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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2013-2014

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du mercredi 04 juin 2014

Présidence de M. Marc Le Fur

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

1

Prévention de la récidive et individualisation des peines

Suite de la discussion, après engagement de la procédure accélérée, d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, après engagement de la procédure accélérée, relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines (nos 1413, 1974).

Le temps de parole restant pour la discussion de ce texte est de sept heures trente-deux minutes pour le groupe SRC, dont 39 amendements sont en discussion ; sept heures trente-deux minutes pour le groupe UMP, dont 642 amendements sont en discussion ; trois heures vingt et une minutes pour le groupe UDI, dont 24 amendements sont en discussion ; une heure trente-trois minutes pour le groupe écologiste, dont 29 amendements sont en discussion ; une heure vingt-huit minutes pour le groupe RRDP, dont seize amendements sont en discussion ; une heure trente-cinq minutes pour le groupe GDR, dont sept amendements sont en discussion, et dix minutes pour les députés non inscrits.

Discussion des articles (suite)

M. le président. Cet après-midi, l’Assemblée a commencé la discussion des articles du projet de loi, s’arrêtant à l’amendement n739 rectifié à l’article 1er.

Article 1er (suite)

M. le président. L’amendement n739 rectifié n’étant pas défendu, nous en venons à plusieurs amendements, nos 132, 678, 663, 412, 595 et 785, pouvant être soumis à une discussion commune.

Les amendements nos 132 et 678 sont identiques, ainsi que les amendements nos 412, 595 et 785.

La parole est à M. Nicolas Dhuicq, pour soutenir l’amendement n132.

M. Nicolas Dhuicq. Madame la ministre de la justice, monsieur le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, nous débattons depuis quelques heures de questions d’équilibre relatives à la peine et à sa fonction, qui est, pour nous, principalement punitive et dissuasive : nous pensons en effet que la peine exerce un effet dissuasif, non seulement par rapport à d’éventuelles récidives, mais aussi vis-à-vis de ceux ou celles qui seraient tentés de reproduire des actes répréhensibles.

Vous nous proposez de mettre au même niveau une sorte de volonté réparatrice de la peine à l’échelle sociale, en recourant au terme d’« amendement ». Beaucoup d’entre vous considèrent que des déterminants socio-économiques sont à l’origine de la délinquance, analyse que nous sommes plus nombreux, du côté droit de l’hémicycle, à contester ; il n’est que de lire les rapports qui rappellent que ce n’est pas dans les zones rurales – où l’on peut pourtant trouver, contrairement à ce que l’on pense, les personnes les plus défavorisées – que se trouvent le plus grand nombre de délinquants.

L’amendement n132, dont la paternité revient au président de séance, M. Le Fur, et que nous sommes plusieurs à avoir cosigné, a pour objet de réparer le préjudice subi par la victime et de la réhabiliter dans sa dignité.

On emploie souvent, dans le cadre de nos débats, le terme « traumatisme ». De quoi s’agit-il ? C’est l’irruption dans le quotidien d’une personne d’un événement subi, inexplicable au regard de la normalité de cette personne, qui survient dans son univers, et sur lequel il ne parvient pas à mettre de mots. C’est cela, un traumatisme : l’impossibilité de mettre des mots sur un événement qui fait irruption dans votre réel et qui crée donc une brèche, une difficulté. La victime peut être atteinte, non seulement dans son corps mais aussi dans son esprit.

La violence, que seul l’État est habilité à exercer par délégation, au nom des citoyens, va être employée au moyen de la peine appliquée symboliquement au criminel ou aux contrevenants. Or, cette peine peut éventuellement faire partie du processus de réparation de la victime.

Cet amendement a donc pour objet d’intégrer ce raisonnement dans la loi.

Vous avez défendu le principe de l’amendement du criminel. Nous considérons, pour notre part, que le même principe doit également s’appliquer à la personne qui a été victime : tel est le sens de l’amendement n132.

M. le président. La parole est à M. Sébastien Huyghe, pour soutenir l’amendement identique n678.

M. Sébastien Huyghe. Cet amendement a pour objet de placer au cœur du procès pénal la victime, malheureusement un peu trop oubliée dans votre texte. Je me place dans le droit fil de l’intervention, sur l’article 1er, de Claude Goasguen, qui rappelait que nous avons eu cette réflexion sur la place de la victime dans le procès pénal à l’occasion de l’examen d’un autre texte, sous la législature précédente.

Malheureusement, cette discussion avait, à nos yeux, tourné un peu court. L’occasion nous est donnée, par l’examen de ce texte, de placer la victime au cœur du procès pénal et de la rendre partie prenante, alors qu’aujourd’hui, elle est bien trop oubliée.

M. Denys Robiliard. C’est faux !

M. le président. La parole est à M. Sébastien Huyghe, pour soutenir l’amendement n663.

M. Sébastien Huyghe. Il est défendu.

M. le président. Nous en venons à une seconde série d’amendements identiques, au sein de cette discussion commune. La parole est à M. Bernard Gérard, pour soutenir l’amendement n412.

M. Bernard Gérard. Madame la ministre, monsieur le rapporteur, il me semble extrêmement important, dans ce texte, de consacrer la place de la victime. Au reste, je rectifierai mon amendement en proposant de compléter cet article 1er par les mots : « De réparer le préjudice subi par la victime, partie civile. »

Je suis assez d’accord avec ce qu’a dit tout à l’heure M. le rapporteur, pour qui j’ai beaucoup d’estime : il n’est pas question de considérer que la partie civile pourrait relever appel et se substituer au procureur de la République. Je suis d’accord sur ce point.

Mais que doit-on dire à une victime ? Nous voulons lui dire qu’outre la peine qu’il plaira à M. le procureur de requérir et au tribunal de prononcer, elle – la partie civile, et parce qu’elle est partie civile – a droit à la réparation de son préjudice. C’est, ainsi, rétablir un équilibre entre l’infraction commise par l’auteur et la victime, qui a besoin de pouvoir s’exprimer devant le tribunal.

Si, dans la définition de la peine, on n’arrive pas à préciser que la victime joue un rôle important, je pense qu’on fait fausse route et que l’on a tort : tel est le sens de cet amendement.

M. le président. Votre amendement est donc rectifié par l’ajout des mots : « , partie civile ».

La parole est à M. Gilles Lurton, pour soutenir l’amendement n595.

M. Gilles Lurton. Je maintiens que la victime reste la laissée-pour-compte de ce projet. Vous avez, jusqu’à présent, rejeté les amendements que nous avons déposés afin de permettre une meilleure reconnaissance du préjudice subi. Nous maintenons pourtant qu’il est indispensable d’accorder à la victime la place nécessaire à la reconnaissance de son statut, afin qu’elle puisse tourner la page et, en fonction du préjudice subi, se réinsérer dans la société.

M. le président. La parole est à M. Michel Zumkeller, pour soutenir l’amendement n785.

M. Michel Zumkeller. J’ai bien entendu toutes les discussions que nous avons eues sur la place de la victime, et le fait, comme l’a dit le rapporteur, qu’aucune peine ne peut l’apaiser. Je pense que l’on est d’accord sur ce point. Mais tel n’est pas le sujet des amendements en discussion : leur objet est de permettre à chacun de trouver sa place dans cet article. Il serait en effet dommage, me semble-t-il, qu’aucune place n’y soit faite à la victime.

Le fait d’inscrire cela – même si j’entends très bien ce que vous dites – permettrait d’apporter quelque chose. Comme cela a été dit par beaucoup de collègues, il est difficile pour la victime d’admettre que la peine prononcée est assez forte. Le sentiment d’injustice qu’elle éprouve peut ensuite la conduire à juger que la justice ne fait pas son travail. On est tous ici, au sein de notre République, comptable de cela.

On ferait donc œuvre utile en mentionnant, à l’article 1er, l’importance de la victime. Cela permettrait à chacun de conserver ses convictions : on n’irait à l’encontre d’aucun raisonnement. On souhaite simplement rappeler la place occupée par les victimes : tel, à tout le moins, notre rôle.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour donner l’avis de la commission sur l’ensemble de ces amendements soumis à discussion commune.

M. Dominique Raimbourg, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Ces amendements sont présentés de façon beaucoup plus modérée que les autres amendements ayant trait à la place des victimes, aux termes desquels la victime obtiendrait réparation par le simple prononcé de la peine. On se situe donc dans un autre registre. Cela m’amène à vous donner un avis malheureusement défavorable, mais au moyen d’une argumentation différente. Dès lors que l’article 1er précise : « dans le respect des droits reconnus à la victime », la réparation du préjudice est renvoyée à tous les articles relatifs à la victime : elle interviendra donc ultérieurement.

La victime endosse son statut de victime dès l’instant où la société prononce une peine à l’encontre de l’auteur des faits et condamne le coupable – je ne reviens pas sur tous les débats que nous avons eus sur la sanction et la condamnation du coupable.

Il ne me semble pas nécessaire d’aller au-delà, sous peine de soulever la question de la peine qui viendrait réparer. Mon avis est défavorable malgré l’intérêt des deux dernières interventions.

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, pour donner l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Avis défavorable.

J’ai cru parfois déceler, dans les arguments que j’ai entendus, une confusion entre, d’une part, l’action publique et, d’autre part, l’action civile, qui permet la réparation du préjudice. Il y a eu deux débats cet après-midi. Le propos de M. le député Goasguen est d’une autre nature, car il pose vraiment la question du rôle et de la fonction du procès pénal dans une société démocratique.

On peut discuter de l’importance de la place de la victime. Quoi qu’il en soit, elle n’est pas exclue : des dispositions législatives l’ont installée dans le procès pénal ; elle peut notamment se constituer partie civile. Cependant, elle ne participe pas à la définition du jugement, ce qui est bien.

Plusieurs sujets sont évoqués et je crois qu’il y a une confusion. L’avis du Gouvernement est défavorable.

M. le président. La parole est à M. Julien Aubert.

M. Julien Aubert. Monsieur le rapporteur, la mention : « dans le respect des droits reconnus de la victime » ne correspond pas exactement à l’idée défendue dans l’amendement que j’ai cosigné. En effet, dans le procès pénal, la victime se positionne à côté de la relation entre le jugement et la personne jugée. Or, ce que nous proposons, c’est de faire en sorte que la peine puisse englober la victime au lieu de la mettre de côté.

J’entends bien votre argument selon lequel la victime devient victime à partir du moment où la justice la reconnaît comme telle en condamnant l’auteur des faits. Mais à partir du moment où nous réfléchissons sur le sens de la peine, le sujet est profond. En effet, cet acte de condamnation par la justice matérialise aussi une forme de réparation de préjudice.

Dans la formulation du jugement, si l’on punit et si l’on incite le condamné à s’amender, c’est aussi par rapport au préjudice qui a été commis. C’est pourquoi je ne crois pas que l’on puisse mettre sur le même plan l’expression : « dans le respect des droits » et le préjudice commis et la réhabilitation.

Ensuite, nous pouvons discuter sur le fond. Madame la ministre, vous estimez qu’il y a une confusion avec l’action civile. Là encore, je ne suis pas tout à fait d’accord. Nous avons une autre vision de ce que doivent être la peine prononcée et les critères sur lesquelles elle doit l’être.

M. le président. La parole est à M. Frédéric Lefebvre.

M. Frédéric Lefebvre. Madame la ministre, je tiens tout d’abord à vous dire, par courtoisie, que je suis désolé de n’avoir pu être présent au moment où vous avez répondu aux orateurs inscrits dans la discussion générale. Comme je vous l’avais dit, étant représentant des Français établis aux États-Unis et au Canada, j’ai été retenu par les cérémonies du D-Day.

En ce qui concerne la question de la victime, j’ai parfaitement entendu l’argument du rapporteur. Selon lui, ses droits sont déjà reconnus à l’article 1er, puisqu’il y est précisé : « dans le respect des droits de la victime. ».

Je suis persuadé que tout le monde ici est prêt à l’entendre, à condition que le rapporteur et la ministre nous apportent quelques précisions.

Nous avons déposé toute une série d’amendements visant à intégrer la victime dans le processus. Cela a été fait à l’occasion de différents textes adoptés dans cet hémicycle depuis de nombreuses années, et nous pouvons nous en féliciter. De même, dans le fonctionnement quotidien de la justice et de la police, des progrès sont faits en faveur de la victime, sans que pour autant on change la loi.

Je ne vous soupçonne pas de considérer que la victime ne doit pas être traitée de manière spécifique par l’institution judiciaire. Mais à quel moment êtes-vous prêts à accepter, à la faveur des amendements que nous avons déposés, de mentionner la victime ?

M. le président. La parole est à M. Nicolas Dhuicq.

M. Nicolas Dhuicq. Madame la ministre, monsieur le rapporteur, vous vous situez dans une perspective dynamique : vous souhaitez faire évoluer l’auteur d’un crime ou d’un délit pour qu’il rejoigne la communauté humaine, la communauté nationale, nationale et le rétablir comme personne humaine à part entière.

Mon amendement se situe dans la même perspective pour la victime. En effet, nous ne sommes pas dans une vision statique : l’objectif est que la victime ne se complaise pas, éventuellement, dans son statut de victime, qu’elle ne reste pas dans cette position, mais qu’elle puisse reprendre le cours normal des choses grâce à une réparation symbolique.

Nous sommes bien d’accord : les décisions matérielles que rendra la justice ne compenseront jamais les atteintes portées à la victime. Néanmoins, au plan symbolique, il semble important d’intégrer, pour celle-ci également, cette dimension dynamique, si nous voulons rétablir un équilibre avec la position du rapporteur et du Gouvernement, qui s’intéresse à l’évolution des criminels.

Pour notre part, nous souhaitons que la victime, par cette réhabilitation, puisse aussi s’engager dans une dynamique qui lui permette, à terme, de sortir de son statut de victime et de réintégrer, elle aussi, la communauté humaine, la communauté nationale, afin que le cours des choses reprenne malgré l’irruption dans sa réalité d’un événement que l’on pourrait appeler un traumatisme.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Monsieur Dhuicq, s’agissant de l’évolution de la victime, qui doit effectivement sortir du traumatisme, l’article 11 vous apporte une réponse, ainsi qu’à M. Lefebvre.

Il prévoit en effet toute une série de principes et de techniques sont prévues pour la victime : « Au cours de l’exécution de la peine, la victime a le droit : 1° de saisir l’autorité judiciaire de toutes atteintes à ses intérêts ; 2° d’obtenir la réparation de son préjudice par l’indemnisation de celui-ci ou par tout autre moyen adapté ; 3° d’être informée, si elle le souhaite, de la fin de l’exécution d’une peine privative de liberté dans les cas et conditions prévues par le présent code ; 4° à ce que soit prise en compte, s’il y a lieu, la nécessité de garantir sa tranquillité et sa sûreté. L’autorité judiciaire est tenue de garantir l’intégralité de ces droits tout au long de l’exécution de la peine quelles qu’en soient les modalités. »

Vous avez là, me semble-t-il, la réponse à vos interrogations. La victime est dans une dynamique, aussi difficile que cela puisse être, surtout si le traumatisme est extérieur et qu’elle ne connaît pas l’auteur de l’agression, de sorte qu’elle ressent comme une injustice du sort le fait que ce soit tombé sur elle.

Le texte de loi contient, me semble-t-il, les moyens de lui permettre ce mouvement dynamique qu’à juste titre vous souhaitez. Je ne peux donc que maintenir l’avis défavorable que j’ai émis précédemment.

(Les amendements identiques nos 132 et 678 ne sont pas adoptés.)

(L’amendement n663 n’est pas adopté.)

(L’amendement n412, tel qu’il vient d’être rectifié, n’est pas adopté.)

(Les amendements identiques nos 595 et 785 ne sont pas adoptés.)

(L’article 1er est adopté.)

Article 2

M. le président. La parole est à M. Nicolas Dhuicq, inscrit sur l’article.

M. Nicolas Dhuicq. Nous avons évoqué l’aspect dynamique des choses, tant pour la victime que pour l’auteur ou les auteurs des faits.

L’article 2 nous semble superfétatoire parce que nous pouvons penser que les magistrats, dans leur science, sont capables d’agir avec discernement et d’adapter les moyens d’action que leur donne le corpus législatif.

Dès lors, pourquoi faut-il écrire noir sur blanc que « toute peine prononcée par la juridiction doit être individualisée » ? D’autant que vous venez de refuser la possibilité de cette individualisation pour la victime, qui était l’un des objets des amendements que nous avons défendus à l’article 1er.

Sur ce point, vous nous avez renvoyés à l’article 11 qui, à mon sens, ne répond pas exactement à nos interrogations. Tout de même, lorsqu’un acte malveillant est commis à l’égard d’une personne, c’est une faillite globale de l’ensemble du système.

C’est une faillite de l’humain : dans des rapports entre humains, du moins dans notre société, on ne s’attend pas, lorsque l’on rencontre une autre personne, à se trouver agressé, volé ou violé. Ce n’est quand même pas une situation que l’on peut considérer comme normale ou comme faisant partie de l’expérience courante.

C’est une faillite du système éducatif, je l’ai dit.

C’est une faillite éventuellement parentale.

C’est une faillite de la société et de l’État dans son rôle de protecteur des citoyens et de seul détenteur de la violence, puisque les agressions, les attaques et les vols sont des actes de violence non autorisés et commis par des individus.

Cet article 2, qui précise que les peines sont individualisées, suscite une deuxième interrogation : beaucoup d’entre nous craignent que l’interprétation de la loi ne soit différente selon les tribunaux. Nous craignons en particulier que, dans des secteurs du territoire national fortement peuplés et affichant un fort taux de délinquance, ne s’applique le principe de réalité que nous avons déjà évoqué.

En France, les peines sont plus longues que dans d’autres pays européens mais elles ne sont pas appliquées, ou bien, en vertu d’un système que je trouve totalement absurde, elles ne sont jamais effectuées dans leur intégralité, du fait des remises de peine automatiques et d’autres avantages.

Lors du procès, la victime entend que son agresseur est condamné à une peine d’une certaine durée mais, en réalité, elle sait de plus en plus qu’il ne l’effectuera pas en totalité. Cela crée encore une disparité, une inquiétude et un décalage complet entre ce que les professionnels du droit pensent être la réalité et celle qui est perçue par l’ensemble de nos compatriotes.

Cet écart est extrêmement dangereux parce qu’il nourrit le ressentiment et la perte de confiance dans les institutions dans un pays où, je le rappelle, lors des dernières élections, plus de deux tiers des électeurs ne sont pas allés voter. Nous redoutons donc une situation extrêmement violente à terme. Le recours à l’agir se généralise de plus en plus, en particulier chez les jeunes, ce qui fera peut-être l’objet de débats sur l’article concernant les mineurs dans d’autres textes.

Dernier élément, dans le troisième alinéa, vous nous parlez de la personnalité de l’auteur.

Là encore, personnellement, je m’interroge beaucoup. En effet, j’ai lu la suite du texte et les documents qui l’accompagnent. Or la personnalité de l’auteur va être évaluée selon des critères canadiens – si j’ai bonne mémoire –, c’est-à-dire empruntés à la culture nord-américaine,…

Mme Elisabeth Pochon. Il n’y a rien de tel dans le texte ! Vous inventez complètement !

M. Nicolas Dhuicq. …laquelle ne correspond pas du tout à la nôtre et à ce que nous, Français – je pense en particulier aux professionnels de la santé –, entendons par le terme « personnalité ».

Allez-vous avoir recours de plus en plus à des experts, alors même que nous avons de plus en plus de mal à en trouver, surtout – je le dis sans aucune prétention – des experts réellement compétents et capables de fournir aux magistrats des expertises lisibles ? En effet, les expertises de certains de mes confrères ou de psychologues utilisent abondamment les néologismes, quand ils ne confinent pas à la jargonaphasie. Leurs analyses ne sont pas standardisées ; elles sont totalement incompréhensibles pour quiconque n’est pas un homme de l’art – quand elles ne le sont pas aussi pour un spécialiste.

Le corps social fait reposer une responsabilité gigantesque sur l’expert. Par conséquent, je trouve que cet article 2 est très dangereux. Il ouvre la porte à l’inégalité entre les citoyens devant la loi. En outre, il témoigne d’une dérive contre laquelle nous nous sommes déjà battus dans certains domaines : cette démarche est extrêmement normative. Elle est également inquiétante et ne correspond pas à la culture française en la matière.

M. le président. La parole est à Mme Annie Genevard.

Mme Annie Genevard. Cet article pose dans la loi le principe de l’individualisation des peines et prévoit une plus grande prise en compte de la personnalité et de la situation de l’auteur de l’infraction dans le choix de la peine.

Or l’individualisation de la peine existe déjà. Dans l’étude d’impact, il est question de « la longue affirmation du principe d’individualisation », formalisé dès le XIXsiècle. Dès 1983, on a posé, en se fondant sur ce principe, une alternative à l’emprisonnement. En effet, les alternatives à la prison existent, avec un panel de sanctions qui n’a cessé de s’enrichir avec le temps : travail d’intérêt général, peine de jour-amende, sanction-réparation, stage de citoyenneté, ou encore semi-liberté. Dès lors, on peut se demander s’il est utile d’aller plus loin et de donner au corps social le sentiment que l’on prend tant de soin du délinquant. Certains peuvent être tentés d’y voir une moindre prise en compte de la victime.

Garantir la paix sociale est un impératif. Pour cela, il faut donner confiance à la société ; il vous appartient, madame la garde des sceaux, de la rassurer. La logique de l’individualisation, poussée trop loin, est porteuse d’iniquités, donc d’inquiétudes.

M. le président. La parole est à Mme Colette Capdevielle.

Mme Colette Capdevielle. Cet article 2 traite de l’individualisation de la peine, ce qui nous amène précisément à la question de son efficacité. Ce qui est important pour nous, c’est que la peine soit affinée et adaptée. L’article 2 vient immédiatement après celui qui définit la portée de la peine.

Il n’y a absolument rien à craindre, monsieur Dhuicq : faites toute confiance aux magistrats.

Pour ce qui est, d’ailleurs, de faire confiance aux magistrats, voilà précisément un changement depuis deux ans : finie la période où l’on envoyait un hélicoptère au sommet de l’Himalaya pour aller chercher un procureur de la République. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Finies les convocations illico presto – je pense notamment à celle du vice-procureur de Nancy. Finis les rappels à l’ordre. (Nouvelles exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Sébastien Huyghe. Et le cabinet noir à l’Élysée ?

M. le président. Mes chers collègues, nous écoutons Mme Capdevielle ! Elle seule a la parole.

Mme Colette Capdevielle. Finies les méthodes expéditives portant atteinte à la liberté de parole à l’audience et à l’indépendance des magistrats.

M. Julien Aubert. Cahuzac !

M. le président. Monsieur Aubert !

Mme Colette Capdevielle. La peine plancher, que vous aviez mise en place, constituait une atteinte à l’indépendance des magistrats. Ceux qui ont tenté, dans leurs réquisitions, au nom de leur liberté, de ne pas les requérir, ont été rappelés à l’ordre.

M. Sébastien Huyghe. Mensonge !

Mme Colette Capdevielle. Je n’ai rien oublié de cette période. Je n’étais pas parlementaire, mais je peux vous assurer que je me souviens très bien de ce qui se passait à ce moment-là. Personne, d’ailleurs, ne l’a oublié. Je vois qu’il n’était pas mauvais que je vous rafraîchisse la mémoire.

Dans vos discours, vous revenez encore à cette question de la barémisation des peines. L’individualisation des peines vous gêne.

M. Sébastien Huyghe. Pas du tout ! Le problème est que votre loi est bavarde.

Mme Colette Capdevielle. Manifestement, l’indépendance de la magistrature vous dérange également. Vous n’avez toujours pas évolué. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Après avoir posé la définition dans l’article 1er, il est bon de préciser qu’on laisse le juge totalement libre d’individualiser la peine, en fixant des règles permettant de l’éclairer. Je considère donc qu’il s’agit là d’un bel article, qui va compléter utilement notre code pénal. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)



M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Tout à l’heure, nous allons examiner les amendements déposés sur cet article. Or, je voudrais appeler votre attention sur le fait que l’argumentaire fourni sur ces amendements a changé entre le passage en commission et l’examen en séance – sauf dans le cas de Mme Maréchal-Le Pen, qui est restée sur sa ligne, même si elle n’est pas présente ce soir.

En commission, il nous avait semblé comprendre que nos collègues remettaient en cause la démarche d’individualisation des peines au motif qu’ils considéraient qu’il fallait juger le fait et non la personne qui l’avait commis. Vous en trouverez la confirmation dans les propos échangés en commission.

Or l’idée que l’on juge la personne est le principe fondamental du droit. Souvenez-vous de cette histoire de porc pendu, au XVIsiècle, en Grande-Bretagne : c’est un exemple fameux de l’absolutisme des processus. Plus près de nous, et d’une manière plus singulière, vous vous souvenez certainement du cri de Victor Hugo qui accusait la France de faillir à ses valeurs : il disait à ses contemporains que, non seulement ils arrêtaient et amenaient devant le juge la mère ayant volé du pain pour nourrir ses enfants, alors même qu’ils avaient été incapables de leur en fournir, mais qu’en plus ils la faisaient condamner. Voilà ce qui est en jeu quand on considère qu’il faut juger la personne et non le fait.

Je me permets encore de faire observer un point important : si l’on jugeait simplement le fait et non la personne, il n’y aurait pas d’excuse de minorité, ni d’excuse de provocation, ni même de légitime défense. En effet, ce qui excuse l’acte commis, ce sont les éléments qui enlèvent l’exigence de sanction de la société parce que celle-ci a reconnu un élément supérieur.

Selon moi, il faut continuer à œuvrer pour l’individualisation des peines, qui n’est pas la même chose, je me permets de le dire, que la personnalisation de la sanction ; il ne faut pas les confondre. Nous parlons bien ici de l’individualisation. Cela signifie que le juge, qui a en face de lui une personne, va juger cette dernière en se fondant sur la totalité des éléments qu’il peut recueillir, dont la gravité de l’acte, mais aussi celle de la situation de la victime et l’ensemble des paramètres qui ont pu conduire cet homme ou cette femme à commettre des choses inacceptables. Voilà ce qu’est l’individualisation.

Voilà pourquoi il convient de rappeler, en tête de ce dispositif législatif, à cette place dans le code pénal et après avoir consacré l’idée selon laquelle il faut donner une finalité et une fonction à la peine, les raisons pour lesquelles ladite peine ne peut pas ne pas être inspirée par l’exigence d’individualisation. Ce sont là les fondamentaux du droit, qu’il nous revient, chers collègues – je me permets de le dire car je sais que vous en êtes convaincus – de protéger et de rappeler ici. Il ne faut pas laisser s’insinuer, dans notre pays, l’idée selon laquelle seul l’acte compte.

Une « justice radar » – car c’est bien de cela qu’il s’agit –, légitime, bien entendu, dans les processus contraventionnels, condamnerait tout le monde. Cela n’est pas acceptable. Voilà le sens de l’individualisation, que je tenais à rappeler ici. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme Sandrine Mazetier.

Mme Sandrine Mazetier. Il est toujours extrêmement difficile de parler après notre collègue Le Bouillonnec, tant il rappelle des évidences pleines de vérité et de sens et, qui plus est, avec talent.

L’article 2 complète tellement bien l’article 1er. (Rires sur les bancs du groupe UMP.) En effet, on ne peut pas rappeler l’objectif et la fonction de la peine sans rappeler en même temps qu’une peine n’a de sens que rapportée à l’individu qui a commis le délit.

Au moment de la réforme des 35 heures, la droite avait conduit une campagne dont l’un des slogans, non dénué d’efficacité, était : « Tout le monde ne chausse pas du 35 ». Eh bien, le principe est le même pour la justice.

Vous parlez de la victime, quand nous parlons des victimes. En effet, selon vous, il y a une seule victime, alors que, quant à nous, nous considérons que, outre cette victime, qu’il faut naturellement prendre en compte en examinant les préjudices qu’elle a subis, la société elle-même est aussi victime.

Vous considériez les magistrats comme des petits pois, quand nous estimons que le magistrat doit, dans la plénitude de sa fonction, par la délégation que la Constitution lui donne au nom du peuple français, prendre des décisions pour défendre la société, sanctionner les coupables, naturellement, et obtenir réparation pour les victimes. Mais nous considérons aussi que prémunir la société contre la réitération passe forcément par l’individualisation de la peine.

Si moi, Sandrine Mazetier, j’agresse physiquement quelqu’un – par exemple, mon collègue Nicolas Dhuicq, situé en face de moi (Rires), pour prendre quelqu’un au hasard –, et que l’on prononce contre moi un quantum de peine, en soi, cela ne veut rien dire. Est-ce que cela garantit à la société que je n’agresserai plus jamais personne ? Je n’en suis pas sûre. Est-ce que cela réparera le dommage infligé à ma victime – éventuelle, je vous rassure : je n’ai pas l’intention d’agresser physiquement qui que ce soit, en tout cas pour le moment ? Si je commets un délit, qu’est-ce que cela dit en soi ? Si l’on m’applique une peine standardisée, cela protège-t-il la société ? Selon moi, la société n’est en aucun cas protégée de la réitération, pas plus d’ailleurs que la victime.

Aussi extraordinaire que cela puisse paraître, le principe d’individualisation de la peine, de valeur constitutionnelle, n’est pas inscrit dans notre droit. C’est étrange. Puisque certains, sur les bancs qui me font face, sont si attachés que cela à la culture française, je leur rappelle que cette culture est caractérisée par le droit écrit : nous vivons les choses, nous en sommes pétris, mais nous les écrivons. Inscrivons donc dans notre droit le principe d’individualisation de la peine. C’est le meilleur garant d’un exercice juste de la justice, mais aussi de la compréhension de la sanction, de la protection des victimes et de la protection de la société contre le risque de récidive.

M. le président. La parole est à M. Georges Fenech.

M. Georges Fenech. Je crois que nous serons tous d’accord, mes chers collègues, pour dire que nous discutons d’une réforme pénale importante et qui montre tout ce qui nous oppose.

Je ne souhaite pas que l’on complique ce débat en polémiquant comme l’a fait Mme Capdevielle en rappelant de vieilles affaires…

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Ben voyons !

M. Georges Fenech. …comme celle de l’hélicoptère envoyé dans l’Himalaya, alors que cela remonte à la fin des années quatre-vingt-dix.

En ce qui nous concerne, nous ne sommes pas du tout dans cet état d’esprit : nous discutons d’un texte et nous ne nous lançons pas dans des polémiques stériles n’ayant rien à voir avec lui.

M. Patrick Hetzel. Très juste !

M. Georges Fenech. Conservons une certaine hauteur.

Voudriez-vous, par exemple, madame la garde des sceaux, que j’invoque l’affaire de François Faletti, que vous avez convoqué dans votre cabinet au motif qu’il n’est pas de la même sensibilité politique que vous ?

M. Patrick Hetzel. Exactement !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. C’est une calomnie ! Vous croyez que votre immunité vous protège ?

M. Georges Fenech. Je ne le ferai pas. Je vous le demande donc, madame la garde des sceaux : pourquoi les membres de la majorité compliquent-ils un débat sérieux et qui, jusqu’à présent, avait conservé une certaine hauteur ? Pourquoi nous parle-t-on tout à coup de l’hélicoptère envoyé dans l’Himalaya ? Revenons-en à un meilleur état d’esprit ; cela en vaut la peine.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Vous vous permettez des attaques personnelles à longueur de temps, et vous donnez des leçons ! Écoutez-vous donc !

M. Georges Fenech. Madame la ministre, laissez-moi parler, s’il vous plaît.

L’article 2 prévoit que « toute peine prononcée par la juridiction doit être individualisée ». Je me mets à la place des juges qui vont découvrir cet article. Mais que font-ils depuis toujours ? Ils prononcent des peines individualisées. L’individualisation des peines est un principe constitutionnel. La loi, nous le savons, est impersonnelle et générale ; elle est ensuite appliquée par les juges de manière individuelle. Cet article est redondant et inutile.

Peut-être Mme Capdevielle a-t-elle confondu tout à l’heure mesure individuelle et instruction individuelle du garde des sceaux ? On le lui pardonnera.

Mme Elisabeth Pochon. Quel mépris !

M. Georges Fenech. Insister sur cette individualisation de la peine n’a pas plus de sens que d’écrire : « toute peine prononcée par la juridiction doit être généralisée. » Vous faites bavarder la loi.

M. Pascal Popelin. Et vous, vous bavardez pour faire la loi !

M. Georges Fenech. Je ne comprends pas non plus le troisième alinéa de l’article : « Dans les limites fixées par la loi, la juridiction détermine la nature, le quantum et le régime des peines ». Que font les juges depuis toujours lorsqu’ils prononcent une peine ? Ils en déterminent la nature, le quantum et le régime. Et ils le font bien, comme le prévoit la suite de l’alinéa, en fonction des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur. Cet article n’a pas de raison d’être, car c’est déjà le travail du juge que d’appliquer la loi selon les faits et la personnalité de l’individu qui comparaît devant la juridiction.

Cet article, totalement inutile, découle de la même idéologie qui consiste à vouloir rééduquer les hommes. Vous voulez que le juge soit un super-éducateur, non plus un juge répressif.

M. le président. La parole est à M. Julien Aubert.

M. Julien Aubert. J’ai beaucoup apprécié la contribution de notre collègue Le Bouillonnec, même si je crains que la distinction qu’il a voulu faire entre personnalisation et individualisation ne soit pas si claire : en langage courant, on utilise alternativement les concepts de personnalisation ou d’individualisation de la sanction.

Je voudrais souligner deux points. Ce débat aura révélé un conflit philosophique, qui mérite que l’on s’y attarde. J’ai assez peu goûté la leçon sur la justice qui nous a été donnée par l’une de nos collègues. Outre l’affaire Falletti, nous aurions pu citer certaines chasses aux sorcières politiques, l’affaire Cahuzac ou celle du « mur des cons ». L’UMP, elle non plus, n’a pas oublié et nous pourrions nous livrer longtemps à ce jeu-là. On se retranche derrière de grands principes, alors que celui d’indépendance de la justice n’est pas toujours respecté par le Gouvernement.

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Et pourquoi donc ?

M. Julien Aubert. Ce qui me gêne avec ce texte, c’est qu’il organise une décorrélation entre la peine purgée et ce qui a été décidé par le juge. Je pense aux multiples mécanismes d’évitement et aux filtres que constituent les différents magistrats, notamment le juge d’application des peines.

Mme Mazetier nous a expliqué tout à l’heure que nous vivions dans un pays du droit écrit. Je vous ferai pourtant remarquer, chers collèges, que le droit prévoit quelque chose et que les magistrats font autre chose ; dans les faits, le code pénal n’est pas appliqué. C’est bien le problème de ce pays : il dispose d’un merveilleux arsenal juridique qui, pourtant, ne sert à rien.

Cela s’appelle le gouvernement des juges (Exclamations sur les bancs du groupe SRC), système à l’anglo-saxonne où le législateur dit quelque chose, mais où, dans les faits, c’est le juge, ou une suite de juges, qui décide, à bon ou mauvais escient. Je ne conteste pas que le juge doive moduler et personnaliser la sanction, mais je note que nous sommes aujourd’hui beaucoup trop loin de l’épure.

Le deuxième problème, encore plus grave, est idéologique. Madame Mazetier, vous auriez mieux fait de m’agresser, vous auriez pu invoquer la légitime défense…

M. Matthias Fekl. Dans vos rêves ! (Sourires.)

M. Julien Aubert. À vous écouter, j’ai l’impression que, dans votre esprit, la peine est avant tout un redressement social, une forme d’éducation sociale, non une sanction. Vous avez dit qu’il y avait plusieurs victimes, sous-entendant que celui qui commet le délit est aussi une victime de la société, que la peine aidera à réinsérer.

Mme Sandrine Mazetier. Non, j’ai dit que la société était aussi une victime !

M. Julien Aubert. Nous voilà au cœur de ce texte porté par le Gouvernement : la justice n’est plus là pour punir et sanctionner – donc envoyer en prison.

M. Nicolas Dhuicq. Eh oui !

M. Julien Aubert. D’un esprit beaucoup moins fin que le vôtre, je croyais jusqu’ici que l’objectif d’un arsenal répressif était d’emprisonner les personnes les plus dangereuses pour la société. En changeant ainsi l’objet social de la justice, vous en arrivez à ce type d’article, à des conceptions fumeuses.

La disparition de la prison est au cœur de ce projet : vous voulez marginaliser l’usage de la prison, l’alternative logique étant la construction de nouvelles places de prison pour permettre à nos détenus de vivre dans des conditions décentes au XXIsiècle.

Vous en arrivez ainsi – et cela devrait faire frémir les héritiers de Jaurès – à prôner l’inégalité entre les Français devant la justice. Mais, ce faisant, vous prônez une nouvelle égalité, fumeuse, entre celui qui commet le délit et celui qui en est la victime. (Protestations sur les bancs du groupe SRC.) Je comprends pourquoi vous ne voulez pas que la victime apparaisse dans ce texte !

Pour ma part, je pense qu’il y a une différence entre le coupable et la victime.

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Nous aussi…

M. Julien Aubert. Nous sommes là pour défendre les victimes, non pour les mettre sur le même plan que les coupables. Je pense comme vous qu’il faut aider quelqu’un qui a commis un crime ou un délit à se réinsérer dans la société, mais si je dois établir une priorité, je commencerai par la victime. J’ai bien peur que cet article parvienne à ce résultat que déplorait Jean de La Fontaine : vous serez traités différemment « selon que vous serez puissant ou misérable ».

M. le président. La parole est à M. Patrick Hetzel.

M. Patrick Hetzel. Cette discussion montre bien la dérive qui menace ce texte. L’individualisation de la peine, telle qu’elle est souhaitée par le Gouvernement, pose plusieurs types de problèmes. Tout d’abord, elle devrait entraîner une diminution de l’impact dissuasif des condamnations. Or, qu’on le veuille ou non, cette question de la dissuasion ne doit pas être négligée lorsque l’on raisonne en termes de code pénal. Elle semble pourtant mise de côté.

Ensuite – et il s’agit peut-être d’un effet collatéral – la façon dont est rédigé l’article 2 révèle une déconsidération des victimes. Alors que toute approche répressive devrait tenir compte de la matérialité, des faits réels, on entre dans un univers de plus en plus relativiste. On s’écarte du réel, pour aller vers des abstractions.

Enfin, et c’est un argument qui devrait vous faire réfléchir, madame la garde des sceaux, vous abandonnez aux juges un pouvoir discrétionnaire encore plus important – notre collègue Aubert a parlé de gouvernement des juges. En accroissant ce pouvoir discrétionnaire, vous êtes susceptible de créer des écarts d’appréciation sur des faits par ailleurs identiques. L’inégalité devant la justice qu’a évoquée Julien Aubert devient une réalité.

À cet égard, je pense que la rédaction de l’article 2 pose un problème de constitutionnalité et c’est sans doute l’un des points sur lesquels nous insisterions dans un recours éventuel. Je souhaiterais donc connaître l’avis du Conseil d’État sur cet article. Madame la garde des sceaux, pouvez-vous affirmer qu’il ne comporte aucun élément qui serait de nature anticonstitutionnelle ?

M. le président. La parole est à M. Frédéric Lefebvre.

M. Frédéric Lefebvre. Nous pouvons nous envoyer les uns les autres des arguments à la figure, il n’en reste pas moins que nous sommes tous attachés au fait que le juge puisse, au moment du prononcé de la peine, tenir compte du parcours de l’auteur du délit ou du crime, de sa situation, et de la victime.

Je ne veux pas faire de procès d’intention, mais je suis plutôt de l’avis de Georges Fenech qui se demandait tout à l’heure ce qu’apporte cet article. C’est bien la première question qui se pose, et que le législateur doit se poser. Cet article est sans doute un signal, un geste, mais apporte-t-il fondamentalement quelque chose ?

Quoi qu’il en soit, vous avez la majorité, et cet article sera adopté. Ce que je voudrais souligner ici, c’est que c’est sans doute à ce moment précis du débat que se pose le plus la question de la victime. En effet, après le deuxième alinéa, qui ne fait que rappeler l’évidence selon laquelle le juge doit individualiser la peine, le troisième alinéa fait référence à la question des circonstances de l’infraction, de la personnalité de l’auteur et de sa situation, mais pas à la victime.

J’ai écouté ce qu’a dit le rapporteur tout à l’heure. Lorsque le juge aura à juger d’un délit ou d’un crime, il tiendra compte évidemment de la victime, du fait, par exemple, qu’il s’agit d’une personne vulnérable. Ce qui est une évidence dans le quotidien des magistrats ne peut pas, si je poursuis dans la logique du rapporteur, ne pas être prévu par cet article. Lorsque les magistrats prennent une décision – ce n’est pas les pointer du doigt que de le dire, mais reconnaître leur indépendance et leur capacité à juger de la réalité –, ils tiennent bien évidemment compte de la victime.

Je me demande si nous ne pourrions pas nous retrouver sur cette question et introduire à l’article 2 la question de la victime. Je me tourne vers le porte-parole de notre groupe, Georges Fenech. Si l’on insiste sur le fait que le magistrat doit individualiser les peines, alors on doit insister sur le fait qu’il se prononce aussi en fonction de la victime. Ne pas le préciser serait prétendre que l’on demande au magistrat de ne pas le faire. Nous sommes le législateur : prenons garde au message que nous envoyons !

M. le président. La parole est à M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. Toute peine prononcée par la juridiction doit être individualisée : c’est ce que cet article 2 tend à inscrire dans le marbre de la loi.

J’ai des doutes, quant à moi, sur la constitutionnalité de cette affirmation, au regard d’une jurisprudence du Conseil constitutionnel qui en réalité est extrêmement nuancée.

Je vous invite à relire une décision très intéressante des 19 et 20 janvier 1981, qui nuance très fortement ce principe d’individualisation de la peine : « Si aux termes de l’article 8 de la Déclaration de 1789, la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, cette disposition n’implique pas que la nécessité des peines doive être appréciée du seul point de vue de la personnalité du condamné et encore moins qu’à cette fin, le juge doive être revêtu d’un pouvoir arbitraire, que précisément l’article 8 de la Déclaration de 1789 a entendu proscrire. »

Et le Conseil constitutionnel de poursuivre, de manière encore plus claire : « Si la législation française a fait une place importante à l’individualisation des peines, elle ne lui a jamais conféré le caractère d’un principe unique et absolu prévalant de façon nécessaire et dans tous les cas sur les autres fondements de la répression pénale. »

Je m’arrête là. J’ai le sentiment qu’à vouloir trop inscrire des principes dans la loi, le législateur enfreindrait la Constitution, dans la mesure où celle-ci est nuancée. Il faut certes individualiser la peine, mais il y a d’autres principes d’intérêt général qui doivent être mis en balance. Je crois que nous nous égarerions en voulant trop en dire dans la loi.

Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires et les lois bavardes affaiblissent aussi la Constitution.

M. le président. Je suis saisi de cinq amendements identiques, nos 27, 216, 284, 351 et 519, tendant à supprimer l’article 2.

La parole est à M. Yannick Moreau, pour soutenir l’amendement n27.

M. Yannick Moreau. Cet article 2, La Palice aurait pu l’écrire. (Sourires.)

Il n’apporte absolument rien à notre droit.



M. Patrick Hetzel. Comme d’habitude !

M. Yannick Moreau. Il bavarde en rappelant le fonctionnement normal de notre institution judiciaire.

M. Pascal Popelin. Il n’y a pas que l’article qui bavarde !

M. Yannick Moreau. Le principe de l’individualisation de la peine n’a pas besoin d’un rappel législatif pour être appliqué. À quoi bon, d’ailleurs, compléter la définition de cette individualisation en ne s’intéressant qu’au profil du mis en cause et pas au dommage infligé à la victime ?

La victime est la grande absente de votre projet de loi, madame la ministre. Cet article nous donne peut-être l’occasion de rappeler son existence et de dire que nous sommes ici pour réparer le déséquilibre causé par l’infraction.

Cet article vise à contraindre inutilement les magistrats dans leur jugement. Il est donc proposé purement et simplement de le supprimer.

M. le président. La parole est à M. Georges Fenech, pour soutenir l’amendement n216.

M. Georges Fenech. C’est également un amendement de suppression de cet article dont je disais il y a un instant qu’il était inutile.

Monsieur le rapporteur, madame la garde des sceaux, je crois qu’il y a une confusion entre le prononcé et l’exécution de la peine. Le prononcé fixe une peine, assortie du sursis ou du sursis avec une mise à l’épreuve… L’exécution, elle, permet d’individualiser la peine, par tous les régimes que nous connaissons : de l’aménagement en cours d’exécution à la libération conditionnelle en passant par les permissions de sortir. Je ne vois pas comment – et j’aimerais, monsieur le rapporteur, que vous me donniez au moins un exemple – le juge qui va prononcer la peine pourra dire dans son jugement quel sera le régime de la peine. Le montant, le quantum, la nature, je veux bien, mais il faudra que vous me disiez précisément à quoi vous pensez. Je ne parle pas du juge d’application des peines, je parle du juge du tribunal : comment va-t-il préciser le régime de la peine ? Ce n’est pas son rôle : c’est celui du juge d’application des peines.

Vous risquez même d’ouvrir un nouveau contentieux. Avocat dans une affaire pénale, je pourrais soulever la nullité du jugement parce que le tribunal n’a pas fixé le régime de l’exécution de la peine. Vous allez ouvrir un nouveau contentieux. Cet article pose même un problème de constitutionnalité, puisque vous faites supporter au juge du tribunal une responsabilité qui n’est pas la sienne.

Vous allez m’éclairer, mais puisque cet article est inutile, essayons de le rendre utile. Nous, nous avons un souci qui n’est pas toujours le vôtre : celui d’introduire la victime dans le texte. (Protestations sur les bancs du groupe SRC.)

Cet article pourrait peut être nous servir à introduire la place et les intérêts de la victime. C’est pourquoi, monsieur le président, je sollicite une suspension de séance.

M. le président. Si vous le voulez bien, nous allons d’abord examiner tous les amendements de suppression.

La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson, pour soutenir l’amendement n284.

M. Jean-Frédéric Poisson. Je n’ai pas grand-chose à ajouter à ce qu’ont dit mes collègues, sinon pour enchérir sur le caractère inutile de cet article. J’ai bien entendu ce qu’a dit tout à l’heure notre collègue Sandrine Mazetier, qui a menacé de ses foudres notre doux et paisible collègue Nicolas Dhuicq. Cela va faire des jaloux… (Sourires.)

De nouveau, comme à l’article 1er, il n’y a rien dans cet article qui ne soit déjà la pratique habituelle, consacrée, des tribunaux en France. Puisque cet article ne sert à rien, ma foi, il faut le supprimer purement et simplement.



M. le président. La parole est à M. Éric Ciotti, pour soutenir l’amendement n351.

M. Éric Ciotti. Je ne reprendrai pas tous les arguments qui ont été développés par mes collègues. Cet article, on l’a dit, est juridiquement inutile et donc politiquement suspect. (Sourires sur les bancs du groupe SRC.)

Il est juridiquement inutile, puisqu’il reprend un principe constitutionnel qui est d’ailleurs issu de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, plus précisément de son article 8, qui a été rappelé dans la décision du Conseil constitutionnel du 22 juillet 2005 sur le texte créant la comparution pour reconnaissance préalable de culpabilité. Le principe d’individualisation des peines a été clairement rappelé dans cette décision.



Cet article est donc totalement inutile juridiquement, mais ce qu’il cache est peut-être beaucoup plus grave : il cache, ce qui a été rappelé par beaucoup de mes collègues du groupe UMP, ce mépris à l’égard des victimes.



Après cet article 1er qui tendait à redéfinir le sens de la peine, le sens de la sanction, en oubliant sa fonction réparatrice pour la victime, vous poursuivez dans la même logique à l’article 2, oubliant les faits et les victimes. C’est pourquoi nous souhaitons que cet article soit supprimé.



M. le président. La parole est à M. Patrick Hetzel, pour soutenir l’amendement n519.

M. Patrick Hetzel. Le principe d’individualisation des peines n’a pas besoin d’un rappel législatif, tout simplement parce qu’il est déjà de portée constitutionnelle. À moins que – pour rebondir sur ce que vient de dire notre collègue Ciotti – la gauche ne cherche à nous faire croire qu’avant elle, il n’y avait pas d’individualisation des peines.

Si ce texte n’apporte rien du tout, mais que cette disposition figure dans la loi, c’est peut-être pour faire passer de manière subliminale cette idée qu’il y aurait un avant et un après : vous seriez finalement les défenseurs exclusifs de l’individualisation des peines.

Le risque est justement de ne plus chercher à concilier ce principe d’individualisation des peines avec les règles assurant une sanction effective des infractions réellement commises. Si l’individualisation des peines doit continuer de laisser au juge un pouvoir d’appréciation, il ne saurait être question que la peine soit exclusivement déterminée par la personnalité et la situation de l’auteur de l’infraction, parce que, là encore, on s’écarterait d’un principe simple : celui de l’équité devant la loi.

Cet article exprime, de ce point de vue, la conception assez dogmatique de ce projet de loi. Cette incitation à l’individualisation des peines pourrait d’ailleurs se lire comme une forme de contrainte à l’encontre des magistrats, même de ceux du siège, qui sont quasiment forcés de suivre cette sur-individualisation des peines voulue par le garde des sceaux. Il y a là un vrai problème de nature constitutionnelle.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. Monsieur Fenech, pouvez-vous me dire quelle est la durée de la suspension de séance que vous demandez, puisqu’elle sera décomptée du temps de parole de votre groupe ?

M. Georges Fenech. Cinq minutes !

M. le président. La séance est donc suspendue pour cinq minutes.

(La séance, suspendue à vingt-deux heures quarante-deux, est reprise à vingt-deux heures cinquante et une.)

M. le président. La séance est reprise.

Les amendements de suppression ayant été présentés, quel est l’avis de la commission ?

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Avis défavorable, et je vais donner quelques explications.

S’agissant de la victime et de l’individualisation de la peine, je vais sans doute, chers collègues de l’opposition, apaiser toutes vos inquiétudes. Tout à l’heure, Mme Mazetier a imaginé s’attaquer à l’un de nos collègues, M. Dhuicq. L’un de ses collègues de l’opposition s’est exclamé : « Ah, non ! Pas un homme avec des lunettes ! ». Tout était dit.

Le texte, en effet, dispose qu’il est tenu compte des circonstances de l’infraction. En l’occurrence, la victime potentielle ayant des lunettes, la gravité de l’infraction est donc plus importante. La personnalité de la victime étant prise en compte, le texte répond à la difficulté qui avait été soulevée. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Patrick Hetzel. Bravo l’artiste !

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. La question du régime des peines, monsieur Fenech, est très simple : le tribunal prononce une peine d’emprisonnement sous le régime de la semi-liberté, ce qui est très souvent le cas, et ce n’est pas forcément le juge d’application des peines qui aménage ces dernières.

Enfin, pour terminer, je souhaite vous faire part d’une crainte et d’une conviction, celle-ci résultant de celle-là. Je suis énormément inquiet quant à la façon dont le groupe UMP gère son temps de parole. J’ai suivi avec beaucoup d’intérêt les longues explications, par moment philosophiques – j’ai même éprouvé parfois quelques difficultés compte tenu de mes capacités (Sourires) – et je me suis dit : « Quelle imprudence ! » Voilà un groupe qui a déposé 520 amendements et dont le temps dont il dispose est déjà presque intégralement écoulé !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. De quoi je me mêle ? (Sourires.)

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Je ne me mêle de rien mais, d’un seul coup naquit en moi l’intime conviction – peut-être me démentirez-vous – que, finalement, vous n’aviez que très peu d’arguments de fond (Protestations sur les bancs du groupe UMP), que ce texte étant si bon, vous n’alliez pas défendre les autres amendements !

M. Pascal Cherki. Excellent !

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Tel est peut-être le sens de votre attitude ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Julien Aubert. Vous aviez bien commencé mais vous finissez mal !

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. C’est un démenti ? (Sourires)

Avis défavorable, je le répète.



M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Même avis.

M. le président. La parole est à M. Georges Fenech.

M. Georges Fenech. J’avoue ne pas avoir bien compris votre démonstration, monsieur le rapporteur, à propos de l’agression de notre collègue et de ses lunettes… Je vous le dis franchement : ce n’est pas au niveau que ce débat mérite. (« Oh ! » sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Pierre Blazy. C’est pourtant très pédagogique !

M. Georges Fenech. Finalement, monsieur le rapporteur, vous prétendez que nous manquons d’argument pour nous opposer vraiment mais je vous rappelle que ce n’est pas nous qui avons décidé de l’application de la procédure accélérée. Nous sommes contraints par le temps que vous imposez, et nous faisons avec.

À propos de la fixation du régime des peines, vous assurez que le juge pourra décider une exécution de la peine en semi-liberté en ajoutant que tel est d’ores et déjà souvent le cas. Vous confirmez donc nos propos : vous n’ajoutez rien à ce qui est en vigueur.

M. Patrick Hetzel. En effet. C’est superfétatoire !

M. Georges Fenech. Cela confirme vraiment le bien-fondé de nos propos !

Nous vous donnons l’occasion de rendre cet article utile en l’amendant, monsieur le rapporteur, puisque vous pouvez le faire. Nous souhaiterions en effet que ces articles « chapeaux » et principiels – individualisation des peines, sanction, but de la sanction – laissent au moins une petite place à la victime ou, à tout le moins, un strapontin.

M. Patrick Hetzel. Il a raison !

M. Georges Fenech. Que la victime, au moins, apparaisse dans l’ordre symbolique ! Nous vous demandons simplement un petit strapontin pour elle, pour qu’elle figure quelque part dans ces articles énonçant de grands principes ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP).

Il conviendrait donc d’ajouter, après « et de la personnalité de son auteur », « ainsi que de la situation de la victime. »



M. Jean-Pierre Blazy. Cela relève de l’article 11 !

M. Georges Fenech. Est-ce trop vous demander de la faire figurer après l’auteur de l’infraction ? Nous ne vous demandons pas de la mettre en premier mais en second ! Si cette solution ne vous paraît pas satisfaisante à ce stade, vous pourrez émettre un avis favorable à l’amendement qui sera déposé tout à l’heure par notre collègue Frédéric Lefebvre qui va également dans ce sens.

Témoignez au moins de votre intérêt pour les victimes car on pourrait en douter ! Tel est d’ailleurs notre cas et il existe de fortes chances pour qu’il en soit de même pour les Français. Montrez-leur, maintenant, à l’instant, que vous accordez une véritable place à la victime et que vous la faites figurer à la tête de votre projet de loi ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean-Frédéric Poisson. Excellent !

M. le président. La parole est à M. Pascal Popelin.

M. Pascal Popelin. À force de ratiociner et d’essayer d’orner juridiquement des explications parfois un peu fallacieuses, d’immenses contradictions surgissent. Ainsi, j’ai du mal à comprendre que des orateurs prônent la suppression de cet article en raison de son inconstitutionnalité alors que d’autres, quelques minutes plus tard, appartenant au même groupe politique, expliquent que cet article est inutile puisque ce qu’il propose est déjà inscrit dans la Constitution.

M. Jean-Frédéric Poisson. Soyez sérieux, il s’agit d’amendements de repli !

M. le président. La parole est à M. Frédéric Lefebvre.

M. Frédéric Lefebvre. J’en appelle au président de la commission des lois.

M. Patrick Hetzel. C’est l’homme silencieux ! Il ne dit jamais rien !

M. Frédéric Lefebvre. Si quelqu’un, ici, sait que cet article a un mérite – le rappel d’une réalité, celle que vivent les juges et la justice –, c’est bien lui. Mais c’est son seul mérite ! Chacun le sait bien, le rapporteur l’a dit à mots couverts, notre collègue Georges Fenech l’a dit excellemment : intrinsèquement, le texte n’apporte rien vis-à-vis du fonctionnement actuel de la justice. Le contenu de l’article, simplement, soulève une difficulté tel qu’il est rédigé.

Ensemble, faisons une place à la victime ! Pas un strapontin ! Je ne dis pas que, selon vous, monsieur le président Urvoas, la victime ne doit pas avoir de place mais nous devons la mentionner dans un article qui, en l’état, décrit seulement une situation réelle. On ne peut pas ne pas faire mention de cette réalité qu’est la victime, tant dans l’esprit du juge que de l’avocat ! Voilà tout !

Je vous le dis comme je le pense : nous passons beaucoup de temps sur cet article mais je ne l’attaque pas, pas plus d’ailleurs, me semble-t-il, que Georges Fenech ne l’a attaqué ni qui que ce soit puisqu’il se contente de décrire un état de fait. Mais incluons donc la victime en son sein !

M. Fenech, je crois, a évoqué mon amendement 70. Modifiez-le, monsieur le président de la commission ! Enlevez la partie qui concerne l’auteur, ne conservez que celle qui concerne la victime ! Mais dans cet article de principe qui décrit dans la loi une situation réelle, ajoutons la victime !

Je l’ai dit tout à l’heure : soyons constructifs et abordons le fond du texte, les points sur lesquels nous pouvons être en désaccord ! Sur celui-ci, en revanche, je ne pense pas que nous en ayons. Vous-mêmes estimez que la victime, comme elle l’est dans les faits, doit être considérée par le juge. Ne la faisons donc pas disparaître au détour de cet article !

M. le président. La parole est à M. Georges Fenech.

M. Georges Fenech. Monsieur le président, au nom du groupe UMP, je vous demande un scrutin public sur cette série d’amendements.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Cela ne se passe pas ainsi d’habitude !

M. le président. Il est vrai que je dois normalement être saisi à l’avance de la demande de scrutin public. Mais le temps nécessaire à l’organisation de ce scrutin sera décompté du temps de parole de votre groupe, monsieur Fenech.

Sur les amendements de suppression de l’article 2, nos 27, 216, 284, 351 et 519, je suis saisi par le groupe de l’Union pour un mouvement populaire d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

Je mets aux voix les amendements identiques nos 27, 216, 284, 351 et 519.

(Il est procédé au scrutin.)

Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants61
Nombre de suffrages exprimés60
Majorité absolue31
Pour l’adoption14
contre46

(Les amendements identiques nos 27, 216, 284, 351 et 519 ne sont pas adoptés.)

M. le président. La parole est à M. Guillaume Larrivé, pour soutenir l’amendement n759.

M. Guillaume Larrivé. Il est défendu.

(L’amendement n759, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. Nous en venons à une série d’amendements identiques, nos 8, 133, 477, 560 et 679.

La parole est à M. Yannick Moreau, pour soutenir l’amendement n8.

M. Yannick Moreau. Défendu.

M. le président. La parole est à M. Nicolas Dhuicq, pour soutenir l’amendement n133.

M. Nicolas Dhuicq. Défendu.

M. le président. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson, pour soutenir l’amendement n477.

M. Jean-Frédéric Poisson. Défendu.

M. le président. La parole est à M. Patrick Hetzel, pour soutenir l’amendement n560.

M. Patrick Hetzel. Défendu.

M. le président. La parole est à M. Sébastien Huyghe, pour soutenir l’amendement n679.

M. Sébastien Huyghe. Par ces amendements identiques, nous voulons faire en sorte que dans l’application de la peine, soit respecté le quantum de la peine qui a été décidé par les magistrats.

(Les amendements identiques nos 8, 133, 477, 560 et 679, repoussés par la commission et le Gouvernement, ne sont pas adoptés.)

M. le président. La parole est à M. Yannick Moreau, pour soutenir l’amendement n54.

M. Yannick Moreau. Défendu.

(L’amendement n54, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Yannick Moreau, pour soutenir l’amendement n18.

M. Yannick Moreau. Défendu.

(L’amendement n18, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Yannick Moreau, pour soutenir l’amendement n9.

M. Yannick Moreau. Défendu.

(L’amendement n9, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements, nos 661 et 520, pouvant être soumis à une discussion commune.

La parole est à M. Gérald Darmanin, pour soutenir l’amendement n661.

M. Gérald Darmanin. Il est défendu.

M. le président. La parole est à M. Patrick Hetzel, pour soutenir l’amendement n520.

M. Patrick Hetzel. Cet amendement, relatif à l’alinéa 3 de l’article 2, tend à substituer aux termes « et de la personnalité de son auteur » les mots suivants : « de la personnalité de son auteur et des conséquences sur la personnalité et le quotidien de la victime. » Il s’agit ainsi de faire clairement référence à la victime.

Nous avons constaté que le Gouvernement ne faisait pas assez de place aux victimes dans son texte. Or c’est pour nous un élément essentiel : c’est la raison pour laquelle nous insistons pour que cette référence aux victimes soit inscrite dans le texte, sans quoi nous pourrons conclure assez aisément que les victimes ne sont pas prises en considération par le Gouvernement.

M. Pascal Cherki. Encore !

M. Gérald Darmanin. La répétition fixe la notion, chers collègues !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Même avis.

(Les amendements nos 661 et 520, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi de quatre amendements, nos 70, 134, 561, 760, pouvant être soumis à une discussion commune.

Les amendements nos 70, 134 et 561 sont identiques.

La parole est à M. Frédéric Lefebvre, pour soutenir l’amendement n70.

M. Frédéric Lefebvre. L’amendement n70 est celui auquel notre collègue Georges Fenech faisait allusion tout à l’heure ; il porte sur le préjudice subi par la victime. Je signale que le président de séance, notre collègue Marc Le Fur, a déposé un amendement identique à celui-ci.

J’ai déjà interrogé sur ce sujet le président de la commission des lois et peut-être serait-il utile, à ce moment du débat, qu’il éclaire notre assemblée – aussi bien les bancs de la majorité que ceux de l’opposition. Je lui réitère donc ma question, car je pense utile qu’en sa qualité de président de la commission des lois, il lève les doutes que nous pouvons avoir. À partir du moment, en effet, où il reconnaît lui-même, comme le rapporteur, que le texte ne fait que constater une réalité, pourquoi ne pas y inclure la victime, qui est une réalité quotidienne du fonctionnement de la justice et des juges ?

M. le président. La parole est à M. Frédéric Reiss, pour soutenir l’amendement n134.

M. Frédéric Reiss. Le projet de loi doit accorder à la victime la place nécessaire à la reconnaissance de son statut. Il est par conséquent indispensable pour la victime d’être reconnue en tant que telle, afin qu’elle puisse tourner la page, sortir de ce statut et, en fonction du préjudice subi, se réinsérer dans la société.

La peine doit être envisagée dans le but de restaurer un équilibre entre l’auteur des faits et la victime : c’est là un point très important. Le présent amendement vise donc à ce que la peine tienne compte de l’ensemble des parties, afin de rétablir l’équilibre brisé par l’infraction.

M. le président. La parole est à M. Patrick Hetzel, pour soutenir l’amendement n561.

M. Patrick Hetzel. Il s’agit, par cette série d’amendements, de faire référence à la situation des victimes, et plus particulièrement au préjudice susceptible d’être subi par elles – c’est là un point très important.

Nous ne cessons d’entendre le rapporteur et la garde des sceaux émettre des avis défavorables. Ce faisant, ils sont évidemment dans leur droit, mais le droit n’est pas la légitimité. Je trouve que c’est un peu court vis-à-vis des victimes.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Vous n’arrêtez pas de répéter la même chose. Que voulez-vous que je vous réponde ?

M. Patrick Hetzel. Vous nous avez fait une grande diatribe tout à l’heure, madame la garde des sceaux, au sujet des victimes, en nous disant que vous les preniez en compte. Mais en réalité on constate de nouveau, dans ce gouvernement, un décalage entre le discours et les actes.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. C’est chez vous qu’il y a un décalage !

M. Patrick Hetzel. Contrairement à ce que vous prétendez, contrairement à ce que vous dites, votre majorité ne prend pas en compte les victimes ! Elle considère que les délinquants méritent davantage de considération : c’est tout de même assez surprenant ! Voilà une nouvelle dérive, à laquelle vous contribuez de manière significative avec un texte comme celui-là ! Il importe que les victimes soient davantage prises en considération.

M. le président. La parole est à M. Guillaume Larrivé, pour soutenir l’amendement n760.

M. Guillaume Larrivé. Défendu.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces amendements soumis à une discussion commune ?

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Défavorable, monsieur le président. Monsieur Hetzel, si cela vous amuse, vous et les autres députés de l’UMP, de répéter toujours les mêmes choses, c’est votre droit. Nous respectons le Parlement et nous l’avons montré lors de l’examen de tous les textes. Il se trouve simplement que nous vous avons dit tout ce que nous avons à vous dire sur ce sujet. Vous y revenez obstinément, parce que vous avez décidé de ne pas intervenir sur le fond du texte….

M. Patrick Hetzel. Ce que vous dîtes est scandaleux !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. …et de ne pas tenir compte de ce qui vous est répondu. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

J’ai déjà connu des débats de ce type. On peut vous donner des explications pendant une demi-heure, vous revenez avec les mêmes questions, sur le même sujet.

M. Philippe Vigier. C’est l’art de la répétition !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. On vous écoute pendant tout le temps nécessaire, mais vous ne pouvez pas nous obliger à nous livrer au même exercice que vous ! Vous y prenez plaisir, c’est votre droit, mais nous, nous avons une autre conception du travail parlementaire. Les arguments vous ont été présentés, mais vous pouvez passer la nuit et la semaine à nous répéter les mêmes choses. (Applaudissements et « Bravo ! » sur les bancs du groupe SRC.)

M. Patrick Hetzel. C’est scandaleux. Vous ne respectez pas le Parlement !

M. le président. La parole est à Mme Colette Capdevielle.

Mme Colette Capdevielle. Vous nous donnez aujourd’hui, monsieur Lefebvre, une occasion assez rare d’échanger avec un éminent penseur, qui est aussi un écrivain et un législateur.

M. Frédéric Lefebvre. Je vous remercie…

Mme Colette Capdevielle. Tout à l’heure à la tribune, vous avez cité votre ouvrage, une encyclopédie – 522 pages pour 20 euros ! – dont vous vous faites à présent le commercial. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP. – Sourires sur les bancs du groupe SRC.) Il est vrai que je ne suis députée que depuis deux ans, mais j’ignorais qu’il était possible de faire l’autopromotion de sa littérature à cette tribune ou à l’occasion de la rédaction des amendements. Je me suis dit tout à l’heure qu’il ne s’agissait plus d’amendements, mais de flyers de publireportages, car chaque amendement de M. Lefebvre fait référence à son think tank et à son ouvrage. (Mêmes mouvements.)

M. Pascal Cherki. C’est un microparti de plus !

Mme Colette Capdevielle. Je découvre, c’est nouveau pour moi. Un nouveau support publicitaire est né ce soir à l’Assemblée nationale ! Il est vrai que nous sommes à l’ère de la communication… En tout cas si notre déontologue nous écoute, je crois qu’il sera très intéressé de découvrir vos pratiques, monsieur Lefebvre, qui ne manquent pas d’étonner.

M. Philippe Vigier. Vous mettez en cause un parlementaire !

M. Patrick Hetzel. C’est incroyable !

Mme Colette Capdevielle. Je m’arrête là, car je n’ai pas tellement envie de contribuer à votre promotion. (Sourires).

M. Philippe Vigier. N’hésitez pas !

Mme Colette Capdevielle. Je tiens néanmoins à vous dire une chose : je voudrais que l’on revienne à la vraie vie. Je n’aime pas parler de moi, et je n’ai pas l’habitude de le faire ici, mais cela fait plusieurs décennies que je travaille avec des victimes. Vous, vous en parlez beaucoup, mais je ne suis pas sûre que vous sachiez vraiment de quoi vous parlez, car vous vous livrez à une exploitation assez éhontée et sans vergogne de la souffrance et de la douleur des victimes.

Je vais vous dire, moi, ce que souhaitent les victimes dans la vraie vie. Elles veulent d’abord être respectées en tant que telles, être reconnues et considérées. Elles n’en demandent pas plus !

M. Christian Jacob. Elles demandent d’abord à ne pas être victimes !

Mme Colette Capdevielle. Ce qu’elles demandent ensuite, c’est une réponse judiciaire efficace. Une réponse rapide et concrète. Et c’est ce que nous allons leur proposer en renforçant les bureaux d’aide aux victimes.

Troisièmement, elles veulent être indemnisées intégralement du préjudice qu’elles ont subi, le plus vite possible, grâce à des procédures simplifiées où elles veulent être accompagnées – mais je sais que vous vous en moquez, car j’ai entendu hier ce que certains ont déclaré ici.

C’est pourquoi on développe des instituts médico-légaux et des instituts médico-judiciaires, et c’est une bonne chose. Voilà ce que veulent les victimes, ne leur faites pas dire autre chose !

M. Gérald Darmanin. En 2017, c’est vous qui serez les victimes !

Mme Colette Capdevielle. Ensuite, après ce type d’épreuve, les victimes veulent tourner la page, se reconstituer, faire leur deuil, et elles ne peuvent le faire que si les trois points que je viens d’énumérer ont été respectés. Tout ce que vous pouvez raconter en instrumentalisant les victimes, en faisant votre miel comme vous le faites ce soir de manière éhontée et finalement très irrespectueuse à leur égard n’a absolument aucun intérêt. Vous ne trompez personne, vous n’arriverez à convaincre personne ici, et vous-même, en vous répétant comme des perroquets (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), vous démontrez que vous n’êtes pas convaincus. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Frédéric Lefebvre.

M. Frédéric Lefebvre. Madame la députée, je ne vais pas citer à nouveau le livre que vous avez cité, vous l’avez fait abondamment et je vous en remercie. Vous avez même donné son prix, je crois qu’il est maintenant un peu moins cher puisqu’il est sorti il y a longtemps. (Sourires.)

Je ne doute pas que vous vous teniez au fait de l’actualité, je tiens donc à vous dire que je viens de sortir, aujourd’hui même, un nouveau livre, qui s’intitule : Vous êtes prioritaires : son titre exprime ce que nous disons tous aux victimes. Et je vous rassure, madame la députée, il est en téléchargement libre ! Chacun d’entre vous est libre de le télécharger, il ne vous coûtera rien.



M. Gérald Darmanin. Monsieur le président, peut-on suspendre la séance le temps de télécharger ce livre ?

M. Frédéric Lefebvre. Je ne demande qu’une chose aux compatriotes qui partagent ma philosophie, mais je ne pense pas que cela soit votre cas, c’est de participer en faisant un don à mon think-tank. Les autres pourront le lire totalement gratuitement.

« Vous êtes prioritaires » : c’est ce que je dis aux victimes à travers vous, madame la députée, et c’est ce que nous disons les uns et les autres depuis tout à l’heure. Je n’ai pas envie de polémiquer avec vous car le débat, notamment les interventions d’un certain nombre de vos collègues, qui savent visiblement ce que sont les victimes, montrent qu’ils ont parfaitement compris que vous, comme nous, comme les juges, ont les victimes en tête dans la réalité de l’exercice du droit.

Le seul point que nous avons évoqué, et peut-être pourriez-vous essayer d’y réfléchir un tout petit peu, c’est que dans le texte dont nous débattons depuis tout à l’heure, alors même qu’il ne change en rien le fonctionnement de la justice, la seule personne que l’on oublie, c’est la victime. Je suis désolé de me répéter, madame la ministre, mais j’y suis contraint par une députée de la majorité. C’est ce que nous essayons de vous dire afin de rattraper collectivement un oubli. Si vous voulez déposer vous-même l’amendement pour en être l’auteur et gagner ainsi en célébrité, nous sommes prêts à vous le céder ! Mais n’oublions pas collectivement la victime, nous parlementaires.

M. le président. La parole est à M. Julien Aubert.

M. Julien Aubert. Je crois que la majorité perd complètement les pédales ! Madame la ministre nous a fait son numéro de maîtresse d’école grondant les parlementaires de l’opposition parce qu’ils ne tiennent pas le discours ou les arguments qu’elle préférerait entendre. On croit rêver ! Tout à l’heure, le rapporteur nous a expliqué comment utiliser notre temps de parole, et maintenant nous avons le numéro complémentaire pour nous expliquer ce que nous devons dire. Mais si nous vous gênons, restez entre vous, parce que nous avons un vrai problème philosophique.

J’ai été encore plus choqué d’entendre Mme Capdevielle s’en prendre avec agressivité à mon collègue M. Lefebvre qui, depuis le début de ce débat, est extrêmement modéré et essaie de penser, lui.

M. Jean-Michel Clément. Il essaie…

M. Pascal Cherki. Encore une victime !

M. Julien Aubert. Nous avons eu droit à une leçon incroyable ! Des mots extrêmement forts ont été utilisés : « éhontée », « perroquets ». Ce sont des attaques personnelles qui n’ont pas lieu d’être dans cet hémicycle. Ce n’est pas la première fois que vous y avez recours, et c’est parfaitement inacceptable. Vous n’êtes pas à la hauteur de ce débat.

Je ne sais pas ce qu’il faut souhaiter. Jusqu’ici, vous dormiez, et l’on se demandait à quoi sert la majorité. Vous vous réveillez maintenant pour donner dans l’invective. Le fond du problème est que vous avez déposé un texte qui tourne autour d’une seule idée : toujours mettre le futur condamné au cœur de la société en lui donnant la possibilité de l’élargir et en donnant la plus grande capacité aux juges d’avoir n’importe quel recours hors de la prison. Aujourd’hui, le problème de ce pays est qu’avec la montée de la criminalité et de l’insécurité, les Français n’attendent pas ce type de message à l’égard des délinquants, ils attendent que l’on s’attaque à leurs problèmes. Et du haut de vos 5 % de l’électorat inscrit aux élections européennes, vous devriez vous demander si vous avez vraiment des leçons de morale et de politique à donner à l’opposition ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Sébastien Huyghe.

M. Sébastien Huyghe. Je regrette que ce débat soit en train de déraper du fait d’un certain nombre de nos collègues de la majorité qui tiennent l’opposition pour fort peu de chose. Nous méritons le respect. Ce débat avait plutôt bien commencé, et un certain nombre d’arguments avait été donné. Ces arguments ne vous plaisent peut-être pas, mais ce sont les nôtres et nous vous demandons d’y répondre par vos propres arguments.

Certains membres de la majorité, peut-être parce qu’un grand nombre d’entre eux effectuent leur premier mandat, n’ont pas la mémoire de ce qui s’est passé dans cet hémicycle, notamment à l’occasion du mandat précédent. Je voudrais leur expliquer et rappeler à certains pourquoi cette procédure du temps programmé existe.

À l’occasion d’un débat très important sur la réforme des retraites, l’opposition de l’époque, c’est-à-dire la majorité actuelle, avait déposé des dizaines de milliers d’amendements…

Mme Elisabeth Pochon. Oh les vilains !

M. Sébastien Huyghe. …pour faire de l’obstruction parlementaire.

M. Alain Vidalies. Cela m’étonnerait !

M. Sébastien Huyghe. Je vais vous rappeler quelques-uns de ces amendements. Chacun des parlementaires de l’opposition déposait le même amendement tendant à ce que tel ou tel article du code du travail soit traduit dans une langue différente pour les étrangers sur le sol français qui devaient appliquer le code du travail.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Ça, c’était drôle !

M. Sébastien Huyghe. Nous avions donc passé des heures et des heures à parler de la langue dans laquelle devait être traduit le code du travail. De la même manière, l’un de vos collègues, M. Rogemont, nous a expliqué dans cet hémicycle les différentes manières de cuire le homard !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Un grand spécialiste !

M. Sébastien Huyghe. C’était ridicule. C’est pour faire cesser ce type de diatribes et cette obstruction parlementaire que nous avons mis en place le temps programmé. Remarquez qu’aujourd’hui, contrairement à ce que vous dites, madame la garde des sceaux, chacun des parlementaires de l’opposition qui s’est exprimé a développé des arguments sérieux, bien loin des recettes du homard ou de Casimir, Toccata et Mordicus qui avaient été cités dans cet hémicycle. Le ridicule ne tue pas, mais l’opposition de l’époque est devenue majorité et a la mémoire un peu trop courte à notre goût.

M. Gérald Darmanin. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Georges Fenech.

M. Georges Fenech. Je déplore que nous n’ayons aucune réponse de la garde des sceaux, du président de la commission des lois ou du rapporteur pour nous expliquer pourquoi la victime ne figure à aucun moment à l’article 1er ou à l’article 2. Je voudrais simplement avoir une réponse : pourquoi la victime est exclue de l’énonciation des grands principes qui commandent votre projet de loi ?

(Les amendements identiques nos 70, 134 et 561 ne sont pas adoptés.)

(L’amendement n760 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Éric Ciotti, pour soutenir l’amendement n475.

M. Éric Ciotti. La commission des lois a adopté un amendement précisant les conditions du prononcé de la peine. Outre les circonstances du délit et la personnalité de l’auteur, il est ajouté une mention à la situation de l’auteur du délit.

Cet amendement a pour objet de supprimer cette référence à la situation de l’auteur d’un délit, car nous considérons qu’introduire cette caractéristique rompt avec le principe d’égalité de chaque citoyen devant la loi. Ce principe a valeur constitutionnelle puisqu’il relève de l’article 6 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Cette référence à la situation de l’auteur s’inscrit dans une volonté de surindividualisation de la peine. Évoquer la situation, c’est déjà appeler à une forme d’excuse du délit qui est commis et s’inscrire dans une forme de culture de l’excuse. Par cet amendement, nous voulons rappeler le principe d’égalité de chaque citoyen devant la loi, et rappeler qu’une peine se prononce en fonction certes de la personnalité de l’auteur, mais surtout en fonction des circonstances et des faits qui ont été commis.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Monsieur le président, je vais répondre à la fois à M. Fenech et à M. Ciotti.

Monsieur Fenech, le mot « victime » figure à l’article 1er, votre demande est donc satisfaite. Nous ne voulons pas introduire ce terme à l’article 2 parce qu’il n’est pas possible de considérer que la peine peut varier en fonction de la situation de la victime. Cela nécessiterait d’ailleurs une explication. Si la vulnérabilité et la fragilité de la victime doivent être prises en considération, ce sont des circonstances objectives de la commission de l’infraction. Si quelqu’un profite de la faiblesse d’une victime pour la voler ou pour l’escroquer, il commet forcément une infraction beaucoup plus grave. Ceux qui font du porte-à-porte en vendant des pommes à des personnes âgées en essayant de leur faire parler de leurs souvenirs pour qu’ils en arrivent à parler en anciens francs, et qui finissent par leur vendre dix kilos de pommes pour 2 000 euros, ceux-là sont assez lourdement sanctionnés parce que c’est une escroquerie, d’ailleurs un peu répandue. Et ce type d’escroquerie tient compte de la vulnérabilité de la victime, et la peine prononcée prend cela en considération.

La demande que vous formulez est, à mon avis, parfaitement légitime, mais elle est d’ores et déjà satisfaite dans la loi. Si nous pouvions vous faire plaisir et mettre fin à ces débats interminables sur la question de la victime en inscrivant ce terme dans le texte, nous le ferions. Mais la difficulté est que si nous inscrivons le mot « victime » dans le texte, nous laisserions place à l’interprétation selon laquelle la victime, pour une réparation symbolique du trouble que l’infraction lui a causé, pourrait essayer de pousser la peine à la hausse. C’est ce que nous ne voulons pas, et Alain Tourret a appelé votre attention sur ce point tout à l’heure. C’est la raison pour laquelle nous nous opposons à l’introduction de la mention à la situation de la victime à l’article 2.

Quant à la question de la surindividualisation par la mention de la situation matérielle, j’observe que ce sont des termes usuellement utilisés dans le code de procédure pénale. Ils ont été introduits à l’article 41 par une loi du 27 mars 2012 qui, sauf erreur de ma part, était la loi de programmation des places d’emprisonnement. La loi prévoit qu’il faut vérifier la situation matérielle, familiale et sociale d’une personne faisant l’objet d’une enquête et l’informer des mesures propres à favoriser l’insertion sociale de l’intéressé.

Il s’agit d’un vocabulaire assez proche, et je ne vois pas comment vous essayez de créer une divergence entre les termes que nous employons et ceux que vous avez employés lorsque vous étiez majoritaires et que vous aviez voté cette loi du 27 mars 2012. Il s’agit de divergences qui n’existent pas.

M. Alain Vidalies. Très bien !

M. Pascal Cherki. Ils en sont bouche bée !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Avis défavorable à cet amendement. La commission a ajouté cette mention, et cela précise les choses de façon très utile. Lorsque l’on connaît les situations dans lesquelles les juridictions prononcent des décisions, il arrive que la décision soit mieux adaptée parce que le magistrat a connaissance de la situation de la personne.

Le magistrat peut décider d’une sanction qui ne soit pas applicable au vu de la situation réelle de la personne. J’ai en tête des cas très précis où une peine d’intérêt général a été prononcée alors que l’auteur de l’infraction avait un emploi. C’est pourquoi il est bon que le magistrat soit informé de la situation de la personne pour prononcer la peine la plus adaptée, de sorte que cette dernière soit effectivement exécutée.

M. le président. La parole est à M. Gérald Darmanin.

M. Gérald Darmanin. Monsieur le rapporteur, je crois qu’il y a un hiatus. Permettez-moi de vous dire, à cette heure tardive, que votre exemple sur le porte-à-porte est plutôt bon : certains de nos concitoyens sont victimes du porte-à-porte effectué par des personnes qui leur font des promesses qu’ils ne tiennent pas. Vous avez tout à fait raison, nous devrions les sanctionner ! Compte tenu de la politique menée par votre majorité, les Français comprendront à qui je fais allusion.

Au-delà de cette petite boutade,…

M. Sébastien Huyghe. Ils n’ont pas tous compris !

M. Gérald Darmanin. On la répétera ! Frédéric Lefebvre y consacrera sans doute un chapitre dans son prochain livre. (Sourires.)

Monsieur le rapporteur, vous n’avez pas exactement répondu à l’amendement de notre collègue Ciotti. Il n’évoque pas la situation de la victime, mais de l’auteur de l’infraction, du délinquant, de la personne condamnée.

Mme Cécile Untermaier. C’est ce qu’a dit le rapporteur !

M. Gérald Darmanin. Non, pas tout à fait.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Si ! Il a cité le texte !

M. Gérald Darmanin. Monsieur le rapporteur, l’explication très embarrassée que vous avez donnée à M. Ciotti montre que vous avez peur qu’une partie de ce projet de loi soit inconstitutionnelle, que la presse s’en fasse l’écho et que les juristes le soulignent. Ce ne serait d’ailleurs pas la première fois, chers collègues juristes, que vos textes seraient censurés ! (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Nous pourrions en dire autant des textes de la majorité précédente !

M. Gérald Darmanin. J’entends bien, mais ne reprochez pas aux autres vos propres turpitudes.

M. Pascal Popelin. Oh, ne parlez pas de turpitudes !

M. Pascal Cherki. Nemo auditur propriam turpitudinem allegans !

M. le président. Seul M. Darmanin a la parole.

M. Gérald Darmanin. Éric Ciotti a raison de souligner que l’article 2 ne respecte pas notre bloc de constitutionnalité, notamment l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme. Le législateur aurait intérêt à considérer que son texte, qui sera transmis demain au Conseil constitutionnel, sera censuré, notamment à l’article 2.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. L’affirmation est hésitante !

M. Gérald Darmanin. L’égalité est remise en cause : je crois que cela sera dit et répété.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. On en reparlera !

M. Gérald Darmanin. Sur le fond, M. Ciotti a tout à fait raison : l’article 2 illustre bien votre philosophie de réponse pénale. Face à un délinquant ou à un criminel, vous pensez qu’il faut avant tout considérer sa situation, et se demander si la société ne serait pas responsable :…

M. Pascal Popelin. Ce n’est pas ce qui est dit !

M. Gérald Darmanin. …tel un personnage des Rougon-Macquart de Zola, ce seraient la société ou ses déterminismes qui le pousseraient à commettre des infractions.

M. Pascal Popelin. C’est vous qui interprétez le texte !

M. Gérald Darmanin. Mme la garde des sceaux a pris un exemple tout à fait étonnant : un délinquant condamné à un travail d’intérêt général mais qui aurait un emploi ne pourrait pas faire son travail. Cela voudrait dire qu’une personne ayant un emploi ne pourrait pas non plus être mise en prison, puisqu’elle n’aurait plus la possibilité d’exercer son activité.

Notre collègue Ciotti est sage : il propose, justement, de revenir à la sagesse du texte initial. Ce serait une bonne mesure, qui permettrait d’éviter la censure : Éric Ciotti vous rend là un service gratuit, et vous devez l’accepter.

M. Pascal Popelin. Il n’y a jamais de service gratuit avec Ciotti ! (Sourires.)

M. Gérald Darmanin. Cela nous permettrait également de trouver enfin un petit compromis. Nous avons déjà expliqué très longuement que vous oubliez les victimes ; manifestement, vous cherchez également des excuses à ceux qui commettent des méfaits. Ce n’est pas très raisonnable !

(L’amendement n475 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Alain Tourret, pour soutenir l’amendement n732.

M. Alain Tourret. À l’alinéa 3, nous proposons d’insérer, après le mot « situation », les mots « matérielle, familiale et sociale ». En effet, l’individualisation d’une peine ne doit pas relever de la seule personnalité du condamné, mais plus généralement de sa situation matérielle, familiale et sociale.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Favorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Favorable : cet amendement aligne la rédaction de l’alinéa 3 sur celle que la commission a introduite à plusieurs endroits du texte.

Les orateurs de l’opposition participent à un jeu un peu convenu, qui consiste à nous faire sans arrêt les mêmes procès.

M. Pascal Popelin. C’est de la récidive ! (Sourires.)

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Par exemple, M. Darmanin vient d’expliquer que le fait de tenir compte de la situation de l’auteur d’une infraction revient à dispenser celui-ci de peine. Je n’ai plus l’espoir de parvenir à établir le débat et les échanges d’arguments rationnels. Je n’y compte plus !

M. Éric Ciotti. C’est incroyable de dire cela !

M. Sébastien Huyghe. Cela s’appelle du mépris !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. À plusieurs reprises, le projet de loi prévoit que la situation matérielle, familiale et sociale de l’auteur de l’infraction soit prise en compte : il s’agit d’éclairer la juridiction, afin que les magistrats prennent des décisions en fonction de cette situation. Cette dernière ne doit pas servir à trouver au prévenu des circonstances atténuantes, des excuses ou des motifs de dispense de peine, mais permettre de prononcer des peines adaptées. Une juridiction pourrait décider, par exemple, de contraindre une personne n’ayant pas de formation qualifiée à suivre une formation. La connaissance de la situation du prévenu permet d’ajuster la décision, et non de renoncer à cette décision.

Il convenait d’apporter cette précision, même si j’ai bien compris les règles du débat appliquées d’un côté de l’hémicycle et si je suis bien consciente que les mêmes accusations vont revenir.

M. Jean-Frédéric Poisson. On sait ce que signifie « situation », mais pourquoi ajouter « matérielle, familiale et sociale » ? Lorsqu’on précise une expression, on réduit le champ d’application de la disposition correspondante !

M. le président. La parole est à M. Nicolas Dhuicq.

M. Pascal Popelin. Ah ! La minute nécessaire !

Mme Colette Capdevielle. La petite minute de M. Dhuicq ! (Sourires.)

M. Nicolas Dhuicq. Je vais vous présenter une petite vignette clinique. Je viens d’entendre parler de formation. À la centrale de Condé-sur-Sarthe, il existe une salle magnifique, toute neuve, où les détenus – qui purgent de longues peines – sont formés à la gestion d’entreprise.

M. Alain Tourret. Ce doit encore être un coup de Bygmalion !

M. Nicolas Dhuicq. C’est extraordinaire ! On va former des professionnels du vol ou du crime à mieux gérer, à partir de l’enceinte de la prison, leurs affaires extérieures.

M. Sergio Coronado. C’est ce que certains font !

M. Nicolas Dhuicq. Il est tout de même extraordinaire de voir jusqu’où peuvent aller ces sociétés dites modernes !

Quant à l’amendement de notre collègue Tourret, j’appelle solennellement l’attention de l’hémicycle sur le fait que nous commençons là une longue énumération de qualificatifs qui permettront aux magistrats de juger du type de peine qu’ils infligeront aux prévenus. Il y a quelques années, une association professionnelle a appelé à une justice de classe. Mes chers collègues, nous sommes, du côté droit de cet hémicycle, des tenants de la responsabilité individuelle : nous luttons contre une vision déterministe de la société.

M. Alain Fauré. Peut-on avoir un décodeur, s’il vous plaît ?

M. Nicolas Dhuicq. Ce type d’amendement et ce type d’énumération contribueront pleinement à l’inégalité de traitement que subiront, à l’avenir, à la fois les victimes et les personnes jugées, en fonction des tribunaux qui jugeront les affaires. Comment un magistrat va-t-il juger un grand bandit dans le sud de la France ? Va-t-il intégrer à son patrimoine matériel les véhicules, les cercles de jeux, les bars, alors même que les douanes ont beaucoup de mal à intervenir dans ces domaines ?

M. Alain Fauré. On a vraiment besoin d’un décodeur !

M. Nicolas Dhuicq. Si la personne jugée est issue d’un milieu dit favorisé, cela sera-t-il considéré comme une circonstance aggravante ? En effet, seule la personne censée appartenir à une minorité, de préférence persécutée, ou vivre dans un milieu périurbain, donc défavorisé, bénéficiera de circonstances atténuantes !

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Vos propos sont lamentables !

M. Nicolas Dhuicq. En réalité, vous entrez dans un système qui fait froid dans le dos et qui évoque 1917, c’est-à-dire l’arbitraire,…

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Lamentable !

M. Nicolas Dhuicq. …et d’autres périodes de notre histoire et de celle des pays européens. Vous êtes en rupture complète avec l’esprit des lois hérité du XVIIIsiècle. Vous êtes pleinement entrés dans une justice de classe. (Exclamations et rires sur les bancs du groupe SRC.)

M. Pascal Popelin. Rien de moins !

M. le président. La parole est à M. Alain Tourret.

M. Alain Tourret. À moi, un radical, on parle de justice de classe et de 1917 ! Je suis un fils de Clemenceau, et je n’ai pas grand-chose à voir avec les bolcheviks. (Sourires.)

M. Nicolas Dhuicq. Ça, c’est à voir !

M. Alain Tourret. La grande alliance entre les gaullistes et les bolcheviks, peut-être, mais pas pour moi ! (Sourires.)

Quant à l’examen de la situation des personnes, effectivement, je ne sais pas si l’on condamnera à des peines semblables ceux qui auront procédé à des surfacturations invraisemblables au détriment de partis politiques et ceux qui auront simplement volé un vélo ou un sandwich au chocolat !



Plusieurs députés du groupe SRC. Un pain au chocolat ! (Sourires)

M. Alain Tourret. Chacun comprendra. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Gérald Darmanin et M. Patrick Hetzel. C’est une référence à Cahuzac !

M. le président. La parole est à M. Joaquim Pueyo.

M. Joaquim Pueyo. Je souhaite répondre à M. Dhuicq concernant les problèmes de formation dans les services pénitentiaires. Il n’y a pas de censure : chaque établissement travaille avec des organismes de formation et choisit les meilleures formations pour permettre aux condamnés de se réinsérer. Il existe des formations de tous types, qu’il s’agisse d’activités manuelles ou intellectuelles. M. Dhuicq a pointé du doigt la formation en gestion des entreprises. Je ne vois pas en quoi avoir des notions de bonne gestion des entreprises favoriserait le développement de tendances d’escroc, par exemple.

Par ailleurs, il me paraît important que les tribunaux aient une bonne connaissance de la personne jugée, qu’il s’agisse de sa vie, de l’environnement dans lequel elle a vécu, mais aussi de sa situation familiale. Il en est de même dans les établissements pénitentiaires, où j’ai souvent regretté qu’on ne connaisse pas suffisamment la personne incarcérée. Je parle d’une connaissance scientifique, qui ne sert pas à prendre une décision arbitraire, mais une décision adaptée à la personnalité des prévenus, en tenant compte, bien évidemment, des victimes.

Le projet de loi qui nous est présenté va plutôt dans le bon sens. Il se situe dans la continuité des évolutions constatées depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, en 1945 : on a accentué la possibilité d’individualiser les peines, et même de personnaliser leur exécution dans les établissements pénitentiaires. Il s’agit de droit positif : ce n’est pas parce que l’on va bien connaître le délinquant que l’on va l’excuser. En revanche, une bonne connaissance de la situation du prévenu permet au magistrat de trouver la meilleure sanction possible.

M. Sergio Coronado. Très bien !

(L’amendement n732 est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Yannick Moreau, pour soutenir l’amendement n26.

M. Yannick Moreau. Il est défendu.

(L’amendement n26, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

(L’article 2, amendé, est adopté.)

Article 3

M. le président. Plusieurs orateurs sont inscrits sur l’article 3.

La parole est à M. Nicolas Dhuicq.

M. Pascal Popelin. Cela faisait longtemps !

M. Nicolas Dhuicq. Nous parlons de la personnalisation des peines. N’en déplaise à mon excellent collègue Joaquim Pueyo, je suis étonné d’observer que des détenus condamnés à de longues peines se voient proposer une formation à la gestion d’entreprise : il y a quand même quelque chose de fortement discordant, pour ne pas dire délirant, à ce que ce type de formation soit offert à de grands bandits ! Il s’agit là d’un vrai problème.

Au bout du compte, le débat porte, encore une fois, sur le fait que nous ne croyons pas aux déterminismes. Nous croyons à la responsabilité individuelle, et à la liberté de faire ou de ne pas faire le mal ou le bien : c’est sur ce point que nous avons une divergence philosophique fondamentale avec les orientations de ce projet de loi.

Pour ma part, mes chers collègues, en dépit de vos intentions empreintes d’humanité s’agissant de la possibilité de la réintégration du criminel dans la communauté humaine, je crois que votre système conduira inéluctablement à des dérives idéologiques extrêmement fortes. Vous allez mettre en place un système, notamment avec l’amendement de notre excellent collègue Tourret, qui rendra les citoyens inégaux devant les tribunaux, un système qui, au lieu d’individualiser les peines, rendra les citoyens inégaux.

Pour une partie d’entre eux, les criminels sont des gens rationnels, des gens qui calculent, qui comptent, mais il ne faut pas oublier le facteur aventureux dans la criminalité. Les dix ou vingt ans passés derrière les barreaux comptent finalement peu au regard des deux ans d’excitation, de transgression, de vie brillante avec autour de soi des attributs de pouvoir et de luxe considérables.

M. Alain Vidalies. Il parle de l’UMP.

M. Nicolas Dhuicq. Dans une société extrêmement normative où il n’y a plus d’aventure, plus de projet commun,…

M. Alain Vidalies. C’est l’histoire de l’UMP.

M. le président. Nous écoutons l’orateur !

M. Gérald Darmanin. Je ne crois pas qu’au PS, ce soit mieux.

M. Nicolas Dhuicq. …le vote intervenu il y a deux semaines s’explique par le fait que nous sommes en train de construire une société extrêmement normative pour nos enfants où l’on ne peut plus avoir aucune aventure, aucun projet. Dans le banditisme, il faut bien se rendre compte qu’il y a des gens extrêmement rationnels et qui calculent que deux ans de vie pleine valent bien vingt ans derrière les barreaux. Avec votre système d’individualisation des peines, vous provoquerez chez ces personnes un mépris encore plus fort de la loi et des interdits.

M. le président. La parole est à Mme Annie Genevard.

Mme Annie Genevard. Beaucoup de choses ont été dites en discussion générale sur la politique de l’incarcération dans notre pays. La surpopulation carcérale, qui est une réalité, accrédite l’idée qu’il y aurait une prédisposition particulière à l’incarcération, en tout cas, c’est ce dont vous nous avez accusés tout au long de la discussion générale. C’est faux et vous le savez.

Des chiffres ont été évoqués : 21 % des faits jugés sont suivis d’incarcération, quatre faits jugés sur cinq sont sanctionnés par d’autres moyens que la prison. Le tout carcéral est un mythe. Lorsque vous interrogez les juges, ils vous expliquent d’ailleurs qu’avec l’arsenal qui est en leur possession, ils utilisent quotidiennement l’aménagement de peine.

Mme Elisabeth Pochon. Pour qui ?

Mme Annie Genevard. Le vrai sujet est le suivant : comment véritablement améliorer la qualité de l’incarcération et non la dénonciation d’une prison qui ne serait que l’école du crime au risque de décourager complètement les personnels pénitentiaires qui font un travail extrêmement difficile. La France compte moins de détenus et de places de prison que la moyenne européenne,…

M. Patrick Hetzel. Exact.

Mme Annie Genevard. …faut-il aller plus bas encore ? Comment ne pas voir là le fruit d’une idéologie anticarcérale ?

M. le président. La parole est à Mme Colette Capdevielle.

Mme Colette Capdevielle. Revenons aux deux principes posés à l’article 3. Premièrement, l’emprisonnement est le dernier recours en matière correctionnelle et il n’est prononcé qu’une fois que toutes les autres peines ont pu être étudiées et évincées. Deuxièmement, le renforcement de l’obligation de motivation des peines d’emprisonnement sans sursis. Ces deux principes sont liés. Dès lors qu’il faut motiver – c’est-à-dire lever la plume et réfléchir, s’interroger sur les faits et la personnalité –, l’on se rend compte qu’il n’est pas facile de prononcer une peine d’emprisonnement. Motiver signifie donner des raisons spéciales et le texte l’impose.

C’est normal puisque c’est la peine de prison qui est la plus lourde de conséquences. C’est parfaitement légitime puisque c’est la peine qui prive totalement de liberté. Cela aide la personne condamnée à mieux comprendre la décision et à l’amener ou non à en relever appel. Nous avons étendu l’obligation de motivation aux décisions prises pour les récidivistes alors que vous aviez récemment supprimé cette possibilité aux magistrats, ce qui était tout de même assez choquant. Une fois encore, vous leur enleviez une possibilité d’individualiser et d’exercer en toute indépendance, voulant toujours contrôler avec cette méfiance congénitale…

M. Gérald Darmanin. Rien que ça !

Mme Colette Capdevielle. …à l’égard des magistrats.

Pour une meilleure qualité de justice, je forme le vœu que cette possibilité soit laissée au juge. Une justice de qualité est une justice dans laquelle la décision est motivée. Ce texte revient à des principes fondamentaux. Lorsqu’une personne se voit infliger la peine la plus infamante, à savoir la peine privative de liberté, au moins que la décision soit spécialement motivée, qu’elle soit condamnée en tant que primo-délinquant ou en état de récidive.

M. le président. La parole est à M. Yannick Moreau.

M. Yannick Moreau. Avec l’article 3, vous inversez l’ordre des choses. La juridiction devra désormais motiver les peines de prison ferme non aménagées. Pourquoi faire si peu confiance à l’institution judiciaire ? Avez-vous peur qu’elle fasse trop bien son travail et applique trop justement la loi ? Cet article consacre le droit à l’impunité du délinquant, vu comme une victime du système, que le juge doit, par définition, relâcher. Pour la majorité, nous l’avons bien compris, l’homme naît bon, c’est la prison qui le corrompt.

L’article 3 illustre parfaitement l’idée générale de votre loi laxiste. Pour lutter contre la surpopulation carcérale, vous proposez une solution radicale : tout faire pour ne pas remplir les prisons. Je m’opposerai à l’adoption de cet article qui fera de la prison l’exception. Le rôle de la peine, comme l’a souligné notre collègue Julien Aubert, n’est-il pas de punir, de sanctionner et de rétablir l’équilibre causé par l’infraction ?

Dans l’éventail de la réponse pénale, la prison ne doit pas être l’unique solution, j’en conviens, mais elle doit être une solution et non une option facultative. Entendez-vous le cri des Français qui ne se reconnaissent plus dans cette justice rendue en leur nom ? En effet, 77 % des Français estiment que la justice fonctionne mal. Comment les en blâmer alors que nous savons que 2,6 millions d’affaires ne sont pas poursuivies par la justice et que les délais de procédure, faute de moyens, sont interminables et incompréhensibles pour la plupart de nos compatriotes ?

Votre réforme est dangereuse pour nos compatriotes et la France. Elle mettra des milliers de détenus en liberté. Elle permettra à des milliers de délinquants, y compris les coupables d’agressions sexuelles, de se retrouver face à face avec leurs victimes sans qu’ils soient passés par la case prison. Elle ouvrira toujours plus de droit à sortir au condamné et toujours moins d’attention, d’écoute et de protection aux victimes qui ne sont que l’accessoire de votre pseudo-réforme.

Grâce à vous, madame la ministre, les délinquants de France ont de beaux jours devant eux. Là où les Français réclament plus de sévérité, le maintien, voire le renforcement des peines plancher, vous les supprimez. Là où les Français demandent l’application de peines de prison ferme claires et la suppression des remises de peines automatiques, vous instaurez la contrainte pénale. Là où les Français veulent empêcher la récidive des crimes les plus graves en élargissant le cadre de la perpétuité réelle, vous désarmez les magistrats.

M. Gérard Sebaoun. N’importe quoi.

M. Yannick Moreau. Là où, à la suite du scandale du Mur des cons, les Français demandent justice et des magistrats indépendants des syndicats politisés, vous ne faites rien. Pis, vous les couvrez. Là où les Français réclament de tourner notre droit pénal vers la protection et le respect des victimes, vous répondez par une loi relative à l’impunité, au laxisme et à l’ignorance des droits des victimes.

Madame la garde des sceaux, je défends la suppression de l’article 3. Votre aveuglement sur l’impunité de nos délinquants et sur le sort réservé aux victimes est coupable.

M. le président. La parole est à M. Dominique Potier.

M. Dominique Potier. Je ne suis pas un spécialiste des questions pénales, mais j’ai l’honneur et le bonheur d’être le voisin d’Élisabeth Pochon, responsable de notre groupe pour ces questions, qui m’a encouragé à m’exprimer à ma manière – originale paraît-il – sur le sujet. Je me suis donc employé à me cultiver et à me renseigner. Ce faisant, je suis tombé sur une pépite que je veux partager avec vous, en guise de réponse à MM. Poisson, Dhuicq, Darmanin, Aubert, qui ont diabolisé le débat.

Dans la revue Étvdes, j’ai découvert un écrit plein de sagesse de Denis Salas. Écoutons-le et peut-être pourrons-nous prendre un peu de hauteur, chers collègues.

« Un individu ne tient pas debout tout seul. Nous sommes orphelins d’un État social qui permettait de lier la société démocratique à ses marges. À la place qui est devenue la sienne, la justice peut activer la déliaison ou la freiner. Elle doit aussi contribuer à reconstruire le lien défaillant en s’appuyant sur les ressources familiales, le tissu associatif et les services publics de proximité. Une liberté purement individuelle sans solidarité n’est rien. Une justice qui ne relie pas l’homme à la collectivité affaiblit l’un et l’autre. Un droit pénal omniprésent et tapageur est l’indice d’une société en miettes. Une société dont les institutions se délitent tend à le solliciter compulsivement » C’est un peu ce que j’entends dans vos rangs, messieurs de l’opposition.

« Au moment où triomphe le droit à la sécurité – cela a été écrit sous la précédente majorité – souvenons-nous, alors qu’il vient de nous quitter, de ce que disait Claude Lefort des droits de l’homme. Ils ne sont en rien une réclamation purement individuelle, mais avant tout une relation proprement sociale qui lie les hommes entre eux, tour à tour sujets et débiteurs. Il ne faut pas les comprendre comme des libertés égoïstes, éprises de sécurité et de tranquillité, mais comme des libertés de rapports, le fondement des droits individuels se trouve avant tout dans une société solidaire. » (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Gérald Darmanin.

M. Gérald Darmanin. Un très beau texte, mon cher collègue, mais bien loin des réalités ! Vous parlez de la politique de sécurité. Nous pensons que la réponse pénale est une des vraies réponses.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Avec une limite.

M. Gérald Darmanin. Ceux qui souffrent en premier de l’insécurité, ce sont les plus pauvres d’entre nous, les ouvriers, les salariés, ceux qui désespèrent des partis politiques. Lorsqu’ils rentrent chez eux et revoient le voisin qui les a agressés, ils ne comprennent pas. Lors de réunions de quartiers que nous organisons en tant qu’élus de terrain, quelle que soit notre appartenance politique, ils nous disent ne pas comprendre la réponse pénale apportée par la justice. Alors de grâce, un peu moins de philosophie et un peu plus de concret. Nous considérons pour notre part que votre texte n’est pas efficace – et nous avons le droit de le discuter – et que vous êtes un peu loin des réalités lorsque vous citez la revue Étvdes. Je vous suggère de faire un peu plus de porte à porte, quitte à mentir un peu, pour reprendre le propos de M. le rapporteur.

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Quel argument populiste !

M. Gérald Darmanin. Vous perdez votre sens de l’humour, monsieur le président de la commission des lois.

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. À cette heure, c’est possible !

M. Gérald Darmanin. Tant pis, si cela ne fait rire que moi. Quoi qu’il en soit, mon cher collègue, un peu moins de philosophie et un peu plus de concret, c’est sur cela que les citoyens nous attendent, les dernières élections l’ont montré quels que soient les partis politiques.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. C’étaient les propos d’un magistrat. Denis Salas sait de quoi il parle !

M. le président. Je suis saisi de plusieurs amendements identiques tendant à supprimer l’article 3.

La parole est à M. Yannick Moreau, pour soutenir l’amendement n28.

M. Yannick Moreau. L’amendement vise en effet à supprimer l’article 3, qui porte gravement atteinte à la liberté d’appréciation des juges qui doivent désormais se justifier lorsqu’ils ne prononcent pas de peine aménagée. En plus de cette atteinte à leur liberté de jugement, cet article démontre une nouvelle fois l’idéologie dominante de ce projet de loi dans lequel la prison devient l’exception.

M. le président. La parole est à M. Georges Fenech, pour soutenir l’amendement n217.

M. Georges Fenech. Je souhaiterais, monsieur le président, que Mme Capdevielle veuille bien cesser ses attaques très désagréables à notre encontre, cela en devient lassant.

M. Patrick Hetzel. Ce sont des polémiques stériles.

M. Georges Fenech. Vous avez mis en cause notre famille politique pour porter atteinte à l’indépendance des juges. Vous nous avez comparés à des perroquets, maintenant vous parlez de notre « méfiance congénitale » des juges.

Mme Colette Capdevielle. C’est vrai !

M. Georges Fenech. De tels propos n’enrichissent pas nos débats.

M. Gérard Sebaoun. Et vous, vous rendez-vous compte de ce que dit M. Dhuicq en permanence ?

M. Georges Fenech. J’en viens à l’article 3 dont je demande la suppression. Je le définirai comme une culpabilisation de punir. Oui, c’est comme si on était coupable de punir, en tout cas, c’est ainsi que je le ressens. Il faudra bientôt s’excuser de prononcer une peine d’emprisonnement. À propos de la motivation, je vous fais observer qu’à une certaine époque, vous vous étiez élevés contre la demande de motivation en cas de non prononcé d’une peine plancher. Aujourd’hui à votre tour, vous obligez le juge à motiver sa décision.

La motivation n’est jamais inutile mais est-elle indispensable dans ce cas ? Les juges doivent déjà, comme vous le savez, motiver deux fois leur décision : du point de vue de la culpabilité et du point de vue du quantum de la peine. Avec cet article, ils devront la motiver une troisième fois en expliquant pourquoi ils choisissent l’enfermement plutôt qu’une peine hors les murs. Non seulement vous alourdissez leur jugement mais vous les contraignez à tout faire pour prononcer la peine de contrainte pénale que vous nous proposez d’instaurer.

Pour ces raisons, je demande la suppression de cet article 3.

M. le président. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson, pour soutenir l’amendement n286.

M. Jean-Frédéric Poisson. Il est défendu, monsieur le président.

M. le président. La parole est à M. Éric Ciotti, pour soutenir l’amendement n352.

M. Éric Ciotti. À mesure que nos débats progressent, nous voyons se confirmer l’analyse que nous avons faite dans la discussion générale de la philosophie ou plutôt de l’idéologie qui sous-tend ce projet de loi. L’article 1er, qui définit la peine, exclut sa fonction réparatrice, donc les victimes. L’article 2 ouvre la porte à la culture de l’excuse pour l’auteur d’un délit. Et comme vient de le rappeler excellemment Georges Fenech, cet article 3 introduit une forme de culpabilisation du juge qui va prononcer l’expression la plus forte de la sanction : le recours à une peine de prison ferme sans aménagement.

De surcroît, nous vous prenons en flagrant délit de contradiction. Depuis 2007, vous n’avez cessé d’affirmer que les peines plancher, auxquelles vous vous opposez à l’article 5, étaient en contradiction avec le principe d’individualisation des peines et de libre appréciation des magistrats. Là, vous imposez à ces mêmes magistrats ce que vous nous reprochiez de leur imposer puisque vous exigez d’eux qu’ils motivent leur décision, donc qu’ils se justifient, lorsqu’ils prononceront une peine de prison ferme non aménagée.

Cet article mal venu contredit la libre appréciation que doit avoir le magistrat, garant du principe d’individualisation. Il participe de cette idéologie dangereuse que nous voyons se dessiner pièce après pièce à travers ce projet de loi. Aussi demandons-nous sa suppression.

M. le président. La parole est à M. Patrick Hetzel, pour soutenir l’amendement n521.

M. Patrick Hetzel. Cet article rend applicable le principe selon lequel l’emprisonnement sans sursis ne doit en matière correctionnelle être prononcé qu’en dernier ressort. En outre, il requiert qu’en matière correctionnelle, la juridiction ait l’obligation de motiver le choix d’une peine de prison ferme non aménagée, et ce, même en cas de récidive légale. Il constitue donc une atteinte à la liberté d’appréciation des juges.

La majorité actuelle s’était élevée contre la demande de motivation en cas de non-prononcé d’une peine plancher et c’est cette même majorité qui propose aujourd’hui par cet article 3 que les magistrats rendent des comptes sur le non-aménagement des peines. Si cette loi est adoptée, ils devront motiver le choix d’une peine d’emprisonnement ferme non aménagée. Joli paradoxe !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Nous allons vous en reparler de ce paradoxe !

M. Patrick Hetzel. Votre argumentation est de toute évidence à géométrie variable. C’est sans doute la raison pour laquelle il y a peu de membres de la majorité présents pour soutenir le texte ce soir. La majorité n’est pas soudée. Elle votera sans doute ce projet de loi sur l’injonction, comme d’habitude, du président du groupe socialiste, Bruno Le Roux, mais sur le fond, elle est parcourue par des débats extrêmement houleux. Manuel Valls, lorsqu’il était place Beauvau, était d’ailleurs le premier à être hostile à tout cela.

Nous pouvons donc nous inquiéter de l’obstination dont Mme la garde des sceaux fait preuve avec ce texte, qui va contribuer à une nouvelle fracture au sein de la majorité qui n’en est d’ailleurs plus véritablement une.

Cet article est en complète incohérence avec l’individualisation des peines qui passe, selon les concepteurs de ce projet de loi, par une plus grande latitude des magistrats. Il se situe dans une optique inverse.

Bref, non seulement cet article est condamnable sur le fond mais il est incohérent. Le plus simple serait donc de le supprimer. Nous aurons sans doute – du moins je l’espère – quelques explications sur son bien-fondé de la part du rapporteur et surtout de Mme la garde des sceaux

M. le président. La parole est à M. Gérald Darmanin, pour soutenir l’amendement n660.

M. Gérald Darmanin. Défendu !

M. le président. La parole est à M. Sébastien Huyghe, pour soutenir l’amendement n718.

M. Sébastien Huyghe. J’aimerais ajouter quelques mots à l’excellente argumentation de mes collègues. Par cet article, vous voulez renverser la charge de la preuve en faisant peser des soupçons sur les magistrats, lesquels auraient, selon vous, tendance à vouloir aller vers le tout-carcéral. C’est pour nous élever contre cette conception que nous vous demandons de supprimer cet article.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Nous ne limitons pas la liberté du juge, nous nous contentons d’affirmer que tout ce qui fait grief doit être motivé. C’est là la tâche séculaire du juge. Ce vieux principe, nous le rétablissons quand il a pu être touché.

J’ajoute que l’effort pour limiter le recours à l’emprisonnement, dont l’effet désocialisant est connu – quand bien même nous considérons que la peine de prison peut trouver sa parfaite justification et s’avérer absolument nécessaire – est assez ancien : il sous-tendait l’exposé des motifs du nouveau code pénal en 1986 ; il était mis en avant dans un rapport de Jean-Luc Warsmann en 2003 ; la loi Perben, de 2004, a instauré la règle selon laquelle les peines d’une durée inférieure devaient être aménagées sauf impossibilité ou refus du condamné ; la loi pénitentiaire de 2009 a prévu un possible aménagement pour les peines allant jusqu’à deux ans d’emprisonnement. Il ne s’agit donc pas d’une lubie de notre majorité, mais d’un mouvement ancien, continu, porté des deux côtés de l’hémicycle.

Nous estimons que cet article 3 est parfaitement justifié. En conséquence, j’émets un avis défavorable aux amendements de suppression.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Avis défavorable pour les mêmes raisons.

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Je voudrais donner une amplification aux propos du rapporteur : demander aux magistrats de motiver leurs décisions ne peut être considéré comme une insulte, c’est au contraire donner toute sa plénitude à l’exercice de leurs compétences.

M. Jean-Frédéric Poisson. Exactement le contraire de ce que vous disiez il y a quelques années !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Considérer que cette motivation restreint leurs compétences est une aberration.

Nous modifions le code pénal, mes chers collègues et je vous invite à prêter attention à ce qui est modifié, en l’occurrence son article 132-19, qui comporte deux alinéas.

Le premier est laissé intact : « Lorsqu’une infraction est punie d’une peine d’emprisonnement, la juridiction peut prononcer une peine d’emprisonnement pour une durée inférieure à celle qui est encourue. ». Et j’aimerais que vous m’expliquiez, chers collègues, en quoi cela représente une contrainte pour le juge que d’avoir la possibilité de prononcer une peine inférieure à celle qui est encourue.

Son deuxième aliéna, remplacé par deux nouveaux alinéas, était ainsi rédigé : « En matière correctionnelle, la juridiction ne peut prononcer une peine d’emprisonnement sans sursis qu’après avoir spécialement motivé le choix de cette peine. Toutefois, il n’y a pas lieu à motivation spéciale lorsque la personne est en état de récidive légale. » Autrement dit, l’article 132-19 prévoyait déjà que le juge devait motiver sa décision lorsqu’il prononçait une peine d’emprisonnement ferme en matière correctionnelle. Par la loi de 2005, vous avez prohibé l’obligation de motivation pour la récidive légale mais vous n’avez jamais considéré que cet alinéa constituait une restriction de l’appréciation du juge.

Vos arguments sur la restriction des pouvoirs du juge sont totalement inexacts, eu égard à la construction des lois de 2005, de 2007 et du présent projet.

J’ajoute que l’objet principal de ce texte est de replacer la peine d’emprisonnement au milieu d’un dispositif de sanctions pénales qui est apprécié par le juge. Il est fallacieux de dire que ce dispositif entame la capacité de jugement des juridictions. C’est un argument inacceptable, contraire à la vérité. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

(Les amendements identiques nos 28, 217, 286, 352, 521, 660, 718 ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 291 et 600.

La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson, pour soutenir l’amendement n291.

M. Jean-Frédéric Poisson. Il est défendu, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n600 est également défendu.

(Les amendements identiques nos 591 et 600, repoussés par la commission et le Gouvernement, ne sont pas adoptés.)

M. le président. La parole est à M. Gérald Darmanin, pour soutenir l’amendement n659.

M. Gérald Darmanin. Il est défendu.

(L’amendement n659, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Hetzel, pour soutenir l’amendement n563.

M. Patrick Hetzel. Cet amendement est défendu, monsieur le président.

(L’amendement n563, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Alain Tourret, pour soutenir l’amendement n736.

M. Alain Tourret. Il est défendu.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Défavorable.

M. le président. Retirez-vous votre amendement, monsieur Tourret ?

M. Alain Tourret. Oui, monsieur le président.

(L’amendement n736 est retiré.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson, pour soutenir l’amendement n390.

M. Jean-Frédéric Poisson. Il est défendu.

(L’amendement n390, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Hetzel, pour soutenir l’amendement n562.

M. Patrick Hetzel. Le projet de loi doit accorder à la victime la place nécessaire à la reconnaissance de son statut. Il est indispensable pour la victime d’être reconnue en tant que telle afin qu’elle puisse tourner la page, sortir de ce statut et, en fonction du préjudice subi, se réinsérer dans la société.

La peine doit être envisagée dans le but de restaurer un équilibre entre l’auteur des faits et la victime. Le droit actuel réduit l’évaluation de la peine à la nature de l’infraction et à la personnalité de l’auteur des faits. Oublier le préjudice subi par la victime dans l’appréciation de la peine expose le magistrat à prendre une décision injuste aux yeux de la victime et des citoyens. Ce préjudice, qui peut être matériel, cause à chaque fois un traumatisme dont l’intensité varie en fonction de l’infraction, de la personnalité de la victime et du lien existant entre celle-ci et l’auteur des faits.

Cet amendement vise à ce que la peine tienne compte de l’ensemble des parties prenantes afin de rétablir l’équilibre brisé par l’infraction.

Nous souhaiterions par ailleurs qu’une réflexion soit menée pour faire en sorte qu’il y ait le moins de victimes possible ; or vous semblez écarter complètement cette question. S’il faut tout d’abord faire le nécessaire pour que la criminalité baisse, afin qu’il y ait de moins en moins de victimes, il faut ensuite prendre pleinement en considération les victimes. Cela peut vous paraître surprenant, madame la ministre, mais si nous insistons, c’est parce que nous avons l’impression que nous nous heurtons à un mur de la part du Gouvernement, celui-ci ne souhaitant absolument pas prendre en compte cette dimension. Il ne s’agit pas de nous répéter ; mais si nous insistons de cette manière, c’est tout simplement parce que nous pensons qu’il existe un écart entre la manière dont le Gouvernement traite cette question et ce que nous vivons dans nos circonscriptions lorsque nous rencontrons des victimes.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Défavorable, le texte prenant parfaitement en compte les intérêts des victimes.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Défavorable car l’alinéa 4 de l’article 3 mentionne les « faits de l’espèce », qui prennent en compte la situation des victimes.

M. Patrick Hetzel. Il s’agit de l’alinéa 3 !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Non, c’est l’alinéa 4 !

(L’amendement n562 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Éric Ciotti, pour soutenir l’amendement n353.

M. Éric Ciotti. Défendu.

(L’amendement n353, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Sergio Coronado, pour soutenir l’amendement n1.

M. Sergio Coronado. Il s’agit presque – mais pas tout à fait – d’un amendement rédactionnel : il vise à supprimer à l’alinéa 3 de l’article 3 les mots « d’aménagement ». Les mesures prononcées par le tribunal ne sont pas des mesures d’aménagement mais des peines. Il est donc proposé, par cohérence avec ce principe, de supprimer les mots « d’aménagement » dans cet article.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Également défavorable parce que je crains que cela n’introduise une ambiguïté. Il est donc nécessaire de maintenir cette précision ; aussi, je vous propose de retirer votre amendement.

M. le président. La parole est à M. Nicolas Dhuicq.

M. Nicolas Dhuicq. Même si notre collègue retire son amendement, je trouve que celui-ci est vraiment dans la cohérence de notre collègue Sergio Coronado, cohérence idéologique puisqu’il s’agissait ni plus ni moins de considérer que comme les aménagements sont des peines, il ne reste finalement strictement plus aucune peine à donner aux personnes condamnées. Je trouve tout à fait extraordinaire cette déconstruction du système juridique actuel : bravo ! Félicitations !

(L’amendement n1 est retiré.)

M. le président. La parole est à M. Gérald Darmanin, pour soutenir l’amendement n658.

M. Gérald Darmanin. Défendu.

(L’amendement n658, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 478 et 681.

La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson, pour soutenir l’amendement n478.

M. Jean-Frédéric Poisson. Défendu.

M. le président. La parole est à M. Philippe Vitel, pour soutenir l’amendement n681.

M. Philippe Vitel. Défendu.

(Les amendements identiques nos 478 et 681, repoussés par la commission et le Gouvernement, ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi de plusieurs amendements, nos 480, 136, 682, 354, 135 et 564, pouvant être soumis à une discussion commune.

Les amendements nos 136 et 682 sont identiques, de même que les amendements nos 135 et 564.

La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson, pour soutenir l’amendement n480.

M. Jean-Frédéric Poisson. Défendu.

M. le président. La parole est à M. Frédéric Reiss, pour soutenir l’amendement n136.

M. Frédéric Reiss. Le présent amendement, qui porte sur l’alinéa 4 de l’article 3, prend le contre-pied de l’amendement de M. Tourret adopté tout à l’heure à l’article 2. Le juge doit motiver sa décision, ce dont nous sommes entièrement d’accord, en tenant compte de la situation matérielle, familiale et sociale de l’auteur des faits. Nous proposons de modifier cette disposition pour tenir compte du préjudice subi par la victime, ce qui nous semble beaucoup plus important. Le droit actuel réduit l’évaluation de la peine à la nature de l’infraction et à la personnalité de l’auteur des faits. Oublier le préjudice subi par la victime dans l’appréciation de la peine expose le magistrat à prendre une décision injuste aux yeux de la victime et des citoyens. Ce préjudice, qui peut être matériel, cause à chaque fois un traumatisme dont l’intensité varie en fonction de l’infraction, de la personnalité de la victime et du lien existant entre celle-ci et l’auteur des faits.

M. le président. La parole est à M. Sébastien Huyghe, pour soutenir l’amendement identique n682.

M. Sébastien Huyghe. Toute la philosophie de ce texte tourne malheureusement autour du seul délinquant, oubliant à chaque fois la victime. Comme nous l’avons fait pour les articles précédents, nous proposons donc de ne pas oublier la victime – même si, malheureusement, nous risquons d’obtenir la même fin de non-recevoir, tant du Gouvernement que du rapporteur et de la majorité.

M. le président. La parole est à M. Éric Ciotti, pour soutenir l’amendement n354.

M. Éric Ciotti. Au risque de susciter le reproche intolérant de Mme la garde des sceaux, qui va sans doute nous trouver répétitifs, nous voulons replacer la victime au cœur de ce dispositif en ajoutant à l’alinéa 4 de l’article 3, à côté de l’examen de la situation de l’auteur, une appréciation du préjudice subi par la victime, afin de rétablir l’équilibre indispensable entre l’auteur et la victime.

M. Pascal Popelin. Attention, monsieur Ciotti : vous êtes un récidiviste !

M. le président. Nous en arrivons à une nouvelle série d’amendements identiques. La parole est à M. Frédéric Reiss, pour soutenir l’amendement n135.

M. Frédéric Reiss. Défendu.

M. le président. La parole est à M. Patrick Hetzel, pour soutenir l’amendement identique n564.

M. Patrick Hetzel. Nous aimerions tout de même obtenir quelques explications. Je sais bien que cela est sans doute difficile parce que le Gouvernement n’a manifestement pas pris en compte cette dimension, mais j’aimerais tout de même savoir quelles motivations prévalent dans le rejet de nos amendements : c’est le minimum de respect dû au travail parlementaire ! Si nous formulons ces amendements, c’est parce que nous sommes intimement persuadés que la prise en compte des victimes est essentielle. Or, répondre simplement par « avis défavorable » démontre votre volonté de ne pas débattre, de ne pas engager la discussion et d’imposer ce texte sans avoir véritablement débattu. C’est paradoxal si l’on considère la leçon que nous avons entendue tout à l’heure sur la manière dont nous devrions gérer notre temps de parole ! Nous aimerions donc que de véritables arguments soient développés pour justifier le rejet de nos amendements. Mais, plutôt que des arguments, le Gouvernement ne nous offre que son mépris : c’est inacceptable !

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces amendements en discussion commune ?

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Il n’y avait ni leçon, ni mépris, mais simplement de l’inquiétude et de la sollicitude à l’égard de l’opposition, afin que son temps de parole ne soit surtout pas utilisé de façon, sinon laxiste – ce n’est pas le terme qui convient… –, du moins inappropriée. Ce n’était donc que de la sollicitude !

Concernant les arguments qui ont été développés, la victime est au cœur du texte que nous vous présentons parce que sa situation, ainsi que j’ai tenté de vous le démontrer tout à l’heure, est un des éléments constitutifs de la gravité objective de l’infraction. Les souhaits et les inquiétudes que vous avez émis étant parfaitement pris en compte par ce texte, il est donc inutile de donner un avis favorable à tous ces amendements.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur ces amendements en discussion commune ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Avis défavorable : je veux bien entendre tous les arguments et toutes les mises en cause ; mais entendre que nous réduisons le pouvoir d’appréciation, la liberté d’appréciation des magistrats, de la part de parlementaires qui ont voté les peines plancher, entendre que l’on ne tient pas compte de la victime, et ce de façon répétitive, alors que l’article 11 est très précis et que, en plus de ces dispositions normatives, notre action en faveur des victimes tranche avec ce qui a été fait sous l’ancien quinquennat – peut-être est-ce un exercice de sophisme ? L’avis reste donc défavorable, et il n’y aura pas plus de développement que nécessaire.

(Les amendements nos 480, 136, 682, 354, 135 et 564, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

M. le président. La parole est à M. Yannick Moreau, pour soutenir l’amendement n17.

M. Yannick Moreau. Défendu.

(L’amendement n17, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Yannick Moreau, pour soutenir l’amendement n51.

M. Yannick Moreau. Défendu.

(L’amendement n51, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à Mme Claudine Schmid, pour soutenir l’amendement n317.

Mme Claudine Schmid. La rédaction du texte laisse à penser que les magistrats devront motiver leur décision de prononcer une peine ferme à l’encontre d’un délinquant récidiviste, contrairement aux dispositions actuellement en vigueur. Afin d’éviter tout conflit d’interprétation et un laxisme supplémentaire en matière de répression et de lutte contre la délinquance, cet amendement propose donc de supprimer l’obligation faite aux magistrats de motiver leur décision quant au prononcé de la peine lorsque le prévenu est en état de récidive légale.

(L’amendement n317, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Frédéric Reiss, pour soutenir l’amendement n137.

M. Frédéric Reiss. Défendu.

(L’amendement n137, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Yannick Moreau, pour soutenir l’amendement n19.

M. Yannick Moreau. Il s’agit de compléter l’alinéa 7 par les mots : « ainsi que du préjudice subi par la victime. » La peine doit être envisagée dans le but de restaurer un équilibre entre l’auteur et la victime. Le droit actuel réduit l’évaluation de la peine à la nature de l’infraction et à la personnalité de l’auteur. Mais l’auteur de l’infraction porte également un préjudice à la victime. Il peut être matériel mais cause, à chaque fois, un traumatisme dont l’intensité varie en fonction, bien évidemment de l’infraction, mais également de la personnalité de la victime et du lien existant entre celle-ci et l’auteur des faits. La peine doit tenir compte de l’ensemble des parties et avoir pour but de rétablir l’équilibre brisé par l’infraction. Il est indispensable, madame la ministre, que cet équilibre soit inscrit dans la loi.

(L’amendement n19, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Éric Ciotti, pour soutenir l’amendement n355.

M. Éric Ciotti. Défendu.

(L’amendement n355, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de trois amendements, nos 779 rectifié, 2 et 836, pouvant être soumis à une discussion commune.

Les amendements nos 2 et 836 sont identiques.

La parole est à M. Marc Dolez, pour soutenir l’amendement n779 rectifié.

M. Marc Dolez. Cet amendement reprend une proposition de la conférence de consensus visant à supprimer les dispositions relatives au prononcé obligatoire ou automatique du mandat de dépôt. Il nous semble en effet que le projet de loi ne va pas jusqu’au bout de sa logique en ne revenant pas sur l’article 465-1 du code pénal, tel qu’il est issu de la loi du 12 décembre 2005. Je rappelle en effet qu’avant 2005, lorsqu’une personne comparaissait libre devant un tribunal et que ce tribunal prononçait une peine d’emprisonnement ferme, le principe était qu’un mandat de dépôt ne pouvait être décerné que si la peine d’emprisonnement était au moins égale à un an ; pour les peines inférieures à un an, elles étaient mises en exécution après recherche des possibilités d’aménagement.

La loi de 2005 est revenue sur ce principe car, pour les récidivistes, elle permet le mandat de dépôt des personnes en récidive légale quelle que soit la durée de la peine. En outre, la loi impose pour certains délits ce mandat de dépôt, sauf décision spécialement motivée. Cet amendement a donc pour objet la suppression de l’article 465-1 du code pénal, dont l’automatisme nous paraît contraire à la logique d’individualisation des peines.

M. le président. La parole est à M. Sergio Coronado, pour soutenir l’amendement n2.

M. Sergio Coronado. Je n’ai pas trouvé l’amendement de M. Dolez dans la liasse, mais en écoutant son argumentation je me suis aperçu que nous avions déposé presque le même.

M. Dolez et moi-même sommes très attachés à l’individualisation des peines. Comme il l’a rappelé, l’article 465-1 du code de procédure pénale permet le mandat de dépôt des personnes en récidive légale, quelle que soit la durée de la peine. Son second alinéa l’impose même concernant certains délits, sauf décision spécialement motivée.

Il nous semble que cet automatisme est contraire à ce que nous proposons depuis le début de la discussion de ce texte, c’est-à-dire un retour complet à l’individualisation des peines. Et ce d’autant plus que les peines prononcées pour les récidives par les magistrats sont souvent déjà plus sévères.

Nous estimons que cet automatisme n’a désormais pas lieu d’être dans le code de procédure pénale.

M. le président. La parole est à M. Denys Robiliard, pour soutenir l’amendement n836.

M. Denys Robiliard. Je m’inscris dans le droit fil de ce que viennent de dire M. Dolez et M. Coronado. Il s’agit effectivement de désarmer un automatisme, ce que fait le projet de loi, sur toute une série de dispositions. Il ne le faisait pas en ce qui concerne le mandat de dépôt en cas de récidive dans certains types d’infractions.

Il existe une échelle des peines, des possibilités d’aménagement, des possibilités d’incarcération immédiate. Au législateur de créer les outils. Il appartient à mon sens au juge, qui a connaissance des conditions exactes de l’infraction et de la personnalité de la personne jugée, de décider quelle mesure il met en œuvre et de cesser tout automatisme, donc de supprimer le second alinéa de l’article 465-1 du code de procédure pénale.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. La commission est défavorable à ces amendements avec une argumentation différente.

Dans le premier cas, il ne s’agit pas d’un automatisme mais d’une possibilité supplémentaire accordée au tribunal de prononcer un mandat de dépôt, quelle que soit la durée de l’incarcération, en présence d’une personne en situation de récidive légale.

Dans l’autre cas, c’est effectivement un peu une atteinte aux principes, mais compte tenu de la gravité des faits nous avons pensé que cette atteinte pouvait être supportable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je m’interroge sur les effets de seuil de la disposition que vous nous proposez. Comme vient de le dire le rapporteur, cela ne peut pas être assimilé à un automatisme car c’est une possibilité.

La suppression du seuil d’un an peut avoir pour effet de conduire au prononcé de sanctions supérieures de façon à pouvoir décider du mandat de dépôt. Il y a donc là un risque. Aussi, je vous propose de retirer ces amendements et d’examiner les effets possibles et potentiels de cette disposition.

M. le président. La parole est à M. Marc Dolez.

M. Marc Dolez. L’article 465-1 comporte deux alinéas. Je vous accorde que le premier alinéa de cet article n’est pas un automatisme. Je suis donc tout à fait prêt à retirer mon amendement au bénéfice de ceux de MM. Coronado et Robiliard qui ne visent que le second alinéa où il y a effectivement automatisme.

(L’amendement n779 rectifié est retiré.)

(Les amendements identiques nos 2 et 836, repoussés par la commission et le Gouvernement, ne sont pas adoptés.)

(L’article 3 est adopté.)

Article 3 bis

M. le président. La parole est à M. Nicolas Dhuicq, inscrit sur l’article.

M. Nicolas Dhuicq. Monsieur le président, je serai bref, préférant intervenir sur les amendements déposés par nos collègues après l’article 3 bis qui, à mes yeux, ne veulent pas tenir compte de l’évolution depuis 1945, à la fois de l’âge et de la morphologie et qui consistent à toujours vouloir considérer des individus qui ont passé le cap de la préadolescence, non comme des jeunes adultes, mais comme des enfants. Sous la précédente législature, on avait tenté de prendre en compte l’évolution des populations, qui est évidente, au niveau tant de leur comportement que morphologique.

(L’article 3 bis est adopté.)

Après l’article 3 bis

M. le président. La parole est à M. Marc Dolez, pour soutenir l’amendement n780.

M. Marc Dolez. Cet amendement vise à supprimer la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité.

Très proche de la procédure anglo-saxonne du « plaider coupable », cette procédure a été introduite dans notre droit par la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, afin de désengorger les tribunaux.

Pour notre part, nous souhaitons la suppression de cette procédure car nous considérons que ce mode de poursuite fondé sur l’aveu consiste pour le parquet à proposer une peine, y compris privative de liberté, à une personne reconnaissant être l’auteur d’un délit. Le recours à cette procédure est d’ailleurs désormais possible pour tous les délits depuis la loi du 13 décembre 2011.

Lorsque la proposition de peine est acceptée, la personne mise en cause est présentée devant un magistrat du siège pour homologation. Dans cette procédure, c’est donc le parquet qui est en première ligne, c’est lui qui propose une mesure ou une peine, le magistrat du siège n’intervenant que pour homologuer ladite proposition lorsqu’elle a été acceptée. Cette procédure constitue donc une alternative au jugement, c’est un moyen d’évitement de l’audience pénale classique.

Comme le souligne la proposition de loi portant réforme de cette procédure qui a été adoptée à l’unanimité par le Sénat, le 23 janvier 2014, à l’initiative du sénateur Jacques Mézard, cette procédure méconnaît la quasi-totalité des principes fondamentaux de la procédure pénale française. Cette procédure va en effet à l’encontre des grands principes de la procédure pénale présents à l’article préliminaire du code de procédure pénale et à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. La séparation des autorités de poursuite et de jugement vole en éclats puisqu’en plus de l’appréciation de l’opportunité des poursuites, le pouvoir de la détermination de la culpabilité de la sanction appartient au représentant du parquet.

J’ajoute que ce mode de poursuite crée une inégalité entre les justiciables dans la mesure où elle a pour objet la gestion des flux des dossiers. Le recours à ladite procédure varie donc en fonction de l’engorgement des juridictions. Les justiciables comparaissant pour des faits identiques devant des juridictions au contexte différent ne seront donc pas jugés de la même manière. La détermination de la peine constitue ainsi une sorte de marchandage entre le parquet et la personne qui reconnaît sa culpabilité. Cette procédure induit aussi une véritable opacité par rapport aux autres modes de poursuite puisque les décisions relatives à la culpabilité de l’auteur et à la détermination de sa peine sont prises dans le bureau du procureur et non pas, comme c’est le cas autrement, en audience publique.

En conséquence, et dans la mesure où l’on échoue à atteindre l’objectif de diminuer le délai de traitement des affaires correctionnelles, nous proposons la suppression de cette procédure.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Avis défavorable.

La procédure a été encadrée par des garanties importantes et d’abord par la présence obligatoire d’un avocat. Ensuite, il y a homologation en audience publique. Certes, cette disposition détonnait quelque peu par rapport à l’organisation habituelle et à nos principes d’organisation, mais elle s’est installée dans le paysage. Je ne sais pas si elle a une très grande efficacité en matière d’écoulement des flux. Cette préoccupation ne doit pas être perdue de vue, mais en tout état de cause elle ne me paraît pas souffrir des critiques qui lui sont adressées à travers cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur le député, vous avez évoqué la proposition de loi de M. Mézard qui a été discutée au Sénat et vous avez pu mesurer l’évolution qui a eu lieu entre la proposition de loi initiale et le travail de réécriture très important qui a été effectué par la commission des lois du Sénat.

La procédure a été profondément améliorée. Lors de la présentation de ce texte, nous avions mesuré le nombre de procédures CRPC et les types de contentieux qui étaient concernés, même si ce texte n’avait pas fait l’objet d’une étude d’impact puisqu’il s’agissait d’une proposition de loi. Comme l’a rappelé le rapporteur, la procédure a été encadrée par la présence obligatoire d’un avocat et l’homologation de la décision.

Au bénéfice de cette proposition de loi, je vous propose de suspendre la suppression que vous proposez.

M. le président. La parole est à Mme Colette Capdevielle.

Mme Colette Capdevielle. Si la CRPC a été fortement critiquée lors de sa mise en place, elle a été depuis très encadrée. D’abord, le justiciable n’est pas obligé de l’accepter, il peut la refuser et il y a plusieurs verrous. L’assistance d’un avocat est obligatoire, ensuite il y a une proposition de peine de la part du procureur de la République. On voit bien – et il serait intéressant de disposer des chiffres de la Chancellerie à ce sujet – que les parquets choisissent certains types de contentieux, ce qui permet de désengorger les tribunaux. Par ailleurs, le prévenu qui est assisté d’un avocat a la possibilité de négocier sa peine, même si ce système peut paraître choquant, sur les éléments de personnalité, sur sa situation sociale et familiale, éléments dont il peut discuter avec le procureur de la République.

Enfin, contrairement à ce que vous avez indiqué, je rappelle que l’audience est obligatoirement publique et que le magistrat peut refuser d’homologuer s’il estime que la proposition de peine, même si elle a été validée par le prévenu, n’est pas conforme à la jurisprudence ou en tout cas aux intérêts du prévenu.

Il apparaît aujourd’hui que nous avions peut-être tort de nous méfier de cette procédure. À condition d’être très encadrée, elle peut se révéler, dans certains cas, assez favorable aux justiciables, contrairement à ce que l’on a pu penser à un moment donné.

M. le président. La parole est à M. Marc Dolez.

M. Marc Dolez. Madame la garde des sceaux, je vous remercie d’avoir souligné le travail réalisé au Sénat, qui a abouti à l’adoption à l’unanimité de cette proposition de loi. Je suis prêt à retirer mon amendement, à condition de recevoir l’assurance que la proposition de loi adoptée par le Sénat puisse être rapidement inscrite à l’ordre du jour de notre Assemblée.

M. Alain Tourret. Cela dépend des radicaux !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. C’est une niche, en effet !

M. Marc Dolez. On nous a déjà fait le coup ! Ce ne serait pas la première fois qu’une proposition de loi adoptée au Sénat deviendrait…

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Un texte non identifié !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. J’en connais un qui attend depuis un an et demi.

M. Marc Dolez. Nous pensons au même. Attendre la prochaine niche du groupe GDR nous renverrait dans un an. Je ne sais pas quand aura lieu celle du groupe radical de gauche…

M. Alain Tourret. Mars 2015 !

M. Georges Fenech. Avant la dissolution !

M. Marc Dolez. Dans un an aussi ! Il n’y a vraiment aucune contre-indication à ce que le Gouvernement inscrive à l’ordre du jour une proposition de loi adoptée par le Sénat.

M. le président. L’amendement est-il retiré ?

M. Marc Dolez. J’aimerais bien que Mme la garde des sceaux me donne son avis !

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. J’ai entendu que la prochaine fenêtre parlementaire – je préfère cette formule à celle de « niche » – du groupe des radicaux vient tardivement. Quant à l’inscription par le Gouvernement, je respecte trop le Parlement pour prendre fermement cet engagement ce soir. Ce ne serait pas sérieux.

Cela étant, avant que ce texte ne soit examiné au Sénat, nous aurons étudié avec précision les dispositions de cette proposition de loi, telle qu’elle a été adoptée. Il sera alors peut-être concevable d’introduire cette mesure dans ce projet. L’inscription par le Gouvernement reste une alternative mais je ne veux pas m’y engager fermement ce soir.

M. le président. Que décidez-vous, monsieur Dolez ?

M. Marc Dolez. Je retire l’amendement.

(L’amendement n780 est retiré.)

M. le président. Je suis saisi de plusieurs amendements, nos 3 rectifié, 737, 773 et 7 rectifié, pouvant être soumis à une discussion commune.

Les amendements nos 3 rectifié, 737 et 773 sont identiques.

La parole est à M. Sergio Coronado, pour soutenir l’amendement n3 rectifié.

M. Sergio Coronado. La réaffirmation de la primauté de l’éducatif sur le répressif, l’individualisation et l’atténuation de la peine liée à la minorité, et l’abrogation des dispositions de la loi du 10 août 2011 créant un tribunal correctionnel pour mineurs figurait, pour ceux qui l’auraient oublié, dans les engagements du candidat François Hollande, au moment de sa campagne électorale.

Ces engagements ont été réitérés à plusieurs reprises durant cette campagne. Je me souviens d’ailleurs de Mme la garde des sceaux déclarant qu’ils constituaient sa feuille de route au ministère de la justice.

La mise en place des tribunaux correctionnels pour mineurs avait été dénoncée par les associations qui travaillent dans le domaine de la jeunesse et de la famille, notamment l’Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille. Ces tribunaux n’ont pas, depuis, fait les preuves de leur utilité. Un autre argument pourrait peut-être convaincre nos collègues de l’opposition : les peines prononcées par les tribunaux pour mineurs et les tribunaux correctionnels pour mineurs ne diffèrent guère par leur sévérité. Il serait donc inutile de les maintenir au prétexte qu’ils seraient plus sévères.

Rappelons que ces tribunaux correctionnels pour mineurs sont composés de trois magistrats, un juge pour enfants et deux juges non spécialisés chargés de juger les récidivistes de 16 à 18 ans. Nous avons eu cette discussion en commission, madame la garde des sceaux : il est temps d’abroger ces tribunaux qui n’ont pas fait la preuve de leur efficacité, qui ne prononcent pas des peines plus sévères que celles prononcées dans le passé. Ce texte, qui traite des délits, nous offre l’occasion de passer à l’acte. Nous devrions d’autant moins la laisser passer que vous ne pouvez pas prendre l’engagement d’inscrire la proposition de loi adoptée au Sénat et que notre programme parlementaire est suffisamment chargé pour empêcher l’inscription dans une niche avant un an, voire un an et demi.

Il est temps de donner corps au changement et de respecter les promesses que nous avons prises, tous ensemble, au moment de la campagne.

M. le président. La parole est à M. Alain Tourret, pour soutenir l’amendement n737.

M. Alain Tourret. La justice pour les mineurs et les juges pour enfants représentaient une belle spécificité française. Tous les professionnels qui y sont passés peuvent en témoigner. Je pense en particulier au travail remarquable de M. Joxe en faveur des enfants. Lui, ancien ministre, ancien président de la Cour des comptes, se rend devant les juridictions pour enfants afin de plaider pour eux avec tout le dévouement dont il est capable.

M. Marc Dolez. C’est vrai.

M. Alain Tourret. Ajoutons que le magistrat, spécialisé est accompagné par deux personnages qui ont prouvé tout l’intérêt qu’ils portaient à la famille et aux enfants. Des études très personnalisées, très fortes, sont menées. Nous pouvions être fiers de cette justice pour enfants. Elle prenait en considération la personne de l’enfant, le trouble à l’ordre public, et trouvait des solutions, en concertation avec les éducateurs sociaux, pour assurer le suivi le plus adapté.

Les tribunaux correctionnels pour enfants ont été créés pour juger les mineurs les plus délinquants mais ils n’ont pas fait les preuves de leur efficacité et je suis persuadé que nous devons revenir à ce qui faisait notre spécificité : la justice des mineurs pour tous les mineurs, devant le juge des enfants.

M. Pascal Cherki. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Marc Dolez, pour soutenir l’amendement n773.

M. Marc Dolez. Cet amendement, auquel nous accordons une grande importance, est identique aux précédents et je ne répéterai pas ce qui vient d’être dit. Dès le début de la législature, nous avons déposé une proposition de loi à ce sujet car nous sommes soucieux de sauvegarder la spécialité de la justice des mineurs.

Ce projet de loi est le bon véhicule, madame la garde des sceaux, pour abroger ces tribunaux correctionnels.

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Clément, pour soutenir l’amendement n7 rectifié.

M. Jean-Michel Clément. Avec la création des tribunaux correctionnels pour mineurs, la loi de 2011 a voulu banaliser la justice des mineurs. Cette volonté est, à mon sens, idéologique. Elle repose sur l’idée que les jeunes d’aujourd’hui seraient différents de ceux de 1945 et que leur nouvelle maturité supposée justifierait des sanctions sévères à l’effet préventif garanti.

Cette idée est davantage sous-tendue, selon moi, par le fait que les adultes d’aujourd’hui ne sont plus ceux d’hier et que ceux-là même qui ont adopté ces dispositions n’avaient pas le courage de construire un projet pour la jeunesse la plus fragile, contrairement à cette majorité qui a fait de la jeunesse une de ses priorités.

M. Sébastien Huyghe. Dans les mots seulement !

M. Jean-Michel Clément. L’objet avoué était de renforcer la répression de la délinquance des mineurs en entretenant l’illusion que la crainte d’une sanction plus forte suffirait, comme par magie, à dissuader des adolescents déstructurés de passer à l’acte. La justice des mineurs doit rester une justice de la continuité, menée par des professionnels – juges des enfants, éducateurs, avocats souvent spécialisés. Ces professionnels apportent des solutions et offrent des repères aux mineurs en prenant en compte leur évolution. Ils ne se contentent pas d’apporter une réponse ponctuelle à un passage à l’acte.

C’est une étrange manière de faire participer la société au jugement de ses enfants que d’avoir imaginé démanteler une justice de qualité où l’on s’efforce de donner la parole à tous, mineurs, familles, victimes, éducateurs, procureurs et défense, et d’allier pédagogie et sanction.

C’est pourquoi, personnellement, je soutiens la suppression totalement justifiée de cette formation de jugement.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. J’ai eu la responsabilité de m’opposer, au nom du groupe socialiste, à l’instauration des tribunaux correctionnels pour mineurs dont je pense qu’ils sont une invention inutile et contre-productive. Sur le fond, je suis favorable à leur suppression.

Cela étant, ce projet de loi est ambitieux, difficile et nous ne devons pas mélanger les sujets. Nous avons volontairement exclu de son champ les crimes – ce qui explique que nous n’ayons pas abordé la question de la rétention de sûreté – et la délinquance des mineurs.

Ouvrir une discussion à ce sujet brouillera la compréhension déjà difficile de ce texte. La population nous prête une oreille attentive alors que les sujets sont difficiles. Nous sommes parvenus à ce que la campagne de presse ne se déchaîne pas à l’encontre de ce projet, comme elle aurait pu être tentée de le faire. Il serait inopportun de prendre une telle disposition, par voie d’amendement, qui plus est à presque 1 heure du matin.

De surcroît, un groupe de travail réfléchit en ce moment à la réécriture de l’ordonnance de 1945 devenue aujourd’hui illisible. S’il ne parvenait pas à produire un travail qui nous permette de réexaminer dans sa totalité l’ordonnance de 1945, je serais partisan, et même signataire, voire à l’initiative, d’une proposition de loi qui supprimerait les tribunaux correctionnels pour mineurs. Je me suis censuré, dans ce texte, et je n’ai pas déposé certaines dispositions relatives aux longues peines, afin que nous n’abordions pas le sujet des peines criminelles.

Dans un souci d’efficacité, qui n’est pas simplement un signe en direction d’une partie des magistrats, mais aussi de l’opinion publique, nous ne devons pas, à 1 heure du matin, trancher cette question. Avis défavorable, en opportunité et non sur le fond.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il n’y a pas la moindre divergence d’appréciation quant à la nécessité de supprimer les tribunaux correctionnels pour mineurs. C’est un engagement du Président de la République et je l’ai dit dès ma prise de fonction mais vous vous souvenez sans doute du déferlement de réactions qui s’en est suivi. Le Gouvernement n’a pas la moindre intention de revenir sur la nécessité de supprimer ces juridictions.

La suppression de ces tribunaux n’était pas, pour le Président de la République, une disposition choisie parmi d’autres. Il a posé très clairement, alors qu’il n’était encore que candidat aux élections présidentielles, qu’il s’engageait à revenir à la spécialisation de la justice des mineurs. En me fondant sur ce principe, j’ai considéré que les gestes qui consisteraient à mêler à nouveau la justice des mineurs et celle des majeurs risqueraient de s’inscrire dans la logique de la création des tribunaux correctionnels pour mineurs. En effet, sous le précédent quinquennat, l’ancienne majorité a choisi de rapprocher chaque fois qu’elle le pouvait la justice des mineurs et celle des majeurs.

Il fallait donc clairement rétablir le caractère spécialisé de la justice des mineurs, qui accorde la primauté à l’éducation. Il fallait aussi clarifier l’ordonnance de 1945 qui a été modifiée trente-sept fois et qui, de l’avis même des professionnels, pose désormais des difficultés d’application. Les professionnels ont en effet été consultés lors d’un cycle de concertation, et nous avons déjà bien avancé les travaux d’amélioration de ladite ordonnance.

En outre, il est vrai que ces tribunaux correctionnels pour mineurs ont compliqué le fonctionnement des juridictions, comme nous l’ont dit les chefs de juridiction et les chefs de cour. Or, ils n’ont pas produit de résultats probants par rapport à l’intention du législateur qui a introduit cette mesure, puisque les décisions prononcées sont sensiblement les mêmes que celles que prononcent les tribunaux pour enfants.

Par conséquent, il n’y a aucun argument en faveur du maintien de ces tribunaux correctionnels pour mineurs. En revanche, se pose une question d’opportunité sur laquelle le Gouvernement fonde sa position consistant à ne pas supprimer ces tribunaux à l’occasion du présent texte, pour ne pas y introduire de dispositions concernant les mineurs.

Si je m’exprime abondamment devant les deux Chambres du Parlement, car je respecte les parlementaires, chacun aura remarqué que je m’exprime bien plus rarement sur les chaînes de radio et de télévision. Cela étant, je me suis exprimée sur la suppression des tribunaux correctionnels pour enfants lors du long débat préparatoire à ce projet de réforme pénale – qui, incontestablement, a tardé à arriver. Et puisqu’il a fallu tout ce temps pour que ce texte arrive en discussion au Parlement, d’aucuns se sont demandé s’il ne fallait pas saisir cette occasion pour supprimer les tribunaux correctionnels pour mineurs. Il m’est donc arrivé de m’interroger publiquement sur ce point. Autant je tiens à empêcher toute confusion entre la justice des majeurs et celle des mineurs, autant je constate qu’il nous aura fallu près de deux ans pour enfin débattre de la réforme pénale. Je préfère donc répéter devant vous ce que j’ai déjà dit publiquement : je me suis posé la question.

M. Yannick Moreau. Comprenne qui pourra…

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. En somme, le Gouvernement ne souhaite pas supprimer les tribunaux correctionnels pour mineurs dans le présent texte et, par conséquent, émet un avis défavorable aux amendements en discussion.

M. le président. Sur les amendements nos 3 rectifié, 737, 773 et 7 rectifié, je suis saisi par le groupe de l’Union pour un mouvement populaire d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

La parole est à M. le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Je demande une suspension de séance, monsieur le président.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue le jeudi 5 juin 2014 à une heure cinq, est reprise à une heure quinze.)

M. le président. La séance est reprise.

La parole est à M. Nicolas Dhuicq.

M. Nicolas Dhuicq. Ces amendements qui surviennent au début de la nuit montrent plusieurs éléments fort intéressants. Ils témoignent tout d’abord des débats internes au sein de la majorité.

M. Pascal Popelin. C’est sain, le débat interne !

M. Nicolas Dhuicq. Ensuite, si je partage sur la forme l’argumentaire intelligent de M. le rapporteur, je n’en partage pas le fond.

Sur la forme, supprimer ce qui a été fait sous la précédente législature pour répondre à l’évolution réelle de la vie des adolescents d’aujourd’hui est sans doute logique pour une grande partie de la majorité, mais on peut s’interroger sur les conséquences d’une telle mesure si elle était adoptée aujourd’hui.

Cela étant, ces tribunaux ont bien une spécificité puisqu’ils concernent des adolescents âgés de seize à dix-huit ans, qui comparaissent devant des magistrats spécialisés. Mais surtout, ils ouvrent la nécessité d’un débat sur l’ordonnance de 1945, qui est aujourd’hui totalement dépassée. Ce n’est pas seulement, monsieur le rapporteur, qu’elle soit inapplicable, mais j’entends souvent parler d’enfants. On peut, certes, rappeler qu’à seize ans, on portait la toge à Rome. Aujourd’hui, en cas de délit, nous sommes face à des individus qui, à seize ou à dix-huit ans, ne sont plus des enfants, mais quasiment de jeunes adultes ; des individus dont la morphologie a, elle aussi, évolué ; des individus qui profitent, pour beaucoup d’entre eux, du statut de mineur pour, à quelques mois du passage à la majorité, commettre eux-mêmes – ou sous l’emprise des adultes – des méfaits.

Dans ma circonscription, un village d’un peu moins de 300 habitants est littéralement terrorisé par un individu de quatorze ans et demi qui a déjà échappé à deux centres dits « fermés ». Après une cinquantaine de condamnations, la seule possibilité offerte au magistrat était de prononcer une peine d’incarcération d’un mois.

Je suis prêt à ce que nous ayons un vrai débat, un débat construit, sur l’ordonnance de 1945, qui tienne compte de ce que nous avons tenté d’apporter comme réponse, à savoir qu’entre seize et dix-huit ans, aujourd’hui, nous ne sommes plus face à des enfants ni même à des adolescents : nous sommes face à de jeunes adultes qui vont fonctionner exactement de la même manière, qu’ils aient un peu moins de dix-huit ans ou dix-huit ans révolus.

Il est très intéressant, mesdames et messieurs de la majorité, que vous ayez ce débat interne. Oui, monsieur le rapporteur, je pense qu’il est déraisonnable d’adopter, à cette heure de la nuit, ce type d’amendement. Non, sur le fond, nous ne sommes pas d’accord avec vous.

M. le président. La parole est à M. Sébastien Huyghe.

M. Sébastien Huyghe. Nous sommes face à un cavalier législatif caractérisé.

Je vais répondre au rapporteur, qui était à l’époque l’orateur du groupe socialiste, alors que j’étais le rapporteur du texte : je m’inscris en faux contre tout ce qui a été dit concernant les tribunaux correctionnels pour mineurs.

Nous n’avons pas le temps, ce soir, de refaire le débat que nous avons eu à l’époque, car ce texte comportait beaucoup d’articles. Toutefois, je m’étonne qu’au détour d’un amendement présenté à une heure du matin, nous nous apprêtions, si la majorité le vote, à rayer d’un trait de plume…

M. Sergio Coronado. Si vous aviez parlé moins longtemps, nous en aurions traité plus tôt !

M. Sébastien Huyghe. Nous avons eu des débats très intéressants, mon cher collègue ! Il fallait être là dès le début !

M. Sergio Coronado. On ne vous a pas beaucoup vu en commission !

M. le président. Monsieur Coronado, vous aurez la parole tout à l’heure.

M. Sébastien Huyghe. Monsieur Coronado, si vous avez quelque chose à dire, prenez le micro ! Si vous n’aimez pas les débats, allez vous coucher !

M. le président. M. Coronado a demandé la parole. Il pourra s’exprimer tout à l’heure.

Nous vous écoutons, monsieur Huyghe.

M. Sébastien Huyghe. Le tribunal correctionnel pour mineurs est resté un tribunal spécialisé. Il devenait collégial et c’est un magistrat pour enfants qui le présidait. Ce texte avait été adopté pour faire face à l’évolution de la délinquance. Je regrette que l’actuelle majorité veuille, une fois de plus, rayer d’un trait de plume les textes votés par la majorité précédente, par principe, par anti-sarkozysme pathologique, alors que ces textes ont fait avancer le droit et la justice dans notre pays.

J’ai observé les contorsions de la garde des sceaux disant à sa majorité : « En tant que garde des sceaux, je suis contre, mais à titre personnel, je suis pour cet amendement. Mais de grâce, ne le votez pas ! Je n’ai pas envie de me faire à nouveau taper sur les doigts par le Président de la République, comme cela a été le cas après la discussion de ce texte en commission. » On sent un vrai malaise dans la majorité.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Est-ce vraiment l’heure de raconter des histoires ?

M. Sébastien Huyghe. Mesdames et messieurs les députés de la majorité, même si l’abrogation de ce texte vous paraît inéluctable, permettez-nous au moins d’avoir un débat serein dans l’hémicycle. Ne le réduisez pas à un simple amendement présenté au milieu de la nuit !

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Monsieur Huyghe, j’aimerais qu’il n’y ait aucune ambiguïté quant à la conviction de la majorité.

M. Nicolas Dhuicq. Ça va être difficile !

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Les tribunaux correctionnels pour mineurs seront supprimés.

M. Nicolas Dhuicq. En même temps que les conseils généraux !

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. C’est un engagement du Président de la République et il sera honoré. Simplement, en tant que président de la commission, par respect pour le travail de la commission, pour le travail considérable qu’a fait Dominique Raimbourg sur ce texte, je ne crois pas que l’on puisse supprimer les tribunaux correctionnels pour mineurs par un amendement.

Cela nécessite des auditions, un travail normal en commission, avec un débat approfondi…

M. Sébastien Huyghe. Nous sommes d’accord.

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Il faut entendre les tenants du maintien de ces tribunaux, comme ceux – je les crois majoritaires, notamment dans la magistrature – qui y sont hostiles. C’est la raison pour laquelle je ne souhaite pas que cet amendement soit adopté.

Le groupe GDR a déposé, au début de cette législature, une proposition de loi visant à l’abrogation des tribunaux correctionnels pour mineurs. J’ai dit à Marc Dolez, comme au président Chassaigne, que si cette proposition de loi devait être inscrite – et je souhaite qu’elle le soit…

M. Gérald Darmanin. Dans un an !

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. …nous pourrions alors engager un travail parlementaire en commission pour étudier cette proposition et – cela ne fait aucun doute pour les membres de la majorité – voter avec plaisir la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs. Encore une fois, je ne crois pas qu’il soit décent, au regard de ce qu’est le travail en commission, que nous adoptions ce soir un amendement qui n’a pas fait l’objet d’investigations de la part du rapporteur, lequel a pourtant auditionné 300 personnes pendant neuf mois.

M. le président. La parole est à M. Georges Fenech.

M. Georges Fenech. J’ai noté avec intérêt la réflexion de Mme la garde des sceaux, qui a manifestement regretté que ce texte de réforme pénale ait tardé. Deux ans, en effet, c’est un sacré retard !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Ça change de vos lois de circonstance !

M. Georges Fenech. La circonstance, en l’espèce, madame la garde des sceaux, c’est que le Président de la République, dans sa sagesse, a sans doute attendu que les élections municipales et européennes soient passées !

M. Gérald Darmanin. Il a bien fait !

M. Georges Fenech. Malheureusement pour vous, cela n’a pas empêché votre majorité d’essuyer une défaite mémorable !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il est vrai que vous vous en êtes sortis brillamment !

M. Georges Fenech. Vous vous êtes défendue, tout au long de nos débats, contre nos critiques de laxisme.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. « Défendue », non : cela m’indiffère !

M. Georges Fenech. Preuve en est, une fois de plus, de votre laxisme puisque, après la suppression des peines planchers, vous envisagez – c’est même une certitude, et nous le ferons avec plaisir, nous dit le président de la commission des lois – de supprimer prochainement les tribunaux correctionnels pour mineurs puisque c’était une promesse électorale du candidat Hollande.

Enfin, vous nous avez vous-même annoncé, madame la ministre, la prochaine suppression de la rétention de sûreté. Voilà pour le laxisme.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Vous devriez penser à jouer au scrabble pour enrichir votre vocabulaire…

M. Georges Fenech. Je comprends parfaitement la position du président de la commission des lois. On ne peut pas rayer d’un trait de plume, à une heure vingt-cinq du matin, les tribunaux correctionnels pour mineurs sans qu’il y ait eu au moins un passage en commission des lois, des auditions et une étude d’impact.

Sur le fond, lorsque viendra à l’ordre du jour cette suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs, bien entendu, nous nous y opposerons. Nous sommes même persuadés qu’il faut aller encore plus loin dans cette réforme de l’ordonnance de 1945.

Nous sommes nombreux ici à être convaincus qu’il faudrait redéfinir la fonction du juge des enfants, voire séparer la fonction du juge des enfants appliquant l’ordonnance de 1958 de celle du juge pour mineurs appliquant l’ordonnance de 1945, car, Sébastien Huyghe et notre ami Nicolas Dhuicq l’ont dit tout à l’heure, nous ne sommes plus en 1945 et les mineurs d’aujourd’hui ne sont plus les Chiens perdus sans collier de Gilbert Cesbron. Aujourd’hui, ce sont des tournantes, des bus incendiés, des agressions commises par de jeunes majeurs qui ont déjà l’âge de commettre de la délinquance lourde.

Je rappelle qu’un crime ou délit sur cinq est le fait d’un mineur. Si vous voulez continuer à donner des signaux de laxisme, continuez à défaire tout ce qui a été fait avant vous ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Colette Capdevielle.

Mme Colette Capdevielle. Je me félicite qu’il y ait des débats en général, et des débats au sein même de la majorité. Nous sommes ici dans un lieu dédié aux débats. Plutôt que s’en moquer, il faut s’en féliciter. C’est le contraire qui serait inquiétant. Je suis ravie que nous ayons des débats. J’ai d’ailleurs été élue pour cela.

Le groupe SRC a beaucoup travaillé sur ce texte – dont je suis responsable avec Mme Pochon – et sur son cadre juridique qui concerne les tribunaux correctionnels, les majeurs et les délits. Ce n’est pas rien, car cela concerne la majorité des infractions et les tribunaux qui rendent le plus de décisions, c’est-à-dire les tribunaux correctionnels qui jugent les majeurs. Le travail parlementaire a été fait dans ce cadre et il est vrai que la justice des majeurs est totalement dérogatoire.

Sur le fond, nous sommes tous d’accord. (« Non, pas tous ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP.) Nous aurions tous pu, sur les bancs de la majorité, cosigner ces amendements, car sur le fond, nous sommes d’accord.

Nous sommes d’accord pour supprimer des tribunaux qui sont inutiles et chronophages et qui occupent inutilement des magistrats qui auraient bien autre chose à faire. Nous le savons, il va falloir supprimer ces tribunaux.

J’ai d’abord entendu le rapporteur, avec qui nous avons travaillé, et j’ai confiance dans ce qu’il dit. J’ai également confiance dans ce que disent le président de la commission des lois et la garde des sceaux. J’ai aussi le respect de la parole donnée. En tant que responsable du groupe SRC, j’entends le message de la garde des sceaux, du président de la commission des lois et du rapporteur qui a beaucoup travaillé sur ce texte. J’ai entendu que cet engagement serait respecté. Cela étant, il n’est pas opportun, à une heure trente du matin, de procéder, avec un simple amendement, à la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs.

Nous n’attendrons pas longtemps puisque le groupe SRC souhaite, dans sa très grande majorité voire à l’unanimité, que ces tribunaux soient supprimés.

Il entend le message qui lui a été adressé aujourd’hui et il fait confiance car il sait que cela sera fait dans les semaines ou les mois qui viennent. Compte tenu de ces observations, je demande à mes collègues d’avoir l’amabilité de retirer les amendements qu’ils ont déposés.

M. le président. La parole est à M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Il est vrai que ces amendements arrivent en discussion dans l’hémicycle à une heure tardive, mais si nous n’avions pas eu à écouter des interventions qui n’étaient pas toujours pertinentes, nous aurions pu aborder la question un peu plus tôt. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Je ne m’adressais pas uniquement à vous, chers collègues de l’opposition. Ne vous sentez pas automatiquement visés lorsque je prends la parole pour évoquer quelques interventions qui auraient pu être plus concises.

M. Gérald Darmanin. Vous regardez pourtant vers nous !

M. Sébastien Huyghe. Ne nous prenez pas pour des imbéciles !

M. Sergio Coronado. Le débat a partiellement eu lieu en commission, où l’amendement a été déposé. Et pour répondre à l’intervention de M. le président de la commission des lois, il me semble que le débat a eu lieu à l’occasion de l’examen de la loi du 26 décembre 2011. Le principal orateur du groupe socialiste, M. Raimbourg, avait alors pris la parole pour dire tout le mal qu’il pensait des dispositions que l’actuelle opposition s’apprêtait à mettre en place. Le débat entre opposition et majorité a donc eu lieu dans le monde judiciaire et dans le monde politique depuis la mise en place des tribunaux pour mineurs.

M. Sébastien Huyghe. Il s’est tout de même passé des choses depuis lors !

M. Sergio Coronado. En outre, le débat a été tranché, en tout cas à gauche, par l’engagement du Président de la République.

M. Sébastien Huyghe. Alors plus besoin de débat démocratique !

M. Sergio Coronado. Pour ma part, je n’ai pas déposé l’amendement pour le plaisir de créer le trouble ou semer la zizanie au sein de la majorité, je me suis simplement contenté de reprendre l’un des engagements phares du Président de la République.

M. Sébastien Huyghe. Comme celui d’inverser la courbe du chômage ?

M. Sergio Coronado. Je me suis dit, comme Mme la garde des sceaux vient de le dire avec franchise, qu’il était temps que cet engagement se traduise dans les faits. Et il n’y a pas d’autre façon de faire, pour un parlementaire comme moi, que proposer un amendement, à moins d’attendre les niches parlementaires. Les radicaux et le groupe GDR doivent attendre la leur un an et nous en aurons une au mois de janvier. Il s’agit d’un engagement de l’ensemble de la gauche. Ce n’est pas un hasard si les groupes qui composent la majorité présidentielle et parlementaire, soit le groupe GDR, le groupe socialiste, le groupe radical et les écologistes se sont retrouvés sur une position commune.

Par ailleurs, il n’y a rien d’indécent, monsieur le président de la commission des lois, à tenir ses engagements. Il n’y a rien d’indécent à déposer un amendement visant à faire adopter l’un des engagements du Président de la République par la majorité qui le soutient. On ne choisit pas nécessairement l’heure ni les circonstances dans lesquelles se déroule le débat, mais vous qui êtes un fin connaisseur de l’histoire républicaine, vous savez fort bien que des grands moments de notre histoire ont été bouleversés par le dépôt et l’adoption de petits amendements.

L’argument m’a été soufflé par M. Cherki, car j’ai un peu oublié la mise en place de la Troisième République, mais vous n’êtes pas sans connaître l’amendement célèbre dont a procédé l’instauration de la République en 1875 ! Il me semble que Mme la garde des sceaux a été très franche, mentionnant d’une part l’accord au sein de toutes les familles de la majorité et d’autre part l’impossibilité de s’engager sur le calendrier. Je comprends parfaitement le trouble et les difficultés de ma collègue Capdevielle.

M. Gérald Darmanin. C’est clair !

M. Sergio Coronado. On dit que M. le rapporteur a travaillé et que l’on parlera de cela demain matin. Mais quand même ! Nous ne disposons aujourd’hui d’aucun engagement sur le calendrier, donc sur la possibilité de supprimer le dispositif dont nous parlons dans un délai raisonnable !

M. Matthias Fekl. Mais si !

M. Sergio Coronado. Vous savez très bien que ni M. le rapporteur ni M. le président de la commission des lois ne décident de l’ordre du jour de l’Assemblée, et que le Gouvernement avance à pas comptés et de manière extrêmement prudente. Ce que je vous propose, c’est tout simplement de respecter les engagements que vous avez pris, chers collègues de la majorité, et que j’ai pris au cours de ma campagne pour nous faire élire, afin de traduire en actes un engagement du Président de la République. J’espère que nous serons ce soir à la hauteur de l’engagement que nous avons pris collectivement !

Mme Laurence Abeille. Bravo !

M. le président. La parole est à M. Éric Ciotti.

M. Éric Ciotti. Nous assistons manifestement à un moment important de notre débat, qui survient de façon un peu impromptue par le biais des deux amendements de nos collègues Dolez et Coronado. Je ferai deux remarques. Je soulignerai d’abord l’utilité des tribunaux correctionnels pour mineurs. Ils s’attaquent au fléau que constitue la délinquance des mineurs, qui curieusement ne trouve pas place dans votre texte, madame la garde des sceaux, alors même qu’elle est malheureusement toujours plus précoce et toujours plus violente, touche de plus en plus de mineurs et représente une proportion hélas de plus en plus importante des crimes et délits commis dans notre pays. Je regrette cette lacune qui reporte les solutions à plus tard, d’autant plus que vous avez commis beaucoup de dégâts en la matière en abandonnant certaines dispositions que nous avons adoptées au cours de la précédente législature, en particulier la loi relative au service citoyen pour les mineurs délinquants que j’avais fait adopter.

Quant au fond, j’assiste avec beaucoup d’inquiétude aux déchirements de la majorité. J’ignore pour l’heure le sens du vote que vous allez émettre, chers collègues, mais j’exprime d’ores et déjà ma reconnaissance à M. le président de la commission des lois qui est manifestement le gardien du bon sens au sein de la majorité. Nous l’avons vu tout à l’heure, simples observateurs, gravir les travées pour rappeler à l’ordre Mme Capdevielle, manifestement.

Mme Colette Capdevielle. Pas du tout !

Mme Cécile Untermaier. Moi, plutôt…

M. Éric Ciotti. Je salue donc M. Urvoas qui est manifestement ce soir le représentant du Gouvernement, tandis que Mme la ministre a fait preuve de bien peu de conviction dans son argumentation. Merci à M. le président de la commission des lois d’avoir fait prévaloir le bon sens dans ce débat ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier. Comme ma collègue Colette Capdevielle, je me réjouis d’un débat qui est extrêmement important. Assurément, les tribunaux correctionnels pour mineurs, nous voulons tous ici les supprimer. Je vous rappelle que Pierre Joxe dénonce dans son livre Pas de quartier ? cette juridiction qui détruit la justice des mineurs.

M. Frédéric Reiss. Une vraie référence !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Meilleure que les vôtres !

Mme Cécile Untermaier. Je suis pour ma part particulièrement attachée à sa suppression et je vais vous dire pourquoi. La justice des mineurs, comme nous l’a expliqué Pierre Joxe ce midi, est née à Chicago à l’initiative de femmes qui en avaient assez de voir leurs enfants jugés comme des adultes. C’est de cette idée qu’est né le tribunal des mineurs. Il est ensuite arrivé en France. À présent, nous n’avons plus de justice des mineurs parce que nous ne reconnaissons plus nos enfants comme des enfants. C’est pourquoi il me semble extrêmement important que nous réfléchissions à la question et mettions un terme à cette juridiction qui ne fonctionne pas et exige trois magistrats alors que le juge des enfants, assisté de deux assesseurs choisis sur une liste de personnes connaissant le monde de l’enfance, était tout à fait capable de prononcer les mêmes peines, en comparution immédiate et avec mise sous écrou si on le souhaitait.

C’est tout à fait possible et même tellement vrai que les tribunaux correctionnels pour mineurs ne fonctionnent pas. Interrogez les tribunaux dans vos circonscriptions : aucun tribunal correctionnel pour mineurs ne fonctionne, c’est toujours le tribunal des enfants qui fonctionne actuellement. J’ai donc déposé un amendement au titre de l’article 88 de notre règlement, comme m’y autorisait le groupe favorable à l’idée. Un problème d’opportunité a été mis en avant par Mme la ministre et M. le rapporteur et j’y souscris car je suis disciplinée.

M. Gérald Darmanin. C’est votre côté de droite ! (Sourires sur les bancs du groupe UMP.)

Mme Cécile Untermaier. J’admets en effet qu’une étude d’impact peut être utile pour convaincre non seulement la majorité mais également vous-mêmes, chers collègues de l’opposition, de l’inutilité du dispositif. Je retire donc mon amendement en sachant qu’un engagement a été pris devant la représentation nationale afin que la question soit examinée sérieusement et dans un délai plus que raisonnable, c’est-à-dire dans moins d’un an.

Mme Sandrine Mazetier. Très bien !

(L’amendement n7 rectifié est retiré.)

M. le président. La parole est à M. Alain Tourret.

M. Alain Tourret. À l’évidence, il s’agit d’un problème compliqué. Je suis intimement persuadé que la justice des mineurs répondait à leur spécificité. Dire que les enfants ont changé et qu’il faut pour cette raison les envoyer devant les tribunaux correctionnels ne me semble pas très convaincant.

M. Pascal Popelin. C’est vrai !

M. Alain Tourret. Je me suis d’ailleurs adressé à l’Union syndicale des magistrats, dont chacun admettra qu’elle jouit d’une certaine représentativité au sein de la profession des magistrats. Elle m’a envoyé une soixantaine de pages le 13 février 2014. Voici ce qu’elle me dit : « L’USM a toujours été opposée à la création des juridictions dédiées aux mineurs récidivistes niant la spécificité du traitement pénal des mineurs. L’USM souhaite que le présent projet de loi soit l’occasion d’abroger ces dispositions ». C’est pourquoi j’ai déposé un amendement de suppression du tribunal correctionnel pour mineurs, estimant que les principaux responsables, c’est-à-dire les magistrats, sont peut-être à même de nous donner un certain nombre de conseils en la matière. Cela dit, depuis 2011, ces tribunaux correctionnels ont été créés et affectés aux mineurs et aucune étude ne dit comment ils fonctionnent et combien de cas ils traitent. Incontestablement, une telle étude est nécessaire.

J’apporte donc de l’eau au moulin en expliquant qu’il faut les supprimer, sauf si on me démontre le contraire. Si une étude sérieuse me dit qu’ils ont contribué, en application des observations qui sont faites, à la transformation totale des mineurs en France et si ces tribunaux ont démontré leur efficacité, je suis prêt à reconsidérer ma position. Néanmoins, que l’Union syndicale des magistrats me dise qu’il est nécessaire d’abroger ces dispositions ne laisse pas de me préoccuper. Il n’en reste pas moins que tout doit se faire selon une certaine opportunité, or une véritable discussion n’a pas eu lieu. Le volumineux rapport de la commission des lois, cher Sergio Coronado, traite le sujet en trois lignes !

M. Sergio Coronado. Je me suis contenté de présenter mon amendement !

M. Alain Tourret. J’y étais, vous y étiez aussi. Vous avez présenté votre amendement, ce qui fait sept lignes, j’ai présenté le mien, ce qui fait trois lignes, et la réponse de M. le rapporteur en occupe deux. Il est difficile, me semble-t-il, de traiter un tel sujet en douze lignes. Voilà les observations que je peux faire à ce propos. Je suis persuadé qu’il faut supprimer les tribunaux correctionnels pour mineurs et qu’une étude arrivera à cette conclusion, mais je crois qu’il n’est pas bon d’aller au-delà, c’est pourquoi je retire l’amendement que j’avais proposé.

(L’amendement n737 est retiré.)

M. le président. La parole est à M. Pascal Cherki.

M. Pascal Cherki. Je ferai quelques brèves observations. Savoir si l’on peut supprimer quelque chose par voie d’amendement n’est pas un débat. Je ne reprendrai pas ce qu’a dit mon excellent collègue Sergio Coronado, mais si on a pu abolir la monarchie par voie d’amendement une nuit de débat et instaurer la Troisième République à l’Assemblée nationale, on peut quand même faire une œuvre très importante, mais un peu moins, consistant à abroger les tribunaux correctionnels pour mineurs. Deuxièmement, le CICE a été instauré par voie d’amendement.

M. Gérald Darmanin. On sent que ça vous marque !

M. Pascal Cherki. Je ne suis pas sûr qu’une étude d’impact ait précédé son vote et cela n’a pas posé de problème à l’époque. Je l’ai voté et peut-être ne l’aurais-je pas fait si une étude d’impact avait été réalisée. Enfin, je constate que tout le monde, dans les rangs de la majorité, est d’accord pour agir et que le débat a eu lieu au cours de la précédente législature, car nous étions opposés à l’instauration des tribunaux correctionnels pour mineurs et je ne vois pas à cette étape ce qui pourrait me faire changer d’avis et me convaincre de la nécessité de les maintenir. Qui plus est, il s’agit d’un engagement du candidat à la présidence de la République et je suis content de voir que ces engagements soient traduits dans les faits. Étant sans doute moins intelligent que beaucoup d’autres, je pars du principe qu’il ne faut pas remettre au lendemain ce que l’on peut faire le jour même.

M. le président. La parole est à Mme Sandrine Mazetier.

Mme Sandrine Mazetier. En ce qui me concerne, je suis assez peu sensible à l’heure à laquelle nous débattons. Je ne vois pas pourquoi un amendement aurait plus ou moins de valeur selon qu’il est examiné à quinze heures ou à deux heures moins le quart du matin (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Gérald Darmanin. Avant Jésus-Christ ? (Sourires.)

Mme Sandrine Mazetier. D’autant plus que, s’il est vrai que nous discutons d’un sujet extrêmement important à une heure tardive, ce n’est pas de notre fait. Je constate par ailleurs qu’il n’y a pas unanimité dans cet hémicycle, mais simplement unité de la majorité parlementaire et opposition absolue de l’autre côté de l’hémicycle, ce qui paraît plutôt sain.

Je constate également qu’il existe, outre les amendements dont nous débattons, une proposition de loi déposée par un groupe de la majorité bien avant le dépôt de ce texte par le Gouvernement, sur laquelle la majorité est d’accord de façon unanime. Ma préférence va à une proposition de loi construite, constituant le fruit d’une réflexion – pouvant toujours être enrichie, certes, mais une réflexion tout de même – et présentant forcément plus de cohérence qu’un ensemble d’amendements qui, pour respectables qu’ils soient, ne sont pas le cœur du sujet dont nous débattons ce soir – un sujet extrêmement important, je le rappelle.

J’aimerais que le Gouvernement, par exemple par la voix du secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement – s’il est déjà couché, cela peut attendre demain matin –, s’engage à ce que la proposition de loi du groupe GDR, qui fait l’unanimité au sein de la majorité et dont est sans doute issu l’amendement soutenu par Marc Dolez, soit défendue avant un an. Au vu du calendrier parlementaire, le groupe GDR n’est censé disposer d’une niche parlementaire que dans un an, mais il serait bon que l’on trouve une solution pour que l’examen de cette proposition de loi intervienne plus tôt.

M. Éric Ciotti. C’est laborieux !

Mme Sandrine Mazetier. Si nous avions cet engagement, nous pourrions à nouveau nous concentrer sur le cœur de ce texte extrêmement important dont nous n’avons jusqu’à présent examiné que les trois premiers articles…

M. Yannick Moreau. Mettez-vous d’accord !

Mme Sandrine Mazetier. …alors même que nous sommes tous d’accord pour supprimer les tribunaux correctionnels pour mineurs dont nous avions dénoncé par avance l’inefficacité et le coût. Je ne sais pas si le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement va nous rejoindre – peut-être avez-vous des informations à ce sujet, monsieur le président…

M. le président. On ne me dit jamais rien ! (Sourires.)

Mme Sandrine Mazetier. S’il ne nous rejoint pas très rapidement, nous attendrons qu’il le fasse demain matin, afin de nous confirmer l’engagement du Gouvernement. Nous pourrions alors retirer nos amendements et nous engager à soutenir la proposition de loi du groupe GDR.

M. le président. La parole est à M. Matthias Fekl.

M. Matthias Fekl. Monsieur le président, mes chers collègues, je m’associe à l’essentiel de ce qui a été dit précédemment. Sur le fond, il y a effectivement unité de vue de l’ensemble des groupes de la majorité sur le sujet dont nous débattons. Certes, il est un peu tard, mais je ne pense pas que l’heure d’examen des textes soit de nature à établir une hiérarchie entre eux. À titre personnel, je suis contre les séances de nuit parce que je considère que ce n’est pas une bonne manière de travailler pour un Parlement moderne, mais dès lors que ces séances existent, on doit pouvoir y débattre de n’importe quel sujet.

Plusieurs députés du groupe UMP. C’est lui le secrétaire d’État ? (Sourires sur les bancs du groupe UMP.)

M. Matthias Fekl. Il y a, à l’évidence, une volonté d’avancer sur le sujet, que ce soit par voie d’amendements ou au moyen d’une proposition de loi. Des déclarations ont été faites quant à la volonté d’inscrire cette proposition de loi à l’ordre du jour, mais, comme notre collègue Mazetier, je considère que notre assemblée a besoin d’un engagement du Gouvernement d’inscrire le texte à l’ordre du jour dans un délai raisonnable – en tout état de cause, avant un an…

M. Gérald Darmanin. C’est de l’obstruction parlementaire, monsieur le président !

M. Matthias Fekl. …et qu’à défaut d’obtenir cet engagement, nous devons statuer aujourd’hui sur les amendements proposés, et les adopter…

M. Yannick Moreau. Mettez-vous d’accord !

M. Matthias Fekl. …puisque, sur le fond, le débat a déjà eu lieu sous de multiples formes – à la suite de l’engagement pris par François Hollande avant l’élection présidentielle, mais aussi dans le cadre d’autres réflexions, notamment celles ayant donné lieu à la rédaction des amendements que nous examinons.

M. le président. La parole est à M. Gérald Darmanin.

M. Gérald Darmanin. En attendant le ministre, nous allons pouvoir parler un peu ! Décidément, ce débat ne manque pas de sel. Tout à l’heure, Mme la ministre nous reprochait, en affichant un certain dédain, de palabrer et d’avoir tendance à nous répéter. Un peu plus tard, cela n’a pas empêché la majorité d’user de moult répétitions, circonvolutions et autres séquences dignes de la Minute nécessaire de Monsieur Cyclopède pour tenter de nous convaincre de son unité sur un texte qu’elle n’allait pourtant pas voter !

Nous avons même eu droit à des tentatives d’obstruction parlementaire, comme celle à laquelle s’est livrée notre collègue Matthias Fekl, qui paraissait presque convaincu du fait que le secrétaire chargé des relations avec le Parlement allait surgir d’un moment à l’autre et donner son imprimatur, donnant une issue étonnante à notre débat. Qui sait, peut-être M. Le Guen finira-t-il par arriver ? En l’attendant, nous pourrions tenir une chronique absurde à la façon du Petit rapporteur – mais sans nœud papillon, je vous le promets (Sourires.)

Ce qui ne manque pas de sel non plus, c’est que le groupe communiste et le groupe écologiste se retrouvent à défendre un dogme socialiste qui faisait partie des promesses du candidat François Hollande, et qui a été largement débattu ici ! Contrairement à ce qu’auraient pu laisser croire les débats sur la réforme territoriale et sur la loi de finances, il existerait donc encore une majorité – encore les deux groupes que j’ai cités sont-ils bien mal récompensés de leur volonté de faire respecter la parole présidentielle, puisqu’ils ne sont pas suivis par le groupe socialiste ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Le sel ne manque pas dans le beurre breton, monsieur le président de la commission des lois, quand vous vous faites le représentant du Gouvernement en rappelant à l’ordre la majorité, et que Mme la ministre vous emboîte le pas en déclarant, avec la fougue qu’on lui connaît, que si ces amendements auxquels elle est opposée étaient votés, ce ne serait pas si grave que cela. Enfin, pour un texte qui ne devait pas parler des mineurs, c’est réussi : cela fait plus d’une heure que nous en discutons, et que nous voyons la majorité se diviser sur l’opportunité d’adopter ou non ces amendements !

Puisque M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement ne semble pas devoir nous rejoindre, ce qui est bien dommage – peut-être faudrait-il à nouveau suspendre la séance –, j’en viens à ma conclusion. Ce qui ne manque pas non plus de sel, c’est que cela va faire deux fois que l’opposition va vous soutenir, madame la ministre, en apportant ses voix au président de la commission des lois – vous pouvez toujours compter sur nous pour mettre un peu de sel dans le beurre breton, monsieur le président ! (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Sébastien Denaja. (« Ah ! Il est pour ou il est contre ? » sur les bancs du groupe UMP.)

M. Sébastien Denaja. Étant socialiste, je suis pour la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Cependant, en cette heure avancée – qui, certes, n’exclut pas que l’on débatte de sujets sérieux –, je suis réservé quant au vote que nous pourrions émettre en l’absence d’étude d’impact, sur la base d’un amendement présenté au titre de l’article 88, donc hors débat en commission – je parle de l’amendement présenté par Mme Untermaier…

M. Yannick Moreau. Mettez-vous d’accord une fois pour toutes !

M. Sébastien Denaja. …et alors que des éléments nous ont été communiqués sur l’existence d’une proposition de loi du groupe GDR. Je fais partie de ceux qui pensent que, si la garde des sceaux ne dispose pas de la prérogative de nous répondre sur l’engagement gouvernemental d’inscrire ce texte à l’ordre du jour, il eût été utile qu’en dépit de l’heure tardive, le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement nous donne une réponse sur ce point – ou, du moins, que la garde des sceaux trouve le moyen d’obtenir de qui de droit l’engagement que nous attendons.

En cette heure tardive, il paraît plus sage, même lorsqu’on est pour la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs, de voter contre les amendements proposant cette suppression. Je me demande en effet – et je pose la question à la fois à la garde des sceaux, au président de la commission des lois et au rapporteur – si ces amendements ne peuvent pas être considérés comme des cavaliers législatifs. Lorsqu’on est, comme moi, favorable à la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs, on souhaite justement éviter de fragiliser l’idée de cette suppression en votant une disposition qui pourrait se retrouver censurée par le Conseil constitutionnel. Madame la garde des sceaux, pouvez-vous lever mes inquiétudes sur ce point ? (Rires et exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Gérald Darmanin. Double salto arrière !

M. Éric Ciotti. Vous faites rire le rapporteur !

M. le président. La parole est à M. Marc Dolez.

M. Marc Dolez. Le groupe GDR a effectivement déposé dès le 26 septembre 2012 sur le bureau de l’Assemblée nationale une proposition de loi sur le sujet dont nous débattons. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Gérald Darmanin. Deux ans ! Incroyable !

M. Éric Ciotti. Ça n’avance pas vite !

M. Marc Dolez. À entendre ce qui se dit ce soir, je constate – et je m’en félicite – que la gauche dans toute sa diversité, y compris le Gouvernement, est d’accord pour supprimer les tribunaux correctionnels pour mineurs.

Mme Sandrine Mazetier. Absolument !

M. Éric Ciotti. Sauf le Premier ministre !

M. Marc Dolez. Si je m’en félicite, je constate cependant un paradoxe : si vote il y a, la gauche risque de se diviser lors de ce vote…

M. Gérald Darmanin. Publiquement ! C’est un scrutin public !

M. Marc Dolez. …et, alors même qu’il s’agit de traduire dans les faits un engagement du Président de la République, nous risquons de nous trouver dans la situation où nos collègues opposés à la suppression viendraient nous arbitrer ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Gérald Darmanin. Eh oui !

M. Éric Ciotti. Nous exprimons la sagesse !

M. Marc Dolez. Je souhaite vraiment que l’on n’en arrive pas à cette situation.

Plusieurs députés du groupe UMP. On vote et on dissout ! (Sourires sur les bancs du groupe UMP.)

M. Marc Dolez. À cet égard, la proposition de Mme Mazetier me paraît frappée au coin du bon sens. Je suis, pour ma part, disposé à retirer mon amendement à condition que nous disposions d’un engagement du Gouvernement sur l’inscription à l’ordre du jour de notre proposition de loi.

M. Gérald Darmanin. C’est dans un an !

M. Sébastien Huyghe. Et il y a déjà deux textes !

M. Marc Dolez. Effectivement, la prochaine niche réservée au groupe GDR n’est prévue que dans un an. Il faut donc que le Gouvernement puisse s’engager à inscrire rapidement notre texte à l’ordre du jour, ce qui permettrait, comme l’a dit le président de la commission des lois, d’accomplir un travail législatif sérieux et conséquent.

Le problème, évoqué par Mme la garde des sceaux sur un autre sujet – l’inscription de la proposition de loi relative à la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, votée au Sénat –, c’est qu’elle n’est pas en situation de prendre, au nom du Gouvernement, l’engagement que nous attendons. J’en vois parmi vous qui sourient, mais ce n’est pas une plaisanterie, mes chers collègues, c’est même tout à fait sérieux !

Plusieurs députés du groupe UMP. Ça en a tout l’air…

M. Marc Dolez. Je ne peux me résoudre à voir la gauche se diviser lors d’un vote sur une question où elle est pourtant unanimement d’accord – en théorie. Quelle image donnerions-nous à l’opinion, si nous ne parvenions pas à voter tous ensemble en faveur d’une mesure constituant un engagement du Président de la République ? C’est cela, la question politique qui est posée.

Par conséquent, j’appuie la demande formulée par Mme Mazetier – ne riez pas, c’est tout à fait sérieux ! Notre collègue a raison de souhaiter que le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement nous rejoigne dans les meilleurs délais – et s’il faut un peu de temps pour lui permettre d’arriver, je demande une suspension de séance, monsieur le président (« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. Monsieur Dolez, vous disposez d’une délégation pour demander une suspension de séance mais vous devez nous en préciser la durée, que j’imagine relativement brève.

M. Marc Dolez. Elle durera le temps qu’il faudra !

M. le président. Non, il me faut une durée précise.

M. Marc Dolez. Monsieur le président, on peut passer un coup de fil à M. le secrétaire d’État pour qu’il nous dise le délai dont il a besoin pour rejoindre le Palais Bourbon.

M. le président. Je vais suspendre la séance pour cinq minutes : le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement est tout proche et pourrait nous rejoindre rapidement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à deux heures, est reprise à deux heures dix.)

M. le président. La séance est reprise.

Nous avons entendu les différents orateurs. Les amendements n3 rectifié de M. Coronado et n773 de M. Dolez sont maintenus.

M. Marc Dolez. M. Le Guen n’est pas arrivé !

M. le président. Ce sont les mêmes amendements qui font l’objet, depuis un certain temps, d’une demande de scrutin public : il va donc y être procédé.

Je mets aux voix les amendements identiques nos 3 rectifié et 773.

(Il est procédé au scrutin.)

Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants32
Nombre de suffrages exprimés30
Majorité absolue16
Pour l’adoption9
contre21

(Les amendements identiques nos 3 rectifié et 773 ne sont pas adoptés.)

2

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, jeudi 5 juin 2014, à dix heures trente :

Suite de la discussion du projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines.

La séance est levée.

(La séance est levée, le jeudi 5 juin 2014, à deux heures quinze.)

Le Directeur du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Nicolas Véron