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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2015-2016

Compte rendu
intégral

Première séance du mercredi 07 octobre 2015

SOMMAIRE

Présidence de Mme Sandrine Mazetier

1. Questions au Gouvernement

Fiscalité environnementale

Mme Eva Sas

M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du budget

Prévisions budgétaires

M. Jean-Christophe Fromantin

M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du budget

Sécurité sociale

M. Frédéric Cuvillier

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes

Autorité de l’État

M. Christian Estrosi

M. Manuel Valls, Premier ministre

Dotations aux collectivités locales

M. Marc-Philippe Daubresse

M. Manuel Valls, Premier ministre

Traité transatlantique

Mme Seybah Dagoma

M. Matthias Fekl, secrétaire d’État chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger

Projet de loi de finances

M. Lionel Tardy

M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du budget

Suppression du mot race dans la législation

M. Alfred Marie-Jeanne

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice

Sécurité à l’hôpital

Mme Geneviève Levy

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes

Apprentissage

M. Jean-Patrick Gille

Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

Avenir du site GEA Westfalia à Château-Thierry

M. Jacques Krabal

M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du budget

Imposition des non résidents

M. Thierry Mariani

M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du budget

Soutien à la recherche médicale

M. Pierre Ribeaud

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes

Paris hippiques

M. Jacques Myard

M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du budget

Transfert du siège de l’IFREMER à Brest

M. Jean-Luc Bleunven

M. Thierry Mandon, secrétaire d’État chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche

Suspension et reprise de la séance

2. Déontologie, droits et obligations des fonctionnaires

Présentation

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique

Mme Françoise Descamps-Crosnier, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Discussion générale

M. Michel Zumkeller

M. Paul Molac

M. Gérard Charasse

M. Marc Dolez

Mme Cécile Untermaier

M. Guy Geoffroy

M. Ary Chalus

M. Olivier Dussopt

M. Serge Grouard

M. Gilbert Collard

M. Pascal Popelin

M. Thierry Mariani

Mme Chantal Guittet

Mme Marylise Lebranchu, ministre

Discussion des articles

Article 1er

M. Christophe Premat

Amendements nos 215, 213 , 214 , 68 , 202 , 116 , 203

Article 2

M. Christophe Premat

Amendements nos 216, 217, 218

Article 3

Amendements nos 38, 33 , 69 , 34 , 35 , 36 , 37

Article 4

Amendements nos 50 , 57 , 52 , 8 , 70 , 219 rectifié , 53 , 88

Article 5

Après l’article 5

Amendements nos 96 , 201 , 224

Avant l’article 6

Amendements nos 93 , 94

Article 6

Amendement no 16

3. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de Mme Sandrine Mazetier

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Questions au Gouvernement

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Fiscalité environnementale

Mme la présidente. La parole est à Mme Eva Sas, pour le groupe écologiste.

Mme Eva Sas. Madame la présidente, ma question s’adresse à M. le secrétaire d’État chargé du budget.

Monsieur le secrétaire d’État, le budget est le reflet des priorités politiques d’un gouvernement. Alors que Paris accueille, en cette fin d’année, la conférence des Nations unies sur le climat, alors que chacun peut constater les conséquences déjà sensibles du dérèglement climatique, alors que le diesel a été reconnu comme cancérigène certain par l’OMS depuis 2012 déjà et que le scandale Volkswagen révèle l’imposture du diesel « propre », la loi de finances pour 2016 doit, plus que jamais, concrétiser l’engagement du Président de la République de faire de la France la nation de l’excellence environnementale.

Les écologistes, encore et toujours force de propositions, ont mis sur la table des mesures concrètes pour engager la France dans la transition écologique. Nous vous avons proposé de mettre fin à l’avantage fiscal du diesel, de façon progressive jusqu’en 2020. C’est indispensable pour la santé publique et c’est ce que préconise le rapport récent du Sénat sur le coût de la pollution de l’air.

Nous vous avons proposé d’inscrire dans ce projet de loi de finances la trajectoire de la contribution climat énergie afin d’atteindre 56 euros la tonne de carbone en 2020. Donner un prix au carbone est indispensable pour soutenir ceux qui investissent aujourd’hui dans les énergies renouvelables et dans les économies d’énergie.

Nous vous avons proposé de porter le budget des transports à 2,5 milliards d’euros, comme l’annonçait le Premier ministre dès 2013. C’est indispensable pour développer les transports collectifs et offrir enfin au plus grand nombre une alternative à la voiture.

Je le disais au début de ma question, le budget est le reflet des priorités politiques d’un gouvernement. Je vous le demande donc, monsieur le secrétaire d’État : l’environnement fait-il partie de vos priorités ? Quelles suites comptez-vous donner aux propositions concrètes que vous font aujourd’hui les écologistes pour ce budget 2016 ? (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du budget.

M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du budget. Madame la députée, vous me demandez si les mesures environnementales, à travers la fiscalité mais aussi d’autres mesures, font partie des priorités du Gouvernement : la réponse est évidemment oui. J’en veux pour preuve, puisque vous avez aussi soulevé cette question, que c’est cette majorité qui a créé la contribution climat énergie, donnant ainsi, selon vos souhaits, un prix au carbone.

Notre fiscalité environnementale se compose de différents éléments : la contribution au service public de l’électricité, dite CSPE, la contribution climat énergie, la fiscalité sur les carburants. Vous nous proposez d’augmenter le prix du carbone et la fiscalité sur le diesel. Le Gouvernement ne souhaite pas légiférer à la va-vite sur ce genre de sujets. Il est nécessaire de prendre en compte l’ensemble des éléments de fiscalité pour éviter un transfert de fiscalité qui pénaliserait les ménages.

Nous vous faisons donc la proposition d’étudier, dans le projet de loi de finances rectificative de cette fin d’année, l’ensemble des composantes de la fiscalité environnementale. Bruxelles nous demande de changer la CSPE ; vous nous suggérez d’envisager la convergence de la fiscalité sur l’essence et sur le diesel ; vous nous suggérez d’augmenter le prix du carbone : ces trois sujets ne peuvent pas s’additionner pour alourdir la fiscalité.

La priorité est effectivement l’environnement, mais c’est aussi d’éviter l’alourdissement des charges fiscales, tant sur les entreprises que sur les ménages. (Applaudissements sur divers bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Prévisions budgétaires

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Christophe Fromantin, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Jean-Christophe Fromantin. Ma question s’adresse à M. le ministre des finances et des comptes publics.

Tout le monde sur ces bancs peut s’accorder sur le fait qu’une bonne gestion prévisionnelle consiste à sous-estimer les perspectives de recettes et à surestimer les probabilités de dépenses.

Vous avez qualifié votre budget de solide. Mais quand on regarde les bases sur lesquelles il est construit, on peut légitimement mettre en doute cette solidité.

Je ne citerai que quelques chiffres. Vous retenez une hypothèse de croissance de 1,5 %. Si ce chiffre est probable, possible, est-il pour autant prudent ? Vous prévoyez une inflation de 1 %, alors que beaucoup s’accordent à dire que compte tenu de la faiblesse de la demande, un tel niveau d’inflation est peu probable en 2016, voire impossible. Quant à une hausse des salaires de 2,1 %, le contexte, notamment l’atonie de la courbe du chômage, montre à quel point ce chiffre est probablement surestimé.

De même, vous prévoyez une hausse des dépenses d’assurance maladie de 1,75%, alors qu’on sait que la dynamique de dépense dans ce domaine est plutôt de 4 %.

Vous reconnaîtrez, monsieur le ministre, que tous ces éléments ont de quoi nous faire douter de la solidité, voire de la sincérité de votre projet de budget, d’autant plus que les dépenses sont compensées par des économies dont on a du mal à valider la réalité compte tenu de leur mode de calcul.

Ma question est simple, et à mon avis largement partagée : quelle garantie pouvez-vous donner de la solidité du projet budgétaire ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du budget.

M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du budget. Vous nous interrogez sur la sincérité de ce budget et la plausibilité de sa réalisation. Je dirais qu’en la matière, le passé éclaire parfois l’avenir. Regardez les résultats de 2014 et de 2015 : nos objectifs auront été tenus, et c’est d’ailleurs une première.

Je vais vous répondre plus précisément, en vous priant d’excuser l’absence de Michel Sapin, en route pour Lima, comme je vous le disais hier. (« Qu’il y reste ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.)

La prévision de croissance de 1,5 % pour l’an prochain a été confirmée pas plus tard qu’hier par le Fonds monétaire international. Notre prévision de croissance de 1 % pour 2014 était même inférieure à la sienne, qui était de 1,2.

Par ailleurs, tous les conjoncturistes – et ils sont nombreux – prédisent une augmentation de l’inflation. Il est vrai qu’au niveau où elle était descendue, elle ne peut guère que remonter.

Concernant la masse salariale, je vous ferai remarquer qu’elle a déjà crû de 0,7 % au cours du premier trimestre de cette année.

Quant aux dépenses d’assurance maladie, l’objectif de progression de 1,75 % fixé par le projet de loi de financement de la sécurité sociale que Marisol Touraine et moi-même avons présenté ce matin en conseil des ministres est certes ambitieux, mais je vous ferai observer, monsieur Fromantin, que depuis quatre ans, notre gouvernement a toujours respecté l’objectif national des dépenses d’assurance maladie, l’ONDAM.

On peut toujours jouer à se faire peur, mais je vous invite à consulter plutôt les résultats d’exécution de 2014 et de 2015. Ils montrent que nos prévisions de recettes sont parfaitement respectées, et ce sera encore le cas pour l’exercice 2016. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste.)

Sécurité sociale

Mme la présidente. La parole est à M. Frédéric Cuvillier, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Frédéric Cuvillier. Pour désirer laisser des traces dans le monde, il faut en être solidaire – ainsi s’exprimait Simone de Beauvoir.

Issue du programme du Conseil national de la Résistance et instaurée par l’ordonnance du 4 octobre 1945 du Gouvernement provisoire, la Sécurité sociale a aujourd’hui soixante-dix ans. Elle est au cœur de notre identité institutionnelle, sociale et politique, aux côtés de textes fondateurs comme la Constitution ou la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Nos prédécesseurs ont su, au terme d’une des plus grandes tragédies de notre histoire, porter cette ambition de solidarité nationale.

Mais la Sécurité sociale doit être protégée, d’abord des attaques récurrentes des ultralibéraux qui voudraient la remplacer par l’assurance privée, mais aussi des déséquilibres financiers et de la dette sociale. Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale présenté aujourd’hui en conseil des ministres permet de garantir la solidité de notre système.

La Sécurité sociale doit aussi être renforcée. Tel est l’objectif de l’action menée par le Gouvernement et sa majorité, à travers le rétablissement de la retraite à soixante ans pour les carrières longues, la généralisation du tiers payant, l’extension de la complémentaire santé à tous les travailleurs, le compte personnel de formation ou encore le combat pour l’égalité entre les femmes et les hommes.

Voilà quelle est l’action du Gouvernement et de la majorité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.). C’est une action pour le progrès social, une action juste, efficace, au service de ceux qui en ont le plus besoin. (Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Meunier. Elle est où, la question ?

M. Frédéric Cuvillier. Je vous invite, messieurs et mesdames de l’opposition, à méditer le mot de Mme de Beauvoir.

M. Patrice Verchère. C’est le Gouvernement que vous êtes censé interpeller !

M. Frédéric Cuvillier. Madame la ministre, quels sont les moyens pour à la fois conforter, renforcer et assurer la pérennité de ce système ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur quelques bancs du groupe écologiste ; « Allô ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. Oui, monsieur le député…

M. Maurice Leroy. Je suis très surpris par l’agressivité proprement insoutenable de votre question !

Mme Marisol Touraine, ministre. …la Sécurité sociale est une grande et belle idée, l’une des plus grandes conquêtes de nos concitoyens et l’un des piliers de la République, comme l’a dit hier le Président de la République en célébrant le soixante-dixième anniversaire de cette belle institution.

Cette institution, les Français lui marquent un attachement massif. C’est qu’ils voient concrètement ce qu’elle leur apporte au quotidien.

Et c’est pour qu’elle continue à être un instrument du progrès social au quotidien que ce gouvernement agit contre ceux qui agitent l’étendard de la défiance et du dénigrement.

Nous avons agi pour faire en sorte que ceux qui ont connu des conditions de travail pénibles puissent partir à la retraite avant les autres. Nous agissons pour que les femmes puissent toutes travailler et ne pas avoir à choisir entre vie personnelle et vie professionnelle. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme Catherine Vautrin. N’importe quoi !

Mme Marisol Touraine, ministre. Nous faisons en sorte que les femmes qui ne parviennent pas à se faire payer les pensions alimentaires par leur ex-conjoint puissent trouver le soutien de la caisse d’allocations familiales, qui leur versera une pension alimentaire minimale. (Mêmes mouvements.)

Nous agissons pour faciliter l’accès à l’interruption volontaire de grossesse en rendant gratuits la totalité des actes liés à l’IVG.

Mme Catherine Coutelle et Mme Pascale Crozon. Bravo !

Mme Marisol Touraine, ministre. Nous rendons gratuite la contraception pour les mineurs. Nous instaurons le tiers payant généralisé pour faciliter l’accès aux soins de tous nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Philippe Cochet. Parlez-en aux médecins !

Mme Marisol Touraine, ministre. Monsieur le député, à l’occasion de ce soixante-dixième anniversaire, pour que l’universalisme de la Sécurité sociale rayonne toujours plus fort, nous instaurons la protection universelle maladie, qui garantit à chacune et à chacun, quelle que soit sa situation, quel que soit son état, le droit à l’assurance maladie dans notre pays.

Avec nous, la Sécurité sociale est bel et bien vivante et prépare l’avenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur quelques bancs du groupe écologiste. – Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

Autorité de l’État

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Estrosi, pour le groupe Les Républicains.

M. Christian Estrosi. Monsieur le Premier ministre, un cadre d’Air France lynché par des grévistes et des images qui font le tour du monde, une crise migratoire non maîtrisée, un policier entre la vie et la mort pour avoir été sauvagement agressé par un détenu en permission appartenant au grand banditisme et radicalisé. Votre réponse : un silence assourdissant.

Nous dénonçons avec force ce recul intolérable de l’autorité de l’État, fruit de trois années de lois laxistes et permissives…

M. Pascal Popelin. Lesquelles ?

M. Christian Estrosi. …et d’impuissance généralisée. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Que propose votre garde des Sceaux face à la situation dramatique de ce policier, pour lequel nous avons une pensée, ainsi que pour tous les siens ? Un rapport ! L’escorte des permissionnaires par des policiers !

Mais les policiers ont autre chose à faire : ils sont là pour se concentrer sur la sécurité de nos concitoyens, pas pour tenir compagnie à des prisonniers en permission. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Luc Laurent. Ce que vous dites est scandaleux !

M. Christian Estrosi. Nous dénonçons ce recul de la République, ce recul de la sécurité, donc, de la liberté pour nos concitoyens !

Après l’attaque du Thalys, où était en cause l’un des 5 000 individus fichés S – Sûreté de l’État – tout comme l’était l’agresseur du policier lundi, je vous demande, monsieur le Premier ministre, de donner enfin les moyens à nos services de faire la guerre à ces ennemis de l’intérieur !

Il s’agit tout d’abord de placer sous surveillance électronique avec bracelet tous les individus faisant l’objet d’une fiche S sur le territoire français.

M. Pascal Popelin. En l’occurrence, cet individu n’était pas fiché S lorsqu’il a eu sa permission.

M. Christian Estrosi. Ensuite, de ne plus accorder de permission de sortie aux individus dangereux qui sont fichés.

L’État est dépassé, l’État est en débandade car l’État n’est plus dirigé. Êtes-vous enfin décidé à prendre des initiatives pour que la peur change de camp ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Henri Emmanuelli. Estrosi, c’est n’importe quoi !

Mme la présidente. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, monsieur le député Christian Estrosi, ce qui affaiblit l’État, ce qui affaiblit la démocratie…

Plusieurs députés du groupe Les Républicains. C’est vous !

M. Manuel Valls, Premier ministre. …ce qui affaiblit les valeurs de la France et de la République, ce sont les amalgames et vos outrances.

Tous les sujets que vous avez évoqués ont fait l’objet d’amalgames absurdes auxquels l’ensemble des bancs de cette Assemblée, j’en suis convaincu, ne souscrit pas.

M. Laurent Furst. Il y a des gens qui ont des électeurs !

M. Manuel Valls, Premier ministre. S’agissant d’Air France, nous avons clairement dit les choses en soutenant la direction et le plan de redressement de cette entreprise exposée à la concurrence mondiale. Notre soutien à l’égard de ses deux cadres et des salariés qui ont été agressés hier est total et absolu. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

De ce point de vue-là et sur ces sujets-là, nous n’avons aucune leçon à recevoir de votre part.

Mme Claude Greff. Mais sur ce qui a été fait avant, si !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Au contraire chacun s’honorerait ici, dans cette Assemblée, à faire preuve d’unité et à se rassembler afin de soutenir la compagnie nationale.

S’agissant des questions de sécurité, d’autorité et de lutte contre le terrorisme, monsieur Estrosi, je vous rappelle que lorsque vous étiez au pouvoir vous avez supprimé plus de 13 000 postes de policiers et de gendarmes (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe radical, républicain, démocrate et du groupe écologiste. - Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

C’est en revanche ce Gouvernement, c’est cette majorité qui créera plus de 5 000 postes de policiers et de gendarmes mais, aussi, pour nos services.

C’est le Gouvernement auquel j’appartenais comme ministre de l’intérieur qui a mené une réforme indispensable et nécessaire en tirant les leçons des événements de Toulouse et qui a créé la Direction générale de la sécurité intérieure.

Sur la question du terrorisme, je suis quant à moi là encore convaincu d’une chose : c’est seulement l’unité et le rassemblement de tous – comme vous l’avez démontré le 13 janvier dernier – qui est utile, non de courir une fois de plus derrière l’extrême droite en faisant des amalgames douteux (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen)

Mme Claude Greff. Ce n’est pas un amalgame, cela ?

M. Manuel Valls, Premier ministre. …alors que ses représentants ne votent jamais les mesures nécessaires pour lutter contre le terrorisme (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe radical, républicain, démocrate et du groupe écologiste.) que ce soit à l’Assemblée nationale, au Sénat ou au Parlement européen.

Monsieur Estrosi, j’ai une conviction sur laquelle je me suis clairement exprimé : la responsabilité doit être partagée par tous, y compris par la justice et par les juges.

J’ai une autre conviction : opposer en permanence policiers et magistrats n’entraîne une fois de plus que l’affaiblissement de l’autorité de l’État et de la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur certains bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Monsieur Estrosi, moi, je crois en l’État, je crois dans le rôle des services publics, je ne crois pas que l’on puisse montrer du doigt en permanence les fonctionnaires, je ne crois pas qu’évoquer la chienlit constitue une bonne réponse aux problèmes de notre pays, je crois que nous avons plus que jamais besoin d’un État et des services publics !

Avec M. Sarkozy, vos amis et vous, monsieur Estrosi, proposez qu’il y ait moins de fonctionnaires, donc, moins de policiers, moins de gendarmes, moins d’enseignants, moins de services publics, or c’est cela, l’affaiblissement de l’État ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Enfin, cette semaine, monsieur Estrosi, j’aurais attendu de vous autre chose que ce discours alors que l’autorité de l’État et la solidarité nationale s’expriment dans les Alpes-Maritimes. Soyez donc digne, monsieur Estrosi, eu égard à ces événements ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate, applaudissements sur les bancs du groupe écologiste. - Huées sur quelques bancs du groupe Les Républicains.)

Dotations aux collectivités locales

Mme la présidente. La parole est à M. Marc-Philippe Daubresse, pour le groupe Les Républicains.

M. Marc-Philippe Daubresse. Monsieur le Premier ministre, je vous parlerai aussi de service public, du service public dans les collectivités locales (« Très bien ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Le 19 septembre dernier, des élus locaux de tout bord – socialistes, communistes, écologistes, Républicains, centristes – se sont rassemblés en divers endroits pour exprimer leurs inquiétudes et leurs peurs.

Vous avez reçu près de 18 000 motions des conseils municipaux protestant contre la baisse d’environ 30 % des dotations de fonctionnement des collectivités de proximité.

Et il ne s’est rien passé, monsieur le Premier ministre ! Pas de réponse, pas de changement, pas le moindre petit signe dans le PLF à venir hors des signes en trompe l’œil s’agissant des investissements, monsieur Eckert !

Vous savez bien que nos collectivités seront fortement atteintes par cette baisse de dotations ! Vous savez bien que la plupart d’entre elles – pas Mme Aubry à Lille, mais la plupart d’entre elles – n’augmenteront pas les impôts locaux.

Alors que vous accroissez chaque semaine les normes et les contraintes et que vous augmentez obligatoirement la masse salariale, vous savez bien que nous n’avons pour seul levier que l’investissement public et la qualité du service public.

Or, d’après l’association des maires de France, l’investissement public baissera de 10 milliards jusqu’en 2017, ce qui représente une diminution de 25 % et qui signifie une perte de 80 000 emplois dans le BTP alors que la funeste loi de Mme Duflot fait quant à elle chuter les constructions neuves à 300 000 chaque année quand sous le gouvernement Fillon, elles étaient passées de 300 000 à 470 000 ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)



Alors, monsieur le Premier ministre, pas de leçons non plus, de surcroît, lorsque vous annoncez une modification de la DGF dans 12 000 communes !

Ma question est donc simple : continuerez-vous longtemps à prendre les élus de terrain pour des canards sauvages ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur Daubresse, je vous réponds bien volontiers car, au fond, vous soulevez le même débat et la même question que M. Christian Estrosi quoiqu’avec un autre style et sous une autre forme – la schizophrénie en plus, permettez-moi de vous le dire. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

C’est en effet la réforme de la taxe professionnelle qui a entraîné un certain nombre de difficultés pour les collectivités locales. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)



Les choix que vous avez faits témoignent de votre schizophrénie…

M. Patrice Verchère. Bravo ! Oser traiter de schizophrènes les élus locaux !

M. Manuel Valls, Premier ministre. …car tout se tient : lorsque vous supprimez des postes de gendarmes et de policiers, c’est moins de services publics dans les collectivités territoriales, quand vous supprimez des postes d’enseignants, ce sont des classes et des écoles qui ferment dans les collectivités territoriales !

Vous citez François Fillon, monsieur Daubresse, pour qui j’ai beaucoup de respect car lui au moins assume ses choix. Mais lorsque certains de vos amis proposent de diminuer les dépenses de l’État de 100, 120, 150 milliards, qui peut penser un seul instant que cela ne concernerait pas les collectivités territoriales ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Ayez au moins le courage de le dire aux élus et aux maires plutôt que de manifester !

La France, comme d’autres pays, doit faire des efforts pour redresser les comptes publics. C’est le choix que nous avons fait en réalisant 50 milliards d’économies, dont 11 milliards dans les collectivités territoriales, mais cela dans la nécessaire justice grâce à la politique de la ville et au soutien aux collectivités et aux communes rurales.

Nous savons que la solidarité entre les collectivités territoriales est nécessaire. Je ne doute pas un seul instant que le débat budgétaire permettra de trouver les bonnes solutions s’agissant de la réforme de la DGF, que tout le monde considère comme nécessaire.

Alors, monsieur Daubresse, sortez de la schizophrénie (Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains), dites la vérité aux Français, participez à ce débat en usant de vrais arguments mais n’essayez pas de nous faire croire que, vous, vous êtes les avocats des collectivités territoriales ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Laurent Furst. Un peu de respect !

Traité transatlantique

Mme la présidente. La parole est à Mme Seybah Dagoma, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Seybah Dagoma. Monsieur le secrétaire d’État chargé du commerce extérieur, en juillet 2013, les pays membres de l’Union se sont mis d’accord sur un mandat autorisant la Commission européenne à négocier en leur nom un partenariat transatlantique de commerce et d’investissement. Après dix cycles de négociations, nous, parlementaires français, déplorons le manque de transparence et le peu d’informations dont nous disposons.

Il y a quelques jours, dans un entretien accordé au journal Sud Ouest, vous avez vous-même dénoncé, monsieur le secrétaire d’État, l’opacité et le secret qui entourent le déroulement des négociations, et qui, dites-vous, « posent un problème démocratique ». Vous avez très légitimement demandé qu’un agenda de la transparence soit établi, afin que les citoyens puissent être tenus au courant de l’avancée des discussions. Vous mettez également en cause le refus des Américains de proposer des contreparties crédibles aux offres européennes, notamment au sujet de l’ouverture des marchés publics et des marchés agricoles et agroalimentaires, qui constitue, pour la France, un enjeu majeur.

En conséquence, dites-vous, et en l’absence d’un changement dans l’attitude des Américains qui démontrerait une volonté de leur part d’aboutir à un accord mutuellement profitable, la France envisage tous les scenarii, y compris, je vous cite, l’arrêt pur et simple des négociations.

Monsieur le secrétaire d’État, conformément à la résolution votée en mai 2013 par notre assemblée, nous souhaitons que la transparence et la réciprocité soient les règles dans la conduite des négociations. Par conséquent, nous saluons votre mobilisation visant à infléchir la position de nos partenaires américains. Nous souhaitons cependant vous interroger sur votre position de fermeté : est-elle partagée par nos partenaires européens – si oui, lesquels ? – et par la Commission, qui a reçu mandat de négocier ?

À la veille du onzième cycle de négociations, comment la France peut-elle faire entendre sa voix auprès de ses partenaires européens ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger.

M. Matthias Fekl, secrétaire d’État chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger. Madame la députée, vous m’interrogez sur un sujet que vous suivez de près, comme de nombreux parlementaires de la majorité et de l’opposition, et qui soulève des questions fondamentales : les négociations en vue de la conclusion du traité transatlantique.

Dès le lendemain de ma nomination, il y a un an, ma première décision a été de demander la transparence sur le mandat de négociation. La France, avec d’autres, l’a obtenue au mois d’octobre 2014, et cela doit marquer le début d’un agenda de transparence. Je reçois régulièrement au Quai d’Orsay des parlementaires et des représentants de la société civile. Par ailleurs, j’ai fréquemment l’occasion de rendre compte ici, devant la majorité, comme devant l’opposition, de l’avancée des négociations. La semaine dernière encore, je me suis exprimé devant trois commissions réunies.

Il est inacceptable que des dispositions d’une telle importance soient négociées en secret et dans l’opacité. La France ne l’accepte pas et ne l’acceptera jamais.

M. Jacques Myard. Il faut taper du poing sur la table !

M. Matthias Fekl, secrétaire d’État. Je l’ai signifié, récemment encore, au haut représentant du président Barack Obama. (« Bravo ! » sur les bancs du groupe socialiste républicain et citoyen et sur quelques bancs du groupe Les Républicains.)

Nous souhaitons des évolutions sur ce sujet. Nous souhaitons aussi interdire les tribunaux privés, devant lesquels de grands groupes multinationaux peuvent attaquer des choix démocratiques et faire payer au contribuable des choix qu’il a faits en tant que citoyen. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur quelques bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, du groupe écologiste et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

Cette situation est inacceptable : je ne doute pas que l’immense majorité de cette assemblée partage cet avis.

M. Laurent Furst. C’est vrai.

M. Matthias Fekl, secrétaire d’État. Nous défendons aussi des intérêts offensifs : la défense de notre agriculture, l’accès aux marchés publics américains pour nos entreprises, en particulier nos PME, la diversité culturelle – et nous avons défini une série de lignes rouges, que je rappelle régulièrement.

Si rien ne change dans un avenir raisonnable, c’est-à-dire au cours du onzième tour de négociations qui s’ouvrira dans quelques jours, et dans le courant de l’année 2016, la France en tirera les conséquences et demandera l’arrêt des négociations ; elle travaillera avec ses partenaires européens en ce sens. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur plusieurs bancs du groupe écologiste, du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

Projet de loi de finances

Mme la présidente. La parole est à M. Lionel Tardy, pour le groupe Les Républicains.

M. Lionel Tardy. Monsieur le Premier ministre, en principe, qu’est-ce qu’un budget ? C’est une vision stratégique de long terme, avec en ligne de mire l’équité fiscale et une baisse nécessaire des dépenses. Qu’est-ce qu’un budget façon socialiste ? Tout le contraire, à commencer par un Président de la République qui fait des promesses à tout-va, notamment des baisses d’impôts d’un montant de 2 milliards d’euros, et qui vous demande ensuite, monsieur le Premier ministre, de faire les fonds de tiroirs pour honorer ses annonces. Au moment de son annonce, cette baisse d’impôts n’était pas financée – et, visiblement, elle ne l’est toujours pas. En effet, quelques jours plus tard, le ministre des finances sortait les rames et déclarait : « On est capable de trouver 2 milliards d’économies supplémentaires, je sais que c’est possible. » Voilà qui est rassurant.

À côté de cela, votre plan d’économies est encore très flou, et vous continuez d’augmenter le nombre d’emplois aidés et celui des fonctionnaires. Prenons l’exemple du financement de l’audiovisuel public : quelques jours avant la présentation du budget, le Gouvernement se décide enfin et annonce que la redevance n’augmentera pas de plus d’un euro. Mais, dans le même temps, vous augmentez d’un tiers la taxe sur les fournisseurs d’accès à internet, ce qu’ils ne manqueront pas de répercuter sur les factures des Français. Après les taxes différées, voilà donc une nouvelle taxe déguisée : encore une idée lumineuse !

Incapables que vous êtes de trouver des économies, vous reportez de trois mois ces allégements sur les entreprises, histoire de gagner un peu d’argent, quitte à renier encore une fois vos engagements. Bref, le Gouvernement panique, et ce sont les Français et les entreprises qui trinquent. Ce budget, bouclé comme on improvise une recette de cuisine, laisse une forte impression d’amateurisme. À part votre effet de manche sur la baisse, très concentrée, des impôts, nous restons sur notre faim.

Monsieur le Premier ministre, pourrions-nous connaître, si elle existe, votre stratégie budgétaire à court et à long terme ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du budget.

M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du budget. Monsieur le député, ai-je l’air de paniquer ? (Rires et exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Laurent Furst. Vous avez plutôt l’air de dormir, c’est vrai.

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Oui, ce gouvernement a une stratégie, monsieur le député. Cette stratégie est claire et a été annoncée il y a quelques années : elle consiste à réaliser 50 milliards d’économies sur trois ans, et c’est ce que nous faisons.

M. Guy Geoffroy. Le problème, c’est que cela ne fonctionne pas !

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Vous pouvez parler de contours flous, mais il suffit de regarder. Je l’ai dit tout à l’heure : le passé éclaire l’avenir.

M. Julien Aubert. On passe plutôt de la lumière à l’ombre !

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Nous l’avons fait en 2014, nous l’avons fait en 2015 et nous le referons en 2016.

Concernant les recettes nouvelles…

M. Julien Aubert. Vous utilisez toujours les mêmes recettes !

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. …le président de la commission des finances a joué à se faire peur et à nous alarmer, en disant au mois de juin qu’il allait manquer 3 milliards de TVA et 3 milliards d’impôt sur le revenu. Non, mesdames et messieurs les députés, le Gouvernement ne panique pas. Pour la première fois, cette année, les recettes fiscales sont au rendez-vous.

On nous dit que le déficit de la sécurité sociale explose.

M. Marc-Philippe Daubresse. Grâce à qui ?

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Or la ministre de la santé vous démontre jour après jour que ce gouvernement réduit les déficits de la sécurité sociale, sans déremboursements et sans diminution des prestations. Et il finance ses priorités que sont la justice, l’éducation nationale et la sécurité.

Vous pouvez toujours regretter que les choses n’aillent pas assez vite, mais sachez que nous avons un cap et que nous avançons avec une très grande sérénité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur quelques bancs du groupe écologiste.)

M. Philippe Meunier. Et avec de nouvelles taxes !

M. Laurent Furst. C’est la Fashion Week budgétaire !

Suppression du mot race dans la législation

Mme la présidente. La parole est à M. Alfred Marie-Jeanne, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. Alfred Marie-Jeanne. Monsieur le Premier ministre, j’associe à ma question les députés du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, qui ont été à l’origine de la proposition de loi tendant à la suppression du mot race de la législation française. En tant que rapporteur de cette proposition, je vous rappelle qu’elle a été adoptée par la majorité des députés, de la gauche à la droite comprise, et avec le soutien du Gouvernement. Pour des raisons que j’ignore, elle est restée lettre morte. Cette attitude ne nous honore pas au moment où le racisme refleurit de façon exubérante. Tout racisme d’où qu’il vienne est condamnable. Il ne saurait donc y avoir de racisme nuancé. La nuance est une notion poétique non applicable au racisme.

Monsieur le Premier ministre, en vertu des prérogatives que vous confère expressément l’article 48 de la Constitution, nous vous demandons d’inscrire cette proposition de loi à l’ordre du jour du Sénat, comme il est d’ailleurs de coutume pour les propositions adoptées dans l’une des deux chambres, pour un examen dans un délai que nous souhaitons aussi court que possible. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le député, l’Assemblée nationale a en effet beaucoup travaillé pour trouver des solutions claires et juridiquement solides répondant à la volonté politique et éthique de supprimer le mot race, tout d’abord dans la Constitution, ensuite dans l’ensemble de la législation : c’est ce qui a été fait sur la base de la proposition de loi du groupe auquel vous appartenez et qui a été discutée ici le 16 mai 2013. Je représentais le Gouvernement lors de ce débat et me rappelle la très grande qualité des interventions sur l’ensemble des bancs de l’Assemblée, le sujet ayant été particulièrement travaillé par vous.

C’est ainsi que cinquante-neuf dispositions législatives ont déjà été modifiées grâce à cette proposition de loi. Le mot « race » n’a pas été simplement supprimé : toutes ses occurrences ont été remplacées soit par le mot « raciste » soit par des périphrases comprenant le mot « raciste », car notre souci était d’éviter de créer un vide juridique et de réduire par là même la protection des victimes de propos et d’actes racistes.

Ce combat est symbolique au sens où il donne de la force aux valeurs sur lesquelles repose l’ordre juridique français, qui prend lui-même appui sur l’idéal républicain. Or cet idéal, qui est fondé sur la nation civique et l’ambition d’égalité, condamne profondément les distinctions qui reposent sur les prétendues origines raciales. Nous devons non seulement travailler aux sanctions mais également veiller, dans notre législation, dans nos politiques publiques et dans la sensibilité de la population, à transformer les mentalités.

Le Gouvernement est disposé à agir auprès du Sénat pour que ce texte revienne en discussion. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Sécurité à l’hôpital

Mme la présidente. La parole est à Mme Geneviève Levy, pour le groupe Les Républicains.

Mme Geneviève Levy. Madame la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, j’associe à ma question M. Philippe Vitel.

Samedi dernier, aux urgences de l’hôpital Sainte-Musse, à Toulon, dans ma circonscription, deux personnels de santé ont été agressés. Une infirmière a été prise à partie par les proches d’une patiente et un brancardier a été battu, littéralement piétiné par une quinzaine d’hommes déchaînés qui ont envahi l’espace hospitalier. Ce n’est pas un fait divers. C’est une manifestation de défi aux institutions, au même titre que les violences intervenues dans les commissariats ou les écoles. À l’hôpital, le mal-être quotidien gagne les personnels de santé devant la montée d’actes particulièrement odieux, bafouant les valeurs de la République.

Trois des agresseurs ont certes écopé d’une peine de prison, ferme ou avec sursis, lors d’une comparution immédiate, mais les stigmates au sein du service des urgences toulonnais sont profonds. Selon l’Observatoire national des violences en milieu de santé, les chiffres augmentent chaque année faisant 21 000 victimes dont 78 % de professionnels de santé.

À l’été 2013 vous aviez annoncé un grand plan de prévention en vous appuyant sur les Agences régionales de santé. Mais force est de constater que les annonces n’ont pas été suivies d’effets et que les hôpitaux sont désormais la cible de provocations antirépublicaines. Quand allez-vous donner aux professionnels de santé les moyens humains, matériels et financiers d’assurer leur sécurité ? Madame la ministre, l’hôpital ne doit pas être une zone de non-droit, l’hôpital ne doit pas être le laissé-pour-compte de la République. Qu’attendez-vous pour protéger nos personnels de santé, afin qu’ils ne travaillent plus la peur au ventre ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Henri Emmanuelli. Encore une question innocente !

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. Madame la députée, les agressions dans les hôpitaux, comme dans tous les lieux publics, d’ailleurs, sont inacceptables et intolérables. Comme vous l’avez souligné, les agressions contre des professionnels de santé, qui travaillent pour sauver des vies, sont des agressions contre la République et contre le service public.

C’est pourquoi au mois de septembre 2013 un plan a été mis en place, qui a donné des résultats dans la situation que vous avez évoquée.

Mme Claude Greff. Ça se voit !

Mme Marisol Touraine, ministre. La première des mesures que nous avons prises permet aux hôpitaux d’accéder à un fonds interministériel de prévention de la délinquance pour s’équiper en matière de vidéoprotection. Ce fonds existe : les hôpitaux peuvent y avoir recours.

La deuxième mesure que nous avons prise en relation avec les agences régionales de santé est la signature d’un protocole national entre le ministère chargé de la santé et celui de l’intérieur.

Mme Claude Greff. Cela va empêcher les agresseurs de frapper !

Mme Marisol Touraine, ministre. Des conventions locales ont été signées, permettant aux établissements d’avoir dans leurs murs un correspondant local de la police ou de la gendarmerie. D’ailleurs la présence au sein de l’hôpital Sainte-Musse d’un tel correspondant a permis l’arrivée très rapide de la police. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.) Comme vous l’avez souligné, l’agression a eu lieu samedi dernier et trois agresseurs ont d’ores et déjà été condamnés en comparution immédiate à des peines de quatre et deux mois de prison ferme.

Vous le voyez, madame la députée, nous agissons avec beaucoup de fermeté…

Mme Claude Greff. Baratin !

Mme Marisol Touraine, ministre. …et nous n’acceptons pas les violences contre les professionnels de santé. C’est tous ensemble que nous devrions lutter à cette fin. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyens.)

Apprentissage

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Patrick Gille, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Jean-Patrick Gille. Madame la ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social (« Et du chômage ! »sur les bancs du groupe Les Républicains.), je souhaite, en cette rentrée, vous interroger sur l’apprentissage.

Plusieurs députés du groupe Les Républicains. Allô ?

M. Jean-Patrick Gille. Nous sommes nombreux, sur ces bancs, à considérer que les contrats en alternance sont d’excellents dispositifs de formation et d’insertion professionnelle des jeunes.

M. Étienne Blanc. Il était temps !

M. Jean-Patrick Gille. Depuis des années, chaque gouvernement – pour ne pas dire chaque ministre – a tenu à présenter son plan de relance ou de développement de l’apprentissage, ou de réforme de son financement.

Les régions, dont c’est la compétence, font de gros efforts d’investissement, tant pour les locaux que pour le renouvellement ou l’innovation pédagogique, comme vous avez d’ailleurs pu le constater vendredi en Indre-et-Loire en visitant le campus des métiers de Joué-les-Tours.

Pour autant, en termes quantitatifs, les résultats ne sont pas toujours au rendez-vous, notamment chez les employeurs publics et dans les premiers niveaux de qualification, dont les effectifs ont baissé ces dernières années.

Les causes sont multiples : une conjoncture économique difficile, notamment dans le secteur du bâtiment, des modifications répétées des divers primes et crédits d’impôt, mais aussi un système d’orientation qui peine encore à valoriser cette filière pourtant de plus en plus plébiscitée par les jeunes.

Alors que, tel un compagnon, vous avez entamé votre tour de France de l’emploi, quels sont, madame la ministre, les premiers enseignements que vous en tirez ? Quels sont les premiers résultats de la réforme de la taxe d’apprentissage et de la mise en œuvre, depuis le début du mois de juin, de la gratuité de l’embauche des jeunes apprentis par les TPE, suite aux annonces du Président de la République ? Enfin, quelles améliorations pensez-vous encore nécessaires pour faire de l’apprentissage une filière d’excellence de l’enseignement professionnel pour l’insertion des jeunes, tant dans le secteur privé que dans le secteur public ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

M. Guy Geoffroy. Et du chômage !

Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Monsieur le député, je partage votre conviction : l’apprentissage – et même, plus généralement, l’alternance – est une excellente voie de formation.

M. Gérard Cherpion. Vous l’avez cassée !

M. Yves Fromion. Ce n’est pas ce que vous avez montré !

Mme Myriam El Khomri, ministre. L’apprentissage est utile aux entreprises, parce qu’il permet de former des jeunes aux compétences dont elles ont besoin. Il est utile aux jeunes, parce qu’il permet de les insérer durablement dans l’emploi.

M. Guy Geoffroy. Vous n’en croyez pas un mot !

Mme Myriam El Khomri, ministre. 70 % des jeunes trouvent un emploi dans les six mois suivant leur formation par apprentissage.

M. Laurent Furst. Trois ans d’apprentissage gouvernemental, c’est long !

Mme Myriam El Khomri, ministre. Soyons également fiers que, dans le domaine de l’artisanat, les apprentis d’aujourd’hui soient bien souvent les chefs d’entreprise de demain.

Vous l’avez dit : le Président de la République a lancé un plan de mobilisation, notamment en direction des TPE. Ce plan de mobilisation, élaboré avec les régions et les partenaires sociaux, se traduit concrètement par une augmentation de 200 millions d’euros de l’aide aux centres de formation en 2015, ainsi que par la mise en place, depuis le 1er juin, de l’aide aux jeunes apprentis accueillis dans les TPE, qui conforte les entreprises dans leur investissement. Avec la ministre de l’éducation nationale, nous travaillons de manière efficace en matière d’orientation.

Cette mobilisation est payante. Permettez-moi de vous donner des chiffres très précis. 48 500 entrées en apprentissage ont été enregistrées de juin à août, soit une augmentation de 6,5 % : c’est le meilleur résultat depuis quatre ans. Dans la fonction publique d’État, avec Marylise Lebranchu, près de 1 000 contrats ont été signés ; l’objectif est d’en signer 4 000.

La mobilisation doit se poursuivre. Parfois, en effet, il y a encore des blocages. Ma priorité, c’est que tout jeune qui souhaite trouver une entreprise puisse la trouver, et que toute entreprise qui souhaite trouver un jeune puisse également le trouver. Nous devons mettre en place, au niveau national, une plate-forme de mise en relation, avec des outils numériques simples. Sachez que cette mobilisation ne faiblira pas, et que les premiers résultats sont au rendez-vous. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur plusieurs bancs du groupe écologiste.)

Avenir du site GEA Westfalia à Château-Thierry

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Krabal, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Jacques Krabal. Monsieur le Premier ministre, l’entreprise Westfalia, du groupe GEA, à Château-Thierry, qui compte 250 salariés spécialisés dans l’ingénierie mécanique, est menacée. L’an dernier, déjà, vingt-six emplois ont été supprimés, du fait de la délocalisation de l’unité Farm Technologies aux Pays-Bas. Maintenant, nous subissons un plan international de suppression de 1 450 emplois, dont trente-quatre à Château-Thierry et sur d’autres sites comme celui de Montigny-le-Bretonneux. Cela représente, pour l’entreprise, une économie de 125 millions d’euros sur les salaires.

Le chiffre d’affaires de cette entreprise s’élève à 4,5 milliards d’euros. Il génère 320 millions d’euros de résultat net et un  milliard d’euros de trésorerie. L’entreprise n’est pas endettée, et sa capitalisation boursière s’élève à 6 millions d’euros. Oui, les profits sont énormes, mais pour les actionnaires, ce n’est pas encore assez !

Les salariés, les syndicats et les élus sont bafoués. La France est méprisée.

M. Laurent Furst. Eh oui !

M. Jacques Krabal. Il est urgent de réunir les dirigeants de GEA, avec les syndicats et les élus, et de faire respecter nos règles.

En 2015, GEA a bénéficié du CICE, comme un million d’autres entreprises. Mais comment admettre que des multinationales utilisent l’argent public provenant des impôts, fruit du travail des hommes, pour licencier en France et délocaliser en Chine et en Roumanie ?

Il est indispensable de lutter contre le chômage et de permettre à nos habitants de retrouver confiance.

M. Jacques Moignard. Très bien !

M. Jacques Krabal. Quelles solutions proposez-vous contre ces licenciements boursiers inacceptables ?

Le groupe RRDP vous demande, monsieur le Premier ministre, pourquoi ne pas réorienter le CICE prioritairement en direction des PME, des TPE, des artisans, des commerçants, et pour les activités agricoles et touristiques – vers tous ceux qui créent de l’emploi local.

Comme l’écrivait Jean de La Fontaine, né à Château-Thierry, dans la fable Le villageois et le serpent : « Il est bon d’être charitable. Mais envers qui ? C’est là le point. » (Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du budget.

M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du budget. Monsieur le député, je vous prie d’excuser l’absence d’Emmanuel Macron, qui ne peut être parmi nous. (Exclamations sur divers bancs.)

M. Marc Le Fur. Il travaille le dimanche !

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Il m’a demandé de vous transmettre un certain nombre d’éléments concernant l’entreprise à laquelle je sais que vous êtes attaché – je veux parler du site de GEA Westfalia situé à Château-Thierry. Ce site est spécialisé dans la fabrication de séparateurs pour les marchés des produits laitiers et de la marine.

Le groupe allemand GEA a entamé un processus de restructuration de ses sites à l’échelle internationale. Nos services travaillent pour accompagner l’entreprise et les salariés, dans un souci de maintien de l’activité et de l’emploi. Des éléments dont je dispose, rien n’indique que le site de Château-Thierry est menacé. Le projet de plan de sauvegarde de l’emploi pourrait toucher seize personnes sur le site, dont dix d’ici la fin de l’année 2016, principalement dans les services supports. Les équipes de la ministre du travail et du ministre de l’économie sont d’ores et déjà en contact avec la direction de GEA France. Elles travailleront avec toutes les parties, dans l’objectif d’atténuer au maximum l’impact social de la réorganisation annoncée.

Au-delà de cet exemple intéressant et préoccupant, vous posez la question du ciblage du CICE et du tri, si j’ose dire, qu’il faudrait faire entre des licenciements boursiers et des licenciements qui le seraient moins. Le CICE fait preuve de son efficacité.

Mme Marie-George Buffet. Non !

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Contrairement à ce qui a été dit, il s’agit d’un dispositif simple, efficace, auquel les entreprises nous demandent aujourd’hui de ne surtout pas toucher. Pour répondre à votre préoccupation, je vous indique que 60 % des crédits d’impôt accordés dans le cadre de ce dispositif sont aujourd’hui perçus par les PME et par les TPE – ce qui correspond à votre souci –, au service de l’emploi. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe écologiste et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

Imposition des non résidents

Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Mariani, pour le groupe Les Républicains.

M. Thierry Mariani. Ma question s’adresse à M. le secrétaire d’État chargé du budget. Payer pour une prestation dont on est exclu, voilà ce que votre majorité a adopté en juillet 2012 en mettant en place un dispositif visant à assujettir les non-résidents à des prélèvements sociaux sur leurs revenus fonciers et sur les plus-values immobilières perçues en France.

À l’époque, l’opposition avait dénoncé cette mesure qui est non seulement injuste, mais injustifiée...

M. Henri Emmanuelli. Elle est juste.

M. Thierry Mariani. …puisqu’elle prend les Français expatriés pour cible. Depuis, nous l’avons combattue et, depuis, la justice européenne nous a donné raison.

M. Henri Emmanuelli. Elle a eu tort !

M. Thierry Mariani. Le verdict est, vous le savez, sans appel. Cette mesure a été condamnée par la Cour de justice de l’Union européenne ainsi que par le Conseil d’État. Or le 24 septembre dernier, lors de la présentation du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2016, vous avez annoncé vouloir désormais affecter ces prélèvements au financement de prestations non contributives identiques à celles financées par les autres impôts.

Bref, alors que vous êtes condamnés, vous nous faites un tour de bonneteau pour pouvoir conserver cette imposition.

M. Christian Hutin. Tant mieux !

M. Thierry Mariani. Par une pirouette fiscale scandaleuse, vous comptez faire échec aux décisions de la Cour de justice de l’Union européenne et du Conseil d’État. Pis, seuls les non-résidents installés au sein de l’Union européenne ou de l’espace économique européen pourraient se faire rembourser.

Ma question est simple, mais triple.

Allez-vous appliquer la décision de justice et allez-vous rembourser les contribuables qui ont payé cette taxe ?

M. Henri Emmanuelli. Non !

M. Thierry Mariani. Quels seront les contribuables qui entreront dans le champ de ce remboursement ?

Entendez-vous sérieusement traiter différemment les contribuables en fonction du pays où ils se trouvent ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Cela signifie-t-il que si l’on habite la Belgique ou le Luxembourg, on sera remboursé ? Alors que si l’on réside en Chine, à Singapour ou en Australie, et que l’on rapporte des contrats à la France, on ne le sera pas ?

Les expatriés attendent une réponse à ces questions. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du budget.

M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du budget. Votre question, monsieur le député Mariani, est simple, mais triple. Elle appelle donc une réponse simple et triple. (Sourires.)

Premièrement, la France appliquera-t-elle l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne ? Comment pourrait-il en être autrement ?

M. Yves Fromion. En effet !

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Évidemment, la France appliquera cet arrêt, l’arrêt dit De Ruyter pour les spécialistes.

M. Henri Emmanuelli. Quel dommage !

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Deuxièmement, la France remboursera-t-elle les contributions qu’elle a perçues depuis trois ans auprès d’une certaine catégorie de contribuables en fonction de cet arrêt ? La réponse est simple et positive.

M. Henri Emmanuelli. Non !

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Bien entendu, la France remboursera les montants de CSG et de CRDS qu’elle a perçus.

M. Yves Fromion. Avec sérénité.

Mme Claude Greff. On aurait pu éviter cette erreur.

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Troisièmement, la France appliquera-t-elle la mesure à l’ensemble des ressortissants visés par l’arrêt ? Oui, mais seulement à eux.

L’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne ne concerne pas la question de la résidence, mais celle de l’affiliation à un régime de Sécurité sociale de l’espace économique européen.

M. Bernard Roman. Eh oui.

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. L’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne ne vise que les ressortissants de ces pays, c’est-à-dire l’Union européenne plus la Suisse, le Liechtenstein et…

M. Jacques Myard. La Norvège !

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. …et la Norvège. L’application sera stricte et intégrale. Il n’est pas question d’aller au-delà. Le Conseil constitutionnel, je le rappelle, a toujours jugé que la CSG faisait partie des impôts de toute nature. Nous resterons évidemment dans le cadre de la Constitution. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Henri Emmanuelli. C’était la cinquième colonne fiscale !

Soutien à la recherche médicale

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ribeaud, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Pierre Ribeaud. Ma question s’adresse à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

En 2013, une équipe française avait posé le premier cœur totalement artificiel à un patient. Lundi, le prix Nobel de médecine a récompensé trois chercheurs pour la découverte de traitements contre des maladies parasitaires et le paludisme.

Aujourd’hui, le Nobel de chimie récompense des recherches sur l’ADN. Des découvertes sont faites chaque année et transforment radicalement notre approche des traitements. Nous devons prendre conscience que le soutien à la recherche et à l’innovation est primordial.

Les entreprises françaises ont de plus en plus besoin de financements. Elles jouent un rôle essentiel pour relever les défis que posent les enjeux de santé. Notre devoir est de les soutenir.

Lundi, vous avez annoncé la création d’un fonds de 100 millions d’euros et l’organisation d’une journée nationale de l’innovation en santé. Ce fonds est financé dans le cadre des programmes d’investissement d’avenir. Il doit accompagner les entrepreneurs et devra permettre la diffusion des produits créés, issus de ces recherches.

Vous allez bientôt installer le comité de pilotage du plan Médecine du futur. Il doit permettre de concentrer les efforts d’investissement publics et privés. Il doit développer les pôles de recherche et accompagner la mise sur le marché de nouveaux produits. Ce plan doit placer la France à l’avant-garde de l’innovation médicale.

Madame la ministre, les industries de la santé emploient 200 000 personnes en France. Nous devons tout faire pour que ce secteur se structure, qu’il développe des partenariats, et qu’il ne soit pas entravé par des problèmes d’investissement. Investir dans l’innovation médicale, c’est certainement changer le quotidien de tous les patients de demain.

Pouvez-vous nous dire comment votre ministère soutient la recherche et encourage l’innovation médicale pour que les entreprises accélèrent leur développement ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. Vous avez raison, monsieur le député Pierre Ribeaud, de souligner qu’après une période de relatif immobilisme, l’innovation en santé est au rendez-vous pratiquement dans tous les domaines : innovation technique, innovation numérique, innovation dans les modes d’organisation de la prise en charge puisque l’on prend de plus en plus les patients en charge en ambulatoire en leur évitant de longs séjours à l’hôpital, et enfin innovation thérapeutique. (Murmures sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

La France est à la pointe de cette innovation. Lundi dernier, j’étais à l’Institut Pasteur pour visiter une jeune entreprise qui travaille à la mise au point d’antibiotiques intelligents qui vont cibler les bactéries. Et il existe des centaines d’entreprises de ce type dans notre pays.

Depuis trois ans, de nombreuses mesures ont d’ores et déjà été prises pour favoriser l’innovation en santé. D’abord, j’ai simplifié les règles administratives, ce qui permet aujourd’hui que le démarrage d’un essai clinique puisse se faire en quarante-cinq jours seulement contre cent trente jours en moyenne, il y a trois ans. (Murmures sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

J’ai également mis en place une autorisation temporaire d’utilisation qui permet la mise à disposition des patients de médicaments innovants. J’ai de plus mis en place un forfait innovation qui permet de rémunérer ces innovations.

Pour aller plus loin, j’ai annoncé, monsieur le député, la création d’un fonds…

M. Jean-Pierre Barbier. Si peu doté !

Mme Marisol Touraine, ministre. …qui, avec le Commissariat général à l’investissement permettra de financer le développement des start-up, des jeunes pousses, fonds qui sera doté de 100 millions d’euros et qui permettra de développer des entreprises françaises.

Afin de montrer ce que l’innovation représente en France, des journées nationales de l’innovation en santé se tiendront les 23 et 24 janvier prochains. Vous le voyez, monsieur le député, la France est à la pointe de l’innovation. Et nous voulons la soutenir au service des patients en France. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Paris hippiques

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Myard, pour le groupe Les Républicains.

M. Jacques Myard. Ma question concerne le ministre de l’agriculture et le secrétaire d’État chargé du budget. Je privilégierai cependant ce dernier, car c’est lui qui mène la danse, même si c’est une danse macabre. (« Oh ! » et protestations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.) Monsieur le ministre, avez-vous une politique des jeux ? (« Non ! » sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains. – Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Aujourd’hui, la filière hippique est en crise et va dans le mur. Crise due à la crise économique dont vous êtes le responsable. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.) Crise due à la concurrence déloyale de La Française des jeux – dont, comme chacun le sait, les jeux de grattage élèvent le QI des Français. Crise engendrée par le juridisme de cette chère Commission de Bruxelles, qui nous a obligés à appliquer un taux majoré aux ventes de chevaux et a réduit d’autant le nombre de propriétaires, c’est-à-dire de chevaux au départ, provoquant une baisse drastique des paris hippiques, dont le montant est passé de 850 à 800 millions d’euros. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Les sociétés mères sont désormais en déficit structurel et – surprise ! – c’est dans cette situation que, monsieur le secrétaire d’État, exerçant votre autorité de tutelle, vous autorisez, pour faire plaisir à Mme Hidalgo, un projet pharaonique à Longchamp, qui aura pour effet que, dans quelque temps, France Galop sera en cessation de paiement. Voilà la réalité. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains. – Protestations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Philippe Meunier. Quel scandale !

M. Jacques Myard. Monsieur le secrétaire d’État, cessez de jouer les Ponce Pilate. Vous êtes responsables de cette situation : quelles mesures allez-vous prendre pour faire des réformes structurelles, avoir une politique des jeux et permettre à cette économie, qui est au cœur de l’aménagement du territoire, de continuer à prospérer avec 100 000 emplois ? Il y a urgence. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains. – Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du budget.

M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du budget. Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, monsieur Myard, cette question est trop sérieuse pour justifier des formules à l’emporte-pièce. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Julien Aubert. Et c’est le secrétaire d’État au budget qui parle d’emporte-pièce !

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Elle est sérieuse pour deux raisons. La première est que, derrière le PMU, il y a des filières, qui nourrissent certes l’aménagement du territoire, mais aussi des emplois et une filière économique.

Elle est également sérieuse parce que la question des jeux mérite d’être contrôlée.

M. Christian Hutin. Très bien !

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Il existe en effet des dérives liées aux jeux, comme le blanchiment ou les comportements addictifs. C’est la raison pour laquelle l’État entend exercer effectivement ses responsabilités sur le secteur des jeux.

Je vais toutefois répondre à votre question précise concernant le PMU.

M. Julien Aubert. Vous êtes trop bon !

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Les choses évoluent – vous l’avez dit avec des formules marquées par un certain raccourci. L’évolution des mœurs et le changement de génération montrent une évolution des jeux et donc, probablement, un déport, que je ne conteste pas, des enjeux entre La Française des jeux et le PMU. Nous devons y réfléchir et y travailler – je l’ai du reste évoqué avec vous récemment dans mon bureau.

Ces filières équestres devaient se réformer et elles l’ont fait – encore insuffisamment, mais elles ont fait des efforts, notamment pour ce qui concerne les retraites des personnels, les personnels sur les champs de courses et les télévisions, qui étaient très largement déficitaires. Elles ne sont pas cependant au bout du chemin. Si nous avons, en parfait accord avec M. Stéphane Le Foll, autorisé l’opération de rénovation de l’hippodrome de Longchamp, c’est parce qu’elle nous apparaissait à la fois nécessaire et supportable, compte tenu des efforts réalisés par la filière. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Transfert du siège de l’IFREMER à Brest

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Luc Bleunven, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Jean-Luc Bleunven. Monsieur le ministre chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche, le 18 décembre 2014, monsieur le Premier ministre, dans le discours qu’il a prononcé à Brest, annonçait le transfert du siège de l’IFREMER, l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer, à Brest. Cette annonce, intervenue un an après la signature du Pacte d’avenir pour la Bretagne, était l’occasion de rappeler les engagements financiers de l’État en faveur de la Bretagne : 3 milliards d’euros sur les six prochaines années pour investir sur les quatre priorités identifiées sur notre territoire : les transports, l’enseignement supérieur et la recherche, la transition écologique et le développement des territoires.

M. Marc Le Fur. On ne les a pas du tout, les 3 milliards !

M. Jean-Luc Bleunven. Cette visite s’inscrivait également dans le cadre de l’affirmation de Brest comme métropole à compter du 1er janvier 2015. Il est à ce jour difficile de mesurer à quel point l’obtention de ce statut sera déterminante pour l’avenir de notre bassin d’emploi et, plus largement, pour l’équilibre de notre région bretonne. Ce qui est certain, c’est qu’aujourd’hui, l’accession de Brest au statut de métropole a ouvert de nouvelles perspectives et la fait participer pleinement, aux côtés de l’État et de la région, aux décisions se rapportant à la croissance économique du territoire et au soutien des filières d’avenir, génératrices d’emplois.

Le Premier ministre a ainsi réaffirmé son souhait de voir Brest devenir un pôle mondial de la mer.

M. Marc Le Fur. Brest, toujours Brest...

M. Jean-Luc Bleunven. Par son rayonnement, il contribuera au développement et à la vitalité de l’ensemble de son bassin de vie – nous le devons à la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles – MAPTAM –, adoptée dans cet Hémicycle.

Le transfert du siège de l’IFREMER peut paraître symbolique. Pourtant, son implantation à Brest, à l’extrême ouest du pays, est un signal fort en termes d’aménagement du territoire. La semaine dernière, les élus du conseil d’administration de l’IFREMER ont voté en faveur du transfert du siège d’Issy-les-Moulineaux à Brest. Lundi dernier, le Conseil d’État a rejeté le recours formulé par plusieurs syndicats contre le discours du Premier ministre du 18 décembre 2014.

La situation des agents de l’Institut doit bien évidemment faire l’objet d’un examen particulièrement attentif. Néanmoins, politiquement comme juridiquement, plus rien ne semble s’opposer à ce transfert. Monsieur le ministre, pouvez-vous donc réaffirmer pleinement la volonté du Gouvernement et nous apporter des éléments sur ce dossier ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme Isabelle Le Callennec. Bravo !

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche.

M. Thierry Mandon, secrétaire d’État chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le député, vous avez raison de rappeler que c’est en décembre 2014, dans le cadre du Pacte d’avenir pour la Bretagne, que le Gouvernement a prévu, avec les collectivités territoriales concernées, le renforcement de l’attractivité de la métropole brestoise dans le domaine des sciences et technologies de la mer, pour conforter sa visibilité de pôle mondial. Ce projet de renforcement prévoyait deux projets : d’une part, la modernisation de certains équipements au service de l’activité océanographique, menée par les équipes scientifiques de l’IFREMER et, d’autre part, le transfert du siège social de l’IFREMER sur le site de son établissement actuel de Brest, à Plouzané.

Je tiens à vous affirmer de la manière la plus nette que, tant depuis la décision du Conseil d’État que depuis celle qu’a prise ces derniers jours le conseil d’administration de l’IFREMER, ce projet peut désormais entrer dans une phase active de mise en œuvre et que l’État, bien évidemment, soutiendra pleinement l’IFREMER dans la réalisation de ce plan. Ainsi, il assure que les financements de cette opération seront pris en charge sans faire appel aux moyens budgétaires courants de l’établissement. Nous veillerons à mettre en œuvre toutes les solutions pour les personnels, de manière à ce que leur situation professionnelle soit traitée avec le plus grand soin.

Toutes les responsabilités gouvernementales – toutes – seront prises pour que le renforcement de la visibilité scientifique et technologique de la Bretagne prenne corps et pour que l’IFREMER, qui pilote ce dossier, acteur clé de cette visibilité, puisse pleinement y jouer son rôle en accompagnant l’établissement et son personnel au cours de cette opération. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme la présidente. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

Mme la présidente. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures vingt-cinq.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

2

Déontologie, droits et obligations des fonctionnaires

Discussion, après engagement de la procédure accélérée, d’un projet de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, (nos 1278, 2880, 3099).

Présentation

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre de la décentralisation et de la fonction publique.

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, permettez-moi tout d’abord de remercier la rapporteure, Mme Françoise Descamps-Crosnier, pour le remarquable travail qu’elle a accompli afin d’améliorer le projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires.

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Remarquable, en effet.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Le texte que nous vous présentons aujourd’hui comporte soixante et onze articles au lieu des vingt-cinq prévus par la lettre rectificative au projet de loi déposée le 17 juin dernier. C’est en partie dû au souhait de la rapporteure de réintégrer certaines des dispositions du projet de loi initial. Cela a eu pour effet de réduire le champ de l’habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnances – ce qui est, en général, apprécié par le Parlement.

L’examen de ce texte s’inscrit dans une actualité marquée, comme vous le savez, par des critiques adressées à nos fonctionnaires et visant, malheureusement, notre modèle de fonction publique.

M. Jean-Luc Laurent. Hélas.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. L’actualité, dans le sud-est de la France ou, plus récemment encore, en Seine-Saint-Denis, nous rappelle que l’engagement de tous les fonctionnaires, qu’ils soient agents de l’État, affectés aux services de secours ou de police, ou alors membres de la fonction publique hospitalière ou territoriale, est sans faille quand il faut protéger, soigner ou reconstruire la vie publique. Car, même si on l’oublie souvent quand tout va bien, on n’hésite pas à appeler la fonction publique à l’aide, parfois d’ailleurs plus que de raison, quand la situation s’aggrave.

J’aimerais compléter l’évocation de ces faits, qui parlent pourtant d’eux-mêmes, en rappelant que nos services publics produisent de la valeur, participent à la création de richesse au sein de l’économie nationale et contribuent puissamment à la préservation du lien social et de la cohésion nationale.

Mme Cécile Untermaier et M. Jean-Luc Laurent. Très juste.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Je veux redire qu’un fonctionnaire doit toujours s’adapter, être mobile et porter une démarche d’amélioration permanente du service rendu. À cet égard, face aux défis immenses que doit relever notre pays, notre modèle de fonction publique, qui sait aussi donner une place aux agents qui n’ont pas le statut de fonctionnaire – comme c’est le cas, par exemple, dans notre laboratoire Etalab – conserve bien évidemment toute sa pertinence.

J’aimerais ensuite souligner que les agents publics sont bien souvent les premiers, et les plus exigeants, à revendiquer un service public de meilleure qualité. C’est pourquoi les hommes et les femmes qui assurent au quotidien les missions du service public ont droit à notre respect autant qu’à notre gratitude.

Enfin, je rappellerai, pour reprendre le titre d’un récent ouvrage de Pierre Rosanvallon, qu’il n’y a pas de bon gouvernement sans une bonne administration.

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. C’est exact. Absolument.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Dans tous les cas, la confiance de nos concitoyens dans la légitimité de l’action publique est fondée sur le respect de la morale publique ainsi que sur l’intégrité des élus et des agents publics.

À ce titre, le projet de loi qui vous est soumis est fondamental dans la mesure où il traduit tout à la fois l’attachement, la confiance et l’exigence du Gouvernement et de la nation envers les agents publics. Il a pour ambition de renforcer cette relation de confiance qui attache nos concitoyens à leur fonction publique et à ceux qui la portent, les fonctionnaires.

Mesdames et messieurs les députés, à travers ce texte, c’est la qualité même du service public qui se voit consolidée. C’est l’action publique unique, conduite par l’État, les collectivités territoriales et les établissements publics hospitaliers, qui se trouve réaffirmée à travers les agents qui la servent.

Les dispositions contenues dans ce projet de loi visent en effet à traduire la République en actes. Il n’y a pas de service public sans valeurs constitutives. Avec ce texte, nous rappelons que les agents publics, au travers des droits et des devoirs qui sont les leurs, portent et font vivre les valeurs républicaines. C’est pourquoi ce projet de loi consacre le principe de laïcité, défini à son article 1er. Ce principe est une des valeurs fondamentales de notre République. Aussi, on ne saurait transiger avec la laïcité dans les services publics et chez les fonctionnaires.

M. Jean-Luc Laurent. Très bien !

Mme Marylise Lebranchu, ministre. C’est aussi pourquoi le principe d’intégrité a été ajouté aux autres obligations et principes déontologiques de la fonction publique que sont l’impartialité, la probité et la dignité, car le crédit que nos concitoyens, qui sont aussi des usagers des services publics, accordent à l’action publique dépend de l’exemplarité même de nos agents publics. Il n’y a pas d’action publique sans exemplarité.

Le projet de loi instaure un dispositif qui vise à développer une culture de la déontologie dans nos administrations : élargissement du périmètre des agents soumis à déclaration d’intérêt et déclaration de situation patrimoniale ; élargissement du rôle de la commission de déontologie ; obligations nouvelles mises à la charge des agents publics et des employeurs. Pour que ces valeurs soient incarnées au mieux par les fonctionnaires, il faut que nos concitoyens aient la garantie et la conviction que les décisions prises par les administrations sont uniquement fondées sur l’intérêt public.

C’est pourquoi il faut anticiper les éventuels conflits d’intérêts. Le texte que nous proposons s’y attache et la rapporteure a démontré l’importance de cet objectif, qui me semble atteint. Ce texte renforce les outils de prévention des conflits d’intérêts relatifs aux agents publics. Il assigne un rôle spécifique au supérieur hiérarchique, responsable du contrôle déontologique des missions exercées par les agents placés sous son autorité. La déontologie dans la fonction publique doit devenir l’affaire de tous. En outre, il accorde aux fonctionnaires un nouveau droit statutaire : ils pourront désormais saisir des référents déontologues. Parallèlement, les pouvoirs de la commission de déontologie de la fonction publique se trouvent renforcés : elle disposera de nouveaux pouvoirs d’instruction, et tous ses avis lieront l’administration. Dans l’un et l’autre cas, il s’agit bel et bien de conforter l’exemplarité de la fonction publique.

Toujours sur ce sujet, le texte améliore l’articulation des compétences entre la commission de déontologie et la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique – HATVP. J’ai mesuré, madame la rapporteure, la difficulté du sujet. Vous avez été quelques-uns à exprimer, pendant les débats en commission, des doutes sur l’intérêt de maintenir un dispositif propre à l’administration, alors que nous avons créé la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique en 2013. Permettez-moi de revenir sur ce point.

La situation des élus, des ministres et de leurs collaborateurs proches, qui relèvent de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, est très différente de celle des fonctionnaires. Les élus n’ont pas de supérieur hiérarchique. Les titulaires d’emplois à la décision du gouvernement et les membres de cabinet, qui ne sont pas nécessairement des fonctionnaires, dépendent directement d’un ministre dont le mandat est provisoire – j’allais dire éphémère. Dans ces conditions, il est nécessaire de faire appel à une autorité administrative indépendante. Tel n’est pas le cas pour les fonctionnaires, qui ont un lien durable avec leur administration, sont soumis à l’autorité d’un supérieur hiérarchique et encourent des sanctions disciplinaires en cas de manquement.

De cette différence de situation résulte notre proposition de maintenir la commission de déontologie. Au cours des discussions, il est apparu que nous devions améliorer les relations entre les deux organisations et permettre à la commission de saisir la Haute Autorité. C’est le sens des amendements que nous vous proposons pour améliorer le mécanisme sans encombrer la Haute Autorité d’un certain nombre de dossiers qui peuvent être réglés en amont par la commission de déontologie.

Pour renforcer l’exemplarité de la fonction publique, j’ai tenu à ce que la procédure disciplinaire soit la même pour tous les fonctionnaires, quel que soit le versant – État, collectivités territoriales ou établissements hospitaliers – dont ils relèvent. Les propositions que vous avez faites au Gouvernement s’inscrivent dans l’esprit du texte et nous les approuvons, à une nuance près toutefois : votre commission a prévu, pour les trois fonctions publiques, l’exclusion temporaire de fonctions de trois jours, lesquels ne seront donc pas rémunérés. Le sujet est délicat. Là encore, nous aurons des débats et j’espère que nous trouverons un consensus, car il s’agit d’une sanction très forte mais classée parmi les sanctions très faibles.

Par ailleurs, à l’heure actuelle, il n’existe pas de délai de prescription des fautes des agents publics. Le texte qui vous est proposé prévoit, sur votre initiative, d’instaurer un délai de prescription de trois ans. En outre, ce texte consolidera la protection des fonctionnaires – j’y tiens particulièrement – et notamment de ceux qui, lanceurs d’alerte, relateront des faits pouvant être qualifiés de conflit d’intérêts, après avoir alerté en vain leur hiérarchie.

Exemplarité des agents publics encore avec l’encadrement des possibilités de cumuls d’emplois. Ce projet de loi rappelle que les agents publics doivent consacrer leur temps de travail exclusivement à l’exercice de leur mission. La restriction des possibilités de cumul ayant fait débat, le Gouvernement a déposé des amendements de manière à revenir à un plus juste équilibre et à permettre notamment aux agents de catégorie C de bénéficier d’un complément de rémunération. On sait que beaucoup d’agents de catégorie A et A+ peuvent s’assurer des revenus complémentaires par exemple en donnant des cours ou des conférences, et il serait injuste de priver les autres catégories de cette possibilité. Je me montrerai donc ouverte à une discussion sur le cumul d’activités, dans la mesure où sera maintenu l’équilibre entre le principe d’exercice exclusif des fonctions, la stricte application des règles déontologiques et de non-conflit d’intérêts et enfin les souplesses nécessaires. L’accord de la hiérarchie en responsabilité dans l’organisation des services doit aussi être préservé.

Par ailleurs, il convient de renforcer l’exemplarité des employeurs publics. À ce titre, j’ai souhaité que ce projet de loi contribue à l’amélioration de la situation des contractuels. Le dispositif de résorption de la précarité prévu par la loi du 12 mars 2012 dite loi Sauvadet sera prolongé jusqu’en mars 2018 pour les personnes éligibles à une titularisation comme agent de la fonction publique. De même, le texte étend aux agents contractuels l’essentiel des droits et obligations des fonctionnaires, ce qui traduit la reconnaissance par le Gouvernement de toute la valeur que ces agents apportent aux services publics.

Exemplarité, enfin, en donnant une traduction concrète au principe d’égalité d’accès à la fonction publique. Dans les trois versants, le recrutement direct dans la catégorie C sera ainsi encadré afin de garantir l’objectivité et la transparence des décisions de recrutement, ce qui soulagera également, disons-le, certains jurys qui subissent trop de pression, comme cela arrive fréquemment en période de fort chômage.

Voici, résumées à grands traits, les ambitions de ce projet de loi. Avant de céder la place à vos interventions, permettez-moi d’évoquer l’actualité de la fonction publique. Comme vous le savez, le Gouvernement a choisi de mettre en application le protocole sur les parcours professionnels, les carrières et les rémunérations – PPCR. J’ai conduit une longue négociation avec l’ensemble des employeurs publics, dont je salue la présence à de si nombreuses réunions, et l’ensemble des partenaires sociaux, qui ont beaucoup travaillé. Le projet de protocole a recueilli presque autant de signataires – six organisations syndicales : CFDT, UNSA, FSU, CFTC, CGC et FAFP, représentant 49 % des voix – que de non-signataires – trois organisations. À situation inédite, réponse exceptionnelle : le Gouvernement a décidé d’honorer l’intégralité des engagements qu’il a pris afin de donner des perspectives de carrière à nos fonctionnaires.

Pourquoi cette décision ? Parce qu’il n’y a pas, j’en reviens à mon introduction, de « bonne administration », de service public efficace, sans des agents publics motivés, investis et responsables. De ce fait, l’État, et les employeurs publics en général, s’ils veulent attirer les talents et les compétences dont les services publics ont besoin, doivent proposer aux agents publics des parcours professionnels et aussi des rémunérations attractives. C’est l’objet de l’accord PPCR, dont je dois rappeler que s’il n’est pas mis en œuvre, une infirmière recrutée au niveau licence se verrait, en 2017, quasiment payée au SMIC, de même qu’un professeur embauché en 2018.

L’habilitation à légiférer par ordonnances que vous demande le Gouvernement permettra d’assurer une partie de cette mise en œuvre. Entre autres, elle facilitera les mobilités professionnelles entre les différents versants de la fonction publique et permettra de réformer les dispositifs concourant à l’attractivité des territoires.

J’insiste sur la mobilité professionnelle car trop de clichés sont véhiculés à ce sujet. Le fonctionnaire bénéficie d’une garantie non pas d’emploi, mais de carrière. Si son emploi est supprimé, contrairement au salarié du privé qui peut discuter d’un licenciement économique ou, si j’ose dire, d’un licenciement à l’amiable, lui ne le peut pas. Il doit accepter un emploi ailleurs. Or nous avons constaté que des mobilités fonctionnelles étaient possibles dans les territoires, y compris dans le contexte de la réforme territoriale. Il faut les encourager, les faciliter, et donc accompagner les chefs de service dans le choix et la mobilisation des fonctionnaires, mais aussi assurer la formation. Bref, c’est un dossier extrêmement lourd mais qui est très peu évoqué car les clichés masquent trop souvent la réalité.

Enfin, ce protocole permettra également de prendre des dispositions visant à renforcer l’unité de la fonction publique. En ce sens, l’accord s’inscrit dans la droite ligne des choix opérés en 1946 et en 1983 pour le statut de nos fonctionnaires.

Mesdames, messieurs les députés, les fonctionnaires ne sont pas une charge pour la nation, mais sa chance. Ce texte est porteur d’une grande ambition pour la fonction publique parce qu’il garantit les missions des agents publics et surtout le respect des valeurs républicaines et parce qu’il assure à nos concitoyens un service public exemplaire. On l’oublie trop souvent, consciemment ou inconsciemment : la fonction publique assure non pas la solidité de l’État, mais celle de la nation, ce qui est beaucoup plus important. En ces temps difficiles, il est bon de le rappeler. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Descamps-Crosnier, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

Mme Françoise Descamps-Crosnier, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, je suis ravie de vous retrouver pour l’examen de ce projet de loi qui est d’importance, non seulement pour notre fonction publique mais, au-delà, pour l’action publique au sens large, pour son exemplarité et son efficacité. Ce texte est le premier et sans doute le seul de notre législature pleinement consacré aux fonctionnaires, qui forment le corps de la République. C’est un sujet qui tient à cœur, je le sais, aux députés présents.

Déposé en juillet 2013, il y a plus de deux ans, le projet de loi s’inscrivait dans un contexte marqué à la fois par les initiatives prises en matière de transparence de la vie publique et par l’anniversaire des trente ans du « statut », dont le socle a été posé par la loi dite Le Pors du 13 juillet 1983. En conséquence, il portait principalement, mais pas exclusivement, sur la déontologie, d’une part, et sur les droits et obligations d’autre part.

Un peu plus de deux ans plus tard – deux ans qui m’ont permis de mener de nombreuses auditions et consultations – et après le dépôt d’une lettre rectificative en juin 2015, la discussion parlementaire est enfin engagée. C’est là l’occasion pour la représentation nationale d’avancer dans la sérénité et le sérieux, loin des clichés et des stratégies politiciennes qui ont trop souvent visé ces dernières années les fonctionnaires. Trop souvent, le statut a été instrumentalisé pour monter les Français contre les agents publics alors même qu’il a été conçu pour s’assurer que ces derniers étaient bien d’abord au service des citoyens et non des intérêts des uns ou des autres.

Soyons à la hauteur des enjeux qui sont ceux du quotidien des femmes et des hommes qui composent les rangs de la fonction publique avec un sens du dévouement et de l’intérêt général auquel je rends hommage. Le moment dans lequel nous nous inscrivons est important puisque nous sommes entrés, notamment avec les lois relatives à la réforme territoriale, dans une phase de très forte évolution de nos organisations. Il nous faut réussir à accompagner ce mouvement qui s’opère sous le regard vigilant et exigeant de nos concitoyens.

Les membres de la commission des lois ont considérablement amélioré le projet de loi afin, notamment, de faire progresser la justice sociale, dans le respect des prérogatives du Parlement. Je salue à cet égard le Gouvernement, et particulièrement la ministre, pour la qualité d’écoute et de dialogue dont elle a fait preuve vis-à-vis de nos propositions.

Sans revenir sur le détail du texte, je souhaiterais concentrer mon propos sur les apports de la commission des lois, qui a adopté 151 amendements, dont 46 articles additionnels, portant le texte de vingt-cinq à soixante et onze articles.

La commission a tout d’abord réaffirmé et précisé les exigences déontologiques incombant aux fonctionnaires. Elle a renforcé la protection des fonctionnaires lanceurs d’alerte, en facilitant le signalement d’un conflit d’intérêts touchant le supérieur hiérarchique direct et en ajoutant les futurs référents déontologues parmi ses possibles destinataires. Sur proposition des membres du groupe socialiste, républicain et citoyen, elle a confié à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique plutôt qu’à la commission de déontologie de la fonction publique le soin d’apprécier la réalité d’une éventuelle situation de conflit d’intérêts touchant un fonctionnaire, sur saisine de l’autorité hiérarchique.

Sur ma proposition, la commission a également prévu des sanctions pénales en cas de déclaration incomplète ou mensongère des intérêts ou du patrimoine d’un fonctionnaire et renforcé les moyens de contrôle de la Haute Autorité sur les déclarations de situation patrimoniale des fonctionnaires. Elle a permis les échanges d’informations entre la commission de déontologie et la Haute Autorité et rétabli la présence des deux membres représentant chacune des fonctions publiques au sein de la commission de déontologie.

La commission des lois a étendu l’obligation d’établir une déclaration d’intérêts et une déclaration de patrimoine aux directeurs, directeurs adjoints et chefs de cabinet de l’ensemble des exécutifs locaux déjà soumis à la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique. Le seuil des collectivités concernées, qui était prévu initialement à 80 000 habitants, a été abaissé à 20 000. Ce sont ainsi 419 communes, au lieu de 52, et 622 EPCI à fiscalité propre, au lieu de 156, qui se verraient appliquer ces dispositions.

Enfin, la commission des lois a défini le cadre déontologique applicable aux membres des juridictions administratives et financières, qui devait normalement faire l’objet d’ordonnances.

La déontologie est loin d’être le seul objet du projet de loi. Sa portée est bien plus large : le texte adopté par la commission des lois propose plusieurs avancées statutaires importantes que je tiens à souligner.

Le projet de loi initial prévoyait déjà d’améliorer la situation des agents non titulaires, en renforçant notamment l’encadrement du recours au contrat et en prenant mieux en compte leur ancienneté. Il proposait aussi d’étendre la protection fonctionnelle des agents et de leurs familles et d’instaurer des mesures concrètes pour améliorer les garanties des agents en matière disciplinaire, en instaurant un délai de prescription là où l’imprescriptibilité de l’action disciplinaire était la règle.

Le travail de la commission des lois sur le volet statutaire a permis d’améliorer très largement le statut des agents de la fonction publique.

À mon initiative, la commission a réintroduit les dispositions du projet de loi initial relatives à la mobilité des fonctionnaires. Elle a donc clarifié les positions statutaires pour les rendre communes aux trois fonctions publiques et simplifié la structure des corps et cadres d’emplois autour de trois mêmes catégories hiérarchiques – A, B et C. Elle a en outre encadré et sécurisé les possibilités de mise à disposition hors de l’administration d’origine du fonctionnaire.

En conséquence, le champ de l’habilitation à légiférer par voie d’ordonnance sur ces sujets a été sensiblement restreint, tout en laissant une marge de manœuvre au Gouvernement pour traduire dans la loi les mesures issues du dialogue social.

À mon initiative, la commission a également tiré les conséquences de la loi du 12 mars 2012 en matière de représentation équilibrée entre les femmes et les hommes dans les différentes instances de la fonction publique. Elle a donc actualisé les dispositions statutaires pour y introduire l’obligation de respecter une proportion minimale de 40 % de personnes de chaque sexe dans toute une série d’instances de niveau territorial ou national, que je n’ai pas le temps de vous citer. Elle a également réformé le congé pour maternité ou pour adoption et le congé de paternité et d’accueil de l’enfant des agents publics afin de favoriser l’exercice conjoint de la parentalité entre les hommes et les femmes au moment de la naissance ou de l’adoption.

À mon initiative et à celle du Gouvernement, la commission a par ailleurs renforcé les obligations des employeurs publics vis-à-vis de leurs agents. Elle a permis de mieux protéger l’identité des membres des forces spéciales et de leur appliquer certains bénéfices du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre. Elle a aussi étendu le champ d’application de l’action sociale aux établissements publics de coopération intercommunale et permis aux médecins de prévention qui le souhaitent de poursuivre leur activité jusqu’à l’âge de soixante-treize ans.

Par ailleurs, la commission a adopté plusieurs amendements visant à renforcer l’efficacité de la procédure disciplinaire. Elle a précisé le point de départ du délai de prescription de l’action disciplinaire et l’a aligné sur celui de l’action publique pour les crimes et les délits. Elle a généralisé au sein des sanctions du premier groupe l’exclusion temporaire de fonctions, pour une durée maximale de trois jours, et supprimé la présence du juge administratif lors des conseils de discipline dans la fonction publique territoriale, à l’identique des deux autres fonctions publiques.

À mon initiative ou à celle du Gouvernement, la commission a renforcé les droits syndicaux des agents publics. Elle a étendu le périmètre de la mutualisation des droits syndicaux dans la fonction publique territoriale. Elle a modifié les modalités de calcul de la règle de l’accord majoritaire dans la fonction publique afin de ne prendre en compte que les suffrages exprimés en faveur des organisations syndicales habilitées à négocier et à signer un accord. Elle a amélioré les garanties de carrière des agents exerçant une activité syndicale dans la fonction publique et introduit un nouveau congé de formation de deux jours au profit des représentants du personnel membres des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail.

Sur proposition de Mme Cécile Untermaier et des membres du groupe socialiste, républicain et citoyen, la commission a amélioré la situation des lauréats dits « reçus collés » en ne décomptant plus les missions de remplacement effectuées par des agents non titulaires, lauréats des concours de la fonction publique territoriale, de la période d’inscription sur liste d’aptitude et en prolongeant d’un an la validité de cette durée d’inscription. Je veux saluer à cette occasion le travail mené depuis plusieurs mois sur cette question par notre collègue Chantal Guittet.

Sur ma proposition ou celle du Gouvernement, la commission a adopté plusieurs amendements visant à améliorer la situation des agents non titulaires en adaptant aux agents contractuels les mesures de protection des lanceurs d’alerte introduites au titre Ier du présent projet de loi, en abrogeant la possibilité de recourir à l’intérim dans la fonction publique de l’État et la fonction publique territoriale, en généralisant le primo-recrutement en contrat à durée indéterminée pour pourvoir des emplois permanents correspondant à des missions pour lesquelles il n’existe pas de corps de fonctionnaires, et en prolongeant de deux ans le plan de titularisation des agents non titulaires mis en place dans le cadre de la loi Sauvadet.

Enfin, à mon initiative, la commission a réintroduit la plupart des dispositions figurant dans la version initiale du projet de loi et relatives aux évolutions statutaires des membres des juridictions administratives et financières. Elle a également adopté quelques mesures nouvelles, en instaurant une nouvelle procédure de référé en formation collégiale pour permettre aux juridictions administratives de juger en urgence les affaires les plus complexes, comme l’affaire « Lambert », en rendant plus accessible aux agents contractuels employés par la Cour des comptes la fonction de rapporteur extérieur ou celle de conseiller référendaire au tour extérieur à la Cour, et en supprimant une incompatibilité de fonction qui n’apparaissait plus justifiée.

En conséquence, le champ de l’habilitation prévu à l’article 25 pour faire évoluer l’organisation des juridictions administratives et financières ainsi que le statut de leurs membres a été restreint, tout en laissant la possibilité au Gouvernement de tirer les conséquences des accords pouvant survenir du fait des avancées du dialogue social au sein de ces juridictions.

Enfin, sur une initiative du Gouvernement dont je me réjouis, la commission a adopté une nouvelle habilitation de codification du droit de la fonction publique, pour le rendre plus accessible.

Je souhaite que nos travaux, aujourd’hui et vendredi, permettent d’améliorer encore ce texte. C’est dans cet esprit que je vous proposerai un certain nombre d’amendements sur les points encore en débat. Je pense ainsi au cumul d’activités. Si je souscris pleinement à la proposition du Gouvernement de mettre un terme à un certain nombre de dispositions et de pratiques, il me semble indispensable de ne pas interdire les activités tout à fait acceptables sur le plan déontologique, ce qui pourrait pénaliser les agents publics aux revenus les plus modestes.

Au-delà de cette question, je tiens à attirer votre attention, madame la ministre, sur un certain nombre de sujets plus spécifiques qui, tout en s’inscrivant dans le champ de la fonction publique, relèvent de cas particuliers qui n’entrent pas dans le périmètre de ce projet de loi. Je pense en particulier aux agents de Pôle Emploi ou de l’administration pénitentiaire, et aux agents dits reclassés de La Poste et de France Télécom. Nous devrons répondre à ces situations.

Si, à titre personnel, j’aurais souhaité que le présent texte de loi nous permette d’aborder plus largement les sujets relatifs la fonction publique, je suis convaincue qu’il fera date. Il permettra que les règles de déontologie irriguent l’action publique et que le dialogue social progresse, ainsi que l’égalité entre les hommes et les femmes et l’exemplarité des employeurs.

Ce projet de loi est une marque de confiance à l’endroit des fonctionnaires pour qu’ils fassent vivre les principes de notre République et l’efficacité de l’action publique au service de nos concitoyens. À nous de leur fournir les outils leur permettant d’assumer cette belle mission. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe écologiste et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Excellent !

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Michel Zumkeller.

M. Michel Zumkeller. Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, ce projet de loi représente l’unique occasion, sous cette législature, d’évoquer les droits et obligations des quelque 5,6 millions de fonctionnaires et agents publics que compte notre pays.

En abandonnant, il y a plus de cinquante ans, le concept de fonction publique d’emploi au profit d’une fonction publique statutaire, le législateur a clairement établi les bases de ce qui fait aujourd’hui la spécificité de notre service public. L’accomplissement de missions d’intérêt général n’est pas une activité professionnelle comme les autres. Cette spécificité exige de nos agents exemplarité et respect de la déontologie.

Ainsi, madame la ministre vous attribuez à ce projet de loi plusieurs objectifs : réaffirmer les valeurs qui guident l’action publique, actualiser les obligations et les garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires et renforcer l’exemplarité des employeurs publics. Ce projet de loi est aussi présenté comme la transposition à la fonction publique des lois du 11 octobre 2013 relatives à la transparence de la vie publique, avec le même objectif, pour le moins ambitieux, de restaurer la confiance des citoyens dans la puissance publique.

Le Gouvernement semble retomber sur les mêmes écueils que pour les lois relatives à la transparence, à savoir la publication des déclarations et la protection des lanceurs d’alerte. Ces lois présentaient en effet, aux yeux du groupe UDI, deux défauts principaux : considérer, d’une part, que les déclarations pouvaient dissuader le fraudeur et instaurer, d’autre part, des lanceurs d’alerte qui s’apparentent parfois davantage à des délateurs en puissance qu’à des défenseurs du bien commun. C’est avec regret que nous retrouvons ces défauts dans le présent texte.

Au-delà de ces réserves, le projet de loi qui prévoit, trente après la loi Le Pors de 1983, de rénover les conditions de l’action publique en modernisant le statut général des fonctionnaires va globalement dans le bon sens.

Dans la lettre rectificative, un grand nombre des dispositions qui figuraient dans le projet de loi initial étaient absentes, remplacées par de nombreux renvois à des ordonnances. Nous nous félicitons que la commission ait permis, à l’initiative de Mme la rapporteure, de réintroduire la plupart de ces mesures dans le texte.

En premier lieu, le projet de loi veut donner à l’exigence déontologique toute sa place dans le statut général des fonctionnaires. L’article 1er inscrit donc dans la loi les principes de neutralité et de laïcité ainsi que les obligations d’impartialité, de probité et de dignité. Ne devrions-nous pas y ajouter le devoir de réserve, qui est reconnu par la jurisprudence mais ne figure pas dans la loi ? Il s’agit pourtant de l’un des principes fondateurs de la fonction publique.

En second lieu, le projet de loi s’intéresse à la prévention et au traitement des conflits d’intérêts. Sur ce sujet, le texte a été amélioré en commission et permet de répondre à un certain nombre de nos interrogations. Dans un souci de parallélisme avec les lois sur la transparence de la vie publique, le contenu des déclarations a été précisé et une incrimination a été prévue en cas de fausse déclaration.

La commission a également permis de doter la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique de moyens de contrôle suffisants, sur lesquels repose l’efficience du système de déclarations.

En outre, nous approuvons, dans un souci de rationalisation, le choix de la commission de confier à la Haute Autorité le soin d’apprécier les déclarations d’intérêts quand l’autorité hiérarchique n’est pas en mesure de le faire. L’un des enjeux du projet de loi est de promouvoir la déontologie des fonctionnaires et de favoriser l’émergence d’une culture déontologique. Dans cette perspective, il est contre-productif de multiplier les structures chargées du respect des obligations déontologiques. Aussi, nous espérons que cette avancée ne sera pas remise en cause en séance.

Nous devrons aussi régler la question des moyens. Le texte prévoit à la fois un élargissement du champ de compétence de la Haute Autorité et des attributions de la commission de déontologie de la fonction publique. Ces institutions disposeront-elles des moyens leur permettant d’assumer ce nouveau rôle ?

Une autre question demeure, s’agissant de la prévention et du traitement des conflits d’intérêts : la définition du périmètre des agents qui seront tenus de déclarer leurs intérêts et leur patrimoine est renvoyée à des décrets en Conseil d’État. Nous savons désormais, à la suite des précisions apportées en commission par Mme la ministre, que la liste des personnes qui devront déposer des déclarations d’intérêts ne sera pas identique à celle des agents soumis à une obligation de déclaration de situation patrimoniale. Néanmoins, nous ignorons quels agents seront réellement concernés par ces deux types d’obligations. Les termes « emplois dont le niveau hiérarchique ou la nature des fonctions le justifient » restent très imprécis.

J’évoquerai ensuite les dispositions relatives au cumul d’activité. Ces dispositions reposent sur un principe auquel nous souscrivons : l’agent public, parce qu’il est au service de l’intérêt général, consacre l’intégralité de son activité professionnelle à l’exercice de ses fonctions.

Pour autant, nous devons veiller, ainsi que l’a indiqué la rapporteure, à ne pas déstabiliser le cadre juridique qui s’applique aujourd’hui à des pratiques parfaitement acceptables du point de vue de la déontologie. Une modification de l’article 6 visant à ce que les fonctionnaires restent autorisés à exercer à titre accessoire certaines activités sous le régime de l’auto-entrepreneur a été évoquée. Nous resterons vigilants sur ce point. Renforcer la déontologie au sein de la fonction publique signifie aussi contrôler la compatibilité des activités lucratives avec les fonctions exercées par les agents. Le projet de loi prévoit ainsi de rendre obligatoire la saisine de la commission de déontologie pour apprécier cette compatibilité.

Enfin, nous saluons les différentes mesures introduites en commission sur la modernisation des droits et obligations des fonctionnaires et des garanties disciplinaires des agents publics, ainsi que sur l’amélioration de la situation des agents non titulaires. Phénomène grandissant de notre société, la précarisation des agents contractuels est la conséquence inévitable d’un recours de plus en plus fréquent aux contrats temporaires. Cette question avait été largement traitée par la loi Sauvadet.

La loi du 12 mars 2012 relative à l’accès à l’emploi titulaire avait pour objectif de mettre fin à ces situations que chacun considère comme inadmissibles. Nous saluons la prolongation de deux ans du plan de titularisation des agents non titulaires. Il en est de même de la généralisation du primo-recrutement en CDI pour pourvoir des emplois correspondants à des missions pour lesquelles il n’existe pas de corps de fonctionnaires.

Mes chers collègues, ce projet de loi comporte un certain nombre d’avancées, mais également des défauts, que j’ai évoqués. Pour ces raisons, le groupe UDI s’abstiendra. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Paul Molac.

M. Paul Molac. À l’heure d’examiner enfin ce projet de loi dans l’hémicycle, on ne pourra sûrement pas lui opposer la maxime « Qui trop se hâte, se perd en chemin » ! (Sourires.) Comme il a été rappelé, il a été déposé sur le bureau de notre assemblée en juillet 2013, et il est heureux qu’il ne se soit effectivement pas perdu dans les limbes de l’Assemblée nationale ou du Gouvernement. Il a été déposé à nouveau cet été, et l’urgence a été déclarée. Je regrette que, sur un texte relativement court, après une telle attente, nous n’ayons eu que trois jours pour déposer des amendements.

M. Marc Dolez. Tout à fait !

M. Paul Molac. Ce texte était initialement présenté comme le pendant du projet de loi relatif à la transparence de la vie publique. Il serait néanmoins réducteur de ne le considérer que comme tel, tant certaines de ses dispositions vont au-delà de la déontologie des fonctionnaires.

Alors qu’à intervalles réguliers, le statut des fonctionnaires est remis en cause par des déclarations à l’emporte-pièce, sans fondement et, bien souvent, d’une mauvaise foi confondante, il nous incombe de souligner l’importance de leur rôle dans le maintien d’un service public de qualité. Un paradoxe de notre époque voit l’opprobre jeté sur celles et ceux dont on voudrait que le rôle ne se délite pas, notamment en milieu rural, où le sentiment d’abandon du service public s’exprime le plus : écoles, gendarmeries, hôpitaux ou administrations. D’ailleurs, pour faire écho aux questions d’actualité de cet après-midi, je note que l’on ne peut pas reprocher au Gouvernement de faire des économies sur ces postes-là.

Nous estimons donc que ce projet de loi va globalement dans le bon sens. En plus des efforts de déontologie auxquels devront s’astreindre de nombreux fonctionnaires, il propose diverses mesures pour améliorer leur statut, clarifier leurs obligations et favoriser leur titularisation, dans le prolongement de la loi Sauvadet. Il étend également la protection fonctionnelle à tous les agents faisant l’objet de condamnations civiles ou de poursuites pénales en relation avec l’exercice de leurs fonctions, ainsi qu’à leurs familles.

De grands principes censés régir le statut des fonctionnaires sont également consacrés dans la loi. Ainsi, le principe de laïcité qui s’applique aux fonctionnaires est affirmé, de même que l’objectif de lutte contre les conflits d’intérêts. Toutes ces mesures sont les bienvenues.

Nous aborderons quant à nous l’examen de ce projet de loi par trois biais principaux : la question des lanceurs d’alertes, celle des conflits d’intérêts et de la déontologie et celle du statut des fonctionnaires et des procédures disciplinaires.

S’agissant des lanceurs d’alerte, notre position sera sans doute différente de celle de la majorité des groupes et du Gouvernement. Cette question préoccupe plusieurs de mes collègues, comme Jean-Louis Roumegas pour ce qui est du domaine de la santé et de l’environnement ou Éric Alauzet pour les questions de fraude fiscale.

Ce projet de loi crée un statut de lanceur d’alerte pour les fonctionnaires qui auraient connaissance d’un conflit d’intérêts. Il existe plusieurs statuts de lanceur d’alerte, ce qui paraît logique : alerter de l’existence d’un risque environnemental n’est pas la même chose qu’avoir connaissance d’une infraction pénale. Toutefois, les différences entre ces statuts devraient être clarifiées. Il est nécessaire d’apporter plus de cohérence, car une véritable insécurité juridique est créée. C’est ce que nous avons proposé en commission et proposerons de nouveau en séance. Nous craignons fort de ne pas être entendus sur ce point qui est pourtant crucial.

Concernant ce nouveau statut de lanceur d’alerte, nous avons hésité à déposer un amendement de suppression de l’article 3, tant il concentre tout ce qui ne faut pas faire en la matière. De nombreuses incohérences existent dans le texte. Rien n’est en effet prévu pour protéger la révélation de faits à la commission de déontologie de la fonction publique, qui, contrairement à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, ne peut être considérée comme une autorité administrative. De même, rien ne permet la révélation de l’alerte à une association agrée de lutte contre la corruption, comme le prévoit l’article 25 de la loi sur la transparence de la vie publique.

Par ailleurs, rien ne justifie qu’un fonctionnaire puisse être sanctionné pour avoir témoigné, de bonne foi, de faits susceptibles d’être qualifiés de conflits d’intérêts, sous prétexte qu’il aurait appris ces faits en dehors de l’exercice de ses fonctions. Cette précision affaiblit grandement l’intérêt de ce nouveau statut, car elle ne prend pas en compte l’idée que la révélation d’un conflit d’intérêts n’est pas toujours faite dans l’exercice des fonctions.

Un autre exemple des manquements de ce projet de loi à la protection des lanceurs d’alerte consiste en la limitation de la protection aux seuls cas où le fonctionnaire aurait alerté d’abord en vain sa hiérarchie. Il s’agit, à notre sens, d’une limitation grave à l’article 40 du code de procédure pénale. Sous prétexte de protéger des lanceurs d’alerte, on permet au contraire d’enterrer des affaires. Cette obligation d’alerter en premier lieu le supérieur hiérarchique est d’ailleurs absente de la plupart des statuts de lanceurs d’alerte prévus dans la loi Le Pors de 1983.

Enfin, il est à notre sens contre-productif de créer un nouveau délit qui constituera une exception au délit de dénonciation calomnieuse. Contrairement à ce dernier, le délit introduit par l’article 3 prend en compte des éléments, comme la mauvaise foi ou l’intention de nuire, qui sont contestables et difficilement prouvables. Seule la connaissance de l’inexactitude totale ou partielle des faits doit être l’élément à l’origine de la poursuite de la dénonciation calomnieuse.

Notre deuxième point d’intérêt concerne la question du meilleur partage des tâches entre la commission de déontologie et la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Certains fonctionnaires devront envoyer une déclaration d’intérêts à l’une et une déclaration de patrimoine à l’autre, ce qui nous semble assez incohérent. Plusieurs amendements ont été adoptés à l’initiative de notre rapporteure sur le sujet. Nous devons toutefois aller plus loin dans la coopération entre ces deux institutions.

Ainsi, nous proposerons qu’à la déclaration de situation patrimoniale soit systématiquement jointe la déclaration d’intérêts, indispensable pour juger de la pertinence de l’évolution du patrimoine. Il ne s’agit pas de faire de la Haute Autorité l’autorité compétente en matière de déontologie des fonctionnaires, mais de lui donner les éléments indispensables pour juger de la pertinence d’une déclaration de situation patrimoniale.

Troisième point, enfin : le statut général des fonctionnaires et les procédures disciplinaires. En liaison avec les syndicats, nous vous proposerons des amendements portant sur la gestion des conflits disciplinaires, dont l’un notamment vise à créer un droit à l’expression directe et collective, facteur très efficace de prévention de la souffrance au travail et d’amélioration de ses conditions.

Nous défendrons par ailleurs une solution visant à permettre le don de congés payés aux salariés et aux fonctionnaires dont le conjoint serait gravement malade. En effet, si la loi du 9 mai 2014 permet le don de jours de repos au parent d’un enfant gravement malade, cette disposition n’est applicable que pour un enfant de moins de vingt ans. Des cas de fonctionnaires dont le conjoint serait gravement malade ont été rapportés, auxquels la loi n’apporte pour l’instant pas de réponse.

Telles sont les raisons qui nous poussent à voir dans ce projet de loi un certain nombre d’avancées pour le statut des fonctionnaires, non négligeables et qu’il serait dommage de ne pas acter. Néanmoins, nous demeurons inquiets sur d’autres points, et plus particulièrement sur le sujet des lanceurs d’alerte qui nous tient très à cœur. C’est donc à l’aune des discussions et des ouvertures obtenues en séance que nous saurons si le verre est à moitié vide ou à moitié plein.

Mme Florence Delaunay. Très bien.

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Charasse.

M. Gérard Charasse. Nous nous retrouvons aujourd’hui pour l’examen du projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires. Ce texte n’est pas récent. Une première version, déposée en juillet 2013 sous le gouvernement de Jean-Marc Ayrault, portait sur les règles déontologiques mais aussi statutaires des fonctionnaires de toutes catégories.

Ce texte a ensuite été amputé d’une partie de ses dispositions par la lettre rectificative déposée en juin 2015 par Manuel Valls, se limitant alors en grande partie aux seules dispositions relatives à la déontologie des fonctionnaires.

En commission, Mme la rapporteure a introduit des dispositions nouvelles, relatives à la déontologie des membres des juridictions administratives et financières, mais aussi à la mobilité des fonctionnaires, telles qu’elles figuraient dans le texte initial du Gouvernement.

À ce stade du débat, je tiens à rappeler notre attachement à notre modèle de recrutement des agents du service public, fondé sur le concours et le mérite. Égalitaire, ouvert et multiple, notre modèle de fonction publique, dont les agents sont tournés vers la satisfaction de l’intérêt général, au service du public et de la préservation des intérêts de la République, est à louer.

Mais afin d’enrichir le texte nécessaire et équilibré que vous nous proposez, madame la ministre, nous tenons à revenir sur certains amendements déposés par notre collègue Alain Tourret. Je m’arrêterai notamment sur la suppression de l’interdiction du cumul d’un poste de fonctionnaire avec une activité privée. En effet, il apparaît nécessaire de permettre aux fonctionnaires, notamment de catégorie C, d’exercer un cumul d’activités et de disposer ainsi d’un traitement suffisant.

En effet, certains fonctionnaires sont peu payés. Si les pouvoirs publics estiment ne pas pouvoir se permettre de leur accorder un traitement plus important, il est pertinent de leur laisser la possibilité de cumuler l’exercice de leur fonction publique avec la création d’une entreprise dans le privé, tout en encadrant davantage les incompatibilités prévues par le droit en vigueur.

La reconnaissance de cette possibilité de cumul d’activités a aussi pour objectif de conserver, au sein de la fonction publique, des agents motivés par leurs missions professionnelles et restant en fonction par choix et envie, ce qui est déterminant pour pérenniser une fonction publique de qualité, efficace, performante, efficiente et adaptable.

Mais, afin d’éviter tout conflit d’intérêts, il est important en parallèle de renforcer les pouvoirs de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, dans le cadre du développement et de la promotion d’une culture déontologique des fonctionnaires. Afin de centraliser la jurisprudence et les référents hiérarchiques en matière de déontologie, la prise de décision doit être centralisée auprès d’une structure pérenne et unique, pour lutter efficacement contre les conflits d’intérêts et apporter cohérence et lisibilité à la transparence de la vie publique.

L’article 40 de la Constitution ne nous a pas permis de transférer tous les pouvoirs adéquats de la commission de déontologie à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Nous devons néanmoins réfléchir à cette possibilité. Est-il pertinent d’avoir deux instances chargées peu ou prou des mêmes fonctions ? Pour autant, il nous apparaît important de renforcer en parallèle les pouvoirs de l’autorité hiérarchique dans le cas où une faute est commise par un agent public. Le service public doit encore pouvoir compter sur des agents exerçant leurs missions avec compétence et honnêteté.

En revanche, je tiens à revenir sur certains points importants pour les députés du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, sur lesquels nous nous étions déjà exprimés. Il en va ainsi de la différence de situation entre les fonctionnaires et les salariés du secteur privé concernant le jour de carence. Nous aurions souhaité aborder la question d’une harmonisation des règles en la matière. Il en va ainsi également du problème urgent de la différence de traitement injustifiable entre les différentes catégories de fonctionnaires, ainsi qu’entre les hommes et les femmes, tant en termes de déroulement de carrière que de salaire.

Enfin, je tiens à signaler les efforts qui ont été entrepris, notamment dans le cadre du projet de loi de finances pour 2015, afin de baisser le nombre de fonctionnaires et de mettre fin à la hausse régulière des effectifs au sein des fonctions publiques territoriale, d’État et hospitalière, ainsi que ceux entrepris en matière de modernisation de la gestion des ressources humaines, de cohérence statutaire et de modernisation de la formation professionnelle.

Vous l’aurez compris, le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste votera le projet de loi que nous examinons aujourd’hui. (Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Dolez.

M. Marc Dolez. Depuis les grandes lois de 1983, 1984 et 1986, le statut général de la fonction publique n’a cessé d’évoluer : plus de deux cents modifications législatives et trois cents modifications réglementaires. Il a subi d’importantes régressions. C’est ainsi que dès 1987, la loi Galland a élargi les possibilités de recours aux contractuels et permis, dans la fonction publique territoriale, de choisir les agents discrétionnairement sans tenir compte des classements aux concours, tandis que le trop célèbre amendement Lamassoure remettait profondément en cause les conditions d’exercice du droit de grève dans la fonction publique d’État.

M. Jean-Luc Laurent. Bon rappel !

M. Marc Dolez. Sous la précédente majorité, la loi « mobilité » de 2009 a introduit l’intérim dans la fonction publique, étendu encore la possibilité de faire appel à des contractuels et créé, à travers la position de réorientation professionnelle, la possibilité de licencier un fonctionnaire pour motif économique. La même année ont été instaurés les groupements d’intérêt public comme nouvelle forme d’administration, recrutant, quelle que soit la nature de l’activité, des salariés régis par le code du travail.

Malgré tous ces reculs, le statut a fait la preuve de sa capacité d’adaptation pour répondre au quotidien à l’exigence d’exemplarité de la puissance publique et au respect de notre modèle de service public.

C’est dans ce cadre que le groupe GDR avait accueilli favorablement l’engagement du Gouvernement, à l’occasion du trentième anniversaire du statut, de réaffirmer les valeurs qui guident l’action publique, de répondre aux besoins des agents et des citoyens et de redonner du sens au service public. Malheureusement, la grande loi annoncée n’est pas au rendez-vous : les objectifs du texte qui nous est présenté aujourd’hui ont finalement été revus à la baisse. Nous regrettons également, et nous ne sommes pas les seuls, les conditions d’examen du texte car le recours à la procédure accélérée ne permet pas de tenir le débat approfondi que mérite le sujet. Cette procédure est d’autant moins justifiée que, rappelons-le, la première version de ce projet de loi avait été déposée à l’Assemblée dès le mois de juillet 2013.

Sur le fond, la nouvelle version présentée en avril 2015 visait, en premier lieu, à mettre en cohérence les dispositions du texte avec les lois sur la transparence de 2013, et prévoyait de nombreux renvois à une habilitation à légiférer par voie d’ordonnance. Sur ce dernier point, nous relevons avec satisfaction que le champ de l’habilitation a été sensiblement restreint par la commission des lois, avec la réintroduction dans le texte des articles relatifs à la mobilité des fonctionnaires, aux obligations déontologiques et aux évolutions statutaires des membres des juridictions administratives et financières. En revanche, nous ne soutenons pas l’extension de l’habilitation autorisant le Gouvernement à procéder par ordonnance à la codification du droit de la fonction publique.

Cela étant précisé, plusieurs dispositions du texte nous apparaissent positives.

Sur le volet déontologique, nous saluons les dispositions destinées à prévenir les risques de conflits d’intérêts et à renforcer des instances de contrôle, dans la lignée de la loi organique et de la loi ordinaire du 11 octobre 2013 relatives à la transparence de la vie publique. Si la répartition des compétences entre la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique et la commission de déontologie pouvait sembler complexe et source d’insécurité juridique, la commission des lois a heureusement clarifié la situation et octroyé les moyens nécessaires à ces instances pour remplir efficacement leurs missions. Ainsi, la possibilité pour la commission de déontologie et pour la Haute Autorité d’échanger les informations nécessaires à l’accomplissement de leurs missions respectives, y compris les informations couvertes par le secret professionnel, nous paraît indispensable au regard de la proximité de leurs compétences et de l’interférence des champs soumis à leur contrôle.

Constitue également un progrès notable le renforcement de la protection des fonctionnaires lanceurs d’alerte, obtenu en facilitant le signalement d’un conflit d’intérêts touchant le supérieur hiérarchique direct et en ajoutant les futurs référents déontologues parmi ses possibles destinataires.

S’agissant des avancées statutaires du texte, nous nous félicitons de l’abrogation de la possibilité de recourir à l’intérim dans les fonctions publiques de l’État et territoriale, même si le texte ne va pas jusqu’au bout de la logique puisqu’elle n’est pas étendue à la fonction publique hospitalière. Nous défendrons des amendements sur ce point. Il convient également de souligner l’extension de la protection fonctionnelle des agents et de leurs familles, qui répond à une réelle inquiétude des fonctionnaires.

Concernant le resserrement des possibilités de cumul d’activités, l’objectif vise à redonner toute sa force au principe selon lequel, parce qu’il est au service de l’intérêt général, l’agent public consacre l’intégralité de son activité professionnelle à l’exercice de ses fonctions. Pour autant, comme notre rapporteure l’a souligné, il ne faudrait pas que ce texte déstabilise le cadre juridique qui s’applique aujourd’hui à des pratiques parfaitement acceptables du point de vue de la déontologie, notamment pour ce qui concerne les catégories d’agents les plus modestes.

Pour ce qui est des sanctions disciplinaires, nous tenons fermement à affirmer notre opposition à l’amendement, adopté en commission, réinstaurant la sanction d’exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximale de trois jours, et la généralisant à l’ensemble la fonction publique.

Nous sommes assez dubitatifs s’agissant de l’introduction de valeurs – dignité, probité, laïcité, neutralité – dans le texte même du statut. En effet, comme le souligne Anicet Le Pors, père des lois de 1983 et de 1984, si l’affirmation de principes ancrés dans l’histoire – l’égalité, l’indépendance, la responsabilité – est nécessaire, l’affirmation de valeurs qui, contrairement aux principes, n’ont pas vocation à se traduire directement en règles de droit n’apparaît pas indispensable,…

M. Pascal Popelin. Si, tout de même !

M. Marc Dolez. …d’autant qu’au regard de la jurisprudence, étoffée en la matière, on perçoit mal quelle serait la valeur ajoutée de l’article 1er pour le statut des fonctionnaires. Alors même que nos services publics sont de plus en plus fragilisés et que les attaques contre le statut des fonctionnaires se multiplient, il aurait été plus opportun de réaffirmer les valeurs et les principes du service public et de la fonction publique.

Enfin, nous déplorons l’absence de plusieurs modifications majeures attendues par les agents et qui auraient permis de revenir sur les graves atteintes statutaires que je soulignais au début de mon propos, à commencer par la loi Galland du 13 juillet 1987 concernant la fonction publique territoriale et, par-là, le recrutement sur liste d’aptitude caractéristique du système dit des « reçus collés », ou encore la règle de la retenue du trentième indivisible en cas de grève. Nous avions sur ce dernier point déposé un amendement qui, malheureusement, a été déclaré irrecevable.

Comme je l’ai indiqué, madame la ministre, notre groupe portait sur le texte initial du projet de loi une appréciation en demi-teinte. Après les modifications apportées par la commission des lois, je qualifie désormais notre appréciation de « globalement positive ». (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Jean-Luc Laurent. C’est daté, cher collègue ! (Sourires.)

M. Marc Dolez. Les députés du Front de gauche voteront par conséquent ce texte, en souhaitant toutefois qu’il puisse être encore amélioré par les amendements qu’ils ont déposés. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

M. Pascal Popelin. Le rassemblement est en marche !

Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier. Je voudrais remercier le Gouvernement, et en particulier vous, madame la ministre, pour la présentation de cet important projet de loi, souvent évoqué depuis deux ans. Je vous remercie également, monsieur le président de la commission des lois, de tenir votre engagement de nous laisser disposer d’un temps suffisant pour examiner les textes de loi, et donc aussi celui-ci : il en va du respect du Parlement et plus encore de la garantie d’une contribution de qualité à la fabrique de la loi.

Ce projet de loi s’inscrit dans le profond réformisme que notre majorité politique manifeste depuis 2012 dans le souci de moderniser la France, de l’adapter aux évolutions de la société et de rendre son droit toujours plus efficace et plus juste. Il ne remet bien évidemment pas en cause le statut général des fonctionnaires et notre système de fonction publique, qui constituent le cadre le plus adapté pour garantir continuité et cohésion au service des collectivités publiques et des citoyens. En revanche, il réaffirme les valeurs guidant l’action publique et l’éthique des fonctionnaires, consacre leur exigence d’exemplarité et renforce l’unité du statut général. Même si le calendrier n’en fait pas une évidence, il s’inscrit dans la suite des grandes lois sur la transparence de la vie publique du 11 octobre 2013, un certain nombre de ses articles étant d’ailleurs la réplique pure et simple de ceux adoptés alors.

Au rang des remarques que je voudrais faire, tout d’abord, un constat : notre société pluraliste est menacée dans sa cohésion par des tendances à l’exclusion, à l’opposition et à la discrimination. La fonction publique est, elle aussi, remise en cause. Je déplore, comme vous, les propos blessants parfois tenus sur la fonction publique, oubliant le dévouement des hommes et des femmes qui se mettent au service de l’intérêt général.

M. Marc Dolez. Très bien !

Mme Cécile Untermaier. Par ailleurs, Il ne faut pas non plus ignorer le malaise et le désarroi qui sévit dans la fonction publique.

M. Marc Dolez. C’est vrai.

Mme Cécile Untermaier. La remise en cause du désintéressement dans une société consumériste, la perte de prestige des valeurs collectives, le poids croissant des cabinets ministériels, la décentralisation, le rejet de la réglementation et de la norme, le sentiment de n’être pas récompensé au mérite, et enfin des conditions matérielles difficiles expliquent en partie ce malaise. Aussi, plus que jamais, il importe de conforter le caractère irréprochable de la fonction publique et de se pencher sur elle.

Ce projet de loi consacre, en son article 1er, les valeurs entourant le service public, valeurs qui doivent susciter de la part de nous tous, en tant que citoyens, une reconnaissance pour tous ceux qui les font vivre scrupuleusement au bénéfice des usagers de l’administration. La jurisprudence administrative a depuis longtemps dégagé des obligations s’imposant aux fonctionnaires, telles que l’impartialité, la probité et la dignité, aux côtés des principes constitutionnels tels que la neutralité et la laïcité. Les agents publics connaissent bien sûr ces règles de conduite, les pratiquent pour répondre à l’intérêt général et à l’exigence de service public qui les habitent, mais il est essentiel aujourd’hui d’asseoir les textes déontologiques sur un fondement législatif. L’affirmation de ces valeurs, auxquelles s’ajoute l’intégrité, ne doit pas laisser penser que l’administration serait à la dérive, bien au contraire : dans son ensemble, elle est intègre et c’est elle qui a contribué au fil des ans, en développant le sens de l’État et de l’intérêt général, à une éthique du service public et de la fonction publique.

Ma deuxième observation porte sur le dispositif de la déclaration de patrimoine et de la déclaration d’intérêts. D’ores et déjà opérationnel pour les élus et les membres du Gouvernement, il est désormais étendu aux fonctionnaires. Néanmoins, au contraire de la loi sur la transparence de la vie publique, nous ne disposons pas de la liste des postes ou emplois soumis à ces deux déclarations. Je comprends qu’il soit difficile de dresser une telle liste, mais le débat qui va suivre permettra d’éclairer la représentation nationale sur le périmètre de chacune d’entre elles, sachant que nous le souhaitons le plus large possible, en particulier pour la déclaration d’intérêts.

Le texte prévoit la transmission de toutes les déclarations de patrimoine à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, en parfaite cohérence avec les lois du 11 octobre 2013 et le statut d’autorité administrative indépendante de ladite Haute Autorité, laquelle contrôle déjà des centaines de déclaration de patrimoine et d’intérêts.

Elle a acquis une qualité d’expertise logiquement mise au service de la fonction publique. En revanche, toutes les déclarations d’intérêts évoquées par le projet de loi sont conservées par le supérieur hiérarchique. Leur nombre, que nous supposons très grand, et leur utilité au quotidien, fonde, à mon sens, la conservation de ces déclarations au sein de l’administration considérée.

Mais, contrairement à ce que prévoyait le projet de loi, c’est-à-dire la possibilité pour le supérieur hiérarchique de saisir la commission de déontologie, la commission des lois a préféré donner à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique la maîtrise des déclarations d’intérêt des fonctionnaires, lorsque celles-ci posent problème.

Il nous semble que la solution à de nombreuses questions réside bien dans le supérieur hiérarchique. Toutefois, en cas de difficultés réelles, il nous apparaît cohérent que le supérieur hiérarchique saisisse alors la Haute Autorité, expert juridique et technique sur les questions déontologiques et de conflit d’intérêts. Ses compétences actuelles, définies par les lois de 2013, ainsi que son action irréprochable jusqu’ici, incitent à recourir à son expertise et à en étendre le champ.

Le recours à la Haute Autorité se justifie aussi afin d’éviter des analyses et des jurisprudences distinctes. Cette disposition répond donc à un objectif de simplification et d’intelligibilité du droit.

Je vous remercie également, madame la ministre, d’avoir accueilli favorablement notre demande de remplacer les ordonnances sur les juridictions administratives et financières par des dispositions que vous aviez d’ailleurs vous-même écrites. Comme je l’ai dit en commission des lois, s’agissant d’un texte emblématique de la prévention du conflit d’intérêts, il aurait été malvenu de confier l’examen de ces dispositions au seul Gouvernement, en lien avec le Conseil d’État et la Cour des comptes. Les magistrats administratifs et financiers sont donc également soumis à ces mêmes mécanismes déontologiques, avec, là encore, un collège de déontologie dédié, disposant de moyens d’investigation et de contrôle.

Les magistrats de l’ordre judiciaire devraient prochainement bénéficier de ce mécanisme déontologique – le contraire serait indéfendable – puisqu’un projet de loi organique sur cette question devrait être discuté prochainement. De même, le projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIsiècle devrait comporter des dispositions similaires pour les juges consulaires et prud’homaux. Ainsi, cette culture déontologique s’étendra à toutes les fonctions publiques et aux diverses juridictions, avec au quotidien le recours possible à un déontologue référent pour tout conseil s’agissant de la prévention des conflits d’intérêts.

La lutte contre le pantouflage, telle qu’en dispose l’article 8, a aussi suscité des débats. Nous nous réjouissons de ces dispositions, dont nous souhaitons une application efficace de la part de la commission de déontologie. Les fonctionnaires ne peuvent servir l’intérêt général que s’ils remplissent leur mission pour le compte de la collectivité tout entière et non en vue d’un futur profit personnel. Aussi, la commission de déontologie sera désormais saisie de façon systématique des cas de passage du public dans le privé. Elle pourra également s’auto-saisir et aller chercher l’information. Ses prérogatives renforcées lui permettront donc de remplir enfin l’objectif d’une prévention efficace de situations que nous avons déplorées par le passé. C’est ce que nous souhaitons et que nous espérons.

Je n’évoquerai pas les autres points du texte, tout aussi importants, qui harmonisent le dispositif des sanctions dans la fonction publique, clarifient les conditions du cumul d’activités, dénouent des situations complexes grâce à des droits nouveaux, améliorent le temps de validité d’un concours de la fonction publique territoriale, précisent et renforcent la protection fonctionnelle et d’autres droits et obligations majeures dont mes collègues se feront l’écho.

La déontologie, les droits et obligations des fonctionnaires participent de l’exemplarité de la fonction publique. Les conditions matérielles doivent aussi être au rendez-vous…

Mme Marylise Lebranchu, ministre. C’est vrai !

Mme Cécile Untermaier. Je sais, madame la ministre, que c’est votre souci constant, comme celui de la représentation nationale. Comme vous l’avez affirmé dans votre propos introductif, les fonctionnaires ne sont pas une charge mais une chance pour la République. Au nom du groupe socialiste, républicain et citoyen, je vous remercie d’avoir porté un texte exigeant, très important, confortant dans l’exemplarité et l’unité le statut de la fonction publique et répondant à la volonté que nous exprimons d’une république irréprochable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. Pascal Popelin. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Guy Geoffroy.

M. Guy Geoffroy. Tout parlementaire ayant, comme moi, passé trente-cinq années de sa vie au service de la fonction publique en tant que fonctionnaire est forcément très attentif à tout ce qui peut concerner ce sujet essentiel, souvent mal traité et parfois maltraité. Quand on est à la tête – c’est mon cas et celui de nombre d’entre nous ici – de cette formidable communauté humaine que l’on appelle commune, on est également confronté, au sens très positif du terme, à une réalité que beaucoup ignorent dans notre pays, celle de la fonction publique territoriale.

C’est la raison pour laquelle, en abordant ce texte au nom du groupe Les Républicains, je suis à la fois très attentif à ce que tout et n’importe quoi ne soit pas dit à propos des fonctionnaires de notre pays (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen),…

M. Pascal Popelin. Bonne nouvelle !

M. Guy Geoffroy. …mais également très désireux que nous soyons en phase avec notre pays, tel qu’il est aujourd’hui, que nous ne refusions a priori aucune évolution, quelle qu’elle soit, et que nous n’acceptions aucun tabou sur l’ensemble de ces sujets. C’est pour cela, madame la ministre, que je regrette, au nom de mon groupe que vous ayez cru bon de dire en commission…

M. Pascal Popelin. Il faudrait d’abord venir en commission !

M. Guy Geoffroy. …que la droite, lorsqu’elle était intervenue sur le sujet, avait « écorné » l’image et la conception traditionnelle que la France se fait de sa fonction publique.

Mme Cécile Untermaier. Toute la droite était absente des réunions de commission !

M. Guy Geoffroy. Vous auriez pu vous en priver, d’autant que la loi Sauvadet, qui a été trop peu citée alors qu’elle constitue encore une référence de ce que nous voulons pour la fonction publique dans notre pays, a fait beaucoup pour les fonctionnaires. Citons notamment ses dispositions relatives à l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, à la lutte contre les discriminations et à la mobilité des agents ou, sujet plus technique mais tout aussi important, ses mesures concernant les centres de gestion.

Nous retrouvons ces thèmes dans votre projet de loi, madame la ministre. Cela n’est pas une surprise, et nous n’avons pas pour autant l’impression que vous écornez l’image de la fonction publique en les reprenant à votre compte.

De même, et cela suscitera peut-être moins de remarques de la part de la majorité, je ne crois pas que M. le ministre de l’économie, Emmanuel Macron, lorsqu’il ouvre un débat en affirmant que « le statut des fonctionnaires n’est plus adéquat », méprise pour autant les fonctionnaires. C’est dans ce cadre qu’il faut engager le débat.

Monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, j’ai beaucoup regretté de ne pas pouvoir participer, pour des raisons personnelles, aux travaux de la commission, la semaine passée. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.) Mais j’ai veillé à prendre en compte tout ce qui s’y était dit, ainsi que les amendements adoptés. C’est la raison pour laquelle d’ailleurs nous n’aurons pas eu l’impudeur de solliciter sur ce texte un renvoi en commission, ce qui vous prive du reste d’un certain nombre de réactions.

Sur le fond, vous prétendez consacrer le statut des fonctionnaires. Votre article 1er, pourtant,…

Mme Cécile Untermaier et Mme Marie-Anne Chapdelaine. Vous n’étiez pas en commission !

M. Thierry Mariani. Écoutez l’orateur !

M. Guy Geoffroy. …ne fait rien d’autre que de tenter de consacrer la jurisprudence,…

Mme la présidente. Chers collègues, seul l’orateur à la tribune a la parole.

M. Guy Geoffroy. …et encore il n’y parvient pas tout à fait. Il entend consacrer certaines valeurs, déjà reconnues par la jurisprudence, qui fondent la spécificité de l’action des agents publics. Pourquoi pas ? Notons cependant que la lettre rectificative à laquelle il a été fait allusion revenait déjà sur la copie initiale du Gouvernement, laquelle ne datait pourtant que de 2013.

Depuis cet été, le projet de loi précise donc qu’un fonctionnaire « exerce ses fonctions dans le respect du principe de laïcité » et qu’il doit à ce titre « s’abstenir de manifester, dans l’exercice de ses fonctions, ses opinions religieuses ». En pratique, qu’apporte cet article au statut ou aux fonctionnaires ? Nous ne sommes pas les seuls à poser cette question. Ainsi, Anne-Yvonne Le Dain a émis quelques observations, en forme de critiques, sur le fait que l’obligation de réserve, consacrée par la jurisprudence du Conseil d’État depuis 1935, ne figure pas dans ce texte. Nous pourrons probablement revenir sur ce point

Madame la ministre, vous avez également envisagé dans ce texte l’extension de la protection fonctionnelle, qui n’est pas inutile. Cet article figure d’ailleurs parmi les mesures que nous tenons à saluer. Le renforcement de la protection fonctionnelle des agents et de leur famille introduit un progrès qui mérite d’être noté. L’article 10 est éloquent à cet égard, puisqu’il concerne non seulement les fonctionnaires mais également leurs ayants droit, qui pourront bénéficier de cette protection s’ils sont eux-mêmes victimes de violences.

Dans ce même article, vous introduisez, madame la ministre, une protection de l’agent faisant l’objet de poursuites judiciaires, alors que le droit actuel ne vise que des poursuites pénales. Or, parfois, les poursuites en dehors du cadre pénal peuvent être plus pénibles que celles menées dans ce cadre. Mais introduire ce dispositif ne suffit pas. Mme la rapporteure et vous-même, madame la ministre, avez souligné que l’essentiel était de faire connaître la protection fonctionnelle, qui ne l’est peut-être pas assez. À ce titre, un important travail de communication en direction des agents trop peu informés devra être mené.

La prise en compte de la situation particulière des praticiens hospitaliers constitue un autre motif de satisfaction. Mais à côté de ces mesures positives, auxquelles j’ajouterai l’amélioration de la situation des contractuels, vous n’avez hélas pas pu vous empêcher – le pourrez-vous un jour ? – de recourir à des symboles et à des discours dommageables. Ainsi, au prétexte d’aligner les principes déontologiques des fonctionnaires sur ceux votés pour les publics visés par les fameuses lois d’octobre 2013, vous n’avez pas résisté à étendre le champ de ces lois aux directeurs, directeurs adjoints et chefs de cabinet d’autorités territoriales. En outre, pour d’obscures raisons, le seuil définissant les collectivités concernées est passé de 70 000, à l’origine, à 20 000 habitants. Ainsi, une quantité incroyable de fonctionnaires devront déclarer à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique tout ce que déclarent les élus. Pourrez-vous nous dire, madame la ministre, à combien vous estimez le nombre de personnes concernées par ces dispositions ? À ce jour, nous n’avons pas d’information sur ce sujet.

L’article 18 bis constitue un autre sujet sur lequel vous auriez pu éviter de commettre ce que j’estime être une erreur inutile. Il n’est d’ailleurs pas trop tard pour le retirer. Il vise à abroger le recours à l’intérim. Nous sommes contre, non parce qu’il faudrait confier au privé certaines activités des fonctionnaires mais parce qu’en réalité, d’après le rapport rédigé en 2013 par la direction générale de l’administration et de la fonction publique, seules 1,5 % des collectivités ont recours à ce dispositif. Vous avez d’ailleurs veillé, madame la ministre, à ce que ces dispositions ne s’appliquent pas à la fonction publique hospitalière, mesure excessive qui aurait posé un vrai problème.

Mais, selon mon expérience, il n’est probablement pas inutile qu’un chef d’établissement professionnel qui doit remplacer du jour au lendemain un professeur de plomberie ou de structures métalliques puisse faire appel à une société d’intérim, laquelle connaît les professionnels disponibles à un moment donné. De même, les services techniques des collectivités territoriales peuvent avoir besoin d’un spécialiste au pied levé. L’intérim, utilisé avec pragmatisme, peut être utile. Je souhaite donc que vous renonciez à cette abrogation.

Voilà pour le fond : nous y reviendrons lors de l’examen des articles. Quant à la forme, vraiment, ce projet de loi, c’est du Feydeau ! En juillet 2013, le Gouvernement présente en conseil des ministres un premier projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, qui contient alors 59 articles. Deux ans après, en juin 2015, il décide de « recentrer le projet de loi sur l’essentiel » et revient à 25 articles. Afin qu’il soit examiné rapidement, il adresse une lettre rectificative au Parlement et demande naturellement l’engagement de la procédure accélérée. Tout cela n’est pas sérieux.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Si, c’est sérieux !

M. Guy Geoffroy. C’est même très dommage. Quoi qu’il en soit, si l’histoire s’arrêtait là, on pourrait dire que l’opposition cherche à chipoter par plaisir. Mais non ! Le travail en commission rend la situation digne non seulement de Feydeau, mais aussi du Père Ubu : la veille de l’examen en commission, notre rapporteure présente 135 amendements !

Mme Françoise Descamps-Crosnier, rapporteure. Oui, c’est le débat parlementaire !

M. Guy Geoffroy. On y retrouve les fameux articles que le Gouvernement a décidé de supprimer, relatifs à la mobilité, au congé parental, à l’égalité professionnelle ou à la prévention des conflits d’intérêts dans les juridictions administratives et financières.

Bref, la lettre rectificative supprime des dispositions, Mme la rapporteure les réintroduit, une procédure accélérée est en cours et pourtant, nous avons perdu deux ans. Le constat est sans appel : entre le retour du projet de loi initial et les idées neuves, le projet de loi, suivant la démarche de « simplification » que vous affectionnez tant, s’est enrichi de quarante-cinq articles additionnels – s’agissant d’un texte qui n’est pas si révolutionnaire que cela et dont les conditions d’examen et de présentation sont difficiles à accepter !

Nous restons cependant ouverts et j’espère que le débat permettra de faire évoluer notre jugement. Toutefois, je ne vous surprendrai pas en annonçant qu’à ce stade, le groupe Les Républicains entend s’abstenir sur ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Ary Chalus.

M. Ary Chalus. Trente ans après la loi du 13 juillet 1983, le projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires entend adapter le statut général de la fonction publique afin, d’une part, d’appliquer les dispositifs de prévention des conflits d’intérêts définis par le projet de loi sur la transparence de la vie publique, et d’autre part de renforcer le pouvoir de contrôle de la commission de déontologie de la fonction publique. Le texte prévoit aussi de consacrer certaines valeurs qui fondent l’action des fonctionnaires : neutralité, impartialité, probité et laïcité.

Mais n’est-ce pas aussi une mission noble du service public que d’œuvrer à l’équité territoriale ? À ce titre, nous devons, sans porter atteinte au principe d’égalité – un de nos piliers républicains, mais qui ne doit pas rimer avec exil perpétuel – permettre le retour au pays des fonctionnaires ultramarins, dans l’intérêt des familles et de la stabilité du tissu social de ces territoires déjà durement frappés. En effet, la précarité économique impose bien trop souvent à nos jeunes le choix entre un chômage endémique ou un voyage qui, bien que constituant théoriquement une opportunité, se révèle souvent sans retour. Certes, la confrontation des expériences et l’ouverture sur l’autre sont bien entendu une source de richesse ; encore faudrait-il, pour que cela bénéficie à nos territoires et à nos populations, qu’il y ait un jour – si possible avant l’heure de la retraite ! – un retour au pays.

J’ai mentionné nos jeunes qui partent vers la France métropolitaine pour se former ou rechercher un emploi, mais que dire de ceux qui sont formés sur place, dans les départements ou territoires d’outre-mer, et qui, ayant réussi à un concours, se voient affectés en France métropolitaine – ainsi ces enseignants néo-titulaires, jeunes diplômés ou contractuels, affectés dans des académies de la France continentale, à plusieurs milliers de kilomètres de leur territoire d’origine ? Pourtant, ils constituent pour nos régions un atout considérable : les contractuels pour leur expérience déjà acquise, tous pour leur connaissance intime du territoire et de sa population.

J’ai eu récemment l’occasion d’appeler l’attention du Gouvernement sur la situation d’une dizaine de nos compatriotes guadeloupéens et martiniquais, enseignants néo-titulaires qui, à l’issue du mouvement inter-académique de 2015, furent contraints de quitter nos régions pour aller enseigner à plus de 7 000 kilomètres, dans d’autres académies de la France hexagonale. S’il est vrai que le recrutement au concours dont ils sont lauréats est national, il n’en demeure pas moins que nous ne pouvons laisser, sans rien dire, nos territoires se vider de manière irréversible d’une partie de nos forces vives. Faciliter la mutation en outre-mer des fonctionnaires qui le souhaitent et qui ont un lien avec ces territoires permettrait de briser cette fatalité.

C’est d’ailleurs pourquoi le Gouvernement, sensibilisé sur ce sujet, avait, fin 2013, commandé à M. Patrick Lebreton, député de La Réunion, un rapport destiné à identifier les moyens susceptibles de mieux faire profiter les ressortissants ultramarins des emplois créés dans leurs territoires, dans le secteur public comme dans le secteur privé. Parmi les recommandations de ce rapport se trouvaient plusieurs mesures phare qui, si elles avaient été mises en œuvre, auraient fluidifié grandement le système, parfois un peu rigide, il faut bien le reconnaître, des mutations des agents publics dans les départements et collectivités d’outre-mer. M. Lebreton proposait ainsi de donner une assise juridique au concept de centre des intérêts matériels et moraux – CIMM – et d’en faire le pivot pour les mutations outre-mer, de manière, par exemple, à mettre fin au dysfonctionnement des carrières des gardiens de la paix originaires d’outre-mer. Si trente-cinq gendarmes ont récemment été envoyés en renfort dans les zones de sécurité prioritaires du centre de la Guadeloupe, c’est bien qu’il y a un besoin : alors, pourquoi ne pas permettre aux gardiens de la paix ultramarins d’être affectés chez eux ?

Je voudrais aussi remercier Mme Ericka Bareigts, qui travaille sur le sujet depuis le début de son mandat de député et qui n’a eu de cesse de rappeler qu’il s’agissait d’un combat pour une fonction publique plus représentative des bassins de vie qu’elle administre et pour une réponse aux déchirements familiaux et aux drames humains liés aux agents séparés de leurs racines.

Nous avons l’occasion, aujourd’hui, d’apporter une contribution décisive au règlement de ces situations en inscrivant dans la loi la prise en compte des centres des intérêts matériels et moraux des fonctionnaires à l’occasion de leur demande de mutation en outre-mer. Aussi, mon collègue Thierry Robert et moi-même avons déposé deux amendements et, avec nos collègues du groupe RRDP et les députés ultramarins, soutiendrons toutes les initiatives qui iront dans le même sens. Le premier amendement entend donner des outils en vue d’établir un classement des demandes de mutation à partir de barèmes plus équitables et sécurisés juridiquement ; le second vise à apporter une réponse plus efficace aux difficultés rencontrées lors du traitement des demandes de mutation dans les corps de la fonction publique à fort effectif.

Chers collègues, nous pouvons, dans le respect scrupuleux des principes fondateurs de notre République, lever cet obstacle, pour un développement plus harmonieux de la France d’outre-mer. Le groupe RRDP votera ce texte de loi, et j’espère que tous les autres groupes en feront autant.

Mme Florence Delaunay. Très bien.

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Dussopt.

M. Olivier Dussopt. Je suis, comme les orateurs précédents, très heureux que nous puissions enfin examiner le projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires.

Deux ans après les lois du 11 octobre 2013 relatives à la transparence de la vie publique, ce texte en transpose les grands principes et les principales dispositions à la fonction publique, notamment pour ce qui est de la prévention des conflits d’intérêts. Trente ans après la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, le Gouvernement a souhaité actualiser et compléter les principes fondamentaux du statut général des fonctionnaires, alors même que ce dernier fait régulièrement l’objet d’attaques et de remises en cause. Le Gouvernement exprime ainsi, collectivement et avec force, son attachement à notre système de fonction publique. Nous considérons en effet que le statut général des fonctionnaires, héritier des grandes réformes engagées à la Libération, est fondé sur un réel équilibre entre les droits et les obligations de ces fonctionnaires, ce qui constitue un gage de continuité et de cohésion au service des citoyens et des collectivités publiques.

Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui repose sur trois grands axes.

Le premier est la consécration de principes déontologiques dans le statut général des fonctionnaires. L’article 25 de la loi du 13 juillet 1983 reconnaîtra désormais explicitement des obligations déjà dégagées par la jurisprudence. Les fonctionnaires devront exercer leurs fonctions avec dignité, impartialité, intégrité et probité. Ils seront également tenus à l’obligation de neutralité et au respect du principe de laïcité. Tout cela figurait déjà dans la jurisprudence, mais méritait d’être affirmé en droit. L’article 1er du projet de loi précise aussi qu’il reviendra à tout chef de service de s’assurer du respect de ces principes par les agents placés sous son autorité.

Le texte introduit aussi, c’est à noter, la notion de conflit d’intérêts dans le statut général des fonctionnaires. En outre, il étend à d’autres fonctionnaires trois dispositifs déjà instaurés par les lois du 11 octobre 2013 à destination des plus hauts responsables publics : la déclaration d’intérêts, la déclaration de situation patrimoniale et la gestion sous mandat de certains instruments financiers, les deux derniers étant contrôlés par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

La réforme modifie également les règles de cumul d’activités applicables aux fonctionnaires et aux agents non titulaires de droit public selon deux principes fondamentaux, le respect de l’intérêt du service et la satisfaction de l’intérêt général, l’objectif étant de limiter les risques de conflits d’intérêts.

Le deuxième axe du texte relève de la modernisation des droits et obligations des fonctionnaires. Le projet de loi élargit le champ des personnes susceptibles de bénéficier de la protection fonctionnelle et celui des événements ouvrant droit à cette protection. En matière disciplinaire, la création d’un délai de prescription de l’action disciplinaire est actée – ce qui était attendu – tout comme l’harmonisation de l’échelle des sanctions entre les trois fonctions publiques.

Le troisième et dernier axe a trait à la volonté du Gouvernement de faire de l’État un employeur exemplaire. Concernant la situation des agents non titulaires, qui, comme le rappelait Françoise Descamps-Crosnier, occupent environ 17 % des emplois publics, le projet de loi œuvre pour améliorer de manière concrète leur situation. Je ne retiendrai que deux points : le fait qu’un employeur public qui emploie un agent satisfaisant à la condition d’ancienneté requise du fait d’une succession d’emplois auprès de différents employeurs publics devra lui proposer la transformation de son contrat en CDI ; et le fait que la notion d’effectivité des services publics pour la transformation d’un CDD en CDI est supprimée. Tout cela participe, avec d’autres dispositions, à la résorption de la précarité dans la fonction publique et nous ne pouvons que nous en féliciter.

La commission des lois a considérablement étoffé et amélioré ce projet de loi, en particulier à l’initiative de notre rapporteure, François Descamps-Crosnier, dont je tiens à saluer le travail et la persévérance. Grâce à elle ont pu être intégrées dans le texte les dispositions issues d’une vingtaine d’articles de la première version du projet de loi qui avaient été supprimés par la lettre rectificative du Gouvernement. Pour être synthétique, ces évolutions portent surtout sur les questions de déontologie. À l’initiative de la rapporteure, nous avons notamment favorisé les échanges d’informations entre la commission de déontologie et la Haute Autorité et aussi renforcé les moyens de contrôle de cette dernière sur les déclarations de situation patrimoniale, tout en étendant l’obligation d’établir une déclaration d’intérêts et de patrimoine aux directeurs, à leurs adjoints et aux chefs de cabinet des exécutifs locaux.

S’agissant des droits et obligations des fonctionnaires, nous avons, encore à l’initiative de la rapporteure, réintroduit des dispositions relatives à la mobilité des fonctionnaires, notamment afin de simplifier la structuration des corps et cadres d’emplois autour des trois mêmes catégories hiérarchiques et de sécuriser les possibilités de mise à disposition hors de l’administration d’origine du fonctionnaire. Nous avons aussi généralisé au sein des sanctions du premier groupe l’exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximale de trois jours, qui n’existait que dans la fonction publique territoriale. Enfin, à l’initiative du groupe socialiste, nous avons amélioré la situation des lauréats dits « reçus collés » en prolongeant d’un an la durée de validité du concours et en mettant en place deux périodes de deux années reconductibles.

Enfin, s’agissant du devoir d’exemplarité de l’État, nous avons, comme cela a déjà été dit, abrogé la possibilité de recourir à l’intérim dans les fonctions publiques de l’État et territoriale et réintroduit les dispositions visant à améliorer les garanties de carrière des agents exerçant une activité syndicale dans la fonction publique. Je souligne, par parenthèse, que l’amélioration des garanties et la préservation des carrières sont une constante de l’action du Gouvernement : dans tous les textes relatifs à la décentralisation, les avantages acquis et les carrières ont été protégés par des articles spécifiques, de manière à éviter aux agents d’éventuelles mutations forcées dans le cadre de la réorganisation des collectivités territoriales.

Je terminerai en appelant l’attention de l’Assemblée et du Gouvernement sur un point : le principe d’égalité entre les membres coopérateurs dans les mutuelles et les sociétés mutualistes. En effet, en l’état actuel du projet de loi, il n’est pas respecté, puisque les fonctionnaires ne peuvent participer à un organe non exécutif d’une structure coopérative au nom de l’interdiction de cumul d’activités. Or, ce type de mandat n’est ni une activité professionnelle ni une activité lucrative. Les amendements que j’ai déposés, ainsi que ceux présentés par mes collègues Carrey-Conte et Juanico, permettront peut-être de revenir sur ce point. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Pascal Popelin. Très bien !

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Excellent !

Mme la présidente. La parole est à M. Serge Grouard.

M. Serge Grouard. J’avoue, madame la ministre, avoir quelques difficultés à comprendre la logique de ce texte, et cela d’autant plus que, comme vous le savez, j’ai eu l’honneur de servir dans la fonction publique durant de nombreuses années, que j’ai bien connu la fonction publique territoriale pour y avoir exercé notamment la fonction de maire d’une grande ville, et que, s’agissant de la fonction publique hospitalière, j’ai eu, pendant une quinzaine d’années, le plaisir de présider le conseil d’administration, puis le conseil de surveillance d’un hôpital.

Vous auriez pu adopter deux approches bien différentes sur ce texte. La première, que je qualifierais de plutôt technique, aurait consisté à prendre un certain nombre de dispositions utiles, relatives en particulier aux aspects concrets de la déontologie et surtout à la question du conflit d’intérêts, ainsi qu’à actualiser ou à lisser les dispositions existantes relatives au statut et à la situation des agents des trois fonctions publiques. L’autre approche aurait été de nous proposer un débat, un vrai débat de fond, sans tabou, sur la fonction publique dans son ensemble.

M. Guy Geoffroy. Ce serait une très bonne chose !

M. Serge Grouard. Au-delà de la question de la fonction publique, je regrette, en tant que parlementaire, que nous ne débattions jamais de la gouvernance de l’État et, de manière plus large, de la gouvernance de toute la sphère publique, de son organisation générale. Évidemment, ces questions dérangent, dans notre pays, mais pourquoi les refuser ici alors que, me semble-t-il, nous représentons la nation ?

M. Guy Geoffroy. Absolument !

M. Serge Grouard. L’une de ces questions qui dérange est celle du temps de travail. Certains parmi vous ont posé de nouveau il y a quelque temps la question des 35 heures dans le secteur privé. Mais par expérience, je sais que la question des 35 heures dans les fonctions publiques mérite, elle aussi, d’être posée, sans tabou ! De grâce, ne frappons pas d’anathème ceux qui évoquent ces sujets, les accusant de ne pas aimer la fonction publique et de vouloir casser les statuts des fonctionnaires.

Loin de moi l’idée de casser le statut des fonctionnaires ! Mais je peux vous dire, par expérience, que les 35 heures ont profondément désorganisé la fonction publique, surtout hospitalière et territoriale. C’est là un fait que nombre de responsables, y compris d’une autre sensibilité politique que la nôtre, constatent chaque jour. Au début des années 2000, j’ai moi-même constaté, dans la fonction publique hospitalière, quel casse-tête cela a été, et à quelle catastrophe cela a conduit.

M. Guy Geoffroy. Et conduit encore !

M. Serge Grouard. Ces questions sont aussi liées aux finances publiques, osons le dire. Quand on sait quel pourcentage de la dépense publique est consacré à la rémunération des personnels des fonctions publiques et que l’on est un responsable politique, on ne peut pas ne pas se poser ces questions. Je reconnais qu’elles peuvent déranger, mais enfin, nous sommes là pour ça, me semble-t-il !

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Ces questions ne me dérangent aucunement.

M. Serge Grouard. Je vous rappelle que le projet de loi de finances prévoit d’augmenter le nombre de fonctionnaires.

M. Pascal Popelin. Notamment au ministère de la défense, comme vous l’avez réclamé à cor et à cri !

M. Serge Grouard. Mais, chers collègues, nous savons tous qu’en l’état actuel de la dette et du solde budgétaire français, il faudra bien avoir un jour ou l’autre le courage de revenir sur les déficits et, pour cela, de poser les questions que je pose aujourd’hui. Bien sûr, tout ne relève pas du domaine de la loi, mais ce texte aurait pu être l’occasion d’un tel débat. Je regrette que ce ne soit pas le cas.

Madame la présidente, je terminerai en abordant un point précis du texte : l’article 1er, qui dénote me semble-t-il un certain embarras. Il énonce le principe de laïcité, et il me semble que cela devait être fait. C’est opportun, et il sera peut-être encore plus important de le rappeler à l’avenir. Mais pourquoi énoncer – car la loi ne « rappelle » pas un principe, elle l’énonce – d’autres principes qui relèvent de l’évidence ? Pourquoi dire que le fonctionnaire doit exercer ses fonctions avec probité !

M. Guy Geoffroy. C’est l’évidence même !

Mme Chantal Guittet. Rien n’est évident !

M. Serge Grouard. Mais si, madame, dans la fonction publique, c’est évident !

Mme la présidente. Monsieur Grouard, merci de conclure.

M. Serge Grouard. L’intégrité est au cœur même de la fonction publique et du comportement des fonctionnaires. Je suis sûr qu’il n’est pas dans votre intention, je ne vous ferai pas ce procès, de mettre en doute leur intégrité. Mais involontairement, simplement en énonçant des principes qui relevaient jusqu’alors de la simple évidence, et ce depuis des décennies – j’allais dire depuis des siècles, tant ils sont constitutifs de la fonction publique, et même de la France elle-même – vous nourrissez une forme de suspicion : puisqu’il faut rappeler ces principes, c’est peut-être qu’ils ne sont pas respectés ?

Mme la présidente. Merci, monsieur le député…

M. Serge Grouard. Je préférerais, madame la ministre, que nous nous dispensions de rappeler ces principes qui sont évidents et qui font l’honneur de notre fonction publique ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert Collard.

M. Gilbert Collard. Il est étonnant de constater qu’à chaque fois qu’une société entre réellement en crise, elle s’attache à redéfinir la déontologie des fonctionnaires. La destruction de la démocratie à Athènes nous fournit un exemple historique très intéressant. À cette époque, l’on inventa la docimasie, dont l’origine vient du mot « épreuve » : les fonctionnaires devaient, lorsqu’ils descendaient de charge, passer un examen déontologique. Parce que la démocratie allait mal, parce qu’elle était en crise, on s’est tourné vers les fonctionnaires, les édiles et les responsables politiques pour leur demander des comptes, comme l’on fait aujourd’hui. Je trouve que c’est un signe clinique intéressant.

Ceci pour dire que ce projet de loi m’intéresse, et que je n’y oppose pas un rejet de principe. Le texte comporte des avancées et des éléments plus critiquables. L’avancée principale, de mon point de vue, est la prescription de trois ans qui enferme dans un délai les actes que l’on pourrait reprocher aux fonctionnaires – étant précisé que, d’un point de vue déontologique, dans les professions libérales, les fautes disciplinaires demeurent imprescriptibles.

Mais ce qui fait le cœur de la difficulté de ce texte, c’est d’une part son imprécision quant aux personnes concernées, et d’autre part – et sur ce point je vous rejoins, chers collègues du groupe Les Républicains, même si cela doit vous faire du mal ! – le fait qu’il conduit à escamoter le débat. Or nous avons besoin de ce débat sur la fonction publique, Nous avons besoin d’une discussion franche, ouverte, libre sur des points tels que la durée du travail, la réalité de la relation hiérarchique, la mobilité, l’appréciation des travaux effectués… Il faut ouvrir le grand débat sur la fonction publique ! Ce n’est pas ce que nous faisons là, et c’est bien dommage.

Ce qui est préoccupant, c’est que ce texte peut être analysé comme un catalogue de la méfiance publique à l’égard des fonctionnaires. Quand on dit que la probité et l’intégrité sont des objectifs que le fonctionnaire doit atteindre, c’est qu’on présuppose que ces qualités ne sont pas acquises. D’une certaine manière, si on lui assigne de tels objectifs, c’est qu’on ne le considère pas capable, spontanément, de les atteindre.

La prétention des hommes politiques passe, voire trépasse, mais si nous n’avions pas de fonctionnaires, où serait la pérennité de l’État ? C’est eux qui permettent à la machine administrative, quoi qu’il arrive, quelles que soient les vicissitudes de l’Histoire, de fonctionner. C’est peut-être pour cela qu’on les appelle « fonctionnaires » : parce qu’ils font en sorte que cela fonctionne !

Ce texte est né des conséquences de l’affaire Cahuzac, ayons l’honnêteté de le reconnaître. Ces conséquences ont d’abord atteint les hommes politiques, par le biais des lois relatives à la transparence de la vie publique, auxquelles nous nous sommes soumis. Certains en ont souffert, d’autres s’en sont très bien tirés : tant pis, ou tant mieux. Et voilà qu’aujourd’hui l’onde de choc atteint les fonctionnaires. Ceux-ci devront affronter, à mon avis, un sentiment de réprobation dont il faut dire qu’il est injuste et injustifié.

On voit, par ailleurs, que certains fonctionnaires échappent à cette réprobation : les magistrats de l’ordre judiciaire, par exemple. Pourquoi cela ? Nous devrions très rapidement adopter une loi organique pour leur demander de passer sous les fourches caudines des exigences de la transparence ! C’est un débat général qu’il faut ouvrir, alors que ce texte, malheureusement, le limite, l’enferme.

Je ne serai pas systématiquement opposé aux dispositions de ce projet de loi : certaines sont bonnes, utiles. Malgré cela il a des aspects essentiellement négatifs en ce qu’il jette sur les fonctionnaires un opprobre qu’ils ne méritent pas et que le débat sur la fonction publique sera censuré, ce qui est très dommage.

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Popelin.

M. Pascal Popelin. Le chœur des critiques et des caricatures grossières qu’il est de bon ton de déverser sur les fonctionnaires est parvenu à faire oublier à bon nombre de nos concitoyens qu’ils constituent l’un des piliers de la cohésion sociale et du fonctionnement démocratique de nos institutions. Parce qu’ils sont régis par un cadre légal clair, cohérent et solide qui s’applique à tous ; parce qu’ils sont soumis, dans l’exercice de leurs fonctions, à un socle commun de valeurs, conforme aux principes de la République et respectueux de son idéal d’égalité et de solidarité, ils protègent contre l’arbitraire et sont garants de l’impartialité de l’État tout autant que des droits et des libertés de chacun.

Notre société serait bien mal inspirée, me semble-t-il, de minimiser l’importance de ce rôle, à l’heure où des pays, parfois proches de nous, peinent à se redresser par manque d’administration fiable, à l’heure où tant de peuples dans les zones instables de ce monde, nous envient ces fonctionnaires qui incarnent la réalité de ce qu’est un État. Des gouvernants responsables se doivent de conforter, en l’adaptant aux réalités et aux enjeux nouveaux, leur fonction publique, avec les femmes et les hommes qui la composent. Telle est la finalité du projet de loi que nous examinons aujourd’hui, qui tend à moderniser le statut général de la fonction publique, resté intact depuis plus de trente ans, si l’on excepte les ajustements à la marge introduits au moyen de la jurisprudence.

En inscrivant dans la loi les valeurs fondamentales qui doivent être respectées par tout détenteur d’un emploi public : la neutralité, l’impartialité, la probité et la laïcité , en approfondissant le régime déontologique des fonctionnaires, en continuité et en cohérence avec les dispositions de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, ce texte répond aux exigences croissantes et légitimes de nos concitoyens à l’égard d’une fonction publique qu’ils veulent irréprochable, efficace et de qualité.

En faisant progresser les droits des agents publics, qu’il s’agisse de l’élargissement de la protection fonctionnelle mise à leur disposition, ainsi qu’à celle de leur famille, ou encore des avancées portées par ce gouvernement en matière d’exemplarité des employeurs publics, ce projet répond aux besoins nouveaux des fonctionnaires, qui n’ont été épargnés ni par la précarité, ni – chacun d’entre nous le sait et s’en émeut régulièrement – par les risques et les dangers croissants qu’ils encourent quotidiennement. Des représentants de l’ordre disparaissent ou sont blessés chaque année. L’actualité de cette semaine nous en fournit encore un terrible exemple et je veux à mon tour saluer leur courage.

Mais au-delà de ces faits, qui demeurent heureusement l’exception, combien d’agents sont régulièrement victimes de comportements inciviques, de menaces, de violences verbales ou physiques traumatisantes ? Consacrer le statut des fonctionnaires en le rénovant, c’est aussi battre en brèche la stratégie du dénigrement élaborée à leur encontre par ceux qui ont l’ambition, vieille comme la République, d’affaiblir ou de démanteler le service public français.

Durant les deux précédents quinquennats, des dégâts significatifs ont été causés à la fonction publique, n’en déplaise à notre estimé collègue Guy Geoffroy dont je salue néanmoins la présence dans notre hémicycle. Compris dans une catégorie prétendument homogène et uniforme, les agents du secteur public ont été ciblés par des décisions trop générales, qui n’ont pris en compte ni la spécificité, ni les besoins des différents corps professionnels. Ainsi la révision générale des politiques publique a-t-elle indistinctement été appliquée aux employés administratifs, aux fonctionnaires de police, aux personnels hospitaliers et aux enseignants.

On pensait nos collègues de l’opposition instruits par les erreurs du passé, que la France paye encore aujourd’hui avec les conséquences désastreuses de cette hémorragie d’effectifs qui ne s’est d’ailleurs absolument pas traduite par la réduction de la dépense publique qui en était espérée.

La lecture des récentes déclarations du président du parti Les Républicains dans le journal Les Échos laisse à craindre que la leçon n’ait pas été tirée. Les vieilles recettes du passé, qui ont démontré leurs capacités à affaiblir le service public sans produire aucun des effets budgétaires escomptés, sont de nouveau sur la table : le rétablissement du principe du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite semble de nouveau constituer l’alpha et l’oméga de la réflexion de la droite dès lors qu’il s’agit de penser à l’avenir du service public. Cela ne l’empêche pas de réclamer plus de postes de policiers, de militaires et de gendarmes après en avoir supprimé à tour de bras, ni de critiquer la création de postes d’enseignants après en avoir supprimé bien davantage encore – mais au moins, sur ce point, la droite fait-elle preuve de constance et de cohérence puisqu’elle n’en veut pas davantage.

M. Serge Grouard. Quelle finesse ! On n’est pas dans la caricature…

M. Pascal Popelin. Le projet de loi dont nous débattons marque une véritable différence d’approche et d’ambition. Voilà pourquoi il a le soutien des députés du groupe socialiste, républicain et citoyen. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Mariani.

M. Thierry Mariani. Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, avant tout chose, permettez-moi une remarque sur les conditions dans lesquelles nous sommes appelés à débattre. Alors que nous abordons une question majeure, une fois de plus, le Gouvernement a choisi d’engager une procédure accélérée qui biaise profondément le débat parlementaire. Le projet de loi relatif à la déontologie, aux droits et obligations des fonctionnaires est ainsi discuté dans la précipitation malgré l’enjeu.

Par ailleurs, j’avoue ne pas m’expliquer votre tour de passe-passe : l’utilité d’une lettre rectificative paraît limitée puisque, en commission, il vous a semblé bon de reconstituer le texte d’origine par le biais d’amendements.

En juin dernier, le Gouvernement avait ramené le texte de cinquante-neuf articles à vingt-quatre, renvoyant de nombreux sujets à des ordonnances ; mais la commission des lois de l’Assemblée nationale, lors de sa réunion du jeudi 1er octobre, est revenue sur un certain nombre d’entre eux, si bien que la version que nous étudions aujourd’hui en comporte soixante-dix. Avec la procédure accélérée, le moins que l’on puisse dire est que les conditions pour étudier ce texte sont précaires.

Mais j’en viens à son contenu, d’abord pour déplorer qu’il ne soit pas à la hauteur des objectifs. Alors qu’Emmanuel Macron a récemment remis en question l’intérêt d’un statut de la fonction publique pour certaines missions, le projet de loi vient rappeler la spécificité déontologique du métier de fonctionnaire. Lors de ses vœux aux corps constitués le 8 janvier dernier, le Président de la République a formulé le souhait d’une consécration des règles déontologiques s’appliquant aux agents publics à l’occasion du trentième anniversaire de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires.

Ce texte a donc deux buts : d’une part, prouver l’attachement du Gouvernement au statut de la fonction publique ; de l’autre, consacrer dans la loi « les valeurs fondamentales communes aux agents publics », renforcer les règles de déontologie dans la fonction publique et mieux garantir les droits des agents. Les dispositions du projet de loi visent donc à mieux prévenir les situations de conflit d’intérêts dans l’administration et, au-delà, à rénover le cadre statutaire de l’exercice des fonctions publiques.

Voilà un peu plus de deux ans que ce texte attend d’être débattu puisque, si ma mémoire est bonne, madame la ministre, vous l’aviez présenté en Conseil des ministres le 17 juillet 2013. Cependant, comme on aurait pu le deviner, il manque d’ambition au regard des objectifs annoncés. La déception est donc à la hauteur de l’attente qu’il avait suscitée. Force est de constater qu’il ne rassure pas vraiment les fonctionnaires sur la préservation de leur statut, pourtant au cœur de l’actualité.

Sur le fond, ce projet de loi est aussi l’occasion de graver noir sur blanc un grand principe, celui de la laïcité ; dans son chapitre IV, les valeurs de « probité », d’« impartialité » et de « neutralité », auxquelles sont déjà astreints les fonctionnaires, sont désormais inscrites en toutes lettres. Il est ainsi précisé qu’un fonctionnaire « exerce ses fonctions dans le respect du principe de laïcité ». Cependant, je me demande pourquoi a été retirée du texte la mention qui précisait que « le fait pour un fonctionnaire de manifester ses croyances religieuses, dans l’exercice de ces fonctions, constitue un manquement à ses obligations professionnelles ». Je soutiendrai donc l’amendement de mon collègue Dominique Bussereau tendant à rétablir cette mention, afin de rendre opérationnel le respect du principe de laïcité.

Le texte s’attaque également à la prévention du conflit d’intérêts. Il était temps que les fonctionnaires soient aussi soumis à l’obligation de déposer une déclaration patrimoniale à la Haute Autorité de transparence de la vie publique. Cependant, le dispositif est encore largement perfectible. Si je me félicite que les sanctions soient de nouveau explicitement mentionnées en cas de déclaration incomplète, mensongère ou de non-respect de l’obligation de se déporter ou de mettre fin à une situation de conflit d’intérêts, je constate que le Gouvernement, en multipliant les structures, a rendu le dispositif moins lisible.

La commission de déontologie de la fonction publique a certes des missions renforcées, notamment en matière de contrôle du cumul d’activités et du pantouflage, mais elle ne dispose toujours pas de véritables moyens d’investigation, et se voit même concurrencée par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

En conclusion, je retiendrai surtout la déception que nous inspire ce texte, qui sera, je le crains, le seul texte majeur de la législature sur la fonction publique. Celle-ci avait pourtant besoin d’une réforme de fond, car il est grand temps de la repenser. On ne voit pas, à cet égard, où mènent les déclarations de M. Macron. Le temps des demi-mesures doit cesser : il faut mettre en œuvre des mesures fortes si l’on veut inverser la tendance. Même si la France a énormément d’atouts, elle a besoin de grandes réformes structurelles. Oui, la France a besoin d’une fonction publique ; oui, la fonction publique doit perdurer, mais elle doit aussi se réformer ; or ce texte nous laisse sur notre faim. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Chantal Guittet.

Mme Chantal Guittet. Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, je suis très heureuse que ce projet de loi nous donne l’occasion de parler de la fonction publique et des fonctionnaires autrement qu’à travers des caricatures et des déclarations intempestives, qui ne font que stigmatiser celles et ceux qui, au quotidien, apportent un service de qualité à nos concitoyens.

Une façon moderne d’ouvrir le débat, ce n’est pas de favoriser la polémique mais de mener une réflexion concertée sur les nouveaux besoins de l’action publique afin de proposer des solutions qui garantissent l’adaptation des administrations à l’évolution de notre société. Ce projet de loi y contribue et je m’en félicite.

Il contient de grandes avancées, que beaucoup d’orateurs ont soulignées : elles modernisent notre fonction publique en institutionnalisant les principes déontologiques et en inscrivant dans la loi leurs modalités d’application ; en consacrant dans la loi les valeurs de la fonction publique que sont la probité, l’impartialité, la neutralité, la laïcité et le service de l’intérêt général ; en actualisant les droits et obligations des fonctionnaires ; en promouvant, enfin, l’exemplarité des employeurs publics.

Le statut de la fonction publique se trouve ainsi conforté et modernisé, preuve, s’il en était besoin, que le modèle statutaire, loin d’être synonyme d’immobilisme, comme on l’entend souvent dire, garantit l’adaptation de nos administrations au changement de la société.

Le statut est porteur de valeurs républicaines et il constitue, ce me semble, le meilleur moyen de répondre à l’exigence fondamentale d’exemplarité de la puissance publique et de garantir le respect de notre modèle de service public.

Pourtant, dans notre pays, les discours sur les fonctionnaires sont parfois marqués au coin de la schizophrénie. On entend souvent dire que les fonctionnaires sont trop nombreux ou qu’ils coûtent trop cher : de fait, ils servent souvent de boucs émissaires. Pourtant, au quotidien, les gens ne parlent pas de « fonctionnaires » mais de travailleurs sociaux, d’employés de mairie, d’enseignants, de policiers, de juges et d’infirmiers, bref, de ceux qui font vivre nos territoires en permettant à tous d’avoir accès aux services publics. Ces fonctionnaires-là, nous les plébiscitons : ils ne sont jamais assez nombreux, jamais assez présents.

Posons-nous la question : les entreprises privées investiraient-elles dans nos communes rurales pour assurer tous ces services ? Assurément non. Au risque d’être accusée de plagiat, je dirai que, lorsque que l’on a des fonctionnaires talentueux, qui œuvrent pour l’intérêt général, il faut les soutenir jusqu’au bout.

Je conclurai en évoquant mes amendements qui tendent à réduire le nombre de ceux qu’on appelle les « reçus-collés ». Curieusement, des jeunes peuvent avoir réussi un concours difficile dans la fonction publique territoriale et perdre, au bout de trois ans, le bénéfice de ce résultat faute d’avoir été recrutés par une collectivité. Les intéressés n’ont pourtant pas ménagé leurs efforts pour trouver un poste,…

M. Thierry Mariani. C’est vrai.

Mme Chantal Guittet. …et beaucoup d’entre eux, au cours de ces trois années, ont assuré des remplacements au sein de collectivités. Je propose de porter pour tous les candidats à quatre ans la période d’inscription sur les listes d’aptitude. Cette modification apporterait, si je puis m’exprimer ainsi, un certain confort aux lauréats dans leur recherche d’emploi. Pour valoriser l’expérience acquise pendant les remplacements qu’ils auraient effectués, je propose aussi que chaque période travaillée dans une collectivité donne lieu à une suspension du décompte de la « période des trois ans d’inscription sur liste d’aptitude ».

Les membres de la commission des lois, sensibles au sort de ces jeunes lauréats et au gâchis intellectuel et financier que représente le phénomène des reçus-collés, ont adopté ces amendements, ce dont je les remercie. Je suis néanmoins consciente que ces mesures n’apporteront pas de solution définitive au phénomène : l’idéal serait bien entendu que chaque lauréat soit immédiatement affecté à un poste, comme c’est le cas dans la fonction publique d’État : c’est là, peut-être, un grand chantier à ouvrir dans un proche avenir.

Ce projet de loi traduit l’attachement de l’État à sa fonction publique en donnant à celle-ci plus de moyens pour que les fonctionnaires assurent leurs missions. Il a donc tout mon soutien.

M. Pascal Popelin. Très bien !

Mme la présidente. La discussion générale est close.

La parole est à Mme la ministre.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Je serai brève, la plupart des interventions ayant été de grande qualité. Je remercie, à cet égard, les parlementaires d’être entrés dans le détail du texte, et leur répondrai au fil des amendements, auxquels beaucoup d’orateurs, notamment ceux qui ont émis des critiques, ont fait référence.

Si vous estimez, monsieur Geoffroy, que j’ai tenu en commission des propos inappropriés sur Les Républicains, je vous prie de m’en excuser, même si M. Mariani semble avoir une perception un peu différente de la vôtre. Quoi qu’il en soit, je ne visais pas les parlementaires mais les propos que l’on entend en permanence à la radio ou à la télévision.

M. Ary Chalus. Exactement !

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Les fonctionnaires que j’ai rencontrés au cours de mes deux cent cinquante-trois déplacements m’ont confié avoir l’impression, en écoutant la radio et la télévision, ou en lisant les journaux, d’être tenus pour responsables de la situation des finances publiques et des problèmes des Français, alors même qu’ils contribuent à la solidité de la nation. Ce n’est certes pas en les plaçant dans cette situation délicate, y compris à leurs propres yeux, que l’on fera avancer le service public.

J’ajoute que les fonctionnaires ont toujours voulu et veulent faire avancer les choses et qu’ils formulent des propositions. Le protocole d’accord que j’ai négocié avec eux témoigne ainsi d’un souci d’améliorer la gestion des ressources humaines, la mobilité et les parcours professionnels. Les fonctionnaires ne constituent pas un corps figé dans l’immobilisme : ils sont aussi des citoyens et, à ce titre, ils ont le souci de leur pays et de son bon fonctionnement. Bref, il faut sortir des clichés.

On a évoqué la jurisprudence relative au devoir de réserve et, en commission, les députés socialistes m’ont interpellée, à travers un amendement, sur les centres d’intérêts moraux et matériels ; mais le mieux est d’en débattre en entrant dès à présent dans le vif du sujet. Veillons, en tout cas, à ce que nos fonctionnaires se sentent soutenus.

Si j’ai confié, à la demande du Premier ministre, une mission sur les 35 heures dans la fonction publique à M. Philippe Laurent, qui n’est pas de notre bord politique, c’est pour mettre les choses à plat. Les 35 heures, plusieurs d’entre vous l’ont rappelé, ont effectivement eu un effet déstabilisateur dans les hôpitaux, les 45 000 postes promis n’ayant pu être créés tout de suite. Le problème n’est pas nouveau : pourquoi n’y a-t-on pas porté remède plus tôt ? Pourquoi devrait-il être réglé sur-le-champ ? Cela appelle bien sûr une nouvelle réflexion. Au reste, les syndicalistes eux-mêmes nous avaient interrogés sur le sujet : alors ministre en charge de l’administration pénitentiaire, je n’avais pu y appliquer les 35 heures, faute d’une formation suffisante des personnels. En tout état de cause, il y a eu un décalage entre le besoin de fonctionnaires dans les hôpitaux et la mise en œuvre des 35 heures. Ne restons pas figés sur le sujet : réfléchissons-y avec clarté et lucidité.

Je dis simplement que les commentaires sont parfois faits à l’emporte-pièce : demander dans un article, dans un livre ou à la radio que les fonctionnaires passent immédiatement de 35 heures à 39 heures, cela représente quatre heures de plus et a donc un coût : il faut bien tout examiner.

De même, pourquoi exiger que l’on aligne le régime des cotisations retraite des salariés du public sur celui du privé ? C’est fait ! Depuis quelques années, les cotisations retraite augmentent tous les mois afin qu’en 2020, le taux de cotisation soit exactement le même dans les deux régimes. Pourtant, un certain nombre de personnalités politiques – je ne citerai personne – continuent à dire à la radio ou à la télévision qu’il faut les aligner : or c’est fait !

C’est cette ambiance générale qui pose problème ; mais nous y reviendrons dans le détail par la suite. Je retiens que l’ensemble des parlementaires ici présents ont soutenu notre fonction publique comme élément fondamental de la République : je tenais à souligner ce bon moment.

Discussion des articles

Mme la présidente. J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles du projet de loi.

Article 1er

Mme la présidente. La parole est à M. Christophe Premat, inscrit sur l’article.

M. Christophe Premat. L’article 1er rappelle les valeurs fondamentales de la fonction publique au cœur du service public. Je suis heureux, madame la ministre, que vous appeliez à cesser ce « fonctionnaire bashing » qui ne cesse de polluer le débat.

Le mérite de ce projet de loi est de redéfinir ses missions à l’occasion de la mise en place d’une déontologie rigoureuse dans le prolongement de la loi sur la transparence de la vie publique. La neutralité s’illustre par l’impartialité, la probité et la dignité, tandis que la laïcité est réaffirmée au cœur de cette mission éminente.

Alors que des valeurs fondamentales, que je qualifierai de « valeurs balises », sont réaffirmées, la deuxième partie de cet article inscrit le principe de l’évaluation. Évaluer, ce n’est pas uniquement observer la performance ou les résultats, c’est pouvoir contrôler l’application de ces principes. Insister sur les valeurs est essentiel pour la transformation du service public au XXIe siècle.

Mme la présidente. Nous en venons aux amendements.

Je suis saisie de deux amendements, nos 215 et 213, qui peuvent faire l’objet d’une présentation groupée.

La parole est à M. Christophe Premat, pour les soutenir.

M. Christophe Premat. Ces deux amendements ont pour objet de développer les notions et de les centrer sur les valeurs. L’objectif de ce projet de loi est de réaffirmer la notion de service public et de bien séparer le grade et l’emploi, d’où la nécessité d’insister sur ces valeurs.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements ?

Mme Françoise Descamps-Crosnier, rapporteure. La commission a repoussé ces deux amendements qui créeraient une obligation nouvelle de retenue pour les fonctionnaires, celle-ci étant inconnue à ce jour du statut et de la jurisprudence. Autant il peut y avoir débat sur le devoir de réserve, autant la création d’une nouvelle obligation n’est pas possible. La commission a donc rejeté ces deux amendements.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Sur l’ensemble des amendements portant sur l’obligation de réserve, j’aurai la même position.

Mme la présidente. Sur tous les amendements à l’article 1er ?

Mme Marylise Lebranchu, ministre. C’est cela. Nous entendons bien la demande liée à cette obligation de réserve, mais la jurisprudence a été extraordinairement productive et nous donne des définitions de très bonne qualité. La rédaction de la commission me semble meilleure : c’est pourquoi, sur l’ensemble des amendements, je rejoindrai la position qui sera sans doute celle de la rapporteure.

Mme la présidente. Monsieur Premat, retirez-vous vos amendements ?

M. Christophe Premat. Je les retire. Je précise toutefois que si la notion de retenue est ambiguë, l’obligation de réserve comporte en revanche une dimension temporelle importante. En effet, même après la fin d’une mission de service public, le fonctionnaire reste tenu d’observer cette obligation de réserve, laquelle se poursuit au-delà.

(Les amendements nos 215 et 213 sont retirés.)

Mme la présidente. La parole est à M. Christophe Premat, pour soutenir l’amendement n214.

M. Christophe Premat. J’ai déjà défendu cet amendement, qui porte sur l’obligation de réserve.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Françoise Descamps-Crosnier, rapporteure. L’obligation de réserve fait déjà partie des obligations des fonctionnaires et la jurisprudence administrative est très abondante sur ce point. Il avait été envisagé pendant un temps de consacrer l’obligation de réserve dans le projet de loi, mais cela n’a pas paru opportun, la portée de cette obligation étant très variable. Elle dépend en effet des fonctions de l’agent, de son rang hiérarchique et des circonstances de l’affaire. Il a donc été jugé préférable de s’en remettre à la jurisprudence.

J’ajoute que le statut général comporte déjà des obligations de secret professionnel et de discrétion professionnelle qui ne sont pas sans lien avec le devoir de réserve. L’avis est donc défavorable, la commission ayant repoussé cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. Guy Geoffroy.

M. Guy Geoffroy. Je suis surpris par la position défendue par notre rapporteure. Il est indéniable que la jurisprudence a dit beaucoup de choses assez précises, qui convergent vers une quasi-définition. Mais estimer que la jurisprudence suffirait en une telle matière et qu’il ne serait pas temps de sanctuariser la jurisprudence par une disposition législative me semble vraiment une erreur au regard de la place respective de la loi et de la jurisprudence. La jurisprudence est là pour préciser la loi mais, dès lors qu’elle écrit pratiquement la loi, il faut, si l’on est d’accord avec cette jurisprudence, la confirmer dans la loi.

Je pense vraiment que ce n’est pas trahir l’esprit du texte ni la volonté de notre rapporteure et de la ministre, ni la jurisprudence que de prendre cette précaution et d’écrire cela dans le texte. Cela permettra d’ailleurs à la jurisprudence de mieux s’exercer, avec un peu plus de précision si c’est nécessaire et en collant davantage à la réalité.

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Françoise Descamps-Crosnier, rapporteure. Je souhaite préciser que la rédaction de l’amendement n214 déposé par Mme Le Dain et M. Premat pose problème car elle contredit la jurisprudence : elle signifie en effet que le fonctionnaire ne serait soumis à l’obligation de réserve que dans l’exercice de ses fonctions. Or la jurisprudence fait également peser cette obligation en dehors de cet exercice, le fonctionnaire étant tenu à une certaine prudence dans l’extériorisation de son expression publique, même lorsqu’il n’est pas en service.

M. Guy Geoffroy. Il suffit de réécrire l’amendement !

Mme Françoise Descamps-Crosnier, rapporteure. Cet amendement ne peut pas être recevable pour cette raison.

M. Guy Geoffroy. En l’état !

Mme la présidente. Monsieur Premat, retirez-vous votre amendement ?

M. Christophe Premat. Non, madame la présidente. Je le maintiens pour une raison simple : dès lors que l’article 1er a pour objet d’énoncer des principes, on ne peut immédiatement renvoyer à la jurisprudence. Autant je pouvais le comprendre pour l’amendement précédent portant sur l’obligation de retenue, autant il me semble important d’ajouter l’obligation de réserve, car ce projet de loi insiste sur la mission noble de la fonction publique, et de ne pas confondre emploi et grade au sens de la loi de 1983. Il est dommage de manquer cette occasion. Je maintiens mon amendement.

(L’amendement n214 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Lionel Tardy, pour soutenir l’amendement n68.

M. Lionel Tardy. Nous ne devons pas écrire la loi sous le coup de l’actualité, mais l’actualité doit aussi nous instruire sur certaines lacunes de la loi. Nos concitoyens ont été très marqués par l’affaire des notes de taxi d’Agnès Saal – je ne vous en rappelle pas les détails, peu glorieux pour la fonction publique et pour l’État.

Ce projet de loi doit être l’occasion de rappeler que tout fonctionnaire est tenu de veiller au bon usage de l’argent public – l’argent des Français. Chaque fonctionnaire, à des degrés variables, gère de l’argent public : cette obligation déontologique a donc toute sa place dans ce projet de loi, aux côtés d’autres obligations telles que celle de faire cesser les conflits d’intérêts.

L’affaire Saal, tout comme d’autres affaires, montre à quel point cette inscription n’est en rien superflue. J’imagine donc que vous serez favorables à cet amendement, d’autant plus dans un contexte qui est – ou du moins devrait être – tourné vers la baisse des dépenses publiques.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Françoise Descamps-Crosnier, rapporteure. Cette obligation va de soi et n’a pas à être rappelée sous cette forme. Elle est déjà au cœur de toutes les procédures et formalités existantes, qu’il s’agisse des règles de dévolution des marchés publics ou de la séparation de l’ordonnateur et du comptable. En outre, cette obligation est déjà prise en compte au travers de l’ensemble des dispositions du statut général, notamment au travers de l’obligation de probité que nous ajoutons explicitement dans cet article 1er. La commission a donc repoussé cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Même avis, d’autant que l’affaire citée relève du pénal.

Mme la présidente. Monsieur Tardy, maintenez-vous votre amendement ?

M. Lionel Tardy. Oui, je le maintiens.

(L’amendement n68 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Tourret, pour soutenir l’amendement n202.

M. Alain Tourret. Vous savez à quel point les radicaux sont attachés au principe de laïcité : nous nous félicitons donc de constater que ce principe est parfaitement consacré dans le texte aujourd’hui soumis à la représentation nationale. Il nous semble cependant qu’il faut compléter l’alinéa 6 par la phrase suivante : « Le non-respect de ce principe peut constituer un manquement à ses obligations professionnelles. »

En effet, il faut rendre opérationnel le respect du principe de laïcité. Il convient donc de mentionner dans le projet de loi que le fait, pour un fonctionnaire, de manifester ses croyances religieuses dans l’exercice de ses fonctions, constitue ipso facto un manquement à ses obligations professionnelles.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Françoise Descamps-Crosnier, rapporteure. Votre amendement vise à préciser que le manquement à l’obligation de laïcité peut constituer un manquement aux obligations professionnelles. Il s’agit de rendre possible des sanctions disciplinaires.

Je pense que votre amendement est à la fois inutile et problématique. Inutile, tout d’abord : tout manquement à une obligation est passible de poursuites disciplinaires. À la différence du droit pénal, les fautes disciplinaires n’ont pas à être prédéterminées par la loi : tout manquement à l’obligation de laïcité peut donc être sanctionné sur le plan disciplinaire. Tel est d’ailleurs le cas aujourd’hui, le projet de loi ne faisant que consacrer une obligation déjà en vigueur.

Problématique, ensuite : si l’on écrit explicitement que la violation de l’obligation de laïcité constitue un manquement aux obligations professionnelles, on pourrait en déduire a contrario que le législateur a voulu que tel ne soit pas le cas pour les autres obligations : impartialité, probité, neutralité, etc. La portée d’ensemble de cet article 1er en serait ainsi considérablement affaiblie. La commission a donc repoussé cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Même avis.

Mme la présidente. Monsieur Tourret, retirez-vous cet amendement ?

M. Alain Tourret. Je le retire mais je voudrais au préalable dire quelques mots. J’ai écouté Mme la rapporteure : je crois que c’est totalement ignorer la réalité des choses. Aucune poursuite n’est engagée en cas de violation des obligations – aucune ! Le nombre des procédures disciplinaires est infime ; le nombre de procédures de rupture est infime, et il est regrettable de la part de notre rapporteure d’ignorer cela.

(L’amendement n202 est retiré.)

Mme la présidente. La parole est à M. Guy Geoffroy.

M. Guy Geoffroy. On ne pourra pas reprocher à notre rapporteure un manque de cohérence. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.) Non, on ne pourra pas le lui reprocher. Je salue cette cohérence.

Elle pose toutefois problème : dès lors que l’on refuse un certain nombre de choses, tout ce qui découle de ce qu’on a refusé ne peut pas être discuté. Ce sujet n’est pourtant pas neutre : ceux, et ils sont certainement nombreux ici, qui ont malheureusement eu l’occasion de siéger, soit en tant que membre d’un conseil de discipline dans la fonction publique territoriale, soit en tant qu’élu venant présenter une situation pour laquelle il a saisi le conseil, savent très bien que les membres des conseils de discipline sont très attentifs à ce que les dispositions sur lesquelles ils appuieront l’avis qu’ils donnent à la collectivité soient fondées sur des textes incontestables. Or qu’y a-t-il de plus incontestable qu’un texte de loi ?

En cette période où le ciment de notre société est, plus que jamais, de manière urgente et incontestable, la laïcité, inscrire ce principe dans la loi, comme cela est proposé dans l’amendement de nos collègues et dans l’amendement d’un certain nombre des collègues de mon groupe, me semble extrêmement important. J’invite vraiment notre rapporteure et le Gouvernement à réfléchir à la portée de leur refus.

Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Dumas, pour soutenir l’amendement n116.

Mme Françoise Dumas. Après l’alinéa 7, je souhaite insérer l’alinéa suivant : « Le fonctionnaire est tenu de mesurer ses modes d’expression afin de s’abstenir de tout acte ou comportement à caractère public incompatible avec la réserve que lui imposent ses fonctions. »

L’obligation de réserve est une obligation déontologique déterminante du respect de deux principes : la subordination hiérarchique et la neutralité du service public. Le rapport Pêcheur comme le rapport Nadal ont insisté sur l’exigence d’un corpus déontologique complet.

Ne pas inclure l’obligation de réserve de l’agent dans l’énoncé des obligations déontologiques est d’autant plus contestable qu’elle fait partie des obligations déontologiques les plus questionnées aujourd’hui avec le développement des réseaux sociaux.

Sa réaffirmation législative faciliterait le rôle des supérieurs hiérarchiques que le projet entend réévaluer. Au même titre que les autres obligations déontologiques, le juge statue sur l’application de l’obligation de réserve au cas par cas, ce qui a donné lieu à une jurisprudence nourrie et constante.

L’obligation de réserve ne serait pas liberticide ou plus impérative en figurant dans la loi. Elle serait simplement rappelée, au même titre que les autres impératifs déontologiques.

Inscrire cette obligation dans le texte, c’est rendre plus sûre son application et permettre une meilleure adéquation entre les faits commis par l’agent et les sanctions prononcées à son égard.

L’obligation de mesurer ses propos est pour le fonctionnaire une contrepartie importante de ses droits et de son indépendance.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Françoise Descamps-Crosnier, rapporteure. Je serai très rapide puisque j’ai déjà argumenté sur le sujet tout à l’heure, notamment sur la portée de cette obligation, qui est très variable.

Par ailleurs, la rédaction de cet amendement est discutable, puisque les termes « mesurer ses modes d’expression » ne sont pas très clairs. C’est pourquoi la commission a repoussé cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Même avis.

(L’amendement n116 est retiré.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Tourret, pour soutenir l’amendement n203.

M. Alain Tourret. Il s’agit d’une obligation de bon sens : on doit informer les agents du respect des règles déontologiques qui leur sont applicables.

Chacun comprendra que le rôle, la responsabilité et les prérogatives du chef de service demeurent essentiels pour garantir le respect des règles déontologiques applicables au service placé sous son autorité. Le rôle hiérarchique qui lui incombe doit cependant s’accompagner d’un rôle de pédagogie qui lui impose de porter à la connaissance des agents les règles qui leur sont applicables.

Ce que nous souhaitons, c’est plus d’information, plus de communication. Il y a une grande faillite de la communication dans la fonction publique et nous essayons d’y remédier.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Françoise Descamps-Crosnier, rapporteure. Cet amendement prévoit que le chef de service informe les agents placés sous son autorité sur les règles déontologiques applicables. C’est effectivement nécessaire, et, comme vous l’avez dit, cher collègue, de bon sens, mais cette préoccupation est déjà satisfaite par l’alinéa 11 de l’article 9 du projet de loi, qui dispose déjà que le chef de service doit expliciter les principes déontologiques applicables aux agents placés sous son autorité, en les adaptant aux missions du service.

Cette précision à l’article 1er ferait donc double emploi. C’est pourquoi la commission a repoussé cet amendement.

(L’amendement n203, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.)

(L’article 1er est adopté.)

Article 2

Mme la présidente. La parole est à M. Christophe Premat, inscrit sur l’article.

M. Christophe Premat. Cet article 2 apparaît dans la loi après que les valeurs fondamentales des fonctionnaires ont été définies. Il s’agit d’instaurer une culture de la déontologie, en lien avec la responsabilité des fonctionnaires. S’ils sont les gardiens du temple, c’est-à-dire du service public, ils doivent être capables d’évaluer les situations dans lesquelles ils exercent leurs fonctions.

Cette culture de la déontologie va de pair avec la mobilité de plus en plus exigée des fonctionnaires dans le respect de leur statut pour qu’ils puissent exercer leurs missions de la manière la plus professionnelle qui soit, en accord avec les valeurs définies à l’article 1er.

Cet article est donc fondamental dans l’architecture de ce projet de loi, d’où l’importance de sa rédaction – on y reviendra à l’occasion de la défense des amendements.

Mme la présidente. Nous en venons aux amendements.

Je suis saisie de trois amendements, nos 216, 217 et 218, qui peuvent faire l’objet d’une présentation groupée.

La parole est à Mme Anne-Yvonne Le Dain, pour les soutenir.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Il est vrai que les termes de « retenue » et de « réserve » appartiennent au langage commun et expriment la même chose pour tout le monde en France aujourd’hui. Ces notions sont essentielles et banales et je regrette que nous devions renvoyer à la jurisprudence alors que nous faisons la loi.

Il s’agit ici de la manière dont le fonctionnaire va pouvoir appliquer cette déontologie et prévenir les conflits d’intérêts.

Je propose dans l’amendement n216 que le fonctionnaire soit « tenu de faire cesser immédiatement ou de prévenir les situations de conflit d’intérêts dans lesquelles il se trouve ou pourrait se trouver » là où le texte dispose simplement qu’il veille à le faire, parce que s’il ne le fait pas, il se mettra en difficulté professionnelle, voire personnelle et psychologique, mais aussi en difficulté par rapport à ses collègues et à sa hiérarchie. Le fait qu’il soit tenu de le faire par la loi confortera tout fonctionnaire dans le sentiment d’être au service de la nation, du citoyen, du public dans l’exercice de sa mission, en lui procurant un confort intellectuel, moral, et, oserais-je dire, déontologique.

L’amendement n217 vise à insérer à l’alinéa 6, les mots « par écrit », après le mot « saisit ». Il serait bon, pour les raisons évoquées précédemment, de préciser que l’agent saisit son supérieur hiérarchique par écrit. Cela peut être – nous sommes au XXIe siècle ! – un simple courrier électronique confirmant une conversation. C’est aussi un moyen de dire au supérieur hiérarchique, voire à ses collègues, que c’est fait.

L’amendement n218, quant à lui, vise à préciser, toujours à l’alinéa 6, que « ce devoir d’information du supérieur hiérarchique s’ajoute à celui défini dans l’article 40 du code de procédure pénale ». Ce qui va sans dire va mieux en le disant. Il ne faudrait pas que les fonctionnaires se disent que tout est défini dans ce texte et qu’il ne réfère pas au droit commun.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Françoise Descamps-Crosnier, rapporteure. Ce sont des débats que nous avons déjà eus en commission des lois.

La modification proposée dans l’amendement n216 paraît purement sémantique, les deux formulations ayant le même sens. Je préfère la rédaction du projet de loi par souci de parallélisme avec la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, qui comporte exactement la même formule « veille à prévenir ou à faire cesser immédiatement tout conflit d’intérêts ». C’est pourquoi la commission a repoussé cet amendement.

La précision proposée par l’amendement n217 relative à l’obligation d’un écrit est d’ordre réglementaire et non législatif. Il est préférable de conserver la rédaction actuelle, toujours par souci de parallélisme avec la loi du 11 octobre 2013, qui ne précise pas que cela doit être fait par écrit.

En revanche, un décret d’application de cette loi prévoit bien cette obligation. Le décret d’application de l’article dont nous discutons aujourd’hui prévoira donc la même chose, et ma collègue aura satisfaction sans qu’il soit besoin d’ajouter cette précision dans la loi. Évitons une loi bavarde !

L’amendement n218, quant à lui, est déjà satisfait. Je précise par ailleurs qu’un conflit d’intérêts ne constitue pas nécessairement une infraction pénale. Il y a souvent confusion – je ne le dis pas pour vous, madame Le Dain. D’où la nécessité de distinguer les autorités judiciaires des autorités administratives. À partir du moment où le projet de loi mentionne bien les autorités judiciaires, cela signifie que le procureur de la République figure nécessairement au nombre des destinataires.

Voilà pourquoi la commission a repoussé ces trois amendements.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marylise Lebranchu, ministre. L’argumentation est la même : ces amendements sont satisfaits, en particulier le dernier. Les textes d’application feront mention de l’écrit auquel vous faites allusion.

J’ajoute à l’intention de M. Tourret, auquel j’ai oublié de répondre tout à l’heure, que s’agissant du faible nombre de poursuites, il faut en appeler à la responsabilité des employeurs publics et des autorités hiérarchiques. Ce n’est pas le texte qui pose problème. Est-on suffisamment attentif en ce qui concerne la laïcité ou d’autres comportements ? Je n’en suis pas certaine, monsieur Tourret, vous avez raison.

Nous rappellerons donc aussi, dans la loi et dans les circulaires d’application, les autorités hiérarchiques et les employeurs publics à leurs responsabilités.

M. Alain Tourret. Vous avez raison !

Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Yvonne Le Dain.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Je remercie Mme la rapporteure et Mme la ministre de leurs réponses, qui sont explicites. Sur les deux derniers amendements, je les entends et je suis rassurée et confiante. Sur le premier en revanche, je maintiens que « veiller à » et « être tenu de » n’ont pas le même sens.

Au bénéfice de ces observations, je retire néanmoins mes trois amendements.

(Les amendements nos 216, 217 et 218 sont retirés.)

(L’article 2 est adopté.)

Article 3

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements, nos 38 et 33, qui peuvent faire l’objet d’une présentation groupée.

La parole est à M. Paul Molac, pour les soutenir.

M. Paul Molac. Actuellement le lanceur d’alerte n’est protégé que s’il révèle un conflit d’intérêts à sa hiérarchie et s’il a alerté en vain les autorités administratives et judiciaires. L’alerte à la commission de déontologie de la fonction publique n’est donc pas couverte car, contrairement à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, elle ne peut pas être considérée comme une autorité administrative. Il s’agit de réparer cet oubli.

Par ailleurs, comme le prévoit l’article 25 de la loi relative à la transparence de la vie publique, nous souhaitons protéger la révélation à une association agréée de lutte contre la corruption.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Françoise Descamps-Crosnier, rapporteure. Il vaut pour les deux amendements, l’amendement n33 étant un amendement de repli par rapport à l’amendement n38.

Cet amendement vise effectivement à ajouter aux possibles destinataires d’une alerte relative à une situation de conflit d’intérêts, à la fois la commission de déontologie de la fonction publique et les associations de lutte contre la corruption.

Concernant la commission de déontologie, je ne crois pas que recevoir ce type d’alerte relève de sa fonction. La commission a un rôle essentiellement consultatif et de recommandation, en tout cas en matière de prévention et de traitement des conflits d’intérêts.

En commission des lois, nous avons déjà ajouté, à mon initiative, la possibilité d’alerter le référent déontologue, qui sera à la disposition de tout agent public. Si cette alerte ne suffit pas, il y a toujours la possibilité de s’adresser aux autorités soit judiciaires soit administratives, comme le prévoit l’article 3, c’est-à-dire à une institution dotée d’un réel pouvoir de décision.

En ce qui concerne les associations de lutte contre la corruption, l’amendement s’inspire de la loi relative à la transparence de la vie publique, mais on ne peut pas assimiler sans nuance l’ensemble des agents de la fonction publique aux plus hauts responsables, seuls concernés par cette loi. La référence à la lutte contre la corruption ne me paraît donc pas appropriée. Il semble préférable de porter l’alerte auprès des autorités compétentes plutôt qu’auprès d’associations.

Pour ces raisons, la commission a repoussé ces deux amendements.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marylise Lebranchu, ministre. J’ajouterai simplement à l’argumentation très précise de la rapporteure que le dispositif repose sur la nécessité pour tout agent d’alerter son chef de service. Il est important pour nous de donner aux chefs de service les moyens d’assurer leur rôle de garants de l’application des principes déontologiques dans leur service.

Nous ne sommes pas favorables à ces amendements, même s’ils nous éclairent sur ce qu’on doit faire en matière d’application d’un texte dont j’espère qu’il sera voté.

Je salue ici ceux qui se destinent au service des citoyens et qui nous écoutent.

Mme la présidente. Monsieur Molac, maintenez-vous vos amendements ?

M. Paul Molac. Je les maintiens.

(Les amendements nos 38 et 33, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. La parole est à M. Lionel Tardy, pour soutenir l’amendement n69.

M. Lionel Tardy. Est-il besoin d’une loi spécifique pour les lanceurs d’alerte ? À titre personnel, je n’en suis pas certain. Pour la fonction publique en tout cas, nous avons dans ce texte une bonne base pour protéger ces lanceurs d’alerte.

Ainsi, en principe, aucune mesure concernant sa carrière ne peut être prise à l’encontre d’un fonctionnaire ayant relaté au référent déontologue ou aux autorités judiciaires ou administratives des faits susceptibles d’être qualifiés de conflits d’intérêts dont il aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions.

Là encore, il n’est fait référence qu’au conflit d’intérêts. Pour reprendre l’exemple de l’affaire Saal, l’agent de l’Institut national de l’audiovisuel ayant relaté les faits que l’on sait ne serait pas protégé selon cette rédaction. Dans la ligne de mon amendement précédent, je rappelle que le mauvais usage de l’argent public n’est pas la même chose qu’un conflit d’intérêts.

Il convient donc d’adopter cet amendement pour prendre en compte cet élément dans la protection des lanceurs d’alerte.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Françoise Descamps-Crosnier, rapporteure. Comme M. Tardy vient de le préciser, cet amendement rejoint l’amendement n68 qu’il a défendu à l’article 1er.

Mon argumentation est, quant à elle, exactement la même que tout à l’heure. La commission a repoussé cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Dans le droit fil de ce que j’ai dit sans doute trop vite tout à l’heure, monsieur Tardy, lorsque le mauvais usage de l’argent public est constitutif d’un délit – c’est de cela dont vous parlez – l’article 40 du code de procédure pénale a vocation à s’appliquer, l’agent devant signaler ces manquements aux autorités judiciaires.

Vous savez dans quelles circonstances ont été découvertes les dépenses auxquelles vous faisiez allusion : par la Cour des comptes, dont c’est la mission. Je pense que toutes ces institutions répondent à votre souci.

Mme la présidente. Monsieur Tardy, retirez-vous votre amendement ?

M. Lionel Tardy. Je le retire.

(L’amendement n69 est retiré.)

Mme la présidente. La parole est à M. Paul Molac, pour soutenir l’amendement n34.

M. Paul Molac. Cet amendement vise à supprimer la précision selon quoi ne sont protégées que les informations recueillies par les lanceurs d’alerte dans le cadre de leur fonction. Elle nous semble affaiblir considérablement leur protection et, de surcroît, elle ne figure pas dans d’autres statuts de lanceurs d’alerte.

En effet, l’information selon laquelle, par exemple, un collègue possède des parts dans une entreprise est la plupart du temps connue dans un cadre privé – il est douteux qu’un agent l’apprenne dans le cadre de ses fonctions. Ce sera pourtant une condition indispensable pour qu’il soit protégé.

La rapporteure, en commission, nous a indiqué qu’étant donné le statut général des fonctionnaires, il était logique que nous parlions de « faits de conflits d’intérêts connus dans l’exercice des fonctions de l’agent public ». La protection doit valoir quel que soit le moment où le fonctionnaire a appris l’information. Nous proposons donc de supprimer cette restriction inutile et dangereuse.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Françoise Descamps-Crosnier, rapporteure. Mon argumentation sera assez semblable à celle que j’ai développée en commission.

En effet, nous modifions ici le statut général de la fonction publique, donc, des fonctionnaires. Il est logique que nous parlions de faits et de délits de conflits d’intérêts connus dans l’exercice des fonctions de l’agent public.

La même solution a d’ailleurs été retenue dans la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, dont l’article 25 mentionne les « faits relatifs à une situation de conflit d’intérêts » dont la personne « aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions. »

La commission a repoussé cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Même avis.

Mme la présidente. Monsieur Molac… ?

M. Paul Molac. Je maintiens mon amendement en vous remerciant, madame la présidente, de bien vouloir le soumettre au vote.

Mme la présidente. Je le mets donc aux voix.

(L’amendement n34 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Molac, pour soutenir l’amendement n35.

M. Paul Molac. Limiter la protection aux seuls cas où le fonctionnaire aurait alerté d’abord en vain sa hiérarchie affaiblit la protection des lanceurs d’alerte, ce qui nous semble être un obstacle dangereux à l’application de l’article 40 du code de procédure pénale.

Le statut de lanceur d’alerte, que nous créons ici, est limité. Il n’est pas question d’alertes publiques mais circonscrites à la hiérarchie ou aux autorités administratives ou judiciaires. Nous ne comprenons donc pas ce premier filtre hiérarchique.

Ainsi la rédaction actuelle permettrait-elle le licenciement d’un lanceur d’alerte qui aurait transmis une information à la justice sans l’avoir communiquée à son chef de service.

De plus, le texte ne définit pas ce qu’est « l’alerte vaine », ce qui constitue un moyen puissant pour enterrer des affaires et limiter de façon inédite la portée de l’article 40 du code de procédure pénale.

Cette obligation d’alerter en premier lieu le supérieur hiérarchique est d’ailleurs absente de la plupart des statuts de lanceurs d’alerte prévue dans la loi Le Pors.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Françoise Descamps-Crosnier, rapporteure. La commission a repoussé cet amendement.

La condition préalable consistant à avoir alerté en vain le supérieur hiérarchique peut soulever un problème dans le cas où c’est précisément ce dernier qui est en situation de conflit d’intérêts.

Néanmoins, il me paraît difficile de soutenir cet amendement et de supprimer toute condition : tout fonctionnaire pourrait alors lancer une alerte sans en avoir référé à sa hiérarchie au préalable. Or, le premier réflexe de l’agent public face à une situation délicate doit être au contraire de se tourner vers sa hiérarchie.

C’est pourquoi, sur ma proposition, nous avons adopté en commission des lois une solution intermédiaire en mentionnant plus largement l’une des autorités hiérarchiques dont l’agent relève. Nous lui permettons donc d’alerter son n + 2 si c’est par exemple son n + 5 qui est en cause.

Je souhaite que nous en restions à la solution adoptée en commission. Avis défavorable donc à l’adoption de cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Même avis.

Mme la présidente. Monsieur Molac, maintenez-vous votre amendement ?

M. Paul Molac. Je le retire.

(L’amendement n35 est retiré.)

Mme la présidente. La parole est à M. Paul Molac, pour soutenir l’amendement n36.

M. Paul Molac. À notre sens, il est contre-productif de créer un nouveau délit dérogatoire à l’article 226-10 du code pénal sanctionnant la dénonciation calomnieuse.

Tout d’abord, parce que ce délit va au-delà de cette dernière en incluant de nouveaux éléments, alors que la dénonciation calomnieuse reste centrée sur la révélation de faits que l’on sait partiellement ou totalement inexacts.

Ensuite, parce que la quasi-totalité des statuts de lanceurs d’alerte n’a pas créé de nouveaux délits dérogatoires et que l’on n’en voit pas ici l’utilité.

Faudra-t-il créer un nouveau délit à chaque statut de lanceur d’alerte alors que le délit de dénonciation calomnieuse existe déjà depuis longtemps ?

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Françoise Descamps-Crosnier, rapporteure. M. Molac a raison de noter que ces dispositions ne figurent pas dans toutes les lois protégeant les lanceurs d’alerte mais il est nécessaire d’éviter les lancements d’alerte fantaisistes, excessifs ou animés par des ressentiments personnels. C’est pourquoi je préfère maintenir ces dispositions.

Il ne s’agit par ailleurs que de la reprise de l’article 25 de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, lequel concerne également les lanceurs d’alerte en matière de conflits d’intérêts.

La commission a repoussé cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Même avis.

Mme la présidente. Monsieur Molac, retirez-vous l’amendement ?

M. Paul Molac. Je le retire.

(L’amendement n36 est retiré.)

Mme la présidente. La parole est à M. Paul Molac, pour soutenir l’amendement n37.

M. Paul Molac. Dans le même esprit que nos amendements précédents, nous proposons avec celui-ci d’harmoniser plusieurs statuts de lanceurs d’alerte. Cette harmonisation me semble nécessaire ; plusieurs acteurs et associations l’attendent.

Une étude du Conseil d’État a été évoquée mais je crains qu’aucun autre véhicule législatif ne se présente avant longtemps d’ici à la fin de la mandature.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Françoise Descamps-Crosnier, rapporteure. M. Molac a le mérite de la cohérence puisqu’il propose d’harmoniser les différents régimes de protection des lanceurs d’alerte mais, comme il l’a dit, le Gouvernement réfléchit à une telle harmonisation dans le cadre d’un prochain texte, une mission d’expertise étant de surcroît en cours à la section du rapport et des études du Conseil d’État.

Enfin, cette harmonisation excède très largement le droit de la fonction publique puisqu’il faudrait aussi modifier le code du travail, le code de la santé publique, etc.

Sur le fond, je ne partage pas certaines options de l’amendement. Par exemple, nous devons maintenir la référence au fait que la situation litigieuse a été connue dans l’exercice des fonctions du lanceur d’alerte.

Pour toutes ces raisons, la commission et moi-même donnons un avis défavorable à l’adoption de cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Même avis.

Si l’étude confiée au Conseil d’État ne faisait pas état d’une disposition qui irait dans le sens d’une harmonisation, le Gouvernement s’engage à ce qu’elle soit incluse dans la loi relative à la justice du XXIe siècle. Pour l’instant, nous ne pensons pas que nous aurons à le faire. Je vous prie donc de bien vouloir retirer votre amendement compte tenu de l’engagement que je viens de prendre sur l’utilisation d’un autre véhicule législatif s’il se révèle que nous avons tort.

Mme la présidente. Monsieur Molac… ?

M. Paul Molac. Je vais retirer l’amendement. Mais, si je puis dire, nous actons nos désaccords !

(L’amendement n37 est retiré.)

(L’article 3 est adopté.)

Article 4

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Tourret, pour soutenir l’amendement n50.

M. Alain Tourret. Madame la présidente, madame la ministre, nous voulons que la déclaration d’intérêts soit également adressée à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

Pourquoi ? Parce que l’un des enjeux fondamentaux de ce projet de loi est de promouvoir la déontologie des fonctionnaires et de favoriser l’émergence d’une culture déontologique, nous en sommes bien d’accord. Il est donc contre-productif de multiplier les structures chargées du respect des obligations déontologiques dans le secteur public alors que leurs missions, leur composition, leurs pouvoirs se recoupent très largement. L’émergence d’une culture déontologique nécessite l’identification immédiate du référent compétent, la centralisation de la jurisprudence et de l’effort doctrinal, donc, le regroupement des compétences.

Finalement, cet amendement propose de rationaliser le dispositif envisagé en suivant, dans la mesure du possible, le principe suivant : un déclarant - une institution, et en confiant à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique la réception des déclarations d’intérêt.

Il est donc proposé que l’autorité de nomination transmette la déclaration d’intérêts produite par l’agent à son supérieur hiérarchique et, concomitamment, à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Françoise Descamps-Crosnier, rapporteure. En commission, nous avons déjà rejeté un amendement de ce type présenté par M. Molac. Il a d’autant moins de sens désormais que le texte adopté par notre commission, contre mon avis, prévoit déjà la possible consultation de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique par le supérieur hiérarchique lorsque celui-ci a un doute sur une situation de conflit d’intérêts.

Cet amendement reviendrait à transmettre systématiquement l’ensemble des déclarations d’intérêts à la Haute Autorité mais il serait incohérent de prévoir une telle transmission tout en maintenant – comme le fait l’amendement – la possible saisine de la Haute Autorité par le supérieur hiérarchique.

En outre, la Haute Autorité serait submergée par les déclarations d’intérêts au risque de la priver de l’exercice de son pouvoir de contrôle, donc, de son efficacité.

La commission a repoussé cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Le débat à ce sujet a été extrêmement long et intéressant en commission. Le Gouvernement a déposé un amendement afin de répondre à un certain nombre de questions. Cet amendement vous donnera satisfaction, en partie du moins, sachant qu’il convient tout de même d’éviter les recours systématiques à la Haute Autorité, faute de quoi elle ne pourrait plus travailler.

Nous avons évoqué tout à l’heure le nombre de personnes susceptibles d’être touchées par un conflit d’intérêts – j’ai oublié de vous donner la réponse : à peu près 4 000 dans la fonction publique territoriale en plus des autres fonctions publiques. Il faut donc veiller à ne pas encombrer totalement la Haute Autorité s’il y a des manquements.

L’amendement gouvernemental permettra d’améliorer la situation même si cela, je l’entends, ne satisfait pas la rapporteure.

Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier. Je serai très rapide, puisque nous avons longuement débattu au sein de la commission.

Il serait sans doute temps de nous dire quel est le périmètre exact de la déclaration de patrimoine et de la déclaration d’intérêts. Si le périmètre de la seconde est extrêmement élargi, il est évident que la question de la possibilité de transférer le tout à la Haute Autorité se posera.

Je demande à Mme la ministre de nous faire connaître dans quelle proportion numérique la déclaration d’intérêts est étendue par rapport à la déclaration de patrimoine.

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Tourret.

M. Alain Tourret. Je pense qu’il faut savoir ce que l’on veut, madame la ministre.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. En effet !

M. Alain Tourret. La France est très en retard en matière de transparence de la vie publique, toutes les analyses le démontrent.

En ce qui concerne les élus, je pense que le progrès accompli en matière de transparence de la vie publique grâce à la Haute Autorité constitue un premier pas.

Maintenant, c’est au tour des hauts fonctionnaires occupant des postes élevés. L’argument selon lequel la Haute Autorité aurait trop de travail répond-il à cet enjeu ?

J’appelle votre attention sur le fait suivant : si vous vous présentez devant des organisations internationales avec de tels arguments, vous ferez immédiatement condamner la France.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Non !

M. Alain Tourret. Mais si, c’est une réalité ! Il ne suffit pas de dire que cela donnerait trop de travail et que par conséquent on ne le fait pas ! Cela revient à briser toute volonté de faire progresser la transparence de la vie publique !

J’appelle vraiment votre attention à ce sujet : il me semble qu’il est erroné de prendre ce problème par ce biais-là.

La Haute Autorité, qui marque un grand progrès, doit être renforcée au détriment de tous les cénacles déontologiques qui peuvent exister. C’est elle qui doit concentrer l’ensemble des actions visant à moderniser la vie publique.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Nous avons longuement débattu, y compris avec le président de la Haute Autorité, pour savoir qui s’assure de quoi.

J’entends la crainte de la rapporteure selon laquelle il pourrait y avoir une forme de tutelle sur la commission de déontologie.

Nous avons fait quant à nous le choix suivant : lorsque les situations sont claires et limpides, on en reste à la commission de déontologie ; chaque fois qu’un doute se présente, on en appelle à la Haute Autorité.

Ce fut notre réponse au questionnement de nombre d’entre vous et de la Haute Autorité elle-même après certaines pratiques.

Voilà ce que je propose dans l’amendement n57 à venir, dont je considère, madame la présidente, qu’il vient d’être présenté.

Je souhaite donc que l’on en reste au dispositif proposé, qui est déjà contesté par la commission elle-même.

Je tiens à répondre très précisément aux questions qui m’ont été posées, afin que la position du Gouvernement apparaisse clairement dans le compte rendu de la séance. La déclaration de situation patrimoniale est un outil qui vise prioritairement à lutter contre la corruption. Elle doit être produite par des responsables administratifs que leurs fonctions exposent objectivement à un tel risque, c’est-à-dire ceux qui occupent des emplois fonctionnels à forte incidence financière. En cas d’anomalie, la Haute Autorité, qui a absorbé la commission pour la transparence financière de la vie politique est rendue compétente pour se prononcer sur la situation patrimoniale du fonctionnaire.

Le nombre d’emplois dont l’occupation sera soumise à la production d’une déclaration de situation patrimoniale sera précisément délimité par le décret en Conseil d’État et nécessairement réduit, parce qu’il s’agira de fonctionnaires cadres supérieurs ou dirigeants, en prise directe avec les marchés publics ou les entreprises, comme ceux de Bercy par exemple, qu’ils soient du Trésor, de l’Agence des participations de l’État ou des Finances publiques. Il pourra également s’agir de hauts fonctionnaires exerçant la tutelle d’un secteur concurrentiel – je pense aux fonctionnaires qui suivent le secteur des entreprises de transport, par exemple.

La déclaration d’intérêts, quant à elle, est un outil qui vise à prévenir les conflits d’intérêts – elle n’est donc pas de même nature. Son champ d’application touche un périmètre d’emplois plus étendu que celui de la déclaration de situation patrimoniale. En effet, le critère du niveau hiérarchique n’est pas prépondérant dans l’analyse des fonctions exposées à un risque de conflit d’intérêts – d’où la référence faite tout à l’heure aux villes de 20 000 habitants. Mais il nous semble que le décret devra couvrir les emplois remplissant des critères fonctionnels objectifs d’exposition à un risque de conflit d’intérêts. Je pense par exemple à des agents ayant reçu délégation pour signer en qualité d’adjudicateurs de marchés publics, à des agents ayant délégation pour attribuer des subventions ou des aides financières, pour délivrer des agréments, pour homologuer ou pour certifier.

Je souhaite rappeler que cette logique de prévention s’inscrit dans un cadre différent : elle fait l’objet, en premier lieu, d’un accompagnement par le chef de service et, le cas échéant, par le référent déontologique, dans le cadre d’un dialogue déontologique de proximité. En cas de doute, la commission de déontologie pourra être saisie, ce qui est naturel, au vu des questions qui sont posées – impartialité de l’agent, indépendance du service, autres principes déontologiques inhérents à la fonction publique – et de l’expérience de cette commission.

Je tenais à apporter ces précisions qui, je l’espère, répondent à la fois à la question de Mme Untermaier et à celles qui se sont posées à l’occasion de la discussion d’amendements ou que se posent encore certains d’entre vous.

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Françoise Descamps-Crosnier, rapporteure. Je voudrais revenir d’un mot sur l’amendement de M. Tourret. Il est important de rappeler que la philosophie du projet de loi est d’insuffler une culture déontologique. Si l’on envoie systématiquement toutes les déclarations d’intérêts à la Haute Autorité, on déresponsabilise à la fois l’agent et son chef de service. Ce que nous voulons encourager, c’est un accompagnement, avec les référents déontologues, si nécessaires, afin d’insuffler cette culture déontologique. Cette démarche, du reste, s’inscrit dans le prolongement des rapports Sauvé et Jospin, qui entendaient déjà insuffler une telle culture. Il me semblait important de rappeler ces éléments à ce moment du débat.

M. Lionel Tardy. On aurait dû faire la même chose pour les députés : se contenter d’ « insuffler » !

Mme la présidente. Monsieur Tourret, maintenez-vous votre amendement ?

M. Alain Tourret. Je voulais aller plus loin que le Gouvernement, mais son amendement est incontestablement un progrès. Compte tenu de ce progrès louable, je retire mon amendement.

(L’amendement n50 est retiré.)

Mme la présidente. L’amendement du Gouvernement, n57, a déjà été défendu.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. En effet.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Françoise Descamps-Crosnier, rapporteure. La commission des lois, en dépit de mon avis défavorable, avait fait le choix de transférer à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique la mission d’apprécier l’éventuelle existence d’une situation de conflit d’intérêts touchant un agent. Cette compétence consultative sur saisine de l’autorité hiérarchique devait initialement être confiée à la commission de déontologie de la fonction publique, et je pense toujours que c’était la meilleure solution.

Cet amendement du Gouvernement ne rétablit donc pas le texte initial du projet de loi, mais propose une solution intermédiaire : la compétence consultative de principe appartiendrait à la commission de déontologie, laquelle, en cas de doute sur la réalité de la situation de conflit d’intérêts, pourrait saisir la Haute Autorité, qui lui rendrait son avis dans le délai d’un mois. La commission de déontologie demeurerait le seul interlocuteur de l’autorité hiérarchique.

Ce mécanisme m’apparaît très lourd et contradictoire avec la nécessité, pour l’autorité hiérarchique, de pouvoir disposer rapidement d’un avis l’éclairant sur un éventuel conflit d’intérêts dans son service. En outre, cet amendement institue une forme de supériorité de la Haute Autorité sur la commission de déontologie, ce qui n’apparaît pas souhaitable, dès lors qu’il s’agit de faire coexister ces deux organismes. Le projet de loi a considérablement renforcé les pouvoirs de la commission de déontologie. Par conséquent, introduire une procédure d’appel auprès de la Haute Autorité me semble aller à l’encontre de la philosophie du projet de loi. C’est pourquoi la commission a repoussé cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. Guy Geoffroy.

M. Guy Geoffroy. Je voudrais remercier la commission d’avoir émis un tel avis. Moi qui aime et pratique le billard français, je dois bien avouer que vous faites très fort, madame la ministre ! Vous ne vous contentez pas de faire deux ou trois bandes : là, c’est bande avant, suivie d’un rétro et de trois bandes !

M. Lionel Tardy. C’est vrai !

M. Guy Geoffroy. Il faut être simple et mettre chaque institution à sa place : l’argumentaire de notre rapporteure était très clair sur ce point. Votre amendement rend les choses trop compliquées, trop floues et trop incertaines. Je voterai donc comme la rapporteure et la commission des lois ont souhaité que nous le fassions, c’est-à-dire contre cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. Lionel Tardy.

M. Lionel Tardy. Comme mon collègue Guy Geoffroy, j’ai l’impression que cet amendement nous fait revenir en arrière concernant la répartition des rôles entre la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique et la commission de déontologie de la fonction publique. L’imbrication entre les deux instances fait que l’on s’y perd.

Puisque vous avez modifié ce projet de loi à plusieurs reprises, vous auriez aussi pu réfléchir à la mutualisation des moyens, voire au rapprochement de ces deux instances – le groupe Les Républicains vous y invitera d’ailleurs tout à l’heure. Cet amendement, en tout cas, montre qu’il ne serait pas absurde d’introduire la commission de déontologie au sein de la HATVP. La répartition des rôles entre ces deux instances devient vraiment trop complexe. Je suis d’avis, comme Mme la rapporteure, de ne pas voter cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Le Gouvernement a proposé un chemin pour dissiper les doutes qui se sont exprimés en commission sur les attributions respectives de la commission de déontologie et de la Haute Autorité. Il faut d’abord rappeler que les deux instances ne sont pas de même nature.

M. Guy Geoffroy. Précisément !

Mme Marylise Lebranchu, ministre. La commission de déontologie dépend de l’administration, tandis que la Haute Autorité est indépendante. Nous avons cherché, je l’ai dit, à dissiper les doutes qui se sont exprimés lors de l’examen du texte en commission. Il nous a semblé que des supérieurs hiérarchiques pouvaient, en cas de besoin, en appeler à la Haute Autorité : cela ne revient pas à mettre la commission de déontologie sous tutelle – une commission ne peut pas être sous la tutelle d’une autorité indépendante – mais à faire de la Haute Autorité une sorte d’instance d’appel.

Nous verrons bientôt les effets du nouveau dispositif et tirerons les leçons des premiers cas qui auront été traités. Ce que nous nous sommes demandé, c’est si l’avis de la commission de déontologie devait être définitif ou si l’on pouvait envisager une forme d’appel. Sans doute la garde des sceaux que j’ai été a-t-elle influencé la ministre de la fonction publique que je suis aujourd’hui – toute décision mérite un appel, et même le doute. D’aucuns craignent que les dossiers transmis à la Haute Autorité ne soient pas traités assez rapidement et que ce délai retarde les sanctions. Peu importe : dans le doute, on s’abstient. Ce n’est pas parce que l’on attendra l’avis de la Haute Autorité que tout sera bloqué.

Tel est l’esprit dans lequel nous avons travaillé. Je reconnais que cette proposition a été élaborée très vite, mais elle l’a été pour répondre aux doutes exprimés en commission.

(L’amendement n57 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Tourret, pour soutenir l’amendement n52.

M. Alain Tourret. Cet amendement de précision vise à rappeler que la Haute Autorité assure la vérification et le contrôle des déclarations prévues par cet article.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Françoise Descamps-Crosnier, rapporteure. La commission a repoussé cet amendement, qui concerne les déclarations d’intérêts. Le pouvoir de la Haute Autorité serait plus adapté au contrôle des déclarations de patrimoine. Des amendements en ce sens ont d’ailleurs été adoptés par la commission des lois et ont été intégrés à l’article 4. Ces pouvoirs n’auraient de sens que si la Haute Autorité avait pour mission de contrôler systématiquement l’ensemble des déclarations d’intérêts, ce qui n’est pas le cas. Le mécanisme applicable à la fonction publique est très différent. Je n’irai pas plus loin dans mon argumentation : la commission a repoussé cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Madame la présidente, il me semble que le rejet de l’amendement du Gouvernement implique le rejet de celui-ci.

Mme la présidente. La parole est à M. Julien Aubert.

M. Julien Aubert. Il se trouve que j’ai été pendant cinq ans rapporteur de ladite commission de déontologie des fonctionnaires de l’État. Plutôt que d’introduire ces tubulures complexes, pourquoi ne pas avoir donné la possibilité aux rapporteurs de la commission de déontologie de s’adresser à la Haute Autorité, lorsqu’ils instruisent une affaire ? Pourquoi obliger la commission à suspendre ses travaux pour se tourner vers la Haute Autorité ?

En pratique, le haut fonctionnaire chargé de l’enquête, qui est généralement rapporteur de la Cour des comptes ou du Conseil d’État, fait un travail de collecte d’informations : rien ne l’empêche d’aller voir la Haute Autorité en cas de doute et de transmettre les informations à la commission.

M. Guy Geoffroy et M. Lionel Tardy. Très bien !

Mme la présidente. Monsieur Tourret, l’amendement est-il maintenu ?

M. Alain Tourret. Je le retire.

(L’amendement n52 est retiré.)

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Dussopt, pour soutenir l’amendement n8.

M. Olivier Dussopt. Si vous en êtes d’accord, madame la présidente, je défendrai en même temps l’amendement n9, qui porte sur l’article 6, mais qui poursuit exactement le même objectif. Il s’agit de garantir le droit, pour les fonctionnaires, de participer aux instances de direction et conseils d’orientation des sociétés mutualistes, des coopératives ou des unions, soit en matière de santé, soit en matière bancaire, dans le cas des banques coopératives.

La loi du13 juillet 1983 relative aux droits et obligations des fonctionnaires interdit la participation des fonctionnaires aux organes de direction de sociétés ou d’associations à but lucratif. Nous pensions que cette disposition était écartée par l’article 24 de la loi du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire, qui rappelle que les fonctions de membre du conseil d’administration ou du conseil de surveillance sont gratuites et n’ouvrent droit, sur justification, qu’à remboursement des frais, ainsi que, le cas échéant, au paiement d’une indemnité compensatrice. C’était une manière de dire que ce type de mandat n’était pas assimilé à une activité lucrative ou pourvoyeuse de revenus.

Les sociétaires fonctionnaires, en devenant membres d’un conseil d’orientation, par exemple, ne cherchent pas à exercer une activité professionnelle et lucrative, mais simplement à incarner l’une des bases des coopératives, à savoir la gouvernance démocratique. Ces deux amendements ont donc pour objectif de préciser spécifiquement que la qualité de fonctionnaire n’empêche en aucun cas la participation à un organe non exécutif d’une structure coopérative. À défaut, il y aurait rupture d’égalité.

Je précise, pour terminer, que cet amendement de clarification est notamment rendu nécessaire par les dernières prises de position de l’Autorité de contrôle prudentiel qui, sur la base des dispositions du code monétaire et financier, semble vouloir prendre prétexte des ambiguïtés des textes pour remettre en cause la présence des fonctionnaires dans ce type d’instances. En adoptant cet amendement, nous garantirions la participation des fonctionnaires à ces instances mutualistes.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Françoise Descamps-Crosnier, rapporteure. Il me semble effectivement important de prévoir des règles dérogatoires aux dispositions interdisant le cumul d’activités pour les fonctionnaires membres de coopératives. Il se trouve que l’amendement n65 rectifié de M. Régis Juanico portant article additionnel après l’article 6, poursuit le même objectif.

Afin de lever toute ambiguïté, il peut être utile d’inscrire explicitement dans une loi la compatibilité entre la qualité d’agent public et celle de membre d’une coopérative. C’est du reste ce que prévoit déjà le code de la mutualité pour les fonctionnaires administrateurs de mutuelles.

Il faut donc s’inspirer de ces dispositions. Or c’est le cas de l’amendement n65 rectifié de M. Juanico portant article additionnel après l’article 6. C’est pourquoi je suggère à M. Dussopt de bien vouloir retirer son amendement n8 – je demanderai également à l’article 6 le retrait de son amendement n9 – au profit de l’amendement n65 rectifié, lequel, en s’appuyant sur des dispositions déjà existantes, a l’avantage de ne pas modifier le statut général des fonctionnaires. Si ces trois amendements se rejoignent, je préfère la rédaction de l’amendement n65 rectifié.

La commission a donc repoussé l’amendement n8 non pas sur le fond mais sur la forme.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marylise Lebranchu, ministre. La rédaction de l’amendement n65 rectifié étant meilleure, je demande à M. Dussopt de bien vouloir retirer le sien.

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Dussopt.

M. Olivier Dussopt. La commission des lois ayant donné un avis favorable à l’amendement n65 rectifié lors de sa réunion au titre de l’article 88, Mme la rapporteure pourra le reprendre si ses deux auteurs ne nous ont pas rejoints d’ici là.

Comme je crois savoir qu’elle le fera, je retire l’amendement n8 – et retirerai également l’amendement n9 à l’article 6 – au profit de l’amendement n65 rectifié.

(L’amendement n8 est retiré.)

Mme la présidente. La parole est à M. Lionel Tardy, pour soutenir l’amendement n70.

M. Lionel Tardy. Autant des choses manquent dans le texte, autant il contient des phrases en trop, comme celle qui précise que le fonctionnaire « gère librement son patrimoine personnel ou familial ». Encore heureux, dirais-je ! Aux dernières nouvelles, tous les Français peuvent faire de même sans qu’il soit nécessaire, me semble-t-il, de l’inscrire dans la loi.

Telle est la raison pour laquelle l’amendement n70 vise à supprimer du texte cette phrase objectivement superfétatoire, tout comme vous avez jugé superfétatoire, à l’article 1er, de préciser qu’un fonctionnaire doit veiller au bon usage de l’argent public...

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Françoise Descamps-Crosnier, rapporteure. M. Tardy n’a pas tort sur le fond. Toutefois, ces dispositions figurent déjà dans le statut général des fonctionnaires. Si nous les supprimions, nous pourrions donner l’impression d’un recul par rapport à l’existant. C’est pourquoi j’ai demandé à la commission de repousser l’amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Monsieur Tardy, je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement. En effet, si leur patrimoine comprend des actions ou des obligations, il serait possible de demander à ces agents, comme c’est le cas pour certains ministres ou hauts fonctionnaires, de faire gérer leur patrimoine par un tiers. Cette disposition répond donc bien à une demande de clarification. Nous ne voulons pas appliquer aux fonctionnaires les règles applicables par exemple à un ministre de l’économie, qui est obligé de faire gérer son patrimoine par un tiers.

Cette précaution, loin d’être d’usage, est justifiée par le fait que d’autres ne peuvent pas gérer personnellement leur patrimoine.

Mme la présidente. La parole est à M. Guy Geoffroy.

M. Guy Geoffroy. L’explication de Mme la ministre est diablement importante ! Toutefois, tout fonctionnaire qui découvrira que la loi consent à ce qu’il gère librement son patrimoine ne manquera pas de s’interroger, voire de ressentir un profond mécontentement. Cette disposition est en effet la moindre des choses ! Le fait même qu’elle soit évoquée me gêne car cela suggère qu’une formule, autre que celle, pour un fonctionnaire, qui est citoyen comme un autre, de pouvoir gérer librement son patrimoine, serait envisageable.

L’argument de Mme la rapporteure a certes sa cohérence. Toutefois, si on doit refuser d’interpeller un statut général, même s’il contient des aberrations, on n’en sortira jamais ! Il faudrait peut-être prendre aujourd’hui l’initiative de dire : trop c’est trop ! Une telle disposition, qui connote le fonctionnaire, étant intolérable, il faut la supprimer sans attendre le jour où il conviendra de se pencher globalement sur le statut général des fonctionnaires pour l’épurer des connotations qui n’y ont pas leur place, n’auraient jamais dû l’y avoir et l’y ont encore moins aujourd’hui.

Mme la présidente. Monsieur Tardy, maintenez-vous votre amendement ?

M. Lionel Tardy. Oui, madame la présidente.

(L’amendement n70 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Yvonne Le Dain, pour soutenir l’amendement n219 rectifié.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. L’article 4 vise des fonctionnaires en responsabilité de très haut niveau, dont les décisions auront un impact important. Une décision n’a pas seulement un impact financier, factuel ou concret : elle peut avoir aussi une incidence lorsqu’elle engage une négociation dans une voie plutôt qu’une autre.

C’est pourquoi, à l’alinéa 13, il serait pertinent de remplacer, s’agissant des « fonctionnaires dont les missions ont une incidence en matière économique », le mot « missions » par le mot « décisions ». Je le répète : une décision n’est pas seulement un fait reconnaissable. Elle peut être un ordre donné à un subordonné, une conversation, une parole prononcée dans une conférence ou un lieu de discussion et de négociation. À ce niveau de responsabilité – je rappelle que sont ici visés des fonctionnaires qui ont autorité sur de multiples choses, et pas seulement sur leurs subordonnés ! –, il conviendrait, je le répète, de parler non pas de « missions » mais de « décisions ». Une décision n’est pas seulement un acte juridique, notamment dans le monde du travail.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Françoise Descamps-Crosnier, rapporteure. Cet amendement modifie la définition des agents qui devraient faire gérer leurs instruments financiers par un mandataire. Si Mme Le Dain a retravaillé la rédaction de son amendement depuis la séance de la commission des lois qui s’est tenue la semaine dernière, la rédaction du projet de loi me paraît toutefois meilleure. En effet, les termes de l’amendement sont vagues, puisqu’ils se réfèrent, non pas aux « missions » des agents – mot qui a l’avantage, à mes yeux, d’être plus objectif du fait qu’à un poste donné correspondent des missions bien précises, en fonction de la fiche de poste –, mais aux « décisions » prises par un agent, ce qui introduit un élément plus factuel et contingent.

Une telle rédaction rendrait par ailleurs difficile celle du décret précisant le champ des agents concernés par cette mesure. La commission a donc repoussé cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marylise Lebranchu, ministre. La décision n’est pas seule en cause. Si je prends pour exemple un schéma de cohérence territoriale – SCOT – dont l’élaboration peut avoir des conséquences en termes de moins-values et de plus-values foncières dans les territoires, le fonctionnaire, dans sa mission d’accompagnement du choix des élus ne prend pas de décision : il a un rôle de consultant. Sa mission est d’accompagner les élus dans la rédaction dudit SCOT.

Il faut garder le mot « missions », sous peine d’écarter les conséquences d’influences, importantes en termes économiques car elles sont de nature à changer jusqu’au patrimoine d’une personne.

Mme la présidente. La parole est à M. Julien Aubert.

M. Julien Aubert. Je préfère le mot « missions » au mot « décisions ». En effet, nous avons pu nous apercevoir à la commission de déontologie en examinant la situation des membres de cabinets, que les mesures décidées au sein d’un cabinet ne sont jamais prises par le cabinet lui-même mais par l’administration. De ce fait, très souvent, les fonctionnaires qui travaillent dans un cabinet avaient des obligations déontologiques moindres, ce qui n’allait pas sans contradiction. Ainsi, un secrétaire général adjoint de l’Élysée, ne prenant pas officiellement de décision dans un secteur, n’était pas soumis aux mêmes obligations qu’un directeur d’administration, même s’il avait la mission de superviser tout le secteur économique en question.

Le mot « missions » permet d’embrasser un champ plus large que le mot « décisions » : il est donc meilleur.

Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Yvonne Le Dain.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Je vous remercie de cette discussion qui éclaire le débat ainsi que, d’ores et déjà, la rédaction des futurs décrets d’application. Je retire l’amendement.

(L’amendement n219 rectifié est retiré.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Tourret, pour soutenir l’amendement n53.

M. Alain Tourret. À la première phrase de l’alinéa 17, si l’amendement n53 vise à substituer aux mots : « une liste établie par Conseil d’État », les mots : « la liste prévue au premier alinéa du I de l’article 25 quater », c’est que l’objectif est de renforcer la cohérence et la lisibilité du système en prévoyant un périmètre identique pour les déclarations de patrimoine et d’intérêts. La rédaction sera plus précise.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Françoise Descamps-Crosnier, rapporteure. Mme la ministre a indiqué qu’il y aura deux décrets, ce qui rend sans objet l’amendement. La commission a repoussé l’amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Même avis.

Mme la présidente. Monsieur Tourret, retirez-vous l’amendement ?

M. Alain Tourret. Je retire l’amendement.

(L’amendement n53 est retiré.)

Mme la présidente. La parole est à M. Paul Molac, pour soutenir l’amendement n88.

M. Paul Molac. J’indique dès à présent que je soutiendrai des amendements identiques à celui-ci aux articles suivants. Ces amendements prévoient qu’à la déclaration de situation patrimoniale est systématiquement jointe la déclaration d’intérêts. Il s’agit non pas de faire de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique l’autorité compétente en matière de déontologie des fonctionnaires mais de lui donner les éléments indispensables pour juger de la pertinence d’une déclaration de patrimoine. La simple possibilité de transmission d’informations prévue entre la Haute Autorité et la commission de déontologie nous paraît insuffisante. On ne peut juger de l’évolution d’un patrimoine sans déclaration d’intérêts. C’est pourquoi celle-ci doit être systématiquement jointe aux déclarations de situation patrimoniale.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Françoise Descamps-Crosnier, rapporteure. Quoique l’exposé sommaire s’en défende, cet amendement empiéterait un peu plus sur les compétences de la commission de déontologie puisqu’il prévoit que les déclarations de patrimoine transmises à la Haute Autorité devraient être accompagnées des déclarations d’intérêts, ce qui aboutirait à priver la mission de la commission de déontologie ainsi que le contrôle par l’autorité hiérarchique de l’essentiel de leur intérêt.

Je comprends la volonté d’examiner les déclarations patrimoniales à l’aune des déclarations d’intérêts, les deux outils pouvant être complémentaires. Cette préoccupation sera satisfaite par le mécanisme, inscrit dans le texte à mon initiative, d’échange d’informations entre la commission de déontologie et la Haute Autorité.

Avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Même avis puisque la commission a répondu par avance aux inquiétudes exprimées.

Mme la présidente. Monsieur Molac, retires-vous votre amendement ?

M. Paul Molac. Non, qu’il soit soumis au vote !

(L’amendement n88 n’est pas adopté.)

(L’article 4 est adopté.)

Article 5

(L’article 5 est adopté.)

Après l’article 5

Mme la présidente. La parole est à M. Paul Molac, pour soutenir l’amendement n96 portant article additionnel après l’article 5.

M. Paul Molac. Afin de prévenir les conflits d’intérêts, l’amendement n96 crée une obligation, pour les personnes nommées par le Président de la République à des fonctions d’intérêt général, de remettre une déclaration d’intérêts aux commissions permanentes des assemblées chargées de les auditionner. Il s’agit d’une recommandation du rapport « Renouer la confiance publique » remis au Président de la République par Jean-Louis Nadal au mois de janvier dernier.

Cette disposition permettrait aux commissions d’être pleinement éclairées au moment de donner leur avis.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Françoise Descamps-Crosnier, rapporteure. Cet amendement, inspiré du rapport Nadal sur l’exemplarité des responsables publics, impose aux personnes auditionnées par les commissions parlementaires, avant leur nomination par le Président de la République, de remettre auprès de la commission concernée une déclaration d’intérêts.

Cette bonne idée mériterait d’être mise en œuvre en dehors même de tout texte. En revanche, l’inscrire ainsi dans le projet de loi serait inconstitutionnel pour plusieurs raisons.

Tout d’abord cette formalité nouvelle ne peut être prévue dans la loi ordinaire à laquelle renvoie l’article 13 de la Constitution, celui-ci ne renvoyant à la loi ordinaire que pour déterminer les commissions permanentes compétentes selon les emplois et les fonctions concernées.

Ensuite, même si elle était prévue dans la loi organique mentionnée à l’article 13, cette obligation de remise de déclaration d’intérêts serait probablement contraire à la Constitution : en effet, elle viendrait davantage encore encadrer le pouvoir de nomination du Président de la République, en introduisant une condition supplémentaire à l’exercice du pouvoir présidentiel non prévue à l’article 13, et pourrait porter atteinte à la séparation des pouvoirs.

La commission a donc repoussé cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Même avis. Il y faudrait au moins une loi organique.

Mme la présidente. La parole est à M. Julien Aubert.

M. Julien Aubert. Voilà un bel amendement inconstitutionnel !

Au-delà de ces aspects juridiques, je tiens à appeler votre attention sur le fait que nous prévoyons dans la loi, au gré des textes successifs, diverses déclarations. Or il serait utile qu’un seul type de déclaration suive le fonctionnaire tout au long de sa carrière.

Vous voyez le problème : si l’on établit une déclaration pour telle commission, une autre pour telle haute autorité, une autre encore parce que l’on est nommé à un poste par le Président de la République – même si cette nomination n’est finalement pas confirmée –, alors les choses deviennent compliquées. Le contenu de ces différentes déclarations peut être différent, d’abord parce que la situation d’une personne évolue avec le temps, ensuite parce que des informations différentes peuvent être demandées pour chacune de ces déclarations. Il serait beaucoup plus simple d’établir un type de formulaire applicable à toutes les situations, qui suivrait la personne tout au long de sa carrière et qui pourrait être ressorti à chaque fois, ce qui permettrait de capitaliser les informations.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Vous avez raison ! C’est une bonne idée !

M. Julien Aubert. Je crains qu’abondance de biens ne finisse par nuire.

Mme la présidente. La parole est à M. Paul Molac.

M. Paul Molac. J’entends bien, mais ces informations seraient très utiles au législateur lorsqu’il lui appartient de confirmer ou d’infirmer une nomination du Président de la République. C’est nous qui, finalement, validons cette nomination : il est déjà arrivé, en commission des lois par exemple, que les trois cinquièmes des votants rejettent une nomination envisagée par le Président de la République. Disposer de ces informations nous permettrait tout simplement de faire notre travail. Je maintiens donc mon amendement.

(L’amendement n96 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 201 et 224.

La parole est à M. Paul Molac, pour soutenir l’amendement n201.

M. Paul Molac. Défendu.

Mme la présidente. La parole est à Mme Barbara Romagnan, pour soutenir l’amendement n224.

Mme Barbara Romagnan. Il existe de nombreuses législations sur les conflits d’intérêts relatives à des institutions spécifiques. Il existe aussi une législation plus générale qui concerne tous les élus, depuis les lois de 2013.

Il nous a semblé nécessaire qu’un cadre plus général prévienne les conflits d’intérêts en s’appliquant à l’ensemble des postes sur lesquels s’exerce le pouvoir de nomination du Président de la République. Cet amendement, inspiré du modèle qui prévaut pour les membres de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet – HADOPI –, vise à créer une interdiction, pour les personnes nommées par le Président de la République à des fonctions d’intérêt général, d’avoir exercé, pendant les cinq années qui précèdent leur nomination, une activité privée en lien avec cette mission d’intérêt général.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements identiques ?

Mme Françoise Descamps-Crosnier, rapporteure. Je ne répéterai pas l’objet de ces amendements, qui a été bien exposé par Mme Romagnan. Ils posent incontestablement une question importante, mais qui excède très largement le champ de ce projet de loi relatif à la fonction publique.

En outre, le fait de viser spécifiquement le champ des personnes pour lesquelles la nomination présidentielle s’exerce après avis des commissions parlementaires est discutable – je l’ai déjà expliqué tout à l’heure.

Le dernier alinéa de l’article 13 de la Constitution couvre un ensemble de nominations très hétérogène. On y trouve d’abord des dirigeants d’entreprises publiques, pour lesquels des règles spécifiques existent parfois, et si ces règles méritent effectivement d’être renforcées, cela pourrait être l’un des objets du futur projet de loi dit « Sapin 2 » relatif à la transparence en matière économique, attendu pour la fin de l’année. On y trouve aussi nombre d’autorités administratives indépendantes, pour lesquelles des règles de prévention des conflits d’intérêts existent également, soit dans des législations sectorielles, notamment en matière économique, soit dans la loi relative à la transparence de la vie publique de 2013. Je rappelle par exemple que tous les membres des autorités administratives indépendantes sont tenus de remplir des déclarations d’intérêts et de patrimoine.

Enfin, en exigeant une déclaration d’intérêts préalablement à la désignation par le Président de la République, et donc en introduisant une condition supplémentaire dans la procédure, ces amendements posent un problème de constitutionnalité, comme je l’ai expliqué tout à l’heure. Cette condition n’est pas prévue à l’article 13 de la Constitution : une telle disposition pourrait donc porter atteinte à la séparation des pouvoirs.

Pour toutes ces raisons, la commission a repoussé ces deux amendements identiques.

Mme la présidente. La parole est à M. Paul Molac.

M. Paul Molac. Je retire mon amendement.

Mme la présidente. Maintenez-vous le vôtre, madame Romagnan ?

Mme Barbara Romagnan. Non, madame la présidente, je le retire.

(Les amendements identiques nos 201 et 224 sont retirés.)

Avant l’article 6

Mme la présidente. La parole est à M. Lionel Tardy, pour soutenir l’amendement n93 portant article additionnel avant l’article 6.

M. Lionel Tardy. Cet amendement porte sur une question que nous avons déjà abordée hier soir, lors de la discussion du projet de loi relatif à la gratuité et aux modalités de la réutilisation des informations du secteur public. Nous aurions également pu l’aborder dans le cadre du projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine. C’est la preuve que cette question, qui concerne le droit d’auteur des fonctionnaires, mérite d’être traitée.

Est-il justifié qu’un agent public qui réalise une œuvre dans le cadre de ses fonctions puisse toucher des droits d’auteur pour cela, alors que ce n’est a priori pas le cas pour un employé du privé ? Voilà une première question, globale : il faudra engager une réflexion à ce sujet.

Sans aller jusque-là, je vous propose, dans un premier temps, de revoir ce régime. En effet, j’ai été alerté de certains cas où la diffusion d’œuvres culturelles avait failli être empêchée à cause de ce droit d’auteur un peu particulier. Autrement dit, si l’État accepte la réutilisation, par exemple, de la photographie d’un tableau, il faut quand même demander l’autorisation du fonctionnaire qui a pris cette photo et qui peut très bien refuser. Vous voyez le genre de situation originale, pour ne pas dire contradictoire, dans laquelle on peut se trouver !

La première solution que je vous propose consiste à modifier le premier alinéa de l’article L. 131-3-1 du code de la propriété intellectuelle, qui dispose que « le droit d’exploitation d’une œuvre créée par un agent de l’État dans l’exercice de ses fonctions ou d’après les instructions reçues est, dès la création, cédé de plein droit à l’État ». Cette disposition est aujourd’hui limitée, puisqu’elle s’applique « dans la mesure strictement nécessaire à l’accomplissement d’une mission de service public ». Je propose de supprimer ce critère, trop restrictif et source des problèmes que j’ai évoqués, et donc de faire confiance à l’administration concernée pour estimer si la réutilisation envisagée entre dans le cadre d’une mission de service public au sens large ou, par exemple, dans le cadre de la diffusion de la culture.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Françoise Descamps-Crosnier, rapporteure. Il s’agit effectivement d’un vrai sujet, et M. Tardy a raison de l’évoquer. Mais il a aussi précisé que l’Assemblée nationale avait rejeté hier les amendements sur cette question lors de la discussion du projet de loi relatif à la gratuité et aux modalités de la réutilisation des informations du secteur public. Cette importante question du droit d’auteur sera traitée prochainement, dans le cadre du projet de loi pour une République numérique présenté par Axelle Lemaire. La commission a repoussé cet amendement, mais il s’agit bien d’un sujet qu’il faudra traiter.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Le Gouvernement soutient la même position que la rapporteure : il ne faut pas modifier dans le cadre de ce projet de loi les dispositions prévues par le code de la propriété intellectuelle en matière de droits d’auteur des agents publics.

Si nous vous suivions, monsieur Tardy, et si nous modifiions ces dispositions, nous remettrions en cause l’équilibre entre la défense des droits d’auteur et le droit de l’État ou des collectivités.

Aussi, je souhaite que vous retiriez votre amendement : on ne peut pas modifier des dispositions aussi importantes dans le cadre d’un projet de loi dont ce n’est pas l’objet.

Mme la présidente. Maintenez-vous votre amendement, monsieur Tardy ?

M. Lionel Tardy. Oui, madame la présidente.

(L’amendement n93 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Lionel Tardy, pour soutenir l’amendement n94.

M. Lionel Tardy. Ce n’est jamais le bon support ! Deux textes sont déjà passés dans cet hémicycle : après le projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, voilà que nous examinons un projet de loi concernant les fonctionnaires. Or je parle justement du droit d’auteur des fonctionnaires. Je ne sais pas dans quel texte il faut aborder cette question ! On me dit que ce sera dans le projet de loi pour une République numérique : je demande à voir ! Je souhaite vous alerter sur ce point, madame la ministre. Mon interpellation figurera au compte rendu de nos débats : les différents ministres pourront alors se mettre d’accord pour résoudre le problème.

L’article L. 131-3-3 du code de la propriété intellectuelle, qui concerne également le droit d’auteur des agents publics, prévoit un décret d’application qui n’a toujours pas été publié. Ce décret doit définir « les conditions dans lesquelles un agent, auteur d’une œuvre, peut être intéressé aux produits tirés de son exploitation quand la personne publique qui l’emploie, cessionnaire du droit d’exploitation, a retiré un avantage d’une exploitation non commerciale de cette œuvre ou d’une exploitation commerciale dans le cas prévu par la dernière phrase du dernier alinéa de l’article L. 131-3-1 ».

Comme l’indiquait le rapport Trojette de 2013, ce décret est source de préoccupation « au regard des risques que fait peser une acception large du droit d’auteur des agents publics sur la qualification juridique d’information publique de l’article 10 de la loi CADA ». En d’autres termes, le droit d’auteur des agents publics risque de constituer une entrave à la réutilisation d’informations ou de données publiques.

Comme nous l’avons dit hier, le décret prévu par l’article L. 131-3-3 du code de la propriété intellectuelle n’a jamais été publié. Pourtant, le président de la commission des lois a déclaré qu’il avait écrit vingt-six fois au Gouvernement pour avoir une réponse ! Il convient, mes chers collègues, de nous prémunir dès à présent contre ces risques, en revoyant le cas échéant cette rédaction et en la mettant en conformité, notamment, avec la future loi relative à la gratuité et aux modalités de la réutilisation des informations du secteur public, dont nous avons débattu hier.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Françoise Descamps-Crosnier, rapporteure. M. Tardy a raison : effectivement, le décret en question n’a pas encore été publié. En même temps, on voit mal l’intérêt de supprimer des dispositions qui ne sont pas encore en vigueur !

Sur le fond, l’amendement n94 vise à modifier le code de la propriété intellectuelle. Je reprends l’argument que j’ai utilisé tout à l’heure : je souhaite que ces dispositions soient adoptées dans le cadre du projet de loi pour une République numérique qui sera prochainement présenté par Axelle Lemaire. C’est également ce qui a été dit hier soir, lors de l’examen du projet de loi relatif à la gratuité et aux modalités de la réutilisation des informations du secteur public. La commission a donc repoussé cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Même avis.

Mme la présidente. Maintenez-vous votre amendement, monsieur Tardy ?

M. Lionel Tardy. Bien sûr, madame la présidente !

(L’amendement n94 n’est pas adopté.)

Article 6

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Tourret, pour soutenir l’amendement n16 tendant à supprimer l’article 6.

M. Alain Tourret. Je propose, en effet, la suppression de cet article. La fonction publique, composée, comme vous le savez, de trois catégories d’agents – la catégorie C, la catégorie B et la catégorie A –connaît une grave évolution. Nous voulons défendre le travailleur pauvre de la fonction publique, pour lequel le point d’indice ne bouge pas, parce que l’État n’a plus de moyens. La Cour des comptes évalue le coût des augmentations de traitement annoncées à 5 milliards d’euros : elles sont donc impossibles à mettre en œuvre. Dès lors, nous avons deux solutions : soit nous nous satisfaisons de la situation existante, soit nous faisons comme dans le privé et nous essayons de favoriser le cumul d’activité des fonctionnaires, quelle que soit leur catégorie, qu’ils travaillent à temps plein ou à temps partiel.

L’amendement n16 vise à maintenir le droit en vigueur en matière de cumul d’activités pour les fonctionnaires, alors que l’article 6 tend à restreindre très fortement ce cumul. Actuellement, nous reculons sur cette question : c’est très curieux, et j’ai beaucoup de mal à le comprendre.

Ainsi, l’article 6 interdit à un fonctionnaire travaillant à temps plein de créer ou de reprendre une entreprise, y compris une auto-entreprise, alors que le droit en vigueur lui permet de le faire pendant une durée de deux ans, éventuellement prolongée d’une année. Un fonctionnaire ne pourrait donc plus reprendre l’entreprise de ses parents, par exemple, sauf à se mettre immédiatement à temps partiel à 70 %, alors même que le temps partiel n’est plus de droit dans ce cas-là.

L’article 6 interdit également à un fonctionnaire de donner des consultations, de procéder à des expertises et de plaider en justice contre toute personne publique, y compris lorsqu’il s’agit d’intervenir au profit de la personne publique si elle est un EPIC. Un professeur d’université ou un fonctionnaire juriste ne pourrait plus, par exemple, conseiller la Banque publique d’investissement – BPI – ou l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie – ADEME.

Cet article interdit, en outre, de cumuler deux emplois publics permanents. Une infirmière à temps plein dans un établissement hospitalier ne pourrait plus exercer à temps partiel dans un autre établissement.

Il réduit à un an seulement la durée de la dérogation permettant à un chef d’entreprise ayant réussi un concours administratif de poursuivre provisoirement son activité, alors que cette dérogation est aujourd’hui accordée pour deux ans.

Je cite d’autres exemples dans l’exposé sommaire de mon amendement – je pense en particulier à l’interdiction pour un fonctionnaire d’exercer des activités accessoires sous le régime de l’auto-entreprise.

Mon amendement de suppression répond à un double objet. D’une part, il vise à permettre à un fonctionnaire de gagner plus en travaillant plus, que ce soit dans le public ou dans le privé, ce qui est aujourd’hui nécessaire compte tenu du gel des salaires des fonctionnaires depuis 2010. D’autre part, il vise à éviter le développement des petits boulots non déclarés, exercés au noir, qu’on le veuille ou non. Il faut donc maintenir le régime de l’auto-entreprise.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Françoise Descamps-Crosnier, rapporteure. Il n’est évidemment pas possible de supprimer l’article 6, dès lors qu’il se substitue totalement au droit en vigueur. Adopter cet amendement reviendrait à ne plus prévoir aucune obligation pour le fonctionnaire de se consacrer à ses fonctions, ni aucune possibilité de cumul d’activités.

Par ailleurs, l’exposé sommaire de l’amendement n16 indique à tort « qu’une infirmière à temps plein dans un établissement hospitalier ne pourrait plus exercer à temps partiel dans un autre établissement ». C’est inexact, car l’alinéa 8 de l’article 6 interdit « de cumuler un emploi permanent à temps complet avec un ou plusieurs autres emplois permanents à temps complet ou incomplet ». Or la notion de temps « incomplet » ne concerne que la fonction publique d’État. Les fonctions publiques territoriale et hospitalière ne connaissent que d’emplois à temps « non complet » : elles ne sont donc pas concernées par cette interdiction de cumul.

Cher collègue, la commission a repoussé votre amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Je vous demande de bien vouloir retirer cet amendement, car avec vos amendements de repli à venir, vous ouvrez des possibilités. Dans mon propos liminaire, j’ai rappelé que la réforme du cumul d’activités est l’axe central de la nouvelle approche déontologique préconisée par le Gouvernement.

L’article 6 rappelle que le principe est l’interdiction du cumul, assortie toutefois de dérogations encadrées car on ne peut complètement déstabiliser des services. Il est nécessaire d’encadrer les dérogations dans la mesure où il faut prévoir les situations de conflits d’intérêts mais aussi avoir la garantie que le fonctionnaire se consacrera pleinement au service public.

Nous ne remettons pas en cause toutes les possibilités de cumul ouvertes par la loi, notamment dans la fonction publique territoriale, ni celle d’exercer des activités accessoires. Nous avons une position plus ouverte s’agissant de la possibilité de cumuler une activité à temps complet avec une activité exercée sous le régime de l’auto-entreprise.

À ce stade, je préférerais que l’on examine vos amendements de repli plutôt que de souscrire à la suppression de l’article 6 que vous proposez et qui poserait beaucoup de problèmes. D’une certaine manière, je suis en train de vous dire par avance que nous allons accepter les amendements de repli de grande qualité que vous avez cosignés. Je vous invite donc à retirer cet amendement de suppression de l’article.

M. Alain Tourret. Avec quel charmant sourire dites-vous cela, madame la ministre !

Mme la présidente. La parole est à M. Julien Aubert.

M. Julien Aubert. Je veux vous faire part de mon inquiétude. Il a été question tout à l’heure de dispositions très dures, avec un délai de cinq ans imposé à tout fonctionnaire avant d’aller travailler pour une entreprise privée avec laquelle il aurait été en relation dans ses fonctions.

Or, la fonction publique a besoin de respirer. Il n’est pas bon de couper tous les ponts entre le secteur public et le secteur privé. On ne peut pas d’un côté, dire que l’État ne comprend pas le secteur privé, qu’il fonctionne de manière autocentrée…

M. Lionel Tardy. C’est vrai.

M. Julien Aubert. …et de l’autre, couper tous les liens qu’il pourrait avoir avec. C’est avec des dispositions du type de celles proposées tout à l’heure que les candidatures se tarissent. Tous ceux qui ont occupé des fonctions dans le secteur privé se disent que s’ils vont dans le public, ils ne pourront plus retourner par la suite dans le privé.

À l’heure où l’État cherche à savoir comment, sans toucher au statut de la fonction publique, il pourrait inciter certains fonctionnaires à quitter les rangs de la fonction publique de manière à alléger la masse salariale, c’est une manière intelligente que de les inciter à essayer de créer une entreprise et, si cela fonctionne, à partir. Il faut voir ce que cela donne dans les faits.

Il peut s’agir d’un agent des impôts qui crée une petite entreprise de jardinerie qui lui permet d’arrondir ses fins de mois. Notre collègue Tourret a raison : on assiste à une véritable paupérisation de la fonction publique depuis plusieurs années. Les fonctionnaires ne cherchent pas le conflit d’intérêts. S’ils cumulent et cherchent par tous les moyens à gagner ici ou là quelque argent supplémentaire, c’est par nécessité, pour nourrir leur famille.

La rédaction de l’article 6 est beaucoup trop stricte, beaucoup trop janséniste dirais-je. Le système actuel n’est pas aussi critiquable qu’il y paraît.

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Tourret.

M. Alain Tourret. Notre collègue venant de parler de jansénisme, je ne parlerai pas de jésuitisme ! (Sourires.)

Mme Marylise Lebranchu, ministre. J’attendais cette remarque ! (Sourires.)

M. Alain Tourret. Tout le monde n’a pas fait ses études chez les Oratoriens ou chez les Eudistes ! C’étaient de bonnes formations.

Il s’agit d’un amendement d’appel, madame la ministre. Car il est bon de rappeler les principes. Je crains malheureusement, qu’avec l’article 6, l’on ait inversé la règle et l’exception.

M. Guy Geoffroy. Absolument !

M. Alain Tourret. Cela m’ennuie beaucoup. C’est pourquoi je maintiens mon amendement. Nous nous retrouverons sur les amendements de repli.

(L’amendement n16 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

3

Ordre du jour de la prochaine séance

Mme la présidente. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :

Suite de la discussion du projet de loi relatif à la déontologie,  aux droits et obligations des fonctionnaires.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures cinq.)

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly