Accueil > Travaux en séance > Les comptes rendus > Les comptes rendus de la session > Compte rendu intégral

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Deuxième session extraordinaire de 2015-2016

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du jeudi 29 septembre 2016

SOMMAIRE

Présidence de Mme Laurence Dumont

1. Transparence, lutte contre la corruption et modernisation de la vie économique

Discussion des articles (suite)

Articles 15 et 15 ter

Article 16 ter A

Article 16 quater A

Article 16 quinquies

Articles 17 à 20

Article 21

Amendement no 326

M. Michel Sapin, ministre de l’économie et des finances

M. Romain Colas, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Article 21 bis A

Article 21 bis

M. Éric Woerth

M. Charles de Courson

Amendements nos 240 , 113

Rappel au règlement

M. Pierre Lellouche

Article 21 bis (suite)

Articles 22 quater à 23 ter

Article 24

Amendements nos 218, 219

M. Sébastien Denaja, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Article 24 bis

Article 24 ter

Amendement no 136 rectifié

Article 26 ter

Article 26 quater

Articles 27 bis et 28

Article 28 bis A

Amendement no 114

Article 28 bis B

Articles 28 bis, 28 ter A, 28 ter, 28 quater et 28 quinquies

Article 29

Amendement no 115

Article 29 bis AA

Article 29 bis A

Article 29 bis B

M. Pierre-Alain Muet

M. Razzy Hammadi

M. Charles de Courson

M. Philippe Gosselin

Amendements nos 130 , 309 troisième rectification

Article 29 quater

Amendement no 118

Article 30 AB

Article 33

Amendement no 325

Article 33 bis A

Article 33 bis

Amendement no 116

Articles 34 à 41

Article 41 bis

Article 42

Article 42 bis

Article 45

Article 45 bis

Mme Eva Sas

Amendements nos 208 , 137 , 202 , 209 , 230 rectifié , 3 , 80 , 153 rectifié , 19 , 159 , 29 , 158 , 321 , 322 , 134 , 112, 122

Article 45 ter

Article 45 quater

Amendement no 332 deuxième rectification

Article 46

Article 46 bis

Amendement no 333

Article 46 ter

Article 46 quater

Amendement no 334

Article 47

Amendement no 110

Articles 47 bis à 54 bis B

Article 54 bis E

Amendements nos 1 , 342 (sous-amendement)

Article 54 bis

Articles 54 ter et 54 quater

Articles 54 quinquies à 54 septies

Article 55

Amendements nos 327 , 343 (sous-amendement)

Article 56

Amendement no 227

Article 57

Article 58

Vote sur l’ensemble

2. Compétence du Défenseur des droits pour la protection des lanceurs d’alerte

Discussion des articles

Article 1er

Amendement no 1

M. Sébastien Denaja, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

M. Michel Sapin, ministre de l’économie et des finances

Vote sur l’ensemble

3. Clôture de la session extraordinaire

4. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de Mme Laurence Dumont

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Transparence, lutte contre la corruption et modernisation de la vie économique

Nouvelle lecture (suite)

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, en nouvelle lecture, du projet de loi, modifié par le Sénat, relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (nos 3939, 4045, 4039, 4040).

Discussion des articles (suite)

Mme la présidente. Ce matin, l’Assemblée a poursuivi la discussion des articles du projet de loi, s’arrêtant à l’article 15.

Articles 15 et 15 ter

(Les articles 15 et 15 ter sont successivement adoptés.)

Article 16 ter A

Mme la présidente. La commission a maintenu la suppression par le Sénat de l’article 16 ter A.

Article 16 quater A

(L’article 16 quater A est adopté.)

Article 16 quinquies

Mme la présidente. La commission a maintenu la suppression par le Sénat de l’article 16 quinquies.

Articles 17 à 20

(Les articles 17, 18, 19, 19 bis et 20 sont successivement adoptés.)

Article 21

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre de l’économie et des finances, pour soutenir l’amendement n326.

M. Michel Sapin, ministre de l’économie et des finances. Il s’agit d’un amendement de précision, mais cette précision, comme souvent dans nos débats législatifs, a son importance.

Le V de l’article 21 prévoit la création d’un régime national de résolution applicable au secteur de l’assurance. La résolution intervenant pour éviter une situation de faillite prévisible qui menacerait les intérêts des assurés concernés et leur situation financière, il convient de préciser les conséquences juridiques pour l’organisme concerné, afin qu’il ne puisse être considéré comme en situation de faillite.

Mme la présidente. La parole est à M. Romain Colas, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, pour donner l’avis de la commission.

M. Romain Colas, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Cet amendement vise à améliorer le nouveau dispositif de résolution dans le secteur des assurances : la commission y est donc favorable.

(L’amendement n326 est adopté.)

(L’article 21, amendé, est adopté.)

Article 21 bis A

(L’article 21 bis A est adopté.)

Article 21 bis

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Woerth, premier orateur inscrit sur l’article.

M. Éric Woerth. Cet article pose un certain nombre de questions, comme en témoignent les nombreux courriers que nous avons reçus à son sujet et les auditions que nous avons pu faire. Son objectif est louable, puisqu’il vise à sécuriser le secteur assurantiel et, plus largement, l’économie du pays, contre un risque systémique ou une montée des taux. Je ne vois rien à redire à cela et je pense que c’est une bonne chose d’essayer de sécuriser les choses en amont, plutôt que de réagir après-coup, dans la panique.

Cela étant dit, considérer que la sécurité des marchés peut passer avant la sécurité des épargnants, que la sécurité des marchés peut provoquer l’insécurité des épargnants, ce n’est pas un bon signal – comme on dit aujourd’hui – envoyé aux épargnants. Il existe un pacte de confiance avec les épargnants. L’assurance-vie, à elle seule, concerne 14 ou 15 millions d’épargnants, et l’on sait que la France aime l’épargne. Celle-ci est pour ainsi dire inscrite dans notre pacte économique et il convient de la protéger. L’ancien Président de la République a protégé l’épargne et les comptes en banque des Français durant la grande crise des années 2008-2009.

Il importe, je le répète, de sécuriser les épargnants. Notre économie est très fragile – monsieur le ministre de l’économie, vous le savez mieux que quiconque – et elle repose aussi sur la confiance. Il n’y a pas de bonne économie sans confiance, car si l’on ne croit pas en l’avenir, on n’investit pas et on ne consomme pas.

Le signal que vous donnez est extrêmement négatif, et c’est la raison pour laquelle je soutiendrai l’amendement de mes collègues Patrick Hetzel et Lionel Tardy. Celui-ci propose que dans certaines circonstances exceptionnelles, sur le modèle du dispositif de déblocage de la réserve de participation, l’épargnant puisse, quand sa vie personnelle l’impose, et même si la conjoncture est extrêmement difficile, récupérer son épargne. Cette épargne, qu’il a accumulée tout au long de sa vie par son travail, doit certes être sécurisée et pouvoir faire l’objet d’une forme de contrôle, mais elle doit aussi pouvoir être libérée, même quand la situation économique est difficile, si les accidents de la vie l’exigent. J’apporterai donc mon soutien à l’amendement déposé par Patrick Hetzel et Lionel Tardy.

Mme la présidente. La parole est à M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. L’article 21 bis est à mon sens un bon article. Après avoir beaucoup travaillé sur les banques et avoir introduit dans ce secteur des systèmes de résolution, nous avons essayé de transposer cela dans le secteur des assurances.

Le problème spécifique des assurances, c’est que l’un des grands actifs qu’elles gèrent est l’assurance-vie. Je vous rappelle, chers collègues, que celle-ci représente 1 500 à 1 600 milliards d’euros et qu’elle constitue la première forme d’épargne financière des ménages. Or le pouvoir que l’on donne à l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution – APCR – de bloquer l’épargne en cas de crise obligataire, par exemple, pose un problème pour les épargnants. Il faut en effet rappeler que, contrairement à ce croient beaucoup de gens, le contrat d’assurance-vie est pour l’essentiel une épargne liquide, que l’on peut récupérer à tout moment.

Il ne faudrait pas qu’une mesure prise à l’APCR déstabilise les épargnants et que ceux-ci renoncent à placer leur argent dans les contrats d’assurance-vie, par peur de ne pouvoir le récupérer en cas de blocage. Le même problème s’est posé au sujet de l’intéressement et de la participation, qui constituaient également de l’épargne bloquée. Or on a accepté que, dans certains cas, les épargnants puissent retirer leur argent avant la date normale de déblocage pour faire face à certains événements de la vie, tels que l’achat d’un appartement, le décès d’un proche, un mariage, ou que sais-je encore.

L’amendement n113, que je défendrai tout à l’heure, vise donc à ce que nous nous inspirions de ce qui a été fait pour l’intéressement et la participation. Il constituerait un bon compromis, puisqu’il sécuriserait le contrat d’assurance-vie, tout en garantissant aux épargnants qu’ils pourront, s’il leur arrive dans la vie un malheur, ou un bonheur, retirer leur épargne, même si l’APCR a pris une décision de blocage pour protéger ce système d’épargne.

Mme la présidente. La parole est à M. Romain Colas, pour soutenir l’amendement n240.

M. Romain Colas, rapporteur pour avis. Si vous le permettez, madame la présidente, je profiterai de la défense de cet amendement pour donner un avis sur les amendements nos 79 et 113, qui n’ont pas encore été défendus, mais dont mes collègues Éric Woerth et Charles de Courson ont déjà exposé le contenu.

Charles de Courson a justement rappelé que nous avons beaucoup travaillé sur les régimes macroprudentiels en matière bancaire, et que les enjeux financiers du secteur des assurances – 1 600 milliards d’euros d’encours pour la seule assurance-vie – rendaient nécessaire d’anticiper les risques dans ce secteur aussi. C’est la raison pour laquelle j’ai été amené à vous proposer en première lecture, en lien avec l’APCR, la Direction générale du Trésor et les équipes de Michel Sapin, un amendement, devenu l’article 21 bis, qui crée un régime macroprudentiel dans le secteur des assurances.

Je veux insister sur le fait que les mesures qui pourront être prises par le Haut conseil de stabilité financière – HCSF – pour tout ou partie du secteur des assurances, au terme d’un certain nombre de consultations, ne sont pas une nouveauté radicale introduite par cet article. Ces mesures exceptionnelles, qui pourraient être prises en cas de menace grave et avérée sur la stabilité financière ou sur la santé financière de l’un des acteurs du secteur des assurances, et qui ont été encadrées par le Sénat – je tiens en effet à souligner que ces dispositions ont été soutenues, non seulement par la majorité de l’Assemblée nationale, mais également par les sénateurs, dont j’ai retenu l’ensemble des propositions, notamment celle qui consiste à limiter la durée des mesures prises par le HCSF – peuvent déjà être prises isolément par l’ACPR, et sans l’ensemble des garde-fous que nous avons introduits dans la loi, pour un seul des acteurs.

Il n’y a donc pas, à proprement parler, de mesure nouvelle. La véritable nouveauté, qui s’inscrira dans un cadre parfaitement contrôlé, tient au nombre important des acteurs auxquels ces mesures pourront s’imposer. Puisque les choses vont mieux en le disant, je n’ose pas imaginer, pour ma part, qu’un ministre de l’économie et des finances dirigeant le Haut conseil de stabilité financière ait un jour l’idée de nuire aux épargnants, car la première protection, pour le titulaire d’une assurance-vie, c’est précisément que son assureur ne soit pas mis en faillite.

S’il y a un début d’incendie, il faut pouvoir l’éteindre, c’est le sens des outils que nous proposons de mettre en place, mais puisque les choses vont mieux en le disant, mon amendement vise à préciser – même si cela me paraît superfétatoire, il faut tenir compte des inquiétudes manifestées par certains – que « […] le Haut conseil veille à la protection de la stabilité financière et tient compte des intérêts des assurés, adhérents et bénéficiaires. »

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement.

M. Michel Sapin, ministre. Cet article étant important, je vais détailler à la fois des éléments de réponse et d’appréciation. J’indique au préalable que l’amendement de M. Colas me semble répondre à la préoccupation partagée en fait par les uns et les autres.

Que les choses soient claires : un mécanisme de résolution tel que celui-ci est d’abord et avant tout un mécanisme de protection des petits épargnants. En effet, si on ne met pas en place un dispositif de cette nature, uniquement bien sûr en cas de crise grave et avérée mettant en cause la stabilité financière – on voit bien qu’il ne s’agit pas de palier simplement une difficulté de liquidité d’un jour –, c’est pour éviter que les gros épargnants, bien informés et avisés, retirent progressivement la totalité des sommes qu’ils avaient déposées dans le cadre d’une assurance-vie, au point que l’organisme d’assurance se retrouve à un moment donné dans l’incapacité de faire face aux autres demandes de retrait. Les victimes seront alors les petits épargnants, qui ne disposaient évidemment pas, eux, du même type d’information, et qui ne pourront plus rien retirer parce que leur compagnie d’assurance aura été mise en faillite, ce qui les placera en très grande difficulté. L’objectif de la proposition de M. Colas, à juste titre précisée par le Sénat pour souligner la gravité des crises concernées, c’est d’abord et avant tout de protéger les petits et moyens épargnants.

Les uns et les autres ont ensuite exprimé une préoccupation que je crois parfaitement légitime : il ne faudrait pas que le système de résolution empêche, en particulier les petits épargnants, de procéder à des retraits, souvent de petites sommes, pour faire face à des situations difficiles de leur vie. Je connais la liste des cas que vous avez évoquée, notamment parce qu’elle a été dressée avec beaucoup de désintéressement et d’efficacité par une grande association qui a suggéré un amendement à ce titre – ce n’est pas faire injure aux uns et aux autres que de le rappeler –, amendement que j’ai bien entendu examiné très attentivement avec mes équipes et qui renvoie au vôtre, monsieur de Courson.

Mais votre amendement, monsieur de Courson, répondrait-il concrètement à la préoccupation qui est la nôtre ? Je crains que non parce que vous demandez à la compagnie d’assurance elle-même, qui se trouverait déjà en situation de panique, d’examiner, d’instruire, une par une, des centaines, des milliers voire des dizaines de milliers de demandes de retrait de petites sommes pour faire face aux aléas de la vie, afin de voir si chacune correspond bien à des cas de dérogation figurant dans la liste que vous proposez. Trop de précisions imposées à la compagnie d’assurance dans le traitement de ces dossiers risque d’aboutir à une impossibilité de fait. Imaginez, monsieur de Courson, que nous soyons dans une grande crise, que la compagnie d’assurance joue sa peau face à des problèmes gigantesques, et qui devrait instruire, en l’espace de quelques jours ou de quelques semaines tout au plus, des milliers de dossiers. Elle ne pourra pas le faire, sera mise en faillite, et les petits épargnants auront alors perdu l’ensemble de leurs économies.

L’amendement de M. Colas, quant à lui, répond à notre préoccupation en prévoyant que le Haut conseil de stabilité financière – que j’ai l’honneur de présider puisque c’est ainsi que votre assemblée en a décidé en votant la loi bancaire – devra, dans les mécanismes qu’il mettra en œuvre dans les cas de crise grave, tenir compte des difficultés que je viens d’évoquer, soit en mettant en place sa propre liste des cas dérogatoires, soit en autorisant les petits retraits, système qui serait plus simple à appliquer pour les compagnies d’assurance en raison de son automaticité.

Certains de nos débats montrent des contradictions entre nous très profondes, mais je crois que nous allons tous ici dans le même sens. Vous considérez tous que c’est une bonne chose de donner aux pouvoirs publics, en l’occurrence à une institution chargée de la stabilité financière, la capacité de réagir pour protéger les épargnants, mais de manière suffisamment fine et adaptée pour répondre aux préoccupations des épargnants les plus faibles. La proposition de M. Colas, que je soutiens, me paraît plus efficace, plus réaliste et plus adaptée à une situation qui serait de toute façon une situation de crise grave. C’est pourquoi nous devrions pouvoir se retrouver autour de cet amendement qui répond à la préoccupation exprimée par les uns et les autres et que le Gouvernement partage.

Mme la présidente. La parole est à M. Christophe Castaner.

M. Christophe Castaner. Nous sommes tous d’accord, quels que soient les bancs, sur le constat : contrairement au secteur bancaire, il n’existe pas aujourd’hui, ni au niveau international ni au niveau national, de régime de résolution dans le secteur assuranciel. Et c’est une vraie fragilité du fait de l’importance des sommes mobilisées et qui appartiennent à nos concitoyens, d’autant plus que nous en connaissons la dimension très populaire. La problématique de la garantie de ce petit placement, trésor dans les familles françaises, est un sujet particulièrement important auquel il fallait répondre en mettant en place ce système de sécurité assurancielle et en l’affinant.

L’amendement présenté par le rapporteur général au Sénat, comme celui de Romain Colas, permettent de répondre à l’inquiétude de ceux qui pensent que le Haut conseil pourrait ne pas tenir compte des intérêts des assurés, en particulier des petits assurés. À cet égard, la proposition du rapporteur complète les amendements adoptés au Sénat en instituant l’obligation pour le Haut conseil de prendre en compte la réalité de la situation des assurés, des adhérents et des bénéficiaires des contrats d’assurance dans l’exercice des nouveaux pouvoirs qui lui sont confiés. Cela permettra de garantir la réalisation de l’objectif qui a bien été exposé par les différents collègues qui se sont exprimés. Le Haut conseil devrait ainsi être conduit à faire usage de la proportionnalité en fonction de la sévérité des menaces qui pèsent sur le régime lui-même. Ce qui compte, c’est la sauvegarde du régime, mais évidemment par la mise en œuvre de mesures qui protègent l’intérêt des épargnants, en particulier des petits épargnants qui, comme le ministre l’a dit, seraient, parce que moins informés, moins avisés et moins prévoyants dans la gestion de leurs actifs, mis en situation financièrement délicate et surtout en situation concurrentielle par rapport aux gros titulaires de titres qui l’emporteraient alors dans la gestion de leurs propres fonds.

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Lellouche.

M. Pierre Lellouche. Monsieur le ministre, je suis extrêmement gêné par cette proposition. Je lui trouve en effet, surtout émanant d’une majorité de gauche, un caractère vraiment immoral. Il s’agit en effet de faire porter sur les clients des compagnies d’assurance des mécanismes chargés de gérer éventuellement les turpitudes ou les erreurs de celles-ci. Que la France veuille se doter d’un mécanisme de résolution dans le domaine de l’assurance, fort bien ; que ce mécanisme prévoit des contraintes de gestion pour des compagnies d’assurance, fort bien ; mais qu’au final, ce soit aux clients de payer pour ces turpitudes sans pouvoir récupérer leur argent, je trouve cela très choquant. Lors de l’affaire des subprimes aux États-Unis, on entendait, rappelez-vous, cette fameuse phrase : « C’est Main Street qui paye pour Wall Street. » Et à la fin de la journée, c’est toujours le petit épargnant, le petit assuré, qui paye pour toutes les erreurs de gestion des grandes entreprises financières qui ont spéculé, titrisé, constitué leur portefeuille de façon souvent aléatoire. Je trouve pour le moins curieux qu’un gouvernement de gauche vienne aujourd’hui nous expliquer que pour sauver si nécessaire les compagnies d’assurance, il faudrait bloquer l’épargne des particuliers parce que, comme le disait Charles de Courson, il s’agit d’une épargne liquide.

J’ajoute que les amendements identiques déposés par MM. de Courson, Hetzel et Tardy, et je rejoins Éric Woerth pour prendre fermement leur parti, prévoient d’introduire dans votre mécanisme de résolution plusieurs garde-fous pour les plus faible : les retraités, ceux qui ont perdu un emploi, ceux qui sont frappés de maladie. C’est le minimum syndical.

Quant à l’amendement de M. Colas, il ne veut rigoureusement rien dire tel qu’il est rédigé, dans la mesure où il parle à la fois de stabilité financière et des intérêts des épargnants.

Je suis étonné par votre attitude, monsieur Colas, ainsi que par l’argument du ministre qui retourne le problème à l’envers en nous expliquant que cette limitation des droits des assurés et des épargnants servira à mieux les protéger, ce que je trouve assez remarquable dans le genre du sophisme jésuite.

M. Michel Sapin, ministre. Et vous, dans le genre de la démagogie absolue et de l’irresponsabilité, vous êtes un champion !

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Woerth.

M. Éric Woerth. L’épargnant a droit à la protection de son épargne, cela ne me pose pas de problème, pas plus que le principe : à situation exceptionnelle, réponse exceptionnelle. Je pense toutefois que vous ouvrez la porte à un mécanisme extrêmement dangereux. Il vaut certes mieux prévenir que guérir, mais encore faut-il regarder quel est le coût de la prévention. L’acte d’épargne, vous le savez mieux que quiconque, monsieur le ministre, repose aussi et surtout sur la confiance. Or annoncer aux épargnants que leur compte pourrait à un moment donné être bloqué et qu’ils pourraient ne pas disposer de leur épargne sera compliqué à expliquer.

Pour notre part, nous ne remettons pas en cause le principe du dispositif parce qu’il s’appliquerait dans une situation par nature exceptionnelle, dont nous espérons qu’elle ne se produira pas. Mais je me dis seulement que le législateur a le droit de légiférer et donc aussi de préciser les choses, et que cela ne devrait pas être uniquement au Haut conseil, si éminemment présidé soit-il, de définir l’ensemble des détails dudit dispositif. Les compagnies d’assurance doivent pouvoir gérer des cas d’urgence. On peut avoir besoin de son épargne pour des événements heureux ou malheureux, et le fait que celle-ci soit disponible n’accroîtrait pas le risque systémique envisagé. Ce n’est qu’un problème de gestion : aux compagnies d’assurance de s’organiser pour gérer au mieux la situation. Cela dit, la loi peut apporter des précisions car, nous l’avons bien vu, moins le législateur précise les choses, plus c’est compliqué et plus on laisse au juge, à des autorités administratives indépendantes, voire à des hauts conseils de cette nature, la capacité d’interpréter ce que nous souhaitons : nous, nous pensons que les petits épargnants doivent pouvoir disposer d’une épargne liquide pour des événements de vie.

Mme la présidente. La parole est à M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. L’amendement Colas est sympathique, mais aurait-il une portée ? Son exposé sommaire est d’ailleurs plus intéressant que son texte même puisqu’il dit que le Haut conseil pourra utiliser la règle de la proportionnalité. En termes clairs, cela signifiera rembourser une part décroissante en fonction du montant de l’épargne. Cela renvoie à la question des gros par rapport aux petits. Je n’aime pas trop une telle opposition en termes d’épargne parce que tout le monde sera embarqué dans le même bateau.

S’agissant de vos deux arguments, monsieur le ministre, l’un pour l’amendement Colas et l’autre contre l’amendement De Courson – l’amendement n79 de M. Hetzel ne sera, hélas, pas défendu –, je ne les partage pas. Vous soulignez l’importance des neuf cas prévus dans notre liste des dérogations. Mais le pourcentage des épargnants concernés serait très faible : la fréquence des mariages n’est tout de même pas très élevée. Quant à celle des décès, elle n’atteint pas 1 %. On pourrait faire le total, mais cela ne représenterait que quelques pour cent. Cela ne correspond pas du tout à l’importance que vous accordez à ces cas. Je crains que l’amendement Colas ne sécurise pas l’épargnant. Celui-ci va se dire : « S’il m’arrive un bonheur ou un malheur dans la vie en période de blocage, je ne pourrai pas récupérer la somme dont j’aurai besoin. » Je ne suis pas contre l’amendement du rapporteur – cela ne mange pas de pain, comme on dit chez moi – mais il serait utilement complété par l’amendement n113. Il ne faut pas opposer les deux. Ainsi, les gens seraient sécurisés. Ils se diraient : « Même si je traverse une période grave, je pourrai récupérer mon argent pour m’acheter un appartement, ou parce qu’il y a un décès dans la famille, etc. »

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Romain Colas, rapporteur pour avis. S’il y a au moins un sujet sur lequel nous nous rejoignons, monsieur Lellouche, c’est l’étonnement ! Moi, je suis étonné que vous soyez en situation de nous donner des leçons sur ce que la gauche a fait. Je ne crois pas que vous soyez le plus qualifié pour cela ! Et puisque vous avez employé le mot « immoral », je vous souhaite bon courage lorsque vous croiserez un sénateur appartenant à la même formation politique que vous puisque les sénateurs ont validé ce dispositif que vous considérez vous-même comme « immoral ».

M. Pierre Lellouche. Les sénateurs se sont trompés sur plusieurs sujets !

M. Romain Colas, rapporteur pour avis. Albéric de Montgolfier a ainsi travaillé avec moi sur une rédaction commune car, comme nous, il se préoccupe de disposer d’un outil efficace.

Tout en saluant le caractère mesuré des interventions de vos collègues, qui ont travaillé sur ce dossier, je me permets de rappeler que l’objectif premier du dispositif c’est précisément de sécuriser l’épargnant. De plus, les mesures dont il est question revêtent un caractère provisoire. Il ne s’agit pas de bloquer ad vitam aeternam l’épargne des Français. Enfin, comme l’a dit le ministre, il existe une faculté de modulation.

Mon amendement n’a pas une visée opérationnelle ; il s’attache au sens, puisque le Haut Conseil pourra apporter une modulation en fonction des besoins constatés.

M. Pierre Lellouche. C’est lui le législateur, en quelque sorte !

M. Romain Colas, rapporteur pour avis. Les amendements de M. Hetzel et de M. de Courson auraient quant à eux pour effet de rigidifier le système alors qu’il faudra intervenir dans l’urgence. Le Haut Conseil, confronté à l’urgence d’une crise, pourra moduler le dispositif après avoir évalué la situation.

Quant aux listes de situations, elles posent le problème des inévitables oublis. L’injustice criante, l’erreur, la défaillance du législateur apparaissent lorsque l’on veut mettre en œuvre une loi trop bavarde ou qui a voulu entrer trop dans le détail. Ces mesures exceptionnelles, dans des circonstances exceptionnelles, encadrées à la fois par la majorité dans cette assemblée et par la majorité au Sénat, présentent un caractère provisoire, précisément pour préserver l’épargne. La pire chose qui puisse arriver à un épargnant c’est en effet de voir son capital disparaître, pas d’en avoir une partie bloquée pendant une période de trois mois. M. Lellouche n’a pas l’air d’avoir saisi la portée du dispositif.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Michel Sapin, ministre. Il faut éclairer le débat, notamment pour ceux qui nous observent à l’extérieur de cet hémicycle et dont nous partageons les préoccupations. D’abord, il n’y a pas lieu de s’émouvoir du positionnement de M. Lellouche qui, du point de vue de la démagogie, est parvenu à des sommets, car il se trouve seul parmi ses collègues de l’opposition à l’Assemblée nationale ou de la majorité au Sénat. Ces derniers ont en effet bien compris que l’intérêt général c’était de mettre en place un dispositif pour éviter que ce que l’on appelle, dans le jargon, des runs brutaux ne mettent à mal l’ensemble d’une compagnie d’assurances et n’aboutissent à la situation suivante : les plus avisés des épargnants auront retiré leur argent et les plus petits se retrouveront sur le carreau.

Il faut aussi éviter de faire peur : le dispositif n’est prévu que pour trois mois. Il ne vise qu’à faire face à une crise particulièrement violente. Un délai de trois mois permettra, nous l’espérons, de trouver une solution à la difficulté rencontrée par une compagnie ou un ensemble de sociétés d’assurance, dans le cadre d’une crise plus systémique.

La seule question qui est posée est la suivante : comment peut-on faire face, le plus efficacement possible, aux situations difficiles que rencontreraient des épargnants ?

La liste, qui paraît de bon sens, prévue par l’amendement de M. de Courson présente deux inconvénients. Le premier vient d’être décrit par M. Colas. Une liste est limitative. De nombreuses situations, différentes de celles décrites, auraient pu être prises en compte mais ne le seront pas, ce qui réduira la capacité d’appréciation des situations. Second inconvénient : vous nous dites, monsieur de Courson, que le nombre de cas concernés sera très limité – je l’espère !

M. Charles de Courson. Il est limité statistiquement.

M. Michel Sapin, ministre. C’est la beauté des statistiques ! En réalité, une compagnie d’assurances qui garantit les placements qui ont été réalisés chez elle, en particulier ceux des petits épargnants, ce qui est nécessaire pour la stabilité non pas des marchés financiers mais de la société elle-même, met déjà en place certaines mesures.

Avec ce que vous proposez, certaines personnes avisées se serviront de ces exceptions comme des opportunités à saisir. Et la compagnie d’assurance, déjà soumise à une forte panique et à l’inquiétude de son personnel, devra instruire beaucoup plus de dossiers que cela serait le cas autrement, ce qui affectera son fonctionnement quotidien.

Voilà pourquoi il est préférable de donner au Haut Conseil de stabilité financière, comme le prévoit l’amendement de M. Colas, la capacité de mettre en œuvre des dispositions permettant de répondre aux cas qui nous préoccupent tous. Le Haut Conseil est véritablement au service de l’intérêt général, non des marchés. Vous en avez voulu ainsi, messieurs, mesdames les députés, sur le modèle de bien d’autres pays. 

M. Pierre Lellouche. Madame la président, je souhaite intervenir, car j’ai été mis en cause !

Mme la présidente. Monsieur Lellouche, je vous donnerai la parole, si vous la demandez, sur les autres amendements !

(L’amendement n240 est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Charles de Courson, pour soutenir l’amendement n113.

M. Charles de Courson. Mon amendement n’est nullement contradictoire avec celui que nous venons d’adopter. Les neuf cas qu’il prévoit n’ont pas été produits par mon cerveau fertile, comme dit le poète. Ils correspondent tout simplement aux neuf situations qui permettent le déblocage des fonds de participation et d’intéressement. Pour vous rassurer, monsieur le ministre, l’occurrence cumulée de ces neuf cas sera inférieure à 2 % dans l’hypothèse d’un blocage d’une année, soit 1 % pour six mois. Cela ne sera donc pas un facteur de déstabilisation. L’intérêt de prévoir une telle liste, en revanche, c’est de sécuriser l’épargnant. Celui-ci saura en effet que, même en cas de crise grave – décès dans sa famille, invalidité, perte d’emploi –, il pourra disposer de ses fonds. C’est d’ailleurs une idée que partagent certains gestionnaires d’assurance-vie, dont le président d’une grande société que vous connaissez bien, monsieur le ministre. Quant au problème de l’exhaustivité, en cas de nécessité le Haut Conseil pourra toujours compléter la liste. Un tel dispositif, qui ne mange pas de pain et permettrait de sécuriser les épargnants, serait une bonne chose pour l’assurance-vie que personne n’a intérêt à mettre en difficulté vu qu’elle finance le déficit de l’État.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Romain Colas, rapporteur pour avis. L’avis de la commission reste défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. Même avis défavorable.

Rappel au règlement

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Lellouche, pour un rappel au règlement.

M. Pierre Lellouche. Madame la présidente, mon intervention se fonde sur le premier alinéa de l’article 57 de notre règlement.

Monsieur le ministre, vous n’aviez pas à me mettre en cause. J’ai émis une opinion sur votre dispositif,…

M. Christophe Castaner. Ce n’était pas une opinion ; c’était une mise en cause !

M. Pierre Lellouche. …en soutenant les amendements de mes collègues de l’opposition, qui me paraissaient fondés et prudentiels par rapport aux intérêts des épargnants. L’émoi qui a été le vôtre et celui de M. Colas montre bien que vous avez été piqué au vif parce qu’en effet, ce que vous voulez faire est immoral.

M. Christophe Castaner. Vous êtes mal placé pour parler d’immoralité !

M. Pierre Lellouche. C’est immoral particulièrement venant de personnes qui ont été élues en indiquant au monde entier que leur ennemi c’était la finance.

M. Romain Colas, rapporteur pour avis. Quelle démagogie !

M. Pierre Lellouche. Or, aujourd’hui, cet ennemi, vous le défendez au détriment des petits épargnants. Voilà le résultat de votre politique ! Je connais sûrement aussi bien que vous, monsieur le ministre, les risques systémiques que vous évoquez sur le plan international. Mais je connais aussi les fautes et les turpitudes de certains établissements financiers qui ont procédé à une titrisation excessive. Il n’y a aucune raison que Main Street paie pour Wall Street, que les grands établissements financiers qui ont fait des erreurs soient financés par les épargnants.

M. Christophe Castaner. Cessez de mentir ! Le système vise à protéger les épargnants !

M. Pierre Lellouche. Cela n’est pas de la démagogie ; ce n’est que du bon sens, et peut-être tiendriez-vous d’autres propos si vous aviez intérêt à défendre ceux qui ont besoin d’être défendus. En tout cas, je vous interdis de considérer comme démagogues ceux qui ne sont pas du même avis que vous !

M. Michel Sapin, ministre. Nous vous laissons à vos propos !

Article 21 bis (suite)

Mme la présidente. Nous en venons au vote sur l’amendement n113.

(L’amendement n113 n’est pas adopté.)

(L’article 21 bis, amendé, est adopté.)

Articles 22 quater à 23 ter

(Les articles 22 quater, 23 bis et 23 ter sont successivement adoptés.)

Article 24

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Lellouche, pour soutenir les amendements no218 et 219, qui peuvent faire l’objet d’une présentation commune.

M. Pierre Lellouche. Ces amendements portent sur un tout autre sujet. J’espère que vous ne me tiendrez pas rigueur de nos échanges précédents, monsieur le ministre, et que vous soutiendrez ces amendements, qui sont dans l’intérêt national.

Au mois de mai dernier, le Sénat américain a adopté à la majorité la Justice Against Sponsors of Terrorism Act, dite loi JASTA, qui permet de poursuivre devant les tribunaux américains tout État considéré comme directement ou indirectement complice d’une action terroriste aux États-Unis. Et la Chambre des représentants a adopté le même texte à l’unanimité il y a une dizaine de jours.

Ce texte est une révolution en droit international puisqu’il fait littéralement sauter le principe fondamental de l’immunité souveraine des États. Dès lors, différents États adopteront d’autres lois, et tout le monde va pouvoir attaquer tout le monde devant tous les tribunaux. Cela a d’ailleurs conduit le président Obama à opposer son veto vendredi dernier, 23 septembre. Le problème c’est que la campagne électorale bat son plein aux États-Unis et qu’il n’y aura pas, au Congrès, suffisamment de voix pour s’opposer à ce texte qui sera donc voté par les deux chambres dans les heures qui viennent, avant la fin de la session parlementaire là-bas. Nous sommes donc dans une situation extrêmement difficile. À partir du moment où ce texte sera adopté, n’importe quel État, y compris la France, pourra être traîné devant les tribunaux américains pour tout ce qui pourra être considéré comme une assistance, directe ou indirecte, à un acte terroriste. Les biens de la République française pourront être saisis.

J’ai écrit hier au Président de la République et au président de l’Assemblée nationale pour que nous disions au Congrès américain que ce texte est inacceptable en l’état. À tout le moins, il doit permettre une série d’exceptions pour les États, comme la France, qui sont eux-mêmes victimes d’attentats terroristes, voire alliés des États-Unis dans la lutte contre le terrorisme.

En l’absence d’amendement à ce texte, la seule chose qui nous reste à faire, c’est d’envoyer un signal très fort au Congrès américain pour lui dire que nous sommes prêts à prendre une mesure analogue. Faute de quoi, nous risquons de nous trouver dans une situation où, un jour ou l’autre, les avocats américains prétendront que la France est liée à tel ou tel attentat, et cela deviendra absolument inextricable. Nous vivons donc un moment solennel, et cela tombe bien que le projet de loi « Sapin 2 » soit actuellement examiné par l’Assemblée, car c’est le moment d’adresser un tel signal.

Je remercie M. Denaja et les autres collègues d’avoir tenu compte de l’évolution de la législation américaine sur plusieurs points du texte de loi, notamment sur le « plaider coupable » en cas de corruption, et d’avoir envoyé hier soir un signal sur l’extraterritorialité. Sur cette question, je compte sur le soutien de tous, car nous sommes entrés dans un état de jungle juridique à l’échelle internationale. Si les États-Unis laissent leurs tribunaux juger les différents États, nous connaîtrons une situation de très grande instabilité. Il faut que l’Assemblée nationale envoie un signal très fort aux États-Unis. Je compte sur votre aide.

Mme la présidente. La parole est à M. Sébastien Denaja, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour donner l’avis de la commission sur les amendements nos 218 et 219.

M. Sébastien Denaja, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. À mon tour, monsieur Lellouche, je veux vous remercier, ainsi que tous les collègues – notamment Mme Berger – qui, sur ces sujets, nous ont permis d’avoir des débats de fond, à la hauteur de l’enjeu ; c’est appréciable après les péripéties que nous venons de connaître. Il s’agit de sujets fondamentaux, et il faut tenter de se situer au bon niveau. Je le dis d’autant plus humblement que je ne suis pas un véritable spécialiste de ces questions, même si j’ai pu enseigner, et que j’enseignerai à nouveau – peut-être bientôt… –, le droit international. (Sourires.)

M. Michel Sapin, ministre. Rien n’interdit à un député d’enseigner ! (Sourires.)

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Certes – je connais aussi la Constitution. Mais il ne nous est pas interdit non plus d’être parfaitement néophyte sur un sujet et d’essayer de travailler dessus, quand bien même serions-nous plombier zingueur.

Pour répondre à vos propositions, monsieur Lellouche – car il faut revenir aux amendements avant d’engager le débat sur un plan plus général : vous prévoyez de lever l’immunité d’un État lorsqu’un acte de terrorisme a été réalisé avec sa participation directe ou indirecte, en France ou à l’étranger, contre des ressortissants français. La démarche, tout le monde la comprend, je pense ; attachons-nous plutôt aux difficultés juridiques – car en tant que rapporteur de la commission des lois, c’est ce que je dois tâcher d’examiner.

La première chose, c’est que la référence à l’immunité des États est évidente quand on veut pouvoir s’assurer avec certitude du lien entre un État et un groupe terroriste. Le cas des groupes qui sont tragiquement intervenus sur le sol français en apporte la démonstration : à quel État se référerait-on ? Il y a en outre des imprécisions dans votre rédaction. Je veux notamment appeler votre attention sur un point précis : un créancier qui n’aurait aucun lien avec l’attaque terroriste et qui bénéficierait d’un jugement en faveur du recouvrement de sa créance auprès de l’État incriminé ne pourrait pas exercer son droit, puisque votre amendement n218 prévoit que la créance sera reversée au Fonds d’indemnisation des victimes.

M. Pierre Lellouche. Ou aux victimes !

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Quoi qu’il en soit, on voit bien qu’il y a quelque chose qui ne fonctionne pas ou, tout du moins, dont la logique mériterait d’être discutée.

Venons-en au fond. J’ai lu votre courrier au « successeur du général de Gaulle » – comme vous l’appelez –, c’est-à-dire au Président de la République. Je ne vous suis pas totalement. Vous dites que les États-Unis vont adopter une législation qui crée plus qu’un risque, puisqu’elle nie une partie de l’architecture du droit international ; or, pour empêcher cela, vous suggérez d’adopter une législation du même type ! Je laisserai le ministre vous répondre au nom du Gouvernement, mais il me semble qu’il vaudrait mieux, comme vous l’avez souligné, adresser par les canaux diplomatiques un message indiquant la position de la France sur ces questions,…

M. Pierre Lellouche. Cela a été fait !

M. Sébastien Denaja, rapporteur. …et faire en sorte que le Congrès américain adopte les atténuations que vous proposez – et qui me semblent tout à fait pertinentes.

Quoi qu’il en soit, à l’heure où nous parlons, le Congrès n’a pas surmonté le veto du président Obama – le décalage horaire fait que le Congrès américain, dont on ne peut jamais préjuger des votes, ne l’a pas encore fait –, ce qui veut dire que si nous adoptions ces amendements dans les minutes qui viennent, la France serait le premier pays au monde à s’aventurer sur ce terrain-là. Il me semble que ce serait en contradiction avec votre pensée profonde sur le sujet !

M. Pierre Lellouche. C’est vrai !

M. Sébastien Denaja, rapporteur. À titre personnel, je m’en remets donc à la sagesse de l’Assemblée. Quant à la commission, elle a émis un avis défavorable sur ces amendements.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. Je veux dire, à la suite de M. Denaja, qu’il s’agit d’un sujet important, qui mérite d’être examiné sans que les uns et les autres utilisent des termes qui pourraient être considérés comme blessants, ce qui est toujours inutile.

Je ne reviendrai pas sur les difficultés juridiques d’application de ces amendements, mais elles sont réelles ; le dispositif que vous proposez ne serait que très difficilement applicable. Toutefois, ce n’est pas le sens principal que vous lui donnez. Le sens principal, c’est d’essayer de répondre à la situation actuelle, en particulier à une décision qui serait prise unilatéralement par les États-Unis. Vous connaissez la situation : le Congrès a adopté des textes qui sont contraires, de manière flagrante, au droit international. Il se croit autorisé à le faire, mais si ces dispositions devaient être mises en œuvre, elles donneraient bien évidemment lieu à des recours pour contradiction avec le droit international.

M. Pierre Lellouche. Oh, les recours, vous savez…

M. Michel Sapin, ministre. Fort heureusement, il existe malgré tout un droit international, et un certain nombre de juridictions internationales qui sont là pour ça. Après, c’est toujours très compliqué, très long, et cela pose la question de la puissance des États. On sait tout cela, on peut relativiser – mais la réalité est celle-là.

Je vous rappelle que, compte tenu de la gravité de cette décision unilatérale, le président Obama – pour lequel nous pouvons tous, je pense, avoir une certaine admiration quant à la rectitude – s’y est opposé par l’intermédiaire du veto. S’il a mis son veto en tant que Président des États-Unis, ce n’est pas juste comme ça, par amusement politicien ! C’est parce que l’image des États-Unis est en jeu, et peut-être aussi un intérêt supérieur des États-Unis, à savoir le respect des règles internationales, de l’ordre international – sachant que nous condamnons par ailleurs tel ou tel pays précisément parce qu’il ne respecte pas cet ordre international.

Le raisonnement qui est le vôtre, monsieur Lellouche, est le suivant : « Puisqu’un État viole ou est en train de violer l’ordre international, eh bien, il faut que nous fassions pareil ». Je vous laisse imaginer ce qui se passerait si, dans la vie quotidienne, tout le monde raisonnait de la même manière ! Je ne pense pas que ce soit une bonne manière de faire. Ce n’est pas un bon exemple à donner que de dire : « Vous le violez ? Nous le violons ! » – car nous violerions le droit international si nous le faisions. Je ne sais pas quelle serait la capacité du Conseil constitutionnel en pareil cas ; il est très compliqué de savoir ce qui, du point de vue du droit international, s’impose ou ne s’impose pas aux États. Je ne veux pas préjuger de la question, car je ne suis pas professeur de droit international public ; je ne le suis pas, ne l’ai pas été et ne le serai pas demain ! (Sourires.) Je suis donc totalement incapable de me prononcer sur la question, mais je pense qu’il y aurait quand même un problème.

Je termine. L’enjeu est important, en termes d’image : parce qu’un grand pays s’apprête à violer le droit, il faudrait qu’un autre grand pays, membre des plus grandes instances de l’ONU, notamment du Conseil de sécurité, viole le droit ? Je ne crois pas que ce serait une bonne manière de faire. Ce ne serait pas une bonne façon de donner à la France la place qui est la sienne et de lui conserver le rang qui est le sien.

Mme la présidente. Vous émettez donc un avis défavorable sur les deux amendements, monsieur le ministre ?

M. Michel Sapin, ministre. Avis défavorable, en effet, madame la présidente.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec, vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. J’interviendrai dans le sens du rapporteur et de M. le ministre, tout en vous remerciant, monsieur Lellouche, d’avoir adressé au président Raimbourg une copie de la lettre que vous avez envoyée au Président de la République. À ce titre, je me crois autorisé à reprendre les termes que vous avez utilisés dans cette lettre.

Vous dites : « Il me paraît impossible que la France laisse se développer une pareille situation sans réagir ». Le ministre vient de dire qu’il était inenvisageable que le Président de la République et la diplomatie française ne réagissent pas. Vous ajoutez : « A minima, il me semble indispensable de faire savoir que la France reste fermement attachée aux principes du droit international, qu’elle n’entend pas voir détricotés au fil de législations nationales parfaitement contraires au droit des gens ». Ce n’est pas a minima, monsieur Lellouche : c’est au maximum ! En réalité, c’est par l’invocation du respect des droits ancestraux – car ils sont anciens, ils dépassent même notre siècle – qu’on les défend le mieux. Du coup, ce droit international fondamental au droit des gens, il ne faut pas le mettre à bas par une législation nationale en utilisant la même technique que le Congrès semble avoir utilisée ; au contraire, il faut l’invoquer dans le cadre de la diplomatie – c’est-à-dire que ce n’est pas a minima qu’il faut défendre les règles du droit international, c’est au maximum.

Le président Raimbourg et moi-même entendons dire au nom de la commission des lois qu’il n’est pas envisageable que notre pays cède à une initiative unilatérale d’un État, fût-il le plus important et fût-il souverain – autant que nous le sommes –, et que la meilleure défense que nous pouvons adopter, c’est de revendiquer pour tous les États leur liberté et leur capacité dans le cadre du droit international.

Mme la présidente. La parole est à M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Ces amendements soulèvent une question grave et M. Lellouche a eu raison de les déposer, ne serait-ce que pour susciter le débat. C’est un signal.

Mais, comme le dit l’exposé des motifs, la solution, ce n’est pas l’adoption de ces amendements, ce n’est pas non plus l’adoption au Congrès américain du texte évoqué par notre collègue, c’est d’aboutir à un accord international sur cette affaire. Et cela ne se fera pas en deux jours. Or rien n’empêche la France de prendre une initiative – et, monsieur le ministre, j’aurais aimé que vous nous disiez qu’elle allait le faire. Le meilleur contre-feu au vote du Congrès serait que deux ou trois grands pays, voire l’Union européenne, prennent une initiative en vue d’un accord international sur le sujet. On ne peut pas gérer ces questions-là comme cela : ce n’est pas ainsi, en faisant du chacun pour soi, que nous lutterons tous ensemble contre le terrorisme ! On sait bien où mènent les politiques de ce genre. Il serait donc sage de demander l’élaboration rapide d’une convention internationale.

M. Sébastien Denaja, rapporteur. En effet !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, vice-président de la commission des lois. Ce n’est pas faux !

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Lellouche.

M. Pierre Lellouche. Tout d’abord, je tiens à remercier le ministre, le président et le vice-président de la commission, ainsi que M. Denaja d’avoir examiné cette affaire avec sérieux. C’est une affaire grave et, pour y avoir beaucoup travaillé, croyez bien que je suis conscient des termes que j’ai utilisés, notamment dans ma lettre au Président de la République.

De quoi s’agit-il ? En ce moment, par exemple, les victimes des attentats du Bardo essaient, devant la justice française, de mettre en cause la responsabilité de l’État tunisien. Figurez-vous qu’il semble que le gardiennage du musée n’ait pas été à la hauteur le jour de l’attentat ; et ces gens souffrent, ils ne sont pas indemnisés.

Il y a aussi les gens qui ont subi la destruction de l’avion d’UTA. On sait que les terroristes étaient liés au régime de Kadhafi : jamais poursuivi, aucune indemnité.

La question se pose donc, et c’est la raison pour laquelle le Congrès a voté à l’unanimité ce texte, en ayant en tête le 11 septembre 2001 et la responsabilité, disons-le, de l’Arabie saoudite – laquelle, naturellement, proteste de sa bonne foi.

Ce texte est détestable. Il est tout aussi détestable que les législations unilatérales américaines en matière de sanctions ou la punition de nos entreprises pour des choses que nous ne reconnaissons pas. Par exemple, la politique unilatérale américaine qui nous interdit de travailler avec l’Iran alors même que les sanctions internationales contre ce pays ont été levées est inacceptable. Alors, qu’est-ce qu’on fait ?

Vous répondez : des démarches diplomatiques. Mais, monsieur le ministre, ces démarches ont été faites ; je me suis renseigné auprès de notre ambassade et du ministère ! Il n’y a pas eu que des démarches françaises, d’ailleurs, il y en a eu plein d’autres, y compris de l’Union européenne. Est-ce que le Congrès les a entendues ? Bien sûr que non ! Les États-Unis, et le Congrès en particulier, ne réagissent que quand il y a une force en face. C’est pour cela qu’hier soir il était indispensable d’envoyer un signal sur l’extraterritorialité.

Ce n’est donc pas du tout de gaîté de cœur que j’ai demandé à l’Assemblée nationale de signaler que si ce texte était voté aux États-Unis, nous n’aurions pas d’autre choix que de dire : « Si vous le faites, nous allons nous aussi le faire, dans l’espoir que vous amenderez votre propre texte ».

Mme la présidente. Merci, monsieur Lellouche.

M. Pierre Lellouche. Je termine, madame la présidente.

Ôtez-vous de l’idée que le Congrès américain va revenir sur son texte tout seul ou sous la pression de notre ambassadeur aux États-Unis ! Il ne le fera pas. Un signal envoyé par l’Assemblée nationale est à peu près la seule chose qui ait une chance d’être entendue à Washington.

Mme la présidente. Merci, monsieur le député.

M. Pierre Lellouche. C’est la raison pour laquelle j’ai déposé ces amendements.

Mme la présidente. Nous passons maintenant aux votes.

(Les amendements nos 218 et 219, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

(L’article 24 est adopté.)

Article 24 bis

(L’article 24 bis est adopté.)

Article 24 ter

Mme la présidente. La commission a supprimé l’article 24 ter.

La parole est à M. Olivier Marleix, pour soutenir l’amendement n136 rectifié, tendant à rétablir cet article.

M. Olivier Marleix. Cet amendement, dans le détail duquel je n’entrerai pas, reprend une disposition introduite à l’initiative du rapporteur de la commission des lois au Sénat pour permettre à des entreprises françaises d’échapper au risque de double paiement, s’agissant notamment des dettes qu’elles ont pu contracter auprès d’États étrangers ayant eux-mêmes cédé leur créance à un « fonds vautour ». Ce dernier, pour obtenir le remboursement de sa créance, saisit la société française et ce faisant obtient la somme, sans que cette opération soit libératoire pour l’État étranger, lequel entend donc récupérer, de son côté, les montants dus au titre des cotisations sociales ou de l’impôt, si bien que la société française paie deux fois. Il s’agit, je le répète, non pas de cas théoriques mais de situations qui, malheureusement, se multiplient avec les fonds vautours qui se sont fait une spécialité du rachat des dettes fiscales ou sociales.

Au Sénat, monsieur le ministre, vous aviez émis un avis défavorable en arguant d’une atteinte au droit des contrats. Cela ne me semble pas être le cas, puisque nous parlons, en l’espèce, du droit des voies d’exécution.

Ce qui est certain c’est que, faute du dispositif que je propose, on laissera prospérer les fonds vautours aux dépens des États et de nos entreprises, parfois exposées à des doubles paiements. Ce dispositif est strictement analogue à celui qui a cours dans beaucoup d’autres systèmes juridiques – notamment néerlandais, américain, britannique ou allemand –, et il donnerait, dans le cadre des rapports internationaux, son efficacité au principe fondamental selon lequel le paiement du tiers est libératoire.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Cet amendement vise à rétablir l’article 24 ter que le Sénat avait introduit dans le but d’éviter le risque de double imposition d’une entreprise débitrice d’un État tiers ayant lui-même un créancier.

M. Pillet, rapporteur du texte au Sénat, a cependant indiqué, en séance, que sa propre rédaction ne convenait pas, et qu’il en était bien conscient. J’ai beaucoup travaillé avec lui depuis le début du mois de septembre, et même dès le mois de juillet, pour trouver l’accord que nous estimions encore possible en commission mixte paritaire. Sur le point dont nous parlons, nos échanges ont été approfondis ; M. Pillet lui-même n’a pas été en mesure d’élaborer une rédaction satisfaisante en vue de la CMP.

M. Olivier Marleix. En quoi la rédaction que je propose n’est-elle pas satisfaisante ?

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Le ministre, je pense, pourra entrer plus avant dans le détail. L’auteur du texte reconnaît lui-même, je le répète, que la rédaction ne fonctionne pas.

M. Olivier Marleix. Non, ce n’est pas vrai !

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Ses propos sont consignés au Journal officiel de la République française.

M. Olivier Marleix. Justement, je l’ai lu !

M. Sébastien Denaja, rapporteur. N’inversons pas les rôles : la lutte contre les fonds vautours, avec l’article 24 bis que notre assemblée vient d’adopter, c’est nous ; c’est une initiative du groupe majoritaire, du rapporteur que je suis, des rapporteurs pour avis et de Mme Mazetier, et non la vôtre.

À entendre M. Marleix, on pourrait croire qu’il est le défenseur des bons citoyens contre les fonds vautours, que nous protégerions pour notre part ; mais ne nous y trompons pas : il existe des armes pour lutter contre les fonds vautours, en l’occurrence l’article 24 bis que notre assemblée vient d’adopter, à notre initiative.

M. Romain Colas, rapporteur pour avis. Eh oui !

M. Olivier Marleix. Vous êtes vraiment très conservateur !

M. Sébastien Denaja, rapporteur. S’agissant d’un dispositif qui ne fonctionne pas, je vous renvoie aux propos du sénateur Pillet,…

M. Olivier Marleix. Quel est votre avis, à vous, sur mon amendement ?

M. Sébastien Denaja, rapporteur. …pour vous dire que votre proposition ne tient pas juridiquement. L’avis est donc défavorable.

M. Razzy Hammadi. Excellent ! Tout est dit !

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. Le rapporteur a développé les bons arguments.

En premier lieu, les articles 24 et 24 bis, très protecteurs, répondent à beaucoup de vos préoccupations. De fait, la quasi-totalité des situations seront réglées par les amendements introduits à l’initiative de l’Assemblée et approuvés par le Sénat.

Votre amendement, dont le champ est très large – et inclut des situations largement prises en compte, je le répète, par les deux articles que je viens de mentionner –, pose des problèmes que le sénateur Pillet a lui-même décrits, et dans le détail juridique desquels je n’entrerai pas. Vous pourriez donc, monsieur Marleix, vous en remettre à ces explications et à celles apportées au Sénat pour retirer votre amendement, en saluant le travail qui a permis d’aboutir à des dispositions très utiles et novatrices dans la lutte contre les fonds vautours, quelles que soient les entités qui en sont la cible, États ou entreprises.

Mme la présidente. Quel sera l’avis du Gouvernement à défaut de retrait de l’amendement, monsieur le ministre ?

M. Michel Sapin, ministre. Forcément défavorable, madame la présidente.

Mme la présidente. Retirez-vous votre amendement, monsieur Marleix ?

M. Olivier Marleix. Non, madame la présidente, je le maintiens : je n’ai toujours pas compris les arguments juridiques qu’on lui oppose.

(L’amendement n136 rectifié n’est pas adopté.)

Article 26 ter

(L’article 26 ter est adopté.)

Article 26 quater

Mme la présidente. La commission a supprimé l’article 26 quater.

Articles 27 bis et 28

(Les articles 27 bis et 28 sont successivement adoptés.)

Article 28 bis A

Mme la présidente. La parole est à M. Charles de Courson, pour soutenir l’amendement n114.

M. Charles de Courson. L’acquisition du statut de conseiller en investissement financier – CIF –, défini par l’article L. 541-1 du code monétaire et financier, permet d’appliquer aux activités concernées la réglementation en termes de bonnes pratiques et de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. En l’état actuel de la législation, l’activité de conseil en transmission d’entreprise et levée de fonds – le « haut de bilan » –, dite activité « connexe 3 », n’entre pas dans le champ de ce statut, et ce malgré l’importance du volume financier géré lors de ces opérations. Environ 500 professionnels sont actuellement référencés, et ils effectuent de trois à cinq opérations par an, ce qui représente un marché estimé, selon les années, entre 1 et 3 milliards d’euros.

Pourtant, en pratique, ces professionnels optent volontairement pour ce statut qui leur garantit une sécurisation des opérations financières qu’ils gèrent dans un domaine d’activité identifié comme une zone particulièrement à risque – on peut rappeler à ce sujet la lettre de TRACFIN, le Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins, de mars 2015 – et dont les « mauvaises pratiques d’intermédiaires non régulés » ont été dénoncées dans le rapport de notre collègue Fanny Dombre-Coste.

Le présent amendement vient donc codifier et clarifier une pratique existante. Ayant été prévue pour les acteurs du crowdfunding pour lesquels l’exercice du service « connexe 3 » est clairement visé par la loi, cette disposition ne s’étend pas aux CIF « haut de bilan », et ce sans réelle justification. Dans un souci de cohérence et de clarification du secteur, cet amendement vise à intégrer le conseil en service dit « connexe 3 » dans les CIF.

Comme M. le rapporteur l’avait souligné en commission, l’Autorité des marchés financiers, l’AMF, est en train de réfléchir à l’extension de ce statut. L’adoption du présent amendement permettrait donc d’orienter et d’accélérer les travaux de l’AMF, afin d’améliorer la situation au plus vite.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Romain Colas, rapporteur pour avis. La commission a repoussé cet amendement tout en indiquant qu’elle était consciente de la problématique. Toutefois, l’AMF, sollicitée par votre rapporteur, a lancé une consultation pour définir un régime applicable aux conseils de « haut de bilan », sans présager aujourd’hui de ses conclusions. Elle considère néanmoins, à l’heure où nous parlons, que le statut de conseiller en investissement financier n’est pas forcément le plus adapté aux acteurs auxquels votre amendement fait référence.

Je renouvelle donc la demande de retrait que j’avais formulée en commission ; à défaut, l’avis serait défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. Même avis.

Mme la présidente. Votre amendement est-il maintenu, monsieur de Courson ?

M. Charles de Courson. M. le ministre, et M. le rapporteur aussi, d’ailleurs, pourraient-ils s’engager pour dire que l’on ne peut laisser les CIF « haut de bilan » dans la situation où ils sont ? On peut discuter sur le fait de savoir s’il faut intégrer leur statut à celui des CIF ou créer un dispositif particulier ; mais il convient d’agir vite, car les opérations concernées sont l’un des moyens utilisés pour la corruption et le blanchiment de fonds « mal acquis ». Quelle est donc votre position personnelle, monsieur le ministre ? L’AMF voit bien qu’un cadre est nécessaire pour l’activité « haut de bilan » ; dès lors deux solutions sont possibles, je le répète : soit la création d’un dispositif particulier, soit l’extension de celui qui existe pour les CIF.

Mme la présidente. Souhaitez-vous apporter des éléments de réponse, monsieur le ministre ?

M. Michel Sapin, ministre. Quand un député m’interroge, je lui réponds…

L’AMF, comme vous le savez, n’est pas favorable à votre amendement, monsieur de Courson : elle n’est donc pas, en l’espèce, l’alliée que vous avez invoquée.

Par ailleurs, que l’on examine les tenants et les aboutissants du problème, avec les dangers qu’il peut présenter et la façon de les éviter, tout en évaluant l’efficacité des dispositions actuelles, je n’y suis bien évidemment pas opposé. Mais je ne puis que réitérer mon opposition à votre amendement tel qu’il est rédigé, car il ne réglerait pas les problèmes que vous avez décrits.

Mme la présidente. Monsieur de Courson, retirez-vous l’amendement ?

M. Charles de Courson. J’eusse apprécié, monsieur le ministre, que vous vous engagiez un peu plus. J’aime beaucoup l’AMF et son président, mais c’est vous le patron et, à un moment, il faut bien faire faire avancer les choses sans invoquer la complexité. Je suis donc prêt à retirer mon amendement, mais j’aurais aimé un engagement un peu plus ferme…

M. Michel Sapin, ministre. On reste dans le dur et dans le mou !

M. Charles de Courson. On est plutôt dans le mollasson là ! (Sourires.)

Mme la présidente. Retirez-vous votre amendement, monsieur de Courson ?

M. Charles de Courson. Oui, madame la présidente.

(L’amendement n114 est retiré.)

(L’article 28 bis A est adopté.)

Article 28 bis B

Mme la présidente. La commission a maintenu la suppression par le Sénat de l’article 28 bis B.

Articles 28 bis, 28 ter A, 28 ter, 28 quater et 28 quinquies

(Les articles 28 bis, 28 ter A, 28 ter, 28 quater et 28 quinquies sont successivement adoptés.)

Article 29

Mme la présidente. La parole est à M. Charles de Courson, pour soutenir l’amendement n115.

M. Charles de Courson. Cet amendement pourrait s’appeler « l’amendement Moscovici »… Lors du débat sur l’extension – la création, diront certains – du LDD – livret de développement durable – « solidaire », s’est posée la question de savoir si l’on devait garder cette dernière mention, ou en rester à la simple appellation de « LDD ».

Notre collègue de l’époque, Pierre Moscovici, dans son rapport sur l’épargne réglementée, préconisait de ne pas adjoindre cette mention de « solidaire », et ce pour des raisons non seulement de coût, mais surtout de lisibilité du produit. Dans la même optique de favoriser le développement de l’épargne solidaire, je vous propose d’en revenir à la position de Pierre Moscovici, selon laquelle il n’existe qu’un seul LDD – auquel on peut adjoindre ce que l’on appelle des compartiments.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Romain Colas, rapporteur pour avis. La commission des finances n’ayant pas, au cours de ses débats sur ce projet de loi, été éclairée par l’avis de Pierre Moscovici – qui ne siégeait plus parmi nous pour des raisons que nous connaissons tous – a fait le choix d’acter le fait que certains des fonds – et il s’agit d’une décision de notre assemblée confirmée par le Sénat – collectés au titre du livret de développement durable seront désormais fléchés vers l’économie sociale et solidaire.

Ce livret a vu sa vocation changer, puisqu’il financera à la fois le financement durable et celui de l’économie sociale et solidaire. Par conséquent, il s’appellera le livret de développement durable et solidaire.

L’avis de la commission est donc défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. Même avis.

(L’amendement n115 n’est pas adopté.)

(L’article 29 est adopté.)

Article 29 bis AA

(L’article 29 bis AA est adopté.)

Article 29 bis A

Mme la présidente. La commission a maintenu la suppression par le Sénat de l’article 29 bis A.

Article 29 bis B

Mme la présidente. Nous en venons aux orateurs inscrits sur l’article. La parole est à M. Pierre-Alain Muet.

M. Pierre-Alain Muet. Cet article est issu d’un amendement voté à l’unanimité par la commission des finances. Il se situe dans la continuité d’une démarche suivie par le législateur depuis plusieurs années, et qui vise à instiller un peu de concurrence sur le marché des assurances emprunteurs.

Il faut en effet sortir d’une situation dans laquelle, en raison d’un monopole, ces assurances génèrent des profits exorbitants. Je rappelle que le taux de marge de l’assurance emprunteur proposée par les banques avoisine les 50 %, alors que les marges habituelles dans le secteur de l’assurance sont de l’ordre de 10 %.

Lorsque les emprunteurs sont âgés, ces mêmes marges restent de 20 %, et elles s’élèvent même à 70 % lorsque ceux-ci sont jeunes : elles sont donc caractéristiques d’une situation de monopole.

La loi du 1er juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation, dite loi Lagarde, puis celle du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires, dite loi Moscovici, et celle du 17 mars 2014 relative à la consommation, dite loi Hamon, ont essayé d’introduire un peu plus de concurrence, mais elles l’ont fait avec un peu d’ambiguïté.

La loi Hamon a donné la possibilité à l’emprunteur de substituer une assurance à celle proposée par sa banque, et ce tout au long de la première année. Elle disposait que le contrat pouvait prévoir des substitutions ultérieures.

Or les banques se sont empressées de s’appuyer sur cette ambiguïté – l’emploi du conditionnel – pour affirmer que le droit de résiliation annuelle, qui est inscrit au code des assurances et qui s’applique évidemment à l’assurance emprunteur comme aux autres assurances hormis l’assurance-vie stricto sensu, ne pouvait s’appliquer en la matière.

On a abouti de ce fait au paradoxe suivant : les refus de substitution, qui étaient relativement peu nombreux – de l’ordre de 20 % en 2009 – concernent aujourd’hui 50 % des contrats. La situation actuelle se caractérise par une réelle difficulté à pénétrer ce marché.

J’ai cité les profits exorbitants : or les banques font valoir – c’est assez étonnant – que l’introduction de la concurrence entraînerait une démutualisation. Ce faisant, elles confondent deux choses : le fait que le secteur est, comme tous les marchés assurantiels, segmenté par âge, et le fait que les profits considérables réalisés sur les jeunes assurés permettraient de couvrir des risques plus élevés sur d’autres assurés.

Cette dernière assertion est par ailleurs fausse : il se passe exactement le contraire en matière de risques liés à la santé. Les risques les plus élevés sont portés en fait par les mutuelles, alors qu’elles ne représentent que 12 % du marché des assurances emprunteur et qu’elles portent 40 % de ces risques.

Honnêtement, pour des raisons tant économiques que sociales, il faut clarifier les choses : c’est ce que fait l’article 29 bis B.

Mme la présidente. La parole est à M. Razzy Hammadi.

M. Razzy Hammadi. Je salue l’initiative prise par Pierre-Alain Muet dans le cadre de ce projet de loi. C’est par souci de cohérence que j’ai co-signé l’amendement à l’origine de l’article que nous examinons. Ce qu’il vient de rappeler est non seulement juste mais mérite d’être encore étayé.

Au moment de la réforme bancaire, nous avons porté à plusieurs, et notamment avec notre collègue Laurent Grandguillaume dont je salue l’action, des amendements qui ont mené à de nombreux échanges avec le Gouvernement. À l’époque, nous avons abouti à la conclusion qu’un rapport de l’Inspection générale des finances était nécessaire.

Empreints de sagesse, et ayant bénéficié des conseils du Gouvernement comme de ceux des lobbies, extrêmement puissants sur ce sujet, nous avions estimé qu’il nous fallait en effet comprendre toute sa technicité.

Par conséquent, lorsqu’avec Laurent Grandguillaume nous avons reçu ce rapport, nous avons ensuite avancé, par voie d’amendement, dans le cadre de la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation dont j’ai été le rapporteur.

Figurez-vous que le diable s’est caché dans le détail non de cette loi, mais de l’un de ses décrets d’application qui contenait l’ambiguïté à laquelle Pierre-Alain Muet vient de faire référence !

En effet, nous avions, dans cette loi, inscrit le principe de liberté en matière d’assurance emprunteur, et c’est le décret qui en a limité l’exercice – en vertu du principe « qui peut le plus peut le moins » – dans le cadre des contrats qui offraient la possibilité aux emprunteurs de faire jouer la concurrence, et donc de bénéficier d’une certaine mobilité.

Quatre ans après, et après le vote unanime de la commission des finances, il est temps pour le Parlement souverain d’acter définitivement ce qui constitue une conquête en termes de pouvoir d’achat, de lutte contre la rente et de transparence.

Mme la présidente. La parole est à M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Mes chers collègues, un peu de concurrence ne nuit pas. Il est d’ailleurs assez amusant que certains collègues, de la majorité et de l’opposition, partagent cette analyse selon laquelle si on souhaite faire baisser le coût de l’assurance emprunteur, il faut introduire sur ce marché une certaine concurrence. Il y a là une règle universelle.

On nous dit que nous nous sommes trompés en votant l’amendement dont est issu cet article 29 bis B, au motif qu’en introduisant de la concurrence nous allons démutualiser. Or c’est faux. Il semble en effet que certains aient oublié les amendements votés en matière de droit à l’oubli.

Ce droit permet, en fonction du type de maladie concernée et au terme d’un certain nombre d’années, d’oublier la pathologie de certains emprunteurs, c’est-à-dire que celle-ci ne peut servir de base à une variation de tarification. Et tout le monde bénéficie de ce droit.

Par conséquent, la thèse selon laquelle, si nous introduisions sur ce marché une dose de concurrence, ceux de nos concitoyens qui sont les plus fragiles parce que frappés qui d’un cancer, qui d’un problème cardiaque, verraient le coût de leur assurance augmenter est massivement fausse.

Or cette thèse circule et ses partisans ont alerté certains de nos collègues en leur disant : surtout ne votez pas l’article 29 bis B, car son adoption aurait pour conséquence à la fois une démutualisation et une augmentation des primes. Cela est techniquement faux !

En conséquence, il faut faire preuve de sagesse et maintenir cet article tel qu’il a été voté en commission des finances, où nous avons eu de longs débats : vous verrez que, comme à chaque fois qu’on libéralise un peu un secteur, cela déclenchera des hurlements, notamment chez les rentiers, car, naturellement, cette libéralisation fera baisser les taux de marge extrêmement élevés que rappelait à l’instant notre collègue Pierre-Alain Muet.

Quoi qu’il en soit, il faut tenir bon et maintenir la position de sagesse de la commission. Cela hurlera un peu, puis vous verrez que cela ne durera pas longtemps. L’important c’est de défendre les intérêts des assurés, et nous pourrons ainsi obtenir une petite baisse du taux d’assurance des prêts aux particuliers.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Gosselin.

M. Philippe Gosselin. Il y a aujourd’hui un vrai problème avec les assurances. Le débat en commission a été riche et s’est conclu de façon positive. En effet, la concurrence est plutôt saine.

Quant aux arguments relatifs à la remise en cause de la mutualisation, en réalité, comme vient de le dire notre collègue de Courson, ils ne tiennent pas, dans la mesure où il existe d’ores et déjà une forme de cloisonnement. Dans tous les cas, il n’est pas possible de passer de l’un à l’autre. Personne ne se trouvera donc en difficulté du fait de cet article.

La convention s’assurer et emprunter avec un risque aggravé de santé, dite AERAS, qui est unique en son genre, continuera de s’appliquer. Il est important de rappeler son utilité pour celles et ceux qui sont atteints de maladie.

Cela étant dit, il est effectivement temps, aujourd’hui, de secouer le cocotier et de revenir à un dispositif sage. Le statu quo serait en effet très fâcheux : il faut que la concurrence puisse s’exercer et que les consommateurs, c’est-à-dire les clients, puissent s’y retrouver. La commission a donc, selon moi, agi sagement et nous ferons de même en gardant ce cap.

Mme la présidente. La parole est à M. Christophe Caresche, pour soutenir l’amendement n130.

M. Christophe Caresche. C’est un amendement de suppression, car je ne partage pas les positions qui viennent d’être exprimées. Effectivement, cette mesure risque d’avoir des conséquences assez importantes, notamment pour les personnes les plus fragiles en matière de santé.

À titre personnel, je suis tout à fait favorable à l’ouverture à la concurrence de certains secteurs : j’avais d’ailleurs, moi, voté sans difficulté la loi Macron. Et je me réjouis, d’ailleurs, que certains collègues aient depuis adopté la même attitude.

Mais attention : en ouvrant le marché des assurances emprunteur à la concurrence de manière inconsidérée, on risque de générer des effets pervers.

Ce qui m’a incité à déposer cet amendement c’est le communiqué de la commission de suivi et de proposition de la convention AERAS. Comme vous le savez, cette convention permet aux personnes les plus fragiles de bénéficier de prêts à des conditions satisfaisantes.

Certes, le secteur bancaire est représenté au sein de cette commission, mais il n’est pas le seul, puisqu’y siègent des représentants des associations de malades, comme l’association AIDES, la Fédération française des diabétiques, l’Alliance du cœur, l’Association des victimes d’accidents médicaux, le Collectif inter-associatif sur la santé, la Fédération nationale d’aide aux insuffisants rénaux, le Lien, SOS-Hépatites et l’ADAPT – association pour l’insertion sociale et professionnelle des personnes handicapées.

Ce n’est donc pas le lobby bancaire qui est derrière le communiqué que je viens d’évoquer. Ces associations y expriment leur surprise et leur vive inquiétude à la lecture de l’amendement adopté en commission des finances qui est devenu l’article que nous examinons.

Ces associations estiment que celui-ci est à la fois prématuré et très risqué, « car les conséquences d’une démutualisation excessive de l’assurance emprunteur se feront au détriment des catégories sociales d’accédants à la propriété les plus fragiles sur les plans des revenus, de l’âge ou de la santé ».

Mme la présidente. Je vous remercie de conclure.

M. Christophe Caresche. Madame la présidente, cinq interventions ont précédé la mienne.

Mme la présidente. Monsieur le député, je vous en prie ! Rien ne vous empêchait de vous inscrire sur l’article.

M. Christophe Caresche. Je ne l’ai pas fait : vous pouvez par conséquent me laisser, peut-être, un peu de temps.

Mme la présidente. Je vous demande simplement de conclure, car votre intervention sur votre amendement a déjà duré plus de trois minutes.

M. Christophe Caresche. Deux minutes supplémentaires me permettraient de développer un peu plus mon argumentation. J’en termine en disant que le point de vue de la commission de suivi et de proposition rejoint celui de l’Inspection générale des finances. En effet, le rapport de cette dernière, que j’ai sous les yeux, conclut qu’il ne faut pas aller dans le sens de l’article et déconseille cette mesure.

Il est donc faux de dire que l’Inspection générale des finances aurait préconisé une telle disposition. L’article 29 bis B risque d’avoir de lourdes conséquences : chacun doit, ici, y réfléchir avant de le voter.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Romain Colas, rapporteur pour avis. D’emblée, j’indique que, dans la mesure où je m’exprime au nom de la commission des finances et où celle-ci est à l’origine de cet article, je ne peux qu’émettre un avis défavorable à tout ’amendement visant à le supprimer.

Cela étant, j’ai fait part de mes interrogations lors de l’examen par la commission du fameux amendement de Pierre-Alain Muet, qui a d’ailleurs reçu le soutien de députés de différents bords, dont Charles-Amédée de Courson.

M. Charles de Courson. J’assume !

M. Romain Colas, rapporteur pour avis. Je suis heureux que nous finissions l’examen des articles dévolus à la commission des finances par un sujet susceptible de rassembler tous ceux qui ont travaillé depuis le début, à la commission des finances comme à la commission des lois, sur ce projet de loi et que je veux remercier.

Au moment où l’amendement en question a été examiné en commission des finances, j’ai dit que j’éprouvais toujours de la gêne à modifier une disposition législative venant d’entrer en application.

En effet, la disposition de loi Hamon qui crée cette faculté de résilier son assurance emprunteur en matière de crédit immobilier lors de la première année est applicable depuis à peine plus de deux ans, c’est-à-dire depuis le début du mois de juillet 2014.

Je suis toujours gêné aux entournures lorsque nous nous empressons de modifier un texte dont nous n’avons pas eu le temps de mesurer pleinement les effets. Et j’étais d’autant plus gêné qu’il m’a été indiqué que le Comité consultatif du secteur financier devait rendre un avis sur l’application de cette disposition de la loi Hamon. Puis j’ai écouté mes collègues, je me suis renseigné et je me suis aperçu que, selon toute vraisemblance, l’esprit – si ce n’est la lettre – de ce que nous avons voté ici dans le cadre de la loi Hamon s’agissant de l’assurance en matière de crédit immobilier avait été largement contrarié – pour ne pas dire tordu – par la pratique.

Si cet article peut avoir des effets significatifs, monsieur Caresche, c’est sans doute sur les marges réalisées aujourd’hui par les intervenants de la place.

Je remercie les collègues qui se sont intéressés à ce sujet, parce que je n’étais pas spécialement qualifié en la matière. La question a été fouillée, les arguments avancés me paraissent sérieux et, encore une fois, le fait que l’objectif de la disposition adoptée par notre assemblée dans la loi Hamon ait été en pratique totalement contrarié devrait nous inciter à conserver la rédaction de la commission des finances, à laquelle je me permettrai de proposer une simple précision rédactionnelle.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de l’Assemblée.

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Alain Muet.

M. Pierre-Alain Muet. J’ai lu attentivement le rapport de l’Inspection générale des finances, monsieur Caresche. Je le fais d’autant plus naturellement que j’ai été inspecteur général autrefois. Il est intéressant, comme tous les rapports de l’Inspection, mais je suis surpris par ses conclusions.

Selon ce rapport, segmenter de plus en plus selon l’âge, serait une démutualisation. Mais non ! Le fait que les jeunes payaient des assurances à un prix très élevé, ce qui dégageait des marges considérables pour les assurances, n’a aucune justification. Cela n’a nullement financé l’assurance des plus démunis. Quand on regarde comment fonctionne l’assurance emprunteur, on voit que, chaque fois qu’il y a de gros risques de santé, les banques se défaussent.

J’ai des tas d’exemples, et j’en ai encore eu un lundi après avoir déposé mon amendement. L’un des conjoints d’un couple a eu des problèmes de santé, l’autre non. Le premier a eu droit à l’assurance de la banque. La banque a expliqué à l’autre qu’elle n’arriverait jamais à lui proposer un contrat aussi favorable que celui de sa mutuelle et lui a conseillé de prendre le contrat de sa mutuelle.

Vous voyez donc bien ce qui se passe et vous devriez y penser, monsieur Caresche. Quand il n’y a pas de problèmes, la banque n’hésite pas à prendre des risques, mais quand il y en a, elle se reporte sur les mutuelles. Et ce n’est pas un cas isolé : je pense que de nombreux députés dans cette salle ont vécu la même expérience.

Quand on regarde les statistiques de l’AERAS, on s’aperçoit que les mutuelles, qui représentent 12 % du marché, supportent 43 % des risques aggravés, les assurances de banque, qui représentent 88 % du marché, supportant seulement le complément, c’est-à-dire moins de 60 %.

L’argument donné par les banques, à savoir que la démutualisation serait en marche, est donc scandaleux.

Enfin, comment mettre en œuvre le droit à l’oubli quand il faut dix ans à partir du moment où l’on n’a plus de cancer pour pouvoir changer ? Si vous n’avez pas le droit de changer au bout d’un an, comment voulez-vous préserver quelqu’un qui est au chômage de longue durée alors que 50 % des contrats bancaires ne couvrent pas le risque invalidité quand vous êtes en inactivité, c’est-à-dire au chômage, et il y a des tas de cas devant la justice ? Nous avons donc besoin d’une telle évolution.

Mme la présidente. La parole est à M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. En matière d’assurance, comment mesure-t-on la rentabilité d’un produit ? C’est tout simple, on regarde le rapport entre les sinistres et les primes sur une moyenne période. Savez-vous quelle est la moyenne sur les six dernières années pour les personnes à risques aggravés de santé ? Asseyez-vous, monsieur Caresche, vous allez vous évanouir. C’est 18 %.

M. Pascal Cherki. Incroyable !

M. Charles de Courson. Et sur la dernière année, 2014-2015, on est tombé à 9 %.

Autant vous dire que la protection des gens les plus fragiles du point de vue de leur santé passe par la disposition adoptée en commission, et le ministre a raison de s’en remettre à la sagesse de l’Assemblée. Le rapporteur a beaucoup travaillé sur ce point et est arrivé à la même conclusion que Pierre-Alain Muet, moi-même et bien d’autres.

Il faut donc tenir bon, il ne faut pas se laisser impressionner. Ceux qui ont peur de la concurrence, ce sont les rentiers. Ceux qui avaient des marges et des taux extrêmement faibles n’ont aucune crainte à avoir. Encourageons donc ceux qui réduisent les coûts pour le plus grand bien de nos concitoyens.

M. Pascal Cherki. C’est limpide !

Mme la présidente. La parole est à M. Christophe Caresche.

M. Christophe Caresche. J’ai fait référence au rapport de l’Inspection générale des finances, pas aux banques. L’Inspection générale des finances, monsieur Muet, vous en faites partie et vous savez qu’elle n’est pas sensible aux pressions des banques ou de je ne sais pas quoi. Or, elle dit clairement que cette mesure provoquerait une démutualisation.

M. Charles de Courson. Ce n’est pas vrai !

M. Christophe Caresche. Je ne nie pas certains des faits qui sont mentionnés, mais il est clair que cette mesure va les accentuer. Cela signifie que la segmentation sera encore plus forte. Aujourd’hui, une forme de mutualisation s’opère. Manifestement, les membres du comité de suivi de la convention AERAS, qui vise précisément à permettre aux plus démunis de s’assurer dans de bonnes conditions, y sont sensibles et disent clairement qu’une telle disposition risque d’aggraver la segmentation et la démutualisation.

Maintenant, chacun fait ce qu’il veut, et je n’ai pas de désaccord fondamental avec Pierre-Alain Muet, mais le texte risque d’aggraver la situation et c’est sur cela que le communiqué de l’AERAS nous alerte.

(L’amendement n130 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Romain Colas, pour soutenir l’amendement n309 troisième rectification.

M. Romain Colas, rapporteur pour avis. C’est une précision rédactionnelle.

(L’amendement n309 troisième rectification, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

(L’article 29 bis B, amendé, est adopté.)

Article 29 quater

Mme la présidente. La commission a maintenu la suppression par le Sénat de l’article 29 quater.

La parole est à M. Razzy Hammadi, pour soutenir l’amendement n118.

M. Razzy Hammadi. Il s’agit d’une disposition que nous avions adoptée en première lecture et qui a été supprimée au Sénat. Son objectif, dans l’esprit de la loi, est notamment d’améliorer la transparence et la gouvernance des associations souscriptrices lorsqu’elles contractent un produit d’épargne en permettant que la décision soit prise désormais en assemblée générale et non plus seulement en conseil d’administration.

J’avais eu l’occasion de travailler sur ce sujet avec les associations de consommateurs, d’abord lorsque nous avons examiné la loi relative à consommation, puis lorsque j’ai présenté ma proposition de loi sur l’action de groupe. Une action de groupe ayant précisément cet objectif est d’ailleurs en cours, menée par une association de consommateurs contre une grande assurance connue dont je ne citerai pas le nom ici, l’affaire étant en cours.

Je souhaite donc que nous revenions à l’esprit du texte, qui a été remis en cause au Sénat.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Cet amendement vise effectivement à réintroduire une disposition que nous avions adoptée en première lecture ici, que la commission des lois a soutenue et que je soutiens moi-même à titre personnel.

Mieux encadrer les délégations opérées par les assemblées générales de ces associations souscriptrices en direction de leur conseil d’administration, c’est bien l’intention de l’amendement. Nous avons travaillé avec vous, monsieur Hammadi, en bonne intelligence avec le Gouvernement ainsi d’ailleurs qu’avec les associations pour arriver à une rédaction plus précise. Celle que vous proposez aujourd’hui est mieux ciselée. Il faudra sans doute s’intéresser plus largement au fonctionnement de ces associations, mais on est déjà dans la bonne direction et c’est la raison pour laquelle la commission est favorable à votre amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de l’Assemblée.

(L’amendement n118 est adopté et l’article 29 quater est ainsi rétabli.)

Article 30 AB

Mme la présidente. La commission a maintenu la suppression par le Sénat de l’article 30 AB.

Article 33

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre, pour soutenir l’amendement n325.

M. Michel Sapin, ministre. Il s’agit de réintroduire une disposition votée en première lecture et supprimée par le Sénat, qui concerne la réforme des régimes de retraite supplémentaire par points.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Cet amendement est une solution de compromis avec le texte du Sénat puisqu’il substitue à l’interdiction de modifier la valeur du point à la baisse pour les régimes existants la possibilité de le faire à la condition d’obtenir l’accord des souscripteurs.

Cette mesure devrait permettre de répondre aux difficultés spécifiques rencontrées par les régimes à points sans porter du tout atteinte aux bénéficiaires de ces régimes. Dans ces conditions, la commission est favorable à cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Si nous adoptons votre amendement, monsieur le ministre, que se passera-t-il si le souscripteur refuse et qu’il y a un refus massif, parce que, jusqu’à preuve du contraire, on ne peut pas distribuer plus que ce qu’on a ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Michel Sapin, ministre. On ne change rien.

M. Charles de Courson. L’amendement est donc inutile.

M. Michel Sapin, ministre. En cas de refus, on ne change rien.

M. Charles de Courson. Si, au sein d’un même bloc d’épargne retraite, les uns signent et les autres pas, c’est un peu bizarre. Cela signifie, me semble-t-il, que ceux qui signent financent ceux qui ne signent pas. Je ne comprends pas bien la logique. Comment cela peut-il s’équilibrer ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Michel Sapin, ministre. C’est l’assemblée générale ou le conseil d’administration qui prend la décision, au nom de l’ensemble des adhérents. Si ce n’est pas accepté, il ne se passe rien pour l’ensemble des adhérents.

Mme la présidente. La parole est à M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Dans l’amendement, il est question du souscripteur. Est-ce à dire que c’est un choix individuel de chaque souscripteur ou la décision du conseil d’administration s’applique-t-elle à tous ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Michel Sapin, ministre. Le souscripteur, c’est une association, un groupement, ce n’est pas un individu.

M. Charles de Courson. Et cela s’applique à tout le monde ?

M. Michel Sapin, ministre. Cela s’applique à tout le monde, au souscripteur et donc à tous ceux qui en sont membres.

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Avec l’amendement que nous avons voté, c’est l’assemblée générale qui décide !

(L’amendement n325 est adopté.)

(L’article 33, amendé, est adopté.)

Article 33 bis A

(L’article 33 bis A est adopté.)

Article 33 bis

Mme la présidente. La parole est à M. Charles de Courson, pour soutenir l’amendement n116.

M. Charles de Courson. L’article 33 bis autorise le déblocage des PERP peu abondés ou non alimentés depuis plusieurs années. C’est une mesure de sagesse, mais il n’y a pas que le PERP dans la vie, il y a aussi Préfon-retraite. Ce sont des produits alternatifs, vous pouvez avoir les deux et la déduction fiscale est plafonnée. Pourquoi le Gouvernement n’a-t-il pas prévu d’appliquer la même disposition au régime Préfon-retraite ?

Ce que je vous propose, c’est une mesure de justice, à savoir que l’on traite le PERP et Préfon-retraite de la même façon.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Nous avons déjà eu le débat en commission. Comme je l’ai souligné, mais le ministre pourra vous l’expliquer plus savamment que moi, le PERP et la Préfon sont des produits de nature différente. L’un est de l’épargne populaire, l’autre est spécifiquement de l’épargne retraite.

C’est la raison pour laquelle nous ne les assimilons pas – d’ailleurs, vous ne les avez pas totalement assimilés non plus. Nous avons donc pensé que votre amendement n’était pas opportun. La commission a réitéré son avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. Même avis.

Mme la présidente. La parole est à M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Monsieur le rapporteur, vous ne pouvez pas dire que PREFON retraite n’est pas une épargne populaire. Il existe quarante tranches et la grande masse des épargnants de ce régime sont très modestes, comme pour le PERP. Puisqu’il n’y a pas de différences, pourquoi ne pas traiter de la même façon les deux produits d’épargne, dont  80 à 100 % du montant peut être versé en rente ? Soyons équitables à l’égard de deux produits équivalents. Cela n’a rien de révolutionnaire !

(L’amendement n116 n’est pas adopté.)

(L’article 33 bis est adopté.)

Articles 34 à 41

(Les articles 34, 34 bis A, 35, 40 et 41 sont successivement adoptés.)

Article 41 bis

Mme la présidente. La commission a supprimé l’article 41 bis.

Article 42

(L’article 42 est adopté.)

Article 42 bis

Mme la présidente. La commission a supprimé l’article 42 bis.

Article 45

(L’article 45 est adopté.)

Article 45 bis

Mme la présidente. La parole est à Mme Eva Sas, inscrite sur l’article.

Mme Eva Sas. Monsieur le ministre, cela fait quatre ans que nous échangeons dans cet hémicycle sur la question des paradis fiscaux. Je veux croire que la mobilisation des députés qui sont présents ici, pour la plupart depuis le début, n’aura pas été vaine. Si nous sommes aussi mobilisés, c’est qu’il n’est pas acceptable de demander aux ménages un effort fiscal aussi important, chiffré par l’Observatoire français des conjonctures économiques à plus de 30 milliards supplémentaires durant la mandature, et de laisser les grandes entreprises continuer à échapper à l’impôt comme elles le font aujourd’hui.

Sur la question de l’évasion fiscale des particuliers, le Gouvernement a été efficace. S’agissant des banques, la loi de séparation bancaire a permis de mettre en place un reporting public, pays par pays. Il faut aujourd’hui poser la clé de voûte du système anti-évasion fiscale, c’est-à-dire un reporting public, pays par pays, pour l’ensemble des entreprises. Le dispositif proposé aujourd’hui par le Gouvernement est très insuffisant, car les données ne sont pas publiques et les multinationales n’ont pas à donner les informations pour tous les pays, mais seulement pour ceux dans lesquels elles ont plusieurs filiales.

Pourquoi organiser ainsi l’opacité du système ? Pourquoi introduire volontairement des failles dans lesquelles les multinationales s’engouffreront pour masquer leur évasion fiscale ? Pourquoi ne pas mettre tout simplement en place le même système que pour les banques, soit un reporting public pour tous les pays ? À l’heure où le sujet est à l’ordre du jour des parlements britannique, belge et italien, nous ne pouvons pas voter un dispositif imparfait qui abaisserait l’exigence de transparence dans tous les pays européens.

Il est de notre responsabilité de montrer la volonté de notre pays de lutter efficacement et complètement contre l’évasion fiscale des entreprises. C’est ce que proposent les amendements qu’ont déposés les députés écologistes, en visant à compléter le dispositif proposé. Pour que la France démontre sa détermination à lutter contre l’évasion fiscale des grands groupes, nous espérons vivement que nous allons marquer aujourd’hui une grande avancée.

Mme Isabelle Attard. Très bien !

Mme la présidente. Vous gardez la parole, madame Sas, pour soutenir l’amendement n208.

Mme Eva Sas. Cet amendement vise à remplacer l’article de façon à élaborer un dispositif complet, avec un nombre d’informations complet, des données publiques et le reporting pour tous les pays. Mais, au vu de la discussion qui s’engage, je pense qu’il serait préférable de le retirer au profit des amendements nos 209 et 321, qui me semblent plus précis pour compléter le dispositif.

(L’amendement n208 est retiré.)

Mme la présidente. Je suis saisie de plusieurs amendements, nos 137, 202, 209, 230 rectifié, 3, 80, 153 rectifié et 19, pouvant être soumis à une discussion commune.

Les amendements nos 137, 202, 209 et 230 rectifié, ainsi que les amendements nos 80 et 153 rectifié sont identiques.

La parole est à M. Pascal Cherki, pour soutenir l’amendement n137.

M. Pascal Cherki. Notre collègue Éva Sas ayant dit des choses très justes, je vais seulement les compléter. L’objet de cet amendement, qui a également été déposé par d’autres collègues, est de rendre le reporting public pleinement efficace. Le débat que nous avons dans cet hémicycle ne concerne pas la nature du reporting. Le reporting privé, en quelque sorte, celui qui existe entre administrations fiscales, a été instauré. L’objet du désaccord que nous avons avec le Gouvernement concerne le mouvement vers un reporting réellement public. Il ne faut pas exclure la société civile ni les organisations, afin de garantir une pression indispensable pour faire contrepoids et aider les gouvernements dans leur volonté de lutter contre l’évasion fiscale.

Dans sa rédaction actuelle, la faiblesse de l’article 45 bis est d’exclure du reporting public les pays dans lesquels les entreprises n’ont pas un nombre minimum de filiales. On nous a avancé l’argument de la protection de la connaissance des marges de ces entreprises. Mais, en pratique, cela reviendrait à exclure du reporting des grandes entreprises une partie de leurs pays d’activité. Or, et c’est là que le bât blesse, seule une photographie complète des activités et des impôts payés par les entreprises dans tous les territoires où elles sont implantées permettra de repérer d’éventuels transferts de bénéfices et de savoir si elles paient bien leur juste part d’impôt.

Un exemple permettra de prouver la faiblesse que représente ce seuil minimum de filiales. Il suffit d’une seule filiale pour faire de l’évasion fiscale ! C’est grâce à une seule filiale luxembourgeoise que McDonald’s a pu éviter de payer près d’un milliard d’euros d’impôts entre 2009 et 2013. La question qui nous est collectivement posée est celle-ci : serons-nous capables, nous, parlementaires, d’offrir dans la loi des instruments nécessaires pour qu’un contrôle citoyen accompagne la volonté naissante des gouvernements de lutter plus efficacement contre l’évasion fiscale ? Je ne doute pas de la bonne volonté de ce gouvernement, mais il n’est pas éternel et je souhaite que nous créions des outils pérennes au service du contrôle citoyen, lequel permettra de continuer à agir, dans le cas où des gouvernements en viendraient à être moins bien disposés.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Germain, pour soutenir l’amendement n202.

M. Jean-Marc Germain. Ce débat que nous avons eu à de nombreuses reprises est très important – vous le savez bien, monsieur le ministre, pour mener la bataille sans relâche au niveau européen. Je voudrais insister sur l’importance d’avancer dans une direction tout à fait praticable selon moi. L’optimisation fiscale est devenue la véritable gangrène de nos sociétés. On ne parle d’ailleurs plus d’optimisation, mais de fuite. Les richesses créées par les femmes et les hommes de notre pays, comme dans beaucoup de pays européens, sont pillées et détournées, ce qui mine nos systèmes sociaux.

Je vois bien comment cela fonctionne pour certaines entreprises de ma circonscription : la marque est localisée dans tel ou tel pays et l’entreprise ou l’usine située en France voit systématiquement, même quand des efforts d’amélioration sont faits, le prix de cette marque augmenter, ce qui ramène les profits à zéro. En définitive, ces entreprises ne paient pas ou peu d’impôts. Nous devons agir contre ces pratiques, à la fois grâce à cet amendement qui élargit le nombre de pays concernés par le reporting et à un autre, que je défendrai tout à l’heure, visant à augmenter la transparence.

Mme la présidente. La parole est à Mme Eva Sas, pour soutenir l’amendement n209.

Mme Eva Sas. Cet amendement vise à ce que le reporting soit effectif pays par pays, quel que soit le nombre de filiales. Cela nous paraît essentiel. Je voudrais également rappeler que dans le dispositif que nous avions adopté pour les banques, c’était bien le cas. Il est actif depuis 2014 et je ne crois pas que le système bancaire se soit écroulé. Il me semble donc normal, nécessaire et possible de mettre en place le même système de reporting pays par pays pour l’ensemble des entreprises.

Mme la présidente. La parole est à M. Paul Molac, pour soutenir l’amendement n230 rectifié.

M. Paul Molac. Cela fait très longtemps que plusieurs d’entre nous défendent ce principe, au minimum depuis que nous avons été élus en 2012, et encore avant pour certains. Le Gouvernement a beaucoup fait et les redressements fiscaux ont permis de récupérer 11 milliards d’euros. Nous partions de très loin. Nous ne sommes plus dans la situation de 2008, puisque des choses ont été faites. Je ne sais pas si cet amendement est la clé de voûte du système, ni s’il permettrait de résoudre la quadrature du cercle, mais toujours est-il qu’en le votant nous aurions, avec le reporting public sur les banques et ce que nous avons fait avec les particuliers, un ensemble de mesures pour être efficaces.

Je suis interpellé de temps à autre par mes administrés qui paient leurs impôts et qui trouvent totalement anormal que certaines grandes entreprises ne les paient pas et utilisent le système à cette fin. Ce sont nos TPE et nos PME qui paient la facture, alors que ce sont elles qui donnent du travail et qui permettent à ces entreprises, en tant que sous-traitants, de faire des bénéfices parfois énormes. Je soutiendrai ces amendements et les voterai.

Mme la présidente. Vous gardez la parole, monsieur Molac, pour soutenir l’amendement n3.

M. Paul Molac. Il est défendu.

Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Attard, pour soutenir l’amendement n80.

Mme Isabelle Attard. Monsieur le ministre, vous nous proposez d’imposer le reporting fiscal aux entreprises françaises qui ont des activités à l’étranger, ce qui est très bien. Vous avez, comme nous tous, pris conscience que l’argent qui manque dans les caisses de l’État est là, dans ces 70 milliards d’euros au minimum qui sont détournés par les plus riches chaque année. Le reporting fiscal, c’est un peu un grillage autour de nos frontières pour empêcher l’argent de partir.

Pourtant, vous choisissez de ne pas l’imposer si l’entreprise n’a qu’une seule filiale dans un pays. C’est un modèle de grillage qui n’est pas trop serré, un peu comme le grillage à moutons, quand il faudrait du grillage à poules. Or, dans l’ensemble, les multinationales ne manquent pas de renards qui connaissent tous les trucs pour franchir les grillages à moutons.

Prenez le cas de McDonald’s, qui a été cité par notre collègue Cherki : leur évasion fiscale, ils la font avec une seule filiale au Luxembourg. Rien n’empêchera une entreprise de condenser deux filiales en une seule afin d’échapper au reporting, au travers de votre beau grillage tout neuf.

Je m’interroge, monsieur le ministre. Vous ne manquez pas de banquiers autour de vous pour vous expliquer comment cela se passe. Aussi, soit vous vous êtes laissé berner par les banquiers et vous n’avez pas vu les trous dans votre beau grillage contre l’évasion fiscale, ce qui m’étonnerait un peu,…

M. Romain Colas, rapporteur pour avis. Oh !

M. Michel Sapin, ministre. Qui me parle comme ça ?

Mme Isabelle Attard. …soit vous espérez que les quinze députés ici présents se laissent berner par votre grillage plein de trous, ce qui m’étonnerait beaucoup. Je vous laisse le mot de la fin, monsieur le ministre : êtes-vous réellement contre la fraude fiscale ou êtes-vous là pour nous endormir et tous les Français avec nous ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. Sébastien Denaja, rapporteur. C’est de la démagogie la plus crasse !

Mme la présidente. La parole est à Mme Fanélie Carrey-Conte, pour soutenir l’amendement n153 rectifié.

Mme Fanélie Carrey-Conte. Monsieur le ministre, ce n’est pas un hasard si la question du reporting pays par pays et de la lutte contre l’évasion fiscale occupe largement nos débats parlementaires depuis plusieurs années. Je suis d’ailleurs heureuse de consacrer à ce sujet mes dernières interventions dans l’hémicycle. La lutte contre l’évasion fiscale, plus qu’un enjeu financier et moral, représente en effet aujourd’hui un véritable enjeu démocratique.

Scandale après scandale, les citoyens risquent de perdre chaque jour un peu plus confiance dans leurs représentants politiques et dans la politique en général. Nous avons la responsabilité de montrer que le politique, au sens large, n’est ni impuissant, ni résigné, mais qu’il fait tout ce qui est en son pouvoir pour lutter contre l’évasion fiscale, sans quoi je crois que la crise démocratique que nous traversons dans notre pays et dans le monde continuera à s’approfondir.

Le dispositif prévu dans le texte gouvernemental nous donne le sentiment que le compte n’y est pas, que nous restons au milieu du gué, puisqu’en l’état actuel de la rédaction de l’article 45 bis on exclut du reporting public les pays dans lesquels les entreprises n’ont pas un nombre minimum de filiales.

C’est pourquoi cet amendement, qui est découpé en deux amendements, permet de compléter le dispositif pour modifier l’alinéa 16, en rendant pleinement effectif le reporting public, en l’étendant à tous les pays d’activité d’une entreprise. Je propose également de supprimer les alinéas qui donnent au Conseil d’État le soin de définir le nombre minimum de filiales. C’est important de combler les trous existant dans le dispositif.

J’ajoute que les dispositions que nous mettons en place produisent des effets d’aubaine. On risque ainsi de voir les entreprises regrouper leurs activités dans un nombre plus restreint de filiales par pays, pour ne pas être concernées par l’obligation de transparence. Nous ne pouvons pas laisser les choses en l’état ; il nous faut saisir cette dernière occasion qui se présente aujourd’hui.

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Marleix, pour soutenir l’amendement n19.

M. Olivier Marleix. Il est défendu.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur cette série d’amendements en discussion commune ?

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Après mon intervention, je demanderai une suspension de séance. En nouvelle lecture, on oublie toutes les étapes franchies, tout le chemin parcouru au terme des longues discussions avec l’ensemble des collègues. Le texte initial ne comportait pas de dispositions sur ce sujet ; si nous en débattons, c’est parce que les rapporteurs – moi-même et les rapporteurs pour avis – ainsi que Mme Mazetier, responsable du groupe majoritaire, ont bien voulu, dès la première lecture, s’engager en ce sens en prenant la responsabilité de déposer un amendement qui ouvre le débat. Nous avons discuté et avancé avec les ONG, mobilisées jusqu’au bout ; nous avons franchi des étapes considérables, et cette première mouture est allée très loin. Ensuite, le texte est parti au Sénat qui – il faut le rappeler – est complètement revenu en arrière sur ce que nous avions permis.

Cette discussion permet de resituer dans le débat public ce que veut la gauche en matière de lutte contre l’évasion fiscale, de transparence et de contrôle citoyen, et ce que souhaiterait la droite – rappel utile pour ceux qui, agissant en complices objectifs, précipiteraient le retour de celle-ci aux affaires. Nous allons le plus loin possible tout en étant le plus sérieux sur le plan juridique, afin de ne pas fragiliser le texte. Mon but n’est pas d’obtenir, ce soir, une belle dépêche AFP suivie, dans un mois, d’une belle censure du Conseil constitutionnel.

Nous allons beaucoup plus loin que ce qui était prévu. Ainsi, dans les discussions européennes, l’on évoque un seuil de 750 millions d’euros de chiffre d’affaires. Nous avons, pour notre part, proposé, maintenu et revoté un abaissement progressif du seuil de 750 à 500, puis à 250 millions d’euros à l’horizon 2022. Cela, même les ONG ne s’y attendaient pas. En effet, c’est très audacieux, et nous serons les premiers en Europe à emprunter ce chemin. Pour ce qui est du périmètre concerné, les discussions européennes portent sur un périmètre d’abord exclusivement européen, puis étendu aux États non coopératifs. Celui que nous proposons s’étend à l’ensemble du monde ; c’est à cette échelle que nous voulons mettre en place un reporting pays par pays. Il n’y a pas, d’un côté, ceux qui sont pour l’évasion fiscale, et, de l’autre, ceux qui sont contre – les amis des banquiers et les autres. Gardons-nous donc des excès verbaux. Ce périmètre monde présente deux difficultés, l’une d’ordre économique, l’autre, juridique. Sur le plan juridique, si nous ne prévoyons pas des conditions à cette exposition de nos entreprises, le Conseil constitutionnel pourrait être amené à censurer ce que nous adopterions au nom du respect du principe de liberté contractuelle et surtout de liberté d’entreprendre.

M. Xavier Breton. Tout à fait !

M. Olivier Marleix. Oui !

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Cela paraît évident : des décisions du Conseil permettent de le dire avec une quasi-certitude. On n’est pas dans un débat totalement vierge : le Conseil constitutionnel a déjà pris des positions sur ce sujet, et elles amènent à penser que si nous n’essayons pas d’atténuer cette logique, nous serons très probablement censurés.

Ensuite, j’assume politiquement ma position vis-à-vis de nos entreprises.

M. Christophe Castaner. Bravo !

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Eh oui, il faut l’assumer ! La politique consiste aussi à équilibrer des démarches qui seraient vertueuses isolément, mais qui, en s’affrontant, produisent des effets dévastateurs. Si par exemple on abaisse le seuil à 40 millions d’euros de chiffre d’affaires, on resserrera les mailles du filet, ou plutôt on augmentera la taille de l’épuisette ; mais l’on visera alors des entreprises de taille intermédiaire, celles justement qui prennent des risques pour essayer de se positionner sur des marchés internationaux, qui créent de l’emploi, qui innovent et qui investissent. Très souvent, quand elles se développent, elles n’ont au départ qu’une seule filiale et un seul client ; voilà le danger !

M. Olivier Marleix. Eh oui !

M. Sébastien Denaja, rapporteur. J’ai, dans ma circonscription, une entreprise de cette taille qui a des marchés à l’export. Son dirigeant me disait récemment que ne serait-ce que divulguer son souhait de s’implanter dans un pays, sans même évoquer comment ni sur quel produit, la fragiliserait à l’égard de ses concurrents internationaux. Que veut-on ? Laisser cette entreprise se développer, créer de l’emploi chez nous et exporter ou bien la tuer parce qu’on suspecte, a priori, qu’elle ferait de l’évasion fiscale ?

M. Xavier Breton. Très juste !

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Non, ce qu’on souhaite et ce que permet cet article, c’est viser les 650 ou 700 grandes entreprises – on est donc bien au-delà du CAC40 – qui peuvent éventuellement se livrer à des pratiques dévoyées, que vous condamnez très justement, mais sans aller jusqu’à fragiliser un tissu d’entreprises qui représente aujourd’hui le ressort économique de la France et l’espoir de renouer avec une croissance plus soutenue et une création d’emplois plus importante. C’est cet équilibre qu’il nous faut savoir mesurer.

M. Xavier Breton. Très bien !

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Voilà ce qui guide la commission, l’amenant à émettre un avis défavorable à l’ensemble de ces amendements. Nous pensons avoir fait un long chemin, et les formules toutes faites, employées sur les réseaux sociaux, ne rendent pas justice à notre démarche.

M. Romain Colas, rapporteur pour avis. Très bien !

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Je veux aussi saluer l’audace du Gouvernement et du ministre, qui aurait pu être plus réceptif aux arguments de la prétendue très haute administration ou des cercles que vous évoquiez, madame Attard. Car le risque est de fragiliser sa position dans les discussions européennes alors même que nous en sommes à l’avant-garde. C’est le paradoxe ultime de votre démarche : vous voulez qu’on aille le plus loin possible en Europe en matière de lutte contre l’évasion fiscale ; c’est nous qui en sommes les pionniers, mais vous finirez par nous affaiblir car dans moins d’un mois, avec vos amendements, nous serions censurés par le Conseil constitutionnel, ce qui réduirait la position française à néant. Pour toutes ces raisons, ayant pesé tous ces éléments et pour faire ensemble œuvre utile, je vous appelle à retirer ces amendements. La responsable du groupe majoritaire – auquel j’appartiens – n’étant pas là, je demanderai une suspension de séance. En effet, des discussions peuvent encore avoir lieu, après l’intervention du ministre, pour que chacun prenne la bonne décision.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. Je partage le souhait du rapporteur de suspendre la séance. Monsieur Cherki, madame Attard, je vous remercie d’avoir la gentillesse de m’écouter. Ce n’est pas la première fois que nous abordons ce sujet : nous en avons parlé deux fois l’année dernière, et au moins une fois en première lecture de ce texte, ainsi qu’au Sénat. Madame Attard, franchement – car c’était la teneur de vos propos –, vous ne pouvez critiquer ce Gouvernement et ce ministre parce qu’ils seraient pusillanimes dans la lutte contre la fraude fiscale. Si vous regardez la vérité des choses, vous pourriez regretter ces propos. Ou alors vous vous situez dans un tout autre univers, qui n’est pas celui de la rationalité, de la justice ou de la vérité, un univers enfermé sur lui-même qui se condamne à n’avoir jamais aucune efficacité.

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Exact !

M. Christophe Castaner et M. Romain Colas, rapporteur pour avis. Bravo !

M. Michel Sapin, ministre. Mesdames et messieurs les députés, de manière générale, quelle est la préoccupation du Gouvernement dans la lutte contre la fraude fiscale ? Chacun ici peut le reconnaître. Est-on capable aujourd’hui de lutter contre la fraude des particuliers qui ont caché leur argent à l’étranger ? La réponse est oui, j’en veux pour preuve les quantités d’argent qui rentrent dans les caisses de notre pays sous forme de pénalités dues pour des comptes situés en Suisse, au Luxembourg ou à Singapour. Cela est possible non seulement parce que vous avez voté des dispositions qui nous donnent, sur le territoire français, les moyens de lutter contre la fraude fiscale, mais également parce qu’on a mis en place une coopération internationale sans laquelle rien n’est possible, et qui faisait défaut jusqu’à présent. Aujourd’hui, tous les grands pays ont signé un accord international, y compris la Suisse, le Luxembourg, Singapour ou Hong Kong. Désormais, les détenteurs des comptes à l’étranger savent qu’à compter du 1er janvier 2017 – ou 2018, mais avec un effet rétroactif –, les États échangeront les informations sur toutes les situations. L’administration fiscale connaîtra donc tout sur les comptes étrangers des citoyens français redevables en France de leurs impôts. Ce n’est pas arrivé par hasard : c’est un combat complexe que nous avons mené ensemble, que j’ai mené – car c’est moi qui ai signé cette convention – avec votre soutien.

Prenons maintenant la lutte contre l’optimisation fiscale des grandes, parfois très grandes entreprises – aspect que nous abordons aujourd’hui. Avons-nous avancé dans ce domaine au cours de ces dernières années et de ces derniers mois ? Toute personne objective, qui n’est pas enfermée dans son système, se condamnant à l’inefficacité, dira que nous avons considérablement avancé. Le fameux acronyme BEPS – Base Erosion and Profit Shifting –, inventé au niveau international, vient d’être adopté à l’échelle du G20. Il prévoit que dès l’année prochaine, nous disposerons d’une liste noire de pays qui n’accepteraient pas de mettre en œuvre ces règles. Nous aurons également une date, juin 2017, et nous élaborerons ce qu’on appelle dans le jargon des contre-mesures, c’est-à-dire des sanctions à l’égard de ces pays.

À la fin de l’année dernière, vous avez voté une disposition qui permet l’échange automatique d’informations entre administrations fiscales sur toutes les données utiles concernant les entreprises, quel qu’en soit le lieu d’implantation, en particulier l’Europe ou le reste du monde. Aujourd’hui, parce que nous nous sommes battus pour cela, parce que la France a été à la pointe de cette bataille, et parce que vous nous avez soutenus – même si parfois vous ne le dites pas –, nous avons obtenu quelque chose qui n’existait pas, brisant le cercle vicieux que l’on connaît : « Faites-le chez vous, je le ferai ensuite chez moi ! » Ce principe bloquait tout en matière de lutte contre l’optimisation fiscale ; nous avons débloqué les choses en cassant ce cercle vicieux, et aujourd’hui, nous luttons contre l’optimisation fiscale avec efficacité.

Je ne peux pas entrer dans le détail des dossiers, mais les grandes entreprises qu’on cite souvent, à juste titre, à cause du passé, comme étant les champions de l’optimisation fiscale – certaines ne payaient d’impôts nulle part au monde –, paient aujourd’hui des impôts en France pour les bénéfices qu’elles réalisent dans notre pays. Et si elles n’en paient pas, elles font l’objet de poursuites nécessaires de la part de mon administration.

J’ai pris un peu de temps parce qu’à écouter certains ou certaines, on a le sentiment que nous n’avons rien fait, voire que nous serions complices de la fraude fiscale. C’est cela qui est insupportable !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, vice-président de la commission des lois. Exactement !

M. Michel Sapin, ministre. Eva Sas a eu la gentillesse et l’honnêteté de reconnaître le travail que nous avions fait ensemble ; je pense que chacun pourrait le faire. Monsieur Cherki, je ne vous ai pour l’instant pas adressé la moindre critique ; je parle d’une personne qui représente le sentiment qui peut exister à l’extérieur de cette assemblée.

À force de dire des choses pareilles dans l’hémicycle, ces affirmations sont reprises sur les réseaux sociaux et donnent le sentiment que rien n’a été fait…

M. Romain Colas, rapporteur pour avis. C’est d’ailleurs fait pour cela !

M. Michel Sapin, ministre. …alors que nous avons incroyablement avancé. Nous n’avons d’ailleurs jamais autant avancé ! Si près de 6 milliards d’euros supplémentaires entrent chaque année dans les caisses de l’État au titre de la lutte contre la fraude fiscale par rapport à 2011, ce n’est pas par hasard. D’où sort ce montant ? De la lutte que nous avons voulu mener. Je m’en tiendrai là sur ce sujet, qui me passionne, mais sachez que j’y consacre beaucoup de temps, aux niveaux tant international et européen que national. Par conséquent, quand les résultats sont visibles, j’aimerais que le constat en soit partagé, en particulier par ceux qui, à gauche, sont comme nous des partisans de la justice sociale, donc de la justice fiscale.

Se pose ensuite la question de savoir si les renseignements qui sont échangés aujourd’hui entre administrations fiscales doivent être connus de l’extérieur, c’est-à-dire publiés. C’est le sujet abordé aujourd’hui. Sur ce point, j’ai toujours dit, et vous pouvez m’en être témoin, que j’étais favorable à cette forme de transparence, sous réserve, et le rapporteur l’a très bien exposé, qu’elle soit mise en œuvre dans des conditions qui ne mettent pas en difficulté telle ou telle entreprise au point que celles-ci n’aille même pas à l’extérieur de peur de ne pouvoir y conserver la capacité d’agir.

Sur ce point, je veux être bref, car j’ai déjà dit cela trente-six fois ici : j’aime l’efficacité, et non pas les simples déclarations, les prétéritions ou ce qui fait plaisir un soir ou une après-midi et qui fait pleurer le lendemain lorsqu’on s’aperçoit que le dispositif annoncé n’est peu ou pas applicable et n’a aucune efficacité. Et parmi les éléments permettant d’apprécier l’efficacité d’un dispositif, et qui sont à la portée de chacun, on ne peut pas dénigrer les règles constitutionnelles ; ce ne sont pas des arguties, contrairement à ce que certains ont pu dire ici ou sur d’autres bancs, d’ailleurs. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.) La Constitution n’est pas une argutie, l’argument juridique et constitutionnel n’est pas une argutie juridique, et vous pourrez le répéter à qui de droit, en l’occurrence.

En matière de constitutionnalité, les choses sont aujourd’hui très simples : la décision du Conseil constitutionnel que j’ai sous les yeux, qui date de la fin de l’année dernière, dans son considérant n33, dit très clairement que les dispositions qui étaient contestées par la droite, l’échange d’informations entre administrations fiscales, sont constitutionnelles parce qu’elles ne peuvent être rendues publiques, ce qui signifie a contrario que si elles étaient rendues publiques, ce serait inconstitutionnel.

J’en viens à la seconde articulation de mon raisonnement. Vous avez voulu avancer parce que la commission a eu la volonté de légiférer sur ce point, ainsi que le rapporteur l’a rappelé à juste titre. Voici notre raisonnement : nous pouvons faire exception à cette inconstitutionnalité si une directive européenne va dans ce sens. Le Conseil constitutionnel considère en effet que la directive européenne l’emporte, et rend constitutionnelle une disposition qui, à défaut, ne l’aurait pas été, si vous me permettez d’employer cette formulation peu rigoureuse sur le plan juridique. Donc nous devons rester dans le champ de cette directive, laquelle prévoit une publicité pays par pays pour deux catégories : les pays de l’Union européenne, d’une part – donc le Luxembourg n’est pas un exemple valable –, les pays non coopératifs ou paradis fiscaux, d’autre part. Pour les autres pays, les données peuvent être présentées sous forme agrégée. Vous allez plus loin, puisque vous prévoyez que dans les pays où une entreprise ne disposerait que d’un seul établissement elle serait exonérée de cette publicité.

Voilà l’objectif qui est le nôtre : l’efficacité. Nous avons été efficaces dans la lutte contre la fraude, nous l’avons été dans la lutte contre l’optimisation fiscale, soyons efficaces également dans l’instauration d’outils permettant, je le souhaite, au plus grand nombre de nos concitoyens de connaître les situations, les informations, y compris pour leur permettre de jouer leur rôle, d’aider l’administration fiscale dans ce domaine. Telle est notre position.

Alors bien sûr, on peut toujours décider de faire tout et n’importe quoi, mais dans trois semaines ou un mois, de telles décisions seront annulées par le Conseil constitutionnel et on n’aura pas avancé. Le progrès obtenu sur le papier aujourd’hui sera effacé d’un seul coup. Ce n’est pas une bonne manière de faire.

M. Romain Colas, rapporteur pour avis. Très bien !

Mme la présidente. Quel est donc l’avis du Gouvernement sur l’ensemble des amendements en discussion commune, monsieur le ministre ?

M. Michel Sapin, ministre. Défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Cherki.

M. Pascal Cherki. Parce que M. le ministre a répondu très longuement, d’une façon pas inintéressante d’ailleurs, et que je suis pour ma part contraint à une intervention plus courte, je l’allégerai de tous les procédés rhétoriques que contenait la sienne pour me concentrer sur les éléments au sujet desquels nous pouvons être d’accord ou non.

Monsieur le ministre, personne ne dit que ce gouvernement n’a rien fait en matière de lutte contre l’évasion fiscale. Nous avons au contraire salué, accompagné et voté les dispositions qui, pas à pas, ont marqué cette action. Nous avons cependant un désaccord, et je le dis sans emphase, car il n’y a aucune mise en cause personnelle dans mon propos. Ce désaccord porte sur la nature du reporting public. Laissez-moi tenter de vous convaincre par un ultime argument, monsieur le ministre.

Vous affirmez qu’il existe un risque juridique ; certes, mais prenons-le. Je dis cela car le reporting est demandé par les associations, par les ONG, les organisations regroupées notamment au sein de la plateforme de lutte contre les paradis fiscaux, qui mènent ce combat. Le contrôle citoyen n’est pas fait par le citoyen lambda. Or ces organisations sont prêtes à courir un tel risque. Et quand bien même le Conseil constitutionnel, qui comprend parmi ses membres des spécialistes des questions fiscales et des marchés fiscaux internationaux, pourrait être amené à nous censurer, il resterait, monsieur le ministre, le reporting privé entre administrations. L’administration et les gouvernements ne seraient donc pas désarmés ni démunis pour faire ce travail. Nous aurions simplement un débat avec le Conseil constitutionnel, car un combat politique se mène au long cours, qui considérerait que le contrôle citoyen n’a pas sa place dans la lutte contre l’évasion fiscale. Et telle est précisément la nature du débat que nous avons ici.

Pour ma part, monsieur le ministre, à aucun moment je ne mets en cause votre volonté ni celle du Gouvernement. Et nous avons pu mesurer dans le budget le montant des entrées liées aux régularisations fiscales sous la pression de l’évolution de la législation et des propos assez fermes du Gouvernement. Cependant, monsieur le ministre, vous n’êtes pas éternel, et tout enthousiaste que vous êtes, il est possible que d’autres nous succèdent en 2017.

M. Michel Sapin, ministre. Nous nous battons pour éviter cela !

M. Pascal Cherki. On ne fait pas des lois de circonstance et de convenance uniquement calibrées pour le moment auquel on est aux responsabilités ; on fait des lois pour l’avenir. Quelle garantie pouvez-vous nous offrir quant au fait que demain, un gouvernement disposant d’un simple reporting privé entre administrations l’utilisera effectivement ?

Mme la présidente. Veuillez conclure, monsieur Cherki !

M. Pascal Cherki. Regardez donc ce qui s’est passé avec le gouvernement irlandais : alors que la Commission européenne a condamné Apple et engagé une procédure contre l’entreprise, celui-ci a dit renoncer à récupérer l’argent. Voilà pourquoi un tel contrôle citoyen est important, monsieur le ministre : vous n’êtes pas éternel, nous ne le sommes pas non plus, nous faisons des lois pour l’avenir, qui ont vocation à être appliquées après notre passage aux responsabilités. Ce contrôle citoyen est un élément fondamental du rapport de force pour lutter efficacement contre l’évasion fiscale.

Mme la présidente. Monsieur Cherki, s’il vous plaît !

M. Pascal Cherki. Je conclurai par ces mots, madame la présidente : telle est précisément le cœur de notre désaccord politique sur la conception de ce combat.

(Les amendements identiques nos 137, 202, 209 et 230 rectifié ne sont pas adoptés.)

(L’amendement n3 n’est pas adopté.)

(Les amendements identiques nos 80 et 153 rectifié ne sont pas adoptés.)

(L’amendement n19 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie de plusieurs amendements, nos 159, 29, 158, 321, 322 et 134, pouvant être soumis à une discussion commune.

Les amendements nos 29, 158, 321 et 322 sont identiques.

La parole est à Mme Fanélie Carrey-Conte, pour soutenir l’amendement n159.

Mme Fanélie Carrey-Conte. Cet amendement, dans la suite du précédent, est l’occasion d’ajouter quelques éléments à ce débat essentiel.

Tout d’abord, monsieur le ministre, c’est justement parce que nous reconnaissons les efforts consentis et les avancées en matière de lutte contre l’évasion et l’optimisation fiscales que nous sommes aujourd’hui frustrés d’avoir le sentiment qu’on ne va pas au bout de ce qui pourrait être fait sur la question au cours de cette législature.

J’aimerais revenir à l’argument qui a été avancé au sujet du Conseil constitutionnel. Il me semble qu’il est difficile de savoir avec certitude la décision que le Conseil constitutionnel prendra demain sur le sujet.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, vice-président de la commission des lois. Il s’est déjà prononcé !

Mme Fanélie Carrey-Conte. La conciliation entre la liberté d’entreprendre et la lutte contre l’évasion fiscale a d’ores et déjà été validée dans plusieurs de ses décisions. Il me semble que le législateur ne doit pas inhiber son action en prévision de décisions que le Conseil constitutionnel pourrait prendre ; son rôle est plutôt d’avancer selon ce qui lui paraît juste et politiquement indispensable. Le coût politique et démocratique de l’abandon de toute tentative pour les raisons avancées sera plus important que celui d’une tentative infructueuse.

Mme la présidente. Dans la discussion commune, nous en venons à plusieurs amendements identiques, nos 29, 158, 321 et 322.

La parole est à M. Paul Molac, pour soutenir l’amendement n29.

M. Paul Molac. Il est défendu.

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Cherki, pour soutenir l’amendement n158.

M. Pascal Cherki. Parce qu’il s’agit du même combat, je crains qu’il n’aboutisse au même vote. Je remercie nos collègues Pupponi et Da Silva, qui nous ont rejoints dans ce débat uniquement pour voter, et je tiens à le dire, car cela s’est déjà produit en 2015. Et ces votes, il faudra les assumer.

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Nous aussi nous vous remercions de nous avoir rejoints !

M. Pascal Cherki. Nous avons un désaccord politique : nous considérons pour notre part que la lutte contre l’évasion fiscale passe nécessairement par la mise à disposition d’outils permettant un contrôle citoyen fort, et un tel contrôle ne nous fait pas peur. Nous pensons que l’implication d’associations citoyennes dans le combat pour la transparence constitue une aide indispensable pour satisfaire à cette exigence. Je remarque que cette conviction n’est pas partagée par tous, et je le regrette. Surtout, je m’inquiète de l’éthique suivie par certains dans le combat politique que constitue la lutte contre l’évasion fiscale ; je n’en dirai pas plus, chacun aura compris à quoi je fais référence. (Exclamations sur certains bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Eva Sas, pour soutenir l’amendement n321.

Mme Eva Sas. Je souhaiterais compléter ce qui a été dit par mes collègues à l’instant et ce que nous avons dit précédemment. Le présent amendement a pour objet la publication des données. Nous avons eu ce débat à plusieurs reprises. Permettez-moi néanmoins de rappeler que le reporting pour les paradis fiscaux est avant tout un dispositif dissuasif qui touche à l’image des entreprises ; il est autrement dénommé, et je l’ai déjà dit dans cet hémicycle, veuillez m’excuser pour l’anglicisme, le « name and shame ». Il permet aux citoyens, qui sont aussi des consommateurs et des actionnaires, de connaître le comportement des entreprises ; c’est une question de transparence. Supprimer la publicité des données revient dans ces conditions à supprimer le cœur du dispositif. Il est donc important de rétablir la publicité des données, et c’est l’objet de ces amendements.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Germain, pour soutenir l’amendement n322.

M. Jean-Marc Germain. Cet amendement est identique aux précédents, mais je tiens à en préciser la portée. Le précédent avait un champ d’application plus large en termes de nombre d’entreprises, mais celui-ci s’appuie sur une méthode différente. Il précise les conditions dans lesquelles les données peuvent être publiées. Le rapport est rendu public en ligne, en format de données ouvertes, gratuites, centralisées et accessibles au public dans des conditions – et c’est la concession que nous sommes prêts à faire pour que cet amendement puisse faire l’objet d’un consensus dans cette assemblée – définies par décret en Conseil d’État, ce qui répond à l’inquiétude exprimée à juste titre tout à l’heure par notre rapporteur. En effet, dans certaines situations, on doit être en mesure de protéger des secrets industriels. C’est d’ailleurs strictement le dispositif qui est prévu pour les banques depuis 2013.

Il me semble donc que nous pouvons avancer ensemble sur ce point, malgré le désaccord qu’a mis en lumière M. Cherki.

Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Attard, pour soutenir l’amendement n134.

Mme Isabelle Attard. À l’instar de mes collègues, je demande que le rapport soit bien publié en ligne dans un format ouvert exploitable. Notre collègue Cherki parlait du regard des citoyens sur notre travail et sur ce qui se passe. Ce sont ces citoyens qui votent pour nous ou non. Ils ont un regard très aiguisé sur ce qui se passe dans le monde, en Europe et dans notre pays en matière de lutte contre l’évasion fiscale et ce sont eux qui nous alertent très régulièrement des fraudes et de l’évasion qu’ils constatent au moyen de leurs propres études, qu’ils mènent parallèlement aux nôtres.

C’est ce travail citoyen qu’il convient de saluer et de permettre grâce à une publicité en format ouvert.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Je formulerai d’abord une remarque. Si je devais remercier un par un ceux qui font un petit tour et puis s’en vont, je n’en finirais pas ! Il n’y a pas lieu de faire ce genre de procès à nos collègues : ils rejoignent l’hémicycle au moment où il leur semble opportun de le rejoindre ! Je salue au contraire la présence de nos collègues participant à un débat qu’ils estiment important et au vote qui s’ensuit. Il faut en la matière conserver le bon équilibre.

M. Christophe Caresche. Je suis là depuis une heure !

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Laissons de côté le débat de fond, nous l’avons déjà eu. Ces amendements portent sur un point précis ; ils visent à préciser les modalités de publicité du rapport prévu par l’article 45 bis. Sur ce point, l’avis de la commission des lois est très simple : un tel sujet ne relève pas de la loi mais du règlement. Il incombe donc au décret de préciser ces modalités. C’est pour cette raison, et même si j’approuve votre démarche, chers collègues, que l’avis de la commission est défavorable à ces amendements. Cela étant, je suis certain que le ministre est prêt à vous donner des gages pour que le contenu du décret vous donne toute satisfaction.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. On peut être d’accord avec M. Germain : il s’agit bien d’un amendement de procédure. Il s’agit de parvenir à la procédure la plus simple possible afin de rendre accessibles les informations visées grâce aux technologies actuelles. Toutefois, la rédaction de l’amendement rouvre exactement le débat que nous avons clos précédemment. Sous l’apparence d’une question de forme, vous reposez exactement la même question de fond, monsieur Germain. Je pourrais être d’accord avec vous, connaissant votre profonde honnêteté intellectuelle. Mais je ne peux approuver un amendement qui, tel qu’il est écrit, supprime les alinéas 17 à 21, lesquelles comportent justement des dispositions que nous entendons maintenir. Comme l’a dit très honnêtement M. Cherki, ce n’est pas qu’une question de forme.

Je ne répondrai donc pas sur le fond, car ce débat a été tranché, mais sur la forme. Vous souhaitez faciliter au maximum la publicité des données et la capacité pour tout citoyen d’y avoir accès. Nous le ferons par décret, peut-être d’ailleurs dans les mêmes conditions que celles que vous proposez et qui sont d’ordre réglementaire. Je ne peux être favorable à cet amendement, en raison de l’astuce que présente sa rédaction, mais je serai extrêmement exigeant au sujet de la facilité d’accès à ces données. À quoi servirait-il d’annoncer qu’on les publie et de les cacher par ailleurs ? Cela n’aurait aucun sens et serait en outre immédiatement dénoncé, à juste titre, par les organisations qui, et je les comprends, sont très mobilisées sur ce sujet. Je me permets donc de vous demander de retirer cet amendement afin d’éviter de répéter le même débat. Vous pouvez croire le Gouvernement et le ministre que je suis – certes, je ne suis pas éternel, mais qui d’entre nous l’est au poste qu’il occupe aujourd’hui ?

M. Pascal Cherki. Tout à fait !

Mme la présidente. La parole est à M. François Pupponi.

M. François Pupponi. Je voudrais répondre à M. Cherki qui m’a pris à partie à mon arrivée. Je viens en effet pour la deuxième fois voter contre ses amendements, pour une raison très particulière. Je pense être ici le seul agent de l’administration fiscale. J’ai réalisé, au cours de ma carrière, quelques centaines de millions d’euros de redressement fiscal. Je sais donc ce qu’est…

M. Pascal Cherki. Voilà qui ne me rassure pas !

M. François Pupponi. Que chacun garde pour lui ses réflexions. Je sais, moi, ce qu’est la lutte contre la fraude fiscale. Je n’en parle pas, j’agis. J’agissais avant, j’agis ici et si, demain, je ne suis plus député, je retournerai dans l’administration fiscale. Je ne parle donc pas de choses que je ne connais pas. Le Gouvernement a été injustement mis en cause, accusé d’être complice avec les fraudeurs ou incompétent dans ces matières.

M. Pascal Cherki. Personne n’a dit ça !

M. François Pupponi. Certes, mais c’était sous-entendu, et c’est là négliger les agents de l’administration fiscale qui travaillent quotidiennement dans ce domaine et réalisent un travail exceptionnel. J’aimerais qu’on salue leur travail ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. Pascal Cherki. Bien sûr ! C’est bien pour cette raison que nous avons adopté le reporting « non public » !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, vice-président de la commission des lois. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Je voudrais bien comprendre votre réponse, monsieur le ministre. Laissons de côté les alinéas 17 à 20, que vous souhaitez voir conservés. L’alinéa 21 dispose que « le rapport est rendu public dans des conditions prévues par décret en Conseil d’État ». Doit-on déduire des propos que vous venez de tenir que ce contenu sera mis en ligne ?

M. Michel Sapin, ministre. Bien sûr !

M. Charles de Courson. Si tel est bien le cas – vous n’avez pas été tout à fait clair –, je ne vois pas l’intérêt pour nos collègues de maintenir leurs amendements !

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Michel Sapin, ministre. Je me suis opposé à un amendement qui faisait usage de la forme – via la mention des alinéas 17 à 21 – pour revenir sur le débat de fond. Mais le rapport sera évidemment mis en ligne. D’ailleurs, de nombreuses données sont aujourd’hui mises en ligne, et très naturellement, par une administration que je veux la plus ouverte possible dès lors que les intérêts fondamentaux de l’État ne sont pas mis en cause.

Mme la présidente. Vous évoquez uniquement l’amendement n159, monsieur le ministre. Les autres amendements en discussion commune ne portent que sur l’alinéa 21.

La parole est à M. Jean-Marc Germain.

M. Jean-Marc Germain. Vous m’avez devancé, madame la présidente ! L’amendement n322 a précisément été déposé en vue de nous rassembler. Il ne propose donc pas d’écraser les alinéas 17 à 20. Il semble donc possible de rassurer tout un chacun sur le fait que les données recueillies en application des alinéas précédents seront bien rendues publiques et accessibles simplement, tout cela étant par ailleurs précisé par décret en Conseil d’État.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Sur ce sujet précis, je suis tout à fait favorable à ce que vient de dire M. Germain. Ne restons pas engoncés dans un formalisme excessif centré sur les distinctions entre les matières relevant de l’article 34 et celles relevant de l’article 37 de la Constitution ! Je suis favorable à ce que nous allions dans le sens voulu par Jean-Marc Germain. Si le Gouvernement l’est aussi, notre assemblée aura sans doute la sagesse d’approuver cette démarche.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

J’ai en effet donné l’avis du Gouvernement sur l’amendement n159, madame la présidente, qui était l’amendement fondamental, en tout cas le premier dans l’ordre d’examen. Je suis certain que nous sommes là dans le domaine réglementaire, au sujet duquel je pourrais ajouter que le Gouvernement le protège, comme la Constitution de la Ve République non seulement l’y autorise mais peut-être parfois l’y oblige. Néanmoins, si nous pouvons sur ce point faire preuve d’une volonté commune de mettre en œuvre des dispositions applicables et réalistes dans les meilleures conditions d’accès au public possibles, je suis prêt à accepter cet amendement.

Reprenons, monsieur le ministre. À présent que vous avez pris conscience que ces amendements en discussion commune sont légèrement différents, pouvez-vous préciser à nouveau l’avis du Gouvernement sur chacun d’entre eux ?

M. Michel Sapin, ministre. L’avis du Gouvernement est favorable aux amendements identiques nos 29, 158, 321 et 322 et défavorable aux amendements nos 159 et 134.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Sébastien Denaja, rapporteur. On peut en effet s’y perdre, car ces amendements ne sont pas tous parfaitement identiques. Comme ils procèdent tous de la même démarche, il serait plus clair que celles et ceux qui les ont déposés les retirent au profit du seul amendement n322 auquel et moi et M. le ministre sommes favorables.

Mme la présidente. Je vous arrête immédiatement, monsieur le rapporteur : vous compliquez inutilement les choses car les amendements nos 29, 158, 321 et 322 sont identiques. Par conséquent, il est sans objet de demander le retrait de certains d’entre eux.

(L’amendement n159 n’est pas adopté.)

(Les amendements identiques nos 29, 158, 321 et 322 sont adoptés et l’amendement n134 tombe.)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements, nos 112 et 122, qui peuvent faire l’objet d’une présentation groupée.

La parole est à M. Olivier Marleix, pour les soutenir.

M. Olivier Marleix. Je m’invite dans cette réunion de famille un peu tumultueuse ! L’exercice d’équilibre, monsieur le rapporteur, monsieur le ministre, est toujours un peu compliqué ! C’est le travail même du rapporteur, la loi du genre. L’exercice est à l’évidence, en cette fin de législature, plus compliqué que jamais ! Il vous a amené en première lecture, monsieur le rapporteur, à aller un peu plus loin que ne le souhaitait le Gouvernement dans la rédaction des dispositions prévues par cet article. Nous souhaitons donc corriger deux points qui sont un peu extravagants. Le premier, c’est leur entrée en vigueur au plus tard au 1er  juillet 2018, même dans l’hypothèse où la directive ne serait pas adoptée dans ce délai.

Chacun mesure bien ce qu’il y a d’artificiel de la part du Gouvernement à avoir laissé passer cette date du 1er  juillet 2018. Où serons-nous les uns et les autres en juillet 2018, monsieur le ministre, comme vous l’avez dit vous-même ? Nous n’en savons rien. Par conséquent, cet engagement ne coûte pas cher. Ce qui est sûr, en revanche, c’est qu’il obligerait nos entreprises à se dévoiler unilatéralement s’il était maintenu.

L’amendement n122 porte sur un point à propos duquel on s’est aussi laissé aller à quelques excès en faisant de la surtransposition, du mieux disant par rapport à la directive européenne. Je reprends ici les arguments que M. le rapporteur a fait sien tout à l’heure. Le texte pose un problème de compétitivité à nos entreprises et les soumet à une réelle inégalité de traitement si elles doivent en venir à se dévoiler entièrement sur certains marchés, à rebours de leurs concurrents. L’exemple des pays où elles ont une seule filiale ou un seul client est évidemment très éloquent.

Il pose en outre un problème d’attractivité de notre pays. Vous savez mieux que moi, monsieur le ministre de l’économie, à quel point les dernières études sur l’attractivité de la France ne sont pas glorieuses. En adoptant unilatéralement de telles dispositions, relevant d’un mieux disant par rapport à celles en vigueur dans les autres pays européens, nous n’arrangerions pas notre cas, c’est évident. Lutter contre l’évasion fiscale, c’est bien, mais lutter contre l’évasion de la matière économique et des entreprises, c’est peut-être le commencement. Tel est le sens de ces amendements.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Sébastien Denaja, rapporteur. La commission émet un avis défavorable sur ces deux amendements. Je laisse notre collègue Romain Colas, rapporteur pour avis, expliciter cette position.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Romain Colas, rapporteur pour avis. Ce qui justifie notre position à cette étape est assez clair au regard des débats qui nous ont opposés. Je tenais à prendre la parole à la fin de l’examen de ce texte car finalement, monsieur Marleix, vous concluez comme vous avez commencé. Force est de constater que vous soutenez par chacune de vos déclarations la lutte contre l’érosion des bases fiscales et la fraude fiscale…

M. Olivier Marleix. Sur ce point vous avez eu de beaux succès ! Des noms célèbres !

M. Romain Colas, rapporteur pour avis. …mais à chaque occasion que vous offrait ce texte d’accorder vos actes et vos paroles, vous avez manqué le rendez-vous ! En dressant la liste des rendez-vous manqués, je rappellerai les outils dont nous nous sommes dotés précisément pour lutter contre l’érosion des bases fiscales et que vous avez tous rejetés par vos votes. Fort heureusement, une majorité s’est rassemblée pour faire en sorte que nous avancions.

M. Olivier Marleix. Une application en 2018, quel sens cela a-t-il ?

M. Romain Colas, rapporteur pour avis. Nous avons ainsi avancé en matière d’abaissement du seuil de déclaration des prix de transfert. Vous êtes opposé à l’érosion des bases fiscales due à l’usage des prix de transfert mais vous avez voté contre ! Nous avons créé un registre public des bénéficiaires effectifs des sociétés, qui permet d’identifier les fraudeurs. Voilà qui est très bien et va dans le sens de ce que vous déclarez, monsieur Marleix, mais vous avez voté contre !

Enfin, nous venons de confirmer notre choix de faire de la France le premier pays, à ma connaissance, qui se dote d’un système de reporting public dans son droit positif. Il est d’ailleurs dommage que nos collègues qui se montrent très impatients sur ces sujets ne soient plus présents pour l’entendre !

Je suis donc évidemment défavorable aux deux amendements que vous avez défendus, monsieur Marleix. Vous affichez une volonté, mais vous ne la concrétisez jamais par des actes.

M. Olivier Marleix. Vous renvoyez courageusement le problème à 2018 !

(Les amendements nos 112 et 122, repoussés par le Gouvernement, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

(L’article 45 bis, amendé, est adopté.)

Article 45 ter

Mme la présidente. La commission a maintenu la suppression par le Sénat de l’article 45 ter.

Article 45 quater

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre, pour soutenir l’amendement n332 deuxième rectification.

M. Michel Sapin, ministre. Cet amendement vise à compléter, sur certains aspects techniques, l’ordonnance du 17 mars 2016 relative au commissariat aux comptes.

(L’amendement n332 deuxième rectification, accepté par la commission, est adopté.)

(L’article 45 quater, amendé, est adopté.)

Article 46

(L’article 46 est adopté.)

Article 46 bis

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre, pour soutenir l’amendement n333.

M. Michel Sapin, ministre. Il consiste à corriger, par coordination, les références à un article définissant les incompatibilités applicables aux commissaires aux apports.

(L’amendement n333, accepté par la commission, est adopté.)

(L’article 46 bis, amendé, est adopté.)

Article 46 ter

Mme la présidente. La commission a supprimé l’article 46 ter.

Article 46 quater

Mme la présidente. La commission a également supprimé l’article 46 quater.

La parole est à M. le ministre, pour soutenir l’amendement n334 tendant à le rétablir.

M. Michel Sapin, ministre. Même préoccupation : il s’agit de corriger des références obsolètes à un article définissant, cette fois, les incompatibilités applicables aux commissaires à la transformation et aux commissaires à la fusion.

(L’amendement n334, accepté par la commission, est adopté et l’article 46 quater est ainsi rétabli.)

Article 47

Mme la présidente. La parole est à M. Charles de Courson, pour soutenir l’amendement n110.

M. Charles de Courson. À travers cet amendement, le groupe UDI veut soulever un grave problème : celui de la défense des intérêts minoritaires dans les PME dont les actionnaires majoritaires sont des grands groupes. En effet, il n’existe pas, en droit français, de dispositif juridique efficace qui protège réellement les actionnaires minoritaires des sociétés non cotées face aux actionnaires majoritaires.

Mes chers collègues, le droit en la matière n’a pas évolué depuis cinquante ans, puisque c’est un arrêt de la Cour de cassation du 18 avril 1961 qui a défini les règles applicables dans ce domaine. Jamais le législateur n’est intervenu depuis cette date ! Cette jurisprudence de 1961 n’est plus adaptée aux réalités actuelles. En effet, les minoritaires doivent prouver l’abus de majorité, ce qui leur est très difficile du fait des critères actuellement retenus par la jurisprudence et des difficultés d’accès à un certain nombre d’informations qui leur permettraient d’y parvenir.

C’est pourquoi le présent amendement propose que, lorsque les actionnaires majoritaires prennent une décision contraire aux intérêts des actionnaires minoritaires d’une société non cotée, ils doivent réparer le dommage qui en résulte pour cette société ou, à défaut, acquérir la totalité des titres des actionnaires minoritaires.

La situation française est aujourd’hui une exception en Europe. En Allemagne, par exemple, l’Aktiengesetz du 6 septembre 1965 a réglé cette affaire : si un groupe prend des décisions contraires aux intérêts d’une société qu’il contrôle, il doit indemniser directement les actionnaires minoritaires lésés par ces décisions. Un tel dispositif permettrait à nos entreprises de taille intermédiaire d’être au cœur du tissu industriel, comme en Allemagne où ces entreprises assurent la prospérité du pays.

Il s’agit d’un amendement d’appel, monsieur le ministre. Le Gouvernement est-il prêt à légiférer et à protéger les intérêts minoritaires au sein des PME non cotées ?

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Sébastien Denaja, rapporteur. C’est un sujet complexe, comme les aime M. de Courson (Sourires), qui mériterait sans doute un travail beaucoup plus approfondi que celui que nous pouvons mener dans le cadre du présent projet de loi.

J’ai déjà exposé en commission les raisons qui me poussent à émettre un avis défavorable. S’agissant de la rédaction de l’amendement, la notion d’intérêts propres paraît trop floue, trop imprécise. Surtout, les actionnaires majoritaires devraient réparer un dommage causé sans précision sur la nature ou la gravité de ce dernier ; ils pourraient même être contraints de céder leurs parts en l’absence de réparation. Les conséquences pour les actionnaires nous paraissent tout de même très disproportionnées au regard du manque de qualification du dommage. Pour des raisons purement rédactionnelles et tenant à la cohérence de la disposition proposée, la commission reste défavorable à cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. Défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Comme je l’ai déjà dit en présentant mon amendement, il s’agit d’un amendement d’appel. Nous ne pouvons pas rester à la marge de l’Europe. Nous ne pouvons pas expliquer, dans les discours dominicaux, que l’avenir de la France passe par un tissu renforcé de PMI et de PME, sans traiter la question de la défense des intérêts minoritaires alors que la plupart des pays d’Europe ont résolu ce problème ! Nous n’avons rien inventé ! J’aimerais donc connaître la position du Gouvernement : est-il prêt à avancer sur la question de la défense des intérêts minoritaires au sein des PME non cotées ? C’est un vrai problème.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Michel Sapin, ministre. Lorsqu’un député m’interroge, je suis toujours gêné de ne pas répondre… De nombreuses dispositions protègent déjà les actionnaires minoritaires.

M. Charles de Courson. Lesquelles ?

M. Michel Sapin, ministre. Ne me dites pas qu’il n’y en a pas ! Heureusement, il existe beaucoup de dispositions en la matière. Si vous le voulez, monsieur de Courson, nous vous transmettrons l’ensemble de la documentation consacrée à cette question.

Vous demandez si l’on peut réfléchir… Il n’est jamais interdit de réfléchir ! Je ne vois pas comment je pourrais vous répondre le contraire ! Si vous le souhaitez, nous pouvons étudier cette question ensemble. Je suis prêt à vous mettre en contact avec mes collaborateurs et, éventuellement, avec mes services.

Mme la présidente. La parole est à M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Je vais retirer mon amendement, puisqu’il ne visait qu’à obtenir une ouverture, tant de la part du rapporteur que du ministre. Mais je constate que cette question n’intéresse pas grand monde…

Si je puis me permettre, monsieur le ministre, votre réponse est celle d’un conservateur. (Sourires.)

M. Michel Sapin, ministre. C’est parfois un compliment !

M. Charles de Courson. Il y a des conservateurs très bien ! Il y a de tout ! Mais on ne peut pas dire que l’état actuel du droit français est satisfaisant en matière de défense des intérêts minoritaires dans les PME : du fait de l’arrêt de la Cour de cassation de 1961, il est très difficile aux actionnaires minoritaires de prouver un abus de majorité, ou de prouver une dégradation de la valeur de l’entreprise suite à une décision qui peut d’ailleurs avoir été prise pour des raisons légitimes au niveau du groupe, mais qui nécessite tout de même une indemnisation.

(L’amendement n110 est retiré.)

(L’article 47 est adopté.)

Articles 47 bis à 54 bis B

(Les articles 47 bis, 48, 48 bis, 49, 50 bis, 51, 52, 52 bis et 54 bis B sont successivement adoptés.)

Article 54 bis E

Mme la présidente. La commission a maintenu la suppression par le Sénat de l’article 54 bis E.

Je suis saisie d’un amendement n1, qui tend à le rétablir. Cet amendement fait l’objet d’un sous-amendement n342.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Je reprends l’amendement n1 que je défends en lieu et place de ses signataires absents, ce que notre règlement permet au rapporteur du texte. La commission a donné un avis favorable à cet amendement.

Mme la présidente. Par la même occasion, monsieur le rapporteur, vous avez défendu votre sous-amendement n342.

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Évidemment, madame la présidente.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. Favorable à l’amendement n1 modifié par le sous-amendement du rapporteur.

(Le sous-amendement n342 est adopté.)

(L’amendement n1, sous-amendé, est adopté.)

(L’article 54 bis E, amendé, est adopté.)

Article 54 bis

(L’article 54 bis est adopté.)

Articles 54 ter et 54 quater

Mme la présidente. La commission a maintenu la suppression par le Sénat des articles 54 ter et 54 quater.

Articles 54 quinquies à 54 septies

(Les articles 54 quinquies, 54 sexies et 54 septies sont successivement adoptés.)

Article 55

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n327, qui fait l’objet d’un sous-amendement n343.

La parole est à M. le ministre, pour soutenir l’amendement.

M. Michel Sapin, ministre. Il s’agit de rétablir la rédaction issue de la première lecture à l’Assemblée nationale.

Mme la présidente. La parole est à M. Charles de Courson, pour soutenir le sous-amendement n343.

M. Charles de Courson. L’article 55 porte sur les six sociétés immobilières d’outre-mer – SIDOM – et fait l’objet d’un vrai débat.

On peut le dire, monsieur le ministre : la gestion des SIDOM, qui dépend directement de l’État, n’a pas été globalement un grand succès. En disant cela, je suis gentil : l’une de ces sociétés est quasiment en faillite et beaucoup sont en extrême difficulté. Comme toujours en France, l’État décide de refiler la gestion à une filiale de la Caisse des dépôts, la Société nationale immobilière – SNI –, qui a déjà essayé de remettre de l’ordre dans d’autres structures, notamment dans l’ancienne Société nationale de construction de logements pour les travailleurs – SONACOTRA – chargée de la gestion des foyers de travailleurs étrangers.

À l’UDI, nous sommes décentralisateurs. Nous pensons que l’une des raisons de ce dysfonctionnement est l’absence d’association et de responsabilisation des élus locaux. Comme les SIDOM sont des acteurs majeurs du logement social en outre-mer, l’article 55, qui permet à l’État de céder ses parts à un établissement public, suscite de nombreuses inquiétudes des élus locaux ayant à cœur le développement local. C’est pourquoi le sous-amendement n343 propose de préciser que les collectivités territoriales resteront compétentes « en matière d’orientation, de programmation et de développement urbain ». Il ne faudrait pas que l’article 55 amendé par le Gouvernement maintienne une gestion nationale et déresponsabilise les collectivités territoriales au lieu de les impliquer comme elles le sont dans le reste de la France !

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous expliquer comment vous concevez l’association des collectivités territoriales à la gestion de ces six SIDOM ?

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n327 et le sous-amendement n343 ?

M. Sébastien Denaja, rapporteur. C’est un sujet important qui est abordé ici.

Je suis défavorable au sous-amendement n343 – il s’agit d’un avis personnel, puisque la commission ne l’a pas examiné.

M. Charles de Courson. Expliquez-nous donc votre avis personnel !

M. Sébastien Denaja, rapporteur. C’est ce que je vais faire, monsieur de Courson. Le ministre pourra ensuite donner des explications plus détaillées. Votre sous-amendement apparaît d’abord comme une pétition de principe : quelles sont les compétences et les collectivités concernées ? Par ailleurs, en termes légistiques, votre précision s’insère très mal dans la loi de 1946 qui, si votre sous-amendement était adopté, serait ainsi rédigée : « le ministre […] pourra […] provoquer ou autoriser la formation de sociétés d’économie mixte dans lesquelles l’État, les établissements publics nationaux, sans préjudice du plein exercice par les collectivités territoriales concernées de leurs compétences en matière d’orientation, de programmation et de développement urbain, les collectivités publiques d’outre-mer ou les établissements publics desdits territoires auront une participation majoritaire ».

Quant à l’amendement du Gouvernement, la commission lui a donné un avis favorable. À titre personnel, j’émets quelques réserves que je veux exprimer légitimement, par solidarité avec un certain nombre de collègues parlementaires ultramarins.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. J’ai bien compris que la commission était favorable à l’amendement du Gouvernement, ce dont je la remercie car nous en revenons ainsi au texte voté en première lecture. Depuis lors, nous avons pris le temps d’expliquer la réforme aux élus des collectivités territoriales. C’était indispensable pour que chacun en comprenne bien les enjeux. Il me semble d’ailleurs qu’aujourd’hui, de plus en plus d’acteurs en partagent la nécessité.

Quant au sous-amendement de M. de Courson, la précision qu’il tend à apporter va de soi, selon moi, mais si son adoption permet de lever un certain nombre d’inquiétudes au niveau local, je ne vois pas pourquoi je m’y opposerais. Je m’en remets par conséquent à la sagesse de l’Assemblée.

(Le sous-amendement n343 n’est pas adopté.)

(L’amendement n327 est adopté.)

(L’article 55, amendé, est adopté.)

Article 56

Mme la présidente. La parole est à M. Sébastien Denaja, rapporteur, pour soutenir l’amendement n227.

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Défendu.

(L’amendement n227, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

(L’article 56, amendé, est adopté.)

Article 57

(L’article 57 est adopté.)

Article 58

(L’article 58 est adopté.)

Mme la présidente. Nous avons achevé l’examen des articles du projet de loi.

Vote sur l’ensemble

Mme la présidente. Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi.

(Le projet de loi est adopté.)

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

2

Compétence du Défenseur des droits pour la protection des lanceurs d’alerte

Nouvelle lecture (suite)

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, en nouvelle lecture, de la proposition de loi organique, modifiée par le Sénat, relative à la compétence du Défenseur des droits pour la protection des lanceurs d’alerte (nos 3937, 4046).

Discussion des articles

Mme la présidente. J’appelle à présent dans le texte de la commission l’article 1er de la proposition de loi organique.

Article 1er

Mme la présidente. La parole est à Mme Eva Sas, pour soutenir l’amendement n1.

Mme Eva Sas. Cet amendement de mon collègue Sergio Coronado vise plusieurs objectifs, en particulier celui de rétablir et préciser le collège spécialisé du Défenseur des droits pour la protection des lanceurs d’alerte. Il prévoit notamment d’introduire un membre de la commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d’environnement. Créée par la loi Blandin de 2013, cette commission vise spécifiquement à traiter les alertes en matière de santé et d’environnement. Dès lors, elle doit être incluse dans le collège du Défenseur des droits qui traitera des lanceurs d’alerte afin d’assurer un lien effectif.

Il nous semble important d’élargir la compétence du Défenseur aux questions de santé publique et d’environnement et de permettre une décision collégiale.

Mme la présidente. La parole est à M. Sébastien Denaja, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour donner l’avis de la commission.

M. Sébastien Denaja, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Avant de donner l’avis de la commission, je voudrais saluer l’adoption du projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi Sapin 2, qui, comme on s’en apercevra bientôt, je l’espère, regorge d’avancées considérables.

Nous examinons à présent une proposition de loi organique qui doit beaucoup à la volonté de Mme Mazetier et du groupe majoritaire. Nous souhaitons en effet faire du Défenseur des droits la clé de voûte du système de protection des lanceurs d’alerte.

C’est un moment essentiel de nos débats.

Madame Sas, vous souhaitez rétablir le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale en première lecture. Votre objectif est louable et nous poursuivons toujours les mêmes intentions, mais après avoir beaucoup échangé avec les services du Défenseur des droits, le Défenseur des droits lui-même et nos collègues sénateurs, il apparaît judicieux, s’agissant d’une proposition de loi organique qui requiert des majorités différentes d’une loi ordinaire, de rechercher un consensus.

Or, votre amendement présente plusieurs difficultés. Sur le fond, il n’est ainsi pas nécessaire de créer un quatrième collège alors que les compétences de celui en charge des discriminations pourraient être élargies. De toute manière, il est clair que les services du Défenseur des droits ne souhaitent pas cette création. Ils considèrent qu’à périmètre constant, le collège chargé de la lutte contre les discriminations pourrait assurer les missions nouvelles de protection des lanceurs d’alerte.

Pis, certaines dispositions ne relèvent pas du domaine organique, comme la possibilité d’infliger des sanctions disciplinaires à l’encontre des agents ayant entravé le droit d’alerte ou engagé des mesures de rétorsion contre un lanceur d’alerte, conformément à l’avis du Défenseur des droits.

Vous ne pouviez pas connaître ces éléments qui découlent des échanges que nous avons eus avec le rapporteur du Sénat, aussi ne puis-je que vous inviter à retirer votre amendement. Sinon, avis défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre de l’économie et des finances, pour donner l’avis du Gouvernement.

M. Michel Sapin, ministre de l’économie et des finances. Retrait ou avis défavorable.

Mme la présidente. La parole est à Mme Eva Sas.

Mme Eva Sas. Je le maintiens.

(L’amendement n1 n’est pas adopté.)

(L’article 1erest adopté.)

Mme la présidente. Nous avons achevé l’examen des articles de la proposition de loi organique.

Vote sur l’ensemble

Mme la présidente. Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi organique.

(La proposition de loi organique est adoptée.) (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

3

Clôture de la session extraordinaire

Mme la présidente. L’Assemblée a achevé l’examen des textes inscrits à son ordre du jour.

Le président prendra acte de la clôture de la session extraordinaire par avis publié au Journal officiel.

4

Ordre du jour de la prochaine séance

Mme la présidente. Prochaine séance, mardi 4 octobre 2016, à quinze heures :

Questions au Gouvernement ;

Projet de loi de programmation relatif à l’égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-huit heures cinq.)

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly