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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2013-2014

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du vendredi 15 novembre 2013

Présidence de M. Denis Baupin

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Projet de loi de finances pour 2014

Seconde partie (suite)

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion de la seconde partie du projet de loi de finances pour 2014 (nos 1395, 1428).

Articles non rattachés (suite)

Après l’article 60 (suite)

M. le président. Ce matin, l’Assemblée a poursuivi l’examen des articles non rattachés, s’arrêtant à l’amendement n532, portant article additionnel après l’article 60 et faisant l’objet d’un sous-amendement.

La parole est à M. le rapporteur général de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, pour soutenir l’amendement n532.

M. Christian Eckert, rapporteur général de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Je laisse le président Carrez, auteur de l’amendement adopté par la commission, en faire la présentation.

M. le président. Il pourra en même temps nous présenter le sous-amendement n857.

La parole est donc à M. le président de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire.

M. Gilles Carrez, président de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. L’amendement n532 vise à coordonner les modalités de calcul de la contribution pour insuffisance du nombre de logements sociaux créée par la loi SRU en cas de financement des dépenses de surcharge foncière par le budget de l’EPCI. La commune qui acquitte le prélèvement pourrait ainsi fixer les taux de la fiscalité locale en fonction du montant du prélèvement net des dépenses. La question se pose depuis l’adoption, en janvier 2013, de la loi relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement qui a modifié les modalités de calcul. C’est pourquoi une mesure de coordination transitoire est nécessaire.

Cela m’amène au sous-amendement n857, aux termes duquel la coordination ne concernerait que les dépenses engagées en 2012, donc le calcul de la contribution pour 2014. En effet, le montant de la contribution est fixé chaque année en déduisant du montant brut les dépenses engagées deux ans auparavant, qui dès lors apparaissent comme établies dans les comptes administratifs. La mesure vaudrait donc uniquement pour le calcul du versement en 2014.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur le sous-amendement ?

M. Christian Eckert, rapporteur général. Je partage la préoccupation du président Carrez et serai donc favorable à l’amendement, même si les dispositions qu’il comporte auraient pu être débattues dans le cadre du projet de loi sur le logement plutôt qu’en loi de finances. Elles y trouvent néanmoins leur place car elles ont une incidence sur les taux, M. le président de la commission l’a rappelé. Celle-ci n’a pas examiné le sous-amendement, mais j’y suis favorable à titre personnel, dès lors que son application est limitée à l’année 2012, la plus importante.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé du budget, pour donner l’avis du Gouvernement sur l’amendement et le sous-amendement.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé du budget. L’amendement vise à modifier les conditions d’application de l’article 55 de la loi SRU par la déduction du prélèvement annuel non pas uniquement des dépenses en faveur du développement de l’offre de logements sociaux présentées par la seule commune soumise à l’obligation d’atteindre le taux légal de logements sociaux, soit 20 % ou 25 %, mais également des dépenses présentées par l’établissement public de coopération intercommunale dont elle dépend.

L’application de l’article 55 de la loi SRU a déjà fait l’objet de débats lors de l’examen de la loi de mobilisation du foncier public en faveur du logement. Les échanges ont été extrêmement nourris et ont abouti à un texte équilibré qui n’a pas vocation à être remis en cause dans le cadre du présent projet de loi de finances. En effet, l’effort de mixité sociale doit être décliné au plus près des lieux de vie. À cet égard, la commune a été considérée comme une échelle pertinente pour s’assurer de la complémentarité entre une offre diversifiée en matière d’habitat, une offre de transports et l’implantation des services et activités économiques conditionnant le vivre-ensemble. La modification proposée par le présent amendement pourrait déresponsabiliser la commune en l’incitant à se désengager financièrement si l’EPCI finance ses opérations à sa place.

Elle pourrait également être défavorable aux communes volontaires ayant atteint le taux légal de logements sociaux, l’EPCI accordant la priorité aux communes déficitaires, qui sont souvent les communes les moins dynamiques en matière de développement de l’offre de logements sociaux. Il n’est donc pas envisageable de modifier une disposition préexistante au vote de la loi du 18 janvier 2013. Le texte est équilibré et responsabilise les communes, dont il fait les garantes de la mixité sociale de leur territoire.

Néanmoins, compte tenu du sous-amendement n857 qui vise uniquement à assurer une transition entre le dispositif de la loi SRU et celui de la loi de mobilisation du foncier public, la disposition proposée par l’amendement ne s’appliquerait qu’aux dépenses réalisées au cours de l’année 2012. Pour ce motif, le Gouvernement je m’en remets à la sagesse de l’Assemblée sur l’amendement n532.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.

M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. Je remercie M. le ministre et lui confirme qu’il s’agit d’une mesure exclusivement transitoire, limitée à la seule année 2014. Il s’agit vraiment d’un problème de coordination lié à des modifications comptables.

(Le sous-amendement n857 est adopté.)

(L’amendement n532, sous-amendé, est adopté.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué, pour soutenir l’amendement n863.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Cet amendement vise à renforcer le dispositif de contrôle permanent des opérations d’épargne-logement effectuées par les établissements bancaires, afin d’optimiser le suivi des comptes et plans d’épargne-logement. Il prévoit les bases juridiques d’un tel contrôle, confié à la société de gestion du fonds de garantie d’accession sociale à la propriété, qui réalise déjà pour le compte de l’État des contrôles de ces produits et d’autres produits tels que les prêts à taux zéro. Au titre de l’exercice 2012, la société de gestion du fonds de garantie de l’accession sociale à la propriété a traité 17 704 dossiers, ce qui correspond très exactement à quatre-vingt-dix contrôles sur site.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christian Eckert, rapporteur général. La commission n’a pas examiné l’amendement, dont le dépôt est très récent. Il est un peu surprenant. En effet, 800 000 euros ont été prévus dans le PLF 2014 pour le programme 145, relatif à l’épargne-logement. Pour autant, je n’ai pas d’objection à l’amendement et l’approuve à titre personnel. Je m’étonne toutefois que le contrôle de la société évoquée soit confié à l’Inspection générale des finances plutôt qu’à la Cour des comptes. Il faudra réexaminer ce point en deuxième lecture.

Il faudra également discuter de la proposition, dans le projet de loi de finances rectificatif, de réduire de façon substantielle, à hauteur de 150 millions d’euros, les crédits destinés aux primes d’épargne-logement. Nous aurons l’occasion d’y revenir mais l’honnêteté m’oblige à vous dire, monsieur le ministre, que ce point nous semble important. Nous aurons l’occasion de vous interroger à ce sujet lors de l’examen du PLFR. À titre personnel, car la commission ne l’a pas examiné,modulo ces quelques remarques, je suis favorable à l’amendement.

(L’amendement n863 est adopté.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué, pour soutenir l’amendement n860.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Le Gouvernement souhaite majorer la dotation de développement urbain, qui constitue un puissant levier d’aménagement du territoire, en soutenant l’investissement public dans les communes urbaines les plus pauvres. Cette dotation est en effet fortement ciblée sur les territoires les plus en difficulté, constitue un outil efficace pour y soutenir l’investissement et complète très efficacement la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale. Le Gouvernement souhaite prolonger la montée en puissance de ladite dotation, afin de mieux soutenir les territoires urbains les plus fragiles.

Après avoir augmenté son montant de vingt-cinq millions d’euros en 2013, le Gouvernement propose donc une nouvelle augmentation, dont le montant sera précisé ultérieurement dans le cadre du débat parlementaire. Elle est pour l’instant estimée à 25 millions d’euros, ce qui porterait le montant total à 100 millions d’euros. Le Gouvernement propose également de porter de 100 à 120 le nombre de communes bénéficiaires.

C’est parce qu’il souhaite que l’augmentation bénéficie à toutes les communes éligibles à la DDU qu’il propose une telle majoration de l’enveloppe, gagée sur les variables d’ajustement.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christian Eckert, rapporteur général. Cet amendement, pas davantage que le précédent, n’a pu être examiné par la commission, en raison de son dépôt tardif, ce que je ne peux que regretter à nouveau.

Vous nous proposez, monsieur le ministre, d’augmenter de 25 millions d’euros la DDU. C’est en soi une bonne mesure, car nous sommes tous attachés à cette dotation, mais une fois de plus elle repose sur les variables d’ajustement. J’ai eu l’occasion de dire ce matin, à propos de crédits beaucoup moins importants, qu’il y a là une manœuvre un peu curieuse dont les conséquences touchent l’ensemble des collectivités territoriales, car elle réduit pour tout le monde la part de compensation d’un certain nombre de dégrèvements. Enfin, élargir le champ, certes, mais pourquoi 120 communes ? Lesquelles ? Bref, il est un peu difficile d’apprécier la portée de l’amendement. Je m’en remettrai donc à la sagesse de l’Assemblée.

(L’amendement n860 est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Éric Alauzet, pour soutenir l’amendement n645.

M. Éric Alauzet. L’amendement n645 est relatif à la lutte contre l’évasion fiscale. Si nous nous sentons parfois pris dans un étau, entre les deux mâchoires que sont la fiscalité – pour laquelle nous ne disposons plus d’aucune marge de manœuvre – et la diminution de la dépense publique à laquelle nous nous sommes engagés, mais qui aura vite atteint ses limites si nous ne voulons pas ralentir trop fortement notre économie et nous trouver finalement dans la situation des pays du sud de l’Europe, il est permis de penser qu’il existe une troisième voie. Si je sais que M. le ministre souhaite éviter de laisser penser que cette troisième voie pourrait constituer la solution à tous nos problèmes, j’estime pour ma part que nous devrions en exploiter tout le potentiel – et quand je dis « nous », je ne pense pas seulement à la France, mais aussi à l’Union européenne.

Certes, la Commission européenne nous dit de façon péremptoire comment nous devons réduire nos déficits mais, quand elle nous impose la fameuse règle des 3 % du PIB, rien n’indique que cet objectif doive être réalisé uniquement au moyen d’une réduction de la dépense publique. Il doit l’être en partie grâce à l’impôt – un outil qui touche aujourd’hui ses limites –, mais aussi et surtout en restaurant la base fiscale. Il serait temps que la Commission prenne cette question à bras-le-corps, notamment en fixant – comme elle a fixé la règle des 3 % en matière de dépenses publiques – un plan de résolution de l’évasion fiscale. De ce point de vue, il me semble que, pour le moment, elle ne prend pas toutes ses responsabilités, en choisissant de rester enfermée dans le dogme de la baisse de la dépense publique.

Notre amendement vise à remédier à cette situation, en donnant aux États ou territoires à fiscalité privilégiée le même statut que celui des États considérés comme non coopératifs. C’est donc un renversement de la charge de la preuve que nous proposons : celle-ci, qui incombait jusqu’alors à l’administration, serait transmise aux sociétés se livrant aux opérations de transfert.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christian Eckert, rapporteur général. Chacun se souvient que l’article 15 avait été supprimé en première partie pour être transféré en deuxième partie par application de la LOLF. Si je ne m’abuse, un amendement du Gouvernement, qui vient d’être déposé et que nous examinerons tout à l’heure, doit rétablir cet article sous une forme un peu différente de celle de la version initiale du PLF, ce qui satisfera l’amendement de M. Alauzet. Je vous invite donc à le retirer, cher collègue ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.

(L’amendement n645, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Éric Alauzet, pour soutenir l’amendement n342.

M. Éric Alauzet. Il est défendu.

(L’amendement n342, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Éric Alauzet, pour soutenir l’amendement n309.

M. Éric Alauzet. L’amendement n309 vise à augmenter la taxe sur les transactions financières – la TTF – et à en flécher 50 % vers le Fonds de solidarité internationale. Ambitieuse en son principe, la taxe sur les transactions financières, qui fait partie des gages de réussite de notre majorité et de notre projet européen, se heurte à certaines difficultés dans sa mise en œuvre. Contrairement à la TTF britannique, dont le taux est de 0,5 %, la TTF française manque encore un peu d’ambition. Par conséquent, nous proposons de la doubler, afin de faire passer son taux de 0,2 % à 0,4 %, et d’affecter 50 % de sa recette –au lieu de 10 % actuellement –au financement de la solidarité internationale.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christian Eckert, rapporteur général. Des débats ont déjà eu lieu sur la question soulevée par notre collègue, et nous attendrons que l’Union européenne fasse évoluer sa position en la matière. Les ministres concernés nous ont assurés de leur détermination sur ce point et nous avons, à l’occasion de l’examen de plusieurs amendements, souhaité qu’elle se traduise le plus rapidement possible dans les faits. En l’état actuel, la commission est défavorable à cet amendement.

(L’amendement n309, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Pascal Cherki, pour soutenir l’amendement n654.

M. Pascal Cherki. C’est un amendement très utile et très important, destiné à accompagner, en matière de lutte contre la fraude fiscale et l’optimisation fiscale internationale, la démarche du Gouvernement, initiée par la loi de 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires. Dans un univers dont la complexité ne doit pas nous décourager d’agir, il s’agit de poser une première pierre, en établissant un régime déclaratoire des revenus issus des services fournis par voie électronique par un prestataire non établi en France. C’est un début de réponse aux questions suscitées par les montages fiscaux de Google ou d’Apple en Irlande, aux Pays-Bas ou aux Bermudes.

L’objectif de notre amendement consiste en l’établissement d’un premier régime d’encadrement permettant à notre pays de prendre une nouvelle initiative forte – je sais que le Gouvernement y était très attaché – qui présenterait l’avantage de placer la France en situation de précurseur dans la perspective des négociations internationales qui vont débuter prochainement – je pense notamment aux travaux de l’OCDE pour le G20 –, afin de faire évoluer les règles et les conventions dans ce domaine. Compte tenu de l’intérêt de cet amendement, c’est avec une grande sérénité que j’attends de connaître la position du Gouvernement.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christian Eckert, rapporteur général. Même si cet amendement a été réécrit après le débat que nous avons eu en commission, j’y suis toujours défavorable, pour deux raisons. Premièrement, le rapport sur l’optimisation fiscale des entreprises dans un contexte international, rendu en conclusion des travaux d’une mission d’information dont nos collègues Pierre-Alain Muet et Éric Woerth étaient respectivement rapporteur et président…

Mme Valérie Rabault. Excellent rapport !

M. Christian Eckert, rapporteur général. …traite de ce sujet et écarte, en sa page 116, la solution du référent fiscal. En effet, la Cour de justice européenne a jugé en 2011, au sujet d’une affaire espagnole, qu’une obligation générale en ce sens était disproportionnée à l’objectif de lutte contre l’évasion fiscale.

Deuxièmement, la solution que vous proposez conduirait, de fait, à créer une fiscalité spécifique au numérique, ce qui aurait pour conséquence d’épargner les multinationales pour ne concerner que les entreprises françaises. Le problème que vous soulevez est un sujet délicat, auquel nous devons rechercher des solutions, car nous avons tous en tête des exemples de situations inacceptables impliquant de très grandes entreprises. Cela dit, la solution que vous proposez avec l’amendement n654 ne me paraît pas répondre de façon satisfaisante au problème posé, ce qui me conduit à émettre un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Le Gouvernement partage totalement la préoccupation exprimée par M. Cherki quant à l’effectivité du dispositif qui permettra à la France, à compter du 1er janvier 2015, de percevoir les recettes de TVA relatives aux services électroniques fournis à des résidents français, quel que soit le lieu d’établissement du prestataire. En effet, à compter de cette date, les règles de territorialité vont changer et les services électroniques seront taxés en fonction du lieu de leur consommation, c’est-à-dire au lieu de résidence du consommateur, et non plus au lieu d’établissement du prestataire. On ne peut que se réjouir de cette évolution qui résulte d’un long processus de négociation communautaire, ainsi que d’un compromis politique qui a été très difficile à obtenir.

Compte tenu des enjeux liés à l’impôt de consommation dans le domaine de l’économie numérique, cette évolution s’est accompagnée d’une série de mesures visant à en assurer une totale application. Ainsi, la création d’un guichet unique a été prévue afin de faciliter les obligations déclaratives des entreprises. Celles-ci pourront désormais, sur un seul portail national, déclarer et payer l’ensemble de leurs TVA, quel que soit l’État affectataire de la recette, sans avoir à s’y immatriculer.

Par ailleurs, je vous rappelle que la réglementation de l’Union européenne a assorti cette évolution de mesures visant également à renforcer les prérogatives des États de consommation en matière de contrôle. J’ajoute que cet ensemble de mesures adoptées au niveau communautaire a d’ores et déjà été transposé en droit interne et qu’il serait, dès lors, délicat, d’imposer de nouvelles contraintes déclaratives aux opérateurs sans courir un risque de non-conformité – cela constituerait pour le moins une perte d’efficacité.

À cet égard, j’observe que les mesures que vous proposez, qui produiraient des effets analogues à l’obligation de désigner un représentant fiscal, se heurteraient au droit de l’Union européenne, dans la mesure où, depuis plus de dix ans, les États membres ne peuvent plus faire porter une telle contrainte sur des assujettis établis dans un autre État membre. Ces mesures risqueraient également de retarder la préparation des entreprises françaises, ou de servir de prétexte dans d’autres pays.

Je veux cependant vous assurer de la volonté du Gouvernement d’être très attentif à ce que les nouvelles règles soient correctement appliquées. Le dispositif sera observé de près et évalué, afin d’assurer la réussite de la réforme – or, le meilleur moyen d’y parvenir est de ne pas changer les règles du jeu qui viennent d’être fixées. Pour l’ensemble des raisons que je viens d’évoquer, qui témoignent de la convergence de nos préoccupations, je vous demande de retirer votre amendement, monsieur Cherki.

M. le président. La parole est à M. Pascal Cherki.

M. Pascal Cherki. Avant de retirer l’amendement dont elle est coauteur, j’aimerais donner deux mots d’explication, sous le contrôle de ma collègue Sandrine Mazetier. M. le rapporteur général a mentionné l’excellente mission de 2013 sur l’optimisation fiscale, à laquelle j’ai eu l’honneur de prendre part. Le rapporteur de cette mission, Pierre-Alain Muet, a exposé dans le rapport de cette mission l’état de la jurisprudence européenne, très discutable sur le plan juridique, et dont les motivations seraient à revoir – malheureusement, le temps qui nous est imparti ne nous laisse pas vraiment le temps de nous livrer à son exégèse –, ce qu’il n’est pas interdit de proposer dans le cadre du travail parlementaire.

Par ailleurs, M. le ministre nous a indiqué qu’un travail avait été engagé, sur des bases pas forcément divergentes quant aux objectifs à atteindre, même si les méthodes employées peuvent, elles, être différentes. Il faut laisser ce travail se faire et attendre de voir s’il produit les effets qu’on en attend ; ce n’est que dans la négative que nous devrons nous demander s’il est nécessaire de remettre l’ouvrage sur le métier. Ayant fait ces observations, je vous confirme que je retire l’amendement n654.

(L’amendement n654 est retiré.)

M. le président. La parole est à Mme Sandrine Mazetier.

Mme Sandrine Mazetier. Je veux commencer par remercier M. Cherki, cosignataire de notre amendement, de l’avoir défendu ardemment, avant de le retirer d’une manière qui n’était pas moins constructive. Au-delà du sujet de l’optimisation fiscale – voire de l’entreprise internationale d’escamotage de la base fiscale –, que nous n’avons pas encore épuisé dans le cadre de ce débat, notre amendement témoigne aussi de la volonté d’engager une réflexion sur la fiscalité numérique. Les pratiques dénoncées – je pense notamment au « double irlandais » – sont, certes, mises en œuvre avec un indéniable talent par certaines entreprises du secteur du numérique, mais des entreprises d’autres secteurs y ont également recours.

Une autre question importante se pose, celle de la fiscalité sur les données exportées et exploitées en dehors du territoire européen par ces entreprises, et de la servitude volontaire du consommateur européen, qui confie ses données en vue de leur exploitation et de leur commercialisation par des entreprises qui vendent leurs services toujours plus cher et, ce faisant, exploitent de nombreux salariés.

Or, le scandale des écoutes de la NSA a démontré que le numérique et l’immatériel ont des concrétisations très tangibles : je veux parler des tuyaux, des nœuds de communication, où sont parfois « pluggés » des systèmes de contrôle, qui sont tout sauf européens. Cela ne relève pas du domaine fiscal mais démontre que l’on peut mesurer des sorties de données et qu’il serait ainsi possible d’exercer une forme de droit de timbre européen sur des données qui ont une valeur marchande énorme et sur lesquelles l’Europe ne perçoit rien. Ce sont pourtant les consommateurs européens dont la richesse est exploitée, du fait de leur pouvoir d’achat et de leur comportement. La valeur ajoutée de ces données est donc exportée et commercialisée à l’extérieur de l’Europe. De surcroît, les entreprises qui exploitent et tirent beaucoup de valeur de ces données personnelles ne font l’objet d’aucune rentrée fiscale, sur quelque territoire européen que ce soit.

Au-delà de la dénonciation des pratiques d’optimisation fiscale portées au pinacle par ces entreprises, cet amendement avait surtout une fonction d’appel, afin que l’on réfléchisse à une fiscalité du numérique et à un intégrateur européen, qui pourrait être financé dans le cadre des trente-deux chantiers d’avenir annoncés par le Président de la République. L’émergence d’un tel intégrateur aurait des conséquences importantes pour les start-up françaises, qui sont nombreuses à rencontrer du succès.

M. le président. Veuillez conclure, chère collègue, car il y a plusieurs demandes de parole sur cet amendement qui, je le rappelle, a déjà été retiré…

Mme Sandrine Mazetier. Ce n’est pas un petit sujet, monsieur le président. Je ne me suis pas exprimée sur les amendements « vélo » qui ont dû être examinés vingt-huit fois depuis le début de l’année 2013, mais j’aurais pu le faire… Le numérique est un vrai sujet et il fallait rappeler le sens de la démarche qui a présidé au dépôt de cet amendement et à son retrait, que nous assumons pleinement, Pascal Cherki et moi-même.

M. le président. Je me permets de vous demander de respecter la présidence, de la même manière qu’elle est respectée quand vous l’occupez.

Mme Sandrine Mazetier. Je la respecte infiniment !

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Le sujet de la fiscalité du numérique se décline à plusieurs niveaux. Premièrement, nous avons engagé une réflexion très forte au plan international, au sein de l’OCDE, dans le cadre du dispositif Base Erosion and Profit Shifting, sur l’érosion des bases fiscales. Sur ce sujet important, la France a pris la tête d’un certain nombre de combats pour que l’activité numérique soit enfin taxée comme elle doit l’être. En effet, au-delà de la question de l’établissement stable, des critères peuvent être élaborés, permettant la fiscalisation des activités numériques qui doivent en faire l’objet. Deuxièmement, à partir du 1er janvier 2015, entreront en vigueur des dispositions européennes : tel était l’objet de la réflexion engagée dans cet hémicycle par Pascal Cherki, qui mérite d’être en permanence évaluée et éventuellement complétée. Il me semble qu’il est toujours préférable de compléter des dispositions après leur entrée en vigueur et leur évaluation plutôt que de le faire avant. Troisièmement, des actions sont d’ores et déjà engagées par notre administration ; elles sont couvertes par le secret fiscal, donc je ne peux en parler, mais elles témoignent de notre volonté de faire en sorte que les choses bougent.

Je proposerai au président Carrez que nous puissions, avec Mme Pellerin, nous rendre devant la commission des finances pour expliquer tout ce que nous faisons en ce qui concerne la fiscalité du numérique, à tous les échelons que je viens d’évoquer…

M. Pascal Cherki. Très bien !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. …ce qui permettra d’avoir une photographie complète et, éventuellement, de prévoir des clauses de revoyure, pour que l’on puisse vous rendre compte de la manière dont évoluent nos négociations. Cela permettra aussi de travailler en relation étroite avec les parlementaires, qui sont très mobilisés. On a parlé du rapport d’Éric Woerth et de Pierre-Alain Muet. Le rapporteur général a lui-même évoqué à plusieurs reprises ces questions. Peut-être pouvons-nous consacrer une séance de travail à ces matières devant la commission des finances.

M. le président. La parole est à M. Pierre-Alain Muet.

M. Pierre-Alain Muet. Je veux également dire un mot de la fiscalité du numérique. M. le ministre a parfaitement raison de souligner l’importance de ce sujet, car les entreprises du numérique se sont d’emblée construites en utilisant toutes les failles des législations nationales. C’est pourquoi elles sont très actives en matière d’optimisation fiscale. De surcroît, une des spécificités du numérique tient au fait que l’activité des entreprises est difficile à localiser. Il faut parvenir à instituer un impôt sur les entreprises qui ait un sens, ce qui est le cas de l’impôt sur les sociétés, dans la mesure où il porte sur les résultats. La démarche, tant du Gouvernement que celle engagée au plan international, consiste à affirmer l’importance de redonner un sens à l’impôt sur les sociétés, y compris sur le numérique. Il faut à la fois corriger des failles dans les législations nationales et internationales et avancer sur la notion d’établissement stable, virtuel, à l’échelle mondiale. À l’échelle européenne, nous avons la chance de disposer de la proposition d’une assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés, qui pourrait être rendue obligatoire pour le secteur du numérique, ce qui résoudrait une bonne partie des problèmes. On peut donc, à l’échelle européenne – je ne parle pas de l’échelle nationale – avancer assez rapidement sur le sujet, et je salue la proposition du ministre de poursuivre nos échanges sur cette question.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur général, pour soutenir l’amendement n527, de la commission.

M. Christian Eckert, rapporteur général. Cet amendement a été adopté par notre commission, mais peut-être l’un de ses auteurs pourrait-il le présenter.

M. le président. Volontiers. La parole est à Mme Valérie Rabault.

Mme Valérie Rabault. Cet amendement s’inscrit dans le cadre de la politique active de lutte contre la fraude fiscale menée par le Gouvernement. Vous nous l’avez rappelé, monsieur le ministre, grâce à la lutte contre la fraude fiscale, les caisses de l’État ont bénéficié de 14 milliards de recettes supplémentaires, auxquels s’ajoutent 4 milliards d’amendes et de pénalités. La lutte qui est engagée a donc permis de collecter des montants extrêmement importants.

Le présent amendement, qui a été adopté par la commission des finances, impose à toute personne, généralement un cabinet de conseil, commercialisant un schéma d’optimisation fiscale, de le porter à la connaissance des services de Bercy avant sa commercialisation. Ce dispositif existe déjà dans quelques pays. En cas de non respect de cette règle, une amende serait appliquée qui pourrait aller jusqu’à 5 % des commissions perçues par le cabinet de conseil.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je veux vous prier de m’excuser pour le caractère un peu long de l’intervention « chapeau » qui va suivre, qui couvre l’ensemble des amendements qui vont être présentés et qui portent sur la lutte contre la fraude et l’optimisation fiscales. Il est par conséquent important, pour que les débats permettent d’aller vraiment au fond des choses – votre intervention m’y a d’ailleurs invité, madame la députée –, de rappeler ce qu’est globalement la position du Gouvernement sur ces sujets, les actions que nous avons engagées et la philosophie qui préside à notre politique.

L’amendement que vous présentez est le premier d’une série portant sur la lutte contre la fraude et l’optimisation fiscales réalisées par un certain nombre de grandes entreprises. C’est pour le Gouvernement un sujet majeur, sur lequel nous sommes extrêmement mobilisés. J’ai eu l’occasion à plusieurs reprises, au cours du débat sur le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, de dire tout à la fois notre détermination collective et mon engagement personnel.

Nous avons pris en dix-huit mois près d’une soixantaine de mesures – je dis bien : soixante mesures – destinées à lutter contre l’optimisation et la fraude fiscales. Dès le collectif de l’été 2012, cinq mesures urgentes majeures ont été prises pour lutter contre les opérations de transfert de bénéfices : encadrement des conditions d’utilisation des déficits reportables réalisés par les entreprises absorbées ; mise en place de règles anti-abus, permettant de lutter contre un schéma d’optimisation jusqu’alors très répandu, qui porte le joli nom de « coquillard » et qui vise à percevoir d’une filiale des dividendes exonérés d’impôt sur les sociétés en vidant la filiale de sa substance économique, avant de déduire une perte, délibérément organisée, résultant de cette atteinte à sa substance ; interdiction de la déductibilité des abandons de créances à caractère financier qui permet, par des opérations financières simples, de transférer un bénéfice à l’étranger ; toujours pour lutter contre le transfert international de bénéfices, interdiction totale de la déduction de pertes résultant de la recapitalisation d’une filiale ; enfin, renversement de la charge de la preuve en matière de taxation des résultats obtenus dans les pays à fiscalité privilégiée.

Ces mesures ont été complétées par la loi de finances pour 2013, qui a prévu une mesure générale de réduction de la déduction des charges financières, puis par le collectif de la fin de l’année 2012, centré sur la lutte contre la fraude des ménages en matière patrimoniale, qui a créé notamment une taxe à 60 % sur les avoirs déposés sur des comptes à l’étranger dont la traçabilité ne parvient pas à être établie.

Dans les jours qui viennent, la loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière sera promulguée. C’est un texte extrêmement important, qui a fait l’objet d’un travail rigoureux de la part du Gouvernement et des assemblées parlementaires, en particulier de la part d’un certain nombre de parlementaires très impliqués dans la discussion. Je veux d’ailleurs rendre hommage à ceux d’entre eux qui se sont engagés dans ce travail et qui ont fait preuve d’une présence assidue et déterminée : Sandrine Mazetier, le rapporteur général, Christian Eckert, Pierre-Alain Muet, qui a accompli un travail très remarquable, Dominique Lefebvre, Nicolas Sansu et Éric Alauzet, qui a été extrêmement présent. Ils ont tous contribué à enrichir et à amender de façon très significative le texte du Gouvernement. Je veux, de manière plus générale, remercier tous les parlementaires, en particulier les membres de la commission des finances, pour le travail accompli.

Au final, la majorité a donc procédé, depuis l’été 2012, à un renforcement sans précédent de l’arsenal législatif de lutte contre la fraude et l’optimisation fiscales, grâce aux soixante mesures législatives que je viens d’évoquer. Le Gouvernement est déterminé – il l’est totalement ! – à poursuivre ce travail, en très étroite liaison avec vous, en essayant de mettre en application une grande partie des préconisations du rapport présenté par Pierre-Alain Muet et Éric Woerth.

Dans le texte initial du projet de loi de finances, deux mesures majeures supplémentaires sont proposées par le Gouvernement, sur la base des analyses demandées à l’Inspection générale des finances. L’article 14, que vous avez adopté lors de l’examen de la première partie, permettra de lutter contre les opérations d’endettement artificiel et les techniques d’optimisation utilisant des produits hybrides. Nous avons débattu de cette question et avons beaucoup avancé ensemble. Vous le savez, il sera désormais interdit de déduire les charges financières versées à des sociétés liées pour lesquelles ces produits ne sont pas réellement imposés.

L’article 15 répond à un enjeu majeur, peut-être le principal enjeu actuel pour le contrôle fiscal, celui des opérations dites de business restructuring. Des dossiers récents, que certains d’entre vous, à qui le secret fiscal n’est pas opposable, connaissent bien, illustrent parfaitement ce type d’opérations. C’est notamment le cas d’une réorganisation, souvent purement formelle, aboutissant à ce qu’une entreprise française cesse de vendre ses produits à ses clients réels et les vendent à un prix beaucoup plus faible à une filiale de commercialisation, qui les revend ensuite aux clients, en conservant toute la marge. Naturellement, cette filiale n’est pas située en France, mais dans un État dont la fiscalité est particulièrement attractive. Cet article 15 va être déplacé en seconde partie, à l’initiative de votre commission, pour permettre un débat global sur la lutte contre l’optimisation, et j’aurai donc l’occasion de vous présenter tout à l’heure un amendement le rétablissant.

Vous le voyez, le travail réalisé est donc considérable. Le Gouvernement est résolu à le prolonger, sur la base de vos propositions, mais lutter contre la fraude et l’optimisation fiscales de manière efficace suppose – et j’insiste beaucoup sur ce point, parce qu’il répond à ma conviction et constitue aussi, à mes yeux, le gage de l’efficacité –, compte tenu de la complexité des sujets, et surtout de l’agilité des fraudeurs, que nous avons pu éprouver, d’être absolument irréprochables techniquement et juridiquement.

En effet, chaque fois que, pour nous positionner politiquement de façon forte et visible, nous sacrifions l’efficacité de ce que nous faisons en créant des aléas juridiques, nous ouvrons un espace aux fraudeurs pour se faufiler. J’insiste vraiment sur ce point : efficacité juridique et publicité médiatique ne se recoupent pas nécessairement et nous affaiblirions beaucoup notre action en proposant des dispositifs mal calibrés sans efficacité réelle et source de contentieux longs et potentiellement coûteux pour l’État.

C’est pourquoi nous souhaitons poursuivre un travail méthodique, rigoureux, permettant de procéder par étapes et en lien avec le Parlement, comme nous l’avons toujours fait. Cette détermination, nous souhaitons la mettre en œuvre sur chacun des sujets que nous allons évoquer à l’occasion de la présentation des amendements qui suivent.

La démarche du Gouvernement, et je terminerai mon propos liminaire par cela pour que ce soit bien clair, est d’allier une détermination sans faille et une rigueur juridique pour obtenir une efficacité maximale. Si nous parvenons à articuler tout cela, alors nous ne laisserons pas un millimètre d’espace aux fraudeurs pour se faufiler. En revanche, nous leur en laisserons si, sur le plan juridique, nous prenons des dispositions par lesquelles nous laissons planer des aléas juridiques qui peuvent être source de contentieux ou de difficultés à venir. Parce que nous contribuons ensemble à la production législative, nous devons garder à l’esprit une telle préoccupation.

Telle est la position du Gouvernement ; je tenais à la préciser pour lever toute ambiguïté.

J’en viens à votre amendement, madame la députée.

Mme Valérie Rabault et M. Pascal Cherki. Ah !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. La lutte contre la fraude et les montages abusifs, qui sont précisément l’objet de cet amendement, est bien entendu une préoccupation totalement partagée par le Gouvernement. Pour autant, et je m’appuie ici sur ce que je viens de dire au sujet de l’efficacité et de la précision juridiques, une nouvelle obligation déclarative, puisque c’est ce que vous proposez, n’a d’intérêt que si elle peut être exploitée de façon totale, efficace, parfaitement approfondie par l’administration.

Or, que constatons-nous dans les États qui ont mis en place ce dispositif ? Tous les dispositifs de communication obligatoire de renseignements en vigueur dans les autres État prévoient les intervenants soumis à l’obligation de communication, la nature des renseignements communiqués, le délai de transmission des informations, les conséquences fiscales pour les contribuables de l’examen des schémas par l’administration, des actions en cas de défaut de communication ou de déclaration mensongère.

Par ailleurs, un tel dispositif suppose une définition suffisamment claire du montage et de ses objectifs qui soit partagée avec les entreprises. L’administration pourrait en effet se trouver très rapidement noyée sous une masse de déclarations qu’elle ne pourrait exploiter si, compte tenu de l’imprécision du dispositif, toutes les personnes élaborant des produits bénéficiant d’un avantage comparatif au plan fiscal adressaient par précaution leur offre commerciale. Ce point central pour le bon fonctionnement de cette mesure ne peut être renvoyé à un décret sans encadrement précis préalable.

Concrètement, madame la députée, je vous propose donc que nous travaillions ensemble sur ce point décisif pour l’efficacité opérationnelle du dispositif, non pas au vingt-troisième siècle mais tout de suite, car la précision juridique, c’est maintenant.

Enfin, nous avons lancé en 2013 l’expérimentation d’une relation de confiance entre les entreprises et l’administration fiscale qui doit permettre à celle-ci d’observer en temps réel la pratique des entreprises et d’appréhender le cas échéant les montages agressifs. Le bilan que nous pourrons en tirer permettra d’orienter nos réflexions sur les aménagements éventuels de notre cadre juridique.

Il me semble que ces précisions montrent la convergence absolue de nos préoccupations, madame la députée, et la volonté du Gouvernement de faire en sorte que, dans la mise en œuvre du dispositif, les objectifs de votre amendement ne puissent pas être déçus. Dans l’attente de ce travail que je m’engage à faire avec vous, je vous remercie de bien vouloir retirer cet amendement. À défaut, le Gouvernement s’en remettra à la sagesse de l’Assemblée.

M. le président. La parole est à Mme Karine Berger.

Mme Karine Berger. Je vous remercie de votre intervention, monsieur le ministre.

« L’alliance des orthodoxies se noue chaque fois que l’ordre établi est remis en question. » Cette citation très célèbre de François Mitterrand décrit les murs auxquels notre Gouvernement, notre majorité, se heurtent depuis un an et demi.

L’alliance des orthodoxies, en l’occurrence, est, pour une fois, non pas l’alliance des légitimistes, comme c’est toujours le cas dans notre pays, mais celle de ceux qui appellent à ne plus payer l’impôt en France et qui trouvent à cela des explications, des justifications. Cette situation est inacceptable et toutes les mesures qui ont été prises par le Gouvernement et par notre majorité depuis un an et demi rappellent à tout instant que l’impôt dû est un acte citoyen, pour les entreprises comme pour les particuliers.

Il y a peut-être encore pire que de ne pas vouloir payer son impôt, que l’on soit un particulier ou une entreprise : c’est le fait de conseiller l’un ou l’autre pour qu’il ne paie pas l’impôt. C’est exactement ce contre quoi cet amendement lutte. Il vise en effet à supprimer toute possibilité dans notre pays d’être rémunéré pour conseiller sur les moyens d’échapper à l’impôt, de ne pas se soumettre à l’impôt quand on est un grand groupe ou quand on est un particulier riche.

Cette situation est à ce point intolérable que d’autres pays ont déjà traité la question du dépôt des schémas d’optimisation fiscale qui, bien qu’étant légaux, n’en sont pas moins moralement inacceptables. Dans les États qui ont mis en place de tels dispositifs, les résultats sont probants : plusieurs milliards de livres sterling ont ainsi été réintégrées dans la base taxable au Royaume-Uni.

À l’occasion de la préparation de ces textes, nous avons eu un échange avec un certain nombre de directions de l’administration chargées du recouvrement fiscal. Toutes nous ont confirmé que la réception de ces schémas d’optimisation pouvait être très utile dans la lutte qu’elles mènent actuellement contre l’évasion fiscale des très grands groupes.

Monsieur le ministre, nous sommes bien évidemment prêts à examiner précisément tous les aspects juridiques d’un tel dispositif. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle cet amendement prévoit une entrée en vigueur au 1er janvier 2015. Nous pouvons par conséquent l’adopter tout en donnant la possibilité d’ici à cette date de préciser l’ensemble des éléments juridiques qui suscitent des questions de la part de l’administration.

M. le président. La parole est à M. Pascal Cherki.

M. Pascal Cherki. Monsieur le ministre, nous considérons, et vous avez eu raison de le rappeler et de le mettre en perspective dans votre propos introductif, qu’une œuvre d’ampleur a déjà été accomplie sur ce sujet depuis le début de la législature. Il reste cependant beaucoup à faire, car nous affrontons une hydre : chaque fois que nous lui coupons une tête, il en repousse deux. Cela nécessite de notre part une démarche permanente de vigilance et d’adaptation de notre droit à des phénomènes mouvants. Nous avons en effet affaire à des personnes qui, précisément, utilisent les outils juridiques pour détourner le droit.

Cet amendement a évidemment pour objet de responsabiliser les auteurs du conseil juridique. En effet, une stratégie fiscale peut aussi correspondre à une stratégie économique tout à fait légale, mais l’optimisation consiste justement à détourner cela. Elle s’appuie sur le fait que des acteurs souhaitent être aidés, qu’ils disposent de pays d’accueil – c’est l’objet de la lutte contre l’évasion fiscale – et qu’il y ait des véhicules juridiques adaptés à leurs besoins. En l’occurrence, nous nous attaquons ici aux véhicules juridiques, en responsabilisant les personnes ; mais il n’y a pas de responsabilité dans cet univers-là sans un minimum de contraintes.

Vous avez raison d’établir une relation de confiance avec les entreprises, monsieur le ministre, et vous êtes là dans votre rôle, mais s’il n’y a pas derrière cela un minimum de contraintes, la confiance risque d’être asymétrique : vous accorderez la vôtre mais elle ne sera pas payée de retour.

En revanche, nous, les parlementaires, sommes dans notre rôle en vous accompagnant dans cette démarche, en exprimant la fermeté de la représentation nationale, qui vous aidera dans l’établissement de la relation de confiance avec le monde de l’entreprise : nous ne sommes bien évidemment pas opposés aux stratégies de développement international, mais nous souhaitons éviter les détournements du droit ou les abus.

Par ailleurs, monsieur le ministre, j’entends bien votre objection au sujet de la masse des déclarations que l’administration fiscale pourrait être amenée à devoir traiter, mais cet argument est relatif, non recevable, car potentiellement, l’administration fiscale pourrait, si elle le souhaitait, contrôler l’ensemble des déclarations de revenus des particuliers dans ce pays. C’est à l’administration qu’il appartient de s’organiser pour faire face à cet afflux le cas échéant ; nous aurons l’occasion d’en rediscuter.

Concernant le risque juridique, monsieur le ministre, vous avez tout à fait raison. C’est d’ailleurs précisément parce que nous sommes dans le même état d’esprit que nous avons pris en compte cet élément : le II du dispositif de l’amendement précise en effet que les modalités pratiques seront fixées par décret en Conseil d’État. Nous donnons ainsi la main au pouvoir exécutif pour que le dispositif soit bordé juridiquement, et prévoyons un délai d’un an pour que cela soit fait proprement. Ainsi, nous sommes dans notre rôle de parlementaires, nous n’empiétons pas sur le pouvoir de l’exécutif, nous donnons à ce dernier les moyens de sécuriser juridiquement le dispositif en renvoyant la fixation de ses modalités pratiques à un décret en Conseil d’État.

Pour conclure, s’il est normal que le Gouvernement souhaite établir une relation de confiance, car c’est son rôle de le faire, il appartient à la représentation nationale de se faire l’écho de l’impatience des Françaises et des Français, de l’opinion publique, un sentiment que vous partagez, et de vous aider dans ce combat, car ce combat, nous le menons ensemble.

M. le président. La parole est à M. Pierre-Alain Muet.

M. Pierre-Alain Muet. Monsieur le ministre, vous avez tout à fait raison de souligner l’importance de la relation de confiance, et c’est précisément ce que nous affirmons dans le rapport d’information de la mission sur l’optimisation fiscale des entreprises dans un contexte international : le fait de rendre obligatoire la communication préalable à l’administration fiscale des schémas d’optimisation doit être développé en même temps que la relation de confiance. Tous les pays qui ont mis en œuvre un dispositif de ce type ont d’ailleurs parallèlement fortement développé la procédure de rescrit, qui permet de sécuriser les entreprises. C’est ce qui est explicitement pris en compte avec le délai d’entrée en vigueur qui est proposé.

Si l’amendement s’inspire largement du dispositif qui a été mis en œuvre au Royaume-Uni, ce pays n’est pas le seul à avoir légiféré. Aux États-Unis, où il existe également un dispositif de ce type, l’administration fiscale – le ministre – peut demander la communication de tout montage dont elle considère qu’il présente un risque d’évasion fiscale ou qui permet une importante réduction d’impôt.

Il faut avancer tant sur la définition des schémas pris en compte que sur les modalités de la mise en œuvre du dispositif, mais il me semble que cet amendement permet de le faire, notamment en fixant la date du 1er janvier 2015, qui laisse tout à fait le temps de prendre les décrets d’application qui viendront apporter toutes ces précisions.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. J’entends les propos qu’ont tenus les orateurs qui sont intervenus en appui de l’amendement déposé par Mme Rabault et plusieurs de ses collègues, et dont, une fois encore, je partage l’esprit et les objectifs.

Je voudrais simplement apporter quelques précisions, pour qu’elles figurent au compte rendu de la séance.

Premièrement, il n’est pas exact de dire que l’administration que je dirige en tant que ministre délégué au budget est demandeuse de ce dispositif. Je suis parfaitement bien au fait de ce que souhaite cette administration ; il m’arrive parfois de ne pas suivre ses souhaits, d’ailleurs, car j’ai mon libre arbitre. Au demeurant, un ministre n’est pas là pour suivre systématiquement l’avis de son administration. En revanche, il doit savoir ce qu’elle demande. Or mon administration ne souhaite pas du tout voir arriver dans le cadre d’un dispositif aléatoire et non stabilisé juridiquement des schémas de montage qu’elle ne pourrait pas exploiter totalement.

Deuxièmement, Pierre-Alain Muet a tout à fait raison d’insister sur le fait qu’il y a un lien étroit entre la relation de confiance et l’obligation de présentation à l’administration des dispositifs de montage. Toutefois, monsieur le député, quand vous vous appuyez sur l’exemple de pays de common law, vous devez reconnaître avec moi que ces obligations de présentation sont arrivées longtemps après que la relation de confiance avait été établie.

En effet, la relation de confiance est le prolégomène du dispositif : elle doit permettre de créer, dans les relations avec l’administration, un climat qui, une fois bien établi, rend possible le renforcement de la contrainte pour équilibrer l’ensemble.

Je vous signale, monsieur Muet, mais vous le savez, que les quinze premiers protocoles ont été signés il y a trois semaines. Par conséquent, le délai qui s’est écoulé depuis cette signature n’est pas à ce point long que l’on puisse d’ores et déjà contrebalancer la relation de confiance par la contrainte que représente l’obligation de présentation des montages sans prendre le risque de remettre en cause la relation elle-même. Si nous procédions tout de suite à la mise en place d’une telle contrainte avant même d’avoir laissé passer le laps de temps nous permettant de juger la façon dont la relation se stabilise, nous pourrions donner le sentiment aux entreprises avec lesquelles nous nous sommes engagés dans cette relation que le protocole n’était en réalité qu’un alibi pour accroître immédiatement les contraintes.

Troisièmement, j’en reviens à ce que disait Karine Berger, laquelle évoquait François Mitterrand et sa très jolie phrase sur les orthodoxies. Mais il disait aussi que les bons ne sont pas toujours meilleurs que la conspiration des mauvais. (Sourires.)

Mme Karine Berger. Je souscris pleinement !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. François Mitterrand, comme en témoigne tout son parcours, avait d’ailleurs un talent certain pour faire la part entre ce qui relève de l’idéologie et du pragmatisme.

M. Pascal Cherki. Tout à fait !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. À certains moments, il faut donner une impulsion politique forte pour faire bouger ce qui ne paraît pas acceptable. Or l’optimisation et la fraude sont des pratiques qui ne nous paraissent pas acceptables. En même temps, par pragmatisme et rigueur juridique, il faut s’assurer que ce que l’on propose de faire pour des raisons politiques est opérationnel dans la réalité. Or, je crains que l’on ne donne une tartine de miel aux fraudeurs. Encore une fois, je ne dis pas que c’est votre intention, mais le risque existe ; nous devons l’évaluer ensemble et c’est tout l’intérêt du présent débat.

Notre volonté – partagée – d’envoyer des signes politiques forts ne doit pas se trouver fragilisée par des dispositifs juridiques comportant une part d’incertitude, d’instabilité et, partant, d’inefficacité qui finirait par donner une marge de manœuvre à ceux dont nous prétendons condamner le comportement.

Encore une fois, la différence entre nous ne réside pas dans le but. Je pense – et je l’assume devant la représentation nationale – que nous n’avons aucune chance d’atteindre ce but si les dispositifs juridiques que nous élaborons ne sont pas parfaitement calibrés, évalués et efficaces. Je suis soucieux, non seulement de la force politique de ce que nous disons, mais aussi de l’efficacité juridique de nos décisions.

M. le président. La parole est à M. Éric Alauzet.

M. Éric Alauzet. Vous avez raison, monsieur le ministre : ce qui compte, c’est l’efficacité. Vu la situation dans laquelle nous nous trouvons, nous ne pouvons pas nous payer de mots.

Nous avons tous un sens aigu de la responsabilité. Cependant, la détermination sans faille dont vous faites montre et à laquelle vous avez appelé doit précisément nous conduire, par moments, à forcer un peu le destin. La compétence de vos services, ajoutée à notre détermination, nous aidera sans doute à lever les obstacles juridiques qui pourraient se faire jour.

Au moment de la reprise, cet après-midi, je vous ai soumis un amendement qui visait à aligner les pays à fiscalité privilégiée sur les pays non coopératifs, afin que les bénéfices indirectement transférés à des filiales puissent être pris en compte au moment de la déclaration fiscale. J’ai compris, d’après la réponse du rapporteur général, que l’on pouvait considérer que ma demande était satisfaite à travers la disposition initialement inscrite à l’article 15.

Je ne peux m’empêcher de faire le lien entre les deux questions. En effet, il s’agit de la déclaration faite à la fin de l’exercice. Or les entreprises, pour démontrer la possibilité d’intégrer certains bénéfices, devront s’appuyer sur des éléments concrets. À cet égard, le schéma proposé à travers le présent amendement constitue un outil quasiment indispensable. La disposition qui va nous être soumise tout à l’heure ne peut donc se passer de ce schéma concernant l’optimisation fiscale, lequel possède des vertus aussi bien préventives – voire dissuasives – qu’analytiques, dans la mesure où il peut apporter une aide au moment de la déclaration fiscale. Même si ce n’est pas délibéré, il me semble que nous avons là un puzzle qui s’assemble : tout cela va dans le bon sens.

M. le président. La parole est à Mme Sandrine Mazetier.

Mme Sandrine Mazetier. Cet amendement est le premier d’une série dont le but est de marquer que nous partageons la détermination du Gouvernement, lequel a témoigné, dès son entrée en responsabilité, de sa volonté de lutter contre la fraude, mais aussi, au-delà de ce qui relève clairement de la fraude, contre les schémas d’optimisation fiscale permettant à des centaines de millions, voire des milliards d’euros, d’échapper aux caisses de l’État, ce qui n’est pas acceptable.

L’optimisation fiscale a pour conséquence de rendre acceptables des taux d’imposition de plus en plus élevés. En effet, un certain nombre d’entreprises ne s’acquittent pas, en réalité, de l’impôt sur les sociétés. Le fait que notre pays affiche des taux de plus en plus élevés ne leur pose donc aucun problème.

Cet état de fait a des conséquences en cascade. La première, à l’heure où l’on parle de contrat de confiance, est de produire un effet tout à fait catastrophique sur l’ensemble du corps social. La seconde est que de grandes quantités d’argent manquent dans les caisses de l’État, mais aussi celles des collectivités locales.

Hier, nous avons eu un délicieux échange sur la fiscalité locale liée aux DMTO. Il est d’ailleurs dommage que nos camarades départementalistes ne soient plus là… (Sourires.) Quoi qu’il en soit, on observe, s’agissant de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises – l’un des fondements de la refonte de la taxe professionnelle –, et alors que les villes et les départements n’ont aucun pouvoir de modifier le taux, des amplitudes de 15 % dans un sens ou dans l’autre, selon les années. Or, le nombre d’entreprises censées acquitter cette taxe est inchangé. La différence est de l’ordre de 200 millions d’euros pour une petite collectivité locale comme Paris. La seule explication réside dans l’existence de procédés – parfaitement légaux, car ce n’est pas de la fraude – d’optimisation fiscale.

La détermination du Gouvernement ne fait aucun doute, de même, d’ailleurs, que celle de la majorité. J’entends le souhait du Gouvernement d’avancer et de sécuriser les dispositifs, mais je ne pense pas que l’on puisse dire des amendements soutenus par le groupe socialiste et au-delà – j’associe notamment à notre démarche notre collègue Éric Alauzet – qu’ils ne ménagent pas le temps nécessaire pour que l’on s’assure de la sécurité juridique. De toute façon, il me semble important que, au moins dans cette enceinte, le message soit unanime, mais aussi clair et sonore.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.

M. Christian Eckert, rapporteur général. Je me suis peu exprimé et ne le ferai que modérément sur ces questions. À ce stade du débat, je voudrais tout de même exposer le point de vue du rapporteur général.

D’abord, je me réjouis qu’il y ait une convergence entre nous sur les objectifs poursuivis, à savoir progresser et engranger, semaine après semaine, mois après mois, les avancées sur une question techniquement très lourde et difficile, comme chacun peut le mesurer.

Ensuite, il peut certes exister quelques différences dans la gestion du temps. Je vous rappelle tout de même, monsieur le ministre, que le rapport remarquable de nos collègues Éric Woerth et Pierre-Alain Muet a été publié au mois de juillet dernier.

Mme Sandrine Mazetier. Eh oui ! Il est d’ailleurs dommage que M. Woerth ne soit pas là.

M. Christian Eckert, rapporteur général. Or nous sommes aujourd’hui à la fin de l’année. Ces amendements ne sont que la mise en œuvre des propositions du rapport, lesquelles ont besoin, vous le savez comme moi, d’un support législatif. En est-il de meilleur qu’une loi de finances pour traiter de ces questions ? Je voulais appeler l’attention sur ce point pour justifier l’engagement de l’ensemble de notre commission sur ce sujet – même si nous sommes aujourd’hui un peu seuls, une partie de cet hémicycle restant désespérément vide. (Sourires.) Même un vendredi après-midi et après de longues heures de débat, de nombreux parlementaires de notre groupe sont engagés sur la fraude fiscale.

Enfin, nous sommes à un moment charnière où le débat fiscal fait rage – à tort ou à raison – et alors que nous nous apprêtons à aborder, notamment avec les entreprises, car ce sont souvent elles qui sont concernées par ces questions, un certain nombre de discussions sur la fiscalité. Avant cela, nous souhaitons affirmer la nécessité de continuer à avancer sur la lutte contre la fraude.

Tout le monde comprend bien, en effet, que les futures assises de la fiscalité des entreprises ne sauraient avoir pour seul objet – il faut appeler un chat un chat – de négocier telle ou telle diminution, tel ou tel rabais sur un taux ou une assiette : c’est l’ensemble des questions fiscales qui doit être appréhendé. Et cela doit être fait avant le début de ce travail, qui montre la volonté forte du Gouvernement – mais aussi, bien souvent, de la majorité – et qui ne date pas d’aujourd’hui, de dialoguer avec les entreprises pour instaurer de la confiance, de la transparence et de la lisibilité. Nous voulons donner de l’importance à cette question ; c’est aussi l’objet de ces amendements, dont la plupart portent une déclinaison dans le temps qui permet de parler d’un affinage de la mesure – on pardonnera cette image à un Lorrain un peu sidérurgiste…

Nous avons, pour ce faire, la navette parlementaire, bien sûr, mais aussi d’autres textes, à commencer par le projet de loi de finances rectificative.

M. Thierry Mandon. Bien sûr !

M. Christian Eckert, rapporteur général. La mise en œuvre de ces dispositifs complexes est souvent prévue à des échéances lointaines, ce qui nous permettra, chemin faisant, d’affiner les choses. Ainsi, nous atteindrons l’objectif, que nous partageons tous, d’aboutir à des dispositifs parfaitement sûrs juridiquement, opposables et ayant fait l’objet de discussions, aussi bien entre nous qu’avec tous ceux qui peuvent nous aider dans ce formidable travail qu’est le rétablissement de la justice de l’impôt, ce qui permet également de rendre effectif le fameux article de la Déclaration des droits de l’homme qui nous est cher à tous.

Mme Sandrine Mazetier. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Ces débats montrent que nous sommes tous d’accord sur l’objectif. Je vous ai dit très sincèrement quelles étaient mes interrogations ; elles ne portent pas sur le but, ni même sur le délai, mais sur l’efficacité, laquelle appelle un haut niveau de précision juridique. Je m’en remets donc totalement à la sagesse de l’Assemblée.

M. le président. La parole est à M. Thierry Mandon.

M. Thierry Mandon. Au nom du groupe socialiste, je veux d’abord donner acte au ministre du combat qu’il mène sur ce sujet. Loin d’en rester au stade des intentions, vous le menez par des actes concrets – vous avez bien fait de les rappeler dans votre propos introductif. Nul ne doute ici de la volonté inébranlable avec laquelle le Gouvernement lutte contre la fraude fiscale et tous les dispositifs d’optimisation.

Je retiens également de cette discussion votre accord avec l’esprit de cet amendement. Il était essentiel que vous l’exprimiez comme vous l’avez fait. C’est une invitation, que nous prenons comme telle, à en améliorer la lettre dans les semaines qui viennent, d’ici à la fin de la discussion budgétaire ou dans les débats budgétaires qui nous séparent de la mise en œuvre de ce dispositif, prévue en janvier 2015.

Je veux aussi souligner, non pour le regretter, mais pour le constater, notre extrême sentiment de solitude dans cet hémicycle. Je n’y vois évidemment que le signe de la fatigue des parlementaires de l’opposition en ce vendredi après-midi. (Sourires.)

M. Christian Eckert, rapporteur général. Mais non, ils sont tous de l’autre côté de la rue, en train de déjeuner avec l’ancien Président de la République ! (Sourires.)

M. Thierry Mandon. Nous voterons donc cet amendement, tout en ayant bien entendu l’invitation à poursuivre le travail, à laquelle nous ne manquerons pas de répondre.

(L’amendement n527 est adopté à l’unanimité.)

M. le président. La parole est à M. Pierre-Alain Muet, pour soutenir l’amendement n528 de la commission des finances.

M. Pierre-Alain Muet. Les grandes entreprises doivent tenir à la disposition de l’administration fiscale des éléments de documentation de leurs prix de transfert. Le manquement à cette obligation entraîne une pénalité égale au maximum à 5 % du montant de l’éventuelle rectification. Il a été relevé dans des rapports de l’inspection générale des finances et d’une mission d’information pour laquelle j’étais rapporteur que la pénalité était étonnamment fondée sur le montant de la rectification. Une entreprise qui ne serait pas redressée parce qu’elle aurait manqué à cette obligation ne serait ainsi pas pénalisée, ce qui n’est pas logique. Il conviendrait de prévoir une pénalité déliée de tout lien avec le redressement. Tel est l’objet de cet amendement, que la commission a accepté.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Même avis que précédemment : sagesse.

(L’amendement n528 est adopté.)

M. Pascal Cherki. Excellent !

M. le président. La parole est à Mme Sandrine Mazetier, pour soutenir l’amendement n652.

Mme Sandrine Mazetier. Cet article définit le champ des entreprises soumises à l’obligation de documentation. Le principal critère est le montant du chiffre d’affaires annuel, qui doit être supérieur à 400 millions d’euros. Notre amendement vise à abaisser ce seuil à 200 millions. J’avais proposé de l’abaisser bien davantage, mais cela été jugé excessif, d’où cet amendement plus nuancé qui, en visant un seuil de 200 millions, devrait concerner des entreprises qui ne sont pas exactement des TPE. J’ai en tout cas entendu les critiques portées sur ma première proposition et j’ai bien voulu surélever l’abaissement. (Sourires)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christian Eckert, rapporteur général. La commission n’a examiné cet amendement qu’au titre de l’article 88 et l’a accepté. Je m’en remets à la sagesse de l’Assemblée.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Madame la députée, vous souhaitez étendre l’obligation de documentation des prix de transfert à toutes les entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur à 200 millions d’euros. Votre préoccupation est légitime car tous les rapports sur le sujet démontrent que les prix de transfert entre entreprises d’un même groupe sont le principal vecteur utilisé pour délocaliser de la matière imposable.

S’agissant de votre proposition, vous le savez, les obligations qui pèsent sur les plus grandes entreprises, celles dont le chiffre d’affaires dépasse 400 millions d’euros, ont été récemment renforcées avec la création d’une obligation de déclaration annuelle. Ces entreprises, qui sont déjà tenues de mettre à disposition de l’administration une documentation détaillée sur les prix de transfert, devront dorénavant déclarer chaque année des éléments essentiels de leur politique de prix de transfert.

De surcroît, en cas de contrôle, et s’il existe des présomptions de manipulation de prix de transfert, les entreprises plus petites, qui ne sont pas normalement soumises à ces obligations, doivent fournir à l’administration des éléments sur leur politique de prix de transfert. Les risques de délocalisation de matière imposable ne sont évidemment pas les mêmes entre les très grandes entreprises et les entreprises de taille intermédiaire que vous visez et dont le chiffre d’affaires excède 200 millions d’euros.

Il y a un équilibre à trouver entre la création d’une charge administrative nouvelle et les risques pour les finances publiques. Je me demande si votre proposition ne serait pas susceptible de créer un déséquilibre. Je vous propose de retirer votre amendement, non pas définitivement mais le temps de nous permettre, dans le cadre du dialogue que nous avons déjà noué sur d’autres sujets, d’approfondir la question et d’y réfléchir, quitte à ce que nous présentions un dispositif plus équilibré, mieux défini, en prochaine lecture.

M. le président. La parole est à Mme Sandrine Mazetier.

Mme Sandrine Mazetier. Monsieur le ministre, en retirant cet amendement qui avait déjà été modifié, je transforme le carton rouge que je souhaitais adresser à certains en carton jaune.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Oh !

Mme Sandrine Mazetier. Vous n’étiez pas du tout visé, monsieur le ministre, au contraire ! Que le carton rouge que les groupes majoritaires de cette assemblée ont fort envie de décerner à un certain nombre d’acteurs privés et publics de ce pays, se transforme en carton jaune par le retrait de cet amendement, avant, peut-être, de devenir contrat de confiance lors des Assises de la fiscalité où nous pourrons dialoguer avec des interlocuteurs enfin à l’écoute du pays, comme nous le sommes, nous.

M. le président. La parole est à M. Pascal Cherki.

M. Pascal Cherki. Étant le corédacteur de ce remarquable amendement, je suis d’accord pour que nous le retirions pour le moment, mais je voudrais souligner les propos de Mme Mazetier, en pointe sur ce combat. J’entends bien ce que vous dites, monsieur le ministre. L’enjeu des prix de transfert est principalement l’affaire de grandes multinationales parce qu’il faut détenir un certain nombre de filiales pour l’organiser mais, même avec un chiffre d’affaires de 200 millions, une entreprise, dès lors qu’elle est organisée, peut succomber à la tentation.

Je comprends bien que vous ayez besoin d’un petit délai pour affiner les règles mais il demeure nécessaire de renforcer ce combat. Nous attendons, dans un délai très raisonnable,…

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. En seconde lecture.

M. Pascal Cherki. …en seconde lecture donc, des propositions qui concrétisent l’accord dégagé au sein de cette Assemblée.

(L’amendement n652 est retiré.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur général, pour soutenir l’amendement n540.

M. Christian Eckert, rapporteur général. J’associerai à cet amendement important notre collègue Pierre-Alain Muet. La question des rulings me préoccupe. Vous avez eu l’amabilité, monsieur le ministre, de dire à demi-mot que j’avais pu, compte tenu de mes fonctions, avoir connaissance d’un certain nombre de dossiers fiscaux de très grandes entreprises. Bien entendu, astreint au secret fiscal, je ne peux en dire davantage.

Revenons à ces fameux ruling. En découvrant ces mécanismes, je me suis demandé de quoi il s’agissait. L’on m’a répondu que ce serait l’équivalent, chez nous, du rescrit fiscal, trop peu utilisé d’ailleurs. Cependant, à y regarder de plus près, je me suis aperçu que, dans un certain nombre de pays, il s’agissait plutôt de faire du sur-mesure qui permette d’aboutir à une sorte d’arrangement adapté à la situation pour renforcer l’attractivité et inciter à des transferts.

En nous inspirant du rapport déjà cité à plusieurs reprises, nous avons souhaité, avec Pierre-Alain Muet, demander à ce que, dans le cadre de la documentation nécessaire sur la justification des prix de transfert, nous soyons informés de ces rulings. Nous sommes très attachés à l’égalité de chaque citoyen, de chaque entreprise, devant l’impôt. J’ose espérer que c’est le cas d’autres pays où la pratique de ces rulings pose question. Il ne s’agit pas de s’ingérer dans la gestion des dossiers fiscaux de pays étrangers, mais, pour évaluer la pertinence, la justesse de l’évaluation des prix de transfert et des redressements à y apporter le cas échéant, il est indispensable que nous disposions de ces documents.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Nous sommes favorables à l’esprit et à la lettre de cet amendement auquel nous pourrions encore réfléchir, dans le cadre de la navette, pour en améliorer la rédaction ensemble.

(L’amendement n540 est adopté.)

M. le président. La parole est à Mme Sandrine Mazetier, pour soutenir l’amendement n529 de la commission des finances.

Mme Sandrine Mazetier. Cet amendement illustre la volonté partagée du Gouvernement, du ministre, de ses collaborateurs, de cette majorité – le groupe socialiste, mais également nos collègues M. Alauzet et M. Sansu –, d’agir efficacement en la matière, après des mois de travail à l’occasion d’un premier projet de loi de finances rectificative en 2012, puis du projet de loi sur la lutte contre la fraude fiscale et la délinquance économique, qui ont abouti, à l’occasion de ce projet de loi de finances, à un certain nombre d’amendements, dont celui-ci qui vise à ajouter des obligations documentaires, en rendant obligatoire la communication de la comptabilité analytique et des comptes consolidés au service vérificateur lors des opérations de contrôle sur place.

Cette mesure donnera des armes à l’administration fiscale, qui fait preuve d’un dévouement absolu et à laquelle je veux rendre hommage, pour servir notre objectif commun et faire la différence entre les entreprises, les grands groupes, les entreprises de taille intermédiaire ou les petites qui acquittent en toute bonne foi leurs obligations fiscales et celles qui font profession d’échapper à toute taxation.

L’adoption de cet amendement serait une grande avancée. Je ne pense pas que quiconque s’y oppose puisqu’aucun député de l’opposition n’est présent. Je voudrais rendre hommage à tous ceux qui ont permis que cet amendement existe. La commission a accepté cette proposition.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Le Gouvernement est très favorable à cet amendement qui permet de renforcer l’efficacité du contrôle de l’administration fiscale, très demandeuse de ce dispositif, sans créer de charge supplémentaire pour les entreprises puisqu’il ne s’applique, par définition, qu’à celles qui tiennent déjà une comptabilité analytique. Il est normal, dans ce cas, que les vérificateurs puissent en prendre connaissance pour bien analyser et comprendre la totalité d’opérations complexes. L’appréhension de la comptabilité analytique d’une entreprise peut être un bon moyen de sonder un certain nombre de pratiques, de les identifier et d’optimiser le contrôle.

Je vous remercie d’avoir déposé cet amendement.

(L’amendement n529 est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Pierre-Alain Muet, pour soutenir l’amendement n530 de la commission des finances.

M. Pierre-Alain Muet. Cet amendement, que la commission des finances a adopté, ne change dans le livre des procédures fiscales qu’un mot, mais un mot important.

Une des difficultés que rencontre l’administration fiscale, lorsqu’elle procède à des redressements sur le fondement de l’abus de droit, est de démontrer que la réorganisation ou la délocalisation mise en œuvre par l’entreprise a pour unique motif d’échapper à l’impôt. Pour une entreprise qui délocalise dans un paradis fiscal, ou dans un pays étape vers un paradis fiscal, il est assez aisé de prouver l’existence d’un autre élément, et de faire ainsi obstacle à l’application de l’abus de droit.

Nous proposons donc de remplacer le motif exclusif par le motif principal. Un amendement comparable avait été adopté au Sénat : M. le ministre avait alors déclaré qu’il était important de se donner le temps de réfléchir à ce dispositif, et surtout, à sa mise en œuvre. Nous le faisons, en prévoyant un délai de deux ans.

Cet amendement reprend la proposition n1 du rapport sur l’optimisation fiscale des entreprises dans un contexte international, adopté à l’unanimité par la commission des finances. Les entreprises font souvent valoir qu’elles respectent la lettre des législations. Certes, mais elles en contournent l’esprit. Que de grandes entreprises multinationales parviennent à ne payer aucun impôt dans pratiquement aucun pays est contraire à l’esprit des législations nationales mais aussi aux principes fondamentaux, notamment à l’article 13 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen aux termes duquel chacun est imposé en fonction de ses facultés.

Le résultat de cette optimisation fiscale agressive est que ce qui est imposé est ce qui n’est pas mobile : il s’agit, pour l’essentiel, du travail, ce qui n’est pas efficace d’un point de vue économique. De surcroît, ce sont les entreprises plus petites, qui ont bien autre chose à faire que de l’optimisation fiscale, qui acquittent l’impôt sur les sociétés, tandis que les grandes y échappent.

Ce sujet est fondamental et je pense que notre assemblée votera cet amendement sans hésiter, quitte à l’affiner ultérieurement. Les choses doivent changer dans ce domaine, et c’est à nous, parlementaires, de le dire.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Comme je le disais dans mon intervention liminaire, certains sujets ont une dimension juridique qui peut, si elle n’est pas maîtrisée, altérer la portée de ce que nous souhaitons faire ensemble politiquement. C’est une question d’efficacité.

L’abus de droit permet à l’administration d’écarter certains actes juridiques, notamment ceux qui sont fondés sur une application des textes contraire à leurs objectifs et qui ne sont inspirés par aucun autre motif que celui d’éluder ou d’atténuer des charges fiscales. L’abus de droit peut s’appliquer à tous les impôts et concerner aussi bien les entreprises que les particuliers.

Il s’agit d’une procédure exceptionnelle, particulièrement dérogatoire du droit commun, parce qu’elle permet à l’administration d’écarter des actes juridiques et qu’elle est assortie d’une sanction très lourde, l’application d’une majoration de près de 80 %.

Compte tenu des difficultés qu’elle soulève, la solution de l’abandon du caractère exclusif du but fiscal a déjà été écartée à plusieurs reprises, notamment en 2008 dans le rapport du conseiller d’État Olivier Fouquet sur l’amélioration des relations entre le contribuable et l’administration fiscale.

Vous avez déjà annoncé quel serait le vote de l’assemblée, monsieur le député. Je ne prétends donc pas vous convaincre… (Sourires). Mais je souhaite approfondir notre échange.

Le premier obstacle à la solution que vous proposez renvoie à un problème de méthode : comment apprécier in concreto le poids d’un but autre que fiscal – but patrimonial, de protection d’un parent, de préservation de l’unité de l’exploitation familiale, but économique – au regard du but fiscal, lequel s’apprécie immédiatement en fonction du montant de l’impôt évité ? En d’autres termes, comment apprécier le poids d’un avantage pécuniaire recherché par rapport à un autre avantage, qui n’est pas forcément chiffrable, et comment apprécier alors, si le premier est principal par rapport au second ?

Par ailleurs, le changement de qualificatif conduit à changer la nature de l’appréciation portée sur l’opération. Actuellement, l’administration doit pouvoir écarter tout but autre que fiscal dont se prévaut le contribuable. Avec la réforme proposée, on passera d’une question de droit précise – le but fiscal est-il ou non exclusif ? – à une question de fait – le but fiscal est-il ou non principal ? L’appréciation deviendra pure appréciation de fait, donc discutable.

Il appartiendra alors au juge d’apprécier le résultat de la « pesée » effectuée par l’administration. Il en découlera, c’est ma crainte, une insécurité juridique pour les acteurs, compte tenu des positions divergentes que pourraient prendre les différentes juridictions, faute de critères juridiques avérés caractérisant un but « principalement » fiscal.

Les procédures de contrôle fondées sur l’abus de droit, qui représentent une charge administrative pour les entreprises mais aussi, je tiens à le rappeler, un investissement de moyens pour l’administration fiscale, risqueront, après avoir été menées à leur terme, d’aboutir à une annulation pure et simple par le juge. Telle n’est pas la bonne voie à suivre si nous voulons lutter plus efficacement contre la fraude et l’optimisation fiscales.

Par ailleurs, juge de cassation et non de fond, le Conseil d’État ne pourra jouer son rôle de régulateur. Ainsi, un même montage pourra être apprécié par des juges appartenant à des juridictions géographiquement distinctes, dans le cas, par exemple, d’associés de sociétés de personnes domiciliés dans des départements différents, et aboutir à des solutions radicalement opposées. Cette insécurité fiscale, compte tenu des sanctions qui s’y rattachent, risquerait de se voir immédiatement condamner par la Cour européenne des droits de l’homme.

Enfin, cette nouvelle définition de l’abus serait contraire à celle donnée, dans certains arrêts, par la Cour de justice de l’Union européenne. En effet, même si ce n’est pas toujours le cas, il lui est arrivé de conditionner l’existence d’une fraude à la loi à la condition que les opérations soient réalisées « dans le seul but » de bénéficier abusivement des avantages prévus par le droit communautaire.

Mme Karine Berger. Ce n’est pas systématique !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Je pense, madame la députée, à l’affaire Her Majesty’s Commissioners of Revenue and Customs c/Paul Newey, dont le jugement a été rendu le 20 juin 2013. Modifier le droit français dans ces conditions ne pourrait que créer une insécurité supplémentaire pour les montages transfrontaliers.

Toute réforme de cette procédure doit donc être conduite avec une grande prudence, en en mesurant préalablement toutes les conséquences. Si je partage avec vous l’objectif de lutte contre la fraude et contre les montages abusifs, je souhaite que nous nous assurions qu’une nouvelle définition de l’abus de droit bénéficie de la plus grande sécurité juridique pour être comprise par les agents économiques, utilisée de manière uniforme par l’administration et contrôlée par le juge sans divergence d’interprétation.

Ces questions n’ont cessé d’occuper mon esprit depuis que j’ai pris connaissance de votre amendement, ce qui est bien normal puisque je suis garant de la manière dont l’administration utilisera cette procédure et, surtout, de la façon dont le juge appréciera les actes de l’administration.

Cet amendement est pertinent, mais il pose des questions de droit. Prenons le temps de les traiter ensemble. Je vous demande donc de le retirer, à défaut de quoi je m’en remettrais à la sagesse de l’Assemblée.

M. le président. La parole est à M. Pascal Cherki.

M. Pascal Cherki. Monsieur le ministre, nous nous sommes posé les mêmes questions en rédigeant cet amendement. Vous avez raison d’insister sur le fait que nous allons entrer dans un champ nouveau, puisqu’en passant de la notion de but exclusif à celle de but principal, nous donnons à l’administration fiscale une marge d’interprétation importante, et le pouvoir d’explorer un certain nombre d’affaires à la lumière nouvelle de l’abus de droit.

Certes, c’est une procédure complexe à manier, mais elle constitue l’arme ultime tant il est impossible, dans l’état du droit actuel, de caractériser certains comportements autrement que par l’abus de droit. Le combat est parfois asymétrique : il convient de rétablir l’égalité des armes. C’est l’objectif de cette nécessaire évolution.

Les rapports, dont celui du sénateur Éric Bocquet, les réflexions, notamment sur la nouvelle géographie économique, convergent : il doit y avoir adéquation entre le droit, son évolution et le comportement économique objectif d’un certain nombre d’acteurs. Nous sommes dans cette matière grise, et comme dans toute matière grise, des risques s’y nichent. Mais il faut parfois savoir employer de nouvelles armes pour avancer.

Vous dites, monsieur le ministre, que votre administration devra utiliser de manière uniforme cette procédure. La jurisprudence y contribuera. Les contentieux ne seront nombreux que si l’administration fait un usage immodéré de cette nouvelle possibilité que nous lui offrons. Car pour qu’il y ait contentieux, il faut qu’il y ait redressement, donc caractérisation par l’administration de l’abus de droit. Si l’administration fixe elle-même une doctrine, de son point de vue raisonnable, le nombre de contentieux sera restreint.

Voyez la méthode du faisceau d’indices, monsieur le ministre : c’est une œuvre prétorienne, qui a permis d’évoluer, notamment sur la notion de service public. Vous êtes trop fin juriste pour ne pas savoir que le droit, comme l’a montré le doyen Carbonnier, est flexible. Il faut donc lui donner les armes de sa flexibilité.

Enfin, le délai que prévoit cet amendement nous laisse encore deux projets de loi de finances pour corriger les choses. Il donne le temps à l’administration fiscale de se saisir de cette nouvelle matière juridique. Nous pouvons faire confiance à cette administration de grande qualité pour maîtriser la marge d’incertitude existante et faire un usage raisonnable des nouvelles armes juridiques que nous mettons à sa portée.

M. le président. La parole est à Mme Karine Berger.

Mme Karine Berger. Je laisse à mes collègues spécialistes du droit le soin d’argumenter sur la manière dont la mesure qui, je l’espère, sera adoptée dans quelques instants, pourra évoluer en fonction de la lecture qu’en feront les juristes.

En revanche, je souhaite revenir sur la notion d’abus de droit. M. le ministre faisait référence au droit européen : la Cour de justice de l’Union européenne a fait pour la première fois de la lutte contre l’abus de droit un motif d’intérêt général. Voilà pour la lecture juridique et européenne de cette notion.

Je voudrais en faire une lecture politique : que signifie réellement l’abus de droit ? Il s’agit d’individus, de responsables, d’entreprises qui connaissent le droit, qui connaissent l’esprit de la loi et qui connaissent le pacte social et républicain, et qui, pourtant, choisissent d’en abuser. Chose extraordinaire ! Voici des gens qui, en toute connaissance de cause, décident d’abuser des possibilités, ou plutôt de la souplesse – comme le disait M. Cherki – de la loi. Et pourquoi en abusent-ils ? Pour ne pas respecter le pacte social et républicain en France ou le pacte social d’autres pays européens. En France, par exemple, huit des quarante entreprises cotées au CAC 40 ne s’acquittent pas de l’impôt sur les sociétés parce qu’elles abusent du droit français. De même, un patron de grande entreprise, en créant une fondation en Belgique pour que ses enfants échappent à l’impôt sur l’héritage en France, abuse du droit français qui lui donne cette possibilité d’aller circuler en Belgique. Je pourrais donner bien d’autres exemples.

Nous souhaitons donc que l’État ne reste pas impuissant face à tous ceux qui, en connaissance de cause, abusent de notre droit.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.

M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. J’ai été séduit, voire convaincu par les propositions du rapport de MM. Muet et Woerth, de même que par l’argumentation présentée en faveur de cet amendement. Pourtant, j’ai été récemment amené à lire un article de M. Olivier Fouquet, qui a longtemps présidé la section des finances du Conseil d’État. J’ai beau ne pas être juriste, ce texte me donne tout de même matière à réfléchir. Permettez-moi de vous en citer deux brefs extraits qui résument bien le problème, au-delà de la complexité du raisonnement juridique. « Vouloir obliger le Conseil d’État ou la Cour de cassation », qui ont à juger l’abus de droit, « à ne plus appliquer en matière fiscale le concept de fraude à la loi peut paraître à bien des égards utopique. Que fait aujourd’hui le Conseil d’État pour apprécier si le seul motif d’une opération est fiscal ? Il compare l’avantage économique et l’avantage fiscal retirés respectivement par le contribuable de l’opération critiquée. Si l’avantage fiscal est prépondérant par rapport à l’avantage économique, il considère que le contribuable a été inspiré par un motif exclusivement fiscal. » Cette jurisprudence a d’ailleurs été récemment confirmée dans l’affaire dite des « coquillards » le 17 juillet dernier.

Or, en droit européen, c’est le mot « essentiellement » qui a été adopté, monsieur Muet. C’est ainsi que M. Fouquet poursuit son raisonnement sur la jurisprudence européenne : « Pour qu’un montage ne soit pas artificiel, il ne suffit pas qu’il présente un intérêt économique pour l’opérateur, si faible soit-il, il faut encore que cet avantage économique soit prépondérant par rapport à l’avantage fiscal. »

Mme Valérie Rabault. Non, principal !

M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. Écoutez la suite, qui est particulièrement intéressante : « En pratique, il semble bien que, dans le vocabulaire de la Cour de justice de l’Union européenne, le terme « essentiellement », aujourd’hui abandonné, n’ait rien ajouté au critère de l’obtention d’un avantage fiscal : c’est blanc bonnet et bonnet blanc. »

Mme Sandrine Mazetier. Et bonnet rouge !

M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. Pourquoi en irait-il autrement pour le Conseil d’État ? Je vous livre ce point de vue qui m’a étonné et m’a donné à réfléchir. Nous n’avons ni le temps ni la compétence pour engager ce débat, mais j’ai le sentiment, surtout après avoir entendu M. le ministre, que le sujet n’est pas aussi simple que nous le croyons les uns et les autres.

M. Pascal Cherki. C’est pourquoi le ministre fera un usage raisonnable et modéré de cette disposition !

M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. Nous avons jusqu’en 2016 pour en reparler !

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Votre intervention, monsieur Cherki, était d’une très grande intelligence, d’une très grande finesse et d’une parfaite pertinence juridique pour quiconque croit que le droit est le résultat d’un rapport de force, en vertu de considérations philosophiques que je ne partage pas. Certains juristes estiment en effet que le droit n’est le résultat exclusif que d’un rapport de force. C’est ce qui vous a conduit, monsieur Cherki, à me donner ce conseil, que je fais mien, de rétablir grâce au droit l’équilibre entre les puissants qui procèdent à des opérations d’optimisation fiscale d’un côté et, de l’autre, l’État qui doit percevoir des recettes de leur part. C’est ainsi que le droit et le travail législatif sont finement interprétés comme un moyen permettant de rétablir un rapport de force.

Je préfère toutefois, pour ma part, une autre philosophie issue d’un héritage différent : en toutes matières, dès qu’il s’agit du droit, « il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir », écrivait Montesquieu. En effet, dès lors qu’il comporte une part d’incertitude, comme vous l’avez dit, le droit n’est efficace que si ceux qui le font se posent la question de connaître avec rigueur et précision les conditions dans lesquelles il sera appliqué.

M. Pascal Cherki. Tout à fait !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Voici donc un premier point sur lequel je tiens à vous dire mon amical désaccord, qui inspire néanmoins les positions que je prends devant vous sur cette question.

Cette part d’incertitude du droit m’amène à répondre à Mme Berger et à M. Muet qui ont évoqué la Cour de justice de l’Union européenne, laquelle a prononcé plusieurs arrêts. C’est précisément parce que ces arrêts ne disent pas tous la même chose que j’estime que la matière est mouvante. Ainsi, certains membres de la Cour jugent que l’un des considérants de l’arrêt Halifax, qui évoque un but « principalement fiscal », donne désormais l’orientation de la jurisprudence européenne. D’autres, au contraire, font référence à l’arrêt Cadbury-Schweppes, antérieur, ou à l’arrêt que j’ai mentionné précédemment, lesquels invoquent plutôt un motif « exclusivement fiscal ». La jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne est donc fluctuante et me conduit à poser la question de la stabilité juridique.

D’autre part, M. Cherki estime que l’importance du contentieux dépendra du comportement de l’administration. Dans un État de droit, pourtant, l’administration doit appliquer le droit de façon systématique dès lors que les cas qui lui sont soumis justifient que le droit s’applique. Autrement, ce n’est pas un État de droit. Si nous adoptons cette disposition, l’administration sera donc tenue de l’appliquer systématiquement aux dossiers dont elle sera saisie. Et que se passera-t-il alors ? À cet égard, mon raisonnement est exactement inverse au vôtre, monsieur Cherki : plus les cas se multiplieront dans un contexte juridique incertain et plus le juge devra prendre position sur les décisions de l’administration ; et plus il le fera, plus l’incertitude juridique croîtra. De là vient ma crainte.

Enfin, nous sommes d’accord sur l’objectif : nous pouvons donc prendre le plaisir sans fin du débat, mais la contrainte du temps m’oblige une fois de plus à vous renvoyer à la sagesse.

M. le président. La parole est à M. Pierre-Alain Muet.

M. Pierre-Alain Muet. Vous avez, monsieur le ministre, évoqué avec raison la Cour de justice de l’Union européenne qui, dans un arrêt de 2008, a créé l’émoi dans la jurisprudence en employant le terme « essentiellement » en anglais – essentially. N’étant pas juriste, j’ai lu attentivement les écrits de M. Fouquet et d’autres et, comme scientifique, je pèse scrupuleusement le sens des mots. Or, je constate que, dans le lexique économique – mais le remarque doit valoir pour le lexique juridique – le mot anglais essential ne peut se traduire que de deux façons différentes : par « essentiel » ou par « principal ». La même idée a donc produit deux amendements : l’un, présenté par M. Marini et adopté à l’unanimité au Sénat, emploie le mot « essentiel » ; l’autre utilise le mot « principal ».

À la lecture attentive des écrits de M. Fouquet, je trouve deux arguments contradictoires qui s’opposent à l’emploi du terme « principal ». D’une part, M. Fouquet estime qu’adopter ce terme créerait une énorme incertitude. Il nous dit alors que la traduction du mot anglais essential est « exclusif » : j’ai le regret de répondre que c’est faux, car l’adjectif « exclusif » se traduit par le terme identique en anglais. Plus loin, M. Fouquet estime qu’en se contentant du terme « exclusif », le droit englobe les cas où l’avantage fiscal est prépondérant par rapport à l’avantage économique.

Autrement dit, M. Fouquet nous dit d’une part que l’adoption de la rédaction proposée par l’amendement est très dangereuse, et d’autre part qu’elle n’est au fond pas nécessaire puisque la rédaction actuelle signifie « principalement ».

Je dis quant à moi qu’il appartient aux parlementaires d’employer les mots qu’ils souhaitent. Puisque les mots ont un sens, utilisons-les à bon escient. Si nous souhaitons que le concept en vigueur soit celui de « prépondérance », adoptons donc la formule du « motif principal ». Les deux ans qui viennent permettront de traiter les différends nés de l’ancienne rédaction et de poursuivre la réflexion sur la manière de satisfaire au souhait du Parlement. C’est à nous, représentants du peuple, qu’il appartient de dire le droit !

Une pétition citoyenne a d’ailleurs été lancée hier après-midi pour soutenir cet amendement, et elle a déjà recueilli plus de 110 000 signatures.

Mme Karine Berger. Bravo !

M. Pierre-Alain Muet. Cela prouve qu’après la crise majeure que nous avons connue les choses doivent changer. Oui, monsieur le ministre, la jurisprudence doit évoluer, car après une telle crise, qui a plongé des pays entiers dans d’extrêmes difficultés, on ne saurait plus traiter des sujets tels que l’optimisation fiscale ou la régulation financière comme on le faisait auparavant. C’est tout l’objet de notre amendement, et j’espère que l’Assemblée le votera !

Mme Karine Berger et Mme Sandrine Mazetier. Bravo !

M. le président. La parole est à Mme Valérie Rabault.

Mme Valérie Rabault. Monsieur le ministre, je vais également citer Montesquieu : « La liberté est le droit de faire tout ce que les lois permettent. » Nous sommes en train de définir la loi et, par conséquent, le champ de la liberté d’action qu’elle laisse à chacun.

N’étant pas juriste, j’envisage la question sous l’angle économique. Chaque fois que le droit rencontre l’économie, nous avons ce type de débat. J’ai parfaitement entendu ce qu’a dit M. le président de la commission des finances à propos du terme « prépondérant », c’est-à-dire du fait que l’avantage économique soit prépondérant par rapport au chiffre d’affaires ou à a marge que l’on peut dégager. Ce n’est pas une notion de droit, c’est une notion économique. Au vu du résultat obtenu, il faut se demander quel est le premier facteur qui explique ce résultat. Est-ce un changement de fiscalité, ou le fait d’avoir fait de bonnes ventes dans un pays donné ?

Il s’agit là d’une notion économique qui n’entre peut-être pas totalement dans le cadre précis du droit, mais qui rejoint parfaitement l’amendement de Pierre-Alain Muet et la notion de « motif principal ». Je pense que cette avancée est extrêmement importante.

M. le président. La parole est à Mme Sandrine Mazetier.

Mme Sandrine Mazetier. C’est un sujet que nous avons eu l’occasion d’évoquer à de nombreuses reprises, en première lecture du projet de loi que vous défendiez, monsieur le ministre, avec Mme la garde des sceaux, sur la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, et aussi en première partie du projet de loi de finances.

Entre-temps, les propositions, y compris celles du groupe socialiste, ont évolué pour ce qui est de la forme et des délais d’application. Chacun a donc eu le temps de se conformer au projet de la majorité et du Gouvernement.

En tant que co-rapporteure du projet de loi de lutte contre la fraude fiscale, j’ai été très frappée d’entendre les avocats fiscalistes que nous avons reçus nous dire que l’intention du législateur, parfois, n’était pas claire, et nous demander d’être clairs et précis quant au choix des mots et aux délais d’application.

J’ai aussi été très frappée par les contradictions de jurisprudence, y compris entre deux chambres d’une même juridiction, par exemple sur le blanchiment de la fraude fiscale ou sur l’exploitation de fichiers de sources dites « illicites » par la justice ou par l’administration fiscale. Donc, je me dis que, si le droit n’est pas le pur produit d’un rapport de force, il l’est tout de même un petit peu. Quoi qu’il en soit, c’est notre métier, c’est notre mandat que de faire le droit, et nous le faisons.

M. le président. La parole est à M. Pascal Cherki.

M. Pascal Cherki. Monsieur le ministre, je ne prétends pas être un philosophe du droit. Je me suis arrêté en DEA, je ne suis pas allé jusqu’au bout… Peut-être me suis-je mal exprimé, puisque vous voulez faire de moi un marxiste mécaniste ! Cela étant, même les marxistes pensent qu’il y a une autonomie relative du droit. C’est la raison pour laquelle, en 2005, j’étais contre le Traité constitutionnel. Je pensais que, le droit n’étant pas seulement l’expression d’un rapport de forces, il produirait, une fois entré en application, des effets sur l’ordre social. Et je crois qu’à cette époque, monsieur le ministre, vous partagiez mon avis.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Pas pour les mêmes raisons…

M. Pascal Cherki. Le débat ne porte pas sur la nature du droit, mais sur son efficience. À quel moment le droit devient-il efficient ? Ce n’est pas une novation que nous sommes en train de faire dans le champ juridique. Je pense à ces notions grises qui rendent parfois compliqué le fonctionnement de l’ordre juridique français et des pays de droit écrit, c’est-à-dire le syllogisme. En l’occurrence, nous sommes dans la confrontation entre une culture juridique fondée sur le syllogisme et celle de la Cour de justice de l’Union européenne qui intègre des éléments de la common law. Mais nous n’allons pas débattre de ces questions maintenant !

La notion de « perte de chance » a mis des années à être fixée par la jurisprudence. Tout comme l’abus de droit, c’est une notion-« balai »dans laquelle on essaie de rassembler un certain nombre de questions, ce que le droit, à travers l’énoncé d’articles syllogistiques, ne permet pas.

Vous avez raison, monsieur le ministre, d’insister sur ces questions, mais, en matière fiscale, la doctrine est fixée en premier lieu par l’administration. Nous n’allons pas débattre ici de l’ensemble des textes ou des articles du code général des impôts qui donnent lieu à interprétation, mais vous avez la responsabilité de fixer, en partie, la doctrine.

S’agissant des affaires que vous traitez en ce moment, l’amendement ne changera rien. Quand vous considérerez, dans l’examen d’un dossier, qu’il y a une volonté « exclusive » de détourner la loi, qu’il y a un abus de droit, vous gagnerez devant les tribunaux. Donc, vous n’ajouterez pas d’insécurité juridique par rapport aux situations que vous traitez habituellement.

La question se posera pour les affaires où cette volonté ne sera plus « exclusive » mais « principale ». Eh bien, prenons ensemble le risque de perdre parfois quelques contentieux, sachant aucune affaire qui aurait été traitée auparavant en vertu du critère de l’exclusivité ne risquerait d’être perdue. L’administration ne sera donc nullement empêchée de faire son travail et de récupérer des recettes fiscales.

Par contre, il faudra sans doute quelques années pour fixer la notion de « principal », puisque nous sommes dans un domaine nouveau. Je parlais de la perte de chance, je pourrais également parler de concepts juridiques ayant nécessité, eux aussi, un certain nombre d’allers-retours.

Avant, ces allers-retours avaient lieu entre les juridictions du premier degré et la Cour de cassation ; ce sera désormais entre les juridictions françaises du premier degré en France, le Conseil d’État et la Cour de justice de l’Union européenne. En décidant cette novation dans le domaine du droit, nous travaillons pour les années à venir.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Nous allons pouvoir clore ce débat, qui fut riche et consistant.

D’abord, je veux dire à Pierre-Alain Muet qu’il n’y a pas, d’un côté, des parlementaires ayant pris conscience de ce qu’étaient les conséquences de la crise et un gouvernement qui serait pusillanime. Nous recherchons bien les mêmes objectifs. Le débat montre d’ailleurs que la question est celle de l’efficacité, de l’efficience de ce que nous faisons, comme l’a dit à l’instant Pascal Cherki. Je retiens notre détermination commune à aboutir.

Ensuite, n’opposons pas dans cette affaire le droit et l’économie. Si nous prenons des dispositions juridiquement incertaines ayant, sur les entreprises et l’économie, des effets pernicieux qui nous conduisent à ne pas atteindre notre cible, nous aurons perdu sur le triple terrain juridique, économique et politique.

Je retiens de notre débat qu’il nous faut, quoi qu’il advienne de cet amendement, prendre le temps de poursuivre cet échange. Nous ne devons pas nous dispenser, sous prétexte que le vote aura eu lieu, de tout travail de fond sur les aspects de droit. Nous devons poursuivre ensemble ce travail.

Je m’en remets à la sagesse de l’Assemblée afin qu’elle se prononce comme elle le souhaite.

(L’amendement n530 est adopté.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur général, pour soutenir l’amendement n531.

M. Christian Eckert, rapporteur général. J’espère ne pas ouvrir un débat aussi passionnant que le précédent ! (Sourires.)

Il s’agit de la procédure amiable. Lorsqu’il y a des transferts, souvent fictifs, d’un pays à l’autre, à l’intérieur d’un groupe, l’évaluation des prix de transfert donne lieu parfois – et même souvent – à des redressements de la part de l’administration fiscale française. Je fais ici référence à certaines affaires dont le volume pourrait nous laisser pantois, s’agissant de montants qui se chiffrent, non en millions, non en dizaines ou en centaines de millions, mais en milliards d’euros.

Lorsque l’administration notifie un redressement parce qu’elle conteste l’évaluation des prix de transfert, il se trouve que, dans l’état du droit actuel, ce redressement ne donne pas lieu à paiement si l’entreprise saisit ce que l’on appelle, d’un nom assez curieux, la procédure amiable, laquelle réunit trois parties : l’entreprise, l’État français et l’État vers lequel il y a eu transfert. Vous imaginez la longueur et la lourdeur de cette opération, les contestations, les allers, les retours, les expertises, les contre-expertises et les appels. Pendant tout ce temps, l’entreprise ne paie pas ce qui lui est réclamé par le fisc français.

L’objectif de cet amendement est que le paiement soit dû, quitte à ce qu’au bout de la procédure – qu’il faudrait rebaptiser, car il est un peu étrange de la qualifier d’amiable –, il puisse y avoir ajustement, en plus ou en moins, en fonction de l’issue de la procédure.

J’ai bien conscience de ce que l’amendement pourrait être encore affiné, complété au cours d’une lecture ultérieure, et j’y suis prêt, mais il serait de bon aloi, en attendant, de voter cette disposition qui figure dans le rapport Muet-Woerth, lequel est une référence, une bible en la matière, ainsi que dans un rapport récent – de mars 2013, je crois – de l’Inspection générale des finances, qui préconise de corriger la procédure actuelle, que nous sommes seuls à pratiquer en Europe.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Comme vous le savez, monsieur le rapporteur général, aux termes de notre législation actuelle, la mise en recouvrement des impositions supplémentaires issues de rectifications par l’administration fiscale est suspendue pendant la durée de la procédure amiable destinée à éliminer les doubles impositions. Ce dispositif est dérogatoire au droit commun et n’existe pas chez nos partenaires européens. L’Inspection générale des finances propose donc de la supprimer. C’est également l’objet de votre amendement.

Les principes européens recommandent toutefois que les entreprises qui demandent l’ouverture d’une procédure amiable puissent bénéficier d’un sursis d’imposition équivalent à celui prévu pour les procédures contentieuses internes, par exemple celles prévues au titre de l’article L. 277 du Livre des procédures fiscales. Ce principe résulte notamment du point 8 du code de conduite révisé pour la mise en œuvre de la convention européenne d’arbitrage.

La rédaction actuelle de votre amendement ne prévoit pas cette possibilité. Nous devons donc prolonger le travail rédactionnel, mais nous sommes favorables, malgré tout, au contenu de cet amendement.

Je m’en remets donc à la sagesse de l’Assemblée. Si elle devait adopter l’amendement, cela n’empêcherait pas que nous profitions de la navette pour travailler ensemble à une rédaction plus fine. En tout cas, son esprit, en dehors des considérations rédactionnelles que je viens d’évoquer, ne pose pas de problème au Gouvernement.

(L’amendement n531 est adopté.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Monsieur le président, je demande une brève suspension de séance.

M. le président. Elle est de droit.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures quinze, est reprise à dix-sept heures vingt.)

M. le président. La séance est reprise.

La parole est à Mme Valérie Rabault, pour soutenir l’amendement n729.

Mme Valérie Rabault. Nous proposons que, en cas de demande de transfert de fonds, les établissements bancaires français doivent obtenir de l’administration fiscale un quitus, document attestant que les obligations fiscales sur les fonds que leur client souhaite transférer ont été remplies. En cas de transfert de fonds opéré en l’absence de quitus, les établissements se verraient infliger une amende. Cette disposition existe déjà dans quelques pays en Europe.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christian Eckert, rapporteur général. La commission s’est montrée défavorable à cet amendement qui vise à prélever un quitus de 2 % sur les sommes et valeurs transférées hors du territoire national, le quitus étant restitué lorsque les personnes fournissent des informations garantissant qu’elles ont respecté leurs obligations fiscales. Ce dispositif pose ou peut poser de réelles difficultés de compatibilité avec le droit communautaire au regard du principe de libre circulation des capitaux. Son instauration risquerait en outre d’encourager un recours accru à l’argent liquide pour transférer des fonds. Compte tenu des montants, il représenterait enfin des charges de gestion pour les établissements concernés, et sa mise en œuvre serait sans doute fort complexe.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Le rapporteur général vient de décrire parfaitement la position du Gouvernement sur ce sujet. Non qu’il se soit exprimé en son nom, mais il a dit très exactement ce que j’aurais dit moi-même si j’avais eu à m’exprimer avant lui. L’avis est donc défavorable.

M. le président. La parole est à Mme Valérie Rabault.

Mme Valérie Rabault. Cet amendement s’inscrit dans des démarches déjà engagées par le Gouvernement notamment, mais également par les Américains dans le cadre des accords FACTA. À ce stade, je vais le retirer pour que nous puissions approfondir la question.

(L’amendement n729 est retiré.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué, pour soutenir l’amendement n855.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. La création en 2008 de la direction générale des finances publiques, issue de la fusion entre la direction générale des impôts et celle de la comptabilité publique, s’est accompagnée de l’adaptation de très nombreux textes législatifs et réglementaires, notamment en ce qui concerne les compétences des agents de la nouvelle entité. À l’issue de ce travail très important de toilettage des textes, des interrogations se sont fait jour concernant l’émission des avis de mise en recouvrement émis par la direction des grandes entreprises, qui a la particularité de ne pas avoir de comptable à sa tête. Le présent amendement a donc pour objet d’assurer la validité juridique des avis de mise en recouvrement émis par la direction générale des finances publiques depuis octobre 2011 en tant que les réclamations porteraient sur la qualité du signataire.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christian Eckert, rapporteur général. La commission n’a pas examiné l’amendement. Après avoir entendu les motivations du Gouvernement, je me montre très favorable à cette disposition qui aurait, du reste, des conséquences financières importantes si elle n’était pas adoptée.

(L’amendement n855 est adopté.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur général, pour soutenir l’amendement n533 rectifié.

M. Christian Eckert, rapporteur général. À plusieurs reprises, j’ai dit notre volonté de ne pas multiplier les demandes de rapports à l’administration ou au Gouvernement. Néanmoins, pour lever toutes les ambiguïtés, interrogations, voire accusations, il serait opportun de disposer d’un rapport comportant des informations sur les entrées et sorties des résidents fiscaux, bref sur les changements de domiciliation fiscale de nos compatriotes. La commission a adopté cet amendement et je souhaite que nous le retenions.

M. Pascal Cherki. Excellent !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Monsieur le rapporteur général, vous avez exposé les motivations de l’amendement. Le Gouvernement les comprend et s’en remet à la sagesse de l’Assemblée.

(L’amendement n533 rectifié est adopté.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur général, pour soutenir l’amendement n534.

M. Christian Eckert, rapporteur général. Le présent amendement a pour objet de demander au Gouvernement d’informer la représentation nationale de façon tout à fait transparente sur les contentieux fiscaux en cours qui opposent l’État à la Commission européenne. Il s’agit d’éviter de découvrir tardivement certaines situations, comme ce fut le cas pour le contentieux sur les OPCVM, qui portait sur des sommes très importantes. Il importe que nous soyons informés de l’évolution de ces contentieux fiscaux.

(L’amendement n534, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Frédéric Lefebvre, pour soutenir l’amendement n52.

M. Frédéric Lefebvre. Mon amendement est très proche de celui que nous venons d’adopter à l’instant. Il s’agit de disposer d’un éclairage précis sur les contribuables qui deviennent imposables ou qui voient leur impôt augmenter d’une année sur l’autre, ainsi que sur ceux dont le montant d’imposition est nul. Comme vient de le dire le rapporteur général, il est important de disposer de chiffres incontestables, ce qui éviterait de s’entendre dire que tels chiffres avancés sont faux. Je propose donc la création d’un rapport annexé au projet de loi de finances afin d’éclairer le Parlement. Cela étant, et je le dis d’autant plus volontiers que j’ai voté l’amendement du rapporteur général, je vois bien l’avancée qui a été introduite par l’amendement que nous venons de voter.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christian Eckert, rapporteur général. Je me suis en effet exprimé sur la multiplicité des rapports. Le président de la commission des finances, qui a dû nous quitter, ou moi-même avons régulièrement l’occasion de poser des questions à l’administration sur les éléments que vous évoquez et qui, du reste, figurent dans de nombreux documents fournis par l’administration à l’occasion des débats budgétaires. Autant, sur le sujet précédent, la création d’un tel rapport s’imposait compte tenu de sa nouveauté, autant elle ne se justifie pas pour ce qui concerne votre demande, les éléments étant bien connus.

M. Christian Eckert, rapporteur général. J’en profite d’ailleurs pour vous dire, monsieur le ministre, qu’en tant que rapporteur général j’apprécie la qualité et la rapidité – dans la plupart des cas – des réponses aux interrogations que je soumets à vos services, notamment sur des dossiers fiscaux sensibles. Je vous prie de bien vouloir leur transmettre ce message.

La commission n’a pas retenu cet amendement, monsieur Lefebvre, et je vous demande de bien vouloir le retirer.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Même avis.

M. le président. Retirez-vous l’amendement, monsieur Lefebvre ?

M. Frédéric Lefebvre. Je vais le retirer, car l’amendement voté précédemment donne en grande partie satisfaction à ma demande. Il y a certains éléments, c’est vrai, que l’on peut déjà trouver dans tel ou tel document. Je pense néanmoins qu’il aurait été utile à notre assemblée de disposer d’un éclairage complet. Mais peut-être nous donnerez-vous, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général, des précisions supplémentaires au cours de nos débats ?

(L’amendement n52 est retiré.)

M. le président. La parole est à M. Frédéric Lefebvre, pour soutenir l’amendement n48.

M. Frédéric Lefebvre. J’aimerais connaître la position du Gouvernement sur un problème dont je suis saisi par un grand nombre de nos compatriotes vivant à l’étranger. Ils subissent en effet une inégalité : leurs voisins, canadiens, américains, eux-mêmes propriétaires en France, sont exonérés du paiement de la TVA sur les prestations liées à leur résidence secondaire, alors qu’eux ne le sont pas.

Certains Français établis hors de France commencent donc à se regrouper pour déclencher un contentieux. Il serait utile que le Gouvernement nous apporte des précisions sur les conditions d’application de l’article 259 B du code général des impôts, à moins que vous n’acceptiez ma proposition de rapport – mais j’ai compris que le rapporteur général n’était pas un fervent partisan de leur multiplication…

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christian Eckert, rapporteur général. Je vais vous apporter les précisions que vous demandez, monsieur Lefebvre. L’article 259 B du code général des impôts prévoit certaines dérogations au principe de territorialité de la TVA mais ne règle pas tous les cas. Ainsi, s’agissant des résidences secondaires des Français établis hors de France, l’article 259 A du même code prévoit que, par dérogation à l’article 259, le lieu de prestation de services se rattachant à un bien immeuble situé en France est situé en France. Cet article transpose l’article 47 de la directive TVA de 2006 qui prévoit expressément que « le lieu des prestations de services se rattachant à un bien immeuble … est l’endroit où ce bien immeuble est situé ». A priori, il n’y a donc pas de problème d’application de l’article 259 B.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Même avis.

M. le président. Retirez-vous votre amendement, monsieur Lefebvre ?

M. Frédéric Lefebvre. Il serait intéressant que le Gouvernement et la commission des finances puissent nous fournir, éventuellement par écrit, des précisions complémentaires car un problème d’inégalité se pose : nos compatriotes établis hors de France, qui résident parfois à l’étranger seulement pour quelques années en tant qu’expatriés, reçoivent un traitement moins favorable qu’un étranger.

Cela dit, je retire l’amendement car je suis convaincu que ces éléments me seront communiqués.

(L’amendement n48 est retiré.)

M. le président. La parole est à M. Éric Alauzet, pour soutenir l’amendement n647.

M. Éric Alauzet. Le gazole fait l’objet d’une niche fiscale qui coûte 7 milliards d’euros par an alors qu’il a des effets désastreux sur notre santé, sur notre balance commerciale : inutile de vous faire un « topo ».

Un remboursement partiel de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques est accordé aux seuls véhicules fonctionnant au gazole pour les transports routiers et les transports publics de voyageurs. Or il existe des solutions alternatives, comme la motorisation au gaz, qui, si elles sont équivalentes en termes d’émission de dioxyde de carbone, sont bien meilleures pour ce qui est des particules fines.

Comme nous n’avons pas pu défendre, en raison de l’article 40, notre amendement qui prévoyait une modification des conditions de remboursement de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, nous proposons que le Gouvernement présente au Parlement un rapport sur les évolutions possibles de cette défiscalisation aux effets nocifs pour la santé.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christian Eckert, rapporteur général. La majorité et le Gouvernement ont fait le choix de « verdir » progressivement la taxe intérieure de consommation au lieu de multiplier les nouvelles niches. Le taux réduit pour le gaz-carburant et le remboursement partiel pour les routiers ont déjà fait l’objet d’évaluations, notamment par le Comité d’évaluation des dépenses fiscales. Ces niches s’expliquent car le gazole est plus lourdement taxé par la TICPE que le gaz-carburant.

Comme la commission, je suis défavorable à votre amendement.

(L’amendement n647, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Éric Alauzet, pour soutenir l’amendement n343.

M. Éric Alauzet. Nous avons eu en commission un échange sur la question de la défiscalisation de l’investissement dans les résidences de tourisme, dispositif dit « Censi-Bouvard ». M. le rapporteur général m’a indiqué qu’une étude avait été votée au Sénat, mais elle ne traite pas du tout de la question financière et budgétaire, alors que c’est précisément sur ces aspects que nous avons besoin d’éléments supplémentaires.

L’amendement propose donc que le Gouvernement remette un rapport au Parlement sur l’impact de ce dispositif de défiscalisation.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christian Eckert, rapporteur général. Nos collègues soulèvent une question intéressante : le dispositif « Censi-Bouvard » a été prolongé et, s’il a parfois fait la preuve de son utilité, il a aussi donné lieu à des dérives importantes. Je vous renvoie à une affaire bien connue, dont je tairai le nom, qui a vu de nombreux contribuables piégés et l’État avec eux. Le contentieux se poursuit.

La commission, estimant qu’il serait utile de disposer d’un rapport sur l’impact de ce dispositif, a donné un avis favorable à cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Monsieur Alauzet, votre amendement est déjà satisfait par le rapport prévu par la loi ALUR. C’est pourquoi le Gouvernement n’y est pas favorable.

M. le président. La parole est à M. Éric Alauzet.

M. Éric Alauzet. La loi ALUR prévoit de décompter les logements concernés et d’analyser leur fréquentation, mais ne concerne nullement les aspects financiers. Or c’est la déduction fiscale qu’il nous semble intéressant d’évaluer. Le rapport dont le principe a été voté par le Sénat ne nous sera d’aucune utilité dans cette perspective.

(L’amendement n343 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à Mme Sandrine Mazetier, pour soutenir l’amendement n653.

Mme Sandrine Mazetier. Il est défendu. (Sourires.)

M. Pascal Cherki. Ardemment !

(L’amendement n653, repoussé par la commission et le Gouvernement, est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Christophe Léonard, pour soutenir l’amendement n839 rectifié.

M. Christophe Léonard. Tout d’abord, je me félicite que, cet après-midi, nous ayons ouvert collectivement, par toute une série d’amendements, un chemin juridique nouveau pour lutter contre l’évasion et la fraude fiscale. Pour citer une phrase célèbre, je dirai que « là où il y a une volonté, il y a un chemin ».

Mais j’en viens à mon amendement, qui est un amendement d’appel, et même d’appel au secours. En effet, il existe dans notre pays des territoires qui sont en crise non pas depuis hier, non pas depuis dix ans, mais depuis trente ans. Ce qui caractérise ces bassins d’emploi, ce n’est pas un code vestimentaire particulier, mais un effondrement économique et démographique sans fin.

À cet égard, la situation du département des Ardennes, que j’ai l’honneur de représenter, est particulièrement significative. Dresser son portrait socio-économique, c’est malheureusement dresser la liste des entreprises qui ont fermé ou ferment chaque jour leurs portes. Ces dix dernières années, cette réalité sociale s’est traduite par la destruction de 7 500 emplois marchands non agricoles, dont 6 500 dans l’industrie, un taux de chômage de 13,2 %, un pourcentage de personnes vivant sous le seuil de pauvreté de 20 % contre 13,5 % à l’échelon national, ou encore une proportion des 18-25 ans sans emploi ni autre activité de 29,6 %, soit la plus importante de France métropolitaine.

Avec une baisse démographique structurelle de 0,24 % par an, la population ardennaise sera, si rien n’est fait, de 263 400 habitants en 2040 contre 283 250 au 1er janvier 2013.

À l’évidence, l’urgence des besoins de ces territoires fragilisés réclame une écoute appropriée, sous peine de voir les inquiétudes de nos concitoyens se matérialiser durablement dans l’abstention ou le vote en faveur de l’extrême-droite.

Cet amendement vise donc à demander au Gouvernement de remettre au Parlement un rapport sur l’opportunité d’une prolongation du dispositif BER – bassins d’emplois à redynamiser – au plus tard le 31 décembre 2013, terme de son applicabilité, de manière à analyser les effets d’aubaine éventuels et à envisager les correctifs nécessaires à son évolution dans le souci de conforter la stratégie de nouvelle France industrielle portée par le Gouvernement.

M. Pascal Cherki. Très bon amendement !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christian Eckert, rapporteur général. Ce dispositif, lancé à l’initiative de notre collègue Warsmann, a été taillé sur mesure – je m’en souviens parfaitement – à l’issue d’un conflit lourd en Champagne-Ardenne. Appliqué à deux bassins d’emplois, il a vu sa dépense fiscale augmenter continuellement, passant de 7,3 millions d’euros à 16,8 millions en 2012. Ajoutons qu’il n’a fait l’objet d’aucune évaluation en termes de création ou de maintien d’emplois alors que les effets d’aubaine sont très importants puisqu’il concerne toutes les entreprises situées sur ces bassins d’emploi.

La MEC, dans le cadre d’un rapport sur la prévention et l’accompagnement par la puissance publique des plans de sauvegarde de l’emploi rédigé par nos collègues Christophe Castaner et Véronique Louwagie, a recommandé de ne pas proroger ce dispositif, estimant que les effets d’aubaine étaient largement supérieurs aux effets positifs.

Parallèlement, il existe des dispositifs pour aider les entreprises en difficulté, qui ont été renforcés dans ce projet de loi de finances même.

M. Christian Eckert, rapporteur général. En effet, Arnaud Montebourg a eu l’occasion de venir défendre ici même, il y a quelques jours à peine, la mise en œuvre et la réanimation – pour 300 millions, ce qui n’est pas rien ! – du fameux Fonds de développement économique et social, le FDES, qui peut être mobilisé lorsque des entreprises rencontrent des difficultés ponctuelles et temporaires, pour faire face à ce que l’on appelle des sujétions d’entreprises en redressement. Je ne suis donc pas favorable à ce rapport, puisqu’il a été fait dans le cadre de la MEC et a donné les conclusions que je viens de vous rappeler.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Monsieur le député, le Gouvernement a engagé la réflexion avec vous sur ce sujet. Nous souhaitons la poursuivre, notamment dans le cadre du collectif budgétaire. Par conséquent, je vous propose, si vous en êtes d’accord, de retirer cet amendement, en contrepartie de quoi je m’engage à poursuivre l’échange de sorte que nous puissions adopter un dispositif stabilisé dans le collectif budgétaire.

M. le président. La parole est à M. Christophe Léonard.

M. Christophe Léonard. Pour répondre tout d’abord à M. le rapporteur général, et dans la droite ligne des échanges que nous avons eus en début d’après-midi, je dirai que lorsque l’on met en place un dispositif, il faut en effet l’évaluer ; mais lorsqu’il est évalué, il convient d’y apporter le cas échéant des correctifs. Si ce dispositif a pu générer des effets d’aubaine, des correctifs peuvent très facilement leur être apportés de façon à les éviter, voire à les rendre impossibles.

Par ailleurs, j’entends l’intention exprimée par M. le ministre du budget à l’égard de cette réflexion que je souhaitais ouvrir sur le dispositif « bassins d’emploi à redynamiser », dit BER. J’en prends acte, et c’est bien volontiers que je retire cet amendement.

(L’amendement n839 rectifié est retiré.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur général, pour soutenir l’amendement n588.

M. Christian Eckert, rapporteur général. Je me permets de reprendre cet amendement initialement présenté par M. Woerth, dans la mesure où il a été accepté par la commission lors de sa réunion au titre de l’article 88. En l’absence de notre collègue qui, pour des raisons techniques et diplomatiques, était seul signataire de l’amendement, je demande au Gouvernement que nous poursuivions de façon encore plus formalisée le travail sur les entités hybrides.

Nous avons évoqué ce sujet tout à l’heure, à plusieurs reprises. Chacun en reconnaît la difficulté technique, juridique et fiscale, même si nous avons progressé sur le sujet, ainsi que vous l’avez rappelé, monsieur le ministre. Nous souhaitons que le président de la mission d’information poursuive ce travail très spécifique sur cette question importante et difficile, les entités hybrides étant, par définition, difficiles à cerner.

(L’amendement n588, repoussé par le Gouvernement, est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Frédéric Lefebvre, pour soutenir l’amendement n49.

M. Frédéric Lefebvre. Si vous me le permettez, monsieur le président, je vais présenter en même temps les cinq amendements nos 49, 50, 691, 693 et 93, qui consistent tous à demander des rapports au Gouvernement.

Je vais simplement défendre sur le fond deux d’entre eux, pour lesquels je souhaiterais obtenir des réponses, même si elles doivent ne pas prendre la forme de rapports – j’ai bien compris en effet le sort qui sera réservé aux amendements proposant de nouveaux rapports.

La première question concerne l’accès la télévision replay par nos compatriotes français installés à l’étranger. Celle-ci est extrêmement importante pour nos finances publiques, ce service public étant financé en très grande partie par de l’argent public, autrement dit par l’impôt des Français. Contrairement à la BBC ou aux chaînes espagnoles, les chaînes du service public français ne sont pas accessibles à nos compatriotes à l’étranger, dont un certain nombre paient néanmoins la redevance parce qu’ils sont propriétaires d’un bien immobilier en France.

Deuxième sujet pour lequel, me semble-t-il, nous avons besoin d’éléments concrets, et qui fait l’objet d’un autre de mes amendements : le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi. La Cour des comptes a rendu un rapport, que nous avons évoqué à plusieurs reprises ; M. Mandon lui-même connaît bien ce sujet. Sur cette question, je rencontre, en tant qu’ancien ministre en charge des PME, beaucoup de chefs d’entreprise et de patrons de PME, qui expliquent qu’ils n’utiliseront jamais le CICE en raison d’un obstacle : celui de leur trésorerie. Ainsi, nombre de petites entreprises, en dépit de l’existence de dispositifs de type OSEO, n’entendent pas, dans une situation tendue, faire appel à l’emprunt pour pouvoir bénéficier du CICE.

Je souhaite donc, sur nombre de sujets concernés par le CICE, tels que l’emploi, le coût du travail dans le secteur marchand, les finances publiques, le taux de marge des entreprises qui en sont bénéficiaires ou la compétitivité de l’industrie française, pouvoir être éclairé.

Je me souviens du reste de ce que notre collègue Mandon a dit il y a quelques semaines, dans le cadre du débat de cette loi de finances : selon lui, il serait sans doute nécessaire d’attendre de nombreux mois, voire des années, avant d’avoir un éclairage précis, efficient, sur un tel dispositif. Or aujourd’hui, les entreprises n’ont pas le temps d’attendre : la crise est là et l’emploi est en jeu.

J’ai fait une présentation un peu rapide de mes cinq amendements demandant des rapports sur tous ces sujets, que j’ai voulu traiter de manière un peu plus spécifique pour deux d’entre eux.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces amendements ?

M. Christian Eckert, rapporteur général. Il sera le même pour les cinq amendements : ainsi que je l’ai indiqué tout à l’heure, nous ne souhaitons pas multiplier les rapports. À cette heure et à ce stade de la discussion, je ne voudrais pas reprendre les débats sur le CICE, mais ce que vous avez dit, monsieur Lefebvre, méconnaît le fonctionnement du dispositif : il suffit de cocher une case pour obtenir un crédit d’impôt ! Si les gens ne veulent pas cocher la case, c’est à n’y rien comprendre ! Certes, cela pourrait permettre de faire des économies budgétaires, mais ce n’est pas le but recherché. Même si cela n’apporte pas de trésorerie à l’entreprise, cela ne peut qu’améliorer ses résultats ! L’avis est donc défavorable pour les cinq amendements de notre collègue.

(Les amendements nos 49, 50, 691, 693 et 93, repoussés par le Gouvernement, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué, pour soutenir l’amendement n870.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Il s’agit d’une mesure qui traduit la détermination sans faille du Gouvernement à lutter contre l’optimisation fiscale. Cet amendement équivaut au rétablissement de l’article 15, qui avait été ôté de la première partie où il n’avait pas sa place.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christian Eckert, rapporteur général. La commission est favorable à cet article, qui va évidemment dans un sens souhaité de façon assez unanime. Comme je l’ai indiqué tout à l’heure, il a simplement été déplacé pour des raisons « lolfiques » (Sourires), ce qui devrait donner satisfaction à notre collègue Alauzet puisque nous avions déjà annoncé le rétablissement de l’article 15 dans le cadre des articles non rattachés.

(L’amendement n870 est adopté.)

M. le président. Nous avons terminé l’examen des articles non rattachés à des missions.

Articles de récapitulation

M. le président. Nous abordons maintenant l’examen des articles de récapitulation, tels qu’ils résultent des votes intervenus en seconde partie du projet de loi de finances pour 2014.

Les articles 44 à 47 ne faisant l’objet d’aucun amendement, je vais les mettre aux voix successivement.

Article 44 et état B

(L’article 44 et l’état B sont adoptés.)

Article 45 et état C

(L’article 45 et l’état C sont adoptés.)

Article 46 et état D

(L’article 46 et l’état D sont adoptés.)

Article 47 et état E

(L’article 47 et l’état E sont adoptés.)

Article 48

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué, pour soutenir l’amendement n868 à l’article 48.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Je soutiendrai conjointement les amendements nos 868 et 869 du Gouvernement, qui visent à tirer les conséquences des votes effectués par votre Assemblée sur les articles 48 et 49 du projet de loi de finances relatifs au plafond d’emplois.

Il s’agit en l’occurrence du vote des amendements 358 rectifié, 359 et 846 du Gouvernement, prévoyant la majoration de 524 équivalents temps plein du plafond d’emplois du ministère de l’éducation nationale dans le cadre de la « CDIsation » des personnels accompagnant les élèves handicapés, la baisse de 155 ETP du plafond d’emplois du ministère de l’écologie dans le cadre de la création d’un nouvel établissement public – le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement, ou CEREMA – et, inversement, la majoration de 155 ETP du plafond d’emplois des opérateurs rattachés au ministère de l’écologie dans le cadre de la création de ce nouvel établissement.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christian Eckert, rapporteur général. La commission n’a pas pu examiner cet amendement, mais le rapporteur général vient de le faire et se réjouit de la bonne maîtrise des plafonds d’emplois dans le budget de l’État puisque la variation est, selon nos calculs, de 0,02 %, c’est-à-dire 369 équivalents temps plein, ce qui est considéré comme une stabilité quasi parfaite. Par conséquent, le rapporteur général, à titre personnel, est favorable à cet amendement.

(L’amendement n868 est adopté.)

(L’article 48, amendé, est adopté.)

Article 49

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué, pour soutenir l’amendement n869.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Je l’ai défendu à l’instant, en même temps que le précédent.

(L’amendement n869, accepté par la commission, est adopté.)

(L’article 49, amendé, est adopté.)

Article 50

(L’article 50 est adopté.)

Article 51

M. le président. La parole est à M. le rapporteur général, pour soutenir l’amendement n613 à l’article 51.

M. Christian Eckert, rapporteur général. Il s’agit d’un amendement de précision, monsieur le président.

(L’amendement n613, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur général, pour soutenir l’amendement n614.

M. Christian Eckert, rapporteur général. À ce stade, j’ai conscience de prolonger un peu les débats, mais c’est un sujet important. Nous avions d’ailleurs examiné, en toute fin de la première partie, le même type de question avec le plafonnement des recettes de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution. Compte tenu de l’heure tardive, le débat n’était pas allé bien loin, mais je souhaite attirer votre attention avec cet amendement proposant de plafonner le nombre d’emplois de l’ACPR au niveau constaté en 2013. Il ne s’agit pas de réduire, mais bien de plafonner au niveau constaté en 2013, soit 1 051 équivalents temps plein travaillé, alors que le plafond théorique était jusque là fixé à 1 121 ; il n’a d’ailleurs jamais été atteint.

Nous soulevons cette question parce que se met en place actuellement le Mécanisme unique de supervision au niveau européen. Ayant reçu Mme la secrétaire générale Danièle Nouy dans le cadre de nos relations habituelles et pour d’autres sujets précis, j’ai eu l’occasion de m’entretenir avec elle et ainsi d’apprendre qu’environ mille personnes devraient être recrutées au niveau européen à Francfort pour mettre en œuvre le fameux MUS. Or les missions de ce Mécanisme unique de supervision vont empiéter assez largement sur les missions exercées par l’actuelle ACPR. Une centaine d’agents de la Banque de France ou de l’ACPR vont ainsi être transférés à Francfort.

Aussi, jouant mon rôle de cost killer (Sourires), me suis-je dit qu’il y avait peut-être lieu d’attendre de cette unification des moyens au niveau européen, sinon une économie extraordinaire, du moins une stabilité des dépenses et un plafonnement des emplois. Il s’agit en effet, au niveau européen, de personnels plutôt bien rémunérés, à la situation fiscale confortable qui plus est.

J’imagine que le coût de la mise en œuvre du Mécanisme unique est important. Il serait donc peut-être bon qu’il y ait pour le moins, dans chacun des États, une stabilisation des effectifs.

Je n’ai pas obtenu de réponse satisfaisante de la part de la secrétaire générale de l’ACPR. Je crois savoir que le gouverneur de la Banque de France n’est pas très chaud pour soutenir mon amendement. Alors que les finances publiques sont sollicitées fortement et que nous cherchons un peu partout à faire des économies, le recrutement de 1 000 hauts fonctionnaires européens à Francfort ne dégagerait aucune économie dans notre pays, et l’on m’a même laissé entendre qu’il a fallu recruter en ayant recours à des sociétés externes. Cela me choque. En l’absence d’explications, je n’ai pas d’autre solution que de demander le plafonnement du cadre d’emplois.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Monsieur le rapporteur général, vous proposez de diminuer le plafond d’emplois de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution. Comme vous le rappelez, la création du Mécanisme unique de supervision modifiera l’environnement dans lequel se trouve l’ACPR. Néanmoins, je ne suis pas favorable à la mesure que vous proposez pour plusieurs raisons.

Le MUS sera opérationnel au plus tôt à partir du mois de novembre 2014. Il paraît donc prématuré d’en tirer les conséquences sur le plafond d’emplois de l’ACPR pour l’année 2014. Par ailleurs, la mise en œuvre opérationnelle du Mécanisme unique de supervision sera précédée d’une évaluation complète des banques menée par la Banque centrale européenne et les autorités nationales. Il s’agira d’un exercice sans précédent d’évaluation des treize principaux groupes bancaires qui représentent 95 % de notre système bancaire et 30 % du système bancaire de la zone euro. Cet exercice mobilisera des moyens considérables au-delà même des ressources de l’ACPR.

Une fois en place, le Mécanisme unique de supervision nécessitera une forte implication des superviseurs nationaux auxquels demeurera déléguée une par importante de la partie effective des contrôles. Les postes occupés par les personnels de l’ACPR qui rejoindront le Mécanisme unique de supervision n’ont pas nécessairement vocation à disparaître.

L’ACPR devra, parallèlement à l’exercice d’évaluation, maintenir ses missions de contrôle tout en assurant de nouvelles missions, notamment celles qui lui ont été confiées par la loi de séparation et de régulation des activités bancaires. Je pense aux travaux liés aux aspects préventifs de la résolution, aux contrôles renforcés en matière d’activité des banques sur les marchés financiers, aux contrôles des obligations de publication des informations pays par pays des établissements financiers.

Ainsi, les missions de l’ACPR qui n’ont pas vocation à être transmises au Mécanisme unique de supervision pourront bénéficier d’un renforcement des moyens qui leur sont consacrés. Le Gouvernement estime donc qu’il faut maintenir pour l’instant au sein de l’ACPR les moyens, les effectifs, les compétences permettant de s’assurer du meilleur contrôle du secteur bancaire et financier.

Pour cette raison, monsieur le rapporteur général, je souhaiterais que vous retiriez cet amendement.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.

M. Christian Eckert, rapporteur général. Monsieur le ministre, je ne suis pas convaincu par votre argumentation. S’il s’agit de créer un millier de postes de fonctionnaires au niveau européen, que vont-ils faire sinon empiéter sur les missions des autorités nationales de supervision ? Je crois savoir que la supervision des cinq plus grands groupes bancaires relèvera de l’autorité européenne, l’autorité française n’ayant qu’un rôle de relais. Je me demande s’il est bien nécessaire de créer des doublons au moment où nous cherchons tous à maîtriser les coûts.

De plus, au travers des interrogations auxquelles j’ai pu parfois obtenir des réponses, toujours incomplètes cependant, je m’aperçois que le nombre de contrôles sur place diminue, notamment sur les filiales de banques françaises établies à l’étranger, alors que chacun sait qu’il serait nécessaire d’en effectuer.

Alors qu’au niveau national les missions diminuent et qu’un pool extrêmement fourni se met en place au niveau européen, on nous dit qu’il n’est pas possible d’améliorer la rationalité du dispositif.

Je vais retirer cet amendement, bien qu’il vise seulement à réduire le plafond d’emplois de l’ACPR au niveau constaté en 2013 et attendre encore un peu que le Mécanisme unique de supervision fasse preuve de sa fécondité, en espérant que l’ACPR participera, elle aussi, à l’effort de redressement des comptes publics qui tient à cœur au Parlement et au Gouvernement.

(L’amendement n614 est retiré.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Je veux juste apporter deux précisions à M. le rapporteur général, en le remerciant d’avoir retiré cet amendement.

Je partage avec lui la nécessité de rechercher partout des économies sur les dépenses. Il a son rôle de rapporteur général, j’ai le mien en tant que ministre du budget, et nous avons la même approche.

Je lui ai indiqué tout à l’heure que le Mécanisme unique de supervision devrait être opérationnel au mois de novembre 2014. En contrepartie du retrait de cet amendement, je lui propose de réfléchir dès à présent, de façon approfondie et fine, à la mise en œuvre pour 2015 de la disposition qu’il vient d’évoquer.

(L’article 51, amendé, est adopté.)

Article 52

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué, pour soutenir l’amendement n865 rectifié.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Le Gouvernement souhaite procéder à une modification de l’article 52 du projet de loi de finances.

L’article 15 de la loi organique relative aux lois de finances dispose que les crédits de paiement disponibles sur les différents programmes budgétaires peuvent être reportés d’une année sur l’autre, dans la limite de 3 % des crédits initiaux.

Pour s’écarter de ce plafond, une disposition inscrite dans la loi de finances est nécessaire. L’article 52 du projet de loi de finances pour 2014 établit ainsi la liste de onze programmes déplafonnés.

Le présent amendement propose, au regard des dernières données de l’exécution du budget 2013 de l’État, d’ajouter quatre programmes à cette liste, notamment le programme « Action de la France en Europe et dans le monde » de la mission « Action extérieure de l’état », compte tenu du décalage du calendrier de paiement de certaines contributions internationales, notamment au titre d’une opération de maintien de la paix de l’ONU au Mali.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christian Eckert, rapporteur général. C’est habituel : les mouvements de crédits qui dépassent 3 % doivent faire l’objet d’une autorisation. Vous nous en avez fourni la liste détaillée, monsieur le ministre, et vous en avez évoqué les motifs pour les principaux d’entre eux. Le report des 736,2 millions d’euros excédant les 3 % qui auraient conduit à limiter ce report à 287,6 millions peut, je le pense, être approuvé sans problème par notre Assemblée.

(L’amendement n865 rectifié est adopté.)

(L’article 52, amendé, est adopté.)

M. le président. Nous avons achevé l’examen des articles de récapitulation.

Seconde délibération

M. le président. En application de l’article 119, alinéa 6, du règlement, le Gouvernement demande qu’il soit procédé à une seconde délibération de l’article 44 et de l’état B, de l’article 46 et de l’état D, des articles 55 bis et 58 de la seconde partie du projet de loi de finances pour 2014 et, pour coordination de l’article 43 et de l’état A.

La seconde délibération est de droit.

La parole est à M. le ministre délégué chargé du budget, pour soutenir l’amendement n5.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé du budget. Monsieur le président, si vous en êtes d’accord, je vous propose de présenter en une seule fois les neuf amendements du Gouvernement, dans un souci de simplicité.

M. le président. Je vous en prie.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Mesdames, messieurs les députés, cette seconde délibération a trois objets : tirer les conséquences des votes de votre Assemblée, revenir sur le vote de cinq amendements et rappeler l’article d’équilibre pour coordination.

Le Gouvernement souhaite tirer les conséquences des votes auxquels votre Assemblée a procédé sur les articles 44 et 46 du projet de loi de finances. Il s’agit d’amendements de coordination.

L’amendement 357 du Gouvernement ayant prolongé, dans le cadre de la réforme des rythmes scolaires, le soutien financier aux communes pour la rentrée 2014-2015, il est nécessaire de majorer de 102,7 millions d’euros les crédits de la mission « Enseignement scolaire ».

Les amendements identiques nos 20, 239 et 373 ayant supprimé l’article proposant la dématérialisation de la propagande électorale pour les élections européennes, il convient de majorer les crédits du programme 232 de la mission « Administration générale et territoriale de l’État » de 27,6 millions d’euros.

L’amendement n648 ayant prévu la revalorisation des aides personnalisées au logement au 1er octobre de chaque année, il convient de majorer les crédits de la mission « Égalité des territoires, logement et ville » de 19 millions d’euros.

L’amendement 353 ayant prolongé d’un an le délai dans lequel les combattants ressortissants de pays ayant été placés sous le protectorat français peuvent demander un alignement de leur pension, il convient de majorer de 12 millions d’euros les crédits du compte d’affectation spéciale « Pensions » au titre de cette décristallisation.

Enfin, pour mémoire, nous avions par anticipation, lors de l’examen de la première partie du projet de loi de finances, augmenté de 114 millions d’euros dans l’article d’équilibre les remboursements et dégrèvements compte tenu des votes de première partie. Nous modifions par coordination l’état B en conséquence.

Au total, ces amendements de récapitulation conduisent à majorer les crédits, hors remboursements et dégrèvements, de 161 millions d’euros, dont 149 millions d’euros sur les crédits du budget général.

Je tiens à rappeler que la première lecture du projet de loi de finances représente une première étape dans l’évolution de ce texte, qui sera de nouveau modifié durant les différentes lectures. Le Gouvernement présentera donc ultérieurement des mesures de gage afin que la norme de dépense soit strictement respectée dans le texte de la loi de finances pour 2014.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christian Eckert, rapporteur général. Le ministre a parfaitement décrit quel était l’objet de ces amendements qui tirent les enseignements des décisions budgétaires qui ont été prises durant ces derniers jours par notre Assemblée. Il y a donc lieu de les approuver. Je précise, comme il l’a dit tout à l’heure, que ces amendements devront être compensés pour ne pas dégrader le solde budgétaire, surtout la norme.

Article 44 et état B

(Les amendements nos 5, 6, 3, 2 et 1 sont successivement adoptés.)

(L’article 44 et l’état B, modifiés, sont adoptés.)

Article 46 et état D

(L’amendement n4 est adopté.)

(L’article 46 et l’état D, modifiés, sont adoptés.)

Article 55 bis

(L’amendement n8 est adopté et l’article 55 bis est supprimé.)

Article 58

(L’amendement n7 est adopté.)

(L’article 58, amendé, est adopté.)

Article 43 et état A

(L’amendement n9 est adopté.)

(L’article 43 et l’état A, modifiés, sont adoptés.)

M. le président. Nous avons achevé l’examen du projet de loi de finances pour 2014. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Je rappelle que la Conférence des présidents a décidé que les explications de vote et le vote, par scrutin public, sur l’ensemble du projet de loi de finances pour 2014, auront lieu le mardi 19 novembre après les questions au Gouvernement.



La parole est à M. le ministre délégué.



M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Je voudrais remercier l’ensemble des parlementaires pour leur présence. Je devrais dire : l’ensemble des parlementaires de la majorité – non que je ne sois pas attaché à la courtoisie républicaine, mais les parlementaires de l’opposition ne sont pas là. Ils ont été très présents pendant une partie de nos débats, mais pas aujourd’hui. Nous avons eu, sur un certain nombre de sujets importants, des débats de qualité. Je forme le vœu que nous puissions poursuivre dans le même esprit. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

2

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, lundi 18 novembre 2013, à seize heures :

Nouvelle lecture des projets de loi organique et ordinaire interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur et de représentant au Parlement européen.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-huit heures quinze.)

Le Directeur du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Nicolas Véron