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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2013-2014

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du mardi 28 janvier 2014

SOMMAIRE

Présidence de M. Claude Bartolone

1. Questions au Gouvernement

Politique de l’emploi

M. Christophe Cavard

M. Michel Sapin, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

Progression du chômage

M. Yves Jégo

M. Michel Sapin, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

Pacte de responsabilité

M. Jean-Yves Caullet

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre

Augmentation du chômage

M. Gérard Cherpion

M. Michel Sapin, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

Politique du Gouvernement

M. Guillaume Larrivé

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre

Manifestation du 26 janvier, dite « Jour de colère »

M. Matthias Fekl

M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur

Baisse des cotisations patronales

M. Jean-François Lamour

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé du budget

Théorie du genre à l’école

M. Olivier Faure

M. Vincent Peillon, ministre de l’éducation nationale

Délinquance

M. Élie Aboud

M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur

Biodiversité outre-mer

M. Ary Chalus

M. Victorin Lurel, ministre des outre-mer

Nominations

Mme Marie-Christine Dalloz

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, porte-parole du gouvernement

Réforme des rythmes scolaires en milieu rural

M. Alain Calmette

M. Vincent Peillon, ministre de l’éducation nationale

Boycott des produits en provenance des colonies israéliennes

M. Jean-Jacques Candelier

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice

Sites vendéens du groupe FagorBrandt

M. Alain Leboeuf

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, de l’innovation et de l’économie numérique

Ukraine

M. Rémi Pauvros

M. Thierry Repentin, ministre délégué chargé des affaires européennes

Suspension et reprise de la séance

2. Fixation de l’ordre du jour

3. Égalité entre les femmes et les hommes

Explications de vote

Mme Axelle Lemaire

Mme Françoise Guégot

M. Yves Jégo

Mme Véronique Massonneau

M. Jacques Moignard

Mme Marie-George Buffet

Vote sur l’ensemble

Suspension et reprise de la séance

4. Ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires

Explications de vote

M. Thierry Benoit

M. Paul Molac

M. Paul Giacobbi

M. André Chassaigne

Mme Colette Capdevielle

M. Guy Geoffroy

Vote sur l’ensemble

Suspension et reprise de la séance

Présidence de M. Christophe Sirugue

5. Débat sur le rapport relatif à l’évaluation des politiques publiques en faveur de la mobilité sociale des jeunes

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques

M. Régis Juanico, rapporteur du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée chargée de la réussite éducative

Mme Gisèle Biémouret

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée

Mme Martine Pinville

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur

M. Régis Juanico, rapporteur

M. Arnaud Richard

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée

M. Régis Juanico, rapporteur

M. Jean-Michel Villaumé

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée

M. Régis Juanico, rapporteur

M. Michel Liebgott

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée

M. Bernard Lesterlin

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée

M. Jean-Luc Laurent

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée

M. Régis Juanico, rapporteur

Mme Gisèle Biémouret

M. Régis Juanico, rapporteur

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée

6. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Claude Bartolone

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Questions au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Politique de l’emploi

M. le président. La parole est à M. Christophe Cavard, pour le groupe écologiste.

M. Christophe Cavard. Ma question s’adresse au ministre du travail et de l’emploi.

Plusieurs députés du groupe UMP. Et du chômage !

M. Christophe Cavard. Les chiffres du chômage sont tombés : le nombre d’inscription à Pôle emploi diminue, c’est un fait. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Hélas, le nombre global des demandeurs d’emploi est toujours en hausse.

Alors que l’on a pu entendre que M. Peter Hartz, le père des réformes allemandes menées sous Schröder, a été reçu par le Président de la République, je suis rassuré par les propos que vous avez tenus ce matin, monsieur le ministre (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP), sur les effets contrastés qu’a eus cette politique sur l’économie allemande, notamment sur la pauvreté, qui s’est aggravée.

En trente ans, les politiques économiques menées ont eu des effets environnementaux et sociaux dramatiques, car elles ne s’appuient pas sur des secteurs d’utilité sociale et environnementale. Le pacte de responsabilité annoncé par le Président de la République est l’occasion de renverser cette situation, en exigeant des contreparties significatives pour l’emploi. Dans ce cadre, l’argent public doit être versé en échange de contreparties, à travers un contrat d’objectifs fixé grâce au dialogue social. Ces objectifs doivent se décliner par territoires et par branches, soit en termes d’emploi, soit en termes de formation. Nous ne faisons pas confiance au libéralisme pour sortir de la crise et réguler le secteur du travail.

Pour nous, écologistes, la réponse ne réside pas dans la croissance pour la croissance, mais dans la transition écologique de l’économie. Il faudra, pour cette transition, combattre le chômage en actionnant trois leviers : le développement des filières écologiques, en aidant les entreprises à se reconvertir pour répondre à nouveau aux besoins en énergie ; le partage et la réduction du temps de travail ; une politique ambitieuse de formation et de recherche et développement.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous dire comment le Gouvernement compte mener ces combats ? (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

M. Michel Sapin, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Monsieur le député, dans la bataille contre le chômage, la bataille pour l’emploi, nous devons agir avec les politiques de l’emploi que vous avez votées ici et qui portent leurs fruits (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)…

M. le président. Allons ! Cela ne sert à rien de crier ainsi !

M. Michel Sapin, ministre. …puisque le chômage des jeunes de moins de vingt-cinq ans a reculé, puisqu’il y a moins de chômeurs de moins de vingt-cinq ans aujourd’hui qu’il n’y en avait il y a un an. (Mêmes mouvements.) en même temps, au même moment, il nous faut faire en sorte que, dans les entreprises, dans les filières, dans les territoires, l’activité économique et la création d’emploi repartent, et ce sur des bases saines, des bases solides, des bases qui préparent de nouveaux emplois, de nouvelles filières, celles que vous évoquez, dans le domaine de l’écologie, mais aussi beaucoup d’autres aussi, de nouvelles filières qui peuvent nourrir en profondeur nos territoires et permettre aux jeunes et aux moins jeunes d’avoir des emplois durables. C’est tout l’enjeu du pacte de responsabilité proposé par le Président de la République et qui a donné lieu hier, sous la présidence du Premier ministre, à des contacts avec les partenaires sociaux.

Oui, monsieur le député, des engagements, des engagements fermes, mesurables, doivent être pris par l’État, mais aussi par l’ensemble des partenaires sociaux, en premier lieu par ceux qui dirigent, qui animent le tissu économique et les entreprises, des engagements sur des quantités d’emplois. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Ce n’est pas moi qui portais sur mon veston un pin’s sur lequel était écrit « un million d’emplois » ; c’est le président du MEDEF, qui s’engage ainsi à faire en sorte qu’une mobilisation crée un million d’emplois. Puisqu’il l’arbore ainsi, à sa boutonnière, cela doit aussi être consigné par écrit, précisément, faire l’objet de véritables engagements avec les partenaires sociaux.

Mais c’est aussi en termes de formation, de qualité, de lutte contre la précarité que des engagements doivent être pris. C’est l’objet des discussions engagées. Les partenaires sociaux auront à en parler, et cela nourrira le pacte de responsabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Progression du chômage

M. le président. La parole est à M. Yves Jégo, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Yves Jégo. Monsieur le président, mes chers collègues, le 9 septembre 2012, le Président de la République s’engageait solennellement à mobiliser tous les moyens possibles pour inverser la courbe du chômage avant la fin de l’année 2013. Cet objectif n’est pas atteint…

Un député du groupe UMP. Loin de là !

M. Yves Jégo. …et personne – je dis bien : personne – ne peut s’en réjouir.

Je suis sûr, monsieur le Premier ministre, que vous êtes un homme de devoir. Vous vous êtes forcément interrogé sur vos responsabilités, face à ces 300 000 chômeurs de plus en à peine vingt mois que vous êtes aux affaires de la République.

Votre responsabilité dans le renoncement aux 20 milliards d’euros de baisses de charges qui devaient s’appliquer dès 2012, grâce à la TVA sociale. Votre responsabilité dans l’augmentation si brutale du taux intermédiaire de TVA, et dans la suppression des avantages dont bénéficiaient 9 millions de foyers français grâce à la défiscalisation des heures supplémentaires. Votre responsabilité dans la construction d’une usine à gaz, le CICE, qui n’a produit aucun effet sur la croissance. Votre responsabilité, enfin, dans cette prise de risque insensée : vous avez augmenté les impôts de 50 milliards d’euros, sans aucun résultat !

M. Philippe Meunier. Incapables ! Démission !

M. Yves Jégo. Aujourd’hui, monsieur le Premier ministre, il y a le feu ! La confiance s’est envolée, tous les indicateurs sont au rouge, la France a peur. Partout en Europe, on voit poindre la reprise : seule la France fait exception. En effet la reprise n’est pas au rendez-vous en France, contrairement à ce que vous affirmiez le 14 juillet dernier.

Aujourd’hui, les Français aimeraient avoir des réponses précises. Je vous conjure, monsieur le Premier ministre, de ne pas leur resservir le sempiternel discours sur l’héritage : c’est vous qui êtes responsable de la France.

Quand baisserez-vous vraiment les charges sur toutes les feuilles de paye ? Quand réformerez-vous la fiscalité pour la rendre plus juste ? Quand relancerez-vous le bâtiment ? Quand allégerez-vous le code du travail ? Monsieur le Premier ministre, ne sombrez pas dans la procrastination ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI.)

M. le président. La parole est à M. le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Michel Sapin, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Merci, mesdames et messieurs les députés de l’opposition, de m’accueillir ainsi.

Monsieur Jégo, permettez-moi de vous appeler « monsieur le ministre » : en effet, vous avez assumé une partie des responsabilités de la France – comme d’autres sur ces bancs, comme nous aujourd’hui. Vous savez donc qu’il ne s’agit pas d’une question d’héritage, mais d’une question d’histoire, de lecture de l’Histoire. Pendant le dernier quinquennat, alors que vous aviez la majorité, il y a eu un million de chômeurs supplémentaires.

M. Yves Jégo. Et vous, 300 000 en cinq mois !

M. Philippe Meunier. Et la crise de 2008 ?

M. Michel Sapin, ministre. Cela devrait rendre chacun très modeste, quand il s’agit de l’emploi et du chômage. (Exclamations sur les bancs des groupes UDI et UMP.)

Plusieurs députés du groupe UMP. Démission !

M. Michel Sapin, ministre. Depuis cinq ans, chaque mois, le nombre de chômeurs augmente. Depuis cinq ans, les Français sont confrontés à cette hantise de la hausse du chômage. Depuis le printemps 2011, le chômage a repris à un rythme élevé : c’est celui que nous avons trouvé.

M. Yves Fromion. Pourquoi avez-vous été élus ? Pour lutter contre le chômage !

M. Michel Sapin, ministre. Monsieur le député, vous avez les chiffres en tête. Au premier trimestre de l’année 2013, il y avait 30 000 chômeurs de plus par mois. Au deuxième trimestre de la même année, il y avait 18 000 chômeurs de plus par mois. Au troisième trimestre de la même année, il y avait 5 000 chômeurs de plus par mois. Au quatrième trimestre, il y a eu 2 000 chômeurs de plus. C’est 2 000 de trop, car ils font la différence avec l’inversion de la courbe du chômage, mais vous voyez le chemin parcouru ! (Exclamations persistantes sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. le président. Monsieur Meunier !

M. Michel Sapin, ministre. Ce chemin parcouru, c’est le résultat d’une politique, d’une prise de responsabilités. C’est le résultat des politiques que nous avons mises en œuvre : il y a beaucoup moins de chômeurs de moins de vingt-cinq ans que lorsque vous étiez vous-mêmes au pouvoir, et aux responsabilités. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

Cela ne suffit pas : nous ne pouvons nous satisfaire de cette situation. C’est la raison pour laquelle le Président de la République a proposé d’allumer le deuxième moteur :…

M. Jean-Christophe Lagarde. Ah, il y a deux moteurs !

M. Michel Sapin, ministre. …celui de l’activité économique. (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et UDI.) C’est l’objet du pacte de responsabilité, qui a donné lieu hier à des échanges avec les partenaires sociaux. Oui, c’est ainsi que nous ferons reculer fortement, et durablement, le chômage ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.)

M. Philippe Meunier. Saltimbanque ! Démission !

Pacte de responsabilité

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Caullet, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Jean-Yves Caullet. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.

Il y a deux semaines, en proposant le pacte de responsabilité, le Président de la République a rappelé la place de la production au cœur de la politique de progrès économique, social et environnemental de notre pays. Ce pacte de responsabilité a trouvé un large écho dans tout le pays,…

M. Patrice Verchère. Pendant seulement vingt-quatre heures !

M. Jean-Yves Caullet. …car il nous rappelle que les statistiques, les courbes et les indices désincarnés – et leurs commentaires souvent bavards ou partisans – ne reflètent que bien imparfaitement une réalité dans laquelle nous avons tous une part de responsabilité.

Produire plus, produire mieux, dans de meilleures conditions, c’est effectivement la responsabilité de tous : des entreprises, de leurs salariés, de leurs partenaires et des pouvoirs publics. Investir, créer de l’emploi pour produire durablement : voilà l’objectif.

M. Philippe Meunier. Personne ne vous croit !

M. Jean-Yves Caullet. Alléger les cotisations assises sur les salaires, simplifier et alléger le système fiscal et réglementaire : voilà la voie proposée. Mes chers collègues, monsieur le Premier ministre, nous sommes tous convaincus qu’au-delà des postures, le défi à relever est crucial dans notre combat pour le progrès, pour l’emploi, pour la compétitivité et le rayonnement de notre pays.

Les objectifs peuvent être partagés. Indéniablement, un espoir est né : il nous appartient de faire en sorte qu’il soit entendu par tous les partenaires de la négociation engagée. Monsieur le Premier ministre, pouvez-vous, après les premiers échanges que vous avez conduits, rappeler la méthode et le calendrier qui nous permettront de transformer efficacement cet espoir commun en volonté partagée, et cette proposition en un pacte concret et équitable mobilisant toutes les énergies ?

M. Guy Geoffroy. Applaudissez donc, chers collègues de la majorité !

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Guy Geoffroy. C’est parti pour cinq minutes de charabia !

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, la bataille contre le chômage doit mobiliser la nation tout entière. Comme Michel Sapin l’a rappelé à l’instant, il est vrai que le nombre de chômeurs a augmenté d’un million sous le quinquennat précédent. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP.) Je ne dis pas cela pour polémiquer, mais simplement pour rappeler la difficulté de la tâche et la nécessité de mobiliser tous les acteurs et tous les moyens disponibles. Il faut poursuivre et intensifier la politique que nous avons engagée…

M. Alain Marty. Laquelle ?

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. …avec les emplois aidés, les emplois d’avenir et les contrats de génération.

Les mesures que nous avons prises en faveur de la compétitivité des entreprises, comme le CICE, l’organisation en filières, le financement de l’économie, tout cela doit s’amplifier. Cela ne réussira que si la mobilisation est encore plus forte. Avec le pacte de responsabilité, le Président de la République a lancé un appel à toutes les forces vives du pays. Il veut ainsi produire un choc de mobilisation. C’est un appel auquel il faut absolument répondre.

Monsieur le député, j’ai en effet appelé hier les partenaires sociaux à participer à cette démarche. Vous avez raison : il est nécessaire d’harmoniser le niveau des prélèvements sur le travail entre les grands pays européens – je pense à la France et à l’Allemagne.

M. Yves Fromion. Très bien ! Bravo !

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. C’est pourquoi nous voulons aller plus loin concernant les cotisations payées par les entreprises qui financent la politique familiale, et qui pèsent sur le travail. Il en va de même pour la fiscalité, avec l’impôt sur les sociétés.

M. Yves Fromion. Très bien, continuez comme ça !

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Mais l’harmonisation ne peut pas être uniquement fiscale. Elle doit aussi être sociale. Je me réjouis à cet égard que les Allemands aient décidé de mettre en place un SMIC afin qu’il n’y ait pas de distorsion de concurrence entre nos entreprises. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

L’équité et la transparence, ce n’est pas seulement l’équilibre sur le plan des prélèvements obligatoires, c’est aussi l’équilibre en matière de droits sociaux. Et là, nous sommes au cœur du pacte de responsabilité.



M. Guy Geoffroy. Les paroles, ça suffit ! Des actes !

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. D’un côté, l’État fait des efforts pour aider les entreprises. Il ne s’agit pas, comme je l’entends trop souvent, de faire des cadeaux aux patrons, il ne s’agit pas d’aider les chefs d’entreprise à payer personnellement moins d’impôts ; il s’agit d’aider les entreprises à retrouver des marges de manœuvre pour investir, innover et embaucher. Les entreprises, ce sont des chefs d’entreprise et des salariés.

À côté de la politique des emplois aidés, il faut une politique de soutien aux entreprises. C’est ce que nous voulons faire. Mais il faut des contreparties, et la meilleure des contreparties consiste à renforcer le dialogue social, sans attendre. Ce dialogue social nous a déjà permis d’avancer sur la sécurisation de l’emploi – et à présent, des négociations ont lieu dans les entreprises qui connaissent des mutations. Cela nous a aussi permis d’avancer sur la formation professionnelle.

Mais maintenant, j’attends que les partenaires sociaux se mettent d’accord rapidement. Le Gouvernement les invitera, dès jeudi, à la fin des consultations que j’ai entreprises avec les ministres qui m’accompagnent. Je leur dirai : vous avez quelques jours pour vous mettre d’accord pour qu’ensuite, branche par branche, on discute des perspectives d’emploi, des contrats en alternance, de la qualification, des perspectives d’amélioration des carrières et de l’investissement.

C’est bien cela, le pacte de responsabilité : c’est un compromis gagnant-gagnant pour les entreprises et les salariés, et donc pour l’économie et l’emploi, en un mot, pour la France ! C’est cela, le pacte de responsabilité ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

M. Philippe Meunier. Personne n’y croit !

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Mobilisons-nous tous ensemble, majorité et opposition – car vous aussi, députés de l’opposition, vous avez à y répondre. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

Augmentation du chômage

M. le président. La parole est à M. Gérard Cherpion, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Gérard Cherpion. Monsieur le Premier ministre, 5,7 % d’augmentation du chômage en 2013, 3 302 200 chômeurs de catégorie A, plus de cinq millions toutes catégories confondues, deux millions de chômeurs de longue durée, une légère inflexion, certes, du chômage des jeunes,…

M. Guy Geoffroy. Artificielle !

M. Gérard Cherpion. …dont le taux est toujours supérieur à 20 % ; mais, en même temps, 25 000 contrats d’apprentissage en moins… Du jamais vu !

Je ne dis pas cela pour polémiquer, monsieur le Premier ministre (Rires sur les bancs du groupe SRC), mais parce que les chiffres sont cruels.

Mais, au-delà des chiffres, la réalité pour un demandeur d’emploi est encore plus cruelle. Pendant que vos ministres battent les estrades des télévisions et radios, parfois de mensuels plus légers, les Français touchés par le chômage apprennent qu’ils ne seront bientôt pas plus, mais pas moins : comme me l’a dit un électeur, le Gouvernement nous explique que plus on pédale moins vite, moins on avance plus vite !

Pendant ce temps, les entreprises continuent à restructurer et à fermer. Ainsi Airbus vient d’annoncer la destruction de 1 400 emplois en France. Autre exemple, celui de cette papeterie, très moderne, dont l’histoire remonte à plus de cinq cents ans, qui vient de fermer ses portes dans le département des Vosges, où un représentant de l’État qui a préempté le dossier et écarté tous les acteurs économiques. Pas moins de cent soixante familles sont directement touchées, et toute l’économie locale détruite.

Monsieur le Premier ministre, vous devez abandonner la parole pour passer enfin à l’action.

M. Guy Geoffroy. Très bien !

M. Gérard Cherpion. Comme l’a dit ce matin Jean-Claude Mailly, secrétaire général de Force Ouvrière, sortez du slogan, allez dans le réel ! Pour reprendre la métaphore chère à votre ministre du travail, le paquebot France coule, il sombre lentement, les cales sont pleines d’eau, les moteurs de l’économie arrêtés. Pendant ce temps-là, sur le pont, l’orchestre joue sa musique irresponsable devant un commandant plus préoccupé par d’autres problèmes que ceux des Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Monsieur le Premier ministre, la grogne se transforme en colère et dans nos circonscriptions, le peuple gronde. Alors, monsieur le Premier ministre, soyez le premier à signer, avec votre Gouvernement, votre propre pacte de responsabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

M. Michel Sapin, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Monsieur le député Gérard Cherpion, je vous connais bien, il nous arrive de discuter concrètement sur des sujets qui sont de votre responsabilité et de la mienne : vous le faites souvent avec pondération et compétence.

M. Guy Geoffroy. Il en a marre !

M. Michel Sapin, ministre. Il est dommage que vous n’ayez pas conservé le même ton à cet instant pour parler d’un sujet aussi sérieux que celui de la lutte contre le chômage.

Je vous sais très attentif à la question de l’emploi des jeunes. Vous avez, juste en passant, cité ce que vous avez appelé « l’inversion de la courbe du chômage des jeunes » – probablement par honnêteté. Or il ne s’agit pas d’une inversion, mais bel et bien d’un recul du chômage des jeunes de moins de vingt-cinq ans. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Guy Geoffroy. Ce n’est pas possible !

M. Michel Sapin, ministre. Il y a, aujourd’hui, moins de chômeurs de moins de vingt-cinq ans qu’il y a un an : c’est un recul net, ferme, durable.

M. Guy Geoffroy. C’est artificiel !

Mme Anne Grommerch. Ce sont des emplois en contrat à durée déterminée !

M. Michel Sapin, ministre. C’est celui auquel, je l’espère, vous avez tous participé, sur vos territoires, en mettant en œuvre, par exemple, les emplois d’avenir, qui donnent un vrai emploi et une vraie formation, ou le contrat de génération, qui permet, dans une entreprise, d’embaucher un jeune sans pour autant pousser à l’extérieur le plus âgé – celui qui vient trop souvent, aujourd’hui, gonfler le nombre des chômeurs de plus de cinquante ans.

Alors oui, il faut aller plus loin ; qui peut le nier ? Qui peut se satisfaire de la situation d’aujourd’hui ? Nous n’avons pas 70 000 chômeurs de plus par mois, comme ce fut le cas en 2009… (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Guy Geoffroy. Cela suffit !

M. Michel Sapin, ministre. …mais seulement 2 000 de plus par mois. Mais cela n’est pas satisfaisant : il faut maintenant diminuer le taux de chômage. Nous devons donc agir sur l’autre moteur, celui de l’activité économique, dans les entreprises : c’est cela l’enjeu du pacte que vient de décrire le Premier ministre. Soyez aussi partenaires de ce pacte, car il est dans l’intérêt de la France et des Français : ne le laissez pas passer pas à côté de vous ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Politique du Gouvernement

M. le président. La parole est à M. Guillaume Larrivé, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Guillaume Larrivé. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, depuis bientôt deux ans, François Hollande est installé à l’Élysée. Il a été élu par défaut, sur un seul programme, l’antisarkozysme. (Très vives exclamations et huées sur les bancs du groupe SRC. – De nombreux députés du groupe SRC se lèvent et invectivent l’orateur.)

Il préside la France comme il a géré le parti socialiste, en multipliant les petits arrangements et les grands renoncements. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Tumulte et claquements de pupitres sur les bancs du groupe SRC.)

Plusieurs députés du groupe SRC. Dehors !

M. le président. Mes chers collègues, allons !

M. Guillaume Larrivé. Il vient de faire perdre deux ans à notre pays. Partout en France, à Nantes comme à Auxerre, les Français n’en peuvent plus. (Mêmes mouvements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. S’il vous plaît !

M. Guillaume Larrivé. Ils paient, chaque jour, le prix de vos erreurs. La France est affaiblie lorsque notre économie s’enfonce dans la croissance zéro. (Tumulte sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. S’il vous plait !

M. Guillaume Larrivé. La France est affaiblie, lorsque les déficits publics ne sont pas maîtrisés. (Le tumulte se poursuit.)

M. le président. On se calme !

M. Guillaume Larrivé. La France est affaiblie, lorsque les impôts et les taxes continuent d’augmenter.

M. le président. Mes chers collègues ! S’il vous plaît !

M. Guillaume Larrivé. La France est affaiblie, lorsque les cambriolages et les violences explosent et que, partout, les délinquants jouissent d’un sentiment d’impunité. (Le tumulte se poursuit jusqu’à couvrir la voix de l’orateur.)

M. le président. S’il vous plait, arrêtons ! Croyez-vous que cela soit un compliment pour le prédécesseur de l’actuel Président de la République ?

M. Guillaume Larrivé. Si cette réalité vous déplaît et vous fait hurler, c’est que le Président de la République avait pris l’engagement solennel, devant les Français, de faire reculer le chômage, avant la fin de l’année 2013. Cet engagement n’est pas tenu, et cela vous gêne. (Mêmes mouvements. – Les députés du groupe UMP se lèvent et applaudissent.)

La vérité est que la présidence Hollande est un naufrage.

Monsieur le Premier ministre, ouvrez les yeux : les Français ne vous font plus confiance, les Français n’attendent plus rien de vous. Alors, qu’attendez-vous pour prendre vos responsabilités et pour vous en aller ?Attendez-vous qu’un communiqué du Président de la République annonce que François Hollande a décidé de rompre votre vie commune ? (Les députés du groupe UMP se lèvent et applaudissent. – Huées sur les bancs du groupe SRC.)

Plusieurs députés du groupe UMP. Nous n’avons rien pu entendre, monsieur le président !

M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle l’image de marque qui est celle des questions au Gouvernement ; faites-y attention ! (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Il est de tradition, dans l’hémicycle, de ne pas mettre en cause le Président de la République ! (Mêmes mouvements.)

La parole est à M. le Premier ministre.

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je comprends l’indignation des députés de la majorité. (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP. – De nombreux députés du groupe SRC se lèvent et applaudissent.)

Je comprends l’inquiétude qui règne sur un certain nombre de bancs qui ne sont pas de la majorité : vous vous demandez ce qui est en train de vous arriver (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Que des députés de l’UMP, qui se prétendent républicains, acceptent d’entendre ce qui vient d’être dit, (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP. – Applaudissements sur les bancs du groupe SRC), que l’on dénie au Président de la République la légitimité d’avoir été élu par le peuple français, décidément, c’est plus fort qu’eux ! (Très vives exclamations sur les bancs du groupe UMP.)



M. le président. S’il vous plait !

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Allez-vous soutenir ceux qui, dimanche dernier, ont tenu les mêmes propos ? Alors, je vous le demande, monsieur le président de l’UMP, monsieur le président du groupe UMP, mesdames et messieurs les députés de l’opposition : acceptez-vous ce type de discours, qui met en danger l’unité de la République ? Moi, je dis qu’en France, il y a une démocratie, des citoyennes et des citoyens. C’est la démocratie et le vote du peuple français qui décide, qu’il vous plaise ou non. Rien d’autre ne peut exister que le respect du vote des citoyens ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP. – Les députés du groupe SRC se lèvent et applaudissent. – « Hou ! Hou ! » sur les bancs du groupe SRC.)

Manifestation du 26 janvier, dite « Jour de colère »

M. le président. La parole est à M. Matthias Fekl, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Matthias Fekl. Monsieur le président, ma question s’adresse au ministre de l’intérieur. Hier, a été commémorée la libération d’Auschwitz, camp de barbarie et d’extermination, symbole de la Shoah, de la folie des hommes. Jeudi prochain, c’est l’anniversaire du 6 février 1934, quand l’extrême droite défiait le Parlement et la République. Dimanche dernier, une nébuleuse de la haine avait rendez-vous à Paris : des antisémites, des intégristes, des négationnistes, des fanatiques, des anti-IVG, des racistes, des homophobes, l’ultra-droite, des adeptes de la quenelle, des esprits buissonisés !

M. Jean-Louis Costes. Parlez-nous de Mitterrand et de sa francisque !

M. Matthias Fekl. Tous étaient là pour un défilé des fantômes de l’histoire. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

La critique du pouvoir est toujours légitime en démocratie, mais pas la haine à l’état pur contre les Juifs, contre les étrangers, contre les homosexuels, contre la République. Les forces de l’ordre ont été victimes de graves agressions et je salue leur courage. Ces actes, ces propos ne permettent aucune indulgence, aucune faiblesse, aucune ambiguïté. La République doit leur faire face, l’État de droit rester mobilisé, chacune, chacun faire preuve d’une clarté absolue, de courage civique et d’engagement citoyen.

Je vous remercie, monsieur le ministre, de nous indiquer l’action du Gouvernement contre ces activistes de la haine qui détestent la République, qui refusent les droits de l’homme et qui abîment la France ! (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, RRDP et sur quelques bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur. Monsieur Fekl, proférer des menaces antisémites, homophobes, insulter les institutions, s’en prendre à la presse et la menacer, ce n’est pas exprimer sa colère, ce n’est pas manifester comme le permet la Constitution, c’est, comme vous l’avez très bien dit, s’en prendre à la République et aux valeurs de notre pays. La manifestation de dimanche a réuni, comme vous l’avez rappelé, un certain nombre de groupuscules d’extrême droite, mais nous devons avoir la lucidité de reconnaître que c’est la première fois depuis longtemps que cette extrême droite réunit autant de monde.

M. Yves Fromion. Grâce à qui ?

M. Claude Goasguen. Grâce à la gauche ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. Cela suffit pour cette séance ! On s’écoute, s’il vous plaît !

M. Manuel Valls, ministre. Les banderoles, les slogans négationnistes étaient suffisamment explicites et nous devons aussi avoir la lucidité de noter avec soin que la haine des Juifs, notamment, réunit l’extrême droite,…

M. Hervé Mariton. Et l’extrême gauche !

M. Manuel Valls, ministre. …mais aussi un certain nombre de groupes. Quand je regarde ce qui s’est passé ces dernières semaines et quand je vois que certains ont osé dire que j’en faisais trop sur ce sujet, alors qu’il existe ce message de haine sur internet, ce message de haine à l’égard de Juifs, ce message antisémite qui réunit, oui, différentes formes d’antisémitisme qui se retrouvent, je pense que nous devrions pouvoir nous retrouver sur ce sujet. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-François Copé. Ce sont vos amis !

M. Manuel Valls, ministre. Si nous pouvons dire, ensemble, que tout message qui vise à délégitimer la République, qui vise à mettre en cause le chef de l’État et le message populaire est insupportable. Alors, monsieur le député, oui, la République sera sévère face à ceux qui l’ont mise en cause.

Croyez-moi, nous ne laisserons pas passer ce message de haine à l’égard de la République, que ce soit celui d’hier ou celui de demain, donc de dimanche prochain ! (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP. – Plusieurs députés du groupe SRC se lèvent et applaudissent vivement.)

Baisse des cotisations patronales

M. le président. La parole est à M. Jean-François Lamour, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Jean-François Lamour. Monsieur le Premier ministre, nous sommes tous, vous comme nous, élus par le peuple. Mais vous ne nous empêcherez pas de continuer à critiquer le Gouvernement et le Président de la République lorsque nous estimons qu’ils agissent contre l’intérêt de notre pays ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Protestations sur les bancs du groupe SRC.) Nous vous le disons encore une fois aujourd’hui !

Pendant que vous vous livrez au traditionnel tour de piste avec les syndicats, nos entreprises, qui, elles, ne se payent pas de mots, attendent de savoir si elles peuvent effectivement compter sur la baisse massive de charges sociales promise par le Président de la République, car c’est de cette certitude que dépend leur capacité à retrouver la confiance, à relancer la croissance et à créer des emplois dans notre pays. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Mais comment croire que vous pourrez compenser 30 milliards d’euros de charges sociales, quand vous êtes à la peine pour trouver les 10 milliards qui doivent compléter le financement de cette usine à gaz qu’est le CICE ? Comment croire également que vous êtes sincère dans votre démarche envers nos entreprises, monsieur le Premier ministre, quand vous vous apprêtez à retomber dans le piège des contreparties et de l’économie administrée ?

M. Lionel Tardy. Eh oui !

M. Jean-François Lamour. Les Français n’ont que faire des états d’âme de votre majorité. Ils se moquent éperdument de savoir si M. Hollande est socialiste ou social-démocrate. Ce qu’ils demandent, ce sont des actes, ce sont des faits et des preuves !

M. Bernard Roman. Et vous en dix ans ? Quels actes ?

M. Jean-François Lamour. Après un choc de compétitivité déjà obsolète, après un choc de simplification dont on n’a pas vu le moindre effet – et je vous entendais parler d’un choc de mobilisation –, nous avons le sentiment que c’est vous, monsieur le Premier ministre, qui êtes KO debout ! Ce « pacte de responsabilité » est d’ailleurs bien de votre responsabilité et non de celle des entrepreneurs, des cadres et des salariés qui se battent au quotidien pour conserver leur place dans la compétition internationale.

M. Bernard Roman. Vous êtes meilleur au fleuret !

M. Jean-François Lamour. Alors, monsieur le Premier ministre, dites-nous dès aujourd’hui comment vous allez supprimer 30 milliards d’euros de charges sociales sans alourdir une fiscalité devenue insupportable sous votre gouvernement, et faire en sorte que cette mesure ait un impact immédiat, massif et sans condition pour les créateurs de richesses et d’emplois de France ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé du budget.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé du budget. Je vous remercie, monsieur le député Jean-François Lamour, de cette question, laquelle me permettra de faire le point sur l’ensemble des mesures que nous prenons en faveur des entreprises et qui s’inscrivent, pour un certain nombre d’entre elles, dans le cadre du pacte de responsabilité. Nous sommes d’ores et déjà engagés, et j’insiste sur ce point, dans une stratégie d’allégement de charges en faveur des entreprises puisque, comme vous le savez, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi est un allégement net de charges de 20 milliards d’euros.

Contrairement à ce que vous avez indiqué dans votre question, il est parfaitement financé, et ce à hauteur de 10 milliards, par des économies en dépenses, de 6 milliards par la TVA et d’un peu plus de 3 milliards grâce à la montée en puissance de la fiscalité écologique.

Plusieurs députés du groupe UMP. Lesquelles ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. « Lesquelles ? » me demandez-vous ! Elles sont à hauteur de 9 milliards pour l’État et de 6 milliards pour la protection sociale. M. Lamour a été suffisamment présent pendant le débat sur la loi de finances pour savoir parfaitement où ces économies se situent.

Ce ne sont pas les seules dispositions que nous avons prises à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances pour 2014.

M. Bernard Deflesselles. Personne ne le sait !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Je citerai, en effet, la réforme de l’assurance vie, qui facilitera le financement des entreprises en fonds propres, la réforme des plus-values de valeurs mobilières, la réforme du statut des jeunes entreprises innovantes et la réforme du dispositif d’amortissement pour les entreprises qui investissent dans la robotique. Ces mesures prises en 2014 en faveur des entreprises sont de nature à faciliter considérablement leur financement et leur développement. Nous voulons aller plus loin et plus vite.

C’est la raison pour laquelle nous avons proposé au Haut conseil du financement de la protection sociale de définir les moyens d’un allégement supplémentaire de charges et de réfléchir aux modalités de financement de la protection sociale. Tout ce que nous ferons, nous le ferons par des économies en dépenses, afin de faire en sorte que la croissance soit relancée et que la confiance et l’emploi soient au rendez-vous. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)

M. Bernard Deflesselles. Ce ne sont que des mots !

Théorie du genre à l’école

M. le président. La parole est à M. Olivier Faure, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Olivier Faure. Ma question s’adresse au ministre de l’éducation nationale.

Monsieur le ministre, la rumeur n’est hélas pas un phénomène nouveau, mais les moyens technologiques ont renforcé sa viralité. Aujourd’hui, des groupes extrémistes utilisent ce poison pour manipuler les consciences, les exciter contre des projets imaginaires, mieux les dresser contre le travail indispensable que vous menez pour refonder l’école.

Ainsi, certains pyromanes, clairement issus des rangs de l’extrême-droite, qui manifestaient dimanche dernier comme vient de le rappeler Matthias Fekl, développent l’idée que le Gouvernement serait à la tête d’un vaste complot qui aurait pour moyen la négation de toute réalité biologique et pour but la destruction de notre civilisation. Rien de moins !

Depuis quelques jours, et singulièrement depuis hier, la rumeur s’est amplifiée dans nos écoles. Cette manipulation, par voie de mails et de SMS, dénonce l’officialisation et la généralisation de la théorie du genre pour les enfants scolarisés. On a même vu des SMS prévenant les parents que des cours de masturbation étaient organisés chez les tout-petits !

Le résultat a été de susciter artificiellement l’inquiétude des parents, et certains ont même choisi de retirer leurs enfants de l’école. À cet égard, je regrette et je déplore que M. Copé ait choisi de relayer la rumeur en se déclarant « choqué par la théorie du genre » plutôt que de dénoncer l’absurdité de telles allégations. (Exclamations sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

Alors, monsieur le ministre, je souhaiterais tout simplement que vous mettiez un point final à cette rumeur absurde. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale.

M. Vincent Peillon, ministre de l’éducation nationale. L’école de la République a trois missions, monsieur le député : instruire les enfants de la République, favoriser leur insertion professionnelle et transmettre les valeurs de la République. La représentation nationale l’a souhaité, elle peut en être fière dans sa diversité. Notre devise républicaine est à nouveau apposée sur tous les établissements de France. Nos 48 000 écoles sont pavoisées du drapeau français et du drapeau européen, la charte de la laïcité est présente dans les établissements, ainsi que la Déclaration des droits de l’Homme.

Au cœur de ces valeurs, il y a l’égalité, et cela concerne aussi l’égalité entre les hommes et les femmes car, dans notre pays, vous le savez, il y a trop d’inégalités. À même niveau de responsabilité, les écarts de salaire sont de plus de 25 %. Alors qu’un plus grand nombre de jeunes filles réussissent dans les filières scientifiques, moins d’un tiers d’entre elles se destinent au métier d’ingénieur alors que nous en avons besoin.

L’éducation nationale assume tout simplement la transmission de ces valeurs, le respect et l’égalité entre les filles et les garçons. Elle refuse totalement la théorie du genre, et elle refuse les instrumentalisations de ceux qui, venus de l’extrême-droite négationniste, sont en train de vouloir répandre l’idée, qui fait peur aux parents et blesse les enseignants, que tel serait notre point de vue.

Jamais nous ne renoncerons à l’enseignement de l’égalité, que nous inscrivons au fronton de toutes nos écoles. Nous continuerons de lutter contre toutes les discriminations, le racisme, les inégalités, mais je veux très solennellement rassurer tous les parents de France : n’écoutez pas ceux qui veulent semer la division et la haine dans les écoles. Ce que nous faisons, ce n’est pas la théorie du genre, que je refuse, nous voulons promouvoir les valeurs de la République et l’égalité entre les hommes et les femmes. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

Délinquance

M. le président. La parole est à M. Élie Aboud, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Élie Aboud. Monsieur le ministre de l’intérieur, je voudrais vous interroger sur les derniers chiffres alarmants de la délinquance dans notre pays.

Vous avez réussi à anesthésier les professionnels de l’ordre public, auxquels, au nom des députés de l’opposition, je veux rendre un hommage appuyé (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP), en faisant des annonces politiques critiquant l’ancienne majorité. Vous avez réussi à anesthésier les médias (Rires sur de nombreux bancs du groupe SRC) en faisant du médiatiquement correct, en pratiquant l’activisme, et je dois reconnaître que votre piqûre était sacrément bien dosée. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Mais, je vous le dis avec tout le respect que je vous dois,…

M. Marcel Rogemont. Commencez par respecter la vérité !

M. Élie Aboud. …n sait qu’après certaines anesthésies, il peut y avoir des réveils difficiles. C’est aujourd’hui tout simplement l’heure de vérité, l’heure du bilan. En un an, nous avons connu une hausse du nombre des cambriolages de 6,4 % en ville et de 4,7 % en zone rurale. Le nombre de vols avec violence contre les femmes sur la voie publique est passé de 39 000 en 2008 à 52 000 en 2013.

Nous sommes en train de contrarier la délinquance avec méthode et détermination, avez-vous déclaré. Comme François Hollande pour le chômage, vous abusez les Français sur une réalité de plus en plus sombre.

Dans la lutte contre l’insécurité, il y a des maillons qui ne fonctionnent pas, et on voit notamment du laxisme, de l’impunité pénale, la culture de l’excuse.

Face à ce bilan préoccupant, ma question est simple : que faire ? Quand et comment ? (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur. Dans le vent mauvais qui, parfois, souffle sur notre pays, monsieur le député, il y a évidemment la responsabilité de ceux qui exercent un mandat d’élu, et je regrette toujours que la caricature prédomine, notamment sur la sécurité. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Je peux vous rassurer sur un point : les forces de l’ordre, policiers et gendarmes, ne sont pas anesthésiés, et ceux qui ont reçu les coups et subi la violence de l’extrême-droite dimanche dernier, à qui je rends hommage, ne l’étaient pas davantage. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC.)

Le nombre de cambriolages a explosé dans ce pays depuis cinq ans, augmentant de 18 % entre 2007 et 2012, de 44 % pour les résidences principales, mais mon problème n’est pas de rappeler votre échec au cours de ces dernières années. Ma mission, c’est de faire en sorte que le nombre de cambriolages dans notre pays diminue ; c’est tout le sens du plan anti-cambriolages que nous avons lancé au mois de septembre dernier. Même si c’est difficile, même s’il faut du temps, nous obtenons des résultats, notamment en zone de gendarmerie. Au cours du dernier trimestre de l’année 2013, oui, le nombre de cambriolages a baissé.

M. Christian Jacob. Tout va très bien !

M. Manuel Valls, ministre. Comme nous obtenons des résultats dans ce domaine, et comme nous en obtenons dans les zones de sécurité prioritaires, notamment dans celle de Béziers, où la délinquance a baissé de 9 %, je vous invite, monsieur le député, à prendre vos responsabilités et, comme le font tous les maires, notamment dans les zones de sécurité prioritaires, quelle que soit leur couleur politique, à travailler ensemble. Car la sécurité n’est ni de gauche ni de droite : c’est un droit que nous devons à tous nos compatriotes. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Biodiversité outre-mer

M. le président. La parole est à M. Ary Chalus, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Ary Chalus. Monsieur le président, permettez-moi tout d’abord, au nom du groupe RRDP, de souhaiter un bon rétablissement au président Jean-Louis Borloo. (Applaudissements sur tous les bancs.)

Monsieur le ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, le Conseil national de la transition écologique a rendu un avis favorable concernant l’avant-projet de loi sur la biodiversité. Les récentes déclarations du Président de la République et du Premier ministre en matière de transition écologique laissent prévoir une accélération de la mise en place dans notre pays du dispositif d’accès aux ressources génétiques et au partage des avantages, l’APA, prévu par le protocole de Nagoya.

L’outre-mer abrite plus de 80 % de la biodiversité française. Eu égard à son importance, ainsi qu’aux effets du futur dispositif sur le devenir de nos populations et l’économie de nos territoires, nous serons présents tout au long du processus législatif pour amender ce texte et veiller à ce qu’il n’entrave pas les perspectives de développement des sociétés qui, installées sur nos territoires, innovent dans ce secteur d’activité.

La version actuelle du projet de loi « biodiversité », dans son titre IV relatif à l’APA, suscite des questionnements nombreux en termes d’insécurité juridique et d’égalité devant la loi. L’utilisation des plantes au titre de produits alimentaires, de cosmétiques ou de médicaments constitue un pilier majeur pour le développement économique des TPE et PME en outre-mer. Notre inquiétude porte notamment sur la réglementation prévue pour l’accès aux ressources génétiques sauvages. Cet avant-projet, s’il venait à être voté en l’état, pourrait avoir pour nos régions de graves et lourdes conséquences.

Même si nous ne remettons pas en cause son fondement, il est important que ce texte n’entrave pas le travail entrepris par les entreprises innovantes de nos territoires ni l’opportunité de créer de nombreux emplois pour les générations futures. Pouvons-nous compter sur vous pour entendre les craintes et remarques techniques que suscite la version actuelle de ce projet de loi ? Ne nous privez pas de ces emplois ! (Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP et sur quelques bancs du groupe UDI.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des outre-mer.

M. Victorin Lurel, ministre des outre-mer. Monsieur le député, je vous prie de bien vouloir excuser mon collègue Philippe Martin, qui se trouve en déplacement en République de Turquie avec le Président de la République.

Vous l’avez dit, les outre-mer sont riches d’une exceptionnelle diversité végétale et animale, sur terre et en mer, et c’est précisément le sens du projet de loi porté par Philippe Martin que de mieux sécuriser ces ressources et de mieux faire accéder toutes les parties prenantes à de tels avantages. Ce projet de loi sera présenté en Conseil des ministres au début du mois de mars. Rien, dans sa rédaction actuelle, n’est de nature.

Par exemple, pour les recherches et les investissements avant le stade commercial, il suffira d’une simple déclaration en ligne. Il n’y a donc là rien qui soit de nature à entraver les initiatives des entreprises privées ou à écarter les TPE et PME. Quand il s’agira de passer à un stade commercial, il faudra, oui, obtenir une autorisation.

Il reste à traiter – elles seront bientôt soumises au Premier ministre – deux questions majeures. Tout d’abord, quel sera le décideur en dernière instance pour la délivrance des autorisations ? Quelle sera l’articulation et la dialectique entre l’État et les collectivités ? La seconde question fondamentale qui sera bientôt tranchée est celle du partage des bénéfices avec les populations et les communautés, dans le respect de notre droit constitutionnel. Avant le débat parlementaire, je vous invite à nous faire des propositions. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Nominations

M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Dalloz, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

Mme Marie-Christine Dalloz. Monsieur le Premier ministre, transparence, exemplarité : voilà des mois que vous vous gargarisez de ces mots pour tenter de faire oublier aux Français les dérapages de l’un des vôtres, votre ex-ministre du budget Jérôme Cahuzac. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Plusieurs députés du groupe UMP. Eh oui !

Mme Marie-Christine Dalloz. Alors, oui, nous voulons de la transparence, oui, nous voulons de l’exemplarité, sur les nominations auxquelles vous-même ou les dirigeants de structures parapubliques procèdent.

Ainsi, dans le domaine militaire, le président de la société publique chargée du logement de nombreux gendarmes et d’autres militaires, la SNI, premier bailleur social avec près de 275 000 logements, vient de bombarder le fils de votre ministre de la défense, M. Le Drian, au comité exécutif, le faisant ainsi passer devant des cadres bien plus chevronnés que lui. (Huées sur les bancs du groupe UMP.) Nous attendons des explications sur ce qui s’apparente incontestablement à un conflit d’intérêts. (Mêmes mouvements.)

À l’heure où chaque parlementaire doit déposer une déclaration de patrimoine, une déclaration d’intérêts, j’espère que vous n’utiliserez pas les mêmes métaphores vulgaires que votre ministre des relations avec le Parlement à l’égard d’une de nos collègues qui vous interpellait ici même sur ce sujet. C’était particulièrement inélégant et irrespectueux.

Ma question est simple, monsieur le Premier ministre : quand ferez-vous enfin la transparence sur cette nomination opaque qui, à mon sens, n’est pas exemplaire ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre des droits des femmes, porte-parole du Gouvernement.

Un député du groupe UMP. Bon courage !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, porte-parole du gouvernement. Madame la députée, vous savez, nous avons un principe simple en matière de nominations dans l’administration et les établissements publics : nous regardons la compétence des intéressés. (Vives exclamations sur les bancs des groupes UMP et UDI.) C’est un principe que vous avez eu beaucoup de mal à respecter par le passé. Faut-il vous rappeler les épisodes, que nous avons encore tous en mémoire, impliquant MM. Mariani, Pérol, Solly ou encore Sarkozy ? Il en va autrement aujourd’hui. (Mêmes mouvements.) Au point que nous avons souvent été amenés, ces derniers mois, à accepter les candidatures de personnalités dont la sensibilité politique était pourtant proche de la vôtre.

Admettez que, pour être reconnue compétente, une personne n’a pas besoin d’être labellisée comme telle par votre mouvance politique, que la compétence se juge simplement au diplôme, à l’expérience et à la légitimité acquise. (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

S’agissant de M. Le Drian, qui a en effet été nommé directeur du contrôle interne d’EFIDIS, une filiale de la Société nationale immobilière,…

M. Lionel Tardy. Bravo !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. …sa nomination correspond à une mobilité interne au sein de la Caisse des dépôts et consignations, où il était déjà en poste. Cela correspond à une compétence (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et UDI), puisque M. Le Drian est diplômé d’une école de commerce, spécialisé en contrôle de gestion, qu’il a occupé pendant plusieurs années un poste de contrôleur de gestion au sein de l’entreprise CMA CGM et un poste d’auditeur au sein du cabinet KPMG.

Nous n’avons pas, madame la députée, la même notion de ce que sont la compétence et la légitimité. (Mêmes mouvements.) Je vous le confirme. N’en rajoutons pas : il y va de notre crédibilité politique ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

M. Patrice Verchère. C’est honteux !

Réforme des rythmes scolaires en milieu rural

M. le président. La parole est à M. Alain Calmette, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Alain Calmette. Monsieur le ministre de l’éducation nationale, pas une semaine ne passe sans que, à l’occasion des questions d’actualité au Gouvernement, vous ne soyez interpellé par un député UMP sur la réforme des rythmes scolaires (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) et sur son caractère prétendument inadapté au monde rural : comme si la ruralité n’était pas capable de prendre en compte cette ambition d’amélioration de l’offre éducative, alors que l’Ariège, le Gers ou le Cantal, pour ne citer qu’eux, sont parmi les départements les plus en pointe dans ce domaine ! Mais ce pilonnage contre les rythmes scolaires a un objectif : cacher les autres aspects fondamentaux de la loi de refondation de l’école, en particulier les créations de postes.

Votre ministère doit relever un double défi à cet égard : rattraper d’abord le recul irresponsable que le précédent gouvernement nous a légué avec la suppression de 80 000 postes en cinq ans et, en même temps, accompagner la forte croissance du nombre d’élèves dans certains départements, en particulier en milieu urbain, qui accusent des situations quelquefois très difficiles, notamment en matière de scolarisation des moins de trois ans. Comment faire en sorte que les créations de postes votées par notre majorité suffisent à répondre aux besoins grandissants des zones urbaines sans ponctionner les départements ruraux, y compris ceux en situation de déprise démographique ? Vous êtes venu personnellement signer la semaine dernière dans le Cantal une convention d’aménagement du tissu scolaire garantissant à ce département un gel des postes sur trois ans, tout en instituant des contreparties fortes d’évolution obligatoire et concertée de la carte scolaire départementale, en lien bien sûr avec les priorités de la loi.

M. Jean Glavany. On veut la même !

M. Alain Calmette. On est passés pour la première fois d’une logique purement arithmétique à une logique territoriale. Le service public de l’éducation dans la ruralité a été maltraité et asphyxié sous le précédent quinquennat. Les moyens issus de la loi de refondation de l’école de la République permettront de répondre aux besoins urgents des zones urbaines et périurbaines. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous indiquer comment, dans ce contexte, garantir et améliorer aussi la réussite éducative dans les départements les plus ruraux ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale.

M. Vincent Peillon, ministre de l’éducation nationale. Monsieur le député Calmette, j’ai eu beaucoup de plaisir à me rendre chez vous avec M. Vanik Berberian, le président de l’association des maires ruraux, pour assister à la signature de cette première convention prospective liant l’éducation nationale et un territoire rural, prise à votre initiative et qui a été passée entre l’association des maires du Cantal, présidée d’ailleurs par un sénateur UDI, et le rectorat, entre l’éducation nationale et un territoire rural. J’ai aussi profondément apprécié les termes dans lesquels vous avez posé votre question : vous n’avez pas opposé, et le fait est rare, les territoires urbains en difficulté qui ont besoin d’un rattrapage et les territoires ruraux. L’éducation nationale, dont je suis le ministre, est résolue à lutter, je l’ai dit tout à l’heure, contre toutes les inégalités, y compris les inégalités territoriales. Notre démographie est en progrès et c’est une chance pour la France : c’est pourquoi nous devons veiller à ce que les territoires urbains soient convenablement dotés. Mais nous devons également veiller à ce que les enfants des territoires ruraux aient les mêmes chances de réussite.

Ce travail, nous allons le mener sur trois ans, en prenant des engagements, aussi bien du côté de tous les maires du département, pour faire évoluer la carte scolaire, que de celui de l’éducation nationale pour gérer au mieux les effectifs. Je me réjouis de ce projet pour l’évolution pédagogique, car nous devons éduquer ensemble et pratiquer la co-éducation. C’est seulement ainsi que nous pourrons obtenir un résultat. Je vous ai entendus nous dire sur tous les bancs que le modèle du Cantal devrait être appliqué ailleurs…

M. Jean Glavany. Oui !

M. Vincent Peillon, ministre. Je sais que la façon brutale dont s’applique la carte scolaire dans notre pays ne satisfait aujourd’hui personne. C’est pourquoi je suis disposé, pour peu que ce travail soit conduit avec sérieux, à signer avec les uns et les autres, partout en France, des conventions du même genre et à assurer dans la durée la réussite de tous les élèves de France. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Bernard Accoyer. Et le calendrier ?

Boycott des produits en provenance des colonies israéliennes

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Candelier, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. Jean-Jacques Candelier. Ma question s’adresse à la garde des sceaux, ministre de la justice.

L’Assemblée générale des Nations unies a fait de 2014 l’année internationale de la solidarité avec le peuple palestinien. Cinq ans après l’opération « Plomb durci », Israël continue de bombarder en toute impunité Gaza, à lui imposer un blocus inhumain, à emprisonner abusivement les Palestiniens et à poursuivre la colonisation. La colonisation de la Palestine est l’obstacle majeur à la paix. La communauté internationale doit prendre des sanctions fermes contre Israël, en raison de ses violations constantes du droit international. En l’absence de telles sanctions, les citoyens s’organisent.

Un appel palestinien au boycott des produits en provenance des colonies israéliennes a été adopté en 2005 par des centaines de mouvements dans le monde, ainsi que par de nombreux Israéliens opposés à la politique de leur pays.

Cette campagne de boycott, comme celle qui a touché l’Afrique du Sud de l’apartheid, n’est pas une fin en soi. Elle constitue un moyen de pression pour le respect du droit international et des droits des Palestiniens. J’appelle solennellement à participer massivement à ces actions et je condamne fortement le racisme et l’antisémitisme. Cette campagne est pacifique, non violente et respectueuse des personnes.

Madame la garde des sceaux, la liberté d’expression doit être respectée. Les militants qui ont dénoncé l’apartheid en Afrique du Sud n’ont jamais été inquiétés par la justice française.

M. Jean Glavany. Très juste ! Quoique, sous Giscard…

M. Jean-Jacques Candelier. Allez-vous abroger les circulaires du gouvernement précédent encourageant la poursuite des militants qui participent à ces actions de boycott, qui ne contreviennent en rien à la loi, dans la mesure où elles visent des produits et non des personnes ?

M. Claude Goasguen. C’est lamentable !

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le député Candelier, bien que votre question soit très largement présentée sous l’angle international, je vais vous répondre sans faux-fuyants, particulièrement sur sa fin. Vous savez que le sujet est difficile et que le moment est particulièrement délicat.

Pour ce qui concerne la politique française, Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, a eu ici même à plusieurs reprises l’occasion d’exposer la doctrine des autorités françaises et le Président de la République s’est également exprimé récemment lors de son voyage en novembre dernier.

Pour ce qui est des circulaires, la principale, datée du mois de février 2010, fait référence à l’article 24-8 de la loi sur la presse et à l’article 225-1 du code pénal. La loi en elle-même, monsieur le député, fait partie des fleurons de notre arsenal législatif, en ce qu’elle protège la liberté d’expression et qu’elle réprime les discriminations.

M. Claude Goasguen. Mais bien sûr ! Cette question est invraisemblable !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Quant à la circulaire que vous évoquez, on peut de fait en discuter, car il s’agit d’un instrument réglementaire. Je rappelle seulement que la Cour de cassation a par deux fois, en 2004 et en 2012, validé cette interprétation. Vous savez que j’ai reçu dix parlementaires de sensibilités diverses – des députés, des sénateurs et des députés européens – qui m’ont exprimé leur souhait de voir cette circulaire abrogée. Vous conviendrez, monsieur le député, que dans la conjoncture et dans le contexte actuels que nous sommes obligés de combattre et que nous voulons combattre avec détermination, ce qui prévaudra ne sera pas votre souci d’une stricte application de la loi, mais bien la surinterprétation qu’en feront ceux qui mènent des combats tout à fait opposés aux vôtres.

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Très bien !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je connais assez les convictions des parlementaires que j’ai reçus et du président de la Ligue des droits de l’homme pour savoir que ce n’est pas ce que vous souhaitez. Conformément à mes engagements, mon cabinet leur a proposé une nouvelle rencontre. Je suis certaine que nous serons solidaires pour mener les combats contre ceux qui contredisent les valeurs de la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Sites vendéens du groupe FagorBrandt

M. le président. La parole est à M. Alain Leboeuf, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Alain Leboeuf. Ma question s’adresse à M. le ministre du redressement productif.

M. Christian Jacob. Ça n’intéresse pas le Premier ministre, il s’en va !

M. Alain Leboeuf. Le groupe FagorBrandt, fleuron de l’industrie française de l’électroménager, est actuellement en redressement judiciaire. Près de 2 000 emplois sont menacés en France, notamment en Vendée où le groupe emploi près de 450 personnes sur deux sites : La Roche-sur-Yon et Aizenay. Mercredi dernier, lors du comité central d’entreprise, ce fut, pour les salariés vendéens, une véritable douche froide. En effet, les deux projets de reprise globale écartent, l’un comme l’autre, les sites vendéens. Ce sont 450 emplois qui sont ainsi condamnées à disparaître, ce qui ne fera qu’aggraver, une fois de plus, vos courbes du chômage. Il s’agit d’offres au rabais, qui tirent un trait sur FagorBrandt en Vendée. C’est une immense déception. L’inquiétude et la colère des salariés de La Roche-sur-Yon et d’Aizenay montent.

Déception, mais pas résignation : il est hors de question de se résigner au sacrifice des salariés vendéens, aux compétences unanimement reconnues. Rien n’est perdu si le Gouvernement s’en donne les moyens. La négociation est ouverte entre le Gouvernement et l’administration judiciaire d’une part, et les candidats à la reprise d’autre part. Dans cette négociation, le ministre du redressement productif a la possibilité de tout mettre en œuvre pour sauver les emplois vendéens. C’est d’ailleurs ce à quoi il s’était engagé. Par contre, il serait dangereux de mettre en place un meccano consistant à raccrocher les sites vendéens à un projet global par de simples accords de sous-traitance.

Deux questions : quelles nouvelles informations le ministre peut-il nous apporter sur l’évolution du dossier de reprise du groupe FagorBrandt ? Que va-t-il faire pour éviter la disparition des deux sites vendéens et le licenciement de 450 salariés ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, de l’innovation et de l’économie numérique.

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, de l’innovation et de l’économie numérique. Monsieur Alain Leboeuf, je vous prie de bien vouloir excuser l’absence d’Arnaud Montebourg, qui accompagne actuellement le Président de la République en Turquie, mais je sais que vous avez eu l’occasion d’évoquer directement avec lui le dossier Fagor, jeudi dernier, lors de la table ronde qui a réuni à Bercy les syndicats du groupe et les élus des collectivités concernées par ce dossier. Vous interrogez le Gouvernement sur le processus de reprise en cours, et je vais vous apporter un certain nombre d’éléments.

Tout d’abord, je précise que les offres ont été remises le 17 janvier : deux offres globales sérieuses, celles de Cevital et de Sun Capital, ainsi que des offres locales pour maintenir une activité sur les sites vendéens. Le Gouvernement sera intraitable sur deux choses : d’une part, sur la qualité du repreneur, qui devra être porteur d’un projet industriel de long terme et non pas un voleur de marque, et, d’autre part, sur l’objectif, à savoir sauver l’activité et un maximum d’emplois sur la quasi-totalité des sites.

Le prochain mois sera consacré à l’amélioration des offres et à la discussion avec la partie espagnole pour la cession des marques. L’examen par le tribunal français est prévu le 13 février avec, nous l’espérons, une reprise effective en mars, si toutefois la procédure en Espagne le permet.

J’en viens au centre de votre question : que peut-on attendre aujourd’hui d’une amélioration de l’offre de Cevital, la mieux-disante ? Cette amélioration porterait essentiellement sur les sites vendéens puisque, vous avez raison de le rappeler, ceux-ci ne font pas partie pour l’instant de son offre, pourtant la mieux-disante d’un point de vue social et industriel. Le ministre du redressement productif a indiqué aux organisations syndicales et aux élus, lors de la réunion tenue à Bercy le 23 janvier dernier, que le Gouvernement mettra tout en œuvre pour obtenir l’amélioration de cette offre et va examiner les différents scénarios possibles pour les sites vendéens. Mme la députée Bulteau, vous-même et les autres élus vendéens peuvent compter sur la mobilisation de l’État sur ce dossier. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)

Ukraine

M. le président. La parole est à M. Rémi Pauvros, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Rémi Pauvros. Monsieur le ministre délégué chargé des affaires européennes, l’Ukraine est face à son destin. Au mois de décembre, vous êtes allé à la rencontre des manifestants de la place Maidan, à Kiev. J’ai moi-même reçu, en tant que président du groupe d’amitié France-Ukraine, dont j’associe les membres à ma question, M. Klitschko. Nous avons entendu l’envie de démocratie et l’envie d’Europe de ces manifestants. Le message est clair : leur horizon est européen et ils rejettent le choix du gouvernement actuel de se tourner uniquement vers un partenariat stratégique avec la Russie.

Aussi, depuis le 21 novembre, ils sont des centaines de milliers à descendre dans les rues avec à la main le drapeau étoilé. Face à cette détermination, les autorités ont choisi la violence et la répression. Cinq manifestants ont été tués la semaine dernière à Kiev, dont certains par tir à balles réelles. Pas moins de 500 personnes ont été blessées très gravement. Le Président semble s’être résolu à faire des concessions à l’opposition et, ce matin même, le Premier ministre a annoncé sa démission. Une session extraordinaire de la Rada, le Parlement ukrainien, se tient d’ailleurs en ce moment même à Kiev, et les lois du 16 janvier portant atteinte à la liberté d’expression et de manifester viennent d’être abrogées. Il faut dire que le rapport de forces s’est inversé : de Kiev, la révolte s’est peu à peu répandue à l’ouest, puis à l’est du pays, où la peur des provocations des groupuscules d’extrême droite domine.

Ainsi, à l’heure où nombre de citoyens doutent de l’Europe et de son avenir, d’autres désirent y entrer, nous rappelant que les promesses de l’Europe ne sont pas seulement économiques mais qu’elles se situent d’abord et avant tout sur le plan politique, démocratique, et sur le plan des libertés.

Vladimir Poutine s’entretient en ce moment avec le représentant de la Commission à Bruxelles pour tenter d’établir une éventuelle position commune. Monsieur le ministre, quelle position allez-vous adopter à l’occasion de ces négociations ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. Paul Giacobbi. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

M. Thierry Repentin, ministre délégué chargé des affaires européennes. Monsieur le député et président du groupe d’amitié France-Ukraine, la semaine dernière, le Président de la République s’est exprimé avec la plus grande fermeté s’agissant des violences contre les manifestations qui ont eu lieu à Kiev et a appelé l’Ukraine à y mettre fin par la voie du dialogue et de l’apaisement. Vendredi dernier, Laurent Fabius a convoqué l’ambassadeur d’Ukraine à Paris pour souligner, à l’adresse des autorités ukrainiennes, que l’évolution de la situation était à nos yeux inacceptable et pour lui faire part de notre inquiétude sur les récentes évolutions juridiques à Kiev. La concertation avec nos partenaires européens est permanente, qu’il s’agisse de Laurent Fabius ou de moi-même – je m’entretenais encore avec mon homologue britannique juste avant de venir aux questions d’actualité. Les institutions de l’Union européenne elle-même sont pleinement impliquées : le commissaire à l’élargissement, M. Füle, était à Kiev hier ; il y a une réunion cet après-midi entre l’Union européenne et la Russie ; nous sommes très attentifs à cette mobilisation. Les États membres sont mobilisés, en bonne intelligence avec les services de la Commission, pour contribuer à une sortie de crise.

Notre position reste la même : nous appelons au dialogue entre M. Ianoukovytch et les représentants de l’opposition, avec lesquels nous sommes en contact régulier – je suis allé moi-même à Kiev les rencontrer, de même que je me suis entretenu avec les membres du gouvernement.

Grâce à cette vigilance, les lois liberticides prises la semaine dernière pour limiter les manifestations ont été abrogées ce matin, et cet après-midi, la Rada siège pour voter l’amnistie des manifestants.

Mesdames, messieurs les députés, la France n’a pas changé de position : elle continuera à contribuer au retour du dialogue, à la fin des violences, et sera vigilante à ce que les Ukrainiens, et eux seuls, choisissent l’avenir de leur destin. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures dix, est reprise à seize heures vingt.)

M. le président. La séance est reprise.

2

Fixation de l’ordre du jour

M. le président. La Conférence des présidents, réunie ce matin, a arrêté les propositions d’ordre du jour suivantes pour la semaine du 18 février 2014 :

Proposition de résolution relative aux enfants réunionnais placés en métropole ;

Proposition de loi relative à la responsabilisation des maîtres d’ouvrage ;

Proposition de loi relative aux comptes bancaires inactifs et aux contrats d’assurance-vie en déshérence ;

Proposition de loi relative au développement et à l’encadrement des stages.

Il n’y a pas d’opposition ? Il en est ainsi décidé.

3

Égalité entre les femmes et les hommes

Vote solennel

M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote et le vote par scrutin public sur le projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes (nos 1663, 1380, 1631, 1657).

Explications de vote

M. le président. La parole est à Mme Axelle Lemaire, pour une explication de vote au nom du groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Axelle Lemaire. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, tant de chemin a été parcouru en si peu de temps et un temps qui nous paraît déjà si lointain : celui de l’Ancien Régime où seuls les fils avaient le droit à l’héritage, celui du code Napoléon qui consacra l’incapacité juridique de la femme mariée, celui qui interdisait les cours secondaires aux jeunes filles, qui refusait à la femme mariée le droit de toucher son propre salaire, d’ouvrir un compte en banque, de partager l’exercice de l’autorité parentale sur les enfants, ou qui faisait encourir la prison en cas d’avortement.

Et pourtant, dans les faits, les inégalités sont têtues, elles persistent en dépit des efforts répétés du législateur. Eh bien nous avons décidé d’être plus têtus qu’elles, mais avec une méthode nouvelle : les traquer dans toutes leurs manifestations quotidiennes, les chercher dans les interstices où elles s’engouffrent pour nuire à la vie d’une femme qui demande à être librement femme, librement mère, librement salariée, librement étrangère, librement égale.

Les femmes demandent à être égales au quotidien dans la vie personnelle, au travail, au sein de toutes les formes d’organisation structurelle de la société, dans la politique, la culture, l’entreprise, le sport, et même dans la transcendance littéraire, chez les Immortels du quai de Conti.

On nous pose la question : fallait-il parler de sociétal alors que tous les efforts doivent porter sur la lutte contre le chômage et la relance de l’activité économique ? Cette loi ne serait-elle pas un subterfuge ?

Est-ce un subterfuge de traiter du congé parental, des pensions alimentaires impayées, des violences conjugales, des négociations syndicales pour moins d’écart salarial ? Non.

Le penser, c’est méconnaître la porosité de la frontière entre, d’une part, les inégalités contre lesquelles nous avons le devoir de lutter au nom de la justice sociale, et, d’autre part, la relance de l’emploi et de l’activité économique.

Les femmes ont été les premières victimes de la crise économique. Elles vont remplir les rangs des travailleurs pauvres et précaires ; elles accumulent les discriminations ; elles sont deux fois plus souvent au SMIC que les hommes ; elles sont plus souvent au chômage aussi.

Toutes les études, de l’OCDE à la Commission européenne, prouvent que s’attaquer à ces inégalités, c’est se munir d’une arme supplémentaire pour stimuler la croissance.

Et puisque ce texte s’adresse aux femmes, il leur parle aussi dans leur intimité la plus profonde et peut-être la plus noble, celle de la libre maîtrise de leur corps. Il parle de l’avortement de manière sobre et épurée, sans plus d’artifices juridiques pour réaffirmer le droit inconditionnel d’y recourir dans les délais légaux.

Des mots ont résonné très fortement dans l’hémicycle la semaine dernière. Oublions les outrances, mais nous avons été accusés d’être des politicards. « Politicards, politicards ! » a-t-on entendu.

Ces mots continuent de résonner en moi. Alors que huit Français sur dix nous soutiennent sur ce sujet, il serait « politicard » de refuser les tabous, de ne pas reculer devant le risque de la haine.

Face au désarroi des femmes espagnoles, face à celles qui s’inquiètent en Tunisie, il faudrait fermer les yeux et se rassurer en invoquant le caractère immuable d’une loi votée il y a près de quarante ans.

Mais ce qui fait la force de la loi Veil, c’est justement sa capacité à s’adapter pour répondre à la volonté nouvelle du peuple. Elle peut refléter la réalité d’aujourd’hui et conserver son équilibre. Elle est aussi réversible car rien ne nous préserve des régressions et de l’orage. Quel dommage de voir des manipulations politiciennes là où s’exprime la sincérité de l’engagement au service des femmes !

Votre loi, madame la ministre, s’inscrit dans la conquête progressive de la liberté. Vous avez eu cette expression qui nous touche : « Naître fille demain en France ne doit plus équivaloir à de moindres opportunités dans la vie, pas plus qu’à une liberté entravée de se choisir un destin et de le réaliser selon son mérite, ses capacités, ses envies et son travail. »

Vous répondez ainsi à Simone de Beauvoir qui nous rappelait que « Se vouloir libre, c’est aussi vouloir les autres libres. »

Les députés du groupe SRC qui voteront pour cette loi invitent leurs collègues à le faire aussi, sans aucune autre prétention que celle de donner force et raison aux convictions. Pour que la liberté de chacune permette l’égalité de tous. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme Françoise Guégot, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

Mme Françoise Guégot. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, le projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes propose de nombreuses avancées qui s’inscrivent dans la continuité du travail effectué ces dix dernières années.

Sur l’égalité professionnelle, un faisceau de mesures va dans le bon sens : négociation conjointe sur l’égalité et les salaires, meilleur accompagnement des ruptures professionnelles, possibilité d’utiliser une partie des droits du compte épargne-temps pour financer des frais de garde d’enfants, incitation au partage du congé parental.

Concernant les violences faites aux femmes, la confirmation et le renforcement du dispositif de l’ordonnance de protection que nous avions institués sous le quinquennat précédent sont essentiels.

Sur la représentation équilibrée et l’accès aux postes à responsabilité, les dispositions du texte renforcent les mesures que nous avions aussi mises en œuvre dans les lois Copé-Zimmermann et Sauvadet.

Enfin, les expérimentations proposées pour combattre la précarité sont intéressantes. Je pense notamment au versement en tiers payant de la prestation d’accueil du jeune enfant aux assistantes maternelles pour éviter les efforts de trésorerie des parents.

Nous soutiendrons toutes les mesures qui permettront d’aller dans le bon sens : réduire les temps partiels subis, faciliter la conciliation vie privée-vie professionnelle, assurer une juste représentation dans toutes les instances sociales, publiques, privées ou politiques, ou encore lutter contre tous les stéréotypes qui perdurent.

Ces enjeux sont une chance pour la société tout entière.

Cependant, nous pouvons regretter les conditions concernant l’organisation de nos débats. La semaine dernière, l’ordre du jour a systématiquement relégué ce texte après tous les autres.

Mme Nicole Ameline. C’est vrai !

Mme Françoise Guégot. Le choix d’une approche intégrée de l’égalité entre les femmes et les hommes a conduit à rouvrir des débats qui n’avaient pas lieu d’être et à raviver des clivages inutiles.

Mes chers collègues, pour tous les Français qui nous regardent, la priorité, aujourd’hui, reste l’emploi, et rien ne peut cacher l’échec de la majorité sur sa politique économique qui impacte directement l’emploi des femmes.

Pour toutes ces raisons, une majorité du groupe UMP s’abstiendra pour cette première lecture, même si nous serons quelques-uns à voter ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur quelques bancs du groupe GDR.)

M. le président. La parole est à M. Yves Jégo, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Yves Jégo. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je rends hommage à Sonia Lagarde, qui était l’oratrice de notre groupe à l’occasion de ce débat, et qui a rejoint Nouméa, après m’avoir demandé de la remplacer. Je le fais volontiers, s’agissant d’un texte qui s’inscrit dans le droit fil des progrès accomplis tout au long de ces dernières décennies en faveur de l’égalité entre les hommes et les femmes.

En cette année où nous allons célébrer avec panache, je l’espère, madame la ministre, le soixante-dixième anniversaire du droit de vote accordé aux femmes, il était important que ce sujet puisse faire l’objet de nos discussions et que les progrès inscrits dans votre loi recueillent un large consensus.

Je ne reviendrai pas sur les choses positives qui ont été dites. Cela étant, nous aurions aimé que le Gouvernement aille un peu plus loin.

Pour ce qui est des violences faites aux femmes, il y a une mobilisation de la justice pour que les décisions judiciaires soient rendues plus vite. Cette loi aurait pu être l’occasion d’accélérer la mise en œuvre d’un tel dispositif.

Pour ce qui est du drame des pensions alimentaires non payées, nous vous suivons, car les mesures que vous proposez constituent un progrès. Toutefois, le groupe UDI regrette que vous n’ayez pas entendu notre proposition de créer une agence qui se substituerait aux créanciers pour régler directement les pensions alimentaires. Ce serait un progrès considérable, et les trappes à pauvreté dans lesquelles tombent tant de femmes – car ce sont très souvent elles les victimes – pourraient être évitées grâce à ce dispositif.

Comme vous le voyez, nous ne sommes pas pour la multiplication des structures administratives, mais il y avait là un outil utile qui aurait pu, de surcroît, trouver son financement dans un léger prélèvement sur les créanciers malveillants.

Concernant l’égalité salariale, nous avons fait un premier pas. Vous avez évoqué les sanctions qui pourraient être celles pesant sur les entreprises postulant pour des marchés publics. Nous aurions souhaité que vous alliez un peu plus loin sur la question des exonérations de charges. C’est un levier qu’il faut utiliser avec plus de perspicacité.

Telles sont, madame la ministre, mesdames, messieurs les députés, les raisons qui justifient le vote largement favorable du groupe UDI, même si, sur ce sujet, nos collègues ont la liberté de vote, comme c’est toujours le cas, dans notre groupe, pour les questions de société.

Pour conclure, permettez-moi, monsieur le président, de regretter nos conditions de travail, qui ont été évoquées par notre collègue de l’UMP. Le Parlement ne travaille pas dans de bonnes conditions, notamment sur ces questions.

M. Sébastien Denaja, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. C’est vrai !

M. Yves Jégo. Il faut que, collectivement, nous puissions relancer ce débat qui fait l’objet de demandes incessantes du président du groupe UDI en Conférence des présidents. J’aimerais que l’exemple – mauvais – de la loi qui nous occupe aujourd’hui soit retenu, afin qu’il ne se reproduise plus.

Enfin, madame la ministre, s’agissant de la question si symbolique de l’IVG, permettez aux « enfants de Simone Veil » de dire qu’ils auraient souhaité que ce débat prospère sous une autre forme et soit porté dans cet hémicycle d’une manière un peu différente. Dans les moments de tensions, il faut éviter que des sujets trop clivants ne viennent transformer des débats sérieux en débats trop politiques. C’est une question de méthode, qu’il nous faut retenir pour l’avenir.

Au-delà de ces critiques, le groupe UDI considère que ce texte marque un petit pas, mais un petit pas qui va dans la bonne direction ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI.)

M. Patrice Martin-Lalande. Très bien !

M. le président. Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

La parole est à Mme Véronique Massonneau, pour le groupe écologiste.

Mme Véronique Massonneau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui est soumis au vote de notre assemblée aujourd’hui s’inscrit dans la démarche volontariste du Gouvernement en matière de droit des femmes. En présentant ce projet de loi, madame la ministre, vous montrez l’importance que revêt l’accès à l’égalité entre les femmes et les hommes pour notre majorité. Mais pas uniquement pour elle, car ce texte s’inscrit dans la lignée de lois mises en place par d’autres couleurs politiques, comme la loi Veil ou la loi Ameline. Nous sommes donc heureux de voir que le combat pour les droits des femmes est une problématique transpartisane.

Le grand intérêt de ce texte repose sur sa transversalité. Ainsi, il est prévu de renforcer l’égalité professionnelle et les droits des femmes, notamment en situation de précarité. Cela se concrétise par le renforcement de la lutte contre les inégalités professionnelles, notamment salariales, entre les hommes et les femmes. Source de beaucoup d’inégalités aussi bien financières – indemnités chômage et pensions moindres – que sociales, l’accès à l’égalité professionnelle doit être une priorité de la représentation nationale. Aggraver les sanctions, les diversifier, imposer l’égalité professionnelle aux entreprises est indispensable pour l’atteindre.

Concernant les droits des femmes, des dispositions intéressantes sont également prévues. Je pense notamment à l’expérimentation visant à établir des garanties contre les impayés alimentaires ou bien à une autre expérimentation permettant le versement direct des prestations aux assistants maternels. Ces deux mesures s’adresseront en priorité aux femmes les plus défavorisées, et c’est une excellente chose.

Enfin, comment ne pas souligner l’article prévoyant la suppression de la situation de détresse pour les femmes désirant avorter ? Alors que l’Espagne semble replonger des décennies en arrière et que certains, en France, continuent leur campagne de désinformation et leurs manifestations aussi insupportables qu’inefficaces, cette mesure est un message rassurant et important pour toutes nos concitoyennes.

Un message rassurant que comporte également le volet de ce projet de loi consacré à la protection contre les violences. Le renforcement des sanctions contre le harcèlement, la précision législative du concept de harcèlement psychologique sont autant de dispositions qui étaient attendues et nécessaires. Dans le même sens, la lutte contre les mariages forcés est un signal fort. Les écologistes saluent également les mesures facilitant l’obtention de papiers par les étrangères victimes de violences, ainsi que le rapatriement des victimes depuis l’étranger.

Les chiffres sur les violences faites aux femmes en France font d’ailleurs encore froid dans le dos : 400 000 femmes victimes de violences conjugales déclarées en deux ans, 10 % de femmes victimes de violences conjugales, 148 femmes mortes sous les coups de leur conjoint en 2012.

Cela démontre la nécessité qu’il y avait de légiférer sur le sujet. Quant aux mesures prises, elles vont dans le bon sens. Le principe du maintien de la victime dans le logement du couple en cas de violence, la suppression de la médiation en cas de violences dans le couple ou encore la généralisation de la téléprotection en cas de danger de violence, sont autant de dispositions qu’il convient de soutenir.

Ce soutien, les écologistes l’apportent également aux mesures en faveur de la parité. Qu’elle soit favorisée dans le monde professionnel, dans le monde associatif, dans le monde de la culture, c’est important. Qu’elle le soit dans la vie politique, c’est nécessaire et primordial. C’est pourquoi nous nous félicitons du renforcement des sanctions à l’encontre des partis politiques ne mettant pas en œuvre la parité.

Bien sûr, nous avons certains regrets. Tout d’abord, on aurait pu envisager une réforme du congé parental plus ambitieuse, de plus grande envergure, avec la mise en place d’un congé plus incitatif pour les pères, pour une meilleure répartition des tâches domestiques.

Nous aurions aimé que certains de nos amendements soient pris en compte, sur la deuxième tranche pour la parité en politique, par exemple, ou encore sur les droits des transsexuels. Et, même si nous avons pris bonne note du prochain dépôt d’un projet de loi sur la famille et d’une proposition de loi relative à ces problématiques, nous regrettons que la majorité des amendements soit renvoyée à un texte ultérieur.

Toutefois, il serait inapproprié de ne pas saluer ce texte, que les écologistes voteront bien évidemment. C’est un texte qui va dans le bon sens et qui doit encourager tous nos collègues, sur tous les bancs, tous nos concitoyens et toutes nos concitoyennes à continuer à se battre pour les droits des femmes. Car, comme le disait François Mitterrand : « L’égalité n’est jamais acquise, c’est toujours un combat ». (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste, SRC et GDR.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Moignard, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Jacques Moignard. Monsieur le président, madame la ministre, mesdames et messieurs les députés, ainsi que je le rappelais lundi dernier dans la discussion générale, les inégalités se nourrissant les unes des autres, il est nécessaire d’agir de façon globale et coordonnée sur chacune d’entre elles. C’est alors qu’une égalité réelle entre les femmes et les hommes, susceptible de faire évoluer durablement les comportements, pourra se créer.

Ce qui fait précisément la force de cette loi, que nous allons voter aujourd’hui, c’est qu’elle aborde cette égalité dans toutes ses dimensions. À commencer par l’égalité professionnelle.

En effet, la place des femmes dans la vie économique est toujours marquée par de profondes inégalités. Que ce soit dans les postes à responsabilités du secteur public ou du secteur privé, dans le temps partiel subi ou dans les écarts de revenus et de retraites, l’inégalité est toujours présente.

Ce projet de loi apporte des modifications substantielles en modifiant le code du travail, notamment en ses articles 2 C à 2 G, où il est question de rémunérations, de négociations annuelles sur les objectifs d’égalité, de déplacements entre deux lieux de travail pour le même employeur et d’un rapport quinquennal de la négociation collective portant sur l’analyse des négociations réalisées et sur les bonnes pratiques. De même, en engageant la réforme du complément de libre choix d’activité, cette loi favorisera le retour des femmes vers l’emploi et rééquilibrera la répartition des responsabilités parentales au sein du couple puisque d’ici à 2017, ce sont près de 100 000 hommes qui accéderont au congé parental.

Pour rompre l’inégalité, cette loi renforcera la lutte contre la précarité des femmes isolées, qui bien souvent peinent à boucler leur budget parce que la pension alimentaire n’a pas été versée. En créant une garantie publique contre les impayés, la loi invente une nouvelle forme de protection sociale. Un véritable remède, car la solidarité publique prendra le relais du parent défaillant et les services publics se retourneront vers lui en faisant valoir des moyens de recouvrement renforcés.

Pour qu’IVG ne rime plus avec précarité, la notion de « détresse » sera très justement remplacée, dans le code de santé publique, par la « volonté de ne pas poursuivre une grossesse ».

Autre pierre angulaire de ce projet de loi : la protection des femmes contre toutes les violences.

Les violences faites aux femmes sont sans aucun doute la première source d’inégalités entre les femmes et les hommes, qu’il s’agisse de violences conjugales ou hors mariage, de harcèlement ou de viol commis dans le huis-clos du foyer familial ou à l’abri des regards, et donc trop peu signalés ou détectés. Les combattre est un préalable aux politiques d’égalité.

Outre le plan d’action triennal lancé par le Gouvernement pour mieux protéger les femmes victimes de violences, cette loi prévoit notamment une ligne d’écoute téléphonique à numéro unique, opérationnelle dès ce mois-ci ; des sanctions adaptées pour tout harcèlement sexuel à l’université et dans l’entreprise ; l’accélération de la délivrance de l’ordonnance de protection et l’allongement à six mois renouvelables de la durée pour laquelle les mesures d’une ordonnance de protection sont prises ; le principe d’éviction de l’auteur de violences du domicile et le maintien de la victime dans le logement.

Autre volet important de ce texte : assurer une juste représentation des femmes dans la société, dans toutes les sphères de la société, à commencer par la nôtre, celle des élus de la nation. Malgré des progrès notables, en termes de parité, les femmes continuent à être sous-représentées dans les assemblées parlementaires et les collectivités territoriales.

Ce projet de loi traduit l’engagement du Président de la République de renforcer les pénalités financières pour les partis politiques qui ne respectent pas les objectifs de parité.

Parce que cette loi est un texte global traitant des inégalités entre les femmes et les hommes, qu’elle est donc une loi de progrès pour les femmes et les hommes, le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste la votera. (Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP et écologiste et sur plusieurs bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-George Buffet, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

Mme Marie-George Buffet. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, nous voici arrivés au terme du débat sur une loi qui touche au devenir de notre société : l’égalité entre les femmes et les hommes.

Persuadée que tout progrès obtenu par et pour les femmes contre la domination patriarcale est source d’avancées pour toute la société, je me réjouis de voter aujourd’hui cette loi-cadre portant sur tous les domaines de la vie des femmes.

L’enjeu était de taille. Il méritait un meilleur traitement que ce débat émietté, du fait d’un ordre du jour intercalant divers projets de loi entre les séances consacrées à la loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes. Cela nous a privés du temps nécessaire au débat de fond sur plusieurs questions.

Votre loi, madame la ministre, enrichie par le travail mené en commission et dans cet hémicycle, donne corps à des avancées relatives au logement des femmes victimes de violences et à la garantie du versement des pensions en cas de séparation. Nous aurions toutefois aimé que celle-ci n’en reste pas au stade de l’expérimentation. La loi entérine aussi, et ce n’est pas rien, le droit à l’IVG, le droit des femmes à décider. Il s’agit d’un acte important. En effet, les Espagnoles voient ce droit remis en cause et de nombreuses femmes dans le monde en sont privées. Il s’agit d’un acte important, car certains de nos collègues ont proposé d’amender le texte pour dérembourser l’IVG. Nous serons, je l’espère, nombreuses et nombreux à manifester samedi pour le partage de ce droit ici entériné avec les femmes de pays de plus en plus nombreux !

Mme Catherine Coutelle. Bravo !

Mme Marie-George Buffet. En effet, si la loi ne fait pas tout, elle peut constituer pour les femmes un formidable point d’appui. Aussi fallait-il, pour gagner la bataille de l’égalité salariale, leur donner les moyens d’obtenir gain de cause en agissant par la loi sur ce qui produit l’inégalité, le temps partiel au premier chef. Les femmes constituent 82 % des salariés à temps partiel et nombre d’employeurs ne leur proposent rien d’autre. Il faut donc agir à la source en pénalisant financièrement les patrons qui y recourent abusivement. Vous avez repoussé les amendements allant dans ce sens provenant de différents bancs de cette assemblée, madame la ministre. Les patrons pourront donc continuer, en dépit de la fixation d’un minimum hebdomadaire de vingt-quatre heures, à pratiquer le temps partiel imposé aux femmes, qui dès lors ne cesseront pas de connaître des salaires partiels, des vies partielles et des retraites partielles.

Sur d’autres points ayant fait l’objet de nombreux amendements, je regrette que vous n’ayez pas doté les femmes d’une loi encore plus ambitieuse à même de donner corps à d’autres avancées tangibles pour leur vie et leurs droits, en particulier en matière d’égalité salariale. Nous avions l’occasion de prendre enfin sur ce sujet des décisions faisant prévaloir la force de la loi sur les choix patronaux. Tous et toutes, nous étions d’accord pour constater la persistance des inégalités professionnelles. Je déplore que les mesures à prendre pour y remédier n’aient pas suscité une unanimité comparable.

Nous éprouvons également une légère déception en raison du caractère insuffisant des avancées relatives aux femmes étrangères. Leurs attentes et celles des associations qui les aident quotidiennement étaient nombreuses, en particulier exister en tant qu’individu à part entière, vivre librement et être respectée indépendamment du comportement de son compagnon. Enfin, nous avons adopté des mesures pour faire entrer la parité dans nos nombreux lieux de pouvoir mais le principal obstacle, le mode de scrutin uninominal, demeure. Tant que nous ne remplacerons pas partout le scrutin uninominal par le scrutin proportionnel de liste, les progrès demeureront aléatoires.

L’expérience parle d’elle-même. Des scrutins municipaux, régionaux et européens, pour lesquels la parité est une condition de validité des listes, sont issus des assemblées comptant plus de 48 % de femmes. Notre assemblée élue au scrutin uninominal majoritaire, quant à elle, ne compte toujours que 26,86 % de femmes. Nous nous sommes donc arrêtés au milieu du gué et c’est dommage. J’évoquerai avant de conclure la loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel. Pouvez-vous m’indiquer, madame la ministre, la date de son examen au Sénat et celle de son vote définitif à l’Assemblée ? Les députés du groupe GDR voteront votre loi et espèrent que les moyens de son application seront prévus. Une ambition un peu plus affirmée n’aurait pas été pour nous déplaire. C’est néanmoins avec plaisir que nous émettons ce vote ! (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur de nombreux bancs des groupes SRC, écologisteRRDP.)

Vote sur l’ensemble

M. le président. Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi.

(Il est procédé au scrutin.)

Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants557
Nombre de suffrages exprimés383
Majorité absolue192
Pour l’adoption359
contre24

(L’ensemble du projet de loi est adopté.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures cinquante, est reprise à seize heures cinquante-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

4

Ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires

Vote solennel

M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote au nom des groupes et le vote par scrutin public sur l’ensemble du projet de loi constitutionnelle visant à ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (n1618).

Explications de vote

M. le président. La parole est à M. Thierry Benoit, pour une explication de vote au nom du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Thierry Benoit. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, depuis sa signature par la France il y a près de quinze ans, nous débattons de l’opportunité de ratifier la Charte européenne relative aux langues régionales et minoritaires, comme l’ont déjà fait vingt-cinq États. Les débats ont montré que la question suscite toujours de nombreuses interrogations. Est-il souhaitable que la France procède à la ratification de la Charte ? Celle-ci ne risque-t-elle pas de porter atteinte au principe en vertu duquel la langue de la République est le français ? Quelle rédaction et quel véhicule législatif sont les plus appropriés ? Ce sont autant de questions qui ont provoqué des débats animés lors de l’examen du texte. Pour sa part, le groupe UDI demeure convaincu de la nécessité de protéger les langues régionales et minoritaires et de reconnaître le droit de les pratiquer.

M. Philippe Folliot et M. Paul Molac. Très bien !

M. Thierry Benoit. À ce titre, il considère qu’il est temps de franchir l’étape de la ratification afin de faire vivre et appliquer la Charte adoptée à Strasbourg le 5 novembre 1992. Si nous défendons, comme l’UDF avant nous, la ratification de la Charte, c’est avant tout en raison de notre soutien à la construction européenne et à l’Europe des peuples favorisant le dialogue, les échanges et la communication entre les citoyens et reconnaissant et protégeant pour ce faire les diverses langues régionales et minoritaires qui la composent. Pour la France comme pour l’Europe, les langues régionales et minoritaires constituent une richesse. Elles sont étroitement liées à notre histoire, à nos racines, à des traditions et à un passé, celui de la France, de ses provinces, de ses régions et de ses habitants. La ratification ne saurait porter atteinte aux valeurs d’unité de notre République. Une telle crainte revient d’ailleurs à surestimer la Charte.

En effet, la France ne s’est engagée à appliquer que trente-neuf des quatre-vingt-dix-huit engagements prévus par la Charte en faveur de l’emploi des langues régionales ou minoritaires, ceux qui ont été déclarés conformes à la Constitution par la décision du Conseil constitutionnel du 15 juin 1999. Par ailleurs, la proposition de loi fait explicitement référence au principe d’égalité des citoyens et à celui de l’usage du français comme langue de la République, tous deux gravés dans le marbre de notre Constitution. Provoquer un délitement de notre République n’est en rien l’objet de la Charte, qui est au contraire d’enrichir, faire vivre et préserver des langues régionales que la Constitution qualifie depuis 2008 de partie intégrante de notre patrimoine.

C’est tout naturellement que la France pourrait poursuivre la voie qu’elle a empruntée en faveur de la promotion de la diversité, notamment lorsqu’elle a ratifié la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel en 2003, ou encore la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles en 2005. J’ajouterai par ailleurs que les récents mouvements sociaux, notamment en Bretagne, ont montré que le fait pour les régions d’aspirer à davantage de reconnaissance, à travers un nouvel acte de décentralisation, n’était pas incompatible avec un profond attachement et une réelle loyauté envers l’État – tout comme la défense des langues régionales peut rimer avec l’unité de la République.

Sur le fond, donc, nous n’avons aucun doute sur la nécessité de ratifier cette Charte. En revanche, le choix d’une proposition de loi de nature constitutionnelle implique, conformément à l’article 89 de la Constitution, le recours au référendum. Or, madame la ministre, nous avons du mal à croire au référendum. L’UDI met en garde ceux d’entre nous qui voudraient faire de cette ratification un enjeu de calcul politicien. De plus, nous attirons l’attention du Gouvernement sur le fait qu’il doit dévoiler ses réelles intentions sur le sujet et avancer à visage découvert : c’est la responsabilité du Gouvernement et du Président de la République de créer les conditions d’un vote favorable lors du Congrès à Versailles.

M. François Sauvadet. Très bien !

M. Thierry Benoit. Cela nécessite au préalable d’empêcher que le projet de modification de la Constitution ne se trouve parasité par d’autres sujets de diversion qui divisent la société et le Parlement.

M. François Sauvadet. Très bien !

M. Thierry Benoit. Le groupe UDI votera cette proposition de loi, car défendre les langues régionales, c’est reconnaître à chacun le droit de défendre, de préserver et de transmettre un héritage, et c’est aussi construire l’Europe des peuples ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI et sur plusieurs bancs des groupes SRC, UMP et écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Paul Molac, pour le groupe écologiste.

M. Paul Molac. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, « le multilinguisme est à la démocratie culturelle ce que le multipartisme est à la démocratie politique ». Ces paroles sont de Michel Guillou, président du réseau international des chaires Senghor de la francophonie. En homme de langues, il sait que le dogme de la langue unique est dangereux pour la diversité culturelle, mais aussi pour la langue française elle-même. C’est bien l’enjeu de cette ratification : reconnaître la grande diversité des langues patrimoniales de France – 75 langues issues de nombreuses familles différentes – et leur donner un statut légal qui puisse les protéger. Contrairement à ce que j’ai pu lire, les langues ne sont ni reconnues ni protégées dans notre droit. Les affaires des panneaux d’entrée de villes de Villeneuve-lès-Maguelone ou du livret de famille bilingue de Carhaix en sont la triste illustration.

Or, comment apprendre une langue régionale quand un inspecteur d’académie, tout en reconnaissant que vous avez rempli toutes les conditions pour la création d’une classe bilingue, persiste à refuser de l’ouvrir ? Comment entendre une langue régionale, quand les émissions à la radio et à la télévision se comptent en minutes par semaine ou par mois ?

M. Jacques Myard. Heureusement !

M. Paul Molac. Que répondre à un fonctionnaire qui vous refuse une subvention au motif que la formation à laquelle vous souhaitez accéder est en langue régionale ?

M. Jacques Myard. Heureusement !

M. Paul Molac. Tous ces problèmes, nous les connaissons bien : ils résultent tous du fait qu’une langue ne peut vivre qui si elle est parlée. Il faut donc mettre en place des outils que l’on appelle des politiques linguistiques. Ces politiques reposent sur l’enseignement, sur la signalétique et sur les médias. La plupart des 39 articles signés par la France concernent ces trois domaines.

La Charte fournira donc l’assise institutionnelle qui permettra de mettre en place des outils de politique linguistique pour les langues de France et, ce faisant, elle permettra à la France de se hisser au standard européen, car la ratification de la Charte est obligatoire pour tout pays qui veut entrer dans l’Union européenne. Avec cette Charte, la France reconnaît ses langues, mais aussi une nouvelle catégorie de droits de l’homme : celle des droits culturels. Il était en effet étrange que la France en reste à une notion de droits de l’homme essentiellement politiques et sociaux, gagnés et parfois conquis de haute lutte au XIXe et au XXsiècle.

La Charte est-elle le loup dans la bergerie, comme l’affirment certains ? Il faut d’abord préciser qu’elle n’oblige pas les citoyens à pratiquer une langue régionale : elle donne des possibilités que l’administration honorera, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Malgré ce que l’on veut nous faire croire, les articles choisis par la France ne permettront pas la co-officialité de ces langues dans les territoires où elles sont pratiquées. À ceux qui s’alarment devant la diversité culturelle et pensent que la République repose sur une langue unique, je ferai remarquer que la Suisse reconnaît quatre langues officielles et n’en est pas moins un État démocratique. Par ailleurs, l’utilisation du serbo-croate n’a pas suffi à empêcher que la Yougoslavie se divise.

Revenons-en au contrat social de Rousseau, pour qui la république ne repose pas sur une langue ou une culture, mais sur la démocratie, sur les droits de l’homme et sur le désir de vivre ensemble. Bien loin d’une vision selon laquelle l’État façonne les citoyens en fonction d’un modèle dominant, je crois au contraire en un État permettant le « vivre ensemble », la diversité et l’épanouissement de ses citoyens.

J’ai vécu dans une France où les langues régionales étaient niées et méprisées, ce que les citoyens vivaient mal, et j’aspire, comme l’ensemble de mon groupe, à des relations apaisées sur ce point. En tant que locuteur de langue régionale, je suis un citoyen comme les autres et j’ai le droit, comme les autres, au respect de ma personnalité culturelle. En breton, en gallo, en basque, en corse ou en occitan, la devise de la République s’exprime tout aussi bien, et les valeurs d’universalité se trouvent magnifiées par l’expression de cette devise dans les langues régionales. Les mots sont différents, mais le goût de la liberté, de l’égalité et de la fraternité est toujours le même. C’est pour cet idéal que des milliers de Corses, de Bretons et de Français d’autres régions sont morts dans les tranchées, alors que nombre d’entre eux ne maîtrisaient même pas la langue française.

Comme vous le voyez, mes chers collègues, la Charte n’est pas un danger pour notre pays. Bien au contraire, elle permettra des relations apaisées entre l’État et ses citoyens. Elle ne donnera que plus de poids à la France quand notre pays voudra défendre le français dans les relations internationales et défendre les minorités linguistiques françaises, assez nombreuses de par le monde. Je sais qu’il est, dans cet hémicycle, des députés de tout bord qui ont beaucoup œuvré, depuis longtemps, pour les langues régionales. Je leur rends hommage aujourd’hui et c’est avec eux que je vous demande de voter massivement pour cette proposition de loi. C’est ce que fera mon groupe avec enthousiasme. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologistesur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Paul Giacobbi, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Paul Giacobbi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le duc de Guise, dit-on, paraissait plus grand mort que vivant. De la même façon, le débat que nous avons eu sur les langues de France démontre que ces langues, sinon mortes du moins mourantes, paraissent encore menaçantes à certains d’entre nous. Le débat a permis une clarification juridique et linguistique. Juridique, parce que la portée d’une ratification, telle qu’elle a été définie par la France, a été précisée. Je n’y reviendrai pas, me contentant de me référer aux explications de notre rapporteur, Jean-Jacques Urvoas – vous conviendrez que j’eusse pu choisir plus mauvais maître. (Sourires.)

Il a été rappelé que le Conseil constitutionnel ne pouvait censurer les révisions constitutionnelles.



M. Guy Geoffroy. C’est normal !

M. Paul Giacobbi. Vous me direz que cela va sans dire, mais ce qui va sans dire va encore mieux en le disant…

M. Jean Glavany. Pas toujours, cher collègue !

M. Paul Giacobbi. …et, après avoir entendu le débat, il ne me paraît pas superflu de le dire une fois de plus. De même, il ne me paraît pas légitime d’évoquer je ne sais quel principe supraconstitutionnel auquel on ne saurait déroger, même dans le cadre d’une révision. Comme je l’ai dit lors du débat, les lois fondamentales du royaume n’existent plus ; c’est heureux, et je renvoie ceux qui les évoquent encore, sans savoir de quoi ils parlent, à leurs fantasmes carolingiens.

M. Jean-Luc Laurent. Du calme !

M. Paul Giacobbi. Je dois dire que je suis très choqué, quand il est question des principes fondamentaux des lois de la République, d’entendre encore certains de nos collègues évoquer des principes ou des règles que des juridictions, fussent-elles supérieures, voire prétendument suprêmes, auraient édictés. Je rappelle que notre droit prohibe les arrêts de règlement depuis 1789 et que s’il est un principe sans lequel il n’est point de Constitution, c’est celui de la séparation des pouvoirs, au nom duquel un juge ne peut disposer pour l’avenir, pas plus en un avis qu’en un arrêt.

M. Jean Glavany. Eh oui, c’est l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme !

M. Paul Giacobbi. Sur le plan linguistique, le débat a rappelé la beauté, la richesse, l’histoire et le présent des langues de France. Il a rappelé aussi le prix Nobel de littérature décerné en 1904 à Frédéric Mistral – trois ans après le premier reçu par un autre écrivain français, Sully Prudhomme – et tout ce que la littérature française et francophone doit à ces écrivains qui n’avaient pas appris le français au berceau. Je ne citerai qu’un seul de ces auteurs, plus surprenant encore que les auteurs francophones d’origine antillaise, africaine, chinoise ou roumaine, à savoir Michel de Montaigne, qui a dit lui-même n’avoir appris le français qu’à l’âge de sept ans.

M. Jacques Myard. Ça l’a amélioré !

M. Paul Giacobbi. Je ne saurais dire, mon cher collègue, mais j’ai du respect pour Montaigne, qui écrivait d’ailleurs aussi merveilleusement en italien qu’en français.

Enfin, le débat a montré, avec toute la lucidité qui s’impose, que la ratification, loin d’être une révolution, et moins encore la promesse d’une renaissance pour nos langues, n’était qu’un moyen modeste parmi tant d’autres, ou le début d’un travail – d’une thérapeutique, pourrait-on presque dire – permettant d’espérer une survie. Car les langues de France ne peuvent se contenter d’être un élément du patrimoine, un vestige du passé qu’il faut conserver à la manière d’un monument historique et que les lois ne permettent pas d’utiliser, tel un château fort dans sa fonction primitive.

Cette évolution est attendue dans toute la France. Je vous le demande très humblement, mes chers collègues : ne prenez pas ce vote à la légère – je suis sûr que personne ne le fera – et surtout, que chacun d’entre vous prenne conscience que, pour la France, ne pas reconnaître ses propres langues, secrétées par son territoire et ses enfants au fil des siècles, c’est condamner le français à subir le même sort au plan international.

M. Bernard Accoyer. N’exagérons pas !

M. Paul Giacobbi. Il y a quelques jours, je suis passé près du monument aux morts de mon village, Venaco, ma che si chjama Venacu. Si ce village a pour nom Venacu en corse, je vous en parlerai en l’appelant Venaco, car je suis obligé de prononcer son nom en me référant à la graphie utilisée par un agent voyer du XVIIIsiècle qui ne connaissait ni le corse ni le toscan, et parlait sans doute fort mal le français. Comme tout monument aux morts, ce monument est chargé de noms d’enfants de France morts pour la patrie de 1914 à 1918, alors même que, pour la plupart d’entre eux, ils ne parlaient que bien peu et bien mal le français, qu’ils n’avaient pas appris à la naissance. Cependant, je ne permettrai à personne de dire qu’ils n’étaient pas des enfants de France, ni même de nier qu’ils étaient, en leur temps, les meilleurs d’entre eux.

Un siècle plus tard, c’est pour toux ceux qui parlent encore ces langues, tous ceux qui n’ont pu les apprendre, tous ceux qui ont été conditionnés par l’idée absurde et dégradante selon laquelle elles ne seraient que des langues inférieures – comme il existerait, selon les idées, aussi affreuses que nauséabondes, que véhiculent certains, des « races » ou des peuples inférieurs –, que vous devez voter cette proposition de loi – ce que vous allez faire, je n’en doute pas. (Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP et sur plusieurs bancs des groupes SRC, UDI, écologiste et GDR.)

M. le président. Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

La parole est à M. André Chassaigne, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. André Chassaigne. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, rappelons tout d’abord que l’objet de notre débat ne consiste pas à s’affirmer pour ou contre les langues régionales, ce qui serait absurde. La question est plus complexe : elle consiste, d’une part, à se demander si les langues régionales sont suffisamment protégées et s’il convient aujourd’hui de favoriser leur usage dans la vie privée, mais également dans la vie publique. Elle consiste, d’autre part, à déterminer si la ratification de la Charte est compatible avec notre Constitution.

Sur le premier point, il faut relever que notre législation est favorable aux langues régionales. La première loi en faveur des langues régionales, la loi Deixonne du 11 janvier 1951, a permis l’apprentissage de quatre langues régionales dans l’enseignement public : le breton, le catalan, l’occitan et le basque. Les évolutions qui ont eu lieu ensuite, introduites par les lois de 1974 pour la langue corse, de 1981 pour le tahitien, de 1992 pour quatre langues mélanésiennes, puis la loi Toubon de 1994 et la loi du 22 janvier 2002 sous le gouvernement de Lionel Jospin, ont toutes consolidé un dispositif législatif favorable, je le répète, aux langues régionales. De fait, le rapport du Comité consultatif pour la promotion des langues régionales et de la pluralité linguistique interne, remis à Mme la ministre de la culture le 15 juillet 2013, souligne que « le bilan de la politique menée en faveur des langues régionales depuis quinze ans est loin d’être négligeable ».

Pour autant, est-ce suffisant ? La France doit non seulement défendre et protéger sa diversité linguistique, mais, plus encore, la promouvoir, dans la vie privée comme dans la vie publique. Or, cette notion floue de « vie publique » fonde certaines objections à la ratification. Certes, la Charte a une acception très large de cette notion, qui englobe aussi bien l’éducation, les médias, la culture que la justice ou encore les autorités administratives et les services publics. À cet égard, il est à noter que seules les dispositions relatives aux autorités administratives et aux services publics se heurtent à des objections constitutionnelles. Or ces objections tombent grâce au dispositif juridique qui sera introduit dans l’article 53-3 à venir de la Constitution. Pour le reste, c’est-à-dire la grande majorité des dispositions de la Charte, aucune objection constitutionnelle ne peut être soulevée.

Surtout, nous savons très bien que, si l’usage de la langue n’est pas favorisé dans l’espace public, il disparaîtra. Pour éviter cela, il faut faire évoluer notre politique linguistique et s’appuyer à cette fin sur la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires.

Ratifier la Charte est également un symbole important qui permettrait d’inscrire la défense des langues régionales dans un mouvement plus vaste, un mouvement mondial de la diversité linguistique. C’est en ce sens que nous regrettons que la Charte exclue de son champ d’application les langues dites non territoriales, parlées par nos concitoyens français d’origine immigrée. De récents rapports remis au Gouvernement concordent d’ailleurs sur la nécessité et l’urgence d’accentuer un apprentissage des langues dites de l’immigration, en particulier de l’arabe, au sein du système éducatif.

Par ailleurs, je l’ai dit, nous avons pris note des obstacles juridiques à la ratification de la Charte qui ont été relevés par le Conseil constitutionnel et par le Conseil d’État.

Cela étant, la référence expresse, au sein de la Constitution, au principe d’égalité de tous les citoyens sans distinction d’origine et au principe selon lequel la langue de la République est le français constitue un solide verrou. Cette référence permet en effet de garantir que nos principes constitutionnels priment des interprétations par trop extensives de la Charte.

Cette proposition de loi constitutionnelle constitue un bon compromis. Le groupe GDR, pleinement favorable à la diversité linguistique, qui constitue un patrimoine de l’humanité, votera majoritairement pour la ratification de la Charte. Nous espérons que cela conduira la France à mettre en œuvre une véritable politique nationale de promotion des langues régionales et, plus encore, une politique en faveur de toutes les langues de France. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur plusieurs bancs des groupes SRC et écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme Colette Capdevielle, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Colette Capdevielle. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, madame la ministre, chers collègues, le groupe socialiste est à l’origine de ce texte visant à la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires.

Permettez-moi tout d’abord de remercier Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois et rapporteur de cette proposition de loi constitutionnelle, pour son travail remarquable. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur plusieurs bancs des groupes RRDP et UDI.)

Les débats de mercredi dernier ont montré la mobilisation de députés de tous horizons, partis et territoires confondus, pour la belle cause des langues de France trop rarement portée à la tribune de notre assemblée.

Mais cela ne suffit pas.

Aussi devons-nous voter ce texte à une très large majorité. Ce n’est qu’à cette condition que le Gouvernement déposera un projet de loi permettant la mise en œuvre de cet engagement de François Hollande par un vote du Congrès.

Quatre arguments majeurs fondent notre avis favorable.

D’abord, ratifier la Charte signée en 1999 sous le gouvernement de Lionel Jospin permettra de sauvegarder autant que de valoriser notre patrimoine linguistique et de le faire reconnaître comme le plus riche d’Europe. Le seul prétexte d’une menace contre l’unité de la République ne tient pas. C’est une posture, un ethnocentrisme jacobin, un vrai chiffon rouge !

La maturité de la République française lui permet aujourd’hui d’envisager très sereinement de libérer les langues régionales des contraintes dans lesquelles elle les a confinées tandis qu’elle forgeait son unité.

Comme vous l’avez affirmé, madame Filippetti – je vous cite – : « Dans la reconnaissance des langues de France, il y a la fidélité au principe républicain qui fonde la citoyenneté sur le partage de valeurs républicaines, quelle que soit la langue qui exprime ces valeurs. »

Nous serons d’autant plus crédibles dans la défense du français au sein des institutions internationales, et face à l’hégémonie des langues de la mondialisation, que nous aurons nous-mêmes prouvé notre ouverture à toutes les langues, de métropole et d’outre-mer.

M. André Chassaigne. Très bien !

Mme Colette Capdevielle. En outre, j’insiste sur le fait que ce texte aura aussi pour conséquence de sécuriser juridiquement les collectivités locales et les associations qui œuvrent au quotidien en faveur du développement, de la diffusion et de l’enseignement des langues régionales.

En l’état, il n’est pas acceptable pour notre République que l’application de la loi soit fonction des territoires et des préfets : cette hypocrisie juridique a assez duré.

Enfin, la ratification de la Charte sortira notre pays de son isolement en Europe. Sur quarante-sept États, les vingt-deux qui n’ont pas ratifié la Charte sont, pour la plupart, de très petits États, tels Saint-Marin, Monaco et Andorre, où la question des langues régionales ne se pose pas. Certes, la Belgique et l’Italie ne l’ont pas ratifié non plus, mais la Belgique reconnaît quatre langues officielles sur son territoire et l’Italie a la chance de disposer d’une loi spécifique très protectrice des langues minoritaires.

En revanche, à l’instar de la Turquie, de la Grèce ou de la Russie, dont nous dénonçons régulièrement les carences en matière de respect des minorités, la France se trouve totalement isolée.

Alors que le Parlement européen vient d’adopter, à une majorité de 92 %, un rapport exhortant tous les États non signataires à ratifier et à mettre en œuvre la Charte, rien – je dis bien, rien – ne justifie aujourd’hui notre retard.

Les droits humains sont universels. Parmi eux, l’égalité, à laquelle nous sommes profondément attachés, ne consiste pas à nier la différence de l’autre, mais plutôt à reconnaître l’autre dans sa différence, au sein d’une communauté citoyenne. Ainsi, la loi sur l’égalité entre les femmes et les hommes, que nous venons de voter, rend notre République encore plus égalitaire et plus démocratique.

Au-delà de nos appartenances politiques, de nos postures réservées, de nos attitudes frileuses ou parfois, malheureusement, politiciennes, envoyons collectivement un signal fort en direction de toutes les Françaises et de tous les Français qui attendent légitimement et depuis si longtemps reconnaissance, respect et encouragement dans leur diversité.

Pour conclure, je voudrais qu’en cette année de commémoration du centenaire de la guerre 1914-1918, nous n’oubliions pas ces poilus qui se sont battus dans les tranchées pour la France, et qui parlaient le basque, l’occitan, le breton, le créole ou l’alsacien.

M. Pouria Amirshahi. Quel amalgame !

Mme Colette Capdevielle. Le groupe SRC votera cette proposition de loi et appelle tous les députés à faire de même. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Guy Geoffroy, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Guy Geoffroy. Notre collègue Capdevielle vient de faire référence à l’hypocrisie juridique. Dans le droit fil de ce qu’elle a dit, je voudrais évoquer ce qui, aux yeux du groupe UMP, entache ce texte d’hypocrisie constitutionnelle. En effet, madame la ministre, mesdames et messieurs de la majorité, vous utilisez un bien curieux procédé consistant à feindre la ratification de la Charte, alors qu’il ne s’agit aujourd’hui que de procéder à un tour de chauffe en vue de l’éventuelle révision constitutionnelle qui permettrait à son tour le dépôt par le Gouvernement d’un projet de loi autorisant la ratification de la Charte. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

M. Jean Glavany. Cela s’appelle un test !

M. Guy Geoffroy. Ceci me semble dénoter une forme d’hypocrisie constitutionnelle qu’un certain nombre de membres de notre groupe, dont je fais partie, ne comprenons pas. Nous ne comprenons pas pourquoi vous occultez la réalité, à savoir que ce texte présente les caractéristiques d’un projet de loi constitutionnelle. À cet égard, avec tout le respect que nous devons à votre personne et à votre fonction, madame la ministre, je relève que nous débattons de la réforme de la Constitution en l’absence du garde des sceaux qui, traditionnellement, est le ministre qui suit les révisions constitutionnelles. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.) Ceci renforce notre interrogation et appelle quelques explications, dont nous n’avons pas vu le début. En effet, comme mes collègues, j’ai constaté que vous n’avez pas consacré la moindre seconde, ni vous, madame la ministre, ni vous, monsieur le président-rapporteur, à répondre aux orateurs qui se sont exprimés dans le cadre de la discussion générale.

De quoi s’agit-il ? Il ne s’agit pas, aujourd’hui, de ratifier la Charte. Si vous nous le proposiez, il y aurait une immense majorité sur ces bancs, à droite comme à gauche, pour approuver que l’on aille dans cette direction. D’ailleurs, la révision constitutionnelle de 2008 a été considérée sur ce point, même de la part de ceux qui ne l’ont pas votée, comme un pas positif.

Que nous proposez-vous aujourd’hui ? Une palinodie constitutionnelle ! Vous pourriez, madame la ministre, présenter au nom du Gouvernement un projet de loi constitutionnelle qui conduirait à ce que l’Assemblée et le Sénat se prononcent, afin que le Président de la République convoque le Congrès du Parlement et que ce dernier, aux trois cinquièmes des suffrages exprimés, révise la Constitution et permette ainsi la ratification de la Charte. Vous ne l’avez pas fait, et ne nous avez pas expliqué pourquoi. Vous soutenez une révision constitutionnelle par voie de proposition de loi, sachant très bien – vous nous l’avez dit à demi-mots et même à mots ouverts – que la procédure n’irait pas à son terme. Nous sommes dans une situation d’un ridicule inacceptable.

M. Bruno Le Roux. Fallacieuses arguties !

M. Guy Geoffroy. Nos concitoyens doivent savoir que cette proposition de loi, si elle est votée par notre assemblée aujourd’hui – et elle le sera –, si elle est votée par le Sénat demain – et elle le sera probablement – n’ira pas devant le peuple qui devrait, seul, pouvoir l’approuver, s’agissant d’une proposition de loi.

M. Pascal Popelin. C’est laborieux !

M. Guy Geoffroy. Après avoir fait les comptes, vous déciderez ou non de déposer à nouveau un projet de loi qui reprendra mot pour mot la proposition de loi qui aura déjà été adoptée par le Parlement. C’est d’un ridicule avéré, c’est un détricotage inconsidéré de ce que doit être la Constitution, c’est-à-dire une loi fondamentale que l’on retouche à la marge lorsque l’on a de très sérieuses raisons de le faire. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

Vous avez inventé – vous faites d’ailleurs preuve, tous les jours, d’une grande inventivité – le tour préliminaire à une révision constitutionnelle. Nous ne voulons pas vous en faire le cadeau. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Vous avez considéré que vous pouviez vous livrer à un rapt des élus de la nation. (Mêmes mouvements.) Les membres du groupe UMP, y compris ceux qui approuvent le texte et qui voteront comme ils l’entendront, dénoncent la manœuvre qui est la vôtre. Aussi une très grande majorité des membres de notre groupe, tout en soutenant les langues régionales, votera-t-elle contre la mystification constitutionnelle que vous nous proposez. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)



Vote sur l’ensemble

M. le président. Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi constitutionnelle.

(Il est procédé au scrutin.)

Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants529
Nombre de suffrages exprimés510
Majorité absolue256
Pour l’adoption361
contre149

(La proposition de loi constitutionnelle est adoptée.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures trente, est reprise à dix-sept heures quarante-cinq, salle Lamartine, sous la présidence de M. Christophe Sirugue.)

Présidence de M. Christophe Sirugue

vice-président



M. le président. La séance est reprise.

5

Débat sur le rapport relatif à l’évaluation des politiques publiques en faveur de la mobilité sociale des jeunes

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur le rapport relatif à l’évaluation des politiques publiques en faveur de la mobilité sociale des jeunes.

Je rappelle que ce débat se tient sur la base du rapport réalisé au nom du Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques par MM. Régis Juanico et Jean-Frédéric Poisson, que je salue.

Je souhaite également la bienvenue à Mme Valérie Fourneyron, ministre des sports, de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative, qui sera contrainte de nous quitter dans quelques instants pour rejoindre son ministère. Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée auprès du ministre de l’éducation nationale, chargée de la réussite éducative, ne devrait pas tarder à nous rejoindre.

Dans un instant, je donnerai la parole aux deux co-rapporteurs du CEC pour une durée totale de trente minutes. Le Gouvernement interviendra ensuite, puis vous aurez la possibilité, chers collègues, d’interroger les ministres. Chaque question devra être concise et ne pas excéder deux minutes. Elle donnera lieu à une réponse immédiate tout aussi rapide, suivie éventuellement d’une réplique et d’une contre-réplique.

La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson, co-rapporteur du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques. Monsieur le président, madame la ministre des sports, de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative, chers collègues, le rapport que Régis Juanico et moi-même avons l’honneur de vous présenter est composé d’une présentation générale de méthode et de trois différentes parties.

Je vous présenterai la méthode retenue pour réaliser ce rapport ainsi que la première partie du rapport ; il reviendra à Régis Juanico de présenter les deux autres parties. J’évoquerai les moyens de gouvernance des dispositifs en faveur des jeunes ainsi que leur nécessaire clarification, tandis que Régis Juanico parlera de l’orientation et de l’offre de formation, puis de l’accès des jeunes à l’autonomie.

Lors des trente et une auditions et tables rondes que nous avons menées, plus d’une centaine de personnes ont été entendues. La mission s’est déplacée à Berlin et à Copenhague, en Rhône-Alpes – à Saint-Etienne et Lyon – et en Ille-et-Vilaine – à Rennes, Saint-Malo et Redon. Des questionnaires ont été adressés, en particulier au ministère de l’éducation nationale, sur l’impact de l’école sur la mobilité des jeunes, à Pôle Emploi, aux préfets et aux conseils régionaux.

Cette étude s’est accompagnée d’une enquête, réalisée, suite à un appel d’offres, par KPMG et Eureval, sur l’impact dans différents sites de trois dispositifs : l’orientation des jeunes vers les filières professionnelles ; la plate-forme de suivi et d’appui aux décrocheurs ; le contrat d’insertion dans la vie sociale, le CIVIS.

L’ensemble de ces auditions, préconisations et enquêtes figure dans le présent rapport, que je qualifierai de grave et même pesant. (Sourires.)

Par « mobilité sociale », on entend ce qu’il est convenu d’appeler l’ « ascenseur social », c’est-à-dire la capacité pour une génération de progresser dans la vie sociale par rapport à la génération précédente. La question posée à la mission tient en une phrase : « Comment se fait-il que, dans notre pays, plus de 80 milliards d’euros soient dépensés pour la tranche d’âge 16-25 ans, sans que l’ascenseur social soit plus facile à faire bouger ? »

Pour y répondre, nous avons choisi de ne pas entreprendre une évaluation des performances de l’éducation nationale. Ce travail venait d’être effectué dans le cadre de la loi pour la refondation de l’école de la République, et il faut dire aussi que nous n’avions pas les moyens de mener une étude complète sur un ensemble aussi vaste.

Nous nous sommes donc concentrés sur les dispositifs d’accompagnement des jeunes à la sortie de leur scolarité, vers l’emploi et l’insertion, tout en examinant de près les actions de lutte contre le décrochage et d’aide aux jeunes en incapacité d’accéder à l’autonomie.

Le rapport concerne 8,2 millions de personnes, soit 12,7 % de la population. Nous avons d’abord cherché à comprendre combien de dispositifs ciblaient cette tranche d’âge.

Après une première évaluation, les services du CEC, que je remercie ici pour le travail fourni, ont conclu qu’il existait 37 dispositifs d’accompagnement et d’aide à l’autonomie des jeunes. Mais dans la quinzaine qui a suivi, les personnes chargées de réaliser une fiche de synthèse sur chacun de ces dispositifs en ont encore trouvé cinq, si bien que nous pouvons affirmer qu’il existe aujourd’hui 42 dispositifs de ce type, répartis entre onze ministères différents !

Il en résulte que les personnes chargées d’accompagner les jeunes vers l’autonomie sont incapables d’acquérir une connaissance exhaustive de ces dispositifs et d’en évaluer la pertinence pour chaque cas particulier. Un effort de simplification important est nécessaire : c’est là l’un des axes de notre rapport.

En dépit d’une importante proportion de jeunes dans la population, le modèle français de mobilité est grippé. Il est très difficile aux jeunes générations de quitter le milieu social dans lequel elles sont nées. Ainsi, 46 % des enfants d’ouvriers sont eux-mêmes ouvriers, tandis que seulement 10 % d’entre eux sont cadres supérieurs, ce qui atteste une certaine prégnance des modèles sociaux.

Par ailleurs, les parcours sont encore très linéaires. Il s’agit d’abord de se former, pour ensuite trouver un emploi. L’absence de passerelles, de possibilité de retour ou de temps d’expérimentation pose la question de la deuxième chance.

Enfin, le système éducatif occupe aujourd’hui une place centrale. La réussite scolaire est déterminante pour la suite de la vie et pour l’accès à l’autonomie.

Le tableau de la page 6 du rapport, dont la clarté et la simplicité n’échapperont à personne (Sourires), détaille l’ensemble des dispositifs d’aide à l’emploi pour les jeunes. Je mets au défi quiconque de le comprendre ; il reflète la complexité à laquelle les jeunes ainsi que les services publics, parapublics et les associations sont confrontés. On ne compte ainsi pas moins de neuf missions différentes et de dix-sept programmes. Plusieurs dizaines de milliards d’euros d’engagements et des intervenants par milliers, toutes professions et tous secteurs confondus, sont mobilisés.

Les politiques publiques sont marquées à la fois par des dispositifs très réglementés et par des expérimentations menées en divers endroits avec les moyens du bord, la plupart du temps sans cadre précis, et avec la meilleure volonté du monde. Celles-ci mobilisent de grandes capacités d’innovation pour aider, à partir du collège, les jeunes en situation difficile. Les résultats sont excellents.

Je pense en particulier à l’action menée par le principal du collège d’Andrézieux, dans la Loire, qui a consisté à faire découvrir l’ensemble des métiers aux élèves de sixième, par le biais d’une enquête à laquelle, les années suivantes, les parents se sont associés. Ainsi, l’ensemble de la communauté éducative a acquis une connaissance plus fine des métiers et de leur contenu. Les élèves sont en mesure d’évaluer rapidement l’intérêt qu’ils peuvent porter à une profession.

Nous avons noté la difficulté qu’éprouvent les enseignants à répondre aux attentes exprimées par les collégiens ou les lycéens en termes de connaissance du monde économique. Les expériences qui fonctionnent procèdent d’une volonté de rendre plus familier aux enseignants le monde économique, et inversement. Les responsables de la fédération professionnelle de la métallurgie de la Loire nous ont ainsi fait part d’opérations favorisant la connaissance mutuelle. Pour animer les différentes phases de l’éducation des jeunes, y compris dans le milieu scolaire, une meilleure connaissance du monde économique fait clairement partie des éléments qui favorisent l’autonomie.

Nous avons tiré de ces constats quelques préconisations. Les premières portent sur la clarification de la gouvernance des dispositifs en faveur des jeunes. Pour mieux intégrer les attentes de cette population à l’élaboration des programmes ou à la prise de décisions, nous proposons de créer un conseil d’orientation des politiques de jeunesse qui fasse une plus grande part aux mouvements de jeunes, et d’assurer une représentation plus effective des jeunes dans tous les dispositifs qui les concernent, notamment dans les conseils d’administration des missions locales et des CFA.

Nous proposons aussi de créer trois portails Internet qui concerneraient respectivement l’orientation des jeunes vers les acteurs en charge de leur information, l’accompagnement des jeunes peu qualifiés et la mobilité géographique.

Un mot sur l’accompagnement. Dans tous les dispositifs qui nous ont été présentés et qui fonctionnent, l’accompagnement personnel est absolument décisif, quel que soit le niveau de qualification, la situation sociale, le lieu de résidence, l’histoire personnelle ou le milieu familial. Cela ne fonctionne que si, en sus des apprentissages généraux et collectifs, chacun peut trouver le moyen d’être accompagné. L’accompagnement complique les dispositifs et mobilise beaucoup de personnes, mais il est gage d’efficacité.

Nous proposons aussi de renforcer l’évaluation – souvent inexistante – des dispositifs existants. Dans un même temps, le recours à l’expérimentation doit être facilité. Il est possible aujourd’hui – nous l’avons constaté – et parfaitement bien accueilli des autorités académiques des établissements concernés. Ces pratiques méritent d’être soutenues.

Le schéma de la page 9 est un schéma que j’apprécie beaucoup. Il représente la gouvernance des aides à l’emploi destinées aux jeunes. Même en couleurs, il est fort complexe, et le premier qui y comprend quelque chose est prié de le dire sans délai ! (Sourires.) Vous ne serez pas surpris que nous ayons préconisé, pour rester courtois dans la formulation, de « renforcer la coordination de ces dispositifs »…

Il est probable, madame la ministre, que les actes futurs de la décentralisation donnent à la région un rôle accru en la matière. Pour notre part, nous considérons que l’échelon régional peut être pertinent pour coordonner l’ensemble de ces dispositifs. En toute hypothèse, il faudra favoriser une forme de contractualisation accrue sur le plan local pour renforcer l’efficacité de ces dispositifs.

Enfin, ayant constaté le poids et l’intérêt de l’accord national interprofessionnel en faveur de l’emploi des jeunes, signé en 2011, nous souhaitons que le rôle des partenaires sociaux dans ce domaine soit renforcé. Ceux-ci doivent prendre l’habitude d’intégrer dans leurs discussions la place particulière des jeunes.

M. le président. La parole est maintenant à M. Régis Juanico, co-rapporteur du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques.

M. Régis Juanico, rapporteur du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques. Le deuxième axe de réforme qui ressort de notre rapport relatif à la mobilité sociale concerne l’adaptation de l’offre de formation et s’articule autour de trois priorités : promouvoir une orientation mieux choisie, redonner de la visibilité aux filières professionnelles, renforcer la lutte contre le décrochage scolaire et les dispositifs de seconde chance.

S’agissant en premier lieu de l’orientation, le sentiment d’être enfermé dans des choix d’orientation souvent contraints et mal préparés figure parmi les principales causes d’absentéisme, lequel peut ensuite préfigurer des situations de décrochage.

Nous proposons tout d’abord de construire un accompagnement tout au long du cursus secondaire, afin que chaque élève puisse élaborer un parcours d’orientation mieux choisi et davantage valorisé. Il s’agit de proposer à chaque élève, à partir de la sixième, un parcours individualisé de découverte des métiers et des formations – Jean-Frédéric Poisson l’a évoqué en introduction –, de diversifier l’offre scolaire au sein du collège unique, notamment en faveur des élèves en difficulté ou dont le projet appelle une attention particulière – classe relais ou troisième alternative, au sein desquelles des expériences très intéressantes ont été menées –, de favoriser l’articulation entre enseignement secondaire et enseignement supérieur, notamment en validant les crédits d’enseignement d’études supérieures pour les périodes d’immersion des lycéens dans un établissement d’enseignement supérieur – je vous renvoie aux expérimentations enrichissantes menées dans un lycée à Rennes, mais aussi à l’université Jean-Monnet de Saint-Étienne où des passerelles ont été organisées entre les « bac moins trois » et les « bac plus trois ».

Par ailleurs, afin de favoriser la réussite dans les parcours universitaires, nous souhaitons conforter et généraliser les dispositifs de tutorat et de parrainage, comme les « Cordées de la réussite » qui facilitent la transition vers l’enseignement supérieur, développer une offre d’accompagnement en direction des étudiants titulaires d’un bac professionnel pour conforter leurs chances de réussite dans les filières courtes, et enfin renforcer le dispositif des bureaux d’aide à l’insertion professionnelle des universités qui satisfont les étudiants concernés tout en donnant d’excellents résultats au niveau des territoires.

Il convient ensuite de redonner de la visibilité aux filières professionnelles. Nous le savons, l’apprentissage en tant que facteur de mobilité sociale, connaît aujourd’hui des résultats réels. Il s’agit d’une voie efficace vers l’emploi durable, mais sans dynamique de progression, avec des effectifs en baisse pour les bas niveaux de qualification et le risque d’un apprentissage à deux vitesses.

En vue de garantir à l’apprentissage les moyens de son développement tout en respectant l’objectif de 500 000 apprentis en 2017, nous préconisons de concentrer les moyens mobilisés sur la levée des freins à l’apprentissage que nous avons identifiés : le double logement, l’accès au permis de conduire et la maîtrise insuffisante des compétences de base. L’agence nationale de lutte contre l’illettrisme, que nous avons auditionnée, nous a donné ce chiffre édifiant : 30 % des apprentis dans le secteur du bâtiment sont en situation d’illettrisme contre 4,5 % pour la moyenne des jeunes.

J’en viens à la lutte contre le décrochage scolaire, phénomène massif en France puisque 130 000 à 140 000 jeunes sortent chaque année du système éducatif sans diplôme, soit 17 % d’une classe d’âge. Nous considérons, avec Jean-Frédéric Poisson, qu’il en résulte une perte de richesse économique et sociale majeure pour la nation. Le Gouvernement s’est fixé en la matière deux objectifs clairs : diviser par deux le nombre de jeunes sortant sans qualification du système éducatif d’ici 2017 – volet prévention du décrochage – et, pour les jeunes ayant déjà décroché, offrir une solution de retour en formation à 25 000 d’entre eux d’ici fin 2014.

À nos yeux, la lutte contre le décrochage devrait être la priorité absolue des pouvoirs publics, qu’elle passe par l’éducation nationale ou par les dispositifs de deuxième chance qu’il s’agit de simplifier au regard d’un objectif de raccrochage qui se devrait d’être beaucoup plus ambitieux. Nous vous proposons à cette fin de renforcer les moyens et la dimension partenariale des plateformes d’aide et de suivi aux décrocheurs, de mieux utiliser les ressources de l’éducation nationale – il y a aujourd’hui 40 000 places vacantes dans les lycées professionnels et 48 000 dans les internats – et de développer un certain nombre de structures alternatives comme les micro-lycées. Nous suggérons enfin d’améliorer la couverture du territoire par les écoles de la deuxième chance en concertation avec les régions et en augmentant le nombre de jeunes bénéficiaires.

J’en viens à la période de transition vers l’âge adulte et à la question fondamentale de l’accès des jeunes à l’emploi et à l’autonomie. Les chiffres sont éclairants. Trois ans après la fin des études, le taux de chômage des jeunes non diplômés atteint 40 %, contre 10 à 11 % pour les diplômés de l’enseignement supérieur. Le taux d’emploi des jeunes de 15 à 24 ans est inférieur de plus de quatre points à la moyenne de l’Union européenne. Cette spécificité française s’explique notamment par la durée des études ainsi que par la rareté et la forte précarité du travail étudiant.

Concernant l’accompagnement des jeunes peu ou pas qualifiés, nous avons constaté que les missions locales proposent un accompagnement global plutôt apprécié des bénéficiaires, comme le fait ressortir l’enquête réalisée par KPMG. Les missions locales ont des atouts, qu’il s’agisse de leur ancrage local ou de leur connaissance des jeunes, mais montrent aussi certaines limites. Ainsi, le taux d’encadrement est aujourd’hui d’un conseiller pour cent jeunes environ et les disparités territoriales, en termes de résultats comme de moyens, peuvent être significatives.

Nous préconisons par conséquent de renforcer les moyens du service public de l’emploi, notamment ceux alloués aux jeunes les moins diplômés, en augmentant les dotations aux missions locales et en encourageant les bonnes pratiques expérimentées sur le terrain – le parrainage, les réseaux tissés avec les entreprises, la détection des jeunes en difficulté. En contrepartie, il convient d’améliorer l’évaluation et le pilotage des missions locales dans le cadre du dialogue de gestion avec l’État.

Nous proposons également que le nombre des dispositifs existants, trop dispersés – contrats aidés, CIVIS – soit réduit, et que soit créée une aide unique à l’insertion professionnelle, le « contrat de réussite », composé d’un socle commun pour les jeunes et de prestations personnalisées, telle la « garantie jeunes » en cours d’expérimentation.

Nous souhaitons par ailleurs favoriser l’accès à la qualification et mieux valoriser les compétences acquises grâce à des parcours moins linéaires. Pour permettre aux jeunes, notamment les moins diplômés et les anciens décrocheurs, d’accéder plus facilement à la qualification, nous vous proposons d’instituer, dès l’âge de seize ans, une garantie d’accès à la formation et à la qualification, par la création d’un droit de tirage sur le compte personnel de formation dont les modalités sont en cours de discussion dans le cadre du projet de loi relatif à la formation professionnelle.

Parce que l’amélioration de la qualification passe aussi par la reconnaissance de l’expérience et des compétences acquises, il faut simplifier, en matière d’information et d’accompagnement, la validation des acquis de l’expérience, qui reste un véritable parcours du combattant, et mieux reconnaître les compétences non formelles et non académiques.

Pour ce qui est des compétences acquises, nous souhaitons conforter le rôle du service civique pour favoriser la mobilité sociale des jeunes, en poursuivant sa montée en charge afin d’accroître le nombre d’offres combinant service civique et formation en direction des décrocheurs scolaires ainsi que le nombre des volontaires non-bacheliers, qui représentent entre 25 % et 30 % des volontaires. Je le dis en tant que rapporteur spécial des crédits de la jeunesse et de la vie associative, il faudra sans doute diversifier le financement du service civique, qui doit reposer sur l’ensemble des ministères concernés, dont celui de l’éducation nationale, afin de respecter l’objectif de 35 000 jeunes volontaires dès cette année et de 100 000 à la fin du quinquennat.

Nous formulons ensuite plusieurs recommandations visant à soutenir l’emploi étudiant dans des conditions compatibles avec la réussite scolaire, en aménageant notamment les horaires et en confiant aux partenaires sociaux le soin d’ouvrir une négociation sur le sujet.

J’en viens à la dernière partie de notre rapport, relative à l’autonomie des jeunes. Les jeunes sont plus touchés que les autres par la pauvreté et la précarité. Leur taux de pauvreté avoisine 25 %, soit deux fois plus que dans la population moyenne. À vingt-trois ans, le taux d’emploi en CDI ne dépasse pas 33 %.

Au cours des trois années suivant la sortie de formation, la durée moyenne d’emploi des jeunes reste très faible et ils doivent attendre environ cinq ans, quel que soit leur diplôme, pour obtenir un emploi stable. Nous devons absolument résoudre ce problème spécifiquement français de la transition vers l’âge adulte.

Notre rapport met particulièrement en évidence la situation difficile des jeunes au regard de l’offre de logement et du marché locatif. Ce problème concerne en particulier les jeunes qui, n’étant pas en formation initiale, relèvent du droit commun pour l’attribution des aides au logement.

Les 25-29 ans consacrent 19 % de leurs ressources au financement de leur logement, soit près du double du taux d’effort consenti par l’ensemble de la population, toutes classes d’âge confondues. Entre 1984 et 2006, le taux d’effort net pour le logement a augmenté de 10 points pour les moins de 25 ans, de six points pour les 25-29 ans tandis que ces taux, durant la même période, n’augmentaient que de 1,5 point pour l’ensemble de la population. Nous le voyons bien, le logement des jeunes est un vrai problème.

Pourtant, d’importants moyens sont mobilisés. Au total, le système d’aide à l’autonomie représente plus de 5 milliards d’euros, si l’on additionne les allocations de logement aux étudiants – 1,3 milliard d’euros pour 700 000 bénéficiaires –, la demi-part fiscale liée au rattachement des jeunes de moins de 25 ans au foyer de leurs parents – 2,2 milliards d’euros pour 1,8 million de foyers bénéficiaires – et enfin les bourses sur critères sociaux – 1,8 milliard d’euros pour près de 500 000 boursiers.

Si l’on représente par un graphique les effets redistributifs cumulés de ces trois aides, l’on constate que la répartition de leur montant par décile de revenus présente une courbe en « U ». Les bourses sur critères sociaux sont attribuées aux catégories les plus défavorisées, les aides fiscales – demi-part et déduction de la pension alimentaire – aux catégories les plus favorisées. Quant aux catégories moyennes, elles bénéficient peu de l’ensemble des aides au regard de leur poids dans la population.

Afin de mieux financer l’autonomie, nous préconisons de compléter les aides au logement par un « supplément jeunes » ouvert aux allocataires de 18 à 25 ans ayant achevé leur formation initiale et de prévoir un pourcentage minimum d’attribution des logements sociaux aux jeunes en veillant notamment à la construction de logements adaptés – colocations institutionnalisées en particulier – car la proportion de jeunes pouvant accéder au parc de logements sociaux est très faible en regard de leur part dans la population totale.

Nous proposons également de réformer les aides fiscales allouées aux parents d’étudiants, afin que l’ensemble des aides au financement des études – aides fiscales, bourses, allocations de logement – augmente en fonction des charges supportées par la famille et diminue lorsque les revenus augmentent.

Nous fixons enfin un objectif volontariste de 50 % d’étudiants boursiers contre 35 % aujourd’hui et souhaitons que soit maintenu le dispositif de récompense des étudiants particulièrement méritants – les fameuses mentions au bac et en licence.

Quant au permis de conduire, nous proposons, pour lever un frein à l’accès à l’emploi ou à la formation, et plus largement à l’autonomie, de le simplifier afin d’en faciliter le passage et d’en réduire le coût. Il s’agit tout d’abord de relancer la conduite accompagnée, notamment en faveur des apprentis en entreprise, et en adaptant la durée de la formation pratique aux aptitudes de chaque candidat. La transparence doit ensuite être faite sur les taux de réussite propres à chaque école de conduite. Il convient également d’anticiper la formation théorique dans le cadre scolaire, en particulier auprès des conducteurs de deux-roues à compter de l’âge de 14 ans. Il faudra enfin mieux cibler les aides financières au permis de conduire.

Au terme de ces travaux passionnants que nous avons conduits avec Jean-Frédéric Poisson, nous mesurons l’ampleur de la tâche qui nous attend collectivement pour favoriser les parcours de progression sociale avec et pour les jeunes – tel est le titre de notre rapport.

C’est un défi majeur pour l’action publique. Il faudrait sans doute une dizaine de séances comme celle-ci pour détailler toutes nos propositions aussi me contenterai-je de reprendre, pour conclure, la formule du sociologue Camille Peugny : « Dans une démocratie moderne, un enfant doit pouvoir faire sa vie avec d’autres cartes que celles qu’il a trouvées dans son berceau. ».

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de la réussite éducative.

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée chargée de la réussite éducative. Je tiens avant toute chose à féliciter MM. Juanico et Poisson pour leur excellent travail, qui contient des constats et des préconisations que le Gouvernement a lui aussi été amené à faire au fil de l’action qu’il conduit au quotidien auprès des jeunes, particulièrement ceux d’entre eux qui éprouvent les plus grandes difficultés scolaires.

Comme vous l’avez constaté, la situation sociale des jeunes s’est considérablement dégradée : 23 % d’entre eux vivent sous le seuil de pauvreté et le taux de chômage des actifs âgés de quinze à vingt-quatre ans atteint 24,5 %, contre 10 % dans l’ensemble de la population – et encore ce taux est-il nettement supérieur dans les quartiers populaires et outre-mer. L’inversion de ces tendances préoccupantes représente donc un véritable défi pour notre pacte social.

Nous savons aussi que toute une génération peine à entrer dans la vie active. Ce n’est pas un hasard – et cela ne date pas d’hier – si un certain nombre de jeunes, notamment ceux qui vivent dans les quartiers populaires, se voient contraints de partir à l’étranger pour acquérir une première expérience professionnelle. L’incapacité à accéder à un emploi retarde indéfiniment l’accès à une vie autonome – en clair, à une vie adulte.

Nous avons donc eu raison de faire de la jeunesse la priorité de la France. « L’espérance serait la plus grande des forces humaines si le désespoir n’existait pas », écrivait Victor Hugo. Cette formule fait un bel écho à celle de Camille Peugny que vous avez citée, monsieur Juanico. Nous avons en effet, les uns et les autres, la volonté de ne pas décevoir la jeunesse de ce pays.

Il n’est plus temps de se contenter de mesures d’urgence telles que les emplois d’avenir, les contrats de génération et d’autres dispositifs que nous avons adoptés pour pallier les difficultés du moment ; nous devons désormais agir à plus long terme. C’est la raison pour laquelle nous avons réuni autour de Valérie Fourneyron un comité interministériel de la jeunesse ; il en est sorti plusieurs mesures qui tirent les conséquences des mêmes constats et s’attaquent aux problèmes identifiés dans votre rapport. Elles ont trait à l’orientation, à la lutte contre le décrochage scolaire, à la sécurisation des parcours d’insertion, à la mobilité européenne ou encore à la valorisation des acquis de l’expérience : tous ces points ont été examinés lors de ce comité interministériel auquel vingt-cinq ministères étaient représentés et qui a produit un rapport riche en propositions ; encore faut-il que nous nous attachions maintenant à les faire vivre.

Je m’attarderai évidemment sur ceux des points que vous avez abordés dans votre rapport et qui ont directement traits aux responsabilités qui m’ont été confiées au sein de l’équipe de Jean-Marc Ayrault.

Vous avez tout d’abord évoqué la nécessité de faire aux jeunes une plus grande place dans la conception et la conduite des politiques publiques. Oui, nous avons dit de la jeunesse qu’elle était notre priorité. Les mesures que nous prenons pour les jeunes, nous devons donc les prendre avec eux. Votre proposition d’associer les jeunes aux instances de réflexion et de décision me semble à cet égard tout à fait pertinente, même si c’est plus facile à dire qu’à faire : de nombreux jeunes, en particulier ceux qui sont en difficulté, ont bien du mal à se faire entendre, à participer à ce type d’instances et à y exprimer ce qu’ils veulent.

De notre côté, nous avons tâché d’améliorer la situation qui prévaut en la matière au lycée : depuis environ vingt ans, les délégués de la vie lycéenne ont déjà la possibilité d’intervenir dans la vie scolaire en représentant leurs camarades. Malheureusement, soit que les parents et les adultes n’y voient pas une fonction essentielle, soit que les lycéens eux-mêmes n’osent les utiliser davantage, toujours est-il que ces instances pourtant censées animer la vie lycéenne ne sont pas très actives. Je présenterai donc le 11 février prochain un acte II de la vie lycéenne afin de redynamiser les choses et de préparer d’ores et déjà cette nouvelle étape. Nous avons voulu écouter les lycéens et les associer le plus possible aux consultations que nous menons et aux préconisations qui en découleront.

Vous avez également abordé la question du décrochage : elle nous préoccupe tous, de même qu’elle préoccupe d’ailleurs l’ensemble des gouvernements européens : ce phénomène n’est pas exclusivement français.

Le décrochage est une des manifestations des difficultés qui caractérisent aujourd’hui notre système scolaire. On pourra naturellement nous dire que les jeunes vont désormais à l’école plus longtemps qu’autrefois, et qu’ils en sortent souvent plus diplômés que ne l’étaient leurs parents ; à ceci près qu’autrefois, lorsqu’on quittait le système scolaire, on pouvait immédiatement entrer dans la vie active et, même sans diplôme, s’épanouir professionnellement et bâtir sa vie. Il n’en est malheureusement plus de même de nos jours : un jeunes ayant quitté le système scolaire sans diplôme ni qualification voit son accès à la vie professionnelle singulièrement compromis.

C’est pour y remédier que Vincent Peillon, en liaison avec les structures de formation professionnelle, a lancé un plan pour ramener les jeunes concernés à l’apprentissage, que ce soit à l’école ou dans le cadre d’une formation. Nous nous réjouissons de constater que nous avons ainsi pu « raccrocher » – le terme est désormais courant, même s’il me déplaît – 20 000 jeunes dont nous avons retrouvé la trace pour les réintégrer dans une structure de formation, scolaire ou professionnelle. Il faut naturellement faire davantage : c’est pourquoi nous nous sommes fixé pour l’année prochaine un objectif de 25 000 jeunes « décrocheurs » à réintégrer.

Réintégrer, c’est bien, mais le mieux est encore de prévenir le décrochage. Il faut donc agir dès l’école primaire, au moment de l’acquisition d’un socle de compétences, mais également plus tard, avec les dispositifs relais ciblant les jeunes qui rencontrent leurs premières difficultés, posent des problèmes de comportement et perturbent la classe, et prévoir des structures à même de les prendre en charge et de les encadrer ; c’est là un aspect auquel je suis très attentive. La semaine dernière, j’ai visité plusieurs établissements marseillais qui s’étaient dotés de mécanismes de la sorte, sous la forme missions d’insertion visant à traiter les problèmes d’apprentissage et de comportement en classe de troisième, ou de mesures d’exclusion temporaire qui, outre le fait qu’elles permettent à l’enseignant de souffler un peu et de reprendre les bases d’apprentissage en classe, incitent également le jeune à réfléchir sur son comportement.

Ce dernier aspect est très important : exclure un jeune revient très souvent à demander à d’autres acteurs que l’Éducation nationale de régler le problème. Nous avons donc tout intérêt à tout faire pour trouver les bonnes solutions « en interne » dans le milieu éducatif, avant de nous résoudre à la solution, ultime, de l’exclusion.

Je voudrais aussi rappeler les actions que nous menons dans le cadre de la réforme de l’éducation prioritaire. Depuis plusieurs années, nous savons que la difficulté scolaire se concentre dans les quartiers pauvres. On ne peut que le regretter dans un pays qui a inscrit le mot « Égalité » dans sa devise ; ce sont malheureusement les enfants pauvres qui se heurtent aux plus grandes difficultés à l’école, et le système scolaire a le plus grand mal à les traiter.

Voilà trente ans qu’Alain Savary a entrepris la réforme de l’éducation prioritaire. Force est de reconnaître que son ambition, qui consistait à donner plus à ceux qui ont moins, est encore loin d’être réalisée : non seulement nous ne sommes pas parvenus à réduire ces écarts, mais ils se sont accrus au cours des dernières années.

Il est donc important de reprendre le plan pour la réforme de l’éducation prioritaire. Nous le faisons en liaison étroite avec François Lamy pour qu’il soit en cohérence avec la politique de la ville. C’est là quelque chose de particulièrement important, car, si nous voulons élever le niveau de tous, il faut commencer par élever de manière substantielle le niveau de ceux qui ont le plus de difficultés. En bâtissant une école par trop élitiste, on a malheureusement tendance à oublier cette réalité : les pays qui ont beaucoup de champions de tennis ou de musiciens virtuoses sont ceux dans lesquels on trouve énormément de gens qui jouent au tennis ou d’un instrument de musique. Pour améliorer le niveau des meilleurs, il faut aussi commencer par améliorer celui de tous, et notamment de ceux qui sont le plus en difficulté.

N’oublions pas non plus que si, dans certains quartiers, l’école n’a pas bonne presse, c’est parce que certains jeunes accumulent les problèmes liés à leur famille, à leur lieu de résidence, à leur identité. C’est pourquoi nous travaillons aussi beaucoup sur les politiques d’intégration afin d’améliorer la situation actuelle. De ce point de vue, à chaque visite sur le terrain, nous ne pouvons que saluer l’investissement des équipes et le travail des enseignants, mais aussi de tous ceux qui interviennent auprès des jeunes pour les faire progresser.

En parlant de l’autonomie des jeunes, vous avez touché du doigt une question importante. Comme vous le savez, une expérimentation de la réforme des aides est engagée, puisque la phase pilote a d’ores et déjà débuté dans une dizaine de territoires. C’est ainsi que nous tâchons de simplifier les dispositifs, sachant qu’une évaluation en sera faite.

Dans le même ordre d’idée, nous envisageons la création d’une aide à l’insertion professionnelle contractualisée pour les jeunes sans emploi. Le maquis des aides diverses et variées est devenu tel qu’il faut impérativement lui redonner de la lisibilité ; à cet égard, monsieur le rapporteur, vos schémas en disent long sur la complexité de nos systèmes dans lesquels s’empilent souvent les dispositifs.

Vous avez soulevé à juste titre la question de la valorisation des acquis de l’expérience, dont nous répétons depuis longtemps qu’elle est aussi utile qu’importante. Pourtant, nous ne parvenons pas vraiment à la développer. Nous visons dans un pays où, sur un CV, on commence par mettre la photo – pour qu’on voie si l’on a une bonne tête – puis l’adresse – pour montrer que l’on habite dans un quartier correct –, puis les diplômes… C’est seulement après que l’on s’intéresse aux compétences et aux acquis de l’expérience. Lorsque j’étais parlementaire, nous avions essayé de modifier cette pratique, mais c’est là une habitude bien française, et qui a la vie dure. Je le regrette, car juger les gens à cinquante ans au vu des diplômes qu’ils ont obtenus à vingt n’est pas le meilleur moyen de juger de leur vivacité et de leur modernité.

S’agissant de la mobilité des jeunes, j’y crois beaucoup, à l’échelle européenne comme à l’échelle mondiale. Nous avons, vous le savez, mené une grande bataille de principe pour que le dispositif de mobilité des jeunes étudiants conserve le nom d’un grand intellectuel et philosophe européen, Erasmus, plutôt que de se voir affubler d’un acronyme anglais dépourvu de sens.

M. Arnaud Richard. Vous auriez dû proposer Voltaire !

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Nous avons gagné cette bataille ; encore faut-il développer le dispositif car il est non seulement très utile aux jeunes, mais il participe de la construction d’une citoyenneté européenne.

L’accompagnement choisi tout au long du cursus secondaire fait partie des pistes que nous devons encore approfondir. Nous avons été très attentifs à la question de l’accompagnement personnalisé dans le cadre du plan pour l’éducation prioritaire, tant il est vrai que très souvent, les enfants sont plutôt bien accompagnés à l’école primaire, mais que les choses se dégradent à partir de l’école secondaire. Nous croyons profondément que la réussite d’un parcours éducatif est fonction de la qualité de l’accompagnement. Dans le plan pour l’éducation prioritaire, nous prévoyons même un accompagnement tout au long de la journée. En effet, à partir de la sixième, les enfants qui n’ont plus classe peuvent tout à fait se retrouver seuls dehors dès quinze heures et, s’ils rentrent chez eux, s’y trouver seuls aussi – ce qui n’est guère souhaitable et ne les encourage pas à travailler. C’est là un aspect auquel nous sommes très attentifs.

Il faut aussi mettre un terme aux orientations subies. Dans ce domaine également, nous avons entamé une expérimentation. L’orientation, vous avez raison, est souvent un moment où le jeune peut se sentir humilié, mis de côté. Une orientation non acceptée peut être très mal vécue, quand bien même elle paraît adaptée. Il faut donc pouvoir en parler avec le jeune, lui faire accepter ce que l’on veut pour lui. C’est la raison pour laquelle nous avons lancé cette expérimentation qui permettra à la famille et au jeune d’avoir le dernier mot. Nous le disons aux enseignements : à la limite, il faut leur laisser la possibilité de se tromper et, s’ils font le mauvais choix, il faut leur donner la possibilité de revenir en arrière et de tirer les leçons de leur erreur. Trop souvent, on veut faire le bien du jeune malgré lui ; mais s’il se braque, c’est fini. Tous ceux ici qui travaillent avec des jeunes savent très bien que, malheureusement, c’est souvent ainsi que les choses se passent.

Nous avons donc été heureux de constater que de nombreuses académies acceptaient cette réforme expérimentale de l’orientation. Dans 117 collèges, les enseignants ont accepté de réexaminer leurs procédures et de se remettre en question. Nous verrons à la fin de l’expérimentation, au vu des résultats, si nous constatons une amélioration.

Encore faut-il que le jeune comprenne qu’une orientation qui lui convient ne lui permettra pas forcément d’être scolarisé dans l’établissement situé à deux pas de chez lui, où les places proposées ne sont pas forcément conformes à ses vœux. Il est peut-être préférable d’aller un peu plus loin pour apprendre un métier qui vous convient plutôt que de rester à proximité pour faire quelque chose qui ne vous convient pas. Cela va d’ailleurs de pair avec ce que nous avons dit sur le rôle positif de la mobilité.

Vous avez parlé du permis de conduire. C’est assez frappant : autrefois, après le baccalauréat ou sitôt passé le dix-huitième anniversaire, cela faisait presque partie de l’apprentissage normal que de passer le permis de conduire. Aujourd’hui, est-ce parce que les gens ont moins de voitures ou parce que c’est devenu très compliqué ? Toujours est-il que les jeunes sont de moins en moins nombreux à ne pas avoir leur permis. Autant dire que les propositions visant à réduire les délais et le coût du permis de conduire me paraissent extrêmement intéressantes, de même que l’idée d’anticiper sur la partie théorique.

Pour ce qui est de la coordination de la formation professionnelle, vous aurez bientôt l’occasion d’en parler, à l’occasion du projet de loi que vous allez examiner prochainement.

Mme Isabelle Le Callennec. Que nous examinons en ce moment même.

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Quoi qu’il en soit, il sera tout à fait utile de parvenir améliorer les moyens de coordination dans ce domaine.

Pour ce qui est de l’université enfin, ma collègue Geneviève Fioraso aurait évidemment été bien mieux placer pour vous parler de ce qu’elle fait pour essayer d’éviter le décrochage à l’université. Nous sommes en tout cas très attentifs au cas notamment des jeunes issus des filières technologiques et professionnelles, qui doivent pouvoir trouver des places dans les BTS et les IUT. Nous avons constaté un phénomène anormal : les jeunes auxquels avaient été en principe destinées ces formations un peu plus encadrées que les autres se retrouvaient plus ou moins éliminés par les étudiants sortant des filières générales… Notre préoccupation à l’égard de ces publics rejoint, me semble-t-il, vos propres observations.

En conclusion, messieurs les rapporteurs, je vous renouvelle mes félicitations : ce gros rapport mérite que nous le gardions sous le coude : ce sera pour nous un élément de référence lorsque nous aurons à travailler sur tous ces sujets.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur. Ne vous contentez pas de le garder sous le coude ! (Sourires.)

M. le président. Nous en venons aux questions.

Je vous rappelle que les questions doivent être posées en deux minutes, et que le temps imparti pour y répondre est également de deux minutes.

La parole est à Mme Gisèle Biémouret.

Mme Gisèle Biémouret. Permettez-moi, au nom du groupe SRC, de rappeler la détermination du Président de la République, de son gouvernement et de notre majorité et leur ambition : redonner un espoir aux nouvelles générations. Cet objectif a été érigé en priorité nationale : depuis près d’un an et demi, tout un arsenal de mesures a été pris afin de répondre aux difficultés de la jeunesse, qui constituent un début de réponse sur les principaux thèmes évoqués par le rapport dont nous débattons : l’éducation et l’insertion professionnelle.

Ces mesures concernent essentiellement le domaine de l’éducation. L’essentiel des efforts sont l’objet de dispositions du projet de loi de refondation de l’école, qui privilégie la période clé du primaire : ainsi en est-il des initiatives en faveur de la réussite scolaire et la lutte contre le décrochage scolaire. Seconde priorité, la bataille contre le chômage, qui a suscité l’instauration des emplois d’avenir et du contrat de génération. Ajoutons aussi le plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, dont certains aspects concernent directement aux plus jeunes.

Élaboré à la demande du groupe SRC, le rapport d’évaluation des politiques publiques en faveur de la mobilité sociale des jeunes doit nous amener à restaurer la promesse républicaine de l’égalité des chances et de réussite. Malgré tous les efforts déployés depuis une trentaine d’années, force est de reconnaître que notre modèle montre des signes de faiblesse : la preuve en est la montée croissante de la pauvreté et de l’exclusion chez les jeunes, de plus en plus souvent bénéficiaires de l’aide alimentaire ou concernés par les phénomènes de renoncement aux soins. La question de la mobilité sociale des jeunes nécessite une action résolument transversale, qui concerne l’ensemble des politiques publiques.

Même si des progrès ont été effectués durant l’année 2013, les jeunes sont les principales victimes de la récession. Le surchômage des jeunes est installé de longue date dans la réalité sociale française.

Le plan de lutte contre la pauvreté a instauré une « garantie jeunes » pour les 18-25 ans en situation de grande précarité. Ce contrat ouvre droit à un accompagnement intensif, à des propositions adaptées de formation ou d’emploi et à une allocation d’un montant équivalent au RSA. Est-il possible d’évaluer ce qui a déjà été fait au titre de cette garantie jeunes ? Et qu’en est-il du ciblage des publics ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. La garantie jeunes fait partie des outils aujourd’hui utilisés pour lutter contre la pauvreté des jeunes. On peut la rapprocher de l’idée d’une allocation versée avec des contreparties. Si les jeunes ont été exclus du bénéfice du RSA, c’est parce que l’on estime que tant qu’ils sont en mesure de se former et d’aller de l’avant, il vaut mieux qu’ils suivent une formation ou qu’ils reprennent des études plutôt que de se retrouver à toucher une allocation. Mais l’idée de la garantie jeunes, autrement dit d’une allocation attribuée à la condition de faire des efforts pour se former va tout à fait dans le sens que vous souhaitez.

M. le président. La parole est à Mme Martine Pinville.

Mme Martine Pinville. Madame la ministre, je voudrais revenir sur deux points.

Premièrement, le décrochage scolaire. Je vous l’avoue tout de suite : je n’aime pas du tout cette expression qui a plutôt une connotation négative. Un chercheur québécois, Michel Perron, qui a mené des travaux avec la France, parlait de « persévérance scolaire ». On pourrait envisager les choses un peu autrement : parler de décrochage, c’est présenter les choses sous un jour négatif. Après tout, les jeunes ont le droit, et la possibilité, d’avoir des parcours différents : à l’éducation nationale de travailler pour voir comment s’adapter à l’environnement de l’enfant.

Pour m’être intéressée plus globalement au problème de la santé à l’école, qui n’est pas qu’une affaire de soins, mais également une question de santé sociale, je sais qu’il faut travailler sur tout l’environnement d’un enfant. L’école est certes le temps de la transmission des savoirs ; mais si un enfant n’est pas en capacité de les recevoir, y compris à cause de son environnement, les conditions de la transmission ne sont pas remplies. C’est tout l’environnement de l’enfant qu’il faut adapter. Ce n’est pas simple ; mais commençons par mener de premières actions, à l’image de celles que vous avez pu évoquer.

Deuxième point : l’accès à l’emploi. Cela pose notamment les questions de l’orientation et de la formation. Lorsqu’on travaille avec un enfant ou avec un jeune pour déterminer son orientation, il n’est pas toujours facile de se repérer : il y a les CIO, CIJ, les missions locales, toute une série d’intervenants, et tout cela me donne l’impression d’un milieu fermé, qui manque un peu d’ouverture et particulièrement de lien avec le monde économique. S’il s’agissait de santé et d’hôpital, on parlerait d’une attitude« hospitalo-centrée » ; dans le cas présent, disons qu’elle est un peu « éducation nationale-centrée »…

On a parlé d’évaluer, par exemple, les missions locales, mais les services de l’État eux aussi ont un rôle à jouer, et particulièrement les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi. Il faudrait regarder tout cela, mieux l’organiser, mieux le coordonner.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Je suis tout à fait d’accord avec vous : moi non plus, je n’aime pas beaucoup le mot « décrochage » – et pas davantage « raccrochage »… L’expression « persévérance scolaire » me paraît préférable, car plus positive pour le jeune. Elle renvoie en outre l’éducation nationale à sa responsabilité : c’est à celle qu’il revient d’encourager cette persévérance de l’élève. Elle ne doit pas renvoyer le problème à quelqu’un d’autre.

C’est la raison pour laquelle, je l’ai dit, il faut essayer de prendre l’enfant dans sa globalité. Voilà encore une expression qui a l’air toute faite, mais elle exprime l’idée qu’à côté de ce qui relève des apprentissages, de ce que le maître a pu mal expliquer et qu’il faut réexpliquer, dans le cadre du soutien, des problèmes familiaux aussi peuvent expliquer qu’un enfant se décourage à l’école. C’est la raison pour laquelle j’insiste toujours beaucoup sur le lien avec la famille : il faut pouvoir faire entrer les familles dans l’école, y compris les plus modestes. Or très souvent, elles n’osent pas, de crainte de ne pas maîtriser les codes, ou parce que l’école est un mauvais souvenir pour elles. Avec ATD Quart Monde, nous travaillons beaucoup pour permettre aux familles les plus modestes d’entrer dans l’école, parfois de manière assez informelle, pour prendre un café – je crois avoir vu une initiative de ce genre à Chanteloup-les-Vignes, monsieur Arnaud Richard : les familles pouvaient venir bavarder un peu dans l’école, autour d’un café.

Songeons aussi à tout ce qui se fait dans les politiques de réussite éducative. Un enfant, après tout, peut aussi avoir de mauvais résultats parce qu’il n’est pas appareillé, parce qu’il a des problèmes de santé, parce qu’il souffre de dyslexie ou d’un autre handicap du même ordre. Il faut considérer tous ces phénomènes alentour, qui peuvent expliquer les difficultés de comportement du jeune. Elles peuvent aussi résulter d’addictions naissantes. C’est tout un environnement qu’il faut regarder de près.

Autour des enseignants, il faut donc toute une série d’acteurs qui peuvent aller dans le même sens, et dont le rôle est essentiel.

En ce qui concerne la formation et l’accès à l’emploi, vous avez raison de dire que le lien avec le monde économique est important. Il est vrai que ce n’est pas dans la culture des enseignants. Naguère, on voulait que tout s’arrête à la porte de l’école. Aujourd’hui, avec Vincent Peillon, nous avons mis en place un Conseil national d’évaluation du système éducatif auquel est associé le monde économique, afin de pouvoir travailler en liaison avec celui-ci sur l’accès des jeunes à l’emploi.

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Le Callennec.

Mme Isabelle Le Callennec. Je remercie nos rapporteurs de ce travail très fourni, qui incontestablement sera d’une grande utilité pour les acteurs locaux qui se préoccupent de la mobilité sociale des jeunes. Malgré les moyens considérables consacrés à cette politiques – 80 milliards d’euros, 8,2 millions de jeunes concernés –, l’échec scolaire sévit toujours, y compris au niveau des études supérieures.

Madame la ministre, je vous poserai trois questions.

La première porte sur la multiplicité et la complexité des dispositifs, rappelées par notre le rapporteur : on recense quarante-deux mécanismes différents ! J’ai même l’impression qu’on vient d’en ajouter un quarante-troisième : la fameuse « Garantie jeunes ». A-t-on vraiment l’intention de mesurer l’efficacité de tous ces dispositifs ? Peut-on envisager la fongibilité de certaines aides mises à la disposition des territoires ? Vous préconisez de créer une aide à l’insertion professionnelle contractualisée, qui constituerait un dispositif à part entière. Cette préconisation sera-t-elle retenue par le Gouvernement ? En la matière, je crois qu’il faut faire simple.

Ma deuxième question a trait à l’orientation. Je me la pose souvent : l’objectif d’amener 80 % d’une classe d’âge au niveau du baccalauréat n’est-il pas contradictoire avec notre volonté de revaloriser la voie professionnelle ? J’observe que depuis quelques mois, l’apprentissage reçoit des coups : il n’est plus valorisé comme il devrait. Le Gouvernement a beaucoup communiqué à propos des emplois d’avenir ; j’ai l’impression que cela s’est un peu fait au détriment de l’apprentissage. Vous avez rappelé, monsieur le rapporteur, le nombre de places vacantes dans les lycées professionnels : c’est un vrai problème. Que pouvons-nous faire aujourd’hui pour inciter les jeunes à s’inscrire – par une orientation choisie et non plus subie, comme vous le disiez, madame la ministre – dans ces formations ?

Ma troisième question porte sur la gouvernance. Pas moins de onze ministères, vous l’avez dit, s’occupent de ces questions. À mon avis, c’est aussi pour cela que l’efficacité n’est pas toujours au rendez-vous. J’ai entendu parler de la nomination d’un délégué interministériel à la jeunesse. Permettra-t-elle d’optimiser les dispositifs, les moyens, et de rendre plus efficaces les politiques menées en faveur de la jeunesse ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Il est exact que nous ne retrouvons avec une série de dispositifs : dans ce pays, le plus difficile est de supprimer des dispositifs qui existaient auparavant…

Cela étant, la coordination entre les acteurs permet d’éviter que des dispositifs concurrents soient mis en place. On peut constater, par exemple, que des professionnels différents interviennent côte à côte dans les réseaux « formation qualification emploi » dits réseaux FOQUALE. On peut donc se demander quel dispositif est le mieux adapté pour chaque jeune. Il nous faudra sans doute, à un moment donné, accepter d’abandonner tel ou tel dispositif ; il nous faudra peut-être aussi, comme vous le dites, examiner si les dispositifs peuvent être plus fongibles – il conviendra en tout cas d’améliorer leur souplesse d’utilisation.

Par ailleurs, je ne vois pas nécessairement de contradiction entre l’apprentissage et l’existence des places vacantes dans les lycées professionnels. Au fond, ce que nous souhaitons, c’est amener 80 % d’une classe d’âge au bac. Or vous savez très bien qu’un pourcentage non négligeable de cette classe d’âge passe désormais des bacs professionnels, et c’est plutôt une bonne chose. Ce qui explique que, paradoxalement, l’apprentissage s’est plutôt développé au niveau supérieur, et moins au niveau secondaire.

Sans doute, devons-nous examiner comment mieux utiliser ces places vacantes. Cela signifie qu’il faut se demander si les formations dont certaines places sont vacantes permettent d’accéder à l’emploi. Il arrive que l’on conserve une formation simplement parce qu’elle existe, parce qu’il y a des profs, alors qu’elle ne permette plus d’accéder à un emploi. Il faudrait donc réévaluer périodiquement les filières dans lesquelles des places sont vacantes de manière à supprimer celles qui n’assurent plus un accès suffisant à l’emploi.

Nous allons par ailleurs évaluer la Garantie jeunes, pour voir comment les choses peuvent se passer.

Enfin, vous avez effectivement raison de dire qu’une des tâches du délégué interministériel à la jeunesse consistera à améliorer la coordination de tous ces dispositifs entre les ministères.

M. le président. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur. Madame Le Callennec, je répondrai simplement au premier point de votre intervention, qui portait sur la multiplicité de l’évaluation et la fongibilité d’un certain nombre d’enveloppes.

Une remarque de méthode au préalable, d’ordre institutionnel : le Comité d’évaluation et de contrôle a un droit de suivi sur chacun des rapports qu’il remet à l’Assemblée nationale. Il peut ainsi évaluer la manière dont le Gouvernement prend en compte les préconisations qui figurent dans le rapport. Mon collègue Régis Juanico et moi-même – permettez-moi, monsieur Juanico, de parler en votre nom sur ce point – avons parfaitement l’intention d’utiliser pleinement ce droit de suivi pour un certain nombre de préconisations. Sur cette question, je crois que c’est un élément essentiel.

Pendant un an, nous avons essayé de porter un regard d’ensemble sur ce sujet. Nous avons constaté que les moyens alloués à ces politiques sont probablement suffisants, de même que le nombre de personnes qui y travaillent. Il y a suffisamment d’organisations consacrées à ces politiques : il y en a même trop. Il y a suffisamment de dispositifs : il y en a même trop. Certains se superposent, se chevauchent, et pourtant ne se parlent pas ; bref, on rencontre tous les cas. Il y a donc fort à parier qu’il y a, dans tous ces dispositifs, largement de quoi satisfaire tous les jeunes de ce pays, quelle que soit leur situation. Statistiquement, il doit y avoir au moins un dispositif correspondant à la situation de chacun de ces jeunes qu’il convient d’accompagner vers l’autonomie.

Nous avons donc commencé notre rapport par ces questions d’organisation et de méthode, qui nous paraissent absolument essentielles. Pour le reste, on peut toujours débattre de tel ou tel ajustement, de tel ou tel détail, mais d’une manière générale les notions de contractualisation, de mérite et d’engagement sont déjà présentes dans un certain nombre de dispositifs visant à accompagner vers l’autonomie – Mme la ministre l’a dit tout à l’heure avec raison.

Tout cela existe déjà ; ce qui manque, c’est vraiment la capacité de la puissance publique à décider si les dispositifs fonctionnent de manière satisfaisante. Il faut toujours se demander si l’allocation des ressources est proportionnée au résultat obtenu. Aurons-nous un jour suffisamment de volonté pour arrêter des dispositifs parce qu’ils fonctionnent mal, ou même parce qu’ils ne fonctionnent pas assez bien ?

M. le président. Veuillez conclure, cher collègue.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur. J’en termine, monsieur le président : je vois que le temps s’écoule.

Une fois que nous aurons réussi à nous organiser en mettant en place un interlocuteur commun, un coordinateur, nous devrons lui donner les moyens de proposer la fongibilité. Ce sont des objectifs opérationnels très importants : en tout cas, nous serons attentifs à ces évolutions.

M. le président. Je suis conscient que la durée de deux minutes est très restrictive, mais s’il y a trois réponses de plus de deux minutes à chaque question, les derniers députés poseront leurs questions relativement tard. Je vous demande donc de faire attention.

La parole est à M. Régis Juanico, rapporteur.

M. Régis Juanico, rapporteur. Je répondrai brièvement. Les questions se recoupent, en fin de compte : elles portent sur la complexité des dispositifs et sur les questions d’orientation. L’essentiel des propositions que nous faisons, dans le rapport, vise à simplifier les dispositifs et la gouvernance, et à mettre en relation des acteurs qui, en effet, se superposent parfois. Nous proposons la création d’un portail sur l’orientation et l’information des droits des jeunes, en s’appuyant sur le réseau d’information jeunesse – qui existe déjà – et sur les régions – le service public de l’orientation est en cours d’expérimentation dans huit régions. Cela va plutôt dans le sens d’une simplification ! Nous proposons aussi la création d’un grand portail consacré à l’accompagnement des jeunes peu ou pas qualifiés ; l’acteur concerné est identifié très clairement : les missions locales, qui sont les mieux à même d’accompagner globalement ces jeunes.

Il existe beaucoup trop de dispositifs d’aide à l’emploi pour les jeunes : nous en avons identifié plus de quatre-vingts depuis 1975. Il est donc important de se diriger vers une aide unique à l’insertion professionnelle, qui serait contractualisée. C’est d’ailleurs une des annonces faites à l’instant par Mme la ministre. Il ne s’agit pas de mettre tout le monde dans le même panier, mais de construire un socle unique à partir duquel sera proposé un accompagnement personnalisé en fonction du parcours. La Garantie jeunes, par exemple, est une prestation plus personnalisée que d’autres. Il est très important de retenir que c’est aux missions locales que l’on doit confier cette mission. En contrepartie, il faut qu’elles soient mieux évaluées.

Pour terminer, à propos de l’orientation, nous avons bien compris qu’il faut convaincre toute la communauté éducative. Ce qu’a dit George Pau-Langevin à ce sujet est très juste. Nous devons convaincre toute la communauté éducative, principaux, chefs d’établissement, conseillers d’orientations-psychologues qui travaillent dans les centres d’information et d’orientation, les CIO, et les enseignants eux-mêmes qu’ils ont tout intérêt à faire découvrir les métiers et les professions aux jeunes le plus tôt possible. La découverte des métiers, l’ouverture sur l’environnement économique de l’établissement scolaire, permettent aux jeunes de mieux s’orienter. Le rapport insiste beaucoup sur ce point : il préconise notamment de proposer aux élèves un parcours individualisé de découverte des métiers et des formations.

M. le président. La parole est à M. Arnaud Richard.

M. Arnaud Richard. Je tiens à féliciter nos collègues Jean-Frédéric Poisson et Régis Juanico pour leur travail. Ce rapport est remarquable.

Le constat est connu : dans notre système éducatif, le destin des élèves se fige assez tôt. Cela ne concerne pas seulement les jeunes les plus fragiles : nous devons aussi nous inquiéter du sort de celles et ceux qui sont sortis il y a quelques années du système scolaire, même diplômés, qui ne trouvent toujours pas d’emploi et se retrouvent dans une situation de chômage de longue durée.

Cette situation est encore aggravée par une gouvernance proprement illisible – le schéma que vous nous avez montré, mes chers collègues, est assez édifiant à cet égard, et montre la complexité des relations entre les acteurs territoriaux et les services de l’État. À cause de cela, en France, le taux d’emploi des jeunes de seize à vingt-cinq ans – qui représentent une population de 8,2 millions de personnes – est inférieur de plus de quatre points à la moyenne européenne.

Je partage l’avis de Mme la ministre à propos du terme « décrochage » : il n’est pas très bon, mais nous n’avons pas encore trouvé de terme plus adéquat. À ce sujet, je ne suis pas d’accord avec la proposition de Mme Pinville : parler de « persévérance scolaire » me paraît un peu angélique. Je suis en revanche d’accord avec mes collègues sur le fait que l’objectif de 20 000 « raccrochages » ou « nouvelles persévérances scolaires » n’est pas à la hauteur : il en faut plus pour stopper cette gangrène.

Nous sommes confrontés à un paradoxe, car les moyens à la disposition des acteurs sont importants : plusieurs dizaines de milliards d’euros. Cependant la dispersion des dispositifs fait des politiques de l’emploi un véritable maquis ce qui nuit à leur efficience, et donc aux résultats.

Madame la ministre, pouvez-vous me rassurer sur les moyens prévus pour la réussite éducative ? Ce dispositif me tient à cœur, en tant qu’ancien collaborateur de Jean-Louis Borloo qui l’avait mis en place dans le cadre de son plan de cohésion sociale.

Nos rapporteurs ont parlé de tirer les conséquences et d’évaluer ces dispositifs : je préférerais pour ma part qu’on les évalue d’abord et qu’on tire les conséquences de cette évaluation ensuite…

Un certain nombre des mesures préconisées sont remarquables, en particulier le parcours individualisé de découverte des métiers et des formations à partir de la classe de sixième. Le rapport évoque l’apprentissage, dont ma collègue a déjà parlé : c’est pour moi une grande source d’inquiétude. M. Sapin nous a rassuré il y a quelques mois, en nous assurant que tout ira bien pour l’apprentissage ; je crains fort que ce ne soit pas le cas.

Dernière question – qui est en même temps une proposition : ne croyez-vous pas, messieurs les rapporteurs, que tout cela devrait être organisé par bassin d’emploi, autour du sous-préfet et du service public de l’emploi local ? On sait malheureusement que souvent les SPEL ne se réunissent qu’une fois par mois. La coordination de l’ensemble des acteurs doit donc se faire autour du sous-préfet, avec une implication plus forte des partenaires sociaux pour un paritarisme territorial.

M. le président. Je vous demande à nouveau de respecter votre temps de parole. Ces dépassements sont très désagréables pour tous vos collègues !

La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Je tiens à vous rassurer, monsieur le député : les dispositifs de réussite éducative mis en place après la loi de 2005 ont prouvé leur efficacité. Ils ont permis à un certain nombre d’acteurs de travailler ensemble. On s’aperçoit, par exemple, que la réforme des rythmes scolaires s’est mieux passée là où les gens avaient déjà pris l’habitude de travailler ensemble dans le cadre de ces dispositifs. Nous devons aujourd’hui faire en sorte que l’habitude de travailler ensemble dans le cadre de la réussite éducative perdure, même si un établissement sort de la carte de la politique de la ville.

Nous savons également que c’est autour des sous-préfets que ces dispositifs de réussite éducative se mettent en place. Ils sont au cœur des politiques d’égalité menées par l’ACSÉ. Par conséquent, je ne pense pas que les sous-préfets soient, en quelque sorte, menacés.

M. Arnaud Richard. Justement, il faut les renforcer !

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Nous essayons, dans les contrats de ville, d’associer aussi les recteurs. C’est la meilleure manière de faire converger tous ces dispositifs et tous ces réseaux. Lorsque je suis arrivée à l’Éducation nationale, je me suis rendu compte que beaucoup de recteurs connaissaient mal la réussite éducative. La convergence devrait être grandement facilitée s’ils sont signataires de ces contrats.

M. le président. La parole est à M. Régis Juanico, rapporteur.

M. Régis Juanico, rapporteur. Je répondrai brièvement à notre collègue Arnaud Richard. Jean-Frédéric Poisson et moi sommes des partisans convaincus du dialogue social territorial, et de longue date, puisque nous avons rédigé plusieurs rapports sur cette question. Nous pensons que ce dialogue doit avoir lieu le plus près possible des bassins d’emploi, mais également au niveau régional. C’est cet échelon que nous souhaitons en effet renforcer pour tout ce qui touche aux thématiques, abordées dans ce rapport, liées à la mobilité sociale des jeunes.

Aujourd’hui, nous avons pu constater sur le terrain qu’il existait, par exemple dans la région Rhône-Alpes, une subdivision de l’ensemble de la région et des départements en ce qu’on appelle les « zones territoriales emploi-formation ». Celles-ci permettent à tous les acteurs concernés, y compris ceux que vous avez cités – les administrations de l’État, Pôle emploi, bien évidemment, mais aussi les organismes de formation, les cartes de formation, et les représentants des entreprises –, de pouvoir travailler sur des zones qui ne correspondent pas forcément aux arrondissements, mais qui permettent de mailler le territoire.

Je pense également qu’il est intéressant de pouvoir confier cette responsabilité aux régions, eu égard aux missions que nous sommes en train de leur donner en matière d’orientation et de formation. Bien évidemment, l’État doit être présent, mais cette politique doit être menée au plus près du terrain.

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Villaumé.

M. Jean-Michel Villaumé. Monsieur le président, madame la ministre, je voudrais féliciter mes collègues pour la qualité et la richesse de leur rapport. Je voudrais poser une première question assez précise et concrète, et une deuxième un peu plus idéologique.

Ma question concrète porte sur les filières courtes, que vous évoquez à plusieurs reprises dans votre rapport. Sur mon territoire, de nombreux témoignages m’ont rapporté le cas d’étudiants qui, une fois leur BTS validé, ont décidé d’entrer en troisième année de licence à l’université. L’avantage, pour eux, consiste à allier l’enseignement pratique reçu en BTS à l’enseignement plus théorique dispensé à l’université.

En outre, cela leur permet également de valider un BTS et une licence. Or, comme vous le soulignez dans votre rapport, le fait d’être diplômé, ainsi que le niveau de diplôme, ont un fort impact sur les conditions d’accès à l’emploi.

En l’occurrence, il s’agit pour ces étudiants, au terme de leur cursus court, de valider un niveau bac + 3. De plus, les témoignages que j’ai reçus soulignent invariablement le parcours remarquable de ces étudiants, puisque la très grande majorité d’entre eux obtiennent des mentions.

Ma question est la suivante : que pensez-vous de l’idée d’inclure, dans les cursus courts, un dispositif incitant à s’engager notamment dans une licence ? Cela me semble être une réponse simple et concrète à une demande des étudiants.

Enfin, je souhaiterais poser aux deux rapporteurs une question plus idéologique, que je n’ai pas le temps de détailler. Vous citez Pierre Bourdieu dans l’introduction de votre rapport et abordez le thème de la mobilité sociale. Mais, au risque d’être hors sujet, je constate que vous n’évoquez jamais la question de la mixité sociale. Or, il s’agit, pour moi, d’un paramètre majeur. Pourquoi n’a-t-elle donc pas plus particulièrement retenu votre attention ?

Je ne vais pas développer les mesures qui pourraient être prises, ni vous citer Bourdieu, dans Les Héritiers : les étudiants et la culture, qui écrit que « l’école dévalorise la culture qu’elle transmet au profit de la culture héritée », ni même soulever les questions liées à la carte scolaire et à la mixité. Il s’agissait d’une interrogation personnelle sur la mixité sociale, qui n’est pas très présente dans votre rapport.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Je ne voudrais pas prendre la place de Geneviève Fioraso, mais j’indique simplement que vous avez raison de souligner que, pour beaucoup d’étudiants, le BTS est une manière d’obtenir une qualification efficace pour accéder à l’emploi. Pour autant, il est vrai que beaucoup intègrent ensuite une licence. Pour l’instant, il s’agit d’un cursus qui marche assez bien. Je ne sais pas ce que nous pouvons faire pour l’améliorer ou rendre ce parcours plus automatique, et me garderai bien de prendre position sur ce sujet.

Par ailleurs, vous avez raison d’attirer notre attention sur la question de la mixité sociale. C’est l’un de nos sujets de préoccupation. À travers la réforme de l’éducation prioritaire, nous pensons pouvoir faire un certain nombre de choses pour améliorer les connaissances des enfants et l’accès à la culture. D’ailleurs, nous avons vu ensemble, monsieur le député, dans la ville d’Héricourt, des dispositifs assez remarquables pour aider les enfants à progresser dans ce domaine et avoir accès, par exemple, à la musique classique.

Néanmoins, nous nous apercevons également que l’éducation nationale n’a pas tous les moyens pour assurer la mixité sociale. Nous pouvons lutter contre le contournement de la carte scolaire, nous assurer que les dérogations injustifiées ne soient pas accordées, mais, si le quartier n’est pas mixte, il est clair que nous aurons du mal à parvenir à la mixité à l’école. Mais ce problème dépasse largement ma compétence. Peut-être que M. Juanico aura une idée sur le sujet.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Régis Juanico, rapporteur. Il s’agit précisément d’un des champs que nous n’avons pas pu explorer, même avec un an de travail et un rapport de 500 pages. Je vous invite d’ailleurs à lire attentivement les annexes et en particulier l’étude de terrain de KPMG sur les questions d’orientation, et notamment sur les missions locales, étude réalisée à partir de villes représentatives sur le plan démographique.

Il est vrai que, dans le temps imparti, nous ne pouvions pas traiter un certain nombre de questions : par exemple, les discriminations, qui sont, bien évidemment un frein majeur à la mobilité sociale ; l’ouverture des droits sociaux aux jeunes dès dix-huit ans, un peu sur le modèle d’autres pays comme le Danemark, que nous avons eu l’occasion de visiter ; l’accès à la santé ; ou encore les effets de la carte scolaire sur la mixité sociale dans certains collèges. Vous savez que la sectorisation des collèges est une compétence qui a été attribuée aux conseils généraux. Il s’agit d’un sujet de réflexion qui concerne peut-être davantage l’éducation nationale et les suites de la réforme de l’éducation prioritaire qui vient d’être présentée par les ministres Vincent Peillon et George Pau-Langevin.

Le sujet de la mixité sociale implique aussi une réflexion sur la manière de revaloriser certains établissements, qui ont vu leurs effectifs fondre, ou sont malheureusement devenus des établissements ghettos, où il n’existe plus de mixité sociale. Cela doit être traité par les mesures prises dans le cadre de la réforme de l’éducation prioritaire, mais je pense que la carte scolaire joue également un rôle majeur.

Enfin, la question des filières courtes est très importante. Autant, comme je l’ai dit tout à l’heure, il faut revaloriser l’enseignement professionnel et l’enseignement technologique dès le collège, notamment en faisant mieux découvrir tous les métiers, manuels ou non, autant il faut un accompagnement particulier des lycéens et des bacs professionnels pour les préparer aux filières courtes – et nous le proposons.

Ensuite, comme l’a dit la ministre, quand ces bacheliers professionnels ou technologiques terminent le BTS ou l’IUT, ils poursuivent généralement des études après bac + 2. Je ne suis pas sûr que rajouter une année à ce cursus ait un sens. En tout cas, ce sont des filières courtes qui réussissent formidablement bien, comme en attestent les taux d’insertion professionnelle dans ces filières publiés il y a quelques semaines, et qui dépassent 90 %. Ce sont donc des filières qui débouchent sur des emplois durables.

M. le président. La parole est à M. Michel Liebgott.

M. Michel Liebgott. Deux ou trois réflexions qui tiendront également lieu de questions. Vous avez beaucoup évoqué dans votre rapport, à juste titre, le pouvoir d’achat des étudiants, le supplément jeune, et le problème du logement. Il ne faut pas non plus perdre de vue le problème du coût des études, en particulier celui des écoles de commerce ou de certaines écoles privées, qui, effectivement, sont un débouché pour des élèves qui passent par la prépa, mais qui se retrouvent ensuite confrontés à des problèmes d’endettement, car ils contractent des emprunts. Aujourd’hui, on considère qu’à peu près 10 % des étudiants se retrouvent débiteurs et doivent rembourser un emprunt alors même qu’ils n’ont pas encore trouvé un travail. Il ne s’agit pas toujours, d’ailleurs, d’écoles de très haut niveau, mais elles font en quelque sorte payer leur diplôme. Je suis un peu caricatural, mais cela ressemble un peu à cela.

En contrepoint, je voudrais faire l’apologie de ce qui se fait à Sciences-Po Paris, puisque je suis moi-même maire d’une ville dont le lycée bénéficie d’une convention avec Sciences-Po. Il faut effectivement des politiques de « discrimination positive » pour permettre à des jeunes de ces quartiers défavorisés d’accéder aux études supérieures, par des voies qui ne sont pas habituelles mais qui néanmoins valent sélection, et en font des diplômés comme les autres.

Ma deuxième réflexion concerne un domaine tout à fait différent : celui des emplois aidés. Vous faites état, au début de votre rapport, des multiples mesures prises depuis les années 1975-1980. Je voudrais en faire la promotion, car – et je peux en attester en tant qu’élu local depuis presque vingt-cinq ans – ces jeunes qui bénéficient de contrats aidés passent ensuite des concours. Ils s’intègrent ensuite dans la fonction publique territoriale et certains ont terminé leur parcours dans la catégorie A, alors qu’ils n’avaient, au départ, quasiment aucun diplôme. C’est dire combien ce dispositif me paraît intéressant.

Mon dernier point concerne l’enseignement professionnel. Moi qui suis frontalier du Luxembourg et de l’Allemagne, je constate que ces pays sont beaucoup plus pragmatiques et qu’ils nous piquent souvent des élèves dans nos propres lycées, alors même que ceux-ci ne sont pas encore diplômés, parce qu’ils les utilisent de façon très concrète dans leurs usines.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Ce que vous dites sur les formations dans certaines écoles privées montre bien que nous avons affaire à un maquis dans lequel il faut impérativement que les jeunes puissent être aidés pour s’en sortir. En effet, pour le même métier, vous pouvez faire des formations extrêmement différentes : gratuites, payantes, voire très payantes. Il est vraiment important de les aider.

S’agissant de l’expérience de Sciences-Po, je suis évidemment fermement convaincue par l’intérêt de diversifier les élites. Aujourd’hui, l’élite française – c’est un peu que l’on peut contester –, ou en tout cas les gens qui accèdent aux responsabilités dans notre pays sont souvent eux-mêmes issus de classes favorisées. Par conséquent, les tentatives pour diversifier les élites sont extrêmement utiles.

Le dispositif visant à diversifier le recrutement de Sciences-Po marche très bien. D’autres grandes écoles ont tenté de le faire, mais, manifestement, force est de constater que cela fonctionne moins bien. Je pense qu’il faut continuer dans cette voie.

S’agissant des emplois aidés, vous avez raison de dire que cela permet à un certain nombre de jeunes de trouver un emploi et de passer des concours. À l’éducation nationale, nous avons mis sur pied les « emplois d’avenir professeur », pour essayer de remédier au fait que le métier de professeur devenait réservé aux personnes issues de classes moyennes supérieures, qui possèdent un diplôme de niveau bac + 5. C’est dommage car, pendant des décennies, l’enseignement a été une manière, pour les enfants des quartiers populaires, d’accéder à un emploi qualifié.

Nous avons donc mis sur pied les « emplois d’avenir professeur », qui sont recrutés au niveau bac + 2. Mais nous nous apercevons qu’il y a eu beaucoup de recrutements en province, mais assez peu en région parisienne. C’est étonnant, car il y a beaucoup de jeunes pauvres en région parisienne. Par ailleurs, puisqu’il existe un déficit de professeurs dans ces académies, il aurait été souhaitable que des personnes issues des départements limitrophes de Paris puissent commencer en « emploi d’avenir professeur. » Il faut que nous analysions les manières d’arriver à mieux diversifier le recrutement des enseignants dans ces départements.

M. le président. La parole est à M. Bernard Lesterlin.

M. Bernard Lesterlin. Une conviction qui inspirera deux questions adressées à Mme la ministre : nous ne pourrons pas éternellement faire l’économie de cheminer vers un système où l’engagement citoyen deviendra un maillon, une étape naturelle du parcours du jeune, entre l’adolescence, la scolarité obligatoire et la vie active. Il y va de notre cohésion nationale.

Cela part d’un constat évident : lorsqu’un jeune vit volontairement cette expérience, son employabilité et sa capacité de mobilité, autant sociale que géographique, augmente considérablement, et positivement.

Madame la ministre, je pense que le volontariat restera le moteur de l’engagement pour le service civique, dont il ne faut pas oublier qu’il est l’héritier du service national. Comme on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre, je voudrais vous poser une première question : ne faut-il pas commencer à réfléchir à la liste des professions réglementées pour lesquelles avoir fait son service civique deviendrait une obligation ? Je pense aux avocats, et surtout aux magistrats, aux policiers, et pourquoi pas aux enseignants.

Ma deuxième question est la suivante : ne pensez-vous pas qu’il faille associer les jeunes qui ont fait cet effort à la gouvernance même du système ? En effet, un système qui s’adresse aux jeunes et qui est co-animé par leurs pairs est certainement beaucoup plus convaincant.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. La seconde partie de votre question nous ramène à ce que nous disions au début. Il convient, en effet, de mieux associer les jeunes à la gouvernance des diverses structures les concernant. Cette orientation nous intéresse. S’agissant du service civique, je ne voudrais surtout pas m’exprimer au nom de Valérie Fourneyron. Mais est-il forcément nécessaire de le rendre obligatoire ? Il me semble que l’accomplissement d’un service civique mentionné dans un curriculum vitae est déjà plutôt positif pour les employeurs, lesquels considèrent alors le jeune avec plus d’intérêt. Il conviendrait donc, à mon sens, de préciser aux jeunes que, lorsqu’ils accomplissent un service civique, s’ils ne gagnent pas beaucoup d’argent, ils ne perdent pas leur temps, car ils bénéficient d’une formation qui représentera un plus dans leur parcours ultérieur.

Faut-il que l’accès à certains emplois implique d’avoir effectué le service civique ? Il conviendrait de traiter de cette question avec les responsables de la formation. Il est vrai que, dans certaines fonctions, il peut être bienvenu d’avoir fait du bénévolat ou de l’humanitaire. Toutefois, même si je trouve cela plutôt sympathique, il ne relève pas de mes attributions de vous répondre sur ce point.

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Laurent.

M. Jean-Luc Laurent. Je tiens à mon tour à remercier les deux rapporteurs pour avoir évalué l’empilement des dispositifs existants et exposé un certain nombre de propositions visant à donner plus de cohérence aux politiques publiques. J’ai particulièrement apprécié ce qui a été indiqué concernant l’appui à donner aux écoles de la deuxième chance et aux actions menées dans les cursus secondaires et universitaires. Un débat s’est fait jour sur la terminologie : « décrochage scolaire », « échec scolaire ».

Madame la ministre, monsieur le rapporteur, ce que vous avez dit de vos actions en matière de lutte contre l’échec et le décrochage scolaires laisse apparaître qu’elles sont très liées. Pourquoi cette question n’est-elle pas abordée dès l’école élémentaire ? C’est, en effet, à ce stade qu’apparaissent les parcours programmés d’échec, à savoir lorsque la lecture et la compréhension d’un texte ne sont pas acquises. Cela devient souvent irrémédiable pour les enfants. Des expériences sont menées dans ce domaine. Pour lutter contre le décrochage et l’échec scolaires dans le secondaire, il convient surtout, à mes yeux, de s’y attaquer dès l’école élémentaire. Qu’en pensez-vous ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Vous avez mis l’accent sur un sujet indiscutablement essentiel, et très cher à Vincent Peillon, puisqu’il dit toujours qu’il faut commencer par le commencement. Les fondements doivent être assurés. Pour bien lutter contre le décrochage ultérieur, il est nécessaire de veiller à ce que les apprentissages soient solides. Des mesures sont mises en place. Ainsi, le dispositif « plus de maîtres que de classes » offre la possibilité de travailler en petits groupes dès le primaire. Si un enfant a des difficultés de compréhension, il lui est alors possible de bénéficier immédiatement d’un accompagnement personnalisé. Je citerai également le développement de la scolarisation dès la maternelle et dès avant trois ans. On note tout de même une anomalie, puisque, dans un département comme la Seine-Saint-Denis, les enfants en difficulté sont moins nombreux à être scolarisés dès la maternelle que dans des départements où les parents sont plus aisés. Pour aider les enfants, nous devons parvenir à mettre en place les dispositifs là où ils sont absolument nécessaires.

Dans le cadre de la lutte contre le décrochage, comme on le nomme si vilainement, il existe non seulement les écoles de la deuxième chance, mais également les micro-lycées, structures auxquelles nous tenons beaucoup. Des établissements innovants permettent ainsi à des jeunes exclus du système scolaire et qui, à vingt ou vingt-deux ans, ne sont pas considérés comme étant en âge de reprendre des études, de passer de nouveau leur bac dans des conditions satisfaisantes grâce à des pédagogies plus bienveillantes et plus souples. Même s’il est nécessaire d’éviter l’échec scolaire dès le primaire, comme vous l’avez parfaitement expliqué, des actions différentes doivent être développées au sein de l’éducation nationale pour aider les jeunes à réintégrer dans des conditions satisfaisantes le système éducatif dont ils ont été exclus.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Régis Juanico, rapporteur. Je partage tout à fait les propos de Mme la ministre Pau-Langevin. Le décrochage scolaire est, c’est vrai, de plus en plus précoce. Les classes relais chargées de scolariser des collégiens de quatrième et de troisième, prennent de plus en plus en charge des collégiens de cinquième voire de sixième. Toutefois, si nous nous sommes davantage concentrés sur le secondaire, c’est parce que nous avons estimé que, dans le projet de loi pour la refondation de l’école, les outils mis en place, tels que la scolarisation des moins de trois ans, la priorité donnée à l’école élémentaire, la refonte des programmes sur les savoirs de base et de compétences, constituent un socle qui nous permet, aujourd’hui, de prévenir l’échec scolaire afin de garantir une meilleure réussite éducative.

Il est encore trop tôt pour en tirer, bien évidemment, toutes les conclusions, mais je pense effectivement que plus nous anticiperons l’échec scolaire, moins nous devrons compenser sur le plan social donc financier. J’insiste sur ce point parce qu’à partir de seize ans, le décrochage a un coût financier énorme en termes de réparation sociale.

Nous avons évalué très positivement des dispositifs de deuxième chance. Je pense aux écoles de la deuxième chance, lesquelles ne sont malheureusement pas présentes sur l’ensemble du territoire, les régions ayant mené des politiques différentes s’agissant de leur implantation. Ce dispositif est très efficace. Le taux de sortie des jeunes est positif.

D’autres dispositifs se sont avérés, après évaluation, moins satisfaisants. C’est le cas des établissements publics d’insertion de la défense. Il existe également les internats d’excellence, dont la formule est en train d’être revue.

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Les internats de la réussite !

M. Régis Juanico, rapporteur. Leur évaluation est positive, mais il convient peut-être de développer ces systèmes dans les établissements, afin d’éviter d’envoyer les collégiens dans les internats. Même s’il faut sans doute revoir certains aspects, les dispositifs de deuxième chance tiennent globalement la route. Nous devons simplement les simplifier.

Nous disposons d’outils en partenariat. Ce sont les plates-formes de décrochage, les réseaux FOQUALE. Leur montée en puissance nous permettra de nous fixer un objectif plus ambitieux et de dépasser les 25 000, 35 000 ou 40 000, je ne sais le nombre que nous atteindrons en 2014 ou 2015. Nous devons faire le maximum pour faciliter le « raccrochage ». C’est ce que nous avons voulu démontrer dans ce rapport.

Nous devrons, lors d’une évaluation ultérieure, mener une réflexion sur l’ouverture sociale des grandes écoles. Nous ne l’avons pas évoqué ce soir, puisque tel n’était pas le thème de notre rapport. Je pense cependant que ce serait un beau sujet de réflexion pour les parlementaires.

M. le président. La parole est à Mme Gisèle Biémouret.

Mme Gisèle Biémouret. J’interrogerai notre rapporteur sur la citoyenneté. Le rapport évoque la participation ou la meilleure représentation des jeunes en apprentissage ou en situation d’exclusion dans les dispositifs les concernant. Je considère, mais c’est une réflexion personnelle, qu’on les oublie souvent. Au lycée, au collège et même à l’école primaire, de nombreuses structures sont mises en place telles que les conseils municipaux des enfants, le conseil régional ou général des jeunes et le Parlement des enfants.

Comment peut-on faire participer ceux qui, sans parler de décrochage, ne se trouvent pas dans cette dynamique ? Au moment où l’on veille à ce qu’ils reprennent une activité, comment leur permettre d’adhérer à toutes ces structures qui peuvent les aider ? Je pense en effet que, parce qu’ils vivent ces situations, la parole qu’ils pourraient porter serait très intéressante.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Régis Juanico, rapporteur. Des progrès importants ont été réalisés ces dernières années. J’étais, voici une vingtaine d’années, responsable d’un mouvement de jeunesse. Je peux donc aujourd’hui mesurer la différence. Il est essentiel – et Valérie Fourneyron y est très attentive – d’associer les organisations de jeunes aux décisions les concernant. C’est vrai au niveau national. Il est ainsi proposé de créer un conseil d’orientation de la jeunesse qui associerait les organisations de jeunesse. Or il existe déjà une instance qui a à peu près la même fonction : le Forum français de la jeunesse, qui regroupe l’ensemble des organisations de jeunesse, comme la JOC ou la MJRC, apporte énormément au débat.

Il y a, ensuite, l’implication au niveau local de ces mêmes jeunes dans les lieux où se décident les politiques les concernant. Nous devons faire preuve, en la matière, d’un peu plus de volontarisme. Je citerai, à ce titre, les conseils d’administration des CFA, ceux des missions locales. Bernard Lesterlin, qui est membre du conseil d’administration de l’Agence du service civique, pourrait proposer que des jeunes y soient aussi représentés. Il en va de même des conseils économiques et sociaux régionaux. De nombreux efforts doivent y être encore accomplis, et ce sur le modèle du Conseil économique, social et environnemental national.

George Pau-Langevin a précédemment évoqué l’acte II de la vie lycéenne. De réels progrès restent encore à faire en matière de participation, d’implication et de citoyenneté des jeunes.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Nous revenons à la notion de citoyenneté. De manière plus générale, nous voulons de nouveau développer dans les établissements scolaires tout ce qui relève de la morale laïque, de l’accès à la citoyenneté et de la lutte contre les discriminations. Si l’école a le devoir d’assurer les apprentissages et de transmettre les connaissances, elle doit aussi former des citoyens. La participation aux différentes instances est une manière de devenir un citoyen. Je suis entièrement d’accord avec vous sur ce point.

Je vous remercie, monsieur le rapporteur, d’avoir effectué ce beau travail qui nous aidera beaucoup dans notre action quotidienne. Je vous remercie également pour l’action que vous allez mener en faveur de cette cause qui nous tient tous à cœur.

M. le président. Le débat est clos.

Je vous remercie, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, d’y avoir participé.

6

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :

Questions à M. Vincent Peillon, ministre de l’éducation nationale.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures trente.)

Le Directeur du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Nicolas Véron