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Edition J.O. - débats de la séance

Assemblée nationale
XIVe législature
Deuxième session extraordinaire de 2014-2015

Compte rendu
intégral

Première séance du mardi 15 septembre 2015

SOMMAIRE

Présidence de M. Claude Bartolone

1. Ouverture de la session extraordinaire

2. Cessation de mandat et remplacement de députés

3. Proclamation d’un député

4. Déclaration du Gouvernement sur l’engagement des forces aériennes au-dessus du territoire syrien et débat sur cette déclaration

M. Manuel Valls, Premier ministre

M. Philippe Nauche

M. Christian Jacob

M. Philippe Folliot

M. François de Rugy

M. Jacques Moignard

M. François Asensi

Mme Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères

Mme Patricia Adam, présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense

M. Manuel Valls, Premier ministre

Suspension et reprise de la séance

Présidence de M. Denis Baupin

5. Adaptation de la société au vieillissement

Présentation

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État chargée de la famille, de l’enfance, des personnes âgées et de l’autonomie

Mme Joëlle Huillier, rapporteure de la commission des affaires sociales

Motion de rejet préalable

Mme Bérengère Poletti

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État

Mme Marie-Françoise Clergeau

Mme Isabelle Le Callennec

Motion de renvoi en commission

M. Gilles Lurton

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État

Mme Chaynesse Khirouni

Mme Isabelle Le Callennec

Discussion générale

M. Christophe Sirugue

Mme Isabelle Le Callennec

M. Arnaud Richard

Mme Barbara Pompili

M. Stéphane Claireaux

Mme Jacqueline Fraysse

6. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Claude Bartolone

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à seize heures.)

1

Ouverture de la session extraordinaire

M. le président. En application des articles 29 et 30 de la Constitution, je déclare ouverte la session extraordinaire convoquée par décrets du Président de la République en date des 31 juillet, 28 août et 11 septembre 2015.

2

Cessation de mandat et remplacement de députés

M. le président. J’ai pris acte, le 20 août 2015, de la cessation, le 19 août 2015 à minuit, du mandat de M. François Brottes et de son remplacement par M. Pierre Ribeaud, élu en même temps que lui à cet effet. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains. – Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

J’ai également pris acte, le 28 août 2015, de la cessation, le 27 août 2015 à minuit, du mandat de Mme Sandrine Hurel et de son remplacement par Mme Marie Le Vern, élue en même temps qu’elle à cet effet.

3

Proclamation d’un député

M. le président. J’ai reçu hier du ministre de l’intérieur une communication m’informant que, le dimanche 13 septembre 2015, M. Arnaud Viala a été élu député de la troisième circonscription de l’Aveyron. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

4

Déclaration du Gouvernement sur l’engagement des forces aériennes au-dessus du territoire syrien et débat sur cette déclaration

M. le président. L’ordre du jour appelle, en application de l’article 35, alinéa 2, de la Constitution, une déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, sur l’engagement des forces aériennes au-dessus du territoire syrien.

La parole est à M. le Premier ministre. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mesdames, messieurs les députés, le Président de la République l’a annoncé le 7 septembre dernier : la France a décidé de procéder à des vols de reconnaissance au-dessus de la Syrie.

Comme le prévoit l’article 35, alinéa 2, de la Constitution, j’ai immédiatement informé les présidents des deux assemblées et j’ai décidé d’organiser ce débat au début de la session extraordinaire, ici, avec le ministre de la défense, et au Sénat, avec le ministre des affaires étrangères. Je tiens à vous expliquer pourquoi nous intervenons, dans quel contexte, et à vous dire les objectifs que se fixe la France.

Vous le savez, le chaos règne en Syrie. Il déstabilise l’ensemble du Moyen-Orient. Il constitue le repaire des terroristes djihadistes, à la fois de Daech comme d’autres groupes dans la mouvance d’Al Qaïda, comme Jabhat al-Nosra. Il alimente le drame des réfugiés, qui fuient non seulement Daech, mais aussi et surtout – ne l’oublions jamais – la barbarie du régime de Bachar al Assad.

Au cours des derniers mois, les territoires contrôlés par les groupes terroristes se sont étendus sur le sol syrien ; une progression qui a déstabilisé plus encore l’ensemble de la région. Soyons lucides : cette avancée de Daech est avant tout le résultat du calcul cynique de Bachar al Assad. Daech a d’abord été l’instrument pour prendre l’opposition modérée en étau, puis pour l’écraser. Ce fut, aussi, pour le régime, la terrible justification de crimes, de l’emploi d’armes chimiques, contre sa propre population. Aujourd’hui, le résultat, c’est l’abandon aux mains des djihadistes de régions entières. Dorénavant, c’est tout le grand Est syrien, c’est-à-dire 30 % de la Syrie, qui constitue pour Daech un solide bastion, avec les conséquences funestes que nous connaissons.

La première conséquence, je l’ai dit, c’est la menace pour notre sécurité. Nous le savons, la menace djihadiste – celle dirigée contre la France – provient des zones que Daech contrôle. Il y a, en Syrie, des centres de commandement de cette organisation. C’est également depuis la Syrie que s’organisent les filières qui recrutent de nombreux individus voulant prendre les armes, mener les combats là-bas, mais aussi frapper, en retour, leur propre pays. C’est, enfin, en Syrie que se structure et s’alimente la propagande qui, par la mise en scène de la violence, irrigue constamment les réseaux sociaux, notamment francophones. À ce jour, nous l’avons souvent rappelé avec le ministre de l’intérieur, entre 20 000 et 30 000 ressortissants étrangers sont recensés dans les filières irako-syriennes. Nous estimons le nombre de Français ou des résidents en France enrôlés dans les filières djihadistes à 1 880 : 491 sont sur place, 133 ont à ce jour trouvé la mort et de plus en plus au travers d’actions meurtrières, sous forme d’attentats suicides.

Deuxième conséquence : dans cet immense espace, Daech impose sa domination. Daech est plus qu’une organisation terroriste voulant fédérer différents mouvements d’un djihadisme composite. C’est un nouveau totalitarisme qui dévoie l’Islam pour imposer son joug. Il ne recule devant rien : massacre de mouvements de résistance, mise en scène de la torture et de la barbarie, asservissement des minorités, trafics, vente d’êtres humains. Il y a aussi l’anéantissement systématique de l’héritage culturel et du patrimoine universel de cette région : le tombeau de Jonas, le musée et la bibliothèque de Mossoul, les ruines assyriennes de Nimrod ou encore les vestiges antiques de Palmyre. C’est une part de l’humanité et de son génie qui s’envole à jamais.

La troisième conséquence – elle est intimement liée à la deuxième –, c’est bien sûr le drame des réfugiés. La Syrie, aujourd’hui, est un peuple décimé, dispersé. Plus de 250 000 morts en quatre ans, dont 80 % sous les coups du régime et de sa répression. C’est un peuple déplacé. Des millions de Syriens sont pris en étau sur le territoire, entre la répression de Bachar al Assad et la barbarie de Daech. C’est un peuple, enfin, réduit à l’exil. Quatre millions de Syriens se sont réfugiés dans les camps du Liban, de Jordanie et de Turquie. Ils ont souvent un seul espoir : atteindre l’Europe pour y trouver l’asile. La crise des réfugiés est la conséquence directe et immédiate du chaos syrien. Nous y consacrerons, ici même, le débat de demain.

Mesdames, messieurs les députés, depuis le mardi 8 septembre, nos forces aériennes survolent donc la Syrie. Il s’agit d’abord et avant tout d’une campagne de renseignement grâce à des vols de reconnaissance. Plusieurs missions ont d’ores et déjà été réalisées. Cette campagne durera le temps qu’il faudra, plusieurs semaines certainement.

Nous devons mieux identifier et localiser le dispositif de Daech pour être en mesure de le frapper sur le sol syrien et d’exercer ainsi – je veux le souligner tout particulièrement – notre légitime défense, comme le prévoit l’article 51 de la Charte des Nations unies. Ces missions de reconnaissance sont conduites à titre national, en pleine autonomie de décision et d’action.

Pleine autonomie de décision, car nous choisissons seuls les zones de survol où porter notre recherche.

Pleine autonomie d’action car, le Président de la République l’a encore dit hier, des frappes seront nécessaires. Et nous choisirons seuls les objectifs à frapper. Mais bien sûr, il est hors de question que, par ces frappes, nous contribuions à renforcer le régime de Bachar al Assad.

Ces missions, coordonnées – pour des raisons opérationnelles évidentes – avec la coalition que dirigent les États-Unis, s’appuient sur les moyens actuellement mobilisés dans le cadre de Chammal. Douze Rafale et Mirage 2000, un Atlantique 2 et un ravitailleur Cl35 sont engagés. Notre frégate Montcalm, déployée en Méditerranée, continue, quant à elle, de collecter les renseignements sur la situation en Syrie. Et je veux rendre devant vous hommage à l’action de nos soldats engagés au Levant. (Applaudissements sur tous les bancs.) Avec courage, ténacité, professionnalisme, ils défendent nos intérêts, nos valeurs, protègent nos compatriotes et agissent pour la sécurité de la nation.

Cette stratégie aérienne est-elle suffisante ? En d’autres termes, faut-il envisager d’intervenir au sol ? J’ai entendu des voix plaider pour une telle option. Et si oui, comment ? La France seule ? Nous l’avons fait au Mali, mais les circonstances, chacun le reconnaît, étaient totalement différentes.

Intervenir avec les Européens ? Mais qui, parmi eux, seraient prêts à une telle aventure ? Avec les Américains ? Le veulent-ils ? Non ! Et puis, il faut savoir tirer les enseignements du passé. Ils sont douloureux. Je pense, en particulier, à la bataille de Faloudja, en Irak.

Plus globalement, ce que les exemples en Irak et en Afghanistan nous apprennent, c’est qu’il faudrait mobiliser plusieurs dizaines de milliers d’hommes, qui seraient alors exposés à un très grand danger. C’est d’ailleurs le piège qui nous est tendu par les djihadistes : nous contraindre à intervenir sur leur terrain pour nous enliser, pour invoquer contre nous un soi-disant esprit de « croisades », pour susciter une solidarité devant une prétendue « invasion ».

Le Président de la République a donc répondu de manière très claire : toute intervention terrestre, c’est-à-dire toute intervention au sol de notre part ou occidentale, serait inconséquente et irréaliste. Aucun de nos partenaires ne l’envisage d’ailleurs.

Mais si une coalition de pays de la région se formait pour aller libérer la Syrie de la tyrannie de Daech, alors ces pays auraient le soutien de la France. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mener une guerre, ce n’est pas, comme s’y emploient certains, faire de grandes déclarations, fixer des échéances irréalistes. Mener une guerre c’est se fixer des objectifs et se donner les moyens de les atteindre. C’est surtout faire preuve de constance, de cohérence dans l’action.

Nous ne changeons pas de stratégie. Nous ne changeons pas de cible. Nous luttons contre le terrorisme. Mais – avec la vigilance et la connaissance des situations qu’a Jean-Yves Le Drian –, nous adaptons nos moyens militaires et notre présence en fonction du contexte politique.

Dans la bande sahélo-saharienne, dans le cadre de l’opération Barkhane, nos armées sont déployées aux côtés des unités africaines. Elles infligent de lourdes pertes aux groupes terroristes d’AQMI, d’Ansar Eddine ou du MUJAO ; autant de groupes qui prospèrent aussi sur la déliquescence des États. Je pense en particulier au vide politique qui s’est installé en Libye après l’intervention de 2011.

Nous luttons ensuite en Irak où, depuis un an, nos forces aériennes sont engagées à la demande des autorités irakiennes. Les opérations de la coalition ont permis d’enrayer la progression de Daech, notamment dans le Kurdistan.

Mais, nous le savions dès le départ et, sans démagogie, nous devons cette vérité à nos concitoyens : combattre les groupes terroristes, lutter contre Daech ne peut être qu’un combat de longue haleine. Il doit être mené en soutien des forces locales qui sont en première ligne sur le terrain. Je pense en particulier aux Peshmergas kurdes que nous aidons et dont je tiens à saluer le courage.(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Nous n’en sommes qu’au début. Il nous faut donc continuer à agir, consolider les acquis sur le terrain, ne rien abandonner de la partie. Toutes ces actions militaires sont nécessaires. Elles ne sont pas suffisantes. Sans solution politique durable, il n’y aura pas de stabilisation de la situation. L’impératif, c’est d’arrêter un engrenage fatal : celui de la dislocation du Moyen-Orient.

Il faut aujourd’hui tout faire pour stopper cette mécanique infernale : les fractures régionales qui réapparaissent ; la tectonique des rivalités ancestrales, celles en particulier entre chiites et sunnites, qui se réveillent ; les appétits de puissance qui transforment la Syrie en champ clos des ambitions régionales, et empêchent l’Irak de se relever des conséquences de l’intervention de 2003.

Face aux risques de fragmentation du Moyen-Orient, nous devons intensifier nos efforts pour faire émerger des solutions politiques qui refondent l’unité de ces États et de ces peuples. En Irak, d’abord, où le Gouvernement doit rassembler toutes les communautés du pays pour lutter contre Daech. Le Président de la République l’a dit fortement lors de son déplacement à Bagdad pendant l’été 2014. Car un gouvernement qui ne respecterait pas la minorité sunnite continuerait de précipiter celle-ci dans l’étreinte mortelle de Daech.

Nous devons également intensifier nos efforts en Syrie. Nous ne ferons rien qui puisse consolider le régime. L’urgence, c’est au contraire d’aller vers un accord qui tourne définitivement la page des crimes de Bachar al Assad. Il est une grande part du problème. Il ne peut en aucun cas être une solution. Avec un homme responsable de tant de morts, de crimes de guerre et contre l’humanité, aucun compromis, aucun arrangement n’est possible. Transiger, pactiser, comme le proposent certains, ce serait d’abord une faute morale. Dès août 2013, nous étions prêts à réagir, mais les États-Unis et la Grande-Bretagne n’étaient finalement pas au rendez-vous.

Ce serait aussi une faute politique, stratégique. Les combattants ne poseront les armes en Syrie que quand l’État syrien garantira leurs droits et ne sera plus aux mains d’une bande criminelle. C’est pourquoi il faut travailler sans relâche à accélérer cette transition politique. Elle devra rassembler dans un gouvernement de transition les forces de l’opposition – qui sont aujourd’hui encore trop affaiblies – et les éléments les moins compromis du régime. Mais, en aucun cas, cette transition ne peut remettre dans le jeu les factions terroristes. Il y a une ligne qui ne peut pas être franchie.

Cette solution politique ne pourra voir le jour que par la convergence des efforts diplomatiques, de tous les efforts diplomatiques.

Ces paramètres du règlement de la crise syrienne, nous les connaissons, pas depuis un mois, pas depuis six mois : ils ont été déterminés lors des réunions de Genève, dès 2012, et adoptés par les principaux pays intéressés par l’avenir de la Syrie. La tâche est bien sûr difficile, mais cela ne doit pas être un prétexte au statu quo, à l’inaction, au renoncement.

La France parle à tous. Et je voudrais saluer l’action remarquable que conduit Laurent Fabius à la tête de notre diplomatie. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

Nous parlons, bien sûr, d’abord à nos partenaires membres permanents du Conseil de sécurité. Contrairement à ce que j’entends dire parfois, nous parlons en particulier avec la Russie – le président Hollande et le président Poutine évoquent régulièrement ce dossier –, dont les positions demeurent éloignées des nôtres. Nous avons tous un devoir de responsabilité : tout soutien militaire au régime de Bachar al Assad ne fait qu’alimenter la spirale de la violence. Nous devons d’autant plus parler à la Russie qu’il faut surmonter avec les Russes la défiance née de l’intervention en Libye en 2011.

Parler à tous, c’est aussi travailler avec l’ensemble des acteurs de la région. C’est l’histoire qui parle, mais c’est aussi la géographie qui s’impose.

Parler à tous, c’est d’abord parler aux pays arabes sunnites : Égypte, Jordanie, bien sûr, Arabie saoudite, pays du Golfe. C’est parler aussi à la Turquie, qui a besoin de l’Union européenne, et dont nous avons besoin. Elle doit toutefois préciser davantage ses objectifs.

C’est parler, enfin, à l’Iran. Le Président de la République recevra à Paris, en novembre, le Président iranien Rohani. Nous, la France, nous recevrons l’Iran, car après la conclusion de l’accord sur son programme nucléaire, Téhéran doit peser positivement, en faveur d’une solution politique.

La France parle à tous. C’est son rang et c’est sa vocation : agir militairement, agir politiquement, mais aussi agir sur le plan humanitaire pour protéger les minorités au Moyen-Orient.

Ce qui est en jeu, c’est la survie de communautés entières, les Chrétiens, les Yézidis, et avec elles, la diversité culturelle, religieuse et ethnique de cette région. J’ai reçu, il y a quelques jours, comme vous, le patriarche de l’Église chaldéenne d’Irak, Monseigneur Raphaël Sako. C’est un nouveau cri d’alarme qu’il nous a lancé, un appel à l’aide, mais il m’a dit aussi sa grande confiance en la France.

Le 8 septembre, il était d’ailleurs présent à la réunion organisée sous l’égide de la France et présidée par Laurent Fabius. Lors de cette conférence internationale consacrée aux victimes de persécutions ethniques et religieuses au Moyen-Orient, les participants ont tous été bouleversés par le témoignage de Jinan, cette jeune Yazidie. Le plan d’action de Paris a été adopté. Notre devoir est d’en assurer la mise en œuvre.

Dans l’attente d’un retour de la Syrie à la stabilité, nous devons venir en aide au peuple syrien. La France – le Président de la République l’a proposé – organisera une conférence internationale sur les réfugiés pour mobiliser tous les pays, pour dégager les ressources financières qui font aujourd’hui tant défaut – je pense, en particulier, aux moyens dont doivent disposer le Haut Commissariat pour les réfugiés et le Programme alimentaire mondial –, et pour organiser, au-delà des initiatives prises par l’Europe, la solidarité pour l’accueil des réfugiés avec les pays hôtes.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je l’ai dit devant cette assemblée : la France est en guerre contre le terrorisme, le djihadisme, l’islamisme radical. C’est un combat qui, derrière le Président de la République, mobilise toute la nation, un combat auquel sont consacrés tous les moyens que nous jugeons nécessaires.

Nous savons qu’il sera long. Il faut le dire. La vérité et la lucidité le commandent. Ceux qui prétendent qu’on pourra régler le problème en quelques jours se trompent et trompent les Français. Nous savons que ce combat sera long, qu’il sera marqué par les épreuves, car la menace est lourde. Mais nous savons aussi que c’est un combat majeur, car il y va de nos valeurs, de ce que nous sommes, de ce en quoi nous croyons. Il y va de l’avenir de peuples voisins et amis, de notre propre avenir aussi. Et nos concitoyens sentent bien qu’il se joue là quelque chose de fondamental.

C’est pour cela qu’il faut chercher à se rassembler et ne pas faire de cette question un sujet de politique intérieure et de polémique. Alors soyons unis, rassemblés, sérieux et graves, à la hauteur des enjeux, pour agir et pour porter ce combat. C’est comme cela que nous pourrons l’emporter. Et j’ai la ferme conviction que nous l’emporterons parce que nous sommes la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, et sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Nauche, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Philippe Nauche. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, chers collègues, il y a de cela un an, presque jour pour jour, était lancée l’opération Chammal destinée à assurer un soutien aérien aux forces armées irakiennes dans leur lutte contre le groupe terroriste Daech, qui se fait appeler « État islamique en Irak et au Levant ».

Conduite par nos armées au sein d’une large coalition internationale, cette opération consiste en des missions de renseignement, mais aussi en des frappes ciblées.

Ainsi, depuis le 19 septembre 2014, près de 1 200 sorties ont été réalisées, plus de 340 objectifs ont été détruits dans la profondeur. À ce jour, notre dispositif mobilise douze avions de chasse de l’armée de l’air, un avion de patrouille maritime Atlantique 2 et 700 militaires.

Une partie de ces personnels est projetée dans les secteurs de Bagdad et d’Erbil au Kurdistan pour former et conseiller les forces de sécurité irakiennes dans des domaines pouvant s’avérer décisifs dans un conflit de type insurrectionnel, comme la topographie, la lutte contre les engins explosifs improvisés, ou encore les techniques commando.

Notre action, comme l’ensemble de celles menées par la coalition, s’inscrit dans le temps long, mais elle a déjà permis d’enrayer la progression de Daech sur le territoire irakien et d’y stabiliser la ligne de front.

Au nord de l’Irak, les terroristes poursuivent leurs actions de harcèlement contre les Peshmergas qui leur ont repris plusieurs zones disputées, mais ne mènent pas d’offensive majeure.

Au centre et sud du pays, après plusieurs victoires tactiques, comme la prise de la ville de Ramadi dans l’Anbar, Daech se réorganise et renforce ses défenses grâce au flot continu de combattants étrangers, transitant depuis ses bases arrière situées en Syrie et qui ne cessent de s’agrandir, avec toutes les conséquences que nous connaissons.

C’est cette situation qui a conduit le Président de la République à élargir au territoire syrien la zone d’action de l’opération Chammal, initialement limitée à l’Irak. Car la folie destructrice de Daech ne se cantonne plus à la seule région du Levant : elle veut désormais toucher le cœur de l’Europe, le cœur de la France, à travers des attentats visant à faire le plus grand nombre de victimes possible.

À Paris en janvier, à Villejuif en avril, en Isère en juin, dans un train reliant Amsterdam à Paris en août : les projets d’attentats se multiplient depuis le début de l’année, avec à chaque fois des liens établis avec des individus appartenant à Daech et agissant depuis la Syrie.

Nos services de renseignement travaillent d’arrache-pied pour juguler la menace terroriste en amont ; notre armée veille à la protection de la population sur le territoire national dans le cadre de l’opération Sentinelle, aux côtés de la police et de la gendarmerie. La France a cependant conscience que le risque zéro ne peut exister.

Face à ces agressions armées, à ces nombreuses atteintes à sa sécurité, notre pays n’a d’autre choix que d’exercer son droit de légitime défense, tel que défini à l’article 51 de la Charte des Nations unies. Aussi, si des frappes d’opportunité venaient à se présenter lors des vols de reconnaissance dont nous discutons aujourd’hui, elles s’inscriraient dans une légalité internationale tout à fait transparente.

Face à la permanence de la menace terroriste venue du Levant, certains semblent céder à une forme de fébrilité, et se laisser aller à des scénarios maximalistes prévoyant une intervention terrestre.

Mes chers collègues, être va-t-en-guerre est une chose, être un chef des armées averti en est une autre. Fort heureusement pour notre pays et pour les femmes et les hommes qui le servent, le Président de la République appartient à la seconde catégorie. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains. – Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.) Je savais que cela vous ferait plaisir…

Car oui, prôner un déploiement de troupes au sol est bel et bien inconséquent et irréaliste. Qui, à ce jour, peut croire qu’à elle seule, la France, avec quelques milliers de soldats, réglerait la situation en Syrie ? (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.) Le 30 juin dernier, lors de son audition devant la commission de la défense, le ministre de la défense affirmait que le théâtre syrien se trouvait dans une situation d’atomisation croissante, dans laquelle aucune force ne semble prendre le dessus militairement. Entre l’opposition modérée, les forces armées du régime en place, les groupes insurgés alliés au Front Al Nosra et les forces de Daech, la Syrie est en proie à un véritable chaos où – je cite le ministre de la défense – « il est parfois difficile d’identifier qui combat et contre qui ». Envoyer des soldats français dans un tel bourbier relèverait de la pure folie et ne peut être considéré avec sérieux lorsqu’on a le sens des responsabilités. Comme l’a rappelé tout à l’heure le Premier ministre, il s’agit bien, si cela se révèle possible, d’accompagner les forces régionales qui pourraient se coaliser et intervenir au sol avec toute la légitimité nécessaire. Il nous faut donc continuer à former les troupes irakiennes et à leur donner l’appui de la coalition. Oui, cela prendra du temps, mais une guerre comme celle-ci ne peut se gagner qu’avec une vision stratégique de long terme, quand précipiter les événements par des opérations hasardeuses serait contre-productif.

C’est la raison pour laquelle le groupe socialiste, républicain et citoyen apporte tout son soutien à la poursuite de l’opération Chammal et à son extension au territoire syrien, telle que décidée par le chef de l’État. Les vols de reconnaissance permettront de renforcer considérablement notre capacité autonome d’appréciation de la situation sur le terrain en Syrie. Cela permettra les actions qui seront jugées nécessaires sur les centres névralgiques et logistiques de Daech, qui constituent aussi la base arrière de leurs attaques contre notre population. En tant que membre de la délégation parlementaire au renseignement, je souhaite souligner à quel point cette autonomie en termes de recueil d’informations, puis d’analyse en temps réel, est précieuse. Ce sont ces éléments qui permettent d’avoir une autonomie de décision concernant nos propres objectifs, en coordination, bien sûr, avec nos alliés.

Notre action en Syrie est donc dans la suite logique de celle que nous entreprenons en Irak. Ce n’est bien sûr en aucun cas – le Premier ministre vient de le rappeler – un geste de soutien au régime de Bachar al Assad, qui a contribué à la création du monstre Daech et massacré impunément sa population.

À ce titre, l’adoption, le 17 août dernier, d’une déclaration du conseil de sécurité des Nations unies en soutien à un processus de transition politique en Syrie sous l’égide de Staffan de Mistura, envoyé spécial du secrétaire général, a peut-être marqué un tournant dans la recherche d’une solution politique. En effet, c’est la première fois depuis deux ans qu’a été trouvé un consensus au sein du conseil de sécurité et de ses cinq membres permanents sur la nécessité de mettre en place un gouvernement de transition, doté des pleins pouvoirs exécutifs, conformément aux principes du communiqué de Genève.

Monsieur le Premier ministre, dans la continuité de ce consensus et du succès diplomatique que constitue l’accord sur le nucléaire iranien, il est nécessaire de rendre possibles les accords de Genève III, cette fois-ci suivis d’effets et avec la participation à la fois des pays voisins de la Syrie – vous les avez cités tout à l’heure – et des puissances régionales que sont la Russie et l’Iran. Je crois pouvoir parler au nom de l’ensemble de mes collègues du groupe socialiste, républicain et citoyen, en encourageant de nouvelles négociations qui permettraient, sans Bachar al Assad mais avec les éléments alaouites « raisonnables » du régime, de constituer un gouvernement de transition avec l’opposition modérée.

Notre action militaire est une condition nécessaire pour enrayer la progression des groupes terroristes, mais elle ne peut suffire à elle seule. Sans une formation solide des forces irakiennes qui ont vocation à intervenir sur le terrain, sans un règlement politique de l’imbroglio syrien, l’idéologie funeste et les exactions barbares de Daech continueront de prospérer sur les ruines de notre impuissance diplomatique, tandis que l’action militaire ne pourra, au mieux, que les contenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. Christian Jacob, pour le groupe Les Républicains.

M. Christian Jacob. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, la pudeur, dans la vie publique, est une vertu. Mais il faut bien confesser que face à l’image insoutenable du corps du petit Aylan Kurdi, nous avons, comme tant de nos concitoyens, eu les larmes aux yeux.

Les larmes face au cauchemar d’un enfant, les larmes face au destin brisé d’une famille, d’une famille qui aurait été dans le cortège de celles et ceux qui, depuis plusieurs mois, traversent les Balkans vers l’Europe centrale, avec un but : rejoindre l’Occident. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : ce peuple de damnés, venus du Moyen-Orient à feu et à sang, n’espère qu’une chose, fuir la barbarie vers ce que l’Occident, pour le monde entier, incarne, à savoir la liberté, la démocratie et le respect absolu de la personne humaine.

Oui, chez nous, ici en France et partout dans les pays qui partagent nos valeurs, la vie d’un homme, la vie d’un enfant, n’a pas de prix, et nous considérons que ce fondement de notre civilisation est universel.

L’urgence du moment, le chaos à certains égards, imposent un sens aigu de la responsabilité aux dirigeants et responsables publics européens et français, un sens des responsabilités d’autant plus grand que comme nous, vous savez bien qu’un grand pays comme la France ne peut définir sa politique sous la pression des événements. C’est vrai de notre diplomatie, c’est vrai de notre action militaire ; c’est vrai aussi de notre politique migratoire.

La France est souveraine. Elle a donc le devoir de surveiller ses frontières. La France et la République ont le devoir de dire la vérité aux Français. Nous ne pouvons pas laisser béante la brèche qui s’est ouverte en Europe.

Nous n’avons pas le droit de laisser naître des espoirs inconsidérés chez des centaines de milliers d’hommes et de femmes qui sont des réfugiés de guerre. Ce serait irresponsable de penser ou de laisser croire qu’ils pourront se maintenir sur le territoire national dans la durée.

Demain, nous aurons ce débat dans l’hémicycle. Nous attendons de connaître la position du Gouvernement, qui a beaucoup zigzagué sur la question des migrants et des quotas. (Protestations sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.) À votre décharge, monsieur le Premier ministre, le Président de la République a été incapable, sur ce sujet comme sur d’autres, de donner un cap.

M. Henri Emmanuelli. Et Sarko ?

M. Christian Jacob. À l’heure du chacun pour soi en Europe, il n’y aura pas d’autre solution qu’un Schengen II. II n’y aura pas d’autre solution que d’interdire la libre circulation des non communautaires. II n’y aura pas d’autre solution que de privilégier l’accueil des réfugiés de guerre, à l’exclusion de tous les autres et dans des conditions qui leur permettront, le moment venu, de rejoindre leur pays.

Aujourd’hui, c’est de nos armées que la Constitution nous engage à parler. Nous allons donc en parler, d’abord en vous rappelant que là aussi, la constance n’a pas été la marque de fabrique du Président de la République. Le 4 septembre 2013, vous n’étiez pas encore chef du Gouvernement, monsieur le Premier ministre, François Hollande convoquait déjà le Parlement pour l’informer de sa décision d’engager l’armée française en Syrie.

On se souvient de ce qu’il en est advenu : un véritable fiasco diplomatico-militaire.

M. Pascal Popelin. C’est réécrire l’histoire !

M. Christian Jacob. Un fiasco parlementaire également, qui ne fut pas à l’honneur de l’Assemblée nationale. Tenez-vous bien : nous avions débattu d’une décision que le Président de la République n’avait pas encore formellement prise et que, d’ailleurs, il ne prendrait pas, s’étant aligné sur la position des Américains, qui entre-temps avaient changé d’avis.

M. Henri Emmanuelli. Cela ne vole pas haut !

M. Christian Jacob. Force est de reconnaître que la situation, en deux ans, est devenue incontrôlable. L’État islamique a imposé un califat de la terreur et de la barbarie, un califat qui revendique le viol, la torture et l’esclavage des femmes. Une monstruosité dont sont victimes les chrétiens d’Orient, les Yézidis, les Kurdes et des populations civiles innocentes et désarmées. Une monstruosité qui s’est importée ici en France, une France qui a été attaquée au plus profond d’elle-même en janvier et qui, depuis, redoute de nouveaux crimes, comme l’a rappelé l’attentat déjoué du Thalys.

Oui, monsieur le Premier ministre, vous avez raison de dire que nous sommes confrontés à une guerre de civilisation. Ce califat veut notre mort, la mort de la civilisation judéo-chrétienne, celle de notre héritage gréco-romain ; et c’est ce qu’il a commencé en détruisant le site millénaire de Palmyre. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

Face à un ennemi bestial, il nous faut une détermination totale, avec des objectifs diplomatiques et militaires précis. Car ce qui se joue fondamentalement, c’est, pour les décennies qui s’ouvrent, notre capacité à nous faire respecter, à montrer que nous ne transigerons jamais – je dis bien jamais – avec la défense de nos racines profondes. Ce qui est en jeu, c’est notre détermination à éviter la gangrène de l’islamisme radical pointant sur les rives est et sud de la Méditerranée, c’est-à-dire à nos portes.

Notre objectif, notre seul objectif, c’est l’éradication de Daech ; et en vous entendant, monsieur le Premier ministre, nous restons inquiets et dubitatifs sur la stratégie du Président de la République, qui, sur la question syrienne, a tout faux depuis le début.

En septembre 2013, il voulait engager la France, seule avec les États-Unis, dans une aventure en Syrie sans base légale internationale. En septembre 2014, il a pris le parti d’une intervention aérienne en Irak, mais pas en Syrie, prétextant qu’il n’avait pas de base légale. Comprenne qui pourra !

M. Pascal Popelin. Vous n’y comprenez rien !

M. Christian Jacob. En septembre 2015, il exige des opérations militaires en Syrie. Admettez que ces changements de cap successifs sont incompréhensibles !

Nous, nous nous tenons au contraire à la ligne que nous avons défendue ici, à cette tribune, en septembre 2013, en septembre 2014 et aujourd’hui : oui à une intervention en Syrie, mais à plusieurs conditions. D’abord, avec une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU. Cela impose un dialogue avec les Russes – sans les Russes, vous ne ferez rien. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.) Ensuite, une coalition des puissances voisines, notamment la Turquie, l’Arabie Saoudite ; et vous l’avez dit, il faudra bien parler avec l’Iran.

M. Yves Fromion. Très bien !

M. Christian Jacob. À l’heure où nous parlons, la question n’est plus de savoir s’il faut intervenir. Refuser d’intervenir, ce serait poser un genou à terre face à Daech. La question, la seule, est de savoir comment nous intervenons. Est-ce qu’une intervention exclusivement aérienne, sans mandat international, sans mobilisation des grandes puissances régionales, apporterait un bénéfice stratégique dans la durée ? Nous pensons clairement que non.

Monsieur le Premier ministre, ce que nous demandons au Président de la République, c’est de prendre l’initiative d’une grande coalition internationale. Ce que nous lui demandons, c’est de préciser ses objectifs en Syrie. Quel est votre objectif prioritaire ? Est-ce le départ de Bachar al Assad comme vous l’avez dit, ou est-ce la défaite de Daech ? Si réellement, c’est bien cet objectif que nous poursuivons, alors il faudra emporter l’adhésion de tous les pays qui ont des intérêts à défendre dans la région, et parfois faire des compromis, quoi qu’il en coûte à l’orgueil présidentiel.

M. Pascal Popelin. Oh là là !

M. Jean Glavany. Quelle hauteur de vue ! Avec lui, on n’est jamais déçu !

M. Christian Jacob. La politique étrangère de la France a besoin de clarté, elle a besoin de profondeur et d’indépendance. Aujourd’hui, elle n’en a pas. Ni clarté – on ne sait pas où on va –, ni profondeur, car nous avons déséquilibré nos alliances historiques, notamment avec la Russie. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen ; applaudissements sur quelques bancs du groupe Les Républicains), ni indépendance, car la France n’est plus le pays écouté et capable d’entraîner ses partenaires.

Il est grand temps, plus que temps, que le Président fasse vivre la voix singulière de la France dans le concert des nations.

M. Henri Emmanuelli. Comme en Libye !

M. Christian Jacob. Il en a une occasion unique, mais je crains que ce ne soit mal engagé. Mal engagé, car nous ne viendrons à bout de Daech que par la force que confère le droit international. Mal engagé, car nous n’en viendrons à bout que par une action militaire puissante, coordonnée dans les airs et au sol.

Des frappes exclusivement aériennes – tous les militaires le disent – risquent de n’être qu’un coup d’épée dans l’eau. L’histoire nous a enseigné que l’on peut combattre le totalitarisme – ce califat fanatique en est un – mais par un engagement total. Nos soldats auront évidemment notre soutien en Syrie, comme ils l’ont en Irak ou au Mali. Ils sont les valeureux fantassins d’un combat essentiel pour nos valeurs et pour la sécurité des Français. Nous leur en sommes profondément reconnaissants. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.) Autour d’eux, la nation doit se donner les capacités de gagner, dans le cadre de l’ONU, avec nos alliés et toutes les puissances qui ont des intérêts dans cette région. Votre responsabilité, celle du Président de la République, c’est d’être à la hauteur du rang de la France. Ce jour-là, n’en doutez pas une seconde, l’opposition sera avec vous, pour l’intérêt supérieur de la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. François Rochebloine. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Philippe Folliot, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Philippe Folliot. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre de la défense, mes chers collègues, la France a été touchée en plein cœur par des attentats visant à détruire nos valeurs. Des massacres et des exactions sont perpétrés sans relâche contre les civils en Irak et en Syrie. Des crimes à grande échelle sont commis contre les droits de l’homme, et plus particulièrement envers les femmes, victimes de viols, réduites à l’asservissement et dont les enfants sont réduits en esclavage. Les minorités religieuses, au premier rang desquelles les chrétiens d’Orient, sont la cible d’une épuration terrible et l’on dénombre, enfin, des réfugiés par milliers, morts pour beaucoup sur les rivages du sud de l’Europe.

Le point commun entre ces catastrophes porte un nom : Daech. Contre Daech, il ne peut y avoir de demi-mesure, d’attentisme ou de compromis possible : nous devons nous donner les moyens de l’éradiquer.

M. François Rochebloine. Très bien !

M. Philippe Folliot. Or, chaque jour qui passe est malheureusement un jour de plus qui permet à ces terroristes de gagner du terrain. La communauté internationale n’a que trop tardé à agir efficacement.

Quand la barbarie menace nos valeurs et la sécurité de nos concitoyens, menace tout simplement la civilisation, les querelles partisanes doivent s’effacer devant le devoir d’union nationale, voire internationale. C’est pourquoi les députés du groupe UDI ont soutenu sans réserve le Président de la République et le Gouvernement au Mali, en Centrafrique et, bien évidemment, lors du lancement de l’opération Chammal en Irak, il y a maintenant un an.

Je veux saluer ici le courage et le professionnalisme des militaires français, qui servent notre pays avec courage et abnégation. (Applaudissements sur divers bancs.) Ils sont la fierté de la France.

Cela étant, la question des moyens consacrés à notre défense, comme j’ai pu personnellement le constater au cœur du Sahara cet été, se pose toujours avec acuité.

L’engagement des forces françaises en Irak était une absolue nécessité face à l’agression terroriste fulgurante qui a conquis un tiers de ce pays en quelques semaines. Mais aujourd’hui, l’emprise de Daech se répand bien au-delà des frontières de l’Irak, avec tout ce que cela comporte. En Syrie, tout d’abord : depuis un an, Daech n’a cessé de conquérir de nouveaux territoires ; la prise et la destruction de la cité antique de Palmyre en est un terrible exemple. Ce ne sont pas seulement des points sur une carte qui passent d’un camp à un autre : pour les populations civiles, chaque avancée des islamistes fanatisés entraîne de nouvelles souffrances. Les plus fragiles, les femmes, les enfants, les personnes âgées et handicapées, ainsi que les populations civiles musulmanes, mais également les minorités religieuses, sont les proies quotidiennes de Daech.

M. François Rochebloine. Eh oui !

M. Philippe Folliot. Ces hommes et ces femmes fuient par dizaines de milliers les atrocités, sont arrachés à leur foyer et se jettent à corps perdu dans un exil synonyme de danger et, souvent, de mort.

Au-delà de l’Irak et de la Syrie, chaque semaine, chaque jour, l’influence de Daech continue de s’étendre, dans les pays voisins et au-delà : plus d’une vingtaine de mouvements djihadistes dans le monde ont prêté allégeance à Daech, non seulement au Nigeria, en Libye, au Yémen, en Tunisie, mais également en Égypte, en Afghanistan, en Algérie, en Arabie Saoudite, et jusqu’en Tchétchénie. Le fragile équilibre de la région est plus que jamais menacé par la folie meurtrière et destructrice de Daech. Les États vacillent. Le risque de voir la Turquie, la Jordanie, ainsi que le Liban basculer, est réel. Ces pays doivent à la fois se battre à leurs frontières contre Daech et les terroristes, et s’organiser face à l’afflux toujours plus important de réfugiés.

S’agissant du Liban, le pourcentage de réfugiés, ramené à l’échelle de notre pays, représenterait 15 millions de personnes. À cet égard, les polémiques à propos des 24 000 réfugiés paraissent quelque peu dérisoires.

M. François Rochebloine. Eh oui !

M. Philippe Folliot. La France est grande et telle qu’elle-même, quand elle est généreuse et ouverte envers celles et ceux qui sont pourchassés dans leur pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste.) Être une terre d’asile fait partie de notre ADN et de cela, nous ne pouvons nous détourner.

Enfin, cette crise sans précédent a atteint l’Europe de manière spectaculaire. Le défi est immense. Les réfugiés tentent par milliers de rejoindre nos rivages. L’aide humanitaire que nous pouvons essentiellement leur apporter en les accueillant est essentielle, mais ne pourra résoudre le cœur du problème : tant que Daech prospérera, les civils continueront, au péril de leur vie, à fuir la barbarie et les territoires dévastés.

Par ailleurs, les combattants étrangers venant grossir les rangs de Daech affluent de plus d’une centaine de pays. La France occuperait d’ailleurs, assez tristement, la première position parmi les pays européens : près de 1 700 Français seraient impliqués d’une façon ou d’une autre dans les filières irako-syriennes. Chaque individu qui rejoint ces terroristes met en péril la sécurité de la France et des Français : les auteurs des terribles attaques sur notre sol ces derniers mois avaient d’ailleurs, dans leur immense majorité, combattu en Syrie.

Force est donc de constater que l’action de la communauté internationale en Irak n’a pas atteint son but. Si les frappes aériennes ont peut-être permis de freiner l’avancée des terroristes et de reprendre le contrôle de certaines villes, elles n’ont suffi ni à entamer une véritable reconquête territoriale, ni à affaiblir durablement Daech.

Le temps de la parole politique est passé, et les jours sont comptés : pour éliminer Daech, il convient de mener une action déterminée là où ce mouvement est né, en Syrie. À ce titre, nous saluons l’inflexion de la politique du Président de la République, qui a décidé de se tourner vers la Syrie, alors qu’il avait affirmé lors du lancement de l’opération Chammal que la France n’interviendrait qu’en Irak. Les députés du groupe UDI soutiendront les vols de reconnaissance au-dessus de la Syrie. Nous appelons également le Gouvernement à décider sans plus tarder de frappes aériennes : elles ne constituent à nos yeux qu’une première étape, qui aurait dû être engagée depuis de nombreux mois. Nous ne pourrons toutefois pas en rester là. Pour mieux faire face au soulèvement de son peuple, Bachar al Assad, dans un premier temps, et pour mieux déstabiliser ses opposants, a laissé avancer Daech qui, dès lors, a malheureusement pu prendre l’ampleur inédite que nous connaissons aujourd’hui. L’absence d’opposition solide aux terroristes en Syrie pendant de si nombreux mois leur a permis de s’y implanter de manière durable, de se comporter en véritable État et de s’enraciner toujours plus profondément dans les territoires qu’ils contrôlent.

Nous devons, dès à présent, nous engager de manière décisive pour une intervention terrestre, aux côtés des forces locales affrontant les djihadistes – les combattants kurdes, les milices chiites en Irak et l’Armée syrienne libre, qui, à eux seuls, sont malheureusement incapables de changer la donne. Au-delà, nous devons, avant tout, en tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, être le fer de lance d’une mobilisation internationale permettant de déboucher sur le vote d’une résolution autorisant une opération au sol avec le concours des puissances de la région – Arabie Saoudite, Égypte, Iran, Turquie –, avec une participation active des États-Unis, aux côtés de la France et de l’Europe, sans oublier la Russie, à replacer au cœur du jeu.

Entre deux maux, il faut avoir le courage de choisir le moindre. Si dans l’indicible horreur, Daech et le régime syrien se valent, force est de constater que l’un nous fait la guerre et l’autre pas : il est urgent d’en tirer les conséquences. Pour résoudre la question des réfugiés en Syrie et en Irak, cette résolution devrait prévoir très rapidement une force d’intervention du type de la Force intérimaire des Nations unies au Liban – FINUL ; elle devrait être engagée afin de sécuriser des camps de réfugiés sur place, dans l’attente d’une solution politique au conflit, tant en Syrie qu’en Irak.

Les immenses moyens financiers de Daech et l’assèchement de ceux-ci sont une des clefs de ce conflit. Tout un chacun sait, en effet, que ces soutiens financiers ont conduit de nombreux soldats de l’Armée syrienne libre à rejoindre les milices de Daech ou les groupes djihadistes. Pour qu’une intervention étrangère sur le sol syrien soit réellement efficace, il apparaît essentiel d’aider la coalition nationale syrienne, afin d’identifier les combattants républicains, les équiper et les former militairement, car eux seuls sont parfaitement connaisseurs de la région et des positions terroristes, et, partant, sont rodés à les combattre.

C’est seulement de cette manière que la communauté internationale se donnera les moyens de détruire Daech. C’est une décision extrêmement lourde et grave. C’est pourtant une décision que nous ne pouvons plus repousser. Le grand dessein d’un pays comme le nôtre reste non seulement d’être partie prenante de la décision, mais aussi de donner du temps et de la profondeur à sa politique étrangère, qui doit retrouver des inspirations gaulliennes, et non être tributaire de la tyrannie de l’émotion. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

C’est pourquoi les députés du groupe UDI soutiennent sans réserve cette proposition mais, au-delà, appellent solennellement le Président de la République à mobiliser immédiatement la communauté internationale pour le vote d’une résolution aux Nations unies donnant enfin les moyens d’intervenir efficacement contre la bête immonde du terrorisme incarnée par Daech. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et sur quelques bancs du groupe Les Républicains et du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. François de Rugy, pour le groupe écologiste.

Plusieurs députés du groupe Les Républicains. Pour quel groupe ?

M. le président. S’il vous plaît ! Chacun ses problèmes ! (Sourires.)

M. François de Rugy. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, chers collègues, il y a plus de quatre ans, la répression du « printemps arabe » par le régime de Bachar al Assad s’est transformée en guerre civile. Depuis quatre ans et demi, les violences et les crimes perpétrés en Syrie, et par ce régime, et par les combattants de l’État islamique, ont conduit à une crise sans précédent. Je veux ici en rappeler l’ampleur et la gravité : plus de 220 000 personnes, dont 31 000 enfants, ont trouvé la mort en Syrie ; 4 millions de Syriens ont dû quitter leur pays et sont aujourd’hui réfugiés, avant tout dans les pays voisins – le Liban, la Jordanie et la Turquie – et 7,5 millions de civils sont déplacés dans leur propre pays – ce chiffre pourrait franchir la barre des 9 millions d’ici à la fin de l’année. Ce mouvement de réfugiés, jetés sur les routes de l’exil par cette guerre, touche maintenant l’Europe. De l’aveu du coordinateur de l’action humanitaire des Nations unies en Syrie, l’Europe pourrait bientôt être confrontée à une crise des réfugiés similaire à celle qui a conduit à la création du Haut Commissariat pour les réfugiés. Il s’agissait à l’époque, rappelons-le, de venir en aide aux populations déplacées par la Seconde guerre mondiale.

Les conséquences de la crise syrienne sont manifestes partout en Europe avec l’afflux massif de réfugiés que connaît notre continent et qui appelle, de la part de tous les États de l’Union européenne, une réaction d’humanité, de solidarité et de responsabilité.

Mme Brigitte Allain et M. Noël Mamère. Très bien !

M. François de Rugy. Il faut pour cela plus d’Europe, plus de coordination européenne, et non pas moins d’Europe et un repli national et nationaliste. L’attitude de certains États européens est inacceptable parce qu’elle est contraire à l’essence même du projet européen.

La crise syrienne a cependant aussi des ramifications en France : la Syrie est devenue la destination privilégiée des jeunes Français en voie de radicalisation et demeure un des creusets du djihadisme international qui nous a tragiquement frappé il y a neuf mois et plusieurs fois depuis lors. Dans ce contexte, le Président de la République a annoncé la semaine dernière l’autorisation de vols de reconnaissance au-dessus de la Syrie, alors que la participation militaire de la France était jusqu’alors circonscrite au territoire irakien.

Je tiens tout d’abord, monsieur le Premier ministre, à m’associer à mon tour, au nom de mon groupe, à l’hommage que vous avez rendu à l’action des soldats qui assurent la présence française sur ce territoire si difficile.

La décision du Président de la République nous semble relever du bon sens. Il était tout d’abord incohérent de concentrer nos frappes sur l’Irak alors que les leviers de puissance de l’État islamique – ses centres opérationnels, ses postes de commandement – sont en grande partie situés en Syrie. Ensuite, les informations que ces vols permettront de recueillir constituent un atout non négligeable pour évaluer les forces en présence et adapter notre stratégie. Enfin, dans la mesure où elle matérialise la possibilité d’une riposte, une présence aérienne peut amener à une négociation favorable.

Aussi, mes chers collègues, la question qui se pose aujourd’hui est d’abord celle non pas des moyens, mais de la stratégie : à quelle logique la France obéit-elle en engageant des capacités aériennes en Syrie ? Quels sont les objectifs militaires ou politiques poursuivis ? C’est à ces questions que le débat parlementaire d’aujourd’hui doit permettre de répondre.

Depuis plusieurs jours, certains collègues de l’opposition plaident en faveur d’une intervention militaire française au sol,…

M. Christian Jacob. Non, pas nécessairement !

M. François de Rugy. …mais encore faut-il préciser les contours d’un tel scénario. Depuis un an, les différentes composantes de la coalition ne parviennent pas à s’accorder sur les finalités de l’opération. Dispersée, l’action militaire se limite à des manœuvres d’endiguement et ne peut permettre un recul durable de l’État islamique, alors que celui-ci continue de mettre en œuvre son projet totalitaire. De plus, l’imbrication des problématiques territoriales, ethniques et religieuses empêche les puissances régionales de s’accorder sur un relais au sol.

Par ailleurs, si l’intervention terrestre devait être assumée par la coalition internationale, il faudrait que les partenaires soient disposés à fournir les moyens humains, budgétaires et matériels nécessaires à un engagement d’une telle ampleur. Plusieurs experts militaires estiment que, pour être efficace, cette intervention devrait s’appuyer sur au moins 40 000 hommes dans un premier temps pour contrôler et sécuriser le territoire, puis 100 000 hommes pour garantir la stabilité de la région le temps d’une transition politique.

Enfin, au regard de la détermination des combattants de l’État islamique et des méthodes de guérilla qu’ils emploient – dispersion, dissimulation dans la population, utilisation de véhicules civils –, une opération au sol coûterait nécessairement des pertes militaires et civiles importantes. Aucun pays ne semble aujourd’hui disposé à payer le prix humain et politique d’un tel engagement et il apparaît effectivement qu’une intervention militaire terrestre serait inconséquente et irréaliste, comme l’a dit le Président de la République voilà quelques jours.

Il y a deux ans, nous avions soutenu la position de la France, qui refusait l’inaction et proposait une riposte après l’utilisation d’armes chimiques par Bachar al Assad contre son propre peuple. Malheureusement, la communauté internationale n’avait pas suivi et a ainsi offert un terrible répit à ce régime.

Voilà douze mois, à cette tribune, j’avais plaidé en faveur de l’organisation d’une conférence internationale pour la paix au Moyen-Orient qui traiterait en priorité de la question des garanties données aux minorités. Les Chrétiens d’Orient, les Yézidis et les Kurdes sont les premières victimes du chaos qui s’installe en Syrie et en Irak. Le comble, c’est que les Kurdes, qui combattent l’État islamique avec la dernière énergie, se retrouvent bombardés par l’armée turque.

Mme Laurence Dumont. Très bien !

M. François de Rugy. Une sortie de la guerre civile en Syrie ne peut être envisagée sans une démarche politique de ce type. Pour les écologistes, une amélioration de la situation dans la région passe nécessairement par une solution politique négociée et, concernant les Kurdes, la France doit défendre le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

Qu’est-ce qui permet en effet aujourd’hui à l’État islamique de se maintenir et de prospérer ? C’est le soutien populaire dont il bénéficie dans un certain nombre de provinces sunnites. Considérer les intérêts des tribus, des communautés et des groupes locaux, poser la question de l’autonomie régionale ou de nouveaux modes d’administration, notamment pour les Kurdes, c’est apaiser les relations entre les peuples et priver l’État islamique de sa légitimité. Ces initiatives sont les seules à même de créer les conditions d’un retournement de la population contre l’État islamique et de garantir qu’un accord de paix durable pourra être réellement appliqué.

La conférence internationale pour la paix devrait réunir toutes les parties prenantes : non seulement les États-Unis et l’Union européenne, dont la France, bien sûr, mais aussi les États arabes de la région, les monarchies du Golfe, la Turquie, et l’Iran, qui, depuis la signature de l’accord sur le nucléaire civil et militaire, a désormais vocation à réintégrer la communauté internationale. La Russie doit également prendre sa part dans les négociations. La semaine dernière, le Président de la République a indiqué que pour la première fois depuis de nombreux mois les accords de Minsk étaient en passe d’être respectés. Cette nouvelle donne doit permettre de placer la Russie devant ses responsabilités. Son soutien constant et important au régime syrien, avec celui de l’Iran, est en effet ce qui a permis à Bachar al Assad de se maintenir au pouvoir.

La presse s’est par ailleurs fait l’écho d’une présence militaire russe renforcée ces derniers jours sur le territoire syrien. Des avions de transport auraient atterri à l’aéroport Bassel al Assad, des bâtiments de débarquement de chars auraient accosté au port de Tartous. Ces initiatives doivent être prises en considération avec le plus grand sérieux. Si la Russie souhaite reprendre sa place de grande puissance dans la communauté internationale et s’assurer demain une présence au Moyen-Orient, alors nous disposons de leviers pour engager avec elle de nouvelles tractations diplomatiques, ce qui s’apparente, chers collègues de l’opposition, non pas à une nouvelle alliance, mais plutôt à un nouveau bras de fer.

À propos du conflit syrien, un colonel de l’armée française spécialiste des questions de doctrine militaire, Michel Goya, écrivait récemment : « Il n’existe fondamentalement que deux manières de terminer une guerre : la négociation, plus ou moins explicite, ou la destruction de l’un des camps. » À défaut de pouvoir ou de souhaiter opter pour la deuxième option, nous devons aujourd’hui résolument nous engager dans la première. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Moignard, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Jacques Moignard. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, madame la présidente de la commission de la défense, chers collègues, la Syrie s’enfonce chaque jour davantage dans la violence et le chaos.

Comment pourra-t-on écrire l’histoire d’une révolte populaire pacifique qui s’est transformée sur le champ en rébellion armée en réaction à une répression sanglante ? Comment pourra-t-on expliquer que ce terrible conflit fratricide a ouvert une brèche à l’avancée d’un État qui se proclame islamique ? Aujourd’hui, quatre ans après le début des événements, quatre années au cours desquelles plus de 300 000 personnes ont été tuées, à présent que des milliers et des milliers de migrants se pressent aux frontières de l’Europe, que des réfugiés occupent le sol libanais, jordanien, comment agir face à ce chaos qui embrase la moitié de la planète ?

M. Jean-Luc Laurent. C’est la question !

M. Jacques Moignard. Il s’agit bien du verbe agir, agir contre Daech, à l’origine branche dissidente d’Al Qaïda, qui s’est autoproclamée depuis juin 2014 « État islamique en Irak et au Levant » et qui est devenue l’organisation terroriste la plus puissante de la région.

Cette organisation représente un danger à plus d’un titre.

M. Jean-Luc Laurent. Il faut l’éradiquer !

M. Jacques Moignard. Tout d’abord, elle a à ce jour sous son contrôle un immense territoire : il faut le rappeler, Daech étendrait son influence sur environ la moitié des territoires irakien et syrien. Elle y contrôle les principaux points de communication et axes stratégiques que sont les villes, les fleuves et les postes-frontières. Sur ce vaste territoire, l’État islamique a rétabli le califat avec à sa tête Abou Bakr al-Baghdadi, proclamé calife sous le nom d’Ibrahim. Dans cette expansion terroriste, ce sont désormais Alep et Bagdad qui sont visées, puisque Daech ambitionne d’établir à terme un califat allant du Levant – la Syrie, le Liban, la Jordanie et la Palestine –à l’Irak.

Cette organisation est un danger car elle dispose de moyens financiers et d’une force combattante considérables, cela a été rappelé. Sans une fortune estimée à 2 milliards de dollars, fortune alimentée par des sources de financements divers tels que des donateurs privés, le butin de la banque centrale de Mossoul, l’exploitation des puits de pétrole et le racket commis dans les zones sous son contrôle, l’EI ne pourrait mener ses exactions barbares. Il ne pourrait pas non plus y parvenir sans la force combattante d’environ 30 000 individus venus d’Irak, de Syrie et, pour la plupart d’entre eux, d’Occident.

Daech est surtout un danger par son idéologie, cela a également été rappelé tout à l’heure. Sous le couvert de principes islamiques, elle prône une doctrine mafieuse et criminelle pour asservir les populations sous son contrôle. Elle y parvient en menant une épuration ethnique et religieuse aux conséquences humaines et humanitaires désastreuses. Ainsi exécute-t-elle presque systématiquement les militaires et miliciens des armées irakiennes et syriennes faits prisonniers et les rebelles syriens. Ainsi massacre-t-elle des civils, notamment dans certaines communautés comme celles des Chrétiens d’Orient, des Yézidis, des Turkmènes, des Kurdes, des Shabaks.

Les méthodes d’exécution barbares sont toujours les mêmes – fusillades, décapitations et crucifiements –, à tel point que, à juste titre, l’EI est accusé de crimes de guerre, de nettoyage ethnique et de crimes contre l’humanité par l’ONU, la Ligue arabe, les États-Unis et l’Union européenne.

En plus de s’en prendre aux hommes, aux femmes et aux enfants, les terroristes s’attaquent à l’histoire, à la culture et à l’art. Ce sont déjà le musée de Mossoul, la cité assyrienne de Nemrod, la cité parthe de Harta, le temple de Bêl à Palmyre qui ont été saccagés. Daech veut éradiquer toutes les traces d’un passé dans lequel ont coexisté les civilisations et les grandes religions.

Cette organisation fait donc montre par son idéologie, ses méthodes et ses objectifs d’une dangerosité exceptionnelle qui a pris, en une année, une ampleur considérable, avec les dramatiques conséquences que nous connaissons tous, à commencer par ce que nous voyons tristement chaque jour désormais : un afflux historique de réfugiés qui fuient la guerre et les massacres vers les pays limitrophes et jusqu’aux portes de l’Europe. Parmi eux, 4 millions de Syriens auraient déjà fui leur pays, soit la moitié de la population du pays ! Un de nos quotidiens titrait dernièrement, et M. Folliot l’a rappelé : « Si la Syrie était la France, 32,5 millions de personnes auraient été déplacées par le conflit ».

Pour répondre à ce drame humanitaire, il est nécessaire d’accueillir ces réfugiés. Depuis le début du conflit, la France a offert à 6 268 Syriens le statut de réfugiés. Nous saluons le choix d’en accueillir plus de 24 000 le plus prochainement possible.

Les conséquences dramatiques de l’avancée de l’EI, nous les subissons aussi chaque jour sur notre propre territoire. Les événements tragiques que nous vivons depuis le début de l’année l’illustrent bien sombrement. Qu’il s’agisse des attaques meurtrières de janvier ou de celle qui a avorté fin août dans le Thalys, les auteurs et commanditaires ont tous un point commun : ils ont pour base arrière la Syrie.

En effet, la France est aujourd’hui confrontée, comme d’autres pays de l’Union européenne, au basculement de plusieurs centaines d’individus dans l’engagement radical violent, le plus souvent en lien avec des filières qualifiées de djihadistes. Il convient de rappeler à ce titre que la loi visant à renforcer les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme que nous avons votée en décembre dernier trouve dans ce contexte toute sa justification : en mettant en place une interdiction administrative de sortie du territoire, elle fait obstacle à ce que des Français, souvent très jeunes, quittent le territoire national pour se former à la lutte armée ou pour se radicaliser davantage et deviennent à leur retour un danger pour la sécurité nationale.

Il est bon aussi de rappeler que, face à cette menace durable pour toute la région du Proche et du Moyen-Orient et pour le monde entier, la France n’a pas tardé à réagir. Dès le mois d’août 2014, en parallèle des frappes aériennes américaines menées contre l’EI dans le nord de l’Irak, notre pays a commencé par envoyer de l’aide humanitaire aux réfugiés fuyant l’avancée de l’État islamique. Il a ensuite livré des armes aux forces kurdes et irakiennes qui se trouvaient en première ligne dans le combat contre les djihadistes.

Quand une large coalition internationale s’est formée à la demande du gouvernement irakien dans le cadre des résolutions adoptées à l’unanimité par le Conseil de sécurité de l’ONU, la France a pris l’initiative d’organiser à Paris une conférence internationale pour la paix et la sécurité en Irak ; c’était il y a un an, jour pour jour. Réunissant vingt-neuf pays et organisations, dont onze États de la région, elle a souligné l’urgente nécessité de mettre un terme à la présence de l’EI dans les régions où celui-ci avait pris position en Irak.

Quatre jours seulement après la conférence, le 19 septembre 2014, la France lançait l’opération Chammal. Basée aux Émirats arabes unis et en Jordanie, elle est composée de 800 militaires et dotée d’un dispositif important avec six avions Rafale, six avions Mirage, un ravitailleur, un avion de patrouille maritime et une frégate antiaérienne.

Cette opération, menée elle aussi en étroite coordination avec nos alliés présents dans la région, vise à acquérir du renseignement sur les positions, les mouvements et les vulnérabilités des terroristes tout en se tenant prêt à assurer des frappes en cas d’identification de cibles d’opportunité au sol. Très active, elle a permis des avancées significatives dans cette véritable guerre d’usure. Cependant, l’EI constitue toujours une menace grave pour la Syrie, l’Irak et l’ensemble de la communauté internationale. En effet, Daech poursuit ses atrocités et accroît son emprise. Face à une telle menace, une nouvelle action est donc nécessaire.

Le Président de la République, chef des armées, a décidé la semaine dernière d’engager nos forces aériennes dans des vols de reconnaissance au-dessus du territoire syrien. Il s’agit là d’une réorientation de la position française adoptée jusqu’alors. Ces survols permettront aux services français de collecter du renseignement sur les centres d’entraînement et de décision de l’EI en Syrie et pourront être suivis de frappes sur ses camps. Ils n’entraîneront cependant aucune modification du dispositif existant s’agissant de l’Irak, et il est exclu d’envoyer des forces au sol.

L’objectif est aussi, ne l’oublions pas, d’atténuer la menace terroriste sur notre territoire, car Daech nous menace directement. Sans relâche, depuis des mois, nos services de renseignement sont mobilisés pour lutter contre la radicalisation, démanteler les filières terroristes qui nous menacent et identifier et surveiller les individus projetant, depuis la Syrie ou en France même, de perpétrer des attentats sur notre sol. Le temps est venu d’amplifier cet effort. Parallèlement, il faut aussi travailler à ce qui constitue sans doute la solution durable, c’est-à-dire une transition politique en Syrie visant à rendre aux Syriens une perspective politique viable.

Il est donc prioritaire d’accélérer les négociations en vue d’installer à Damas un gouvernement de transition, composé d’éléments du régime comme de membres de l’opposition modérée, et grâce auquel chaque communauté verrait ses droits respectés. Pourquoi, d’ailleurs, ne pas envisager l’envoi sur place d’une délégation parlementaire à même de se rendre compte de la situation et de connaître les positions des forces en présence ?

En tout état de cause, seule une véritable transition politique mettra un terme au drame dont se nourrit Daech et portera un coup d’arrêt définitif à l’expansion de cette organisation qui nous menace tous.

Le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste soutient un tel engagement. (Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. François Asensi, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. François Asensi. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, un an après le déclenchement de l’opération Chammal, les barbares de Daech continuent de semer la mort sur la surface du globe. Sur notre sol, le massacre des journalistes de Charlie hebdo a suivi celui des enfants juifs de Toulouse. Là-bas, c’est un cortège de décapitations, de viols, d’épuration ethnique et d’atrocités sans fin. En détruisant Palmyre, symbole des influences arabe, grecque et romaine entremêlées, Daech s’est attaqué aux plus hautes œuvres de l’esprit et a bafoué ce que la Méditerranée, creuset de toutes les cultures et trait d’union entre l’Orient et l’Occident, a de plus beau.

Ce fanatisme qui nous ramène aux pages les plus sombres de l’Histoire, les députés du Front de gauche sont résolus à le combattre sans merci et sans états d’âme. Nous sommes résolus à le combattre par la force car le dialogue, face à des monstres d’une telle brutalité, est impossible, par l’intelligence, car elle seule fournit durablement un rempart contre l’obscurantisme et la folie, et par la fraternité car cette barbarie n’a rien à voir avec la culture musulmane qu’elle trahit et instrumentalise. Dans cette lutte, nous avons toujours pris nos responsabilités, notamment lors de l’intervention au Mali. Pour autant, ce même esprit de responsabilité nous a amenés à formuler de fortes réserves lors du déclenchement de l’opération Chammal et à ne pas approuver sa prolongation en janvier dernier.

Pourquoi ? Parce que nous étions en désaccord avec notre diplomatie sur deux points majeurs. Nous ne partagions pas le signe d’égalité placé par la France entre Bachar al Assad et Daech. S’il n’existe pas de hiérarchie dans l’horreur, on ne peut pour autant mettre sur un même rang un dictateur et une idéologie porteuse de l’anéantissement de l’humanité. Cette position, plus atlantiste même que celle des États-Unis, nous a menés à l’isolement et à l’impuissance diplomatiques, tout comme notre intransigeance sur le nucléaire iranien. Nous déplorions également que l’intervention militaire se déroule sous l’égide de l’OTAN, ce qui ne manquerait pas de raviver la thèse du choc des civilisations, sans même parler de nos interrogations sur l’efficacité de telles frappes aériennes à défaut de tout volet politique consistant !

Un an après, force est de constater que nos craintes étaient fondées pour l’essentiel. Nous nous trouvons aujourd’hui en situation d’échec. Militairement, Daech a consolidé son emprise géographique. Malgré les milliers de frappes aériennes, aucune ville irakienne n’a été reprise. Si 10 000 djihadistes sont tombés, le fanatisme a fait son œuvre et de nouveaux combattants sont venus les remplacer. Les armées locales, notamment l’armée irakienne, demeurent incapables d’assurer la sécurité de leurs populations.

Sur le plan diplomatique, Erdogan a marchandé sa place dans la coalition de l’OTAN afin d’engager une répression inouïe contre les Kurdes qui sont notre seul rempart contre Daech. C’est un comble : le déclenchement de l’intervention américaine a affaibli notre seul allié fiable, laïc et progressiste de la région !

Du point de vue humanitaire, la persécution des minorités s’est accentuée, tout comme le drame des réfugiés. Notre continent a cru un temps s’en tenir à l’écart en érigeant une Europe forteresse et en se défaussant sur les pays frontaliers de la Syrie. Malgré notre opposition, les moyens de l’agence FRONTEX ont été considérablement augmentés. L’aide au développement a été sans cesse amputée. En fin de compte, la Méditerranée a cessé de représenter l’espoir d’une main tendue pour devenir peu à peu le cimetière de milliers de vies. Face à cette tragédie, les députés du Front de gauche réaffirment que les migrants sont une richesse et non une menace ! C’est pourquoi nous refusons tout tri des migrants au nom même de la fraternité qui fonde notre République !

Au sujet de la Syrie, notre position est claire. Nous soutenons avec détermination le principe de l’engagement d’une force militaire contre Daech pour autant qu’il s’inscrive dans le cadre de l’ONU et s’accompagne d’une feuille de route politique associant l’ensemble des acteurs régionaux. Hélas, nous regrettons que le plan proposé aujourd’hui par l’exécutif emprunte un chemin opposé ! En écartant les Russes, un cavalier seul de la France en Syrie ne ferait qu’éloigner la perspective d’une grande coalition contre Daech. Par ailleurs, une intervention hors de toute autorisation onusienne placerait la France dans l’illégalité au regard du droit international. Enfin, nous maintenons nos interrogations sur les véritables buts de guerre d’une telle opération. Initialement annoncée comme une mission de surveillance et de renseignement, elle s’est muée ces dernières heures en mission de bombardement. Le sentiment qui domine, c’est la confusion ! S’agit-il de combattre Daech ou d’affaiblir l’autorité du régime syrien sur son territoire ?

M. Pierre Lellouche. Bonne question !

M. François Asensi. Le flou demeure ! Dans ces conditions, les députés du Front de gauche ne peuvent approuver l’extension de notre engagement en Syrie. Il est encore plus préoccupant que des va-t-en-guerre toujours plus nombreux prônent une intervention au sol sur le modèle de l’invasion de l’Irak, de l’Afghanistan ou de la Libye. Il s’agirait d’une pure folie vouée à l’échec le plus cuisant ! Les députés du Front de gauche refusent catégoriquement le scénario d’une intervention au sol dépourvue d’un mandat de l’ONU.

Faute d’une grande coalition réunissant sans exclusive tous les États de la région, sunnites comme chiites, toute action de ce type sera immanquablement perçue comme une guerre de civilisation entre l’Occident et les composantes du monde arabe. Rappelons que l’Europe et les États-Unis ont commis une erreur historique en tentant d’imposer par la baïonnette le modèle démocratique occidental. Cette absence de discernement à propos des printemps arabes, valable en Libye mais aussi en Syrie, a mené à la marginalisation des forces progressistes dans ces pays, voire à leur élimination. Pourtant, Nicolas Sarkozy se flatte encore d’avoir déclenché l’intervention militaire en Libye qui a rayé ce pays de la carte et fourni aux terroristes des armes en quantité considérable ainsi qu’une gigantesque base arrière !

Mme Marie-Françoise Bechtel. Exactement !

M. François Loncle. Très juste !

M. François Asensi. Quel cynisme alors qu’il est responsable d’un chaos dont nous paierons l’addition pendant des décennies !

M. Jean Glavany. Très bien !

M. François Asensi. Rappelons aussi que Daech est le fruit de la politique néocolonialiste de l’OTAN et même la « créature des États-Unis », selon les propres mots de la secrétaire d’État Hillary Clinton, repris hier par Bruno Le Maire sur une radio nationale. Par la balkanisation du pays, la marginalisation des sunnites et la décapitation des cadres de l’ancien régime, les États-Unis ont armé Daech. Enfin, rappelons que nous avons trop longtemps fermé les yeux sur le soutien qu’apportent les pétromonarchies aux djihadistes. Qatar et Arabie Saoudite ont joué les apprentis sorciers…

M. Marc Dolez. Bien sûr !

M. François Asensi. …en déstabilisant les pays de la région. En connaissance de cause, nous avons maintenu d’excellentes relations avec ces régimes autoritaires qui bafouent quotidiennement les droits de la femme et de l’homme. Par un marchandage pusillanime, nous avons fait passer nos intérêts économiques et sécuritaires avant les valeurs universelles. Nous en payons aujourd’hui chèrement le prix. L’indignation très sélective de votre gouvernement, monsieur le Premier ministre, abîme chaque jour un peu plus l’image de la France comme étendard des droits de l’homme et de la liberté dans le monde !

Nous vous exhortons donc à sortir de ce logiciel dépassé pour promouvoir une autre voie. Tous les efforts de la France doivent converger vers quatre objectifs : bâtir une grande coalition militaire contre Daech sous mandat de l’ONU impliquant Russes, Iraniens, sunnites et chiites, voire d’autres forces ; élaborer une feuille de route concertée pour la transition politique en Syrie sans en faire un préalable à la coalition ; appuyer immédiatement les efforts des résistants kurdes et les aider militairement ; et enfin assécher les sources de financement du terrorisme. Il est en effet inconcevable que Daech revende sans entrave plus d’un million de dollars de pétrole chaque jour ! L’ambassadrice de l’Union européenne en Irak a affirmé l’an dernier que certains États membres en achètent.

M. Alain Bocquet. Eh oui !

M. François Asensi. Comment la France compte-t-elle faire la lumière sur ces transferts honteux ? Sommes-nous décidés à taper du poing sur la table afin que la Turquie, membre de l’OTAN, cesse de les faciliter ? Le peuple kurde constitue notre plus sûr allié contre Daech. C’est pourquoi nous ne pouvons tolérer les bombardements menés par Erdogan au Kurdistan turc et syrien. Les hommes et les femmes qui ont lutté héroïquement à Kobané sont aujourd’hui pris dans un étau. Face à ces crimes de guerre, les pays occidentaux observent un silence coupable. Nous le disons avec force : assez de complaisance ! Quelles sanctions la France compte-t-elle prendre contre le régime d’Erdogan ? Si nous laissons anéantir les Kurdes, nous aurons perdu la bataille contre Daech !

M. Alain Bocquet. Eh oui !

M. François Asensi. J’ai noté que le Président de la République et vous-même, monsieur le Premier ministre, avez proposé que la France engage enfin un dialogue avec la Russie et l’Iran. C’est un peu tard mais, comme dit l’adage, il n’est jamais trop tard pour bien faire et il est bon que nous nous engagions dans cette voie ! Avec un temps d’avance sur la France, Obama a compris qu’il est urgent de s’appuyer sur l’Iran, allié indéfectible de la Syrie, en facilitant un accord sur le nucléaire en juillet dernier. Il s’agit d’un point décisif pour amener le régime iranien à jouer un rôle plus constructif dans le dialogue avec les autorités de Damas.

De même, nous devons tirer parti de l’inflexion de la Russie, qui a enfin voté en août, après deux ans de refus, un plan de paix onusien pour la Syrie. Une réalité s’impose à tous : nous avons besoin de l’appui de ces grandes puissances contre le terrorisme. Tout en demandant des explications sur le déploiement des forces russes dans la région, la France doit peser de tout son poids pour amener les partenaires autour de la table. Dans un passé proche, face aux pires menaces, les ennemis d’hier ont su se rassembler sur l’essentiel. Aujourd’hui, la communauté internationale doit à nouveau se montrer à la hauteur du péril pour opposer à Daech et à toutes les formes de barbarie une résistance de tous les instants !(Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires étrangères.

Mme Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les ministres, mes chers collègues, nous savons que la situation en Syrie ne cesse de se dégrader dans tous les domaines. Nous savons aussi que l’urgence est humanitaire et atteint également notre sécurité intérieure. La décision d’engager des moyens aériens en Syrie s’inscrit dans une action globale. Nous devons d’abord intensifier le combat mené contre les terroristes. Nous devons aussi accélérer la mise en œuvre d’une transition politique en Syrie. Enfin, nous devons simultanément contribuer à la formulation d’une réponse plus solidaire à la crise des réfugiés.

Militairement, les vols de reconnaissance visent à renforcer notre capacité de renseignement tout en restant dans le cadre de la légalité internationale fixée par l’article 51 de la Charte des Nations unies. Nous savons que des menaces sont dirigées contre la France à partir du territoire syrien, notamment depuis des centres de décision ou des camps d’entraînement. Nous devons être en mesure de localiser les auteurs des menaces et de mener des frappes si nécessaire. Comme l’a précisé M. le Premier ministre, ces moyens aériens garantissent notre autonomie de décision et d’action en lien avec la coalition internationale contre Daech. Parallèlement, les efforts internationaux se poursuivent pour trouver une solution politique, seule vraie solution durable. La Syrie a besoin d’un gouvernement de transition associant des éléments du régime et de l’opposition modérée. Nous ne devons pas condamner les Syriens à choisir entre Daech et Bachar al Assad qui est le premier responsable du chaos qui règne dans son pays. Sans ce chaos, Daech n’aurait jamais pu connaître de telles avancées. Pour vaincre les terroristes, il faut donc redonner une perspective politique à la population.

Nous devons éviter également l’effondrement complet de ce qui reste de l’État syrien pour protéger les populations civiles, notamment les chrétiens, les Alaouites et toutes les autres composantes ethniques et religieuses du pays. Seule une solution négociée et ordonnée permettra de rétablir une Syrie où tous auront la possibilité de vivre en paix, en sécurité et dans le respect de leurs droits les plus fondamentaux.

Pour construire cette transition politique, ce qui risque d’être long et difficile, il n’y a d’autre chemin que le dialogue avec la Russie et l’ensemble des pays de la région, y compris, bien sûr, l’Iran, les pays du Golfe et la Turquie.

M. François Rochebloine. Eh oui !

Mme Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères. Troisième volet de notre action, l’assistance au plan humanitaire, que nous venons de nous engager à renforcer. C’est un devoir moral et politique pour un pays comme la France. Mais les efforts doivent aussi être partagés au sein de l’Union européenne, dans son ensemble. Sa réponse doit enfin être portée à la hauteur de la situation.

Au plan national, je rappelle que nous nous sommes engagés à accueillir plus de 24 000 réfugiés supplémentaires au cours des deux prochaines années. Il devrait notamment s’agir de réfugiés syriens.

La France est aussi à l’initiative lorsqu’il s’agit de protéger les victimes des violences ethniques et religieuses au Moyen-Orient. À cet égard, je veux saluer l’action engagée par le Président de la République et le ministre des affaires étrangères, qui ont souhaité que se tienne à Paris, le 8 septembre, une conférence coprésidée par la France et la Jordanie, et réunissant 56 États et 11 organisations régionales et internationales. Il a été décidé d’un plan d’action selon trois axes : aider les populations réfugiées ou déplacées ; lutter contre l’impunité ; préserver la diversité et la pluralité du Moyen-Orient. Car s’il devient impossible de continuer à vivre dans son propre pays, les terroristes de Daech auront gagné.

Au plan financier, nous sommes aussi à l’initiative : un fonds national d’urgence a été annoncé pour financer des actions en matière de logement, d’éducation, de santé ou encore de lutte contre l’impunité.

Au niveau européen, il nous faut une véritable politique d’asile commune, afin de garantir une répartition équitable entre les États membres. Si des efforts ont déjà été entrepris en matière d’harmonisation des normes, il est vrai qu’il nous reste à instaurer une solidarité effective, grâce à un mécanisme permanent et obligatoire pour l’accueil des réfugiés. Nous aurons l’occasion d’en reparler demain, lors du débat consacré à ce sujet.

Notre devoir de solidarité doit aussi s’exercer envers les pays proches de la Syrie, en particulier le Liban, la Jordanie, la Turquie, l’Égypte et l’Irak. Ces pays font un effort considérable pour protéger, héberger et prendre en charge la très grande majorité des réfugiés – au Liban, ceux-ci représentent un quart de la population – et nous devons les aider davantage. Nous attendons des États du Golfe qu’ils remplissent également leur devoir de solidarité à l’égard des populations syriennes fuyant la guerre et des pays qui les accueillent, par une aide financière, mais aussi en prenant leur part de l’accueil des réfugiés.

Enfin, l’éducation des jeunes réfugiés est une nécessité, à laquelle nous devons répondre en donnant à l’ONU les moyens humains et financiers d’y faire face. Dans un camp de réfugiés, l’éducation représente le seul espoir.

Je terminerai en m’adressant à nos collègues de l’opposition, dont certaines remarques m’ont semblé outrées. Ce que l’on sait de la responsabilité d’une intervention en Libye, suivie d’aucune initiative politique et diplomatique, et du chaos qui règne maintenant dans ce pays, devrait inciter certains d’entre eux à plus de modération. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. François Loncle et M. Gérard Charasse. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées.

Mme Patricia Adam, présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, notre pays a choisi de changer de posture face aux évolutions de la situation en Syrie. L’ensemble des aspects de la question ayant été évoqué, je n’y reviendrai pas.

Je voudrais faire part d’un étonnement. Comme nous tous, j’ai entendu un certain nombre de commentateurs, et des responsables politiques, attribuer à des interventions militaires extérieures la responsabilité de la situation dans ces pays proches, actuellement déchirés par la guerre civile. Il est indéniable que les choix des États-Unis après le 11 septembre 2001 ont eu un impact important sur l’ensemble de la région. Il est vrai, aussi, que beaucoup de choses auraient pu être entreprises autrement, avec plus de discernement.

M. François Rochebloine. C’est vrai !

Mme Patricia Adam, présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées. Je le dis d’autant plus simplement que cela a été dit à l’époque, dans cet hémicycle.

Mais s’agissant des théâtres d’opération qui nous intéressent depuis ces dernières années, depuis que nous avons quitté l’Afghanistan, il ne faut pas avoir la mémoire courte. C’est la vague de contestation populaire des printemps arabes qui a marqué la fin d’une époque de stabilité politique. Souvenons-nous de la Libye. L’intervention militaire, au demeurant limitée, s’est déroulée un mois après le début de la révolte, qui a fini par balayer Kadhafi. En Syrie, la révolte populaire contre le régime a éclaté dès janvier 2011, bien avant la survenue des frappes américaines et anglaises. Je souhaite donc que l’on évite de confondre causes et conséquences.

En tant que présidente de la commission de la défense, il m’appartient d’évoquer ici ce qui est le plus important : l’adéquation des moyens aux missions, et la prise en compte du contexte stratégique. Je ne doute pas que dans quatre mois, si la question se pose, la poursuite des opérations militaires en Syrie sera votée.

M. François Rochebloine. Au sol !

Mme Patricia Adam, présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées. Il conviendra alors de prendre en compte cette nouvelle mission, dont le terme n’est pas connu. On pourrait déplorer ce nouvel effort opérationnel imposé à des armées que Barkhane et Sentinelle placent déjà sous grande tension. Il faut plutôt reconnaître que l’augmentation du nombre des missions découle, d’abord, de la prise en compte d’un contexte en voie de dégradation.

M. Pierre Lellouche. Il était temps !

Mme Patricia Adam, présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées. L’actualisation de la loi de programmation militaire récemment votée a marqué une rupture avec la baisse ininterrompue des moyens de la défense depuis plus de vingt ans, baisse dont nous sommes tous responsables.

M. Pierre Lellouche. À ce stade, il n’existe pas de nouveaux moyens !

Mme Patricia Adam, présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées. Nous assistons donc au début d’une remontée en puissance. Depuis son vote en 2013, la loi de programmation militaire a été, pour la première fois, monsieur le ministre, totalement respectée, et je vous en félicite.

M. Jean Launay. C’est vrai !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Merci, madame la présidente.

M. Pascal Popelin. Cela n’a pas toujours été le cas !

Mme Patricia Adam, présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées. Cette remontée en puissance n’est pas destinée à permettre à notre pays de remédier à toutes les crises mais simplement – je dirais avec modestie – de contribuer à stabiliser un environnement incertain.

M. Pierre Lellouche. De quelle remontée parlons-nous ?

Mme Patricia Adam, présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées. Je me félicite que cet objectif puisse être largement partagé.

Au moins treize pays européens voient leur budget de défense augmenter. Beaucoup de chemin reste à parcourir pour consolider et mutualiser ces efforts. L’Union européenne, qui réunit ces jours-ci les ministres de la défense et de la sécurité intérieure, doit en tenir compte. Sans un accord, dans le cadre du pacte de stabilité, il sera difficile aux pays membres de respecter l’engagement, pris lors du dernier sommet de l’OTAN, de porter leur budget de défense à hauteur de 2 % de leur PIB. J’espère que l’Union européenne, qui se dotera au mois de juin d’un livre blanc, prendra les dispositions nécessaires pour permettre aux pays européens d’atteindre cet objectif. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la défense.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les députés, je souhaiterais faire quatre remarques en réponse aux différentes interventions.

Tout d’abord, je souhaiterais apporter quelques précisions concernant la coalition en Irak et l’opération Chammal. En premier lieu, Chammal avait pour but d’empêcher la progression de Daech, qui menaçait d’occuper Bagdad et une partie du Kurdistan, voire Erbil. Ce sont les frappes de la coalition, il faut le rappeler, qui ont permis d’obtenir ce résultat. Par ailleurs, dans le cadre de la coalition, nous formons les forces de sécurité irakiennes – les FSI – et les Peshmergas en vue d’une reconquête de leur territoire. Il est prévu que nous intervenions en appui à leur pénétration au sol par des frappes aériennes. C’est ce qui a été fait dans certaines opérations et qui se poursuivra. Enfin, au plan diplomatique, nous devons faire en sorte que le gouvernement de M. Al-Abadi soit suffisamment inclusif pour que l’Irak retrouve sa sérénité intérieure.

Il est vrai que la situation est relativement gelée. Mais il n’y a pas d’alternative et nous n’avons jamais caché que cette feuille de route prendrait du temps. Profitant d’une certaine stabilisation – même si des affrontements se produisent en ce moment même à Baïji –, Daech a déporté sa force en Syrie.

Cela m’amène à expliquer les raisons du changement d’appréciation sur la Syrie. La situation est en effet caractérisée par une progression très importante de Daech dans ce pays. Si Daech remportait l’offensive qu’elle mène contre la ville de Marea, dans la région d’Alep, ce que l’on appelle encore l’Armée syrienne libre, ou ce qu’il en reste, serait réduit à néant. Par ailleurs, la volonté affichée de Daech est de rompre l’axe Damas-Homs, une opération qui, si elle aboutissait, placerait le Liban dans une situation très difficile.

Par ailleurs, comme Bernard Cazeneuve l’a dit à plusieurs reprises – des menaces à la sécurité nationale, des projets d’attentat ont été conçus, organisés et contrôlés depuis la Syrie.

M. Pierre Lellouche. Vous le saviez déjà l’année dernière !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Non, monsieur le député, la situation était différente l’année dernière.

Enfin, des frappes contre Daech n’entraîneraient pas des actions permettant de renforcer par ailleurs Bachar al Assad. Celui-ci se trouve aujourd’hui sur un périmètre de repli, et dans une situation plus fragile qu’auparavant.

Tels sont les trois éléments d’une évaluation nouvelle, qui a amené le Président de la République à prendre les initiatives rappelées par le Premier ministre.

Ma troisième remarque porte sur la nécessité d’intervenir au sol, que n’étaye aucun argument crédible. Le Premier ministre l’a rappelé tout à l’heure, et je dois le dire en tant que ministre de la défense : une intervention au sol des forces françaises serait proprement suicidaire. D’abord parce que nous serions seuls. Je n’ai vu personne aujourd’hui lever le doigt et se déclarer prêt à aller au sol !

M. Christian Jacob. Personne ne le propose !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Ensuite parce que cela nécessiterait d’engager de très nombreux soldats. Je suggère à ceux qui argumentent en faveur d’une intervention au sol de se souvenir des dizaines de milliers de militaires américains mobilisés pour la seconde guerre du Golfe, et même en Afghanistan.

M. Pierre Lellouche. Personne ne le propose. Vous parlez pour ne rien dire !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. C’est la dure réalité des faits.

Non seulement il faudrait du monde, ne surtout pas être seuls, mais imaginez les conséquences politiques, idéologiques, d’une intervention au sol – M. le Premier ministre évoquait l’ « esprit de croisade » tout à l’heure –, sans parler de l’impossibilité pour les forces syriennes libres, la coalition nationale, de mobiliser les forces autour d’elle pour préparer une alternative à Bachar al Assad. Ce ne serait pas opérant du tout.

M. Pierre Lellouche. Je le répète : qui le demande ?

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. La seule possibilité qui nous reste a été présentée par le Premier ministre : les forces d’opposition et insurrectionnelles de Syrie doivent s’organiser avec le soutien des pays de la région. Elles pourront ensuite recevoir l’appui de la France et des autres pays de la coalition qui le souhaiteraient.

Quatrième remarque, suscitée par M. de Rugy, à propos de la présence militaire russe en Syrie. Selon nos informations, elle se renforcerait en ce moment dans le port de Tartous et dans celui de Lattaquié.

M. Pierre Lellouche. Qu’en pensez-vous, justement ?

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. C’est à la fois un signe de faiblesse de la position de Bachar al Assadet un signe inquiétant. Le renforcement de la présence russe sur ces deux sites est significatif et des manœuvres navales importantes ont été annoncées en Méditerranée, au large du Liban, pour les prochains jours. La situation est préoccupante et nous souhaitons que l’implication de la Russie dans la sécurisation du littoral syrien ne ruine pas les chances d’aboutir à un accord pour une transition politique.

Voilà les quatre remarques que je voulais vous faire avant la réponse du Premier ministre. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Après les propos très précis du ministre de la défense, je voudrais répondre à mon tour aux différents orateurs, non sans les remercier au préalable pour la qualité du débat. Nous y reviendrons demain à l’occasion des questions au Gouvernement et d’un débat important relatif à l’accueil des réfugiés en France et en Europe.

À la suite de M. Le Drian, je demande au Gouvernement de ne pas perdre de vue la gravité des défis que nous avons à relever.

Monsieur Philippe Nauche, vous avez eu raison d’évoquer le temps long. Nous sommes engagés dans la durée et nous ne devons pas tromper nos compatriotes : nous ne viendrons pas à bout de Daech en quelques jours. La lutte contre le terrorisme est une action globale dont les moyens ont déjà été rappelés ici. C’est d’abord une action militaire, comme celle qui a été menée en Irak et celle aujourd’hui envisagée en Syrie dans les conditions que nous avons évoquées.

C’est aussi une action diplomatique, que j’ai détaillée il y a un instant. Je reprends votre formule : nous ne sommes pas des va-t-en-guerre. C’est Daech qui a déclaré la guerre contre nos valeurs, contre l’idée même que nous nous faisons de la civilisation. Rappelons-le, les musulmans sont les premières victimes de ce terrorisme. Je le dis souvent au-delà de ces murs : il ne peut s’agir d’une guerre qui opposerait, d’un côté, les Occidentaux chrétiens et de l’autre, les musulmans. Ne tombons pas dans le piège que Daech nous tend.

M. Pascal Popelin. Très bien !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Merci, monsieur Philippe Folliot, pour le ton que vous avez adopté et le soutien de votre groupe, d’ailleurs constant au-delà des nuances qui peuvent exister. Vous connaissez bien ces sujets – le Mali, l’Irak, et maintenant la Syrie. Vous avez raison, il faut donner les moyens à nos armées. La présidente Patricia Adam le rappelait aussi et je la remercie pour son intervention. Le budget augmentera de 3,8 milliards sur cinq ans. Les effectifs diminueront moins vite que prévu. Nous sauvegardons des emplois, nous investissons 1 milliard pour nos services de renseignement et les forces de sécurité chargées de la lutte anti-terroriste. Nous sommes au rendez-vous, ce qui a été rappelé dans le cadre des universités de la défense à Strasbourg, par l’ensemble des commissaires de la défense, de l’Assemblée nationale comme du Sénat. Sur ce sujet-là, aussi, nous devons essayer de dépasser les querelles.

Merci encore, monsieur Folliot, pour votre analyse pertinente de la situation en Syrie, que nous avons retrouvée dans la plupart des interventions. Bien sûr, je ne partage pas votre point de vue s’agissant de l’intervention au sol. Oui si elle est le fruit d’une coalition des pays de la région,…

M. Philippe Folliot. Bien entendu !

M. Manuel Valls, Premier ministre. …avec notre soutien, mais sans notre participation sur le terrain.

Je remercie également le président François de Rugy pour le soutien qu’il nous apporte, les propos qu’il a tenus sur la nature du régime, et la proposition de moyens nécessaires à une action terrestre, qui illustrent le débat. Merci pour l’analyse que nous partageons sur la démarche politique, sur une nouvelle conférence de Genève. Son intervention, jointe à celles de Philippe Nauche et Jacques Moignard, témoigne, ce qui est une bonne chose de la part de la majorité parlementaire, d’une analyse commune de ces questions et du soutien à l’action du président de la République, chef des armées.

Monsieur Moignard, vous avez raison, Daech est une mafia, qui vit de trafics et d’extorsions. Nous devons donc nous attaquer aussi aux circuits de financement. Merci également d’avoir salué la loi relative au renseignement et les instruments dont nous disposons dorénavant pour lutter contre les filières djihadistes vers la Syrie. Vous avez évoqué nos dispositifs dans la région, en particulier en Jordanie. Je m’y rendrai mi-octobre avec Jean-Yves Le Drian. C’est par ailleurs un pays que nous devons soutenir, comme nous devons soutenir la Turquie et le Liban. Le Président de la République l’a rappelé. Il s’y rendra parce que ces pays, en première ligne, subissent le choc de l’afflux des réfugiés et les conséquences de la déstabilisation de la région.

Monsieur François Asensi, je tiens à vous rassurer, l’OTAN n’est en rien impliquée, ni en Irak, ni en Syrie. Notre mot d’ordre est notre autonomie de décision et d’action. Nous avons déjà participé à des coalitions – encore aujourd’hui, en Irak – mais à chaque fois, nous conservons notre autonomie de décision – c’est une position constante de la France.

D’ailleurs, en 2003, nous nous sommes retrouvés très largement sur le fait que nous pouvions pas intervenir en Irak.

M. Gérard Bapt. Eh oui !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Nous le présagions à l’époque mais nous savons aujourd’hui qu’elles pouvaient en être les conséquences. C’est pour cette raison que nous avions salué la position de Jacques Chirac et le discours de Dominique de Villepin aux Nations Unies, que j’invite chacun à relire régulièrement. Aujourd’hui, la région paie au prix fort les conséquences de cette intervention.

Vous évoquiez également le cadre juridique, monsieur Asensi. Daech a été reconnu comme organisation terroriste par la résolution 2170 du Conseil de sécurité. Mme Guigou le rappelait, nous sommes pleinement dans le cadre de l’article 51 de la Charte des Nations Unies, et nous sommes en situation de légitime défense collective.

Nous sommes enfin d’accord sur votre stratégie, monsieur Asensi, qui vise à lutter contre le circuit de financement du terrorisme.

Madame Guigou, merci pour votre analyse de la situation. Vous avez raison quant au devoir de solidarité des États du Golfe à l’égard des réfugiés syriens. Je salue également la justesse de vos propos sur les besoins éducatifs et sanitaires dans les camps de réfugiés. Nous avons d’ailleurs annoncé la semaine dernière une contribution française de 25 millions d’euros supplémentaires pour venir en aide aux réfugiés de Jordanie, du Liban et de Turquie. Comme vous, je remercie Patricia Adam pour ses analyses. Pour l’essentiel, les deux commissions concernées de l’Assemblée ont la même perception de la situation.

Monsieur Jacob, vous avez eu raison de lier les deux débats, celui d’aujourd’hui et celui de demain. J’ose souhaiter que nous puissions, pour l’ensemble de ces questions, nous retrouver sur l’essentiel. Cela étant, à vous écouter, je désespère de vous convaincre. Pourquoi ces polémiques ? Ces mots qui se veulent blessants à l’égard du Président de la République même si, rassurez-vous, ils ne l’atteignent pas ?

Vous parlez de cohérence, monsieur Jacob, mais votre intervention, du moins les mots que vous employez à l’endroit du Président de la République, visent plutôt à masquer vos propres incohérences.

Si je voulais polémiquer et souligner le trait, je pourrais rappeler que ce n’est pas l’actuel président de la République qui a accueilli le 14 juillet 2008, Bachar al Assad, à la tribune sur les Champs Elysées. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste, républicain et citoyen et écologiste.) Le même Président de la République constatait, trois ans plus tard, la nature du régime de Bachar al Assad et, en août 2012, premier acte public après l’élection présidentielle, signait un communiqué avec le président du Conseil national syrien, demandant une intervention en Syrie contre Bachar al Assad.

J’ai bien entendu vos propos concernant la Russie et la nécessité de dialoguer avec elle mais rappelons combien, après le vote au conseil de sécurité des Nations Unies et l’abstention de la Russie sur l’intervention en Libye, la Russie s’est sentie flouée sur la nature même de l’intervention en Libye. C’est sans doute à cause de ce moment-là que la Russie a durci ses positions. Vous me demandez de la cohérence, ce qui est votre rôle en tant que président de groupe, mais je vous en demande moi aussi, car sur ces questions, la position de la France, qui doit être un continuum, mérite d’être rappelée à chaque fois. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste, républicain et citoyen et écologiste.)

Quant à la Russie, nous débattons avec elle. C’est à travers l’initiative du Président de la République sur un autre sujet, ô combien dramatique, que, le 6 juin 2014, grâce au « Format Normandie » associant le Président de la République, la Chancelière Angela Merkel et les présidents ukrainien et russe, nous avons abouti aux accords de Minsk, qui trouvent aujourd’hui, heureusement, une traduction sur le terrain.

Nos diplomaties, les ministres des affaires étrangères, ne cessent de discuter de cette question. Il y eut la conférence de Genève mais nous souhaitons trouver une solution politique à laquelle participent la Russie et l’Iran, car c’est essentiel. C’est notre diplomatie, avec Laurent Fabius, qui a participé pleinement à l’accord sur le nucléaire iranien. Notre position est constante : pas de suivisme. Or, j’ai l’impression que l’on nous demande, dans vos rangs, de suivre la Russie, l’Iran ou le Hezbollah, si ce n’est les trois à la fois. Ce n’est pas la position de la France. Le Président de la République l’a exprimé : nous sommes indépendants et nous voulons préserver les intérêts des uns et autres dans la région pour favoriser le retour à la stabilité et à la paix. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Votre position vise tout simplement à masquer vos incohérences. D’ailleurs, au fond, quelle est-elle ? Si vous étiez au pouvoir, quelle serait votre ligne directrice ? Celle de la majorité est claire. Celle du Président de la République est déterminée.

M. Pierre Lellouche. Celle que nous avons défendue à trois reprises !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Laquelle ? Celle de M. Juppé, qui nous rejoint et est raisonnable ? Celle de M. Le Maire qui a commencé par demander une intervention au sol, poursuivi immédiatement par M. Xavier Bertrand, qui demandait à en faire encore un peu plus ? Celle de M. Fillon qui vient de se déclarer favorable à une intervention commune et conjointe de l’Iran et de la Russie, massive, à laquelle s’associerait la France ?

M. Christian Jacob. Celle que j’ai défendue ici même !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Laquelle, monsieur Jacob ? Celle de M. Nicolas Sarkozy, qui a commencé par demander intervention au sol puis a changé d’avis, et qui, au-delà des attaques personnelles, rejoint au fond l’idée qu’une intervention diplomatique est nécessaire en évitant surtout de s’appuyer sur Bachar al Assad ? Celle de M. Fillon, qui demande que l’on préserve ledit Bachar al Assad ? Monsieur Jacob, vous qui êtes dans l’opposition, vous qui avez gouverné et qui voulez de nouveau gouverner, quelle est votre position devant les Français ? (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur quelques bancs du groupe écologiste.)

M. Christian Jacob. Si ce n’est pas de la polémique !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Eh bien, comme l’a dit M. Nauche, la position de la France est incarnée par le Président de la République, par le Gouvernement et par ses armées, comme la cohérence l’exige. L’incohérence est de votre côté ; la cohérence nécessaire, celle que veulent les Français, elle est ici, elle est du côté du chef de l’État ! (Mêmes mouvements. – Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. Merci, monsieur le Premier ministre.

Le débat est clos.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures, est reprise à dix-huit heures dix, sous la présidence de M. Denis Baupin.)

Présidence de M. Denis Baupin

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

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Adaptation de la société au vieillissement

Deuxième lecture

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi, modifié par le Sénat, relatif à l’adaptation de la société au vieillissement (nos 2674, 2988).

Présentation

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de la famille, de l’enfance, des personnes âgées et de l’autonomie.

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État chargée de la famille, de l’enfance, des personnes âgées et de l’autonomie. Monsieur le président, madame la rapporteure de la commission des affaires sociales, mesdames et messieurs les députés, il y a quasiment un an, presque jour pour jour, je présentais devant vous le projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement, auquel votre assemblée avait activement contribué. Cette deuxième lecture marque une nouvelle étape du travail parlementaire sur ce texte qui fait l’objet d’une attente forte de la part des personnes âgées et de leurs proches, des élus et des professionnels du secteur.

Dans le quotidien des familles, dans le déroulement d’une vie, l’avancée en âge constitue une source de joies mais aussi de profondes inquiétudes. La vieillesse est une terre inconnue. Aucun d’entre nous ne sait par avance quelle vieillesse sera la sienne. Vivre mieux et vivre vieux, chacun le souhaite, mais comment ? Choisir son lieu de vie, bénéficier d’un accompagnement de qualité, rester proche de sa famille et de ses amis, entretenir le lien avec l’extérieur et continuer d’être un membre à part entière de la société : voilà la vieillesse idéale.

C’est ce gouvernement qui donne aujourd’hui des réponses concrètes à nos âgés et à leurs familles, grâce au projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement.

Alors que l’État se doit de réaliser d’importantes économies budgétaires, ce sont plus de 650 millions d’euros qui seront consacrés à améliorer la prise en charge de la perte d’autonomie, mais également – et c’est là une avancée majeure – à anticiper la perte d’autonomie pour la retarder le plus possible. Certains jugeront que c’est encore insuffisant. Nous partageons sans doute le constat que les besoins sont grands. Mais je tiens à rappeler que, dans le contexte budgétaire actuel, une enveloppe de 650 millions d’euros est un choix politique qui démontre toute la détermination du Gouvernement à construire des droits nouveaux, des droits sociaux, pour nos concitoyens.

Ce projet de loi apporte en effet des réponses concrètes pour améliorer le quotidien des familles et agir en leur faveur, les accompagner et les soutenir. Concrète, je vais l’être aussi, parce qu’il ne s’agit pas là de simples incantations.

Nous engageons tout d’abord une véritable réforme de justice sociale, grâce à la revalorisation de l’allocation personnalisée d’autonomie – APA – à domicile. Quatorze ans après la création de l’APA par le gouvernement Jospin, cet acte II permettra une meilleure couverture des besoins, couplée à une participation financière réduite des usagers, un soutien renforcé aux personnes les plus dépendantes et la suppression de tout reste à charge pour les bénéficiaires de l’allocation de solidarité aux personnes âgées, l’ASPA. Nous entendons ainsi respecter et soutenir le choix de nos aînés, qui souhaitent en grande majorité pouvoir continuer de vivre à leur domicile.

Nous donnons également aux personnes âgées le choix du modèle d’habitat qui leur convient, avec des moyens permettant l’adaptation du domicile, avec le développement de l’offre d’habitat intermédiaire et des domiciles partagés, la modernisation des logements foyers, renommés « résidences autonomie », ou encore la sécurisation du modèle des résidences services.

Avec ce projet de loi, nous créons des droits nouveaux qui viendront soulager les familles. Je pense tout particulièrement à la reconnaissance des proches aidants et à la création du droit au répit. Cette aide permettra de financer, en complément de l’APA à domicile, un hébergement temporaire, un accueil de jour, ou encore un renforcement de l’aide à domicile.

Des droits nouveaux sont également ouverts aux personnes âgées immigrées, avec la création d’une procédure d’acquisition de la nationalité française par déclaration, introduite par votre Assemblée et reprise par le Sénat.

Ce projet de loi réaffirme aussi les droits et libertés des personnes âgées. Leur participation à la construction des politiques publiques qui les concernent sera renforcée, au travers de la création des conseils départementaux de la citoyenneté et de l’autonomie, les CDCA.

Leurs droits fondamentaux seront également protégés. Les personnes âgées pourront désormais désigner une personne de confiance dans le cas où elles rencontreraient des difficultés dans la connaissance et la compréhension de leurs droits.

Ce projet de loi est un projet global et ambitieux qui appelle l’ensemble de la société à se mobiliser pour s’adapter.

Cette mobilisation commence avec les professionnels et gestionnaires qui interviennent auprès des personnes âgées. Ils ont d’ores et déjà été soutenus par la revalorisation des salaires de la branche de l’aide, de l’accompagnement et des soins à domicile, intervenue dès 2015 à hauteur de 25 millions d’euros.

Cette mobilisation appelle également l’adaptation de l’ensemble des politiques publiques, du transport jusqu’au logement en passant bien entendu par la silver economy et la mise en œuvre de son contrat de filière.

Cette mobilisation s’étend, enfin, à l’ensemble des générations, notamment par le déploiement de MONALISA, la mobilisation nationale contre l’isolement des âgés. Nous nous devons de mettre en lumière ces initiatives qui révèlent toute la capacité de notre société à se réinventer et à créer de nouveaux cadres de solidarité adaptés aux nouveaux besoins qui se dessinent.

Ces mesures sont inscrites dans un texte porteur de sens, qui donne une vision de la société guidée par quatre objectifs : l’autonomie, l’anticipation, la transversalité et la bientraitance.

Le texte réaffirme la place de la solidarité nationale et rappelle notre objectif : celui d’agir en faveur de l’autonomie des personnes âgées. Nous refusons qu’une situation de fragilité soit le synonyme d’une démission annoncée, comme un déclin qui interviendrait avec fatalité.

Il s’agit de répondre à une ambition, celle d’améliorer l’accompagnement de la perte d’autonomie pour mieux la compenser, mais également d’anticiper la perte d’autonomie de façon à la retarder le plus possible. En développant l’anticipation, nous changeons le paradigme de nos politiques publiques. À cet égard, la conférence des financeurs constituera un outil majeur, et le fait que vingt-six départements ont d’ores et déjà répondu positivement à notre invitation de participer à sa préfiguration est, à n’en pas douter, le signe que ces collectivités ont la volonté de s’impliquer dans une évolution qu’elles jugent nécessaire.

Agir en faveur de l’autonomie des personnes, c’est se donner les moyens de répondre au mieux à des besoins pluriels en évoluant au fil des parcours. Or, cela ne sera possible qu’en instaurant davantage de transversalité et une meilleure coordination entre les différents acteurs intervenant auprès des personnes âgées. C’est un véritable défi que de créer ces espaces d’échanges et de rencontres et de casser les silos existants.

En intégrant les services d’aide à domicile et de soins infirmiers, le développement des services polyvalents d’aide et de soins à domicile, les SPASAD, s’inscrit pleinement dans cette démarche de décloisonnement.

De même, la création du Haut conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge est une traduction concrète de l’approche pluridisciplinaire et intergénérationnelle que notre société doit nécessairement adopter pour s’adapter au vieillissement. Je veux vous dire ici mon attachement à un Haut conseil rassemblant les différents âges de la vie et en souligner la pertinence. Car il ne faut pas oublier que les personnes âgées ne sont pas hors de la famille, bien au contraire.

La création d’un tel conseil répond évidemment à un souci constant de simplification, mais au-delà, il promeut, dans sa transversalité, une vision porteuse de sens pour la société.

Enfin, nous affirmons avec ce texte notre volonté de construire une société « bientraitante ». La bientraitance n’est pas une évidence : c’est une éthique, pour chacun de nous comme pour les professionnels, qu’ils agissent auprès des enfants, des familles ou des personnes âgées. Nous devons non seulement donner à chaque acteur accompagnant les personnes âgées les moyens de repérer et de prévenir les risques de maltraitance, mais aussi être particulièrement attentifs à la manière dont ces personnes sont accompagnées et parfois représentées, dans le respect de leur dignité et de leur volonté.

Dans le cadre de cette seconde lecture, plusieurs sujets, j’en suis certaine, feront l’objet de votre part, comme de celle du Gouvernement, d’une attention particulière.

Je souhaite que nous puissions poursuivre ce travail constructif, à la hauteur des attentes de nos concitoyens.

Je tiens d’abord à revenir sur la réforme des régimes juridiques des services d’aide et d’accompagnement à domicile, les SAAD, sujet examiné par la commission des affaires sociales et qui a su, pour le moins, rythmer notre été.

Les sénateurs se sont emparés de cette question en mars dernier, dans le cadre de la refondation de l’aide à domicile impulsée par ce projet de loi, et à la suite de plusieurs rapports – d’origine parlementaires ou signés de la Cour des comptes – qui, tous, pointaient la complexité et les problèmes générés par le système dual hérité de la loi Borloo de 2005.

L’article introduit au Sénat comportait toutefois plusieurs difficultés, dont le fort risque inflationniste que ferait peser la tarification automatique sur les dépenses locales et la faible structuration territoriale liée à l’absence de toute généralisation avant 2021.

L’initiative sénatoriale a eu toutefois le mérite d’ouvrir un débat dont – la concertation l’a montré – les acteurs du secteur avaient besoin, notamment pour lever certaines ambiguïtés et sortir du dogmatisme.

Il y a l’existant : plus de 8 000 structures qui interviennent auprès des publics fragiles, et près de 450 000 emplois en mode prestataire. Il nous fallait concilier nos exigences en termes d’emploi, de qualité de service, d’accessibilité financière et de structuration territoriale de l’offre, tout en maîtrisant les dépenses locales.

Comme je l’ai rappelé à plusieurs reprises, la voie est étroite. Face à cette complexité, il aurait été tentant, pour ne pas dire facile, de ne rien changer. Mais je souhaite, afin de relever le défi de la réforme de l’APA à domicile, que ce projet de loi apporte une pierre importante à la refondation des services à domicile. Sur ce point, la rédaction initiale m’a parue timide, et j’ai donc choisi d’entrer pleinement dans le dossier, d’engager des concertations et de travailler avec les parlementaires en lien étroit avec les autres ministères concernés.

Par ailleurs, si le contentieux européen nous interdit tout statu quo dans ce domaine, la volonté du Gouvernement ne se limite pas, et de loin, à sa résolution ; notre but est de rendre plus lisible ce secteur d’activité et de garantir l’accès à une offre de qualité sur l’ensemble du territoire, y compris dans les zones les moins denses et les plus éloignées.

La solution que je propose et qui a été adoptée par la commission des affaires sociales le 15 juillet dernier consiste à aligner les régimes juridiques des SAAD intervenant en mode prestataire auprès des publics fragiles sur celui de l’autorisation. Il s’agit là d’un dossier particulièrement technique et nous n’entrerons pas dans ces détails dans l’immédiat. Réservons-nous pour l’examen de l’article 32 bis !

Pour autant, en choisissant le régime de l’autorisation, nous affirmons que l’aide à domicile en direction des publics fragiles n’est pas une prestation banalisée dans le marché des services. Nous affirmons qu’elle requiert une forme intelligente de régulation pour garantir la qualité des prestations répondant aux besoins des personnes vulnérables sur l’ensemble du territoire. Nous affirmons enfin que ces interventions sont largement solvabilisées par la solidarité nationale, dans une logique de protection sociale des publics les plus fragiles, et qu’elles relèvent du code de l’action sociale et des familles.

L’intervention à domicile demande aussi souplesse, réactivité et dynamisme afin de répondre au mieux à des besoins qui vont nécessairement s’accroître. J’ai donc conduit cette réforme avec responsabilité, en veillant bien évidemment à préserver la liberté de choix des bénéficiaires ainsi que la liberté d’entreprendre.

Ainsi, avec le maintien de la liberté tarifaire pour les gestionnaires qui le souhaitent, la bascule automatique dans l’autorisation d’une durée de quinze ans, l’absence d’appel à projets pendant sept ans, le dispositif constitue une évolution progressive et sécurisante.

Le travail de concertation et d’échanges qui s’est accentué cet été avec l’ensemble des fédérations, l’Assemblée des départements de France, et plusieurs parlementaires, que je remercie, a permis de mettre en lumière un certain nombre d’ajustements nécessaires au bon fonctionnement du dispositif afin notamment de proposer une autorisation rénovée et adaptée au secteur du domicile.

Je vous les présenterai en détail lors de l’examen de l’amendement du Gouvernement à l’article 32 bis. Pour ce qui est de l’aide à domicile, la notion de capacité autorisée étant peu opérante sur la base du nombre d’heures d’intervention, je vous proposerai de clarifier le droit sur ce point.

Je tiens enfin à revenir sur deux préoccupations qui ont parfois pris des proportions déraisonnables.

La fin du droit d’option entre agrément et autorisation ne constitue en rien un désengagement de la puissance publique. Le rôle de suivi des DIRECCTE, les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, et la publication par les services de l’État d’un cahier des charges national en sont la preuve. Parler de retrait de l’État, de désengagement, de désintérêt, comme j’ai pu le lire ici ou là, au moment où le Gouvernement prend un engagement financier conséquent avec l’acte II de l’APA à domicile, qui créera de l’activité pour l’ensemble de ces services, me semble quelque peu excessif.

Par ailleurs, si certains départements ont pu avoir pour habitude d’écarter des services en raison de leur statut juridique, ces pratiques sont désormais en train d’évoluer. Dans le cas où elles persisteraient, les garanties de transparence apportées par cette réforme permettront de les mettre en lumière. En outre, le département, désormais pilote de l’offre à domicile sur son territoire, devra solliciter l’ensemble des acteurs afin de répondre aux besoins de sa population.

Je tiens à le réaffirmer clairement ici : dans le cadre national que nous posons, nous avons besoin d’un véritable maillage constitué de l’ensemble des services, avec leurs différents statuts juridiques mais également leurs modes d’intervention, si nous voulons être en mesure de proposer une qualité adaptée aux besoins de chacun.

Comme je l’avais annoncé en commission des affaires sociales, le Gouvernement présentera également en séance un certain nombre d’avancées relatives à la question des droits, à la sécurisation du modèle des résidences services, à la contractualisation et à la tarification des EHPAD, les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes.

À ce sujet, les nombreuses concertations conduites cet été avec les représentants des gestionnaires et des usagers ont permis de s’accorder sur les lignes de force d’une réforme ambitieuse et volontariste.

Les EHPAD occupent une place considérable dans le domaine de l’accompagnement des personnes âgées en perte d’autonomie ainsi que sur le plan économique. Leurs relations avec les autorités de tarification se devaient d’être modernisées et l’autonomie des gestionnaires accrue, suivant la logique d’efficience et de simplification poursuivie par notre gouvernement. La mise en place dès 2017 des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens « pluri-EHPAD » et qui peuvent intégrer d’autres établissements pour personnes âgées ou personnes handicapées en est le symbole.

Au plan local, gestionnaires et autorités pourront, pour un ensemble d’établissements, partager leur diagnostic et suivre la même trajectoire, suivant une logique particulièrement pertinente sur le plan de la réponse aux besoins de la population dans ses différentes composantes.

Cette modernisation s’assortit d’une réforme de la tarification des soins en EHPAD, elle aussi pensée sous l’angle de la visibilité et de la simplicité. Cette réforme de la tarification est avant tout un engagement du Gouvernement à dimensionner les crédits accordés aux besoins de chaque EHPAD, en prenant en compte la dépendance et l’état de santé des résidents accueillis. C’est un engagement fort qui permettra de renforcer les moyens humains de près 80 % des établissements.

Aux côtés des EHPAD mais aussi des résidences autonomie et des autres formes de logement intermédiaire, les résidences services pour personnes âgées offrent une réponse adaptée, de par les prestations qu’elles proposent, et représentent un segment économique en fort développement, notamment sous la forme des monopropriétés.

Je vous proposerai un amendement fixant un cadre normatif pour les résidences services, notamment pour les personnes âgées, et propre à sécuriser les pratiques contractuelles entre les gestionnaires et les résidents, s’agissant en particulier des contrats de bail et des services associés. Cette évolution permettra le déploiement de ce type d’habitat, qui répond aux besoins de la population, dans des conditions clarifiées pour l’ensemble des parties.

S’agissant enfin de la personne de confiance, l’inscription de sa définition dans le code de l’action sociale et des familles, adaptée aux particularités de l’accompagnement dans le secteur social et médico-social, est une avancée majeure pour la protection des personnes vulnérables. J’introduirai un amendement qui renforcera les droits des personnes protégées et permettra à celles pour qui la mesure de protection porte sur les actes relatifs à la personne de procéder à la désignation d’une personne de confiance, avec l’autorisation du conseil de famille ou du juge.

Le projet de loi relatif à l’adaptation de la société constitue une priorité de ce Gouvernement, et cette priorité s’incarne dans un calendrier. Le Premier ministre s’est engagé à ce que ce projet de loi soit voté avant la fin de l’année pour une entrée en vigueur pleine et entière au 1er janvier 2016. L’examen de ce texte dès le début de la session extraordinaire de cette assemblée s’inscrit pleinement dans cet objectif et nous permettra de l’atteindre.

Nous avançons donc sur le chemin parlementaire. Nous allons mettre à profit ce temps pour enrichir ce texte de vos contributions et pour préparer l’entrée en vigueur de la loi, ce à quoi je m’attache en élaborant, depuis quelques mois, les décrets d’application de la loi.

Le projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement est à la fois merveilleusement humain et, sur certains points, redoutablement technique. En seconde lecture, nous allons nous concentrer sur les évolutions que le travail parlementaire a mises en lumière et qui exigent que nous soyons concentrés sur nos objectifs : accompagner les personnes qui vieillissent, garantir à toutes l’égalité d’accès aux services médico-sociaux et adapter notre société au vieillissement d’un nombre croissant de personnes. Pour cela il nous faudra saisir toutes les opportunités sociales, économiques et humaines que suggère ce texte.(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à Mme Joëlle Huillier, rapporteure de la commission des affaires sociales.

Mme Joëlle Huillier, rapporteure de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, notre assemblée engage la deuxième lecture de ce projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement qui a été examiné une première fois l’année dernière à la même époque.

Depuis, le texte a été enrichi et ses avancées confortées par le travail de nos collègues du Sénat, dont je tiens à saluer la démarche constructive. Ainsi, à l’issue de la première lecture, vingt-deux articles ont été adoptés conformes et d’autres ont fait l’objet de simples améliorations rédactionnelles.

La commission des affaires sociales, qui a examiné le nouveau texte en juillet, a poursuivi cette démarche consensuelle en confirmant trente-six articles dans la rédaction du Sénat et en apportant des précisions rédactionnelles ou de coordination à vingt autres.

La version dont nous débattons aujourd’hui fait donc l’objet de nombreux points de convergence entre les deux assemblées.

Convergence d’abord sur la gouvernance locale du secteur des personnes âgées. Le principe d’une conférence des financeurs dans chaque département a été validé. Agissant à l’aide d’une enveloppe spécifique financée par la CASA, la contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie, la conférence permettra de mieux coordonner les politiques de prévention de la perte d’autonomie sur les territoires. Il en est de même pour les structures de débat et de démocratie locale que sont les conseils départementaux de la citoyenneté et de l’autonomie et pour la mise en place d’un cadre juridique pour la création de maisons départementales de l’autonomie.

Convergence aussi sur le renforcement des droits et de la protection des personnes âgées. Le Sénat a validé la possibilité pour les associations de se porter partie civile, la suppression de l’immunité pénale en cas de vol commis par un tuteur ou curateur membre de la famille proche, l’acquisition de la nationalité française par déclaration pour les immigrés âgés ascendants de Français, et enfin le renouvellement automatique des droits à l’aide à la complémentaire santé pour les bénéficiaires du minimum vieillesse.

Nos collègues ont aussi renforcé la plupart des dispositions visant le respect des droits des résidents en établissement : affirmation du principe de liberté d’aller et venir et strict encadrement des restrictions qui peuvent y être apportées ; instauration de garanties contre les résiliations abusives des contrats de séjour ; droit de désigner une personne de confiance.

Convergence, enfin, en matière de simplification des procédures d’autorisation par appel à projets, de clarification tarifaire ou de partage de l’information entre les différents acteurs de la prise en charge. J’ajoute que les deux chambres ont partagé l’objectif de rénovation et de renforcement de l’accueil familial, nonobstant quelques différences d’appréciation techniques sur lesquelles nous aurons à trancher lors de la discussion.

Des divergences entre les deux assemblées demeurent d’ailleurs sur plusieurs points.

La première divergence porte sur la répartition de la CASA, dont je rappelle que le produit sera intégralement versé à la CNSA afin de financer les mesures nouvelles en faveur des personnes âgées. Alors que l’Assemblée nationale avait adopté une montée en charge en trois étapes d’ici 2017 pour le financement de la réforme de l’APA, le Sénat a modifié ce calendrier et figé une clé de répartition pour le financement des actions conduites par la CNSA. Compte tenu de l’évolution constante des besoins et du fait que la CASA est une ressource dynamique dont le montant est appelé à augmenter d’année en année, le dispositif adopté par le Sénat paraissait trop rigide : notre commission a donc rétabli la répartition souple et efficace adoptée en première lecture et adapté les étapes de la montée en charge au nouveau calendrier d’examen du projet de loi.

Concrètement, le texte prévoit désormais l’affectation de 55,9 % du produit de la CASA à la réforme de l’APA en 2016 ; ce taux sera porté à 70,5 % en 2017. Le surcroît de dépenses lié à la réforme sera donc bien intégralement compensé pour les départements. J’appelle mes collègues ainsi que le Gouvernement à maintenir cet équilibre défini à l’issue d’un long processus de dialogue entre le Parlement et l’exécutif.

Notre deuxième divergence porte sur la possibilité d’inscrire la perte d’autonomie parmi les motifs de discrimination interdits par la loi. Le Sénat a estimé que ce nouveau critère était redondant avec ceux liés à l’âge et au handicap et a donc souhaité le supprimer. Notre commission a préféré le rétablir, considérant qu’il permet de garantir la compétence du Défenseur des droits en cas de discrimination subie par des résidents en établissement ou des bénéficiaires de services d’aide à domicile.

Notre troisième divergence avec les sénateurs porte sur la gouvernance au niveau national. Alors que notre assemblée s’était ralliée à la proposition du Gouvernement de rassembler le Haut Conseil de l’âge et le Haut Conseil de la famille, le Sénat est revenu sur cette évolution en rétablissant une structure spécifiquement dédiée à l’âge. Convaincue de la pertinence d’une approche transversale et intergénérationnelle, qui prévaut d’ailleurs dans l’ensemble du texte, notre commission a réaffirmé son attachement au décloisonnement en adoptant l’amendement gouvernemental instaurant un Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge, qui aura pour missions d’animer le débat public et d’apporter une expertise sur les questions liées à l’avancée en âge, à l’adaptation de la société au vieillissement, mais aussi à la famille et à l’enfance.

La navette parlementaire a enfin permis d’engager une concertation approfondie sur plusieurs chantiers.

Le premier chantier est celui de la refondation du secteur de l’aide à domicile, qui doit permettre de réduire les inégalités d’accès aux aides et d’offrir un accompagnement de qualité à l’ensemble des publics fragiles. En première lecture, notre assemblée avait voulu dépasser progressivement la dualité des régimes d’exercice des services – autorisation par le département, agrément par l’État – en les incitant à souscrire des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens – les fameux CPOM – et en les dispensant d’appels à projets. Le Sénat a voulu aller plus loin et étendre l’autorisation à l’ensemble des services d’aide à domicile intervenant auprès des personnes en situation de perte d’autonomie.

Notre commission a souhaité engager cette réforme sans déstabiliser les services actuellement agréés et les départements : elle a donc adopté un amendement du Gouvernement établissant un régime unique d’autorisation sans obligation tarifaire. Cette réforme d’envergure offre à tous les services un cadre clair et non discriminatoire, et aux départements l’opportunité de mieux répartir l’offre sur leur territoire. Elle n’est pas figée pour autant. Les structures prestataires privées ont fait part, cet été, de leurs inquiétudes quant aux répercussions possibles de la réforme sur leurs activités : nous aurons à étudier les propositions complémentaires du Gouvernement en la matière.

Le deuxième chantier concerne les différentes formes d’habitat avec services, qui peuvent constituer une réponse adaptée aux besoins des personnes âgées. Les deux chambres ont partagé le même diagnostic sur la transformation des anciens logements-foyers en résidences autonomie et sur la sécurisation des copropriétés avec services. Le Sénat a proposé un régime transitoire permettant aux copropriétés qui le souhaitent de conserver leur mode de gestion actuel. Il a aussi initié la définition d’un cadre juridique applicable à l’ensemble des résidences services. Sur ce dernier point, nos échanges doivent être l’occasion d’avancer encore, pour protéger les résidents tout en confortant un secteur en plein développement.

Le troisième chantier concerne la tarification en établissement. L’année dernière, la Cour des comptes avait souligné les avantages des CPOM en EHPAD, aussi bien pour les gestionnaires d’établissements que pour les départements, mais regrettait la persistance des obstacles à leur généralisation. Le Sénat a introduit un article visant à développer la contractualisation, mais le Gouvernement propose aujourd’hui un dispositif qui tient compte des conclusions du groupe de travail sur les EHPAD présentées cet été.

J’ajouterai un quatrième chantier, qui concerne le soutien aux proches aidants, en particulier le dispositif de suppléance à domicile, également appelé « baluchonnage ». Le Sénat et notre commission ont jugé préférable de le retirer du texte car il suppose des dérogations au code du travail qui n’ont pas été discutées avec les partenaires sociaux. Mais il s’agit d’une solution adaptée, qui répond aux besoins des aidants et des personnes aidées. Des expériences similaires existent déjà localement : il conviendrait donc d’étudier sans tarder les conditions possibles de son développement – pourquoi pas, madame la secrétaire d’État, dans le cadre d’une mission spécifique ?

Le calendrier particulièrement chargé de nos travaux ces derniers mois et les modifications intervenues dans le cadre de la navette parlementaire ont conduit à retarder le vote définitif de ce texte, donc l’application de certaines mesures. Mais j’ai confiance dans votre engagement, madame la secrétaire d’État, à garantir son entrée en vigueur dès le début de l’année prochaine. Vous pouvez compter sur ma vigilance sur ce point.

Pour finir, je souhaite remercier l’ensemble des personnes qui ont préparé la deuxième lecture de ce projet de loi : Mme la secrétaire d’État, bien sûr, mais aussi son cabinet, avec qui le dialogue a été constant et productif, les parlementaires de tous les groupes, l’ensemble des associations et représentants professionnels qui ont apporté leur contribution, ainsi que les administrateurs de notre commission, toujours disponibles et efficaces.

Je souhaite que nos débats se poursuivent comme ils ont commencé il y a un an, de façon apaisée et constructive, autour d’une belle et grande réforme de société qui doit permettre de changer le regard sur le vieillissement et de changer la vie des personnes âgées. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Motion de rejet préalable

M. le président. J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe Les Républicains une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement.

La parole est à Mme Bérengère Poletti.

Mme Bérengère Poletti. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, madame la rapporteure, mes chers collègues, « la vieillesse bien comprise est l’âge de l’espérance ». C’est cette citation de Victor Hugo qui doit guider notre examen de ce projet de loi, aujourd’hui, en deuxième lecture. Bien comprendre la vieillesse, c’est s’adapter à l’évolution de notre société, c’est valoriser le troisième âge, c’est appréhender la pluralité de ses acteurs, c’est réformer nos politiques publiques et les accorder aux changements démographiques.

Le sujet consiste aujourd’hui, pour nous, législateurs, à trouver la meilleure manière d’aider nos concitoyens à préparer et à vivre leur vieillesse. Il consiste également à trouver l’équilibre le plus juste entre ce qui relève de la prévoyance individuelle et ce qui relève – ou peut relever, en l’état actuel de nos finances publiques et sans reporter l’effort sur nos enfants et petits-enfants – de la solidarité nationale. Il s’agit d’une exigence éthique.

L’accompagnement du vieillissement de notre population doit être au cœur de nos préoccupations, au centre de nos politiques publiques. Les chiffres sont éloquents : selon l’INSEE, en France, on dénombrera 8,5 millions de personnes âgées de plus de 80 ans en 2060, soit plus de 12 % de la population totale, contre 5 % aujourd’hui. Quant aux personnes âgées de plus de 90 ans, qui sont environ 500 000 à l’heure actuelle, elles devraient être près de 3,5 millions en 2050.

Il apparaît évident que, si aucune mesure d’envergure n’est prise pour nous préparer à ce phénomène de vieillissement, cette transformation démographique pourrait s’accompagner d’importants risques économiques et sociaux, comme une forte augmentation des dépenses sociales, de possibles conflits générationnels et une augmentation de la pauvreté chez les plus âgés. Cependant, la maîtrise des conséquences du vieillissement est à notre portée, à condition de modifier nos modes de vie, d’habitat, de conditions d’emploi et de santé. C’est, finalement, une réforme culturelle.

Aujourd’hui, nous pouvons l’affirmer : malheureusement, le « grand soir » du vieillissement n’est pas dans ce projet de loi. En effet, dans la première mouture du texte qui nous a été présentée, nous nous sommes retrouvés face à un projet de loi très technique, comprenant soixante-six articles et un rapport annexé très bavard d’une soixantaine de pages. Des évolutions positives ont été proposées, que nous avons soulignées et soutenues : je pense notamment à l’augmentation de l’APA à domicile, à la diminution des restes à charge, au financement d’un volet consacré à la prévention, ou encore à l’aide au répit pour les aidants. Ces dispositions font d’ailleurs globalement consensus.

Cependant, ce texte fait une énorme impasse sur des sujets clés qui méritent une amélioration. Nos principales critiques portent sur ce qui ne figure pas dans le texte, qui a le défaut de ne pas aborder financièrement la problématique du vieillissement dans sa globalité.

Ce projet de loi n’apporte aucune réponse au problème pourtant majeur du reste à charge supporté par les familles pour leurs proches accueillis en établissement. Confronté à cet oubli, le Gouvernement nous a répondu que cet enjeu serait traité dans un hypothétique futur texte. Nous avons toujours du mal à y croire, et aucune garantie ne nous a été apportée. Madame la secrétaire d’État, vous nous dites que les contraintes budgétaires interdisent au Gouvernement d’être ambitieux, mais votre majorité a pourtant augmenté certaines dépenses relatives à d’autres politiques publiques. Nous ne sommes pas naïfs : compte tenu des délais d’examen des textes au Parlement, et du délai d’examen de ce texte plus particulièrement, il ne sera pas possible de légiférer à nouveau sur ce sujet avant la prochaine élection présidentielle. Au passage, l’application de votre projet de loi dès le 1er janvier 2016, que vous avez promise, va aussi être difficile à gérer, madame la secrétaire d’État, malgré votre implication qui est totale – je ne le nie pas.

Par ailleurs, le financement global et cohérent de la prise en charge de la dépendance, pourtant capital, est absent du texte alors même que la charge supportée par les départements va s’accroître. Rappelons en effet que le montant total de l’effort public consacré à la dépendance était estimé en 2010 à près de 22 milliards d’euros, soit 1,1 % du PIB. Principalement supporté par les organismes de Sécurité sociale, par les départements et par l’État, ce coût pourrait passer à 30 milliards d’euros à l’horizon 2025, soit une hausse de près de 40 % au cours des dix prochaines années.

Les départements, déjà très contraints budgétairement, sont les principaux contributeurs de l’APA. Celle-ci a ainsi coûté plus de 5 milliards d’euros en 2012, pour 1,3 million de bénéficiaires. Selon l’INSEE, son coût devrait atteindre 12,4 milliards d’euros en 2025 puis 20,6 milliards d’euros en 2040. Le Gouvernement estime à 453 millions d’euros le coût des mesures nouvelles de ce projet de loi liées à l’APA – mesures qu’il entend compenser par une partie des recettes de la CASA, les restes devant financer les mesures relatives au volet prévention et formation des aidants. Je rappelle au passage que le Gouvernement détourne, depuis le début de son existence, les produits de la CASA vers d’autres politiques que celles du vieillissement.

Ce raisonnement élude totalement la question centrale du financement futur de l’existant, dont le coût est d’ailleurs amené à s’accroître mécaniquement dans les années à venir. En effet, sans même augmenter les droits des personnes, le financement de la dépendance, notamment de l’aide à domicile, est très fragile et nécessitera de notre part la création de nouveaux leviers financiers pour faire face à l’augmentation de la population. Or ce texte augmente les droits des plus dépendants, classés en GIR 1 et en GIR 2, pour un montant annuel de 375 millions d’euros, et crée un soutien aux aidants par l’instauration d’un droit au répit. Pour tout cela, le financement que vous proposez se révélera malheureusement très vite insuffisant. D’un point de vue technique, vos prévisions de financement ne tiennent pas la route à moyen et à long termes.

Ainsi, ce projet de loi ne nous apparaissait pas dangereux, mais plutôt sans ambition, sans réelle vision ni perspective. Mais nous avons assisté à un véritable revirement en deuxième lecture : alors qu’il était insuffisant mais inoffensif, le projet de loi est soudainement devenu dangereux.

C’est en effet le cas avec l’article 32 bis, qui vise à créer un régime unique d’autorisation pour les services d’aide et d’accompagnement à domicile des personnes fragiles.

Cet article, absent dans la version initiale du texte, introduit par le Sénat, à la condition d’une expérimentation, impose soudainement la suppression du régime de l’agrément qui dépend des services de l’État, au bénéfice du régime de l’autorisation donnée par les départements. Si ce double régime n’est aujourd’hui pas satisfaisant, et nous nous accordons sur ce point, la nouvelle rédaction de l’article pose beaucoup plus de problème qu’elle n’en résout. Certes, madame la secrétaire d’État, l’exercice est extrêmement difficile, et je sais que vous avez le souci d’entendre les partenaires du secteur, y compris les départements.

Cette refonte « forcée » de tous les services vers le régime d’autorisation se fait en effet au détriment d’une part importante d’acteurs du secteur : les entreprises privées et les particuliers-employeurs. En raison de la précipitation qui entoure cette mesure, telle qu’elle existe actuellement, on se rend aisément compte que les modalités d’octroi de la nouvelle autorisation vont fortement handicaper les services anciennement agréés, donc pénaliser tout un secteur, pourtant créateur de nombreux emplois non délocalisables.

Le système proposé va laisser aux 102 conseils départementaux de multiples possibilités d’appréciation : le recours ou non aux contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens – CPOM –, les critères d’autorisation, les critères d’habilitation. Chaque conseil départemental développera ses propres règles et pratiques, complexifiant les démarches des structures.

Dans le même temps, l’article 32bis porte le délai de réponse pour les conseils départementaux à six mois au lieu des trois mois des DIRRECTE, directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi. Madame la secrétaire d’État, ce délai est évidemment incompatible avec les contraintes d’accompagnement financier, mais aussi avec les exigences économiques et obligations sociales. L’ADF – Assemblée des départements de France – soutient, à mes côtés, un amendement réduisant ce délai à trois mois et disposant que l’absence de réponse vaut acceptation.

Même si des aménagements sont prévus, la mesure est en elle-même nocive, sauf à être expérimentée au préalable. Les services anciennement agrées basculeront automatiquement pendant une période transitoire de sept ans dans le nouveau régime d’autorisation, mais uniquement pour le même volume horaire effectué durant les trois dernières années. Pour résumer, cette loi interdit donc aux services d’augmenter leur volume d’heures, mais je sais, madame la secrétaire d’État, que vous avez écouté leurs doléances.

À compter de 2022, il ne sera plus possible pour des porteurs de projets de déposer des demandes d’autorisation auprès des conseils départementaux, hors procédure d’appel à projets. Cela se fera immanquablement au détriment d’initiatives dynamiques susceptibles de porter de l’innovation.

Rappelons que le secteur en question regroupe 150 000 emplois, et 3 225 entreprises, le tout en à peine un peu plus de dix ans d’existence. C’est le secteur porteur du plus fort potentiel de créations d’emplois : il ne faut pas le fragiliser. À cet égard, je crois savoir que le Président de la République a pour ambition d’inverser la courbe du chômage …

M. Arnaud Richard. En effet…

Mme Bérengère Poletti. Madame la secrétaire d’État, vous avez bien pris soin en première lecture – et vous aviez raison –, de ne pas toucher, dans un contexte économique fragile, au dispositif autorisation-agrément. Les sénateurs se sont aventurés vers une modification, par le biais d’une expérimentation. Vous avez transformé l’essai sénatorial en voulant régler définitivement la question, d’une manière par trop précipitée, alors que le sujet est doublement sensible : d’une part, parce qu’il concerne l’accompagnement des publics fragiles, d’autre part, parce que nous devons être, collectivement, particulièrement attentifs à la question de l’emploi.

Le surcoût d’une telle mesure pour les départements, responsables du dispositif, n’est pas non plus pris en compte : la mesure est forcément inflationniste, ne serait-ce que par une ingénierie beaucoup plus importante dans les services des départements, en raison tant de l’examen des dossiers pour l’entrée dans l’autorisation, que de la mise en place des CPOM.

Enfin, vous nous avez dit à plusieurs reprises que vous souhaitiez anticiper une éventuelle décision, celle de la justice européenne ayant été saisie pour juger des discriminations qui existent dans certains départements, entre les différents acteurs, et vous avez raison.

En effet, actuellement en cours d’instruction, ces plaintes visent le non-respect dans certains départements des principes garantis par la directive « services » de 2006, notamment de liberté d’établissement et de libre prestation de services, alors même que les services d’aide domicile entrent dans le champ de cette directive.

Vous faites, je pense, le contraire : la rédaction de votre article 32 bis, dans le texte qui nous est soumis, ne va pas régler ces problèmes, mais les aggraver. Là où elles existent, les dérives discriminatoires contre les entreprises agréées vont à l’évidence être renforcées par cette autorisation revisitée !

Sur ce sujet, nous attendons également vos explications relatives au cahier des charges retenu pour l’application d’une telle refonte de régime. Aucune garantie n’est donnée à ce jour concernant la participation des représentants des entreprises à la préparation de ce document. Vous nous demandez donc de nous prononcer sur un texte où demeurent d’importantes zones d’ombre. J’espère que notre discussion contribuera à les lever.

L’article 32 bis prend ainsi de court les professionnels du vieillissement, ainsi que les départements. Mais d’autres questions restent également en suspens. Le texte réaffirme par exemple la liberté de choix laissée à la personne âgée quant à son projet de vie, mais il n’en tire pas les conséquences. Rien n’est en effet prévu pour assurer le libre choix de l’emploi direct à domicile entre particuliers. La reconnaissance de ce secteur doit pourtant être affirmée comme un mode d’intervention à part entière dans la politique publique du vieillissement.

Aujourd’hui, en l’absence d’énoncé clair concernant ce secteur, il est très compliqué de demeurer particulier- employeur lorsque l’on devient éligible aux prestations sociales, en particulier à l’allocation personnalisée d’autonomie, l’APA. Pourtant, en 2010, un million de relations d’emploi ont impliqué un particulier-employeur âgé de soixante ans ou plus, et un salarié en emploi direct. Ce secteur d’avenir qui se structure depuis plus de quinze ans ne doit pas être le grand oublié du projet de loi !

Comme je vous l’ai dit, j’imaginais plutôt un nouveau dispositif laissant une très grande liberté de choix, d’offres, d’organisations concernant le GIR 4, qui représente tout de même plus de 50 % de l’APA domicile. Et, en revanche, un cadrage doublé d’un contrôle plus serré à partir du GIR 3 qui concerne des personnes particulièrement fragiles.

Aujourd’hui, madame la secrétaire d’État, nous attendons toujours une réponse globale, concrète, pragmatique, au défi de l’âge. Ainsi, le rapport annexé affiche une ambition importante, en proposant par exemple d’envisager d’encadrer le recours à l’assurance privée et de favoriser les contrats les plus protecteurs. À ce jour, rien n’a été mis en place.

Entre contraintes économiques et exigences sociales, la voie est étroite pour trouver une bonne solution, alors que les départements sont déjà soumis à une réduction de leur dotation budgétaire et, surtout, à une compensation très dégradée de leurs dépenses sociales. La « révolution de l’âge » ne figure hélas pas dans ce texte de loi. Nous attendions de votre part une proposition solide, alors que vous n’avez cessé de l’annoncer ! C’est pourquoi nous appelons au rejet de ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État. Mesdames, messieurs les députés, vous qui avez signé cette motion de rejet préalable, je crois comprendre qu’en fin de compte vous souhaiteriez que nous ne légiférions pas sur l’adaptation de la société au vieillissement (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains), que nous n’adoptions pas cette loi ou que nous en adoptions une autre.

En fait, vous souhaiteriez que le Président François Hollande ne puisse pas tenir un des engagements importants de 2012 et que cette loi ne soit pas adoptée pendant le quinquennat. Je peux le comprendre au regard du quinquennat précédent. Permettez-moi de vous livrer quelques citations.

À l’occasion des vœux, le 31 décembre 2009, Nicolas Sarkozy disait : « En 2010, il va nous falloir relever le défi de la dépendance qui sera, dans les décennies à venir, l’un des problèmes les plus douloureux auquel nos familles seront confrontées. » Jusque-là, nous partageons ce point de vue.

En juillet 2010, Nicolas Sarkozy, interviewé sur France 2 s’exprimait ainsi : « Nous organiserons le financement de la dépendance. Ce problème sera résolu dans l’année 2011. » En février 2011, lors de l’émission Paroles de Français sur TF1, Nicolas Sarkozy dit : « C’est un engagement. Après avoir réformé les retraites et garanti les revenus des retraités, je souhaite que nous réformions la dépendance. »

Certes, nous étions déjà en février 2011 et il n’en a pas eu le temps. Nous, nous avons pris le temps, nous le faisons et nous voterons cette loi. J’appelle donc l’Assemblée à repousser la motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. Au titre des explications de vote, la parole est à Mme Marie-Françoise Clergeau, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Marie-Françoise Clergeau. L’opposition nous propose de ne pas légiférer aujourd’hui : nos concitoyens apprécieront...

Mme Isabelle Le Callennec. Ce n’est pas ce qui a été dit !

Mme Marie-Françoise Clergeau. Les députés du groupe socialiste, républicain et citoyen voteront contre la motion de rejet préalable. Contrairement à ce que soutient l’opposition, il y a bien lieu de délibérer maintenant sur l’adaptation de notre société au vieillissement. Il y a même urgence afin d’anticiper les évolutions de la société et relever le formidable défi de l’allongement de l’espérance de vie. Il y a également urgence à en tirer toutes les conséquences et à adapter nos politiques publiques.

Avec ce projet, nous pouvons prouver à nos concitoyens que la loi est en phase avec ce qu’ils vivent et qu’elle sait les accompagner pour préparer l’avenir. Avec ce projet, nous pouvons aborder le vieillissement de manière positive pour l’ensemble de la société et, comme le rappelle le Conseil économique, social et environnemental dans son avis de mars 2014, changer notre regard sur le vieillissement.

Adopter cette motion de rejet préalable reviendrait à expliquer aux Français qu’il n’y a pas lieu de débattre du vieillissement et de la perte d’autonomie, qu’il n’est pas utile de légiférer et de se préparer alors qu’en 2020, un Français sur quatre aura plus de soixante ans.

Adopter cette motion de rejet préalable reviendrait à différer de bonnes décisions aujourd’hui pour en prendre de mauvaises, demain, sous la contrainte. C’est la raison pour laquelle nous voterons contre. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Le Callennec, pour le groupe Les Républicains.

Mme Isabelle Le Callennec. Alors que nous allons commencer l’examen de ce texte en deuxième lecture, évitons les caricatures. À aucun moment, Bérengère Poletti n’a dit qu’il ne fallait pas légiférer sur une loi d’adaptation de la société au vieillissement. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Par cette motion, nous souhaitons rejeter le texte qui nous est présenté. C’est bien normal : nous sommes dans l’opposition. Comme l’a très justement rappelé notre collègue Bérengère Poletti, certains articles et dispositifs du texte vont selon nous dans le bon sens.

M. Christophe Sirugue. Dès lors, pourquoi le rejet préalable ?

Mme Isabelle Le Callennec. Et nous serons capables de les voter. En revanche, demeurent dans ce texte des articles qui ne nous conviennent pas, je pense en particulier à l’article 32 bis. Bérengère Poletti s’est exprimée sur ce sujet.

Nous déplorons que sur le plan financier cela ne suive pas. C’est là toute l’ambiguïté du texte car vous nous annoncez un autre texte pour répondre à nos interrogations et à celles des conseils départementaux quant au financement de la loi.

Alors que nous sommes en train de voter une loi, voilà que vous en annoncez déjà une autre. Pourquoi ne pas aller jusqu’au bout, alors que nous avons déjà longuement débattu en première lecture, et répondre à la question lancinante du reste à charge et du financement pour les départements ?

C’est pour ces raisons, sur lesquelles nous appelons votre attention, que nous voterons la motion de rejet préalable. Il y a certes de bonnes choses dans cette loi et nous n’hésitons pas à le dire, mais, en revanche, il ne faut pas leurrer les Français car le problème du financement se pose toujours. Notre collègue a, à juste titre, demandé ce qui relevait de la responsabilité individuelle d’une part et de la solidarité nationale d’autre part. Nous devons, collectivement, répondre à cette question. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme Marie-Françoise Clergeau et Mme Joëlle Huillier, rapporteure. Que ne l’aviez-vous fait ?

(La motion de rejet préalable, mise aux voix, n’est pas adoptée.)

Motion de renvoi en commission

M. le président. J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe Les Républicains une motion de renvoi en commission déposée en application de l’article 91, alinéa 6, du règlement.

La parole est à M. Gilles Lurton.

M. Gilles Lurton. Madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure, mes chers collègues, beaucoup d’entre nous l’ont dit au cours des discussions que nous avons eues en première lecture comme en commission : l’adaptation de notre société au vieillissement, sujet auquel nous sommes tous très fortement attachés, reste un véritable défi pour l’avenir.

L’espérance de vie a dépassé 80 ans et nous prévoyons qu’elle devrait continuer à s’allonger d’une année tous les dix ans jusqu’en 2060. Il est vrai que la plupart de nos aînés vieillissent sans incapacité et nous ne pouvons que nous réjouir de cette évolution.

Depuis le début des discussions, nous avons toujours reconnu les dispositions de ce projet de loi visant à permettre à nos politiques d’urbanisme, de transport et de logement, ainsi qu’à nos politiques sociales et d’accompagnement, de s’adapter à ce phénomène démographique et à permettre ainsi à nos aînés de continuer à bien vieillir. C’est là en effet l’une des principales qualités de votre texte, que nous avons toujours soutenue.

Adapter la société au vieillissement de la population, c’est aussi, et surtout, relever le défi de la prévention et de l’accompagnement de la perte d’autonomie. Nous savons qu’il y faut du temps, et aussi beaucoup d’humilité.

Malgré de grandes avancées réalisées ces dernières années – et souvent impulsées, du reste, par les collectivités locales et les professionnels –, beaucoup reste à réaliser. Notre rôle est de créer les conditions nécessaires pour que notre société s’adapte au fur et à mesure de l’avancée en âge de la population.

Nous avons à répondre aux difficultés que rencontrent les familles pour supporter financièrement les besoins de leurs proches dépendants lorsqu’ils sont accueillis en établissement. Nous avons à trouver des solutions à la prise en charge de la dépendance. Nous avons à répondre aux attentes des personnes âgées et de leurs familles qui, trop souvent, ne trouvent pas d’accueil en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes lorsqu’elles n’ont plus la possibilité de rester dans un foyer logement ou, ultérieurement, dans les résidences autonomie que vous envisagez de créer. Nous avons aussi à prendre en compte l’avancée en âge et le vieillissement des personnes en situation de handicap.

Je connais, madame la secrétaire d’État, vos préoccupations dans ces domaines et je connais aussi le travail que vous accomplissez pour tenter d’y trouver des solutions dans un contexte financier extrêmement contraint qui, malheureusement, ne permet plus aujourd’hui d’ouvrir de nouveaux lits en établissements pour personnes âgées dépendantes.

Cependant, quand je vois le nombre de personnes âgées maintenues dans des services hospitaliers à des prix de journée largement supérieurs à ce qu’ils seraient en établissement, je me dis que nous ne réalisons pas toujours les bonnes économies là où il le faudrait.

Madame la secrétaire d’État, vous nous avez dit à plusieurs reprises que votre texte était une première étape et qu’un deuxième projet de loi relatif à l’accompagnement des résidents en établissement viendrait le compléter.

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État. J’ai dit cela, moi ?

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Elle ne l’a jamais dit ! Il se trompe de ministre !

M. Gilles Lurton. Si, vous nous l’avez dit à plusieurs reprises. Cela figure au compte rendu des commissions.

Les personnes âgées et les familles de notre pays restent, bien sûr, dans l’attente de ces évolutions. Le texte que vous nous présentez est effectivement un premier pas et nous souscrivons à un très grand nombre de ses dispositions. Pour recueillir l’assentiment du plus grand nombre d’entre nous, il me semble cependant que quelques points précis mériteraient un nouvel examen en commission.

En premier lieu, le projet de loi a beaucoup évolué depuis le mois de juillet 2014, où nous l’examinions en première lecture. Le Sénat a enrichi le texte de nombreuses contributions. J’ai participé à de nombreuses auditions menées par Mme la rapporteure et je salue la façon dont elle s’est approprié ce texte en deuxième lecture.

Ces auditions et les réunions des commissions vous ont conduite, madame la secrétaire d’État, à entreprendre d’importantes modifications par le biais d’amendements très conséquents déposés en commission des affaires sociales le 15 juillet dernier. Nous aurions eu besoin d’un peu plus de recul pour mieux appréhender ces nouvelles dispositions.

Le premier sujet qui pose encore beaucoup de questions aujourd’hui concerne l’article 32 bis qui, au moyen d’un amendement de quatre pages déposé en commission par le Gouvernement, supprime le régime de l’agrément au profit du seul régime de l’autorisation. Le régime de l’agrément était pourtant le seul qui fût assorti d’un cahier des charges national assurant une homogénéité de qualité sur le territoire depuis plusieurs années.

Bien que votre amendement introduise un cahier des charges national qui précisera les conditions de fonctionnement des régimes désormais soumis à autorisation, nous craignons que votre système conduise à un fractionnement des pratiques en laissant aux 102 conseils départementaux autant de possibilités d’appréciation du système à mettre en place, à propos notamment du recours ou du non-recours au contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens – CPOM –, des critères d’autorisation au-delà d’un cahier des charges national ou des critères d’habilitation.

Chaque conseil départemental pourra désormais développer des règles et des pratiques qui lui seront propres, complexifiant ainsi les démarches des structures existantes et risquant par conséquent d’accentuer les disparités entre territoires.

J’ai noté que, ce soir ou demain, en séance, vous nous proposerez 11 nouveaux amendements à l’article 32 bis. Deux de ces amendements portent sur l’alinéa 9 et tous comportent le même exposé sommaire.

Nous n’avons pu prendre connaissance de ces amendements que très tard hier soir, mais ils appelleront déjà de notre part plusieurs interventions qui auraient certainement nécessité une discussion en commission.

À titre d’exemple, je lis dans l’exposé sommaire commun à l’ensemble des amendements déposés par le Gouvernement à l’article 32 bis qu’en cas de refus par le président du conseil départemental d’une demande d’autorisation d’extension ou d’habilitation à recevoir des bénéficiaires de l’aide sociale formulée par un service d’aide et d’accompagnement à domicile, le conseil départemental a l’obligation de l’informer des motifs de son refus. Je ne vois pas, en revanche, comment cette disposition est formulée dans la rédaction de l’amendement n305 complétant l’alinéa 27.

En effet, la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l’amélioration des relations entre l’administration et le public, à laquelle se réfère cet amendement, précise bien que le président du conseil général ne motive sa décision que lorsqu’il est saisi d’un recours contentieux de l’intéressé dans les délais fixés par la loi. En aucun cas le conseil départemental n’a l’obligation d’informer d’emblée des motifs de son refus, comme le précise l’exposé sommaire de l’amendement n305. Ce sont là autant d’arguments qui auraient nécessité un travail en commission – et ce n’est qu’un exemple.

Nous craignons les conséquences de ces dispositions, sur lesquelles ni les collectivités concernées, ni les structures professionnelles privées n’ont été consultées. Ce seul point aurait mérité, à notre avis, de nouvelles auditions. Les observations qui nous ont été adressées sur ce sujet depuis le mois de juillet le démontrent largement.

Nous savons tous, et je vous l’ai déjà dit au début de mon intervention, que les besoins des personnes âgées, surtout quand elles sont maintenues à domicile, seront croissants dans les années à venir.

Or, votre amendement aura pour conséquence, après 2022, d’empêcher de nombreux porteurs de projets de déposer des demandes d’autorisation auprès des conseils départementaux en dehors des procédures d’appel à projets. Il existe un vrai décalage entre cette mesure et la réalité des besoins des personnes en situation de fragilité. Elle favorise les acteurs établis, au détriment de toute nouvelle initiative, parfois très novatrice pourtant.

L’article 32 bis, dans sa rédaction actuelle, risque également d’avoir une incidence sur le fonctionnement des très nombreuses structures privées d’aide à la personne qui se développent dans notre pays et qui sont devenues aujourd’hui plus que nécessaires face à la demande croissante d’interventions pour les personnes âgées.

Il ne s’agit pas d’opposer deux modes de gestion des structures d’intervention. D’importants besoins existent et, qu’ils soient publics ou privés, tous les intervenants doivent pouvoir jouer leur rôle en complémentarité les uns des autres. Ils sont aussi la condition du libre choix de chacun.

Je voudrais en outre insister sur la place accordée à l’emploi à domicile entre particuliers en tant que véritable mode d’accompagnement des personnes bénéficiaires des prestations sociales. Ce mode d’intervention n’est pas cité dans le texte, alors qu’il répond pourtant à des besoins très importants exprimés par plus de 200 000 particuliers employeurs de plus de 60 ans qui bénéficient des prestations sociales.

Madame la rapporteure, vous avez été interpellée sur ce sujet à l’occasion des auditions que vous avez conduites préalablement à la réunion de la commission du 15 juillet et au cours desquelles vous m’aviez semblé appréhender parfaitement cet enjeu. Le texte qui nous est soumis n’en tient pourtant pas compte.

L’article 32 bis, dans sa nouvelle rédaction, est sans effet sur les structures qui interviennent en mode mandataire. Nous ne pouvons qu’en conclure que ces structures demeurent sous le régime de l’agrément et restent en mesure d’accompagner les particuliers employeurs éligibles à l’APA.

C’est, du reste, ce que dit le Gouvernement dans l’exposé sommaire de l’amendement qu’il a présenté à l’article 32 bis : « la disposition est sans effet sur les agréments service à la personne qui n’entrent pas dans le champ du droit d’option ainsi que sur les services à la personne mandataire ».

Nous aurions souhaité que vous en tiriez les conséquences en insérant une mention spécifique dans le texte même du projet de loi et en reconnaissant ainsi les structures mandataires agréées. Ce point a été oublié. Il mériterait pourtant que nous en reparlions en commission.

En l’état actuel, de nombreuses interrogations demeurent sur le statut de particulier employeur en situation de dépendance comme participant à part entière des politiques publiques de la perte d’autonomie.

Conformément à ce que vous avez réaffirmé à plusieurs reprises, nous devons garantir le principe fondamental du libre choix de la personne et, ainsi, préserver le respect de sa vie privée et de sa dignité. La personne âgée, même elle si souffre d’une perte d’autonomie, demeure un être capable de prendre des décisions sur l’accompagnement qui répond le mieux à ses besoins.

Madame la secrétaire d’État, madame la rapporteure, je voudrais aussi insister sur la difficulté que nous avons à reprendre au mois de septembre un texte qui a été examiné en commission le 15 juillet dernier, avant une interruption estivale de quatre semaines. Je pense vraiment qu’un nouvel examen en commission est nécessaire au début de cette session extraordinaire pour reprendre les amendements très importants déposés par le Gouvernement au mois de juillet et les examiner une nouvelle fois à la lumière des très nombreuses observations qui nous ont été faites.

J’ajoute que les 45 nouveaux amendements déposés par le Gouvernement préalablement à l’examen de ce texte en séance, qui ont reçu un avis favorable de Mme la rapporteure, nous confortent dans notre demande de renvoi en commission.

Je l’ai déjà dit, pas moins de 11 amendements portent sur l’article 32 bis, ce qui montre bien, une fois encore, la nécessité d’un nouvel examen de cet article en commission.

Nous n’avons eu connaissance de ces amendements qu’hier soir. Or, le président de la commission des lois, M. Jean-Jacques Urvoas, nous demande instamment de ne plus légiférer dans l’urgence. Il va même plus loin en obtenant des membres de votre majorité siégeant à la commission des lois de ne plus voter les amendements significatifs de dernière minute. Dès lors, quelle sera la conduite de votre majorité sur ce texte ?

Madame la secrétaire d’État, nous approuvons la nécessité de légiférer sur l’adaptation de la société au vieillissement de la population. Comme vous, nous sommes pleinement conscients qu’il est de notre responsabilité commune de trouver des solutions pour permettre à nos personnes âgées de bien vieillir.

En ce sens, nous pensons qu’un texte sur ce sujet pourrait être adopté à l’unanimité de la représentation nationale. Il serait donc profondément regrettable que, par manque de recul sur les dispositions introduites dans votre projet depuis la première lecture en juillet 2014 et sur les évolutions qu’il va encore subir dans les heures à venir, nous ne votions pas votre texte, alors même que nous pourrions souscrire à certaines de vos nouvelles propositions.

Pour toutes ces raisons, nous avons besoin d’un travail supplémentaire et nous vous demandons un renvoi en commission de ce projet de loi pour l’adaptation de la société au vieillissement.

Je vous demande donc, mes chers collègues, d’adopter cette motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État. Mesdames et messieurs les députés, si nous voulons satisfaire aux préconisations du président Urvoas, qui nous invite à ne pas légiférer dans l’urgence, il me semble que nous y parvenons fort bien avec ce texte. Celui-ci a été examiné en première lecture à l’Assemblée nationale voilà un an et nous y revenons aujourd’hui en deuxième lecture : allonger encore les délais serait procrastiner, ce que nous ne voulons pas, car nous entendons avancer et souhaitons que ce texte soit adopté avant la fin de l’année 2015 pour être applicable au 1er janvier 2016.

Vous avez, mesdames et messieurs les députés du groupe Les Républicains, choisi de déposer une motion de renvoi en commission. J’observe qu’en première lecture, déjà, votre groupe a défendu une telle motion.

Toutefois, je répondrai précisément sur cette question du renvoi en commission, car j’ai trop de respect envers l’Assemblée nationale et le Parlement pour ne pas tenir compte de vos propos. Je considère en effet que les procédures ne sont pas des postures.

Je rappellerai donc le calendrier des échanges que nous avons eus.

Le 8 juillet dernier, j’ai été auditionnée par la commission des affaires sociales et j’ai pu annoncer à cette occasion, devant l’ensemble des commissaires présents, toutes les dispositions que le Gouvernement porterait en séance.

Afin de vous présenter au mieux chacune de ces dispositions, j’ai sollicité de la présidente Catherine Lemorton, pour qui ce n’est ni une tradition, ni un premier choix, la possibilité de venir défendre chaque amendement lors de l’examen du texte en commission, le 15 juillet dernier, ce qu’elle a eu la grande amabilité de me permettre de faire. Chaque amendement déposé par le Gouvernement a ainsi pu être débattu.

Durant cet été, nous avons mené une importante concertation avec l’ensemble des fédérations. Parallèlement, comme l’ensemble des parlementaires, comme Mme la rapporteure ou tous les groupes, vous pouviez débattre avec ces fédérations des dispositions que nous envisagions. Nous vivons dans un monde extrêmement transparent, puisque tout est sur les réseaux sociaux, qu’il s’agisse du moindre rendez-vous ou du moindre échange.

De même, pendant l’été, j’ai continué, malgré la suspension des travaux au Parlement, de rencontrer les députés de tous les groupes pour discuter de la manière dont nous accompagnons l’évolution de l’article 32 bis. Vous avez donc pu, d’une façon ou d’une autre, examiner et connaître l’ensemble des amendements élaborés en concertation avec le secteur. Tous ne font pas l’unanimité, et je le déplore, mais tous sont connus.

Enfin, vous auriez souhaité un texte adopté à l’unanimité à l’Assemblée nationale. Il a été adopté à l’unanimité au Sénat, ne vous privez donc pas de suivre son exemple ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. Nous en venons aux explications de vote sur la motion de renvoi en commission. La parole est à Mme Chaynesse Khirouni pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Chaynesse Khirouni. Pour nous, le temps de l’action est venu. Il n’est pas question de repousser, comme vous cherchez à le faire, les échéances et les décisions. L’adaptation de notre société au vieillissement est une priorité et sa mise en œuvre rapide une exigence. Pour la première fois, un texte de programmation et d’orientation aborde la question du vieillissement de manière globale et positive. Il introduit des avancées majeures et dessine des perspectives. Alors qu’il est souvent reproché aux pouvoirs publics en général et aux élus en particulier de ne pas anticiper suffisamment les évolutions de la société, ce projet de loi d’orientation et de programmation est novateur.

Aujourd’hui, vous nous reprochez de ne pas aller assez loin et de ne pas répondre à toutes les problématiques liées à la perte d’autonomie des personnes âgées.

Mme Isabelle Le Callennec. Tout à fait !

Mme Chaynesse Khirouni. Pourtant, je vous rappelle que c’est notre majorité qui avance, qui anticipe et qui agit au quotidien pour définir une véritable politique publique qui apporte des solutions concrètes aux personnes âgées et à leurs familles. Nous allons consacrer près de 650 millions d’euros pour ouvrir de nouveaux droits aux personnes âgées. Nous instaurons un droit au répit pour les quelque 4 millions d’aidants familiaux. Nous améliorons certaines dispositions qui posent des difficultés, comme l’article 32 bis.

Quelle majorité s’est autant engagée sur cette question ? Sûrement pas la vôtre ! Permettez-moi d’avoir les plus grandes réserves, lorsque vous nous dites que ce que vous n’avez pas fait hier, vous le feriez mieux demain. Rappelons encore et encore que la réforme de la dépendance a été maintes fois annoncée durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy, sans que la moindre traduction législative ne soit mise en œuvre.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Nous n’avons jamais vu la cinquième branche !

Mme Chaynesse Khirouni. Une nouvelle fois, treize ans après la création de l’APA, c’est la gauche qui est à l’origine de la mise en place de la politique de solidarité pour le grand âge. Nos concitoyens attendent depuis longtemps cette réforme. Nous allons enfin la mettre en œuvre, et c’est pour nous une grande fierté. Aussi les membres du groupe socialiste, républicain et citoyen voteront avec force et conviction contre votre motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Le Callennec, pour le groupe Les Républicains.

Mme Isabelle Le Callennec. Nous voterons ce renvoi en commission parce que nous voulons travailler mieux.

M. Jacques Moignard. Après avoir voulu ne pas travailler du tout ! C’est logique !

Mme Isabelle Le Callennec. Comme nous vous l’avons dit tout à l’heure, nous sommes favorables à une loi d’adaptation de la société au vieillissement. Tous les jours, nous rencontrons des familles ou des personnes âgées qui nous présentent les difficultés auxquelles elles sont confrontées sur le terrain. Ce que notre collègue a voulu vous démontrer, de manière magistrale dirais-je,…

Mme Audrey Linkenheld. C’était surtout une erreur magistrale !

Mme Isabelle Le Callennec. …c’est que certains articles et amendements doivent être approfondis.

Madame la ministre, nous avons apprécié votre présence en commission des affaires sociales, pour répondre instantanément, au mois de juillet, aux questions que nous pouvions nous poser. Comme vous nous l’avez dit, vous avez continué cet été à recevoir et à consulter, tout comme nous sur le terrain. Mais des amendements de dernière minute ont été déposés hier soir et, en application de l’article 88 du Règlement, ils ont été examinés à toute allure en début d’après-midi.

M. Denys Robiliard. C’est un coup en dessous de la ceinture !

Mme Isabelle Le Callennec. Nous estimons que ce n’est pas une manière de travailler pour un texte aussi important et aussi attendu. C’est pourquoi nous voulons, par ce renvoi en commission, vous demander d’approfondir ce qui fait débat entre nous, dans l’espoir de trouver un consensus. Si le texte n’est pas renvoyé en commission, nous ferons notre travail en séance pour défendre nos amendements et rejeter ceux des vôtres qui ne nous paraissent pas adaptés aux défis posés sur le terrain.

Mme Bérengère Poletti. Très bien !

(La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n’est pas adoptée.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Christophe Sirugue.

M. Christophe Sirugue. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure, mes chers collègues, le texte que nous retrouvons en deuxième lecture recouvre une grande partie des avancées qui ont déjà été présentées il y a plus d’un an dans cet hémicycle. Nous avons, en juillet dernier, beaucoup travaillé en commission pour revoir les éléments corrigés par nos collègues sénateurs et compléter l’ensemble des mesures proposées pour la prise en charge du vieillissement.

Ces deux motions de procédure me navrent. En effet, nous avons eu un délai suffisant pour travailler et les enjeux sont connus de tous ceux qui se préoccupent de la question de la prise en charge du vieillissement. J’ose vous dire, madame la ministre, que nous avons hâte que les dispositions contenues dans ce texte puissent rapidement trouver leur concrétisation pour quatre raisons.

La première, et non la moindre, c’est parce qu’il y a des besoins criants qu’il nous faut satisfaire pour améliorer la prise en charge financière du vieillissement dans notre pays. Les déclarations de bonne intention ne suffisent pas. Il y a des mesures concrètes contenues dans ce texte, notamment le renforcement de l’APA dont bénéficient nombre de nos aînés. Avec cet acte II de l’APA à domicile nous permettrons une augmentation du nombre d’heures d’aide à domicile pour les personnes âgées qui en ont le plus besoin, tout en veillant à réduire le ticket modérateur et à en exonérer les bénéficiaires du minimum vieillesse.

L’attente, c’est aussi celle d’une plus grande transparence et d’une régulation des tarifs d’hébergement en maison de retraite avec la définition d’un panier de prestations obligatoires comprises dans le tarif hébergement de base et avec la fixation d’un taux maximum d’évolution des tarifs des maisons de retraite en tenant compte du montant des pensions.

Le besoin, c’est celui de réagir face à la fragilité d’un nombre important d’associations qui interviennent dans ce domaine. Le dispositif proposé dans ce texte permettra de sécuriser les structures existantes et, par là même, les emplois dans un processus répondant à la complexité et aux difficultés résultant de la dualité du régime juridique entre autorisation et agrément des services d’aide et d’accompagnement à domicile. Personne ne peut nier ces difficultés. Les prendre à bras-le-corps pour essayer de clarifier ces éléments me semble essentiel.

L’urgence, c’est celle qui nous conduit enfin à intégrer les aidants qui, pour la première fois, sont reconnus et valorisés dans leurs interventions toujours plus essentielles auprès des leurs.

La seconde raison est liée au sprint démographique qui est lancé. Selon l’Insee, près d’un habitant sur trois aura plus de 60 ans en 2060, faisant même passer le nombre de personnes de plus de 75 ans de 5,7 millions en 2011 à 12 millions en 2060, tandis que ceux de plus de 85 ans progresseront de 1,5 million à 5,4 millions dans la même période.

Personne ne peut plus dire qu’il n’est pas conscient de cette évolution et des impacts qu’elle doit avoir sur l’habitat, sur nos aménagements urbains, sur les plans de déplacement ou sur l’égalité entre les zones urbaines et les zones rurales, mais aussi dans l’apport que peuvent représenter ses seniors pour le monde économique, le monde associatif, pour le transfert des savoirs et pour la grand-parentalité.

La troisième raison de notre impatience réside dans la place qui est faite à l’ambition dans ce texte. Ambition pour la prévention : à domicile avec la création d’une aide publique permettant l’accès aux technologies nouvelles pour les personnes âgées à faibles revenus – la domotique, le numérique ou la téléassistance – ; contre l’isolement des personnes âgées avec le déploiement sur tout le territoire d’équipes citoyennes bénévoles permettant d’entretenir le lien social ; contre le suicide des personnes âgées dont on sait, malheureusement, l’importance.

Ambition également pour adapter les politiques publiques au vieillissement. Elles doivent permettre des efforts indispensables sur l’offre de logement pour donner à nos aînés le choix du modèle d’habitat qui leur convient. Ambition enfin dans la réaffirmation des droits et libertés des personnes âgées – il y a urgence.

Enfin, ce projet de loi offre l’occasion de parler positivement du vieillissement dans notre pays. Ce vieillissement, au-delà de l’humanité qu’il engendre, c’est une véritable chance de voir se côtoyer des générations, de partager des expériences. C’est aussi une chance avec le développement de la filière de la « silver economy » au niveau national, dans les régions et à l’export, pour faire de la France un leader mondial de ce champ et créer des emplois dans les métiers de l’autonomie, mais aussi dans le bâtiment pour l’adaptation des logements ou dans l’industrie des nouvelles technologies au service de l’âge. Ce vieillissement, c’est un atout, lorsque l’on voit l’investissement de nos aînés dans la vie associative ou sociale. Chacun ici, j’en suis sûr, en est le témoin dans sa circonscription.

Madame la ministre, je vous dis merci. Merci de cette vision et de ce volontarisme. Merci du travail que vous avez accepté de discuter avec les élus que nous sommes – j’en profite pour redire, après Mme la rapporteure, comme les échanges ont été fructueux et importants. Merci de tout faire pour que, après le vote positif que vous apportera, sans aucun doute, le Parlement, cette loi trouve rapidement sa concrétisation. Au Grand Soir que certains semblent attendre, sans l’avoir jamais engagé sauf dans le discours, je préfère le concret de ces mesures au service de nos aînés et de notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Le Callennec.

Mme Isabelle Le Callennec. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure, chers collègues, aux yeux de l’histoire, une société se juge à la place qu’elle fait à ses enfants, mais aussi à ses aînés. Cette loi que nous examinons en deuxième lecture porte un nom pétri d’espoir : loi d’adaptation de la société au vieillissement.

La société française vieillit. Près d’un quart de la population a plus de 60 ans aujourd’hui, et le nombre des plus de 75 ans a progressé de 45 % en vingt ans. L’espérance de vie augmente. En 2014, elle atteint 79 ans pour les hommes et 85 ans pour les femmes. Au cours des soixante dernières années, cela représente un gain de quatorze ans en moyenne – en moyenne, car les inégalités demeurent entre les ouvriers et les cadres supérieurs.

Dans ce contexte, le souhait de vivre le plus longtemps possible à domicile s’exprime : 90 % des Français préfèrent adapter leur logement plutôt que d’intégrer une maison dite « de retraite ». Enfin, la crainte de devenir dépendant est réelle. Près de huit Français sur dix craignent de devenir dépendants et un sur deux d’avoir à s’occuper d’un proche en perte d’autonomie.

Notre société est donc à la croisée des chemins. Notre responsabilité de législateur est de répondre aux défis du vieillissement avec humanité, pragmatisme et esprit de responsabilité. L’enjeu est de taille et les sommes en jeu sont considérables. Notre pays consacre, chaque année, 716 milliards d’euros à la protection sociale, dont 224 milliards aux seules personnes âgées. Les cotisations patronales et salariales « vieillesse » s’élèvent à 74 milliards d’euros. Les conseils départementaux, dont la compétence personnes âgées a été confortée, leur consacrent chaque année une part importante de leur budget. Dans mon département, en Ille-et-Vilaine, cela représente 10 % d’un budget d’un milliard d’euros.

Ce projet de loi est donc très attendu, tant par les personnes âgées que par leurs familles, les professionnels du service aux personnes auxquels je rends hommage, les acteurs du secteur sanitaire et médico-social et, bien entendu, les gestionnaires des collectivités locales. De nombreuses mesures contenues dans le texte vont incontestablement dans le bon sens, celles qui mettent l’accent sur la prévention de la dépendance, l’aide aux aidants ou encore le soutien de l’allocation personnalisée d’autonomie dans le maintien à domicile. Vous ne m’en voudrez pas cependant de m’attarder plutôt sur ses manques.

Le Président de la République nous avait promis une réforme globale, or, force est de constater que la loi n’apporte pas de réponse satisfaisante et durable à deux problèmes pourtant majeurs qui s’expriment sur le terrain : le reste à charge – parfois hors de portée – supporté par les familles pour leurs proches dépendants aux faibles ressources qui sont accueillis en établissement ; le financement de la prise en charge de la dépendance par les conseils départementaux dont les dépenses sociales ne cessent de croître quand les dotations, elles, diminuent.

À ces deux non-réponses s’ajoute une inquiétude liée à l’article 32 bis concernant les entreprises d’aide à domicile, qui prévoit le basculement automatique des services anciennement agréés dans le nouveau régime d’autorisation mais uniquement dans la limite du nombre d’heures effectuées dans les trois exercices précédents.

Il s’agit en réalité de la création d’un plafond qui limite de fait toute possibilité de développement de ces services aux personnes déjà fragilisées par les réductions d’avantages fiscaux décidées par le Gouvernement depuis trois ans.

Depuis la présentation de ce projet de loi en conseil des ministres, quinze mois se sont déjà écoulés. L’examen en « fractionné » des textes de loi ne constitue vraiment pas une méthode satisfaisante. Ceux qui sont concernés par ces textes ne savent plus où on en est, ce qui s’applique, ce qui est encore à venir.

Une soixantaine de décrets, madame la secrétaire d’État, devront être pris dans le prolongement du vote. Vous savez combien nous apprécierions de connaître leur contenu au moment de l’examen en séance. Bien souvent, en effet, ce n’est pas l’esprit de la loi qui est critiquable mais les décrets qui la déclinent ou les modalités de mise en œuvre qui varient d’un territoire à l’autre.

Pour être utile, cette loi devrait tenter de répondre à toutes les situations et relever les défis posés en termes sanitaires, médico-social, de logement, de transport mais, aussi, d’accompagnement des personnes jusqu’au crépuscule de leur vie.

Pour être utile, cette loi devrait concrétiser les recommandations de la MECSS sur « la mise en œuvre des missions de la CNSA » qui appellent au rapprochement entre le secteur sanitaire et le secteur médico-social : renforcer la coordination et la coopération entre les acteurs, encourager les initiatives locales innovantes et étendre les expérimentations fructueuses, revoir les modalités de tarification, favoriser les échanges d’information entre les professionnels, développer les maisons départementales de l’autonomie. Tout y est. Il n’y a plus qu’à...

Pour être crédible, cette loi devrait enfin trouver sa traduction dans les projets de loi de finances et de financement de la Sécurité sociale que nous examinerons dans les semaines à venir.

En conclusion, j’espère que le débat qui suivra cette discussion générale permettra de mieux répondre aux enjeux.

Cette loi, si elle reste simple d’application et borde juridiquement les évolutions nécessaires à l’adaptation de la société au vieillissement, aura été utile. À défaut, elle susciterait – je dis bien, elle susciterait – de ma part un vote d’abstention positive. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Arnaud Richard.

M. Arnaud Richard. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission – chère Catherine – madame la rapporteure, j’ai relu vos propos, madame la secrétaire d’État, et vous avez bien dit le 7 juillet 2014 que ce texte constituait une première étape puisqu’il serait complété par un deuxième projet de loi relatif à l’accompagnement des résidents. Notre collègue Gilles Lurton avait raison.

Mme Isabelle Le Callennec. Nous avons bien entendu !

M. Arnaud Richard. Mes chers collègues, disons-le sans détour, le projet de loi qui nous est présenté en deuxième lecture nous semble manquer cruellement d’ambition pour faire face aux immenses défis que représente la perte d’autonomie.

Tout d’abord, le défi de la cohésion sociale : la population des personnes âgées de plus de 85 ans devrait quadrupler d’ici 2060 et la qualité de notre modèle de solidarité se mesurera à sa capacité de garantir la dignité des personnes âgées et dépendantes.

Le défi financier, ensuite, qui engage les potentialités de notre modèle social et, conséquemment, sa préservation. Le vieillissement de la population, en effet, engendrera des dépenses supplémentaires de l’ordre de 1,5 % du PIB d’ici 2025.

Le défi en termes de pouvoir d’achat, également, puisque, comme cela a été longuement expliqué sur ces bancs, le reste à charge atteint aujourd’hui des niveaux insoutenables pour les familles. Les ménages, ainsi, acquittent au moins sept milliards d’euros par an en complément des ressources fournies par la solidarité nationale pour la couverture des frais liés à la dépendance.

Enfin, madame la secrétaire d’État, nous faisons face à un défi difficile en termes de simplification et d’amélioration de la prise en charge des dépenses des personnes dépendantes. Il s’agit de garantir une prise en charge de qualité, de simplifier le parcours du combattant auquel les personnes dépendantes sont confrontées et de mieux accompagner les familles ainsi que les aidants.

Face à l’ensemble de ces enjeux cruciaux, notre groupe s’est inquiété en première lecture et s’inquiète encore en deuxième lecture des insuffisances majeures de ce projet de loi – nous étions plutôt satisfaits d’apprendre que la « fusée » aurait pu comporter un « deuxième étage » dont, madame la secrétaire d’État, vous avez perdu la mémoire.

Pour nous, la perte d’autonomie ne se résume pas à la seule question du grand âge. Nous regrettons par conséquent que le texte ne procède pas à une véritable harmonisation de l’évaluation des situations de dépendance avec la mise en place d’un référentiel d’éligibilité unique, lequel permettrait d’intégrer les situations de handicaps comme ouvrant droit à une rente évaluée en fonction du degré de dépendance de la personne.

J’ajoute que les financements prévus, vous le savez tous, sont absolument dérisoires – même s’ils ont le mérite d’exister – au regard des enjeux financiers que soulève la perte d’autonomie.

Ce projet de loi ne prévoit aucune mesure forte, madame la secrétaire d’État, pour soutenir le secteur des services à la personne alors que ce dernier est essentiel pour le redressement économique et social et qu’il a été fragilisé par le plafonnement global des avantages fiscaux, l’augmentation de la taxe sur la valeur ajoutée et la suppression du forfait alors même qu’il joue un rôle majeur dans la prise en charge de la perte d’autonomie.

Pire, le projet de loi que notre Assemblée examine aujourd’hui, nos collègues l’ont dit, prévoit l’extinction de l’agrément – avancée importante de la loi du 26 juillet 2005 relative au développement des services à la personne, plan qui, comme vous le savez mes chers collègues, prévoyait de faire diminuer le chômage en France.

En ce qui nous concerne, nous proposerons un amendement prévoyant la prise en charge du statut de particulier employeur en situation de dépendance comme participant à part entière aux politiques publiques relatives à la perte d’autonomie ainsi qu’un amendement visant à garantir le principe fondamental du libre choix de la personne.

Les acteurs du service à la personne sont multiples et divers mais, madame la secrétaire d’État, partagent tous la volonté de favoriser la création d’emplois non délocalisables. Ils doivent être traités de manière équitable.

Nous considérons que les mesures en faveur des 4,3 millions d’aidants, quant à elles, ne peuvent constituer qu’un premier pas vers la reconnaissance pleine du rôle de l’aidant à travers la création d’un statut de l’aidant à part entière.

Nous constatons également l’insuffisance notable de l’enveloppe budgétaire prévue pour l’adaptation de 80 000 logements aux contraintes de l’âge et du handicap alors que ces derniers ne représentent que 0,3 % des logements en France.

Enfin, ce projet de loi n’est pas suffisamment ambitieux s’agissant de la réduction des inégalités sociales et territoriales alors que, nous le savons tous, de fortes disparités demeurent en matière de gestion des aides sur le plan départemental. Le rôle méthodologique, d’appui et d’harmonisation des pratiques confié à la CNSA ne permettra pas d’apporter une réponse à la hauteur de cet enjeu.

Alors oui, madame la secrétaire d’État, vous semblez vous atteler à cette question cruciale, cette majorité paraît en être convaincue. Pour autant, nous craignons que ce texte ne soit pas à la hauteur des défis humains et financiers soulevés par la dépendance.

Pour le groupe UDI, le projet devrait poser les jalons d’une réforme structurelle de la prise en charge de la perte d’autonomie articulée autour de trois piliers.

En premier lieu, nous estimons qu’une approche solidaire et éthique de la problématique de la prise en charge des personnes dépendantes interdit d’exclure les personnes handicapées d’une réflexion globale sur la dépendance et sur la perte d’autonomie.

Par conséquent, il aurait fallu prévoir que les compensations pour la perte d’autonomie ne soient pas soumises à des barrières d’âge et favoriser l’harmonisation des régimes d’indemnisation des personnes handicapées et dépendantes. Premier point.

Deuxièmement, nous devons faire face à un défi immédiat concernant le financement de la perte d’autonomie. Face aux difficultés que connaissent certains conseils départementaux pour faire face à la montée en charge de l’APA, nous vous avions proposé d’affecter une fraction de la CSG aux départements ainsi que de créer une taxe exceptionnelle assise sur le produit brut des jeux.

Nous regrettons de ne pas avoir été entendus, nos propositions ayant été malheureusement balayées d’un revers de la main.

Enfin, dernier pilier de cette réforme structurelle que le groupe UDI appelle de ses vœux : l’instauration d’un système assurantiel universel et obligatoire pour couvrir le risque lié à la perte d’autonomie.

Une telle réforme permettrait de concilier solidarité – via la mutualisation des risques – et saine gestion des finances publiques – par un dispositif de financement innovant. Elle donnerait droit à une rente mensuelle garantie en cas d’entrée en dépendance, quelle que soit la durée de cotisation effective.

À notre sens, ce dispositif serait accompagné d’un mécanisme d’aide publique adapté – aides directes à la souscription centrées sur les bas et les moyens revenus prenant la forme d’un chèque dépendance.

Malheureusement je doute que, pendant les mois qu’il lui reste, l’actuelle majorité se montre à l’écoute de nos propositions constructives alors qu’elles permettraient d’améliorer sensiblement ce projet de loi et de lui donner du sens.

Ce texte, mes chers collègues, répond en effet imparfaitement aux défis immenses représentés par la prise en charge de la perte d’autonomie.

Vous l’aurez compris, au-delà des difficultés de méthode rencontrées par le Gouvernement avec l’article 32 bis – comme nos collègues l’ont très bien dit – le groupe UDI ne peut soutenir ce projet de loi. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Les Républicains.)

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. C’est dommage !

M. le président. La parole est à Mme Barbara Pompili.

Mme Barbara Pompili. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, madame la rapporteure, chers collègues, je tiens tout d’abord à excuser l’absence de ma collègue Véronique Massonneau, qui devait initialement prendre la parole sur ce texte et qui ne peut malheureusement être parmi nous aujourd’hui.

Elle aurait souhaité dire combien ce projet de loi est une bonne nouvelle… en réponse à une bonne nouvelle – il est suffisamment rare de tenir un tel discours à cette tribune pour le souligner !

Car, oui, l’espérance de vie augmente dans notre pays : on vit plus longtemps, et c’est tant mieux. En 2035, les plus de soixante ans représenteront ainsi plus de 30 % de la population française. Nos systèmes de santé et de protection sociale ont permis cette évolution et nous ne pouvons que nous en réjouir.

Bien sûr, ce constat ne doit pas faire oublier un autre enjeu, celui de l’espérance de vie en bonne santé, lequel doit nécessairement appeler une meilleure prise en compte des défis posés par la santé environnementale comme la qualité de l’air ou celle de notre alimentation, pour ne citer que ces deux exemples.

En matière de santé environnementale, en effet, les marges de progression sont immenses et il incombe au législateur ainsi qu’à l’ensemble des acteurs de notre société de prendre la mesure de ces défis qui touchent particulièrement les personnes fragiles, donc, les personnes âgées, comme nous l’ont rappelé les derniers épisodes de pollution de l’air.

Toujours est-il que pour le moment, en France, l’espérance de vie augmente. Ce constat implique des transformations dans notre société car une population qui vit plus longtemps, c’est une population qui doit s’adapter aux conséquences de ce vieillissement sur son mode de vie, sur notre mode de vie.

Je parle bien de « notre » mode de vie car il ne s’agit pas de demander aux plus âgés de s’adapter à la société : inversement, c’est à notre société, c’est à nous de nous adapter aux besoins de ces personnes.

C’est tout le mérite de ce projet de loi, qui a pour ambition non de se concentrer uniquement sur les personnes âgées et sur les professionnels qui les accompagnent mais d’inclure chaque citoyen dans la prise en compte du vieillissement et de mobiliser toute la société afin qu’elle s’adapte à ces contraintes – je pense, par exemple, à l’adaptation des logements aux besoins de la personne, à leur accessibilité pour les personnes en perte de mobilité mais, aussi, à l’accessibilité de leur environnement tant urbain que rural.

Je pense également à la nécessaire organisation du soutien des aidants familiaux ou, encore, à l’aide au maintien à domicile, souhait souvent exprimé mais trop souvent refusé car les conditions de ce maintien ne sont pas rendues possibles.

Voilà autant de mesures qui doivent se concrétiser dans les faits pour répondre aux besoins de ces personnes.

Ces objectifs, que nous défendons depuis longtemps, nous les retrouvons dans ce texte et c’est une très bonne chose car il s’agit de voir bien plus loin que les seuls objectifs économiques, que certains appellent la silver economy.

L’objectif premier doit être de renouer les liens humains avec des personnes souvent délaissées et, par exemple, de permettre aux personnels soignants et aux aides à domicile de prendre le temps de nouer un vrai contact avec les personnes les plus âgées, souvent isolées et en manque d’interactions sociales dans une société où tout va toujours plus vite.

Ces dernières années, la question du vieillissement n’a été traitée que d’un point de vue financier. Si ces considérations sont importantes, elles ne font pas tout. Je salue donc l’esprit de ce texte, qui va enfin bien au-delà, même si nous aimerions aller plus loin encore, avec la mise en place d’un véritable service public de l’autonomie.

J’en profite aussi pour saluer le relèvement du plafond de l’allocation personnalisée d’autonomie, qui constitue l’une des avancées majeures et concrètes de ce texte. C’est l’une des réussites de la gauche au pouvoir en 2002, que je suis fière de pouvoir consolider aujourd’hui. La revalorisation à hauteur de 30 % des heures d’aide à domicile supplémentaires est une excellente nouvelle, qui favorisera le maintien à domicile et renforcera le lien social avec les personnes les plus fragiles.

Je tiens également à saluer la réintroduction de la reconduction automatique de l’aide à la complémentaire santé, l’ACS. Cette simplification des démarches est une bonne chose pour les personnes âgées, qui sont soumises à des formalités administratives si contraignantes, que certains retraités aux petits revenus renoncent parfois aux soins. C’est là un enjeu de simplification et d’accès au soin auquel nous apportons une réponse concrète.

En revanche, nous avons quelques inquiétudes concernant la fusion annoncée des maisons départementales des personnes handicapées – MDPH – au sein des maisons de l’autonomie. Nous souhaitons avoir la garantie que ces structures englobantes apporteront les mêmes qualités de services et d’accompagnement aux personnes en situation de handicap. Nous défendrons en ce sens un amendement sur les MDPH, pour nous assurer que la prise en compte du vieillissement ne se fasse pas au détriment de l’accompagnement des personnes en situation de handicap.

D’une manière générale, je regrette la quasi-absence de prise en compte dans ce texte des personnes en situation de handicap, qui sont pourtant tout aussi concernées par les problématiques liées au vieillissement. La question de la mobilité des personnes âgées fait en effet écho à celle des personnes en situation de handicap. Je tiens à ce titre à rappeler combien j’ai regretté l’adoption cet été du projet de loi ratifiant l’ordonnance relative à l’accessibilité. Il n’est pas acceptable que, de dérogation en dérogation, de délai supplémentaire en délai supplémentaire, l’accessibilité des transports, des voiries ou des établissements recevant du public soit sans cesse reportée. Cette situation conduit à l’exclusion d’un nombre trop important de nos concitoyens à mobilité réduite, qu’ils soient en situation de handicap, âgés, ou même, dans certains cas, les deux à la fois. Nous ne pouvons pas faire de grands discours prônant la société inclusive – discours auxquels je m’associe – sans dénoncer cette contradiction.

Je m’adresserai enfin à vous, madame la ministre : pouvez-vous nous donner des garanties, s’agissant du maintien des financements des structures d’accueil et d’aide aux personnes âgées, notamment dans le contexte de la réforme territoriale et des profondes modifications relatives à la compétence des différentes collectivités ?

La question du vieillissement, notamment en établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes – EHPAD – n’est pas à prendre à la légère, car c’est une source d’inquiétude pour de nombreuses familles, du fait du manque de places, mais aussi d’un coût qui s’avère trop souvent exorbitant, comme d’autres collègues l’ont souligné.

Vous l’aurez compris, chers collègues, malgré ces quelques points, sur lesquels nous restons vigilants et attendons des clarifications, nous abordons l’examen de ce texte avec intérêt et enthousiasme. Nombreux sont les Français et les Françaises qui attendent que nous soyons à la hauteur de cet enjeu majeur. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme Joëlle Huillier, rapporteure. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Stéphane Claireaux.

M. Stéphane Claireaux. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure, chers collègues, nous voici réunis aujourd’hui pour examiner en seconde lecture le projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement.

Enfin ! Lorsque ce texte a été examiné en première lecture il y a un an de cela, presque jour pour jour, nous avions déjà près d’un an de retard sur l’engagement pris par le président Hollande de « réformer la dépendance pour mieux accompagner l’autonomie ». La navette parlementaire étant ce qu’elle est, il a encore fallu attendre près d’un an pour voir revenir ce projet de loi devant l’Assemblée nationale, ce que le groupe des radicaux de gauche et apparentés déplore. Nous espérons, madame la ministre, que lorsque ce texte aura été voté dans les deux chambres, vous prendrez rapidement les décrets d’application, afin que ces politiques publiques tant attendues soient immédiatement mises en œuvre.

Cela fait des années que les personnes âgées, leurs familles et l’ensemble des professionnels du secteur attendent ce texte majeur, qui nous concerne toutes et tous, directement ou indirectement. Rappelons qu’au début du siècle passé, seuls 4 Français sur 10 atteignaient l’âge de 75 ans. Aujourd’hui, 115 ans plus tard, notre pays compte 1,4 million de personnes âgées de 85 ans et plus, et devrait en compter 5 millions en 2060. Mais, au-delà des chiffres, c’est de la condition humaine qu’il s’agit avant tout, et de la capacité de notre organisation sociale à offrir à chacun la possibilité de vivre dignement l’avancée en âge, quel que soit son état physique ou mental.

Pour que le vieillissement ne soit pas synonyme de solitude et d’abandon, il faut être ambitieux et se donner les moyens de mener des politiques publiques résolument solidaires, afin d’accompagner nos seniors le mieux possible, dans le respect de leur choix de vie. Dès lors, le véritable enjeu n’est pas de vieillir le plus longtemps, mais de vieillir de façon autonome le mieux possible, c’est-à-dire en gardant la possibilité de choisir, et ce sur l’ensemble du territoire national, en tenant compte des contraintes spécifiques propres à la montagne, à la ruralité, ou encore aux outre-mer. J’espère à ce titre que les travaux en cours concernant l’égalité réelle en outre-mer permettront de dégager les moyens d’agir sur le long terme, pour que les outre-mer puissent s’intégrer pleinement à ce projet d’adaptation de la société au vieillissement, y compris dans les contextes insulaires les plus isolés, comme c’est le cas à Saint-Pierre-et-Miquelon.

On a eu trop tendance à aborder la problématique du vieillissement sous le seul angle de la dépendance, ce qui a impliqué le recours à des tiers pour assumer les actes de la vie quotidienne. Le plus souvent, la personne âgée est obligée de s’adapter à un environnement défavorable qui contribue à accroître sa perte d’autonomie. Comme nous l’avons déjà dit en première lecture, ce projet de loi est un pas important dans la prise en compte des difficultés liées au vieillissement. Son titre constitue d’ailleurs tout un symbole ! En effet, comme ma collègue Jeanine Dubié l’avait noté lors de la première lecture, ce texte adopte une approche inversée, qui a l’ambition d’embrasser l’ensemble des politiques publiques. C’est désormais à la société dans son ensemble de s’adapter, pour garantir à une personne âgée confrontée aux effets de la dépendance qu’elle pourra rester autonome le plus longtemps possible.

Donner de l’autonomie à une personne, c’est lui donner les moyens d’assumer seule ses choix, malgré son handicap ou sa dépendance. Cette précision permet de comprendre l’importance de ce projet de loi, qui prend en compte l’environnement dans lequel évolue la personne âgée – et nous nous en félicitons.

Dans ce projet de loi, la politique de l’âge couvre toutes les dimensions de la prise en compte de l’avancée en âge, en confortant le choix d’un financement solidaire de l’accompagnement de la perte d’autonomie fondé sur une ressource dédiée, avec la contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie. Toutes les politiques publiques doivent être mobilisées autour des enjeux de l’autonomie, qui représentent, du reste, un gisement d’emplois considérable.

Toutefois, lors de l’examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale, nous nous étions rendu compte que, plusieurs années de suite, le produit de la CASA avait été réaffecté au Fonds de solidarité vieillesse.

Mme Bérengère Poletti. Eh oui !

M. Stéphane Claireaux. Face à la protestation des acteurs, 130 millions d’euros de crédits prélevés sur les taxes instituées en faveur de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie ont finalement, et fort heureusement, été réaffectés en faveur des personnes âgées dépendantes.

Le Gouvernement s’est engagé à affecter la totalité du produit de la CASA à la mise en œuvre de la loi dès l’entrée en vigueur de celle-ci. Cependant, le produit de la CASA ne devrait rapporter que 650 millions d’euros. Même si cette dotation est dynamique, elle reste en deçà des besoins financiers, évalués entre 3 à 4 milliards d’euros par l’Association des directeurs au service des personnes âgées. En outre, la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques a estimé à 35 milliards d’euros la prise en charge publique de la perte d’autonomie à l’horizon 2060. Ce texte est un premier pas dans la prise en compte du vieillissement, c’est vrai, mais il ne va pas assez loin.

Nous regrettons l’absence d’un volet financier plus ambitieux, qui aurait permis d’aller plus loin dans la prise en compte du cinquième risque. Nous présenterons plusieurs amendements tendant à améliorer le texte et proposerons notamment la réintroduction de l’article 37, relatif au baluchonnage. Nous avons bien pris note du maintien de sa suppression par la commission des affaires sociales, mais nous avons estimé que, puisque l’article 37 avait été voté en première lecture par notre assemblée, il était logique de le réintroduire dans ce projet de loi.

Madame la ministre, la majorité de notre groupe considère que ce texte est un pas dans la bonne direction. Même si nous le jugeons trop modeste sur certains points, nous n’oublions pas que les difficultés économiques que nous traversons présentement ont forcément un impact sur les ressources allouées à la mise en œuvre ce projet de loi, et nous vous soutenons. (Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, du groupe écologiste et du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Fraysse.

Mme Jacqueline Fraysse. Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteure, chers collègues, chacun mesure ici l’ampleur du défi auquel doit faire face notre société devant l’avancée en âge de la population du pays. Les chiffres sont éloquents : en 2025, 18,9 millions de personnes auront 60 ans ou plus ; en 2060, ce sera le cas d’une personne sur trois, et le nombre de personnes de plus de 85 ans va presque quadrupler d’ici 2050. C’est la volonté de trouver des moyens de faire face à cette évolution de la démographie, en vue d’assurer une vie digne à l’ensemble de nos concitoyens âgés qui nous rassemble aujourd’hui pour la seconde lecture du projet de loi sur l’adaptation de la société au vieillissement.

De ce point de vue, madame la ministre, votre projet de loi est intéressant et utile. Il a su répondre à plusieurs de nos préoccupations. Nous saluons notamment les mesures portant sur l’affirmation des droits des personnes âgées à définir leur projet de vie. Elles doivent avoir une liberté de choix, qui leur permette de définir elles-mêmes le type d’aide dont elles souhaitent bénéficier et la façon dont cette aide leur sera prodiguée. Elles doivent également pouvoir choisir leur lieu de vie. Cette préoccupation vaut pour toutes les personnes concernées, y compris pour certains travailleurs immigrés qui souhaitent vieillir ici, dans le pays où ils ont passé de nombreuses années à travailler et où ils ont noué des liens d’amitié.

À cet égard, nous avons apprécié que la logique de certains de nos amendements repoussés en première lecture, visant à faciliter l’octroi de papiers définitifs à ceux que l’on appelle les chibanis, ait été intégrée au projet de loi sur le droit des étrangers. Nous proposerons d’ailleurs, au cours des débats, d’inscrire précisément dans la loi le principe selon lequel le choix de vie des personnes âgées doit être respecté dès la définition de leur projet d’intervention individualisé.

Si les mesures relatives à la prévention sont intéressantes, elles ont néanmoins le défaut d’omettre l’un des facteurs d’inégalité les plus importants face au vieillissement, celui de la pénibilité du travail. Comme vous le savez, les chiffres sont édifiants, puisque, selon l’INSEE, les hommes cadres vivent en moyenne 6,3 ans de plus que les hommes ouvriers. Et ce n’est que la partie émergée de l’iceberg, car si l’on prend en compte l’espérance de vie en bonne santé, ce sont près de dix années qui séparent les cadres des ouvriers.

Dans le rapport placé en annexe du projet de loi, il est affirmé à juste titre que : « Les employeurs ont une responsabilité dans la préparation du vieillissement de leurs salariés. » C’est vrai, mais cela ne saurait vous – nous – dispenser de traiter ce sujet. Cette préoccupation est d’autant plus importante à nos yeux, que la loi relative au dialogue social et à l’emploi a largement dédouané les employeurs de leurs obligations dans ce domaine. À titre d’exemple, l’évaluation collective – et non plus individuelle – des risques nuit considérablement à la prévention. La suppression de la fiche de prévention des expositions, que l’employeur devait établir pour chaque salarié soumis à des facteurs de risques au-delà de certains seuils, est un contresens à nos yeux.

Force est de constater que la règle tacite ainsi créée par ce gouvernement est désormais constante : dès lors qu’une mesure représente une contrainte pour les entreprises, aussi minime soit-elle, elle est malvenue, et ceci quels qu’en soient les enjeux, y compris s’il s’agit de la santé des salariés, ce qui est tout même préoccupant. C’est une philosophie que nous ne pouvons partager, tant elle est contraire, aussi bien à l’intérêt des travailleurs concernés, qu’à celui de la société tout entière.

Par ailleurs, ce texte pose les premiers jalons d’une reconnaissance du droit des aidants, et c’est là une démarche que nous soutenons. Il est en effet impératif de trouver des mécanismes permettant d’éviter l’épuisement de ces proches qui soutiennent leurs parents. Ils y consacrent beaucoup d’énergie et de temps, souvent en plus de leur travail, et parfois au détriment de leur vie privée.

De ce point de vue, le droit au répit est un bon dispositif : il est même indispensable. Mais, pour qu’il devienne effectif, il sera absolument nécessaire de prévoir un nombre minimum de places disponibles dans les différents établissements d’un même territoire, afin que les proches aidants aient réellement la possibilité de recourir à cette solution. Nous vous soumettrons un amendement en ce sens.

J’en viens maintenant au principal reproche que nous formulons à l’encontre de ce texte : l’absence de traitement du reste à charge pour les familles. Partant du principe que la plupart des personnes âgées souhaitent rester à leur domicile le plus longtemps possible, vous avez concentré les financements sur l’allocation personnalisée d’autonomie à domicile, ce que nous ne contestons pas, bien au contraire. La modulation de la participation du bénéficiaire en fonction du montant du plan d’aide et de ses ressources, tout comme la revalorisation des plafonds, est indéniablement une mesure positive. Le maintien à domicile est sans aucun doute la meilleure solution, lorsqu’elle correspond à la volonté de la personne concernée, et surtout lorsque son état de santé le permet. C’est aussi la moins coûteuse pour la collectivité, pour l’État.

Il est cependant dommageable que le projet de loi passe sous silence tout un pan de la réalité à laquelle les familles sont confrontées : celui où le choix de rester à domicile ou d’aller dans un établissement spécialisé ne se pose pas, en raison de l’état physique de la personne âgée concernée. C’est un moment très difficile, angoissant et douloureux, tant pour la personne en perte d’autonomie que pour son entourage. Or ce sont précisément ces situations que le texte ne prend pas suffisamment en compte.

En effet, comme vous le savez et comme je l’ai déjà souligné en première lecture, de plus en plus fréquemment les revenus des personnes âgées – pension de retraite et aides éventuelles – ne suffisent pas à payer leurs frais d’hébergement dans un établissement spécialisé. Ce sont donc les enfants, voire les petits-enfants, qui sont sollicités pour acquitter le reste à charge. Le montant en est très élevé : selon les estimations, il atteint déjà à l’heure actuelle en moyenne 1 500 euros par mois.

Or la situation est destinée à s’aggraver encore, en raison notamment de la diminution du montant des retraites et de l’augmentation des tarifs d’hébergement. Selon une récente enquête de la CNSA, les frais d’hébergement en EHPAD s’élèvent en moyenne à 2 892 euros mensuels, alors que le montant moyen des retraites tourne autour de 1 100 euros par mois. Il ne faut pas non plus oublier que plus de 800 000 retraités vivent aujourd’hui dans notre pays sous le seuil de pauvreté et que plus de 10 % d’entre eux, dont une majorité de femmes seules, perçoivent une pension inférieure à 600 euros par mois.

Cette question, vous en conviendrez, est essentielle, et le fait que le texte, par ailleurs très positif, n’y réponde pas lui retire malheureusement beaucoup de sa portée. La réalité, madame la ministre, est que votre budget est trop limité. Les 645 millions d’euros que le Gouvernement envisage de consacrer à cette question font pâle figure à côté des milliards accordés aux entreprises par le biais des exonérations de cotisations sociales, auxquelles s’ajoute la mise en place sans contreparties du crédit d’impôt compétitivité emploi – CICE – et du pacte de responsabilité.

Selon votre ministère, le reste à charge en cas de placement dans un établissement coûterait 1,5 milliard d’euros. Je me permets de réitérer, sur ce point, la question que j’ai posée en première lecture : pensez-vous vraiment que, dans le cadre du pacte de responsabilité et du CICE, le fait de ne verser aux entreprises – essentiellement celles du CAC 40 – que 39,5 milliards au lieu de 41 milliards, poserait un problème économique majeur à notre pays ? Évidemment non. En revanche, ce geste serait essentiel pour les personnes âgées et leur famille. On ne peut malheureusement que regretter, une fois de plus, les choix du gouvernement dans l’utilisation de l’argent public, car ils limitent sérieusement la portée du projet de loi.

Il convient d’ajouter que différentes associations proposent de nouvelles sources de financement, comme la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne – FEHAP – qui souhaite voir taxer les jeux d’argent tout en rappelant que la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale avait, dans le cadre de l’examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2012, adopté un amendement favorable à la création d’une telle taxe. Pourquoi ne pas rouvrir ce débat ?

M. Arnaud Richard. C’est vrai.

Mme Jacqueline Fraysse. Telles sont, madame la ministre, chers collègues, les principales remarques que nous souhaitions soumettre à votre réflexion dans l’état actuel de nos travaux.

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

6

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :

Suite de la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures cinq.)

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly