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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2014-2015

Compte rendu
intégral

Première séance du mardi 17 février 2015

SOMMAIRE

Présidence de M. Claude Bartolone

1. Hommage aux victimes des attentats de Copenhague

2. Questions au Gouvernement

Profanation du cimetière juif de Sarre-Union

M. Frédéric Reiss

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Attentats de Copenhague

M. Jean Glavany

M. Manuel Valls, Premier ministre

Lutte contre l’antisémitisme

M. Paul Giacobbi

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques

Mme Jacqueline Fraysse

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique

Engagement de la responsabilité du Gouvernement

M. Christian Jacob

M. Manuel Valls, Premier ministre

Engagement de la responsabilité du Gouvernement

M. Philippe Vigier

M. Manuel Valls, Premier ministre

Changement du taux de CSG applicable aux retraités

M. Marc Le Fur

M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du budget

Projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques

M. Richard Ferrand

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique

Négociations AGIRC - ARRCO

Mme Marianne Dubois

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes

Situation en Ukraine

M. Rémi Pauvros

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international

Difficultés du secteur du bâtiment et des travaux publics

M. Jacques Lamblin

Mme Sylvia Pinel, ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité

Lutte contre le terrorisme

M. François Rochebloine

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international

Régime social des indépendants

M. Julien Aubert

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes

Lutte contre le dumping social dans le transport routier

M. Gilles Savary

M. Alain Vidalies, secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche

Lutte contre l’antisémitisme

Mme Barbara Pompili

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement

Suspension et reprise de la séance

3. Croissance, activité et égalité des chances économiques

Application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution

M. Manuel Valls, Premier ministre

M. le président

Suspension et reprise de la séance

Présidence de M. Denis Baupin

4. Nouvelle organisation territoriale de la République

Présentation

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique

M. Olivier Dussopt, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

M. Stéphane Travert, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles et de l’éducation

M. Germinal Peiro, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques

Mme Monique Iborra, rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales

M. Florent Boudié, rapporteur pour avis de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

Mme Christine Pires Beaune, rapporteure pour avis de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

M. Gilles Carrez, président de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Motion de rejet préalable

M. Hervé Gaymard

5. Dépôt d’une motion de censure

6. Nouvelle organisation territoriale de la République

Motion de rejet préalable (suite)

M. Olivier Dussopt, rapporteur

Mme Marylise Lebranchu, ministre

M. Marc Dolez

Mme Marie-Anne Chapdelaine

M. Damien Abad

M. Michel Piron

M. Paul Giacobbi

M. François-Michel Lambert

Motion de renvoi en commission

Mme Valérie Pécresse

Mme Marylise Lebranchu, ministre

M. Marc Dolez

Mme Colette Capdevielle

M. Jean-Frédéric Poisson

Mme Jeanine Dubié

Discussion générale

M. François de Rugy

7. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Claude Bartolone

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Hommage aux victimes des attentats de Copenhague

M. le président. Je tiens à saluer la présence dans les tribunes de Mme Anne Dorte Riggelsen, ambassadeur du Danemark en France. (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent et applaudissent.)

Copenhague et le peuple danois viennent d’être frappés à leur tour par la barbarie terroriste. Réplique insoutenable des attentats de Paris, ces attaques ont de nouveau cherché à atteindre ce que nous sommes et ce que l’Europe a de plus précieux.

La haine se concentre désormais tragiquement sur la liberté d’expression, que certains cherchent à détruire ; sur les forces de l’ordre, systématiquement prises pour cible ; et sur les juifs, à qui l’on dénie encore non seulement le droit d’exister, mais aussi celui de reposer en paix, comme le montre l’épouvantable profanation du cimetière juif de Sarre-Union.

Plus que jamais, face à ces événements qui nous rapprochent douloureusement, nous, Européens, devons nous montrer particulièrement unis et absolument intraitables dans la défense de nos valeurs.

Au nom de la représentation nationale, je rends hommage aux victimes de Copenhague. J’adresse aussi un message de soutien aux blessés.

Et nous vous prions, madame l’ambassadeur, d’être notre porte-parole auprès des autorités et du peuple danois, pour leur exprimer toute la solidarité de l’Assemblée nationale française. (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent et applaudissent.)

2

Questions au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Profanation du cimetière juif de Sarre-Union

M. le président. La parole est à M. Frédéric Reiss, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Frédéric Reiss. Monsieur le Premier ministre, ma question concerne la profanation du cimetière juif de Sarre-Union. J’y associe mon collègue Patrick Hetzel, député de Saverne, resté dans sa circonscription pour y accueillir, avec le maire Marc Séné, le Président de la République.

Deux cent cinquante tombes ont été vandalisées et la stèle d’hommage aux déportés détériorée. Ces actes odieux, aux antipodes des valeurs de la République, ont provoqué de nombreuses réactions de colère et d’indignation, en Alsace et sur le territoire national.

Nous tenons à affirmer notre compassion et notre solidarité avec les membres de la communauté juive, meurtrie et atteinte au plus profond d’elle-même. Ce cimetière, profané six fois depuis la Libération, jamais avec une telle ampleur, nous rappelle que le monde rural n’est pas à l’abri des violences.

Après les attentats de Paris, après ceux de Copenhague, après les assassinats des chrétiens coptes en Libye, ces profanations contribuent malheureusement à entretenir un climat de peur, de tension, de suspicion. Aussi ces actes doivent-ils être condamnés avec la plus grande fermeté.

Avec le placement en garde à vue de cinq adolescents du cru, c’est l’incompréhension et la consternation. Ont-ils seulement mesuré la portée de leur acte ? La manifestation spontanée des lycéens sarre-unionnais est, à ce titre, rassurante. Plus que jamais, la mobilisation de l’école se révèle indispensable dans la transmission des valeurs de respect et de tolérance.

Monsieur le Premier ministre, quels enseignements peut-on tirer des événements et de la cérémonie qui vient d’avoir lieu au cimetière juif de Sarre-Union ? En ces temps si troublés, comment faire régner la concorde et la fraternité dans une République une et indivisible ? (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI et sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Monsieur le député, ce matin, avec le Président de la République, le président de l’Assemblée nationale et le président du Sénat, nous étions à Sarre-Union, en présence des élus alsaciens, toutes tendances politiques confondues, et de la jeunesse de cette région, venue dire son indignation et son horreur. Ce que nous avons découvert est terrifiant : la profanation de plusieurs centaines de tombes, qui manifeste d’une grande violence et – pourquoi ne pas le dire ? – de ces haines qui rongent la République de l’intérieur, de cette inconscience, lorsque les comportements sont dictés par le seul instinct de la violence.

Ces actes doivent être condamnés avec la plus grande fermeté. Le Président de la République a rappelé la détermination du Gouvernement à agir. Il s’agit d’abord de protéger tous nos concitoyens de confession juive, dans un contexte où ils sont menacés : c’est ce que nous faisons en assurant la protection des lieux de culte, des institutions, des écoles, grâce à une mobilisation exceptionnelle des forces de l’ordre et des militaires.

J’ai également donné l’instruction très claire aux préfets de porter plainte systématiquement, en vertu de l’article 40 du code de procédure pénale, lorsque des actes antisémites sont constatés sur le territoire du ressort de leur compétence. Il faut le faire systématiquement, de façon extrêmement ferme. Je puis vous assurer que les forces de police, les préfets, la justice sont unis pour que le droit passe lorsque ces actes abjects sont commis.

Enfin, le Président de la République a confirmé que l’année 2015 ferait de la lutte contre le racisme et l’antisémitisme une grande cause nationale ; un plan qui manifestera cette volonté sera présenté dans quelques semaines. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Attentats de Copenhague

M. le président. La parole est à M. Jean Glavany, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Jean Glavany. Monsieur le Premier ministre, il y a quelques jours, c’était Copenhague – la réplique insupportable des faits commis à Paris au début du mois de janvier, des actes d’une barbarie violente contre des défenseurs de la liberté d’expression parce qu’ils défendent la liberté d’expression, contre des juifs parce qu’ils sont juifs, contre des policiers parce qu’ils défendent l’État de droit.

Les actes de Copenhague confirment vos propos, monsieur le Premier ministre, selon lesquels nous sommes en guerre, et peut-être même, sans en avoir tous conscience, engagés dans un conflit mondial.

II y a quelques heures, c’était les actes insupportables qui ont été commis à Sarre-Union – des actes qui, même s’il ne s’agissait que de vandalisme, ne pourraient pas être du vandalisme ordinaire car porter atteinte à notre histoire, à notre histoire douloureuse, à nos morts, à notre passé, c’est manquer de ce respect élémentaire sans lequel il ne peut y avoir de vie en République.

II nous a aussi été donné d’entendre il a quelques jours, monsieur le Premier ministre, les propos détestables d’un ancien ministre qui ne peut avoir l’excuse de l’âge, des propos totalement irresponsables, en cette période douloureuse où la parole publique a un poids particulier, des propos qui tournent le dos aux valeurs de la République, des propos condamnables, tout simplement.

Monsieur le Premier ministre, au-delà de la solidarité que nous voulons vous exprimer, je veux vous dire notre conviction que les Françaises et les Français ont plus que jamais besoin qu’on leur parle de ce qui les rassemble, de ce qui les unit, de ce qu’ils ont en commun, que nous devons toujours défendre et construire encore. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, monsieur le député Jean Glavany, cela a été dit avec des mots forts, par vous-même et par le président de l’Assemblée nationale, à Copenhague, samedi, on a voulu frapper les mêmes symboles que ceux qui l’ont été à Paris il y a quelques semaines : la liberté d’expression, la liberté de créer, la police, dont la mission est de protéger, et des juifs, parce qu’ils sont juifs. Les mêmes symboles.

Le Danemark, comme d’autres pays de l’Union européenne, travaille très étroitement depuis deux ans et demi avec la France, le ministre de l’intérieur le sait, parce qu’il est confronté comme nous, comme d’autres pays – pas seulement en Europe d’ailleurs – à ces filières djihadistes, au dévoiement d’une partie de la jeunesse qui ne sait plus où elle en est mais qui accomplit le pire. Oui, nous devons lutter avec la plus grande détermination contre le terrorisme, le djihadisme, l’islamisme radical qui a décidé de nous faire la guerre.

Cette guerre, vous l’avez dit avec des mots forts, monsieur le ministre, ne concerne pas que l’Europe. Je veux dire ici, comme vous tous j’imagine, mon horreur, mon indignation face aux crimes accomplis par Daech contre des chrétiens coptes en Libye, à qui nous devons rendre aussi hommage dans cet hémicycle. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, GDR, RRDP, écologiste et sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

L’antisémitisme, la haine du juif, la haine d’Israël, l’antisionisme sont souvent les moteurs de ce terrorisme, mais aussi de l’antisémitisme dans notre pays, qu’il soit ancien ou nouveau, ce vieil antisémitisme de l’extrême droite ou celui que l’on peut malheureusement retrouver dans nos quartiers populaires.

Une immense tâche nous attend tous, à l’école, dans la société, pour, comme le rappelait le ministre de l’intérieur, mobiliser la société. Le Président de la République a lui aussi, ce matin, trouvé les mots justes pour qualifier la profanation du cimetière juif de Sarre-Union, la profanation de ce patrimoine juif séculaire. La communauté juive est profondément ancrée en Alsace. C’est là qu’est né le capitaine Alfred Dreyfus, à Mulhouse, et c’est sans doute sa défense qui fut l’un des actes fondateurs de la République. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.)

M. Pascal Deguilhem. Très bien !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le député, nous ne devons rien laisser passer. Nous avons laissé passer trop d’actes et de mots. Aucun mot n’est excusable. Je l’ai dit hier, ma personne n’est en rien engagée dans cette affaire mais je demande à nos compatriotes, à travers vous, parlementaires, dont je connais la vigilance, de ne plus laisser passer aucun mot, que ce soit celui d’un gamin qui vient de profaner un cimetière juif ou celui d’un ancien responsable politique. Se rend-on bien compte de l’effet que peuvent avoir dans notre société, sur les esprits faibles, les paroles d’un ancien ministre, ancien président du Conseil constitutionnel, lui-même résistant, qui reprend au fond cette vieille rengaine de l’antisémitisme selon laquelle le juif serait responsable ?

Je dis ici, avec force et détermination, à nos compatriotes juifs que nous sommes là pour les protéger, qu’ils doivent être conscients que nous les soutenons, qu’ils sont cette part de France inestimable. Je dis aussi à l’ensemble de nos compatriotes que nous sommes fermement décidés à lutter contre l’antisémitisme, ce mal qui ronge notre société et qui doit susciter la plus grande détermination. Cette détermination, le ministre l’a rappelé, passe d’abord par le rassemblement autour des valeurs de la République, à commencer par la laïcité, le rassemblement autour de ce que nous sommes, nous, de notre identité française, de notre fierté d’être Français. C’est peut-être là le meilleur moyen de lutter contre cette haine et cet antisémitisme. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, GDR, RRDP et écologiste et sur plusieurs bancs du groupe UDI.)

Lutte contre l’antisémitisme

M. le président. La parole est à M. Paul Giacobbi, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Paul Giacobbi. Monsieur le Premier ministre, le 11 janvier, nous avons manifesté en masse mais si nous étions tous « Charlie », bien peu, trop peu, se sont voulus « casher » à cette occasion. Dimanche, des centaines de tombes d’un cimetière juif ont été profanées dans le Bas-Rhin et hier, un ancien ministre s’est exprimé en usant d’un vocabulaire que l’on n’entend plus guère sur nos ondes depuis la Libération – depuis Pétain.

Monsieur le Premier ministre, qu’arrive-t-il à la France ? Dans ce pays qui a proclamé, dès 1791, la pleine égalité des droits pour les juifs de France, dans ce pays qui s’est déchiré parce qu’un innocent, Alfred Dreyfus, était accusé, par une machination ignoble, d’une trahison dont il était totalement innocent au seul motif qu’il était juif, avant que ne soient rétablis ses droits et son honneur en 1906 ?

Nous en sommes encore, par ces non-dits, ces profanations, ces allusions perfidement teintées d’antisémitisme, à une ambiguïté contraire aux fondements et à l’histoire de notre République.

Mon père, pourtant lui-même pourchassé comme résistant, condamné à mort par contumace, m’a dit un jour avoir eu « honte d’exister », ce sont ses mots, je m’en souviens, après avoir croisé, dans la France de l’Occupation, le regard d’un vieux monsieur portant l’étoile jaune. Aujourd’hui comme hier, l’antisémitisme nous fait honte.

Monsieur le Premier ministre, ce qui se passe aujourd’hui, ce qui se dit aujourd’hui dans notre pays, ce ne sont pas les dérapages scandaleux d’un vieillard indigne, les oublis gênants d’une majorité silencieuse ou les comportements morbides d’adolescents en mal de sensations nocturnes, ce sont, ne nous y trompons pas, les signes de vie de la bête immonde de l’antisémitisme que nous devons combattre. Monsieur le Premier ministre, comment allez-vous mener ce combat ? (Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP, SRC, UDI et sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Monsieur le député, vous avez raison de vous indigner et de mettre autant de force dans votre question car, quand nous étions ce matin avec le Président de la République, le président du Sénat et le président de l’Assemblée nationale devant ce monument saccagé, qui portait l’inscription « À la mémoire des déportés », nous avons ressenti tout ce qu’il y avait d’abject et de violent dans cet acte qui renvoyait à ce qu’est la nature profonde de l’antisémitisme par-delà les frontières, quels que soient les moments de l’Histoire, dans cet acte marqué par une forme profonde d’ignorance et de bêtise que l’on voit se déployer dans un irrespect assumé sur Internet avec des phrases, des mots qui atteignent et blessent, et que l’absence de régulation permet.

Nous sommes déterminés, comme l’a dit le Président de la République ce matin, à combattre cette forme de bêtise, et d’abord en protégeant nos compatriotes de confession juive. Nous le faisons en mobilisant toutes nos forces de l’ordre et nos militaires, devant l’ensemble des institutions, pour que la sécurité des juifs de France, qui sont menacés, soit assurée. Nous le faisons en érigeant la lutte contre l’antisémitisme en grande cause nationale. C’est dans cet esprit que le Président de la République et le Premier ministre ont souhaité donner de nouveaux moyens à la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme, afin de développer des formations et une sensibilisation dans les écoles, les quartiers et les administrations, de qualifier l’antisémitisme et de faire en sorte que, grâce à l’enseignement de l’Histoire, de tels propos ne soient plus tenus.

Enfin, nous sommes déterminés à ce que le droit triomphe. Aussi ai-je demandé au préfet de faire preuve de la plus grande fermeté et de recourir à l’article 40 du code de la procédure pénale pour dénoncer tous les actes antisémites et faire en sorte que le droit s’applique. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur quelques bancs du groupe UMP.)

Projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques

M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Fraysse, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

Mme Jacqueline Fraysse. Avec le projet de loi pour la croissance et l’activité porté par le ministre de l’économie, (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP) le Gouvernement amplifie son programme ultralibéral de recul considérable des droits sociaux, de désengagement de l’État et de privatisations massives. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Arnaud Richard. Bravo !

Mme Jacqueline Fraysse. Vous présentez ce texte comme la réponse aux difficultés économiques de notre pays, mais la plupart des observateurs soulignent qu’il n’apportera ni croissance ni activité. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe UMP.)

Il est difficile, en effet, de faire la part entre les emplois que cette loi créera et ceux qu’elle détruira dans le petit commerce, l’artisanat, les professions libérales ou encore dans le transport et l’industrie ferroviaires. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Nicolas Dupont-Aignan. Très bien !

Mme Jacqueline Fraysse. De plus, ce texte facilitera les licenciements économiques, ce qui, à tout le moins, est un signal peu rassurant en matière d’emploi.

M. Marc Le Fur. Bravo !

Mme Jacqueline Fraysse. Vous provoquez des reculs sans précédent : recul des droits des salariés, de leur protection et de leurs conditions de travail ; recul du service public des transports ; recul des services juridiques de proximité ; recul encore du droit de l’environnement et de la possibilité pour nos concitoyens de contester certains projets d’aménagement.

M. Philippe Meunier. Votons contre !

Mme Jacqueline Fraysse. Ainsi, au nom du modernisme, vous appliquez de fait tous les archaïsmes des recettes libérales (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) qui ont pourtant montré leur incapacité à résoudre les problèmes et, surtout, leur capacité à les aggraver.

C’est le contraire des engagements du Président de la République ; croyez que nous le regrettons. Comment pouvez-vous justifier un tel revirement qui porte atteinte à votre crédibilité et à celle de toute la gauche ?

Vos agitations et hésitations autour du recours à l’article 49-3 sont un double aveu de faiblesse (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) :

M. Nicolas Dupont-Aignan. Bravo !

Mme Jacqueline Fraysse. …faiblesse du texte qui n’a pas su convaincre, et faiblesse vis-à-vis de votre propre majorité, que vous n’avez pas su rallier. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

M. le président. Je vous remercie, madame la députée.

Mme Jacqueline Fraysse. Allez-vous, monsieur le Premier ministre…

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique. (Vifs applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC. – Huées sur les bancs du groupe UMP.)

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique. Madame la députée, vous avez, pendant de nombreuses heures, participé à un débat avec plusieurs de vos collègues sur tous les bancs de cet hémicycle. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Ce débat a permis d’enrichir le texte et de le transformer en profondeur grâce à plusieurs centaines d’amendements.

M. Daniel Fasquelle. N’importe quoi !

M. Emmanuel Macron, ministre. Sans doute ne vous satisfaites-vous pas du débat parlementaire, qui ne vous suffit pas, mais de grâce, ne caricaturez pas un texte sur lequel vous avez si longuement débattu.

M. Christian Jacob. Respectez vos alliés !

M. Emmanuel Macron, ministre. Je le dis à tous les parlementaires : ce qu’attendent de nous les Français, c’est que nous avancions. Si la réponse que nous leur apportons, en particulier celle de la gauche, consiste à ne plus rien faire, et à considérer qu’avec 10 % de chômeurs et 25 % de chômage des jeunes, tout est bien qui finit bien, madame la députée, alors ce n’est pas une réponse de gauche acceptable ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC.– Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Si vous pensez que notre justice prud’homale fonctionne bien…

M. Bernard Gérard. Vous n’y connaissez rien !

M. Emmanuel Macron, ministre. …et que vous n’avez pas compris dans quel équilibre nous la réformons aujourd’hui, en toute transparence et ensemble, car c’est là l’essence du texte que nous avons défendu pendant des semaines et qui vous est aujourd’hui soumis, alors c’est que vous n’avez pas suivi.

Vous ne pouvez pas me dire ce que vous venez de dire, madame Fraysse, sur un texte que vous connaissez pourtant. (Exclamations sur les bancs des groupes GDR et UMP.)

Nous avons renforcé les droits des salariés qui travaillent le dimanche…

M. Nicolas Sansu. C’est faux !

M. Emmanuel Macron, ministre. …parce qu’aujourd’hui, dans de nombreuses zones, ils ne perçoivent aucune compensation, et vous le savez ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC.)

Nous rendons une justice plus efficace et plus rapide, et vous le savez ! (Mêmes mouvements.) Nous permettons à des Françaises et à des Français qui ne peuvent se déplacer sur le territoire de le faire et vous le savez ! (« Du calme ! » sur les bancs du groupe UMP.) Nous proposons à des jeunes privés d’emploi d’y accéder, et vous le savez aussi ! (Protestations sur les bancs du groupe GDR.)

Au fond, de part et d’autre de cet hémicycle, vous restaurez une forme d’union de ceux qui ne veulent pas changer le pays ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC.– Vives exclamations sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

M. Marc Dolez. N’importe quoi !

M. Emmanuel Macron, ministre. Vous restaurez l’union de ceux qui préfèrent dire que tout va bien, de ceux qui préfèrent nous accuser de ne pas faire assez parce qu’ils n’ont rien fait eux-mêmes ! Quant à nous, nous avancerons ! (Vifs applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC.– Protestations sur les bancs des groupes GDR et UMP.)

Engagement de la responsabilité du Gouvernement

M. le président. La parole est à M. Christian Jacob, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Christian Jacob. Monsieur le Premier ministre, après une réunion du groupe socialiste que l’on dit houleuse, puis un conseil des ministres extraordinaire, allez-vous rejoindre la cohorte des premiers ministres de gauche qui ont utilisé l’article 49-3 de la Constitution ? (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) En êtes-vous réduit à bâillonner l’Assemblée parce que vous n’y disposez plus de la majorité ? Ce serait pour vous, monsieur le Premier ministre, un échec personnel cuisant.

Il y a ici 340 députés de gauche, et vous seriez pourtant incapable de faire adopter cette petite loi Macron qui n’a plus ni queue ni tête à sa sortie de l’hémicycle ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Marc Le Fur. En autocar !

M. Christian Jacob. Pis encore : vous utilisez cette arme de dissuasion dans l’urgence et dans la panique. En recourant à l’article 49-3, sans doute voulez-vous éviter votre propre démission ! (« Ah ! » sur de nombreux bancs du groupe SRC et sur les bancs du groupe écologiste.)

Si vous utilisez l’article 49-3, le groupe UMP déposera une motion de censure. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.– Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Nous considérons que les Français ont droit à un vote !

La question que nous nous posons est celle-ci : avez-vous encore la capacité de gouverner aujourd’hui ? (« Non ! » et applaudissements sur les bancs du groupe UMP.– Exclamations sur divers bancs.)

M. Bruno Le Roux. Quel aveu de faiblesse de votre part !

M. Philippe Meunier. Nous compterons les votes !

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le président Jacob, je ne relèverai pas les remarques d’ordre personnel que vous venez de formuler mais, contrairement à vous, j’ai confiance dans les institutions de la Ve République. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Je me permets de vous rappeler qu’il y a un Président de la République, un Gouvernement et une majorité.

M. Julien Aubert. Où est-elle ?

M. Manuel Valls, Premier ministre. Quoi que vous disiez sur ces sujets, nous continuerons à gouverner et à réformer le pays.

Non seulement il y a une majorité, monsieur Jacob, mais ce que je sais, au vu des débats qui ont porté sur la loi pour la croissance et l’activité, et sur bien d’autres sujets, comme nous l’a prouvé l’actualité récente, c’est qu’il n’y a pas de majorité alternative, et que votre groupe et votre formation politique sont incapables de présenter un projet cohérent au pays ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Que demande le pays, monsieur Jacob ? Je vous ai écouté ce matin : dans ces moments graves pour la France, vous, président de groupe, n’avez pas été capable de vous hisser à niveau. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Christian Jacob. Où est votre majorité ?

M. Manuel Valls, Premier ministre. Ce que demande le pays, comme je le disais à l’instant à M. Glavany, c’est que nous soyons forts concernant l’autorité de l’État, les valeurs de la République, la laïcité, l’école ! Voilà ce que demande le pays !

M. Yves Fromion. Non, le pays demande du travail !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Il demande que nous soyons fermes sur les valeurs. Alors, monsieur Jacob, je vous demande à vous et à vos amis politiques d’être enfin fermes sur les valeurs, fermes quand il faut faire un choix, fermes quand il faut choisir entre un candidat républicain et l’extrême-droite ! (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.– Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

Sur ce sujet, je vous demande d’être clairs ! (Mêmes mouvements.)

Mme Marie-Louise Fort. Ce n’est pas le sujet !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Comment pouvez-vous demander la confiance des Français quand vous êtes vous-mêmes incapables de choisir entre la République et l’extrême-droite, comme vous l’avez montré à l’occasion de l’élection partielle dans le Doubs ?

M. Jean-François Copé. C’est incroyable !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Comment pouvez-vous convaincre les Français alors même que vous n’avez aucun programme ni pour l’économie, ni pour la réforme de l’État, ni pour l’éducation nationale ? Avant de nous donner des leçons, monsieur Jacob, soyez capable de présenter un projet et des propositions aux Français !

M. Christian Jacob. Elle est où, ta majorité ?

M. Manuel Valls, Premier ministre. Je vous dis la chose suivante : comme vous le verrez dans quelques minutes, le Gouvernement fera tout pour que cette loi passe, parce qu’elle est utile pour la France ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC.– Vives exclamations sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

Engagement de la responsabilité du Gouvernement

M. le président. La parole est à M. Philippe Vigier, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Philippe Vigier. Monsieur le Premier ministre, en septembre dernier, en réponse à votre discours de politique générale, je vous avais indiqué, au nom du groupe UDI que j’ai l’honneur d’animer, que vous connaissiez le chemin pour redresser le pays mais que vous ne pouviez pas l’emprunter, faute de majorité.

Le Président de la République vient de vous autoriser à utiliser la procédure du 49.3. Cette menace est brandie parce que, et vous le savez, vous êtes prisonnier de votre majorité. Malheureusement – et vous ne reprocherez pas au groupe UDI de ne pas être une opposition constructive – vous ne disposez pas des moyens et de la majorité nécessaires pour faire les réformes structurelles dont notre pays a tant besoin.

Il vous faut donc sortir de ce mensonge qu’a été l’élection de François Hollande en 2012, sortir de l’ambiguïté.

Ma question est simple : oui ou non allez-vous engager la responsabilité du Gouvernement sur ce projet de loi dont nous savons qu’il a une portée somme toute limitée mais qui fracasse votre majorité ? Oui ou non, monsieur le Premier ministre, la responsabilité du Gouvernement sera-t-elle engagée dans les prochaines heures ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI et quelques bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le président Vigier, je suis convaincu que, dans cet hémicycle comme dans le débat public, des hommes et des femmes de sensibilités différentes peuvent se retrouvent sur l’essentiel.

M. Marc Dolez. Il faut le dire à Macron !

M. Manuel Valls, Premier ministre. C’est vrai pour les valeurs de la République, c’est vrai pour un certain nombre de textes, c’est vrai aussi pour les projets de loi qui portent sur la réforme de notre économie.

Nous avons la conviction qu’il faut réformer, qu’il faut avancer…

Mme Jacqueline Fraysse. Dans quel sens ?

M. Manuel Valls, Premier ministre. …dans le sens, naturellement, de la justice sociale et de l’égalité.

J’ai conscience que cette responsabilité échoit bien sûr au Gouvernement et à la majorité, à condition que celle-ci assume pleinement ses responsabilités.

M. Dominique Dord. Elle est où, la majorité ?

M. Manuel Valls, Premier ministre. J’ai conscience du travail qui a été accompli pendant l’examen du projet de loi sur la croissance et l’activité soutenu par Emmanuel Macron, texte qui a été enrichi par l’adoption, en commission et dans l’hémicycle, de plus de mille amendements.

Je sais quel a été l’apport de chacun des groupes, et notamment de l’UDI. J’aurai l’occasion dans un instant de m’exprimer sur ce sujet, mais à ce stade, je pense que si chacun se ressaisit, si chacun prend conscience qu’il se joue quelque chose d’important et que nous sommes à un moment de vérité, ce texte peut être adopté dans cet hémicycle. Si ce n’est pas le cas, monsieur le président Vigier, j’assumerai toutes mes responsabilités parce que, encore une fois, ce texte est utile pour notre pays et qu’il est hors de question de le remettre en cause. (Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes SRC et RRDP.)

Plusieurs députés du groupe UMP. La réponse !

Changement du taux de CSG applicable aux retraités

M. le président. La parole est à M. Marc Le Fur, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Marc Le Fur. Monsieur le Premier ministre, comme beaucoup de députés dans cette enceinte, je rencontre de nombreux de nos concitoyens. Ils évoquent devant moi leurs préoccupations et j’essaie de leur répondre. Mais je ne sais pas répondre à toutes les questions, et c’est pourquoi je vous les pose.

Il y en a une que me posent les retraités à propos de la CSG. Prenons l’exemple précis d’un couple de retraités qui, après avoir travaillé toute leur vie, perçoivent un revenu annuel de 16 328 euros. Ils ne sont évidemment pas imposables. Cela ne les a pas empêchés de recevoir, le 7 décembre dernier, un courrier de leur caisse de retraite leur indiquant qu’en raison des décisions gouvernementales ils auraient à payer une CSG de 3,8 % + 0,5 %, soit au total 4,3 % sur leur retraite de 16 338 euros annuels.

Et en l’espèce, l’administration a réagi très rapidement – ce n’est pas toujours le cas, cela mérite donc d’être signalé – puisque dès le mois de janvier ces personnes se voyaient retirer au titre de la CSG la somme de 84 euros pour le mois. Soit 1 000 euros pour l’année ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Christian Jacob. C’est scandaleux !

M. Marc Le Fur. Si l’on retire 1 000 euros à des personnes dont le revenu annuel est de 16 000 euros, vous comprenez bien qu’on touche à l’essentiel – l’habillement, le chauffage, voire la nourriture.

Plusieurs députés du groupe UMP. Bravo la gauche !

M. Marc Le Fur. Comment expliquer cela aux retraités ? Ils comprennent d’autant moins que le 8 novembre, à la télévision, le Président de la République leur a expliqué qu’il n’y aurait pas d’impôt nouveau ! Ils comprennent d’autant moins qu’ils ont entendu les socialistes dire que les gens modestes seraient épargnés – et ce sont des gens modestes ! Ils comprennent d’autant moins qu’ils sont 500 000 dans ce cas !

Monsieur le Premier ministre,  ayez la délicatesse de répondre à ces retraités ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du budget.

M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du budget. Monsieur le député, dans la dernière loi de financement de la Sécurité sociale, vos deux assemblées ont décidé que les différents taux de CSG seraient désormais fixés non plus en référence à l’impôt payé par les foyers fiscaux mais en fonction de leur revenu fiscal de référence.

Globalement, l’opération est parfaitement neutre pour les finances publiques (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP) mais un certain nombre de transferts ont eu lieu, comme il est normal dans ce type de situation.

Comment comprendre en effet qu’un certain nombre de personnes aux revenus substantiels…

Plusieurs députés du groupe UMP. Oh ! Seize mille euros !

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. …parce qu’ils utilisaient des niches fiscales, parce qu’ils bénéficiaient de réductions ou de crédits d’impôts (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)…

M. le président. S’il vous plaît ! Cela n’ajoute rien à la question !

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. …se voyaient appliquer un taux de CSG réduit par rapport à d’autres personnes qui, avec un revenu fiscal de référence moindre, étaient assujetties à un taux de CSG élevé ? (Mêmes mouvements.)

Vous avez cité l’exemple d’un foyer qui à l’évidence a perdu quelques revenus (« Scandaleux ! » et exclamations sur les bancs du groupe UMP) mais vous n’avez pas parlé des retraités de condition modeste qui, parce qu’ils n’utilisaient pas de niches fiscales, étaient auparavant assujettis à un taux de CSG qui ne correspondait pas à l’ensemble de leurs revenus !

M. Philippe Meunier. C’est honteux !

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. La majorité a pris une décision parfaitement juste en ne prélevant aucun impôt supplémentaire sur les revenus des retraités de ce pays. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Marc Le Fur. C’est faux !

Projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques

M. le président. La parole est à M. Richard Ferrand, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Richard Ferrand. Monsieur le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique, après de longs mois de préparation et de concertation, après quatre-vingt-deux heures d’examen en commission et plus de cent heures de débat dans cet hémicycle, les articles du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques ont été adoptés.

Plusieurs députés du groupe UMP. Allô ! Allô !

M. Richard Ferrand. Tout à l’heure aura lieu le vote solennel sur le projet de loi que vous avez défendu ici au nom du Gouvernement. Ce texte a été l’objet d’un travail de coproduction législative inédit, puisque plus de 1 000 amendements parlementaires ont modifié le texte initial. L’écoute, le respect mutuel et la qualité des échanges ont marqué l’ensemble du processus législatif. C’est avec fierté et assiduité que de nombreux députés de la majorité, mais aussi de l’opposition, se sont investis dans ce travail. Nous l’avons construit, et acquis la conviction que ce vaste texte va dynamiser certains pans de notre économie (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), assouplir d’inutiles rigidités et redonner confiance dans l’avenir, notamment à la jeunesse.

Toutefois, des doutes subsistent encore chez certains de nos collègues à propos de l’extension des ouvertures dominicales autorisées dans le commerce de détail, ou de la finalité des réformes du code du travail.

M. Michel Herbillon. Mais qu’est-ce que c’est que ça ? On n’est pas à une réunion du groupe socialiste !

M. Richard Ferrand. Pouvez-vous, monsieur le ministre, sur ces deux questions, nous donner toutes les assurances nécessaires pour que les libertés économiques créées par ce projet de loi soient toujours accompagnées de progrès sociaux ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique.

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique. Monsieur le député, comme vous l’avez rappelé, un travail parlementaire important a été accompli. Je tiens à vous remercier pour le rôle essentiel que vous avez joué, ainsi que l’ensemble des rapporteurs et le président de la commission spéciale.

Plusieurs députés du groupe UMP. Allô ! Allô !

M. Emmanuel Macron, ministre. Non, ce n’est pas téléphoné, que de remercier chacune et chacun de son travail, c’est simplement de la courtoisie ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Et je vous assure que cela aide à vivre mieux !

Pour revenir au fond, en toute sincérité, je sais que pour beaucoup, ce projet de loi reste un sujet de préoccupation. Pour ce qui concerne le travail du dimanche, nous entendons simplement donner plus de liberté aux élus, en confiant aux maires la possibilité d’autoriser l’ouverture des commerces jusqu’à douze dimanches par an. Des amendements ont été adoptés, dont il résulte que ce texte ne prévoit plus de dimanches obligatoires. De plus, pour autoriser l’ouverture des commerces plus de cinq dimanches par an, il faudra l’avis conforme de l’EPCI, afin que les territoires soient précisément régulés.

Nous avons voulu donner plus de liberté aux élus parce qu’en certains endroits de notre territoire, les cinq dimanches du maire ne sont pas suffisants. Nous avons aussi prévu plus de compensations pour les salariés.

M. Patrick Balkany et M. Daniel Fasquelle. Ce n’est pas vrai !

M. Emmanuel Macron, ministre. Aujourd’hui, en effet, dans les zones touristiques de France, aucune règle d’ordre législatif ne définit des critères de compensation. Par ce texte, vous avez décidé que partout où des salariés travailleront le dimanche, il faudra un accord d’entreprise, de branche ou de territoire. Cet accord définira les règles de compensation, et sans accord, il n’y aura pas d’ouverture le dimanche.

Ensuite, pour ce qui est des plans sociaux et de l’obligation de reclassement à l’étranger, les salariés décideront eux-mêmes s’ils souhaitent se voir proposer un poste à l’international. Nous savons tous, en effet, le ridicule de certaines situations auxquelles notre droit nous conduit à l’heure actuelle. Pour l’ordre des licenciements aussi, ce projet de loi donnera plus de sécurité sur un périmètre pertinent. Pour le groupe, c’est une obligation de moyen : cela ne diminue en rien les droits des salariés.

Ce texte apporte donc plus de clarté, plus de réalisme, plus de vrais droits pour nos salariés. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Négociations AGIRC - ARRCO

M. le président. La parole est à Mme Marianne Dubois, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

Mme Marianne Dubois. Monsieur le Premier ministre, aujourd’hui débutent des négociations cruciales : ce sont les négociations de la dernière chance pour les régimes de retraites complémentaires des cadres – l’Association générale des institutions de retraite des cadres – l’AGIRC – et des non-cadres – l’Association pour le régime complémentaire des salariés, l’ARRCO. Les syndicats et le patronat ont quatre mois pour sauver de la faillite les caisses des salariés du privé. La Cour des comptes, en décembre dernier, s’inquiétait déjà de « perspectives alarmantes », car si rien n’est fait, l’AGIRC n’aura plus de réserves en 2018. L’heure est grave !

Il faudra donc trouver 5 milliards d’euros par an pour repousser au-delà de 2030 l’épuisement des réserves, avec la perspective d’une réduction des pensions des millions de retraités du privé, ou d’une augmentation significative des cotisations. Vous comprendrez aisément l’inquiétude légitime de ces derniers : quel sera le montant de leur retraite ? Outre l’arrivée des générations du papy-boom, l’allongement de l’espérance de vie et le ralentissement économique – qui sont des données objectives –, le Gouvernement n’a pas pris en compte les signaux et les mises en garde répétées de nombre de parlementaires pour trouver, enfin, des solutions pérennes.

La Cour des comptes a également relevé des erreurs dans le calcul des pensions, qui concernent près de 15 % des retraites ARRCO liquidées en 2013. En tout, ce sont près de 265 millions d’euros qui n’auraient pas été versés correctement en 2013. On croit rêver !

Monsieur le Premier ministre, j’appelle votre attention sur le caractère particulièrement anxiogène de ces informations et sur le ressenti de ces millions de cadres à qui l’on dit que leur régime de retraite est au bord de la faillite. Pour noircir encore plus le tableau, étant donné l’insuffisance de votre réforme de 2014, le financement du régime général n’est pas non plus pérennisé !

L’heure n’est plus aux mesurettes. Il faut réformer le régime général tout comme les régimes complémentaires. C’est pourquoi je souhaiterais obtenir des précisions sur les mesures urgentes et pragmatiques qui doivent être prises : quelle sera votre position vis-à-vis des partenaires sociaux ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. Madame la députée, en effet, un cycle de négociations entre les partenaires sociaux a débuté aujourd’hui sur les régimes complémentaires AGIRC et ARRCO. Cette responsabilité appartient en propre aux partenaires sociaux : le patronat, d’un côté, et les syndicats, de l’autre.

Les régimes complémentaires intéressent directement nos concitoyens. Douze millions de retraités perçoivent des retraites relevant de l’AGIRC et de l’ARRCO ; 18 millions de salariés y cotisent. Depuis 2008, ces régimes connaissent des difficultés. Les partenaires sociaux n’ont pas esquivé leur responsabilité : ils ont pris en 2013 un certain nombre de mesures, mais elles n’ont pas produit les résultats escomptés, compte tenu du faible niveau d’inflation. Le Gouvernement compte sur l’esprit renouvelé de responsabilité des partenaires sociaux dans cette négociation qui intéresse nos concitoyens.

Je ne peux pas vous laisser dire, madame la députée, que le Gouvernement, de son côté, n’a pas assumé ses responsabilités. Pour la première fois depuis sa création, le Conseil d’orientation des retraites a indiqué que l’avenir de nos régimes de retraites était sécurisé et stabilisé au-delà des années 2020. Nos concitoyens n’ont donc pas à s’inquiéter pour cela. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Ce rapport est clair !

Je le répète : c’est la première fois qu’un rapport du COR marque cette perspective ! Au lieu d’inquiéter les Français, madame la députée, rassemblons-nous : je suis certaine que les partenaires sociaux sauront assumer leurs responsabilités, comme le Gouvernement a assumé les siennes. (« C’est lamentable ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. Jean-Louis Costes. C’est faux !

Situation en Ukraine

M. le président. La parole est à M. Rémi Pauvros, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Rémi Pauvros. Monsieur le président, mes chers collègues, ma question s’adresse à M. le ministre des affaires étrangères et a trait à la situation dramatique de l’Ukraine. En appliquant une règle simple mais forte, en vertu de laquelle nous sommes toujours responsables de ce que nous n’essayons pas d’empêcher, le Président François Hollande et la chancelière Angela Merkel ont pris une initiative déterminante qui a été conclue par l’accord de Minsk, jeudi 12 février dernier. Vous vous êtes déjà exprimé à ce sujet dans notre enceinte.

Nous ne pouvons pas imaginer les conséquences qu’aurait suscitées un non-accord. La guerre, car il s’agit d’une guerre, aurait dégénéré, avec le pilonnage systématique de Donetsk par l’artillerie lourde, ajoutant une longue liste de civils tués aux quelque 5 500 déjà dénombrés.

Depuis, les contacts sont nombreux entre les chefs d’État. Dimanche, et encore ce matin même, la diplomatie a joué pleinement son rôle – en ce qui nous concerne, sous votre impulsion, monsieur le ministre – pour faire respecter le cessez-le-feu avant le retrait des armes lourdes et des mercenaires, première étape d’un plan qui prévoit aussi la sauvegarde de l’intégrité territoriale de l’Ukraine, un statut spécifique pour les régions de Donetsk et de Lougansk, la mise en place d’une nouvelle constitution fin 2015 et la non-adhésion de l’Ukraine à l’OTAN.

Mais encore faut-il que les belligérants baissent les armes, en particulier à Debaltsevo et à Chirokiné, près de Marioupol, au cœur du conflit. Des soldats ont encore été tués ce matin. Ils sont déterminés, les uns comme les autres, animés par des motivations multiples. Je me souviens de cette phrase que nous avons entendue cet été, en Ukraine, en particulier de la part de jeunes de Maïdan : « Nous préférons mourir que de laisser des territoires de l’Ukraine sous la domination russe ».

Monsieur le ministre des affaires étrangères, pouvez-vous nous donner des informations quant à l’évolution de la situation sur place et des rapports entre les différents pays concernés ? Je tiens à saluer de nouveau la détermination des deux chefs d’État qui a permis que l’Europe, créée par la paix et pour la paix, reprenne sa place. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)

M. François de Rugy. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères et du développement international.

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international. Monsieur le député, vous avez rappelé les circonstances dans lesquelles, la semaine dernière, à l’initiative du président français et de la chancelière allemande, un accord a pu être conclu, qui a pour but de mettre fin à la guerre en Ukraine. Mais, entre l’accord sur le papier et l’accord sur le terrain, il y a évidemment des différences. D’une manière générale, au moment où je m’exprime, on peut dire que le cessez-le-feu est globalement respecté, sous réserve de deux « mais » considérables : d’une part, dans la zone de Debaltsevo, il y a des combats extrêmement durs entre séparatistes et Ukrainiens, contrairement aux engagements pris ; d’autre part, le retrait des armes lourdes, qui devait commencer à minuit, n’a pas été engagé. Ces deux faits sont évidemment fondamentaux.

C’est la raison pour laquelle, dimanche et encore hier, les présidents russe, ukrainien et français, la chancelière allemande ainsi que les différents ministres se sont entretenus pour faire en sorte que les termes de l’accord de Minsk 2 soient respectés. Nous sommes en contact constant avec l’OSCE. Le but, vous l’avez rappelé, est tout simplement de passer du stade de la guerre à celui de la paix. Ce n’est pas facile, mais le rôle de la France, qu’elle assume tous les jours – je dis bien tous les jours – est de faire le maximum avec nos amis allemands pour aller vers cette paix. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Difficultés du secteur du bâtiment et des travaux publics

M. le président. La parole est à M. Jacques Lamblin, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Jacques Lamblin. Monsieur le Premier ministre, la situation des entreprises du bâtiment et des travaux publics est grave. En 2014, en Lorraine, selon des sources syndicales, leur chiffre d’affaires a diminué de 28 %. Pour 2015, c’est pire. Les intérimaires ont déjà quasiment tous disparu. Certaines PME, présumées solides, déposent leur bilan. Les autres programment du chômage partiel dès le mois de mars, qui est normalement le mois de la reprise. De nombreux artisans, exsangues, font faillite.

Vous l’avez compris, cela va mal. Comment en est-on arrivé là ? Premièrement, parce qu’en engageant une réforme territoriale de façon désordonnée, vous avez plongé le pays dans un méli-mélo institutionnel qui paralyse tout. Faute de certitudes, les décisions d’investissement sont reportées.

Deuxièmement, parce qu’en refusant de verser aux communes toutes les dotations que l’État leur doit, vous détruisez leurs capacités d’investissement. Quand vous leur refusez 1 000 euros, ce sont 2 000 euros d’investissements qui disparaissent ! Mesdames, messieurs, vous avez inventé l’effet de levier à résultat inversé : jolie découverte, bravo ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)

Troisièmement, parce que la funeste loi Duflot, ainsi que la création de trop nombreuses normes et règles tatillonnes, vertes en général, ont découragé les investisseurs immobiliers. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.– Exclamations sur les bancs du groupe écologiste.)

Mesdames et messieurs de la majorité, tous ces choix ne résultent pas de l’héritage, mais de votre travail. Vous et vous seuls êtes responsables de ce fiasco. Encore bravo !

Monsieur le Premier ministre, maintenant que le secteur du BTP a une jambe coupée, avez-vous mieux à lui proposer que les illusoires béquilles de la loi Macron ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité.

Mme Sylvia Pinel, ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité. Monsieur le député, le secteur du logement est essentiel pour le retour de la croissance et la création d’emplois

Plusieurs députés du groupe UMP. Oh ! Bravo ! Excellent !

Mme Sylvia Pinel, ministre. …et mérite mieux que des postures ou des caricatures. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Vous avez oublié de mentionner, monsieur le député, que la crise de la construction a débuté en 2008. (Mêmes mouvements.) Vous avez oublié d’indiquer qu’un certain nombre de projets ont été retardés, voire abandonnés depuis les élections municipales.

Plusieurs députés du groupe UMP. Pourquoi ?

Mme Sylvia Pinel, ministre. Vous avez aussi oublié de souligner que ce combat pour assurer le redressement de notre pays et pour permettre à nos concitoyens d’avoir accès au logement mériterait que nous nous rassemblions et nous mobilisions autour des outils que le Premier ministre et le Gouvernement ont mis en place en faveur du logement social, de l’accession à la propriété, de la simplification des normes et du logement intermédiaire, mesures précisément contenues dans le projet de loi défendu par Emmanuel Macron.

Vous le voyez, l’ensemble des outils sont là, à la disposition des entreprises comme des collectivités locales. Pour réussir à relever ce défi, monsieur le député, mieux valent des actes que des postures. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)

Lutte contre le terrorisme

M. le président. La parole est à M. François Rochebloine, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. François Rochebloine. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre ou au ministre des affaires étrangères. L’actualité internationale n’en finit plus de nous délivrer ses images d’horreur, d’exactions, d’attentats, de massacres, de mises en scène macabres. Chaque jour, le monde semble assister, impuissant, à ce déversement de violence en provenance du Proche-Orient, avec pour origine le déchaînement de terreur initié par Daech.

Les dernières victimes de Daech, ce sont vingt et un chrétiens égyptiens, sauvagement décapités en Libye. L’Afrique centrale et de l’Ouest continue quant à elle de subir les massacres du mouvement de Boko Haram, contre lesquels les chefs d’État, réunis au sommet de Yaoundé, ont tenté d’élaborer une stratégie commune.

Monsieur le Premier ministre, cette action génocidaire à l’égard des populations civiles issues des minorités chrétiennes, mais aussi yézidies ou musulmanes chiites doit être combattue sans relâche. Tous les crimes commis devront être très sévèrement punis, et toutes les complicités avérées sanctionnées comme il se doit. Au travers des événements tragiques qui ont eu lieu au mois de janvier dernier à Paris et, tout récemment, au Danemark, les Français, les Européens ont aussi pris la mesure de ce que représentent ces attaques, ces crimes ignobles commis contre l’humanité.

Monsieur le Premier ministre, ces actes barbares appellent une réplique de la plus grande fermeté. Il y va bien sûr de la stabilité du monde et de la sécurité collective face au terrorisme. Hier, le Président de la République a appelé l’Organisation des Nations Unies à réunir son Conseil de sécurité pour décider de « nouvelles mesures », Conseil qui, pour l’heure, s’est cantonné à condamner un « acte lâche et odieux ».

Monsieur le Premier ministre, comment le Gouvernement entend-il peser sur la scène internationale pour apporter la réponse claire, ferme et intransigeante que nous attendons tous ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI et sur plusieurs bancs des groupes UMP et RRDP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères et du développement international.

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international. Monsieur le député François Rochebloine, le djihado-terrorisme cherche à frapper absolument partout : au Moyen-Orient, en Afrique, en Europe.

Le dernier exemple tragique ce sont les vingt et un Égyptiens coptes qui ont été assassinés, décapités parce qu’ils étaient coptes. Je tiens à exprimer, et je suis certain de le faire au nom de tous, notre solidarité à l’égard du peuple égyptien en général, et des coptes en particulier. (Applaudissements sur tous les bancs.)

Dans un autre contexte, il y a les meurtres perpétrés par Boko Haram, ceux que j’ai appelés les faux religieux et les vrais criminels. Il faut, là aussi, que les Africains, soutenus par la communauté internationale, se mobilisent ; ils commencent de le faire.

Enfin, il y a l’Europe : nous rendions hommage tout à l’heure à l’ambassadeur du Danemark en France.

Chaque fois, les réponses doivent être les mêmes. D’abord, soutenir une solution politique, qu’il s’agisse de l’Irak, de la Syrie ou de la Libye. Contrer l’expansion territoriale, ensuite, avec des armes ; c’est ce que nous faisons avec la coalition. Apporter une aide aux populations civiles. Et, s’agissant de l’intérieur, que ce soit en France ou ailleurs en Europe, mener une action sécuritaire coordonnée puissante et une action éducative.

La lutte sera extrêmement longue, personne ici ne peut en disconvenir. La menace est internationale, la réponse doit être internationale, et la France est et restera au premier rang. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur plusieurs bancs des groupes UDI et RRDP.)

Régime social des indépendants

M. le président. La parole est à M. Julien Aubert, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Julien Aubert. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.

Il y a dix-huit mois, nous déposions avec mes collègues des Cadets-Bourbon (Exclamations sur quelques bancs du groupe SRC) une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur les dysfonctionnements du régime social des indépendants, ainsi que des amendements demandant un rapport sur cette question dans le cadre de l’examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2014. La réponse de Mme Touraine se résumait, comme d’habitude, à un simple « Tout va très bien, madame la marquise ! »

Un rapport du Sénat, sans nier les améliorations que le RSI a réalisées, a pourtant pointé récemment son architecture illisible, des systèmes informatiques non coordonnés et des cotisations incompréhensibles. Quant à moi, j’ai pris au mot Mme Touraine. J’ai traité plusieurs dizaines de dossiers au fond et les ai signalés au RSI mais, malgré des courriers apaisants, je n’ai constaté aucune amélioration pour les cotisants.

C’est parce que, dans nos circonscriptions, nous faisons face à des situations tragiques similaires, que nous avons décidé, Bruno Le Maire, 110 députés de l’UMP et de l’UDI et moi-même, de demander au président Bartolone une mission d’information sur ce sujet, notamment pour évaluer les problèmes économiques posés. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

M. Jacques Krabal. Très bien !

M. Julien Aubert. Nous pourrions vous parler de ces personnes qui attendent leur retraite depuis plusieurs années ou qui sont obligées de retourner travailler parce que leur dossier a été perdu, de ces artisans qui paient leurs cotisations et à qui le RSI envoie les huissiers saisir leurs biens au nom d’un prétendu retard de paiement, ou enfin de ces chefs d’entreprise qui, pris à la gorge, craquent et finissent parfois par mettre fin à leurs jours.

Alors que vous vous apprêtez à faire voter – ou, à tout le moins, à tenter de faire voter – la loi Macron, dans le cadre de laquelle de longues heures auront été perdues pour déstabiliser les professions réglementées, il est temps de s’attaquer aux problèmes qui ont un véritable impact sur l’économie de notre pays et de mettre en place des solutions concrètes. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

M. Jacques Krabal. Très bien !

M. Julien Aubert. Le 9 mars prochain, une manifestation réunira dans les rues de Paris ces milliers d’indépendants qui n’en peuvent plus. Quelles mesures entendez-vous prendre afin de sauver les entrepreneurs de ce pays ? Faut-il une fusion entre la Sécurité sociale et le RSI ? Comment secourir les naufragés du RSI ? Quelles améliorations entendez-vous apporter pour alléger le poids des charges ?

Quand on s’attaque aux vrais combats, monsieur le Premier ministre, il n’y a pas besoin de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, il n’y a pas besoin de béquilles ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. Monsieur le député Julien Aubert, le Gouvernement traite la situation que connaissent des indépendants vis-à-vis du RSI avec une extrême vigilance. Vous avez évoqué un rapport de la Cour de comptes, laquelle a employé un mot très fort voilà un certain temps pour désigner la situation à laquelle était confronté le RSI : une « catastrophe industrielle ». C’était dans les années 2000.

M. Jean-Louis Dumont. Depuis lors, ça ne s’est pas amélioré !

Mme Marisol Touraine, ministre. À partir du moment où ce constat a été fait, des décisions ont été prises pour améliorer la situation des artisans et des commerçants vis-à-vis du régime social des indépendants, et des progrès ont été réalisés, monsieur le député. Il ne s’agit pas de dire qu’aujourd’hui tout va bien et que tout est satisfaisant, (« Ah ! » sur les bancs des groupes UMP et UDI), mais la situation s’est améliorée ces dernières années pour les artisans et les commerçants.

Le délai moyen pour s’affilier est ainsi passé de plus de trois mois à dix jours. Aujourd’hui, et ce n’est pas un succès phénoménal, plus de 80 % des appels téléphoniques reçoivent une réponse (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) ; ce n’est pas suffisant, mais c’est mieux qu’auparavant. Le nombre de réclamations a en outre très fortement diminué. Ce n’est pas moi qui le dis, monsieur le député,…

M. Christian Jacob et M. Jean-François Copé. C’est le RSI !

Mme Marisol Touraine, ministre. … ce n’est pas le Gouvernement, c’est un rapport parlementaire de M. Cardoux et M. Godefroy, sénateurs, l’un de la majorité et l’autre de l’opposition.

Nous devons à présent poursuivre cette amélioration. Une remise à plat de l’ensemble des caisses de régime de Sécurité sociale est en cours.

Monsieur le député, je tiens à vous le dire, la situation et les difficultés auxquelles les indépendants sont confrontés ne doivent pas autoriser certains à considérer qu’ils peuvent se dispenser de contribuer à la Sécurité sociale et appeler à un mouvement de désaffiliation. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Le Gouvernement ne le permettra pas.

M. Jean-Louis Dumont. Passons à autre chose !

Lutte contre le dumping social dans le transport routier

M. le président. La parole est à M. Gilles Savary, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Gilles Savary. Ma question s’adresse à M. Alain Vidalies, secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche. Elle concerne une des difficultés sociales les plus importantes auxquelles est confronté le secteur des transports : la dérégulation totale du transport routier par l’introduction du cabotage par l’Union européenne sur les trajets internationaux.

Sur un trajet international, on peut aujourd’hui s’arrêter trois fois, charger et décharger trois fois dans un pays donné aux conditions sociales du chauffeur, qui sont celles du pays d’origine. En conséquence, la France étant le pays le plus caboté d’Europe, notre marché intérieur est concurrencé par des chauffeurs dont le salaire est cinq fois inférieur à celui des chauffeurs routiers français.

Vous avez introduit un amendement particulièrement audacieux dans le projet de loi Macron : adopté par l’Assemblée nationale, il vise à associer le cabotage au détachement des travailleurs. En conséquence, toute opération de déchargement rechargement sur notre sol se fera aux conditions salariales et sociales de la France. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

C’est une avancée considérable, attendue depuis des années par 23 000 chauffeurs routiers français qui voient leur position sociale décliner, et le pavillon français décliner à l’étranger. Elle est dans la loi Macron. Il va falloir aujourd’hui la porter au plan européen.

À cet égard, votre prédécesseur, M. Frédéric Cuvillier, avait engagé un mouvement d’harmonisation sociale, par le biais d’une négociation avec onze États membres. C’est parti de Paris l’année dernière. Je voudrais savoir quelle suite vous allez donner au plan européen à cette audace française reflétée par la loi Macron, dont on dit à tort qu’elle est libérale ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.)

M. François-Michel Lambert. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche.

M. Alain Vidalies, secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche. Monsieur le député Gilles Savary, le transport routier de marchandises est aujourd’hui victime d’une concurrence déloyale qui repose sur le dumping social pratiqué par des entreprises étrangères mais aussi, il faut le dire, par des entreprises françaises qui font de l’optimisation sociale en créant des filiales à l’étranger.

La directive « détachement » ne s’applique pas aux transports routiers, si bien que, dans les opérations de cabotage, pendant sept jours, les chauffeurs restent rémunérés au salaire de leur pays d’origine alors que le travail s’effectue en France.

L’amendement proposé par le Gouvernement, adopté par votre assemblée et inscrit dans le projet de loi relative à la croissance et à l’activité a pour but de mettre fin à cette loi de la jungle et d’imposer une rémunération salariale aux conditions françaises pour le travail effectué en France au titre du cabotage et à destination de la France.

Un député du groupe UMP. Et les charges sociales ?

M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. C’est une avancée considérable qui fait suite à la loi Savary, qui imposait le respect des règles du repos hebdomadaire pour les chauffeurs étrangers. La France n’est pas isolée dans cette démarche : l’Allemagne et la Belgique viennent de prendre des initiatives de même nature. Nous souhaitons, pour répondre à votre question, que la Commission européenne s’empare de ce dossier pour parvenir enfin à une harmonisation sociale.

Permettez-moi d’ajouter que dans la loi relative à la croissance et à l’activité, sur cette question de la lutte contre le travail illégal, figure également une autre disposition essentielle : celle qui impose la généralisation de la carte d’identité professionnelle à l’ensemble des salariés français ou étrangers sur un chantier du bâtiment.

M. Jean Glavany. Très bien !

M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. Par ces deux dispositions notamment, le Gouvernement marque sa volonté déterminée d’engager un combat résolu contre le travail illégal et la concurrence déloyale. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Lutte contre l’antisémitisme

M. le président. La parole est à Mme Barbara Pompili, pour le groupe écologiste.

Mme Barbara Pompili. Monsieur le Premier ministre, ce week-end encore, à Copenhague, en Alsace, mais également hier matin, dans une interview matinale, c’est un antisémitisme tour à tour meurtrier, mortifère et fétide qui s’est exprimé. Au-delà des indispensables condamnations publiques de ces actes insupportables, il nous faut tenter de comprendre comment on peut encore en arriver là.

Comment, dans une société ouverte et tolérante de cette Europe du Nord si souvent citée pour la qualité de son vivre ensemble, peut-on, comme ce fut le cas ici il y a un mois, être tué parce qu’on est juif ?

Comment, dans une région de France tellement marquée par l’histoire, imprégnée d’une présence juive ancestrale, des jeunes, à la charnière entre l’adolescence et l’âge adulte, peuvent-ils encore trouver une satisfaction absurde à saccager des tombes, à profaner la mémoire de morts, parce qu’ils étaient juifs ?

Comment, au crépuscule d’une vie, moment propice bien souvent à ce que la vérité intime se révèle, un homme, qui fut ministre de la République, qui présida le Conseil constitutionnel, peut-il verser dans un délirant complotisme et dans un antisémitisme vulgaire, pour ne pas dire grossier ?

Ce week-end nous rappelle que l’antisémitisme n’a pas de frontière, n’a pas d’âge, n’a pas de religion ; ce week-end nous rappelle que combattre l’antisémitisme, c’est combattre des antisémitismes, qui convergent vers la même folie et la même impasse pour l’humanité.

Le Président de la République a annoncé un vaste plan de lutte contre l’antisémitisme et le racisme, qu’il devrait détailler à la fin du mois. Pouvez-vous nous dire, monsieur le Premier ministre, quelles seront les grandes lignes de ce plan ? N’est-il pas temps, ne serait-il pas utile d’organiser un Grenelle de la fraternité, comme le suggère la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme ? (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste et RRDP et sur quelques bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement. Madame la présidente Barbara Pompili, vous m’interrogez sur tous ces actes scandaleux et immondes que nous avons connus ces dernières semaines, et singulièrement la profanation du cimetière juif de Sarre-Union. Ce cimetière témoigne de la présence juive en Alsace, illustration des liens indéfectibles entre nos concitoyens de confession juive et la République – un lien que rien ne doit altérer.

Il appartient à l’enquête d’établir quelles étaient les motivations des auteurs de cet acte ignoble, mais nous devons rappeler que cet événement intervient après la violence terroriste qui a frappé le magasin Hyper Cacher de la Porte de Vincennes parce qu’il s’agissait d’une épicerie juive, après la violente agression dont ont été victimes des habitants de Créteil parce qu’ils étaient juifs ou encore après les événements de ces derniers jours à Copenhague que nous rappelions il y a un instant.

Je veux dire à tous nos concitoyens de confession juive qu’ils ont toute leur place en France, en Europe ; que c’est au contraire l’antisémitisme qui n’a pas sa place en France et en Europe. Je veux leur dire que la République sera intransigeante contre le racisme, contre l’antisémitisme, et qu’elle apportera toute protection à tous ceux qui sont les cibles de ces violences.

Je veux dire aussi à tous nos concitoyens que ce ne sont pas seulement les juifs qui sont concernés lorsqu’il y a un acte antisémite, que ce ne sont pas seulement les musulmans qui doivent être indignés lorsqu’une mosquée est prise pour cible : c’est l’ensemble des républicains et des humanistes de France qui doivent s’élever contre les expressions de haine.

Face à la violence raciste, face à l’antisémitisme, la République ne faiblira pas : nous serons résolument intransigeants, parce qu’il en va de la sécurité de nos concitoyens, qui n’ont que trop souffert, et des valeurs de la République sur lesquelles il nous est interdit de transiger. (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste et RRDP et sur quelques bancs du groupe SRC.)

M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures dix, est reprise à seize heures vingt-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

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Croissance, activité et égalité des chances économiques

Vote solennel

M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote au nom des groupes et le vote par scrutin public sur l’ensemble projet de loi, après engagement de la procédure accélérée, pour la croissance et l’activité (nos 2447, 2498).

Application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, le conseil des ministres qui s’est réuni aujourd’hui, sous la présidence du chef de l’État, à quatorze heures trente, m’a autorisé à engager la responsabilité du Gouvernement sur le projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, conformément à l’article 49, alinéa 3, de la Constitution.

M. Jean Glavany. Très bien !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Les dispositions de ce projet de loi sont importantes, essentielles même, pour relancer la croissance, pour créer de l’emploi, pour faire sauter un certain nombre de blocages dans notre économie, pour donner un coup de jeune à notre pays.

Je veux remercier une nouvelle fois l’ensemble des parlementaires qui ont contribué à l’amélioration de ce texte, et chacun, et je le dis sincèrement, peut être fier du travail accompli par l’Assemblée nationale. Je salue particulièrement le travail du président de la commission spéciale, François Brottes (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.), du rapporteur général, Richard Ferrand, ainsi que l’engagement et le travail des huit rapporteurs thématiques.

Plus de mille amendements ont été adoptés, soit par la commission spéciale, qui s’est réunie pendant deux semaines, soit par votre assemblée, pendant les trois semaines de débat et de discussion. Cela a été rappelé il y a un instant par le rapporteur : jamais sans doute, nous ne sommes arrivés, monsieur le président de l’Assemblée nationale, à une telle coproduction entre le Parlement et le Gouvernement.

Je veux aussi, et c’est mon rôle, saluer le travail d’Emmanuel Macron, que je remercie. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Je veux le remercier pour son engagement personnel, sa présence permanente au banc du Gouvernement, relayant le travail accompli par les autres ministères, sa capacité d’écoute, de dialogue, mais aussi de conviction.

Une majorité existe vraisemblablement sur ce texte… (Rires et exclamations sur les bancs du groupe UMP.) mais elle est incertaine.

M. Michel Herbillon. Ce n’est vraiment pas brillant !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Dès lors, et c’est ma responsabilité, je ne prendrai aucun risque. (Protestations sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

M. Michel Herbillon. Quel courage !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Je ne prendrai pas la responsabilité du risque d’un rejet d’un tel projet, que je considère comme essentiel pour notre économie. (Applaudissements sur de très nombreux bancs du groupe SRC.)

Je souhaite que nous puissions agir rapidement, dans la clarté. Nous voulons réformer, agir vite au service des Français et de l’intérêt général.

La gauche gouverne. Elle doit assumer ses responsabilités. Elle doit les assumer pleinement, et ce gouvernement assume donc pleinement et totalement ses responsabilités. Nous le faisons pour le pays. Nous le faisons pour l’intérêt général, et ici chacun doit prendre conscience de ce que cela signifie.

M. Christian Estrosi. Coup d’État !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Et c’est cette exigence qui m’a conduit à demander au Président de la République de m’autoriser à engager la responsabilité du Gouvernement sur la version du projet de loi issue de vos trois semaines de débat, et que l’Assemblée nationale a consacrée.

J’engage donc la responsabilité du Gouvernement. Engager le pays dans la voie de la réforme : c’est la mission de ce gouvernement, sous l’autorité du Président de la République. Et je le dis à chacun dans l’hémicycle, avec la plus grande clarté et la plus grande détermination, parce qu’il y va de l’intérêt de notre pays : rien ne nous y fera renoncer, rien ne nous fera reculer. C’est l’intérêt des Français qui nous commande d’agir ainsi. (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.)

M. le président. Je vous remercie, monsieur le Premier ministre.

L’Assemblée nationale prend acte de l’engagement de responsabilité du Gouvernement, conformément aux dispositions de l’article 49-3 de la Constitution.

Le texte sur lequel le Premier ministre engage la responsabilité du Gouvernement sera inséré en annexe au compte rendu de la présente séance.

En application de l’article 155 alinéa 1 du règlement, le débat sur ce texte est immédiatement suspendu.

Ce texte sera considéré comme adopté sauf si une motion de censure, déposée avant demain 16 heures 30, est votée dans les conditions prévues à l’article 49 de la Constitution. (Huées sur les bancs du groupe UMP).

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures trente, est reprise à dix-sept heures trente, sous la présidence de M. Denis Baupin.)

Présidence de M. Denis Baupin

vice-président

4

Nouvelle organisation territoriale de la République

Discussion d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, après engagement de la procédure accélérée, portant nouvelle organisation territoriale de la République (nos 2529, 2553, 2549, 2545, 2544, 2542, 2546).

Présentation

M. le président. La parole est à Mme la ministre de la décentralisation et de la fonction publique.

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique. Monsieur le président, monsieur Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, monsieur Olivier Dussopt, rapporteur de la commission des lois, monsieur Stéphane Travert, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, monsieur Germinal Peiro, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, madame Monique Iborra, rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales, monsieur Florent Boudié, rapporteur pour avis de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, madame Christine Pires Beaune, rapporteure pour avis de la commission des finances, mesdames et messieurs les députés, nous ouvrons ensemble aujourd’hui, à un moment un peu particulier, le débat sur l’organisation territoriale de notre République, sur notre vision de la République, cette République une, indivisible et décentralisée, qui doit garantir à tous les citoyens, dans tous les territoires, un égal accès aux droits.

Nous nous apprêtons donc à dire, et redire encore, notre unité dans la diversité, celle que fonde notre nécessaire solidarité ; dire, et redire encore, notre refus de voir se creuser les injustices entre les territoires, et les inégalités entre les citoyens ; dire et redire notre refus de voir la concurrence se généraliser partout, alors que c’est la coopération qui nous permettra de relever les défis qui sont les nôtres. Le Président de la République et le Premier ministre, après les événements tragiques de janvier, suivis, malheureusement, d’événements tout aussi tragiques ce week-end au Danemark et en France, ont martelé les exigences des droits fondamentaux de notre République. Ces exigences nous rassemblent et nous obligent.

Il n’y a, et il ne peut y avoir, qu’une unique ambition : celle de porter notre vision de la France, forgée longuement et patiemment au cours du XXsiècle ; cette vision que les lois Defferre ont consacrée ; cette vision, surtout, qui est porteuse d’une grande promesse pour notre démocratie locale et notre service public. Cette vision, je veux croire que nous sommes tous convaincus de sa nécessité, de la même façon que nous sommes tous convaincus que l’égalité et la fraternité, frappées aux frontons de notre République, nous obligent.

Pourtant, de crise en crise, de choc en violence, les conceptions porteuses de divisions ont prospéré. Il y a ceux qui acceptent une République morcelée, en disant que le développement porté par les territoires qui vont bien finira un jour par induire du progrès dans les territoires qui vont mal ; ceux qui voudraient opposer les Français les uns aux autres, en fonction de leurs lieux d’habitation ; ceux qui refusent de voir que le territoire d’à côté, celui qui participe de leur propre développement, a des difficultés qu’il ne pourra jamais surmonter seul.

Il y a en France, aujourd’hui, une profonde rupture territoriale. Sous nos yeux, et de plus en plus criante, se manifeste une discrimination territoriale, abîmant ce qu’il reste de notre cohésion sociale et de notre confiance mutuelle, fragilisant notre unité républicaine. Au contraire, c’est une France fière de tous ses citoyens, de tous ses territoires, que nous voulons tisser ici : une France déterminée à combattre les injustices violentes entre les citoyens, et les injustices tout aussi violentes entre les territoires.

Nous ne pouvons plus accepter qu’un enfant, en France, n’ait pas les mêmes chances parce qu’il est né ici plutôt que là. Nous ne pouvons plus tolérer qu’habiter en secteur rural ou dans un quartier de banlieue soit synonyme de difficulté majeure pour trouver un médecin, un emploi, un cinéma, un lieu de détente. Nous ne pouvons plus accepter qu’une simple adresse sur un curriculum vitae empêche de trouver un emploi. C’est un combat de justice que nous devons mener, pour l’accès à l’emploi, aux services publics de santé, à l’éducation, au logement, à la culture. Comme l’a si bien écrit Edgar Morin, il ne suffit plus de rappeler l’urgence, il ne suffit plus de dénoncer, il faut maintenant énoncer.

Un premier texte, voté l’an passé, a permis de prendre en compte le fait urbain. L’enjeu était justement de permettre que se conjuguent, dans les territoires de France, création de richesse et solidarité, progrès et cohérence, innovation et diffusion d’activités. L’enjeu était de reconnaître que la réduction des inégalités passe par une meilleure acceptation des différences entre les territoires, par une valorisation de notre diversité territoriale, par une organisation territoriale adaptée à cette diversité. L’enjeu était de tracer le chemin vers la société du contrat, pour que l’État garant et les collectivités territoriales, liés par un contrat de solidarité et de confiance, de développement de services et d’emploi, soient aux côtés de chacun de nos concitoyens.

Ces enjeux, nous y avons répondu ensemble, et c’est ensemble que nous devons aujourd’hui continuer. Pour la clarté de notre action publique, pour la cohérence dans la répartition des compétences, pour la coopération entre les collectivités, des plus riches aux plus pauvres, des plus urbanisées aux moins denses. Pour conduire avec courage la nécessaire adaptation de nos territoires administratifs aux territoires vécus – n’est-ce pas, monsieur Germinal Peiro ? Pour renouer, surtout, avec la solidarité, condition du redressement.

Mesdames et messieurs les députés, vous le savez comme moi, notre République est forte lorsqu’elle est solidaire. Aucun développement économique n’aura les résultats escomptés sans une politique sociale juste. Aucune solidarité ne pourra s’exercer sans une stratégie économique pensée et réfléchie. Et aucun territoire ne pourra véritablement constituer une force s’il se coupe des autres.

Ne nous cachons pas derrière les difficultés de chacun, derrière des excuses, souvent fausses – comme l’absence de dynamique économique ou le mauvais travail des élus – pour justifier le creusement des injustices territoriales. Ces inégalités sont d’abord le résultat d’une crise des solidarités. Combien d’intercommunalités défensives ? Combien de refus de partager les richesses auxquelles, pourtant, tant d’autres ont contribué ? Combien de batailles rangées pour ne pas payer ce qu’on dit être du ressort du voisin d’à côté ?

J’ai le privilège d’avoir été élue locale. Depuis plus de deux ans que j’occupe mes fonctions ministérielles, je me bats pour dire ma confiance, et celle du Gouvernement, dans les élus locaux, élus de notre République. J’ai mis un point d’honneur à toujours les défendre lorsqu’ils étaient injustement attaqués, montrés du doigt ou critiqués sous la plume d’éditorialistes qui véhiculent un discours ambiant bien délétère. Mais soyons honnêtes, aussi. Nous nous sommes trop souvent perdus dans la défense verrouillée de nos propres intérêts locaux.

M. Serge Grouard. En effet, et cela continue !

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Durant cette période qui a été très difficile, nous avons parfois cédé à la tentation du repli. Et pourtant, si nous voulons des citoyens qui puissent s’ouvrir aux autres, c’est à nous de commencer, en refusant que nos territoires ne se referment sur eux-mêmes. Bien sûr, nous ne réussirons pas tout avec ce texte, mais nous pouvons déjà amorcer un grand progrès, en permettant aux territoires de se parler, de travailler ensemble pour nos concitoyens, pour notre action publique, et donc pour notre République.

Au XXsiècle, afin de mieux accompagner les citoyens, nous avons décentralisé. Nous l’avons encore fait récemment, lorsqu’il s’est agi d’améliorer la qualité de notre action publique, en matière de formation professionnelle ou de transfert des fonds européens. Mais, comme François Mitterrand le disait, la décentralisation n’a jamais été une fin en soi. Au XXIsiècle, nous avons besoin, pour atteindre cet objectif qui est toujours le même, de recréer solidarités et coopérations entre les territoires. Si, au fil de nos lois de décentralisation, nous avons confié un nombre croissant de compétences aux collectivités, nous avons aussi décentralisé de la richesse et de la pauvreté. Nous avons entériné et aggravé des situations hétérogènes et inégales et bien trop souvent encouragé la concurrence entre communes et entre territoires.

Je le dis beaucoup, mais je crois qu’il est toujours bon de le répéter : la concurrence qui a conduit au dumping des politiques publiques n’est jamais une valeur, mais seulement un fait. Notre valeur, c’est la coopération, et c’est elle qui permettra de partager le savoir, la recherche, la connaissance, les moyens, les idées de développement, les bonnes pratiques, les réussites. N’est-ce pas, monsieur le président de la commission des lois ?

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Absolument, madame la ministre.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Il n’est plus temps d’opposer État et collectivités, urbain et rural, villes riches et villes pauvres, petits, moyens et grands territoires : toutes ces oppositions qu’illustre aujourd’hui l’organisation en strates de nos élus doivent nous faire réagir. Il est grand temps de passer de la défiance à la confiance ; de réconcilier les citoyens, les territoires, les élus ; de réconcilier la capitale, les métropoles, les territoires ruraux ou de montagne, les banlieues ou les territoires périurbains. Car, de même que chaque village est intéressé par Paris, Paris est intéressé par chaque village.

C’est une loi d’équilibre que je vous propose d’examiner. Pour la créativité, l’indépendance énergétique, l’indépendance alimentaire, l’emploi. Pour l’activité et les services publics.

M. Damien Abad. Ce n’est pas gagné !

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Pour la vivacité de notre démocratie locale, qui ne se décrète pas, mais à propos de laquelle je sais que vous avez des idées fécondes à proposer.

Notre ressource est aujourd’hui limitée. Il nous faut donc garantir un développement plus pérenne. Mais il nous faut aussi rattraper le retard industriel de notre pays, en utilisant, pour ce faire, le lien entre recherche, enseignement supérieur, innovation et entreprises. Ce sera le rôle de nos régions, en charge de la stratégie et du développement économique, à condition, bien sûr, qu’elles en aient réellement la responsabilité. Garantir la solidarité envers les personnes et les territoires, c’est notre devoir, et ce sont les départements qui en auront la force. Nous devons, enfin, protéger nos communes, même les plus faibles, grâce à l’intercommunalité. Une intercommunalité qui n’efface aucune identité, aucune histoire, aucune appartenance, et qui garantisse au contraire aux habitants des communes qui la constituent qu’ils auront, désormais, effectivement accès aux services qui font sens et qui font modernité.

Cessons de hurler au risque de dévitalisation des communes à chaque fois qu’une loi prévoit le transfert d’une compétence aux intercommunalités. Cessons de crier à la menace pour la proximité chaque fois qu’une loi prévoit que ces intercommunalités soient renforcées. À quoi servirait, en effet, la reconnaissance de nos communes, si les habitants de certaines pouvaient oublier les difficultés que connaissent les habitants des autres ? À quoi servirait la reconnaissance de nos communes, si leurs habitants ne pouvaient bénéficier d’un juste et égal accès à nos services publics ?

On me l’a encore dit récemment à Lusignan, petite communauté de communes dont le président m’a demandé de garder comme horizon indispensable le seuil des 20 000 habitants. Bien sûr, nous prendrons en compte les cas particuliers : celui des communes de montagne ou des zones rurales, celui des communes frontalières, celui des intercommunalités qui viennent de se former, s’approchant de la taille des territoires vécus. Mais ne renonçons pas à notre ambition.

C’est bien d’ambition dont il est question, c’est bien cela dont nous devons aujourd’hui avoir le courage pour dépasser certains clivages archaïques, pour dépasser nos égoïsmes locaux mais aussi nos peurs, qui trop souvent nous empêchent d’agir.

Mesdames et messieurs les députés, vous êtes les représentants de la nation, vous œuvrez pour les citoyens de notre pays. Comme le Gouvernement, vous souhaitez que nous retrouvions, tous ensemble, notre France. Faisons donc le choix de l’intérêt général, celui qu’impose l’organisation territoriale de notre République. (Murmures sur les bancs du groupe UMP.)

M. Michel Herbillon. Votre ton est vraiment sinistre ! Vous manquez de conviction !

Mme Bérengère Poletti. Vous pourriez le dire en effet avec plus d’enthousiasme !

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Et même si cela peut sembler difficile – votre réaction le prouve –, même si cela doit bousculer nos habitudes de travail et nos amitiés territoriales, regardons au-delà du territoire de chacun, renonçons aux concurrences stériles et proposons une coopération de tous les jours. Ainsi, nous pourrons faire notre loi de réconciliation et d’équilibre : celle qui nous permettra de retrouver le sens du dialogue et donc de refaire, tous ensemble, République. Celle qui nous permettra d’apporter la preuve que nous sommes une grande et belle démocratie. Car, comme l’écrivait Victor Hugo : « La grande chose de la démocratie, c’est la solidarité ». (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP)

M. le président. La parole est à M. Olivier Dussopt, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Olivier Dussopt, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Monsieur le président, madame la ministre de la décentralisation et de la fonction publique, monsieur le secrétaire d’État chargé de la réforme territoriale, monsieur le président de la commission des lois, mesdames et messieurs les rapporteurs pour avis, chers collègues, dans sa déclaration de politique générale du 8 avril 2014, le Premier ministre a souligné combien la réforme de notre organisation territoriale et la clarification des compétences sont des réformes structurelles importantes pour l’efficacité de l’action publique et pour notre capacité collective à en maîtriser le coût.

Ce projet de loi s’inscrit résolument dans cet objectif.

Avant de l’évoquer, permettez-moi de rappeler qu’il y a un peu plus d’un an, la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, que j’ai eu l’honneur de rapporter au nom de notre commission des lois, était promulguée. Cette loi a permis l’affirmation du fait métropolitain dans notre pays, renforcé le statut et les compétences de ces établissements publics de coopération intercommunale en évitant l’ajout d’un niveau supplémentaire d’action publique locale. Elle a également ouvert le chantier de la clarification des compétences locales en donnant du sens à la notion de collectivité chef de file ainsi qu’en créant une instance de dialogue locale, la conférence territoriale de l’action publique. Celle-ci permettra aux élus, dans chaque région, de procéder à des adaptations aux réalités locales tant pour l’affectation de certaines compétences que pour la mise en œuvre des politiques publiques, dans le cadre fixé par le législateur.

Très peu de temps après l’adoption de cette loi, le Président de la République et le Premier ministre ont annoncé une nouvelle étape de la réforme territoriale, passant par deux projets de loi. Le premier d’entre eux a abouti à la loi du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral.

L’Assemblée nationale est aujourd’hui saisie du second projet de loi, portant nouvelle organisation territoriale de la République. Par ce texte, le Gouvernement nous propose d’aller plus loin dans deux directions.

D’une part, le projet de loi revient sur la clause de compétence générale…

M. Marc Dolez. Hélas !

M. Olivier Dussopt, rapporteur. …afin de clarifier les compétences respectives des régions et des départements et d’éviter toute entrave ou toute concurrence entre chacune de leurs spécialisations.

D’autre part, le Gouvernement entend donner à l’intercommunalité une nouvelle dimension en mettant en conformité les périmètres des structures intercommunales avec celui des bassins de vie, mais également en intégrant de nouvelles attributions dans le champ de leurs compétences obligatoires et en encourageant l’intégration d’autres compétences, comme celles exercées aujourd’hui par les syndicats intercommunaux. Je tiens à le préciser d’emblée, cela ne signifie pas la suppression de tous les syndicats, même si nous devrons nous pencher sur leur nombre : il y en a 13 000, pour un budget de 17 milliards d’euros par an.

Le chantier fixé par ce projet de loi est donc vaste et ne doit, à mon sens, poursuivre qu’un seul objectif : doter notre pays d’une organisation territoriale plus claire, plus efficace et mieux à même d’assurer la solidarité et l’égalité entre les territoires.

M. Michel Herbillon. C’est loin d’être le cas !

M. Olivier Dussopt, rapporteur. Avant d’en venir aux travaux du Sénat et de la commission des lois, je veux évoquer un point qui a fait couler beaucoup d’encre : l’avenir des départements. La question de leur maintien a été posée.

M. Stéphane Travert, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles et de l’éducation. À juste titre !

M. Olivier Dussopt, rapporteur. Le débat a porté sur les conditions dans lesquelles il fallait, le cas échéant, organiser leur disparition, mais aussi sur notre capacité à les atteindre et les rassembler dans un contexte de forte tension sur les finances publiques, mais aussi de difficultés économiques et sociales qui rendent nécessaire un fonctionnement stable de nos outils d’action sociale. Le débat a également permis d’évoquer la modification en cours du paysage institutionnel avec la création de grandes régions, dont la taille exige le maintien d’un niveau intermédiaire, du moins tant que les intercommunalités n’auront pas vu leur taille moyenne progresser et leurs compétences être renforcées.

Le Président de la République et le Premier ministre ont tenu compte de ces éléments et de ce débat, et ont décidé le maintien des départements dans leur forme actuelle. Ils en ont également rappelé l’utilité en matière de solidarité, tant entre les individus qu’entre les territoires, ce qui se traduit d’ailleurs par l’affirmation de compétences nouvelles au titre des solidarités territoriales, de l’ingénierie, de l’accès aux services ou de l’aide aux communes : autant de domaines d’intervention qu’il nous revient de préciser, ce que nous avons commencé à faire lors des travaux de la commission des lois.

Après 2020, nous devrons débattre de l’évolution des départements, mais ce ne sera pertinent qu’une fois le fonctionnement des grandes régions stabilisé et la montée en puissance des intercommunalités assurée. Cela a été rappelé, il n’y a que sur les territoires couverts par des métropoles que nous pouvons anticiper ce débat. Le projet de loi tend d’ailleurs à organiser des délégations de compétences des départements vers les métropoles en 2017 et 2018.

Le contenu du présent projet de loi est aussi riche que varié : alors qu’il comportait 37 articles lors de son dépôt par le Gouvernement, c’est un texte comprenant cent articles que le Sénat a adopté le 27 janvier 2015 et transmis à l’Assemblée nationale.

M. Marc Le Fur. Comme pour le projet de loi Macron, sa taille a triplé !

M. Olivier Dussopt, rapporteur. Lors de son examen, la commission des lois en a supprimé vingt-trois. En revanche, elle a inséré trente-six articles additionnels, mais quatorze d’entre eux ne sont que la reprise des dispositions déjà votées par notre assemblée dans la proposition de loi relative à la simplification du fonctionnement des collectivités territoriales, déposée initialement par le sénateur Doligé, et qui n’a pu être adoptée définitivement.

Ce foisonnement peut faire craindre une forme de frénésie législative : la modification incessante de certains textes applicables aux collectivités peut donner le sentiment que le législateur pris dans son ensemble – tant le Gouvernement que les parlementaires – aurait une préférence pour l’ajustement circonstanciel de la norme au détriment de la stabilité nécessaire de cette même norme, qui est la condition de sa maîtrise par les élus.

Cependant, nous devons aussi tirer de ce foisonnement et de ce débat quelques conséquences. La principale nous impose d’avoir le souci de la cohérence entre ce que nous écrirons dans ce texte et ce que nous avons déjà décidé par ailleurs, tant dans les lois de janvier et décembre 2014 que dans la loi ALUR, ou encore en veillant à ne pas traiter de sujets qui relèvent directement du projet de loi de finances.

Deux principales orientations sous-tendent ce projet de loi, au service d’un seul objectif.

La première orientation consiste à spécialiser les compétences des régions et des départements en vue de parvenir à davantage de clarté et d’efficacité dans les actions respectives de ces collectivités territoriales. En découlent la suppression de la clause de compétence générale, le renforcement du rôle stratégique de la région – tout spécialement en matière économique – ainsi qu’une série de transferts aux régions de compétences départementales.

La seconde orientation consiste à donner à l’intercommunalité une dimension nouvelle en resserrant la carte intercommunale autour des bassins de vie et en renforçant les compétences des intercommunalités à fiscalité propre.

Au total, un seul objectif est ainsi poursuivi : doter notre pays d’une organisation territoriale plus claire, plus efficace et plus à même d’assurer la solidarité et l’égalité des territoires.

Le Sénat a profondément modifié le texte proposé par le Gouvernement. Cependant, ce dernier a exprimé le vœu que les deux assemblées puissent faire converger leurs points de vue, et la commission des lois partage ce souhait. Aussi les amendements que nous avons apportés au texte poursuivent un double objectif. D’une part, retrouver l’ambition initiale du texte en matière de clarification des compétences et de renforcement du fait régional, mais jamais de manière manichéenne ni brutale, puisque nombre de suggestions du Sénat ont été prises en considération. D’autre part, sur des sujets tels que le nombre minimal d’habitants pour les intercommunalités, nous avons cherché à tracer le chemin d’un compromis permettant à la fois l’affirmation de ce niveau d’action publique et la prise en compte des particularités locales dans la fixation des seuils.

J’en viens au détail des principaux amendements adoptés par la commission des lois. En ce qui concerne les compétences des régions, nous avons clarifié les deux instruments importants que sont le schéma régional de développement économique, d’innovation et d’internationalisation et le schéma régional d’aménagement et de développement durable du territoire – SRADDT. Nous avons précisé à quels documents existants ce SRADDT se substitue, et à quel périmètre s’étend son caractère opposable. Nous avons aussi réaffirmé le partage de la compétence tourisme entre toutes les collectivités territoriales, et avons proposé une délégation expérimentale aux régions du service public de l’emploi dans un dispositif qui appelle encore, je le pense, quelques précisions.

Notre commission des lois a aussi rétabli certains transferts de compétences départementales au profit des régions que le Sénat avait supprimés en matière de transports scolaires, de routes départementales mais aussi de ports gérés par les départements.

M. Jean Launay. Ce n’était pas forcément utile.

M. Olivier Dussopt, rapporteur. Elle a également réintroduit le mécanisme de délégation de compétences des départements aux métropoles, que le Sénat avait profondément modifié. Nous avons, en revanche, maintenu les collèges au niveau départemental, jugeant ce transfert non essentiel au regard de la fonction économique des régions.

M. Jean Launay. Voilà qui est mieux !

M. Olivier Dussopt, rapporteur. Dans le cadre du volet intercommunal, la commission a rétabli le principe d’un relèvement du seuil minimal de constitution des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre à 20 000 habitants, en l’assortissant d’un mécanisme d’adaptation en faveur des zones les moins peuplées du territoire et en pondérant ce seuil par la densité démographique, tout en tenant compte des zones de montagne ou des territoires insulaires. Des garanties ont été introduites afin que les personnels concernés par la révision des périmètres intercommunaux suivent les compétences transférées qu’ils contribuent à mettre en œuvre. Ce sujet doit encore être travaillé, et je vous soumettrai des amendements afin de tenir compte des territoires dont la densité est très faible, mais aussi traduire dans ce texte les nombreuses contributions à cette réflexion qui apparaissent à la lecture des nombreux amendements émanant de tous les groupes.

À l’initiative du Gouvernement, le calendrier initial de révision de la carte intercommunale, prévoyant une élaboration des schémas en 2015, a été rétabli. La promotion du tourisme a été restaurée en tant que compétence obligatoire des communautés de communes et des communautés d’agglomération, et leur compétence en matière économique étendue à la politique locale du commerce et au soutien aux activités commerciales. Par ailleurs, différentes mesures de simplification ont également été intégrées au texte afin de favoriser l’intégration et la mutualisation des moyens.

Concernant les métropoles de Marseille et du Grand Paris, les dispositions adoptées au Sénat à l’initiative du Gouvernement tendaient à traduire les demandes, nombreuses et assez consensuelles, des élus réunis au sein de la mission de préfiguration. Il reste un travail de clarification, mais après que notre commission des lois a très largement approuvé ces dispositions, moyennant quelques modifications des travaux réalisés par le Sénat, je vous inviterai à respecter ces équilibres s’agissant tant de la métropole d’Aix-Marseille-Provence que de la métropole du Grand Paris.

M. Patrick Ollier. Alors là, nous ne sommes pas d’accord ! Vous n’avez pas tenu compte du vote à 94 % des élus au sein de la mission de préfiguration !

M. Olivier Dussopt, rapporteur. En ce qui concerne l’avenir des départements, la commission a entrepris de recentrer leurs compétences, notamment s’agissant de leur rôle en matière d’ingénierie territoriale, après que le Sénat eut adopté une série de dispositions correspondant à un quasi-rétablissement de la clause de compétence générale à leur profit.

Enfin, à l’initiative de votre rapporteur, la commission des lois a rétabli, en les enrichissant par rapport au projet initial, les schémas d’amélioration de l’accessibilité des services au public et les maisons de services au public. Les compétences partagées par tous les échelons de collectivités territoriales et leurs groupements ont été précisées et enrichies, notamment en matière de jeunesse et de langues régionales.

Mes chers collègues, je ne doute pas que les quelque deux mille amendements déposés en vue de notre débat en séance publique contribueront à enrichir encore ce texte et nous permettront de trouver la voie d’un consensus avec le Sénat. Soyez en tout cas assuré de ma détermination pour, qu’à l’issue de nos débats, un texte utile à la clarification, à l’efficacité de l’action publique ainsi qu’à la maîtrise de son coût puisse être adopté.

M. le président. La parole est à M. Stéphane Travert, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles et de l’éducation.

M. Stéphane Travert, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles et de l’éducation. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les rapporteurs pour avis, la commission des affaires culturelles s’est saisie pour avis de quelques articles du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, dit « NOTRe », relevant de son champ de compétences.

S’agissant des compétences éducatives, deux grandes propositions ont structuré le débat en commission. Je pense bien sûr au transfert de la gestion matérielle des collèges et des départements aux régions, et à celle des transports scolaires.

Il me semble cependant important de préciser en préalable que les propositions du projet de loi initial étaient fortement liées aux perspectives qui présidaient alors aux réflexions. Dans un contexte d’extinction progressive des départements, transférer toutes les compétences éducatives à la région avait la force de l’évidence. Mais dès lors qu’est acté le maintien de départements ancrés dans leur vocation de solidarité et de proximité, le débat change de nature.

Il faut tout d’abord s’interroger sur la cohérence de cette réforme avec les ambitions que nous avons fixées à l’Éducation nationale. Les transferts proposés servaient-ils efficacement les objectifs fondamentaux que nous poursuivons pour réussir la refondation de l’école ? Pour parvenir à doter tous les élèves d’un solide socle commun de connaissances, de compétences et de culture, nous nous sommes en effet entendus sur la nécessité de rapprocher le collège de l’école primaire, notamment en instituant un nouveau cycle à cheval sur le CM2 et la 6ème.

D’autre part, face à la dangereuse augmentation de l’échec dans les premiers cycles universitaires et aux sévères difficultés d’orientation rencontrées par trop de nos jeunes concitoyens, la volonté d’étoffer les liens entre les lycées et l’enseignement supérieur s’est affirmée avec la notion du « Bac moins 3 à Bac plus 3 ».

Le rapprochement des collèges et des lycées interviendrait donc à contre-courant de cette volonté de décloisonnement. C’est pourquoi il est aujourd’hui plus cohérent de laisser la compétence des collèges aux départements, collectivités de proximité et de solidarité, tout en aidant les régions à exercer avec succès leur nouvelle mission de service public de l’orientation en se concentrant sur les lycées et l’enseignement supérieur.

M. Marc Le Fur. On perçoit toute la force des conservatismes !

M. Stéphane Travert, rapporteur pour avis. Un autre point important est la cohérence des missions confiées à chaque collectivité. Je l’ai dit : la gestion des collèges me semble plus aisément correspondre à la vocation de proximité et de solidarité des départements, tant au regard des douleurs sociales qui peuvent parfois s’y exprimer qu’à celui des défis qu’elle comporte en termes d’accompagnement personnalisé et de coordination avec l’école. Il faut donner aux départements les moyens d’être les stratèges du développement, de l’innovation et de l’emploi dont nous avons tant besoin.

La cohérence entre la vocation des collectivités et les missions que nous proposons de leur confier doit nous conduire, à l’inverse, à revenir sur la suppression par le Sénat du transfert de la compétence en matière de transports scolaires prévu à l’article 8. Il me semble en effet que cette proposition s’inscrit parfaitement dans la mission de coordination et de planification que l’on souhaite donner aux régions. Il ne faut pas se méprendre sur ce sujet : il n’est pas question d’imposer brutalement aux régions la gestion quotidienne du maillage complexe des réseaux de ramassage scolaire.

M. Jean Launay. Elles n’en veulent pas !

M. Stéphane Travert, rapporteur pour avis. Il faut préserver la faculté des régions de déléguer tout ou partie de cette compétence à des organisateurs secondaires…

M. Jean Launay. À quoi sert de transférer une compétence si c’est pour la déléguer ensuite ?

M. Stéphane Travert, rapporteur pour avis. …qui intégreront, bien sûr, les départements ou des syndicats de transport.

S’agissant des compétences en matière de culture et de sport, le projet de loi prévoit le maintien de ces deux domaines dans le champ des compétences partagées entre les niveaux de collectivités territoriales, par dérogation à la suppression de la clause de compétence générale des régions et des départements à laquelle procèdent les articles 1er et 24 du projet de loi.

En matière de politique culturelle, c’est la libre intervention qui a permis aux différents échelons de contribuer à la construction d’un modèle culturel français singulier, garant de la liberté de création, de diffusion des œuvres et de la continuité des projets. Fondés sur le seul volontariat des élus locaux, les financements conjoints ont ainsi été à l’origine d’un maillage très dense du territoire en équipements culturels, d’une offre diversifiée et de l’existence d’un secteur artistique structuré. De plus, la construction de grands équipements, qu’ils soient culturels ou sportifs, implique nécessairement des cofinancements par les différents niveaux de collectivités.

C’est pourquoi il faut réaffirmer avec force que l’État doit assumer une mission déterminante en matière de politique culturelle : il est le garant de l’équité entre tous les citoyens dans l’accès à la culture, de la cohérence des politiques menées sur l’ensemble du territoire national et du bon maillage des territoires, permettant d’éviter que des zones entières ne soient délaissées. Il revient aux directions régionales des affaires culturelles, les DRAC, d’exercer cette mission en région.

Les récents engagements du Gouvernement en la matière, notamment la sanctuarisation pendant trois ans des crédits de la culture, décidée à la fin de l’année dernière, constituent un signal fort.

Maintenir l’exercice partagé des compétences ne suffit pas. Il faut aussi définir les outils d’une bonne articulation des politiques sur les territoires afin d’éviter que des pans entiers de la création culturelle ou de la pratique sportive ne disparaissent de certaines zones.

Ainsi, le projet de loi NOTRe vient souligner qu’en matière de culture et de sport, tous les niveaux de collectivités ont un rôle essentiel à jouer. L’ensemble des élus territoriaux ont entre leurs mains l’avenir du développement culturel de notre pays et doivent poursuivre la décentralisation culturelle dans le dialogue avec les services déconcentrés de l’État. Rappelons que la culture est portée à plus de 70 % par les collectivités locales ; or, aujourd’hui, certaines collectivités se détournent du financement des projets culturels et en font une variable d’ajustement.

Mme Geneviève Gaillard. C’est vrai !

M. Stéphane Travert, rapporteur pour avis. Dans ce domaine, l’État et les collectivités sont liés par une histoire partagée. Portons avec fierté cette volonté de démocratie culturelle, garante d’un égal accès à la culture pour toutes et tous, singulièrement pour les jeunes, et sur tous les territoires. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Germinal Peiro, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques.

M. Germinal Peiro, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, mesdames et messieurs les rapporteurs pour avis, mes chers collègues, en premier lieu, je veux souligner avec satisfaction le tournant pris par le Gouvernement en matière de décentralisation. Lorsque ce texte fut présenté en conseil des ministres le 18 juin dernier, le Gouvernement envisageait de supprimer les départements à l’horizon de 2020.

M. Jean Launay. Mais il a entendu votre appel !

M. Germinal Peiro, rapporteur pour avis. Mais, à force de concertations et de rencontres avec les élus locaux, le Gouvernement a finalement acté le maintien de ces collectivités, garantes de proximité, de solidarité territoriale et d’efficacité. Nos concitoyens connaissent leur utilité au quotidien et identifient clairement leurs représentants élus au suffrage uninominal. Alors que le Gouvernement s’apprête à agrandir notablement les régions, l’espace départemental conserve toute sa pertinence : c’est un outil d’aménagement du territoire, de solidarité territoriale et de solidarité sociale, notamment dans les régions rurales.

Lorsqu’un territoire ne comporte aucune capitale régionale, aucune métropole, c’est-à-dire aucun moteur pour tirer l’économie, le conseil départemental demeure un levier d’action incontournable. En effet, il est le seul qui ait les moyens de mener une véritable politique économique, par le biais du soutien au tourisme, à l’agriculture ou de l’aide aux entreprises, sans oublier la compétence qui lui est dévolue en matière d’action sociale.

Laissez-moi vous citer deux exemples. Lorsqu’un département, constatant la carence des communes ou des intercommunalités, crée une ou plusieurs zones d’activité économique, lorsqu’il soutient les filières agricoles locales, il contribue efficacement au dynamisme du territoire, à la croissance et à l’emploi. À ce titre, la simplification et la rationalisation ne doivent pas être des prétextes pour priver les collectivités des outils d’action dont elles disposent pour mettre en œuvre une action économique locale efficace et cohérente. De la même façon, alors que le projet de loi contient une exigence d’efficacité, nous nous interrogeons sur le transfert aux régions de la gestion des routes et des transports scolaires,…

M. Philippe Le Ray. Très bien !

M. Germinal Peiro, rapporteur pour avis. …qui seront coordonnés dans des capitales régionales parfois situées à quelques centaines de kilomètres des territoires concernés.

La commission des affaires économiques, dont je suis rapporteur pour avis, s’est saisie de quatorze articles répartis dans quatre domaines : l’intervention économique des collectivités, le tourisme, l’énergie et la lutte contre la fracture numérique.

En matière d’intervention économique, faisons confiance à l’intelligence collective des collectivités, qui peuvent s’entendre pour rendre leurs actions cohérentes sans avoir les mains liées et sans en être empêchées par la loi. Ainsi, il n’est pas évident que le renforcement du pouvoir économique de la région passe nécessairement par la réduction des compétences des départements, des communes ou des intercommunalités.

M. Jean Launay. C’est vrai !

M. Germinal Peiro, rapporteur pour avis. La commission des affaires économiques a ainsi adopté un amendement qui prévoit que la région a toute latitude pour promouvoir l’attractivité économique de son territoire. Mais, dans le même temps, elle s’oppose à ce que les régions soient « garantes de l’égalité des territoires », ce que le Sénat a voulu préciser dans l’article 1er et qui entre en contradiction avec les missions de cohésion confiées spécifiquement aux départements. La commission des affaires économiques défend donc la suppression de cette mention dans le projet de loi.

M. Patrick Devedjian. Très bien !

M. Germinal Peiro, rapporteur pour avis. Au nom de cette commission, je serai aussi vigilant lors des débats sur l’article 3, qui détermine la répartition des compétences en matière de définition et d’octroi des aides économiques. Comme je l’ai déjà précisé, lorsqu’un niveau de collectivité n’a pas les moyens d’intervenir, il me paraît essentiel qu’un autre niveau puisse prendre sa place pour encourager les initiatives économiques locales. Les territoires ruraux sont particulièrement sensibles au soutien économique que peuvent apporter les collectivités de proximité,…

Mme Annie Genevard. Eh oui !

M. Patrick Devedjian. Très bien !

M. Germinal Peiro, rapporteur pour avis. …notamment pour conserver un tissu d’entreprises toujours performant face aux territoires dynamiques des capitales régionales et des métropoles.

M. Philippe Le Ray. C’est l’expérience qui parle !

M. Germinal Peiro, rapporteur pour avis. C’est aussi le cas en matière d’économie sociale et solidaire : la commission des affaires économiques a adopté un amendement qui associe plus étroitement les départements à la définition régionale des orientations de l’économie sociale et solidaire dans les territoires.

En second lieu, dans le domaine touristique, les communes et les départements ont su développer une politique touristique de proximité, qui prend en compte les enjeux locaux et s’adapte aux spécificités de chaque territoire. Ce principe ne doit pas être remis en cause. Pour cette raison, il est important de ne pas prévoir, à l’article 23, le transfert ou la délégation automatique de la compétence touristique du département à la métropole : ceci devrait rester une faculté. Là encore, faisons confiance aux collectivités et laissons-les travailler en bonne intelligence !

En troisième lieu, en matière de lutte contre la fracture numérique, je tiens à saluer les avancées réalisées en commission des lois sur l’article 27 bis.

En dernier lieu, en matière d’énergie, l’article 6 prévoit que le schéma régional d’aménagement et de développement durable du territoire absorbe les schémas régionaux du climat, de l’air et de l’énergie. Une telle substitution aurait des conséquences très importantes car elle priverait l’État d’un droit de regard sur le contenu de ces schémas.

Enfin, l’article 17 septdecies pose un véritable problème de fond. La prise en main de l’activité de concession de distribution d’électricité par la métropole du Grand Paris suscite de vives inquiétudes. Que deviendra la péréquation tarifaire dans ce cadre ? Selon le rapport annuel de la Cour des comptes de 2013, les cinq concessions françaises les plus rentables sont toutes situées en Île-de-France. Elles constituent donc une pièce essentielle du dispositif de redistribution entre les usagers urbains et ruraux. Se pose en outre un problème plus technique, lié à l’application de la règle de représentation-substitution introduite par la commission des lois. Par conséquent, la commission des affaires économiques a adopté un amendement qui supprime les alinéas prévoyant l’attribution de la compétence de concession de la distribution d’électricité à la métropole du Grand Paris.

Madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, voilà les principaux éléments que la commission des affaires économiques, dont je suis le rapporteur pour avis, m’a chargé de vous transmettre. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Annie Genevard et M. Philippe Le Ray. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Monique Iborra, rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales.

Mme Monique Iborra, rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, madame et messieurs les rapporteurs pour avis, mes chers collègues, la commission des affaires sociales a décidé de se saisir pour avis du présent projet de loi le 2 février dernier. Ce texte majeur comporte en effet, dans ses articles 3 bis, 22 ter et 24, des dispositions d’importance touchant à l’organisation des politiques sociales et de l’emploi.

Madame la ministre, certains regrettent que ce projet de loi ne soit pas un texte de décentralisation, mais l’ambition affichée du Gouvernement est de clarifier notre organisation territoriale, complexe s’il en est, qui doit être rendue compréhensible par tous, en premier lieu par les citoyens…

M. Philippe Le Ray. Par les élus, ce serait déjà pas mal !

M. Michel Herbillon. L’objectif n’est pas atteint !

Mme Monique Iborra, rapporteure pour avis. …qui doivent être les premiers bénéficiaires des politiques menées par les différents niveaux et acteurs de la puissance publique. C’est pourquoi ce projet de loi opère une simplification des relations entre l’État et les différents niveaux de collectivités, et entre les collectivités elles-mêmes, afin de rendre l’action publique pleinement cohérente et efficiente.

La commission des affaires sociales s’est saisie pour avis du texte, notamment de l’article 3 bis relatif au service public de l’emploi. Après la commission des affaires sociales, la commission des lois a accepté un amendement de votre rapporteure pour avis qui reprend en partie – mais en partie seulement – l’article introduit par nos collègues du Sénat, lesquels avaient prévu une amorce de régionalisation des politiques de l’emploi, passant notamment par la coordination par les régions de l’ensemble des acteurs du service public de l’emploi, y compris Pôle emploi. Nos collègues de la commission des affaires sociales et de la commission des lois ont donc validé l’amendement que je leur ai proposé, qui n’inclut pas Pôle emploi dans le dispositif…

Mme Sophie Rohfritsch. Cela devait pourtant être cohérent !

Mme Monique Iborra, rapporteure pour avis. …mais permet aux régions d’assurer, en cohérence avec leurs compétences en matière d’orientation, de formation et de développement économique, une coordination efficace des nombreux acteurs qui interviennent dans le champ même de leurs compétences, lesquelles ont été décentralisées. C’est l’objet du nouvel article 3 ter qui vous est proposé. Pôle emploi reste toutefois un partenaire essentiel et l’outil majeur des politiques de l’État.

Nombre de rapports, qu’ils soient parlementaires ou émanant de la Cour des comptes, de l’IGF ou de l’IGAS – le dernier en date, publié en 2013, est celui de la mission d’information sur Pôle emploi et le service public de l’emploi, dont j’étais rapporteure et Dominique Dord président –, ont constaté le foisonnement des intervenants dans le service public de l’emploi, qui bénéficient aujourd’hui de financements croisés de donneurs d’ordre différents – c’est notamment le cas des missions locales – ou font l’objet de sous-traitances que rien ne justifie et qui rendent le paysage institutionnel illisible pour la majorité des acteurs et, plus grave, pour les demandeurs d’emploi eux-mêmes.

Il ne s’agit là de mettre en question ni le professionnalisme ni le militantisme de certains de ces acteurs qui œuvrent dans un contexte particulièrement difficile. Il s’agit d’apporter des réponses privilégiant l’accompagnement du demandeur d’emploi au plus des réalités régionales et locales, de changer d’état d’esprit, de façon à être plus opérationnel, moins institutionnel, plus souple et plus réactif avec, si j’ose dire, un pilote dans l’avion, en cohérence avec les compétences décentralisées.

Il y a en effet deux manières de démêler l’imbroglio administratif actuel. On renforce l’institutionnel. On crée le CNEFOP – le Conseil national de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelle –, on crée des CREFOP – des comités régionaux de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelle – et on pense avoir fait œuvre utile…

Mme Sophie Rohfritsch. Incroyable !

Mme Monique Iborra, rapporteure pour avis. … parce que tous les acteurs sont représentés dans une assemblée qui, s’agissant du CREFOP, compte aujourd’hui quarante personnes en Midi-Pyrénées, et en comptera demain un peu plus d’une centaine une fois les régions Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées fusionnées.

On y ajoute une commission spéciale qui traitera spécifiquement de la concertation des politiques de l’emploi sur le territoire. On met en place une convention pluriannuelle de coordination de l’emploi, de l’orientation et de la formation…

M. Michel Herbillon. C’est quoi cette usine à gaz ?

Mme Monique Iborra, rapporteure pour avis. …signée par le préfet et le président du conseil régional et l’ensemble des acteurs qui interviennent. Pourquoi pas ?

On risque cependant, et je pense que vous en serez d’accord, de déboucher sur une paralysie de l’action préjudiciable à l’objectif recherché, à savoir favoriser la création d’emplois en liant cet objectif au développement économique, à la formation avec le souci constat d’accompagner les demandeurs d’emploi dans les délais les plus courts possibles sur un emploi durable.

L’article 3 ter nouveau qui va vous être proposé, il ne s’agit pas là d’une révolution, offre la possibilité aux régions de coordonner, à titre expérimentale durant trois ans, les différents acteurs du service public de l’emploi au niveau régional, hors Pôle emploi, lequel continuerait d’être un partenaire essentiel, mais resterait l’opérateur exclusif de l’État.

Cet article propose l’ouverture d’un droit en permettant, au niveau régional, de décloisonner effectivement les politiques de l’emploi, de développer les compétences des demandeurs d’emploi, de conditionner les aides aux entreprises au développement de l’emploi, de simplifier et de rendre plus lisibles les politiques de l’emploi en lien direct avec le secteur public de l’orientation et celui de la formation professionnelle. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP)

M. le président. La parole est à M. Florent Boudié, rapporteur pour avis de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire.

M. Florent Boudié, rapporteur pour avis de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les rapporteurs pour avis, chers collègues, en moins de trois ans, deux lois réformant notre organisation territoriale ont été adoptées. De nouveaux moyens d’action ont été confiés aux métropoles. Le nombre de nos régions a été divisé par deux pour en accroître la visibilité.

Deux lois qui préfiguraient, qui annonçaient le texte dont nous débutons l’examen cet après-midi, parce que la naissance de puissantes métropoles, d’un côté, de nouvelles grandes régions, de l’autre, appelait un débat sur la clarification et la mise en cohérence des compétences locales.

M. Philippe Le Ray. On en reparlera !

Mme Sophie Rohfritsch. Pour sûr !

M. Florent Boudié, rapporteur pour avis. Chacun se souvient des termes employés, ici même, par le Premier ministre, dans sa déclaration de politique générale du 8 avril 2014 et chacun se souvient du débat qu’il avait alors engagé sur l’évolution des conseils généraux : une proposition d’ailleurs populaire, si l’on en croit les très nombreuses enquêtes d’opinion qui ont été publiées depuis.

Mais ce débat, mes chers collègues – M. le rapporteur l’a rappelé – est derrière nous…

M. Michel Herbillon. Preuve de votre incohérence !

M. Florent Boudié, rapporteur pour avis. …et il faut, me semble-t-il, en tirer toutes les conséquences, dès cette première lecture.

Voilà pourquoi la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire n’a pas souhaité rétablir les transferts de compétences des conseils généraux vers les régions en matière de transports et de routes. Nous avons, en particulier, considéré que le maintien des collèges aux conseils généraux justifie que l’on y regarde à deux fois avant de transférer les transports scolaires aux régions.

M. Jean Launay. Et que l’on y regarde même à trois fois !

M. Germinal Peiro, rapporteur pour avis. Tout à fait.

M. Florent Boudié, rapporteur pour avis. Pour la voirie départementale, la commission du développement durable a étudié une voie médiane, sans la trancher, entre le refus du Sénat d’en confier la responsabilité aux régions et la volonté du Gouvernement de lui en transférer l’intégralité. Une autre solution nous paraît possible qui consisterait à transférer aux régions les seuls axes routiers qui ont une portée supra-départementale. Nous débattrons de ces propositions au cours des séances à venir.

M. Philippe Le Ray. Cela va simplifier les choses !

M. Michel Herbillon. Le choc de complexification !

M. Florent Boudié, rapporteur pour avis. S’agissant maintenant du seuil minimal de population pour les intercommunalités, la commission a considéré que l’effort de rationalisation devait se poursuivre, tout en ouvrant droit à des adaptations en fonction des circonstances locales.

Elle a donc opté pour trois niveaux d’assouplissement. Premièrement, un assouplissement à la baisse, lorsque la géographie et la démographie des territoires concernés le justifient. Et nous reconnaissons, sur ce point, les améliorations apportées au texte par le rapporteur de la commission saisie au fond. À une réserve près, mais elle est essentielle : la référence à la densité moyenne de population dans chaque département, telle qu’elle figure à l’article 14, nous paraît devoir être calculée, dans les départements concernés, en excluant la population des métropoles, sauf à créer des distorsions considérables. Des amendements seront proposés en ce sens.

Deuxièmement, un assouplissement encore, mais cette fois-ci à la hausse, pour inciter les intercommunalités qui le souhaiteraient à agréger des territoires de projet, à une échelle bien supérieure à 20 000 habitants : nous proposons d’y parvenir en prenant appui sur les pôles d’équilibre territorial, créés par la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, dite loi MAPTAM. Là où les territoires en ont la volonté, nous pensons qu’il faut inciter à des regroupements de grande échelle et éviter que le seuil de 20 000 habitants devienne un plafond plutôt qu’un plancher.

Enfin, la commission du développement durable a estimé, tout comme la commission des lois, qu’il faut prévoir une période de latence, de repos dirait le rapporteur, pour éviter que des intercommunalités, dont le périmètre vient d’être élargi, entrent de nouveau dans une procédure dont elles sortent à peine. Pour ces intercommunalités, nous proposons que les regroupements soient repoussés aux prochaines élections municipales.

J’en viens maintenant aux compétences régionales, traitées à l’article 6 : la commission du développement durable a souhaité que soit réaffirmé le caractère prescriptif des nouveaux schémas régionaux d’aménagement et de développement durable du territoire, tout en s’interrogeant sur les liens entre ces SRADDT et les parcs naturels régionaux, d’une part, la loi littoral d’autre part.

J’ai une interrogation supplémentaire, madame la ministre, concernant le sort des espaces naturels sensibles : notre commission a souhaité en transférer la compétence aux régions, en cohérence avec le « chef de filat » qui leur a été reconnu par la loi MAPTAM, au titre de la préservation de la biodiversité. Nous comprenons mal le refus opposé par la commission des lois, mais la pédagogie des débats permettra d’avancer sur ce point.

Je conclurai, mes chers collègues, par un débat qui déborde le champ de saisine de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire : je veux parler de l’élection au suffrage universel direct, sans fléchage, des conseillers communautaires. Madame la ministre, il faut franchir cette nouvelle étape.

C’est non seulement le sens de l’histoire, mais c’est une exigence démocratique : les politiques intercommunales, qui constituent désormais l’essentiel des politiques de proximité, ne peuvent plus être conduites à l’ombre – et dans la discrétion – par des conseils communautaires et des présidents de ces structures qui n’ont pas été directement choisis par nos concitoyens. Il faut en finir avec le filtre des candidats à l’élection municipale.

M. Michel Herbillon. Quelle découverte !

M. Florent Boudié, rapporteur pour avis. Je souhaite, madame la ministre, que ce débat, relancé en commission des lois par notre collègue Colette Capdevielle, trouve une issue positive dans l’hémicycle. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme Christine Pires Beaune, rapporteure pour avis de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire.

Mme Christine Pires Beaune, rapporteure pour avis de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, madame et messieurs les rapporteurs pour avis, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord, madame la ministre, de saluer votre plaidoyer en faveur de la solidarité entre tous les territoires sans les opposer les uns aux autres. Un an après l’entrée en vigueur de la loi MAPTAM, cinq semaines après la validation de la nouvelle carte des régions par le Conseil constitutionnel, notre majorité poursuit la réforme territoriale à laquelle elle s’était engagée, avec ce projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République.

Le projet NOTRe – puisque c’est ainsi qu’il faut l’appeler – marque une nouvelle étape. En supprimant la clause de compétence générale des régions et des départements, en augmentant de manière substantielle la taille minimale des EPCI et en reconnaissant un « chef de filat » économique aux régions, il fait œuvre utile de rationalisation et de clarification.

Ce projet a déjà été adopté par le Sénat, où il a donné lieu à des débats riches, hélas pas toujours constructifs. Il revient désormais à notre Assemblée de poursuivre le travail parlementaire.

Avant d’en venir aux dispositions soumises à notre examen, je tiens à exprimer trois regrets. Le premier tient à la méthode retenue. En choisissant d’utiliser plusieurs véhicules législatifs, en soumettant au Parlement en dernier la question des compétences, je crains que l’on ait sacrifié la lisibilité de l’ensemble.

Mme Sophie Rohfritsch. Eh oui.

M. Guillaume Larrivé. C’est exact.

Mme Christine Pires Beaune, rapporteure pour avis. Un autre regret a trait au calendrier retenu pour l’examen du présent projet de loi. À peine l’encre sèche, il nous a fallu examiner au pas de charge le texte transmis par le Sénat, pour permettre sa promulgation et son entrée en vigueur avant les prochaines élections régionales, à défaut que celle-ci puisse intervenir avant les élections départementales.

Mon dernier regret, enfin, concerne le contenu du projet lui-même : rien en effet, ou très peu, sur le financement de cette réforme.

M. Marc Dolez. Eh oui, hélas !

M. Philippe Le Ray. Pas d’étude d’impact !

Mme Christine Pires Beaune, rapporteure pour avis. Les modalités de compensation financière des transferts de compétences, l’impact de la réforme sur les dotations ou sur les fonds de péréquation horizontale sont renvoyés à une prochaine loi de finances, mais il paraît que c’est la règle.

Ces regrets personnels exprimés, il me revient de présenter la position de la commission des finances qui s’est saisie de sept des 128 articles que compte désormais ce projet. Comme nos homologues du Sénat, nous avons débattu du titre IV relatif à la transparence financière, qui comprend les articles 30 à 34 relatifs à la procédure budgétaire locale, la dématérialisation des documents comptables ou encore la certification des comptes.

Nous n’avons pu en revanche nous saisir de l’article 33 relatif à l’action récursoire de l’État contre les collectivités, en dépit de son intérêt. En effet, les sénateurs l’avaient supprimé en commission et ont rejeté en séance un amendement tendant à le rétablir. Je crois que le Gouvernement nous proposera une nouvelle rédaction de ce dispositif.

À ma demande, nos travaux ont également porté sur l’article 37 qui organise les principes de la compensation financière des transferts de compétences.

En outre, conformément au souhait du président Gilles Carrez, notre saisine a été élargie à l’article 17 septdecies, ajouté par le Sénat en séance publique. Ce long article, qui compte de près de 300 alinéas, introduit à l’initiative du Gouvernement mais modifié par quarante sous-amendements de nos collègues sénateurs, revient sur l’organisation de la métropole du Grand Paris et esquisse le schéma de son financement.

Au terme de ses travaux, la commission des finances avait adopté treize amendements, modifiant ou complétant ces différents articles. Sept ont déjà pu être adoptés par la commission des lois et intégrés au texte qui nous est soumis. Ainsi, le nouvel article 22 bis A repousse d’un an l’obligation de préparer un schéma de mutualisation des services. Le nouvel article 21 bis B ouvre une dérogation aux conditions de constitution d’une communauté d’agglomération, au profit des ensembles urbains comportant une sous-préfecture ; je vous proposerai, par amendement, de pérenniser ce dispositif.

Les charges financières correspondant à la gestion de l’état- civil que suscite l’activité d’un centre hospitalier intercommunal pour la commune d’implantation seront davantage prises en compte par les communes d’origine des patients.

À l’article 30, nous avons prévu que le seuil à partir duquel, avant toute dépense d’investissement, une étude d’impact est obligatoire dépende de la strate démographique de la collectivité territoriale. À ce même article, nous avons rétabli le fondement juridique dans les communes et précisé le champ du débat d’orientations budgétaires.

Enfin, nous avons rétabli les missions du nouvel observatoire des finances et de la gestion publique locale, que les sénateurs avaient réduites. En accord avec le rapporteur de la commission saisie au fond, Olivier Dussopt, je vous présenterai dans le cours de nos débats plusieurs amendements pour traduire les autres propositions de la commission des finances : qu’il s’agisse de l’évaluation de l’impact de la création de la métropole du Grand Paris sur le Fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales – le FPIC – …

M. François Pupponi. Très bien.

Mme Christine Pires Beaune, rapporteure pour avis. … ou encore de l’adaptation du seuil d’application de l’obligation de logements sociaux au cas particulier des EPCI issus d’une fusion.

Nous sommes tous conscients que les transferts de compétences ne permettent de dégager des économies d’échelle qu’à moyen et long termes. Je forme toutefois le vœu que ce projet de loi et les autres dispositions qu’il comporte – transparence de la procédure budgétaire locale, certification des comptes, dématérialisation – contribueront, avec d’autres outils récemment mis à la disposition des élus locaux, à une meilleure maîtrise de la dépense locale, car celle-ci doit être maîtrisée et, au moins sur ce point, il y a consensus.

Notre commission des finances sera, en tout cas, très attentive aux mesures complémentaires ou d’application qu’appellera ce projet de loi dans les prochains mois. Le volet budgétaire de la présente réforme, en particulier, mobilisera toute l’attention de ses membres lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2016. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire.

M. Gilles Carrez, président de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, mesdames, messieurs les rapporteurs, chers collègues, je veux évoquer la question de la création de la métropole du Grand Paris.

D’abord, merci au Gouvernement d’avoir présenté au Sénat un amendement réécrivant l’article 12 de la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, ou loi MAPTAM, qui, comme l’ont souligné unanimement les 123 maires de la petite couronne et le maire de Paris, ne pouvait pas fonctionner et nous conduisait dans l’impasse. Cet amendement du Gouvernement reprend pour partie les travaux conduits ces derniers mois par les maires dans un cadre consensuel fourni tant par le syndicat Paris Métropole que par la mission de préfiguration.

Mais cet amendement n’est pas suffisant et j’espère que la discussion que nous engageons ici nous permettra de progresser. Améliorer ce texte, c’est d’abord prendre en compte la situation réelle de nos villes de la banlieue parisienne. C’est reconnaître à sa juste valeur le rôle irremplaçable des maires qui, comme en province, contribuent à l’équilibre de leur territoire et à la cohésion sociale. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. Michel Herbillon. Il a raison !

M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. Ce rôle, madame la ministre, a été nié, bafoué, abaissé lors de la discussion de l’article 12 au sein de notre assemblée, et je le regrette profondément.

M. Michel Herbillon. Absolument !

M. Damien Abad. Il a raison !

M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. Permettez-moi donc quelques réflexions en tant que maire d’une de ces villes de banlieue depuis plus de vingt ans.

D’abord, nous, les maires, n’avons pas attendu la loi et son article 12 pour travailler ensemble dans l’intérêt général,…

M. Stéphane Travert, rapporteur pour avis. Tout est dans la nuance !

M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. …quelles que soient nos sensibilités politiques. L’agglomération parisienne est pionnière en matière d’intercommunalité.

M. Stéphane Travert, rapporteur pour avis. En 2017, c’est terminé !

M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. Tous les réseaux, l’eau, l’assainissement, le gaz, l’électricité, les transports sont mis en commun,…

M. Carlos Da Silva. A qui allez-vous faire croire ça ?

M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. …parfois depuis plus d’un siècle, dans notre région, et cela dans une démarche qui part du terrain et des communes et qui recherche dans l’association des villes la meilleure efficacité – tout le contraire du processus technocratique,…

M. Stéphane Travert. C’est rétro !

M. Carlos Da Silva. Inadmissible ! Scandaleux !

M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. …ignorant des réalités de terrain, qui nous a été imposé par l’ex-article 12.

Première recommandation : madame la ministre, ne touchez pas à ce qui marche, à nos grands syndicats – comme le Syndicat des eaux d’Île-de-France, ou SEDI, le Syndicat interdépartemental pour l’assainissement de l’agglomération parisienne, ou SIAAP, le Syndicat intercommunal de la périphérie de Paris pour l’électricité et les réseaux de communication, ou SIPPEREC, ou encore le Syndicat intercommunal funéraire de la région parisienne, ou SIFUREP –, qui tiennent leur efficacité et leur légitimité des villes, et d’elles seules.

M. Patrick Ollier. Il a tout à fait raison !

M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. Deuxième observation : sur les territoires plus restreints, les maires savent aussi travailler ensemble depuis longtemps.

M. Carlos Da Silva. Est-ce qu’on pourrait aller à l’essentiel ?

M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. Depuis quinze ans, par exemple, avec Jean-Pierre Brard, qui était alors maire de Montreuil,…

M. Guy Teissier. Il nous manque !

M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. …nous avons créé l’Association des collectivités territoriales de l’Est parisien et avons travaillé dans les domaines des transports, de l’éducation, du développement économique et de l’emploi, et les quinze maires des communes qui constituent cet ensemble sont aujourd’hui unanimes pour se regrouper au sein de la formule d’établissement public territorial que vous nous proposez et qui entrera en vigueur le 1er janvier prochain. Vous le voyez donc, là aussi, nous n’avons pas attendu la création de la métropole.

Il faut renforcer l’échelon intercommunal des établissements publics territoriaux.

M. Carlos Da Silva. Vous avez eu vingt ans pour le faire !

M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. Je vous remercie d’ailleurs d’avoir accepté de leur conférer un pouvoir fiscal autonome en leur transférant la cotisation foncière des entreprises – CFE.

Je regrette cependant que ce statut d’EPCI à fiscalité propre ne soit attribué que temporairement, jusqu’à 2020. Cela est contraire à la demande quasi unanime des 123 maires de la petite couronne et du maire de Paris, qui veulent absolument travailler ensemble, comme ils le font depuis longtemps.

Je veux pour terminer évoquer les liens étroits qui unissent l’agglomération parisienne, c’est-à-dire Paris et les trois départements de la petite couronne, au reste de l’Île-de-France. La région d’Île-de-France est une singularité francilienne.

M. Carlos Da Silva. Une singularité francilienne ? Bravo ! On va la garder, celle-là !

M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. Le territoire régional, qui ne représente que 2 % du territoire national, constitue le véritable bassin d’habitat, d’emploi, de vie collective et de transport. Souvenez-vous : le premier schéma directeur mis en place en 1965 par Paul Delouvrier et son équipe, qui prévoyait les cinq villes nouvelles et le réseau express régional, s’affranchissait de toute frontière factice et artificielle entre ce qu’on appelle petite et grande couronne.

M. Carlos Da Silva. Ces frontières existent !

M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. Je crains que la création de la métropole limitée aux trois départements de petite couronne ne rompe les solidarités et les cohérences de notre région. Ainsi, dans notre secteur, sur la ligne A du RER, un bout du quai de la station de Noisy-Champs est en Seine-Saint-Denis, et donc dans la future métropole, et l’autre bout en Seine-et-Marne. De même, les cinq universités des villes nouvelles desservent autant les habitants des départements de grande couronne que ceux des départements de petite couronne – c’est notamment le cas de l’Université de Marne-la-Vallée, entre Seine et Marne et Val-de-Marne – et je ne parle même pas des aéroports, qui alimenteront notre discussion à l’occasion de nombreux amendements !

J’insiste donc sur le fait qu’il existe une profonde cohérence régionale et qu’il faut absolument la respecter, sans quoi je redoute que la métropole, qui devra bien s’attribuer des compétences, ne génère des conflits,…

M. Carlos Da Silva. Ah oui ? Prendre l’argent des riches pour donner aux pauvres, c’est un conflit ça ? Cela s’appelle la solidarité !

M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. …essentiellement avec les communes, mais également avec la région.

M. Carlos Da Silva. Il s’exprime à quel titre, celui-là ? Comme maire du Perreux-sur-Marne ?

M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. Je terminerai en évoquant rapidement les aspects fiscaux et financiers, renvoyés à des ordonnances et qui sont d’une extrême complexité. J’aborderai ce point lors de l’examen des amendements, mais comment fonctionneront les commissions locales d’évaluation des charges et des transferts ? Comment seront calculés les potentiels fiscaux et les coefficients d’intégration fiscale ? Comment seront établies les compensations ? Je découvre, par exemple, que les dotations globales de fonctionnement des intercommunalités existantes disparaîtront sans autre forme de procès, sans compensation. Il y a donc là un véritable saut dans l’inconnu.

M. Stéphane Travert, rapporteur pour avis. Non : dans le changement !

M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. Pour connaître un peu le domaine des finances locales, je suis atterré par le degré d’impréparation dont témoigne le texte sur cet aspect fiscal et financier. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. Guy Teissier. C’est l’improvisation la plus totale !

M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. Pour terminer, une seule recommandation, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État : écoutez davantage les maires car, auprès de la population – qui est au demeurant la grande absente de cette réforme –, ce sont eux qui détiennent la vraie, la seule légitimité.

M. Carlos Da Silva. Et les parlementaires ? Ce sont des guignols ? Ils ne servent à rien ?

M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. De fait, la seule légitimité qui vaille, c’est celle des maires et de leurs équipes d’élus locaux. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Carlos Da Silva. Je rêve ? Il s’exprime à quel titre ?

M. Stéphane Travert, rapporteur pour avis. C’est une parodie !

Motion de rejet préalable

M. le président. J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe de l’Union pour un mouvement populaire une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement.

La parole est à M. Hervé Gaymard.

M. Hervé Gaymard. Madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, quand on fait une faute de carre dans le premier virage, au début d’un mur, on a beau faire, on a beau dire, on ne se rattrape jamais. Et c’est exactement ce qui vous arrive depuis le début du quinquennat de François Hollande, pour le chantier de la réforme territoriale comme pour tous les autres chantiers qui concernent l’avenir de la Nation.

Bien sûr, on ne chute pas toujours, du moins pas tout de suite, mais on ne rattrape jamais le retard et, pendant ce temps-là, c’est la France qui perd du temps.

Plusieurs députés du groupe UMP. Eh oui !

M. Hervé Gaymard. Pourtant, si vous n’aviez pas été aveuglés par l’idéologie, la réforme territoriale serait en œuvre depuis mars 2014...

M. Stéphane Travert, rapporteur pour avis. De notre part, c’est forcément de l’idéologie et de la démagogie ! On pourrait écrire vos discours !

M. Hervé Gaymard. …et toute cette énergie, gaspillée, dilapidée depuis trois ans, aurait pu être employée à la lutte contre le chômage.

Plusieurs députés du groupe UMP. Eh oui !

M. Hervé Gaymard. Les investissements locaux ne seraient pas à l’arrêt, et les fonctionnaires territoriaux ne seraient pas inquiets de l’avenir de leurs missions.

Plusieurs députés du groupe UMP. Absolument !

M. Hervé Gaymard. Vous avez en effet commis la funeste erreur, dès juillet 2012, de vouloir abroger la loi du 16 décembre 2010, adoptée sous la législature précédente, comme s’il n’y avait pas plus urgent à faire. Pourquoi cet empressement ? D’abord, par idéologie.

M. Stéphane Travert, rapporteur pour avis. C’est reparti !

M. Hervé Gaymard. François Hollande ayant été élu avec pour seul programme un anti-sarkozysme caricatural, et puisque l’on passait « de l’obscurité à la lumière » – pour reprendre la célèbre expression de Jack Lang, il fallait tout abroger en bloc.

Ensuite, par un esprit de défense corporatiste. C’était une époque où le parti socialiste, avec quelques alliés de rencontre, administrait la quasi-totalité des collectivités territoriales. Il fallait surtout ne rien changer et, plus encore, ne pas diminuer le nombre d’élus, car le parti était devenu, en gros, un syndicat d’élus locaux, ultime adjuvant d’autres corporatismes.

M. Guy Geoffroy. Très juste !

M. Hervé Gaymard. Pourtant, cette loi du 16 décembre 2010, et beaucoup de ses contempteurs d’alors le reconnaissent aujourd’hui, avait de grands mérites : elle réorganisait les collectivités autour de deux pôles – le pôle communes-intercommunalité et le pôle départements-régions – ; elle achevait la carte de l’intercommunalité ; elle créait les métropoles ; elle permettait aux collectivités territoriales de fusionner et, surtout, créait le conseiller territorial, qui aurait siégé à la fois au département et à la région.

Le nombre d’élus territoriaux aurait été réduit de moitié et les compétences naturellement reclassées entre l’échelon départemental et régional, en faisant confiance aux élus territoriaux et en adaptant les solutions selon les régions, pour sortir du « jacobinisme décentralisé ».

M. Michel Herbillon. C’était une très bonne réforme !

M. Hervé Gaymard. Parce que votre seule ambition pour les collectivités s’est résumée à l’abrogation de la loi de 2010 et au maintien de vos acquis politiques, vous naviguez à vue.

C’est d’abord la réforme du mode de scrutin pour les élections départementales qui vous a mobilisés, comme si la priorité n’était pas d’abord économique et sociale !

M. Jean Lassalle. Absolument !

M. Hervé Gaymard. M. Valls, alors ministre de l’intérieur, a redécoupé la France avec gourmandise et inventé un nouveau mode de scrutin binominal, que le monde entier nous envie. Comme s’il n’y avait pas d’autres urgences !

Mais cela n’était que le prologue, au milieu de tant de tâtonnements, notamment pour fixer la date des scrutins. C’est ainsi que l’on prolongea d’un an le mandat des conseillers départementaux et régionaux, conséquence de toutes ces irrésolutions, et qu’au surplus, le Gouvernement fut contraint de faire voter une prolongation complémentaire de neuf mois pour les conseillers régionaux. Comprenne qui pourra, et surtout pas les électeurs ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Puis la lumière vint. Après la déroute des élections municipales, il y aura bientôt un an, il fallait que le nouveau Premier ministre endossât l’uniforme du réformateur. Quelle réforme facile, « communicante », pour frapper les esprits, et éviter ainsi de s’attaquer aux vraies réformes dont notre pays ne finit plus d’avoir besoin ?

La réforme de l’éducation ? L’enlisement des rythmes scolaires ne laissait rien présager de bon. Il valait mieux passer son chemin, contre toutes les promesses électorales.

La réforme fiscale ? Les ménages et les entreprises sont à genoux après le matraquage fiscal qu’ils subissent depuis 2012. Il fallait éviter de céder à la provocation, et tenter de se faire oublier.

La réforme du marché du travail ? Indispensable, dit-on hors du champ des caméras. Impensable, nous dit un ministre éminent, qui pousse la désinvolture à dire qu’il suffit d’« imprimer le code du travail en petits caractères ».

La réforme de la sécurité intérieure ? Terrain trop glissant pour cette majorité, et qui nuirait à la solidarité gouvernementale.

Il fallait donc trouver une réforme que l’on croyait facile, qui aurait marqué l’opinion – une bonne réforme, vous dis-je, qui permette de prendre la pose avec un mouvement du menton.

Le verdict tomba, le 8 avril de l’année dernière, du haut de cette tribune, pendant le discours de politique générale du nouveau Premier ministre. La solution miracle était trouvée : il fallait diviser par deux le nombre de régions et supprimer le département.

Le nombre des régions vient effectivement d’être diminué de moitié. Il n’y a d’ailleurs pas de quoi se vanter, car cette lubie technocratique parée des attraits de la prétendue modernité de la « grande région européenne », ne résiste pas à l’examen. Allez demander, notamment, aux Alsaciens, aux Bretons, aux Picards, aux Nordistes, et à bien d’autres, ce qu’ils en pensent : ils n’ont même pas été consultés ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Damien Abad. Scandaleux !

M. Hervé Gaymard. Mais la loi est la loi, et elle sera appliquée. Il n’est pas besoin d’être grand clerc pour prédire de rudes désillusions.

Nous allons maintenant – enfin –, par la présente loi, aborder la question de l’avenir du département. Mais hélas, mes chers collègues, nous allons l’aborder tout de biais, sans réponse claire aux questions que les Français se posent car, depuis le discours du Premier ministre et sa mâle déclaration sur le dossier départemental, le Gouvernement marche en crabe, finaude et, pour tout dire, enfume les Français, qui sont convoqués aux urnes les 22 et 29 mars prochains sans savoir quel sera l’avenir du département, ni ses compétences, ni, comme l’a relevé M. Carrez, le cadre budgétaire et fiscal. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Damien Abad. Scandaleux !

M. Hervé Gaymard. II faut donc brièvement revenir sur les étapes de cette « marche en crabe » opérée par le Gouvernement depuis un an.

Première étape : le Premier ministre à peine redescendu de cette tribune, un conseiller juridique, qui s’était réveillé tardivement, a dû murmurer à son oreille qu’il n’était pas possible de supprimer le département sans réviser la Constitution.

M. Marc Le Fur. Des amateurs !

M. Hervé Gaymard. Pas question de réunir le Congrès ni d’organiser un référendum. Il fallait donc trouver une astuce, une martingale, comme les joueurs de carte professionnels.

Deuxième étape : c’est le projet de loi adopté en Conseil des ministres, le 18 juin 2014. Comme on ne peut pas supprimer le département sans réviser la Constitution, on procède à son évaporation, à son éviscération, plutôt, en lui retirant au 1er janvier 2017 toutes ses compétences non sociales.

M. Damien Abad. Il a raison !

M. Hervé Gaymard. Dans un deuxième temps, à horizon 2020-2021, les compétences sociales seront transférées à l’État, aux caisses d’allocations familiales, aux agences régionales de santé sans doute, sans autres précisions à ce stade. Pour satisfaire le juriste, il est question de supprimer non plus le département, mais le conseil départemental.

Troisième étape : il y a des élections. En France, d’ailleurs, il y a toujours des élections ! Cette année-là, c’est-à-dire l’année dernière, à l’automne, elles furent sénatoriales ces élections, c’est-à-dire bigrement départementales. Les édiles socialistes commencent alors à être inquiets devant d’audace. Ils font dire au Premier ministre, pour sauver les meubles, que les départements seront classés en trois catégories : là où il y a métropole, ils disparaissent ; là où il y a des intercommunalités fortes, elles reprennent leurs compétences ; en zone rurale, ils sont maintenus, avec des compétences simplifiées.

M. Michel Herbillon. Du bricolage !

M. Hervé Gaymard. Le problème est que cette litanie, répétée à l’envi, n’a jamais été explicitée, et pour cause, car le diable se niche dans les détails – qui d’ailleurs n’en sont pas. Un certain nombre de questions se posent : lorsque l’on parle de métropoles, s’agit-il seulement des métropoles au sens de la loi ? Et que deviennent les territoires hors de l’aire métropolitaine ? Quelle est la définition d’un « département rural » ? Quelle en est la liste ? Que signifie l’expression « compétences simplifiées » ? S’agit-il du maintien des seules compétences sociales avant extinction des feux, ou d’autre chose ?

Nous attendions donc avec impatience – et gourmandise – l’examen de ce projet de loi, pour qu’enfin, le Gouvernement dise aux Français ce qu’il veut faire des départements. Le temps presse : le premier tour des élections départementales est dans cinq semaines !

Au Sénat, aucune précision d’envergure n’a été apportée. La majorité sénatoriale, bien inspirée, a modifié le texte par des mesures de bon sens, notamment en changeant le seuil de 20 000 habitants pour l’intercommunalité, en modifiant les compétences obligatoires des intercommunalités, et en maintenant la voirie comme compétence de proximité pour le département maintenu, là où il le serait, à titre transitoire. Les ministres ont même conclu que l’œuvre sénatoriale était utile.

Mais depuis que le projet de loi est soumis à notre assemblée, le texte initial du Gouvernement a été quasiment rétabli, soit par amendement du Gouvernement, soit par amendement du rapporteur, soutenu par la majorité.

La seule novation concerne en fait le reniement du Gouvernement sur les statuts et le fonctionnement de la Métropole du Grand Paris, telle que votée en janvier 2014. Ici encore, le Gouvernement se voit forcé par les circonstances, et contraint de changer son cap par les actions menées de conserve par les élus franciliens de tous bords.

Nous sommes donc dans des sables mouvants. Aucune réponse précise n’est apportée aux questions que se posent les Français, seulement des attitudes dilatoires, des déclarations contradictoires ou des engagements ministériels, démentis par les dispositions adoptées. Cette irrésolution a non seulement une cause profonde, l’absence de cap clair du Gouvernement, mais aussi une cause immédiate, la proximité des élections départementales. Il faut le plus longtemps possible « noyer le poisson » et rester dans l’ambiguïté pour passer le cap des élections. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Sur le fond, c’est la tactique bien connue de la chauve-souris, chère à Jean de La Fontaine : « Je suis oiseau : voyez mes ailes … Je suis souris : vivent les rats ! » Aux régionalistes, vous dites que le département disparaîtra. Aux départementalistes, vous concédez que le département restera, peut-être… on verra.

Sur la méthode, vous essayez de singer Edgar Faure, avec le talent en moins, quand il disait : « Quand un problème est compliqué, et que ze suis en difficulté, z’embrouille, z’embrouille, z’embrouille »… (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mais il n’est pas drôle d’embrouiller les électeurs. Il n’est pas dans notre tradition républicaine de les convoquer, sans savoir pour quoi ils vont voter. Il n’est pas digne de rester dans le flou. Comme l’a dit Martine Aubry, que vous connaissez bien, madame la ministre, « Quand c’est flou, il y a un loup ». (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Luc Belot. Quel talent !

M. Hervé Gaymard. C’est pourquoi, mes chers collègues, pour dissiper le flou, et conjurer le loup, je vous invite à adopter cette motion de rejet préalable. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

D’abord pour des raisons qui tiennent à la clarté du débat démocratique. La première lecture au Sénat, et cette première lecture à l’Assemblée, de l’aveu même du ministre, ne servent à rien puisque le Gouvernement, et la majorité avec lui, préciseront leurs intentions réelles après les élections départementales. Les parlementaires – et les Français avec eux – sont donc promenés dans des débats dilatoires, qui décrédibilisent encore davantage la parole et l’action publiques. Les bonnes âmes pleureront ensuite devant le lait renversé : la montée de l’abstention et des votes extrêmes, qui d’ailleurs ne font plus qu’un.

Ensuite, parce que nous n’avons aucune indication du soubassement budgétaire et fiscal de cette réforme. Je voudrais rappeler ici que l’impact budgétaire des transferts de compétences s’élève, selon les configurations retenues, à un montant se situant entre 30 et 37 milliards d’euros – sur les 74 milliards des budgets des départements. Comment ce tour de passe-passe sera-t-il financé ? Par des baisses de compensation ? Par des transferts de fiscalité ? Dans ce cas, comment feront les départements résiduels et transitoires pour financer les dépenses sociales, notamment pour les personnes âgées et handicapées ?

La troisième raison est que le texte issu des travaux en commission est très insatisfaisant Je prendrai un seul exemple. Où est la logique de maintenir les collèges à l’échelon départemental, quand les lycées restent à l’échelon régional, et de transférer les routes, service de proximité par excellence, à la région ? Que signifie au juste la compétence de « solidarité territoriale », inventée à la hâte pour les départements résiduels et transitoires ?

M. Michel Herbillon. Du bricolage !

M. Hervé Gaymard. Cette loi n’est ni faite ni à faire. Chacun le sait bien ici, même si la parole publique de beaucoup de nos collègues de la majorité est bridée par la solidarité majoritaire, ce que nous pouvons d’ailleurs comprendre.

Cette loi n’est ni faite ni à faire, d’abord parce que son dessein initial est construit sur de mauvais fondements. Il y a un paradoxe à agrandir les régions et supprimer l’échelon de proximité et de péréquation territoriale qu’est le département.

M. Alain Leboeuf. Évidemment !

M. Hervé Gaymard. C’est méconnaître l’exigence de proximité de nos compatriotes que de supprimer à terme des élus qui émanent du terrain, qui connaissent leur canton et y sont connus, au profit d’élus désignés par les appareils des partis politiques, dans le cadre de la proportionnelle.

C’est une régression historique que de tourner la page décentralisatrice, pourtant décidée par François Mitterrand en 1982, pour lui préférer une recentralisation au profit des technocraties régionales tellement éloignées du terrain.

M. Michel Herbillon. Ils ont peur des élus !

M. Hervé Gaymard. Mais au fil des accommodements et des louvoiements politiciens, votre projet est devenu totalement illisible. On ne sait quoi croire, ni qui croire, ni pour faire quoi. Ce qui est vrai un jour ne l’est plus le lendemain. Sur la fameuse clause générale de compétence, on ne sait plus où on en est. On la rétablit dans un grand mouvement du menton, comme si on venait de passer sur le pont d’Arcole et que l’on triomphait de l’infâme. Puis on la supprime, l’air de rien – enfin pas vraiment… peut-être quand même… allez savoir !

C’est pourquoi, mes chers collègues, la position de bon sens est d’adopter cette motion de rejet préalable. Non pour éluder toute réforme, mais très vite ensuite, pour rebâtir ensemble une réforme simple, lisible et économe des deniers publics.

Depuis des années, et bien avant le 11 janvier, il y a dans notre pays une aspiration à l’union nationale, pour sortir du mauvais pas dans lequel nous sommes. Il y a trois ans, nous étions un certain nombre à proposer la création d’un conseil national de la reconstruction. Mais l’union nationale, sur ce dossier comme sur les autres – je pense à la loi Macron –, ne consiste pas à ce que l’opposition approuve sans ciller les projets du Gouvernement. L’union nationale, c’est construire ensemble des projets d’avenir.

M. Jean-Frédéric Poisson. Absolument !

M. Hervé Gaymard. Madame la ministre, j’ai donc une proposition à vous faire, simple et qui pourrait être rapidement adoptée par les deux assemblées, après l’adoption de cette motion de rejet.

Notre apport et votre concession, ce serait le retour au conseiller territorial (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP), dans des cantons moins nombreux, redécoupés dans le cadre d’une moyenne régionale, et en tenant compte des secteurs à faible densité démographique, des territoires ruraux et de montagne.

Votre apport et notre concession, ce serait le maintien du scrutin binominal, de façon à pérenniser cette toute nouvelle parité. Et le législateur ferait confiance aux nouveaux élus territoriaux pour décider lequel, du départemental ou du régional, est le bon niveau d’exercice des compétences.

Pour toutes ces raisons, et compte tenu de cette proposition constructive dont nous pensons qu’elle ferait avancer le débat, je vous demande, mes chers collègues, d’adopter cette motion de rejet préalable. (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

5

Dépôt d’une motion de censure

M. le président. Mes chers collègues, j’informe l’Assemblée que le président a pris acte aujourd’hui à dix-huit heures du dépôt d’une motion de censure par MM. Christian Jacob, Philippe Vigier et 109 membres de l’Assemblée, en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, le Premier ministre ayant engagé la responsabilité du Gouvernement sur l’adoption du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.

En application de l’article 155, alinéa 3, du règlement, il est pris acte de ce dépôt. La motion de censure sera notifiée au Gouvernement et affichée. La date de la discussion et du vote de cette motion de censure sera fixée par la conférence des présidents.

6

Nouvelle organisation territoriale de la République

Suite de la discussion d’un projet de loi

M. le président. Nous poursuivons la discussion de la motion de rejet préalable.

Motion de rejet préalable (suite)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Olivier Dussopt, rapporteur. Monsieur Gaymard ne sera pas surpris si je lui dis qu’il ne m’a pas convaincu.

M. Guy Teissier. Il a été excellent !

M. Michel Herbillon. C’est un projet ni fait ni à faire !

M. Olivier Dussopt, rapporteur. Je vois quatre raisons au rejet de cette motion. La première raison de fond, c’est que vous ne pouvez dire que le sort des départements est incertain (Protestations sur les bancs du groupe UMP.) Les déclarations du Premier ministre et du Président de la République sont suffisamment claires. Les départements continueront à agir en matière d’action sociale. Ils se voient reconnue une compétence, renforcée, en matière de solidarité des territoires. Dans ses travaux, la commission des lois a précisé ce que recouvrait cette nouvelle compétence de solidarité territoriale et d’aide à l’ingénierie.

M. Michel Herbillon. Ce ne sont là que des mots !

M. Olivier Dussopt, rapporteur. De la même manière, tous les articles du code général des collectivités locales qui ne sont pas cités par ce texte, et qui relèvent du champ de compétence des départements, restent en vigueur. Les départements sont donc bien là. Je pense que vous devriez même vous en féliciter.

Deuxième raison de fond : la clarification. Vous ne pouvez pas dire qu’il faut rejeter ce texte…

M. Guy Teissier. Si, parce qu’il est mauvais !

M. Olivier Dussopt, rapporteur. …alors même que, pendant des années, sur tous les bancs, nous avons travaillé à clarifier la question de la répartition des compétences. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

Je vois aussi deux raisons de forme au rejet de cette motion. Permettez-moi ce clin d’œil : vous avez largement insisté sur le fait que nous ne pouvions pas examiner ce texte alors que se profilent les élections cantonales.

M. Michel Herbillon. Départementales !

M. Olivier Dussopt, rapporteur. Je n’étais pas élu à l’époque, mais j’ai en tête une réforme des régions, dont la première lecture avait eu lieu à l’Assemblée, avant mars 2004, et au Sénat, après mars 2004. Ce réexamen avait été l’occasion d’un revirement total du Gouvernement sur ses positions, à l’aune des résultats du scrutin. Nous devrions, ensemble, nous féliciter que les premières lectures au Sénat et à l’Assemblée aient lieu avant les élections départementales. Cela permet de stabiliser les positions et de mener cette réforme en toute transparence.

Dernière raison de forme : vos collègues au Sénat ont fait en sorte d’entrer dans le débat. Le point de sortie des sénateurs ne correspond certes pas à celui qui paraît acceptable à la majorité de l’Assemblée, mais les sénateurs ont ouvert le débat, y ont participé et ont fait en sorte d’améliorer le texte. Nous avons pris en compte un certain nombre de leurs apports. Je ne peux que vous engager à examiner le texte pour faire en sorte que toutes les contributions soient entendues.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Monsieur Carrez, j’ai beaucoup d’estime pour vous, comme tout le monde le sait ici, mais on ne peut pas dire qu’on ne va pas toucher pas à une loi parce que 100 % des maires sont d’accord. Le Parlement a sa place et l’aura toujours.

En revanche, M. Teissier y faisait allusion tout à l’heure, la création de la métropole d’Aix-Marseille-Provence a eu beau réunir contre elle le même nombre d’élus locaux que la métropole du Grand Paris, vous avez tout de même, les uns ou les autres, voté sa création. On ne peut pas s’appuyer sur cet argument pour repousser l’une et voter l’autre. Sur ce point, il faut être très clair : les élus locaux peuvent avoir le même avis sur la métropole du Grand Paris que sur celle d’Aix-Marseille-Provence, les députés ne les suivent pas forcément. C’est le Parlement qui vote la loi et non les élus locaux. Je tenais à le rappeler car cet argument revient sans cesse alors qu’il n’est pas fondé.

Je rappellerai au passage à ceux qui nous reprochent d’hésiter qu’on peut parfois ne pas être du même avis. M. Carrez ne vient-il pas de soutenir que l’ensemble régional doit porter la métropole alors que M. Gaymard veut éviter à tout prix les grandes structures régionales ? Dans toutes les familles politiques, on se pose des questions, et c’est normal, mais il est ennuyeux d’en tirer des caricatures.

Ce texte arrive ici après un premier passage au Sénat – une fois voté à l’Assemblée, nous saurons donc où nous allons. Nous avons pris le temps au Sénat de débattre des rapports entre les régions et les départements ce qui nous a donné l’occasion de rappeler qu’en 2004, Jean-Pierre Raffarin avait déposé au Sénat un texte très régionaliste. Le temps que se déroulent les élections régionales avec les résultats que l’on sait, nous sommes arrivés en seconde lecture avec un texte devenu départementaliste, alors que nous avions fait campagne sur un texte régionaliste !

Ce genre d’arguments sur les élections départementales ne peut pas être tenu par l’opposition actuelle.

M. Damien Abad. Bien sûr que si !

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Sauf à vous lever pour reconnaître que la même erreur a été commise en 2004 et que vous le regrettez.

M. Jean-Frédéric Poisson. Eh bien oui, on le regrette ! Même si je n’étais pas là !

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Nous sommes très clairs quant aux élections : elles se dérouleront au sein des départements sur un bilan, mais elles porteront sur les solidarités envers les individus, les solidarités envers les territoires. S’il y a une chose que nous demandent aujourd’hui les citoyens français, c’est bien de nous interroger sur le type de solidarité que nous voulons – doit-elle être portée collectivement ? Devrons-nous un jour instaurer un ticket modérateur pour l’APA ou toute autre prestation ? C’est un vrai débat idéologique au beau sens du terme, car l’idéologie a un beau sens, monsieur Gaymard, et nous devons avoir ce débat au niveau des départements. Il ne faut pas aller chercher des arguments quand l’histoire balbutie un peu.

Et pourquoi avons-nous pris notre temps ? Parce que nous avons voulu avoir des débats de qualité, à la demande d’ailleurs des sénateurs qui n’ont pas voulu conjuguer la reconnaissance du fait urbain, la création des conférences territoriales de l’action publique, les compétences des régions et des départements. Nous avons accepté de répartir ces problématiques dans deux textes et je pense qu’au fond, à entendre beaucoup de parlementaires, qu’ils soient sénateurs ou députés, nous avons progressé.

Je m’arrêterai là, car vous avez beaucoup joué avec les mots, mais ce n’est pas l’enjeu du texte. La discussion est ouverte, elle est intéressante et souvent transpartisane : je pense que nous trouverons ensemble un bon chemin pour que l’organisation territoriale de la République réponde à un problème grave, celui des très fortes inégalités territoriales qui nous préoccupent tous, que l’on appartienne à la majorité ou à l’opposition.

M. le président. Nous en venons aux explications de vote.

La parole est à M. Marc Dolez, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. Marc Dolez. S’il en avait eu la possibilité, avec les raisons de fond qui sont les siennes, notre groupe aurait volontiers défendu une motion de rejet préalable de ce texte qui constitue, après la loi sur les métropoles et celle sur les délimitations des régions, le troisième volet d’une réforme territoriale dont chacun reconnaîtra que nous contestons la philosophie et le bien-fondé depuis le début.

Il nous semblait incohérent, il y a quelques mois, de ne pas avoir examiné les fonctions et les compétences des régions avant de déterminer leur espace. Il nous paraît aujourd’hui tout aussi incohérent de définir la réorganisation des compétences des collectivités territoriales sans se préoccuper des ressources dont elles disposeront.

Sur le fond, ce texte, s’il entrait en application, ne ferait que poursuivre et aggraver la mise en concurrence des territoires, creusant par là même la fracture territoriale. Il n’est pas opportun et porte de surcroît atteinte au principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales et d’égalité républicaine. Nous voterons donc cette motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Anne Chapdelaine, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Monsieur le président, mes chers collègues, notre volonté de réformer nos institutions est un ouvrage engagé dès notre arrivée aux responsabilités. Elle répond à quatre impératifs : améliorer l’efficacité de l’action publique, renforcer la lisibilité et la compréhension du rôle de chacun, trouver une meilleure complémentarité entre l’État et les collectivités locales, faire confiance à l’intelligence de nos territoires et aux élus locaux.

La loi NOTRe, au même titre que les deux lois précédentes, la loi MAPTAM et celle concernant la délimitation des régions, contribuera grandement à renforcer l’efficacité des politiques publiques. Notre architecture est solide, réfléchie, et ce projet de loi participe du lien de confiance dont on sait à quel point il nécessite une mobilisation entre les citoyens et leurs représentants. Nos réformes sont attendues. Les lois MAPTAM et délimitation des régions constituaient la première pierre d’un édifice que nous construisons pas à pas depuis juin 2012. D’autres mesures sont venues les compléter.

À ce titre, parce qu’elle me tient à cœur et qu’elle est d’actualité, permettez-moi de faire référence à la parité au scrutin départemental. Cette réforme que nous avons portée est une avancée majeure pour la féminisation de la vie politique, pour rendre la représentation politique le plus en adéquation possible avec le visage de notre société civile.

La loi NOTRe, en clarifiant les responsabilités et les priorités de chacun, participe pleinement de cette dynamique réformatrice. Elle est attendue, nécessaire, opportune. Les communes sont renforcées, les intercommunalités montent en puissance, les départements sont recentrés sur les solidarités, les régions sont confortées dans leur rôle de chef de file sur l’acteur économique. Très vite, les effets s’en feront ressentir pour tous ceux qui, sans forcément s’en rendre compte d’ailleurs, sont en lien avec les collectivités et l’État. Aussi le groupe socialiste votera-t-il sans réserve contre cette motion de rejet. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. Sur la motion de rejet préalable, je suis saisi par le groupe de l’Union pour un mouvement populaire d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

La parole est à M. Damien Abad, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Damien Abad. Mes chers collègues, vous n’avez honte de rien ! Vous qui étiez décentralisateurs à l’époque, vous voici devenus aujourd’hui tripatouilleurs, détricoteurs en règle et bidouilleurs territoriaux ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Madame la ministre, nous ne vivons pas dans le même monde !

M. Luc Belot. Toujours dans la mesure !

M. Damien Abad. Écoutez les Français, écoutez ceux qui vous disent qu’ils ne comprennent rien à ce projet de loi, pas plus aux compétences que vous instaurez qu’à la réforme des institutions que vous voulez mener.

Bien évidemment, nous soutiendrons cette motion de rejet préalable pour trois raisons. Tout d’abord, ce texte ne clarifie rien. Vous ne pouvez pas prétendre clarifier le droit existant en embrouillant tout à ce point. Ensuite, ce texte n’a aucune d’ambition pour les territoires qui portent pourtant en eux les solutions pour la France. Vous feriez mieux d’écouter les Français qui vous répètent à l’envi qu’ils ne comprennent plus rien à vos réformes.

M. Marc Le Fur. Exactement !

M. Damien Abad. Votre unique ambition est de détruire le monde rural, de détricoter la proximité. Votre réforme est ruralicide ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Enfin, non seulement votre réforme ne contient aucune mesure d’économie, mais elle n’améliorera pas l’efficacité de l’action publique. Vous augmentez le nombre d’élus à un moment où la France se perd et vous diluez les compétences dans des termes aussi vaporeux que flous comme celui de la solidarité territoriale !

Votre vision du département n’est pas la nôtre ! Vous percevez celui-ci comme une simple caisse d’enregistrement des prestations sociales alors que nous croyons à une collectivité de projet ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Oui, vous êtes victimes de hollandisme aigu, incapables de prendre des décisions, toujours dans la valse-hésitation ! Décidément, ce projet de loi c’est tout, sauf le nôtre. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Michel Piron, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Michel Piron. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il est vrai que ce texte est très loin de répondre aux enjeux d’une réforme dite territoriale. Où est la clarification entre les périmètres et les compétences puisque les deux ont été dissociés, entre des régions parfois très grandes justifiant le maintien des départements en l’état et des régions plus compactes justifiant des mutualisations qui auraient pu être espérées ? Où est la réponse à la question de la relation entre régions et départements, qui prendra des tournures extrêmement différentes entre Champagne-Ardenne, Lorraine Alsace, Bretagne et Pays de Loire et qui n’auront pas grand-chose à voir avec Aquitaine-Limousin-Poitou-Charente ? Où sont la clarification des responsabilités et la capacité des régions à avoir un vrai pouvoir organisationnel, voire réglementaire, ce qui ressortirait d’un point de vue décentralisateur ?

Où est le choix entre les responsabilités de l’État dont ne voit pas ce qu’il laissera, accordera ou déléguera, et celles des collectivités territoriales, car on ne peut imaginer qu’une réforme des collectivités territoriales ne s’accompagne concomitamment d’une revisite des compétences de l’État ? Où sont les liens ? Où sont les choix ?

C’est d’abord, nous semble-t-il, le non-choix qui a présidé à l’élaboration de ce texte. Vous avez dit, madame la ministre, que vous aviez consulté tout le monde, ce qui est vrai. Vous avez aussi déclaré avoir entendu des injonctions contradictoires. C’est encore vrai et c’est bien le rôle d’un Gouvernement, après avoir entendu des points de vue contradictoires, d’arbitrer. Mais où est l’arbitrage en l’espèce ?

Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, l’esprit de synthèse que l’on a volontiers pu attribuer au Président de la République ne doit pas être confondu avec le syncrétisme. L’esprit de synthèse se nourrit, une fois passées les contradictions, des arbitrages et des choix. Le syncrétisme quant à lui consiste en l’addition de mesures plus ou moins contradictoires ou complémentaires. Je crains qu’il ne s’agisse ici de syncrétisme bien davantage que d’esprit de synthèse. C’est pourquoi nous voterons en faveur de cette motion de rejet préalable.

M. le président. La parole est à M. Paul Giacobbi, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Paul Giacobbi. Monsieur le président, chers collègues, j’ai écouté avec beaucoup d’attention l’intervention excellente, brillante même, de M. Gaymard.

M. Marc Francina. Bravo !

Mme Catherine Vautrin. Comme d’habitude !

M. Paul Giacobbi. L’imitation d’Edgar Faure était une véritable résurrection ! Il n’y manquait que la pipe.

M. Marc Le Fur. Et la calvitie !

M. Paul Giacobbi. Toutefois, j’ai été surpris par les regrets qu’il a exprimés. Si j’ai bien compris, la précédente loi d’organisation du territoire était parée de toutes les vertus, et celle-ci de tous les vices. Je vous le dis tout net : l’une ne méritait pas cet excès d’honneurs, rétrospectif d’ailleurs, non plus que l’autre cette indignité.

Je me souviens que l’on n’était guère enthousiaste, sur les bancs de la majorité de l’époque, envers une loi qui préservait deux collectivités en instituant un seul conseiller territorial, si ma mémoire est bonne. Que n’ai-je alors entendu à ce propos, dans l’hémicycle comme à la buvette ou dans les couloirs !

M. Pascal Popelin. C’est vrai ! Et jusque dans les votes…

M. Paul Giacobbi. Le thème de l’époque – je l’ai entendu dire par les plus hautes autorités de l’État – était déjà celui de la dévitalisation des départements. Je déteste cette méthode odontologique appliquée aux collectivités territoriales, d’autant que l’on ne sait jamais si l’on dévitalise une dent pour la garder ou pour l’arracher : c’est toujours très ambigu…

M. Marc Francina. On l’arrache !

M. Paul Giacobbi. J’ai bien entendu le loup, le flou, Edgar Faure et le reste. Le débat va s’ouvrir. Il sera long, très ennuyeux mais très riche, comme l’on dit. (Sourires.)

M. Jean-Luc Laurent. Pourquoi ennuyeux ?

M. Paul Giacobbi. Bien des dispositions seront acceptées sur de nombreux bancs, voire tous. J’ai entendu M. Carrez dire quatre fois merci – du coup, j’ai failli ne pas le reconnaître ! – et le dire au Gouvernement de surcroît. J’ai donc cru comprendre qu’il n’était pas en désaccord sur tout et qu’il ne remerciait pas le Gouvernement pour des amendements qui ne lui convenaient pas.

Notre groupe, Mme Dubié l’expliquera tout à l’heure, n’approuve pas le texte en bloc, loin s’en faut, mais il est favorable au débat. En conséquence, et sans préjuger du fond du projet, rien ne justifie à ce stade d’éluder le débat. Nous rejetterons donc cette motion. (Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP et SRC.)

M. le président. La parole est à M. François-Michel Lambert, pour le groupe écologiste.

M. François-Michel Lambert. La question qui nous est posée par cette motion de censure… (Rires.)

M. Hervé Gaymard. Ce n’en était pas vraiment une…

M. François-Michel Lambert. Cette motion de rejet, bien sûr ! Quoique la très prochaine motion de censure relève du même esprit : ce lapsus me permet d’illustrer, chers collègues de droite, le fait que vous preniez des postures…

M. Bernard Deflesselles. Posture pour posture !

M. François-Michel Lambert. …que vous ne parvenez pas à assumer. (« Oh ! » et rires sur les bancs du groupe UMP.) C’est ce que nous voyons ce soir, et ce que nous verrons avec la motion de censure qui vient d’être déposée.

J’en reviens au projet de loi. Dans cette France que nous n’arrivons pas à réformer,…

M. Bernard Deflesselles. C’est clair !

M. François-Michel Lambert. …dans cette France que nous n’arrivons pas à inscrire dans le XXsiècle (Rires), dans cette France où certains en restent à des postures du siècle dernier, il serait temps que se produise un renouvellement.

M. Bernard Deflesselles. C’est la majorité qu’il faut renouveler !

M. François-Michel Lambert. J’ai cru comprendre que c’était ce que les Français attendent et nous devons, nous les élus, être au rendez-vous.

M. Yves Albarello. Vous ne l’êtes pas, en ce moment !

M. François-Michel Lambert. Nous devons être représentatifs de ce qu’ils souhaitent, de ce qu’ils imaginent, d’une France moderne,…

M. Hervé Gaymard. Modernes, vous ne l’êtes guère non plus…

M. François-Michel Lambert. …d’une France qui s’inscrit par exemple dans la révolution numérique, qui lui permet de rapprocher désormais ses territoires que la nature éloignait autrefois pour imaginer autre chose,…

M. Marc Le Fur. C’est un guide touristique ?

M. François-Michel Lambert. …d’une France enfin où les régions deviennent le pilier de la décentralisation.

Le groupe écologiste (« Ah, enfin ! » sur les bancs du groupe UMP) aurait souhaité, s’agissant de la décentralisation et des nouvelles compétences confiées aux collectivités, que l’on aille plus loin, en faisant davantage confiance aux élus des territoires et en leur accordant des moyens et des leviers d’action, comme c’est le cas dans de nombreux pays d’Europe qui obtiennent ainsi des résultats vis-à-vis de leurs citoyens et en termes de développement économique.

Souhaitant participer pleinement au débat, le groupe écologiste appelle donc au rejet de cette motion. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

Mme Catherine Quéré. Très bien !

M. le président. Je mets aux voix la motion de rejet préalable.

(Il est procédé au scrutin.)

Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants150
Nombre de suffrages exprimés150
Majorité absolue76
Pour l’adoption65
contre85

(La motion de rejet préalable n’est pas adoptée.)

Motion de renvoi en commission

M. le président. J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe de l’Union pour un mouvement populaire une motion de renvoi en commission déposée en application de l’article 91, alinéa 6, du règlement.

La parole est à Mme Valérie Pécresse.

Mme Valérie Pécresse. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, chers collègues, le 17 décembre 2010 était publiée au Journal Officiel la loi portant réforme des collectivités territoriales. Cette loi ne prétendait pas aboutir au grand soir ; comme toute loi dans un pays démocratique, elle était le fruit d’un compromis. Ce compromis toutefois était ambitieux et apportait une vraie réponse aux grands maux dont souffre notre organisation territoriale et que nous connaissons tous : trop d’élus, une répartition des compétences incompréhensible pour le commun des mortels – et pas seulement pour lui – et, en fin de compte, beaucoup d’argent public bien mal utilisé.

L’objet de cette loi de 2010 était assez simple. Elle remplaçait le conseiller général et le conseiller régional par un nouvel élu local unique, le conseiller territorial, siégeant à la fois au niveau départemental et au niveau régional.

M. Pascal Deguilhem. C’est du passé !

Mme Valérie Pécresse. Il faut bien avouer que c’était un moyen habile de réduire le nombre d’élus et de supprimer les doublons de gestion, tout en garantissant une représentation démocratique de proximité.

Afin de renforcer la légitimité de cet élu, décision avait été prise que les conseillers territoriaux seraient à 80 % élus au scrutin uninominal majoritaire à un tour, et pour les 20 % restants au scrutin proportionnel. C’était là encore un moyen de renforcer la démocratie de proximité en ancrant les élus dans un territoire, tout en préservant une dose de proportionnelle assurant une représentation équilibrée des différentes sensibilités politiques.

Enfin, cette loi mettait fin à ce qui est sans doute l’un des plus grands travers de notre action publique : je veux bien sûr parler de la clause de compétence générale, qui permet à chaque niveau de collectivité d’intervenir dans tous les domaines, engendrant d’innombrables doublons et leurs corollaires, d’innombrables impôts.

Cinq ans plus tard et un an après le discours de politique générale du Premier ministre et son volet martial sur la réforme territoriale, où en sommes-nous ? M. Valls affirmait haut et fort que son objectif était de clarifier les compétences, et qu’il proposerait à cette fin de supprimer la clause de compétence générale, pour que les compétences des régions et des départements soient spécifiques et exclusives. Il allait même plus loin et proposait de supprimer les départements à l’horizon 2021, considérant qu’il était « temps de passer des intentions aux actes ».

M. Jean-Luc Laurent. Vous vivez dans le monde d’avant !

Mme Valérie Pécresse. C’est à la lumière de cet héritage et de ces déclarations qu’il faut juger le texte que vous nous présentez aujourd’hui.

Vous affirmez que vous allez supprimer la clause de compétence générale. C’est une supercherie ! En réalité, vous la rétablissez et vous la faites prospérer.

À un conseil régional qui peut déjà à peu près tout faire – en Île-de-France, je suis bien placée pour le savoir puisque la Cour des comptes elle-même évalue à 1 milliard d’euros les dépenses du conseil régional dans les domaines ne relevant pas de ses compétences légales ! – vous en ajoutez encore plusieurs couches. « Exit la notion de compétence exclusive, qui avait pourtant été annoncée par le Président de la République et le Premier ministre » : ce n’est pas moi qui le dis, mais votre ami Alain Rousset, président socialiste de l’Association des régions de France.

Il est vrai que le texte est sans ambiguïté. Jusqu’à présent, la loi prévoyait que le conseil régional intervenait pour le développement économique, social, sanitaire, culturel et scientifique de la région ainsi que l’aménagement du territoire. Vous y ajoutez l’accès au logement, l’amélioration de l’habitat, le soutien à la politique de la ville, la rénovation urbaine et le soutien aux politiques d’éducation. Sachant que votre projet de loi consacre par ailleurs le sport, la culture, la vie associative, la jeunesse, la promotion des langues régionales et l’éducation populaire ainsi que le tourisme et le numérique au titre des compétences partagées entre les collectivités, la réalité est que la suppression de la clause de compétence générale est de pure façade.

Puisque vous souriez, madame la ministre, je vous pose la question autrement : quelle est la compétence que la région ne pourra plus exercer demain ? Où est la clarification, où est la simplification ? Toute votre loi est ainsi faite.

M. Thierry Solère. C’est très clair !

Mme Valérie Pécresse. Je pourrais la déconstruire totalement pour montrer combien son architecture est bancale. Je préfère tout simplement vous en lire quelques extraits.

Clarification et choc de simplification, nous dites-vous : écoutez et mesurez combien ce que vous nous proposez de voter correspond peu aux objectifs affichés.

Vous prétendez renforcer les responsabilités des régions, en particulier en matière d’action économique. Je lis donc votre projet de loi : « La région élabore un schéma régional de développement économique, d’innovation et d’internationalisation ». Ce schéma « fait l’objet d’une concertation au sein de la conférence territoriale de l’action publique ». Il « organise la complémentarité des actions menées, sur le territoire régional, par les collectivités territoriales et leurs groupements en matière d’aides aux entreprises ».

Et de poursuivre : « Les orientations du schéma applicables sur le territoire d’une métropole (…) sont élaborées et adoptées conjointement par le conseil métropolitain concerné et le conseil régional. À défaut d’accord, la métropole (…) élabore un document d’orientations stratégiques qui prend en compte le schéma régional ».

M. Pierre Lequiller. C’est très clair…

Mme Valérie Pécresse. Et ce n’est pas tout : « Les actes des collectivités territoriales et de leurs groupements en matière d’aides aux entreprises sont compatibles avec le schéma régional. Les actes des métropoles (…) en matière d’aides aux entreprises sont compatibles avec le schéma ou, à défaut d’accord entre la métropole et la région, avec le document d’orientations » que je viens de mentionner.

M. Thierry Solère. Quelle usine à gaz !

Mme Marylise Lebranchu, ministre. C’est le fruit des travaux de la commission Karoutchi !

Mme Valérie Pécresse. Le meilleur est pour la fin : « Sous réserve des articles L. 1511-3, L. 1511-7 et L. 1511-8 » du code général des collectivités territoriales, qui autorisent en particulier toutes les collectivités territoriales et leurs groupements à verser des subventions pour la création d’entreprises, « le conseil régional est seul compétent » – à l’exception de toutes les autres collectivités, qui peuvent le faire aussi – « pour définir les régimes d’aides et pour décider de l’octroi des aides aux entreprises dans la région ». Et le projet de loi d’ajouter aussitôt : « Dans le cadre d’une convention passée avec la région, les autres collectivités territoriales et leurs groupements peuvent participer au financement des aides et des régimes d’aides mis en place par la région ». Ou comment dire une chose et son contraire en l’espace de deux phrases !

M. Pierre Lequiller. Ce texte a-t-il été écrit par Kafka ?

Mme Valérie Pécresse. Il en va de même pour les aides à l’immobilier d’entreprise. Je cite toujours : « Dans le respect du schéma régional de développement économique, d’innovation et d’internationalisation (…), les communes, la métropole de Lyon et, s’ils sont compétents, les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre sont seuls compétents » – notez comme c’est drôle – « pour définir les régimes d’aides et décider de l’octroi de ces aides ». Pourtant, vous ajoutez aussitôt : « La région peut participer au financement de ces régimes d’aides (…) dans des conditions précisées par une convention passée avec la commune, la métropole de Lyon ou l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre ». En somme, qui fait quoi ? Mystère !

Avez-vous fait lire ce texte à un chef d’entreprise…

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Oui !

Mme Valérie Pécresse. …ou tout simplement à un Français non titulaire d’un doctorat en droit mais qui souhaite créer son entreprise ?

Mme Cécile Untermaier. Que viennent faire les entreprises dans le débat ?

Mme Valérie Pécresse. Puisque vous n’avez pas suivi, je précise que tout ce dont je viens de parler concerne les subventions accordées aux entreprises. Le fait que vous n’ayez même pas compris cela montre à quel point le texte est compliqué ! Où est le choc de simplification ? Où est la clarification ?

Je vous pose la question : si ce chef d’entreprise venait vous voir aujourd’hui,…

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Il est venu !

Mme Valérie Pécresse. …sauriez-vous lui dire à qui il doit s’adresser ?

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Oui.

Mme Valérie Pécresse. À sa commune, à la métropole, au département, à la région ? Ou encore à un établissement public intercommunal à fiscalité propre ?

Voilà pour les aides aux entreprises, mais il en est de même en matière d’intercommunalité. Là encore, nul besoin de longs discours, je me contenterai de citer le projet de loi.

Celui-ci prévoit « la constitution d’établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre regroupant au moins 20 000 habitants ». Voilà qui est précis…

Mme Colette Capdevielle. Tout à fait.

Mme Valérie Pécresse. « Toutefois », prenez-vous soin de préciser – soyez attentifs, je crains de perdre du monde en route – « le seuil de population peut être adapté lorsque le schéma définit un projet de périmètre d’un établissement public »…

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Ne vous moquez pas de M. Gaymard !

Mme Valérie Pécresse. …« dont la densité de population est inférieure à la moitié de la densité moyenne de population des départements ou à la moitié de la densité de population du département auquel appartiennent la majorité des communes du périmètre ».

M. Jean-Luc Laurent. Vous avez bien lu !

M. Pierre Lequiller. On n’y comprend rien !

M. Philippe Baumel. Ce n’est pourtant pas bien compliqué !

Mme Valérie Pécresse. « Le seuil de population applicable est alors déterminé en pondérant le seuil prévu au premier alinéa »…

M. Pierre Lequiller. Expliquez-nous !

M. Philippe Baumel. Caricature ! Cela suffit !

Mme Valérie Pécresse. …« d’un coefficient déterminé par le rapport entre la densité de population du département et la densité moyenne des départements ».

Comprenne qui pourra…

M. Patrick Ollier. Qui a pu écrire cela ?

Mme Valérie Pécresse. Raymond Devos était citoyen d’honneur de ma circonscription. S’il était là, il en ferait un sketch. Où est le choc de simplification ? Où est la clarification ?

J’en terminerai par la métropole du Grand Paris, ce cinquième échelon territorial que vous avez cru bon d’intercaler en Île-de-France entre les intercommunalités, les départements et la région. Totalement enlisé dans ce monstre bureaucratique que vous avez créé, vous souhaitez désormais le doter d’« établissements publics territoriaux » qui viendraient se substituer aux intercommunalités existantes.

Quelles seraient les compétences de ces établissements publics territoriaux ? Là encore, je vous lis : « Lorsque l’exercice des compétences obligatoires et optionnelles des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre existant au 31 décembre 2015 était subordonné à la reconnaissance d’un intérêt communautaire, un intérêt territorial est déterminé par délibération du conseil de territoire, à la majorité des deux tiers de ses membres. »

M. Jean-Luc Laurent. Au moins, vous savez lire.

Mme Valérie Pécresse. « Il est défini au plus tard deux ans après la création de l’établissement public territorial ». Deux ans après ! Cela va être facile…

« Jusqu’à cette délibération (…) les compétences qui faisaient l’objet d’une définition d’un intérêt communautaire continuent d’être exercées dans les mêmes conditions dans les seuls périmètres correspondant à chacun des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre existant au 31 décembre 2015. Les compétences soumises à la définition d’un intérêt communautaire et non reconnues d’intérêt communautaire continuent d’être exercées par les communes dans les mêmes conditions ».

M. Thierry Solère. C’est un sketch ?

M. Patrick Ollier. C’est incompréhensible ! Il faut renvoyer ce texte en commission !

Mme Valérie Pécresse. « À l’expiration du délai de deux ans pour les compétences qui n’ont pas fait l’objet de cette délibération, l’établissement public territorial exerce l’intégralité de la compétence transférée ».

Mais ce n’est pas fini ! « Le conseil de territoire de l’établissement public territorial peut, par délibération, restituer les compétences transférées à titre supplémentaire par les communes membres aux établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre existant au 31 décembre 2015, dans un délai de deux ans suivant la création de l’établissement public territorial. Jusqu’à cette délibération et au plus tard jusqu’à l’expiration du délai de deux ans (…) l’établissement public territorial exerce les compétences transférées (…) et non prévues au I. du présent article dans le périmètre des anciens établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre existant au 31 décembre 2015. À l’expiration du délai de deux ans et à défaut de délibération, l’établissement public territorial exerce l’intégralité des compétences transférées ».

Vous avez tout compris ?

Plusieurs députés du groupe UMP. Non !

M. Pierre Lequiller. C’est une blague !

M. Thierry Solère. Quelle usine à gaz !

Mme Valérie Pécresse. Moi, je l’avoue humblement, je n’ai rien compris. Ces textes, madame la ministre, vous devriez les faire lire en place publique, devant les mairies, pour montrer à tous les Français à quoi ressemble le choc de simplification !

La question que je pose ici n’est pas seulement celle du droit – car à l’évidence le projet de loi qui nous est soumis ne répond pas à l’objectif constitutionnel d’accessibilité et d’intelligibilité du droit. La question que je pose ici est celle du bon sens. Notre organisation administrative n’a qu’un seul but : servir les Français et leur apporter le meilleur service public au meilleur coût. Ce projet de loi va-t-il y contribuer ?

M. Thierry Solère. Non !

Mme Valérie Pécresse. C’est tout l’inverse !

Madame la ministre, je vous mets au défi de nous expliquer ici, en deux minutes, qui fera quoi exactement dans votre nouvelle organisation territoriale et à qui devront s’adresser nos compatriotes pour parler de leurs problèmes quotidiens.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Je vous expliquerai !

Mme Valérie Pécresse. Manuel Valls nous avait annoncé la suppression des départements. Ils sont toujours là, mais avec un contour flou et un avenir incertain.

Vous nous aviez annoncé le renforcement des régions. Hormis de nouvelles compétences en matière de voirie, les miettes de compétences supplémentaires qu’elles gagneront en matière d’économie ou d’emploi seront totalement anéanties par l’énergie qu’il leur faudra déployer pour rédiger les schémas quasi soviétiques que vous leur imposez et pour s’accorder avec les autres collectivités.

Vous auriez pu faire une réforme fondée sur un principe simple : une collectivité, une compétence, un impôt. Mais vous avez fait le choix d’un enchevêtrement inextricable où non seulement tout le monde continue de s’occuper de tout mais où de nouveaux acteurs, notamment les métropoles, viennent encore compliquer le jeu.

Quel sera exactement le rôle des communes, des intercommunalités, des départements, des métropoles, des régions ? Bien malin qui peut le dire...

De votre réforme territoriale, il ne restera qu’une chose : la réduction de 22 à 12 du nombre des régions métropolitaines. C’est marquant, c’est voyant, mais est-ce utile ?

Plusieurs députés du groupe UMP. Non !

Mme Valérie Pécresse. À elle seule, la nouvelle région Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes sera plus étendue que l’Autriche. À elle seule, la nouvelle région Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine comptera deux fois plus de communes que la Pologne.

Plusieurs députés du groupe SRC. Et alors ?

Mme Valérie Pécresse. Mais de quels pouvoirs disposeront ces géants de papier, cinquième étage d’une fusée administrative toujours plus proliférante ?

Notre pays souffre de la dévitalisation de ses services publics, et vous éloignez encore le citoyen de son administration ! Notre pays souffre d’un excès de bureaucratie, et vous empilez schémas administratifs et niveaux de collectivité !

M. Jean-Marie Sermier. C’est vrai !

Mme Valérie Pécresse. Notre pays souffre d’un déficit d’action et de croissance, pourtant votre excès de réglementation va monopoliser des mois durant l’énergie des administrations et des acteurs économiques. Elle serait mieux employée à régler les problèmes des Français qu’à tenter de comprendre et d’interpréter la loi que vous allez nous faire voter.

Il y a cinq ans, nous votions le projet de loi instaurant le conseiller territorial. Si cette loi avait été appliquée, depuis un an, précisément depuis mars 2014, nous aurions déjà en France un élu unique pour le département et la région. Le conseiller territorial unique, cela faisait 2 300 élus en moins ! Le conseiller territorial unique signifiait aussi une organisation territoriale plus claire pour tous les Français, avec un seul interlocuteur pour régler tous les problèmes.

Si la loi instaurant le conseiller territorial avait été appliquée, nous aurions également, depuis le 1er janvier 2015, mis fin à la clause de compétence générale, avec l’interdiction pour plusieurs collectivités de financer le même projet.

Par pur esprit de revanche ou par esprit de contradiction, vous avez choisi de supprimer cette réforme. Mais pour quelle autre ? Cinq ans après, que de temps perdu !

Il est urgent de renvoyer ce projet de loi en commission pour faire de ce texte une vraie réforme territoriale au service des Français. (« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Madame la députée, c’est facile ! C’est d’ailleurs la deuxième fois que vous vous livrez à cet exercice. Je ferai peut-être la même chose d’ici la fin de ce débat : j’apporterai une loi dont vous êtes les auteurs, je m’amuserai à lire les articles les uns après les autres et vous n’y comprendrez absolument rien ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Une loi ne se lit pas de cette façon. Ou alors vous ne savez pas rédiger une loi ? Mais je suis bien convaincue que vous savez le faire… C’est donc un jeu. Je le comprends comme une récréation de fin de journée.

M. Pierre Lequiller. Nous avons besoin de rire après vous avoir écoutée !

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Vous proclamez « un échelon, une compétence » : nous sommes d’accord ! La création du conseiller territorial avait supprimé la clause générale de compétence, mais ceux de votre famille politique aiment à rappeler à quel point nous avions tenu à laisser des compétences aux départements mais également aux communes, aux intercommunalités, aux régions… Nous avions simplement quelques élus de moins. M. Devedjian dit la même chose des élus de Paris : nous pourrions peut-être en diminuer le nombre…

M. Jean-Frédéric Poisson. Jusqu’en 2015 !

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Pour illustrer « un échelon, une compétence », vous vous êtes beaucoup appuyée sur l’Île-de-France, sans doute parce que M. Devedjian, en ce moment même, fait l’article sur le sujet.

Concernant les territoires et leurs compétences, et vous en parlerez avec votre voisin de banc, je vous renvoie à la demande de Paris Métropole…

M. Marc Francina. Il n’y a pas que Paris en France !

Mme Marylise Lebranchu, ministre. C’est Mme Pécresse qui en parlait ! Paris Métropole donc souhaite ne pas donner trop de compétences à la métropole mais en donner plutôt aux territoires et leur assurer une fiscalité, ce qui suppose qu’il est absolument nécessaire de créer un échelon de plus. Mettez-vous d’accord : faut-il un échelon en plus, ou un échelon en moins ?

M. Jacques Myard. Nous n’avons jamais demandé la création de la métropole !

Mme Marylise Lebranchu, ministre. La question des échelons mérite un vrai débat, mais ce dont je suis convaincue, c’est qu’il faut laisser les aides directes aux seules régions.

Mme Valérie Pécresse. Ce n’est pas clair !

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Viennent ensuite, madame Pécresse, les intercommunalités et les communes, qui demandent à avoir compétence en matière de développement économique. Allez leur dire ! Allez dire à l’Association des maires de France que vous estimez que c’est trop compliqué, qu’il faut laisser les compétences en matière de développement économique et d’aides directes aux régions, qui deviendraient un portail unique, et que ni les départements, ni les intercommunalités, ni les métropoles ne doivent s’en occuper.

Mme Valérie Pécresse. Vous avez dit que vous supprimeriez la clause de compétence générale et vous ne l’avez pas fait !

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Allez jouer comme vous venez de le faire devant l’Association des maires de France et devant l’Assemblée des départements de France, et vous verrez qu’ils seront tous parfaitement en accord avec vous…

Sur le principe d’une compétence par strate, je serais assez allante et j’attends avec impatience les propositions que vous allez faire pour que les départements, par exemple, n’aient pas de compétence économique délégable.

M. Bernard Deflesselles. De toute façon le Gouvernement va tomber dans deux jours.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Ce que vous avez lu tout à l’heure est le résultat du travail de la commission des lois, avec le soutien d’une grande majorité des parlementaires présents et de votre famille politique – vous auriez dû vous-même être présente – qui a demandé au Gouvernement, dont ce n’était pas la position, de faire en sorte que toutes les compétences économiques puissent être délégables aux départements et aux intercommunalités. Ce sont vos collègues qui ont voté cela, madame Pécresse ! C’est d’eux que vous devez vous moquer parce qu’ils n’ont pas fait œuvre utile.

Mme Valérie Pécresse. Relisez la loi Macron !

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Je ne parle pas de la loi Macron, mais de l’organisation territoriale de la République !

Vous avez joué à la lecture, je peux le faire aussi. Vous demandez pourquoi les métropoles auront elles aussi des compétences en matière économique. Pourtant l’un de vos collègues, ce matin même, s’est dit désolé d’apprendre que la compétence avait été enlevée à la métropole. Mettez-vous d’accord !

Mais ce n’est pas un jeu. Dans les régions, y compris celle que vous connaissez bien, ne crois pas que nous ayons vraiment réduit les inégalités territoriales, que nous ayons répondu à la demande de solidarité, que nous ayons fait le maximum pour développer tous les territoires, que nous ayons mis fin aux ghettos.

Je ne crois pas non plus que les communes rurales soient toutes égales entre elles et je ne crois pas non plus, M. Gaymard le sait, que tous les départements détiennent la même richesse, y compris dans les Alpes. Je ne crois pas que nous ayons réussi tout cela. Et je pense que le plus sérieux que nous puissions faire, ce n’est pas jouer avec les textes, mais les discuter point par point.

Madame Pécresse, quand vous serez présente pour critiquer la présence de plusieurs guichets consacrés au développement économique, je vous soutiendrai. Quand vous direz qu’il ne faut transférer aucune compétence économique aux départements, je vous soutiendrai. Quand vous direz qu’il ne faut pas transférer de compétence aux métropoles ni prendre en compte leurs propositions dans le schéma régional de développement économique, je vous soutiendrai. À bientôt ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Thierry Solère. C’est mal parti !

M. le président. Nous en venons aux explications de vote.

La parole est à M. Marc Dolez, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. Marc Dolez. Le renvoi en commission de ce texte nous paraît utile, pour aux moins deux raisons.

La première, c’est qu’il faut prendre le temps de mesurer les impacts et les conséquences, que pour notre part nous jugeons extrêmement graves, de l’ensemble de la réforme proposée, que ce soit en termes d’aménagement du territoire, car nous craignons une France des territoires à plusieurs vitesses, de services publics locaux, ou encore d’éloignement des citoyens des centres de décision. De ce point de vue, la commission des lois pourrait faire œuvre très utile pour que nous nous prononcions en toute connaissance de cause.

La seconde raison, qui n’est pas une critique à l’égard du président Urvoas, dont chacun apprécie le savoir-faire, ni une remise en cause de la qualité du travail, effectué dans des délais très courts, de notre rapporteur, tient aux mauvaises conditions dans lesquelles la commission des lois a examiné ce texte.

M. Marc Francina. Bravo !

M. Marc Dolez. En effet, pendant l’essentiel de ses travaux se déroulait dans l’hémicycle l’examen des articles relatifs aux professions juridiques réglementées du projet de loi Macron.

Ces conditions de travail inacceptables, nous l’avons dit à plusieurs reprises, sont liées au calendrier que le Gouvernement a voulu imposer à l’Assemblée nationale.

M. Jean-Louis Costes. Comme un fait exprès !

M. Jacques Myard. C’est un diktat !

M. Marc Dolez. Pour cette raison, notre groupe votera cette motion de renvoi en commission. (« Bravo ! » sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Colette Capdevielle, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Colette Capdevielle. Le numéro caricatural de Mme Pécresse n’a convaincu personne…

Plusieurs députés du groupe UMP. Si, nous !

Mme Colette Capdevielle. …et manifestement pas elle-même. Mais nous sommes rassurés, Mme Pécresse sait lire, même si c’est parfois un peu trop vite et sans le ton. En revanche, nous avons constaté qu’elle ne comprend pas toujours le sens de ce qu’elle lit. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Réformer l’organisation territoriale se révèle bien plus compliqué que prévu, car, comme nous le voyons aujourd’hui avec l’intervention de Mme Pécresse, les conservatismes et la démagogie sont encore bien vivaces. Les habitudes sont ancrées et le changement ne peut se faire que bien lentement, car beaucoup d’élus freinent encore, par peur de bouleversements pourtant nécessaires.

Ce texte nous propose une organisation dans laquelle deux échelons se dessinent nettement, et sortent du lot : les régions et les intercommunalités.

Un député du groupe UDI. C’est merveilleux !

Mme Colette Capdevielle. Lorsque nos régions auront fait leur mue, qu’elles se seront mises au travail et qu’elles auront démontré la pertinence de leur stratégie en matière de développement économique, lorsque nos nouvelles intercommunalités, dont les représentants seront enfin élus au suffrage universel direct, seront structurées et agrandies, disposeront de nouvelles compétences et seront fondées sur des territoires manifestant la volonté de vivre ensemble, alors le département aura bien peu de raisons de continuer à subsister.

M. Bernard Deflesselles. Quelle rhétorique ! C’est beau comme l’antique !

M. Thierry Solère. Quel malheur !

Mme Colette Capdevielle. C’est le sens de l’Histoire : cela se fera tranquillement, sans rupture, et de manière cohérente.

Après l’examen de ce projet de loi par le Sénat, la commission des lois de l’Assemblée nationale a réécrit le texte initial pour clarifier les nouvelles compétences, supprimer la clause de compétence générale et renforcer la spécialité des régions et des départements. Les débats ont été très riches en commission des lois, pourtant privée de la présence de Mme Pécresse. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Mme Annie Genevard. Cela suffit, les attaques personnelles !

Mme Colette Capdevielle. Les régions françaises seront renforcées par ce projet de loi. Elles seront dotées d’un nouveau rôle stratégique, grâce à de nouveaux instruments et d’importants transferts de compétences. Ce projet de loi donne aussi aux intercommunalités une nouvelle dimension, autour des bassins de vie : moins d’EPCI pour plus d’efficacité, une meilleure reconnaissance des territoires et de nouvelles capacités à s’organiser.

M. Thierry Solère. Ce ne sont que des mots !

Mme Colette Capdevielle. Ce texte renforce également les solidarités et l’égalité. Vous disiez, madame la ministre,…

M. le président. Merci de conclure, madame la députée.

Mme Colette Capdevielle. …que l’unité n’est pas l’uniformité. Mettons-nous au travail, mes chers collègues, pour enrichir ce texte, l’améliorer, le conforter. Cette motion de renvoi en commission n’a qu’une visée dilatoire : elle sera rejetée. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Jean-Frédéric Poisson. Madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je ne sais pas comment vous arriverez à expliquer calmement et tranquillement cette réforme aux élus locaux, dans vos circonscriptions.

M. Jacques Myard. C’est imbitable !

M. Jean-Frédéric Poisson. M. Myard a résumé d’un mot ce que je m’apprêtais à laisser entendre… (Sourires.)

Madame Capdevielle, vous vous êtes montrée fort peu aimable avec Mme Pécresse : c’est dommage. Mais un projet de loi qui a pour vocation d’organiser le territoire est censé avoir une cohérence, une signification ! En principe, on doit y comprendre quelque chose ! On vous verra à l’œuvre, vous êtes sans doute déjà en train de le faire, quand il s’agira d’expliquer cette réforme dans les départements, d’expliquer ce qui a été proposé au Sénat puis à l’Assemblée, et la manière dont le rapporteur a réécrit en commission ce projet qui ne lui convenait pas – ce n’est pas une surprise.

M. Jean-Luc Laurent. Il a été simplifié !

M. Jean-Frédéric Poisson. Bien sûr, en rajoutant, si mes comptes sont bons, près de soixante-dix articles !

M. Marc Le Fur. Comme pour la loi Macron !

M. Jean-Luc Laurent. Non !

M. Jean-Frédéric Poisson. Alors une cinquantaine ? Non plus ? Quoi qu’il en soit, nous en sommes à 107 articles au total, monsieur le rapporteur : je les ai comptés ce matin un par un.

Nous avons malheureusement été empêchés d’assister aux travaux de la commission. Je dis cela à l’attention de M. Le Bouillonnec, puisque désormais, il faut absolument avoir assisté à une réunion de commission pour avoir le droit d’évoquer ce qui s’y est décidé. C’est assez curieux…

J’ai écouté avec intérêt les explications de vote de Marc Dolez, avec lesquelles je suis assez d’accord. Permettez-moi notamment de revenir brièvement sur les conditions dans lesquelles le Parlement travaille ces temps-ci. Je sais, monsieur le président de la commission des lois, que vous êtes attentif à cette question, je vous vois d’ailleurs opiner du chef. J’ignore si cela signifie simplement que vous m’entendez…

M. Marc Francina. Non, il n’entend rien !

M. Jean-Frédéric Poisson. …ou que vous m’approuvez.

M. Marc Dolez. Les deux, les deux !

M. Jean-Frédéric Poisson. Dans le doute, je le prendrai comme une marque d’approbation. (Sourires.)

Le programme de travail de l’Assemblée faisait cohabiter l’examen du projet de loi Macron dans l’hémicycle et l’examen de ce projet de loi en commission des lois, deux textes très importants et fort volumineux – à eux deux, plus de 400 articles : un exploit !

M. Marc Dolez. Eh oui !

M. Jean-Frédéric Poisson. Le Parlement ne peut pas travailler correctement dans ces conditions. Si nous avions eu le malheur d’agir ainsi sous la législature précédente, que n’eussions-nous entendu !

M. Germinal Peiro, rapporteur pour avis. Vous l’avez fait !

M. Jean-Frédéric Poisson. Deuxièmement, vous ne pouvez pas nier, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, que ce texte est d’une extrême complexité.

M. le président. Merci de conclure, monsieur le député.

M. Jean-Frédéric Poisson. En deux phrases, monsieur le président, personne n’est en mesure de comprendre précisément ce dont il s’agit, en particulier l’articulation des compétences de collectivités qui n’existent plus. Nous soutiendrons donc, évidemment, l’excellente motion de renvoi en commission présentée par Valérie Pécresse. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Germinal Peiro, rapporteur pour avis. Fallait noyer le poisson !

M. Jean-Frédéric Poisson. Soyez un peu plus imaginatif, mon cher collègue !

M. le président. La parole est à Mme Jeanine Dubié, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

Mme Jeanine Dubié. Le renvoi de ce texte en commission ne se justifie pas, car le travail en commission a déjà eu lieu. Certes, il ne nous satisfait pas, loin s’en faut, mais il nous semble qu’il ne faut pas perdre de temps : nous avons plus de 2 000 amendements à examiner. J’espère qu’à l’issue de nos débats, nous aboutirons à un texte plus équilibré.

M. Marc Dolez. C’est pas gagné !

Mme Jeanine Dubié. En outre, il nous faut penser aux candidats aux élections départementales, qui ont déjà commencé leur campagne et qui se retrouvent dans une situation inédite, caractérisée par un flou qui n’a rien d’artistique.

M. Thierry Solère. Il serait temps de s’en apercevoir !

Mme Jeanine Dubié. Pour leur faciliter la tâche, il est temps de savoir enfin quelles compétences resteront aux départements – et j’espère, monsieur le rapporteur, qu’elles leur resteront au-delà de 2020.

Pour toutes ces raisons, le groupe RRDP votera contre cette motion de renvoi en commission.

(La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n’est pas adoptée.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. François de Rugy.

M. François de Rugy. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, nous abordons aujourd’hui l’examen du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République – projet connu par son acronyme NOTRe, qui se veut un jeu de mot.

Depuis le début de la législature, nous avons déjà examiné de nombreux autres textes portant sur les collectivités territoriales. Les débats sur le projet de loi relatif à la délimitation des régions sont encore dans tous les esprits. À l’époque, nous avions regretté le postulat de départ du Gouvernement, vous le savez, monsieur le secrétaire d’État. Pour les écologistes, ce n’est pas en constituant des régions grandes par la taille que nous construirons des régions puissantes par leurs moyens et leurs compétences. La puissance d’une région tient avant tout à ses capacités, à ses compétences, à son autonomie financière, et au sentiment d’appartenance qui soude ses habitants.

Certains regrettent que le texte portant sur les compétences des collectivités territoriales n’ait pas été discuté avant celui sur la délimitation des régions. Nous regrettons, quant à nous, que le Gouvernement n’ait pas profité des premiers mois de la législature, en 2012, pour enclencher rapidement une réforme ambitieuse. Certains parlaient de « la mère des réformes » : je ne sais pas si cette expression est justifiée, mais en tout cas il aurait dû s’agir de l’acte III de la décentralisation.

Nous avons cru à nouveau voir cette réforme pointer lorsque le Premier ministre a annoncé, lors de sa déclaration de politique générale, en avril 2014, vouloir supprimer les conseils généraux. Nous avions alors salué une réforme courageuse, qui aurait marqué l’histoire de notre pays et aurait permis de clarifier ce que l’on appelle le mille-feuille territorial. Au lieu de cela, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, la France gardera l’échelon départemental, nous l’avons compris.

Nous sommes loin de l’acte III de la décentralisation, puisque ce texte ne prévoit aucun réel transfert de compétences entre l’État et les collectivités territoriales. Par ailleurs, il ne prévoit pas non plus de réel pouvoir réglementaire pour les régions, mais une simple possibilité de demander au Parlement et au Gouvernement une adaptation de la loi. Cette intention est louable, mais il faut rappeler l’échec d’un dispositif comparable prévu depuis quinze ans pour la collectivité territoriale de Corse. Sur une cinquantaine de demandes, la Corse n’a obtenu que des réponses négatives, quand elle en obtenait…

Mme Marylise Lebranchu, ministre. C’est exact !

M. François de Rugy. Nous aurions préféré, pour notre part, une décentralisation différenciée, articulée autour d’un couple formé par les régions et des intercommunalités renforcées. C’est pourquoi nous voyons d’un bon œil le relèvement du seuil minimal de constitution des EPCI, en tenant compte bien sûr des nécessaires adaptations locales. Celui qui allait devenir Président de la République n’estimait-il pas, pendant la campagne présidentielle de 2012, dans un discours prononcé à Dijon devant plusieurs milliers d’élus locaux, qu’il fallait « accepter la diversité territoriale et faire que les régions puissent disposer d’un pouvoir réglementaire leur permettant d’adapter la loi nationale aux réalités du territoire » ?

Nous tenterons d’améliorer le texte en ce sens, tout en regrettant la timidité de cette réforme comparée à la fois aux discours de campagne et à ce qui se fait ailleurs en Europe. Tous les États d’Europe occidentale et de taille comparable à la France ont adopté soit un système fédéral, où toutes les régions participent au processus normatif dans son entier, comme en Allemagne, soit un système différencié d’autonomie régionale qui peut s’appliquer à l’ensemble du territoire, comme en Espagne et en Italie. Chez nos voisins européens, les régions partagent avec l’État le pouvoir normatif, et les assemblées ou parlements régionaux – car on va jusqu’à parler de parlements régionaux – s’imposent en droit et en fait aux autres niveaux de collectivités infra-régionales, y compris les métropoles, sans que cela suscite quelque contestation que ce soit.

Certaines dispositions du texte que nous abordons aujourd’hui nous semblent aller dans le bon sens. Nous soutenons le transfert d’un certain nombre de compétences du département vers la région, afin d’asseoir la compétence de développement économique et d’aménagement du territoire de celle-ci.

Le Gouvernement entend rendre prescriptifs les schémas régionaux de développement économique et d’aménagement du territoire. Nous saluons cette volonté : ces schémas stimuleront ainsi un développement équilibré et bénéfique à tous, à condition toutefois que ces schémas s’imposent à toutes les collectivités du territoire concerné, y compris les plus puissantes d’entre elles – je veux parler bien sûr des métropoles.

M. Jean-Luc Laurent. Et à condition que l’État ne soit pas aux abonnés absents !

M. François de Rugy. Cette compétition entre régions et métropoles risquerait en effet de poser problème, notamment pour les périphéries moins intégrées. Il conviendra donc de clarifier ces points lors des débats. Il faudra aussi éviter la possibilité d’un veto contre les schémas : à une certaine époque, cela a causé de nombreux problèmes dans les relations entre l’État et la région Île-de-France.

Après l’avoir rétablie en début de mandat, nous regrettons la suppression de la clause de compétence générale pour les régions. Pour notre part, nous sommes favorables à ce que les régions détiennent cette clause de compétence générale.

Par ailleurs, il faut faciliter la création de collectivité à statut particulier – c’est à ce sujet que nous parlons de différenciation. Cela a été possible pour les métropoles de Lyon ou de Paris. La ville de Paris a même un statut particulier bien antérieur aux métropoles : elle cumule de fait les compétences d’une ville, d’une intercommunalité et d’un conseil général. La Bretagne, le Pays Basque, la Savoie, et d’autres territoires au sein desquels les citoyens et les élus locaux ont exprimé un fort sentiment d’appartenance devront disposer d’une telle collectivité à statut particulier.

L’État doit plus que jamais retrouver son rôle de garant de l’égalité des territoires et de la justice sociale, notamment par le moyen de la péréquation. Il doit également libérer les capacités d’initiative régionales et locales, et faire confiance aux élus locaux pour conduire des projets. Il s’agit d’aboutir à une relocalisation de l’économie, en intégrant la dimension écologique et en refusant la mise en concurrence entre territoires qui pourrait être induite par la métropolisation, comme le craignent un certain nombre de nos concitoyens. Seules les régions, chargées de l’aménagement équilibré du territoire, sont capables de faire échec au sentiment de relégation ou d’oubli.

En ce sens, la question des ressources fiscales des régions ne peut plus être repoussée. Sans attendre le budget pour 2016, nous proposerons différentes mesures pour donner une plus grande autonomie fiscale aux régions : nous voulons obtenir des réponses sur ce sujet. Je rappelle que le budget de certaines régions européennes, rapporté au nombre d’habitants, est dix fois supérieur à celui des régions françaises ! Avec la baisse continue des dotations aux collectivités, une réelle réforme de la fiscalité des collectivités locales devient urgente.

J’en viens à présent, cela ne vous étonnera pas, à la question de l’écologie. Ce texte doit permettre de rationaliser et de faciliter la transition écologique des territoires, en donnant aux collectivités territoriales les moyens d’une action plus cohérente, notamment grâce au schéma d’aménagement du territoire – qui doit comporter des objectifs environnementaux clairs, comme la biodiversité – et au transfert de la compétence sur les espaces naturels sensibles aux régions – compétence exercée à l’heure actuelle par les départements.

Enfin, un effort de transparence et de démocratie doit être également réalisé à tous les niveaux de notre architecture territoriale. Nous y avons contribué en commission des lois, notamment au sujet des droits de l’opposition dans les conseils municipaux et de l’accès à l’information pour les citoyens. Nous proposerons en séance des dispositions similaires pour les régions. Nous proposerons également de séparer ce que l’on pourrait appeler le pouvoir exécutif régional – le gouvernement régional, en quelque sorte – du pouvoir délibératif régional – ce que l’on appelle, à l’heure actuelle, le conseil régional.

Nous pousserons une nouvelle fois pour que le suffrage universel direct soit effectif au sein des intercommunalités et des métropoles à l’horizon du prochain renouvellement, en 2020, sans remettre ce sujet à une loi ultérieure. En effet, nous craignons beaucoup, en cette matière comme en d’autres, que « la rue du plus tard mène à la place du jamais ». Car, si le rôle de l’intercommunalité est réaffirmé, si ses compétences et son budget sont accrus, l’introduction du suffrage universel direct – j’ai bien dit direct ! – en son sein nous semble être une contrepartie logique. En effet, que l’on soit bien clair, le fléchage – quelle expression étrange, d’ailleurs, pour les citoyens – n’est pas un suffrage universel direct.

Enfin, nous souhaitons une réelle transparence des subventions des collectivités, comme cela avait initialement été annoncé par le Gouvernement.

En définitive, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la question à laquelle nous devrons répondre est la suivante : le texte qui sortira de l’examen en séance aboutira-t-il à un réel renforcement des régions, à plus de démocratie locale, à des perspectives renforcées d’autonomie fiscale des collectivités, à une meilleure articulation de leurs actions en matière d’environnement et de développement durable ? Tels sont les grands axes de ce projet de loi sur lesquels les députés du groupe écologiste souhaitent travailler, de façon constructive, afin de l’améliorer. C’est à l’aune de ces critères que nous pourrons dire que ce texte constitue une avancée qu’il convient de soutenir.

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

7

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :

Suite de la discussion du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures.)

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly