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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2014-2015

Compte rendu
intégral

Séance du mercredi 10 juin 2015

SOMMAIRE

Présidence de M. Claude Bartolone

1. Souhaits de bienvenue à une délégation étrangère

2. Questions au Gouvernement

Politique économique du Gouvernement

Mme Véronique Louwagie

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique

Plan « tout pour l’emploi »

Mme Sophie Errante

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique

Trains d’équilibre du territoire

Mme Jeanine Dubié

M. Alain Vidalies, secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche

Implantation d’un cyclotron en Martinique

M. Jean-Philippe Nilor

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes

Action de groupe contre les discriminations

M. Razzy Hammadi

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement

Politique agricole

M. Philippe Gosselin

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement

Statut des sportifs

Mme Brigitte Bourguignon

M. Thierry Braillard, secrétaire d’État chargé des sports

Politique familiale

M. Philippe Armand Martin

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes

Défaillances du projet EPR

M. Denis Baupin

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique

Avenir de la propulsion nucléaire militaire

M. Jean-François Lamour

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique

Gens du voyage

M. Dominique Raimbourg

Mme Sylvia Pinel, ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité

Anciens combattants

M. François Rochebloine

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense

Retraites

M. Rémi Delatte

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes

Patrouilleur garde-côtes en Polynésie française

Mme Maina Sage

M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du budget

Décrochage scolaire

M. Jacques Alain Bénisti

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche

Suspension et reprise de la séance

Présidence de Mme Catherine Vautrin

3. Action de groupe en matière de discrimination et de lutte contre les inégalités

Présentation

M. Razzy Hammadi, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement

Discussion générale

M. Bruno Le Roux

M. Michel Zumkeller

M. Philippe Gosselin

M. Sergio Coronado

M. Jérôme Lambert

M. Marc Dolez

M. Sébastien Denaja

M. Gilbert Collard

M. Alexis Bachelay

Mme Julie Sommaruga

M. Mathieu Hanotin

M. Razzy Hammadi, rapporteur

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement

Suspension et reprise de la séance

Présidence de M. Marc Le Fur

Discussion des articles

Article 1er

M. Guillaume Chevrollier

Amendements nos 3 , 8 , 4 , 6 , 10 , 11 , 28 , 1

Article 2

Article 3

Amendements nos 12 , 7 , 13 , 30 , 14 , 15

Article 4

Amendements nos 16 rectifié , 17

Article 5

Amendement no 18

Article 6

Article 6 bis

Amendements nos 5 , 19

Article 7

Article 8

Amendement no 2

Article 9

Article 10

Amendement no 20

Article 11

Amendements nos 21 , 22 rectifié

Article 12

Amendement no 23

Article 13

Amendement no 24

Article 14

Après l’article 15

Amendement no 25

Explications de vote

M. Philippe Gosselin

M. Sébastien Denaja

M. Sergio Coronado

Vote sur l’ensemble

M. Razzy Hammadi, rapporteur

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État

4. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Claude Bartolone

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Souhaits de bienvenue à une délégation étrangère

M. le président. Mes chers collègues, je suis heureux de souhaiter en votre nom la bienvenue à une délégation du groupe d’amitié Ukraine-France du Parlement d’Ukraine, conduite par ses coprésidents, M. Olexii Gontcharenko et Mme Alyona Chkroum. (Mesdames et messieurs les députés et les membres du Gouvernement se lèvent et applaudissent.)

2

Questions au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Politique économique du Gouvernement

M. le président. La parole est à Mme Véronique Louwagie, pour le groupe Les Républicains.

Mme Véronique Louwagie. Monsieur le Premier ministre, hier, vous avez annoncé un « small business act » à la française se déclinant en dix-huit mesures pour construire un « gisement d’emplois » autour des TPE et PME, dans une période où la courbe du chômage ne cesse d’atteindre des sommets vertigineux. Pourtant, alors que le projet de loi Macron visait à réformer notre économie et le projet de loi Rebsamen le marché du travail, vous allez introduire ces dispositions par amendements, ce qui en dit très long sur la cohérence de votre méthode. Ces mesures méritent un débat de fond, et ce même si vous avez appelé à un « débat pragmatique » devant l’Assemblée nationale.

Est-il pragmatique, monsieur le Premier ministre, de recourir à des amendements et surtout à l’article 49-3, qui muselle le débat parlementaire, comme semble le préconiser le président de l’Assemblée nationale au sujet de l’encadrement des indemnités prud’homales en cas de licenciement ? Certes, certaines mesures nous semblent aller dans le bon sens, comme celle permettant de renouveler deux fois un contrat à durée déterminée. Concernant la prime de 4 000 euros pour les embauches nouvelles, notre pays comptant 1,2 million d’entreprises individuelles sans salarié, cette mesure, qui vise à encourager toute embauche d’une durée minimale de douze mois, devrait, selon le ministre de l’économie, créer de 60 000 à 80 000 emplois. Outre les modalités de son financement, qui restent une nouvelle fois floues, cela semble un dispositif mou, au regard des plus de 5 millions de chômeurs que compte notre pays.

Votre politique n’est pas cohérente. La création du compte pénibilité le démontre singulièrement, car il s’agit d’un dispositif d’une lourdeur extrême pesant sur les entreprises. De plus, en réduisant le crédit d’impôt apprentissage, vous avez mis à mal l’apprentissage. Alors, monsieur le Premier ministre, quand allez-vous prendre les mesures structurelles et cohérentes que nous attendons depuis des mois ? En effet, monsieur le Premier ministre, it’s time to act, il est temps d’agir ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique.

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique. Madame la députée, vous nous interrogez d’abord sur la méthode. Mais à quelle autre méthode recourir ? Mieux vaut introduire ces dispositions par amendements dans des textes qui sont précisément en discussion et dont c’est l’objet que d’en créer de nouveaux. Et pourquoi avoir attendu les annonces d’hier ?

M. Philippe Meunier. C’est un aveu d’échec !

M. Emmanuel Macron, ministre. Parce que, au mois de février – et vous êtes, comme nous, sensibles au dialogue social –, le Premier ministre a demandé aux partenaires sociaux…

M. Sylvain Berrios. Il n’était pas à Berlin, à ce moment-là ?

M. Emmanuel Macron, ministre. …de travailler sur plusieurs sujets, notamment de dresser le bilan de la loi sur la sécurisation de l’emploi. Ils ont lancé une série de chantiers qui se sont conclus ces dernières semaines : la conférence sur les PME-TPE, en particulier, s’est tenue à l’Élysée hier.

M. Patrice Verchère. Quand le Premier ministre était à Berlin !

M. Emmanuel Macron, ministre. Les annonces d’hier seront traduites dans la loi au cours des prochaines heures pour ce qui est du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, des prochains jours pour ce qui est du projet de loi relatif au dialogue social et dans les prochains mois pour ce qui relève du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Il y a donc quatre textes qui permettront d’insérer ces mesures.

C’est aussi une façon de rendre crédibles les annonces (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains) car nos chefs d’entreprise comme nos salariés attendent précisément que nous les transcrivions dans la loi. C’est ce qui sera fait, conformément à ce calendrier, dont la longueur correspond au temps du débat démocratique.

M. Patrice Verchère. Trois ans !

M. Emmanuel Macron, ministre. Vous ne pouvez pas nous faire des reproches paradoxaux ou contradictoires : vous dites, d’un côté, que nous allons trop vite en déposant des amendements du jour au lendemain…

M. Alain Marty. Trois ans !

M. Emmanuel Macron, ministre. …et que le recours à certaines procédures ne vous laisse pas le temps de les examiner, de l’autre, que nous devons nous préoccuper du monde économique, qui réclame des mesures.

Nous continuons à agir pour simplifier, accélérer, et donner plus de sécurité et de visibilité à notre économie. C’est l’objet des annonces faites hier par le Premier ministre. Une partie de ces mesures sera introduite par amendement dans le cadre de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, à laquelle vous participez, madame la députée, puis dans l’hémicycle. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Plan « tout pour l’emploi »

M. le président. La parole est à Mme Sophie Errante, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Sophie Errante. Monsieur le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique, à l’issue du conseil des ministres restreint, le Gouvernement a présenté hier le plan « Tout pour l’emploi dans les TPE et PME ». Il répond à une question décisive : comment lutter contre le chômage de masse, et plus particulièrement celui des jeunes ?

Aujourd’hui, les signaux positifs commencent à se multiplier : reprise économique, baisses constantes des déficits comme des taux d’intérêt, stimulation de l’investissement, baisse de l’euro, et redressement de la balance commerciale. Tout cela doit tous nous motiver pour sortir de nos postures respectives et penser, en priorité, à ceux qui n’ont pas la chance d’avoir un travail. Je peux en témoigner personnellement et nous sommes plusieurs, ici, à avoir connu des périodes de chômage.

Dans ce contexte, il faut sortir du climat de défiance qui règne autour de l’entreprise pour le remplacer par celui de la confiance. Nous travaillons avec Thierry Mandon depuis plus de deux ans, selon une méthode collaborative inédite, à la simplification administrative. Cela constitue un progrès inédit dans la facilitation de la vie des entreprises et permet de recréer de la stabilité.

Vous le savez, la création d’emplois ne se décrète pas, elle se favorise, notamment par des actions – en faveur de l’investissement, de l’innovation et de l’audace d’entreprendre – qui créent des conditions bienveillantes à la reprise.

La prime de 4 000 euros versée aux très petites entreprises lors d’embauches constitue une réelle opportunité puisqu’elle permet à des commerçants, à des artisans et à des petites entreprises de partager leurs initiatives avec un salarié. Comme vous l’avez dit, monsieur le ministre, cette mesure pourrait créer quelques dizaines de milliers d’emplois.

Oui, dans nos territoires, cette prime va être un accélérateur de croissance et de développement. Monsieur le ministre, comment le plan présenté hier va-t-il permettre de relever le défi de l’emploi ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique.

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique. Madame la députée, le plan relatif aux TPE et aux PME qui a été présenté hier par le Premier ministre, poursuit quatre objectifs, dont le premier est de permettre d’accélérer la reprise. Comme cela a été annoncé au début du mois d’avril par le Premier ministre, l’idée est précisément, en matière d’investissement, d’aider les entreprises à embaucher plus vite. En particulier, la prime que vous avez évoquée, qui s’élève à 4 000 euros pour les premières embauches sur les deux années à venir, permettra, dans cette période de reprise encore trop fragile, de créer de l’activité et d’accélérer la reprise.

Le deuxième objectif est de simplifier : tous nos entrepreneurs, notamment nos chefs de petites entreprises, le réclament. Il s’agit, par exemple, de modifier le seuil de tous les dispositifs relatifs à l’embauche des salariés : pour le titre emploi service entreprise passe ainsi le seuil de onze à vingt salariés.

M. Patrice Verchère. Ça ne crée pas de travail !

M. Emmanuel Macron, ministre. Il s’agit également de ce qui a été préparé par Thierry Mandon en matière d’achats publics et de simplification des déclarations : des annonces faites il y a quelques semaines se trouvent ainsi complétées. Le franchissement des seuils est également simplifié : une mesure consiste à les aligner sur celui de onze salariés. Il existe en effet aujourd’hui une vingtaine de seuils réglementaires, fiscaux et sociaux, entre neuf et onze salariés : tout sera aligné sur onze.

Un moratoire sur les franchissements des seuils fiscaux et sociaux, portant sur les trois années à venir, fait également partie de ce plan : il s’agit d’un élément extrêmement important pour simplifier la vie des chefs d’entreprises.

Le troisième objectif de ce plan est de donner plus de flexibilité au niveau de l’entreprise grâce aux accords majoritaires, afin de s’adapter aux circonstances économiques. Il sera atteint en revisitant, précisément, les accords de maintien dans l’emploi qui ont été votés en 2013 et qui ont fait l’objet d’une évaluation. Les partenaires sociaux en ont, lundi dernier, dressé leur propre bilan.

Enfin, le plan vise à donner plus de sécurité et de visibilité aux salariés et aux employeurs à travers un plancher et un plafond pour les dommages et intérêts accordés par les prud’hommes.

Plusieurs députés du groupe UMP. On ne comprend rien !

M. Emmanuel Macron, ministre. Ce plan offrira aussi plus de sécurité en luttant contre le travail illégal détaché. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Trains d’équilibre du territoire

M. le président. Pour comprendre, il faut écouter, et non crier.

La parole est à Mme Jeanine Dubié, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

Mme Jeanine Dubié. Monsieur le secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche, je souhaite, avec mes collègues Jean Glavany et Martine Lignières-Cassou, vous interroger sur le rapport que vous a remis, le 26 mai dernier, la commission sur l’avenir des trains d’équilibre du territoire, présidé par notre collègue. Ce rapport préconise, faute de rentabilité suffisante, la suppression du train de nuit Paris-Hendaye et le remplacement de la ligne ferroviaire Toulouse-Hendaye par un service d’autocars.

Ce rapport est un nouveau coup dur porté aux territoires ruraux ainsi que l’aboutissement d’un processus qui a consisté, pendant de nombreuses années, à laisser le service public ferroviaire se dégrader : il conduit aujourd’hui à justifier sa suppression.

Après les écoles, les hôpitaux, les trésoreries, les gendarmeries ou encore les bureaux de poste, nous ne pouvons accepter de voir des lignes de chemin de fer supprimées. Si je souscris pleinement à l’effort de réduction de déficits publics, qui concerne aussi la SNCF, les territoires ruraux ne peuvent être les seuls à en assumer les conséquences.

En préconisant de ne conserver que les lignes rentables, l’objectif initial des TET – permettre le désenclavement des territoires grâce à des liaisons inter-régionales – est remis en cause. Je rappelle que la France ne s’arrête pas à Toulouse ou à Bordeaux : des citoyens vivent au sud de ces métropoles et leurs besoins de mobilité ne peuvent être ignorés. Je pense notamment aux territoires du Piémont pyrénéen, dont le maillage en matière de transports est indispensable à l’activité économique et touristique.

Les trains d’équilibre du territoire constituent des maillons essentiels pour empêcher la désertification et contribuer à un aménagement ainsi qu’à un développement équilibrés.

Monsieur le secrétaire d’État, ma question est simple : que va devenir, dans le contexte de la fusion des régions, la ligne Toulouse-Hendaye ? Quelles suites allez-vous donner à ces préconisations alarmantes qui risquent d’accentuer la fracture territoriale et isoler encore plus les départements périphériques ? (Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, ainsi que sur plusieurs bancs des groupes écologiste et de l’Union des démocrates et indépendants et sur quelques bancs des groupes Les Républicains et socialiste, républicain et citoyen.)

M. Jean Glavany. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche.

M. Alain Vidalies, secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche. Madame la députée, la commission Duron a, après un travail extrêmement sérieux, établi un constat dont personne ne peut, aujourd’hui, s’exonérer. Les trains d’équilibres du territoire, c’est d’abord un déficit qui se creuse chaque année : 400 millions d’euros pour l’exercice 2014, probablement 500 millions pour l’exercice 2016, et près de 600 pour chacun des exercices 2017 et 2018.

Deuxièmement, le matériel roulant est vieillissant et quasi-obsolète : trente-cinq ans de moyenne d’âge, parfois quarante pour certaines locomotives.

Troisièmement, il s’agit d’un système totalement hétérogène : on y trouve des trains de nuit, des trains qui ressemblent à des des trains express régionaux et d’autres encore qui ne circulent que le samedi alors que le reste de la semaine ils assurent un service de TER.

Bref, cette situation ne correspond plus du tout à la définition initiale des TET. La convention sur laquelle nous vivons aujourd’hui, et qui date de 2010, s’est bien entendu dispensée de traiter la question, tant sur le plan financier que sur celui du renouvellement des matériels.

Ceci étant dit, le pire serait de ne pas traiter la question. La commission Duron a fait un certain nombre de propositions : ce ne sont pas celles du Gouvernement.

M. Jean Glavany. Très bien !

M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. J’ai indiqué que je donnerai, le 3 juillet prochain, une feuille de route qui tiendra compte d’un certain nombre d’objectifs. D’abord, il ne s’agit pas de ne conserver que les lignes rentables mais bien de maîtriser le déficit : ce sont deux choses assez différentes.

Il faut ensuite tenir compte du droit à la mobilité pour l’ensemble des personnes sur tout le territoire ainsi que de l’aménagement du territoire. C’est à partir du respect de ces trois objectifs que la Gouvernement donnera sa feuille de route, qui sera définitivement établie après concertation avec les partenaires, notamment les régions. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Jean Glavany. Comptez sur nous !

Implantation d’un cyclotron en Martinique

M. le président. La parole est à M. Jean-Philippe Nilor, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. Jean-Philippe Nilor. Madame la ministre de la santé, j’associe à ma question mes collègues Marie-Jeanne et Azerot.

Dans le domaine du cancer, le recours à un cyclotron, couplé à des TEP-scanners, outil de diagnostic, est aujourd’hui incontournable en France. La Guadeloupe, la Guyane et la Martinique sont les seules régions à demeurer à ce jour dépourvues de ce type d’équipement, en dépit du vieillissement démographique et du foisonnement des cancers.

Le Président de la République, en visite de soutien aux présidents des conseils régionaux de Martinique et de Guadeloupe, a promis à chacun de ses amis, à vingt-quatre heures d’intervalle, un cyclotron.

Alors qu’en France, on compte un cyclotron pour cinq TEP-scanners, soit un pour 4 millions d’habitants, l’hypothèse d’un cyclotron par territoire, de 400 000 habitants, exige un investissement de 12 millions d’euros, voire 18 s’il en faut un aussi pour la Guyane, et, surtout, induit un déficit d’exploitation structurel et exponentiel. L’État acceptera-t-il que la Sécurité sociale supporte le remboursement de ces examens à un coût dépassant de 300 euros le tarif de référence ? Il est permis d’en douter, et d’autres besoins en santé, déjà en souffrance, risquent alors d’être sacrifiés.

Pourtant, deux rapports d’expert commandés par votre ministère préconisent l’implantation d’un cyclotron inter-régional en Martinique et d’un TEP-scanner dans chaque territoire, et ce en s’appuyant sur la réalité médico-économique, l’état d’avancement des dossiers, les liaisons aériennes directes entre la Martinique et la Guyane, la position géographique centrale de la Martinique, qui garantit, dans les délais, la distribution vers les TEP-scanners des trois régions et d’autres îles de la Caraïbe.

Pour éviter toute nouvelle querelle mortifère entre nos régions de Guadeloupe et de Martinique…

M. le président. La parole est à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. Monsieur le député, vous connaissez la détermination du Président de la République et du Gouvernement à lutter contre les inégalités dans l’accès aux soins, parce que nous devons garantir à chacune, chacun de nos concitoyens, quel que soit son lieu de résidence, qu’il aura les mêmes chances face à la maladie, et cela vaut aussi face au cancer.

En matière de lutte contre le cancer, nous le savons désormais, nous devons garantir qu’il est possible d’accéder aux meilleures techniques. Pour mieux détecter les cancers et, ensuite, les soigner plus rapidement, il faut permettre l’accès à de nouvelles techniques d’imagerie par TEP-scan. Le Gouvernement veut que ce soit le cas dans les départements français d’Amérique, où il n’y a pas aujourd’hui de tels équipements. Mais pour qu’ils puissent fonctionner, il faut aussi installer des cyclotrons, qui en sont le complément indispensable.

L’engagement du Président de la République a été clair et ferme. Les départements français d’Amérique disposeront de TEP-scan grâce à l’installation de cyclotrons en Martinique et en Guadeloupe. Les travaux d’instruction sont en cours. Le Gouvernement veillera à l’équilibre des territoires dans l’accès à ces équipements essentiels pour améliorer le diagnostic de certains cancers. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Action de groupe contre les discriminations

M. le président. La parole est à M. Razzy Hammadi, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Razzy Hammadi. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.

Cet après-midi, à l’initiative des députés SRC, sera débattue la proposition de loi instaurant l’action de groupe au profit de nos concitoyens victimes de discriminations. Cet engagement du Président de la République qui se concrétise dans le texte qui sera présenté cet après-midi est le résultat de trois années de travail, avec, notamment, les syndicats et les associations. Je les associe à mes remerciements, particulièrement à Bruno Le Roux, qui aura soutenu de toutes ses forces l’inscription à l’ordre du jour de cette proposition. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen. – Exclamations sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

Cette réforme tend à mobiliser la société contre cette inégalité qui frappe et stigmatise un trop grand nombre de nos concitoyens du fait de leurs origines, de leur couleur, de leur sexe, de leur orientation sexuelle réelle ou présumée ou de leur handicap. En un mot, ce sera une loi pour le peuple et par le peuple, qui revendique non seulement l’égalité des droits mais encore sa traduction concrète et au quotidien. Je rappelle d’ailleurs que les vingt motifs de discrimination inscrits dans le droit de la République sont répréhensibles au pénal.

Les deux précédents présidents de la République s’étaient engagés en faveur de l’action de groupe, et je salue le soutien des députés écologistes, communistes, citoyens et républicains. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.) J’aurais d’ailleurs souhaité un large consensus républicain…

M. Mathieu Hanotin et Mme Julie Sommaruga. Très bien !

M. Razzy Hammadi. …contre ce fléau qui frappe un trop grand nombre de nos concitoyens. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Être républicain, en effet, mes chers amis (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains),…

M. Marc Le Fur. C’est nous !

M. Razzy Hammadi. …c’est refuser que plus d’une personne sur deux n’entame aucune procédure de justice du fait du coût, des délais et de la complexité des démarches individuelles. Être républicain,…

M. Sylvain Berrios. C’est refuser la démagogie !

M. Razzy Hammadi. …c’est être animé par cette volonté inépuisable qui refuse qu’un enfant de la nation puisse être lésé du fait de ce qu’il est ou de ce qu’il a choisi d’être.

M. Philippe Cochet. Rejoignez notre groupe !

M. Razzy Hammadi. Condorcet proclamait qu’il ne peut y avoir ni vraie liberté ni justice dans une société si l’égalité n’est pas réelle. C’est par l’action de groupe que nous sommes fidèles à cet esprit des lumières.

Monsieur le Premier ministre, comment comptez-vous accompagner une mise en œuvre rapide de cette réforme ? (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur plusieurs bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement. Les discriminations, vous avez raison, monsieur le député, sont intolérables dans un pays comme le nôtre car elles portent atteinte gravement et de façon inacceptable au principe d’égalité devant la loi qui fonde notre principe républicain. Aussi, je m’associe pleinement à vos propos sur la nécessité de mieux lutter contre la situation de ségrégation que connaît incontestablement notre pays.

Pour lutter contre ce phénomène, le Président de la République a pris des engagements forts depuis 2012.

Lors de sa réunion de mars, le comité interministériel pour l’égalité et la citoyenneté a adopté un ensemble de mesures qui visent à donner à chacun les mêmes opportunités et à renforcer l’appartenance de tous à une communauté de destin.

Ensuite, le Gouvernement a présenté au mois d’avril un plan d’action contre le racisme et l’antisémitisme, qui vise à combattre les discriminations fondées sur l’origine ou la religion des citoyens dans tous les domaines, en s’intégrant à l’ensemble de nos politiques publiques.

Au-delà de ce plan, nous pouvons et nous devons aller plus loin pour lutter contre toutes les discriminations, quel que soit leur fondement. Il y va de notre capacité à vivre ensemble et du respect des valeurs de la République.

C’est dans cet esprit que vous avez déposé une proposition de loi visant à mettre en place une action de groupe. Ce texte viendra en débat cet après-midi. Sans préjuger le résultat de vos travaux, je tiens à vous assurer que le Gouvernement soutient votre initiative. Comme vous, je considère que nous devons renouveler notre approche de la question sociale pour mieux lutter contre les discriminations et que, dans ce domaine, l’action de groupe est un outil pertinent, efficace et équilibré. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Politique agricole

M. le président. La parole est à M. Philippe Gosselin, pour le groupe Les Républicains.

M. Philippe Gosselin. Ma question, à laquelle j’associe mon collègue Guénhaël Huet, s’adresse à M. le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt. Les agriculteurs souffrent. Ils sont en détresse, vous le savez, particulièrement les jeunes qui ont choisi l’élevage. En cause, la guerre des prix du lait, de la viande, en particulier du porc. Nos éleveurs porcins vont très mal, sans oublier la filière légumière. Face aux transformateurs, aux salaisonniers et à la grande distribution, les agriculteurs ne peuvent lutter. Les prix sont trop bas. Ils produisent à perte. Dans mon département, la Manche, la production de 1 000 litres de lait revient à 379 euros. Or, le prix moyen payé est de 356 euros. Faites le calcul : la différence est de 23 euros.

La loi Hamon, votée par cette majorité, prévoit que, si le coût des matières premières est supérieur à 25 % du prix de vente, le prix d’achat doit être revu à la hausse. Ce mécanisme régulateur entre producteurs, industriels et distributeurs n’est, hélas, pas appliqué. Nous souhaiterions, avec les agriculteurs, que l’État enclenche enfin la mécanique.

En cause, également, l’accès au foncier qui est de plus en plus coûteux. Découragés, les jeunes sont de moins en moins nombreux à s’installer. À terme, c’est le renouvellement des générations qui sera menacé. Il faut également mentionner, dans plusieurs départements, le retard dans le paiement des dotations aux jeunes agriculteurs, avec un impact négatif, bien sûr, sur les trésoreries.

Il y a quelques semaines, j’ai demandé la création d’une mission d’information sur la concurrence dans l’agroalimentaire. Il est en effet urgent, monsieur le ministre, d’examiner de près la réalité économique et le rapport de force qui est déséquilibré entre l’amont et l’aval. Ce sont toutes les filières qui sont concernées.

Ce vendredi, les producteurs de porc se réuniront à Ploërmel. La semaine prochaine, ce sont les jeunes agriculteurs qui se réuniront chez vous, dans la Sarthe. Les uns comme les autres attendent des actes ! L’État est-il à leurs côtés ? Peuvent-ils compter sur lui ? Peuvent-ils compter sur vous ? Et si oui, comment ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le député, vous avez évoqué l’ensemble des filières agricoles qui connaissent aujourd’hui de graves difficultés qui sont effectivement liées à l’élevage.

M. Alain Marty. Jusque-là, ça va !

M. Stéphane Le Foll, ministre. Vous avez également mentionné la loi consommation qui est venue corriger la loi de modernisation de l’économie (« Ah ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.) qui avait instauré beaucoup trop de concurrence et donné beaucoup trop de poids à la grande distribution. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.) Nous sommes en train de corriger un effet, malheureusement durable, d’un déséquilibre entre les différents maillons de ces filières – la production, la transformation et la grande distribution. J’ai montré, à plusieurs occasions, ma volonté de rassembler tous ces maillons pour expliquer à chacun que, dans une phase de faible inflation, la pression qui s’exerce sur la production est trop forte et qu’elle conduit aujourd’hui, dans la filière porcine en particulier, aux difficultés que vous avez évoquées.

Des choses sont en train de se faire. Nous avons engagé des discussions pour voir de quelle façon il est possible de réévaluer les prix, ce qui n’est pas si simple. J’aurai l’occasion de prendre un décret – le premier pris par un ministre de l’agriculture ! – pour encadrer les promotions commerciales. C’est ce que je dirai vendredi, à Ploërmel.

Quant à l’application de la loi consommation, nous en avons discuté avec le ministre de l’économie, Emmanuel Macron. Dès que les indices, sur lesquels nous sommes obligés de nous appuyer, seront cohérents et convergents, nous appliquerons strictement la loi et nous demanderons des renégociations sur les prix négociés il y a à peine un mois, parce qu’il faut tenir compte des coûts de production pour les intégrer dans les prix de vente. Sur ces questions, le ministre de l’agriculture et l’État sont et seront aux côtés des agriculteurs ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste.)

Statut des sportifs

M. le président. La parole est à Mme Brigitte Bourguignon, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Brigitte Bourguignon. Monsieur le secrétaire d’État chargé des sports, certes la France est fière de ses championnes et de ses champions, et elle vibre à leurs côtés lors des compétitions internationales et applaudit leurs performances. Pourtant, deux tiers de nos sportifs vivent sous le seuil de pauvreté, 40 % avec même moins de 500 euros par mois. Vous aviez déjà évoqué, avec M. Patrick Kanner, vos préoccupations sur ce dossier érigé en priorité de votre action.

Fort des préconisations du rapport remis par Jean-Pierre Karaquillo et pour remédier à cette situation inacceptable, le groupe socialiste, républicain et citoyen, vient de faire adopter, à 1’unanimité des rangs de cette assemblée, soulignons-le, la création d’un statut du sportif de haut niveau.

Reconnaissant enfin, dans son article 1er, que les sportifs de haut niveau concourent par leur activité au rayonnement de la nation, cette proposition sécurise les athlètes pendant et surtout après leur carrière. Elle le fait pendant, avec une couverture accident du travail en cas de blessure, une couverture maladie professionnelle et une sécurisation des sportives pendant leur maternité, ce qui est nouveau.

M. François Rochebloine. Nous étions là lundi soir, pas besoin de redire la même chose !

Mme Brigitte Bourguignon. Elle le fait après, grâce au suivi socio-professionnel renforcé des athlètes et à la modernisation des conventions d’insertion professionnelle, garante d’une reconversion réussie. Le comité paralympique et sportif français est enfin reconnu dans le code du sport, en tant que représentant du mouvement paralympique. Dernier point : ce texte sécurise les relations de travail dans le sport professionnel par la création d’un contrat de travail spécifique pour les sportifs et leurs entraîneurs. Dans une tribune récente, les sportifs de haut niveau interpellent les parlementaires et attendent désormais ces mesures, alors même que nombre d’entre eux se préparent pour les Jeux olympiques et paralympiques de Rio. Aussi, monsieur le secrétaire d’État, quand estimez-vous possible de les rendre effectives ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des sports.

M. Thierry Braillard, secrétaire d’État chargé des sports. Madame la députée Brigitte Bourguignon, j’aimerais tout d’abord remercier solennellement l’ensemble des groupes parlementaires qui, lundi soir, ont décidé à l’unanimité d’adopter une proposition de loi sur le statut des sportifs dont vous étiez la rapporteure. Je me permets de vous remercier au nom de tous les sportifs.

M. Pascal Deguilhem. Très bien !

M. Thierry Braillard, secrétaire d’État. Comme vous l’avez rappelé, c’est leur protection sociale qui sera renforcée, c’est un suivi socio-professionnel obligatoire qui sera créé, c’est aussi la reconnaissance du comité paralympique.

Parce que, vous l’avez dit, certains sportifs de haut niveau vivent en deçà du seuil de pauvreté, le Président de la République a lancé, le 2 décembre dernier, le pacte de performance, afin d’essayer de trouver des entreprises qui s’engagent à aider financièrement les sportifs durant leur carrière et à leur proposer, après celle-ci, une intégration au sein de leur groupe. Lundi soir, à Matignon, le Premier ministre a clôturé cette opération.

M. Olivier Marleix. À Berlin ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Thierry Braillard, secrétaire d’État. C’est très intelligent, et cela montre votre hauteur d’esprit, monsieur le député ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen – Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Soixante-sept entreprises se sont engagées à soutenir 142 sportifs. Il est clair que nombre de ceux qui nous représenteront à Rio vivent avec moins de 500 euros par mois. Grâce à cette opération, nous allons enfin pouvoir leur dire que la France et la représentation nationale sont derrière eux et que nous leur sommes reconnaissants de ce qu’ils apportent à notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe écologiste et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Politique familiale

M. le président. La parole est à M. Philippe Armand Martin, pour le groupe Les Républicains.

M. Philippe Armand Martin. Monsieur le Premier ministre, depuis trois ans, vous avez réussi la prouesse d’augmenter massivement les impôts sans réduire significativement, comme le prouve le dernier rapport de la Cour des comptes, les déficits publics ; depuis trois ans, vous avez ponctionné plus de 80 milliards d’euros de pouvoir d’achat directement auprès des Français. Pourtant, le déficit de l’État dérape de 10 milliards d’euros tandis que les recettes s’effondrent : moins 10,5 milliards d’euros, dont près de la moitié sur l’impôt sur le revenu. Ce matraquage fiscal a eu un effet dévastateur chez les classes moyennes et chez les retraités.

Quant aux familles, elles subissent en plus une véritable mise à mal de notre politique familiale. Depuis vendredi dernier, elles savent à quelle sauce elles vont être mangées : à partir du 1er juillet, c’est la fin de l’universalité des allocations familiales. C’est une rupture grave des principes de base de notre politique familiale depuis 1945. Pour de nombreuses familles qui comptent sur ces allocations pour financer une partie des activités de leurs enfants, ou la cantine scolaire, l’année 2015 s’annonce difficile. Cette nouvelle mesure va avoir des conséquences importantes pour les familles de la classe moyenne (Protestations sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen), qui ont déjà subi l’abaissement du plafond du quotient familial.

M. Pascal Popelin. On n’a pas la même notion de la classe moyenne !

M. Philippe Armand Martin. Le président Hollande avait annoncé une grande réforme fiscale… Où est-elle ? Vous y avez renoncé et vous faites subir aux familles votre renoncement à engager les réformes nécessaires à l’avenir de la France. C’est un manque de courage politique. Monsieur le Premier ministre, la modulation des allocations familiales s’ajoute à la liste des mesures anti-familles : remise en cause du quotient familial, fiscalisation des majorations de retraites au-dessus de trois enfants, remise en cause de la prestation d’accueil du jeune enfant et du congé parental, etc. Quelle sera la prochaine étape du matraquage fiscal des familles ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. Monsieur le député, je ne peux pas vous laisser dire que le Gouvernement s’attaque aux classes moyennes et à leurs familles. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen. – Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.) Je veux vous rappeler, bien que vous le sachiez déjà fort bien, qu’à compter du 1er juillet, les allocations familiales vont être modulées. Je le dis solennellement : pour 90 % des familles, cela ne changera rien. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.) Par conséquent, seules 10 % des familles, celles dont les revenus sont supérieurs à 6 000 euros nets par mois, sont concernées par la modulation des allocations familiales. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.) Si pour vous, monsieur le député, plus de 6 000 euros par mois, soit seulement 10 % des familles, cela représente les classes moyennes, je ne sais pas alors comment vous analysez la situation de la société française. (Mêmes mouvements.)

En outre, je tiens à vous rappeler que le Gouvernement a engagé une politique forte en ce domaine : la politique familiale ne consiste pas seulement en des allocations, qui par ailleurs resteront universelles puisqu’elles seront versées à toutes les familles, mais c’est aussi permettre de mieux concilier vie familiale et vie professionnelle en ouvrant des places d’accueil pour les jeunes enfants. C’est un engagement du Gouvernement et une mesure forte.

Avoir une politique familiale forte, c’est aussi s’adresser aux familles monoparentales, revaloriser les prestations pour les familles nombreuses modestes – le complément familial et l’allocation de soutien familial sont augmentés de respectivement 25 % et de 50 %.

Vous le voyez, monsieur le député : le Gouvernement a une politique familiale forte, ambitieuse, universelle et juste. C’est à quoi nous sommes attachés : répondre à tous les besoins de toutes les familles de notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur plusieurs bancs du groupe écologiste.)

Défaillances du projet EPR

M. le président. La parole est à M. Denis Baupin, pour le groupe écologiste.

M. Denis Baupin. Monsieur le ministre de l’économie, au moment où vous tentez de construire un mécano pour sauver ce qui peut l’être de la filière nucléaire,…

Un député du groupe UMP. Vive la bougie !

M. Denis Baupin. …il ne se passe pas une semaine sans que ne soient rendues publiques des défaillances majeures du projet EPR – le réacteur pressurisé européen. Il y avait déjà eu le béton, les soudures, le pont polaire, les valves construites à l’envers, les accidents du travail… Depuis quelques semaines, l’ASN, l’Autorité de sûreté nucléaire, estime que la cuve elle-même pose de sérieux problèmes ; depuis deux jours, nous savons que l’IRSN, l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, a constaté de graves anomalies sur les soupapes de sûreté.

Vous connaissez nos convictions…

M. Jean-Luc Laurent. Que trop !

M. Denis Baupin. …sur le nucléaire et sur l’EPR en particulier. Nous n’avons jamais caché notre opposition à ce projet pharaonique destiné à être une vitrine et qui tourne au fiasco industriel. Mais nous pensions que tout était fait pour garantir une sûreté maximale. Quelle n’a pas été notre surprise en lisant, dans le propre rapport de l’IRSN, que celui-ci juge la technologie retenue pour la cuve du réacteur en régression technique par rapport à celle utilisée pour le parc en exploitation. On est bien loin des prétextes imaginés ici où là, devant les difficultés de l’EPR, pour faire porter le chapeau à l’ASN ou à des normes trop contraignantes.

François Hollande, alors candidat, déclarait en 2011 être favorable à l’EPR « si toutes les règles de sûreté étaient respectées ». C’est bien la question qui se pose aujourd’hui, pour l’EPR mais aussi pour toute la filière.

On assiste à des tentatives de déstabilisation de l’ASN : certains médias, sans doute mal informés, ont évoqué une demande d’EDF au Gouvernement pour que l’Autorité soit un peu moins regardante sur la sûreté.

Monsieur le ministre, pouvez-vous donc nous confirmer que telle n’est pas l’intention de ce gouvernement, qu’il n’est nullement question de remettre en cause l’autorité de l’ASN et encore moins son indépendance qui en font une des autorités les plus respectées au monde ? (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique.

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique. Tout d’abord, même si c’est à moi que vous avez posé votre question, monsieur le député, je vous prie d’excuser l’absence de Ségolène Royal, retenue en Amérique du Nord pour la préparation de la COP21, et qui sinon y aurait répondu. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

Je voudrais tout de même avant tout vous rappeler que la décision de construire l’EPR a été prise suite à un large débat public qui s’est tenu en 2002, dont les conclusions ont été confirmées dans la loi d’orientation sur l’énergie du 13 juillet 2005, et que le Gouvernement a ainsi autorisé EDF, par décret en date du 10 avril 2007, à construire sur le site de Flamanville, dans la Manche, un réacteur de type EPR. Fin 2012, 95 % du génie civil et 40 % des montages étaient réalisés, fin 2014, la cuve a été mise en place, et le montage du circuit primaire principal est en cours.

À l’automne 2014, l’exploitant a annoncé un retard par rapport au planning de mise en œuvre, retard lié à des difficultés rencontrées par Areva pour livrer certains équipements. Le Gouvernement a demandé des comptes et réclamé que toutes les mesures soient prises pour y remédier.

Tout ce qui est relatif aux processus de qualification fait l’objet d’une pleine vigilance de la part de l’IRSN et de l’ASN. Je veux ici réaffirmer très clairement que l’ambition du Gouvernement est bien de préserver la totale indépendance de l’Autorité de sûreté nucléaire et de maintenir le plus haut niveau de sûreté de notre équipement, non seulement en France mais à l’international. C’est à cette fin que le projet de loi « Croissance et activité » porte une disposition qui permettra à l’ASN de certifier des projets à l’étranger.



Mais le haut niveau de sûreté nucléaire et l’indépendance de l’ASN qui le garantit ne doivent pas être incompatibles avec la qualité de notre filière nucléaire. Celle-ci est en crise, nous en avons discuté à plusieurs reprises et le Gouvernement continue à travailler sur ce sujet, mais sous le contrôle de l’Autorité de sûreté nucléaire, en toute indépendance. EDF et Areva doivent prendre toutes les mesures pour répondre à ces différentes contraintes. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur quelques bancs du groupe écologiste.)

Avenir de la propulsion nucléaire militaire

M. le président. La parole est à M. Jean-François Lamour, pour le groupe Les Républicains.

M. Jean-François Lamour. Ma question s’adresse au Premier ministre.

La semaine dernière, monsieur le Premier ministre, votre gouvernement s’est prononcé pour le démantèlement d’Areva, colosse aux pieds d’argile qui accuse près de 5 milliards d’euros de pertes pour 2014, résultat de plusieurs années d’errements stratégiques et de querelles de personnes entretenues par la précédente présidente, Mme Lauvergeon.

Alors que l’on mentionne déjà l’entrée possible d’investisseurs étrangers dans le capital de la future filiale chargée des réacteurs d’EDF, je souhaiterais vous interroger sur l’avenir de la propulsion nucléaire militaire.

Comme vous le savez, Areva, à travers sa filiale Areva TA, est maître d’œuvre pour la construction et le maintien en condition opérationnelle des réacteurs qui équipent à la fois les sous-marins d’attaque, les sous-marins lanceurs d’engins, le porte-avions Charles-de-Gaulle et le centre d’essais de Cadarache.

Avec le Charles-de-Gaulle et la composante océanique de la dissuasion, c’est un pan essentiel de notre souveraineté qui repose sur Areva-TA et sur la direction des applications militaires du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives – le CEA.

De plus, l’État doit s’engager à partir de 2020 dans la construction d’une nouvelle génération de sous-marins nucléaires lanceurs d’engins. C’est donc dès aujourd’hui que doit intervenir cet « État stratège », qui – c’est le moins que l’on puisse dire – ne s’est pas illustré dans sa gestion du nucléaire civil, qui fut pour le moins hasardeuse.

Monsieur le Premier ministre, ma question est double. Pourriez-vous nous dire quelle est l’option envisagée pour la reprise d’Areva-TA, sachant que l’on parle du CEA, de DCNS ou d’une filiale dédiée d’EDF ? D’une manière plus générale, quelles dispositions comptez-vous prendre pour garantir le savoir-faire et l’indépendance de la propulsion nucléaire militaire, à l’aube du grand meccano qui va bouleverser la filière française ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Maurice Leroy. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme Claude Greff. Et le ministre de la défense ?

M. Marc Le Fur. M. Macron a réponse à tout !

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique. Monsieur le député, vous rappelez avec raison la crise que traverse aujourd’hui la filière nucléaire française. Cette crise est largement le fruit d’erreurs stratégiques et industrielles passées et de la transformation en profondeur du marché nucléaire mondial.

La décision qui a été annoncée le 3 juin dernier n’a rien d’un meccano industriel, ni d’un meccano actionnarial. Il s’agit de refonder la filière nucléaire pour ne pas reproduire les errements du passé et lui redonner une cohérence. Dans cet objectif, durant le mois qui vient, le Gouvernement s’emploiera à définir, avec ces deux acteurs que sont EDF et Areva et en liaison avec le CEA, un accord industriel et commercial qui permette de mieux organiser la filière et de régler les problèmes commerciaux existant entre les deux entreprises, dans la perspective d’un adossement à EDF de la filière réacteurs, qui a vocation à être détenue majoritairement par l’électricien. L’ingénierie, quant à elle, sera reprise par une société conjointe majoritairement détenue par EDF. Voilà la conception qui a été retenue afin de préserver l’ensemble des compétences et des savoir-faire et de garantir le plus haut niveau de sûreté sur tous les sites.

Dans ce contexte, Areva TA, dont vous avez rappelé l’importance dans le domaine de la propulsion nucléaire et dans la composante océanique de la dissuasion nucléaire sera maintenue dans son intégrité pleine et entière.

Mme Claude Greff. Jusqu’à quand ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Areva TA ne sera pas concernée par la refonte de la filière nucléaire que je viens d’évoquer. Elle restera sous Areva, sans aucune interaction supplémentaire avec EDF, et en liaison directe avec le CEA et DCNS – comme c’est déjà le cas aujourd’hui.

M. Pierre Lellouche. C’est incompréhensible !

M. Emmanuel Macron, ministre. Le Gouvernement veillera bien entendu tout particulièrement à l’impact que la réorganisation de la filière pourrait avoir sur Areva TA.

Mme Claude Greff. Et donc ? Qui s’en chargera finalement ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Je vous garantis que l’indépendance et toutes les conditions aujourd’hui préservées d’Areva TA le seront durablement, ainsi que tous les programmes conduits par cette filiale. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Gens du voyage

M. le président. La parole est à M. Dominique Raimbourg, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Dominique Raimbourg. Ma question s’adresse à Mme la ministre du logement.

Hier, à l’initiative des députés du groupe socialiste, républicain et citoyen, l’Assemblée nationale a adopté en première lecture une proposition de loi sur les gens du voyage. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste.)

Ce texte comporte trois volets.

Le premier – et il est important – supprime l’obligation pour les gens du voyage d’être porteurs d’un livret de circulation pour pouvoir se déplacer. (« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste.)

Il s’agit d’un symbole très important : par cette décision, nous réintégrons les gens du voyage dans le droit commun de la République. Je me permets d’insister sur le fait que la suppression des livrets de circulation a été votée à la quasi-unanimité de l’Assemblée, toutes tendances politiques confondues. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe écologiste, du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

Le deuxième volet de ce texte répond à la volonté de faciliter l’implantation des terrains d’accueil des gens du voyage ; près de quinze ans après le vote de la loi Besson II, la totalité de ces terrains n’est pas encore installée. Le texte vise à relancer le mouvement.

Le troisième volet donne au préfet des pouvoirs plus importants,…

Mme Claude Greff. Eh oui !

M. Dominique Raimbourg. …afin de permettre l’évacuation la plus rapide possible des caravanes qui stationnent de façon irrégulière,…

Mme Claude Greff. Tu parles !

M. Dominique Raimbourg. …dès lors que celles-ci se trouvent sur le terrain d’une commune qui a rempli ses obligations.

Mme Claude Greff. Comment va-t-on faire pour payer tout cela ?

M. Dominique Raimbourg. Le texte va maintenant partir au Sénat. Au-delà, madame la ministre, quelle politique entendez-vous mettre en œuvre sur ces questions ? Comment mieux aider les élus locaux à faire face à ces obligations déjà anciennes ? (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme Claude Greff. C’est incroyable d’entendre ça !

M. Dominique Raimbourg. Comment faire en sorte que la loi s’applique mieux et qu’il y ait moins de stationnements sauvages ? Comment, en résumé, mieux vivre ensemble ? (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe écologiste, du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité.

Mme Sylvia Pinel, ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité. Monsieur le député, la proposition de loi que vous évoquez a été adoptée hier en première lecture par l’Assemblée nationale. Je veux saluer votre implication en tant que rapporteur de ce texte…

M. Dominique Raimbourg. Merci, madame la ministre.

Mme Sylvia Pinel, ministre. …et le long travail d’élaboration que vous avez conduit, auprès des élus locaux, mais aussi auprès des associations des gens du voyage, ainsi qu’avec l’ensemble des parlementaires, d’abord en commission, puis en séance publique.

Mme Catherine Vautrin. Ah oui ? Pourtant aucun amendement de l’opposition n’a été accepté !

Mme Sylvia Pinel, ministre. Le texte que vous proposez permet de trouver un équilibre tout en procédant aux nombreuses avancées que vous avez rappelées. Je citerai notamment l’abrogation de la loi de 1969, qui fait rentrer les gens du voyage dans le régime de droit commun, mettant ainsi fin à un régime discriminatoire. Je veux aussi insister sur les avancées réelles que ce texte apporte aux élus locaux, notamment aux maires, à qui il confère des moyens d’action supplémentaires. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Cochet. C’est faux !

Mme Sylvia Pinel, ministre. Dès lors que les équipements prévus par la loi auront été créés, ils obtiendront plus facilement du préfet l’évacuation des occupants d’un campement illicite.

Mme Claude Greff. Sortez donc de votre mirador !

Mme Sylvia Pinel, ministre. Par ailleurs, l’arrêté préfectoral de mise en demeure a été prolongé et le délai pour statuer du juge administratif raccourci.

Ce renforcement des procédures était attendu par les élus. Il favorisera le respect du droit, qui est une réponse concrète aux difficultés rencontrées sur le terrain.

En ce qui concerne le financement, je me suis engagée hier au nom du Gouvernement à ce que, dans le cadre de la préparation du projet de loi de finances pour 2016, une solution soit trouvée pour les aires de grand passage.

Enfin, nous allons réinstaller la Commission nationale des gens du voyage afin de traiter d’un certain nombre de sujets qui n’ont pu être abordés dans cette proposition de loi.

Vous le voyez, le vivre ensemble est au cœur des préoccupations du Gouvernement, des parlementaires et des élus locaux ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe écologiste, du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

Anciens combattants

M. le président. La parole est à M. François Rochebloine, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. François Rochebloine. Avant de poser ma question, je voudrais rendre hommage à notre ancien collègue Xavier de Roux, qui est décédé. Il a été une grande voix de notre Parlement. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et du groupe Les Républicains et sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

J’appelle l’attention de M. le secrétaire d’État aux anciens combattants et de la représentation nationale sur la reconnaissance que la nation doit aux anciens combattants et victimes de guerre, un sujet qui n’est sans doute pas des plus médiatiques, mais qui reste d’actualité.

Chaque année, nous constatons lors du vote du budget la diminution inexorable du nombre d’anciens combattants. Les générations actuelles ont eu la chance, depuis la guerre d’Algérie et les combats de Tunisie et du Maroc, de ne pas connaître de grands conflits engageant la conscription. Le temps fait son œuvre, mais nous avons le devoir d’assumer cette dette de la nation à l’égard de tous les anciens combattants des deuxième et troisième générations du feu, comme à ceux des missions extérieures, n’en déplaise à la Cour des comptes ou à Bercy, qui n’ont cessé de réduire le peu d’avantages octroyés aux victimes de guerre et ne voient dans les dépenses du ministère des anciens combattants qu’une « charge financière lourde et pas toujours justifiée ».

Qui peut se permettre de telles appréciations ? Qui peut ignorer à ce point le sens du droit à réparation, un droit qui découle de la reconnaissance par la nation, au lendemain de la Première Guerre mondiale, du prix du sang versé par de jeunes Français pour défendre la France, leur pays, la patrie ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

Oui, chers collègues, nous avons toujours défendu le droit à réparation, son maintien et l’égalité entre les générations du feu. C’est l’honneur de la France que d’avoir su instaurer des mesures spécifiques pour les différentes catégories de ressortissants de l’Office national des anciens combattants. C’est aussi cela, le devoir de mémoire. Je suis certain que, sur tous les bancs de notre hémicycle, des voix vont s’élever pour refuser que soit ainsi traité le monde des anciens combattants. Aussi, monsieur le ministre de la défense, je souhaite que vous exprimiez de manière très claire et très ferme l’engagement du Gouvernement…

M. le président. Merci, monsieur Rochebloine !

M. François Rochebloine. …à ne pas céder aux…

M. le président. La parole est à M. le ministre de la défense.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. Monsieur le député, je vous prie tout d’abord d’excuser Jean-Marc Todeschini, le secrétaire d’État aux anciens combattants, qui préside en ce moment même les cérémonies commémoratives d’Oradour-sur-Glane.

Monsieur le député, je vous remercie de votre question. Le Gouvernement partage vos réflexions et vos préconisations. S’agissant du rapport de la Cour des comptes sur l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre, auquel vous avez fait référence, je précise qu’il n’en est qu’à la phase consultative et contradictoire. Ce document a donc un caractère provisoire. Pour vous comme pour le Gouvernement, il convient d’attendre le rapport définitif avant de se prononcer définitivement à son sujet.

Je veux cependant, comme vous, réaffirmer le rôle essentiel de l’ONAC, qui est un acteur majeur de la vie du monde combattant. L’Office a subi de nombreuses restructurations, comme vous le savez, et est devenu l’ultime entité administrative de référence et d’écoute pour le monde combattant. Il joue pour ce dernier un rôle essentiel de soutien et d’accompagnement – essentiel, surtout, en termes de proximité. Il concerne une population importante, d’environ 3 millions de personnes : anciens combattants, victimes de guerre, pupilles de la nation, blessés, invalides, harkis et leurs familles. Il doit être capable de les accompagner au plus près de leur résidence, au plus près de leur domicile. L’ONAC a une fonction de proximité majeure, et c’est dans cet esprit qu’un contrat d’objectifs a été conclu entre sa directrice générale, le ministère de la défense et le secrétariat d’État aux anciens combattants.

Le secrétaire d’État ne manquera pas de partager avec vous les conclusions du rapport définitif, mais nous sommes tout à fait en confiance avec l’Office national des anciens combattants. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme Michèle Bonneton. Très bien !

Retraites

M. le président. La parole est à M. Rémi Delatte, pour le groupe Les Républicains.

M. Rémi Delatte. Monsieur le Premier ministre, le Conseil d’orientation des retraites débat aujourd’hui du contenu de son rapport annuel. Or le moins que l’on puisse dire est que les chiffres ne sont pas encourageants, puisque le retour à l’équilibre de notre système de retraites n’aurait pas lieu avant 2030. Autant dire que votre loi du 20 janvier 2014 « garantissant l’avenir et la justice du système de retraites » n’en garantit l’avenir que dans son titre ! Le besoin de financement de l’ensemble des régimes de retraites pour 2019 et 2020 s’élève en effet à près de 10 milliards d’euros. Pourtant, cette loi ne date que d’un an à peine. Lors de l’examen de ce texte, nous vous avions fait des propositions sur l’âge de départ ou la durée de cotisation, mais vous les avez balayées d’un revers de main, refusant ainsi de vous inscrire dans une démarche de long terme, à l’inverse de ce que nous avions fait en 2003 puis en 2010 avec François Fillon.

Monsieur le Premier ministre, à l’opposé des pays qui ont eu le courage d’engager des réformes, la France décroche. L’exemple des retraites est à cet égard symptomatique de votre incapacité à réformer ! Notre système de retraite, comme le marché du travail, comme les dépenses publiques, comme la réforme de l’État, exige une réforme structurelle d’ampleur, mais, sur ces sujets, vous promettez, vous faites de grandes annonces et, finalement, vous présentez de petites mesures. Il est vrai que vous êtes englué dans de telles querelles de parti (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen) que, de plus en plus souvent, vous êtes privé d’une majorité pour réformer.

M. Jean Glavany. Laissez-moi rire !

M. Rémi Delatte. Monsieur le Premier ministre, pour faire face aux grands enjeux de la France, notamment pour l’avenir des retraites, allez-vous, à l’instar de nos voisins européens, engager de vraies réformes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur quelques bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. Franchement, monsieur le député, la mauvaise foi ne connaît pas de limites. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen. – Vives exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Moi, je vais vous montrer la vérité des chiffres. La vérité des chiffres, c’est qu’en 2010 le régime général de retraite, celui de la Caisse nationale d’assurance vieillesse, était en déficit de 6 milliards d’euros et qu’il est ramené cette année à 800 millions d’euros : la commission des comptes de la Sécurité sociale l’a elle-même annoncé il y a quelques jours. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste.) Les régimes de base, pour les salariés du privé, seront donc à l’équilibre dès l’année prochaine, en 2016.

M. Gérard Menuel. Non !

Mme Marisol Touraine, ministre. C’est une certitude, qui permet de rassurer nos concitoyens. Et, monsieur le député, plutôt que d’inquiéter, plutôt que d’alarmer (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains), vous devriez vous réjouir que, grâce à la politique qui est menée, les retraites de nos concitoyens puissent être garanties.

M. Sylvain Berrios et M. Philippe Cochet. Tout va bien, alors !

Mme Marisol Touraine, ministre. Au-delà des régimes de base, il reste à rétablir l’équilibre des régimes complémentaires, ce qui relève de la responsabilité des partenaires sociaux. Ces derniers sont engagés dans une négociation difficile, que nous suivons attentivement, et je suis certaine qu’ils seront capables de prendre leurs responsabilités. Alors, monsieur le député, plutôt que d’inquiéter, rappelez à nos concitoyens que, dans la durée, leurs retraites seront maintenues,…

Mme Marie-Christine Dalloz. C’est faux !

Mme Marisol Touraine, ministre. …que, grâce aux mesures du Gouvernement, le pouvoir d’achat des retraités est maintenu. Nous avons revalorisé à 800 euros par mois le minimum vieillesse ; nous avons versé une prime exceptionnelle de 40 euros pour les retraites d’un montant inférieur à 1 200 euros ; nous avons revalorisé des retraites agricoles.

Monsieur le député, nous sommes engagés pour la justice mais aussi pour la garantie dans la durée de notre système de retraite. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Patrouilleur garde-côtes en Polynésie française

M. le président. La parole est à Mme Maina Sage, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

Mme Maina Sage. Monsieur le ministre des finances, mes chers collègues, peu de nos concitoyens savent que la Polynésie française représente la moitié de l’espace maritime de la France. Il faut le rappeler ! (Applaudissements sur les bancs des groupes de l’Union des démocrates et indépendants et sur plusieurs bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.) La Polynésie, c’est en effet 5 millions de kilomètres carrés d’espace maritime sur 11 millions, soit une surface aussi grande que l’Europe continentale. Cet espace n’est pas facile à surveiller, mais il fait de la France la deuxième nation maritime mondiale.

L’État connaît les opportunités qui en découlent, en matière de ressources halieutiques, minérales, en matière de biodiversité. Il propose des plans de classement des aires marines protégées, pour bien figurer sur la scène internationale. Tous ces avantages sont de véritables atouts pour la France : nous sommes fiers d’y contribuer. Toutefois, je souhaiterais que les eaux polynésiennes, qui sont donc un atout majeur pour notre pays, soient protégées à la hauteur des enjeux.

Je tiens donc à vous alerter tous à ce sujet : depuis un an, la sécurité de cet espace maritime est menacée, tout simplement parce que nous avons perdu notre seul patrouilleur des douanes, l’Arafenua, qui croisait depuis vingt-cinq ans dans nos eaux. Il assurait des missions de surveillance, de contrôle, de renfort des actions douanières à terre, de sauvetage en mer, et de surveillance environnementale. La perte de ce patrouilleur crée un très grave déficit, non seulement pour les eaux polynésiennes, qui sont à 20 000 kilomètres d’ici, mais pour la moitié de la surface maritime française !

Nous avons besoin d’une réponse claire. Je vous ai déjà interpellé à ce sujet : que comptez-vous faire pour remplacer ce patrouilleur ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et du groupe Les Républicains, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du budget.

M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du budget. Madame la députée, vous soulignez l’importance des territoires maritimes de votre département.

Plusieurs députés du groupe Les Républicains. Ce n’est pas un département, c’est une collectivité d’outre-mer !

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Soyez sûre que le Gouvernement est parfaitement conscient de la nécessité d’assurer à la fois la surveillance douanière, mais aussi la sécurité en mer, par la mutualisation des moyens maritimes. En effet, vous le savez, le Secrétariat général de la mer, placé sous l’autorité du Premier ministre, a décidé une mutualisation des moyens. Certains reprochent aux douaniers d’assurer des missions de sauvetage, d’autres reprochent aux gendarmes de collaborer avec les douanes : nous avons décidé, en ce qui nous concerne, suite à l’accident que vous connaissez, et qui était dû à une erreur humaine – disons-le ainsi –, de renforcer la mutualisation des moyens maritimes.

La Cour des comptes, comme le Comité d’évaluation et de contrôle de votre assemblée, nous a interpellés quant à la nécessité de bien dimensionner les moyens maritimes dans l’ensemble de ces régions. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et du groupe Les Républicains.)

M. Patrick Labaune. Vous noyez le poisson ! Maina Sage vous a parlé d’un patrouilleur !

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Il n’est pas question d’avoir des doublons entre les services de police et de gendarmerie. C’est bien le secrétariat général de la mer qui est chargé de coordonner cette action. Je l’ai vérifié aux Antilles, en Guyane, et je vous propose de le vérifier sur place avec vous. (« Un patrouilleur ! » sur plusieurs bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et du groupe Les Républicains.)

M. Rudy Salles. Cette réponse, c’est zéro !

Décrochage scolaire

M. le président. La parole est à M. Jacques Alain Bénisti, pour le groupe Les Républicains.

M. Jacques Alain Bénisti. Madame la ministre de l’éducation nationale, en 2012, votre majorité a pris une grave décision dont vous avez mal estimé les conséquences : la suppression d’une heure d’aide personnalisée en primaire sur les deux heures pratiquées auparavant, pour tous les élèves qui étaient en situation de décrochage scolaire. Trois ans plus tard, les inévitables résultats sont là : plus de 20 % des élèves arrivant au collège sont en situation d’échec scolaire. C’est essentiellement dû à un manque de soutien en primaire.

Certes, pour vous rattraper, vous sortez en catimini, par décret, un ensemble de mesures pour le collège, pour essayer de rectifier le tir. Mais, malheureusement pour vous, l’UNICEF vient de pointer du doigt cette incohérence, dans un rapport publié hier. Notre pays est relégué dans les derniers rangs des pays européens, avec plus de 140 000 élèves en situation de décrochage. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. Madame Pochon, un peu de calme, je vous en prie !

M. Jacques Alain Bénisti. Madame la ministre, ma question est simple : vous obstinerez-vous à nous imposer, sans débat, une réforme du collège ayant pour seule ambition de colmater, en aval, ces incohérences et ces dysfonctionnements ? Vous contenterez-vous de pansements homéopathiques,…

M. Jean-Luc Laurent. Ne nous parlez pas de médecine, après la purge que vous avez infligée à l’éducation nationale !

M. Jacques Alain Bénisti. …au lieu de prendre à bras-le-corps les véritables causes du décrochage scolaire à l’école primaire ?

Mme Julie Sommaruga. Les causes, c’est la droite !

M. Jacques Alain Bénisti. Il en va, madame la ministre, de l’éducation de nos enfants, c’est-à-dire de l’intérêt de toute la Nation.

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le député, je suis sincèrement ravie de vous entendre faire référence à ce rapport de l’UNICEF, qui pointe avec beaucoup de justesse la terrible réalité de la pauvreté des enfants dans notre pays. Il rappelle qu’un enfant sur cinq est concerné. Je déplore une chose : que ces enfants en situation de pauvreté soient si absents de nos débats publics au sujet de l’école. C’est comme si nous nous étions habitués, petit à petit, à leur sort, comme nous nous étions habitués à un système scolaire inégalitaire.

M. Philippe Cochet. C’est votre travail !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Je rappelle, puisque vous m’y invitez, que tout l’objet des réformes que nous entreprenons en matière éducative depuis 2012, consiste précisément à redonner à chacun de ces enfants les véritables moyens de sa réussite. Nous avons réintroduit la préscolarisation des enfants avant l’âge de trois ans, que vous aviez complètement sabordée : c’est précisément pour favoriser l’acquisition du langage, du vocabulaire, par des enfants plongés dans une situation difficile. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains. – Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste.)

M. Alain Marty. C’est atterrant !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Nous avons mis en place le dispositif « plus de maîtres que de classes à l’école primaire » – sans même parler du collège : j’y viendrai – pour mieux accompagner les enfants, pour les aider à acquérir les fondamentaux dont vous avez parlé. Nous avons réformé l’éducation prioritaire, en consacrant 300 millions d’euros de plus aux établissements les plus confrontés aux difficultés sociales, pour aider ces enfants auxquels vous avez fait allusion. Enfin, je le répète, nous réformons le collège non pour porter atteinte aux disciplines fondamentales, mais au contraire pour favoriser leur apprentissage par les élèves, grâce d’autres pratiques pédagogiques, grâce à l’accompagnement personnalisé, grâce à l’interdisciplinarité : ces méthodes ont fait leurs preuves ailleurs.

Monsieur le député, puisque vous êtes si attaché à la réussite de tous les enfants de France, je vous invite à nous accompagner dans nos réformes. La première d’entre elles consiste à créer à nouveau des postes dans l’enseignement, comme nous le faisons, et à donner à nouveau une formation aux maîtres – car vous avez oublié de préciser que vous l’aviez supprimée, cette formation ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe écologiste et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

M. Pascal Deguilhem. Et voilà, il fallait le dire !

M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures quinze, sous la présidence de Mme Catherine Vautrin.)

Présidence de Mme Catherine Vautrin

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

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Action de groupe en matière de discrimination et de lutte contre les inégalités

Discussion d’une proposition de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de MM. Bruno Le Roux et Razzy Hammadi et plusieurs de leurs collègues instaurant une action de groupe en matière de discrimination et de lutte contre les inégalités (nos 1699, 2811).

Présentation

Mme la présidente. La parole est à M. Razzy Hammadi, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Razzy Hammadi, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, je voudrais avant toute chose remercier le groupe socialiste, républicain et citoyen de l’occasion qui m’est donnée ici de défendre un texte important pour les membres les plus vulnérables de la collectivité. Je tiens également à remercier la commission des lois d’avoir approuvé cette proposition de loi à une très large majorité.

Ce texte vise à apporter une réponse au paradoxe de Mancur Olson selon lequel plus un groupe s’élargit, moins il défend efficacement ses intérêts. Chacun s’en remet à l’autre et personne n’agit.

Cette majorité s’est attaquée à ce problème. On parlait des class actions depuis des décennies, et l’on disait qu’il était impossible de les introduire dans notre système juridique. C’est fait pour les consommateurs, grâce à la loi sur la consommation, et ce sera fait prochainement pour les usagers des services de santé grâce à la loi sur la santé.

La construction juridique existe désormais. En 2014, le Conseil constitutionnel a intégralement validé la démarche de l’action de groupe. La procédure est sûre, constitutionnelle, efficace. Elle est reprise dans cette proposition de loi. Personne n’a d’ailleurs émis de critiques sur ce point en commission. Je considère donc que ce sujet est réglé.

Comment fonctionne l’action de groupe ? C’est une séquence juridictionnelle en deux phases – l’une déterminant la responsabilité de l’auteur et l’autre l’indemnisation des dommages – qui structure cette action de groupe. Elle peut être diligentée par une association reconnue dans la lutte contre les discriminations ou, dans le monde du travail, par une organisation syndicale. Les victimes sont représentées par cette entité requérante qui agit en leur nom au cours du procès, mais elles gardent le droit à tout moment de faire valoir leurs droits dans une procédure individuelle plus classique. Nul n’entre dans l’action de groupe contre son gré : c’est un point fondamental.

Après les consommateurs et, demain, les patients, il s’agit aujourd’hui de donner aux victimes de discriminations les moyens de se défendre. Il y a des gens bardés de diplômes qu’on n’invite même pas à des entretiens. Il y a des gens qui font le même travail que d’autres et que l’on n’envisage même pas de promouvoir. Il y a des gens qui ont toutes les garanties pour louer un logement et dont on ne retient pas le dossier. Il y a des gens qu’on refuse de servir dans certains établissements. Il y a des gens qu’on licencie prématurément. Il y a des enfants en situation de handicap qui n’intègrent pas l’école de la République. Pourquoi ? Parce que ces gens sont des femmes, parce que ce sont des jeunes, parce qu’il a pu se produire une grossesse, parce qu’ils n’ont pas la bonne couleur, parce que le handicap fait peur, parce que l’adresse ne plaît pas, parce qu’une obédience religieuse, supposée ou réelle, suscite le rejet. Cela nous est insupportable.

Souvenons-nous de l’article premier de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune ». L’utilité commune, c’est le mérite, seul discriminant acceptable dans la République que nous voulons.

Je ne veux pas seulement réprimer les pratiques discriminatoires. Ce texte n’a d’ailleurs aucun caractère pénal. C’est une affaire entre le fautif et ses victimes. Les parquets joueront leur rôle dans un droit inchangé, mais les actions de groupe leur donneront sûrement les preuves statistiques qui leur permettront d’engager des poursuites.

Non, il ne s’agit pas seulement de réprimer. Il faut surtout dissuader et prévenir. L’indemnisation générale qu’entraîne l’action de groupe le permettra, comme elle le permet déjà dans quinze autres pays de l’Union européenne. Cette procédure rendra concrète une sanction inappliquée, donc inexistante en pratique. C’est aussi pour cette raison que la proposition de loi prévoit un mécanisme de transaction – la médiation étant possible à n’importe quel moment de la procédure – pour discuter, négocier et corriger les erreurs involontaires.

La commission a procédé à des aménagements importants du dispositif. Tout d’abord, l’action de groupe a été ouverte contre les actions des personnes publiques. C’est un point essentiel pour une République capable de se regarder franchement en face dans le miroir du droit. Il suffit de parler à l’Association des paralysés de France, par exemple, pour en être convaincu : l’État et les collectivités sont loin d’être exemplaires dans leurs écoles, dans leurs gares ou, tout simplement, en matière d’accessibilité des rues. Dorénavant, les citoyens pourront, une fois le nouveau délai arrivé à son terme, les mettre en face de leurs responsabilités.

La procédure a été simplifiée au maximum en confiant au tribunal de grande instance une compétence totale sur tous les contentieux privés. Inclure les conseils de prud’hommes dans le mécanisme, comme il était prévu à l’origine, compliquait trop le dispositif. Nous avons fait quelque chose qui marche et, je le crois, qui marche vite et bien.

Une action de groupe simplifiée a été instituée pour les cas les plus évidents, fondés sur un fichier identifiant les victimes et dont les préjudices sont immédiatement indemnisables. Le juge pourra rendre une seule décision au lieu de deux. C’est une bonne administration de la justice, et nous aurons l’occasion au cours du débat de revenir sur la notion de réparation intégrale du préjudice, qui est au cœur de nos préoccupations.

Nous avons également ajouté des garanties procédurales, notamment sur la proposition de M. Coronado et du groupe écologiste, dont je salue le travail. Le juge pourra instruire, accorder des provisions et valider le concours de professions réglementées ; ce sont des avancées importantes.

Au cours des nombreuses auditions d’institutions, d’associations, de syndicats et de corporations que nous avons conduites et qui faisaient déjà suite à trois années de travail de coproduction, je n’ai jamais entendu de critique globale du dispositif. J’ai certes entendu les organisations patronales exprimer des craintes, mais je veux là encore les assurer que nous serons attentifs au contexte de l’entreprise, qui sera au cœur de nos préoccupations. Je veux aussi les rassurer : ce dispositif est universel, et rien ne justifie que les entreprises se sentent ciblées. L’action de groupe pourra tout aussi bien viser l’État qu’un particulier, une association ou une entreprise.

M. Philippe Gosselin. Heureusement !

M. Razzy Hammadi, rapporteur. Je rappelle en effet que les discriminations sont répréhensibles sur le plan pénal et que nous ne créons aucun délit supplémentaire, mais seulement une procédure nouvelle. Je suis d’ailleurs convaincu que dans leur écrasante majorité, les entreprises françaises se comportent bien et que, d’autre part, la défense dans une action de groupe sera rigoureusement la même que dans une action individuelle.

J’ai envisagé un temps de repousser l’application de la loi aux TPE et aux PME. Nous aurons l’occasion d’en débattre tout au long du cheminement de ce texte. Ce point n’est pas à exclure a priori : il me semble normal, compréhensible et légitime d’envisager le report de l’application de la procédure d’action de groupe pour les toutes petites entreprises comme pour les entreprises de taille moyenne.

Enfin, certains proposent de créer un agrément pour limiter le nombre d’associations qui peuvent lancer une action de groupe. J’ai été tenté de le faire, mais après en avoir parlé avec le Défenseur des droits, Jacques Toubon, je suis convaincu que c’est une très mauvaise idée : il faut au contraire ouvrir le champ du dispositif, car il n’existe pas dans tous les domaines des associations qualifiées pour réunir un ensemble de victimes. Nous aurons cette discussion tout à l’heure. À cet égard, le Gouvernement doit remettre d’ici la fin du mois un rapport sur l’action de groupe dans le domaine de la consommation, et nous aurons alors l’occasion de constater les effets positifs et négatifs de l’existence de filtres.

Je ne conclurai pas sans rappeler que cette initiative a désormais tout le soutien du Gouvernement, et qu’elle ne doit pas être lue comme une concurrence au projet de loi annoncé sur la justice du 21e siècle, bien au contraire. Dès que ce projet sera inscrit à l’ordre du jour, nous y verserons le résultat de nos travaux. Nous connaissons l’engagement du Président de la République, du Premier ministre et de la garde des Sceaux dans la lutte contre les discriminations. À travers vous, monsieur le secrétaire d’État, nous les en remercions.

Mes chers collègues, les phénomènes discriminatoires, comme je l’ai indiqué, sont déjà interdits dans le droit ; ils doivent disparaître dans les faits. C’est une attente majeure de la population. Cette proposition de loi offre au camp du progrès l’occasion d’inscrire encore davantage son action dans un mouvement vers l’égalité, et aux républicains, sur tous les bancs, celle de montrer leur refus des préjugés et des logiques d’exclusion.

Comme la commission des lois l’a fait il y a quinze jours, je vous appelle à soutenir cette proposition de loi dont l’objectif est de donner du pouvoir à nos concitoyens et, à travers eux, de la force à la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, du groupe écologiste et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je tiens avant toute chose à vous dire combien je suis heureux que les circonstances de la vie gouvernementale me donnent l’occasion de m’exprimer devant vous sur ce texte pour en partager très largement la philosophie et les principes. En effet, la proposition de loi qui vous est soumise aujourd’hui, instaurant une action de groupe en matière de lutte contre les discriminations, s’inscrit dans la continuité d’un double engagement – de M. le rapporteur, notamment.

Le premier engagement est celui qui a conduit l’auteur et rapporteur de ce texte, M. Razzy Hammadi, à permettre l’introduction de l’action de groupe en France en tant que co-rapporteur de la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation. Longuement mûrie, cette importante évolution s’est traduite par la mise en place d’un mécanisme « à la fois offensif et équilibré », selon les termes utilisés à l’époque par les co-rapporteurs Razzy Hammadi et Annick Le Loch. Un peu plus d’un an après son adoption, cette action offre ses premières illustrations sans avoir provoqué le séisme judiciaire et économique que certains annonçaient et redoutaient.

Le second engagement, qui est sans doute le plus important, est celui de la lutte contre les discriminations qui entachent de manière inacceptable notre pacte républicain. Ainsi que nous l’ont rappelé les tragiques événements de ce début d’année et le grand élan de solidarité nationale qui a suivi, l’application effective des règles qui fondent le « vivre ensemble » doit faire l’objet d’un combat de tous les instants dans tous les champs de la société, en utilisant tous les moyens juridiques les plus efficaces.

Cette proposition de loi réunit ces deux engagements. Elle constitue un véritable manifeste de l’action collective en justice, en vue de mieux garantir l’égale dignité des personnes. Le Gouvernement, dont je porte la parole aujourd’hui, ne peut qu’adhérer à un tel objectif de progrès social, qui concerne naturellement les discriminations au sens le plus large, qu’elles se fondent, comme l’a rappelé M. le rapporteur, sur le handicap, le genre, la race ou encore la religion. Le nombre de discriminations qui existent aujourd’hui dans notre société est tel et concerne tant de nos compatriotes qu’il nous fallait en avoir une vision globale et instaurer une nouvelle procédure pour mieux lutter contre elles.

En matière de lutte contre les discriminations, les recours collectifs peuvent constituer une voie de droit efficace. La conviction du Gouvernement est bien affirmée : dans un certain nombre de domaines, les relations entre parties à un litige ne sont pas symétriques. Dans de tels cas, les recours individuels existants ne sont pas suffisants. La complexité des questions posées, la durée et le coût d’un procès sont souvent des éléments qui dissuadent une personne isolée de saisir le juge. L’effectivité du droit se trouve alors mise à mal, et le sentiment d’injustice ne peut que prospérer.

L’action de groupe à la française vise à répondre à ce défi en permettant à une entité habilitée de faire venir devant la justice l’auteur d’un manquement lorsque celui-ci porte préjudice à plusieurs personnes physiques qui se trouvent dans une situation similaire.

Cette voie procédurale présente un intérêt particulier dans le domaine de la lutte contre les discriminations, où les dispositifs existants, hélas, ne sont pas assez efficaces. En cette matière, la preuve est souvent difficile à établir si l’on ne parvient pas à donner au litige sa dimension collective.

Les discriminations ne sont pas seulement ressenties. Elles peuvent et doivent être objectivées, comme elles l’ont par exemple été grâce aux travaux du Défenseur des droits. Dans son rapport pour l’année 2014, cette autorité indépendante fait état de 4 535 réclamations se rapportant à des discriminations, la plupart au travail. Cependant, tous les champs de la vie quotidienne sont concernés, qu’il s’agisse de l’accès aux biens et aux services, y compris publics, de l’accès à l’éducation ou encore de l’accès au logement.

Or, le principe d’égalité inscrit dans la Déclaration des droits de l’homme de 1789 et au fronton de la République ne doit pas rester théorique. Il doit être effectif et concret.

C’est pourquoi l’instauration d’une action de groupe pour lutter contre les discriminations constitue un engagement fort du Président de la République, que le Premier ministre a inscrit dans le plan d’action contre le racisme et l’antisémitisme présenté au mois d’avril.

Cet engagement, vous le savez, est aussi porté avec détermination par la ministre de la justice dans son projet de loi relatif à la justice du 21e siècle, qui vise notamment à instaurer une action de groupe en matière de lutte contre les discriminations.

Ce projet et cette proposition de loi poursuivent ainsi un objectif commun : lutter sans relâche contre les discriminations et introduire un dispositif d’action de groupe en ce domaine.

Le Gouvernement souhaite que les travaux et les échanges se poursuivent, afin de faire converger les solutions envisagées par l’exécutif et celles proposées par les parlementaires. Ce n’est qu’à cette condition que nous parviendrons à bâtir un dispositif à la fois efficace, cohérent et solide juridiquement.

Ce travail a d’ores et déjà commencé en commission, notamment grâce à l’ouverture du dispositif d’action de groupe au juge administratif. Cette évolution est essentielle, car l’État se doit d’être exemplaire en matière d’égalité des citoyens.

Des équilibres ont été trouvés et d’autres sont encore à rechercher, s’agissant notamment des discriminations au travail, dont les spécificités ont été fortement mises en lumière dans le rapport élaboré par le groupe de travail sur la lutte contre les discriminations dans l’emploi, remis aux ministres Christiane Taubira, François Rebsamen et Patrick Kanner le 19 mai dernier.

L’entreprise présente en effet de fortes spécificités qui doivent trouver une réponse adaptée dans la procédure d’action collective qui sera instituée. Je pense en particulier à la place des organisations syndicales dans cette procédure, qui doit être pleinement reconnue, et à l’utilité d’un dialogue social renforcé sur ce sujet au sein de l’entreprise pour faire cesser la discrimination avant de recourir au juge.

La fin des discriminations doit être l’objectif poursuivi : il ne s’agit pas de permettre à l’employeur d’« acheter » le droit de discriminer, mais bien de l’obliger à cesser les pratiques de discrimination que nous ne pouvons tolérer.

Le chemin parcouru est important, et je remercie une nouvelle fois le rapporteur et la commission pour les fructueux échanges qu’ils ont eus avec le Gouvernement, dont on ne peut que souhaiter qu’ils se prolongent dans les semaines et les mois à venir.

Mesdames et messieurs les députés, l’action de groupe qu’il nous revient de construire ensemble n’a qu’un seul objectif : faire respecter l’idéal d’égalité républicaine, idéal dont je ne doute pas un seul instant qu’il guidera nos travaux.

Il s’agit bien d’une approche de modernisation et de progrès social. Car il existe aujourd’hui de nouvelles formes d’inégalité. Les discriminations qui sont aujourd’hui décrites montrent que pour atteindre notre objectif d’égalité réelle, il faut des moyens nouveaux et adaptés.

De ce point de vue, vous avez souligné votre ouverture d’esprit, monsieur le rapporteur, s’agissant de la question des discriminations dans l’entreprise – qui représentent une part importante des craintes et des aspirations suscitées par ce débat, mais qui ne doivent pas entraîner de stigmatisations…

Au total, faire progresser l’idéal d’égalité et de reconnaître les droits d’un certain nombre de nos concitoyens qui ne se retrouvent pas dans le fonctionnement de différentes institutions de notre société constitue une démarche de progrès social et permet de libérer des énergies trop souvent contenues. Les exemples abondent, en effet, de personnalités de talent que notre société, en d’autres temps et encore aujourd’hui, n’a pas été capable d’intégrer dans ses potentialités, des personnalités qui doivent parfois partir à l’étranger pour se réaliser pleinement. C’est donc une démarche d’égalité et de progrès, mais aussi de liberté, qui nous permettra, ensemble, de créer davantage de richesses et de renforcer la cohésion sociale. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, du groupe écologiste et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Bruno Le Roux.

M. Bruno Le Roux. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, chers collègues, je ne sais pas s’il y a une hiérarchie dans l’injustice, mais la discrimination fait certainement partie de ces injustices les plus pénibles à vivre, en ce sens qu’elle peut être lancinante, répétée, et qu’elle laisse souvent celles et ceux qui en sont victimes humiliés, stigmatisés, impuissants, démunis et surtout esseulés.

Il n’est que d’écouter leurs témoignages : le plus souvent, ils se sentent salis, mis en cause dans leur identité, ne comprenant pas et peinant à réagir.

La discrimination laisse non seulement un sentiment amer chez celles et ceux qui en sont victimes, mais, au-delà des victimes, elle entame dans la société toute entière la promesse de l’égalité républicaine.

Au final, chaque acte discriminant fait deux victimes : la personne discriminée, qui voit sa propre estime d’elle-même entamée, et la société toute entière, qui voit s’éroder la cohésion sociale et monter les rancœurs collectives.

De la refondation de l’école, qui vise à donner les mêmes chances aux enfants, à la parité hommes-femmes, en passant par les nouveaux droits sociaux – le compte pénibilité par exemple –, l’action que nous conduisons depuis maintenant trois ans suit la même orientation : concrétiser les lois qui renforcent l’égalité dans la vie réelle.

L’action de groupe que nous vous proposons est une étape importante dans ce combat. Créée avec la loi consommation, puis élargie au secteur de la santé, elle donne aux citoyens la possibilité de saisir collectivement la justice pour faire respecter les lois qui interdisent les discriminations liées à l’emploi, au logement et aux services. Elle vise à briser l’esseulement des victimes pour les conduire à faire valoir leurs droits.

Aujourd’hui, une victime sur deux n’engage aucune action en justice. C’est trop long, trop compliqué, trop cher. Le plus souvent, elles abandonnent les poursuites, « laissent tomber » et essayent de vivre avec – seules.

Ce n’est pas satisfaisant, car l’injustice, alors, n’est pas reconnue ; elle n’est pas réparée, elle n’est pas condamnée. La victime reste victime, y compris à ses propres yeux, et la société ne progresse pas. Celle-ci conserve ses stéréotypes, ses préjugés, ses archaïsmes. De facto, elle admet cette violence faite à certains individus, mais également aux principes et au droit. C’est ce que nous voulons éviter à travers cette proposition de loi.

Vous le savez, mes chers collègues, les textes ne manquent pas qui interdisent et répriment les discriminations. Pourtant, celles-ci demeurent importantes, particulièrement dans les domaines qui nous intéressent aujourd’hui. Il importe donc non pas de prévoir de nouvelles incriminations, mais d’assurer une pleine effectivité à celles qui existent, afin de faire progresser le respect du principe constitutionnel d’égalité.

L’action de groupe élargie au domaine de la lutte contre les discriminations y contribuera. Les exemples étrangers montrent l’efficacité de la mesure et son impact sur le niveau des discriminations. Elle peut constituer une arme de réparation massive, mais surtout, nous l’espérons, une arme de dissuasion massive. Car c’est ce que nous voulons avant tout : que les discriminations diminuent jusqu’à cesser définitivement dans notre pays.

Que l’on gagne autant lorsque l’on est une femme, à compétence égale. Que l’on obtienne un logement, à revenu égal, que l’on soit blanc ou noir de peau. Que l’on dispose des mêmes droits, des mêmes services, que l’on soit homosexuel ou hétérosexuel. Et je pourrais continuer la liste…

Lors de la campagne présidentielle, le candidat François Hollande avait pris un autre engagement, qui portait le numéro 30. Il était ainsi formulé : « Je lutterai contre le délit de faciès dans les contrôles d’identité par une procédure respectueuse des citoyens et contre toute discrimination à l’embauche et au logement ». Avec cette proposition de loi, nous répondons à une partie de cet engagement. Mais nous devons nous interroger sur la façon dont nous pourrions compléter cet engagement, notamment en menant une réelle politique de prévention des contrôles dits au faciès.

Mes chers collègues, je suis un élu de la Seine-Saint-Denis. Je vois beaucoup de jeunes et je rencontre de nombreux responsables associatifs. Les contrôles d’identité multiples, que l’on appelle les contrôles au faciès, constituent une réalité que nous ne pouvons nier. Il ne s’agit pas ici de stigmatiser certaines équipes de police, mais ne nous voilons pas la face devant une réalité qui discrimine des jeunes et nuit à l’égalité et à la cohésion républicaine.

Je souhaite que nous avancions collectivement sur cette question, afin de mettre fin à ces pratiques et de restaurer un lien de confiance si essentiel dans notre République.

J’ai le sentiment, mais peut-être ne sommes-nous pas si difficiles à convaincre les uns et les autres, que tout ce qui peut demain permettre à la République de s’affirmer, à travers la lutte contre les discriminations, ne coûte pas cher à notre pays et a de surcroît une vertu d’exemple. Cela montre en effet que nous sommes capables de nous rassembler autour de l’essentiel : faire en sorte que la devise de la République ne soit pas uniquement une proclamation, mais se traduise par des actes concrets du quotidien. Et je serai fier, monsieur le rapporteur, monsieur le secrétaire d’État, si dans quelques heures, nous pouvons inscrire dans la loi un acte concret en votant cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Zumkeller.

M. Michel Zumkeller. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, qu’elles sévissent dans le domaine du logement, des services ou de l’emploi, les discriminations sont persistantes dans nos entreprises, omniprésentes au sein de la société française.

Qu’elles soient fondées sur l’origine nationale, ethnique, raciale ou religieuse, sur le handicap, l’apparence physique, ou qu’elles se traduisent par l’inégalité salariale en défaveur des femmes, les discriminations sont nombreuses et mettent à mal notre pacte social.

À titre d’exemple, ainsi que le souligne le rapport de la commission, une étude de l’INSEE de janvier 2011 démontre que les Français ayant au moins un parent originaire du Maghreb connaissent un taux d’emploi inférieur de 18 points à ceux dont les deux parents sont français de naissance.

L’inégalité salariale entre les femmes et les hommes est également un problème lancinant. Voilà plus de quarante ans, avec la loi du 22 décembre 1972, que la France a commencé son long chemin vers l’égalité des rémunérations. Au fil des années, les initiatives en la matière ont été nombreuses. Si certaines ont permis des avancées nettes et concrètes, d’autres sont restées en deçà des enjeux. Mais aujourd’hui, après quarante ans d’actions, une femme gagne toujours en moyenne 25 % de moins qu’un homme à compétence égale.

Ces injustices sont pourtant réprimées par le droit. Les auteurs de discriminations encourent des peines pouvant atteindre trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende.

Pourtant, ainsi que l’indique le rapport de la commission, une enquête commanditée par le Défenseur des droits révèle que près de la moitié des personnes ayant vécu une discrimination n’engagent aucune action.

L’incertitude des actions, les difficultés d’administration de la preuve, la longueur des procédures peuvent expliquer ce silence des victimes, qui conduit à laisser impunis les auteurs de discriminations.

La persistance de ces inégalités révèle la difficulté pour les pouvoirs publics de mettre un terme à ces injustices.

Bien évidemment, lutter contre ces inégalités et empêcher qu’une catégorie minoritaire soit systématiquement défavorisée constituent des priorités d’ordre public. En cela, l’objectif poursuivi par le texte est tout à fait louable et nous le partageons.

Pour autant, le mécanisme de l’action de groupe est-il la bonne solution ?

Nous craignons en effet que les actions de groupe, en simplifiant la procédure, ne multiplient les contentieux, imposent aux entreprises des contraintes supplémentaires et introduisent une judiciarisation excessive.

Le rapport d’information des sénateurs Esther Benbassa et Jean-René Lecerf, qui évoque l’éventualité d’introduire dans notre droit un recours collectif en matière de discriminations, en a aussi reconnu les limites.

Le rapport souligne ainsi une difficulté qui tient à la spécificité même du contentieux de la discrimination, par nature très subjectif. Je le cite : « Un recours collectif implique que soient définis les critères de rattachement au groupe qui permettront en un second temps d’examiner au cas par cas la recevabilité à se joindre à l’action de chaque cas d’espèce. Dans la mesure où un même fait discriminatoire peut avoir des conséquences différentes selon les victimes, la définition des critères de rattachement au groupe peut s’avérer très complexe ».

Il sera ainsi difficile de démontrer que les personnes sont placées « dans une situation similaire ou identique », selon les termes employés à l’article 1er de la proposition de loi.

Une seconde difficulté tient à son articulation avec le régime probatoire aménagé en faveur du demandeur. Le rapport note ainsi que « Dans la mesure où il appartient au défendeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, il doit pouvoir connaître chacune des victimes pour procéder à cette démonstration au cas par cas. Ainsi, il faudrait procéder à l’examen de recevabilité de chacun des cas de personnes souhaitant se joindre à l’action de façon à mettre en capacité le défendeur de l’écarter s’il justifie d’éléments objectifs démontrant l’absence de discrimination ».

La mise en œuvre de cette procédure présente donc d’importantes difficultés.

Nous considérons en outre qu’elle n’est pas l’unique solution envisageable.

En effet, les procédures de résolution des conflits internes à l’entreprise devraient être privilégiées, sous peine d’instaurer une judiciarisation excessive.

Par ailleurs, la lutte contre les discriminations devrait commencer par une amélioration de la traçabilité et de la transparence des procédures de recrutement et par un enrichissement du bilan social au moyen d’indicateurs de l’évolution des carrières et des rémunérations. En effet, le fait d’annoncer le plus précisément possible les critères déterminants pour le recrutement peut limiter le risque de discrimination et l’arbitraire ressenti par les candidats.

Enfin, de nombreuses préconisations ont été formulées afin de lutter contre les discriminations, et certaines initiatives méritent d’être encouragées, notamment les actions volontaires des entreprises visant à lutter contre les discriminations. De nombreuses entreprises ont signé des accords collectifs afin d’accroître la diversité en leur sein et d’améliorer l’intégration de tous les salariés quelles que soient leurs spécificités. En outre, le label diversité, créé en 2008, rend compte du respect par l’entreprise d’un certain nombre de dispositifs témoignant de ses bonnes pratiques en matière de diversité. La notion de territoire d’excellence favorise la signature de conventions pour l’égalité professionnelle avec les régions. Ne devrait-on pas avant tout faire en sorte que ces bonnes pratiques se développent ? Le rapport remis en décembre 2013 par Mme Laurence Pécaut-Rivolier, intitulé « Lutter contre les discriminations au travail : un défi collectif », évoque ainsi la nécessité de rationaliser mieux encore les dispositifs existants, tout en évitant deux écueils majeurs : le risque de faire peser des contraintes supplémentaires sur les entreprises et celui de faire naître une sorte de marché de la lutte contre les discriminations.

D’autres pistes d’amélioration des mécanismes existants pourraient être envisagées, telles que l’ouverture de la saisine du Défenseur des droits aux syndicats, l’anonymisation des preuves sur ordre du juge pour en faciliter l’accès, ou encore l’amélioration de la transmission des informations entre les différents acteurs. Il me semble que nous devrions en priorité explorer ces différentes voies afin de lutter contre les discriminations. Enfin, l’objectif de la proposition de loi consistant à lutter contre les discriminations contredit la récente abrogation de la loi de 2006 généralisant le CV anonyme dans les entreprises de plus de cinquante salariés. Si la lutte contre les discriminations est un objectif que nous ne cesserons de poursuivre, nous estimons que la solution proposée ici n’est pas la bonne. Le groupe UDI votera donc contre la proposition de loi.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Gosselin.

M. Philippe Gosselin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, cher Razzy Hammadi, chers collègues, les députés Républicains partagent le diagnostic de M. le rapporteur et l’objectif de lutte contre les discriminations dans l’entreprise, les administrations et l’accès au logement. Je le fais observer avec plaisir, car ce n’est pas toujours le cas ! Nous partageons sans aucune ambiguïté la blessure, l’amertume et l’isolement des victimes de cette forme d’injustice. Sans doute, les discriminations abîment la République et l’idéal qu’elle incarne. Pour autant, cela ne nous empêche pas de nous demander si le principe de l’action de groupe est le meilleur moyen d’atteindre cet objectif – cela vaut du reste pour d’autres mesures. Est-il bon de légiférer ici et ainsi ?

Prenons l’exemple du CV anonyme. Il devrait être obligatoire depuis 2006, mais sa généralisation dans les entreprises de plus de cinquante salariés n’est jamais entrée en vigueur faute de décret, et la mise en garde du Conseil d’État n’y a rien fait. Le Gouvernement a donc récemment annoncé l’abrogation de cette disposition. Ainsi, même avec les meilleures intentions, il n’est pas toujours bon de légiférer. Or la proposition de loi qui nous est présentée, malgré son objectif plus que louable, laisse dubitatif si l’on se penche sur l’application concrète du dispositif. Premièrement, en l’absence de statistiques ethniques ou de statistiques relatives à l’appartenance religieuse, comment faire fonctionner le régime de la preuve dès lors que les situations individuelles doivent être appréhendées comme un ensemble ?

Deuxièmement, même si la majorité a hurlé au loup à l’évocation de cette réserve en commission, ne court-on pas un risque de communautarisation de la société en donnant qualité pour agir à des associations de lutte contre les discriminations, dont certaines pourraient le cas échéant instrumentaliser le dispositif ? D’ailleurs, afin de faire avancer le débat, j’ai déposé un amendement à l’article 1er proposant que l’État donne un agrément formel. Le sujet a été abordé tout à l’heure par M. le rapporteur, et nous y reviendrons au cours de la discussion. Il s’agit d’ailleurs d’une proposition que nous avions formulée il y a quelques années dans un rapport sur l’accès au droit.

Même si vous contestez que le risque de communautarisme est accru, chers collègues de la majorité, vous savez bien que les actions de groupe sont inspirées, pour ne pas dire importées, du modèle multiculturel anglo-saxon. En multipliant les actions de groupe en matière de consommation ou en matière médicale, comme le prévoit le projet de loi santé en cours de discussion, on judiciarise de plus en plus notre droit, on l’« anglo-saxonise », si vous me passez l’expression, et il me semble qu’on abandonne ainsi tout un pan de notre droit continental, car qui tient le droit et la pensée juridique tient le monde !

Vous n’avez pas eu l’air d’apprécier les propos de Malika Sorel cités en commission, cela ne nous a pas échappé. Je citerai donc aujourd’hui Laurent Bouvet, membre élu du conseil national des universités et directeur de l’observatoire de la vie politique de la fondation Jean Jaurès, homme de gauche s’il en est, que je citerai surtout à ce titre. Il relève très clairement trois difficultés soulevées par l’action de groupe.

Selon lui, « cette source d’inspiration américaine, et la volonté de transposer dans le droit français ce type d’action pour des raisons de discrimination, soulèvent plusieurs problèmes. D’abord, la question de la frontière entre droit civil et droit pénal, puisque les actions de groupe relèvent du droit civil alors que le traitement de la discrimination relève d’abord du droit pénal – la discrimination étant avant tout une atteinte à la personne, et ensuite seulement un dommage envers son intérêt. Ensuite, celle de la détermination précise des populations concernées, rendue possible aux États-Unis grâce à la catégorisation ethnique et raciale de la population par le recensement, ce qui n’est évidemment pas le cas en France. Enfin, parce que la possibilité donnée à des associations prétendant « représenter » des groupes en fonction de tel ou tel critère identitaire (ethno-racial, orientation sexuelle, caractéristiques physiques…) d’intenter ce type d’actions ouvre la porte à toutes sortes de dérives et manipulations ». On ne saurait être plus explicite ni mieux démontrer les préventions existantes !

Par ailleurs, au-delà de ces considérations, la proposition de loi me semble prématurée à plus d’un titre. Premièrement, nous n’avons aucun recul sur l’action de groupe en général, ni en matière de consommation ni dans le domaine médical. Il nous semble donc hasardeux de multiplier les dispositifs avant d’en avoir eu le moindre retour d’expérience. J’en parle d’autant plus volontiers que j’ai cosigné en 2011 avec George Pau-Langevin, qui a mal tourné puisqu’elle est entrée au Gouvernement, un excellent rapport d’information de la commission des lois – c’est bien évidemment à Mme Pau-Langevin que j’envoie des lauriers – relatif à l’amélioration de l’accès au droit. Nous y préconisions ensemble l’autorisation de nouveaux modes d’accès à la justice, en particulier l’action de groupe, formule à laquelle je ne suis donc pas du tout hostile.

En revanche, nous avions insisté à l’époque, et cela me semble toujours valable, sur la nécessité de la cantonner d’abord à la consommation avant de l’étendre à d’autres domaines. Je trouve donc dommage de ne pas attendre le bilan d’application de la loi consommation annoncé pour la fin du mois de juin. Y a-t-il à ce point urgence à légiférer aujourd’hui, alors que nous aurons dans quelques semaines des éclaircissements très concrets ? En outre, par-delà la contestation du principe même de l’action de groupe, même si l’on accepte l’idée de l’appliquer aux discriminations, on peut s’interroger sur les modalités retenues. Je ferai ici appel à plusieurs experts ayant récemment fait part de leur point de vue. Ils pointent la difficulté d’application concrète de l’action de groupe en matière de discrimination et privilégient des solutions distinctes de celles qui sont effectivement mises en œuvre par la proposition de loi.

La solution retenue ne fait donc pas l’unanimité, tant s’en faut, même parmi ceux qui militent pour une réponse législative – dont je ne suis pas. Je citerai trois rapports datant de 2013, 2014 et 2015, donc récents. Le premier a été rendu en 2013 à un trio important constitué de M. le ministre du travail, Mme la ministre des droits des femmes et Mme la ministre de la justice. Difficile de faire mieux ! L’auteur du rapport, Mme Laurence Pécaut-Rivolier, préconise que le juge intervienne « pour demander qu’il soit mis fin aux discriminations, en ne sanctionnant leurs auteurs qu’en cas de refus de donner suite à ces injonctions », sans « vocation indemnitaire ». En vue d’améliorer la résorption des discriminations collectives, la juridiction civile doit pouvoir être saisie par les organisations syndicales représentatives dans le périmètre concerné par la situation de discrimination collective, à l’échelle nationale ou à celle de la branche, et par le procureur de la République.

Le deuxième rapport est plus proche de nous et date de la fin de l’année dernière. Le rapport sénatorial de nos collègues Esther Benbassa et Jean-René Lecerf sur les discriminations, intitulé « De l’incantation à l’action », s’inquiète des obstacles sérieux à l’application du dispositif et souligne que « l’introduction d’un recours collectif en matière de discrimination soulève certaines difficultés ». La première « tient à la spécificité même du contentieux de la discrimination, par nature très subjectif », alors même qu’il faut à la justice des éléments objectifs pour statuer.

Enfin, le dernier rapport a été rendu le 19 mai dernier et émane d’un groupe de travail mis en place par les ministères du travail, de la ville et de la justice. Il avance dix-huit propositions, dont treize ont été reprises par le Gouvernement. Il signale l’impossibilité d’agir à laquelle se heurtent certaines associations ayant un intérêt à le faire. Néanmoins, lors de la présentation du rapport, le ministre Rebsamen a affirmé qu’il est « nécessaire de prendre en compte les spécificités du monde du travail en réaffirmant le rôle central des partenaires sociaux dans la lutte contre les discriminations dans l’emploi. C’est pourquoi le nouveau recours placera les syndicats en première ligne. Il s’agit également de donner la priorité au dialogue social sur la voie contentieuse ».

Il y a donc bien un flottement sur ce sujet ! Même si quelques éléments de réponse ont été avancés tout à l’heure, je me permets donc d’interroger M. le rapporteur et le Gouvernement sur leurs intentions véritables, honnêtement et sans aucune polémique. Qui doit-on croire ? À qui accorder du crédit ? Qui aura le dernier mot ? Le ministre Rebsamen ? Vous, monsieur le secrétaire d’État, qui avez pris la parole il y a quelques instants ? Mme la garde des sceaux ? La majorité parlementaire ? J’ai vraiment le sentiment, soit dit sans chercher aucune polémique, que les positions ont beaucoup varié. Pour parler un peu trivialement, accordez vos violons afin qu’on y voie clair ! En conclusion, dans l’attente de réponses plus précises à ces diverses interrogations, et en rappelant combien nous souscrivons au diagnostic et à l’objectif de lutte contre les discriminations, ce qui n’est pas toujours le cas, le groupe Les Républicains ne votera pas la proposition de loi tant que ces interrogations ne seront pas levées. Nous verrons comment améliorer le texte au moyen des amendements, s’il devait malgré tout prospérer. Nous partageons le diagnostic et les objectifs, chers collègues socialistes, mais les moyens nous opposent ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise à instaurer une action de groupe en matière de discriminations et de lutte contre les inégalités. Comme vous l’avez rappelé lors de la séance de questions au Gouvernement, monsieur le rapporteur, il s’agit de s’attaquer à un fléau qui mine notre pacte social. La proposition de loi permettra à toute personne victime d’une discrimination liée à son genre, son orientation sexuelle, son handicap ou son origine ethnique de se regrouper avec d’autres en vue de mettre en cause une personne morale ou physique. Si une condamnation est prononcée, toute personne estimant avoir subi un préjudice similaire aura six mois pour se faire connaître et demander en conséquence des dommages et intérêts.

Le texte prévoit un filtre, un peu rigide à mon sens, en imposant aux victimes de passer par l’intermédiaire d’associations enregistrées depuis au moins cinq ans ou par des organisations syndicales pour lancer l’action afin d’éviter les recours abusifs ou dilatoires, selon l’argument avancé en commission. Je rappelle ici qu’une proposition similaire avait été déposée le 25 juillet 2013 au Sénat par ma collègue Esther Benbassa au nom du groupe écologiste. Elle avait pour objet d’instaurer une procédure de mise en cause des entreprises et administrations pratiquant la discrimination systémique. La proposition du groupe écologiste au Sénat, plus libérale, a été retirée sous l’amicale pression du Gouvernement, inquiet d’un dispositif nécessitant une loi organique en raison du rôle central conféré au Défenseur des droits.

Surtout – je crois que c’est un point important – elle permettait aux victimes de se constituer en association pour déposer un recours collectif.

Chers collègues, la création, dans notre pays, d’un mécanisme de recours collectif en matière de lutte contre les discriminations est nécessaire. En effet, les nombreuses discriminations appellent de la part du législateur et des pouvoirs publics une action volontaire, ferme et déterminée permettant de mettre fin à la pratique discriminatoire, de réparer les préjudices subis par les victimes, et de sanctionner, si nécessaire, cette pratique.

C’est dans cette optique que les ministères du travail, de la justice, et des droits des femmes avaient chargé Mme Laurence Pécaut-Rivolier, conseillère à la Cour de cassation, d’examiner les moyens permettant de mieux lutter contre les discriminations au travail. Comme cela a été rappelé par deux orateurs précédents, ce rapport, remis le 17 janvier 2014, reconnaît l’importance des discriminations au travail, évoque notamment un possible renforcement des pouvoirs des prud’hommes et préconise des actions collectives menées par les syndicats – qui n’auraient toutefois pas vocation à permettre l’obtention d’une indemnisation.

Le 19 mai 2015, après sept mois de travail, un groupe de dialogue, également interpartenaires, composé de représentants patronaux, syndicaux et associatifs et présidé par Jean-Christophe Sciberras, ex-patron de l’Association nationale des directeurs des ressources humaines, a publié, pour sa part, un rapport énonçant dix-huit propositions pour lutter contre les discriminations en entreprise. Parmi les pistes étudiées, le rapport soutient la création d’actions de groupe contre les employeurs fautifs en faveur de toute partie ayant intérêt à agir, une fois qu’a été constatée l’absence d’un processus de dialogue social sur ce thème. Le cas échéant, le rapport préconise l’action des associations et des organisations syndicales en cas de discriminations lors du recrutement et l’action des organisations syndicales en cas de discriminations dans la carrière et l’emploi. Ce rapport préconise également de mieux former les cadres sur ces questions, tout en rejetant, malheureusement, la piste du CV anonyme obligatoire.

Rappelons qu’aujourd’hui les dispositions en vigueur, en particulier celles de la loi du 27 mai 2008, protègent tout salarié, tout candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise contre les discriminations au travail. Les salariés témoins ou ayant relaté des agissements discriminatoires ne peuvent pas non plus être sanctionnés, licenciés ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire.

En somme, chers collègues, au-delà des divergences d’approche, ces rapports montrent que les moyens juridiques mobilisés depuis quelques années déjà pour réprimer les discriminations et encourager l’évolution des comportements sont très loin d’avoir atteint leurs objectifs. Nul ne conteste la difficulté de construire un outil normatif efficace, mais comme je l’ai souligné en commission des lois, il faut avancer, et le recours collectif – ou ce que le droit américain nomme les « class actions » – ne doit pas conduire à utiliser la grosse ficelle, que je viens d’entendre, consistant à qualifier une proposition d’ « américaine » pour la décrédibiliser ou dénoncer une dérive communautariste. La possibilité du recours collectif, je le rappelle, existe aux États-Unis depuis 1938. Des personnes s’estimant victimes d’un préjudice commercial, environnemental, social ou encore sanitaire peuvent déposer plainte de façon collective depuis déjà des décennies. Il faut dire que ce dispositif nord-américain a permis de sanctionner judiciairement des faits dont l’ampleur financière n’aurait pas, à défaut d’existence de cette procédure, justifié un recours, et a surtout facilité l’accès au droit dans des matières techniques où chaque victime, considérée séparément, n’avait pas les capacités d’intenter un recours.

L’initiative dont nous discutons est le fruit d’un grand travail, en particulier de celui qui a été entrepris par Louis-Georges Tin, président du Conseil représentatif des associations noires de France – le CRAN –, que je tiens à saluer ici. Plusieurs arguments plaident en faveur de ces recours collectifs : d’abord, l’accès au droit des victimes, dans un domaine contentieux déjà très technique ; les faits exigent la présentation d’éléments concrets et nécessitent d’établir la preuve d’une discrimination. Trouver une association qui ait la capacité technique d’engager ce type de contentieux, parfois face aux plus grands cabinets d’avocats en défense, demeure difficile. D’ailleurs, le Défenseur des droits a souligné, dans son avis publié le 2 juin 2015 – je l’avais rappelé en commission – que les capacités techniques des associations à entreprendre et à superviser les enjeux stratégiques de contentieux de cette ampleur sont très lacunaires. Il existe également un argument économique : se lancer dans une procédure judiciaire coûte souvent cher.

Cette procédure renforcera donc la démocratisation de la justice et permettra de gérer des contentieux de masse sans encombrer les juridictions. De plus, de par la publicité qui y sera attachée et le risque financier qu’elle sera susceptible de représenter pour les auteurs de discriminations, l’existence d’une action de groupe pourra, à elle seule, dissuader – du moins, je l’espère – la poursuite de pratiques discriminatoires et inciter à davantage d’égalité.

Le groupe écologiste a déposé quelques amendements sur ce texte, notamment un amendement permettant à un groupe d’individus d’introduire collectivement une action de groupe, ce qui éviterait de limiter cette procédure aux associations existant depuis plus de cinq ans ou aux syndicats représentatifs. En effet, contrairement aux questions de consommation, qui sont suivies par plusieurs grandes associations, les discriminations peuvent être de nature très diverse – cela a été rappelé – et ne sont pas toutes couvertes par une association existant depuis plus de cinq ans. Ce filtre constitue donc un frein à certaines actions de groupe. Par ailleurs, les jugements s’effectuant en plusieurs phases, il n’est pas nécessaire d’instaurer une restriction pour dissuader des actions fantaisistes. Cet amendement n’a pas été retenu en commission des lois. Pourtant, le Défenseur des droits préconisait également, dans son avis, l’ouverture de ces recours collectifs aux nouveaux acteurs et aux nouvelles formes de mobilisation se réunissant pour les besoins de l’action. Cela est d’autant plus justifié que pendant longtemps, les organisations syndicales n’ont pas fait de la lutte contre les discriminations un objectif prioritaire dans les entreprises. Nous espérons que le projet de loi Justice du 21e siècle, en préparation à la Chancellerie, précisera également le poids respectif des associations et des syndicats dans la procédure.

Un autre amendement du groupe écologiste a pour objet d’autoriser le juge à ordonner toute mesure d’instruction, au-delà de la simple communication d’une pièce par le défendeur. Le rapporteur avait relevé en commission des lois la pertinence que pouvait revêtir cette disposition devant les tribunaux administratifs.

Enfin, un amendement visant à inclure deux garanties prévues par la loi sur la consommation et par l’article 45 du projet de loi de modernisation de notre système de santé a reçu l’avis favorable du rapporteur : l’une permettrait au requérant de s’appuyer sur un membre d’une profession judiciaire réglementée pour recueillir les demandes, l’autre conférerait au juge la possibilité d’attribuer une provision à la charge du défendeur pour les frais qui ne seraient pas couverts par les dépens.

Monsieur le rapporteur, nous apporterons, vous le savez, notre soutien à ce texte, que nous jugeons utile et nécessaire, car la proposition de loi que vous présentez va dans le sens de l’amélioration de l’État de droit. Ce texte a le mérite d’accélérer la justice et de fédérer les moyens des justiciables, d’autant plus que, selon une enquête du Défenseur des droits et du Bureau international du travail publiée en 2013, près de la moitié des victimes de discriminations n’engagent pas de poursuites dans le système actuel.

Chers collègues, la lutte contre les discriminations a toujours reçu l’appui des écologistes. De fait, nous avons soutenu la mise en place du récépissé des contrôles au faciès, comme l’a rappelé tout à l’heure notre collègue Le Roux, ainsi que le CV anonyme. Des engagements passés, malheureusement, il ne reste plus que votre texte. Nous sommes donc heureux de pouvoir apporter notre soutien au seul engagement qui pourra être tenu.

M. Razzy Hammadi, rapporteur. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Lambert.

M. Jérôme Lambert. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui, qui instaure une possibilité d’action de groupe en matière de discriminations et de lutte contre les inégalités, a pour objet d’apporter des solutions plus adaptées à ces injustices, qui sont encore, la plupart du temps, passées sous silence. Cette proposition de loi prend en compte les discriminations dans leur globalité ; elle ne vise pas à sanctionner les comportements discriminatoires individuels, qui le sont déjà dans le droit positif. De plus, si ce texte a pour objet de sanctionner les pratiques discriminatoires, il s’inscrit également dans une démarche de responsabilisation des structures, afin de les associer à la lutte contre les inégalités.

Trois raisons principales expliquent les difficultés à agir auxquelles se heurtent les victimes de discriminations : la question du type d’action à conduire, l’administration de la preuve et la longueur des procédures, sachant que les discriminations touchent principalement trois domaines, au cœur de la vie quotidienne : le logement, les services et l’emploi. Selon un récent rapport de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité – la HALDE –, deux tiers des saisines qui lui sont adressées concernent la discrimination à l’emploi. Au-delà de ces seules saisines, les statistiques démontrent très bien cet état de fait : le taux d’emploi des Français ayant au moins un parent originaire du Maghreb reste inférieur de 18 % au taux d’emploi de ceux dont les deux parents sont français de naissance. Cette statistique démontre l’ampleur du questionnement et l’importance des phénomènes discriminants.

De même, les disparités dont les femmes sont victimes dans l’emploi, en particulier en ce qui concerne le montant de la rémunération perçue, sont, elles aussi, très marquées, puisqu’à travail égal, elles perçoivent, en moyenne, une rémunération inférieure de 15 % à celle des hommes. Les sources de discrimination ne s’arrêtent pas là : le handicap, l’aspect physique ou même l’adresse sont souvent cités. En effet, les plaintes répétées d’un nombre important de personnes victimes de discriminations dans leur vie quotidienne en raison de la consonance étrangère de leurs nom ou prénom, ou du fait de leur aspect physique, sont légion.

Bien que les discriminations directes et indirectes soient déjà prohibées par la loi du 27 mai 2008, les inégalités persistent. Les victimes de discriminations n’engagent pas toutes une action en justice, et si action il y a, le nombre de décisions judiciaires prononcées en faveur des victimes reste limité. De fait, si certains comportements discriminatoires sont sanctionnés par la loi, force est de constater que les discriminations perdurent, car le plus souvent, les personnes victimes restent encore silencieuses et n’engagent pas d’action. Cette proposition de loi vise donc à briser le silence, et par là même, à corriger les comportements en permettant de sanctionner les auteurs de discriminations à grande échelle par le mécanisme de l’action de groupe.

Notre devise républicaine proclame l’égalité des citoyens ; les inégalités qui existent en fait ne peuvent être fondées, comme le dispose la Déclaration des droits de l’homme, que sur « l’utilité commune ». Le fait de discriminer consiste donc à traiter négativement une personne, ou un groupe de personnes, en raison de critères interdits par la loi, par exemple la couleur de la peau, le sexe, les origines ethniques, les orientations sexuelles, le handicap.

Comme le prévoit la proposition de loi, nous devons, en matière de lutte contre les discriminations, prendre en compte de nombreuses situations et de multiples facteurs, tels que la discrimination volontaire ou involontaire, afin d’apporter à chacune de ces situations des réponses adaptées.

Le nombre de ces discriminations, qui doivent être corrigées sur le plan civil et aussi, si nécessaire, sur le plan pénal, peut sembler très important, mais très peu, comme on l’a dit, font véritablement l’objet de plaintes et encore moins de procédures, car dans bon nombre de situations, l’action individuelle a peu de chances d’aboutir. Il est donc tout à fait souhaitable et nécessaire d’autoriser des victimes potentielles d’un même fait répétitif à se regrouper pour parvenir à mieux établir l’administration de la preuve d’une réelle discrimination. En effet, lorsqu’une seule personne se plaint, le défendeur peut toujours tenter – ce qu’il fait souvent – de justifier son comportement vis-à-vis de la personne plaignante par des raisons extérieures au champ discriminatoire. En revanche, si plusieurs personnes sont tour à tour victimes de mêmes faits qui répondent à des critères de discrimination équivalents, la preuve de l’existence de cette discrimination peut être apportée. Cela rend alors possible une condamnation de l’auteur. L’action de groupe autorisée par cette proposition de loi répond donc au besoin de lutter plus efficacement contre des comportements condamnables, qui vont à l’encontre de notre pacte républicain.

Le principe de l’action de groupe existe déjà dans notre législation, et cette procédure existe aussi dans de nombreux autres États. En France, elle a été introduite par la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation. La proposition de loi dont nous discutons s’inscrit dans le prolongement de la réflexion et de l’action engagées depuis lors. L’action de groupe consiste ainsi en un recours juridique permettant à un groupe de personnes, morales ou physiques, connaissant une situation semblable, de poursuivre une autre personne morale ou physique, en vue d’obtenir la réparation d’un préjudice individuel. L’action de groupe en matière de lutte contre les discriminations, que nous examinons aujourd’hui, se place résolument sur le terrain de la responsabilité civile de l’auteur des faits ou, le cas échéant, de sa responsabilité administrative. C’est clairement la réparation des préjudices subis par les victimes qui est facilitée.

Cette proposition de loi n’ajoute aucune disposition pénale au droit actuel et ne modifie en rien la définition actuelle des discriminations. Elle ne crée aucune nouvelle incrimination pénale ni aucun nouveau régime de responsabilité. Ce qui est déjà répréhensible le reste, seules les voies de procédure suivies par les victimes vont évoluer, afin de permettre, à travers une logique indemnitaire et dissuasive, de lutter plus efficacement contre les discriminations.

Le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste est donc pleinement satisfait de la voie choisie par cette proposition de loi et la votera avec conviction, en espérant qu’elle contribuera à rendre nos comportements sociaux et humains plus respectueux des principes de notre République.

M. Romain Colas. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Dolez.

M. Marc Dolez. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, les discriminations systémiques sont aujourd’hui une réalité dont chacun doit prendre la mesure.

Plusieurs rapports publiés ces dernières années par les instances internationales en font état, à l’instar de celui du commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe de février dernier.

Ce constat est également dressé en France dans plusieurs études récentes. Toutes insistent sur le contraste entre la multiplication des règles visant à lutter contre les discriminations et la persistance, voire l’accroissement d’inégalités de toutes sortes et de pratiques discriminatoires à grande échelle. En résumé, de l’aveu même du défenseur des droits, l’échec est patent en matière de lutte contre les discriminations. L’arsenal répressif s’avère largement inopérant, une difficulté majeure résidant dans son caractère lourd, incertain, voire risqué.

Les personnes concernées ont en effet souvent du mal à considérer ce qui leur arrive comme de la discrimination et hésitent à s’engager dans des démarches lourdes, longues, coûteuses et incertaines. Comme le résume parfaitement le Défenseur des droits : « […] la recherche de l’efficacité juridique et l’exigence de défense des droits requièrent de franchir une étape pour dépasser l’isolement des victimes au bénéfice d’un dispositif de recours collectif débouchant sur des sanctions financières dissuasives. »

À vrai dire, l’opportunité d’introduire la notion d’action de groupe dans notre droit fait débat depuis plus de trente ans. Cette procédure a finalement été introduite dans les domaines de la consommation et de la concurrence par la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation et sera bientôt étendue aux produits de santé. Suivant la même logique, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui à l’initiative du groupe socialiste l’étend à la lutte contre les discriminations.

Elle prévoit ainsi qu’un syndicat représentatif ou une association de lutte contre les discriminations pourra agir devant le tribunal de grande instance ou le tribunal administratif pour obtenir une indemnisation des préjudices individuels subis par des personnes placées dans une situation similaire.

Le texte vise non pas les prises de position individuelles, dont chacun répond déjà devant la justice, mais les discriminations systémiques, qu’elles aient lieu dans les relations de travail, dans les rapports locatifs ou encore dans la vie courante.

Concrètement, les locataires refoulés par le même bailleur pourront par exemple se joindre à une même action de groupe, qu’ils aient été abusivement écartés en raison de leur origine ou sur le fondement de leur orientation sexuelle. De même, toutes les femmes d’une entreprise qui ont vu leur carrière stagner au moment de leur maternité ou tous les salariés handicapés qui perçoivent des salaires inférieurs à ceux de leurs collègues valides à poste égal pourront agir dans le cadre d’une action de groupe. L’action en justice pour discrimination intentée par 832 cheminots de nationalité ou d’origine marocaine qui affirment avoir été bloqués dans leur carrière par la SNCF aurait ainsi pu faire l’objet d’une action de groupe.

Que les pratiques discriminatoires émanent de personnes morales ou d’individus, de professionnels ou de particuliers, toutes les personnes physiques et morales coupables de discrimination sont susceptibles de faire l’objet d’actions de groupe afin que le préjudice subi par les victimes donne lieu à réparation.

À cet égard, nous nous félicitons de la modification intervenue en commission sur la détermination des juridictions compétentes, qui permet de viser également les personnes morales de droit public. De même, nous approuvons l’introduction de la procédure d’action de groupe simplifiée, ce qui ne peut qu’accélérer l’indemnisation des victimes.

En d’autres termes, cette proposition de loi réalise à nos yeux une avancée majeure, en ce qu’elle permet de passer d’une approche individuelle de la réparation à une approche collective en faveur de l’ensemble des victimes se trouvant dans une situation similaire. C’est une avancée majeure, car cette nouvelle voie contentieuse favorisera l’accès au droit et renforcera l’efficacité de la justice. Par son effet de masse et l’impact de la publicité d’une condamnation, elle aura aussi – nous le souhaitons – un effet dissuasif et préventif.

Bien entendu, l’action contre les discriminations ne peut se résumer à un volet répressif et juridique. Face à un phénomène qui touche au fondement même de notre pacte républicain, la volonté des pouvoirs publics doit être sans faille et s’accompagner de mesures concrètes et effectives, telles que l’amélioration de la formation des différents acteurs et l’information du public dès le plus jeune âge.

Pour toutes ces raisons, les députés du Front de gauche voteront résolument pour cette proposition de loi, qui constitue un outil indispensable à la lutte contre les discriminations. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Sébastien Denaja.

M. Sébastien Denaja. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’action de groupe n’a longtemps été qu’une vaine promesse. Aujourd’hui, grâce à la majorité et, disons-le, à la volonté du Président de la République, François Hollande, l’action de groupe devient une réalité.

Elle a d’abord été instaurée par la loi consommation, puis élargie au domaine de la santé. Enfin, la présente initiative parlementaire permettra de l’étendre à la lutte contre toutes les formes de discrimination.

À ce titre, je veux saluer la constance, la détermination, le volontarisme du rapporteur, Razzy Hammadi, car il a fait montre d’une force d’entraînement déterminante dans ce qu’il faut bien appeler un combat. Les discriminations sont en effet encore trop prégnantes dans notre société, alors qu’en république le respect de l’égalité des droits, de l’égalité devant la loi est la condition même du vivre ensemble.

Nous devons enfin passer de l’égalité formelle, celle des principes proclamés, à l’égalité réelle, celle des actes concrets. Telle est l’ambition de la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui.

Les discriminations ne sont pas une fatalité. La République, si elle veut garantir le vivre ensemble, doit les combattre, avec force, de toutes ses forces ; et j’ose espérer que toutes les forces politiques, à plus forte raison celles qui se proclament républicaines, soutiendront in fine ce texte. La gauche républicaine est quant à elle rassemblée, car cette proposition de loi adresse un message fort à toutes celles et tous ceux qui sont victimes de discriminations. Non, la République ne vous laissera pas tomber, car si elle proclame des droits, elle doit aussi donner à chaque citoyen la faculté de les faire valoir.

Ce qui empêche les victimes de porter plainte dans plus de 50 % des cas, comme le rappelait voilà quelques instants Sergio Coronado, c’est le désemparement, l’isolement ; que faire ? Comment réagir ? À qui s’adresser ? La crainte d’être seul dans un combat long et parfois coûteux finit souvent par décourager des victimes qui baissent les bras devant la lourdeur des démarches à entreprendre et qui, en fin de compte, acceptent l’inacceptable et tolèrent l’intolérable.

Nous ne voulons plus qu’une femme baisse la tête après avoir subi un nouvel acte sexiste ou de harcèlement sexuel sur son lieu de travail. Nous ne voulons plus qu’une femme ait à subir des discriminations à l’embauche ou en termes d’évolution de carrière en raison de son sexe. Nous ne voulons plus qu’un homme ou une femme voie son dossier de logement refusé pour la énième fois, ou sa demande d’entretien d’embauche laissée sans suite parce que son adresse postale est située dans un quartier dit « populaire ». Nous ne voulons plus que ces personnes n’aient d’autre choix que de s’accommoder de ces situations.

À ces femmes, à ces hommes nous voulons simplement dire qu’ils pourront enfin faire front commun, car ils auront la force du nombre en plus de la force de la loi, qu’ils auront enfin les moyens de faire triompher, en utilisant un nouvel instrument procédural. Car avec l’appui ou l’intervention d’une association ou d’un syndicat – je présenterai d’ailleurs, au nom du groupe socialiste, des amendements visant à ouvrir davantage cette possibilité d’intervention, notamment aux syndicats de fonctionnaires –, la force du nombre pourra enfin faire plier, quand elle n’aura pas en amont dissuadé, celles et ceux qui perpétuent des situations inacceptables et, surtout, illégales, en toute impunité.

Aucune situation de discrimination n’est justifiable, dans aucune sphère de la société, dans aucune démarche administrative ni aucune situation de la vie quotidienne. C’est pourquoi nous ne voulons pas renoncer à décourager les hors-la-loi, nous ne voulons pas renoncer à rétablir l’égalité des armes entre ceux qui ont une parcelle de pouvoir et ceux qui en sont dépourvus.

L’égalité doit pouvoir s’appuyer sur des instruments utiles tels que l’action de groupe. Nous savons en effet que cette procédure est une arme juridique utile, efficace et dissuasive qui a déjà fait ses preuves à l’étranger.

Tels sont les principaux objectifs de ce texte, un texte équilibré mais résolument engagé dans le combat pour l’égalité, car comme le disait François Hollande dans un discours désormais célèbre prononcé au Bourget : « L’âme de la France, c’est l’égalité. » (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

M. Razzy Hammadi, rapporteur. Excellent !

Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert Collard.

M. Gilbert Collard. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, tout ce qui peut permettre de lutter – mais de lutter réellement – contre les discriminations, doit toujours être le bienvenu, et vous le savez.

Il faut cependant éviter que cette lutte ne devienne, sans que nous y prenions garde, un instrument médiatique, un instrument de pression et, d’une certaine manière, un facteur de division communautariste.

Le présent texte, que j’aurais pu approuver,…

M. Sébastien Denaja. Ben voyons !

M. Gilbert Collard. …me pose un problème essentiellement sur le plan juridique, en particulier le concept de « situation similaire ou identique et ayant pour cause une discrimination, au sens des articles 225-1 et 225-1-1 du code pénal » inscrit à l’article 1er. Qu’est-ce juridiquement que le concept de situation similaire ou identique ? Comment peut-on inscrire dans la loi un concept aussi volatil ? Comment le juge parviendra-t-il à définir une situation similaire ou identique ayant pour cause une discrimination au sens de la loi pénale dans le cadre d’une action civile ?

Je veux bien que nous votions des lois, mais encore faut-il que celles-ci n’aient pas pour conséquence de déstructurer la base juridique sur laquelle s’érige la jurisprudence et qui forge les concepts permettant au juge de se prononcer ! Comment détecter une situation similaire ? Comment trouver une situation identique ? C’est un véritable fourre-tout juridique, dans lequel vont s’engouffrer, certes, des plaignants honnêtes dont les causes sont défendables, mais pour combien d’autres mus par la recherche d’une résonance médiatique qui alimenteront ce contre quoi on doit lutter ?

Alors que l’on doit lutter contre le racisme et contre les discriminations, une telle procédure entraînera l’inflammation du communautarisme. Et, très franchement, sans vouloir faire de la polémique,…

M. Romain Colas. Non ! Jamais !

M. Gilbert Collard. …ou précisément pour engager la polémique, pour couper court à votre joie, les parlementaires que nous sommes, qui écrivent la loi, devraient avoir la plume plus hésitante lorsqu’il s’agit de créer de tels concepts. On ne peut pas continuer à construire le droit sur des effets hollywoodiens ; ce n’est pas possible ! Du reste, les juges eux-mêmes auront du mal à s’y retrouver lorsqu’ils auront à appliquer ce texte.

Le code pénal est très précis dans sa définition de la discrimination et énumère tous les cas, qu’il s’agisse des mœurs, des situations de travail, de l’embauche… Le juge aura donc non seulement à définir une situation similaire ou identique, mais aussi, en quelque sorte, à identifier les victimes potentielles de la situation ainsi caractérisée. Vous faites ainsi l’aveu de l’échec de tous les combats que vous avez menés contre le racisme.

Et quand vous dites que les victimes sont seules – ce que j’entends ! –, qu’elles manquent de soutien, qu’elles sont abandonnées dans la solitude de leur humiliation, je vous demande : que font vos associations, que font vos syndicats ? S’ils ont une utilité, pourquoi, malgré les soutiens qu’on leur donne parfois sous forme de subventions, faut-il avoir recours à ces actions collectives ? Car vous mettez du même coup en cause l’utilité de toutes les associations qui combattent contre le racisme ! Si vous admettez la solitude des victimes, alors il faut repenser le travail associatif de SOS Racisme, par exemple.

M. Sébastien Denaja. Il y a vingt sortes de discriminations, mais il faut évidemment que vous vous preniez celle-là !

M. Gilbert Collard. Que fait SOS Racisme puisque, de votre propre aveu, les victimes sont seules, qu’elles ne disposent d’aucun soutien et qu’il faut recourir à l’action collective pour leur donner enfin un moyen d’agir ? (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Pour ce qui est des effets hollywoodiens, M. Collard s’y entend !

Mme la présidente. Seul M. Collard a la parole, mes chers collègues.

M. Gilbert Collard. Que cela vous plaise ou non, vous l’avez avoué : l’action de ces associations est nulle, inefficace. Vous ne cherchez qu’à vous faire de la pub !

M. Guy Delcourt. Ça vous va bien de dire ça !

M. Gilbert Collard. Eh bien je trouve dommage, messieurs les publicitaires, que vous détruisiez le droit pour alimenter ce qui n’est rien d’autre que du communautarisme. Ah, les 2 % que vous recherchez, vous allez bien les trouver, mais je crains fort qu’ils ne vous servent pas à grand-chose !

M. Romain Colas. Minable !

M. Sébastien Denaja. Et juridiquement faible !

Mme la présidente. La parole est à M. Alexis Bachelay.

M. Alexis Bachelay. M. Collard nous quitte. C’est dommage : je lui aurais bien dit un mot !

M. Bruno Le Roux. Au revoir, monsieur Collard !

M. Razzy Hammadi, rapporteur. Ne nous dites pas que vous êtes uniquement venu pour vous faire de la pub !

M. Alexis Bachelay. Monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, j’aurais voulu poser à M. Collard la question suivante : comment peut-on, dans notre République, proposer dans un programme politique d’instaurer la préférence nationale ? Il aurait mieux fait de se la poser, plutôt que de s’emporter et de tempêter contre cette proposition de loi !

« Nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances. » Ce principe, énoncé en préambule de la Constitution, se heurte encore très souvent à la réalité vécue par certains de nos concitoyens.

Aujourd’hui encore, en France, persistent de fortes discriminations à l’embauche et dans le déroulé des carrières professionnelles : discrimination en raison du sexe, de l’orientation sexuelle, de la couleur de peau, de la religion ou de l’origine. Prenons un exemple en matière de discrimination entre les hommes et les femmes, puisqu’il en est aussi question dans cette proposition de loi qui ne vise pas une seule forme de discrimination : à compétence égale, l’écart de salaire est encore de 25 % au détriment des femmes.

Les discriminations concernent également les personnes d’origine étrangère. Selon une étude de l’INSEE de 2011, les Français ayant au moins un parent originaire d’Afrique ont des taux d’emploi inférieurs de 18 points à ceux dont les parents sont français de naissance.

Élu de quartiers populaires des Hauts-de-Seine, je sais combien les discriminations à l’embauche, mais aussi dans l’accès au logement et aux services sont une réalité au quotidien pour de nombreux citoyens français. Il y a donc urgence à agir dans la lutte contre ces discriminations, pour que soient enfin appliqués le droit à l’égalité des citoyens et la parité entre les femmes et les hommes.

Rappelons notre action : refondation de l’école, qui vise à donner les mêmes chances aux enfants, lutte pour l’égalité entre les femmes et les hommes, instauration de nouveaux droits. Ce texte avance dans la même direction avec le même objectif, celui de concrétiser dans des lois l’égalité pour la vie réelle de nos concitoyens.

L’action de groupe qu’institue la proposition de loi présentée par le groupe socialiste est une étape importante dans ce combat. Elle donnera à des citoyens la possibilité de saisir collectivement la justice pour faire respecter les lois qui interdisent les discriminations liées à l’emploi, au logement ou aux services.

Avec cette loi que nous proposons, désormais, toute personne victime de discrimination pourra faire entendre sa voix et se regrouper avec d’autres pour former une action commune en justice.

Le dispositif, je le rappelle, ne repose pas uniquement sur la sanction des pratiques discriminatoires des entreprises, des structures publiques ou des bailleurs sociaux : il vise également à responsabiliser l’ensemble des acteurs de la société. C’est une loi qui sera source d’évolutions dans les pratiques sociales, une loi qui marquera un tournant, dans les rapports au travail notamment.

Notre action est d’autant plus urgente que la France est déjà bien en retard par rapport à ses voisins.

M. Razzy Hammadi, rapporteur. Tout à fait !

M. Alexis Bachelay. Faut-il rappeler que déjà quinze pays européens offrent la possibilité d’un recours collectif en justice pour des faits de discrimination ? La procédure existe en Allemagne depuis 2005, en Italie depuis 2009. Les Pays-Bas, quant à eux, font figure de pionniers en Europe puisqu’ils ont instauré ce recours collectif en justice en 1993. Sans remonter aux class actions américaines, mises en place dès les années 1950, on voit bien que notre pays avait un retard à rattraper en ce domaine.

Si la France a longtemps hésité devant l’action de groupe, elle ne peut se permettre d’attendre plus longtemps. Il nous faut franchir allègrement ce pas qui nous permettra d’aller tous ensemble dans la direction du renforcement du pouvoir du collectif et des citoyens. L’action de groupe est marque de la protection par le droit des individus rassemblés par la puissance de la loi. L’union est une force et l’action de groupe en est la manifestation concrète. En cela, la loi présentée aujourd’hui est profondément républicaine, et nous pouvons être fiers de la porter.

À cet égard, j’ai une pensée particulière pour tous les militants associatifs et pour nos collègues députés, notamment notre rapporteur Razzy Hammadi, qui, depuis de longues années maintenant, a été un artisan inlassable dans la préparation de ce texte et qui a défendu avec force son inscription à l’ordre du jour de notre assemblée. Qu’ils en soient tous et toutes remerciés.

Mes chers collègues, nous devons agir dans la lutte contre l’intolérance et les discriminations. L’histoire et les valeurs de notre République sont là pour nous rappeler notre devoir, car la France ne peut rester frileuse et en retard lorsqu’il s’agit de rendre ses citoyens, tous ses citoyens, véritablement égaux. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Julie Sommaruga.

Mme Julie Sommaruga. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, en débattant aujourd’hui de la proposition de loi instaurant une action de groupe en matière de discrimination, nous avons rendez-vous avec la République. Nous nous inscrivons dans un héritage, celui de la longue marche pour l’égalité des droits. Nous continuons un combat – combat qui a fondé mon engagement politique –, celui de la lutte contre les discriminations et les inégalités. Et nous revendiquons un idéal, celui de la dignité humaine.

Certes, dans la lutte contre les discriminations, des batailles ont été remportées sur le terrain du droit depuis 1972, date de la première loi française contre le racisme. Je pense notamment à la mobilisation du monde associatif à la fin des années 1990 et au gouvernement de Lionel Jospin, qui a fait adopter la loi du 16 novembre 2001 relative à la lutte contre les discriminations.

Depuis 2012, le Gouvernement et notre majorité écrivent également une nouvelle page dans ce combat en menant une bataille sans concession contre toutes les discriminations. De la lutte contre le « délit de faciès », à la loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes, en passant par l’instauration d’un label de la diversité et l’amélioration des conditions de dépôt de plainte, nous renforçons notre arsenal contre toutes les discriminations et les humiliations. Ce combat que nous avons le devoir de mener constamment et farouchement, le Président de la République l’a hissé au rang des priorités, en faisant de la lutte contre le racisme et l’antisémitisme la grande cause nationale pour 2015.

Donner la priorité à la lutte contre les discriminations, c’est bien entendu affirmer nos valeurs républicaines afin de préserver notre vivre ensemble, mais c’est aussi répondre à l’urgence face à la résurgence radicale ou diffuse d’une même violence qui se nourrit des peurs et de l’ignorance. Qu’il s’agisse d’emploi, de logement, de services, chaque parole et chaque acte discriminatoire blesse, enferme et détruit. L’individu est encerclé dans sa couleur de peau, cloîtré dans sa religion, emprisonné dans son quartier, emmuré dans sa condition sociale, confiné dans son orientation sexuelle, isolé dans son handicap. En le rejetant pour ce qu’il est partiellement, les discriminations privent l’individu de ce qu’il est essentiellement : un être humain.

Des attaques nauséabondes qui ont visé une ministre de la République à la multiplication des actes antisémites et anti-musulmans de ces derniers mois, c’est cette même logique infernale qui se déchaîne et qui nous impose le devoir d’agir. Agir pour assécher ce torrent de haine charriant son lot de stigmatisations et d’humiliations.

Aujourd’hui, nous aussi, avec la proposition de loi instaurant une action de groupe en matière de discrimination, nous répondons à cette urgence d’égalité, à cette urgence de dignité : égalité sociale, égalité culturelle, égalité des droits, donc dignité humaine.

Dans la lignée du mouvement pour l’égalité des droits porté historiquement par la gauche, et dans celle de la reconnaissance légale des actions de groupe entamé avec la loi relative à la consommation, nous renforçons considérablement la lutte contre les discriminations.

Certes les textes législatifs ne manquent pas qui interdisent et répriment les discriminations. Pourtant, celles-ci demeurent, plus particulièrement dans les domaines du logement, des services et de l’emploi. Il importe donc aujourd’hui de faire progresser le respect du principe constitutionnel d’égalité.

Avec cette proposition de loi, nous créons un nouveau droit en permettant aux personnes s’estimant victimes de discriminations de se regrouper pour introduire une action en justice. En se rassemblant devant la justice, chacun, plus fort car uni, pourra voir ses droits défendus et reconnus.

Mes chers collègues, la différence doit être une chance pour soi-même et pour les autres, en aucun cas une souffrance. Si la mobilisation de toute la société contre les discriminations est indispensable, nous, parlementaires, avons la responsabilité de renforcer la lutte contre les discriminations dans le domaine du droit. C’est le sens de l’Histoire, c’est l’urgence du présent.

Pour conclure, je dirai tout simplement qu’en responsabilité – et il n’est pas acceptable que la droite ne nous suive pas dans cette démarche –, nous avons le devoir d’être au rendez-vous avec la République en adoptant cette proposition de loi, pour que l’égalité soit une réalité, pour que la dignité soit respectée, pour toutes et tous. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme la présidente. La parole est à M. Mathieu Hanotin, dernier orateur inscrit.

M. Mathieu Hanotin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, cette proposition de loi pour l’instauration d’une action de groupe en matière de discrimination est une réaffirmation du principe d’égalité. Il ne s’agit pas d’une déclaration de principe, mais bien de donner aux Français l’assurance qu’ils vivent dans une société de droit régie par de grands principes que sont la liberté, l’égalité et la fraternité. Cette proposition de loi donne aux Français des moyens pour faire respecter l’égalité.

Dans ma circonscription de Saint-Denis, Pierrefitte et Villetaneuse, de trop nombreux habitants subissent régulièrement des discriminations du fait de leur origine, de leur couleur de peau, de leur nom ou de leur confession.

Permettez-moi, à ce propos, de revenir sur les affirmations de M. Collard. Ces discriminations identiques ou similaires dont il conteste la réalité, ce sont précisément celles-ci. Elles se constatent lorsque les mêmes personnes subissent les mêmes choses dans une entreprise, face à un organisme HLM, etc. Cela peut tenir à un prénom : Mohamed, Moussa, Djamila, Fatimata… Les prénoms ne sont pas les mêmes, mais nous avons là une discrimination similaire.

Quant à la discrimination identique, c’est celle à laquelle on risque d’assister si demain, dans une ville du sud-est de la France par exemple, on dressait des listes destinées à établir des quotas de personnes de telle ou telle religion pour telle ou telle catégorie de logement.

L’action de groupe, monsieur le rapporteur, permettra de dépasser le seul aspect individuel. Elle montrera qu’il existe aussi de mauvaises pratiques collectives. Elle est donc tout à fait bienvenue.

Mon département, plus pauvre que la moyenne, est habité par une population jeune qui ne demande qu’à faire ses preuves. Les discriminations sont trop souvent un obstacle au dynamisme de ces citoyens. La crise, qui a frappé ici plus qu’ailleurs, a exacerbé ces inégalités. La situation n’est plus supportable.

Toutes les études, mais aussi le testing pratiqué par les associations, montrent qu’à diplôme égal, les enfants issus de l’immigration ont des taux d’emploi et des salaires inférieurs à ceux dont les deux parents sont français. Les chiffres montrent l’urgence qu’il y a à agir. Plus de 65 % des immigrés et fils d’immigrés affirment être régulièrement victimes d’actes de racisme.

Les discriminations sont aussi territoriales. La situation des habitants de mon département est aggravée par les inégalités en matière de transports ou même d’accès à la connaissance et à la culture. Trop souvent, et je le déplore, le nom de « Seine-Saint-Denis » continue d’effrayer les employeurs.

Les avancées des années 2000 en matière de pénalisation des discriminations étaient indispensables. Cependant, force est de constater que les discriminations perdurent. Comment expliquer que les femmes d’une grande entreprise soient, à poste égal, payées 20 % de moins que leurs collègues hommes ? Comment expliquer que, malgré la loi, les entreprises rechignent à engager des handicapés tout à fait capables d’exercer les emplois auxquels ils se portent candidats ?

Si la loi existe et protège les victimes de discriminations, elle n’est manifestement pas complètement appliquée. Plus de 50 % des victimes se taisent. Comment expliquer ce silence ?

Les causes sont multiples. Il y a évidemment la peur : peur de se retrouver au chômage alors que la crise sévit, peur de parler… Mais il y a aussi des explications plus objectives : les délais de traitement, qui peuvent atteindre cinq à six ans, ou encore l’opacité des procédures et leur coût. Il est temps de donner à la justice les moyens de faire appliquer la loi !

Depuis plusieurs années, des associations et des syndicats demandent à pouvoir exercer des actions de groupe. Il s’agit de moderniser la justice française, de l’adapter aux enjeux sociaux contemporains, comme l’ont fait certains pays voisins.

Il est intolérable que ceux qui se livrent à des pratiques discriminatoires restent impunis. Si de nombreuses personnes respectent les droits, d’autres continuent à piétiner le principe d’égalité.

S’il était difficile pour des victimes isolées de se faire entendre, la constitution d’un groupe de victimes permettra de faire le poids face aux auteurs de discriminations. C’est là l’avancée majeure proposée par ce texte.

Si cette loi doit avoir un important effet dissuasif et forcer à une généralisation des bonnes pratiques, elle ne doit pas mener à des débordements. Un tribunal n’est pas une tribune politique. L’objectif de cette procédure est bien l’indemnisation juste des victimes.

Je salue la possibilité future de faciliter la constitution d’un groupe de victimes. Les associations et les syndicats constituent le filtre essentiel pour que la procédure reste sérieuse. Je m’étonne cependant, monsieur le rapporteur, que le Défenseur des droits ne figure pas à l’article 1er de cette proposition de loi. Cela fera sans doute l’objet de discussions futures et d’aménagements ultérieurs.

L’introduction de cette procédure d’action de groupe est salutaire et répond à une demande de longue date de nombreux citoyens et associations. Mais nous devons être attentifs à ce que la justice ait tous les moyens de trancher ces litiges. Dans mon département de Seine-Saint-Denis, les magistrats font face à un manque de personnel et à un allongement des règlements des litiges. Cette nouvelle procédure devrait faciliter le traitement des affaires en regroupant les cas similaires, mais elle doit impérativement s’accompagner de nouveaux moyens. Cela est d’autant plus important que les affaires de discrimination placent les victimes dans une situation d’urgence intolérable.

Chers collègues, je suis très fier d’apporter mon soutien à cette proposition de loi tant attendue. Ce texte est ambitieux, responsable ; en réaffirmant la nécessité de faire respecter le principe d’égalité, il contribuera, j’en suis convaincu, au renforcement du vivre ensemble, si essentiel. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Razzy Hammadi, rapporteur. Très bien !

Mme la présidente. La discussion générale est close.

La parole est à M. le rapporteur, pour répondre aux orateurs.

M. Razzy Hammadi, rapporteur. Je m’exprimerai brièvement, car nous aurons l’occasion lors de l’examen des articles de revenir sur les sujets qui ont été évoqués. Précisons d’emblée le cadre du débat. Contrairement à ce que j’ai pu entendre à droite et dans la bouche de M. Collard, qui n’est malheureusement plus là – sans doute y avait-il une part publicitaire dans sa démarche –, cette proposition de loi n’est pas l’affaire de communautés.

Le code pénal de la République prévoit vingt motifs de discrimination. Sont concernés les enfants en situation de handicap qui ne peuvent être scolarisés dans l’école de la République, alors que l’obligation de scolarisation est faite à la puissance publique, ou les femmes qui sont moins bien payées que leurs collègues hommes, à formation et à compétence égales. Tous sont placés dans des situations similaires ou identiques, au même titre que des personnes d’origine maghrébine ou subsaharienne.

Il ne devrait d’ailleurs pas être difficile à M. Collard de voir ce qui place deux personnes d’origine maghrébine ou subsaharienne dans une situation similaire ou identique ! Il n’est pas étonnant que M. Collard, dont on connaît le niveau d’obsession à l’égard de certaines catégories de la population, ne puisse soutenir un tel texte, lui qui n’a de cesse de vouloir distinguer les Français de souche et ceux qui ne le seraient pas – ces derniers étant susceptibles de se voir déchus de leur nationalité.

Monsieur Gosselin, l’action collective existe aujourd’hui : des procédures, des actions de substitution, des procédures collectives existent d’ores et déjà. Le motif de votre opposition au texte perd donc de sa légitimité. Mais si ces actions existent, elles mettent parfois douze ans à aboutir et les réparations sont incomplètes. Je salue ici M. Clerc, de la CGT, qui, par un travail de plus de dix ans, a réussi à faire valider par les juridictions la reconstitution de carrière, pour parvenir à une réparation intégrale du préjudice – un principe fondamental du droit de la République.

Je ne reviendrai pas sur le caractère anglo-saxon que certains prêtent à ce dispositif : M. le ministre répondra mieux que moi.

Concernant l’administration de la preuve, question soulevée à droite de l’hémicycle et par M. Collard, nous sommes dans ce que l’on appelle le régime du partage de la charge de la preuve. Ainsi, toute personne s’estimant victime de discrimination peut saisir une association ou un syndicat, qui pose les faits sur la table du juge, lequel définit les critères de rattachement au groupe. Il revient à la personne morale ou physique accusée de discrimination de démontrer qu’il n’y a pas eu discrimination. Ensuite, les personnes peuvent adhérer au groupe.

N’oublions pas que plus d’une victime de discrimination sur deux n’entame pas de procédure judiciaire ! Afficher des droits qui, dans la vraie vie, ne sont pas effectifs, c’est cela qui provoque le communautarisme !

M. Hanotin aurait souhaité voir le Défenseur des droits figurer à l’article 1er. Mais le Défenseur des droits ayant été créé par une loi organique, toute modification de sa fonction doit faire l’objet d’une loi organique. Or nous sommes dans le cadre d’une loi ordinaire. Par ailleurs, Jacques Toubon, que nous avons auditionné, ne l’a pas souhaité. Je vous renvoie à l’avis du Défenseur des droits, rendu public le 2 juin, qui montre à quel point nous avons travaillé avec les syndicats, les chercheurs et les associations.

Des interrogations se sont fait entendre sur la question des filtres et le rôle des associations et des syndicats. Je vous le dis, et ne le redirai plus dans le débat : je suis, à titre personnel, pour l’absence de ces filtres dans le domaine des discriminations. Ce n’est pas la position de la commission.

Nous attendons le rapport sur l’action de groupe dans le cadre de la loi sur la consommation. Elle fonctionne très bien, si l’on se réfère aux multiples saisines qui ont eu lieu. Il n’en demeure pas moins que sur certains territoires, j’ai vu des groupes d’habitants qui ne trouvaient pas d’association agréée pour les représenter, celle de leur territoire ayant refusé d’aller contre les intérêts de la collectivité ou ceux du bailleur incriminé. Cela arrive. À ce stade de la discussion, je m’en tiendrai là.

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement. Je veux me féliciter que l’ensemble des groupes de la majorité se retrouvent autour de la proposition de loi. Cette dynamique va d’ailleurs au-delà, puisque les groupes de gauche qui ne sont pas dans la majorité se retrouvent dans ce texte. J’y vois la preuve, et je le dis à certains de ceux qui nous écoutent, que sur des lois de véritable modernisation de la protection sociale, nous pouvons rassembler.

Monsieur Gosselin, vous avez posé des questions auxquelles nous devons apporter des réponses précises. Vous avez avancé l’argument de la judiciarisation, un argument que l’on entend beaucoup dans la société française, notamment depuis que le principe de précaution a été introduit dans la Constitution, à l’initiative du président Jacques Chirac.

Que ce soit clair : nous ne créons pas de nouvelles incriminations, nous facilitons l’accès aux droits existants – ce qui est très important. Nous permettons aux citoyens d’exercer des droits qui leur sont déjà reconnus, ce que la complexité, la longueur, et peut-être le coût des procédures ne leur permettent pas toujours aujourd’hui. Je voudrais insister sur le fait que dans ses articles 7 à 9, la proposition de loi prévoit qu’une médiation peut intervenir entre les titulaires de l’action et le défendeur à tous les stades de la procédure – avant, mais aussi après la saisine du juge.

Vous avez repris l’idée, avancée par des esprits sans doute très rétifs à une évolution du droit international, que nous serions en train de tomber dans le droit anglo-saxon. C’est d’autant moins vrai que des dispositifs semblables existent déjà dans le droit continental, en Allemagne, en Hollande ou en Espagne.

Permettez-moi d’insister sur les différences fondamentales entre notre droit et le droit anglo-saxon : les dommages et intérêts servent ici à indemniser, ils ne sont pas punitifs ; l’action est réservée aux associations et aux syndicats, elle ne peut être engagée par les victimes elles-mêmes ; cette action ne modifie en rien le régime et les règles de la responsabilité ; enfin, l’absence de jury populaire et la prédominance du droit pénal en matière de discrimination révèlent une différence des structures mêmes des droits. Cette proposition de loi, monsieur Gosselin, s’inscrit totalement dans la tradition de l’application pénale. Nous ne rejoignons en rien le droit anglo-saxon !

M. Collard s’est livré à une longue digression sur la notion de « similaire ». Lui qui emploie généralement des mots qui désignent – ou prétendent désigner – des « similaires » était tout à coup gêné. Lorsque le sujet porte sur les immigrés, sur les musulmans, ou sur les personnes originaires de tel ou tel continent, et qu’il s’agit de développer tout un discours politique, M. Collard n’éprouve aucun problème à procéder à des amalgames et à reconnaître des « similaires ». Tel Tartuffe, il nous a dit de cacher ces discriminations qu’il ne saurait voir. Mais sans doute y a-t-il une leçon politique plus générale.

Il argumente contre cette proposition de loi en mettant en avant le danger du communautarisme, ce qui sous-entend une certaine lecture de la société, à laquelle je viens de faire référence. En combattant les droits des immigrés, des populations d’origine étrangère, il combat bien plus largement le droit de très nombreux de nos concitoyens victimes de discriminations en raison du genre, d’un handicap ou pour bien d’autres raisons parmi la vingtaine de cas que M. le député Denaja a rappelées. En tenant un tel discours, c’est bien une position anti-égalitaire, que défend M. Collard.

Voilà pourquoi nous sommes très heureux de constater une telle convergence d’intérêts et j’espère que nos réponses seront de nature à lever les interrogations philosophiques du groupe Les Républicains, de sorte qu’il puisse nous rejoindre pour que nous travaillions ensemble autour de cette importante proposition de loi.

Madame la présidente, je vous demande une suspension de séance.

Suspension et reprise de la séance

Mme la présidente. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures, est reprise à dix-huit heures dix, sous la présidence de M. Marc Le Fur.)

Présidence de M. Marc Le Fur

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Discussion des articles

M. le président. J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles de la proposition de loi.

Article 1er

M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier, inscrit sur l’article.

M. Guillaume Chevrollier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, cette proposition de loi socialiste tend à créer une action de groupe en matière de discrimination et de lutte contre les inégalités, apportant une fois de plus une mauvaise réponse à une bonne question. Bonne question car il est évident qu’il faut lutter contre les discriminations et les inégalités. Les discriminations, M. le rapporteur l’a rappelé, sont intolérables, qu’elles touchent aux origines, au sexe ou au handicap.

Il est probant qu’elles concernent en France de nombreux domaines, qu’il s’agisse de l’accès à l’emploi, au logement, au transport. Malheureusement, les bonnes intentions ne suffisent pas à faire de bonnes lois. Il suffit de prendre l’exemple du CV anonyme pour s’en rendre compte. Voté en 2006, il vient d’être jeté aux oubliettes dans le projet de loi relatif au dialogue social. Les actions de groupe que vous nous proposez viendront allonger la liste.

Pourquoi voulez-vous les imposer aujourd’hui alors que nous manquons du recul nécessaire dans les domaines où elles ont déjà été permises ? Si l’on peut voir les aspects positifs comme l’encouragement à agir collectivement plutôt qu’individuellement ou l’espoir d’un coût plus modique, il n’en demeure pas moins que les risques de dérives existent : modification de notre justice fondée sur le droit individuel, judiciarisation croissante des rapports sociaux – tendance avérée dans notre pays –, risque de communautarisme et d’exaspération des tensions. Ces risques ne doivent pas être négligés aujourd’hui.

Ne légiférons pas dans la précipitation. Laissons le temps au temps, chers collègues socialistes.

Enfin, ce texte représente une nouvelle menace à l’encontre des entreprises, à l’heure où vous clamez que vous êtes partisan du dialogue social.

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 3 et 8.

La parole est à M. Sébastien Denaja, pour soutenir l’amendement n3.

M. Sébastien Denaja. Je voudrais tout d’abord signaler à mon collègue qui s’est exprimé au nom du groupe Les Républicains, que je prends la parole au nom du groupe Socialistes, républicains et citoyens. Je sais en effet qu’ils mettent un point d’honneur à ne pas se faire appeler par l’acronyme LR. Nous condescendons pour notre part à nous faire appeler le groupe majoritaire.

J’en viens à l’amendement qui tend à élargir la possibilité d’intervention des associations, en ramenant de cinq à trois ans la durée depuis laquelle elles doivent être constituées, ce qui correspond au délai requis pour bénéficier du statut d’association reconnue d’utilité publique.

M. le président. La parole est à M. Razzy Hammadi, rapporteur, pour soutenir l’amendement n8.

M. Razzy Hammadi, rapporteur. Il est défendu.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Nous préférons en rester au texte de la proposition de loi. je ne suis donc pas favorable à ces amendements.

M. le président. La parole est à M. Philippe Gosselin.

M. Philippe Gosselin. J’ai conclu, des propos tenus tout à l’heure par le rapporteur, que l’amendement visant à introduire une condition d’agrément des associations ne serait pas accepté – mais peut-être ai-je mal compris et, en tout état de cause, nous y reviendrons le moment venu. Mais sans cette possibilité d’agrément des organismes, comme cela se fait dans le domaine de la consommation, restreindre de cinq à trois ans la condition de durée d’existence des associations me paraît un peu hasardeux. En toute bonne foi, je crains que cela ne permette à des associations qui chercheraient à instrumentaliser des cas de s’engouffrer dans la brèche. La durée de cinq ans me parait une condition plutôt raisonnable.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Razzy Hammadi, rapporteur. Parce que vous êtes de bonne foi, je vous répondrai également en toute bonne foi. Instaurer une procédure d’agrément dans le domaine de la lutte contre les discriminations poserait plusieurs problèmes. D’abord, qui agréera ? Dans le cadre de nos travaux, qui durent depuis plusieurs années, nous avons pensé au Défenseur des droits mais, d’une part, celui-ci ne le souhaite pas et, d’autre part, son statut et son fonctionnement relèvent de la loi organique. Or il s’agit là d’une loi simple. Nous pourrions également décider de confier à la garde des sceaux la mission d’agréer ou non les associations, en fonction de leur légitimité à défendre les victimes dans le champ des discriminations. J’anticipe les polémiques concernant l’agrément ou non de telles associations sur un sujet aussi sensible.

Dans le domaine de la consommation, la loi défendue par l’ancien ministre Benoît Hamon, dont je salue la présence, a permis, après trente ans d’attente, d’intégrer pour la première fois l’action de groupe dans le droit français. Certaines précautions devaient être prises pour atteindre un point d’équilibre : nous devions commencer par les associations agrées. Mais celles-ci avaient déjà obtenu leur agrément, alors qu’aucune association luttant contre les discriminations et contre le racisme n’est aujourd’hui agréée. Les associations de défense des consommateurs existaient auparavant et étaient agrées pour la protection des intérêts, y compris économiques – nous avons eu l’occasion de rappeler à de nombreuses reprises comment des actions de groupe dans le champ de la consommation pouvaient être motivées par de mauvaises intentions, et non par l’intérêt général de ceux dont le préjudice devait être réparé, dans le seul but de porter atteinte à l’entreprise elle-même.

Je répète que je suis, à titre personnel, pour une saisine directe du juge dans le cadre d’une action de groupe. Mais la position de la commission dans le champ des discriminations est celle que nous avons évoquée. J’émets évidemment un avis favorable sur l’amendement de M. Denaja et du groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Sébastien Denaja. Et majoritaire ! (Sourires.)

M. Benoît Hamon. Et sympathique ! (Sourires.)

M. Razzy Hammadi, rapporteur. J’ai d’ailleurs déposé un amendement identique.

M. le président. La parole est à M. Philippe Gosselin.

M. Philippe Gosselin. Nous reviendrons plus tard à la question de l’agrément, mais une grille de critères est tout à fait envisageable et ne présenterait aucune difficulté : l’identification de l’administration qui agrée et la définition des conditions d’agrément sont des questions qui se travaillent. Des agréments sont délivrés dans d’autres domaines sans aucune difficulté. Si l’agrément n’était pas délivré, l’organisme en question pourrait aisément déposer un recours pour excès de pouvoir : le droit le permet. Je peux entendre que vous n’ayez pas envie d’introduire une condition d’agrément mais, en réalité, délivrer un agrément est tout à fait possible. C’est un filtre intéressant, qui s’inspire des procédures en vigueur en matière de consommation, même si les sujets sont très différents.

M. le président. La parole est à M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Les conditions pour engager un recours sont au cœur du débat. Je rappelle que le rapporteur avait déposé, avant de les retirer, deux amendements qui visaient à restreindre la saisine aux associations homologuées ayant au moins cinq ans d’existence. Nous voyons bien qu’il existe une réelle difficulté, puisque notre collègue sénatrice Esther Benbassa avait fait du Défenseur des droits le filtre et le pivot des procédures. Mais je m’inscris en faux contre ces propositions et je souhaite même prendre mes distances avec celle de Mme Benbassa. Je ne crains pas la multiplication abusive des recours : je n’y crois pas. La procédure en trois phases prévue par le texte est en elle-même un filtre suffisant. De plus, sur ces questions, la capacité du juge à évaluer le bien-fondé des recours est suffisante.

Enfin, M. le rapporteur a rappelé à la fin de la discussion générale les problèmes particuliers que posent les discriminations. Celles qui existent dans le champ du travail ne présentent pas de très grandes difficultés car les syndicats sont des acteurs reconnus – nous peinons pourtant à y mettre un terme. Mais dans de nombreux autres domaines, il n’y a pas d’associations. La question de l’agrément ne règle rien, ni même l’abaissement à trois ans de la durée d’existence de l’association, comme le propose M. Denaja.

En effet, il faut rendre possibles – et c’est le sens de l’amendement que je présenterai tout à l’heure – les regroupements de citoyens et leur permettre de mener à bien ces recours et d’engager une procédure de lutte contre les discriminations. Toutes les formes de discriminations ne sont pas couvertes par les associations. À cet égard, je souscris aux propos tenus tout à l’heure par M. le rapporteur, même si sa position n’a malheureusement pas été suivie par la commission.

M. le président. La parole est à M. Benoît Hamon.

M. Benoît Hamon. Je me réjouis de cette proposition de loi visant à instaurer une action de groupe en matière de discrimination car cela veut dire que la majorité tient parole, après avoir créé l’action de groupe dans le champ de la consommation et celui de la santé. Nous avions parlé d’une fusée à plusieurs étages : elle se construit et je m’en réjouis.

En réponse aux propos de M. Gosselin, je précise que nous avons instauré cette disposition dans le champ de la consommation, d’abord parce que les associations doivent, pour obtenir leur agrément, avoir une capacité à agir, non dans un seul département, mais sur le territoire national, ce qui les rend à même de représenter correctement les consommateurs et leurs intérêts. Il serait difficile de procéder de la même manière pour favoriser la création d’associations nationales de lutte contre les discriminations. Nous devons partir du principe que les affaires naîtront sur le terrain, là où elles seront constatées et, fort heureusement, elles ne sont pas si fréquentes que cela. Mais il existe des cas de discriminations qui justifient le déclenchement d’une procédure collective. Nous ne pouvons donc pas aligner complètement, pour mettre en place un filtre, la procédure de l’action de groupe en matière de discrimination sur celles prévues dans le champ de la consommation et de l’économie.

En outre, certains membres de l’opposition redoutaient la multiplication des actions de groupe, qui risqueraient de déstabiliser les entreprises. Même si nous n’avons pas aujourd’hui tout le recul nécessaire sur le déploiement de l’action de groupe dans le champ de la consommation, nous pouvons constater que quelques procédures sérieuses ont été ouvertes, mais qu’il n’y a pas eu l’explosion tant redoutée de procédures engagées par telle ou telle autre association de consommateurs. Il faut donc être raisonnable et considérer que nos compatriotes sauront se saisir de cette procédure avec discernement.

M. le président. La parole est à M. Sébastien Denaja.

M. Sébastien Denaja. Je tiens d’abord à préciser un élément de vocabulaire : dans cette proposition de loi, les associations et les syndicats sont vus, non comme des filtres, mais comme un appui pour les citoyens désireux de faire valoir leurs droits.

M. Sergio Coronado. Tout à fait !

M. Sébastien Denaja. Il ne s’agit pas de filtrer des requêtes, qui sont d’ailleurs légitimes puisqu’il s’agit, en définitive, de condamner des discriminations subies par des personnes placées dans une situation similaire ou identique.

Ensuite, nous avons tout à l’heure été invités, y compris par Maître Collard, à être rationnels dans notre travail de législateur. Or il ne s’agit là que de faire preuve de rationalité dans notre œuvre légistique. La durée de cinq ans ne correspond à rien d’extrêmement précis. Nous avons déjà eu à réfléchir aux délais devant prévaloir dans certains domaines mais, dans ce domaine particulier, si une association peut être reconnue d’utilité publique après trois d’existence, avec les conséquences juridiques afférentes, y compris en matière de déduction fiscale, il est rationnel de considérer que ce délai permet d’apprécier le sérieux d’une association et sa légitimité pour engager une action de groupe.

Enfin, pour reprendre les propos de M. Coronado, faisons confiance au juge, puisque le juge judiciaire comme le juge administratif peuvent tout à fait sanctionner les recours abusifs. Faisons tout à la fois confiance aux citoyens, aux associations, aux syndicats et à l’appareil judiciaire français pour faire en sorte que l’action de groupe soit un processus vertueux.

M. Benoît Hamon. Et faisons confiance aux entreprises !

M. Sébastien Denaja. Oui, faisons confiance aussi aux entreprises, qui ne veulent pas nécessairement se nuire mutuellement.

M. le président. La parole est à M. Philippe Gosselin.

M. Philippe Gosselin. Je serai bref car nous avons largement débattu du sujet. Ne vous méprenez pas sur mes propos : je fais confiance à la justice et aux entreprises, telle n’est pas la question. Mais un filtre et une durée d’existence suffisamment longue permettraient peut-être d’éviter davantage de recours abusifs, des constitutions d’associations parfois un peu tendancieuses et une forme d’instrumentalisation. Ne l’oublions pas, ce qui est médiatiquement le plus porteur n’est pas tant la décision de justice, qui intervient longtemps après les faits, que le feu médiatique qui a entouré le lancement de la procédure. Il peut être tentant de créer une association en amont pour faire monter la pression et faire un joli coup médiatique.

M. Razzy Hammadi, rapporteur. Trois ans avant ?

M. Philippe Gosselin. Rien n’est impossible, vous le savez très bien ! On l’a vu à d’autres occasions. Mais j’entends les arguments qui me sont opposés.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Il faut quand même faire confiance !

(Les amendements identiques nos 3 et 8 sont adoptés.)

M. le président. La parole est à M. Sébastien Denaja, pour soutenir l’amendement n4.

M. Sébastien Denaja. Marc Dolez se réjouissait tout à l’heure que nous ayons ouvert cette action de groupe au champ de la sphère publique. Il semblait donc naturel que nous permettions aux syndicats de fonctionnaires d’engager une action de groupe, notamment devant la juridiction administrative. Nous réparons ce qui n’était sans doute qu’un oubli dans la rédaction initiale.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Razzy Hammadi, rapporteur. Avis favorable. Je voudrais revenir sur la question du CV anonyme et sur celle de l’accessibilité, qui n’a pas encore été abordée. Le CV anonyme a été voté par la majorité précédente en 2006. Pendant six ans, soit jusqu’en 2012, il n’y a pas eu de décret. Il a été reproché au Gouvernement à trois reprises dans cet hémicycle de vouloir prendre ses responsabilités au regard de l’avis du Conseil d’État. À titre personnel, j’ai toujours eu un avis très mitigé sur le CV anonyme. Mais, en tout état de cause, il est assez culotté – pardonnez-moi l’expression – de reprocher à la majorité actuelle les imperfections du CV anonyme !

M. Philippe Gosselin. Vous êtes au pouvoir depuis trois ans !

M. Razzy Hammadi, rapporteur. Il en est de même dans le domaine de l’accessibilité. Beaucoup d’associations œuvrant dans le domaine de l’accessibilité des personnes en situation de handicap ont travaillé avec nous à ce dispositif, à cette réforme, à cette proposition de loi. Des obligations d’accès pour tous ont été prévues en 2005, mais rien n’a été fait pour garantir l’accessibilité entre 2005 et 2012. Quel contraste avec cet amendement, que nous soutenons évidemment, et par lequel la majorité prend toutes ses responsabilités ! Le dispositif ne s’applique pas simplement à la sphère privée, aux entreprises, et aux particuliers : la sphère publique aussi doit pouvoir se regarder en face et confronter à la justice les obligations et les droits qu’elle est censée respecter. Comme l’a dit M. Denaja, les juridictions administratives sont ici essentielles.

(L’amendement n4, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Sébastien Denaja, pour soutenir l’amendement n6.

M. Sébastien Denaja. Après, ou plutôt avant les mini-remaniements techniques, il nous faut aborder les mini-amendements techniques. (Sourires.) Il s’agit, ni plus ni moins, que de substituer aux mots : « le tribunal administratif territorialement compétent » les mots : « la juridiction administrative compétente », tout simplement afin d’être sûr d’embrasser tous les cas qui pourraient se présenter.

En effet, dans certains contentieux, le Conseil d’État est compétent en premier et dernier ressort, mais on pourrait imaginer, le cas échéant, qu’une juridiction administrative spécialisée soit saisie. Ces termes me paraissent donc plus appropriés car ils sont de nature à mieux englober les différentes situations qui pourraient se présenter.

(L’amendement n6, accepté par la commission et le Gouvernement, est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Razzy Hammadi, rapporteur, pour soutenir l’amendement n10.

M. Razzy Hammadi, rapporteur. Cet amendement sera retiré. Néanmoins je me devais, sans reprendre le débat sur l’utilisation des termes « similaire et identique » ou du terme « comparable », que nous avions eu lors de l’examen de la « loi consommation » du 17 mars 2014, de donner certaines précisions pour éclairer l’interprétation du texte que feront les juges. C’est pourquoi j’ai déposé l’amendement.

Sur ma proposition, la commission des lois a amendé l’article 1er pour indiquer que les personnes qui sont représentées dans l’action de groupe doivent avoir été placées dans une situation « similaire ou identique ». Nous avons ainsi – il est dommage que M. Collard ne soit plus là – privilégié la rédaction consacrée par le dispositif juridique de l’action de groupe en droit de la consommation.

Cette évolution a provoqué un émoi parmi les juristes spécialistes du droit des discriminations, qui m’ont indiqué que leur matière parlait toujours de situation « comparable » et que la divergence de vocabulaire pouvait ouvrir la voie à des interprétations hasardeuses.

Je constate, certes, que la loi du 27 mai 2008 définit la discrimination comme « la situation dans laquelle, sur le fondement de » divers critères, « une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne l’aura été dans une situation comparable. »

Mais les choses me semblent claires : l’étude de la « situation comparable » renvoie à la comparaison entre la personne discriminée et la personne qui ne l’a pas été. Elle sert à établir la notion même de discrimination.

En revanche, nous exigeons une « situation similaire ou identique » partagée par les membres du groupe représenté par l’association ou le syndicat. Il n’est pas question, là, de discrimination ni même de comparaison avec ce qu’on appellerait, dans les sciences dures, « l’échantillon témoin ».

Je résume. L’action de groupe est menée par des personnes dans une situation similaire ou identique, qui sont discriminées par rapport à des personnes placées dans une situation comparable. L’architecture me semble claire et, si tout le monde en est d’accord, je retire donc l’amendement, d’autant que c’est le terme qui a été validé par le Conseil constitutionnel. Je n’y reviendrai plus.

(L’amendement n10 est retiré.)

M. le président. Même si l’amendement vient d’être retiré, la parole est à M. Philippe Gosselin pour une brève intervention.

M. Philippe Gosselin. De véritables interrogations demeurent effectivement sur ces termes de similaire et d’identique.

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. L’amendement a été retiré.

M. Philippe Gosselin. Effectivement, mais je crois que le terme de comparable aurait réellement été préférable : ce point a été soulevé au cours de la discussion générale. Du reste, ce choix aurait été bien plus conforme à la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel qui reprend ce même terme.

Il peut survenir, au motif d’intérêt général ou pour des situations comparables on non, des ruptures d’égalité. Au-delà de l’hommage que vous auriez pu rendre au Conseil constitutionnel, ce choix aurait permis de mieux sécuriser juridiquement le texte. Je prends naturellement acte du retrait de l’amendement, que je regrette.

M. le président. La parole est à M. Razzy Hammadi, rapporteur, pour soutenir l’amendement no 11.

M. Razzy Hammadi, rapporteur. Nous faisons référence, dans le texte, à la définition des discriminations au sens du code pénal. Dans le cadre d’une procédure civile, il nous a semblé qu’une telle référence introduisait une forme de déséquilibre. Nous avons donc souhaité amender le texte pour nous référer à l’article 1er de la loi du 27 mai 2008 : tel est l’objet de cet amendement adopté par la commission.

(L’amendement n11, accepté le Gouvernement, est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Gosselin, pour soutenir l’amendement n28.

M. Philippe Gosselin. Je passerai brièvement sur cet amendement portant sur l’agrément, car nous venons d’en discuter. Il me semble préférable d’instituer davantage de garanties en ce qui concerne les associations qui pourront ou qui pourraient agir : avoir cinq ans d’existence en constituait une. Nous venons de passer à trois ans – contre l’avis du Gouvernement, je le souligne en souriant.

De même l’agrément permettait de disposer d’un filtre, même si, j’en suis d’accord avec le rapporteur, il n’est pas question de faire jouer un tel rôle aux syndicats ou aux associations. Créer un agrément dans ce cas, par parallélisme avec ce qui existe dans la « loi consommation », me paraissait plutôt judicieux. Mais je ne nourris aucune illusion quant au sort qui va être réservé à l’amendement.

(L’amendement n28, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Sergio Coronado, pour soutenir l’amendement n1.

M. Philippe Gosselin et M. Jean-Frédéric Poisson. Merci.

M. Sergio Coronado. De rien, chers collègues. Pour ma part, je ne partage pas ce point de vue : je pense en effet que, comme l’a rappelé tout à l’heure le rapporteur, les discriminations sont diverses, selon les situations et les domaines concernés. Dès lors, la question des conditions qui encadrent le recours ne se pose pas directement en vue d’empêcher ou de faciliter.

Elle est, en fait, résolue par la procédure qui s’inspire de la « loi consommation » ; elle est assez claire, notamment en ce qui concerne le rôle du juge.

En revanche, j’ai un réel désaccord avec l’amendement défendu tout à l’heure par notre collègue Denaja : je pense qu’il faut permettre des regroupements de citoyens en vue de mener à bien des actions de groupe.

L’amendement propose, très simplement, qu’un groupe d’individus puisse introduire collectivement une action de groupe. Il vise également à ne pas limiter les actions de ce type aux associations déclarées depuis au moins trois ans ou aux syndicats. Nous touchons ici à la véritable nature des actions de groupe : il s’agit d’actions collectives permises par des regroupements ad hoc en vue de mener à bien la lutte contre les discriminations.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Razzy Hammadi, rapporteur. Nous avons déjà eu le débat : l’avis de la commission est défavorable.

(L’amendement n1, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.)

(L’article 1er, amendé, est adopté.)

Article 2

(L’article 2 est adopté.)

Article 3

M. le président. La parole est à M. Razzy Hammadi, rapporteur, pour soutenir l’amendement no 12.

M. Razzy Hammadi, rapporteur. Il est défendu. J’ajoute une précision, en réponse aux interventions précédentes de M. Coronado : cette proposition va avoir une vie, avant de devenir loi. Je rappelle qu’à titre personnel, monsieur Coronado, j’étais plutôt partisan de votre position.

M. Sergio Coronado. Je le sais.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Cette précision me semble inutile sur le plan normatif. En effet, le régime dit de la preuve partagée, qui déroge au droit commun de la preuve, n’est pas propre au droit du travail mais résulte de nos obligations communautaires. Il figure d’ailleurs, à ce titre, dans une transposition de 2008.

Aussi n’est-il pas nécessaire de rappeler que le balancement de la charge de la preuve s’appliquera aux actions de groupe, comme il s’applique déjà à toute action portée devant le juge civil ou administratif. Dès lors que le demandeur produira des éléments laissant présumer d’une discrimination, il incombera au défendeur d’établir que la différence de traitement se justifie par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. C’est pourquoi je demande au rapporteur de bien vouloir retirer l’amendement. Dans le cas contraire, l’avis du Gouvernement ne serait pas favorable.

M. le président. Monsieur le rapporteur, retirez-vous l’amendement ?

M. Philippe Gosselin. Ça sent le retrait.

M. Razzy Hammadi, rapporteur. Non je regrette, je le maintiens. En effet, ce sont des associations ou des syndicats qui vont, pour la première fois, agir dans le cadre de ces procédures. Certes, l’énoncé de la loi fixe les droits et les devoirs, ainsi que les obligations et les moyens, mais il porte également en lui les vertus pédagogiques permettant à la procédure d’être efficace.

Je rappelle la rédaction de l’amendement : « Le requérant présente au juge des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination. Au vu de ces éléments, il incombe au défendeur de prouver que son comportement est justifié par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. » Elle n’enlève rien mais ajoute, sans être pesante, une dimension explicative et pédagogique.

M. le président. L’amendement n12 fait donc l’objet d’un avis favorable de la commission, et défavorable du Gouvernement.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. De sagesse.

M. Philippe Gosselin. Le Gouvernement a senti que ce n’était pas gagné.

(L’amendement n12 est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Sergio Coronado, pour soutenir l’amendement n7.

M. Sergio Coronado. Cet amendement propose que le juge puisse ordonner toute mesure qui mette fin à la discrimination qui a justifié ou qui justifie l’action de groupe. Cela permettrait, notamment, de répondre à une discrimination qu’a subie un salarié, au-delà de la seule compensation indemnitaire, par exemple en reconstituant sa carrière. Il ne faut en effet pas considérer que la mise en place des actions de groupe constitue une judiciarisation à outrance des rapports sociaux : elle permet également d’engager les entreprises, comme les personnes physiques ou morales, à changer de comportement : là réside également la portée de ce texte.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Razzy Hammadi, rapporteur. Favorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Nous comprenons bien l’intention, que nous partageons en partie, de cet amendement. Cependant, la nature des mesures pouvant être ordonnées par le juge devrait encore être précisée : le Gouvernement donne donc un avis de sagesse.

M. Philippe Gosselin. Comme quoi tout n’était pas ficelé avant.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Le but n’est pas là, monsieur Gosselin.

(L’amendement n7 est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Razzy Hammadi, rapporteur, pour soutenir l’amendement n13.

M. Razzy Hammadi, rapporteur. L’amendement vise, à l’alinéa 3, à substituer aux mots : « le montant », les mots : « la nature ». Je pense qu’à ce stade de la procédure, il serait hâtif de demander au juge de fixer un montant. À cette étape, il suffirait de préciser la nature des préjudices et non pas le montant des réparations.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Tout à fait favorable.

(L’amendement n13 est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Razzy Hammadi, rapporteur, pour soutenir l’amendement n30.

M. Razzy Hammadi, rapporteur. Il est rédactionnel.

(L’amendement n30, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Razzy Hammadi, rapporteur, pour soutenir l’amendement n14.

M. Razzy Hammadi, rapporteur. Il est défendu.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de l’Assemblée.

Mme Catherine Quéré. Quel enthousiasme !

M. le président. Monsieur Hammadi, maintenez-vous l’amendement ?

M. Razzy Hammadi, rapporteur. Oui.

(L’amendement n14 est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Razzy Hammadi, rapporteur, pour soutenir l’amendement n15.

M. Razzy Hammadi, rapporteur. Il est rédactionnel.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Sagesse.

(L’amendement n15 est adopté.)

(L’article 3, amendé, est adopté.)

Article 4

M. le président. La parole est à M. Razzy Hammadi, rapporteur, pour soutenir l’amendement n16 rectifié.

M. Razzy Hammadi, rapporteur. Il s’agit de l’étape du jugement relatif à la responsabilité du défendeur, qui marque le début de la phase de la constitution du groupe de victimes. Elle exige d’informer les personnes qui ont pu subir la situation discriminante reconnue par la justice.

Les discriminations commises dans l’entreprise ou par un bailleur ne posent pas de difficultés. Elles pourront en effet donner lieu à une information ciblée des victimes par voie de notification : il sera relativement aisé de les identifier grâce au registre du personnel ou à la liste des locataires.

En revanche, les discriminations effectuées en milieu ouvert, par exemple à l’entrée d’un établissement, ne donnent pas lieu à la constitution d’un fichier. Pour faire connaître l’existence d’une action de groupe aux victimes, il faudra donc passer par une communication générale.

Je propose donc d’autoriser expressément le juge à ordonner une publication du jugement, seul moyen d’alerter les victimes de certaines discriminations de la possibilité de faire valoir leurs droits.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Ces précisions sont de niveau réglementaire et nous faisons très attention à ne pas surcharger la loi.

M. Philippe Gosselin. C’est sage !

M. le président. Monsieur le rapporteur ?

M. Razzy Hammadi, rapporteur. Je retire l’amendement.

(L’amendement n16 rectifié est retiré.)

M. le président. La parole est à M. Razzy Hammadi, rapporteur, pour soutenir l’amendement n17.

M. Razzy Hammadi, rapporteur. Il est défendu.

(L’amendement n17, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

(L’article 4, amendé, est adopté.)

Article 5

M. le président. La parole est à M. Razzy Hammadi, rapporteur, pour soutenir l’amendement n18.

M. Razzy Hammadi, rapporteur. C’est un amendement que nous avons déposé dans le cadre des travaux que nous avons menés avec le cabinet de la garde des sceaux. Celle-ci tenait, à juste titre, à ce que la notion de réparation ne soit pas seulement évoquée, mais précisée de façon à couvrir réellement le préjudice subi. C’est la raison pour laquelle nous parlons non plus d’indemnisation mais de réparation.

Comme je l’ai expliqué tout à l’heure à la tribune, cette proposition de loi va avoir une vie avant de devenir loi. D’ici là, il nous faudra trouver les voies et moyens permettant d’établir des conditions particulières pour les TPE et PME.

Nous y sommes attentifs et je le répète encore : l’objectif, pour les PME et les TPE, est d’instituer une phase de transition, pour que les entreprises, qui sont constituées de chefs d’entreprise mais surtout de salariés, aient un délai durant lequel elles pourront se préparer au mieux à cette nouvelle procédure qu’est l’action de groupe.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. D’abord, puisque nous parlons de réparations éventuelles, je veux rappeler très clairement que nous ne créons pas de droit, que nous sommes évidemment à droit constant. J’imagine que les entreprises le respecteront. Les services publics pourraient mieux les informer pour les aider.

Ensuite, la médiation et la négociation sont possibles à tous les niveaux et, d’une certaine manière nous facilitons aussi le dialogue social.

Enfin et surtout, il y a la procédure législative et cette proposition continuera à vivre au Sénat puis en seconde lecture ici. Elle pourra peut-être être intégrée plus largement dans le texte qui sera défendu dans quelques mois par la garde des sceaux, pour la justice du XXIe siècle, ce qui nous permettra de concrétiser cette grande avancée et de préciser tel ou tel point.

Parmi les points qui sont à préciser, il y a ce souci pédagogique avancé par notre rapporteur. Le Gouvernement le partage et nous trouverons les moyens les plus clairs pour qu’il ne puisse y avoir en aucune façon de mauvaises interprétations de cette loi, qui n’ajoute en rien des charges sur les entreprises. Pour les TPE-PME, on peut donc imaginer qu’il faille un délai d’information encore un peu plus long pour qu’elles comprennent bien qu’il ne s’agit là que d’une législation à droit constant.

Le Gouvernement est favorable à cet amendement.

(L’amendement n18 est adopté.)

(L’article 5, amendé, est adopté.)

Article 6

(L’article 6 est adopté.)

Article 6 bis

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 5 et 19.

La parole est à M. Sergio Coronado, pour soutenir l’amendement n5.

M. Sergio Coronado. Cet amendement vise à réparer un léger oubli. Comme il avait reçu un avis favorable de la commission, je pense que cela ne posera aucun problème.

L’article 6 bis prévoit l’action de groupe simplifiée mais l’alinéa 3 ne parle que des associations. Il nous semble que les organisations syndicales ont été oubliées alors qu’elles sont mentionnées tout au long du texte. Elles doivent pouvoir aussi recourir à l’action de groupe simplifiée.

M. le président. La parole est à M. Razzy Hammadi, rapporteur, pour soutenir l’amendement n19.

M. Razzy Hammadi, rapporteur. C’est la même chose.

(Les amendements identiques nos 5 et 19, acceptés par le Gouvernement, sont adoptés.)

(L’article 6 bis, amendé, est adopté.)

Article 7

(L’article 7 est adopté.)

Article 8

M. le président. La parole est à M. Sergio Coronado, pour soutenir l’amendement n2.

M. Sergio Coronado. Cet amendement vise à préciser que le juge vérifie que l’accord est bien conforme aux intérêts des parties. L’homologation ne peut pas porter simplement sur des points formels. Cette précision est d’ailleurs prévue à l’article 423-16 du code de la consommation pour l’action de groupe en matière de consommation.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Razzy Hammadi, rapporteur. Le fait que l’homologation puisse être défavorable à l’une des deux parties – je raisonne ici par l’absurde – est peu concevable : le principe même de l’homologation, c’est qu’un accord est examiné par le juge. Il vérifie notamment qu’il ne lèse aucune des deux parties et que, bien au contraire, leurs intérêts sont préservés.

J’aurais presque envie de m’en remettre à la sagesse du Gouvernement (Sourires), mais je suis tout de même favorable à cet amendement car c’est une précision nécessaire, pour les raisons que nous avons évoquées précédemment. Ce n’est pas utile aujourd’hui, mais c’est plus efficace.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Je suis personnellement très dubitatif. Puisque ce texte aura une vie législative, monsieur Coronado, je vous suggère de retirer votre amendement et de le représenter à un autre moment lorsque nous aurons éclairci un peu la situation.

M. Philippe Gosselin. Ça, c’est de la vraie sagesse !

M. le président. La parole est à M. Sébastien Denaja.

M. Sébastien Denaja. Nous ne sommes qu’en première lecture, la discussion a fait naître un certain nombre de doutes légitimes en chacun de nous, et à ce stade, la sagesse du Parlement, partageant les doutes exprimés par le Gouvernement serait de voir dans le cadre de la navette, que j’espère rapide et efficace, quelles sont les bonnes dispositions qu’il faudra adopter.

Si vous ne retirez pas votre amendement, monsieur Coronado, je pense que les députés du groupe socialiste, républicain et citoyen suivront la voix de leur responsable.

M. Philippe Gosselin. On a parfois des surprises !

M. le président. La parole est à M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Je précise d’abord que l’amendement avait reçu un avis favorable de la commission. Ce ne sera pas la première fois que je vois le groupe socialiste adopter un amendement en commission et le refuser en séance. Ce n’est pas grave, ce sont les aléas de la vie parlementaire et de la discipline majoritaire.

La question n’est pas de raisonner par l’absurde, monsieur le rapporteur, il s’agit simplement de considérer que l’homologation ne peut pas reposer uniquement sur des points formels, qu’elle doit reposer sur l’analyse des intérêts des parties, et je crois que cette précision est utile.

Si la navette existe, c’est pour permettre de donner un signe. S’il apparaît insuffisant, inadéquat, le Gouvernement pourra revenir au Sénat sur la disposition qui aura été votée à l’Assemblée. Nous sortons avec le président de la commission des lois d’une commission mixte paritaire. Je ne vois pas l’intérêt de retirer un amendement qui a reçu l’assentiment de la commission des lois sous prétexte que le Gouvernement n’a pas trouvé encore une position tout à fait ajustée, parce que, depuis le début du débat, il s’en est surtout remis à la sagesse de l’Assemblée de façon très floue et pour le moins peu directive.

Je propose qu’il poursuive dans cette voie, qu’on revienne sur cette disposition lors de la navette si elle ne convient pas mais que nous l’adoptions puisque la commission des lois l’avait adopté.

(L’amendement n2 n’est pas adopté.)

(L’article 8 est adopté.)

Article 9

(L’article 9 est adopté.)

Article 10

M. le président. La parole est à M. Razzy Hammadi, rapporteur, pour soutenir l’amendement n20.

M. Razzy Hammadi, rapporteur. C’est un amendement de cohérence.

(L’amendement n20, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

(L’article 10, amendé, est adopté.)

Article 11

M. le président. La parole est à M. Razzy Hammadi, rapporteur, pour soutenir l’amendement n21.

M. Razzy Hammadi, rapporteur. C’est un amendement de cohérence.

(L’amendement n21, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

M. le président. L’amendement n22 rectifié est également un amendement de cohérence, monsieur le rapporteur.

(L’amendement n22 rectifié, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

(L’article 11, amendé, est adopté.)

Article 12

M. le président. L’amendement n23 est un amendement de cohérence, monsieur le rapporteur.

(L’amendement n23, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

(L’article 12, amendé, est adopté.)

Article 13

M. le président. La parole est à M. Razzy Hammadi, rapporteur, pour soutenir l’amendement n24.

M. Razzy Hammadi, rapporteur. Cet amendement concerne les voies de recours contre la décision du juge de substituer une association intervenante ou un syndicat intervenant à un requérant défaillant. Ce sont les premiers éléments de retour que nous avons sur l’action de groupe relevant de la loi sur la consommation même si nous n’avons pas encore le rapport.

Le texte actuel retient la procédure relative aux exceptions d’incompétence, ce qui a du sens en procédure civile mais bien peu en procédure administrative. Je vous propose donc de supprimer la phrase en question afin de laisser prévaloir à ce stade le droit commun dans chaque juridiction.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Favorable.

Argument supplémentaire, nous pensons que c’est d’ordre réglementaire. Nous pourrons donc évoquer ce point par ailleurs.

(L’amendement n24 est adopté.)

(L’article 13, amendé, est adopté.)

Article 14

(L’article 14 est adopté.)

Après l’article 15

M. le président. La parole est à M. Razzy Hammadi, rapporteur, pour soutenir l’amendement n25.

M. Razzy Hammadi, rapporteur. Il y a un élément fondamental dans cette proposition de loi, c’est que nous complétons le champ de la définition de la discrimination au sens du code civil.

Jusqu’à présent, il fallait se référer notamment au code pénal pour avoir les vingt cas de discriminations recensés par le droit français, nourri par des transpositions de directive et par des débats, notamment pour la dernière en date, la discrimination en fonction du lieu de résidence.

Notre objectif dans le cadre de cette procédure a été de nous référer au code civil mais, pour cela, il fallait atteindre les vingt discriminations. Donc, en cohérence avec la nouvelle rédaction de l’article 1er, cet amendement propose d’aligner le périmètre de la discrimination en droit civil sur celui de la discrimination en droit pénal. Cela permettra d’inclure dans la première divers critères qui n’apparaissent pour l’instant que dans la seconde, comme l’état de santé, situation qui permet de discriminer, ou encore la grossesse.

Je rappelle par ailleurs qu’il s’agit d’une forte demande des acteurs du secteur mais aussi du défenseur des droits, avec lequel nous avons travaillé en grande intelligence.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Le Gouvernement partage le fond de cet amendement et les explications données par le rapporteur. Il est donc favorable à cet amendement.

(L’amendement n25 est adopté.)

M. le président. Nous avons achevé l’examen des articles de la proposition de loi.

Explications de vote

M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à M. Philippe Gosselin, pour le groupe Les Républicains.

M. Philippe Gosselin. Mon groupe est sans doute réduit ce soir, aussi ai-je quelques scrupules à m’exprimer en son nom... Pour faire suite à ce qui a été dit au cours du débat sur les amendements et pendant la discussion générale, je veux rappeler que nous partageons le diagnostic qui a été établi et que nous sommes très attachés aux objectifs essentiels de la lutte contre toutes les discriminations évoquées ce soir, qui vont à l’encontre des principes de la République. Toutefois, je m’interroge sur les modalités proposées. Ce n’est pas l’action de groupe en tant que telle qui m’ennuie, puisque je l’ai déjà défendue – j’étais d’ailleurs plutôt précurseur –, dès 2011, dans un rapport réalisé avec George Pau-Langevin, en proposant de l’étendre à la consommation.

Mais nous ne disposons pas aujourd’hui des premiers éléments de bilan qui étaient attendus. Il est du reste amusant, si je puis dire, d’avoir parlé pendant pratiquement toute la soirée d’un rapport qui était le grand absent du débat.

Vous-même, monsieur le rapporteur, y faisiez référence, en anticipant ses conclusions. Il y a peut-être dans cet hémicycle des élus qui ont les meilleures feuilles du rapport, mais ce n’est pas mon cas. Peut-être la majorité est-elle mieux informée grâce à quelques fuites... (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Pas de discrimination !

M. Philippe Gosselin. Je ne peux pas anticiper sur le contenu d’un rapport que je n’ai pas. Étant donné qu’il doit paraître d’ici à quelques semaines, nous aurions pu l’attendre sans aucune difficulté. M. le ministre a lui-même reconnu que la loi poserait immanquablement des difficultés d’interprétation et qu’il faudrait donner du temps aux entreprises. Parfois, le Gouvernement a été battu sur quelques amendements, sans que j’en fasse d’ailleurs une affaire d’État.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Eh bien, ne faites pas état de l’affaire !

M. Philippe Gosselin. Je n’en tire aucune satisfaction indue ! Je note seulement qu’il existe en réalité un léger flottement. Certains termes seraient à revoir, s’il y a d’autres lectures, pour éviter des difficultés juridiques.

Pour conclure, je pense que cette proposition aurait pu s’intégrer parfaitement au texte du projet de loi sur la justice du XXIe siècle, sauf s’il y a des raisons de douter qu’il soit présenté un jour, puisqu’on le repousse assez régulièrement. C’est peut-être une façon d’engranger maintenant, plutôt que d’attendre des lendemains qui chantent... Pour toutes ces raisons, vous comprendrez qu’à ce stade le groupe Les Républicains, dont je suis le représentant ce soir, s’abstienne. La navette parlementaire permettra peut-être d’avancer et de résoudre un certain nombre d’interrogations. Il sera alors temps de revoir notre vote.

M. le président. La parole est à M. Sébastien Denaja, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Sébastien Denaja. Alors que certains pensaient que, lorsque l’UMP a décidé de se rebaptiser « Les Républicains », c’était le substantif qui posait problème, c’était en fait l’article, puisque pour s’appeler « Les Républicains », il faut être au moins deux, et que ce soir vous êtes un peu seul, monsieur Gosselin ! (Rires.)

M. Philippe Gosselin. Il y a aussi un seul écologiste !

M. Sébastien Denaja. Excusez-moi, c’était facile !

M. Philippe Gosselin. La pointe d’humour est acceptée !

M. Sébastien Denaja. Le groupe socialiste, républicain et citoyen, qui n’a de problème ni au singulier, ni au pluriel,…

M. Sergio Coronado. Cela se discute !

M. Sébastien Denaja. …votera cette loi. Malgré le raffinement de votre argumentation, monsieur Gosselin, nous avons du mal à comprendre pourquoi le groupe qui s’appelle Les Républicains ne vote pas avec enthousiasme et l’ensemble des groupes, au-delà de la majorité – Marc Dolez l’a dit –une loi dont le titre montre bien qu’il s’agit de lutter contre les discriminations, en donnant de nouvelles armes aux citoyens pour faire valoir leurs droits. Vous attendiez un bilan, dites-vous, des procédures que nous avons déjà créées, notamment dans le cadre de la loi sur la consommation. Mais le bilan des discriminations existe bien, et il est accablant. Il faut agir !

Nous n’avons d’ailleurs pas besoin de bilan, parce que nous savons que l’action de groupe, notamment dans le domaine de la lutte contre la discrimination, a fait ses preuves à l’étranger. Dans un grand nombre d’États, cette procédure a donné des résultats tangibles. Ce soir, le groupe Socialiste, républicain et citoyen va voter ce texte avec enthousiasme, parce que nous faisons œuvre utile et que nous savons que nous ne légiférons pas pour l’éternité. Ce mécanisme devra faire ses preuves, et nous verrons ensuite comment l’ajuster. Nous espérons que le groupe Les Républicains finira par voter ce texte avec tous les républicains de gauche. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. Sergio Coronado, pour le groupe écologiste.

M. Sergio Coronado. Je voudrais féliciter Razzy Hammadi pour le volontarisme dont il a fait preuve dans l’élaboration de ce texte. Il y avait beaucoup de préventions à l’encontre de l’action de groupe accusée de développer le communautarisme. De ce point de vue, je trouve que le débat a été de qualité. L’intervention pleine de sagesse de notre collègue Gosselin montre que, de part et d’autre de l’hémicycle, on a pu évoluer sur cette question et trouver des points de convergence. Ces préventions avaient été vives au moment du dépôt de la proposition de loi d’Esther Benbassa au Sénat. Ainsi, le Gouvernement, avait utilisé le prétexte, pas totalement infondé, de la place centrale dévolue au défenseur des droits, qui nécessitait un passage par une loi organique, pour lui demander de retirer son texte.

À l’époque, le Gouvernement avait également avancé, comme vient de le rappeler notre collègue Gosselin, qu’il intégrerait les dispositions figurant aujourd’hui dans cette proposition de loi dans la réforme sur la justice du XXIe siècle. Je souhaite que cette détermination soit couronnée de succès, que la navette aille à son terme et que ce ne soit pas un coup d’épée dans l’eau. Nous avons tous intérêt à faire montre de notre volonté de lutter avec détermination contre les discriminations qui sont un fléau qui ronge le contrat social, crée du ressentiment et construit des relations sociales extrêmement tendues. Cette lutte est in fine la condition même du vivre ensemble.

Vote sur l’ensemble

M. le président. Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi.

(La proposition de loi est adoptée.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Razzy Hammadi, rapporteur. Le combat continue ! Je voudrais saluer l’ensemble des parlementaires du groupe SRC, au premier rang desquels son président, Bruno Le Roux, le président de la commission des lois, qui m’a accueilli pendant quelques séances, afin que je puisse défendre ce texte en tant que rapporteur, et Sébastien Denaja, mon acolyte désormais sur de nombreux textes, notamment s’agissant de l’action de groupe.

Mme Catherine Quéré. Vous êtes de la même génération !

M. Razzy Hammadi, rapporteur. C’est peut-être une question de génération, mais nous avions surtout déjà travaillé ensemble sur l’action de groupe dans le domaine de la consommation. Je remercie également l’ensemble des associations, des syndicats, des citoyens, des chercheurs et des juristes avec lesquels nous travaillons depuis trois ans. C’est une loi de mobilisation de la société dans un but de progrès et de transformation sociale. L’objectif n’est pas de décréter des droits nouveaux ou des sanctions nouvelles, mais de donner du pouvoir aux gens et, à travers eux, de la force à la République. Ces réflexions viennent de loin. Elles ont pu, par le passé, dépasser les clivages et nous pouvons y parvenir encore une fois.

Tout ce que nous faisons ici, c’est pour les enfants de la République, pour ceux qui sont en situation de handicap, ceux qui n’ont pas la bonne couleur, ceux qui n’ont pas la bonne orientation sexuelle, réelle ou supposée. Nous le faisons aussi pour ceux qui n’habitent pas le bon quartier, pour ces centaines de milliers de femmes qui, parce qu’elles sont femmes ou parce qu’elles ont été enceintes, se retrouvent dans des situations d’injustice. En le faisant pour eux, nous le faisons pour la République, et pour tenir la promesse républicaine.

Nous avons été confrontés à leurs regards, à leurs visages, à leur situation en tant qu’élus, en tant que citoyennes et citoyens. Ils étaient dans l’incapacité d’agir, parce qu’ils étaient seuls et trop isolés pour mobiliser un avocat dans une procédure longue et coûteuse. C’est à cela que répond l’action de groupe. C’est une immense fierté de voir que l’ensemble de la gauche républicaine a voté cette proposition. J’espère que le vote dépassera demain ces frontières, parce que ce combat doit tous nous rassembler. Je suis fier et heureux, je le redis. Le débat continue. Le combat continue. C’est ainsi que nous répondrons à la promesse républicaine qui veut que l’égalité ne soit pas seulement sur les frontons des mairies, mais aussi réellement dans le quotidien de nos concitoyennes et de nos concitoyens. Je vous remercie toutes et tous. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Mesdames, messieurs les députés, monsieur le rapporteur, au nom du Gouvernement, je remercie l’ensemble des parlementaires, mais plus particulièrement le groupe Socialiste, républicain et citoyen pour cette initiative dont chacun mesure et mesurera l’importance en termes de droits sociaux. Cette proposition arrive à un moment où beaucoup s’interrogent pour savoir comment on peut inscrire dans la loi de nouveaux progrès ; où l’idée de progrès social paraît difficile à réaliser ; où les formes traditionnelles de l’action sociale peinent à être efficaces ; où l’on voit qu’une certaine forme d’apartheid social peut encore exister, malgré un niveau de protection sociale et de droits particulièrement remarquable dans notre pays ; où l’on s’interroge sur le fait que certaines populations, qui n’ont pas toujours été répertoriées dans les formes utilisées traditionnellement pour aborder les questions sociales, soient oubliées dans notre réflexion.

On peut penser à ceux qui aujourd’hui, vraisemblablement, subissent la plus forte des discriminations, la stigmatisation. Je pense notamment à toutes ces personnes parfois d’origine étrangère qui, à cause de leur couleur de peau, de leur religion présupposée ou des quartiers où elles habitent, sont victimes d’un rejet, voire de discours publics qui les stigmatisent et les fragilisent dans la société. Mais on pense insuffisamment dans notre pays à tous ceux qui vivent avec un handicap. Notre société est en retard par rapport à d’autres sur cette question. On pense aussi à toutes ces personnes qui ont été victimes dans leur parcours de l’un de ces vingt cas de discrimination, lesquelles, au-delà d’un modèle de protection sociale classique, en souffrent et ne bénéficient pas des conditions parfaites d’épanouissement.

Pour tous ceux-là, ce que vous avez créé et qui se poursuivra dans les mois qui viennent pour se concrétiser en termes de droits nouveaux dans la société, votre initiative sera une initiative marquante de cette mandature. En effet, elle inaugure de nouveaux droits sociaux et une nouvelle approche des questions sociales. Parce qu’elle propose des méthodes de résolution de problèmes qui sont accessibles et non pas des postures de politique sociale, classiques en quelque sorte, qui ne remplissent plus complètement les objectifs que nous lui avions fixée, nous voyons que cette nouvelle démarche apporte un renouveau dans notre volonté de faire progresser la société.

Et s’il existe encore des doutes sur la nature des discriminations en question, vous qui avez déploré l’absence de rapport, monsieur Gosselin, je vous signale qu’il y aura non seulement bientôt celui sur la problématique de l’action de groupe en matière de consommation mais aussi celui de l’Institut Montaigne, lequel va montrer un degré de discrimination que ni vous ni moi n’imaginions. Je pense que votre position évoluera à sa lecture et que vous serez amené à considérer que notre société, notre république qui pourtant a fait beaucoup pour l’égalité des droits et qui évidemment affiche l’objectif de l’égalité des citoyens et de la lutte contre les discriminations au cœur du pacte républicain, ont encore en réalité beaucoup d’efforts à accomplir. Ou alors, on se laisse aller à refuser la prise en compte des discriminations parce qu’on n’est pas véritablement pour l’égalité, pour la fraternité, pas véritablement républicain. Le cas existe évidemment dans le débat politique, chacun le voit tous les jours.

Je le dis : ce gouvernement est fier d’avoir reçu cette proposition de loi élaborée par votre collègue Razzy Hammadi. Il est fier de constater que cette majorité œuvre, qu’elle rend visible son action, et je pense que nombre de nos concitoyens qui doutent aujourd’hui de la capacité de notre société à avancer trouveront dans ce texte de loi des raisons d’espérer et de justifier ce en quoi ils croient : la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

4

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, demain, à neuf heures trente :

Proposition de résolution relative aux classes bilangues pour l’apprentissage de l’allemand ;

Proposition de loi visant à expérimenter un service civique de défense ;

Proposition de loi relative au signalement des situations de maltraitance ;

Proposition de loi tendant à préciser l’infraction de violation de domicile ;

Proposition de loi organique relative à la collectivité de Saint-Barthélemy.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures quinze.)

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly