions là beaucoup plus efficaces. Soyons dans une économie de l’offre, au lieu d’être dans une économie du contingentement, de l’inquisition et de la méfiance !

M. le président. La parole est à M. Patrick Hetzel.

M. Patrick Hetzel. Cette discussion est assez intéressante. Vous n’êtes pas sans savoir que, dans le secteur de l’immobilier, il y a évidemment une intermédiation. Il existe un certain nombre de professionnels qui sont des mandataires et dans vos propos, madame le ministre, vous sous-entendiez que ces mandataires pourraient ne pas effectuer leur travail. En l’occurrence, vous indiquiez qu’il faut systématiquement que le locataire puisse agir auprès du propriétaire ; mais il a un interlocuteur privilégié qui est le mandataire et c’est bien la raison pour laquelle il y a des professionnels du secteur immobilier qui effectuent cette intermédiation. Il est important qu’on prenne en compte l’existence de ces professionnels et qu’on ne cherche pas à minimiser leur rôle. Au contraire, ils ont un rôle décisif à jouer et je crois qu’ils constituent un élément d’équilibre à l’intérieur du système : vous semblez le négliger. Je crois qu’il ne faut pas jeter l’opprobre sur des professionnels de ce secteur.

M. le président. La parole est à M. Daniel Goldberg, rapporteur.

M. Daniel Goldberg, rapporteur. Personne ne jette l’opprobre sur une profession, ni sur celle des mandataires, ni sur d’autres professions de l’immobilier. Néanmoins, pour reprendre en partie ce qu’a dit la ministre, dans certaines fonctions, le mandataire n’a pas la surface juridique pour agir, notamment en cas d’indécence du logement. C’est de la vraie vie dont on parle !

J’en discutais avec ma collègue Audrey Linkenheld, qui a par ailleurs des responsabilités dans une grande ville du nord de la France : quand une municipalité écrit sur des questions d’indécence, elle peut écrire au mandataire s’il y en a un et au propriétaire, mais c’est le propriétaire qui est le seul responsable. Le mandataire ne peut se substituer à lui dans certaines fonctions.

Second point : si l’adresse du propriétaire ne figure pas dans le bail, et si celui-ci souhaite révoquer en cours de bail le mandataire, le locataire n’a plus aucun moyen de prendre contact avec son propriétaire. Ce que vous proposez rendrait le système plus complexe, alors que nous cherchons à le simplifier, au contraire.

(L’amendement n29 n’est pas adopté.)

(L’amendement n762 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Dalloz, pour soutenir l’amendement n68.

Mme Marie-Christine Dalloz. Il est défendu.

(L’amendement n68, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Dalloz, pour soutenir l’amendement n69.

Mme Marie-Christine Dalloz. Il est défendu.

M. le président. La parole est à M. Daniel Goldberg, rapporteur.

M. Daniel Goldberg, rapporteur. Avis défavorable.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Cécile Duflot, ministre. Cet amendement vise à supprimer la date de prise d’effet du bail. « Exotique » n’est pas le bon terme, mais l’avis est défavorable.

Sur l’amendement précédent, nous avons été polis en émettant simplement un avis défavorable, mais il s’agissait d’enlever le nom du locataire, tout simplement… On peut y passer la soirée !

M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Dalloz.

Mme Marie-Christine Dalloz. Vous n’avez toujours pas compris, vous ne m’écoutez pas : l’utilisation d’outils technologiques de communication occulte certainement une partie de la séance… (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)



Pourquoi protester ? Je dis les choses.





Il s’agit d’amendements de cohérence avec celui que j’ai précédemment défendu.



M. Philippe Bies, rapporteur pour avis. Comme il a été rejeté, ces amendements tombent !

Mme Marie-Christine Dalloz. Je dis simplement, madame le ministre, qu’il faut définir les chapitres que vous souhaitez trouver dans un contrat de location, mais que nous n’avons pas à exiger de telles précisions par la loi. Encore une fois, dans le cadre bancaire, est-ce que vous imposez par la loi de préciser le nom de la banque, le nom du client, l’adresse ? Ce n’est pas défini par la loi, c’est défini dans le contrat.

Je vous dis simplement aujourd’hui que le contrat devra bien intégrer toutes les données qui figurent dans votre projet, mais je ne vois pas du tout l’utilité de les fixer dans la loi. Encore une fois, madame le ministre, vous ne m’avez pas écoutée. Il est évident que ces éléments doivent figurer dans un bail, mais ils ne doivent pas être explicitement fixés dans la loi. C’est ce que j’appelle la « loi bavarde » et il faut en sortir.

M. Jean-Pierre Dufau. Il n’y a pas que la loi qui soit bavarde…

(L’amendement n69 n’est pas adopté.)

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Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :

Suite de la discussion du projet de loi sur l’accès au logement et un urbanisme rénové.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures cinquante-cinq.)

Le Directeur du service du compte rendu de la séance



de l’Assemblée nationale



Nicolas Véron