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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2013-2014

Compte rendu
intégral

Première séance du jeudi 17 octobre 2013

Présidence de M. Marc Le Fur

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

Projet de loi de finances pour 2014

Première partie (suite)

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion de la première partie du projet de loi de finances pour 2014 (nos 1395, 1428).

Hier soir, l’Assemblée a commencé l’examen des articles, s’arrêtant à l’article 2.

La parole est à M. le ministre délégué chargé du budget.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé du budget. Je m’étais engagé hier à donner une réponse à M. de Courson à propos des niches fiscales. Je le renvoie à la page 39 du projet de loi de finances pour 2014. En voici le dernier paragraphe : « À méthode constante et hors crédit d’impôt en faveur de la compétitivité et de l’emploi, le montant des dépenses fiscales est estimé à 71,2 milliards d’euros en 2012, 70,7 milliards d’euros en 2013 et 68,9 milliards d’euros en 2014. » Cela signifie bien que les niches fiscales diminuent, ce qui ne serait pas le cas, monsieur de Courson, si nous retenions tous les amendements de l’opposition, qui tendent à les rétablir.

M. le président. D’autres questions ont été posées hier soir, mais nous aurons l’occasion d’y revenir.

La parole est à M. le rapporteur général de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire.

M. Christian Eckert, rapporteur général de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Je n’aurais pas la prétention d’en dire plus que le ministre à l’instant, mais, ayant été interpellé par notre collègue Charles de Courson, je veux quand même lui indiquer que, contrairement à ce qu’il a semblé prétendre, le rapporteur général n’était absolument pas embarrassé par sa question. M. de Courson trouvera en effet, en pages 18 et 19 de mon rapport général, toutes les réponses aux questions qu’il s’est légitimement posées.

Bien entendu, je confirme les chiffres que vient, à l’instant, de rappeler M. le ministre.

À ce propos, rappelons aussi que j’avais personnellement suggéré que l’on intègre le quotient fiscal parmi les dépenses fiscales ;…

M. Hervé Mariton. Ce qu’il n’est pas !

M. Christian Eckert, rapporteur général. …vous vous souvenez de la discussion, l’an dernier, d’un amendement qui a finalement été retiré. Le ministre s’était engagé à fournir tous les renseignements que, tout aussi légitimement, la représentation nationale demandait. Je veux remercier le ministre et ses services de nous avoir parfaitement communiqué ces informations, que vous trouverez en pages 23 et 24 du premier tome de l’annexe au présent projet de loi de finances, y compris les répartitions par décile. Il y a là l’ensemble des renseignements dont nous déplorions, l’an dernier, de ne pas disposer. Merci, monsieur le ministre. Je pense qu’ainsi les demandes de M. de Courson sont entièrement satisfaites.

M. le président. La parole est à M. Charles de Courson, qui va nous dire s’il est entièrement satisfait.

M. Charles de Courson. J’ai effectivement lu – et pas cette nuit, mais avant cela – vos pages 18 et 19, monsieur le rapporteur général, mais puis-je vous rappeler l’article 14 de la loi de programmation des finances publiques ?

Il indique deux choses.

Tout d’abord, en 2014, on doit baisser le montant des prélèvements obligatoires de trois milliards d’euros. Or on ne le baisse pas, on l’augmente de trois milliards ; ce n’est pas moi qui le dis, c’est le Gouvernement ! Je vous rappelle le texte que nous avions voté : « L’incidence des mesures afférentes aux prélèvements obligatoires adoptées par le Parlement ou prises par le Gouvernement par voie réglementaire à compter du 1er juillet 2012 ne peut être inférieure aux montants suivants, exprimés en milliards d’euros : » Dans la case correspondant à l’année 2014 est indiqué « – 3 ». Or nous en sommes à + 3. Ma première question est donc la suivante : ce projet de loi de finances est-il compatible avec l’article 14 de la loi de programmation des finances publiques ? Cela soulève la question, d’ailleurs posée par le président de notre commission des finances, de l’articulation entre la loi de programmation que nous avons votée à la fin de l’année 2012 et le projet de loi de finances.

L’article 14 de la loi de programmation des finances publiques comporte aussi, comme le rappelait M. le rapporteur général, un II, qui est de son cru et qui a d’ailleurs été voté à l’unanimité. Je vous en rappelle le texte : « À compter de l’année 2013, le montant annuel des dépenses fiscales, hors crédit d’impôt prévu à l’article 66 de la loi n2012-1510 du 29 décembre 2012 de finances rectificative pour 2012, » – incise relative au crédit d’impôt compétitivité emploi ajoutée par voie de sous-amendement à l’amendement de M. le rapporteur général –, « ne peut excéder 70,8 milliards d’euros. » Mais que constate-t-on en page 16 de l’annexe, obligatoire, du fascicule des voies et moyens ? On constate qu’en 2013 le montant des dépenses fiscales est de 72,016 milliards d’euros. Ce n’est pas moi qui l’invente ! Et, monsieur le rapporteur général, puis-je vous faire observer que, dans votre commentaire de la page 18, vous vous gardez de donner le montant ? Bien entendu, car il est gênant : il excède de 1,2 milliard d’euros le plafond de 70,8 milliards d’euros. Ma deuxième question, monsieur le ministre, est donc la suivante : l’exécution 2013 est-elle compatible avec le II de l’article 14 de la loi de programmation des finances publiques ?

Dernier élément, l’année prochaine, les dépenses fiscales explosent, avec un montant de 80 milliards d’euros, dont 9,7 milliards d’euros au titre du CICE. Celui-ci retranché, le montant est de 70,3 milliards d’euros, soit 500 millions d’euros en dessous du plafond fixé. Il n’en demeure pas moins que nous verrons bien ce qu’il en est en exécution, monsieur le ministre, et je persiste à vous le dire : ce projet de loi de finances n’est pas compatible avec la loi de programmation que nous avons votée. D’où la question de M. le président de la commission des finances : quand modifiera-t-on la loi de programmation des finances publiques ?

M. le président. La parole est à M. Hervé Mariton.

M. Hervé Mariton. Je ferai deux observations.

Pour le débat que Charles de Courson vient de rappeler, il y a tout de même un petit problème. Cela vaut pour les dépenses fiscales, cela vaut aussi pour la question du déficit structurel ; nous avons eu ce débat hier, mais nous avons peu abordé le problème de la loi de programmation.

Nos débats sur la loi de finances se tiennent dans le cadre d’une loi de programmation. Le Gouvernement reconnaît qu’il ne tiendra pas l’objectif de déficit structurel et qu’il faudra donc corriger la loi de programmation ; vous l’avez dit à peu près comme cela en commission des finances, monsieur le ministre. Je pense qu’il y a là une incohérence. Il faudrait prendre les choses dans l’ordre et, si elles ont un sens, vous devriez d’abord réviser la loi de programmation, indiquer ce que sont vos perspectives en termes de déficit structurel et, ensuite, venir devant nous, nous présenter le projet de loi de finances. Sans doute serait-ce trop demander que de demander un tel acte d’humilité.

Deuxième point, nous débattrons tout à l’heure du quotient familial, mais, tout de même, monsieur le rapporteur général… Le Gouvernement vous a apporté un certain nombre d’éléments d’information, c’est utile, mais votre méthode, en matière budgétaire comme dans d’autres domaines de l’action gouvernementale consiste, pour traiter une réalité, à commencer par changer les noms et les définitions. Le quotient familial n’a jamais été une dépense fiscale, et votre dénégation, monsieur le ministre, n’y change rien. C’est une modalité de calcul de l’impôt. C’est sa définition, c’est sa raison d’être, c’est son objet physique. Vous pouvez contester le quotient familial, monsieur le rapporteur général, et imaginer d’autres modalités, mais quelle approche curieuse que celle qui consiste à en changer d’abord le nom, à le changer de catégorie, pour le tuer plus discrètement ! Assumez ce qu’il est : une modalité de calcul de l’impôt.

Quand Didier Migaud était président de la commission des finances,…

M. Jean-Louis Dumont. Excellent président !

M. Hervé Mariton. …nous avions eu ce débat, y compris parce que le Conseil des prélèvements obligatoires avait, à un moment donné, été tenté par un changement de catégorie. Ce changement n’avait finalement pas eu lieu. Assumez donc votre politique, et ne commencez pas par changer les mots, le vocabulaire et les catégories. C’est une approche qui nous éloigne de la démocratie.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Je veux juste répondre d’un mot à M. de Courson et M. Mariton. Si, comme vous le dites de façon tout à fait erronée, nous avions considéré le quotient familial comme une dépense fiscale, il figurerait dans le tome II, « Dépenses fiscales », du fascicule des voies et moyens. Or il n’y figure pas. Dès lors que vous l’y aurez trouvé, nous reprendrons ce débat, mais vous ne le trouverez pas. Par conséquent, ce débat n’a pas lieu d’être.

Article 2

M. le président. Nous en venons aux orateurs inscrits sur l’article.

La parole est à M. Pascal Cherki.

M. Pascal Cherki. J’en profiterai pour défendre mon amendement n148 que nous examinerons dans quelques instants.

Je souhaite, à l’occasion de l’examen de ce budget, non que nous concluions le débat sur la nécessaire progressivité de l’impôt – c’est un débat de longue haleine – mais que nous le prolongions. Beaucoup a été fait depuis le début de cette législature. Il faut le rappeler, en voici l’occasion.

Nous avons créé une tranche supplémentaire d’imposition sur le revenu au taux marginal de 45 %. Nous avons commencé à aligner, malgré des mouvements d’allers et retours à cause du désagrément que nous ont causé quelques volatiles, nous y reviendrons lors de l’examen de l’article 11, une partie de la fiscalité du capital sur la fiscalité du travail. Nous avons quand même fait beaucoup, beaucoup de choses, et nous avons commencé à travailler très sérieusement et à revenir sur un certain nombre de niches, même si l’on voit que la suppression de certaines peut susciter des réticences, jusque dans nos rangs.

La question posée maintenant, c’est que nous sommes aux responsabilités pendant cinq ans – plus longtemps, je l’espère, mais au moins cinq ans – et que, si quelque chose rassemble la gauche, au-delà des rangs des socialistes, toute la gauche, puisque des amendements ont été déposés par des collègues écologistes et communistes, c’est cette volonté d’aller vers une progressivité de l’impôt. Pour ma part, j’ai déposé un amendement, dont je verrai en fonction de la réponse du ministre si je le retire, qui a pour objet de créer trois nouvelles tranches d’impôt sur le revenu : une à 50 % ; une à 55 % ; une à 60 %. Pour l’instant, je me suis arrêté à 60 %, et j’expliquerai tout à l’heure pourquoi, mais je pense qu’il faut que nous ayons un calendrier et une méthode de la réforme permanente de l’impôt sur le revenu et de la fiscalité, pour avoir une dynamique constante en vue d’une plus grande progressivité.

C’est un des éléments du mandat que nous ont confié nos concitoyens, et c’est une des conditions nécessaire à la pérennité, premièrement, du consentement à l’impôt et, deuxièmement, de la nécessité de l’impôt. En effet, contrairement à ce qui a pu être dit, y compris par certains esprits très avisés, je pense qu’il n’y a pas un ras-le-bol fiscal ; dire cela, en tout cas quand on est de gauche, c’est passer à côté du débat. En revanche, il y a une interrogation sur l’adéquation entre l’effort fiscal demandé, la justesse de sa répartition et l’efficience de ses résultats. C’est un autre débat.

M. le président. La parole est à M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Monsieur le ministre, nous abordons un sujet qui donne toujours un caractère passionné à nos débats : l’impôt sur le revenu. Hier, devant ce que votre collègue, votre collègue et ami Pierre Moscovici a qualifié de ras-le-bol fiscal, vous nous avez dit : « Mais tout va très bien, je ne comprends pas pourquoi les gens éprouvent un ras-le-bol fiscal, puisque, regardez, seulement 2,6 millions de nos concitoyens non imposables en 2012 sont devenus imposables, contre 2,9 millions en 2012 et 2,6 millions en 2011. » Vous avez oublié de parler de 2010, année au cours de laquelle 3,1 millions personnes sont devenues imposables, soyons honnêtes, mais vous n’êtes pas honnête jusqu’au bout, monsieur le ministre. Si vous l’étiez, vous devriez dire comment a évolué le nombre de nos concitoyens qui sont sortis de l’impôt sur le revenu.

Or en 2013 – ce chiffre figure dans le document que nous avons fini par obtenir – 1,5 million de personnes sont sorties de l’impôt sur le revenu. À combien s’élevait ce chiffre en 2011 et en 2010 ? À 2,2 millions pour l’année 2011 et 2,7 millions pour l’année 2010. Le solde progresse donc considérablement, monsieur le ministre.

Laissez-moi vous dire une chose : contrairement à ce que d’aucuns disent avec une certaine démagogie, il n’est pas choquant, en soi, que plus de 50 % des Français paient l’impôt sur le revenu.

Mme Marie-Christine Dalloz. Mais il faut l’assumer !

M. Charles de Courson. Ce qui est choquant, en revanche, c’est la hausse massive de l’impôt sur le revenu. Je vous rappelle en effet que vous nous proposez de le porter en 2014 à 81,2 milliards d’euros, contre 74,9 milliards d’euros dans l’évaluation révisée pour l’année 2013. Cela représente, grosso modo, 6,3 milliards d’euros de plus, c’est-à-dire une hausse de l’ordre de 9 % !

Je vous pose donc la question suivante : si nous votons le projet de loi de finances tel que vous nous le présentez, combien de nouveaux contribuables seront imposables à l’impôt sur le revenu ? Ce chiffre est tenu secret ! Vous disposez de ces données dans vos ordinateurs : donnez-nous donc le nombre brut de personnes qui rentreront dans le champ de l’impôt sur le revenu et le nombre des personnes qui en sortiront, c’est-à-dire l’estimation pour 2014 du tableau que nous avons fini par obtenir en commission des finances. Ce chiffre sera certainement bien supérieur à 2,6 millions : de 3 à 3,5 millions de personnes entreront dans le champ de l’impôt sur le revenu. Combien de personnes en sortiront-elles ? Voilà une question toute simple, monsieur le ministre, et complète : donnez-nous le nombre de contribuables qui entrent dans le champ de cet impôt, le nombre de personnes qui en sortent, et le solde !

M. le président. La parole est à M. Hervé Mariton.

M. Hervé Mariton. Monsieur le président, j’aborderai trois points. D’abord, notre collègue Pascal Cherki a évoqué la question de la progressivité. Je sais les décisions que le Conseil constitutionnel a rendues à ce sujet. Je rappelle simplement que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen parle d’une contribution aux charges publiques répartie en raison des capacités contributives. Si le Conseil constitutionnel en était resté à une interprétation stricte de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, l’impôt serait proportionnel. L’expression « en raison de », dans le vocabulaire de l’époque – qui s’entend encore aujourd’hui –, cela veut dire « proportionnel à ».

Deuxième point : vous revalorisez le barème de l’impôt sur le revenu, ce dont je vous félicite. L’an dernier, vous aviez pris la décision de ne pas le revaloriser ; le gouvernement précédent avait pris la même décision deux années de suite. Ce n’est pas une méthode acceptable.

M. Thierry Mandon. Il fallait le dire au précédent Gouvernement, alors !

M. Hervé Mariton. Ce n’est pas une manière convenable d’augmenter l’impôt. Quand on augmente l’impôt, il faut le faire de manière transparente. La revalorisation du barème doit être un acte automatique, naturel. Si l’État, par mauvaise gestion, a besoin d’augmenter les impôts, le gouvernement du moment doit l’assumer. Vous revenez donc à une situation que je qualifierai d’ordinaire, dont il ne convient pas de se flatter – même si le non-respect de cette règle était regrettable.

Troisième point : vous revalorisez la décote. Nous examinerons tout à l’heure un amendement portant sur ce mécanisme. Je vous rappelle que la décote est « plus aimable » aux célibataires qu’aux ménages : c’est là une manière assez singulière d’améliorer la situation des foyers les plus modestes. On voit bien, au fond, que tout ce qui touche à la famille ne vous est pas aimable : vous abîmez le quotient familial, au détriment des classes moyennes, et vous défavorisez les ménages avec cette revalorisation de la décote.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Dalloz, pour soutenir l’amendement n219.

M. Charles de Courson. Nous aimerions que M. le ministre nous réponde !

Mme Marie-Christine Dalloz. L’amendement est défendu.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christian Eckert, rapporteur général de la commission des finances. Défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Je dirai un mot de l’amendement présenté par Mme Dalloz. et je répondrai en même temps à MM. de Courson et Mariton.

Tout d’abord, M. de Courson, je n’ai aucune leçon d’honnêteté intellectuelle à recevoir de votre part.

M. Hervé Mariton. N’en donnez pas trop, alors !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Mais nous n’en donnons pas. Je souhaite simplement, pendant ce débat, apporter…

M. Charles de Courson. Répondez donc à nos questions ! C’est vous qui donnez des leçons !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Non, non ! Monsieur de Courson, monsieur Mariton, je vous le dis maintenant pour ne plus avoir à le dire au cours du débat : je ne conçois pas le débat parlementaire comme une agression permanente. Je ne donne aucune leçon, et j’apporte des réponses précises aux questions qui me sont posées. Je vous le dis maintenant, car c’est ma conception du débat parlementaire. Nous allons passer de longues heures ensemble : si vous avez envie de continuer sur ce mode, vous en avez le droit, mais vous continuerez seuls.

M. Hervé Mariton. Cela n’a pas de sens !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. S’agissant des éléments que vous avez évoqués, monsieur de Courson, je vous rappelle – mais vous vous en souvenez très bien – que j’ai rendu publics tous les éléments au sein de la commission des finances. Je ne suis pas certain que cela ait toujours été le cas par le passé. J’ai rendu publics tous les éléments, j’ai donné tous les chiffres : et ceux que vous avez évoqués à propos des personnes entrant dans le champ de l’impôt sur le revenu, et ceux que avez évoqués à propos des personnes en sortant ! Puisque vous invoquez l’honnêteté intellectuelle, je suis convaincu qu’elle préside à vos propos. Vous reconnaîtrez donc que les dispositions qui ont été prises expliquent une grande partie de ce qui s’est passé, que l’on considère les premiers chiffres ou les seconds.

Vous souhaitez que nous allions au bout de l’honnêteté intellectuelle – ce qui ne me choque pas, parce que cela doit être notre méthode commune. Je vous propose donc de continuer à rendre publics ces chiffres aussi longtemps que j’occuperai le poste de ministre du budget. Nous pourrons ainsi voir comment les choses évoluent, en fonction des mesures que nous prenons.

J’évoquerai un deuxième élément, en réponse à M. Mariton. Je vous remercie d’abord pour le soutien que vous nous apportez en ce qui concerne la réindexation du barème de l’impôt sur le revenu. En réalité, toute votre logique consiste à dire : « nous avons pris de mauvaises mesures, qui n’étaient pas normales. Vous prenez des bonnes mesures, qui le sont. Puisque les bonnes mesures que vous prenez sont normales, nous pouvons légitimement oublier les mauvaises mesures anormales que nous avons prises par le passé ». Belle cohérence ! Vous me permettrez cependant, monsieur Mariton, de ne pas tout à fait adhérer à votre raisonnement.

J’y adhère d’autant moins que dans le même temps, M. de Courson et vous-mêmes semblez regretter, en présentant une lecture très personnelle des statistiques, que beaucoup de Français soient entrés dans le champ de l’impôt sur le revenu en 2013 – ce qui n’est pas vrai. L’amendement de Mme Dalloz propose pourtant de soumettre tous les Français à l’impôt sur le revenu.

M. Pascal Cherki. Comme M. Fillon !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. J’ai du mal à comprendre votre logique : en vous fondant sur une lecture particulière des statistiques, vous dites que trop de Français entrent dans le champ de l’impôt sur le revenu ; dans le même temps, vous défendez un amendement proposant de les faire tous entrer dans le champ de cet impôt !

Si l’Assemblée nationale adoptait cet amendement, les chiffres dont vous parlez exploseraient ! Je n’irai donc pas plus loin : la meilleure réponse à ces propos – dont on voit bien l’objectif – est de démontrer leur profonde incohérence. Cette incohérence témoigne du fait que votre démarche vise un objectif, et un seul : mettre de la polémique partout où nous voulons permettre le débat. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Monsieur le ministre, pour la énième fois, je vous pose une question simple à laquelle vous vous acharnez à ne pas répondre : combien de ménages non imposables à l’impôt sur le revenu en 2013 le deviendront en 2014 si le projet de loi de finances que vous nous présentez est adopté ? Combien n’y seront plus soumis ?

Pouvez-vous répondre à cette question simple ?

M. Thierry Mandon. Elle n’est pas simple du tout, parce qu’elle dépend de l’évolution des revenus ! C’est une question complètement idiote !

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Excusez-moi, monsieur de Courson, mais je trouve votre question totalement saugrenue. Laissez-moi vous expliquer pourquoi. L’impôt sur le revenu payé en 2014 repose sur la déclaration des revenus de l’année 2013.

M. Charles de Courson. Ils sont connus !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Je ne peux pas vous indiquer quels seront les revenus futurs des Français, je ne sais pas faire cela.

M. Hervé Mariton. Dans ce cas, autant ne pas faire de loi de finances ! Autant rentrer chez nous !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Vous, peut-être, vous savez le faire ? Dans ce cas vous avez une capacité que je n’ai pas et que je n’aurai jamais. Peut-être avez-vous un don de prescience, peut-être arrivez-vous à lire le futur dans une boule de cristal ? Peut-être êtes-vous un être supérieur, ce qui vous permet de vous exprimer avec beaucoup d’autorité ? Pour ma part, je ne sais pas faire cela. Si vous savez le faire, dites-nous tout : dites-nous quelle sera l’évolution des revenus de chaque ménage, expliquez-nous quelle sera la croissance en 2032, le déficit budgétaire en 2040…

M. Hervé Mariton. Ce n’est pas la question !

M. Dominique Baert. Si, c’est bien la question !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Moi, je ne sais pas faire cela.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire.

M. Gilles Carrez, président de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Monsieur le ministre, permettez-moi d’intervenir un instant pour essayer de préciser cette question. Je vous le dis à tous : il s’agit d’une question importante.

Ce qui nous intéresse, ce sont les personnes dont les revenus sont à la limite du seuil d’imposition, de l’entrée dans l’imposition au titre de l’impôt sur le revenu. Des millions de ménages sont concernés. Or leurs revenus seront touchés en 2014 par deux dispositions dont l’effet sera, à mon avis, très lourd. Premièrement, la refiscalisation des heures supplémentaires sera prise en compte en année pleine, c’est-à-dire sur les douze mois de l’année 2013. Neuf millions de personnes sont concernées par cela. Deuxièmement, la majoration de 10 % des pensions de retraite d’un certain nombre de ménages sera aussi prise en compte pour le calcul de l’impôt sur le revenu. Or les revenus de la plupart de ces ménages se trouvent a priori dans cette zone.

M. le président. La question a été posée hier soir.

M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. Vous avez, à juste raison, beaucoup insisté sur ce point, monsieur le président.

Bien sûr, pour corriger cet effet, il est prévu une majoration de 5 % de la décote. Il me semble quand même, monsieur le ministre, qu’il serait intéressant de mener des analyses précises – je vous assure que vous avez toutes les données nécessaires pour cela – pour essayer de mesurer par avance cet impact et la manière dont la décote peut le corriger. Je crois que nous y gagnerions tous.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. J’apprécie la manière dont M. le président de la commission des finances a posé la question. Je crois que c’est ainsi qu’il faut le faire. Je suis tout à fait d’accord pour que nous essayions d’avancer ensemble sur ce sujet.

Premier point : quand on supprime des niches fiscales, et, d’une manière plus générale, quand on prend des mesures qui remettent en cause tel ou tel aspect de l’impôt, celui-ci peut augmenter ; je ne le conteste absolument pas. Mais si l’on veut analyser cette question de façon globale, il faut prendre en compte, dans le raisonnement, toutes les mesures que nous prenons, y compris la réindexation du barème de l’impôt sur le revenu, la revalorisation de la décote, l’augmentation du revenu fiscal de référence. Je propose donc d’aborder ces débats et de mener cette analyse de façon globale. Je propose aussi, par souci de transparence, de rendre tous les éléments publics, devant la commission des finances, à mesure que nous les obtenons.

M. le président. La parole est à M. Hervé Mariton.

M. Hervé Mariton. Il est légitime que l’approche soit globale, mais les chiffres doivent être précis. Si vous ne pouvez pas faire cette prévision, monsieur le ministre, cela veut dire que vos propositions n’ont aucun sens ! Prenons, par exemple, le cas de la revalorisation de la décote : il faut bien qu’elle ait été calibrée en fonction d’un objectif politique mesuré !

Vous nous dites, en vous moquant de notre collègue, que vous ne pouvez pas prévoir le taux de croissance de l’année 2032. Nous vous le concédons, mais notre tâche consiste simplement à fixer le budget pour l’année 2014. S’il est vous est impossible de nous donner des chiffres aussi précis que possible pour l’année 2014, il ne nous reste plus qu’à rentrer chez nous, car cette discussion budgétaire n’a plus de sens !

M. Dominique Baert. Mais non !

M. Hervé Mariton. Il est vrai que la discussion budgétaire comporte un certain nombre d’aléas. L’exécution du budget n’est jamais strictement conforme aux prévisions. Tout cela, nous le savons. Mais ce que nous faisons, nous le faisons en fonction de prévisions. Ces prévisions reposent, pour une part, sur des conventions, qui doivent être explicitées.

En se fondant sur vos conventions, vos modèles, vos calculs, et en appréhendant l’ensemble des sujets que vous avez cités, la question posée par notre collègue M. de Courson doit pouvoir être satisfaite.

Sinon, la discussion budgétaire n’a tout simplement pas d’objet.

M. le président. La parole est à M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Je suis un peu stupéfait de la réponse du ministre, qui consiste à dire qu’il ne peut répondre à la question posée par toute l’opposition parce qu’il n’a pas connaissance des revenus de tous les Français.

Mais enfin, monsieur le ministre ! Comment avez-vous évalué l’ensemble des mesures dont nous allons parler, qui font l’objet des articles suivants ?

Vous vous êtes fondé, bien entendu, sur les prévisions d’évolution des revenus des Français, annexées au projet de loi de finances.

Or, l’assiette de l’impôt sur le revenu de 2014 est calculée sur les revenus de 2013. Nous sommes au mois d’octobre !

Nous avons donc de très bonnes estimations de l’évolution des revenus des Français ! Nous en discuterons toute à l’heure à propos de toute une série de mesures.

Franchement, si vous ne répondez pas à l’opposition qui demande combien il y aura, d’après vos estimations, de contribuables en 2014 qui n’étaient pas imposables en 2013, c’est que vous refusez de répondre !

Vous faites mine de vouloir être ouvert et de jouer la transparence, mais votre attitude montre que vous faites en réalité l’inverse de ce que vous prétendez.

M. le président. La parole est à M. Olivier Carré.

M. Olivier Carré. Pour saisir au bond la proposition de M. le ministre de faire avancer le débat, je l’encourage à commencer dès cette année en nous disant, au regard des deux éléments soulignés par le président, et toutes choses égales par ailleurs, combien de nouveaux contribuables vont être imposés sur le revenu à cause de ces deux mesures.

Cela donnera déjà une indication, la loi des grands nombres faisant le reste. Certes, il y aura des entrants et des sortants, mais on aura déjà une indication précise.

On reviendra sur le débat des 10 % : l’étude d’impact évalue ses effets à 320 euros par ménage.

Cela touche donc bien les franges de la population qui ne seront pas couvertes par l’augmentation de la décote.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Les informations que vous évoquez sont précisément celles que l’on donne. C’est d’ailleurs parce que nous les donnons que vous êtes en situation de les évoquer.

M. Régis Juanico. Très bien !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Je n’ai donc aucun problème avec cela. On donne ces informations et on est prêt à en donner davantage dans les mois qui viennent, à mesure que les éléments seront communiqués.

Monsieur de Courson, les déclarations d’impôts pour 2013 interviendront en mai 2014 ; et vous me reprochez aujourd’hui de ne pas savoir ce qu’elles contiendront !

Je sais que tous les arguments sont bons pour essayer de créer une polémique, mais les données de masses salariales et macroéconomiques pour 2013 dont nous disposons nous permettent de ne donner que des approximations. Or, nous voulons être précis, et non pas approximatifs.

M. Charles de Courson. Mais enfin !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. C’est bien en mai 2014 que les déclarations interviendront, sur la base des revenus effectifs perçus en 2013 par chacun des Français.

Par conséquent, c’est par souci de précision, de rigueur et d’honnêteté, que je vous réponds ce que je vous réponds, et parce qu’on ne peut pas rester dans l’approximation sur ces sujets-là.

D’ailleurs, monsieur de Courson, puisque vous êtes toujours très présent dans les débats budgétaires et que vous avez une excellente mémoire, vous allez pouvoir répondre à cette question : lorsque Mme Pécresse a pris la décision, dans le cadre de loi de finances pour 2012, de procéder au gel du barème de l’impôt sur le revenu, ce qui a rendu imposables trois millions de Français, a-t-elle donné à la représentation nationale, à votre demande, les chiffres que vous demandez aujourd’hui ?

M. Thierry Solère. L’opposition aurait pu les lui demander !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Lisez les comptes-rendus des débats : vous verrez que ces éléments n’ont même pas été évoqués par vous à l’époque, alors que la mesure était quand même assez significative.

Alors que nous corrigeons les défauts du dispositif que vous avez vous-mêmes votés, vous nous demandez d’apporter aujourd’hui des éléments que vous n’avez jamais demandés par le passé, au moment où des mesures fort scélérates étaient prises au détriment des Français.

M. Dominique Baert. Très bien !

(L’amendement n219 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Nicolas Sansu, pour soutenir l’amendement n872.

M. Nicolas Sansu. Cet amendement tend à améliorer la progressivité et le rendement de l’impôt sur le revenu des personnes physiques. C’est un amendement que nous soutenons chaque année, vous le savez bien. Je pense qu’il prend une dimension particulière cette année, face aux menaces qui pèsent sur le consentement à l’impôt. J’insiste : les députés du Front de gauche ne sont pas contre l’impôt, mais contre l’injustice fiscale. L’injustice fiscale constitue en effet le terreau qui nourrit la remise en cause de notre pacte républicain.

Cette injustice fiscale et ce « ras-le-bol fiscal » – pour reprendre une expression assumée mais malheureuse – sont la conséquence de décisions successives. Au début des années 1980, vous le savez, le barème de l’impôt sur le revenu comportait encore treize tranches. C’était avant l’instauration de la CSG, bien sûr, mais c’était le signe du choix de la progressivité. En 2007, après trente années de modifications diverses, dues notamment à la droite, et après la suppression de plusieurs tranches, le barème ne compte plus que cinq tranches seulement. Rappelons-nous que l’INSEE avait conclu en 2008 que cette contre-réforme de l’impôt sur le revenu a limité son effet redistributif, ce dont les 10 % des ménages les plus riches ont particulièrement bénéficié. Leur niveau de vie a augmenté de 1 à 2 % grâce à cela, sans compter les effets de la multiplication des niches fiscales. Ne nous étonnons pas de la volonté constante des libéraux de juguler la progressivité de l’impôt afin de favoriser la rente. C’est bien là le débat.

C’est pourquoi, même si nous saluons les premières avancées, nous estimons qu’il faudrait accomplir un geste très fort pour augmenter le pouvoir redistributif de l’impôt, ce qui permettrait de retrouver la nécessaire cohésion nationale sur l’impôt, condition essentielle du vivre-ensemble. C’est l’objet de notre amendement, qui propose de fixer un barème à neuf tranches dont le taux marginal est de 50 % – comme c’est le cas au Royaume-Uni. Il propose également de mettre fin à la décote afin d’éviter tous les problèmes techniques qu’elle pose, alors qu’il suffirait d’augmenter le seuil de la première tranche. Vous voyez par ailleurs que notre amendement propose de revenir sur les effets du gel de deux années du barème décidé par le précédent gouvernement.

Cela permettrait d’avancer réellement vers plus de justice, plus de lisibilité, pour redonner sens à notre pacte républicain.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christian Eckert, rapporteur général. Avis défavorable. La progressivité de l’impôt a été renforcée par la création d’une tranche d’imposition à 45 %. Je rappelle également qu’il existe une contribution exceptionnelle pour les revenus supérieurs à 150 000 euros par part, et que l’article 9 propose de renforcer encore la progressivité de l’impôt pour les revenus supérieurs à 1 million d’euros.

Il nous paraît donc excessif de répondre favorablement à l’amendement de notre collègue Nicolas Sansu.

(L’amendement n872, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Nicolas Sansu, pour soutenir l’amendement n871.

M. Nicolas Sansu. Nous en revenons au débat qui vient d’animer la séance sur le dégel du barème et la décote.

Je vais défendre simultanément les amendements nos 871 et 870 car ils ont à peu près le même objet : ils visent à revenir sur le gel du barème, l’un pour les deux années précédentes, l’autre pour la seule année dernière. Par conséquent, nous proposerons de le compenser par plus de progressivité.

Monsieur le ministre, vous avez choisi l’an passé un système de décote pour atténuer les effets du gel du barème, qui avait éte décidé par le Gouvernement Fillon, mais confirmé par le Gouvernement Ayrault.

Il n’y a pas lieu d’avoir une bataille de chiffres. Mais on sait que la refiscalisation d’un certain nombre de revenus – cela a été rappelé par notre président de commission : les heures supplémentaires, la demie part pour les veuves ayant élevé seule des enfants pendant cinq ans, supprimée en 2010 – a fait rentrer dans l’impôt des gens qui ne s’y attendaient pas. Et vous le savez bien !

Je le redis : il ne s’agit pas d’être contre l’impôt. Au contraire, l’impôt progressif sur le revenu est l’impôt le plus juste. Mais remontent aujourd’hui de nos circonscriptions les situations de personnes en difficulté, qui vont peiner à payer l’impôt.

Ce n’est pas la peine de se raconter des histoires. Quand on augmente la TVA en même temps qu’on fait payer l’impôt sur le revenu aux petites gens, cela pose de vrais problèmes.

C’est pour cela que nous avions déposé un amendement portant d’abord sur la progressivité de l’impôt des revenus des plus aisés.

Je ne suis donc pas sûr qu’à cette mauvaise mesure du gel du barème des deux années précédentes – qui a même été reconnue comme mauvaise par l’opposition –, il faille répondre seulement par des systèmes correctifs.

Qu’il s’agisse de la décote ou du relèvement du plafond fiscal de référence, ils sont, bien sûr, les bienvenus !

Mais ne serait-ce pas plus simple et plus lisible de revenir sur ce gel par une révision du barème qui intègre l’inflation des deux années précédentes, ou au moins celle de l’année dernière ? Dans ce cas, on supprimerait évidemment la décote, puisqu’elle n’aurait plus lieu d’être.

J’ajoute également un mot sur le pouvoir d’achat : monsieur le ministre, vous intégrez le dégel du barème de cette année dans les mesures améliorant le pouvoir d’achat des Français.

Je trouve que c’est aller un peu loin dans l’estimation de pouvoir d’achat rendu au Français. Autant on peut admettre que la décote permet de redonner 193 millions d’euros aux Français, autant le dégel du barème relève d’un processus normal. C’est la norme, puisqu’il s’agit tout simplement de l’indexer sur le taux d’inflation du pays.

Je ne vois donc pas en quoi cera redonnerait du pouvoir d’achat aux Français.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christian Eckert, rapporteur général. M’étant exprimé tout à l’heure sur un amendement très proche, je n’ai pas à ajouter d’éléments supplémentaires. Avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Je comprends bien les objectifs des amendements déposés par Nicolas Sansu. Je lui réaffirme notre préoccupation très forte du pouvoir d’achat. La réindexation du barème de l’impôt sur le revenu est une mesure de pouvoir d’achat, puisque, si nous n’avions pas pris cette mesure, ce sont près de 900 millions d’euros qui auraient continué à être prélevés sur les Français, et qui ne le seront pas.

M. Thierry Mandon. Évidemment !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Pour financer d’autres mesures, vous proposez de rajouter des tranches supplémentaires au barème de l’impôt sur le revenu. Cette proposition appelle deux remarques : nous avons engagé l’an dernier une réforme fiscale destinée à renforcer la progressivité de l’impôt sur le revenu. Nous avons corrigé des errements passés concernant l’impôt sur la fortune.

Par ailleurs, une décision du Conseil constitutionnel a défini le risque d’impôt confiscatoire. Si nous rajoutions des tranches, nous nous exposerions à une censure du Conseil constitutionnel.

Nous avons donc engagé une démarche de justice et de progressivité : elles ne sont pas un solde de tout compte de la réforme fiscale. Nous allons poursuivre cela dans le présent projet de loi de finances et par la suite.

Pour les raisons que je viens d’évoquer, nous ne pouvons donc pas être favorables à ces amendements.

M. le président. La parole est à M. Éric Alauzet.

M. Éric Alauzet. Je voulais soutenir la proposition de Nicolas Sansu et sa vision des systèmes correctifs que nous devons mettre en place pour remédier aux effets du gel du barème pendant ces deux dernières années.

Certes, il y a un système de décote. Mais, d’une part, cela n’est pas très lisible,…

Mme Marie-Christine Dalloz. C’est sûr !

M. Éric Alauzet. …on a du mal à faire le bilan au bout de trois ans de ce qui a été perdu et gagné.

D’autre part, ce n’est pas toujours juste non plus : la décote s’applique aux revenus les plus bas, mais on a toujours un problème avec les classes moyennes basses, qui, elles, ont subi le gel du barème, mais n’ont pas de compensation avec la décote.

Tout cela n’est donc pas très lisible. J’imagine que le rattrapage du gel du barème coûterait certainement beaucoup plus cher que les 400 et 500 millions de la décote. Si vous pouviez nous répondre en nous donnant les chiffres, monsieur le ministre, cela nous intéresserait.

M. le président. La parole est à M. Nicolas Sansu.

M. Nicolas Sansu. Je ne nie nullement le fait que le Gouvernement ait, l’an passé, amélioré la progressivité de l’impôt sur le revenu. La question qui me taraude aujourd’hui, c’est que je sens qu’on est dans une course de vitesse car il ne faut pas que le consentement à l’impôt soit mis à mal. Or, c’est ce que nous ressentons aujourd’hui, sur le terrain, dans nos circonscriptions. Ce n’est pas acceptable.

M. Pascal Cherki. C’est vrai !

M. Hervé Mariton. Très bien !

M. Nicolas Sansu. Je le dis et j’ajoute que les propos qui ont été tenus sur le « ras-le-bol fiscal » n’aident pas à empêcher ce sentiment de grandir.

Il faut donc vraiment travailler à rendre l’impôt plus juste : c’est la seule façon de favoriser la cohésion nationale et d’empêcher que les dépenses publiques et sociales soient mises au ban de notre société.

Un dernier mot pour exprimer mon désaccord avec vous sur le pouvoir d’achat, monsieur le ministre – et cela me coûte : le dégel du barème ne peut pas être compris comme une mesure de pouvoir d’achat.

M. Pascal Cherki. Si !

M. Nicolas Sansu. Mais non ! L’indexation du barème sur le coût de la vie, c’est la norme. Cela a toujours été fait, jusqu’à ce que M. Mariton et ses amis la remettent en cause. Je ne vois donc pas en quoi c’est une mesure de pouvoir d’achat !

M. Olivier Faure. Par rapport à la situation d’aujourd’hui, c’est un progrès !

M. Nicolas Sansu. Cela évite à un certain nombre de personnes de perdre du pouvoir d’achat, mais ce n’est pas du pouvoir d’achat en plus !

M. Hervé Mariton. Implacable !

(L’amendement n871 n’est pas adopté.)

(M. Denis Baupin remplace M. Marc Le Fur au fauteuil de la présidence.)

Présidence de M. Denis Baupin

vice-président

M. le président. La parole est à M. Nicolas Sansu, pour soutenir l’amendement n870.

M. Nicolas Sansu. Je l’ai déjà défendu.

(L’amendement n870, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de trois amendements, nos 148, 576 rectifié et 853, pouvant être soumis à une discussion commune.

La parole est à M. Pascal Cherki, pour soutenir l’amendement n148.

M. Pascal Cherki. Je l’ai déjà présenté.

M. le président. La parole est à M. Éric Alauzet, pour soutenir l’amendement n576 rectifié.

M. Éric Alauzet. Il s’agit en réalité d’un amendement d’appel : je n’imagine pas qu’il puisse s’appliquer cette année – même si vous étiez d’accord pour cela –, dans la mesure où nous allons mettre en place un impôt exceptionnel sur les revenus bruts excédant un million d’euros, dont le taux sera de 50 %.

Ma proposition rejoint celles qui tendent à réviser le barème.

M. Nicolas Sansu. Il faut organiser des assises !

M. Éric Alauzet. Effectivement, je m’associe à M. Cherki pour dire que la réforme n’est pas achevée. On ne peut pas vouloir faire un bilan de la fiscalité des entreprises sans toiletter celle des ménages.

Cette proposition vise donc à ce que l’on pousse la réflexion plus loin que le seul impôt exceptionnel, dont on a dit – y compris à l’époque où il était question de la taxe à 75 % – qu’il était transitoire.

On a même dit qu’il ne rapporterait rien. J’ai d’ailleurs toujours eu du mal à comprendre pourquoi on mettait en place un impôt qui ne rapporterait rien et ne durerait pas.

L’idée de mon amendement est donc de mettre en place un impôt qui rapporte et qui dure. Mais, je le répète, il s’agira de le substituer à l’impôt exceptionnel qui sera mis en place à partir de cette année.

Il est, vous l’avez remarqué, assez raisonnable, puisqu’il ne propose finalement qu’une seule tranche supplémentaire à 49 %, tranche qui, avec les prélèvements sociaux, demeurerait en deçà des 65 %. Cela signifie également que les personnes qui percevront moins de 17 000 euros de revenus nets par mois se trouveront dans des tranches inférieures à 45 %. Car, et il convient toujours de le rappeler, il s’agit d’une tranche marginale et j’insiste sur ce point. Il y a, en effet, quelque confusion à ce sujet dans l’opinion : interrogez les gens, y compris de votre famille, autour de vous et vous constaterez qu’ils pensent que l’ensemble des revenus se situe dans la tranche à 40, 50 ou 60 %.

Parallèlement à cette tranche à 49 %, il est suggéré, dans cet amendement, de faire passer le seuil d’entrée dans la tranche à 45 % de 151 200 euros à 134 000 euros. L’impôt doit être progressif, cela correspond à l’engagement n15 du Président de la République. Je renforcerai ultérieurement cette argumentation en communiquant d’autres éléments.

M. le président. La parole est à M. Charles de Courson, pour soutenir l’amendement n853.

M. Charles de Courson. Le groupe UDI vous propose un système bien plus simple : supprimer les majorations exceptionnelles de 3 et 4 % qui, je vous le rappelle, n’avaient pas la même assiette que l’impôt sur le revenu, pour la raison très simple que seule une partie des revenus du patrimoine figurait dans le barème. Or, l’année dernière, l’essentiel des revenus du patrimoine y a été intégré. Ces prélèvements de 3 et 4 % n’ont par conséquent plus aucun sens.

Nous proposons donc leur suppression et la création d’une nouvelle tranche à 50 % pour les revenus supérieurs à 250 000 euros, calée sur les seuils à partir duquel s’appliquaient les 3 et 4 %. Cela aurait au moins une certaine cohérence.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christian Eckert, rapporteur général. Vous avez apporté dans votre intervention, monsieur de Courson, une partie de la réponse que je m’apprêtais à faire à mes collègues Cherki et Alauzet. Je vous donnerai plusieurs explications. J’ai précédemment rappelé que nous avions créé, l’an dernier, une tranche à 45 %, la contribution exceptionnelle de 3 et 4 %, à laquelle vous avez fait allusion, ayant été instaurée par un gouvernement précédent. Vous nous avez dit que l’on pourrait simplifier et unifier cette contribution exceptionnelle en majorant le taux de 45 % à 50 %. J’appelle votre attention sur le fait que l’assiette n’est pas totalement identique.

M. Charles de Courson. C’est ce que j’ai dit !

M. Christian Eckert, rapporteur général. Un certain nombre de différences ne nous permettent donc pas d’accéder à votre demande.

Monsieur Cherki, le ministre l’a précisé tout à l’heure, votre amendement pose un certain nombre de problèmes constitutionnels. Le Conseil constitutionnel a, en effet, clairement rappelé qu’un taux marginal maximal d’imposition des deux tiers était confiscatoire. Par conséquent, le taux de 60 % ainsi proposé et porté à 72 %, puisqu’il convient d’ajouter les prélèvements sociaux et la contribution exceptionnelle de 4 %, serait supérieur au taux marginal d’imposition des deux tiers.

Enfin, même si je comprends le souci de notre collègue Alauzet, je tiens à lui rappeler que, comme l’a utilement rappelé M. de Courson, nous avons, l’année dernière, introduit dans l’assiette de l’impôt sur le revenu un grand nombre de revenus du patrimoine. Un grand chemin a déjà été parcouru en matière d’uniformisation des taux d’imposition sur les revenus du travail et sur les revenus du patrimoine. J’imagine que nous pourrons progresser encore sur ce point dans les prochains mois ou les prochaines années.

La commission est donc défavorable à ces trois amendements soumis à une discussion commune.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Même avis. J’ajouterai toutefois deux explications. Je répondrai, tout d’abord, à M. Alauzet que l’indexation rétroactive du barème de l’impôt sur le revenu de 2011 et 2012 aurait un coût de près de 3 milliards d’euros.

En ce qui concerne l’amendement proposé par le groupe UDI et défendu par M. de Courson, je rappelle que la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus est assise sur le revenu fiscal de référence, ce qui constitue une assiette plus large que celle de l’impôt sur le revenu. Par conséquent, remplacer la contribution sur les revenus par une tranche d’impôt sur le revenu à 50 % aurait, pour des raisons d’assiette que l’on comprend bien, un coût pour les finances publiques.

La contribution sur les hauts revenus représente un effort demandé aux plus riches des contribuables français pendant la période de redressement de nos comptes. Ce sera le cas jusqu’au rétablissement de nos comptes publics.

M. le président. La parole est à M. Marc Le Fur.

M. Marc Le Fur. Je ne suis pas hostile à l’idée d’un taux marginal de l’impôt à 50 %. Sauf erreur de ma part, ce taux serait constitutionnel. Cela permettrait, de plus, d’éviter l’absurdité de l’article 9, lequel crée un impôt, certes, payé par les entreprises, mais, en fait, assis sur les revenus des particuliers. Cet impôt est d’autant plus absurde qu’un certain nombre de revenus – je pense aux honoraires des grands avocats et aux revenus d’un certain nombre d’artistes – y échapperont. Ce serait, de plus, totalement inconstitutionnel.

Le taux marginal de 50 %, ainsi proposé, serait en quelque sorte plus propre et plus intelligent. Pourquoi ne pas substituer ce taux aux dispositions prévues à l’article 9 ? De plus, monsieur le ministre, j’ai posé, hier soir, une question sur la prise en compte dans l’impôt sur le revenu des revenus résultant des heures supplémentaires. En 2012, cette mesure s’applique uniquement aux cinq derniers mois de l’année. L’augmentation de l’impôt liée aux heures supplémentaires n’est, par conséquent, que partielle en 2013 et s’accroîtra en 2014, puisque nous serons alors en année pleine.

Cet impôt sera d’autant plus important en 2014 que, dans un certain nombre de cas, les heures supplémentaires sont annualisées et payées au début de l’année suivante. Je réitère donc, monsieur le ministre, ma réflexion d’hier soir, reprise ce matin par M. le président de la commission des finances. Un certain nombre de Français, du fait de l’évolution de la réglementation des heures supplémentaires, vont passer d’une situation de non imposé à celle d’imposé : pouvez-vous nous dire, monsieur le ministre, combien de personnes, toutes choses égales par ailleurs, deviendront ainsi des contribuables ?

M. le président. La parole est à M. Éric Alauzet.

M. Éric Alauzet. Je vous remercie de votre information, monsieur le ministre. Le coût de l’indexation rétroactive du barème de l’impôt sur le revenu de 2011 et 2012 s’élèverait à 3 milliards, ce qui pourrait être comparé avec les 893 millions d’efforts au titre des décotes et des diverses actions de cette année, qui s’ajoutent à l’effort sur la décote de l’année dernière. Cela signifie, j’estime globalement les chiffres, 1,5 milliard de compensation contre 3 milliards. La compensation n’est donc que partielle, ce qui ne peut que laisser insatisfaits un certain nombre de nos concitoyens.

J’ai proposé dans mon amendement de porter la taxe exceptionnelle à 49 %. Nous allons mener une grande réflexion sur la fiscalité des entreprises. Nous l’avons compris, nous nous orientons vers une réduction de cette fiscalité afin de relancer l’activité, de favoriser l’investissement et de créer des emplois. Certes ! Mais il convient alors de réfléchir parallèlement à la fiscalité des ménages, car on ne peut la laisser en l’état. Les avantages importants bénéficiant aux entreprises entraîneront une prospérité et des bénéfices conséquents.

La participation de celles et ceux qui tirent à titre personnel des profits substantiels de leur activité d’entreprenariat doit être proportionnelle à celle des ménages, sauf à déséquilibrer totalement nos recettes fiscales. Nous devons passer ce pacte social avec les entreprises et les ménages pour favoriser la prospérité dans notre pays.

M. le président. La parole est à M. Pascal Cherki.

M. Pascal Cherki. Je vais retirer mon amendement.

M. Dominique Lefebvre. Très bien !

M. Nicolas Sansu. C’est le caporal Lefebvre !

M. Pascal Cherki. Je regrette toutefois que M. le ministre ne m’ait pas répondu. Je lui ai, en effet, posé une question simple. Mais je pense qu’il le fera plus tard au cours de notre débat. Je souhaite connaître la méthode du Gouvernement, lequel a beaucoup agi jusqu’à présent avec les députés de la majorité pour favoriser la progressivité de l’impôt, et le calendrier envisagé. Nous devons, en effet, poursuivre ce débat et ne pas relâcher l’utile pression collectivement décidée avant d’atteindre ce bel objectif.

Je répondrai au rapporteur général que l’argument du Conseil constitutionnel est relatif. Ce n’est pas parce qu’il a pris une fois une décision qu’il la prendra ad vitam aeternam. Même les Écritures ne sont saintes que pour les fanatiques religieux ! En effet, elles s’interprètent ! Je ne vois pas pourquoi, s’il y a une interprétation de la Bible dans le temps, la jurisprudence du Conseil constitutionnel ne pourrait pas évoluer !

M. Yann Galut. C’est absolument vrai !

M. Pascal Cherki. Je dis cela parce que les présidents et les membres du Conseil constitutionnel changent. L’appréciation du Conseil peut donc ne plus être la même. Je rappellerai qu’en 1969, lorsqu’il a été débattu de l’impôt sur le revenu, le taux marginal de 65 % avait atteint, cette même année, 82,5 % après la création d’une surcotisation de 25 %. Le secrétaire d’État au budget de l’époque se nommait Jacques Chirac. À ma connaissance, je n’ai entendu qu’aucun membre du Conseil constitutionnel ait jamais pensé que la politique budgétaire conduite sous le gouvernement du général de Gaulle était confiscatoire.

M. Marc Le Fur. Depuis, il y a eu les socialistes !

M. Pascal Cherki. Comme je considère que le caractère confiscatoire est un argument idéologique et que le Conseil constitutionnel est sorti de sa mission, nous devons l’aider à évoluer. Nous ne devons pas renoncer à mener ce combat politique. En effet, ce qui est confiscatoire, ce n’est pas le pourcentage, mais la masse prélevée au regard de ce qui reste pour vivre. Je pense qu’il reste beaucoup plus pour vivre aux personnes qui paient 60 % d’impôt à partir d’un certain niveau de revenus qu’à celles qui ne paient pas d’impôt aujourd’hui, faute de gagner suffisamment ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Marc Le Fur. Il reste quand même un socialiste !

(L’amendement n148 est retiré.)

M. le président. La parole est à M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Je répondrai à notre collègue Cherki qu’il propose un taux totalement confiscatoire puisque 60 % plus 4 % de prélèvements exceptionnels et plus 15,5 % sur les revenus du patrimoine, CSG et CRDS, représentent 79,5 %. Une telle proposition, si elle était adoptée, monsieur Cherki, serait annulée par le Conseil constitutionnel. Quand bien même ce ne serait pas le cas, mon cher collègue, les personnes concernées se délocaliseraient : on n’est pas obligé de demeurer en France.

Je ferai une seconde observation, à propos cette fois de mon amendement. Permettez-moi de rappeler, monsieur le ministre, que les taux sont de 3 et 4 % et que nous proposons de passer de 45 à 50 % pour compenser le différentiel d’assiette. Cet amendement est-il coûteux ou équilibré si l’on considère la situation actuelle, monsieur le ministre ? Je pense qu’il est équilibré, c’est pourquoi il a été présenté.

(L’amendement n576 rectifié n’est pas adopté.)

(L’amendement n853 n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de plusieurs amendements identiques.

La parole est à M. Frédéric Lefebvre, pour soutenir l’amendement n65.

M. Frédéric Lefebvre. Comme vous, monsieur le ministre, je souhaite que ce débat puisse être constructif et sans anathème. C’est la raison pour laquelle, avant d’en venir à mon amendement, je vous poserai plusieurs questions sur lesquelles j’aimerais obtenir des réponses dans le temps, si ce n’est immédiatement.

Tout d’abord, combien coûtera exactement la décote ? À entendre, tout à l’heure, les députés des groupes écologiste et GDR, j’en ai déduit que nous nous interrogions tous sur ce point.

Accordons-nous au moins sur un point : cette décote ne peut pas être présentée comme une compensation de toutes les autres mesures conséquentes telles que la désindexation et la fiscalisation des heures supplémentaires, qui touchent un certain nombre de nos compatriotes souvent les plus modestes. Cela ne doit pas masquer une réalité. Je connais votre honnêteté intellectuelle et votre talent : je souhaite que vous trouviez un équilibre entre les deux pour nous éclairer sur la réalité de ce dispositif.

J’en viens à l’objet de l’amendement, la décote.

M. Cherki a mis en avant la politique familiale…

M. le président. Monsieur Lefebvre, vous avez deux minutes pour présenter votre amendement.

M. Frédéric Lefebvre. Si vous le souhaitez, monsieur le président, je peux m’inscrire sur les articles 3, 4, 5…

M. le président. Vous ferez ce que vous voudrez, monsieur Lefebvre, mais le règlement est le même pour tout le monde.

M. Frédéric Lefebvre. Notez donc que je m’inscris sur les articles 3, 4, 5 et 6, s’il vous plaît. Je terminerai donc rapidement et je reviendrai sur ce sujet tout à l’heure.

Vous avez décidé de ne pas appliquer la décote par part, ce qui revient en réalité à ne pas traiter de manière équitable tous les Français modestes, qui devraient être imposés de la même façon en fonction de leur niveau de vie. C’est un sujet sur lequel nous devons travailler tous ensemble. Nous ne pouvons pas rester sur un tel système. Un célibataire devant payer 450 euros d’impôts bénéficiera de la décote alors qu’un couple devant payer deux fois 450 euros, soit 900 euros, et ayant le même niveau de vie, n’en bénéficiera pas. Nous parlons de Français modestes. Des familles avec enfants dont les impôts s’élèveront à 1 800 euros auront 174 euros de plus à payer que le célibataire. C’est un sujet sur lequel, me semble-t-il, nous devrions tous nous retrouver.

M. Christian Eckert, rapporteur général. Il n’est pas possible de prendre à chaque fois cinq minutes pour défendre un amendement !

M. le président. La parole est à M. Hervé Mariton, pour soutenir l’amendement n154.

M. Hervé Mariton. C’est une question de valeurs et une question de progrès. La décote doit être conjugalisée. Notre amendement n’est pas parfait mais le Gouvernement s’honorerait d’en accepter au moins la partie qui concerne le foyer.

Le foyer fiscal est dans la définition même de l’impôt sur le revenu. La décote n’était pas conjugalisée et, en l’augmentant, vous aggravez le phénomène. Comme il vient d’être dit, elle favorise les célibataires et désavantage les couples puisqu’elle est identique, que le foyer soit composé d’une ou de deux personnes. Elle ne prend pas en compte la réalité du couple, en contradiction avec un principe de base qui est la conjugalisation de l’impôt. Je me demande d’ailleurs s’il n’y a pas une dimension constitutionnelle à ce débat. En tout cas, le Gouvernement s’honorerait de prendre en compte ce sujet : nous parlons des foyers les plus modestes.

C’est une question de progrès. La décote n’a pas été parfaitement conçue. Au moment où vous l’augmentez, il faut en améliorer la mécanique. C’est aussi une question de valeurs car le foyer a une dimension importante dans notre société et il est absurde que la décote favorise les individus pris séparément et, mécaniquement, défavorise les couples, le foyer étant une notion essentielle dans notre système de valeurs et notre architecture fiscale.

L’amendement est perfectible s’agissant des enfants. Il pourrait y avoir un sous-amendement du Gouvernement, ce qui serait cohérent et répondrait à notre demande, pour conjugaliser la décote.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. À la demande du rapporteur général, la séance est suspendue quelques instants.

(La séance, suspendue à dix heures trente-cinq, est reprise à dix heures quarante.)

M. le président. La séance est reprise.

La parole est à Mme Marie-Christine Dalloz, pour soutenir l’amendement n363.

Mme Marie-Christine Dalloz. Lors de l’examen du budget de 2013, Jérôme Cahuzac nous avait expliqué que l’augmentation exceptionnelle de 9 % de la décote allait non seulement rétablir de la justice fiscale mais permettre à énormément de foyers à revenus modestes de ne pas rentrer dans l’impôt.

La réalité, vous l’avez tous constatée, c’est que cette mesure n’a eu aucun effet, l’on a fait rentrer dans l’imposition sur le revenu énormément de personnes seules ou de couples à revenus modestes. Le risque, en augmentant à nouveau la décote, de 5 %, c’est de continuer à générer de l’injustice fiscale. La décote étant attribuée non à la part fiscale mais au revenu global du ménage, le revenu fiscal de référence, on le voit bien quand on fait des simulations avec les personnes venant nous voir dans nos permanences, vous en avez le bénéfice si vous êtes seul mais pas si vous avez deux revenus.

L’amendement que nous proposons est un peu optimiste. Il tend à familialiser la décote et, compte tenu de votre approche de la politique familiale, je pense que c’est prématuré. Il n’empêche que nous pouvons ouvrir la discussion sur le principe. Cela dit, nous pourrions déjà envisager de la conjugaliser, ce qui serait une première étape et une mesure de justice sociale et fiscale. Vous qui êtes tant attachés à la justice fiscale, c’est tout de même l’occasion, car la revalorisation de 5 % ne sera pas un élément de justice fiscale pour les couples modestes avec deux revenus. C’est la réalité, monsieur le ministre. Écoutez-nous sur cette mesure de bon sens et de justice fiscale.

M. le président. La parole est à M. Marc Le Fur, pour soutenir l’amendement n566.

M. Marc Le Fur. Si le système de la décote a été imaginé, c’est pour atténuer les difficultés qu’entraînent les décisions que vous avez prises par ailleurs, en particulier la fiscalisation des heures supplémentaires ou l’imposition de 10 % sur les retraités.

Le problème, c’est que les mauvaises nouvelles sont pour les familles, puisque l’augmentation se fait par part, et que les mesures prises pour les atténuer ne prennent pas en compte la dimension familiale de l’impôt. On ne peut pas à la fois augmenter l’impôt en raisonnant sur une logique familiale dans certains cas et en atténuer les conséquences en raisonnant sur une logique individuelle, d’où le système très simple que nous proposons. Soit on conjugalise, c’est l’objet de cet amendement, soit on augmente très légèrement la première tranche de l’impôt sur le revenu, ce qui était aussi concevable. Dans les deux cas, on aurait une atténuation familiale, conjugale.

Monsieur le ministre, soyons cohérents. Il y a une cohérence interne à l’impôt sur le revenu, qui tient compte de la dimension familiale et des charges occasionnées par la présence d’enfants. Il faut donc par définition que les atténuations de hausses prennent également en compte cette dimension familiale.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces amendements ?

M. Christian Eckert, rapporteur général. Jamais la décote, qui ne date pas d’aujourd’hui, n’a été conjugalisée ou familialisée.

M. Hervé Mariton. Il n’est jamais trop tard pour bien faire !

M. Christian Eckert, rapporteur général. Il n’y a donc pas lieu de vous suivre dans cette démarche.

Madame Dalloz, je vous remercie d’avoir souligné que la décote profitait à de nombreuses personnes seules ou en couple. Il y a un grand nombre de personnes seules qui ne sont pas forcément des célibataires endurcis, mes chers collègues, des veufs ou des veuves par exemple, et vous avez suffisamment déstabilisé leur situation en supprimant dans la loi de finances de 2009 la fameuse demi-part des personnes ayant élevé seules un enfant pour faire preuve d’un peu plus d’humilité.

D’ailleurs, monsieur Le Fur, si la décote a été mise en place, le ministre vous l’a dit plusieurs fois, c’est pour corriger les mesures que vous-mêmes avez prises.

M. Marc Le Fur. Que vous avez prises, en particulier la fiscalisation des heures supplémentaires et les 10 % sur les retraites !

M. Christian Eckert, rapporteur général. Nous avons rappelé la suppression de la demi-part et il y a le gel du barème, que vous avez voté pour deux ans, vous ne vous en souvenez peut-être plus.

M. Christian Eckert, rapporteur général. Jamais cette disposition n’a été familialisée ; elle touche aussi bien les personnes célibataires que les couples, et, parmi les personnes seules, un certain nombre de personnes âgées, alors même que le gel du barème, ainsi que la suppression de la demi-part dont nous parlons régulièrement, sont de votre fait, et de votre seul fait. La commission a donc repoussé ces amendements et je m’en réjouis.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Le rapporteur a dit l’essentiel. J’apporterai seulement quelques éléments chiffrés en réponse aux questions de MM. Lefebvre et Le Fur, ainsi qu’à Mme Dalloz, s’agissant de la situation des familles au regard de celle des personnes célibataires. Le montant de la décote est très exactement de 193 millions d’euros ; 3 millions de célibataires en bénéficient, 3,2 millions de foyers fiscaux avec enfants ou constitués de personnes mariées ou pacsées, c’est-à-dire de familles. Il y a donc un relatif équilibre entre les deux catégories.

M. Frédéric Lefebvre. Pas dans les mêmes proportions !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Ensuite, nous mettons en place le dispositif de décote dans un cadre qui existe déjà : ce n’est pas une modification d’un dispositif mais une augmentation du taux. Pourquoi ? Comme l’a indiqué Éric Alauzet, la non-réindexation a été très défavorable aux ménages ; nous procédons donc à la réindexation après avoir augmenté la décote l’an dernier et conforté le dispositif cette année encore, pour corriger l’effet de la non-indexation. Même si je comprends la préoccupation de l’opposition, nous le faisons avec le souci de corriger des injustices passées.

Enfin, nous ne pouvons aller plus loin sur ce sujet que dans le cadre d’une réflexion collective qui prend nécessairement plus de temps qu’un débat en loi de finances. Pour toutes ces raisons, je ne suis pas favorable à ces amendements.

M. le président. La parole est à M. Marc Le Fur.

M. Michel Vergnier. Pour répéter la même chose !

M. Marc Le Fur. Je n’ai toujours pas de réponse à ma question concernant les heures supplémentaires.

Vous nous dites qu’autant de foyers fiscaux comportant une personne que de foyers fiscaux comportant plusieurs personnes bénéficieront de la décote. Or la proportion n’est pas du tout la même : il y a beaucoup plus de foyers fiscaux composés de couples et de foyers avec enfants. Je souhaiterais donc connaître la proportion des bénéficiaires de la décote chez les couples ayant des enfants et chez les célibataires. L’impôt est augmenté pour les familles, et vous n’atténuez cette augmentation, pratiquement, que pour les célibataires.

(Les amendements identiques nos 65, 154, 363 et 566 ne sont pas adoptés.)

M. le président. La parole est à Mme Annick Girardin, pour soutenir l’amendement n510.

Mme Annick Girardin. L’inquiétude du groupe RRDP, comme nous l’avons indiqué en discussion générale, c’est que, malgré les mesures prises par le Gouvernement, dont nous nous félicitons, le nombre de ménages imposables sur le revenu continue d’augmenter en trop grand nombre en 2014. C’est pourquoi cet amendement propose de revaloriser la décote, non pas de 5,8 % comme le propose le Gouvernement, mais de 7 %. En effet, l’augmentation de la décote était de 9 % en 2013 et cela n’a pas suffi à empêcher 840 000 ménages de devenir imposables, alors même que la croissance était relativement faible. Une décote plus élevée permettra de mieux lisser l’entrée dans l’impôt sur le revenu pour les ménages qui, s’ils sont imposables, ont des revenus modestes.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christian Eckert, rapporteur général. Madame Girardin, vous avez utilement rappelé, et je vous en remercie, que la décote avait été revalorisée de 9 % l’an dernier et de 5,8 % cette année, soit plus de 15 % en deux ans, ce qui représente un effort important. Si, cette année, la décote est un peu moins revalorisée que l’an dernier, c’est parce qu’elle s’accompagne du dégel du barème de l’impôt sur le revenu qui concerne l’ensemble des contribuables. Vous comprendrez que, dans la situation budgétaire actuelle, il n’est pas possible d’aller plus loin, comme il n’est d’ailleurs pas possible de répondre point par point à l’espèce d’interrogatoire auquel nous sommes soumis ce matin.

En ce qui concerne les heures supplémentaires, monsieur Le Fur, comment vous répondre ? Ces heures supplémentaires étaient auparavant déclarées à part et elles étaient donc connues de l’administration fiscale, alors qu’elles ne sont plus déclarées aujourd’hui, indépendamment du décalage calendaire des déclarations par rapport à nos débats. Il sera donc bien difficile de faire le tri entre l’entrée dans l’impôt liée à des changements de situation familiale et personnelle, c’est-à-dire à des changements de structure du foyer fiscal, et celle liée à telle ou telle mesure particulière, lesquelles peuvent d’ailleurs s’additionner.

Toujours est-il que la commission, madame Girardin, n’a pas retenu votre amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Même avis, pour les raisons exposées par M. le rapporteur, même si je comprends la philosophie de l’amendement de Mme Girardin.

M. le président. La parole est à M. Frédéric Lefebvre.

M. Frédéric Lefebvre. Je souhaite apporter mon soutien à cet amendement, car, en augmentant le niveau de la décote, il peut permettre de rendre votre dispositif, monsieur le ministre, plus juste. Pourquoi attendre ? En adoptant cet amendement, nous pouvons immédiatement engager un rééquilibrage.

En donnant les chiffres des bénéficiaires de la décote, familles et personnes célibataires, vous avez simplement oublié de parler du niveau moyen de la décote. Or il existe une inégalité importante, et je sais que vous n’avez aucune envie d’arbitrer, de prendre à des personnes modestes pour donner à d’autres personnes modestes. L’amendement de Mme Girardin vous permettrait de corriger l’inégalité profonde que nous avons été nombreux à évoquer lors de la discussion sur les amendements précédents.

(L’amendement n510 n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 277 et 567.

La parole est à M. le rapporteur général, pour soutenir l’amendement n277.

M. Christian Eckert, rapporteur général. Il s’agit d’un amendement extrêmement important, qui a donné lieu à une mobilisation forte, non seulement de la commission, qui l’a adopté, mais aussi de l’ensemble des députés du groupe SRC. Nous souhaitons revaloriser substantiellement le revenu fiscal de référence, que tout le monde, ces dernières semaines, vient de découvrir. Le revenu fiscal de référence est le seuil à partir duquel se déclenchent une douzaine de mesures fiscales, parfaitement décrites dans le rapport, à partir de la page 33, et qui concernent la taxe foncière, la taxe d’habitation, la contribution à l’audiovisuel public, mais aussi les taux de CSG, ainsi que des dispositifs concernant les personnes âgées et les personnes handicapées.

Ce n’est pas quand on ne paie pas l’impôt sur le revenu qu’on a droit à de tels abattements, mais à partir du moment où son revenu fiscal de référence est inférieur à un plafond. Par le gel du barème, comme par la suppression de la demi-part dont nous parlons régulièrement, la précédente majorité a infligé la double peine à des contribuables modestes, puisqu’en dépassant le revenu fiscal de référence ils sont assujettis à ces contributions qu’ils n’avaient pas à payer auparavant.

Le rapport présente les éléments de chiffrage de cet amendement, qui restituera entre 400 et 450 millions d’euros de pouvoir d’achat à ces personnes victimes de la double peine que les décisions passées leur ont infligée. C’est donc un amendement extrêmement important, dont le coût est supporté par le budget de l’État non seulement sur cette ligne mais aussi sur d’autres, concernant les compensations aux collectivités territoriales, également concernées par ces dispositifs.

M. le président. La parole est à Mme Annick Girardin, pour soutenir l’amendement n567.

Mme Annick Girardin. Nous partageons la même philosophie : il s’agit d’aider les ménages les plus modestes. Nous sommes d’accord pour considérer que le couplage décote-dégel proposé par le Gouvernement est une avancée forte. Toutefois, en l’état, le dégel du barème de l’impôt sur le revenu entraînera mécaniquement une hausse de 0,8 % des seuils du revenu fiscal de référence. Ces seuils sont pris en compte pour le bénéfice d’exonérations, plafonnements et dégrèvements de la taxe d’habitation, de la taxe foncière sur la propriété bâtie, de la CSG ou encore de la CRDS. L’enjeu est important pour les foyers modestes. Nous proposons donc une hausse du seuil de 4 % plutôt que celle proposée par le Gouvernement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur ces deux amendements identiques ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Ces amendements très importants confortent les mesures de pouvoir d’achat que nous avons souhaité inscrire en loi de finances. Nous prenons des mesures de réindexation du barème de l’impôt sur le revenu qui permettront de corriger définitivement l’injustice actée en 2011. Nous avons prévu l’an dernier une décote, ce que nous faisons de nouveau, nous venons d’en débattre. Il s’agit là, par l’augmentation du revenu fiscal de référence, de faire en sorte qu’un très grand nombre de Français injustement appelés à entrer dans l’impôt sur le revenu et se trouvant de ce fait dans l’obligation d’acquitter un certain nombre de taxes, notamment locales, soit en sortent, soit n’aient pas à y entrer. C’est une rétrocession très importante de pouvoir d’achat, de près de 450 millions d’euros, comme l’a indiqué à l’instant le rapporteur général, qui s’ajoute aux 900 millions de la réindexation à l’effet de la décote. C’est une des mesures phares de ce projet de loi de finances et je remercie le groupe socialiste de l’avoir proposée. Le Gouvernement y est bien entendu favorable.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.

M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. Le gel du barème décidé par la majorité précédente et reconduit par l’actuelle majorité pour 2013,…

Mme Marie-Christine Dalloz. Il faut le rappeler !

M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. …a mis en évidence le problème, qu’il faut parvenir à traiter, de l’articulation entre l’entrée dans l’impôt sur le revenu avec tout un ensemble d’exonérations, soit totales soit partielles, d’allocations ou d’aides sur les tarifs, liées au fait de ne pas être imposable. Au bout de deux ans de gel du barème, je pense que ce que proposent les amendements, à savoir relever les seuils de revenu fiscal de référence pour le bénéfice d’abattements ou d’exonérations totales de taxes d’habitation, taxes sur le foncier bâti, CSG, redevance télé…, est une bonne disposition.

Cependant, même en remontant le seuil, le problème restera entier, car on organise, avec votre système, des effets de seuil massifs.

Mme Marie-Christine Dalloz. Bien sûr !

M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. Le gel du barème pendant deux ans a mis en évidence à quel point ces effets de seuil ne sont pas supportables. Je crois que l’on aurait tout intérêt – c’est une proposition que je fais – à réfléchir en commission des finances à un dispositif qui lisserait ces effets de seuil.

Bien sûr, ce sera compliqué. Il est intellectuellement très difficile de concevoir un nouveau mécanisme de décote. Malgré tout, le système actuel n’est pas satisfaisant. Cet amendement va donc dans le bon sens, mais nous devrions nous donner un peu de temps pour limiter ces effets de seuil qui organisent une sorte de trappe à non-imposition, car cela n’est pas bon : mieux vaut avoir une continuité dans l’entrée dans l’impôt.

Mme Marie-Christine Dalloz. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Hervé Mariton.

M. Hervé Mariton. Le président de la commission des finances a bien posé la question de la trappe. Soit on lisse, soit on nuance les exonérations, en les différenciant, de sorte à ce qu’elles ne s’appliquent pas aux mêmes niveaux de revenu. Aujourd’hui, un ensemble d’effets se cumulent sur la CSG, sur la taxe d’habitation ou sur la redevance audiovisuelle. La marche est tout à fait considérable. Il conviendrait – même si nous n’avons pas déposé d’amendement, c’est un débat qu’il faut poursuivre – de faire en sorte que le niveau de revenu qui conduise à l’exonération soit davantage différencié entre les exonérations dont nous parlons. Le fait de considérer que c’est le même niveau qui déclenche systématiquement les mêmes avantages construit cette « marche » excessive, qui se transforme en trappe à pauvreté.

M. le président. La parole est à M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Nous avons eu un long débat en commission sur l’impact de cet amendement sur les finances locales et sociales. Il coûte 450 millions d’euros, qui se répartissent en 180 millions d’euros sur la Sécurité sociale et 270 millions d’euros sur les collectivités territoriales. Les 180 millions d’euros étant décalés d’un an, l’incidence de la mesure ne sera donc pas visible en 2014. S’agissant des 270 millions d’euros, nous avons demandé si cette perte pour les collectivités territoriales serait compensée et l’on nous a répondu que l’État prendrait en charge la plus grande partie, sous forme de remboursements et de dégrèvements. Cela signifie donc qu’il faudra coordonner l’amendement – ce qui n’est pas le cas pour les compensations –, dès la première partie, puisque les remboursements et les dégrèvements interviennent en prélèvements sur recettes.

Enfin, la compensation ne sera pas intégrale. D’après un chiffre que l’on nous a donné, environ 12 % de cette somme – soit quelque 30 millions d’euros – ne seront pas compensés, car il s’agit d’exonérations volontaires des collectivités territoriales. Or la plupart d’entre elles ne s’en rendront pas compte a priori, mais seulement a posteriori, en constatant une diminution de leurs recettes. Aussi cela pose-t-il un petit problème, puisque les gages sur la sécurité sociale, qui sont décalés d’un an, sont des gages factices – tous sur le tabac, d’ailleurs, qui subit déjà des hausses considérables. M. le rapporteur général, qui est l’auteur de l’amendement, pourrait-il nous éclairer plus précisément sur l’impact sur les collectivités territoriales et sur le budget ?

M. le président. La parole est à M. Michel Vergnier.

M. Michel Vergnier. Je tiens à remercier le rapporteur général de sa présentation de l’amendement et à en redire toute l’importance. Je suis d’accord avec la proposition de travail de mes collègues de l’opposition, mais elle vient un peu tard. Ils auraient dû s’appliquer à eux-mêmes ces propositions qu’ils nous font aujourd’hui. Nous aurions perdu moins de temps et, partant, fait beaucoup moins de dégâts. Ayons en effet l’honnêteté de reconnaître, paisiblement, que ce qui a été fait a provoqué des dégâts considérables. Tenter de vouloir nous faire porter la totalité de la responsabilité n’est politiquement pas juste, et vous le savez, chers collègues. Aujourd’hui, décidons tous ensemble de travailler sur les mesures d’atténuation que vous avez évoquées. Mais pourquoi ne pas l’avoir fait plus tôt ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Voici quelques chiffres pour évaluer l’impact de la mesure dont nous débattons. Avec cet amendement, 173 000 foyers fiscaux seront exonérés de taxe d’habitation, 328 000 verront leur taxe d’habitation plafonnée en fonction de leurs revenus, 220 000 foyers, qui auraient acquitté des prélèvements sociaux en l’absence de la mesure, en seront exonérés, 112 000, qui auraient été soumis au taux plein, bénéficieront du taux réduit de CSG. Au total, ce sont 330 000 ménages modestes dont la CSG baissera en moyenne de 530 euros.

M. Marc Le Fur. Là, vous avez des chiffres ! C’est bien.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Ces chiffres sont très précis et très significatifs. Ils montrent l’importance de la mesure. Le débat que nous avons engagé, par le biais du président de la commission des finances et de M. Mariton, est intéressant. Toutefois, le revenu fiscal de référence n’est pas directement lié au fait d’être ou non imposable à l’impôt sur le revenu.

M. Michel Vergnier. Bien sûr !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Il est conçu pour mieux déterminer les capacités contributives réelles des contribuables. Mais ce n’est pas le revenu fiscal de référence ou la décote qui constituent ce que vous avez appelé une « trappe », puisqu’ils sont précisément des outils qui servent à permettre un lissage des effets de seuil. Il faut donc que nous ayons cela à l’esprit quand nous raisonnons sur ces sujets. D’autres éléments entrent d’ailleurs en ligne de compte, lorsque l’on veut réfléchir aux effets des mesures que nous prenons, ce sont les conditions d’âge ou encore celles qui touchent aux revenus de remplacement.

Concernant l’intervention de M. de Courson sur la compensation aux collectivités locales, celles-ci n’ont pas le pouvoir de choisir d’intégrer ou non la mesure, elles sont obligées de le faire. Cette compensation interviendra donc dans les conditions de droit commun. Comme c’est le cas depuis les années 1990, les collectivités locales dont le taux a fortement augmenté ne seront pas – c’est vrai, je dois le reconnaître – intégralement compensées.

M. Michel Vergnier. Mais M. de Courson le sait très bien !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Elles sont obligées d’intégrer la mesure sans obtenir de compensation à sa hauteur. C’est le cas depuis 1990 et ce sera le cas cette année encore.

(Les amendements identiques nos 277 et 567 sont adoptés.)

M. le président. Nous en venons au vote sur l’article 2.

La parole est à M. Dominique Lefebvre.

M. Dominique Lefebvre. Cet article mérite une explication de vote, puisque le groupe SRC le votera à l’unanimité. Je ne peux, pour le clin d’œil, m’empêcher de remarquer que nous allons voter cet article le jour même où nos collègues de l’UMP vont ouvrir et fermer leur devoir d’inventaire, ce qui nous privera d’Hervé Mariton cet après-midi. Son absence nuira nécessairement à la qualité et au dynamisme de nos débats\’85

M. Hervé Mariton. C’est vrai !

M. Dominique Lefebvre. Il s’agit dans cet article de revenir sur des décisions prises par l’UMP et l’UDI en 2011, décisions qu’ils n’assument plus aujourd’hui et pour lesquelles aucune étude d’impact n’avait été menée – cela relativise d’ailleurs les échanges que nous avons eus depuis le début de la matinée sur l’impact de telle ou telle mesure fiscale sur l’entrée dans l’impôt sur le revenu. À la suite du rapporteur général, je veux rappeler que cette mesure du gel du barème avait été votée pour deux ans et que nous l’avons,…

M. Charles de Courson. Maintenue !

M. Dominique Lefebvre. …que nous ne l’avons pas supprimée, monsieur de Courson, parce que l’état des déficits publics que vous nous aviez laissés ne nous permettait pas de le faire.

Mme Marie-Christine Dalloz. Oh !

M. Dominique Lefebvre. Nous l’avions modifiée avec une première mesure de décote et, cette année, grâce aux mesures que nous prenons notamment grâce à celles de maîtrise de la dépense publique que vous n’avez jamais prises, nous sommes en capacité de changer cela. Je remercie M. Cazeneuve de son approbation à l’amendement sur la revalorisation du revenu fiscal de référence, porté par notre commission et déposé par le groupe socialiste. C’est 1,4 milliard d’euros de mesures en faveur du pouvoir d’achat que nous allons voter avec cet article qui revient en partie sur les mesures d’assommoir fiscal prises par l’UMP en 2011. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Monique Rabin. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Marc Le Fur.

M. Pascal Cherki. Soyez gaulliste, cher collègue !

M. Marc Le Fur. Merci, monsieur le ministre, pour la précision de vos réponses. Je suis surpris que dans le cas de mesures favorables aux contribuables, nous obtenions des réponses extrêmement précises et que, dans le cas de mesures défavorables, on nous explique qu’ils meurent, qu’ils divorcent, qu’ils perdent divers avantages et qu’on ne peut rien préciser. (Sourires sur les bancs du groupe UMP.)

M. Charles de Courson. Eh oui !

M. Marc Le Fur. Il y a tout de même un léger souci.

Mme Marie-Christine Dalloz. Bravo !

M. Marc Le Fur. Autre point : cet article n’est qu’un élément d’atténuation d’une politique que nous jugeons négative puisque vous augmentez l’impôt par ailleurs. Ensuite, il ne prend pas en compte dans ses mesures d’atténuation la dimension familiale, pas plus s’agissant de la décote que du revenu fiscal de référence, qui ne se fait pas tranche par tranche mais sur le revenu global du foyer fiscal. Enfin, il faut souligner que vous êtes obligés de prendre ce type de mesures parce que nous avons un impôt local très lourd. Pour la majorité de nos compatriotes, l’impôt local est plus important que l’impôt national. Or, les deux étant liés par les phénomènes que nous avons évoqués précédemment, on est obligés de les délier momentanément, ou tout du moins d’assouplir momentanément ce lien. Ce ne sont donc que des mesures de pis-aller…

M. Christian Eckert, rapporteur général. Oh, quelle honte !

M. Michel Vergnier. Vous ne pouvez pas caricaturer ainsi ! Ce n’est pas sérieux !

M. Marc Le Fur. Absolument, des mesures de pis-aller ! Il ne s’agit que d’une atténuation. Chez vous, monsieur Vergnier, dans la Creuse, comme chez moi, l’impôt local est autrement plus important que l’impôt national : il faut donc poser le problème.

M. le président. La parole est à M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Notre ministre est formidable.

M. Dominique Baert. C’est vrai !

M. Charles de Courson. Il a enfin trouvé les chiffres !

M. Michel Vergnier. C’est vrai que cela change.

M. Charles de Courson. Ceux-ci sont d’ailleurs d’une précision formidable. Notre collègue Le Fur a été bien aimable, car, monsieur le ministre, avec un peu de progrès, à l’occasion des prochains articles, vous finirez par réussir à nous dire – puisque vous disposez aussi de ce chiffre – combien de Français vont entrer dans le barème.

M. Thierry Mandon. C’est l’inverse.

M. Charles de Courson. Vous vous félicitez d’une baisse de 450 millions d’euros, mais c’est probablement pour mieux faire passer la hausse de 6 milliards d’euros d’impôt sur le revenu. Selon les chiffres des documents annexés, nous allons en effet passer de 69,3 à 75,3 milliards d’euros.

(L’article 2, amendé, est adopté.)

Après l’article 2

M. le président. La parole est à Mme Eva Sas, pour soutenir l’amendement n533.

Mme Eva Sas. Cet amendement est un amendement d’appel, voire de rappel, puisqu’il s’agit de rappeler l’objectif, que nous nous sommes donné collectivement pendant la campagne présidentielle, de fusionner à terme la CSG et l’impôt sur le revenu. Même si la nouvelle majorité a réalisé des avancées certaines concernant la progressivité de l’impôt sur le revenu, notamment avec la barémisation des revenus du capital, l’assiette de l’impôt sur le revenu est tellement mitée par les niches fiscales qu’il est devenu complexe au point d’être illisible et parfois régressif. Nous proposons d’aller vers la suppression de cet impôt qui ne peut plus être corrigé, pour le remplacer par un impôt progressif à la source : une CSG progressive. La CSG a en effet pour avantage d’avoir une assiette large, englobant notamment les revenus du capital. Pour plus de transparence et de lisibilité, les taux proposés sont d’ailleurs des taux effectifs, et non pas des taux marginaux.

Cette réforme a été développée par des économistes comme Thomas Piketty et reprise, dans son principe, pendant la campagne présidentielle dans l’engagement n14 : « La contribution de chacun sera rendue plus équitable par une grande réforme permettant la fusion à terme de l’impôt sur le revenu et de la CSG dans le cadre d’un prélèvement simplifié sur le revenu (PSR). Une part de cet impôt sera affectée aux organismes de sécurité sociale. »

Cet amendement a pour but de rappeler cet engagement. Nous sommes conscients de l’importance des difficultés techniques et politiques à surmonter pour la mise en œuvre de cette réforme. Aussi rappelons-nous l’horizon à maintenir, car nous ne pouvons considérer à ce stade que la réforme fiscale est achevée.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christian Eckert, rapporteur général. Notre collègue nous demande d’envisager la suppression de l’impôt sur le revenu au profit d’une CSG progressive comme un horizon à atteindre, mais l’horizon est une ligne dont on se rapproche sans jamais l’atteindre.

M. Hervé Mariton. Il recule au fur et à mesure qu’on avance !

M. Christian Eckert, rapporteur général. Je suis plus optimiste et plus volontariste que vous, madame Sas : nous en faisons notre objectif.

Néanmoins, lorsque vous avez rappelé l’engagement du Président de la République, vous êtes passée un peu vite sur les mots : « à terme ». En effet, vous savez bien que le rapprochement de ces deux impôts soulève plusieurs problèmes et nous impose un certain nombre de préalables. Ainsi, je rappelle que la CSG est perçue au fil de l’eau alors que l’impôt sur le revenu est prélevé avec une année de décalage, que la CSG a un taux quasi uniforme alors que l’impôt sur le revenu est progressif et que la CSG se calcule en fonction des revenus individuels tandis que l’impôt sur le revenu est familialisé. Le rapprochement de ces deux impôts ne pourra donc être obtenu que quand nous aurons dépoussiéré l’impôt sur le revenu en supprimant un certain nombre de niches. Des pas ont déjà été faits en ce sens, avec l’alignement de l’imposition des revenus du capital sur celle des revenus du travail, mais il reste d’autres préalables à lever. De nombreux rapports existent sur ce sujet, mais les dispositions fiscales ne sont pas plus prises par la Cour des comptes que par M. Piketty ou par tel ou tel journal économique. Il appartient donc au Parlement de continuer à travailler sur cette question. Le socle existe déjà ; quant à l’objectif, il nécessite à l’évidence des travaux plus approfondis qu’un simple amendement. C’est pourquoi, madame Sas, je vous invite à le retirer. À défaut, l’avis serait défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. L’avis du Gouvernement est identique à celui de la commission. Mais je voudrais profiter de l’examen de cet amendement pour répondre aux questions qui ont été soulevées notamment par Pascal Cherki sur la réforme fiscale.

Tout d’abord, je rappelle que le Gouvernement est déterminé à conduire, loi de finances après loi de finances, la réforme fiscale à son terme. C’est la raison pour laquelle nous avons pris, l’an dernier, un certain nombre de dispositions consistant à renforcer la progressivité de l’impôt sur le revenu, à soumettre au barème de l’impôt sur le revenu la fiscalité des revenus du capital, à réformer l’impôt sur la fortune, qui avait fait l’objet de dispositions injustes, et que nous engageons cette année une réforme de la fiscalité écologique. Le Gouvernement a également proposé une trajectoire de modernisation de la fiscalité des entreprises. Parce que la matière fiscale est une matière vivante,…

M. Olivier Carré. Et mourante !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. …il faut constamment adapter l’impôt à l’évolution de la société, tout en étant capable de définir des principes clairs pour créer les conditions de la stabilité du paysage fiscal, notamment pour les entreprises. Nous sommes donc favorables à ce que l’on poursuive la réforme de l’impôt visant à le rendre plus progressif et plus juste.

Le rapporteur général a rappelé quelles sont les différences entre l’impôt sur le revenu et la CSG : des niches sur l’IR n’existent pas sur la CSG, et le premier est familialisé, contrairement à la seconde.

M. Marc Le Fur. Le futur impôt sera-t-il familialisé ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Par ailleurs, il y a parfois des ambiguïtés chez ceux qui sont favorables à la réforme fiscale, puisque les mêmes qui demandent le rapprochement de l’IR et de la CSG s’opposent à ce que nous supprimions des niches sur l’IR. Or on ne peut vouloir le rapprochement entre l’IR et la CSG tout en s’opposant à la suppression d’un certain nombre de niches qui altèrent la progressivité de l’impôt sur le revenu. Je sais qu’on est toujours favorable à la suppression des niches, mais je sais aussi que devant chaque niche, il y a un chien qui la défend. Nous avons l’obligation d’être cohérent. Nous allons poursuivre ce travail avec vous tous de façon constructive, mais il ne faut pas confondre la réforme fiscale souhaitable avec l’illusoire grand soir fiscal.

M. le président. La parole est à M. Hervé Mariton.

M. Hervé Mariton. Après l’amendement qui vient d’être défendu, les propos du rapporteur général et du ministre, la position très marquée d’un certain nombre de députés socialistes depuis quelques semaines, l’alerte doit être prise au sérieux : que les Français sachent que la fusion de l’impôt sur le revenu et de la CSG se traduirait très probablement par une aggravation de la progressivité de l’impôt et une aggravation de l’impôt lui-même, tout cela étant très lourd pour les classes moyennes, ainsi que par un nouveau rétrécissement du nombre de foyers imposables, ce qui est, hélas, la loi d’airain de beaucoup de réformes de l’impôt sur le revenu.

La bonne réforme de 2005 n’a pas échappé à ce défaut, ni d’autres plus modestes que nous avons connues depuis. Chaque fois qu’on réforme dans une logique systémique – je ne parle pas des mesures de recettes lourdes que le Gouvernement a prises depuis dix-huit mois –, on concentre les impôts sur un nombre de foyers plus restreint. Ce serait de mauvaise politique de continuer ainsi, l’objectif ne devant pas être de faire reposer l’impôt sur une section trop faible de nos concitoyens.

J’ajoute que nous sommes également soucieux des conséquences qu’aurait une fusion de l’IR et de la CSG pour les familles, le Gouvernement n’ayant manqué aucune occasion de porter atteinte à la politique familiale.

M. Marc Le Fur. Tout à fait !

M. Hervé Mariton. Une telle fusion, combinée peut-être avec un prélèvement à la source, en serait une occasion supplémentaire.

M. Marc Le Fur. Le Gouvernement n’aime pas les familles !

M. le président. La parole est à M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. On doit tous remercier notre collègue Sas d’avoir déposé cet amendement puisqu’elle ose ainsi rappeler l’engagement n14 du Président de la République, un engagement bien entendu très hollandiste dans sa formulation : « La contribution de chacun sera rendue plus équitable par une grande réforme permettant la fusion à terme de l’impôt sur le revenu et de la CSG […] ».

M. Pascal Cherki. « À terme » !

M. Charles de Courson. M. le rapporteur général, qui a perdu toutes ses illusions depuis longtemps, évoque un « horizon ».

M. Christian Eckert, rapporteur général. C’est Mme Sas qui a parlé d’horizon !

M. Charles de Courson. Quant à moi, je n’évoquerai pas un horizon parce que, pour notre rapporteur général, c’est une ligne qui, tel un mirage, s’éloigne au fur et à mesure qu’on s’en approche. M. le ministre n’est d’ailleurs pas allé jusqu’au bout de son raisonnement : il dit qu’on fera le rapprochement des deux impôts quand on aura supprimé toutes les niches à l’impôt sur le revenu ; or, on a vu lors du débat sur l’article 2 qu’elles progressaient. Au rythme actuel, c’est dans quelques siècles, bien après notre mort à tous, que cette promesse complètement démagogique sera tenue. Et pour cause : l’assiette de la CSG étant de 1 100 milliards et celle de l’impôt sur le revenu d’un peu plus de 400 milliards, comment pourrait-on les fusionner, sinon à partir de la CSG ? Mais, comme le dit excellemment notre collègue Mariton, on détruirait alors totalement la familialisation de l’impôt sur le revenu.

Il est vrai, monsieur le ministre, que c’est le seul point sur lequel vous progressez : au rythme actuel, à 500 euros par an de réduction du quotient familial, vous l’aurez fait disparaître avant la fin du quinquennat – ou l’aurez maintenu à un euro, histoire de dire que vous ne l’avez pas supprimé. Je constate que vous ne voulez pas répondre à la question : jusqu’où allez-vous descendre le plafond du quotient familial ?

M. le président. La parole est à M. Pierre-Alain Muet.

M. Pierre-Alain Muet. Je remercie notre collègue Eva Sas, car son amendement a permis en commission un débat important sur la réforme de l’impôt sur le revenu et c’est bien que nous le poursuivions en séance. La France a une particularité dans ce domaine : elle a deux impôts sur le revenu. Dans la plupart des pays européens et aux États-Unis, l’impôt sur le revenu représente en moyenne 10 % du revenu ; chez nous, c’est 3 %.

M. Charles de Courson. Mais on a la CSG et un haut niveau de cotisations sociales !

M. Pierre-Alain Muet. Il y a en effet la CSG, un impôt sur le revenu payé au taux de 8 % par tous les Français.

M. Charles de Courson. Non !

M. Pierre-Alain Muet. Il est donc complètement faux de dire que seule la moitié de nos concitoyens payent l’impôt sur le revenu. Notre particularité, c’est que le plus important impôt sur le revenu est chez nous proportionnel et non pas progressif.

La réforme évidente qui s’impose, même si elle est difficile, consiste à unifier nos deux impôts pour avoir un vrai impôt sur le revenu progressif qui représenterait 10 % du revenu, comme dans la plupart des pays. Il y a deux solutions. La première est celle de Piketty : on fait une nuit du 4 août en intégrant l’impôt sur le revenu dans la CSG, ce qui donnerait une assiette élargie et moins mitée, et puis l’on rend progressive la CSG. C’est très bien sur le papier, mais quand on regarde les choses un peu attentivement – ce fut le cas dans notre assemblée à travers un excellent rapport de Didier Migaud, en 2007, et j’ai moi-même écrit deux ans plus tard un livre qui en est très proche, Un impôt citoyen sur le revenu –, l’on s’aperçoit que plusieurs étapes sont nécessaires

Nous avons en effet deux impôts très différents, cela a été rappelé par le ministre, l’un prélevé à la source et individualisé – la CSG –, l’autre prélevé ex post, à partir d’une déclaration, et familialisé. La première étape consiste donc à mettre tous les revenus au barème de l’IR. C’est ce que nous avons fait. Après cette étape essentielle, il s’agit de rapprocher ces deux impôts pour, à terme, les fusionner

M. Pascal Cherki. Voilà !

M. Pierre-Alain Muet. Cela prendra plusieurs années, mais je trouve que cette réforme mérite d’être menée à bien pour une raison très simple : notre impôt sur le revenu a été créé dans les années 1920, à une époque où la famille n’avait pas les mêmes caractéristiques qu’aujourd’hui. C’est l’honneur de la gauche et du Président de la République d’avoir lancé ce grand débat et j’espère que nous irons au bout, peut-être d’ici à la fin du quinquennat. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Yann Galut. Excellente intervention !

M. le président. La parole est à Mme Eva Sas.

Mme Eva Sas. Je suis heureuse d’entendre le rapporteur général dire que cette fusion à terme n’est pas un horizon mais un objectif. C’est une avancée importante qui permet de clarifier les positions dans cet hémicycle. Ainsi, M. Mariton se dévoile…

Mme Monique Rabin. C’est vrai !

Mme Eva Sas. …quand il déclare que, pour lui, l’imposition des ménages est déjà trop progressive.

Le but du groupe écologiste était de poursuivre le débat sur cette question. Nous voulons maintenant y voir plus clair sur les étapes à suivre puisque nous soutenons tous la fusion de la CSG et de l’IRPP. Il s’agit de savoir comment aller ensemble concrètement vers cet objectif.

M. le président. La parole est à M. Dominique Lefebvre.

M. Dominique Lefebvre. Je remercie à mon tour notre collègue Eva Sas d’avoir déposé cet amendement dont on avait convenu, en commission des finances, qu’il était d’appel. Il permet plusieurs clarifications politiques.

Premièrement, l’ancien collaborateur de Claude Évin et de Michel Rocard que je suis se souvient que la contribution sociale généralisée a été adoptée dans cet hémicycle, en 1990, à la suite d’une motion de censure rejetée de six voix, ce qui montre bien que les réformes fiscales les plus intelligentes ne sont pas forcément les plus faciles à faire passer. Je le dis pour l’avenir, notamment pour la réforme de la fiscalité des entreprises qui nous attend, avec le même problème : il vaut mieux des impôts à assiette large et peu optimisables avec des taux facialement faibles car cela contribue et à l’acceptabilité de l’impôt et à la justice fiscale, que des assiettes mitées dont la progressivité est en permanence mise en cause. Il faut s’en souvenir pour l’ensemble des débats à venir sur la fiscalité des ménages comme sur celle des entreprises.

Deuxièmement, l’UMP dévoile, Eva Sas vient de le noter, son vrai visage, et pas seulement par l’intervention d’Hervé Mariton. Je me souviens en effet que, dans une tribune parue il y a quelques jours dans Les Échos, un secrétaire national de l’UMP se prononçait pour la fin de la progressivité de l’impôt. C’est une vision de la justice fiscale sur laquelle nous nous opposons radicalement.

Troisièmement, Charles de Courson devrait arrêter, car – cela fait du reste partie du débat sur la mise en œuvre progressive de cette réforme – il sait très bien que la progressivité de l’impôt a un corollaire dans notre ordre constitutionnel : sa familialisation.

M. Marc Le Fur. Tout à fait !

M. Dominique Lefebvre. La progressivité de la CSG pose donc la question de la familialisation. M. de Courson assène, à longueur d’interventions, que nous prévoyons la suppression du quotient familial,…

M. Hervé Mariton. Les faits parlent d’eux-mêmes !

M. Dominique Lefebvre. …mais, comme nous n’avons pas l’intention de renoncer à la progressivité de l’impôt sur le revenu, nous ne le ferons pas. Cet amendement nous donne l’occasion de le clarifier aussi ce point.

M. Christian Eckert, rapporteur général. Très bien !

(L’amendement n533 n’est pas adopté.)

Article 3

M. le président. La parole est à M. Marc Le Fur, premier orateur inscrit sur l’article 3.

M. Marc Le Fur. Nous abordons là un article majeur du projet gouvernemental, qui touche au quotient familial. Vous n’aimez pas les familles, chers collègues de la majorité. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Yann Galut. C’est lamentable !

M. Marc Le Fur. Hélas, cela ressort de multiples débats, et la démonstration en est faite encore aujourd’hui ; chacun le sait.

M. Yann Galut. Caricature !

M. Marc Le Fur. La logique de l’impôt sur le revenu consiste à prendre en compte, non pas les seuls revenus, mais les revenus et les charges : à chacun selon les besoins, pour reprendre une formule qui devrait vous plaire, à gauche. Or vous êtes en train de rompre avec la prise en compte des charges familiales. Selon Michel Godet, l’arrivée d’un enfant induit une baisse de 13 % en moyenne du niveau de vie de la famille et les familles nombreuses ont, de fait, un revenu inférieur de 25 % à celui des ménages sans enfant.

M. Alain Fauré. C’est fonction des revenus !

M. Marc Le Fur. Pour atténuer cette difficulté, a été imaginé, dès le départ, le quotient familial, qui est intrinsèque à l’impôt, comme l’a très justement dit notre collègue Mariton. J’ajoute, à l’intention de M. Dominique Lefebvre, qui n’est plus là, que le quotient familial est également lié à la progressivité de l’impôt : en supprimant sa familialisation, vous portez un coup à sa progressivité. Tout cela est lié. Il nous faut donc conserver cette logique d’ensemble.

Le mécanisme bénéficie surtout aux déciles supérieurs, dites-vous. C’est le cas parce que, précisément, l’impôt est progressif : si l’impôt était proportionnel, nous n’observerions pas cette réalité statistique.

M. Pierre-Alain Muet. Mais non !

M. Marc Le Fur. Mais si, monsieur Muet. C’est cet ensemble cohérent – la progressivité et la familialisation de l’impôt – que nous souhaitons conserver. Une fois de plus, vous portez un coup de canif à une logique qui avait été rappelée par le Conseil national de la Résistance et qui, jusqu’à récemment, faisait l’unanimité parmi nous.

M. le président. La parole est à M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Nous débattons depuis des années de la question de la définition de la justice fiscale.

Mme Karine Berger. C’est la gauche qui la pose !

M. Christian Eckert, rapporteur général. Et à mon avis, nous allons encore en débattre pendant des années !

M. Charles de Courson. Pour certains, il y a justice fiscale quand, à revenu égal, en tenant compte de la taille de la famille, on paie le même montant d’impôts. Or, c’est cette règle que vous mettez à mal, car vous ne vous rendez pas compte qu’en faisant ce que vous faites, vous privilégiez les familles les plus aisées sans enfant. C’est cela, le problème !

Au-delà du problème du barème, la question de la justice se pose à propos de la manière dont sont traités ceux qui ont des enfants et ceux qui n’en ont pas, qu’ils soient riches, qu’ils appartiennent à la classe moyenne ou qu’ils soient modestes. Or, vous n’avez pas vu que la baisse excessive du quotient familial que vous avez décidée aboutit à un résultat totalement paradoxal, que le rapporteur général n’a pas signalé dans son rapport.

M. Christian Eckert, rapporteur général. Il a le dos large, le rapporteur général !

M. Charles de Courson. Quand vous avez des enfants de plus de dix-huit ans, vous avez le choix entre les rattacher fiscalement et bénéficier de la demi-part plafonnée ou une autre solution : laquelle, monsieur le rapporteur général ?

M. Christian Eckert, rapporteur général. Nous ne sommes pas à l’école et je ne suis pas votre élève !

M. Charles de Courson. La pension alimentaire. Or, si l’on calcule, en tenant compte de la taille de la famille et de l’abaissement du plafond du quotient familial à 1 500 euros, le niveau à partir duquel le basculement vers la pension alimentaire est intéressant, on s’aperçoit qu’il l’est pour les gens très aisés, à partir de l’antépénultième tranche : ceux-là choisiront la pension alimentaire pour tous leurs enfants majeurs.

Votre texte est donc mal fait puisque, outre qu’il rompt l’égalité entre ceux qui ont des enfants et ceux qui n’en ont pas, il ne touchera pas les très hauts revenus. Puisque M. Dominique Lefebvre nous a, hélas ! quittés, je vais vous poser une question.

M. Christian Eckert, rapporteur général. Encore ! Ce n’est plus de l’interrogation, c’est de l’inquisition !

M. Charles de Courson. Il prétend que vous n’allez pas supprimer le quotient familial, mais jusqu’où allez-vous descendre son niveau sans coordination avec la pension alimentaire ?

M. le président. La parole est à M. Hervé Mariton.

M. Hervé Mariton. Voilà une mesure à un milliard d’euros. Le Gouvernement continue sur une pente glissante, en portant atteinte à la famille et à la justice fiscale. L’atteinte à la famille est confirmée dans un entretien très éclairant de Mme Bertinotti, publié dans Le Figaro d’aujourd’hui

M. Marc Le Fur. Tout à fait !

M. Hervé Mariton. Le Gouvernement a une vision individualiste de la société.

M. Dominique Baert. C’est vous qui dites cela ?

M. Hervé Mariton. Cette vision est portée par un certain nombre de personnes qui s’expriment au nom de la doctrine, comme Thomas Piketty. Pierre-Alain Muet doit se souvenir d’un débat que nous avions eu, dont il était ressorti qu’une doctrine de l’impôt totalement individualisée est soutenue par de nombreuses personnalités issues des rangs de la majorité. C’est votre vision de la société, une vision dont relèvent bien la fusion de l’impôt sur le revenu et de la CSG, et le prélèvement à la source.

Nous avons une autre vision du monde,…

M. Dominique Baert. Tout pour les riches !

M. Hervé Mariton. …une vision solidaire, fondée sur la famille, cellule de base de la société. Par conséquent, nous pensons que la décote devrait être appréhendée par foyer et que le quotient familial est justifié. Vous avez revendiqué celui-ci, tout à l’heure, monsieur le ministre, mais le rapporteur général affirme préférer le crédit d’impôt – je ne crois pas déformer sa pensée – au quotient familial.

Eh bien non ! le quotient familial est justifié, car ce n’est ni une dépense fiscale ni un avantage fiscal, mais une modalité de calcul de l’impôt juste qui permet, comme l’a très bien rappelé Charles de Courson, que le pouvoir d’achat d’une famille ne soit pas trop déprimé par le nombre d’enfants qu’elle compte.

L’impôt doit être payé en fonction de la capacité contributive ; or, celle-ci baisse en fonction du nombre d’enfants. Est-ce qu’elle baisse par une logique de crédit d’impôt ? Non, parce que cela abîmerait l’égalité de niveau de vie et le respect de la capacité contributive.

C’est scandaleux, dites-vous, car l’enfant d’une personne modeste coûte tout autant que celui d’un foyer de la classe moyenne – plus exactement, vous employez le terme de « rapport », qui est profondément inélégant.

Mme Sandrine Mazetier. Cela vous gêne !

M. Hervé Mariton. À dire vrai, de fait, le coût varie selon le mode de vie des personnes. Dès lors, à moins que vous n’estimiez que le fait d’avoir des enfants, et plus encore une famille nombreuse, interdit d’avoir un niveau de vie correspondant à ses revenus,…

M. le président. Merci de conclure, monsieur Mariton.

M. Hervé Mariton. …vous devez maintenir le quotient familial et, plutôt que de le diminuer, monsieur le ministre, il serait juste que vous l’augmentiez.

M. le président. La parole est à M. Frédéric Lefebvre.

M. Frédéric Lefebvre. Hervé Mariton vient d’expliquer parfaitement en quoi le dispositif prévu dans ce projet de loi de finances met à mal l’équilibre trouvé sur la famille. Je ne reviens pas sur la question du niveau de vie, mais je constate que nous sommes dans le droit fil du système que vous avez mis en place sur la décote, qui ne tient pas compte de la réalité familiale.

Cependant, monsieur le ministre, j’ai bien écouté vos propos et je voudrais attirer votre attention sur un point. Vous vous dites préoccupé – comme nous tous ici, je pense – de l’avenir de notre pays, de sa compétitivité, de son attractivité. Or, pourquoi avons-nous, en ce début de XXIsiècle, la chance d’être, plus que nos voisins européens, un pays qui s’inscrit dans l’avenir et qui peut prétendre à une vraie compétitivité économique ? C’est notre démographie.

Pourquoi la démographie de la France est-elle beaucoup plus dynamique que celle de l’Allemagne, par exemple, un pays auquel nous nous comparons en permanence ? Parce que nous assumons, depuis des décennies, une politique nataliste. Or, soutenir la natalité, par définition, c’est soutenir les familles sans faire de tri entre elles, entre les plus modestes et les autres, pour déterminer celles qui doivent être incitées à faire et à élever plus d’enfants, afin d’offrir une dynamique à notre pays.

Nous pouvons avoir des divergences sur ce point. En tout état de cause, c’est une question qui est soulevée à l’article 2, qui vient d’être adopté, à l’article 3, à l’article 4 sur les frais de scolarité. Cette question est cruciale pour l’avenir de la France dans le siècle qui s’ouvre. Voilà la réalité !

M. le président. La parole est à M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. Le projet de loi de finances pour 2014, notamment son article 3, met largement à contribution les familles. Dans le projet de loi de finances pour 2013, la majorité actuelle s’en était déjà prise au quotient familial en abaissant le plafond de 2 336 euros à 2 000 euros par demi-part supplémentaire.

Après cette première attaque contre l’un des fondements, des piliers de notre politique familiale, le projet de loi de finances pour 2014 va plus loin et vous récidivez en proposant d’abaisser ce plafond à 1 500 euros. En tout, ce sont 800 000 foyers qui vont être touchés directement par cette mesure qui, contrairement à ce que la majorité cherche à faire croire, va sanctionner également les classes moyennes, déjà lourdement impactées par la crise économique et le matraquage fiscal.

De plus, cette mesure illustre la volonté du Gouvernement de remettre en cause la politique familiale de notre pays et elle marque une méconnaissance, une incompréhension de notre politique familiale.

L’avantage procuré par le quotient familial n’est absolument pas une aide sociale. C’est un dispositif qui vise à encourager la natalité, un mécanisme de solidarité au profit des familles ayant des enfants,…

Mme Sandrine Mazetier. Une solidarité des pauvres envers les riches, façon UMP !

M. Xavier Breton. …qui limite la diminution de leur niveau de vie par rapport à celui des foyers disposant des mêmes revenus mais ne supportant pas les mêmes charges d’enfants.

Cette mesure, d’un coût total d’un milliard d’euros, constitue donc une nouvelle attaque en règle contre les familles, comme si on voulait les punir de manifester massivement contre les projets de la majorité, qui s’acharne à détruire la famille en tant que cellule de base de notre société.

Mme Marie-Christine Dalloz et M. Hervé Mariton. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Pierre-Alain Muet.

M. Pierre-Alain Muet. La droite a une incroyable capacité à confondre le montant de l’aide à la famille et sa répartition. Nous sommes tous en faveur d’une politique familiale importante. (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

M. Hervé Mariton. Pas la même !

M. Pierre-Alain Muet. C’est un débat que nous avons depuis des années : doit-elle se traduire par le quotient familial, dont je rappelle qu’il représente 12 milliards d’euros, dont 3 % sont versés aux ménages les plus modestes et 30 % aux 10 % des ménages les plus riches ?

M. Hervé Mariton. Pas « versés » !

M. Pierre-Alain Muet. Pour notre part, nous estimons que cet écart est injuste. Quand un enfant arrive dans une famille, c’est un coût, dit M. Le Fur. Certes, mais est-ce un coût uniquement pour les familles riches ?

M. Marc Le Fur. Pour tout le monde !

M. Hervé Mariton. Ce n’est pas le même coût !

M. Pierre-Alain Muet. Nous estimons, pour notre part, que la justice consiste à plafonner le quotient familial et que l’aide à la famille doit être composée d’allocations familiales universelles et d’une aide à l’enfant qui soit la plus adaptée possible, quel que soit le niveau de revenu.

M. Hervé Mariton. C’est une question de capacité contributive !

M. Pierre-Alain Muet. Dans tous les pays autres que la France, à part le Luxembourg, ce n’est pas un quotient familial qui est utilisé mais un crédit d’impôt ou un abattement par enfant.

M. Hervé Mariton. En France, nous sommes meilleurs !

M. Yann Galut. On ne fait pas mieux mais plus injuste ! Votre modèle, c’est le Luxembourg !

M. Pierre-Alain Muet. Les enfants sont traités de la même façon, quels que soient leur rang, leur nombre et le revenu des ménages. C’est cela la justice fiscale ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)



Monsieur Mariton, quand on considère l’ensemble du dispositif – allocations familiales et quotient familial –, qu’observe-t-on ? Les neuf premiers déciles, c’est-à-dire 90 % des Français, touchent à peu près le même montant et le dernier décile touche quatre fois plus. Est-ce juste ? Non. La justice consiste à aider fortement les enfants de la même façon, quel que soit le revenu de la famille. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC écologiste.)

M. Hervé Mariton. Il ne s’agit pas d’aider les enfants mais de calculer l’impôt !

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Dumont.

M. Jean-Louis Dumont. Monsieur le ministre, hier, j’ai abordé cette question dans la discussion générale pour faire part d’une crainte, et même d’un trouble. J’entends bien le propos de M. Muet, et je suis tout à fait favorable à un toilettage qui permettrait de prendre davantage en compte les réalités du terrain.

Je voudrais cependant évoquer les difficultés que peuvent rencontrer des familles résidant dans des petites villes, dans des bourgs ou en milieu rural, particulièrement des familles nombreuses – car il existe dans certains milieux, par exemple le milieu militaire de ma ville, une culture, j’ose même dire une norme de la famille nombreuse au-delà de trois, parfois même jusqu’à six enfants. Or, cette tendance n’est pas sans conséquence sur les aides à la famille et l’imposition des ménages d’une part, mais aussi sur les parcours de formation des enfants. À cet égard, je souhaite que vous soyez sûrs de pouvoir mesurer tout dégât collatéral qui affecterait éventuellement la capacité des familles à financer les études de leurs enfants.

J’ai présidé pendant une quarantaine d’années une association d’aide à la famille, et j’ai pu mesurer combien la paupérisation gagne aujourd’hui du terrain.

M. Marc Le Fur. Très juste ! Écoutez-le, monsieur le ministre !

M. Jean-Louis Dumont. Or, les familles modestes dont parle M. Muet peuvent aussi être nombreuses.

Mme Marie-Christine Dalloz. Bien sûr !

M. Jean-Louis Dumont. Je conclurai par un exemple. Un couple d’agriculteurs m’a récemment expliqué comment leur aîné avait parfaitement réussi son parcours jusqu’au baccalauréat. Pourtant, son orientation ultérieure n’a pas été choisie en fonction de ses résultats et de ses envies, mais bien en fonction de la capacité de la famille à faire face aux dépenses induites.

Mme Marie-Christine Dalloz. Et voilà !

M. Marc Le Fur et M. Olivier Carré. Bravo !

M. Jean-Louis Dumont. Je ne suis certes pas opposé à la visite qui est faite au quotient familial.

M. Hervé Mariton. Ce n’est pas une visite, c’est un hold-up !

Mme Marie-Christine Dalloz. Oui, une effraction !

M. Jean-Louis Dumont. Il faudra néanmoins être très attentif à ce qu’il n’y ait aucun dégât sur les familles, et notamment sur les parcours des jeunes et des enfants. Évitons que cette réforme ne soit trop urbaine, voire parisienne !

M. le président. Je suis saisi de plusieurs amendements identiques, nos  1, 6, 21, 155, 235 et 681, tendant à supprimer l’article 3.

La parole est à Mme Marion Maréchal-Le Pen, pour soutenir l’amendement n1.

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Cet amendement a pour objet de supprimer l’article 3 afin de maintenir le plafond existant de l’avantage en impôt résultant de l’application du quotient familial. Pour la deuxième année consécutive, le Gouvernement attaque la politique familiale en loi de finances, en abaissant à nouveau ce plafond, qui passe, pour un couple avec enfants, de 2 336 euros par demi-part à 1 500 euros dans votre projet.

Vous avancez une économie d’un milliard d’euros ; je considère que les familles, et notamment les classes moyennes, ne doivent pas faire les frais d’une politique de lutte contre les déficits alors que de trop nombreuses dépenses de l’État ne sont pas remises en question et rationalisées – politique de la ville, AME, dotation à l’Union européenne ou encore dérive de la décentralisation, pour n’en citer que quelques-unes, et je ne parle même pas du gouffre de la fraude sociale, qui représente un montant de 20 milliards d’euros par an et contre lequel aucune action d’envergure n’est menée.

Je rappelle en outre que la branche famille ne contribue qu’à hauteur de 15 % environ au déficit du régime général de la Sécurité sociale, et qu’elle n’est donc pas la première qu’il convient de revoir. Enfin, le revenu laissé aux familles grâce aux effets du quotient est le plus souvent consommé ; autrement dit, ce milliard de dépenses fiscales est indirectement un soutien à l’activité.

J’appelle au contraire de mes vœux une politique familiale forte, c’est-à-dire basée sur la solidarité horizontale. Alors même que nous sortons tout juste d’un débat sur les retraites, nous pouvons tous nous entendre sur la nécessité d’encourager encore davantage la natalité plutôt que de lui imposer des obstacles. Le nombre des amendements identiques au mien qui ont été déposés témoigne de l’importance de l’enjeu et incitera, je l’espère, le Gouvernement à reconsidérer sa position.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Dalloz, pour soutenir l’amendement n6.

Mme Marie-Christine Dalloz. J’ai entendu M. Galut répondre à M. Le Fur en l’accusant de ne pas aimer la famille ; vous allez tout de même devoir accepter certaines réalités. Je vous en donne quelques exemples : vous refusez la conjugalisation de la décote, alors qu’elle se fonde sur la notion de couple et de foyer fiscal.

M. Thierry Mandon. La situation n’a pas changé depuis 25 ans !

Mme Marie-Christine Dalloz. Vous fiscalisez les droits familiaux pris en compte pour la retraite – encore une atteinte à la famille. De surcroît, vous abaissez pour la deuxième année consécutive le plafond du quotient familial. L’an dernier, il passait de 2 336 euros à 2 000 euros ; cette année, vous franchissez un plus grand pas encore pour l’abaisser à 1 500 euros. Quel sera le pas franchi l’an prochain dans le projet de loi de finances pour 2015 ? La question est légitime.

À titre de comparaison, examinons la situation des pays qui ont fait le choix d’instaurer un crédit d’impôt pour les enfants : l’Italie et l’Allemagne ont des pyramides des âges totalement déséquilibrées. Si c’est cet effet que vous recherchez, vous y parviendrez rapidement.

En effet, vous êtes en train de mettre à mal toute la politique familiale construite au fil des ans, qui fait la dynamique de la France. Il est vraiment regrettable que vous n’entendiez pas le fait que cette atteinte à la politique familiale affectera de manière non négligeable plus de 1,4 million de foyers. M. Muet nous donne des leçons à grand renfort de principes.

M. Pierre-Alain Muet. C’est important d’avoir des principes !

Mme Marie-Christine Dalloz. Vous prétendez que votre grand principe est d’aider les enfants quel que soit le revenu de la famille. Or, avec ce dispositif, vous bafouez ce principe puisqu’il affectera les familles modestes,…

M. Christian Eckert, rapporteur général. Vous déraillez ! Les familles modestes avec un plafond à 2 000 euros ? C’est n’importe quoi ! Comment voulez-vous que nous soyons crédibles avec des propos pareils ?

Mme Marie-Christine Dalloz. …qui seront plus lourdement imposées en raison de la baisse du plafond du quotient familial. Voilà la réalité !

M. Yann Galut. Que de contrevérités ! Quelle démagogie ! Nous n’avons pas la même notion des familles modestes !

M. le président. La parole est à M. Marc Le Fur, pour soutenir l’amendement n21.

M. Marc Le Fur. Donnons quelques chiffres pour situer les choses – j’extrais ces statistiques d’une étude du cabinet Fidroit. Pour un revenu de l’ordre de 45 000 euros, c’est-à-dire un revenu moyen, l’augmentation de l’impôt pour un célibataire est de 64 euros, alors qu’elle est de 1 064 euros pour un célibataire vivant avec un enfant. Autrement dit, l’impôt sur l’enfant est de 1 000 euros.

Mme Marie-Christine Dalloz. Voilà la vision de la majorité !

M. Marc Le Fur. Prenons maintenant un revenu de 75 000 euros, soit un revenu aisé : l’augmentation de l’impôt est de 138 euros pour un célibataire, mais de 1 090 euros pour un couple ayant deux enfants. L’impôt atteint donc environ 545 euros par enfant !

J’entends M. Muet nous dire qu’il faut également prendre en compte les autres sources de redistribution, en particulier les allocations familiales. Il existe trois types de politique familiale en France, hérités de notre histoire : le quotient familial, intrinsèquement lié à la politique familiale ; les allocations familiales, résultant de la guerre ; enfin, au fil des ans, nous avons créé des allocations soumises à condition de ressources. Il faut donc de fait, pour comparer les familles entre elles, intégrer cette troisième catégorie. Songez en effet que les CAF distribuent aujourd’hui plus d’argent soumis à condition de ressources qu’elles ne distribuent d’allocations familiales ! Force est de constater que notre politique familiale n’est donc pas à l’avantage des familles aisées ; au contraire, elle est très équilibrée.

Vous prétendez que le dispositif proposé servira à couvrir le déficit de la branche famille. Quel paradoxe ! Vous êtes donc en train d’instaurer une solidarité entre familles, puisque les familles un peu aisées vont venir en aide aux familles défavorisées, alors que la politique familiale repose sur une solidarité entre ceux qui n’ont pas de charges de famille et ceux qui en ont.

M. le président. Veuillez conclure, monsieur Le Fur.

M. Marc Le Fur. Nous sommes au cœur du sujet, monsieur le président : celui de la solidarité entre ceux qui n’ont pas ou plus de charges de famille au bénéfice de ceux qui sont confrontés à la difficile charge financière que représente une famille – même si c’est par ailleurs une grande joie. Nous devons donc préserver la singularité démographique de la France qu’a très bien expliquée M. Lefebvre.

M. le président. La parole est à M. Hervé Mariton, pour soutenir l’amendement n155.

M. Hervé Mariton. Le titre que vous avez donné à l’article 3, monsieur le ministre, est ahurissant : il s’agit en effet d’abaisser le plafond de « l’avantage procuré par le quotient familial » ! Je vous le redis : le quotient familial n’est pas un « avantage » ; il est, dans notre droit, une modalité fondamentale du calcul de l’impôt. Voilà donc une bien curieuse terminologie qui tient d’un conditionnement idéologique vous conduisant à parler d’avantage.

Rappelons la logique de cette disposition qui affectera près de 1,5 million de foyers pour environ un milliard d’euros : plus on a d’enfants, plus les impôts augmentent. Voilà une bien extraordinaire justice – pour ne pas dire justesse !

M. Pierre-Alain Muet. C’est absolument faux !

M. Hervé Mariton. Vous vous justifiez en prétendant que cette mesure permettra de financer des prestations de la même façon que vous justifiez la suppression de certains droits familiaux s’agissant des retraites.

Alors oui, nous avons deux visions absolument différentes de la société. Votre vision est individualiste et consumériste, tandis que la nôtre est familiale, elle affirme des valeurs et défend la liberté. Une famille, quel que soit son niveau de revenu, modeste, moyen ou aisé, doit être libre de choisir le nombre de ses enfants.

Oui, dans une famille plus aisée, l’impact financier de l’enfant n’est pas le même. Or, la logique même du quotient familial consiste à neutraliser autant que possible l’impact d’un enfant sur le niveau de vie des familles. Nous assumons cette vision de la société. Il ne s’agit pas de savoir si un enfant coûte de l’argent, mais de permettre aux familles d’être libres de leur choix. Lisez Sauvy, chers collègues, et sa vision féconde, forte et solidaire de la société !

M. Thierry Mandon. C’est inouï !

M. le président. La parole est à M. Thierry Solère, pour soutenir l’amendement n235.

M. Thierry Solère. Pour la deuxième année consécutive, monsieur le ministre, vous abaissez le plafond de l’avantage procuré par le quotient familial. Cette disposition touchera plus de 800 000 foyers. La difficulté tient à ce qu’elle ne s’adresse pas qu’aux foyers les plus aisés, malheureusement. Il est toujours ardu, bien sûr, de définir précisément ce qu’est la classe moyenne : rappelez-vous M. Hollande qui, voici quelque temps, avouait ne pas aimer « les riches », catégorie qu’il définissait par la perception d’un revenu supérieur à 4 000 euros par mois. Dans le XIVarrondissement de Paris, monsieur Cherki, où certains appartements se louent jusqu’à 1 000 euros la pièce, de nombreuses familles que vous considérez riches seront affectées par cette mesure, en sus de l’empilement des autres mesures que vous avez prises au fil du temps.

Nous évoquons souvent ici le millefeuille administratif, mais le millefeuille fiscal, dont chaque mesure s’apparente à du matraquage, a aujourd’hui des effets désastreux sur les familles de la classe moyenne !

M. Marc Le Fur. Tout à fait !

M. Thierry Solère. Il aura aussi des conséquences économiques majeures, car la perte financière imposée aux familles se répercutera naturellement sur le niveau de consommation, notamment dans tous les services d’aide à la personne déjà très affectés par les différentes mesures que vous avez adoptées depuis un an et demi. Voilà pourquoi nous souhaitons la suppression de l’article 3.

M. le président. La parole est à M. Charles de Courson, pour soutenir l’amendement n681.

M. Charles de Courson. J’ai posé une question à laquelle ni le ministre ni le rapporteur général n’ont répondu : quel est le lien entre le montant de la pension alimentaire déductible pour les enfants majeurs et l’abaissement continu du quotient familial ? Avant que vous n’arriviez au pouvoir, l’avantage maximum de la pension alimentaire était de 2 564 euros : dans ces conditions, seuls les contribuables soumis à la dernière tranche de l’impôt sur le revenu avaient intérêt à isoler leurs enfants majeurs, puisque l’avantage fiscal – multiplié par le taux marginal – était alors supérieur au plafond du quotient familial.

Or, avec l’abaissement continu jusqu’à 1 500 euros du plafond du quotient, avez-vous calculé à partir de quelle tranche il devient intéressant d’isoler les enfants majeurs ?

M. Thierry Mandon. Il n’y a vraiment que vous pour raisonner de la sorte !

M. Hervé Mariton. Ce sont vos lois !

M. Charles de Courson. Eh bien, c’est très simple : il faut être à 14 %. L’avantage est de 1 709 euros pour la tranche à 30 %, de 2 336 euros pour la tranche à 41 % et de 2 564 euros pour la tranche à 45 %, comme indiqué dans l’étude d’impact.

Il n’y a donc aucune cohérence entre ce que vous proposez et le dispositif de la pension alimentaire. Vous croyez que l’abaissement du plafond générera des recettes supplémentaires, mais les foyers fiscaux situés dans les trois dernières tranches préféreront retirer leurs enfants majeurs de leur déclaration et leur verser une pension alimentaire.

M. Thierry Mandon. Et c’est nous qui sommes matérialistes ?

M. Charles de Courson. Les gens font simplement de l’optimisation fiscale !

M. Thierry Mandon. De la stratégie familiale !

M. Charles de Courson. Pourriez-vous, monsieur le ministre, nous expliquer pourquoi vous n’avez pas coordonné le texte de l’article 3 avec les dispositions relatives au montant de la pension alimentaire ?

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur les amendements de suppression de l’article 3 ?

M. Christian Eckert, rapporteur général. Il est du devoir du rapporteur général de remettre les choses dans leur contexte. Nous avons trouvé un déficit public qui avait atteint un niveau extrêmement préoccupant, tout le monde en convient. Pour combler les trous que vous aviez creusés plus vite encore que le sapeur Camember, chers collègues de l’opposition, nous avons abaissé l’année dernière le plafond du quotient familial à 2 000 euros, en adoptant l’un de mes amendements.

Cette année, le contexte est différent. Un débat s’est engagé sur la politique familiale, il y a eu concertation. Le déficit de la branche famille de notre système de Sécurité sociale doit être comblé. Plutôt que de fiscaliser les allocations familiales ou de les placer sous condition de ressources, deux options qui étaient envisagées, nous avons préféré conserver leur caractère universel, suivant en cela les associations familiales. C’est ce que nous assumons au travers de cet article.

Au reste, j’observe, chers collègues, que vous n’avez pas proposé d’annuler la mesure dans votre contre-budget. Car il reviendrait alors aux sapeurs Camember que vous êtes de trouver le milliard d’euros correspondant. Comment ? En aggravant encore l’endettement ? En dégradant le solde budgétaire ? En réduisant le transfert aux budgets sociaux, ce qui creuserait le déficit d’un côté et pas de l’autre ?

M. Charles de Courson. En réduisant les dépenses !

M. Pascal Cherki. Quelles dépenses ? La police ? La justice ?

M. Frédéric Lefebvre. En recrutant moins de fonctionnaires !

M. Christian Eckert, rapporteur général. Soyons sérieux ! Vous êtes en possession de toutes les informations concernant l’impact de cette mesure sur les différents déciles. La moitié des foyers fiscaux ne sont pas concernés par le plafonnement du quotient familial puisqu’ils ne paient pas l’impôt.

M. Hervé Mariton. C’est une question de progressivité de l’impôt !

M. Christian Eckert, rapporteur général. S’ils ne paient pas l’impôt, ce n’est pas toujours en raison du mode de calcul du quotient familial. Par ailleurs, un tiers du coût de la dépense fiscale…

M. Hervé Mariton. Ce n’est pas une dépense fiscale !

M. Christian Eckert, rapporteur général. Un tiers de la modalité de calcul, si vous préférez, bénéficie au dernier décile, c’est-à-dire 10 % des Français. Contrairement à ce que disent certains de nos collègues, nous ne supprimons pas le quotient familial, nous plafonnons l’avantage dont bénéficient les foyers fiscaux avec enfants. Pour être concerné par cette mesure, il faut avoir deux enfants et payer déjà 3 000 euros d’impôts. Ce n’est pas de familles modestes qu’il s’agit,…

M. Hervé Mariton. Ce n’est pas une question de « modestie », surtout lorsque l’on habite Paris !

M. Christian Eckert, rapporteur général. …que ce soit à Paris ou ailleurs.

L’année dernière, il s’agissait de combler les trous que vous aviez laissés dans les caisses. Cette fois, le but est de transférer ce milliard dans les budgets sociaux, afin de préserver la branche famille et de poursuivre une politique familiale dont tout le monde se réjouit.

M. Hervé Mariton. Plus on a d’enfants, plus on paye !

M. Christian Eckert, rapporteur général. Enfin, et si vous permettez cette remarque personnelle, je ne pense pas que l’on fasse aujourd’hui des enfants pour bénéficier d’un avantage fiscal ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Hervé Mariton. Mais l’on est en droit de ne pas voir son niveau de vie obéré parce que l’on a des enfants !

M. Christian Eckert, rapporteur général. Et je ne crois pas que l’on puisse asseoir l’ensemble de la politique familiale uniquement sur la question du quotient familial. Avis défavorable. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Je voudrais profiter de la présentation de ces amendements de suppression pour faire quelques mises au point. D’abord, j’ignore de quel droit on peut dire, de façon réitérée et péremptoire, que certains députés aiment la famille et d’autres pas.

Mme Monique Rabin. C’est en effet insupportable !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Le rappel de faits qui ont jalonné l’histoire récente du pays et animé nos débats pourrait me conduire, mesdames, messieurs les députés de l’opposition, à vous intenter le même procès, si j’étais d’aussi mauvaise foi que vous pouvez l’être.

Vous dites aimer la famille et prétendez que nous ne l’aimons pas. Mais lorsque l’on aime la famille, on ne dégrade pas les comptes de la branche famille au point de remettre en cause la pérennité du système de financement de la politique familiale ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

On fait en sorte de pérenniser les prestations familiales, en gérant de façon saine la branche famille et en comblant son déficit ! Je veux rappeler à MM. Le Fur, Mariton et de Courson que nous n’aurions pas à prendre ces mesures, courageuses et difficiles, si vous n’aviez laissé une branche famille en déficit de 2,5 milliards d’euros !

Il y a de cela quelques semaines, lors d’un débat télévisé qui m’opposait à M. Fillon, l’un de ceux qui prétendent à l’exercice des plus hautes responsabilités pour le compte de l’UMP, m’a reproché de solliciter le quotient familial pour combler la branche, ajoutant : « Il n’y a aucune urgence à rétablir les comptes de la branche famille. »

Quand on aime la famille, on commence par s’assurer que la pérennisation du financement des prestations familiales est garantie.

Quand on aime les familles, on ne sous-indexe pas toutes les prestations familiales, allocations familiales incluses, comme vous l’avez fait dans la loi de finances pour 2012. Cette mesure, qui touchait notamment les familles les plus modestes, ne vous a pas posé le moindre problème de conscience. Vous ne vous êtes pas demandé si vous aimiez ou non les familles ; vous avez pris cette mesure avec brutalité et sans vergogne, qui devrait, à elle seule, vous inviter à plus de mesure dans les procès que vous instruisez à l’encontre de la majorité !

Quand on aime les familles et que l’on est soucieux – et je ne remets pas en cause votre sincérité – de leur aménager les meilleures conditions pour l’éducation de leurs enfants, à l’école et à l’université, on ne détruit pas de façon mécanique les emplois dans l’éducation nationale. Les familles n’ont pas du tout aimé la politique du rabot que vous avez menée à l’encontre de l’école de la République, l’un des services publics auxquels elles tiennent le plus ! En revanche, elles ont apprécié que, par souci de justice, nous augmentions de 25 % l’allocation de rentrée scolaire, afin de permettre à certaines d’acquérir le matériel dont leurs enfants ont besoin pour réussir.

Parce qu’elles ne sont pas simplement préoccupées par les questions fiscales, mais qu’elles ont une vision beaucoup plus large et beaucoup plus moderne des enjeux, les familles ont apprécié que nous ouvrions 270 000 places pour l’accueil des jeunes enfants.

Les couples qui commencent à travailler bien avant le début des cours et finissent longtemps après que l’école a fermé, sont satisfaits de voir que, grâce à l’aménagement des rythmes scolaires,…

M. Marc Le Fur. Les familles sont troublées par les nouveaux rythmes scolaires !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. …leurs enfants ont accès à la culture, au sport, à des activités qui les épanouissent. Ces parents, qui travaillent pour élever leurs enfants, et qui aiment la famille autant que vous, sont soucieux de voir la politique familiale se moderniser.

Nous sommes tous attachés à la famille, mais, contrairement à ceux qui sont accrochés au quotient familial comme l’arapède à son rocher, sans souci de la dimension de justice qui doit nécessairement présider à la mise en œuvre de la politique familiale, nous avons une vision moderne de la famille. Elle doit nous conduire à offrir le meilleur service aux familles de France.

Monsieur de Courson, vous avez donné une définition de la justice fiscale qui revêt un réel intérêt. Voici précisément les propos que vous avez tenus : « À revenu égal, impôt égal, compte tenu de la situation familiale. »

M. Charles de Courson. « En tenant compte des charges de famille » : voilà ce que j’ai dit !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Si telle est votre doctrine, soutenez donc la suppression de la défiscalisation des heures supplémentaires, qui garantit l’égalité de traitement entre tous les salariés ! Si telle est votre conception de la justice sociale et fiscale, allez au bout de votre raisonnement et donnez votre accord à la suppression de l’exonération des majorations de pension, qui permet aux retraités percevant la même pension de supporter le même impôt, que cette pension comprenne ou non une majoration familiale !

Quelques mots sur le quotient familial de droit commun, qui bénéficie à près de 8 millions de familles, et dont la grande majorité ne sont absolument pas concernées par la mesure que nous prenons. Je rappelle qu’une famille avec quatre enfants conservera un avantage en impôts de 9 000 euros par rapport à un ménage sans enfants, à revenus équivalents. Cette mesure permet de financer un certain nombre d’axes de notre politique en faveur des familles modestes, sans nuire en aucune façon à la politique familiale.

Dans ce débat se manifestent beaucoup de doctrines, la volonté de cliver, d’opposer. Je veux dire à l’opposition que l’on ne peut agir ainsi sur tous les sujets, sauf à engendrer dans notre pays un climat qu’il ne mérite pas. Il n’y a pas de sensibilité politique présente ici qui ne soit attachée à la politique familiale, il n’y a pas un gouvernement qui n’ait essayé de bien faire en la matière. Nous ne nous opposons pas sur la volonté ou non d’aider les familles, mais sur les moyens que nous entendons mobiliser pour le faire. Cessez donc de susciter des antagonismes sur tous les sujets !

M. Marc Le Fur. C’est vous qui prenez l’initiative !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Ces conflits font régner dans ce pays un climat de division bien inutile, car il affaiblit une République qui a besoin d’apaisement et de concorde ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Frédéric Lefebvre.

M. Frédéric Lefebvre. Monsieur le ministre, à aucun moment – et j’ai noté que vous ne vous étiez pas adressé à moi dans votre réponse –, je n’ai prétendu que vous-même, au nom du Gouvernement, ou tel ou tel membre de la majorité n’aimerait pas la famille.

Que M. Le Fur ou quiconque sur ces bancs, y compris ceux de la majorité, défende ce point de vue, c’est son droit. Mais j’aimerais, monsieur le ministre, que vous répondiez à la question que j’ai posée et que nous nous projetions dans l’avenir. Cette question doit nous amener, les uns et les autres, à réfléchir au poids des décisions que nous prenons.

Il faut essayer de voir loin. Donnons-nous rendez-vous en 2060, comme le fait la Commission européenne lorsqu’elle se penche sur la politique de natalité menée en France et en Allemagne. Car ses évolutions ont des conséquences majeures sur les dépenses sociales, sur la retraite, sur le marché du travail, sur les capacités productives et sur la soutenabilité des dettes publiques.

Depuis la guerre, le taux de fécondité est resté plus fort en France qu’en Allemagne, et depuis l’an 2000, l’écart s’est creusé, avec, en 2011, 678 000 naissances en Allemagne, contre 828 000 en France.

M. Thierry Mandon. Quel rapport avec le quotient familial ?

M. Frédéric Lefebvre. Ainsi, la projection de la Commission européenne à l’horizon 2060 conclut que la France aura gagné à cette date 9 millions d’habitants, tandis que l’Allemagne en aura perdu 15 millions.

M. le président. Merci de bien vouloir conclure, monsieur Lefebvre !

M. Frédéric Lefebvre. Cela veut dire, monsieur le président, qu’en 2045, nous devrions avoir le même nombre d’habitants que l’Allemagne. La démographie est l’un des atouts majeurs de la France !

Nous sortons du débat sur les retraites.

Mme Sandrine Mazetier. Parlons-en !

M. Frédéric Lefebvre. Eh bien, la Commission prévoit, en 2060, une augmentation des dépenses de retraites de 0,5 % pour la France et de 2,6 % pour l’Allemagne. Nous devons, les uns et les autres, mesurer nos décisions à l’aune de cet avantage. C’est pour cela que nous appelons avec autant de vigueur et de passion l’attention du Gouvernement et de la majorité sur les dispositifs prévus dans ce texte.

M. le président. La parole est à M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Monsieur le ministre, vous faites une énorme erreur, qui consiste à prendre, pour rééquilibrer la branche famille, deux mesures anti-familles : l’abaissement du quotient familial et l’imposition des majorations pour enfants – nous y reviendrons tout à l’heure. Autrement dit, vous mettez à contribution les familles pour financer le redressement de la branche famille. C’est insensé !

Mme Marie-Christine Dalloz. Cela relève du dogme !

M. Charles de Courson. C’est l’inverse de la justice.

M. Alain Fauré. De votre justice !

M. Charles de Courson. Vous prendriez une mesure générale au financement de laquelle tout le monde contribuerait, nous pourrions en discuter. Pour ma part, j’ai toujours prêché pour la règle d’or, contre vos propres amis qui ont fini par s’y rallier, et je m’en félicite, monsieur le ministre. Mais c’est cela, le débat de fond !

Dans votre démarche, vous persistez à ne pas voir l’injustice que vous créez, à égalité de revenus, entre les couples qui ont des enfants et ceux qui n’en ont pas. Le quotient familial ne corrige qu’une petite partie du déséquilibre. Vous ne faites donc que l’accentuer. Là est le problème ! Vous vous acharnez à prétendre l’inverse. Vous menez une politique anti-familles puisque, pour maintenir les prestations familiales, vous les faites financer par ces mêmes familles, et non pas par ceux qui n’ont pas d’enfants à charge. Voilà l’erreur fondamentale que vous commettez et c’est extrêmement choquant !

Du reste, le mouvement familial ne s’y est pas trompé : l’UNAF est fondamentalement contre vos mesures, car elle voit bien que le recyclage de ces deux fiscalisations, qui s’élèvent à 2,3 milliards – la fiscalisation de l’avantage vieillesse et la réduction du quotient familial – se fait par une affectation temporaire. Bien entendu, le lien entre les deux ne sera même pas maintenu. Voilà qui est extrêmement choquant dans votre position !

M. le président. La parole est à M. Alain Fauré.

M. Alain Fauré. Je voudrais répondre à Frédéric Lefebvre, qui a évoqué l’écart qui se creuse entre la France et l’Allemagne.

Cet écart s’explique aussi par le fait qu’en Allemagne, les familles doivent tout assurer elles-mêmes. Dans la mesure où il n’y a pas beaucoup de crèches, les parents sont obligés d’assurer la surveillance de leurs enfants.

En France, c’est l’impôt qui permet de pallier ce problème. Ainsi, dans notre budget, nous prévoyons des créations de crèches pour maintenir ces aides aux familles, ce qui leur permet de faire garder leurs enfants en toute sécurité et de poursuivre leur carrière professionnelle. C’est une action volontaire du Gouvernement – du nôtre, en l’occurrence.

M. le président. La parole est à M. Éric Alauzet.

M. Éric Alauzet. « À chacun selon ses besoins ! », nous a dit M. le Fur lorsque nous avons entamé ce débat. J’aimerais qu’il nous apporte quelques éclaircissements.

Voilà ce que je crois avoir compris : dans une famille relativement aisée, les enfants de la famille doivent avoir le même niveau de vie que leurs parents et avoir des chambres de vingt mètres carrés – plutôt que de dix mètres carrés pour ceux d’une famille plus modeste – ou partir plus souvent en vacances. Il faudrait donc que l’ensemble de la famille puisse bénéficier de beaucoup plus d’avantages que les familles modestes.

J’avoue être très troublé par cette conception des choses. Il y a, entre nous, une vraie différence de fond, car je pense que vous parlez sincèrement.

M. Marc Le Fur. Vous n’aimez pas la famille !

M. Éric Alauzet. Sauf quand vous dites que nous n’aimons pas la famille : c’est une grossière caricature.

Monsieur de Courson, vous faites preuve de constance – comme nous tous d’ailleurs – en revenant, comme l’an passé, sur les mêmes thèmes. Vous tentez d’opposer les familles avec enfants aux couples sans enfants. Vous avouerez que cette question est relativement mineure au regard de la comparaison que nous faisons entre les familles aisées et les familles qui le sont moins.

M. Marc Le Fur. Vous n’avez rien compris !

M. Éric Alauzet. Dans ce cadre, il est logique que soient mis à contribution ceux qui bénéficient d’une déduction beaucoup plus importante, d’autant que ceux qui ont moins contribuent bien plus et depuis bien plus longtemps à la solidarité et au financement de la caisse d’allocations familiales…

M. Charles de Courson. Mais non !

M. Éric Alauzet. …puisqu’ils puisent moins dans le revenu commun.

Mme Brigitte Allain. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Quelques mots pour clore ce premier échange sur ce sujet.

Monsieur de Courson, vous dites que nous prenons des mesures anti-familles pour combler le déficit de la branche famille. Je pourrais vous répondre sommairement, brutalement, que nous n’aurions pas à les prendre si nous n’avions pas trouvé de déficit. Une telle réponse pourrait se suffire à elle-même.

M. Charles de Courson. Ce n’est pas une réponse !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Mais allons au-delà du raisonnement, car elle ne me satisfait pas.

Vous indiquez – et je me demande quelles sont les familles que vous rencontrez pour tenir un tel discours – que de jeunes couples pourraient renoncer à avoir des enfants au prétexte que, plusieurs années après, ils se verraient soumis à l’impôt au titre de la majoration de pension dont ils bénéficient en raison des enfants qu’ils ont eus.

Mme Sandrine Mazetier. Quelle vision de la famille !

M. Charles de Courson. Je n’ai jamais dit cela !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Si tel est le cas, les Français que vous rencontrez ont un état d’esprit, des qualités de cœur et des motivations profondes très différents de ceux que nous rencontrons !

M. Thierry Solère. Caricature !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Je suis convaincu que, quelle que soit leur sensibilité, 90 % des Français – et je vois que des jeunes assistent à nos débats depuis les tribunes du public – ne se posent pas la question, lorsqu’ils vivent dans le bonheur une relation affective, de savoir s’ils bénéficieront d’une majoration de pension ou pas lorsqu’ils auront un enfant !

M. Charles de Courson. Je n’ai jamais dit cela !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Cette conception de la société, que vous développez à l’infini depuis le début de notre débat, me rend extraordinairement triste pour vous,…

M. Charles de Courson. Mais enfin, je n’ai jamais dit cela !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. …car ce n’est pas cela qui fait une politique familiale.

M. Xavier Breton. L’argument est facile !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Ce qui fait une politique familiale – et je réponds également à Frédéric Lefebvre sur ce point –, ce qui donne aux Français l’envie d’avoir des enfants, c’est la possibilité d’avoir accès à un logement qui permettra aux familles, si elles ont beaucoup d’enfants, de les élever dans les meilleures conditions. La politique du logement d’un gouvernement, notamment dans les zones où il est le plus difficile de se loger, me paraît donc beaucoup plus importante que tel ou tel dispositif fiscal concernant les pensions ou toute autre mesure.

Avoir la garantie que le système éducatif permettra à ses enfants d’avoir les meilleures chances de s’épanouir, à la fois intellectuellement et personnellement, et d’avoir accès à l’emploi, est une motivation infiniment plus forte et plus puissante que tout ce que vous évoquez.

M. Olivier Carré. Il n’y a pas de garantie !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Avoir la garantie, lorsque l’on est une famille modeste, que les enfants pourront bénéficier d’une bourse leur permettant d’avoir accès en toute autonomie à l’université et à la connaissance est un argument infiniment plus puissant que tout ce que vous avez évoqué ici, ce matin.

M. Charles de Courson. Mais non !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Enfin, ce qui donne envie aux Français d’avoir des enfants, c’est le climat qui règne dans leur pays (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP),…

M. Marc Le Fur. Là, on peut le dire, vous avez réussi !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. …c’est la certitude que l’on n’y aborde pas les questions de façon sectaire, étriquée, flétrie, petite, c’est la volonté de donner à notre pays des enfants qui contribueront à le faire vivre selon les valeurs qui ont toujours été les siennes, et pas en leur tournant le dos ! (« Bravo ! et applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

(Les amendements identiques nos  1, 6, 21, 155, 235 et 681 ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi de cinq amendements identiques, nos  3, 66, 125, 156 et 365.

La parole est à Mme Marion Maréchal-Le Pen, pour soutenir l’amendement n3.

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Monsieur le ministre, vous dites aimer les familles. Le drame, c’est qu’il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour. Hélas ! vous n’en donnez guère dans votre projet, puisqu’en moins d’un an et en deux lois de finances, l’avantage lié au quotient familial pour un couple a été réduit de 35 % par enfant à charge.

Si l’on y ajoute les autres mesures défavorables aux familles prévues dans ce projet de loi de finances, cela commence à faire beaucoup !

Vous avez clairement choisi votre camp. Vous pénalisez les classes moyennes et les familles pour mieux préserver d’autres bénéficiaires que vous considérez sûrement comme étant votre clientèle électorale…

M. Olivier Faure. Que voulez-vous dire ? De quoi parlez-vous ? Nous n’avons pas bien compris !

Mme Marion Maréchal-Le Pen. J’insiste sur le fait qu’il est paradoxal de prétendre défendre le pouvoir d’achat des ménages tout en ciblant délibérément les familles, en particulier les familles nombreuses, de type « profession libérale » ou à double salaire.

Je propose donc, par cet amendement, de revenir au droit existant avant la loi de finances pour 2013, en augmentant à 2 336 euros par demi-part le plafond de l’avantage en impôt résultant de l’application du quotient familial. Les raisons sont les mêmes que celles exposées tout à l’heure et tiennent notamment à la nécessité de maintenir une politique familiale volontariste qui ne crée pas de discriminations en fonction du revenu et qui ne fasse pas les frais de l’incapacité de l’État à mettre de l’ordre dans ses comptes.

M. le président. La parole est à M. Frédéric Lefebvre, pour soutenir l’amendement n66.

M. Frédéric Lefebvre. Il est défendu.

M. le président. La parole est à M. Marc Le Fur, pour soutenir l’amendement n125.

M. Marc Le Fur. Monsieur le ministre, je vous rappelle que vous appartenez à un gouvernement qui a réussi à faire descendre dans la rue des centaines de milliers de familles, des gens paisibles qui ont estimé que leur logique, la logique familiale qui avait fait le bonheur de leur existence, était mise en cause.

L’intérêt du propos de M. Alauzet, c’est qu’il va au bout de la logique. Il estime en effet qu’il ne doit pas y avoir de politique familiale, mais uniquement une politique sociale. Mais la politique familiale n’est pas la politique sociale : ce sont deux domaines distincts et étanches.

La politique familiale consiste à garantir qu’à niveau de revenu comparable, un couple qui a des enfants ne soit pas défavorisé par rapport à un couple qui n’en a pas. C’est extrêmement simple. Cette volonté, qui anime la politique familiale depuis le Conseil national de la Résistance, a fait l’unanimité chez nous pendant très longtemps.

M. Olivier Faure. N’importe quoi ! Dans une autre vie !

M. Marc Le Fur. Par ailleurs, monsieur le ministre, j’ai donné des chiffres et j’ai constaté que vous ne les avez pas contredits : pour un revenu de 45 000 euros, l’impôt d’un célibataire augmentera de 64 euros et celui d’un célibataire avec enfant de 1 064 euros. Pour un revenu de 75 000 euros, l’impôt d’une famille augmentera de 1 090 euros. Vous instaurez donc un véritable impôt sur l’enfant !

Vous auriez été bien inspirés, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général, d’écouter M. Dumont. Il a formulé, avec ses mots et la sincérité qui le caractérise, les vrais problèmes. En effet, après l’âge de vingt ans, les allocations familiales n’ont plus cours, contrairement au quotient familial. Or il se trouve qu’un certain nombre de familles, en particulier celles qu’évoquait M. Dumont, doivent envoyer leurs enfants étudier loin, car elles n’habitent ni le XVe, ni le XVIe, ni Boulogne – dont je ne souhaite pas offenser les représentants ! Elles habitent loin. Il leur faut financer un logement, parfois deux en cas de travail en alternance, ainsi que des déplacements.

M. le président. Merci de conclure, monsieur Le Fur.

M. Marc Le Fur. Cela représente des dépenses supplémentaires alors même que l’allocation familiale n’a plus cours. Le quotient familial subsistait, vous êtes en train de l’écorner.

M. Camille de Rocca Serra. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Xavier Breton, pour soutenir l’amendement n156.

M. Xavier Breton. On voit bien que deux conceptions s’affrontent en matière de défense de la famille et de politique familiale. Vous la considérez, monsieur le ministre, comme un mécanisme d’aide sociale alors que nous la considérons comme une politique visant à consolider la famille comme cellule de base de la société. J’en veux pour preuve l’exposé des motifs du projet de loi de finances, dans lequel vous indiquez que l’abaissement du plafond de l’avantage procuré par le quotient familial vise à en renforcer la dimension de redistribution verticale. Mais la politique familiale est d’abord fondée sur une redistribution horizontale. Il s’agit bien, à revenu égal, d’aider celles qui ont plus d’enfants, car leur niveau de vie en est concrètement et objectivement affecté. Un vrai fossé nous sépare et c’est dommage, car il existait dans notre pays un consensus sur la politique familiale depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le projet de loi de finances, comme toutes les lois présentées par le Gouvernement qui s’acharnent sur la famille, le remet en cause. C’est pourquoi nous proposons cet amendement.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Dalloz, pour soutenir l’amendement n365.

Mme Marie-Christine Dalloz. Vos discours, monsieur le ministre, ainsi que l’exposé des motifs, justifient la mise à mal de l’avantage procuré par le quotient familial par la nécessité d’assurer la pérennité de la branche famille et de financer les déficits que nous aurions laissés, car bien entendu nous sommes responsables en la matière de tous les maux de la terre. Les déficits passés, vous n’en êtes aucunement responsables, ils sont tout entiers un legs du gouvernement précédent !

M. Dominique Baert. C’est vrai !

M. Jean Launay. Dix ans !

Mme Marie-Christine Dalloz. C’est pourtant le Gouvernement dont vous êtes membre qui a décidé, pour honorer un engagement du Président de la République, d’augmenter l’allocation de rentrée scolaire et donc de contribuer largement à mettre à mal la politique familiale. Cela, c’est une réalité et le financement, il a bien fallu le trouver !

M. Olivier Faure. Et alors ?

Mme Martine Pinville. C’est faux !

M. Dominique Baert. Quelle honte !

Mme Marie-Christine Dalloz. Admettez au moins la réalité ! La hausse significative de l’allocation de rentrée scolaire, vous en êtes responsables. C’est elle qui vous conduit aujourd’hui à mettre à contribution les familles avec enfants. Mais l’allocation de rentrée scolaire ne tient pas compte des revenus. Elle ne comprend, comme vous le savez, monsieur le ministre, aucune notion de plafonnement du revenu. Vous mettez aujourd’hui à mal 1,2 million foyers avec enfants pour financer une mesure totalement injuste !

M. Olivier Faure. C’est absurde !

Mme Marie-Christine Dalloz. Vous rencontrez des gens dans vos permanences, chers collègues, comme moi. Vous savez à quelle fin est utilisée l’allocation de rentrée scolaire. Comme le disait Marc Le Fur, pour financer les études d’un jeune de dix-huit ou vingt ans, qui comme tel ne bénéficie plus de l’allocation de rentrée scolaire, ses parents ne pouvaient compter que sur l’aide offerte par le quotient familial. Le voilà mis à mal, ce qui est totalement incohérent.

M. le président. Merci de conclure, madame Dalloz.

Mme Marie-Christine Dalloz. Vos décisions, monsieur le ministre, présentent une forme d’incohérence régulièrement réitérée, que vous assumez très mal et dont vous nous accusez.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces amendements identiques ?

M. Christian Eckert, rapporteur général. L’allocation de rentrée scolaire est bien entendu soumise à une condition de ressources, Mme Dalloz, contrairement à ce que vous dites.

M. Olivier Faure. Évidemment ! Révisez vos classiques, chère collègue !

M. Marc Le Fur. C’est bien la preuve que le quotient familial est très équilibré !

M. Christian Eckert, rapporteur général. Vous êtes membre de la commission des finances et vous le savez. M. le ministre a bien montré, avec passion, que les mesures fiscales ne sauraient à elles seules constituer une politique familiale. Je suis assez sensible à la comparaison entre la France et l’Allemagne menée par Frédéric Lefebvre. Voici à ce propos une brève anecdote. J’ai rencontré il n’y a pas très longtemps le directeur de l’Agence France Trésor, de retour d’Asie. Il y avait rencontré des investisseurs susceptibles de placer leur argent dans des emprunts d’État européens. Les Asiatiques, qui ni plus ni moins que les autres ne sont des philanthropes, nourrissent une préférence pour la France en matière de placements à long terme, pour plusieurs raisons dont la principale est la natalité.

M. le ministre a parfaitement raison de lier cette question à celle du logement, qui nécessite un effort important de notre part. En effet, une natalité en progression nous donne un avantage à long terme en matière de retraites, mais a malheureusement des effets pervers, dont celui d’entretenir la tension des loyers et des acquisitions sur le marché de l’immobilier, que certains ont justement rappelée. Cela a des effets sur la compétitivité des entreprises, car le montant des salaires nécessaire pour couvrir au moins les premiers besoins ne peut évidemment pas se désintéresser du niveau de l’immobilier. Je ménage ici une petite ouverture sur la nécessaire réflexion à ce sujet, qui montrera d’ailleurs que la situation de la France est bonne. Mieux vaut en effet une bonne perspective à long terme que des succès économiques ou budgétaires tels que ceux qu’affichent un certain nombre de nos partenaires. C’est un vaste sujet, qui sort du cadre du débat de ce matin. Vous l’aurez bien sûr compris, mes chers collègues, l’avis de la commission sur ces amendements est défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Défavorable.

M. le président. La parole est à M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Monsieur le ministre, tous ces amendements, qui visent à revenir au plafond du quotient familial tel qu’il était fixé avant l’arrivée de l’actuelle majorité au pouvoir, sont logiques dès lors que vous ne voulez toujours pas harmoniser le montant de la déduction de la pension alimentaire pour les enfants majeurs avec votre mesure.

Par ailleurs, j’en profite pour vous répéter que vous répondez à des affirmations que je n’ai jamais tenues. Je suis de ceux qui pensent que les gens ont des enfants pour de tout autres raisons que celles que vous évoquez. Là n’est pas le débat. Le débat porte sur la justice fiscale entre les foyers qui ont des enfants et ceux qui n’en ont pas. Les foyers qui n’ont pas d’enfants, dont je fais partie, se doivent d’aider les familles qui en ont. Telle est notre conception de la solidarité, qui est horizontale. Vous vous obstinez à considérer uniquement la question du niveau de revenu sans tenir compte des charges des familles, ce qui ne fait que dégrader leur niveau de vie.

M. Olivier Faure. Nous tenons compte des deux !

M. Charles de Courson. Nous défendons pour notre part la conception formulée par l’UNAF, l’Union nationale des associations familiales, qui est farouchement opposée à toutes les mesures que vous proposez. J’ai d’ailleurs remarqué que vous ne les avez même pas consultés, au prétexte qu’il s’agit de mesures fiscales.

Mme Marie-Christine Dalloz. Ce qui n’est pas le cas des syndicats, curieusement !

M. Charles de Courson. C’est quand même formidable ! M’écouter tout en lisant votre journal l’est aussi, monsieur le ministre. Je vais d’ailleurs vous laisser lire. Attendons que M. le ministre ait fini de lire sa revue de presse ! Merci de cette marque de respect à l’égard de l’Assemblée nationale ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC. – Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Dominique Baert. On connaît votre discours par cœur !

M. Nicolas Bays. C’est le même depuis vingt ans !

(Les amendements identiques nos  3, 66, 125, 156 et 365 ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques, nos  83 et 1068.

La parole est à M. Frédéric Lefebvre, pour soutenir l’amendement n83.

M. Frédéric Lefebvre. Cet amendement porte, lui aussi, sur le quotient familial. J’apprécie les propos que M. le rapporteur général a tenus à mon endroit. Bien évidemment, ni les miens ni ceux de mes collègues ne remettent en cause la nécessité de la politique du logement.

M. Christian Eckert, rapporteur général. Sauf ceux de Mme Dalloz à propos de l’ARS !

M. Frédéric Lefebvre. Nous pouvons nourrir des désaccords sur les moyens, mais personne ne remet en cause l’objectif d’améliorer la situation de nos compatriotes en matière de logement. D’ailleurs, le texte défendu par Mme Duflot reprend beaucoup de dispositions du texte sur la consommation que j’ai moi-même défendu comme ministre, acceptant de nombreux amendements provenant de tous les bancs, dont ceux du parti socialiste. Nous avons des divergences sur un certain nombre d’entre eux. Mais diverger sur la question du logement et des gardes d’enfants, c’est-à-dire sur la politique globale du Gouvernement qui doit évidemment être favorable aux familles comme sur la politique de l’éducation, implique-t-il pour autant la remise en cause d’une singularité française ? Voilà ce sur quoi nous devons réfléchir, je le répète à M. le ministre. M. Muet l’a d’ailleurs très bien dit tout à l’heure : tous les pays européens font autrement, sauf nous. Mais précisément, c’est nous qui avons la natalité la plus dynamique de tous les pays européens.

M. Pierre-Alain Muet. Ce n’est pas ce que j’ai dit !

M. Frédéric Lefebvre. Ce dynamisme devrait nous permettre d’aller beaucoup plus loin. Je vous invite à regarder les projections de croissance réalisées par la Commission européenne. Je le dis sans esprit polémique, nous devons tous mesurer l’impact des décisions que nous prenons. Je pense que nous sommes en train de prendre de mauvaises décisions en termes de soutien à la natalité dans notre pays. C’est une question essentielle pour l’avenir de la France.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Dalloz, pour soutenir l’amendement n1068.

Mme Marie-Christine Dalloz. Notre conception de la famille diverge de la vôtre, monsieur le ministre. Il ne s’agit pas, comme on pourrait le penser de façon assez caricaturale, de décerner le prix de ceux qui aiment le plus la famille, mais de mettre en œuvre un traitement fiscal et social de la famille et de mener une politique volontariste de maintien de la pyramide des âges. Sincèrement, compte tenu de votre conception sociale du traitement de la famille, on ne peut pas être d’accord avec vous. Notre conception de la famille ne privilégie pas sa dimension sociale. Ce que nous demandons par ces amendements, c’est un traitement de justice fiscale. Il est dommage que votre conception dogmatique, monsieur le ministre, ne laisse pas place au débat. Nous ne demandons que l’équité du traitement fiscal et la prise en compte des avantages de notre politique familiale française.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements identiques ?

M. Christian Eckert, rapporteur général. Le sujet a été abondamment discuté ; tout le monde aura compris que l’avis de la commission est défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Même avis.

M. le président. La parole est à M. Jacques Myard.

M. Jacques Myard. À la limite, la politique familiale ne doit pas être partisane, monsieur le ministre. Elle a constitué un élément structurant de la société française au cours des cinquante dernières années. Elle nous donne un avantage fondamental en Europe et fonde par ailleurs l’équilibre à terme des retraites. N’oubliez jamais que dans un système par répartition, les retraites sont payées par des générations aussi nombreuses que celles qui partent à la retraite. C’est structurel. Il faut faire un certain nombre d’économies, je le comprends. Je tiendrais d’ailleurs sans doute les mêmes propos à un ministre de mon bord politique, car je n’ai pas pour habitude de changer de langage en fonction du gouvernement en place, comme vous le savez, et critique si bon me semble. Mais ce qui est en cause aujourd’hui, c’est véritablement une loi structurelle.

Toucher au plafond des avantages familiaux, remettre en cause cette politique, c’est aller directement à l’encontre d’un tabou – l’un de ceux qui méritent d’être défendus –, mais c’est aussi, à terme, jouer avec le feu. Faites des économies ailleurs si vous voulez, mais ne touchez pas à la politique familiale, qui structure véritablement la vie de notre société et constitue, à ce titre, un gage d’avenir en nous permettant d’être compétitifs à terme, alors même que toutes les économies européennes font face à un dramatique vieillissement de leur population.

M. Marc Le Fur. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Éric Alauzet.

M. Éric Alauzet. Contrairement à nos collègues de l’opposition, je pense qu’il ne faut pas opposer les politiques sociales et familiales, mais au contraire concevoir ces politiques comme étant imbriquées. Comme cela a été rappelé, la politique familiale est largement développée dans notre pays. Il se trouve néanmoins que la politique familiale qui repose sur le quotient familial est injuste socialement, et nous devons en tenir compte, au-delà de la nécessité de rééquilibrer les comptes sociaux.

Par ailleurs, je veux revenir sur des propos tenus par Mme Maréchal-Le Pen au sujet de la fraude sociale, qui atteindrait un milliard d’euros. Elle semblait vouloir dire que, si les pauvres et les étrangers ne trichaient pas, nous aurions largement assez d’argent pour aider les familles riches. Lutter contre la fraude sociale, chiche ! Cependant, en examinant les résultats de la fraude opérée au détriment de l’assurance maladie en 2010, on s’aperçoit que, sur les 150 millions d’euros qu’elle parvient à récupérer, les deux tiers proviennent de fraudes imputables aux établissements de soins et aux professions médicales : 15 %, soit environ 22 millions, sont imputables aux transporteurs, et 12 % aux assurés.

(Les amendements identiques nos 83 et 1068 ne sont pas adoptés.)

M. le président. La parole est à M. Dominique Lefebvre, pour une explication de vote sur l’article 3.

M. Dominique Lefebvre. Comme le débat l’a montré, nous n’avons pas la même vision de la famille, des droits de l’enfant et de la justice que nos collègues de droite. Je voudrais dire à mon collègue Frédéric Lefebvre – ce qui me donne l’occasion de vous demander, monsieur le président et mes chers collègues, de toujours préciser nos prénoms respectifs afin d’éviter toute confusion qui serait d’autant plus regrettable que nos opinions sont très divergentes – que je suis originaire du Nord et que j’ai été, durant dix-sept ans, maire d’une ville populaire, Cergy, qui compte 20 % de cadres supérieurs et 20 % d’ouvriers. Si j’ai souvent vu les difficultés des familles populaires à assurer l’éducation de leurs enfants, je n’ai jamais constaté, parmi ces familles, un désir d’enfant ayant pu être dicté par des considérations matérielles.

Nous n’avons donc pas la même vision des familles françaises – pour nous, il n’y a pas qu’une famille française. Je suis bien conscient du fait que votre propre vision correspond à une orientation politico-philosophique – ainsi Marc Le Fur a-t-il fait référence aux débats du printemps dernier sur le mariage pour tous.

M. Marc Le Fur. Au moins, nous sommes cohérents !

M. Dominique Lefebvre. Pour nous, les familles françaises vivent toutes des réalités différentes et ont des besoins différents, auxquels il faut faire face. Nous voterons donc l’article 3 qui, contrairement à ce qu’affirme l’opposition, renforce et conforte la politique familiale. Nous n’avons pas la même conception des droits de l’enfant parce que, pour nous, chaque enfant mérite la même attention et le même soutien de la part de la solidarité nationale. De facto, entre les prestations familiales, les mesures de familialisation de l’impôt, on se rend compte que nous allons plutôt vers une convergence, mais vous aurez du mal à nous démontrer que les enfants des familles les plus aisées de France sont moins aidés que les enfants des familles les plus populaires. Le simple bon sens, un peu d’humanité

Mme Marie-Christine Dalloz. D’humanité ?

M. Dominique Lefebvre. …et de respect du droit de l’enfant auraient dû vous dissuader de tenir les propos que vous avez tenus dans notre hémicycle.

Enfin, je crois que vous avez un vrai problème avec la justice. Il y a une heure, vous avez voté contre un article prévoyant 1,5 milliard d’euros – soit 2 % de l’impôt sur le revenu – d’aide au pouvoir d’achat. Votre conception de la fiscalité, c’est toujours des baisses d’impôts pour les plus riches, et l’assommoir fiscal pour les plus pauvres. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Marie-Christine Dalloz. L’assommoir ! Ah, la caricature !

M. le président. La parole est à M. Marc Le Fur.

M. Marc Le Fur. Je suis déçu de constater que M. Dominique Lefebvre fait aujourd’hui dans la caricature, alors qu’il nous a habitués, dans d’autres circonstances, à des propos plus structurés et mieux argumentés. Pour notre part, nous voterons résolument contre l’article 3, qui s’inscrit dans une logique développée dans d’autres articles du projet de loi de finances et à laquelle nous ne pouvons pas adhérer, car elle ne prend pas en compte la réalité familiale. Je pense notamment à l’article prévoyant la fiscalisation de la majoration de 10 % dont bénéficient les retraités ayant eu des charges de famille, ou à l’atténuation de l’impôt, non pas par une mesure au bénéfice des familles, mais par une décote faisant abstraction de la dimension familiale. Tout cela témoigne, certes, d’une certaine cohérence, mais à laquelle nous n’adhérons pas.

Après avoir confirmé les chiffres que j’avais indiqués au sujet de l’impôt sur l’enfant – du moins n’avez-vous pas infirmé ces chiffres que j’ai donnés deux fois, ce qui signifie que vous les approuvez, monsieur le ministre –, vous nous dites que le plus important, c’est la politique du logement. Certes, sauf que nous sommes dans une année où le taux de mise en chantier va être extrêmement faible ! Vous nous dites que ce qui est important, c’est les aides directes aux familles, mais vous semblez vouloir remettre en cause la prestation d’accueil du jeune enfant – la PAJE. Vous nous dites que ce qui compte, c’est les crèches. Oui, c’est important, mais je ne cesse ne rencontrer des maires qui, après avoir entendu énoncer des chiffres au niveau national, ne voient pas arriver l’argent correspondant, qui leur permettrait de concrétiser leurs projets en la matière !

Enfin, une insulte est faite aujourd’hui aux familles avec la remise en cause des rythmes scolaires. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) La vie des familles est très compliquée quand le père et la mère travaillent et qu’il faut déposer les enfants à sept heures.

M. Dominique Baert. Vous parlez des familles, pas des enfants !

M. Marc Le Fur. La réalité, c’est quand un couple est séparé et que le père ne peut plus accueillir ses enfants parce que, pour payer ses impôts, il va bientôt devoir travailler le dimanche, comme l’indique M. Faure ! (Mêmes mouvements.) Votre logique est celle d’une mise en cause de la cohérence familiale et d’une individualisation accrue de notre société. Je crois qu’en agissant de la sorte, vous commettez une erreur, parce que nos compatriotes sont, plus que jamais, attachés à la cellule familiale. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP.

(L’article 3 est adopté.)

2

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :

Suite de la discussion du projet de loi de finances pour 2014.

La séance est levée.

(La séance est levée à douze heures cinquante.)

Le Directeur du service du compte rendu de la séance



de l’Assemblée nationale



Nicolas Véron