Accueil > Travaux en séance > Les comptes rendus > Les comptes rendus de la session > Compte rendu intégral

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2013-2014

Compte rendu
intégral

Première séance du mercredi 04 juin 2014

SOMMAIRE

Présidence de M. Claude Bartolone

1. Questions au Gouvernement

Recommandations de la Commission européenne et mesures d’austérité

Mme Jacqueline Fraysse

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics

Cigarette électronique

Mme Dominique Orliac

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé

Réforme territoriale

M. Edouard Philippe

M. Manuel Valls, Premier ministre

Soixante-dixième anniversaire du Débarquement

Mme Laurence Dumont

M. Kader Arif, secrétaire d’État chargé des anciens combattants et de la mémoire

Réforme territoriale

M. Thierry Solère

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique

Politique budgétaire

M. Pascal Terrasse

M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du budget

Réforme pénale

M. Guy Geoffroy

M. Manuel Valls, Premier ministre

Affaire BNP Paribas

M. Jean-Christophe Fromantin

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics

Réforme des rythmes scolaires

M. Paul Salen

M. Benoît Hamon, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche

BNP Paribas

M. Philippe Doucet

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics

Intermittents du spectacle

M. Noël Mamère

M. François Rebsamen, ministre du travail, de l’emploi et du dialogue social

Situation en Centrafrique

M. Jean-Frédéric Poisson

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense

Perturbateurs endocriniens

M. Gérard Bapt

Mme Ségolène Royal, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie

Logement

M. Jean-Marie Tetart

Mme Sylvia Pinel, ministre du logement et de l’égalité des territoires

Plan de lutte contre la radicalisation violente et les filières terroristes

M. Charles de Courson

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Suspension et reprise de la séance

Présidence de Mme Laurence Dumont

2. Prévention de la récidive et individualisation des peines

Discussion générale (suite)

M. Nicolas Dhuicq

M. Julien Aubert

M. Édouard Courtial

M. Frédéric Lefebvre

M. Jean-Louis Costes

M. Olivier Marleix

M. Sébastien Huyghe

M. Jean-Frédéric Poisson

M. Dominique Raimbourg, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice

Discussion des articles

Article 1er

M. Nicolas Dhuicq

M. Jean-Pierre Vigier

Mme Annie Genevard

M. Guillaume Chevrollier

M. Frédéric Reiss

M. Pascal Popelin

Mme Marie-Françoise Bechtel

Mme Colette Capdevielle

M. Marc Le Fur

M. Éric Ciotti

M. Claude Goasguen

M. Alain Tourret

M. Jean-Frédéric Poisson

Mme Véronique Louwagie

M. Georges Fenech

M. Patrick Hetzel

M. Pascal Cherki

M. Guy Geoffroy

M. Bernard Gérard

M. Dominique Raimbourg, rapporteur

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux

Amendements nos 215 , 289 , 547 , 517 , 664 , 733 , 282 , 727

Rappel au règlement

M. Jean-Frédéric Poisson

Article 1er (suite)

Amendements nos 202 , 598 , 729 , 728 , 407

3. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Claude Bartolone

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Questions au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Recommandations de la Commission européenne et mesures d’austérité

M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Fraysse, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

Mme Jacqueline Fraysse. Monsieur le Premier ministre, la Commission européenne a publié lundi ses recommandations annuelles de politique économique. Sans surprise, elle recommande d’accentuer encore les mesures de rigueur. Des recommandations qui, non seulement vont à rencontre des attentes des Français, mais ne permettront pas d’atteindre les objectifs de réduction des déficits.

Les mesures d’austérité prises jusqu’ici, notamment la hausse de la TVA et la pression fiscale accrue sur les ménages modestes et moyens, ont eu pour effet de casser le moteur de la croissance et d’affecter gravement les recettes de l’État. C’est ce que confirme le rapport de la Cour des comptes concernant l’exécution du budget de l’État pour 2013 avec des recettes fiscales de près de 15 milliards d’euros inférieures aux prévisions. Ainsi, les efforts considérables imposés aux Français auront été deux fois moins efficaces que prévu.

M. Franck Gilard. Eh oui !

Mme Jacqueline Fraysse. Pour 2014 se profile une nouvelle étape de l’austérité avec des ponctions sur le pouvoir d’achat des retraités, des fonctionnaires, et une réduction alarmante des dépenses publiques puisque 4 milliards d’euros vont venir s’ajouter aux 15 milliards d’économies déjà prévues. Cela va pénaliser la demande et l’investissement, ce qui est redoutable pour l’activité des entreprises.

Monsieur le Premier ministre, avez-vous l’intention de poursuivre une telle spirale de régression et d’échec en vous soumettant aux nouvelles injonctions de Bruxelles ? Ou comptez-vous au contraire défendre auprès de vos homologues au Conseil européen l’exigence de faire du pouvoir d’achat des ménages l’axe prioritaire d’une véritable politique de relance économique ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe GDR.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des finances et des comptes publics.

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics. Madame la députée, le terme de « recommandations » de la Commission européenne est plutôt bien choisi : je ne confonds pas, en effet, recommandations et injonctions.

Vous posez en fait la question de la logique de la politique économique que mène aujourd’hui ce Gouvernement, pas parce qu’on lui en ferait obligation, pas parce qu’on lui adresserait des ordres, mais parce qu’il l’a librement choisie, après en avoir débattu ici.

Notre volonté c’est plus de croissance, car si la croissance est trop faible, comme l’année dernière, même si cela a été la première année où elle fut positive, cela crée des difficultés pour équilibrer le budget en termes de recettes et, surtout, cela provoque de considérables dégâts économiques, industriels et sociaux en termes de chômage.

Ce sont ces problèmes que nous voulons résoudre grâce à une croissance supérieure. Quels sont, dès lors, les choix du Gouvernement ? Je vais vous les répéter. Il convient tout d’abord de ne pas opposer l’offre et la demande. Un problème se pose aujourd’hui dans les entreprises pour fabriquer, produire ce dont nous avons besoin et ce que nous sommes capables de vendre à l’extérieur. Or, il faut produire et investir pour pouvoir créer des emplois. C’est toute la politique que nous menons aujourd’hui et nous allons vous proposer, pour 2015, de diminuer les cotisations et les impôts à la charge des entreprises afin de favoriser l’investissement et créer des emplois.

Mais il faut également – c’est l’une de vos préoccupations – soutenir la demande, la consommation des ménages, en particulier des plus modestes. Nous vous proposerons à la rentrée prochaine des mesures pour baisser les impôts et surtout faire sortir de l’impôt un certain nombre de ménages modestes. Avec plus de 2,5 milliards de baisses de cotisations salariales nous pourrons, l’année prochaine, redonner du pouvoir d’achat aux plus modestes des Français.

Cigarette électronique

M. le président. La parole est à Mme Dominique Orliac, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

Mme Dominique Orliac. Madame la ministre des affaires sociales et de la santé, vous allez prochainement présenter un plan national de réduction du tabagisme, dans la continuité du plan cancer annoncé en février dernier par le Président de la République. La cigarette électronique alimente de nombreuses discussions dans notre pays et dans les pays européens, discussions accélérées par la position de la Commission européenne du 18 décembre dernier.

D’une part, la Haute autorité de santé ne reconnaît pas le rôle de la cigarette électronique dans le sevrage ou la réduction du tabagisme, en raison de l’insuffisance de données sur la preuve de son efficacité et de son innocuité. D’autre part, l’Office français de prévention du tabagisme donne ses conseils aux médecins pour intégrer la cigarette électronique dans le sevrage tabagique.

Pour les buralistes, le vrai problème concerne la vente, car la cigarette électronique, similaire à la cigarette classique par sa gestuelle et son composé nicotinique, est aujourd’hui en vente libre. Elle crée une nouvelle forme de tabagisme passif, dont les risques ne sont pas évalués, notamment en ce qui concerne l’exposition des patients asthmatiques, et contribue à renormaliser progressivement le tabac dans notre société. De plus, les jeunes générations s’orientent vers l’utilisation conjointe de la cigarette normale et de la cigarette électronique.

Sans encadrement clair, nous mettrions à bas des années d’efforts en faveur de la prévention des risques du tabac en France, alors même que l’OMS estime que le tabac pourrait être responsable d’un milliard de morts au XXIe siècle et qu’une immense majorité des Français est hostile à cette pratique.

Madame la ministre, doit-on donc considérer la cigarette électronique comme un outil d’aide à l’arrêt du tabac ? Si oui, est-il raisonnable de laisser ce produit sous un statut de produit de consommation courante, sans respecter la loi Évin qui impose que la vente se fasse dans des bureaux agréés et qu’elle soit soumise aux taxes et interdite de publicité, et sans faire intervenir les professionnels de santé, actifs dans la prévention et la prescription de traitements classiques d’aide au sevrage par substitut nicotinique ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Vous avez raison, madame la députée, de rappeler que le combat contre le tabac et le tabagisme doit nous mobiliser. Nous ne le dirons jamais assez : le tabac tue. Il tue 73 000 personnes par an en France, c’est-à-dire autant de victimes en quinze jours que les accidents de la route en un an. Un fumeur sur deux mourra à cause du tabac.

C’est dans ce contexte que la cigarette électronique a connu un essor spectaculaire et mal maîtrisé. Est-elle la réponse miracle au défi du tabac ? Évidemment non. Nous devons toutefois distinguer entre deux situations. Pour faire reculer le tabagisme, il faut d’abord que les fumeurs d’aujourd’hui arrêtent de fumer. À ces gens-là, je dis simplement ceci : mieux vaut recourir à la cigarette électronique qu’à la cigarette tout court. N’hésitez pas : abandonnez vos cigarettes classiques, prenez la cigarette électronique et l’on pourra ainsi espérer que vous arrêterez de fumer. C’est la raison pour laquelle il ne faut pas interdire la cigarette électronique.

Cependant, il y a aussi toutes les personnes qu’il faut empêcher de commencer à fumer, en particulier les jeunes, auxquels vous avez fait référence. Au cours de l’année dernière, le nombre de jeunes ayant fumé leur première cigarette est égal à celui des jeunes ayant pris leur première cigarette électronique. C’est pourquoi nous devons strictement encadrer le recours à la cigarette électronique, dont vous voyez donc, madame la députée, qu’elle a un statut particulier. Elle n’est ni un produit du tabac, ni un médicament de sevrage. Selon les cas, elle peut avoir un intérêt ou, au contraire, être préoccupante. C’est à cette situation que nous devons répondre ! (Applaudissements sur quelques bancs des groupes SRC, écologiste et GDR.)

Réforme territoriale

M. le président. La parole est à M. Edouard Philippe, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Edouard Philippe. En tant qu’élu havrais, je tiens avant toute chose à adresser à Valérie Fourneyron, élue rouennaise, tous mes vœux de prompt et complet rétablissement. (Applaudissements sur tous les bancs.)

En 2010, monsieur le Premier ministre, vous n’aviez pas de mots assez durs pour parler de la loi portant réforme territoriale, et vous nous expliquiez que lorsque la gauche reviendrait au pouvoir, on allait voir ce qu’on allait voir. Eh bien, monsieur le Premier ministre, on voit ; et ce que l’on voit est assez affligeant.



Oui, il faut modifier et clarifier l’organisation des territoires de la République. Bien entendu, il faut fusionner les Normandies et j’approuve, sur ce point, votre carte. Cependant, depuis la révélation du contenu de votre réforme, trois impressions prédominent.



L’improvisation, tout d’abord : jusqu’au dernier moment, les limites territoriales ont été modifiées au gré de concessions faites à des personnalités socialistes ayant plus ou moins l’oreille du Président.



L’arbitraire, ensuite : pourquoi certaines régions fusionnent-elles à trois quand d’autres restent seules ? En fonction de quels critères le Président a-t-il fait ses choix ?



L’incohérence, enfin : vous allez supprimer la clause de compétence générale après l’avoir défendue et remise en vigueur. Vous allez budgétairement asphyxier les collectivités territoriales après leur avoir imposé des dépenses supplémentaires.



Il y a sur tous les bancs de cette assemblée, monsieur le Premier ministre, des élus soucieux d’avancer. En supprimant la loi de 2010, vous avez hélas surtout reculé. Vous devez aux Français la clarté et la précision sur au moins trois points.



Premièrement, qui est à la manœuvre ? Votre gouvernement comporte un ministre de la décentralisation, de la réforme de l’État et de la fonction publique et, auprès d’elle, un secrétaire d’État chargé de la réforme territoriale. Mais depuis hier, il y a également un secrétaire d’État à la réforme de l’État, placé auprès du Premier ministre.



M. Bruno Le Roux. Bravo !

M. Edouard Philippe. Et l’on ne saurait non plus exclure que le ministre de l’intérieur soit lui aussi un peu intéressé par le sujet. Certains pourraient en conclure qu’il y a « xxx » ministres chargés de ce dossier.

Deuxièmement, allez-vous tout dire aux Français ? Vous avez consulté les présidents de région socialistes et eux seuls. (Murmures sur les bancs du groupe SRC.) Des engagements ont-ils été pris auprès de certains, par exemple sur le choix des capitales régionales ? À Toulouse ou à Montpellier, à Rouen ou à Caen, les Français aimeraient savoir si vous avez déjà, entre vous, pris des décisions. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. Merci.

La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Je vous remercie, monsieur le député, d’avoir bien voulu saluer Valérie Fourneyron, qui a voulu résister au maximum face à ses problèmes de santé mais qui a dû renoncer à assumer sa fonction. Je lui souhaite à mon tour, en votre nom et au nom du Gouvernement, un prompt rétablissement. (Applaudissements sur tous les bancs.) Je salue également la nomination de Carole Delga et de Thierry Mandon : leur expérience de députés sera utile au Gouvernement, et donc à la France. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et GDR.)

Je vous réponds, monsieur le député : il s’agit d’un projet défendu par le Président de la République et par l’ensemble du Gouvernement. Cela fait des années que l’on parle de ces réformes territoriales. Depuis trente ans, le pays a naturellement évolué au fil des différentes phases de la décentralisation, qui a permis à la France de se moderniser grâce à une plus grande proximité et à l’engagement des élus.

Cependant, les différents rapports parus sur ce sujet – le rapport Balladur…

M. Marc Le Fur. Excellent rapport !

M. Manuel Valls, Premier ministre. …ou encore celui de MM. Raffarin et Krattinger – mais aussi votre formation politique elle-même ont formulé des propositions visant à supprimer les départements ou à regrouper les régions. D’une certaine manière, votre question tout comme le débat et les commentaires suscités depuis deux jours montrent bien qu’il fallait prendre une décision et mettre une proposition sur la table.

Cette proposition, c’est le Président de la République qui l’a faite, et elle permet le débat. Si l’on organisait partout des états généraux et des référendums, comme cela a été proposé hier, il n’en sortirait rien d’autre que l’immobilisme et l’absence de réforme. Le Président de la République et le Gouvernement assument pleinement la nécessité de la réforme dont la France a besoin. Il lui faut des régions grandes et fortes, elles-mêmes capables de renforcer le pays.

Le texte sera présenté en conseil des ministres le 18 juin prochain, en même temps que le texte relatif aux compétences et à la montée en puissance de l’intercommunalité. Le texte relatif au tableau des conseillers régionaux sera défendu par le ministre de l’intérieur, ce qui est tout à fait naturel. C’est à partir de ce moment-là que s’engagera le débat, d’abord au Sénat puis à l’Assemblée nationale au mois de juillet, afin que cette réforme entre en pratique.

Il ne faut pas en avoir peur, car cette réforme sera positive pour notre pays et, je le répète, sera accompagnée de la montée en puissance de l’intercommunalité, mais aussi du travail que nous devrons accomplir concernant les départements, conformément à la perspective tracée par le Président de la République afin, notamment, de protéger les territoires les plus faibles, ceux qui souffrent de la crise, ceux qui se sentent éloignés et insuffisamment protégés – je pense par exemple, mais pas seulement, aux territoires ruraux. Voilà le travail que nous devons conduire, en prenant l’engagement que l’État soit aussi plus proche et plus efficace au niveau des départements.

Au-delà des prises de position et des effets de manche, et comme je sais que vous êtes un député et un maire sérieux, qui connaît bien ces sujets (« Bravo ! » sur quelques bancs du groupe UMP), je ne doute pas un seul instant que nous parviendrons à travailler et à avancer ensemble en faveur de l’intérêt général. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Soixante-dixième anniversaire du Débarquement

M. le président. La parole est à Mme Laurence Dumont, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Laurence Dumont. Le 6 juin 1944, jour du Débarquement, est une date à jamais gravée dans l’histoire de l’humanité et du monde libre. Pour les Normands, bien sûr – les civils y ont payé un lourd tribut – pour l’ensemble du peuple français, évidemment, pour les pays alliés, enfin, l’engagement de leurs soldats s’étant traduit, pour des milliers d’entre eux, par le sacrifice ultime. Vendredi, à Ouistreham, le Président de la République et l’ensemble des chefs d’État et de gouvernement invités leur rendront hommage, ainsi qu’aux vétérans, mémoire vivante de cet épisode tragique.

La représentation nationale se devait d’être également mobilisée. Je tiens à vous remercier tous, chers collègues députés qui, à l’unanimité, avez voté il y a quelques jours la proposition de résolution sur le 6 juin 1944, que j’ai eu l’honneur de porter. Résolution adoptée, depuis, de l’autre côté de l’Atlantique et dans les mêmes termes par le Sénat américain et la Chambre des représentants. Cette démarche franco-américaine, une première dans notre hémicycle, nous la devions à ceux qui ont contribué à mettre un terme à la Seconde guerre mondiale.

Je souhaitais également dire ma satisfaction d’avoir vu le Président de la République accepter ma requête d’inviter, le 6 juin, les présidents des groupes d’amitié des parlements des pays alliés, ainsi que d’Allemagne et d’Italie. Monsieur le président de l’Assemblée nationale, vous les recevrez ici demain, et je vous en remercie.

Ces parlementaires des pays alliés, présents vendredi sur les plages de Normandie, y représenteront leurs peuples. Les peuples de l’Europe, cette Europe qui a été construite dans une démarche de réconciliation et de paix.

Monsieur le ministre, ces plages sont, depuis le Débarquement, le symbole de la liberté retrouvée, mais également, maintenant, le symbole de la réconciliation et de la paix. Nous devons tout mettre en œuvre pour que ces lieux et les témoignages des vétérans persistent bien au-delà de ce soixante-dixième anniversaire. Nous le devons à ceux qui ont donné leur vie pour que nous vivions libres. (Applaudissements sur tous les bancs.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des anciens combattants et de la mémoire.

M. Kader Arif, secrétaire d’État chargé des anciens combattants et de la mémoire. Madame la députée, le 7 novembre dernier, le Président de la République a lancé le cycle des commémorations pour le centenaire de la Première guerre mondiale et les soixante-dix ans de la libération du territoire.

Ce cycle est un moment de reconnaissance de notre pays à l’égard des pays alliés qui sont venus nous aider à libérer notre territoire. C’est un moment de partage et de fraternité avec l’ensemble des pays belligérants. Vous avez d’ailleurs évoqué le terme de « réconciliation ».

C’est un moment de recueillement à l’égard des victimes militaires et civiles. Pour la première fois, un hommage sera rendu aux victimes civiles en Normandie par le Président de la République.

C’est un moment populaire, parce que tous nos concitoyens doivent y être associés – c’est déjà le cas – et profiter de la formidable appétence des Français à l’égard de leur mémoire.

C’est un moment de cohésion nationale autour d’une mémoire apaisée et c’est, enfin, un moment de fierté, car nous pouvons être fiers de notre pays, fiers de notre nation, fiers de son histoire au moment où elle se pose des questions sur elle-même.

Ce soixante-dixième anniversaire, ce sont aujourd’hui 800 projets labellisés, des livres, des films, des événements locaux et nationaux. Le 6 juin, 9 000 invités, une vingtaine de chefs d’État et un milliard de téléspectateurs sont attendus, sans parler des événements locaux que portent les parlementaires dans leur circonscription.

Je tiens à remercier le président de l’Assemblée nationale pour l’initiative qu’il a prise, ainsi que vous, madame la vice-présidente Dumont, l’ensemble des présidents de groupe et des parlementaires présents sur ces bancs pour le travail effectué s’agissant de cet acte de transmission de la paix pour nos jeunes, pour nous qui n’avons pas connu la guerre. Je veux rappeler que des jeunes sont venus des cinq continents et ont trouvé la mort sur les plages de Normandie, donnant leur vie, leur jeunesse, pour défendre un sentiment qui dépasse toute appartenance partisane et qui porte un joli nom : la liberté. (Applaudissements sur tous les bancs.)

Réforme territoriale

M. le président. La parole est à M. Thierry Solère, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Thierry Solère. Ma question porte sur la réforme territoriale.

Monsieur le Premier ministre, vous nous invitez régulièrement à dépasser les clivages partisans. Vous conviendrez que, lorsque nous posons des questions, nous puissions obtenir des réponses concrètes. Or vous n’avez en rien répondu à la question du député-maire du Havre, Édouard Philippe.

Pour ma part, j’ai deux questions à vous poser sur ce sujet : l’une sur la forme, l’autre sur le fond.

Sur la forme, vous rendez-vous compte du symbole que représente un Président de la République, un soir à vingt et une heures trente ou vingt-deux heures, seul dans son palais de l’Élysée, devant rendre sa décision sur le redécoupage du pays, et ce, parce qu’il avait pris des engagements devant la presse régionale ? Madame Royal, la démocratie participative au sein de votre gouvernement, c’est terminé !

Sur le fond, la ville de Boulogne-Billancourt, dont je suis le député, s’est rassemblée avec d’autres villes au sein d’une communauté d’agglomération : Grand-Paris-Seine-Ouest. La loi sur la métropole prévoit la disparition des agglomérations dans cette banlieue parisienne à compter de son entrée en vigueur. Pouvez-vous nous dire aujourd’hui si la loi sur la métropole de Paris va, oui ou non, s’appliquer, après les nouvelles annonces qui viennent d’être faites ?

Par ailleurs, après avoir attaqué les départements, vous renvoyez à 2020 leur disparition. Pouvez-vous nous dire comment, de 2015 à 2020, les conseils généraux vont pouvoir travailler ? Avec quelle fiscalité ? Et sur quelles bases de compétences ?

Aujourd’hui, monsieur le Premier ministre, les élus locaux de ce pays, qu’ils soient dans des mairies, dans des agglomérations, des départements ou des régions, lèvent l’impôt et attendent un peu plus de cohérence, car ce projet est devenu illisible ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de la décentralisation et de la fonction publique.

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique. Monsieur Solère, je vous ai entendu dire, dans une émission récente, que vous étiez tout à fait favorable à l’installation de la métropole du Grand Paris et que vous appeliez même de vos vœux la disparition des départements sur l’aire du Grand Paris.

Oui, le Grand Paris se fera aux dates prévues, sous l’autorité du préfet Daubigny et de M. Lucas, nommé récemment et supporté – au vrai sens du terme ! – par le président du syndicat Paris Métropole et par M. Daubigny. La mission de préfiguration a été installée, beaucoup de questions ont été posées et de nombreux parlementaires, ici présents, y participent de façon assidue et travaillent sur les conseils de territoires.

Sur ces conseils de territoires et leur importance, nous avons avancé. Bref, rien ne change. Nous avançons sur ce dossier, et je sais que vous le suivez avec attention.

Quant aux départements et à la date de 2020, vous avez souhaité que cette réforme soit plus rapide, même si, à l’intérieur de votre groupe, tout le monde n’est pas d’accord. Je me suis engagée, au nom du Gouvernement, à ce qu’il y ait une étude des modalités de transfert des compétences des départements sur une aire métropolitaine. Une première étude menée sur la métropole du Grand Paris va nous donner des indications.

Mais que diriez-vous, monsieur le député, si je vous disais que nous allons dès aujourd’hui supprimer les départements, avant même d’avoir pris connaissance des conclusions de cette étude ? Vous diriez que nous ne travaillons pas sérieusement !

Or nous travaillons sérieusement. La loi fixera l’ensemble des compétences des départements et les modalités. Merci aux membres de l’UMP, de l’UDI et du groupe SRC qui y travaillent ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)

Politique budgétaire

M. le président. La parole est à M. Pascal Terrasse, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Pascal Terrasse. Ma question s’adresse à M. le secrétaire d’État chargé du budget. Depuis 2012, la majorité met tout en œuvre pour maîtriser les dépenses publiques et par voie de conséquence réduire les déficits publics. Réduire les déficits, mes chers collègues, ce n’est pas uniquement une opération comptable ni un fantasme technocratique ou une quête sans ambition. En réalité, c’est tout le contraire !

M. Yves Fromion. De tout façon, c’est raté !

M. Pascal Terrasse. Réduire les déficits, c’est avant tout une tâche politique, au sens noble du terme. C’est une mission qui doit redonner des marges de manœuvre à l’action publique, une mission qui doit épargner les générations futures, lesquelles auront mieux à faire que porter le fardeau d’une dette laissée par d’autres, une mission qui doit, enfin, protéger l’avenir de nos enfants, loin des petits calculs immédiats. Personne ne doit oublier cette vérité terrible : entre 2007 et 2012, la France s’est endettée de 600 milliards d’euros supplémentaires. Entre 2002 et 2012, la dette publique a été multipliée par deux. Les déficits de la droite sont malheureusement les impôts d’aujourd’hui. Nous avons d’ailleurs appris au cours des derniers jours que l’UMP a des problèmes avec ses propres comptes. Mais la vérité, c’est que l’UMP a d’abord eu des problèmes avec les comptes de la nation et donc avec le portefeuille des Français ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. S’il vous plaît, mes chers collègues, rien ne justifie ces cris.

M. Pascal Terrasse. En 2010, le déficit public atteignait 140 milliards d’euros. Nous l’avons pratiquement divisé par deux. Jamais un gouvernement, depuis l’après-guerre, n’était allé aussi loin ! Nous avons eu le courage de mettre en œuvre des réformes. Dès lors, quelles sont, monsieur le secrétaire d’État, les orientations retenues pour les jours à venir ? (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP, applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du budget.

M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du budget. Au fond, monsieur le député, les Français nous demandent trois choses : faire des économies en matière de dépense publique, réduire les déficits et retrouver des marges de manœuvre pour alléger l’impôt et les cotisations pesant sur les ménages et les entreprises. La loi de règlement que vous allez être amenés à examiner au cours des prochains jours et qui l’a été hier en commission des finances répond, finalement, à ces trois objectifs. Premièrement, en 2013, la dépense publique a été plus que jamais tenue. En effet, les dépenses en 2013 sont inférieures de 144 millions d’euros à l’autorisation parlementaire. Cette sous-exécution est même de 3,5 milliards d’euros si on y inclut les pensions et le remboursement de la dette. La dépense a donc été tenue. Deuxièmement, le déficit public s’élevait en 2012 à 4,9 % du PIB. Il a été ramené en 2013 à 4,3 % du PIB. Il a donc baissé, et ce malgré des recettes fiscales en diminution par rapport à nos prévisions,…

M. Yves Fromion. Ah ! Et pourquoi ?

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. …ceci étant lié à la conjoncture économique, chacun le sait dans cette assemblée.

Telle est la vision du passé. Celle de l’avenir, c’est que nous pouvons dégager…

M. Étienne Blanc. Dégagez, oui !

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. …es marges de manœuvre afin d’améliorer la compétitivité des entreprises et redonner du pouvoir d’achat aux ménages, mais à une condition, poursuivre dans cette voie tracée par le plan d’économies. Nous prendrons dès l’examen des prochains textes, c’est-à-dire la loi de finances rectificative et la loi de financement rectificative de la Sécurité sociale, des mesures fiscales qui entreront en vigueur dès cet automne et d’autres relatives aux cotisations sociales s’appliquant dès le 1er janvier 2015. Voilà l’intention précise du Gouvernement. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)

Réforme pénale

M. le président. La parole est à M. Guy Geoffroy, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Guy Geoffroy. Vous n’aimez pas, monsieur le Premier ministre, que l’on vous mette en face de vos contradictions. Elles sont pourtant nombreuses, et c’est notre rôle, c’est notre devoir, que de les mettre en pleine lumière et de les dénoncer.

M. Christian Paul. Insolent !

M. Guy Geoffroy. La réforme pénale, dont nous avons commencé l’examen hier dans cet hémicycle, en constitue un exemple récent. Comme vous ne parvenez pas à vous défaire vraiment de vos contradictions, vous optez pour l’attaque, reprochant aux autres, et en particulier à l’opposition, ce que pourtant vous avez initié. En effet, qui a dégainé le premier contre la réforme de la loi pénale que vous nous proposez en tant que Premier ministre ? C’est vous ! Qui a pris sa plus belle plume pour écrire au Président de la République afin de lui dire tout le mal qu’il pensait de cette réforme ? C’est vous ! Qui a relayé l’inquiétude et la colère des fonctionnaires de police et de gendarmerie face à une réforme que vous avez vous-même qualifiée noir sur blanc de « néfaste » ? C’est vous !

M. Éric Woerth. Très bien !

M. Guy Geoffroy. Et aujourd’hui, vous nous reprochez de créer une polémique à propos d’une loi qui était mauvaise quand vous étiez sur la rive droite de la Seine et qui est soudainement devenue vertueuse depuis que vous êtes sur la rive gauche ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.) Cette loi que vous avez dénoncée, monsieur le Premier ministre, dites-nous aujourd’hui, droit dans les yeux, ce que vous en pensez ! Faites comme le Président de la République, qui a été obligé de rappeler à l’ordre votre ministre de la justice ! Faites ce que vous demandent les Françaises et les Français, dont 75 % vous disent que la loi est mauvaise : monsieur le Premier ministre, retirez-la ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Nous avons souvent débattu par le passé, monsieur Geoffroy, lorsque j’étais dans l’opposition ou ministre de l’intérieur, des sujets relatifs à la justice, à la sécurité de nos concitoyens et à la lutte contre la délinquance. Je n’ai pas à me justifier de mes prises de position.

M. Yves Fromion. Mais si, c’est ce que l’on vous demande !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Elles ont toujours été extrêmement claires et elles le sont tout autant maintenant que je suis Premier ministre. Vous me posez une question, je vais essayer de vous répondre, car il s’agit de faire avancer le débat. Le Président de la République a rendu au mois d’août un arbitrage sur la loi pénale, elle-même fruit d’un long travail mené par Christiane Taubira, de la conférence de consensus au travail interministériel normal, logique et cohérent qui a cours dans tous les gouvernements. Qu’il existe par ailleurs une discussion, un travail et des points à discuter entre le ministère de la justice et le ministère de l’intérieur, voilà qui est vieux comme le monde.

M. Marc Le Fur. C’est laborieux !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Mais il existe dans mon bilan de ministre de l’intérieur un fait dont je m’honore, et qui honore aussi l’action de Christiane Taubira, c’est que nous avons toujours considéré, l’un et l’autre, pendant les deux ans au cours desquels nous avons été côte à côte,…

M. Yves Fromion. Face-à-face, plutôt !

M. Manuel Valls, Premier ministre. …comme nous le sommes toujours mais dans d’autres fonctions, qu’il ne faut pas opposer l’intérieur et la justice, les policiers et les gendarmes d’un côté et les magistrats de l’autre. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Une telle opposition a souvent été nourrie au sein des gouvernements qui se sont succédé.

M. Christian Jacob. Oui, et elle l’a été par vous-même !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Elle l’est aussi par vous, mesdames et messieurs les députés de l’opposition. Or elle est non seulement absurde mais contre-productive et elle met en cause l’État de droit. Christiane Taubira et moi-même considérons précisément que les forces de l’ordre et les magistrats doivent travailler ensemble en vue d’un seul objectif : rendre la justice, lutter contre la récidive et assurer la sécurité de nos concitoyens. La conception qui était la mienne comme ministre de l’intérieur est inchangée maintenant que je suis Premier ministre.

M. Claude Goasguen. Ah bon ?

M. Manuel Valls, Premier ministre. Le Président de la République a rendu un arbitrage important, qui doit être tenu. Un texte est discuté au Parlement et vous allez incontestablement l’enrichir, mesdames et messieurs les députés, mais avec une seule idée en tête : ne pas mentir aux Français, ne pas leur raconter des bobards ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Il faut leur dire que nos prisons sont pleines, que la récidive augmente et que quelque chose ne fonctionne pas dans la République ! Comme Mme la garde des sceaux l’a expliqué hier lors de son intervention, ce texte vise à faire en sorte que nous gagnions en efficacité. Et au lieu de polémiquer sur le sujet, monsieur Geoffroy, faisons en sorte les uns et les autres de disposer de la meilleure loi possible, la plus efficace, en matière de prévention, de répression et de rôle de la police et des magistrats. Je le répète, monsieur Geoffroy, nos concitoyens n’en peuvent plus de ce genre de débats !

M. Christian Jacob. Vous êtes bien placé pour dire ça !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Cela ne sert à rien ! Depuis des années, la délinquance augmente, la récidive augmente. Il y a quelque chose qui ne fonctionne pas ! Que chacun regarde son bilan ! Plutôt que de polémiquer, soyons constructifs ! Et je vous le répète les yeux dans les yeux : je suis Premier ministre et fier que Christiane Taubira soit membre de ce gouvernement ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologisteRRDP. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. Monsieur Fasquelle, je vous ai déjà prévenu la semaine dernière : vous serez noté au procès-verbal de cette séance.

Affaire BNP Paribas

M. le président. La parole est à M. Jean-Christophe Fromantin, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Jean-Christophe Fromantin. Monsieur le Premier ministre, ma question porte sur l’affaire BNP Paribas, au sujet de laquelle je veux souligner deux aspects qui me paraissent particulièrement importants. D’abord, je m’inquiète du fait que cette affaire, telle qu’elle se présente aujourd’hui, risque de faire jurisprudence. Comme vous le savez, environ 87 % du commerce mondial est aujourd’hui libellé en dollars. Si le simple fait qu’une opération commerciale soit effectuée en dollars peut avoir pour conséquence d’entraîner l’application de la réglementation et de la politique de sanctions de l’État dont le dollar est originaire – à savoir les États-Unis – à cette opération, alors même que celle-ci n’a pas été effectuée sur le marché américain, comme c’est le cas dans l’affaire BNP Paribas, cela pose un énorme problème en matière de commerce international.

À l’heure où nous discutons du traité transatlantique, il est urgent de poser le problème, non seulement au niveau français, mais au niveau européen. En effet, la question du libellé des transactions internationales en dollars ou en euros – nous sommes évidemment favorables au développement des transactions en euros, afin que notre monnaie prenne une certaine dimension dans le cadre du commerce international – présente une importance qui justifie que l’Europe, et en particulier la zone euro, s’en saisisse, et interpelle directement et rapidement les Américains au sujet du risque que cette question fait courir à l’économie de la France et, au-delà, à l’économie mondiale.

Je conclurai par une question plus pratique relative à BNP Paribas. Monsieur le Premier ministre, avez-vous mesuré le risque, en termes de fiscalité, du caractère déductible des revenus que pourrait revêtir l’amende de 10 milliards de dollars que BNP Paribas risque de se voir infliger ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des finances et des comptes publics.

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics. Monsieur le député, la question que vous posez est extrêmement sérieuse et nous concerne tous. Sur ce sujet comme sur beaucoup d’autres, une analyse qui nous rassemblerait nous permettrait de peser plus efficacement, en ces instants décisifs pour la banque BNP, mais aussi pour l’ensemble du financement de l’économie française. Ne soyez pas étonné, monsieur Fromantin, si je ne réponds pas à tous les points que vous avez évoqués : dans la mesure où une deuxième question sur le même sujet va être posée par un autre député dans quelques instants, je vais répartir les éléments de réponse entre vos questions respectives – mais au bout du compte, vous aurez toutes les réponses que vous attendez.

Votre question est sérieuse, disais-je, car nous parlons d’une banque qui se voit reprocher, du point de vue de la législation américaine, un certain nombre de faits qui auraient été commis durant les années 2002 à 2009, et seraient susceptibles d’aboutir à des condamnations dans les jours et les semaines qui viennent. L’affaire est sérieuse car elle risque de mettre en cause une grande banque – la première banque française, et la deuxième européenne –, ce qui compromettrait la capacité de cette banque à participer à ce dont nous avons tellement besoin, à savoir le financement de notre économie.

Je ne voudrais pas qu’une décision inéquitable prise aux États-Unis puisse mettre en cause la capacité de cette grande banque qu’est BNP Paribas à apporter les financements nécessaires aux PME, PMI, ETI et à toutes les activités indispensables à la reprise de la croissance en France.

M. Pierre Lellouche. Ce n’est pas le sujet !

M. Michel Sapin, ministre. Vous avez posé la bonne question, monsieur le député, en évoquant l’importance du volume des transactions effectuées en dollars : oui, le dollar occupe aujourd’hui, dans les transactions internationales, une place beaucoup plus importante que celle que devrait lui valoir l’importance de l’économie américaine elle-même. C’est un grand enjeu pour l’Europe que celui consistant à construire une monnaie et, au-delà, une capacité commerciale et politique de peser sur des dossiers semblables à celui qui nous occupe actuellement. Je m’empare de cette question avec mes collègues et avec l’ensemble des autorités concernées, parce que les choses doivent changer ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)

M. Claude Goasguen. Nous n’avons pas eu de réponse !

Réforme des rythmes scolaires

M. le président. La parole est à M. Paul Salen, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Paul Salen. Monsieur le ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, comme vient de le dire le Premier ministre, il ne faut pas dire de bobards aux Français. Et pourtant, le 13 mai 2014, dans cette même enceinte, suite à une question posée par mon collègue Dino Cinieri, relative à la réforme des rythmes scolaires, vous avez eu l’outrecuidance de répondre par une contrevérité – comme le fait régulièrement votre gouvernement lors de la séance des questions d’actualité.

En effet, vous avez dit que cette réforme était bonne pour l’enfant et que 94 % des communes du département de la Loire y avaient répondu favorablement. Or, non seulement cette réforme ne prend pas en compte l’intérêt de l’enfant, mais le samedi 31 mai 2014, lors de l’Assemblée générale des maires de la Loire, qui comporte 327 communes, une motion demandant le report de cette réforme a été adoptée, seules onze communes ayant voté contre cette motion, tandis que onze autres s’abstenaient. Où sont vos 94 % ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)

M. Régis Juanico. Mensonges !

M. Paul Salen. Dans l’arrondissement de Roanne, cher à notre collègue Yves Nicolin et comportant 115 communes de toutes tendances politiques, les maires ont engagé un recours contre cette réforme. Seules deux communes se sont opposées à ce recours. Où sont vos 94 % ?

Monsieur le ministre, en France, lors des dernières élections municipales, plus de 40 % des maires ont été élus pour la première fois – dans la Loire, ce sont 140 maires, soit 43 %. Ne pensez-vous pas que, face à cette nouvelle mission dans laquelle ils se sont engagés, face à cette nouvelle charge – d’ailleurs accentuée par la baisse de dotations que va faire subir votre gouvernement aux communes –, ils ont d’autres priorités à régler dans les premiers mois de leur mandat ?

Monsieur le ministre, ma question sera simple, aussi je vous demande une réponse simple – inutile d’utiliser votre temps de réponse pour broder ou inventer (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Régis Juanico et M. Luc Belot. Scandaleux !

M. Paul Salen. Que les communes qui le veulent et le peuvent mettent en place cette réforme sur les rythmes scolaires, soit. Mais pour les autres communes, allez-vous, oui ou non, enfin accepter le report de cette réforme ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP - Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.

M. Benoît Hamon, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le député, je veux vous rappeler un élément qui n’a pas dû vous échapper : l’organisation du temps scolaire relève des prérogatives de l’État (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Il revient à celui-ci de déterminer à quel moment les enfants seront devant leur professeur afin de maîtriser les apprentissages fondamentaux.

Nous avons fondé la réforme des rythmes scolaires sur un ensemble de diagnostics que vous partagiez, notamment la nécessité de faire en sorte que nos enfants apprennent mieux le français et les mathématiques. À l’aune de l’évaluation du niveau des élèves en CE2 à laquelle nous venons de procéder, portant sur la composition et la décomposition des nombres ainsi que sur la compréhension des textes, la chute de niveau constatée appelle des réformes, dont celle des rythmes scolaires.

Grâce à cette réforme, les enfants disposeront d’une matinée supplémentaire pour apprendre. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Entre neuf heures et onze heures, c’est-à-dire durant la période représentant le pic de vigilance des enfants, ceux-ci apprendront mieux le français et les mathématiques. Nous ne changerons pas de position au sujet de cette prérogative de l’État, considérant qu’il est de l’intérêt de l’enfant – comme le pensent nombre d’élus, de droite comme de gauche – de le faire bénéficier de cinq matinées de classe par semaine.

En revanche, il est de votre compétence, en tant que maires, de choisir d’organiser ou non le temps périscolaire. L’État n’a d’ailleurs pas voulu interférer avec cette compétence, puisqu’il laisse aux maires la possibilité d’organiser, de façon facultative, le temps périscolaire (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Je souligne que l’État versera à toutes les communes concernées, indépendamment du fait que tel ou tel maire a choisi d’organiser ou non le temps périscolaire, 50 euros par enfant à partir de cette année et l’année prochaine.

Le 2 septembre prochain, tous les enfants de France travailleront cinq matinées par semaine, parce que c’est dans leur intérêt (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC - Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

BNP Paribas

M. le président. La parole est à M. Philippe Doucet, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Philippe Doucet. Monsieur le ministre des finances et des comptes publics, BNP Paribas est la principale banque française. Issue de plusieurs fusions, avec Paribas au début des années 2000, et avec Fortis plus récemment, elle est au cœur du paysage bancaire français et européen depuis 1848.

Elle emploie plus de 190 000 personnes aux quatre coins de la planète, dont près de 60 000 en France. Des millions de déposants lui ont confié la gestion de leur argent. Aussi, les sanctions qui ont été annoncées contre le groupe bancaire aux États-Unis ne sont pas une affaire étrangère à la vie de notre pays, loin de là.

Elles ne sont pas non plus une affaire étrangère à l’Europe. BNP Paribas est en effet, non seulement la première banque française, mais également la deuxième banque européenne et la septième banque mondiale.

Le montant de l’amende potentielle – 10 milliards de dollars – et le risque de la suspension de la licence américaine de BNP Paribas sont une menace pour l’économie française et européenne. Par leur ampleur inédite, ces deux sanctions pourraient mettre en péril la qualité de notre système financier et avoir des répercussions sur la stabilité du système bancaire européen. Ces sanctions nous apparaissent donc disproportionnées.

Le gouverneur de la Banque de France, plusieurs membres du Gouvernement et le Président de la République ont engagé des initiatives pour alerter les autorités américaines sur l’erreur que pourrait constituer le maintien en l’état des sanctions annoncées.

Monsieur le ministre, il est important, aujourd’hui, de rassurer les épargnants comme les entreprises. Alors que les discussions se poursuivent entre la France et les États-Unis, pouvez-vous nous préciser la position du Gouvernement sur ce dossier sensible ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des finances et des comptes publics.

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics. Merci, monsieur le député Doucet, de cette question qui me permettra de compléter ma première réponse sur le sujet.

C’est effectivement un sujet sérieux, extrêmement sérieux, que nous considérons comme tel depuis plusieurs semaines, même si – et chacun ici en conviendra – nous l’avons fait dans la discrétion nécessaire, s’agissant d’une aussi grande banque, cotée sur les marchés français et internationaux.

Cette banque fait l’objet de poursuites aux États-Unis, en vertu de la loi américaine, face à la justice américaine, pour des faits qui, je le rappelle, datent des années 2002 à 2009. Si la justice américaine lui reproche des choses qui sont répréhensibles au regard de la loi américaine, même si cette loi peut être discutée, c’est là une question qui est posée à cette banque. Mais le Président de la République, le Gouvernement, le Premier ministre, le ministre des affaires étrangères et moi-même sommes extrêmement attentifs, à l’instar de l’ensemble des autorités qui sécurisent le système financier français – je pense en particulier à la Banque de France – au fait que cette banque soit traitée de manière équitable : cela touche aux intérêts fondamentaux de la France. Si jamais ces intérêts – je veux parler de la protection des épargnants, qui, en l’occurrence, ne sont évidemment pas en cause, mais aussi du financement de notre économie – étaient menacés par des décisions inéquitables, alors, évidemment, et je le dis ici avec fermeté, la France réagira. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)

M. Claude Goasguen. Merci de le dire !

Intermittents du spectacle

M. le président. La parole est à M. Noël Mamère, pour le groupe écologiste.

M. Noël Mamère. Monsieur le ministre du travail, ma question concerne la colère des intermittents, qui monte chaque jour un peu plus (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) et met aujourd’hui en péril la tenue d’un certain nombre de manifestations culturelles et de festivals, à commencer par le Printemps des comédiens de Montpellier.

Cette colère s’est exprimée lundi soir par deux grandes voix du théâtre français – Nicolas Bouchaud et Philippe Torreton – à l’occasion de la cérémonie des Molières. Monsieur le ministre, ces deux artistes vous ont demandé de ne pas agréer la convention qui a été signée le 22 mars entre le MEDEF et un certain nombre de syndicats modifiant le régime d’assurance chômage des intermittents.

Pour quelle raison vous adressent-ils cette demande, comme nous le faisons également ? Parce que le texte n’assure pas un équilibre suffisant pour, tout à la fois, garantir le statut des intermittents et protéger leurs conditions de travail.

M. Pascal Terrasse. Il a raison !

M. Noël Mamère. Surtout, il augmente leurs cotisations sociales et étend le paiement différé à près de la moitié des indemnisés, alors qu’ils n’étaient, jusqu’à présent, que 9 % à être concernés, ce qui va fragiliser encore un peu plus la situation des plus faibles.

Cette décision est d’autant plus incompréhensible que, depuis 2003, a été engagé un travail de collaboration entre les parlementaires et les professionnels. En 2003, le MEDEF, qui voulait déjà supprimer les annexes 8 et 10, avait provoqué la création du comité de suivi des intermittents, que nous avions institué avec un de nos collègues, Étienne Pinte, qui siégeait sur les bancs de l’UMP.

Plusieurs rapports, tant de députés que de sénateurs – je pense par exemple à celui de Jean-Patrick Gille – ont été rédigés pour fournir des éléments au Gouvernement, afin qu’il propose un statut qui tienne la route et qui soit à la hauteur de ce qu’attendent ceux qui travaillent aujourd’hui dans le spectacle.

Monsieur le ministre, vous avez signé avec nous un certain nombre de publications et appuyé un certain nombre de manifestations pour soutenir le statut des intermittents : ces derniers ont aujourd’hui le sentiment d’être trahis. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. Marc Dolez. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le ministre du travail, de l’emploi et du dialogue social.

Plusieurs députés du groupe UMP. Et du chômage !

M. le président. S’il vous plaît ! Je ne voudrais pas retenir trop d’indemnités ! (Sourires.)

M. François Rebsamen, ministre du travail, de l’emploi et du dialogue social. Monsieur le député Noël Mamère, je vous remercie d’avoir posé cette question, car elle va me permettre de dire les choses le plus clairement possible devant la représentation nationale.

Si je résume votre pensée, vous me demandez si je vais agréer la convention de l’UNEDIC et, en particulier, les annexes 8 et 10, qui concernent le régime d’indemnisation des intermittents.

M. Luc Chatel. Vous avez bien compris la question !

M. François Rebsamen, ministre. Monsieur le député, à cette question, la réponse est oui. (« Ah ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP.) Je vais vous dire pourquoi.

Oui, parce que l’accord qui a été trouvé sauvegarde, contrairement à ce que vous venez de déclarer, le régime d’indemnisation des intermittents dont, vous le savez, l’existence même était gravement menacée par le MEDEF depuis 2003.

Oui, parce que cela garantit l’essentiel des droits à l’indemnisation des intermittents et protège notamment les plus précaires d’entre eux, contrairement à ce que vous avez déclaré.

C’est ainsi que les trois quarts – je dis bien : les trois quarts – des artistes relevant de l’annexe 10 ne sont pas concernés par l’effort qui a été demandé, à l’instar de 50 % des techniciens relevant de l’annexe 8.

Enfin, cet accord est le résultat du dialogue social et a été signé par une large majorité de partenaires sociaux : les représentants du patronat mais aussi Force ouvrière, la CFDT et la CFTC. Il s’agit donc d’un accord majoritaire.

Pour moi – je l’ai d’ailleurs dit à plusieurs reprises –, les intermittents participent de la culture. J’ai conscience des inquiétudes et des malentendus qui se sont manifestés. C’est pourquoi, monsieur le député, dans les jours qui viennent, avec Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture, nous prendrons des initiatives pour renouer le dialogue avec les intermittents. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)

Situation en Centrafrique

M. le président. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Jean-Frédéric Poisson. Monsieur le Premier ministre, notre collègue Pierre Lellouche vous a interrogé hier sur la situation au Mali. La manière dont vous lui avez répondu, ou plutôt dont vous ne lui avez pas répondu, est à la fois inacceptable et inquiétante.

Elle est inacceptable, d’abord, parce que je crois me souvenir que lors de votre discours de politique générale vous aviez manifesté votre volonté de respecter l’opposition.

M. Marcel Rogemont. Mais est-ce que l’opposition respecte le Gouvernement ?

M. Jean-Frédéric Poisson. Vous ne l’avez pas fait hier.

La façon dont vous avez réagi est inquiétante, ensuite, parce qu’en ne répondant pas, vous avez donné beaucoup de crédit aux inquiétudes portées par notre collègue Pierre Lellouche et que nous partageons sur ces bancs quant à la situation au Mali.

C’est pourquoi, monsieur le Premier ministre, j’interroge aujourd’hui le ministre de la défense sur la situation en République centrafricaine. Je me souviens que lorsque le Parlement a été sollicité, voilà quelques semaines, concernant l’autorisation de poursuite de l’intervention, nous avons de ce côté de l’hémicycle très majoritairement approuvé la poursuite de l’opération Sangaris, mais avec toutes les réserves exprimées alors par notre président Christian Jacob à la tribune de cette assemblée.

Quelques semaines plus tard, monsieur le ministre, la dégradation jour après jour de la situation en Centrafrique semble nous donner raison. Et les différents témoignages que nous recevons des familles de militaires en exercice sur le terrain sur le déficit d’équipements et sur les conditions insupportables d’intervention, l’absence de ligne stratégique claire, les inquiétudes du corps diplomatique qui nous représente en République du Soudan du Sud, un État très fragilisé par la Centrafrique, tout cela nous indique que vous n’avez pas réussi au moment où nous parlons à préserver notre armée et notre pays des graves accusations de collaboration qui commencent à être portées contre lui par les différentes factions qui s’affrontent sur le territoire centrafricain, à l’instar de ce qui se passe au Mali.

Monsieur le ministre, comment comptez-vous corriger cette situation en Centrafrique, qui est grave pour notre pays et pour notre armée ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur quelques bancs du groupe UDI.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la défense.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. Monsieur le député, l’ensemble des responsables en Afrique, y compris la présidente centrafricaine Mme Samba-Panza, mais aussi les Nations unies et l’Union africaine reconnaissent que si la France n’avait pas initié l’opération Sangaris, la République centrafricaine serait aujourd’hui l’objet d’affrontements extrêmement lourds…

M. Yves Fromion M. Philippe Armand Martin et Mme Claude Greff. Ce n’est pas la question !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. …et de dispositions proches d’un génocide.

L’opération Sangaris permet un minimum de sécurité. Il est vrai, vous avez raison de le mentionner, que nos forces interviennent dans ce pays avec beaucoup de difficulté et que la sécurité n’est pas encore totalement rétablie. Ces derniers jours, à Bangui, une église et une mosquée ont été incendiées ; les oppositions entre les ex-Seleka et les anti-balaka se poursuivent donc, et l’équilibre politique, malgré le courage de la présidente Mme Samba-Panza, n’est pas encore tout à fait rétabli.

M. Claude Goasguen. C’est le moins qu’on puisse dire !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Nos soldats accomplissent leur mission avec beaucoup de sang-froid, dans des conditions difficiles, mais pas aussi désastreuses que vous l’indiquez. Je me rends régulièrement sur le terrain et je peux le constater. Notre tâche est de rétablir une sécurité maximale pour permettre à la mission des Nations unies qui va se déployer à partir du 15 septembre de stabiliser définitivement le pays et, surtout, de permettre une transition politique extrêmement rapide. Laurent Fabius s’emploie à répondre à cette nécessité. Pendant ce temps, les forces de Sangaris accomplissent leur devoir avec beaucoup de mérite et de sang-froid. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. Denis Baupin. Très bien !

Perturbateurs endocriniens

M. le président. La parole est à M. Gérard Bapt, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Gérard Bapt. Ma question s’adresse à Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.

À la veille de la Journée mondiale de l’environnement, je souhaite vous interroger, madame la ministre, sur une question majeure de santé environnementale : les perturbateurs endocriniens, des substances chimiques de synthèse qui ont envahi notre vie quotidienne depuis quelques décennies et dont les mécanismes sont de mieux en mieux connus.

Les perturbations qu’ils induisent chez l’homme, et qui ont notamment été observées avec le cas dramatique du distilbène, ou chez l’animal causent non seulement des dysgénésies du système reproducteur, des troubles de la fertilité, mais aussi des troubles du métabolisme, occasionnant notamment dysthyroïdies, obésité et diabète.

Lutter contre les effets sanitaires des perturbateurs endocriniens contribue aussi à lutter contre les dégâts que ces substances causent sur la biodiversité. Deux rapports d’enquête viennent de nous rappeler l’importance de la dispersion de substances chimiques retrouvées sur la planète tout entière. Le récent rapport sur le continent maritime des plastiques souligne la présence de ces derniers dans les mers des deux pôles. De même, les responsables d’une mission conduite par l’Université de La Rochelle ont constaté dans l’Antarctique et aux îles Kerguelen des perturbations de la reproduction des colonies de la faune en rapport avec des pollutions par des PCB, du DDT ou des composés bromés ou perfluorés.

La France a eu un rôle moteur ces dernières années pour faire en sorte que les substances perturbatrices endocriniennes soient mieux connues. Cependant, la Commission européenne, dont les décisions sont nécessaires, a pris du retard, qu’il s’agisse de la législation visant à protéger la population, de la définition de la perturbation endocrinienne ou de la recherche.

Il y a pourtant urgence à agir. Sur l’initiative du Parlement français, l’ensemble des contenants alimentaires pourront être concernés à partir du 1er janvier 2015 par l’interdiction du bisphénol A, qui ne frappe pour l’instant que les biberons, dans toute l’Union européenne.

M. Bernard Accoyer. C’est encore plus dangereux, ce que vous faites !

M. Gérard Bapt. Pouvez-vous nous indiquer, madame la ministre, les actions menées par le Gouvernement, et les initiatives que vous comptez prendre pour lutter contre les pollutions chimiques ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.

Mme Ségolène Royal, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Monsieur le député, le Gouvernement partage pleinement votre souhait de voir bien prises en compte toutes les connaissances acquises ces dernières années sur les perturbateurs endocriniens, en particulier sur le bisphénol.

M. Bernard Accoyer. Écoutez les scientifiques !

Mme Ségolène Royal, ministre. C’est l’objectif que s’est fixé la stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens adoptée à l’unanimité du Conseil national de la transition écologique.

Le bisphénol, vous venez de le rappeler, a déjà été interdit par votre assemblée dans les biberons et emballages alimentaires destinés aux enfants de moins de trois ans. Il sera interdit au 1er janvier 2015 dans l’ensemble des contenants alimentaires grâce à la loi du 24 décembre 2012 votée sur votre initiative par cette assemblée.

La France a initié une démarche européenne pour interdire cette substance dans l’ensemble des contenants alimentaires à l’échelle européenne et, au-delà, dans les tickets de caisse, je l’ai dit récemment, afin de protéger notamment toutes les caissières enceintes qui sont exposées à la manipulation de plusieurs kilos de tickets de caisse contenant du bisphénol.

Nous continuerons, avec Marisol Touraine, à faire progresser le débat scientifique et technique à l’échelle européenne en application de cette stratégie nationale. En effet, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail participe activement aux débats européens pour faire progresser la prise en compte de ces substances. Sur sa proposition, l’Agence européenne des produits chimiques a reconnu le caractère toxique du bisphénol pour la reproduction.

Une liste de nouvelles substances a récemment contribué à la consultation menée par l’Agence européenne de sécurité des aliments sur les risque, et je suis heureuse de vous annoncer que de nouvelles substances seront placées sous contrôle en 2014 : les methyl-parabènes et l’acide orthoborique.

Enfin, pour réduire l’exposition de la population aux produits chimiques nous avons, Stéphane Le Foll et moi-même, interdit l’épandage aérien de pesticides pour l’ensemble des cultures, et nous continuerons d’agir dans ce sens. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC et sur quelques bancs du groupe écologiste.)

Logement

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Tetart, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Jean-Marie Tetart. Ma question s’adresse à Mme la ministre du logement et de l’égalité des territoires.

La semaine dernière, mon collègue Laurent Furst a dénoncé le bilan malheureusement dramatique de votre politique en matière de logement. Vous lui avez proposé de changer les choses avec cinquante mesures de simplification. Ces mesures sont utiles, mais la complexité normative ou administrative ne peut justifier votre échec. En effet, elle était identique en 2010 et 2011. Or nous avons construit à l’époque plus de 400 000 logements par an.

Non, votre échec réside dans la défiance que vous avez installée chez les investisseurs à coups de yo-yo fiscal, mais aussi à coups de contraintes et de menaces à l’encontre des acteurs du secteur. Cerise sur le gâteau, la loi ALUR n’augmentera pas le nombre de logements ; elle change simplement la régulation des files d’attente qui s’allongent.

Avec 300 000 logements attendus en 2014, vous avez donc, en deux ans seulement, réduit dramatiquement l’activité du secteur du bâtiment. Du jamais vu. C’est un désastre social, puisqu’un grand nombre de Français ne peuvent pas se loger ; c’est aussi un désastre économique pour le BTP.

Les difficultés des entreprises du BTP vont être décuplées par le pacte de stabilité, qui organise une réduction de l’investissement des collectivités. Vous réduisez les dotations aux collectivités tout en alourdissant leurs charges avec la réforme des rythmes scolaires. Pour ma seule commune, qui compte 3 500 habitants, ces deux mesures vont réduire de moitié sa capacité d’autofinancement.

C’est un scénario noir qui se profile dans les trois prochaines années pour le BTP. La FNTP annonce, pour 2014, une baisse du chiffre d’affaires de 4 % et la destruction de 12 000 emplois, niveau jamais atteint depuis 1998.

Les Français attendent un logement ; les entreprises craignent pour leur activité et leurs emplois. Tous en ont assez et vous le disent à chaque élection.

Alors, madame la ministre, pour le logement et le bâtiment, le retournement, c’est comment et c’est quand ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre du logement et de l’égalité des territoires.

Mme Sylvia Pinel, ministre du logement et de l’égalité des territoires. Monsieur le député, vous posez une question importante, celle de la relance de la construction – c’est-à-dire de l’activité du secteur du bâtiment – et de l’accès au logement pour nombre de nos concitoyens.

Pour aborder ce problème, pour réussir à relancer la construction, une mobilisation de l’ensemble des acteurs est nécessaire. Pour ce faire, les outils existent. Le Gouvernement en prend sa part. Mais il ne faut pas oublier la mobilisation des territoires, en particulier des élus locaux et de l’ensemble des investisseurs et des bailleurs.

Pour relancer le secteur de la construction, nous devons porter une attention particulière au logement social. À cet égard, j’invite l’ensemble des élus, sur tous les bancs de cet hémicycle, à ne pas retarder, voire abandonner certains programmes lancés par les précédentes équipes municipales.

Nous devons aussi – vous l’avez évoqué dans votre question – simplifier les normes et les procédures pour lever les freins et les blocages qui existent dans la construction.

M. Jacques Myard. Vous avez cassé la construction !

Mme Sylvia Pinel, ministre. Nous y travaillons activement, car il s’agit là d’un sujet important. Il faut baisser les coûts de la construction et réduire les délais, sans pour autant, bien sûr, entraîner une baisse de la qualité des logements.

Un autre enjeu est celui de la rénovation énergétique des logements. Plus de 4 millions de nos concitoyens vivent dans la précarité énergétique. Nous devons rénover les bâtiments concernés et inciter la filière à se professionnaliser et à se moderniser. C’est le sens de la convention FEEBat, que Ségolène Royal et moi-même avons signée conjointement ; elle comporte elle aussi des mesures en faveur de la rénovation des logements. Nous devons continuer sur cette lancée, mais aussi prendre des mesures qui redonneront du pouvoir d’achat aux Français, dans le cadre de la loi ALUR.

Comme vous le voyez, monsieur le député, le Gouvernement est déterminé à agir sur ce sujet essentiel. Pour cela, nous avons besoin de la mobilisation et du soutien de la représentation nationale. (Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP et sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Plan de lutte contre la radicalisation violente et les filières terroristes

M. le président. La parole est à M. Charles de Courson, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Charles de Courson. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’intérieur.

Les crimes antisémites commis par Mohammed Merah à Toulouse et Mehdi Memmouche à Bruxelles sont odieux ; tous nos concitoyens et toutes les forces démocratiques de notre pays ont dénoncé ces comportements de radicalisation violente liés à des filières terroristes.

Vous avez présenté à la fin du mois d’avril, en conseil des ministres, un plan de lutte contre la radicalisation violente et les filières terroristes. Vous avez également annoncé que des dispositions législatives, en appui de ce plan, seront dévoilées en conseil des ministres à la fin du mois de juin.

Le groupe UDI appuie ces initiatives, mais une politique équilibrée de lutte contre la radicalisation violente et les filières terroristes ne passe pas simplement par des mesures de répression et des mesures curatives.

Il convient de développer, comme l’ont fait plusieurs pays européens, des actions de prévention dans les écoles, dans les quartiers et dans les médias, pour lutter contre la radicalisation des esprits. Il faut, en effet, montrer à tous les jeunes Français les dangers que font courir à la communauté nationale tous ceux qui prêchent la haine et le rejet de l’autre, voire sa destruction.

M. Philippe Folliot. Très bien !

M. Charles de Courson. Monsieur le ministre de l’intérieur, pourriez-vous préciser à la représentation nationale, au-delà des mesures préventives et curatives que vous avez déjà annoncées, le contenu des mesures de prévention destinées à lutter contre la radicalisation des esprits que vous envisagez de mettre en place ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI, ainsi que sur plusieurs bancs des groupes SRC et UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Monsieur le député, je voudrais, à mon tour, m’incliner devant la mémoire de ceux qui sont tombés au musée juif de Bruxelles. Immédiatement après cette séance de questions au Gouvernement, je me rendrai d’ailleurs là-bas pour participer, au côté de mon homologue belge, à une cérémonie d’hommage.

Je voudrais également dire à quel point vous avez eu raison d’insister sur la dimension de violence barbare qui s’attache à ces actes ; ce phénomène doit nous mobiliser tous.

Vous avez également raison d’insister sur le fait qu’il faut des mesures répressives, mais qu’elles ne sont pas le seul volet des actions qui doivent être mises en œuvre : il faut engager des actions de prévention qui soient aussi puissantes que les mesures répressives seront dissuasives. Ces mesures de prévention existent bien dans le plan que nous présentons.

D’abord, lorsque nous essayons de prévenir les départs, nous sommes d’ores et déjà dans la prévention. Nous le faisons en ce qui concerne les mineurs. J’ai d’ailleurs pris une instruction pour que, quand le signalement de jeunes souhaitant partir est communiqué aux services de l’État, nous puissions immédiatement, par l’inscription de ces jeunes au fichier des personnes recherchées ou par un signalement au système d’information Schengen, éviter leur départ.

Ensuite, dans le cadre de notre action pour démanteler les filières, nous prenons également des mesures préventives. C’est le cas d’internet, notamment. Ce matin, en commission des lois, nous avions, sur ce sujet, un débat très intéressant autour de la proposition de loi de M. Larrivé. Nous avons l’intention de faire en sorte que nous puissions bloquer l’accès sur internet à des images ou à des vidéos susceptibles d’accompagner le basculement dans la radicalité. Demain matin, à Luxembourg, les ministres de l’intérieur des pays de l’Union européenne travailleront à une action conjointe à destination des fournisseurs d’accès, de manière à pouvoir lutter efficacement.

Enfin, il y a l’accompagnement des familles. J’ai rédigé une instruction aux préfets de manière à ce que, lorsqu’un cas nous est signalé, des personnes ayant des compétences dans les domaines éducatif et médical entourent le jeune pour éviter son basculement. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à 16 heures, est reprise à seize heures vingt.)

(Mme Laurence Dumont remplace M. Claude Bartolone au fauteuil de la présidence.)

Présidence de Mme Laurence Dumont

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

2

Prévention de la récidive et individualisation des peines

Suite de la discussion d’un projet de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines (nos 1413, 1974).

Le temps de parole restant pour la discussion de ce texte est de sept heures quarante-neuf minutes pour le groupe SRC, dont 40 amendements sont en discussion ; neuf heures quarante-trois minutes pour le groupe UMP, dont 659 amendements sont en discussion ; trois heures vingt et une minutes pour le groupe UDI, dont 24 amendements sont en discussion ; une heure trente-trois minutes pour le groupe écologiste, dont 30 amendements sont en discussion ; une heure trente-deux minutes pour le groupe RRDP, dont 17 amendements sont en discussion ; une heure trente-cinq minutes pour le groupe GDR, dont 6 amendements sont en discussion ; et dix minutes pour les députés non inscrits.

Discussion générale (suite)

Mme la présidente. Hier soir, l’Assemblée a commencé d’entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale.

La parole est à M. Nicolas Dhuicq.

M. Nicolas Dhuicq. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur de la commission des lois, mes chers collègues, nous voici réunis pour discuter d’un projet de loi qui, dès son article 1er, est sous-tendu par des notions qui me semblent non opérantes.

Quels que soient notre foi en l’humanité, notre humanisme et notre volonté de voir chaque être humain capable d’apercevoir une lueur d’espoir et de progresser, il est clair, madame la garde des sceaux, que votre projet de loi – qui utilise non pas le terme de « rédemption », considéré comme trop connoté, mais celui d’ « amendement » – néglige le fait que parmi les délinquants, qu’ils soient ou non en prison, certains sont dotés d’une structure psychique qui leur interdit toute empathie à l’égard des frères humains qu’ils ont agressés sans vergogne. Comment alors imaginer qu’ils aient accès à la culpabilité, culpabilité nécessaire pour que l’ « amendement » soit opérant ? Une fois de plus, vous avez cédé à l’idéalisme et oublié la réalité des faits.

Cet « amendement » compliquera la tâche du ministère du budget, puisque les articles suivants visent à mettre en place des commissions et le suivi des détenus qui sortiraient de prison – ou pas puisque l’objectif est de ne pas les incarcérer. Vous rendrez ainsi plus difficile la tâche des forces de gendarmerie en zone rurale. Il vous faudra par ailleurs recruter, mais vous ne trouverez pas les spécialistes qu’une évaluation de la personnalité des prévenus nécessiterait.

Sans doute étais-je naïf de penser qu’il s’agirait d’experts psychologues ou psychiatres – qui se compteront bientôt sur les doigts de la main –, dont les expertises, pas toujours menées en français vernaculaire, sont parfois très aléatoires dans leurs attendus qu’ils transmettent aux magistrats. Au contraire, il s’agira d’un système totalement normatif, inspiré une fois de plus par les pays d’Amérique du Nord, qui confie des grilles d’évaluation à des non-professionnels. Une nouvelle fois, voilà un système totalement coupé des réalités.

Plus grave encore, madame la garde des sceaux, votre projet de loi est en décalage avec ce que vivent nos compatriotes sur le terrain, confrontés dans certains secteurs à une recrudescence des cambriolages et des agressions.

Je connais le cas dans ma circonscription, en zone rurale, d’un adolescent de quatorze ans et demi, qui a à son actif presque soixante procès. Il a été recherché par les polices de France et de Navarre et a fugué des centres d’éducation fermés où il était placé. Il a reçu, pour toute condamnation, un mois d’incarcération. Et encore cette peine a-t-elle sauté car sa mère, qui avait fait manquer l’école à la fratrie, a eu, en allant lui rendre visite, un accident de voiture dû à un excès de vitesse ! Madame la garde des sceaux, la vie des habitants du village dont cet adolescent est originaire est symptomatique de la vie de nos compatriotes !

M. Jean-Pierre Blazy. Il ne faut pas exagérer !

M. Nicolas Dhuicq. La justice est une fonction régalienne essentielle : seul l’État, dans un système tel que le nôtre, a le droit d’exercer la violence ; cet exercice lui est délégué par les citoyens. Mais à force d’explications psychologisantes, associant, par des raisonnements courts et non démontrables, la délinquance aux conditions socio-économiques des populations qui se livrent à ces méfaits, vous allez augmenter le sentiment d’impunité de ceux qui font métier de vivre aux marges de la société. Pire encore, vous allez créer ce décalage qui fera que les citoyens de ce pays seront amenés par dépit, par désespoir – je dirais même par désespérance – à recourir eux-mêmes à la violence.

En abusant de cette mansuétude de surface, vous allez créer la situation où nos compatriotes, se réarmant, se feront justice eux-mêmes ! Avec ce projet de loi, vous participez, une fois de plus, à la destruction de l’autorité et de l’usage de la violence par l’État seul.

Autre point important, jamais évoqué, concernant l’origine de la délinquance : quelle faillite que celle de notre système scolaire, dont un enfant sur cinq sort sans savoir lire ni écrire ! Comment voulez-vous que des jeunes, disposant en tout et pour tout de 300 mots de vocabulaire pour exprimer leurs affects et leurs sentiments, n’aient pas recours à la violence ?

Au lieu de défendre une désastreuse réforme des rythmes scolaires, votre Gouvernement ferait mieux, madame la garde des sceaux, de renforcer l’enseignement des matières fondamentales.

Vous parlez aussi, dans votre projet de loi, d’intégration. Mais cela signifie en creux la faillite totale du système républicain actuel, qui ne parvient pas à intégrer des citoyens soit venus de territoires ou d’aires civilisationnelles extérieures à la nôtre, soit descendant de personnes venues sur le territoire national mais formés dans un système éducatif qui leur enseigne la haine de l’histoire de France, la haine de la nation, qui serait un archaïsme. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Comment voulez-vous que ces jeunes ne trouvent pas une fraternité d’armes, une collectivité qui les accueille et qui leur permette de justifier leurs actes hors la loi, dans les systèmes intégristes qui font florès dans nos prisons ?

Il aurait mieux valu que vous fassiez en sorte que le règlement pénitentiaire, et tout le règlement pénitentiaire, soit appliqué dans les centrales de France. Il est inadmissible que, dans une nouvelle centrale, un tiers du mobilier ait été détruit par les prisonniers, sans que ceux-ci soient punis ! Il est inadmissible que l’officier qui m’a fait visiter les lieux ait reçu l’ordre de changer la porte qui vient d’être cassée par un prisonnier sans que celui-ci soit puni !

Comment voulez-vous que l’autorité soit respectée, dans ces lieux mêmes qui sont censés recevoir des personnes qui la nient ? Pire que la nier : ils ne la reconnaissent pas.

Madame la garde des sceaux, votre projet de loi signifie donc la faillite totale d’un système qui est parvenu à son terme. Votre projet de loi rejoint finalement les raisonnements des libéraux radicaux. Vous avez employé dans votre discours introductif, les termes de « déviant » et de « déviance », suggérant par là-même que, quelle que soit la population considérée, il y a inéluctablement un pourcentage défini de personnes qui vivent aux marges de la société, c’est-à-dire qui vivent du crime, du meurtre, du viol. Le raisonnement reviendrait donc à dire, si nous allions à la racine des choses puisque vous citiez Derrida, que pour l’État, la dépense que représente un système judiciaire et carcéral est superfétatoire : il suffirait de considérer qu’il y a inéluctablement un certain pourcentage de délinquance et que la seule réparation auprès des victimes serait suffisante.

Votre projet de loi rejoint donc – les extrêmes se rejoignant – ces discours ultra-minoritaires venus d’outre-Atlantique, qui consistent à nier la fonction première de la justice : gérer la violence inhérente à l’être humain et faire en sorte que nous puissions écarter de la société, temporairement ou parfois définitivement – comme le voulait le projet de loi de Mme Dati qui concernait une vingtaine de personnes par an – de grands pervers qui ne sont pas accessibles à la culpabilité, donc à la rédemption, et ce, quelle que soit notre foi en l’humain.

Madame la garde des sceaux, nous vous demanderons donc de revenir sur ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Julien Aubert.

M. Julien Aubert. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, débutons par des chiffres ! Espagne : 76 000 places de prison ; Royaume-uni : 96 000 ; France : 57 000. Cherchez l’erreur ! Et sur 1,4 million d’affaires, nous avons à peine cent mille personnes condamnées à de la prison ferme et purgeant effectivement leur peine, c’est-à-dire moins de 10 %.

Je ne sais pas ce que vous entendez, mes chers collègues, sur le terrain, mais lorsque je croise des électeurs, des citoyens, j’entends rarement des phrases comme : « Libérez les délinquants ! La police est trop dure avec eux ! La justice est trop dure avec eux ! Le sentiment de sécurité est beaucoup trop fort dans ce pays ! »

J’ai plutôt l’impression – suite d’ailleurs au sondage IFOP que certains de mes collègues ont déjà dû vous signaler et selon lequel 72 % des sondés réclament plus de sévérité à l’encontre des récidivistes – que les citoyens s’indignent chaque jour des nombreuses atteintes aux biens et aux personnes, cela avec un sentiment croissant d’insécurité, d’inefficacité de la réponse pénale et surtout d’impunité.

Alors qu’on s’interroge doctement, les soirs de résultats électoraux, sur les raisons pour lesquelles les Français se défoulent dans les urnes, eh bien je vous fournis un début d’explication : ils commencent à en avoir assez de voir passer le type de texte que vous nous présentez aujourd’hui. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean-Pierre Blazy. Qu’avez-vous fait en dix ans ?

M. Julien Aubert. Faut-il rappeler que 75 % des Français sont opposés à cette réforme ? Votre Gouvernement est d’ailleurs à l’image de la France, puisque les trois quarts de ses membres sont également opposés à ce texte. S’il y a une commission du consensus, le consensus n’a visiblement pas gagné ses rangs !

Je ferai juste trois remarques. Premièrement, le système pénal actuel est quasiment incontrôlable, en l’absence de réponse pénale claire. Faute d’assumer une réflexion sur la construction de nouvelles prisons, notre système provoque l’inflation de la délinquance. Pourquoi ? Parce qu’un délinquant sur deux ne purge pas sa peine. La France est en réalité devenue une vaste prison à ciel ouvert.

Nous avons une dichotomie totale. D’un côté, le code pénal agite le spectre de sanctions extrêmement fortes : trois ans de prison, des dizaines de milliers d’euros d’amende. De l’autre côté, la réalité est qu’on s’en tire avec une simple réprimande, parce qu’il n’y a pas de place ou que les juges ne vont pas jusqu’au bout pour des raisons pratiques. La justice en France, c’est donc : grand genre, petits moyens.

Comme on ne règle pas le problème de la délinquance, il y a un potentiel de gens, toujours les mêmes, qui se recyclent dans le crime et les délits. Les forces de police les arrêtent régulièrement, mais il y a une courbe d’apprentissage dans le crime : la première fois, on se fait arrêter parce qu’on n’est pas très malin ; la deuxième fois, après avoir été relâché dans la nature, on prend un peu plus de précautions : on découvre la technique des empreintes digitales, on utilise une voiture volée ; et puis, au fur et à mesure, ces délinquants deviennent des délinquants professionnels, parce qu’ils connaissent mieux les méthodes de la police que nous-mêmes.

Nous sommes donc dans un système incontrôlable, qui éduque les délinquants et déprime les forces de l’ordre, c’est-à-dire l’inverse de ce qu’il faudrait faire.

Notre système pénal est donc mou dans ce qu’il a de dur et dur dans ce qu’il a de mou, pour faire allusion à Bainville. Et ce texte, c’est ma deuxième remarque, vient amollir ce qu’il restait de dur.

M. Jean-Pierre Blazy. Vous êtes dur !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. C’est mou.

M. Julien Aubert. Vous êtes en train de nous dire : « L’emprisonnement marche mal, alors il faut supprimer la prison ! Les peines plancher, ça marche mal, alors il faut supprimer les peines plancher ! » Surtout, rendons encore plus incontrôlable un système qui l’est déjà !

Que provoquera ce texte ? Aujourd’hui, il y a une obligation de prison, au moins dans les textes, même si elle reste théorique. Entre les délinquants qui ne sont pas appréhendés et ceux qui le seront mais n’iront pas en prison, vous allez faire qu’une grande majorité des délinquants ne seront pas en prison.

Nous avons prévu, depuis de nombreuses années, des alternatives à la prison. Mais, pour prendre cet exemple, le bracelet électronique ne permet pas de garantir un contrôle judiciaire total et efficace. On peut – et j’en ai des exemples – commettre des délits avec un bracelet électronique. Il y a des gens qui portent un bracelet électronique, qui pointent tous les soirs à la même heure à leur domicile, qui ne quittent pas les limites du département, mais qui en journée ou la nuit, en profitent pour commettre des délits.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Pas la nuit !

M. Julien Aubert. Votre système est incontrôlable, parce que la fameuse contrainte pénale, dont les juristes ont beaucoup de mal à comprendre la nature et la profondeur, consiste en un rendez-vous par an avec le juge. Si vous appelez ça un contrôle, je ne peux partager votre avis.

Cette faiblesse du système pénal contraste avec le traumatisme que cause, chez les victimes, les atteintes aux biens et aux personnes. En quelques secondes, nous avons des vies brisées, des gens qui ne dorment plus la nuit, des citoyens qui sont atteints dans leur vie privée et professionnelle. Ces délits viennent empoisonner la vie des Français.

Au lieu de supprimer les peines plancher, sur lesquelles vous n’avez d’ailleurs aucune donnée prouvant qu’elles sont inefficaces, il aurait fallu les renforcer et les étendre.

Puisque l’occasion nous est donnée de réfléchir au système pénal, ma troisième remarque sera pour proposer quelque chose, car nous ne sommes pas uniquement critiques : peut-être faut-il aller vers une privatisation des prisons, si l’État est incapable d’assumer son rôle régalien.

M. Jean-Luc Laurent. Vous aviez commencé, pour les constructions !

M. Julien Aubert. C’est ce qui se fait aux États-unis. Confions au secteur privé la gestion des prisons, contractualisons en prévoyant des objectifs et des performances. On cite les partenariats public-privé, mais je crois qu’on peut aller plus loin.

M. Jean-Pierre Blazy. Ce n’est pas un grand succès ! Et cela coûte cher.

M. Julien Aubert. Ce n’est pas un grand succès, dit-on sur les bancs de la majorité. Mais si on devait rechercher des succès politiques, vous ne pourriez guère en engranger depuis deux ans ! En l’occurrence, il faut peut-être laisser du temps au temps. Ce que je vois, c’est qu’il y a 57 000 places de prison en France pour 96 000 au Royaume-Uni alors que nous avons la même population. Un chiffre est un chiffre. Nous n’avons pas assez de places de prison, il faut donc en construire.

M. Jean-Pierre Blazy. Qu’avez-vous fait en dix ans ?

M. Jean-Luc Laurent. Ce n’est pas glorieux !

M. Julien Aubert. Il faut rendre plus efficace le juge des libertés et de la détention : soit on le supprime, soit on le renforce en lui donnant une vraie compétence de terrain.

Enfin, il être pragmatique et efficace, au lieu de nous présenter des textes qui sont à l’inverse de ce qu’il faudrait faire. Victor Hugo disait : « Celui qui ouvre une porte d’école, ferme une prison. » Eh bien, vous réussissez le tour de force, avec la réforme des rythmes scolaires et celle-ci, d’à la fois déconstruire l’école et de démolir les prisons ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Frédéric Poisson. Excellent !

Mme la présidente. La parole est à M. Édouard Courtial.

M. Édouard Courtial. Ce projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines a, semble-t-il, la nécessaire ambition de lutter contre la récidive et la surpopulation carcérale, qui constitue un problème majeur de notre pays.

Or, en réalité, ce projet de loi, sous le faux prétexte de poursuivre l’objectif d’insertion ou de réinsertion du condamné, conduit à une justice qui n’entend pratiquement plus juger les faits commis, mais bien davantage l’individu qui les commet.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Oui, cela fait deux cents ans qu’il en est ainsi.

M. Édouard Courtial. L’ambition première du texte se trouve donc en totale inadéquation avec son contenu. Nous en trouvons l’illustration parfaite dans la reformulation du titre du projet par la commission des lois. La majorité se serait-t-elle aperçue de l’incohérence entre le contenu et l’ambition de son propre texte ?

Au-delà de la forme, l’incohérence du texte est manifeste sur plusieurs points. D’abord, l’objectif d’insertion ou de réinsertion des condamnés prôné par cette majorité n’est pas crédible.

Libérer prématurément les détenus, comme le prévoit la « libération sous contraintes » ou le développement des libérations conditionnelles, n’a jamais été un facteur de réinsertion. L’essentiel se joue sur le suivi des personnes libérées. Or le texte ne prévoit aucune innovation réelle s’agissant du sursis avec mise à l’épreuve, ni aucune disposition faisant de la détention un temps favorable à la réinsertion. Vous brandissez la réinsertion comme horizon, mais vous ne disposez pas des moyens humains et financiers pour assurer un meilleur suivi des condamnés.

Par ailleurs, ce texte est un message clair d’impunité envers les récidivistes que vous prétendez combattre.

En effet, en matière d’aménagement de peine, de réduction de crédit de peine et de libération conditionnelle, le rapporteur a fait adopter des amendements qui calquent le régime des récidivistes sur celui des primo-condamnés. Récidiviste ou non, cela n’aura plus aucune conséquence sur les aménagements de peine. Mais vous allez encore plus loin dans l’irresponsabilité en prévoyant la suppression pure et simple des peines plancher.

M. Jean-Frédéric Poisson. Bien sûr !

M. Édouard Courtial. Victime de vos vieux démons idéologiques, vous attribuez la surpopulation carcérale à ces peines minimales pour les récidivistes.

Tout cela est aberrant. Les peines planchers avaient pour objectif parfaitement compréhensible de sanctionner plus fermement les récidivistes. Or, vous ne proposez aucun dispositif de sanction pour compenser leur suppression. Cela renvoie à votre seule obsession depuis deux ans : revenir systématiquement sur tout ce qui a été fait sous la précédente majorité.

M. Jean-Frédéric Poisson. Eh oui !

M. Édouard Courtial. Enfin, ce texte promeut une justice permissive avec l’instauration de la contrainte pénale, nouvelle peine bien éloignée des ambitions affichées. Purgée en milieu ouvert et donc alternative à la prison, elle est caractéristique du laxisme de ce projet de loi.

Une fois de plus, en contradiction avec les déclarations du Premier ministre, cette mesure concerne tout délit passible de dix ans de prison et non plus seulement, comme dans le texte initial, un délit passible de cinq ans de détention maximum. Ainsi, sont concernés des délits tels que l’IVG forcé, le harcèlement sexuel, la traite d’être humain sur mineur.

De plus, la contrainte pénale soulève de nombreux points d’incompréhension et de discorde. Elle comporte une indétermination manifeste tout au long de son exécution, en contradiction directe avec la légalité des peines,…

M. Jean-Frédéric Poisson. Très bien !

M. Édouard Courtial. …au point qu’il n’est plus possible de savoir quelle peine est encourue pour un certain type d’infraction.

L’incertitude est complète sur la durée de la peine de contrainte pénale – de six mois à cinq ans ? – comme sur son contenu. La durée ne dépend pas de la gravité de l’infraction mais de l’appréciation subjective du tribunal quant à la personnalité de l’auteur de l’infraction.

M. Guillaume Larrivé. Eh oui !

M. Édouard Courtial. Et le contenu dépend quant à lui entièrement du contexte : personnalité de l’auteur, infraction, victime.

Plus grave encore, le projet de loi n’établit aucun critère objectif a priori pour justifier que certains individus se verront appliquer la contrainte pénale ou bien un sursis avec mise à l’épreuve ou, encore, de la prison ferme et, ce, pour la même infraction.

La loi ne donnant aucune indication objective au juge, le citoyen sera abandonné à l’arbitraire…

M. Jean-Frédéric Poisson. Exact.

M. Édouard Courtial. …ce qui conduit à une rupture manifeste d’égalité civique devant la loi et à l’absence de proportionnalité des peines.

Votre projet de loi, madame la ministre, est dangereux. Il conduit à une individualisation outrancière, laissée à l’appréciation successive et potentiellement contradictoire du tribunal, des services pénitentiaires d’insertion et de probation ainsi que du juge d’administration des peines.

Ainsi, on ne pourra plus déterminer à l’avance la peine encourue selon l’infraction commise. Ces dispositions constituent un grave signal d’impunité pour les récidivistes : on peut s’attendre à une augmentation des actes délictueux dont les Français seraient bien évidemment les premières victimes.

Alors, madame la ministre, la culture de l’excuse, l’impunité institutionnelle et le laxisme judiciaire que vous érigez en dogmes sont dangereux pour notre pays et sont rejetés par les Français ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean-Frédéric Poisson. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Frédéric Lefebvre.

M. Frédéric Lefebvre. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, chers collègues, nous sommes enfin réunis pour examiner un projet de loi déposé sous le précédent Gouvernement au mois d’octobre 2013 – si ma mémoire est bonne –, projet de loi initialement relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines et devenu, après son passage en commission, projet de loi relatif à l’efficacité des peines.

Ce changement peut surprendre parce que le contenu du texte concerne bien, en effet, la prévention de la récidive et l’individualisation des peines. Peut-être que la suppression de cette dernière formule vise-t-elle à rassurer une partie de l’opinion publique ?

En tout cas j’ai le sentiment que, à écouter les uns et les autres, dont les acteurs de la justice, ce projet témoigne peut-être qu’un certain nombre occasions a été manqué. J’imagine et j’espère que notre débat nous permettra d’y remédier, je le dis avec un état d’esprit constructif. En effet, si ce texte comprend de bonnes initiatives, il n’en demeure pas moins selon moi mal calibré.

Ce projet de loi, comme ceux de Mmes Rachida Dati et Michèle Alliot-Marie, veut répondre au problème de la surpopulation carcérale, qui est notoire, celle-ci touchant massivement les courtes peines et les prisonniers en attente de leur jugement. En 2003, un rapport du comité européen de prévention de la torture, organe du Conseil de l’Europe, avait fait état de l’existence de traitements inhumains et dégradants dans les prisons françaises en raison de cette surpopulation. Jusque-là, je pense que chacun, dans cet hémicycle, est d’accord.

L’évolution de la population carcérale et du nombre de places, en France, est inquiétante : 68 859 personnes sont incarcérées – le nombre de détenus a atteint un nouveau record le 1er avril – pour 57 680 places, ce qui représente une surpopulation de 119,38 %.

Pourtant, trop de délinquants ne vont plus en prison, les Français et les élus que nous sommes peuvent le constater, car leurs actes sont jugés avec trop de laxisme – j’ose le mot.

Je souhaite que nous soyons sincères.

M. Jean-Pierre Blazy. Dites-le à vos amis de l’opposition !

M. Frédéric Lefebvre. En son temps, j’ai dénoncé cette règle absurde votée dans la première partie du quinquennat précédent – je l’ai d’ailleurs, et je l’assume, dit alors publiquement comme un certain nombre d’autres – exonérant de prison les condamnés à moins de deux ans, alors même que nous avions fait voter, à raison, les peines plancher que le présent projet entend quant à lui supprimer.

C’est dire combien de jeunes sur la voie de la délinquance, aujourd’hui, savent qu’ils échapperont à la prison quels que soient leurs méfaits. Ce lâche consensus entre le judiciaire et le législatif doit cesser car il se fonde sur le postulat selon lequel les prisons sont trop pleines.

Comme le précédent projet de 2009, ce texte obéit à une logique comptable : quand le surplus de personnes détenues atteint un seuil trop important, le législateur intervient pour vider les prisons avec des mesures visant à multiplier les alternatives et les réductions de peine. C’est alors qu’un problème se pose, madame la garde des sceaux, puisque cela se fait sans distinguer la gravité des infractions commises. C’est cela, le sujet !

M. Bruno Le Maire. Eh oui !

M. Frédéric Lefebvre. Comme le précédent projet de 2009, celui-ci obéit donc à une stricte logique de curseur comptable et ne réforme aucunement notre système pénal et carcéral.

Dès 2010, j’exposais dans un livre, intitulé Le Mieux est l’ami du bien, quelques pistes pour trouver des solutions afin de vider les prisons. Dans le cadre du think tank que je préside, « Nouveaux horizons », je travaille sur ces questions avec différents acteurs dont des magistrats, des détenus, des victimes, des avocats.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Publicité gratuite !

M. Frédéric Lefebvre. J’avais alors proposé d’inciter les entreprises à embaucher d’anciens détenus à travers par exemple des réductions de charges sociales, détenus qui auraient pu commencer en prison des formations professionnelles ou un cursus universitaire. En effet, nous devons accompagner leur éducation.

Il faut également faire en sorte que, pour toutes les atteintes à la personne, a fortiori, les crimes sexuels, les peines prononcées soient intégralement exécutées.

J’y reviens souvent dans le cadre de plusieurs amendements : comme élément de différenciation, il convient d’utiliser dans notre droit la nature des faits reprochés plutôt que le quantum de la peine.

Il faut aussi instaurer pour chaque détenu, jusqu’à sa sortie de prison, un programme qui irait de la formation professionnelle pour certains, à l’obligation de soins pour d’autres.

Il faut créer dans notre droit une peine principale d’expulsion pour les étrangers délinquants accomplissant pour leurs actes les peines prévues dans leur pays d’origine, dans le cadre certes de conventions nouées avec la France.

M. Jean-Frédéric Poisson. Très bien !

M. Frédéric Lefebvre. Or, depuis, rien n’a bougé.

La réponse de la société à la délinquance doit être ferme, dissuasive et ciblée. La prison, la privation de la liberté, madame la ministre, constitue une sanction extrêmement grave et elle n’est évidemment pas une solution pour toutes les formes de délinquance.

Dans cette perspective, il me semble nécessaire de changer de paradigme, de réformer réellement notre système et de faire de la violence le critère principal de l’incarcération. L’élément déterminant à la mise en prison doit être, en effet, outre le danger effectif pour la société, l’utilisation ou non de la violence physique ou morale. La société française doit être protégée de la violence, qu’elle soit gratuite ou non. Or, aujourd’hui, elle ne l’est plus.

Il faut également avoir le courage de poser la question de la détention provisoire : est-il cohérent et opportun d’incarcérer nécessairement ceux qui attendent un jugement et qui ne représentent pas de danger effectif pour la société ? Notre système abuse de la détention provisoire qui, je le répète, devrait être limitée aux risques effectifs pour la collectivité. Ce sont 25 % des prisonniers qui attendent d’être jugés et ils ne représentent pourtant pas tous un danger réel pour la société !

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est clair.

M. Frédéric Lefebvre. Autre question essentielle et qui fait débat : ne faut-il pas frapper le délinquant là où cela fait mal ? Je m’explique.

Les délinquants en col blanc, les délinquants financiers doivent-ils dans tous les cas attendre leur jugement en prison ? Ne faut-il pas les condamner à des peines financières lourdes, susceptibles d’affecter leur patrimoine alors qu’aujourd’hui ils retrouvent souvent l’intégralité de leurs biens, de leurs avoirs, de leurs placements après leur séjour dans les quartiers VIP du système carcéral ?

La prison, dans ce cas – je constate que M. le rapporteur est d’accord – doit être réservée à la violence morale, sociétale, que retiendra le juge. J’ai discuté de cela avec un certain nombre de nos collègues : bien sûr que la violence doit être retenue !

Alors que notre système ne fonctionne plus, nous sommes nombreux à le savoir dans cet hémicycle, je souhaite que nous osions nous poser des questions sur des sujets aussi importants.

Doit-on continuer d’accepter de voir certains se pavaner après avoir raconté dans un livre leur expérience d’un an de prison comme s’ils revenaient d’une aventure au cœur la jungle, haut lieu de leurs exploits ? Doit-on accepter de les voir participer à des jeux sur les plateaux de télévision ou à la radio avant que de retrouver l’intégralité de la jouissance de tout ce qu’ils ont accumulé en trompant la société ?

M. Nicolas Dhuicq. En effet.

M. Frédéric Lefebvre. Voilà ce sur quoi nous devons nous interroger !

J’ai déposé un amendement, comme d’autres, après l’article 21 afin d’appeler à la réflexion. Vous l’aurez compris, monsieur le président Urvoas, il s’agit de demander un rapport autour de trois thèmes que j’ai souhaité réunir : la délinquance financière, la question des étrangers, la violence. Pourquoi ? Parce que nous avons besoin d’une réflexion globale sur le traitement de la violence, tout comme sur la délinquance des étrangers.

M. Bruno Le Maire. Eh oui !

M. Frédéric Lefebvre. Ces sujets me semblent en effet indissociables et posent la même question, madame la garde des sceaux : la politique pénale de la France permet-elle d’offrir une réponse efficace au double échec de la société qui peine à endiguer la violence et qui ne traite la question de la prison – je le regrette – que sous un angle quantitatif et non qualitatif ?

Parlant de délinquance financière et de violence, prenons l’exemple du voleur à la roulotte. Même s’il est récidiviste, la bonne réponse est-elle de l’emprisonner ? Bien sûr que non ! Il doit être éduqué, il faut le faire sortir le plus vite possible du chemin qu’il a emprunté !

Avec la contrainte pénale, votre projet vise à développer les alternatives à la prison. En réalité, il tend à unifier des mesures alternatives à l’incarcération dont beaucoup existent déjà. J’ai reçu hier des membres de l’association GENEPI, qui chacun connaît, qui savent parfaitement comment fonctionnent les prisons. S’ils ne partagent pas sur un plan idéologique ma vision des choses. Il faut écouter ce qu’ils disent et ce qu’ils vous disent, madame la garde des sceaux.

Sur le sujet qui nous préoccupe, vous ne changez pas grand-chose : vous le nommez, certes, vous procédez à un regroupement – ce qui accroît sa visibilité et le simplifie, ce qui est bien – mais ne procédons pas comme nous le faisons si souvent au cours de nos débats : d’un côté, les uns assurent tout changer – c’est formidable, avec la contrainte pénale, tout sera réglé ! –,…

M. Pascal Popelin. Ce n’est pas ce que nous disons.

M. Frédéric Lefebvre. …d’un autre, tout part à vau-l’eau. Il faut être mesuré, madame la garde des sceaux. Je le dis d’autant plus que notre responsabilité commune est importante, et je souhaite que, dans cet hémicycle, nous puissions nous écouter.

Si l’on peut se féliciter de votre souci de simplification, je l’ai dit, il faut se méfier de la logique purement comptable dont je souhaiterais que chacun d’entre nous sorte. Dans notre système pénal, quand substituerons-nous, enfin, le qualitatif au quantitatif ?

M. Jean-Pierre Blazy. Très bien.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Je vous écoute.

M. Frédéric Lefebvre. J’ai donc déposé de nombreux amendements visant à exclure les auteurs de violence à la personne de ce mécanisme de la contrainte pénale.

En outre, la prison ne permet pas seulement un éloignement temporaire ou définitif des délinquants de la société parce qu’elle risque dès lors de n’être qu’une école du crime – les grands délinquants « formant » les primodélinquants en attendant leur sortie – ou un passage obligé dans le CV judiciaire de personnes amenées à récidiver.

Elle doit éduquer, priver de liberté dans des conditions dignes, punir avec des règles strictes, soigner, offrir des parcours de formation professionnelle, réinsérer.

Faisons du benchmarking ! J’aurai l’occasion d’y revenir lorsque je défendrai mes amendements, mais peut-être serait-il temps de regarder enfin au-delà de nos frontières et de faire évoluer notre modèle, en nous inspirant par exemple des pays du nord de l’Europe, qui ont su développer une approche très différente de la nôtre.

Mme Colette Capdevielle. Justement !

M. Frédéric Lefebvre. Nous devons, madame la garde des sceaux, avoir le courage de refonder notre système. Nous devrions faire une distinction entre le primodélinquant violent qui doit être sanctionné, d’une part, et celui qui commet une faute et manque aux règles de la société, mais qui ne commet pas de violence, d’autre part. Celui-ci risque, en prison, d’entrer en contact avec des délinquants chevronnés et violents qui vont l’entraîner sur un mauvais chemin.

Il faut aussi avoir le courage, je l’ai déjà dit, d’appliquer la peine d’expulsion du territoire à titre principal. Les étrangers sont si nombreux dans les prisons françaises ! J’avais collecté des chiffres pour mon livre Le mieux est l’ami du bien, que je cite de mémoire : ils représentent 20 % des détenus d’après les chiffres officiels et commettent 16 % des vols avec violence, 50 % des vols à la tire et environ 20 % des viols. Attention ! Je ne parle pas des Français issus de l’immigration, mais bien des étrangers qui sont présents sur notre sol – nous avons sur eux des statistiques, puisqu’elles sont autorisées. C’est un vrai problème. Guillaume Larrivé le connaît bien, tout comme moi, qui ai été membre du cabinet d’un ministre de l’intérieur que beaucoup connaissent.

M. Pascal Popelin et Mme Cécile Untermaier. Oui, on s’en souvient bien !

M. Frédéric Lefebvre. Nous avons débattu de ces questions à l’époque et je fus l’un des artisans, avec Guillaume Larrivé, justement, de la suppression de la double peine. Mais n’est-il pas malgré tout nécessaire de trouver une solution à ce problème ?

Songez à l’accord signé en 1997 entre la Belgique et le Maroc, et modifié, me semble-t-il – mais je parle sous le contrôle de Guillaume Larrivé, qui connaît bien ces questions – en 2007. Par cet accord, le Maroc a accepté de recevoir dans ses prisons des prisonniers marocains ayant commis des infractions de nature criminelle. La délivrance de visas pour les ressortissants de ce pays est à ce prix. Nous pourrions faire la même chose en France, en établissant une coopération. Cette règle aurait le mérite de vider nos prisons et de faire de la place pour tous ceux qui n’ont plus de repères, plus d’autre moyen d’expression que la violence, et plus de limites.

Mme Colette Capdevielle. Mais combien de temps allez-vous parler ?

M. Frédéric Lefebvre. J’en termine avec les constructions de prisons, qui ne doivent pas être taboues – cela a été dit excellemment hier par certains de nos collègues,…

Plusieurs députés du groupe UMP. Par Guillaume Larrivé !

M. Frédéric Lefebvre. …notamment, c’est vrai, par lui qui, en tant que magistrat, connaît parfaitement ces questions. Les partenariats public-privé doivent être une voie prioritaire pour l’avenir.

Madame la ministre, c’est dans une approche constructive, vous l’aurez compris, que je défendrai mes amendements…

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Bien sûr !

M. Frédéric Lefebvre. …qui, je le pense sincèrement, pourront contribuer à améliorer votre projet. J’espère que votre majorité et vous-même saurez, au-delà des sourires,…

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. J’ai un grand défaut, c’est que je suis souvent de bonne humeur. Même lorsque le contexte est pénible…

M. Frédéric Lefebvre. Madame la garde des sceaux, vous m’avez mal compris : je ne vous reproche pas vos sourires, au contraire !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Ce serait vain !

M. Frédéric Lefebvre. Mais je voudrais que vous joigniez les actes à la parole et que nous puissions, sur un certain nombre de sujets, déterminer ensemble comment mieux protéger les Français de la violence qui – c’est un drame – ne cesse de prospérer dans notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean-Frédéric Poisson. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Louis Costes.

M. Jean-Louis Costes. Madame la garde des sceaux, le titre du texte que vous nous présentez aujourd’hui est fort séduisant, puisqu’il s’intitule : « Projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines. » Voilà un titre bien soigné et vendeur, comme votre gouvernement nous en présente souvent. Malheureusement, lorsqu’on entre dans le contenu du texte, ce projet de loi ne traduit absolument aucune volonté de prévenir la récidive, bien au contraire.

Face à la surpopulation carcérale, la majorité précédente avait choisi, cela a été dit, de construire des places de prison.

M. Pascal Popelin. Mais il n’y avait pas un euro pour les financer !

M. Jean-Louis Costes. C’était l’objectif de la loi de programmation pour l’exécution des peines du 27 mars 2012. Malheureusement, vous proposez aujourd’hui, à l’inverse, de faire sortir les détenus de prison, et vous préconisez tout simplement d’éviter le recours à l’incarcération.

M. Pascal Popelin. C’est une caricature !

M. Jean-Louis Costes. Cette vision idéologique est particulièrement regrettable. Relâcher les délinquants pour vider nos prisons n’est pas une solution acceptable.

L’une des vocations premières de la prison – peut-être certains l’ont-ils oublié – est de protéger la société contre ses membres les plus dangereux ; de la protéger contre ceux qui bafouent ses règles et portent atteinte aux biens et aux personnes. Avec l’ensemble des aménagements de peines et les allégements que vous proposez – la suppression des peines plancher et la mise en place de la contrainte pénale, qu’on devrait plutôt appeler la liberté pénale – vous occultez complètement cet objectif.

Aujourd’hui pourtant, nos concitoyens ont, plus que jamais, besoin de protection. Dans la période économique difficile que nous traversons, et face à la montée toujours plus importante du Front national qui investit ces thèmes, nous ne pouvons laisser le sentiment d’insécurité se développer davantage et nous nous devons au contraire d’apporter des réponses claires et concrètes en la matière.

Or le texte présenté par le Gouvernement est bien loin de la réalité des choses. Il ne fera que créer un sentiment d’impunité pour les délinquants et les récidivistes et renforcera le sentiment d’insécurité des victimes, et plus généralement de nos concitoyens. La suppression des peines plancher, promesse idéologique du candidat Hollande, est un message de laxisme désastreux – j’insiste sur ces termes – envoyé à tous les récidivistes de notre pays. Que vont retenir les délinquants de ce texte ?

Mme Elisabeth Pochon. C’est sûr qu’ils doivent le lire tous les matins !

M. Jean-Louis Costes. Tout simplement qu’ils auront désormais beaucoup moins de chances d’aller en prison s’ils ne respectent pas leurs devoirs envers notre société. Il y a tout lieu de penser que cela ne fera qu’accentuer l’augmentation des actes délictueux, comme les cambriolages, qui ne cessent déjà de se multiplier.

Pire encore, madame la ministre, vous avez accepté en commission des lois que votre peine emblématique, la fameuse contrainte pénale, soit applicable à tous les délits. C’est l’illustration parfaite du manque de lucidité, mais aussi du manque de considération pour les victimes dont font preuve le Gouvernement et la majorité. Votre volonté de toujours prendre en compte les délinquants se fait aujourd’hui au détriment des victimes et de la sécurité de notre société.

Chers collègues socialistes, vous qui prétendez en permanence être les défenseurs des plus faibles, comment pouvez-vous tolérer qu’une victime d’agression à caractère racial puisse savoir son agresseur en liberté ? (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Comment pouvez-vous accepter qu’une personne coupable de traite d’êtres humains puisse dormir dans son lit ?

M. Dominique Raimbourg, rapporteur et M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Nous ne l’acceptons pas !

M. Jean-Louis Costes. Comment pouvez-vous tolérer qu’une femme victime d’une agression sexuelle puisse, dès le lendemain, recroiser son agresseur dans les rues de sa ville ?

M. Dominique Raimbourg, rapporteur et M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Nous ne le tolérons pas !

M. Pascal Popelin. Vous n’avez pas lu le texte pour dire des choses pareilles ! Vous n’avez pas fait votre travail !

Mme Elisabeth Pochon. Il faut lire le texte !

M. Jean-Louis Costes. Une telle mesure est une injure faite à toutes les victimes de ces délits odieux.

Si la sanction doit bien évidemment être accompagnée d’un suivi et d’un processus de réinsertion – nous sommes tous d’accord sur ce point – elle doit toutefois rester une mesure dissuasive pour tous ceux qui sont tentés d’enfreindre nos lois. Ce n’est malheureusement pas l’esprit de ce texte, qui passe à côté des véritables problèmes – et Dieu sait s’ils sont nombreux ! – de notre système carcéral. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Marleix.

M. Olivier Marleix. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nous partageons un constat, celui de l’échec de notre politique pénitentiaire. C’est un échec quantitatif, avec un manque de places évident, mais aussi en quelque sorte qualitatif, avec des structures insuffisamment spécialisées, ce qui fait trop souvent de la prison l’école bien involontaire de la criminalité.

Mais au-delà de ce constat, à peu près tout nous oppose : alors que nous avions décidé de créer 20 000 places de prison manquantes en cinq ans,…

M. Pascal Popelin Mme Elisabeth Pochon et Mme Cécile Untermaier. Avec quel argent ?

M. Olivier Marleix. …vous proposez, madame la garde des sceaux, de régler le problème de la prison en évitant la prison. Vous renoncez complètement à toute politique pénitentiaire et vous recherchez désespérément à élargir les cas d’alternative à la prison. Vous vous fondez pour cela sur cette vieille idée fausse, selon laquelle on recourt trop souvent à des peines de prison dans notre pays. Cette idée est fausse parce qu’en France, comme l’a rappelé hier Éric Ciotti, il y a 117 détenus pour 100 000 habitants, quand la moyenne des pays du Conseil de l’Europe est de 150 détenus pour 100 000 habitants.

M. Pascal Popelin. Comparez aussi avec la Russie : là-bas, il y a 600 détenus pour 100 000 habitants !

M. Olivier Marleix. Vous ne cherchez pas non plus dans votre texte à rendre la prison plus utile : alors que vous proposez pompeusement d’inscrire dans le code pénal que l’un des deux objectifs de la peine de prison est de « favoriser l’amendement, l’insertion ou la réinsertion du condamné », votre texte – Frédéric Lefebvre l’a rappelé – ne prévoit malheureusement rien pour faire de la détention un temps utile à la réinsertion. Il s’agit pourtant là d’un sujet sur lequel nous aurions été nombreux à vous suivre ! En réalité, plutôt que de réformer la prison, vous mettez tout en œuvre pour qu’elle soit évitée.

D’abord avec l’ajournement du procès, prévu à l’article 4 de votre texte, pour mener des « investigations complémentaires sur la personnalité et la situation sociale du prévenu ». Vous déployez ainsi le maximum de moyens afin de trouver des excuses aux délinquants. En la matière, le délinquant est mieux traité que la victime, que votre texte continue d’ignorer totalement.

Mme Elisabeth Pochon. C’est totalement incohérent !

M. Olivier Marleix. Ce sont bien des moyens financiers supplémentaires que vous allez dégager pour rechercher, on le devine, des circonstances sociales atténuantes, alors que la justice renonce si souvent à faire droit aux demandes de victimes, faute de moyens. C’est inacceptable !

Ensuite, en prévoyant des aménagements de peine plus laxistes pour les récidivistes. Alors qu’il existe déjà dans notre droit de nombreuses possibilités d’aménagement ou de réduction des peines, le rapporteur a fait adopter en commission des amendements qui allègent le régime des récidivistes en la matière : ils seront désormais traités comme des primo condamnés ! Par ailleurs, en supprimant la révocation automatique des sursis simples pour les récidivistes, vous faites une fois encore le choix de l’impunité, au détriment de la sanction, qui s’en trouve affaiblie.

M. Jean-Frédéric Poisson. Absolument !

M. Olivier Marleix. Et c’est cette même logique qui guide votre invention de la « contrainte pénale », dont le but est d’éviter la prison à tout prix. Son extension, lors de l’examen du texte en commission, à l’ensemble des délits, qui a semble-t-il choqué jusqu’au Président de la République, mais pas vous, madame la garde des sceaux, est tout simplement scandaleuse. Il faut que les Français sachent que, concrètement, une personne condamnée par exemple pour agression sexuelle aggravée pourra ainsi échapper à la prison.

M. Pascal Popelin. N’importe quoi !

M. Olivier Marleix. Enfin, cerise sur le gâteau, la suppression des peines plancher ! Alors que votre projet de loi affichait initialement comme objectif de lutter contre la récidive, ambition qui a été abandonnée en commission par le changement symbolique d’intitulé du texte, vous prévoyez de supprimer les peines plancher, dont l’objectif était justement de sanctionner plus sévèrement la récidive et d’envoyer ainsi un message dissuasif et fort aux délinquants. Mais évidemment, comme il s’agissait de l’une des mesures phares du quinquennat de Nicolas Sarkozy, en dépit de ce pragmatisme auquel nous invite chaque semaine le Premier ministre, elle devait être abrogée sans autre forme de procès, si j’ose dire….

Vous arguez que les peines plancher sont un gadget et qu’elles sont inutiles – ce sont les mots du rapporteur. Pourtant, malgré l’opposition systématique et idéologique de certains magistrats, et en tenant compte des cas où elles étaient parfaitement légitimement écartées par les magistrats, entre 2007 et 2011, elles ont été appliquées dans 47 % des cas de récidive, ce qui n’est pas rien.

Rien, et certainement pas le boycott auquel, madame la garde des sceaux, vous avez vous-même invité les magistrats par voie de circulaire – étrange respect de la loi ! – dès votre arrivée au pouvoir, ne vous permet pour autant de qualifier ce dispositif d’inefficace. Aucun élément sérieux de votre étude d’impact, que j’ai lue avec attention, ne permet de soutenir votre thèse de l’inefficacité des peines plancher.

M. Jean-Frédéric Poisson. Absolument !

M. Olivier Marleix. Il faudrait, pour le prouver, que vous ayez fait une analyse détaillée de ce que deviennent les délinquants à l’issue de ces peines plancher et de leur séjour en prison. Les cas de récidive sont-ils plus importants chez eux que chez les autres délinquants ? Il n’existe aucun bilan quantitatif sérieux sur l’effet des peines plancher : seule l’idéologie a guidé votre plume dans cette affaire, ce qui est profondément regrettable.

M. Bruno Le Maire. Très juste !

M. Olivier Marleix. Tout cela est grave, madame la garde des sceaux, car après dix ans de baisse ininterrompue de la délinquance – j’aime à rappeler cette réalité, que vous avez tendance à nier, dans la majorité –, la situation se dégrade dans notre pays. C’est d’ailleurs, à ce jour, la seule courbe que votre gouvernement aura réussi à inverser !

M. Jean-Frédéric Poisson. Excellent !

M. Olivier Marleix. Et ce n’est pas en vidant les prisons que la situation va s’arranger ! Depuis de nombreuses années, nous critiquons votre vision angélique, votre culture de l’excuse, votre penchant laxiste en matière de sécurité et de justice. Aujourd’hui, malheureusement – et croyez que je suis sincère quand je le déplore – vous nous donnez raison en nous proposant un texte qui est une caricature de la pensée de gauche et qui ne répond ni à la situation d’urgence que connaissent les forces de l’ordre, ni à la gravité de la situation de notre système pénitentiaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean-Frédéric Poisson. Bravo !

Mme la présidente. La parole est à M. Sébastien Huyghe.

M. Sébastien Huyghe. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, bien que l’objet annoncé par le titre de votre projet de loi soit de lutter contre la récidive, nous ne pouvons que déplorer que ce dernier serve surtout à désengorger les prisons. Vous continuez malheureusement à affirmer une contrevérité à laquelle on ne peut adhérer, à savoir que c’est la prison qui est facteur de récidive.

En plaçant sur le même plan l’objectif de sanctionner le condamné et celui de favoriser son amendement, son insertion ou sa réinsertion, ce texte se trompe de cible. On comprend que le Gouvernement se refuse à sanctionner par la prison, dès lors que son intention n’est pas de punir, mais de rééduquer le délinquant.

Ce n’est pas un hasard si selon tous les sondages, 75 % des Français sont hostiles à votre réforme. Ce seront eux les premières victimes de votre imposture idéologique puisque lorsque les délinquants comprendront qu’ils auront encore moins de chance d’aller en prison, il y a tout lieu de penser que cela fera augmenter le nombre d’actes délictueux.

M. Jean-Frédéric Poisson. Malheureusement !

M. Sébastien Huyghe. Parce que vous faites l’erreur de ne pas comprendre que ce n’est pas la prison qui crée la récidive, mais bien la récidive qui crée la prison, votre dogmatisme coupable vous pousse à proposer un texte entérinant un véritable désarmement pénal et réunissant toutes les conditions pour provoquer dans notre pays une nouvelle hausse de la criminalité, de la délinquance et du nombre de victimes. Loin de la prévenir, votre texte favorisera la récidive.

Ainsi, par anti-sarkozysme non plus primaire, mais pathologique, vous allez supprimer les peines planchers qui correspondent à une logique de gradation de la peine, applicable depuis le primodélinquant jusqu’au récidiviste et au multirécidiviste. Cette suppression, promesse idéologique de campagne du candidat François Hollande, constitue un criant message d’impunité pour les récidivistes. Quel paradoxe qu’un texte censé lutter contre la récidive prévoie la suppression des sanctions supplémentaires pour les récidivistes !

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est vrai !

M. Sébastien Huyghe. Cette idée n’a pas convaincu l’opinion. Preuve en est qu’en octobre 2013, selon un sondage IFOP, deux tiers des Français étaient opposés à la suppression des peines plancher, et parmi eux près de la moitié des sympathisants socialistes.

Vous pointez du doigt l’automatisme supposé des peines plancher : elles seraient à bannir, car elles sont contraires, dites-vous, aux principes de l’individualisation des peines et de la libre appréciation du juge. Mais vous savez pertinemment que le juge peut passer outre ce seuil plancher et prononcer une peine inférieure, en considérant les circonstances de l’infraction, la personnalité de son auteur ou les garanties d’insertion de celui-ci, pour peu qu’il motive sa décision. Vous savez pertinemment que dans 53 % des affaires, les juges n’ont pas prononcé de peine plancher et qu’ils y recourent de manière ciblée puisque ces peines sont prononcées majoritairement contre les auteurs de violences aux personnes et de délits sexuels.

M. Georges Fenech. Ils appliquent la loi, tout simplement !

M. Sébastien Huyghe. Ne supprimant pas la faculté pour le juge d’individualiser le quantum de la peine, le système des peines plancher a, de plus, le mérite de traiter les récidivistes et les auteurs de violences graves équitablement sur tout le territoire.

Les peines plancher ne sauraient servir de bouc émissaire en matière de politique pénale. La ficelle est grosse et le prétexte est fallacieux. Madame la garde des sceaux, vous considérez les peines plancher comme responsables de la surpopulation carcérale. Votre véritable intention, admettez-le, est de vider les prisons et d’éviter à tout prix l’emprisonnement.

À ce titre, vous avez conçu ce projet de loi sur un mensonge : la fable selon laquelle notre pays appliquerait le tout carcéral. Vous dites que la France est l’un des pays européens où la surpopulation carcérale est la plus forte.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je n’ai jamais dit cela !

M. Sébastien Huyghe. Mais vous omettez de dire que la France est l’un des pays d’Europe qui recourt le moins à l’incarcération ! Et ces chiffres ne sont pas une invention, mais ceux de la statistique pénale du Conseil de l’Europe. La prison ferme représente en France seulement 17 % des condamnations pénales.

La surpopulation carcérale ne tient pas au trop grand nombre d’incarcérations, mais au nombre trop faible de places de prisons. Face à la surpopulation carcérale, la majorité précédente avait pris le parti de faire construire plus de place de prisons : c’était l’objet la loi du 27 mars 2012 de programmation pour l’exécution des peines. Plutôt que de lancer un vaste plan de construction, la gauche, elle, conclut qu’il faut faire sortir les détenus de prisons, et éviter de recourir, par principe, à l’incarcération.

Venons-en à votre deuxième mesure phare : la création d’une peine en milieu ouvert, dite contrainte pénale, qui pourrait s’appliquer pour les délits passibles de cinq ans d’emprisonnement – mais rappelons que la commission a adopté un amendement controversé permettant son application aux délits punis jusqu’à dix ans d’emprisonnement. Or nombre des condamnations de cinq ans ou moins concernent des délits graves comme les violences volontaires, les agressions sexuelles, le harcèlement moral, les homicides involontaires, les vols, l’escroquerie, la fraude ou encore la constitution de groupe armé. Pour ce genre de délits, la contrainte pénale est une réponse insuffisante qui va, une fois de plus, vers un plus grand laxisme de la justice.

À tous les stades, pour le justiciable, c’est la loterie. Cette réforme bâclée n’est qu’une succession d’incertitudes. Qui pourra bénéficier d’une contrainte pénale plutôt que d’un sursis avec mise à l’épreuve ou d’une peine de prison ferme ? Rien ne le dit, vous ne retenez que des critères contextuels, donc subjectifs.

L’incertitude pèse aussi sur la durée de la peine de contrainte pénale, de six mois à cinq ans, puisque cette durée ne dépend pas de la gravité de l’infraction, mais de l’appréciation subjective du tribunal quant à la personnalité de l’auteur de l’infraction. Mais elle pèse aussi sur le contenu de la peine car les obligations et interdictions dépendent entièrement du contexte : personnalité de l’auteur, infraction, victime.

Le contenu de la peine est totalement incertain non seulement avant le prononcé de la peine, mais pire encore, pendant son exécution, puisqu’il appartient au juge d’application des peines de procéder à toute modification qu’il jugerait utile, en contradiction manifeste avec le principe de légalité des délits et des peines.

Parce que vous persistez dans votre aveuglement idéologique et dans votre philosophie déresponsabilisante qui prétend rééduquer les hommes plutôt que de modestement juger les faits, le citoyen sera abandonné à l’arbitraire, conduisant à une rupture manifeste d’égalité devant la loi.

Et comme si cela ne suffisait pas, vous abîmez encore plus la notion de sanction pénale en prévoyant de rendre automatique l’examen d’une libération conditionnelle aux deux tiers de la peine, vous qui partez prétendument en guerre contre les automatismes. Soulignons que les crédits de réductions de peines automatiques n’étant pas supprimés pour autant, votre mécanisme d’examen automatique aura lieu non pas aux deux tiers, mais à la moitié de la peine prononcée.

Pardonnez-nous d’avoir à rappeler la réalité : 40 % des prisonniers qui bénéficient d’une libération conditionnelle et 45 % des personnes condamnées à une peine alternative à la prison récidivent.

Le rapporteur du projet de loi, Dominique Raimbourg, a eu cette formule stupéfiante : « l’objectif n’est pas de vider les prisons, mais cela sera l’une des conséquences ». Voilà toute l’ambiguïté de cette réforme pénale qui entend régler le problème de la surpopulation carcérale en faisant de la prison, non plus la règle, mais l’exception.

La réalité, c’est que les victimes sont les grandes oubliées, et comme le précise l’étude d’impact, environ 20 000 détenus sortiront dans l’année suivant l’entrée en application de la loi. Un détenu sur trois se retrouvera donc en liberté.

M. Pascal Popelin. C’est inexact !

M. Jean-Luc Laurent. Ce n’est pas juste !

M. Sébastien Huyghe. La réalité c’est que votre réforme délétère et anti-carcérale s’inscrit aux antipodes des attentes des Français, et que vous portez une lourde responsabilité dans le message d’impunité envoyé aux récidivistes et dans la hausse de la délinquance.

La réalité c’est que votre réforme prépare non pas la réinsertion des condamnés mais leur impunité. C’est la raison pour laquelle nous partageons les inquiétudes de nos concitoyens et sommes résolument opposés à ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson.

M. Jean-Frédéric Poisson. Madame la garde des sceaux, hier, à la tribune, vous avez brossé un tableau historique très détaillé de l’histoire de notre politique pénale depuis plus de deux cents ans. J’ai compris de cette démonstration que vous vouliez tout d’abord manifester le caractère nécessairement évolutif de la politique pénale et ensuite mettre en lumière les points de rupture créés par des événements qui expliquaient les évolutions de cette politique.

Aujourd’hui, si je situe votre projet de loi dans la ligne de votre discours d’hier, je me demande quel est le fait déclencheur que vous considérez grave au point d’instaurer un tel bouleversement et de modifier dans des proportions si importantes la politique pénale ? Car comme le disait justement hier notre collègue Éric Ciotti, c’est un texte qui marquera le quinquennat. À ce stade de l’examen, je trouve comme seule justification la surpopulation carcérale et notre incapacité collective à la maintenir dans des proportions acceptables pour le corps social et pour les détenus eux-mêmes.

Madame la garde des sceaux, chers collègues, comme l’ont dit nos collègues Frédéric Lefebvre, Georges Fenech, Éric Ciotti et d’autres orateurs de notre groupe, personne, du côté de l’Assemblée où je siège, ne se satisfait de cet accroissement anormal de la population carcérale dans notre pays. Personne ne se satisfait des conditions dans lesquelles les détenus sont maintenus dans une position d’enfermement. Je le répète, et le rapporteur le sait bien car nous avons échangé plusieurs fois sur ces sujets, notamment à l’occasion du rapport qu’il avait déposé avec Sébastien Huyghe il y a quelques mois, nous sommes très nombreux à être prêts à examiner tous les moyens pour faire en sorte que ceux qui n’ont rien à faire en prison n’y soient plus.

Je pense, madame la ministre, à une population que nous avons très peu évoquée depuis l’examen de ce texte, dont ce n’est certes pas l’objet : tous ceux qui sont victimes de pathologies à caractère psychiatrique et qui, à l’évidence, ne peuvent pas, dans les conditions actuelles, se trouver enfermés dans les divers centres d’enfermement. Que ces personnes sortent ne pose aucun problème à personne, et qu’ils soient détenus d’une autre manière ne pose aucun problème à personne non plus.

Nous sommes donc un peu circonspects en voyant que vous avez choisi, pour régler cette question, d’actionner plus particulièrement un des leviers ou l’un des facteurs d’accroissement de la population carcérale, celui de la politique pénale. Et vous le faites d’une manière qui, de notre point de vue, désorganise considérablement l’organisation générale de nos sanctions et la confiance que les Français devraient avoir dans le système de sanctions en vigueur dans notre pays.

Comme je l’ai dit lors de l’explication de vote sur la motion de rejet de notre collègue Georges Fenech, l’équilibre est difficile à trouver entre, d’une part, l’objectivité des fautes, la gravité des faits et la condamnation que je qualifierai de systématique, soit ce que le corps social définit lui-même comme le quantum de la peine encourue par celui qui commet un crime ou un délit, et, d’autre part, la nécessité, parce que c’est justice, de prendre en compte la situation personnelle du délinquant ou du criminel.

Vous avez choisi la piste qui conduit à renforcer considérablement – et de notre point de vue de manière exagérée – la prise en compte de la situation personnelle du délinquant et du criminel. C’est de cela que nous sommes en réalité en train de sortir, et la contrainte pénale n’est pas autre chose, de mon point de vue, qu’une exagération du principe d’individualisation des peines.

C’était l’objet de la démonstration de notre collègue Georges Fenech hier : vous faites courir un double risque d’inconstitutionnalité à votre projet de loi. Premièrement, à l’égard du principe de l’égalité des citoyens devant les peines ; deuxièmement, à l’égard du principe de légalité en vertu duquel chacun doit pouvoir savoir, s’il se renseigne et pourvu qu’il puisse le comprendre – ce sont déjà deux conditions – l’exacte peine qu’il encourt s’il commet un délit ou un crime. Monsieur le rapporteur, je ne vous inviterai pas à relire votre réponse d’hier sur le principe d’égalité des peines, mais tout de même !

Pour ces deux raisons, ce texte est déséquilibré et risqué sur le plan du droit et de la Constitution. En définitive, nous le voyons bien à la résonance qu’il a parmi ceux qui s’intéressent à ces questions certes un peu difficiles, ce texte n’est pas en mesure de donner confiance à l’opinion publique. Cette dernière comprend qu’il donnera la possibilité à des juges de décider que des délinquants ou des criminels parfois condamnés pour des faits très graves, passibles de peines allant jusqu’à dix, voire vingt ans de prison avec le jeu de la récidive, resteront dehors et subiront une contrainte pénale en substitution des peines d’enfermement aujourd’hui requises dans la plupart des cas. Je ne dis pas que c’est votre souhait, mais c’est une possibilité donnée aux juges. Comment imaginer que cela rassure les Français ?

M. Frédéric Lefebvre. C’est l’approche quantitative !

M. Jean-Frédéric Poisson. Je ne dis pas que vous vouliez absolument que tous ces gens restent en liberté, mais incontestablement, la conséquence de ce texte est double : premièrement, une latitude est donnée dans le droit de manière bien plus large que dans l’état actuel des textes, et deuxièmement, la résonance dans l’opinion est inquiétante.

M. Jean-Pierre Blazy. Et vous y contribuez largement !

M. Jean-Frédéric Poisson. Monsieur Blazy, je vous remercie de ce crédit que vous nous faites. L’opposition est aussi là pour expliquer ce qu’elle pense des textes. Vous en avez d’ailleurs fait autrefois l’expérience.

Le texte, tel qu’il est, ne peut pas rassurer l’opinion publique et laisse planer des doutes sur la qualité de son écriture sur le plan juridique, il ne recueillera donc évidemment pas notre soutien. Les amendements me permettront d’entrer davantage dans le détail, mais je tenais à vous confirmer ce que mes collègues ont dit précédemment : nous ne voterons pas cette réforme du code pénal. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

La parole est à M. Dominique Raimbourg, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Dominique Raimbourg, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Je tiens à faire part de deux sentiments qui me traversent : le premier est un mélange d’étonnement et d’admiration, le second est la perplexité.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Ce sont exactement les sentiments que j’éprouve, moi aussi !

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Devant les explications de l’opposition, je dois faire part à la fois de mon étonnement et de mon admiration : comment nos collègues ont-ils réussi à trouver dans ce projet de loi tout ce qui n’y figure pas,…

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est très simple : il suffit de le lire !

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. …et à nous prêter des intentions extraordinaires qui n’ont jamais traversé mon esprit ? J’ai donc éprouvé une certaine admiration en entendant des explications faisant dire à ce texte ce qu’il ne dit pas.

M. Guy Geoffroy. C’est un peu court !

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. J’en viens au sentiment de perplexité. Je crois malheureusement que, lorsque nous étions dans l’opposition, nous n’avons pas non plus toujours su éviter ce type de caricature.

M. Jean-Frédéric Poisson et M. Alain Chrétien. Quel aveu !

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Nous en avons peut-être un peu moins usé – je dis cela pour garder un peu d’estime de nous-mêmes –, mais je n’en suis même pas certain.

M. Guy Geoffroy. Vous êtes inimitables !

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. L’organisation de nos débats ne favorise pas la formation de consensus, ce que nous pouvons regretter.

Telles sont les brèves remarques que je souhaitais formuler.

Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, je veux d’abord remercier le rapporteur pour le travail qu’il a accompli.

M. Guy Geoffroy. C’est vrai qu’il a bien travaillé !

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Merci, monsieur Geoffroy ! Merci, madame la garde des sceaux !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je remercie également les deux responsables du texte pour le groupe SRC, Colette Capdevielle et Élisabeth Pochon, ainsi que les orateurs des groupes de la majorité. Je remercie aussi les orateurs de l’opposition,…

M. Jean-Frédéric Poisson et M. Jacques Alain Bénisti. Ah, quand même !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. …même si ces derniers n’ont pas parlé du contenu du texte. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP. – Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. Guy Geoffroy. C’est de la provocation ! Dans ces conditions, nos débats ne peuvent pas bien se passer !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Or je veux parler du contenu du texte : je remercie donc celles et ceux qui ont choisi des angles d’approche qui ont permis aux uns et aux autres de mieux appréhender ce que le projet de loi contient exactement, et quels seront l’impact, les conséquences et la traduction des dispositions normatives qui y figurent.

M. Guy Geoffroy. Ce seront des conséquences très dommageables !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Un peu de patience, monsieur Geoffroy !

M. Guy Geoffroy. C’est la réalité !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je viens à vous dans quelques instants…

M. Guy Geoffroy. Même pas peur ! (Sourires.)

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je tiens à répondre à quelques questions posées lors de la discussion générale. Pardon à celles et ceux à qui je ne répondrai pas directement – d’ailleurs, les députés de la majorité ont posé assez peu de questions, parce qu’ils se sont beaucoup impliqués dans l’examen de ce texte et qu’ils ont contribué à son enrichissement. Nous reviendrons sur certains éléments dans le cadre de la discussion des articles et des amendements : je retiens donc simplement quelques points sur lesquels nous n’aurons pas l’occasion de revenir, parce qu’ils ne font pas l’objet d’amendements, ou sur lesquels nous risquons de passer très rapidement. Par correction et par respect pour les parlementaires qui ont posé ces questions, je veux y répondre.

Monsieur Dolez, vous m’avez interrogée sur la réforme du système pénitentiaire, que vous appelez de vos vœux. Nous avons engagé une série d’actions pour réformer le système pénitentiaire, en tenant compte de la situation difficile des personnels,…

M. Nicolas Dhuicq. Situation très difficile !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. …confrontés à la nécessité de mener à bout de bras les tâches quotidiennes de ce service public régalien consistant à prendre en charge, à surveiller et à suivre des personnes privées de liberté. Nous avons pris un certain nombre de dispositions en la matière depuis que nous sommes arrivés aux responsabilités. Nous sommes les héritiers de la situation qui nous a été laissée.

M. Nicolas Dhuicq. Cela fait déjà deux ans que vous gérez le pays !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. C’est, évidemment, la logique de la continuité de l’État : ceux qui arrivent aux responsabilités prennent en charge ce qui a été fait précédemment, que cela ait été bien fait – quelques bonnes mesures ont été prises, même si elles sont plutôt rares, j’en conviens –, mal fait, ou que rien n’ait été fait. Par exemple, trois lois de finances ont créé des emplois dans l’administration pénitentiaire mais n’ont jamais été financées ; il en est de même pour les fameuses 20 000 places de prison, qui sont annoncées et encore répétées ici à l’envi, mais n’ont jamais été financées. Quelques-uns d’entre vous osent affirmer que l’ancienne majorité s’était engagée dans un processus de constructions privées, qui avait d’ailleurs déjà été entamé.

M. Sébastien Huyghe. Dans le cadre de partenariats public-privé, en effet !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Ce n’est pas notre choix, car la privation de liberté relève d’une mission régalienne de l’État, que nous ne voulons pas confier à des promoteurs privés.

M. Jean-Luc Laurent. Nous sommes pour une prison républicaine !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Exactement ! En réalité, 536 postes ont été créés en lois de finances sans qu’un seul euro n’ait été prévu pour les financer : par conséquent, ces postes n’existent pas, ils sont juste virtuels, alors qu’ils correspondaient au minimum indispensable pour que nos établissements disposent des effectifs à peu près nécessaires compte tenu de la population carcérale de la période en question.

Nous faisons tout notre possible. Nous avons signé avec l’organisation syndicale majoritaire un protocole prévoyant des financements à hauteur de 22 millions d’euros afin d’honorer un engagement pris sous le quinquennat précédent, qui n’avait pas non plus été financé, et qui consistait à reconnaître l’évolution de carrière des surveillants et surveillants-brigadiers et à assurer à ces derniers ce qui leur était dû.

Nous avons également engagé un programme visant à impliquer les personnels dans les réflexions sur l’évolution de leur métier. Ils ne sont plus des gardiens de prison : ils sont qualifiés, formés à l’École nationale de l’administration pénitentiaire où ils apprennent un vrai métier. Il est donc nécessaire de mener une réflexion sur ces métiers.

Par ailleurs, le Gouvernement a adopté un plan de sécurisation des prisons, que j’ai déjà eu l’occasion de vous présenter – je n’y reviendrai donc pas en détail. Doté d’un financement de 33 millions d’euros, il se concentre sur les points sensibles des établissements et concerne toutes les maisons centrales.

Ainsi, la réforme du système pénitentiaire est engagée. Nous avons mis en place un Conseil national de l’exécution des peines. Par ailleurs, un groupe de travail se penche sur la question des maisons centrales, car nous avons constaté que certaines d’entre elles n’étaient pas adaptées, tant en termes d’urbanisme, c’est-à-dire de localisation des établissements, qu’en termes d’architecture, c’est-à-dire de conception de ceux-ci. Cela génère de nombreux problèmes. Ainsi, nous avons tous été très sensibles aux difficultés rencontrées en janvier dernier par l’établissement de Condé-sur-Sarthe, le plus sécurisé du pays : il était tout neuf – c’est moi qui l’ai inauguré il y a quelques mois –, mais sa localisation et sa conception architecturale posaient indiscutablement des problèmes. Nous essayons de réparer tout cela !

J’ai déjà répondu aux questions sur les emplois et la formation en prison.

S’agissant de la justice des mineurs, nous travaillons à rétablir de la lisibilité et de la cohérence dans l’ordonnance de 1945, qui a été modifiée trente-sept fois. Nous avons déjà achevé le cycle de consultations, et nous espérons avancer dans l’élaboration d’un texte qui sera, je le souhaite, soumis à votre examen.

M. Jean-Pierre Blazy. Très bien ! C’est nécessaire !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je salue M. Tourret, que je remercie également pour ses interventions. Nous aurons l’occasion de revenir sur les sujets qui lui tiennent à cœur lors de l’examen des amendements qu’il a déposés.

J’en viens aux interventions des députés du groupe UMP. Mesdames et messieurs les députés, merci pour vos motions de procédure – je ne parle pas de leur contenu ! – qui, à bon droit, n’ont pas été adoptées. En revanche, vous n’avez pas aidé à la compréhension du texte. Le rapporteur a parlé à cet égard de sa perplexité. Moi aussi, j’ai eu un moment de perplexité hier : je m’en suis ouverte à deux ou trois personnes, qui m’ont apporté une explication que je vous soumets.

J’ai été parlementaire, et je connais donc le fonctionnement de cette maison. Cependant, je n’arrivais pas à comprendre pourquoi, quelle que soit l’avancée de nos discussions et indépendamment du contenu du texte, les interventions à la tribune répétaient des choses dites depuis des mois – des arguments qui ont été assénés avant même que le texte ne soit déposé sur le bureau de cette assemblée, qui ont continué à l’être durant les presque huit mois pendant lesquels ce texte était renvoyé à la commission des lois de l’Assemblée nationale, et qui le sont encore actuellement, alors même que certaines interventions ont permis à chacun, y compris à ceux qui n’ont pas lu le texte, d’en connaître le contenu.

Mesdames et messieurs les députés du groupe UMP, pourquoi toutes vos interventions répètent-elles les mêmes éléments, dont certains sont d’ailleurs contradictoires ? On a d’abord entendu que ce texte était insignifiant, et qu’une montagne avait accouché d’une souris. Je n’invente rien : ce sont des formules que vous avez utilisées – je vois que vous me faites signe, monsieur Fenech, je ne me souvenais plus que cette expression était la vôtre. L’orateur suivant a expliqué que ce projet de loi était dramatique, qu’il entraînait un bouleversement considérable, un tournant sans précédent, et qu’il mettait à bas le système pénal. Si vous étiez d’accord entre vous, il serait peut-être plus facile de comprendre exactement ce que vous reprochez à ce texte ! Cela enrichirait sans doute nos discussions ! J’ai donc entendu beaucoup de choses contradictoires.

Par correction envers vous, je répondrai à certaines de vos interventions, lorsqu’elles comportaient des questions précises et ne consistaient pas en de simples mises en cause.

M. Lefebvre n’est plus là,…

M. Claude Goasguen. Il lira le compte rendu.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. ...mais je ne doute pas en effet qu’il lira le compte rendu de la séance. Il a déclaré que nous ferions mieux de nous occuper des saisies des avoirs : j’ai le plaisir de lui faire savoir que nous avons beaucoup travaillé avec l’AGRASC, une très belle agence qui est très bien présidée…

M. Éric Ciotti. Qui l’a créée ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Justement, mesdames et messieurs de l’opposition, rappelez-vous : un député de la majorité vous a reproché de ne pas vous réclamer davantage de l’initiative que vous avez prise en créant l’AGRASC.

M. Guy Geoffroy. Nous allons le faire maintenant !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il a fallu que la majorité vous interpelle pour réparer cette négligence !

M. Guy Geoffroy. Nous sommes modestes, nous ! (Sourires.)

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Cette très belle agence accomplit un travail que nous avons fortement stimulé, puisqu’elle est placée sous la double autorité du ministère des finances et des comptes publics et du ministère de la justice. Nous avons facilité la mobilisation de cette agence auprès des juridictions, et j’ai le plaisir de vous faire savoir que les saisies d’avoirs criminels ont, en une seule année, augmenté de 49 %. C’est dire, pour répondre à M. Lefebvre, que l’on s’occupe de la question !

M. Claude Goasguen. Très bien !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Dans les Bouches-du-Rhône, nous avons multiplié par treize les saisies en espèces, ainsi que les saisies mobilières – celles de bateaux, par exemple – et immobilières.

M. Guy Geoffroy et M. Claude Goasguen. C’est chez Guérini ! (Sourires.)

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. J’ai répondu à l’essentiel des questions que vous m’avez posées. Pour le reste, il ne s’agissait que de procès et de mises en cause – contradictoires, je le répète.

M. Marc Le Fur. Il y a quand même eu une trentaine d’orateurs !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Bien sûr ! L’opposition a le droit de s’exprimer, mais j’ai le droit de dire ce que j’en pense ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Matthias Fekl. Encore heureux !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Vous avez le droit de dire ce que vous voulez : je ne comprends donc pas pourquoi vous protestez !

M. Marc Le Fur. Il faudrait répondre aux orateurs, quand même !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Et vous devriez admettre que je prends le temps de vous le dire (Exclamations et rires sur divers bancs), même si je crois comprendre que vous vous en seriez passés ! (Mêmes mouvements.)

Plusieurs députés de l’opposition se sont offusqués que le Gouvernement ait engagé la procédure accélérée.



M. Guy Geoffroy. En effet.

M. Marc Le Fur. Pourquoi, madame, sommes-nous en procédure accélérée ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je veux, à ce sujet, vous rappeler une ou deux choses. La procédure accélérée est engagée par le Gouvernement, avec un temps législatif programmé de trente heures, en l’occurrence. Mais vous savez, éminents parlementaires chevronnés que vous êtes, que le président de votre groupe a le loisir de demander un temps global exceptionnel de cinquante heures. Or il ne l’a pas fait ?

M. Guy Geoffroy. Ce n’est pas cela qui aurait changé les choses !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Et s’il ne l’a pas fait, c’est qu’il a considéré que trente heures suffisaient largement pour discuter de ce texte.

M. Guy Geoffroy. Sur un tel texte, il faut une navette parlementaire !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur le député Geoffroy, puisque vous protestez vigoureusement…

M. Guy Geoffroy. Absolument et ce n’est pas fini !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je n’en doute pas. Pour tout vous dire, je perçois comme une tension, comme une souffrance dans vos propos. (Rires sur les bancs du groupe UMP.)

M. Pascal Popelin. C’est l’influence de Dhuicq !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je ne me moque pas, monsieur Geoffroy, je suis très sérieuse. Nous avons eu l’occasion de nous rencontrer à plusieurs reprises sur différents textes. Nous apprenons à nous connaître même si cela n’empêche pas les confrontations, et je sais avec quel sérieux vous travaillez. Mais je perçois ce que le texte d’aujourd’hui peut représenter pour vous. Vous avez été le rapporteur du projet de loi instituant les peines plancher.

M. Guy Geoffroy. Tout à fait.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je me permets d’ailleurs de vous rappeler que celui-ci avait été examiné selon la procédure accélérée,…

M. Claude Goasguen. C’est vrai.

M. Guy Geoffroy. C’était en début de législature.

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Raison de plus !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Raison de plus, en effet.

....comme le furent le texte relatif à l’exécution des peines, la loi pénitentiaire ainsi que la proposition de loi de M. Ciotti.

Mme Sandrine Mazetier. Eh oui !

M. Guy Geoffroy. Vous n’êtes pas obligée de commettre les mêmes erreurs que nous !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Mais je dis cela en passant – il est bon que nous nous souvenions, nous qui fréquentons cette assemblée depuis longtemps. Je comprends, disais-je, car je sais comment vous travaillez les textes, la difficulté que cela représente d’être confronté aujourd’hui à l’abrogation d’une disposition que vous avez naguère défendue. Je l’évoque sans ironie et sans moquerie, je vous le dis très sincèrement. Pour autant, cela ne vous dispense pas de la clairvoyance qui doit vous conduire à reconnaître que ces mécanismes automatiques…

M. Guy Geoffroy. Ce ne sont pas des mécanismes automatiques, vous le savez !

M. Denys Robiliard. Bien sûr que si !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. …n’ont pas contribué à éradiquer la récidive, ni même à la réduire puisqu’elle s’est aggravée, ce qui nous préoccupe. Consentez seulement à ce que les dispositifs que vous avez mis en place, que vous avez conçus, qui ont fonctionné pendant plusieurs années et qui n’ont pas eu d’effets pour réduire la récidive, soient révisés et récusés parce qu’ils n’ont pas rempli leur office.

Mme Sandrine Mazetier. C’est notre rôle d’y revenir.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Consentez-y. Voilà ce à quoi nous vous invitons parce que nous prenons le problème de la récidive très au sérieux. Nous affichons très clairement non seulement l’ambition de lutter contre la récidive, mais de la prévenir. Pas seulement de la sanctionner plus gravement, mais de l’éviter autant que possible.

M. Guy Geoffroy. Cela n’y contribuera pas.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Pour notre part, nous prenons le pari de la mesure puisque nous inscrivons dans la loi elle-même son évaluation.

On m’a donc rapporté que si vous répétiez à l’envi vos arguments, c’est parce qu’ils étaient destinés à paraître sur des pages Facebook, en aucune façon pour participer au débat. Je ne sais comment considérer de telles affirmations, mais je finis par me demander pourquoi on entend constamment les mêmes arguments alors que dans la discussion, des arguments précis sont posés sur la table.

On entend dire sans cesse que nous voulons vider les prisons,...

M. Guy Geoffroy. Cela va en être la conséquence.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. …et encore à l’instant par M. Jean-Frédéric Poisson, qui a pourtant pour habitude de faire des interventions très construites, très structurées.

M. Guy Geoffroy. Il s’est relâché.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je ne porte pas de jugement de valeur, monsieur Geoffroy. Je dis simplement que votre collègue a dit à la tribune – tout le monde a entendu – qu’il s’interrogeait sur les raisons qui ont pu nous conduire à présenter ce projet de loi,…

M. Guy Geoffroy. L’idéologie.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. …et ces raisons, selon lui, seraient liées à la surpopulation carcérale. Tout le monde a entendu cela !

Je rappelle simplement qu’un travail en amont a démarré en septembre 2012 – nous n’étions pas alors dans la situation d’aujourd’hui où le taux de surpopulation carcérale est considérable.

M. Guy Geoffroy. Donc, c’est bien de l’idéologie.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Non, parce que nous ne sommes pas sur le même terrain. J’ai dit très clairement lorsque j’ai installé le comité d’organisation de la conférence de consensus que notre objectif n’était pas la gestion des flux carcéraux. Je ne sais pas sur quel ton vous le dire, mais je vous répète, car vous semblez sceptique, monsieur Goasguen,…

M. Claude Goasguen. Oui.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. …que vous, vous avez eu le souci de la gestion des flux carcéraux !

M. Claude Goasguen. Oui, vous aussi !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Vous avez en effet pris des dispositions qui ont provoqué l’embolie, si je puis dire, du parc pénitentiaire. Vous-mêmes, vous avez essayé de corriger ces effets avec deux mécanismes de gestion des flux carcéraux : la procédure simplifiée d’aménagement de peines – la PSAP – et la surveillance électronique, la SEFIP. Vous en convenez, monsieur Goasguen, et j’apprécie vos signes d’approbation.

Nous, nous ne nous situons pas dans cette logique. Peut-être à tort –mais en ce cas, démontrez-le. Je le dis très clairement, les décisions d’incarcération sont des décisions judiciaires. Et depuis deux ans, personne ne peut prétendre m’avoir prise en faute. Je m’interdis le moindre avis, la moindre appréciation de quelque décision judiciaire que ce soit !

M. Guy Geoffroy. C’est la règle.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Les décisions d’incarcération sont des décisions judiciaires et je ne viens pas par une loi gérer des flux carcéraux et réduire la population carcérale. L’objectif de ce texte de loi, annoncé depuis deux ans, vise à donner du sens à la peine pour la rendre efficace, ce qui ne revient pas à la supprimer, mais à l’inscrire dans l’avenir. Bref, sanctionner, mais se préoccuper de l’avenir. Lutter contre la récidive et la prévenir, cela signifie de créer les conditions pour que les personnes qui ont commis un acte qui mérite sanction soient sanctionnées, et reviennent dans de bonnes conditions dans le corps social. Je suis en effet désolée de le rappeler, les peines ont une durée : ces personnes sortent de prison un jour et réintègrent le corps social.

En toute lucidité et en toute responsabilité, ce Gouvernement veut créer les conditions pour que ce retour représente le moins possible un danger même potentiel pour la société. Tel est l’objectif de ce texte. Il n’est pas question de vider les prisons – argument que je n’ai cessé d’entendre – parce que nous avons des records de surpopulation carcérale depuis deux ans.

M. Claude Goasguen. Il faut construire des prisons.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Depuis deux ans, on m’accuse de vouloir les vider et au bout de deux ans, je n’en ai toujours rien fait : quelle démonstration d’incompétence ! Pour notre part, nous construisons des prisons…

M. Sébastien Huyghe. Il en faut plus.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. …et nous avons déjà livré des places. Mais contrairement à vous, nous budgétisons et finançons ces places de prison.

M. Claude Goasguen. Je m’y attendais !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. En conclusion, je veux vous livrer ce que m’inspirent les propos de l’opposition. Depuis deux ans, j’entends ce qui circule, cela n’est donc pas nouveau à mes oreilles. Depuis deux ans, ce procès en laxisme, sans démonstration,…

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Insupportable !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. …en est devenu ridicule et finalement inopérant.

M. Georges Fenech. Il n’y a que la vérité qui dérange.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Que n’ai-je entendu : procès en laxisme, volonté de vider les prisons, idéologie, le tout sans aucune démonstration, et uniquement appuyé sur des arguments d’autorité : apparemment, il n’est pas besoin d’argumenter, il suffit d’asséner !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Exactement.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. On assène, avec la certitude de dire le vrai. On n’a évidemment pas la modestie de dix années de responsabilité au pouvoir. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) On n’a pas l’humilité de la situation critique et parfois catastrophique de la situation qu’on a laissée. (Mêmes mouvements.)

On n’a pas le souci de ce que l’on peut dire aujourd’hui, de façon à corriger et à améliorer un peu tous ces propos. Non, on fait de la surenchère avec des poncifs auxquels nous avons eu droit jusqu’à plus soif. En entendant tout cela, j’ai pensé à Zola, à la très belle lettre qu’il a écrite à la France en 1897 : « Je leur parlerai, aux petits, aux humbles, à ceux qu’on empoisonne et qu’on fait délirer. Je ne me donne pas d’autre mission, je leur crierai où est l’âme de la patrie, son invincible énergie et son triomphe certain. » (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.)



M. Jacques Alain Bénisti. Du vrai théâtre !

Discussion des articles

Mme la présidente. J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles du projet de loi.

Article 1er

Mme la présidente. Plusieurs orateurs sont inscrits sur l’article 1er.

La parole est à M. Nicolas Dhuicq.

M. Nicolas Dhuicq. L’article 1er résume bien l’esprit de ce texte. Vous avez parlé d’idéologie, madame la garde des sceaux, mais avec cet article, nous voyons bien que vous êtes au service de l’idéologie.

M. Jean-Pierre Blazy. Pas vous, bien sûr !

M. Nicolas Dhuicq. Vous êtes dans la confusion, en fait vous confondez les rôles. Comme vous ne voulez pas employer le mot de rédemption, vous recourez au terme juridique d’amendement, ce qui laisse entendre que ceux qui sont incarcérés ou pourraient l’être seraient tous capables d’empathie, d’accès à un sentiment de culpabilité, ce qui n’est pas le cas. Même si c’est difficile pour vous, vous devez entendre la réalité que vivent nos compatriotes. Vous devez entendre la réalité que vivent les gardiens de prison dont le métier est de plus en plus difficile, avec des mesures de sécurité inapplicables : je connais des établissements où les portiques ne servent strictement à rien car les prisonniers pas plus que les familles n’y sont astreints. Vous avez donc dépensé de l’argent en vain.

Comme vous refusez de punir et de vous placer en digne descendante de 1793, car c’est la Révolution française qui a remplacé les châtiments corporels par la privation de liberté,…

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Vous voulez rétablir la lapidation ?

M. Nicolas Dhuicq. …il faut, selon vous, du « pédagogisme ». La prison ne doit plus devenir le lieu de privation de liberté, mais un lieu d’éducation et de rééducation. En fait, vous mélangez les rôles et les fonctions. Vous êtes dans la confusion. Nous avons un Chef de l’État qui ne sait pas ce qu’est le régalien, nous avons un gouvernement qui agite des écrans de fumée et vous, vous continuez, parce que vous êtes cohérente, madame Taubira – on doit vous rendre cette justice –…

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Au secours, un compliment de M. Dhuicq !

M. Nicolas Dhuicq. …à être au service d’un projet de société qui consiste clairement à supprimer la privation de liberté et à penser que par la rééducation-éducation, vous pourriez sauver tout le monde.

Mme Marie-Françoise Bechtel et M. Jean-Luc Laurent. C’est faux ! Vous dites n’importe quoi.

M. Nicolas Dhuicq. La réalité vous dit que cela est faux !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Vigier.

M. Jean-Pierre Vigier. Madame la garde des sceaux, permettez-moi, dans un premier temps, à faire un petit rappel. Le bon sens commun, les us et coutumes et les dictionnaires donnent au mot « peine » le sens de sanction ou de punition.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Et alors ?

M. Jean-Pierre Vigier. Pourquoi est-on puni si ce n’est en raison d’une faute grave ? Alors que l’objectif de la prison est précisément la sanction, vous lui donnez conjointement comme but d’insérer ou de réinsérer le condamné.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Comme la loi de 2009 !

M. Jean-Pierre Vigier. C’est bien vite oublier que la sanction prononcée assure, comme cela a été dit, la protection de la société et, surtout, de chacun de ses membres. C’est pour protéger la société et les victimes que les peines ont été créées. De plus, la réinsertion existe depuis longtemps, même si elle mérite bien évidemment d’être améliorée. De très nombreux jeunes, notamment des mineurs, éprouvent de grandes difficultés à comprendre qu’ils soient sanctionnés pour les faits graves qu’ils ont commis. Dès lors, je pose simplement la question : qu’en sera-t-il s’ils constatent qu’après tout, commettre des crimes et délits leur donne une chance de plus de s’insérer dans la société ? (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Marie-Françoise Bechtel. C’est la loi de 2009.

M. Jean-Pierre Vigier. C’est pourquoi je demande la suppression de l’article 1er.

Mme Elisabeth Pochon. C’est un raisonnement par l’absurde !

M. Patrick Hetzel. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Annie Genevard.

Mme Annie Genevard. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, l’article 1er d’une loi porte toujours la marque de ses fondamentaux : sanctionner et réinsérer, voilà en substance la motivation de ce texte. Je la reformulerai selon la problématique suivante : comment concilier sanction et réinsertion ? La réponse à cette interrogation s’articule autour de deux mesures phares : l’évitement de l’incarcération par la contrainte pénale et l’individualisation accrue de la peine.

Vous vous étonnez, madame la ministre, de la réputation de laxisme qui vous est faite. Cet étonnement, madame, en dit long sur votre incapacité – je cite Alain Tourret – « à prendre en compte les lignes de force de la société ». Le découragement des forces de sécurité face au manque de réponses pénales, la recrudescence de la délinquance, l’inquiétude qui sourd dans une société sans repères d’autorité expliquent le ressenti très négatif de votre loi. Voilà ce qui se vit sur le terrain, madame la garde des sceaux.

M. Jean-Pierre Vigier. Eh oui !

Mme Elisabeth Pochon. La RGPP !

Mme Annie Genevard. Il n’y a là, pour reprendre vos termes, ni surenchère ni poncifs. Vous nous invitez à l’humilité. Mais c’est vous, madame, qui en manquez singulièrement. La délinquance a changé, elle n’épargne plus les territoires paisibles d’autrefois comme le montre la recrudescence des vols dans les campagnes.

Votre loi est-elle le signal que la société attend ? Je ne le crois pas. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Chevrollier.

M. Guillaume Chevrollier. Cet article 1er est à l’image de ce texte : il apporte dans le code pénal une définition des fonctions de la peine mais est-ce nécessaire ? on peut en douter. Son contenu peut aussi nous inquiéter car il met sur le même plan la sanction à apporter au condamné et le but de favoriser son amendement, son insertion ou sa réinsertion. On voit se profiler les problèmes que vont faire naître ce projet de loi.

Madame la garde des sceaux, vous partez du principe que la prison donne lieu à la récidive. Il y aurait certainement moins de récidives si les conditions de détention étaient normales. La surpopulation carcérale accentue le phénomène. Il faut donc construire davantage de places de prison : 30 000 sont nécessaires, vous n’en proposez que 5 000.

M. Jean-Pierre Vigier. Eh oui !

M. Guillaume Chevrollier. La récidive est aussi imputable au durcissement de notre société, à la montée de la violence que tout le monde constate dans les villes comme dans les territoires ruraux. Or, votre texte va donner un mauvais signal. La prison peut faire peur, la contrainte pénale, non. Que vous le vouliez ou non, un sentiment d’impunité va se développer. Et vous ne mesurez pas les conséquences de cette impunité.

Votre projet est généreux quand il parle de réinsertion – il est vrai que les sorties sèches sont dommageables –, mais avez-vous les moyens de votre politique ? Tout le monde considère que non, même le rapporteur de ce texte. Lors des cinq années à venir, 1 400 magistrats vont partir à la retraite et leur remplacement n’est pas totalement assuré alors que leur nombre est déjà insuffisant.

M. Jean-Pierre Vigier. C’est vrai !

M. Guillaume Chevrollier. En conclusion, madame la garde des sceaux, nous ne pouvons que craindre les conséquences de ce projet de loi qui montre une fois de plus que ce gouvernement ne sait pas où il va. Dans le domaine qui est le vôtre, les répercussions sont énormes car c’est la sécurité des Français qui est en jeu. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Frédéric Reiss.

M. Frédéric Reiss. Avant que nous n’entamions la discussion de l’article 1er, je souhaite dire à quel point je regrette que le Gouvernement ait eu recours à la procédure accélérée et au temps programmé s’agissant d’un texte d’une telle importance. Voilà qui est révélateur de la panique qui s’empare du Gouvernement (Exclamations sur les bancs du groupe SRC) et de la précipitation, madame la garde des sceaux, qui doit vous permettre d’apposer votre marque sur un texte qui est loin de faire l’unanimité, y compris dans les rangs de la majorité.

Après tout ce que M. Manuel Valls a dit de ce texte lorsqu’il était ministre de l’intérieur – il l’a même qualifié de dangereux –…

M. Guy Geoffroy. Il l’a écrit !

M. Frédéric Reiss. …on ne peut qu’être stupéfait de son revirement puisqu’en tant que Premier ministre il lui apporte un soutien inconditionnel. Il n’empêche que les conséquences de l’application de votre idéologie sont potentiellement dangereuses s’agissant d’un sujet d’une extrême gravité.

L’article 1er de votre projet de loi résume à lui tout seul votre idéologie. Il établit que la « peine a pour fonctions de sanctionner le condamné, de favoriser son amendement, son insertion ou sa réinsertion ». C’est une manière de réécrire l’article 132-24 du code pénal, dont la rédaction actuelle, jugée insuffisante, prévoit que les « peines prononcées sont fixées de manière à concilier la protection effective de la société, la sanction du condamné et les intérêts de la victime avec la nécessité de favoriser l’insertion ou la réinsertion du condamné et de prévenir la commission de nouvelles infractions. »

Favoriser l’amendement du condamné est un mauvais signe en matière de prévention de la délinquance : quel que soit le délit commis – vol, abus de bien social, violence sur autrui – seront proposées des peines de substitution, si tant est qu’on en ait le temps et les moyens car avec 5 000 agents de probation, on ne va pas aller bien loin.

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. C’est mieux que rien !

M. Frédéric Reiss. Tout le monde s’accorde à dire – et vous la première, madame la garde des sceaux – que la justice n’a pas les moyens de cette réforme. Demander poliment aux personnes reconnues coupables de bien vouloir présenter des excuses aux victimes et faire amende honorable ne suffira pas à rétablir l’ordre social.

M. Guy Geoffroy. En effet !

M. Frédéric Reiss. Vous allez supprimer les peines plancher, généraliser la contrainte pénale pour éviter les incarcérations. Mais si vous ne disposez pas des moyens énormes que nécessite un réel suivi des condamnés, tout cela sera un encouragement donné aux futurs délinquants qui auront un sentiment d’impunité. Cela, nous ne pouvons l’accepter. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Popelin.

M. Pascal Popelin. La litanie des interventions qui se sont enchaînées depuis hier durant la longue discussion générale qui vient de s’achever – litanie qui ne semble pas près de s’interrompre – confirme, s’il en était encore besoin, à tous ceux qui pouvaient légitimement espérer un sursaut de la raison, que le souci de la vérité et de l’intérêt général ne fait pas partie des qualités premières de l’argumentation de l’opposition, à quelques rares exceptions près, il faut bien le dire.

M. Guy Geoffroy. Comment pouvez-vous le démontrer ?

M. Pascal Popelin. Avant même que ce texte ne soit écrit, la droite a décidé depuis le début de la législature – vous l’avez rappelé, madame la garde des sceaux – d’en faire le symbole de ce qu’il n’est pas et de ce qui n’est pas : le supposé laxisme de la gauche en matière de sécurité et de justice.

M. Guy Geoffroy. Son laxisme n’est pas supposé, il est avéré !

M. Pascal Popelin. Cette réforme présente d’ailleurs une particularité rare, pour ne pas dire inédite : elle est rendue responsable d’à peu près tous les dysfonctionnements déplorés depuis des années dans notre chaîne pénale alors qu’elle n’a même pas encore été adoptée.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Eh oui !

M. Pascal Popelin. À entendre certaines de nos collègues, pour lesquels faire pleurer dans les chaumières et instiller la peur constitue un véritable fonds de commerce électoral, cette loi dont nous commençons seulement d’examiner le premier article serait déjà responsable des plus abominables faits divers. Peu leur importe que les faits en question n’entrent pas dans son champ d’application, peu leur importe que certains d’entre eux aient été commis bien avant 2012, après tout comme l’a dit Pierre Dac – et il n’est pas interdit d’avoir une pensée pour la voix de Radio-Londres en ces jours de commémoration : quand les bornes sont franchies, il n’y a plus de limites.

M. Claude Goasguen. Dites-le donc à M. Valls !

M. Pascal Popelin. Je forme le vœu que la discussion des articles permette d’en terminer avec les postures, les fantasmes et les outrances pour en revenir à l’objet qui nous préoccupe et qui devrait tous nous préoccuper : renforcer l’efficacité des sanctions pénales – à moins que vous ne considériez, mes chers collègues, que tout va aujourd’hui pour le mieux dans le meilleur des mondes et que ce que vous avez fait depuis dix ans a permis de faire des progrès en ce domaine.

M. Sébastien Huyghe. Nous pouvons en effet considérer que nous étions sur la bonne voie !

M. Pascal Popelin. De ce point de vue, l’article 1er propose de graver opportunément dans la loi l’objet de toute sanction pénale. Puisque certains ne parlent pas du texte depuis le début de nos débats, citons-le : « Afin d’assurer la protection effective de la société, de prévenir la commission de nouvelles infractions et de restaurer l’équilibre social, dans le respect des droits reconnus à la victime, la peine à pour fonctions de sanctionner le condamné, de favoriser son amendement, son insertion ou sa réinsertion. » Telle est la philosophie de cette loi, résumée dans cet article liminaire.

Parlons de cela et pas d’autre chose, mes chers collègues. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Françoise Bechtel.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, cet article 1er, nous le voyons bien, n’est pas de pur affichage. Pour tout ce qui touche à la peine et à son exécution, il est d’usage dans les pays démocratiques de mettre en avant la philosophie sur laquelle reposent celles-ci. De longs débats avaient eu lieu dans notre pays au début du XXsiècle lorsque nous avions fixé un régime pénitentiaire nouveau et ce débat se faisait lui-même l’écho d’une querelle de doctrine qui avait fait rage outre-atlantique à la fin du XVIIIsiècle autour du système dit de Philadelphie, salué par Tocqueville, qui reposait sur l’idée d’un encellulement individuel afin que l’isolement favorise la pénitence et la réhabilitation, joint à l’obligation de travailler en vue de préparer ce qui était déjà perçu comme la réinsertion.

Plus près de nous, on sait l’étonnement et chez certains le tollé qu’avait suscité le président Giscard d’Estaing dès le début de son septennat lorsqu’il avait affirmé : « la prison, c’est la privation d’aller et venir et rien d’autre ». Tout proche de nous cette fois, la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 se distingue par une approche très libérale, exprimée d’abord par une définition large et longue – et justifiée – des droits des personnes retenues. Dois-je aussi rappeler les termes de l’article 2 de cette même loi, pour répondre à une intervention qui vient d’être faite ? Il retient la « nécessité de préparer l’insertion ou la réinsertion de la personne détenue afin de lui permettre de mener une vie responsable et de prévenir la commission de nouvelles infractions ».

M. Guy Geoffroy. Nous sommes d’accord.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Une philosophie très proche de celle qui anime l’article 1er du texte que nous examinons, quelles que soient les réalités à leur principe.

M. Claude Goasguen. Vous enfoncez des portes ouvertes !

Mme Marie-Françoise Bechtel. Quoi que l’on dise, le présent projet de loi est complémentaire de la loi de 2009. Cette adéquation entre les deux textes apparaîtra mieux lorsque quelques tumultes, quelques débats inutilement vifs, quelques passions se seront tus et apaisés.

Il nous incombe à nous, législateurs, de rechercher un équilibre donnant à la sanction pénale ce que le rapporteur propose très justement d’appeler son efficacité. Je forme le vœu que nous trouvions ensemble le bon point d’équilibre, en sachant garder la bonne distance hors des crispations idéologiques de toute nature. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Capdevielle.

Mme Colette Capdevielle. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, cet article 1er est très symbolique : il place la définition de la peine en tête du chapitre consacré aux peines dans le code pénal. Je n’avais pas l’intention de rappeler ses termes mais il me semble que cela ferait du bien à certains de pouvoir enfin prendre connaissance de ce texte : « Afin d’assurer la protection effective de la société, de prévenir la commission de nouvelles infractions, de restaurer l’équilibre social, dans le respect des droits reconnus à la victime… »

M. Claude Goasguen. Ce respect des droits de la victime n’est pas du tout développé dans le texte !

Mme Colette Capdevielle. …la peine a pour fonctions de sanctionner le condamné, de favoriser son amendement, son insertion et sa réinsertion ».

Cet article, attendu depuis longtemps, a pour vocation de donner une définition claire et précise de la peine, de hiérarchiser ses fonctions : une place pour chacun et chacun à sa place.

Les interventions et les amendements de l’opposition montrent qu’elle souhaite dénaturer et déséquilibrer ce texte en plaçant de manière caricaturale la victime au cœur de la définition de la peine. Une fois encore, vous l’instrumentalisez. Nous avons bien vu ce que vous avez fait pendant dix ans pour les victimes. Nos débats montreront comme vous les servez mal, encore et toujours. La victime a des droits, droits que nous renforçons considérablement à toutes les étapes de la chaîne pénale, dès le dépôt de la plainte, du début jusqu’à la fin de la procédure et même après. Nous les renforçons grâce à ce texte mais aussi, et surtout, grâce aux politiques publiques mises en place depuis deux ans par notre gouvernement et particulièrement par Mme la garde des sceaux, grâce à des actes forts contrairement à vous qui vous contentez de paroles.

La protection des victimes leur bénéficie très directement.

M. Claude Goasguen. Vous n’évoquez que le respect des droits des victimes, pas leur protection !

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Le Fur.

M. Marc Le Fur. Tout pour les voyous, pas grand-chose pour les victimes : c’est de cette façon, je crois, que l’on pourrait résumer ce texte… (Protestations sur les bancs du groupe SRC.) Je commence, mes chers collègues, je commence.

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Justement, il faut vous arrêter !

M. Marc Le Fur. Les grands oubliés de ce texte, ce sont les victimes !

M. Erwann Binet. Celles du Sarkothon !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous allons rappeler votre politique pour les victimes, chiffres à l’appui !

M. Marc Le Fur. Qui sont les victimes ? Des femmes, des personnes en situation fragile, des personnes qui sont atteintes par l’âge, par la précarité et dont les droits sont bien souvent oubliés.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Quel cynisme !

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Démagogie !

M. Marc Le Fur. Ceci hélas ! est une constante de notre droit pénal. Il a fallu les évolutions que nous avons portées, intervenues en 2004 et en 2006, pour que la victime apparaisse, mais encore très insuffisamment, madame la garde des sceaux. Bien souvent, la victime est considérée comme un fâcheux, comme un gêneur, comme un importun. Au mieux, on lui accorde un peu de compassion, un peu de condescendance. Nous sommes arrivés à un moment où la victime ne veut plus ni compassion ni condescendance : elle veut des droits et des droits objectifs.

Le texte qui nous est soumis va offrir de nouvelles garanties et de nouveaux droits aux auteurs d’infraction et aux personnes condamnées. Soit. À ce titre, ce texte inquiète au plus haut point les victimes et les associations de victimes.

Vous étiez meilleur hier après-midi, mon cher collègue !

M. Patrick Hetzel. Très bien !

M. Marc Le Fur. Vous étiez meilleur hier après-midi, mon cher collègue !

Que chacun mesure le traumatisme que représente le fait d’être victime d’un agresseur, ne serait-ce que pour un vol à l’arrachée. Mais que chacun mesure également le parcours du combattant que doit effectuer la victime, ne serait-ce que pour déposer plainte. Bien souvent, même dans les gendarmeries ou les commissariats de police, on ne veut pas entendre ou enregistrer la plainte, qui sera simplement consignée dans la main courante, sans conséquence objective en matière de poursuites. Bien souvent, hélas, la victime n’est pas informée du classement décidé par le parquet, alors qu’elle devrait l’être. Si elle l’est de plus en plus, car nous avons progressé dans ce domaine, il arrive bien souvent qu’elle ne le soit pas, ce qui lui interdit de se constituer partie civile. Quand elle a cette possibilité, elle est bien souvent obligée de verser une caution conséquente, une consignation qui peut être dissuasive. Je ne nie pas son intérêt, puisqu’il existe un certain de nombre de plaideurs excessifs qu’il faut dissuader. Il n’en demeure pas moins que souvent des victimes modestes refusent de poursuivre ou s’inquiètent du montant de cette consignation.

La victime acquiert un certain statut d’égalité au moment du procès, si elle s’est constituée partie civile. Par contre, une fois que la décision du juge est prise, la victime n’est plus du tout dans une situation d’égalité avec le voyou, pour parler simplement. La victime ne peut pas contester une relaxe.

Mme Elisabeth Pochon. Mais ce n’est pas son rôle !

M. Marc Le Fur. Elle ne peut pas non plus contester un acquittement ou faire appel des décisions de relaxe ou d’acquittement, pas plus qu’elle ne peut faire appel sur le plan pénal. Je le regrette et je souhaiterais qu’elle puisse le faire. Elle n’est de fait pas dans une situation d’égalité avec l’auteur des faits. Elle ne peut pas davantage contester le quantum ou la nature de la sanction prise, ni faire appel de ces décisions.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Avez-vous changé quoi que ce soit à cette situation ces dix dernières années ?

M. Marc Le Fur. Il faut que nous sachions introduire la victime dans le procès pénal.

S’agissant de l’exécution des peines, la victime est, là encore, la grande oubliée. Une fois la peine intervenue, la victime ne peut contester les décisions du juge d’application des peines ou du tribunal. Il n’est pas concevable, notamment au regard de votre texte qui généralise les libérations anticipées, que la victime n’ait pas en contrepartie la possibilité de faire appel de telles décisions. Nous aurions eu un texte plus équilibré si vous aviez su accorder en plus des droits aux personnes qui font l’objet de condamnations – et c’est la logique de votre texte –, des droits aux victimes. Il faut être lucide, madame la ministre : la victime n’est pas à égalité avec le délinquant dans notre système et notre pays n’est très loin de respecter les obligations de la CEDH notamment.

Je souhaite que nous allions plus loin et que nous creusions un peu plus l’article 11, qui a peut-être quelques bonnes intentions, que je ne nie pas a priori.

M. Pascal Cherki. Quand même ! Monsieur est trop bon !

M. Marc Le Fur. Vous faites, dans l’article 11, un certain nombre d’hypothèses à destination des victimes, comme le droit à la réparation. Mais je ne crois pas qu’il y ait quelque chose de nouveau et je ne vois pas ce qu’apporte cet alinéa. Vous indiquez par contre – et j’attends vos explications, madame le garde des sceaux – que la victime pourrait prendre l’initiative de « saisir l’autorité judiciaire » pour l’exécution des peines. À quoi cela correspond-il ? De quel type d’initiatives s’agit-il et quelles conséquences pourraient-elles avoir ? Il est également écrit dans cet article que la victime pourrait être informée de « la fin de l’exécution d’une peine privative de liberté ». Cela va dans le bon sens, mais comment cela se passera-t-il ? Comment cela sera-t-il décliné ? Vous précisez aussi que les victimes ont un droit à la tranquillité et à la sûreté. Je crains, hélas, que ce ne soient que des paroles verbales, et qu’il n’y ait pas une application concrète de ce que je considère – parce que je ne veux pas vous faire de procès d’intention…

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Qu’est-ce que ce serait sinon !

M. Pascal Cherki. Monsieur est vraiment trop bon !

M. Marc Le Fur. …comme une bonne intention. Les victimes et les associations de victimes nous disent ce qui se passe réellement : bien souvent, la victime apprend la libération de la personne qui l’a agressée parce qu’elle la croise dans le quartier où elle vit ! C’est ça, la réalité, mes chers collègues, et c’est ça qui est insupportable pour les victimes. Voilà ce qu’il faut changer ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Mais vous ne l’avez pas changé !

Mme Elisabeth Pochon. Cela n’existe que depuis deux ans ?

M. Marc Le Fur. Nous avons progressé, grâce aux lois de 2004 et de 2006, mais nous ne sommes pas allés jusqu’au bout. Il faut que les victimes aient des droits, notamment la possibilité de faire appel, et il faut qu’il y ait un véritable droit à l’information concernant la libération, surtout quand celle-ci est anticipée. Chacun peut le comprendre. Nous sommes dans une phase de laxisme. (« Oh ! » sur les bancs du groupe SRC.) Vous jetez les derniers feux de Mai 68, mes chers collègues ! (Mêmes exclamations.) C’est le terme !

M. Jean-Pierre Blazy. Vous allez mettre un bonnet rouge ?

M. Jean-Claude Perez. Plutôt un bonnet d’âne !

M. Marc Le Fur. Mais aujourd’hui les choses ont changé : les victimes ont cessé d’être de simples administrés. Elles exigent des droits ; elle exigent la possibilité d’être entendues ; elles exigent la possibilité d’avoir, au moins en termes juridiques, des droits comparables à ceux des personnes poursuivies, des personnes mises en examen et des personnes condamnées. (Applaudissements sur certains bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Ciotti.

M. Éric Ciotti. Madame la ministre, vous nous proposez dans cet article 1er une nouvelle définition de la peine.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. De la sanction !

M. Éric Ciotti. Je m’interroge sur l’opportunité de modifier cet article du code pénal, dans la mesure où cette définition n’a pas de portée normative, mais je mesure et comprends peut-être mieux votre objectif. Vous placez en effet sur le même plan, pour établir ce sens de la peine, la sanction et la réinsertion. Comme nous vous l’avons dit, pour nous, le sens de la peine et sa vocation première résident d’abord dans la nécessité pour toute société d’infliger une sanction à ceux qui ne respectent pas la loi commune.

Mme Elisabeth Pochon. Et à qui s’adresse la réinsertion ?

M. Éric Ciotti. Madame la ministre, je peux comprendre votre logique. Bien sûr, la fonction de réinsertion est importante et nécessaire, et nous la soutenons. Loin de nous l’idée d’admettre que la fonction de réinsertion n’a pas d’utilité. Elle en a naturellement une, qui est même essentielle.

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. On est d’accord !

M. Éric Ciotti. On peut débattre de la hiérarchie du sens de la peine, de sa définition, mais nous admettons que la fonction de réinsertion est nécessaire dans sa vocation réadaptatrice. Mais si l’on revient aux définitions originelles de la peine, vous pourrez convenir avec nous, madame la ministre, que la sanction a trois fonctions essentielles : une fonction intimidatrice,…

M. Pascal Cherki. L’exemplarité !

M. Éric Ciotti. …uisqu’elle est dissuasive et qu’elle veut être exemplaire pour prévenir la récidive ; une fonction réadaptatrice, celle que vous soutenez avec la réinsertion ; mais vous omettez – je rejoins Marc Le Fur sur ce point qui est assez révélateur quant à l’esprit du projet de loi – la fonction réparatrice qui est due aux victimes.

Plusieurs députés du groupe UMP. Évidemment !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Il est écrit : « dans le respect des droits reconnus à la victime » !

M. Éric Ciotti. Vous avez complètement omis dans cette définition, madame la ministre, cette fonction réparatrice que toute société doit aux victimes. Vous oubliez et vous négligez les victimes dans tout ce projet de loi, c’est particulièrement regrettable et contestable !

Plusieurs députés du groupe SRC. Mais c’est dans le texte !

Mme la présidente. La parole est à M. Claude Goasguen.

M. Claude Goasguen. Je ne suis pas très choqué par l’article 1er. Il est peut-être redondant, parce qu’il n’apporte pas grand-chose au code pénal, mais dire que la prison et la peine ont un but de réinsertion me paraît difficilement critiquable. J’appartiens moi-même, comme beaucoup d’entre nous, à cette école juridique du professeur Ancel de la défense du droit et de la réinsertion née après la guerre et je ne la renie pas.

M. Pascal Cherki. La défense sociale !

M. Claude Goasguen. Mais comme cet article aurait pu être intégré dans l’article du code pénal, puisqu’il n’apporte pas grand-chose, je veux insister sur la possibilité que vous aviez d’innover véritablement dans le droit. Il est en effet écrit dans cet article : « dans le respect des droits reconnus à la victime ». Soit ! Mais nous n’en sommes plus là.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Ah bon ?

M. Claude Goasguen. Non, car il y a quelques années, quand vous étiez dans l’opposition et nous dans la majorité, nous avions eu de longs débats sur la place de la victime au cœur de la sanction pénale, sujet qui n’est pas évident. « Dans le respect des droits reconnus à la victime », cela signifie qu’on fait référence à la loi et qu’on n’en parle plus. Pour moderniser le droit pénal, nous avons voulu que désormais la victime soit partie prenante dans le droit pénal.

M. Marc Le Fur. Exactement !

M. Claude Goasguen. Je vous rappelle qu’il y a eu un certain nombre de discussions dans cet hémicycle, qui ne sont pas allées suffisamment loin d’ailleurs. Nous avons décidé d’intégrer les victimes dans le cursus judiciaire, ce qui a soulevé, parmi les magistrats, des protestations offusquées dans la mesure où ceux-ci considèrent, à juste titre, qu’ils sont les représentants de la société et qu’ils sont donc, au fond, eux-mêmes les représentants des victimes. Cela est faux. Aujourd’hui, la progression de notre droit pénal doit permettre à la victime d’être une partie prenante dans le droit pénal et dans la peine. C’est très bien d’avoir écrit sur la peine et sur la réinsertion, mais cela ne suffit pas. J’ai vu un peu plus loin un amendement rédigé dans ce sens, déposé par l’un de nos collègues – de droite ou de gauche, je ne sais –, qui tend à mettre la victime comme troisième partie. Puisque vous voulez apporter quelque chose de nouveau au code pénal, il serait bon de poser comme troisième point le rôle de la victime, car la peine, c’est aussi la possibilité de lui redonner ce qu’elle a perdu, par le biais de la sanction. La victime a été une victime : elle est désormais une personne de droit qu’il faut considérer dans le procès pénal. Vous n’accepterez sans doute pas cet amendement, parce que le texte est déjà ficelé et qu’il a été discuté en commission des lois, mais je vous demande d’y réfléchir. Le respect des droits de la victime ne signifie pas que la victime est partie prenante au procès pénal.

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Tourret.

M. Alain Tourret. J’entends des choses totalement étonnantes, en particulier de la part de notre collègue Le Fur. Dire que tout est fait pour les voyous et rien pour les victimes, c’est invraisemblable ! Je veux bien que l’on se caricature soi-même, mais vous valez mieux que ça, monsieur Le Fur.

Je vous ai entendu tenir des propos sensés mais là, vous êtes hors du sens commun et je ne vous comprends plus. Jusqu’où n’allez-vous pas ! Votre vision est in fine celle de la justice privée.

M. Pascal Cherki. Exactement !

M. Alain Tourret. Ce que vous avez totalement oublié, c’est qu’à partir du moment où il y a une infraction, un auteur de l’infraction et une victime, il y a au milieu l’État et le parquet qui représente la société. Bien évidemment que la victime doit être partie prenante, mais ce n’est pas à elle de réclamer des peines, ni de faire des appels sur les peines. Vous allez vers la justice de l’Ouest ! Vous allez vers la justice du Ku Klux Klan ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Claude Goasguen. Mais non !

M. Alain Tourret. Bien sûr que si ! Votre conception, en écartant la présence de l’État et du parquet, est absolument inconcevable. C’est une régression inimaginable vis-à-vis de tout ce qui a pu être apporté en termes de défense de la société. Comment peut-il y avoir une défense sereine de la société sans le parquet ? Je vous le demande avec force ! Bien évidemment qu’il faut assurer la défense effective de la société et les droits des victimes, de même que la possibilité pour elles d’être indemnisées à tout moment et écoutées. Mais n’oubliez jamais qu’il y a l’État, au risque d’une vraie régression !

M. Marc Le Fur. L’État est déliquescent.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson.

M. Jean-Frédéric Poisson. Je rejoins ce que vient de dire notre collègue Goasguen sur cet article 1er, qui ne présente en réalité aucune portée normative et qui, de ce fait, trouve peine à justifier sa place dans le code dont nous parlons. Mais je voudrais profiter de cette discussion sur l’article 1er pour remercier madame le garde des sceaux d’avoir bien voulu réagir à ce que j’ai dit à la tribune tout à l’heure, en particulier sur deux points.

D’abord, il y aurait chez nous une forme de contradiction à dire à la fois que ce projet n’apporte aucune forme de novation et que ce serait un acte important du quinquennat. Mettez-vous d’accord, cela nous permettra de mieux comprendre ce que vous pensez. Ce ne sont pas tout à fait les mots que vous avez employés mais j’ai cru comprendre que c’était ce que vous pensiez.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Ne mettez pas de guillemets ! Pas de copyright !

M. Jean-Frédéric Poisson. La plupart du temps, je peux trouver mes mots tout seul, madame la garde des sceaux.

Il existe un grand nombre de systèmes de substitution, nous en parlons souvent en commission et, très franchement, le fait d’aménager les peines n’a pas un caractère tellement novateur mais, sur un plan symbolique, ce sur quoi nous vous alertons depuis le début de la discussion, y compris en commission, est que l’exagération du caractère individualisé de la peine produit un déséquilibre et affaiblit l’ordre général des sanctions. C’est simplement cela que nous voulons dire, il n’y a donc pas de contradiction à affirmer à la fois qu’il n’y a pas vraiment de novation dans ce texte et qu’il porte malgré sur des sujets graves.

Sur le fait déclencheur, par ailleurs, vous m’avez répondu que ce n’était certainement pas la surpopulation carcérale parce qu’il y avait moins de détenus en septembre 2012 qu’aujourd’hui. J’en conviens et cela montre d’ailleurs l’augmentation croissante du nombre de détenus dans notre pays, que nous avons les uns et les autres du mal à endiguer, je l’ai signalé tout à l’heure. Mais je me souviens de votre première intervention devant la commission des lois, au début de l’été 2012 : Vous nous aviez annoncé votre volonté de lutter de manière ferme et énergique contre la surpopulation. C’était un objectif politique affiché, que, encore une fois, nous pouvons parfaitement partager.

Le problème, c’est que, parmi les différents leviers offerts au Gouvernement pour agir, vous vous choisissez en priorité de tarir en quelque sorte le flux d’entrée dans le système carcéral. C’est ce que nous vous reprochons également.

Madame la présidente, l’amendement de suppression de l’article que j’ai déposé a été ainsi défendu.

Mme la présidente. La parole est à Mme Véronique Louwagie.

Mme Véronique Louwagie. L’article 1er est un article phare. Certes, il n’a pas une portée dramatique, cela a été rappelé, mais il traduit l’idéologie qui est la vôtre, celle du Gouvernement. Il a été jugé symbolique par des députés de la majorité.

Il est important de rappeler les finalités d’une peine. Une peine a de multiples fonctions, notamment rappeler les conséquences de la transgression de la loi. Il est important de juger les faits et non les individus, pour faire prévaloir l’objectivité.

Certes, nous avons tous la volonté, et personne ne le conteste, de favoriser l’amendement, l’insertion ou la réinsertion de chaque personne, y compris des condamnés. Mais ce qui est gênant dans cet article, c’est qu’il place sur un même plan, d’une part, la sanction et, d’autre part, l’amendement, l’insertion ou la réinsertion. C’est cette symétrie de positionnement qui est gênante et troublante.

Avant que l’on n’envisage l’insertion ou la réinsertion, doit intervenir la condamnation. Vient ensuite la sanction, qui a une vertu pédagogique, qui peut contribuer à favoriser l’insertion ou la réinsertion, et qui doit également avoir une fonction réparatrice.

Finalement, le fait de mettre sur un même niveau la sanction et l’insertion peut être perçu comme du mépris par les victimes. Or la sanction a également une vertu, la réparation, qui doit être importante et qui est en quelque sorte un dédommagement de la victime, dont nous devons prendre en compte la situation. C’est la raison pour laquelle nous demandons la suppression de l’article 1er.

M. Marc Le Fur. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Georges Fenech.

M. Georges Fenech. Si vous le permettez, madame la ministre, je voudrais vous rappeler une date qui a été un choc pour nous tous, pour vous surtout mais pour nous aussi, c’était le 21 avril 2002. Je ne sais pas si vous mesurez à quel point vous risquez de vivre la même chose avec la politique que vous menez…

M. Pascal Popelin. Ou plutôt avec les comportements que vous adoptez !

M. Georges Fenech. …et d’aller vers un nouveau 21 avril, en 2017. Souvenez-vous de ce qu’avait dit Lionel Jospin pendant la campagne : j’ai péché par angélisme,…

M. Pascal Popelin. Il n’a pas dit ça !

M. Georges Fenech. …j’ai cru qu’en faisant reculer le chômage, je ferais reculer la délinquance.

M. Sébastien Denaja. La phrase est fausse, il a parlé de naïveté !

M. Georges Fenech. Vous avez raison, pardonnez-moi, mais c’est la même chose. En 2002, souvenez-vous, le thème de la sécurité était le thème numéro un de la campagne présidentielle, qui a donc vu se produire le 21 avril.

Lorsque Manuel Valls est arrivé place Beauvau, et on se souvient qu’il a été le conseiller de Lionel Jospin, la première des choses qu’il avait dite, c’est : c’en est fini de l’angélisme de la gauche.

Malheureusement, chassez le naturel et il revient au galop, et vous retombez finalement dans les mêmes errements. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Marc Le Fur. Tout à fait !

M. Georges Fenech. J’en veux d’ailleurs pour preuve, madame la garde des sceaux, le fait que vous ayez parlé hier dans votre intervention de la doctrine de la défense sociale nouvelle, une doctrine bien connue des années soixante conceptualisée par Marc Ancel, qui repose sur le déterminisme social du crime, dans une sorte de dialectique matérialiste du crime, une dialectique marxiste finalement. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Plusieurs députés du groupe SRC. Mais non !

M. Nicolas Dhuicq. Tout à fait !

M. Georges Fenech. C’est toute la différence entre vous et nous. Vous, vous croyez qu’il faut s’attaquer uniquement aux causes du crime parce qu’il y a un déterminisme social du crime et nous, nous laissons une grande part au libre arbitre de l’individu. Nous croyons que, dans une situation équivalente de difficulté, de précarité, l’individu a encore le choix, soit de s’en sortir…

M. Marc Le Fur. Tout à fait !

M. Georges Fenech. …en faisant des efforts, soit de se livrer à une criminalité lucrative. Sur ce point, nous ne nous retrouverons pas et nous ne nous retrouverons manifestement jamais. C’est ce qui, finalement, nous différencie.

Nous allons être durs non seulement avec les causes du crime mais aussi avec le criminel, avait dit Tony Blair, Premier ministre de gauche. Vous n’avez pas fait, vous, votre aggiornamento, et je suis vraiment surpris par les discours que nous entendons depuis le commencement de la discussion de ce texte.

M. Denys Robiliard. Nous, nous ne sommes pas surpris !

M. Georges Fenech. Finalement, et j’en reviens à l’article 1er, vous confondez tout, vous brouillez les pistes, avec une véritable intention que nous décryptons parfaitement. Vous voulez en fait rééduquer les hommes. C’est cela le but, et on le voit dans les termes utilisés, comme « amendement ». Vous oubliez que le juge répressif est un juge répressif, un juge qui sanctionne. Lorsque le juge du tribunal correctionnel donne une peine de cinq ans, c’est cinq ans pour punir, priver de liberté, infliger une souffrance. Comme le rappelait Éric Ciotti, il s’agit non seulement de dissuader quelqu’un de récidiver mais encore d’adresser un avertissement collectif à toute la société. C’est la dissuasion collective.

Pour vous, le juge doit être aussi un éducateur, c’est un juge super-éducateur. Vous alignez finalement le régime de la justice des majeurs sur celui de la justice des mineurs, vous faites du juge correctionnel un juge des mineurs. Vous traitez le majeur comme un mineur. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Vous pouvez me traiter de fou, mais j’exprime une idée, en toute sincérité. Respectez l’opposition, s’il vous plaît.

Nous avons là une vraie différence, madame la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Un grand nombre de différences !

M. Georges Fenech. Cela aboutit à des résultats diamétralement différents. Je vais le dire au risque de vous faire hurler, de 2002 à 2012, la délinquance avait baissé de manière générale de 16 %. (Protestations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Le nombre d’agressions sur les personnes a augmenté !

M. Sébastien Denaja. Il n’y a pas que les comptes de l’UMP qu’ils avaient trafiqués !

M. Georges Fenech. Cela veut dire que, lorsque l’on applique une politique ferme de lutte contre la délinquance, on obtient des résultats. Or vous êtes en train de détricoter, telle Pénélope, tout ce que nous avions fait avant vous. Lors de cette première réunion à la commission des lois dont a parlé Jean-Frédéric Poisson, je m’en souviens très bien, vous aviez annoncé, et vous avez au moins de la constance, que vous alliez mettre à bas tout ce qui avait été fait par Nicolas Sarkozy. Vous aviez annoncé la suppression des peines plancher. Vous aviez annoncé la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs, nous attendons le prochain texte. Vous aviez annoncé la suppression de la rétention de sûreté pour les criminels dangereux, nous attendons également ce prochain texte.

Vous revenez donc finalement à vos vieilles lunes en croyant que vous allez mieux protéger la société de cette façon. Vous vous donnez bonne conscience en expliquant que vous vous occupez des victimes, que vous allez créer dans tous les tribunaux des bureaux des victimes, ce que nous n’avons pas fait. Il est urgent que vous créiez des bureaux partout parce que des victimes, il y en aura de plus en plus. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Sébastien Denaja. La chute est lamentable !

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Hetzel.

M. Patrick Hetzel. La philosophie que vous développez, madame la ministre, c’est qu’il faut rapprocher la justice de nos concitoyens. Avec le texte que vous nous présentez, c’est très largement le contraire qui va arriver.

Les Français expriment très nettement leur volonté qu’on les protège et que l’on soit ferme. Selon un certain nombre de sondages récents, 72 % d’entre eux demandent une plus grande sévérité à l’égard des récidivistes en général et une limitation des remises en liberté en particulier, 77 % d’entre eux souhaitant d’ailleurs le maintien ou le renforcement des peines plancher.

Or, avec votre réforme, la justice sera moins ferme contre la petite délinquance. Vous allez par ailleurs développer la libération conditionnelle et les libérations sous contrainte, supprimer les peines plancher, et vous n’avez strictement rien prévu pour les victimes. Heureusement qu’un certain nombre de collègues ont déposé des amendements pour les prendre en compte.

En fait, votre texte conduira immanquablement à aggraver la défiance de nos concitoyens envers la justice, alors qu’elle est déjà très grande, 77 % des Français estimant qu’elle fonctionne mal.

Face à une vraie difficulté, un diagnostic réel, vous creusez une fois de plus l’écart entre nos concitoyens et la justice. C’est tout de même un véritable paradoxe pour une ministre de la justice. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Cherki.

M. Pascal Cherki. Entendre le pauvre professeur Ancel être traité de marxiste, je pense que cela ferait rire des générations de juristes… Mais ce n’est pas de cela que je voudrais parler.

Il y a quelque chose qui me surprend dans votre argumentation, chers collègues de droite, c’est que vous reprochez à la loi de définir ce qu’est une peine ; mais une peine doit être définie. Si ce n’est pas la loi qui la définit, c’est la jurisprudence. Or il est tout de même bien d’indiquer dans le code pénal ce qu’est une peine, sa nature, ses objectifs.

Par ailleurs, il y a une hiérarchie. On sanctionne d’abord l’acte et, ensuite, on prépare la réinsertion.

M. Patrick Hetzel. Vous ne hiérarchisez plus, c’est bien ça le problème !

M. Marc Le Fur. Et la victime là-dedans ? Vous n’employez même pas le terme !

M. Pascal Cherki. Refuser de préparer la réinsertion, cela signifie pour vous soit que, par magie, nous pourrions remonter le temps et faire en sorte que l’acte n’ait jamais eu lieu, soit que nous devrions éliminer définitivement l’auteur de l’acte et donc ne pas avoir à nous poser non plus la question de la réinsertion. Or, comme il n’y a pas de peine perpétuelle pour la majorité des infractions qui sont commises, délits, voire crimes, il faut bien se poser la question de savoir ce que deviendra la personne quand elle sortira de la prison au bout d’un certain temps.

Dernier élément, et je vous invite, mes chers collègues, à lire tous les travaux des criminologues depuis des décennies, quels que soient d’ailleurs les courants de la criminologie,…

Plusieurs députés du groupe UMP. Nous les avons lus !

M. Pascal Cherki. …et je m’étonne qu’un magistrat comme M. Fenech puisse feindre de les ignorer, sauf pour des raisons tactiques (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), …

M. Georges Fenech. Il n’y a pas de magistrat ici, il n’y a que des députés !

M. Pascal Cherki. Un acte, en lui-même, ne dit rien, et un procès est toujours, à un moment donné, la rencontre de l’acte que l’on doit sanctionner, avec son auteur. Aucun acte ne ressemble à un autre. Même si les conséquences pour la victime sont terribles, elle voudra toujours comprendre les motivations de l’auteur de l’acte. Elle en a besoin pour pouvoir se reconstruire.

Votre argumentation n’est que de la tactique politicienne. On tombe dans l’argutie et vos propos ne vous honorent pas !

M. Claude Goasguen. Et la victime ?

Mme la présidente. La parole est à M. Guy Geoffroy.

M. Guy Geoffroy. Je ne reprendrai pas l’intégralité des arguments avancés par nos collègues, quoi qu’il serait assez utile de le faire pour qu’ils soient entendus une fois de plus. La pédagogie, on le sait, c’est l’art de la répétition.

L’intervention de M. Cherki me pousse à vous expliquer en quoi votre article 1er et la définition que vous donnez de la peine posent problème.

Vous aggravez le déséquilibre entre l’auteur d’une infraction et la victime. Ce déséquilibre existe déjà aujourd’hui du fait que la victime n’est pas partie au procès pénal. C’est vrai, c’est un sujet.

Certains considèrent que la victime pourrait être partie au procès pénal, avec les lourdes conséquences qui pourraient en découler. D’autres ne le pensent pas. Aujourd’hui, ce n’est pas le cas.

Bien sûr, vous êtes d’accord pour punir l’auteur d’une infraction mais vous pensez surtout qu’avant de le punir, il faut anticiper le coup d’après. Je voudrais au contraire que l’on garde à l’esprit le caractère totalement indissociable de la punition, l’aspect rétributif de la sanction, et de la réparation, qui ne peut avoir de vraie valeur que dès lors que l’on fait comprendre à l’auteur, s’il est capable de l’accepter, la portée de son geste, ce qu’il est réellement et les conséquences qui pourraient en découler s’il ne le comprenait pas bien.

Pour vous, il faudrait parler le moins possible de la sanction…

M. Pascal Cherki. Mais enfin !

M. Guy Geoffroy. …pour se consacrer à la réinsertion de l’auteur de l’infraction. Pourquoi pas ? Mais si l’on insiste sur la réinsertion, ce à quoi personne ne peut s’opposer, restez ouverts à une réflexion autour de la place de la victime dans le procès pénal. Dès lors qu’une personne est incriminée, c’est qu’elle a commis une infraction. S’il n’y a pas d’infraction, il n’y a pas de victime et pas davantage d’auteur à incriminer. Il y a un lien, qu’il faut savoir retravailler, mieux évoquer, rendre plus efficace, effectif, efficient puisque telle est désormais l’ambition de votre texte. Il y a un lien, à partir d’une infraction, entre l’auteur d’une infraction et la victime de cette infraction.

Je regrette vraiment que vous aggraviez ce déséquilibre sans entendre nos arguments en faveur de nouveaux équilibres, à partir des nouvelles attentes de la société, parmi lesquelles un meilleur respect et une meilleure prise en compte de la victime dans le procès pénal qui met face à face la société et l’auteur de l’infraction. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Gérard.

M. Bernard Gérard. L’on peut lire dans le volumineux rapport qui nous a été remis que le droit pénal serait déboussolé et décrédibilisé. Ce n’est pas le droit pénal qui l’est, mais les Français, qui ne croient plus en leur justice, déboussolés par le sort aujourd’hui réservé aux victimes dans notre pays.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Vous avez du mal à vous élever ! Je vais vous offrir une échelle !

M. Bernard Gérard. Madame la garde des sceaux, si vous voulez vraiment aider les élus que nous sommes, les élus locaux, qui réunissent le conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance, qui assistent à des réunions pour les zones de sécurité prioritaire, que votre Gouvernement a créées, vous devez nous aider à répondre à ceux qui nous demandent à quel moment l’on pense à la victime !

Bien sûr, vous avez inscrit dans votre article 1er qu’il fallait agir dans le respect des droits reconnus à la victime mais lorsque vous écrivez que la peine a pour fonction de sanctionner le condamné, de favoriser son amendement, son insertion ou sa réinsertion, vous ne pouvez pas oublier d’ajouter que la peine doit aussi servir à réparer le préjudice subi par la victime. Là est le problème ! Vous nous laissez totalement nus, si j’ose m’exprimer ainsi, devant nos électeurs, nos concitoyens, devant les Français qui ne comprennent pas que les victimes ne soient pas au cœur de nos préoccupations.

M. Guy Geoffroy. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Permettez-moi de formuler quelques remarques, au sujet tout d’abord de la victime. Si vous essayez d’introduire l’idée que la peine remplit une quelconque fonction de réparation à l’endroit de la victime, vous placez cette dernière dans une position insupportable…

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Bien sûr !

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. …parce que jamais aucune peine ne pourra apaiser son chagrin.

M. Patrick Hetzel. Ce n’est pas ce que nous avons dit !

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Sans compter que beaucoup d’infractions ne font pas de victimes !

Je sais bien qu’une partie de la peine doit aussi servir à répondre à ce besoin. Mais si vous le dîtes expressément, vous placez la victime dans une quête sans fin, insatiable.

M. Claude Goasguen. Pourquoi ?

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Je veux me garder de toute caricature mais voyez l’exemple des États-Unis qui, après avoir poussé ce système à l’extrême, ne parviennent plus à le juguler.

M. Claude Goasguen. C’est vrai.

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. De surcroît, ils connaissent une inflation carcérale extraordinaire, avec plus de 2,5 millions de prisonniers et un taux d’incarcération terrifiant de l’ordre de 700 pour 100 000 habitants. Le fait pour la famille de la victime d’assister à la condamnation à mort du coupable ne peut pas l’apaiser car le défunt ne réapparaît pas pour autant. Je caricature, bien évidemment, mais ne créons pas de nouveaux droits pour les victimes. Aménageons ceux qui existent mais ne créons pas de droit d’appel sur la peine et ne faisons pas peser sur la victime, d’une quelconque manière, la responsabilité de la peine.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Exactement !

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. La peine est là pour réparer l’outrage fait à la société. Si vous sortez de cette logique, le risque est grand de ne jamais trouver de place pour la victime.

Revenons à notre texte qui opère une avancée formidable en direction des victimes. Il prévoit – je reprends votre expression, monsieur Le Fur, qui est bien trouvée –, que les voyous paieront 10 % d’amende en plus pour abonder les associations d’aide aux victimes. Mais c’est parfait !

M. Guy Geoffroy. C’est en effet une très bonne idée !

M. Claude Goasguen. Inscrivez-la à l’article 1er !

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Il faut nous faire des compliments de temps en temps ! Cela nous encourage, comprenez-vous ? (Sourires).

M. Patrick Hetzel. C’est vrai que vous en auriez bigrement besoin !

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Pas forcément, on poursuit notre chemin, mais un petit encouragement des spectateurs, ce n’est jamais mauvais dans une course cycliste. (Rires.)

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est vrai que vous pédalez !

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Monsieur Gérard, nos concitoyens ne sont pas désespérés par la mauvaise place de la victime mais par le dysfonctionnement général du triptyque police-justice-pénitentiaire. Tous les élus locaux que nous sommes savent bien que, dès l’instant où une infraction a été constituée, c’est la bouteille à l’encre, on ne sait jamais ce qu’il adviendra. L’auteur a été convoqué par le commissariat mais ensuite, le traitement est tout aussi opaque pour l’auteur que pour la victime et les forces de l’ordre. D’ailleurs, lorsque les policiers sont interrogés par les victimes qui se demandent où en est la procédure, ils sont bien en peine de leur répondre.

C’est aussi ce problème qu’il faut résoudre. Nous pouvons nous mettre d’accord, je pense, sur l’existence d’un dysfonctionnement, auquel il faut remédier.

S’agissant de la mesure de la délinquance, je ne voudrais pas polémiquer à l’infini, mais nous n’avons pas du tout de chiffres, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, des trucages ont pu se produire. La Cour des comptes a ainsi relevé que l’ensemble des escroqueries à la carte bancaire n’avait jamais été enregistrée pendant toute une période parce que l’on considérait que la victime était la banque et non son client, que dès lors il lui appartenait, à elle, de faire enregistrer la plainte, et non au particulier. Or, quand une banque portait 200 ou 500 plaintes, celles-ci comptaient pour un fait ! Les méthodes de comptage ont pu ainsi être malhonnêtes.

Les statistiques de la police sont les seules méthodes de comptage dont nous disposons mais elles ne mesurent pas la délinquance.

Enfin, ce texte vise à éviter les sorties sèches, à exercer un contrôle sur les sortants de prison, y compris en direction de ceux qui sont de mauvaise volonté, de ceux qui ne manifestent aucune empathie, monsieur Dhuicq, de ceux qui ne sont pas accessibles à la culpabilité. On prévoit de les surveiller, et on le prévoit tellement bien qu’on envisage de les mettre dehors sans forcément leur demander leur avis. Vous verrez que la commission des lois a adopté des amendements visant à rendre révocable le crédit de réduction de peine pour que l’on puisse faire peser une épée de Damoclès au-dessus de la tête des 72 000 condamnés qui sortent, y compris ceux qui sortent en fin de peine. C’est un progrès important. Je vous invite par conséquent à nous encourager. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Compte tenu des explications du rapporteur, je serai très brève. Monsieur Geoffroy, vous prétendez que nous voudrions parler le moins possible de la sanction mais je vous renvoie aux remarques de Mme Bechtel. Vous passez votre temps à nous reprocher une sorte de philosophie supposée, mais quand nous l’écrivons explicitement, vous ne voulez pas en tenir compte. Celle-là, elle est affichée et assumée ! Pas la philosophie fantasmatique que vous exprimez par slogans, non.

Monsieur Geoffroy, je ne m’adresse pas à vous particulièrement, je ne sais pas pourquoi c’est sur vous que j’ai posé les yeux ; mais je ne faisais là qu’une digression. (Sourires.) En tout cas, cet article 1er affiche bien la philosophie que nous assumons.

Monsieur Geoffroy, vous travaillez trop sur les textes relatifs à la justice pour que je ne vous fasse pas observer que ce texte ne touche pas l’échelle des peines. Nous l’avons dit et répété. Nous énonçons là les fonctions et les finalités de la peine. Si nous avions modifié l’échelle des peines, nous en aurions exposé dans cet article 1er la logique et la philosophie. Nous n’y avons pas touché, mais nous sommes conscients qu’il faut y travailler. J’en veux pour preuve l’installation de la mission présidée par Bruno Cotte, ancien président de la chambre criminelle de la Cour de cassation, actuellement président de chambre à la Cour pénale internationale, pour réfléchir au droit des peines.

Vous avez en effet adopté tant de lois….

M. Matthias Fekl. Vingt-sept !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. …que l’échelle des peines en est devenue incohérente ! L’échelle des peines, dans une société démocratique, traduit aussi l’échelle des valeurs ! Lorsque, comme aujourd’hui, des atteintes aux biens en viennent à être punies plus sévèrement que les atteintes aux personnes, il y a une distorsion entre l’échelle des valeurs et l’échelle des peines ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et GDR.)

Nous devrons nous atteler à ce travail, mais c’est un travail sérieux, un travail de fond, qui demande du temps. Nous l’avons confié à la mission Cotte, que sa composition rend incontestable, de par sa compétence et sa moralité. Nous lui avons donné le temps nécessaire puisqu’elle devrait nous rendre ses conclusions à la fin de l’année 2015.



Venons-en enfin au texte. Vous nous parlez des victimes sur tous les tons, mais vous n’avez pas de crédibilité ! Rappelons les chiffres !



M. Jean-Frédéric Poisson. Nous sommes les représentants de la Nation et à ce titre, parfaitement légitimes pour parler des victimes !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Depuis deux ans, vous nous faites la leçon sur les victimes ! Or, le budget d’aide aux victimes n’a cessé de décroître durant les trois dernières années de votre quinquennat !

Je suis désolée d’avoir à la répéter, mais je me suis tue pendant deux années alors que vous nous faisiez chaque jour des procès sur les victimes ! Je me suis tue pour une raison simple : ce Gouvernement, lui, respecte les victimes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Patrick Hetzel. C’est inacceptable !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous refusons de les instrumentaliser, et nous estimons que ce que nous faisons pour les victimes, c’est parce que nous le leur devons !

M. Bernard Gérard. Vous ne devez pas beaucoup les respecter !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Et nous parlons des victimes au pluriel ! Vous avez mis trois ans pour ouvrir cinquante bureaux d’aide aux victimes ; en une année, nous en avons ouvert et consolidé cent ! Nous avons lancé une expérimentation du suivi individualisé des victimes.

M. Jean-Frédéric Poisson. Ah ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Tout à fait. Cessez donc de nous faire des procès sur les victimes !

M. Georges Fenech. Personne ne vous fait de procès !

M. Matthias Fekl. Vous ne faites que cela !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Vous n’aviez plus réuni le conseil national d’aide aux victimes depuis 2010 !

M. Marc Le Fur et M. Claude Goasguen. Ce n’est pas le sujet !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Vous n’avez pas qualité pour nous donner des leçons sur les victimes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Quant à nous, nous respectons les victimes et nous en parlons parce que chacune est une personne ! La Victime incarnée n’existe pas ; il s’agit de personnes qui, à un moment de leur vie, sont confrontées à une souffrance, à une douleur, et qui doivent les affronter ! Il ne faut pas leur faire croire que la décision judiciaire répare cette souffrance et cette douleur.

M. Claude Goasguen. C’est complètement rétrograde !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. La décision judiciaire est prononcée par nos juridictions en fonction des actes commis, de leur gravité et des circonstances de leur commission, du parcours de leur auteur et de son comportement à l’égard des victimes et des peines prononcées. Cependant, on ne saurait faire croire aux victimes que cette sanction répare leur souffrance.

C’est pour cela que l’État leur doit une politique d’aide, d’accompagnement et de respect.

M. Claude Goasguen. Alors faites-la !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous refusons d’essentialiser les victimes !

M. Marc Le Fur. Donnez-leur au moins des droits !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous refusons de les instrumentaliser !

M. Patrick Hetzel. Au contraire, c’est vous qui les instrumentalisez !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous avons raison de les respecter ! Leurs droits existent, et ils se traduisent concrètement dans nos politiques publiques !

Je ne me fais aucune illusion : jusqu’à la fin de nos débats, vous nous donnerez des leçons…

M. Claude Goasguen. Sur les victimes, oui !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. …et nous démontrerez votre prétendue compassion impuissante.

M. Claude Goasguen. Ce n’est pas de la compassion !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. De notre côté, je vous le dis : nous ne cesserons pas de rappeler toutes les défaillances de vos politiques lors du précédent quinquennat ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et GDR.)

Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements identiques de suppression, nos 215, 289 et 547.

La parole est à M. Georges Fenech, pour soutenir l’amendement n215.

M. Georges Fenech. Il est défendu. Je ne reviendrai pas sur ce que mes collègues ont parfaitement expliqué. Je dirai simplement ceci à Mme la garde des sceaux : nous aimons tant les victimes que moins il y en a, mieux nous nous portons !

M. Patrick Hetzel. Bravo !

M. Jean-Pierre Blazy. Ce n’est pas un argument !

M. Matthias Fekl. Vingt-sept lois en douze ans !

M. Georges Fenech. Entre 2002 et 2012, la délinquance a diminué de 16 %, soit environ 500 000 victimes en moins : c’est ainsi que nous les aimons. De votre côté, vous aimez manifestement tant les victimes que vous vous faites les contempteurs de la justice restaurative.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. C’est faux !

M. Georges Fenech. Vous aimez mettre les victimes à la même table que les auteurs des crimes afin qu’ils se rencontrent et qu’ils s’expliquent en vue d’un amendement, voire d’un pardon…

Mme Elisabeth Pochon. Non !

M. Georges Fenech. Nous ne partageons pas cette conception, et nous n’obligerons jamais la victime à rencontrer son agresseur !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson, pour soutenir l’amendement n289.

M. Jean-Frédéric Poisson. Il est défendu.

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Hetzel, pour soutenir l’amendement n547.

M. Patrick Hetzel. Cet amendement nous offre l’occasion de revenir sur un point évoqué par M. Cherki, de manière très surprenante. Il a, dans son argumentation, estimé qu’il était légitime de définir les peines : certes, mais si nous portons le fer en défendant ces amendements, c’est parce que vous semblez placer sur un pied d’égalité la question de la peine en tant qu’acte de punition et celle de la réinsertion. Elles ne sont pourtant pas de même nature ! En réalité, par cet article 1er, vous considérez qu’il s’agit d’une vision unifiée, consubstantielle, systémique et systématique.

M. Nicolas Dhuicq. Très bien !

M. Patrick Hetzel. C’est très grave, car vous faites ainsi en sorte que l’une et l’autre questions se valent ! C’est contraire à tout ce qui s’est pratiqué jusqu’ici. Vous êtes en train de provoquer une évolution paradigmatique majeure de notre code pénal et, pis, vous ne semblez pas même vous en rendre compte ! En réalité, vous estimez que la peine est certes nécessaire, mais vous lui enlevez sa dimension substantielle, qu’elle doit pourtant avoir ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Avis défavorable. Je ferai deux remarques. Tout d’abord, monsieur Fenech, il n’y a pas une victime par infraction, et la diminution de la délinquance que vous évoquez n’existe pas. Nous sommes dans le brouillard quant à l’appréciation de la réalité de la délinquance et ne disposons que de la mesure fournie par les statistiques policières.

Quant à la révolution paradigmatique dont vous parlez, monsieur Hetzel, nous l’aurions faite si nous avions placé les éléments du texte dans l’ordre inverse. Or, nous écrivons ceci : la peine a pour but, premièrement, de sanctionner le condamné et, deuxièmement, de favoriser sa réinsertion. C’est bien dans cet ordre qu’est écrit le texte ; il n’y a donc nulle révolution. Nous mettons en avant la sanction, qui a un sens social, puis tâchons que cette sanction soit efficace – et ce qu’il s’agisse d’une amende, d’un travail d’intérêt général ou encore d’une peine de sursis avec mise à l’épreuve – et, une fois la sanction exécutée, que les faits ne se reproduisent pas.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Claude Goasguen.

M. Claude Goasguen. Je voudrais simplement rappeler à Mme la ministre que, pour nous, la victime ne sert pas à faire pleurer les foules !

M. Matthias Fekl. C’est bien de le dire.

M. Claude Goasguen. Ce n’était pas du tout le sens de mon intervention. Le problème tient à la présence de la victime au procès.

M. Marc Le Fur. Voilà !

M. Claude Goasguen. Les choses sont claires ! La présence de la victime au procès n’a rien à voir avec les bureaux d’aide aux victimes ! Vous le savez, monsieur le rapporteur, puisque nous faisons le même métier : nous ne saurions céder aux excès du procès américain.

M. Denys Robiliard. Aux États-Unis, les victimes ne sont pas parties prenantes aux procès !

M. Claude Goasguen. Néanmoins, peut-être faudrait-il tout de même faire évoluer notre système juridique ! Madame la ministre vient de rappeler la place qu’elle accorde aux magistrats, qui sont les représentants de la société et, par conséquent, des victimes dans un but égalitaire – puisque nous ferions pleurer la société avec les victimes… Elle se trompe complètement ! Nous sommes dans une société totalement ouverte. Le cheminement qui a conduit à la présence de la victime au procès est une évidence historique et nous ne saurions résister longtemps dans un système hypermédiatisé où le magistrat porte seul le poids de décisions dont on parle à longueur de journée à la télévision, dans la presse ou encore sur internet… Il faut parfois faire évoluer le procès. J’estime que la présence de la victime au procès est une absolue nécessité, car la victime en est une partie intégrante – tout comme le sont la sanction et la réinsertion.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Elle est présente au procès !

M. Claude Goasguen. Vous nous avez également déclaré, madame la garde des sceaux, que vous ne touchiez pas à l’échelle des peines. Certes, vous n’osez pas y toucher, mais vous y touchez tout de même ! Le Conseil constitutionnel vous le rappellera d’ailleurs très vite. Comme l’a dit M. Badinter qui, en la matière, n’est pas le dernier des juristes, votre système consiste à formaliser sous l’apparence d’une peine accessoire. Or, si cette peine accessoire ne porte pas ses fruits, que se passera-t-il ? Allez-vous condamner une deuxième fois le coupable sur lequel la peine accessoire n’a pas eu d’effets ? Vous connaissez pourtant le dogme juridique : en droit romain, nulla poena sine lege, il n’y a pas de peine sans loi. Vous aurez donc un problème avec le Conseil constitutionnel !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. D’accord.

M. Claude Goasguen. Vous ne pouvez pas ignorer le fait que les mesures que vous proposez ne seront pas forcément positives, et si elles sont négatives, elles seront anticonstitutionnelles – vous le verrez. Ce n’est pas moi qui l’ai inventé : M. Badinter vous l’a rappelé. Je vous conseille donc de corriger ce problème au cours de la navette.

En tout état de cause, madame la garde des sceaux, ne caricaturez pas le point de vue de l’opposition !

M. Pascal Popelin. Vous vous caricaturez vous-mêmes !

M. Claude Goasguen. Je suis d’accord avec la réinsertion, avec la peine, mais convenez aussi que si l’on évoque la présence de la victime au procès, ce n’est pas pour faire pleurer le peuple et vous faire passer pour des bourreaux quand nous serions les défenseurs des victimes !

M. Pouria Amirshahi. C’est bien de le préciser !

M. Claude Goasguen. C’est une chose bien plus profonde qui est en jeu : l’évolution du procès. Vous verrez qu’inévitablement, la victime sera de plus en plus présente au procès : c’est le sens de l’histoire. Le magistrat du XXIè siècle n’est pas celui du XIXè siècle.

Mme Elisabeth Pochon. Il y a donc bien eu une évolution !

M. Claude Goasguen. Vous nous dites par exemple que l’on ôtera au magistrat la possibilité d’individualiser la peine. Où avez-vous donc vu cela ? La peine plancher n’interdit pas l’individualisation de la peine ! Le Conseil constitutionnel a validé le dispositif des peines plancher, que je sache !

Mme Marie-Françoise Bechtel. Parce que vous aviez modifié le dispositif initial !

M. Claude Goasguen. Le magistrat, lorsqu’il prononce une peine inférieure à la peine plancher, donne son avis sur l’individualisation de la peine. Hélas, dans votre esprit, le magistrat doit pouvoir tout. Non ! M. Tourret évoquait tout à l’heure une « justice de cow-boys ». Avec toute l’admiration que j’ai pour le talent de mon confrère Tourret, je me demande néanmoins si, en Normandie, les procès se déroulent comme partout ailleurs ! (Rires sur quelques bancs.)

M. Guy Geoffroy. C’est l’Ouest !

Mme la présidente. Je vous confirme que c’est le cas, monsieur Goasguen. La parole est à M. Patrick Hetzel.

M. Patrick Hetzel. Je vous remercie, madame la présidente, de nous rassurer sur ce qui se passe chez vous, en Normandie. (Sourires.) Plus sérieusement, monsieur le rapporteur, j’ai entendu votre argumentation avec grand intérêt, mais elle ne tient pas debout ! Le fait que le texte mentionne en premier lieu la sanction du condamné et en second lieu la promotion de son amendement n’implique aucune logique de hiérarchisation. Nombreux sont les textes de loi qui comportent plusieurs points. Tout le problème tient au fait que, dans cet article, vous défendez une vision englobante.

Plus inquiétant encore, il existe un décalage entre les arguments que vous venez de formuler et la rédaction du texte. Si l’on voulait mettre vos arguments en pratique, il faudrait alors écrire que la peine a pour fonction avant tout de sanctionner le condamné et, ensuite, de favoriser son amendement, son insertion ou sa réinsertion. Or, ce n’est pas le cas ! C’est la vision englobante qui caractérise cet article 1er qui nous incite à défendre ces amendements, parce que nous la récusons : la sanction et la réinsertion ne sauraient être assimilées car elles ne sont pas de même nature !

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Françoise Bechtel.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Je souhaite simplement donner à M. Hetzel lecture de l’article 1er de la loi pénitentiaire de 2009, que ses collègues ont votée : « Le régime d’exécution de la peine de privation de liberté concilie la protection de la société, la sanction du condamné et les intérêts de la victime avec la nécessité de préparer l’insertion ou la réinsertion de la personne détenue afin de lui permettre de mener une vie responsable et de prévenir la commission de nouvelles infractions ».

M. Marc Le Fur. Nous sommes d’accord !

M. Guy Geoffroy. Mais nous parlons de l’exécution !

Mme Marie-Françoise Bechtel. Il n’y a donc aucune hiérarchisation.

M. Claude Goasguen. Nous n’avons jamais dit qu’il devait y avoir hiérarchisation ! Nous parlons de l’exécution !

Mme Marie-Françoise Bechtel. Il ne s’agit que de concilier deux éléments qui, dans ce texte, sont mis sur le même plan davantage encore que dans l’article dont nous débattons.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Chers collègues, puisque nous faisons la loi, et notamment la loi pénale, nous devons lire ce que nous écrivons. Sans faire une exégèse que l’on imposerait à un étudiant de première année, je me permets donc de rappeler ce que dit ce texte,…

M. Jean-Frédéric Poisson. Voilà qui n’est pas bête !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. … texte qui, incidemment, ne précise pas ce qu’est une peine de privation de liberté.

M. Jean-Frédéric Poisson. Nous sommes d’accord !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Il traite de la peine, uniquement de la peine, et non pas seulement de la peine de privation de liberté.

M. Claude Goasguen. Bien sûr ! C’est précisément ce que je viens de dire !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. De quoi traite donc ce texte, qui introduit une nouveauté dans le code pénal ? Il traite de l’objectif de la peine et de sa fonction. Ce sont deux choses différentes : la fonction de la peine consiste à sanctionner le condamné et à favoriser son amendement, son insertion ou sa réinsertion.

M. Claude Goasguen. Très bien.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Pourquoi ? Référons-nous au début du texte : « afin d’assurer la protection effective de la société ». C’est là le sens, et non la fonction, de la peine. Toute peine, quelle qu’elle soit, a pour vocation d’assurer la protection effective de la société. Est-ce là une disposition laxiste ? Ne peut-elle pas nous rassembler ?

M. Jean-Frédéric Poisson. Est-ce qu’elle est nouvelle ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Deuxièmement, chers collègues, le sens de la peine, c’est prévenir la commission de nouvelles infractions et restaurer l’équilibre social.

M. Jean-Frédéric Poisson. Est-ce nouveau ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Troisièmement le texte précise : « dans le respect des droits reconnus à la victime ». Cela signifie que le sens de la peine ne peut pas méconnaître les droits reconnus à la victime.

M. Jean-Frédéric Poisson. Est-ce nouveau ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Voilà ce que dit cet article. Et c’est pour cela que vous essayez, depuis une heure et demie, de démontrer que nous sommes laxistes.

M. Guy Geoffroy. Ce n’est pas pour cette raison !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Cette introduction dans le code pénal va servir. Elle pourra servir dans les débats que notre collègue Goasguen a fort justement évoqués. Je pense notamment au problème de la place de la victime dans le procès. Mais ce qui importe, c’est que le sens de la peine et sa fonction sont rappelés dans cet article. Nous pouvons nous renvoyer les responsabilités pendant des heures, en vous reprochant d’être les bourreaux, tandis que vous nous taxez de laxisme. Tout cela n’a aucun intérêt ! Ce qui est important, c’est de travailler sur le texte que nous avons adopté en commission et sur les enjeux de la loi pénale, que nous sommes en train de modifier. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson.

M. Jean-Frédéric Poisson. Je remercie notre collègue Le Bouillonnec d’avoir rappelé que, contrairement à ce que nous avons entendu tout à l’heure, il n’y avait pas de définition de la peine, mais que celle-ci avait des objectifs et des fonctions.

M. Sébastien Denaja. C’est une définition fonctionnelle ! (Sourires.)

M. Jean-Frédéric Poisson. Monsieur Denaja, j’attends avec intérêt la définition d’une « définition fonctionnelle » ! Si vous voulez bien me la communiquer un de ces jours…

Monsieur Le Bouillonnec, nous avons, à l’occasion de la discussion générale, posé une question : quel est le caractère normatif de cet article ? Il va servir, dites-vous. Peut-être, mais à quoi ?

Le président de la commission des lois me rendra justice sur ce point : je peux me tromper, mais j’estime que si un article ne doit servir à rien, il ne faut pas l’écrire !

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. C’est vrai !

M. Jean-Frédéric Poisson. Je considère, nous l’avons dit dans l’exposé des motifs, que la portée normative de cet article est nulle et non avenue. Et j’attends toujours que M. Le Bouillonnec me dise à quoi il va servir.

Mme Marie-Françoise Bechtel. À quoi sert la loi de 2009 ?

M. Jean-Frédéric Poisson. Par ailleurs, en quoi cette disposition de l’article 1er est-elle nouvelle ? Vous vous faites une gloire de dire que la peine doit être respectueuse des droits des victimes. Encore heureux !

Cher collègue Le Bouillonnec, je ne vous prends pas à partie, mais vous connaissez assez cet hémicycle pour savoir nous profitons de la discussion sur l’article 1er pour dire un certain nombre de choses que nous n’aurons peut-être pas l’occasion ou le temps de dire plus tard.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. C’est dommage !

M. Jean-Frédéric Poisson. J’ai si bien observé la façon dont vous procédiez pendant la précédente législature qu’il m’arrive de m’en inspirer ! (Rires.)

Mme Colette Capdevielle. L’élève dépasse le maître !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Non, monsieur Poisson, l’article 1er n’est pas inutile. Il définit le principe qui va servir ensuite à élaborer la loi. Je pense notamment à la nécessité de prévenir la récidive. C’est ce que dit le texte : « Afin d’assurer la protection effective de la société ». L’ensemble du dispositif législatif que nous proposons est articulé dans son concept à partir de ce qui est écrit dans l’article 1er et dans l’article 2.

Ces deux articles posent les conditions dans lesquelles nous visitons le processus de la sanction pénale et les conditions dans lesquelles nous essayons de replacer ce dispositif.

(Les amendements identiques nos 215, 289 et 547 ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 517 et 664.

La parole est à M. Patrick Hetzel, pour soutenir l’amendement n517.

M. Patrick Hetzel. Cet amendement vise à insérer à l’alinéa 2, après le mot « société » les mots « de rétablir la justice, de garantir la sécurité de tous les citoyens ».

Il est indispensable d’inclure dans cet article plusieurs notions fondamentales, notamment la justice et la sécurité. Dans un premier temps, nous avons défendu un amendement de suppression de l’article 1er. Celui-ci ayant été rejeté, nous vous proposons un amendement de repli. L’article 1er étant maintenu, il nous semble essentiel de préciser qu’il s’agit de rétablir la justice et de garantir la sécurité de tous les citoyens. Ces deux notions permettent en effet de répondre à la définition de la finalité et aux fonctions de la peine.

Mme la présidente. La parole est à Mme Annie Genevard, pour soutenir l’amendement n664.

Mme Annie Genevard. Cet amendement propose d’ajouter les notions de rétablissement de la justice et de garantie de la sécurité de tous les citoyens.

Ces notions nous paraissent fondamentales. En matière de sécurité, il faut un message clair et fort, un message qui soit à la fois de réassurance et d’autorité.

Lorsque Nicolas Sarkozy est devenu ministre de l’intérieur…

M. Pouria Amirshahi. Hélas, de sinistre mémoire !

Mme Annie Genevard. …je me rappelle le propos d’un gendarme qui m’avait dit ceci : « Le nouveau ministre de l’intérieur n’a pas encore déposé de projet de loi que le message est déjà passé. Nous observons déjà sur le terrain les effets d’un message très clair, très fort, un message d’autorité qui réaffirme l’importance de l’autorité. »

M. Pouria Amirshahi. C’était de l’impuissance et de la démagogie permanente !

Mme Annie Genevard. Madame la garde des sceaux, que vous le vouliez ou non, avant même que nous n’ayons commencé nos débats, votre texte a délivré un message et nos concitoyens s’en sont émus.

Plusieurs députés du groupe SRC. Non, c’est vous qui l’êtes !

Mme Annie Genevard. Ce message s’est imposé malgré vous. Vous devez en tenir compte, parce que votre devoir est de réassurer la société et de délivrer un message d’autorité. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. Guy Geoffroy. Absolument !

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Madame Genevard, le message ne s’est pas imposé tout seul ! Vous l’avez martelé pendant deux ans. Forcément, cela finit par laisser des traces ! Ce faisant, vous n’avez pas œuvré pour le bien commun. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Annie Genevard. Les Français ne sont pas aveugles !

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Sur le fond, la rédaction adoptée par la commission propose d’assurer la protection effective de la société et de prévenir la commission de nouvelles infractions. Vos préoccupations semblent donc satisfaites.

Avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Défavorable, pour les mêmes raisons que celles exprimées par la commission.

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Hetzel.

M. Patrick Hetzel. Monsieur le rapporteur, vous avez une vision caricaturale de nos concitoyens. Ce qu’ils ont pu constater au cours des deux dernières années les a conduits à se forger une opinion n toute indépendance. C’est le laxisme du Gouvernement qui est en cause.

M. Gérard Sebaoun. Cela n’a rien à voir !

M. Patrick Hetzel. Si vous avez des doutes, pensez aux résultats des élections municipales et européennes ! Cela devrait vous inciter à montrer un peu plus de modestie lorsque vous émettez un jugement sur les avis de nos concitoyens.

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Raimbourg.

M. Dominique Raimbourg. J’ai beaucoup de considération pour les avis de nos concitoyens. Cela étant, le Conseil supérieur de l’audiovisuel a constaté que la place des faits divers dans les journaux télévisés a été multipliée par deux en l’espace de dix ans. Cela peut faire comprendre que la peur se soit emparée de nos concitoyens sans que l’on ait constaté une véritable augmentation de la délinquance, proportionnelle à cette peur.

Les dysfonctionnements de la chaîne pénale, du triptyque pénal police-justice-pénitentiaire, peuvent également justifier le mécontentement de nos concitoyens.

Mme Annie Genevard. C’est vrai ! Sur ce point, nous sommes d’accord !

(Les amendements identiques nos 517 et 664 ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Tourret, pour soutenir l’amendement n733.

M. Alain Tourret. Lors de nos débats en commission, deux amendements ont permis d’enrichir le texte initial, en précisant que l’on doit assurer la protection effective de la société et prévenir la commission de nouvelles infractions.

Je n’ai pas obtenu gain de cause devant la commission, mais j’ai pensé qu’il serait intéressant de préciser que l’on doit assurer les droits « et intérêts de » la victime.

Cette nouvelle rédaction permettrait une protection plus large des droits de la victime. Par « intérêts », il faut entendre non pas les intérêts financiers, mais les intérêts moraux. Tout doit être fait pour assurer, bien sûr, l’indemnisation, et c’est ce qui est prévu par le mécanisme qui est proposé, mais il me semble intéressant de préciser dès à présent qu’outre les droits de la victime, ses intérêts doivent être garantis.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Défavorable.

Nous avons préféré employer le mot « intérêts » à l’article 132-24 quand il est question de l’exécution et de l’application de la loi pour le procès. Les droits nous paraissaient plus à leur place à l’article 1er.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Également défavorable.

J’ai entendu votre explication, monsieur Tourret. Cela étant, cette prise en compte est énoncée dans le texte même. En outre, la prise en compte des intérêts de la victime ne se fait pas seulement dans le cadre du procès. Elle se fait aussi par les politiques publiques et, quoi qu’en pensent certains, les politiques publiques sont importantes. Car accompagner les victimes, travailler sur les procédures d’indemnisation, leur offrir un lieu où elles peuvent être accueillies et informées, tout cela fait partie de la défense des intérêts moraux. La peine en soi a sa part de réparation morale, mais elle ne sature pas la nécessaire réparation morale.

Par conséquent, nous ne voulons pas négliger la part qui revient aux politiques publiques, en plus des dispositions normatives qui ont été rappelées par le rapporteur.

Si vous acceptez notre argumentation, monsieur Tourret, je vous propose de retirer cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson.

M. Jean-Frédéric Poisson. Le groupe UMP votera cet amendement. Pour ma part, je suis assez sceptique sur la notion et la formulation de « droits reconnus ». Il y a des droits ou il n’y en a pas. Le mot « reconnus » est un apport douteux.

En revanche, madame la garde des sceaux, je ne comprends pas votre argumentation. Nulle part dans l’amendement de notre collègue Tourret, il n’est écrit qu’il y aurait une forme d’exclusive à ce que la peine épuisât toutes les manières de rétablir la victime dans ses intérêts. Ce n’est pas ce que dit l’amendement. Ce caractère d’exclusivité n’existe pas dans la formulation.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je n’ai pas dit que c’est que c’est ce que dit l’amendement. Je dis simplement qu’il y a une part de réparation qui revient aux pouvoirs publics.

M. Jean-Frédéric Poisson. Puisque nous sommes, cher collègue Denaja, dans une définition fonctionnelle de la peine, – cela me semble compliqué, compte tenu de la brillante argumentation développée tout à l’heure par Jean-Yves Le Bouillonnec – faire figurer que les intérêts font partie effectivement des fonctions essentielles de la peine ne me paraît pas complètement superfétatoire.

Pour ces raisons, si cet amendement va jusque-là, madame la présidente, nous aurons la joie de le voter.

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Tourret.

M. Alain Tourret. Je suis très ennuyé, car je suis persuadé d’avoir raison, mais je ne voudrais pas être cause de trouble pour la majorité.

Je retire l’amendement. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

(L’amendement n733 est retiré.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson, pour soutenir l’amendement n282.

M. Jean-Frédéric Poisson. Il s’agit d’un amendement de repli. Nous nous efforçons là encore d’explorer les différentes fonctions de la peine, ses objectifs et son sens, puisque c’est bien ce dont il s’agit. J’ai écouté attentivement l’explication donnée tout à l’heure, pourquoi pas ? Il nous semble donc intéressant de préciser que dissuader de commettre une infraction fait partie des objectifs pédagogiques de la formulation même des sanctions. Voilà ce que propose cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Défavorable. Le texte de la loi prévoit déjà que la sanction a pour but de prévenir la commission de nouvelles infractions. Cela me paraît satisfaisant.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. C’est aussi ce que pense le Gouvernement. La prévention est englobée dans le texte.

(L’amendement n282 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Françoise Bechtel, pour soutenir l’amendement n727.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Il s’agit d’une question de langue française, en l’espèce d’un léger solécisme déjà présent dans la loi de 2009 que j’ai citée. En dépit d’un usage un peu laxiste qui tend à s’installer, la langue française retient encore la règle selon laquelle on ne sanctionne pas une personne. D’ailleurs, les juges y sont toujours attentifs dans la rédaction de leurs jugements. Ce que l’on sanctionne, c’est un comportement. Il est donc proposé de substituer au terme « sanctionner » les termes « infliger une sanction », plus conformes à la langue française. Je me permets de signaler que cet amendement est complété par l’amendement n728. En effet, comme le condamné disparaît de la rédaction du premier alinéa, je le réintroduis au deuxième en en proposant par l’amendement n728 une nouvelle rédaction préconisant « de favoriser l’amendement, l’insertion ou la réinsertion de la personne condamnée », et non « du condamné » d’ailleurs.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Avis défavorable.

M. Jean-Frédéric Poisson. Pourquoi donc ?

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. En effet, la langue évolue, comme l’a dit Mme Bechtel. On peut donc s’en tenir à la formulation du texte initial.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Mais non ! Il n’appartient pas au législateur de faire évoluer la langue !

M. Guy Geoffroy. Il est très bien, cet amendement !

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. J’avoue être un peu dans l’embarras. Vous proposez de remplacer « sanctionner » par « infliger une sanction », madame la députée, et je ne me battrai pas inconsidérément pour conserver la formulation initiale, même si j’entends parfaitement ce que dit M. le rapporteur. Nous avons déjà introduit dans le code pénal des néologismes à la signification stabilisée auxquels on fait ensuite référence. Votre formulation est plus élégante mais elle est moins neutre, c’est son défaut et la source de mon embarras.

M. Marc Le Fur. On a peur des mots, dans ce pays !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Ou alors « prononcer une sanction » ? Mais alors je ne sais que faire du complément…

Mme Marie-Françoise Bechtel. Il demeure inchangé.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Dès lors, pourquoi pas « prononcer une sanction » et non « sanctionner le condamné » ? Mais nous sommes en train de compliquer les choses, restons-en à « sanctionner ». En tout cas, le Gouvernement s’en remet à la sagesse de l’Assemblée. (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP.) Vous en êtes partie prenante, mesdames et messieurs les députés de l’opposition, et c’est une marque de confiance ! J’ai bien du mérite !

M. Patrick Hetzel. Nous l’apprécions !

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Hetzel.

M. Patrick Hetzel. Vous nous avez habituellement opposé d’autres arguments, monsieur le rapporteur. Moi qui suis votre collègue universitaire, je suis un peu surpris de l’argumentation que vous développez. Très clairement, Mme Bechtel a raison !

M. Marc Le Fur. Bien sûr !

M. Patrick Hetzel. Il s’agit d’un amendement qui est simplement rédactionnel, il ne s’agit pas d’autre chose. Il est conforme à la langue française alors que la rédaction initialement proposée ne l’est pas totalement. Nous devrions nous ranger à la sagesse évoquée par Mme la ministre.

M. Guy Geoffroy. Et vous aussi, monsieur le rapporteur !

Mme la présidente. La parole est à M. Nicolas Dhuicq.

M. Nicolas Dhuicq. Je comprends bien l’argument de l’excellent Dominique Raimbourg, dont chacun connaît la culture. Néanmoins, nous vivons une période de confusion. Notre langue est certes vivante et peut évoluer, mais beaucoup de nos compatriotes ne possèdent pas plus de 300 mots de vocabulaire, ce qui est l’une des sources de la violence. Il me semble donc important d’en revenir à l’argumentaire de notre collègue et défendre cet amendement. Il importe de maintenir une certaine forme de stabilité et de précision de la langue et c’est ce que fait l’amendement, car il rend les choses intelligibles. Je fais partie de ceux qui regrettent que le français ne soit plus la langue de la diplomatie, car cela éviterait peut-être quelques déboires lors de certaines crises internationales. Le français est une langue précise qui décrit le résultat d’une action quand l’anglais décrit le mouvement. Il me semble donc important de soutenir l’amendement proposé, sous peine de verser dans un relativisme généralisé qui affaiblira précisément ceux qui n’ont pas la maîtrise du vocabulaire.

M. Guy Geoffroy. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. À propos d’un sujet comme celui-ci, il me semble que chacun dispose de la liberté de vote. Je maintiens ma préférence pour « sanctionner » et suis sensible à l’argument de Mme Genevard selon lequel vous êtes très attentifs au message, chers collègues de l’opposition. Je veux bien admettre que la pureté de la langue voudrait que nous choisissions « infliger une sanction », mais il me semble que « sanctionner » est à la fois plus compréhensible pour nos concitoyens et qu’il recèle un sens plus bref et plus sec. Ainsi, le message dont le laxisme vous inquiète me paraît mieux transmis par « sanctionner » que par « infliger une sanction », mais je ne me battrai pas toute la nuit à ce sujet.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Françoise Bechtel.

Mme Marie-Françoise Bechtel. J’entends bien ce que dit M. le rapporteur, mais enfin nous sommes le législateur, non des académiciens en train de modifier la langue ni des commentateurs d’un match de football relevant qu’on a sanctionné untel !

M. Jean-Frédéric Poisson. Très bien !

Mme Marie-Françoise Bechtel. Il me semble que la loi doit tout de même conserver une forme de noblesse et d’exactitude linguistique. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.) Je me permettrai donc de proposer un sous-amendement inspiré de la suggestion émise par Mme la garde des sceaux, dont je sais qu’elle est très sensible à l’exactitude de la langue française. Il me semble que « prononcer une sanction » est plus neutre qu’« infliger une sanction ». Je me range donc à cette solution.

M. Marc Le Fur. On atténue la portée des mots !

Mme Marie-Françoise Bechtel. Dès lors, le deuxième alinéa ne change pas. Le premier prévoit de « prononcer une sanction » et le deuxième de « favoriser la réinsertion de la personne condamnée ».

Rappel au règlement

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson, pour un rappel au règlement.

M. Jean-Frédéric Poisson. Il sera bref et se fonde sur l’article 58-1 de notre règlement. Afin d’éviter que le débat ne parte dans tous les sens et afin que l’on comprenne ce que l’on va finalement voter, il me semble opportun qu’un orateur du groupe socialiste ou Mme la ministre demande une suspension de séance afin d’avoir le temps d’écrire le sous-amendement et de disposer d’une base solide pour continuer à débattre.

Mme la présidente. Certains orateurs du groupe socialiste ont déjà demandé la parole, cher collègue. J’ai bien enregistré la demande de rectification de l’amendement par son auteur au profit de « prononcer une sanction ».

Article 1er (suite)

Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Capdevielle.

Mme Colette Capdevielle. En fin de compte, les choses les plus simples sont finalement les meilleures. « Sanctionner le condamné » ne convient pas car une telle formulation porte atteinte à la présomption d’innocence. En effet, avant d’être sanctionné, on est présumé innocent. On ne peut donc sanctionner quelqu’un bénéficiant de la présomption d’innocence. Je propose donc de conserver « sanctionner », d’autant plus que la phrase précédente précise que « la peine a pour fonction premièrement de sanctionner et deuxièmement de favoriser l’amendement, l’insertion ou la réinsertion ».

M. Marc Le Fur. Ce n’est pas du tout le texte !

Mme Colette Capdevielle. Cette rédaction me semble finalement être la plus simple et respecter au mieux l’esprit du texte. En outre, elle est linguistiquement tout à fait correcte, c’est du français tout à fait correct.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Mais non !

Mme Colette Capdevielle. En outre, le terme « sanctionner » contient un sens punitif.

M. Marc Le Fur. Le texte a été mal rédigé !

Mme la présidente. La parole est à M. Guy Geoffroy.

M. Guy Geoffroy. Afin de ne pas allonger le débat, je parlerai de cet amendement en défendant le suivant, qui rejoint le propos qui vient d’être tenu. Je dois vous dire, monsieur le rapporteur, combien ma déception est grande. Lorsque nous débattions en commission, j’ai fait la remarque que vient de faire Mme Capdevielle, selon laquelle écrire dans la loi que l’on sanctionne un condamné est quelque chose de bien surprenant. Qu’est-ce qu’un jugement ? D’abord, on déclare quelqu’un coupable, après quoi on décide si oui ou non il y a matière à le sanctionner. Si on affirme sanctionner le condamné, je ne comprends plus rien, et non pas seulement à la langue française mais à ce que l’on écrit dans le code pénal !

Il serait convenable qu’il ressorte de nos amendements et de notre débat une solution qui satisferait à la fois la langue française et les deux parties de cet hémicycle, consistant à écrire que « la peine vise à infliger une sanction au coupable de l’infraction ». Nous disposerions alors de tous les éléments constitutifs non seulement du respect de la langue française mais aussi du bon ordonnancement de la manière dont la justice est rendue. Quant à mon amendement visant à remplacer le terme « condamné » par « coupable », si M. le rapporteur, qui était d’accord avec moi lorsque j’ai évoqué la question en fin de débat en commission, trouve le moyen de m’expliquer que cela n’est pas acceptable, je serai obligé de constater que même les amendements rédactionnels de bon goût ne sont pas recevables au seul motif qu’ils sont issus des bancs de l’opposition, ce qui serait vraiment très dommage !

Mme la présidente. La parole est à Mme Annie Genevard.

Mme Annie Genevard. Je vois dans notre débat la preuve de l’admirable qualité de la langue française, propre à susciter des débats ! Je rappelle néanmoins que nous débattons selon la procédure du temps programmé. Peut-être faut-il briser là le débat !

M. Marc Le Fur. L’Académie, c’est le jeudi ! (Sourires.)

Mme Annie Genevard. « Infliger une sanction » est une formulation qui n’a rien de scandaleux, c’est très bien, sortons-en !

M. Pouria Amirshahi. C’est sadique ! (Sourires.)

Mme la présidente. C’est bien parce que nous sommes en temps législatif programmé que je donne la parole à tous ceux qui la demandent, madame Genevard.

La parole est à M. Alain Tourret.

M. Alain Tourret. Je suis très gêné, car la formulation « sanctionner le condamné » me pose un véritable problème en raison de la présomption d’innocence.

M. Guy Geoffroy. Bien sûr !

M. Alain Tourret. Plus j’y réfléchis, plus je me dis que les deux sont absolument incompatibles et que nous nous exposerions à la sanction du Conseil constitutionnel. Dès lors, la seule solution est de retenir « infliger une sanction » ou simplement « sanctionner », l’un ou l’autre. Si Mme Capdevielle préfère « sanctionner », très bien, ou bien « infliger une sanction » qui est peut-être plus fort.

Mme Colette Capdevielle. C’est plus étroit !

M. Alain Tourret. Il me semble que « sanctionner » suffit. En tout cas, mentionner le condamné est une erreur.

Mme la présidente. La parole est à M. Georges Fenech.

M. Georges Fenech. Je voudrais apporter ma petite pierre à cette discussion très sémantique. Mon collègue et ami Geoffroy ne m’en voudra pas de lui dire que la formulation « infliger la sanction à un coupable » s’expose finalement à la même critique que la formulation évoquant le condamné, car il n’est pas coupable par avance. En revanche, Guy Geoffroy a bien indiqué tout à l’heure qu’il faut mentionner « après la déclaration de culpabilité ». C’est pourquoi je propose de retenir « infliger une sanction à la personne déclarée coupable ».

M. Guy Geoffroy. Absolument ! C’est exactement ce qu’il faut faire !

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Françoise Bechtel.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Je maintiens ma proposition de rectification mentionnant « prononcer une sanction ».

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Sachez, monsieur Geoffroy, qu’il n’a jamais été dans mon intention de refuser un amendement rédactionnel au motif qu’il provient de l’opposition. Si j’ai hésité à ce sujet, c’est que la sanction peut frapper le contrevenant, c’est-à-dire celui qui fait l’objet d’une contravention. Il n’est pas coupable, car la contravention est un fait objectif.

M. Guy Geoffroy. Il est encore moins condamné !

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Certes, mais il n’est pas coupable. Il va être condamné et pourtant on ne peut pas dire qu’il est coupable. Je rallie la position de Mme Genevard selon laquelle nous perdons beaucoup de temps programmé, or nous devons examiner 800 amendements et nous serons alors obligés de nous bousculer.

Donc, ce que je vous propose (« Une suspension de séance ! » sur les bancs du groupe UMP), c’est de voter sur l’amendement tel qu’il est, en misant sur le fait que le Sénat, éclairé par nos travaux, trouvera une meilleure formulation. En tout état de cause, il ne me paraît pas opportun de perdre trop de temps sur ce genre de question – et je ne dis cela que dans votre intérêt, mes chers collègues, car le temps de Mme la ministre et le mien ne sont pas comptabilisés.

M. Guy Geoffroy. Mais ce n’est pas neutre, tout de même !

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Le Fur.

M. Marc Le Fur. Je rappelle que nous sommes un mercredi à l’Assemblée, et non un jeudi à l’Académie française ! (Sourires.) Cela dit, les mots ont un sens, que les verbes renforcent. Ainsi, le mot « sanction » a un sens, renforcé par le verbe « infliger » – en l’occurrence, le verbe « infliger » est moins neutre que le verbe « prononcer ». C’est le message que nous souhaitons faire passer, et qui gêne un certain nombre d’entre vous. Si Mme Bechtel modifiait son amendement ou le retirait, nous le reprendrions de façon à le sous-amender dans le sens indiqué par nos collègues Fenech et Geoffroy. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Guy Geoffroy.

M. Guy Geoffroy. Je crois vraiment que si nous retenions la formule « infliger une sanction à l’auteur de l’infraction », personne ne saurait nous en faire grief.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marion Maréchal-Le Pen.

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Pour ma part, j’estime que l’expression « prononcer une sanction » pose un problème, dans la mesure où une peine ne prononce pas une sanction : c’est le juge qui prononce une sanction. Si l’on veut éviter de retenir une tournure qui serait clairement fautive, il est donc préférable d’en rester au verbe « sanctionner » ou à l’expression « infliger une sanction » – qui, contrairement à ce qui a été dit sur les bancs de la gauche, n’a rien de sadique. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. Je m’étonne que ceux qui ont tant de bonnes idées à proposer en séance n’aient pas songé à les soumettre à notre assemblée en amont, sous forme d’amendements. Je propose de mettre aux voix l’amendement de Mme Bechtel, tel qu’elle l’a rectifié…

M. Marc Le Fur. L’amendement est repris !

Mme la présidente. Vous ne pouvez pas reprendre un amendement qui a été défendu et va être mis aux voix, monsieur Le Fur !

M. Marc Le Fur. De fait, il est retiré !

Mme la présidente. Allons, monsieur Le Fur !

Votre amendement n727 est ainsi rectifié, madame Bechtel : « Rédiger ainsi l’alinéa 3

« 1° De prononcer une sanction ; ». »

Mme Marie-Françoise Bechtel. Absolument, madame la présidente.

Mme la présidente. C’est sur cet amendement que notre assemblée va voter, la commission ayant émis un avis défavorable et le Gouvernement s’en étant remis à la sagesse de l’Assemblée. Comme l’a dit M. le rapporteur, nos débats éclaireront le Sénat.

(L’amendement n727 rectifié n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Guy Geoffroy, pour soutenir l’amendement n202.

M. Guy Geoffroy. Défendu.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Défavorable, pour les raisons que j’ai indiquées précédemment.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Défavorable.

(L’amendement n202 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 598 et 729.

La parole est à M. Gilles Lurton, pour soutenir l’amendement n598.

M. Gilles Lurton. L’amendement n598 vise à compléter l’alinéa 3 de l’article 1er par les mots : « en fonction du préjudice subi par la victime ». Notre souci est de veiller à ce que le sort de la victime soit bien pris en considération dans ce texte.

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Chrétien, pour soutenir l’amendement identique n729.

M. Alain Chrétien. Nous avons bien compris, madame la ministre, que vous souhaitiez proposer une définition de la peine. Alors que cette définition, dont nous discutons depuis plusieurs heures, est sur le point d’être approuvée, nous estimons qu’elle est bancale. Je ne reviendrai pas sur les leçons que vous nous avez données sur le traitement des victimes mais, en ce qui nous concerne, nous souhaitons vraiment que la victime soit prise en compte dans la définition de la peine. Certes, il est important de sanctionner et amender, mais il ne faut pas perdre de vue la nécessité de réparer le préjudice subi par la victime, c’est-à-dire de tenir compte des conséquences des actes délictueux ou contraventionnels si l’on veut parvenir à une définition équilibrée de la peine.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Défavorable. Nous nous sommes déjà longuement expliqués au sujet de la prise en compte de la victime dans la peine elle-même.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Défavorable.

(Les amendements identiques nos 598 et 729 ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Françoise Bechtel, pour soutenir l’amendement n728.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Mon amendement n727 n’ayant pas été adopté, il n’a plus lieu d’être. Je le retire, madame la présidente.

(L’amendement n728 est retiré.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Annie Genevard, pour soutenir l’amendement n407.

Mme Annie Genevard. Je propose d’ajouter à l’alinéa 4 de l’article 1er, après le mot « amendement », les mots « et subsidiairement », ce qui permet de hiérarchiser les objectifs de ce projet de loi à l’égard des condamnés. Le Gouvernement a souhaité susciter une réflexion autour de la notion de peine. L’article 1er définit ainsi les finalités et les fonctions de la peine – ce dont le code pénal ne parle actuellement que très peu, puisque la doctrine et la jurisprudence s’accordent sur cette notion. Il nous semble important de hiérarchiser : certes, il faut sanctionner le condamné et favoriser son amendement et son insertion, mais il nous paraît nécessaire de souligner que l’amendement est plus important que l’insertion. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Colette Capdevielle. Il n’y a pas de hiérarchie.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Nous avons déjà échangé sur ce sujet. Une hiérarchie implicite résulte de la position des mots dans le texte, qu’il n’est pas nécessaire de souligner. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) La commission est donc défavorable à cet amendement.

Mme Annie Genevard. Puisqu’il y a une hiérarchie, exprimons-la !

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. La démarche de cet amendement est assez étonnante. Si l’on vise la prévention de la récidive, on doit avoir la préoccupation de l’insertion et de la réinsertion – qui n’ont absolument pas pour effet d’atténuer la peine prononcée et exécutée. Je le répète, l’obligation à la charge de la puissance publique de contribuer à l’insertion et à la réinsertion n’est pas sans cause : il est démontré que c’est le moyen et la condition de prévenir la récidive, ce qui est l’objet de ce texte – éviter que de nouveaux actes de délinquance ne se produisent, qui feraient de nouvelles victimes. Le Gouvernement est donc défavorable à cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à Mme Annie Genevard.

Mme Annie Genevard. J’entends ce que vous dites, madame la ministre, mais on ne peut faire abstraction du poids des symboles. Aux yeux de la victime – et de la société également –, la sanction peut importer davantage que l’insertion ou l’amendement, et c’est ce que nous souhaitons exprimer. M. le rapporteur a convenu qu’il existait un ordre des mots impliquant une hiérarchie. En ce qui nous concerne, nous proposons de passer de l’implicite à l’explicite.

(L’amendement n407 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

3

Ordre du jour de la prochaine séance

Mme la présidente. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :

Suite de la discussion du projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures cinquante-cinq.)

Le Directeur du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Nicolas Véron