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Edition J.O. - débats de la séance

Assemblée nationale
XIVe législature
Deuxième session extraordinaire de 2013-2014

Compte rendu
intégral

Première séance du lundi 15 septembre 2014

Présidence de M. Christophe Sirugue

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix-sept heures.)

1

Lutte contre le terrorisme

Discussion d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme (nos 2110, 2173).

La conférence des présidents a décidé d’appliquer à cette discussion la procédure du temps législatif programmé, sur la base d’un temps attribué aux groupes de quinze heures.

Chaque groupe dispose du temps de parole suivant : quatre heures quinze minutes pour le groupe SRC, six heures vingt minutes pour le groupe UMP, une heure cinquante minutes pour le groupe UDI, cinquante-cinq minutes pour le groupe écologiste, cinquante-cinq minutes pour le groupe RRDP, cinquante minutes pour le groupe GDR, les députés non inscrits disposant de vingt minutes.

Présentation

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, le projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, que le Gouvernement soumet à la délibération de votre assemblée, concerne, vous le savez tous, un sujet d’une exceptionnelle gravité.

Cette gravité tient d’abord à la menace que constitue pour la sécurité publique la présence de nombreux citoyens français, ou d’étrangers résidant habituellement sur le territoire national, parmi les combattants enrôlés dans les groupes terroristes en Syrie, et désormais en Irak. De tous les chantiers de sécurité que j’ai eus à connaître depuis ma prise de fonction au ministère de l’intérieur, aucun ne m’a paru aussi lourd de risques pour notre pays. Cette situation nous impose de prendre des mesures rigoureuses pour assurer la sécurité de nos compatriotes. Tel est l’objet de ce projet de loi.

Mais nous ne devons pas, ce faisant, sous-estimer la nature particulière du défi que nous lancent les terroristes. Le terrorisme n’a pas en effet pour seule ambition de frapper de manière aveugle pour semer partout la peur dans les populations. Il veut aussi et surtout s’attaquer aux valeurs de la démocratie, à la liberté d’expression, au respect de la règle de droit. C’est pourquoi, comme en témoignent les lois scélérates restreignant la liberté de la presse, qui furent adoptées sous la IIIRépublique en réaction aux attentats anarchistes, les démocraties ont tout à perdre à transiger avec leurs valeurs de liberté. Si « la République vit de la liberté, elle pourrait mourir de la répression », déclarait autrefois Clemenceau, en défendant la loi sur la presse de 1881. Il faut donc nous montrer aussi intransigeants dans la défense des libertés publiques que nous serons fermes et lucides dans notre lutte contre le terrorisme. Le projet de loi qui vous est soumis a été conçu dans le respect scrupuleux de cette double exigence. Car combattre le terrorisme, c’est d’abord et avant tout défendre les libertés.

Nous n’avons pas à remonter très loin dans le passé pour mesurer les effets dévastateurs que peut produire une campagne d’attentats sur le sol national. Qu’advient-il de la liberté d’aller et venir lorsque chacun redoute de se rendre dans une gare ou dans un grand magasin, renonce à prendre le métro ou à utiliser le RER ? Qu’en est-il de la liberté de la presse lorsque les journalistes eux-mêmes sont pris pour cible et que leur exécution fait l’objet d’une mise en scène obscène ? À entendre certaines déclarations, il me semble parfois qu’il y a comme une funeste erreur à présenter comme liberticide, au nom de la défense des libertés publiques, la volonté de la démocratie de se protéger des terroristes, qui s’acharnent à porter atteinte à ces libertés mêmes.

M. Pierre Lellouche. Très bien !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je conclurai ce propos liminaire en soulignant qu’il n’est peut-être pas d’autre domaine de l’action publique pour lequel la recherche d’un consensus républicain soit plus nécessaire. Ce consensus renforce notre capacité à lutter contre l’action des groupes terroristes. C’est pourquoi je veux saluer très sincèrement le travail important réalisé par la commission des lois de l’Assemblée nationale, par son président, Jean-Jacques Urvoas, et son rapporteur, qui permet au Gouvernement de vous présenter aujourd’hui un texte enrichi, plus précis, et de nature à susciter – en tout cas je l’espère – l’adhésion d’une vaste majorité de membres de cette assemblée.

Mais avant de vous présenter le détail des dispositions que nous vous proposerons d’adopter afin de lutter efficacement contre le terrorisme, il est nécessaire de mesurer l’étendue de la menace, de la caractériser, de la nommer précisément. Le phénomène auquel nous sommes confrontés n’est certes pas entièrement nouveau. Au cours des décennies passées, la guerre d’Afghanistan, le conflit en Bosnie, la guerre civile en Algérie ont suscité des appels à la guerre sainte et ont produit leur lot de combattants aguerris, prêts à porter en retour la violence terroriste au sein des sociétés dont ils étaient parfois issus. Je mentionnerai ainsi, pour mémoire, le « Gang de Roubaix », actif au milieu des années 1990, situé aux frontières du grand banditisme et du terrorisme islamiste, dont plusieurs membres s’étaient formés en Bosnie avec les brigades internationales de moudjahidin.

Mais ce à quoi nous assistons avec la guerre civile en Syrie, puis en Irak, c’est à une mutation rapide du terrorisme. Encore récemment, le terrorisme était réservé à une poignée d’individus faisant le choix de la clandestinité, au sein de groupes structurés et particulièrement difficiles d’accès. Aujourd’hui, le terrorisme est devenu en « libre accès ». La stratégie suivie par les organisations terroristes, dont la revue quasi officielle, Inspire, offre un exemple saisissant, vise à rendre la terreur accessible au plus grand nombre. Il s’agit bien de pousser à son paroxysme morbide le mot visionnaire d’Andy Warhol, selon lequel, à l’avenir, chacun aura son quart d’heure de célébrité. Mais cette célébrité s’épanouira dans l’avènement de la mort du terroriste et de ceux qu’il aura réussi à atteindre. Tout un chacun peut désormais, sans quitter son domicile, consulter ad nauseam des sites faisant l’apologie du meurtre de masse, du martyre, de l’attentat-suicide ; chacun peut s’autoradicaliser, puis se décider pour un aller simple vers les terres du djihad, le cas échéant en famille.

Tout un chacun peut, avec une facilité déconcertante, acquérir un savoir-faire minimal pour commettre un attentat terroriste dit « de proximité ». La mutation qui s’opère consiste, pour ces organisations criminelles, à tirer parti des nouvelles technologies de l’information, pour inoculer massivement le virus du terrorisme dans les esprits, et pour tromper certains de nos concitoyens, bien souvent les plus jeunes, mais aussi les plus vulnérables, en leur laissant croire qu’ils sont devenus les ennemis de leur propre pays.

Je voudrais citer à cet égard le témoignage de Mériam Rhaiem, revenue le 3 septembre de Turquie avec sa fille de vingt-huit mois, Assia, que son père avait enlevée onze mois plus tôt pour rejoindre la Syrie, où il était parti combattre avec un groupe djihadiste. Évoquant le processus de radicalisation qui a conduit son mari à de telles extrémités, elle a déclaré que tout s’était fait sur internet, qu’il passait ses journées à regarder des vidéos du groupe Front Al-Nosra, à s’isoler, à être en rupture et à ne côtoyer que des gens qui lui ressemblaient. Dans d’autres cas, comme pour Mehdi Nemmouche, accusé d’avoir commis le 24 mai l’attentat meurtrier contre le musée juif de Bruxelles, la radicalisation est intervenue à l’occasion d’un séjour en prison. Dans tous les cas, la banalité apparente du processus d’enrôlement contraste avec l’extrême brutalité de ses conséquences.

Il me faut donc à présent le réaffirmer solennellement devant votre assemblée : le destin de la jeunesse de France ne passe ni par le meurtre, ni par le martyre, ni ici, ni ailleurs. À ceux et à celles qui songent au départ, que ce soit du fait d’une attirance morbide pour la violence, par désespérance, au nom d’un idéal religieux dévoyé, ou même par romantisme et par compassion pour les victimes du régime de Bachar el-Assad, je veux dire qu’ils commettent une erreur funeste, et une faute irréparable. À celles et ceux qui songent à partir, je le redis : le terrorisme n’est pas seulement un crime, c’est aussi un leurre, et c’est surtout une impasse, politique et morale.

La manifestation la plus visible de cette mutation, c’est malheureusement le nombre élevé de citoyens français, ou d’étrangers résidant sur le territoire national, parmi les combattants enrôlés par les groupes djihadistes les plus radicaux. C’est la présence parmi eux de nombreux Français très jeunes, parfois mineurs, et également d’un nombre croissant de jeunes Françaises. Le nombre des jeunes Français radicalisés combattant sur le théâtre d’opérations syrien n’a cessé de croître. Les effectifs combattants sont ainsi passés, depuis le 1er janvier, de 224 à 350, comprenant au moins 63 femmes et 6 mineurs. Le nombre d’individus plus généralement impliqués dans les filières djihadistes, en incluant les personnes en transit, celles qui ont quitté la Syrie, et les individus ayant manifesté des velléités de départ, est passé, au cours de la même période, de 555 à 932, soit une augmentation de 74 %.

L’étude des filières djihadistes au départ de la France, composées pour les deux tiers de ressortissants français, montre qu’il s’agit d’une population jeune et hétérogène, majoritairement issue de familles immigrées, mais comportant également une part importante de convertis – de l’ordre de 20 %. Près de la moitié des individus recensés étaient inconnus des services spécialisés avant leur signalement.

Nous devons donc tout faire pour contenir la menace potentielle que représente le retour en France de combattants formés en Syrie au maniement des armes et des explosifs, qui ont souvent commis les pires atrocités criminelles, endoctrinés par des discours de haine envers l’Occident laïc, et souvent déshumanisés par l’expérience quotidienne et répétée de la violence. Certains, nous le constatons déjà, auront fui de leur propre initiative la Syrie et chercheront sans doute à oublier cette terrible épreuve. Mais nous ne pouvons courir le risque d’en laisser d’autres tenter de reproduire sur le sol français, au nom du djihad, la violence barbare qu’ils auront connue en Syrie ou, désormais, en Irak. Or, parmi les 185 individus identifiés et ayant quitté le théâtre des opérations, 118 sont aujourd’hui de retour en France.

Au demeurant, cette situation n’est pas propre à la France. Au mois de mai dernier, on estimait que 8 500 volontaires, dont environ 2 000 Européens, avaient rejoint les rangs de l’insurrection syrienne, où ils représentaient 10 % des effectifs des groupes radicaux.

Les principaux contingents provenaient du monde Arabe, mais aussi de plusieurs pays européens tels que le Royaume-Uni, l’Allemagne, la Belgique ou l’Espagne. Le Canada, l’Australie et les États-Unis sont également concernés, comme j’ai eu l’occasion d’en faire le constat lors de mes récents entretiens avec les autorités de ces pays.

Comme vous le savez, le Gouvernement a réagi avec vigilance et fermeté à l’importance de ces menaces.

Au plan interne, tout d’abord, nous avons mis en place dès le 27 avril dernier un plan de lutte contre la radicalisation violente et les filières terroristes. Les mesures du plan ne nécessitant pas de modification de l’état du droit ont été prises immédiatement. C’est ainsi qu’un numéro vert a été mis en place pour permettre aux familles de signaler les risques de départ pour la Syrie, et de bénéficier d’un soutien mis en œuvre à l’initiative des préfets avec les magistrats du parquet, les élus locaux et les opérateurs sociaux.

Ce dispositif a fonctionné, et je veux d’ailleurs en donner les résultats devant la représentation nationale à l’occasion de ce débat. Le numéro vert a permis deux cent trente-quatre signalements. Par ailleurs, la justice a ouvert soixante et onze procédures relatives aux filières syriennes depuis le 1er janvier, et les forces de sécurité ont procédé à plus de cent dix interpellations. Pas moins de soixante-quatorze individus ont été mis en examen par les magistrats du pôle antiterroriste du tribunal de grande instance de Paris.

Parallèlement, dans le cadre de l’Union européenne, une série de mesures concrètes a été élaborée au cours d’une réunion de travail tenue le 7 juillet, à l’initiative de la France et de la Belgique, entre les ministres de l’intérieur de neuf pays. Ces mesures concernent notamment les personnes inscrites au fichier des personnes recherchées du système d’information Schengen ; nous travaillons actuellement à la mise en place d’un signalement spécifique, commun à l’ensemble des pays de l’Union européenne, de manière à améliorer les conditions d’utilisation de ce fichier.

Nous avons également décidé de travailler ensemble, en collaboration avec le coordonnateur européen Gilles de Kerchove, à la mise en place de véritables initiatives destinées à développer un contre-discours pédagogique établissant la vérité sur l’action de l’Union européenne en Syrie et en Irak, y compris sur le plan humanitaire, et présentant les risques auxquels s’exposent ceux qui basculent dans les groupes terroristes.

Cette coopération entre les pays de l’Union européenne, que j’ai souhaité développer et approfondir, commence à donner des résultats. C’est ainsi que ce matin même, en Belgique, à Liège, une jeune française âgée de quatorze ans, dont les parents avaient signalé la disparition le 18 juillet et qui avait manifesté à plusieurs reprises son intention de se rendre en Syrie, a pu être retrouvée grâce à un signalement d’Interpol. Cela signifie que la coopération entre nos services de renseignements et nos services de police, au niveau européen, donne des résultats qui s’amplifieront à mesure que cette coopération se développera au cours des prochains mois.

Afin de prévenir les départs pour la Syrie et l’Irak, nous avons jugé indispensable de renforcer notre législation en entravant l’action et la propagande des filières terroristes et en contrariant les projets de ceux qui sont tentés de les rejoindre. C’est l’objet de ce projet de loi, qui s’inscrit dans une tradition juridique française de lutte contre le terrorisme dans le cadre scrupuleux de l’état de droit.

Comme vous le savez, ce dispositif s’articule aujourd’hui autour du délit d’association de malfaiteurs en vue de préparer des actes de terrorisme, pierre angulaire de notre droit antiterroriste, qui a fait la preuve de son efficacité. Pour caractériser l’association de malfaiteurs terroriste, il est nécessaire d’établir l’existence d’une entente entre plusieurs individus, de mettre en évidence leur intention terroriste, matérialisée par un ou plusieurs faits, et ce avant la commission d’un crime et indépendamment de la survenance de celui-ci. Il s’agit donc de ce que l’on appelle une infraction-obstacle qui s’est révélée extrêmement efficace pour prévenir la commission d’attentats.

Au-delà du droit pénal de fond, c’est la spécificité de la procédure qui a fait l’efficacité de la lutte antiterroriste : depuis 1986, les poursuites, l’instruction, le jugement, et même l’application des peines sont centralisés et donc coordonnées au sein du pôle antiterroriste du tribunal de grande instance de Paris, qui bénéficie d’une compétence concurrente à celle des juridictions locales. Toujours en termes de procédure, il est possible de recourir aux moyens spéciaux applicables à la criminalité organisée : prolongation de la garde à vue, autorisation des interceptions de sécurité ou de la géolocalisation et, dans certains cas, perquisitions nocturnes. De même, l’infiltration, la sonorisation et l’introduction de nouvelles techniques informatiques ont été progressivement prévues par le législateur.

Ces mesures, dont certaines peuvent paraître intrusives, font partie du droit en vigueur avant même que ce projet de loi ne soit débattu. Pour reprendre l’expression utilisée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 22 mars 2012, ces mesures sont justifiées par un motif d’intérêt général et mises en œuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif. Je tiens à faire cette précision car j’ai lu des articles au cours des dernières heures dans lesquels il était écrit que ce qui existe déjà était ce que nous nous proposions de faire. Rien de ce que je viens d’évoquer, qui fait déjà partie de notre droit, ne sera amplifié. En revanche, nous créerons les conditions pour que ce qui est déjà prévu soit rendu plus efficace grâce à des mesures que je vais présenter à l’instant.

Les principales mesures du texte qui est soumis à votre examen respectent l’équilibre fondamental entre liberté et protection des citoyens, tout en nous permettant d’adapter notre dispositif à l’évolution de la menace terroriste et à ses nouveaux vecteurs.

L’interdiction de sortie du territoire, prévue à l’article 1er de la loi, permettra aux autorités de s’opposer au départ de nos ressortissants hors de France dès lors qu’il existe des raisons sérieuses de croire que leur déplacement a une finalité terroriste ou que leur retour porterait atteinte à la sécurité publique. Il s’agit là d’une mesure importante qui vient combler une lacune de notre dispositif de lutte contre le terrorisme, puisque cette capacité d’empêcher le départ d’un individu majeur n’existait jusqu’à présent que dans le cadre d’une procédure judiciaire. Ce type de disposition existe en revanche déjà au Royaume-Uni et en Allemagne.

Le fait de quitter le territoire ou de tenter de le quitter en violation d’une décision d’interdiction d’en sortir sera désormais puni pénalement. Pour rendre cette mesure pleinement effective, la commission des lois a souhaité que la personne concernée se voie retirer non seulement son passeport, comme le prévoyait le texte du Gouvernement, mais également sa carte nationale d’identité, contre récépissé.

Mobilisé par une opération de sécurité civile dans l’Aube lorsque ce texte était en débat devant la commission des lois, j’avais dû la quitter lors de l’examen des amendements au mois de juillet. Si j’avais été présent, le Gouvernement se serait prononcé en faveur de cet amendement. Je sais cependant que certains parmi vous se sont interrogés, non pas sur l’opportunité de cette mesure, mais sur ses effets. Je veux remercier Marie-Françoise Bechtel qui a souhaité conférer au récépissé reçu par la personne frappée d’interdiction de sortie du territoire tous les effets matériels de la carte d’identité. Les débats parlementaires pourront de préciser, si besoin est, ces dispositions, et le Gouvernement est tout à fait disposé à conforter les garanties souhaitées par Mme Bechtel.

La prévention du terrorisme dépend également de notre capacité à empêcher la diffusion de messages sur internet appelant au terrorisme ou le glorifiant. En effet, les enquêtes montrent qu’une grande partie des projets de départ pour la Syrie résultent de processus d’auto-radicalisation nourris par la fréquentation de sites sur internet.

Le blocage administratif des sites internet est donc prévu à l’article 9 de la loi et complétera les dispositions de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique. Elle donnera la possibilité à l’autorité administrative de demander aux éditeurs et hébergeurs, lorsqu’ils sont identifiés, de procéder au retrait des contenus provoquant aux actes de terrorisme ou en faisant l’apologie et, à défaut, aux fournisseurs d’accès à internet de bloquer l’accès aux sites, à l’instar de ce que le législateur a déjà prévu pour les sites pédopornographiques. Ce blocage, que nous voulons ciblé et limité au strict nécessaire, s’effectuera sous le contrôle d’une personnalité qualifiée, et sera soumis à la juridiction administrative.

De manière logique, les fournisseurs d’accès seront également astreints à l’obligation de surveillance limitée prévue par la loi du 21 juin 2004, au même titre que pour les appels à la haine raciale, la glorification des crimes contre l’humanité ou la promotion de la pédopornographie. Il s’agit de perturber le fonctionnement des sites de propagande, mais également des forums où se nouent les contacts et où s’échangent des conseils en vue de la réalisation d’actes terroristes.

Dans la même perspective, l’apologie et la provocation au terrorisme ne relèveront donc plus du délit d’opinion, et donc de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, mais du droit commun, et certaines des techniques spéciales d’enquête applicables au terrorisme leur seront applicables, comme l’infiltration ou les interceptions de communication, sous le contrôle de l’autorité judiciaire.

Il s’agit de tirer les conséquences de la stratégie mise en place par les groupes terroristes qui, comme Daech, ont intégré la propagande sur internet à leur stratégie afin de s’en servir comme d’une arme. L’exemple sinistre des décapitations de James Foley, Steven Sotloff et David Haines l’a montré de façon dramatique. Il s’agit également de respecter l’esprit et le texte de la loi de 1881, en évitant d’en venir aux rigueurs du code de procédure pénale.

En revanche, et je souhaite insister sur ce point sur lequel j’ai lu beaucoup de contre-vérités, contrairement à ce qui a pu être avancé à tort, les dispositions assurant spécifiquement la protection de la liberté de la presse et des sources des journalistes ne seront en rien affectées par ce texte, et le champ des incriminations d’apologie et de provocation au terrorisme n’est pas modifié. Ces dispositions ne peuvent donc conduire à ce que des journalistes soient demain poursuivis au seul motif d’avoir partagé des vidéos ou fait état de propos de groupes terroristes. Il est particulièrement malhonnête intellectuellement de laisser à penser que tel serait l’objet de ce projet de loi.

M. Guillaume Larrivé. Très bien !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. L’expérience montre que le cas des individus auto radicalisés, agissant seuls à leur retour de Syrie ou préparant un attentat en s’aidant d’informations disponibles sur internet doit également être pris en considération dans le cadre de la répression du terrorisme. C’est pourquoi est créé à l’article 5 de la loi le délit d’entreprise individuelle terroriste, puni de dix ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende. Par cette nouvelle incrimination, dont la création est demandée par des magistrats antiterroristes tels que le juge Trévidic, il s’agit de nous donner les outils juridiques nécessaires à l’appréhension avant le passage à l’acte d’une personne isolée, résolue à commettre un crime de terrorisme, dès lors qu’elle est détectée.

Nous nous attachons également à renforcer les moyens de l’enquête judiciaire en permettant les « cyber-patrouilles » pour l’ensemble des délits relevant du terrorisme et de la criminalité organisée, en facilitant le recours aux techniques de décryptage informatique et aux perquisitions à distance des bases de données. Le projet de loi permettra l’application de certains moyens spéciaux d’enquête aux intrusions dans les systèmes informatiques d’importance stratégique, et améliorera les performances de certaines techniques existantes.

Ce projet de loi vise donc à nous permettre de réduire le risque d’attentat terroriste sur notre territoire, dans le contexte nouveau que j’évoquais en introduction, en renforçant nos moyens d’enquête, en nous dotant d’instruments plus efficaces de lutte contre la propagande sur internet et en améliorant notre capacité à empêcher les départs.

En 2006, Pierre Mazeaud rappelait que dans la lutte contre le terrorisme, depuis 1986 : « les législateurs successifs se sont attachés à respecter cette ligne de conduite, qui maintient la lutte contre le terrorisme dans le cadre de l’état de droit et de la démocratie ».

Il s’agit d’un point crucial, fondamental à mes yeux. Avant de conclure, je voudrais donc insister sur les précautions que le Gouvernement a prises, avec le concours de la commission des lois, pour faire en sorte que ce texte demeure pleinement protecteur des libertés publiques fondamentales, telles que la liberté d’expression et la liberté d’aller et venir.

Cette mise au point que je fais devant la représentation nationale, et qui sera bien entendue consignée au compte rendu de nos débats, me semble d’autant plus nécessaire que ce projet a pu donner lieu dans la presse à une présentation polémique, hélas, assortie de contre-vérités.

M. Bernard Roman et M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Tout à fait !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Permettez-moi de vous donner quelques exemples précis. L’interdiction de sortie du territoire constitue incontestablement une restriction à la liberté d’aller et venir, même si les individus qui y seront soumis demeureront libres de se déplacer sur l’ensemble du territoire national. Cette mesure est donc entourée de garanties. Elle ne pourra être prise qu’au vu d’éléments précis, solides et circonstanciés. Elle pourra bien entendu faire l’objet d’un recours devant le juge administratif, auquel la Constitution donne compétence en la matière, lequel pourra agir en référé, donc dans un délai extrêmement court. J’ai lu aujourd’hui avec tristesse, dans un quotidien sérieux,…

M. Jacques Myard. Pas tant que cela !

M. Bernard Roman. Un quotidien du soir !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. …que la personne mise en cause et l’avocat qui pourra l’assister ignoreront tout du contenu du dossier. C’est faux.

Plusieurs députés du groupe SRC. Bien sûr que c’est faux !

M. Pascal Popelin. Les journalistes qui ont écrit cela ne lisent pas, ils éditorialisent !

M. Bernard Roman. La procédure sera soumise au principe du contradictoire !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Comme cela est déjà admis aujourd’hui dans le cadre de procédures d’expulsion, le dossier pourra comprendre des notes blanches réalisées à partir du travail des services de renseignement. Le contrôle juridictionnel s’attachera aux seuls éléments figurant dans ce dossier, déclassifiés, qui seront soumis au contradictoire. L’administration ne pourra se prévaloir devant le juge d’éléments classifiés qu’elle garderait par devers elle. Voilà quel est l’état du droit, qui est très différent de ce que j’ai pu lire. Il ne saurait donc être question d’un avocat alibi, sauf à soutenir que l’assistance d’un avocat est toujours inutile devant une administration accusée d’être arbitraire par nature.

Enfin, la décision sera prise pour une durée limitée à six mois, renouvelable seulement si les conditions le justifient ; bien entendu, cet éventuel renouvellement sera décidé au terme d’une procédure elle aussi contradictoire et pourra faire l’objet d’un même recours. Tout au long de la procédure, les garanties seront donc aussi fortes que dans le cas d’un contrôle par le juge judiciaire.

J’ai lu ensuite, ici ou là, que le blocage administratif des sites constituait une atteinte à la liberté d’expression. C’est faux. Cette mesure ne crée pas un délit d’opinion ; elle vise de façon limitative les contenus diffusés par des individus ou des groupes terroristes faisant par le biais d’Internet la publicité de leurs exactions – comme vous le savez, des images d’exécutions et de crucifixions circulent sur le Net –, proposant des moyens de rejoindre le théâtre des opérations ou fournissant des conseils techniques pour commettre des attentats. Imaginez que de telles manœuvres aient lieu sur la voie publique : elles seraient naturellement interdites et feraient aussitôt l’objet de mesures coercitives. Il n’est pas de raison de les tolérer davantage sur Internet.

Avons-nous l’obligation de nous lier les mains, de faire le jeu de criminels qui ont depuis longtemps perçu nos faiblesses ? Devons-nous, comme certains le préconisent, nous résigner à attendre qu’une hypothétique autorégulation des réseaux, nouvelle main invisible des tenants de l’impuissance volontaire, fasse son œuvre ? Je ne le crois pas.

M. Claude Goasguen et M. Jacques Myard. Très bien !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Il est d’ailleurs étrange que, sous couvert de défense des libertés individuelles, d’aucuns préfèrent s’en remettre au marché, aux mains d’opérateurs privés dont les capacités technologiques sont illimitées, plutôt qu’à la sphère publique et à ses procédures de contrôle démocratiques et légitimes. Je les appelle, ceux-là, à ne pas se tromper de combat, à ne pas être en retard d’une guerre.

M. Jacques Myard. Tout à fait ! Vous vous adressez là à certains membres de la majorité, monsieur le ministre !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Là encore, cependant, des précautions sont prévues pour s’assurer qu’aucun excès ne puisse être commis au détriment de la liberté du réseau. Le dispositif, que nous voulons ciblé et limité au strict nécessaire, a été précisé par votre commission des lois. Le blocage interviendra au terme d’une procédure au cours de laquelle il aura été demandé aux éditeurs et hébergeurs identifiés de procéder au retrait des contenus provoquant aux actes de terrorisme ou en faisant l’apologie. Il présentera donc un caractère subsidiaire. Il s’effectuera, en outre, sous le contrôle d’une personnalité qualifiée indépendante, afin de prévenir tout abus et tout « surblocage ». En tout état de cause, les mesures de blocage pourront être déférées à la censure du juge administratif, qui pourra statuer en quelques heures dans le cadre de la procédure de référé.

Le texte soumis à votre assemblée permet ainsi de nous doter d’un outil supplémentaire de lutte contre la propagande terroriste en ligne, tout en l’encadrant de garanties renforcées. Ces garanties nouvelles ont d’ailleurs également vocation à s’appliquer au dispositif existant de lutte contre les sites pédopornographiques.

J’ai lu encore que la création d’un délit d’entreprise individuelle terroriste était attentatoire aux libertés publiques, au motif qu’elle viserait une intention hypothétique. C’est un procès d’intention. Rappelons que cette incrimination existe depuis plusieurs années dans les droits britannique et allemand, donc dans des pays soumis, comme la France, aux normes internationales les plus exigeantes en termes de respect des droits de l’homme. À l’évidence, les forces de sécurité ne vont pas attendre qu’un attentat soit commis par la personne mise en cause pour appréhender cette dernière : ce serait une curieuse manière d’assurer la protection de nos concitoyens ! Toutefois, cette incrimination devra être caractérisée par le juge, sur la base d’un ensemble solide de preuves matérielles propre à démontrer l’intention résolue de la personne mise en cause de commettre une action terroriste d’une particulière gravité. Le projet de loi prévoit en particulier que le suspect devra obligatoirement s’être procuré des substances dangereuses ou des armes. Contrairement à ce que j’ai pu lire ou entendre, il s’agit donc de mettre en place un dispositif efficace et pertinent.

J’ai lu enfin que les articles 10 à 15 du projet de loi ne concerneraient pas le terrorisme et ne viseraient qu’à renforcer notre arsenal répressif. Là encore, c’est faux. Ces articles, qui ont notamment pour objet de renforcer les possibilités d’investigation dans l’environnement numérique et la répression des atteintes aux systèmes de traitement automatisé des données, visent au contraire à répondre à l’évolution des modes d’action des terroristes. Ces mesures n’amoindrissent pas le contrôle exercé sur les enquêtes en cours par l’autorité judiciaire – le parquet ou le juge d’instruction, selon les cas. L’article 15, qui prolonge la durée autorisée de conservation des enregistrements réalisés dans le cadre d’interceptions de sécurité, n’amoindrit pas non plus le contrôle exercé par la commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité.

Avant de vous laisser la parole, mesdames et messieurs les députés, je veux encore évoquer deux points.

Cette loi est aujourd’hui nécessaire à la sécurité de notre pays. Certes, il n’existe pas de risque zéro en matière de lutte contre le terrorisme – même ces nouvelles mesures ne peuvent garantir à elles seules un risque zéro. Mais l’entreprise criminelle des terroristes ou de ceux qui veulent les rejoindre aura été entravée, compliquée, empêchée. Des internautes, souvent jeunes, auront échappé aux actions de propagande et de glorification du crime. La justice et, sous son contrôle, les services de police auront à leur disposition des moyens d’action et d’investigation plus efficaces et plus protecteurs.

En second lieu, cette loi, pour être efficace, doit susciter un large consensus. Lors de nos débats et dans le cadre de l’application future de ces mesures, il faudra veiller à chaque instant au respect scrupuleux des valeurs de la République. Celles-ci sont les armes les plus fortes dont nous disposons dans notre lutte contre le terrorisme, comme contre toutes les formes de violence et de haine. J’ai la conviction qu’il existe un devoir d’information de l’exécutif envers les représentants de la nation, par-delà les clivages politiques partisans. Bien sûr, monsieur le président de la commission, je me tiens en permanence à la disposition des commissions des lois des deux assemblées, mais je souhaite également pouvoir réunir régulièrement les présidents des groupes parlementaires pour échanger avec eux sur la menace terroriste qui existe dans notre pays. Je commencerai ces rencontres dès l’adoption du projet de loi.

Laissez-moi vous rappeler les propos qu’avait tenus Lionel Jospin devant l’Assemblée nationale il y a treize ans, au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, et qui me semblent avoir conservé toute leur pertinence et toute leur actualité : « Certains ont parlé de "conflit de civilisation", parce que les terroristes croient pouvoir invoquer l’islam, ou plutôt leur propre vision dévoyée de l’islam, pour justifier l’injustifiable et s’assurer des complicités ou des complaisances. Nous ne tomberons pas dans leur piège en laissant s’accréditer des amalgames aussi dangereux qu’infondés. En dehors de ceux qui ont participé ou prêté la main au terrorisme […], nul ne saurait être stigmatisé. La lutte contre le terrorisme doit non pas diviser, mais unir les nations, les peuples, les religions : c’est la condition de son succès. »

M. Alain Marsaud. On voit le résultat !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Mesdames et messieurs les députés, je me tiens à votre entière disposition tout au long de ce débat. Je vous remercie pour votre attention et forme le vœu que nos échanges soient les plus fructueux possible et permettent d’aboutir à un texte soucieux et respectueux des libertés publiques, tout en assurant la protection des Français. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, GDR, RRDP et UDI.)

M. Claude Goasguen et M. Jacques Myard. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, l’odieux assassinat de David Haines montre une fois encore le niveau de barbarie atteint par le Daech, qui érige la terreur en mode de gouvernance et de communication. Face à ce déferlement d’horreur, il est urgent d’adapter notre législation pour défendre les valeurs de notre République et notre sécurité. C’est pourquoi notre assemblée examine aujourd’hui le projet de loi renforçant les dispositions de lutte contre le terrorisme, déposé le 9 juillet dernier et adopté à l’unanimité par la commission des lois le 22 juillet.

La situation est particulièrement grave. Près d’un millier de nos ressortissants sont impliqués ou ont été impliqués dans les filières djihadistes en Syrie ou en Irak. Il convient de souligner l’ampleur inédite de la menace, qu’expliquent sans doute la proximité du théâtre d’opérations syrien et le niveau des infrastructures sur place. À cela s’ajoute la puissance de la propagande sur Internet et, singulièrement, sur les réseaux sociaux.

En outre, je suis frappé par le fait que la menace d’attentats perpétrés par des djihadistes de retour en Europe et en France se concrétise : outre l’attaque contre le musée juif de Bruxelles du 24 mai dernier, plusieurs projets d’attentats sur notre territoire par des djihadistes revenus de Syrie ont été entravés ces derniers mois, grâce à l’intervention efficace de nos services, à qui je souhaite rendre hommage cet après-midi.

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Très bien !

M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur. La participation de Français ou de personnes résidant en France aux combats en Syrie et en Irak, dont l’intensité est attestée par le nombre croissant de morts, et aux exactions des groupes djihadistes est aussi une préoccupation majeure. Le nombre de morts dans des attentats suicides – au moins une dizaine, dont deux en Irak au nom du Daech – augmente de manière significative. La désinhibition à la violence extrême et les traumatismes induits contribuent à l’aggravation de la menace émanant de l’ensemble de ces personnes à leur retour en Europe.

Les filières de volontaires francophones se sont structurées. Les djihadistes disposent désormais de katibas francophones dirigées par un certain nombre de Français.

L’ampleur sans précédent de ce phénomène se nourrit de la surmédiatisation du djihad syrien sur Internet et les réseaux sociaux, qui contribuent à l’accélération des recrutements, notamment chez les plus jeunes. Cette action a été théorisée sous l’expression « djihad médiatique ». À titre d’exemple, je rappellerai qu’Al Zawahiri, chef d’Al Qaïda depuis la mort d’Oussama Ben Laden, déclarait en 2007 que ceux qui mènent le djihad médiatique sont des soldats anonymes de la cause au même titre que ceux qui combattent dans les zones de conflit ; en récompense, il leur promettait le paradis. Ces propos illustrent bien la place essentielle, parfaitement comprise et intégrée par les terroristes eux-mêmes, qu’occupe désormais la communication sur Internet. Plus de quarante-quatre mineurs, dont treize filles, ont quitté la France pour la Syrie. La plus jeune, recrutée par Internet et partie de région parisienne pour épouser un combattant en Syrie, est âgée de 14 ans seulement.

Enfin, la plupart des volontaires sont inconnus des services au moment de leur départ. Parmi eux, 20 % sont des convertis, radicalisés dans des délais parfois extrêmement brefs. La diversification des profils des volontaires révèle des fractures préoccupantes au sein de notre société. Le phénomène s’étend désormais à des catégories socioprofessionnelles plus variées. Soixante-quinze départements français sont concernés.

Face à cette menace nouvelle, face à ce danger pour l’intégrité de notre territoire, nous ne devons pas avoir la main qui tremble.

Nous ne devons pas avoir la main qui tremble pour adapter notre législation afin de la rendre plus efficace.

Nous ne devons pas avoir la main qui tremble pour refuser toute stigmatisation, pour s’opposer à toutes celles et tous ceux qui veulent instrumentaliser le débat pour pointer du doigt une religion. Nous devons réaffirmer ici haut et fort que l’État islamique n’a rien à voir avec l’islam.

Nous ne devons pas non plus avoir la main qui tremble pour assortir les moyens de sécurité renforcés de garanties suffisantes pour préserver les libertés fondamentales de notre pays. Nous devons tout simplement nous adapter à l’évolution de cette menace en préservant les libertés individuelles. C’est le sens du projet de loi présenté par Bernard Cazeneuve que nous examinons. C’est aussi le sens des amendements que j’ai fait adopter en commission des lois en juillet dernier.

À l’article 1er, la commission a adopté un de mes amendements qui permet à la personne concernée par une interdiction de sortie du territoire d’être assistée d’un avocat, d’un conseil ou d’un mandataire lorsqu’elle est entendue par le ministre de l’intérieur ou son représentant.

Cette rédaction s’inspire de celle prévue par l’article 24 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, lequel dispose que lorsque l’administration s’apprête à prendre une décision individuelle, la personne concernée peut demander à être entendue et « se faire assister par un conseil ou représenter par un mandataire de son choix ».

Je précise d’ailleurs que, contrairement à ce qui est parfois affirmé, la décision n’est pas prise sur la base d’éléments classifiés au titre du secret de la défense nationale, mais sur celle d’un dossier communiqué à la personne concernée et, le cas échéant, à son avocat.

M. Pascal Popelin. Eh oui ! Ils n’ont pas lu le projet.

M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur. À ce même article 1er, la commission a adopté un autre de mes amendements lequel prévoit que l’interdiction de sortie du territoire emportera le retrait non seulement du passeport, mais aussi de la carte nationale d’identité, contre remise d’un récépissé permettant à la personne concernée de justifier de son identité. Par ce retrait, il s’agit d’opposer une entrave supplémentaire au Français qui tenterait de se rendre sur un théâtre de combat djihadiste notamment en passant par la Turquie.

L’amendement adopté par la commission propose également d’assortir cette mesure de garanties en prévoyant que la personne dont le passeport ou la carte nationale d’identité a été retiré – ou qui sollicite la délivrance d’un tel document – se voie remettre un récépissé lui permettant de justifier de son identité. Une telle mesure de retrait de carte nationale d’identité – assorti de la délivrance d’un récépissé – existe déjà dans notre droit, en application de l’article 138 du code de procédure pénale.

La mesure de retrait de la carte nationale d’identité est par ailleurs limitée dans le temps : à l’échéance de la mesure d’interdiction de sortie du territoire, la personne pourra se voir délivrer à nouveau un passeport ou une carte nationale d’identité.

À l’article 2, la commission a adopté l’un de mes amendements ramenant de trois à un an la peine d’emprisonnement encourue par les personnes assignées à résidence qui violeraient la nouvelle interdiction d’entrer en relation avec des personnes nommément désignées.

À l’article 4, la commission a élargi le champ d’application du délit de provocation au terrorisme, pour incriminer non seulement les propos publics, mais aussi les propos privés : cela permettra de sanctionner aussi les prêches clandestins en dehors des lieux de culte, ainsi que les propos tenus sur des réseaux sociaux ou sur des forums internet privés, que la jurisprudence actuelle considère comme non punissables lorsqu’ils sont tenus dans un cercle fermé.

Le délit de provocation non publique sera puni de trois ans d’emprisonnement, tandis que la provocation publique sera punie de cinq ans d’emprisonnement. Dans un souci de proportionnalité et pour éviter toute difficulté constitutionnelle, je proposerai par un amendement d’exclure l’application de toutes les règles procédurales dérogatoires prévues en matière terroriste pour le délit de provocation non publique, qui ne présente certainement pas un degré de gravité suffisant pour justifier l’application du régime terroriste.

À l’article 5, la commission avait adopté un amendement visant à mieux préciser la définition du nouveau délit d’entreprise terroriste individuelle, afin de mieux caractériser les éléments matériels du délit qui justifient l’intervention précoce du droit pénal dès le stade des actes préparatoires commis par une personne seule.

Pour que la définition du délit d’entreprise terroriste individuelle ne puisse pas encourir la critique d’incriminer la simple intention criminelle, la commission a prévu que la constitution de ce délit exigerait que le projet criminel soit caractérisé, non seulement par la recherche ou l’obtention de produits ou de substances dangereux pour la personne, mais aussi par un second élément matériel qui pourra consister soit en des repérages, soit en une formation au maniement des armes, à la fabrication d’engins explosifs ou au pilotage, soit dans la consultation habituelle de sites internet incitant au terrorisme, sauf motif légitime précisément défini par le texte.

Je proposerai d’améliorer encore la rédaction de cet article par un autre amendement destiné à permettre que ce délit puisse, tout en respectant pleinement les principes de légalité et de nécessité des délits et des peines, couvrir l’ensemble des situations qui matérialisent la préparation d’un projet terroriste par une personne seule de façon suffisamment caractérisée pour justifier une intervention du droit pénal en amont d’un passage à l’acte.

L’article 5 est au cœur du projet de loi et vise à adapter notre législation à la mutation de la menace terroriste. Il s’agit d’une réponse adaptée à la nouvelle stratégie des groupes terroristes qui exhortent au passage à l’acte solitaire.

À l’article 9 relatif à la lutte contre la provocation au terrorisme et l’apologie du terrorisme sur internet, j’ai évidemment écouté et lu avec la plus grande attention les critiques des acteurs du monde de l’internet. J’ai également pris connaissance avec grand intérêt de la recommandation de la commission de réflexion sur les droits et libertés à l’âge du numérique, coprésidée par Christian Paul et Christiane Féral-Schuhl, et j’ai beaucoup réfléchi à cette question complexe et délicate.

À l’issue de ce processus de réflexion, poursuivi durant tout l’été, je suis convaincu qu’il est absolument nécessaire de permettre aux pouvoirs publics d’empêcher l’accès à des sites particulièrement odieux et dont l’effet déterminant sur le recrutement de futurs terroristes est désormais avéré, et qu’il est nécessaire de rechercher l’équilibre le plus adapté entre l’efficacité de l’intervention publique et la protection de la liberté d’expression.

J’en suis arrivé à la conclusion que le blocage administratif était la solution la plus efficace, mais qu’il était nécessaire de renforcer les garanties entourant la prise de décision de l’autorité administrative. J’ai forgé ma conviction après m’être posé plusieurs questions : d’abord celle de l’opportunité même du blocage ; ensuite celle de l’autorité chargée de décider le blocage et enfin celle des garanties devant entourer la décision de blocage.

Sur la question de l’opportunité du blocage, les critiques relatives aux possibilités de contournement et au « surblocage » sont légitimes et doivent être entendues, mais elles ne sauraient justifier la passivité des pouvoirs publics pour des contenus hébergés à l’étranger et dont le retrait par l’éditeur ou l’hébergeur n’est pas envisageable. Je partage l’idée que la solution la plus efficace sera toujours le retrait du contenu par l’éditeur et l’hébergeur, mais lorsque le retrait ne peut être obtenu, le blocage est une arme de dernier recours dont les pouvoirs publics doivent pouvoir disposer.

C’est pour cette raison que j’ai fait adopter par la commission des lois un amendement qui a introduit le principe selon lequel le blocage est une mesure subsidiaire par rapport au retrait du contenu par l’éditeur ou l’hébergeur : le blocage ne pourra être demandé au fournisseur d’accès qu’après avoir demandé à l’éditeur ou à l’hébergeur de retirer le contenu, et après leur avoir laissé vingt-quatre heures pour y procéder. Ce préalable obligatoire de la demande de retrait sera toutefois écarté pour les sites dont l’éditeur et l’hébergeur ne pourront pas être identifiés à partir des informations figurant sur le site incriminé.

Sur la question de l’autorité chargée de décider le blocage, l’attribution de la compétence au juge judiciaire proposée par certains soulève deux séries de difficultés, les unes d’ordre pratique, les autres de principe.

Au plan pratique, la procédure judiciaire implique une assignation spécifique et une audience pour chaque instance dont le juge sera saisi, afin de respecter le principe du contradictoire. Or l’on sait que le contournement du blocage passera notamment par la duplication de « sites miroir » après blocage d’un premier site. Il ne me paraît pas possible d’obtenir une efficacité suffisante dans la « traque » de ces sites, compte tenu des garanties procédurales inhérentes à toute procédure judiciaire, sauf à réduire ces garanties, ce qui ne serait évidemment pas acceptable.

Au plan des principes, compte tenu de l’importance prise aujourd’hui par internet et des troubles à l’ordre public que l’expression sur internet peut engendrer, la lutte contre les propos appelant au terrorisme sur internet doit pouvoir relever de la police administrative. Aujourd’hui, l’autorité administrative peut interdire une manifestation, un spectacle, voire ordonner la saisie d’un journal – certes, dans des conditions très strictes –, pour prévenir des troubles à l’ordre public : ce que l’autorité administrative peut faire dans la sphère réelle pour protéger l’ordre public, elle doit également pouvoir le faire dans la sphère numérique. Pour ces deux raisons, je considère que le blocage des sites doit relever de l’autorité administrative.

M. le président. Veuillez conclure, monsieur le rapporteur.

M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur. S’agissant, enfin, des garanties devant entourer la décision de blocage, toute décision de l’autorité administrative peut faire l’objet d’un recours devant le juge administratif, dont l’indépendance et l’impartialité ne peuvent pas être mises en doute. Il s’agira là d’une garantie essentielle, dont l’importance ne saurait être minimisée.

Pour ces raisons, la commission des lois a adopté un de mes amendements qui visait à confier la mission de s’assurer de la régularité des demandes de retrait de contenu et de la régularité de la liste des sites bloqués à une personnalité qualifiée, désignée par la Commission nationale de l’informatique et des libertés.

À l’initiative du président de la commission des lois M. Jean-Jacques Urvoas, nous avons introduit dans le texte un nouvel article 11 bis qui actualise les incriminations d’atteintes aux systèmes de traitement automatisé de données, afin que soient désormais réprimés le vol et l’usage frauduleux des données auxquelles l’auteur d’une attaque informatique a illégalement accédé.

Cet article ajuste également l’échelle des peines à la particulière gravité des délits d’atteinte aux systèmes de traitement automatisé de données et augmente le montant des peines d’amende encourues.

À l’article 12, notre commission a tiré les conséquences de cette nouvelle échelle des peines.

M. le président. Il faut conclure, monsieur le rapporteur.

M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur. Enfin, dernier apport de la commission, un nouvel article 15 bis a été adopté sur mon initiative et celle du président Jean-Jacques Urvoas. Il vise à permettre à l’administration pénitentiaire de disposer d’outils juridiques pour lutter contre l’usage des téléphones clandestins en prison, en lui permettant de recueillir directement et par tout moyen technique les données techniques les concernant. La thématique de la radicalisation en prison paraît en effet capitale et les moyens offerts à l’administration pénitentiaire parfois insuffisants.

Voilà, mes chers collègues, un projet de loi enrichi par la commission des lois – et qui le sera à nouveau lors de son examen en séance – que je vous demande de soutenir avec force. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Motion de renvoi en commission

M. le président. J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe de l’Union pour un mouvement populaire une motion de renvoi en commission déposée en application de l’article 91, alinéa 6, du règlement.

La parole est à M. Alain Marsaud.

M. Pascal Popelin. Quelle curieuse idée !

M. Alain Marsaud. J’espère, monsieur le président, que vous serez tout aussi indulgent que vous l’avez été à l’égard du rapporteur. (Sourires.)

Monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, vous connaissez sans doute tous un garçon nommé Fayez Youssef Boushran. C’est un Français de Trappes.

M. Pascal Popelin. Pas personnellement.

M. Alain Marsaud. Vous avez tort car il gagne à être connu !…

Interpellé le 20 juin à Beyrouth par les forces de sécurité libanaises, ce garçon avait gagné la Syrie par la Turquie avec son passeport français pour rejoindre le groupe al-Nosra. Quel bonheur pour ce groupe d’avoir un Français avec un passeport français ! On a demandé à ce garçon âgé de vingt-quatre ans d’aller à Beyrouth, de prendre en charge une voiture piégée et de faire sauter un objectif chiite durant la coupe du monde.

Il s’agit donc, je le répète, d’un jeune Français originaire de Trappes, pseudo-sunnite qui a décidé d’aller sacrifier sa vie en projetant d’assassiner des chiites. Si je fais ce rappel, c’est parce que nous sommes réunis ici, pour la seizième fois, afin de modifier les lois antiterroristes.

Pour ma part, monsieur le ministre, je suis un ancien combattant de la lutte antiterroriste. Combien de fois ai-je eu l’occasion de prendre la parole sur ce sujet, notamment en tant que rapporteur ? Et dans ma carrière de magistrat, j’ai eu l’honneur de diriger le service central de lutte antiterroriste. Vous étiez bien jeune, monsieur le ministre, lorsqu’il m’est arrivé de prendre quelques responsabilités et décisions. J’étais même, mais je me vante peut-être, l’inspirateur du texte définissant le délit d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste et je me souviens que sur ces bancs, les députés socialistes – la gauche en général – criaient à la loi scélérate !

M. Jacques Myard. C’est bien vrai !

M. Alain Marsaud. Aujourd’hui, je ne peux que noter votre conversion, et je m’en félicite.

Monsieur le ministre, votre loi vient trop tard. Pourquoi est-elle datée ? Parce que c’est une loi Valls. M. Valls, il y a un an, y avait réfléchi et nous avait réunis pour la présenter. Mais depuis, elle n’a pas beaucoup évolué.

M. Pascal Popelin. Et c’est pour ça que vous présentez une motion de renvoi ?

M. Alain Marsaud. Or le monde, lui, a évolué. Nous avons découvert des Français tortionnaires, ce n’est pas rien et l’on n’imaginait pas que cela pût exister. Nous avons découvert le phénomène irakien, alors que l’on ne nous parlait que de la Syrie. Nous avons découvert les hésitations de la diplomatie française entre les bons et les mauvais djihadistes. Nous avons également découvert, pour ceux qui en douteraient, l’utilisation d’armes françaises par des djihadistes. Je tiens bien évidemment à votre disposition, mes chers collègues, les documents illustrant ces faits : des djihadistes de Daech en possession de fusils FAMAS et, à mon avis, ils ne les ont pas achetés à la manufacture de Saint-Étienne !

En plus d’être un peu daté, votre texte est hémiplégique.

M. Pascal Popelin. C’est votre intervention qui est datée.

M. Alain Marsaud. Comme toujours, vous privilégiez le volet préventif et oubliez l’aspect répressif. Le préventif, c’est bien, il faut en faire de temps en temps, mais les socialistes ont toujours été mal à l’aise avec le répressif.

Lors du vote de la loi du 23 janvier 2006, dont j’étais rapporteur, les socialistes ont préféré s’abstenir, tant ils redoutaient que ce texte puisse mettre mal à l’aise leur électorat – M. Valls lui-même déclarant ici que cette loi n’était pas si mal, mais qu’il ne la voterait pas. J’ai en outre défendu, dans le cadre de cette loi, la disposition prévoyant un signalement obligatoire de la part des transporteurs – c’est le système Advance Passenger Information System, ou APIS, que vous voulez mettre en place pour identifier les voyageurs qui contreviendraient à votre avis.

Un bon exemple de l’inefficacité de votre système préventif, qui prévoit notamment le retrait du passeport et de la carte d’identité en cas de doute, est le cas de la famille Merah. Lorsque, le 27 mai, monsieur le ministre, je vous ai interrogé ici même en déplorant que la sœur de Mohammed Merah soit partie, avec son beau-frère et une partie de sa famille, pour faire un djihad financé par les allocations familiales, vous m’avez fait une réponse très véhémente qui m’a peiné. Pour dissiper mes doutes, j’ai écrit au directeur de la caisse d’allocations familiales de Toulouse, qui m’a fait une réponse que je tiens à votre disposition : Mme Merah a bien continué, jusqu’à la réception de ma lettre, à percevoir les allocations familiales. Votre véhémence n’était donc pas vraiment de mise ce jour-là.

M. Pascal Popelin. Quel est le rapport ?

M. Alain Marsaud. Il faut certes de la prévention, car le système doit reposer sur ses deux jambes, mais si tel est le cas, je vous invite à vous inspirer du système britannique Channel, que certains de vos conseillers sont allés observer : ce dispositif, destiné à aider les jeunes identifiés comme vulnérables, repose sur l’élaboration d’un contre-argumentaire destiné à lutter contre le prosélytisme islamique et sur les témoignages des reprentis – ce qui n’est manifestement pas le cas chez nous, à en juger par le cas de Mehdi Nemmouche.

Quant au téléphone vert, dont vous avez fait l’éloge, espérons qu’il aura évité à des jeunes gens de partir en Irak ou en Syrie comme ils partaient jadis à Katmandou.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Votre propos est décidément bien daté !

M. Alain Marsaud. Le rapport – secret, paraît-il – remis au Premier ministre le 30 octobre 2013 par le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale – le SGDSN – et intitulé « Prévention de la radicalisation » dresse un constat sévère sur les dispositifs en place. Ce rapport confidentiel, dont la divulgation a valu à une journaliste une convocation à la Direction générale de la sécurité intérieure – la DGSI –, note que les services concernés ne disposent pas de critères communs de détection et qu’aucune stratégie d’action préventive n’existe pour aider les personnes détectées à sortir du processus.

Par ailleurs, le fameux Conseil français du culte musulman n’a jamais été impliqué dans ce processus, alors que la radicalisation religieuse devrait constituer pour lui une priorité – mais il est vrai qu’il est en général beaucoup plus préoccupé par les luttes intestines pour la prise de pouvoir que par la lutte contre le prosélytisme islamique. Le rapport suggère également d’impliquer l’éducation nationale pour renforce l’esprit critique des élèves et fournir un contre-discours argumenté. Vaste programme !

L’aspect répressif n’est certainement pas la marque de votre projet. On y trouve certes l’association de malfaiteurs à titre individuel, à propos de laquelle j’avais écrit au garde des sceaux que le texte pourrait être réadapté : peut-être avons-nous été écoutés.

Cependant, si le texte veille à empêcher les départs pour l’Irak ou la Syrie, il ne se préoccupe guère des retours. Or, c’est pourtant là que se situe principalement le problème. Cette question fait du reste l’objet d’un amendement cosigné par une soixantaine de députés de l’opposition…

Mme Marie-Françoise Bechtel. C’est inquiétant !

M. Alain Marsaud. …et qui vise à criminaliser le fait de porter les armes à l’étranger sans l’autorisation des autorités françaises.

L’un de nos collègues m’a objecté tout à l’heure qu’avec une telle disposition, André Malraux n’aurait pas pu aller combattre dans les brigades internationales.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Exactement !

M. Alain Marsaud. Pour vous, bien sûr, le cas de Malraux allant combattre en Espagne est tout à fait comparable à celui de Nemmouche portant la kalachnikov en djihadie ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Pascal Popelin. Ce qui est en jeu, ce sont les principes généraux du droit !

M. Alain Marsaud. Mon amendement, que vous voudrez peut-être voter – mais je n’y crois guère – ne concerne pas les « combattants de la liberté », en vertu du principe de l’opportunité des poursuites. J’imagine mal qu’un procureur de la République, qu’il soit ou non chargé d’affaires de terrorisme, engagerait des poursuites à l’encontre de ces combattants et je puis donc vous rassurer : M. Malraux aurait pu poursuivre son combat dans les brigades internationales.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Vous l’auriez donc approuvé ?

M. Alain Marsaud. Je regrette que cet amendement n’ait pas été retenu en commission. Ç’aurait été là une marque de bonne volonté de votre part et un gage d’efficacité dans la répression – pardonnez-moi de prononcer ce terme, mais cela existe. Il aurait permis rendre systématique l’interpellation, l’audition, la garde à vue et le placement sous contrôle judiciaire, voire en détention, de toute personne soupçonnée de s’être engagée dans le djihad. Si on avait pu récupérer ainsi, entre autres, M. Nemmouche, on aurait pu leur poser quelques questions et leur éviter de commettre les crimes et délits que nous savons.

J’espère que cet amendement n’a pas été rejeté par crainte que l’on découvre que quelque service obscur – j’ignore lequel – n’aurait pas hésité à faciliter, voire à encourager le départ de quelques Français vers ces destinations dans le but d’y combattre Bachar El Assad. Imaginons qu’à leur retour ces Français déclarent au juge ou au procureur dans quelles conditions ils ont quitté la France sous le couvert d’une vague protection des autorités françaises ! J’ignore, je le répète, de quelles autorités il s’agit et à quel niveau elles se situent et j’espère qu’il ne s’agit que d’autorités peu constituées. Je sais que ces propos peuvent choquer, mais je crains hélas qu’ils ne soient confirmés dans l’avenir, mettant certains imprudents en difficulté.

Je ne porterai pas de jugement sur les textes relatifs à internet, bien que je les considère si difficiles à appliquer qu’ils n’auront guère de résultats dans un monde où la mondialisation des systèmes n’est pas un vain mot. Espérons que ce dispositif, qui a eu un certain succès pour la lutte contre la pédophilie, en aura aussi dans le cadre des lois anti-djihadistes, mais je crains que l’on ne soit en train de réinventer l’Hadopi du terrorisme. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)   Je souhaite me tromper.

M. Hollande, à défaut d’avoir du courage en matière de politique intérieure, se lance depuis quelque temps dans des gesticulations guerrières. Souhaitons qu’il y ait plus de succès que dans sa politique économique et sociale ou dans sa politique de sécurité intérieure. (Protestations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Pascal Popelin. De grâce, relevez le niveau du débat !

M. Alain Marsaud. Sans doute faudra-t-il faire face, à la suite de nos engagements militaires, aux velléités de terrorisme de tous les malfaisants qui auront appris à tuer et à torturer en Syrie. On peut craindre en effet, au vu de toutes les expériences que nous venons d’évoquer, que M. Fayez Youssef Boushran et ses congénères soient prêts à commettre des attentats-suicides sur le territoire français contre leurs propres compatriotes. À mes yeux, c’est la seule question à poser aujourd’hui.

Depuis des mois, monsieur le ministre, vous appelez au consensus sur cette loi, mais je cherche désespérément de votre part toute marque de progrès en ce sens. Vous êtes figé sur vos positions intransigeantes, aussi persuadé d’avoir raison que l’est M. Hollande, avec les résultats que l’on sait, dans son appréciation sur les bons djihadistes de Damas et les mauvais de Bagdad.

Vous avez passé huit minutes à rassurer, à vous justifier devant votre majorité en lui expliquant que vous n’étiez pas en train de vous asseoir sur les libertés individuelles et les libertés publiques. Mais ce n’est pas de cela que nous vous soupçonnons et ce n’est pas là le procès que nous vous ferons, bien au contraire.

M. Pascal Popelin. En effet, vous vous en foutez !

M. Alain Marsaud. N’hésitez pas à vous asseoir dessus de temps à autre ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Marc Dolez. Quel aveu !

M. Alain Marsaud. Pour toutes ces raisons, le texte m’apparaît, non pas dangereux, mais très largement insuffisant, et je le regrette.

Monsieur le ministre, sans doute suis-je, dans cette noble assemblée, le seul à ne pas souhaiter un seul instant devenir un jour ministre – et encore moins ministre de l’intérieur, car la charge est énorme : je ne saurais pas faire et je ne voudrais pas être à votre place en cette période, …

M. Pascal Popelin. Soyez sans crainte, personne ne vous le demande.

M. Alain Marsaud. … ni aujourd’hui, ni demain, je vous rassure.

Mme Marie-Françoise Bechtel. C’est plutôt rassurant, en effet.

M. Alain Marsaud. Faites-nous une loi courageuse, qui corresponde aux enjeux historiques de la menace d’aujourd’hui et de demain, sans quoi nous le regretterons tous.

Je vous demande donc, mes chers collègues, de voter cette motion de renvoi en commission, afin que nous puissions à nouveau améliorer ce texte, le réétudier et l’adapter aux derniers événements survenus depuis quelques jours.

M. Pascal Popelin. Tout ça pour ça !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Cela suscite des applaudissements nourris !

M. Alain Marsaud. Que voulez-vous, nul n’est prophète en son pays.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur. La longue intervention polémique de M. Marsaud n’a guère de fondement et je ne comprends pas bien en quoi le renvoi en commission se justifierait. Je m’interroge d’autant plus, monsieur Marsaud, que la commission des lois, lors de sa réunion du 22 juillet, à laquelle vous étiez présent et au cours de laquelle vous êtes même intervenu, a voté à l’unanimité ce projet de loi. Pourquoi repoussez-vous aujourd’hui un texte que vous avez voté ?

M. Alain Marsaud et M. Jacques Myard. Non !

M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur. Que s’est-il passé en un mois et demi pour vous faire changer de position ? Sans doute avez-vous tout simplement voulu prendre la parole et faire un petit effet de manches,…

M. Jacques Myard. M. Marsaud n’est pas avocat, mais magistrat !

M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur. …mélangeant et amalgamant tout. Je le regrette et je rejette cette motion de renvoi en commission.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. M. Marsaud avait besoin d’une demi-heure de temps de parole…

M. Jacques Myard. Vingt minutes !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. …pour témoigner de sa singularité. Il a trouvé l’occasion d’une motion de procédure pour le faire. C’est fait.

Je voudrais d’ailleurs le remercier pour son intervention, qui a pour mérite de montrer toute la différence entre une approche outrancière et une approche équilibrée de ce type de sujets.

M. Jacques Myard. Vous n’avez pas changé, monsieur le ministre !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je prendrai, monsieur Marsaud, des exemples très concrets pour montrer ce qui nous oppose, et que vous avez d’ailleurs vous-même exprimé. Tout d’abord, vous m’invitez à m’asseoir sur les libertés pour faire en sorte que la sécurité soit assurée dans notre pays.

Tant que ce gouvernement sera en situation de responsabilité et que je serai ministre de l’intérieur, ce ne sera jamais le cas, car sur tous les sujets dont nous avons à traiter, nous devons faire en sorte que la protection des Français soit assurée dans le respect rigoureux des libertés publiques, des principes constitutionnels et des principes généraux du droit. Si nous devions faire autrement en répondant à votre invitation à nous asseoir sur les libertés publiques pour assurer la protection des Français, à qui ferions-nous un cadeau ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Aux terroristes !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. À ceux dont toute l’action consiste à nous conduire, sous la pression de la violence qu’ils exercent, à renoncer aux libertés publiques en nous asseyant sur les principes généraux du droit. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Je n’ai aucune envie de faire cette concession aux terroristes.

La meilleure façon de nous battre contre les terroristes, en France et en Europe, est de faire en sorte qu’à chaque instant, tous les actes que nous faisons pour lutter contre eux soient assortis de la volonté scrupuleuse de respecter les libertés publiques.

C’est là un premier point de différence, que j’assume. De fait, si je comprends votre position, je ne la partage absolument pas et je me battrai résolument, aussi longtemps que je serai en situation de m’exprimer sur ce sujet, pour que votre vision ne l’emporte jamais, car elle serait une victoire des terroristes et une manière de revenir sur ce à quoi nous tenons le plus : le respect des libertés publiques, des principes généraux du droit et des principes constitutionnels.

Je ne me suis pas exprimé sur ces sujets pour m’excuser, mais parce qu’ils sont trop importants et trop sérieux, et parce que les équilibres sur lesquels ils reposent sont trop subtils et trop fragiles pour ne pas donner à la représentation nationale toutes les explications qu’on lui doit lorsque des articles de presse avancent des arguments qui ne sont pas justes en droit.

M. François Loncle. Des articles scandaleux !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je l’ai fait par souci de rigueur et d’honnêteté intellectuelle, en aucun cas pour m’excuser mais, au contraire, pour défendre une position à laquelle je crois, à laquelle je tiens, et qui doit être assumée devant la représentation nationale.

Par ailleurs, vous avez fait deux propositions fortes dans votre intervention, monsieur le député Marsaud. La première porte sur la suspension des prestations sociales pour ceux qui partent faire le djihad. Or vous n’aviez nul besoin de faire cette proposition puisqu’elle est déjà dans le droit français et qu’elle est appliquée ! Je suis d’ailleurs tout à fait prêt à donner à la représentation nationale les éléments précis concernant les conditions dans lesquelles les prestations familiales sont systématiquement suspendues pour ceux qui en bénéficient lorsqu’ils se trouvent à l’extérieur du territoire français.

M. Alain Marsaud. C’est faux, et j’en ai la preuve !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je vous renvoie d’ailleurs, monsieur le député Marsaud, parce que vous êtes juriste, que vous aimez le droit et que, par conséquent, vous avez l’esprit de précision sur ces sujets, aux articles L. 512-1, L. 161-2-1 du code de la sécurité sociale aux termes desquels, lorsqu’on a quitté le territoire national, notamment pour se livrer à ce type d’activités, les prestations sociales sont systématiquement suspendues. Il n’est pas nécessaire de proposer de nouvelles dispositions législatives là où il en existe déjà, qui préconisent exactement ce que vous souhaitez !

M. Pierre Lellouche. Ce n’est pas la même chose !

M. Éric Ciotti. Alors appliquez ces dispositions !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Vous faites ensuite une deuxième proposition, qui aurait quand même quelques conséquences si on la mettait en œuvre ; je veux présenter ces éléments à la représentation nationale. Vous dites qu’il faut absolument une incrimination du départ à l’étranger pour combattre : ainsi, ceux qui partent en prenant les armes devraient être pénalement réprimés pour le geste qu’ils ont commis en prenant les armes et en quittant le territoire national pour combattre. Je vous rappelle tout d’abord qu’il existe une disposition législative dans la loi du 21 décembre 2012, présentée par mon prédécesseur et votée par l’Assemblée nationale, qui permet déjà la poursuite et la condamnation de ressortissants français ayant commis des actes terroristes à l’étranger. Le droit français réprime également pénalement le mercenariat. Enfin, votre proposition serait d’une effectivité et d’une application tout à fait illusoires parce que ceux qui partent avec leurs armes pour commettre ces actes ou qui trouvent leurs armes sur place ne demandent pas l’autorisation de partir : le délit serait donc, compte tenu de ce que nous voulons faire, tout à fait inopérant. Mais surtout, et c’est là ce qui me gêne le plus, votre proposition serait totalement contre-productive car elle obligerait, si on l’introduisait dans le droit français, à accorder le statut de combattant à ces individus, donc à leur accorder la protection de la Convention de Genève.

M. Claude Goasguen. Mais pas du tout !

M. Pierre Lellouche. C’est un argument spécieux !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Nous nous trouverions donc dans une situation où les terroristes, qui ne peuvent pas être considérés comme prisonniers de guerre, le deviendraient subitement, et ceux que vous prétendez combattre se trouveraient protégés par des textes de droit…

M. Pierre Lellouche. C’est dommage, vous affaiblissez votre propre raisonnement !

M. Claude Goasguen. Juridiquement, c’est faux !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Non, c’est un élément de droit sérieux : juridiquement, ce que je vous dis là est totalement imparable et, par conséquent, si nous devions accéder à votre argumentation, nous nous mettrions dans une situation de droit qui nous conduirait à l’exact inverse du but que vous prétendez atteindre ! Pour toutes ces raisons, je propose franchement à l’Assemblée nationale de ne pas vous suivre, sauf à vouloir vous suivre dans une impasse ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. Dans les explications de vote sur la motion de renvoi en commission, la parole est à Mme Maina Sage pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

Mme Maina Sage. Il est vrai que le terrorisme, ses manifestations, ses causes, ses caractéristiques ont considérablement évolué ces dernières décennies, notamment avec l’utilisation d’internet. La nécessité d’adapter notre législation fait donc quasi consensus aujourd’hui. Nous devons débattre des modalités de renforcement de la lutte contre le terrorisme. Le groupe UDI rappelle que les députés ont déjà eu l’occasion de débattre de ce sujet il y a quelques mois, lors de l’examen de la proposition de loi de notre collègue Guillaume Larrivé ; quant au présent texte, il a été considérablement amélioré en commission au mois de juillet. Nous pensons par conséquent qu’il est temps que nous débattions de ce texte.

Le groupe UDI votera donc contre cette mention de renvoi.

M. Pascal Popelin. C’est la sagesse même !

M. le président. La parole est à M. François de Rugy pour le groupe écologiste.

M. François de Rugy. Je ne m’exprimerai pas longuement car j’interviendrai tout à l’heure lors de la discussion générale. Nous avons tous intérêt à aborder ce sujet grave et difficile avec le maximum de sérénité et de sang-froid. L’intervention de notre collègue Marsaud était assez polémique : elle n’a même pas été applaudie par les députés de son groupe ici présents !

M. Alain Marsaud. Eh oui, je l’avais noté également ! Je m’en souviendrai ! (Sourires.)

M. François de Rugy. Je ne crois pas qu’elle apportait grand-chose au débat. De plus, elle est loin de justifier un renvoi en commission, évidemment ! Par ailleurs, à part votre plaidoyer et votre analyse un peu simplistes sur la répression versus la prévention, pour ce qui concerne votre seule proposition, vous pourrez la défendre sous forme d’amendement plus tard dans les débats. Par conséquent, notre groupe votera contre cette motion de renvoi en commission.

M. le président. La parole est à M. Alain Tourret pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Alain Tourret. Au moment où les terroristes rôdent et préparent des attentats, il serait irresponsable de renvoyer ce texte aux calendes grecques ! Je vous accorde, monsieur le ministre, que ce texte est équilibré : il défend la société, il défend les libertés publiques. Nous sommes bien loin des lois d’exception adoptées lors des guerres d’Indochine et d’Algérie. Oui, il faut d’abord protéger la société contre tous ceux qui envisagent de perpétrer de tels attentats terroristes ; mais il faut également limiter les textes qui nous sont proposés et dans le temps, et dans l’espace, respectant ainsi ce que j’appellerai le « bloc des libertés ». C’est bien ce que fait cette loi, n’en déplaise à l’éditorial du journal Le Monde paru cet après-midi. Oui, monsieur le ministre, nous refuserons cette proposition de renvoi en commission, et nous suivrons le Gouvernement.

M. le président. La parole est à M. Marc Dolez pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. Marc Dolez. Notre groupe ne votera pas cette motion de renvoi en commission car nous souhaitons que le débat puisse se poursuivre. Pour notre part, nous sommes favorables à une évolution de la législation pour mieux répondre à la menace terroriste, mais nous avons aussi sur le projet de loi du Gouvernement un certain nombre de remarques et de questions à formuler pour nous assurer d’un juste équilibre entre les mesures proposées et le respect des libertés fondamentales. Je les exprimerai tout à l’heure à la tribune dans la discussion générale, et je souhaite que le débat permette de répondre clairement et précisément à ces interrogations.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Françoise Bechtel pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Le groupe SRC ne votera évidemment pas cette motion de renvoi. Je regrette, pour avoir assisté à plusieurs séances de la commission des lois, que l’atmosphère de débat calme et même de consensus, sur la fin du vote, qui a régné ne se retrouve pas dans l’intervention de notre collègue Marsaud. Je trouve curieux de proposer une analyse selon laquelle ce texte serait daté et de demander en même temps de le renvoyer en commission des lois : il y a quand même temporellement un petit problème qui heurte le bon sens et la logique ! Il y a aussi, dans l’amendement qu’il a longuement défendu à l’occasion de sa prise de parole à la tribune, quelque chose d’extrêmement choquant : cet amendement, auquel il a consacré beaucoup de temps – nous y reviendrons, puisqu’il a été déposé –, vise à criminaliser le fait de participer à des actions armées à l’extérieur du territoire.

M. Claude Goasguen. C’est normal ! C’était la loi : relisez le code pénal !

Mme Marie-Françoise Bechtel. C’est un amendement que j’ai, lors de la commission du 22 juillet, baptisé d’« anti-France libre ».

M. Jacques Myard. Quelle blague !

Mme Marie-Françoise Bechtel. Je maintiens que c’est un amendement « anti-France libre » !

M. Jacques Myard. Mais non ! C’est ridicule !

Mme Marie-Françoise Bechtel. M. Marsaud a beau nous parler d’opportunité des poursuites, lorsqu’on criminalise le fait de participer à des opérations armées à l’extérieur du territoire, alors que serait devenue la France de Pétain s’il n’y avait pas eu des gens pour participer à ces mêmes opérations armées à l’extérieur du territoire ? Opportunité des poursuites ou pas ?

M. Pierre Lellouche. C’est une insulte au général de Gaulle !

M. Jacques Myard. Lamentable !

Mme Marie-Françoise Bechtel. Je regrette d’avoir à dire cela !

Pour conclure, nous avons fait de nombreux va-et-vient s’agissant non seulement de cette loi, mais également d’une précédente proposition de loi présentée par notre collègue Larrivé. Nous avions à cette occasion noué un dialogue, notamment en commission des lois, et j’espère que ce dialogue pourra se développer d’une manière constructive. C’est la raison pour laquelle il serait tout à fait dommageable que nous rejetions dès cet instant, sans examen ni surtout débat, le projet de loi.

M. Pascal Popelin. Très bien !

M. Pierre Lellouche. C’est inacceptable ! Dire cela, c’est insulter les Compagnons de la Libération !

M. Bruno Le Roux. Calmez-vous un peu !

M. Claude Goasguen. Vous faites un contresens juridique ! Relisez le code pénal !

M. le président. S’il vous plaît !

(La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n’est pas adoptée.)

Discussion générale

M. Claude Goasguen. Monsieur le président, je souhaiterais faire un rappel au règlement !

M. le président. Soit – si c’est un vrai rappel au règlement. Mais si c’est une réponse à ce qui vient d’être dit, alors ce n’est pas un rappel au règlement !

M. Claude Goasguen. Je ne peux pas laisser dire un certain nombre de choses qui ne sont que des contresens ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. Monsieur Goasguen, que les choses soient claires : il y aura la discussion générale pour cela !

La parole est à M. Éric Ciotti.

M. Éric Ciotti. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, avant d’entamer mon propos, je voudrais souligner le caractère choquant des propos que vient de tenir Mme Bechtel.

M. Claude Goasguen. Très bien !

M. Éric Ciotti. Comparer le terrorisme que pratiquent les fanatiques de l’État islamique à ceux qui ont lutté pour nos libertés et pour la dignité de notre pays dans la France libre est particulièrement mal venu dans ce débat et rompt avec la nécessaire unité que je veux rappeler dans mon propos. Concernant ce projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme, je crois, madame, qu’il y a des arguments qui n’ont pas leur place dans ce débat parce qu’ils sont indignes, inappropriés et totalement inconvenants ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Pascal Popelin. C’est pourtant comme cela que le gouvernement de Vichy les appelait ! Il parlait de terroristes !

Mme Marie-Françoise Bechtel. Absolument ! C’est l’Histoire !

M. Pascal Popelin. C’est un argument juridiquement exact !

M. Éric Ciotti. Monsieur le ministre, notre pays est en guerre.

Notre pays est en guerre contre le terrorisme et contre l’expression qu’il revêt aujourd’hui : celle du fanatisme religieux et de l’extrémisme, celle qui arbore le visage de l’État islamique, portant à un degré jamais égalé dans l’Histoire contemporaine la menace qui pèse sur notre pays et sur nos libertés. Dans une interview publiée ce matin, le patron de l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste a déclaré que la question n’était pas de savoir s’il y aurait demain un attentat en France, mais quand. Nous savons tous que le degré de risque est maximal parce que la France est engagée, depuis de nombreuses années, sur des théâtres d’opérations extérieures pour lutter contre ce radicalisme, contre cet extrémisme, contre ce fanatisme. La France est présente en Afghanistan ; elle l’a été et l’est toujours au Mali ; elle l’est au travers de ses services extérieurs sur beaucoup de théâtres d’opération ; elle l’est en Irak avec son armée qui soutient les forces kurdes et les forces irakiennes. Cette situation, combinée à notre volonté de maintenir la laïcité inscrite au cœur de nos principes républicains, fait aujourd’hui de notre pays une cible.

Nous en sommes tous conscients et cette situation, ces dangers, ces menaces nécessitent une unité nationale forte. Nous devons aujourd’hui, dans cet hémicycle, afficher une unité nationale contre le terrorisme. C’est pourquoi, et je vous le dis en introduction de mon propos, monsieur le ministre, je voterai ce projet de loi. Ce projet de loi va dans la bonne direction : il contient des mesures, des dispositions opportunes, même s’il comporte aussi nombre de faiblesses, même s’il ne va pas assez loin – j’y reviendrai dans quelques instants. Cependant, face à cette situation de guerre, nous devons manifester notre unité, laquelle nous impose par ailleurs de rendre hommage à l’action remarquable de nos services et d’assurer de notre confiance tant les services extérieurs que les services qui, sur notre territoire national, luttent avec beaucoup d’efficacité contre le terrorisme.

Ce texte doit aussi nous rappeler que la France s’est imposée, depuis bien longtemps – et notamment depuis 1986, lorsque Jacques Chirac, alors Premier ministre, avait fait adopter une loi contre le terrorisme –, comme un des pays qui ont su le mieux appréhender, contenir et prévenir les risques de terrorisme.

Il le doit à cette législation, qui fut probablement une des premières dans les pays développés à viser le risque terroriste. Il le doit également au difficile – de plus en plus difficile – et courageux travail de nos services, je tiens à le dire au moment où nous ouvrons ce débat crucial pour la défense de nos libertés, et qui n’est autre, finalement, que le débat, aussi ancien que notre démocratie, entre les exigences de la liberté et celles de la sécurité. Mais n’oublions pas, au moment d’apprécier cet équilibre délicat, que la sécurité est la première des libertés et que nous ne saurions garantir nos libertés fondamentales, auxquelles nous sommes aussi attachés que vous, sans garantir d’abord notre sécurité.

C’est dans cet état d’esprit constructif, monsieur le ministre, que nous abordons l’examen d’un projet qui va dans la bonne direction, même s’il ne nous exempte pas d’un certain nombre de regrets.

Nous regrettons d’abord tout le temps perdu depuis avril 2012, quand le gouvernement de François Fillon avait déposé un projet de loi similaire, à la suite de l’affaire Merah. Nous étions certes en pleine campagne présidentielle, mais le drame qui avait frappé de jeunes élèves d’une école juive à Toulouse et des militaires à Montauban appelait une réaction immédiate. Vous aviez pourtant, par la voix de l’actuel Président de la République, refusé de débattre et de vous inscrire, comme nous le faisons aujourd’hui, dans une démarche d’unité nationale contre le terrorisme.

Vous avez certes fait voter une loi antiterroriste en décembre 2012, à l’initiative de l’actuel Premier ministre. Mais cette loi était bien insuffisante : la preuve en est que vous êtes aujourd’hui contraint de soumettre à nouveau ce sujet au débat. Nous vous avions alerté alors sur la nécessité de bloquer l’accès aux sites internet faisant l’apologie du terrorisme, mais vous vous y étiez alors totalement refusé, repoussant nos propositions en ce sens.

Nous vous avons à nouveau proposé d’instituer la possibilité de bloquer de tels sites à travers une proposition de loi, déposée par Guillaume Larrivé et débattue au début de l’été dans cet hémicycle. Nous y proposions également la définition d’une infraction obstacle visant à prévenir le danger que constituent ceux qu’il est convenu d’appeler les loups solitaires. Vous y venez aujourd’hui, monsieur le ministre, mais trop de temps a été perdu.

Même si nous soutenons ce texte, ses lacunes sont trop importantes pour ne pas être soulignées. Ce texte ne nous paraît pas à la hauteur de ce qui constitue une menace extrême et un danger imminent. Je vous le dis solennellement, monsieur le ministre : avec ce texte, vous restez à la remorque des événements.

Du haut de cette tribune, vous avez rejeté d’emblée certaines de nos propositions, comme un peu plus tôt, lors de la réunion de la commission des lois qui s’est tenue en application de l’article 88 du règlement, vous aviez rejeté l’ensemble des amendements déposés par les députés de l’opposition. Ce n’est pas bon signe.

M. Alain Marsaud. C’est même honteux !

M. Éric Ciotti. Le projet de loi qui nous est présenté aujourd’hui reprend certes beaucoup des dispositions que nous avons proposées dans le passé, ou du moins s’en inspire très fortement. S’il y avait eu à l’époque consensus et souci de l’unité nationale, nous aurions gagné un temps précieux et notre sécurité collective aurait été très certainement renforcée.

II est urgent de rattraper ce temps perdu, mais le débat d’aujourd’hui doit également nous permettre de ne pas avoir, dans le futur, à remettre sur le métier notre législation antiterroriste sous la pression des événements. Profitons-en pour nous doter d’armes efficaces, à la hauteur de la menace.

Aujourd’hui, deux impératifs s’imposent à nous.

Il faut d’abord prévenir les départs de Français vers des camps d’endoctrinement situés dans des territoires où règne une violence extrême propice à la radicalisation. Il est en effet très difficile de sortir ces individus de la spirale terroriste une fois qu’ils se sont radicalisés.

Le second impératif est de renforcer notre arsenal législatif afin de prévenir plus efficacement le passage à l’acte.

Le projet de loi contient des avancées non négligeables en la matière, mais il faut aller beaucoup plus loin.

Dans l’esprit constructif que j’ai rappelé, le groupe UMP et beaucoup d’autres collègues ont déposé une série d’amendements conformes à ce que souhaitent les professionnels de la lutte contre le terrorisme, notamment policiers et magistrats.

L’article 1er du projet de loi prévoit la création d’un dispositif d’interdiction de sortie du territoire d’un ressortissant français lorsqu’il existe des raisons sérieuses de penser qu’il projette des déplacements à l’étranger ayant pour objet la participation à des activités terroristes. La commission des lois a d’ailleurs utilement adopté un amendement prévoyant que l’interdiction de sortie du territoire emportera le retrait, non seulement du passeport, mais aussi de la carte nationale d’identité.

Mais il faut aller au-delà et engager une réflexion sur la question des binationaux qui, même privés de leur passeport ou de leur pièce d’identité française, auront toujours la possibilité de voyager grâce à leur titre étranger.

Se pose aussi la question du retour en France des individus qui sont montés au djihad depuis notre territoire et qui présentent des risques manifestes de radicalisation, au point de constituer de véritables bombes humaines. Vous avez cité le chiffre de 930 Français aujourd’hui engagés dans le djihad. Il s’agit sans doute d’une estimation basse. En déplacement en Irak, nous nous sommes, avec Pierre Lellouche et François Fillon, entretenus avec le général kurde commandant les troupes peshmergas. Selon lui, ce sont 1000 de nos concitoyens qui ont rejoint les rangs des combattants de l’État islamique.

Il a d’ailleurs précisé que ces combattants étaient équipés d’armes françaises qui leur avaient été livrées par notre gouvernement lorsqu’ils combattaient en Syrie. Cette parenthèse vise à souligner que nous devons faire preuve de vigilance dont notre diplomatie doit faire preuve dans la situation actuelle.

M. Claude Goasguen. Très bien !

M. Jacques Myard. Bravo !

M. Éric Ciotti. La question du retour est cruciale, car ces bombes humaines représentent une menace manifeste pour la sécurité de nos concitoyens. Devons-nous attendre pour les neutraliser qu’ils passent à l’acte et qu’ils se livrent aux actes de barbarie qu’on leur a enseignés en Syrie et en Irak ? Lorsque ces individus sont des binationaux, le souci de garantir la sécurité de tous, première des libertés dans un État de droit, légitime qu’on leur refuse l’accès à notre territoire. David Cameron prévoit d’ailleurs la mise en place d’une mesure de confiscation, voire d’annulation de passeport pour éviter le retour de tels individus. Ne soyons pas naïfs, monsieur le ministre : nous serons contraints, à l’avenir, d’adopter une telle disposition.

Nous vous proposerons par ailleurs d’interdire de combattre à l’étranger sans autorisation des autorités nationales. Sur ce sujet, monsieur le ministre, les arguments que vous avez opposés à la motion de renvoi en commission défendue par notre collègue Marsaud ne sont pas à la hauteur de notre débat. Prétendre que des terroristes engagés dans les rangs de l’État islamique pourraient recevoir un statut officiel de combattants ou d’anciens combattants, voilà qui n’est pas sérieux, monsieur le ministre.

Comme l’explique le juge antiterroriste Marc Trévidic, si au temps des seules filières afghanes ou irakiennes, les services pouvaient se concentrer sur trente ou quarante djihadistes par an et les intercepter à leur retour, depuis le conflit syrien, c’est par centaines – voire par milliers – que les jeunes tentent de rejoindre les zones de combat et il devient impossible pour nos services de faire face à la masse des retours.

C’est pourquoi les juges antiterroristes appellent de leurs vœux l’institution d’une interdiction de combattre à l’étranger sans autorisation. L’adoption d’un tel dispositif marquerait notre détermination intransigeante à mettre fin au phénomène djihadiste et viendrait utilement compléter notre arsenal législatif.

En effet, une telle interdiction permettrait de régler judiciairement le cas des djihadistes sur lesquels il n’existe pas assez d’informations pour établir leur participation à un groupe terroriste ou à la commission d’un acte terroriste, ou le cas de ceux qui refusent d’admettre qu’ils ont appartenu à un groupe terroriste. Son absence dans votre projet de loi est une lacune à laquelle je vous conjure de remédier.

Il conviendrait également d’améliorer l’article 5 de votre projet de loi, par lequel vous proposez d’instituer le délit d’entreprise terroriste individuelle. Il s’agit de lutter contre le phénomène des loups solitaires, quand un faisceau d’éléments convergents tend à démontrer qu’ils préparent un acte terroriste.

Cette mesure est elle aussi réclamée par les magistrats afin de parer aux conséquences de l’engagement de djihadistes français, mais là encore, votre texte ne va pas assez loin.

Dès juin dernier, à travers la proposition de loi de Guillaume Larrivé, nous vous avions proposé d’instituer un tel délit. D’autres pays européens, notamment la Grande-Bretagne, l’Allemagne, ou encore les Pays-Bas, disposent d’une infraction similaire qui s’est révélée efficace dans la lutte contre le terrorisme.

Je propose – nous proposons – de retenir une écriture du texte plus ouverte et plus large, car la rédaction actuelle, rappelée tout à l’heure par M. le rapporteur, ne concerne que les faits les plus graves, à savoir l’acquisition de matériel et la préparation de l’engin explosif.

Il nous paraît indispensable que le champ de ce nouveau délit soit élargi,…

M. Jacques Myard. Très bien !

M. Éric Ciotti. …afin de répondre à la diversité des actes témoignant d’une entreprise terroriste individuelle, comme la consultation habituelle de sites internet de propagande, des mouvements financiers suspects ou le repérage de cibles. Nous défendrons des amendements en ce sens. Je regrette d’ailleurs que vous les ayez repoussés en commission.

Dans les camps, les combattants volontaires reçoivent une formation paramilitaire, voire véritablement militaire, mais aussi une formation idéologique. Ils sont aussi confrontés à une extrême violence. Les images terribles, diffusées sur internet, de la décapitation des trois journalistes, en constitue, hélas ! un exemple tragique et épouvantable.

Pour ces gens, la vie humaine n’a pas le moindre prix ; la violence – et même la violence extrême – est la seule loi et la seule règle. Les combattants volontaires côtoient donc tous les jours la mort, touchant à la barbarie la plus absolue.

Cet endoctrinement idéologique, cette violence qu’ils subissent ou à laquelle ils participent, et qui sont très proches d’une logique sectaire, touchent des individus très fragiles, en perte de repères. C’est la raison pour laquelle, là aussi, la Grande-Bretagne, afin de mieux lutter contre le terrorisme, a proposé l’instauration de programmes de déradicalisation pour les djihadistes de retour dans leur pays.

J’avais déposé un amendement visant à créer des programmes de ce type, dans des centres de rétention pluridisciplinaires. Il a été déclaré irrecevable en application de l’article 40 de notre Constitution. Je voulais, par son intermédiaire, ouvrir le débat sur ce sujet. Je le ferai de nouveau au moment de la discussion des articles, mais je vous invite d’ores et déjà à réfléchir à la possibilité de mettre en œuvre de tels programmes, qui seraient réalisés autour de travailleurs sociaux, de psychologues ou même de religieux, pour réinculquer à ces jeunes en perte de repères les valeurs de la République.

En effet, notre arsenal législatif est insuffisant pour faire face aux individus qui représentent des menaces. Ainsi, lorsque qu’une personne revenant du djihad ne peut faire l’objet d’une incrimination prévue par le code pénal, mais qu’il existe des raisons sérieuses de penser qu’elle est susceptible de porter atteinte à la sécurité publique à son retour en France, il conviendrait de la placer dans un centre de rétention pluridisciplinaire afin qu’elle y suive un programme de déradicalisation.

La procédure de placement dans ces centres pourrait se rapprocher de celle qui régit l’hospitalisation sous contrainte, c’est-à-dire sous le contrôle du juge judiciaire, après une décision administrative.

Sur le fondement d’un rapport des forces de police faisant état de raisons sérieuses de croire qu’un individu présente des risques pour la sécurité intérieure à son retour en France après un déplacement à l’étranger pour y suivre un endoctrinement islamiste, sur le fondement de l’urgence absolue, le préfet pourrait prononcer par arrêté l’admission dans ces structures pour y suivre un programme de déradicalisation.

Avant l’expiration d’un délai de quinze jours, le préfet devrait saisir le juge de la détention et des libertés pour que soit confirmée sa décision. La participation au programme prendrait fin si le chef de l’établissement constatait la disparition des troubles chez la personne, ou si le juge des libertés et de la détention, agissant notamment sur demande de la personne, d’un membre de sa famille ou du procureur de la République, l’ordonnait.

En outre, je propose que, lorsqu’un individu est condamné pour actes de terrorisme, il soit dans l’obligation de suivre un programme de déradicalisation pendant l’exécution de sa peine, en détention. De la même façon, ce programme pluridisciplinaire serait réalisé autour de psychiatres, de travailleurs sociaux ou encore de personnels religieux.

L’objectif, monsieur le ministre – je sais que cette mesure peut susciter le débat ; c’est d’ailleurs déjà le cas –, n’est autre que de sortir ces personnes d’une spirale infernale qui va inéluctablement les conduire au terrorisme sur le territoire national. Ayons, hélas ! à l’esprit le parcours de Merah et de Nemmouche. Or nous savons – vous l’avez dit vous-même – qu’il y a aujourd’hui beaucoup de Nemmouche et de Merah en puissance.

Enfin, nous avions soulevé la question de la déchéance de nationalité pour les ressortissants binationaux qui se rendraient à l’étranger afin d’intégrer des camps d’entraînement terroristes. Le Gouvernement avait alors précisé, par la voix du Premier ministre, qu’il ne s’agissait pas d’une question taboue. À cet égard, je remercie le Premier ministre d’être, sur cette question, sorti des clichés.

Je rappelle d’ailleurs que la déchéance de nationalité est prévue par notre droit,…

M. Jacques Myard. Absolument !

M. Éric Ciotti. …à l’article 25 du code civil. Il est également prévu par notre code pénal pour permettre de sanctionner des actes terroristes. Les textes existent donc, mais vous savez très bien, monsieur le ministre, que la déchéance de nationalité n’a jamais été appliquée s’agissant d’actes de terrorisme. Il faut aujourd’hui avoir le courage de combler cette lacune. Dans les derniers mois, la Grande-Bretagne a proposé vingt fois la déchéance de nationalité. Il faut que nous arrivions à avoir nous aussi cette lucidité.

Pour conclure, je me contenterai de dire un mot – sur ce point, nous nous joignons au consensus – sur les dispositions qui tendent à renforcer notre législation contre la provocation au terrorisme et l’apologie des faits de terrorisme sur internet.

Sur ce sujet, vous êtes revenu à la raison, monsieur le ministre. Je me souviens des oppositions qui se sont élevées en 2012, et encore en juin dernier. Je me souviens aussi, sur une disposition analogue visant à lutter contre la pédopornographie sur internet, des oppositions que, pendant des heures, vous aviez développées dans cet hémicycle : j’étais alors rapporteur du projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, dite LOPPSI 2. Aujourd’hui, vous mettez enfin en place cette disposition. Nous l’avions réclamée ; vous vous y étiez opposé ; vous le faites aujourd’hui – je vous en donne acte et vous en remercie. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Voilà, mes chers collègues, l’état d’esprit qui est le nôtre au moment d’aborder ce débat essentiel, encore une fois, pour notre sécurité collective, pour la sécurité de nos concitoyens. Mais, ne nous y trompons pas, ce débat est tout aussi essentiel pour nos libertés, parce que la sécurité, pour nous, ne s’opposera jamais à la liberté, non plus que la liberté à la sécurité. C’est l’esprit de notre République ; c’est lui qui nous conduira à approuver ce texte, mais en cherchant à l’améliorer, parce que nous sommes convaincus que, si vous ne répondez pas aux légitimes propositions de notre groupe, vous serez contraints, sous la pression des événements, après que des drames se seront produits, de revenir dans l’urgence devant le Parlement, pour lui proposer d’adopter les dispositions que l’opposition soutient et réclame. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur plusieurs bancs du groupe UDI.)

M. le président. La parole est à Mme Maina Sage.

Mme Maina Sage. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, en préambule de mon intervention – la première dans le cadre d’une discussion générale –, je souhaite vous indiquer qu’en tant que députée issue de l’outre-mer, je me sens tout autant concernée par ce texte, par cette question de la lutte contre le terrorisme, que tous les autres députés. Je suis d’ailleurs convaincue que les ultramarins présents aujourd’hui partagent mon point de vue.

Il est important de rappeler que le terrorisme n’a pas de frontières. Celles de la France, quant à elles, ne se limitent pas à celles de l’Hexagone : nos territoires sont aussi des bouts de France dans les trois océans du monde et il me semble que la vigilance dont nous devons faire preuve doit s’exercer sur l’ensemble du territoire français, que ce soit sur le sol métropolitain ou en outre-mer.

Souvent, les ultramarins vous demandent la solidarité nationale, sur des sujets qui nous sont spécifiques, qui vous concernent peut-être moins. Aujourd’hui, même si la question du terrorisme nous concerne peut-être un peu moins que vous, dans l’Hexagone, nous sommes tout aussi conscients des risques et de la menace qui pèsent sur la nation. J’ai beaucoup entendu parler d’unité et de solidarité. Eh bien, c’est précisément dans cet état d’esprit que j’aborde l’examen de ce texte, celui d’une opposition constructive et solidaire des enjeux nationaux.

La France et ses outre-mer disposent, en matière de lutte contre le terrorisme, d’un arsenal juridique reconnu pour sa pertinence par nos voisins, notamment européens. Cependant, les évolutions du terrorisme, comme je l’ai expliqué en donnant notre position sur la motion de renvoi en commission, démontrent qu’il y a une progression constante des départs de djihadistes vers la Syrie et l’Irak. Le retour potentiel de ces individus fait peser sur la France des menaces bien réelles, qui nous imposent aujourd’hui, pour la seconde fois sous cette législature, d’adapter notre droit à ces nouvelles réalités.

Le terrorisme, en effet, n’est plus celui d’hier. Multiplication des comportements de transition entre l’intégrisme et le terrorisme actif, développement d’internet, embrigadement d’individus souvent jeunes, voire très jeunes, qui décident de passer à l’acte : ses causes et ses caractéristiques évoluent en permanence et de manière de plus en plus menaçante.

Comme en témoignent les chiffres qui ont déjà été évoqués plusieurs fois, de plus en plus de Français participent activement aux combats en Syrie ou en Irak, mais également aux exactions de groupes djihadistes. Environ 900 personnes sont concernées par ces filières. J’ai d’ailleurs relevé que trente-trois d’entre elles auraient été tuées dans ces combats ou dans des attentats suicides.

Nous devons donc vraiment faire en sorte qu’aucun outil, aucun moyen de détection, d’identification et de répression ne manque à celles et ceux qui, aujourd’hui, combattent le terrorisme, que ce soient nos forces de police ou nos magistrats.

Certes, c’est un exercice difficile, mais notre rôle de législateur nous impose de trouver ce juste équilibre entre notre volonté de mieux protéger la société et celle de défendre notre liberté, les droits fondamentaux qui doivent être garantis à chacun de nos concitoyens. Cet équilibre n’est pas simple à trouver, mais il me semble que, dans le contexte actuel, ce projet de loi va dans le bon sens en renforçant notre arsenal juridique.

On peut y remarquer, ce que nous saluons, la transformation de la provocation à la commission d’actes terroristes et de l’apologie d’actes terroristes en délits terroristes. C’est un point essentiel. On ne peut plus tolérer que, sur le sol français, des messages appelant au Djihad ou le glorifiant soient diffusés en toute impunité. Ces messages participent très clairement du conditionnement idéologique et sont de nature à entraîner la commission d’actes terroristes. Je vous rappelle qu’en 2012, lors de l’examen du projet de loi sur la sécurité et la lutte contre le terrorisme présenté par Michel Mercier, le groupe UDI avait déjà proposé de déplacer l’incrimination de ces délits de la loi sur la liberté de la presse vers le code pénal.

À l’époque, cela avait été refusé. Je tiens à souligner que cette mesure essentielle est bien aujourd’hui incluse dans ce nouveau projet de loi ce dont, là aussi, nous nous félicitons car elle renforce l’efficacité de la répression de tels comportements. Demain, les saisies, le recours au contrôle judiciaire, à la détention provisoire ou à la procédure de comparution immédiate seront possibles. Il s’agit donc, là aussi, d’un point qui nous semble tout à fait positif.

En ce qui concerne internet, il est vrai qu’il est devenu le principal vecteur de propagation des appels à la commission d’actes terroristes et de diffusion d’idées extrémistes. Il fallait donc élaborer une législation prenant en compte ces évolutions. Les dispositions de l’article 9 vont dans ce sens, notamment en étendant des obligations pour les fournisseurs d’accès à internet, les FAI, et les hébergeurs. Nous créons également la possibilité de blocage administratif de sites internet. Il est vrai que ce sujet a suscité de longs débats mais, sur le fond, je reste intimement convaincue que nous devons prendre des dispositions afin de le permettre pour les sites participant à la promotion d’actions terroristes.

Autre point qui nous paraît important : la création d’un délit d’entreprise individuelle terroriste. Il est vrai que notre arsenal juridique est essentiellement construit autour de la notion de délit d’association de malfaiteurs à visées terroristes. Or il s’avère que de plus en plus de personnes isolées préparent et commettent de tels actes. La mesure sera donc utile afin de les appréhender avant qu’elles ne passent à l’acte.

Ce projet de loi comporte aussi des mesures préventives de police administrative, puisqu’il vise à interdire le départ de France d’un ressortissant français lorsqu’il existe des raisons sérieuses de penser qu’il projette des déplacements à l’étranger ayant notamment pour objet la participation à des activités terroristes.

En prévoyant que l’interdiction de sortie du territoire implique également le retrait de la carte nationale d’identité, en plus de celui du passeport, nous avons renforcé et sécurisé la disposition proposée par le Gouvernement.

Une autre amélioration importante apportée en commission concerne la délivrance d’un récépissé permettant aux personnes concernées de justifier de leur identité.

Tels sont, selon nous, les points positifs de ce projet de loi et les évolutions favorables qu’il a connues. Toutefois, un certain nombre de limites demeurent ; même si nous sommes favorables à ce texte, il est important de les rappeler.

Tout d’abord, s’agissant des mesures préventives, j’ai entendu les propositions formulées par mon collègue M. Ciotti. Il me semble que nos politiques éducatives doivent effectivement intégrer – notamment à travers l’éducation civique – un programme spécifique permettant d’encadrer des populations plus vulnérables que les autres, en particulier les jeunes en situation d’exclusion sociale, qui sont un terreau fertile pour ceux qui propagent et promeuvent le terrorisme par l’intermédiaire d’internet.

S’agissant des dispositions relatives à la répression, nous formulerons également quelques remarques. D’ailleurs, M. le rapporteur a lui-même reconnu que leur impact dissuasif était en réalité limité. En effet, nous sommes confrontés à des individus très déterminés qui sauront contourner les interdictions, par exemple en ne prenant pas l’avion.

De même, les binationaux pourront, quant à eux, toujours voyager grâce à un titre d’identité étranger. Nous ne pouvons donc que rejoindre les préconisations qui ont été faites en commission. Il nous semble qu’une coopération avec les États intéressés doit impérativement être organisée. Ce projet de loi ne sera pleinement efficace, en effet, que si des initiatives européennes et internationales sont prises.

Il est vrai également que nous attendons l’adaptation du système d’information Schengen, le SIS.

Par ailleurs, la question se pose de la gestion de ces individus potentiellement dangereux au sein même de notre territoire, lequel, comme je l’ai rappelé, ne se limite pas aux frontières de l’Hexagone.

À ce titre, monsieur le ministre, j’aurais souhaité avoir toutes les garanties de l’État quant à sa vigilance et aux moyens employés afin que ces derniers soient identiques sur l’ensemble du territoire, même en outre-mer, pour garantir la sécurité de nos citoyens ultramarins, qui vivent parfois dans des territoires plus vulnérables que d’autres.

Étant originaire de Polynésie, je puis en témoigner : nous devons gérer une surface qui représente la moitié de notre surface maritime, grande comme l’Europe – on l’oublie parfois – avec plus d’une centaine d’îles éparpillées au milieu du Pacifique. Vous comprenez toute la difficulté qu’il y a à surveiller une telle zone.

Comme je l’ai dit, les déplacements de personnes potentiellement dangereuses ne se font pas seulement par voie aérienne : ils peuvent aussi se faire par voie maritime, laquelle constitue une porte d’entrée sur le territoire français.

Pour conclure, nous lutterons efficacement contre le terrorisme en promouvant une politique concertée au niveau européen et international. Une telle dimension constitue un des grands défis de ce XXIsiècle, au même titre que la lutte contre la cybercriminalité.

Pour toutes ces raisons, le groupe UDI votera en faveur de ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI.)

M. Alain Tourret. Très bien !

M. le président. La parole est à M. François de Rugy.

M. François de Rugy. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, chers collègues, nous examinons aujourd’hui un projet de loi visant à renforcer notre dispositif de lutte contre le terrorisme et à endiguer le phénomène des départs de ressortissants français candidats au djihad.

Ce débat prend évidemment un sens particulier compte tenu de l’actualité de ces derniers jours.

D’abord, disons-le, nous avons eu un petit signe d’espoir : la terreur n’a pas eu le dernier mot, puisque le musée juif de Bruxelles a rouvert ses portes hier, même si nous ne pouvons pas oublier qu’il y a quatre mois, Mehdi Nemmouche, citoyen français formé au djihad en Syrie, y a abattu froidement quatre personnes.

Hélas !, nous avons appris la décapitation du journaliste britannique David Haines par un groupe terroriste dont on ne sait d’ailleurs comment l’appeler et qui s’est autoproclamé « État islamique en Irak et au Levant », quoiqu’il n’ait d’État que le nom et qu’il détourne l’islam dans un sens intégriste et guerrier.

Cette exécution – la troisième du genre en moins d’un mois – pourrait avoir été perpétrée par un bourreau de nationalité britannique.

Enfin, monsieur le ministre, vous avez diffusé hier dans la presse les chiffres relatifs à ce que l’on pourrait appeler la filière française participant au djihad. Selon les services des ministères de l’intérieur et de la défense, 930 concitoyens sont impliqués de près ou de loin dans des activités terroristes en Irak et en Syrie, ce qui représente une augmentation de plus de 50 % en quelques mois.

Face à ce constat, nous ne pouvons que partager votre analyse lorsque vous avez dénoncé « une menace inédite, par sa nature et par son ampleur ».

Parler de menace ne doit d’ailleurs pas alimenter les peurs, car cela serait déjà une première victoire pour ceux qui, justement, veulent semer la terreur. Il s’agit de regarder l’évolution du monde en face.

M. Jacques Myard. C’est vrai !

M. François de Rugy. À cet égard, rien ne serait pire que de nier ou de minimiser une réalité tangible.

Malgré ce contexte particulièrement tendu, il relève de notre responsabilité à nous parlementaires – ainsi que de celle du Gouvernement – de légiférer avec sang-froid et efficacité et non sous le coup de l’émotion.

Il faut d’ailleurs rappeler, même si l’actualité est chargée, que le texte que nous examinons aujourd’hui a été présenté par le Gouvernement et débattu en commission des lois à l’Assemblée nationale avant l’été, donc bien avant la recrudescence d’événements dramatiques.

Autant la France a pris la mesure des risques du développement d’un foyer djihadiste au Sahel en décidant d’intervenir au Mali, autant, reconnaissons-le, de nombreux États ont sous-estimé l’essor de « l’État islamique au Levant »…

M. Jacques Myard. Daech !

M. François de Rugy. …et de la menace terroriste qui va avec.

La France doit non seulement se positionner sur la scène internationale en tant que partie prenante d’une lutte globale contre le développement de la menace terroriste – il me semble d’ailleurs que c’est le sens des discussions qui ont eu lieu ce matin même entre le Président de la République et les représentants de vingt-huit autres États désireux de s’engager durablement contre les mouvements djihadistes en Irak –, mais nous devons également prendre des mesures concrètes, sur notre territoire, pour endiguer les départs de plus en plus nombreux de citoyens français vers les camps d’entraînement au djihad.

Surtout, dans cette lutte globale et locale contre le terrorisme, nous devons veiller à ce que les dispositions que nous mettons en place ne bafouent jamais les principes fondamentaux de l’État de droit.

Tel est notre défi : trouver le meilleur point d’équilibre entre le renforcement des mesures de sécurité et de prévention des actes terroristes et la préservation des libertés individuelles.

Avant d’entrer dans le détail du texte, je tiens à rappeler également que la lutte contre le terrorisme, quelles que soient ses formes, est une cause commune qui transcende les clivages partisans. J’espère que cette discussion pourra donc être conduite dans un esprit constructif, dénué de toute polémique et avec le souci partagé de trouver le meilleur dispositif législatif possible.

Le texte qui nous est soumis aujourd’hui n’a pas vocation à réformer en profondeur notre dispositif de lutte contre le terrorisme, qui est déjà très important. Il porte spécifiquement sur deux points.

D’une part, la radicalisation de ressortissants français par le biais de sites internet incitant au terrorisme ou en faisant l’apologie.

D’autre part, le départ de personnes isolées ou en bandes organisées pour les camps d’entraînement au djihad situés le plus souvent, aujourd’hui, en Syrie ou en Irak mais qui pourraient évidemment se trouver dans d’autres régions du monde.

Afin de lutter contre ces deux phénomènes, le projet de loi repose sur quatre dispositions phares.

La première consiste à mettre en place une interdiction administrative de sortie du territoire pour les Français souhaitant se rendre à l’étranger afin de participer à des activités terroristes ou de se rendre sur un théâtre d’opérations de groupements terroristes. Cette mesure doit avant tout permettre de dissuader les ressortissants français tentés par le djihad. Elle renforce par ailleurs les outils à disposition de nos services lorsque ceux-ci ont identifié une personne jugée à risque.

Si le caractère administratif de la décision peut être justifié par l’urgence de certaines situations, l’interdiction de sortie du territoire conjuguée, le cas échéant, à un retrait de carte d’identité, est véritablement attentatoire aux libertés. Aussi, pour renforcer l’encadrement de cette mesure, le groupe écologiste proposera par voie d’amendement la mise en place d’un contrôle automatique de l’interdiction de sortie du territoire par le juge des libertés et de la détention.

Nous recommanderons par ailleurs que l’interdiction de sortie du territoire fasse l’objet d’une motivation écrite et que le retrait de la carte nationale d’identité ne soit pas automatique. De telles techniques doivent rester exceptionnelles et il nous revient d’empêcher que leur utilisation se banalise.

Deuxième mesure forte : la création d’un délit d’entreprise terroriste individuelle. Cette disposition vise à doter la France d’un arsenal efficace pour répondre aux phénomènes dits des loups solitaires. Je sais, monsieur le ministre, que dans l’entretien que vous avez accordé hier à la presse vous avez récusé cette expression assez floue et qui ne correspond pas forcément aux réalités. Il n’en demeure pas moins que des individus peuvent se radicaliser et planifier un acte terroriste en solitaire.

Cette disposition établit que le fait de préparer un attentat est caractérisé par une intentionnalité et par deux éléments matériels parmi plusieurs actions listées : se procurer une arme, recueillir des renseignements, recevoir un entraînement, ou encore recueillir des informations sur un site Internet faisant l’apologie du terrorisme.

Pour notre groupe, le fait de considérer que la consultation habituelle de sites internet constitue un acte préparatoire à une entreprise terroriste est un raccourci dangereux qui entre en contradiction avec les principes de légalité et de proportionnalité. Nous proposerons donc un meilleur encadrement de cet article, afin que la caractérisation de l’acte terroriste fasse l’objet d’une définition plus précise.

Troisième disposition clé du projet de loi : l’entrée des délits d’apologie et de provocation au terrorisme dans le code pénal, alors qu’ils étaient jusqu’à présent régis par la loi de 1881 sur la presse. Cette mesure présente deux écueils.

D’une part, elle ne permet pas de distinguer la « provocation » au terrorisme de la simple « apologie », laquelle pourrait, selon nous, rester dans le champ d’application de la loi de 1881 sur la presse.

D’autre part, elle fait d’internet une circonstance aggravante, ce qui constitue, une fois de plus, un raccourci inquiétant et soulève un problème de proportionnalité des sanctions. En effet, si cette disposition n’est pas mise en harmonise avec l’échelle des peines, l’apologie d’actes de terrorisme pourrait être sanctionnée de sept ans de prison, ce qui est très au-delà des peines prononcées actuellement.

Je souligne que, d’une manière générale – et même si, là aussi, il faut regarder la réalité en face, en l’occurrence l’apologie du terrorisme qui est faite sur internet –, il ne faut pas faire du web la cause de tous les maux. Le terrorisme existait avant internet, même si celui-ci lui donne une résonance particulière.

Enfin, quatrième disposition du texte : permettre un blocage des sites internet par la voie administrative. Cet article comporte plusieurs faiblesses potentielles.

D’abord, il est difficilement applicable dans le cas de partages de contenus passant par des réseaux sociaux, où le blocage est quasiment impossible – vous l’avez d’ailleurs vous-même reconnu, monsieur le ministre, dans l’interview au Journal du dimanche à laquelle j’ai déjà fait référence.

Ensuite, il est facilement contournable, notamment pour des organisations criminelles rompues aux méthodes sophistiquées de communication anonyme. Il peut même créer un effet de rebond et de duplication, ce qui irait à l’encontre du but recherché. Un site bloqué peut en effet réapparaître en quelques minutes sous d’autres formes et, malheureusement, élargir ainsi son audience.

Enfin, il pourrait inciter des personnes souhaitant consulter ces contenus à recourir à des moyens de connexion plus pointus, ce qui contribuerait à rendre la consultation de ces sites, dans son ensemble, mieux cryptée et plus difficile à surveiller et à contrôler.

Monsieur le ministre, comme vous pourrez le constater, plutôt qu’une posture d’opposition pavlovienne, notre groupe parlementaire a fait le choix du débat et des propositions. Si la menace existe, elle doit être combattue dans le plus grand respect du droit et de ses équilibres. « Un État démocratique ne pourrait accepter que les moyens mis en œuvre pour assurer la sécurité soient attentatoires aux libertés », comme l’avait déclaré en 1997 Lionel Jospin, alors Premier ministre, lors d’un colloque sur la sécurité. C’est dans cet esprit et avec le souci d’amender le projet de loi, afin de le doter de certaines garanties supplémentaires, de certains garde-fous, que le groupe écologiste abordera ce débat. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

M. Meyer Habib. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Alain Tourret.

M. Alain Tourret. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, depuis toujours, nous savons que les démocraties sont mortelles. Elles représentent pourtant la forme la plus achevée de l’esprit humain ; elles ont compris que, pour maîtriser l’éternité, elles devaient allier un système étatique reposant sur la séparation des pouvoirs et sur un consensus social si bien défini par les termes d’égalité, de liberté, de fraternité et de laïcité. Mais aucune démocratie n’a pu survivre, c’est-à-dire vivre en paix, sans assurer sa propre défense. Qui ne se rappelle ce fameux adage : « Si vis pacem, para bellum » ? La France le sait mieux que quiconque : ses plus grands chefs, de Vercingétorix à Charles de Gaulle, sont des chefs de guerre.

Depuis 1945, la France a pourtant le sentiment de vivre en paix, de vivre tranquillement. Le parapluie américain, la bombe atomique, de même que, sur le plan européen, l’OTAN sont là pour nous rassurer. La France dispose de ses sous-marins atomiques, de ses avions Rafale – les meilleurs, selon elle –, de ses chars de guerre.

Elle a pourtant perdu, rappelons-le, la guerre d’Indochine, dans laquelle elle s’est enlisée de 1945 à 1954. En mai 1954, elle a connu l’une des plus graves défaites de son histoire, à Diên Biên Phu, sans que l’on n’en tire les conséquences sur le plan militaire, alors même qu’elle y avait engagé ses meilleures troupes, des volontaires.

De la Toussaint 1954 aux accords de 1962, la France s’est ensuite battue en Algérie. Le résultat est d’autant plus effroyable que son armée est persuadée d’avoir gagné une guerre ingagnable.

La France s’est alors engagée sur de nombreux fronts : en Irak, en Syrie, en Libye, au Mali, en Côte d’Ivoire et, pour ainsi dire, dans tous les pays de l’Afrique noire. Elle a obtenu des succès éphémères, mais, comme le disent les gaullistes, elle a tenu son rang. Ses engagements sont d’autant plus significatifs qu’elle est membre du Conseil de sécurité, qu’elle possède la bombe atomique, qu’elle peut attaquer dans n’importe quel endroit du monde avec l’appui de la 11brigade parachutiste et qu’elle dispose des légionnaires et des membres des RIMA, qui sont sans doute les meilleurs soldats du monde.

Mais, depuis quelques années, les choses ont changé : la France doit se battre contre un ennemi d’autant plus dangereux qu’il est invisible. Ce n’est pas Saddam Hussein ; ce n’est pas Mouammar Kadhafi ; ce n’est pas Bachar el-Assad. Cet ennemi invisible, c’est l’internationale du terrorisme qui n’a pas lu Clausewitz, mais qui connaît le maniement du couteau et sait mieux que quiconque égorger hommes, femmes et enfants, mais d’abord les journalistes.

Qui sont-ils, ces égorgeurs qui revendiquent la terreur ? Pourquoi les appelle-t-on des terroristes ? En son temps, j’avais demandé à ce que soit menée, dans le cadre de l’Institut international des droits de l’homme et de la paix, que je préside, toute une réflexion sur le terrorisme.

Précisons que ces terrorismes n’ont rien à voir avec l’histoire de France. Certes, nous avons connu la Terreur entre 1792 et 1794, sous la Convention. À l’époque, c’est Maximilien Robespierre qui dirige le pays. Il a théorisé la terreur pour sauver la vertu, contre l’ennemi intérieur – le fédéraliste, le chouan, le vendéen – et l’ennemi extérieur – les troupes du duc de Brunswick, comme le rappelle Lamartine dans son Histoire des Girondins. À l’époque, la terreur est un mode de gouvernement, notamment grâce à l’appui du Comité de salut public et du club des Jacobins. Mais avec Robespierre, qui a écrit les plus belles pages qui existent contre la peine de mort, nous devons rappeler qu’il ne peut y avoir de terreur sans vertus, en particulier de vertu républicaine.

Robespierre, l’apologiste de la terreur en temps de guerre, n’était pas un terroriste ; c’était un Jacobin amoureux de la nation et épris de l’Être suprême. Les vrais terroristes apparaissent à une autre période de notre histoire, aux XIXe et XXsiècles. Ce sont les anarchistes et les nihilistes. Pour mieux combattre les terroristes, il faut savoir qui ils sont, d’où ils tirent leurs références et comment ils réfléchissent aux actions qu’ils vont mener.

Les terroristes sont d’abord des assassins. Le ministre des affaires étrangères a fort justement parlé, pour sa part, d’« égorgeurs ». Oui, les terroristes, quels qu’ils soient, sont avant tout des assassins. Ce sont eux qui vont assassiner un président de la République, Sadi Carnot, le 25 juin 1894, puis un président du Conseil, Louis Barthou, le 9 octobre 1934. Les terroristes, ce sont encore les assassins qui, à Sarajevo en 1914, vont tuer l’héritier de l’empire austro-hongrois et son épouse et, ce faisant, provoquer la Première guerre mondiale. C’est dire s’ils représentent un danger extrême pour les démocraties – notamment la nôtre.

En 2014, les terroristes se sont regroupés. Alors même qu’il a pu exister une sorte de nébuleuse autour de Ben Laden, désormais les terroristes se rassemblent, en s’entourant de tous les extrémistes islamistes, tous ceux qui vomissent l’islam modéré. Un terroriste, actuellement, c’est quelqu’un qui hait l’islam et qui va assassiner sans aucun doute tous ceux qui défendent l’islam modéré.

Les terroristes représentent un danger extrême pour plusieurs raisons. En effet, ils ont accumulé des armes et des richesses. Or, sans armes ni richesses, on ne peut nourrir l’internationale du terrorisme. Ils monnaient tout et négocient d’abord avec les monarchies du Golfe. Il serait vraisemblablement intéressant de voir les liens qui existent entre certains groupes terroristes et ces monarchies que les Américains et la France appuient.

M. Meyer Habib. Absolument !

M. Alain Tourret. De plus, avec les nouveaux moyens de communication, ils ont acquis une redoutable efficacité. Certains d’entre eux sont passés par les plus grandes écoles aux États-Unis. Nous voyons de quelle façon ils peuvent se réunir grâce à ces nouveaux moyens particulièrement redoutables.

Enfin, ils représentent un danger extrême, car ils sont en passe de s’installer dans un territoire qui n’a jamais trouvé d’équilibre. C’est sans doute la faute de la SDN et des Nations unies qui ont refusé de créer le Kurdistan. Pourquoi les pays du monde ont-ils toujours condamné ces pauvres Kurdes, qui avaient le droit de trouver une patrie entre la Turquie, la Jordanie, la Syrie, l’Irak et l’Iran ? Nous ne paierons jamais suffisamment ce que nous avons fait subir au Kurdistan.

En réalité, jamais le danger n’a été aussi grand. Il va de soi que les terroristes vont attaquer, tôt ou tard, tous ceux qu’ils haïssent, et d’abord les Français. Ils séduisent une part non négligeable de nos jeunes. Vous avez donné le chiffre, monsieur le ministre : entre 900 et 1 000 jeunes vont se former chez eux aux techniques de la guerre terroriste et voudront ensuite se faire sauter en devenant des bombes humaines. Nous savons, grâce aux renseignements dont nous disposons – ceux que vous nous avez en partie communiqués, monsieur le ministre –, le danger immense qui plane. Nous apprendrons sans doute dans les mois qui viennent, peut-être par vous, les succès des hommes de l’ombre – je veux parler des services qui auront empêché que des attentats semblables à ceux de Bruxelles et de Montauban aient lieu en France. Mais je crains pour demain.

Comment doit-on répondre à ces attaques, en gardant les principes de la vie démocratique ? La France doit d’abord se réunir autour de son Président, de son gouvernement et de ses députés. La seule réponse à apporter au terrorisme, c’est l’union de tous les Français. C’est donc la réponse d’une assemblée nationale unie que nous devons vous apporter, monsieur le ministre.

Jusqu’où devrons-nous suspendre les libertés démocratiques ? Cette question est très importante. Je n’ai pas dit « supprimer », j’ai dit « suspendre » ! Nous avons su, dans notre histoire, suspendre à un moment donné les libertés démocratiques. Celles-ci, en effet, ne peuvent pas avoir le même contenu en temps de paix et en temps de guerre. Or la guerre nous a été déclarée. Nos grands textes sur l’état de nécessité en démocratie – je relisais l’œuvre du professeur Morange – ou sur l’état d’exception, à travers l’article 16 de la Constitution, permettent à l’évidence de considérer que, pendant un certain temps, lorsque la guerre nous est déclarée, les libertés démocratiques doivent être, sinon mises à l’écart, du moins appréciées en fonction du risque subi.

M. Pierre Lellouche. C’est juste !

M. Claude Goasguen. Très bien !

M. Alain Tourret. Cela doit se faire à deux conditions.

Premièrement, les lois d’exception doivent être, par définition, limitées dans le temps.

M. Pierre Lellouche et M. Claude Goasguen. Tout à fait !

M. Alain Tourret. Deuxièmement, elles doivent être soumises à un contrôle parlementaire réel. C’est ce qui s’est passé avec nos grands anciens pendant la guerre de 14-18. Je parle, non pas des comités secrets, dont Clemenceau n’a jamais voulu, mais du contrôle qui doit être exercé par la représentation nationale. C’est pourquoi j’ai proposé qu’une commission, dirigée par les présidents des commissions concernées de l’Assemblée nationale et du Sénat, puisse exercer un contrôle véritable, notamment à travers l’audition régulière des principaux ministres, pendant la durée de la guerre qui nous a été déclarée.

Certains s’émeuvent de ce que l’on puisse retirer leurs documents d’identité aux terroristes ou à ceux qui sont soupçonnés de l’être, mais, monsieur le ministre, l’angélisme n’est pas une réponse efficace aux égorgeurs.

M. Claude Goasguen. Très bien !

M. Éric Ciotti. Bravo !

M. Alain Tourret. Le juge administratif est là, qui offre une garantie, avec le référé liberté. Il sait comment juger en tenant compte de la nécessité de respecter des libertés fondamentales. Selon moi, il est d’ailleurs mieux à même de le faire que le juge des libertés et de la détention.

On peut donc se mettre sous sa protection. De même devra-t-il vérifier si le délit d’entreprise individuelle de terrorisme est constitué. Faisons très attention, monsieur le ministre : je comprends parfaitement la création de cette incrimination, mais elle permet tous les débordements. Il vous appartient donc, à vous que je sais être un homme de libertés, qu’il y ait un véritable contrôle chaque fois qu’elle sera susceptible d’être prononcée.

Quant aux supports, tels les sites internet, ils constituent une nouvelle arme, dont la dangerosité est extrême parce qu’elle permet le prosélytisme, le recrutement des futurs terroristes.

Monsieur le ministre, vous êtes un ami ; vous avez ma confiance. Mais je dois vous dire que je regrette que ce projet de loi n’ait pas une ampleur plus forte et qu’il ne soit pas adopté dans les mêmes termes par l’ensemble des gouvernements de l’Europe des Vingt-huit.

M. Claude Goasguen. C’est très vrai !

M. Alain Tourret. Ne serait-ce pas d’une force terrible si, ce soir, les parlements des vingt-huit pays de l’Union européenne étaient saisis et qu’ainsi, devant le ministre de l’intérieur ou le Premier ministre de chacun, le même texte soit voté ?

M. Pierre Lellouche. Eh oui ! Ce serait bien en effet !

M. Alain Tourret. Quelle plus belle réponse pourrait-on imaginer aux terroristes qui nous assaillent ? En tout cas, j’espère, monsieur le ministre, que vous nous apporterez une telle réponse dans les jours qui viennent.

M. Éric Ciotti. Nous l’espérons.

M. Alain Tourret. Je terminerai en soulignant qu’il n’existe pas de démocratie sans contrôle. Je souhaite donc que vous nous teniez informés de manière régulière, qu’il s’agisse de l’Assemblée nationale ou de la commission des lois.

On vient de nous déclarer la guerre. La France, unie autour de son président et de son gouvernement, unie autour de son assemblée, saura y répondre. (Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP et sur plusieurs bancs des groupes UMP et UDI.)

M. Claude Goasguen. Vous êtes surprenant, monsieur Tourret !

M. Pierre Lellouche. Par moments ! (Sourires.)

M. le président. La parole est à M. Marc Dolez.

M. Marc Dolez. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, les députés du Front de gauche condamnent fermement tous les actes de terrorisme, où qu’ils se produisent, quels qu’en soient les motivations et les auteurs.

Notre détermination à lutter contre le terrorisme ne saurait souffrir le moindre doute, et c’est bien parce que nous ne sous-estimons pas les enjeux de ce combat que nous considérons que la question ne saurait être appréhendée sous le seul prisme sécuritaire et qu’une approche globale est indispensable. C’est aussi pourquoi nous regrettons le recours à la procédure accélérée sur un sujet aussi complexe que sensible, d’autant plus qu’il s’agit d’adopter des mesures par définition attentatoires aux libertés individuelles et souvent dérogatoires au droit commun.

Nous avons bien sûr conscience que ce projet de loi s’inscrit dans le contexte particulièrement lourd que, monsieur le ministre, vous avez rappelé au début de votre intervention. Nous sommes favorables à l’adaptation de la législation pour mieux répondre à la menace terroriste, sous réserve d’un certain nombre de remarques, de réflexions et d’interrogations.

Tout d’abord, je note que l’Union syndicale des magistrats a souligné, dans ses observations du 15 juillet dernier, que la loi a une vocation générale et doit être conçue pour répondre à toutes les formes de terrorisme et non pas à une filière particulière. Dans un souci d’efficacité, il convient en effet d’appréhender le problème dans son intégralité et d’être vigilant quant aux amalgames et aux dérives discriminatoires. Le Président de la République n’a pas dit autre chose en octobre 2012, à la veille de la discussion du projet relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme, lorsqu’il a insisté sur le fait que l’État doit se mobiliser pour lutter contre toutes les menaces terroristes, tout en exprimant son refus de tout amalgame.

Ensuite, il est permis de s’interroger sur l’efficacité réelle d’un nouveau durcissement de l’arsenal répressif et administratif, car notre législation antiterroriste est déjà substantielle. Elle a connu un renforcement graduel depuis vingt-cinq ans et nombre d’experts et de hauts magistrats considèrent aujourd’hui qu’elle est suffisante – c’est ce qui était clairement ressorti, en octobre 2012, des travaux de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. La loi du 9 septembre 1986, considérant que le terrorisme n’était pas un agissement criminel comme les autres, tant dans ses motivations que dans ses effets, avait défini une incrimination pénale spécifique et en avait tiré des conséquences procédurales particulières. Après les attentats du 11 septembre 2001, la lutte contre le terrorisme a connu une nouvelle accélération, avec de nombreuses mesures prises aux échelons international, européen et national.

Si nous admettons évidemment que des circonstances exceptionnelles appellent des mesures exceptionnelles, la question de la ligne de partage entre l’efficacité de la législation antiterroriste et le respect des libertés publiques reste posée, dans la mesure où le développement de procédures dérogatoires et d’exception appellent, chacun en conviendra, à une vigilance toute particulière. En cette matière sensible, les moyens mis en place pour lutter efficacement contre le terrorisme doivent toujours préserver l’équilibre entre les mesures prises et le respect des libertés fondamentales et de l’État de droit. C’est sous cet angle qu’il convient d’apprécier les principales dispositions du projet de loi dont nous débattons aujourd’hui.

En créant un dispositif d’interdiction administrative de sortie du territoire pour certains ressortissants français, l’article 1er restreint la liberté d’aller et de venir, dans une formulation à la fois vague et extensive qui n’est pas sans poser question. Comment sera-t-il possible de démontrer, avant son départ, qu’une personne souhaite porter atteinte, à son retour, à la sécurité publique ? Présumera-t-on la culpabilité d’une personne avant même son départ à l’étranger ? La présidente de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, Mme Christine Lazerges, s’inquiète du fait qu’ « aucune garantie judiciaire n’est prévue avant que l’interdiction administrative ne soit prononcée. Il n’y a aucune intervention du magistrat du siège alors qu’il est le garant des libertés fondamentales. » Le Syndicat de la magistrature craint, pour sa part, que cet article ne soit source de dérives discriminatoires, tandis que l’Union syndicale des magistrats souligne le caractère disproportionné de mesures d’interdiction dont la mise en œuvre sera à la charge des entreprises de transport, faisant peser sur une personne morale de droit privé les obligations incombant à la puissance publique.

L’article 4, quant à lui, prévoit de nouvelles restrictions à la liberté d’expression, puisqu’il exclut du champ d’application de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse les délits d’apologie de terrorisme et de provocation au terrorisme, afin d’en faire des délits terroristes. Cette modification permettra de soumettre ces délits au régime dérogatoire des infractions terroristes – à l’exception des trois règles les plus dérogatoires au droit commun dont l’article 6 écarte l’application.

Modifié en commission des lois pour introduire un nouveau cas de délit de provocation commise de façon non publique, l’article 4 soulève de légitimes interrogations. L’évaluation de la notion d’apologie du terrorisme ne crée-t-elle pas un risque d’atteinte à la liberté d’expression, à savoir considérer toutes les formes de contestation sociale radicale comme une apologie du terrorisme ? L’emploi du terme « apologie » implique une condamnation des opinions et non des actes, alors que le régime protecteur de la loi de 1881 vise expressément à éviter la pénalisation du délit d’opinion, ce qui fait dire à Christine Lazerges : « Tout ce qui touche à la liberté d’expression doit rester dans la loi de 1881. »

L’article 5 renforce l’arsenal pénal en créant, dans le code pénal, un délit d’entreprise terroriste individuelle. Il s’agit donc d’un nouveau délit, aux côtés de l’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, qui permettra d’incriminer les actes préparatoires d’une personne isolée. Il sera, par son emplacement dans le code pénal, un délit terroriste soumis au régime procédural dérogatoire prévu en la matière. Dans le texte initial du projet de loi, l’élément matériel du délit était constitué par le fait, en vue de commettre un acte de terrorisme, de rechercher, de se procurer ou de fabriquer des objets ou des substances dangereuses pour autrui ; la commission des lois y a ajouté le fait de détenir de tels objets ou substances ; elle a également prévu que le projet terroriste devrait être caractérisé par un second élément matériel pouvant consister en des repérages, en une formation au maniement des armes ou dans la consultation habituelle de sites internet provoquant au terrorisme.

Cet article permettra donc d’incriminer des actes préparatoires individuels sans qu’il n’y ait eu de commencement d’exécution, le risque majeur étant alors d’incarcérer préventivement des personnes que rien ne permettra juridiquement de condamner tant les éléments de preuve seront faibles.

Je rappelle que le rapport de la commission d’enquête sur le fonctionnement des services de renseignement français dans le suivi et dans la surveillance des mouvements radicaux armés a rejeté, en mai 2013, l’idée de la création d’une incrimination d’entreprise terroriste individuelle. La commission des lois, à l’occasion de l’examen de la loi du 21 décembre 2012, avait rejeté un amendement en ce sens de notre collègue Guillaume Larrivé. Votre prédécesseur, monsieur le ministre, avait même souligné que les dispositions envisagées « n’auraient eu aucune utilité concrète, pratique, efficace, sur le comportement de Mohamed Merah », et qu’« au-delà des dispositifs que nous concevons, au-delà de la réponse judiciaire, au-delà de la création de nouvelles incriminations, la réponse tient à l’organisation des services de renseignement intérieur et aux moyens que nous souhaitons leur accorder pour détecter, surveiller et prévenir ce genre de comportement. » J’ajoute que l’article 421-1 du code pénal nous semble apporter les précisions nécessaires pour couvrir les cas incriminés. C’est pour l’ensemble de ces raisons que le groupe GDR est réservé sur l’opportunité de créer le délit d’entreprise terroriste individuelle.

Les dispositions de l’article 9 nous paraissent disproportionnées malgré les modifications apportées par la commission des lois. En effet, d’une part, elles étendent le champ d’application des obligations des fournisseurs d’accès et des hébergeurs en matière de signalement des contenus illicites aux faits de provocation au terrorisme et d’apologie des actes de terrorisme, et, d’autre part, elles créent une possibilité de blocage administratif des sites internet concernés.

L’intervention d’une personnalité nommée par la CNIL et dotée d’un pouvoir de recommandation vis-à-vis de l’autorité administrative et, si cette dernière ne suit pas sa recommandation, de la capacité de saisir la juridiction administrative, ne suffit pas à rendre légitime une procédure qui confie à l’autorité administrative le pouvoir de distinguer ce qui relève, dans un discours, de l’apologie ou de la provocation au terrorisme de ce qui reste une contestation de l’ordre social, politique ou économique. Je me réfère à la position du Conseil national du numérique, qui a rendu public un avis, adopté à l’unanimité, sur l’article 9, dans lequel il considère que le dispositif de blocage proposé est techniquement inefficace, qu’il est inadapté aux enjeux de la lutte contre le recrutement terroriste et qu’en minimisant le rôle de l’autorité judiciaire, il n’offre pas de garanties suffisantes en matière de libertés.

Le Conseil national du numérique recommande que la décision de blocage ne puisse intervenir que sur décision de l’autorité judiciaire, en permettant « aux autorités administratives de présenter à dates régulières des séries de sites et de contenus à l’autorité judiciaire pour demander leur blocage, tout en utilisant une procédure spécifique de référé ou des mesures conservatoires dans les situations d’extrême urgence ».

Pour conclure, et si la lutte contre le terrorisme passe évidemment par un combat contre ce qui le nourrit, je veux à nouveau insister sur la nécessité d’un juste équilibre entre l’efficacité de la législation antiterroriste et le respect des libertés fondamentales – même si cet équilibre est, nous le savons, délicat à atteindre.

Monsieur le ministre, notre groupe ne s’opposera pas à ce projet de loi, mais notre appréciation définitive – vote pour ou abstention constructive – dépendra, vous l’aurez compris, des réponses et précisions qui seront apportées au cours du débat aux interrogations que je viens d’exprimer.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Françoise Bechtel.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, si l’actualité nationale – et aujourd’hui particulièrement, internationale – n’explique que trop l’importance du débat de ce soir, il appartient au législateur de ne pas se laisser aveugler ni de céder à la facilité d’un débat passionné, mais au contraire de faire un effort de sang-froid afin de s’assurer que les dispositions qu’il adoptera sont pertinentes.

Pertinentes, cela signifie proportionnées à leur objet et inscrites dans le socle solide de notre tradition républicaine et démocratique ; d’une portée assez large pour ne pas représenter une législation de circonstance, et en même temps assez précises pour que la lutte ne reste pas vaine.

Je me félicite d’autant plus du consensus qui a régné dans la commission des lois lors de l’examen de ce texte que le terrorisme est un sujet plus difficile qu’un autre – et c’est peut-être particulièrement vrai aujourd’hui.

C’est d’abord le cas en raison de la récurrence d’événements qui nous imposent d’agir. Je veux bien sûr parler des effets internes du djihadisme, qu’il s’agisse des départs vers les territoires où est censée se dérouler la guerre sainte, des phénomènes d’auto-radicalisation, ou encore de la démultiplication, par l’usage et l’effet d’internet, d’une violence protéiforme, alliant la brutalité, voire l’extrême sauvagerie, à la froideur d’une pédagogie s’adressant aux apprentis terroristes. Rapporté à ce que je disais en introduisant mon propos, cela veut clairement dire que nous devons disposer d’armes adaptées pour lutter contre ces nouveaux phénomènes. Et bien entendu, nous ne devons pas nous tromper d’objectif.

Mais le sujet est également délicat en ce qu’il invite à l’analyse plus qu’à la contre-prédication, à l’action raisonnée plutôt qu’à la croisade, en bref parce qu’il nous impose d’éviter tout ce qui serait contre-productif dans le combat sans merci auquel appellent les actes terroristes.

Ce projet de loi est dirigé contre un ennemi qu’il faut désigner clairement, le salafisme djihadiste. À cet égard – et je salue les propos tenus en ce sens par le ministre et le rapporteur –, il faut se garder de parler à tout bout de champ « d’islamisme », sans même parfois prendre la précaution d’y ajouter le terme « radical ». Il faut prendre garde à ce que l’objet de la loi, comme celui du discours public, ne puisse être de stigmatiser l’islam, religion vécue paisiblement par nombre de nos concitoyens et compatriotes.

Il serait bon, d’ailleurs, que dans le prolongement de la démarche publique faite récemment par le Conseil français du culte musulman au sujet de la protection des chrétiens d’Irak, les représentants des musulmans de France, en liaison avec les autorités de notre pays, fassent plus régulièrement entendre leur voix pour stigmatiser des actes sans rapport avec l’islam, ni avec les pratiques de l’immense majorité des musulmans de France et du monde, lesquels sont d’ailleurs, en Irak comme dans d’autres pays, les premières victimes du terrorisme salafiste.

Ce dernier propos m’amène à l’objet de la loi et à la portée des dispositifs nouveaux qu’elle contient. Tous permettent de prévenir et réprimer des actes qui se sont imposés dans le paysage social comme répondant à des formes nouvelles de radicalité. Aucun ne désigne en particulier telle ou telle forme de terrorisme, mais tous peuvent s’appliquer aux phénomènes nouveaux que l’on peut observer, et qui exigeaient des instruments juridiques adaptés.

Le premier de ces instruments est l’incrimination de préparation individuelle d’un acte terroriste. Le dispositif a déjà été décrit ; je n’y reviens donc pas, si ce n’est pour dire qu’il représente, dans notre ordre juridique, la plus lourde des innovations apportées par le projet de loi.

Le fait que cette incrimination soit désormais réclamée par les juges antiterroristes, alors même qu’elle ne leur avait pas paru nécessaire il y a à peine un an et demi, lorsque nous avions préparé la précédente loi sur le sujet, prouve bien que la situation a évolué depuis. Des affaires récentes – l’affaire Merah, à travers ce qu’elle a rétrospectivement révélé, mais aussi l’affaire Nemmouche et d’autres encore – ont convaincu les députés du groupe majoritaire et le rapporteur que cette nouveauté était justifiée. Restait à s’assurer de sa conformité au principe constitutionnel de légalité des délits et des peines. C’est ce qui a été fait – notamment grâce au travail du rapporteur, que je salue – et qui sera, je n’en doute pas, confirmé au cours des débats.

Un autre nouveau phénomène est évidemment le rôle croissant joué par les communications électroniques dans les échanges, qui démultiplient les effets, eux-mêmes divers, du terrorisme.

Il en est ainsi de l’apologie de l’acte terroriste, dont la délictualisation, monsieur Dolez, ne peut plus être contenue dans les limites de la loi de 1881, et pour laquelle seul le code pénal peut fournir un cadre adapté.

C’est d’ailleurs ce qu’avait dit votre prédécesseur, monsieur le ministre, lorsque nous avions adopté la loi de décembre 2012. Nous en étions alors restés au point où les députés de la majorité – mais pas seulement eux – avaient appelé à une réflexion sur le « décorsetage » de la loi de 1881, afin d’en extraire les dispositions plus spécifiquement relatives à internet. C’est aujourd’hui chose faite. Pour ma part, je crois fermement que cette évolution n’est pas attentatoire à une vieille loi républicaine que, comme vous tous, je révère ; c’est une mesure utile.

Une autre conséquence de l’essor d’internet est le choc causé par les messages violents et leur impact, non seulement sur les individus susceptibles de radicalisation, mais aussi – c’est l’objet d’un amendement que je présenterai au nom du groupe majoritaire – sur les mineurs.

Enfin, l’usage des communications électroniques rend nécessaire l’adaptation des moyens d’enquête dont disposent les services de police judiciaire, qu’il s’agisse du recours au pseudonyme ou des perquisitions sur les données stockées.

En définitive, c’est l’individualisation de la pulsion terroriste qui est traquée à travers ce projet de loi. Les réseaux sociaux, le partage, l’interactivité permettent certes à la redoutable puissance d’internet de contribuer à la vie collective des idées et des échanges, voire à une forme bienvenue de démocratie participative, mais ces progrès ont aussi un prix : l’alimentation à jet continu des pulsions les plus sombres, ainsi que la mise à disposition permanente, et quasiment gratuite, de la formation, idéologique ou matérielle, à l’attentat terroriste. Ce prix, la société tout entière le paie. C’est pourquoi – nous aurons un débat sur cette question – il ne paraît pas excessif que ceux qui ont la charge de faire vivre internet – et qui sont aussi ceux qui en vivent : opérateurs, fournisseurs d’accès, hébergeurs, éditeurs – soient responsabilisés, dès lors qu’ils le sont dans un cadre sécurisé, respectueux de la libre expression, mais aussi protecteur du droit à la sécurité, et dans certains cas, du droit à la dignité.

J’en termine en soulignant que la loi ne peut pas tout. Il faut tout un contexte, tant interne qu’externe, pour lui assurer une meilleure efficacité. Ainsi, les actions menées dans le cadre d’une « contre-radicalisation » sont essentielles. Il faut saluer les initiatives prises en ce sens par le Gouvernement, et que le ministre vient de rappeler, ainsi que les actions menées, par exemple, par la Fondation d’aide aux victimes du terrorisme, qui vont de la mise au point d’un contre-discours à la confrontation entre des victimes et des auteurs d’attentat.

Enfin, il y a un lien entre la lutte contre le terrorisme à l’intérieur de nos frontières et l’action extérieure de la France. Lutter contre le terrorisme doit d’abord nous conduire à sécuriser les États par les voies appropriées, car c’est de l’éclatement des États que naissent les menaces terroristes. Et parce que les dernières années nous ont appris à quel point certaines aventures hasardeuses peuvent contribuer au terrorisme, il faut que les expéditions punitives – lesquelles sont l’équivalent à l’extérieur de la répression dans la politique intérieure – soient guidées par le droit international.

Au prix de tous ces efforts, nous pouvons sans doute afficher un optimisme raisonné. Ce présent projet de loi est à mes yeux une raison de plus de le faire ; c’est la raison pour laquelle le groupe SRC le votera. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Lellouche.

M. Pierre Lellouche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, une fois n’est pas coutume, je soutiens pleinement, pour ma part – et je sais que cette attitude est partagée par de nombreux collègues de l’opposition –, la démarche salutaire du Gouvernement.

En effet, lorsque l’essentiel est en jeu, à savoir la défense de la nation et la protection de la sécurité des Français, nos différences de sensibilité politique, les affrontements politiciens n’ont plus leur place. Seule s’impose, comme ici même il y a un siècle, l’union sacrée de toute la représentation nationale, de tous les républicains, face à ce qu’il faut bien appeler une guerre. Cette guerre nous est imposée par une frange fanatique du monde musulman, décidée, en instrumentalisant la religion, à entraîner le monde tout entier dans un conflit de civilisations aux conséquences potentiellement apocalyptiques. La première vertu de ce texte est donc précisément de marquer la prise de conscience, devant tous nos concitoyens, du péril auquel nous sommes désormais confrontés.

Dans son histoire récente, la France avait, comme d’autres nations, souvent été exposée au terrorisme. Attentats de la rue de Rennes, de la station Saint-Michel ou du Capitole, détournements ou destructions d’avions civils, prises d’otages : la liste est longue, très longue, de ces actes de terreur commis au nom de guerres de libération – de la Palestine ou du Kurdistan –, de revendications indépendantistes, d’idéaux révolutionnaires – comme dans le cas d’Action directe –, voire de terrorisme d’État, qu’il s’agisse de l’Iran ou de la Libye de Kadhafi.

Dans chaque cas, ce terrorisme prenait classiquement la forme d’un chantage entre le terroriste et un État, le vecteur de la terreur – la plus spectaculaire possible – étant utilisé contre la population civile de l’État visé afin de faire céder le Gouvernement en place. Dans ce macabre billard à trois bandes – terroristes, population civile, État –, il y avait cependant toujours présente l’idée d’une revendication, d’une négociation.

Mais avec l’État islamique – ou, pour reprendre la formule de Laurent Fabius, « les égorgeurs de Daech » –, avec les attentats de Toulouse et de Bruxelles, avec la présence d’un millier de citoyens français en Syrie et en Irak pour combattre au nom du djihad, avec cette violence et ce fanatisme sans précédents, nous avons, de fait, changé de monde. On ne négocie pas, on tue. On ne cherche pas à gagner ou même à sauver sa propre vie, on souhaite la mort, dans un combat joyeux contre un monde décadent – l’Occident infidèle bien sûr, mais également les « mauvais » musulmans –, jusqu’à ce que le califat règne sur la terre et impose à tous la pureté de la charia.

Il nous faut prendre conscience que nous n’en sommes qu’au début de cette guerre, dont l’arrière-plan n’est autre que l’implosion de l’ordre géopolitique de l’ensemble du Moyen-Orient et, au-delà, de la totalité du monde arabo-musulman.

M. Claude Goasguen. Absolument !

M. Pierre Lellouche. Implosion des frontières, tout d’abord. Après les Balkans dans les années quatre-vingt-dix, c’est aujourd’hui au tour du Proche-Orient, dessiné il y a un siècle par la France et la Grande-Bretagne sur les dépouilles de l’Empire ottoman, d’imploser sous nos yeux : la Syrie, l’Irak, le Kurdistan menacent d’entraîner d’autres États fragiles comme le Liban, la Jordanie ou les États arabes du Golfe. Ne vous y trompez pas : l’objectif de ces gens, c’est Médine et La Mecque, et le pétrole qui va avec.

M. Claude Goasguen. Bien sûr !

M. Pierre Lellouche. Implosion aussi des régimes arabes confrontés, depuis le printemps tunisien, à la soif de dignité, à l’envie de sortir enfin de la misère et de l’échec.

Face à cette immense secousse tellurique… le vide. L’ordre de Yalta qui, après Suez, avait succédé à celui des anciennes puissances coloniales, est mort avec la fin de Guerre froide. Quant à la pax americana qui s’est ensuivie, au moment unipolaire américain, il s’est définitivement enlisé dans les guerres d’Afghanistan et d’Irak.

En Syrie, face à la Russie, alliée de l’Iran et du régime syrien, l’Occident, après avoir hésité, a finalement préféré « sous-traiter » le problème aux puissances régionales – la Turquie et les États du Golfe –, lesquelles ont donné naissance à ce monstre appelé « État islamique ».

En Libye, l’intervention franco-britannique a involontairement provoqué à l’intérieur du pays le chaos que l’on sait, et un véritable flot d’armements est venu nourrir d’autres foyers djihadistes au Mali, dans l’ensemble de la bande sahélo-saharienne et jusqu’au Nigeria.

Entre intervention militaire et non-intervention, livraisons d’armes et frappes aériennes, menace de bombarder, hier les forces d’el-Assad, aujourd’hui celles de ses ennemis djihadistes, choix d’isoler l’Iran et besoin de s’appuyer sur lui, l’Occident cherche en vain une stratégie face à une menace qui ne cesse de muter et de se déplacer, du Moyen-Orient au Sahel et à l’Afrique noire. Voilà pourquoi, mes chers collègues, cette guerre n’en est qu’à ses débuts.

Ce qui la rend pour nous encore plus immédiate, c’est qu’elle trouve son vivier chez nous, parmi ces Français, soit issus de l’immigration, soit convertis à l’islam, qui choisissent, en s’y engageant, de combattre leur propre pays – c’est-à-dire de nous combattre.

On tue des militaires français, eux-mêmes issus de l’immigration, pour l’exemple ; on assassine une petite fille à bout portant, d’une balle dans la tête, parce qu’elle est juive ; on poste sur Facebook des vidéos de jeunes Français convertis ou issus de l’immigration, exhibant leurs kalachnikovs, leurs blessures, voire une tête sanguinolente que l’on vient de trancher, et invitant leurs amis et leurs familles à les rejoindre dans cette guerre joyeuse. Il faut voir ces vidéos, mes chers collègues, pour toucher du doigt la violence extrême, le fanatisme absolu, et mesurer ce qui attend notre pays dans les mois et les années à venir, quand ces terroristes-là rentreront chez nous.

Lors d’une récente visite à Bagdad et à Erbil, nous avons pu, avec certains collègues, mesurer les ravages causés par ces combattants du djihad. Les survivants chrétiens, yézidis ou musulmans, nous ont raconté les exécutions de masse, les viols, les ventes de femmes et la destruction systématique de tout ce qui n’est pas purement islamique.

L’armée islamique compte 40 000 combattants, dont 10 000 étrangers, parmi lesquels se trouve un bon millier de Français. Cette armée est très bien équipée ; elle dispose d’un vaste territoire ; elle est riche de centaines de millions de dollars, lève l’impôt et vend même du pétrole ; elle sait aussi, contrairement à Ben Laden, utiliser à plein les moyens de communication modernes, de l’internet aux réseaux sociaux. Face à une menace d’une telle ampleur – qui, je le répète, ne fait que commencer –, face aux ravages que cause cette propagande d’un type nouveau sur une partie de notre jeunesse, il était plus que temps d’agir.

Le texte qui nous est proposé aujourd’hui ne peut prétendre – on le comprend aisément – aborder toutes les facettes du problème extrêmement complexe auquel nous sommes confrontés.

Si l’appel au djihad rencontre un tel écho chez nous, c’est qu’il révèle, monsieur le ministre, des décennies d’échecs majeurs de notre société : immigration subie et largement non contrôlée, au niveau national comme au niveau européen – l’arrivée de 100 000 clandestins en Italie depuis le début de l’année montre à quel point les accords de Schengen sont dépassés ; échec du modèle français d’intégration ; faiblesse insigne des instances musulmanes, pourtant les mieux placées pour montrer en quoi la dérive djihadiste n’a rien à voir avec la pratique de la religion ; échec de notre politique carcérale, puisque nos prisons sont devenues, avec internet, l’un des viviers de la radicalisation et du recrutement ; échec du renseignement, avec l’identification tardive de Merah et l’arrestation à l’aveuglette de Nemmouche ; absence de coordination efficace à l’échelon européen – et que dire de la complaisance avec laquelle nous avons entretenu les meilleures relations avec des États qui, soit financent le terrorisme depuis des années, soit laissent passer leur frontière par familles entières à des djihadistes européens ? Nul doute que les mois et les années à venir nous donneront, hélas !, l’occasion de revenir sur chacune des dimensions du problème.

Le texte qui nous est présenté aujourd’hui est donc une première étape, certes utile, dans la mesure où il marque une prise de conscience de la gravité de la menace, mais qui ne suffira pas s’il ne s’accompagne pas rapidement d’une série de mesures en matière de contrôle de l’immigration, d’éducation, de mobilisation de la communauté musulmane de France contre l’extrémisme et de politique carcérale, ainsi que d’une meilleure coordination de nos services de renseignements, d’efforts accrus en matière de défense et d’une politique étrangère qui ait un véritable cap et ne se résume pas à suivre les oscillations de la politique américaine.

Nous aurons, lors de la discussion des articles, l’occasion de revenir en détail sur les mesures que vous proposez, monsieur le ministre. Je le dis d’emblée, j’approuve celles qui touchent au contrôle de la propagande mortifère sur internet, de même que les dispositifs prévoyant une meilleure coordination interministérielle dans la lutte contre le terrorisme. Dans le même ordre d’idées, nous soutiendrons l’évolution de notre loi afin de criminaliser les actes commis par les fameux loups solitaires.

Il n’en demeure pas moins que le texte me paraît comporter des insuffisances dans au moins quatre domaines fondamentaux.

Premièrement, le texte est muet sur le financement du terrorisme, alors que la résolution, récente, n2170 du Conseil de sécurité des Nations unies, renforce les obligations des États en la matière. J’attends du Gouvernement des mesures simples et fortes, en particulier s’agissant du gel des avoirs de ceux, y compris les dirigeants d’États, qui, de près ou de loin, aident au financement du terrorisme ou de la propagande terroriste.

Deuxièmement, il me paraît indispensable, aussi bien à des fins pédagogiques que de dissuasion, de créer dans notre droit une interdiction à tout citoyen français de porter les armes dans un conflit à l’étranger, sauf dans les conditions prévues par la loi.

M. Claude Goasguen. Très bien !

M. Pierre Lellouche. Si l’on veut lutter pour une cause que l’on juge noble, soit l’on rejoint l’armée française, soit l’on s’engage dans une organisation humanitaire.

M. Claude Goasguen. Absolument !

M. Pierre Lellouche. Troisièmement, ce texte mériterait d’être plus précis et plus efficace pour ce qui est d’empêcher le départ des candidats au djihad. La saisie des pièces d’identité devrait être possible au moment du départ, assortie d’une interdiction de sortie de territoire et d’une assignation à résidence ou dans un centre de rétention. Ces mesures devraient également s’accompagner de la perte immédiate des droits sociaux. Comment justifier que l’argent des contribuables serve à financer des candidats au djihad ?

Quatrièmement, tout doit être fait pour empêcher le retour de ces terroristes, qui représentent autant de menaces mortelles – et je pèse mes mots – sur nos concitoyens. Tel est le sens de la déchéance de nationalité – mesure dont je mesure la gravité –, que je propose, avec d’autres collègues, d’introduire dans notre droit et qui s’appliquerait à tous les « Français » qui combattent au nom de l’État islamique. Qu’ont-ils de commun, ces égorgeurs, avec notre pays et avec les valeurs qui fondent notre République ? En choisissant le djihad, ces « Français »-là actent leur sortie définitive de la communauté nationale. Pour ma part, je les invite à rester en Irak et Syrie – et, si possible, à y trouver la mort de martyr qu’ils souhaitent.

Voilà, chers collègues, ce que je pense de ce texte important et utile, au moment où nous entrons dans une phase dont nous devons tous bien mesurer la complexité et la gravité pour l’avenir de notre pays – et de l’Europe.

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

2

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :

Suite de la discussion du projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures cinq.)

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly