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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2013-2014

Compte rendu
intégral

Première séance du lundi 18 novembre 2013

SOMMAIRE

Présidence de M. Marc Le Fur

1. Interdiction du cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur - Interdiction du cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de représentant au Parlement européen

Présentation commune

M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur

M. Christophe Borgel, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Motion de rejet préalable (projet de loi organique)

M. Jean-Frédéric Poisson

M. Manuel Valls, ministre

M. Marc Dolez

Mme Monique Iborra

M. Guy Geoffroy

M. Alain Tourret

M. Michel Piron

Motion de rejet préalable (projet de loi)

M. Guy Geoffroy

M. Manuel Valls, ministre

M. Christian Assaf

M. Jean-Frédéric Poisson

M. Michel Piron

M. Paul Molac

Motion de renvoi en commission (projet de loi organique)

M. Daniel Fasquelle

M. Christophe Borgel, rapporteur

M. Philippe Baumel

M. Jean-Frédéric Poisson

Motion de renvoi en commission (projet de loi)

M. Jean-Pierre Vigier

M. Christophe Borgel, rapporteur

Mme Chantal Guittet

M. Daniel Fasquelle

M. François-Michel Lambert

Discussion générale commune

M. Marc Dolez

M. Matthias Fekl

M. Jean-Luc Reitzer

M. Michel Piron

M. Paul Molac

Mme Cécile Untermaier

Mme Marion Maréchal-Le Pen

Mme Françoise Imbert

Discussion des articles (projet de loi organique)

Article 1er

Mme Valérie Corre

M. Jean-Michel Villaumé

M. Alain Calmette

Mme Suzanne Tallard

Mme Elisabeth Pochon

M. Philippe Baumel

Mme Pascale Crozon

Amendements nos 25 , 37 , 66 , 74 , 76

M. Alain Vidalies, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement

2. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Marc Le Fur

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à seize heures.)

1

Interdiction du cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur

-

Interdiction du cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de représentant au Parlement européen

Nouvelle lecture (discussion générale commune)

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture du projet de loi organique interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député et limitant à une seule fonction exécutive locale le cumul avec le mandat de sénateur (nos 1391, 1529) et du projet de loi interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de représentant au Parlement européen (nos 1392, 1530).

La Conférence des présidents a décidé que ces textes donneraient lieu à une discussion générale commune.

Présentation commune

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, nous nous retrouvons aujourd’hui pour l’examen en deuxième lecture de textes qui portent en eux une rénovation profonde de nos institutions, j’en ai la conviction. Votre assemblée les a d’ailleurs votés au mois de juillet dernier à une très large majorité. Par le hasard du calendrier parlementaire, nous nous retrouvons le jour même de l’ouverture du quatre-vingt-seizième congrès des maires et des présidents de communauté.

Ce rendez-vous de notre démocratie locale est aussi essentiel que traditionnel. Les maires s’y rencontrent pour discuter, partager leurs points de vue et réfléchir ensemble aux moyens de servir au mieux leurs collectivités. Permettez-moi de voir dans cette concomitance tout un symbole, celui de l’inéluctabilité du texte dont nous allons discuter. Les élus qui sont ici ne peuvent être là-bas et ceux qui sont là-bas ne peuvent être ici.

M. Marc Dolez. C’est vrai ! (Sourires.)

M. Manuel Valls, ministre. J’y vois la démonstration que deux logiques différentes sont à l’œuvre. Toutes les deux ont leurs spécificités, leurs incompatibilités aussi, mais procèdent du même degré d’exigence. Diriger un exécutif local, être maire ou président mais aussi adjoint ou vice-président, représente de lourdes responsabilités auxquelles il faut consacrer le temps nécessaire pour agir, veiller au bien-être de la collectivité qui a accordé sa confiance mais aussi rencontrer, écouter, dialoguer et être au contact des habitants.

On ne dit pas assez que les élus locaux, quelle que soit leur sensibilité, sont des femmes et des hommes qui s’engagent pour l’intérêt général et donnent leur temps et leur énergie pour leurs concitoyens au détriment de leur vie de famille et de leur métier. De même, les parlementaires, députés et sénateurs, ont une responsabilité nationale qu’il est inutile de détailler dans cet hémicycle et qui consiste à faire la loi, contrôler l’action du Gouvernement et évaluer les politiques publiques. Cela implique investissement, rigueur et connaissance approfondie des enjeux.

Le Parlement est le lieu de l’édification patiente de la volonté générale. Si le hasard a voulu que nous nous retrouvions en ce jour précis, la détermination du Gouvernement à défendre ces textes n’est en revanche nullement une surprise : ils sont la traduction d’un engagement du Président de la République. N’en doutons pas, ils agiront en faveur du lien de confiance qui doit unir les électeurs et les élus chargés de les représenter.

M. Jean-Frédéric Poisson. Cela reste à voir !

M. Manuel Valls, ministre. Nous devons être bien conscients de la défiance, évoquée ici en première lecture, que ressentent nos concitoyens vis-à-vis de nos institutions, quelles qu’elles soient, et parfois malheureusement vis-à-vis de leurs élus.

M. Jean-Pierre Vigier. Voire à cause d’eux !

M. Daniel Fasquelle. 15 % !

M. Manuel Valls, ministre. Face à la défiance, nous ne pouvons rester immobiles : quand le lien démocratique se distend, la société perd sa cohésion et ses repères. Pourtant, défiance ou pas, les Français savent bien qu’ils ont besoin de leurs élus. Une démocratie a besoin d’élus comme de toutes les institutions qui contribuent à son fonctionnement. Je pense bien sûr à la presse et au journal Libération, au siège duquel s’est déroulé ce matin le drame que vous savez. (Applaudissements.) Vous me pardonnerez d’ailleurs, le cas échéant, de m’absenter quelques instants, car la recherche de l’auteur des faits nous mobilise tous.

La détermination de la majorité à concrétiser ses engagements n’est pas davantage une surprise. Une très large majorité s’est exprimée au mois de juillet dernier. Ce fut d’ailleurs pour certains une surprise : celle de n’en constater aucune ! Car tant de choses avaient été dites et écrites sur les prétendues divisions internes de la majorité… Bien entendu, tout le monde sera rassuré à l’issue du processus.

M. Jean-Frédéric Poisson. Les problèmes sont sans doute réglés, monsieur le ministre !

M. Manuel Valls, ministre. Non, sans doute pas. Le débat va se dérouler et je compte sur vous pour l’animer, monsieur le député, car je connais votre pugnacité ! Mais la majorité était au rendez-vous et a voté le texte. Je ne doute pas qu’elle s’apprête à recommencer.

M. Guy Geoffroy. On ne peut pas en dire autant au Sénat !

M. Manuel Valls, ministre. Malheureusement en effet, aucune surprise n’est survenue au Sénat, qui a manqué une occasion de prendre part au mouvement de modernisation de nos institutions.

M. Daniel Fasquelle. De destruction de nos institutions, plutôt !

M. Manuel Valls, ministre. Il s’agit pourtant d’un mouvement inéluctable, qui répond à une attente forte de nos concitoyens et s’inscrit dans une logique d’ensemble mise en œuvre par le Gouvernement. Celle-ci s’est traduite au cours des derniers mois par l’instauration de la parité pour l’élection des conseillers départementaux (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

M. le président. S’il vous plaît, chers collègues, écoutons M. le ministre

M. Manuel Valls, ministre. …par l’extension du scrutin de liste aux communes à partir de 1 000 habitants, par l’élection directe des conseillers intercommunaux et par l’extension, enfin, du scrutin proportionnel aux élections sénatoriales. Le Sénat, sans surprise donc, a voulu préserver un statut particulier pour ses membres. Il a cédé à l’illusion d’un traitement différencié de la chambre haute. Cette illusion est dangereuse, car elle remet en cause l’esprit même de nos institutions, qui reposent sur un bicamérisme équilibré.

Certes, le Sénat représente les collectivités territoriales, telle est la lettre de l’article 24 de la Constitution. Mais représenter les collectivités territoriales n’implique pas qu’on en dirige une. Juridiquement parlant, il me semble que le Conseil constitutionnel a déjà tranché la question. Sa jurisprudence sur ce point est claire. La représentation des collectivités territoriales est dévolue au collège électoral des sénateurs, composé essentiellement d’élus locaux, et n’est pas lié à l’exercice d’un mandat ou d’une fonction. Par facilité, les sénateurs ont voulu s’exonérer de contraintes nouvelles. Ce faisant, ils ont pris le risque d’affaiblir leur institution.

Le Sénat français n’est pas le Bundesrat allemand. Il n’est pas la seconde chambre d’un régime fédéral, mais la chambre haute d’une république décentralisée. La différence est de taille et fonde la conception du Sénat de la VRépublique. Différencier, pour la première fois dans l’histoire de la République, le régime des incompatibilités applicables aux députés et aux sénateurs et faire du Sénat une chambre d’élus locaux équivaut à battre en brèche cette conception, remettre en cause le bicamérisme à la française…

Mme Julie Sommaruga. Très bien !

M. Manuel Valls, ministre. …et, à terme, renoncer à la plénitude de la compétence législative du Sénat.

M. Jean-Frédéric Poisson. N’exagérons rien !

M. Manuel Valls, ministre. Tels sont les termes du débat. Votre assemblée aura le dernier mot. Auparavant, comme le prévoit la Constitution, le Sénat aura une nouvelle occasion de saisir la chance qui lui est donnée. J’espère qu’il créera enfin la surprise. Mais revenons aux textes que nous examinons aujourd’hui. Il n’y a, là non plus, aucune surprise : ces textes, vous les connaissez. Ils sont très proches de ceux que vous avez adoptés en première lecture.

M. Michel Piron. Hélas !

M. Manuel Valls, ministre. Si les lois organiques du 30 décembre 1985 et du 5 avril 2000 ont constitué des avancées incontestables, il s’agit à présent de passer de la limitation du cumul entre un mandat parlementaire et une fonction exécutive locale, celle de maire et de président mais aussi d’adjoint et de vice-président, à sa suppression. Les textes concernent aussi les exécutifs intercommunaux, qu’il n’y a plus aucune raison d’exclure, et ne prévoient aucun seuil de population, car la réalité des missions à remplir est indépendante du nombre d’habitants de la collectivité territoriale. Cependant, il sera toujours possible d’exercer un mandat local de conseiller régional, départemental, municipal ou communautaire.

Contrairement aux arguments que l’on a pu entendre, j’y reviendrai, ces projets de loi ne nuiront pas à l’ancrage local des élus, …

M. Daniel Fasquelle. Bien sûr que si !

M. Manuel Valls, ministre. …sauf à considérer qu’être parlementaire ne garantit pas un lien suffisant avec la réalité du terrain de sa circonscription, pour rester proche de ses concitoyens et comprendre leur état d’esprit et leurs aspirations. J’avoue n’avoir jamais bien compris les arguments assez surprenants prétendant démontrer cela.

M. Guy Geoffroy. C’étaient pourtant les vôtres il n’y a pas longtemps !

M. Manuel Valls, ministre. Certes, mais chacun peut évoluer ! Je peux le montrer pour nombre d’entre nous, car le rôle des collectivités territoriales comme celui de la Constitution ont connu des évolutions. En outre, permettez-moi de vous dire tout simplement que l’évolution s’impose à nous car elle procède d’un engagement du Président de la République devant le pays. (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP.) Cet engagement, nous voulons le tenir car il porte en lui une véritable modernisation de notre vie publique.

M. Jean-Frédéric Poisson. Tabernacle ! (Sourires.)

M. Manuel Valls, ministre. Par ailleurs, il s’agit d’un engagement pris par les militants d’une grande formation politique aujourd’hui majoritaire, ce qu’il ne faut pas perdre de vue.

M. Jean-Frédéric Poisson. Ce dernier argument a plus de poids !

M. Manuel Valls, ministre. Les deux sont vrais et se complètent.

Je n’ai jamais bien compris non plus les quolibets et les insultes visant les élus que certains qualifient volontiers d’« apparatchiks ». J’ai entendu ce terme dans les deux chambres, et je l’ai lu dans la presse. Je ne l’aime pas, car il ne veut rien dire, nie le suffrage universel et dévalorise la fonction d’élu. Je ne crois pas que le parlementaire de demain, dépourvu de fonction exécutive locale, se trouvera hors-sol ou privé de contacts avec ses concitoyens. La proximité est nécessaire aux élus et fonde leur légitimité. Le nouveau mode de scrutin n’y changera rien.

Personne ne sera pris par surprise. La loi, conformément à l’engagement du Président de la République, s’appliquera à tout le monde, en même temps et dans les mêmes conditions. Il n’y aura pas de surprise car chacun aura le temps de se préparer et de prendre sa décision. Le Gouvernement a fait preuve de souplesse quant à la date d’application de la loi. Chaque élu en situation de cumul aura donc la possibilité de préparer sereinement l’échéance et conservera sa liberté de choix jusqu’au terme de chacun de ses mandats en cours.

Le Gouvernement a voulu, aussi, assurer la sécurité juridique du dispositif. L’exercice du droit de suffrage et la continuité du fonctionnement des assemblées seront préservés. Aucune incompatibilité n’est imposée en cours de mandat et aucune situation légalement acquise n’est remise en cause. Il n’y aura naturellement pas de rétroactivité.

Même sans rétroactivité, le non cumul est déjà, dans les faits, entré dans les mentalités. C’est vrai pour beaucoup d’entre vous, mesdames et messieurs les parlementaires. C’est vrai aussi dans de nombreuses villes. À Paris, Lille, Toulouse, Bordeaux, Rennes, Nantes, Brest, Rouen, Amiens, Metz, Nancy, Clermont-Ferrand, Montpellier, Reims, Angers, Besançon, la question du non-cumul, pour des raisons différentes, certes, est déjà tranchée.

M. Daniel Fasquelle. C’est la liberté des maires !

M. Manuel Valls, ministre. Elle le sera ailleurs demain.

M. Guy Geoffroy. Elle devait déjà l’être hier ! D’autres n’ont pas respecté leur engagement !

M. Jean-Frédéric Poisson. Que fait la police, monsieur le rapporteur ?

M. Guy Geoffroy. Et que fait M. Désir ? Il se fait désirer…

M. Manuel Valls, ministre. Des élus nouveaux, à temps plein, sont attendus par les Français, et ce dès 2014. Nous sommes à quatre mois des élections municipales, et nous le voyons bien : dans toutes les villes où le non cumul est pratiqué, les candidats sont interrogés sur leurs intentions. Cette question habituelle, banale, il est impossible de l’éluder. Elle est, d’une certaine manière, la première victoire du non-cumul.

Cette question, mesdames et messieurs les députés, il faut la rendre concrète et l’inscrire dans le marbre de la loi. C’est ce que le Gouvernement vous propose de faire dès à présent. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. La parole est à M. Christophe Borgel, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Christophe Borgel, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Monsieur le président, messieurs les ministres, chers collègues, nous nous retrouvons aujourd’hui pour la nouvelle lecture des deux projets de loi sur l’interdiction du cumul entre le mandat de parlementaire et les fonctions exécutives locales.

Réunie à l’Assemblée nationale le 9 octobre dernier, la commission mixte paritaire n’est, sans surprise, pas parvenue à un texte commun à nos deux assemblées.

M. Guy Geoffroy. Elle n’a pas non plus cherché à le faire !

M. Christophe Borgel, rapporteur. Le chemin était escarpé, reconnaissons-le.

M. Michel Piron. La route est longue, mais qu’elle est belle…

M. Christophe Borgel, rapporteur. La position adoptée par le Sénat en première lecture, contre l’avis de son rapporteur, M. Simon Sutour, et contre celui du président de la commission des lois, M. Jean-Pierre Sueur, était inconciliable avec le texte très largement adopté par l’Assemblée nationale en première lecture, le 9 juillet dernier. Tout en approuvant, et c’est là tout le paradoxe de leur position, le principe de l’interdiction du cumul avec les fonctions exécutives locales pour les députés et pour les députés européens, les sénateurs se sont exclus du champ d’application de la réforme.

M. Guy Geoffroy. Nous devrions faire l’inverse !

M. Christophe Borgel, rapporteur. Je voudrais profiter de la tribune qui m’est offerte pour répondre aux principaux arguments soulevés par nos collègues sénateurs afin de justifier leur vote.

Premier argument : le Sénat est le représentant des collectivités territoriales de la République, c’est sa raison d’être. Ce qui sous-entend que, pour être un bon sénateur, iI faudrait d’abord être un élu local.

M. Guy Geoffroy. C’est pourtant la Constitution !

M. Christophe Borgel, rapporteur. C’est en faire une lecture bien particulière… Aujourd’hui, 79 sénateurs n’exercent aucun autre mandat que celui de sénateur. Seraient-ils illégitimes ?

M. Michel Piron. Pas d’excès !

M. Christophe Borgel, rapporteur. Jean-Pierre Chevènement n’est que sénateur : est-il illégitime ? Jean-Pierre Raffarin n’est que sénateur : est-il illégitime ? Et enfin, peut-on considérer que le président du Sénat, Jean-Pierre Bel, qui n’est que sénateur, remplit ses fonctions dans des conditions qui ne sont pas conformes à la Constitution ?

M. Michel Piron. Qui dit cela ? C’est un procès d’intention !

M. Christophe Borgel, rapporteur. Deuxième argument : l’article 24 de la Constitution précise que « le Sénat représente les collectivités territoriales ». C’est vrai. Toutefois, l’article se poursuit ainsi : « Le Sénat, dont le nombre de membres ne peut excéder trois cent quarante-huit, est élu au suffrage indirect. Il assure la représentation des collectivités territoriales de la République ». Cela n’implique pas que les sénateurs élus soient eux-mêmes des élus locaux – sans quoi, comme je l’ai déjà indiqué, près d’un quart des sénateurs siégeraient en violation de la Constitution. Les sénateurs sont désignés par un collège composé principalement d’élus locaux, mais pas seulement : je rappelle en effet que dans bon nombre de départements, certains élus désignent des grands électeurs qui ne sont pas eux-mêmes élus locaux.

La seule différence entre députés et sénateurs tient en fait au mode de scrutin par lequel ils sont élus. Les uns et les autres doivent tous « vouloir pour la nation », conformément à la Constitution, qui leur confère à ce titre les mêmes prérogatives législatives. L’Assemblée nationale et le Sénat sont d’ailleurs désignés sous une même appellation : le Parlement. Les sénateurs sont des parlementaires à part entière. Ils ont voulu s’exclure du champ d’application de la loi, mais je n’ai pas vu qu’ils en tirent la conséquence logique, qui consisterait à réduire le champ de compétences de l’assemblée sénatoriale. En vertu de l’article 3 de la Constitution, ils exercent au nom du peuple la souveraineté nationale. Cette vocation généraliste justifie à mon sens que leur statut soit identique à celui des députés, tout spécialement en matière d’incompatibilités.

En l’état, la Constitution ne fait d’ailleurs aucune différence entre députés et sénateurs en la matière. Son article 25 donne toute compétence au législateur organique pour définir ces incompatibilités, qui sont traditionnellement communes aux députés et aux sénateurs. Ainsi, ni la réforme des incompatibilités de 1985, ni celle de 2000 n’ont traité les sénateurs différemment des députés. C’est pourquoi, dans le code électoral, les incompatibilités applicables aux sénateurs sont fixées par renvoi d’un seul article, l’article L.O. 297, à l’ensemble des incompatibilités applicables aux députés. À ce jour, le législateur ne s’est pas préoccupé de différencier entre députés et sénateurs en matière d’incompatibilités.

Autre argument : l’article 46 de la Constitution prévoit que les lois organiques relatives au Sénat doivent être votées dans les mêmes termes par les deux assemblées. C’est vrai. Précisément : le présent projet de loi organique concerne au même titre le Sénat et l’Assemblée. On ne peut donc se prémunir contre la loi avec cet alinéa de la Constitution en espérant qu’elle sera invalidée par le Conseil constitutionnel.

M. Jean-Frédéric Poisson. Nous verrons bien !

M. Christophe Borgel, rapporteur. La jurisprudence du Conseil me semble claire : depuis 2009, il juge qu’une loi est relative au Sénat seulement lorsqu’elle lui est propre. Tel n’est pas le cas d’une loi dont les dispositions s’appliquent aux deux chambres. En revanche, un autre alinéa de l’article 46 de la Constitution prévoit que « faute d’accord entre les deux assemblées, le texte ne peut être adopté par l’Assemblée nationale en dernière lecture qu’à la majorité absolue de ses membres ». Pour faire d’emblée les choses dans l’ordre, nous avons obtenu cette majorité dès la première lecture, puisque je rappelle que ce projet de loi a recueilli 300 votes favorables en juillet dernier.

Argument suivant : il faudrait des règles spécifiques aux sénateurs, car le Sénat sans grands élus n’aurait plus, à l’avenir, de poids face à l’Assemblée. Au contraire : ils auront davantage de temps pour se consacrer exclusivement au travail législatif et pour mieux faire entendre leur voix ! L’équilibre du travail entre les deux chambres n’en sera que plus grand.

M. Guy Geoffroy. Pourquoi s’adresser aux sénateurs dans l’hémicycle de l’Assemblée ?

M. Christophe Borgel, rapporteur. Avec cette loi donc, les parlementaires seraient déconnectés des réalités du terrain. Voilà un argument que nous avons entendu à de multiples reprises, et je ne doute pas que ce sera de nouveau le cas au cours de ce débat. Pourtant, les sénateurs, comme les députés, seront toujours en lien avec les élus locaux de leur circonscription. Ils ont un ancrage local : le département pour les sénateurs, la circonscription pour l’ensemble des parlementaires. Ils ont généralement une permanence pour recevoir le public et participent sur le terrain à d’innombrables rencontres : représentation, réunions de dialogue autour des lois ou encore manifestations locales. Enfin, comme tous les députés, les sénateurs conserveront la possibilité, M. le ministre l’a rappelé, le texte le prévoit, de détenir un mandat local simple, comme conseiller municipal, départemental ou régional.

On entend aussi invoquer l’expérience de l’élu local. Mais rien n’empêchera d’élire des parlementaires qui, au cours de la première partie de leur carrière politique, auront exercé des mandats à la tête d’un département, d’une région, d’une intercommunalité ou d’une commune. Ils pourront ainsi faire bénéficier nos assemblées de cette expérience car, même s’il en est bien d’autres qui sont utiles au travail législatif, celle-là ne doit pas être négligée.

Pour conclure, mes chers collègues, je vous invite donc à suivre la commission des lois qui a adopté ces textes tels qu’en première lecture, en n’y apportant qu’une seule modification, relative au périmètre de l’incompatibilité entre le mandat parlementaire et les fonctions dites « dérivées » des mandats locaux, c’est-à-dire les fonctions exercées au sein d’un établissement public local, d’une société d’économie mixte locale ou encore d’une société publique locale. Au lieu d’appliquer l’incompatibilité à toutes les fonctions exercées au sein de ces organismes, ne seront concernées que les fonctions de président et de vice-président, par parallélisme des formes avec la solution retenue pour les fonctions exécutives locales.

À l’issue de ce deuxième débat, il me semble naturel que l’Assemblée nationale renouvelle le vote qu’elle a émis lors de la première lecture en juillet dernier. C’est un texte simple et compréhensible qui aura une portée institutionnelle forte. C’est une réforme que nos concitoyens appellent de leurs vœux.

M. Jean-Frédéric Poisson. Tu parles !

M. Christophe Borgel, rapporteur. C’est une révolution qui participera au renouvellement de la vie démocratique de ce pays. C’est une réforme attendue qui mettra fin à cette exception culturelle bien française que veut que, rappelons-le, six parlementaires sur dix cumulent leur mandat avec une fonction exécutive locale.

M. Bernard Roman. Très bien !

M. Guy Geoffroy. Personne n’en croit un mot !

M. Christophe Borgel, rapporteur. C’est enfin une réforme qui renforcera le pouvoir du Parlement, et c’est pour moi l’essentiel, en permettant aux parlementaires de se consacrer à temps plein aux prérogatives que leur confère la Constitution : voter la loi, contrôler l’action du Gouvernement et évaluer les politiques publiques.

M. Bernard Roman. Parfait !

M. Christophe Borgel, rapporteur. Donnons-nous les moyens d’être parlementaires à temps plein et rappelons que sont parlementaires non seulement les députés, mais aussi les sénateurs ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. Bernard Roman. Excellent !

M. Daniel Fasquelle. Affligeant !

Motion de rejet préalable (projet de loi organique)

M. le président. J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe de l’Union pour un mouvement populaire une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement, sur le projet de loi organique interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député et limitant à une seule fonction exécutive locale le cumul avec le mandat de sénateur.

La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson.

M. Jean-Frédéric Poisson. Monsieur le président, messieurs les ministres, chers collègues, la persévérance, c’est vrai, est une belle vertu.

M. Christian Paul. C’est déjà laborieux !

M. Michel Piron. Pas dans l’erreur…

M. Jean-Frédéric Poisson. Il est aussi vrai que la volonté de tenir ses engagements est respectable. Pourtant, monsieur le ministre, à chaque fois que je vous entends dire à cette tribune que si vous soutenez ce projet de loi dans sa version adoptée en première lecture, c’est avant tout parce qu’il traduit un engagement pris par le Président de la République devant les Français, je me demande pourquoi vous n’avez pas mis la même énergie à respecter l’ensemble des autres engagements qu’il a pris devant les Français voici un an et demi !

M. Daniel Fasquelle. L’inversion de la courbe du chômage ?

M. Bernard Roman. Vous avez augmenté le nombre de chômeurs de plusieurs millions !

M. Daniel Fasquelle. Faire de la jeunesse une priorité ?

M. Jean-Frédéric Poisson. Mais permettez-moi de me satisfaire justement que vous ne les ayez pas tous respectés avec autant de vertu…

M. Matthias Fekl. C’est en cours !

M. Jean-Frédéric Poisson. Il faudrait savoir, monsieur Fekl ! Que voulez-vous : l’ambiguïté est de votre côté, pas du nôtre.

Quoi qu’il en soit, il y a dans ce texte quelques incohérences, quelques ambiguïtés qui subsistent.

M. Guy Geoffroy. Quelques ?

M. Jean-Frédéric Poisson. En effet, c’est peu de le dire. Si je comprends bien, vous répétez comme en première lecture, monsieur le ministre, qu’il ne sera plus possible aux termes de ces textes de cumuler un mandat de parlementaire avec des fonctions exécutives locales. Je crois ne pas me tromper en résumant les choses ainsi.

M. Christophe Caresche. Bien !

M. Jean-Frédéric Poisson. Le motif serait de garantir à tout prix que les parlementaires soient suffisamment disponibles pour exercer leur mandat. Tel serait l’argument qui ouvre la porte à la présentation de ce texte au Parlement.

Mme Laurence Dumont. Il y en a d’autres !

M. Jean-Frédéric Poisson. Permettez-moi donc d’envisager l’actualité récente. Il y a quelques mois, j’ai dit à cette tribune que nous, parlementaires, étions finalement les seuls dans la République à être réputés incapables de faire plusieurs choses à la fois.

M. Jean-Luc Reitzer. Exactement !

M. Guy Geoffroy. En revanche, nous pouvons écrire des lois !

M. Jean-Frédéric Poisson. En effet, je remarque une fois de plus qu’aucune disposition ne concerne les cumuls de mandat pour les élus territoriaux.

M. Jean-Luc Reitzer. Absolument !

Mme Laurence Dumont. Nous y viendrons !

M. Jean-Frédéric Poisson. Voilà qui est certes habile, à quelques semaines des élections municipales.

M. Bernard Roman. Une seule chose à la fois !

M. Jean-Frédéric Poisson. Je connais votre détermination, monsieur Roman, mais en attendant, ce texte ne contient aucune disposition relative aux élus locaux et prévoit donc un régime spécial, si j’ose dire, réservé aux parlementaires.

M. Guy Geoffroy. Un régime discriminatoire !

M. Jean-Frédéric Poisson. En effet, ce régime est parfaitement discriminatoire et vous ne vous en êtes toujours pas expliqués.

Je remarque que s’il n’est pas possible d’exercer un mandat de parlementaire et une fonction exécutive dans une collectivité locale, il est en revanche tout à fait possible d’être membre du Gouvernement tout en dirigeant une campagne européenne. (« Excellent ! » sur les bancs du groupe UMP.) Je suis pris d’étonnement, et même de vertige : quelle est donc cette fonction ministérielle à laquelle on consacre si peu de temps que l’on peut par ailleurs diriger une campagne si importante pour notre pays ?

M. Guy Geoffroy. C’est la réforme des rythmes ministériels !

M. Jean-Frédéric Poisson. En effet, quel que soit le projet que l’on s’apprête à élaborer pour l’Union européenne, nous aurons tous beaucoup de travail pour convaincre les Français qu’ils doivent avoir confiance en ces institutions. Bref, quand je vois que les membres du Gouvernement se détachent avec autant de facilité de leurs fonctions ministérielles, je me dis que, décidément, les parlementaires sont bien les seuls dans ce pays à être réputés incapables de faire deux choses à la fois.

Sur la notion de fonction exécutive, monsieur le rapporteur, vous n’avez pas non plus répondu à nos attentes. En effet, selon vous, l’on ne peut être capable d’être à la fois député et maire adjoint, ou vice-président d’une collectivité territoriale, mais rien n’empêche de cumuler un mandat de parlementaire – c’est-à-dire de sénateur ou de député, je vous rejoins sur ce point – et la présidence d’une importante commission au sein d’un conseil régional. Prenons l’exemple de la commission des lycées, qui est sans nul doute l’une des plus importantes pour nos régions : vous ne me démentirez pas, monsieur le ministre de l’intérieur, s’agissant du conseil régional d’Île-de-France, qui vous est cher et que vous connaissez bien. Vous ne me ferez pas croire que cette commission, comme celles des finances ou de la formation professionnelle, prenne si peu de temps que l’on puisse cumuler sa présidence avec un mandat de parlementaire. Il est sans doute bien plus chronophage d’être président de ce genre d’instance que d’être maire adjoint d’une commune de 5 000 habitants, ce qui n’enlève rien au respect que j’éprouve pour ce type de fonctions. Il y a donc, dans votre notion de fonction exécutive, quelque chose qui ne correspond ni à la réalité pratique des collectivités territoriales, ni à la précision de vocabulaire que l’on serait en droit d’attendre d’un projet de loi de cette nature.

Monsieur le rapporteur, vous nous dites également que la France doit suivre les exemples étrangers, dans la mesure où le cumul des mandats n’existerait pas chez nos voisins. Or, j’ai sous les yeux une note des services du Sénat portant sur l’initiative parlementaire et les délégations, qui établit une description, en droit comparé, des régimes qui régissent le cumul des mandats dans les pays alentour. Peut-être, madame la vice-présidente Laurence Dumont, me direz-vous que l’exemple est un peu facile mais je vais tout de même vous en faire part.

M. Bernard Roman. Nous voilà prévenus !

M. Jean-Frédéric Poisson. Page 9, il y est fait état, en ce qui concerne les mandats électifs nationaux, de dispositions disparates liées à l’organisation propre des pouvoirs publics dans chaque État. On lit ainsi qu’en ce qui concerne les mandats nationaux, le cumul est tantôt possible mais pas, ou très peu pratiqué, comme en Grande-Bretagne ou aux Pays-Bas ; tantôt possible du fait de la nature fédérale ou quasi fédérale de la représentation, comme par exemple au Bundesrat, où siègent ès qualité des ministres des Länder allemands, ou pour certains des cinquante-huit sénateurs espagnols désignés par les communautés autonomes qui ont conservé un mandat territorial et les vingt et un sénateurs communautaires belges qui sont désignés en leur sein par les assemblées parlementaires des communautés flamande, française et germanophone ; tantôt impossible, tant avec des mandats exercés dans des assemblées de niveau régional – il en va ainsi des deux chambres du Parlement en Italie et en Belgique – qu’avec des fonctions de maire, quelle que soit la taille de la commune, comme au Portugal, ou dans les communes de plus de 20 000 habitants comme aujourd’hui en Italie, ou des fonctions de membre d’un exécutif municipal. La note du Sénat conclut qu’aucun État considéré n’a adopté de législation générale et systématique fixant les règles de non cumul entre tous les mandats, et que la législation sur le cumul est partout parcellaire.

Vous avez bien le droit de défendre les projets de loi que vous souhaitez, de considérer que vous êtes tenus, comme par les choses les plus sacrées, par les engagements qu’a pris le chef de l’État et que vous avez vous-mêmes pris devant les militants de vos propres sections. Je respecte ce principe, il ne me choque pas. Mais, à tout le moins, mettez-le en œuvre sans ambiguïtés, sans incohérences et avec un corpus argumentaire, ici sur la législation comparée, respectueux de la réalité. Vous nous avez dit en première lecture que les autres pays avaient mis en place un régime de non cumul, alors pourquoi pas nous ? Je vous réponds que non, les autres pays ne l’ont pas fait. Il n’y a donc aucun principe à retenir des législations des pays comparables au nôtre.

Reste, enfin, cette affaire constitutionnelle que vous avez décrite tout à l’heure, monsieur le rapporteur. Je comprends bien que le vote du Sénat en première lecture vous ait quelque peu dérangé, même si vous le niez.

M. Christophe Borgel, rapporteur. Ce fut une immense surprise !

M. Jean-Frédéric Poisson. On peut être dérangé même par une surprise, monsieur le rapporteur !

M. Christophe Caresche. On commence à être habitué, avec le Sénat !

M. Jean-Frédéric Poisson. Le fait que vous ayez en réalité repris, après le vote du Sénat, les dispositions originellement votées par l’Assemblée, c’est-à-dire que vous ayez purement et simplement rétabli le texte initial, contrevient à la volonté exprimée par la chambre haute. Vous considérez que le fait de revenir sur des dispositions adoptées par le Sénat et qui lui sont relatives ne constitue pas un motif d’inconstitutionnalité. C’est votre interprétation. Pour notre part, nous saisirons évidemment le Conseil constitutionnel sur ce point, car il nous semble qu’au contraire ces dispositions concernant le Sénat devraient être respectées. Et si, à un moment donné, vous aviez eu l’intention de les respecter, hypothèse hautement incertaine, cela aurait conduit à introduire une stricte inégalité entre les deux chambres du Parlement, ce qui serait, pour le coup, très probablement inconstitutionnel. Je comprends donc très bien la difficulté dans laquelle cette situation place votre majorité. Nous reviendrons sur ce sujet au cours du débat sur les articles, mais nous avons bien entendu votre position.

Pour conclure, vous êtes toujours persuadés que les Français attendent impatiemment cette disposition.

M. Jean-Luc Reitzer. C’est pour ça qu’ils sont populaires !

M. Jean-Frédéric Poisson. Je ne sais pas ce que vous disent les habitants dans vos circonscriptions, mais pour ma part, il y a bien longtemps que l’on ne m’a pas parlé de cette affaire.

M. Jean-Luc Reitzer. En effet !

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est peu de dire que, par les temps qui courent, les Français sont préoccupés par beaucoup d’autres sujets que le cumul des mandats. Les élections municipales nous fourniront d’ailleurs un élément de réponse. Lorsque l’ancien Premier ministre Lionel Jospin était venu devant la commission des lois pour présenter son rapport, il y maintenant un peu plus d’un an, il nous avait dit que 84 ou 86 % des Français, je n’ai pas le chiffre exact à l’esprit, attendaient une législation sur l’interdiction du cumul des mandats.

M. Daniel Fasquelle. Ce qui est absolument faux !

M. Jean-Frédéric Poisson. Je crois lui avoir dit à l’époque que ces mêmes 84 % de Français réélisaient sans doute leur maire député, et leur député maire !

M. Jean-Luc Reitzer et M. Daniel Fasquelle. C’est la vérité !

M. Christian Paul. Quelle confusion !

M. Jean-Frédéric Poisson. Il y a là une forme d’ambiguïté à prendre en compte pour juger la manière dont vous êtes en train de conduire cette affaire. Nous verrons bien la suite, monsieur Paul, et en tous les cas je vous souhaite d’être reconduit dans vos fonctions, si telle est du moins votre volonté. Vous verrez qu’y compris dans la Nièvre, les Français sont toujours prompts à condamner la classe politique en général, mais restent attachés aux élus qu’ils ont sous la main.

M. Christian Paul. Je ne sais pas ce que c’est, la classe politique !

M. Jean-Frédéric Poisson. Ne faites pas semblant !

Au fond, vous vous réfugiez derrière des paravents, insuffisants pour justifier cette réforme aux yeux de l’Assemblée nationale comme à ceux de l’opinion. Il n’y a pas de principe obligeant la France à obéir à un tel régime de limitation ou d’interdiction du cumul. Il n’y a pas d’exemple étranger dont on puisse s’inspirer pour établir une règle inflexible que nous devrions appliquer coûte que coûte. Il n’y a aucune raison, et certainement pas la disponibilité, justifiant que vous traitiez les fonctions exécutives selon un régime propre et que vous les différenciiez d’autres fonctions exercées au sein des collectivités, qui ne sont ni une vice-présidence, ni une fonction d’adjoint au maire mais qui sont pourtant consommatrices de temps et d’énergie et qui réclament de la disponibilité. En effet, tout le monde ici, ou du moins l’immense majorité d’entre nous, a déjà eu l’occasion de consacrer beaucoup de temps à son mandat local sans être nécessairement maire, ni président, ni adjoint au maire, ni vice-président.

Aussi ce texte n’exprime-t-il pas autre chose que la volonté de satisfaire les attentes de votre électorat, ce que, encore une fois, je peux comprendre, dans un contexte où il est très difficile de le contenter. Il y a là une forme d’échappatoire dont, malheureusement, le Parlement et les parlementaires sont les premières victimes.

Pour l’ensemble de ces raisons, je vous demande d’adopter cette motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Manuel Valls, ministre. Monsieur Poisson, votre intervention est, sans surprise, aussi brillante que d’habitude.

M. Guy Geoffroy. Ça commence mal !

M. Manuel Valls, ministre. Elle est inspirée par l’enthousiasme d’un nouveau chef de parti, qui doit, je l’imagine, respecter les positions de ses militants.

La proposition que nous formulons a évidemment été portée par le candidat François Hollande devant les Français.

M. Jean-Luc Reitzer. Il était forcé de le faire, il n’y croyait pas !

M. Manuel Valls, ministre. Elle était attendue depuis longtemps et n’est donc pas liée à l’air du temps ni aux enquêtes d’opinion. Il est vrai que les électeurs ont souvent porté des députés et des sénateurs à la fonction de maire.

M. Jean-Luc Reitzer. Voilà pourquoi nous sommes là !

M. Manuel Valls, ministre. Avaient-ils pour autant le choix ? Non, car la loi le permettait. Le même argument d’ailleurs, monsieur Poisson, celui avec lequel l’un d’entre vous m’apostrophait, celui de la liberté, je l’ai entendu pendant des années sur la question de la parité.

M. Bernard Roman. C’est vrai !

M. Manuel Valls, ministre. Laissez faire, n’imposez pas, n’instituez pas de règles ! Avec cet état d’esprit, il n’y aurait pas de parité, aujourd’hui, dans les conseils régionaux et municipaux.

Plusieurs députés du groupe UMP. Ça n’a rien à voir !

M. Manuel Valls, ministre. S’il n’y avait pas de règles sur le financement des partis politiques, le recul serait encore plus marqué, et l’on nous regarderait un peu partout en Europe avec des yeux étonnés.

Nous avons eu le même débat sur les élections départementales. Il y a aujourd’hui 15 % de femmes dans les conseils généraux, mais en appliquant cette thèse de la liberté, on chuterait encore, puisqu’aux dernières élections cantonales, il y a eu une diminution du nombre de candidates. Il faut évidemment favoriser la liberté et le contrat dans notre pays. Mais nous avons une conviction : la loi est faite, aussi, pour épouser les mouvements de la société. C’est vrai pour la parité comme pour le non cumul des mandats. J’ai déjà eu l’occasion de le dire : ce que nous sommes en train de faire va constituer un changement, et même une révolution.

M. Jean-Luc Reitzer. Comme le quinquennat !

M. Manuel Valls, ministre. Nous allons en voir les effets progressivement, par exemple sur les parcours politiques, qu’il s’agisse des mandats parlementaires, des responsabilités politiques nationales ou des mandats locaux. Ces parcours seront sans doute caractérisés par des changements et des passages de l’un à l’autre, comme cela se pratique dans de nombreux pays. C’est cette réflexion sur le rôle du Parlement et celui des collectivités territoriales qui nous a amenés à formuler cette proposition.

Et d’ailleurs, lorsque ce texte sera voté, personne n’y reviendra. Je vous donne d’ailleurs rendez-vous : dites à la représentation nationale, dites au pays que lorsque le non cumul des mandats sera entré en vigueur, c’est-à-dire que la modernisation de notre vie politique aura avancé, les candidats de votre camp à la prochaine élection présidentielle ou législative s’engageront devant les électeurs à rétablir le cumul des mandats !

M. Daniel Fasquelle et M. Jean-Frédéric Poisson. Oui !

M. Manuel Valls, ministre. Non !

Mme Laurence Dumont. Chiche !

M. Daniel Fasquelle. Je reviendrai dessus, vous pouvez compter sur moi !

M. Manuel Valls, ministre. Ayez la franchise de le dire, cela ne se fera pas ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Bernard Roman. Êtes-vous revenus sur le temps de travail ?

M. Manuel Valls, ministre. Je ne veux pas vous piéger, nous sommes dans le débat politique.

M. Bernard Roman. Et le mariage, le cumul, la retraite, la TVA…

M. Manuel Valls, ministre. La loi n’est jamais définitive, et vous avez le droit d’y revenir. C’est un argument que vous défendez, comme certains au sein de la majorité, et je l’entends avec beaucoup de respect.

Monsieur Poisson, nous proposons, tout comme vous, d’aller plus loin. Mais pour vous, il s’agit de vous opposer au projet. Cette méthode est bien connue : vous allez chercher les exemples à l’étranger, mais à l’étranger, me semble-t-il, les choses parlent d’elles-mêmes !

Monsieur Poisson, nous allons retrouver ces mêmes arguments dans les trois autres motions de procédure et au cours du débat général. Nous avons déjà eu l’occasion d’y répondre. Cette réforme est attendue parce qu’elle va permettre le changement et la modernisation. Vous nous dites que les Français ont d’autres préoccupations.

Plusieurs députés du groupe UMP. Oui !

M. Manuel Valls, ministre. Bien sûr! L’emploi, le pouvoir d’achat, la sécurité... Cela tombe sous le sens. Mais alors, on ne devrait s’intéresser qu’aux seules préoccupations évidentes des Français, on ne devrait pas légiférer sur des réformes de société? On pourrait considérer que d’autres sujets auxquels vous consacrez, les uns et les autres, beaucoup de temps, ne sont pas prioritaires! Mais à quoi correspond cette vision d’un Parlement qui serait réduit à deux ou trois priorités ? Non : c’est la grandeur du Parlement, c’est la responsabilité du Gouvernement que de voter des textes de loi, que d’engager des réformes. Il est à l’honneur du Président de la République de tenir les engagements qu’il a pris devant les Français. Nous pouvons d’autant plus facilement tenir l’engagement de mettre fin au cumul des mandats qu’il ne nécessite pas une réforme constitutionnelle alors que, sur d’autres sujets tout aussi importants, qui nécessitent une révision de la Constitution, des blocages se sont manifestés. Cet engagement peut être tenu, et il est temps de le mettre en œuvre. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. Avant d’en venir aux explications de vote, j’informe l’Assemblée que, sur la motion de rejet préalable portant sur le projet de loi organique, je suis saisi par le groupe socialiste, républicain et citoyen d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

M. Daniel Fasquelle. Ils ne sont pas sûrs de leurs troupes !

M. le président. Nous en venons aux explications de vote.

La parole est à M. Marc Dolez, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. Marc Dolez. Le groupe GDR considère que le projet de loi et le projet de loi organique qui nous sont présentés aujourd’hui en nouvelle lecture constituent une réponse urgente qui, bien qu’insuffisante, est absolument nécessaire pour répondre à la crise de la représentation politique.

M. Jean-Luc Reitzer. Cela ne changera rien !

M. Marc Dolez. Nous y voyons d’abord une question de principe : l’exercice de la fonction parlementaire – représenter la nation, voter la loi, contrôler l’action du Gouvernement, évaluer les politiques publiques – ne peut pas se satisfaire d’un temps partiel.

Nous y voyons également une exigence démocratique, dans la mesure où le déséquilibre institutionnel au profit de l’exécutif, qui s’est accentué avec l’instauration du quinquennat et l’inversion du calendrier électoral voilà dix ans, pose évidemment la question de la place et du rôle du Parlement dans nos institutions. Nous considérons que la place et le rôle du Parlement passent d’abord par la volonté des parlementaires de se saisir pleinement des prérogatives et des pouvoirs qui leur sont conférés par la Constitution.

Par conséquent, il est urgent à nos yeux d’adresser ce message fort de l’interdiction du cumul d’un mandat de parlementaire avec une fonction exécutive locale à nos concitoyens. C’est la raison pour laquelle nous allons rejeter cette motion de procédure, comme nous rejetterons les trois autres motions qui seront présentées cet après-midi. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

M. Bernard Roman. Excellent !

M. le président. La parole est à Mme Monique Iborra, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Monique Iborra. Chers collègues de l’opposition, vous ne cessez depuis des mois de nous répéter que nous devons faire des réformes.

M. Jean-Frédéric Poisson. Ah non ! Nous n’avons pas dit cela !

Mme Monique Iborra. Aujourd’hui, vous rejetez la réforme portant sur le cumul des mandats, avec les arguments que nous connaissons et que nous avons maintes fois entendus…

M. Jean-Luc Reitzer. Et qui sont valables !

Mme Monique Iborra. … mais que nos concitoyens, dans leur grande majorité, ne partagent pas.

M. Jean-Luc Reitzer. C’est sans doute pour cela que vous êtes populaires !

Mme Monique Iborra. Je pense que nous ne rencontrons pas les mêmes personnes dans nos permanences…

Certes, ce projet de loi organique exige de notre part de réformer notre institution de l’intérieur – ce n’est pas si fréquent – et donc nous concerne directement.

M. Bernard Roman. Absolument !

Mme Monique Iborra. Est-ce la raison pour laquelle vous le rejetez ? Les réformes, selon vous, ce serait d’abord pour les autres ! Certes, il faut du courage et de la détermination pour se mettre soi-même dans la boucle des réformes. Je constate que vous n’avez pas ce courage.

M. Jean-Luc Reitzer. Nous en avons, au contraire !

Mme Monique Iborra. Nous, nous l’avons, et c’est la raison pour laquelle nous repousserons clairement votre motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et GDR.)

M. Jean-Luc Reitzer. C’est de la caricature ! Nous en avons, du courage, nous défendons nos positions !

M. le président. La parole est à M. Guy Geoffroy, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Guy Geoffroy. Chers collègues, ce n’est pas une question de courage.

M. Jean-Luc Reitzer. Absolument !

M. Bernard Roman. Ah si !

M. Guy Geoffroy. Le courage est partagé, sur les bancs de cette assemblée. C’est plutôt une question de cohérence et, pour reprendre une des formules utilisées par M. le ministre sans trop de conviction, une question justement de conviction.

Vous présentez ce projet de loi et ce projet de loi organique comme vous avez présenté ceux qui avaient trait à ce que vous appelez la transparence de la vie publique, c’est-à-dire pour envoyer la patate chaude du côté des élus de la République, et en particulier des parlementaires. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Avec ces textes comme avec ceux sur la transparence de la vie publique, présentés à la suite des turpitudes de l’un des vôtres, vous pointez du doigt pour l’opinion publique les parlementaires, et rien que les parlementaires.

Au demeurant, vous manquez de cohérence : vous n’allez pas jusqu’au bout, vous n’assumez pas l’intégralité de ce que vous prétendez être la volonté expresse, déterminée et ancienne du peuple français.

Monsieur le ministre, je suis l’élu d’un territoire très proche de celui dont vous avez longtemps été l’élu, et il m’arrive de rencontrer des habitants d’une commune que vous avez bien connue et que vous avez plutôt bien gérée, me dit-on : la commune d’Évry. Quelque temps après votre nomination au Gouvernement, j’ai rencontré deux habitantes de votre commune qui m’ont affirmé être très contentes d’avoir un si bon maire. Je leur ai fait remarquer que vous n’étiez plus leur maire depuis que vous étiez ministre. Elles m’ont répondu qu’elles ne le savaient pas, et que c’était bien regrettable ! (« Oh là là ! » sur les bancs du groupe SRC.)

Monsieur le ministre, puisqu’un jour vous redeviendrez député, et député de l’opposition, je tiens à vous dire ici que nous honorerons notre engagement, celui d’être raisonnables, de donner la possibilité à un parlementaire d’être maire ou maire adjoint de la commune dans laquelle il réside.

M. Christian Paul. Dites-le autour de vous !

Mme Laurence Dumont. Dites que vous reviendrez en arrière !

M. Guy Geoffroy. C’est pour cette raison, monsieur le ministre, pour ne pas vous rendre plus pénible un avenir qui s’approche de plus en plus, que je demande à l’Assemblée de voter cette motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Alain Tourret, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Alain Tourret. La position des radicaux de gauche est bien connue : ils s’opposent aux textes que vous nous présentez. J’aimerais toutefois faire quelques observations.

En conclusion de votre discours en première lecture, monsieur le ministre, vous en aviez fait appel à Georges Clemenceau en nous enjoignant de suivre son exemple : il avait refusé de cumuler les mandats de président du conseil municipal de Paris et de député. Voilà qui est parfaitement exact.

Mme Laurence Dumont. C’est également le cas de l’actuel maire de Paris !

M. Alain Tourret. Puisque vous êtes le meilleur « clemenciste » de cette assemblée, je me suis reporté à votre ouvrage Pour en finir avec le vieux socialisme… et être enfin de gauche, publié en 2008.

M. Manuel Valls, ministre. C’est vieux !

M. Jean-Frédéric Poisson. C’était avant !

M. Alain Tourret. À la question : « Mais le non cumul était au cœur de la nouvelle démocratie ? », vous répondez : « Je l’ai même écrit. J’y croyais, et j’ai eu tort. » Vous m’objecterez qu’on peut changer d’avis, bien sûr, et je le comprends.

La question qui nous occupe à présent est de savoir si les textes qui nous sont présentés sont contraires à une ou plusieurs dispositions constitutionnelles. Si inconstitutionnalité il y a, elle concerne le Sénat.

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Rejoins-nous, Alain !

M. Alain Tourret. Le Sénat, incontestablement, est l’assemblée des collectivités territoriales. Peut-on concevoir que pas un seul maire n’y siège, alors qu’il y aura des conseillers généraux ou régionaux ? Il y a là, me semble-t-il, un paradoxe absolument intenable et un motif suffisant d’inconstitutionnalité, que les tentatives d’explications de M. Borgel, intelligentes, je le reconnais, ne permettent pas de justifier. Le Sénat représente les collectivités territoriales, et l’on interdirait à ses membres d’être maire ? Il y a là quelque chose d’incompréhensible. C’est pourquoi, ne souhaitant pas voter cette motion de rejet, nous avons choisi de nous abstenir.

M. le président. La parole est à M. Michel Piron, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Michel Piron. Monsieur le ministre, nous reviendrons au cours de la discussion sur le fond du sujet. Je souhaite tout d’abord répéter que, si le cumul constitue un vrai problème, je l’avais déjà dit en première lecture, la question est ici mal posée. On traite les effets, l’écume des vagues, sans traiter le fond du sujet.

Les élus de notre pays sont en effet ceux qui cumulent le plus de mandats, mais on oublie de se demander pourquoi.

M. Jean-Luc Reitzer. Eh oui !

M. Michel Piron. Lorsqu’on compare les différents systèmes institutionnels, on peut alors commencer à s’interroger sur les causes, ce que vous ne faites pas : vous ne traitez que les effets.

M. Bernard Roman. Ce n’est pas vrai !

M. Jean-Luc Reitzer et M. Jean-Frédéric Poisson. Mais si !

M. Michel Piron. Je m’en expliquerai tout à l’heure et je ne me contenterai pas d’affirmations faciles. Vous avez présenté ces textes comme une évidence. Mais l’évidence n’est parfois pas évidente, comme disait le philosophe, et malheureusement il avait raison. En l’occurrence, nous sommes ici devant une pseudo-évidence. Les causes ne sont pas traitées.

Vous affirmez que nous ne reviendrons pas sur le cumul : pour ma part, monsieur le ministre, je souhaite que l’avenir vous donne raison ! Mais à la condition qu’on s’attaque à cette cause, ce qui ne peut être le cas avec une réforme territoriale enlisée et une décentralisation complètement non assumée. Dans un pays centralisé comme le nôtre, le cumul n’est que la conséquence de l’incapacité des élus territoriaux à fabriquer de la règle. Dès lors, si l’interdiction du cumul est réellement entérinée, comme je le souhaite, il faut que soit assumée une autre loi, celle de la décentralisation, qui n’est pas assumée par votre Gouvernement. Elle seule justifierait la fin du cumul des mandats, qui pour le reste n’a pas à être justifié.

M. le président. Je mets aux voix la motion de rejet préalable

(Il est procédé au scrutin.)

Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants96
Nombre de suffrages exprimés96
Majorité absolue49
Pour l’adoption11
contre85

(La motion de rejet préalable n’est pas adoptée.)

Mme Laurence Dumont et M. Bernard Roman. Comment ont-ils pu obtenir onze voix alors qu’ils ne sont que cinq présents ?

Motion de rejet préalable (projet de loi)

M. le président. J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe de l’Union pour un mouvement populaire une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement, sur le projet de loi interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de représentant au Parlement européen.

La parole est à M. Guy Geoffroy.

M. Guy Geoffroy. J’aimerais commencer en évoquant deux sujets pour désamorcer d’emblée les arguments qui pourraient nous être opposés au sujet de cette motion.

Premièrement, vous pourriez m’objecter que j’évoque le sujet dans son ensemble alors que la motion ne porte formellement que sur le projet de loi ordinaire interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de représentant au Parlement européen. Mais vous conviendrez, et vous l’avez vous-mêmes affirmé, M. le ministre le disait d’ailleurs en préambule de sa réponse à Jean-Frédéric Poisson, que tout ceci constitue un ensemble indissociable et que chacune de nos motions peut déborder largement le cadre strict du sujet auquel elle devrait s’attacher si nous en restions uniquement à la lettre.

Deuxièmement, et l’un de nos collègues l’a évoqué, la motion de rejet préalable, contrairement à ce que certains prétendent, n’a pas pour seule fonction de prouver que le texte serait inconstitutionnel.

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est juste !

M. Guy Geoffroy. Il est bien évident qu’elle peut également permettre de faire valoir qu’il n’y a pas lieu de délibérer, et c’est précisément sous cet angle que je voudrais la défendre.

Le groupe UMP pense en effet qu’il n’y a pas lieu de délibérer sur ce projet de loi et ce projet de loi organique compte tenu de leur nature, de leur incohérence et de leur portée, qui va bien au-delà de ce qui est présenté. Vous affirmez, projet après projet, et en particulier s’agissant de l’application de la règle du non cumul, défendre l’intime et forte conviction que vous avez de répondre à l’ardente volonté de nos concitoyens, qui souhaiteraient tous, je reprends vos termes, monsieur le ministre, « un changement profond de nos institutions ».

Mais aucun d’entre nous, et nos collègues de la majorité nous l’accordent bien volontiers lorsque nous discutons en aparté, n’a jamais rencontré de files d’électeurs devant sa permanence demandant avec insistance de mettre fin à ce honteux cumul des mandats.

M. Jean-Luc Reitzer. Absolument !

M. Jean-Pierre Vigier. Excellent !

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est peu de le dire !

M. Guy Geoffroy. Ceux d’entre nous qui cumulent leur mandat avec celui de maire, et ils sont nombreux, à droite comme à gauche, n’ont jamais reçu dans leur bureau des électeurs de leur commune leur demandant de choisir et d’abandonner leur mandat de député car cela ne leur servait à rien !

M. Jean-Luc Reitzer. C’est au contraire très utile !

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est la vérité !

M. Guy Geoffroy. Puisqu’on parle d’engagement, j’aimerais souligner qu’il y a, sur les bancs de la gauche, à l’Assemblée nationale comme au Sénat, des élus qui se sont présentés devant leurs électeurs en prenant l’engagement de renoncer à leur mandat local dès le lendemain de leur élection au Parlement.

M. Jean-Frédéric Poisson. Ils ne l’ont pas tous fait !

M. Guy Geoffroy. Je n’aurai pas le temps, dans les quinze minutes qui me sont imparties, d’égrener intégralement la liste des élus félons à la parole qu’ils ont donnée à leurs électeurs (Exclamations sur les bancs du groupe SRC), mais je la tiens à votre disposition.

M. Jean-Pierre Vigier. Il nous la faut !

M. Jean-Frédéric Poisson. Exactement !

M. Jean-Luc Reitzer. C’est l’hypocrisie généralisée !

M. Guy Geoffroy. Monsieur le ministre, vous avez remis sur la table le seul argument dont vous disposez qui puisse paraître sérieux : ces textes correspondent à un engagement du Président de la République.

Parlons-en, des engagements du Président de la République ! Lui, président de la République, (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP) la France serait apaisée…

M. Jean-Luc Reitzer et M. Jean-Frédéric Poisson. C’est réussi !

M. Guy Geoffroy. … puisqu’elle serait enfin débarrassée de Nicolas Sarkozy, par définition le seul problème de ce pays.

M. Bernard Roman. C’est vous qui le dites !

M. Guy Geoffroy. Nous avons pu constater ce qu’il est advenu : la France apaisée de M. Hollande est la France divisée, la France martyrisée, la France mortifiée. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Lui, président de la République, devait combattre les déficits et faire refluer la dette. Eh bien, nous constatons que les déficits s’accentuent et que la dette augmente.

M. Jean-Frédéric Poisson. Excellent !

M. Sébastien Denaja. Cela n’a rien à voir !

M. Bernard Roman. Vous n’avez vraiment rien à dire sur le non cumul !

M. Guy Geoffroy. Lui, président de la République, devait donner sans délai le droit de vote aux étrangers – autre aspiration de nos électeurs qu’ils défendent avec insistance devant nos permanences ! Je vous ferai remarquer que je n’ai jamais reçu, en onze ans de mandat, le moindre citoyen étranger en situation régulière dans notre pays venu me demander de voter la loi sur laquelle le Président de la République s’est engagé. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Bernard Roman. C’est donc que personne ne vient à votre permanence !

M. Guy Geoffroy. On sait ce qu’il est advenu de cet engagement. Lui, président de la République…

M. Matthias Fekl. Geoffroy président !

M. Guy Geoffroy. …devait mettre un terme à la pression fiscale insoutenable. On sait ce qu’il en est puisque dès le 1er janvier 2014, nous connaîtrons une nouvelle augmentation de la TVA, à laquelle le Président de la République avait pourtant pris l’engagement de ne jamais recourir.

M. Jean-Frédéric Poisson. Excellent !

M. Jean-Luc Reitzer. Eh oui ! La vérité fait mal !

M. Guy Geoffroy. Lui, président de la République, avait annoncé le réenchantement du rêve français. Vous savez tous, mes chers collègues, au contact de nos concitoyens chaque week-end dans vos circonscriptions, combien ils ont vu soudainement le rêve qui les réunit réenchanté par la grâce du Président de la République !

M. Jean-Frédéric Poisson. Très bien !

Mme Laurence Dumont. Vous croyez que l’on réenchanterait le monde en conservant le cumul ?

M. Bernard Roman et Mme Elisabeth Pochon. Quel rapport avec le texte, monsieur Geoffroy ?

M. Guy Geoffroy. Quant à l’engagement sur le non cumul des mandats, parlons-en ! (« Enfin ! sur les bancs du groupe SRC.) On mettrait ainsi un terme à quelque chose dont les Français ne veulent plus. Mais qui va le croire, sérieusement ?

Mme Laurence Dumont. Oh !

M. Guy Geoffroy. Revenons, monsieur le ministre, à certaines des formules que vous avez utilisées et qui figureront au compte rendu de nos débats. Il y a, dites-vous, « ceux qui sont ici » – nous y sommes, en effet – et « ceux qui sont là-bas ». Ceux qui sont ici, ce sont les parlementaires, ils ne font que ça ; ceux qui sont là-bas, ce sont ceux qui, étant également autre chose que parlementaires, sont là-bas et pas ici et qui, dès lors, n’accomplissent pas bien leur mandat. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Sébastien Denaja. En tout cas, les UMP d’ici ne sont pas là aujourd’hui !

M. Matthias Fekl. Vous êtes quatre UMP en séance !

M. Jean-Luc Reitzer. Et vous, combien êtes-vous ?

M. le président. Écoutons M. Geoffroy, mes chers collègues ! Vous pourrez lui répondre dans la suite de la discussion.

M. Guy Geoffroy. Mais, monsieur le ministre, les gens d’ici sont aussi des gens de là-bas lorsqu’ils siègent au conseil régional d’Île-de-France, ce qui n’est pas trop éloigné de l’Assemblée nationale, ou au conseil régional du Languedoc-Roussillon, ce qui est un peu plus éloigné.

M. Sébastien Denaja. Ce n’est qu’à une heure d’avion !

M. Guy Geoffroy. Or, dans votre esprit et dans celui de la loi, ils resteront quand même des gens d’ici, alors qu’ils seront bien des gens de là-bas.

L’un d’entre vous, ici présent, qui souhaite devenir maire de Sète, m’a dit un jour qu’il était très gêné par cette loi qu’il allait voter. Alors, de grâce, ne parlons pas trop de ce genre de choses !

M. Jean-Frédéric Poisson. Bravo !

Mme Laurence Dumont. On a le droit de changer d’avis !

M. Guy Geoffroy. Vous allez devoir expliquer aux Français, ce que nous, nous faisons, qu’avec vos textes leur député ou leur sénateur pourra être conseiller régional ou conseiller général d’un grand département et d’une grande région, mais qu’il ne saurait être maire adjoint d’une commune de 50 habitants dans sa circonscription.

M. Jean-Luc Reitzer. Eh oui ! C’est ridicule !

M. Guy Geoffroy. C’est bien connu, il n’y a rien à faire dans un grand département ou dans une grande région ! Il n’y a jamais de séances, aucune fonction de représentation dans les conseils d’administration des lycées et de collèges ! Jamais le président ne profite de la présence d’un parlementaire au sein de son conseil et du poids national qui est le sien pour lui demander de représenter la région ! Pour vous, tout cela n’est rien : le parlementaire en question sera quand même d’ici, puisque vous en avez décidé ainsi, même s’il est en fait là-bas, sur le terrain, là où il doit exercer ses fonctions. Mais en revanche, pas question d’être maire adjoint d’une commune de 50 habitants !

M. Bernard Roman et Mme Laurence Dumont. Vous ne comprenez rien !

M. Guy Geoffroy. Quand je dis cela à mes concitoyens, ils me répondent, et je reste poli, que vous marchez sur la tête ! En fait, c’est une lubie, une de plus. Encore un écran de fumée, après celui de la transparence de la vie financière – je veux parler des lois Cahuzac, dont on a beaucoup parlé ici.

M. Matthias Fekl. Il s’agit de la transparence de la vie politique, pas de la vie financière !

M. le président. Monsieur Fekl !

M. Guy Geoffroy. Vous nous dites, monsieur le ministre, que le travail des élus locaux est d’être au contact des habitants. J’en ai pris note. Est-ce que cela veut dire que, à l’inverse, ce n’est pas celui d’un parlementaire ?

Mme Laurence Dumont. Mais non ! Décidément, vous n’avez vraiment rien compris !

M. Guy Geoffroy. Vous nous dites que le rôle du Parlement est de voter la loi et de contrôler l’action des pouvoirs publics. Or vous avez été député, comme beaucoup d’entre nous ici, sous les précédentes législatures. Vous avez donc, comme nous, accompagné des groupes d’enfants et d’habitants de votre circonscription venus visiter l’Assemblée. Et à l’époque, le film qui introduisait la visite – il a changé – présentait les trois fonctions du député, la première citée étant la fonction de représentation. Cette fonction de représentation de la nation, celle qui vous permet de dire, en vous adressant à nous, que vous parlez à la représentation nationale, vous ne l’avez pas évoquée tout à l’heure. L’eussiez-vous fait que cela vous eût mis en difficulté pour assurer la cohérence de votre propos.

Vous nous parlez d’une majorité unie. Laissez-nous rire ! Une majorité unie ici, à l’Assemblée ? C’est plutôt la marche forcée, au son du canon, pour entraîner tous ceux, et vous savez qu’ils sont nombreux, qui ne veulent pas de votre loi et disent qu’elle constitue une erreur ! Une majorité unie, quand vous nous dites que ce que fait le Sénat n’a aucune importance et quand vous nous parlez, je reprends vos termes, de l’illusion dangereuse du traitement différencié pour le Sénat ? En fait, vous vous mettez en travers de ce que pensent de nombreux sénateurs extrêmement influents, comme le maire de Lyon, mais aussi d’autres qui ont sur ce sujet, et de manière définitive, une opinion totalement différente de la vôtre.

Mais vous savez très bien, vous nous l’avez d’ailleurs rappelé, que vous avez de toute façon entre les mains l’arme nucléaire : le dernier mot qui revient à l’Assemblée nationale. Voilà donc la manière dont vous procédez avec ces projets de loi prétendument attendus par l’opinion publique, tout autant d’ailleurs qu’avec ceux relatifs à la transparence de la vie financière, qui entendaient punir Cahuzac en stigmatisant les députés. Vous êtes un parti, un pouvoir divisé. Vous passez en force en insistant bien sur le fait que vous compterez ceux qui, au final, seront allés jusqu’au bout de l’engagement de suivre le Président de la République.

M. Jean-Frédéric Poisson. Très bien !

M. Guy Geoffroy. En effet, si le Président de la République ne tient pas ses engagements, vous faites obligation à vos troupes de tenir celui de le suivre, même si cela doit se faire à leur détriment.

Vous n’avez pas du tout été convaincant, monsieur le ministre, s’agissant des apparatchiks et des élus hors sol. Pourtant, toute la question est là et vous le savez bien.

M. Jean-Luc Reitzer. Eh oui !

M. Guy Geoffroy. Vous savez bien que, dès lors qu’il n’est plus possible de rester élu local si l’on est parlementaire, l’on crée, et ce n’est pas faire insulte aux personnes concernées que de le dire, une nouvelle approche de l’entrée dans la vie parlementaire.

M. Jean-Luc Reitzer. Exactement !

Mme Chantal Guittet. C’est précisément ce que nous voulons faire !

M. Guy Geoffroy. Cette nouvelle approche devrait retenir un peu plus votre attention que la question du cumul des mandats ! L’élu hors sol est un danger permanent, vous ne pouvez pas l’ignorer. Nous vous demandons, de manière raisonnable et responsable, de revoir le sujet.

M. Alexis Bachelay. Ça n’existe pas, un élu hors-sol !

M. Guy Geoffroy. Pour répondre à votre demande de tout à l’heure, je vous le confirme : nous prendrons, le jour où nous le pourrons, les dispositions qui permettront à nouveau aux élus nationaux de ce pays d’exercer simultanément une fonction parlementaire et un – je dis bien un seul – mandat exécutif local.

M. Jean-Pierre Vigier M. Jean-Frédéric Poisson et M. Jean-Luc Reitzer. Très bien !

M. Guy Geoffroy. Le député maire à la française est une exigence de cohérence républicaine et démocratique dans un pays à la fois unitaire et décentralisé.

Mme Pascale Crozon. Mais non !

Mme Cécile Untermaier. C’est comme cela qu’on a les mêmes élus pendant trente ans !

M. Guy Geoffroy. Mon dernier mot, monsieur le ministre, sera pour vous inviter à aller jusqu’au bout. Faites des élus nationaux des élus à cent pour cent d’ici et aucunement de là-bas ! Faites en sorte que les élus nationaux ne soient pas amenés à consacrer une partie de leur temps là-bas à l’écriture ou à des activités de conseil, pourquoi pas à l’étranger !

Mme Laurence Dumont. Mais de quoi parle-t-il ?

M. Guy Geoffroy. Allez jusqu’au bout : faites en sorte que cette fonction se limite à la représentation nationale, au vote de la loi et au contrôle de l’activité des pouvoirs publics. Mais vous n’y êtes pas prêt, comme en témoigne, c’est incompréhensible, le fait que vous conserviez cette soupape du mandat de conseiller régional ou de conseiller général.

M. Bernard Roman. Et de conseiller municipal !

M. Guy Geoffroy. Allez jusqu’au bout, pour toutes les formes de cumul. Nos concitoyens ne comprendront pas que leur maire ne puisse plus, à l’avenir, être adjoint au maire d’une commune de 50 habitants, tandis que le maire de leur commune restera président de l’agglomération et de cinq ou six syndicats dédiés auxquels la commune participe.

M. Jean-Pierre Vigier. Exactement !

M. Guy Geoffroy. Allez jusqu’au bout ! Ce que nous vous demandons, c’est un peu de responsabilité et de cohérence. Cela vaudra bien tous les engagements non tenus du Président de la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean-Luc Reitzer. Vous faites honneur à la République !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Manuel Valls, ministre. Je répondrai très brièvement à l’enthousiasme de M. Geoffroy.

M. Jean-Luc Reitzer. Il y croit !

M. Guy Geoffroy. Et je ne suis pas le seul : demandez aux députés socialistes ce qu’ils en pensent !

M. Manuel Valls, ministre. Vous y croyez incontestablement, monsieur Geoffroy, mais vous fondez une grande partie de vos explications sur vos rencontres personnelles, qui semblent d’ailleurs passionnantes (Sourires) : deux Évryennes que vous avez croisées, un parlementaire avec lequel vous avez discuté et les rencontres, certes très importantes, que vous faites comme nous tous dans votre permanence…

Tout cela, il est vrai, constitue une grande partie du travail de député. J’ai moi-même redit, tout à l’heure, combien ce travail est important. Il s’agit de faire la loi, de contrôler l’action de l’exécutif et d’évaluer l’action publique. J’ai précisé également que cela n’est absolument pas incompatible, grâce au mode de scrutin et à l’idée que le député se fait de son mandat, avec le fait d’être totalement à l’écoute de ses concitoyens en circonscription. C’est pour cela que j’ai balayé clairement et fermement le terme d’apparatchik.

Mme Pascale Crozon. Absolument !

M. Manuel Valls, ministre. À vous entendre, ceux qui sont parlementaires et ne cumulent pas sont tous des apparatchiks ! Figurez-vous que je connais des apparatchiks qui ont été députés maires…

Ne contribuons donc pas à mettre en cause les formations politiques encore plus qu’elles ne le sont déjà. Certains ici ont eu des parcours politiques et syndicaux tout à fait honorables qui leur ont donné l’expérience pour représenter des électeurs.

Oui, nous avons une nouvelle approche, et nous l’assumons. Oui, c’est un engagement du Président de la République. Il n’y a rien d’infamant à cela.

M. Guy Geoffroy. S’il les tenait tous, ce serait mieux !

M. Manuel Valls, ministre. J’ai bien noté, monsieur Geoffroy, que vous étiez plus socialiste que les socialistes…

M. Jean-Pierre Vigier. Pas socialiste, réaliste !

M. Manuel Valls, ministre. …et que vous rappeliez sans cesse les engagements du Président de la République.

Mais il s’agit là d’un engagement qui permet d’aller plus loin. J’ai bien compris l’argument selon lequel vous ne votez pas ce texte parce qu’il ne va pas assez loin. D’une certaine manière, vous avez raison : la question du non cumul va de pair avec l’organisation de nos territoires, elle suppose de donner au Parlement des moyens supplémentaires et d’aborder le problème du statut de l’élu. Mais je connais bien cet argument : sous prétexte d’aller plus loin, on finit toujours par ne pas agir !

Nous, nous pensons qu’en commençant par le cumul des mandats, sans parler des autres réformes que nous avons menées dans d’autres domaines, nous irons beaucoup plus loin ensuite, car c’est une des clés pour réussir le changement et opérer la révolution démocratique que j’appelais de mes vœux il y a un instant. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et GDR.)

M. Jean-Luc Reitzer. On devine de nombreuses arrière-pensées dans ces paroles !

M. le président. Au titre des explications de vote sur la motion de rejet préalable, la parole est à M. Christian Assaf, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Christian Assaf. Il faudrait donc rejeter ces projets de loi sur le non cumul des mandats.

M. Jean-Pierre Vigier. Oui !

M. Christian Assaf. Mais dans quel but ? Celui d’éloigner les citoyens de la vie politique ? Celui de retarder une réforme nécessaire ? Nous ne pouvons pas nous payer le luxe d’ajourner la loi sur le non cumul : il en va de l’image des parlementaires dans l’opinion.

M. Jean-Luc Reitzer. Ce n’est pas ce que veulent les Français !

M. Christian Assaf. En effet, avec ce texte, il ne s’agit pas de scier la branche sur laquelle certains sont assis, mais de renforcer l’arbre républicain.

Le Parlement ne peut pas se payer le luxe de repousser cette rénovation de la vie politique, car il s’agit en réalité d’une revalorisation de son propre rôle. Ainsi, nous répondons à l’accroissement de l’activité législative, nous assumons nos fonctions de contrôle et d’évaluation, nous augmentons notre force de proposition.

M. Jean-Frédéric Poisson. Tu parles !

M. Christian Assaf. Certes, cette loi va susciter de nouvelles questions sur le rapport au pouvoir et sur l’évolution de notre rôle et de nos méthodes de travail, mais elle va surtout ouvrir de nouvelles perspectives dont notre démocratie a besoin.

En revalorisant le rôle du Parlement et en optant pour des parlementaires à temps plein, nous renforçons aussi la place des citoyens. Car nous consolidons, par notre travail, leur capacité de contrôle de l’action du Gouvernement.

Notre rôle de relais et notre mission de représentation ne s’assouvissent pas dans le cumul, mais se décuplent dans le non cumul. Cette loi ne coupera pas les parlementaires du terrain mais les rapprochera des attentes de leurs concitoyens, les amènera à tisser d’autres relations avec les communes, les quartiers, les acteurs locaux. C’est certain, ils se trouveront plus en phase avec la réalité de notre pays, une réalité qu’ils ne peuvent ressentir aujourd’hui, enfermés qu’ils sont dans la tour d’ivoire du cumul.

M. Jean-Luc Reitzer. Vous serez des zombies !

M. Christian Assaf. Les citoyens et la République ne peuvent se payer le luxe de voir cette loi différée. L’attente existe.

M. Christian Jacob. Et Hollande est à 20 % dans les sondages !

M. Guy Geoffroy. Oui, il cumule les mauvais résultats !

M. le président. Veuillez écouter M. Assaf, mes chers collègues.

M. Christian Assaf. Il faut rendre possible le renouvellement, favoriser le regain de la vie politique, rénover enfin les institutions. Voter cette motion de rejet préalable, ce serait refuser ce pas en avant démocratique et rejeter la volonté de nos concitoyens. C’est pourquoi, monsieur Geoffroy, l’élu « hors-sol » que je suis vous invite à rejeter cette motion. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Jean-Frédéric Poisson. Je vais bien entendu inviter l’Assemblée à voter en faveur de la motion de rejet préalable.

M. Guy Geoffroy. Je sens que ça frémit sur les bancs de la majorité…

M. Jean-Frédéric Poisson. Ce serait très étonnant ! (Sourires.)

Les remarques de M. Assaf résument assez bien la position qu’elle exprime spontanément et à haute voix dans l’hémicycle, position qui n’est pas forcément la même que celle qui se laisse entendre dans les couloirs.



Je comprends que vous soyez quelque peu énervés que l’on vous rappelle à chaque fois l’intensité diverse avec laquelle la majorité a à cœur de réaliser les promesses du candidat Hollande. À titre personnel, je ne suis pas choqué par le fait que l’on veuille tenir ses engagements : c’est bien la noblesse du politique. Mais pensez-vous sincèrement que le texte sur la transparence a modifié durablement la relation de confiance entre le peuple français et le monde politique ?



M. Bernard Roman. À long terme !

M. Jean-Frédéric Poisson. Ce serait le jour du grand soir, monsieur Roman ? Je ne pensais pas que vous étiez revenu à vos amours de jeunesse ! Il y a longtemps que l’idéologie du grand soir a été abandonnée dans ce pays, et même au parti communiste, il reste peu de marxistes !

Pensez-vous donc que le débat d’aujourd’hui modifiera durablement la relation entre les citoyens et les institutions, et redonnera confiance dans les partis politiques ? (« Oui ! » sur les bancs du groupe SRC.)

Pour ma part, je n’ai pas l’impression que la publicité qui a été faite de nos échanges dans l’hémicycle ait changé quoi que ce soit au regard que les citoyens portent sur notre activité. La raison en est simple : la défiance des Français à l’égard des institutions et des partis politiques n’est pas liée au cumul des mandats.

La possibilité de cumuler les mandats doit, de mon point de vue, rester une liberté offerte aux parlementaires.

M. Guy Geoffroy. Et aux électeurs !

M. Jean-Frédéric Poisson. Oui, aux électeurs avant tout. Si nous étions, à gauche comme à droite, davantage capables de juguler la crise et de tenir la totalité de nos engagements, sans doute ne serait-il pas nécessaire de s’interroger sur le maintien ou non du cumul des mandats. Il s’agit là d’une fable. Pardonnez-nous de ne pas y croire et de nous opposer à sa déclinaison, sous la forme des textes que vous présentez aujourd’hui.

J’ai oublié tout à l’heure de dire combien nous sommes sensibles à la présence du ministre de l’intérieur dans l’hémicycle, en dépit d’une actualité malheureuse. Pour le reste, j’invite les députés à adopter la motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Michel Piron.

M. Michel Piron. Monsieur le ministre, j’ai été sensible à votre argument concernant l’engagement du Président de la République. Il est plus que respectable de vouloir tenir un engagement de campagne.

Mais le candidat avait pris un autre engagement à mes yeux très étroitement lié à la suppression du cumul dans le très beau discours de Dijon, parfaitement fondé et articulé. Ce discours n’évoquait rien moins que la nécessité d’une tout autre gouvernance.

Où est passé cet engagement ? S’il avait été mis en œuvre, si le texte sur la gouvernance n’avait pas été condamné à l’enlisement le plus total, il aurait justifié la disparition du cumul. Car tout se tient : le cumul soulève la question de la gouvernance, la gouvernance celle du cumul. Le cumul, au fond, n’est que l’enfant naturel de la centralisation. Vous voulez supprimer le cumul, mais vous gardez la centralisation. C’est là que réside votre erreur, lourde de conséquences pour les années à venir.

M. Daniel Fasquelle. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Paul Molac.

M. Paul Molac. Je le confesse humblement, je ne suis qu’un député « hors-sol », pas un cumulard.

Mme Barbara Pompili. Très bien !

M. Paul Molac. Cela me donne le temps pour recevoir mes concitoyens, et parfois travailler avec eux sur des amendements que j’essaie tant bien que mal de défendre ensuite ici. Je suis né dans la circonscription dont je suis l’élu, j’ai vécu avec mes concitoyens et ils n’hésitent pas à m’aborder dans la rue sur toutes sortes de sujets.

M. Jean-Frédéric Poisson. Cela nous arrive aussi !

M. Paul Molac. Une circonscription donne un ancrage territorial. En ce qui me concerne, j’y fais très attention.

M. Christian Jacob. C’est ce que nous verrons aux prochaines législatives !

M. Paul Molac. Certains estiment qu’une fois députés, ils peuvent s’extraire du service qu’ils doivent rendre à leurs concitoyens. Ce n’est pas mon cas. Les électeurs, d’ailleurs, ne s’y trompent pas, qui aiment à dire « celui-là, on ne le voit jamais » de certains députés. C’est en général assez rédhibitoire. J’espère qu’ils ne portent pas le même jugement sur moi.

Le non cumul des mandats est un sursaut salutaire qui permettra aux parlementaires d’être présents lors de l’examen des projets de loi – et plus nombreux qu’aujourd’hui.

Je suis très sensible à l’argumentation de M. Piron : je considère en effet que le cumul est le premier étage de la fusée, le deuxième étage consistant à donner des pouvoirs réglementaires aux régions.

M. Jean-Frédéric Poisson. Et voilà !

M. Jean-Luc Reitzer. Vous allez démembrer la République !

M. Paul Molac. Monsieur le ministre, je ne sais s’il faut voir une ouverture dans vos propos, mais j’espère que, grâce à la future loi sur la régionalisation, nous en viendrons à partager ce pouvoir réglementaire. Cela figurait, effectivement, dans le discours de Dijon, que je connais bien pour avoir fait campagne sur les thèmes qui y étaient abordés. Cela permettrait de parachever notre organisation territoriale et de favoriser le choc de simplification, dont nous avons bien besoin. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et quelques bancs du groupe SRC.)

(La motion de rejet préalable, mise aux voix, n’est pas adoptée.)

Motion de renvoi en commission (projet de loi organique)

M. le président. J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe de l’Union pour un mouvement populaire une motion de renvoi en commission déposée en application de l’article 91, alinéa 6, du règlement sur le projet de loi organique interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député et limitant à une seule fonction exécutive locale le cumul avec le mandat de sénateur.

La parole est à M. Daniel Fasquelle.

M. Nicolas Bays. Je sens qu’on va reculer d’un siècle !

M. Daniel Fasquelle. Le congrès des maires de France s’ouvre aujourd’hui. Ces maires sont mécontents : réforme des rythmes scolaires, dotations des communes en baisse, ils ont beaucoup de reproches à vous faire.

M. Nicolas Bays. Surtout au Touquet, cette commune nécessiteuse !

M. Daniel Fasquelle. Et il faut y ajouter votre volonté de les exclure du Parlement. Mais qu’ont-ils bien pu faire pour mériter cela ? Les conseillers régionaux, les conseillers généraux pourront siéger !

Mme Chantal Guittet. Mais pas les présidents de ces conseils !

M. Daniel Fasquelle. Dans ma commune, la capitale régionale se trouve à deux heures de route. Demain, j’aurai le droit de cumuler mon mandat de député avec un mandat de conseiller régional, mais je ne pourrai pas être maire !

Mme Chantal Guittet. Vous pourrez toujours être conseiller municipal !

M. Daniel Fasquelle. Les médecins, les avocats pourront continuer à exercer, mais pas les maires ! Pourquoi ? Je me suis dit que j’allais essayer de comprendre vos arguments.

Plusieurs députés du groupe SRC. Ça ne va pas être facile ! (Sourires.)

M. Daniel Fasquelle. Premier argument : les députés doivent être plus disponibles. Très franchement, cela ne tient pas une seconde, avec cette possibilité de cumuler avec toutes les fonctions que j’ai évoquées ou de continuer à exercer sa profession. Et il suffit d’observer qui sont les députés les plus présents à l’Assemblée nationale : beaucoup sont maires.

M. Bernard Roman. Et il y a des députés maires qui ne sont jamais là !

M. Daniel Fasquelle. En 2011, un classement a été publié.

Mme Cécile Untermaier. Un très mauvais classement !

M. Daniel Fasquelle. Le député arrivé en tête, en termes de prises de paroles et de dépôts d’amendements, était Christian Eckert : il est maire. Il se trouve que je venais en seconde position, et que je suis maire aussi. Je suis présent à l’Assemblée comme sur le terrain. Je ne pense pas que les électeurs puissent dire qu’ils ne me voient pas dans la circonscription. J’ai d’ailleurs, dans un contexte difficile – le Pas-de-Calais, monsieur Roman – amélioré mon score en 2012 par rapport à 2007. Si je n’avais été présent sur le terrain, mes électeurs ne m’auraient pas accordé pareille confiance et un score de 79 % dans ma commune ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Nicolas Bays. Merci Olivier Marleix !

Mme Laurence Dumont. On parle de la loi, pas de vous !

M. Daniel Fasquelle. Pourriez-vous cesser de vociférer ? Je sais bien que mes arguments vous dérangent. Je sais aussi que les députés socialistes qui ne sont pas d’accord avec vous subissent des pressions. S’ils ne sont pas là aujourd’hui, c’est qu’il n’y a pas de liberté de vote, pas de liberté du tout au sein du parti socialiste, sur ce sujet et peut-être sur d’autres. Je tiens à le dénoncer. (Mêmes mouvements.)

Deuxième argument : il ne faut pas que les maires siègent à l’Assemblée nationale, car ils y défendent des intérêts locaux.



Mme Pascale Crozon. Ce n’est pas loin de la vérité !

M. Daniel Fasquelle. C’est complètement faux. Ainsi, 17 % seulement des propositions de loi concernent les territoires. Une étude, menée par Luc Rouban, du Cevipof, conclut que « rien n’indique que le cumul, au-delà des conséquences logiques de la décentralisation, entraîne un lobbying effréné pour les territoires ». Il est vrai qu’il nous arrive de défendre nos territoires, mais au même titre que les entreprises, les associations ou les agriculteurs.

Troisième argument : les électeurs ne veulent plus du cumul.

M. Bernard Roman. Les citoyens !

M. Daniel Fasquelle. Ils seraient obsédés par le sujet, du matin au soir. Cela ne tient pas une seconde. Je vous invite à rendre connaissance d’un sondage BVA, qui montre que 44 % des électeurs acceptent le cumul et que 33 % approuvent plus précisément le cumul d’un mandat national et d’un mandat local, ce qui est d’ailleurs la position du groupe UMP.

M. Bernard Roman. 33 %, c’est peu !

M. Christian Jacob. 15 % d’opinions favorables, ce n’est pas beaucoup mieux !

M. Daniel Fasquelle. Monsieur Roman, en tant que questeur, vous devriez montrer l’exemple ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Depuis le début de la séance, vous n’arrêtez pas de vous exclamer chaque fois qu’un député UMP prend la parole !

M. Bernard Roman. Que M. Jacob arrête de me parler dans ce cas !

M. Daniel Fasquelle. C’est inadmissible ! Je reprends : 66 % des personnes interrogées pensent qu’il n’y a pas de limite dans le cumul des rémunérations. Là est le vrai sujet, que vous ne voulez jamais aborder. Les Français sont contre le cumul des rémunérations, des indemnités, car ils ne savent pas qu’elles sont déjà écrêtées. Il suffit de prendre le temps de le leur expliquer pour qu’ils changent d’avis.

Surtout, c’est aux urnes que les Français peuvent le mieux exprimer leur opinion. S’ils sont contre le principe du député maire, ils ne votent pas pour leur député quand il se présente aux municipales, ni pour leur maire quand il se présente aux législatives ! Laissez donc un peu de liberté aux électeurs et, par pitié, monsieur le ministre, cessez de prendre l’exemple de la parité. Autant l’on peut comprendre vos objectifs dans un texte sur la parité, autant, en l’espèce, l’on a du mal à saisir l’intérêt des contraintes que vous nous imposez.

L’argument relatif aux exemples étrangers ne tient pas davantage. Quel pays, Jean-Frédéric Poisson en a très bien parlé, compte 36 000 communes ? Notre système est très particulier, héritier d’une vieille histoire puisque nous sommes le plus vieil État d’Europe. Nous avons construit un lien, qu’il ne faut surtout pas briser, entre le national et le local. Les députés, grâce au cumul, font ce lien en permanence. Il est vrai cependant, et c’est sans doute le nœud du problème, que la France compte 600 000 élus, ce qui est sans doute excessif. Les lois de décentralisation devraient vous fournir l’occasion de simplifier, d’éviter la multiplication des strates et des cumuls. Or, en réalité, vous n’avez pas ce courage. Vous préférez mener cette réforme démagogique pour faire plaisir aux militants du parti socialiste. Vous vous exonérez ainsi de lancer les vraies réformes de fond, en mettant à plat l’organisation et la multiplication des strates dans notre pays.

Il est vrai que la question se pose de la répartition des compétences entre les régions et les départements, entre les communes et les communautés de communes, mais vous ne voulez pas en parler. Au contraire, vous renforcez la place des métropoles et vous complexifiez encore davantage l’appareil administratif français. En cela, vous avez totalement tort.

Vos autres arguments ne sont guère plus convaincants, à commencer par celui des économies. L’on sait au contraire que votre réforme coûtera de l’argent aux contribuables. Ma communauté de communes, que je préside, économise 24 000 euros par an parce que je suis député maire.

Mme Cécile Untermaier. Trois mandats ! Rien que ça !

M. Daniel Fasquelle. Demain, à chaque niveau, chacun voudra percevoir une rémunération pleine, un secrétariat, des moyens, et j’en passe !

M. Jean-Frédéric Poisson. Il a raison !

M. Daniel Fasquelle. Au Touquet, je n’ai pas de voiture de fonction, j’utilise ma voiture de député, et j’espère que beaucoup d’entre vous font la même chose ! Demain, les coûts seront bien plus élevés : c’est cela qu’il faut expliquer à nos concitoyens. Au final, votre réforme coûtera de l’argent public, de l’argent aux contribuables – mais cela, ce n’est pas votre préoccupation principale, nous l’avons bien compris.

M. Christian Jacob. Les socialistes ne savent pas compter, de toute manière !

M. Daniel Fasquelle. Aucun de vos arguments ne m’a convaincu. En revanche, votre réforme présente un certain nombre d’inconvénients que vous n’avez pas réellement pris en compte, et vous feriez bien d’être attentifs à ma démonstration.

Nous allons tout d’abord nous priver d’une réelle et indispensable capacité d’expertise et d’expérience du terrain. Un maire est amené à gérer un budget, un maire a du personnel sous sa responsabilité, un maire est confronté, en première ligne, aux questions de logement, le débat sur la réforme de Mme Duflot en a témoigné, aux problèmes d’emploi ou à ceux des écoles – si M. Peillon avait été maire, peut-être n’aurait-il pas proposé cette réforme absurde des rythmes scolaires dont personne ne veut ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Voilà les dangers de la république que vous nous préparez, une république qui aura à la tête de l’État et dans cet hémicycle, malheureusement, des élus et des responsables qui manquent d’expérience.

Mme Laurence Dumont. On peut être maire, et ensuite député !

M. Daniel Fasquelle. Deuxième inconvénient : vous allez affaiblir le pouvoir législatif face à l’exécutif. Je ne suis absolument pas d’accord avec vous lorsque vous prétendez que vous allez renforcer le législatif. Au contraire, vous vous apprêtez à supprimer un contre-pouvoir ! Les députés, privés de leur enracinement local, auront beaucoup moins de poids face à l’exécutif dans une VRépublique où le quinquennat et l’inversion des calendriers ont déjà renforcé le poids de ce dernier face au législatif. Le danger est grand d’accentuer encore la présidentialisation et d’affaiblir les députés face à l’exécutif et aux appareils politiques.

Par ailleurs, on n’en parle jamais mais vous allez également affaiblir le député sur le plan local, en particulier dans ses relations avec l’administration préfectorale. Un député ayant un mandat local est bien mieux écouté aujourd’hui par les représentants locaux de l’administration ou les préfets qu’il ne le sera demain lorsqu’il n’aura plus que son mandat de député. On préférera alors inviter le préfet, parce qu’on voudra avoir en face de soi l’interlocuteur du Gouvernement que le député ne peut pas être.

M. Jean-Luc Reitzer. C’est la vérité !

M. Daniel Fasquelle. Enfin, vous allez éloigner le député du terrain. Nous avons aujourd’hui la chance d’avoir un modèle unique en Europe, que nous devons défendre : celui du député de terrain. Votre réforme va y mettre fin alors qu’il faudrait au contraire le préserver, voire le renforcer.

Vous prétendez qu’il y aura plus de proximité demain, mais c’est faux, d’autant, monsieur le ministre, que vous nous avez presque avoué tout à l’heure l’existence d’un plan caché : il y aura d’autres étapes ! Si les députés ne peuvent plus cumuler, ils demanderont plus de moyens pour travailler et l’on ne tardera pas à nous dire, faute de moyens, que nous sommes trop nombreux ! Et l’étape de la réduction du nombre de députés sera suivie de l’introduction de la proportionnelle. Or, aujourd’hui, les députés sont attachés à une circonscription. Ils dialoguent en permanence avec leurs électeurs, qui peuvent les voir partout dans leur territoire, dans les manifestations. Demain, avec la diminution du nombre de députés conjuguée à l’introduction de la proportionnelle, sur d’immenses circonscriptions, les Français ne verront plus leurs députés. Et vous aurez mis fin aux députés de terrain !

Mme Julie Sommaruga. Je ne suis pas une députée de terrain, moi ?

M. Daniel Fasquelle. C’est contre cette perspective que je me bats de toutes mes forces, avec mes collègues ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.) Un certain nombre d’élus de gauche partagent nos convictions, et ils ont eu le courage de le dire au Sénat ! Ici, malheureusement, ils n’ont pas la parole mais beaucoup pensent, comme nous, que ce serait une erreur majeure que de supprimer en France le député de terrain. (Mêmes mouvements.)

Le renvoi en commission me paraît donc indispensable : les avantages que vous avancez ne sont absolument pas convaincants, les inconvénients ont été largement sous-estimés, et surtout cette réforme manque d’une vision d’ensemble. Olivier Beaud, professeur de droit public, que vous devriez écouter parce qu’il est plutôt d’une sensibilité de gauche, a ainsi déclaré qu’on ne pouvait pas changer un élément du système sans changer tout le système et que cela lui paraissait extrêmement dangereux.



Bien sûr, notre démocratie pourrait mieux fonctionner, bien sûr le fossé s’est creusé entre les Français et ceux qui s’engagent dans la vie publique.



Mme Julie Sommaruga. C’est vous qui l’avez creusé !

M. Daniel Fasquelle. Mais ce n’est pas ainsi que vous allez le combler ! Vous allez au contraire l’aggraver, abîmer notre République, abîmer notre démocratie. Ayons un vrai débat de fond sur le fonctionnement de nos institutions, sur les rapports entre le législatif et l’exécutif, sur la décentralisation, sur toutes les formes de cumul. L’UMP ne prétend pas qu’il ne faut rien changer, simplement qu’il faut permettre un cumul raisonnable. Acceptez que la discussion s’instaure. D’ailleurs, si tout n’était pas verrouillé, si le ministre et le rapporteur n’étaient pas aux ordres, nous pourrions aboutir à un consensus. En dehors de l’hémicycle, quand nous en discutons avec des députés socialistes, nous arrivons très vite à trouver des points d’accord !

Plusieurs députés du groupe SRC. Des noms !

M. Daniel Fasquelle. Mais vous avez tout verrouillé, parce que vous ne voulez pas de cet accord.

M. Bernard Roman. Mais non !

M. Daniel Fasquelle. C’est dommage parce que nous aurions pu, sur ce texte, réunir l’unanimité.

Vous n’avez pas écouté nos avertissements dans le domaine économique et social. Nous vous avions dit de ne pas supprimer l’exonération des heures supplémentaires, de ne pas matraquer fiscalement les Français.

Plusieurs députés du groupe SRC. Hors sujet !

M. Daniel Fasquelle. Vous ne nous avez pas écoutés et nous sommes allés dans le mur ! Le pouvoir d’achat s’effondre, le chômage explose, l’insécurité augmente : votre bilan est celui d’un échec incroyable ! 15 % seulement des Français soutiennent le Président de la République. Même les socialistes ne sont plus derrière lui ! Alors ne faites pas la même erreur pour notre démocratie et nos institutions. Pour une fois, écoutez nos avertissements, renoncez à ce texte funeste et revenons en commission pour engager un vrai débat de fond, un débat sérieux ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Christophe Borgel, rapporteur. Permettez-moi de revenir, cher collègue, sur l’un de vos arguments principaux, que vous évoquez avec une énergie sans égale depuis le début de nos débats. En gros, vous prétendez que le maire est faible s’il n’est pas député et que le député est faible s’il n’est pas maire. Et le président de votre groupe d’acquiescer. Malheureusement, il y a 577 députés et 37 000 maires. Il faudrait que notre Assemblée commence sérieusement à s’inquiéter de la qualité de l’action des 36 500 maires qui, de toute façon, n’ont aucune chance de devenir députés, quel que soit le résultat des élections ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Luc Reitzer. Ils ont au moins 577 chances !

M. Daniel Fasquelle. Vous ne m’avez pas écouté.

M. Christophe Borgel, rapporteur. Vous nous dites que le député qui n’est pas maire n’est invité à aucune réunion, qu’il n’est pas sollicité par le préfet, qu’il n’est appelé par aucun élu de sa circonscription. Ou bien nous ne vivons pas la même chose, ou bien je rêve les appels du préfet, des maires de ma circonscription, des conseillers généraux, du président de ma région !

M. Christian Jacob. Commencez par vous faire réélire !

M. Christophe Borgel, rapporteur. Je ne suis pas certain d’être le plus inquiet sur ce point…

M. Christian Jacob. Il faut être modeste.

M. Christophe Borgel, rapporteur. …mais nous en reparlerons dans quatre ans.

Bref, soyons sérieux : vous pourriez défendre le rejet…

M. Daniel Fasquelle. Eh bien voilà !

M. Christophe Borgel, rapporteur. Monsieur Fasquelle, vous vous êtes à cette tribune énervé avec vigueur contre un questeur, en appelant à un peu de tenue dans nos débats. Je ne pense pas que vous soyez le parlementaire le mieux placé pour faire ce genre de remarques (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC)

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Ça, c’est vrai ! Ne serait-ce que la semaine dernière….

M. Daniel Fasquelle. Je ne suis pas questeur.

M. Christophe Borgel, rapporteur. … mais lorsqu’on tient de tels propos, avec une telle vigueur, pour ne pas dire plus, on essaie, ne serait-ce que quelques minutes, d’écouter ses contradicteurs.

Soyons sérieux donc : vous pouvez combattre ces textes, mais pas avec de tels arguments, pas en nous ressortant les mêmes études qu’au cours du premier débat, dont vous savez qu’elles ne sont en rien fondées. Vous avez réutilisé l’étude du Cevipof alors qu’elle ne s’appuie sur aucun élément méthodologique, aucun élément de recueil des données. Si vous le voulez, nous pourrons la revoir ensemble pendant la suspension de séance.

Enfin, vous avez démontré que, tout en étant député maire, vous aviez été l’un des députés les plus présents et que votre score avait progressé entre 2007 et 2012 – d’un point. Mais n’oublions tout de même pas, pour que l’Assemblée soit parfaitement éclairée, que le redécoupage des circonscriptions du Pas-de-Calais était passé par là ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Daniel Fasquelle. C’est minable, je ne vous permets pas !

M. Bernard Roman. Sinon, c’était moins trois !

M. le président. Nous en venons aux explications de vote.

La parole est à M. Philippe Baumel, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Philippe Baumel. Rappelons tout de même que dans cet hémicycle, soixante-dix parlementaires ont d’ores et déjà choisi de ne plus cumuler depuis le début de la législature.

M. Jean-Frédéric Poisson. Seulement ?

M. Philippe Baumel. Soixante-dix non cumulards, ce n’est pas anodin et je ne suis pas certain qu’ils aient témoigné d’un handicap particulier dans l’exercice de leur mandat depuis le début de la législature. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Cécile Untermaier. Très bien !

M. Jean-Luc Reitzer. On verra dans trois ans !

M. Philippe Baumel. Bien évidemment, je fais partie de ceux-là et je n’ai pas le sentiment que l’on me reproche régulièrement ce choix dans ma circonscription. J’ai été maire, mais aussi vice-président de région. Je ne vis pas comme un inconvénient mon choix d’être député à plein temps.

Vous prétendez par ailleurs que les Français ne seraient pas attachés à cette réforme. Or, un sondage de l’IFOP, réalisé en septembre, témoigne que 59 % des Français attendent cette réforme. Et 59 %, ce n’est pas non plus anodin.

Vous avez évoqué la nécessité de différencier les fonctions de député et de sénateur, et de permettre aux sénateurs de cumuler davantage. À entendre certains, on a parfois l’impression qu’il faudrait tout changer pour ne rien changer ! Ainsi les orateurs du groupe de l’UMP nous ont-ils proposé de réfléchir au statut de l’élu et reproché de réfléchir au non cumul pour les élus locaux, tout en souhaitant que l’on conserve la possibilité de cumul pour les parlementaires. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean-Luc Reitzer. Deux mandats !

M. Jean-Frédéric Poisson. Ce n’est pourtant pas compliqué, vous le faites exprès ! Ça suffit à la fin !

M. Philippe Baumel. Je ne vois pas où est la cohérence dans ce type d’argumentaire, et suis assez troublé par ce manque de logique et cette forme d’irrespect du discours devant la représentation nationale. Pourtant, comme nous le savons tous, et nos concitoyens ne s’y trompent pas, le cumul, c’est le verrouillage, parfois jusqu’à l’absurde. Qu’il suffise de vous rappeler la situation de l’un de nos collègues, à la fois député des Français établis hors de France et conseiller général de la Vienne. Comment peut-on à la fois siéger au conseil général de la Vienne et être député de l’Afrique subsaharienne ? Vous conviendrez qu’il est bien difficile de trouver la moindre cohérence dans cette situation.

M. Jean-Luc Reitzer. L’avion, ça existe !

M. Philippe Baumel. Nous avons également entendu dire que le non cumul serait la consécration de l’inexpérience et de l’incompétence. Bien sûr, un long parcours d’élu local est un gage de compétence…

M. Jean-Frédéric Poisson. Eh oui !

M. Philippe Baumel. Pour ma part, vous me permettrez de sourire de ce genre d’affirmation ! À mon sens, être élu à plein temps renforce la capacité de connaître parfaitement sa circonscription et de donner également le meilleur de soi-même dans le cadre du travail parlementaire.

Je crois qu’il est temps de franchir un pas attendu et nécessaire pour renforcer les pouvoirs du Parlement et des parlementaires, et ce texte nous paraît assurément de nature à y contribuer.

M. Jean-Luc Reitzer. C’est l’inverse qui va se produire !

M. Philippe Baumel. Il permettra également, je l’espère, de regagner en partie la confiance perdue de nos concitoyens et de lutter ainsi contre une abstention aux effets ravageurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Frédéric Poisson. On peut toujours rêver, ce n’est pas gagné !

M. le président. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Jean-Frédéric Poisson. Je n’apprécie pas le procédé auquel vient de recourir M. Baumel, consistant à faire semblant de ne pas comprendre et à défigurer l’argumentation que nous essayons de défendre. Sur ce projet de réforme du statut des élus territoriaux, et en particulier sur la question du cumul, nous n’avons jamais dit que vos textes n’allaient pas assez loin : en réalité, nous avons toujours affirmé être opposés à leur principe même – tous les députés intervenant pour l’UMP l’ont dit, en première comme en nouvelle lecture. Ce n’est pas, pour nous, une affaire de circonstances, mais une question de principe, pour des raisons que nous avons exposées.

Par ailleurs, nous vous prenons bel et bien en flagrant délit d’incohérence. Puisque vous nous expliquez à longueur de temps que votre position est fondée sur un principe, celui du refus de tout cumul, auquel selon vous les Français seraient très attachés, qu’attendez-vous pour le mettre en œuvre ? Faites-le, assumez-le ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Plusieurs députés du groupe SRC. On le fait !

M. Jean-Frédéric Poisson. En réalité, vous n’assumez pas, et cela s’explique très aisément : évoquer une interdiction stricte de cumul pour les élus locaux à quatre mois des élections municipales n’arrangerait évidemment pas vos affaires ! (Mêmes mouvements.) Ne venez pas nous accuser d’opportunisme quand c’est précisément vous qui agissez ainsi ! C’est la réalité. Si nous ne vous entendons pas parler des élus territoriaux ni des moyens supplémentaires donnés au Parlement, ce n’est pas un hasard, mais bien la preuve que votre texte est guidé par des considérations opportunistes, que vos principes ne sont pas si forts que cela. Votre prétendue conviction n’est que de circonstance, elle n’est pour vous qu’un instrument politique, un outil qui aura toutefois des conséquences certaines sur notre vie politique, que nous regrettons.

De grâce donc, ne faites pas semblant de ne pas comprendre ce que nous disons ! J’ai bien compris que nous allions tout droit vers une forme de fédéralisme, et à cet égard je remercie M. Molac de nous avoir indiqué quelle serait la prochaine étape de notre réflexion : choisir si nous préférons le système allemand ou espagnol… Un choix que nous vous laisserons, car aucune de ces options ne nous convient.

M. Paul Molac. C’est le système européen moderne !

M. Jean-Frédéric Poisson. Un système qui n’est pas en vigueur partout, monsieur Molac, nous aurons l’occasion d’en reparler.

Quoi qu’il en soit, tant que vous ne mettrez pas en application les principes que vous proclamez, nous ne pourrons pas vous croire.

M. Jean-Luc Laurent. Le retour à l’Ancien Régime !

M. Jean-Frédéric Poisson. Pour toutes ces raisons, nous voterons en faveur de la motion de renvoi en commission présentée par Daniel Fasquelle. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

(La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n’est pas adoptée.)

Motion de renvoi en commission (projet de loi)

M. le président. J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe de l’Union pour un mouvement populaire une motion de renvoi en commission déposée en application de l’article 91, alinéa 6, du règlement, sur le projet de loi interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de représentant au Parlement européen.

La parole est à M. Philippe Vigier.

M. Jean-Pierre Vigier. Ce projet de loi se révèle démagogique et purement idéologique. Il interdit le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de représentant au Parlement européen. En effet, on reproche déjà bien souvent à nos députés européens d’être éloignés de la réalité locale. Sont en cause le fonctionnement différent des institutions européennes ainsi que la nature large des directives et règlements qu’ils étudient.

Aujourd’hui, on souhaite leur supprimer tout lien avec leur territoire local, celui qu’ils doivent pourtant représenter et défendre à Bruxelles. Vous souhaitez donc couper tous nos parlementaires, nationaux et européens, de leurs fonctions locales. Quelle aberration ! En effet, vous remettez ainsi en cause ces deux principes fondamentaux que sont le choix des électeurs et l’enracinement local des élus.

M. Jean-Frédéric Poisson. Exactement !

M. Jean-Pierre Vigier. Est-il besoin de rappeler qu’un mandat est accordé à l’élu à l’issue d’une élection ? Le mot n’est pas anodin. Les électeurs ne seraient-ils donc pas capables de se déterminer ? Vous affirmez que deux fonctions ne sont pas compatibles, mais les électeurs ne sont-ils pas capables de juger par eux-mêmes si, oui ou non, le candidat détenant déjà un mandat et qui se présente à un autre pourra assumer effectivement les deux fonctions ? Monsieur le ministre, il faut revenir à la réalité !

Que ce soit au niveau national ou au niveau européen, nombre d’entre nous ont été élus et réélus en tant que députés tout en assurant la fonction de maire.

M. Jean-Luc Reitzer. Absolument !

M. Jean-Pierre Vigier. Cela prouve bien que c’est aux électeurs de choisir d’accorder ou non leur confiance : ils votent en connaissance de cause, et apprécient, la plupart du temps, le travail fourni par leur élu dans les deux fonctions.

M. Jean-Frédéric Poisson. Très bien !

M. Jean-Pierre Vigier. Où est cette majorité de Français, manifestement virtuelle, qui trouve le cumul inadmissible, alors que nos concitoyens élisent et réélisent les députés maires ? La loi limite déjà le cumul lorsque les fonctions locales sont trop lourdes. Restons-en là et laissons s’exercer le pouvoir des urnes !

M. Jean-Frédéric Poisson et M. Jean-Luc Reitzer. Très bien !

M. Jean-Pierre Vigier. Au Parlement, notamment au Parlement européen, les lois se succèdent à une allure de plus en plus rapide et sont souvent complexes. Nombre de citoyens le regrettent, car la situation manque de visibilité. Que se passerait-il si les députés n’avaient pas d’ancrage local, s’ils n’avaient plus la possibilité de constater de visu les effets des textes qu’ils adoptent ? Nous aurions alors des parlementaires européens ne légiférant que sur une réalité virtuelle.

Nous ne pouvons que craindre de futures lois totalement déconnectées de la réalité et des vrais problèmes des Français. Veut-on étendre aux députés ce que l’on reproche souvent aux hauts fonctionnaires ? L’élu local est en permanence confronté aux remarques de ses concitoyens sur l’ensemble des sujets que les lois tentent d’aborder et de résoudre. Le lien est pourtant clair ! Détenir un mandat local est, aux yeux des électeurs, un gage de sérieux et l’aboutissement d’une expérience vécue : c’est en effet à partir de la réalité de terrain que l’on peut élaborer des lois adaptées et applicables. Faire remonter l’information du niveau local au niveau européen permet d’apporter de meilleures solutions à des problèmes mieux identifiés.

Certains dénoncent un absentéisme récurrent des parlementaires, qu’ils attribuent au cumul. C’est de la démagogie : il ne faut pas encourager les électeurs à penser que seule la présence en séance est une preuve d’activité parlementaire. Nous ne le savons que trop bien, le travail de député, c’est aussi la participation aux commissions, les contacts avec les ministères, les questions écrites, les propositions de loi. Ces activités sont très importantes, car elles sont en prise directe avec la réalité de terrain.

Une étude datant d’août 2012 a prouvé que l’activité des députés en situation de cumul ou non cumul était quasiment identique. Sur le plan de l’activité, il n’y a donc aucune corrélation ! En revanche, les deux fonctions locale et européenne sont liées. Les réseaux et les contacts que le parlementaire tisse grâce à son mandat servent utilement son travail local au service de ses concitoyens. D’ailleurs, en séparant les mandats, vous n’aboutirez qu’à une accumulation de retards dans la résolution de nombreux dossiers : les maires, notamment dans les petites communes, devront, pour faire avancer les choses, s’adresser aux parlementaires qui eux, utiliseront ensuite leurs réseaux. Quelle perte de temps, quelle perte d’énergie !

Je veux aussi faire remarquer que le projet de loi n’interdit pas le cumul des mandats locaux. De telles situations sont plus nombreuses que ne le pensent les Français.

M. Jean-Luc Reitzer. Eh oui !

M. Jean-Pierre Vigier. À nouveau, je ne peux m’empêcher de me demander pourquoi la loi n’a rien prévu contre le cumul horizontal, le cumul des mandats locaux. Nous n’avons cessé de poser cette question, sans pour autant recevoir de réponse valable.

M. Jean-Luc Reitzer. Il est sans doute préférable d’affaiblir les parlementaires !

M. Jean-Pierre Vigier. Interdire tout cumul sous prétexte de moralisation de la vie politique est d’autant plus ironique que cela met en cause le dévouement des élus. Sur tous les bancs de cette assemblée, quelles que soient nos opinions politiques, nous pouvons affirmer que nous sommes fiers des mandats qui nous ont été donnés par les élections, et il en est de même pour les parlementaires européens. Nous les assumons le mieux possible, en ne ménageant ni notre peine, ni notre temps. Vivifier et moderniser notre activité de législateur consisterait plutôt à reconnaître le dévouement des élus, leur capacité à réfléchir et à élaborer des textes sensés.

Fixer un seuil pour appliquer un non cumul raisonnable serait compréhensible. Il conviendrait de légiférer en ce sens, à condition, bien évidemment que les élus soient entendus, consultés, et que la réflexion ait véritablement lieu. Ce n’est pas en privant les parlementaires de leurs assises locales que vous rénoverez la démocratie. Or, jusqu’à présent, ce texte nous donne l’impression d’avoir pour objet de répondre aux souhaits de quelques apparatchiks de parti, plutôt qu’à une volonté d’améliorer le fonctionnement de nos institutions.

Ce n’est pas en invoquant l’opinion publique que vous réussirez à démontrer l’efficacité de cette réforme. La modernité, ce n’est pas la réforme en soi, c’est la réforme efficace ! Celle que vous nous proposez ne correspond pas aux attentes des élus et ne répond aucunement au problème de leur statut. Pour quelle raison le Gouvernement a-t-il demandé la procédure accélérée ? La future loi n’est pourtant censée s’appliquer qu’au premier renouvellement du Parlement européen suivant le 31 mars 2017 – après les élections de l’an prochain, bien sûr ! Il fallait oser !

La méthode est claire : limiter au maximum le travail parlementaire et aller rapidement au dernier mot de notre Assemblée. Est-ce là qu’est l’urgence pour vous ? Pendant ce temps, vous ignorez l’écroulement de notre économie, ainsi que la lutte contre le chômage – et, pire, vous développez une taxation folle qui étouffe les ménages français. Cette loi résume parfaitement l’exercice auquel se livre le Gouvernement : de la pure démagogie !

La commission mixte paritaire n’a pas abouti : quoi d’étonnant, sans concertation en amont ! En effet, il aurait fallu constituer une commission réunissant des députés et des sénateurs, les principaux concernés, afin de travailler sur un texte recevable. Croire que distiller le soupçon, jeter l’anathème sur les « cumulards » qui travaillent d’arrache-pied fera remonter les élus dans l’estime de nos concitoyens est une erreur profonde. Et tous en pâtiront, de droite comme de gauche !

M. Jean-Frédéric Poisson. Eh oui !

M. Jean-Pierre Vigier. La confiance ne se décrète pas, elle se gagne par un travail quotidien que les parlementaires connaissent bien. Nous avons souhaité défendre aujourd’hui cette motion de renvoi en commission afin que l’Assemblée nationale prenne le temps: le temps de repenser ces textes qui, dans leur version initiale, réalisent l’exploit de cumuler hypocrisie des objectifs et déséquilibre de nos institutions ; le temps de les retravailler à la lumière des remarques constructives que nous avons déjà formulées lors de la première lecture ; le temps, enfin, de réaliser que votre renouveau démocratique, qui peine tant à trouver quelque crédibilité que ce soit, n’aboutira, en l’état actuel, qu’à l’inverse du but recherché – à moins, bien sûr, que tout ceci ne soit voulu !

Ce texte est donc mal bâti et ses dispositions sont excessives. C’est une réforme politicienne qui ne vise qu’à faire plaisir aux militants socialistes.

À l’heure où le Gouvernement est sourd à toute critique sur son projet de loi, vous préférez écouter votre jeune garde parlementaire. Celle-ci, élue par la vague rose de juin 2012, n’a aucune connaissance de la vie du territoire et de ses habitants. (Protestations sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Pourquoi, monsieur le ministre, ne pas suivre le bon sens de nos collègues socialistes ayant un mandat local, connaissant la réalité de terrain et pouvant la faire remonter au niveau national ? Ces élus, tout simplement, se taisent aujourd’hui, contraints et forcés.

Monsieur le ministre, c’est au forceps que vous vous apprêtez à faire passer cette loi et, pour l’ensemble de ces raisons, nous souhaitons vivement que cette motion soit adoptée. (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Christophe Borgel, rapporteur. Je ne reviendrai pas sur un certain nombre d’arguments, car nous avons l’impression d’entendre toujours les mêmes. Si l’on voulait faire vivre le débat, il serait bon…

M. Jean-Luc Reitzer. Vos arguments sont aussi les mêmes !

M. Christophe Borgel, rapporteur. Il serait bon d’essayer de dialoguer.

On peut vouloir convaincre, mais il faut éviter d’abaisser la réalité de la vie politique de ce pays. Peut-être voulez-vous changer de régime, mais la Constitution de notre pays dispose que les partis politiques concourent à la vie démocratique du pays, et je crois, pour ma part, que c’est une bonne chose.

Peut-être pourrions-nous donc laisser à ceux qui combattent cette réalité, cette volonté qu’il y ait des formations politiques pour concourir, organiser la vie politique, cette terminologie basiste, un peu populiste, sur les apparatchiks. Peut-être pourrions-nous considérer qu’il y a, bien sûr, du mérite, du talent, à être arrivés dans ces lieux par le passage par la vie locale et les collectivités.

M. Jean-Luc Reitzer. Eh oui ! C’est cela, la base !

M. Christophe Borgel, rapporteur. Mais on peut aussi considérer que s’être battu pour que des citoyens s’engagent dans les formations politiques, y avoir consacré des années pour que ces formations jouent leur rôle dans le débat démocratique, pour former un bon nombre de nos concitoyens à l’action collective, à l’action politique, c’est aussi noble que d’avoir été un élu local.

De la même manière, on peut considérer qu’être venu à la vie politique par le biais des associations, c’est aussi un parcours noble. J’estime donc que votre argument sur les apparatchiks, alors qu’on observe un rejet du politique chez nos concitoyens, n’honore pas notre débat parlementaire.

M. Jean-Frédéric Poisson. N’exagérons rien !

M. Christophe Borgel, rapporteur. Vous nous avez invités, mon cher collègue Vigier, à ce qu’il y ait un débat entre l’Assemblée et le Sénat. Je vous rappelle que la CMP est faite pour cela.

M. Jean-Frédéric Poisson. Ce n’est pas un exemple de débat approfondi !

M. Christophe Borgel, rapporteur. Oui, mais quand les points de vue sont aussi inconciliables – d’un côté, on souhaite que le dispositif vaille pour l’ensemble des parlementaires, de l’autre, on souhaite que les sénateurs en soient exclus –, avouez que le débat est par nature rapidement terminé !

Vous nous avez dit, et d’autres l’ont dit avant vous, qu’au vu de ce texte, l’opposition saisira le Conseil constitutionnel. Je ne peux m’empêcher de vous rappeler que, s’agissant de la loi organique, le Conseil constitutionnel est saisi par nature…

M. Jean-Frédéric Poisson. Cela n’empêche pas de le faire aussi !

M. Christophe Borgel, rapporteur. Bien sûr, mais je ne doute pas que votre saisine sera une sorte de « sursaisine » du Conseil constitutionnel.

Vous avez évoqué le fait que les députés socialistes, dans ce débat, seraient contraints et forcés. Mais en première lecture, c’est dans nos rangs que certains députés ont fait entendre des voix différentes. Vous avez évoqué à plusieurs reprises à cette tribune des conversations privées. Mais vous le savez, quelques-uns de nos collègues qui siègent sur vos bancs, messieurs de l’opposition, ont souhaité voter pour ce texte en première lecture.

M. Jean-Frédéric Poisson. Combien ?

M. Christophe Borgel, rapporteur. Quelques-uns, qui ne l’ont d’ailleurs pas fait. Si j’en crois ce qu’ils nous disent de vos réunions de groupe, cela ressemble un peu à quelque chose de contraint et forcé ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)Certains semblent vouloir se donner du courage pour cette nouvelle lecture. Attendons le vote solennel !

M. Jean-Frédéric Poisson. Parole d’expert, monsieur le rapporteur !

M. Christophe Borgel, rapporteur. Oui, je connais bien ces sujets. Il n’en demeure pas moins que c’est dans nos rangs qu’il y a eu un peu de liberté de vote et dans les vôtres qu’il y en a très peu. Peut-être nous démentirez-vous lors du vote solennel de cette nouvelle lecture ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et GDR.)

M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à Mme Chantal Guittet, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Chantal Guittet. Monsieur le président, messieurs les ministres, chers collègues, vous avez devant vous une députée hors sol. Je viens d’apprendre aujourd’hui, par la voix de Guy Geoffroy, que j’étais un danger permanent. Je le remercie de son appréciation ! (Sourires sur divers bancs.)

Je ne reviendrai pas sur tout ce qui a été dit. Je ne commenterai que les propos qui commencent à m’agacer sérieusement. Vous avez la fâcheuse habitude de penser à notre place. Laissez-nous penser tout seuls et pensez par vous-mêmes de votre côté ! Je pense que la démocratie s’en portera mieux.



Vous nous prêtez sans cesse certains propos. Nous sommes capables de nous exprimer et nous n’avons pas besoin de porte-parole, surtout quand ils viennent de l’UMP !



M. Jean-Frédéric Poisson. À quoi faites-vous référence, ma chère collègue ?

Mme Chantal Guittet. Pour le cumul des mandats, vous dites qu’il y a un problème d’ancrage territorial. Pour ma part, je n’imagine pas que quelqu’un puisse être élu sans avoir été sur le terrain, sans s’être intéressé aux projets locaux et sans les avoir fait avancer.

M. Jean-Luc Reitzer. En tant qu’élu, justement !

Mme Chantal Guittet. Vous semblez ignorer les conseillers municipaux. Je vous signale qu’un député européen peut être conseiller municipal sans être maire et, de ce fait, avoir un ancrage territorial.

Il n’est pas nécessaire d’avoir un mandat exécutif pour être à l’écoute des citoyens. Le cumul des mandats, peut, au contraire, éloigner les députés, et notamment les députés européens, d’une grande partie de leur circonscription, puisqu’il faut du temps pour discuter et pour écouter. Le fait d’avoir un mandat exécutif et de siéger en même temps au Parlement européen est chronophage. Je ne vois pas comment on peut remplir sérieusement ces deux fonctions.

Contrairement à ce que vous affirmez, les textes qui nous sont soumis sont utiles et équilibrés. Ils adressent un message fort à nos concitoyens quant à notre volonté de changer la politique et de permettre à plus de personnes de se présenter.

M. Jean-Frédéric Poisson. Une pour mille !

Mme Chantal Guittet. C’est un renouvellement que nous cherchons à initier, même si vous n’en êtes pas d’accord, ce qui est votre droit. Ces textes sont attendus par nos concitoyens. C’est pourquoi nous voterons avec force le rejet de cette motion. Nous croyons que ce texte renouvellera très rapidement notre façon de faire de la politique, même si ce n’est qu’un début, car nous continuerons en ce sens. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et GDR.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Fasquelle, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Daniel Fasquelle. L’argument du renouvellement n’est pas sérieux ! Il y a 36 000 communes en France et votre réforme ne va toucher que 300 à 400 députés ou sénateurs. Si c’est votre seule ambition pour renouveler le personnel politique français, cela ne tient pas !

C’est même le phénomène contraire qui se produira : ceux qui sont maires ne se présenteront pas aux élections législatives, alors qu’ils auraient pu le faire dans le système que nous connaissons aujourd’hui.

Mme Chantal Guittet. Si, ils démissionneront de leur mandat de maire !

M. Daniel Fasquelle. S’ils sont élus députés, ils seront contraints d’abandonner leur mandat de maire, et s’ils sont battus, leurs électeurs et tous les habitants de leur commune leur reprocheront d’avoir voulu quitter leur mandat en se présentant à la députation. En réalité, vous allez bloquer le système. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) C’est ce qui se passe dans des pays comme la Grande-Bretagne. Il y a beaucoup de pays où l’on regrette que le système soit bloqué de ce fait.

Pour le reste, vous ne répondez pas aux arguments avancés par nos collègues. Vous caricaturez souvent nos propos pour mieux les critiquer.

Un député du groupe SRC. Ça ne nous arrive jamais !

M. Daniel Fasquelle. Avec votre réforme, en réalité, vous allez nourrir le populisme et donner raison à ceux qui développent l’antiparlementarisme dans notre pays. Vous croyez leur lâcher un petit morceau pour avoir la paix, mais ils n’en auront jamais assez. Vous ouvrez la porte à certains partis politiques qui sont très heureux de la voir s’ouvrir ! Je souligne tout de même le fait que les deux députés du Front national ont voté avec vous à l’occasion de la première lecture, ce que vous oubliez de rappeler, monsieur Borgel, car c’est un soutien dont vous n’êtes pas très fier. Pour ma part, je comprends fort bien pourquoi ils ont voté ce texte avec vous.

En ce qui concerne les apparatchiks, je partage tout à fait ce qu’a dit notre collègue Vigier. Demain, avec le nombre de députés qui va diminuer, avec la proportionnelle, ce ne sont plus les électeurs qui vont choisir les députés, ce seront les partis politiques. C’est peut-être ce dont rêvent certains d’entre vous, mais ce n’est pas ce que veulent les Français aujourd’hui. Ils auront l’inverse de ce que vous leur vendez. Ils auront des députés éloignés du terrain, des députés qu’ils ne verront plus et qu’ils n’auront pas choisis. C’est cette République-là dont nous ne voulons pas !

Si je combats ce projet avec force avec un certain nombre de mes collègues, c’est parce qu’il porte en germe l’éloignement des députés du terrain et de nos concitoyens et parce qu’il va déstabiliser, beaucoup plus que vous ne le pensez, notre démocratie.

Je voudrais conclure en rappelant les engagements de François Hollande, car c’est assez amusant. Puisque vous êtes très attachés aux engagements, je vais vous en rappeler un certain nombre.

Engagement n9 : « Le déficit public sera réduit à 3 % du PIB en 2013 ».

Mme Pascale Crozon. Ça va venir !

M. Daniel Fasquelle. Engagement n16 : « Je maintiendrai toutes les ressources affectées à la politique familiale ».

M. le président. Merci de conclure, mon cher collègue !

Mme Martine Martinel. Oui, il a largement dépassé son temps de parole !

M. Daniel Fasquelle. Engagement n18 : « Je rétablirai la retraite à soixante ans ».

Je pourrais encore en citer un certain nombre. Alors, par pitié, puisque vous ne tenez pas vos engagements, ne tenez pas celui-là ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. François-Michel Lambert, pour le groupe écologiste.

M. François-Michel Lambert. Monsieur le président, messieurs les ministres, chers collègues, je me pose parfois des questions.

Tout à l’heure, on nous a expliqué que le fait d’avoir un mandat local était un gage de sérieux. Je voudrais que nos collègues, sur les bancs de droite, nous expliquent pourquoi ceux d’entre eux qui n’ont pas de mandat local sont, eux, si sérieux.

Ensuite, vous faites une longue énumération des travaux menés par les parlementaires en dehors de la séance publique : propositions de loi, missions, questions… Mais, alors que vous êtes les défenseurs du cumul du mandat, vous oubliez de parler de l’action locale. C’est normal, car un parlementaire, s’il fait tout ce que vous dites, n’a plus le temps d’assumer la charge d’un cumul de mandats. Vous avez donc vous-mêmes prouvé, par deux fois, que vous étiez dans l’erreur.

Puisque nous parlons du mandat de député européen, je vous rappelle simplement la dimension d’une circonscription européenne : celle que je connais le mieux, celle du sud-est, commence à Bourgoin-Jallieu et finit à Bonifacio. Cela fait beaucoup ! Il faudra m’expliquer comment on peut être à la fois maire d’une petite commune, quelque part dans ce territoire, et répondre à l’attente de ses électeurs dans cette grande circonscription !

Vous finissez par un argument sur les apparatchiks d’un parti politique qui profiteraient de la situation. À voir le nombre de femmes dans vos rangs, j’ai plutôt l’impression que c’est le contraire ! Ce ne sont pas les apparatchiks du parti politique qui profiteront du non-cumul des mandats ! Ce sont plutôt les femmes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Sandrine Mazetier. Bravo !

M. François-Michel Lambert. Vous dites qu’il y a urgence à transformer la société. Je vous invite effectivement à nous rejoindre sur l’urgence de mobiliser les parlementaires pour qu’ils fassent leur travail au plan national et qu’ils ne souffrent plus de schizophrénie, partagés qu’ils sont aujourd’hui entre leur territoire et leur mission nationale.

Pour toutes ces raisons, le groupe écologiste votera contre cette motion de renvoi en commission.

(La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n’est pas adoptée.)

Discussion générale commune

M. le président. Dans la discussion générale commune, la parole est à M. Marc Dolez.

M. Marc Dolez. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, après le rejet du cœur de la réforme par le Sénat, puis l’échec de la commission mixte paritaire, nous nous réjouissons que la commission des lois rétablisse pour l’essentiel et pour chacun des deux projets le texte, adopté par notre assemblée en première lecture, interdisant le cumul de tout mandat parlementaire, celui de sénateur compris, avec une fonction exécutive locale.

Comme je l’ai indiqué en première lecture, les nouvelles incompatibilités édictées par ces deux textes contribueront à recentrer les parlementaires sur leur rôle de législateur, sur leur fonction de contrôle du Gouvernement et sur leur mission d’évaluation des politiques publiques.

Nous considérons cependant que le dispositif aurait gagné à intégrer certaines propositions avancées par la commission Jospin, et en particulier sa proposition n15 tendant à rendre incompatible le mandat de parlementaire avec les fonctions dérivées des mandats locaux.

Nous pensons en effet que les fonctions de membre des assemblées délibérantes, des EPCI à fiscalité propre, des conseils d’administration ou de surveillance d’établissements publics locaux, de sociétés d’économie mixte locale ou de sociétés publiques locales, sont tout aussi inconciliables avec le mandat parlementaire que les fonctions exécutives locales.

De même, nous aurions été favorables à une autre proposition de la commission Jospin, celle visant l’exercice à titre bénévole du mandat local simple que pourra conserver le parlementaire. Cela aurait été un élément supplémentaire de clarification.

Hors ces quelques réserves, nous considérons que l’interdiction du cumul prévue par ces textes est indispensable pour moderniser et renforcer notre démocratie. Car interdire ou limiter strictement le cumul, c’est apporter une réponse certes insuffisante mais nécessaire pour retisser le lien de confiance entre les citoyens et leurs élus, eu égard à la gravité de la crise de la représentation politique dont souffre aujourd’hui le pays, laquelle appelle selon nous des réponses aussi concrètes qu’urgentes.

Les symptômes et les causes de cette crise de la représentation politique sont multiples et largement identifiées : non inscription sur les listes électorales de trois à quatre millions de citoyens, abstention grandissante et souvent record, sentiment que les gouvernants sont incapables de résoudre les difficultés économiques et sociales et ne sont plus que de simples vecteurs d’accompagnement de processus économiques et financiers qui leur échappent, constat que la représentation de la diversité sociale et démographique n’est pas respectée – peu de femmes, de jeunes, de représentants des couches populaires et de Français issus de l’immigration.

Pour leur part, les députés du Front de Gauche sont favorables à une stricte limitation des mandats en nombre et dans le temps, ceci s’inscrivant dans un ensemble de mesures fortes qu’ils préconisent en faveur d’une profonde rénovation de la vie politique dans la perspective de la VIRépublique parlementaire, sociale et participative qu’ils appellent de leurs vœux.

L’interdiction du cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de parlementaire contribuera à déverrouiller la vie politique et à promouvoir le renouvellement du personnel politique. De même, nous considérons qu’en interdisant aux parlementaires d’exercer des fonctions exécutives locales, le projet de loi leur permettra de se consacrer pleinement à leur mandat.

Au-delà de la question de l’absentéisme, l’interdiction du cumul permettra aussi de prévenir les situations de conflit d’intérêts susceptibles de naître en raison de la confusion entre les missions nationales et locales. C’est là une question de principe et une exigence démocratique.

Nous pensons, enfin, que la limitation du cumul des mandats devrait s’inscrire dans une réflexion plus large : celle sur la place et du rôle du Parlement, alors que depuis dix ans le déséquilibre institutionnel s’est encore accentué au profit de l’exécutif.

Si la revalorisation du Parlement et la rénovation de notre vie politique ne peuvent s’engager sans rompre avec la pratique d’un cumul banalisé, mettre fin au cumul ne peut évidemment constituer qu’une première étape.

Nous pensons notamment qu’afin de favoriser une plus juste représentation au Parlement, les modes de scrutin sont appelés à évoluer, comme s’y est d’ailleurs engagé le Président de la République lors de sa campagne en proposant qu’environ 15 % des députés, c’est-à-dire une centaine, soient élus à la proportionnelle.

Pour toutes ces raisons, les députés du Front de Gauche confirmeront leur vote de première lecture en approuvant ces deux projets de loi, qui constituent une avancée réelle et qui permettent d’adresser un message fort à nos concitoyens quant à notre volonté de rénover profondément la vie politique. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Matthias Fekl.

M. Matthias Fekl. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, je veux tout d’abord saluer le travail effectué ici par notre rapporteur ainsi que la présence du ministre de l’Intérieur, bien que nous soyons dans des circonstances particulières puisque, aujourd’hui, un homme a tiré sur des journalistes. Cette présence témoigne de l’importance que la majorité attache à ce texte, au progrès important qu’il apporte et aux nombreuses avancées qu’il permet à notre vie démocratique.

C’est un texte sur lequel nous avons beaucoup travaillé à la commission des lois depuis maintenant plus d’un an. Nous avons auditionné M. Lionel Jospin et de nombreuses réflexions ont également été formulées.

C’est un texte qui intervient à un moment où notre pays traverse une crise démocratique, une crise de confiance généralisée de la part de nos concitoyens envers leurs élus et, plus généralement, envers la politique ou ce que l’on peut appeler les « élites ». Comme tel, il est fondamental parce qu’il répond aux exigences posées.

Il témoigne de la capacité des élus – de ce que l’on appelle la « classe politique » –de s’appliquer à eux-mêmes un certain nombre d’efforts, à un moment où chaque jour nous en demandons aux Français.

Il concrétise également l’engagement présidentiel de mettre un terme au cumul des mandats, lequel s’inscrit dans une longue ligne d’avancées qui, presque toutes, ont été le fait de majorités et de gouvernements de gauche.

De surcroît, cette modernisation de la vie publique s’inspire de ce qui se fait à l’étranger. En effet, contrairement à ce que nous avons beaucoup entendu, la plupart des grandes démocraties occidentales ont un dispositif comparable de non-cumul et de mandat parlementaire national centré sur ce seul exercice.

Le texte nous revient aujourd’hui après un examen sénatorial. Notre rapporteur a excellemment démontré que la lecture selon laquelle le non-cumul devrait être réservé aux députés n’est pas valable. Des débats de fond ont eu lieu, des arguments de fond ont été présentés par certains sénateurs et par certains collègues, députés de l’opposition ou de la majorité ; mais si l’on souhaitait mettre en place une exception pour les sénateurs, il faudrait alors en tirer toutes les conséquences en considérant que la Haute assemblée n’est que la chambre des collectivités locales et qu’elle ne peut se prononcer, par des avis consultatifs, que sur les questions relevant de ces dernières.

Or, telle n’est pas la conception du bicamérisme à la française, où la Haute assemblée est une chambre de plein exercice, à laquelle les mêmes règles que celles de l’Assemblée nationale doivent donc être appliquées.

Quant à la connaissance du terrain, rien n’empêche évidemment, aujourd’hui comme à l’avenir, que de nombreux sénateurs soient issus d’un collège d’élus locaux, qui connaissent le terrain et qui y demeurent à travers des mandats sans responsabilité exécutive, tout en se consacrant à leur mandat de parlementaire.

La logique de ce texte ne vise certainement pas à stigmatiser les élus et ne doit pas l’être dans la période que nous traversons…

M. Jean-Frédéric Poisson. Bravo !

M. Matthias Fekl. Il faut le rappeler en effet, puisque certains ont voulu faire croire qu’il en serait ainsi alors que tel n’est pas le sujet. Le sujet, c’est la modernisation de nos institutions et de leurs règles.

Cette loi est donc importante, elle est même révolutionnaire à l’égard d’une tradition plus que centenaire de cumul des mandats avec cette figure emblématique qu’est le député-maire. Elle doit constituer une étape – et non être considérée comme une stigmatisation de ce dernier –et un moment fort de la rénovation parlementaire. Bien des réformes devront d’ailleurs l’accompagner.

M. Jean-Luc Reitzer. Elles ne l’accompagneront pas.

M. Matthias Fekl. Je songe au statut de l’élu, sur lequel des réflexions importantes ont déjà été formulées par la commission des lois et, notamment, notre collègue Philippe Doucet, mais aussi à la modernisation profonde de nos institutions et de notre démocratie aujourd’hui en crise, au renforcement du rôle du Parlement et de nos compétences…

M. Jean-Luc Reitzer. Ce ne sera pas le cas.

M. Matthias Fekl. …et de nos moyens pour travailler à l’élaboration des lois de manière approfondie, contrôler le travail de l’exécutif et évaluer les politiques publiques, le retard de notre pays étant de ce point de vue-là important.

Enfin, et je m’exprime maintenant à titre personnel, il conviendra de réfléchir au non-cumul des mandats dans la durée, au Parlement, certes, mais aussi dans les assemblées locales.

Ce texte constitue une étape importante, je le répète, car à la fin de ce quinquennat, le non-cumul des mandats sera une réalité dont nous pourrons être fiers.

Je vous remercie. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Reitzer.

M. Jean-Frédéric Poisson. Très bien ! Excellent !

M. Jean-Luc Reitzer. Monsieur le président, monsieur le ministre, le projet de loi dont nous débattons aujourd’hui, on l’a été dit et répété, découle d’un engagement du candidat François Hollande, mais on a peut-être oublié de rappeler qu’il a été pris sous la pression de son parti, lors de la primaire socialiste ; car chacun sait, et vous mieux que d’autres, que François Hollande n’a jamais été au fond de lui-même un farouche partisan de ce non-cumul.

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est peu de le dire !

M. Jean-Luc Reitzer. En fait, la gauche ne rêve que d’une chose : décortiquer, dénaturer, vider de leur esprit les institutions de la VRépublique qui prouvent pourtant jour après jour leur efficacité et leur modernité. La VRépublique a créé un système politique stable dans lequel les citoyens, et c’est l’essence même de la démocratie, choisissent librement leurs élus sur un programme et les identifient aisément.

Ce projet de loi remet en cause cette liberté puisque le maire d’une commune, quelle qu’en soit la taille, ne pourra plus être parlementaire. Votre projet de loi, en effet, ne distingue pas une ville comme Paris avec ses quelque 2,5 millions d’habitants d’un petit village alsacien, auvergnat ou breton d’une centaine d’âmes.

M. Daniel Fasquelle. Exact !

M. Jean-Luc Reitzer. Le système actuel, mes chers collègues, est pourtant simple et équilibré. Tout citoyen peut être candidat pour être représentant de la Nation, sans considération de ses engagements associatifs, syndicaux professionnels, voire, politiques. Mises à part quelques incompatibilités d’ordre juridique, les citoyens – et cela a été rappelé –jouissent d’une liberté totale de se présenter et c’est au peuple de décider !

M. Daniel Fasquelle. Très bien !

M. Jean-Luc Reitzer. Et si les habitants d’une commune ne souhaitent pas que leur maire devienne député, c’est à eux d’en décider lors des élections ! C’est aussi simple que cela, notre démocratie !

M. Daniel Fasquelle. Exact !

M. Bernard Roman. Mais ils n’ont pas le choix !

M. Jean-Luc Reitzer. Si, aujourd’hui de nombreux députés ou sénateurs sont également maires, c’est parce que nos électeurs estiment, à juste titre, que leur expérience leur permettra de voter, d’amender, de proposer des textes de lois avec une sensibilité particulière, celle d’un maire, qui connaît les réalités et les problématiques du terrain.

Qui mieux qu’un maire connaît les difficultés que nos concitoyens éprouvent, surtout à l’heure actuelle, pour trouver un emploi ? Qui mieux qu’un maire connaît les difficultés des collectivités territoriales à assumer les nouvelles compétences transférées avec la baisse annoncée des dotations de l’État ? Qui mieux qu’un maire connaît le drame que constitue la perte d’un escadron de gendarmerie mobile, d’un régiment, d’un hôpital ou d’un tribunal ? Qui mieux qu’un maire connaît le traumatisme économique que cela provoque sur un bassin de vie ?

Oui, les liens entre un maire et sa ville sont particuliers et chacun, ici, le sait ! Une ville s’identifie à son maire et un maire s’identifie à sa ville. C’est le cas d’Alain Juppé pour Bordeaux, ce fut le cas de Pierre Mauroy pour Lille, de Jean-Marc Ayrault pour Nantes, de Manuel Valls pour Évry. Et ce qui est vrai pour les grandes villes l’est encore davantage pour les petites ou les moyennes communes.

Comme élu et député-maire, je peux simplement dire que l’expérience que j’ai acquise à travers la gestion de ma ville et pour ma ville, je la mets au service des autres communes de mon département, qui connaissent aujourd’hui les difficultés que j’ai rencontrées : dissolution d’un régiment, disparition d’un tribunal d’instance, et j’en passe…

M. Jean-Frédéric Poisson. Très bien !

M. Jean-Luc Reitzer. Oui, mes chers collègues, je le répète : vous allez créer des parlementaires hors sol qui siégeront peut-être du lundi au vendredi…

M. Daniel Fasquelle. Ce seront des fonctionnaires !

M. Jean-Luc Reitzer. …mais qui ne connaîtront pas les difficultés quotidiennes de nos concitoyens.

M. Daniel Fasquelle. À quand les 35 heures ?

M. Jean-Luc Reitzer. Vous posez la première pierre d’une nouvelle République puisque, vous l’avez dit et répété dans cet hémicycle lors de la première lecture du texte, l’instauration de la proportionnelle suivra.

En plus, cela a été dit et je le répète : au lieu de disposer d’hommes et de femmes formés au contact des réalités, nous risquons effectivement d’avoir des hommes issus des appareils politiques et habitués aux jeux partisans.

On nous avait promis monts et merveilles, on nous a dit, et répété aujourd’hui, que ce projet était attendu par nos concitoyens. Or il est passé en première lecture de manière quasi inaperçue, et les sondages d’opinion sur le Président, le Premier ministre et son gouvernement ne se sont guère redressés.

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est peu de le dire !

M. Jean-Luc Reitzer. Monsieur le ministre, mes chers collègues de la majorité, beaucoup d’entre vous savent pertinemment que nous avons raison. Alors ne cédez pas aux campagnes démagogiques orchestrées depuis des années pour affaiblir l’institution parlementaire !

M. Daniel Fasquelle. Non au populisme !

M. Jean-Luc Reitzer. Ne vous laissez pas guider par des pressions partisanes et exprimez, par votre vote, votre attachement au lien sacré qui existe entre le parlementaire et son territoire…

M. Daniel Fasquelle. Absolument !

Mme Pascale Crozon. Je ne vois pas ce qu’il y a de sacré là-dedans !

M. Jean-Luc Reitzer. …car vous le savez, ce projet de loi coupera de manière irréversible le lien affectif et humain qui existe entre les citoyens et leurs élus nationaux.

On parle beaucoup des sondages. Eh bien, sondez nos concitoyens, et vous verrez que les Français, dans leur grande majorité, souhaitent conserver et renforcer ce lien. De grâce, écoutez-les ! C’est cela aussi, la grandeur et l’honneur de l’engagement politique. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Daniel Fasquelle. Bravo ! Enfin un peu de bon sens !

M. le président. La parole est à M. Michel Piron.

M. Michel Piron. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, quel est l’objectif du texte qui nous est à nouveau proposé ?

M. Alain Tourret. Plumer la volaille radicale ! (Sourires.)

M. Michel Piron. Mieux légiférer et mieux réguler : il me semble que tel est le premier objectif qui nous est assigné. Et pour ce faire, on interroge le cumul. Après une lecture au sein de chaque assemblée, suivie de l’échec de la commission mixte paritaire, et en dépit des modifications substantielles apportées par le Sénat, nous voici aujourd’hui saisis d’un projet quasiment identique à celui qui a été adopté en première lecture. Répondons-nous à l’objectif fixé ?

Mes chers collègues, vous comprendrez que, les mêmes causes produisant les mêmes effets, le groupe UDI garde, à l’égard de ces deux textes, les mêmes réticences.

Et pourtant, nous partageons une partie de votre diagnostic.

Oui, la France a besoin d’un renouvellement démocratique. Nous sommes d’ailleurs les premiers à reconnaître qu’au nom même de la démocratie représentative, nous devrions remédier aux inégalités d’accès aux mandats électifs, notamment entre les salariés du privé et les fonctionnaires, qui sont aujourd’hui surreprésentés dans la vie politique.

Oui, le cumul des mandats est un vrai problème, et un problème bien français. Alors qu’il compte 82 % de députés et 77 % de sénateurs en situation de cumul, contre moins de 20 % en Italie, en Espagne et en Grande-Bretagne, et moins de 10 % en Allemagne, notre pays continue de faire figure d’exception dans le paysage européen.

Mais une fois ce constat rappelé, comment ne pas voir que si le problème perdure depuis si longtemps, c’est d’abord et avant tout parce qu’il est mal posé ? Pour quelle raison le cumul des mandats est-il plus développé en France que dans les autres pays européens ? D’abord, parce que ces pays ont une autre organisation institutionnelle et territoriale : réfléchir à cette question est un préalable indispensable à toute réflexion sur le cumul. Avant de proposer des solutions sorties du prêt-à-penser, il importe donc que nous nous interrogions une nouvelle fois sur cette spécificité de notre pays.

Je le répète : le fait que la proportion d’élus en situation de cumul soit plus faible qu’en France dans la plupart des démocraties européennes s’explique davantage par leur organisation, que par l’existence de règles, d’ailleurs peu nombreuses, visant à limiter ces situations de cumul. L’immense majorité de ces pays ont réalisé depuis longtemps des réformes profondes, qui leur ont permis, au terme d’une décentralisation assumée, de transférer une partie du pouvoir législatif, et une partie encore plus importante du pouvoir réglementaire ou normatif, aux territoires.

Dans les régions de tous ces pays, qu’on les appelle Länder ou comunidades, que l’on parle de l’Écosse ou du Pays de Galles, les trois quarts des règles sont fabriquées par les élus territoriaux.

M. Paul Molac. Très bien !

M. Michel Piron. Qu’il s’agisse d’accompagnement des entreprises, de formation professionnelle, de santé, ou encore – pardonnez-moi –de scolarité primaire, on légifère et on réglemente dans toutes ces régions, alors qu’on peine même à appliquer la réglementation dans les nôtres. Au fond, la France, qui ne s’est jamais vraiment remise du référendum de 1969, demeure ce pays hypercentralisé, dans lequel la quasi-totalité des règles continue de se fabriquer au niveau national.

En conséquence, un élu local, qu’il soit maire, conseiller régional, ou président d’une grande agglomération, n’a d’autre choix, s’il veut être capable de changer et de peser sur des réglementations – d’ailleurs toujours plus nombreuses, voire étouffantes –que de se faire élire au niveau national, et donc de cumuler les mandats. Ainsi, en interdisant aux parlementaires de cumuler leur mandat avec une fonction exécutive locale, vous apportez une mauvaise réponse à une vraie question, puisque vous ne traitez que les effets, et non les causes. Je le répète : le cumul n’est en réalité que l’enfant naturel de la centralisation. Or vous, vous voulez supprimer le cumul, et garder la centralisation !

Je m’exprime ici au nom des députés du groupe UDI, qui sont des décentralisateurs assumés, et qui sont convaincus qu’on ne peut séparer cette réflexion sur le cumul d’une réflexion sur la centralisation. Nous sommes donc invités à franchir une étape et à aller beaucoup plus loin dans le sens de la décentralisation.

Nous ne résoudrons pas correctement la question du cumul au détour de ce que je considère, hélas, comme un pastiche de réforme, et sans poser en même temps la question, beaucoup plus vaste et profonde, de la gouvernance en général, celle du rapport entre les collectivités locales et l’État, celle, enfin, qu’un certain discours de Dijon avait fort bien posée. Mais qu’est-il devenu ?

Votre remède risque même d’être pire que le mal, car l’absence de cumul aura probablement pour effet de centraliser encore davantage les décisions. Elle incitera certains parlementaires à reconstruire une cité idéale, déconnectée du pays réel – comme c’est déjà parfois le cas, hélas, avec certains textes –et à adopter des lois dont l’inapplicabilité risque de provoquer de violents rejets.

Un autre effet indésirable de l’interdiction faite aux parlementaires de cumuler des mandats exécutifs locaux ne sera-t-il pas d’accroître encore davantage les pouvoirs du Président de la République ? Ces derniers ont déjà été considérablement confortés et renforcés par la réforme de 2000. Avec l’inversion du calendrier, les députés de la majorité, désormais élus dans la foulée du Président de la République, sur son programme et pour la durée de son mandat, sont rééligibles avec lui, et donc infiniment plus dépendants de son élection. Or les députés qui sont également maires ou présidents d’un conseil général ou régional sont forcément moins dépendants du pouvoir exécutif. Le cumul tempéré, qu’on aurait souhaité, faute de mieux, devenait au moins une garantie supplémentaire de respiration démocratique.

Monsieur le ministre, je vous avais dit en première lecture, avec bon nombre de mes collègues, que si vous teniez malgré tout à légiférer sur le seul cumul, il fallait au moins tempérer votre projet en autorisant certains cumuls entre mandats territoriaux et nationaux. Vous avez récusé cette voie, et nous ne pouvons que le regretter.

Le non-cumul des mandats n’est donc qu’un mauvais expédient pour éviter une véritable réforme territoriale, ce qui est particulièrement risqué dans un pays fragilisé comme le nôtre. Vous comprendrez donc que, comme en première lecture, le groupe UDI se prononce majoritairement contre ces deux projets de loi, même si, compte tenu de l’esprit qui a présidé à la rédaction ce texte, certains de mes collègues s’abstiendront.

M. le président. La parole est à M. Paul Molac.

M. Paul Molac. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, ce lundi n’est pas un lundi ordinaire. J’avais peur que nous soyons peu nombreux, mais je vois que le groupe SRC a battu le rappel : nous avons ainsi eu le plaisir et l’avantage de voir de nombreux collègues.

M. Daniel Fasquelle. C’est parce qu’ils ont eu la trouille !

Mme Laurence Dumont. Nous n’avons pas eu besoin de battre le rappel !

M. Paul Molac. Cette mobilisation témoigne de la volonté du Gouvernement de mettre fin à une pratique qui est très négativement perçue par nos concitoyens et néfaste pour le travail parlementaire, le cumul des mandats.

Sur cette question, nous partageons totalement l’objectif du Gouvernement et du président François Hollande, qui en avait fait un engagement de campagne, le numéro 48, en vue de renforcer les pouvoirs du Parlement. Nous aurions même aimé aller plus loin, en établissant un mandat unique. Le mandat parlementaire, par sa charge de travail, est en effet incompatible avec l’exercice plein d’un autre mandat, sauf à considérer que les mandats de conseiller départemental, de conseiller régional, ou même de conseiller municipal, ne sont que des mandats mineurs, ce que je ne crois évidemment pas. Comment concevoir par exemple que le président d’une métropole, comme la nouvelle collectivité territoriale de Lyon, qui s’étend sur un territoire de plus d’un million d’habitants, ait également un mandat – au hasard –de sénateur ?

Mme Pascale Crozon. Absolument !

M. Paul Molac. Une récente étude sur la période 2007-2012 a d’ailleurs abouti à la conclusion que les parlementaires en situation de cumul participent moins que les autres aux travaux en commissions et en séance publique, et que plus le mandat local est prenant, plus la chose est vraie.

Le mandat unique est le meilleur moyen de permettre au parlementaire de se consacrer pleinement à ses fonctions d’élaboration des lois, de contrôle du Gouvernement et de représentation des citoyens. Le mandat unique serait également une réponse à l’antiparlementarisme, car il mettrait un frein à l’absentéisme qui est parfois constaté chez des élus en situation de cumul de mandats. Une solution de repli aurait pu consister à prévoir une exception pour le mandat de simple conseiller municipal. Nous regrettons que le Gouvernement n’ait pas fait ce choix, mais je suis convaincu qu’avec le temps, nous finirons par y arriver et par nous rapprocher des standards européens en la matière.

Aujourd’hui, 58 % des députés et 59 % des sénateurs détiennent, en plus de leur mandat de parlementaire, une fonction exécutive locale de direction dans une collectivité territoriale ou un EPCI ; 468 députés et 264 sénateurs cumulent plusieurs mandats ; 8 députés sur 10 détiennent plus d’un mandat, contre une moyenne de 20 % dans le reste de l’Europe. Pour le dire autrement, seuls 105 députés et 84 sénateurs se consacrent entièrement à l’exercice de leur mandat parlementaire.

La proportion du cumul de fonctions locales avec celle de parlementaire européen est moins répandue, mais atteint chez nous la proportion de 48,6 %, soit deux fois plus que les Allemands, et quatre fois plus que les Italiens. Les chiffres du cumul dans les autres grandes démocraties européennes méritent d’être évoqués : 24 % seulement en Allemagne, 20 % en Espagne, 7 % en Italie et 3 % au Royaume-Uni.

En France, le cumul des mandats est donc largement surdéveloppé. À cela, une explication m’apparaît évidente : la France est un État hypercentralisé, contrairement aux quatre pays cités. L’État français reste très jacobin, nos régions n’ont pas les pouvoirs de la Generalitat de Catalogne ou des parlements écossais et gallois – et je ne parle même pas des Länder allemands.

M. Michel Piron. Cela ne fait aucun doute !

M. Daniel Fasquelle. Dieu nous en préserve !

M. Paul Molac. En France, c’est à Paris que se trouvent les interlocuteurs qui peuvent faire avancer les dossiers locaux. À l’époque où les moyens de communication et de télécommunication n’étaient pas aussi développés, c’était probablement moins le cas, mais désormais, avec l’information en temps réel et la remise en cause par les tribunaux du pouvoir réglementaire, on risque à tout moment le blocage. Tout remonte au Gouvernement et, au moindre problème, on fait parcourir toute la France aux ministres, qui sont sommés d’éteindre l’incendie. Est-ce leur rôle ? La crise bretonne a été, à cet égard, très révélatrice.

Appliquer la règle du non-cumul des mandats aux parlementaires n’a alors de sens, que si la France s’engage sur la voie du partage du pouvoir, si elle donne aux régions un pouvoir normatif pour adapter le droit à la réalité territoriale et un pouvoir budgétaire pour accélérer la relance économique et la transition écologique et énergétique.

Mais certains de mes collègues parlementaires, au prétexte que notre État est jacobin, pensent qu’il faut continuer à cumuler. Il me semble au contraire qu’il convient de saisir cette opportunité pour faire la décentralisation. Une fois que tous les membres d’exécutifs régionaux n’auront plus que ce seul mandat, ils se rendront vite compte que leur seul moyen de régler rapidement les problèmes locaux, ce n’est plus de cumuler mais bien d’établir, avec l’État centralisé, un véritable partage des compétences réglementaires. Il sera donc temps que l’on donne des pouvoirs supplémentaires aux élus locaux.

Cela répond à la problématique, soulevée à mauvais escient à mon avis, de l’ancrage local. Ancien agriculteur, et enseignant d’histoire il y a encore très peu, je peux vous assurer que je n’ai pas besoin d’un mandat local pour me sentir le député de ma circonscription, de mon territoire, de la Bretagne et de la France.

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Très bien !

M. Paul Molac. Surtout, cette situation prévient de potentielles difficultés dans l’exercice du mandat de parlementaire : si j’étais maire d’une des communes de ma circonscription, comment pourrais-je m’intéresser de manière égale aux quatre-vingt-douze autres ?

M. Jean-Frédéric Poisson. On va vous l’expliquer !

M. Paul Molac. Je n’en doute pas, monsieur Poisson, mais tout de même, comment ne serais-je pas tenté de favoriser ma commune au détriment des autres ? Mettre fin au cumul, c’est réduire considérablement les conflits d’intérêts, donc mieux servir l’intérêt général.

M. Daniel Fasquelle. Parce que nous, nous ne servons pas l’intérêt général ?

M. Paul Molac. Redonner du sens à notre démocratie, c’est encourager les élus à s’investir pleinement dans leur mandat et leur permettre d’être chaque jour au plus près des citoyens. C’est cela que j’appelle l’ancrage local, et ce texte permettra de le renforcer à condition de donner des moyens d’action élargis aux élus locaux.

Nous avons toutefois un regret par rapport au texte issu de la commission en première lecture : nous ne retrouvons plus la limitation dans le temps à trois mandats successifs. Le cumul des mandats dans le temps est un véritable frein au renouvellement de la classe politique. Faut-il rappeler que seuls 27 % des députés sont des femmes, et que le Sénat ne compte que 22 % de sénatrices ? L’âge moyen des députés est de 54 ans. Seuls cinquante-cinq d’entre nous ont moins de quarante ans.

M. Michel Piron. Ah, les chanceux !

M. Paul Molac. Quinze ans à l’Assemblée ou au Parlement européen, dix-huit ans au Sénat : cela donne largement le temps d’apprendre et de s’affirmer dans ses fonctions. Peut-être même de s’endormir sur ses lauriers.

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Nous en reparlerons dans deux mandats !

M. Paul Molac. Je regrette également que l’application de cette réforme soit repoussée à 2017, alors qu’une application plus rapide était possible, dès le renouvellement des mandats en cours, c’est-à-dire en 2014 pour les députés-maires et en 2015 pour les députés présidents de conseil départemental et régional.

L’essentiel est toutefois que cette réforme se fasse, et que l’on ne manque pas de répondre à une attente très largement exprimée par nos concitoyens. Il est temps que le Parlement donne un signal fort à la population. Elle attend de nous que nous rénovions le fonctionnement de notre démocratie.

Après avoir œuvré pour une plus grande transparence de la vie publique, nous allons donc clarifier et limiter l’exercice de notre mandat de parlementaire, en tous cas du cumul. Mais pour renouveler plus profondément le fonctionnement de notre démocratie, il faudra se servir de cette réforme comme d’un tremplin vers une vraie décentralisation, que l’ensemble des élus et des Français attendent. J’ai même dit que cette loi constituait le deuxième étage de la fusée du renouvellement de notre système politique, et l’aboutissement du choc de simplification. Le discours de Dijon, monsieur Piron, est effectivement un grand discours, digne des grands décentralisateurs du Parti socialiste : Louis Le Pensec et Gaston Deferre.

M. Jean-Frédéric Poisson. Cela commence à dater !

M. Paul Molac. Souhaitons que ces idées soient entendues. Vous l’aurez compris, ce projet est un progrès pour notre démocratie, et un espoir de voir un jour des élus locaux avec de réels pouvoirs d’action sur leur territoire. C’est dans cette optique d’évolution de la pratique politique, qu’elle soit parlementaire ou locale, que nous voterons ce texte qui fera date. (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste et SRC.)

M. Daniel Fasquelle. C’est affligeant !

M. le président. La parole est à M. Alain Tourret.

Mme Laurence Dumont. Vos électeurs socialistes vous écoutent, monsieur Tourret !

M. Daniel Fasquelle. Et Mme Dumont vous menace !

M. Alain Tourret. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, la réflexion que m’inspire, après quarante ans de radicalisme, ce texte est la suivante : comment plumer la volaille radicale (sourires), ces élus députés-maires, monsieur Borgel, qui aiment les banquets du Sud-Ouest, qui aiment le cassoulet et qui s’y retrouvent si bien, qui sont si heureux d’être maires et qui ont la confiance de leur population.

C’est un vieux constat : entre le rural et l’urbain, nous sommes les défenseurs du rural, de cette conception de la vie dans nos campagnes, et vous êtes les défenseurs de l’urbain.

Mme Laurence Dumont. Cela n’a rien à voir !

M. Alain Tourret. Cette loi va favoriser l’exécutif au détriment du législatif, au détriment de ces élus si craints de l’exécutif et du Gouvernement. C’est commettre une erreur.

Enfin, pourquoi avez-vous refusé nos propositions concernant le cumul des indemnités ? J’ai du mal à le comprendre. Au parti socialiste, vous vous présentez comme les modernisateurs à outrance de la vie politique. Peut-il y avoir une modernisation de la vie politique avec le cumul des indemnités ? Franchement, je ne le crois pas.

Mme Laurence Dumont. Et avec le cumul des mandats ?

M. Alain Tourret. C’est aussi simple que cela. Il est possible de vivre correctement avec une indemnité de député, pourquoi y ajouter une indemnité de conseiller régional ou de conseiller général ? Vous avez été extrêmement taiseux à ce propos.

Nous souhaitions arriver à un accord avec le parti socialiste. J’admets qu’il y a cumul et cumul. Bien évidemment, je comprends parfaitement la difficulté qu’il y a à exercer un mandat de président de conseil général ou régional en même temps qu’un mandat de parlementaire. J’ai voté toutes les lois sur le cumul des mandats proposées par le gouvernement de Lionel Jospin. Mais aujourd’hui, pourquoi s’obstiner à attaquer la fonction de maire ? Cela me dépasse.

M. Jean-Luc Reitzer et M. Daniel Fasquelle. Nous aussi !

M. Alain Tourret. Ou bien inscrivez-vous dans la logique du mandat unique. Mais l’un d’entre vous me l’a expliqué : il y avait trois regroupements d’élus parmi les députés ; ceux qui étaient conseillers généraux, ceux qui étaient conseillers régionaux et ceux qui étaient maires. Il n’était pas possible d’attaquer les trois. Le plus simple était de s’attaquer à un seul groupe, celui des députés-maires. Je vous dirai qui me l’a dit, monsieur Colmou !

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Il n’est pas d’usage d’interpeller les conseillers du Gouvernement !

M. Alain Tourret. Peut-il y avoir un refus des seuils ? Honnêtement, je ne le pense pas. Jusqu’au bout, j’ai cru que l’on pourrait s’accorder sur les seuils. Nous y étions bien arrivés avec le seuil de 1 000 habitants, concernant les élections municipales. Car la principale réflexion qui doit nous guider, c’est que le souverain, c’est le peuple. Et toute restriction au choix du souverain ampute sa souveraineté. Il n’y a pas eu de véritable réflexion, sur le plan philosophique, concernant les conséquences d’une telle loi qui ampute la démocratie.

Tout est question de mesure, et non d’opposition frontale. La politique, c’est décider, c’est aussi rechercher le consensus et le compromis. C’est en tout cas ce que nous montre jour après jour le Président de la République. Je regrette donc que nous n’ayons pas réussi à nous entendre. Pourtant, vous aviez essayé de le faire, en particulier à propos de la date d’application. Après tout, en repoussant l’application de la loi de 2014 à 2017, vous avez voulu donner un peu de temps au temps – c’est très mitterrandien – et cela permet, en Basse Normandie, que tous ceux qui sont députés-maires se représentent aux élections municipales.

Mme Laurence Dumont. Pas moi !

M. Alain Tourret. Mais vous n’êtes pas maire, madame ! Mais c’est le cas à Caen, à Flers, à Alençon, et dans ma bonne commune de Moult. Je constate donc que les quatre députés-maires se représentent. Dès lors, il était évidemment nécessaire de trouver un arrangement avec la date d’application de la loi.

Les gouvernements forts savent faire des compromis. Finalement, je regrette que 80 % des Français ne soutiennent pas le Gouvernement. Car si c’était le cas, nous aurions pu nous faire entendre de vous, et donc trouver un consensus nous permettant de mieux participer à cette véritable modernisation de la société.

Je pense donc, chers amis socialistes, qu’aujourd’hui est un triste jour, alors que se réunit l’Association des maires de France à Paris. Est-il encore possible de faire évoluer ce projet ? Je l’espère, et si ce n’est pas le cas, nous le rejetterons. (Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP.)

M. Patrick Hetzel. Très bien ! C’est un triste jour pour la République en effet.

M. le président. La parole est à Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je pense au contraire que nous sommes réunis pour voter aujourd’hui une grande réforme. Une loi pour laquelle nous, socialistes, sommes engagés derrière notre candidat à la présidentielle, François Hollande. Une loi majeure de gauche, une loi du changement, comme l’était déjà en 2000 la loi adoptée sous le gouvernement Jospin limitant le cumul des exécutifs au niveau local. Et il nous faudra poursuivre dans cette voie, s’agissant du niveau local.

Cette réforme importante n’a pas pour objet de stigmatiser ceux qui ont jusqu’à aujourd’hui cumulé les mandats ou seront dans cette situation jusqu’en 2017. Ces élus n’ont fait qu’appliquer ce que le droit leur permettait de faire, les incitait même à faire puisqu’il s’agissait du système politique en place. Cela n’a pas interdit à la très grande majorité des élus de faire dignement leur travail de député et de responsable d’un exécutif local. Ce n’est donc pas une loi de stigmatisation des parlementaires, cumulants ou non, mais bien une loi du devenir, une loi de l’exemplarité portée par nous, députés, qui montrons ainsi notre volonté et notre capacité à changer nos propres méthodes de travail.

Nous mettons un terme à un système qui ne répond plus aux exigences imposées par le mandat de député ou de sénateur, et dans lequel les citoyens ne se retrouvent plus. Le monde change, les lois exigent un travail au quotidien des parlementaires, donc plus de disponibilité. La société demande de toute part et en politique plus de transparence et de garantie de probité de la vie politique et moins de conflits d’intérêts. Elle demande aussi un véritable pluralisme de la vie publique, et cette loi répond à ces préoccupations.

Je souhaiterais insister sur trois points. Tout d’abord, les critiques de cette réforme ont été nombreuses, et elles le sont encore aujourd’hui dans l’hémicycle. Elles se résument au risque de rupture que la loi provoquerait entre l’élu national et la population locale. Mais cette crainte n’a pas lieu d’être. Le député, s’il représente la nation tout entière, comme d’ailleurs le sénateur, reste élu dans une circonscription dont il doit nécessairement connaître les préoccupations et les perspectives. Il est le lien entre le local et le national et il le sera d’autant plus et mieux qu’il sera libéré de la tâche accaparante que constitue un mandat exécutif local, au profit de l’ensemble de sa circonscription.

En ce sens, son rôle sera donc facilité. Pour les plus rétifs à l’abandon du mandat local, j’ajoute que la réforme prévoit le maintien, pour un parlementaire, de la possibilité d’être élu local, sous réserve qu’il ne fasse pas partie de l’exécutif de la collectivité. Autrement dit, le non-cumul n’est pas le mandat unique et c’est tant mieux. Laissons le suffrage universel faire son choix.

Par ailleurs, que le parlementaire endosse ou non un second mandat non exécutif, il lui appartiendra de mettre en place des mécanismes qui lui permettront tout à la fois de remplir à plein-temps son rôle de parlementaire et de maintenir son emprise sur les préoccupations concrètes des citoyens, et cela est possible. Tout d’abord, nous devrons inventer de nouvelles méthodes pour rester en contact constant avec nos concitoyens. Pour ma part, je réalise des ateliers législatifs citoyens qui me permettent de discuter avec toutes personnes intéressées – particuliers, associations, administrations, entreprises – sur des projets ou propositions de loi en discussion au Parlement, d’en faire ressortir des interrogations concrètes, et finalement de proposer le cas échéant ce que j’appelle des amendements citoyens. Cette réforme doit être l’occasion de faire prospérer des procédures de démocratie participative et d’aider à la compréhension des lois discutées à l’Assemblée nationale et au Sénat comme au travail des parlementaires.

Un nouveau rapport doit également s’installer entre les parlementaires et les élus locaux, passant nécessairement par une écoute accrue de tous les élus locaux par l’élu national. Plus de lien de subordination, plus de centralisation des compétences, mais horizontalité des rapports, association des réflexions, mutualisation des forces. Voilà l’avenir que nous devons nous efforcer d’installer.

Enfin, le travail à l’Assemblée nationale sera nécessairement modifié. La tâche de législateur est exigeante, impliquant plus de temps d’analyse des textes, pour plus de clarté, de lisibilité et de mise en cohérence. La tâche de contrôle et d’évaluation des politiques publiques par les parlementaires, quasi inexistante, doit prendre toute sa place.

Enfin, d’une manière plus générale, le Parlement doit peser davantage et soutenir plus efficacement l’action du Gouvernement par la puissance de ses analyses. Tout cela passe par une disponibilité accrue des parlementaires.

Nous, députés et sénateurs, devrons être plus encore des forces de communication sur nos territoires. La presse, locale comme nationale, devra s’adapter à ce changement et se mobiliser pour relayer les activités, tant nationales que locales, des parlementaires.

Mes chers collègues, la réforme que nous allons voter aujourd’hui nous engage tous vers un bel avenir. Soyons à la hauteur des raisons pour lesquelles nous avons été élus ! Soyons à la hauteur de la nation française ! Soyons-le, aujourd’hui, en votant ce texte fondamental pour le rayonnement de notre institution, de la politique telle que nous l’aimons, et de la République ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et GDR.)

M. le président. La parole est à Mme Marion Maréchal-Le Pen.

M. Daniel Fasquelle. Un soutien pour le Gouvernement et la majorité !

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, je regrette qu’une réforme aussi largement soutenue par l’opinion, droite et gauche confondues, soit confrontée aujourd’hui à l’opposition de caste de certains élus.

M. Jean-Frédéric Poisson. Ça commence bien !

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Je pense à l’UMP, mais aussi aux trente et un sénateurs socialistes qui ont voté en faveur des amendements excluant les sénateurs du non-cumul, vidant ainsi en partie de sa substance le texte du Gouvernement, et obligeant l’Assemblée nationale à procéder à une nouvelle lecture.

Mme Laurence Dumont. Vous n’étiez pas présente pendant la discussion des motions !

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Ils ont ainsi montré leur attachement à leurs privilèges, au mépris des engagements du programme socialiste sur lequel ils ont été élus, et leur opposition à l’une des rares mesures de ce programme respectée par leur candidat à l’élection présidentielle.

M. Daniel Fasquelle. Eh oui !

Mme Cécile Untermaier. Ce n’est pas vrai !

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Le non-cumul du mandat de parlementaire avec une fonction exécutive locale ou une fonction assimilée est un pas dans la bonne direction. Je voterai donc ce texte,…

M. Daniel Fasquelle. Eh voilà !

Mme Marion Maréchal-Le Pen. …puisque le Front national réclame depuis longtemps cette mesure, pour plusieurs raisons.

M. Daniel Fasquelle. Monsieur Borgel, écoutez vos soutiens !

Mme Marion Maréchal-Le Pen. La première tient à la disponibilité des élus. De nombreux parlementaires cumulent leur mandat avec celui de maire, de président de conseil général ou régional. Certains cumulent ces deux mandats avec un troisième, comme la présidence d’une intercommunalité. Certains cumulent ces trois mandats avec une responsabilité importante dans un parti politique, qui peut même être celle de président. Certains cumulent même ces quatre fonctions avec un peu de conseil, comme avocat par exemple,…

M. Alain Tourret. N’est-ce pas ce que fait M. Collard ?

Mme Marion Maréchal-Le Pen. …histoire de tuer le temps. Comment peut-on se consacrer sérieusement à autant de mandats sans déléguer à outrance ? Personne n’a le don d’ubiquité, et ceux qui côtoient ces élus savent bien qu’il n’est pas possible de tout faire : il en va du respect de leurs électeurs et de l’efficacité de leur travail. La seule justification de ces situations tient souvent à l’ego de certains élus qui souhaitent verrouiller leur circonscription pour tout contrôler.

J’entends les arguments qui rappellent que les parlementaires gagnent à avoir un ancrage territorial ; c’est, du reste, la vocation des sénateurs que de représenter les collectivités. Mais était-ce normal d’organiser un conflit d’intérêts majeur en permettant, par exemple, à ces mêmes sénateurs de présider un conseil général et de pouvoir ainsi distribuer l’argent public aux villes dont les conseillers municipaux composent leur collège électoral ? Cela est proprement scandaleux ! Avoir un ancrage local n’implique pas nécessairement d’être à la tête d’un exécutif : un mandat de conseiller municipal, départemental ou régional permet ce lien avec les instances locales.

Le non-cumul des mandats permettra, je l’espère, de lutter contre l’absentéisme et de recentrer les parlementaires sur leur missions essentielles que sont le vote de la loi, le contrôle de l’action du Gouvernement et l’évaluation des politiques publiques, mais surtout d’éviter les conflits d’intérêts. Il m’est arrivé d’entendre, dans cet hémicycle, des députés me dire qu’ils étaient opposés à un texte à l’échelle nationale, mais qu’ils le voteraient quand même afin de pouvoir en tirer bénéfice au niveau de leur mairie. Le député, même élu d’une circonscription, est avant tout un député de la nation : l’intérêt général doit être son seul objectif.

Au-delà de cet aspect de la réforme, il y a une question de principe à mon sens tout aussi fondamentale. On nous promet que ce texte permettra le renouvellement de la classe politique, incarnation de la démocratie vivante et en mouvement : c’est une intention louable, à laquelle je souscris également. Pourtant, une chose me frappe lorsque j’observe le landerneau politique français : la classe dirigeante est le fruit d’une endogamie vieille d’un demi-siècle,…

Mme Laurence Dumont. Blablabla !

Mme Marion Maréchal-Le Pen. …entre la droite RPR-UMP d’un côté et la gauche socialo-communiste de l’autre. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Il n’est pas rare de voir des ministres ou des députés cumuler trois, quatre ou cinq mandats. (Exclamations persistantes sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Excusez-moi, mais c’est une réalité ! (Mêmes mouvements.)

M. Daniel Fasquelle. Calmez-vous, chers collègues de la majorité : Mme Maréchal-Le Pen vous soutient ! J’espère que vous l’applaudirez à la fin de son intervention !

M. Jean-Marc Germain. Nous ne l’applaudirons jamais ! Nous, au moins, nous sommes clairs !

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Les repris de justice, accusés ou reconnus coupables de délits touchant l’argent public, souvent protégés par leurs partis, continuent d’obtenir les investitures et d’être élus. Alors que les verts, les radicaux de gauche ou encore les communistes peinent à réunir quelques pourcents lors des grands scrutins nationaux,…

Mme Laurence Dumont. Vous n’étiez même pas là lors de la discussion des motions de procédure !

M. le président. S’il vous plaît, madame Dumont, écoutez l’oratrice !

M. Jean-Marc Germain. C’est très pénible d’écouter ce discours, monsieur le président !

Mme Marion Maréchal-Le Pen. C’est pourtant une réalité ! (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Aujourd’hui, ces partis disposent de groupes politiques et d’élus en nombre au Parlement, alors qu’ils ne représentent strictement rien au niveau national.

M. Alain Tourret. Ils représentent l’histoire !

Mme Marion Maréchal-Le Pen. En revanche, le Front national rassemble 10 à 15 % des voix lors de presque tous les scrutins nationaux depuis vingt-cinq ans, et peut-être même plus aujourd’hui si l’on en croit les sondages. Pourtant, nous avons été pratiquement privés de député pendant vingt ans ; nous sommes aujourd’hui deux députés sur 577,…

Mme Valérie Corre et Mme Cécile Untermaier. C’est déjà trop !

Mme Marion Maréchal-Le Pen. …deux conseillers généraux sur 6 000, et nous n’avons aucune mairie ni aucun exécutif local.

Pour que la démocratie respire, il ne faut pas qu’un même élu cumule un mandat parlementaire et une fonction exécutive locale. Mais au niveau macro-politique, il ne faut pas non plus que des millions de Français soient bâillonnés, quand bien même leurs votes vous déplairaient. Sur cela, votre texte ne dit rien, et je le regrette. Si vos objectifs sont sincères, vous irez au bout du raisonnement. La première et la plus nécessaire des diversités, lorsque l’on parle politique, est celle des idées, vecteurs de la souveraineté populaire. Avant de passer par la parité ou les redécoupages de cantons, le renouvellement et la représentativité doivent avant tout concerner les sensibilités politiques en phase avec la réalité de notre temps.

Chaque jour, la classe médiatique parle et les politiques s’émeuvent du taux d’abstention en France. Qu’y a-t-il là d’étonnant, lorsque les Français ont le sentiment que leur vote sera balayé face aux petits arrangements politiciens des partis politiques ? La vérité est que la France n’est plus une démocratie : c’est une oligarchie, et je l’affirme avec beaucoup de tristesse.

J’espère que ce texte n’est qu’une étape, et qu’il sera possible de mettre fin aux dérives d’une classe politique qui se coopte, se protège et s’éloigne inexorablement de la base. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe SRC.) Elle s’en éloigne parce qu’elle mesure chaque jour de plus en plus le fossé qui se creuse entre elle et les attentes des Français, criant au populisme et à la démagogie chaque fois que l’on cherche à remettre le peuple dans le jeu politique.

S’agissant de la date d’entrée en vigueur de la règle, je regrette qu’ait été retenu le premier renouvellement après la fin du mois de mars 2017. Le parti socialiste était lui-même divisé sur cette question, son premier secrétaire étant favorable à une application immédiate. Visiblement, les craintes d’une déroute de l’actuelle majorité aux élections partielles ont fait pencher la balance. Je terminerai donc mon intervention en rappelant le sort réservé à certains textes d’application différée, comme celui sur le conseiller territorial, abrogé par la majorité sans avoir connu la moindre application. Pourvu que ce texte primordial ne connaisse pas le même destin, et qu’il soit complété par la mise en place de la fameuse dose de proportionnelle promise par le Président de la République !

M. Daniel Fasquelle et M. Jean-Frédéric Poisson. Pourquoi la majorité n’applaudit-elle pas ?

M. Christophe Borgel, rapporteur. Par principe !

M. Jean-Frédéric Poisson. Vous n’êtes pas d’accord ?

Mme Anne-Yvonne Le Dain. N’exagérez pas, monsieur Poisson !

M. Jean-Marc Germain. C’est bien d’avoir des principes ! La droite n’en a pas toujours !

M. le président. La parole est à Mme Françoise Imbert.

Mme Françoise Imbert. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui, en seconde lecture, deux projets de loi interdisant le cumul de mandats, ayant pour objet de faire avancer notre démocratie et de moderniser nos institutions. Les textes proposés, discutés et adoptés à une large majorité par l’Assemblée nationale en juillet dernier, avaient pour mérite d’être clairs, précis et simples. Nos collègues sénateurs ont, à leur tour, adopté ces deux projets de loi en septembre, tout en s’excluant du dispositif. Même si je peux entendre leurs réticences, elles ne me semblent pas, en ce qui me concerne, devoir être prises en compte : il convient de rétablir pour tous les parlementaires l’interdiction de cumuler un mandat parlementaire avec une fonction exécutive locale.

Ce qui forge ma conviction, c’est mon vécu personnel. Durant plusieurs années, j’ai été la collaboratrice d’un élu à la fois député, président de région, maire d’une ville de 30 000 habitants et président de plusieurs syndicats intercommunaux. Le travail et la pression étaient énormes, la disponibilité demandée, de chaque instant, la demande des concitoyens, inlassable.

Actuellement, plus de la moitié des députés et sénateurs détiennent, en plus de leur mandat national, une fonction élective locale de direction d’une collectivité territoriale ou d’un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre.

Pour ma part, ayant pris en considération cette expérience professionnelle, élue députée depuis 1997, j’ai conscience qu’il est difficile de cumuler plusieurs mandats. En effet, l’élu national représente aussi un territoire. Il est facile de rester au plus près des préoccupations quotidiennes de chacun en établissant des contacts suivis et réguliers avec les élus locaux – ils sont attentifs à ces échanges et savent expliquer leurs préoccupations –, en allant vers le milieu associatif et en rencontrant les citoyens qui le souhaitent. Il est alors tout fait possible de faire remonter les problèmes de notre circonscription, d’expliquer en retour le rôle et les actions du Parlement, de trouver et retrouver la confiance de ceux qui nous ont élus.

Forte de cette expérience personnelle d’élue nationale sans autre mandat local, je suis persuadée d’être, en définitive, plus présente sur le terrain, plus au fait de ce qui s’y passe et certainement plus réceptive et efficace que nombre de parlementaires qui cumulent plusieurs mandats et fonctions exécutives.

Depuis quelques années, plusieurs éléments ont fait évoluer les fonctions, leur exercice et les charges d’élu national et d’élu local. Les réformes successives de la décentralisation ont accru la charge de l’exercice de fonctions exécutives au sein de toutes les collectivités territoriales. La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a, quant à elle, rénové la procédure législative et précisé les prérogatives des parlementaires que nous sommes. On ne peut que s’en féliciter et, désormais, essayer de traduire concrètement ces améliorations en valorisant notre rôle de législateur, la nécessaire fonction de contrôle du Gouvernement et la mission d’évaluation des politiques publiques.

Enfin, la limitation du cumul de mandats permettra de diversifier la classe politique nationale et locale, de favoriser l’élection de plus de femmes, d’accueillir plus de jeunes et d’ouvrir les portes de la politique aux salariés du privé : en un mot, elle permettra une certaine rénovation de notre vie politique.

M. Paul Molac. Très bien !

Mme Françoise Imbert. Cette réforme, annoncée par le Président de la République et applicable en 2017 – ce que je regrette un peu –, est nécessaire. Attendue par nos concitoyens, elle est un pas supplémentaire et essentiel vers l’accroissement de la démocratie dans notre pays, au profit d’un Parlement qui a le devoir d’exercer pleinement les missions qui lui sont confiées par la Constitution.

Aujourd’hui, engageons-nous résolument pour le non-cumul des mandats ! Prononçons-nous définitivement pour son interdiction ! Votons donc ces deux projets de loi ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et GDR.)

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Très bien !

M. le président. La discussion générale commune est close.

Discussion des articles (projet de loi organique)

M. le président. J’appelle en premier lieu, dans le texte de la commission, les articles du projet de loi organique interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député et limitant à une seule fonction exécutive locale le cumul avec le mandat de sénateur.

Article 1er

M. le président. Plusieurs orateurs sont inscrits sur l’article 1er.

La parole est à Mme Valérie Corre.

Mme Valérie Corre. Aucune avancée majeure de la démocratie, aucun progrès du droit, aucun changement sociétal ne s’est produit sans que ne se lèvent des résistances, des oppositions, des obstacles. Le projet de loi organique interdisant le cumul des mandats est tout cela : une avancée démocratique, un progrès du droit, un vrai changement sociétal. C’est pourquoi tant de forces se sont levées, tant de conservatismes se sont exprimés, notamment au Sénat et sur les bancs de la droite de notre assemblée.

Nous voilà en nouvelle lecture. Mon raisonnement est simple : ce que notre assemblée a pensé bon pour la démocratie en première lecture, elle doit encore le penser bon pour la démocratie en nouvelle lecture ! Il n’y a pas aujourd’hui plus de raisons qu’hier de multiplier les exceptions, les exonérations ou les dérogations au bénéfice de quelques-uns qui aimeraient regarder passer le train du changement sans en être affectés. Je le dis clairement : il n’y a aucune raison que les sénateurs bénéficient d’un régime particulier.

M. Marc Dolez. Très bien !

Mme Valérie Corre. Il n’y a aucune raison de reculer sur des pans majeurs du texte. L’attente des citoyens est forte. Nous connaissons le chemin de l’histoire : plus de transparence, plus de limitation des mandats, plus de changement démocratique, plus de rénovation de la vie politique. Si nous voulons renverser la tendance du désintérêt grandissant, voire du mépris du politique, si nous voulons réellement restaurer la confiance, nous devons commencer par balayer devant notre porte et ouvrir les portes et les fenêtres de la maison République à tous nos concitoyens.

Bien entendu, ce projet de loi ne suffira pas. Il faudra rapidement aller plus loin. Mais alors que les temps sont durs, politiquement et économiquement, mesurons bien cela, chers collègues : jamais, sous la VRépublique, un gouvernement n’aura autant porté ce combat. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et GDR.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Villaumé.

M. Jean-Michel Villaumé. Je salue le retour de ce texte dans notre hémicycle. François Hollande l’avait promis dans son programme mais beaucoup doutaient qu’un tel engagement serait tenu : aujourd’hui, nous pouvons leur prouver qu’il l’est.

Nous sommes donc réunis afin d’aborder un sujet qui cristallise le débat public depuis de très nombreuses années. L’interdiction du cumul des mandats, promesse de campagne de très nombreux anciens présidents de la République, n’a jamais pu devenir effective.

À ce sujet, je voudrais rappeler que le gouvernement Fabius a, en 1985, imposé une première série de restrictions mettant fin aux cumuls les plus notoires. Treize ans plus tard, c’est une nouvelle fois la gauche qui proposait de limiter le cumul sous le gouvernement Jospin. L’article 1er que nous allons examiner répond pleinement à plusieurs objectifs recherchés par cette réforme d’envergure de la gouvernance locale et parlementaire. Ce projet de loi doit nous permettre de répondre à un souhait fort de la part de nos concitoyens, celui que les représentants se consacrent pleinement aux mandats qui leur sont confiés. Cette réforme doit permettre un renouvellement qui se traduira aussi par l’accession d’une nouvelle génération à des responsabilités politiques, mais pas seulement. C’est aussi le renouvellement des profils, des parcours, des origines.

C’est en suivant cette voie que nous retrouvons une confiance démocratique, la confiance démocratique de nos concitoyens. Aujourd’hui, les responsabilités des élus locaux et nationaux sont de plus en plus importantes. Je tiens à rappeler à certains d’entre vous, réticents à l’idée de respecter une telle réforme, que le cumul des mandats est une véritable spécificité française.

M. Jean-Luc Reitzer. Et alors ? Le cassoulet et la choucroute aussi !

M. Jean-Frédéric Poisson. La laïcité aussi.

M. Jean-Michel Villaumé. En effet, la proportion d’élus en situation de cumul ne dépasse pas 20 % dans la plupart des pays européens alors qu’en France, 80 % des députés et 75 % des sénateurs exercent au moins un mandat électif. À ceux qui s’opposent au fait de quitter leur poste au sein d’un exécutif local, je maintiens qu’il est possible de bien travailler tout en gardant le contact avec les réalités quotidiennes de la population.

En conclusion, je tiens à vous rappeler, à l’instar de certains de mes collègues, que je quitterai prochainement mon poste de maire et que je respecterai ainsi cet article 1er avant même la mise en pratique de la loi.

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est votre droit.

M. Jean-Luc Reitzer. C’est votre choix.

M. Jean-Michel Villaumé. Le décider, c’est déjà l’adopter. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et GDR.)

M. Jean-Luc Reitzer. Vos électeurs vous regretteront !

M. le président. La parole est à M. Alain Calmette.

M. Alain Calmette. Mes chers collègues, vous avez devant vous un ancien député-maire, maire d’une ville de 30 000 habitants, qui a fait le choix du non cumul par conviction,…

M. Jean-Frédéric Poisson. Bravo.

M. Alain Calmette. …parce que c’est le sens de l’histoire,…

M. Jean-Luc Reitzer. Cela ne veut rien dire, le sens de l’histoire !

M. Alain Calmette. …parce que c’est la fin d’une certaine confusion des genres, qui peut confiner à un conflit d’intérêts, parce que ce texte va contribuer à restreindre un certain nombre de féodalités étouffantes.

M. Jean-Frédéric Poisson. Le ciel vous entende !

M. Alain Calmette. Mais j’aborderai l’article 1er sous un autre angle : celui de la différence du statut de député avec celui de sénateur en matière de cumul, différence introduite par le Sénat au prétexte que sa spécificité est de représenter les collectivités locales. C’est inquiétant pour le Sénat, en tout cas pour son avenir éventuel. Comment en effet peut-il revendiquer la totalité des prérogatives du Parlement – voter la loi, contrôler le Gouvernement, évaluer les politiques publiques –et dans le même temps s’exonérer des règles communes au prétexte de l’article 24 de la Constitution ?

C’est pourtant ce qu’a fait le Sénat : les sénateurs ont voté la limitation du cumul pour tous les parlementaires, sauf pour eux-mêmes. Le risque d’une spécialisation du Sénat sur les textes qui touchent aux collectivités locales est grand et la préservation du cumul pour les sénateurs ne justifie pas la fin d’un bicamérisme équilibré auquel nous sommes attachés. Dans ces conditions et dans l’intérêt de l’équilibre de nos institutions, dans l’intérêt du Sénat – fût-ce contre lui-même –afin qu’il conserve sa vocation généraliste qui assure la représentation nationale, il faut revenir à un texte qui garantisse un régime intégralement commun aux membres des deux assemblées.

Allons-y, chers collègues, osons ce petit pas vers le non cumul, vers des responsabilités mieux partagées au plan local, vers cet appel d’air pour de nouveaux talents. Osons ce petit pas qui, même s’il ne s’appliquera qu’en 2017, n’en aura pas moins des effets dès 2014 puisque chaque élu se mettant en position de cumul en 2014 devra se positionner dès maintenant. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme Suzanne Tallard.

Mme Suzanne Tallard. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, à écouter les opposants au non cumul des mandats entre un mandat parlementaire et une fonction exécutive locale, nous alimenterions l’antiparlementarisme. Mais ce sont précisément les élus de l’opposition qui insinuent que ceux de nos collègues qui sont ou seront seulement député, député et conseiller municipal, ou député et conseiller départemental, etc., seraient, au mieux, dépourvus d’ancrage local, sinon, incompétents, voire indifférents aux réalités des territoires ou aux difficultés de nos concitoyens. Ce sont bien les opposants au nom cumul qui jettent le discrédit sur une partie des parlementaires décrits comme des élus en apesanteur, affaiblis, voire dangereux.

Permettez-moi, chers collègues, de vous rassurer sur l’ancrage local. Rien n’empêchera à l’avenir d’être parlementaire après avoir été maire, ni d’être parlementaire et conseiller d’une assemblée délibérante d’une collectivité locale. Pour ma part, maire de ma commune, j’ai démissionné il y a un peu plus d’un an et je reste conseillère municipale…

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est votre droit.

Mme Suzanne Tallard. …ce qui me permet de me consacrer aux soixante-sept communes de ma circonscription et à ma commune d’origine avec une égale attention. J’insiste sur le mot « égale ».

M. Jean-Frédéric Poisson. Parce que pour nous, tel ne serait pas le cas ?

Mme Suzanne Tallard. En écoutant M. Geoffroy, j’ai appris avec effroi qu’avec mon seul mandat de parlementaire, j’étais un danger permanent. En écoutant M. Fasquelle, j’ai appris que j’étais une parlementaire affaiblie, pour la même raison. Or l’année écoulée depuis ma démission montre que bien des élus de ma circonscription, bien des chefs d’entreprise, bien des chefs d’établissements scolaires, bien des administrations sont heureusement surpris de ma disponibilité. Cette disponibilité ne m’affaiblit pas, bien au contraire, elle donne de la confiance. Nous le savons tous, la complexité des missions tant locales que nationales est chronophage, cela a été amplement démontré. Je vous invite donc à voter l’article 1er qui contribuera, j’en suis convaincue, à permettre aux parlementaires d’exercer pleinement leur rôle. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. La parole est à Mme Elisabeth Pochon.

Mme Elisabeth Pochon. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, l’article 1er s’attaque au cumul des mandats, non à ceux qui cumulent. Pour l’heure, il n’y a rien d’illégal au fait d’être en situation de cumul. Tradition dans notre pays, le cumul des mandats procède également de l’attachement des élus à leur territoire.

M. Jean-Luc Reitzer. Enfin, des paroles de bon sens !

Mme Elisabeth Pochon. Nous constatons néanmoins que l’abstention progresse dans notre pays, et nous devons y réfléchir. Nous avons eu de longs débats sur le choix du non cumul, y compris au sein de la majorité, sur l’engagement du Président de la République en ce domaine, qui n’était pas un engagement « hors sol », mais à l’écoute, notamment des militants. Par leur vote massif en faveur du nom cumul, les parlementaires ont montré en première lecture étaient, non pas résignés, mais prêts à faire ce changement, en se prononçant pour de nouvelles méthodes, un nouveau temps de travail. Nous avions peut-être de mauvais arguments en imaginant qu’il suffisait d’être maire pour être élu député, et qu’il fallait être député pour être un bon maire…

M. Jean-Frédéric Poisson. Personne n’a dit cela.

Mme Elisabeth Pochon. … alors qu’il suffit parfois de bénéficier d’une notoriété liée à l’héritage d’un patronyme pour pouvoir être élu, ou de bien d’autres choses.

M. Jean-Frédéric Poisson. Qui soutient cela ?

Mme Elisabeth Pochon. Si les sénateurs ne sont pas engagés avec détermination, peut-être était-ce parce qu’ils voulaient conserver un privilège que les électeurs pourraient, pourtant, désapprouver. Pour ma part, je pense que nous avons fait un bon choix en première lecture et je vous invite à le réitérer. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Baumel.

M. Philippe Baumel. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’article 1er est le cœur battant de cette réforme et de l’engagement que nous avons pris collectivement, peut-être pas à l’unanimité à gauche, de limiter strictement le cumul d’un mandat de parlementaire avec l’exercice de toute responsabilité exécutive locale. C’est l’un des piliers qui permettra, je le crois sincèrement, de bâtir les fondements d’une république nouvelle. Le non cumul des mandats, c’est tout simplement la première étape sur le long chemin de la revalorisation du Parlement et, au-delà, de notre République.

M. Jean-Luc Reitzer. Tu parles ! C’est l’inverse !

M. Philippe Baumel. Aujourd’hui, nous le sentons tous autour de nous, les citoyens interrogent le rôle et la légitimité de leurs représentants et questionnent leurs institutions. Pour alimenter le débat, j’essaierai de lever quelques doutes ou quelques interrogations qui ont été évoqués tout à l’heure, notamment sur les équilibres à trouver s’agissant des indemnités et de leur cumul. Pour ma part, je ne pense pas que cela soit la question qui ait été posée, mais seulement une conséquence. Nos concitoyens ne nous attendent pas sur la question de savoir s’il faut cumuler les indemnités, mais s’il faut refuser ou accepter le cumul des mandats. Il est juste que chaque fonction ait une indemnité afférente. Mais la question qu’ils posent est de savoir si l’on peut se consacrer à plusieurs mandats simultanément et non celle de percevoir plusieurs indemnités.

M. Alain Tourret. On n’a pas les mêmes échos !

M. Philippe Baumel. S’agissant des attaques prétendument proférées dans ce texte concernant la fonction de maire, je crois, pour ma part, que celle-ci est confortée par le non cumul des mandats, ce qui laisse le temps nécessaire à celui qui veut être maire d’exercer cette fonction et de ne pas cumuler avec un mandat de parlementaire.

M. Jean-Frédéric Poisson. Parce que l’inverse n’est pas vrai ?

M. Philippe Baumel. Sur la question du refus des seuils, intervenue lors du débat préparatoire, on ne peut pas souhaiter une république à plusieurs vitesses, c’est-à-dire une république qui permettrait à une troisième catégorie, celle des villes ou villages de moins de mille habitants, d’avoir droit au cumul et d’avoir droit à des élus à mi-temps. Cela n’aurait pas été souhaitable.

Mes chers collègues, nous ne le voyons que trop, le cumul des mandats est un mal français qui affaiblit en profondeur l’Assemblée nationale et le Parlement dans son ensemble.

M. Jean-Frédéric Poisson. Ce n’est pas vrai.

M. Jean-Luc Reitzer. C’est l’inverse.

M. Philippe Baumel. Pendant des décennies, les parlementaires ont abandonné, pour ces raisons, les prérogatives que leur donnait pourtant la Constitution. Résultat, l’Assemblée nationale et le Parlement sont affaiblis. Il faut en finir avec cette vision passéiste, surannée, voire paternaliste.

M. le président. Merci de conclure.

M. Philippe Baumel. Il faut donc évidemment voter l’article 1er. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme Pascale Crozon.

Mme Pascale Crozon. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, ayant moi-même renoncé à ma délégation d’adjointe pour me consacrer pleinement à mon mandat parlementaire,…

M. Jean-Frédéric Poisson. Bravo !

Mme Pascale Crozon. …je fais partie de ceux que la droite voudrait aujourd’hui faire passer pour des apparatchiks hors-sol, selon la terminologie de M. le président Jacob. L’idée selon laquelle on ne pourrait bien connaître et représenter son territoire qu’en le dirigeant résonne comme un procès en illégitimité envers une partie de la représentation nationale. Mais elle se heurte surtout à la perception qu’en ont nos concitoyens, car ils attendent cette réforme, contrairement à ce qui a été à plusieurs reprises…

M. Jean-Luc Reitzer. C’est sûr ! Ils piaffent d’impatience. Vous êtes si populaires !

Mme Pascale Crozon. …parce qu’ils ont le sentiment, à tort ou à raison, que leurs élus appartiennent à une caste de plus en plus éloignée de leur réalité et de leurs préoccupations.

M. Jean-Luc Reitzer. C’est peut-être votre cas !

Mme Pascale Crozon. Ce n’est pas alimenter l’antiparlementarisme que de constater l’existence d’une crise de la représentation qui nourrit l’abstention et les votes contestataires et devrait tous nous préoccuper.

M. Jean-Luc Reitzer. Rien à voir avec le cumul !

Mme Pascale Crozon. Ce sentiment se fonde en partie sur des critères objectifs. En avril dernier, l’observatoire des inégalités a établi qu’il y a sur nos bancs 0,2 % de députés issus du monde ouvrier, 2,6 % d’employés du secteur privé, 26 % de femmes…

M. Jean-Frédéric Poisson. Ça change quoi ?

M. Jean-Luc Reitzer. Cela va s’aggraver.

Mme Pascale Crozon. …contre 21,3 % et 28,9 % dans la population active pour les ouvriers et employés. Le nombre de députés issus de catégories populaires a été divisé par trois depuis trente ans, par neuf depuis la Libération.

M. Alain Tourret. Il n’y a plus de communistes !

Mme Pascale Crozon. La préférence française pour le cumul des mandats est liée à notre organisation territoriale et aux modes de scrutin. Toutefois, cette réalité ne doit pas masquer que les pays où l’on cumule le moins parviennent à une représentation plus juste de la société. Ainsi, la Chambre des communes britannique, pourtant élue au scrutin uninominal sur une base territoriale, ne compte que 15 % de cumulards et pas moins de 5 % de députés ouvriers. Bien évidemment, la loi ne suffit pas à impulser une plus grande diversité de profils sociaux, culturels ou générationnels qui relèvent avant tout de la volonté politique.

Mais l’expérience des lois sur la parité nous a appris une chose : il est vain d’attendre de tels changements de mentalité sans une contrainte légale.

Le non-cumul des mandats, en obligeant la classe politique à un profond renouvellement, ne peut qu’engager nos partis sur la voie d’une plus juste représentation de la société, qui est la raison d’être du Parlement et une condition pour restaurer la confiance des Français en leurs élus. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. Nous en venons aux amendements sur l’article 1er.

Je suis saisi de cinq amendements de suppression, nos 25, 37, 66, 74 et 76, dont j’invite les auteurs à éviter les redites, dans la mesure du possible.

La parole est à M. Jean-Luc Reitzer, pour soutenir l’amendement n25.

M. Jean-Luc Reitzer. Mon amendement vise à supprimer l’article 1er, cœur battant du projet de loi comme l’un de nos collègues l’a souligné.

Il aura pour conséquence d’accroître la centralisation déjà très marquée de notre système politique.

La possibilité de cumuler mandat local et mandat national permet au parlementaire, grâce à la légitimité acquise lors des élections, d’avoir un poids plus important face à l’exécutif et à son administration. Le mandat local lui permet également de jouir d’une indépendance politique plus importante à l’égard du pouvoir central. Bref, c’est le dernier contre-pouvoir à l’exécutif et à son administration que vous supprimerez avec cet article.

L’investiture d’un parti constituera désormais, c’est une évidence, l’alpha et l’oméga d’une carrière politique qui, la plupart du temps, débutera – nous le répétons car nous en sommes convaincus – au sein des cabinets ministériels et des appareils de parti.

Nous regrettons aussi que le Gouvernement ait soumis la question du cumul des mandats de manière isolée, sans aucune réflexion globale. Une véritable concertation avec les élus locaux et nationaux aurait dû être établie afin d’analyser les conséquences d’un tel projet de loi sur l’équilibre des pouvoirs et l’esprit de nos institutions.

Les questions qui se posent sont les suivantes : le Gouvernement va-t-il procéder à une révision du mode de scrutin des élections législatives à la suite de cette réforme ? Qu’en est-il du statut de l’élu ? Qu’en sera-t-il du statut du député qui, malheureusement, risque une nouvelle fois d’être dévalorisé tant matériellement que politiquement ?

L’article 1er étant le pivot de votre projet de loi, mon amendement propose purement et simplement sa suppression.

M. le président. La parole est à M. Michel Piron, pour soutenir l’amendement n37.

M. Michel Piron. J’ai beaucoup entendu parler de « meilleure représentation nationale » grâce au non-cumul. Meilleure représentation nationale, certes, nous pouvons le souhaiter mais pour quoi faire ? Nous ne sommes pas ici simplement pour bavarder, pour badiner, pour représenter ; nous sommes d’abord ici pour fabriquer de la règle de droit pour la nation. La question qui se pose dès lors est la suivante : ferons-nous de meilleures lois en situation de non-cumul ?

Nous avons déjà eu abondamment la preuve d’une extension à l’infini du champ législatif sur le champ réglementaire et de lois bavardes. En toute honnêteté – et je vais être assez isolé –, je citerai l’exemple du Grenelle qui a donné lieu à quelque 195 décrets sans parler des circulaires d’application. Je citerai encore la loi ALUR et ses 120 articles. Tout cela devrait nous amener à nous interroger sur la manière dont nous légiférons.

Croyez-vous que l’interdiction du cumul améliorera la situation parce qu’il n’y aura plus qu’un seul mandat ? Je crains au contraire qu’elle n’incite à en rajouter.

Je viens d’entendre parler du Sénat, mais la question qui se pose est aussi celle de son rôle.

Enfin, un orateur a parlé de « fondement d’une République nouvelle ». Selon moi, le non cumul ne peut être le fondement d’une République nouvelle, c’est la République nouvelle qui peut permettre de supprimer le cumul.

M. Jean-Luc Reitzer. Eh oui !

M. Michel Piron. Ce point me semble important. Moi aussi, je souhaite une République nouvelle qui permettrait de supprimer utilement le cumul. On en est loin !

Mme Cécile Untermaier. C’est ce vers quoi nous allons !

M. le président. La parole est à M. Roger-Gérard Schwartzenberg, pour soutenir l’amendement n66.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Le cumul entre mandat parlementaire et fonction exécutive locale n’est pas aussi fréquent et généralisé qu’on le pense. Ainsi, l’étude d’impact qui accompagne ce projet de loi indique que 42 % des députés et 41 % des sénateurs n’exercent aucune fonction exécutive locale et cela, de leur propre choix, sans qu’il ait été besoin de les y contraindre par la loi.

Après tout, si l’on est favorable au non-cumul, pourquoi faudrait-il absolument compter sur une loi pour le mettre en pratique ? Pourquoi ne pas l’appliquer directement à soi-même sans s’en remettre à une loi…

Mme Pascale Crozon. Tu parles !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. …qui, de surcroît, ne s’appliquerait que dans trois ou quatre ans ?

La procrastination n’est jamais un bon réflexe, pas plus que l’application différée de remèdes présentés comme des remèdes d’urgence.

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est vrai !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. La désignation des candidats risque d’être changée par cette réforme car elle se tournera davantage vers des élus issus des appareils de parti que vers des élus issus de la vie publique locale, au contact direct des réalités quotidiennes.

M. Jean-Luc Laurent. Très juste !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. En outre, cette réforme risque de fausser l’équilibre entre le législatif et l’exécutif car, s’il n’y a plus de représentants de grandes villes ou de présidents de conseil général ou de conseil régional dans les assemblées législatives, celles-ci pourraient perdre en influence et en autorité par rapport au Gouvernement.

M. Jean-Luc Reitzer. Absolument !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Enfin, il serait bon de commencer par le commencement, c’est-à-dire par une révision de l’article 23 de la Constitution, lequel n’interdit pas aux ministres d’être en même temps titulaires d’une fonction exécutive locale. Si l’on respecte une certaine hiérarchie des normes juridiques, il serait sain, au fond, de commencer par le sommet institutionnel plutôt que de commencer par la base en inversant l’ordre des priorités. (Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP.)

M. Michel Piron et M. Jean-Luc Laurent. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson, pour soutenir l’amendement n74.

M. Jean-Frédéric Poisson. Chers collègues, j’aimerais simplement revenir sur certains arguments qui ont émaillé la discussion générale.

Premièrement, j’ai un peu de mal à comprendre les remarques selon lesquelles la seule manière pour un député de garantir un traitement équitable à toutes les communes de son territoire serait de démissionner de ses fonctions exécutives locales. N’y a-t-il pas, chers collègues de la majorité, dans votre propre camp des élus qui, bien que signataires de la charte interne au parti socialiste, exercent encore des fonctions exécutives locales ? Je ne vois pas pourquoi ils seraient iniques à l’égard des communes de leur circonscription qui ne relèvent pas de leur mandat local. Si dans ce débat, nous pouvions revenir à des considérations un peu plus équilibrées, je crois que tout le monde s’en porterait mieux.

Deuxièmement, certains de nos collègues nous disent avoir démissionné de leur mandat exécutif local et très bien s’en porter : grand bien leur fasse ! Leurs électeurs leur en savent très certainement gré et ne manqueront pas de le leur signifier lors des prochaines échéances électorales.

Mme Pascale Crozon. Absolument !

M. Philippe Baumel. C’est de la jalousie !

M. Jean-Frédéric Poisson. Nom d’une pipe en bois, comme disait l’autre, laissez donc les électeurs décider librement ! Pourquoi vouloir les priver du choix de voir votre affection personnelle se manifester à nouveau à leur égard jour après jour, alors qu’ils sont dépités des décisions de démission que vous avez prises et qu’ils n’attendent qu’une chose : que vous reveniez rapidement prendre soin de leur quotidien ? Très franchement, la liberté doit être la règle.

M. Jean-Luc Reitzer. Oui, c’est une loi liberticide !

M. Jean-Frédéric Poisson. Le souverain est le peuple électeur. Laissons-lui la liberté du choix, même si c’est en le limitant.

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Laurent, pour soutenir l’amendement n76.

M. Jean-Luc Laurent. Je viens défendre cet amendement de suppression en tant que député MRC apparenté au groupe SRC. Il ne sera pas dit qu’il n’y aura pas eu une voix ici pour s’exprimer contre ce projet de loi, en ce jour important de sa deuxième lecture devant notre assemblée.

Ce texte continue à promouvoir non, comme on l’entend trop souvent dire, le mandat unique ou l’interdiction du cumul, mais l’incompatibilité d’un mandat parlementaire avec des fonctions exécutives locales.

L’éradication des députés-maires ou des sénateurs-maires est à mes yeux une grave erreur. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP.) C’est une mesure inopportune – et je pèse mes mots : loin d’être un frein à la modernisation du Parlement, l’existence du député-maire est un facteur d’équilibre institutionnel républicain.

M. Jean-Luc Reitzer. Absolument !

M. Jean-Luc Laurent. Votre projet, monsieur le ministre, est d’autant plus aberrant qu’il propose de supprimer le cumul avec la fonction de maire d’arrondissement instaurée dans le cadre de la loi Paris-Lyon-Marseille et même de maire délégué au sens de la loi Marcellin, fonctions dont on sait l’étendue des pouvoirs…

Il est d’autant plus aberrant que le Parlement est déjà amputé par le haut : ces dernières années, les effets du droit européen se sont accumulés jusqu’à réduire la liberté pour la représentation nationale de faire la loi. Nous ne devons pas l’amputer par le bas en supprimant le lien que constitue l’exercice d’une fonction exécutive locale et en mettant fin à cette école de formation républicaine méritocratique.

Enfin, votre projet va couper le Parlement de ce terreau républicain au seul profit des grandes machines électorales qui délivrent les investitures. C’est une erreur du point de vue de l’équilibre et de la diversité des options politiques et de l’existence des sensibilités politiques.

Je crains, monsieur le ministre, que vous n’enclenchiez ainsi le processus de la fin du scrutin de circonscription et l’accélération de la bipolarisation. Le Parlement a besoin d’une plus grande diversité d’élus, avec un mélange entre députés sans autre mandat et députés ayant une responsabilité locale.

L’enjeu n’est pas la disponibilité des élus mais l’équilibre institutionnel, la fabrique des députés de la nation. C’est pourquoi je vous propose, par cet amendement, la suppression de l’article 1er. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et RRDP.)

M. Jean-Luc Reitzer. Voilà des paroles de bon sens !

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces amendements de suppression ?

M. Christophe Borgel, rapporteur. Je voudrais rappeler à l’intention de certains des auteurs de ces amendements que l’article 1er ne prévoit pas d’instaurer un mandat unique …

M. Jean-Luc Reitzer. En effet !

M. Christophe Borgel, rapporteur. C’est justement à vous que je pensais car vous indiquez cela même dans l’exposé sommaire de votre amendement.

M. Jean-Luc Reitzer. Peut-être mais je n’ai rien dit de tel en défendant mon amendement !

M. Christophe Borgel, rapporteur. Pour que nous ayons un débat précis, j’essaie d’apporter des éléments précis au lieu de me contenter de grandes tirades.

L’article 1er, cœur du projet de loi, vise à instaurer l’interdiction du cumul entre un mandat parlementaire et des fonctions exécutives locales.

Plusieurs de nos collègues ont évoqué l’affaiblissement du Parlement. Je me demande pourquoi depuis 1958, de législature en législature, nous nous battons pour renforcer ses pouvoirs alors qu’il aurait suffi, à vous entendre, d’intensifier le cumul des mandats ? Chers collègues, soyons sérieux : rien dans l’histoire de notre Parlement ne permet de démontrer que c’est le nombre de parlementaires qui ont aussi un mandat local qui contribue à le faire peser davantage dans le fonctionnement de nos institutions.

M. Jean-Frédéric Poisson. Vous ne pouvez pas démontrer le contraire non plus !

M. Christophe Borgel, rapporteur. Il y a cependant une certitude : nous avons fait l’expérience pendant plusieurs législatures d’un Parlement dont les membres pratiquent en majorité le cumul, et le moins que l’on puisse dire est que cela n’a pas été opérant du point de vue du renforcement de sa place dans la République.

Mme Laurence Dumont. Très juste !

M. Christophe Borgel, rapporteur. Vous pouvez contester cette idée, certes, mais nous vous proposons d’essayer l’inverse avec la conviction que cela va contribuer à renforcer le Parlement. C’est là le cœur de notre argumentation.

L’avis de la commission, vous l’aurez compris, est défavorable. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et GDR.)

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Alain Vidalies, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement. Avec cet article, s’opposent les deux approches qui se sont exprimées dans la discussion générale : certains ici considèrent – et c’est la position du Gouvernement – qu’il s’agit d’un texte extrêmement important de modernisation pour l’avenir de notre démocratie ; d’autres estiment que c’est un texte extrêmement dangereux – je ne reprendrai pas les termes qu’ils ont employés mais ils étaient tout de même d’une certaine violence.

En écoutant ces échanges, je me disais au fond qu’il y avait un moyen simple de savoir qui sont les plus convaincus : il suffit de regarder le niveau de mobilisation des uns et des autres sur les bancs de cet hémicycle.

Si vous pensiez que nous examinions là un texte aussi déterminant, alors très honnêtement, vous ne pourriez pas soutenir, comme vous l’avez fait tout à l’heure, que vous reviendrez sur ce texte ! Vous avez tenu un discours important ici, dans la discrétion du débat parlementaire ; mais vos grands leaders, dans les grands rendez-vous électoraux, s’engageront-ils, avec la même force que celle que vous avez manifestée aujourd’hui, à dire : « Pour moderniser ou redresser la France,… » – je ne sais pas quel sera votre slogan –, « …votez pour le retour au cumul des mandats ! » ? Je prends ici le pari que, naturellement, vous ne le ferez jamais ! De plus, vous ne reviendrez jamais sur cette grande réforme parce que, au fond, elle correspond non à une révision de l’histoire, mais au moment que vit la France aujourd’hui, à la nécessité du moment.

Il ne faut donc pas se tromper de débat : le député-maire correspond à une histoire, celle de la IIIe et de la IVRépubliques ; mais vous ne pouvez pas penser que nous vivons dans une France qui n’évolue pas !

J’ai été témoin, tout au long de ces années, comme d’autres ici, de l’évolution du mandat parlementaire. Il ne s’agit pas de prétendre, comme vous l’avez fait tout à l’heure, monsieur Tourret, que nous allons remettre en cause ceux qui connaissent la France du cassoulet : franchement, je n’ai pas besoin de prouver que je fais partie de ceux-ci ! (Sourires.)Étant le témoin vivant que cela peut exister aussi du côté de ceux qui s’opposent au cumul des mandats, je pense que vous devriez trouver d’autres arguments !

En réalité, la France est devenue autre, sans pour autant être en contradiction avec la France d’avant. Nous vivons un moment de l’histoire qui correspond à l’exigence de nos concitoyens ; et la situation est grave, car jamais il n’a existé une telle distance entre nos concitoyens et le mandat parlementaire.

M. Jean-Luc Reitzer. Ce n’est pas le cumul des mandats qui en est la cause !

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Lors de nos précédents débats, sur d’autres textes, comme dans le présent débat, tous ceux qui veulent ignorer cela ramènent la question démocratique au niveau où elle pose le moins de problèmes – les Français sont attachés à leur maire, et ils ont bien raison. Or je pense que la responsabilité de rapprocher les Français du mandat parlementaire est collective.

Certains d’entre vous ont témoigné de cette nouvelle disponibilité, de ces nouvelles pratiques de pouvoir sur le terrain, de ces nouvelles pratiques de rapport avec les élus, tous ces élus qui, aujourd’hui,…

M. Jean-Frédéric Poisson. …cumulent !

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Chacun d’entre nous ou presque a cumulé lorsqu’il était parlementaire ; mais enfin, tout de même ! Ce que je vois, dans la préparation des textes, c’est une façon de réhabiliter le Parlement. Il s’agit évidemment du cœur du dispositif ; cette loi de modernisation ne doit pas être opposée à ce qu’a été l’histoire de notre République.

Vous avancez des arguments qui sont vraiment difficiles à entendre. Il en va ainsi de l’efficacité du député-maire ; mais enfin !

M. Jean-Luc Reitzer. Eh oui !

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Je me suis déjà trouvé dans cette situation dans ma vie électorale : ce n’est pas si évident de dire en face à quelqu’un « Votez pour moi ! » en prétendant qu’il serait plus efficace d’être député-maire, sous prétexte qu’il y a une commune de 15 000 habitants sur les 100 000 habitants que compte sa circonscription. Deux sortes d’affiches étaient préparées, du reste : l’une destinée à la commune – « Un député-maire pour la commune ! » – et l’autre pour le reste de la circonscription – « Un député pour la circonscription ! »

M. Jean-Frédéric Poisson. Ce n’est pas vrai !

M. Jean-Luc Reitzer. C’est une caricature !

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Vous voyez bien que cela pose aussi une question d’égalité et de connaissance. Cela ne veut pas dire que les députés seront « hors sol », car ils seront probablement élus locaux avant de devenir parlementaires. De ce point de vue, vos souhaits seront respectés puisque cela permettra tant la connaissance et l’apprentissage de la vie locale que la montée en puissance et en force de l’expression parlementaire. Le Gouvernement est donc évidemment opposé à tous ces amendements de suppression.

M. Jean-Luc Reitzer. Vous y viendrez !

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Mais, je vous le dis très fermement, j’attends avec intérêt – peut-être dans les prochains jours ? – une grande déclaration publique de vos leaders et de vos futurs candidats à l’élection présidentielle, dans laquelle ils s’engagent, comme vous, à proposer aux Français le retour au cumul des mandats : ce serait tenir là un langage de vérité. Il ne suffit pas en effet de tenir ce discours ici pour ensuite se montrer très discret sur ces questions dans le débat public. Cela intéressera beaucoup nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson.

M. Jean-Frédéric Poisson. Je voudrais remercier M. le ministre pour son intervention ; M. le rapporteur aussi, bien entendu, mais cela est plus habituel.

Nous voyons bien en effet comment se pose la question : en fait, nous ne sommes pas d’accord sur l’analyse des raisons pour lesquelles les institutions seraient discréditées et le Parlement affaibli : c’est sur cette analyse que nous divergeons. Vous considérez que l’évolution du règlement de l’Assemblée a entraîné l’affaiblissement progressif interne, concernant notamment la place de mandats locaux ; moi je considère – et je suis plus proche sous ce rapport de l’argumentation de notre collègue Laurent, ce dont il ne me tiendra sans doute pas rigueur – que l’intrusion de l’Europe dans le domaine législatif propre des pays a bien plus affaibli les parlements nationaux que toute autre raison !

M. Alain Vidalies, ministre délégué. L’un n’exclut pas l’autre !

M. Jean-Frédéric Poisson. Dans ce contexte, la question de la place du cumul des mandats et de l’engagement des élus parlementaires dans des collectivités locales est un phénomène résiduel – et encore, je n’en suis même pas certain ! – de la perte de confiance des Français à l’égard de leurs élus.

Deuxième point : si cette perte de confiance était si importante et si réelle que cela, il n’y aurait pas tant de parlementaires parmi nous qui reviendraient dans cette assemblée en exerçant des mandats locaux ! Cela signifierait sinon que les électeurs sont des abrutis, ce que je ne crois pas, et vous non plus, sans doute ; ou qu’ils ne comprennent pas le fonctionnement des institutions, ce que je ne crois pas non plus.

Troisième point : j’entends tout ce que vous dites sur les changements de modalités, de travail, de méthodes – et pourquoi pas de République, d’ailleurs ? Il est très intéressant de savoir que, dans un futur proche, on aura une nouvelle République, du pouvoir réglementaire pour les régions et un statut interdisant le cumul aux élus locaux ! Dites-le leur, s’il vous plaît ! À défaut d’avoir porté le texte avant le Congrès des maires, profitez des Journées de demain pour leur annoncer qu’il existera bientôt un texte leur interdisant le cumul des mandats locaux : cela les intéressera beaucoup !

Pourtant, nous ne voyons rien venir : vous affirmez que cette réforme, la « mère des batailles » institutionnelle, à vous entendre, s’accompagnera de nouvelles méthodes et de nouveaux moyens : or, on n’en voit pas venir la queue d’un, si vous me passez cette expression triviale.

Dernier point, monsieur le ministre : je fais bien entendu partie de ceux qui n’ont pas un engagement dans l’hémicycle et un autre en dehors de l’hémicycle – j’espère que vous me ferez ce crédit, au moins à titre personnel. Comptez sur moi pour nourrir ce débat autant que je le pourrai et pour faire part de mon engagement sur cette question en tant que responsable politique, car je crois qu’il y va de la santé de nos institutions.

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Permettez à l’un de vos collègues qui assume dans l’honneur et dans la responsabilité le mandat de maire et celui de député de participer à ce débat en soutenant le rejet de vos amendements.

Je voudrais d’abord confier à mes amis qui me regardent d’un œil amusé la belle phrase des Lamentations de Jérémie, que l’on chante et que l’on psalmodie depuis des millénaires : « Je m’adresse à vous, à vous tous qui passez ici. Regardez et voyez s’il est une douleur pareille à ma douleur. » Je peux vous la dire en latin, si vous le souhaitez : « O vos omnes qui transitis per viam, attendite et videte si est dolor sicut dolor meus. » (Applaudissements sur l’ensemble des bancs.)

Je vous remercie ; prononcer ces mots soulage le député-maire que je suis ! Je me permets de le dire, parce que cela n’est pas banal pour ceux qui tentent d’assumer ce cumul des mandats – je ne supporte pas ce terme de « cumulard » ! – de la manière la meilleure.

Notre responsabilité, chers collègues, est de nous positionner en défenseurs de la démocratie. Je ne suis pas certain, par ma seule analyse, ma seule compétence, de déterminer quels sont les chemins du progrès. Je ne suis pas sûr de les connaître moi-même, et je veux dépasser du même coup, parce que c’est une exigence de responsabilité, ma propre situation.

Je ne suis pas certain de bien les discerner, mais je suis en revanche certain de l’attente de nos populations : il y a une envie d’une autre démocratie, et ce fait s’impose à nous de telle manière que, à l’évidence, être les représentants de la nation tout en étant au quotidien dans l’accompagnement de leur situation, devient de plus en plus difficile.

C’est de plus en plus dur d’être maire, et je l’ai vécu durant toutes ces années – trente ans ! – où j’ai participé à une action municipale. C’est de plus en plus dur également d’être député, et nous avons vu au cours de ces trois derniers mandats, ceux que j’ai connus du moins, la difficulté que cela représente.

Je pense que la complexité d’assumer ce double mandat interpelle nos concitoyens. Je remercie le législateur de nous laisser le temps d’entrer dans cette réforme, et les trois années qui nous séparent de 2017 seront à cet égard importantes. Je ne le dis pas pour préserver un avantage particulier, mais parce qu’il faut accompagner cette réforme.

Les chemins, le progrès de la démocratie, imposent qu’au-delà de notre situation personnelle ou de notre démarche, il y ait la perspective d’offrir à nos concitoyens un autre espace de démocratie, et je crois que cet espace de démocratie passe par le rejet du cumul des mandats. Pour ma part, je l’assumerai volontiers lorsque la loi m’imposera cette obligation. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

M. Marc Dolez. Bravo !

(Les amendements de suppression nos 25, 37, 66, 74 et 76 ne sont pas adoptés.)

2

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :

Suite de la nouvelle lecture des projets de loi organique et ordinaire interdisant le cumul des fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur ou de représentant au Parlement européen.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures cinquante-cinq.)

Le Directeur du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Nicolas Véron