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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2014-2015

Compte rendu
intégral

Première séance du mercredi 04 février 2015

SOMMAIRE

Présidence de M. Claude Bartolone

1. Questions au Gouvernement

Agression de trois militaires à Nice

M. Christian Estrosi

M. Manuel Valls, Premier ministre

Lutte contre le terrorisme

M. Bruno Le Roux

M. Manuel Valls, Premier ministre

Dette de la Grèce

M. Jean-Christophe Fromantin

M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du budget

Dette de la Grèce

M. Éric Alauzet

M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du budget

Rétablissement du service national

M. Xavier Bertrand

M. Manuel Valls, Premier ministre

Situation du logement

M. Romain Colas

M. Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports

« Surcharge carburant » appliquée par les compagnies aériennes

M. Alfred Marie-Jeanne

M. Alain Vidalies, secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche

Majorations de pension pour les parents de familles nombreuses

M. Dominique Tian

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes

Transition écologique

Mme Sabine Buis

Mme Ségolène Royal, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie

Déremboursement des médicaments anti-arthrosiques

M. Bernard Accoyer

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes

Lutte contre le cancer

M. Gérard Bapt

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes

Réforme des départements

M. Philippe Le Ray

M. Manuel Valls, Premier ministre

Alstom

M. Jean-Luc Laurent

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique

Valeurs de la République à l’école

Mme Dominique Nachury

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche

Statut des travailleurs saisonniers

M. Joël Giraud

M. François Rebsamen, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

Suspension et reprise de la séance

Présidence de Mme Catherine Vautrin

2. croissance, activité et égalité des chances économiques

Discussion des articles (suite)

Article 15

M. Gilles Lurton

Amendements nos 407 , 558 , 1976

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique de la commission spéciale

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique

Amendements nos 271 , 408 , 554 , 751 , 1087 , 1874 , 2209 , 2940

M. Richard Ferrand, rapporteur général de la commission spéciale

Amendements nos 1978 rectifié , 1631 , 555 , 1632 , 2497 , 1636 , 2498 rectifié , 754 , 1634 , 2499 , 2225 , 2500 , 486 , 2228 , 557 , 2501 , 409 , 556 , 1875

Article 16

M. Jean Lassalle

M. Dino Cinieri

Amendements nos 410 , 560 , 166 , 1549 , 1596 , 2502 , 3013 , 2503 , 2231 , 2504, 2505 , 1194 rectifié , 168 , 3017 , 167 , 1311 , 1663 , 3016 , 2506 , 2507 , 2508

Après l’article 16

Amendements nos 169 , 3019 , 170 , 3023

Article 16 bis

Article 17

Article 17 bis

Amendements nos 411 , 2236 , 226, 227 , 2509 , 2510 , 1696 , 2511

Après l’article 17 bis

Amendements nos 2512 , 820

Article 18

Amendements nos 824 , 2594 , 3174 , 2612, troisième rectification , 2246 , 2513 , 1934 , 2104 , 2613 , 2248 , 2514 , 1967 , 2614 , 2249 , 2106 , 2615 , 2515 rectifié , 2278

Article 19

Amendements nos 790 , 854 , 1986 , 2043 , 2803 , 758 , 1971 , 786 rectifié , 2570 , 855

Article 20

Amendements nos 569 , 1001 , 1987 rectifié , 2156, 2158, 2157, 2159 , 2516 , 413 , 172 , 414 , 567 , 1065 , 1668 , 2041 rectifié , 2950 rectifié , 2949

3. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Claude Bartolone

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Questions au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Nous commençons par une question du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

Agression de trois militaires à Nice

M. le président. La parole est à M. Christian Estrosi.

M. Christian Estrosi. Hier, monsieur le Premier ministre, trois militaires ont été agressés à l’arme blanche et blessés alors qu’ils se trouvaient en plein centre-ville à Nice, devant un centre communautaire juif. Leur courage et leur sang-froid leur ont permis de maîtriser l’auteur de cet acte terroriste.

Je veux leur rendre ici un hommage solennel (Applaudissements sur tous les bancs), ainsi qu’à la police municipale, qui a procédé à l’interpellation, et à toutes les forces de l’ordre. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.) J’exprime aussi notre émotion et notre solidarité à la communauté juive.

Grâce aux caméras de vidéoprotection, une seconde personne a été interpellée quelques instants plus tard. Je tiens à remercier le ministre de l’intérieur et le ministre de la défense, qui se sont immédiatement rendus sur place pour évaluer la situation.

L’auteur, le dénommé Moussa Coulibaly, a déjà été condamné à six reprises pour violences sur dépositaire de l’autorité publique, vol, rébellion, usage de stupéfiants ou vandalisme, et avait éveillé les soupçons des services en quittant la France pour rejoindre la Turquie. Refoulé par la Turquie, il a été entendu à son retour en France par la DGSI, qui l’aurait laissé partir faute de pouvoir caractériser un délit.

Personne ne peut comprendre qu’aucun cadre législatif ne permette d’isoler une telle personne. Nous devons donc créer un délit approprié, qui dépasse le cadre des départs en Syrie pour faire le djihad.

Monsieur le Premier ministre, c’est sans esprit polémique que je vous demande de confirmer la présence à Nice des militaires, qui sont tant appréciés, de relever le niveau du plan Vigipirate, et enfin de faire évoluer le cadre législatif pour permettre à nos services de maintenir en centre de rétention ces bombes à retardement qui sont…

M. le président. Merci. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Oui, monsieur le député, hier après-midi, dans le centre-ville de Nice, a eu lieu une tentative d’assassinat à l’arme blanche, avec un couteau de cuisine très dangereux, à l’encontre d’un groupe de trois militaires qui assuraient la protection d’une institution culturelle juive. Deux d’entre eux ont été blessés, l’un au visage, l’autre, venu lui porter immédiatement secours, au bras. L’auteur a été neutralisé, interpellé et remis à la justice, qui a ouvert une enquête pilotée par le parquet antiterroriste.

Le ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, et le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, dont je vous prie d’excuser l’absence car ils sont aujourd’hui à Bruxelles, se sont rendus sur place avec vous afin de saluer le sang-froid des militaires agressés et de rendre hommage à tous les militaires des armées et membres des forces de l’ordre. J’y associe bien sûr votre police municipale. Militaires, gendarmes, policiers, policiers municipaux assurent chaque jour, au risque de leur vie, la protection de nos compatriotes.

Le risque terroriste est bien là, nous l’avons répété encore au cours de ces derniers jours, et il peut se manifester à tout moment, sur tout point du territoire. Cet ennemi terroriste, intérieur comme extérieur, nous l’avons identifié, dénoncé, et nous le combattons tous ensemble.

Le niveau de vigilance du plan Vigipirate a été relevé partout en France, vous le savez, à Nice comme ailleurs. Ce dispositif sera maintenu le temps nécessaire partout dans notre pays, et des moyens militaires exceptionnels sans précédent continueront d’être dégagés : plus de 10 000 soldats sur le terrain, en plus, évidemment, des policiers et des gendarmes.

À ce jour, 830 sites sensibles sont surveillés en France, dont 30 à Nice. Compte tenu de la situation particulière que la ville vient de connaître, parce qu’il y a toujours des possibilités de mimétisme, je viens de décider, comme en Île-de-France depuis quatre semaines, de passer le plan Vigipirate dans les Alpes-Maritimes au niveau alerte attentat. Tous les moyens doivent être employés, alors que l’auteur de cette agression a peut-être bénéficié de complicités.

Ce dernier avait présenté des signes de radicalisation idéologique à la fin de 2014, portés à la connaissance du service central du renseignement territorial et de la direction générale du renseignement intérieur. Ces signalements avaient immédiatement conduit à la mise en place de mesures de surveillance et de fouille lors de ses déplacements. Ce sont ces mesures et la coopération franco-turque qui ont entraîné son refoulement de Turquie afin d’éviter qu’il n’aille éventuellement rejoindre les bataillons du djihad pour se former au maniement des armes et des explosifs. Notre coopération avec les services turcs a permis d’assurer son retour avant qu’il ne puisse trouver le chemin de la formation à la terreur qu’il recherchait.

À son retour en France, il a effectivement été auditionné par la DGSI, mais aucun acte préparatoire, signe de passage à l’acte, aucune participation à une association de malfaiteurs permettant de le présenter à un juge et d’envisager une incarcération n’avait alors été détecté.

M. Pierre Lellouche. Et un voyage en Turquie ?

M. Manuel Valls, Premier ministre. Nous pouvons tout regarder, tout examiner, et nous l’avons déjà fait à travers deux lois antiterroristes, s’agissant notamment de tels individus, qui peuvent agir seuls, qui ont – ce n’est pas un cas isolé – un passé de délinquants et qui évoluent vers la radicalisation. C’est pourquoi les opérations de surveillance de son environnement se poursuivent pour déterminer ce qu’il faisait à Nice alors que, à notre connaissance en tout cas, il n’y avait ni racines ni contacts.

Tels sont, monsieur le député, les éléments que je voulais porter à votre connaissance. Nous poursuivrons avec la même détermination notre action contre la violence terroriste, nous prendrons les mesures qui s’imposent en termes de moyens, nous préparons la loi sur le renseignement, tout cela sans tomber non plus dans ce qui nous ferait sortir de notre État de droit, – bref, nous combattrons ces terroristes avec la plus grande détermination. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP.)

Lutte contre le terrorisme

M. le président. La parole est à M. Bruno Le Roux, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Bruno Le Roux. Monsieur le Premier ministre, vous me permettrez de poursuivre sur le même sujet, puisque depuis le 7 janvier, la France est plus que jamais mobilisée pour faire face à la menace terroriste. Ce combat, nous le menons avec le souci constant et confiant de fortifier l’unité nationale face à l’obscurantisme, au fanatisme et à la violence. Je veux ici saluer, après d’autres, le travail de nos militaires, de nos policiers et de nos gendarmes qui sont engagés dans de nouvelles missions de protection. Réparties sur tout notre territoire, elles sont d’une importance capitale pour notre population. Comme nous l’avons constaté avec la présidente de la commission de la défense, il y a quelques jours, en allant visiter des installations en Île-de-France, ces missions sont soutenues par la population. En même temps, elles sont très difficiles, car nouvelles, pour les forces armées.

Hier, en début d’après-midi, en plein cœur de Nice, un individu a violemment agressé des militaires en mission. Nous condamnons cet acte, bien entendu, avec la plus grande fermeté. Cette attaque prouve qu’il est indispensable de maintenir un haut niveau de vigilance. C’est ce qui est fait en protégeant, sur l’ensemble du territoire, les lieux qui sont soumis à une menace. En l’occurrence, sans ces militaires en faction, nous pourrions nous demander ce qui aurait pu arriver dans le lieu défendu.

Mes chers collègues, au-delà des clivages partisans, à la fin de l’année 2014, parce que nous étions conscients de la menace, nous avions déjà adopté une loi ambitieuse contre le terrorisme. Cette loi est un levier précieux, et elle doit être renforcée si cela peut servir l’efficacité de nos services de renseignement. Monsieur le Premier ministre, l’esprit du 11 janvier est indispensable pour faire face à cette menace qui est réelle. Nous voulons que le Gouvernement nous confirme son engagement total pour assurer la sécurité des Français et de la République. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, RRDP et écologiste.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le président Bruno Le Roux, au moment où avait lieu cette agression à Nice, l’organisation Daech réitérait dans sa propagande un message invitant ses affidés à frapper partout en France les forces de l’ordre. Pourquoi ? Parce que leur uniforme est celui de la République, parce que l’écusson tricolore qui l’orne représente les valeurs démocratiques et laïques qui nous unissent, parce qu’il incarne l’autorité de la loi, parce qu’il garantit qu’une force, proportionnée et légitime, peut intervenir à tout moment pour neutraliser ceux qui veulent attenter à la sécurité des Français. Vous avez eu raison de souligner combien la présence des forces de l’ordre est nécessaire et combien elle doit être permanente.

Ce danger absolu que représente le terrorisme est enraciné – il faut bien avoir cela à l’esprit – de manière durable dans notre pays, mais aussi dans toute l’Europe, en Afrique du Nord, au Sahel, au Moyen-Orient et dans d’autres pays où les populations civiles sont quotidiennement exposées aux attentats. Cette idéologie de haine et de mépris de l’humanité, je veux le rappeler, a également frappé le peuple jordanien. Au Gouvernement, comme sur tous les bancs de l’Assemblée, nous ressentons de l’indignation face à l’acte d’une sauvagerie extrême perpétré à l’encontre d’un pilote de l’armée de l’air. Je veux témoigner dans cette enceinte le soutien de la France au peuple jordanien dont le roi et la reine étaient présents à nos côtés à Paris le 11 janvier. (Applaudissements sur tous les bancs.)

Cette menace, nous devrons vivre avec elle pendant longtemps. Nous continuerons de déployer tous nos efforts et de prendre les mesures pour y faire face. Le plan de renforcement des services de renseignement et de l’administration pénitentiaire que j’ai annoncé ici même sera mis en œuvre sans faille. Je confirme que les premiers recrutements, qui seront nombreux, interviendront dès cette année. Nous sommes en train d’y travailler. En ce moment même, le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, travaille à convaincre le Parlement européen de la nécessité de doter l’Europe dans les plus brefs délais d’un outil de surveillance des déplacements des terroristes : le PNR.

Mais notre réponse dépasse le cadre strictement policier et judiciaire. Face aux profils psychologiques fréquemment perturbés d’individus radicalisés, comme celui qui a frappé hier à Nice, face à leur déficience éducative manifeste, nous n’avons cessé d’expérimenter de nouveaux modes de prise en charge, et il faudra sans doute aller encore plus loin. Nous mettrons également au point des actions de contre-propagande. Le rôle de la presse comme celui du débat démocratique sont indispensables à cet égard. D’une manière générale, c’est toute la société qui doit se mobiliser. Bien évidemment, la première réponse, c’est la protection des Français, c’est la lutte acharnée contre le terrorisme, et cette lutte, nous la menons ici en France comme partout dans le monde, parce qu’il y va de la sauvegarde de nos valeurs et de la liberté. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, RRDP, écologiste et GDR ainsi que sur quelques bancs du groupe UDI.)

Dette de la Grèce

M. le président. La parole est à M. Jean-Christophe Fromantin, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Jean-Christophe Fromantin. Monsieur le ministre des finances et des comptes publics, depuis quelques jours, la dette grecque, et la manière dont elle pourrait être résolue, suscite beaucoup de fébrilité et un peu d’énervement. Des mots assez forts ont été prononcés par certains ministres des finances. Nous avons tous relevé cette phrase du ministre des finances de Grande-Bretagne déclarant que l’affrontement entre la Grèce et la zone euro était en train de devenir le plus grand risque pour l’économie mondiale. La France n’est pas à l’abri de ce risque, puisqu’elle détient, directement et indirectement, 41 milliards de créances sur la Grèce. Ce matin, à Bruxelles devant la Commission européenne, cet après-midi à Paris, les Grecs commencent à montrer de quelle façon ils envisagent la négociation à venir.

Ma question est précise et porte sur deux points. Tout d’abord, quelle est la position du Gouvernement sur la politique de la Banque centrale européenne consistant à ouvrir des crédits à très court terme pour consolider les banques grecques qui ont besoin de se réassurer auprès de la banque centrale, en même temps qu’elles voient leurs dépôts diminuer ? Quelque 14 milliards d’euros ont été retirés des banques grecques depuis quelques semaines.

Ensuite, monsieur le ministre, la Grèce nous propose de revoir sa dette de deux façons : l’une qui consisterait à ne pas rembourser la dette nominale et à concentrer de manière illimitée le remboursement sur les taux d’intérêt et l’autre, quelque peu inattendue compte tenu des difficultés que traverse ce pays, qui consisterait à indexer une partie du remboursement sur la croissance, avec le risque qu’il n’y ait aucun remboursement en l’absence de croissance. Un conseil européen des ministres des finances se tiendra le 11 février. Quelle est la position précise du Gouvernement sur le sujet ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du budget.

M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du budget. Monsieur le député Jean-Christophe Fromantin, je vous prie d’excuser le ministre des finances qui est actuellement aux côtés du Président de la République pour recevoir le Premier ministre grec. Du côté français, il n’y a pas de fébrilité, pour reprendre votre expression. Au contraire, il y a un souci de responsabilité et de solidarité, qui nous conduit à dire qu’il faudra un peu de temps. Vous posez la question de la disponibilité de la Banque centrale européenne pour assurer la liquidité des banques grecques. Les élections viennent d’avoir lieu, le gouvernement vient juste d’être nommé. Il faut lui laisser le temps de formuler des propositions qui devront être étudiées et travaillées avec l’ensemble des partenaires.

Je ne serais donc pas choqué que l’on puisse, au travers de diverses mesures techniques, donner quelques semaines au gouvernement grec pour formaliser le programme de réformes que le Premier ministre grec a annoncé ce matin ainsi que des propositions concernant la gestion de la dette et les modalités d’aménagement d’une charge qui représente quelque 180 % du PIB grec, situation qui, chacun le comprendra ici, n’est pas de nature à permettre à la Grèce de retrouver de la croissance.

La position du Gouvernement est très claire. Elle consiste à travailler avec l’ensemble des partenaires européens, mais aussi bien entendu avec le nouveau gouvernement grec, et ce pas nécessairement sur la seule question de la dette. Sur tous ces sujets, nous sommes très heureux que les Grecs se rallient à certaines propositions de la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Dette de la Grèce

M. le président. La parole est à M. Éric Alauzet, pour le groupe écologiste.

M. Éric Alauzet. Monsieur le secrétaire d’État au budget, le ministre des finances est donc au côté du Président de la République pour une rencontre avec Alexis Tsipras, rencontre qui symbolise la volonté de la France d’agir en trait d’union entre la Grèce et ses partenaires européens. Entre la politique dévastatrice de réduction massive des dépenses publiques qui a épuisé le peuple grec et le mur de la dette, deux mesures pourraient ouvrir une troisième voie.

Première mesure : effacer les intérêts de la dette. Cela ne serait que justice, comme un devoir de réparation. En effet, si chaque État doit rester responsable de ses dettes, il est incompréhensible que l’Union européenne n’ait pas protégé ses membres face aux taux d’intérêts usuraires pratiqués par ceux qui ont spéculé sur les dettes souveraines, ce qui a conduit à une évolution exponentielle et rédhibitoire de la dette. (« Très juste ! » sur les bancs du groupe écologiste.)

M. Jean Lassalle. Tout à fait !

Mme Marie-George Buffet. Très bien !

M. Éric Alauzet. Seconde mesure : augmenter les recettes de l’État grec. Bien entendu, la Grèce a la responsabilité de mettre en œuvre les réformes permettant à l’État de lever efficacement l’impôt, mais elle ne pourra pas mettre fin seule à l’évasion fiscale. Il incombe donc à l’Union européenne d’accélérer la mise en place des mesures du G20 visant à limiter les transferts de bénéfices des multinationales vers les paradis fiscaux. La trajectoire de réduction des déficits publics de la Grèce ne trouvera une légitimité politique et citoyenne et une réelle crédibilité que si l’Union se fixe le double objectif de l’extinction de l’évasion fiscale et de l’abandon des intérêts sur la dette souveraine.

La question de la crédibilité ne se pose pas seulement pour la Grèce mais aussi pour l’Union européenne. Monsieur le secrétaire d’État, la France est-elle prête à jouer pleinement son rôle de médiateur entre les excès des uns et des autres en étant l’initiateur d’une troisième voie ? (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste et GDR et sur quelques bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du budget.

M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du budget. Monsieur le député, vous avez utilisé l’expression « trait d’union », le ministre et moi-même employons parfois le terme « facilitateur ». Je crois donc que nous nous rejoignons sur l’attitude de la France par rapport à la situation de la Grèce. La position de notre pays tient en trois verbes : parler, proposer…

M. Philippe Meunier. Blablater !

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. …et permettre.

Parler, c’est faire en sorte que la Grèce continue de parler avec l’ensemble des acteurs du dossier, y compris avec ceux à l’encontre desquels elle a pu avoir des mots extrêmement sévères.

Proposer, c’est aussi entendre les propositions de la Grèce qui sont en train de se dessiner, plus audibles jour après jour. Cela nous permettra, lorsque nous les connaîtrons formellement – je pense à l’indexation des obligations sur la croissance, vous avez aussi évoqué d’autres pistes – de nous positionner, et éventuellement de discuter des modalités de mise en œuvre.

Enfin, permettre, c’est permettre à la Grèce de retrouver la croissance. Étant donné la situation où elle se trouve aujourd’hui, les contraintes auxquelles elle est confrontée, il faut s’entendre au niveau européen – c’est pourquoi j’ai dit à l’instant que vous rejoigniez notre position.

M. Olivier Marleix. Qui c’est, l’Europe ?

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Il faut, grâce à la France et à l’Allemagne, rendre possible le retour de la croissance en Grèce comme ailleurs. Ce que nous entendons ces derniers jours de la part du nouveau gouvernement grec va tout à fait dans le sens de la position défendue par la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur quelques bancs des groupes SRC et RRDP.)

Rétablissement du service national

M. le président. La parole est à M. Xavier Bertrand, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Xavier Bertrand. Monsieur le Premier ministre, je voudrais vous parler du rétablissement du service national, d’un service national obligatoire. Vous tenez régulièrement des discours très républicains, ici même, à la tribune, avec des mots très forts – des discours salués et applaudis par toutes et tous. Mais nous savons bien, les uns et les autres, qu’il est temps maintenant de mener l’offensive républicaine.

Un député du groupe SRC. Donneur de leçons !

M. Xavier Bertrand. Cela passe tout d’abord par l’école de la République. Cela passera aussi par l’accès à l’emploi car si chacun a des droits et des devoirs, la République a, elle aussi, des droits et des devoirs vis-à-vis des jeunes. Mais après l’école et avant l’emploi, il nous manque un maillon dans la chaîne républicaine. Je ne suis pas nostalgique, mais je sais ce qu’a apporté le service national à de nombreuses générations.

M. Alexis Bachelay. Eh bien vas-y !

M. Xavier Bertrand. Monsieur le Premier ministre, même si nous ne reviendrons jamais à une armée d’appelés et qu’il faut aujourd’hui une armée de métier, nous savons pertinemment qu’il manque dans la société française cet endroit et ce moment où tous les jeunes, quelles que soient les opinions politiques, les religions et les conditions sociales, sentent ce qu’ils doivent à la nation (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP)…

M. François Rochebloine. Très bien !

M. Henri Emmanuelli. Et qui l’a supprimé ?

M. Xavier Bertrand. …et qu’une chose dépasse la destinée individuelle : le destin collectif.

Nombreux sont ceux qui se sont exprimés sur la question.

M. Marcel Rogemont. Notamment Chirac !

M. Xavier Bertrand. Ainsi, François Hollande, le 6 novembre 2014, disait que ce service universel pourrait devenir obligatoire si les Français le décidaient, ajoutant : « Si on veut que ce soit obligatoire, ça pourrait être une question qui est posée à l’occasion d’un référendum. » M. Rebsamen, ici présent, déclarait il y a quelques semaines « à titre personnel, je pense que ce serait bien si on pouvait le rendre obligatoire car on paye quelque part la disparition du service militaire ». M. Le Roux a également abordé le sujet, et nous-mêmes déposons une proposition de loi.

Il est temps de passer aux actes. Le rétablissement du service national est indispensable à la République. Faisons-le ensemble, si vous le souhaitez. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

M. François Rochebloine. Oui !

Mme Odile Saugues. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur Xavier Bertrand, je vous réponds bien volontiers. En 1997, nos prédécesseurs ont fait collectivement, après des travaux nourris et un débat parlementaire très important, le choix de la professionnalisation de nos armées. C’était le choix du président Jacques Chirac.

M. Jean-Luc Reitzer. Et du Premier ministre !

M. Manuel Valls, Premier ministre. La loi du 28 octobre 1997 suspend la conscription et crée ce qui deviendra la Journée défense et citoyenneté, la JDC. Le service militaire avait sans doute les atouts que vous évoquez. Certains de ses bénéfices, loin de disparaître, ont d’ailleurs perduré à travers la JDC : le recensement, la sensibilisation aux droits et aux devoirs du citoyen ou encore le dépistage de l’illettrisme. La nostalgie collective du service militaire s’enrichit du souvenir que beaucoup d’hommes – car il ne s’imposait qu’aux hommes – ont en partage : la discipline, la cohésion, l’appartenance, l’esprit d’équipe, en un mot ce qui forme un équipage, valeurs qui restent profondément celles de l’armée actuelle, ressenties pleinement hier, aux Invalides.

Mais la nostalgie, vous l’avez dit vous-même, ne doit pas nous masquer les raisons qui justifient nos choix. À travers ces armées professionnalisées, le ministère de la défense demeure grand ouvert à la jeunesse.

J’en viens à votre question sur un service national. Le Président de la République, je n’en doute pas, s’exprimera demain sur cette question, parce qu’il faut en effet faire cohésion, donner à chacun, notamment les jeunes, garçons et filles, les conditions de pleinement s’engager au service de notre pays et de nos valeurs. Beaucoup a déjà été fait à travers le service civique et les EPID – établissements publics d’insertion de la défense.

Le Président de la République a demandé au président de l’Assemblée nationale comme au président du Sénat de lui fournir plusieurs propositions au terme de la réflexion qui s’engage, et je ne doute pas que le Parlement et l’exécutif convergeront pour apporter une réponse qui correspondra à votre vœu, c’est-à-dire qui permettra à la jeunesse de s’engager au nom des valeurs et au service de la France. (Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

Situation du logement

M. le président. La parole est à M. Romain Colas, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Romain Colas. Ma question s’adresse à M. Patrick Kanner, ministre de la ville.

Monsieur le ministre, une récente enquête de l’Union sociale pour l’habitat nous apprend que plus de 800 opérations de construction rencontrent des difficultés, freinant la livraison de 20 300 logements, soit 20 % de la production annuelle du Mouvement HLM. L’étude souligne que près de la moitié des logements concernés sont bloqués pour des raisons politiques, liées aux dernières élections municipales. En Île-de-France, région la plus touchée par ce gel funeste des constructions, des motifs politiques sont avancés dans quatre cas sur cinq.

Cette paralysie organisée a bien entendu de lourdes et cruelles conséquences, qui ont été rappelées par la Fondation Abbé-Pierre dans son rapport annuel. Non seulement elle est irresponsable eu égard à la situation des centaines de milliers de mal-logés, mais elle a aussi des effets néfastes sur le secteur du bâtiment, en laissant les entreprises du BTP l’arme au pied, soumises au bon vouloir de certains maires, élus sur des promesses démagogiques de vitrification de leur collectivité.

Alors que sur tous les bancs de cette assemblée, il est admis que la France souffre de ségrégations sociales et territoriales, il est intolérable que certains maires préfèrent les postures politiciennes au combat acharné à mener pour le logement et la résorption des ghettos urbains.

On ne peut s’émouvoir ici, à Paris, du faible nombre de constructions, puis rentrer dans sa circonscription ou dans sa terre de future élection et encourager les municipalités qui concourent objectivement à la pénurie de logements adaptés aux besoins de nos concitoyens ! (« Très bien ! » et applaudissements sur plusieurs bancs des groupes SRC et écologiste.– Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Je le dis avec d’autant plus de conviction que j’ai vu en Île-de-France des maires labellisés « reconstructeurs » par la droite régionale, alors que certains d’entre eux se font localement, depuis mars dernier, les fossoyeurs des projets de construction. (Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes SRC et écologiste.)

Je souhaite donc connaître, monsieur le ministre, les actions que le Gouvernement entend mener afin de débloquer ces projets, aujourd’hui otages de stratégies électoralistes à courte vue, qui vont à l’encontre de l’intérêt général. (« Bravo ! » et vifs applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

Mme Marie-George Buffet. Très bonne question !

M. le président. La parole est à M. le ministre de la ville, de la jeunesse et des sports.

M. Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports. Monsieur le député, je partage votre colère. Les Français ont manifesté nombreux pour signifier leur attachement à la République, mais nous ne devons pas nous laisser leurrer par l’ampleur de ces manifestations : nombreux sont ceux de nos concitoyens qui souffrent d’être relégués dans des quartiers où s’accumulent les difficultés, sociales, économiques, urbaines. Au cœur de cette fracture, il y a le logement, avec, vous avez raison de le souligner, le double discours de certains élus qui, tout en condamnant la ghettoïsation, l’entérinent en refusant de se conformer à la loi. (Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes SRC et écologiste.– Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. Marc-Philippe Daubresse. Arrêtez !

M. Alain Marty. C’est faux !

M. Patrick Kanner, ministre. Je puis vous assurer que, face à la gravité de la situation, le Gouvernement sera force d’action.

M. Philippe Meunier. Ça promet !

M. Patrick Kanner, ministre. À la mi-mars, se tiendra un comité interministériel qui sera l’occasion de dévoiler notre plan d’action contre les inégalités, et particulièrement contre les ghettos.

M. Étienne Blanc. Donnez-nous plutôt des sous !

M. Patrick Kanner, ministre. L’État ne fuira pas devant ses responsabilités, au premier rang desquelles celle de faire respecter la loi !

Plusieurs députés du groupe UMP. Et les dotations ?

M. Patrick Kanner, ministre. À ce jour, sur les 1 022 communes soumises au bilan SRU, environ 600 n’ont pas respecté leurs objectifs de construction, dont la moitié avec un taux de réalisation inférieur à 50 %. (Huées sur plusieurs bancs des groupes SRC et écologiste.) En Île-de-France, où la crise du logement est particulièrement aiguë, quarante communes sont considérées comme carencées.

Mesdames et messieurs les députés, porter l’écharpe tricolore donne des droits, mais entraîne aussi des devoirs. Et s’il faut que les maires soient rappelés plus durement à leurs obligations, ils le seront ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.– Vives protestations sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

Oui, nous réaliserons la mixité dont notre pays a besoin et, même si cela doit prendre du temps, nous casserons les ghettos ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.– Exclamations prolongées sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

Plusieurs députés du groupe UMP. Quelle mauvaise foi !

« Surcharge carburant » appliquée par les compagnies aériennes

M. le président. La parole est à M. Alfred Marie-Jeanne, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. Alfred Marie-Jeanne. Ma question s’adresse à M. Alain Vidalies, secrétaire d’État chargé des transports.

Monsieur le secrétaire d’État, au moment de la hausse du prix du baril de pétrole, les compagnies aériennes l’avaient répercutée sur les tarifs aériens. En effet, elles ont appliqué une taxe dénommée « surcharge carburant », taxe opaque et fourre-tout, venant grever le prix du billet.

Or, depuis le mois de juin 2014, le prix du baril de pétrole a connu une chute vertigineuse, passant de 111,8 dollars à 53,05 dollars aujourd’hui même – et la courbe est monotone décroissante. Il semblerait que cette baisse n’ait pas été prise en compte par les compagnies aériennes desservant les outre-mer.

Monsieur le secrétaire d’État, au-delà des reproches d’opacité que l’on peut adresser à ce système, quelles démarches comptez-vous entreprendre auprès des compagnies concernées pour permettre une diminution effective du prix des billets ? (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et sur quelques bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche.

M. Alain Vidalies, secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche. Monsieur le député, une précision pour commencer : sur les billets d’avion, notamment les long-courriers, apparaît effectivement la mention « surcharge carburant ». En réalité, il ne s’agit ni d’une taxe ni d’une redevance ; c’est une simple pratique commerciale, sans aucune base législative ou réglementaire, inventée par les compagnies au moment où la hausse du prix du pétrole pouvait – probablement – le justifier.

Il n’empêche que votre question est légitime, maintenant que l’on constate une diminution de ce prix. J’apporterai cependant deux nuances : d’une part, cette diminution est atténuée, à hauteur de quelque 40 %, par l’évolution du taux de change entre le dollar et l’euro, d’autre part, et surtout, toutes les compagnies aériennes pratiquent une politique dite de « couverture », c’est-à-dire que pour se prémunir contre d’éventuelles hausses à venir, elles achètent à l’avance, à un prix garanti, leur carburant. Je me suis renseigné auprès de la Compagnie Air France : celle-ci a déjà acheté, au prix de 100 euros le baril, tarif alors en vigueur, à peu près 60 % du carburant dont elle aura besoin en 2015, et même 20 % de celui nécessaire pour 2016.

Il n’y a donc pas de réponse réglementaire à apporter à votre question – que les consommateurs sont en droit de se poser. Compte tenu de la politique de couverture, la baisse du prix du pétrole devrait se répercuter sur le prix des billets, notamment pour les longs-courriers, dans le courant de l’année 2015. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Pierre Lellouche. Bravo Air France !

Majorations de pension pour les parents de familles nombreuses

M. le président. La parole est à M. Dominique Tian, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Dominique Tian. Madame la ministre des affaires sociales, notre système social est mal en point. Deux cent trente-six milliards d’euros : c’est le montant de la dette cumulée de la Sécurité sociale en 2014, alors qu’en Allemagne, je le rappelle, les comptes sociaux sont équilibrés.

L’avenir de notre système de retraite n’est pas plus réjouissant. Vous êtes en effet revenue sur les mesures courageuses prises par Nicolas Sarkozy et présentées par François Fillon. Pire, le Gouvernement a commandé un rapport, qui sera présenté prochainement au Conseil d’orientation des retraites, le COR, et qui préconiserait de revenir sur les majorations de pension pour les parents de famille nombreuse.

Cette mesure, si elle était adoptée, madame la ministre, porterait un coup très dur à notre politique familiale. Une fois de plus, les familles et les classes moyennes seraient mises à contribution. Alors que nous examinons le projet de loi pour la croissance et l’activité, dit loi Macron, qui est censé donner du pouvoir d’achat aux Français, ce serait un comble !

Madame la ministre, je vous demande de rassurer les Français en leur indiquant que vous renoncerez à cette mesure particulièrement injuste. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur plusieurs bancs du groupe UDI.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. Monsieur le député, le rétablissement des comptes sociaux est une préoccupation absolue pour ce gouvernement. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Un député du groupe UMP. Ça ne se voit pas !

M. Bernard Deflesselles. C’est raté !

Mme Marisol Touraine, ministre. Si, ça se voit. Puisque vous évoquez la question des retraites, je vous donnerai deux chiffres : les caisses de retraite du régime général étaient en déficit de 6 milliards d’euros en 2011, et ce déficit a été ramené à 1,6 milliard d’euros en 2014. Cela signifie que des progrès ont été réalisés ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.– Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. S’il vous plaît, mes chers collègues !

Mme Marisol Touraine, ministre. Le Conseil d’orientation des retraites, dans son dernier rapport, prévoit pour la première fois depuis sa création le retour à l’équilibre du régime général de retraites en 2017, et de l’ensemble des régimes généraux à partir de 2020.

M. Yves Censi. Grâce aux réformes de 2010 !

M. Arnaud Robinet. Grâce à François Fillon !

Mme Marisol Touraine, ministre. Mesdames et messieurs les députés de l’opposition, vous devriez vous réjouir de ces perspectives positives pour l’ensemble de nos concitoyens ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.) Ce résultat, nous l’atteindrons tout en réalisant des progrès sociaux. En effet, ce redressement ne nous a pas empêchés de permettre à celles et ceux qui ont commencé à travailler jeunes de partir à la retraite dès soixante ans. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Pascal Terrasse. Très bien !

Mme Marisol Touraine, ministre. La responsabilité financière est compatible avec le progrès social !

Vous avez évoqué le rapport que M. Fragonard doit me remettre à la fin du mois de février à propos des avantages familiaux en matière de retraites. Le rétablissement des comptes que j’évoquais est dû à une contribution courageuse de l’ensemble de nos concitoyens, y compris les familles. C’est donc avec une attention particulière que nous examinerons les conclusions de ce rapport, avec le souci de la situation des familles comme de l’ensemble de nos concitoyens. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Transition écologique

M. le président. La parole est à Mme Sabine Buis, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Sabine Buis. Madame la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, la conférence environnementale annuelle qui s’est tenue les 27 et 28 novembre 2014 portait sur trois thèmes : la mobilisation nationale vers la conférence Paris Climat 2015, le transport et la mobilité durables, et les liens entre santé et environnement. Ouverte par le Président de la République, organisée par votre ministère et clôturée par le Premier ministre, elle a impliqué quatorze ministres et secrétaires d’État, illustrant la mobilisation de l’ensemble du Gouvernement pour faire de la France la nation de l’excellence environnementale.

Cette conférence a en outre reposé sur une méthode renouvelée, associant encore plus étroitement les parties prenantes du dialogue environnemental, réunies au sein du Conseil national de la transition écologique. La feuille de route qui a été adoptée aujourd’hui par le Gouvernement lors du Comité interministériel pour le développement durable…

M. Éric Straumann. Allô ! Allô !

Mme Sabine Buis. …puis présentée par le Premier ministre et vous-même aux membres du Conseil national de la transition écologique comprend soixante-quatorze mesures, regroupées en vingt-deux objectifs, dont la mise en œuvre fera l’objet d’un suivi régulier et transparent tout au long de l’année 2015.

Cette feuille de route est importante. Elle témoigne de la qualité des échanges qui se sont déroulés. Surtout, elle reflète la confiance instaurée entre les différentes parties prenantes.

Plusieurs députés du groupe UMP. Allô ! Allô !

Mme Sabine Buis. Des mesures fortes et attendues ont été annoncées, notamment sur les liens entre la santé et l’environnement. Ces mesures sont relatives à la qualité de l’air, de l’eau, aux perturbateurs endocriniens ou encore à l’agro-écologie. Madame la ministre, pouvez-vous nous en exposer l’essentiel, notamment celles relatives aux conditions d’organisation du chantier de la démocratie participative annoncé par le Président de la République ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.

Mme Ségolène Royal, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Madame la députée, en effet, M. le Premier ministre a présidé, comme il s’y était engagé, le Conseil national de la transition écologique. Le Conseil des ministres a adopté aujourd’hui la feuille de route de la transition écologique et la stratégie nationale de la transition énergétique. Le CNTE rassemble non seulement les partenaires sociaux, c’est-à-dire les représentants des salariés et du patronat, mais aussi les grandes associations et organisations non gouvernementales ainsi que des parlementaires siégeant sur tous les bancs et des représentants des élus locaux.

Le CNTE a donc eu la primeur de cette feuille de route, c’est-à-dire des conclusions des travaux réalisés au cours de la conférence environnementale. Je ne reprendrai pas l’ensemble des actions qui ont été lancées. Vous en connaissez un certain nombre, puisque vous avez participé à l’élaboration du projet de loi relatif à la transition énergétique, et donc des actions concrètes qui suivront son adoption. Mais j’insisterai sur trois sujets particulièrement importants.

Premièrement, comment mobiliser la société civile et les citoyens au sujet de la conférence Paris Climat ? Cela se fera notamment grâce à un plan ambitieux d’éducation à l’environnement. Dans les écoles, les collèges, les lycées et même dans l’enseignement supérieur sera organisée une semaine du climat.

Deuxièmement, les liens entre la santé et l’environnement. Des décisions très importantes seront prises dans ce cadre, notamment pour lutter contre les perturbateurs endocriniens, les néonicotinoïdes et les pesticides. C’est là un enjeu majeur.

Troisièmement, les transports propres. Des annonces très importantes ont été faites, notamment à propos du bonus écologique, à hauteur de 10 000 euros, qui permettra l’abandon des vieux véhicules diesel au profit de véhicules électriques, et de la création du certificat vert, qui permettra d’identifier les véhicules propres. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC et quelques bancs du groupe écologiste.)

Déremboursement des médicaments anti-arthrosiques

M. le président. La parole est à M. Bernard Accoyer, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Bernard Accoyer. Ma question s’adresse à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. Madame la ministre, dix millions de Français souffrent d’arthrose. Or, le 21 janvier, vous avez signé un arrêté de déremboursement des médicaments anti-arthrosiques symptomatiques à action lente, médicaments qui n’étaient pourtant remboursés qu’à 15 % par la Sécurité sociale, le reste étant pris en charge par les régimes complémentaires.

Cette décision va à l’encontre de l’engagement que vous aviez pris dans cet hémicycle de suspendre tout déremboursement de médicaments. Prise en catimini, sans concertation avec les associations de malades, cette décision méconnaît les effets, certes imparfaits, mais néanmoins reconnus de ces médicaments, tant par les patients que par d’éminents spécialistes. Elle méconnaît les conséquences financières qui en résultent pour l’assurance maladie – dont vous venez pourtant de nous dire que vous étiez très sensible à la situation financière –, du fait que sont prescrits à la place des médicaments plus coûteux mais, eux, remboursés. Elle méconnaît les conséquences médicales de ces transferts de prescription vers des médicaments aux effets secondaires dangereux. Elle méconnaît enfin que s’ensuivent des recours plus précoces à une chirurgie lourde.

Madame la ministre, cette décision ne présente que des inconvénients – sanitaires, sociaux ou encore financiers pour l’assurance maladie.

M. Henri Emmanuelli. Non !

M. Bernard Accoyer. Allez-vous suspendre cette décision de déremboursement, comme le demandent les 150 000 patients signataires de la pétition qui vous a été adressée ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Gérard Charasse. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. Monsieur le député Bernard Accoyer, vous entretenez une forme de confusion entre les déremboursements de médicaments et services jugés médicalement utiles – c’est d’ailleurs ce que vous avez fait lorsque votre groupe politique était aux responsabilités –,… (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Marc Le Fur. Cela fait deux ans et demi que vous êtes au pouvoir !

Mme Marisol Touraine, ministre. …et la politique de l’actuelle majorité, qui, je le répète, n’aura recours ni au déremboursement de médicaments, ni aux franchises, ni à la suppression de la prise en charge des médicaments considérés comme médicalement utiles.

Pour autant, sont régulièrement conduites des évaluations de ce qu’on appelle le service médical rendu des médicaments. Ce n’est pas nouveau. Cette évaluation est d’ailleurs réalisée, non pas par le ministère, mais par une autorité administrative indépendante, la Haute autorité de santé. Celle-ci a, à cet égard, évalué le service médical rendu de plusieurs médicaments, ceux que vous évoquez mais également d’autres. Cela l’a amenée à conseiller le déremboursement de ces médicaments, dont les effets thérapeutiques ont été considérés comme insuffisants, puisqu’ils ne modifient pas l’évolution de la maladie arthrosique de la hanche, qu’ils n’ont pas d’action anti-arthrosique, qu’ils n’empêchent pas la dégradation articulaire et que leurs effets sur la douleur et la gêne fonctionnelle sont minimes.

La Haute autorité de santé a été amenée à se prononcer à deux reprises, puisqu’elle a été saisie par les associations et par les laboratoires. Le processus a été long, s’est étalé sur plusieurs mois, et a permis d’entendre l’ensemble des acteurs. Vous le voyez, monsieur le député, il n’est pas question de déremboursement. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Bernard Accoyer. Cette réponse est incroyable !

M. Henri Emmanuelli. Les malades n’ont qu’à aller à Dax !

Lutte contre le cancer

M. le président. La parole est à M. Gérard Bapt, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Gérard Bapt. Ma question s’adresse à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. Le 4 février est la journée mondiale de lutte contre le cancer. Dans le monde, plus de 8 millions de personnes en meurent tous les ans. En France, le cancer touche 355 000 personnes. Il nous concerne tous, que nous en ayons été nous-mêmes victimes ou que l’un de nos proches l’ait été. Il est de notre devoir de combattre ce fléau qui touche les femmes et les hommes, à tous les âges de la vie. Ses traitements sont lourds, parfois très éprouvants. Nous devons mobiliser tous les moyens pour développer la recherche, améliorer la thérapeutique et repenser les parcours de soins, car les patients doivent être accompagnés et leur souffrance soulagée.

Le développement de la médecine dite ciblée, permettant un traitement individualisé de chaque patient, pose la question de son coût. À l’heure actuelle, ces avancées thérapeutiques sont prises en charge par l’assurance maladie. À l’instar de ce qui a été fait lors de la mise sur le marché des traitements contre l’hépatite C, il convient de réaffirmer avec force notre attachement au caractère universel et solidaire du système d’assurance maladie pour faire face aux défis nouveaux liés à des thérapeutiques plus efficaces, mais aussi plus onéreuses.

Combattre le cancer, c’est aussi prendre conscience du rôle primordial de la prévention. On estime que 30 % des décès liés au cancer pourraient être évités. Il faut donner à tous les Français les outils nécessaires de façon qu’ils soient mieux informés et mieux protégés. C’est là que le slogan de cette journée contre le cancer « À notre portée » prend tout son sens. Une détection précoce, la prise en considération des déterminants environnementaux de santé, c’est à notre portée. Des soins assurant l’égalité face au cancer, c’est notre ambition.

Vous avez récemment lancé un nouveau plan Cancer, très ambitieux. Pouvez-vous nous dire, madame la ministre, ce que le Gouvernement compte faire afin de garantir l’accès à l’innovation pour tous ? Quelles seront les actions de prévention déployées pour faire reculer le cancer ? (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, RRDP et écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. Monsieur le député Gérard Bapt, c’est en effet aujourd’hui, 4 février, la journée mondiale de lutte contre le cancer. Le cancer tue chaque année plus de 150 000 de nos concitoyens et chaque année, 400 000 personnes en France se voient diagnostiquer cette maladie. Même si les taux de guérison s’améliorent, en particulier pour certains cancers, le cancer continue de tuer et handicape dans la vie quotidienne.

C’est pour cela que, l’année dernière, le Président de la République a lancé le troisième plan Cancer, dont les objectifs sont de développer la prévention, d’améliorer la vie quotidienne des malades et de soutenir la recherche. La prévention se concentrera cette année sur deux actions en particulier : la mise en œuvre des mesures du plan de lutte contre le tabagisme, que j’ai annoncé il y a quelques mois, et qui doit permettre de faire reculer la mortalité par cancers dus au tabac ; la mise sur le marché d’un nouveau test de diagnostic plus fiable et plus efficace pour les cancers colorectaux.

La recherche, à laquelle vous attachez, à juste titre, beaucoup d’importance, monsieur le député, se concentrera notamment, bien que non exclusivement, sur les cancers pédiatriques. Nous travaillons avec les laboratoires pharmaceutiques au développement de molécules innovantes.

Enfin, l’accent sera mis sur la vie quotidienne des malades car, on oublie de le dire, on vit souvent de plus en plus longtemps avec un cancer. Il faut donc faire en sorte de faciliter la vie quotidienne des personnes atteintes. Nous allons améliorer les choses en matière d’indemnités journalières et faire en sorte que le droit à l’oubli, l’une des grandes conquêtes du plan voulu par le Président de la République, devienne effectif. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Réforme des départements

M. le président. La parole est à M. Philippe Le Ray, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Philippe Le Ray. Monsieur le Premier ministre, au cours des récents événements, vous avez parfaitement incarné le rôle de chef de gouvernement. (« Ah ! » sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Luc Laurent. Bien.

M. Nicolas Bays. Bravo.

M. Philippe Le Ray. Mais, car il y a un mais, au regard des chiffres, votre action est catastrophique. (« Oh ! »sur les bancs du groupe SRC.)

Le chômage explose, notre économie est totalement atone, le moral des Français est en chute libre. Depuis le début du quinquennat, vous accumulez les mauvaises dispositions : la re-fiscalisation des heures supplémentaires, la loi ALUR et le compte pénibilité, et je pourrais en citer bien d’autres, viennent plomber notre économie. Le secteur du BTP souffre et supprime des emplois. Les chefs d’entreprise sont révoltés par vos choix, et malheureusement ce n’est pas la loi Macron qui arrêtera la dégringolade économique de notre pays.

Plusieurs députés du groupe SRC. Mais si !

M. Philippe Le Ray. À cela va s’ajouter la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, la loi NOTRe. Visiblement, s’agissant des départements, la version adoptée par les sénateurs est à l’opposé de vos déclarations passées. Pour les régions et départements, cette période transitoire va par définition créer de nombreuses difficultés. Cette incertitude est néfaste à tous les niveaux : les élus locaux, déjà confrontés à la baisse des dotations, n’ont aucune lisibilité. Résultat : la commande publique s’écroule, ce qui n’aide pas les entreprises.

Et que dire de la démocratie ? Les électeurs vont, à la fin du mois prochain, élire leurs représentants sans connaître le périmètre exact des compétences du conseil général ! Du jamais vu ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Philippe Vitel. C’est un scandale !

M. Philippe Le Ray. C’est incroyable. Alors, monsieur le Premier ministre, ma question est simple : au-delà de l’empilement des textes et au-delà des postures, à quelques jours des élections départementales, quel est votre réelle position quant à l’avenir des départements ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean Lassalle. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le député, je vous remercie de vos compliments, et je prends note évidemment des critiques nuancées que vous venez de formuler. (Sourires.) Au fond, vous posez la question des réformes et de leur rythme.

Ici, par deux fois dans mes discours de politique générale, ou alors en répondant aux questions des députés, j’ai eu l’occasion de souligner que notre politique se heurte à une situation particulièrement difficile, c’est-à-dire à un chômage de masse et à une croissance atone, même si nous avons des perspectives intéressantes pour cette année 2015. Christian Eckert le rappelait tout à l’heure, beaucoup dépend des choix faits au niveau européen.

Beaucoup dépend aussi, pour cette année, de la mise en œuvre du pacte de responsabilité et de solidarité, qui se traduit notamment par zéro charges pour les salaires autour du SMIC. Ce pacte entre dans les faits. Il faut y ajouter la montée en charge du crédit d’impôt compétitivité emploi, le CICE.

Je me permet de vous rappeler que je ne partage évidemment pas la vision caricaturale que vous portez, même s’il faut être à l’écoute à la fois des entrepreneurs et des salariés. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Les entrepreneurs sont en effet des partenaires sociaux, qui ont aussi signé le pacte de responsabilité et de solidarité. Ce que je souhaite, tout simplement, même si je ne peux pas vous empêcher d’employer le ton que vous voulez, c’est que sur ces questions nous cherchions chacun à être au plus proche de la vérité, et en tout cas de la réalité.

Au-delà se pose la question du rythme des réformes. La loi pour la croissance et l’activité, défendue par Emmanuel Macron, qui y consacre beaucoup de temps au sein de cet hémicycle, doit permettre précisément de libérer les énergies, de donner un coup de jeune à l’économie et de soutenir, tout simplement, l’activité.

M. Pierre Lellouche. C’est raté !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Il y a aussi des réformes plus structurelles. Je pense notamment à celle qui concerne l’État et les collectivités territoriales. Nous avons, en six mois, fait voter une loi qui était proposée, demandée et attendue depuis des années sur tous les bancs. Elle consiste, pour ce qui concerne l’Hexagone, à faire passer le nombre de régions de vingt-deux à douze. C’est fait, c’est une réforme majeure qui va nous permettre très rapidement une réforme profonde de notre organisation territoriale.

Je pense aussi à la loi relative à la modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles. Et vous examinerez, à partir de la semaine prochaine, la loi NOTRe, qui sera défendue par Marylise Lebranchu et André Vallini, et qui traite notamment du problème des compétences des régions, des départements, et du seuil de l’intercommunalité. Le Sénat a fait, je crois, un travail de très grande qualité, même si nous ne sommes pas parvenus à un accord. Nous continuerons ici, à l’Assemblée nationale, à faire ce travail, en étant à l’écoute des parlementaires et des élus, sur un sujet qui doit nous rassembler. Je pense en effet que ces réformes qui portent sur les départements, les régions, l’intercommunalité et les métropoles comme Marseille et Paris doivent s’inscrire dans la durée.

S’agissant des départements, et j’ai déjà eu l’occasion de répondre à maintes reprises à ce type de question, ils sont maintenus. La vraie question est celle des compétences, mais je ne doute pas que nous trouverons un accord.

Mais vous avez eu raison de conclure sur la question du vote. Évidemment, le rendez-vous du mois de mars sera un moment important pour déterminer, devant les Français, sa position concernant la gestion des départements et les politiques éducatives, d’aménagement du territoire, de la ruralité ou sociales. À cette occasion, monsieur le député, les Français auront, si vous voyez ce que je veux dire, à faire un choix. À condition que tout le monde soit au clair sur ses propres choix… (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Joël Giraud. Très bien !

Alstom

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Laurent, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Jean-Luc Laurent. Monsieur le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique, au printemps dernier, j’avais salué la réaction du Gouvernement qui s’était trouvé confronté à la vente à la sauvette des activités d’Alstom dans le domaine de l’énergie au conglomérat américain General Electric. L’action énergique du Gouvernement avait fait émerger une contre-offre émanant de Siemens qui s’était révélé un levier important pour négocier un accord qui préserve l’intérêt national.

Sans être totalement satisfaisant, cet accord était équilibré du point de vue de l’avenir et l’indépendance de la filière nucléaire française. À l’initiative du président François Brottes, la commission des affaires économiques avait suivi de près ces négociations. La seconde offre de General Electric prévoyait la création de trois co-entreprises, détenues à 50 % par Alstom et General Electric.

Après l’assemblée générale d’Alstom à la fin de l’année dernière, la presse s’est fait l’écho d’une rupture de cet accord, en particulier dans la co-entreprise chargée du nucléaire, dont General Electric posséderait finalement 80 % du capital ainsi que la majorité des droits de vote. Le nucléaire français passerait donc sous pavillon américain.

M. Jacques Myard. C’est inadmissible !

M. Jean-Luc Laurent. L’engagement d’Alstom dans ces trois co-entreprises semble des plus précaires, et on peut craindre un désengagement rapide. En 2015, l’État entrera dans le capital en rachetant les actions détenues par Bouygues. Pouvez-vous nous indiquer la stratégie défendue par l’État actionnaire ? Le protocole d’accord de juin 2014 est-il toujours d’actualité ?

Nous le savons, le PDG d’Alstom, Patrick Kron, et la France n’ont manifestement pas les mêmes intérêts. On trouve la logique financière et la fuite d’un côté, l’excellence industrielle et l’indépendance de la filière énergétique de l’autre. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous indiquer la position du Gouvernement dans cet important dossier ?

M. Henri Emmanuelli. Bravo !

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique.

M. Marc Le Fur. ministre des autocars.

M. Jean-Frédéric Poisson. Et des auto-écoles.

M. le président. Sachez vous conduire, monsieur le député ! (Sourires.)

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique. Monsieur le député, vous avez raison d’aborder ce sujet important. En juin dernier, en effet, un accord, qui a conduit à un ensemble d’engagements, a été trouvé avec General Electric. Ces engagements ont été vérifiés au mois de novembre dernier, ce qui nous a conduits à donner notre aval à l’opération telle que convenue au mois de juin avec General Electric.

Je veux ici en rappeler les grandes lignes avant de répondre précisément à votre question sur le nucléaire. Trois co-entreprises ont d’abord été créées, dans le domaine des énergies renouvelables, des réseaux électriques et enfin des turbines à vapeur pour le nucléaire. Cet accord prévoit aussi la recapitalisation de la partie transports, qui reste en propre à Alstom, ainsi que l’engagement de General Electric de créer 1 000 emplois sur le territoire français. General Electric a confirmé cet engagement et mis un terme aux licenciements en cours dans sa branche santé.

Pour ce qui est de l’énergie nucléaire, quelles garanties avons-nous obtenues ? S’agissant de la co-entreprise, vous avez raison de dire que, sur le plan économique, la répartition est de 80/20. Mais sur le plan des droits de vote, c’est une répartition à 50/50 qui a été obtenue, conformément à l’accord du mois de juin, puisque c’était bien un accord de droits de vote qui était défendu. Cet accord est équilibré.

En outre, l’État a obtenu des droits spécifiques, que je veux ici rappeler précisément : l’action de préférence, assortie de droits spécifiques sur les nominations clé, la représentation au conseil d’administration, dont la moitié des sièges reviendra à l’État, et les droits de veto sur les décisions structurantes.

Qui plus est, nous avons obtenu, en sus des accords de juin, que le bénéfice exclusif des activités de l’ensemble du groupe General Electric dans le domaine nucléaire soit garanti côté français. Des contrats de pérennité ont été conclus entre cette co-entreprise et EDF-Areva. L’ensemble de la propriété intellectuelle d’Alstom relative en particulier aux turbines Arabelle sera licencié à une société intégralement détenue par l’État.

Voilà la clé de notre indépendance, qui sera préservée. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)

Valeurs de la République à l’école

M. le président. La parole est à Mme Dominique Nachury, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

Mme Dominique Nachury. Monsieur le président, mes chers collègues, ma question s’adresse à madame la ministre de l’éducation nationale et de la recherche.

Madame la ministre, à la fin du mois de janvier dernier, vous avez lancé une grande mobilisation de l’école pour les valeurs de la République et annoncé onze mesures. Nul ne conteste le rôle fondamental, bien que non suffisant, de l’école dans la formation à la citoyenneté et dans la construction du vivre-ensemble. Cependant, tout ou beaucoup de ce que vous annoncez figure déjà dans la récente loi dite de refondation de l’école de la République, ainsi que dans les précédentes.

Pour cette mobilisation, vous prévoyez un budget de 250 millions d’euros sur trois ans. Pris dans son ensemble, l’effort budgétaire paraît important, mais si on le rapporte au nombre d’établissements, on pressent que l’effet sera bien moindre. Ce plan est-il donc un simple effet d’annonce, un « coup de com » ?

Madame la ministre, convenez que les principes républicains, la laïcité, le vivre-ensemble ne peuvent pas être uniquement des théories, des concepts enseignés à l’école. Il faut les pratiquer. Il faut les incarner. Il faut identifier une autorité du vivre-ensemble à l’école. Les directeurs d’école, les principaux, les proviseurs doivent être reconnus dans leurs établissements comme les chefs de ce vivre-ensemble. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.) Ils doivent être investis et soutenus par l’institution ainsi que par l’ensemble des partenaires dans leur mission.

Madame la ministre, oserez-vous l’autorité à l’école pour faire vivre les valeurs de la République ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme Annick Lepetit. Ce n’est pas la ministre qui enseigne !

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Madame la députée Dominique Nachury, je reçois votre propos comme une contribution très bienvenue à la mobilisation actuelle autour de l’école. Je sais l’importance que vous accordez à l’institution scolaire et je vous remercie de votre engagement au sein du comité de suivi de la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, que vous venez d’évoquer.

Dans le cadre de cette dernière, d’ailleurs, bien avant les attentats, un diagnostic sur l’école avait été posé : la nécessité d’attribuer de nouveaux moyens, de créer de nouveau des postes, de restaurer la formation initiale des enseignants, laquelle avait disparu, de redonner la priorité au primaire, où s’acquièrent les principales connaissances, de réformer les programmes, réforme que nous allons poursuivre, et de réformer le collège.

Je sais que vous nous suivrez dans la mise en œuvre de toutes ces orientations, madame la députée, et je suis sensible à ce que vous dites sur la nécessité de passer d’un discours incantatoire à la réalité des faits. En effet, nous savons vous et moi qu’il ne suffit pas d’inscrire dans une directive ministérielle le respect de la laïcité à l’école et le renforcement de l’autorité des maîtres pour que cela se traduise dans la pratique.

C’est la raison pour laquelle les onze mesures annoncées la semaine dernière prévoient beaucoup d’actions concrètes ainsi que le financement requis pour leur mise en œuvre. En particulier, s’agissant de la formation continue, son financement est prévu dans le cadre d’un plan exceptionnel qui mobilisera dès à présent 1 000 formateurs aguerris sur l’ensemble du territoire. Des règles ont également été précisées sur la question de l’autorité des enseignants. Les chefs d’établissement, par exemple, devront accompagner les enseignants dans le signalement et le traitement éducatif des moindres incidents signalés pour ne plus les laisser passer.

Ce plan prévoit en outre le financement de la lutte contre la grande pauvreté qui touche certains publics de nos établissements scolaires. J’ai annoncé à cette fin une augmentation de 20 % des fonds sociaux permettant de lutter contre la pauvreté. Le renforcement de l’apprentissage du français y est également inscrit, car vous êtes bien placée pour savoir qu’un enfant qui ne maîtrise pas la lecture et l’écriture n’est pas non plus capable de formuler sa pensée.

Je pense que nous pouvons nous accorder sur ces principales orientations. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Statut des travailleurs saisonniers

M. le président. La parole est à M. Joël Giraud, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Joël Giraud. Monsieur le ministre du travail et de l’emploi, je veux aujourd’hui vous parler de ces travailleurs de l’ombre, souvent oubliés, sauf lorsqu’un camion au système de chauffage bricolé prend feu sur un parking éloigné du cœur des stations touristiques : les saisonniers.

Un excellent débat vient de se tenir au Sénat sur ces 2 à 3 millions de salariés pour lesquels la précarité est la règle. À quelques jours des vacances d’hiver, ils vont à nouveau contribuer à faire de la France la première destination touristique mondiale.

Vous comprendrez qu’en tant que président de la commission permanente du Conseil national de la montagne, j’y sois extrêmement sensible, tout comme le sont mes collègues de toutes les régions touristiques ou agricoles, sur tous les bancs de notre hémicycle.

À défaut d’un véritable statut, il existe pourtant une solution vertueuse, tant pour les salariés que pour les employeurs : recourir systématiquement aux CDD saisonniers à reconduction automatique.

Comment valoriser ces contrats ? Pour commencer, en revenant au droit du travail classique. Les CDD saisonniers sont en effet les seuls contrats qui n’ouvrent pas droit à la prime de précarité alors que leur précarité n’est plus à démontrer. Il me semble dès lors indispensable de favoriser la clause de reconduction en ouvrant le droit à la prime de précarité aux CDD saisonniers non reconductibles qui, eux, ne permettent ni fidélisation ni formation.

Ensuite, une autre suggestion serait d’ouvrir les CDD saisonniers reconductibles au dispositif des contrats d’avenir dès lors que la période travaillée annuellement est significative, par exemple de quatre à six mois minimum. Il y a là un gisement considérable d’emplois, notamment dans le tourisme social.

Enfin, il faut simplifier la vie des entreprises qui jouent le jeu des contrats reconductibles. Savez-vous, monsieur le ministre, que les employeurs sont contraints chaque année de recommencer l’intégralité des démarches auprès de l’URSSAF et de diligenter la procédure complète d’autorisation auprès de l’inspection du travail pour les salariés protégés, même dans le cas d’un contrat automatiquement renouvelé d’une année sur l’autre ? Cette mesure contre-productive refroidit pour le moins les employeurs les plus vertueux.

Monsieur le ministre, êtes-vous disposé, sur les trois mesures simples que je viens de vous proposer, à faire en sorte que demain le CDD saisonnier à reconduction automatique devienne la règle, afin de sortir les saisonniers de la précarité, de soutenir les employeurs qui y recourent et, ainsi, de professionnaliser les métiers concernés ?(Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP et sur plusieurs bancs du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

Plusieurs députés du groupe UMP. Et du chômage !

M. François Rebsamen, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Monsieur le député Joël Giraud, vous l’avez rappelé, en cette période de l’année, de très nombreux saisonniers sont à pied d’œuvre pour accueillir les touristes, notamment en montagne, et apporter tout leur professionnalisme. Votre question concerne d’ailleurs, vous l’avez dit, un très grand nombre de salariés et d’entreprises tout au long de l’année.

Vous avez mentionné le débat de qualité qui a eu lieu la semaine dernière au Sénat. Le Gouvernement, à cette occasion, a rappelé sa volonté d’apporter des réponses concrètes aux préoccupations exprimées par les saisonniers, les entreprises et les parlementaires. Je vais d’ailleurs recevoir très prochainement votre collègue Bernadette Laclais à ce sujet.

Je voudrais à présent répondre aux questions précises que vous posez. Tout d’abord, le versement d’une prime de précarité et la reconduction automatique ne sont pas obligatoires pour les CDD saisonniers, sauf si des dispositions conventionnelles le prévoient, ce qui est souvent le cas. Concrètement, nous allons proposer aux partenaires sociaux d’avancer sur ce point, et ce, dans les branches qui n’ont pas encore négocié.

S’agissant du souci de simplification de la vie des entreprises, monsieur le député, je le partage bien évidemment. Nous examinerons avec une attention particulière le point précis que vous avez évoqué.

J’en profite pour vous indiquer que les services du ministère du travail sont mobilisés sur les conditions de travail et de vie des saisonniers. À cet égard, je vais mettre en place un groupe de travail qui devra formuler avant cet été des propositions concrètes, notamment en matière de simplification administrative. Je vous proposerai d’ailleurs, monsieur le député, de faire partie de ce groupe de travail. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP ainsi que sur plusieurs bancs du groupe écologiste.)

M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures dix, est reprise à seize heures vingt, sous la présidence de Mme Catherine Vautrin.)

Présidence de Mme Catherine Vautrin

vice-présidente

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croissance, activité et égalité des chances économiques

Suite de la discussion d’un projet de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques (nos 2447, 2498).

Le temps de parole restant pour la discussion de ce texte est de onze heures et trois minutes pour le groupe SRC, dont 490 amendements restent en discussion, sept heures et cinq minutes pour le groupe UMP, dont 708 amendements restent en discussion, trois heures et trente et une minutes pour le groupe UDI, dont 109 amendements restent en discussion, deux heures et seize minutes pour le groupe RRDP, dont 60 amendements restent en discussion, deux heures et huit minutes pour le groupe écologiste, dont 139 amendements restent en discussion, une heure et cinquante-quatre minutes pour le groupe GDR, dont 85 amendements restent en discussion, et trente-cinq minutes pour les députés non inscrits.

Discussion des articles (suite)

Mme la présidente. Hier soir, l’Assemblée a poursuivi la discussion des articles, s’arrêtant à l’article 15.

Article 15

Mme la présidente. La parole est à M. Gilles Lurton, inscrit sur l’article 15.

M. Gilles Lurton. Madame la présidente, monsieur le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique, monsieur le président de la commission spéciale, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les rapporteurs thématiques, c’est sans doute vis-à-vis de la profession d’huissier de justice que le travail de la commission spéciale a permis le plus d’avancées. À titre d’exemples, je citerai le maintien du droit de présentation et l’exclusion du corridor tarifaire – lequel, après avoir été supprimé, revient sous une autre forme – des actes relevant d’une procédure judiciaire ou d’une procédure civile d’exécution. Nous avions déposé de nombreux amendements à ce sujet.

Concernant l’exclusion des mandataires judiciaires de la profession de commissaire de justice et donc la possibilité donnée aux huissiers de justice d’exercer la fonction de mandataire judiciaire, ma position diverge de celle de la chambre nationale des huissiers de justice. J’estime que ces métiers sont très différents et je regretterais que, par voie d’amendement à l’article 20, comme cela semble prévu, vous proposiez de revenir sur une disposition que vous aviez acceptée en commission spéciale.

Enfin, je souhaite appeler votre attention sur les effets particulièrement négatifs qu’engendrerait une extension trop rapide de la compétence territoriale des huissiers de justice au ressort des cours d’appel : une telle mesure risquerait d’affaiblir le maillage territorial de cette profession et l’accès au droit dans les territoires les plus fragiles, comme les zones rurales ou les zones urbaines sensibles.

Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements, nos 407, 558 et 1976, visant à supprimer l’article 15.

La parole est à M. Gilles Lurton, pour soutenir l’amendement n407.

M. Gilles Lurton. Il est défendu.

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Hetzel, pour soutenir l’amendement n558.

M. Patrick Hetzel. L’article 15 prévoit de modifier les conditions d’installation des huissiers. Une telle disposition remet en cause le monopole de la signification des décisions de justice, conduit à la suppression des restrictions à la libre installation et à celle des tarifs réglementés pratiqués par la profession. C’est la raison pour laquelle nous proposons de supprimer cet article.

M. Richard Ferrand, rapporteur général de la commission spéciale. Fort mauvaise raison !

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Dolez, pour soutenir l’amendement n1976.

M. Marc Dolez. Il est défendu.

Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique de la commission spéciale, pour donner l’avis de la commission sur ces amendements de suppression.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique de la commission spéciale. Il semble important de rappeler que l’article 15 ne remet nullement en cause le monopole des huissiers de justice pour la signification des actes et des exploits, pour l’accomplissement des notifications prescrites par les lois et règlements lorsque le mode de notification n’a pas été précisé et pour la mise à exécution des décisions de justice, ainsi que des actes ou titres en forme exécutoire.

L’article 15 a seulement pour objet de modifier le périmètre territorial de l’exercice de ces compétences monopolistiques, en le faisant passer du département au ressort de la cour d’appel. Les activités hors monopole pourraient quant à elles être exercées au niveau national. Nous avons recueilli un accord de la profession sur ce sujet.

Dans un souci de stabilité de la norme, la commission spéciale, sur proposition de vos rapporteurs, a différé l’entrée en vigueur des dispositions étendant la compétence territoriale des huissiers de justice pour les activités monopolistiques au douzième mois suivant la promulgation de la loi. Avis défavorable à ces amendements de suppression.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique, pour donner l’avis du Gouvernement.

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique. Il ne s’agit pas de revenir sur l’exclusivité des actes d’huissier mais d’étendre la compétence territoriale. Les apports de la commission spéciale sont nombreux – nous aurons l’occasion d’y revenir lors de l’examen des articles suivants. Le système actuel de numerus clausus et les restrictions à la liberté d’installation ont des conséquences dommageables sur le plan économique. Ainsi, le nombre d’études d’huissier de justice a baissé de 20 % depuis 1980.

En commission spéciale, le délai d’application de la réforme a été repoussé d’un an. Alors que le décret du 28 août 2014, entré en vigueur le 1er janvier, accordait un temps d’adaptation de quatre mois, les études auront maintenant douze mois pour voir le périmètre de leur exercice passer du département au ressort de la cour d’appel. Avis défavorable à ces amendements de suppression.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Houillon.

M. Philippe Houillon. Monsieur le ministre, j’espère que vous serez d’accord avec moi pour dire que les acteurs économiques, quels qu’ils soient, ont besoin d’un minimum de stabilité institutionnelle. Comment expliquer qu’un décret du 28 août 2014 modifie au 1er janvier 2015 le cadre territorial dans lequel les huissiers de justice exercent leur compétence, quelques semaines avant que ce périmètre ne soit à nouveau changé ? Ça n’est pas du travail sérieux ! D’ailleurs, vous ne dites pas qu’il y a une impérieuse nécessité à le faire, malgré le caractère très récent de la réforme. Vous déstabilisez ainsi une profession, comme vous le faites avec toutes celles dont il est question dans ce texte. Cela n’est pas acceptable. On ne réforme pas tous les quatre matins !

Loin de maintenir le maillage territorial, l’extension des compétences au ressort de la cour d’appel et au niveau national aboutira à l’inverse de ce que vous recherchez – encore que l’on puisse se demander quel est votre véritable objectif. Des pôles d’activité se constitueront. Vous allez favoriser des concentrations. Ce qui est vrai pour les avocats l’est aussi pour les huissiers : comme je l’ai expliqué, des clients institutionnels en profiteront pour réduire le nombre de professionnels auxquels ils s’adresseront. Le nombre d’études diminuera donc également et des concentrations se produiront : cela procède d’un raisonnement basique, que n’importe qui peut comprendre. En changeant encore la règle du jeu, vous allez désorganiser une profession qui s’était adaptée en quatre mois à une nouvelle donne. Il serait sain et logique de voter ces amendements de suppression.

M. Jean-Frédéric Poisson. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Je ne saurai trop conseiller à nos collègues de consulter l’excellent travail que nous avons réalisé, avec Cécile Untermaier et Philippe Houillon,…

M. Philippe Vitel. M. Houillon était d’ailleurs co-rapporteur de la mission d’information !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. …pour connaître la réalité de l’exercice de ces professions.

Contrairement à ce que tout le monde pense – et je l’ai cru moi aussi avant de travailler sur ce sujet –, la cartographie des activités et de l’implantation des huissiers fait apparaître qu’ils ne sont pas assez nombreux. Aucun département, en France, n’atteint le chiffre de dix huissiers pour 100 000 habitants. Paris, avec deux à quatre huissiers pour 100 000 habitants, présente d’ailleurs le ratio d’implantation le plus faible ; seuls dix-huit départements se trouvent dans une situation comparable. La carte de France témoigne donc du manque d’huissiers.

M. Philippe Houillon. Par rapport à quoi ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Le travail remarquable réalisé par notre mission met en évidence le fait que l’implantation des huissiers est très réduite, leur présence au regard du nombre d’habitants, extrêmement faible…

M. Jean-Frédéric Poisson. Mais est-ce le bon critère ?

M. Philippe Houillon. Cela ne veut rien dire !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. …d’où la pertinence du dispositif législatif qui nous est proposé, qui consiste à modifier cette réalité, afin d’assurer une présence des huissiers sur l’ensemble du territoire, ce qui est particulièrement important compte tenu de l’étendue de leurs compétences et des domaines qu’ils ont à connaître – constats, délivrances d’acte et prisées, puisqu’ils sont aussi commissaires-priseurs.

M. Philippe Houillon. Cela aussi pose problème !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Le constat que je viens de faire ne peut que légitimer un travail d’analyse du territoire, en vue de faciliter d’autres implantations.

(Les amendements identiques nos 407, 558 et 1976 ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. Je suis saisie de huit amendements identiques, nos 271, 408, 554, 751, 1087, 1874, 2209 et 2940.

La parole est à M. Philippe Vitel, pour soutenir l’amendement n271.

M. Philippe Vitel. Vos dispositions, monsieur le ministre, conduiront inévitablement à une perte d’indépendance des professions juridiques, ce qui apparaît tout particulièrement dans cet article 15 relatif à la profession d’huissier.

De plus, elles entraîneront une inexorable financiarisation de la justice. C’est pourquoi nous voulons supprimer les alinéas 2 à 9 de l’article 15.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Houillon, pour soutenir l’amendement n408.

M. Philippe Houillon. L’amendement traite de la compétence territoriale, un sujet que je viens d’évoquer et que je ne développerai pas de nouveau.

Cependant, en réponse à M. Le Bouillonnec, que signifie le nombre d’huissiers par rapport à une population ? Que déduisez-vous de ce ratio ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. La réponse est évidente !

M. Philippe Houillon. Avez-vous une étude d’impact ? Il faut plutôt s’interroger sur une éventuelle insuffisance. En effet, rapporter le nombre d’huissiers à une population, cela ne signifie rien. La question est : « Ces professionnels sont-ils suffisamment nombreux pour accomplir le travail qui doit être réalisé ? » Pour l’instant, la démonstration d’une insuffisance n’a pas été faite.

M. Jean-Frédéric Poisson. Eh non !

M. Philippe Houillon. Par ailleurs, je répète, même si je ne suis entendu ni par M. le ministre ni par la majorité, que nous assisterons, mécaniquement, à des regroupements en ce qui concerne tant le recouvrement de créances, qui sera désormais national, que les ventes.

Vous dites, monsieur Le Bouillonnec, que les huissiers sont des commissaires-priseurs. Cela n’est pas vrai : les huissiers peuvent faire des ventes là où il n’y a pas de commissaire-priseur, ce qui est tout à fait différent. Ce sont deux professions distinctes.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Non, les huissiers ont la compétence générale !

M. Philippe Houillon. En tout état de cause, il est évident, monsieur le ministre, que des regroupements interviendront. Et vous verrez bien alors le résultat des appels à manifestation d’intérêt que vous lancerez ! Nous aurons l’étude d’impact en temps réel, lorsque ces mesures seront appliquées.

M. Philippe Gosselin. Hélas !

M. Philippe Houillon. C’est ainsi que cela se passera car c’est la logique économique.

Mme la présidente. Sur les amendements identiques nos 271, 408, 554, 751, 1087, 1874, 2209 et 2940, je suis saisie par le groupe de l’Union pour un mouvement populaire d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

La parole est à M. Patrick Hetzel, pour soutenir l’amendement n554.

M. Patrick Hetzel. Dans les territoires ruraux, la crainte est énorme car l’évolution de cette compétence territoriale conduira inévitablement à la concentration des études. Cet effet ne sera pas sans conséquence sur la répartition des huissiers sur le territoire national. Sur ce sujet, monsieur le ministre, vous n’apportez jamais de véritable réponse.

De plus, le Gouvernement a modifié cette compétence territoriale par le décret du 28 août 2014. L’encre de ce décret est à peine sèche qu’il est déjà question de revoir les modalités d’organisation de la profession ! Cette situation est tout de même assez incroyable. Pourquoi le Gouvernement a-t-il décidé de modifier deux fois cette compétence territoriale à quelques mois d’écart ? Est-ce parce que le premier texte était signé par la garde des sceaux et celui-ci par le ministre de l’économie ?

Nous avons déjà dit que nous entrions dans une logique de marchandisation. Manifestement, cette évolution se confirme. Nous aimerions obtenir des démentis sur ce point. Hélas, nous ne les avons pas.

Mme la présidente. La parole est à M. Guénhaël Huet, pour soutenir l’amendement n751.

M. Guénhaël Huet. J’ai l’impression, monsieur le ministre, que vous continuez à vous enfermer dans la doctrine et le dogme.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Vraiment ?

M. Guénhaël Huet. La profession des huissiers fonctionne bien. Nous avons du mal à comprendre, malgré les quelques explications – d’ailleurs éparses et chaotiques – qui sont données, pour quelles raisons vous voulez vous en prendre aux huissiers de justice.

Les technocrates de Bercy ont peut-être relevé des problèmes mais, sur le terrain, notamment en territoire rural, ce sont ces dispositions qui créeront des difficultés majeures. Or les huissiers constituent aujourd’hui un des premiers points d’accès au droit pour nos concitoyens.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Ce n’est pas celui qu’ils préfèrent !

M. Guénhaël Huet. Comme cela a été dit, les études vont immanquablement se concentrer si la cour d’appel devient le ressort pour les huissiers de justice. La clientèle institutionnelle, notamment, choisira des huissiers au siège de la cour d’appel. Ce regroupement créera donc, dans de nombreux endroits, notamment en milieu rural, des déserts juridiques.

Je ne sais pas quels mots utiliser, monsieur le ministre, pour décrire cette réalité, qui est non pas intellectuelle, mais pratique. Ces dispositions, comme celles qui sont relatives aux notaires, portent un mauvais coup à l’organisation juridique de notre pays.

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Larrivé, pour soutenir l’amendement n1087.

M. Guillaume Larrivé. Il est défendu.

En appelant l’attention de M. le ministre sur la situation particulière des tribunaux de grande instance de petits départements ruraux dans le ressort de cours d’appel plus urbaines, Guénhaël Huet vient d’avancer un argument qui me paraît vraiment devoir faire l’objet d’une réponse.

Ainsi, dans l’Yonne, département rural de 380 000 habitants, un petit tribunal de grande instance est dans le ressort de l’immense cour d’appel de Paris. On voit bien que le droit actuel permettait une forme d’équilibre entre les barreaux de province, au sein du ressort de la cour d’appel de Paris.

Après avoir écouté les praticiens du droit dans nos départements, nous craignons beaucoup, monsieur le ministre, que vos dispositions relatives à la profession d’huissier, comme à celle d’avocat, ne mettent fin à cet équilibre territorial.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Gosselin, pour soutenir l’amendement n1874.

M. Philippe Gosselin. Les dispositions de l’article 13 bis, voté hier soir, et leur déclinaison dans les articles 14, 15 et 16, relatifs aux notaires, aux huissiers et aux commissaires-priseurs judiciaires, respectivement, portent atteinte à notre modèle juridique.

En outre, le risque d’une désertification juridique, évoqué par les professionnels eux-mêmes et par de nombreux collègues, sur tous les bancs, est bien réel. L’abandon du corridor tarifaire, en début de semaine, a constitué une avancée. Mais sa transformation en corridor de remises est loin d’être satisfaisante. Il faudrait ouvrir encore davantage les yeux, et permettre la suppression des alinéas 2 à 9 de l’article 15.

En effet, ces déserts juridiques sont non pas des inventions, mais une réalité. Nos collègues ont évoqué de petits ressorts de tribunal de grande instance ainsi que la possible disparition d’études qui existent aujourd’hui sur l’ensemble du territoire. Halte au feu ! Ouvrons les yeux !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Christophe Fromantin, pour soutenir l’amendement n2209.

M. Jean-Christophe Fromantin. Quel aménagement du territoire souhaitons-nous ? À quelques jours de l’examen d’un autre projet de loi portant sur le maillage de proximité, les villes moyennes, les intercommunalités et les départements, le sujet n’est pas tant que l’État constate une situation mais qu’il engage une politique volontariste, de concert avec ce réseau de proximité que l’on souhaite, ou non, mettre en place dans le pays.

Aujourd’hui, faute d’autre option, le département constitue une maille de proximité justifiant qu’un bouquet de services publics y soit encore à la disposition de nos concitoyens. La structuration départementale a du sens pour des services comme ceux que proposent les huissiers.

Notre groupe soutiendra donc le maintien de l’échelon départemental pour l’exercice de cette profession.

Mme la présidente. La parole est à M. Gilles Lurton, pour soutenir l’amendement n2940.

M. Gilles Lurton. Il est défendu.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Nous sommes tous très attachés au maillage territorial.

M. Jean-Frédéric Poisson. La preuve !

M. Philippe Gosselin. On ne traduit pas tous cet attachement de la même manière !

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Le meilleur moyen de le garantir est de ne pas toucher à la carte judiciaire. Or les mesures prises précédemment, notamment la suppression des tribunaux d’instance, ont eu des effets dramatiques sur la présence des gens de droit sur les territoires.

M. Guénhaël Huet. N’en rajoutez pas !

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Il faut absolument que, tous ensemble, nous combattions pour maintenir les barreaux. À ce propos, je tiens à rappeler que la ministre de la justice s’est engagée à conserver la carte judiciaire actuelle.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Eh oui, c’est la précédente majorité qui l’a changée !

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Rejoignant les propos de M. Larrivé, je pense que, si un TGI est maintenu, des gens de droit continueront à travailler autour.

Nous avons pris soin d’auditionner les huissiers le 6 janvier sur cette question. Ils sont favorables à cette extension au niveau national.

M. Philippe Gosselin. Ce n’est pas vrai !

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Si, ils sont d’accord !

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Ils sont également favorables à cette extension à la cour d’appel, à condition de bénéficier d’un délai. Celui que nous leur avons concédé, après concertation, les satisfait.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Concernant le maillage territorial et l’activité des huissiers, de quoi parle-t-on exactement ? Que font les huissiers ? Il me semble important de répondre à ces questions, de peur d’énoncer des idées fausses.

M. Jean-Frédéric Poisson. Pas vous, monsieur le ministre !

M. Emmanuel Macron, ministre. Comme vous le savez, je suis pragmatique et j’ai passé beaucoup de temps avec les huissiers. Ainsi, le 10 décembre dernier, après la présentation de ce projet de loi, je me suis rendu le soir même au Sénat pour participer à un débat de plus de deux heures avec les représentants de cette profession – M. Le Bouillonnec y assistait, de même que certains députés UMP.

J’appelle votre attention sur le fait que seules les activités en monopole – significations, assignations et délivrances d’actes – passeront du département à la cour d’appel. Tout ce que les huissiers font par ailleurs est déjà du ressort national. Il faut donc éviter toute approximation : seules ces trois catégories d’actes sont concernées.

Il s’agit là, monsieur Larrivé, de procédures qui imposent de se rendre au domicile des personnes concernées, pour des sommes dont le montant est d’ailleurs compris entre 50 et 100 euros. Seriez-vous prêt à parcourir 200 kilomètres pour 50 euros ? Eh bien non, vous resteriez dans vos bureaux. Ne perdez pas le sens des réalités et cessez d’avancer toujours les mêmes arguments à propos de tous les sujets. Seules sont concernées ces trois catégories d’actes, qui nécessitent une proximité de terrain. Or, aujourd’hui, si des huissiers ne sont pas proches du terrain, c’est qu’ils ont déjà choisi, grâce au dispositif existant, de s’organiser en monopole et de se déplacer sur le territoire – car les déserts juridiques existent déjà. Il s’agit là simplement de donner de la matière supplémentaire et de la mobilité ; je ne pense pas que ces dispositions, compte tenu de la nature des actes qu’elles concernent, créeront de nouveaux déserts. Ne confondons pas tout. À l’exception de ces trois catégories d’acte, je le répète, le reste relève déjà du ressort national.

Par ailleurs, le délai d’un an auquel nous avons abouti en commission spéciale est le fruit d’échanges avec la profession. Vous ne pouvez pas parler d’instabilité juridique car la loi, qui sera promulguée dans les prochains mois, laissera un an aux huissiers pour qu’ils s’adaptent, ce qui est raisonnable. Nous parlons bien des trente-sept cours d’appel et pas des treize régions.

Enfin, ce projet de loi rajoute de la matière, comme le reconnaissent les huissiers eux-mêmes. Vous qui êtes si soucieux du maillage territorial, je me réjouis de vous voir bientôt voter l’article 56 bis, qui crée une procédure amiable de recouvrement des petites créances par l’intermédiaire des huissiers, ou approuver l’extension de la compétence des huissiers aux procédures de liquidation judiciaire des petites entreprises et à la procédure de rétablissement personnel. C’est cela le maillage, c’est cela la vraie réponse, contrairement aux arguments que vous répétez inlassablement quelle que soit la profession en cause. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson.

M. Jean-Frédéric Poisson. La présentation de vos arguments révèle clairement un problème de méthode, monsieur le ministre.

Reprenons l’excellent argument de M. Houillon sur la question du nombre d’huissiers par habitant. À ce compte-là, vous allez devoir vous prononcer en urgence sur un tas de professions – les cracheurs de feu, les restaurants trois étoiles ou encore les fabricants de Formule 1. (Sourires.)

M. Emmanuel Macron, ministre. Ce ne sont pas des professions réglementées !

M. Jean-Frédéric Poisson. Notre pays compte très peu de métiers de ce genre par tranche de 100 000 habitants. Quitte à surcharger de travail l’Autorité de la concurrence, monsieur le ministre, n’hésitez pas à lui transmettre ces dossiers supplémentaires !

Par ailleurs, aucun élément de l’étude d’impact que vous nous avez fournie ne confirme vos propos.

M. Emmanuel Macron, ministre. Tiens, un nouvel argument !

M. Jean-Frédéric Poisson. Je me permets d’inviter Mme la rapporteure thématique à préciser ses arguments : si, au sein de la profession des huissiers, tel ou tel président de conseil, fût-il local ou national, est relativement d’accord avec votre réforme, beaucoup d’autres ne le sont pas.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Comme à l’UMP !

M. Jean-Frédéric Poisson. Pour ce qui est des dissensions internes, monsieur le rapporteur général, si j’étais vous, surtout à la veille des prochaines échéances, je serais plus humble. M. Cherki, qui est assis juste devant vous, est là pour vous le rappeler. (Sourires sur les bancs du groupe UMP.)

Revenons au sujet : il existe, au sein même de la profession d’huissier, des dissensions importantes et il serait juste, précis et honnête que vous en fassiez état aussi. Votre manière de présenter ce sujet ne reflète pas l’opinion de l’ensemble de la profession, laquelle n’est pas d’accord, pour l’essentiel, avec le mouvement que vous voulez donner à cette réforme. Il faut tout de même le dire !

M. Gilles Lurton. Très bien !

M. Jean-Frédéric Poisson. Votre méthode n’est pas bonne, vos références ne sont pas bonnes, vous ignorez une partie de la profession : pourquoi ne voterait-on pas nos amendements ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Caullet.

M. Jean-Yves Caullet. Personne n’a le monopole de la défense du territoire rural, pas plus dans l’Yonne qu’ailleurs. Si tout le monde avait été convaincu de l’importance de la ruralité au moment où il a été décidé de supprimer le tribunal d’instance d’Avallon, la situation aurait peut-être été différente, mais ce ne fut, hélas, pas le cas.

Je ne reviendrai pas sur l’argument concernant les huissiers, mais nous savons tous que l’élargissement de la compétence pour des actes par nature localisés n’entraînera pas mécaniquement une quelconque concentration. Enfin, je suis frappé par le fait que, à vous entendre, une forme de fatalité est censée s’abattre sur tous ces professionnels du droit : elle devrait conduire à la subordination du rural à l’urbain et du petit au gros. Le petit officier ministériel, le petit avocat rural serait moins compétent, moins organisé, moins performant… (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Dino Cinieri. Nous n’avons jamais dit cela !

M. Jean-Yves Caullet. …et l’élargissement d’une zone de compétence se ferait nécessairement au profit de la centralité. Or, si nous en restons aux références icaunaises, la distance qui sépare Paris d’Auxerre est la même que celle qui sépare Auxerre de Paris. L’élargissement du champ des compétences peut permettre à des avocats, des notaires, des officiers ministériels de qualité et qui ont développé ces spécialités d’intervenir tout aussi efficacement que d’autres, installés dans de grosses structures et qui trouvaient bien confortable leur situation de monopole. (« C’est faux ! » sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Dolez.

M. Marc Dolez. Depuis le début de nos débats, les positions de notre groupe visent à préserver le maillage territorial et la proximité des professions juridiques réglementées. Nous n’avons pas du tout le sentiment que vous partagez nos préoccupations.

Pourquoi engager une nouvelle réforme de la compétence territoriale des huissiers de justice alors que la précédente n’est effective que depuis le 1er janvier dernier ? Il nous semble d’ailleurs que le présent texte aura des effets néfastes pour la profession, mais aussi, ce qui est encore plus important, pour les justiciables.

M. Dino Cinieri. Très bien !

M. Marc Dolez. Mme la rapporteure thématique ne peut pas déduire des rencontres qu’elle a menées le 6 janvier dernier que la profession est unanimement favorable à ce texte. Ce n’est évidemment pas ce qu’il ressort des rencontres que nous avons eues de notre côté. La mission d’information avait eu, à la suite de l’audition de ces professions quelques semaines auparavant, une appréciation de toute évidence beaucoup plus nuancée.

Notre groupe votera par conséquent ces amendements.

M. Jean-Frédéric Poisson. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Guénhaël Huet.

M. Guénhaël Huet. Je voudrais rétablir la vérité car il est faux de prétendre que les huissiers de justice approuvent ces dispositions – c’est même totalement faux, chacun le sait ! Au mieux, l’organisation nationale des huissiers a adopté une position de repli pour se donner un peu plus de temps, mais elle est fondamentalement opposée à l’élargissement du ressort territorial des huissiers de justice.

Vous avez par ailleurs évoqué la réforme de la carte judiciaire. D’une part, ce n’est pas le sujet. D’autre part, vous auriez dû tirer des leçons des conséquences qu’elle a eues – et qu’un certain nombre d’entre nous, jusque dans les rangs de l’ancienne majorité, avions prévues. La suppression de certains tribunaux de grande instance a conduit des professions juridiques à se concentrer. Plutôt que de tirer des enseignements de ce qui s’est passé, vous ajoutez du mal au mal. Cette disposition aggrave la complexité du dispositif ; elle favorise la concentration et créera des déserts juridiques, que vous le vouliez ou non.

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. Je ne voudrais pas que notre débat avec M. Caullet prenne un tour trop local, mais puisqu’il évoque Auxerre, dont je suis député, je me permets d’apporter quelques précisions. Nous sommes tous convaincus de la qualité technique et des compétences des différents barreaux d’Île-de-France et de province. Il ne s’agit pas de prétendre qu’il y aurait d’un côté des avocats et des huissiers compétents et de l’autre des avocats et des huissiers qui le seraient moins.

Tout comme vous, monsieur Caullet, j’ai écouté les avocats du barreau d’Auxerre. Eh bien, pas un seul n’approuve la réforme engagée, et ce pour une raison presque mécanique : ce ne sont pas moins de 26 000 ou 27 000 avocats qui sont inscrits au barreau de Paris, contre quelques dizaines au barreau d’Auxerre. La réforme aura un effet mécanique et économique évident : des avocats du barreau de Paris en profiteront pour s’introduire sur le marché du droit icaunais.

M. Marc Dolez. Eh oui !

M. Guillaume Larrivé. Peut-être n’y parviendront-ils pas – c’est du moins ce que je souhaite –, mais c’est une crainte du barreau d’Auxerre. Vous le savez, hélas, même si vous êtes tenu par une forme de solidarité à l’égard de la majorité, qui vous honore mais vous éloigne des réalités du terrain de notre département.

Mme la présidente. La parole est à M. Richard Ferrand, rapporteur général de la commission spéciale.

M. Richard Ferrand, rapporteur général de la commission spéciale. Lorsque Mme Untermaier ou moi-même avons reçu les représentants de la profession, c’est la parole des représentants démocratiquement élus que nous avons entendue. Vous ne pouvez pas, comme vous l’avez fait hier nuitamment, vous appuyer sur la représentation d’une profession qui vous agrée pour justifier vos arguments et réfuter ensuite celle d’une autre profession qui ne vous agrée pas, pour combattre une mesure. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Vous devez respecter l’organisation des professions, la représentativité de ceux qui portent leur parole et prendre acte des positions qui sont données, même si elles ne vous conviennent pas et qu’il est difficile, dans toutes les organisations, d’aboutir à des positions homogènes. Vous en savez quelque chose.

M. Jean-Frédéric Poisson. Parole d’expert !

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Houillon.

M. Philippe Houillon. Je n’avais pas l’intention de reprendre la parole, mais j’entends tellement de contre-vérités que des précisions s’imposent.

Tout d’abord, la mission d’information a entendu 160 personnes,…

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Pas seulement des huissiers !

M. Philippe Houillon. …qui représentaient toutes les professions et je ne crois pas avoir mal compris en constatant que, globalement, ces professions étaient, huissiers inclus, hostiles à l’essentiel des réformes proposées. C’est tellement vrai que, si cela avait été l’inverse, la mission n’aurait pas abouti aux conclusions qui furent les siennes.

M. Marc Dolez. C’est vrai !

M. Philippe Houillon. C’est tout de même simple à comprendre et il ne faut pas raconter n’importe quoi.

Nous avons entendu 160 personnes, nous nous sommes forgé une religion et avons abouti à certaines conclusions. Il est bien évident que si tous les représentants de ces professions avaient trouvé la réforme de M. Macron géniale et simplement regretté qu’elle n’aille pas assez loin, nous en aurions tenu compte, mais ce ne fut pas le cas.

Par ailleurs, la question n’est pas de savoir si l’on est plus ou moins compétent selon que l’on se trouve en province ou à Paris, dans des grosses villes ou dans des zones rurales ; il s’agit d’étudier la structure des rémunérations.

Les structures regroupées ont les chiffres d’affaires et les résultats les plus importants.

M. Marc Dolez. Bien sûr !

M. Philippe Houillon. La nature humaine est ainsi faite qu’un professionnel préférera toujours gagner un peu plus d’argent qu’un peu moins. Mais peut-être me démontrerez-vous le contraire – vous n’êtes plus à cela près !

Par conséquent, ils se regroupent car, dans toutes ces professions, ce sont les regroupements qui produisent les meilleurs résultats.

Dès lors que vous créez des outils supplémentaires permettant à ces professions de multiplier les regroupements, elles vont naturellement les utiliser et il en résultera un effet inverse au maillage territorial que vous dites rechercher par cette mesure.

Par ailleurs, vous ne pouvez pas prétendre que le dispositif correspond à la volonté des professions et, dans le même temps, prévoir un mécanisme d’indemnisation tel que vous l’avez adopté hier. Une indemnisation suppose un préjudice. Comment pouvez-vous nous dire que cette réforme est formidable tout en anticipant les préjudices qu’elle causera – puisque vous instaurez une indemnisation ? Revenons à des choses simples : si indemnisation il y a, c’est bien qu’il peut y avoir préjudice. Or, la nature humaine est ainsi faite que l’on ne recherche pas forcément le préjudice…

Je conclurai par un point de détail : vous nous dites que l’on n’ira pas signifier un acte à 200 kilomètres pour 100 euros, mais je me permets de vous renvoyer à la structure des clercs significateurs et des bureaux communs de signification, et vous constaterez alors que, dans la vraie vie, les choses se passent de manière différente, souvent au moyen de regroupements. Les structures mutualisées qui accomplissent ces diligences professionnelles permettent parfois, le cas échéant, de parcourir de longues distances. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Emmanuel Macron, ministre. Que les huissiers soient ou non regroupés, ils renoncent au transport s’il coûte plus cher pour un acte de quelques dizaines d’euros.

En outre, l’indemnisation relève d’un décret de 1971 pour les notaires et d’un autre de 1975 pour les huissiers : nihil novi sub sole ! Cette loi permet simplement de donner de la visibilité aux acteurs.

Enfin, monsieur Houillon, je ne résiste pas au plaisir de vous dire que votre démonstration confirme bel et bien qu’il appartient au ministre de l’économie de traiter ces sujets, puisque vous n’avez parlé que de la rentabilité, du regroupement et de l’équilibre économique actuel de ces professions !

M. Guénhaël Huet. Non, nous avons aussi évoqué la question des déserts juridiques !

Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 271, 408, 554, 751, 1087, 1874, 2209 et 2940.

(Il est procédé au scrutin.)

Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants58
Nombre de suffrages exprimés58
Majorité absolue30
Pour l’adoption24
contre34

(Les amendements identiques nos 271, 408, 554, 751, 1087, 1874, 2209 et 2940 ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Dolez, pour soutenir l’amendement n1978 rectifié.

M. Marc Dolez. Il est défendu, pour les raisons déjà indiquées tout à l’heure.

(L’amendement n1978 rectifié, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Dino Cinieri, pour soutenir l’amendement n1631.

M. Dino Cinieri. Cet amendement vise à associer pleinement le Parlement, qui est constitutionnellement garant de l’équilibre, de la pérennité et du développement des territoires, aux évolutions éventuelles de la compétence territoriale des huissiers de justice s’agissant de leurs activités monopolistiques.

Une libéralisation de l’installation remettrait en cause le maillage territorial et risquerait de créer des déserts juridiques. La profession va connaître une vague importante de départs à la retraite d’ici à quelques années, avec pour conséquence des difficultés de recrutement, notamment en zone rurale.

(L’amendement n1631, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements, nos 555 et 1632, pouvant être soumis à une discussion commune.

La parole est à M. Patrick Hetzel, pour soutenir l’amendement n555.

M. Patrick Hetzel. Cet amendement de repli vise à reporter la date d’entrée en vigueur de la réforme au 1er juillet 2017. Comme je l’indiquais plus tôt, la précédente réforme date d’un décret d’août 2014 et a pris effet le 1er janvier 2015. Il serait souhaitable de laisser du temps au temps ; nous proposons donc une entrée en vigueur le 1er juillet 2017.

Mme la présidente. La parole est à M. Dino Cinieri, pour soutenir l’amendement n1632.

M. Dino Cinieri. Cet amendement vise à différer la mise en œuvre de l’évolution – majeure – à un degré de compétence plus large, en l’occurrence dans le ressort de la Cour d’appel, au 1er janvier 2018.

(Les amendements nos 555 et 1632, repoussés par la commission et le Gouvernement, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. La parole est à M. Richard Ferrand, rapporteur général, pour soutenir l’amendement n2497.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Il est rédactionnel.

(L’amendement n2497, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Dino Cinieri, pour soutenir l’amendement n1636.

M. Dino Cinieri. Afin que la montée en charge progressive prévue par le présent article soit à la fois supportable et équitable pour les offices déjà présents sur le territoire et vecteur de croissance pour les nouveaux offices, cet amendement vise à ce que le Gouvernement précise notamment, par décret en Conseil d’État, le coefficient d’installation qui pourrait varier suivant la situation démographique de chaque territoire.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Défavorable. Cet amendement n’aurait pas sa place dans l’alinéa 3 de l’article 15, qui ne mentionne aucune cartographie.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Même avis.

(L’amendement n1636 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique, pour soutenir l’amendement n2498 rectifié.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Cet amendement vise à compléter l’alinéa 5 par les mots : « , parmi lesquelles les conditions de reconnaissance de l’expérience professionnelle des clercs salariés. » Le présent projet de loi prévoit de réformer les conditions d’accès à la profession d’huissier de justice. Cet amendement important permettra de clarifier la possibilité pour des clercs expérimentés d’accéder à la profession par la reconnaissance de leur expérience professionnelle.

(L’amendement n2498 rectifié, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 754 et 1634.

La parole est à M. Guénhaël Huet, pour soutenir l’amendement n754.

M. Guénhaël Huet. On peut vouloir assouplir et ouvrir tout ce que l’on veut, mais il faut tout de même préserver un minimum de sécurité juridique. L’amendement vise donc à ajouter la mention : « titulaire de l’examen d’accès à la profession », de façon à donner au justiciable un minimum de garanties juridiques.

Mme la présidente. La parole est à M. Dino Cinieri, pour soutenir l’amendement n1634.

M. Dino Cinieri. Il est défendu.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Même avis. L’alinéa 13 prévoit déjà les conditions d’aptitude mais aussi d’expérience qu’il faut remplir pour être titularisé. Le détail en est renvoyé à la voie réglementaire. Le présent amendement fermerait certaines conditions d’accès.

(Les amendements identiques nos 754 et 1634 ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique, pour soutenir l’amendement n2499.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Il s’agit d’un amendement de cohérence avec le dispositif que nous avons adopté hier à l’article 13 bis concernant le renforcement de l’offre de services et de la proximité.

(L’amendement n2499, accepté par le Gouvernement, est adopté et les amendements identiques nos 753 et 1633 tombent.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Christophe Fromantin, pour soutenir l’amendement n2225.

M. Jean-Christophe Fromantin. Cet amendement appelle le ministre de la justice à refuser les nouvelles installations dans les zones saturées afin d’éviter d’enclencher un mécanisme d’indemnisation qui serait contre-productif en termes de fonction opérationnelle et qui, du point de vue de la construction administrative, s’apparenterait à une usine à gaz.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. C’est déjà fait !

(L’amendement n2225, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique, pour soutenir l’amendement n2500.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Il est rédactionnel.

(L’amendement n2500, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Chaynesse Khirouni, pour soutenir l’amendement n486.

Mme Chaynesse Khirouni. Je me réjouis que cet amendement ait été repris tel quel par Mme la rapporteure thématique dans son amendement n2498 rectifié, que nous venons d’adopter. La reconnaissance de l’expérience professionnelle permet désormais aux clercs salariés d’accéder à la profession d’huissier de justice.

(L’amendement n486 est retiré.)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements, nos 2228 et 557, pouvant être soumis à une discussion commune.

La parole est à M. Jean-Christophe Fromantin, pour soutenir l’amendement n2228.

M. Jean-Christophe Fromantin. Il est défendu.

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Hetzel, pour soutenir l’amendement n557.

M. Patrick Hetzel. Également.

(Les amendements nos 2228 et 557, repoussés par la commission et le Gouvernement, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique, pour soutenir l’amendement n2501.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Il est rédactionnel.

(L’amendement n2501, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements identiques, nos 409, 556 et 1875.

La parole est à M. Philippe Houillon, pour soutenir l’amendement n409.

M. Philippe Houillon. Avant de le présenter, permettez-moi de répondre à M. le ministre qui nous reprochait tout à l’heure de nous préoccuper notamment – car ce n’est pas notre seule préoccupation – de la rentabilité des professions dont nous débattons.

Mme Audrey Linkenheld. Ce n’était pas un reproche !

M. Philippe Houillon. Je ne comprends pas que vous, qui êtes ministre de l’économie, puissiez nous faire un tel reproche.

M. Emmanuel Macron, ministre. C’était le contraire d’un reproche !

M. Philippe Houillon. Il s’agit pourtant d’un secteur d’activité qui marche plutôt bien, et c’est précisément à lui que vous consacrez une priorité réformatrice, alors que vous omettez de le faire dans d’autres domaines où ce serait bien plus essentiel.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. La fonction publique, par exemple ?

M. Philippe Houillon. Libre à vous, monsieur le rapporteur général, de trouver que mes propos ne sont pas acceptables, mais ce sont les miens et je les maintiens.

Il va de soi qu’il est également nécessaire de préserver la santé économique de ce secteur. Je ne vois donc pas en quoi votre réflexion, monsieur le ministre, était la bienvenue dans ce débat.

M. Marc Le Fur. Exactement !

M. Emmanuel Macron, ministre. C’est tout l’inverse !

M. Philippe Houillon. J’en viens à l’amendement, qui vise à ce que le Gouvernement présente au Parlement un rapport sur l’indemnisation. Nous avons eu ce même débat hier concernant d’autres professions ; je sais donc la réponse que M. le ministre me fera, en disant que puisqu’il n’y a pas matière à indemnisation, il n’y a donc nul besoin de prévoir un rapport, et qu’accepter un rapport reviendrait à accepter l’idée même d’indemnisation. Pourtant, le texte que vous avez fait adopter hier prévoit bel et bien un système d’indemnisation. Il n’est donc pas anormal que vous nous en présentiez l’évaluation lorsque nous aurons l’expérience de l’application de cette loi.

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Hetzel, pour soutenir l’amendement n556.

M. Patrick Hetzel. Comme vient de l’indiquer M. Houillon, il y a de toute évidence un problème d’indemnisation. En effet, s’il n’y a pas d’indemnisation, se pose la question de la constitutionnalité du dispositif. Pour y remédier, le projet du Gouvernement tente d’aborder la question de l’indemnisation par ailleurs. Nous souhaitons donc savoir combien tout cela va coûter.

Vous avez prétendu, monsieur le ministre, que votre loi dynamiserait l’économie ; nous n’en savons rien mais, en tout état de cause, elle induira à coup sûr des dépenses supplémentaires pour le contribuable français. Cela doit être montré du doigt. En outre, je répète qu’il se pose peut-être un problème de constitutionnalité, qui justifie cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Tian.

M. Dominique Tian. Je partage tout à fait le point de vue de M. Hetzel. Le problème des huissiers est consternant. Nous les avons tous reçus : voici une profession réglementée qui ne demandait rien à personne et qui était plutôt appréciée par le monde juridique français. Elle ne se porte pas particulièrement bien, ses tarifs sont transparents ; ces adjoints de justice sont très efficaces. La profession joue donc son rôle. Pourquoi vouloir la réglementer davantage ?

Se pose en outre le problème de l’indemnisation. Vous avez reçu comme nous les huissiers, monsieur le ministre : il semble que le courant ne soit pas passé entre vous, car ils ne sont pas rassurés. Le problème de l’indemnisation nous paraît absurde : il n’existe aucune étude d’impact, nul ne sait combien cela coûtera ni le progrès économique qui en résultera selon vous, et le dialogue est interrompu. Force est aujourd’hui de constater que les huissiers de justice sont inquiets.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Gosselin, pour soutenir l’amendement n1875.

M. Philippe Gosselin. Notre collègue Houillon a déjà fait les questions et les réponses en anticipant sur l’avis – prévisible – de M. le ministre. Permettez-moi à mon tour d’être prévisible et de reprendre la même argumentation que celle que j’ai développée hier pour défendre un amendement de même nature dans le débat concernant les notaires.

Madame la présidente, dans un souci de cohérence avec les amendements que nous avons défendus hier, je souhaite modifier cet amendement, préférant que le Gouvernement remette un rapport au Parlement dans un délai de deux ans, et non plus dans un délai de six mois suivant la promulgation de la loi.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Je confirme les prédictions de M. Houillon, qui a fort bien expliqué pourquoi nous ne sommes pas favorables aux amendements proposés. Un rapport sur un tel sujet ne se justifie pas.

M. Jean-Frédéric Poisson. Il est pourtant question de l’indemnisation dans le texte !

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Quant au délai, il a été discuté et arrêté en commission. Avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Monsieur Houillon, je ne vous ai pas reproché de vous intéresser aux équilibres économiques de ces professions, bien au contraire – d’ailleurs, je ne me permettrais pas de vous reprocher vos interventions, quel qu’en soit le contenu. Je disais simplement que ces sujets justifiaient une discussion de nature économique comme celle que nous menons.

Ce texte prévoit une indemnisation pour préjudice anormal. Cette indemnisation, définie et encadrée par la loi, n’est pas à proprement parler une indemnisation de l’État : elle est versée pour compenser un préjudice anormal tout en recouvrant les conditions prévues par le décret de 1971 pour les notaires et celui de 1975 pour les huissiers.

Cette précision étant apportée, même avis défavorable qu’hier. Le cas visé est borné par la loi et nous restons dans les conditions existantes, bien que les décrets en vigueur les encadrent moins strictement.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson.

M. Jean-Frédéric Poisson. Monsieur le ministre, si vous voulez que votre ministère récupère la compétence pleine et entière sur tous les sujets qui justifient un débat de nature économique, je vous propose de vous pencher sur le déficit des hôpitaux publics… (Sourires.) Il est vrai que le sujet vous demandera un peu plus de temps.

Bien entendu, il n’en est pas question ! Et il n’aurait pas dû non plus en être question pour les sujets dont nous débattons actuellement.

Alors que nous nous apprêtons à terminer l’examen de l’article 15, nous ne sommes pas d’accord avec vous sur la façon dont vous envisagez l’évolution de ces professions, sur votre refus de faire droit aux divergences observées au sein de la profession des huissiers et des autres professions que nous examinons en ce moment, et enfin sur les modalités d’implantation, dans l’hypothèse où plusieurs candidats voudront s’installer au même endroit.

La question vous a été posée hier à propos des notaires, mais nous ne savons toujours pas comment les choses se passeront. Il faudra qu’un jour vous précisiez les modalités de sélection : s’il n’y a pas de candidat, chacun peut s’installer où il veut (Sourires), mais que se passera-t-il si plusieurs candidats répondent à l’appel à manifestation d’intérêt ?

Pour toutes ces raisons, et beaucoup d’autres accumulées depuis le début de la discussion, le groupe UMP votera contre l’article 15.

(Les amendements identiques nos 409 et 556 ne sont pas adoptés.)

(L’amendement n1875, tel qu’il vient d’être rectifié, n’est pas adopté.)

(L’article 15, amendé, est adopté.)

Article 16

Mme la présidente. Sur l’article 16, plusieurs orateurs sont inscrits.

La parole est à M. Jean Lassalle.

M. Jean Lassalle. Mes chers collègues, comme je l’ai dit hier soir, ce projet de loi nous a permis d’aborder un certain nombre de sujets dont je pensais à titre personnel qu’ils étaient tabous et que nous ne les aborderions jamais.

Mais force est de constater que nous suivons une mauvaise trajectoire. Pardonnez-moi de vous rappeler que nous ne nous sommes pas encore remis de la dernière réforme de la justice, en tout cas dans mon territoire.

La réforme territoriale de M. Valls va considérablement affaiblir notre territoire, nous le constaterons dans deux ou trois ans – quand je parle de territoire, je pense à nos immenses zones rurales, mais ce ne sera pas mieux dans les zones urbaines. D’où vous vient cette tentation de concentration, s’agissant de professions qui ne demandaient rien à personne ? Comme quelques-uns de mes collègues, j’ai rencontré un grand nombre de notaires, d’avocats, d’huissiers et de commissaires-priseurs : je n’en ai pas trouvé un seul pour dire qu’il y a quelque chose de bon dans ce que vous proposez.

Certes il s’agit d’un changement et je sais bien que la France est rétive au changement, mais la résistance que ce texte a suscitée, ainsi que la pertinence et la constance des raisonnements m’ont interpellé.

J’en suis venu à me poser la question suivante : allons-nous réussir un jour à dépasser les travaux préparatoires de la haute administration de notre pays, qui passe son temps à préparer des projets idylliques, totalement déconnectés du territoire, mais qui ont tous pour effet de recentraliser, alors que c’est le contraire qu’il faudrait faire ? Or quand on a perdu une certaine culture dans un territoire, il est très difficile de la retrouver – nous le voyons actuellement avec les médecins.

La recentralisation, monsieur le ministre, amènera les gens à se regrouper parce qu’ils y auront intérêt. Ensuite, nous aurons les pires difficultés à retrouver une répartition équilibrée des institutions judiciaires.

C’est un très gros problème. Nous promettons monts et merveilles avant les élections mais nous ne pouvons pas tenir nos promesses car, lorsque nous arrivons au pouvoir, nous proposons – pardonnez-moi l’image – des projets roses si la majorité est rose, des projets bleus si la majorité est bleue, mais depuis une trentaine d’années, leur contenu est le même. Cela n’est pas compris sur le terrain.

Je vous assure que cette réforme-là ne sera pas comprise non plus, ni par les notaires ni par les autres professions réglementées. Quel dommage qu’un grand pays comme le nôtre, qui est capable de fulgurances, qui est capable de réfléchir et de voir loin, se trouve depuis une trentaine d’année embourbé dans des textes qui vont toujours dans le même sens !

Mme la présidente. La parole est à M. Dino Cinieri.

M. Dino Cinieri. Monsieur le ministre, les commissaires-priseurs souffrent un peu de la renommée internationale de leurs plus fameux confrères, en particulier Artcurial, Sotheby’s et Christie’s. Il convient donc de rappeler certains points.

Le commissaire-priseur judiciaire est un officier ministériel nommé par le garde des sceaux au sein d’un office. Il prête serment devant le tribunal de grande instance et relève de l’autorité du procureur de la République.

Ses activités sont définies par la loi : ventes aux enchères publiques et prisées prescrites par la loi ou par décision de justice – ventes après liquidation judiciaire, saisies-ventes, réalisations de gage, inventaires et prisées, redressements et liquidations judiciaires, successions, ou encore tutelles.

Notre pays compte aujourd’hui 437 commissaires-priseurs judiciaires, réunis au sein de la Chambre nationale des commissaires-priseurs judiciaires.

Quelle formation reçoivent-ils ? Les candidats titulaires d’un diplôme national en droit et d’un diplôme national en histoire de l’art, arts appliqués, archéologie ou arts plastiques, l’un de ces diplômes devant être au moins équivalent à bac plus trois, l’autre sanctionnant un niveau de formation correspondant à deux années d’études supérieures, peuvent passer l’examen d’accès.

En cas de succès, ils effectuent un stage de deux ans chez un ou plusieurs opérateurs de ventes volontaires ou commissaires-priseurs judiciaires, dont au moins six mois au sein d’un office de commissaire-priseur judiciaire. Le stage comprend en outre un enseignement théorique dispensé sous le contrôle du Conseil des ventes volontaires et de la Chambre nationale des commissaires-priseurs judiciaires.

Au terme du stage, le Conseil des ventes délivre aux candidats qui ont démontré leurs aptitudes à l’exercice de la profession un certificat de bon accomplissement de stage qui lui permet d’effectuer des ventes volontaires en tant qu’opérateur de vente, après déclaration de son activité auprès de cet organisme. Les candidats à la profession de commissaire-priseur judiciaire doivent ensuite subir un examen d’aptitude à la profession.

Nos concitoyens ne savent pas assez que les études des commissaires-priseurs leur sont grandes ouvertes et qu’une expertise est toujours gratuite, sauf si elle requiert un document engageant la responsabilité de l’expert.

Aujourd’hui tout se vend sur leboncoin.fr ; pourtant les salles des ventes offrent une vraie sécurité des transactions, un rapport qualité-prix intéressant et l’on y vend toutes sortes de biens qui ne coûtent pas forcément des milliers ou des millions d’euros. Par exemple, une commode du XIXsiècle coûte souvent moins cher en salle des ventes qu’un meuble acheté dans un grand hangar bleu et jaune. (Sourires.)

M. François Brottes, président de la commission spéciale. C’est la cour des miracles !

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 410 et 560, visant à supprimer l’article 16.

La parole est à M. Philippe Houillon, pour soutenir l’amendement n410.

M. Philippe Houillon. Cet amendement de suppression ayant trait aux mêmes problématiques que celles précédemment abordées, je ne développerai pas les mêmes arguments.

Cela dit, s’agissant de l’indemnisation, monsieur le ministre, vous disiez à l’instant que le texte prévoit une indemnisation en cas de préjudice « anormal ». Mais ce n’est pas ce que dit le texte. Permettez-moi de vous le lire : « Lorsque la création d’un office porte atteinte à la valeur patrimoniale d’un office antérieurement créé, le titulaire de ce dernier est indemnisé ». Une atteinte à la valeur patrimoniale, si faible soit-elle, est donc matière à indemnisation. Cela ne correspond pas du tout à la notion de préjudice anormal. Vous confondez avec une autre partie du texte relative à ce que vous appelez la liberté d’installation, où il est question de porter atteinte de manière anormale aux personnes déjà installées. Ce sont deux choses distinctes.

En ce qui concerne les commissaires-priseurs, je me rapporte à l’excellente démonstration de mon collègue Cinieri, en ajoutant tout de même que la profession de commissaire-priseur judiciaire a déjà été réformée, comme l’a été plus récemment la profession d’huissier. Elle a été elle aussi réformée il y a peu de temps, lorsque nous avons séparé l’activité de ventes volontaires et la fonction de commissaire-priseur judiciaire. Aujourd’hui vous remettez l’ouvrage sur le métier pour changer encore une fois l’organisation de cette profession.

Ce que j’ai dit tout à l’heure à propos des huissiers vaut pour les commissaires-priseurs judiciaires : les acteurs économiques ont besoin d’un minimum de stabilité. Or vous faites tout pour ne pas la leur assurer, donc cela revient à les désorganiser.

M. Jean-Frédéric Poisson. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Tian, pour soutenir l’amendement n560.

M. Dominique Tian. Nous proposons de supprimer cet article qui modifie les conditions d’installation des commissaires-priseurs judiciaires.

Comme vient de l’indiquer Philippe Houillon, cette profession a connu au cours de la dernière décennie de nombreuses modifications, notamment afin d’appliquer la directive Services de l’Union européenne.

Nous craignons que la libéralisation du secteur n’amène l’ouverture des études et des offices à des fonds capitalistiques. Cette libéralisation forcée que vous souhaitez conduire, monsieur le ministre, sur un modèle essentiellement anglo-saxon, n’est pas du goût des commissaires-priseurs, lesquels ont accepté beaucoup de modifications à l’exercice de leur profession.

Nous risquons d’assister à une concentration de capitaux, à une désertification en milieu rural et sans doute à une baisse très illusoire, voire à une hausse des tarifs. Nos concitoyens ne trouveront plus personne pour réaliser les ventes non rentables. Enfin, cette réforme aura incontestablement des répercussions très dures sur le plan de l’emploi, puisqu’elle va entraîner des licenciements et détruire des vocations.

Votre entreprise de démolition systématique des professions réglementées continue, alors même que, de l’avis général, elles fonctionnent plutôt bien. Nous avons noté les problèmes rencontrés par les notaires, les huissiers de justice. Voici venu le tour des commissaires-priseurs. Les professions réglementées, reconnues par les Français pour leur efficacité, sont systématiquement attaquées. Nous partageons les craintes de ces professionnels.

M. Jean-Frédéric Poisson. Parfait !

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Avis défavorable. Je partage l’avis exprimé par les députés de l’opposition sur la qualité d’expertise des commissaires-priseurs judiciaires. Il est important de le dire et de le savoir, et nous devrons en tenir compte lorsque nous engagerons une réflexion sur le rapprochement des professions d’huissier et de commissaire-priseur judiciaire.

Je ne peux qu’être défavorable à ces amendements dans la mesure où nous avons, hier, adopté l’article 13 bis.

(Les amendements identiques nos 410 et 560 ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. Je suis saisie de cinq amendements identiques, nos 166, 1549, 1596, 2502 et 3013.

La parole est à M. Dino Cinieri, pour soutenir l’amendement n166.

M. Dino Cinieri. Il est défendu.

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Cherpion, pour soutenir l’amendement n1549.

M. Gérard Cherpion. Il y a une forme de paradoxe dans cette affaire. Le nombre maximal de deux offices dans le ressort d’une même chambre a été fixé par une loi votée en 2007 en vue d’éviter la formation de déserts juridiques. Les résultats sont satisfaisants. Si le nombre d’offices n’est plus limité en nombre ni géographiquement, il en résultera des situations de positions dominantes auxquelles vous avez expliqué être hostile, monsieur le ministre, ce qui est d’ailleurs aussi en partie mon cas. Le dispositif de « binage » n’est pas envisagé pour les autres professions juridiques. Il faut, me semble-t-il, en rester là. C’est pourquoi je propose, par cet l’amendement, la suppression des alinéas 3 et 4.

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Menuel, pour soutenir l’amendement n1596.

M. Gérard Menuel. En complément des propos tenus par mon collègue Cherpion, je rappelle que le législateur a déjà évoqué ce sujet en 2007 afin d’éviter la formation de déserts juridiques. Le maintien des alinéas 3 et 4 aura pour conséquence, comme l’a dit notre collègue, des situations de positions excessivement dominantes, principalement dans les territoires les plus attractifs, ce qui ne facilitera ni l’installation des jeunes ni l’équilibre du service public de la justice.

Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique, pour soutenir l’amendement n2502.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Il s’agit d’un amendement similaire, car la préoccupation exposée est aussi la nôtre. Si le nombre d’offices dont un professionnel peut être titulaire n’est pas limité en nombre et géographiquement, il risque d’en résulter des situations de positions excessivement dominantes, principalement dans les territoires les plus attractifs, ce qui ne facilitera ni l’installation des jeunes ni l’équilibre du service public de la justice par un maillage territorial cohérent favorisant un égal accès au droit de tous les citoyens.

M. Philippe Houillon. La commission s’est rangée à notre avis, tant mieux !

Mme la présidente. La parole est à M. Gilles Lurton, pour soutenir l’amendement n3013.

M. Gilles Lurton. Un amendement identique vient d’être excellemment défendu par Mme la rapporteure. J’imagine qu’elle donnera au mien un avis défavorable et que M. le ministre la suivra. Si tel est le cas, je le retirerai.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Avis favorable car les amendements sont identiques à celui de la commission.

M. Dominique Baert. Ne boudons pas notre plaisir !

M. Richard Ferrand, rapporteur général. D’autant moins qu’il est rare ! (Sourires.)

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Favorable.

(Les amendements identiques nos 166, 1549, 1596, 2502 et 3013 sont adoptés.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique, pour soutenir l’amendement n2503.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Il s’agit d’un amendement de cohérence.

(L’amendement n2503, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Christophe Fromantin, pour soutenir l’amendement n2231.

M. Jean-Christophe Fromantin. Il est défendu.

(L’amendement n2231, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements, nos 2504 et 2505, qui peuvent faire l’objet d’une présentation groupée.

La parole est à Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique, pour les soutenir.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Ce sont des amendements de cohérence rédactionnelle.

(Les amendements nos 2504 et 2505, acceptés par le Gouvernement, sont successivement adoptés.)

Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements, nos 1194 rectifié, 168 et 3017, pouvant être soumis à une discussion commune.

Les amendements nos 168 et 3017 sont identiques.

La parole est à M. Philippe Houillon, pour soutenir l’amendement n1194 rectifié.

M. Philippe Houillon. Il est défendu.

Mme la présidente. La parole est à M. Dino Cinieri, pour soutenir l’amendement n168.

M. Dino Cinieri. Il est défendu.

Mme la présidente. La parole est à M. Gilles Lurton, pour soutenir l’amendement n3017.

M. Gilles Lurton. Il est défendu.

(L’amendement n1194 rectifié et les amendements identiques nos 168 et 3017, repoussés par la commission et le Gouvernement, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. Je suis saisie de quatre amendements identiques, nos 167, 1311, 1663 et 3016.

La parole est à M. Dino Cinieri, pour soutenir l’amendement n167.

M. Dino Cinieri. Le projet de loi autorise les commissaires-priseurs judiciaires à ouvrir des bureaux annexes sans limite numérique ni géographique et sans autorisation du parquet général de la cour d’appel concerné.

En libérant des contraintes et obligations liées à l’installation que sont les investissements humains et financiers et l’impossibilité de refuser des missions non lucratives, une telle possibilité ne servira qu’aux professionnels les plus opportunistes qui capteront l’activité lucrative sur l’ensemble du territoire ; ils feront aux professionnels installés une concurrence déloyale, mettront en péril le maillage territorial et décourageront l’installation des jeunes.

Il est d’ailleurs paradoxal de prévoir dans le projet de loi une installation facilitée, mais sous contrôle de la Chancellerie et de l’Autorité de la concurrence, en fonction de divers critères, dont l’augmentation du nombre de professionnels au bénéfice du justiciable et le maintien d’un maillage territorial cohérent, tout en mettant à bas ces principes par une telle mesure. Au demeurant, ce type de proposition n’est pas envisagé pour les autres officiers publics et ministériels. Il convient donc d’y renoncer. C’est pourquoi je demande la suppression des alinéas 17 à 19.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Houillon, pour soutenir l’amendement n1311.

M. Philippe Houillon. Il est défendu, pour les raisons que vient d’exposer M. Cinieri.

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Menuel, pour soutenir l’amendement n1663.

M. Gérard Menuel. Il est défendu, pour les mêmes raisons.

Mme la présidente. La parole est à M. Gilles Lurton, pour soutenir l’amendement n3016.

M. Gilles Lurton. Il est défendu.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. La commission demande le retrait des amendements. Nous souhaitons nous aussi en revenir à un régime d’autorisation au lieu d’un régime déclaratif – c’est l’objet de l’amendement n2506, que nous présenterons immédiatement après.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Emmanuel Macron, ministre. J’approuve la demande de retrait de Mme la rapporteure et émettrais à défaut un avis défavorable. Les amendements précédemment adoptés, qui limitent le nombre d’offices par professionnel, et l’amendement n2506 couvrent les risques redoutés.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Houillon.

M. Philippe Houillon. Mes collègues et moi-même retirons donc nos amendements, même si la solution proposée ne leur est pas tout à fait identique, contrairement à ce qui vient d’être affirmé.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Emmanuel Macron, ministre. Je n’ai pas dit qu’il s’agit de la même chose, mais la philosophie de vos amendements est satisfaite à la fois par ceux qui viennent d’être adoptés et par celui qui va vous être soumis. C’est pourquoi je vous invitais à retirer vos amendements.

M. Philippe Houillon. C’est chose faite !

(Les amendements identiques nos 167, 1311, 1663 et 3016 sont retirés.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique, pour soutenir l’amendement n2506.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Il a pour objet de supprimer les dispositions de l’article 16 du projet de loi substituant un régime déclaratif au régime d’autorisation prévalant actuellement en cas d’ouverture d’un bureau annexe par un commissaire-priseur judiciaire. Nous en revenons donc à la situation initiale du dispositif applicable aux commissaires-priseurs judiciaires.

(L’amendement n2506, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique, pour soutenir l’amendement n2507.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Il s’agit d’un amendement rédactionnel.

(L’amendement n2507, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique, pour soutenir l’amendement n2508.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Il s’agit d’un amendement de précision et de coordination.

(L’amendement n2508, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

(L’article 16, amendé, est adopté.)

Après l’article 16

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 169 et 3019, portant article additionnel après l’article 16.

La parole est à M. Dino Cinieri, pour soutenir l’amendement n169.

M. Dino Cinieri. Il s’agit de clarifier la rédaction du texte qui est ambigu car le terme « corporels » peut s’appliquer à la fois à « meubles » et à « effets mobiliers ».

Mme la présidente. La parole est à M. Gilles Lurton, pour soutenir l’amendement n3019.

M. Gilles Lurton. Il est défendu.

(Les amendements identiques nos 169 et 3019, repoussés par la commission et le Gouvernement, ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 170 et 3023.

La parole est à M. Dino Cinieri, pour soutenir l’amendement n170.

M. Dino Cinieri. Les ventes de gré à gré dans le cadre des procédures judiciaires telles que les ventes de biens de majeurs vulnérables, les ventes forcées ou les ventes après liquidation judiciaire sont le plus souvent effectuées sur la base de prisées réalisées par les commissaires-priseurs judiciaires. Il est anormal que ceux-ci ne réalisent pas aussi les cessions amiables qui sont le prolongement naturel de leurs missions, comme le prévoient les nouvelles dispositions de l’alinéa 2. Une telle possibilité ne leur sera accordée que sous main de justice, c’est-à-dire sous contrôle du juge. En aucun cas le commissaire-priseur judiciaire ne deviendra un commerçant.

Mme la présidente. La parole est à M. Gilles Lurton, pour soutenir l’amendement n3023.

M. Gilles Lurton. Il est défendu.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Ces amendements sont intéressants sur le fond, mais la répartition des compétences en matière de prisée, de vente aux enchères publiques et de vente de gré à gré nous semble relever de l’ordonnance portant création d’une profession de commissaire de justice en vue de laquelle le Gouvernement sollicite une habilitation à l’article 20. L’avis de la commission est donc défavorable.

(Les amendements identiques nos 170 et 3023, repoussés par le Gouvernement, ne sont pas adoptés.)

Article 16 bis

(L’article 16 bis est adopté.)

Article 17

Mme la présidente. La commission a supprimé l’article 17.

Article 17 bis

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 411 et 2236, visant à supprimer l’article 17 bis.

La parole est à M. Philippe Houillon, pour soutenir l’amendement n411.

M. Philippe Houillon. La commission spéciale a adopté un amendement visant à étendre la réforme aux avocats aux conseils, c’est-à-dire les avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Tout d’abord, si nous contestons la réalité de la concertation que vous affirmez avoir menée avec les autres professions – lesquelles la contestent aussi, monsieur le ministre –, nous tomberons probablement d’accord ici qu’il n’y en a eu strictement aucune avec les avocats aux conseils. Je ne vois pas pourquoi cette profession est particulièrement maltraitée par rapport aux autres et ne bénéficie d’aucune concertation. De plus, comme elle n’était pas initialement incluse dans le projet de loi, vous n’avez pas sollicité le Conseil d’État et n’avez donc pas reçu d’avis de sa part à son sujet.

Outre ces deux problèmes de forme qui me semblent substantiels, l’article pose un problème de fond. Comme je l’ai déjà dit lors des débats en commission spéciale, il se trouve que j’ai assisté à l’audience solennelle de rentrée de la Cour de cassation. Lors de son allocution, le Premier président de la Cour a indiqué que les hautes juridictions – la Cour de cassation dont il a la charge, mais également le Conseil d’État – ont pour objectif de réduire le nombre de saisines. Par conséquent, la matière qu’elles traiteront au cours des années à venir ira se réduisant. Pour le dire plus trivialement, il y aura moins de travail. Ce n’est donc pas le moment d’étendre le nombre de professionnels.

Par ailleurs, je veux bien que nous soyons tous ici beaucoup plus malins que tout le monde – si j’en crois les réponses des représentants de la majorité –, mais enfin, les déclarations sur le maintien de la spécialisation d’un barreau près les hautes juridictions sont unanimes, qu’il s’agisse de celles de M. Jean-Claude Marin, procureur général près la Cour de cassation, de celles du Premier président de cette même juridiction, ou encore de celles du vice-président du Conseil d’État, dont nous avons eu des échos identiques.

C’est une profession extrêmement spécialisée. Comme je l’ai dit, il n’y a eu ni concertation sur ce sujet, ni avis du Conseil d’État, ni étude d’impact.

M. Marc Le Fur. Comme d’habitude !

M. Philippe Houillon. Certes, mais, en l’occurrence, je n’en fais pas grief au Gouvernement, puisqu’il n’avait pas inclus cette profession dans son projet : il était donc normal que tous les éléments que je viens de mentionner n’y figurent pas.

Tout le monde s’accorde à dire qu’il faut un barreau spécialisé. Il n’est donc pas question, à mon sens, d’ouvrir cette profession de manière anarchique, comme le propose le texte amendé en commission.

Par ailleurs, dans ce domaine comme dans d’autres que nous venons d’évoquer, une réforme a été engagée récemment. Vous le savez, il y a soixante offices, mais un texte récent – dont je n’ai pas la référence précise – vient de permettre de porter le nombre de ces professionnels, actuellement de l’ordre de 110, à 240, ce qui veut dire qu’il ferait plus que doubler. Une nouvelle réforme n’est donc vraiment pas nécessaire. Vous stigmatisez inutilement les avocats aux conseils, profitant de l’occasion qui vous était offerte pour traiter également de cette profession.

Cette mesure, je le répète, ne répond à aucune nécessité, tout le monde s’accorde à le dire. Aussi, monsieur le ministre, écoutez ces grands professionnels que sont les chefs des plus hautes juridictions de France et qui viennent de dire, de manière unanime, que le relèvement du plafond des effectifs, décidé récemment, est largement suffisant.

Il est un deuxième point que je veux soulever ; je l’avais d’ailleurs abordé devant la commission spéciale lors de l’examen du II de l’article 17 bis, qui a trait, entre autres, à l’indemnisation.

Monsieur le rapporteur général, madame la rapporteure thématique, comme vous allez très vite en besogne, vous avez dupliqué le système d’indemnisation applicable aux autres professions, ce qui est totalement inepte. En effet, monsieur le ministre, vous avez dit que, dans ce texte, on allait procéder de la même manière qu’avec les huissiers et les notaires. C’est une ineptie totale, car une seule zone géographique est concernée – Paris – et deux juridictions sont en présence : la Cour de cassation et le Conseil d’État. Il n’y a donc pas de maillage territorial. Si l’on considère que l’installation d’un professionnel cause un préjudice, tout le monde – l’ensemble des autres études – en est victime. Vous ne pouvez pas déterminer quel professionnel en particulier va subir le préjudice ; tous vont le subir en même temps du fait d’une seule et même installation.

M. Dino Cinieri. Eh oui !

M. Philippe Houillon. Je me permets de faire appel à votre mémoire : lorsque j’ai développé cet argument plus longuement et plus techniquement en commission spéciale, beaucoup de nos collègues de la majorité ont reconnu que j’avais raison, non pas pour me faire plaisir, mais parce que tel est le cas.

M. Richard Ferrand, rapporteur général et Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Vous avez toujours raison !

M. Philippe Houillon. Je ne dis pas que j’ai toujours raison mais, simplement, que, sur cette question, j’ai exprimé un argument de bon sens. On ne peut pas dupliquer le système d’indemnisation, on ne peut pas, sur un lieu unique, comprenant une unité de professionnels, mettre en œuvre un dispositif conçu en fonction d’un maillage territorial, d’une multiplicité de professionnels et d’une multitude de créations d’offices, qui ne toucheront que les professionnels locaux. Le système d’indemnisation n’est donc pas pertinent.

Je ne sais pas ce que dira le Gouvernement sur cette disposition dont il n’est pas à l’origine, mais si, par hasard, vous deviez aller plus loin, il conviendrait de la réécrire complètement, car elle ne tient absolument pas compte de la réalité et, par ailleurs, d’un point de vue technique, elle n’est pas applicable, notamment s’agissant de l’indemnisation.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Christophe Fromantin, pour soutenir l’amendement n2236.

M. Jean-Christophe Fromantin. Il est défendu.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Je vais me référer à notre bible, à savoir le rapport de la mission d’information sur les professions juridiques réglementées, auquel nous faisons référence régulièrement.

M. Philippe Houillon. Sur ce sujet, ce n’était pas une proposition commune !

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Dans le cadre de cette mission, nous avions procédé à une concertation équivalente s’agissant des avocats aux conseils et des autres catégories d’avocats ; pour ma part, je n’établirai pas de différences entre eux. Nous avions reçu M. Gilles Thouvenin, alors président de l’Ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation, Mme Hélène Farge, alors présidente désignée et désormais présidente en exercice de cette dernière instance – nous l’avons d’ailleurs reçue à nouveau le 7 janvier –, Mme Claire Vexliard, avocate aux conseils, les professionnels et les salariés des offices d’avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation, ainsi que M. Sauvé et M. Stirn.

M. Philippe Houillon. Étaient-ils tous d’accord ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. On ne peut donc pas dire qu’il n’y a pas eu de concertation sur cette question. Nous nous sommes longuement penchés sur ce sujet, car des questions se posent à l’égard de cette profession de la même façon qu’elles se posent envers les notaires. Il n’y a pas de raison d’ignorer les uns et de s’intéresser au sort des autres – notaires et huissiers.

Les avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation, qui sont au nombre de 110, sont officiers ministériels, ce qui signifie qu’ils détiennent des charges et un droit de présentation : ils peuvent vendre leur clientèle et l’on ne peut s’installer qu’en achetant cette dernière. Il faut rappeler que c’est une survivance de la Restauration : l’ordonnance de 1817 est toujours en vigueur.

Ces avocats ont cette particularité de cumuler les statuts d’officier ministériel et d’avocat. S’ils détiennent un monopole, ils ne se voient pas appliquer de tarifs définis, contrairement aux professions réglementées disposant d’un monopole. Par ailleurs, ils ont désormais la possibilité, quittant ainsi leur monopole, de plaider devant les juridictions administratives autres que le Conseil d’État – tribunal administratif et cour administrative d’appel.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Exactement !

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Ils sont avocats, disposent d’une liberté tarifaire, ne subissent pas de concurrence – puisqu’ils sont en situation de monopole – et viennent à présent sur les terres des autres avocats qui, eux, affrontent la concurrence. Je pense donc que ce nouveau dispositif mérite d’être proposé. Il ne faut pas y voir la moindre volonté de stigmatiser cette profession. J’ai conscience qu’en posant cette question, on se trouve dans la situation du pot de terre contre le pot de fer, mais cela ne me gêne pas.

Je voudrais dire aussi qu’il ne s’agit pas de remettre en question la qualité et la compétence de ces avocats aux conseils. De fait, ils ont une connaissance des procédures complexes – on peut d’ailleurs s’interroger sur l’origine de cette complexité – qui prévalent devant le Conseil d’État et la Cour de cassation. Cette spécialisation est donc utile pour permettre une bonne administration de la justice, et il est à mon sens important de conserver un barreau spécialisé détenant cette compétence auprès des juridictions suprêmes. Cette qualification particulière justifie, me semble-t-il, la spécialisation du barreau auquel ils appartiennent.

On a dénoncé les dérives malthusianistes des officiers publics ministériels. Or, s’agissant des avocats aux conseils, qui sont également officiers ministériels, il existait soixante charges en 1817 et pas une de plus à la fin du XXsiècle, alors que le nombre de pourvois a atteint 40 000. Autrement dit, face à l’explosion du nombre d’actes, on a toujours quasiment le même nombre d’avocats au Conseil d’État ou à la Cour de cassation. Comment font-ils pour traiter autant d’actes ? Grâce à un dispositif extrêmement intéressant, un travail collaboratif, qui consiste à faire appel à des petites mains – des universitaires ou des avocats à la cour – qui apportent leur technicité sur des dossiers extrêmement complexes.

M. Pascal Cherki. Tout à fait !

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Certains cabinets sont ainsi constitués de deux avocats aux conseils associés et d’une vingtaine de collaborateurs, que l’on pourrait qualifier de « tâcherons », qui rédigent des mémoires techniques de très haut niveau développant les moyens de pourvois caractérisés par des procédures extrêmement complexes. À mon sens – cet avis a été partagé par l’ensemble de la commission et par le rapporteur général –, cet état de fait rend nécessaire une évolution. Il ne me paraît pas nécessaire d’attendre et de constater les dérives du malthusianisme, qui se traduit inexorablement par un renchérissement des charges – qui constitue un phénomène très préoccupant – et, en raison de la perpétuation de cet entre-soi, une fermeture à la jeunesse.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Très bien !

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Nous proposons donc, comme nous l’avons fait pour d’autres praticiens – qui sont, pour leur part, officiers publics ministériels – une libéralisation contrôlée. Il n’y a pas de raisons, en effet, d’établir de différences entre professions. De la même façon que, dans le domaine du notariat, une création d’office ou une association pourra apparaîtra opportune, l’Autorité de la concurrence pourra constater, au regard, non pas de la carte, mais du dynamisme de ces professions, de leur chiffre d’affaires et du nombre d’actes, qu’une création d’office se révèle nécessaire pour permettre une saine concurrence et, peut-être, une baisse des tarifs.

M. Jean-Frédéric Poisson. Peut-être ! On n’en sait rien !

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Je vous rappelle que les avocats aux conseils ne sont pas soumis à des tarifs réglementés.

Ce dispositif me paraît tout à fait intéressant et novateur. Il concerne un monde auquel, traditionnellement, on ne touche pas. On a bien vu que l’Inspection générale des finances n’avait pas évoqué cette question,…

M. Pascal Cherki. Et pour cause !

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. ...mais les parlementaires que nous sommes ont considéré qu’il était important, alors que l’on s’intéresse aux avocats, à la postulation des avocats en entreprise, de se poser aussi la question des avocats aux conseils.

Telles sont les raisons pour lesquelles j’émettrai un avis défavorable aux amendements de suppression. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. François Brottes, président de la commission spéciale. Courageuse, la rapporteure !

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Même avis.

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Cherki.

M. Pascal Cherki. Je voudrais apporter mon soutien – avec, toutefois, quelques nuances – aux propos de notre rapporteure thématique, en indiquant pourquoi il ne faut pas revenir sur ce petit pas en avant.

La profession d’avocat aux conseils concerne un nombre très restreint de personnes – il s’agit d’un oligopole – disposant de revenus conséquents – 700 000 euros annuels, en moyenne, contre 39 000 euros, en moyenne, pour un avocat. Les notaires, qui gagnent beaucoup moins que les avocats aux conseils, ont fait l’objet, de la part du Gouvernement, d’une attention beaucoup plus soutenue que ces derniers, qui entretiennent une telle proximité avec un certain nombre de conseillers d’État ou d’énarques – je ne m’étonne pas que l’Inspection générale des finances ait jeté un voile pudique sur ce qui constituait l’une des rares conclusions intéressantes du rapport Attali – qu’ils ont réussi à échapper, dans un premier temps, au tir nourri qu’aurait dû entraîner cette réforme. Je vois que cette situation n’a pas échappé à la sagacité des rapporteurs et de la commission spéciale, et je m’en réjouis.

Cela dit, madame la rapporteure thématique, j’apporterai quelques nuances à vos propos. La libéralisation contrôlée que vous proposez revient à ne pas toucher à la spécificité du statut des avocats aux conseils, tout en permettant d’accroître leur nombre.

Vous avancez deux arguments pour justifier cette mesure. Premier argument : ces avocats ont une connaissance technique très particulière. De quoi ? De la procédure devant la Cour de cassation et le Conseil d’État. Mais cela s’apprend dans toutes les facultés de droit. Ainsi, la technicité de la procédure devant la cour d’appel justifiait le monopole des avoués. Leur concours était d’ailleurs très utile dans les mises en état. Cela n’a pas empêché que cette profession disparaisse en tant que telle et soit fusionnée avec la profession d’avocat. De ce point de vue, votre argument est tout à fait réversible et l’on pourrait très bien considérer que le critère de la connaissance et de la technicité de la procédure n’est pas suffisant pour justifier le maintien de cet oligopole.

Vous expliquez aussi que ce sont des officiers publics ministériels. Mais il y a une vraie différence avec les notaires. Les notaires collectent en partie l’impôt, ce qui n’est pas le cas des avocats à la Cour ou au Conseil. Les notaires dressent des actes authentiques, monopole qui est d’ailleurs l’une des spécificités du notariat, mais pas les avocats à la Cour ou au Conseil. Les mémoires sont des constructions intellectuelles intéressantes, peuvent contribuer à amener la Cour à suivre les conclusions des avocats à la Cour ou au Conseil, mais ils n’ont pas valeur d’acte authentique.

Enfin, les tarifs ne sont pas réglementés.

Tout ce qui plaide pour la spécificité du maintien de la profession de notaire ne milite pas pour celle d’avocat à la Cour ou au Conseil.

J’avais proposé, et je regrette que mon amendement n’ait pas été accepté, que l’on libéralise beaucoup plus largement et qu’à partir du moment où les avocats à la Cour et au Conseil sont sortis de leur lit naturel pour aller braconner sur les terres des 60 000 avocats, en allant même plaider devant l’ensemble des juridictions administratives, on permette aux avocats de le faire.

Si vous voulez une condition de technicité, créons une spécialisation haute juridiction pour que les 60 000 avocats ne se mettent pas à plaider mais que celles et ceux qui le souhaitent puissent le faire, comme il existe, par exemple, des spécialisations en propriété industrielle : n’importe quel avocat ne va pas se mettre à travailler sur le droit des brevets, qui est assez spécifique.

Ma proposition n’a pas été retenue.

Fondamentalement, quelle est la raison pour laquelle on n’ouvre pas l’accès à la profession d’avocat au Conseil ou à la Cour à l’ensemble des avocats ? C’est le risque de l’indemnisation. Il faut le dire. Si nous, assemblée républicaine, ne cassons pas un monopole public qui date de 1814, des temps peu glorieux de la Restauration, et conservons les vestiges de la monarchie les moins égalitaires qui soient, c’est pour des basses raisons de finances publiques. Si nous cassions un tel oligopole, il faudrait à un moment donné indemniser ces personnes qui ont acheté fort cher leur charge et qui ne manqueraient pas de faire valoir leur position soit devant le Conseil constitutionnel, soit devant la Cour de cassation, soit devant le Conseil d’État.

Franchement, je regrette que l’on n’ait pas le même élan pour les avocats à la Cour ou au Conseil que celui qu’on a pu avoir s’agissant des notaires. Mais cela dit, mieux vaut un petit quelque chose que rien du tout. Mon amendement représentait une avancée substantielle mais, à défaut de grives, on se contentera de merles et je soutiendrai les propositions des rapporteurs, qui ont tout de même le mérite d’ouvrir pour la première fois une brèche dans ce qui est l’un des sanctuaires pas toujours très glorieux de notre système judiciaire, non pour la qualité intellectuelle des productions mais pour son fonctionnement.

Il m’est arrivé d’être d’accord avec vous, mes chers collègues, mais, là, supprimer de telles dispositions, ce serait vraiment une mauvaise cause. Créons les conditions pour faire un petit pas en avant.

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Dolez.

M. Marc Dolez. L’enjeu, ce n’est pas la remise en cause ou la défense d’intérêts corporatistes. L’enjeu, et il est important, c’est la qualité du service public de la justice au niveau des cours suprêmes, avec un accès égal et effectif pour tous les justiciables souffrant d’un jugement qui ne serait pas conforme à la règle de droit.

Tous ceux que nous avons auditionnés ont souligné la qualité de ce service, et bien des organisations syndicales et bien des associations de défense des droits de l’étranger pourraient en témoigner.

Est-ce à dire qu’il ne faut pas d’évolution ? Bien sûr que non, mais la rédaction de l’article 17 bis me rend perplexe sur au moins deux points.

Le premier point, c’est la méthode, qui consiste en quelque sorte à plaquer le système retenu pour les notaires, alors que les avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation n’ont ni tarifs ni secteur réservé mais ont une compétence nationale.

Le second point, plus fondamental encore, qui ne vous étonnera pas parce que je l’ai développé lors de l’examen des articles précédents, c’est le rôle majeur qui est confié à l’Autorité de la concurrence.

Plusieurs députés du groupe UMP. Eh oui !

M. Marc Le Fur. C’est un contresens !

M. Marc Dolez. De quelles compétences dispose l’Autorité de la concurrence pour apprécier l’évolution du contentieux, les besoins des justiciables et des juridictions, l’aptitude, l’honorabilité, l’expérience et l’assurance permettant d’accéder à cette profession ? C’est là, je crois, que le bât blesse le plus.

Qu’une évolution, une réforme soit nécessaire, pourquoi pas, mais après des concertations car, si la profession a été auditionnée, il n’y a pas eu de concertation sur le dispositif proposé, et il faudrait qu’elle soit conduite par la garde des sceaux, parce que c’est bien évidemment sous son égide que cela devrait se faire.

Et puis, vous avez fait des propositions dans le rapport de la mission, madame la rapporteure, et le décret du 5 juin 2013 permet d’ores et déjà de doubler le nombre d’avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Il n’est pas doublé !

M. Marc Dolez. La possibilité existe.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Le système ne le permet pas !

M. Marc Dolez. Vous n’y faites pas référence à l’article 17 bis, et vous faites intervenir l’Autorité de la concurrence. Pour ce qui nous concerne, nous contestons, dans tous les articles de ce projet de loi, le rôle que vous voulez faire jouer à celle-ci.

Bref, c’est un débat important, nous ne sommes pas opposés à une évolution et à une réforme, mais nous ne voulons pas de celle-ci, parce que nous ne voulons pas qu’elle soit placée sous l’égide de l’Autorité de la concurrence.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson.

M. Jean-Frédéric Poisson. Comme cela arrive parfois, monsieur Dolez, mon argumentation sur l’Autorité de la concurrence rejoint parfaitement la vôtre, et nous avons d’ailleurs adopté des arguments identiques depuis le début de la discussion de ce texte. Nous ne voyons pas à quel titre une autorité de cette nature aurait quoi que ce soit à dire sur un sujet pareil en la circonstance, et nous récusons donc, comme d’habitude, une telle perspective.

Je suis étonné par le chiffre qu’a donné Pascal Cherki tout à l’heure, 700 000 euros en moyenne, parce que, si je me souviens bien, il a été récusé par la profession elle-même.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Bien sûr que si. C’est même plus !

M. Jean-Frédéric Poisson. En moyenne ? Quand on est dans cet hémicycle, madame la rapporteure, il faut faire attention.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Il n’y a pas que vous qui fassiez attention ! Je parle de la charge.

M. Jean-Frédéric Poisson. M. Cherki a comparé, le compte rendu fera foi, le revenu moyen d’un avocat, 39 000 euros par an, à celui d’un avocat à la Cour. Faisons attention aux chiffres que nous manipulons parce que tout cela me paraît assez éloigné de la réalité.

À moins que vous n’ayez l’intention de laisser passer cet article à l’Assemblée pour mieux le laisser torpiller au Sénat, monsieur le ministre, ce qu’on peut toujours imaginer, pourriez-vous nous expliquer les raisons pour lesquelles vous soutenez la position de Mme la rapporteure sur ce point ?

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Je me félicite d’abord du débat que nous avons ici, peut-être parce que nous nous élevons à chaque fois qu’il est question de la Cour de cassation et du Conseil d’État.

C’est peut-être parce que c’est trop élevé que, depuis 150 ans, personne n’a osé faire un tout petit pas dans ce domaine. Nous posons des questions avec parcimonie, nous prenons des précautions avec tous ceux que nous auditionnons, le procureur général, le président de la Cour de cassation, le vice-président du Conseil d’État, ces gens que nous côtoyons, avec qui nous avons un grand plaisir à travailler, à construire la loi, parce que c’est l’objet quotidien du travail de la commission des lois. Bref, cela nous élève tous, et je m’en réjouis.

Je voudrais vous remercier, madame Untermaier, parce que je ne suis pas sûr que j’aurais eu le courage d’aborder le problème au moment où nous évoquions ces questions au cours de la mission. C’est vous qui l’avez abordé la première, et il fallait sans nul doute que ce soit quelqu’un qui ne soit pas du sérail. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Très sincèrement, vous avez fait preuve d’un courage extraordinaire, sur un sujet qui paraissait inaccessible à un grand nombre d’entre nous, intellectuellement, professionnellement, dans toute l’histoire qui a été la nôtre. J’ai trouvé qu’il fallait accompagner cette démarche. Par le seul fait d’avoir engagé le débat, et quel que soit le sort qui sera réservé à ce dispositif au Sénat, parce que j’espère qu’ici, nous allons l’adopter, nous aurons franchi une étape qu’il fallait franchir.

Par ailleurs, je ne voudrais pas que nous nous laissions enfermer par une illusion, Philippe Houillon l’a dit avec la compétence qui est la sienne, en relevant les propos du procureur général et du vice-président du Conseil d’État, qui caressent l’espoir de réduire le nombre de saisines de la Cour de cassation et du Conseil d’État, en comparant notamment avec la situation des hautes juridictions d’un certain nombre de pays. Aux États-Unis, il y a la Cour suprême, en Allemagne, la Cour de Karlsruhe. Mais ce n’est pas la même chose. On compare ce qui n’est pas comparable. La seule chose que l’on constate, c’est qu’il n’y a jamais eu autant de saisines du Conseil d’État et du Conseil constitutionnel, et ce ne sont pas les QPC qui ont réduit l’ampleur de la tâche.

Personnellement, cela ne me choque pas. Pourquoi faut-il s’offusquer que, au-delà du processus de saisine constitutionnelle dans le cadre des QPC que nous avons adopté, nos concitoyens viennent chercher la régulation qu’assurent les deux très hautes juridictions dans les domaines du droit, qu’il soit judiciaire ou administratif ? Pourquoi faudrait-il vouloir à tout prix réduire cette possibilité ?

Que l’on aménage les choses, que l’on fasse en sorte qu’il ne faille pas attendre trente ou trente-deux mois avant d’avoir une décision de la Cour de cassation, ça, c’est intéressant pour les justiciables…

M. Pascal Cherki. Tout à fait !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. …et c’est cela qu’il faut faire. Il faut regarder les coûts, car le problème se pose, et il ne peut pas ne pas être considéré comme inacceptable. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Je ne critique pas les avocats au Conseil, parce que c’est la situation qu’ils ont trouvée, mais il y a un vrai problème et il faut l’aborder en examinant la façon dont fonctionne cette profession. Puisque l’on s’est intéressé à tout le monde, dont des gens aussi honorables que les huissiers ou les notaires, il n’y a pas de raison que nous ne nous posions pas la question.

De plus, on est obligé de constater que l’essentiel ne fonctionne pas : la justice et l’accès à la justice pour nos concitoyens. Il faut donc aborder la question.

La solution qui est proposée, c’est de les placer dans la même situation. Je regrette de le dire mais, le jour où l’on a accepté que les avocats au Conseil viennent devant les juridictions administratives, tribunal et cour d’appel, on a créé un problème que tous les avocats de France évoquent aujourd’hui. Il y a une compétence nationale. Quand les avocats au Conseil viennent devant un tribunal administratif ou une cour d’appel, cela a un certain poids, y compris pour les juges, parce que l’instrumentum des avocats au Conseil n’est bien entendu pas celui dont on a l’habitude au niveau des juridictions administratives, surtout quand le justiciable se présente tout seul.

Je suis très heureux et, encore une fois, merci, madame Untermaier, d’avoir fait ce pas. Je suis de ceux qui considèrent qu’il faut voter ce dispositif. Il est imparfait, on le sait, il y aura le travail parlementaire. Jusqu’où ira-t-on ? Je n’en sais rien mais, demain matin, quoi qu’il arrive, on aura enfin pris acte du fait qu’on ne peut pas rester dans cette situation.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Caullet.

M. Jean-Yves Caullet. Si je suis moi aussi loin du sérail. Il me semble que nous devons à ces grands professionnels du droit de les considérer avec le même respect et avec la même exemplarité que l’ensemble des professions réglementées. On ne peut pas oublier qu’ils ont une double position, puisqu’ils sont ont une charge ministérielle tout en étant avocats. Leurs honoraires ne sont soumis à aucune tarification, ce qui est curieux pour une charge. Ils sont avocats devant les plus hautes juridictions, mais capables de défendre une cause partout en France, dans toutes les juridictions, ce qui leur donne une notoriété qu’a très bien soulignée Jean-Yves Le Bouillonnec.

Sans être spécialiste, je dis que dans l’ordre judiciaire, vaste pyramide que nous respectons de haut en bas, il est logique que nous ayons la même rigueur et le même scrupule pour traiter l’ensemble des professions. Mettre de côté le sommet de la pyramide, ce serait faire preuve d’une forme de petite lâcheté intellectuelle, ce dont l’initiative de Cécile Untermaier nous a heureusement délivrés.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur général.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Il me semble que nous pouvons nous réjouir qu’à l’occasion de cette rénovation de l’ensemble des professions réglementées, nous n’ayons pas oublié d’aborder la situation d’un corps de métier qui est resté inchangé depuis la Restauration. Cécile Untermaier l’a dit avec beaucoup de modestie, de justesse et de pertinence, nous venons corriger ce qu’un grand nombre de nos prédécesseurs n’ont pas osé faire, parce que, au fond, c’est un sanctuaire,…

M. Dominique Tian. Ce sera un cimetière !

M. Richard Ferrand, rapporteur général. …un domaine réservé, où il convient, dans l’entre-soi, de ne pas trop aller. Moyennant quoi, on est dans une situation de monopole et de tarifs libres.

M. Jean-Frédéric Poisson. D’oligopole !

M. Richard Ferrand, rapporteur général. D’oligopole. Si vous préférez ce terme, monsieur Poisson, je veux bien le reprendre. M. Cherki a également très bien décrit cette situation.

Monsieur Dolez, je voudrais vous dire, en toute amitié, que je sursaute assez vite intérieurement quand j’entends travestir à ce point la notion de service public pour justifier qu’il ne soit jamais porté atteinte à un oligopole.

M. Marc Dolez. Ce n’est pas du tout ce que j’ai dit !

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Nous ne parlons pas ici du sort des cheminots, ni de celui de toutes celles et tous ceux qui portent le service public. Nous parlons d’une situation monopolistique à honoraires libres, qui de surcroît limite l’accès d’autres personnes à cette profession, et ce depuis 1817. On peut comprendre que certaines choses soient sacrées et doivent être maintenues dans la durée ; mais là, quand même, il me semble bien excessif de recourir à l’attachement que nous avons pour le service public afin de justifier que l’on ne touche ni au statut des avocats à la Cour de cassation, ni à celui des avocats auprès du Conseil d’État.

Mme Marie-George Buffet. Ce n’est pas du tout ce que Marc Dolez a dit ! Il a parlé d’une nécessaire évolution ! C’est tout de même scandaleux de travestir ainsi ses propos !

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Cela me paraît un tantinet étrange, mais enfin, après tout, l’étrangeté fait partie de ce monde…

La commission a soutenu cette démarche parlementaire, car nous avons souhaité ajouter une telle disposition au projet gouvernemental. Je vous invite sur tous les bancs à voter ce progrès qui représente une vraie rupture par rapport à un îlot de privilèges qui duraient depuis plus de 200 ans.

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Dolez.

M. Marc Dolez. Monsieur le rapporteur général, vous ne pouvez pas travestir mes propos !

M. Richard Ferrand, rapporteur général. J’y suis fidèle !

M. Marc Dolez. Absolument pas ! Le compte rendu en fera état ! Vous arrêtez tout de suite, hein, monsieur le rapporteur. Ça ne va pas aller, je vous le dis !

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Je dis ce que je veux !

M. Marc Dolez. Non, non, vous dites ce que vous voulez mais vous n’avez pas à travestir mes propos ! J’ai dit que l’enjeu de la discussion, ce n’était pas tel ou tel avantage, ni de maintenir telle ou telle situation, mais que c’était le service public de la justice…

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Cela revient au même à la fin !

M. Marc Dolez. …et que j’étais évidemment ouvert, avec mon groupe, à une évolution et à une réforme. Mais nous ne sommes pas ouverts à cette réforme-là, parce que vous la placez sous la coupe de l’Autorité de la concurrence.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Et alors ?

M. Marc Dolez. C’est cela que j’ai dit ! Ni plus, ni moins !

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Emmanuel Macron, ministre. Plusieurs arguments ont été apportés au débat par la rapporteure thématique et par plusieurs parlementaires, et je ne reviendrai pas sur le fond. Je ne vais pas répondre de nouveau aux arguments sur l’Autorité de la concurrence, parce que je crois, et ce sans travestir vos propos, monsieur le député Dolez, que nous ne plaçons pas notre réforme sous la mainmise de l’Autorité de la concurrence.

M. Marc Dolez. Mais il suffit de lire le texte !

M. Emmanuel Macron, ministre. Il suffit en effet de lire le texte pour comprendre qu’il ne s’agit pas d’une mainmise, ou alors vous avez une vision extensive de ce terme. Nous devons tous faire preuve de plus de modération sur ce sujet. Vos rapporteurs ont proposé une méthodologie qui reprend ce qui a été proposé par ailleurs.

M. Philippe Houillon. Le mécanisme de l’indemnisation ne marche pas !

M. Emmanuel Macron, ministre. Cela ne signifie pas qu’il y a, comme vous l’avez bien noté, monsieur Houillon, une cartographie ou quelque mécanisme que ce soit. Ce n’est pas le sujet, comme vous l’avez bien noté vous-même.

S’agissant de l’indemnisation, il est prévu que l’ouverture soit progressive. Aucun monopole n’est cassé. Certes, il existe un monopole d’accès à la Cour de cassation et/ou au Conseil d’État, mais il n’est pas remis en cause comme il a été proposé hier soir. C’était une vision plus substantielle, plus tectonique, en quelque sorte,…

M. Pascal Cherki. Plus courageuse !

M. Emmanuel Macron, ministre. …qui avait été défendue hier par M. Cherki. Elle était assumée. Elle pouvait conduire à des risques d’indemnisation dont nous avons discuté et elle n’a pas été retenue. Ici, ce qui est proposé, c’est d’ouvrir l’accès de manière progressive, sans revenir sur le monopole. Vous savez comme moi que, précisément, ce caractère de progressivité est de nature à éviter qu’il y ait un risque d’indemnisation du fait de la loi. C’est pour cela que cette disposition a été inscrite, et d’ailleurs que nous l’avons retenue dans le cas des autres professions.

Ensuite, on a prévu… Je dis « on », mais il s’agit de vos rapporteurs. Vos rapporteurs ont prévu, puis la commission spéciale a adopté la possibilité qu’il y ait en effet des indemnisations entre professionnels lorsque la valeur patrimoniale est atteinte.

M. Philippe Houillon. Mais ce n’est pas possible !

M. Emmanuel Macron, ministre. Vous savez bien que c’est un distinguo qui est très différent. C’est celui que nous évoquions tout à l’heure et qui existe dans certaines professions. Cela n’a absolument pas la même base.

M. Philippe Houillon. Vous défendez n’importe quoi !

M. Emmanuel Macron, ministre. Le cas se pose au bout de x années, si un professionnel est en situation de montrer qu’il y a eu une perte de la valeur patrimoniale. Il n’y a rien ici de comparable avec ce qui a été fait, par exemple, dans la réforme du statut des avoués, qui a été citée. En effet, il faudrait que, au bout de x années, un professionnel puisse caractériser une perte de valeur patrimoniale. À ce moment-là, il pourrait se retourner vers son jeune confrère qui s’est installé sans racheter la charge, pour se faire indemniser. Au pire, cela reviendrait donc à compenser une perte de valeur patrimoniale dont le majorant, on le voit bien, serait l’achat de la charge initiale à laquelle il aurait dû procéder.

C’est exactement la même mécanique d’indemnisation que celle dont nous avons discuté pour d’autres professions. Il me semble que l’ouverture proposée ici est mesurée et qu’elle ne fait pas, et nous nous en sommes assurés, courir de risque à l’État en termes d’indemnisation. Si c’est cela que vous vouliez m’entendre dire, monsieur Houillon, je vous le dis. Une fois que l’on a tenu ce raisonnement avec certitude, à titre personnel, je tiens à souligner le courage de vos rapporteurs, en particulier celui de la députée Untermaier. Nous n’avions pas eu son audace et c’est avec une certaine jalousie que je reconnais bien volontiers qu’elle l’a eue à notre place.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Bravo !

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Houillon.

M. Philippe Houillon. Monsieur le ministre, je veux bien que vous cautionniez tout cela, mais ce qui me déçoit, c’est votre raisonnement. Vous savez bien qu’il est inexact. Vous savez bien que ce n’est pas applicable. Et vous savez bien que l’une de ces juridictions, saisie le cas échéant d’un recours, donnera tort à ce système.

M. Richard Ferrand, rapporteur général et Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Mais ils sont entre eux !

M. Philippe Houillon. C’est ce qui va se passer ! Évidemment qu’ils vont vous donner tort ! Lisons le texte : « Lorsque la création d’un office porte atteinte à la valeur patrimoniale d’un office antérieurement créé, le titulaire de ce dernier est indemnisé, à sa demande, par le titulaire du nouvel office dont la création a causé ce préjudice. » Vous avez à Paris un compactage de soixante offices et de cent dix professionnels. Un office supplémentaire s’installe. Lequel des autres va demander la réparation d’un préjudice ?

M. Jean-Frédéric Poisson. Tous !

M. Philippe Houillon. Tous, évidemment !

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Celui qui le subit !

M. Philippe Houillon. Mais qui va le subir ? Qui va pouvoir dire qu’il subit plus qu’un autre un préjudice ? À partir du moment où il existe un volume global pour un nombre de professionnels global et où un ou plusieurs tiers vont s’insérer dans le dispositif, ils feront subir un préjudice à tous, c’est bien évident. Le système que vous avez inventé pour les autres professions, système avec lequel nous ne sommes pas d’accord, ne peut pas s’appliquer ici.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Mais si !

M. Philippe Houillon. Vous verrez !

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. C’est du conservatisme !

M. Philippe Houillon. Cela n’a rien à voir ! Je ne comprends pas comment vous pouvez raisonnablement soutenir ce type de raisonnement, car ce n’est absolument pas la même chose. Vous le verrez plus tard, puisque les juridictions, ou l’une d’entre elles, ou le Conseil constitutionnel seront amenées à se prononcer sur ce point. Nous en reparlerons lorsque les décisions en question seront rendues.

Mais comme le disait mon collègue Poisson, je pense en réalité, monsieur le ministre, parce que vous nous avez habitués à un peu plus de précisions et à des raisonnements un peu plus élaborés, qu’en vérité vous n’êtes pas d’accord avec cet article, mais que pour des raisons de bonne politesse à l’égard des rapporteurs de votre majorité, vous ne pouvez guère faire autrement que de laisser passer un texte dont vous savez qu’il n’est pas pertinent sur le plan technique. Le Sénat en aura raison, et cela se passera de manière plus feutrée. Je pense que c’est cela, la vérité vraie.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. C’est inadmissible !

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur général.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Monsieur Houillon, avec tout le respect que nous nous devons les uns aux autres, je trouve que l’expression de vos dons de voyance confine tout de même à la suffisance. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Dominique Tian. Et vous, vous êtes insuffisant !

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Je vous accorde que nous avons cela en commun, monsieur Tian : l’insuffisance ! Je voudrais que l’on prenne la mesure de ce qui vient de nous être dit. On nous dit que si, par extraordinaire, les amendements portés par ma collègue Untermaier venaient à prospérer et que le Gouvernement ne s’y opposait pas, c’était naturellement parce qu’il ne pouvait guère faire autrement, mais que, entre gens de bonne compagnie, on pouvait le comprendre et qu’il suffisait de s’en remettre, dans un cadre « feutré », je vous cite, à la sagesse de juridictions…

M. Philippe Houillon. Du Sénat !

M. Richard Ferrand, rapporteur général. …qui auraient la peau des propositions que nous faisons là. C’est l’expression d’un extraordinaire mépris envers le travail du législateur puisque, au fond, une disposition que vous n’arrivez pas à combattre par le vote, par la démocratie, vous formulez tout simplement le vœu qu’elle soit battue en brèche par d’autres juridictions !

Plusieurs députés du groupe UMP. Par le Sénat !

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Vous avez parlé de juridictions ! Je veux réaffirmer ici que nous sommes collectivement très attachés à cet article – la commission spéciale a eu l’occasion de le dire. Ce texte ira au Sénat ; il en reviendra ; nous serons fidèles au soin que nous voulons lui apporter, y compris en CMP. Nous ne parions pas, nous, sur le fait que le travail de l’Assemblée nationale doive avoir pour seul avenir de se heurter à la censure des juridictions !

Ce n’est pas l’esprit dans lequel nous travaillons. Je tiens à exprimer toute ma solidarité avec ce projet, notre but étant précisément de le faire avancer. Le Gouvernement approuve notre démarche parce qu’il en est d’accord et pas seulement pour des raisons de convenance. Limiter cela à des conventions de politesse est tout de même une manière assez désagréable de combattre ce que nous proposons.

M. Philippe Houillon. Il s’agit de reconnaître le rôle du Parlement !

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Emmanuel Macron, ministre. Monsieur Houillon, je ne reviens pas sur vos interprétations psychologiques me concernant parce que je garde ce sujet pour moi, mais je veux revenir sur plusieurs points parce que si vous considérez que j’ai manqué de précision, vous avez mis en cause mon honnêteté intellectuelle et même professionnelle.

Vous m’avez interrogé sur les mécanismes d’indemnisation. Je vous redis qu’il n’y aura pas d’indemnisation par l’État qui découlerait du dispositif prévu, parce qu’il n’y a pas remise en cause du monopole, et parce qu’il y a une ouverture progressive. En outre, un mécanisme d’indemnisation est prévu entre professionnels – mais manifestement vous n’avez pas voulu voir ce qu’il y avait dans les articles précédents comme dans celui-ci. Cela ne consiste pas à se réveiller un beau matin pour demander une indemnisation au nouvel installé : la valeur patrimoniale doit être constatée, qualifiée et prouvée par le professionnel demandeur. Il a jusqu’à six ans pour le faire. Vous savez bien que la jurisprudence encadre précisément un tel sujet. Le cas très théorique que vous avez évoqué est donc peu probable : il faudrait qu’un professionnel ayant vendu sa charge puisse prouver, dans les six années suivantes, qu’il a subi une perte substantielle de la valeur patrimoniale de cette dernière pour demander compensation.

M. Philippe Houillon. Le texte ne dit pas ça ! Il n’est pas question de vente !

M. Jean-Frédéric Poisson. Il dit même le contraire !

M. Emmanuel Macron, ministre. Tout cela est déjà clairement défini. Il y a une jurisprudence, de longs débats ont eu lieu au Conseil d’État sur ce sujet. Il y aurait, dans ce cas précis, une indemnisation par un professionnel en fonction de la perte de valeur patrimoniale, mais ce n’est pas le cas que vous avez décrit. C’est beaucoup plus subtil que cela : le niveau de la perte de valeur patrimoniale est à déterminer par le professionnel, et cela prendra beaucoup plus de temps. En tout cas, je souligne qu’il n’y a pas de risque d’indemnisation encouru par l’État, et c’est bien à cette question-là que je me dois de répondre.

(Les amendements identiques nos 411 et 2236 ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements, nos 226 et 227, qui peuvent faire l’objet d’une présentation groupée.

La parole est à Mme Michèle Bonneton, pour les soutenir.

Mme Michèle Bonneton. La profession d’avocat est maintenant largement féminisée. Cependant, seuls 23 % des avocats aux conseils sont des avocates. L’amendement n226 propose que l’Autorité de la concurrence, faute de mieux, fasse « des recommandations afin de favoriser l’égal accès des femmes et des hommes à ces offices ». Je précise qu’il s’agirait d’un ajout semblable à celui qui a été effectué à l’article 13 bis.

L’amendement no 227 est ainsi rédigé : « À la seconde phrase de l’alinéa 3, après le mot : " publiques ", insérer les mots : " au moins une fois " ». Il s’agit de préciser que le délai de deux ans entre deux avis de l’Autorité de la concurrence est un maximum et non pas un minimum.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Avis favorable sur l’amendement no 226. Quant au second, l’avis est favorable à condition, madame Bonneton, que soient insérés les mots « au moins », et non pas : « au moins une fois ».

Mme la présidente. Madame Bonneton ?…

Mme Michèle Bonneton. Je suis d’accord avec cette rectification. Je n’en vois pas tellement l’intérêt, mais pourquoi pas ?

Mme la présidente. L’amendement n227 devient ainsi l’amendement n227 rectifié : « À la seconde phrase de l’alinéa 3, après le mot : " publiques ", insérer les mots : " au moins " ».

(Les amendements nos 226 et 227 rectifié, acceptés par le Gouvernement, sont successivement adoptés.)

Mme la présidente. Je suis saisie par M. Ferrand d’un amendement de cohérence, n2509.

(L’amendement n2509, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie par M. Ferrand d’un amendement rédactionnel, n2510.

(L’amendement n2510, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Dino Cinieri, pour soutenir l’amendement n1696.

M. Dino Cinieri. Cet amendement vise à supprimer le système d’indemnisation proposé par le projet de loi, c’est-à-dire une indemnisation due par le nouvel installé. M. le ministre de l’économie a multiplié les interventions sur le sujet, assurant à de multiples reprises que la réforme, notamment dans son volet concernant la libre installation, n’engendrerait pas, à terme, d’impacts négatifs sur le plan financier et patrimonial pour les offices déjà installés. Dès lors, soit il n’y a pas lieu de prévoir une indemnisation, soit il y a lieu d’en prévoir une, et alors, elle doit être à la charge de l’État.

(L’amendement n1696, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie par M. Ferrand d’un amendement de coordination, n2511.

(L’amendement n2511, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

(L’article 17 bis, amendé, est adopté.)

Après l’article 17 bis

Mme la présidente. Nous en venons aux amendements portant article additionnel après l’article 17 bis.

La parole est à Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique, pour soutenir l’amendement n2512.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Cet amendement vise à adapter aux avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation le dispositif d’amélioration de la transparence des conventions d’honoraires prévu à l’article 13 du projet de loi pour les autres avocats.

(L’amendement n2512, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Guénhaël Huet, pour soutenir l’amendement n820.

M. Guénhaël Huet. Il est défendu, madame la présidente.

(L’amendement n820, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

Article 18

Mme la présidente. La parole est à M. Guénhaël Huet, pour soutenir l’amendement n824.

M. Guénhaël Huet. L’amendement porte sur ce qu’il était convenu d’appeler la règle du « un pour un », devenu « un pour deux ». J’attire l’attention de M. le ministre sur l’incohérence qu’il y a à vouloir modifier une règle adoptée tout récemment. On veut à nouveau modifier une disposition législative qui vient à peine de l’être, alors même que cette dernière n’a pas eu le temps de se mettre en place et donc de faire ses preuves.

Et puis surtout, il y a aussi une incohérence de fond. J’ai cru comprendre que votre projet de loi visait à assouplir un certain nombre de domaines, notamment celui des professions juridiques réglementées, permettant en particulier l’installation de nouveaux notaires parce qu’il en manquerait ici ou là. Or vous proposez ici de modifier une règle qui limite le nombre de notaires salariés par office ministériel, ce qui est contradictoire avec votre volonté d’augmenter le nombre d’offices notariaux.

Tel est le sens de cet amendement visant à supprimer les alinéas 2 à 4.

(L’amendement n824, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Bernadette Laclais, pour soutenir l’amendement n2594.

Mme Bernadette Laclais. Cet amendement propose de fixer à deux au maximum le nombre de salariés employés par les notaires, les huissiers de justice, les commissaires-priseurs judiciaires ou encore les greffiers de tribunaux de commerce.

Puis-je présenter également, par avance, l’amendement n3174 qui a le même objet, madame la présidente ?

Mme la présidente. Bien entendu, ma chère collègue.

Mme Bernadette Laclais. Il propose une phase transitoire, jusqu’en 2020, durant laquelle l’augmentation du nombre de salariés pourrait aller au-delà de deux. Il s’agit évidemment d’un amendement de repli.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n2594 ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Ce sera une demande de retrait, madame Laclais, car la règle du « un pour deux » est maintenue, comme vous le souhaitez, pour tous les offices publics ministériels, à l’exception du notariat où ce sera dorénavant, mais à titre provisoire, un pour quatre. L’explication en est la suppression des clercs habilités, à qui il faut permettre, jusqu’en 2020, d’avoir un terrain d’atterrissage dans les études notariales. Ce sera proposé à l’amendement n2612, troisième rectification, que je viens par là même de présenter, madame la présidente.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n2594 ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Mme la rapporteure vient de préciser les choses. Nous avons un double impératif : le premier, c’est de préserver le maillage territorial et donc d’éviter de favoriser l’hyperconcentration dans certains offices, mais comme votre assemblée a voté hier la suppression du clerc habilité, il faut intégrer les personnes concernées dans le salariat, et c’est notre second impératif. Si on maintenait la règle du « un pour deux », comme vous le proposez dans votre amendement, madame la députée, certains offices pourraient être contraints de devoir licencier certains de leurs anciens clercs habilités. C’est un risque qui existe. D’où la proposition de porter à quatre le nombre possible de salariés, durant un délai qui permettra d’absorber, si je puis dire, ce changement statutaire. Il faut articuler ce changement avec le passage, jusqu’en 2020, à la règle du « un pour quatre », puis au « un pour deux ». J’indique qu’un autre amendement sur cet article proposera la remise d’un rapport, dans deux ans, sur la dynamique salariale pour l’ensemble de ces professions. Nous verrons ainsi l’impact qu’auront eu ces dispositions, et s’il faut revenir au « un pour deux » ou maintenir le « un pour quatre ». Je crois que tout le monde partageait la volonté de supprimer le statut de clerc habilité, parce qu’il génère une pratique qui n’est pas aujourd’hui satisfaisante et qui s’est, de plus, concentrée sur quelques offices. Nous saurons, dans deux ans, comment les clercs habilités auront été intégrés comme professionnels de plein droit et salariés, et quel niveau il faut conserver pour favoriser l’association puisque tel est finalement l’objectif d’un plafond.

Par conséquent, je vous invite au retrait de votre amendement n2594, ainsi que de votre amendement n3174. J’indique déjà que j’émettrai un avis favorable à l’amendement no 2612, troisième rectification.

Mme la présidente. Madame Laclais ?…

Mme Bernadette Laclais. Le Gouvernement ayant annoncé un avis favorable à l’amendement de Mme la rapporteure thématique, je me rallie bien volontiers au sien.

(L’amendement n2594 est retiré.)

Mme la présidente. Nous en venons aux deux amendements, nos 3174 et 2612, troisième rectification, pouvant être soumis à une discussion commune.

Madame Laclais, confirmez-vous le retrait de l’amendement n3174 ?

Mme Bernadette Laclais. Oui, madame la présidente.

(L’amendement n3174 est retiré.)

Mme la présidente. L’amendement n2612, troisième rectification, a déjà été défendu.

(L’amendement n2612, troisième rectification, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Christophe Fromantin, pour soutenir l’amendement n2246.

M. Jean-Christophe Fromantin. Si vous le permettez, madame la présidente, je défendrai en même temps les amendements nos 2248 et 2249 qui, appliqués aux huissiers et aux commissaires-priseurs judiciaires, visent un objectif similaire.

Mme la présidente. Je vous en prie, cher collègue.

M. Jean-Christophe Fromantin. L’objet de ces amendements est en effet d’aller au-delà du salariat et d’imposer dans chaque office un ratio de notaires, commissaires-priseurs et huissiers inscrits comme tels, de manière à inciter les professionnels installés à associer, ès qualités, de jeunes collègues à leur étude.

Ce ratio serait calculé en fonction du chiffre d’affaires, de la rentabilité économique et du nombre de dossiers traités par l’office notarial, l’office d’huissiers ou l’office de commissaires-priseurs judiciaires. Cela permettrait de pousser les jeunes dans ces professions.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Avis défavorable.

Nous partageons votre opinion : nous considérons que l’association est la meilleure façon d’exercer le métier d’officier public ministériel. Toutefois, nous pensons que la restriction du salariat constituera une incitation à l’association et que cela permettra de répondre à votre préoccupation.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Selon l’analyse juridique faite par nos services, obliger à s’associer à partir d’un certain niveau de chiffre d’affaires serait moins conforme à la liberté d’association que fixer un plafond de salariés, comme le prévoit l’amendement précédemment adopté ; il convient en outre d’essayer d’améliorer le dispositif, ce qui est l’objectif de la remise d’un rapport sous deux ans.

Bref, on arrive dans tous les cas au même effet, peut-être même de manière plus satisfaisante économiquement avec votre solution, mais celle-ci est aussi juridiquement plus fragile. C’est pourquoi je vous invite à retirer votre amendement ; à défaut, j’y émettrais un avis défavorable.

Mme la présidente. Monsieur Fromantin, retirez-vous l’amendement ?

M. Jean-Christophe Fromantin. Je suis prêt à le retirer, mais nous proposions par l’amendement n2278 qu’un rapport soit remis au bout de deux ans afin d’évaluer la réalité des changements : le nouveau dispositif aura-t-il produit les effets attendus ? Cette clause de revoyure avait pour finalité d’arrêter les compteurs afin de mesurer les effets du salariat sur l’association et de voir si les dispositions adoptées auront permis de propulser des jeunes dans les professions de notaire, de commissaire-priseur ou d’huissier.

Mme la présidente. Vous retirez donc l’amendement n2246 ?

M. Jean-Christophe Fromantin. Tout à fait, madame la présidente.

(L’amendement n2246 est retiré.)

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement, n2513, de Mme Cécile Untermaier. Il s’agit d’un amendement de coordination.

(L’amendement n2513, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Michel Clément, pour soutenir l’amendement n1934.

M. Jean-Michel Clément. J’ai bien entendu les explications de Mme la rapporteure, et j’imagine que l’on va procéder à une harmonisation du texte. Pour ce qui me concerne, je vais donc retirer mes amendements, puisque tout aura été ajusté dans le sens que je souhaitais.

(L’amendement n1934 est retiré.)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 2104 et 2613.

La parole est à M. Jean-Michel Clément, pour soutenir l’amendement n2104.

M. Jean-Michel Clément. Il est retiré.

(L’amendement n2104 est retiré.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Untermaier, pour soutenir l’amendement n2613.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Cet amendement tend à étendre aux huissiers de justice la règle du « un pour deux ».

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Favorable.

(L’amendement n2613 est adopté.)

Mme la présidente. Monsieur Fromantin, confirmez-vous que vous retirez l’amendement n2248 ?

M. Jean-Christophe Fromantin. Tout à fait, madame la présidente.

(L’amendement n2248 est retiré.)

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement, n2514, de Mme Cécile Untermaier. Il s’agit d’un amendement de coordination.

(L’amendement n2514, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 1967 et 2614.

Monsieur Clément, confirmez-vous que vous retirez l’amendement n1967 ?

M. Jean-Michel Clément. Oui, madame la présidente.

(L’amendement n1967 est retiré.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Untermaier, pour soutenir l’amendement n2614.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Il s’agit d’appliquer la règle du « un pour deux » cette fois aux commissaires-priseurs judiciaires.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Favorable.

(L’amendement n2614 est adopté.)

Mme la présidente. Monsieur Fromantin, retirez-vous aussi l’amendement n2249 ?

M. Jean-Christophe Fromantin. Oui, madame la présidente.

(L’amendement n2249 est retiré.)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 2106 et 2615.

Monsieur Clément, retirez-vous l’amendement n2106 ?

M. Jean-Michel Clément. Oui, madame la présidente.

(L’amendement n2106 est retiré.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Untermaier, pour soutenir l’amendement n2615.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Même chose que pour les amendements précédents, pour ce qui concerne les greffiers des tribunaux de commerce.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Favorable.

(L’amendement n2615 est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Untermaier, pour soutenir l’amendement n2515 rectifié.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Il s’agit du rapport dont parlait M. le ministre.

Mme la présidente. Avis favorable du Gouvernement ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Oui, madame la présidente.

(L’amendement n2515 rectifié est adopté.)

Mme la présidente. Monsieur Fromantin, l’amendement n2278 a déjà été défendu ?

M. Jean-Christophe Fromantin. Tout à fait, madame la présidente.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. L’amendement est satisfait. Avis défavorable, donc.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Même avis.

Mme la présidente. Monsieur Fromantin, que décidez-vous ?

M. Jean-Christophe Fromantin. Je le retire.

(L’amendement n2278 est retiré.)

(L’article 18, amendé, est adopté.)

Article 19

Mme la présidente. Je suis saisie de plusieurs amendements tendant à la suppression de l’article 19.

La parole est à M. Jean-Claude Mathis, pour soutenir l’amendement n790.

M. Jean-Claude Mathis. L’article 19 repose sur une série de contradictions et d’inexactitudes qu’il convient de souligner. D’abord, il est contraire à la tarification par les coûts dont le principe même est fixé par le projet de loi. En outre, aucune étude d’impact financier n’a été réalisée.

Depuis 2009, le registre national du commerce et des sociétés n’a plus de réalité : il n’existe plus de lieu centralisé du registre. Les licences de rediffusion accordées à ce jour par l’Institut national de la propriété industrielle – l’INPI – sont exclusivement réalisées et transmises par les greffiers.

La mise en œuvre de cette mesure aura pour conséquence une perte importante des ressources liées à la diffusion de l’information légale. L’équilibre économique des greffes va s’en trouver gravement fragilisé, ce qui portera atteinte à l’organisation de la justice commerciale.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Houillon, pour soutenir l’amendement n854.

M. Philippe Houillon. Nous avons déjà évoqué cette question, qui est celle de la propriété intellectuelle : on va substituer à Infogreffe le système prévu par l’article en discussion.

De quoi s’agit-il ? De bases de données, traitées par chacun des greffes, transmises et centralisées – Infogreffe étant un groupement d’intérêt économique établi entre tous les greffiers des différents tribunaux de commerce. Ces bases de données sont protégées au titre de la propriété intellectuelle.

Il ne faut pas faire de confusion entre les informations elles-mêmes et le système de traitement de ces informations. Cette dernière question, le texte ne l’aborde pas, et, une fois de plus, aucune indemnisation n’est prévue. Aucune réponse sur la question de la propriété intellectuelle – sinon de dire, comme le ministre l’a fait en commission spéciale : « Circulez, y’a rien à voir ! ».

M. Emmanuel Macron, ministre. Mais non !

M. Philippe Houillon. Pourtant, il y a quand même là, me semble-t-il, un sujet !

Quoi qu’il en soit, il faudra que les informations soient traitées. Or il semble qu’elles le seront sans versement d’aucune rémunération ; en tout cas, le texte n’en prévoit pas.

Voilà deux obstacles majeurs au nouveau dispositif, indépendamment de ce qui a été dit par le précédent orateur. Autant d’arguments en faveur de la suppression de l’article.

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Dolez, pour soutenir l’amendement n1986.

M. Marc Dolez. Si le projet, tel qu’il est prévu, voyait le jour, il faudrait que l’INPI reconstitue ex nihilo une base de données juridique, avec toutes les charges financières et humaines que cela implique. Je rappelle que depuis 2009, le registre national du commerce et des sociétés n’a plus de réalité ; il n’existe plus de lieu centralisé du registre. Les licences de rediffusion accordées à ce jour par l’INPI sont exclusivement réalisées et transmises par les greffiers.

J’ajoute que l’on peut sérieusement se poser la question de savoir si le projet n’est pas contraire au droit européen et au droit national en matière de propriété intellectuelle. En effet, si les données que les entreprises déposent au greffe leur appartiennent, les bases constituées au fil du temps par les greffiers sont couvertes par le droit de propriété. Cette difficulté avait d’ailleurs été clairement évoquée par le rapporteur général dans le rapport qu’il avait remis au ministre de l’économie.

M. Gérard Menuel. Tout à fait !

M. Marc Dolez. L’indemnisation qui en résulterait, calculée sur la base d’une durée de quinze ans, pourrait s’élever à un montant considérable. Nous estimons qu’il s’agit d’un dispositif qui va à l’encontre d’une justice commerciale accessible et efficace. D’où notre amendement de suppression.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur ces amendements de suppression ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Avis défavorable.

La commission souscrit aux objectifs du Gouvernement d’ouverture des données au public et aux entreprises, et de réduction des coûts.

S’agissant des données, elles sont transmises par les greffes dans le cadre de leur mission judiciaire et extrajudiciaire, et je ne suis pas certaine que la question de la propriété intellectuelle se pose en des termes aussi inquiétants.

Nous souhaiterions voir apporter une garantie au maintien des 1 800 salariés qui travaillent au sein des greffes – mais le Gouvernement aura certainement le souci de prendre cet aspect en considération dans le cadre du travail qu’il aura à mener sur la question.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Je souhaite apporter sur cette question des éléments de réponse aussi précis que possible – je l’avais d’ailleurs déjà fait en commission spéciale.

L’article 19 organise l’ouverture des données publiques relatives aux entreprises en prévoyant la transmission numérique par les greffiers des tribunaux de commerce, dans un format interopérable et sans frais des données relatives au registre du commerce et des sociétés à l’INPI.

De quoi s’agit-il ? De données publiques – tout le monde s’accorde sur ce point. Cette mission est effectuée depuis 1951 par l’INPI, un établissement public qui conserve plus de 90 kilomètres d’archives relatives aux entreprises, renfermant des informations qui vont bien au-delà de celles collectées par les greffiers. Voilà la nature des informations concernées – vous ne l’avez d’ailleurs pas contesté, monsieur Houillon. Cette ressource est centralisée par les greffiers : cela fait partie de leur mission.

L’INPI a déjà l’expérience du passage à la gratuité des licences, puisque, depuis octobre 2014, il y a procédé, sous l’autorité de mon ministère, s’agissant de toutes les autres données. La dynamique ici retenue, comme sur beaucoup d’autres sujets, est celle de l’open data.

Deuxième point : toutes les données concernées par cet article appartiennent à l’État. Pourquoi cela ? Il faut rappeler que les greffiers interviennent par délégation de l’État. La collecte des données, leur transformation, se fait dans le cadre de cette délégation : c’est une obligation légale. L’État est tenu de le faire au niveau communautaire, soit lui-même soit par délégation.

Les greffiers ont également par délégation de l’État la mission de numériser les documents qu’ils collectent dans le cadre de leur mission, de dresser les actes sous forme numérique, de les transmettre à l’INPI pour inscription au RNCS et de les mettre, par voie numérique, à la disposition des entreprises et des particuliers. Il s’agit bien d’une obligation légale. Pour ces tâches, les greffiers sont rémunérés, soit spécifiquement, soit forfaitairement, au moyen des tarifs réglementés payés par les entreprises ou entrepreneurs individuels. Cela inclut la numérisation et la transmission à l’INPI ou aux particuliers. Les greffiers ne sont propriétaires que des logiciels mis en place, pas du produit, et de l’infrastructure informatique.

Troisième point : l’atteinte à la vie privée et la transmission de données personnelles ont été évoquées, en creux, par certains orateurs. Ces questions se retrouvent dans un ou deux amendements. Pour y répondre, je précise que les données qui devront être transmises aux termes de l’article 19 de ce projet de loi sont légalement collectées et traitées. Les greffiers ont pour mission légale de les diffuser publiquement. Il s’agit même, là encore, d’une obligation communautaire. Ces données sont donc déjà publiquement diffusées.

Ainsi, l’open data que propose ce texte ne crée pas le caractère public des informations, ni ne porte atteinte, en quelque manière que ce soit, à la vie privée. Au demeurant, la mise à disposition gratuite interviendra après la signature d’une licence de réutilisation qui imposera, évidemment, le respect du caractère personnel des données.

Quatrième point, concernant l’indemnisation d’Infogreffe : nous avons longuement examiné cette question. Il faut la détailler. La loi ne touche pas au monopole de droit des greffiers. Les greffiers ne peuvent pas prétendre qu’il y aurait un transfert de leurs compétences à l’INPI, car l’INPI exerce cette mission depuis 1951.

Infogreffe est un GIE, un groupement d’intérêt économique. L’obligation que crée ce texte porte sur les greffiers. Le GIE ne bénéficie d’aucun monopole de droit, ni d’aucun monopole de fait. Il n’y a donc pas lieu de l’indemniser ! Les greffiers conservent le monopole de l’authentification via le Kbis et de sa délivrance légale contre rémunération. Ils sont soumis aux obligations de transmission d’informations que j’ai évoquées. L’article 19 ne menace donc pas les investissements liés à la bonne exécution de leurs missions via le GIE Infogreffe.

Le GIE résulte d’un choix des professionnels. C’est une modalité d’application de leur obligation légale et communautaire. Le choix de cette modalité a conduit à des investissements, mais ces investissements ont été financés – voire sur-financés – et amortis, une première fois au moyen des prix réglementés, et une deuxième fois au moyen des ventes du GIE, en situation de monopole de fait.

Finalement, dans la situation actuelle, les professionnels rémunérés pour collecter des informations et les mettre à disposition du public se sont organisés. Parce qu’ils ont décidé de constituer un GIE, ils bénéficient d’une situation de monopole qui n’est en aucun cas couverte par le droit. C’est cette aberration que nous voulons traiter par ce projet de loi. En effet, les greffiers de tribunaux de commerce ne déposent pas leurs comptes, non plus que le GIE Infogreffe – c’est d’ailleurs l’un des avantages que présente cette forme juridique.

Les informations disponibles sont donc limitées. On dispose cependant d’un certain nombre de données, qui n’ont pas été contestées par les professionnels visés par le rapport de l’IGF sur les professions juridiques réglementées. Ce rapport a reconstitué leurs comptes, et a montré que le taux de rentabilité moyen annuel d’un greffe de tribunal de commerce est de 82 %. On peut ainsi raisonnablement présumer que s’il y a eu un investissement important, il a été amorti. En tout cas, il a largement été intégré dans la tarification actuelle, car une entreprise dont le taux de marge est de 82 % fait rarement des dépenses de recherche et développement inconsidérées ou des investissements hors de propos !

Une convention a été signée en 2009 avec l’INPI. Elle n’a nécessité aucun investissement supplémentaire pour le GIE, à l’exception du simple raccordement à l’INPI. La structure du GIE était déjà en place, et déjà amortie financièrement depuis longtemps ; elle a même accru sa rentabilité depuis. Elle organise la sous-traitance que j’évoquais avec des rétrocessions annuelles qui ne dépassent 1,3 million sur le retraitement, qui est déjà couvert par l’activité normale d’Infogreffe.

Par cet article, nous mettons à la disposition du public des informations. Cette mise à disposition ne doit pas avoir un caractère onéreux. C’est une obligation légale qui porte sur les professionnels que sont les greffiers ; ceux-ci ont décidé de s’organiser en créant un GIE, Infogreffe, mais cela ne change rien au raisonnement que je viens de tenir. C’est pourquoi l’avis du Gouvernement est défavorable à ces amendements de suppression.

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Tian.

M. Dominique Tian. Depuis le début de l’examen de ce texte, en ce qui concerne les professions réglementées, c’est toujours l’IGF contre les autres ! Et, comme j’ai eu l’occasion de le dire hier, c’est toujours la première qui a raison : voilà pourquoi M. le ministre suit toujours ses préconisations.

Nous constatons en effet, monsieur le ministre, au fil des débats, que vous ne faites que reprendre les préconisations de ce rapport de l’IGF, qui a été largement contesté par l’ensemble des professions réglementées : les huissiers, les notaires, et toutes les autres professions mises en cause. Les chiffres que vous mentionnez sont tout à fait hallucinants : il est question d’un taux de marge de 82 % sur certains actes. Comme je l’ai dit hier, je préférerais que l’on demande aux professionnels eux-mêmes ce qu’ils en pensent. Après tout, personne ne nous oblige à croire l’opinion de l’inspection générale des finances. Pour ma part, je préfère me référer à ce que nous écrivent les professionnels, notamment les greffiers.

Mme Clotilde Valter, rapporteure thématique. C’est cela ! Il vaut mieux croire ce que disent les greffiers !

M. Dominique Tian. Eh bien oui ! Ce n’est pas du lobbying, c’est simplement de l’information ! Vous préférez vous en référer aux services de l’État, qui à notre avis ont rédigé un rapport très orienté et contestable ; nous, nous préférons les informations des professionnels. Les greffiers du tribunal de commerce de Paris vous ont écrit pour expliquer que s’ils font grève, c’est parce qu’ils contestent ces chiffres, et qu’ils ont l’impression de ne pas être entendus. Il s’agit quand même de 221 salariés ! C’est aussi le cas à Marseille ou ailleurs : ils ont de sérieuses inquiétudes. Ces greffiers vous rappellent simplement que plusieurs milliers d’emplois sont concernés, sur la France entière. De plus, vous allez détruire l’équilibre financier des greffes.

Quel sera l’avenir de ces salariés, qui sont 1 800 au niveau national ? Qui va les remplacer ? Envisagez-vous, monsieur le ministre, de créer des postes de fonctionnaires pour remplacer l’ensemble de ces greffiers ? En effet, puisque apparemment ce travail devra être assuré à titre gratuit par les greffiers, il faudra probablement embaucher !

Par ailleurs, ces greffiers sont souvent endettés – je pense tout particulièrement aux jeunes greffiers, qui ont des emprunts en cours. Il faut bien que quelqu’un en parle ! Ces jeunes greffiers vous rappellent, par mon intermédiaire, que la profession a déjà subi le 1er juillet 2014 une baisse de 50 % des tarifs concernant l’immatriculation d’un certain nombre de sociétés commerciales. Depuis le 15 décembre 2014, l’immatriculation des auto-entrepreneurs est assurée gratuitement. Ils rappellent également, monsieur le ministre, que la tenue des audiences et la mise en forme des litiges commerciaux est actuellement réalisée à perte.

Aucune étude d’impact n’a été réalisée jusqu’à présent, nous écrivent les greffiers, et les conséquences d’une baisse nullement compensée des recettes laisse augurer de graves difficultés économiques, notamment pour ceux qui supportent la charge d’un emprunt. Ils vous signalent également que le Conseil d’État, dans son avis du 8 décembre 2014, a rappelé le principe selon lequel l’atteinte aux professionnels existants, à défaut de progressivité ou en l’absence de dédommagement adéquat, constituerait un préjudice trop grave pour ne pas méconnaître les exigences constitutionnelles.

Encore une fois, monsieur le ministre, c’est une réforme à hauts risques. D’ailleurs, à l’UMP, nous ne comprenons pas quel est le véritable intérêt de cette réforme !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Christophe Fromantin.

M. Jean-Christophe Fromantin. Il me semble que l’adage « on sait ce qu’on perd, pas ce qu’on va gagner » convient à cette question ! Les greffiers ont parié sur l’open data, de manière anticipée, ils ont été précurseurs dans ce domaine, et offrent un service de qualité. Certes, on peut contester la manière dont cela s’est fait, on peut opposer des arguments juridiques, ou exciper de l’évolution de l’open data. Mais de fait, il y a un système d’open data, une véritable qualité de service, et des investissements réguliers pour maintenir cette qualité de service. Les greffiers sont parvenus, grâce à une construction économique, à trouver un point d’équilibre entre leur activité réglementée et Infogreffe. Au total, cela fonctionne.

Je regrette donc que l’approche du Gouvernement vis-à-vis d’Infogreffe soit aussi directive, car elle risque de remettre en cause un service public rendu aux entrepreneurs qui fonctionne bien – nous l’avons tous régulièrement utilisé. Nous ne savons pas comment ce service se développera dans un autre univers, celui de l’INPI, c’est-à-dire l’open data « pur ». Vous risquez de dégrader le service, de décourager les greffiers, et au bout du compte, de parvenir au résultat contraire à celui que vous recherchiez, à savoir améliorer la performance, la croissance et l’activité. Pour ma part, je voterai donc pour les amendements de suppression défendus par mes collègues du groupe UMP.

(Les amendements identiques nos 790, 854 et 1986 ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Houillon, pour soutenir l’amendement n2043.

M. Philippe Houillon. C’est ce que l’on appelle un amendement de repli. Je pense que M. le ministre y sera favorable – je prédis cela avec prudence, car jusqu’à présent il n’a jamais été d’accord avec mes propositions.

Par cet amendement, je propose de suivre l’avis de l’Autorité de la concurrence. Il s’agit, en somme, de faire ce qu’elle préconise dans un rapport très récent, daté du 9 janvier 2015. Cette préconisation se trouve à la page 53 de ce rapport – toutes ces indications figurent dans l’exposé sommaire de cet amendement.

Vous disiez tout à l’heure, monsieur le ministre, que l’INPI a l’habitude de traiter ce genre de choses. En vérité, comme vous le savez, elle s’est déchargée depuis 2009 du traitement des informations dont nous parlons vers les greffiers des tribunaux de commerce ; plus précisément, elle leur a confié la réalisation opérationnelle du traitement de ces informations. Que propose l’Autorité de la concurrence ? De confier ce traitement au Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce. Elle ajoute que cela permettrait d’économiser 24 millions d’euros au bénéfice des entreprises. Cette somme se décompose de la manière suivante pour l’année 2014 : 14 millions d’euros au titre de la taxe de dépôt à l’INPI payée par les entreprises, et l’émolument de diligence de transmission vers l’INPI perçu par les greffes, c’est-à-dire environ 10 millions d’euros par an.

Pour résumer, cet amendement – que je ne présente qu’à titre subsidiaire, puisque l’amendement précédent n’a pas été adopté – vise tout simplement à suivre ce que préconise l’Autorité de la concurrence, et à économiser de l’argent. Il représente 24 millions d’euros d’économies. Par ailleurs, il correspond à ce qui se fait déjà, car ce n’est pas l’INPI qui, de manière opérationnelle, gère ce registre national, mais bien les greffiers des tribunaux de commerce.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Défavorable. Comme je l’expliquais il y a quelques instants, l’objectif de l’article 19 est de mettre ces données à disposition gratuitement. Vous proposez de les mettre à disposition du Conseil national des greffiers de tribunaux de commerce : c’est, in fine, un retour au statu quo ante. En effet, il est peu probable que ces informations seraient, ensuite, mises gratuitement à la disposition du public.

(L’amendement n2043 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Nous en venons à l’amendement n2803 du Gouvernement. Il est rectifié par la modification que je vais vous donner, et devient ainsi l’amendent n2803 rectifié. Le début du deuxième alinéa est ainsi rédigé : « Par dérogation à l’alinéa précédent et à titre expérimental pour une durée n’excédant pas trois ans, dans les départements d’outre-mer de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Réunion… », la suite sans changement. Je précise, à l’attention de nos collègues qui ne disposent pas de l’amendement rectifié, qu’il s’agit simplement de mentionner la Réunion.

La parole est à M. le ministre, pour soutenir cet amendement.

M. Emmanuel Macron, ministre. Cet amendement vise en effet à déléguer à titre expérimental, et pour une durée n’excédant pas trois ans, dans les départements de la Guadeloupe et de la Martinique, la gestion matérielle du registre de commerce et des sociétés à la chambre de commerce et d’industrie compétente. Il est rectifié de manière à ajouter la Réunion à la liste des départements concernés.

(L’amendement n2803 rectifié, accepté par la commission, est adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 758 et 1971.

La parole est à M. Pierre Morel-A-L’Huissier, pour soutenir l’amendement n758.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Cet amendement a pour objet de rappeler que la réutilisation des données publiques comprenant des données à caractère personnel ne peut être réalisée que dans le respect de deux lois : la loi informatique et libertés de janvier 1978 et la loi CADA du 17 juillet 1978. Ces lois disposent que les titulaires de données personnelles ne peuvent voir leurs données réutilisées, notamment à des fins commerciales, que s’ils ont donné leur consentement ou que si les données à caractère personnel ont été rendues anonymes. À ce titre, l’INPI ne peut être autorisée de manière générale et absolue à assurer une mise à disposition gratuite du public, notamment en vue de leur réutilisation commerciale, de données à caractère personnel.

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Dolez, pour soutenir l’amendement n1971.

M. Marc Dolez. Défendu.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Avis défavorable, car il ne nous semble pas que les informations collectées par les greffes relèvent à proprement parler de la catégorie des données personnelles.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Avis défavorable.

(Les amendements identiques nos 758 et 1971 ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. Je suis saisie de plusieurs amendements identiques, nos 786 rectifié et 2570.

La parole est à M. Gérard Menuel, pour soutenir l’amendement n786 rectifié.

M. Gérard Menuel. La tarification des greffiers, fixée par décret en Conseil d’État, repose actuellement sur un mode de péréquation entre prestations tarifées et prestations effectuées sans frais ; l’Autorité de la concurrence l’a clairement constaté dans son avis sur les professions réglementées du droit.

Les mesures du présent projet de loi remettraient en cause immédiatement, sans compensation, l’équilibre financier des greffes et donc leur capacité à maintenir la viabilité des offices, délégataires de missions de service public. Les impacts seraient particulièrement dangereux pour les jeunes professionnels endettés, qui représentent un tiers des offices, dont le montant de l’engagement financier a été fixé sous le contrôle de l’État. Le dispositif proposé aura notamment pour conséquence de déséquilibrer le fonctionnement des juridictions commerciales. Le présent amendement propose donc de soumettre l’entrée en vigueur de l’article 19 à celle des dispositions réglementaires qui découleront de l’application de l’article 12.

Mme la présidente. La parole est à M. Dino Cinieri, pour soutenir l’amendement n2570.

M. Dino Cinieri. Défendu.

(Les amendements identiques nos 786 rectifié et 2570, repoussés par la commission et le Gouvernement, ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Houillon, pour soutenir l’amendement n855.

M. Philippe Houillon. Il est défendu. Cet amendement prévoit que le Gouvernement remette un rapport relatif à l’indemnisation des greffiers des tribunaux de commerce au Parlement. Mais je n’ai pas eu le temps de le rectifier : il convient d’étendre de six mois à deux ans le délai prévu pour la remise de rapport.

Mme la présidente. Les mots : « Dans les six mois » sont donc remplacés par les mots : « Dans les deux ans ». L’amendement n855 devient ainsi l’amendement n855 rectifié.

Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Défavorable, pour les raisons évoquées précédemment.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Avis défavorable.

(L’amendement n855 rectifié n’est pas adopté.)

(L’article 19, amendé, est adopté.)

Article 20

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Tian, pour soutenir l’amendement n569 tendant à la suppression de l’article 20.

M. Dominique Tian. Mon amendement vise effectivement à supprimer l’article 20. Le recours aux ordonnances est acceptable pour des sujets techniques, pour lesquels elles sont même prévues. Ce n’est pas le cas ici, et le présent projet de loi multiplie les habilitations de façon excessive. C’est le cas pour ces mesures, qui doivent faire l’objet d’un vrai débat parlementaire et ne sauraient être renvoyées à des ordonnances.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Défavorable. Je note que cet amendement ne tient pas compte du nouveau dispositif prévu par l’article 20, tel qu’issu des travaux de la commission spéciale. Dans la rédaction soumise à la délibération de notre assemblée, l’article 20 comporte un premier alinéa explicatif, et ne renvoie pas à une ordonnance.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Même avis.

Mme la présidente. La parole est à M. Dino Cinieri.

M. Dino Cinieri. Ce texte prévoit d’autoriser le Gouvernement à adopter par voie d’ordonnance les mesures visant à créer une profession de commissaire de justice regroupant les professions d’huissier de justice, de mandataire judiciaire et de commissaire-priseur judiciaire. L’objectif est de simplifier le dispositif des ventes judiciaires en préservant des principes déontologiques applicables à chaque profession.

Il convient de formuler trois observations sur ce texte. En premier lieu, les commissaires-priseurs judiciaires ont déjà fait l’objet, en 2000 et 2011, de réformes profondes destinées à mettre la profession en conformité avec les règles européennes, notamment la directive services et la directive qualifications professionnelles. À l’inverse, les huissiers de justice ne sont pas encore ouverts à la concurrence, ni à la réforme de leur structure d’exercice.

La profession de commissaire-priseur judiciaire ne peut être, en l’état, fusionnée avec une profession non conforme à ce jour au droit européen. Ainsi, la condition de détenir la nationalité française, exigée pour devenir huissier de justice, doit disparaître. De même, les huissiers de justice doivent sortir de leurs offices ministériels les activités qui relèvent du secteur concurrentiel, à commencer par la possibilité de faire des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques. Le présent texte non seulement ne doit pas avoir pour effet de supprimer des acquis communautaires ou européens appliqués à la profession de commissaire-priseur judiciaire mais, au contraire, il doit être l’occasion d’en étendre le champ d’application aux huissiers de justice.

En second lieu, le texte manque de cohérence. La mise en conformité avec la directive qualifications professionnelles doit conduire à établir le niveau de formation requis pour accomplir les ventes judiciaires et ensuite à indiquer les professions dont la formation permet d’accomplir ces ventes. Les professions concernées par une telle réforme sont plus nombreuses que celles qui doivent être regroupées dans celle de commissaire de justice.

En effet, sont concernées aussi par les ventes judiciaires immobilières et mobilières les professions d’avocat, de magistrat de l’ordre judiciaire, de notaire, de courtier de marchandise assermenté et de commissaire aux ventes des domaines. Il convient de s’assurer que toutes ces professions exerceront leur activité sans contrevenir à la directive qualifications professionnelles. L’absence de cohérence entre le regroupement des professions et la simplification des ventes rend inintelligible, imprécise et équivoque la loi d’habilitation et ne garantit pas que l’ordonnance envisagée soit conforme aux exigences du droit européen.

(L’amendement n569 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Tian, pour soutenir l’amendement n1001.

M. Dominique Tian. Les dispositions prévues par les alinéas 1 à 10 de l’article 20 ont des conséquences particulièrement graves. Adopté en commission spéciale, l’amendement nSPE1802 du Gouvernement modifie l’article 20-1 du projet de loi en vue d’élargir les conditions d’accès à la profession de mandataire de justice – administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires –, en supprimant toute sélection véritable des professionnels.

Si cette disposition était maintenue en l’état, les examens d’accès au stage et d’aptitude ainsi que le stage professionnel seraient purement et simplement supprimés. C’est très grave car les professions d’administrateur judiciaire et de mandataire judiciaire requièrent des compétences de très haut niveau dans les domaines les plus variés du droit des affaires, du droit du travail, de la procédure, du droit civil mais aussi de la gestion des entreprises.

Aujourd’hui, l’accès à ces professions est réservé à des candidats sélectionnés de manière sérieuse, pouvant justifier d’une double compétence en droit et en gestion et surtout qui vont être distingués par deux jurys d’examen successivement, tous deux organisés par la Chancellerie, présidés par un magistrat et dans lesquels les administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires sont minoritaires. Il s’agit donc d’une modification extrêmement importante de l’accès à ces métiers, qui ne peut que nous inquiéter.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Défavorable. Nous avons constaté à plusieurs reprises, et déjà lors d’une précédente mission, les difficultés rencontrées par les étudiants pour devenir administrateur judiciaire ou mandataire.

M. Dominique Tian. C’est souhaitable !

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Non, ce n’est pas souhaitable, car il est de l’intérêt de la République que ces jeunes diplômés puissent trouver les débouchés auxquels les ont conduits leurs études universitaires. Or, tel n’était pas le cas, car le stage était un verrou : il ne permettait pas à bon nombre de diplômés d’entrer dans cette profession. Dans un contexte où l’activité augmente, où le nombre de liquidations, hélas, requiert une forte présence de ces mandataires et administrateurs, il est important d’ouvrir les voies d’accès à ces professions en n’exigeant qu’un master spécialisé, comme le propose le Gouvernement, et de réfléchir à des dispositifs d’équivalence qui ne portent en rien préjudice à la compétence et à la qualité de ces futurs mandataires et administrateurs.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Même avis.

(L’amendement n1001 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Dolez, pour soutenir l’amendement n1987 rectifié.

M. Marc Dolez. Cet amendement vise à supprimer les alinéas 2 à 9. Pour notre part, nous considérons que l’ouverture de ces professions, à laquelle nous sommes favorables, ne peut pas pour autant se faire au détriment de la qualité de la formation, car il s’agit de responsabilités très importantes. Chacun sait bien que, dans ce domaine en particulier, au-delà de la formation initiale, le stage est tout à fait indispensable.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Avis défavorable pour les mêmes motifs.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Même avis.

Mme la présidente. La parole est à M. Gilles Lurton.

M. Gilles Lurton. Il faut être très précis, à ce stade du débat. La rédaction actuelle de l’alinéa 1 de l’article 20 revient à permettre à un titulaire d’un simple master d’être inscrit sur les listes d’administrateur ou de mandataire judiciaire, sans avoir à passer aucun examen complémentaire, ni même à faire un stage.

M. François Brottes, président de la commission spéciale. Comme pour être député !

M. Gilles Lurton. L’article ne précise d’ailleurs même pas s’il s’agit d’un master 1 ou d’un master 2. Ainsi, des jeunes de vingt-cinq ans pourront exercer comme mandataire ou liquidateur sans aucune expérience de la vie professionnelle et sans aucune connaissance de la vie d’une entreprise. Il faut le dire, car les conséquences de cet article sont extrêmement graves pour ces professions.

M. Dino Cinieri. Il a raison !

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Tian.

M. Dominique Tian. Il ne faut pas minimiser les conséquences de ces dispositions, car elles sont énormes !

M. Dino Cinieri. C’est essentiel !

M. Dominique Tian. Il s’agit de la survie d’entreprises qui sont menacées de liquidation – malheureusement, nous connaissons bien ce sujet, à Marseille. Comment pouvez-vous imaginer qu’un président de tribunal de commerce désigne un simple titulaire d’un master de droit ? À la limite, il pourrait même être poursuivi pour complicité de mauvaise gestion ! Ce n’est pas responsable.

Comment choisira-t-on parmi les centaines de jeunes diplômés entrant dans la vie professionnelle et tous titulaires d’un master – ce qui n’est pas très compliqué – ou peut-être d’un DEA ou d’un DESS ? Allons-nous le tirer au sort ? Alors même que les responsabilités et la rémunération sont très importantes – elle est adaptée aux enjeux que représente la liquidation d’une société importante –, on tirera au sort et on verra bien qui sera chargé de la survie d’une entreprise. Ce n’est pas sérieux !

Le système actuel a peut-être des défauts, mais il présente des garanties de sérieux. Quand un juge du tribunal de commerce décide de choisir un administrateur, il s’appuie sur des critères comme son passé, son expérience professionnelle, ses compétences avérées, l’accord trouvé avec les salariés sur les conditions, mais la simple détention d’un diplôme de droit ne suffit pas ! Il y a eu ce matin une décision de justice concernant la SNCM. Tout le monde connaît le dossier : 1 000 personnes vont être au chômage, c’est-à-dire quasiment la moitié des effectifs. Dans cette affaire, un titulaire d’un simple diplôme de droit n’aurait pas pu être un administrateur valable. Il s’agit donc d’une disposition très importante, contre laquelle nous vous mettons en garde.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Avis défavorable. La jeunesse appréciera les réserves que vous avez faites !

M. Dominique Tian. Il ne faut pas exagérer ! Ce n’est pas une réponse !

M. François Brottes, président de la commission spéciale. On peut être député à partir de quel âge ?

M. Dominique Tian. Cela n’a rien à voir !

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Emmanuel Macron, ministre. Il faut toujours revenir au projet de loi. C’est peut-être cela qui est, en effet, compliqué et qui peut conduire au trouble. L’article 20 modifie, au début du 5°, l’article L. 811-5. Cet article dispose que tout professionnel doit « avoir subi avec succès l’examen d’accès au stage professionnel, accompli ce stage et subi avec succès l’examen d’aptitude aux fonctions d’administrateur judiciaire. » L’article 20 ajoute à ce 5° les mots « Être titulaire du diplôme de master en administration et liquidation d’entreprises en difficulté ou ».

Quand vous continuez la lecture de ce même article L. 811-5, vous avez la règle : « Ne peuvent être admises à se présenter à l’examen d’accès au stage professionnel que les personnes titulaires des titres ou diplômes déterminés par décret. » L’article 20 vient donc compléter le dispositif. Je suis sensible à votre point, mais simplement, l’accès à la profession est aujourd’hui restreint. Vous venez le compléter, mais vous ne venez pas le compléter au rabais.

Vous ouvrez une voie, et c’est tout le débat que nous avons eu. C’est pourquoi je suis sensible à votre préoccupation, car elle est légitime. Vous dites : on ne veut pas de mauvais professionnels. Simplement, nous avons fait aujourd’hui le constat, et d’ailleurs je crois qu’il est partagé sur tous les bancs, qu’il n’existe pas, sauf dans un ou deux cas qui ont été mentionnés par l’un ou l’une d’entre vous, plus savant que moi, de master ou en tout cas de filière au sein de l’université. On en crée une et on crée cette voie d’accès, avec, ensuite, tout le chaînage qui existe dans les différents articles relatifs à l’accès à la profession. Vous avez le stage, puis ensuite les différents critères qui existent aujourd’hui.

Mais l’accès professionnel par le diplôme qui est ici créé, et donc en particulier le diplôme de master en administration et liquidation d’entreprises, est en effet ajouté, parce qu’il n’existait pas.

Ensuite, le huitième alinéa vous renvoie bien à un décret en Conseil d’État qui « fixe les conditions de compétence et d’expérience professionnelle ». Sur ce point je peux m’engager également – nous avons eu une discussion avec la garde des sceaux – : il y aura des critères relatifs à l’expérience professionnelle et en particulier au stage, puisque le maintien de ce dernier est conforme à la logique de toutes ces professions.

Le décret en Conseil d’État vient donc fixer « les conditions de compétence et d’expérience professionnelle donnant droit à une dispense de l’examen d’accès au stage professionnel, de tout ou partie du stage professionnel et de tout ou partie de l’examen d’aptitude aux fonctions d’administrateur judiciaire. » Ce décret ne viendra en rien supprimer la totalité des qualifications : c’est la garde des sceaux qui viendra définir par décret les qualifications et l’expérience requises.

Il y a aujourd’hui une fermeture de la profession, due, là-aussi, à un comportement malthusien qui a été constaté partout et de tous côtés. Sur vos territoires, vous voyez bien souvent que vous manquez d’administrateurs-mandataires judiciaires. Vous en manquez.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Bien sûr, ce sont toujours les mêmes.

M. Emmanuel Macron, ministre. Mais oui, et vous le savez très bien, dans beaucoup de territoires il n’y en pas suffisamment. Je vous demande pardon, monsieur le député Tian, vous n’avez pas fait cette expérience, ou vous ne voulez pas le reconnaître.

Beaucoup de juges des tribunaux de commerce reconnaissent d’ailleurs qu’ils préféreraient, lorsqu’ils doivent faire appel à ces qualifications, avoir une palette de choix plus large. Ils me l’ont dit.

Pour répondre parfaitement à M. le député Tian, je veux affirmer que le décret en Conseil d’État permettra de définir ces qualifications, mais qu’il ne s’agit en rien d’avoir un accès au rabais à ces professions. C’est ce décret en Conseil d’État qui fixera ces conditions de compétences, simplement en revisitant des dispositions devenues aujourd’hui trop restrictives. L’avis du Gouvernement est donc défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Gilles Lurton.

M. Gilles Lurton. Je préfère, déjà, ce type de réponse.

Je ne pense pas, moi que nous manquions de mandataires judiciaires. Je dispose de nombreux éléments qui le démontrent mais je ne souhaite pas, car cela prendrait trop de temps, m’attarder sur ce point.

Je voudrais vous dire, monsieur le ministre, comme je l’ai fait plusieurs fois en commission, que les postes de mandataires judiciaires sont créés par arrêté du ministre de l’économie et des finances. Or depuis trois ans, aucun arrêté ouvrant des postes de mandataires ou de liquidateurs judiciaires n’a été signé.

M. Dominique Tian. Exactement.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. C’est bien pour cela qu’il faut changer les choses.

M. Gilles Lurton. Il n’y en a pas eu, sauf un, au mois de janvier dernier, qui a été signé juste avant que nous commencions à examiner ce texte de loi. Comme par hasard.

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Tian.

M. Dominique Tian. Gilles Lurton a complètement raison. C’est complètement loufoque : c’est vous qui pouvez ouvrir les postes. Faites-le ! Que dit votre texte ? Il dit qu’un décret en Conseil d’État pourra permettre des dispenses de l’examen d’accès. Le mieux est peut-être, tout simplement, d’ouvrir l’examen d’accès, plutôt que de dispenser les gens de cet examen. C’est complètement absurde.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Emmanuel Macron, ministre. Il existe un principe de hiérarchie des normes : on peut prendre un arrêté quand il respecte un décret, celui-ci devant respecter la loi.

M. Philippe Houillon. Ne soyez pas suffisant !

M. Emmanuel Macron, ministre. Nous venons modifier la loi afin de pouvoir prendre, plus facilement et dans des conditions plus ouvertes, des arrêtés. Il s’agit d’un simple rappel de notre hiérarchie des normes, celle dans laquelle nous vivons.

(L’amendement n1987 rectifié n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie de quatre amendements, nos 2156, 2158, 2157 et 2159, qui peuvent faire l’objet d’une présentation groupée.

La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson, pour les soutenir.

M. Jean-Frédéric Poisson. Ces quatre amendements ont le même objet : ils visent à maintenir la nécessité, pour les personnes s’apprêtant à être nommées dans ces professions, d’accomplir, avant leur nomination, un stage à caractère professionnel.

Or, monsieur le ministre, la rédaction du troisième alinéa, visé à l’amendement n2156, comme celle du septième alinéa, visé par l’amendement n2157, peuvent être lues comme permettant que l’obtention du diplôme que vous créez, et dont nous parlons depuis tout à l’heure, suffise à la nomination ou à l’entrée dans la profession et dispense de stage professionnel. De notre point de vue, cela est préjudiciable. Pour ces raisons, ces amendements rétablissent la nécessité pour les impétrants de passer par la case « stages » avant d’être nommés.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur ces amendements ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Défavorable.

M. Jean-Frédéric Poisson. On peut savoir pourquoi ?

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Défavorable. Je crois avoir déjà répondu car il s’agit, au fond, du même argument que celui employé par votre collègue.

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Cherpion.

M. Gérard Cherpion. Dans votre texte, monsieur le ministre, il est quand même bien dit qu’un décret en Conseil d’État fixe « les conditions de compétence et d’expérience professionnelle donnant droit à une dispense de l’examen d’accès au stage professionnel, de tout ou partie du stage professionnel […] ». Cela veut bien dire que vous pouvez supprimer la totalité du stage professionnel. Cela veut bien dire que ces gens n’auront aucune expérience.

Pour répondre à Mme la rapporteure, qui faisait état du nombre croissant de liquidations, je pourrais dire, monsieur le ministre, que cette augmentation constitue déjà un aveu de l’échec de votre politique. Mais je ne le dirais pas, parce que cela ne correspond pas à la réalité. Il n’y a en effet pas plus de liquidations aujourd’hui : j’ai repris les chiffres pour mon secteur, dans les Vosges. Ce secteur est, vous le savez bien, particulièrement difficile. Or on n’y dénombre pas plus de liquidations qu’auparavant.

Donc, aujourd’hui, la situation telle qu’elle est mérite d’être respectée, tout comme les administrateurs judiciaires.

Par ailleurs, il ne faut pas mélanger les différentes professions. Un huissier a un client, il va chez des débiteurs pour récupérer quelque chose. L’administrateur, ou le mandataire judiciaire, c’est l’inverse : il n’a pas de client puisqu’il est nommé par le tribunal. Il va plutôt, lui, bloquer l’exécution. Nous sommes donc en train de tout mélanger et de donner accès à ces professions à des gens qui n’auront ni la compétence nécessaire, ni le sens de la sauvegarde de l’emploi. C’est important car les mandataires judiciaires ont un sens de la sauvegarde de l’emploi qui n’existait peut-être pas il y a quelque années mais qui est maintenant bien ancré dans la profession.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Dino Cinieri. Il découvre le code.

M. Emmanuel Macron, ministre. Non, ce n’est pas le cas, monsieur le député, mais il est toujours préférable de lire un code quand on le modifie. C’est une règle de base : quand je fais des modifications sur un texte, j’aime bien avoir le texte de référence. Je vous invite à faire la même chose car cela évite les confusions.

M. le député a dit que je découvrais le code, ce qui est discourtois de sa part. Je lui répondais, donc, alors qu’il est discourtois à mon égard, ce que je ne me permettrais pas d’être au sien, même si j’aurais des motifs pour cela.

Je réponds à M. le député Cherpion qui est toujours précis et constructif, et je l’en remercie. Quel est l’objectif ? Quand on renvoie au décret, il n’y a pas de malentendu. Le décret en Conseil d’État fixe « les conditions de compétence et d’expérience professionnelle donnant droit à une dispense de l’examen d’accès au stage professionnel, de tout ou partie du stage professionnel et de tout ou partie de l’examen d’aptitude aux fonctions d’administrateur judiciaire. » Ce faisant, nous créons ce qui n’existe pas dans le code actuel, à savoir un mécanisme de valorisation des acquis de l’expérience.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Exactement.

M. Emmanuel Macron, ministre. Un salarié, un professionnel, qui a la compétence et une expérience reconnue, vous n’allez tout de même pas raisonnablement lui faire suivre, une nouvelle fois, le stage ? Là, vous êtes typiquement dans la démarche de celles et ceux qui ne veulent pas ouvrir. Et donc, oui, je veux prendre plus d’arrêtés. C’est très cohérent avec ce que nous avons fait hier, dans beaucoup d’autres domaines. Des dispositions similaires sur la valorisation des acquis de l’expérience ont d’ailleurs été votées tout à l’heure.

Vous n’allez pas, raisonnablement, faire repasser le stage professionnel à un salarié qui dispose, selon les termes du décret, d’une expérience et d’une compétence reconnues. Cela ne se passe pas de cette façon dans la plupart des professions, y compris dans toutes celles que nous avons évoquées depuis tout à l’heure. Pour pouvoir valoriser ces acquis de l’expérience, il faut pouvoir définir cette filière : ce sera l’objet du décret.

L’idée n’est pas qu’un jeune qui vient d’obtenir un master, puisque c’est ce que M. le député Tian visait dans son exemple très précis, puisse, en vertu de ce décret, entrer dans la profession. Lui, il fera le stage. Simplement, quelqu’un qui a le diplôme et qui satisfait aux critères de compétence reconnus, qui a été salarié pendant plusieurs années, et donc qui dispose d’une expérience professionnelle, il faut le dispenser du stage. Bien évidemment ! Sinon, vous créez de la réglementation inutile, et le texte est aujourd’hui trop serré. Cette réglementation inutile empêche certains professionnels d’accéder à ces fonctions. Vous avez là, monsieur Tian, la raison pour laquelle ce texte est un texte favorable à l’activité et la création d’emplois et d’opportunités. Quand on veut multiplier les règles et les normes, eh bien, en effet, on en détruit.

Mme la présidente. La parole est à M. Gilles Lurton.

M. Gilles Lurton. Juste une précision : vous venez de nous dire « et qui a été salarié pendant plusieurs années ». Sur quelle base vous fixerez-vous pour vérifier cela ? Je vous laisse imaginer l’amertume des jeunes mandataires judiciaires qui actuellement ont fait toutes les études pour accéder à cette profession et doivent suivre le stage. Dans leur carrière, cela représente de longues années. Je trouve que vous créez entre eux et ceux qui bénéficieront du nouveau dispositif une certaine inégalité.

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Tian.

M. Dominique Tian. Ce qui nous inquiète, monsieur le ministre, c’est la garantie de compétences et d’impartialité de ces personnes. Jusqu’à présent, le système fonctionnait plutôt bien, même s’il n’y a peut-être pas de liquidateurs en nombre suffisant. Mais c’est un autre problème.

Il suffit, comme l’a dit Gilles Lurton, d’ouvrir, de créer des postes, et de permettre plus de stages. C’est la Chancellerie qui n’ouvre pas ce type de stage. Actuellement, la garantie est apportée par le fait que la personne est choisie, pour son stage, par un magistrat et que la Chancellerie suit, ensuite, ce dossier. Ce qui nous inquiète n’est pas l’accès des jeunes à ce métier : dans tous les métiers, des jeunes veulent entrer.

Tout le monde veut être professeur de médecine ou agrégé. Le problème n’est pas là : on accède à ces professions par des concours, et tout le monde n’a pas les capacités de les réussir. Voilà ce que nous voulons dire. Il faut respecter quelqu’un qui a le mérite d’accepter les stages placés sous la responsabilité de la Chancellerie. Ces professions, gèrent, comme je l’ai expliqué, de l’humain, en touchant à des matières qui ne sont pas communes : l’avenir de personnes, des débiteurs qui attendent de voir régler leur situation, ou des situations économiques dramatiques.

Je le disais tout à l’heure, le président du tribunal de commerce qui choisira un liquidateur le fera en fonction des critères les plus objectifs. Il préférera évidemment faire appel à des personnes qui auront suivi ces stages qui sont très difficiles à obtenir. Monsieur le ministre, il n’y a peut-être pas assez de personnes qui ont suivi ces stages. La solution est d’en ouvrir.

Mais qu’on ne nous dise pas qu’il faut que les petits jeunes aient leur place dans ce dispositif. Ce n’est pas une histoire de petits jeunes. On ne nomme pas quelqu’un professeur de médecine ni responsable de transplantations cardiaques au seul motif qu’il est jeune, et qu’il faut que les petits jeunes doivent faire ce type d’opérations. On ne peut y participer que parce qu’on a suivi un cursus universitaire extrêmement long.

Ce type de garantie permet à un président de tribunal de commerce, lorsqu’il procède à la nomination d’une personne qui va gérer l’humain, le fiscal, le social et les débiteurs, d’être sûr que cette personne disposera de la compétence nécessaire pour le faire. Votre réponse était, madame la rapporteure, un petit peu rapide. Voilà, monsieur le ministre, ce que nous essayons de vous faire partager.

(Les amendements nos 2156, 2158, 2157, et 2159, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement rédactionnel, n2516, de M. Richard Ferrand, rapporteur général.

(L’amendement n2516, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Houillon, pour soutenir l’amendement n413.

M. Philippe Houillon. Je souhaite rectifier l’amendement, madame la présidente, en remplaçant les mots : « six mois » par les mots : « deux ans ».

Mme la présidente. L’amendement n413 est donc ainsi rectifié.

(L’amendement n413 rectifié, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie de plusieurs amendements identiques.

La parole est à M. Dino Cinieri, pour soutenir l’amendement n172.

M. Dino Cinieri. Le II de l’article 20 méconnaît les exigences du Conseil constitutionnel en matière de loi d’habilitation.

Un projet de loi d’habilitation doit justifier le recours aux ordonnances et indiquer précisément la finalité et le domaine des ordonnances à venir. Or, le Gouvernement ne fournit aucune explication sur la grande profession de l’exécution et n’expose pas les finalités poursuivies. De plus, les termes utilisés sont flous, l’exposé des motifs est trompeur – ce n’est pas le regroupement des professions qui diminuera les coûts puisque les actes sont tarifés –, et en contradiction avec l’étude d’impact.

Les rapporteurs eux-mêmes se sont interrogés sur la pertinence de cette réforme et sur sa faisabilité compte tenu des compétences exigées pour exercer ces différentes professions.

Enfin, la création d’une profession de commissaire de justice regroupant les commissaires-priseurs judiciaires et les huissiers de justice aurait pour conséquence d’atomiser le marché de la vente aux enchères publiques, sur lequel les intervenants passeraient de 420 à 4 000, et de fragiliser les maisons de ventes volontaires, dont 80 % sont adossées à des études de commissaires-priseurs judiciaires. À terme, le marché de l’art français, générateur de milliers d’emplois et d’importantes recettes fiscales, risquerait de disparaître au profit d’autres places internationales. On signalera d’ailleurs qu’aucune étude d’impact sur ce point n’a été initiée par les rédacteurs du texte.

C’est pourquoi je demande la suppression des alinéas 11 et 12 de l’article.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Houillon, pour soutenir l’amendement n414.

M. Philippe Houillon. Je ferai les mêmes observations que mon collègue sur le recours à une ordonnance.

Je voudrais, monsieur le ministre, vous soumettre la question suivante. Je le fais de manière modeste, pour que le rapporteur général ne me dise pas que je suis « suffisant ». Vous prévoyez, par ordonnance, de fondre les professions d’huissier de justice et de commissaire-priseur judiciaire. Sauf erreur de ma part, les huissiers de justice peuvent faire des ventes volontaires. Les commissaires-priseurs judiciaires ne le peuvent pas, puisque c’était justement l’objet de la réforme précédente que de séparer les activités de vente volontaire et de vente judiciaire. Seules les SVV, les sociétés de ventes volontaires, peuvent procéder à des ventes volontaires. Par conséquent, il faut quand même que vous nous disiez vers quoi vous allez. Si vous enlevez aux huissiers de justice la possibilité de faire des ventes volontaires, quid de l’indemnisation ? Mais j’imagine que vous me répondrez qu’il n’y a pas matière à indemnisation. Quoi qu’il en soit, indépendamment même de l’indemnisation, il faut que vous nous disiez vers quoi vous allez : allez-vous enlever aux huissiers de justice la possibilité de faire des ventes volontaires, ou allez-vous, à l’inverse, permettre aux commissaires-priseurs judiciaires de faire des ventes volontaires, ce qui serait très étonnant, puisque totalement en contradiction avec la loi que nous avons votée il y a quelques années, qui donne cette possibilité aux seules sociétés de ventes volontaires.

Actuellement, monsieur le rapporteur général, les huissiers de justice peuvent faire des ventes volontaires. Les commissaires-priseurs judiciaires ne le peuvent pas.

Comment pensez-vous régler le conflit de compétences qui découle de la création d’une seule et même profession ? Le texte ne répond pas à cette question. Avant de vous habiliter à prendre de telles dispositions par ordonnance, le Parlement doit savoir où vous voulez aller. C’est une question parmi d’autres, mais il y faudrait tout de même une réponse.

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Tian, pour soutenir l’amendement n567.

M. Dominique Tian. Monsieur le ministre, vous poursuivez votre désorganisation, votre désintégration des professions réglementées.

Philippe Houillon a parfaitement expliqué la situation. Le Conseil d’État lui-même n’en a pas jugé différemment puisque son avis est sans appel : « […] les trois professions concernées présentent des différences statutaires sensibles en droit interne (les huissiers de justice et les commissaires-priseurs judiciaires ont la qualité d’officier public et ministériel que ne possèdent pas les mandataires judiciaires) […]. » Il me semble donc que le Conseil d’État, dont vous vous êtes d’ailleurs préoccupé tout à l’heure, va vous répondre de manière un peu sanglante.

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Larrivé, pour soutenir l’amendement n1065.

M. Guillaume Larrivé. Je défends cet amendement pour des raisons qui tiennent à la fois au fond et à la forme.

Sur le fond, je ne suis pas du tout convaincu par la nécessité ou l’opportunité de créer une nouvelle profession de commissaire de justice qui regrouperait les professions d’huissier de justice et de commissaire-priseur judiciaire. La valeur ajoutée de cette réforme n’est absolument pas démontrée.

Sur la forme, surtout, je suis très surpris de la manière dont vous avez rédigé les dispositions relatives à l’habilitation du Gouvernement à prendre des mesures par ordonnance. Vous nous appelez à vous signer une sorte de chèque en blanc pour prendre en considération les « risques de conflits d’intérêts propres à l’exercice des missions de chaque profession concernée », tout en nous appelant à fusionner celles-ci. C’est un peu la pagaille, monsieur le ministre. 

J’ajoute, sur la forme, qu’il reste curieux – pardonnez-moi de le répéter inlassablement, mais c’est un vrai signe de mépris – que la garde des sceaux, ministre de la justice, ne daigne toujours pas participer à nos débats (Exclamations sur quelques bancs du groupe SRC)

M. Dominique Tian. C’est vrai !

M. Guillaume Larrivé. …après dix jours de discussions dans l’hémicycle, des heures et des heures consacrées à l’examen de la situation de professions juridiques qui, par définition, appartiennent à son champ de compétences. À moins que le décret relatif à vos attributions n’ait été modifié et que vous soyez devenu ministre de l’économie et de la justice, avouez que tout cela est tout de même très curieux.

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Menuel, pour soutenir l’amendement n1668.

M. Gérard Menuel. Je souhaite rappeler tout d’abord que les alinéas 11 et 12 méconnaissent les exigences du Conseil constitutionnel en matière de loi d’habilitation. Je ne reviendrai pas sur la démonstration qui a été faite par mes collègues à l’instant.

Par ailleurs, la création d’une profession de commissaire de justice paraît inconciliable, en l’état, avec les exigences européennes des directives « Services » et « Reconnaissance des qualifications professionnelles ». La démarche européenne impose de raisonner non pas en termes d’opérateur mais en prenant en considération les caractéristiques de l’activité exercée, en l’espèce, l’exécution, qui est un concept très théorique.

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Morel-A-L’Huissier, pour soutenir l’amendement n2041 rectifié.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Je reprendrai les propos de mes collègues Dino Cinieri et Guillaume Larrivé, et convaincrai peut-être le Gouvernement.

Un projet de loi d’habilitation doit justifier le recours aux ordonnances et indiquer précisément la finalité et le domaine des ordonnances à venir ; cela a été rappelé plusieurs fois par le Conseil constitutionnel dans ses décisions. Or, le Gouvernement ne fournit aucune explication sur la grande profession de l’exécution et n’expose pas les finalités poursuivies.

De plus, les termes utilisés sont flous ; par exemple « regroupant ». L’exposé des motifs est trompeur – ce n’est pas le regroupement des professions qui diminuera les coûts, puisque les actes sont tarifés – et en contradiction avec l’étude d’impact. Les rapporteurs eux-mêmes se sont interrogés sur la pertinence de cette réforme et sur sa faisabilité compte tenu des compétences exigées pour exercer ces différentes professions.

Par ailleurs, la création d’une profession de commissaire de justice est inconciliable, en l’état, avec les exigences européennes des directives « Services » et « Reconnaissance des qualifications professionnelles ». Les professions de commissaire-priseur judiciaire et d’huissier de justice ont leurs propres spécificités. Les commissaires-priseurs judiciaires ne procèdent pas à des mesures d’exécution forcée dans la majorité de leurs missions et n’ont pas de clientèle privée. La fusion des deux professions aboutirait à la création d’une profession de commissaire de justice non conforme aux exigences européennes.

Mme la présidente. La parole est à M. Gilles Lurton, pour soutenir l’amendement n2950 rectifié.

M. Gilles Lurton. Il est défendu.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur cette série d’amendements identiques ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Emmanuel Macron, ministre. L’avis du Gouvernement est défavorable, mais je souhaiterais tout de même répondre de la manière la plus précise possible aux questions qui ont été posées, comme j’essaie de le faire à chaque fois.

Tout d’abord, il ne s’agit pas, comme cela a pu être dit, de fusionner ces professions ; il s’agit d’un regroupement, et c’est à cette fin que nous demandons une habilitation à procéder par ordonnance.

En effet, vous conviendrez avec moi, et l’échange entre M. Houillon et M. Le Bouillonnec tout à l’heure l’a bien montré, qu’il existe aujourd’hui des activités concurrentielles dont l’exercice est parfois partagé.

Cela a été évoqué, les commissaires-priseurs judiciaires n’ont plus le monopole des ventes devant notaire depuis la loi de 2000.

M. Philippe Houillon. Ce ne sont plus des commissaires-priseurs judiciaires !

M. Emmanuel Macron, ministre. Ils peuvent néanmoins réaliser de telles ventes en s’adossant à des structures, et ils le font. La pratique est observée chez beaucoup d’entre eux ; les cas ont été relevés, tout cela a été décrit. Je vous renvoie sur ce point aux analyses qui ont été faites. Cela n’enlève rien à la qualité des rédactions au réel. Le fameux rapport de l’Autorité de la concurrence, qui a examiné le fonctionnement de ces professions – ce n’est pas un mal de disposer d’un rapport objectif –, le dit en son paragraphe 334, dont je ne vous ferai pas lecture ici. Cette description est intéressante en ce qu’elle montre la possibilité de cette activité. Les commissaires-priseurs judiciaires peuvent exercer comme opérateurs de ventes volontaires en instituant un office ou en étant adossés à des opérateurs existants.

Les huissiers, quant à eux, peuvent procéder à des inventaires, des prisées, des ventes judiciaires quand il n’y a pas de commissaire-priseur judiciaire dans la commune. La situation est donc compliquée, tel est le monde dans lequel nous vivons : des compétences s’enchevêtrent sur notre territoire et sont même parfois partagées par certains de ces professionnels. Quand il y a un commissaire-priseur, l’huissier ne peut procéder à ces inventaires, prisées ou ventes judiciaires, mais quand il n’y en a pas, il peut le faire. La situation n’est donc pas simple, ou, à tout le moins, pas claire.

Toute une partie des qualifications de ces professions sont donc partagées ; c’est ce qui justifie qu’on réfléchisse à un rapprochement, et non pas à une fusion. C’est pour cela que le Gouvernement demande à être habilité à prendre des mesures par ordonnance, monsieur le député : si cela pouvait être clarifié en un trait de plume, nous l’aurions déjà fait ensemble, puisque nous l’avons déjà fait partout où cela était possible, et vous le savez bien.

M. Philippe Houillon. Vous avez un problème !

M. Dominique Tian. Le décret ne sortira jamais !

M. Emmanuel Macron, ministre. Toutefois, certains commissaires-priseurs judiciaires ont reçu une formation spécifique afin de pouvoir procéder à des ventes d’enchères publiques, à l’estimation de certains biens meubles, des formations qualifiantes que n’ont pas suivies les huissiers. Quand on compare les différentes formations, et l’idée d’un regroupement suppose qu’on le fasse, on constate, et il est tout à fait juste de le dire, qu’on ne peut pas tout rassembler, tout écraser.

L’objectif du Gouvernement n’est donc pas de fusionner ces professions du jour au lendemain. Il est plutôt, étant donné l’intrication de bon nombre de leurs activités qui a pu être observée sur le territoire, de regrouper progressivement ces professions, de les réorganiser sur le territoire et de regrouper leurs modalités de formation, avec une progression et un cursus d’ensemble qui comprenne des modules de base et des modules plus spécialisés pour les matières les plus spécifiques, que j’évoquais précédemment.

Vous le voyez bien, ce travail ne peut être fait du jour au lendemain, mais il se justifie. Peut-être pensez-vous qu’il faudrait tout écraser, tout simplifier d’un trait de plume, monsieur le député Poisson. Si vous êtes plus intelligent et que vous pensez pouvoir le faire, je vous invite à proposer un amendement.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier et M. Dominique Tian. Il est très intelligent !

M. Emmanuel Macron, ministre. Entre le fait de laisser les choses en l’état, qui est finalement ce que vous proposez, parce qu’elles sont trop compliquées – c’est d’ailleurs tellement compliqué qu’on constate un enchevêtrement sur le territoire – et le fait de tout simplifier d’un trait de plume, il y a une voie médiane, celle que nous proposons,…

M. Philippe Houillon. À quoi cela sert-il ?

M. Dominique Tian. C’est un monstre juridique !

M. Emmanuel Macron, ministre. … qui consiste à travailler selon la perspective que je viens de décrire pour améliorer le système.

Mme la présidente. La parole est à Mme Véronique Louwagie.

Mme Véronique Louwagie. Nous entendons vos arguments, monsieur le ministre. Je souhaite rappeler que dans le projet initial, la profession de commissaire de justice incluait également les mandataires judiciaires. Nous pouvons être satisfaits que cette profession ait été écartée du regroupement envisagé.

Vous faites état d’un certain nombre de similitudes, notamment dans la formation. Encore peut-on s’interroger sur ces convergences, tant ces métiers sont spécifiques. Par ailleurs, je doute que cette disposition aille dans le sens de la simplification, car elle encouragera, hélas, la concentration des métiers au sein de grandes structures.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Dans les grandes métropoles !

Mme Véronique Louwagie. Vous dites vouloir maintenir le maillage territorial et permettre l’installation des professions partout en France, mais les dispositions que vous prenez, à l’image de ce dispositif, favoriseront en fin de compte la concentration.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Houillon.

M. Philippe Houillon. Il s’agit de « créer une profession de commissaire de justice ». Les mots ont un sens, monsieur le ministre : il s’agit bien d’une seule profession. Et pourtant, vous nous expliquez qu’il ne s’agit pas d’une profession unique. Vous avez cette façon d’expliquer les choses pour ne pas répondre aux difficultés qui se présentent. Vous le faites avec infiniment de talent, mais le problème demeure !

Il est question de créer une profession « regroupant les professions d’huissier de justice et de commissaire-priseur judiciaire ». Je ne dois pas comprendre, mais lorsqu’on crée une profession regroupant deux autres, et quand bien même le rapprochement est progressif, il s’agit bien d’une seule et même profession.

Vous faites référence aux codes, et je vous suis volontiers sur ce terrain. Ainsi, en application de l’ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée, les huissiers de justice, dans les lieux où il n’est pas établi de commissaires-priseurs judiciaires, peuvent procéder à des ventes volontaires. Cela a d’ailleurs été matière à un grand débat lors de la réforme des commissaires-priseurs, les commissaires-priseurs judiciaires ne voulant pas que les huissiers de justice continuent à y être habilités. Bref, actuellement, les huissiers de justice peuvent faire des ventes volontaires.

Par ailleurs, vous dites que les commissaires-priseurs judiciaires procèdent à des ventes volontaires. De fait, non, puisque la réforme a mis fin à cette possibilité. Soyez précis, monsieur le ministre : le commissaire-priseur judiciaire fait des ventes judiciaires.

M. Emmanuel Macron, ministre. C’est ce que j’ai dit !

M. Philippe Houillon. Il se trouve que la réforme a permis de distinguer deux professions. Pourtant, vous faites l’amalgame.

M. Emmanuel Macron, ministre. Il s’agit des mêmes professionnels !

M. Philippe Houillon. Oui, mais il ne s’agit pas de la même profession, de la même fonction. La réforme a permis aux commissaires-priseurs judiciaires qui, en tant que tels, ne pouvaient plus procéder à des ventes volontaires, de créer des sociétés de ventes volontaires, des SVV, en séparant les deux activités. Même si, dans cette période transitoire, il s’agit des mêmes personnes physiques, les fonctions sont bien différentes : d’un côté, la fonction de commissaire-priseur judiciaire, de l’autre, celle d’opérateur de ventes volontaires. On ne peut pas dire le contraire.

Il s’agit, avec ce texte, de regrouper des professionnels qui ont le droit de procéder à des ventes volontaires avec des professionnels qui n’en ont pas le droit.

Cela pose problème, et vous le savez bien, monsieur le ministre. Vous n’avez pas répondu sur vos intentions. Il faudra, à un moment donné, dire aux huissiers de justice qu’ils ne pourront plus procéder à des ventes volontaires.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Mais non !

M. Philippe Houillon. Ou alors, il faudra que cette nouvelle profession soit autorisée à procéder à des ventes volontaires, auquel cas vous reviendrez sur les termes de la loi du 10 juillet 2000 portant réglementation des ventes volontaires.

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Tian.

M. Dominique Tian. C’est absolument kafkaïen ! Si vous le voulez bien, monsieur le ministre, relisons ensemble l’alinéa 12 : « Créer une profession de commissaire de justice regroupant les professions d’huissier de justice et de commissaire-priseur judiciaire, de façon progressive, en prenant en considération les incompatibilités et risques de conflits d’intérêts propres à l’exercice des missions de chaque profession concernée. » On écrit n’importe quoi ! Vous êtes sain d’esprit, monsieur le ministre, mais quelqu’un qui nous écouterait pourrait se poser quelques questions sur l’esprit cartésien français. Il est décidément impossible d’arriver à quelque chose d’intelligent ! Philippe Houillon l’a dit : renoncez à créer votre profession de commissaire de justice, avant que le ridicule ne l’emporte !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Nous avons auditionné les représentants de ces professions, aussi bien les commissaires-priseurs judiciaires que les opérateurs de vente volontaire, et un certain nombre de points ont été précisés. D’abord, je voudrais rappeler que la séparation entre les fonctions de commissaire-priseur judiciaire et d’opérateur de vente volontaire n’était pas seulement liée à l’application d’une directive, mais à l’introduction d’une déontologie nécessaire : vendre judiciairement dans le cadre de la prisée judiciaire et vendre volontairement, ce n’est pas la même chose.

M. Dominique Tian. Ce n’est pas le même métier, nous sommes d’accord.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Effectivement, et cela nous a été confirmé, lorsqu’un commissaire-priseur judiciaire procède à des ventes volontaires, il doit le faire dans le cadre d’une scission totale de ses activités, y compris en termes comptables. Mais, contrairement à ce que vous avez dit, Philippe Houillon, les huissiers de justice, qui procèdent aux prisées judiciaires sur tout le territoire, et pas seulement là où il n’est pas établi de commissaires-priseurs judiciaires, font également des ventes volontaires. Ils en ont parfaitement le droit.

Vous êtes en train de construire une problématique sur le fait que des professions réglementées distinctes vont exercer une même mission alors que, déjà aujourd’hui, les commissaires-priseurs judiciaires procèdent à des ventes volontaires.

M. Dominique Tian. C’est incompatible !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Seulement, ils sont obligés, par déontologie, de séparer leur gestion, et du coup, leurs indemnités de vente. De leur côté, les huissiers de justice peuvent procéder et à des prisées judiciaires et à des ventes volontaires. Vous êtes en train de créer une confusion, qui n’a pas lieu d’être.

M. Philippe Houillon. On verra bien !

M. Jean-Frédéric Poisson. Nous ne sommes certainement pas assez intelligents pour cela !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Il y a la prisée judiciaire ; il y a la vente volontaire. Quand on est chargé de la prisée judiciaire, on répond à des obligations déontologiques, induites par le statut. On est en train de construire quelque chose de très artificiel…

M. Dominique Tian. Ah ça, je ne vous le fais pas dire !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. …par rapport à ce qui se pratique au quotidien.

(Les amendements identiques nos 172, 414, 567, 1065, 1668, 2041 rectifié et 2950 rectifié ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. La parole est à M. Gilles Lurton, pour soutenir l’amendement n2949.

M. Gilles Lurton. Je ne décide pas de l’ordre des amendements, mais je réfléchis un peu lorsque je les dépose : j’estime que l’amendement n2949, qui vise à supprimer, dans l’alinéa 12, la mention de la profession de commissaire-priseur judiciaire. Il aurait dû être placé avant l’amendement n2950 rectifié, qui est un amendement de cohérence.

Mme la présidente. Les amendements sont classés dans l’ordre des alinéas, monsieur le député.

(L’amendement n2949, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

3

Ordre du jour de la prochaine séance

Mme la présidente. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :

suite de la discussion du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures dix.)

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly