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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2013-2014

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du mercredi 22 janvier 2014

SOMMAIRE

Présidence de M. Denis Baupin

1. Ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires

Motion de renvoi en commission

M. Marc Le Fur

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication

Rappel au règlement

M. Frédéric Lefebvre

Motion de renvoi en commission (suite)

M. Paul Molac

M. Paul Giacobbi

M. André Chassaigne

Mme Marie-Anne Chapdelaine

M. Camille de Rocca Serra

M. Thierry Benoit

Discussion générale

M. Thierry Benoit

M. Paul Molac

M. Paul Giacobbi

M. Alfred Marie-Jeanne

M. Pierre-Yves Le Borgn’

M. Guy Geoffroy

M. André Chassaigne

Mme Colette Capdevielle

M. Patrick Hetzel

Mme Marion Maréchal-Le Pen

M. Armand Jung

Mme Annie Genevard

Mme Marie-Françoise Bechtel

M. Gwenegan Bui

Rappel au règlement

M. Marc Le Fur

Discussion des articles

Article unique

M. Frédéric Lefebvre

M. Jean Lassalle

M. Frédéric Reiss

M. Éric Straumann

M. Alain Marc

M. Camille de Rocca Serra

Mme Marie-Hélène Fabre

M. Jacques Myard

M. Jean-Pierre Allossery

M. Gwendal Rouillard

M. Jean-Pierre Le Roch

Mme Chantal Guittet

Mme Martine Faure

Mme Marietta Karamanli

M. Jean-Luc Bleunven

Mme Annick Le Loch

Mme Anne-Yvonne Le Dain

M. Marc Le Fur

Mme Marie-Françoise Bechtel

Mme Annie Le Houerou

Amendements nos 3 , 8 rectifié , 9 rectifié , 1 , 5 , 10 , 13 , 2 , 6 , 11 , 14 , 15

Après l’article unique

Amendements nos 4 , 7 , 12

2. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Denis Baupin

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

1

Ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires

Suite de la discussion d’une proposition de loi constitutionnelle

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi constitutionnelle visant à ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (nos 1618, 1703).

Motion de renvoi en commission

M. le président. J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe de l’Union pour un mouvement populaire une motion de renvoi en commission déposée en application de l’article 91, alinéa 6, du règlement.

M. Paul Giacobbi. Quelle idée, il va s’exprimer en breton ! (Sourires.)

M. le président. La parole est à M. Marc Le Fur.

M. Marc Le Fur. Monsieur le président, madame la ministre de la culture et de la communication, monsieur le président de la commission des lois et rapporteur du texte, mes chers collègues, je souhaite exprimer ici l’opinion de tous les députés UMP concernés par les langues régionales, qu’il s’agisse de l’alsacien, du mosellan, du flamand, du corse, du nissart, du catalan, du breton, du gallo…

M. François Pupponi. Et du « guaino » aussi ! (Sourires.)

M. Marc Le Fur. Je pense également aux députés du monde occitan, en particulier à Alain Marc, aux locuteurs basques et au monde de l’outre-mer, ce monde créole qui est si riche. Bref, si chaque opinion est respectable, car nous sommes tous des députés de la nation, vous conviendrez que l’opinion des députés concernés l’est particulièrement.

Ces députés souhaitent que notre pays ait une relation sereine, fondée sur la confiance, avec l’ensemble des langues de France, qu’elles soient de métropole ou d’outre-mer – une relation franche et positive. Le temps du mépris est, je l’espère, définitivement révolu. Mais les Bretons, et d’autres aussi je suppose, n’oublient pas ce qu’on appelait le « symbole », qui était remis comme punition aux élèves qui avaient le tort de parler leur langue, fût-ce dans la cour d’école. Ils n’oublient pas davantage celui qu’on a évoqué déjà, le funeste abbé Grégoire qui, en 1793, disait « la réaction parle bas-breton » et qui détourna les idéaux de 1789 pour éradiquer les langues régionales et la spécificité de nos territoires.

Je voudrais également être sûr que le temps de l’indifférence est derrière nous. Les militants des langues régionales ne sollicitent pas l’aumône d’un traitement palliatif mais demandent la mise en place d’une politique de promotion de ces langues qui, selon notre Constitution depuis la révision de 2008, « appartiennent au patrimoine de la France ».

M. Frédéric Lefebvre. Une grande avancée !

M. Marc Le Fur. Dans cette perspective, le premier étage de la fusée fut donc la réforme constitutionnelle de 2008, et il y a parmi nous d’anciens ministres qui s’en souviennent, cher Frédéric Lefebvre. Pour la première fois étaient inscrites dans la loi fondamentale les langues régionales. J’ai regretté qu’à l’époque, monsieur le rapporteur, ni vous ni vos amis ne votiez ce texte, faisant prévaloir des consignes d’origine politique. Depuis, d’ailleurs, vous vous efforcez de minorer la portée de la révision de 2008 alors que je suis convaincu qu’elle aurait suffi pour valider la Charte européenne. C’était en tout cas l’opinion du regretté constitutionnaliste Guy Carcassonne.

La deuxième étape, c’est l’adoption de la Charte. Mais il ne s’agira pas d’un aboutissement, seulement d’un pas de plus. La troisième étape, qui devrait nous rassembler, madame la ministre, est celle d’une grande loi où il ne s’agira plus d’aborder des questions de principe mais de résoudre des problèmes concrets.

Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication. Absolument.

M. Marc Le Fur. Il s’agira notamment de donner réalité à une idée simple : l’apprentissage d’une langue régionale ne doit jamais être une obligation, mais l’obligation doit être faite aux pouvoirs publics d’offrir aux familles qui le souhaitent un enseignement en langue régionale. Or nous en sommes très loin, n’est-ce pas, Paul Molac ?

Le but de mon propos est donc double : il me faut vous convaincre, monsieur le rapporteur, que le texte que vous nous proposez n’est pas celui attendu, espéré, réclamé par les militants de nos langues, et également convaincre l’ensemble des députés peu sensibilisés à ces questions, peu alertés, parfois victimes d’idées reçues, que l’adoption de la Charte ne constitue nullement une menace. La première partie de mon intervention s’adresse donc à vous, monsieur le rapporteur.

En effet, la formule que vous proposez est d’abord une impasse en termes de procédure. L’alinéa 2 de l’article 89 de la Constitution, qui organise la procédure de la révision constitutionnelle, précise que si l’initiative est parlementaire, comme c’est le cas aujourd’hui, elle ne peut aboutir qu’au terme d’un référendum. Mais j’imagine mal un référendum sur cette question. Or il ne peut être dérogé à la procédure référendaire que si, à l’origine de la révision, il y a un projet de loi constitutionnelle. Seule donc une initiative gouvernementale pourrait nous permettre d’adopter une révision constitutionnelle par la voie d’un congrès réuni à Versailles. Pourquoi n’avons-nous pas été saisis d’un projet de loi constitutionnelle ? Je vous le demande, madame la ministre. Cela aurait été plus simple, plus lisible et plus rapide ! Après tout, c’était logique, d’autant plus qu’il s’agit de l’engagement n56 du candidat François Hollande à la Présidence de la République. Qui dit engagement présidentiel devrait signifier suivi gouvernemental.

M. Claude Sturni. C’est vrai !

M. Marc Le Fur. Vos propos font preuve d’un esprit d’ouverture, madame la ministre, mais nous n’avons toujours pas été saisis d’un projet de loi constitutionnelle. Pourquoi M. Ayrault ne s’engage-t-il pas ? Pourquoi ne veut-il pas apposer sa signature sur un tel projet de loi ? On sait qu’il a une relation compliquée avec la Bretagne, on l’a vu encore cet automne et maintenant avec le projet de rattachement de la Loire-Atlantique à la Bretagne. Une porte avait été ouverte sur le sujet par le Président de la République mardi 14 dernier, et le Premier ministre l’a aussitôt refermée !

M. Thierry Benoit. À double tour !

M. Marc Le Fur. Le fait que le présent texte ne soit pas un projet de loi constitutionnelle mais une proposition soulève deux questions. D’abord, qu’en est-il de la détermination gouvernementale ? Les mots ne suffisent pas, il faut des actes ! Et ensuite, qu’en est-il du calendrier ? Vous nous dites, monsieur le rapporteur, que tout cela n’est pas grave, qu’il faut d’abord se compter et que si l’on atteint le seuil des trois cinquièmes, il y aura un projet de loi. Cela veut dire qu’il faudra tout reprendre au point de départ : désignation du rapporteur, examen en commission, puis en séance publique, Sénat… Vous comprendrez que cela irritera les associations qui attendent, mais aussi un certain nombre de nos collègues qui, loin de ces sujets, ne comprennent pas l’importance d’un tel débat, ce qui pourrait poser beaucoup de problèmes. En définitive, nous serions aujourd’hui tels des acteurs réunis pour une répétition générale et qui espèrent, peut-être vainement, une improbable « première » ! Ce n’est qu’un tir à blanc, il faudra revenir pour examiner un projet de loi. Mais pourquoi n’avons-nous pas commencé par cela ? J’attends votre réponse, madame la ministre.

Venons-en au calendrier : nous allons voter ce texte, il arrivera devant les sénateurs sans doute après les municipales, voire les européennes, et si les trois cinquièmes des suffrages semblent réunis, on pourra alors envisager le début de la procédure concernant le projet de loi. Sauf que chacun sait qu’entre-temps, il y aura eu des élections sénatoriales ! Le comptage ne sera plus pertinent, puisque la moitié des mandats au Sénat auront été remis en jeu ! Cela pose un vrai problème.

M. Claude Sturni. Très juste !

M. Camille de Rocca Serra. Excellente démonstration !

M. Marc Le Fur. Nous sommes inquiets. Ce n’est pas la première fois qu’un texte sur les langues régionales se retrouvera bloqué, encarafé. Je pense au texte sur la signalétique routière en langues régionales, adopté au Sénat le 16 février 2011, à la suite de l’émotion suscitée par l’affaire dite de Villeneuve-lès-Maguelon. Je rappelle que le tribunal administratif de Montpellier y avait interdit un panneau en langue régionale. Cette décision avait suscité une émotion réelle puisqu’on sait bien que ce type de signalétique existe, entre autres en Bretagne.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Le jugement a été annulé en appel !

M. Patrick Hetzel. Heureusement !

M. Marc Le Fur. Une loi a donc été votée au Sénat de façon à prévenir tout risque qu’un tel jugement se renouvelle. Or ce texte, qui date de 2011, n’est toujours pas inscrit à l’ordre du jour de notre assemblée, alors que notre calendrier dépend du Gouvernement, madame la ministre ! On comprend bien que les militants des langues régionales se disent que tout ce qu’on leur raconte n’aboutit jamais à des résultats concrets !

La deuxième difficulté que pose votre proposition de loi constitutionnelle, monsieur le rapporteur, c’est qu’elle est très restrictive. Relisons-la : les deux premières lignes sont positives, puisqu’il y est affirmé que la République peut ratifier la Charte européenne, mais les douze lignes suivantes sont objectivement négatives ! Ce sont elles qui inquiètent les militants des langues régionales.

Ces lignes sont la résultante de la décision du Conseil constitutionnel de 1999, mais le contexte est maintenant très différent. La jurisprudence du Conseil peut évoluer, d’autant que sa composition elle-même a été modifiée depuis : peut-être n’aurait-il pas la même position aujourd’hui. Mais demain, si le présent texte est adopté, nous aurons gravé dans le marbre des censures objectives à l’encontre des langues régionales ! C’est très inquiétant. J’espère donc, monsieur le rapporteur, que vous en reviendrez plutôt à la proposition de loi que j’ai déposée avec Alain Marc et que tous les collègues concernés de mon groupe ont signée, qui prévoit tout simplement que la République peut ratifier la Charte européenne, sans poser de conditions dans la Constitution – le Gouvernement pouvant éventuellement émettre des réserves, mais pas dans la Constitution.

Vous dénoncez, madame la ministre, la notion de groupes. On peut le comprendre, car notre république ne s’organise pas autour de groupes. Mais c’est malgré tout pernicieux puisqu’une langue, par définition, sert à échanger avec des tiers, et qu’elle est donc associée à l’idée de groupe. Des esprits malveillants peuvent y trouver à redire. Plus pernicieux encore, la proposition de loi prévoit que l’usage du français s’impose aux personnes morales de droit public et aux personnes morales droit privé dans l’exercice d’une mission de service public». Cela paraît évident et il ne nous viendrait pas à l’esprit de contester l’usage du français dans les mairies ou de demander la traduction de l’austère Bulletin officiel de l’éducation nationale, ou du plus encore austère, surtout depuis que vous l’avez enrichi ces derniers mois, code général des impôts.

M. Paul Giacobbi. L’enrichissement profite à l’austérité ! (Sourires.)

M. Marc Le Fur. Mais, France 3 étant un service public, allez-vous exiger qu’il n’y soit parlé que français, alors qu’elle diffuse actuellement plusieurs émissions en langues régionales ? Ces émissions seront-t-elles encore possibles demain ? Si ce texte est voté en l’état, la réponse est non. Et si l’usage du français s’impose aux personnes de droit privé participant au service public, ce qui est exactement le cas des écoles Diwan et de tous les autres établissements d’enseignement privés, confessionnels ou non, qui concourent à la formation aux langues régionales, ils ne pourront plus enseigner de langues régionales ! Ce serait objectivement une aberration, et c’est très inquiétant.

M. Patrick Hetzel. En effet !

M. Marc Le Fur. On voit là un vrai risque eu égard à la pédagogie dite de l’immersion, pédagogie à laquelle sont très attachés les réseaux intervenant en matière de langues régionales. Elle permet aux enfants de bénéficier d’un nombre important d’heures de cours et d’utiliser la langue régionale dans la vie quotidienne scolaire, à la cantine par exemple, et parascolaire. Le réseau Eskolim par exemple, qui regroupe les cinq réseaux d’écoles associatives Seaska en Pays Basque, Bressola en Catalogne, Diwan en Bretagne, Calandreta en Occitanie et ABCM en Alsace, tient beaucoup à la pédagogie par l’immersion. Cette méthode sera-t-elle toujours possible ?

On sait que M. Peillon est très hostile à l’immersion. Il en avait fait la démonstration lors de l’examen en première lecture de la loi sur l’école. Souvenez-vous du fameux article 27 bis ! Les militants des langues régionales, eux, s’en souviennent.

M. Claude Sturni et M. Patrick Hetzel. Eh oui !

Mme Marie-Françoise Bechtel. Une nuit entière !

M. Marc Le Fur. Il a fallu quelques remontées de bretelles, et j’espère que certaines sont venues de votre camp, pour qu’entre la première et la deuxième lecture, M. Peillon avale son chapeau et accepte de sortir de son texte cette disposition qui remettait en cause tout notre dispositif à l’égard des langues régionales.

M. Patrick Hetzel. Très juste ! C’était inique !

M. Marc Le Fur. C’est vous dire que nous sommes inquiets pour Diwan, Div Yezh ou Dihun, ces écoles publiques ou catholiques qui enseignent le breton, mais aussi pour les réseaux des autres régions.

Les associations sont inquiètes, parce qu’elles ont été échaudées. Songez à la révision constitutionnelle de 1992, sous le gouvernement Jospin, quand il a été inscrit dans la Constitution que la langue française est la langue de la République. C’est très bien, c’est une évidence et l’idée faisait d’autant plus l’unanimité que l’on nous affirmait alors qu’elle ne serait pas utilisée contre les langues régionales. Il n’empêche que quelques mois plus tard, vos amis du SNES, syndicat enseignant traditionnellement hostile aux langues régionales, posaient la question du rapport qui s’était créé entre Diwan et le ministère de l’éducation nationale, et que les avancées envisagées par le ministre Jack Lang étaient annulées. Autrement dit, les meilleures intentions du monde peuvent nuire à nos langues. Ceci a contribué à échauder tous ceux qui sont sensibles aux préoccupations touchant aux langues régionales.

Les associations trouvent donc que le risque est grand, alors que l’avantage procuré par la Charte est faible. Je suis un partisan de l’adoption de la Charte, certes, mais en l’occurrence l’avantage relatif que nous allons en retirer est faible, parce que vous avez choisi une solution a minima.

Faisons un peu de technique. La Charte comporte quatre-vingt-dix-huit propositions et un pays doit en accepter au moins trente-cinq pour être considéré comme signataire. Le Gouvernement propose d’en adopter trente-neuf, sachant que la moyenne des pays européens est à cinquante. En outre, ces trente-neuf propositions sont déjà peu ou prou dans nos textes, surtout dans les régions les plus avancées.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Exactement !

M. Marc Le Fur. Prenons l’exemple du pays basque, où un travail remarquable a été effectué à l’initiative de l’Office public de la langue basque, sous l’égide de Max Brisson, un élu de Biarritz qui en a longtemps été le directeur. Les trente-neuf propositions ne leur apportent pas grand-chose, puisque leur travail va bien au-delà. Peut-être seront-elles importantes pour les langues qui occupent une place moins grande…

En tout état de cause, la France aurait pu aller au-delà des trente-neuf propositions. Le regretté professeur Carcassonne disait encore que nous pouvions sans risque constitutionnel en adopter cinquante-deux, dont il dressait la liste.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Il était bien le seul !

M. Marc Le Fur. Voilà quelques éléments qui, je l’espère, auront convaincu notre rapporteur qu’il faut en revenir à un projet de loi constitutionnel qui précise simplement que la République peut adopter la Charte des langues régionales. Maintenant, il me faut convaincre nos collègues qui sont inquiets à l’égard de cette charte qu’ils ne connaissent ou ne comprennent pas,…

Mme Marie-Françoise Bechtel. Ou trop bien !

M. Marc Le Fur. …parce qu’ils sont peu familiers de ce texte ou des préoccupations touchant aux langues régionales.

Sachez tout d’abord que si le nombre de locuteurs de ces langues décline, c’est hélas un constat, le nombre d’enfants, d’adolescents et d’étudiants qui les apprennent ne cesse de croître. Naguère essentiellement familiale, la transmission se fait de plus en plus par le système scolaire. C’est un phénomène que nous devons enrichir et développer, une réalité à laquelle nous sommes très attachés.

Chers collègues, sachez encore que le sujet ne se limite pas aux locuteurs et aux apprenants. Dans les régions concernées, il y a une extrême sensibilité à ces questions. Même des gens qui ne parlent ni ne comprennent le breton, qui n’ont avec cette langue qu’une relation lointaine, y sont attachés parce qu’elle est pour eux un élément d’identité. Bon nombre de jeunes Français d’origine bretonne parcourent les grandes villes américaines – n’est-ce pas, cher Frédéric Lefebvre ? – parce qu’ils ont le sens de l’aventure, parce que c’est dans leurs gènes en quelque sorte. Je suis convaincu qu’ils n’en restent pas moins attachés au breton et à leur identité…

M. Frédéric Lefebvre. Très attachés !

M. Marc Le Fur. …alors même que leur lien avec cette langue est souvent objectivement lointain. Sachons donc identifier cette préoccupation.

D’ailleurs, il est frappant de voir des jeunes très intégrés, maniant parfaitement les nouvelles technologies et l’anglais par exemple, manifestent ce même attachement qui n’a rien de passéiste mais qui est au contraire tourné vers l’avenir, comme étant une sorte de compensation à la mondialisation. Dans un monde extrêmement ouvert, chacun aspire à se raccrocher à quelque chose, et cet attachement est bon. Il n’est d’aventuriers que ceux qui ont un port d’attache.

Il faut adopter cette charte pour toutes ces raisons, et aussi pour nous mettre au diapason de l’Europe. D’autres que moi l’ont dit et je n’insisterai pas. C’est bien de voisiner avec la Turquie et la Grèce, mais il y a des pays plus exemplaires et j’espère que nous voisinerons bientôt avec d’autres pays qui ont été plus allants sur ces questions.

Quels arguments oppose-t-on à la Charte ? Je voudrais tordre d’abord le cou à l’un d’entre eux : pour certains, ce sont les langues de l’immigration qui bénéficieraient de la Charte. Pas du tout, et sur ce point les textes sont extrêmement clairs. D’une part, les langues concernées ont été listées. Il y en a soixante-quinze, une majorité d’outre-mer mais aussi beaucoup de métropole. D’autre part, l’article 1er de la Charte définit comme langues régionales ou minoritaires « les langues pratiquées traditionnellement sur un territoire d’un État par des ressortissants de cet État qui constituent un groupe numériquement inférieur au reste de la population de l’État et différentes de la (des) langue(s) officielle(s) de cet État. »

Pour clarifier définitivement les choses, cet article 1er ajoute que « l’expression de langues régionales ou minoritaires n’inclut pas les langues des migrants ». Chère Annie Genevard, les choses sont extrêmement claires. Il ne s’agit ni du berbère, ni de l’arabe, ni du turc.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Hélas !

M. Marc Le Fur. Cela peut être un autre débat, mais en tout cas, ce n’est pas celui du jour. Que l’on ne vienne pas le polluer. Je dirais même que l’adoption de la Charte nous protège : le traité ayant valeur supra-législative, il pourra nous éviter à l’avenir des projets de loi qui pourraient être proposés par certains collègues très allants sur ces questions.

Les langues des migrants ne sont donc pas du tout en jeu. Le texte concerne les langues traditionnellement pratiquées en France.

Mme Marie-Françoise Bechtel. De souche ! Nous sommes dans l’ethnicité !

M. Marc Le Fur. Exactement, c’est extrêmement clair, ce sont les langues traditionnellement pratiquées en France et elles sont listées.

Finissons-en aussi avec un paradoxe français : hors de nos frontières, notre État se fait le protecteur de la diversité, et dès qu’il s’agit des langues régionales, chez nous, il la nie.

La France a ainsi ratifié la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, dans laquelle il est précisé que la diversité linguistique est un élément fondamental de la diversité culturelle. Nous l’avons signée en 2005, et sans réserve aucune. Pourquoi ne l’applique-t-on pas chez nous ?

Déjà en 2003, toujours sans réserve, notre pays avait ratifié la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel. Jacques Chirac, au terme de son mandat, avait créé une fondation et sollicité le concours de Rozenn Milin, une militante du breton qui s’était investie dans cette cause de la diversité culturelle et linguistique.

Nous sommes tous ici des défenseurs de la francophonie, mais celle-ci, bien souvent menacée, sollicite les mêmes moyens que nous pour les langues régionales. À l’échelle du monde, le français s’apparente d’ailleurs à une langue régionale. Soyons donc cohérents : soyons des défenseurs de la francophonie et, ipso facto, des langues régionale. Il n’y a aucune contradiction. Je prétends être un bon Français, et je dénie à quiconque le droit de me dire le contraire, tout en étant un bon Breton, et j’imagine qu’il en va de même des Corses, des Alsaciens et des autres.

M. Jean Lassalle. Très bien !

M. Marc Le Fur. En tout cas, les langues régionales ne veulent pas finir au musée du Quai Branly. Elles veulent vivre, se développer, adopter la modernité. C’est ce que nous souhaitons.

Alors, sortons donc de ces débats conceptuels et défendons les langues régionales. Ce message s’adresse aussi à mes amis de l’UMP, et j’en appelle ici à la mémoire de deux grands élus qui furent tous deux présidents du conseil régional de Bretagne : Raymond Marcellin et Yvon Bourges, deux anciens ministres du général de Gaulle, dont l’un ministre de l’intérieur. Nous pourrions penser qu’ils n’étaient pas favorables aux langues régionales ? Que nenni ! Ils avaient parfaitement compris qu’il fallait s’emparer du sujet. Raymond Marcellin et Yvon Bourges furent des militants des langues régionales à leur époque, après avoir parfaitement théorisé le problème : ils avaient compris que les partis républicains devaient se saisir de ces sujets pour qu’ils ne soient pas captés par des gens éloignés des préoccupations de la République. Nous devons donc tous nous mobiliser sur ces questions des langues régionales.

La France s’enrichit de ses différences. La France est diversité, disait Vidal de la Blache, le grand géographe du XIXsiècle. Sortons un instant du débat sur les langues pour évoquer la culture, madame la ministre : les polyphonies corses, les chants basques ou le fest-noz bretons ont des spécificités qui sont les nôtres, collectivement, quelle que soit notre région d’appartenance. Pourquoi n’en serait-il pas de même pour les langues ? Ce serait un élément de richesse tout à fait apprécié.

Mme Aurélie Filippetti, ministre. Le fest-noz est inscrit au patrimoine immatériel de l’humanité.

M. Marc Le Fur. Madame la ministre, je veux bien croire que les langues régionales ne vous intéressent pas assez pour arrêter de discuter, mais si vous aviez un instant à m’accorder, je serais assez preneur. Je vous l’apprends peut-être, l’UNESCO a reconnu les fest-noz.

Mme Aurélie Filippetti, ministre. C’est exactement ce que je viens de dire !

M. Marc Le Fur. Eh bien dites-le à haute voix et faites en sorte que nos différences nous enrichissent mutuellement au lieu de nous diviser, comme certains voudraient encore l’imaginer.

Certains, sur ces bancs, considèrent que l’émancipation est l’objectif ultime de toute croissance humaine, que l’homme, réduit au citoyen, n’est libre que lorsqu’il s’est détaché de toute contrainte, de toute transmission, de tout héritage – lorsqu’il est seul.

Quant à moi, je fais partie de ceux qui sont convaincus, au contraire, que la personne humaine n’est pas une page blanche, que le petit de l’homme et de la femme est aussi l’héritier de choses qui le dépassent et qu’il se construit essentiellement par la transmission.

Ce faisant, les débats que nous avons eus il y a quelques mois sont très cohérents. Je prétends être très cohérent. La transmission permet le dialogue, la relation. Qu’aurions-nous à partager entre nous, Français, si nous étions tous les mêmes ?

M. Jean Lassalle. Très bien !

M. Marc Le Fur. La transmission d’une culture par la famille, l’école, la commune, l’entreprise, la région, est tout à fait essentielle. Ne pas permettre la transmission, l’empêcher, c’est en quelque sorte voler quelque chose aux générations à venir. Chacun est libre d’accepter cet héritage, de le transformer, voire de le rejeter, mais chacun a le droit de connaître cet héritage. C’est ce que nous disons aujourd’hui.

Chacun d’entre nous a son histoire. Mes parents, et c’était le lot de toute leur génération, ont appris le français à l’école et mes deux grands-mères portaient la coiffe. Je suis fier de cet héritage. La République m’a appris d’autres choses. Il n’empêche que cette préoccupation, dont je suis comptable, est toujours au fond de moi. Je suis convaincu qu’au milieu de toutes nos vies, il y a quelque chose de cette nature.

Le propre des régimes totalitaires, c’est justement d’effacer le fruit de l’expérience des générations antérieures, cet héritage, pour mieux imposer leur vision idéologique. L’esprit critique ne peut alors plus s’exercer, puisqu’il n’y a pas de référence au passé. Soyons conscients que les langues régionales et, au-delà, les cultures régionales concourent à notre enrichissement.

L’enjeu de cette charte est donc beaucoup plus vaste que la simple question du plurilinguisme. L’enjeu est d’admettre l’altérité, la différence concrète et non pas théorique, la diversité comme des bases indispensables à l’exercice de la liberté et aussi de l’égalité, qui ne se confond pas avec l’uniformité. Ôtons-nous de la tête cette idée très jacobine que l’égalité se confondrait avec l’uniformité. L’égalité implique une différence assumée et respectée.

Bien plus qu’un édit de tolérance, les militants des langues régionales veulent une charte des libertés. Faisons confiance aux Français en général et aux locuteurs des langues régionales en particulier.

Je voudrais clore mon propos en évoquant un monument de la littérature française : Frédéric Mistral, le fondateur du Félibrige, l’auteur de Mireille qu’il dédicaça à Lamartine et dont Gounod fit un merveilleux opéra. Mistral, Nobel de littérature, donc reconnu au niveau universel. L’homme qui consacra son prix à la création du Museon Arlaten à Arles. J’aurais voulu que Henri Guaino entende cela, lui qui est de souche arlésienne.

Dans quelques semaines, le 25 mars 2014, nous célébrerons le centième anniversaire de la disparition de Mistral, madame la ministre. Vous n’oublierez pas Jaurès cette année, madame Filippetti, et je ne vous en fais pas grief, mais je vous en prie, n’oubliez pas non plus Mistral ! Je lui associerai son contemporain, Jean-Pierre Calloc’h, dit Bleimor, un poète breton tombé lui aussi au champ d’honneur, comme 250 000 Bretons, en 1917 ; son nom figure au Panthéon.

Voici ce qu’il écrivait dans les tranchées en 1914 : « Je suis le grand Veilleur debout sur la tranchée. Je sais ce que je suis et je sais ce que je fais : L’âme de l’Occident, sa terre, ses filles et ses fleurs, C’est toute la beauté du Monde que je garde cette nuit. » Beau texte. Mistral et Calloc’h savaient tous deux qu’ils étaient singuliers dans leur poésie mais qu’à leur façon ils atteignaient l’universel. Ils n’y voyaient aucune contradiction, plutôt un enrichissement perpétuel. Avec eux, notre pays prend des couleurs et respire la lavande et la bruyère. Pour Mistral, pour Calloc’h, faites de cette année 2014 une année de fête pour tous les locuteurs des langues de France. Ouvrez-leur vos bras, laissez la musique de ces langues chanter à vos oreilles une mélodie polyphonique. Dites-leur que vous avez confiance en eux.

Vous avez bien compris, monsieur le rapporteur, que votre texte n’est pas à la hauteur des ambitions que je viens d’évoquer. Vous avez bien compris qu’il ne correspond pas aux attentes de ceux qui, depuis de nombreuses années, et je les salue aujourd’hui, militent pour nos langues régionales. Il faut donc le renvoyer en commission.

Cela peut aller très vite. Il s’agit simplement de passer non pas par une proposition de loi, qui, chacun l’a compris, aboutirait à une impasse, mais par un projet de loi. Il s’agit également d’en faire un texte simple – non pas treize lignes, dont douze négatives, mais une seule : La République peut ratifier le texte sur les langues régionales. Mes chers collègues, il faut que nous en soyons chacun convaincus, et je suis pour ma part convaincu que notre rapporteur acceptera cet effort modeste que je lui demande. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean Lassalle. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Urvoas, président et rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Naturellement, monsieur Le Fur, j’entends vos questions. J’entends vos critiques sur les modalités adoptées. Mais si elles sont possibles, c’est parce que ce texte est inscrit à l’ordre du jour de notre assemblée. Et si ce débat est inscrit à l’ordre du jour, c’est parce que le Président de la République a pris l’engagement de ratifier la Charte. Au cours du précédent quinquennat, nous n’avions pas eu cette occasion, parce que Nicolas Sarkozy n’avait pas souhaité prendre cet engagement. J’entends bien que nous ne faisons pas tout ce qui est bien, mais au moins nous faisons un petit pas sur le chemin que vous dites vouloir suivre, alors que nous n’en avions pas eu l’occasion pendant cinq ans.

Je vais vous redire quel est l’état d’esprit, me semble-t-il, du groupe SRC. La question est assez simple : voulons-nous réellement – réellement ! – nous donner les moyens de ratifier la Charte ? Si oui, et je pense que chacun d’entre nous ici le veut, alors nous n’avons pas d’autre choix que de respecter deux contraintes qui, qu’on le veuille ou non, s’imposent à nous. Première contrainte : il nous faut bâtir un texte d’une solidité juridique à toute épreuve, qui nous mette à l’abri de toutes les déconvenues que, sur ce dossier, nous avons très souvent rencontrées par le passé. Deuxième contrainte : il nous faut bâtir un texte susceptible de rassurer les plus prudents d’entre nous comme les plus enthousiastes d’entre nous, condition sine qua non pour que le Congrès de la République vote un jour, à la majorité des trois cinquièmes, la ratification de la Charte.

La proposition de loi du groupe SRC apporte toutes les garanties pour que ces deux obstacles soient levés. Aucune formulation – je le dis, et cela m’évitera de le répéter lors de l’examen des amendements – ne peut en tout cas le faire aussi bien. Notre démarche est pragmatique. Vous dites, monsieur le député, que notre texte n’a pas d’ambition. Il n’en a qu’une, modeste : que la Charte soit ratifiée.

Pour y parvenir, il n’est pas question de se faire plaisir en défendant un texte susceptible de susciter l’enthousiasme des cercles militants du Pays basque ou de Bretagne mais dont nous savons qu’il serait, à coup sûr, condamné. Pour que chacun s’en convainque, il suffit d’admettre cette réalité : nous ne sortirons de l’impasse dans laquelle nous sommes depuis quatorze ans que par le compromis, le renoncement aux postures intransigeantes et au triomphe illusoire d’un camp sur un autre. À chacun de prendre ses responsabilités, de consentir. Si nous sommes prêts, les uns et les autres, les plus prudents et les plus enthousiastes, à faire un pas les uns vers les autres, quelle que soit l’attitude, ouverte ou fermée, que nous adopterons finalement, une chose me semble-t-il est certaine, c’est que si nous nous montrons tous ensemble, ici, mardi, incapables de saisir l’occasion qui s’offre à nous, elle risque de ne plus se représenter avant très longtemps.

Je veux donc dire à tous ceux qui sont là et qui sont, dans leur écrasante majorité, les défenseurs, dans cet hémicycle, de la promotion des langues régionales : il faut se satisfaire du possible quand l’idéal est hors de portée. La Charte est un symbole, on le sait tous ici, mais sa ratification serait un formidable signe, pas seulement pour la défense des langues régionales, comme je l’entends trop souvent, mais pour leur promotion, leur épanouissement, leur embellissement, sur leur développement – enfin, leur développement ! En y renonçant pour des questions rédactionnelles somme toute secondaires, nous nous emploierions nous-mêmes à refermer à double tour une porte dont nous avons attendu très longtemps qu’elle s’entrouvre. Elle est entrouverte. À nous de la pousser. Il y a des inconséquences dont on ne se remet pas.

Naturellement, je ne souhaite pas le renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de la culture et de la communication.

Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication. Pour ce qui est de la procédure et des questions posées par Marc Le Fur sur le choix qui a été fait, par les parlementaires, de déposer une proposition de loi constitutionnelle, je veux rappeler, comme vient de le faire Jean-Jacques Urvoas, que c’est la première fois que la représentation nationale peut débattre de cette question de la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. C’est donc un moment important, historique. On sait à quel point les trois premiers articles de notre Constitution, évidemment fondamentaux dans la conscience politique française, ont longtemps pu sembler, par leur solidité, faire obstacle à sa ratification. Aujourd’hui, grâce à cette proposition d’initiative parlementaire, s’ouvre la voie d’une ratification possible.

Le Gouvernement a souhaité qu’un chemin puisse être trouvé pour que l’on parvienne réellement à ratifier la Charte, que l’on ne se satisfasse plus des déclarations d’intention qui font plaisir devant des cercles militants ou convaincus mais qui ne contribuent pas à nous faire sortir de l’impasse juridique dans laquelle nous étions depuis 1999. Avec la voie de cette proposition de loi, nous avons l’occasion de donner à chacun d’entre vous cette liberté : le Gouvernement n’impose pas son choix et les députés de l’opposition peuvent donc se sentir plus libres de voter en faveur du texte, pour que nous puissions trouver la majorité des trois cinquièmes qui sera indispensable à la ratification. Le Gouvernement souhaite profondément que l’on y arrive, que l’on arrive à rassembler cette majorité des trois cinquièmes autour de cette proposition qui trouve une solution juridique pour ratifier la Charte sans avoir à remettre en cause les articles 1 à 3 de la Constitution.

J’en viens aux questions soulevées par Marc Le Fur. Je rappelle que, parallèlement à la démarche engagée autour de la ratification de la Charte, j’avais installé dès mon arrivée au ministère de la culture un comité consultatif pour la promotion des langues régionales, pour voir comment avancer, concrètement, sur un certain nombre de sujets, dont évidemment l’enseignement. Celui-ci a fait l’objet d’une traduction législative tout à fait exceptionnelle dans la loi sur la refondation de l’école de Vincent Peillon.

Pour la première fois, l’enseignement bilingue dans les écoles publiques est officialisé et inscrit dans la loi. De même, l’information des familles sera désormais un droit, et le ministère de l’éducation nationale a d’ores et déjà réalisé la plaquette d’information sur l’enseignement des langues et cultures régionales dans l’école de la République. Notre priorité, c’est bien l’école de la République, c’est l’école publique, et c’est au sein de l’école publique que l’on pourra désormais recevoir un enseignement bilingue. A aussi été ouverte la possibilité pour les enfants résidant dans une commune où il n’y a pas d’école bilingue d’obtenir une dérogation pour s’inscrire dans une autre commune, où il y en a une. Il y a donc vraiment, là, une grande avancée en matière d’éducation et d’enseignement bilingue.

En ce qui concerne les pratiques culturelles, une exposition plus grande de programmes en langue régionale est prévue dans le cadre de la réforme de France 3 qui est en cours d’élaboration, et au-delà de cette chaîne aussi sur les sites internet du service public, pour proposer l’offre la plus large possible. À propos des pratiques culturelles, comme le théâtre ou le chant, toutes les DRAC ont reçu la consigne d’examiner les projets en langue régionale avec les mêmes critères, artistiques, esthétiques, de qualité, que les projets en langue française. Toutes les subventions, tous les accompagnements du ministère de la culture sont donc ouverts aux œuvres en langue régionale. Il en va de même pour les livres, par le biais du Centre national du livre, et pour l’ensemble des actions du ministère de la culture.

Néanmoins, il faut donner une impulsion. J’enverrai donc une circulaire pour inciter chacune de nos administrations à bien respecter les possibilités offertes en matière de langues régionales.

Quant au fest-noz, monsieur le député Le Fur, il a été inscrit au patrimoine immatériel de l’humanité il y a quelques mois. Nous nous en félicitons tous.

Je terminerai en citant l’Occitan Félix Castan : « La France est politiquement une mais culturellement diverse. » (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Frédéric Lefebvre, pour un rappel au règlement.

M. Frédéric Lefebvre. Mon rappel au règlement porte sur l’organisation de nos travaux.

Vous venez à l’instant, madame la ministre, de proférer une contre-vérité. En 2008, lorsqu’a été débattue l’introduction dans notre Constitution des langues régionales, nous avions bien discuté de la question de la ratification de la Charte. J’ai écouté avec attention le président Urvoas et, pour que les choses soient claires, j’annonce que je voterai ce texte. Mon propos n’est donc absolument pas une critique du texte en lui-même. Simplement il faut rappeler, cela mérite que l’on s’y arrête, chacun le reconnaîtra, y compris le président de la commission des lois, que dans sa décision de 1999, le Conseil constitutionnel a estimé que les trente-neuf engagements acceptés par la France sur les quatre-vingt-dix-huit que compte la Charte sont en réalité parfaitement conformes à notre Constitution. Il fallait simplement y ajouter une mention. Ainsi les langues régionales ont-elles été reconnues dans la Constitution, à la suite d’un amendement déposé par notre ami Marc Le Fur que j’avais eu le bonheur de cosigner, comme éléments de notre patrimoine. D’ailleurs, de mon point de vue, cela témoigne d’une différence d’appréciation très nette avec les arguments développés tout à l’heure par Henri Guaino.

Si je veux m’arrêter un instant sur cette question, c’est que Guy Carcassonne lui-même, pour qui j’avais autant d’amitié que de respect – c’est d’ailleurs avec lui que j’avais rédigé le premier amendement que j’avais défendu en tant que député, à propos de la règle d’or – se demandait si le nouvel article 75-1 de la Constitution rendait possible la ratification française de la Charte.

M. le président. Monsieur Lefebvre, vous avez dépassé le temps de parole autorisé pour un rappel au règlement, d’autant que tout le monde a bien compris que ce n’en est pas vraiment un.

Plusieurs députés du groupe UMP. Mais si !

M. le président. Veuillez conclure à présent.

M. Frédéric Lefebvre. Merci de me laisser quelques secondes pour conclure, c’est important.

À cette question donc, Guy Carcassonne répondait que oui, la ratification est possible, si l’on dresse la liste des engagements que notre pays pourrait souscrire. Or ils ont été listés. Il poursuivait que oui, elle est possible si l’on mesure qu’elle se propose justement de protéger ces langues comme éléments de patrimoine, oui enfin si l’on admet que la Constitution ne parle pas pour ne rien dire, et que son article 75-1 doit donc avoir un sens.

C’est la raison pour laquelle nous aurions pu discuter dans cet hémicycle d’un texte concret sur l’application et sur la ratification de cette charte. Je crois que c’est ce qu’attendaient les parlementaires et, au-delà, tous les défenseurs des langues régionales.

M. le président. Merci…

M. Frédéric Lefebvre. Tel est le regret que je voulais exprimer, en me référant à l’avis éclairé de Guy Carcassonne.

M. le président. Qui ne figure pas dans notre règlement !

Motion de renvoi en commission (suite)

M. le président. Nous en venons aux explications de vote sur la motion de renvoi en commission.

La parole est à M. Paul Molac, au nom du groupe écologiste.

M. Paul Molac. Nous sommes d’accord avec Marc Le Fur : il est nécessaire d’adopter une législation favorable aux langues régionales, qui se trouvent à l’heure actuelle dans la plus grande insécurité. Certains maires sont renvoyés devant le tribunal administratif et cela les fait réfléchir à deux fois avant de s’engager, d’autant qu’ils ne sont pas des spécialistes du droit.

M. Patrick Hetzel. Eh oui !

M. Paul Molac. J’ai bien écouté vos propos. Je crois que nous avons la même envie d’avancer.

M. Claude Sturni. Alors allons-y !

M. Paul Molac. Oui, allons-y, et donc ne renvoyons pas ce texte en commission !

J’entends souvent dire que la gauche a tous les pouvoirs. Eh bien non, la gauche ne peut changer la Constitution sans un nombre important de voix de l’UMP ! Il faut quand même que ce soit clair. Nous n’avons donc pas le pouvoirs de modifier à nous seuls la Constitution. C’est pour cela que vous êtes précieux, mes chers collègues ! (« Merci ! » sur les bancs du groupe UMP.)

M. Patrick Hetzel. Pour une fois ! (Sourires.)

M. Paul Molac. Sachant que votre groupe avait annoncé, dans un premier temps, qu’il ne voterait pas pour cette ratification, le Gouvernement s’était dit qu’il ne mènerait pas ce projet à bien. Nous lui avons alors proposé de laisser l’initiative aux parlementaires. Cette initiative a pris la forme d’une proposition de loi constitutionnelle…

M. Frédéric Lefebvre. Mais je viens de démontrer qu’il n’y a pas besoin de modifier la Constitution pour ratifier la Charte européenne des langues régionales et minoritaires !

M. Paul Molac. …qui permettra de montrer que nous serons capables de rassembler trois cinquièmes des membres du Parlement. Nous sommes là pour discuter de cela, nous sommes tous à peu près d’accord avec cet objectif, alors allons-y ! J’espère bien que nous réunirons les trois cinquièmes des voix au Congrès.

Cette proposition de loi ne compte qu’un seul article. Ce n’est pas la peine de le renvoyer en commission !

M. Thierry Benoit. Bien sûr ! Quelle erreur ce serait !

M. Paul Molac. Nous avons déposé un certain nombre d’amendements. Discutons-les, voyons ce que notre rapporteur et Mme la ministre ont à nous dire pour dissiper les inquiétudes légitimes exprimées par les mouvements de défense des langues régionales. Nous avons déjà attendu quinze ans. Certains disent que l’on peut bien attendre encore un an ou deux mais pour ma part, je pense qu’il faut y aller maintenant. (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste et SRC.)

M. le président. La parole est à M. Paul Giacobbi, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Paul Giacobbi. Mon excellent collègue, camarade et néanmoins ami Marc Le Fur a employé son talent oratoire et son expérience parlementaire pour opposer des arguments, je n’ai pas dit des arguties, à un texte qu’il approuve fondamentalement. En l’écoutant, j’ai savouré la cadence de son exposé, l’harmonie de son propos, la qualité de ses références et, je le dis très amicalement, la perfidie de son procédé : prétendant défendre une proposition de loi, il parvient à l’accabler jusqu’à l’anéantir. (Sourires.)

Je lui répondrai très sommairement. Pour ce qui concerne la procédure, il a parfaitement compris qu’il s’agit d’un débat en quelque sorte indicatif, qui aboutira si un nombre suffisant de parlementaires manifestent leur accord à un projet de révision qui pourrait être soumis au Congrès. Pour ce qui est des restrictions qu’impose le projet, je ne suis pas loin de partager son avis, mais il sera temps d’en parler de manière approfondie lors du débat définitif sur le projet de loi constitutionnel s’il revient en examen à l’Assemblée sous cette forme. Je prends bien note de cette position et de ces analyses, qui me conduisent néanmoins à rejeter cette motion de renvoi en commission. J’en comprends l’habileté, je n’ai pas dit la rouerie (Sourires), mais je n’en partage pas tous les desseins.



En cette soirée de références littéraires, je dirai en un mot que je reconnais la sincérité de Marc Le Fur et que son intervention nous fournit une magnifique illustration de ce mot de Jean Anouilh : « la sincérité est un calcul comme un autre »… Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP, SRC et écologiste.)



M. le président. La parole est à M. André Chassaigne, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. André Chassaigne. Comme chacun d’entre vous s’en doute, l’intervention de Marc Le Fur m’a fortement interpellé. J’ai même des difficultés à comprendre son cheminement.

M. Marc Le Fur. Je peux recommencer, si vous voulez ! (Sourires.)

M. André Chassaigne. Il y a deux hypothèses. Soit cette intervention était calculée, relève d’une sorte de jeu parlementaire.

Plusieurs députés du groupe SRC. Oh ! Non…

M. Patrick Hetzel. Mais non !

M. André Chassaigne. Mais cela serait dévaloriser les langues régionales, ce qui n’est pas envisageable étant donné l’attachement de Marc Le Fur aux langues régionales. On ne peut donc pas penser un instant qu’il s’agit d’un jeu parlementaire.

Plusieurs députés du groupe SRC. Marc Le Fur, jouer avec la procédure parlementaire ? Non, ce n’est pas possible ! (Sourires.)

M. André Chassaigne. Deuxième hypothèse, qui me bouleverserait tout autant : s’il ne s’agit pas d’un jeu parlementaire, Marc Le Fur serait animé par de mauvaises intentions ! Il aurait développé volontairement des arguments controversés pour aggraver la crispation, le clivage entre les parties.

J’ai essayé de comprendre son raisonnement. Marc Le Fur a dit que ce débat devait être serein, puis qu’il ne fallait pas irriter les associations de militants des langues régionales, puis que les langues régionales avaient une place plus ou moins grande selon les régions, puise que le texte qui nous est proposé suffisait pour certaines, mais pas pour d’autres. Après quoi il a développé l’argument selon lequel choisir trente-neuf engagements parmi les quatre-vingt-dix-huit engagements proposés, le minimum étant de trente-cinq, ne suffirait pas. Selon lui, il faudrait en prendre plus. Or ces engagements supplémentaires conduiraient à accorder davantage de droits spécifiques, dans la vie privée ou publique, à des groupes de locuteurs de langues régionales ou minoritaires et il sait bien que cette perspective est controversée, qu’elle susciterait un clivage, qu’elle entraînerait des problèmes inutiles et empêcherait la ratification de cette charte !

En définitive, comme l’a dit M. le rapporteur, l’objectif est de ratifier la Charte. Nous savons qu’il y a des blocages, inutile d’en rajouter ! Vous avez commis une erreur, monsieur Le Fur : des murets nous séparent, et vous voulez en faire des murailles infranchissables. Ce n’est pas bien, monsieur Le Fur. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Anne Chapdelaine, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Je suis députée d’Ille-et-Vilaine, élue d’une circonscription de Bretagne dans laquelle la langue minoritaire ou régionale la plus parlée n’est sans doute pas le breton ni le gallo. La question de savoir s’il faut promouvoir les langues régionales et si oui, comment le faire, pourrait donc paraître assez éloignée des préoccupations des habitants de cette circonscription. Il n’en est rien.

Au contraire, c’est la diversité des origines, des parcours et des mémoires de mes concitoyens qui justifie aujourd’hui mon soutien à cette proposition de loi. Nous pouvons choisir de conserver les langues en bocal et, de temps en temps, nous émerveiller de nos cultures en étagères. Mais une langue est vivante si elle est en liberté, si sa syntaxe se torture, si l’on joue avec plaisir de sa musique et de ses sens. Si on l’enchaîne, et pire, si l’on se contente de la conserver, elle devient savante, s’étiole et se sclérose faute de locuteurs.

Plus nous diminuons le nombre de mots, plus nous diminuons le nombre de concepts. Plus nous laisserons dépérir les langues, plus nous perdrons de profondeur, de richesse, de sens et de capacité à faire vivre nos diversités.

Ce n’est donc pas sur l’objectif de cette charte que nous sommes interrogés, je pense qu’il est partagé par tous. Ce n’est pas non plus sur la capacité de notre République à rester unie dans la diversité, car nous prouvons chaque jour l’unité de notre nation dans le respect de nos principes : égalité, fraternité, liberté et laïcité. Il nous faut en revanche mettre en place des garde-fous pour éviter que la connaissance et la reconnaissance d’une langue ne se transforment en enjeu de pouvoir politique, et en outil d’exclusion potentiel.

M. Thierry Benoit. Très bien !

M. André Chassaigne. Excellent !

Mme Marie-Anne Chapdelaine. La sagesse de cette proposition de loi réside à la fois dans sa brièveté et dans sa capacité à interdire toute tentation d’instrumentalisation nationaliste. Elle précise ainsi que la ratification de la Charte n’entraîne pas de droits séparés pour les locuteurs d’une langue, et réaffirme le principe d’égalité devant la loi de chaque Français ou Française, quel que soit le territoire dans lequel il réside et quelle que soit la langue régionale qu’il pratique. Elle réaffirme que la langue française reste, comme elle l’est depuis l’ordonnance de Villers-Cotterêts, la langue officielle de la vie publique et administrative de la République.

Il ne s’agit pas de se défier des langues régionales et minoritaires. Il s’agit au contraire de se prémunir d’un risque d’inconstitutionnalité. La proposition de renvoyer ce texte en commission me paraît dès lors inutile dans la mesure où nos inquiétudes ont pu être dissipées par ces réserves d’interprétation. C’est donc en républicaine, francophone et élue d’une circonscription bretonne que j’appelle à voter contre cette motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, RRDP et GDR.)

M. le président. La parole est à M. Camille de Rocca Serra, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Camille de Rocca Serra. J’ai suivi, depuis 2008, le travail incessant mené par Marc Le Fur sur cette question. Je peux témoigner qu’il est non seulement sincère et intellectuellement honnête, mais aussi clairvoyant.

J’ai bien relevé que Paul Giacobbi avait avoué quelques inquiétudes quant à la présente proposition de loi. Lui qui est aussi président du conseil exécutif de Corse et qui défend dans ce cadre la co-officialité de la langue corse et du français, ce qui va beaucoup plus loin que ce que je défends moi-même, c’est-à-dire un bilinguisme éclairé et renforcé, a du reste raison de s’inquiéter de la constitutionnalisation de la déclaration interprétative, qui est très limitative.

Le Président de la République peut, au moment de ratifier la Charte, l’assortir d’une déclaration interprétative. Mais l’inscrire dans la Constitution peut poser problème : on ne sait pas quelle jurisprudence le Conseil constitutionnel bâtira sur ce fondement. Prenons l’exemple de la Corse, que nous connaissons bien et qui est aujourd’hui à l’avant-garde pour ce qui est des langues régionales en France. Grâce au précédent gouvernement et à Nicolas Sarkozy, elle dispose d’une chaîne de télévision, appelée ViaStella, qui diffuse plus de treize heures par jour d’émissions en langue corse. Cela sera-t-il toujours possible si nous constitutionnalisons telle quelle cette déclaration interprétative ?

Nous oeuvrons depuis longtemps pour la défense et la promotion du bilinguisme. L’État y participe mais nous voulons aller encore plus loin, pour l’instaurer dans le service public, tous les services publics. C’est bien sur ce point que nous sommes inquiets. Car nous souhaitons, comme vous, ratifier cette charte. Nous nous sommes engagés en 2008 sur ce chemin difficile, souvenez-vous de ces débats. Nous avons continué sur cette voie. Je voulais même aller beaucoup plus loin, avec un amendement beaucoup plus dangereux que ce dont nous débattons aujourd’hui : il visait à inscrire dans la Constitution que le français est la langue de la République, dans le respect des langues régionales qui fondent sa diversité. Je voulais presque soumettre le français aux langues régionales ! Vous voyez que j’allais, dans ma naïveté, beaucoup trop loin.

M. le président. Merci de conclure…

M. Camille de Rocca Serra. Au-delà du problème de procédure, cela fait quinze ans que les associations et les locuteurs de langues régionales attendent ardemment cette ratification. Tous ceux qui vivent passionnément ce fait veulent voir nos langues régionales, les langues de France, non pas contrarier le français, mais vivre, exister, rayonner à côté du français.

Cela serait possible si le Gouvernement s’engageait, avec courage, dès maintenant, à déposer un projet de loi constitutionnel.

M. Guy Geoffroy. Évidemment !

M. Camille de Rocca Serra. Nicolas Sarkozy n’était pas sûr d’obtenir une majorité. Pourtant, il a proposé une grande révision de la Constitution, qui a été adoptée, car le courage est toujours gagnant. Nous sommes donc en faveur du renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Thierry Benoit, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Thierry Benoit. Marc Le Fur a tout naturellement présenté un excellent plaidoyer, car c’est un amoureux de son pays, la France, et de sa région, la Bretagne, attaché à sa culture et à ses traditions. Il s’est attardé sur des aspects procéduraux et a interpellé le Gouvernement sur la question du chemin à suivre pour trouver une solution juridique. Bien sûr, personne n’imagine que le Président de la République va proposer aux Français un référendum sur ce genre de question.

M. Patrick Hetzel. C’est bien le problème !

M. Thierry Benoit. Il faudra donc passer tout naturellement par une révision de la Constitution. À cet égard, ce qui m’importe, je le dis à Mme la ministre et au président et rapporteur de la commission, est que le Gouvernement avance à visage découvert et crée les conditions pour obtenir la majorité des trois cinquièmes. C’est un sujet important.

Je pense que nous allons aujourd’hui franchir une nouvelle étape, relever la ligne d’horizon et faire un pas de plus vers la ratification de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires. Le Gouvernement a maintenant les cartes en main. Le groupe UDI, qui a déposé une proposition de loi constitutionnelle similaire, propose donc de voter cette proposition de loi.

Paul Féval, écrivain breton d’Ille-et-Vilaine, disait que les deux langues de Bretagne, le breton et le gallo, étaient des bijoux. Or, les bijoux n’ont pas de prix. Nous allons donc travailler à préserver et à protéger ces bijoux que sont nos langues régionales et minoritaires en votant dès que possible cette proposition de loi. En conséquence, le groupe UDI va voter contre la proposition de renvoi en commission de mon cher collègue Marc Le Fur.

M. Claude Sturni. Dommage !

(La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n’est pas adoptée.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Thierry Benoit.

M. Thierry Benoit. C’est parce que j’étais pressé d’en venir à cette discussion générale que j’ai voulu rejeter la motion de renvoi en commission ! (Sourires.)

Quinze ans après la signature par la France de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires, nous avons aujourd’hui dans cet hémicycle un rendez-vous important, qui intervient après un long processus, de la signature de la Charte en 1999 à la révision constitutionnelle de 2008, jalonné de nombreuses étapes et souvent freiné par des obstacles juridiques.

Avec cette proposition de loi, nous franchissons un pas de plus. Nous sommes l’un des derniers pays signataires à ne pas avoir ratifié cette charte, et l’engagement qu’a pris la France en 1999 demeurera lettre morte tant que nous n’aurons pas procédé à cette ratification. Cette étape est donc essentielle si nous voulons faire vivre et appliquer la charte adoptée à Strasbourg le 5 novembre 1992.

Convaincu de la nécessité de protéger les langues régionales et minoritaires et de favoriser le droit pour chacun de les pratiquer, j’ai déposé, avec mes collègues du groupe UDI, une proposition de loi en ce sens. Je note avec satisfaction qu’il s’agit d’un sujet transpartisan : bon nombre de mes collègues, de tous les groupes, ont déposé des textes quasiment identiques. Il est bon que, sur des sujets comme celui-ci, nous puissions dépasser les clivages politiques et nous rassembler, de part et d’autre de l’hémicycle.

Si les députés du groupe UDI, comme avant eux ceux de l’UDF, défendent avec conviction la ratification de cette charte, c’est avant tout parce qu’il sont des Européens convaincus. Nous ne concevons pas l’Europe autrement que comme une Europe des peuples, une Europe qui favorise le dialogue, les échanges, la communication entre les citoyens qui la composent ; une Europe vivante et qui s’enrichit de sa diversité.

En effet, il s’agit là de préserver, de faire fructifier ces trésors que sont les langues dites régionales, issues du patrimoine culturel oral immatériel de notre pays. Et qui dit dialogue, qui dit échanges et communication, dit nécessairement reconnaissance et promotion des diverses langues régionales et minoritaires parlées par nos concitoyens en tout point du territoire, en métropole et bien sûr outre-mer.

Les langues régionales et minoritaires sont étroitement liées à une histoire, à des traditions, à un passé : celui de la France, de ses provinces, de ses régions et de ses habitants. Elles sont en cela une richesse pour la France et un trésor pour l’Europe, que nous devons faire prospérer. Aux côtés du socle de nos valeurs républicaines, il y a l’histoire, que nous devons à tout prix préserver. Aussi, laisser à l’abandon des langues, menacées de disparaître, ce serait délaisser notre propre histoire.

J’entends bien les interrogations, légitimes, de ceux qui craignent que cette ratification ne préfigure le délitement de la République et ne nuise à son unité. J’entends ceux qui fondent leurs réticences sur les incertitudes juridiques, nous en avons parlé, qui entourent ce processus de ratification.

Il est clair que la tradition jacobine de notre République et les valeurs d’unité qui l’animent peuvent rencontrer des réticences et des résistances. Mais je crois que les propos du président et rapporteur de la commission des lois ainsi que de Mme la ministre sont de nature à nous rassurer.

Dans sa décision, le Conseil constitutionnel a considéré que les « droits spécifiques » que confère la Charte « à des groupes de locuteurs de langues régionales et minoritaires, à l’intérieur de territoires dans lesquels ces langues sont pratiquées, sont des dispositions qui se heurtent aux principes constitutionnels d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi et d’unicité du peuple français. Par voie de conséquence, une loi simple qui définirait un statut des langues régionales pourrait encourir le même reproche d’inconstitutionnalité si elle était déférée au Conseil constitutionnel. Nous devons donc réviser la Constitution.

Évidemment, les partisans de la ratification de la Charte n’ont aucune intention de remettre en cause l’usage de la langue française, que l’article 2 de la Constitution décrit comme la langue de la République. Il s’agit d’enrichir, de faire vivre et de préserver les langues régionales, que la Constitution décrit depuis 2008 comme partie intégrante de notre patrimoine.

Rappelons par ailleurs que la France ne s’est engagée qu’à appliquer trente-neuf des quatre-vingt-dix-huit engagements que prévoit la Charte et que ces trente-neuf engagements ont été déclarés conformes à la Constitution par la décision du Conseil constitutionnel de 1999. Aucun risque, donc, de se voir imposer, par exemple, une langue régionale dans un procès.

Quant à la rédaction de l’article unique, elle fait débat entre nous. Pour ma part, je considère que la mention explicite des deux premiers points de la déclaration interprétative déposée lors de la signature de la Charte, qui font clairement référence au principe d’égalité des citoyens et à l’article 2 de la Constitution, est un garde-fou supplémentaire. En outre, cette rédaction prend en compte les recommandations du Conseil d’État. En la retenant, je ne doute pas que vous ayez choisi la voie la plus simple et la plus respectueuse de notre Constitution.

Les mouvements sociaux qui se sont produits en Bretagne ces dernières semaines ont fait ressurgir un certain sentiment de défiance à l’égard du pouvoir central. Néanmoins, observons que si ces régions attendent davantage de reconnaissance et la mise en œuvre d’une véritable politique de décentralisation, elles demeurent quoi qu’il en soit profondément attachées au pouvoir central, loyales et légitimistes envers l’État républicain. C’est la preuve que la reconnaissance des régions et, à travers elles, la reconnaissance des langues qui font leur spécificité et qui les rendent uniques n’est en rien incompatible avec la République.

Je souhaiterais néanmoins faire une remarque personnelle. Ainsi que nous l’avons évoqué en commission, l’adoption d’une proposition de loi constitutionnelle pose problème, puisqu’elle implique le recours au référendum. Or, je n’imagine pas que le Président convoque un référendum sur cette question.

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Vous avez raison !

M. Thierry Benoit. Vous allez donc devoir inévitablement, madame la ministre, dévoiler vos réelles intentions sur le sujet. Nous avons besoin de savoir comment les choses évolueront et quelles suites vous entendez donner à cette affaire, pour la faire aboutir dans les meilleurs délais.

En effet, depuis vingt mois, le moins que l’on puisse dire est que la clarté n’est pas le maître mot de l’action du Gouvernement. C’est plutôt la cacophonie et la confusion qui règnent sur l’ensemble des sujets, qu’ils soient sociétaux ou économiques.

M. Jacques Myard. Oh, l’insolent !

M. Thierry Benoit. Récemment, nous avons pu voir que, s’agissant de la réforme territoriale, le Gouvernement a grand-peine à définir une feuille de route claire et précise. À la veille d’une rénovation de nos institutions territoriales, le redécoupage de notre territoire doit s’appuyer sur l’histoire de notre pays. C’est là le sens de mon action en faveur de la réunification des cinq départements de notre Bretagne historique.

Alors, madame le ministre, au moins sur le sujet des langues régionales et minoritaires, faites en sorte d’avancer à visage découvert et d’éclairer la représentation nationale et l’ensemble de nos concitoyens sur vos projets en la matière.

En conclusion, vous l’aurez compris, le groupe UDI votera avec enthousiasme en faveur de cette proposition de loi constitutionnelle, qui reconnaît la richesse de la République dans la diversité des langues régionales et minoritaires qui la composent. Défendre les langues régionales, c’est avant tout défendre un héritage que nous avons reçu des générations qui nous ont précédées, et que nous devons transmettre à notre tour à nos enfants.

Puisqu’il me reste du temps, je vais vous lire quelques lignes d’une professeur agrégée de lettres à l’université de Rennes 2. Ainsi, vous verrez ce qu’est le gallo, madame la ministre.

« Cez nous j’caousons pas comme âillous

J’ons des mots doux ou picotous

Qui guezonnent ou qui guerzillonnent

Ou qui subèlent comme les jieunes mèlles

J’ons des mots à délier le pillot

Qui saoutent des djedaïnes en sabots

D’aoutres qui d’varinent, qui mandolinent

Comme la faeuilletline dans la rabine » (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI et sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Bravo !

M. Thierry Benoit. Je traduis : « Chez nous, je ne parle pas comme ailleurs. J’ai des mots doux ou piquants, qui grondent ou chantent le grillon, ou qui sifflent comme de jeunes merles. Ce sont des mots à délier la langue, qui sautent de guédenne en sabots, d’autres qui flânent et qui bruissent, comme les feuilles dans les allées. » C’est de Mme Jacqueline Rebours, professeur agrégée de lettres à l’université de Rennes 2, Ille-et-Vilaine, Bretagne. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Très bien !

M. Jacques Myard. C’est bien la preuve qu’il n’est pas besoin de ratifier la Charte pour parler gallo !

M. le président. La parole est à M. Paul Molac.

M. Paul Molac. Voilà que je ne sais plus vraiment comment m’adresser à vous, puisque j’ai la particularité d’être bilingue, étant originaire de la zone mixte de Bretagne, celle qui parle gallo et qui parlait encore le breton il n’y a pas si longtemps. Bilingue dès la naissance donc, si je puis dire, trilingue avec la République… J’espère que cela ne fait pas de moi un monstre et que je ne vous fais pas peur, étant de ces bêtes bizarres qui possèdent en eux-mêmes plusieurs langues. D’ailleurs, quand j’entends que les langues sont dangereuses, je n’y crois guère ! (Sourires et applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Cela fait maintenant près de quinze ans que nous attendions une telle initiative. Je remercie donc le Premier ministre et notre excellent collègue Jean-Jacques Urvoas. Je sais que, sur tous les bancs de notre assemblée, de nombreux députés, issus de tous les territoires de la République, sont attachés à ces langues régionales qui constituent non seulement notre patrimoine, mais aussi notre essence par certains aspects.

La France est très riche, car elle possède soixante-quinze langues. Au sein même de la métropole, trois familles indoeuropéennes différentes coexistent, latine, germanique et celte, auxquelles s’ajoute le basque. Sans compter les outre-mer, avec les langues polynésiennes et mélanésiennes, le Hmong…

Bref, la France est un paradis pour les linguistiques. Les Français ne s’en sont malheureusement pas aperçus. C’est ainsi ! Cette diversité linguistique a plutôt eu tendance à être reniée, voire combattue. Aujourd’hui encore, la France est l’un des rares pays à ne pas reconnaître ses langues, à ne pas les protéger par une législation. Notre cadre légal a oscillé de la franche hostilité, il faut bien le dire, à une toute timide reconnaissance, très encadrée par les cours souveraines, dont la jurisprudence est plutôt négative.

On remonte souvent fort loin, on nous cite l’édit de Villers-Cotterêts, qui serait l’acte fondateur du français. Mais je suis désolé : l’ordonnance imposait de se servir du « langage maternel français », et il y en avait plusieurs dans le royaume. Les Occitans ont ainsi continué à se servir de l’occitan comme langue écrite et langue d’administration, langue du Parlement de Bordeaux, de celui de Toulouse. Même au Pays basque, la langue écrite n’était pas le basque, mais l’occitan.

C’est véritablement sous la Révolution française que cela a commencé à se gâter, et l’abbé Grégoire a déjà été évoqué. On connaît la célèbre tirade : « Le fédéralisme et la superstition parlent bas-breton ; l’émigration et la haine de la République parlent allemand ; la contre-révolution parle l’italien et le fanatisme parle basque. Cassons ces instruments de dommage et d’erreurs ».

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Hélas !

M. Paul Molac. Nous voyons bien là le projet révolutionnaire : une seule langue pour tout le monde et ainsi le monde aura sa fin. Nous pouvons comprendre qu’une période troublée de notre histoire pousse à se montrer quelque peu extrême. Malheureusement, aux XIXet au XXsiècles, cela a continué. Ainsi, les préfets qui accueillaient les nouveaux promus de l’École normale leur enjoignaient de se souvenir qu’ils n’étaient en place que pour tuer la langue bretonne. Et cela a duré jusque dans les années soixante !

Se posait donc un léger problème entre la République et une partie de ses citoyens, et nous connaissons un certain nombre d’affaires récentes du même ordre. Je citerai évidemment le livret de famille bilingue de Carhaix : cela ne pose aucun problème dans un bon nombre de pays en Europe, mais dans notre pays, il faudrait établir deux livrets, un en français et un en breton, et tout remplir deux fois au lieu d’une seule ! Sans doute est-ce cela, la simplification administrative !

C’est ce genre de chose que l’on nous refuse. L’application de l’article 2 de la Constitution est parfois assez restrictive. L’administration interprète, voire surinterprète les décisions du Conseil constitutionnel en les durcissant et il est courant que des fonctionnaires par trop zélés en déduisent que l’on ne peut utiliser que le français. Ils sapent le travail des élus locaux, nous l’avons déjà évoqué. Je ne résiste d’ailleurs pas à la tentation de vous citer la prose d’un recteur dans une lettre du 3 octobre 2013, répondant à une sollicitation du conseil régional de Bretagne qui propose d’inscrire la devise de la République sur les frontons des lycées en breton et en français : « Liberté, égalité, fraternité », « Frankiz, Kavatalded, Breudeuriezh ». Il estime ainsi que « la proclamation de la devise de la République, qui contribue à l’affirmation de l’identité nationale, ne peut être faite dans une autre langue que celle de la République. »

M. Jacques Myard. Bravo !

M. Paul Molac. Mais cela signifie exactement la même chose, que ce soit rédigé en breton ou en français !

M. Jacques Myard. Non, parce que c’est une langue commune !

M. Paul Molac. Quel est le problème ? C’est qu’on lie, et M. Myard nous y a invités, nationalité et langue.

M. Jacques Myard. Citoyenneté et langue !

M. Paul Molac. L’égalité ne passe évidemment pas par l’unicité culturelle et la langue française. Revenons-en à l’esprit du contrat social : les hommes se rassemblent pour gouverner en dehors de toute appartenance religieuse, culturelle et ethnique. Hélas, chez nous, la notion de République est ethnicisée : on la fait coïncider avec la langue française qui n’est autre qu’un marqueur de l’ethnie française. Cela détourne totalement l’idée de République. On peut même se demander, comme le faisait le très regretté Guy Carcassonne,…

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Encore !

M. Paul Molac. …si la République a besoin d’une langue !

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Quel talent, ce Carcassonne !

M. Paul Molac. Surtout, les valeurs universelles contenues dans la devise de la République peuvent s’exprimer, et c’est heureux, dans toutes les langues du monde. L’esprit des Lumières nous a appris que certaines valeurs universelles nous lient, au-delà de notre appartenance ethnique, nationale et culturelle, au reste de l’humanité. La défense de la diversité, la reconnaissance de l’égale dignité des cultures et des langues sont des valeurs universelles que la France se doit de prendre en compte. On notera ainsi fort à propos que le monolinguisme français, bien qu’il soit la règle, n’empêche pas la progression de la langue anglaise.

En effet, comme le rappelle Michel Guillou, qui n’est autre que le président du Réseau international des Chaires Senghor de la Francophonie, le multilinguisme est à la démocratie culturelle ce que le multipartisme est à la démocratie politique. Le pluriel linguistique croît rapidement. Le multilinguisme est moderne. La langue unique est un concept maintenant dépassé. La langue française doit lier son destin à l’essor du multilinguisme, préalable au maintien de la diversité culturelle dont elle est un des fers de lance. En militant pour le multilinguisme du local à l’international et en France même, on assurera la pérennité de la langue française en trouvant là un des fondements de son attrait comme grande langue internationale et un moteur de son rayonnement.

Dans tout ce propos, on constate que les langues régionales, loin d’être un combat d’arrière-garde, permettent une meilleure appréhension du monde globalisé et de lutter contre l’uniformisation tout en valorisant la langue française.

On pourra d’ailleurs se demander si la France peut continuer, comme elle le fait depuis trop longtemps, à défendre avec ardeur chez les autres le français lorsqu’il est une langue minoritaire et à rejeter quasi systématiquement ces mêmes langues minoritaires sur son propre sol. Au nom de quel raisonnement spécieux la protection des langues serait-elle une vertu au Canada, en particulier au Québec, et une atteinte à la nation et un appel au communautarisme dans notre pays ?

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Eh oui !

M. Paul Molac. Néanmoins, même en France, les mentalités évoluent. Nous nous acheminons vers une timide reconnaissance. L’article 75-1 de la Constitution et l’article 40 de la loi sur la refondation de l’école ont été cités en ce sens, même si l’introduction de la mention du français comme langue de la République dans l’article 2 de la Constitution, censé lutter contre la pénétration de l’anglais, quand bien même il le pourrait, sert en fait au Conseil constitutionnel à élaborer une jurisprudence visant à limiter toute avancée pour les langues régionales. Il a fallu d’ailleurs introduire un article 21 dans la loi Toubon de 1994 pour que cette loi pour la défense du français ne se retourne pas contre les langues régionales.

Encore récemment, dans un avis rendu l’année dernière, le Conseil d’État estime que la Charte porterait atteinte à tout ce qui fonde le pacte social et serait contraire à l’essence même de la République française. Selon lui, ratifier la Charte reviendrait alors à détruire le régime constitutionnel français, alors qu’il estimait lui-même que les engagements choisis par la France se bornent pour la plupart à reconnaître des pratiques déjà mises en œuvre.

Les circonvolutions juridiques utilisées cachent bien mal la lutte acharnée que mènent ces institutions conservatrices contre les langues régionales. Il convient donc de reconnaître que ces dernières restent dans une grande insécurité juridique. Leur développement et leur transmission sont gravement entravés par cette absence de droit positif. Leur pérennité et leur existence même ne peuvent être assurées que dans un cadre législatif positif. La ratification de la Charte est-elle un moyen de cette normalisation linguistique ? On peut raisonnablement le penser, même si une large partie des mesures sélectionnées par la France est déjà mise en œuvre.

Il convient en effet de ne pas fantasmer, dans un sens ou dans l’autre, sur la portée de cette charte. Elle ne permettra pas une explosion de l’usage des langues régionales, mais sera un corpus juridique sur lequel s’appuyer pour avancer dans une future loi-cadre sur les langues régionales. De même, elle n’imposera pas les langues régionales dans l’enseignement ou l’administration, comme voudraient le faire croire certains agitateurs de droite ou de gauche. Ces dispositions n’ont pas été retenues par la France.

Certaines interrogations ou craintes sont toutefois suscitées par la rédaction actuelle du texte, notamment en ce qui concerne la constitutionnalité de l’interdiction de l’usage des langues régionales dans les administrations et services publics, alors qu’elles sont déjà utilisées au quotidien dans bon nombre d’entre elles, notamment dans les régions d’outre-mer. Ainsi, qu’en est-il du service public de France 3 ? J’ai déposé des amendements sur le sujet, j’aurai l’occasion d’y revenir.

Pourquoi ratifier la Charte ?

M. Marc Le Fur. Nous posons les mêmes questions !

M. Paul Molac. Ce débat en lui-même devrait être bénéfique. Parler des langues régionales au Parlement n’est jamais anodin. Adopter la Charte permettra aussi de faire évoluer les mentalités sur la compatibilité de notre République avec les langues régionales et de l’opposer aux petits chefs de l’administration dont j’ai mentionné l’action négative. Mais il ne suffit pas de faire évoluer les mentalités, il faut faire évoluer le droit. Nous avons besoin d’une assise constitutionnelle. Ratifier la Charte, c’est le premier pas vers une loi-cadre sur les langues régionales. Si le vote du Parlement est suffisamment massif, c’est un encouragement que le Gouvernement devra prendre en compte pour avancer encore davantage sur le sujet. Il y a en effet de nombreux domaines, dans la signalétique, l’enseignement, les médias, la culture, où pratiquement rien n’existe. Cette absence de législation nuit aux langues régionales et avantage ceux qui veulent leur disparition.

Je conclurai avec une poétesse qui a appris à écrire le breton toute seule, puisque ce n’est malheureusement pas à l’école qu’elle aurait pu le faire, qui est restée paysanne, seule dans sa ferme, et a écrit des cahiers comme Elvira par exemple l’a fait en Amérique centrale : « Met’drokfen ket evit teñzorioù. Va Bro, va Yezh ha va Frankiz ». Autrement dit, « Mais je n’échangerais contre nul trésor mon pays, ma langue et ma liberté ». (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, RRDP et UDI.)

M. Thierry Benoit. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Paul Giacobbi.

M. Paul Giacobbi. N’est-il pas malheureux que nous soyons contraints, ce soir, d’organiser un tel débat afin de rendre possible constitutionnellement l’adoption de dispositions qui ne posent guère de difficultés partout ailleurs Europe, à quelques exceptions près, dont la Turquie, et qui font d’ailleurs l’objet dans le monde entier, en tout cas dans le monde démocratique, d’un très large consensus ?

Depuis vingt ans, à l’encontre de ce qui devrait aller de soi, à savoir la reconnaissance du droit de s’exprimer librement dans la langue de ses ancêtres, ou dans celle que l’on a apprise au berceau, ou encore dans celle qui est de tradition dans la région où l’on vit, l’on a vu s’exprimer dans une grande confusion révélatrice d’abîmes d’ignorance trois catégories d’arguments qui s’apparentent respectivement au droit, à la linguistique et au fantasme.

S’agissant du droit, la compatibilité de la ratification par la France de la Charte européenne des langues minoritaires avec la Constitution a été analysée de manière magistrale, voici déjà longtemps, cela a été précisé, par la doctrine, et en particulier, certains l’ont cité, par le regretté professeur Guy Carcassonne. Cette ratification serait possible dans le cadre constitutionnel actuel dans les limites de la déclaration interprétative faite par la France et en tenant compte également de la révision de la Constitution adoptée grâce au vote de votre serviteur et de quelques autres de ses amis.

M. Marc Le Fur. Tout à fait !

M. Paul Giacobbi. Le Conseil constitutionnel en a décidé autrement. A-t-il dit le droit ou fait de la politique ? C’est une question que l’on peut se poser, mais à laquelle nous n’avons pas à répondre ici. Nous prenons donc acte de cette décision en termes de procédure. Nous en tirons les conséquences.

Par ailleurs, l’histoire du droit français et du rapport entre l’État et les langues, y compris sous la Révolution française, comme cela a été précisé tout à l’heure, va à l’encontre des idées reçues. L’ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539 ne reconnaît pas une langue française unique pour les actes officiels, mais prévoit simplement que l’on devra utiliser pour ces actes le bon langage français, c’est-à-dire celui qui était pratiqué et entendu au lieu de l’acte, par différence avec le latin. En effet, personne, à l’époque ne considérait que le français était une langue. C’était une série de langages. Ce serait un véritable anachronisme que d’affirmer cela. On entendait la langue comme étant le latin. Le français était un parler, une corruption de la vraie langue.

Refusons, par conséquent, cet anachronisme : si l’on voulait, à l’époque, que chacun entende le texte de l’acte officiel, il ne fallait pas l’exprimer dans un français ultra-minoritaire, qui n’était entendu que par 5 à 10 % de la population, et encore ! La Révolution française, dans le même souci de pragmatisme et d’efficacité, et cela a été également souligné, a décidé que chaque citoyen devait entendre bien les lois de la République et que, pour ce faire, elles devaient être traduites dans les langues de France.

Cela s’est fait pendant plusieurs années et cela a parfois continué à se faire, en dépit de l’abbé Grégoire, dans différentes provinces. En Corse par exemple, le bilinguisme des actes officiels a persisté jusqu’au Second Empire. En effet, lorsqu’un préfet envoyait en Corse une circulaire rédigée en français, il n’y avait pas la moitié des maires qui parvenait à la comprendre ! Par conséquent, il fallait l’écrire en français et en italien. Il a fallu le traité de Maastricht pour que la Constitution donne effectivement le privilège de l’officialité à la langue française. À l’époque d’ailleurs, on a dit qu’il n’y avait pas d’objection. On en a trouvé ensuite de toutes sortes pour les langues régionales…

Par ailleurs, la Constitution a donné aux autres langues de France une reconnaissance et une valeur patrimoniale comme si celles-ci, désormais privées de toute fonction officielle, ne pouvaient subsister, pour ne pas dire être protégées, qu’à titre de monuments historiques, de vestiges d’un passé qui doit être conservé sans qu’il soit permis de le faire revivre. M. Guaino a évoqué l’Europe féodale, expliquant que, hors du bénéfice des lois françaises, on vivait dans la féodalité. C’est un point de vue. Ainsi, le château médiéval fortifié est aujourd’hui conservé par les bons soins de vos services, madame la ministre, mais il est interdit de l’utiliser dans sa fonction primitive, militaire. Il en est de même pour les langues régionales : vous devez les conserver, car c’est un élément du patrimoine, mais gardez-vous bien de les utiliser, notamment dans la vie publique !

Nous ne pouvons pas accepter un tel déni. La Charte européenne des langues minoritaires fait simplement obligation à ceux qui la ratifient d’admettre une liberté et une diversité linguistique que le monde libre et démocratique considère partout comme un droit fondamental.

J’ai d’ailleurs souvent rappelé ce paradoxe selon lequel notre diplomatie, pourtant républicaine, je crois, défend avec vigueur et parfois avec arrogance ce droit fondamental, rappelant sans cesse par exemple à la République populaire de Chine, du moins quand nous n’avons pas trop de choses à lui vendre, qu’elle se doit de respecter la liberté linguistique des Tibétains au Tibet. La diplomatie chinoise, parfois exaspérée, a d’ailleurs fini par demander si elle devait aller en Corse – ils auraient pu parler de la Bretagne, mais ils ont choisi la Corse, ce qui est particulièrement malgrâcieux (Sourires) – pour dire qu’il faut rendre officielle la langue corse !

M. Jacques Myard. Le parallèle est douteux !

M. Paul Giacobbi. Sur le plan linguistique, je décline toute compétence scientifique et me bornerai à faire référence aux bons auteurs, de Georges Dumézil à Claude Hagège, sur la diversité linguistique dans laquelle notre monde vit encore – de moins en moins d’ailleurs car il y a un effondrement de la pratique de toutes ces langues. Je voudrais combattre par la simple référence littéraire cette idée absurde selon laquelle l’être humain ne serait capable de s’exprimer que dans une seule langue et seulement dans celle qu’il aurait apprise dès sa naissance et dont il serait locuteur de compétence native, comme disent les linguistes qui, étant linguistes, veulent utiliser un vocabulaire incompréhensible.

Je pourrais vous citer comme une litanie tous les académiciens français du présent ou du passé qui ne sont pas francophones de naissance. Il arrive même que certains parlent le français, ce qui est relativement rare dans nos académies ! Je pourrais vous parler des œuvres de Joseph Conrad, qui sont d’excellents exemples de littérature anglaise alors que l’auteur n’a appris l’anglais que sur le tard, n’a commencé à le maîtriser que vers vingt ans et est mort avec un accent toujours épouvantable. Je pourrais vous dire que Michel de Montaigne n’a commencé à apprendre le français, ainsi d’ailleurs que le périgourdin, qu’à l’âge de sept ans, ce qui ne l’a pas, je crois, empêché d’être dans notre langue un immense écrivain, tandis que les passages du Journal du voyage en Italie, écrit en italien, témoignent de sa maîtrise, relative mais tout de même réelle, d’une langue apprise plus tardivement encore. Je suggère aussi à ceux qui s’intéressent au français littéraire de relire Villon, dont les poèmes sont écrits suivant les cas dans le français de son temps, dans le vieux langage français ou dans l’argot inintelligible de la bande de voyous à laquelle il appartenait, les Coquillards.

La diversité linguistique est inséparable de la littérature française. La curiosité pour les parlers différents a toujours été l’un des ressorts d’expression de nos plus grands écrivains, de Victor Hugo à George Sand, de Rabelais à Proust, et il nous faut donc bien admettre que la France est littérairement riche de la diversité des racines linguistiques du français, latine, germanique et celtique, et de l’ensemble des langues de France et des parlers de France, qui vont bien au-delà des langues régionales, et qu’il n’existe aucun inconvénient, en tout cas d’ordre littéraire et linguistique, à cette diversité.

Reste la dernière catégorie d’arguments, qui consiste à faire planer au-dessus de ce débat, presque de cet hémicycle, je ne sais quel fantôme de l’éclatement de la République ou de la généralisation d’un communautarisme par le simple fait d’autoriser les Français à parler concurremment plusieurs langues, comme le font chaque jour la plupart des Européens, la quasi-totalité des Indiens ou bien des citoyens des États-Unis d’Amérique…

M. Jacques Myard. Il nous traite d’Indiens maintenant !

M. Paul Giacobbi. …sans pour autant que leurs pays explosent.

Seule une analyse psychologique ou individuelle pourrait nous dire si ce discours, ou ce fantasme, résulte de traumatismes précoces ou d’une évolution paranoïde ultérieure du sujet. C’est en tout cas une question de diagnostic et de traitement individuel, en espérant que cela se soigne, qui ne saurait être évoquée dans cette assemblée.

Les langues de France ne menacent personne, surtout pas la République,…

M. Patrick Hetzel. Très juste !

M. Paul Giacobbi. …certainement pas la volonté de vivre ensemble, moins encore la créativité des lettres françaises. Je réclame le droit d’être Français, comme M. Urvoas, comme Paul Molac et tant d’autres, tout en m’exprimant parfois dans des langues étrangères. Je réfute l’idée que quelqu’un qui voudrait pratiquer une langue régionale ne serait pas un bon Français. Je suis fils, petit-fils, arrière-petit-fils de gens qui étaient d’excellents Français et s’exprimaient malgré tout en plusieurs langues.

La vérité est que les langues de France se meurent mais qu’il est peut-être encore temps, sinon de les sauver tout à fait, du moins d’en préserver l’essentiel pour leur donner encore quelques perspectives.

M. le président. Je vous prie de conclure, monsieur Giacobbi.

M. Paul Giacobbi. Nous savons tous que nous sommes dans un exercice indicatif qui doit permettre en définitive au Gouvernement d’examiner l’état, si j’ose dire, des forces en présence. Nous verrons bien si le débat démontre qu’une majorité constitutionnelle est possible, tant ici qu’au Sénat.

C’est un débat animé, vif, contradictoire. Il n’y a cependant ni querelle linguistique ni guerre des langues. Il ne saurait y avoir de querelle hégémonique dans un monde qui, aujourd’hui plus encore peut-être que par le passé, reste largement dominé par le plurilinguisme, tant il est vrai que la diversité linguistique est l’une des formes les plus heureuses de la tolérance et de l’enrichissement mutuel des cultures. (Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP et SRC.)

M. le président. La parole est à M. Alfred Marie-Jeanne.

M. Alfred Marie-Jeanne. Depuis des temps immémoriaux, les langues n’ont cessé d’évoluer, passant par exemple du baragouin, jugé inintelligible à l’époque, à celles d’aujourd’hui, réputées les plus sophistiquées. Pou mwen tout lang sé lang.

Chemin faisant, certaines sont considérées comme mortes, pendant que d’autres agonisent. Pour ne pas connaître le même sort, les patois d’hier ont trouvé d’ardents défenseurs, qui les ont codifiés en s’ingéniant à leur trouver une graphie et une grammaire. Nombre d’entre eux ont obtenu droit de cité ou sont devenus langues officielles dans maints États du monde, dans maints États d’Europe.

Pour ne pas être en reste, l’Europe s’est métamorphosée en créant une charte portant son nom, la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, adoptée le 5 novembre 1992 et signée le 7 mai 1999.

Depuis, la France tergiverse, cherchant absolument à savoir si ce traité est compatible avec la Constitution. Ce casse-tête juridique s’explique par le fait que cette charte audacieuse reconnaît à chaque personne un droit imprescriptible de pratiquer une langue régionale ou minoritaire dans la vie privée et publique.

Ce pavé jeté dans les méandres de la Constitution sème donc le trouble. Pour en sortir, le gouvernement de Lionel Jospin saisit le Conseil constitutionnel, à la suite du rapport du professeur de droit constitutionnel Guy Carcassonne. Dans sa séance du 15 mai 1999, le Conseil constitutionnel juge que la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires comporte des clauses contraires à la Constitution. La Charte n’est donc pas ratifiée. Entre-temps, la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 crée l’article 75-1 affirmant que les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France. Ce patrimoine est-il destiné au musée des langues ? En tout cas, la Charte n’est toujours pas ratifiée.

De nouveau saisi, cette fois-ci par le Conseil d’État le 21 mars 2011 sur une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel répond le 19 mai 2011 que l’article 75-1 de la Constitution n’institue pas un droit ou une liberté que la Constitution garantit. C’est une véritable sentence ! Pour couronner le tout, la proposition de loi constitutionnelle pour la ratification instaure un article 53-3 prévoyant que la République peut ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Ce « peut » paraît peu. Citez-moi un pays démembré à cause de la ratification de la Charte !

En conclusion, la France aurait-elle oublié l’apport des écrivains ayant illustré la langue française par leurs vocables rares, leurs métaphores novatrices, leurs imaginaires débordants ? Puis-je citer Frantz Fanon, Aimé Césaire, Édouard Glissant, originaires de Martinique, Léon-Gontran Damas, de la Guyane, René Depestre, d’Haïti, Maryse Condé, Saint-John Perse, de Guadeloupe ? Ce dernier a reçu le prix Nobel de littérature en 1960. Tous étaient issus du monde créolophone.

Puis-je citer encore Léopold Sedar Senghor, l’Africain devenu agrégé de grammaire, puis membre de l’Académie des sciences morales et politiques, puis membre de l’Académie française, qui connaissait toutes les langues des tribus d’Afrique ? Puis-je citer enfin Derek Walcott, prix Nobel de littérature en 1992, né à Sainte-Lucie, tout près de la Martinique, pays créolophone de la Caraïbe ? Je m’arrêterai avant de nombreux autres à talent reconnu.

Ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires sans la dérobade de la déclaration interprétative eût été de bon aloi. C’est ainsi que nous pourrons valoriser pleinement des langues qui ont tant contribué à vivifier et à magnifier le français lui-même, qui a été un accident de l’Histoire. Le rappeler, c’est aussi pour moi l’honorer.

M. Jacques Myard. Bravo, camarade !

M. Alfred Marie-Jeanne. Tout lang sé lang, mwen kay voté, pou ba yo tout, an pal. Mesi an pil, mési an chay. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur de nombreux bancs du groupe SRC.)

M. André Chassaigne. Excellent !

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Le Borgn’.

M. Pierre-Yves Le Borgn’. C’est avec émotion que je prends la parole dans notre débat sur la proposition de loi constitutionnelle autorisant la ratification par la France de la Charte européenne des langues régionales. Je pense au souvenir aimant de mes quatre grands-parents, dont la langue maternelle était le breton.

M. Thierry Benoit. Très bien !

M. Jacques Myard. Nous sommes cernés par les Bretons ! (Sourires.)

M. Pierre-Yves Le Borgn’. Cette langue était leur histoire, leur identité. Elle était leur bonheur et aussi leur passion, comme finalement pour tant d’autres, enfants de France, enfants de la République, témoins et acteurs de la pluralité culturelle de notre pays. Les langues de France sont une incroyable richesse, un merveilleux atout dans le combat universel que nous menons pour la diversité culturelle. Et pourtant, nous nous en défions, tout à la crainte que leur simple pratique, sans même parler de leur développement, vienne mettre à mal l’unité de la République et conduise la France à la dislocation.

Voilà plus de vingt ans qu’a été adoptée à Strasbourg la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, quinze ans qu’elle a été signée par le gouvernement de Lionel Jospin, et presque autant de temps que la représentation nationale espère pouvoir un jour la ratifier. Dans l’intervalle, vingt-cinq États membres du Conseil de l’Europe ont achevé paisiblement, sans drame, leur processus de ratification. Aucun n’a vu sa structure institutionnelle, administrative ou politique menacée de quelque manière que ce soit par l’entrée en vigueur de la Charte. Au contraire, et je prendrai ici un exemple de ma circonscription d’Europe centrale, la consécration des dispositions de la Charte a permis aux locuteurs danois en Allemagne de bénéficier des droits culturels et linguistiques qu’ils attendaient. Tout comme les locuteurs frisons, sorabes, romanis ou bas-allemands.

Je ne peux comprendre l’irréductible hostilité du Conseil d’État et du Conseil constitutionnel à cette ratification…

M. Thierry Benoit. Très bien !

M. Pierre-Yves Le Borgn’. …car il est faux, rigoureusement faux, de prétendre que la partie II de la Charte, avec ses objectifs et principes généraux, conduirait à conférer « des droits spécifiques à des "groupes" de locuteurs de langues régionales ou minoritaires, à l’intérieur de "territoires" dans lesquels ces langues sont pratiquées ». C’était la position du Conseil constitutionnel dans sa décision de 1999, reprise à l’identique par le Conseil d’État dans son avis du 7 mars 2013. Il faut vouloir lire la Charte et parcourir l’histoire européenne de sa rédaction pour comprendre qu’elle appréhende les langues régionales comme un patrimoine et qu’en aucun cas elle ne consacre de droits spécifiques dans une logique identitaire.

Il n’y a pas dans la Charte de statut officiel conféré aux langues régionales. Je me permets de l’affirmer ici car voilà un fantasme récurrent, alimenté par ceux qui s’opposent à ce texte. Il y a par contre l’affirmation sans la moindre ambiguïté, dans le préambule, que « la protection et l’encouragement des langues régionales ne doit pas se faire au détriment des langues officielles et de la nécessité de les apprendre ». Preuve que le français ne risque rien de l’entrée en vigueur de la Charte ! Pour la ratifier, il faut choisir un minimum de trente-cinq mesures incitatives sur un total de quatre-vingt-dix-huit touchant, entre autres, à l’enseignement, à la culture, à la justice, aux services publics, aux médias ou à la vie économique. La France en a choisi trente-neuf, pour beaucoup déjà en vigueur d’ailleurs.

Dès lors, imaginer voir vaciller la République parce que la Charte européenne des langues régionales aura été ratifiée n’a aucun sens. La France n’est pas une île. Les Français n’ont pas raison contre tous les autres. Il est illogique de se faire les hérauts de la diversité culturelle à l’extérieur et de la nier à l’intérieur. La promotion efficace de la langue française passe par le soutien à accorder aux langues de France, pour beaucoup en danger, selon l’indice de vitalité de l’UNESCO.

Ratifier la Charte, c’est accomplir un acte politique fort et symbolique. C’est donner une sécurité juridique à toutes les initiatives en faveur des langues régionales, trop souvent à la merci du pouvoir réglementaire ou du zèle contentieux. Je pense ici notamment aux subventions aux écoles associatives pratiquant l’enseignement par immersion.

Il est heureux que ce soit l’Europe, creuset de tant de cultures, nationales comme régionales, qui nous rappelle à notre devoir d’agir. Ce qui se joue ce soir dans notre hémicycle n’est pas anodin. C’est de la diversité, de la grandeur, de l’avenir de notre pays dont il est question, de paix et d’unité, de reconnaissance et de respect. Par-delà nos différences politiques, rassemblons-nous et votons largement cette proposition de loi constitutionnelle, tout simplement pour qu’au cœur de l’Europe vive la République et vive la France. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. La parole est à M. Guy Geoffroy.

M. Guy Geoffroy. Je voudrais vous faire part de ce qui était au début une interrogation, devenue assez rapidement une perplexité, puis une inquiétude, puis une quasi-hostilité à ce texte. Quasi-hostilité parce que, tout bien réfléchi, je trouve la méthode dégradante pour l’Assemblée nationale et le Parlement tout entier. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Sur le fond lui-même, je l’ai dit en commission, et le président Jean-Jacques Urvoas le sait, je n’ai pas la prétention d’aller dans le détail de ce que ressentent et expriment un certain nombre de nos collègues. Je ne fais pas partie de ceux dont les origines font qu’ils ont dans leur vie, dans leur parcours, une langue qui serait la leur, celle de leur origine, quelque part dans le pays ou aux limites du pays. Très modestement, je me limite à penser qu’une première règle étant posée, tout est possible. Cette première règle, pour moi, est simple : je suis citoyen français et j’attends, dans toutes les parcelles du territoire de la République, où qu’elles se trouvent, de pouvoir comprendre et être compris. C’est tout. Ce n’est pas gagné partout mais, globalement, la volonté de la République est que ça le soit. En dehors de cela, qu’il y ait, dans une région ou une autre, à côté de la langue commune, le français, une autre langue que certains parleraient de manière privilégiée par rapport à la langue nationale, cela ne me choque pas. Je vais plus loin, je le comprends parfaitement.



Que notre pays ait signé la Charte européenne des langues régionales et minoritaires ne m’a jamais non plus posé problème. Ce qui commence à poser problème, c’est la réaction à ce texte de toutes les plus hautes autorités du pays depuis quinze ans, et récemment encore. Nous savons ce qui s’est passé en 1999. Nous savons quelles ont été les positions, contestables comme toute position, mais au moins claires, des présidents Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy. Nous sommes un peu interrogatifs quant à celle du candidat devenu président François Hollande, dont on nous dit, sur les bancs de la majorité, que chaque fois qu’il a pris un engagement, ce dernier devait être tenu ne varietur, sauf celui de faire ce qu’il y avait à faire pour ratifier cette charte.



J’entends dire que le Conseil d’État aurait posé ce que le Gouvernement considère être un veto. Je suis stupéfait. Certes, le Conseil d’État doit être saisi préalablement au dépôt de tout projet de loi : le Gouvernement doit lui demander son avis. Mais précisément, c’est un avis ! Et dans tout autre domaine que constitutionnel, puisque en l’occurrence, la question ne se pose pas, le Conseil constitutionnel lorsqu’il est saisi ne vérifie pas si le Gouvernement a respecté ou non l’avis du Conseil d’État, mais s’il le lui a bien demandé ! L’idée que le Conseil d’État ait formulé des observations pouvant faire croire qu’il n’était pas possible de ratifier la Charte parce que la Constitution l’interdirait laisse donc pantois, et je suis totalement en phase avec le président Urvoas lorsqu’il affirme qu’il n’existe pas de pouvoir supérieur au pouvoir constituant : c’est un pouvoir souverain.



Mme Marie-Françoise Bechtel. Bien sûr !

M. Guy Geoffroy. C’est un pouvoir souverain parce que le peuple est souverain et que, sur mandat du peuple, délivré par la Constitution, lorsque le pouvoir constituant est le Parlement réuni en Congrès, il est aussi souverain que le peuple lui-même. On admettra bien sûr qu’il serait difficile, sur des questions fondamentales, de demander au constituant, sous forme de Congrès, de revenir sur une disposition adoptée par le constituant sous forme du peuple tout entier, mais ce n’est pas notre sujet.

Si j’évoque tout cela, c’est bien parce qu’il y a un problème, et nous nous en sommes entretenus lors d’une excellente séance de la commission des lois. Nous sommes aujourd’hui appelés devant les Français à être non des législateurs mais des constituants, des constituants qui savent que le travail qu’ils engagent n’ira pas à son terme.

M. Marc Le Fur. Exactement !

M. Alain Marc. C’est le problème !

M. Guy Geoffroy. C’est quand même un peu fort. On nous explique les raisons qu’il y a à voter cette proposition de loi, à savoir la légitimation, par sa ratification, de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires ; on reconnaît sans aucune difficulté que, puisqu’il s’agit d’une proposition de révision, elle devra entrer dans la Constitution à la place que ses auteurs veulent lui donner et être soumise par référendum au peuple français, l’article 89 de la Constitution est très clair à ce sujet ; et on dit en même temps qu’il n’y aura pas de référendum ! On nous annonce donc que le travail de constituant que nous sommes en train de faire n’est qu’un tour de piste. Il existe désormais une nouvelle pratique qui consiste à faire faire au constituant des tours de piste ! Ce n’est pas convenable.

M. Marc Le Fur. Que répond le Gouvernement à cela ?

M. Guy Geoffroy. Nos concitoyens vont commencer à se demander si, dans la France d’aujourd’hui, dans ce pays qui a tant de problèmes à résoudre, il n’y a pas autre chose à faire que de convoquer le Parlement en tant que futur constituant pour faire un travail qui n’ira pas à son terme. J’interroge le Gouvernement comme le rapporteur le fait, mais peut-être l’opposition a-t-elle la capacité de se montrer un peu moins gênée que la majorité dans cet exercice.

Si, comme on nous le dit aujourd’hui, la proposition de loi constitutionnelle telle qu’elle est rédigée peut aller à son terme, devenir une partie de notre Constitution et autoriser, comme son texte même le prévoit, la ratification de la Charte, pourquoi le Gouvernement ne le fait-il pas directement ? Il ne le pourrait pas quand le Parlement, de sa propre initiative, le pourrait ? Si le Gouvernement, sans attendre ce tour de piste, prenait à sa charge cette volonté, dans le respect de l’engagement du Président de la République, nous ne serions pas là à discuter d’une chose et d’une autre, à passer d’un registre à l’autre, à dire que l’on est d’accord tout en annonçant que cela ne pourra pas se faire, ou à dire que l’on ne voudrait pas pouvoir le faire alors qu’on aimerait tant avoir à le faire. Cela n’a pas de sens.

Enfin, pour conclure, je reviendrai sur quelque chose que j’ai déjà évoqué en commission et qui me gêne au moins autant que la situation dans laquelle on nous met. Ce travail de constituant devient de plus en plus accablant pour la lisibilité de notre texte fondateur. Les Américains sont très sages : cela fait plus de soixante ans qu’ils n’ont pas révisé leur Constitution, et ça marche !

Mme Marie-Françoise Bechtel. Pas tellement !

M. Guy Geoffroy. Leur Constitution est lisible, claire. La nôtre n’a pas cessé, depuis 1958, de se charger d’éléments nouveaux, de plus en plus complexes. Or nous allons là plus loin encore. J’ai scrupuleusement examiné les articles de la Constitution et je n’en ai relevé que deux, au titre XIII, sur la Nouvelle-Calédonie, qui fassent référence à des textes de loi – mais il s’agit de textes parus au Journal officiel de la République française, visibles par tout citoyen qui souhaiterait éclairer sa compréhension. Les autres articles font référence à des articles de la Constitution. Et nous devrions inscrire dans la Constitution un article faisant référence, jusqu’à un niveau de détail troublant pour un texte aussi important, au « d de l’article 7 » et aux « articles 9 et 10 de la Charte » ? On mettrait dans la Constitution des références à un texte que les Français ne peuvent trouver dans les actes officiels de la République française, puisqu’il n’en fait pas partie, n’ayant pas été ratifié ?

On est dans de l’« Ubu constituant ». Cela dépasse l’entendement.

Pour conclure mon propos, je dirai que j’aurais beaucoup apprécié de pouvoir apporter ma contribution à la ratification de cette charte, parce que, au fond, je crois que c’est un bon texte. Je ne suis pas de ceux qui évoquent la dislocation de la France, de ses traditions et de son avenir. En revanche, ce que je n’accepte pas, c’est que l’on me fasse faire ce petit tour de piste constituant, parce que ce n’est pas convenable. Je n’accepte pas non plus que l’on instille l’idée, chez ceux qui nous liront – à défaut de nous avoir vus –, que ceux qui auront refusé de voter cette révision constitutionnelle fictive seraient hostiles à la charte ; cela non plus, ce n’est pas convenable.

Au départ, je me disais que je finirais peut-être par voter cette proposition de loi. Or, à l’arrivée, j’en suis à me dire que, par principe, parce que je crois à la Constitution de notre pays et parce que j’en ai assez qu’on l’abîme un peu plus à chaque fois et dans des conditions qui rendent impossible pour nos concitoyens de se l’approprier, je voterai contre, avec regret, mais avec la certitude que, ce faisant, je sers les institutions de mon pays. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. Jacques Myard. Bravo !

M. le président. La parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le plurilinguisme est une expression de la richesse de la société française. La France doit accepter sa diversité linguistique et, plus encore, en faire un atout. Il convient donc, non seulement de la défendre, mais aussi de la promouvoir, dans l’espace privé comme dans l’espace public.

Cela exige, au-delà d’une nécessaire modification constitutionnelle, une loi donnant aux langues de France un statut qui définirait le cadre de leur promotion et compléterait le cadre législatif dont la France s’est dotée depuis la loi du 11 janvier 1951. Cette exigence, les parlementaires communistes la portent majoritairement depuis longtemps : deux propositions de loi allant dans ce sens avaient été déposées dès les années quatre-vingt.

C’est dans cet esprit que nous soutenons les objectifs poursuivis par la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Assurer la protection des langues régionales ou minoritaires historiques de l’Europe et favoriser le droit de pratiquer une langue régionale ou minoritaire dans la vie privée et publique sont deux objectifs nécessaires à la défense de notre patrimoine national.

En outre, comment revendiquer la diversité culturelle et linguistique dans le monde face à l’hégémonie de l’anglo-américain et, dans le même temps, la refuser à l’intérieur de notre pays ? La valorisation de la richesse linguistique en France et dans le monde participe à la défense de la langue française, langue de la République.

Aussi, c’est en toute logique que nous soutenons aujourd’hui cette volonté d’engager le processus législatif en vue de la ratification par la France de la charte, même si nous considérons que celle-ci est incomplète, en particulier en ce qui concerne les langues issues des immigrations, parlées par nombre de nos concitoyens. En effet, la charte comporte, à l’article 1er, une définition restrictive de l’expression « langues régionales ou minoritaires » qui exclut de son champ d’application les dialectes de la langue officielle et les langues des migrants, c’est-à-dire celles qui sont parlées par les Français d’origine immigrée.

Or de récents rapports se sont intéressés à ces langues dites « non-territoriales » parlées en France. Ils s’accordent sur la nécessité et l’urgence d’accentuer un apprentissage des langues de l’immigration, en particulier de l’arabe, au sein du système éducatif, au même titre que les autres langues – anglais, espagnol, allemand ou encore chinois –, avec les mêmes exigences et les mêmes modalités de validation. Nous soutenons pleinement ces recommandations.

Mme Annie Genevard. Voilà effectivement où mène ce texte !

M. Paul Molac. Très bien !

M. André Chassaigne. De même, nous vous alertons sur le risque d’un nivellement linguistique par l’utilisation d’expressions unitaires courantes comme « l’occitan », qui peuvent mener à une élimination de toutes les variantes de la langue d’oc, laquelle est pourtant marquée par des formes particulières. C’est la raison pour laquelle nous souhaitons que la liste des langues régionales auxquelles s’appliqueront les engagements pris par la France au sein de la partie III de la charte soit exhaustive, de façon à assurer la promotion de toute la diversité linguistique de nos régions. Patrimoine immatériel vivant, une langue ne se décrète pas, elle se vit et se transmet par ses locuteurs.

Au-delà de ces remarques, nous comprenons les inquiétudes qui se font jour, y compris au sein de notre groupe, à la suite des décisions du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État. Sur ce point, nous considérons que le texte répond à ces inquiétudes, avec la réaffirmation expresse, dans le futur article 53-3 de la Constitution, du principe d’égalité de tous les citoyens sans distinction d’origine et du principe selon lequel la langue de la République est le français. Comme le souligne votre rapport, cher collègue Urvoas, ce dispositif juridique matérialiserait clairement le fait que la charte sera appliquée conformément à ces principes et non pas par dérogation à ceux-ci. La constitutionnalisation de cette partie de la déclaration interprétative conférerait en effet une réelle force normative à ces dispositions. Elle permettrait de garantir que nos principes constitutionnels prévaudraient sur des interprétations par trop extensives de la charte.

En définitive, ce texte constitue un bon compromis. Il permet de surmonter les inconstitutionnalités de la charte et autorise le Président de la République à la ratifier. Nous espérons que cela conduira la France à mettre en œuvre une véritable politique nationale de promotion des langues régionales. Nous considérons cependant que cette politique de protection et d’encouragement devrait être étendue à toutes les langues de France, en respectant la diversité de leur usage local. Elles sont notre bien commun ; elles concourent à la créativité de notre pays et à son rayonnement culturel.

Pour finir, permettez-moi de regretter que le texte utilise un mot que nous avions, très majoritairement, décidé d’exclure de notre législation : celui de « race ». Mais il est vrai que c’est là un simple rappel de la Constitution.

Mme Aurélie Filippetti, ministre. Eh oui !

M. le président. La parole est à Mme Colette Capdevielle.

Mme Colette Capdevielle. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, nous allons écrire une nouvelle page de notre République, plus riche, plus diverse, plus démocratique. C’est un vrai privilège pour nous aujourd’hui de contribuer à donner enfin à nos territoires la reconnaissance qu’ils méritent.

Je félicite le rapporteur, initiateur de cette proposition de loi, M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois, député breton,…

M. Jacques Myard. Député français !

Mme Colette Capdevielle. …pour la manière très audacieuse avec laquelle il fait avancer la ratification de ce texte.

Il est trop facile, messieurs de l’opposition, de nous donner aujourd’hui des leçons de droit constitutionnel, alors que, pendant plus d’une décennie, vous n’avez absolument rien fait.

Mme Aurélie Filippetti, ministre. Exactement !

Mme Colette Capdevielle. Vos leçons de politesse et de droit constitutionnel, il faut donc les garder pour vous.

Mme Annie Genevard. Comme c’est aimable !

Mme Colette Capdevielle. Même à l’heure du numérique, c’est encore et toujours le langage qui relie le mieux les femmes et les hommes entre eux. En ces temps de délitement du lien social, la reconnaissance des langues régionales ne peut qu’apporter un surplus de lien, de contacts et de communication – cette communication qui est si vitale pour les hommes.

Je suis élue d’un territoire où deux langues régionales sont parlées : le basque et l’occitan. Je mesure quotidiennement le besoin de reconnaissance de ces langues, tant pour panser les blessures historiques que pour permettre, très concrètement, la survie de ces langues.

Panser des blessures historiques : la République a longtemps considéré les périphéries comme des territoires à conquérir. M. Guaino – il est dommage qu’il soit parti – a bien mal lu Aimé Césaire,…

M. Patrick Hetzel. Ce n’est pas tout à fait faux !

Mme Colette Capdevielle. …lequel disait qu’« il existe deux manières de se perdre » : « par ségrégation murée dans le particulier et par dilution dans l’universel ».

Notre République s’est trop longtemps égarée dans un combat contre les particularismes, quitte à nier les héritages, les enracinements, la diversité et les appartenances qui nourrissent pourtant nos individualités.

Or il n’en a pas toujours été ainsi. Aux débuts de la Révolution française, une autre vision de la République, plus ouverte, avait été imaginée. Le 14 janvier 1790, une loi était votée par la Constituante, elle-même issue des États généraux, sur proposition du député François-Joseph Bouchette, visant « à faire publier les décrets de l’Assemblée dans tous les idiomes qu’on parle dans les différentes parties de la France ». En novembre 1792, la Convention créait une commission afin d’accélérer les traductions dans ces langues que nul n’aurait appelées à l’époque « régionales ».

Quelque temps plus tard, pourtant, la conception jacobine de l’unité de la nation l’emportait définitivement. Comme le dit Mona Ozouf dans Composition française, la République n’a pas su se défaire du « surmoi jacobin ». De fait, un certain intégrisme républicain qui n’a plus l’Église comme adversaire principal brandit désormais l’épouvantail du communautarisme chaque fois qu’un individu fait référence à son identité.

Finissons-en avec l’opposition binaire entre universalistes et communautaristes et acceptons de vivre tant bien que mal entre une universalité idéale et des particularités réelles.

À cet instant, je pense à ces milliers de locuteurs, basques et gascons – dont mes grands-parents, pour ne pas les citer –, pour lesquels nos institutions n’ont affiché que mépris et humiliation. Aujourd’hui encore, quelques élites ne voient dans la revendication de ces langues que petitesse et enfermement, quand elles sont en réalité ouverture sur le monde et enrichissement dans la pluralité.

Avec la ratification de cette charte, il s’agit, au-delà de l’acte symbolique, de permettre concrètement la survie de ces langues régionales. Si, depuis les années soixante, on assiste à une véritable renaissance, avec le développement des premières écoles bilingues, des médias – radios et télévisions publiques – et d’une vie culturelle dense, l’incertitude demeure et de nombreux obstacles se dressent pour les élus et les citoyens qui souhaitent faire la promotion de ces langues régionales. Aujourd’hui encore, dans mon département des Pyrénées-Atlantiques, en Béarn, à Artix, une calendreta va devoir fermer à la rentrée prochaine. Cessons donc cette véritable hypocrisie républicaine, cette politique de l’autruche qui consiste à brandir de manière très circonstanciée la loi Falloux, alors même que les écoles qui pratiquent l’immersion sont totalement laïques.

Les langues de France n’ont été sauvées et ne se sont développées que grâce aux combats de pionniers, infatigables avocats des langues et cultures de France, souvent dans la discrétion, parfois dans la clandestinité – vous le disiez tout à l’heure, madame la ministre –, dans l’illégalité, comme c’est le cas sur mon territoire. Permettez-moi d’évoquer le nom du regretté Jean Haristchelar, président de l’Académie basque pendant plus de vingt ans. C’est de lui que je sais que le Pays basque est littéralement « le pays de la langue basque », Euskal Herria, euskaldunen hizkuntza, littéralement « la langue des Basques ». Si ce n’est pas leur seule langue – il y a bien longtemps que les Basques connaissent la nécessité et les bienfaits du plurilinguisme –, c’est certainement celle qui leur est spécifique depuis plus de trois mille ans.

Il en va de même, d’ailleurs, pour les Gascons. Bernard Manciet, l’un des plus importants poètes gascons du XXsiècle, écrivait : « le français est pour moi une langue apprise et non pas une langue d’instinct. » Le gascon « est ma langue animale au sens noble, celle de la peau, celle de la respiration » – la langue de la pèth, de l’aledada.

M. le président. Merci de conclure, madame Capdevielle !

Mme Colette Capdevielle. J’en termine, monsieur le président.

Inversement, peu de monde sait que le français a pris quelques mots – et même beaucoup – à l’occitan et même au basque. Par exemple, les mots « jokari », « pelote » et « bizarre » viennent du basque, de même d’ailleurs que « silhouette », d’après le nom de M. de Zuloeta, contrôleur général des finances de Louis XV.

La ratification de la charte va sécuriser les politiques linguistiques et participer pleinement à leur développement dans le cadre républicain. C’est une porte qui s’ouvre enfin grâce à nous. Contrairement à ce que certains affirment, la charte contribuera à décommunautariser et à déterritorialiser, rétablissant les langues comme des biens communs à tous les Français. Ratifier la charte, ce n’est pas une simple formalité législative ; c’est un devoir de liberté, d’égalité et de fraternité ; c’est véritablement une nécessité républicaine. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. Mes chers collègues, je me permets de vous indiquer qu’il est minuit moins le quart. Une vingtaine d’orateurs sont inscrits sur l’article unique et nous n’avons pas encore terminé la discussion générale. De plus, la journée de demain étant consacrée à une niche parlementaire, nous ne pourrons pas terminer nos travaux après une heure trente du matin.

M. Marc Le Fur. C’est dire la priorité accordée à ce texte !

M. le président. J’invite donc les uns et les autres à respecter les délais. Je ferai preuve d’un peu plus d’autorité en la matière, faute de quoi nous ne pourrions pas achever l’examen du texte, ce que beaucoup regretteraient.

La parole est à M. Patrick Hetzel.

M. Patrick Hetzel. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, à l’occasion de ce débat dans notre hémicycle au sujet des langues régionales, il m’a semblé important d’expliquer à nos compatriotes pourquoi nous sommes nombreux, d’un côté comme de l’autre de cet hémicycle, à être favorables à la ratification de la Charte européenne des langues régionales.

Je vais, pour ce faire, illustrer mon propos à partir de la situation en la matière dans notre belle terre d’Alsace, dont aucun de nous n’imagine qu’elle ne soit pas partie intégrante de la France – pays auquel nous sommes profondément attachés, tout comme nous sommes viscéralement attachés à nos racines, qui sont partie intégrante de notre chair.

M. Marc Le Fur. Très bien !

M. Patrick Hetzel. Si nous avons la chance d’avoir un héritage culturel et linguistique fort qui nous a été légué par nos aînés, c’est parce qu’ils se sont souvent battus pour cela.

Historiquement, la langue qui s’est d’abord développée parmi les habitants d’Alsace est l’alsacien, une langue qui fait partie de la sphère des langues germaniques. Par ailleurs, l’Alsace a connu, au fil du temps, une double influence culturelle, française et allemande.

Riches de ce double héritage, les Alsaciens ont, pendant des siècles, pratiqué leur langue de façon vernaculaire, laissant le soin aux États-nations d’imposer, à tour de rôle, leur emprise linguistique – le Hochdeutsch, durant la période allemande et le français, lorsque l’Alsace était française.

Cela a fonctionné naturellement, aussi longtemps que la langue régionale était ipso facto transmise par la famille. En d’autres termes, l’État se chargeait de transmettre la langue nationale, tandis que la famille assurait la transmission de la langue vernaculaire.

Hélas, au cours du XXsiècle, plus particulièrement dans les dernières décennies, ce schéma archétypal a progressivement volé en éclat. D’abord, parce que la période qui a suivi la Seconde guerre mondiale a été marquée par la volonté de la France de gommer toute référence à connotation germanique en Alsace. Il fallait tout mettre en œuvre pour que l’Alsace soit la bonne élève de la France. C’est ainsi que l’on pouvait lire sur des affiches dans l’Alsace d’après-guerre : "C’est chic de parler français » !

M. Jacques Myard. Heureusement !

M. Patrick Hetzel. Nombre d’entre nous étions arrivés à l’école maternelle en ne parlant que l’alsacien, transmis par nos familles. Les instituteurs d’alors nous enseignaient le français et nous interdisaient d’échanger en alsacien à l’école.

M. Jacques Myard. Sales gosses ! (Sourires.)

M. Patrick Hetzel. Ce fut donc un combat contre un élément de notre identité alsacienne, réprimée par les instituteurs de la République, soucieux qu’ils étaient de faire de nous des petits Français comme les autres. Parler avec l’accent alsacien passait encore, mais parler alsacien était banni de la sphère de l’école.

M. Jacques Myard. Nos ancêtres les Gaulois…

M. Patrick Hetzel. Ensuite, deux autres évolutions, de nature sociologique, ont parachevé la mise en danger de l’alsacien : le déplacement progressif des populations alsaciennes de la campagne vers les villes, plus cosmopolites ; et des phénomènes migratoires, qui ont amené en Alsace des personnes qui ne pratiquaient pas l’alsacien.

La conjonction de ces facteurs, qui relèvent du constat, crée aujourd’hui une situation où l’alsacien est de moins en moins pratiqué dans les grandes villes et par les jeunes, et il est en train de perdre du terrain en milieu rural, même si sa pratique y résiste mieux.

C’est la raison pour laquelle il faut désormais agir et se mobiliser sans relâche pour que les jeunes générations puissent bénéficier d’une transmission patrimoniale culturelle et linguistique aussi riche que celle de leurs aînés.

Bien entendu, collectivement, les Alsaciens ne sont pas restés inertes pour sauvegarder leur patrimoine culturel et linguistique. D’ailleurs, les actions, comme le développement d’une littérature, d’une poésie ou d’un théâtre en alsacien, sont trop nombreuses pour pouvoir être énumérées ici.

Toutefois, la situation reste préoccupante. À la fin des années 1970, un cabaretier et homme politique alsacien, Germain Muller, lançait : « Mier sinn de letschde, de aller letschde » –« nous sommes les derniers, les tout derniers » à parler l’alsacien. Pour nous, il serait inconcevable que l’irréparable soit commis.

Nous voilà à un moment clé de la défense de cette langue qui constitua, en son temps, le terreau si fertile de l’humanisme rhénan. Certes, ratifier la charte n’est pas tout, mais ce serait un outil fantastique pour amplifier la dynamique enclenchée autour de la langue régionale d’une part et du bilinguisme d’autre part.

Cette richesse, loin d’appauvrir la France, ne peut que l’enrichir. Pour nous, le français est bien la langue de la République – c’est indiscutable –, mais nous ne voulons pas perdre notre belle langue d’Alsace : elle est aussi une partie du patrimoine de la France. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP et sur quelques bancs des groupes SRC et RRDP.)

M. Jacques Myard. Pas besoin de la charte pour cela, cher collègue !

M. le président. La parole est à Mme Marion Maréchal-Le Pen.

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, le Front national défend les composantes de l’identité française au travers de ses coutumes, du patrimoine naturel ou architectural de ses régions et des langues qui leur sont historiquement associées. Pour autant, je ne suis pas favorable à la ratification de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires, pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, la langue de la République est et reste le français. Il nous semble donc que la mission prioritaire de l’État doit être de favoriser une bonne maîtrise du français, à l’écrit comme à l’oral. Trop souvent, les rapports de l’enseignement pointent du doigt la dégradation du niveau de maîtrise du français par les différentes classes d’âge. Vous vous lancez dans l’adoption de cette charte, avant même de prendre les mesures fortes et concrètes pour endiguer cette tendance.

En second lieu, la charte s’applique aux langues régionales mais également aux langues minoritaires, c’est-à-dire aux langues parlées par une minorité importante, implantée dans le pays. Alors oui, la langue des migrants est censée être exclue, mais en l’absence de définition précise de ce terme, je vois d’ores et déjà s’opérer le glissement, et la Charte s’appliquer à des dialectes arabes ou au romani. (Protestations sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Anne-Yvonne Le Dain. C’est incroyable de dire des choses pareilles !

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Romani qui, au passage, compte 200 000 locuteurs en France, ainsi que le souligne le rapport. J’en veux pour preuve la citation de ces langues, relevée par M. Chassaigne, dans le rapport du Comité consultatif pour la promotion des langues régionales et de la pluralité linguistique, rapport commandé par Mme Filippetti et remis en juillet 2013. À l’évidence, il y a là un risque majeur de communautarisation, voire de balkanisation, de la République ! Chaque communauté significative implantée en France pourrait revendiquer l’application de la charte.

Mais ce qui semble extravagant, c’est bien le contenu des 39 engagements que la France a pris en signant cette charte. J’en prends quelques exemples.

Alors même que vous multipliez les déclarations sur la nécessité de recentrer le primaire sur les savoirs fondamentaux, cette charte prévoit la présence substantielle de ces langues régionales ou minoritaires dans l’enseignement, du primaire jusqu’à l’universitaire.

En matière de justice, l’État doit rendre accessible dans les langues régionales ou minoritaires les lois les plus importantes et les textes des collectivités territoriales. Pratique, lorsque l’on sait qu’il existe, par exemple, vingt-huit dialectes kanaks, selon le rapport que j’ai cité !

Sur le plan culturel, il faut faciliter et encourager leur usage oral et écrit, dans la vie publique et dans la vie privée, à la télévision, à la radio, etc., et tout est à l’avenant !

Le rapport du comité consultatif pour la promotion des langues régionales et de la pluralité linguistique donne quelques indications sur ce que les socialistes ont derrière la tête. Il précise que les langues solidement implantées et les langues en situation de précarité doivent bénéficier de la politique de promotion publique, incluant par exemple des médiations bilingues, notamment dans les domaines des transports et des services sociaux. Il dresse surtout la liste des soixante-douze langues régionales et des six langues non territoriales, sans compter la langue des signes.

La ratification de la Charte serait donc un facteur de complexité et de coûts dantesques. Saisi par le Président de la République, le Conseil constitutionnel a décidé, en 1999, que la Charte portait atteinte aux principes constitutionnels d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi et d’unicité du peuple français.

La révision de 2008 n’a rien changé à l’analyse. Du reste, le Conseil d’État, si docile vis-à-vis du pouvoir, et des populations étrangères d’ailleurs, a maintenu l’an dernier son avis de 1996, rappelant que l’article 2 de notre constitution s’oppose à la ratification de la charte.

Mais le texte que vous proposez aujourd’hui se borne à garantir l’usage du français obligatoire dans les relations avec l’administration. Conception a minima pour une langue censée être la langue officielle de la République.

En définitive, je suis hostile à la ratification de cette charte au nom de l’unité nationale, de la défense du français comme langue officielle, et pas seulement majoritaire. Les langues régionales doivent être défendues comme composantes de notre identité, ce qui implique une politique qui ne les réduise pas à un simple folklore, mais qui ne leur donne pas non plus le même statut que le français.

La volonté du Conseil de l’Europe de mêler langues régionales et langues minoritaires fausse la donne. Je vois dans ce texte la même idéologie qui animait le rapport sur l’intégration, commandé par le Gouvernement : une société multiculturelle contre l’assimilation républicaine ; la promotion des minorités contre l’unité nationale ; les particularismes contre l’identité française ; le repli identitaire contre la cohésion républicaine.

J’y vois surtout une nouvelle attaque de la part des instances européennes, dont le Conseil de l’Europe, contre l’un des ferments de notre État nation, le français. Une fois de plus, il s’agit de donner toujours davantage d’importance et de place aux régions, en sapant l’échelon national pour, à terme, arriver à l’organisation politique suivante : Union européenne / Régions / Intercommunalités.

Ce projet est à peine dissimulé : le Président de la République a annoncé il y a quelques jours la création d’un pouvoir réglementaire régional. Ne vous y trompez pas : M. Ayrault a annoncé le retour sur la table de cette charte après la crise bretonne. Mais derrière la volonté de faire passer la révolte des « Bonnets rouges » pour une résurgence identitaire, il y a une réalité. Les panneaux des manifestants, en aucun cas, n’affichaient : « Bretagne libre », mais « Du boulot pour les Bretons » !

Les Français ne sont pas dupes. Ils n’attendent pas de vous que vous les divisiez toujours plus, mais que vous défendiez ce qu’ils ont en commun, dans cette période de crise où le malaise d’être français est de plus en plus pressant.

Le plus efficace des liens qui nous unit est celui de la langue, le français. Oserai-je vous rappeler que c’est sous votre si chère Troisième République que dans ma Bretagne, il était interdit de parler breton ? Que c’est sous le petit père Combes que la pratique du breton fut interdite en 1902 ? Que c’est en 1882 que le français fut imposé comme la seule langue dans l’enseignement laïc et obligatoire – c’était la loi Ferry ? Que c’est au même Jules Ferry que François Hollande a rendu hommage le jour de son investiture ?

Une fois encore, vous faites vos choix dans l’histoire comme l’on fait ses courses. Vous êtes dans la duplicité, au point de nous faire la leçon sur tout et son contraire, quitte à tordre le bras à l’histoire lorsqu’elle vous fait la grimace. À chaque fois, vous êtes dans l’excès, hier comme aujourd’hui.

M. le président. La parole est à M. Armand Jung.

M. Armand Jung. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, c’est avec une certaine émotion que je prends aujourd’hui la parole devant vous, comme je l’ai fait il y a quinze ans, ici même, dans des conditions à peu près similaires.

À cette époque, le gouvernement de Lionel Jospin venait de signer la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires du Conseil de l’Europe du 5 novembre 1992. À ce jour, cette charte a été signée par 33 États, et ratifiée par 25 d’entre eux.

En France, nous en étions à l’étape décisive de la ratification, lorsque le couperet du Conseil constitutionnel, qui pèse encore aujourd’hui sur nos débats, est tombé.

Chers collègues, la proposition de loi constitutionnelle qui nous est soumise aujourd’hui par Jean-Jacques Urvoas, rapporteur et président de la commission des lois, est sans doute l’une de nos dernières chances de ratifier – enfin ! – une grande partie de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Je voudrais d’ailleurs saluer la détermination de notre collègue, qui a su convaincre les uns et les autres de l’importance de ce dossier ; c’était inespéré il y a encore quelques mois.

Est-il nécessaire de rappeler les principes qui guident la charte du Conseil de l’Europe, dont le siège, je tiens à le rappeler, est à Strasbourg, dans ma circonscription ? La langue française est notre langue officielle. La République française reconnaît les langues et cultures régionales sur son territoire. La politique en matière de langues et cultures régionales doit s’inscrire davantage dans le cadre de la décentralisation. Apprendre une langue régionale est un acte volontaire, qui doit s’offrir à tous. Nous souhaitons aujourd’hui ratifier officiellement ces principes, ni plus, ni moins !

Est-il vraiment nécessaire de rappeler, à ce stade du débat, que les langues régionales ne menacent pas l’unicité de notre République et que la France n’est pas une citadelle assiégée ? Reconnaître les langues régionales ne signifie pas que l’on cède à des pressions communautaristes !

La République, la nôtre, n’a rien à craindre des langues régionales. Bien au contraire, elle a besoin, aux côtés d’une langue française forte, de langues et de cultures régionales qui font toute la richesse de notre pays. À mon sens, il n’y a pas de véritable avenir commun sans valorisation de notre histoire et de nos racines.

Chers collègues, j’aurais souhaité, moi aussi, que l’ensemble des articles de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires fût adopté ! Moi aussi, je regrette les interprétations juridiques du Conseil d’État et du Conseil constitutionnel !

Mais nous ne pouvons pas, après quinze ans d’atermoiements et de combats trop souvent déçus, rester sur un statu quo. Nous ne pouvons pas rester éternellement sous la menace de la censure des plus hautes juridictions de l’État.

La proposition de loi constitutionnelle de Jean-Jacques Urvoas est une avancée majeure, déterminante et inespérée. Si nous ne donnons pas suite à cette chance unique, je ne vois pas comment l’on pourra apporter aux langues régionales de notre pays la reconnaissance et le statut que nous appelons tous, ou beaucoup, de nos vœux, quelles que soient nos sensibilités politiques. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP et sur quelques bancs du groupe UMP.)

M. Jacques Myard. Il y aurait donc encore quelques jacobins dans ce pays ?

M. le président. La parole est à Mme Annie Genevard.

Mme Annie Genevard. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, chers collègues, la proposition de loi constitutionnelle de ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires dont nous débattons aujourd’hui aborde un sujet qui n’est pas nouveau et dont la reprise répond à l’engagement n56 du candidat Hollande.

Ce texte concerne un sujet majeur et ce n’est pas pour rien qu’il exige une modification de la Constitution qui dispose en son article 2 que « La langue de la République est le français ».

Il ne s’agit pas tout à fait, comme nous pouvons le lire dans l’exposé des motifs, d’une « pauvre charte, si inoffensive dans son contenu ». Cette présentation, en minimisant ainsi sa portée, contredit le reste de la démonstration qui vise à expliquer le caractère déterminant de la démarche à laquelle la France a jusqu’alors résisté, faisant figure d’exception en Europe. Et là, le moins que l’on puisse dire, monsieur le rapporteur, est que vous n’y allez pas de main morte.

Il est écrit dans l’exposé des motifs que le Conseil d’État, qui s’oppose à cette ratification, « développe une argumentation inconsistante, partielle, irrationnelle » ! Le Conseil constitutionnel serait lui aussi « aveugle » et vous en voulez pour preuve son indifférence à la parité. Je voudrais vous féliciter à ce propos, monsieur le rapporteur, car vous avez réussi à glisser le terme de « parité » dans un texte qui n’avait rien à voir avec cette notion. Je m’incline. (Sourires.)

M. Sébastien Denaja. Quelle cohérence au contraire !

Mme Annie Genevard. Et pour ceux qui émettraient des doutes, les mots méprisants affluent : « absurde », « poncifs », « mentent », « s’égarent », « certitudes d’un autre âge », « politique de l’autruche », « forme mesquine de sectarisme officiel. »

M. Jacques Myard. C’était de l’autocritique !

Mme Annie Genevard. Ce qui me choque dans votre démonstration, c’est la dévalorisation de la langue française, qualifiée dans l’exposé des motifs de particularisme dominant ! Je ne fais que lire ce qui est écrit !

M. Sébastien Denaja. Il faut peu fréquenter la commission des lois pour tenir de tels propos !

Mme Annie Genevard. Je l’écoute aussi ! Mais je lis l’exposé des motifs. « Particularisme dominant », « idiome régional qui a réussi ». Voilà de quelle manière notre langue est qualifiée !

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. C’est historique.

Mme Annie Genevard. Peut-être, mais des événements se sont produits depuis qui ont enrichi et illustré la langue française.

M. Jacques Myard. C’est du révisionnisme historique de la part du président Urvoas !

Mme Annie Genevard. Ce qui me choque, ce sont les fautes dont vous rendez coupable la pratique du monolinguisme, qui favoriserait l’illettrisme, qui compromettrait la francophonie, qui assassinerait les langues régionales, quand le plurilinguisme à lui seul représenterait le dialogue avec l’altérité, la défense de la diversité, la reconnaissance de l’égale dignité des cultures. Le français ne porte-t-il pas lui aussi ces valeurs ?

La langue française mérite aujourd’hui qu’on s’y intéresse au moins autant et à mon avis davantage qu’aux langues régionales, bien reconnues, voire enseignées, en Bretagne, en Alsace ou dans le Pays basque et que nul ne songe à combattre. Vouloir les préserver et les transmettre est légitime. Le lumineux Claude Hagège était très convaincant en la matière.

La réforme constitutionnelle de 2008 a donné lieu d’ailleurs à la rédaction d’un article qui dispose que « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France ». La puissance publique y consacre des moyens comme en Bretagne pour l’enseignement du breton. Je voudrais que l’on porte le même soin à la langue française.

Pourquoi sommes-nous incapables de voir à quel point l’affaiblissement de la pratique de notre langue est un affaiblissement de la nation elle-même ? L’illettrisme touche près de 10 % de la population,…

M. Sébastien Denaja. Et 10 % des députés. (Sourires)

Mme Annie Genevard. …la grammaire est de moins en moins enseignée, l’orthographe de plus en plus mal maîtrisée. De plus en plus de personnes vivent dans notre pays sans parler notre langue, ni même la comprendre.

Qu’en sera-t-il demain, quand seront reconnues les langues minoritaires ? C’est ce point-là qui me préoccupe tout particulièrement, non pas les langues régionales. Certes, la Charte précise bien que la langue des migrants est exclue, mais elle a pourtant reconnu, à Chypre l’arabe dialectal, en Espagne l’arabe, en Roumanie le turc. Ces langues sont-elles natives de ces pays ? Je crains qu’un jour, si l’on ratifie cette charte, la revendication ne soit posée par toutes les minorités vivant sur notre sol et pour lesquelles, si le lien avec la langue d’origine est parfaitement respectable,…

Mme Marie-Françoise Bechtel. C’est honteux !

Mme Annie Genevard. …la pratique du français reste la seule socialement émancipatrice.

L’enjeu auquel nous sommes aujourd’hui confrontés est de retrouver le chemin de la cohésion nationale dont la langue est l’un des ciments.

Il y a en réalité deux sujets. Si l’on peut convenir sans risque pour l’unité nationale que les langues régionales doivent être préservées comme un élément de notre patrimoine, dans une logique dite objective, en revanche l’on doit corollairement réfléchir à la place et à la fonction du français.

La dévalorisation de notre langue dans votre argumentaire est à mon sens le point faible de votre démonstration, monsieur le rapporteur. L’amour de la langue est pour moi indissociable de celui que l’on porte à son pays. La politique, ce sont des choix et des priorités. Pour moi, il y a plus d’urgence à recréer de l’unité nationale autour des symboles républicains, socles de notre Constitution : la langue, l’emblème national, l’hymne national, la devise. Non, madame la ministre, comme vous l’avez dit tout à l’heure, la langue française n’est pas un « avantage pratique ». Vous avez également déclaré qu’elle était un « bien commun ». Elle devrait l’être davantage. C’est à cela que nous devons en priorité nous attacher. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. Jacques Myard. Bravo !

M. le président. La parole est à Mme Marie-Françoise Bechtel.

M. Frédéric Lefebvre. Nous allons entendre un réquisitoire !

Mme Marie-Françoise Bechtel. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, en écoutant le débat de ce soir, je ne peux me défendre d’éprouver une certaine sensation d’irréalité.

M. Patrick Hetzel. L’irréalité, ce sera votre discours !

Mme Marie-Françoise Bechtel. Irréalité car j’ai d’abord le sentiment que nous parlons à peu près de tout, sauf d’une révision constitutionnelle. De quoi parlons-nous en effet ? De l’amour ou de la détestation supposée des langues régionales, mais qui ici n’aime pas cette source de richesse et de rayonnement, parfois attachée à des souvenirs familiaux qui nous sont chers, comme c’est entre autres mon cas ?

M. Thierry Benoit. Très bien.

Mme Marie-Françoise Bechtel. J’ai entendu ensuite énumérer les manques auxquels se heurterait la promotion de cette richesse qui, en effet, ne se réduit pas à la simple conservation d’un patrimoine, nous devons tous en convenir, mais aucun de ces manques ne demanderait, pour être comblé, une modification de notre Constitution.

M. Jacques Myard. Exact.

Mme Marie-Françoise Bechtel. C’est si vrai que vous avez énuméré, madame la ministre, les dispositions que vous avez prises, notamment par voie d’instruction, pour demander aux responsables délocalisés d’agir en faveur de la promotion des langues régionales. De la même façon, l’on pourrait parfaitement remédier à d’autres défauts que d’autres nous ont signalés, comme M. Molac, sans même aller jusqu’à la loi, à plus forte raison la Constitution. Je pense au livret de famille pour lequel un décret serait largement suffisant ainsi qu’à l’accueil au guichet.

M. Patrick Hetzel. Qui peut le plus peut le moins.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Si nous entrons dans la réalité des choses, au lieu de nous jeter des symboles au visage, de quoi s’agit-il réellement ? J’insiste sur cet adverbe : je veux dire « concrètement ». Dans la réalité, l’effort public en faveur des langues régionales est si patent que, pour s’en tenir à l’enseignement scolaire, la demande est en hausse de 24 % depuis trois ans. Ce sont 640 enseignants titulaires qui, aujourd’hui, enseignent les langues régionales à 272 000 élèves dans treize académies. On peut aller plus loin mais ce n’est pas négligeable.

M. Patrick Hetzel. C’est encore trop peu.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Mais alors, que veut-on de plus qu’on ne puisse obtenir par la loi ou même par les textes réglementaires, ou enfin par l’allocation de moyens nouveaux, tout cela sans toucher à la Constitution ? Il me semble, et là réside peut-être la difficulté, que tous les tenants de la charte ne veulent pas, sans doute, la même chose. Il me semble que certains souhaitent une affirmation plutôt symbolique. Je range dans cette catégorie, en espérant ne pas me tromper, les auteurs de la proposition de loi, si j’en crois vos propos, mon cher président. Une ratification a minima, avez-vous dit, serait une « porte entrouverte », mais les deux réserves introduites dans le texte de la proposition, nous en parlerons lors de la discussion des amendements, vident en réalité de toute portée une révision constitutionnelle puisqu’elle revient à dire que nous ne ratifions la charte qu’à condition qu’elle soit conforme à la Constitution.

D’autres, il est vrai, croient qu’il y a dans ce texte un point d’appui pour aller plus loin. Aller plus loin, mais où exactement ?

M. Jacques Myard. Dans le mur !

Mme Marie-Françoise Bechtel. Là aussi, regardons les réalités. Lorsque le Conseil constitutionnel nous dit qu’avec la ratification de la Charte, c’est l’unité du peuple français qui est en cause, que cela signifie-t-il concrètement ?

M. Paul Giacobbi. Qu’il sort de son rôle ! Il fait de la politique et c’est un scandale !

Mme Marie-Françoise Bechtel. Prenons les services publics. L’on voudra non seulement parler local au guichet, ce qui est aujourd’hui possible, mais obliger l’agent public à pratiquer les langues régionales. Or, cela, mes chers collègues, c’est la fin de la neutralité de la fonction publique ! Il faudra recruter des Bretons en Bretagne, des Alsaciens en Alsace, ou obliger le fonctionnaire qui demande une mutation à pratiquer et à apprendre la langue locale.

M. Patrick Hetzel. Voilà une riche idée !

Mme Marie-Françoise Bechtel. Ou bien ce sera le local aux locaux. Passons sur la justice, que ce soit avec la co-officialité des actes judiciaires ou le déroulement de la procédure en langue régionale – tout cela est prévu par la charte. On ne saurait dire que la clarté et l’égalité y gagneraient. Enfin et surtout, on voudra faire en sorte, et c’est peut-être l’une des volontés majeures qui se profilent derrière ce texte, que soit financé massivement et obligatoirement par l’État l’enseignement dans les écoles de la langue régionale y compris par la voie de l’immersion, si j’ose dire. J’attire votre attention sur le fait que les communes devront financer les petites communes voisines parce que des familles en feront la demande. C’est la loi actuelle.

Et pour l’enseignement en immersion, certains demandent déjà que saute le verrou de la loi Falloux ! Verrou dont l’abrogation avait jeté dans la rue un million de personnes du camp progressiste attachées à la laïcité. Vous vous en souvenez peut-être pour certains d’entre vous, c’était début 1994. Voilà concrètement comment l’unité de la République sera demain atteinte si nous dépassons l’équilibre infraconstitutionnel sur lequel est bâti aujourd’hui notre dispositif.

Alors oui, avec ce basculement, c’est bien, sans grandiloquence, l’idée de la République qui est en cause. Et notre République est aujourd’hui plus menacée que ne le sont les langues régionales. Je voudrais attirer votre attention sur ce point.

Pouvons-nous nous inquiéter de la montée des différentialismes et des communautarismes un jour, plaidant pour la cohésion sociale et la force de la République, et le lendemain ouvrir des brèches dans la laïcité, organiser des files d’attente diversifiées, exclure les migrants – Madame Genevard ! – pour qui ne vaudra pas ce qui vaut pour les groupes qu’il faut bien appeler pour ce qu’ils sont : de souche ?

Permettez-moi, pour finir, puisque le jeu des citations est très à la mode ce soir, de choisir pour ma part d’honorer Nelson Mandela qui disait que « sans langue commune, on ne peut pas parler un peuple, ni le comprendre ». Les députés du Mouvement républicain et citoyen voteront résolument, vous l’avez compris, contre ce texte.

M. le président. La parole est à M. Gwenegan Bui.

M. Gwenegan Bui. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président et rapporteur de la commission des lois, mes chers collègues, c’est avec joie que, dans un contexte un peu plus serein que cet après-midi, nous entamons ce soir l’examen de cette proposition de loi constitutionnelle visant à ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires.

Je dis « plus serein » tant il est vrai qu’il est difficile, en France, d’aborder ce sujet sans passion.

Tous, ici, sommes viscéralement attachés à l’unité de la République, mais tous, ici, sommes aussi profondément attachés à la diversité et à la richesse de notre patrimoine linguistique.

L’une et l’autre sont indissociables, nul ne le conteste, alors pourquoi faisons-nous face à autant de réticences ?

Je ne reviens pas sur l’historique complet de la Charte : sans révision de la Constitution, pas de ratification de la Charte, nous sommes tous d’accord, et ce contrairement à ce que certains essayent, avec peu de succès, de nous faire croire ce soir.

Mais soyons plus précis, car ceci a son importance : il s’agit en réalité de ratifier les titres I, II, IV et V ainsi que les trente-neuf des quatre-vingt-six propositions de la partie III auxquelles la France a souscrit. Et là aussi, le constat est implacable : le Conseil constitutionnel a jugé qu’aucune desdites trente-neuf propositions n’était contraire à notre norme fondamentale.

Voici donc le premier point : les propositions qui nous sont données, c’est-à-dire la Charte dans ce qu’elle a de plus de plus concret, de plus pratique, et donc de plus normatif, sont constitutionnellement valides.

Et ces propositions sont non seulement valides mais, de fait, elles sont déjà appliquées.

« Si elles existent déjà, quelle est l’utilité d’une ratification » me direz-vous ?

Mme Marie-Françoise Bechtel. Exactement !

M. Gwenegan Bui. Au-delà du fait qu’il est toujours bon de ratifier une convention internationale que l’on a signée, la réponse est simple : il s’agit, d’une part, de sécuriser juridiquement les situations que l’on connaît ou à venir, d’autre part d’entériner la lente et salutaire mue qu’a opérée la France à ce sujet.

Sécuriser ce qui s’est fait, essentiellement sous l’impulsion des collectivités locales et « sans statut légal », est d’abord une nécessité en soi.

Nous sommes nombreux à nous être battus pour que des enseignements soient dispensés, partiellement ou conjointement avec le français, en langue régionale. Aux obstacles financiers s’ajoutaient les obstacles administratifs, aux obstacles administratifs s’ajoutaient les problèmes de postes d’enseignants, ou le risque judiciaire, aujourd’hui toujours prégnant dans un certain nombre de cas. Je tiens cependant à préciser que ce qui est vrai dans un sens l’est aussi dans l’autre. Nous devons encadrer pour permettre les initiatives, nous devons encadrer pour pouvoir les limiter lorsque nous considérons que cela va trop loin et se révèle être en conflit avec l’article 2 de notre Constitution.

Or, tout ceci n’est possible que dans le cadre d’un régime juridique clair. L’épanouissement relatif que connaissent les langues régionales s’est fait dans une zone de non-droit ; il est l’heure de lever ce flou. Le manque de reconnaissance allié à une telle précarité juridique peut devenir une source de radicalisation bien inutile. Si la politique linguistique unificatrice a autrefois été utile et peut-être nécessaire, force est de constater qu’elle ne l’est plus désormais. Les recettes d’hier ne sont pas les solutions d’aujourd’hui.

Pour autant, il n’est pas vrai de dire que notre politique linguistique est aujourd’hui encore répressive. Elle a bel et bien évolué – et c’est bien le moins. Mais précisément, pourquoi ne pas l’acter ? Pourquoi ne pas solder définitivement cette période ? Car au fond, c’est bien ce que permettrait la ratification : elle ne ferait qu’entériner cette situation, cette transition que l’État français a fort légitimement effectuée, d’un régime qui uniformise aveuglément, à la reconnaissance institutionnelle de la diversité comme terreau de la Nation.

Certains vont jusqu’à arguer de risques pour la cohésion nationale et l’unité du peuple français.

M. Frédéric Lefebvre. Ils exagèrent !

M. Gwenegan Bui. En effet, l’orateur de votre groupe a tenu des propos exagérés !

Chers collègues, n’agitons pas inutilement un chiffon rouge et cessons d’appréhender les langues comme une menace !

M. Thierry Benoit. Tout à fait !

M. Gwenegan Bui. Les langues ne divisent pas ; elles unissent.

M. Jacques Myard. Dites-le aux Flamands !

M. Gwenegan Bui. La vérité est que promouvoir les langues régionales n’est en rien le signe d’un repli communautariste ou régionaliste. Bien au contraire, c’est le signe d’une saine vitalité et d’une diversité qui renforce la France ; c’est encourager la pratique du multilinguisme et l’ouverture d’esprit ; c’est la reconnaissance des parcours, de la culture, de l’histoire, de l’identité personnelle. Si, comme l’écrivait Ernest Renan, « une langue ne constitue pas une nation », elle fait en revanche partie intégrante de l’identité de chaque individu. Elle est au fondement même de celle-ci puisque nous pensons par et grâce à la langue.

Ce n’est pas une histoire de Bretons, de Corses, de Catalans, ou d’Alsaciens que nous avons à écrire ; c’est une histoire de Français voulant parler le breton, le corse, le catalan ou l’alsacien.

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Très bien !

M. Gwenegan Bui. C’est l’histoire d’un pays, d’une République qui n’a plus peur de son passé, qui est sûre de ses fondations pour permettre enfin la reconnaissance d’histoires et de cultures complémentaires.

La France est indivisible. Mais la France est plurielle, riche de ses territoires, de ses cultures, de ses langues. Le reconnaître ce n’est pas s’attaquer à la République, c’est la renforcer ; le déni, le refus de reconnaissance, c’est exacerber les divisions. La reconnaissance, c’est l’apaisement ; la reconnaissance, c’est le respect ; la reconnaissance, c’est l’intégration. La reconnaissance, c’est tout simplement la République ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.)

M. Jacques Myard. Que c’est beau…

M. le président. La discussion générale est close. Nous allons passer à l’examen de l’article unique.

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Marc Le Fur, pour un rappel au règlement.

M. Marc Le Fur. Je constate que le Gouvernement ne répond pas aux orateurs, dont l’ensemble des interventions démontre pourtant qu’il y a un véritable problème. Chacun sait en effet que le texte dont nous débattons aujourd’hui est mort-né et ne pourra pas aboutir.

Mme Marie-Hélène Fabre. Ce n’est pas un rappel au règlement !

M. le président. Sur quel article du règlement fondez-vous votre intervention, monsieur Le Fur ?

M. Marc Le Fur. Sur l’article 58, alinéa 1. Il faut que nous puissions examiner un autre texte d’origine gouvernementale. Nous avons la chance d’avoir une ministre ici présente : je souhaite qu’elle nous indique le calendrier qu’elle envisage raisonnablement pour ce texte ! Voilà le sujet !

M. le président. Je vous remercie, monsieur Le Fur.

M. Marc Le Fur. Permettez-moi de poursuivre en un mot, monsieur le président.

M. le président. Vous savez pertinemment qu’il ne s’agit pas d’un rappel au règlement.

M. Marc Le Fur. Mais si, puisqu’il s’agit de l’organisation de nos travaux ! Je conclus : comme l’a dit M. Geoffroy, nos travaux ne peuvent pas aboutir. Mme la ministre a été interrogée à plusieurs reprises sur ce point. Il faut donc que nous sachions où nous allons et selon quel calendrier. En l’état, nous avons l’impression que rien ne pourra progresser, même si j’espère qu’une voie de sortie est prévue : à vous de nous l’indiquer, madame la ministre !

Discussion des articles

M. le président. J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, l’article unique de la proposition de loi constitutionnelle.

Article unique

M. le président. Sur l’article unique, vingt orateurs sont inscrits. La parole est au premier d’entre eux, M. Frédéric Lefebvre, pour deux minutes précisément.

M. Frédéric Lefebvre. Je vous le dis : je voterai en faveur de ce texte. Il serait en effet paradoxal que nous nous battions pour la diversité culturelle dans le monde et pour la sauvegarde du français là où il est menacé et que, dans le même temps, nous ne protégions pas les langues régionales qui sont notre patrimoine, un patrimoine reconnu par l’article 75-1 de la Constitution depuis 2008.

Cela étant dit, madame la ministre, nous attendons du concret ! En tant que député des Français établis en Amérique du Nord, permettez-moi de vous donner une illustration de ce que peuvent représenter les langues régionales. Dans ma circonscription, une langue proche de nos langues régionales, le « paw-paw French », dialecte des premiers colons français du Missouri qualifié de « français-breton-normand », est en train de mourir faute de locuteurs. Parlé par plus de mille personnes dans les années 1980, il n’est plus pratiqué que par une poignée de descendants de colons français dont le rêve est de financer des salles de classe pour sauver cette langue régionale. J’ai décidé de les soutenir grâce à la réserve parlementaire.

M. Paul Molac. Très bien !

M. Frédéric Lefebvre. Je l’ai décidé car c’est une manière de faire vivre le français aujourd’hui, dans un pays, les États-Unis, où il n’est pas si présent.

De même, il existe dans ma circonscription des associations d’Alsaciens, de Bretons, de Corses ou encore de Basques établis en Amérique du Nord, à New York, San Francisco ou Montréal. Elles m’ont transmis leur motion conjointe du 31 mars dernier par laquelle elles jugeaient indispensable la ratification de la Charte européenne.

Ce débat, chers collègues, doit dépasser les clivages politiques traditionnels. Si je me félicite que ce texte vienne aujourd’hui en discussion et si je m’apprête à le voter, je regrette néanmoins, monsieur le président de la commission des lois…

M. le président. Votre temps est écoulé, monsieur Lefebvre.

M. Frédéric Lefebvre. … que votre audace ne vous ait pas conduit, avec le Gouvernement, à ratifier ce texte, car c’est cela que nous attendons !

M. le président. La parole est à M. Jean Lassalle.

M. Jean Lassalle. Un député minoritaire pour un texte minoritaire… Je sais, monsieur le président, que je n’ai que deux minutes pour intervenir. Je veux simplement dire à certains de mes collègues, ardents républicains – nous le sommes tous – comme M. Myard, par exemple, que j’ai appris le français en troisième langue. Je l’ai appris imparfaitement et n’arrive que très imparfaitement à me faire comprendre et, qui plus est, j’en ai gardé un accent à couper au couteau. Auparavant, j’avais appris le béarnais, et même l’espagnol puisque papa était alors berger en Espagne. Pour un enfant, c’est une très grande chance de pouvoir apprendre plusieurs langues. C’est un formidable cadeau à lui faire.

M. Frédéric Lefebvre. Bien sûr !

M. Jean Lassalle. Je veux le dire à tous les républicains qui siègent ici qu’aujourd’hui, ce ne sont ni le basque, ni le béarnais, ni l’occitan, ni le breton, ni le corse qui mettent le français en danger. C’était peut-être le cas il y a deux cents ans, lors de l’établissement de la République, mais aujourd’hui c’est nous-mêmes, monsieur le président ! Avons-nous vraiment choisi de défendre le français, ou d’adopter cette langue sans mémoire ni rêves qu’est l’anglo-dollar ? Hélas, je me le demande.

M. Jacques Myard. Bravo !

M. Jean Lassalle. Oui aux langues régionales ! Elles font partie de notre patrimoine, et un patrimoine se lègue de père en fils !

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Et de mère en fille !

M. Jean Lassalle. Naturellement, car sans mères, il n’y aurait de filles ni de fils ! Ce patrimoine nous appartient et il leur appartient, ainsi qu’à tous les Français !

Je voterai ce texte, mais je serais si heureux que l’on entreprenne le grand chantier de la réinstallation dans le monde du français, cette langue universelle qui n’est même plus traduite dans tous les amphithéâtres ! En tout état de cause, oui au texte !

M. le président. La parole est à M. Frédéric Reiss.

M. Frédéric Reiss. En feuilletant le dernier numéro du magazine D’Heimetsproch un Tradition, Langues de chez moi et tradition, mon regard a été accroché par un article intitulé « Cela vous a-t-il aussi frappé ? ». Je le cite : « Du neuf nous arrive une ancienne chanson, promesse pour tous les citoyens œuvrant pour la survie d’une langue régionale en France. Une vraie promesse avec d’autres raisons à la clé ? Évidemment, en 2014, nous serons tous appelés aux urnes pour l’élection des conseils municipaux puis des députés européens. Y aurait-il un lien avec la promesse de ratification de la Charte que nous, Français, sommes parmi les derniers à ne pas avoir adoptée ? L’année entamée nous dira jusqu’à quel point ces promesses sont crédibles ».

J’espère de tout cœur que cette proposition de loi ne nous mènera pas dans une impasse et que nous ne finirons pas par « jeter le fusil dans les blés », selon une belle expression alsacienne !

L’avancée de 2008, au Congrès de Versailles, n’a malheureusement pas été déterminante, le projet de loi qui devait permettre le développement des langues régionales appartenant au patrimoine de la France n’ayant jamais suivi. Peut-être n’est-il pas trop tard, madame la ministre !

Je suis de la génération d’Alsaciens qui a appris le français à l’école. Bilingue dès le cours préparatoire, j’ai parfait mon éducation en alsacien en famille tout en continuant ma scolarité en français. Aujourd’hui plus que jamais, le bilinguisme dès le plus jeune âge est un atout majeur pour notre jeunesse, non seulement pour l’apprentissage des langues vivantes mais aussi pour l’insertion professionnelle.

L’Office pour la langue et la culture d’Alsace fêtera en mars prochain la douzième édition du « E Friehjohr fer unseri Sproch », le « Printemps pour notre langue », en semant sur le terreau fertile de nos traditions et de notre langue régionale. Avec la ratification de la Charte, nous pourrons espérer de belles moissons ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Éric Straumann.

M. Éric Straumann. Les principales langues régionales de France sont toutes transfrontalières et sont des langues officielles ou nationales des pays voisins. Par conséquent, elles sont des outils essentiels de coopération transfrontalière en matière de commerce et de développement économique et social. La pratique d’une langue régionale est un atout considérable sur le marché du travail dans ces zones frontalières.

À ceux qui craignent une menace pour notre langue nationale, il faut préciser que la qualité de la maîtrise du français diminue parallèlement à la disparition des locuteurs de langues régionales. En 1994, une première évaluation nationale sur le sujet démontrait que les élèves des classes bilingues, à parité entre le français et une langue régionale, présentaient en CM2 les meilleurs résultats en matière de maîtrise du français.

Lorsque la dernière langue régionale de France aura disparu, le compte à rebours commencera pour le français, car les langues de France ont un destin commun. Elles participent toutes à la beauté de notre pays, car chacune d’entre elles enrichit ce qu’elle nomme. Nos langues ne sont pas seulement des outils de communication ; elles sont aussi porteuses de valeurs et d’identité. La diversité linguistique est un élargissement de l’esprit et le moyen de construire un dialogue fondé sur une compréhension mutuelle authentique. C’est pour cette raison que je voterai en faveur de ce texte !

M. Patrick Hetzel. Bravo !

M. le président. La parole est à M. Alain Marc.

M. Alain Marc. Nous débattons ce soir de la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. L’opposition de ceux qui, sur ce sujet, ont des idées préconçues, est étonnante. Elle me fait parfois penser à ces débats du XIXsiècle sur la vitesse des trains qui aurait altéré la santé des voyageurs. De même, l’unité de la République pourrait, nous dit-on, craindre de la reconnaissance des langues régionales ! La confusion entre l’unité de la République et l’unité linguistique est un grand classique.

Que les choses soient claires : il n’est pas question pour moi de contester la primauté de la langue française, merveilleuse, qui a pétri des générations de consciences et dans laquelle nous nous reconnaissons tous. Cependant, nous ne saurions nier ce qui fait la valeur de nos territoires et leur histoire. Ces langues font partie du patrimoine immatériel de la France et de l’humanité.

Nous, Français, qui sommes si prompts à défendre la diversité culturelle à l’extérieur de nos frontières, serions à ce point frileux voire hostiles sur ce sujet ? Avouez qu’il y a là un paradoxe, d’autant que le nombre de locuteurs des langues régionales et celui des personnes qui en ont une compréhension minimale baissent. Laisserions-nous donc mourir la langue que parlaient les comtes de Toulouse et Richard Cœur de Lion, je veux parler de l’occitan, et toutes les autres langues régionales que nous devons aussi défendre ?

Les expériences éducatives conduites ici et là dans des écoles associatives, mais aussi les sections bilingues de l’enseignement public – cela vient d’être dit – démontrent l’intérêt pédagogique de ce type d’enseignement. Les résultats sont là, probants et étayés par les conclusions de Claude Hagège, le célèbre linguiste.

Sur le plan politique, nous ne sommes pas dupes : ce texte aura du mal à parvenir au terme de la procédure, comme l’a expliqué M. Geoffroy. Vous avez d’ailleurs bien dit que mardi prochain, lors du vote, nous allions « nous compter ». Malgré cela, je suis favorable à cette ratification.

Permettez-moi de conclure par une citation en occitan : « La fe sens òbras mòrta es » – « sans œuvres, la foi est morte ».

M. Jacques Myard. Il va bientôt nous falloir un dictionnaire !

M. Alain Marc. Autrement dit, au-delà des grandes déclarations d’intention, au-delà d’un inutile tour de piste…

M. Guy Geoffroy. C’est la République du cirque !

M. Alain Marc. …nous souhaitons des actes effectifs dans les prochaines semaines !

M. le président. La parole est à M. Camille de Rocca Serra.

M. Camille de Rocca Serra. M’exprimant au nom de deux autres parlementaires, Sauveur Gandolfi-Scheit et Laurent Marcangeli, qui ne sont pas là ce soir, je vous demanderai, monsieur le président, un peu d’indulgence, car je suis le seul à pouvoir m’exprimer en leur nom.

M. le président. Une telle disposition n’est pas prévue, j’en suis désolé.

M. Camille de Rocca Serra. La langue française est bien chez elle en Corse comme en Alsace, en Occitanie, en Bretagne ou ailleurs. Mieux encore, elle y est renforcée par la variété des langues régionales. Nos territoires, dans leur diversité, sont l’expression même de la France. Parler une langue régionale permet de se positionner dans l’ensemble national en y fusionnant son altérité régionale.

Tout à l’heure, j’entendais certains de nos collègues parler au nom de nos ancêtres révolutionnaires. Il ne faut pas oublier que l’idéologie révolutionnaire reposait sur le raisonnement suivant : puisque la nation a renoncé à l’unicité religieuse et à l’unicité de la personne du souverain, il faut fonder son unité sur un nouveau dénominateur. Celui-ci n’est pas l’unicité de la langue ou du peuple, mais bel et bien la volonté de partager un destin commun, une conception ascendante, théorisée par Ernest Renan en 1882 – je le cite : « La langue invite à se réunir, elle n’y force pas ».

Les États-Unis et l’Angleterre, l’Amérique espagnole et l’Espagne parlent la même langue et ne forment pas une seule nation. Au contraire, la Suisse, si bien faite, puisqu’elle a été faite par l’assentiment de ses différentes parties, compte trois ou quatre langues. Il y a dans l’homme quelque chose de supérieur à la langue, c’est la volonté. La volonté de la Suisse d’être unie malgré la variété de ses idiomes est un fait bien plus important qu’une similitude souvent obtenue par des vexations.

Cette incapacité à penser l’unité nationale dans la pluralité des langues n’a pas cessé de peser sur notre histoire. N’ayons pas peur. La seule limite est que le français reste la langue de la République.

M. Jacques Myard. Bravo !

M. le président. Merci de conclure, monsieur de Rocca Serra !

M. Camille de Rocca Serra. L’article 1er de la Charte précise que les langues employées par les récents immigrants d’un État non européen ne sont pas concernées.

Ainsi, mes chers collègues, nous voyons bien aujourd’hui que le débat sur les langues régionales suscite des joutes passionnées qui tournent autour de l’intégrité de notre République. Que chacun se rassure : celle-ci ne saurait être menacée et personne ici ne s’en accommoderait. Sur le rouge du drapeau tricolore, il y a le sang versé par tous les Français.

M. Marc Le Fur. Tout à fait !

M. Camille de Rocca Serra. Il y eut des Corses et des Bretons, du Chemin des Dames à Monte Cassino. Toutes les régions de l’Hexagone se sont battues pour la France, sans forcément, à l’époque, maîtriser correctement la langue de la République. Ne faisons donc pas de procès d’intention à ceux qui, aujourd’hui, veulent pérenniser les langues de France.

M. le président. Monsieur de Rocca Serra, vous avez dépassé votre temps de parole !

M. Camille de Rocca Serra. Au-delà, que chacun garde à l’esprit les valeurs républicaines et le message universel de la Révolution, celui de la liberté ! (« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Hélène Fabre.

Mme Marie-Hélène Fabre. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, après le vote de la loi pour la refondation de l’école, qui a reconnu officiellement pour la première fois l’enseignement bilingue en langue française et en langue régionale, puis de la loi de modernisation de l’action publique territoriale, qui a offert aux régions une compétence en matière de langues régionales, cette proposition de loi cherche à pérenniser ces nouveaux acquis, en inscrivant la Charte des langues régionales dans notre Constitution.

Nous sommes tous responsables de la préservation de la diversité linguistique devant les générations futures. Dès lors, comment pourrait-on accepter de laisser se dégrader, sans réagir, notre patrimoine linguistique ? Car la plupart de nos langues régionales se trouvent sérieusement en danger.

Les régions de notre pays ont leur histoire, leur identité, mais leurs habitants ont toujours eu le cœur français. Et ils l’ont prouvé par le passé. Il suffit de compter les noms sur les monuments aux morts.

Je crois même que les langues régionales peuvent devenir, à terme, un formidable vecteur d’intégration républicaine, en permettant aux jeunes de renouer avec la langue française, à l’heure où ils sont en permanence exposés à un mauvais sabir franco-américain. Comme l’affirmait Frédéric Mistral, les arbres aux racines profondes sont ceux qui montent haut.

Pour conclure, au nom de mes collègues députés SRC du Languedoc-Roussillon, de l’Hérault, du Gard, de l’Aude et de la Lozère, j’emprunterai les mots de Marie Rouanet, écrivain bien connu, qui s’exprimait ainsi en parlant de la langue d’oc – ces propos peuvent également s’appliquer au catalan : « superbe, riche, imagée, comme jaillie d’une source partout dans les médias, les spectacles vivants (… ) qu’elle retentisse dans la joyeuseté et l’allégresse de l’espérance ». Alors n’hésitons plus à préserver tant qu’il est encore temps, notre magnifique patrimoine linguistique ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC.)

M. Paul Molac. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jacques Myard.

M. Jacques Myard. Monsieur le président Urvoas, « La République peut ratifier la Charte ». Où êtes-vous allé chercher cette formule ? Je vous rappelle qu’une ratification, c’est le privilège du Président de la République. Il aurait fallu mieux rédiger le début de votre article, que cela vous plaise ou non !

Cela étant, la ratification est complétée par une déclaration interprétative sur, notamment, la notion de groupe, sur l’article 7, paragraphe 1, et les articles 9 et 10, qui ne peuvent aller à l’encontre de l’article 2 de la Constitution. Cette déclaration interprétative, vous le savez, n’en est pas une : c’est une réserve. Or, pour que la réserve soit acceptée en droit international, elle ne doit pas être contraire au traité et au texte même. C’est ce que dit d’ailleurs l’article 21, que vous violez allègrement, parce que l’article 21 de la Charte interdit des réserves aux articles 9 et 10.

En réalité, vous amusez le débat, on l’a bien compris, et cela a été souligné, entre autres, par M. Geoffroy. Vous savez fort bien que ce texte va vous échapper, car il a sa propre dynamique dont la logique n’est pas le texte de 1992.

La logique, en réalité, prend ses racines dans ce qui s’était passé après la Première guerre mondiale, et notamment les conventions portées par la SDN. Car dans le texte même de la convention, il y a les langues minoritaires, c’est-à-dire les nationalités minoritaires. Le logiciel de ce texte remonte précisément à la volonté, notamment de la SDN, de protéger les Hongrois qui se retrouvaient en Roumanie, et les Roumains en Autriche ou ailleurs. C’est là la logique même du texte, qui a été repris, puis peut-être édulcoré, mais c’est là que se trouve un logiciel qui est étranger à la République.

Que vous soyez bretons, occitans ou, comme moi, un Gaulois récalcitrant, nous sommes tous des citoyens français. C’est cela, le sens de la République, et ce texte n’est pas dans le logiciel de la République !

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Allossery.

M. Jean-Pierre Allossery. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, la Charte européenne des langues régionales a été adoptée à Strasbourg en 1992. Quinze ans après, la France ne l’a toujours pas ratifiée. Cette signature, cet engagement sont pourtant attendus !

Dans le prolongement initié par Lionel Jospin en 1999, cette proposition de loi constitutionnelle autorise enfin notre pays à allier la préservation et la promotion de ce patrimoine immatériel que constituent les langues régionales. Plus de vingt-cinq pays européens y sont déjà inscrits depuis des années sans que cela pose difficulté.

Un État qui reconnaît ses langues régionales est avant tout un État qui promeut le droit culturel pour tous. Dès 2001, nous nous sommes engagés dans la Déclaration universelle de l’UNESCO portant sur la diversité culturelle. Dès 2005, nous nous sommes inscrits dans la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles.

Ces engagements concrétisent la place de la culture comme un pilier essentiel du développement sociétal. La diversité culturelle, tout comme la reconnaissance de nos diversités linguistiques, est loin d’être un frein au développement. Elle n’est pas un obstacle à la modernité ni au progrès. Bien au contraire !

L’universalité et la diversité culturelle ne doivent pas être opposées : elles sont complémentaires. Ainsi, la position de la République sur les langues régionales, traditionnellement réservée, pour ne pas dire hostile, n’est plus tenable. La transmission des langues régionales a une valeur sociale indéniable dans la richesse des connaissances et des savoirs qui se transmettent d’une génération à l’autre.

Ainsi, madame la ministre, je soutiens ce projet de ratification et son article unique visant à intégrer dans la Constitution les langues régionales afin de poursuivre l’égalité de tous les citoyens, et cela sans distinction. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. Paul Molac. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Gwendal Rouillard.

M. Gwendal Rouillard. Ce texte met en débat deux conceptions de la République : la République de la diversité, celle dont nous faisons la promotion, et la République de l’uniformité, celle de M. Myard, que nous venons d’entendre.

M. Jacques Myard. C’est faux !

M. Gwendal Rouillard. S’agissant du choix entre la République de la diversité ou la République de l’uniformité, je me permets à cette heure de vous faire part de deux considérations.

La première est une phrase tirée du livre de Mona Ozouf, la Composition française. Permettez-moi d’en citer un passage : « Je ne crois ni les universalistes, parce que notre vie est tissée d’appartenances, ni les communautaristes parce qu’elle ne s’y résume pas. Après tout, c’est l’individu qui tient la plume et se fait narrateur de sa vie… Cette plume qui dessine l’identité, sans jamais céder à l’identitaire ». Voilà un premier élément de réflexion.

J’espère que nos collègues de l’opposition méditeront sur le deuxième élément de réflexion que je vais vous livrer maintenant.

J’ai eu le plaisir de vivre, le 9 mai 2009, la finale de la Coupe de France au Stade de France, Rennes-Guingamp. Il y avait là 80 000 Bretons, et 80 000 drapeaux bretons. Rendez-vous compte ! Quel moment d’émotion ! Un début de soirée avec 80 000 Bretons qui chantent La Marseillaise ! Une fin de soirée avec 80 000 Bretons qui chantent le Bro gozh ma zadoù, l’hymne breton chanté par Alan Stivell ! Beau moment d’émotion !

Nous nous sommes alors posé la question de savoir pourquoi le Président Sarkozy, à l’époque, avait tant hésité à participer à cette finale de la Coupe de France. Je vous invite à méditer cela : la République de la diversité, c’est la capacité à construire des identités complémentaires, tranquilles et fortes. La République, pour nous, c’est cela, c’est la diversité ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

M. Jacques Myard. La nation, c’est la diversité !

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Le Roch.

M. Jean-Pierre Le Roch. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, plus de vingt ans après son adoption au sein du Conseil de l’Europe, en 1992, près de quinze ans après sa signature par la France, en 1999, la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires n’est toujours pas en vigueur dans notre pays.

La langue bretonne est l’un des marqueurs de la personnalité de la Bretagne, de son identité et de sa culture. C’est pourquoi des initiatives ont d’ores et déjà été prises par le Conseil régional de Bretagne afin de permettre la pérennisation du breton et du gallo, ces deux langues étant classées comme « sérieusement en danger » par l’UNESCO.

Face à la disparition naturelle de près de 10 000 brittophones par an et à la rupture de la transmission naturelle de chacune de ces langues, la région Bretagne a adopté une politique linguistique dès décembre 2004, axée autour de quatre objectifs, qui s’inspire directement des préconisations des principes et mesures concrètes de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires.

Le cas de la Bretagne n’est pas un cas particulier. Au-delà de cet exemple, l’Atlas UNESCO des langues en danger dans le monde suffit à s’en convaincre : sur les vingt-six langues recensées en France métropolitaine par l’UNESCO, toutes – dont le breton et le gallo – sont classées « sérieusement en danger », à l’exception de certaines classées « en danger »comme le corse et d’autres classées « vulnérables » comme le basque.

Mes chers collègues, nous discutons aujourd’hui d’un texte protecteur de la diversité, pas seulement destiné à protéger, mais qui a vocation à promouvoir l’épanouissement des langues régionales dans l’ordonnancement juridique républicain. C’est pourquoi il convient de se rassembler autour de cette proposition de loi constitutionnelle afin de permettre la pleine reconnaissance des langues régionales, demeurée en suspens depuis bien trop longtemps. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme Chantal Guittet.

Mme Chantal Guittet. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, les langues régionales restent trop souvent dans les esprits des symboles de résistance à l’État. Elles ont été les victimes désignées de la nécessaire unification du pays. Car légiférer en matière de langue est bien évidemment un acte politique, on l’a vu en Espagne lorsque Isabelle la Catholique a imposé le castillan. En Italie et en Allemagne, l’unification linguistique a précédé l’unification politique.

Les langues régionales contribuent en France et en Europe à maintenir et à développer les traditions et la richesse culturelle de l’Europe. Les langues et les cultures de France sont une composante de notre patrimoine.

Une langue a la vertu extraordinaire de pouvoir ressusciter, cela a été prouvé avec l’hébreu, mais il faut pour cela des circonstances très particulières. On peut estimer qu’une langue régionale est sauvée lorsque les gens se disent le plus naturellement du monde des choses aussi courantes que « Je t’aime » ou « Passe-moi le sel ». Or on en est loin, car seule une minorité se bat aujourd’hui pour sa langue locale, sans parler de ceux qui y sont hostiles.

Si nous voulons défendre la francophonie dans le monde et être crédibles, cela suppose d’abord que la France montre qu’elle respecte chez elle sa propre diversité linguistique.

L’État a accompli des efforts, mais ils sont largement insuffisants. Les langues régionales sont dans une situation préoccupante faute de reconnaissance publique. À ce rythme, si rien n’est fait pour préserver la diversité du patrimoine linguistique français et mondial, il se pourrait que la moitié des langues encore parlées aujourd’hui disparaissent au cours du vingt-et-unième siècle au profit de langues reposant sur une hégémonie politique, économique et sociale. Or une langue qui disparaît, c’est une partie du patrimoine de l’humanité qui sombre irrémédiablement.

M. le président. Merci de conclure, chère collègue.

Mme Chantal Guittet. Nous devons réagir vite. Pour ce faire, il faut répondre positivement et à une tout autre échelle aux familles qui demandent l’enseignement d’une langue régionale, car l’école est au fondement de tout. Il faut aussi, toujours par l’enseignement, donner conscience à chacun de ce que représentent dans l’histoire de France les langues régionales et les cultures qui leur sont associées.

Une société confrontée à la perte probable de la langue dont elle a la responsabilité doit donc opérer un choix collectif. C’est ce que nous faisons ici. C’est la raison pour laquelle je vous incite, chers collègues, à ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires.

M. le président. La parole est à Mme Martine Faure.

Mme Martine Faure. Il faut reconnaître la richesse des langues régionales et reconnaître que notre patrimoine linguistique est inestimable. Nous avons parlé de toute la soirée des bijoux et des trésors qu’il recèle. Mais une simple reconnaissance ne suffit pas. Les enfants qui ont eu la chance d’apprendre leur langue ou une langue régionale dans leur toute petite enfance ont acquis des habiletés linguistiques que personne ne conteste. Certes, des évolutions favorables à la transmission des langues de France ont eu lieu, comme la Charte européenne adoptée le 5 novembre 1992, les propositions initiées par le gouvernement Jospin, la décision du Conseil constitutionnel sur l’article 75-1 de la Constitution rendue le 20 mai 2011 et enfin la récente loi de refondation de l’école de la République promulguée le 8 juillet 2013, qui a souligné toute la place que pourraient occuper les langues régionales dans notre système éducatif.

Malgré tous ces engagements, si forts soient-ils, les langues régionales ou minoritaires n’ont toujours pas de statut légal et sont encore victimes d’une grande précarité juridique et d’un traitement très inégal sur l’ensemble du territoire français. Une telle situation est absolument insupportable ! Affirmer que la ratification de la Charte minerait les fondements du pacte social et ferait courir au pays un risque de dislocation est absurde, car c’est impossible. Aucun des États ayant adopté la charte ne s’est disloqué. Il est grand temps de mettre fin aux incohérences, aux hypocrisies et aux injustices territoriales et de reconnaître sans louvoyer la valeur et la richesse de nos langues et de leur transmission. Afin de ne pas laisser mourir les langues de France, ces joyaux dont nous avons parlé toute la soirée, et à moyen terme la langue française, nous devons voter la proposition de loi constitutionnelle pour qu’enfin la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires soit ratifiée. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

M. Paul Molac. Bravo !

M. Thierry Benoit. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Marietta Karamanli.

Mme Marietta Karamanli. Le sujet qui nous occupe ce soir fait partie de ceux qui passionnent, même tard dans la nuit. J’avancerai deux idées. J’insisterai particulièrement sur la notion de diversité, évoquée à plusieurs reprises, qui me semble être un élément fondateur de notre République. La diversité culturelle caractérise aussi l’Union européenne dont les langues régionales ou minoritaires font aussi partie.

Elles sont aussi le vecteur d’une diversité de pensée. Le droit de s’exprimer librement dans sa propre langue, fût-elle peu répandue, fait partie intégrante des droits de l’homme, garantis par des textes internationaux au même titre que le droit à l’éducation. Je répondrai donc à M. Myard qu’il existe en France à la fois la langue française et les langues de France. Toutes contribuent à la cohésion intellectuelle, sociale et historique de notre pays.

M. Jean Lassalle. Eh oui !

Mme Marietta Karamanli. Les reconnaître, c’est connaître notre pays et en favoriser le rayonnement. Le deuxième élément sur lequel je souhaite insister, c’est le travail accompli par le Conseil de l’Europe dont je suis membre. Il s’est prononcé à plusieurs reprises en faveur du développement des langues régionales et minoritaires en Europe et a demandé aux États non seulement de signer la charte mais aussi de l’appliquer. La réponse adressée à cette occasion par notre pays à l’APCE signalait plusieurs dizaines de langues sur notre territoire, y compris dans les départements d’outre-mer, et justifiait la non-ratification par la nécessité de garantir la cohérence des lois. La proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui lève l’obstacle. Enfin, les États reconnaissent facilement les droits individuels en matière économique, pourquoi ne pourraient-ils affirmer les droits des personnes en matière culturelle, sans pour autant en faire des droits-créances ?

M. Paul Molac. Bravo !

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Bleunven.

M. Jean-Luc Bleunven. Je me félicite de la proposition de loi, qui démontre pour la première fois une volonté politique transpartisane d’aller de l’avant sur le sujet. Penser que la diversité linguistique menace l’unité de la République est une inquiétude irrationnelle qui provient de temps anciens où l’unité à tout prix était indispensable à la République. Nous devons la transcender. Confondre égalité et uniformité est totalement archaïque. La richesse aujourd’hui provient de notre capacité à valoriser la diversité.

Défendre la francophonie en Europe et dans le monde sans favoriser l’usage des langues régionales en France est incohérent. La Commission européenne, par la voix de sa commissaire Mme Vassiliou, a affirmé à de nombreuses reprises son soutien aux vingt-trois langues officielles de l’Union européenne mais aussi aux soixante langues régionales et minoritaires parlées dans l’Union. Le Royaume-Uni reconnaît le gallois, l’Espagne le catalan. D’autres pays, comme l’Italie, se dotent de mesures visant au développement du patrimoine linguistique sur leur territoire. Nous accusons aujourd’hui un retard absolument incompréhensible pour les centaines de milliers de locuteurs de langues régionales de notre pays.

La proposition de loi leur envoie un message positif. Néanmoins, elle ne doit pas être considérée comme une fin en soi. Elle n’est que la première étape d’une politique ambitieuse en faveur de l’épanouissement de nos langues régionales et minoritaires qui devra trouver sa déclinaison dans les secteurs clés de l’éducation, de la formation et de la culture. Les prochains débats sur la décentralisation seront une nouvelle occasion de réaffirmer cet élan. Il faut aider les régions désireuses d’agir pour la sauvegarde et le développement des langues régionales à garantir à chaque habitant un socle de droits minimaux en matière d’accès et d’usage linguistique. L’accès à l’expérimentation, qui confère aux régions volontaires une compétence générale en matière linguistique, devra ainsi être clairement affirmé.

M. le président. La parole est à Mme Annick Le Loch.

Mme Annick Le Loch. J’ai sous les yeux une page d’un dossier du ministère de la culture et de la communication datant du 2 juin 1999. On lit sur la page de garde : « Le 7 mai à Budapest, la France a signé la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires lors des cérémonies du cinquantième anniversaire du Conseil de l’Europe. Cet engagement est le symbole de la reconnaissance des différentes langues de France comme élément du patrimoine culturel de la nation. La Charte entrera en vigueur après ratification par le Parlement qui devrait intervenir dans le courant de l’année 2000 ». Nous sommes en 2014, le temps de sa ratification est donc venu. Comme vous l’avez dit, madame la ministre, nous sommes riches de nos langues régionales. La pluralité linguistique et culturelle n’est en rien une menace pour notre République. Au contraire, celle-ci se grandirait sans doute en ratifiant la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires adoptée à Strasbourg le 5 novembre 1992.

On dira que l’absence de ratification n’a pas empêché le développement de l’enseignement de la langue bretonne par exemple, ni le sauvetage de la culture, de la musique et de la danse bretonnes. Mais la reconnaissance pleine et entière des langues et cultures régionales dans notre Constitution constituerait incontestablement une avancée et un signe forts. Certes, notre langue commune est le français et le monde est notre horizon, en particulier celui des jeunes. Néanmoins, enseigner à un enfant la langue de son entourage affectif et culturel n’est pas dépourvu de sens.

Il est logique d’apprendre la langue de son environnement immédiat, celle de sa famille ou de sa région, éventuellement et sans exclusive. Pierre-Jakez Hélias, fervent défenseur de la culture et de la langue bretonnes, disait que « sans hier et sans demain, aujourd’hui n’est rien ». Confirmons-le en ratifiant la Charte européenne des langues et cultures régionales ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)

M. Paul Molac. Bravo !

M. le président. La parole est à Mme Anne-Yvonne Le Dain.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Que dire qui n’a pas déjà été dit, sinon que le monde change vite et qu’il est temps que la France trouve une voie constitutionnelle pour enfin ratifier la Charte européenne des langues régionales.

M. Guy Geoffroy. On n’en prend pas le chemin !

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Le temps est venu de le faire, car notre pays est suffisamment mature et solide. La France est forte de pouvoir le faire enfin ! Les militants des langues régionales sont à l’œuvre depuis longtemps, la Charte européenne est là depuis 1992, les institutions ont été à l’œuvre, vaille que vaille, ouvrant ici des enseignements intégrés, associant là des écoles entières vivant de fait avec un bilinguisme de bric et de broc d’ici et là en métropole et dans les îles, méditerranéennes ou océanes, et partageant même certaines langues régionales avec d’autres langues frontalières. Bretonne de Montpellier, 100 % pur beurre, députée d’une terre dont on dit qu’elle ne ment pas, d’un territoire qui ne m’a pas vu naître mais qui m’amène ici ce soir…

M. Gwendal Rouillard. C’est une diaspora !

Mme Anne-Yvonne Le Dain. …dans cet hémicycle qui fait la loi de France, j’affirme que si une langue est un socle qui partage un territoire, celui-ci ne peut être qu’évolutif. Les langues évoluent et changent, c’est leur force. Grâce à la ratification de la Charte, la République s’attachera enfin à préciser, formaliser et codifier dans les dictionnaires, encoder aussi peut-être pour les ordinateurs, ces belles langues régionales dont nous affirmons ce soir qu’elles sont pleinement françaises.

Notre pays est un magnifique composite qui s’honore de ses diversités, pourvu que le creuset qui le fonde reste la République, la France. Il est temps, dans ce pays qui est le nôtre, de ne plus laisser épars notre patrimoine linguistique. La France est un pays pacifié qui évolue, dont la langue se construit et se déconstruit chaque jour, et tant mieux, nonobstant ceux qui veulent figer le monde dans un passé défunt derrière des barrières infranchissables héritières d’un passé fantasmé qui n’a jamais vécu !

Si l’histoire a décidé que la langue d’oïl allait prévaloir en France, sans doute parce que les rois de France et la loi étaient à Paris, évidemment, alors que le pape, représentant de la foi, n’a fait qu’un bref séjour en Avignon, je ne ne peux donc penser sans sourire, dans cet hémicycle même, que c’est d’Occitanie, du sud, qu’est venue la Marseillaise, chant révolutionnaire écrit en avril 1792 par un aristocrate français à Strasbourg sous le titre de Chant de guerre de l’armée du Rhin, mais apporté à Marseille par François Mireur, …

M. le président. Merci de conclure, chère collègue.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. …médecin montpelliérain placé à la tête du bataillon des volontaires de l’Héraut, à la veille du départ de la grande et belle cohorte qui monta à travers la France vers, à et sur Paris pour sauver la République en août 1792. Puis…

M. le président. Votre temps de parole est épuisé, chère collègue.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. …la Marseillaise, alsacienne et méditerranéenne, vécut son histoire, notre histoire. Il fallut quelques mois tout au plus pour qu’un chant en français soit diffusé sur mille kilomètres et à pied, traversant toutes les contrées, rencontrant toutes les cultures, toutes les langues, patois et dialectes distincts du français.

M. le président. Votre temps de parole est épuisé, madame Le Dain.

M. Frédéric Lefebvre. C’est le moins que l’on puisse dire !

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Il ne fallut que quelques mois pour que ce chant se répande partout et devienne le symbole de la liberté et des combats qu’il faut mener pour elle. Je voudrais…

M. le président. Nous ne pouvons pas continuer ainsi, madame Le Dain. Le temps de parole alloué aux interventions portant sur des articles est de deux minutes.

La parole est à M. Marc Le Fur.

M. Marc Le Fur. Nous avons l’art de créer des contradictions là où il n’y en pas. Je m’efforce d’être un bon breton et un bon français, les deux peuvent aller ensemble ! Je suis entouré d’excellents Corses et Alsaciens qui sont également d’excellents citoyens français ! Ne créons pas de contradictions là où il n’y en a pas ! Au contraire, efforçons-nous de rassembler ! Reconnaissons que les jeunes dont les parents ont fait le choix de les éduquer dans la langue de leur région ont d’excellents résultats ! Je connais des établissements dont le taux de réussite au bac est de 100 %, alors même que l’essentiel de l’enseignement est dispensé en langue bretonne. Ils excellent en français et ont d’excellents résultats, car ils ne manquent pas de motivation et la maîtrise d’une langue régionale est pour eux un élément de plus et non en moins.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Et aussi parce qu’ils comptent moins d’élèves !

M. Marc Le Fur. Sortons donc des querelles de principe et allons vers le concret. Le concret, ne nous leurrons pas, exigera une loi qui fera concrètement avancer les choses en créant un droit à la formation dans la langue de sa région. Elle fera obligation aux administrations d’offrir la possibilité aux familles qui le souhaitent de bénéficier d’un enseignement dans la langue de leur choix.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Qu’il faudra financer !

M. Marc Le Fur. Elle validera définitivement l’enseignement par immersion, méthode pédagogique appréciée, reconnue et efficace. Elle obligera les communes qui n’offriront pas d’enseignements du premier degré dans la langue de la région à accepter que les enfants soient scolarisés dans la commune voisine, et à payer en conséquence les frais de scolarité afférents à la formation.

Mme Marie-Françoise Bechtel. C’est ce que je disais ! Merci, monsieur Le Fur !

M. Marc Le Fur. Tout ça, c’est ce qui doit suivre, mes chers collègues ! Nous devons être cohérents. Il y a eu une révision de la Constitution en 2008, il va y avoir la charte – nous l’espérons –, et il y aura ensuite des points concrets, objectifs et précis qui montreront que nous sommes sortis des apparences et des illusions pour progresser de manière objective vers d’autres étapes, comme doit le faire un législateur cohérent.

M. Thierry Benoit. Eh oui !

M. Camille de Rocca Serra. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Marie-Françoise Bechtel.

Mme Marie-Françoise Bechtel. J’ai entendu parler de diversité, de nécessité de promouvoir les langues régionales, de leur intérêt pour l’enfant, le tout noyé sous des flots de lyrisme, mais je n’ai rien entendu qui conduise à une révision de la Constitution, compte tenu des instruments dont nous disposons.

M. Guy Geoffroy. Absolument !

Mme Marie-Françoise Bechtel. J’ai également entendu le sempiternel procès à l’uniformité fait à l’encontre de ceux qui ont le malheur de plaider l’égalité républicaine. L’égalité, mon cher collègue, c’est le dépassement des différences, ce qui suppose leur reconnaissance, mais aussi leur dépassement – c’est exactement la même chose que pour la laïcité : c’est le même mouvement de pensée.

J’aimerais poser une question au rapporteur au sujet des déclarations interprétatives – car on ne parle pas du tout du contenu de cet article unique, qu’il faudrait peut-être songer à lire. D’abord, quelle est la valeur des déclarations interprétatives ? Constituent-elles des réserves ? Pour certains juristes, oui, pour d’autres, non. La question peut rester ouverte, je crois qu’elle n’est pas fondamentale.

Le vrai problème est que, telle qu’elle est rédigée, la principale déclaration interprétative – pas celle portant sur la langue française, mais celle portant sur la notion de groupe – est en contradiction frontale avec la Charte ! Le préambule de la Charte, qui a une valeur interprétative, renvoie bien, pour la notion de groupe évoluant sur un même territoire et pratiquant une même langue, à la notion de droit imprescriptible – je veux parler du droit que ce groupe de souche va pouvoir opposer à son propre État.

Il va s’ensuivre une surinclusion des groupes de souche, et une exclusion de tous les autres Français, ainsi que des immigrés : j’ai cité tout à l’heure le cas des deux files au guichet – voire des trois files pour les malheureux qui ne parleront pas français. J’ai entendu des propos que je ne peux admettre. Il y a très longtemps, le grand rapport Berque a proposé que la langue arabe soit enseignée dans nos établissements, mais cela est resté lettre morte : contrairement aux langues régionales, cela n’intéresse personne.

M. le président. Il faut conclure, madame Bechtel !

Mme Marie-Françoise Bechtel. Je veux simplement poser une question au rapporteur, monsieur le président. Dans son esprit, la ratification telle qu’elle est rédigée modifie-t-elle la portée des articles 1er et 2 de la Constitution ?

M. le président. La parole est à Mme Annie Le Houerou.

Mme Annie Le Houerou. Je fais partie de ces personnes à qui l’on a appris à ne pas parler breton, car cela était considéré comme un signe rétrograde, un défaut de bonne éducation que l’on traitait par l’humiliation. C’est un traumatisme qui est si bien ancré en moi qu’à l’heure actuelle, je dois faire de gros efforts pour m’exprimer oralement en breton, alors que je comprends parfaitement cette langue, qui est ma langue maternelle. Au nom de tous ceux qui ont subi la même humiliation, je suis fière de soutenir cette proposition de loi qui doit aboutir à la ratification de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires.

Les langues et leur diversité sont des richesses pour les citoyens de nos sociétés. La langue, mode de pensée, exprime la liberté de dire notre ressenti, elle structure notre pensée. Les langues régionales ou minoritaires expriment ces richesses, cette diversité d’expression. Elles ont contribué à la construction de notre patrimoine, et continuent à le faire. Les langues sont l’expression de la liberté et elles sont la liberté d’expression. Elles doivent s’exprimer et s’épanouir en toute liberté.

L’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ne dit-il pas que la libre communication des pensées et des opinions est l’un des droits les plus précieux de l’homme ? Tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, dans la limite des abus auxquels il pourrait se livrer – dans des cas déterminés par la loi –, dont il aurait à répondre. Considérer l’expression de la pensée et la liberté de communication comme un risque pour l’unité nationale ou pour la langue française, c’est, à mes yeux, méconnaître la réalité de ce phénomène d’expression diverse de nos langues de France, et c’est également contraire à nos principes républicains.

Je conclurai en disant, comme à Guinguamp, war raok – ce qui signifie « en avant ! » – vers la ratification de cette charte européenne des langues régionales et minoritaires. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques, nos 3, 8 rectifié et 9 rectifié.

La parole est à M. Paul Molac, pour soutenir l’amendement n3.

M. Paul Molac. L’amendement n3 vise à supprimer, à l’alinéa 2 de l’article unique, après la date « 1999 », tout ce qui vient ensuite. D’ordinaire, les déclarations interprétatives, faites par le Gouvernement, ne sont donc pas constitutionnalisées. N’étant pas un constitutionnaliste émérite, j’aimerais savoir pourquoi le rapporteur a décidé de constitutionnaliser, et s’il s’agit d’une pratique courante. En tout état de cause, il me semble qu’il y a, dans cette déclaration interprétative, un certain nombre de considérants qui risquent de poser problème.

M. le président. La parole est à M. Marc Le Fur, pour soutenir l’amendement n8 rectifié.

M. Marc Le Fur. Il me semble que nous devons adopter un texte simple, autorisant purement et simplement la ratification de la Charte. Il n’y a rien d’autre à ajouter : comme Guy Geoffroy l’a parfaitement dit, nous ne sommes pas là pour polluer notre Constitution. Par ailleurs, les considérations supplémentaires sont contraires à l’esprit de la Charte. Enfin, ces réserves peuvent poser de vrais problèmes. Quand on nous dit que « l’usage du français s’impose aux personnes morales de droit public et aux personnes de droit privé dans l’exercice d’une mission de service public », cela vaut pour les écoles associatives qui enseignent les langues régionales, et aussi pour France 3. Alors même que, par définition, on pratique les langues régionales dans ces structures, du jour au lendemain, on ne pourrait plus le faire ? Plus qu’un simple retour en arrière, cela équivaudrait à l’annulation d’années de travail ! J’aimerais que tout cela n’existe pas et que l’on en revienne à un texte simple, aux termes duquel nous autorisons le Président de la République à ratifier la Charte.

M. le président. La parole est à M. Alain Marc, pour soutenir l’amendement n9 rectifié.

M. Alain Marc. Comme cela a été dit, je considère que tout ce qui suit la date « 1999 » est soit superfétatoire, soit limitatif. Préciser que « le Gouvernement de la République interprète la Charte dans un sens compatible avec la Constitution » me paraît totalement inutile, puisque cela va de soi ! Par ailleurs, comme l’a excellemment dit Marc Le Fur, plusieurs clauses limitatives de cette partie interprétative semblent fort dangereuses pour certains modes d’enseignement.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces trois amendements identiques ?

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Je vais donner une réponse détaillée – qui vaudra non seulement pour ces amendements, mais aussi pour ceux qui vont suivre, qui disent exactement la même chose pour d’autres alinéas –, en m’efforçant de rester suffisamment simple pour que personne ne puisse prétendre ne pas avoir compris quelle est l’intention du groupe SRC.

Il est évident que la ratification de la Charte ne va pas éteindre l’histoire de la construction des langues régionales en France. Peut-être Mme la ministre nous proposera-t-elle, un jour, un code des langues, et peut-être notre groupe sera-t-il à l’origine d’une proposition de loi sur les langues. Cette loi sera soumise au Conseil constitutionnel et, si nous ne modifions pas la Constitution, il nous répétera ce qu’il nous dit constamment depuis quinze ans. Nous travaillons pour demain, parce que rien n’a été fait hier…

M. Marc Le Fur. On ne peut pas dire ça !

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. En tout cas, la Charte n’a pas été ratifiée. Les ministres qui ont précédé Mme Filippetti rue de Valois nous ont bien promis des lois, mais nous ne les avons jamais vu venir ! Ainsi, Frédéric Mitterrand et Christine Albanel sont venus à Quimper nous annoncer, du jour au lendemain, des lois sur les langues que nous attendons toujours.

Il y a tout de même eu un événement important en 2008 : la révision de la Constitution. On ne va pas refaire l’histoire, mais ceux d’entre nous qui étaient présents se souviennent sans doute de la palinodie au sujet de la question des langues régionales – devaient-elles figurer à l’article 2 ou à l’article 75 ? – et du compromis proposé par mon prédécesseur à la présidence de la commission des lois, Jean-Luc Warsmann, consistant à les faire figurer dans le chapitre sur les collectivités – ce qui a d’ailleurs eu pour résultat d’exonérer l’État de toute responsabilité en matière d’épanouissement des langues régionales.

Dans une logique de compromis, nous avions accepté cette solution, tout en ne votant pas la révision. De même, nous avons contribué à l’élaboration d’autres éléments de cette révision – je pense à la question prioritaire de constitutionnalité – et ne pas le reconnaître serait dénier à l’opposition toute capacité d’embellissement du travail législatif mené par la majorité, mais fort heureusement, personne n’est dans cette logique jusqu’au-boutiste. Je donne acte à ceux qui, dans l’opposition actuelle, ont mené ce combat lorsqu’ils étaient dans la majorité – ce n’était pas évident, car la garde des sceaux, qui défendait la position du Gouvernement, n’était pas particulièrement ouverte à ces questions.

Nous espérions sincèrement avoir fait un pas décisif en faisant figurer la mention des langues régionales dans la Constitution, peu importait à quel emplacement, puisqu’il n’y avait pas de hiérarchie entre les articles, nous avait-on expliqué.

M. Marc Le Fur. Oui, c’est vrai !

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Je pourrais retrouver les articles de la doctrine selon lesquels tout était réglé, du moins quant au fait que l’on pourrait, ultérieurement, éviter le risque de censure du Conseil constitutionnel – pour ce qui est du reste, le Président de la République avait bien dit qu’il ne voulait pas de la ratification de la Charte, et la garde des sceaux avait bien spécifié que la mention des langues régionales ne signifiait pas la ratification de la Charte.

Cependant, saisi par un justiciable au moyen d’une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a décidé, de manière complètement baroque – je le maintiens – que le constituant prenait des actes n’ayant aucune conséquence. Selon le Conseil, les modifications que nous avions apportées à la Constitution en y intégrant les langues régionales n’étaient que d’ordre déclaratif. Cela revenait à infantiliser le constituant, qui prenait des actes sans que cela n’ait de conséquences ! Dont acte, et c’est ce qui nous oblige à modifier la Constitution pour éviter que, demain, nos futures lois soient censurées par le Conseil constitutionnel.

Comment modifie-t-on la Constitution, me direz-vous ? Tout simplement à partir de ce que nous avons en magasin, c’est-à-dire à partir des décisions du Conseil constitutionnel et, le cas échéant, des éclairages apportés par le Conseil d’État. J’en profite pour dire à Henri Guaino, qui n’est malheureusement plus là, que je dispose de la faculté, en tant que président de la commission des lois – comme tout rapporteur, d’ailleurs – de demander au Gouvernement la communication de l’avis du Conseil d’État. C’est ce que j’ai fait, avant de rédiger une note reprenant cet avis in extenso, que j’ai adressée à tous les parlementaires qui me l’ont demandée – de ce point de vue, la transparence a été totale.

Donc, nourris de ce que le Conseil constitutionnel a jugé et de ce que le Conseil d’État a écrit, comment pourrions-nous procéder ? Plusieurs hypothèses se présentent. La première consiste à écrire que « la République peut ratifier ». Si Jacques Myard était encore là, je lui dirais que j’ai écrit l’article 53-3 en employant exactement les mêmes termes que ceux de l’article 53-2, que le Conseil constitutionnel a jugé compatible avec la Constitution : je me méfie tellement des innovations sémantiques que je bannis toute audace de rédaction.

Pourquoi dire que « la République peut ratifier » plutôt que « la République ratifie » ? Parce qu’il s’agit d’une révision de la Constitution, et non d’une loi d’habilitation.

M. Marc Le Fur. Nous sommes d’accord !

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Le fait de ne pas introduire la déclaration interprétative, comme vous le proposez, entraîne deux difficultés, correspondant chacune à une hypothèse distincte. Première hypothèse : l’absence de toute déclaration interprétative, ce qui ouvre la porte à une interprétation maximaliste.

Mme Marie-Françoise Bechtel. C’est bien ce qu’ils veulent !

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Certains ne manqueront alors pas de dire que le loup est dans la bergerie, et de crier à l’autodestruction de la République ! Pures fantasmagories, certes, mais qui prospéreront tout de même, ce qu’il vaut mieux éviter.

La deuxième hypothèse est celle où le Gouvernement, au moment où il ratifie la charte, fait une déclaration interprétative, hors la vue du Parlement. Mais dans ce cas, qu’est-ce qui nous garantit, à nous législateur et constituant, que ce que le Gouvernement écrira – peut-être conseillé par le Conseil d’État – ne constituera pas une déclaration interprétative extrêmement restrictive, auquel cas les plus prudents se retrouveraient Gros-Jean comme devant, si vous me permettez l’expression ?

Aucune de ces deux hypothèses ne me paraissant souhaitable, je préfère que l’on mentionne la déclaration interprétative – pas intégralement, à vrai dire : je propose de n’en constitutionnaliser que deux points sur quatre, qui constituent l’existant aujourd’hui.

Quand on nous parle de « groupes de locuteurs », de qui s’agit-il ? Je le redis à ceux qui sont inquiets : ce qui est aujourd’hui écrit dans la proposition de loi constitutionnelle n’est autre qu’une retranscription de la jurisprudence du Conseil d’État. Ce que vous estimez que nous ne pourrions pas faire demain, nous ne devrions pas non plus pouvoir le faire aujourd’hui, parce que c’est la décision du Conseil constitutionnel. Ce que je vous propose d’inscrire dans la Constitution, c’est la Constitution ! Je vous l’accorde, cela peut paraître amusant, étonnant. Mais si je ne le fais pas, le Conseil constitutionnel estimera que le constituant ne s’est pas exprimé de manière explicite. On retombe alors dans le travers de 2008. Vous aviez alors une intention louable, et on nous a prêté une intention louable. Dissipons les malentendus, écrivons ce que le Conseil nous dit.

Je voudrais tout de même vous faire remarquer que le Conseil constitutionnel ne jugera pas notre travail. Il ne juge pas les révisions constitutionnelles. Nous nous appuyons sur ce qu’a fait le Conseil constitutionnel de façon à sécuriser l’existant : cela n’implique donc ni prise de risque, ni retour en arrière et n’introduit aucune entrave pour demain. Nous avons tous en effet pour objectif de faire des pas supplémentaires demain, et ce dans le respect de la philosophie des trente-neuf engagements que nous avons pris. Il n’y aura évidemment pas de co-officialité, au regret de Paul Molac et de Paul Giacobbi. En revanche, nous supprimons les entraves pour les billevesées du quotidien, les évidences. Le Conseil ne pourra pas demain plaquer une interprétation sur des propos que nous aurions eus.

Je vous propose donc de constitutionnaliser l’existant. L’existant permet l’existant ; c’est une tautologie.

M. Marc Le Fur. Pour pérenniser, vous inscrivez dans le marbre !

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Cela ne changera rien, si ce n’est que personne ne pourra nous prêter des propos qui ne sont pas les nôtres.

Mon propos était un peu long et je m’en excuse, mais je crois ainsi avoir pu commenter ces amendements dans leur totalité, à l’exception du statut des langues dans la loi, mais nous y reviendrons avec l’amendement de Paul Molac. Pour tous les autres amendements, je ne reviendrai pas sur ma démonstration.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur ces trois amendements identiques ?

Mme Aurélie Filippetti, ministre. M. le rapporteur a très clairement retracé le cheminement juridique qui a conduit à cette rédaction. En supprimant ces deux réserves, on méconnaîtrait la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur l’article 2 de la Constitution. Il faut donc, pour des raisons de sécurité juridique, préciser la notion de groupe et faire en sorte de ne pas créer des droits collectifs.

À mes yeux, l’essentiel est que nous soyons aujourd’hui pour la première fois dans cet hémicycle en mesure de discuter de la manière dont nous pouvons organiser la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires.

M. Marc Le Fur. Quand cela sera-t-il possible ? Quel est votre calendrier ?

Mme Aurélie Filippetti, ministre. Par conséquent, tous ceux qui se posent en défenseurs des langues régionales doivent voter ce texte. Quant au calendrier, monsieur Le Fur, il dépend de vous, de l’opposition,…

M. Guy Geoffroy. Mais quelle est la date du référendum ?

Mme Aurélie Filippetti, ministre. …car il nous faut la majorité des trois cinquièmes pour nous présenter devant le Congrès. Le Gouvernement prendra toutes ses responsabilités : si nous avons la majorité des trois cinquièmes, nous irons devant le Congrès pour que la Charte soit ratifiée.

M. Guy Geoffroy. Mais ce texte est une proposition ! Vous ne pourrez pas aller devant le Congrès avec ce texte !

Mme Aurélie Filippetti, ministre. Ne nous tendez pas de piège : si vous défendez la préservation des langues régionales, alors vous devez soutenir la ratification de la Charte et voter ce texte. Nous irons alors au Congrès, ainsi que le Gouvernement et le Président de la République s’y sont engagés. La responsabilité se situe donc de votre côté.

M. Guy Geoffroy. Non ! C’est vous qui devez prendre l’initiative !

Mme Aurélie Filippetti, ministre. Pour ma part, je suis ici au nom du Gouvernement, qui a souhaité ce débat et qui soutient cette proposition de loi constitutionnelle.

M. Marc Le Fur. Vous auriez dû déposer un projet de loi ! Mais il est vrai que M. Ayrault n’en voulait pas !

Mme Aurélie Filippetti, ministre. Nous irons jusqu’au bout pour que cette charte soit ratifiée si nous pouvons nous assurer de disposer de la majorité requise. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Guy Geoffroy. Ils se moquent du monde !

M. le président. La parole est à M. Patrick Hetzel.

M. Patrick Hetzel. Je voudrais rapidement revenir sur deux points.

Premièrement, le rapporteur a évoqué la question de l’inscription de restrictions. Puisque nous avons déjà eu ce débat en commission, je n’ai aucun doute sur les intentions de notre rapporteur. Le risque que nous percevons malgré tout est le suivant : en réalité, en inscrivant ces restrictions dans la Constitution, nous desservirons notre cause. Et d’ailleurs, on l’a vu, Mme Bechtel est a minima très attachée à l’inscription de ces restrictions, parce qu’elle a une vision très restrictive. Or les défenseurs des langues régionales ont une vision plus extensive.

Deuxièmement, vous avez étonnamment indiqué, alors même que vous êtes membre d’une majorité qui soutient le gouvernement actuel, que vous aviez des craintes quant à la manière dont ce dernier retranscrirait les choses. Il s’agit pourtant de la proposition n56 du candidat François Hollande. Il y a donc ici un manque de cohérence politique. Chaque fois que vous en avez l’occasion, vous nous rappelez au sujet des textes qui nous sont proposés qu’ils correspondent à des engagements du Président de la République. Mais la proposition du candidat François Hollande c’est bien que la France ratifie la Charte européenne des langues régionales et minoritaires. Comment le Gouvernement pourrait-il alors être amené à introduire des restrictions ? Mais peut-être avez-vous des doutes sur les intentions du Gouvernement…

M. Camille de Rocca Serra. Très bien !

(Les amendements identiques nos 3, 8 rectifié et 9 rectifié ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques, nos 1, 5 et 10.

La parole est à M. Marc Le Fur, pour soutenir l’amendement n1.

M. Marc Le Fur. J’ai bien entendu le propos de notre rapporteur. Celui-ci nous assure qu’il préfère introduire dans la Constitution des dispositions qui auraient pu faire l’objet d’une réserve émanant d’une initiative gouvernementale. Mais cela crée d’autres difficultés, et pas uniquement pour la Charte.

Imaginons que demain nous ayons à examiner un texte de loi dont certaines mesures concerneraient les langues régionales, sans avoir de lien direct avec la Charte. Il sera alors soumis au contrôle de constitutionnalité, c’est-à-dire au risque de se voir appliquer ces réserves inscrites dans le marbre de la Constitution, ce qui est redoutable.

M. le rapporteur et Mme la ministre nous disent que ce texte ne peut pas aboutir ; nous ne serions là que pour nous compter. En d’autres termes, nous travaillons pour du beurre ; je trouve cela un peu salé ! (Sourires.)

M. Paul Molac. Au sel de Guérande !

M. Marc Le Fur. La logique serait donc par définition de tout recommencer. Madame la ministre, si tel est le cas, donnez-nous au moins une précision sur le calendrier : quand le texte sera-t-il examiné au Sénat ? Une fois que les deux assemblées auront débattu, quand déposerez-vous votre projet de loi constitutionnel ? Et quand peut-on raisonnablement espérer que ce texte sera soumis au Congrès réuni à Versailles ? Ce que les gens attendent, c’est la ratification de la Charte.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Mais non !

M. Marc Le Fur. Vous qui représentez le Gouvernement, dites-nous ce qui se passera. Et répondez à la question de M. Hetzel : pourquoi faisons-nous tout cela alors que nous aurions pu directement statuer sur un projet de loi signé de M. Ayrault ? Je sais que cela lui fait mal dès qu’on évoque la Bretagne, mais c’est pourtant le sujet. S’il y avait un projet de loi, nous travaillerions non pas à blanc, mais concrètement, de manière objective et avec précision, en dépit de nos sentiments divers et variés.

M. le président. La parole est à M. Alain Marc, pour soutenir l’amendement n5.

M. Alain Marc. Nous avons bien compris que nous travaillions aujourd’hui pour nous compter. J’aimerais pour ma part que la majorité se compte, elle aussi. J’ai en effet le souvenir que lors de la discussion de la loi pour la refondation de l’école de la République dans cet hémicycle, le rapporteur du projet ne connaissait même pas le bénéfice du bilinguisme : M. Durand avait soutenu que les petits Français devaient bien apprendre le français avant de connaître les langues régionales. Les bras m’en sont tombés ! Je n’imaginais pas que le rapporteur d’une loi sur l’école puisse être aussi ignorant des réalités linguistiques !

Mme Colette Capdevielle. Nous ne sommes pas là pour parler de cela !

M. Alain Marc. J’espère donc que les socialistes seront tous présents pour constituer la majorité des trois cinquièmes. En tout cas, vous pouvez compter sur certains d’entre nous pour vous permettre d’avancer sur ce chemin-là. À l’instar de M. Le Fur, j’aimerais connaître le plus rapidement possible le calendrier que vous envisagez pour la présentation d’un projet de loi.

M. le président. La parole est à M. Patrick Hetzel, pour soutenir l’amendement n10.

M. Patrick Hetzel. Le présent amendement est un amendement de repli par rapport aux précédents : dès lors que vous ne souhaitez pas supprimer la rédaction issue des modifications ultérieures à 1999, une autre possibilité serait a minima de supprimer l’alinéa 3, qui définit les groupes d’une certaine manière.

Vous avez expliqué, monsieur le rapporteur, que cette rédaction renvoyait à d’autres articles de la Constitution, et nous en voyons donc bien l’intérêt. J’ai été sensible à l’argumentation que vous avez développée à plusieurs reprises, en utilisant notamment le terme « baroque » : il y a un pouvoir constituant et un pouvoir constitué, et il appartient à celui-là de définir un certain nombre de choses. À cet égard, le Conseil constitutionnel est donc sorti de son rôle.

Il est d’ailleurs frappant de constater que dans plusieurs orientations récentes, en particulier l’avis du Conseil d’État, il n’est pas du tout fait référence à l’article 75-1 de la Constitution. Ce serait, comme vous l’avez dit, une illustration qui n’engagerait pas.

Je crois qu’il faut battre le fer en indiquant clairement que ce n’était pas la volonté du constituant. Finalement, de manière paradoxale, vous semblez vous placer sous le joug de ce pouvoir constitué que vous avez pourtant dénoncé à l’instant.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Aurélie Filippetti, ministre. Défavorable.

M. le président. La parole est à M. Guy Geoffroy.

M. Guy Geoffroy. Je voudrais souligner à ce moment de notre échange la grande confusion que le Gouvernement entretient à propos de ce texte. Tout serait tellement simple si, conformément à l’engagement pris par le Président de la République, le Gouvernement nous présentait dès maintenant un projet de loi constitutionnelle ! On pourrait alors expliquer simplement à nos concitoyens que le Gouvernement a présenté un texte sur lequel nous allons prendre position et qu’il fera tout ce qui est en son pouvoir pour réunir la majorité des trois cinquièmes des membres du Parlement et faire adopter la révision de la Constitution, puis déposer un projet de loi en vue de ratifier la Charte. Mais on fait exactement le contraire !

Madame la ministre, il me semble en outre inadmissible qu’on nous montre du doigt en nous renvoyant à nos responsabilités alors que le Gouvernement n’assume pas les siennes.

La confusion est enfin aggravée par le titre qui a été choisi pour ce texte, lequel s’intitule non pas « révision de la Constitution visant à autoriser le Gouvernement à ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires » mais « ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires ». C’est un véritable mélange des genres ! Et ce n’est pas le fait des interrogations de l’opposition, qui veut que les Français comprennent ce que nous sommes en train de faire. Cette confusion est bien le fait du Gouvernement et de sa majorité, qui l’entretiennent, ce qui n’est pas acceptable, en particulier eu égard au texte que vous souhaitez voir devenir demain un élément fort de notre droit positif.

(Les amendements identiques nos 1, 5 et 10 ne sont pas adoptés.)

M. le président. La parole est à M. Paul Molac, pour soutenir l’amendement n13.

M. Paul Molac. Avant de retirer mon amendement, je souhaiterais m’adresser à Mme Bechtel, qui est persuadée que tout va bien dans notre République. Sachez, chère collègue, que lorsqu’un établissement qui dispense un enseignement bilingue ou qui remplit toutes les conditions pour le faire se présente devant le juge pour contester un refus que lui aurait opposé le recteur de manière discrétionnaire, le juge s’appuie sur le caractère facultatif du breton, par exemple, pour confirmer le refus du recteur et inviter le chef d’établissement à ne conserver que des classes monolingues.

M. Patrick Hetzel. Tout à fait !

M. Paul Molac. Quand les remplaçants des sections bilingues sont monolingues parce que l’éducation nationale n’a pas formé assez de personnes, les parents qui se présentent devant le juge se voient rétorquer que c’est l’école qui est obligatoire, et qu’ils peuvent déjà s’estimer heureux que leurs enfants aient accès à un enseignement monolingue. C’est la raison pour laquelle il est inscrit dans la Charte que l’État doit former le nombre de professeurs nécessaires. Voilà pourquoi il est nécessaire que la Charte soit ratifiée.

(L’amendement n13 est retiré.)

M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques, nos 2, 6 et 11.

La parole est à M. Marc Le Fur, pour soutenir l’amendement n2.

M. Marc Le Fur. J’ai posé plusieurs fois la question et j’espère cette fois-ci obtenir une réponse. L’une des réserves que j’ai sur ce texte, c’est cet alinéa 4 que je veux supprimer, car il précise que « l’usage du français s’impose aux personnes morales de droit public et aux personnes de droit privé dans l’exercice d’une mission de service public ». Cela ne pose pas de problèmes dans les mairies, par exemple, et ce n’est pas mon sujet. Par contre, que va-t-il se passer à France 3, chaîne chargée d’une mission de service public et qui se voit, dans ce texte, imposer l’usage du français, alors que l’une des missions qu’elle assume, partiellement d’ailleurs, est de permettre la diffusion des langues régionales ? Que va-t-il se passer dans les écoles sous contrat avec l’État, qui sont des personnes de droit privé concourant à l’exercice d’une mission de service public, qu’il s’agisse des réseaux d’enseignement catholique ou des réseaux d’enseignement de type associatif, comme les écoles Diwan ? Selon cette disposition, ils ne pourront plus pratiquer une langue régionale, car l’usage du français s’imposera.

Les choses sont claires : tous ceux qui militent depuis longtemps en faveur de ces enseignements sont très inquiets. Le titre de Ouest-France ce matin était un résumé parfait de la situation actuelle : est-ce une avancée ou un risque ? À voir le seul alinéa 4, cela devient un risque pour les langues régionales. C’est pourquoi je vous propose de mettre un terme à ce risque, en supprimant l’exigence portée par cet alinéa.

M. le président. La parole est à M. Alain Marc, pour soutenir l’amendement n6.

M. Alain Marc. Il est défendu.

M. le président. La parole est à M. Patrick Hetzel, pour soutenir l’amendement n11.

M. Patrick Hetzel. Vous l’avez compris, il s’agit une fois encore d’un amendement de repli. Si nous le portons, c’est parce que, comme vient de le dire Marc Le Fur, nous percevons dans cet alinéa 4 un risque assez important, notamment pour les écoles. La discussion l’a d’ailleurs montré en commission des lois. À plusieurs reprises, dans le débat qui s’est tenu au moment de la loi Peillon, nous avons pu constater une interprétation très restrictive de la part du rapporteur de la loi.

M. Guy Geoffroy. Et du ministre !

M. Patrick Hetzel. Et du ministre lui-même. Il est désormais utile de préciser ce point. Pour terminer, je veux m’inscrire en faux par rapport à ce que disait Mme Bechtel en termes de moyens. Les petits Bretons, les petits Catalans, les petits Alsaciens ou Occitans passent évidemment du temps à l’école et le volume horaire restera le même. Encore une fois, ce n’est pas une question d’augmentation des moyens. N’agitez pas cet épouvantail ! C’est une erreur. Le seul problème qui se pose – et je le sais très bien en tant qu’ancien recteur –, c’est celui soulevé par Paul Molac : il faut former les enseignants. Mais la question relative aux créations de postes n’a pas à se poser.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces amendements identiques ?

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Aurélie Filippetti, ministre. Également défavorable.

M. Marc Le Fur. Il nous faut des réponses ! Que va-t-il se passer pour nos écoles ?

(Les amendements identiques nos 2, 6 et 11 ne sont pas adoptés.)

M. le président. La parole est à M. Paul Molac, pour soutenir l’amendement n14.

M. Paul Molac. Je retire mon amendement.

(L’amendement n14 est retiré.)

M. le président. La parole est à M. Paul Molac, pour soutenir l’amendement n15.

M. Paul Molac. Cet amendement vise à récrire la fin de l’alinéa 4 afin de ne pas exclure totalement l’usage des langues régionales dans l’administration, pour une raison très simple. Dans les départements d’outre-mer, il est nécessaire de parler créole, que ce soit en Guadeloupe ou à La Réunion, sans quoi les habitants ne comprennent pas ce que leur disent les personnels administratifs. Deuxièmement, quand deux personnes veulent et peuvent parler une langue régionale à un guichet, je ne vois pas pour quelle raison on les empêcherait de le faire. C’est pourquoi j’ai repris la rédaction de cet alinéa, afin de limiter également les interprétations négatives, puisque je propose d’ajouter : « sans exclure l’usage des langues régionales au sein des administrations et des services publics notamment par l’utilisation de traductions et de documents bilingues ». Je reprends en fait des recommandations du Conseil constitutionnel lui-même. Toutefois, je n’inscris pas que les réserves, mais également les limites des réserves : « et sans méconnaître l’usage des langues régionales dans les domaines de l’enseignement, de la recherche et de la communication audiovisuelle ». On ne pourra ainsi pas nous opposer le fait que ce service public ne puisse être rendu dans une langue régionale. Mon amendement pose les limites, mais également les bornes de ces limites.

(L’amendement n15, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

(L’article unique est adopté.)

Après l’article unique

M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques, nos 4, 7 et 12.

La parole est à M. Marc Le Fur, pour soutenir l’amendement n4.

M. Marc Le Fur. Comme je le disais tout à l’heure, il y a la révision de la Constitution, il y aura la Charte, mais il faudra ensuite une loi, bien évidemment. Revenons à la Charte. Je n’ai pas de réponses à mes questions ! Quel est le calendrier ? On ne peut pas nous l’indiquer. Je n’ai pas non plus, monsieur le rapporteur, de réponse à ma question sur le fameux alinéa 4, qui représente une difficulté pour les télévisions du service public et pour les écoles, qu’elles soient privées ou publiques. Vous imaginez que cette situation suscite des inquiétudes et des déceptions. Mais nous, nous ne serons pas comme vous en 2008. Je ne doute d’ailleurs pas de votre sincérité, mais quand il s’est agi de voter, vous avez voté contre une révision constitutionnelle…

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Oui !

M. Marc Le Fur. …laquelle vous vous prétendiez auparavant favorables. En dépit des difficultés et des obstacles, nous ne vous donnerons pas ce plaisir et nous voterons pour la Charte évidemment, car nous considérons qu’elle représente un progrès nécessaire. Le drame, c’est que vous nous gâchez la fête ! Vous êtes en train d’assortir cette charte de contraintes multiples qui seront autant de contraintes demain pour nos langues régionales. Le progrès que certains espéraient n’aura pas lieu. Le voilà, le vrai problème de ce texte ! Le progrès n’aura pas lieu ; la détermination gouvernementale n’est pas là. Pas même un projet de loi, quand l’Assemblée doit être saisie chaque année de soixante-dix ou quatre-vingts projets ! Cependant, pour les langues régionales, ce n’était pas possible. Pas même, non plus, une vraie volonté, affirmée par le Gouvernement, mais au contraire des obstacles multiples imposés demain au développement de nos langues régionales. Je voulais vous alerter sur ces points. Ce faisant, je n’exprime que ce qu’expriment beaucoup de militants de nos langues régionales, et pas seulement en Bretagne. Je pense aussi à mes amis basques. Mes chers collègues, cette charte nous permettra peut-être des avancées, mais vous aurez tout fait pour en atténuer au maximum les effets.

M. le président. La parole est à M. Alain Marc, pour soutenir l’amendement n7.

M. Alain Marc. M. le rapporteur nous a dit tout à l’heure qu’une QPC avait conduit à préciser que l’article 75-1 de la Constitution était sans doute intentionnel, et seulement intentionnel. Nous proposons donc de le compléter en écrivant que « le statut public des langues régionales est défini par la loi », comme nous le disons depuis le début. Si nous voulons qu’il y ait des actes et non pas seulement des intentions, que ce soit pour l’enseignement ou pour le service audiovisuel public, il faut aller dans cette direction et ne pas se contenter d’un vague tour de piste, comme certains l’ont dit, en faisant le décompte des gens favorables, pour ensuite arriver à un projet de loi et s’assurer des trois cinquièmes, dans le cas d’une révision constitutionnelle.

M. le président. La parole est à M. Patrick Hetzel, pour soutenir l’amendement n12.

M. Patrick Hetzel. Cet amendement vise à renforcer l’article 75-1 de la Constitution. Le Conseil constitutionnel a en effet précisé qu’il ne le prenait pas en compte. Nous voyons bien qu’il n’existe pas actuellement de cadre législatif consistant sur l’usage des langues régionales. Le débat au moment de la loi Peillon l’a montré une nouvelle fois. Plus que jamais, il serait important de faire en sorte de nous donner un tel cadre législatif. Cet amendement s’inscrit dans l’exposé des motifs que vous avez développé, monsieur le rapporteur. Il ne mange pas de pain. Il peut même contribuer à renforcer certains points. Nos précédents amendements ont été rejetés, nous aimerions que vous fassiez un geste en notre faveur. En tout état de cause, même si vous ne le faites pas, nous voterons ce texte parce que nous tenons à faire le maximum pour que la France puisse ratifier cette charte ; mais nous vous tendons la main, car nous aimerions renforcer l’article 75-1.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces amendements identiques ?

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Je veux répondre à la main tendue de notre collègue Hetzel. Je crois que cet amendement est satisfait, pour deux raisons. Tout d’abord, je ne sais pas bien ce qu’est « le statut public des langues régionales ». Cette expression me semble imprécise. Est-ce qu’il s’agit du statut défini par les autorités publiques, du statut des langues régionales dans la vie publique, dans le fonctionnement des institutions publiques, ou dans celui des services publics ? Quel est le périmètre exact ?

D’autre part, quand bien même ce problème serait réglé, nous avons démontré dans la loi de refondation de l’école ou dans celle relative aux métropoles que c’était la loi qui s’occupait du statut des langues. C’est de fait une application assez simple de l’article 34 de la Constitution qui définit le domaine de la loi et qui apparaît comme une réserve de compétence suffisante pour que le législateur s’intéresse aux langues. Le fait de dire que le statut public relève de la loi est donc une évidence. Nous le faisons à chaque fois que nous en avons eu la faculté. Je crois que vous pourriez retirer votre amendement qui me semble redondant par rapport à la législation existante.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Aurélie Filippetti, ministre. Défavorable.

(Les amendements identiques nos 4, 7 et 12 ne sont pas adoptés.)

M. le président. Nous avons achevé l’examen des articles de la proposition de loi constitutionnelle. Je rappelle que la Conférence des présidents a décidé que les explications de vote et le vote par scrutin public sur l’ensemble de la proposition de loi constitutionnelle auront lieu le mardi 28 janvier après les questions au Gouvernement.

2

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, demain, à neuf heures trente :

Discussion de la proposition de loi visant à mieux encadrer l’utilisation des produits phytosanitaires sur le territoire national.

Discussion de la proposition de loi relative à la sobriété, à la transparence et à la concertation en matière d’exposition aux ondes électromagnétiques.

Discussion de la proposition de loi organique portant modification de la loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques visant à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse.

La séance est levée.

(La séance est levée, le jeudi 23 janvier, à une heure quarante.)

Le Directeur du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Nicolas Véron