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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session extraordinaire de 2014-2015

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du lundi 20 juillet 2015

Présidence de Mme Sandrine Mazetier

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

1

Droit des étrangers

Suite de la discussion d’un projet de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi relatif au droit des étrangers en France (no2183, 2923, 2916, 2919).

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Marie-Anne Chapdelaine.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Madame la présidente, monsieur le ministre de l’intérieur, monsieur le rapporteur, chers collègues, nous allons débattre d’un projet de loi qui répond à la fois à la nécessité d’apporter des réponses concrètes aux difficultés du droit actuel et à des valeurs qui assurent la grandeur de notre nation et animent notre majorité. Nécessité et valeurs : voilà, vous l’aurez compris, ce qui fonde notre réforme.

De profondes blessures ont marqué les deux quinquennats précédents.

M. Guy Geoffroy. Ça commence bien !

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Au nombre de celles-ci, la question du statut et de l’accueil des étrangers. Elle a en effet été traitée avec négligence et facilité, en tournant le dos à notre histoire, mais aussi à une ambition politique pourtant longtemps partagée sur tous les bancs de cette assemblée : celle d’une France qui sait accueillir et rayonner. J’ose croire que nos débats montreront que ce temps n’est pas révolu.

L’étranger ne doit plus être un bouc émissaire, encore moins un individu stigmatisé, et surtout pas une cible politique. L’indélicatesse des mots précède toujours la rudesse, voire la violence, des gestes. J’invite donc chacun à mesurer, aujourd’hui comme demain, les risques qu’il fait prendre à notre société, car la négation de son voisin peut être le prélude à sa maltraitance. Or, plus que jamais en cette période délicate, ce dont nous avons besoin, c’est de fraternité et de cohésion, et surtout pas de division.

Cette triste page politique, nous avons fait le choix de la tourner dès notre arrivée aux responsabilités, en 2012. Par la voie législative ou réglementaire, nous avons pris nos responsabilités pour que le migrant et l’étranger soient traités comme il se doit, dans leurs droits et obligations – dans le respect des premiers comme dans la sanction des secondes, s’ils ne s’y plient pas. Je pense notamment à l’abrogation du délit de solidarité, à l’encadrement de la régularisation afin de la soustraire à l’arbitraire, ou encore à la récente réforme du droit d’asile.

Une fois de plus, nous sommes fidèles à l’engagement pris par le Président de la République de lutter contre l’immigration illégale tout en sécurisant l’immigration légale. Il n’y a pas de courage, mais seulement des preuves de courage : notre majorité peut être fière d’agir avec cohérence, détermination et constance.

Alors que nous allons débattre du droit des étrangers, il importe de le remettre en perspective. Notre ancien collègue Matthias Fekl s’était vu confier une mission consistant à définir les modalités de mise en œuvre de ce double objectif de fermeté dans la lutte contre l’immigration illégale et l’accueil et l’intégration des étrangers régulièrement admis au séjour en France.

Cette mission faisait écho à un constat accablant : un dispositif d’accueil et d’intégration privilégiant la contrainte plutôt que l’accompagnement, des titres de séjour sans adéquation entre leur durée de validité et la durée de présence de l’étranger, des procédures de contrôle et d’éloignement lourdes, peu lisibles et peu efficaces. Elle s’est achevée par la rédaction d’un rapport, Sécuriser les parcours des ressortissants étrangers en France, formulant des propositions de réformes.

Le projet de loi relatif au droit des étrangers est l’aboutissement des réflexions engagées. Je parlais, voici quelques instants, de cohérence et constance : en voici une démonstration. Il s’inscrit dans le souci de notre ministre de faire preuve de fermeté en matière de lutte contre la fraude et de débattre sur des données objectives. Voilà pour la détermination.

Les objectifs que nous poursuivons sont limpides : améliorer l’accueil, favoriser l’intégration des étrangers régulièrement admis, renforcer l’attractivité de la France et l’accueil des talents, réviser le droit au séjour des étrangers dont l’un des enfants, malade, doit être soigné en France et, bien évidemment, lutter contre l’immigration irrégulière.

Ces objectifs appellent donc de grands changements. En matière d’accueil et d’intégration, un nouveau contrat entre l’étranger et l’État détermine un parcours personnalisé, sur une durée qui inclut une formation civique et linguistique réaménagée. Le projet prévoit par ailleurs une carte de séjour pluriannuelle, si bien entendu l’étranger respecte ses obligations.

En contrepartie de la généralisation de la carte pluriannuelle, les modalités du contrôle sont adaptées, avec notamment un droit de communication des informations utiles à l’administration compétente. Un décret en Conseil d’État définira, pour chaque organisme concerné, les informations susceptibles d’être communiquées : il ne s’agit pas, par exemple, de connaître les notes d’un enfant scolarisé mais l’effectivité de sa scolarisation.

Pour améliorer notre attractivité, le séjour des étudiants est sécurisé et simplifié par l’adéquation entre la durée des études et la carte de séjour.

En matière d’effectivité de la lutte contre l’immigration irrégulière, le projet de loi prévoit la suppression de la mesure résiduelle de reconduite à la frontière, qui faisait doublon avec l’obligation de quitter le territoire français – OQTF – et affirme la priorité de l’assignation à résidence sur le placement en rétention. Il permet également l’accès des journalistes aux lieux de rétention et aux zones d’attente.

Les travaux en commission ont été de qualité et ont fait évoluer le texte sur de nombreux points, dont je ne citerai que quelques-uns. Il y a d’abord la nécessité de motiver le refus de visa de long séjour, ou la simplification des démarches pour les personnes travaillant en contrat à durée déterminée, afin que la durée du séjour s’adapte à celle du contrat au-delà du premier renouvellement.

Pour l’un des parents d’un enfant malade admis à être soigné en France, l’autorisation provisoire de séjour est renouvelée au long de la durée du traitement, en accompagnement d’un droit temporaire au travail.

Afin de sécuriser l’accès à une carte de résident pour les conjoints et enfants de Français ayant résidé en France durant trois ans sous couvert de cartes de séjour annuelles ou pluriannuelles, la délivrance de la carte se fait désormais de plein droit. Pour la carte de résident portant la mention « résident de longue durée - UE », elle est de plein droit pour les personnes qui ont résidé en France pendant cinq ans.

Est également introduit dans la loi le principe d’interdiction du placement en rétention d’un étranger accompagné d’un enfant mineur, à de rares exceptions près, énumérées dans la loi. Je citerai enfin l’encadrement du droit de communication reconnu à l’administration par l’article 25, afin de garantir le respect des libertés individuelles les plus fondamentales.

Vous le constatez vous-mêmes, mes chers collègues, un bon projet de loi se juge également à la qualité des évolutions qui lui sont apportées. Je tiens donc à remercier le rapporteur, Erwann Binet, avec qui les discussions furent toujours constructives et riches de sens.

Des points sont, nécessairement, encore en discussion. À ce stade, j’en signalerai quatre. Le premier a trait aux personnes victimes de la traite des êtres humains, pour lesquelles l’interdiction au retour doit être envisagée. Les dispositions du projet de loi relatives à l’interdiction de retour doivent en effet intégrer celles du droit européen.

Deuxièmement, la question du regroupement familial pour un étranger âgé vivant seul en France et ne disposant pas des ressources nécessaires pour que cette autorisation lui soit accordée doit être prise en considération : le compagnon ou la compagne de toute une vie doit pouvoir venir le retrouver.

Troisièmement, l’obligation de quitter le territoire français pour les déboutés du droit d’asile fera l’objet de discussions sur la réintroduction d’une procédure particulière. Enfin, l’intervention du juge des libertés et de la détention et les modalités de la mesure de rétention sont également à discuter.

Sur toutes ces questions, je ne doute pas que le bon équilibre sera trouvé.

Mes chers collègues, vous l’aurez compris, ce projet de loi est opportun, nécessaire et fondé. Il est régi par deux impératifs : celui de la fraternité et celui du respect de la règle. Nous allons maintenant débattre. Je souhaite que nos discussions soient de la qualité de celles qui ont été menées en commission et avec le Gouvernement. Je vous remercie de nouveau, monsieur le ministre, ainsi que vos excellents services, pour votre écoute et votre implication.

Le groupe socialiste est convaincu de la justesse de cette réforme et fier de voir que l’action publique est une nouvelle fois remise à sa place : celle d’une intervention efficace, juste et proportionnée. Il votera donc avec plaisir ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Goujon.

M. Philippe Goujon. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, alors que notre pays est confronté à une vague migratoire sans précédent, ce texte, qui aurait dû nous être présenté conjointement avec celui qui porte sur l’asile – et à un autre moment, peut-être, qu’en plein été et en session extraordinaire – présente le double inconvénient, n’en déplaise à l’oratrice précédente, de renoncer à une politique migratoire cohérente et de renforcer l’attractivité migratoire de notre pays.

Ce texte se caractérise donc d’abord par le renoncement à une vraie politique d’immigration choisie. Le Gouvernement, après avoir mollement protesté contre les quotas européens, s’y est finalement résolu – très peu de pays européens acceptant d’ailleurs de faire de même – et a accepté d’accueillir 9 000 migrants, quand plus d’un million d’entre eux attendent de quitter les côtes libyennes et qu’aux portes de l’Europe, la Macédoine, par exemple, vient de les autoriser à transiter par son territoire.

Dois-je rappeler que la France, sixième pays d’asile au monde, figure au troisième rang des six pays européens qui reçoivent 75 % des demandeurs ? La situation, qui se dégrade à vue d’œil, justifierait amplement le rétablissement des contrôles systématiques aux frontières, comme ce fut le cas durant les vagues d’immigration dues au Printemps arabe, et la renégociation des accords de Schengen autour d’un socle migratoire commun.

Paris est particulièrement touchée, même si elle n’est pas la seule, comme l’illustrent la multiplication des campements de fortune et l’ouverture imminente dans chaque arrondissement, selon le vœu de Mme Hidalgo, de centres d’hébergement – autant de mini-Sangatte, en contradiction flagrante avec la réponse du Premier ministre à ma question d’actualité du 16 juin, par laquelle il émettait une fin de non-recevoir à cette idée irresponsable de la maire de Paris.

L’appel d’air migratoire sans précédent ainsi créé aura des conséquences d’autant plus graves que l’exécution des mesures d’éloignement n’a jamais été aussi faible, concernant seulement 1 % des déboutés du droit d’asile et 5 % des clandestins. Faire de l’assignation à résidence la règle en matière d’éloignement est une aberration, car seul le placement en centre de rétention, pour une durée qu’il faudrait d’ailleurs allonger, permettrait de distinguer les demandeurs d’asile des immigrés clandestins et d’assurer l’éloignement, ainsi que le préconise la Cour des comptes.

Vous allez jusqu’à supprimer les procédures de reconduite administrative à la frontière, sans même revenir sur les délais d’éloignement. Vous avez rejeté aussi la seule mesure efficace, proposée par le Sénat, celle qui veut que la décision de rejet de la demande d’asile – 75 % des cas – vaille OQTF. En fait, par naïveté, vous renoncez à l’éloignement, car ces personnes voudront naturellement s’y soustraire.

Ce texte renforce ensuite l’attractivité migratoire de notre pays en facilitant le séjour en France et le regroupement familial et en diminuant les exigences d’intégration. Comme l’indique son titre, il se place uniquement dans une logique de droits des étrangers et renonce à leur imposer les devoirs associés.

Ainsi, bien que le dernier rapport de l’OCDE pointe leur taux record de chômage, votre texte non seulement ne favorise pas l’immigration choisie, professionnelle, qui représente le plus faible flux en France, mais il lève au contraire l’opposabilité de la situation de l’emploi, favorisant le regroupement familial alors que notre pays connaît un niveau de chômage extrême et dont, me semble-t-il, la courbe ne s’inverse toujours pas. Il faudrait au contraire définir des plafonds d’immigration et restreindre les prestations sociales non contributives pour les nouveaux entrants.

Vous ajoutez à cela un encouragement à l’immigration sanitaire et au regroupement familial, puisque même les simples stagiaires y auront droit et que le nouveau titre de séjour pluriannuel, valable deux à quatre ans, constituera le sésame attendu par tous les réseaux de traite. Et combien y aura-t-il de délinquants, combien de trafiquants et de terroristes infiltrés sans que l’on puisse les contrôler parmi les dizaines de milliers de personnes qui entreront désormais en toute légalité en France sous les prétextes les plus divers ?

La prise en charge des quelque 50 000 mineurs isolés étrangers – chiffre en augmentation exponentielle – dont Paris et les Alpes-Maritimes accueillent chacun un tiers se fait aujourd’hui aux frais des collectivités territoriales alors qu’il devrait revenir à l’État de financer ce coût. La capitale y consacre un quart de son budget d’aide sociale. Il conviendrait au moins, comme le préconise Éric Ciotti, d’appliquer les tests osseux, l’Italie refusant désormais de réadmettre ces personnes sur son territoire.

Vous refusez même d’améliorer la lutte contre les mariages frauduleux, source importante d’immigration clandestine, alors qu’il faudrait au moins rendre obligatoire la saisine du procureur en cas de doute et améliorer la formation des élus à la détection de ces fraudes.

Ce renoncement à faire du respect des exigences d’intégration une condition de renouvellement du titre de séjour matérialise votre clair refus de l’assimilation. Pour preuve, ce texte efface du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile – CESEDA – les notions de laïcité et d’égalité entre les hommes et les femmes, substitue aux valeurs de la République celles, à géométrie variable, de la société française, et supprime le test de français pour les candidats au regroupement familial et le contrat d’accueil et d’intégration familial.

En conclusion, ce texte examiné à tort en urgence, un an après sa présentation en conseil des ministres, conduira à ouvrir à fond les vannes de l’immigration. L’angélisme et la fausse bonne conscience qui l’inspirent satisferont sans doute, comme l’a dénoncé très justement Guillaume Larrivé, les passeurs qui exploitent la misère des 500 000 clandestins installés sur notre sol, tout en privant l’État à la fois des moyens d’éloigner les étrangers en situation irrégulière et des capacités à intégrer convenablement les nouveaux entrants, au détriment de l’assimilation républicaine, la seule qui soit de nature à préserver la cohésion sociale dans notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Folliot.

M. Philippe Folliot. Depuis l’examen du projet de loi relatif à la retenue pour vérification du droit au séjour et au délit d’aide au séjour irrégulier, adopté en décembre 2012, l’Assemblée nationale n’a eu que rarement l’occasion de débattre du sujet de l’immigration. Et pour cause : le droit de l’immigration a davantage été modifié, ces trois dernières années, par le biais de circulaires ou d’instructions que par la voie législative, c’est-à-dire par la voie du débat. Mais je pense qu’en la matière, au-delà d’inflexions législatives – une demi-douzaine de textes votés ces quinze dernières années ! – nous avons peut-être plus besoin d’appliquer plus efficacement les textes en vigueur que d’en voter de nouveaux.

Nous abordons l’examen de ce projet de loi dans un contexte difficile. Avec, selon les données du rapport de la commission des lois, 100 000 migrants supplémentaires entre janvier et juin 2015 aux portes de l’espace Schengen, la régulation des flux migratoires représente un véritable défi pour la France et pour l’Europe. Ne cédons pas pour autant aux discours simplificateurs. Nous devons examiner ce texte avec honnêteté intellectuelle et responsabilité politique, en gardant à l’esprit que, si notre droit des étrangers doit être réformé, la vraie réponse sera avant tout européenne. Nous avons tous en tête ce qui se passe actuellement en Méditerranée, le cortège de ces drames humains, l’exploitation éhontée de la situation par les passeurs et les mafias, toutes les exactions dont les migrants sont les victimes.

Ce texte repose avant tout sur la volonté, louable, de considérer l’immigration comme une chance et non comme une contrainte à juguler. Sans nier les difficultés qui entourent la politique d’immigration, nous devons être pleinement conscients de la richesse qu’elle représente pour notre pays. L’immigration devrait constituer un instrument de soutien au développement et au rayonnement de la France, mais elle doit aussi aller de pair avec l’intégration, dont les trois composantes sont l’apprentissage de la langue, l’appropriation des valeurs de la République et l’accès à l’emploi.

Dans cet esprit, le projet de loi prévoit la refonte du contrat d’accueil et d’intégration. Ce dispositif, créé en 2006, a permis d’engager dans un parcours d’intégration les étrangers ayant obtenu pour la première fois un titre de séjour les autorisant à s’installer durablement dans notre pays. Cependant, ainsi que l’a révélé un rapport de l’inspection générale des affaires sociales en 2013, c’est aussi un dispositif coûteux, qui présente certaines faiblesses. On constate notamment que les formations suivies par les étrangers dans le cadre de ce contrat ne sont pas toujours adaptées au profil des migrants.

Pour répondre à ces lacunes, le projet de loi entend mettre en œuvre une logique personnalisée, moyennant un parcours individualisé d’intégration rebaptisé en commission « parcours personnalisé d’intégration ». Si cette mesure semble positive, nous nous demandons s’il est pertinent de mettre à la disposition, dans son pays d’origine, de l’étranger qui souhaite s’installer durablement sur le territoire français une information sur la vie en France ainsi que sur les droits et devoirs qui y sont liés. Une simple information est loin d’être à la mesure de l’enjeu que constitue la réussite de l’intégration de ces candidats à l’immigration.

L’article 2 modifie les conditions de connaissance de la langue française pour la délivrance de la carte de résident. Le rapport conjoint remis en 2013 par l’inspection générale de l’administration – IGA – et l’inspection générale des affaires sociales – IGAS – désigne la France comme le seul pays européen à fixer un objectif de maîtrise de sa langue aussi modeste, en l’occurrence le niveau A1.1.

Vous souhaitez donc préciser que la délivrance de la carte de résident est liée à une connaissance suffisante de la langue ne pouvant être inférieure à un niveau défini par décret en Conseil d’État. Faire de la maîtrise de notre langue la condition nécessaire de l’intégration est primordial et nous approuvons votre intention de relever le niveau exigé. Pour autant, la commission a supprimé l’exigence d’un niveau suffisant. De la sorte, n’a-t-on pas atténué l’objectif initial ?

En outre, cette mesure représente un coût non négligeable : le rapport conjoint de l’IGA et de l’IGAS a évalué à 46 millions d’euros par an le coût total de l’objectif d’atteindre le niveau A1 et à 80 millions le coût du niveau supérieur A2. Nous voyons ici l’inadéquation entre les intentions et les moyens.

La principale innovation de ce texte est la carte de séjour pluriannuelle, à laquelle les étrangers auraient désormais accès après leur première année de séjour. Cette mesure n’est pas anodine puisqu’elle mettrait un terme au principe général de l’annualité des cartes de séjour retenu par le CESEDA.

Un grand nombre de ressortissants étrangers se voient aujourd’hui contraints d’effectuer des visites nombreuses et répétées en préfecture. Cette réforme vise à améliorer l’adéquation entre la durée de validité des titres de séjour et la durée de présence de l’étranger sur le territoire, mais nous craignons le caractère quasi automatique que prend la délivrance dans cet article. Il conviendrait d’encadrer davantage les conditions de délivrance du titre de séjour pluriannuel, afin de s’assurer que l’étranger qui en bénéficie respecte pleinement l’engagement d’intégration à la société française.

Un des autres objectifs, pour le moins ambitieux, affichés par ce projet de loi serait de « contribuer à l’attractivité de la France ». Dans un contexte de mondialisation, nous ne contestons pas la nécessité d’attirer les meilleurs talents, les étudiants et les artistes prometteurs, qui représentent de véritables atouts pour un pays. Cependant, là encore, nous devons prendre garde de ne pas faciliter à l’extrême, sous prétexte d’attractivité, le parcours des étrangers et nous interroger sur les conséquences de la fuite des élites sur le développement des pays d’origine en matière.

S’agissant par exemple du « passeport talent », à qui fait-on référence lorsque l’on désigne un étranger « qui exerce la profession d’artiste-interprète », ou « qui est auteur d’œuvre littéraire ou artistique », ou encore un étranger « dont la renommée internationale est établie, qui vient exercer en France une activité dans un domaine scientifique, littéraire, artistique, intellectuel, éducatif ou sportif » ? Ces dispositions devraient être davantage précisées et strictement encadrées.

S’agissant de la lutte contre la fraude, les dispositions de ce texte semblent insuffisantes. Vous proposez, certes, d’améliorer les outils dont disposent les préfectures, avec l’instauration d’un droit de communication tel qu’en disposent les administrations fiscale et sociale. Pour autant, que prévoyez-vous en matière de lutte contre les mariages blancs ou gris et concernant les situations ou les droits ainsi acquis frauduleusement ?

M. Philippe Goujon. Rien !

Mme Marie-Anne Chapdelaine. C’est dans la loi !

M. Philippe Folliot. En outre, certaines dispositions pourraient avoir l’effet néfaste de favoriser la fraude. Je pense notamment à l’élargissement de l’accès à la procédure de séjour pour les étrangers malades et à l’autorisation de séjour de plein droit pour le parent d’un enfant malade. Il en va de même de la dispense d’autorisation de travail, prévue à l’article 12, pour les étrangers qui viennent travailler en France pour une durée de moins de trois mois : n’allons-nous pas assister à une multiplication des séjours de moins de trois mois ?

Enfin, vous souhaitez privilégier l’assignation à résidence et faire du placement en rétention une exception. Cette mesure ne permet en rien d’améliorer la lutte contre l’immigration irrégulière.

M. Philippe Goujon et M. Guy Geoffroy. C’est tout le contraire !

M. Philippe Folliot. Elle vous oblige à créer une procédure d’escorte par la force publique, dont on peut douter de la réelle efficacité, lorsque l’étranger n’aura pas déféré à une demande de l’autorité administrative de se présenter aux autorités consulaires du pays dont il est originaire pour préparer son retour.

L’ensemble de ces observations nous amène à considérer que, s’il est ambitieux sur le plan de l’intégration, de la clarification des procédures et de la simplification des parcours, ce projet de loi l’est beaucoup moins sur le plan de la maîtrise des flux et de la lutte contre l’immigration irrégulière. Sans remettre en cause le principe du regroupement familial, nous nous interrogeons sur sa mise en œuvre ou son application parfois trop laxiste.

Gardons à l’esprit que nous sommes dans un monde et dans une société ouverts et que bon nombre de nos concitoyens vivent et travaillent à l’étranger, ce qui est considéré comme positif pour l’économie nationale. N’oublions pas que certaines dispositions, en vertu du principe de réciprocité, sont susceptibles de se retourner contre nos concitoyens.

La politique migratoire implique nécessairement une application rigoureuse des objectifs de lutte contre l’immigration clandestine et de maîtrise des flux. Le texte ne répond pas suffisamment à cette exigence.

Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe UDI ne votera pas ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. François Hollande, lors de son discours d’inauguration du musée de l’histoire de l’immigration, le 15 décembre 2014, sept ans après l’ouverture de cet établissement au public, rappelait à juste titre l’apport des immigrés et des enfants d’immigrés aux sciences françaises, à la physique, à la chimie et aux mathématiques. Il évoquait tous ces étrangers, tous ces immigrés qui ont fait la fierté de la France, tous ces Prix Nobel et ces récompenses glorieuses, de Marie Curie, née Maria Sklodowska, à Artur Avila, franco-brésilien et lauréat de la médaille Fields. À l’heure où nous ouvrons le débat dans cet hémicycle sur le texte relatif au droit des étrangers, il est important d’avoir ces noms à l’esprit pour mieux avoir conscience non seulement de l’apport de l’immigration mais aussi d’un fait incontournable : des millions de Français ont des ascendants d’origine étrangère. Rappelons-le tout particulièrement à ceux qui oublient à quel point l’immigration est un élément constitutif de notre identité nationale.

Car ce débat, le débat sur l’immigration, a lieu dans un contexte dramatique, sur fond de guerres sanglantes et de crises humanitaires. La Méditerranée est devenue un cimetière marin, après une année 2014 où plus de 3 200 personnes sont mortes et plus de 130 000 ont été secourues, sans parler de drames plus lointains, dans le Sud-Est asiatique par exemple.

Prendre le chemin de l’exil, de l’exode, du départ, est une expérience des plus difficiles qui soient. Que peut-on faire face à cet immense défi ? Ce n’est assurément pas l’ambition de ce projet de loi que de répondre à cette question. On le sait, la crise humanitaire et migratoire que nous connaissons relève de la responsabilité de l’ensemble de l’Union européenne. Et vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, la position de la France est singulière dans le concert des nations.

Mieux intégrer et mieux expulser, c’est ainsi que l’on peut résumer l’équilibre du texte. L’une des mesures phare de ce projet de loi est un titre de séjour pluriannuel de quatre ans maximum, à mi-chemin entre l’actuelle autorisation d’un an et la carte de résident de dix ans.

Monsieur le ministre, vous avez parfaitement décrit la situation en exposant que les étrangers sont soumis à « un parcours administratif de combattant ». On dénombre 5 millions de passages en préfecture, alors que les étrangers titulaires d’un titre de séjour valable dix ans sont à peine 1,8 million. Les 700 000 étrangers titulaires d’un titre de moins d’un an doivent ainsi se rendre à la préfecture six ou sept fois par an pour se mettre en règle.

Votre diagnostic est donc juste. Nous espérons néanmoins que, sous couvert de désembouteiller l’administration, la carte pluriannuelle, renouvelable, ne devienne pas un moyen facile pour l’administration de limiter le nombre de cartes de résident de dix ans. Certes, vous avez donné des garanties, monsieur le ministre, qui semblent satisfaire notre rapporteur, mais entre les paroles d’un ministre qui passe et les pratiques des préfectures, il y a parfois un abîme...

M. Guy Geoffroy. Ce n’est pas aimable pour le ministre !

M. Sergio Coronado. C’est un constat : les ministres passent, les administrations restent !

De surcroît, le texte ne prévoit aucune passerelle, aucune articulation explicite entre le titre de séjour pluriannuel et le droit au séjour pérenne. Au contraire, il prévoit que ce titre peut, à tout moment, être remis en cause et retiré.

En effet, il instaure un dispositif de contrôle permettant aux préfectures, dans le cadre de l’examen des demandes de titre de séjour, d’accéder aux informations auprès des administrations fiscales, des établissements scolaires ou encore des organismes de Sécurité sociale. Il est légitime de s’interroger sur les risques d’atteinte au respect de la vie privée que présente un contrôle aussi intrusif des données personnelles.

Rappelons que le premier motif d’admission au séjour, et de loin, est le regroupement familial et le rapprochement de conjoints. Avec plus de 90 000 titres délivrés en 2014, il représente près de 45 % de l’immigration légale totale, devant les immigrations étudiante, humanitaire et économique.

Découlant du droit fondamental des nationaux à vivre avec leurs proches, ce dispositif légal permet à un étranger résidant en France d’être rejoint par sa famille, sous certaines conditions. Du moment que les liens des personnes sont établis, il ne me paraît pas sage de continuer à durcir les critères. Or, depuis 2003, de nombreuses restrictions ont été apportées : la durée de résidence minimale pour le demandeur a été allongée, et la carte de séjour accordée n’est plus automatiquement de dix ans.

Le texte prévoit également la possibilité de délivrer aux personnes étrangères relevant du droit au séjour pour soins une carte pluriannuelle, mais pour la seule durée des soins, et non pour la durée de quatre ans. Or, loin de l’image d’Épinal, la majorité des personnes titulaires d’un titre de séjour pour soins ne sont pas venues en France pour se soigner ; elles ont découvert leur maladie alors qu’elles y résidaient déjà et n’ont pas toujours vocation à retourner dans leur pays une fois guéries.

Par ailleurs, l’IGAS, dans son rapport de 2013 sur l’admission au séjour des étrangers malades, a souligné les réticences des services instructeurs des préfectures face aux demandes d’un changement de statut, comme la demande d’une carte de résident, après cinq années passées avec un titre de séjour « vie privée et familiale ». Rien ne justifie que les personnes étrangères relevant du droit au séjour pour soins ne puissent bénéficier de la carte pluriannuelle de quatre ans !

Enfin, et vous le savez, monsieur le ministre, le transfert de l’évaluation médicale relative au droit au séjour pour soins et à la protection contre l’éloignement, qui passe des agences régionales de la santé à l’Office français de l’immigration et de l’intégration – OFII –, établissement public placé sous la tutelle de votre ministère, inquiète nombre d’associations.

Le projet de loi ambitionne de reconduire plus rapidement et plus massivement les clandestins à la frontière, en privilégiant l’assignation à résidence comme alternative aux centres de rétention. C’est même un de ses piliers.

Selon les cinq associations qui interviennent dans les centres de rétention administrative, la France est le premier pays d’Europe à enfermer en nombre les étrangers, loin devant tous les autres pays de l’Union. En 2014, selon le rapport rédigé par ce collectif, environ 50 000 étrangers, dont plus de 26 000 en métropole, ont été privés de liberté, contre 45 000 en 2013. En outre, 110 mineurs ont été placés en rétention l’an dernier en métropole, contre 95 l’année précédente. À Mayotte, leur nombre a explosé, passant de plus de 3 500 à plus de 5 500.

En 2012, François Hollande, alors candidat à l’élection présidentielle, s’était engagé à mettre un terme à la rétention des mineurs. Dans l’arrêt Popov contre France, la Cour européenne des droits de l’homme relève que la promiscuité, le stress, l’insécurité et l’environnement hostile que représentent les centres de rétention ont des conséquences néfastes sur les mineurs, en contradiction avec les principes internationaux de protection des enfants. Les quelques garanties accordées aux mineurs isolés placés en zone d’attente sont largement insuffisantes ; il n’existe notamment aucune voie de recours permettant de suspendre le renvoi afin de permettre un examen sérieux de la situation du mineur par des services compétents.

Autre point important, le texte prévoit que tout refus pour un étranger de se plier à l’assignation à résidence sera passible de poursuites pénales. Les obligations de quitter le territoire français seront assorties d’une interdiction de retour de trois ans, contre un an aujourd’hui. Enfin, le texte instaure une interdiction de circulation sur le territoire français pour les ressortissants de l’Union européenne.

Le contentieux relatif aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France est très important. Selon le rapport public 2014 du Conseil d’État, il représente plus de 32 % des affaires portées devant les tribunaux administratifs, et 44 % des affaires portées devant les cours administratives d’appel.

Si le niveau de reconduite à la frontière reste faible, ce n’est pas parce que tous les étrangers seraient des fraudeurs, mais parce que la procédure d’éloignement n’est pas respectée, et que le placement en rétention est en conséquence annulé. Cela est dû, aussi, au manque de collaboration entre la France et certains pays d’origine pour la délivrance des laissez-passer consulaires. Vous ne l’ignorez pas, il s’agit bien souvent de pays où la violence est généralisée ; leurs ressortissants peuvent difficilement y être renvoyés.

En outre, en 2014, 45 % des personnes éloignées depuis la métropole, et la quasi-totalité depuis l’outre-mer, n’ont pas eu accès au juge judiciaire. Il est important d’avancer l’intervention du juge des libertés et de la détention à 48 heures à partir du placement en rétention. Le recul de son intervention du second au cinquième jour, consacré par la loi du 16 juin 2011, a entraîné l’éloignement d’étrangers avant qu’ils aient pu faire valoir d’éventuelles irrégularités de procédures et le non-respect de leurs droits.

Chers collègues, alors que l’immigration s’invite en Europe comme sujet politique de l’année 2015 et que ce texte arrive à l’examen de notre assemblée en procédure accélérée, ce que je regrette et conteste, j’ose espérer que le droit des étrangers ne réveillera pas de vieux clivages et les outrances que d’aucuns ont pratiquées. J’ose espérer que nous serons loin des raccourcis sans fondement qui font toujours de l’étranger un fraudeur et de l’immigration un calvaire pour notre pays.

On peut regretter qu’il n’y ait pas eu de rupture plus nette concernant les politiques migratoires depuis la victoire de François Hollande. Il faut néanmoins constater que l’immigration n’est pas devenue aux mains du Gouvernement et de sa majorité la petite allumette qui sert à enflammer l’opinion, le chiffon rouge qui exacerbe les passions. C’est un premier pas, important. Néanmoins, il est insuffisant lorsque l’on considère que les crises aux frontières sont durables et que l’Europe ne peut se construire comme une forteresse.

Mme la présidente. La parole est à M. Joël Giraud.

M. Joël Giraud. Même si l’on peut regretter son inscription à l’ordre du jour de cette fin de session extraordinaire,…

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Les Français travaillent !

M. Joël Giraud. …ce projet de loi s’inscrit dans la logique du projet de loi portant réforme du droit d’asile qui a été adopté définitivement mercredi, ce dont le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste se félicite puisqu’il l’a amendé, soutenu et voté.

Il s’agissait, par l’examen quasi simultané des deux textes, de bien séparer ce qui relève du droit des demandeurs d’asile de ce qui concerne le droit des étrangers candidats à l’immigration familiale, économique, étudiante ou médicale. Je ne suis pas persuadé que cette volonté de pédagogie parlementaire ait abouti, puisque les deux assemblées ne sont pas parvenues à un accord en commission mixte paritaire sur le projet de loi sur l’asile. Mais nous en sommes là, et il nous appartient d’examiner le projet de loi relatif au droit des étrangers en France. Gageons qu’un accord pourra se former entre les deux chambres sur ce texte.

Si nous avons dû nous saisir de manière quelque peu précipitée de ce texte, nous avons eu tout le loisir, en un an, de prendre connaissance de l’étude d’impact qui y est annexée. Éclairante à plus d’un titre – une fois n’est pas coutume ! – elle nous révèle que ce texte se situe dans une certaine continuité par rapport à la législation existante, en particulier la loi du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et à l’intégration, la loi du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile, la loi du 4 août 2008 de modernisation de l’économie et la loi du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité.

Ainsi, les cris d’orfraie – ces cris nocturnes prompts à angoisser les noctambules superstitieux des siècles passés (Sourires) – de nos collègues de l’opposition, s’indignant d’un texte de loi supposé trop laxiste, résonnent comme un aveu : ils n’ont pas eu le temps de se rappeler qu’il s’agissait de rendre plus efficiente la législation adoptée à leur initiative, sous la précédente législature !

M. Guillaume Larrivé. Vous faites un numéro comique ?

M. Joël Giraud. Les appels à « tout changer », à « définir une nouvelle politique d’immigration » ne sont que des slogans vides, et ceux qui les lancent le savent pertinemment.

M. Olivier Marleix. Vous nous éclairez !

M. Joël Giraud. Aucune révolution du droit des étrangers, donc. Et c’est heureux. Le présent projet de loi, de façon classique, pourrait-on dire, entend renforcer le statut des étrangers séjournant légalement sur notre territoire et, corrélativement, rendre les contrôles plus efficaces pour mieux lutter contre l’immigration irrégulière.

Il répond à ce double objectif : améliorer notre système d’accueil et d’intégration des arrivants et renforcer la lutte contre la fraude et l’immigration irrégulière. Les dispositions qu’il comporte vont dans le sens d’un équilibre entre l’accueil et la sécurité.

En effet, le sujet de l’immigration est souvent une source de tension, les étrangers arrivant en France faisant l’objet d’une stigmatisation latente. Or il ne faut pas oublier que la France a été la première à profiter de cette immigration. Sans parler de l’atout culturel que représente une telle diversité, être une terre d’immigration, c’est être une nation ouverte sur le monde.

M. Philippe Goujon. Et le chômage ?

M. Joël Giraud. Dès lors, l’État doit mettre en place les moyens nécessaires pour accueillir les migrants qui veulent respecter la loi. Ainsi, le texte propose de pallier les deux difficultés majeures du dispositif actuel : un mauvais accueil des migrants et un parcours administratif trop long et trop complexe.

D’abord, il est question de substituer au contrat d’accueil et d’intégration un parcours d’intégration républicaine, plus individualisé. L’étranger sera ainsi mieux suivi dans ses premières années sur le territoire, ce qui paraît indispensable. C’est en effet durant cette période qu’il doit s’efforcer de construire, avec l’aide de l’État, les bases pour une installation durable.

Ce parcours personnalisé met l’accent sur deux points. Dans leur apprentissage de la langue, les migrants sont accompagnés vers le niveau Al dans un délai d’un an suivant leur entrée en France, et vers le niveau A2 au bout de cinq ans de résidence. Ces niveaux correspondent à des normes européennes et cela ne présente a priori pas de difficultés notables. D’autre part, une formation sur les devoirs et les droits de la République ainsi qu’une orientation des migrants vers les services de droit commun sont prévues. Cet aiguillage facilite l’accès aux outils nécessaires pour la recherche d’un emploi, ce qui leur permettra de subvenir à leurs besoins matériels et de s’intégrer plus aisément dans la société.

Le projet de loi propose également la création d’un nouveau titre de séjour, la carte de séjour pluriannuelle. Cette dernière sera délivrée à tous les migrants ayant obtenu un premier titre de séjour d’un an et ayant fait preuve d’assiduité aux formations proposées dans le cadre du dispositif d’accueil. En théorie, cette carte a une durée maximale de quatre ans et s’accompagne d’un contrôle, tout au long de sa durée de validité.

Cette innovation est une bonne chose, à plusieurs égards. Tout d’abord, le caractère pluriannuel de la carte simplifiera le parcours administratif que doit réaliser l’étranger souhaitant obtenir un titre de séjour. Souvent qualifié, à juste titre, de « parcours du combattant », il constitue un véritable frein à l’intégration du migrant. Comment voulez-vous chercher efficacement un emploi quand une grande partie de votre temps consiste à effectuer d’innombrables allers et venues en préfectures ? Ces formalités répétées peuvent s’avérer décourageantes pour l’étranger désireux, par-dessus tout, être en règle avec la loi française.

En outre, cette carte de séjour pluriannuelle est renouvelable, dans la mesure où l’étranger continue de satisfaire aux conditions de sa délivrance. Ainsi, elle serait un moyen efficace d’amener le migrant à obtenir une carte de résident valable dix ans.

La carte pluriannuelle permettra en outre de désengorger les préfectures. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 5 millions de passages en préfecture sont enregistrés chaque année, pour 2,5 millions d’étrangers extracommunautaires. L’idée est de faciliter le travail des agents et de réduire le contentieux subséquent. Qualifié de « contentieux de masse », celui-ci est traité à la chaîne par les magistrats, alors même qu’il concerne des personnes dont le sort est parfois dramatique. Il est nécessaire de faire évoluer notre mode de gestion de l’accueil de ces personnes, souvent confrontées à des situations difficilement acceptables.

Le contrôle qui accompagnera la délivrance de ce titre pluriannuel sera continu : l’étranger titulaire d’une carte de séjour, qu’elle soit temporaire ou pluriannuelle, devra pouvoir justifier à tout moment de la régularité de sa situation.

Le travail de la commission à ce sujet a été fructueux ; selon les termes de notre rapporteur, la rédaction de l’article 8 a été rendue « moins soupçonneuse et plus objective ». Nous souhaitons que les contrôles et les convocations nécessaires pour s’assurer du maintien de l’étranger dans son droit au séjour s’effectuent dans le respect des droits et libertés. Veiller scrupuleusement au respect du droit ne signifie pas que le scepticisme et le soupçon doivent l’emporter sur l’analyse objective de la situation.

J’ai évoqué l’enrichissement de nos sociétés par les étrangers. La recherche des meilleurs talents est nécessaire, d’autant que nous ne sommes pas les seuls, faut-il le rappeler, à souhaiter les attirer. L’arrivée de travailleurs qualifiés, la venue de chercheurs, d’artistes ou d’entrepreneurs sur notre territoire sont autant d’atouts pour notre croissance économique et pour notre rayonnement international.

Nous saluons donc la volonté de renforcer l’attractivité de la France et de simplifier les procédures. Le « passeport talent » permet de regrouper dans un seul et même document les différents titres de séjour existants. Il sera délivré aux personnes présentant un fort potentiel économique ou culturel, ainsi qu’à leur famille. D’une validité de quatre ans et délivré dès l’arrivée sur le territoire, le « passeport talent » sera un atout incontestable.

Dans le même sens, nous nous félicitons des dispositions concernant l’accueil des étudiants étrangers. Ils pourront se voir délivrer une carte pluriannuelle, dont la durée de validité sera égale à celle de la formation suivie. À l’issue de leurs études, les plus brillants d’entre eux bénéficieront d’une autorisation provisoire de séjour, afin de simplifier le passage du statut d’étudiant à celui de salarié, voire d’entrepreneur.

Par ailleurs, nous approuvons la volonté d’assouplir la législation et de poser le principe selon lequel un étranger malade, qui n’aurait pas accès à un traitement approprié dans son pays d’origine pour des raisons financières, de salubrité ou d’accessibilité, peut être autorisé à être soigné en France.

La décision de délivrer la carte de séjour sera désormais prise après avis d’un collège de médecins du service médical de l’OFII, et non plus sur le fondement d’un avis du médecin de l’agence régionale de santé. Nous ne partageons pas les arguments plaidant en faveur de ce transfert de compétence du ministère de la santé vers le ministère de l’intérieur, ainsi que s’en est ému, parmi d’autres, le Défenseur des droits. Ce traitement particulier place l’étranger malade avant tout comme un étranger. Vous avez précisé en commission, monsieur le ministre, que les médecins de l’OFII agiront sous le contrôle exclusif du ministère de la santé. Nous aimerions en savoir davantage.

M. Sergio Coronado. Très bien !

M. Olivier Marleix. Et pour les Français, que faites-vous ?

M. Joël Giraud. S’agissant de la lutte contre l’immigration irrégulière et du démantèlement des réseaux frauduleux, le texte vise à renforcer le régime des mesures d’éloignement. Il entend limiter le recours à la rétention administrative, méthode la plus communément utilisée en France en vue de préparer l’éloignement contraint, pour lui préférer l’assignation à résidence. C’est une intention louable puisque l’assignation est exclusive de toute contrainte physique, alors même qu’elle constitue un dispositif de surveillance. Le placement en rétention est principalement motivé par la difficulté d’assurer effectivement la préparation de l’éloignement du territoire dans le cadre de l’assignation à résidence, si la personne ne collabore pas pleinement.

Le texte précise donc, logiquement, que le placement en rétention est conditionné par l’insuffisance des garanties de représentation effectives, propres à prévenir le risque de se soustraire à l’obligation de quitter le territoire français. Il ne s’agit aucunement, comme on a pu le lire dans un quotidien du matin, ou l’entendre dans la motion de rejet, de faire plaisir aux passeurs ou aux trafiquants, mais de rendre le cadre juridique plus adéquat et de s’assurer que l’autorité administrative pourra effectivement exécuter les mesures qu’elle aura décidées, en écho à l’objectif d’efficacité posé par la directive « retour », sur laquelle le texte revient.

Les textes européens prévoient que les étrangers soumis à des mesures d’éloignement fassent également l’objet d’une interdiction de retour sur le territoire, mais cette règle n’est qu’exceptionnellement appliquée en France. Le texte vise à rectifier cette erreur pour permettre aux préfectures d’être plus efficaces, en leur évitant de délivrer une obligation de quitter le territoire français chaque fois qu’un étranger se soustrait à une mesure d’éloignement. Nous soutenons cet effort de transposition, ébauche d’une réponse européenne commune aux questions migratoires, seule solution viable à la crise migratoire que connaît l’Europe.

Ainsi, pour toutes les raisons que je viens d’évoquer, vous l’aurez compris, le groupe des radicaux, républicains, démocrates et progressistes votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme la présidente. La parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. Ce projet de loi intervient dans un contexte extrêmement préoccupant, sur lequel nous avons déjà insisté lors de nos discussions relatives au droit d’asile. Les mouvements migratoires s’intensifient au gré des conflits armés, des persécutions et de la pauvreté. Depuis le début de l’année, plus de 100 000 migrants sont arrivés en Europe, tandis que des centaines de personnes sont mortes dans leur périple. Beaucoup ont été violemment refoulés hors des frontières européennes.

Dans ce contexte d’accroissement des flux migratoires et alors que se multiplient les drames aux portes de l’Europe, nous tenons à rappeler le caractère universel du principe constitutionnel d’égalité qui ne saurait tolérer la moindre distinction entre ressortissants nationaux et ressortissants étrangers s’agissant de la garantie des droits fondamentaux attachés à la personne humaine.

Les députés du Front de gauche réaffirment leur volonté de mener une politique ambitieuse et généreuse à l’égard des étrangers, fondée sur le respect des droits et libertés fondamentaux. La France doit faire preuve de responsabilité et garder à l’esprit l’immense apport humain et matériel que les étrangers lui ont déjà offert.

Non, la présence des immigrés en France n’est pas un problème. Les migrants ne doivent pas être perçus comme un fardeau pour la société. Aussi faut-il en finir avec la politique migratoire répressive menée depuis plusieurs années, qui réduit le migrant à la figure du clandestin destiné à être expulsé.

Dans cette perspective, nous partageons a priori l’ambition affichée par ce projet de loi tendant à sécuriser le parcours d’intégration des ressortissants étrangers, à contribuer à l’attractivité de la France et à traiter les situations de séjour irrégulier en garantissant la protection des libertés individuelles.

Ce projet de loi comporte des avancées pour les migrants, qu’il s’agisse de la sécurisation de leurs parcours ou de l’accès aux droits. Reste que ces avancées sont, pour le moins, nuancées par des mesures très restrictives d’accès aux droits.

S’agissant tout d’abord de l’accueil des étrangers, on peut se réjouir de la volonté d’individualiser davantage le parcours d’intégration des primo-arrivants en France. À cet égard, l’idée d’un contrat « personnalisé » permettra de mettre fin à la trop grande standardisation des prestations proposées dans le cadre de l’actuel contrat d’accueil et d’intégration.

On peut également se féliciter de la suppression des « précontrats d’accueil et d’intégration » et des « contrats d’accueil et d’intégration pour la famille » à destination des familles bénéficiant du regroupement familial. Pour autant, il faut regretter que le projet de loi ne change pas fondamentalement la logique du contrat d’accueil et d’intégration. Celui-ci, rebaptisé « contrat d’intégration républicaine », demeure malheureusement destiné avant tout à maîtriser les flux migratoires. Surtout, on ne peut accepter que le contrat d’intégration républicain conditionne la délivrance d’une carte pluriannuelle de séjour, dès lors, comme le souligne la Commission nationale consultative des droits de l’homme – CNCDH – que seuls les préfets et les maires auront la responsabilité d’apprécier la condition d’intégration, qui dépendra de la preuve de l’assiduité et du sérieux de l’étranger dans le suivi des formations dispensées par l’État.

Pour notre part, nous réfutons cette logique d’insertion-stabilisation suivant laquelle la signature du contrat d’intégration républicaine est nécessaire à l’obtention d’un titre de séjour. Nous considérons au contraire que c’est d’abord la garantie de stabilité du séjour qui permet de faciliter l’insertion de l’étranger.

S’agissant du séjour, on ne peut a priori que partager l’ambition affichée de sécurisation du droit au séjour des étrangers par la délivrance de titres plus pérennes. On peut ainsi se féliciter du principe de la pluriannualité du titre de séjour. Malheureusement, ce principe souffre de nombreuses exceptions. Ainsi, la durée de la carte dite pluriannuelle, en principe de quatre ans, ne sera que de deux ans pour les conjoints de Français, les parents d’enfant français et les personnes ayant des liens personnels et familiaux en France. Pour les étudiants, la carte délivrée correspond à la durée des études. Pour les étrangers malades, sa durée est égale à celle des soins. Surtout, notons que la préfecture pourra contrôler le droit au séjour et retirer le titre pluriannuel à tout moment.

De surcroît, le projet de loi n’organise ni l’automaticité de la délivrance d’une carte de résident de dix ans, ni le renouvellement du titre pluriannuel de quatre ans. En pratique, l’administration pourra donc très bien délivrer un nouveau titre d’un an à l’issue des quatre années de séjour régulier, ce qui serait de nature à précariser la situation des intéressés. Comme la CNCDH, nous considérons que seul un titre de séjour pérenne et sécurisé permettrait aux étrangers d’accomplir dans de bonnes conditions les actes usuels de la vie courante, préalables nécessaires à une intégration réussie. Bref, le titre pluriannuel ne règle pas le problème de la précarisation du séjour.

En termes d’accès aux droits, des avancées sont à saluer : accès facilité des étudiants désireux de changer de statut, accès aux droits sociaux des salariés en mission, critères plus favorables d’accès au séjour pour raison médicale. Pour autant, plus spécifiquement s’agissant des étudiants, les améliorations restent ténues puisque la principale innovation est la carte de séjour pluriannuel, dont la durée ne sera jamais égale à quatre années. Pour ce qui est des étrangers malades aussi les mesures du projet de loi restent timides. Si les critères d’accès au séjour pour raisons médicales sont plus favorables, le transfert à l’OFII de l’évaluation médicale avant la décision relative à la délivrance de la carte constitue une réelle source d’inquiétude.

S’agissant de l’éloignement, nous regrettons que le projet de loi complexifie le contentieux de l’éloignement en créant une nouvelle procédure dérogatoire au droit commun et en instaurant une interdiction de retour automatique.

Concernant l’éloignement des ressortissants de l’Union européenne, nous sommes opposés à la possibilité d’assortir l’obligation de quitter le territoire français « d’une interdiction de circulation sur le territoire français d’une durée maximale de trois ans ». Cette mesure, comme le souligne le Défenseur des droits, vise en réalité les Roms, dont il n’a de cesse de dénoncer la stigmatisation. Cette grave atteinte à la liberté de circulation s’inscrit dans la droite ligne des politiques restrictives appliquées aux droits des citoyens de l’Union.

S’agissant de la rétention, le projet de loi entend mettre notre législation en conformité avec la directive « retour », qui prévoit que la rétention ne devrait être utilisée qu’en dernier recours, en faisant de l’assignation à résidence le principe et de la rétention l’exception.

A priori, on devrait se féliciter de cette mesure, mais le caractère subjectif des motifs du placement en rétention laisse une marge d’appréciation considérable à l’administration, qui peut conduire en pratique à un recours quasi-systématique à cette mesure coercitive. Par ailleurs, on doit déplorer une nouvelle fois le maintien d’un régime d’exception en outre-mer, avec une protection juridique au rabais.

Enfin, on doit regretter les nombreux silences du projet de loi. Il ne modifie rien dans le dispositif d’entrée sur le territoire et de maintien en zone d’attente, qui permet l’enfermement des mineurs, et ne prévoit pas de recours suspensif contre les mesures de refoulement. Il n’améliore pas l’intervention du juge des libertés et de la détention pour les personnes placées en centre de rétention administrative. Il ne dit rien des travailleurs sans-papiers, ni des parents d’enfants malades, ni des victimes d’accident du travail ou de maladie professionnelle, ni des personnes malades, enfermées ou assignées à résidence.

En définitive, vous l’aurez compris, nous sommes déçus par ce projet de loi, déçus par votre politique migratoire qui ne marque aucune volonté de rupture avec les réformes précédentes.

La législation sur les étrangers demeure très complexe et presque illisible pour les principaux intéressés. Nous souhaitons que le texte évolue vers une meilleure garantie et effectivité des droits et libertés fondamentaux des étrangers. Tel est le sens des amendements que nous avons déposés.

Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Descamps-Crosnier.

Mme Françoise Descamps-Crosnier. Pour la première fois de cette législature, nous sommes amenés à légiférer au sujet de l’immigration. Après le projet de loi relatif à l’asile, heureusement séparé de l’examen de ce texte, nous poursuivons ainsi nos travaux quant au droit des étrangers.

Le sujet migratoire est profondément lié au rapport que notre pays entretient au monde, comme il soulève des questions essentielles quant à l’idée qu’il se fait de lui-même. Il est loin de n’être qu’un débat essentiellement intérieur : notre approche de l’immigration est attentivement suivie à l’étranger. La France saura-t-elle restaurer la tradition humaniste qui fut longtemps la sienne ? Ou entérinera-t-elle le repli identitaire et l’instrumentalisation politique de l’immigration qui a marqué sa politique dans la dernière décennie ?

Nous avons l’occasion historique, à travers ce débat, de restaurer ce qui fait l’identité de notre pays, la crédibilité du message universel que la France adresse au reste du monde. Nous devons le faire en tenant compte du moment dans lequel nous nous inscrivons : celui d’une mondialisation toujours plus accrue, celui d’une montée des inégalités et des crises à l’échelle internationale, celui d’une période économique difficile en Europe, celui d’une tension certaine du point de vue de notre cohésion sociale.

Nous traversons en effet un moment délicat pour ce qui concerne les flux internationaux, qui se tournent vers l’Europe en raison des bouleversements géostratégiques et des crises que chacun connaît, notamment en Méditerranée. Aussi nous faut-il être vigilants dans notre politique migratoire. Les récentes évolutions du cadre juridique européen de l’immigration nous y invitent.

Il s’agit donc de restaurer la tradition humaniste de la France tout en tenant compte du contexte économique et social qui est le nôtre. Pour atteindre ce point d’équilibre, il convient avant tout de partir des faits, et non des fantasmes que certains se sont savamment acharnés à entretenir ces dernières années.

De ce point de vue, je veux saluer la qualité du rapport rédigé par Erwann Binet. Les chiffres qui y sont présentés contribuent grandement à la qualité et à la sérénité de nos débats, et démentent un certain nombre d’idées reçues largement diffusées.

Nous y apprenons que la France accueille depuis dix ans environ 200 000 personnes par an, soit 0,3 % de la population, et que cette proportion compte parmi les plus faibles d’Europe. Nous n’avons jamais été aussi efficaces dans le démantèlement des filières d’immigration illégale, avec une progression de 14 % en 2013 par rapport à l’année précédente, les chiffres de 2014 confirmant cette tendance.

Nous y apprenons encore que le nombre de naturalisations accordées ces dernières années, s’il se redresse, renouant par là même avec une volonté républicaine d’intégration, demeure inférieur aux chiffres de 2010 par exemple. Nous sommes donc loin d’une immigration massive et incontrôlée que certains se plaisent à agiter devant les Français.

M. Olivier Marleix. M. Valls, par exemple ?

Mme Françoise Descamps-Crosnier. Il convient donc, là encore, de tenir compte de la nécessaire tradition d’accueil de la France, par ailleurs indispensable à son attractivité économique, et du pragmatisme que nous imposent aussi bien la situation économique nationale et européenne que le contexte international. Ce projet de loi a pour objet de répondre à cette difficile équation entre la restauration de notre tradition d’accueil, la modernisation de notre cadre juridique et le contexte international que nous connaissons, en sécurisant l’immigration légale et en dotant le pays d’outils renforcés pour mieux lutter contre l’immigration illégale.

Sur le premier volet, il substitue une logique d’accompagnement à une logique de contrainte en matière d’accueil et d’intégration, avec la création d’un véritable parcours où la République doit être omniprésente. Il modernise le régime des visas en permettant au pays d’accueillir plus facilement les talents, notamment les étudiants, et en prévoyant l’adéquation des titres de séjour pluriannuels, dont la généralisation est proposée par ailleurs, avec le cursus d’enseignement suivi. Nous revenons ainsi pour de bon sur l’esprit qui avait inspiré la circulaire Guéant, dont chacun avait pu apprécier la nocivité du point de vue de notre attractivité, et c’est heureux.

En contrepartie des avancées obtenues pour la stabilisation et la facilitation des conditions de séjour, le système de contrôle est renforcé de manière à pouvoir intervenir dès que l’intérêt public est en jeu.

La commission des lois, ou du moins sa majorité, a grandement contribué à l’amélioration du texte sur toute une série d’aspects comme l’amélioration de la lisibilité des décisions administratives ou encore la meilleure prise en compte du droit au respect de la vie privée et familiale.

La commission a également avancé sur le sujet des immigrés âgés. En tant qu’ancienne membre de la mission d’information dont le rapport rédigé par Alexis Bachelay avait été adopté à l’unanimité en janvier 2013, je tiens à souligner qu’a déjà été intégrée dès le stade de la commission la proposition n11 permettant aux personnes ayant effectué au moins deux renouvellements de leur carte de résident d’obtenir automatiquement une carte de résident permanent sous certaines conditions.

Le travail parlementaire apporte ainsi une contribution décisive. Il s’agit là d’une mesure pressante de justice sociale : alors que le sujet du vieillissement émerge comme une question sociale majeure, ce serait renier la promesse républicaine d’égalité que de ne pas assurer aux immigrés âgés, qui ont mis leur force de travail au service du pays, les moyens de vivre librement et dignement leur vieillesse.

D’autres propositions issues de ce rapport seront présentées en séance, notamment par le groupe socialiste dont je salue le travail à travers sa responsable, Marie-Anne Chapdelaine. Je souhaite bien évidemment que l’Assemblée nationale, dans sa grande sagesse, fasse siennes ces propositions, et ce sur l’ensemble des bancs, dans le même esprit qui avait présidé aux travaux de la mission d’information.

Ainsi, la France renouera avec ce qui a fait son identité pendant de longues années et qu’ont illustré de grands étrangers – qu’ils le soient restés ou qu’ils aient acquis la nationalité française – qui ont contribué à l’histoire nationale. L’immigration a fait notre pays : les millions de Français qui ont des ascendants d’origine étrangère à moins de trois ou quatre générations le savent mieux que quiconque. Il y a là quelque chose qui est dans l’ordre naturel des choses pour un grand pays comme le nôtre. La France a l’ambition de contribuer au monde, d’y porter haut son message et ses valeurs universelles.

C’est pour ces raisons que je vous invite à débattre de ce texte et à l’améliorer afin qu’il soit à la hauteur de notre ambition. Et si vous m’accordez, madame la présidente, quelques secondes supplémentaires, je vous invite tous, pour votre réflexion personnelle et notre réflexion collective, à lire ce beau texte de sociologie : la Digression sur l’étranger de Georg Simmel, écrit en 1908 et repris dans de très nombreux articles. L’auteur y explique que l’étranger est à la fois partie prenante à la société d’accueil, avec laquelle il entretient en même temps un rapport particulier. Cela peut sans doute nous amener à comprendre beaucoup de choses. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme la présidente. La parole est à M. Guy Geoffroy.

M. Guy Geoffroy. Incontestablement, monsieur le ministre, vous êtes habile. Cependant, et malheureusement pour vous, nous ne sommes pas naïfs au point de céder aux arguments que cette habileté vous fait manier.

Pendant l’examen du texte sur l’asile, vous avez passé une très grande partie de votre temps à nous dire et nous répéter, avec une grande force, je le reconnais, qu’il était impossible de parler au même instant d’asile et d’immigration. Vous avez exprimé les choses avec tant de force que vous êtes parvenu à convaincre un grand nombre d’élus de l’opposition de voter ce texte sur l’asile, l’engagement ayant été pris par vos soins que le jour viendrait – nous y sommes – où nous discuterions des questions d’immigration dans un texte présenté à cet effet.

Toutefois, votre habileté cache sans doute une grande ambiguïté et un grand embarras. Des quarante-cinq minutes qu’a duré votre intéressante et même brillante intervention liminaire, vous avez consacré les vingt-trois premières, soit plus de la moitié de votre propos, à reprendre ce que vous aviez nié, c’est-à-dire le lien incontestable entre immigration et déboutés du droit d’asile. Lorsqu’il s’est agi de répondre à l’intervention de Guillaume Larrivé, l’essentiel de votre propos a également porté sur ce sujet. Permettez-moi de vous le dire : vous êtes ainsi démasqué ! Il existe bien un lien que vous avez nié et que vous assumez aujourd’hui bien malgré vous entre déboutés du droit d’asile et immigration irrégulière.

Peut-être pensez-vous, mais là vous faites erreur, qu’ayant tenu votre engagement, point par lequel vous avez également commencé votre intervention en commission des lois, vous inciteriez notre groupe à approuver ces dispositions sur l’immigration, puisque vous allez jusqu’à nous les présenter comme des mesures parfaitement équilibrées.

Or, ce texte n’est pas équilibré. Comme le disait M. Goasguen, il est même particulièrement décalé.

M. Alexis Bachelay. Si c’est M. Goasguen qui le dit, alors c’est sûrement vrai !

M. Guy Geoffroy. Il a été écrit il y a un an et dans cette année, beaucoup de choses se sont passées. Il est même plus que décalé : il est périmé. Non seulement il est périmé, mais il est totalement déséquilibré et dangereux.

Au fond, il ne s’agit pas de parler du droit des étrangers mais plutôt d’énumérer les uns après les autres les droits qu’ont les étrangers. Certes, lorsqu’ils résident dans notre pays en situation régulière, les étrangers ont des droits : c’est normal et c’est bien. Ces droits doivent être valorisés, respectés et promus. Néanmoins, lorsque l’on entend orienter systématiquement le débat vers les étrangers et leurs droits, surtout dans la période actuelle, on commet à mon sens une erreur factuelle et circonstancielle et, probablement, une faute contre la nation.

En 2012, vous aviez déjà planté le décor avec votre majorité à l’occasion de plusieurs textes, notamment la circulaire Valls accordant des facilités pour régulariser la situation de quelques étrangers en situation irrégulière, ou encore cette fameuse et scandaleuse disposition concernant l’aide médicale d’État – AME – en vertu de laquelle un étranger en situation régulière paie sa quote-part de la CMU alors que l’un de ses concitoyens en situation irrégulière ne paie rien.

Aujourd’hui, vous abondez en éléments nouveaux qui créent le déséquilibre que nous dénonçons avec force, tranquillité et fermeté. En effet, supprimer, ou du moins reléguer en deuxième position la rétention administrative, que vous-même, monsieur le ministre, et certains membres de la majorité présentez comme le pire des pires alors qu’elle est organisée de manière tout à fait convenable dans notre pays – nous sommes nombreux à visiter les centres de rétention administrative avec assez de régularité pour pouvoir l’attester – et cela en prétendant que l’assignation à résidence permettra de régler la question du retour dans leur pays des déboutés du droit d’asile, c’est une hérésie pure et simple ! C’est pourtant ce que vous avez le culot de faire.

Enfin, je conclurai – mes collègues poursuivront à leur manière – en évoquant cette carte pluriannuelle. Elle créera un appel d’air et l’illusion que le séjour, une fois acquis la première année, est acquis pour plus longtemps, voire de manière quasi définitive. Au final, vous aurez en effet réglé un problème : celui des queues devant les préfectures. Sans doute, avec le cynisme que l’on vous connaît, pourrez-vous prétendre que c’est grâce à vous, grâce à cette loi que l’immigration est régulée, puisqu’il y a beaucoup moins de monde le matin devant les préfectures.

En somme, ce texte n’est pas un texte d’équilibre : c’est un texte de déséquilibre et d’ambiguïté, qui aurait dû être traité au même moment que le texte sur l’asile, dont nous avons débattu de manière assez raisonnable. Ce texte n’est pas anodin : il est dangereux. C’est la raison pour laquelle comme tous mes collègues du groupe Les Républicains, je voterai délibérément et fermement contre. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marion Maréchal-Le Pen.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Même musique, mêmes paroles !

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Rien de mieux que les vacances d’été pour voter des textes dans le dos des Français. Après la loi Macron, le droit d’asile et la réforme territoriale, voici une énième réforme sur le droit des étrangers en France. C’est un sujet sensible et fondamental qui révèle la grande fracture entre les attentes du peuple français et les actions des politiques.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : au début 2014, 2,9 millions d’étrangers étaient détenteurs d’un titre de séjour, un chiffre en hausse constante depuis 2009. En 2013, environ 204 000 premiers titres de séjour ont été délivrés et une hausse des naturalisations a permis à 97 300 personnes de devenir françaises. Sous la droite, la population étrangère a augmenté de 1,9 million entre 1999 et fin 2008, selon la démographe Michèle Tribalat. À ce flux continu s’ajoute l’immigration illégale qui a conduit, entre autres, 100 000 clandestins à s’échouer tristement sur les côtes européennes depuis janvier.

À l’absence de politique européenne s’ajoutent des mesures nationales de plus en plus favorables au droit des étrangers légaux ou illégaux, comme le révèle ce texte. Votre mesure phare, la nouvelle carte pluriannuelle, permet à un étranger présent depuis douze mois d’être dispensé du renouvellement annuel de son titre de séjour pour une durée de plusieurs années.

Sous couvert de simplification administrative, ce qui pourrait se justifier, cette mesure occulte le véritable sujet qui devrait nous occuper : le renouvellement quasi automatique de ce titre et sa large délivrance, mais surtout ses conséquences on ne peut plus claires qui sont présentées dans le rapport que Matthias Felk a remis en mai 2013.

Plusieurs députés du groupe socialiste, républicain et citoyen. Matthias Fekl !

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Pardon, et merci de me corriger : cela prouve que vous êtes attentif, c’est bien !

Je cite ledit rapport : « Cela impliquerait que pour les ressortissants étrangers ayant vocation à demeurer durablement sur le territoire, le titre pluriannuel permette […] de préparer la délivrance d’une carte de résident, et, le cas échéant, à la naturalisation ». L’objectif est clair : il consistera à faciliter toujours davantage l’accès à la nationalité française.

Autre mesure : le « passeport talent », qui vise à attirer pas moins de 10 000 personnes, explosant ainsi les trois cents titres délivrés par an pour ce motif. C’est une politique d’immigration choisie qui ne dit pas son nom, pillant sans complexe les pays en voie de développement alors même que notre pays connaît une hémorragie de ses propres talents puisqu’en 2013, 27 % des jeunes diplômés cherchant un emploi envisageaient l’émigration. Ce sujet n’est d’ailleurs jamais abordé dans cet hémicycle.

Sans compter que ce passeport talent ouvre droit au regroupement familial. Ce droit vient aussi d’être ouvert aux réfugiés et aux bénéficiaires de la protection subsidiaire. Cette immigration familiale, en augmentation constante depuis 2011, représente 45 % des titres délivrés en 2013, bien loin devant l’immigration professionnelle et pour un coût de plus en plus élevé pour notre pays.

La carte pluriannuelle incitera également les étudiants étrangers à se maintenir sur le territoire français à la fin de leur cycle. Cette filière de savoir et de solidarité pour les pays en voie de développement s’est transformée en véritable pompe aspirante de leurs talents et de leurs cadres – une nouvelle filière d’immigration dévoyée. Il n’y a là rien de très surprenant lorsque l’on constate l’ensemble des droits qu’ouvre une inscription à la faculté – Sécurité sociale étudiante, services du CROUS, logement étudiant ou encore tarifs préférentiels… Le nombre de doctorants est d’ailleurs étonnamment élevé.

Autre vanne ouverte à fond : celle de l’immigration sanitaire. On savait déjà que la procédure « étranger malade » était habilement utilisée par les déboutés de l’asile. Désormais, la délivrance de la carte de séjour se fera en fonction de l’offre de soins et des caractéristiques du système de santé du pays de l’étranger.

Cette approche beaucoup plus subjective penche vers un dangereux assouplissement de la procédure alors qu’au cours des dernières semaines les hôpitaux de Paris ont fait état de 120 millions d’euros d’impayés et que, selon Yves-Marie Laulan, docteur en science économique, les coûts de l’immigration sur la santé s’élèvent à environ 6 milliards d’euros par an – parmi lesquels la fameuse AME, l’aide médicale de l’État, dont l’accès a encore été facilité lors de votre arrivée au pouvoir.

Cette envolée des coûts confirme la nécessité d’instaurer la priorité nationale pour les prestations sociales – je pense notamment aux allocations familiales et au RSA qui, accessible avec un titre de séjour délivré pendant cinq ans, est concerné par les dizaines de milliers de titres de séjour enregistrés chaque année – mais aussi de refuser le renouvellement des titres de séjour aux étrangers chômeurs qui ne peuvent évidemment subvenir à leurs besoins et pèsent donc sur la communauté nationale, même s’ils n’en sont pas, je vous l’accorde, directement responsables.

L’immigration irrégulière ne cesse de prospérer : environ 400 000 étrangers en situation irrégulière se trouvent actuellement chez nous, selon les chiffres officiels. Or strictement rien n’est prévu pour régler la situation. Au contraire, vous faites de l’assignation à résidence la règle et la rétention l’exception ! L’assignation constitue pourtant pour les forces de l’ordre un obstacle supplémentaire à l’éloignement des déboutés au droit d’asile, ces derniers pouvant plus facilement s’évaporer dans la nature.

Votre contrat d’accueil et d’intégration restera une mesure cosmétique tant qu’aucun examen final n’évaluera réellement les compétences acquises. Le niveau de français exigé est insuffisant, la suppression des valeurs de laïcité et de l’égalité homme-femme dans le parcours civique laisse pantois au moment où l’islam radical, en progression sur le territoire, s’emploie précisément à combattre ces valeurs. Quand on sait qu’au bout de votre contrat se trouve potentiellement la naturalisation, il y a de quoi s’inquiéter !

Votre politique migratoire comptable, qui considère que les hommes et les peuples sont interchangeables en fonction des besoins du marché, est dangereuse et nous en mesurons tous les jours les conséquences. C’est pourquoi je voterai contre ce texte.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Michel Clément.

M. Jean-Michel Clément. Le texte que nous examinons aujourd’hui s’inscrit dans un contexte particulier caractérisé par l’afflux d’un nombre toujours plus important d’immigrés en provenance des pays d’Afrique, pays en guerre ou pays en crise. Il s’inscrit aussi dans un contexte dans lequel les approches de cette question sont diverses et les politiques européennes indécises à se mettre en œuvre, selon que l’on est un pays frontalier de cette misère humaine, un pays de transit ou de destination, ce dernier étant prétendument idéalisé par la personne migrante.

Parallèlement à la brutalité de ces événements, il y a toujours eu et il y aura toujours des mouvements migratoires. Mais tous n’ont pas la même origine. On distingue l’immigration illégale d’une part, contre laquelle il convient de lutter le plus efficacement possible, et l’immigration légale d’autre part, qu’il convient de sécuriser.

Nos réflexions, à l’instant où nous abordons l’examen de ce texte, doivent être empreintes de la plus grande sérénité et fondées sur des bases les plus objectives possibles afin de rompre avec une logique inacceptable, mais trop souvent entendue, de stigmatisation de l’étranger.

Cette stigmatisation est contraire aux valeurs universelles constitutives des droits de l’homme qui sont les nôtres. Il conviendra d’en poser les principes, mais aussi de définir avec la plus grande précision les conditions de leur application, parce que nous voyons encore trop de décisions de l’administration dans lesquelles l’arbitraire donne l’impression d’être la règle. Quand l’État est trop souvent condamné, c’est qu’il est nécessaire de légiférer.

Accueillir un étranger, c’est d’abord établir un contrat avec lui pour définir un parcours personnalisé d’intégration républicaine reconnaissant nos règles de vie commune, qu’il s’agisse de l’apprentissage de la langue ou de la vie en société.

Accueillir un étranger, c’est inscrire cette démarche dans une durée. Le texte a retenu la durée de quatre ans, en contrepartie de modalités de contrôle. S’agissant de ce dernier, il conviendra d’être suffisamment précis dans les circulaires d’application pour ne pas retomber dans les errements que j’évoquais précédemment.

Accueillir un étranger, c’est aussi lui permettre d’accéder à des formations qui ne sont pas dispensées dans son pays d’origine. C’est une autre manière de participer au co-développement nécessaire à toute politique d’immigration.

De toutes ces mesures nous devons être fiers, et les assumer tout en luttant efficacement contre l’immigration illégale. Il ne saurait sur ce sujet y avoir de double langage : sécuriser les parcours des ressortissants étrangers en France, ainsi que le préconisait Matthias Fekl dans son rapport, ne signifie pas manquer de fermeté en matière de lutte contre l’immigration illégale.

Dans le texte dont nous discutons ici, après son passage en commission, il reste un certain nombre de dispositions qu’il conviendra de repréciser et certainement de faire évoluer par voie d’amendements. Car les situations rencontrées sont tellement complexes que l’on pourrait penser que le texte ne réglera que certaines d’entre elles.

Je pense à la proposition émanant de notre commission de délivrer une carte de séjour aux personnes victimes de violences familiales : cette possibilité ne concerne que les personnes mariées, alors que nous savons que les violences conjugales touchent pareillement partenaires et concubins. De la même manière, la régularisation de plein droit pour les personnes ayant passé de nombreuses années dans notre pays, plus de dix ans, n’est pas, selon moi, suffisamment prise en compte dans le projet de loi.

Je voudrais ici témoigner de deux situations qu’il m’a été donné de connaître, pour souhaiter qu’elles ne se reproduisent plus. Je pense à ce citoyen américain qui avait vécu plus de dix ans en France, y avait transféré tous ses avoirs, avait investi dans la sauvegarde de notre patrimoine bâti et participé à la création artistique, notamment au festival d’Avignon : on lui a demandé de repartir six mois aux États-Unis avant de revenir en France afin de régulariser sa situation !

J’ai également à l’esprit la situation d’un autre ressortissant américain qui vit depuis plus de dix ans en France, né aux USA d’un père américain et d’une mère française, tout comme ses frères aînés qui, eux, bénéficient de la double nationalité. On lui a signifié la même obligation de retour, pour cause de revenus insuffisants, au moment du renouvellement de son titre de séjour. Cette nécessité d’un titre de séjour s’explique par un motif historique qui se trouve être aujourd’hui d’actualité : après les incidents de la baie des Cochons à Cuba en 1961, le gouvernement américain a pris des mesures de rétorsion qui ont fait de cet homme un citoyen américain. Il n’a donc pu prétendre à la double nationalité. Le paradoxe, c’est que ses frères, qui en bénéficient, vivent en Amérique, tandis que lui, qui a décidé de vivre en France, est un citoyen américain aux yeux de notre législation. Disons qu’il se trouve face au mur de l’incompréhension…

Demain de telles situations ne se reproduiront plus, ce qui allégera le travail de nos préfectures et redonnera à notre législation tout son sens, celui de l’accueil, qui est une valeur de notre République mais peut être remis en cause pour peu que la règle soit imprécise ou interprétable à l’envi.

Pour autant, ce projet de loi constitue à n’en pas douter une rupture avec les errements du passé et c’est confiants que nous abordons l’examen d’un texte dont notre majorité pourra s’enorgueillir. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Françoise Bechtel.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Ceux d’entre nous qui ont de près ou de loin participé aux différents textes qui se sont succédé, parfois à un rythme accéléré, depuis une bonne trentaine d’années sur le sujet qui nous occupe ce soir pourraient être envahis par le sentiment d’un éternel retour.

D’un côté, en effet, des problèmes toujours à peu près identiques, avec des masses de chiffres qui n’ont que peu évolué, liés à l’entrée sur le territoire, aux conditions de séjour et à la sortie du territoire. De l’autre, l’affrontement d’idéologies opposées tendant de part et d’autre à la caricature : dénonciation de l’immigration clandestine, sur fond d’affolement plus ou moins orchestré, contre bons sentiments et oubli de quelques réalités qu’il est parfois peu confortable de reconnaître.

Mais nous avons évolué et je crois, pour ma part, que depuis une quinzaine d’années nous avons gagné sur plusieurs points : d’abord le principe selon lequel un État républicain se doit d’être ferme envers des mouvements migratoires injustifiés, ce qui, je crois, n’est plus contesté par personne, ensuite le fait de considérer que la question de l’intégration ne peut plus être éludée. Regarder ces deux réalités en face est peut-être l’essentiel de notre exercice.

Je voudrais pour l’instant me concentrer sur les principes. Pour ce qui est des modalités du dispositif, j’interviendrai sur les différents articles du texte.

Fallait-il d’abord une nouvelle législation sur l’immigration elle-même ? Je réponds oui, en raison du désordre qui s’est créé aux frontières de l’Europe. La politique intérieure est tributaire, si elle n’est comptable, des graves erreurs qui ont conduit, en Afrique et au Moyen-Orient, à l’éclatement des États, avec leur cortège de populations qui n’obéissent à d’autres règles que celles des passeurs.

Ce problème doit être résolu avec les moyens dont dispose l’État de droit et c’est pourquoi il sera important d’évaluer le nouveau dispositif d’assignation à résidence. J’entends bien que certains de nos collègues le trouvent faible, mais que proposent-ils à la place, cher Guillaume Larrivé ? Un contrat de retour ! Bel exemple de nominalisme juridique, totalement à côté des réalités.

M. Guillaume Larrivé. Que pensez-vous de l’allongement de la durée de la détention administrative ?

Mme Marie-Françoise Bechtel. Il était déjà difficile de convaincre les États, lorsqu’ils existaient, de contrôler les flux et de permettre les retours, sans parler des allers-retours liés au co-développement. Alors que dire de cet engagement individuel, qui se heurtera nécessairement à des stratégies personnelles de retour déjà parfaitement perceptibles ? Et ce sont les mêmes qui nous parlent de politiques décalées, voire, comme je l’ai entendu, périmées ! Tout cela est assez extraordinaire.

Fallait-il ensuite une nouvelle législation sur les étrangers, que je ne confonds pas avec une législation sur l’immigration, car les deux sont bel et bien présentes dans ce texte ? Je réponds encore une fois oui, dans la mesure où l’intégration des populations étrangères n’est plus un fait qui va de soi. Certes, l’apport des étrangers reste partie intégrante de cet enrichissement continu qui a fait l’identité française et tout le monde, d’une manière plus ou moins franche, le salue, mais il est aujourd’hui indispensable de s’attaquer aux réalités.

La France n’est pas une terre privilégiée d’immigration, pas plus d’ailleurs que l’Europe tout entière. Ce qui pose problème, ce n’est pas la quantité, si j’ose dire – je l’ai dit, les masses restent comparables – mais c’est que l’immigration a changé de nature.

M. Olivier Marleix. Venez dans les quartiers, madame !

Mme Marie-Françoise Bechtel. Ce fait est incontournable. Les politiques d’intégration ne sont nécessaires, depuis une quinzaine d’années, que parce que se pose le problème de l’intégration, dû à la montée de ce qu’il est convenu d’appeler les communautarismes. On tend à l’oublier, mais le phénomène ne repose pas sur les seules populations immigrées : il est tributaire de la façon dont notre société elle-même tend ou non à intégrer en offrant un avenir partagé et il est sans doute également tributaire de la façon dont notre société se voit. C’est là un intérêt majeur de ce projet de loi.

Je le disais en commençant, nous avons dans ce pays la volonté de faire vivre la République dans toutes ses dimensions, qu’il s’agisse des dispositifs d’intégration, certes toujours perfectibles et que nous tendons encore à perfectionner, ou de la fermeté requise vis-à-vis de l’immigration illégale. Je pense que la loi que nous voterons en 2015 restera, et il faut vous en féliciter, monsieur le ministre, comme tous ceux de nos collègues qui y ont étroitement participé, en particulier le rapporteur, la responsable du groupe et le groupe tout entier, comme un marqueur de la volonté du Gouvernement et du législateur d’affronter les réalités, quelles qu’elles soient.

Car nul ne s’y trompe : c’est tout autant de la société française que de ses étrangers qu’il est ici question. Comme l’a dit Ernst Robert Curtius, grand penseur franco-allemand de l’entre-deux-guerres : si la France a pu s’identifier à des idéaux universels, c’est en amalgamant des apports spécifiques, ceux qui, issus du dehors de ses frontières, ont su la modeler de l’intérieur. Nous avons, je crois, tous lieu d’en être fiers. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Marleix.

M. Olivier Marleix. Si l’on s’en tient uniquement aux discours, c’est en apparence un message de fermeté en matière d’immigration que le gouvernement de M. Valls tente de faire passer depuis trois ans. Ce soir encore, monsieur le ministre, vous avez manié moult chiffres pour illustrer votre prétendue fermeté. Le journal Le Monde, dans un article du 11 mai 2015, ironisait déjà sur le talent comptable que vous déployez pour tenter de vous faire passer pour un disciple zélé de Nicolas Sarkozy. Mais il concluait, je vous rassure, que vous étiez loin du compte.

En effet, si l’on peut vous concéder de la fermeté dans l’emploi des mots, du côté des chiffres c’est nettement moins le cas… Les expulsions sont en recul de 25 %, avec un total de 27 606 expulsions en 2014 contre 36 822 en 2012. Et ce qui a quasiment disparu avec vous, ce sont les départs spontanés, preuve que les clandestins jouent désormais la montre. S’agissant des demandes d’asile, votre annonce de « plus de fermeté » se traduit par une hausse de 45,5 % des demandes acceptées. En matière de regroupements familiaux, votre bilan s’élève à plus 55 % ces trois dernières années. Visiblement, monsieur le ministre, nous n’avons pas la même conception de ce qui est ferme et de ce qui est mou…

Avec le projet de loi qui nous est présenté aujourd’hui, le Gouvernement tente une nouvelle fois de faire croire aux Français qu’il entend répondre à leur demande. Mais visiblement, monsieur le ministre, nous n’entendons pas la même chose : ce que veulent les Français, c’est moins d’immigration et plus d’intégration. Or votre texte, pardon si je suis un peu schématique, c’est exactement l’inverse : plus d’immigration et moins d’intégration. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Yannick Moreau. C’est la réalité !

M. Olivier Marleix. Je ne prendrai que quelques exemples. Ainsi, en matière de lutte contre l’immigration irrégulière, vous proposez avant tout de réformer la procédure d’éloignement, en retenant le principe de l’assignation à résidence avant de procéder à l’éloignement des étrangers illégaux. Mais qui peut croire, monsieur le ministre, que les forces de l’ordre ont le temps de jouer à cache-cache avec les clandestins, pour lesquels la notion même de résidence est très souvent incertaine ? En les laissant dans la nature, vous allez évidemment compliquer la tâche des forces de l’ordre, et un peu plus encore la reconduite à la frontière.

De même, il est regrettable que les députés de la majorité soient revenus lors de l’examen du texte en commission sur votre promesse, monsieur le ministre, de faciliter les OQTF pour les déboutés du droit d’asile, ce qui aurait grandement accru l’efficacité du dispositif.

Enfin, comme l’a rappelé Guillaume Larrivé, il manque un pan entier à votre projet de loi pour lutter efficacement contre l’immigration illégale : la réduction des avantages, notamment sociaux, dont bénéficient les étrangers, y compris en situation irrégulière, dans notre pays, afin de le rendre moins attractif – nous avons rappelé le scandale de l’AME. Non seulement le texte ne prévoit rien de la sorte, mais au contraire il ouvre grand les possibilités d’accorder des titres de séjour à des étrangers malades – peu importe qu’ils soient entrés clandestinement en France – dès lors que l’offre de soins et « les caractéristiques du système de santé », puisque c’est cela la nouveauté, du pays d’origine – entendez la prise en charge financière – ne leur garantissent pas l’accès à des soins.

Je n’ai rien contre les beaux sentiments, monsieur le ministre, mais j’aimerais que l’on ait déjà la certitude que tous les Français, partout sur notre territoire, y compris en milieu rural, disposent concrètement de cet accès aux soins que vous proposez d’offrir à tous les étrangers. Pour ma part, je ne serais pas aussi affirmatif.

S’agissant ensuite de l’amélioration de notre processus d’intégration, monsieur le ministre, vous avez vous-même, en commission, établi le triste constat que nous intégrons mal les étrangers qui viennent légalement sur notre sol. Et pourtant, là encore, votre politique ressemble à un renoncement.

Prenons votre mesure phare, le titre de séjour pluriannuel. Soyons réalistes – et le cri du cœur du rapporteur Erwann Binet dénonçant les files d’attentes devant les préfectures est un aveu : c’est avant tout un outil de désengorgement administratif, parce que vous avez continué à supprimer un poste de fonctionnaire sur deux partant à la retraite dans les préfectures, qui peinent aujourd’hui à faire face à ces afflux. Vous dites donc aux étrangers qu’ils n’ont qu’à passer une fois tous les cinq ans, cela suffira !

M. Erwann Binet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Ridicule !

M. Olivier Marleix. Vous instituez pour le primo-arrivant un parcours d’intégration rénové, sur cinq ans, formalisé dans un contrat d’intégration républicaine, mais qui n’est jamais sanctionné en réalité. On peut donc s’interroger sur son effet.

Vous supprimez également, pour l’obtention de la carte de résident de dix ans, la condition de respect des engagements pris dans le cadre du contrat d’accueil qui existait jusque-là. Bref, vous réduisez la portée de ces engagements et vous montrez moins exigeant quand il faudrait l’être davantage.

Pour tout vous avouer, monsieur le ministre, je comprends mal l’intérêt de ce texte. Vous prétendez agir avec fermeté, et en réalité vous allez vous désarmer. Vous ne proposez rien de significatif, rien de plus exigeant en matière d’intégration, quand il y a tant à faire pour ne pas reproduire les erreurs du passé.

Le vrai défi, Guillaume Larrivé l’a rappelé tout à l’heure, c’est que 43 % des immigrés en âge de travailler dans notre pays sont actuellement sans emploi. C’est une réalité qui devrait nous conduire au réalisme, et à tout à la fois diminuer l’immigration nouvelle et chercher à mieux intégrer.

Avec ce texte, votre gouvernement tente tout au plus de faire preuve d’habileté, pour reprendre le terme employé par Guy Geoffroy, en tenant une vieille promesse de campagne électorale qu’est le titre pluriannuel. Il est très loin de relever les défis auxquels notre pays est confronté. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Yannick Moreau, dernier orateur inscrit.

M. Yannick Moreau. Au moment où la France est à genoux, où nos compatriotes font face à un chômage de masse, où notre système éducatif est en panne, où notre système de sécurité sociale explose, où notre système de retraite implose, où l’ascenseur social est en panne, où le sentiment de cohésion nationale est affaibli, où notre pays doit faire face à de nouvelles et terribles menaces, au moment où la France traverse une crise économique, sociale et identitaire sans précédent, vous faites le choix de soumettre au Parlement un projet de loi ouvrant davantage de droits aux étrangers.

Vous êtes complètement déconnectés des réalités de notre pays. Même au cœur de l’été, à la fin du mois de juillet, les Français vont ainsi avoir l’occasion de mesurer votre sens des priorités. Eux qui travaillent, cotisent, souffrent de la précarité et des soubresauts engendrés par une économie atone, vont avoir le triste spectacle de gouvernants qui s’attachent en priorité à améliorer les conditions de vie des étrangers en France.

Vous n’avez pas compris que l’immigration subie est un problème pour notre pays. Vous n’avez pas compris que les Français n’en peuvent plus de voir les largesses accordées à ceux qui sont entrés illégalement sur le territoire national. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.) Vous n’avez pas mesuré que les Français connaissent votre angélisme à l’égard des immigrants illégaux, que vous renvoyez de moins en moins dans leur pays d’origine.

Vous n’avez pas compris que la France n’a plus les moyens d’accueillir toute la misère du monde. Vous n’avez pas compris que l’intérêt national commande de stopper les pompes aspirantes de l’immigration clandestine, au premier rang desquelles l’aide médicale d’État, dont vous voulez encore élargir le bénéfice alors même qu’elle engendre un déficit de plus d’un milliard d’euros. Vous n’avez pas compris que l’urgence n’est pas d’ouvrir des droits nouveaux aux étrangers, mais de tout faire, pour reprendre une expression chère au Président de la République, pour inverser la courbe de l’immigration dans notre pays.

Vous n’avez pas compris qu’en agitant ces sujets, en alimentant le tonneau des Danaïdes des prestations sociales pour des personnes entrées illégalement sur notre territoire, vous exaspérez nos compatriotes et les encouragez à user des bulletins de vote de la colère. Ou peut-être l’avez-vous trop bien compris… Ces calculs politiciens ne vous honorent pas, mesdames et messieurs les députés de la majorité.

Même si l’ouest de la France et la Vendée restent relativement à l’écart des problématiques liées à l’immigration incontrôlée que subit notre pays, il est urgent de prendre conscience de notre incapacité à financer et à accueillir une immigration subie. Nous devons envoyer un message clair et responsable à tous les candidats à l’immigration clandestine : la France n’a plus les moyens de les accueillir. Ils seront poursuivis, privés de liberté et renvoyés sans délai dans leur pays d’origine.

La vraie générosité ne consiste pas à accueillir sans limite : elle commande d’examiner les conditions d’accueil de notre pays, aujourd’hui saturées, avec responsabilité et lucidité.

La France n’a pas besoin de nouveaux droits pour les étrangers de notre pays : la France a besoin de stopper et de réduire massivement l’immigration dans notre pays.

En dépit des coups de menton du Premier ministre, le texte que vous nous proposez montre que les socialistes, les écologistes et les communistes n’ont en rien rompu avec leur angélisme sur les questions d’immigration.

M. Alexis Bachelay. C’est avec la démagogie qu’il faut rompre !

M. Yannick Moreau. Oui, les expulsions ont baissé de 25 % depuis 2012. Non, les cartes de séjour pluriannuelles et les assignations à résidence ne sont pas à la hauteur des enjeux de l’immigration massive que subit notre pays.

Monsieur le ministre, mesdames et messieurs les députés de la majorité, ayez le courage d’écouter les propositions de l’opposition, formulées par l’excellent Guillaume Larrivé. Il n’est pas encore trop tard pour rendre ce texte utile à notre pays, en renforçant les moyens de lutte contre l’immigration clandestine,…

M. Erwann Binet, rapporteur. Hors sujet !

M. Yannick Moreau. …en renforçant les conditions d’acquisition de la nationalité française, qui doit être le fruit d’une démarche volontaire et exemplaire,…

M. Erwann Binet, rapporteur. Hors sujet !

M. Yannick Moreau. …en conditionnant l’obtention de visas à de bonnes conditions d’assimilation, en supprimant le bénéfice immédiat et automatique des prestations familiales et sociales aux étrangers arrivant sur notre territoire.

L’immigration est un vrai sujet. Les Français nous demandent des comptes et des réponses concrètes, pas de nouvelles facilités dictées par l’idéologie immigrationniste dont vous vous apprêtez à être les serviteurs zélés. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. De la bouillie nauséabonde !

M. André Chassaigne. Ce discours est une honte !

Mme la présidente. La discussion générale est close.

La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Mesdames et messieurs les députés, il est d’usage qu’à la fin de la discussion générale, le ministre qui porte le texte réponde aux différents orateurs.

M. Jean-Luc Laurent. Et porte une voix républicaine !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même si j’ai entendu des propos inégalement sympathiques à l’égard de ce texte, je veux remercier l’ensemble des orateurs qui ont apporté leur contribution au débat. Et comme, dans ces propos inégalement sympathiques, j’ai entendu aussi un certain nombre de contrevérités, je voudrais essayer d’apporter des réponses précises qui seront de nature, je l’espère, à rassurer tous ceux qui, de bonne foi, ont exprimé des réserves sur ce texte.

Le premier point sur lequel je voudrais insister, pour répondre notamment à Guy Geoffroy, est le raisonnement qui a conduit le Gouvernement à présenter deux textes et l’articulation qui existe entre le texte sur l’asile et le texte sur le droit au séjour. La position du Gouvernement a une cohérence : en aucun cas ce qui est dit aujourd’hui n’est différent de ce qui l’a été hier.

J’ai eu l’occasion de développer abondamment le raisonnement du Gouvernement au Sénat, puisque les représentants du même groupe y ont défendu un amendement proposant que le fait d’être débouté du droit d’asile vaille immédiatement OQTF.

M. Philippe Goujon. Bonne proposition !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je me suis alors engagé à prendre un certain nombre de mesures dans le cadre du présent texte.

L’asile est un dispositif très spécifique, qui s’inscrit dans une tradition de notre pays. Depuis la Révolution française, il veut que tous ceux qui sont persécutés en raison de leur idéologie ou de leur appartenance politique ou religieuse puissent trouver en France, pays des droits de l’homme, pays à la pensée universelle, une protection. Nous avons donc souhaité qu’il y ait un texte spécifique sur ce sujet.

Pourquoi, mesdames et messieurs les députés de l’opposition ? Parce que lorsque nous sommes arrivés aux responsabilités, il y avait une réalité, que vous vous êtes méticuleusement employés à occulter dans vos démonstrations. En premier lieu, notre droit n’était conforme à aucune des directives de l’Union européenne. La durée de traitement des dossiers de demandeurs d’asile était de vingt-quatre mois en France, contre neuf mois en moyenne dans la plupart des pays de l’Union européenne. Et, entre 2006 et 2012, les demandes d’asile dans notre pays avaient littéralement explosé. Vous parliez tout à l’heure de fermeté dans les propos et dans les faits, monsieur Marleix : j’ai entendu dans ces années-là nombre d’acteurs s’agiter aux tribunes et faire des déclarations définitives, et il n’empêche que sur la période, nous avons vu doubler le nombre des demandes d’asile ! Je vous rappelle qu’en 2014, il a diminué de 2,34 %… Je comprends donc que dans votre raisonnement, lorsque les demandes d’asile diminuent, c’est signe de laxisme et lorsqu’elles font plus que doubler, c’est signe de fermeté ! (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Vous me permettrez par conséquent de continuer à demeurer laxiste : je préfère les résultats que je viens de rappeler, sans forfanterie, sans agitation d’aucune sorte et sans outrance verbale, plutôt que l’outrance verbale sans les résultats. Ce qui s’est passé entre 2006 et 2012, c’est une explosion des demandes d’asile. Quelles dispositions ont été prises à l’époque par votre majorité pour réformer le système de l’asile en France ? Aucune.

M. Guillaume Larrivé. Nous avons créé, puis renforcé la CNDA !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. C’est la raison pour laquelle nous avons dû en prendre nous-mêmes.

Les dispositions que nous avons prises sont très simples. D’abord, nous avons augmenté les moyens de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides – OFPRA – pour diminuer la durée de traitement des demandes d’asile. Cela donne des résultats : alors que les conditions de traitement s’étaient constamment dégradées les années précédentes, nous avons enregistré pour la première fois en 2014 une diminution significative du nombre de dossiers traités, parce que nous sommes beaucoup plus efficaces. Ensuite, nous avons créé des places en centres d’accueil pour demandeurs d’asile, où la situation n’avait cessé de se dégrader pendant des années. Nous avons aussi décidé que dès lors qu’un demandeur d’asile avait été débouté et avait épuisé toutes les autres possibilités d’accès au séjour, il était un migrant en situation irrégulière et devait donc pouvoir être reconduit à la frontière.

Ces mesures, monsieur Goujon, figuraient dans le précédent texte, qui a été adopté à une assez large majorité. Le bilan de l’action que vous avez conduite était en effet assez simple : augmentation considérable du nombre de demandes d’asile, allongement des délais de traitement des dossiers des demandeurs d’asile et diminution significative des reconduites à la frontière.

Permettez-moi de répondre à M. Goujon, à M. Marleix et à M. Geoffroy sur ce point. Vous dites que le nombre des reconduites à la frontière a fortement baissé. Je vais répondre précisément à cette affirmation, car c’est faux, et je vais vous en faire la démonstration. Vous dites avoir reconduit à la frontière, c’est ainsi que vous comptez et il n’y a pas là une habileté, mais bien une hypocrisie, pour ne pas dire une malhonnêteté intellectuelle, environ 32 000 personnes par an. Or plus de la moitié d’entre elles étaient des Roumains et des Bulgares qui bénéficiaient d’une prime pour partir. Une fois que celle-ci avait été perçue et qu’ils étaient partis, ils revenaient.

Généralement, le mouvement était le suivant – je dispose de documents extrêmement précis qui montrent la nature des déplacements opérés – : avant Noël, les ressortissants bulgares et roumains touchaient la prime et repartaient dans leur pays. Puis, après l’avoir perçue, ils revenaient en France pour repartir à Pâques et toucher, une seconde fois dans l’année, ladite prime : ce dispositif était donc extrêmement coûteux en termes d’argent public.

Voilà ce que vous appeliez des reconduites courageuses : il s’agissait en réalité d’une gabegie absolue. C’est ainsi, avec ces méthodes auxquelles nous avons mis fin, que vous avez obtenu les chiffres que vous indiquez. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

M. Olivier Marleix. Ce sont des faits.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Monsieur Marleix, je vous transmettrai les documents statistiques extrêmement précis dont je viens de parler. En vous exprimant comme vous le faites actuellement, vous faites preuve soit d’ignorance des faits, soit d’une parfaite mauvaise foi, soit, plus grave encore, d’une totale malhonnêteté intellectuelle. Si c’est avec ces méthodes, ce type d’outrances, de contre-vérités et de procédés que vous comptez avancer dans ce débat, ne vous imaginez pas une minute que je laisserai faire : je vous donnerai des statistiques précises.

M. Olivier Marleix. Toujours autant de démagogie ! Nous aussi, nous avons des statistiques précises.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Le dispositif que vous avez mis en place a conduit à dépenser énormément d’argent public, pour des résultats quasi-nuls. S’agissant des reconduites à la frontière de ressortissants hors Union européenne, c’est-à-dire des reconduites les plus difficiles à opérer, elles étaient en 2012 de l’ordre de 12 000, alors que leur nombre est passé à plus de 15 000 en 2014. Cela signifie que c’est nous qui reconduisons davantage ceux qui sont les plus difficiles à reconduire dans leur pays. (Dénégations sur les bancs du groupe Les Républicains.). La fermeté, ce n’est pas des déclarations approximatives faites à la tribune de l’Assemblée nationale à partir de chiffres frelatés, mais plus d’actes et moins de paroles. Les chiffres que je vous donne sont absolument incontestables. Je comprends que ces chiffres vous gênent car ils vont à l’encontre du message que l’on vous a demandé de délivrer dans cet hémicycle mais qui ne correspond absolument pas à la réalité. Voilà pour ce qui concerne l’asile et les reconduites à la frontière.

Vous dites ensuite, s’agissant de l’immigration irrégulière, que les résultats ne sont pas bons : il s’agit – pardonnez-moi de vous le dire – d’un autre bobard. Les chiffres sont les suivants : depuis 2012, le nombre de filières d’immigration irrégulière démantelées en France a augmenté de 25 %. Pour la seule année 2014, 256 filières de plus que l’année précédente, ont été démantelées.

Il est donc faux de dire, comme vous le faites, premièrement, que le Gouvernement n’agit pas sur la question de l’asile, et que les demandes d’asile explosent en France. Lorsque vous affirmez que vous avez opéré plus de reconduites à la frontière et que nous en opérons moins, il s’agit d’un deuxième mensonge. Lorsqu’enfin, vous affirmez que nous ne faisons pas ce qui devrait être fait en matière d’immigration irrégulière, il s’agit d’un troisième mensonge.

M. Guy Geoffroy. Nous jugeons d’après les résultats !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Tous les chiffres qui sont produits par l’INSEE, et qui alimentent les documents du ministère de l’intérieur, témoignent de ce que je viens de dire.

M. Olivier Marleix. Ma source est le ministère de l’intérieur lui-même !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Vous faisiez référence aux articles de presse : ils en font état, à l’exception de quelques-uns qui sont – c’est possible – nourris de la même mauvaise foi que celle qui a présidé à vos interventions. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.) D’ailleurs, c’est vous-mêmes qui alimentez ces articles. Voilà donc la réalité de notre position et de notre action sur ces sujets.

Je souhaite dire un mot d’un quatrième point, la question européenne, car j’ai également entendu à ce sujet des propos assez étonnants. Monsieur Goujon, quand avez-vous vu la France fermer ses frontières ? Quand avez-vous vu notre pays décider de sortir de l’espace Schengen et fermer totalement ses frontières afin d’éviter que les flux migratoires n’augmentent sur le territoire ? Quand ? Cela ne s’est jamais produit !

Certes, à une certaine époque, certains acteurs politiques ont proposé de substituer un Schengen 2 à Schengen 1 : ils continuent d’ailleurs de le faire. Mais ces mêmes acteurs ne sont jamais parvenus à appliquer totalement Schengen 1 et ne nous ont jamais expliqué de quoi pourrait être fait Schengen 2. Pour ma part, je peux vous dire comment nous appliquons Schengen 1, et même quelles modifications nous souhaitons y apporter. Lorsqu’il y a trois semaines sont apparues des difficultés avec l’un de nos partenaires européens, lequel, à nos yeux, ne prenait pas toutes les dispositions pour procéder à l’enregistrement des migrants et n’acceptait pas la réadmission, conformément pourtant aux règles de Schengen, de ceux qui avaient franchi la frontière après qu’on avait oublié de les enregistrer, j’ai pris des dispositions, et si cela m’a été fortement reproché dans une certaine presse, un certain nombre d’entre vous avaient reconnu qu’il était judicieux de prendre ces dispositions.

Un certain nombre d’acteurs européens se sont émus de la situation. Non, nous ne procédons pas à des contrôles systématiques mais nous demandons qu’à la frontière franco-italienne, les règles de Schengen soient respectées et que le dispositif de réadmission fonctionne. Car si les règles de l’Union européenne ne sont pas respectées, alors il est absolument impossible de mener une politique migratoire qui fonctionne.

Vous ne pouvez pas prétendre que nous n’avons rien fait, car cela s’est bien vu à ce moment-là, notre démarche ayant fait l’objet d’articles de presse et nous ayant été reprochée. Oui, en effet, nous avons pris nos responsabilités.

Mais, monsieur Goujon – si vous êtes en possession de cette information, elle m’intéresse – quand le gouvernement précédent a-t-il fermé des frontières ?

Pourquoi ne l’a-t-il pas fait ? Pour deux raisons, d’abord parce qu’il aurait eu tort de le faire. En effet, sortir unilatéralement des règles de l’Union européenne nous empêcherait d’en bénéficier lorsqu’elles sont utiles, et elles le sont s’agissant d’un grand nombre des sujets que nous avons à traiter, je pense notamment à la lutte contre le terrorisme. Et je le dis également à Mme Maréchal-Le Pen, proposer de sortir de l’espace Schengen, c’est accepter de renoncer à l’espace d’information de Schengen qui permet une traçabilité du retour ou du parcours des terroristes, et donc rendre la France aveugle et sourde face au risque terroriste.

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Il ne s’agit pas de cela.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Par conséquent, la solution que vous proposez n’en est pas une : elle constituerait un problème supplémentaire. S’agissant de l’espace Schengen et des règles de l’Union européenne, lorsque l’on veut traiter les sujets en apportant vraiment des solutions, on a intérêt à se montrer pleinement responsable, de façon à ne pas ajouter de problèmes à ceux qui existent déjà. Rien ne sert d’enchaîner de nouvelles déclarations péremptoires à celles qui ont déjà été faites sachant que, derrière ces mots, rien n’est possible dans la mesure où nous sommes liés par la solidarité européenne. Ce qui doit être demandé est sans doute moins spectaculaire que ce que vous proposez, mais infiniment plus utile.

Je prends deux exemples. Le premier, je l’ai déjà évoqué, est celui de la nécessité de faire respecter, aux frontières de notre pays, les règles de l’Union européenne. Le second est celui de la mise en place de contrôles systématiques et coordonnés lors du franchissement des frontières extérieures de l’Union, en vue de protéger notre pays notamment du risque terroriste.

Voilà ce que je souhaitais dire afin de rétablir les faits et les chiffres, car il faut dire la vérité dans un débat qui mérite mieux que de faux chiffres, des amalgames et des outrances. Il mérite surtout mieux que cette idée selon laquelle il y aurait d’un côté certains qui auraient tout réussi – alors que nous avons vu quels étaient les chiffres et les tendances – et de l’autre ceux qui feraient preuve de laxisme, ce qui n’est pas vrai.

Et à quoi cette idée aboutit-elle dans notre pays ? À des tensions, à des divisions, et à ce que certains discours soient suivis purement électoralistes, le tout sur le dos de la République, de ses valeurs et de ses principes.

M. Yannick Moreau. L’hôpital se moque de la charité !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Quand on s’appelle Les Républicains, on pourrait franchement adopter d’autres comportements, poursuivre d’autres objectifs et avoir d’autres manières de faire sur un sujet aussi grave, qui renvoie à des questions aussi complexes et aussi lourdes que celles dont nous avons à traiter à l’occasion de l’examen de ce projet de loi.

Je voudrais également évoquer un autre sujet, car j’ai entendu, sur le contenu même du projet de loi, des propos étonnants. Je remercie le rapporteur, mais aussi Marie-Anne Chapdelaine, Marie-Françoise Bechtel, Sergio Coronado ainsi que l’orateur qui s’est exprimé au nom du groupe de la Gauche démocratique et républicaine…

M. André Chassaigne. C’est moi !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. …oui, cher André Chassaigne. Je remercie, disais-je, l’ensemble de ces orateurs d’avoir rétabli la vérité.

Tout d’abord, est-il juste de dire que la mise en place d’un titre pluriannuel de séjour, qui permet d’éviter des formalités administratives, constitue un facteur d’attraction pour notre pays ? Vous avez dit, monsieur Marleix, c’est intéressant, que nous ne le mettrions en place qu’en vue de diminuer les effectifs des préfectures. Pour le cas où cela vous aurait échappé, je vous rappelle que vous les avez diminués de manière considérable : vous avez supprimé près de 3 200 de ces emplois, soit 800 par an. Or les deux budgets que j’ai présentés ont complètement inversé cette tendance.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Tout à fait.

M. Olivier Marleix. Permettez-moi d’en douter.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Absolument : vous supprimiez 800 emplois par an, alors que je n’en supprime que 200, qui sont le résultat, à l’unité près, des mutualisations rendues possibles dans les services préfectoraux. Une fois de plus, vous proférez donc une contre-vérité.

Vous qui voulez réaliser 100 milliards d’euros d’économies et expliquez que c’est facile, vous devriez être favorables à ce qu’on opère un minimum de simplification administrative qui améliore l’efficacité de nos services et permette une meilleure allocation des moyens budgétaires et humains alloués à nos administrations afin de leur permettre de remplir leurs missions.

Car si vous êtes toujours favorables à ce que l’on fasse toujours plus d’économies, lorsque, dans le cadre d’une simplification administrative, des dispositifs rationnels sont mis en place qui permettent à l’usager d’avoir une meilleure relation avec l’administration, là, vous êtes contre.

M. Yannick Moreau. Parlant d’économies, que dites-vous de l’aide médicale d’État ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Oui, nous mettons en place ce titre de séjour pluriannuel pour des raisons de simplification, de bonne gestion et aussi d’économies.

M. Guy Geoffroy. Tu parles !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Si vous n’êtes plus favorables à ce que l’État soit géré de façon moderne, afin de dégager des marges de manœuvre, dites-le. Ce n’est pas la position du Gouvernement.

En second lieu, ce n’est pas parce qu’un dispositif permettant de réduire les formalités administratives sera mis en place que les flux s’en trouveront considérablement renforcés. Pensez-vous vraiment que ceux qui partent de Libye ou de la bande sahélo-saharienne viennent en Europe parce qu’ils ont lu le code frontières Schengen, un extrait du Journal officiel ou un compte rendu intégral des débats à l’Assemblée nationale indiquant que nous allons simplifier les procédures administratives ?

M. Guy Geoffroy et M. Philippe Goujon. Les passeurs, eux, le savent !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Non, ce n’est absolument pas pour cette raison qu’ils viennent, mais pour des raisons plus structurelles, plus importantes et plus graves. Alors, oui, nous allons, à flux constants, simplifier des procédures : l’usager y trouvera son compte et l’administration en sera modernisée.

Expliquer que le titre pluriannuel de séjour – auquel vous étiez favorables, vous vous étiez prononcés en ce sens – crée un problème dans la mesure où il constitue un élément d’attractivité de la France pour les étrangers est un raisonnement dont je ne comprends ni la cohérence, ni le fondement, ni la dynamique.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Il n’en a pas !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Sans doute aurez-vous l’occasion d’y revenir au cours du débat.

Il est un autre point sur lequel je souhaiterais insister, l’assignation à résidence. L’assignation à résidence, monsieur Goujon, c’est l’ancienne majorité qui l’avait mise en place dans le cadre de la loi du 16 juin 2011.

M. Guy Geoffroy. Oui, mais dans le bon ordre : vous, vous inversez !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Mais vous l’avez fait alors qu’il était impossible d’assurer l’efficacité du dispositif puisque vous n’aviez pas prévu les moyens juridiques qui auraient permis aux forces de sécurité de s’introduire dans les résidences en question, en vue d’organiser le retour des personnes refusant d’obtempérer à une OQTF.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Exactement !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Alors que c’est vous qui avez pris cette mesure, vous êtes maintenant contre ! Nous mettons en place des dispositifs permettant qu’elle soit appliquée : vous êtes contre ! (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Erwann Binet, rapporteur. C’est exactement cela.

M. Olivier Marleix. Quelle mauvaise foi !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Expliquez-moi donc ce qu’il faudrait faire pour vous faire plaisir.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Mission impossible !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. De toute façon, on n’est pas là pour ça !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Car je veux vous faire plaisir.

M. Philippe Goujon. Vous êtes trop bon !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Mais lorsque nous reprenons des mesures que vous aviez vous-mêmes proposées dans des textes, vous êtes contre. Lorsque nous prenons des mesures juridiques pour rendre efficaces ces mesures qui ne l’étaient pas, vous êtes contre. Moi, je souhaite que les mesures que nous prenons soient efficaces.

Et je n’hésite pas, lorsque vous avez pris de bonnes mesures quoique incomplètes, à les compléter par des dispositifs juridiques efficaces parce que, contrairement à vous, lorsqu’il s’agit d’être efficace, je ne fais pas preuve de sectarisme. Votre volonté à vous de vous opposer au Gouvernement est tellement forte que vous finissez par oublier ce que vous avez vous-mêmes proposé. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

M. Guy Geoffroy. Vous êtes extraordinaire !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Et lorsque le Gouvernement se propose de compléter vos propositions, vous êtes contre, car, avant même de savoir ce que contient le projet de loi, vous avez reçu, de la part du président de votre parti, des consignes d’opposition radicale. (Vives dénégations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Alexis Bachelay. C’est le centralisme démocratique !

M. Guillaume Larrivé. Si vous arrivez à vous en convaincre vous-même, vous êtes très fort.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Voilà la vérité ! Elle est très simple : avant même d’avoir lu le projet de loi, vous avez reçu un coup de fil vous enjoignant de dire non. Et je sais même lequel d’entre vous a reçu ce coup de fil !

Plusieurs députés du groupe Les Républicains. Ah bon ! Qui ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Mais je ne veux pas le compromettre.

M. Philippe Goujon. C’est de la police politique.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je ne donnerai pas son nom, car il ne serait pas convenable de ma part de le compromettre de la sorte. Mais je sais qui a reçu ce coup de fil. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.).

Je vous propose à présent, si vous en êtes d’accord, sur la base d’une approche équilibrée qui ne soit pas outrancière, qui ne se résume pas à une opposition systématique et qui n’abaisse pas par moments le débat politique, d’essayer d’avancer ensemble, sur ce sujet grave, qui n’est pas un problème français.

M. Philippe Folliot. Il est européen.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. …mais en effet international et européen. Essayons non pas de créer des divisions – gardons-nous de susciter des peurs et de faire naître des fantasmes – mais d’adopter ici, dans cet hémicycle, une approche éminemment républicaine, conforme à nos valeurs, nous permettant de mettre en place des dispositifs, fondés non pas sur une quelconque idéologie mais sur un souci d’efficacité, afin qu’ils marchent, dans l’intérêt de ceux qui souffrent ou sont vulnérables, et dans l’intérêt d’une politique migratoire dont je vous redis qu’elle doit être équilibrée.

M. Guy Geoffroy. Elle ne l’est pas.

M. Jean-Luc Laurent. Mais si, c’est le cas !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Notre politique migratoire doit à la fois permettre d’accueillir ceux qui doivent l’être, et être extrêmement ferme à l’égard de ceux qui doivent être reconduits : telle est la position de la France. Les chiffres qui viennent à l’appui de cette politique en témoignent.

Si nous parvenons à un peu moins d’opposition et un peu plus de bonne foi dans notre débat, je suis convaincu que nous parviendrons à élaborer un bon texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

Discussion des articles

Mme la présidente. J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles du projet de loi.

Avant l’article 1er

Mme la présidente. Je suis saisie de plusieurs amendements portant article additionnel avant l’article 1er.

La parole est à M. Guillaume Larrivé, pour soutenir l’amendement n163,

M. Guillaume Larrivé. Monsieur le ministre, vous nous avez indiqué que, par l’effet, sans doute, de la loi relative au renseignement, dont vous anticipez pleinement la portée, vous savez qui téléphone à qui. Malheureusement, votre système de renseignement semble un peu déficient, si j’en crois les chiffres inexacts que vous avez indiqués.

S’agissant des éloignements non aidés, pardon de vous le dire, mais les statistiques produites par votre propre administration et publiées sur le site de votre ministère indiquent qu’ils ont diminué de 4,4 % entre 2013 et 2014. Je peux aller faire des photocopies de ces statistiques, dans la mesure de mes modestes moyens de député de l’opposition.

M. Jean-Michel Clément. Bonne idée ! Allez-y !

M. Guillaume Larrivé. On est passé de 20 853 éloignements non aidés en 2013 à 19 942 en 2014, monsieur le ministre de l’intérieur. Telle est la réalité, et elle vous déplaît.

M. Philippe Goujon. Les chiffres sont têtus !

M. Guillaume Larrivé. Autre réalité chiffrée que vous n’avez ni constatée ni contestée : je l’avais dit tout à l’heure à la tribune et je le maintiens, concernant le séjour, le nombre total de visas délivrés par les consulats et par les ambassades sous l’autorité du Gouvernement actuel a augmenté de 32 %. Quand je compare l’année 2011 entière à l’année 2014 entière, sur la même période, je l’ai dit, les visas d’immigration durable vers la France, c’est-à-dire les visas de long séjour, ont augmenté de 6,1 %. Le nombre de cartes de séjour délivrées par les préfets a augmenté de plus de 8 %, l’immigration familiale de 13 %, le regroupement familial de 55 %.

Mme la présidente. Monsieur Larrivé, vous ne présentez pas du tout votre amendement n163 !

M. Philippe Goujon. Non, mais c’est intéressant d’avoir les vrais chiffres !

M. Guillaume Larrivé. Voilà les chiffres qui nous permettent de nous appuyer sur la réalité, madame la présidente, et de proposer, grâce à cet amendement que vous allez adopter avec un enthousiasme non feint…

Mme la présidente. Vos deux minutes sont écoulées, monsieur Larrivé !

M. Guillaume Larrivé. …nous puissions à l’avenir fixer des plafonds d’immigration, et je développerai…

Mme la présidente. La parole est à M. Erwann Binet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Erwann Binet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. M. Larrivé n’a en effet pas tout à fait défendu son amendement, qui vise à étoffer quelque peu le contenu du rapport annuel délivré par le Gouvernement prévu à l’article L 111-10 du CESEDA, aux termes duquel « chaque année, le Gouvernement dépose devant le Parlement un rapport sur les orientations pluriannuelles de la politique d’immigration et d’intégration ».

Vous exigez des chiffres relatifs aux naturalisations qui n’ont pas lieu d’être compte tenu de la nature de la question migratoire aujourd’hui, monsieur Larrivé. Vous exigez également du Gouvernement qu’il évalue le nombre d’étrangers irréguliers, ce qui paraît objectivement difficile.

M. Guillaume Larrivé. Ces points sont déjà dans l’article ! C’est à droit constant !

M. Erwann Binet, rapporteur. En outre, vous retirez l’évaluation des actions entreprises pour lutter contre les discriminations ; ce n’est donc pas à droit constant. Je vous laisserai expliquer les raisons de cette suppression.

La commission a évidemment émis un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre, pour donner l’avis du Gouvernement.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. Je souhaite répondre aux arguments de M. le rapporteur au sujet de mon amendement.

Tout d’abord, il existe déjà dans le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile un article qui précise les catégories pour lesquelles le Gouvernement produit un rapport. Celui-ci existe, et je vous incite à le lire : vous constaterez ainsi que je ne fais en réalité que le reprendre.

Ensuite, ce que je dis, c’est qu’à partir de ce rapport, la tenue d’un vrai débat annuel est nécessaire, ici, à l’Assemblée nationale, pour fixer, comme je le disais lors de la discussion générale, des plafonds d’immigration et les orientations de la politique d’immigration pour chacune des catégories de séjour à l’exception de celle des réfugiés politiques. C’est une politique tout à fait différente de celle que vous conduisez, monsieur le ministre, et de celle que vous soutenez, monsieur le rapporteur. La proposition des Républicains est en effet d’engager à cet égard une rupture profonde avec les pratiques actuelles.

M. Guy Geoffroy. Très bien !

M. Alexis Bachelay. C’est du bla-bla, tout ça !

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je vais faire une proposition à M. Larrivé, car il n’est pas convenable de présenter les chiffres en ajoutant des éléments de natures différentes.

Monsieur Larrivé, je prends l’engagement devant vous de communiquer les tableaux émanant du ministère, les tableaux officiels, et de demander qu’on les joigne, si cela est possible, au compte rendu de la présente séance, de façon qu’on dispose d’éléments fiables et qu’on arrête de ne pas tenir compte de la réalité des informations données par le Gouvernement pour, en permanence, faire de la polémique sur des chiffres qui ne sont pas exacts.

M. Guillaume Larrivé. Je vous transmettrai une note avec les chiffres exacts !

(L’amendement n163 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Larrivé, pour soutenir l’amendement n72, qui est un amendement de repli.

M. Guillaume Larrivé. Monsieur le ministre, soyez assurés de la bonne foi qui règne sur ces bancs. Les choses seraient beaucoup plus simples si, précisément, le Gouvernement avait choisi de publier au printemps le rapport portant sur les chiffres complets de 2014, le douzième rapport. Cela n’a pas été fait. Le dernier rapport publié devant la représentation nationale, le onzième rapport, est celui qui porte sur l’année 2013.

Ce qui a été publié le 9 juillet sur le site de votre ministère, en revanche, et je le dis en toute bonne foi, c’est une série de tableaux statistiques. Je me suis borné à appliquer la règle de trois pour comparer l’exercice 2011, dont nous avons la responsabilité puisque nous étions alors au pouvoir, et l’exercice 2014, dont vous avez la responsabilité puisque vous êtes au pouvoir. C’est donc la stricte réalité des faits. Je tiendrai à votre disposition, si vous le souhaitez, la copie de ces tableaux qui, encore une fois, figurent sur le site de votre ministère.

M. Guy Geoffroy. Il faudrait qu’ils figurent également au compte rendu de cette séance !

M. Guillaume Larrivé. S’il y a une incertitude, une imprécision, ou peut-être un soupçon de mauvaise foi, ils ne concernent certainement pas ces bancs.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Erwann Binet, rapporteur. Je vais à nouveau donner un avis sur des arguments qui n’ont pas été développés par M. Larrivé dans la défense de son amendement.

Monsieur Larrivé, vous réclamez dans votre amendement n72 la tenue d’un débat annuel à l’Assemblée nationale sur la politique d’immigration. Il n’est évidemment pas nécessaire de prévoir un tel débat au sein de notre assemblée.

M. Olivier Marleix. Ah bon ?

M. Erwann Binet, rapporteur. Cette question relève de l’organisation interne de nos travaux, et la Conférence des présidents peut d’ores et déjà prendre une telle initiative si elle l’estime nécessaire, sans qu’il soit besoin de modifier la loi en ce sens.

Je vous rappelle de surcroît qu’une semaine sur quatre de l’ordre du jour est réservée, en application de l’article 48 de la Constitution, au contrôle et à l’évaluation.

Enfin, ce débat, nous l’avons aujourd’hui dans l’hémicycle.

M. Guy Geoffroy. Mais y en aura-t-il un tous les ans ?

M. Erwann Binet, rapporteur. Regardez votre mobilisation ! Vous êtes cent, tout juste cent, députés du groupe Les Républicains à avoir cosigné cet amendement demandant la tenue d’un débat ; combien êtes-vous dans l’hémicycle ce soir ?

M. Frédéric Reiss. Avez-vous regardé vos bancs ?

M. Philippe Goujon. C’est minable !

M. Guy Geoffroy. C’est vraiment petit !

Mme Chantal Guittet. Ce n’est pas petit, c’est vrai !

M. Erwann Binet, rapporteur. L’avis de la commission est évidemment défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. Monsieur le rapporteur, je vous invite à retrouver votre sérieux. Revenons sur cet amendement. En 2013, Manuel Valls, alors ministre de l’intérieur, est monté à la tribune pour tenir un vrai débat sur la question de l’immigration professionnelle. Nous avons eu une séance assez intéressante sur les volumes de l’immigration professionnelle.

Cet amendement vise seulement à ce que, une fois par an, le Gouvernement organise un tel débat et que celui-ci débouche sur des orientations assumées, et ce, afin d’éviter les querelles sur les chiffres et de donner la possibilité à la représentation nationale de décider de manière éclairée des volumes que la France souhaite accueillir.

Pour ma part, je ne sais pas vous dire quel est l’objectif du Gouvernement pour 2016, mais peut-être le connaissez-vous, monsieur le ministre ? Voulez-vous encore augmenter le regroupement familial, après l’augmentation de 55 % en trois ans ? Voulez-vous continuer dans cette direction ? Voulez-vous augmenter le nombre de visas de long séjour ? Voulez-vous augmenter l’immigration de travail alors que le chômage a atteint un record du fait de la politique économique et financière désastreuse qui a été engagée voilà trois ans ? Voilà des questions légitimes auxquelles nous pensons devoir vous demander d’apporter une réponse.

(L’amendement n72 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n74, portant lui aussi article additionnel avant l’article 1er, et qui fait l’objet d’un sous-amendement n417.

La parole est à M. Guillaume Larrivé, pour soutenir l’amendement.

M. Guillaume Larrivé. Nous abordons ici un autre élément qui nous semble devoir être ajouté tant il manque au droit positif ; j’en ai parlé tout à l’heure à la tribune.

L’idée de notre groupe est de vérifier en amont, dans le pays d’origine, avant la délivrance du visa de long séjour, avant que la République autorise le candidat à l’immigration à s’installer en France, sa capacité d’intégration, qui peut être déterminée à l’aune de trois éléments : sa connaissance de la langue française bien sûr, sa maîtrise des valeurs essentielles de la société française et de la République française, et la capacité à exercer une activité professionnelle ou, s’il ne le souhaite pas, son autonomie financière.

Nous pensons que cette évolution est souhaitable, même si nous avons compris que vous ne souhaitez pas vous engager dans cette voie.

Mme la présidente. La parole est à Mme Claudine Schmid, pour soutenir le sous-amendement n417.

Mme Claudine Schmid. Ce sous-amendement a pour objet de s’assurer que les étrangers demandant un titre de séjour ont une connaissance de la langue française au moins égale à celle qui est exigée des étrangers demandant la nationalité française, notamment par mariage. Il est souhaitable que des étrangers qui ne seront pas appelés à résider en France aient un niveau de connaissance du français supérieur. Tel est le sens de ce sous-amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur le sous-amendement et l’amendement ?

M. Erwann Binet, rapporteur. Je serai bref s’agissant du sous-amendement n417. Madame Schmid, on ne peut pas exiger des étrangers qui sont dans leur pays au moment de la demande de visa une connaissance de la langue française identique à celle qui est exigée des étrangers qui vont acquérir la nationalité française.

M. Guy Geoffroy. Pourquoi cela, puisqu’ils veulent venir s’installer chez nous ?

M. Erwann Binet, rapporteur. Cela va de soi. Je ne sais pas comment argumenter ce point, tant il me paraît évident. On ne peut pas mettre les étrangers qui souhaitent entrer sur notre territoire pour une durée plus ou moins longue, par exemple les étudiants ou les conjoints de Français, au même niveau que les étrangers qui vont être naturalisés.

M. Olivier Marleix. Pourquoi pas ? C’est mieux pour étudier !

M. Erwann Binet, rapporteur. J’en viens à l’amendement de M. Larrivé. Le projet de loi que nous examinons traduit le choix d’une politique d’intégration qui, contrairement à votre souhait, ne conditionne pas l’entrée à des prérequis : il donne au contraire à l’étranger des moyens de préparer son intégration et d’en faire la preuve a posteriori.

M. Guillaume Larrivé. Voilà une très bonne information sur les conditions d’entrée en France !

M. Erwann Binet, rapporteur. Vous souhaitez pour votre part réintroduire le pré-contrat d’accueil et d’intégration que vous aviez mis en place.

M. Guillaume Larrivé. Ce n’est pas le même amendement !

M. Erwann Binet, rapporteur. Je vous rappelle les termes du rapport de l’Inspection générale de l’administration et de l’Inspection générale des affaires sociales publié en 2013 sur l’évaluation de la politique d’accueil des étrangers primo-arrivants que M. le ministre a évoqué tout à l’heure : « Il n’est pas certain que seule la volonté de faciliter l’intégration ultérieure des étrangers en France ait motivé [le dispositif du pré-CAI], qui a aussi été compris comme une tentative de régulation du flux des demandes de visa. »

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Exactement !

M. Erwann Binet, rapporteur. L’IGA et l’IGAS soulignent par ailleurs que tous les étrangers n’ont pas accès au pré-CAI, que son contenu rend son impact faible, voire nul, qu’il est redondant avec la formation civique obligatoire dispensée dans le cadre du CAI sur le territoire national et que le système de test de connaissances est inutile et sans incidence notable sur le nombre de prescriptions de formation linguistique à l’arrivée en France.

M. Guillaume Larrivé. Ce n’est pas le sujet de l’amendement ! Faites un effort de lecture !

M. Erwann Binet, rapporteur. C’est pour ces raisons que le Gouvernement a fait un choix très différent en instaurant une information sur la vie en France et sur les droits et devoirs qui y sont liés, information plus adaptée aux besoins des migrants et mise à disposition par l’État aux candidats à l’immigration dès leur pays d’origine. De surcroît, une grande majorité des signataires du contrat d’intégration républicaine rejoignent leur famille en France. Ils ne peuvent donc pas être empêchés, du fait de la directive européenne sur le regroupement familial qui leur garantit leurs droits fondamentaux à une vie familiale, de venir rejoindre leur famille en France pour ces motifs relatifs à l’intégration.

La commission a donc évidemment émis un avis défavorable sur l’amendement n74.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.

Mme la présidente. La parole est à M. Guy Geoffroy.

M. Guy Geoffroy. M. le rapporteur me paraît montrer un peu trop d’assurance, alors qu’il traite d’une manière générale et avec beaucoup de dédain d’un amendement dont il feint de n’avoir pas lu le contenu, à moins que, pis, il ne l’ait en effet pas lu.

L’amendement en question porte sur les visas de long séjour, soit les visas qui concernent des personnes étrangères souhaitant s’installer durablement dans notre pays.

M. Erwann Binet, rapporteur. Mais pas en tant que naturalisés !

M. Guy Geoffroy. Cela étant dit, M. le rapporteur doit assumer ses propos : une personne qui souhaite s’installer durablement dans notre pays n’a pas à maîtriser la langue française, il ne doit pas être considéré de la même façon que quelqu’un qui demande à accéder à la nationalité française. C’est ainsi qu’il faut l’interpréter. Ces précisions sur le contenu du texte permettent de bien comprendre à quel point la parole de notre rapporteur est à tout instant inféodée à une certaine idéologie.

M. Erwann Binet. C’est la meilleure !

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Françoise Bechtel.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Votre amendement, monsieur Geoffroy – puisque c’est vous qui l’avez finalement défendu – et monsieur Larrivé, n’est absolument pas clair ! Il y est écrit : « L’étranger qui souhaite s’installer durablement […] ». Cela signifie en réalité l’étranger qui va demander un visa de long séjour : il faudrait l’écrire ainsi, parce que vous ne pourrez pas opposer ensuite à cet étranger qu’il ne souhaitait pas s’installer durablement et qu’il aurait donc dû passer par le contrat d’accueil et d’intégration, ce qui n’est pas le dispositif de l’article 1er sur lequel nous reviendrons tout à l’heure.

Il n’est pas possible d’infliger une sanction sur une obligation qui sera constatée – ou non – a posteriori : c’est typique de ce que j’appelais tout à l’heure le nominalisme juridique, un peu puéril, pardonnez-moi de vous le dire (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains), par lequel vous croyez régler des problèmes en écrivant deux lignes et en les brandissant ensuite. Tout cela, excusez-moi de vous le dire, manque un peu de maturité ! (Mêmes mouvements.)

M. Guillaume Larrivé. Fait personnel !

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. C’est quasiment un fait personnel au sens du règlement ! Je voudrais vous dire, madame Bechtel, avec tout le respect que je dois à votre grade éminent dans un corps que je connais bien, que nous ne sommes plus complètement à l’école. Si vous voulez améliorer la rédaction de l’amendement, sous-amendez-le ! Ce serait absolument formidable : vos lumières éclaireraient notre texte !

(Le sous-amendement n417 n’est pas adopté.)

(L’amendement n74 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Larrivé, pour soutenir l’amendement n166.

M. Guillaume Larrivé. Nous revenons à notre logique des plafonds afin de leur donner une force juridique tout à fait nouvelle. L’idée serait, après que l’Assemblée nationale aura défini des plafonds, de donner à ceux-ci toute leur portée en conditionnant la délivrance par les consuls de visas de long séjour au fait que le plafond n’a pas été encore atteint.

Il s’agit d’un dispositif assez simple de file d’attente : très concrètement, l’étranger demandant un visa de long séjour et ne pouvant l’obtenir du fait de l’épuisement de ce contingent, serait invité à présenter sa demande l’année suivante, afin que les plafonds soient respectés année après année. C’est simple, c’est lisible, c’est démocratique, c’est compréhensible tant par l’opinion publique que par les éventuels candidats à l’immigration. Voilà le système tout à fait nouveau que nous vous proposons !

M. Guy Geoffroy. Excellent !

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Erwann Binet, rapporteur. Effectivement très simple, ce dispositif serait totalement inopérant et produirait l’effet inverse de celui que vous attendez.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Exactement !

M. Erwann Binet, rapporteur. Depuis que j’ai été désigné rapporteur de ce texte, il y a un an, à la commission des lois, j’ai lu beaucoup d’ouvrages, unanimes sur un point : la politique des quotas conduit toujours à l’inverse de la limitation du nombre d’immigrés illégaux. Au contraire, elle fait exploser l’immigration illégale !

Les États-Unis, l’un des grands pays pratiquant depuis des années cette politique de quotas, en fixent chaque année : en 2015, 225 000 visas familiaux ont été accordés – ce chiffre n’a pas varié depuis de nombreuses années –, 140 000 pour le travail, 100 000 pour le droit d’asile et 55 000 dans le cadre de la loterie pour l’obtention de la carte verte – vous avez omis cette éventualité dans votre amendement ! Or il y a 11 millions de clandestins aux États-Unis !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Eh oui !

M. Erwann Binet, rapporteur. Un grand débat a eu lieu au printemps 2014 dans ce pays, Barack Obama en ayant ressenti l’urgente obligation du fait de cette pression migratoire importante : 11 millions d’étrangers, pour la plupart en situation irrégulière et venant d’Amérique du Sud. Il a pensé nécessaire de mettre en débat la régularisation d’un grand nombre d’entre eux – entre 2,5 et 5,7 millions d’étrangers en situation irrégulière.

Notre raisonnement est simple : nous avons toujours refusé les quotas en France et nous continuerons à les refuser, d’abord parce qu’ils ne sont pas constitutionnels et, ensuite, parce qu’ils produiraient l’effet inverse : si nous annonçons au Parlement un quota par exemple de 100 000 titres par an, soit la moitié de ce qui est délivré, et que ce chiffre fait le tour du monde, n’importe quel migrant, n’importe quel étranger souhaitant émigrer en Europe se dira qu’il peut faire partie de ces 100 000. L’un des théoriciens de cette question, Patrick Weil, a beaucoup écrit sur ce sujet : nous savons tous que la mise en place de quotas produit toujours l’effet inverse de celui recherché.

J’ai précisé par ailleurs qu’il n’est matériellement pas possible de déterminer des quotas : cela conduirait – nous y reviendrons plus tard à l’occasion de l’examen d’un autre de vos amendements – à proclamer que certains, pour des raisons liées à la date de leur demande de titre de séjour, auraient droit à ce titre parce qu’ils entreraient dans les quotas, tandis que d’autres, ayant le même profil et répondant aux mêmes obligations prévues par la loi, n’y auraient pas droit, simplement parce qu’ils seraient hors quota.

M. Guy Geoffroy. Et alors ?

M. Olivier Marleix. Il faut choisir !

M. Erwann Binet, rapporteur. C’est évidemment anticonstitutionnel : avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. Il y a un point sur lequel la discussion est légitime : savoir dans quelle mesure un dispositif de plafond est conforme ou non aux stipulations conventionnelles, d’une part, et aux dispositions constitutionnelles, d’autre part. C’est un vrai sujet ! Le ministre, dans la réponse qu’il a faite tout à l’heure à mon intervention, a évoqué le rapport Mazeaud : c’est un vrai sujet.

Nous soutenons que la loi pourrait indiquer cela, le cas échéant sous le contrôle du Conseil constitutionnel, à charge pour lui, saisi de cette disposition précise, de prendre une décision.

Je sens, monsieur le ministre, que vous pensez pousser votre avantage. Mais, quand bien même le Conseil constitutionnel jugerait que ces dispositions ne sont pas conformes à la Constitution, je voudrais rappeler un précédent majeur : celui de 1993. Lorsque le Conseil constitutionnel avait jugé un certain nombre de dispositions contraires à la Constitution, le constituant s’était levé ! En effet, c’est bien le pouvoir constituant, c’est-à-dire le Congrès ou le peuple souverain consulté par référendum, qui doit selon nous, en ces matières, décider.

Oui, nous maintenons l’idée et la proposition que la France a le droit de choisir qui elle souhaite accueillir et qui elle souhaite refuser sur son territoire ! Oui, nous maintenons qu’il est nécessaire de donner à la représentation nationale le pouvoir souverain de décider des plafonds d’immigration !

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Nous avons là un désaccord de fond. Je considère en effet que rien ne peut être mis dans la loi qui soit contraire à la Constitution ou aux principes conventionnels.

Le raisonnement qui est le vôtre consiste à affirmer – conception du droit vraiment très novatrice et qui bouleverserait l’ensemble de notre équilibre institutionnel – que nous pouvons très bien inscrire dans le droit des dispositions dont nous savons qu’elles ne sont ni constitutionnelles ni conventionnelles, parce que nous sommes le souverain et que, dès lors, nous pourrions soit attendre que le Conseil constitutionnel se prononce, soit affirmer notre volonté de procéder à la modification constitutionnelle rendant la loi conforme à la Constitution. Or notre pays n’a jamais légiféré de cette manière !

M. Guy Geoffroy. Vous oubliez Maastricht !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Jamais, quelles que soient les majorités, nous n’avons accepté dans cet hémicycle d’entrer dans le raisonnement consistant à dire que nous savons parfaitement que telle disposition est contraire au droit européen ou à notre Constitution, mais que ce n’est absolument pas grave et que nous allons la prendre quand même parce que cela témoignera de notre volonté de modifier, après que le Conseil constitutionnel se sera prononcé, la Constitution. Vous conviendrez avec moi qu’en termes de rigueur juridique,…

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Il y a mieux !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. …on doit pouvoir faire mieux ! Vous pouvez convenir avec moi qu’un tel raisonnement, purement politique, n’a aucune rigueur en droit et que vous-même, qui êtes un fin juriste, ne l’avez jamais tenu dans cet hémicycle ! J’y vois la démonstration d’ailleurs que sur un certain nombre de sujets concernant l’immigration, vous privilégiez le positionnement politique, quand vous savez que ce que vous proposez n’est conforme ni à la Constitution, ni au droit européen.

C’est là un désaccord de fond entre nous parce que je ne pense pas que l’on puisse élaborer un bon texte sur les sujets du droit au séjour ou de l’asile en s’asseyant sur la Constitution et sur les dispositifs conventionnels. Je ne pense pas que cela soit possible, vous pensez que ce l’est : voilà un désaccord de fond. Ce n’est d’ailleurs pas simplement un désaccord politique : ce sont deux conceptions du droit qui s’opposent.

M. Jean-Luc Laurent. Démonstration limpide !

Mme la présidente. La parole est à Mme Pascale Crozon.

Mme Pascale Crozon. Je souhaite souligner que c’est une nouvelle forme de discrimination qui nous est proposée : la « discrimination calendaire », que M. Larrivé propose de graver dans le marbre de la loi, en faisant passer le chiffre avant la légitimité de la demande. De fait, cet amendement viderait de son sens toute possibilité de recours contre les refus de visa.

Je saisis cette occasion pour dire que l’extension de cette logique aux titres de séjour, telle que vous la proposez dans l’amendement n168 qui va être examiné juste après, est encore bien pire puisqu’elle nie tout effort d’intégration que vous réclamez des étrangers et la logique contractuelle que nous poursuivons en la matière.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Tout à fait !

(L’amendement n166 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Sur l’amendement n168, je suis saisie par le groupe Les Républicains d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

La parole est à M. Guillaume Larrivé, pour soutenir cet amendement.

M. Guillaume Larrivé. Toujours sur cette question des plafonds d’immigration, il s’agit de marquer, par un scrutin public, les différences politiques, au sens plein du terme, qui nous séparent, monsieur le ministre et mesdames et messieurs de la majorité. Nous maintenons qu’il est légitime et nécessaire que la représentation nationale puisse se prononcer ici, et pas ailleurs, sur le nombre des étrangers admis à s’installer en France.

Au plan conventionnel, il y a débat – débat, et pas décision de la Cour européenne des droits de l’homme ! Lorsqu’à l’invitation du président Urvoas, le président de la Cour européenne des droits de l’homme est venu devant notre commission des lois, nous avons commencé à débattre avec lui de la possibilité qu’un tel dispositif soit adopté en conformité avec l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.

La rédaction de cet article est d’ailleurs très équilibrée. Celui-ci n’affirme pas que l’immigration familiale est possible partout, en tout lieu et sans aucune condition ; au contraire, il tient compte de considérations d’intérêt général, comme le bien-être économique de la nation. Il n’est pas du tout certain qu’un dispositif de plafond et de file d’attente serait radicalement contraire aux stipulations de la Convention européenne des droits de l’homme.

S’agissant de la conformité à la Constitution, il est vrai, monsieur le ministre, que le pouvoir exécutif devrait mener un travail complémentaire devant le Conseil d’État, s’il était décidé qu’un tel projet de loi doive prospérer, afin de déterminer les conditions dans lesquelles un dispositif de plafond pourrait être pleinement compatible avec les dispositions constitutionnelles. Et s’il ne l’était pas, je maintiens – telle est en tout cas ma position à titre personnel – que le pouvoir constituant serait fondé, parce qu’il est le pouvoir constituant, à évoluer sur cette question majeure du droit de la France à définir une politique d’immigration conforme à l’intérêt national.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Erwann Binet, rapporteur. Avec cet amendement, vous êtes toujours dans la même logique : l’État, contraint par ce quota que vous appelez « contingent », refusera toutes les nouvelles demandes de titres qui excéderont ce contingent.

M. Guillaume Larrivé. Elles seront décalées à l’année suivante !

M. Erwann Binet, rapporteur. J’ai du mal à imaginer comment, en pratique, vous y parviendrez, indépendamment du fait, rappelé par le ministre qui a largement développé cette question, que c’est totalement contraire aux dispositions conventionnelles et constitutionnelles.

Comment allez-vous vous y prendre sur un plan pratique ? Le ministre de l’intérieur, armé de cette disposition, prendra la parole un jour, disons le 15 juin, pour dire au bon peuple de France : « Mesdames et messieurs, n’épousez plus d’étrangers à partir d’aujourd’hui : ils ne pourront plus avoir de papiers, parce qu’on a dépassé les quotas ! »

Mme Marie-Anne Chapdelaine. C’est cela, les quotas !

M. Erwann Binet, rapporteur. « Mesdames et messieurs, n’ayez plus d’enfants avec un étranger, car ce dernier ne pourra pas rester sur notre territoire pour élever ses enfants, pourtant français, parce qu’on a dépassé les quotas ! »

M. Guy Geoffroy. Il ne s’agit pas de cela !

M. Erwann Binet, rapporteur. Cela n’est pas opérant, cela n’est pas respectueux, c’est même contraire aux valeurs de la République et aux dispositions de la Constitution. Avis défavorable, bien évidemment !

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je me félicite qu’un scrutin public ait été demandé sur le vote de cet amendement : je voudrais vous en remercier parce que je pense qu’il est des moments où il faut vraiment marquer très concrètement les différences de conceptions, et le scrutin public est de ce point de vue l’outil idéal.

Nous touchons là en effet à une question de fond. J’ai déjà, à plusieurs reprises, eu ce débat avec votre groupe sur le sujet de l’asile. Souvenez-vous-en – ce n’était pas ici, mais au Sénat –, ce débat a eu lieu lorsque nous avons proposé que soit prononcée une OQTF pour les demandeurs d’asile déboutés.

M. Philippe Goujon. Très bonne disposition ! Nous souhaitions la proposer, nous aussi !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Nous avons eu les mêmes débats lors de l’examen de la loi relative au renseignement ; et nous avons rencontré les mêmes problèmes lors de l’examen de la loi relative à la lutte contre le terrorisme.

Pour ma part, j’ai une conception très claire de la relation du législateur au droit européen et au droit constitutionnel. En déposant des amendements d’appel dont on sait parfaitement qu’ils sont anticonstitutionnels,…

M. Guillaume Larrivé. Ce n’est pas démontré !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. …et ce simplement pour affirmer un positionnement politique, on se livre à un exercice législatif d’une tout autre nature que celui auquel, pour ma part, en tant que républicain, j’aspire.

En tout cas, il y a une vraie différence entre nos conceptions respectives du rôle de législateur du Parlement, entre nos conceptions de la relation de la loi à la Constitution, entre nos conceptions du droit. Et je pense qu’il est bon, effectivement, qu’un scrutin public ait lieu sur cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. Guy Geoffroy.

M. Guy Geoffroy. Monsieur le ministre, je ne veux pas polémiquer avec vous sur les propos que vous venez de tenir – de répéter, en fait, car vous aviez déjà exprimé ce point de vue.

Cependant, sauf erreur de ma part, que je serai tout disposé à reconnaître le cas échéant, je crois me souvenir que, lorsque l’exécutif français a négocié le traité de Maastricht, il ne pouvait pas ignorer que celui-ci imposerait obligatoirement de réviser la Constitution avant qu’il ne soit ratifié, et c’est bien ce qui s’est passé. Par conséquent, ce que soutient notre collègue Guillaume Larrivé, lequel a rappelé la souveraineté du constituant, qu’il s’agisse du constituant originel, le peuple, ou du constituant dérivé, le Parlement, est non seulement fondé mais pas très éloigné de la pratique que nous avons connue dans notre pays il y a une vingtaine d’années.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n168.

(Il est procédé au scrutin.)

Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants27
Nombre de suffrages exprimés27
Majorité absolue14
Pour l’adoption7
contre20

(L’amendement n168 n’est pas adopté.)

Suspension et reprise de la séance

Mme la présidente. Avant que nous n’abordions l’article 1er, la séance est suspendue pour cinq minutes.

(La séance, suspendue à zéro heure cinq, le mardi 21 juillet 2015, est reprise à zéro heure dix.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

Article 1er

Mme la présidente. Plusieurs orateurs sont inscrits sur l’article.

La parole est à Mme Marie-Françoise Bechtel.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Avec cet article, nous approchons le cœur du sujet. Il serait dommage que cet article soit supprimé, comme le souhaitent, si j’ai bien compris, nos collègues de l’opposition. En effet, nous sommes en présence d’un cas typique de dispositif qui résulte d’un cheminement. Si ma mémoire est exacte, le contrat d’accueil et d’intégration a été mis en place en 2006. Depuis lors, il a évolué, en plusieurs étapes, jusqu’à celle d’aujourd’hui, qui, d’ailleurs, ne le modifie pas tellement.

Il concerne les primo-arrivants. Je ferai simplement deux observations.

D’abord, il est important que le parcours d’intégration puisse se nouer dès le pays d’origine. Ce parcours reposant sur la connaissance du pays d’accueil, la France, et sur la pratique suffisante de la langue, des moyens eux-mêmes suffisants doivent bien entendu être alloués pour que cette connaissance et cette pratique puissent être appréciées dans le pays de départ.

Ma deuxième observation porte sur l’intention d’installation durable. Tout à l’heure, je soulignais que l’amendement présenté par notre collègue Larrivé n’avait pas de sens puisqu’il s’agissait d’une logique coercitive. Il y était question, d’une part, d’intention d’installation durable et, d’autre part, de sanction dans le cas où le parcours n’était pas suivi, et ce malgré l’intention d’installation durable. Avec cet article 1er, nous sommes au contraire dans une logique incitative, comme c’était le cas à l’origine, dans la loi de 2006. Mais cette installation durable intéresse-t-elle vraiment tout immigré ? Probablement pas. D’ailleurs, une petite disposition de rattrapage, figurant plus loin dans le texte, déjà prévue en 2006, prévoit que tout immigré déjà installé peut aussi passer par le parcours d’intégration – c’est une sorte d’incitation a posteriori. Pour ma part, je pense que la notion d’installation durable est encore un peu rustique, qu’il faudra sans doute l’affiner au cours des années, mais, pour l’instant, le système semble fonctionner puisque je crois savoir que des centaines de milliers de personnes en ont bénéficié. C’est donc qu’il n’est pas mauvais.

Pour ma part, j’appellerai plutôt de mes vœux une réflexion ultérieure sur les différentes stratégies migratoires, les différentes formes d’immigration. Tout immigré n’a pas une intention d’installation durable. Il faudrait donc certainement affiner ce parcours d’intégration au regard des stratégies ou des volontés réelles de ceux qui tendent à immigrer dans notre pays.

Puisque j’ai la parole, j’en profite, cher collègue Larrivé, pour vous dire, sans revenir sur le débat précédent, que, si le constituant l’emporte naturellement sur le conventionnel, il me semble qu’il n’était pas pertinent d’invoquer le précédent de 1993, comme vous l’avez fait. En effet, à l’époque le ministre de l’intérieur, Charles Pasqua, voulait que les dispositions de la convention de Dublin puissent s’appliquer directement, sans qu’il soit besoin de procéder à une révision constitutionnelle. Ainsi, demander l’asile dans un autre pays signataire de la convention de Dublin aurait interdit de le demander en France. Il fallait une révision constitutionnelle et c’est le Président Mitterrand lui-même qui a exigé que le texte révisé de la Constitution prévoie que la France pourrait toujours, en tout état de cause, accorder l’asile politique. Votre argument sur la supériorité de la Constitution est imparable, cher collègue, mais je crois que l’exemple que vous avez pris n’était pas le bon.

Mme la présidente. Je vous rappelle, mes chers collègues, que les interventions sur l’article sont limitées à deux minutes, pas davantage. Il est vrai que, tout à l’heure, lors de la discussion générale, tous les orateurs se sont exprimés un peu plus longtemps qu’il n’était prévu, mais n’exagérons pas.

La parole est à M. Alexis Bachelay.

M. Alexis Bachelay. Je voudrais revenir sur le cas des migrants qui, bien qu’installés durablement dans notre pays, n’ont malheureusement pas pu bénéficier de mesures telles que le contrat d’intégration parce qu’ils sont arrivés il y a fort longtemps. Au mois de janvier 2013, la Conférence des présidents de l’Assemblée nationale avait jugé nécessaire de créer une mission d’information sur les immigrés âgés, dont j’ai été le rapporteur. C’est dans ce cadre qu’a été remis au président de l’Assemblée nationale un rapport d’information, qui comporte quatre-vingt-deux préconisations visant de manière très concrète à améliorer la situation des immigrés âgés dans notre pays. Je regrette que M. Larrivé n’ait participé que trop furtivement à cette mission : il devait y siéger, mais, finalement, il en a démissionné avant même qu’elle ne se mette en place. Je le regrette parce qu’il semble s’intéresser fortement aux questions liées aux migrations. Il est donc dommage que nous ne l’ayons pas compté parmi nous.

Les préconisations de notre rapport d’information ont été progressivement intégrées dans plusieurs textes comme la loi ALUR ou, dernièrement, le projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement.

L’examen du projet présenté aujourd’hui par le Gouvernement sur le droit des étrangers nous permettra également de légiférer en tenant compte de plusieurs préoccupations exprimées dans le rapport.

Je me félicite que le Gouvernement ait inscrit ce projet de loi à l’ordre du jour – et je l’en remercie – puisque nous allons commencer à étudier la simplification du séjour des étrangers en France et des relations avec les administrations préfectorales chargées du contrôle des étrangers. Cette simplification, je le souligne, est d’autant plus pertinente et nécessaire qu’il s’agit de personnes âgées, souffrant de problèmes de santé, qui ont du mal à se déplacer et qui connaissent parfois des difficultés de logement. De nombreux étrangers âgés sont présents en France depuis des décennies. Ils ont pris une part importante à la reconstruction de notre pays après la Seconde guerre mondiale. Or, ils pâtissent aujourd’hui d’une situation d’isolement et d’un accès très limité au droit, qui ne sont pas tolérables. Parce que les difficultés sont grandes, nous avons une responsabilité collective en la matière.

Je rappelle que le rapport d’information avait été adopté à l’unanimité. C’est au nom de nos valeurs de fraternité et de la dignité que nous devons à ces immigrés âgés que je souhaite appeler l’attention du Gouvernement ainsi que celle de vous tous, chers collègues, y compris vous, chers collègues qui siégez dans l’opposition, sur les amendements qui vont venir en discussion.

Mme la présidente. Je vous remercie.

M. Alexis Bachelay. J’espère qu’il nous sera d’autant plus facile de faire adopter ces amendements qu’ils sont issus d’un travail qui a été salué de façon consensuelle lors de la remise du rapport.

Mme la présidente. La parole est à M. Boinali Said.

M. Boinali Said. Madame la présidente, chers collègues, député de Mayotte, je tiens à saluer le déplacement à Mayotte d’Erwann Binet, rapporteur de ce texte, au mois de juin dernier afin d’évaluer la réalité locale. Il a pu avoir confirmation de ce que les Mahorais disent depuis longtemps : la pression migratoire que subissent nos îles est perçue comme démesurée pour une population de résidents en situation régulière d’un peu plus de 200 000 habitants. En 2012, Mayotte comptait vraisemblablement 60 000 clandestins avec 7 000 naissances annuelles, parmi lesquelles 65 % à 75 % seraient issues de l’immigration clandestine. Cette pression migratoire est donc sans commune mesure avec l’immigration que connaît la métropole.

L’immigration clandestine à Mayotte s’explique principalement par sa géographie et son histoire commune avec les îles voisines. La situation est connue : chaque jour ou presque des kwassas-kwassas en provenance des Comores arrivent à Mayotte, s’échouent sur nos plages ou s’abîment en mer. Ceux de leurs occupants qui échappent au naufrage en pleine mer et à une arrestation viennent grossir les rangs des immigrés en situation irrégulière à Mayotte qui cherchent une vie meilleure mais se heurtent vite à la réalité d’un territoire qui, bien que français, n’a pas grand-chose à leur offrir.

Mayotte, en effet, souffre d’une situation économique et sociale tendue caractérisée par des difficultés structurelles. Trop d’immigrés souhaitent s’installer sur un territoire fragile qui lutte pour sortir de la pauvreté et se développer afin d’offrir aux nouvelles générations une vie meilleure que celle de leurs parents.

La situation est encore plus dramatique pour les enfants abandonnés par leurs parents lorsque ceux-ci sont arrêtés et expulsés et qu’ils ne déclarent pas l’existence de ces enfants aux autorités afin que ces derniers puissent rester à Mayotte. Le service de l’aide sociale à l’enfance ne parvient pas à prendre correctement en charge tous ces enfants en déshérence, abandonnés de fait à leur sort avec souvent, malheureusement, la délinquance pour seul avenir.

Enfin, si je souscris à la prudence exprimée par beaucoup quant à l’extension à Mayotte du champ d’application du CESEDA et que j’entends les arguments qui expliquent les exceptions prévues par l’ordonnance du 7 mai 2014, je ne peux que vous engager, chers collègues, à prendre la mesure de la situation mahoraise.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sandrine Doucet.

Mme Sandrine Doucet. Mes chers collègues, l’exposé des motifs du projet de loi fait état de quatre priorités, dont la transmission des droits et devoirs de la République à partir d’une approche plus concrète de l’organisation et du fonctionnement de la société française.

La scolarisation et la fréquentation quotidienne de l’école par les enfants des étrangers constituent l’une de ces pratiques. Encore faut-il que cela soit compris afin que l’école puisse jouer pleinement son rôle de lieu d’intégration pour les enfants et pour leurs parents. En modifiant l’article L. 331-9 du CESEDA, l’article 1er prévoit une orientation vers les services de droit commun, dont l’école fait partie.

Dans son rapport pour avis, notre collègue Valérie Corre insiste sur l’obligation scolaire, une des pratiques républicaines pouvant apparaître comme l’une des plus neuves par rapport aux traditions et, ajouterons-nous, par rapport aux exclusions existant dans les pays d’origine – je pense particulièrement ici à celle des filles. L’actuel contrat d’accueil et d’intégration pour la famille prévoit une formation sur les droits et les devoirs des parents, qui doivent notamment veiller au respect de l’obligation scolaire.

Chers collègues, en abrogeant la loi Ciotti, en 2013, nous avons promu un dialogue plus constructif entre les parents et les enfants dont la scolarité est difficile, notamment pour ceux qui peuvent avoir à surmonter les obstacles que je viens de citer. Dans cette forme de dialogue, il faut s’assurer de l’intégration des familles non-francophones. C’est aussi et surtout, pour les enfants de familles étrangères, une façon de faire vivre l’esprit de la loi de refondation de l’école visant à promouvoir l’inclusion scolaire de tous les enfants, sans distinction aucune.

C’est pourquoi je défendrai un amendement alliant les deux exigences de l’accueil et de la compréhension, aussi bénéfiques pour les enfants que pour leurs parents dans le cadre du respect des droits et devoirs républicains dans cet article consacré à l’accueil et à l’intégration.

Mme la présidente. La parole est à Mme Pascale Crozon.

Mme Pascale Crozon. Le contrat d’accueil et d’intégration généralisé par la loi du 18 janvier 2005 répondait alors à une logique que nous avions saluée – cela a déjà été dit tout à l’heure – puisqu’elle affirmait la dimension contractuelle de la relation entre un migrant et son pays d’accueil, les deux ayant vocation et intérêt à ce que l’intégration soit réussie afin de poser les bases d’une installation sereine.

Au fur et à mesure des évolutions législatives, cette dimension contractuelle s’est toutefois effacée au profit d’une logique de contrôle et de coercition qui nuit à l’intérêt même du dispositif. Ainsi le directeur général de l’OFII, qui est chargé de l’animation de ce contrat, estime que le taux d’assiduité de 97 % est essentiellement dû à la peur du gendarme, c’est-à-dire au risque de non-renouvellement du titre de séjour.

Nous aurions tout intérêt à remplacer cette peur par une volonté partagée. Tel est l’objectif de cet article 1er visant, d’une part, à mieux individualiser ces parcours d’accueil et d’intégration afin que les prestations proposées aux primo-arrivants répondent concrètement à leurs besoins pour se projeter dans leur installation en France et, d’autre part, à ce que ce parcours débouche sur la délivrance d’un titre pluriannuel, gage de confiance à l’égard de celles et de ceux qui manifestent leur aptitude à s’intégrer durablement sur notre sol.

Monsieur le ministre, j’appelle votre attention sur l’intérêt particulier que je porte à l’intégration réussie des femmes. Contrairement aux idées reçues véhiculées sur certains bancs, il n’y a pas, d’un côté, une immigration professionnelle et, de l’autre, une immigration familiale, laquelle serait synonyme d’oisiveté. Nous devons améliorer notre capacité à insérer dans l’emploi celles et ceux qui arrivent au titre du regroupement familial et qui, d’ailleurs, bien souvent travaillaient dans leur pays d’origine avant de rejoindre leur conjoint. Le creusement des inégalités entre les femmes et les hommes que l’on constate après la migration n’est pas une fatalité. Je sais, monsieur le ministre, que vous serez très attentif à ce que l’OFII prenne en compte cette dimension.

Mme la présidente. La parole est à M. Frédéric Reiss.

M. Frédéric Reiss. Monsieur le ministre, chers collègues, avant de débattre de l’accueil et de l’intégration dans le cadre de cet article 1er, permettez-moi de m’insurger à mon tour sur les délais inacceptables qui ont été impartis pour l’étude d’un texte d’une telle importance. Déposé sur le bureau de l’Assemblée voilà un an, ce projet de loi arrive presque en catimini mais en urgence à la fin d’une session extraordinaire déjà bien chargée. Que n’advient-il pas d’une promesse présidentielle ? Que ne fait-on pas pour satisfaire une frange capricieuse de la majorité ? Il est vraiment dommage que le droit des étrangers, thème qui excite les extrêmes, de gauche et de droite, soit presque traité d’un revers de la main.

Essayant de décliner la justice comme un véritable leitmotiv de sa politique, la majorité nous présente un texte qui devrait nous permettre de mieux accueillir les étrangers entrés légalement sur le territoire français et de lutter plus efficacement contre l’immigration irrégulière. L’intention est louable, mais ouvre malheureusement la voie à de nombreuses dérives.

Montesquieu, qui nous a enseigné qu’il ne faut toucher aux lois que d’une main tremblante, a bien raison de considérer qu’une « chose n’est pas juste parce qu’elle est la loi mais qu’elle doit être la loi parce qu’elle est juste. » Dans le contexte économique actuel, dans la situation que connaît l’Europe en matière d’accueil de migrants, on peut s’interroger : ce projet de loi sera-t-il juste vis-à-vis de nos concitoyens ?

Depuis 2012, le Gouvernement n’a cessé d’assouplir les critères de régularisation et de naturalisation. Je rappelle qu’avec la suppression du timbre fiscal de 30 euros, l’AME risque de coûter un milliard en 2015.

Cet article 1er décrit le parcours personnalisé d’intégration républicaine afin que l’étranger bascule le plus rapidement possible dans une logique de droit commun.

Je n’ai qu’une question : de quels moyens l’État disposera-t-il pour contrôler l’engagement et les progrès réels des étrangers en formation civique ou linguistique ?

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. Sans vouloir prolonger nos débats, je ne pouvais laisser sans réponse l’affirmation de Mme Bechtel selon quoi je faisais une mauvaise interprétation de la révision constitutionnelle de 1993.

À trois reprises, le constituant a été amené à se prononcer pour casser une décision du Conseil constitutionnel. Ce fut le cas en 1993 après la censure partielle d’une réforme du droit d’asile liée à l’entrée en vigueur des accords de Schengen : le Conseil constitutionnel avait censuré ces dispositions au mois d’août 1993, le constituant s’étant alors prononcé au mois de novembre de la même année. Cela fut également le cas, avec une autre majorité, lors de la révision constitutionnelle ayant trait à la parité en 1999 visant à revenir sur une jurisprudence de 1982. Ce fut enfin le cas en 2003 s’agissant du pouvoir normatif que le constituant a partiellement reconnu à la Corse après que le Conseil constitutionnel avait jugé le contraire.

Comme le doyen Vedel le faisait en son temps, j’affirme que le pouvoir constituant, dans une sorte de lit de justice, peut casser les arrêts du Conseil constitutionnel. C’est ainsi que fonctionnent les démocraties.

Mme la présidente. Nous en venons aux amendements à l’article 1er.

La parole est à M. Philippe Goujon, pour soutenir l’amendement n77, tendant à supprimer l’article.

M. Philippe Goujon. Monsieur le ministre, chers collègues, nous présentons cet amendement de suppression avec notre collègue Guillaume Larrivé parce que, c’est évident, nous ne partageons pas avec vous la même logique en matière de parcours d’accueil et d’intégration. Nous considérons en effet que ce n’est pas après l’arrivée en France qu’il convient de commencer à préparer l’intégration des migrants mais qu’il faut le faire dans leurs pays d’origine. C’est là, en effet, qu’il faut s’assurer de leur capacité d’intégration dans notre société.

C’était d’ailleurs le sens de l’amendement qui a été présenté visant à créer un article L. 211-1 au livre II du CESEDA prévoyant que l’étranger qui souhaite s’installer durablement dans notre pays doit justifier d’une connaissance suffisante de la langue française – cela paraît assez évident –, d’une adhésion aux valeurs de la République et aux valeurs essentielles de notre société mais, aussi, de sa capacité à exercer une activité professionnelle – même si, effectivement, ce n’est pas particulièrement facile à démontrer – ou s’il ne l’envisage pas, au moins, de son autonomie financière.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Erwann Binet, rapporteur. Cet amendement de suppression n’est évidemment pas conforme au souhait du Gouvernement non plus, bien entendu, qu’aux objectifs de ce projet de loi, dont l’un est de mettre en place un parcours structuré et individualisé d’intégration avec des prestations et des formations renforcées adaptées aux besoins tout en articulant mieux ce parcours avec la politique de délivrance des titres de séjour.

Avis défavorable

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.

(L’amendement n77 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Guy Geoffroy, pour soutenir l’amendement n76.

M. Guy Geoffroy. Par cet amendement, nous proposons un nouveau dispositif et une nouvelle approche de l’intégration à la société française, qui seraient appelés à se substituer au contrat d’intégration républicaine proposé par le projet de loi, mais également à ce qui existe aujourd’hui, à savoir le contrat d’accueil et d’intégration.

Le dispositif proposé par cet amendement devait constituer la seconde étape de l’intégration – la première consistant en ce que l’étranger qui souhaite s’installer durablement sur le territoire français apporte au préalable la preuve de sa capacité d’intégration. Mais, la majorité ayant repoussé l’amendement défendu à l’instant par Philippe Goujon, cette première étape n’existe malheureusement pas.

En créant cette seconde étape, qui s’appliquerait, par hypothèse, aux candidats à l’immigration qui auraient déjà apporté la preuve de leur capacité d’intégration avant d’obtenir le visa de long séjour, on est dans la même logique. L’intégration ne se fait pas a posteriori, alors qu’aucune précaution n’a été prise, ni aucune donnée vérifiée en amont. L’intégration se travaille en amont, et cet amendement est un élément supplémentaire d’affirmation de la même logique et de la même stratégie globale.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Erwann Binet, rapporteur. Vous avez raison : il s’agit exactement de la même logique, et l’avis de la commission est donc exactement le même. Avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. Vous avez bien compris, monsieur le rapporteur, la logique de ces amendements. Partant de l’expérience que nous avons faite collectivement du contrat d’accueil et d’intégration depuis une dizaine d’années, nous sommes convaincus qu’il faut refonder ce parcours, avec deux étapes complémentaires, dont l’une doit se situer en amont. Vous n’êtes pas d’accord : vous pensez que, dans les pays d’origine, il n’y a pas à vérifier que les candidats à l’immigration parlent français ; vous pensez que, dans les pays d’origine, il n’y a pas à s’assurer de ce que les candidats à l’immigration respectent les valeurs de la République française ; vous pensez que, dans les pays d’origine, il n’y a pas à vérifier que les candidats à l’immigration peuvent exercer en France une activité professionnelle ou être autonomes financièrement. C’est une vraie différence entre nous.

Ce que nous pensons, en outre, c’est qu’une fois arrivé en France, après avoir obtenu son visa de long séjour, il faut que le candidat à l’immigration signe un engagement d’intégration à la société française, et qu’il s’engage notamment à progresser dans l’apprentissage de la langue française. Très concrètement, nous pensons qu’il faudrait vérifier, dans le pays d’origine, que le candidat à l’immigration parle la langue française au niveau B1 de la référence commune que vous évoquez dans votre rapport ; et qu’il devrait ensuite, en France, parvenir au niveau C1, qui permet une communication pleinement autonome. C’est un changement majeur par rapport aux pratiques actuelles que nous vous proposons et que vous vous obstinez malheureusement à repousser.

(L’amendement n76 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Larrivé, pour soutenir l’amendement n75.

M. Guillaume Larrivé. Il est défendu.

(L’amendement n75, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Valérie Corre, rapporteure pour avis de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, pour soutenir l’amendement n187.

Mme Valérie Corre, rapporteure pour avis de la commission des affaires culturelles et de l’éducation. La commission des affaires culturelles a adopté cet amendement, afin de préciser, en cohérence avec la suppression du pré-contrat d’accueil et d’intégration, que l’information sur la vie en France mise à disposition de l’étranger désireux de séjourner sur notre territoire est accessible dans une langue qu’il comprend. Si nous partageons en effet l’ambition de promouvoir la francophonie, il serait regrettable que les étrangers qui maîtrisent mal notre langue, mais qui souhaitent séjourner dans notre pays ne puissent bénéficier des informations précisément destinées à mieux le leur faire connaître.

Je rappelle que le réseau diplomatique et Campus France, qui traduisent d’ores et déjà dans plus de trente langues, pour cent dix pays, les principales informations mises à disposition sur leur site internet, n’auront aucune difficulté à assumer cette tâche.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Erwann Binet, rapporteur. Favorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Favorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. Même s’il est tard, soyons précis. Le projet de loi, dans sa rédaction issue de la commission des lois, dispose que l’État « met » dans le pays d’origine – c’est donc une obligation – à la disposition de l’étranger qui souhaite s’installer durablement sur le territoire français une information sur la vie en France. On imagine qu’il s’agira de guides d’installation pratiques ou de pages internet. Ce que dit la rapporteure pour avis, c’est qu’il est absolument nécessaire que ce guide à l’installation des éventuels candidats à l’immigration durable en France soit disponible dans toutes les langues du monde entier.

Nous n’avons pas du tout la même approche, je vous le confirme : il ne nous semble pas que les deux ou trois premières lignes de ce projet de loi doivent consister à dire, comme vous le proposez, qu’il faut distribuer des guides d’installation en France dans le monde entier et dans toutes les langues, sans aucune contrepartie. Nous ne pensons pas, contrairement à vous, que le premier devoir de l’État est de distribuer des guides d’installation en France.

(L’amendement n187 est adopté.)

Mme la présidente. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

2

Ordre du jour de la prochaine séance

Mme la présidente. Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :

Suite de la discussion du projet de loi relatif au droit des étrangers.

La séance est levée.

(La séance est levée à zéro heure trente-cinq.)

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly