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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2012-2013

Compte rendu
intégral

Première séance du lundi 24 juin 2013

SOMMAIRE

Présidence de M. Claude Bartolone

1. Élection d’un député

2. Hommage à Aimé Césaire

Discussion générale

M. Serge Letchimy

M. Frédéric Reiss

M. Jean-Christophe Lagarde

M. Noël Mamère

Mme Jeanine Dubié

M. Jean-Philippe Nilor

M. Thomas Thévenoud

Présidence de M. Denis Baupin

Mme Ericka Bareigts

M. Jean-Claude Fruteau

M. Razzy Hammadi

M. Victorin Lurel, ministre des outre-mer

Explications de vote

M. Serge Letchimy

M. Noël Mamère

M. Jean-Philippe Nilor

Vote sur la proposition de résolution

Suspension et reprise de la séance

3. Consommation

Présentation

M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances

M. Benoît Hamon, ministre délégué chargé de l’économie sociale et solidaire et de la consommation

M. Razzy Hammadi, rapporteur de la commission des affaires économiques

Mme Annick Le Loch, rapporteure de la commission des affaires économiques

M. Jean-Louis Bricout, rapporteur pour avis de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

M. Laurent Grandguillaume, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

M. Sébastien Denaja, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques

M. Jean-Paul Chanteguet, président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

4. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Claude Bartolone

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à seize heures.)

1

Élection d’un député

M. le président. J’ai reçu aujourd’hui du ministre de l’intérieur une communication m’informant que, le dimanche 23 juin 2013, M. Jean-Louis Costes a été élu député de la 3e circonscription du Lot-et-Garonne. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

2

Hommage à Aimé Césaire

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, en application de l’article 34-1 de la Constitution, de la proposition de résolution de M. Bruno Le Roux M. Serge Letchimy et plusieurs de leurs collègues, en hommage à Aimé Césaire (no 1103 rectifié).

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Serge Letchimy.

M. Serge Letchimy. Monsieur le président, monsieur le ministre des outre-mer, mes chers collègues, il y a cent ans naissait Aimé Césaire. S’il avait été parmi nous, cette journée aurait été pour lui une journée comme une autre. Césaire n’aimait pas les honneurs.

Pourtant, la poésie de cet homme très simple, très humble, a été essentielle pour des millions de nègres, de colonisés, d’opprimés, d’offensés de tous les horizons. Tous, presque sans exception, ont pu, à des degrés divers, y trouver la source d’une espérance nouvelle. Oui, la poésie de Césaire, qui se disait essentiellement poète, a d’emblée dépassé le seul champ poétique pour s’ouvrir sur une lecture du monde ; plus encore : sur une vision très exigeante du monde et de l’Homme.

Parole de poète, oui, mais parole essentielle qui vient des profondeurs ou, plus exactement, du fondement de ce qui fait l’humain. C’est pourquoi cette poésie s’est instituée en arme miraculeuse de libération : libération esthétique, libération mentale, libération physique et aussi, bien entendu, libération politique. Car cette parole de poète fut aussi une parole éruptive, une parole péléenne, qui a su maintenir en nous la force des rébellions, le souffle de l’idéal.

Enfin, l’œuvre poétique césairienne s’est augmentée d’une réflexion d’envergure, qui a fait du poète un homme d’action, et de l’homme d’action un politique. Un très grand politique, doté d’une conscience aiguë des enjeux et de la complexité du monde.

Le centenaire de cette naissance est célébré dans le monde entier. C’est une occasion de revisiter sa pensée, son action, le ferment irremplaçable que constitue la vision d’un immense poète. Celle de Césaire aura exprimé toutes les révolutions qui deviennent nécessaires quand un être, quand un homme, quand un peuple ou quand une société se retrouvent confrontés aux ignominies du racisme et de la violence dominatrice.

Hölderlin disait : « Là ou croît le danger, croît aussi ce qui sauve. » L’histoire lui a souvent donné raison. La petite commune perdue d’une petite île à sucre où va naître Aimé Césaire était un lieu terrible où l’idée même d’humanité s’était vue piétinée à l’extrême. Piétinée par le génocide des Amérindiens, piétinée par la traite des nègres, piétinée par trois siècles d’une forme d’esclavage inconnue jusqu’alors, piétinée par les brutalités quotidiennes des œuvres colonialistes.

La Martinique aura donc fécondé ce XXe siècle avec l’une des plus grandes inspirations intellectuelles visant à réhabiliter les peuples noirs et, à travers eux, les minorités écrasées. On pense à Toussaint Louverture en Haïti, qui fit de son combat pour la liberté une révolution internationale proprement humaniste ; on pense à Delgrès en Guadeloupe, qui sut rendre sa mort féconde par son magnifique cri de l’innocence et du désespoir adressé à l’univers tout entier. On pense à Gandhi en Inde, à Martin Luther King aux États-Unis, à ce cher Mandela dans les enfers de l’apartheid. Tous ces hommes appartiennent à une même histoire et sont faits d’une même matière, celle qui fonde les plus grands idéaux. Tous sont d’une même origine : ils émergent d’un territoire où l’idée même de l’Homme – ses droits, ses valeurs, ses principes – se voyait dévastée. Chacun à sa manière consacrera sa vie à réparer autour de lui ce qui avait été détruit. « Notre responsabilité, disait Césaire, c’est de construire précisément à partir de ce qui a été détruit par la violence de l’histoire. » « Avec des lassos lacérés avec des mailles forcées de cadènes avec des ossements de murènes avec des fouets arrachés avec des conques marines avec des drapeaux et des tombes dépareillées par rhombe et trombes te bâtir », évoquait-il dans Moi, laminaire en 1982.

Alors, permettez-moi une image audacieuse. Aux Antilles, dans les anciennes habitations esclavagistes ravagées par le temps, en général tout disparaît, comme sous le rabot d’une justice immanente. Mais souvent, dans les broussailles, de manière toujours inattendue, on peut tomber sur de très inquiétantes voûtes de pierre, d’anciens cachots où l’on enfermait les esclaves rebelles, qui résistaient parfois jusqu’à la mort.

Pensez donc à cette étrangeté : tout disparaît de ces habitations, mais leurs cachots subsistent ! Comme si le temps respectait le courage de ceux qui, au prix de leur vie, avaient tenu tête à ces pierres sans âme. Eh bien, pour moi, la naissance d’Aimé Césaire s’est faite, pour ainsi dire, parmi ces ruines, comme s’il avait émergé d’un de ces vieux cachots où le concentré de toutes les violences s’était heurté à l’extrême densité de toutes les résistances ! C’est ce miracle que nous célébrons aujourd’hui.

Dès lors, les dates miraculeuses ne vont cesser de s’enchaîner.

1934  : parution à Paris de L’Étudiant noir toute première revendication de l’identité nègre, qui transcende les territoires d’origine et les langues.

1939  : parution de l’immense Cahier d’un retour au pays natal le grand cri prophétique qui condamne la colonisation et qui réinstalle l’Afrique offensée dans le devenir du monde.

1955  : Discours sur le colonialisme dans lequel la bonne conscience colonialiste se voit invalidée et grâce auquel l’idée du vivre-ensemble au monde reçoit un nouvel oxygène.

1956  : dans la fameuse Lettre à Maurice Thorez la lucidité des colonisés reprend l’initiative et refuse d’être instrumentalisée par un nouveau système, si généreux prétend-il être.

Je passe sur les œuvres théâtrales, dans lesquelles le poète visionnaire anticipe tous les défis de la décolonisation, ainsi que sur la parution de recueils poétiques qui allaient accompagner bien des consciences du monde, pour retenir le tout dernier  : Moi, laminaire paru en 1982. Ce recueil est une longue méditation, qui rompt avec le ton épique de l’ensemble de son œuvre, mais où subsiste encore le jaillissement d’une grande foi en l’Homme.

Au plus profond de la « blessure sacrée » qu’il disait habiter, le poète ne renonçait à rien. C’est pourquoi cette attention portée aux grands défis du monde ne le détournera jamais des misères ordinaires qui constituaient son quotidien en tant que maire de Fort-de-France : désenclaver, bâtir des passerelles, construire des routes, installer des écoles, ouvrir des crèches, accueillir ces milliers de familles qui venaient chercher refuge en ville au moment de l’effondrement de l’économie sucrière. Il déployait une compassion de tous les jours autour de petites choses et de petites misères, qu’il traitait avec une exigence identique à celle que requéraient selon lui les grands problèmes du monde.

Né sur une terre de souffrance, Césaire allait rencontrer en Europe la condition qui était faite aux nègres, à l’Afrique, aux fils des colonies venus de tous les coins de la terre : racisme institutionnalisé, discriminations, mépris. En ce début du XXe siècle, au Congo, à Madagascar, en Indochine, en Algérie, au Maroc, dans les îles antillaises, les violences coloniales sont bien là ! Des révoltes sont réprimées dans des bains de sang ! Des massacres se commettent en toute impunité ! L’inhumain constitue l’ordinaire de bien des malheureux !

L’Europe coloniale tient sous sa botte la presque totalité du monde. Que va faire Aimé Césaire ? S’enfermer dans la haine, la violence, la colère ? Non ! Assailli par la mort, il a des visions de la cale de ces bateaux négriers qui s’en allaient saigner l’Afrique et faire de l’Atlantique le plus grand des cimetières du monde. Il voit dans la richesse des ports européens et des grandes villes américaines le sang de millions de nègres à peine séché, et partout dans le monde l’effrayant silence des opprimés. Il prendra à son compte toutes les hontes, toutes les injures : les zoos humains où les non-Blancs sont exposés, les milliers de morts de la construction du chemin de fer Congo-Océan, le massacre de Madagascar en 1947, l’assassinat de Patrice Lumumba, Sétif, Haïphong, Côte-d’Ivoire, Casablanca. Il éprouvera toutes les indignations, se nourrira de toutes les colères. Mais, là encore, un miracle s’opère. Aucun de ces poisons ne portera atteinte aux générosités de sa pensée, à la grâce de son chant poétique !

On lui oppose de l’inhumain ? Il s’interroge sur l’Homme et sur la liberté.

On domine, on massacre, on centralise ? Il exalte la fraternité et l’échange.

On confronte les cultures et les civilisations ? Il cherche ce qui les relie et les magnifie.

On exalte la pureté ? Il célèbre le partage.

On s’installe dans les absolus et dans l’unicité ? Il explore les rencontres et la diversité.

On lui impose une vision de conquérant aveugle ? Il s’interroge sur le rapport entre les peuples, les civilisations, sur le sens profond de toute vie et du monde !

Son exigence le placera toujours du côté de la perte, là ou gît le plus faible. C’est ainsi que sa vie tout entière devint, pour des millions de personnes, le refuge d’une espérance maintenue intacte pour tous ! Aujourd’hui, dire Aimé Césaire, c’est dire ce qui fait l’Homme. Ce qui l’honore et le grandit aura toujours plus de beauté que ce qui l’humilie ou qui le dénature ! Même ses pires ennemis n’ont pu que reconnaître qu’il était un très grand humaniste, c’est vrai. Mais, quand on explore la fulgurance de sa pensée, on s’aperçoit qu’il ne se situait ni en dehors ni au-dessus de la nature. Quand je dis « nature », je parle de tout le possible du biologique et de la géophysique. Il disait : « La poésie est une démarche qui par le mot, l’image, le mythe, l’amour et l’humour, m’installe au cœur vivant de moi-même et du monde. » Il disait dans Soleil cou coupé  : « La faiblesse de beaucoup d’hommes est qu’ils ne savent devenir ni une pierre ni un arbre. » Et, dans un fameux passage du Cahier d’un retour au pays natal il évoque les peuples noirs comme « chair de la chair du monde palpitant du mouvement même du monde ! »

Tout est là, tout est dit ! Ce n’était pas seulement une posture poétique, c’était véritablement la proclamation d’une conscience qui ne sortira jamais l’idée d’humanité de l’ensemble des biotopes qui forment notre planète. Pour Césaire, porter atteinte aux hommes, à leurs cultures, aux civilisations, revenait à porter atteinte à la vie. Et quand on porte atteinte à la vie, cela vous précipite dans un abîme sans fin.

Les éléments du miracle césairien sont donc considérables : la vision d’une Afrique réunie, restituée à l’humanité et aux futurs du monde. La vision d’une humanité où la dimension du nègre prend sa place dans le concert des autres. La contestation de toute forme de conquête ou de domination, et le chant d’une humanité neuve, riche de ses diversités et forte de son inscription humble dans l’ensemble du Vivant. Enfin, le grand rendez-vous du donner et du recevoir, qu’il va opposer à la prédation et à toute tentative de hiérarchisation.

Donner sans possibilité de recevoir en retour est une des formes de la domination. Recevoir sans la possibilité de donner à son tour, est une des occurrences de l’assistanat. Aimé Césaire va réunir les deux mots dans un même rendez-vous, et mobiliser ainsi une formidable éthique !

Cette éthique suppose que l’interaction du donner et du recevoir installe l’Autre dans la construction de soi. Que l’altérité est une donnée essentielle de l’épanouissement de toutes les formes du Vivant. Que le rapport entre les cultures et les civilisations – institué de manière verticale par le colonialisme – puisse retrouver une amplitude horizontale qui va en profondeur et s’ouvre dans l’étendue !

Elle signifie que toute culture, toute identité, toute langue, toute spiritualité, a besoin des autres et que les enlever au rendez-vous du donner-recevoir n’ouvre qu’aux asphyxies.

Il recevait de partout, il restituait partout !

Mais son pays, la Martinique, faisait partie de lui. Il s’y accrochait comme une algue laminaire balayée par les grands océans et fixée à un unique rocher. Et donc pour son pays, il refusera toujours l’appauvrissement d’une assimilation, même bienveillante, qui ne respecterait pas les identités singulières et qui nierait la responsabilité, la dignité, la différence. Pour lui, la différence restera la brique première de toute possibilité d’une quelconque unité. Aimé Césaire réclamera toujours pour son pays une autonomie politique. Une autonomie de conception, d’action, de relation aux Amériques et au reste du monde. Une autonomie d’épanouissement, non dans l’indépendance mais véritablement dans l’interdépendance, et donc dans le donner et dans le recevoir.

Dans son allocution pour le dixième anniversaire du Parti progressiste martiniquais, il en donnera la définition suivante : « Autonomie, c’est-à-dire la ratification de l’existence de la Martinique en tant que peuple, et la faculté pour les martiniquais d’organiser leur propre vie collective […] »

Il réaffirme inlassablement, lors d’une visite de François Mitterrand, en 1974 : « Le vrai problème est à mes yeux, celui de notre place, de notre juste place dans cette communauté », « une place qui ne soit ni humiliante, ni dégradante, ni aliénante, une

place qui ne soit ni discriminatoire, ni attentatoire à notre personnalité, ni dirimante de nos responsabilités […] »

On perçoit comment ce visionnaire voyait déjà la France comme cette entité pluri-culturelle, pluri-sociétale, pluri-religieuse qu’elle est devenue de manière évidente aujourd’hui. Aimé Césaire considérait cette diversité comme une richesse. Pour lui, chaque élément de cette richesse devait disposer de tous les moyens de se penser, d’agir et de se réaliser dans l’égalité et dans la solidarité républicaine. Il considérait que l’énergie de la responsabilité collective se situait dans la force des responsabilités particulières, en France, comme dans toute l’Europe.

Pour lui, la notion de peuple martiniquais et sa reconnaissance n’étaient pas incompatibles avec une appartenance au pacte républicain de la France. Ce peuple martiniquais doté d’une personnalité collective, d’une culture, d’une identité, d’une langue est une communauté d’individus vivant sur un même territoire, formant un tout économique, psychique et culturel. Et donc pour Aimé Césaire, l’unité majestueuse est d’abord le concert d’une grande diversité.

Aujourd’hui, pour mobiliser le génie créatif de ces pays dits départements et régions d’outre-mer, il ne faut pas les forcer à choisir entre une appartenance qui invalide leur différence et une capacité d’agir qui les éloigne de la République et qui les fragilise. Ce qu’il faut, c’est à la fois l’égalité des droits et la reconnaissance du droit à la différence, comme moyens de parvenir à l’émancipation et à un développement économique et social responsable.

C’était cela, l’esprit de la départementalisation pour Aimé Césaire, en 1946 : ni une demande de dilution, ni une demande d’assimilation, ni une demande de mise en assistance, mais l’application de l’égalité voulue par le peuple tout en cherchant à préserver sa personnalité collective.

En l’inscrivant au Panthéon, la France s’est en quelque sorte engagée à prendre en compte cette vision si prophétique du monde !

L’homme qu’il nous est donné d’honorer aujourd’hui n’est pas seulement un anticolonialiste, un grand homme du Vivant. Il fut aussi un de nos collègues. Il a fréquenté les bancs de cette assemblée durant près de quarante-huit ans et, durant ces décennies, il n’a cessé de réclamer que la France des grandes valeurs, que la belle idée européenne s’ouvrent à leurs nouvelles diversités. Ce message centenaire a aujourd’hui toute sa résonance !

La vie d’Aimé Césaire aura donc été valable pour tous.

Si l’on a suffisamment magnifié son inlassable travail pour la réhabilitation de l’homme noir, pour la décolonisation, on est loin d’avoir évalué les horizons de sa pensée. Il s’adresse à l’Homme, d’où qu’il vienne, d’où qu’il soit. Ses racines puisent sans fin dans l’aventure des rencontres et du partage. C’est donc à la totalité du monde qu’il a adressé son message de liberté, de fraternité, d’égalité, d’identité, inscrit dans une responsabilité sociétale nouvelle qui est celle du multiculturalisme ou, si vous préférez, du pluralisme culturel.

Son verbe aura été, sans conteste possible, la voix de ceux dont la parole s’est affaissée dans les cachots du désespoir, le Cahier d’un retour au pays natal un monument contre toute atteinte à la dignité humaine et son œuvre une stèle dédiée à l’humanité tout entière !

Alors, mes chers collègues, accueillez cette demande : que le jour de la naissance d’Aimé Césaire, le 26 juin, nous offre à tout jamais une occasion de recueillement autour d’une pensée dont la force prophétique s’inscrit dans la plus pure des traditions de lutte pour l’humaine dignité ! (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Frédéric Reiss.

M. Frédéric Reiss. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est avec solennité que le groupe UMP se joint à l’hommage que le groupe socialiste souhaite rendre à Aimé Césaire.

J’associe à mon propos Thierry Solère, Frédéric Lefebvre et Daniel Gibbes, député de Saint-Barthélemy et Saint-Martin.

Nous célébrons aujourd’hui le centenaire de la naissance d’un grand homme, d’un homme de lettres, d’un homme d’action, de terrain, de conviction. D’un grand représentant du peuple et des peuples. On se souvient du député Césaire, rapporteur de la loi faisant des colonies Guadeloupe, Martinique, Guyane française et Réunion des départements français.

On peut dire d’Aimé Césaire qu’il était un intellectuel plus qu’un penseur. Ses vers étaient bien des « armes miraculeuses », loin de l’art pour l’art. Il a traversé le siècle, le combat chevillé au corps.

Au-delà des appartenances politiques, tous ceux qui le rencontraient étaient marqués par sa force. Ce fut le cas de mon collègue Frédéric Lefebvre, comme de bon nombre d’entre nous.

Mes chers collègues, l’hommage est un exercice difficile et je ne souhaite pas paraphraser Aimé Césaire, dire moins bien ce qu’il a très bien dit, l’instrumentaliser ou en faire le prétexte d’un joli discours.

Pour honorer dignement sa mémoire, il faut le lire plus que le commenter, reprendre ses mots plutôt que d’en mettre de nouveaux sur les siens, l’écouter, plus que prendre le risque de s’écouter.

Et comment mieux se souvenir, sinon en relisant la conception qu’il avait lui-même de son action  ?

En guise d’hommage, je vous proposerai ainsi de relire quelques extraits du discours qu’il a tenu à Rome en 1959 sur « l’homme de culture et ses responsabilités » lors du deuxième Congrès des écrivains et artistes noirs  :

On peut faire confiance aux peuples. Ce qu’il leur faut, ils le savent mieux que personne, ils le savent de l’intérieur et que toute création, parce qu’elle est création, est participation à un combat libérateur.

On peut l’expliquer comme on voudra. Pouvoir foisonnant de la parole. Mieux, pouvoir de l’acte.

Le régime colonial est négation de l’acte : négation de la création. Dans la société coloniale, il n’y a pas seulement une hiérarchie maître et serviteur. Il y a aussi, implicite, une hiérarchie créateur et consommateur.

Le créateur des valeurs culturelles, en bonne colonisation, c’est le colonisateur. Et le consommateur, c’est le colonisé. Et tout va bien tant que rien ne vient déranger la hiérarchie. Il y a une loi de confort dans toute colonisation. Si prega di non disturbare – on est prié de ne pas déranger.

Or la création culturelle, précisément parce qu’elle est création, dérange. Elle

bouleverse. Et d’abord la hiérarchie coloniale, car du colonisé consommateur, elle fait le créateur. Bref, à l’intérieur même le régime colonial, elle rend l’initiative historique à celui à qui le régime colonial s’est donné pour mission de ravir toute initiative historique.

Et voilà pourquoi il faut créer… Oui, en définitive, c’est aux poètes, aux artistes, aux écrivains, aux hommes de culture, qu’il appartient, brassant, dans la quotidienneté des souffrances et des dénis de justice, les souvenirs comme les espérances, de constituer ces grandes réserves de foi, ces grands silos de force où les peuples dans les moments critiques puisent le courage de s’assumer eux-mêmes et de forcer l’avenir. Certains ont pu dire que l’écrivain est un ingénieur des âmes.

Nous, dans la conjoncture où nous sommes, nous sommes des propagateurs d’âmes, des multiplicateurs d’âmes, et à la limite des inventeurs d’âmes.

Et je dis aussi que c’est la mission de l’homme de culture noir que de préparer la bonne décolonisation, et non pas n’importe quelle décolonisation.[…]

Si nous croyons, et nous avons raison de le croire, que le passage de la colonisation à la décolonisation vraie ne peut se faire que par rupture, cela accroît encore et définit plus complètement nos responsabilités d’hommes de culture. Car au sein même de la société coloniale, c’est l’homme de culture qui doit faire à son peuple l’économie de l’apprentissage de la liberté. Et l’homme de culture, écrivain, poète, artiste, fait faire à son peuple cette économie, parce que dans la situation coloniale elle-même l’activité culturelle créatrice, devançant l’expérience collective concrète, est déjà cet apprentissage.

On nous a mis en garde contre la tentation de croire que l’on ne pourra jamais restructurer une culture indigène dans un contexte colonial. Et sans doute a-t-on raison. Mais la restructuration d’une culture est une œuvre de longue haleine et il ne fait point de doute à mes yeux que dans la situation coloniale actuelle et plus précisément dans ce moment de transition que nous vivons, l’activité culturelle créatrice, et c’est cela qui la légitime, prépare d’ores et déjà cette restructuration indispensable.

J’ai dit au premier Congrès des écrivains et artistes noirs que s’il y a une chose qui caractérise la situation coloniale c’est l’anarchie culturelle. A l’unité culturelle primitive, la colonisation a fait succéder l’hétérogénéité culturelle, et l’anarchie culturelle. L’ordre colonial c’est, en réalité, par un désordre culturel qu’il se traduit.

Voyez le roman nègre. Voyez la poésie noire. Inutile de rechercher ici les apports ou de signaler les influences. Les matériaux peuvent être disparates, hétérogènes, mais tout cela est refondu, tout cela est transcendé, tout cela est dominé et restructuré. Car enfin, qu’est-ce que l’art sinon la structure ?

C’est là la première contribution, me semble-t-il, de l’écrivain et de l’artiste noir à la libération de son peuple ? […]

Quand Sékou Touré, leader d’un pays libre, affirme fièrement : « Je suis le descendant de Samory », il ne s’agit pas d’une puérile vanité généalogique. Cela signifie : « J’assume Samory » et, ce faisant, il fait une grande chose : il rétablit l’histoire, il remet les choses à leur place. Il dit : la colonisation ce n’est pas l’histoire, ce n’est que l’accident, et il rétablit le « continuum » historique. Il réaffirme ou réinvente la continuité historique rompue par l’intrusion coloniale.

Ce n’est pas autre part qu’il faut chercher notre devoir à nous, écrivains et artistes noirs : il est de rétablir la double continuité rompue par le colonialisme, la continuité d’avec le monde, la continuité d’avec nous-mêmes.

Parce que nous sommes des forces de vérité, nous sommes les réintroducteurs au monde de nos peuples, et d’abord les réinventeurs de cette solidarité entre nous dont le colonialisme a essayé d’offusquer ou de détruire l’idée. Parce que nous sommes, et parce que, par-delà le mensonge colonial, nous voulons être des hommes de vérité, nous sommes en même temps les soldats de l’unité et de la fraternité.

Et ce n’est pas seulement la solidarité dans l’espace que rétablissent l’écrivain et l’artiste noirs, c’est aussi, et à leur manière, la continuité historique.

Tradition ? Évolution ? Toute cette opposition devient vaine dans la création artistique et par la création artistique, car l’art est cette vérité qui, comme telle, fusionne et brasse d’un seul jet les éléments analytiquement disparates.

Je prétends qu’il ne faut pas chercher ailleurs le secret de l’importance de la littérature et de l’art dans les circonstances que vivent présentement nos peuples. Dans les conditions qui sont les nôtres, notre littérature, sa plus grande ambition, doit être de tendre à devenir littérature sacrée, notre art, art sacré.

Mes chers collègues, le groupe UMP soutient naturellement les deux requêtes de cette proposition de résolution : la défense du pluralisme culturel et la valorisation des départements et régions d’outre-mer. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde.

M. Jean-Christophe Lagarde. « Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde », écrivait Aimé Césaire dans son discours sur le colonialisme en 1955. Du grand héritage que nous livre cet homme, le plus grand risque encouru à l’occasion d’une commémoration serait de ruser en réduisant, d’expliquer en élaguant, de porter aux nues en dénudant l’une des plus belles expressions civilisatrices du XXsiècle.

C’est un risque que vous ne pouviez pas éviter au travers de cette proposition de résolution.

Comment, en effet, ne pas aimer Césaire ?

Je veux tout de suite vous rassurer : nous voterons naturellement cette résolution parce que nous adhérons à ses deux objets.

Nous la voterons parce qu’Aimé Césaire, c’est fondamentalement l’essence et l’esprit de la République française.

C’est l’incarnation d’une certaine forme d’excellence issue de l’humanisme des Lumières, qui allie le poétique au politique. Il écrivait d’ailleurs : « Si vous voulez comprendre ma politique, lisez ma poésie. »

C’est que la poésie peut dire beaucoup plus que le langage trop souvent stéréotypé de la politique. C’est la parole rare. Mais c’est la parole fondamentale. Ce n’est pas une effusion, mais un moyen de détection, un vecteur de révélation. C’est une façon d’aller en profondeur et de permettre l’irruption de forces profondes, occultes.

D’évidence, ce n’est pas un monde à part. Preuve en est, d’ailleurs, la carrière politique d’Aimé Césaire, qui lui permit de cumuler avec brio et talent les mandats de maire de Fort-de-France pendant cinquante-six ans et de député de la Martinique pendant quarante-huit ans.

Ce lien de la pensée, poétique et dramaturgique, et de l’action politique, c’est au bout du compte l’expression d’un militantisme libérateur et d’un humanisme intransigeant qui se défient des faux-semblants, des conditionnements, de la pensée muselée, des apparences de valeurs, aussi flatteuses soient-elles, et des inauthenticités.

Sartre disait de Césaire qu’il était un « Orphée noir », en rendant hommage au seul poète. Mais, parce que sa poésie exprimait aussi son combat politique, Césaire était bien plus que cela. Il incarnait à sa façon, loin, très loin de la métropole, comme une avant-garde de l’esprit de liberté face au grand continent longtemps ségrégationniste. Il représentait, en Martinique, l’essence d’une République née de l’insoumission, du refus des fatalismes et des ordres établis. C’était un peu Valmy, ce Valmy d’où naquit la République.

L’anniversaire de sa naissance à Basse-Pointe, le 26 juin 1913, en Martinique, dans une famille modeste, est l’occasion de rappeler, non pas des recettes, mais des principes, non pas de se repaître avec une sorte d’autosatisfaction des thématiques dans l’air du temps, mais d’aller creuser vers des réalités plus profondes, plus fondamentales.

Il me semble que cette commémoration n’a de sens que si, au fond, comme le disait Tzvetan Todorov à la fin du siècle dernier, la mémoire n’est pas un « abus de la mémoire » pour définir une ferveur compulsive, pour remplir un vide immanent, en mêlant la nostalgie et les apparences de l’impératif moral.

C’est, il faut bien l’admettre, le risque de tout exercice de mémoire. Comme l’écrivait Paul Ricoeur : « Le devoir de mémoire constitue à la fois le comble du bon usage et celui de l’abus dans l’exercice de la mémoire ». Et, dans une allocution devant le grand amphithéâtre de la Sorbonne, il parlait de « mémoire empêchée, mémoire manipulée, mémoire obligée ».

Il faut veiller à ne pas tomber, en toute bonne conscience, sans mauvaise volonté, dans ce piège-là, les deux pieds joints, faute de vigilance et de rigueur.

Autant vous dire qu’il nous paraît bien pusillanime de vouloir nous amener par votre exposé des motifs vers un entonnoir qui nous livre deux articles auxquels nous pouvons souscrire, mais qui ne nous paraissent pas suffisants.

Quel contraste entre ce texte parlementaire bien sympathique, mais un peu court, et ce qu’écrivait Jacques Lacarrière après qu’il a lu en 1947 le Cahier d’un retour au pays natal : « Ce n’était pas seulement un poème que je tenais entre mes mains, mais un texte de feu, un brasier, un brûlot ».

Fallait-il passer par une proposition de résolution ? Fallait-il un tel formalisme, avec ses cadres et ses carcans, alors que nous parlons d’une œuvre complète, d’une vie complète, d’un homme complet, qui font un tout ? Un tout qui ne souffre ni les standards ni les conventions, encore moins les habitudes de pensée. Fallait-il donc trouver un prétexte ? Etait-il nécessaire d’identifier un tiroir, une procédure, comme si, en dehors du cadre, rien n’était pensable dans cette maison de la République ?

C’est là presque une contradiction entre le choix de l’hommage et son objet.

Ce premier constat, pardonnez-moi de le dire, pourrait inquiéter, alors que cet hémicycle devrait être, au contraire, le cerveau républicain des bouillonnements authentiques, le vivier de l’expression des vérités immédiates et des vérités profondes, mais des vérités en toute hypothèse.

Vous avez commis une faute de méthode, à la façon de ce que dénonçait Aimé Césaire lorsqu’il expliquait que la France toute imbue de ses principes, de ses grands principes universels, de ses élans lyriques et épiques inspirés de Renan, avait néanmoins toléré et même justifié le fait colonial.

Et il expliquait, comme une entaille sur le vernis policé de notre geste nationale, à quel point cette colonisation « décivilisait » le colonisateur, l’abrutissait, le dégradait, en le réveillant, je cite, « aux instincts enfouis, à la convoitise, à la violence, à la haine radicale et au relativisme moral. »

Voila le fil qu’il fallait, à notre avis, tirer pour comprendre à partir du fait colonial, l’esprit colonisé, un esprit qui caractérise, juge, clive et stigmatise. Cet esprit nous est-il tellement étranger, dans les débats qui agitent aujourd’hui notre pays ? Je crains que non.

Le sens qui est donné par Aimé Césaire au terme de « négritude » est d’ailleurs particulièrement intéressant, notamment en ce qu’il se distingue de celui que lui attribuait Léopold Sedar Senghor, qui écrivait : « L’émotion est nègre, comme la raison est hellène ».

Pour Césaire, au contraire, ce terme relève ce qui est d’abord porté comme une marque d’infamie. Il évite le piège du narcissisme culturel et du racisme en élargissant sa réflexion à l’ensemble de la communauté des peuples souffrants.

C’est l’affirmation d’une condition vécue dans le déni, la honte ou l’opprobre. C’est, en vérité, l’expression de toutes les solidarités entre les situations humaines. La négritude est un projet humaniste, ouvert sur l’universel, tout en refusant tout fraternalisme. C’est un vrai message de civilisation et de culture. Ce message ne peut-il pas inspirer, aujourd’hui encore, l’action publique, bien au-delà des slogans qui évoquent, comme beaucoup le font, « le pluralisme culturel », et comme le dit la résolution, « valorisé de toutes les manières possibles » ?

Il fallait tenter de se mettre dans la perspective de Césaire, même si, pour reprendre un mot célèbre de Senghor, il faut rendre à Césaire ce qui appartient à Césaire.

Cette perspective englobe Césaire dans tous les combats pour la dignité et pour la liberté. C’est pour cela, monsieur le ministre, qu’il appartient autant à l’Afrique qu’à la Martinique.

Il faut absolument, dans cet hommage, dans cette proposition de résolution, éviter la tendance trop courante à instrumentaliser la culture à des fins politiques.

Pour éviter cette pente naturelle, et puisque vous avez choisi la formule de la résolution, il aurait sans doute fallu ajouter résolument quelques éléments complémentaires pour que cette commémoration soit effectivement une mémoire qui chemine avec la pensée de celui que l’on fête. Il aurait fallu aller plus en profondeur pour évoquer l’éveil des consciences, de toutes les consciences et des libertés individuelles, de tous les talents et de toutes les envies.

C’est une lacune. Nous regrettons que ce texte que nous pouvons partager reste loin de ce beau lien, de cette alliance puissante entre poétique et politique qu’incarnait si bien Césaire.

Je laisserai, pour conclure, le dernier mot à Aimé Césaire : « Si c’est vraiment de la révolution qu’il s’agit, nous, les professeurs ne sommes pas de faibles hommes de l’abstrait, mais des combattants pour le moins aussi importants que les diplomates, les hauts fonctionnaires de l’État, les secrétaires de l’appareil du parti ou les militaires. Nous » – et j’ajouterai : nous, parlementaires – « avons d’abord à désaliéner les consciences ».

M. le président. La parole est à M. Noël Mamère.

M. Noël Mamère. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’hommage que nous rendons aujourd’hui à Aimé Césaire prend une dimension particulière au moment où nous apprenons que Nelson Mandela, une autre grande figure de la lutte contre toutes les discriminations, contre l’apartheid et pour les nègres, au sens noble du terme, arrive au crépuscule de sa vie.

Aimé Césaire a consacré l’essentiel de son œuvre et de son action politique au service de la République universelle et à la lutte contre l’esclavagisme et le colonialisme. C’est pourquoi l’hommage que nous lui rendons aujourd’hui n’est pas seulement celui de ces députés qui viennent des anciennes colonies ou qui sont des descendants des anciens esclaves  ; il est aussi celui de l’ensemble de la République.

Lorsque nous lisons les poèmes et les oeuvres d’Aimé Césaire, nous en mesurons la profondeur et la portée. Il a, dans un certain nombre de ses ouvrages, condamné l’esclavage, mais il ne l’a pas regardé comme une période temporaire de notre histoire, même si, pour ceux qui l’ont vécue, elle fut longue, du fait de leur souffrance. Il a tenté de l’analyser comme un système, comme une doctrine ; il a essayé de comprendre pourquoi cette barbarie a pu naître dans l’esprit des Occidentaux et comment on a pu considérer des hommes comme de simples marchandises.

En ce sens, sa réflexion était de portée universelle. Après l’esclavage, aboli en 1848, nous avons vu d’autres formes de barbarie se développer dans cette Europe dont Césaire nous disait qu’elle portait une responsabilité morale et spirituelle.

Rappelons-nous ces mots de Césaire : « J’entends de la cale monter les malédictions enchaînées, les hoquettements des mourants, le bruit de l’homme qu’on jette à la mer ».

C’est ainsi qu’il a pu dire avec force la brutalité et la sauvagerie de la traite négrière. Mais il nous a aussi appris que l’esclavage reste dans la mémoire des descendants des esclaves, que cette cicatrice, cette blessure, y demeure inscrite et pose un vrai problème d’identité. Je repense à ce poème : « J’habite une blessure sacrée, j’habite des ancêtres imaginaires, j’habite un vouloir obscur, j’habite un long silence ».

Césaire nous apprend que les traces sont encore profondes de l’esclavage et du colonialisme. Il faut ainsi revenir, comme l’a indiqué tout à l’heure Serge Letchimy, à un certain nombre de textes qui n’étaient plus simplement des textes poétiques, mais des textes politiques. En 1936, avec deux compagnons – qui n’étaient pas forcément du même parti politique et qui n’avaient pas forcément les mêmes orientations, le Sénégalais Senghor et le Guyanais Damas –, il a créé L’Etudiant noir et forgé le concept de négritude, à propos de laquelle il dit cette phrase magnifique : « Les pulsations de l’humanité s’arrêtent aux portes de la nègrerie ».

Tel est le combat de Césaire : il ne voulait pas simplement magnifier le nègre, mais expliquer comment des Occidentaux, des Européens ont pu s’avilir dans l’esclavagisme, se renier dans le colonialisme et abandonner l’essentiel de leurs valeurs. C’est en ce sens que Césaire a une portée universelle.

On la retrouve un peu plus tard, en 1939, dans le fameux Cahier d’un retour au pays natal puis dans un texte majeur Discours sur le colonialisme publié en 1955. Césaire a beaucoup réfléchi à la condition d’homme libre, d’homme debout. Il disait qu’en définitive, il est plus facile d’être un esclave, parce que la vie est réglée par celui qui vous a soumis à l’esclavage et bien difficile d’être un homme libre, un homme debout, assumant ses responsabilités et son destin lorsqu’on est le descendant d’hommes et de femmes qui ont été enchaînés et soumis.

Serge Letchimy a dit tout à l’heure qu’il n’évoquerait pas le théâtre d’Aimé Césaire, mais il faut évidemment citer cette pièce majeure de 1963 La Tragédie du roi Christophe qui se passe en Haïti et qui montre comment un homme qui a voulu libérer son peuple de ses chaînes est devenu lui-même un dictateur sanguinaire. Il faut se rappeler Une saison au Congo, ce texte magnifique de 1966, hommage rendu à l’une des grandes figures de la lutte pour l’indépendance, pour la dignité des nègres, Patrice Lumumba.Rendant hommage à Aimé Césaire, nous ne pouvons pas nous contenter de regarder le passé et nous enfermer dans la nostalgie. Il serait vain, irresponsable et politiquement dangereux de vouloir le « momifier », car sa pensée est très actuelle.

Faut-il en effet rappeler, chers collègues, que des députés ont osé voter dans cet hémicycle, le 23 février 2005, un amendement nous expliquant que la colonisation est un bienfait pour ceux qui l’ont vécue ? Faut-il rappeler qu’Aimé Césaire, encore maire de Fort-de-France avant notre collègue Serge Letchimy, a refusé de recevoir en sa mairie un certain ministre de l’intérieur qui a créé un ministère de l’immigration et de l’identité et cautionné ce vote infâme ? Faut-il rappeler, en écho au pluralisme culturel évoqué par Serge Letchimy, que des artistes et des musiciens africains n’ont toujours pas le droit d’obtenir des visas ? Faut-il rappeler que nous interdisons le chlordécone en métropole mais l’autorisons encore aux Antilles et dans les autres départements d’outre-mer ? Faut-il rappeler la contradiction identitaire qui est au cœur de la résolution proposée par Serge Letchimy ? Oui, c’est ici, en 1946, qu’Aimé Césaire a été rapporteur du projet de loi sur la départementalisation de la Réunion, la Guyane, la Martinique et la Guadeloupe. Départements français, oui, mais était bien précisée dans la résolution la nécessité d’une forme d’autodétermination, en tout cas de la responsabilité de leur destin  : dans la République ou hors de la République ?

Aimé Césaire était un maître. Il avait des disciples, qui sont eux-mêmes devenus des maîtres et qui n’ont pas fait les mêmes choix. Il ne nous revient pas ici de décider qui a eu tort et qui a eu raison. Je pense en particulier à Frantz Fanon, l’auteur des Damnés de la terre qui a pris les armes et a été l’un de ceux qui ont contribué à l’indépendance de l’Algérie, devenant même porte-parole du premier gouvernement après l’indépendance. Je pense aussi à d’autres auteurs qui n’ont pas eu le même engagement par les armes et auxquels on ne doit pas moins. Parmi eux, Édouard Glissant, l’un de ceux qui aujourd’hui expliquent le mieux la contradiction vécue par les hommes et les femmes qui habitent les départements d’outre-mer, à la fois solidaires du destin des Français et conscients qu’il leur revient d’assumer leurs propres responsabilités et leur propre destin.

Qu’allons-nous faire, nous qui aujourd’hui favorisons les békés, qui détiennent 90 % de l’économie antillaise ou guadeloupéenne ? Se conformera-t-on à ce qui a été dit par Mme Christiane Taubira ? Il s’agit là en effet de réparation, mais non financière, et je passe sur la dette envers Haïti qui, depuis son indépendance, a versé à la France près de 25 milliards de dollars qui ne lui ont jamais été remboursés.

M. Pouria Amirshahi. Excellent !

M. Noël Mamère. Allons-nous nous engager en faveur de l’un des éléments essentiels de la réparation, qui ne touche pas à l’argent  : la réforme agraire ? Laisserons-nous la Nouvelle-Calédonie décider librement de son destin lors du référendum de 2014 ? N’avons-nous pas, après les événements qui se sont produits en Martinique et en Guadeloupe, contribué à défaire un peu des acquis sociaux si durement gagnés au cours des grèves qui y ont eu lieu ?

Le temps qui m’est imparti est écoulé. Bien évidemment, cher collègue Serge Letchimy, les écologistes voteront la résolution que vous présentez, en raison de ce qu’elle propose et des orientations qu’elle dessine et parce que nous considérons qu’Aimé Césaire, qui a siégé plus de quarante-six ans dans cette maison et a été maire de Fort-de-France pendant cinquante-six ans, a été l’une des grandes figures du XXsiècle, non seulement en tant que poète et surréaliste, mais aussi et surtout par son engagement et la portée de sa pensée. Il y a là une leçon que nous devons tirer, les uns et les autres. Cet après-midi, cent ans après la naissance d’Aimé Césaire, nous devons tous nous considérer comme des « nègres ». (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste, SRC et RRDP.)

M. Jean-Pierre Dufau. Très bien !

M. Pouria Amirshahi. Bravo ! Excellente intervention !

M. le président. La parole est à Mme Jeanine Dubié.

Mme Jeanine Dubié. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis cet après-midi pour adopter une proposition de résolution en hommage à Aimé Césaire, poète engagé en politique unanimement salué comme l’une des grandes consciences de la deuxième moitié du XXe siècle. Aussi est-ce avec enthousiasme et humilité que les députés du groupe RRDP s’associent à cette proposition de résolution présentée par Serge Letchimy et les membres du groupe SRC, dont l’examen est un moment d’émotion.

Nous célébrerons, ce mercredi, le centenaire de la naissance d’Aimé Césaire, le 26 juin 1913 à Basse-Pointe en Martinique. Nous, mais peut-être aussi le monde entier. Car le monde entier célébrera le centenaire de sa naissance comme un témoignage universel de la conscience non moins universelle qu’il fut et qu’il porta. Cet anniversaire donnera lieu à des manifestations aux quatre coins du monde.

À ce propos, il n’est pas vain de rappeler que les écrits du poète comme les écrits politiques sont aujourd’hui étudiés au Japon, en Inde, en Afrique, aux États-Unis, en Amérique latine et ailleurs en Europe, parfois bien plus qu’en France. Si nous sommes réunis dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale pour lui rendre hommage, si nous allons le célébrer ponctuellement, peut-être est-ce aussi l’occasion de nous interroger sur la transmission de son témoignage et sur l’héritage que nous devons porter et transmettre aux générations suivantes dans les programmes de l’éducation nationale et dans nos universités.

Les messages d’Aimé Césaire s’inscrivent dans le contexte particulier de la Collaboration puis de la décolonisation.

Même si nous ne devons pas relâcher nos efforts, le combat contre toutes les formes de racisme a remporté beaucoup de victoires depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Je pense à la Déclaration universelle des droits de l’Homme, adoptée à Paris au palais de Chaillot le 10 décembre 1948 par les cinquante-huit États-membres de l’Assemblée générale de l’ONU. Elle fait d’ailleurs écho aux textes du jeune Aimé Césaire, tant le Cahier d’un retour au pays natal, paru dans la revue Volontés qu’ Esclavage et colonisation et le Discours sur le colonialisme. Je ne suis pas une spécialiste d’Aimé Césaire – j’ai lu bien peu de ses textes –, mais je suis frappée par le parallèle existant entre son postulat du fondement de l’universalité de la condition humaine et ce grand texte qu’est la Déclaration universelle des droits de l’Homme.

Permettez-moi de vous relire ici trois points considérants de de son préambule : « Considérant que la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde ; considérant que la méconnaissance et le mépris des droits de l’homme ont conduit à des actes de barbarie qui révoltent la conscience de l’humanité et que l’avènement d’un monde où les êtres humains seront libres de parler et de croire, libérés de la terreur et de la misère, a été proclamé comme la plus haute aspiration de l’homme ; considérant qu’il est essentiel que les droits de l’homme soient protégés par un régime de droit pour que l’homme ne soit pas contraint, en suprême recours, à la révolte contre la tyrannie et l’oppression. »

Ce texte date de 1948, comme les premiers écrits de Papa Césaire, et suffirait presque à lui seul à dire que chaque être humain a droit au respect égal de sa dignité.

Pourtant, n’a-t-on pas encore entendu récemment que toutes les civilisations ne se valent pas ? Ou encore que les misérables candidats à l’immigration navigant sur des embarcations de fortune au péril de leurs vies devraient être renvoyés sur leurs bateaux ? Nous le voyons, certains combats ne sont jamais définitivement gagnés. Chacune et chacun d’entre nous doit lutter, et d’abord contre soi-même, pour maintenir une vigilance sans faille, ne pas trébucher et tomber dans les amalgames, les stigmatisations et les préjugés sur l’infériorité des êtres humains issus d’une culture différente de la nôtre. J’ai retrouvé dans un article quelques exemples de racisme ordinaire, ou « racisme soft » comme on l’appelle parfois. Lorsque l’on parle des conflits en Afrique, on parle de « conflit ethnique » ou de « guerre interethnique ». Or, dans des situations identiques ou très similaires en Occident, utilise-t-on de tels mots ? Jamais je n’ai entendu parler de conflit ethnique en Belgique !

Lorsque les critiques artistiques s’expriment au sujet des œuvres d’art africaines, relevant d’un art dit « premier » et « primitif », ils parlent de « naïveté des formes » et de « profusion de couleurs ». Mais pour décrire Picasso, qui s’inspire directement de ces œuvres, ils parlent de « génie dans la déconstruction des formes ». Ce que nous enseigne Césaire, mes chers collègues, c’est d’abord une telle prise de conscience. Le message d’Aimé Césaire, comme vous le voyez, n’a rien perdu de son actualité.

Le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste salue l’initiative de Serge Letchimy et votera avec enthousiasme mais aussi avec émotion une proposition de résolution qui nous invite, ce qui est toujours utile, à repenser l’universalité de notre condition humaine. (Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP, SRC et écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Philippe Nilor.

M. Jean-Philippe Nilor. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, je tiens à dire d’emblée que je m’associe pleinement à l’idée de rendre hommage à Aimé Césaire pour son parcours, ses écrits et son combat politique, mené en particulier pendant quarante-sept ans sur les bancs de l’Assemblée nationale par des interventions magistrales qui ont marqué les mémoires et les consciences, dont la mienne. Là-dessus, il n’y a aucune ambiguïté. Néanmoins, il y a de quoi s’étonner du choix stratégique consistant à faire voter à l’Assemblée nationale une proposition de résolution en vertu de l’article 34-1 de la Constitution pour émettre un avis sur l’hommage à Aimé Césaire. Très clairement, je considère qu’on ne vote pas un hommage : on le rend ou on ne le rend pas. J’irai même jusqu’à dire que Césaire, de son vivant, n’a jamais demandé ni attendu les hommages. Mais quitte à lui rendre hommage, ce à quoi j’adhère puissamment, la moindre des choses est de respecter sa pensée en cette circonstance historique.

Voilà ce qu’il écrit dans son ouvrage Nègre je suis, nègre je resterai  : « Nous devons d’abord nous prendre en mains ; nous devons travailler ; nous devons nous organiser ; nous avons des devoirs envers notre pays, envers nous-mêmes. Je ne crois pas qu’il y ait d’obstacles insurmontables. Simplement, il a toujours existé un certain "négroïsme", en particulier de classe. Prenons l’exemple d’Haïti. À quoi a abouti leur révolution ? Elle a bénéficié à un petit groupe ; quant aux autres… C’est la marque d’un égoïsme très humain, un particularisme, une tendance au clan, au "copinisme" ». Or, la nécessité exige de se projeter au dehors, d’élargir les horizons. » Plus loin, il ajoute : « Il faut repartir vers un autre monde qui affirme la peur de la violence, la peur de la haine et le respect de l’homme, son épanouissement. »

On le voit bien : de par sa dimension et par l’impact de sa pensée à travers le monde, Aimé Césaire n’appartient pas à une race, il n’appartient pas à un continent, il n’appartient pas à un pays, il n’appartient pas à un parti, et encore moins à un homme.

À la lecture des deux alinéas de l’article unique de la proposition de résolution, la lumière jaillit et les masques tombent, nous permettant de mieux comprendre la finalité sournoise et l’hypocrisie de cette démarche. Il s’agit bien de poser sournoisement, en catimini, dans le dos des Martiniquais, la première pierre de la troisième voie, jamais approuvée par le peuple martiniquais. D’ailleurs, aux dernières élections législatives, sur quatre circonscriptions, trois candidats partisans de cette troisième voie ont été laminés. Cette voie n’est pas celle d’Aimé Césaire, c’est une voie de garage, c’est la voie de la nébuleuse, c’est la voie du contournement de la démocratie ! Sincèrement, Césaire mérite mieux que cela ! Certes, je ne partage pas toutes ses idées, je ne partage pas ses craintes, je ne partage pas ses peurs, et je sais que j’interviens aujourd’hui dans un contexte différent de celui qu’il a vécu hier. Je partage cependant, modestement et humblement, sa modestie, son humilité et son amour de l’homme.

J’ai un respect infini pour Aimé Césaire, pour l’homme et pour son œuvre, mais je ne suis pas pour autant « césairolâtre » et encore moins « césairophrène ». J’affirme que ceux qui se sont autoproclamés héritiers de Césaire sont des rentiers de Césaire ! Ils utilisent l’image de l’homme à des fins électoralistes et individualistes – et au final, ce sont eux, les « césairophages » !

Laissez Césaire reposer en paix, cessez de le déterrer pour satisfaire vos propres ambitions! C’est ce combat qu’il faut mener aujourd’hui au nom des valeurs défendues hier par Aimé Césaire, au coeur desquelles il y a le respect de l’autre. Une phrase de l’ouvrage Nègre je suis nègre, je resterai résume bien cette notion de respect : « Tu es toi et je suis moi. Tu as ta personnalité, j’ai la mienne, et nous devons nous respecter et nous aider mutuellement. » C’est cette apologie de la diversité et de la pluralité qui permet de régénérer la démocratie. Nous en avons bien besoin aujourd’hui et nous gagnerions à en tirer des leçons.

En parlant de respect, je veux évoquer ce qui, à mes yeux, constitue un cas de discrimination manifeste. Le mardi 11 juin 2013 à 18 heures 15, un e-mail a été transmis à tous les députés d’outre-mer, dont je donne lecture : « Mesdames et messieurs les députés, le lundi 24 juin après-midi, Serge Letchimy présentera dans l’hémicycle une proposition de résolution rendant hommage à Aimé Césaire.

Pour prolonger ce "temps fort", je serai très heureux de vous inviter à dîner le 24 juin à 20 heures au petit Hôtel à l’Assemblée nationale en présence de Jean-Paul Césaire.

Je vous remercie par avance pour votre réponse avant le mardi 18 juin.

Bien à vous

Frédéric Potier

Présidence de l’Assemblée nationale, conseiller outre-mer. »

Cet e-mail a été adressé à Gabriel Serville, Jean-Claude Fruteau, Bernard Lesterlin, Ericka Bareigts, à tous les députés de la Réunion, de la Guyane, de la Polynésie française, de Saint-Pierre-et-Miquelon et de Wallis-et-Futuna, bref : tous les députés d’outre-mer, sauf deux : Alfred Marie-Jeanne et moi-même ! Alfred Marie-Jeanne a pourtant connu Césaire, il a travaillé avec lui – il l’a combattu, certes, mais toujours respecté. Quant à moi, fils d’un membre éminent du PPM, j’ai été alimenté, dès mon plus jeune âge, par la pensée de Césaire.

C’est une faute politique grave – que dis-je, un délit perpétré contre la démocratie, avec la circonstance aggravante qu’il est commis en bande organisée. Il faudra m’expliquer, monsieur le président de l’Assemblée nationale, pourquoi nous sommes victimes d’une telle discrimination. Je ne suis pas blessé par cette mesquinerie, car l’homme blessé perd son objectivité, mais je suis, plus que jamais prêt à combattre cet état d’esprit, qui témoigne de ce glissement vers la pensée unique, bien éloignée de ce que pensait Césaire. Cette méthode mesquine maintient la démocratie en apnée, alors que Césaire disait, dans son Discours sur le colonialisme que « (… ) l’échange est ici l’oxygène ».

En nous excluant, vous avez peut-être voulu nous « poubelliser ». Permettez-moi de vous dire que ce type de méthode traduit un véritable processus de dégénérescence et de dessèchement de la démocratie telle que vous la concevez. En outre, je suis déçu de constater que le président de l’Assemblée nationale se soit associé à cette démarche qui offense non pas nos personnes, mais les nombreux Martiniquais qui nous ont eux-mêmes choisis pour siéger ici, n’en déplaise à certains.

En conséquence, j’affirme que ceux qui n’ont que le nom de Césaire à la bouche piétinent sa pensée au quotidien par leurs pratiques et leurs méthodes !

Je voudrais terminer en citant un extrait de l’ouvrage de Stéphane Hessel et Edgar Morin, intitulé Le Chemin de l’espérance  : « La barbarie […] mène ainsi au fanatisme purificateur et expulseur, qui a pour racines mentales, comme tous les fanatismes, d’une part, le manichéisme, c’est-à-dire une conception diabolisante de ceux que l’on rejette ou veut détruire et, d’autre part, la réduction de l’autre au pire aspect (réel ou imaginaire) de sa personne. La lutte contre manichéisme et réductionnisme ne peut se borner à faire appel à la rationalité, elle ne peut devenir efficace que si l’on développe, à partir d’une réforme efficiente de l’enseignement, une pensée complexe capable de voir l’ensemble des caractères divers ou ambivalents d’un même phénomène, d’une même population, d’une même personne, y compris soi-même. »

C’est cet engagement que nous devons défendre, c’est pour cela que nous devons nous battre afin que puissent émerger des politiques à la hauteur des exigences impérieuses de l’humanité. J’ajoute que si cette politique d’expulsion et de discrimination se poursuit, vous porterez la responsabilité du fait que les futures générations – les petits-fils et arrière-petits-fils d’Aimé Césaire – ne diront plus, pour désigner la France, « la mère patrie », mais « l’amère patrie ».

M. le président. La parole est à M. Thomas Thévenoud.

M. Thomas Thévenoud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je m’exprime aujourd’hui devant vous sans avoir jamais connu Aimé Césaire, contrairement à plusieurs des orateurs qui m’ont précédé. Je ne l’ai pas connu en chair et en os : pour moi, Césaire est un homme de papier. Je salue, bien sûr, l’initiative de notre collègue Serge Letchimy, à qui je rends hommage. Avec ses mots à lui, le successeur de Césaire a dit l’amitié qui l’unissait au poète, à l’homme public et à l’élu de Martinique.

Comment connaître un poète en vrai ? Comment connaître la vérité d’un poète ? Où est la vérité d’un poète élu, d’un poète parlementaire ? Pour répondre à ces questions, il faut lire les mots de Césaire. Aimé Césaire était un homme de mots rares – pas de mots précieux, mais de mots rares. Pour toucher au surréalisme, au merveilleux, il empruntait ces mots au vocabulaire de la science et du vaste monde, il se nourrissait des mots de la botanique, de l’astrologie, de l’agronomie, de la faune et de la flore, et d’abord des mots de son île, car Aimé Césaire était avant tout un îlien.

Sa poésie est une poésie de l’enfermement, des limites, des rivages qu’il faut quitter, et une poésie du retour au pays natal. Avec ses mots, il désigne par exemple « les rhagades de nos lèvres d’Orénoque désespéré », il identifie les marques « plus butyreuses que des lunes » de nos visages, il nomme les « haïsseurs », les bâtisseurs, les traîtres, les Hougans, il « force la membrane vitelline » qui nous sépare de nous-mêmes. Ses mots, il les recopie dans les dictionnaires et les encyclopédies de la bibliothèque de l’Assemblée nationale, et c’est sur du papier à en-tête bleu-blanc-rouge que naissent les brouillons de ses poèmes.

Cet homme de mots était aussi un homme de dissidence, pour reprendre l’expression par laquelle on désigna, aux Antilles, ceux qui défièrent le pouvoir pétainiste, le nazisme et son supplétif zélé, le fascisme colonial d’occupation. C’est l’appel de 1941 qui ouvre le premier numéro de la revue Tropiques et qui marque l’avènement du discours chez le poète. Avant même d’être élu pour la première fois en 1945, Césaire appelle à la mobilisation collective : « Nous sommes de ceux qui disent non à l’ombre. Nous savons que le salut du monde dépend de nous aussi. Que la terre a besoin de n’importe lesquels d’entre ses fils. Les plus humbles. L’Ombre gagne. Ah ! tout l’espoir n’est pas de trop pour regarder en face ! Les hommes de bonne volonté feront au monde une nouvelle lumière, mais il n’est plus temps de parasiter le monde, c’est de le sauver plutôt qu’il s’agit. Il est temps de se ceindre les reins comme un vaillant homme. »

Cet appel de 1941, qui était le premier texte publié d’Aimé Césaire depuis le Cahier parisien de 1939, est capital pour comprendre son œuvre, son engagement et son action à venir. L’appel de 1941, c’est l’ouverture au combat internationaliste, c’est la naissance d’un peuple qui se lève, qui s’exprime et qui se crée, c’est le prolongement du message, des valeurs, de l’universalisme des valeurs de la Révolution française. Si celle-ci est un bloc, elle se perpétue, aujourd’hui encore, dans les combats que nous menons, ici et maintenant, pour la laïcité et pour la liberté. Parlons-en, de la laïcité et de la liberté, en rappelant ces mots de Césaire dans Les Armes miraculeuses  : « Mais Dieu ? comment ai-je pu oublier Dieu ? je veux dire la Liberté. »

Et si la vérité de la politique résidait dans les mots choisis par les poètes, les mots choisis par les poètes parlementaires ? À l’heure où, tous, nous nous interrogeons sur la vérité en politique, cette question mérite d’être posée. Sinon, pourquoi faire de la politique au moyen de la poésie ? D’autres que Césaire s’y sont engagés, notamment ses frères d’élection Léon-Gontran Damas et Léopold Sédar Senghor, mais aussi d’autres, plus anciens – je pense à Alphonse de Lamartine, qui partageait, avec Aimé Césaire, le goût du lyrisme poétique et le refus de l’esclavage ; je n’oublie pas que l’un des derniers à avoir défendu Alphonse de Lamartine ici même, à cette tribune, fut Victor Schoelcher, à qui l’on doit l’abolition de l’esclavage. La Deuxième République, qui vit l’abolition de l’esclavage, fut aussi celle qui agrandit la démocratie.

M. Régis Juanico. Excellent !

M. Thomas Thévenoud. La démocratie se nourrit d’actes et de faits, elle se nourrit surtout de mots. C’est pourquoi il y aura toujours besoin de poètes parlementaires. Aujourd’hui, ces voix nous manquent, qui élèvent la pensée, qui font volcan et qui disent la folie des hommes ; ces voix qui nous disent aussi que la France est une nation noire et que le français est aussi une langue africaine. La souffrance des peuples ne demande aucune compassion, aucune bienveillance, aucune obligeance, elle est violence, révolte, révolution et, encore aujourd’hui, elle est résistance.

C’est pourquoi, en tant que parlementaires, nous sommes d’insolites bâtisseurs. « Tant pis si la forêt se fane en épis de pereskia, tant pis si l’avancée est celle des fourmis tambocha, tant pis si le drapeau ne se hisse qu’à des hampes desséchées, tant pis, tant pis si l’eau s’épaissit en latex vénéneux préserve la parole, rend fragile l’apparence capte aux décors le secret des racines, la résistance ressuscite, autour de quelques fantômes plus vrais que leur allure, insolites bâtisseurs. »

Alors oui, par-delà les murs du Panthéon, par-delà les mers et les océans, par-delà le temps, la résistance ressuscite. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.)

(M. Denis Baupin remplace M. Claude Bartolone au fauteuil de la présidence.)

Présidence de M. Denis Baupin

vice-président

M. le président. La parole est à Mme Ericka Bareigts.

Mme Ericka Bareigts. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est avec beaucoup d’humilité et une certaine émotion que je m’exprime ce soir parmi vous. Je voudrais saluer l’initiative de notre collègue Serge Letchimy : c’est un grand jour et, pour la jeune parlementaire que je suis, l’occasion de prononcer quelques mots en souvenir de ce grand homme, Aimé Césaire.

Ce 26 juin, Aimé Césaire aurait eu 100 ans. Il incarne de nombreuses années de lutte, mais aussi de pédagogie pour l’humanité tout entière. Cette journée est importante et c’est à nous, ultramarins, à nous Français, que revient l’honneur de commémorer sa naissance, un peu plus d’un mois après la Journée nationale des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leur abolition.

Parfois présenté comme un théoricien pouvant être radical, Aimé Césaire s’est battu pour l’égalité entre nos territoires et l’Hexagone, notamment en 1946, lorsqu’il fut, avec d’autres de ses collègues ultramarins, l’instigateur et surtout le rapporteur de la loi de départementalisation. Cette dernière, en mettant fin au régime des colonies, inscrivait durablement les DOM naissants dans le droit des gens et dans la République.

Pour la France d’outre-mer, c’était un acte de naissance qui consacrait l’égalité dans la diversité, l’humanisme dans le droit, l’adhésion dans le respect. Cette loi fut aussi le début d’un très long chemin, inachevé, pour les outre-mer.

Nous nous souvenons aussi que lorsque l’ordonnance de Michel Debré du 15 octobre 1960 fut, douze ans après sa publication, censurée par le Conseil d’État, Aimé Césaire déclara à la tribune de cette assemblée : « La vérité, c’est qu’on a profité de la guerre d’Algérie pour introduire une législation d’exception ». Les DOM, ajoutait-il « sont peu à peu redevenus ce que le législateur d’autrefois, plus franc que celui d’aujourd’hui, appelait les vieilles colonies ». En effet, trop de fonctionnaires dans nos outre-mer avaient subi pour leurs opinions politiques un sort que n’aurait connu aucun de leurs pairs de l’Hexagone : l’exil, et un exil brutal.

Ce n’est donc pas seulement un leader que la France a perdu, ni même un combattant de la liberté. C’est d’abord un inspirateur des outre-mer, de la créolité, de la négritude.

Aimé Césaire, que je n’ai pas connu, est de ces hommes dont la pensée guide et guidera encore de nombreuses générations. J’avais d’ailleurs commencé mon rapport sur la loi de régulation économique outre-mer, une loi fondatrice pour les nouvelles démarches en faveur de l’outre-mer, par un extrait de son discours, prononcé à l’Assemblée nationale le 27 juillet 1981 : « J’ai lu avec attention ce projet de loi instaurant la décentralisation et j’ai été frappé par le fait que nulle part, dans la trentaine de pages que comporte ce texte, je n’ai trouvé le mot "outre-mer" et je n’ai rencontré l’expression "départements d’outre-mer" ».

Mais à travers le combat sur le statut des outre-mer, c’est le respect qui était l’essence même de la philosophie de Césaire, le respect pour les origines, pour les cultures, pour les langues qui composent la France. Alors que l’article 1er de la Constitution, qui définit la République comme indivisible a trop souvent servi d’excuse pour une vision monolithique de la France, créant dans le droit ce que l’on n’a pu imposer dans la réalité, Césaire a lutté pour faire comprendre que la pluralité ne signifie pas la division mais l’enrichissement. Ainsi, dans un entretien accordé au Monde en 1981, il déclarait, citant Hegel : « L’universel n’est pas la négation du particulier car on va à l’universel par l’approfondissement du particulier ».

Ce combat est toujours d’actualité et j’ai la conviction que c’est par l’intégration de la diversité, par l’ouverture et la synthèse des identités plurielles des individus que la République peut prétendre à l’universalité.

Aujourd’hui encore, la non-reconnaissance des langues régionales par la République, que nous incarnons tous, mes chers collègues, fait que nombre de nos concitoyens peinent à se sentir français : la France ne leur parle pas dans leur intimité.

Tenir compte du fait que la France est tout à la fois le socle à partir duquel se développent nos identités individuelles et le couronnement de leur construction est l’un des défis majeurs que nous devrons relever dans les prochaines décennies.

À cet égard, Césaire a bien souvent été un précurseur et un visionnaire. Il a permis, dans le contexte particulier des outre-mer, l’affirmation de ce mariage de raison, autant que de passion, entre la République et ses composantes.

Mais ne vous y trompez pas, chers collègues, cette problématique est encore d’actualité dans nombre de vos circonscriptions, où nos concitoyens sont trop souvent victimes d’aliénation culturelle ! Notre devoir de législateur est de tenir compte de l’avertissement d’Aimé Césaire : « Il faut, de toute manière, préparer un avenir d’ouverture et éviter l’impasse ». (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Fruteau.

M. Jean-Claude Fruteau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cent ans presque jour pour jour après la naissance d’Aimé Césaire, notre assemblée examine une proposition de résolution qui entend exprimer notre attachement à l’héritage de cet homme de lettres qui, pendant de nombreuses années, fut également notre collègue.

Exprimer notre attachement à son œuvre littéraire et politique est toujours nécessaire, tant les valeurs qu’il a portées et défendues résonnent encore. Face à la montée des extrêmes, de l’indifférence sociale, de la xénophobie et de l’intolérance, nous devons nous battre pour que la diversité soit une ressource, une force qui nous permette de construire un avenir commun, respectueux des pratiques culturelles, des croyances et des coutumes qui façonnent notre identité.

L’outre-mer a trop longtemps souffert de la condescendance, voire du mépris de la « métropole » à l’égard de ses cultures. Aimé Césaire, chantre de la négritude, a défendu toute sa vie le pluralisme face à l’aliénation culturelle profonde des élites – ou soi-disant telles – qui, en Martinique, privilégiaient les références provenant de la métropole coloniale.

À La Réunion, nous aussi avons subi cette aliénation culturelle. Pendant des dizaines d’années, nos artistes populaires, Gramoun Lélé ou Firmin Viry, ont dû se cacher dans les champs de canne à sucre pour chanter notre chant traditionnel, le Maloya. Et pendant ce temps là, à l’école, les professeurs nous enseignaient que nos ancêtres étaient les Gaulois et nous interdisaient de parler le créole, notre langue maternelle.

L’élection de François Mitterrand en 1981, avec le formidable vent de liberté qui a soufflé sur les médias, a mis un terme à ces errements. Le pluralisme culturel nous rassemble car, malgré nos différences, il contient un socle commun qui nous permet de faire société. Le pluralisme culturel est aussi une richesse inestimable, notamment dans l’exercice des responsabilités, qu’elles soient individuelles ou collectives, mais qui ne doit absolument pas tomber dans le travers du folklore ou du communautarisme. Face à des situations de détresse sociale dans nos territoires, nous devons et nous savons faire preuve de créativité. Mais cette créativité doit pouvoir s’exprimer dans l’unité de la République.

La capacité d’expérimentation de nos territoires doit être renforcée et des réponses spécifiques doivent être apportées, compte tenu des défis que nous avons à relever, de notre situation géographique, de notre éloignement, de notre environnement régional, de nos climats. Cette différenciation de l’action publique n’est pas incompatible avec les valeurs de la République. Néanmoins, trop souvent par le passé, cette différenciation a été appliquée dans le mauvais sens, pour nous priver de l’accès au droit commun, alors même que nous étions censés être des Français à part entière ! Ce temps-là est révolu et j’espère qu’il le restera !

Aujourd’hui, avec l’examen de cette proposition de résolution, nous voulons réaffirmer l’idée selon laquelle le vivre ensemble ne peut avoir de sens et d’avenir que dans le respect des différences et des identités, un respect qui les valorise. Si la culture distingue, il ne faut pas oublier que c’est elle aussi qui rapproche. Les différences ne doivent pas être des problèmes ; elles doivent permettre, au contraire, d’inventer des solutions.

Dans un monde qui s’accélère, où les repères sont toujours plus flous, nous ne savons pas exactement où nous devons aller. Mais nous ne devons en aucun cas oublier d’où nous venons. Un monde sans culture, sans mémoire et sans histoire, c’est un monde qui n’est promis à aucun avenir. Aimé Césaire l’avait bien compris.

On me pardonnera de conclure cette intervention en évoquant une expérience personnelle. A l’occasion des élections européennes de 1999, j’ai eu l’insigne honneur d’être reçu par Aimé Césaire dans sa mairie de Fort-de-France. J’ai été frappé par l’extraordinaire simplicité de ses manières et de son accueil et par la profondeur de ses analyses.

Cela fait maintenant cinq ans que cette immense voix s’est éteinte, mais elle résonne encore dans la tête et dans le cœur des femmes et des hommes d’outre-mer et du monde entier, comme un signal, comme un appel à refuser toute domination, comme une marche à suivre vers la liberté, qu’elle soit individuelle ou collective. C’est avec une émotion toute particulière que je voterai cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

M. le président. La parole est à M. Razzy Hammadi.

M. Razzy Hammadi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis en ce lundi 24 juin pour célébrer le centenaire de la naissance d’un homme qui, bien avant nous, laissa son empreinte à l’Assemblée nationale. Un homme, qui, par bien des aspects, aura marqué son siècle et apporté une contribution, peut-être inégalée, à la France, à sa culture et à la communauté républicaine.

Aimé Fernand David Césaire est né à Basse-Pointe en Martinique dans une famille modeste, puis il a étudié à Fort-de-France et à Paris, dans les lycées Victor-Schoelcher et Louis-le-Grand. Il y fera la connaissance de Léopold Sédar Senghor, avant d’intégrer l’École normale supérieure. Frappé par les inégalités économiques qui règnent dans cette société coloniale, il réalise que s’y ajoute l’aliénation culturelle. C’est en réaction à ce constat qu’il fera, dès 1936, le choix de la plume, un choix qui sera au crépuscule de sa vie une libération ultime. Il esquisse rapidement le concept de « négritude », quelquefois malhonnêtement critiqué et faussement dévoyé. Car la négritude, et je le dis ici, est un particularisme, mais avant tout, un universalisme.

Ce concept lui permettra de s’opposer à l’assimilation, celle qui broie la particularité, celle qui nie l’identité et qui confond unité et uniformité.

Humaniste militant, il emploie déjà le vocable qu’on retrouvera notamment chez Frantz Fanon – malgré les débats qui ont pu opposer les deux hommes – en affirmant être « de la race de ceux qu’on opprime », faisant ainsi référence à des individus qu’on ne détermine ni par leur couleur de peau ni par leurs origines.

Après avoir décroché l’agrégation de lettres, Aimé Césaire retourne en Martinique, où il enseigne, publie son célèbre recueil Cahier d’un retour au pays natal et fonde la revue Tropiques avec de nombreux intellectuels.

Les difficultés qu’il connaîtra l’amèneront à l’engagement, celui d’un homme politique qui ne cessera de confondre le combat culturel avec le combat politique, l’un étant le prolongement de l’autre, et inversement.

La culture est encore et toujours au cœur de son engagement. Pour lui, il s’agit à la fois de permettre un meilleur accès du peuple à la culture et de valoriser les artistes, afin de faire valoir ce qu’il y a de plus fort dans cette notion qui mêle universalisme et particularisme. Ces objectifs seront notamment placés au cœur du festival annuel de Fort-de-France, lancé dès 1972.

Si nous célébrons aujourd’hui la mémoire d’Aimé Césaire, nous n’oublions pas pour autant les difficultés que nous traversons – bien au contraire ! Son souvenir doit nous aider à refuser de céder à la peur, surtout à la peur de l’autre, au rejet de l’autre qui s’expriment ici ou là, aux surenchères, car il aurait pour sa part préconisé la paix et la réconciliation. Un tel vœu n’est pourtant pas chose facile, et Césaire le savait. Les premiers mots du Discours sur le colonialisme sont à cet égard particulièrement pertinents : « Une civilisation qui s’avère incapable de résoudre les problèmes que suscite son fonctionnement est une civilisation décadente ». Cette exigence absolue doit nous armer de courage dans le difficile contexte actuel.

C’est meurtris par la mémoire de cette perte que nous appréhendons aujourd’hui le départ des grands héros que nous comptons encore parmi nous. Nos pensées se tournent naturellement vers Nelson Mandela : comment ne pas songer aujourd’hui même à un tel rapprochement, à la façon dont celui qui porta la nation arc-en-ciel fait écho à celui qui permit de faire résonner avec culture et poésie la notion d’une nation véritablement républicaine parce que véritablement égalitaire ?

Ainsi que l’écrit Césaire dans La Tragédie du Roi Christophe  : « Tous les hommes ont mêmes droits. [… ] Mais du commun lot, il en est qui ont plus de devoirs que d’autres. » Cela, Nelson Mandela l’avait compris.

Je remercie donc Aimé Césaire, et tous ceux qui permettent de faire vivre dans la politique et dans la culture son héritage. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à M. le ministre des outre-mer.

M. Victorin Lurel, ministre des outre-mer. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, j’avoue que j’aurais aimé commencer cette intervention par l’évocation de souvenirs personnels, mais je garderai cela pour la fin de mon propos, si j’en ai encore le temps.

Les mots sont parfois bien courts pour témoigner pleinement d’une émotion lorsqu’elle est profonde. Les mots sont bien courts pour évoquer en quelques lignes celui qui avait le pouvoir de changer les mots en déflagrations, en fulgurances, en éruptions, éruptions touchant les cœurs, imprégnant les âmes et frappant les esprits. Oui, mes mots seront forcément bien courts à cet instant où j’ai le privilège de conclure cette discussion avant le vote de la proposition de résolution rendant hommage à Aimé Césaire.

Nous pourrions être embarqués toute une nuit durant, jusqu’au chant du pipirit, ce petit passereau qui incarne l’aube antillaise, à parler de celui qui nous réunit aujourd’hui, ce poète, ce philosophe, ce penseur multidimensionnel qui fut aussi un homme d’action, un grand élu, qui fut maire et parlementaire et qui fut, surtout, le témoin et l’acteur des grands bouleversements du XXsiècle.

Oui, nous pourrions aller jusqu’au bout de la nuit, et ce d’autant plus que l’esprit de Césaire, assurément, nous inspirerait en ces lieux, lui qui a habité cet hémicycle durant quarante-huit ans, qui a arpenté ces couloirs et dont la voix a résonné aussi fort qu’elle a raisonné à plusieurs moments déterminants de notre histoire parlementaire et, au-delà, de notre histoire nationale.

Mais, disons-le, une nuit ou une semaine entière ne suffiraient pas à moissonner tous les champs sur lesquels Césaire a semé et qui sont comme en état de germination permanente. C’est pourquoi je veux le dire très simplement : la République n’a pas fini d’honorer Aimé Césaire, car la République n’a pas fini de s’enrichir de ce qu’il a apporté aux valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité.

Bien sûr, la célébration du centenaire de sa naissance qui aura lieu dans deux jours et pour laquelle le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, fera le déplacement à Fort-de-France sera comme une sorte de point d’orgue. Mais partout sur le territoire national, dans l’Hexagone et dans les outre-mer, sans même évoquer les hommages internationaux à venir, la mémoire de Césaire sera célébrée et honorée.

Dans tous les domaines qu’il a abordés, dans tous les territoires sur lesquels il s’est aventuré – intellectuels comme géographiques –, Césaire a inspiré l’adhésion et le respect. Il a inspiré le profond respect dû à ceux dont le cheminement personnel, le message politique, les élans poétiques ont formé un souffle puissant d’aspirations collectives : aspiration à la dignité, aspiration à la considération, aspiration à la citoyenneté pleine et entière, aspiration à l’affirmation identitaire, aspiration à la résistance à l’oppression, aspiration à l’ouverture au monde, aspiration à la responsabilité, aspiration à l’émancipation. De telles aspirations étaient contenues, pour ne pas dire concentrées, en une semonce qui, un jour, claqua : « L’heure de nous-mêmes a sonné. »

Césaire parlait de la Martinique toujours, des Antilles souvent ; mais le propre d’une pensée universelle est de pouvoir s’adresser à tous et de valoir pour une multitude de situations historiques, géographiques et culturelles.

Ce combat d’une vie pour l’affirmation et la valorisation des identités plurielles, pour l’accession à la responsabilité, pour le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes a reçu un écho partout dans le monde et, singulièrement, dans les outre-mer. Ce combat, ce n’était pas celui du séparatisme, qui a produit tant de violences et de drames. C’était un combat en faveur d’un jus voluntatis de l’adhésion par le consentement, du libre choix exprimé.

Ce combat, c’était tout le contraire d’un dogme et d’une pensée simple, simpliste et simplificatrice. Sa dialectique tenait compte, en effet, de la complexité du réel. En cela, il était dans la lignée d’un Jaurès, pour qui « le courage, [c’était] d’aller à l’idéal et de comprendre le réel. »

Il disait, en 1982, dans un magnifique entretien avec Daniel Maximin – celui-ci le reprend dans son dernier livre écrit en hommage à Césaire Aimé Césaire, frère volcan –, que le surréalisme n’était jamais loin de lui, lui qui voulait « réconcilier le rêve et l’action, le rêve et la réalité », avec « la conscience que la réalité est rude et que ce n’est pas si simple que cela, et qu’aucun slogan ne simplifiera jamais cela ». Il est d’ailleurs intéressant de relire la préface de Sartre à Senghor lorsqu’il opposait le surréalisme de Césaire à celui d’André Breton. Il disait, plus loin, ne pas croire « qu’on va s’en sortir avec des formules sacramentelles ».

Non, le sens du combat de Césaire, c’est celui qui est remarquablement transcrit dans le texte de la proposition de résolution que vous est soumise aujourd’hui. Il apparaît tout d’abord dans les considérants, qui rappellent que « le principe de l’Égalité peut [… ] favoriser le respect des différences, des diversités, des opinions et des convictions de chacun, et participer, au total, à un vivre-ensemble national plus ouvert et plus juste », « que l’unité dans une diversité parfaitement valorisée, complètement assumée, est au fondement même de la République tout comme aux tréfonds du vivre-ensemble des hommes, des peuples, des cultures et des civilisations » et qui affirment que « la République permet une meilleure intégration de la diversité des situations dans son fonctionnement égalitaire ».

Le sens de ce combat inspire également la seconde partie du texte, dans lequel il est demandé que « la capacité des départements et régions d’outre-mer d’exercer des responsabilités et de prendre des initiatives soit renforcée, sans remise en cause de leur acquis et de leur égalité au sein de la République, pour leur permettre de mener leurs projets à terme et d’assurer leur rayonnement dans une pleine valorisation de leur identité, de leurs singularités et de leurs différences. »

Le vote de cette proposition de résolution peut nous permettre à tous de reconnaître en nous la part de l’héritage de Césaire que nous portons. Voter cette résolution, c’est aussi transformer cet héritage en objectifs politiques que nous devrons traduire, aujourd’hui et demain, en actes.

Je le dis d’autant plus solennellement que la volonté, l’engagement et l’action du Gouvernement consistent depuis un an à œuvrer très concrètement au retour des outre-mer au cœur de la République avec le souci d’en révéler les talents – l’un des orateurs a utilisé ce terme – et les cultures pour valoriser les formidables apports qu’ils constituent pour la France, pour la République et pour le monde. Le Gouvernement a aussi et surtout le souci de permettre aux territoires d’accéder à davantage encore de responsabilités, chacun à son rythme et suivant la volonté des citoyens.

Depuis la départementalisation de 1946, il y a eu des évolutions. La décentralisation fut une avancée majeure, comme un nouveau départ. Aujourd’hui, la Constitution dispose de ressources qui laissent ouverte la possibilité d’évolutions institutionnelles ou statutaires. Elle permet à de grandes collectivités locales d’être habilitées à faire la loi ou le règlement pour adapter la législation aux réalités de leurs territoires.

Quant à l’acte III de la décentralisation, qui sera bientôt examiné au Parlement, il sera l’occasion de marquer une nouvelle étape dans cette évolution.

Je veux remercier les différents orateurs et, pour commencer, Serge Letchimy, bien sûr, qui est à l’origine de cette proposition de résolution qu’il a magnifiquement défendue en traçant les lignes de crête d’un engagement, d’une pensée où tout n’est que relief et culminances – inventons cela !

Je veux saluer les interventions des députés Frédéric Reiss et Jean-Christophe Lagarde, au nom des groupes UMP et UDI, qui s’associent – je les en remercie – à cet hommage.

J’ai entendu les réserves formulées par Jean-Christophe Lagarde. Je voudrais lui dire que si Césaire était foisonnement et bouillonnement intellectuel intense, au point, il est vrai, de ne pouvoir être placé dans aucun carcan ni aucun corset de la pensée, il était aussi un homme d’action, un architecte, tel qu’il le disait lui-même, qui voulait bâtir et construire.

L’hommage pour le simple hommage, tel l’art pour l’art de Théophile Gauthier, manquerait assurément son objectif s’il ne consistait pas à tirer de Césaire des leçons pour l’action, pour aujourd’hui et pour demain. Tel est d’ailleurs l’un des reproches que Sartre avait adressé au surréalisme de Breton. Le surréalisme de Césaire ne consiste pas en l’art pour l’art ni en l’écriture pour l’écriture : son écriture est tendue vers l’action. Sartre et Breton ne s’appréciaient guère, et l’on s’est servi de Césaire pour interpréter autrement le mouvement littéraire surréaliste.

Je veux remercier M. Noël Mamère pour avoir rappelé, au nom du groupe écologiste, combien les sujets sont nombreux qui permettraient d’avancer résolument vers l’égalité réelle dans les outre-mer, mais aussi pour avoir évoqué le parallèle – que j’avais d’ailleurs à l’esprit en arrivant à l’Assemblée – entre les hommages rendus aux deux figures que sont Aimé Césaire et Nelson Mandela, ce dernier étant, si je puis dire, au crépuscule d’une vie que l’on souhaite encore longue.

J’ai entendu l’intervention du député Jean-Philippe Nilor, dont je souhaite retenir les mots de respect à l’endroit d’Aimé Césaire, sans m’immiscer plus avant – il le comprendra – dans ce qui m’est apparu comme relevant essentiellement du débat politique martiniquais.

Merci également à Mme la députée Jeannine Dubié et au groupe RRDP, pour le soutien apporté à cette résolution.

Merci enfin aux orateurs du groupe SRC – M. Thomas Thévenoud, dont j’ai aimé les mots, Mme Erika Bareigts, M. Jean-Claude Fruteau et M. Razzy Hammadi – qui ont montré combien les idées de Césaire inspirent et continueront à inspirer des générations de parlementaires.

La pensée de Césaire n’était pas et ne sera jamais consensuelle, mais son parcours, de Basse-Pointe à Fort-de-France, de 1913 à 2008, ses combats, sa sagesse, sa poésie, cette « parole essentielle », cette poésie qu’il qualifiait de « péléenne », car « elle s’accumule, elle s’accumule patiemment, fait son cheminement, on peut la croire éteinte, et brusquement la grande déchirure » qui lui donne son caractère dramatique – l’éruption –, tout cela a transcendé les controverses.

Il demeure une œuvre à la profondeur vertigineuse et il demeure cette vie d’homme.

« C’est quoi une vie d’homme ? », interrogeait-il. « Évidemment une vie d’homme, ce n’est pas ombre et lumière, c’est le combat de l’ombre et de la lumière, ce n’est pas une sorte de ferveur et une sorte d’angélisme, c’est une lutte entre l’espoir et le désespoir, entre la lucidité et la ferveur, et cela est valable pour tous les hommes, finalement sans naïveté aucune parce que je suis un homme de l’instinct, je suis du côté de l’espérance, mais d’une espérance conquise, lucide, hors de toute naïveté parce que je sais que là est le devoir ».

L’espérance conquise et lucide, voilà le devoir.

Permettez-moi de conclure en disant que j’ai rencontré Aimé Césaire personnellement deux fois – j’allais dire deux fois et demie. Il a bien voulu me dédicacer ses œuvres, de sa petite écriture difficile à déchiffrer et a même souhaité me faire dactylographier le contenu de son propos. Bien que l’ayant brièvement rencontré, comme beaucoup ici et aux Antilles, depuis les années 1960, j’ai le sentiment d’avoir considérablement pratiqué Césaire, de l’avoir beaucoup utilisé : peut-être sommes-nous, dans une certaine mesure, des rentiers de Césaire. On le fait encore prospérer.

J’ai entendu Jean-Christophe Lagarde dire qu’il représentait un particularisme ouvert sur l’universel. C’est un universalisme, et surtout un humanisme : la négritude est un humanisme.

La pensée de Césaire est belle, extrêmement vivante mais complexe. On peut avoir l’impression – certains lui ont adressé ce reproche – qu’il ne voulait pas évoluer et refusait l’émancipation. Il n’en est rien : il a dit très clairement souhaiter l’adhésion, l’évolution des peuples sur la base de la liberté. Sans préjuger de ce que fera le peuple martiniquais, et les peuples en général, cela doit se faire, aux yeux de Césaire, sur le fondement de l’adhésion, de la liberté, d’où l’expression jus voluntatis autrement dit, je le répète, l’adhésion, l’espérance lucide, sans ignorer les complexités du réel. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

Explications de vote

M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à M. Serge Letchimy, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Serge Letchimy. Je veux remercier les orateurs et leur dire combien j’ai apprécié la hauteur de vue de la plupart de leurs interventions. M. Lagarde a exprimé une position ambitieuse, puisqu’il estime que cette proposition de résolution aurait pu être encore plus forte, en particulier sur la pensée universelle d’Aimé Césaire. Il convient toutefois de prendre garde, car célébrer, honorer, reconnaître la valeur et la pensée d’un poète ne signifie pas traduire celle-ci en dogme. Césaire n’aurait pas voulu cela. Aussi les personnes qui ont travaillé sur ce texte ont-elles souhaité privilégier deux axes.

Le premier d’entre eux consiste à reconnaître qu’en France, nous évoluons vers le multiculturalisme, ou, ce qui revient au même, vers le pluriculturalisme. Notre société doit en tenir compte et, surtout, trouver les moyens pour que l’expression du multiculturalisme se fasse dans l’espace public et politique de la manière la plus cohérente possible. Cette proposition de résolution constitue un appel à l’esprit de Césaire, pour permettre à la France, dans le cadre des décisions qu’elle sera bientôt amenée à prendre, de s’inspirer de la volonté humaniste de Césaire. C’est très important car, il y a peu de temps, comme cela a été rappelé, on a voulu créer un ministère de l’identité nationale, ce qui montre la prégnance de certaines idées. De même, on a entendu dire récemment dans l’enceinte de l’Assemblée qu’il existe une hiérarchie des civilisations : un chemin très long demeure donc à parcourir.

Le second axe privilégié par cette proposition est la prise en compte de la question de l’initiative et de la différence. C’est à mes yeux une position politique, éthique et philosophique fondamentale – si certains veulent y voir autre chose, c’est leur problème. C’est, je le répète, une question très importante.

Aimé Césaire, en 1946, a véritablement répondu aux attentes des populations : l’accès à l’égalité, la sortie du régime des décrets et de la colonie et la possibilité offerte aux travailleurs martiniquais d’obtenir des droits identiques aux autres. À ce titre – il l’a répété à plusieurs reprises – il n’a jamais souhaité l’assimilation. Il a même affirmé avoir inventé un néologisme – la départementalisation, qui n’était pas un concept très utilisé à l’époque – et s’est battu toute sa vie pour faire reconnaître le droit à la différence du peuple martiniquais.

Le fait d’appartenir à une communauté de destin, caractérisée par une langue, une culture et une origine communes rend essentielle l’expression de la différence. Je sais qu’en droit français, il est malaisé de concilier égalité et droit à la différence. C’est toutefois une invitation extrêmement puissante, non pas parce qu’elle émanerait de ma personne, mais parce qu’elle traduit l’orientation fondamentale d’Aimé Césaire. Il n’a jamais souhaité à titre personnel l’indépendance, même s’il reconnaît le droit à l’indépendance et a affirmé qu’un jour la Martinique serait indépendante. Il a toujours voulu que la Martinique et son peuple évoluent, au sein de l’ensemble français, tout en considérant que l’on est d’abord martiniquais et que l’on est capable de prendre en main notre destin, en partageant avec la France l’égalité et la différence.

Je veux remercier le président de l’Assemblée nationale. Après de longues discussions, sur la manière dont nous devions honorer la mémoire de Césaire, nous nous sommes accordés sur la nécessité, non pas de l’honorer – car nous savons qu’il n’aimait pas les honneurs –, mais de faire passer quelques messages. À cet égard, le choix de la résolution est un très bon choix : il s’agit d’imprimer une orientation.

Je souhaite en effet que, sous cette législature, nous trouvions l’inspiration césairienne dans ce que nous ferons pour l’outre-mer mais aussi dans l’Hexagone, pour tenir compte de l’importance prise par la diversité et du besoin de reconnaissance exprimé par de nombreuses personnes issues d’anciennes colonies. Nous devons être capables de construire la prospérité par la dignité humaine et, surtout, par le respect. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Noël Mamère, pour le groupe écologiste.

M. Noël Mamère. Je m’inscrirai dans le prolongement de ce que vient de dire notre collègue Serge Letchimy. Pour conférer un sens plus politique, un sens plus concret, à cette résolution, peut-être la gauche s’honorerait-elle, pour rendre hommage à Aimé Césaire autrement que par les mots, à instituer, par exemple, une fondation, un musée pour la mémoire du colonialisme et de l’esclavage ? Nous ne sommes pas les seuls à le réclamer : un certain nombre d’intellectuels qui s’intéressent à ces questions nous disent aujourd’hui que cela manque au plus haut point.

Rappelons qu’un certain nombre d’œuvres, volées en Afrique, en Asie et dans le Pacifique, dans des territoires que nous avons colonisés, se trouvent aujourd’hui dans nos musées et sont la preuve de la prédation de la colonisation et de la tentative d’effacement de cultures que nous avons voulu lâchement nous approprier.

Enfin, il me semble que nous nous honorerions à reconnaître le massacre du 26 mai 1967 en Guadeloupe, au cours duquel 87 ouvriers du bâtiment en grève ont été assassinés.

M. le président. La parole est à M. Jean-Philippe Nilor, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. Jean-Philippe Nilor. Je me contenterai de rappeler la position que j’ai défendue lors de mon intervention, et qui est celle du groupe GDR. S’il s’agit de rendre hommage à Aimé Césaire, nous voterons cette proposition de résolution plutôt deux fois qu’une, mais s’il s’agit de voter subrepticement, sournoisement, en faveur d’une orientation politique, qui est celle de l’autonomie constitutionnalisée, de la fameuse troisième voie – qui n’a pas reçu, jusqu’à présent, l’aval des Martiniquais – nous nous y opposerons.

Vote sur la proposition de résolution

M. le président. Je mets aux voix la proposition de résolution.

(La proposition de résolution est adoptée.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures, est reprise à dix-huit heures cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

3

Consommation

Discussion d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi relatif à la consommation (nos 1015, 1156, 1110, 1123, 1116). Je vous rappelle que la conférence des présidents a décidé d’appliquer à cette discussion la procédure du temps législatif programmé, sur la base d’un temps attribué aux groupes de trente heures. Chaque groupe dispose des temps de parole suivants : le groupe SRC, 8 h 20 ; le groupe UMP, 12 h 25 ; le groupe UDI, 3 h 35 ; le groupe écologiste, 1 h 55 ; le groupe RRDP, 1 h 55 ; le groupe GDR, 1 h 50. Les députés non-inscrits disposent d’un temps de quarante minutes.

Présentation

M. le président. La parole est à M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances.

M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué chargé de l’économie sociale et solidaire et de la consommation, monsieur le président de la commission des affaires sociales, madame, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les députés, le projet de loi relatif à la consommation qui est soumis à votre examen est une réforme structurelle ambitieuse de soutien à l’économie. Je veux dire en quoi, avant de laisser mon collègue Benoît Hamon, qui en a assuré le pilotage, en présenter les principales dispositions plus en détail.

L’ambition de ce texte est simple : rééquilibrer les relations économiques, qu’il s’agisse des relations entre consommateurs et entreprises, entre les consommateurs et les acteurs financiers, ou bien entre les entreprises elles-mêmes.

Si je suis présent à l’ouverture de ce débat en soutien au ministre délégué, c’est parce que je m’implique pleinement dans cette démarche en tant que garant de l’ordre public économique et de l’équité des relations commerciales.

Ce projet propose en effet une rupture, assumée, avec certains dogmes économiques qui voyaient dans les consommateurs des agents parfaitement rationnels, aptes à faire valoir leurs droits par eux-mêmes, laissant le jeu de force des marchés se déployer sans correction particulière. Je ne veux pas dire que les consommateurs seraient à l’inverse aveugles et incapables de rationalité économique ; j’estime qu’ils ont besoin aussi de mécanismes de correction, de mécanismes de soutien, de mécanismes de régulation, tels que les prévoit ce texte. Ce dogme que j’évoquais est en vérité plus qu’un dogme, c’est une fiction, une fable, bien connue : la fable du pot de terre contre le pot de fer. Face à une firme multinationale, que peut un consommateur isolé qui s’est fait léser ? Face à un mastodonte de la grande distribution, que peut un petit producteur local de produits artisanaux ? Rien ou si peu, et ce sont ces déséquilibres-là que le texte entend corriger.

Je porte aussi ce projet en tant que ministre de l’économie, pour stimuler la croissance, pour impulser la relance dont nous avons tant besoin. L’impact que nous attendons de cette réforme structurelle sur l’activité économique est en effet double et très significatif.

Ce projet fait tout d’abord des consommateurs des acteurs de la relance par cette notion si essentielle pour l’économie : la confiance. C’est une évidence que nous ressentons tous dans nos circonscriptions, sur le terrain, que nous éprouvons dans les chiffres produits par les différents offices statistiques : les ménages sont d’autant plus enclins à consommer que le cadre contractuel dans lequel ils s’engagent est transparent et leur assure des voies de recours efficaces. En clair, ce projet de loi est aussi le moyen de restaurer leur confiance et leur permettre de consommer.

Le deuxième canal par lequel ce projet de loi bénéficiera à l’économie, c’est celui, fondamental pour Benoît Hamon et moi-même, pour la majorité également, de la lutte contre les rentes. Il existe des situations dans notre économie, où les consommateurs – ou bien une partie à un contrat – sont en quelque sorte « captifs », ils sont dans l’impossibilité de faire évoluer ou cesser une pratique, parce que les arrangements contractuels sont rigides ou bien non respectés.

À cet égard, la grande avancée de ce projet de loi, c’est l’action de groupe.

M. Damien Abad. À quel prix ?

Mme Catherine Vautrin. Au rabais !

M. Razzy Hammadi, rapporteur de la commission des affaires économiques. Pas de politique politicienne, s’il vous plaît !

M. Pierre Moscovici, ministre. Je n’hésite pas à dire qu’en votant ce texte, mesdames et messieurs les députés, vous allez introduire dans le droit national une innovation majeure – que je n’ose qualifier d’historique même si je le pense en vérité. D’autres l’avaient promise avant nous et ils ont tous cédé face à tel ou tel lobby. François Hollande l’avait promise pendant la campagne. Et la grande différence entre le Président de la République actuel et les présidents de la République qui l’ont précédé, entre ce Gouvernement et les gouvernements qui l’ont précédé, c’est que nous, nous allons la mettre en œuvre, cette action de groupe, si vous décidez de voter ce texte. Je suis d’ailleurs curieux de savoir, en voyant certains députés de l’opposition s’animer à son évocation, qui ne votera pas cette mesure très attendue par les citoyens et consommateurs français.

M. Frédéric Lefebvre. Je ferai d’autres propositions !

M. Pierre Moscovici, ministre. Je tiens d’ailleurs à souligner que nous avons cherché, et je le crois, trouvé – notamment après le travail en commission des affaires économiques dont je salue le président, François Brottes, avec respect et amitié – un équilibre sur l’action de groupe. Le texte est en effet ambitieux, notamment avec l’introduction d’une procédure simplifiée, et évite de tomber dans certains travers que l’on peut trouver de l’autre côté de l’Atlantique, car nous respectons les caractéristiques de notre économique.

Ce texte ne créera, je veux le dire avec force et simplicité, pas de chasseurs de primes pourchassant les entreprises. De même, il est aujourd’hui volontairement limité dans son champ, en matière de consommation et de concurrence, comme Benoît Hamon vous l’expliquera très précisément. C’est une innovation majeure, nous devons donc prendre notre temps pour envisager son extension dans le temps et l’adapter à d’autres secteurs. Nous vous dirons comment nous comptons procéder.

Lutter contre les rentes de situation abusives, éviter même leur constitution, c’est inciter les acteurs économiques à se différencier mais à se différencier positivement. Comment ? Il leur faut se différencier par l’innovation, améliorer leur offre, et finalement – je n’hésite pas à le dire, car je ne considère pas que c’est un gros mot –, à être plus compétitifs. On voit bien là que ce projet ne s’oppose pas au rétablissement de la compétitivité, qui mobilise par ailleurs toutes nos énergies, mais bien au contraire, qu’il participe de cette même ambition centrale de notre politique économique.

J’entends déjà sur certains bancs des accusations selon lesquelles nous aurions rédigé un texte punitif ou dangereux pour les entreprises.

M. Damien Abad. Eh oui !

M. Pierre Moscovici, ministre. Cet argument, je le réfute d’emblée. Les entreprises ont besoin de consommateurs qui ont confiance pour consommer. Des scandales récents, que nous avons jugulés, nous ont montré que la tromperie économique d’un acteur a pu affecter toute une filière et avoir un retentissement bien au-delà de nos propres frontières. Cela n’est pas tolérable. Nous avons pu être confrontés à certaines limites, M. le ministre délégué le sait. Et cette loi est le moyen de répondre à ce type de situation. Pour que la loi soit respectée, il faut des sanctions et des sanctions efficaces. C’est une dimension parfaitement assumée par le Gouvernement.

Par ailleurs, ce texte porte des avancées précises pour la compétitivité de nos entreprises, en particulier de nos PME.

J’ai présenté à la fin du mois de février un plan en onze points, aujourd’hui déjà mis en œuvre aux deux tiers, pour répondre à une question centrale pour nos entreprises, notamment les PME : les tensions de trésorerie. Je rappelle que si les délais de paiement légaux étaient respectés en France, plus de 10 milliards d’euros de trésorerie seraient rendus à nos PME et à nos entreprises de taille intermédiaire – vous savez comme c’est un enjeu fondamental, monsieur le président de la commission des affaires économiques.

La réflexion s’est poursuivie depuis, sur la base notamment du rapport du sénateur Martial Bourquin qui nous a remis, à Arnaud Montebourg et à moi-même, des recommandations détaillées pour améliorer les délais de paiement, dont plusieurs trouveront à être mises en œuvre dans ce texte, avec son accord.

Le projet de loi relatif à la consommation apporte en effet sur cette question, qui est très pressante pour de nombreuses PME, une réponse directe et concrète. Aujourd’hui, pour une PME ou une ETI, faire respecter la législation sur les délais de paiement est à la fois long, coûteux et risqué.

Il faut traîner son donneur d’ordre devant le juge et engager une procédure de sanction pénale ou civile, avec une perspective réelle de représailles du partenaire commercial. Le projet de loi prévoit donc une sanction, fortement dissuasive, qui pourra aller jusqu’à 375 000 euros ; elle sera prononcée directement par l’administration en remplacement des sanctions civiles ou pénales actuelles.

Le jour où ce projet de loi a été présenté en Conseil des ministres, nous nous sommes rendus avec Benoît Hamon devant les agents de la DGCCRF – je le dis en présence de la directrice de cette administration – pour leur renouveler toute notre confiance et notre soutien.

Dans un contexte compliqué sur le plan budgétaire, cette direction, qui a été très touchée et affaiblie ces dernières années, peut compter sur nous.

M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques. Eh oui, monsieur Lefebvre !

M. Pierre Moscovici, ministre. Nous voulons lui donner les moyens d’accomplir sa tâche si importante, ainsi que les missions nouvelles qui lui sont confiées par ce projet de loi.

Tout cela sera bien plus efficace, bien plus rapide et bien plus dissuasif, et permettra à nos PME de desserrer l’étau des contraintes de trésorerie.

M. Frédéric Lefebvre. Merci pour cet hommage à mon action, puisque ce sont des dispositions que nous avons mises en place !

M. Sébastien Denaja, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Ce qui compte, monsieur Lefebvre, c’est la réalisation des projets !

M. Pierre Moscovici, ministre. Monsieur Lefebvre, c’est lorsque vous étiez dans ce ministère que la DGCCRF a le plus souffert.

La discussion parlementaire doit permettre d’avancer encore sur ce point et de trouver, dans les mois à venir, des solutions précises pour répondre aux demandes du bâtiment ou des entreprises exportatrices.

Autre mesure importante pour nos PME : le rééquilibrage des relations commerciales entre distributeurs et fournisseurs.

Je m’arrête un instant sur ce point, pour m’adresser en particulier – vous voudrez bien m’en excuser – aux députés de la majorité. Lorsque nous étions dans l’opposition – j’étais sur ces bancs –, nous avions largement critiqué la loi de modernisation de l’économie, estimant qu’elle faisait la part trop belle à la grande distribution.

Pour ma part, devenu ministre de l’économie et des finances dans ce Gouvernement, j’assume parfaitement la nécessité d’un rééquilibrage, au premier chef au profit des producteurs et des PME de l’agroalimentaire.

Aujourd’hui, reconnaissons-le, des pratiques abusives persistent. Par exemple, certains distributeurs refusent de répercuter les hausses de prix demandées par les industriels qui se retrouvent étranglés par de fortes hausses des prix des matières premières, dans les secteurs du lait, de la confiserie ou de la charcuterie notamment.

Le projet de loi impose donc à la grande distribution une clause de renégociation obligatoire des prix dans les contrats portant sur certains produits alimentaires, pour faire face à la volatilité des prix des matières premières. Je reprends la fable du pot de terre contre le pot de fer, car au fond l’idée est la même : éviter que des petites structures, des petites PME au pouvoir de négociation limité, ne se voient imposer des contrats léonins qui déséquilibrent profondément les relations économiques.

Je remercie les rapporteurs, notamment Mme Le Loch pour les amendements qu’elle a fait adopter en commission et qui ont permis d’aller plus loin en s’assurant que la mesure sera applicable à tous les secteurs concernés.

L’équilibre des relations commerciales entre distributeurs et fournisseurs est au demeurant une préoccupation constante du Gouvernement, au-delà du champ même du projet de loi que vous allez examiner.

Il y a quelques semaines, certaines fédérations professionnelles ont alerté le Gouvernement et le médiateur inter-entreprises quant à la captation abusive du crédit d’impôt compétitivité emploi par de gros acheteurs, qui exigeraient de leurs fournisseurs qu’ils en répercutent directement les bénéfices dans leur politique de prix. Nous avons immédiatement réagi, avec Arnaud Montebourg, pour informer les PME des voies de recours à leur disposition, si elles devaient se trouver dans ce type de situation, et naturellement nous n’hésiterons pas à agir si des pratiques de ce type devaient se confirmer ou s’amplifier.

Par ailleurs, j’affirme très solennellement devant la représentation nationale que toute pratique abusive de tel ou tel grand distributeur, quel qu’il soit, sera immédiatement sanctionnée, car tout le monde doit être jugé selon la même toise républicaine.

Ma fonction, ainsi que je l’indiquais tout à l’heure, comporte l’ordre public économique. Je dispose donc de par la loi d’un pouvoir d’assignation devant le juge des entreprises qui se rendraient coupables d’abus à la loi de modernisation de l’économie.

J’ai donné des instructions très claires à la répression des fraudes pour assigner toute entreprise que les services de l’État estimeraient en infraction. Vous pourrez constater très rapidement, si de telles pratiques devaient persister, les effets de cette instruction.

À ceux qui nous disent que nous n’allons pas assez loin face à certains grands distributeurs dont les pratiques étranglent leurs fournisseurs, je réponds solennellement que le Gouvernement les a entendus et se montrera d’une totale fermeté pour le respect de la loi, au nom de la préservation de l’emploi dans nos territoires et au nom de ce beau principe républicain qu’est l’égalité.

Sachez donc que l’engagement du Gouvernement sur ce point est total. Mais en même temps, nous ne devons pas prendre le risque d’un bouleversement complet de nos règles. Nos entreprises, que je connais bien pour les rencontrer régulièrement, quelle que soit leur taille – ce matin encore se tenaient à Bercy les Assises européennes du financement des PME – ont besoin également de stabilité ; Benoît Hamon et moi ne l’ignorons pas.

Nous ne pouvons pas, à l’heure actuelle, prendre le risque de changements de la loi qui se traduiraient par une inflation des prix des produits alimentaires, rognant ainsi sur le pouvoir d’achat, lequel est au cœur de nos préoccupations. Je suis sûr de pouvoir compter sur la vigilance de la représentation nationale sur ce point particulier.

Benoît Hamon portant ce texte au premier chef, je vais le laisser le présenter de manière plus détaillée ; il sera à vos côtés pendant la totalité de ce débat. Pour ma part, j’en termine par une autre petite révolution introduite par ce texte : la mise en place d’un registre national des crédits, qui a été adoptée par la commission des affaires économiques.

Débattue depuis longtemps et parfois contestée, cette mesure a donné lieu à une véritable bataille ; mais cette petite révolution va enfin voir le jour. Aux côtés de l’action de groupe et du rééquilibrage déjà évoqués, cette conquête centrale et même majeure consacre ce texte comme la révolution structurelle dont je parlais en introduction.

C’est un pas essentiel dans la lutte contre le surendettement dans notre pays,…

M. Damien Abad. Mais non ! C’est inefficace !

M. Pierre Moscovici, ministre. …tandis que d’autres dispositions complètent l’arsenal législatif pour encadrer le crédit à la consommation. Là encore, j’en appelle à votre vigilance : lutter contre le surendettement est une priorité, mais ne prenons pas non plus le risque de trop brider le crédit à la consommation – les derniers chiffres publiés sont en effet en recul – car nous avons besoin de crédit dans la situation économique actuelle.

C’est du reste toute la logique que j’avais défendue devant vous lors de l’examen de la réforme bancaire : faire en sorte de réguler certaines activités tout en préservant la compétitivité de notre système de financement.

M. Frédéric Lefebvre. Il serait intéressant de faire un point sur le pouvoir d’achat !

M. Damien Abad. Il n’y a rien sur le pouvoir d’achat !

M. Pierre Moscovici, ministre. Voilà, mesdames et messieurs les députés, ce que je tenais à vous dire aujourd’hui. J’attends naturellement beaucoup de la discussion que nous allons avoir dans les prochains jours, tous ensemble. Ce projet de loi est ambitieux, novateur et bien plus allant que les derniers textes présentés à votre Assemblée sur ce sujet – je vous le précise, monsieur Lefebvre, puisque vous m’interpellez subrepticement.

Ce texte mérite donc le soutien de tous, ceux qui pensent avoir été précurseurs comme ceux qui pensent, à juste titre, qu’il faut aller plus loin.

M. Frédéric Lefebvre. Si vous restez pendant la discussion, je vous répondrai avec plaisir et avec courtoisie.

M. Razzy Hammadi, rapporteur. Vous serez la star de l’opposition pendant l’examen de ce texte, monsieur Lefebvre !

M. Pierre Moscovici, ministre. Nous serons toujours courtois, monsieur Lefebvre !

Au final, mesdames et messieurs les députés, ce projet de loi part d’une prémisse, à la fois forte et très politique : en démocratie, le citoyen ne doit jamais se résumer au consommateur. Il convient toutefois de donner aux consommateurs des droits permettant d’offrir à tous les moyens d’une réelle citoyenneté économique.

C’est l’ambition, que je crois forte, de ce texte. Tout à la fois consistant, ambitieux, structurel, et favorable à la croissance, il mérite tout votre soutien. Il sera amendé avec, j’en suis persuadé, la sagesse dont sait faire preuve le Parlement.

M. Frédéric Lefebvre. Nous sommes prêts à le faire de façon constructive si le Gouvernement se montre lui-même constructif !

M. Pierre Moscovici, ministre. Des améliorations peuvent être apportées par tous ; mais au final, je pense que ce texte mérite le soutien de tous les bancs. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé de l’économie sociale et solidaire et de la consommation.

M. Benoît Hamon, ministre délégué chargé de l’économie sociale et solidaire et de la consommation. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, madame et messieurs les rapporteurs, mesdames et messieurs les députés, le 2 mai dernier, avec Pierre Moscovici, nous avons présenté en Conseil des ministres le projet de loi relatif à la consommation que vous allez examiner. C’est un honneur pour moi, à la suite du ministre de l’économie et des finances, d’ouvrir la discussion générale sur ce projet porteur de plusieurs ambitions.

Je veux commencer par situer ce texte dans deux contextes. Le premier est économique, le second politique.

Le premier contexte est celui d’une société de consommation de masse dans une Europe minée tant par la dette que par la modération des salaires, la montée du chômage et des inégalités sociales. Comment évoquer la consommation sans évoquer le pouvoir d’achat, qui a reculé en 2012 et 2013 ? Le Gouvernement veut inverser cette tendance par une politique de l’emploi, mais aussi par la réduction des dépenses contraintes des familles. Le texte que nous discuterons aujourd’hui, après la loi bancaire présentée par Pierre Moscovici et avec l’encadrement des loyers proposé par Cécile Duflot, redonnera du pouvoir d’achat aux Français.

Mais, si une partie du bonheur de nos concitoyens dépend de leur pouvoir d’achat, nous savons aussi que ce bonheur ne se résume pas au pouvoir d’achat. L’examen de ce projet de loi nous invite à aller un peu plus loin dans la réflexion et l’action. Depuis de nombreuses années, le progrès signifie souvent posséder plus. Est-on aujourd’hui plus heureux parce que l’on possède le smartphone dernier cri, le dernier modèle d’écran plat ou la dernière berline toutes options ?

À cela, l’économiste américain Richard Easterlin a répondu non, et quiconque s’intéresse aux questions de consommation connaît les travaux remarquables de cet économiste : il a mis en évidence le paradoxe qui porte désormais son nom, et qui démontre que l’augmentation du PIB n’entraîne pas forcément l’augmentation du bonheur. Le paradoxe d’Easterlin a ainsi été récemment décelé dans l’augmentation du nombre de Chinois insatisfaits de leur vie, passé de 14 % à 37 % de la population, selon l’institut Gallup, alors que le PIB par habitant a été multiplié par 2,5 au cours de la même période. Le paradoxe d’Easterlin se fonde sur une réalité vieille comme l’humanité, qui n’a pas attendu la civilisation de la consommation de masse pour faire réfléchir les philosophes et les économistes.

L’être humain est un être de comparaison, et son bonheur n’est pas forcément corrélé à ce qu’il possède ou à sa richesse en valeur absolue, mais à la satisfaction qu’il tire de l’examen de sa situation comparée à celle de ses semblables – ce que Tocqueville résumait ainsi dans De la démocratie en Amérique  : « Dans la confusion des classes, chacun essaie de paraître ce qu’il n’est pas et se livre à de grands efforts pour y parvenir. Pour satisfaire ces nouveaux besoins de la vanité humaine, il n’est point d’imposture auxquels les arts n’aient recours ». Remplacez les arts par le marketing ou la publicité, et vous aurez la révélation éclatante de l’actualité de ces observations faites par Tocqueville dans l’Amérique du XVIIIsiècle.

Ces réflexions font également écho à l’ouvrage remarquable de Jean Baudrillard sur La Société de consommation – véritable bible pour tous ceux qui s’intéressent à la consommation – dont la thèse est relativement simple : pour les sociétés occidentales est devenue la consommation un moyen de différenciation et non de satisfaction. L’auteur précise que l’homme vit dans et au travers des objets qu’il consomme ; mieux même, ce sont les objets qui nous consomment.

En clair, l’herbe est toujours plus verte dans le champ du voisin. C’est bien connu, l’envie et le désir ardent de paraître sont parmi les moteurs les plus sûrs des désirs de consommation des individus ; les marques agissent sur ces ressorts.

Ces principes ont ils résisté à la crise économique majeure qui traverse l’Europe depuis plusieurs années ? Oui. Comment ? Grâce à l’économie low-cost, promue et encouragée en Europe, notamment par plusieurs gouvernements libéraux et conservateurs européens, et qui s’étend à des aspects de plus en plus nombreux de la consommation des ménages. À entendre ceux-ci, ce modèle résume l’intérêt général européen au développement de la consommation de masse. Or quand les revenus sont comprimés par la crise ou par l’augmentation de la rémunération du capital au détriment des salaires, maintenir une consommation de masse passe par l’économie low-cost.

Ainsi, depuis dix ans, nous sommes passés du textile low-cost au téléphone low-cost, aux vacances low-cost – trajets en avion compris – et à l’alimentation low-cost. Hard discounters, casseurs de prix et autres enseignes à tout petits prix se sont multipliés sur le marché européen, comme pour entretenir l’illusion d’une démocratie économique où tous les biens, tous les services seraient accessibles à tous et à tous les prix.

Mais ce modèle a justement un prix, celui du démantèlement méthodique des modèles sociaux européens. Car quand le consommateur arbitre systématiquement en faveur du prix le plus bas, il encourage évidemment la réduction des coûts de production, donc du coût du travail, donc du financement de la protection sociale par les entreprises. Le consommateur qui n’a pas d’autre choix que de consommer low-cost en raison de son faible revenu, arbitre contre son intérêt de salarié et de futur retraité. C’est là la cruelle ironie de cette prétendue démocratisation de l’accès aux biens et aux services. Dans la tromperie à la viande de cheval ou dans le dumping social de certains abattoirs qui embauchent, en Europe, des salariés payés 4 euros de l’heure, soit 720 euros à temps complet par mois, on mesure le coût économique et social de ce système pour le salarié européen mais aussi, comme nous l’avons vu dans l’affaire de la viande de cheval, pour le consommateur européen qui perd légitimement confiance dans la qualité de ce qu’il achète et de ce qu’il consomme.

Cela me permet de vous dire, dès cette étape, ce que ne sera pas cette loi et ce qu’elle sera un peu.

Cette loi n’est pas une loi de libéralisation tous azimuts du marché français au motif qu’en toute chose et en toutes circonstances, la concurrence serait le meilleur système économique qui soit. Les secteurs où ce texte renforcera la concurrence, ce qui montre notre absence totale de dogmatisme sur ce point, sont pour l’essentiel les secteurs des dépenses contraintes des Français, ces dépenses incompressibles qui diminuent ce que l’on appelle le revenu arbitral disponible, c’est-à-dire ce qu’il reste d’argent à dépenser librement une fois toutes les factures payées.

Notre ambition est à plus long terme. Ce texte de loi échafaude des réponses nouvelles et ouvre le débat sur les changements d’attitude indispensables pour encourager une consommation plus responsable et plus durable. Il structure l’ambition, qui ne se réduit pas à cette loi, qui consiste à ne pas laisser croire qu’une société de consommation avec des acteurs, sans régulation ni contre-pouvoir, sera le moteur du progrès. C’est la raison pour laquelle cette loi donnera des pouvoirs nouveaux aux consommateurs en France.

Le pouvoir, c’est l’élément de contexte politique que je veux évoquer devant vous avant de détailler les propositions concrètes de ce projet de loi.

Permettez-moi de revenir quelques minutes sur ce qui s’est passé ce week-end à Villeneuve-sur-Lot et sur la dynamique électorale de l’extrême droite. Qu’est-ce que cela a à voir avec un texte sur la consommation, me direz-vous ? Je vais essayer de vous donner mon avis sur le sujet. Nous vivons dans une société où nos concitoyens enchaînent les épreuves. Chacun sait que l’existence n’est pas un long fleuve tranquille. Mais il n’y a rien de plus désespérant que de subir sa vie comme une succession d’épreuves sur laquelle on n’a ni contrôle ni maîtrise. Quand l’absence d’horizon personnel rencontre l’absence d’horizon collectif incarné par l’échec répété des gouvernements depuis plus de dix ans à lutter contre le chômage, la tentation de la grande lessive est forte. La dynamique de l’extrême droite se nourrit d’abord de ce désespoir.

Comme ministre – et je pense que Pierre Moscovici partage mon point de vue –, je sais que dans quatre ans nous n’aurons pas éliminé tout le chômage, toute la pauvreté, toutes les inégalités !

M. Damien Abad. C’est un aveu !

Mme Catherine Vautrin. Cela a le mérite d’être clair !

M. Benoît Hamon, ministre délégué. Mais la majorité doit se donner comme objectif de lutter contre le désespoir. Comment ? En redonnant du pouvoir aux Français, ce pouvoir qui leur a échappé ou qui leur a été enlevé, du pouvoir dans la sphère politique mais aussi du pouvoir dans la sphère économique, la possibilité d’exercer leur libre arbitre et de faire respecter leurs droits.

C’est pourquoi nous souhaitons, avec Pierre Moscovici, inscrire ce projet de loi parmi tous ces textes présentés par le Gouvernement qui vont donner du pouvoir aux Français et aujourd’hui donner du pouvoir aux consommateurs.

M. Damien Abad. Mais pas du pouvoir d’achat !

M. Benoît Hamon, ministre délégué. Ce texte comporte en effet des avancées que je n’hésite pas à qualifier de décisives, qui sont autant de ruptures, d’innovations juridiques pour redonner du pouvoir d’achat bien sûr, mais aussi du pouvoir aux consommateurs avec l’action de groupe ou la lutte contre les clauses abusives et les rentes, du pouvoir pour lutter contre le surendettement, des pouvoirs aux services publics, à la répression des fraudes, c’est-à-dire à la DGCCRF, pour protéger plus efficacement les consommateurs.

Ce texte rééquilibre la balance des pouvoirs, la relation parfois, disons-le, le rapport de force entre le consommateur et les entreprises, notamment les plus grandes quand elles se constituent de colossales rentes économiques au détriment de leurs clients.

Avec ces mesures, nos concitoyens trouveront les voies et les moyens d’un nouvel équilibre dans le rapport des forces qui existe en matière économique. Grâce au travail parlementaire – je veux saluer, à cet égard, M. Brottes, président de la commission des affaires économiques, et les deux rapporteurs du texte, M. Razzy Hammadi et Mme Annick Le Loch, mais aussi le travail essentiel des commissions qui se sont saisies pour avis, la commission des finances, la commission du développement durable et la commission des lois – ce texte constitue un changement majeur de paradigme pour les consommateurs, changement qui sera aussi renforcé par l’affirmation d’un État garant de l’ordre public économique.

Grâce à ce texte, en effet, le rôle de l’État comme garant de l’ordre public économique est réaffirmé, conjuguant renforcement de la protection des consommateurs et compétitivité de notre économie.

Cet équilibre est au cœur du projet de loi, comme l’a dit Pierre Moscovici. Le Gouvernement assume un parti pris économique : les mesures de protection des consommateurs ne sont économiquement efficaces que si l’avantage qu’elles apportent à ces derniers est supérieur au surcoût induit pour le professionnel, parce que ce surcoût serait le plus vraisemblablement répercuté intégralement sur le consommateur lui-même.

À cet égard, je veux dire que lorsque le Gouvernement entend sanctionner les comportements déloyaux ou, ce qui peut s’apparenter, dans certains cas, à de la délinquance économique, il entend protéger, restaurer même le lien de confiance entre les consommateurs et les entreprises. Les entreprises qui investissent dans la qualité de leurs produits et de leurs services doivent pouvoir récolter les fruits de leurs efforts et être protégées de la concurrence déloyale de celles qui ne respectent pas les règles. C’est aussi cela le renforcement de l’effectivité des droits des consommateurs. Ce constat se pose avec une acuité particulière cette année, à la suite de la tromperie dont les consommateurs ont été récemment victimes en matière alimentaire.

Le premier axe majeur de ce projet de loi consiste à rééquilibrer les pouvoirs entre consommateurs et professionnels.

Mesure phare du projet de loi, l’action de groupe offrira une voie de recours collectif efficace pour les consommateurs. Comme l’a dit Pierre Moscovici, la création d’une action de groupe est un peu l’Arlésienne du droit de la consommation puisque cela dure depuis vingt ans maintenant. Jacques Chirac l’avait annoncée, en vain ; Nicolas Sarkozy l’avait promise, en vain. Voilà quinze ans que l’on sacrifie les droits des consommateurs sous la pression de certains groupes d’intérêt privés.

M. Damien Abad. Caricature !

M. Benoît Hamon, ministre délégué. À la fin de l’année 2011, la majorité du Sénat, socialiste, communiste, écologiste et radicale de gauche, introduisait, contre la volonté du Gouvernement de l’époque, dans le projet de loi consommation que portait mon prédécesseur, Frédéric Lefebvre, un dispositif d’action de groupe.

Le Gouvernement précédent a alors interrompu l’examen parlementaire de ce texte. Il nous revenait de reprendre l’ouvrage, conformément aux orientations du Président de la République, François Hollande, qui nous a confié un mandat clair : instaurer enfin l’action de groupe en France. Avec l’aide de la commission des affaires économiques, saisie au fond, aidée par la commission des lois dont je salue, ici, le travail remarquable de son rapporteur, Sébastien Denaja…

M. Régis Juanico. Remarquable, en effet !

M. Benoît Hamon, ministre délégué. …nous sommes parvenus, je le crois, à un progrès décisif pour le consommateur.

Cette réforme procédurale est majeure. Il s’agit d’une avancée démocratique dans le champ économique mais qui se garde des dérives parfois observées dans d’autres pays. L’action de groupe « à la française » sera, elle, au service des consommateurs et exclusivement des consommateurs,…

Mme Catherine Vautrin. Il ne suffit pas de l’affirmer. Encore faut-il le démontrer !

M. Benoît Hamon, ministre délégué. …de leurs droits et de leur pouvoir d’achat, et participera à la croissance. Ce sera un dispositif équilibré qui reposera sur les grands principes généraux de notre droit. Il répondra aux attentes fortes des consommateurs et à la nécessaire sécurité juridique et économique à laquelle aspirent légitimement les entreprises.

Le projet du Gouvernement fait suite à une large concertation, auprès tant des professionnels que des consommateurs. Elle s’appuie ainsi sur un avis unanime du Conseil national de la consommation…

M. Damien Abad. C’est faux !

M. Benoît Hamon, ministre délégué. …ainsi que sur une consultation publique sur la ligne internet du ministère de l’économie et des finances.

Les effets de la création de ce nouvel outil juridique seront doubles : non seulement, le droit sera mieux respecté, mais aussi l’action de groupe aura pour effet de redistribuer des rentes indues des professionnels vers les consommateurs. Ces rentes, qui correspondent à l’addition de chacun des préjudices individuels, représentent parfois des dizaines de millions d’euros. Grâce à l’action de groupe, ces sommes indûment perçues reviendront aux consommateurs. Cela favorisera le pouvoir d’achat et contribuera à relancer la consommation, donc la compétitivité, donc la croissance.

Grâce au travail mené en commissions, le texte originel a été enrichi par deux mesures qui renforcent l’efficacité de ce nouveau droit. Le Gouvernement salue cet apport. D’une part, l’introduction d’une procédure de liquidation accélérée permettra au juge, dans les cas où les consommateurs sont déjà identifiés, de condamner le professionnel à indemniser directement les consommateurs. D’autre part, il s’agit de la possibilité, pour les actions de groupe en matière de concurrence, de rendre le jugement public dès la première instance pour éviter le risque de déperdition de preuves chez les consommateurs.

Je veux immédiatement dissiper un malentendu. Le Gouverneront ne s’arrête pas au milieu du gué en réservant l’action de groupe au champ, déjà considérable parce que le plus nombreux, des litiges de consommation et de concurrence. Nous étendrons ce droit à la santé.

M. Damien Abad. Ça promet !

M. Benoît Hamon, ministre délégué. Marisol Touraine s’est exprimée ce matin publiquement. Elle présentera, au début de 2014, des propositions pour créer une action de groupe dans le champ de la santé. Cette action de groupe permettra aux consommateurs d’un médicament, pour faire référence à une affaire hélas sensible du moment, de se regrouper et d’obtenir réparation non d’un préjudice économique, mais d’un préjudice corporel ou de santé, d’un dommage qui justifie souvent un examen individuel.

Ce texte, qui se concentre donc sur les litiges de la vie quotidienne et les préjudices économiques, est en quelque sorte le premier étage d’une fusée dont le second étage sera, pour 2014, la création d’une action de groupe dans le champ de la santé.

Toujours dans l’esprit de mieux protéger le consommateur, le projet renforce les outils pour lutter contre les clauses abusives en permettant un effet dit erga omnes à l’annulation d’une telle clause par un juge. Alors qu’auparavant, quand le juge était saisi de l’examen d’une clause contractuelle et qu’il la considérait déséquilibrée, il l’annulait du seul contrat qui lui était présenté, demain, il pourra décider que cette clause doit être annulée de tous les contrats de même nature passés par le même professionnel avec les autres consommateurs. Cette mesure est une reprise du projet de loi de mon prédécesseur, Frédéric Lefebvre, que je salue sur ce point particulier.

M. Frédéric Lefebvre. Merci !

M. Thierry Benoit. Les voies de convergence sont possibles !

M. Frédéric Lefebvre. Sur certains points, j’espère, monsieur Benoit !

M. Benoît Hamon, ministre délégué. Il s’agit d’une avancée procédurale importante pour de nouveaux droits pour les consommateurs qui vient compléter l’action de groupe qui n’avait pas trouvé grâce malheureusement aux yeux de la majorité à laquelle vous apparteniez alors, monsieur Lefebvre.

M. Frédéric Lefebvre. Je défendrai un amendement !

M. Benoît Hamon, ministre délégué. C’est une invitation à essayer de nous rendre la pareille puisque nous avons considéré que cette disposition était bonne. Si vous êtes attaché à la protection des consommateurs, ce que j’imagine, vous ne pouvez pas être contre la proposition de Nicolas Sarkozy qui consistait à créer une action de groupe. Je vous le dis à vous en particulier, mais aussi aux parlementaires du groupe UMP en général.

M. Frédéric Lefebvre. Je répète que j’ai déposé un amendement à ce sujet !

M. Benoît Hamon, ministre délégué. Monsieur Lefebvre, il ne s’agira pas de s’échapper avec des amendements qui cherchent justement à s’échapper !

M. Frédéric Lefebvre. Bien au contraire !

M. Benoît Hamon, ministre délégué. Autre mesure forte de renforcement des pouvoirs du consommateur dont je ne sais pas si elle fera l’unanimité : la résiliation infra-annuelle des contrats d’assurance multirisques habitation et responsabilité civile automobile.

Cette mesure, je le sais, a fait couler un peu d’encre pour ne pas dire beaucoup et suscite quelques réactions d’acteurs économiques courroucés à l’idée de redéfinir les règles du jeu.

Aujourd’hui, rappelons-le, l’assureur peut résilier le contrat d’un assuré à tout moment, tandis que l’assuré ne peut le faire, sauf circonstances particulières, qu’au moment de la date anniversaire du contrat.

Je le rappelle, les assurances obligatoires, c’est 5 % des dépenses des ménages. Alors que la situation financière des grands assureurs est, disons-le honnêtement, confortable, les primes d’assurance multirisques habitation ont augmenté deux fois plus vite que l’inflation sur quinze ans, et trois fois plus vite sur ces trois dernières années.

Le projet rendra possible la résiliation infra-annuelle des assurances multirisques habitation et responsabilité civile automobile dès le terme de la première année d’engagement. Ce nouveau droit permettra aux consommateurs de mieux faire jouer la concurrence, donc de bénéficier d’offres plus performantes en termes de prix et de services rendus. Il participe aussi de l’action du Gouvernement pour faire baisser les dépenses contraintes des ménages.

J’ai vu et entendu les arguments de la coalition d’intérêts privés qui conteste cette mesure. Elle est dans son droit le plus légitime. Mais si la coalition, aussi nerveuse que large, s’exprime, c’est que nous touchons là à des avantages qu’il fallait remettre en cause. J’observe que plus de huit Français sur dix plébiscitent aujourd’hui cette mesure.

Par ailleurs, grâce au travail réalisé en commission, le Gouvernement s’engagera vers une clarification des règles en matière d’assurances affinitaires et vers une information harmonisée de tous les organismes d’assurances sur les prestations offertes par les assurances complémentaires santé, au bénéfice du consommateur.

Deuxième axe majeur du projet de loi : la lutte contre le surendettement des ménages.

Si le crédit est utile au bon fonctionnement de l’économie, son utilisation excessive peut être redoutable. Contrairement à d’autres, la France, et c’est plutôt heureux, connaît un endettement des ménages modéré. Les crédits nouveaux à la consommation représentent 5 % de la consommation des ménages. Seuls un peu plus de 30 % des ménages ont recours à l’endettement pour financer leur consommation. Les crédits sont le plus souvent utilisés pour le financement de biens durables, pour lesquels ils représentent 60 % des dépenses. Voilà posé le diagnostic.

Le crédit à la consommation a donc permis de soutenir la demande en France, notamment ces dernières années, sans parler du rôle qu’il a pu jouer dans un certain nombre d’économies – je pense notamment aux économies nord-américaines avec les excès liés à ce crédit à la consommation.

Notre action ne doit donc pas conduire à tuer la distribution de crédits, surtout dans cette période basse de cycle économique. Cependant, compte tenu du rôle joué par le crédit à la consommation dans certains secteurs d’activité et pour certains segments de la population, les conditions d’un développement responsable du crédit à la consommation doivent être renforcées.

M. Damien Abad. Eh oui !

M. Benoît Hamon, ministre délégué. Il est urgent de responsabiliser davantage les prêteurs, tout en les informant mieux de la réalité de l’endettement de l’emprunteur. Ainsi, 207 700 dossiers de surendettement ont été déposés par an en moyenne au cours des cinq dernières années, dont 35 % à 40 % de dépôts successifs. Au 31 décembre 2012, 772 000 ménages étaient en cours de désendettement, c’est-à-dire avaient bénéficié d’une procédure de traitement du surendettement.

Malgré cette progression du surendettement, l’accent mis sur le traitement des situations de surendettement et l’absence de politique globale de prévention est régulièrement dénoncé depuis de nombreuses années, notamment par la Cour des Comptes.

C’est pourquoi, en conclusion de la Conférence nationale contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale des 10 et 11 décembre 2012, le Premier ministre a pris l’engagement de mettre en place un registre national des crédits aux particuliers, dans l’objectif de lutter contre le surendettement par la responsabilisation des prêteurs.

Comme annoncé par le Gouvernement et à la suite d’un travail juridique approfondi avec le Conseil d’État, le Gouvernement a présenté un amendement à ce projet de loi qui a pour objet de créer un registre national des crédits aux particuliers. Ce registre renforcera la prévention du surendettement, en confiant la responsabilité aux prêteurs de s’informer de l’état réel d’endettement en matière de crédits à la consommation des personnes souhaitant souscrire un nouveau crédit à la consommation.

Le crédit à la consommation est présent dans 87 % des cas traités en commission de surendettement, avec en moyenne 4,6 crédits par dossier. Les statistiques du fichier national des incidents de remboursement montrent également que le crédit à la consommation est le crédit à risque qui génère le plus d’incidents. Un registre centré sur les crédits à la consommation est donc tout à fait pertinent en termes de prévention du mal endettement et du surendettement ; il est ainsi proportionné à l’objectif poursuivi.

La création du RNCP subordonne l’octroi des prêts à la consommation à sa consultation. Les prêteurs seront informés de l’existence et de la date d’octroi de crédits du même type. En ce sens, le registre enverra un « signal d’alerte impartial ». Une accélération du nombre ou du volume des crédits à la consommation d’une même personne devra alerter le prêteur.

La mise en place du registre contribuera donc à une meilleure évaluation des risques par les établissements de crédits. La présence d’informations positives permet en effet aux créanciers de mieux mesurer leur exposition au risque en fonction des emprunts déjà contractés auprès d’autres créanciers.

À tous ces égards, le registre constitue un nouvel instrument dans la lutte contre le surendettement. Il sert ainsi un objectif d’intérêt général économique et social qui se rattache à la lutte plus générale contre l’exclusion. Ce dispositif équilibré assume la conciliation entre l’efficacité dans la lutte contre le surendettement et la protection des libertés individuelles.

Si ce fichier ne saurait seul, je le répète, constituer la solution au problème du surendettement, il sera un point central de notre politique en la matière. Le Gouvernement a également prévu de mettre en œuvre, notamment dans le cadre du plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, d’autres dispositions comme, par exemple, la mise en place de « Points Conseil Budget ».

Ce faisant, avec le registre national des crédits aux particuliers, nous réalisons le vœu des dizaines d’associations caritatives – le Secours populaire, le Secours catholique, Crésus, mais aussi beaucoup d’autres – qui ont réclamé cet outil pour les aider à lutter efficacement contre le surendettement. C’était un engagement du Premier ministre, c’était un engagement du Président de la République : ce registre sera mis en place, si vous le décidez, mesdames et messieurs les députés.

Mais il faut aller plus loin dans le renforcement de l’alternative au crédit renouvelable. Cette forme de crédit doit être remise à sa place, c’est-à-dire faciliter la petite trésorerie des ménages. Pour les achats d’un montant supérieur à mille euros, le crédit renouvelable n’est pas la meilleure des formules. Il faut développer le crédit amortissable. C’est pourquoi nous allons contraindre les établissements de crédit, notamment sur les lieux de vente, à proposer systématiquement un crédit amortissable en alternative au crédit renouvelable, le plus souvent adossé à une carte de fidélité liée.

Un mot sur ces cartes confuses, distribuées dans le commerce, qui associent carte de fidélité et carte de crédit. Grâce aux propositions du Gouvernement, enrichies par les contributions parlementaires, et je veux saluer le travail de la commission des finances et du rapporteur pour avis Laurent Grandguillaume, nous allons neutraliser les dangers de ces cartes confuses. Nous comptons sur les effets conjugués de la création du registre des crédits, de l’engagement des établissements à prévoir une carte de fidélité nue quand il existe une carte de fidélité liée à une carte de crédit, et de l’obligation de proposer un crédit amortissable pour les achats de plus de mille euros.

En matière de crédit, un travail important a été effectué avec le Parlement pour faire en sorte que, demain, nous puissions interdire les hypothèques rechargeables, dispositif dangereux pour les emprunteurs qui peuvent engager leur bien immobilier pour garantir un crédit à la consommation.

Il s’agit aussi de redonner du pouvoir d’achat aux Français. La loi prévoit ainsi de renforcer considérablement l’effectivité de la législation sur les délais de paiement. Comme Pierre Moscovici l’a abondamment développé, je n’insisterai pas, mais je veux saluer le travail très important d’Annick Le Loch sur toutes ces dispositions qui aménagent la loi de modernisation de l’économie.

J’insiste sur un point, car nous avions eu des demandes de la part des producteurs dont vous vous êtes fait l’écho, madame Le Loch. Il s’agit d’inscrire une clause de renégociation obligatoire des prix dans les contrats portant sur certains produits alimentaires. Quand, dans l’élevage, les marges des agriculteurs sont intégralement dévorées par une augmentation du prix des matières premières, il faut pouvoir introduire une clause de renégociation des prix arrêtés entre le producteur et le distributeur. C’est ce que nous ferons, en réaffirmant par ailleurs le principe des conditions générales de vente comme socle de la négociation commerciale. Il est important d’avoir un instantané qu’on puisse vérifier et à partir duquel les autorités chargées de contrôler la qualité des négociations commerciales pourront travailler. Il est clair que, sur ces points, nous allons pouvoir prendre des mesures qui iront à la fois dans l’intérêt des consommateurs et dans celui des producteurs : cela démontrera que ces intérêts ne sont pas toujours conflictuels.

Dans ce cadre renouvelé, les pouvoirs de l’État régulateur seront renforcés. Sans sanctions réelles, l’autorégulation ne suffit pas, l’affaire de la viande de cheval en a administré la preuve. Le projet donne donc aux services de l’État des compétences et des pouvoirs accrus pour sanctionner plus rapidement, plus efficacement et de manière plus dissuasive les infractions aux règles du code de la consommation.

Les manquements qui faisaient l’objet de contraventions pénales seront désormais sanctionnés par des amendes administratives, ce qui nous évitera les classements sans suite : là encore, le Gouvernement renforce l’effectivité du droit. Il a d’ailleurs accepté, à l’initiative du rapporteur M. Hammadi, de renforcer la phase contradictoire en laissant deux mois, au lieu d’un seul, aux professionnels pour présenter leurs observations. C’était une manière d’entendre leurs remarques.

Les pratiques délictuelles seront plus sévèrement sanctionnées. Des cas récents de tromperie économique ont montré que de telles pratiques ne risquaient pas seulement de menacer la vie d’une entreprise, mais d’altérer la confiance des consommateurs et d’abîmer des filières entières. On l’a vu avec la viande de cheval, ce sont à la fin les salariés et les consommateurs qui paient l’addition. Il était logique que nous renforcions le niveau des sanctions. La multiplication par dix de l’amende relative aux fraudes majeures, ainsi que l’application d’un pourcentage du chiffre d’affaires pouvant aller jusqu’à 10 %, apparaissent comme des réponses à la fois proportionnées aux dommages causés aux consommateurs et à la filière dans les cas d’infraction les plus graves, mais aussi aux montants des bénéfices indus. J’entends ici ou là que ce serait excessif, c’est déjà, je le rappelle, le droit commun en matière de pénalité dans le champ du droit de la concurrence.

Ce projet de loi renforce également la protection des consommateurs en matière de vente à distance, qui représente 45 milliards d’euros de chiffre d’affaires pour l’année 2012. Nous avons souhaité mieux protéger les consommateurs. Parmi les mesures, il y aura l’allongement de sept à quatorze jours du délai de rétractation pour les consommateurs et l’obligation de remboursement sous trente jours des pénalités courant après cette période.

Enfin, nous sommes soucieux de nous orienter vers une consommation responsable et génératrice d’emplois de proximité. Je veux ici saluer le travail remarquable de la commission du développement durable de l’Assemblée nationale et du rapporteur pour avis M. Bricout, qui nous ont apporté, à travers bon nombre d’amendements, leur contribution sur ce sujet.

Nous voulons favoriser l’émergence d’alternatives au prêt-à-jeter. Le développement de modes de consommation plus responsables constitue non seulement une nécessité, mais aussi une demande de la part des consommateurs. Consommer mieux est une démarche citoyenne et volontaire, pour laquelle le consommateur s’érige, à raison, en acteur éclairé.

Comment consommer de manière plus durable sans savoir si un appareil défectueux peut être simplement réparé au lieu d’être remplacé ? Par ce projet de loi, nous renforçons l’information sur les garanties, mais aussi sur l’existence et la disponibilité réelle de pièces détachées nécessaires à la réparation d’un produit. Les vendeurs seront tenus de fournir aux consommateurs les pièces indispensables à l’utilisation d’un produit pendant la période indiquée par le fabricant ou l’importateur durant laquelle ces pièces sont disponibles.

Mieux informé, le consommateur pourra orienter ses achats vers des produits plus durables. Ces mesures feront du caractère réparable des produits un critère d’achat des consommateurs.

Un mot sur les indications géographiques protégées que nous allons étendre aux produits manufacturés.

M. Frédéric Lefebvre. C’était indispensable !

M. Benoît Hamon, ministre délégué. Porcelaine de Limoges, dentelle de Calais ou du Puy, linge Basque, faïence de Quimper, couteaux de Laguiole ou de Thiers, il existe une multitude de productions françaises de qualité, dont le savoir-faire est attaché à nos territoires et que le droit des marques ne protège pas d’une concurrence parfois déloyale. Sylvia Pinel et moi-même vous proposons d’étendre aux produits manufacturés la protection offerte par les indications géographiques, qui ont été un moteur de croissance dans le domaine alimentaire.

Le produit doit tirer ses qualités et sa renommée de son lieu de production et, en se rapportant à son indication géographique, le consommateur doit retrouver les caractères attribués à ce territoire. Ces indications géographiques sont pour le consommateur la garantie d’une certaine constance et d’une qualité authentique des produits qu’il achète, et pour lesquels il est prêt à payer plus.

Je ne reviens pas sur les mesures concernant les taxis, les voitures de tourisme avec chauffeur, les jeux en ligne ou la vente de la cigarette électronique aux mineurs.

Pour conclure, ce texte est le fruit d’une année de travaux, de concertation, de consultations tant du mouvement consumériste que des représentants des entreprises. Il aborde de multiples facettes de la vie quotidienne des Français : e-commerce, surendettement, litiges contractuels, assurance, taxis, relations commerciales, labellisation des productions locales. Je me suis cependant refusé à faire de cette loi un mille-feuille sectoriel. Ce qui constitue la colonne vertébrale de ce texte, c’est la volonté du Gouvernement de renforcer les pouvoirs des consommateurs.

Je ne crois pas à la prétendue liberté de la poule au milieu d’un poulailler libre où vagabonde un renard libre. Il appartient au Gouvernement et au Parlement de permettre au consommateur, souvent seul et isolé, d’exercer son libre arbitre et ses droits. Le texte qui vous est soumis aujourd’hui propose des réponses, dont des ruptures majeures, en ce sens.

Il vous revient maintenant d’en débattre. Je serai, comme en commission des affaires économiques je le crois, ouvert, disponible et concret.

Mme Catherine Vautrin. Disponible, c’est sûr. Concret, c’est autre chose !

M. Benoît Hamon, ministre délégué. Je veux saluer l’état d’esprit qui a présidé à ce travail. J’espère que nous retrouverons intact ce désir de travailler à des solutions communes en séance plénière. Je suis d’ores et déjà impatient de vous entendre. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, GDR et écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Razzy Hammadi, rapporteur de la commission des affaires économiques.

M. Razzy Hammadi, rapporteur de la commission des affaires économiques. Une fois n’est pas coutume, je voudrais saluer tous ceux qui nous ont permis d’arriver ici, après des heures de concertation, d’échanges, beaucoup de discussions et d’expertises au plus profond du tissu économique français. Ce sont les rapporteurs pour avis, Jean-Louis Bricout pour la commission du développement durable, Sébastien Denaja pour la commission des lois, Laurent Grandguillaume pour la commission des finances.

Annick Le Loch parlera mieux que moi de la loi de modernisation de l’économie : je salue son travail de rapporteur, ainsi que les équipes de l’Assemblée. Et permettez-moi d’avoir une pensée pour mes collaborateurs qui sont aujourd’hui dans les tribunes, Alexandrine Fadin et Michaël Bendavid, qui voient depuis des mois les responsables des secteurs concernés.

M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques. C’est à la fin qu’on remercie…

M. Razzy Hammadi, rapporteur. Les modes de consommation, monsieur le ministre, connaissent une évolution permanente depuis plusieurs dizaines d’années. Notre droit n’a pas toujours suivi ce rythme effréné, si bien que les retards accumulés sont ressentis par nos concitoyens. Les techniques de commercialisation ont radicalement changé : il suffit d’évoquer la place que le commerce en ligne occupe aujourd’hui.

Il était devenu urgent que notre droit intègre ces évolutions. Mais bien qu’il réponde à cette urgence, le texte dont nous discutons aujourd’hui représente bien autre chose que l’indispensable modernisation de notre droit. Vous avez voulu, monsieur le ministre, qu’il pose les principes fondamentaux qui seront le socle du droit de la consommation pour les années à venir. Ces principes poursuivent un même objectif : répondre au sentiment d’impuissance et même d’abandon de certains consommateurs ; et c’est ce sentiment d’impuissance qui les conduit légitimement à exiger des réponses concrètes de la part de la représentation nationale et du Gouvernement.

C’est pourquoi, monsieur le ministre, votre première ambition n’a pas été de complexifier un droit déjà complexe mais de simplifier le droit existant ; elle n’a pas non plus été d’ajouter à un droit déjà riche mais de rendre ce droit effectif. Car c’est bien l’effectivité et la simplicité que nos concitoyens appellent de leurs vœux,…

M. Thierry Benoit. En effet, je partage ce point de vue !

M. Razzy Hammadi, rapporteur. … tout particulièrement en ce qui concerne le droit de la consommation qui est leur quotidien.

C’est enfin de la confiance que les consommateurs demandent. Il faut retrouver cette confiance qui a été émaillée par les scandales ; et la confiance ne peut pas naître sans que soit instauré un rapport de force équilibré, digne et sain. Vous avez donc voulu rééquilibrer la relation professionnel-consommateur, sans pour autant faire de la consommation une relation conflictuelle : la consommation passe d’abord par la confiance mais celle-ci suppose des relations équilibrées et des acteurs responsabilisés.

Voici donc les objectifs du projet de loi porté par le Gouvernement, objectifs qui traduisent une nouvelle approche de la consommation et de la politique. Quant à la démarche représentée par ce texte, j’y vois de la nouveauté également car, contrairement aux précédents projets de loi – et on peut regretter que M. Lefebvre nous ait quittés –,…

M. Damien Abad. Ne vous inquiétez pas, il va revenir !

M. Razzy Hammadi, rapporteur. …nous traitons ici les difficultés beaucoup plus en amont : plutôt que de multiplier les réponses à des problèmes sectoriels, nous faisons en sorte qu’ils ne surviennent pas. Il s’agit d’en décourager l’avènement et, lorsqu’il est question de l’effectivité du droit et de la réparation, d’anticiper. Le projet de loi, je le répète, cherche à assurer l’effectivité du droit de la consommation, à faire en sorte que les règles qui existent ne soient plus méconnues ou, car on ne peut pas toujours changer les comportements comme on le souhaiterait, à faire en sorte, en tout cas, que les victimes de ces agissements puissent faire valoir leurs droits de la manière la plus efficace qui soit.

Évidemment, comment ne pas commencer par une de ses mesures phare qui est l’introduction de l’action de groupe dans le droit français ? Et quelle « coproduction » législative entre le Gouvernement et les parlementaires !

Mme Catherine Vautrin. Êtes-vous devenu copéiste, monsieur Hammadi ?

M. Razzy Hammadi, rapporteur. Le travail réalisé par les parlementaires, quels que soient les bancs sur lesquels ils siègent, en est le résultat. Vous rappelez d’ailleurs, au moment où l’exigence s’en fait entendre, que l’action de groupe existe partout sauf en France ! Codifiée depuis 1842 aux États-Unis, entrée dans la législation québécoise en 1978, votée au Brésil en juillet 1975, constitutionnalisée, même, au Portugal en 1976 avec le système dit de « l’action populaire », la France aura donc attendu 2013 pour, à son tour, l’introduire dans son corpus juridique. Pourtant, depuis la loi Royer de 1973 qui avait entrouvert la porte, que de débats, d’initiatives, de promesses, mais rien de concret.

Les présidents de la République précédents l’avaient promis, leurs concurrents malheureux aussi mais, cette fois-ci, cette réforme est bien traduite dans un projet de loi et débattue au sein de cette noble assemblée. Son élargissement viendra, comme annoncé ce matin par la ministre de la santé. Nous avons choisi une évaluation et une évolution du droit code par code. Nous ne sommes pas des Anglo-Saxons et donc notre droit n’est pas anglo-saxon non plus. La notion d’ Habeas corpus la question des jurys populaires nous ont amenés à vouloir une démarche efficace, concrète, précise, je le répète : code par code – demain la santé, après-demain, voire avant, l’environnement, peut-être les discriminations. Nous allons y travailler dans les mois qui viennent.

Le texte innove également de manière fondamentale en créant le registre national des crédits aux particuliers, là aussi promis et discuté depuis vingt-cinq ans. Il est là, dans le texte et répond à ces situations que nous ne connaissons que trop. En effet, 87 % des dossiers de surendettement comportent des crédits à la consommation. Avec les rapporteurs pour avis nous sommes allés dans ces commissions de surendettement. De 15 à 20 % de ces dossiers sont déterminés par des crédits dits « renouvelables ». Il faillait agir et nous agissons car c’est contre le « crédit de trop » que nous voulons lutter, contre ce fléau qu’est le surendettement et qui touche souvent, bien évidemment, les plus faibles.

Pourtant, ces dispositions, insuffisamment précisées par le passé, viennent ici encadrer l’effectivité de la lutte contre le surendettement, grâce à des amendements qui ne feront que renforcer l’alternative d’un crédit classique à une offre de crédit renouvelable. Il convient donc de garder à l’esprit que beaucoup a été fait dans un laps de temps assez bref, sans doute trop pour mesurer utilement l’impact des différentes mesures et je salue le ministre de l’économie et des finances pour ce qui a été réalisé par la loi bancaire quant au surendettement. Le dispositif voté en première lecture a reçu un écho plus que favorable au Sénat qui l’a substantiellement complété. C’est dans le cadre de cette initiative gouvernementale qu’il faut apprécier les mesures de lutte contre le surendettement prévues par le présent texte.

Autre innovation d’importance, qui touche cette fois-ci autant à notre vie économique qu’à notre sensibilité, voire, n’hésitons pas à le dire, à notre chauvinisme : la France s’illustre à travers ce projet de loi en protégeant et en modernisant son dispositif de défense du consommateur. Je pense bien évidemment à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la DGCCRF, que je salue au passage. Son renforcement, la modernisation de son action sont au cœur de ce texte. D’ailleurs, comment avez-vous pu décider, chers collègues de l’opposition, de sabrer dans ses effectifs quand vous étiez au pouvoir, effectifs qui ont baissé de 16 % entre 2008 et 2012, tout en lui confiant de nouvelles missions, en sus de celles dont elle avait déjà la charge et ce, avec la même efficacité. Si vous pouvez y parvenir, je suis preneur de la solution ! L’expérience montre en tout cas que cela n’a pas été le cas.

M. Frédéric Lefebvre. Toutes les dispositions concernant la DGCCRF figuraient dans le texte que j’ai défendu, je suis sensible à votre hommage.

M. Razzy Hammadi, rapporteur. Pour conclure, mes chers collègues, je souhaite tout simplement que nos discussions permettent encore d’améliorer ce texte. Nous ayons retenu plusieurs suggestions pour l’ensemble des parties du projet, qui nous ont notamment été faites au cours de plus de soixante auditions, soit cent cinquante heures d’échanges et de débats, pour près de 180 personnes rencontrées – proches d’organisations, experts, juristes – qui nous ont permis d’aller au bout de chacun des sujets. La commission des affaires économiques a souhaité débattre longtemps de ce texte : plus de vingt-quatre heures de discussions et d’échanges, plus de 700 amendements examinés.

M. Frédéric Lefebvre. J’espère que nous pourrons enrichir le texte sur le logement, par exemple.

M. Razzy Hammadi, rapporteur. J’espère que nos discussions seront aussi fructueuses en séance publique afin que la rupture que représente ce texte soit accentuée et bel et bien « transformée ». Il nous revient de faire en sorte que ce débat, que j’espère fécond, réponde aux exigences des consommateurs. Comme l’ont très bien souligné le ministre délégué à la consommation et, avant lui, le ministre de l’économie et des finances, le consommateur est avant tout un citoyen. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Le Loch, rapporteure de la commission des affaires économiques.

Mme Annick Le Loch, rapporteure de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le président de commission, messieurs les rapporteurs pour avis, mes chers collègues, j’évoquerai les deux articles pour lesquels j’ai l’honneur d’être la rapporteure de la commission des affaires économiques, les articles 61 et 62 qui concernent la loi de modernisation de l’économie.

Après des semaines d’auditions de professionnels et de responsables, de rencontres sur le terrain, j’ai pu constater le désordre économique et le déséquilibre des relations commerciales inter-entreprises qui ont cours et auxquels il faut en effet remédier

Il n’y a pas de bon ordre économique sans respect des règles, des lois. Bien qu’une maîtrise des prix à la consommation ait été constatée depuis l’entrée en vigueur de la loi de modernisation de l’économie il y a cinq ans, les relations commerciales interentreprises se sont dégradées et se tiennent dans un climat de défiance et de tension croissantes où la loi n’est pas respectée. En dépit des assignations qui ont pu être adressées par le Gouvernement précédent à certaines enseignes de la grande distribution, en dépit également de la validation par le Conseil constitutionnel de la notion si importante de « déséquilibre significatif » à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité jugée le 13 janvier 2011,…

M. Frédéric Lefebvre. Il s’agit d’une décision très importante du Conseil constitutionnel !

Mme Annick Le Loch, rapporteure. …les producteurs et les industriels restent dans une relation des plus conflictuelles, je dirai : anormalement conflictuelles.

Les conditions générales de vente, adressées par le producteur au distributeur et qui doivent en principe constituer le socle de la négociation commerciale se voient très fréquemment opposer des conditions générales d’achat, ces CGA traduisant incontestablement le rapport de force qui est celui du pot de terre contre le pot de fer. Quant aux obligations imposées par la grande distribution en cours d’année pour renégocier des tarifs, l’encre de la convention unique parfois à peine sèche, elles sont légions et les témoignages a ce sujet sont très nombreux.

Par exemple, j’ai rencontré une entreprise qui a consigné un contrat le 27 février dernier avec une application le 1er avril 2013, qui a été convoquée le 20 avril pour renégociation de perte de marges.

Vous l’avez dit, monsieur le ministre, lors de la présentation de ce projet de loi en conseil des ministres, le 2 mai dernier, ce texte n’a pas l’intention de réformer la LME dans son ensemble : nous sommes tous d’accord ici pour dire que la stabilité législative est essentielle à l’activité économique et que les acteurs en présence ne doivent pas être perturbés par des réglementations trop fluctuantes ou imprécises.

L’article 61 traite d’un sujet important pour la trésorerie des entreprises : les délais de paiement. Rappelons tout de même que la trésorerie entre entreprises représente aujourd’hui près de 600 milliards d’euros, que les retards de paiement, de douze jours en moyenne, représentent un manque à gagner de 12 à 13 milliards d’euros et que près d’un quart des faillites d’entreprises sont plus ou moins directement la conséquence de ces retards ! À ce titre, l’article 61 instaure notamment le principe d’un délai net de 45 jours à compter de l’émission d’une facture périodique pour la régler.

Autre sujet fondamental traité par l’article 61 : les conditions générales de vente. Il s’agit avant tout, et c’est d’ailleurs le leitmotiv du texte, de veiller à la bonne et complète application des dispositions légales existantes. Je vous ai entendu évoquer, monsieur le ministre de l’économie, un engagement fort. Aussi l’article 61 réécrit-il en partie le début de l’article L. 441-6 pour réaffirmer très clairement que les CGV constituent le socle de la négociation commerciale et non les CGA comme certains acteurs de la distribution semblent pourtant le penser.

De plus, la commission des affaires économiques a adopté un amendement qui fixe au 1er décembre au plus tard la date à laquelle les producteurs doivent fournir leurs CGV, ce qui permettra de les dédouaner totalement en cas d’échec des négociations commerciales : certains acteurs de la grande distribution ne pourront plus leur reprocher d’avoir reçu les CGV au dernier moment !

Quant à l’article 62, il est essentiel pour deux raisons. D’une part, il réécrit une partie de l’article L. 441-7 du code de commerce pour clarifier la définition de la convention unique, qui rassemble les différents éléments concourant à la détermination du prix correspondant au point d’accord entre fournisseurs et distributeurs. Il importe notamment de rappeler que la convention unique est bien applicable dès le 1er mars de chaque année – ni avant ni après – et qu’elle n’a pas à être renégociée, notamment à l’initiative des distributeurs, dès les semaines voire les jours qui suivent sa théorique mise en œuvre. Je saisis l’occasion qui m’est offerte pour évoquer, messieurs les ministres, les fameux nouveaux instruments promotionnels qui semblent constituer un véritable enjeu de l’équilibre des relations commerciales. Ne sont-ils pas en passe de constituer un détournement de la convention cadre annuelle ? Une grande enseigne ne propose-t-elle d’ailleurs pas de les intégrer dans la convention unique ? Qu’en pensez-vous, monsieur le ministre ?

D’autre part, et c’est là l’autre grand apport de cet article 62, il prévoit explicitement, dans des conditions fermement définies afin d’éviter tout abus, que des renégociations pourront être organisées en cas de variation importante des cours des matières premières. Or, on sait que lorsque l’évolution des cours leur est favorable, les acteurs de la grande distribution savent rouvrir de force, le cas échéant, les relations commerciales pour renégocier certaines clauses à leur avantage. Désormais, la réouverture pourra se faire si les cours sont à la hausse et bien entendu s’ils sont à la baisse. Là aussi, la commission a adopté un dispositif complémentaire afin de permettre aux produits transformés comme la charcuterie, la biscuiterie, les produits à base de lait, d’être concernés par les fluctuations de matière première. Dans un court délai, messieurs les ministres, je compte sur vous pour que la publication du décret qui précisera la liste des produits transformés concernés le soit effectivement car l’attente est forte.

De plus, je vous fais confiance pour assurer la fiabilité des indicateurs utilisés. Ceux-ci doivent évidemment être construits avec le concours des partenaires des filières, être sûrs et irréprochables, et placés sous le contrôle public de l’Observatoire des prix et des marges, de FranceAgrimer, ou de l’INSEE par exemple.

Concernant les contrôles et les sanctions, le texte renforce les pouvoirs de la DGCCRF et je serais très intéressée, comme tous mes collègues de la commission des affaires économiques, je pense, de pouvoir bénéficier, dès que ce texte aura été voté, des remontées de terrain des brigades LME, pourquoi pas devant la commission des affaires économiques ?

Voilà, mes chers collègues, en quoi ce projet de loi affecte la LME. Il souhaite renforcer l’effectivité de la loi existante et mettre définitivement fin à ce type de relations commerciales inéquitables et insoutenables.

Pour terminer, monsieur le président, et je reconnais que j’ai un peu dépassé mon temps de parole…

M. le président. Légèrement, oui. (Sourires)

Mme Annick Le Loch, rapporteure. …je voudrais évoquer le contrat de la filière alimentaire, qui fait écho à la loi que nous examinons aujourd’hui, et qui va également permettre d’asseoir des relations commerciales apaisées – du moins je l’espère – transparentes et équitables au profit de nos fournisseurs, de nos producteurs, et bien sûr du consommateur.

J’ai assisté la semaine dernière à la signature de ce premier contrat de filière. J’ai vu la filière alimentaire rassemblée et des pouvoirs publics engagés à ses côtés, pour promouvoir notamment la Médiation inter-entreprises et pour bénéficier d’un outil d’amélioration durable des négociations commerciales. Cet outil, le texte va le créer, nous l’espérons tous, pour nos PME, pour nos producteurs, et pour l’emploi dans notre pays. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, GDR, RRDP et écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Bricout, rapporteur pour avis de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire.

M. Jean-Louis Bricout, rapporteur pour avis de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire. Monsieur le président, messieurs les ministres, messieurs les présidents de commissions, madame et messieurs les rapporteurs, chers collègues, tout lecteur attentif des travaux parlementaires sur le projet de loi relatif à la consommation peut s’apercevoir que la commission du développement durable a travaillé avec intérêt – je dirais même avec enthousiasme – sur ce texte.

Pourtant, les orientations prises par notre commission n’ont pas été complètement partagées par la commission des affaires économiques et par le Gouvernement. En tant que rapporteur pour avis, je ne m’en froisse pas, considérant que les désaccords font partie du débat parlementaire, mais je pense que le Gouvernement aurait pu, au stade de cette première lecture à l’Assemblée nationale, donner une portée politique plus ambitieuse à son projet de loi.

M. Damien Abad. C’est le moins qu’on puisse dire !

Mme Catherine Vautrin. D’ailleurs le ministre de l’économie n’est déjà plus là !

M. Gilles Lurton. La majorité éclate !

M. Jean-Louis Bricout, rapporteur pour avis. Durant les réunions préparatoires et les très nombreuses auditions conduites par nos remarquables rapporteurs au fond, il nous a été expliqué que le projet de loi avait essentiellement pour objet de protéger le consommateur et de rétablir un équilibre avec les producteurs et les distributeurs.

M. Thierry Benoit. Quel pragmatisme !

M. Jean-Louis Bricout, rapporteur pour avis. L’approche retenue a donc consisté à modifier uniquement le code de la consommation, afin de donner de nouvelles garanties à nos concitoyens lors de leurs actes d’achat. Partant du principe que la consommation joue un rôle essentiel dans l’économie, le projet de loi renforce la protection des consommateurs contre les pratiques déloyales, afin de promouvoir dans notre société une concurrence saine. Cet axe de travail ne peut que rencontrer l’accord de notre commission, qui a d’ailleurs donné un avis favorable à l’adoption du texte.

M. Thierry Benoit. Voilà !

M. Jean-Louis Bricout, rapporteur pour avis. Mais les amendements qu’elle a adoptés et présentés devant la commission des affaires économiques – en nombre raisonnable, me semble-t-il, puisqu’il y en avait seulement une vingtaine – témoignaient d’un autre souci : celui d’intégrer les enjeux de développement durable dans les actes de consommation, ce qui est en tout point conforme aux objectifs définis par le Gouvernement lors de la conférence environnementale des 14 et 15 septembre derniers.

Permettez – moi de citer le discours de clôture prononcé par le Premier ministre : « La crise profonde que nous traversons n’est pas seulement une crise financière et économique, c’est aussi une crise environnementale. Le constat est sans appel : les ressources naturelles s’épuisent, la biodiversité recule, les émissions de gaz à effet de serre se concentrent, la qualité de l’eau et de l’air se dégrade. Nous sommes déterminés à affronter cette crise dans sa globalité. Il n’y a pas d’un côté une logique économique qui serait prioritaire et de l’autre, le développement durable qui ne le serait que par éclipse. Ma conception et celle du Gouvernement est que l’écologie n’est pas un frein ou une contrainte, mais qu’elle est un puissant levier de croissance, de compétitivité de nos entreprises et d’amélioration de notre bien-être collectif. »

M. Thierry Benoit. Eh oui !

M. Jean-Louis Bricout, rapporteur pour avis. Par cette déclaration, le Premier ministre a rappelé que l’ensemble des politiques du Gouvernement devait prendre en compte l’objectif de transition écologique dans notre société, cet objectif devant être mis en œuvre par la puissance publique comme par le secteur privé.

L’exposé des motifs du projet de loi souhaite faire du consommateur un vecteur des performances économiques. Dont acte. Mais qu’est ce qui justifie d’isoler trois éléments de notre économie : la production, la distribution et la consommation ? Nous savons tous que la vie économique a de profondes répercussions sur la société, dont elle modèle l’organisation, au même titre que l’écologie et la santé publique.

La transition écologique engage toute la société : cela signifie qu’elle ne se limite pas à quelques politiques publiques en faveur des énergies renouvelables, mais qu’elle s’efforce d’orienter les comportements des acteurs privés vers un plus grand respect de l’environnement. Le spectacle des monceaux de déchets issus de nos comportements de consommateurs, ces millions de téléphones portables non recyclés, ces milliers de voitures en décharge à la suite de la prime à la casse, ces substances toxiques que l’on décèle sur des vêtements, des meubles ou encore des jouets, tout cela montre qu’on ne peut pas établir de paroi étanche entre consommation, écologie et santé publique.

La commission du développement durable n’a pas souhaité altérer l’essence du projet de loi qui porte sur les relations entre consommateurs, producteurs et distributeurs, mais elle a considéré que nos concitoyens n’étaient pas uniquement des consommateurs. Elle a rappelé qu’ils sont des citoyens que l’on doit informer pour qu’ils agissent de manière responsable, en leur faisant prendre conscience des conséquences de leurs actes d’achat sur l’environnement et en promouvant les produits recyclables.

Les axes de travail de notre commission ont porté sur les points suivants : la qualité des produits mis sur le marché, leur recyclage, l’obsolescence programmée, l’économie de la fonctionnalité et l’action de groupe.

Je résume rapidement nos débats. Concernant les produits et leur durée de vie, il nous a semblé que leur qualité était déterminante à un triple niveau : le positionnement de l’économie française, le pouvoir d’achat et la protection de l’environnement.

Chacun sait que l’économie française souffre d’un mauvais positionnement de ses produits. En réorientant son offre sur des produits de qualité, notre pays peut atténuer le volume de ses importations, tout en développant des filières de réparation, comme le ministre l’a d’ailleurs rappelé. Cette réorientation de notre appareil productif présente également un intérêt pour le pouvoir d’achat, car il permet au consommateur de disposer de biens, dont le prix est certes plus élevé, mais qu’il n’est pas obligé de remplacer à court terme.

C’est la raison pour laquelle nous avons proposé des amendements sur l’extension dans le temps des garanties de conformité, ainsi que sur la mise à disposition des pièces détachées. Le rapporteur au fond et le Gouvernement ne nous ont pas suivis sur ce point, mais je pense que le débat n’est pas définitivement clos, lorsque l’on voit des sociétés étrangères proposer des garanties de cinq, voire sept ans, sur leurs produits.

Nous devons également travailler sur l’information du consommateur quant au recyclage des produits qu’il acquiert. Si l’on veut modifier les comportements, il convient d’informer le consommateur sur la proportion d’éléments recyclables dans un bien. Il s’agit de lui permettre, en toute liberté, d’arbitrer le classique rapport qualité-prix, en intégrant dans la qualité, non seulement l’usage du produit, mais également le fait de le recycler.

Nous n’avons pas non plus été suivis sur ce point, qui n’est pourtant pas difficile à mettre en place techniquement. Certains fabricants, comme une célèbre marque automobile bavaroise, avancent déjà cet argument à l’appui de leur stratégie de vente. La commission a également débattu de l’obsolescence programmée, qui a déjà donné lieu à un débat au Sénat, à l’initiative de Jean-Vincent Placé.

À l’Assemblée, notre commission a estimé que cette réalité était encore très floue. En effet, à part les quelques cas répertoriés par le CNRS et par des organisations de consommateurs, il ne semble pas qu’il s’agisse d’une pratique s’étendant à l’ensemble de l’économie. C’est un sujet sur lequel il convient de travailler de manière plus approfondie.

En revanche, nous avons déposé des amendements visant à favoriser dans notre société ce que l’on appelle l’économie de la fonctionnalité. Ce concept, que l’on voit émerger dans certains pays étrangers, est hélas encore mal connu en France. Afin d’éviter une pression trop forte sur les ressources naturelles, il s’agit de partager des biens et des services, au lieu de les posséder : l’usage remplace ainsi la propriété. Cette réalité entre lentement dans notre paysage économique, avec l’exemple d’Autolib’, gérée par le groupe Bolloré, qui a déjà investi 250 millions d’euros dans ce projet. On peut également citer l’exemple d’une entreprise qui a adopté ce concept pour la gestion de son parc de photocopieuses. Ce principe est plus répandu chez nos voisins d’Europe du Nord, comme l’Allemagne ou les Pays-Bas.

L’amendement que nous avions présenté visait modestement à ce que le Gouvernement mette en place une expérimentation pendant deux ans, sur un nombre limité de produits, en proposant au consommateur un double prix : celui de la propriété et celui de l’usage. Il nous a été répondu que nous introduisions de la complexité dans la lecture des étiquettes. Je trouve cette réponse quelque peu insultante pour l’intelligence de nos concitoyens et je rappelle que notre commission ne souhaitait pas, en l’espèce, bouleverser les mécanismes du marché, mais simplement expérimenter de nouvelles pratiques de production et de consommation, qui ont de réelles perspectives d’avenir. Si l’on doit reculer chaque fois qu’un obstacle technique se présente, il est inutile de faire de la politique.

Je termine avec l’extension de l’action de groupe, débat qui a largement occupé nos travaux. Nous avons accepté un compromis avec le Gouvernement, même s’il nous semble long d’attendre quatre ans avant d’envisager de l’étendre à l’environnement.

Cette extension doit être considérée comme un élément de la politique de transition écologique et énergétique, que le Gouvernement ambitionne pour notre pays. Mise en avant par le Président de la République lors de sa campagne électorale, réaffirmée par le Premier ministre lors de la conférence environnementale, cette politique insiste sur l’engagement de l’ensemble de la société. C’est dans ce contexte qu’ont déjà été votées deux lois favorisant l’implication de nos concitoyens dans les questions environnementales, celle sur la participation du public, et celle sur l’indépendance de l’expertise scientifique et la protection des lanceurs d’alerte.

Il serait donc logique de poursuivre cette politique, en permettant aux associations de protection de l’environnement d’agir en justice quand elles constatent qu’une action économique a des conséquences dommageables. Affirmer la nécessité d’élargir l’action de groupe aux questions d’environnement nécessite néanmoins d’en clarifier les objectifs. Il y a en effet une différence notable entre une action qui défend des consommateurs lésés par un producteur ou un distributeur et une action faisant suite à une atteinte à l’environnement, sauf à se placer sous le seul angle de la réparation à laquelle aurait droit une personne lésée.

En effet, la dimension politique n’est jamais loin dans les affaires d’environnement, ce qui est rarement le cas pour les litiges intervenant dans le droit de la consommation. Même si l’indemnisation des victimes constitue la toile de fond de ces deux types d’action, un procès dans le domaine de l’environnement renvoie toujours in fine à un débat sur l’organisation et les finalités de notre société.

Je conclurai mon propos, monsieur le président, en renvoyant au début de mon intervention. Les actes de consommation ne peuvent être isolés des autres aspects de notre société. C’est la raison pour laquelle la commission du développement durable a souhaité susciter la réflexion sur la consommation et l’environnement. Considérant, bien entendu, que le projet de loi améliorait l’information du consommateur, elle a, sur ma proposition, émis un avis favorable à son adoption, et invite l’Assemblée à en faire de même. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Thierry Benoit. Et voilà !

M. Jean-Paul Chanteguet, président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire. Bravo !

M. le président. La parole est à M. Laurent Grandguillaume, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire.

M. Laurent Grandguillaume, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires économiques, madame et messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord souligner que ce texte a été élaboré à l’issue d’une très large concertation avec les associations de défense des consommateurs et les professionnels.

La commission des finances s’est saisie pour avis du chapitre III du projet de loi, consacré au crédit et à l’assurance, qui comprend trois articles principaux. L’article 18 prévoit qu’au-delà d’un certain seuil, toute proposition de crédit renouvelable doit être accompagnée d’une proposition de crédit amortissable. L’article 20 améliore les informations des consommateurs souscrivant une assurance affinitaire, afin de limiter le risque de multi-assurance. L’article 21 ouvre, à compter de l’issue de la première année de contrat, la possibilité de résiliation infra-annuelle de certains contrats d’assurance. La consommation de produits d’assurance constitue une dépense contrainte qui grève le budget des ménages pour des montants substantiels. L’INSEE évalue cette charge à 1 400 euros par an pour un ménage moyen et l’évolution du prix des assurances au cours des dernières années a été globalement défavorable aux consommateurs.

Face au constat de dépenses en progression constante sur les dernières années, qui grèvent particulièrement le budget des ménages les plus modestes, le présent projet de loi prévoit deux dispositions tendant à protéger le pouvoir d’achat des ménages en la matière.

Poursuivant le travail engagé lors de l’examen du projet de loi bancaire, la commission des Finances a proposé plusieurs amendements tendant à rééquilibrer le rapport de force entre les consommateurs et les institutions financières, et à améliorer le pouvoir d’achat des ménages.

En rétablissant une forme de symétrie entre assuré et assureur, la faculté offerte au consommateur de résilier ses contrats d’assurance multirisques habitation et responsabilité civile automobile dès la première année vise au même objectif de rééquilibrage. Ce nouveau droit permettra aux consommateurs de mieux faire jouer la concurrence et donc de bénéficier d’offres plus performantes en terme de prix et de services rendus. Je rappelle qu’en dépit du caractère incontestablement concurrentiel de ce marché, les primes d’assurance multirisques habitation ont augmenté trois fois plus vite que l’inflation au cours des trois dernières années. Or, il s’agit là de dépenses contraintes.

Le projet de loi tend également à lutter contre le surendettement des ménages, en favorisant en premier lieu le développement d’offres de crédit alternatives au crédit renouvelable. Pour les achats d’un montant supérieur à mille euros, le crédit renouvelable n’est pas la meilleure des formules et tend à amplifier le surendettement des ménages.

Comme l’a dit le ministre, au cours des cinq dernières années, plus de 200 000 dossiers de surendettement ont été déposés par an en moyenne. Au 31 décembre 2012, 772 000 ménages étaient en cours de désendettement. Or, le crédit à la consommation est présent dans 87 % des cas traités en commission de surendettement, avec en moyenne 4,6 crédits par dossier. Ce qu’il faut, c’est éviter le crédit de trop.

Pour cela, nous voulons davantage responsabiliser les prêteurs par la mise en place d’un registre national des crédits aux particuliers, conformément à l’engagement pris par le Premier ministre lors de la conférence nationale de lutte contre la pauvreté. Cet engagement a été rappelé par le Président de la République devant l’Union nationale et interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux.

Conformément aux avis du Conseil d’État, de la Commission nationale de l’informatique et des libertés et de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, ce fichier ne recensera que les personnes ayant des crédits à la consommation, et non les 25 millions de personnes potentiellement concernées.

Le Gouvernement a mis à profit le délai courant entre le dépôt du projet de loi et son examen en première lecture pour travailler sur un dispositif qui assure le respect des libertés publiques sans remettre en cause l’efficacité du registre. La prudence ainsi privilégiée par le Gouvernement doit être saluée, car elle est la condition de la réussite d’une réforme d’ampleur qui doit constituer un élément central de la lutte contre le surendettement.

Je souhaite également insister sur trois évolutions proposées par la commission des finances et adoptées par la commission des affaires économiques.

En premier lieu, l’article 19 bis du projet de loi prévoit la suppression du régime des hypothèques rechargeables, suite à l’adoption d’un amendement porté par le groupe SRC. Ce mécanisme, mis en place par Nicolas Sarkozy, permet de gager du crédit à la consommation sur une hypothèque, c’est-à-dire sur la résidence principale du client. Ce mécanisme a été utilisé de manière intensive aux États-Unis à l’époque des subprimes. Il a abouti à créer un endettement insoutenable pour certains ménages qui sont devenus insolvables dès que le marché immobilier s’est retourné, et à tirer artificiellement la croissance économique par le crédit à la consommation.

C’est donc un mécanisme qui est non seulement critiquable d’un point de vue social, mais également dangereux sur le plan économique. Sa suppression est donc pleinement justifiée. À une hypothèque sur l’avenir, nous préférons une sécurité au présent.

En deuxième lieu, l’article 19 octies prévoit la remise d’un rapport sur la résiliation, en cours de contrat, des contrats d’assurance emprunteur. Nous avons déjà débattu de ce sujet à plusieurs reprises dans cet hémicycle. Nous sommes nombreux à avoir le sentiment qu’une telle évolution pourrait libérer d’importantes réserves de pouvoir d’achat. Le rapport comprendra une étude d’impact qui fournira une base pour légiférer le cas échéant, peut-être en deuxième lecture.

Enfin, l’article 21 bis applique aux assurances collectives de dommages l’ensemble des obligations d’information et de protection du consommateur requises pour les assurances individuelles. Ces assurances se sont fortement développées ces dernières années, par exemple les assurances sur les téléphones portables, sans que le cadre législatif ne se soit adapté.

Là encore, l’objectif est de donner au consommateur la possibilité de profiter d’un rapport de force plus favorable avec la compagnie d’assurance qui lui propose ce type de contrats.

Pour compléter le travail ainsi engagé en commission, je propose, avec nos collègues Razzy Hammadi, Thomas Thévenoud et Régis Juanico, de faciliter la mobilité bancaire, en rendant obligatoire la proposition d’un service de redirection des comptes à tout client souhaitant ouvrir un compte, qu’il soit particulier ou professionnel. Il introduit en outre un dispositif spécifique d’information pour les chèques présentés au paiement sur un compte clos, afin d’éviter les interdictions bancaires qui peuvent en découler. Cette information pourrait être faite par exemple par téléphone, courriel ou courrier.

Nous demandons également au Gouvernement de présenter au Parlement un rapport sur la mise en œuvre technique et opérationnelle de la portabilité du numéro de compte bancaire, en s’inspirant en particulier des exemples étrangers. Cet amendement, que nous examinerons dans les prochains jours, est guidé par cette même volonté de donner au consommateur une plus grande liberté dans ses choix, de permettre une baisse des prix des services financiers et, partant, d’améliorer le pouvoir d’achat des ménages.

Les consommateurs ont souvent du mal à changer de banque, particulièrement en France. Selon une étude récente, quatre Français sur dix déclarent qu’ils envisageraient de changer de banque s’ils pouvaient le faire simplement, grâce à la portabilité du numéro de compte. Les partisans de la concurrence libre et non faussée, que nous avons eu l’occasion d’entendre à plusieurs reprises, seront sans doute partisans de cet amendement.

M. Thierry Benoit. Oh, certainement !

M. Laurent Grandguillaume, rapporteur pour avis. On ne peut pas à la fois défendre la concurrence libre et non faussée pour les grands groupes et ne pas l’appliquer lorsqu’il existe des situations quasi monopolistiques. Les partisans de la concurrence libre et non faussée auront donc l’occasion de s’exprimer.

Cet amendement permettrait à chaque consommateur de transférer les opérations récurrentes d’une banque à une autre, ce qui l’aiderait à éviter les incidents de paiement. Il faut aussi poser la question de la portabilité : parviendrons-nous à instaurer un numéro unique, permettant de changer facilement de banque, et grâce auquel les Français rattraperaient leur retard en matière de mobilité bancaire ?

Enfin, le Gouvernement devra remettre un rapport au Parlement avant le 1er janvier prochain sur la question des assurances emprunteurs. Les sommes en jeu peuvent s’élever à 4,5 milliards d’euros par an. Des gains de pouvoir d’achat sont donc possibles et il n’y a aucune raison pour que ce secteur-là ne soit pas touché.

Le chapitre III du projet de loi, ainsi complété par la commission des affaires économiques, offre de nombreux progrès en matière de protection des consommateurs des services financiers et d’augmentation de leur pouvoir d’achat.

La commission des finances a émis un avis favorable à son adoption et je vous invite, à mon tour, à l’adopter.

Pour conclure, je souhaite rappeler que le volume annuel de consommation par personne est trois fois plus élevé qu’en 1960, et les habitudes de consommation ont fortement évolué. Conjugué à l’effet prix, cela affecte la répartition du budget. Les parts réservées à l’alimentation et à l’habillement se sont réduites au profit du logement, des transports, de la santé, de la communication et des loisirs. Les services prennent une part prépondérante dans le budget des ménages. Les modes de consommation se sont complexifiés et appellent de nouvelles réponses. L’idée généralement admise est que le consommateur choisit librement. Mais encore faudrait-il qu’il dispose de la bonne information.

Par l’instauration des actions de groupe, ainsi que de nombreux amendements présentés, ce projet répond à cet enjeu de transparence et de bonne information. Certains pensent que le marché seul réalise la démocratie économique ; c’est l’hyperlibéralisme, autant dire le conservatisme. Le consommateur serait roi, et détiendrait une forme de souveraineté. Mais nous savons bien, comme le soulignait John Kenneth Galbraith, que les choix sont contraints par le marketing et la publicité. La loi sur la consommation rééquilibrera les rapports de force entre les consommateurs et les producteurs. Elle s’inscrit dans notre volonté de lutter contre les injustices et dans celle du combat pour une juste répartition. Car si la règle du partage est injuste, l’injustice augmentera avec la masse des produits à partager. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Sébastien Denaja, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Sébastien Denaja, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires économiques, mesdames et messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le premier titre du projet de loi relatif à la consommation dont nous sommes saisis a pour objet d’introduire en droit français une action de groupe en droit de la consommation et de la concurrence. C’est à cette seule action de groupe que je souhaite consacrer mon propos en qualité de rapporteur pour avis de la commission des lois.

Après trente ans de débats et d’atermoiements, nous allons enfin déployer concrètement un dispositif collectif de protection des consommateurs face aux pratiques illégales jusque-là impunies.

Le texte qui nous est présenté a une triple vocation : il vise d’une part à renforcer les droits des consommateurs en leur donnant la possibilité de faire trancher par le juge des litiges non couverts jusqu’ici ; il a vocation d’autre part, à équilibrer la relation entre grands opérateurs et citoyens par une juste pression sur les entreprises indélicates ; enfin, par son caractère dissuasif, il préviendra des dérives tarifaires ou contractuelles en matière bancaire, assurantielle ou de consommation courante. Ce dernier point est important. Le caractère dissuasif du texte induira nécessairement une réduction des pratiques douteuses et une augmentation du pouvoir d’achat des ménages.

M. Damien Abad. Mais non ! Personne n’y croit !

M. Sébastien Denaja, rapporteur pour avis. Vingt euros sur une facture de téléphone, quinze euros sur la lessive, trente euros sur un contrat d’assurance, vingt euros sur un contrat bancaire, je pourrais compléter cet inventaire à la Prévert – la poésie en moins – mais restons à l’essentiel. La création de l’action de groupe, c’est du pouvoir d’achat rendu aux ménages.

On le mesure donc, la création de cette nouvelle voie de droit constitue une avancée considérable dont il faut mesurer la portée. Elle renforcera la protection des consommateurs et conduira à assainir notre économie, en dissuadant plus fortement les pratiques illicites. L’action de groupe est nécessaire pour réparer les préjudices subis par les consommateurs lorsque le montant individuel de ces litiges est trop faible pour que les consommateurs lésés intentent une action en justice. Ces contentieux de masse peuvent porter, par le nombre élevé de victimes, sur des montants considérables, et ils se prêtent la plupart du temps, par leur homogénéité, à un recours collectif.

L’idée n’est certes pas nouvelle. Elle a été proposée par des spécialistes du droit, les associations de consommateurs et des responsables politiques depuis les années 1970. Les deux précédents présidents de la République avaient même pris l’engagement de créer une telle action de groupe, qui ne vit cependant jamais le jour.

François Hollande, lors de sa campagne présidentielle, a également pris cet engagement. Mais à la différence de ses prédécesseurs, son engagement sera tenu car le présent projet de loi concrétise cette promesse.

L’action de groupe a longtemps été repoussée au motif qu’elle conduirait nécessairement aux dérives des class actions américaines. Cette crainte infondée est un mauvais prétexte pour refuser ce progrès, car les facteurs ayant conduit à de telles dérives outre-Atlantique sont absents de notre droit. Il n’y a pas de dommages et intérêts punitifs en droit français, or ce sont ceux-ci qui entraînent des condamnations d’un montant considérable aux États-Unis. Il n’y a pas non plus de rémunération exclusive des avocats aux résultats de l’action en justice, ni de procédure de discovery.Il faut noter que l’action de groupe est d’ailleurs pratiquée avec succès et sans qu’aucun impact négatif sur l’économie n’ait été constaté dans huit autres États membres de l’Union européenne ou dans des pays tiers comme le Canada. De plus, elle est en voie de généralisation dans l’Union européenne, la Commission européenne ayant adopté une recommandation en ce sens le 11 juin dernier.

Les opposants à la présente loi, peu nombreux ce soir, pourraient nous rétorquer que le droit existant permet déjà une forme de recours collectif appelé l’action en représentation conjointe. Mais les conditions dans lesquelles elle est enserrée ont cependant entraîné son échec. Les chiffres en témoignent : elle n’a été utilisée que cinq fois depuis 1992. Cela dispense de commentaires sur l’efficience de cette procédure.

Il était donc nécessaire d’aller plus loin. Le dispositif proposé par le Gouvernement est encadré afin de se prémunir contre tout risque de recours abusif ou de déstabilisation de notre économie. Le texte est issu d’une large concertation sur laquelle il s’est appuyé et dont il reprend les principales orientations.

Le champ d’application de l’action de groupe est certes limité au droit de la consommation ou au droit de la concurrence. Mais c’est un champ d’application déjà très significatif, qui permettra de réparer les préjudices subis par les consommateurs. L’inclusion du droit de la concurrence permettra aussi de réparer les préjudices nés de sa violation.

Seuls les préjudices matériels résultant d’une atteinte au patrimoine des consommateurs seront concernés. Les préjudices corporels et moraux sont par conséquent exclus, car ils nécessitent une individualisation qui en rend l’indemnisation difficile dans le cadre d’une action de groupe.

M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques. Très bien !

M. Sébastien Denaja, rapporteur pour avis. Néanmoins, les consommateurs conservent naturellement le droit de mener des actions individuelles pour obtenir la réparation des préjudices autres que matériels.

La qualité pour agir, c’est-à-dire le droit d’introduire une action de groupe, est réservée aux associations agréées de consommateurs représentatives au niveau national. Ce choix vise - à juste titre - à éviter les demandes fantaisistes ou abusives. Il a été contesté par certains représentants des avocats. Ceux-ci n’en sont pas moins présents tout au long de la procédure, et mêmes indispensables, puisque les actions de groupe devront être portées devant certains tribunaux de grande instance spécialisés. Les avocats joueront donc un rôle central en matière d’action de groupe.

La procédure retenue est simple et efficace. Dans un souci de célérité, elle ne comportera pas une phase distincte de recevabilité : l’essentiel du litige faisant l’objet d’un seul jugement. Le groupe de consommateurs lésés n’aura pas à être constitué avant l’introduction du recours : les consommateurs s’identifieront une fois le jugement sur la responsabilité devenu définitif. Ils en auront connaissance grâce aux mesures de publicité ordonnées par le juge, aux frais du professionnel.

C’est un gage d’efficacité de la procédure, puisque ce système est fortement incitatif pour les consommateurs et qu’il facilite l’introduction de l’action de groupe. En outre, une provision ad litem, permettant de couvrir une partie des frais engagés par l’association, pourra être prononcée par le juge. Enfin, l’association pourra être assistée par un ou des tiers, avec l’autorisation du juge, pour l’aider dans la gestion des demandes d’indemnisation, qui sera une tâche très lourde. Le recours à la médiation est encouragé.

S’agissant du droit de la concurrence, certaines spécificités procédurales ont été prévues. L’action ne pourra être engagée que sur le fondement d’une décision définitive de l’Autorité de la concurrence, d’une autorité de la concurrence d’un autre État membre ou de la Commission européenne. Cette disposition est pleinement justifiée : le manquement sera ainsi considéré comme établi devant le juge, ce qui allégera considérablement la charge de la preuve de l’association requérante.

En conclusion, je veux dire quelques mots de l’esprit dans lequel j’ai cherché à travailler en tant que rapporteur pour avis de la commission des lois. Je n’ai pas souhaité remettre en cause l’équilibre général du texte. J’ai bien entendu les critiques de certains, qui estiment que le dispositif serait trop encadré, trop restreint dans son champ d’application. L’exclusion des préjudices corporels, qui rend cette action de groupe peu adaptée en matière de santé, et des préjudices environnementaux a notamment été contestée ; il en est de même du monopole réservé aux associations agréées de consommateurs. À l’inverse, d’autres estiment – les amendements déposés par certains groupes en témoignent – que le dispositif proposé serait trop étendu, trop ouvert. Ces critiques croisées illustrent à mon sens le caractère parfaitement équilibré de ce texte, qui répond aux attentes fortes des consommateurs tout en préservant la sécurité juridique et économique dont les entreprises ont besoin.

Vous l’avez rappelé, monsieur le ministre : ce projet de loi est une première étape, destinée à expérimenter ce nouveau mécanisme avant de réfléchir à de possibles extensions, en matière de santé en particulier. S’agissant d’une procédure nouvelle aux potentialités considérables, cette démarche est la plus responsable.

En tant que rapporteur pour avis de la commission des lois, j’ai surtout examiné avec soin la constitutionnalité du dispositif. Les exigences de la jurisprudence du Conseil constitutionnel sont pleinement respectées. L’action de groupe ne remet aucunement en cause le droit au recours, puisque chaque consommateur conserve le droit d’agir individuellement en justice pour assurer la défense personnelle de ses intérêts. Par ailleurs, la limitation de la réparation aux préjudices matériels est pleinement justifiée par la nécessité de limiter le dispositif aux cas dans lesquels une indemnisation type, susceptible d’être dupliquée, est possible.

Les amendements proposés par la commission des lois ont été adoptés, pour l’essentiel, par la commission des affaires économiques, dont je salue le travail des rapporteurs Annick Le Loch et Razzy Hammadi. Ils ont pour objet d’améliorer la procédure et l’efficacité du dispositif.

Le débat a été particulièrement approfondi : je vous en ferai donc l’économie.

En résumé, nous avons ici un texte ambitieux, équilibré, applicable et simple dans ses procédures, préventif, porteur de sécurité et de pouvoir d’achat pour les consommateurs. Pour toutes ces raisons, la commission des lois vous invite à adopter le présent projet de loi qui vise à donner non seulement de nouveaux droits aux consommateurs – vous l’avez dit, monsieur le ministre –, mais surtout de nouveaux pouvoirs aux Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Razzy Hammadi, rapporteur. Très bon discours : tout y était !

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires économiques.

M. Thierry Benoit. Excellent président !

M. Frédéric Lefebvre. Très talentueux !

M. Thierry Benoit. Il connaît son sujet, lui !

M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques. Chers collègues, merci de vos encouragements !

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission du développement durable, messieurs et madame les rapporteurs, mesdames et messieurs, chacun le sait : lorsqu’on va chercher la croissance avec les dents – c’est la formule triviale consacrée –, il faut agir sur deux leviers.

Le premier est celui de l’exportation, surtout dans la période actuelle. Le Gouvernement fait effectivement preuve de volontarisme en la matière, en encourageant l’innovation avec le crédit d’impôt recherche, la baisse des coûts de production avec le crédit d’impôt compétitivité, et en soutenant la prise de risque à l’export par le biais des financements dédiés de la Banque publique d’investissement.

Le deuxième levier est celui de la consommation intérieure. Là encore, il y a deux entrées : celle de l’augmentation du pouvoir d’achat, plus facile en période de croissance mais plus illusoire en période d’inflation, et celle de la baisse des prix liés aux dépenses dites contraintes comme l’alimentation, le loyer, les assurances ou le téléphone, par exemple. Ces mesures visent à accroître le pouvoir d’achat de nos concitoyens.

Avec audace, le texte dont nous commençons aujourd’hui l’examen en séance concentre ces efforts en direction de l’intérêt des consommateurs et de leur pouvoir d’achat.

Pour suivre depuis quinze ans, avec quelques autres, les travaux de notre assemblée en matière de consommation, je sais qu’un consensus existe pour atteindre ces objectifs, mais que nous divergeons souvent sur les moyens à mettre en œuvre. Par exemple, l’ouverture du marché de l’énergie à la concurrence n’a pas fait baisser les prix. La dérégulation anarchique du secteur des télécoms a tué beaucoup d’emplois. La réforme des relations commerciales portée par la loi de modernisation de l’économie a significativement fragilisé la position des fournisseurs – pas seulement des fournisseurs agricoles – par rapport à la grande distribution. Enfin, la loi Lefebvre, qui nous avait beaucoup occupés, n’a jamais su trouver le chemin de la promulgation. Cela a peut-être permis à son auteur de faire le tour du monde… (Sourires.) Je le dis en sa présence.

M. Thierry Benoit. Vous avez attendu son retour ! (Sourires.)

M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques. Grâce à vous, monsieur le ministre, nous allons enfin passer à l’acte de la mise en œuvre de réformes qui feront date. Cette loi va donner des droits nouveaux aux consommateurs avec, en premier lieu, l’action de groupe. Lorsqu’on est victime d’un même préjudice que beaucoup d’autres consommateurs, la possibilité de se défendre collectivement, sans avoir à intenter un procès chacun de son côté, est une avancée réelle, maîtrisée et bien délimitée pour ne pas tomber dans la stérilité économique de l’abus de recours permanent – la France évitera cet écueil.

Cependant, ce texte ne protège pas seulement les droits des consommateurs : ce sont les consommateurs eux-mêmes que nous protégeons directement. C’est pourquoi la commission des affaires économiques a adopté l’amendement du Gouvernement mettant en place le registre national des crédits. L’ancienne majorité avait créé une commission ; nous créons une protection. Voilà un outil qui permettra de lutter efficacement contre le surendettement. Désormais, il ne sera plus possible d’abuser des plus fragiles en vendant des crédits impossibles à rembourser. Plus que d’une question purement financière, il s’agit le plus souvent d’une question de survie, de dignité, de vie cassée par la spirale infernale du crédit renouvelé sans prudence et sans alerte.

Nous protègerons également les web-consommateurs, qui se font trop souvent piéger par des sites derrière lesquels se cachent des personnes sans scrupules, en renforçant les pouvoirs de la CNIL et en offrant à cette dernière la possibilité de décerner son label éthique, ce qui contribuera, à n’en pas douter, à renforcer la sécurité des internautes. Au cours du débat, je proposerai aussi que nous donnions compétence à la CNIL pour qu’elle puisse neutraliser le plus vite possible les sites qui font commerce ou qui détournent de leur usage les données personnelles transmises par les consommateurs.

Nous devons également garantir à tous l’accès à des produits de qualité à des prix raisonnables. Pour la première fois depuis de nombreuses années, la consommation agroalimentaire a baissé. Les Français sacrifient désormais la nourriture et nos agriculteurs, en particulier les éleveurs, nous font part de leur réelle détresse. Ce n’est pas acceptable : la barre doit être redressée sans attendre. Cela passe nécessairement par un rééquilibrage des relations entre les fournisseurs et les différents acteurs de la distribution.

Nous prenons différentes mesures dans ce sens. Le mépris parfois affiché des uns envers les autres doit appartenir au passé. Le dialogue et le respect des contrats ne doivent plus être un mythe, mais une réalité avec des rendez-vous. L’équilibre est la clé de relations saines : c’est, finalement, le consommateur qui en bénéficie. Tout le monde sera gagnant. La vérité nous contraint à admettre et à dire que la tentation de vendre un produit en dessous de son coût réel fera disparaître la diversité des fournisseurs : c’est alors un fournisseur en situation de quasi-monopole qui imposera un prix à la hausse, et le consommateur aura vécu dans l’illusion d’une situation qui tournera finalement à son désavantage. Autrement dit, méfions-nous de la formule « c’est moins cher que gratuit ».

J’en suis convaincu : les mesures visant une meilleure information du consommateur – pas seulement sur les origines géographiques protégées, de Thiers ou d’ailleurs, cher André Chassaigne –, très nombreuses dans ce texte, seront un élément essentiel du retour de la croissance. Plus de transparence, c’est plus de garantie ; plus de garantie, c’est plus de confiance ; plus de confiance c’est plus de croissance. Avec ce texte, nous apportons à tous de nombreuses garanties nouvelles. À ce titre, je me réjouis du travail considérable réalisé en commission grâce à l’investissement sans faille – j’allais dire « presque stakhanoviste » (Sourires) – des rapporteurs, qui ont procédé à quelque 155 auditions. Le rapport pèse plusieurs kilos de papier : tant mieux pour la filière de la forêt et du bois !

M. Damien Abad. Et le développement durable ? (Sourires.)

M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques. Le fait que la commission ait procédé à tant d’auditions me permet de faire une petite digression sur l’importance de ces dernières et, par conséquent, sur le rôle des lobbies.

M. Jean-Paul Chanteguet, président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire. Je vais donner des noms ! (Sourires.)

M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques. À l’heure où les parlementaires sont mis sous haute surveillance – non parce que l’on s’intéresserait d’un coup à la réalité du travail législatif de fond qu’ils produisent, ce qui est l’une de leurs principales missions, mais surtout parce que l’écume des choses fait toujours beaucoup plus de mousse que le travail au long cours –, je tiens à rappeler combien il est essentiel d’entendre tous les points de vue. Je dis bien « tous les points de vue ». Pour légiférer de la manière la plus éclairée, il convient d’entendre le maximum d’avis, et pas seulement un seul son de cloche, voire personne. C’est la diversité des approches – 155 auditions – qui éclaire notre esprit critique et curieux par nature – par devoir, oserais-je dire.

Les lobbies ne sont pas toujours aussi nocifs qu’on essaie de nous le faire croire. Ils ne sont pas seulement privés, mais parfois publics ou associatifs. Ils sont nombreux, de mieux en mieux organisés, et ils remontent des informations essentielles du terrain d’action sur lequel ils œuvrent. Certains sont mieux organisés que d’autres, convenons-en : à nous, parlementaires, de donner la parole aussi aux sans-voix, à ceux qui sont moins bien organisés. Dans la commission des affaires économiques, nous faisons toujours en sorte que l’ensemble des points de vue soient entendus : c’est capital pour la bonne compréhension et la bonne application des textes. Nous avons besoin de cette diversité d’informations pour pouvoir, ensuite, arbitrer en toute connaissance de cause au nom de l’intérêt général.

Mais revenons au travail en commission. Grâce au travail des rapporteurs, notamment M. Hammadi et Mme Le Loch – je cite ceux de la commission des affaires économiques, mais je salue bien amicalement ceux des autres commissions, qui ont aussi beaucoup travaillé et participé à l’ensemble des travaux de notre commission –, à l’investissement des députés de la commission et à la présence continue du ministre – je devrais même dire « des ministres », puisque Mme Pinel nous avait rejoints –, nous avons pu réaliser un travail particulièrement détaillé et constructif pendant près de vingt-trois heures. Avec le Gouvernement, nous avons construit une loi solide et audacieuse. Mais je déplore – je le faisais lorsque j’étais dans l’opposition, je le fais aussi dans la majorité – qu’un texte sur la consommation, par nature transversal, ne puisse pas traiter de certaines questions au prétexte qu’un texte doit venir sur le logement, sur l’agriculture ou sur un autre sujet.

M. Damien Abad. C’est vrai !

M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques. Le coup nous avait déjà été fait lorsque nous étions dans l’opposition.

M. Frédéric Lefebvre. Pas par moi : j’avais fait l’inverse !

M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques. Le même coup nous est fait lorsque nous sommes dans la majorité : c’est de bonne guerre, mais c’est parfois regrettable.

M. Frédéric Lefebvre. C’est un hommage que vous me rendez là, monsieur Brottes !

M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques. Justement, je vais vous rendre hommage dans quelques instants, monsieur Lefebvre ! (Sourires.) J’ai beau savoir que c’est la loi du genre : je continue à penser qu’il vaut mieux légiférer utilement lorsque l’occasion se présente plutôt que d’attendre le rendez-vous suivant. Monsieur Lefebvre en est un exemple vivant, puisqu’il attend toujours l’application des mesures qu’il avait appelées de ses vœux !

M. Frédéric Lefebvre. Mais ces mesures étaient horizontales !

M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques. Nous aurions mieux fait de les voter dans d’autres textes, antérieurs à une loi qui n’a finalement jamais vu le jour. Vous voyez, monsieur Lefebvre : je voulais vous rendre hommage, et je n’ai pas manqué de le faire ! (Sourires.)À ce titre, je suis reconnaissant aux ministres, en particulier à M. Hamon, d’avoir accepté de laisser figurer dans ce texte des mesures qui ne relevaient pas forcément de leur ministère mais qui tenaient à cœur aux parlementaires. Nous avons su raison garder en termes de volume de sujets traités et en termes d’extraterritorialité – Pascale Got ne me démentira pas –, mais nous avons fait œuvre utile et nous allons continuer.

M. Frédéric Lefebvre. Nous aurions dû faire la même chose en matière de logement, d’énergie…

M. Razzy Hammadi, rapporteur. Et pourquoi pas sur les escargots ? (Sourires.)

M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques. Les ministres ont ainsi démontré que, pour eux comme pour nous, ce texte était d’une importance majeure.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux vous garantir, en tant que président de la commission des affaires économiques et sous le contrôle de Pascale Got, que le travail sur ce texte et les amendements adoptés sont « faits maison ». (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Razzy Hammadi, rapporteur. Travail fait maison : c’est une excellente expression !

M. Damien Abad. Il n’est donc pas surgelé ?

M. le président. La parole est à M. le président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire.

M. Jean-Paul Chanteguet, président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires économiques, madame et monsieur les rapporteurs, messieurs les rapporteurs pour avis, comme notre rapporteur Jean-Louis Bricout l’a indiqué, la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire s’est saisie pour avis du projet de loi relatif à la consommation, afin d’examiner quelques articles concernant quatre thèmes : le champ d’application de l’action de groupe, la réparation des biens meubles qui pose la question du recyclage et de l’économie circulaire, les indications géographiques et les transports.

En fait, sur les deux premiers thèmes, nos débats – comme ceux qui se sont déroulés en commission des affaires économiques – ont davantage posé de questions qu’ils n’ont réellement modifié le texte.

Nous voyons bien que l’introduction dans le droit français de l’action de groupe en faveur des consommateurs renvoie à la question de l’action de groupe en matière de santé et d’environnement, tant est peu satisfaisante la situation actuelle, qui laisse les citoyens seuls face aux responsables des dégâts voire des désastres écologiques ou sanitaires.

Nous vous avons entendu, monsieur le ministre, lorsque vous avez annoncé que le Gouvernement envisageait, dans un autre texte, d’élargir l’action de groupe au domaine de la santé, dans la mesure où l’actuel projet de loi est centré sur la notion de préjudice matériel et économique.

Mais la mise en œuvre de l’action de groupe dans le domaine de la consommation conduit inévitablement à s’interroger sur les conditions et les délais dans lesquels nous devrons étendre le champ d’application aux questions environnementales. Sachant bien entendu que la question est complexe et que, en l’état actuel des choses, un débat s’impose.

En effet, élargir le mécanisme proposé par ce projet de loi imposerait de désigner quelles sont les associations de défense de l’environnement habilitées à introduire l’action de groupe, sujet d’autant plus sensible, que parmi les associations concernées, il n’existe pas de véritable consensus sur le principe et les critères de représentativité des associations environnementales.

De même, défendre les intérêts de consommateurs personnes physiques est une tout autre chose que défendre l’intérêt qui s’attache à la protection de l’environnement, sauf à réduire l’action de groupe à la seule réparation des préjudices personnels nés d’une atteinte à l’environnement.

De plus, l’action de groupe n’a de sens que si les préjudices à réparer sont sensiblement identiques. Or les conséquences morales, matérielles, sanitaires de dommages environnementaux peuvent ne pas être les mêmes d’une personne à l’autre.

Monsieur le ministre, à propos des mesures envisagées, dans votre texte en matière de garanties apportées aux consommateurs et pour améliorer leur information, il n’est pas inutile de rappeler, qu’elles ne doivent pas masquer les questions sous-jacentes à notre modèle de société de consommation, vous l’avez du reste rappelé dans votre intervention liminaire.

Nous sommes bien sûr tous d’accord pour dire qu’il faut renoncer à l’économie linéaire, qui trouve sa limite dans la rareté des ressources naturelles, pour privilégier une approche circulaire. Producteurs et acheteurs ne peuvent plus ignorer la phase finale de la vie des produits liée à leur récupération, au recyclage des matériaux et à la gestion des déchets, qui doivent s’appréhender dès la conception des biens et via l’organisation spatiale des entreprises, coopérant dans un lieu privilégié, afin d’optimiser l’usage des ressources et la valorisation des déchets. L’Allemagne en 1994, le Japon en 2000, la Chine en 2008 ont adopté des lois pour promouvoir l’économie circulaire, qui économise les matières premières, réduit la consommation d’énergie et les émissions de carbone, limite les pollutions, encourage l’innovation et crée de nouveaux emplois.

Cet aspect n’a pas été pris en compte par le projet de loi. Or il est essentiel : la durée de vie d’un produit conditionne les choix et les relations commerciales entre fabricants et consommateurs. On se doute bien que leurs objectifs diffèrent.

Mais de réelles questions se posent sur l’éco-participation et la mise en place de véritables filières ; sur l’obsolescence programmée des matériels qui n’est pas une vue de l’esprit même si le phénomène n’a pas révélé encore toute sa complexité. L’ADEME la définit comme « un stratagème par lequel un bien verrait sa durée de fonctionnement moyen sciemment réduite, dès sa conception, limitant ainsi sa durée d’usage pour des raisons de modèle économique ». Or ce mode de production entre aujourd’hui en contradiction avec la nécessité de réduire notre consommation de matières premières, tout comme notre production de déchets. Selon l’OCDE, 62 milliards de tonnes de ressources – minéraux, métaux, bois, combustibles fossiles, matériaux de construction – sont extraites chaque année de la planète, une consommation en hausse de 65 % depuis vingt-cinq ans. Cette augmentation phénoménale n’est pas régulée par le marché qui ne prend en compte aucune externalité environnementale ou sociale, pour fixer le prix de ces matières premières. À l’autre bout du cycle, les déchets sont, soit insuffisamment traités en France, soit envoyés dans les pays pauvres, ce qui entraîne des conséquences environnementales et/ou sanitaires désastreuses.

La fondation Ellen MacArthur estime que, si la moitié des téléphones portables étaient collectés en Europe, pour être réutilisés et reconditionnés, on économiserait un milliard de dollars de matières premières et 60 millions de dollars d’énergie chaque année.

Pourtant, fabriquer des biens qui durent est évidemment possible et correspond déjà à la réalité dans de nombreux secteurs qui ne s’accommodent pas de l’obsolescence. C’est le cas d’un centre d’usinage d’un moteur d’avion, voire des voitures actuelles, qui atteignent des durées d’existence bien plus longues que leurs ancêtres. Elles « tiennent » en général les dix ans ou les 300 000 kilomètres pour lesquels elles ont été conçues. L’idée est donc de généraliser ce modèle de production.

Il est également sans doute trop tôt pour instaurer un double affichage des produits et introduire le prix d’usage. Mais n’en doutons pas, l’économie de la fonctionnalité est un sujet de fond.

Car produire des biens, qui durent davantage, peut se traduire par une augmentation de leur prix de vente. Ce qui peut favoriser un autre mode de consommation, qui privilégie la location par rapport à la propriété, l’usage par rapport à la possession. Louer le service que procure un lave-linge installé dans un immeuble collectif, un outil pour des travaux de restauration ou une voiture dans une ville à la circulation limitée par un péage, plutôt qu’acheter ces biens devrait séduire des consommateurs de plus en plus nombreux, intéressés par l’usage plus que par le produit lui-même et engagés dans une démarche de consommation collaborative. L’auteur de l’ouvrage La troisième révolution industrielle, Jeremy Rifkin, prédit ainsi le passage de l’échange de propriété sur des marchés à l’accès à des services pour un temps déterminé au sein de réseaux.

L’examen pour avis effectué par la commission du développement durable nous conduira donc à approfondir notre réflexion sur ces sujets qui, s’ils n’apparaissent pas au cœur de la transition écologique, correspondent à de véritables enjeux et détermineront la nature de la société que nous voulons pour demain.

En ce qui concerne les articles relatifs au code des transports, je regrette que les amendements adoptés par la commission du développement durable à l’article 69 – relatif à l’activité de motos-taxis – n’aient pas été pris en considération ; notre rapporteur les a retirés pour les redéposer en séance publique. Notre préoccupation est légitime notamment pour améliorer la formation des conducteurs et les relations commerciales avec le passager client.

En conclusion, à l’instar du rapporteur de la commission du développement durable, j’invite l’Assemblée à adopter le projet de loi en discussion. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

4

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :

Suite de la discussion du projet de loi relatif à la consommation.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures cinq.)

Le Directeur du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Nicolas Véron