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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2015-2016

Compte rendu
intégral

Première séance du jeudi 21 janvier 2016

Présidence de M. Marc Le Fur

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

République numérique

Suite de la discussion d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi pour une République numérique (nos 3318, 3399, 3387, 3389, 3391).

Discussion des articles (suite)

M. le président. Hier soir, l’Assemblée a poursuivi la discussion des articles du projet de loi, s’arrêtant à l’amendement n463 à l’article 17.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à neuf heures trente, est reprise à neuf heures quarante.)

M. le président. La séance est reprise. Nous en venons à l’examen de l’article 17.

Article 17

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Laurent, pour soutenir l’amendement n463.

M. Jean-Luc Laurent. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État chargée du numérique, monsieur le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, madame la rapporteure pour avis de la commission des affaires économiques, madame la rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, mes chers collègues, le Gouvernement a exprimé sa volonté de faciliter la communication des résultats de la recherche scientifique financée à hauteur d’au moins 50 % sur fonds public en consacrant, pour ce type de données, le principe d’open access. C’est un objectif louable, que je partage pleinement.

Cependant, si une étude d’impact nous a été présentée, la partie consacrée à l’édition scientifique n’analyse pas en profondeur les conséquences de l’article, ce qui a suscité interrogations et inquiétudes.

Pour l’économie de l’innovation et de la recherche scientifique, il me semble important de rassurer et de préciser les choses. Afin de prendre une décision, mieux vaudrait une étude d’impact stabilisée qu’un rapport remis dans six mois, puisque nous ne nous reverrons pas tout de suite pour modifier le dispositif légal.

Je tenais à relayer cette inquiétude, en espérant vous la faire partager.

M. le président. La parole est à M. Luc Belot, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour donner l’avis de la commission.

M. Luc Belot, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Avis défavorable. Nous revenons au sujet que nous avons abordé hier soir en fin de séance : les enjeux du numérique pour le monde de la recherche, de la publication et de l’édition. Ce vaste débat concerne la communauté scientifique et la façon dont le monde de la recherche internationale peut communiquer et partager ses travaux.

Dans votre propos, vous avez mentionné l’étude d’impact, qui, entre le dépôt du texte au Conseil d’État et sa présentation, le 9 décembre, en Conseil des ministres, s’est considérablement étoffée, en particulier sur ces sujets. Celle-ci comporte de nombreuses références et les auditions auxquelles ont procédé tant la commission des affaires culturelles et de l’éducation que la commission des lois. Nous disposons désormais d’une vision globale du sujet et de la manière dont nous pouvons évoluer.

Je ne citerai pas l’ensemble des études auxquelles se réfèrent les rapports. Je rappellerai seulement qu’un accès gratuit à une publication, qui auparavant était payante, crée un effet rebond, constaté en France comme à l’étranger, ce qui en favorise la diffusion. Plus la gratuité de l’accès est précoce, plus l’audience totale de la publication est importante.

Enfin, compte tenu des économies réalisées, les bénéfices d’une politique de diffusion et de réutilisation des données de la recherche pourrait être quatre fois supérieurs au coût de celle-ci.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée du numérique, pour donner l’avis du Gouvernement.

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État chargée du numérique. Même avis.

Je profite de l’occasion pour rappeler les objectifs recherchés par le Gouvernement. L’article vise à donner un accès permanent, sans barrière financière, au patrimoine public de la recherche. Nous nous sommes inspirés des recommandations de la Commission européenne, qui, en 2012, a appelé à veiller à ce que les publications issues de la recherche financée par des fonds publics soient librement accessibles dans les meilleurs délais, de préférence immédiatement et, au plus tard, six mois après leur date de publication et douze mois dans le domaine des sciences sociales et humaines.

Ces délais ont été retenus par d’autres pays, non des moindres dans le domaine de la recherche : l’Allemagne, les États-Unis, l’Argentine, l’Espagne, l’Italie, le Royaume-Uni, le Canada et l’Inde.

Plusieurs études, dont une publiée très récemment, mettent en évidence l’effet bénéfique de cette ouverture sur l’audience. La gratuité de l’accès provoque un effet rebond propice à une diffusion plus large. Plus la gratuité est précoce, plus l’audience totale de la publication est importante.

Nous avons d’ailleurs opté pour une simple faculté, pour le chercheur auteur, de diffuser en open access, sans créer une obligation légale.

Enfin, j’espère que ces propos vous rassureront, le plan d’accompagnement du Gouvernement pour les éditeurs scientifiques français, lors de la mise en place de la mesure, prendra pleinement en compte l’impact économique et financier de la réforme pour les éditeurs scientifiques français, sur la base d’une évaluation partagée.

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Laurent.

M. Jean-Luc Laurent. Au bénéfice de ce qui vient d’être indiqué, je retire l’amendement.

(L’amendement n463 est retiré.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements, nos 697 et 708, qui peuvent faire l’objet d’une présentation groupée.

La parole est à Mme Jeanine Dubié, pour les soutenir.

Mme Jeanine Dubié. Contrairement aux revues, les ouvrages collectifs concernés par l’alinéa 2 ne sont, pour l’essentiel, vendus qu’en librairie. Dès lors, prévoir un dépôt en archive ouverte des articles le composant conduirait probablement à leur disparition. C’est un risque qu’il faut mesurer.

M. le président. La parole est à M. Emeric Bréhier, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, pour donner l’avis de la commission.

M. Emeric Bréhier, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles et de l’éducation. En accord avec M. le rapporteur au fond, je donne un avis favorable à l’amendement n697. L’intention de ses auteurs nous paraît en effet parfaitement fondée.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État. Avis également favorable à l’amendement n697.

(L’amendement n697 est adopté et l’amendement n708 tombe.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Krabal, pour soutenir l’amendement n723.

M. Jacques Krabal. Avant d’aborder cet amendement, permettez-moi de dire que nous regrettons l’absence d’étude d’impact sur ce sujet : ce ne sont pas les quinze pages consacrées à l’article 17 qui peuvent nous satisfaire. Certains éléments ne sont pas maîtrisés. Vous proposez un plan d’accompagnement sans fournir les détails nécessaires.

L’amendement n723 vise à préciser ce qui relève de la mise à disposition gratuite instituée par le texte.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Luc Belot, rapporteur. J’entends votre souhait de préciser les choses, mais l’objet de cet amendement est satisfait par le texte lui-même. Cette précision ne me paraît donc pas indispensable. Je vous propose donc de retirer votre amendement ; à défaut, j’exprimerai un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État. Même avis.

M. le président. Le retirez-vous, monsieur Krabal ?

M. Jacques Krabal. Oui, monsieur le président.

(L’amendement n723 est retiré.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 40 et 722.

L’amendement n40 est défendu.

La parole est à Mme Jeanine Dubié, pour soutenir l’amendement n722.

Mme Jeanine Dubié. Cet amendement avait été rejeté par la commission des affaires économiques, au motif, notamment, qu’un amendement prévoyant un rapport sur l’impact de la diminution de la durée des embargos pourrait être adopté. Or, cet amendement, qui a fait l’objet d’un avis favorable de la commission des affaires économiques, a été à son tour rejeté par la commission des lois.

Il nous semble nécessaire d’allonger la durée des délais d’embargo, c’est-à-dire de passer, respectivement, de six à 12 mois, et de 12 à 24 mois.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Emeric Bréhier, rapporteur pour avis. Mon avis divergera de celui que j’ai formulé précédemment. Je rappelle que ce dispositif a connu des évolutions au cours de la préparation du texte. Comme l’a rappelé Mme la secrétaire d’État, le fait de nous en tenir aux délais impartis est conforme aux recommandations de l’Union européenne. Par ailleurs, cette position est cohérente avec les débats qui ont eu lieu au sein de la commission des lois et de plusieurs commissions saisies pour avis. Par ailleurs, comme Mme la secrétaire d’État y a également fait référence, un plan d’accompagnement de ce secteur éditorial, qui est important pour l’équilibre économique de notre pays et pour la recherche, est d’ores et déjà prévu. Plusieurs réunions se sont tenues à ce sujet, tant au sein du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche qu’avec les autres autorités de tutelle.

C’est pourquoi je donne un avis défavorable à cet amendement. Comme je l’avais dit lors de la discussion générale, il me semble que nous sommes parvenus à un point d’équilibre, qu’il faut préserver.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État. Même avis.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation.

M. Patrick Bloche, président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation. Je voudrais abonder dans le sens du rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, qui s’est saisie pour avis, notamment sur l’article 17. Mme la secrétaire d’État et M. le rapporteur au fond ont employé des arguments forts pour que nous ne modifiions pas ce qu’Emeric Bréhier a qualifié de bon « point d’équilibre ». J’ajoute que nous avons, bien évidemment, écouté les éditeurs scientifiques et universitaires ; on vient d’évoquer un plan d’accompagnement.

Aussi, je suggère aux auteurs de l’amendement de le retirer. En contrepartie, je veux vous dire, chers collègues, comme je le dis également aux éditeurs scientifiques et universitaires, que la commission des affaires culturelles et de l’éducation – dont c’est tout particulièrement la mission – se montrera vigilante et contrôlera que soit effectif le plan d’accompagnement annoncé, sur lequel on commence à travailler.

M. Jean-Luc Laurent. Très bien !

M. Patrick Bloche, président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation. La commission des affaires culturelles et de l’éducation veillera, notamment auprès du principal ministère concerné, le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, à ce que les engagements pris ici soient tenus. Je prends donc date.

M. Jean-Luc Laurent. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jacques Krabal.

M. Jacques Krabal. Si cette disposition était adoptée, la France figurerait parmi les seuls pays à établir des délais d’embargo aussi courts. Le groupe RRDP, et en particulier Gilda Hobert, sera particulièrement vigilant quant à la mise en œuvre des engagements du président de la commission des affaires culturelles. Certes, nous aurions aimé disposer de détails sur le contenu du plan d’accompagnement, mais le groupe RRDP est attentif au fait que nous soyons parvenus à un point d’équilibre et veillera à ne pas le rompre. Aussi acceptons-nous de retirer notre amendement.

(Les amendements identiques nos 40 et 722 sont retirés.)

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Attard, pour soutenir l’amendement n70.

Mme Isabelle Attard. Par cet amendement, nous entendons mettre sur le même plan les œuvres appartenant aux sciences humaines et sociales et celles relevant des sciences, des techniques et de la médecine. En effet, nous estimons que la distinction figurant dans le texte ne se justifie pas.

Cela étant dit, l’article 17 comporte de grandes avancées en matière de publications scientifiques. À cet égard, je veux rassurer certains de nos collègues. Certes, il est important de publier chez les grands éditeurs internationaux, dans de prestigieuses revues, mais quelques-unes d’entre elles se sont pratiquement accaparé le marché et monopolisent la diffusion de la culture scientifique, des articles scientifiques publiés par nos chercheurs. Il devient extrêmement difficile pour eux de travailler. Cet article aura au moins le mérite de leur simplifier la tâche et de permettre cette diffusion beaucoup plus rapidement.

Si nous conservons de longs délais d’embargo, les chercheurs se débrouilleront pour contourner, d’une manière ou d’une autre, les barrières que nous pourrions opposer à la diffusion de leurs travaux. Lorsque l’on entreprend des recherches, on a besoin d’avoir un accès direct, le plus rapide possible, aux publications scientifiques. Les chercheurs ont déjà contourné les barrages mis en place par certaines maisons d’édition. Il n’est que de taper le hashtag « I can haz PDF » pour comprendre à quel point il est important que les chercheurs aient accès aux articles le plus vite possible. Le travail accompli sur l’article 17 me paraît d’ores et déjà appréciable. J’espère que nous ne voterons pas d’exception ni d’allongement des délais, car ce ne serait bon ni pour nos chercheurs, ni, considérée d’un point de vue général, pour la recherche.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Emeric Bréhier, rapporteur pour avis. Ma chère collègue, au-delà du respect du point d’équilibre que j’ai préalablement mentionné, je voudrais apporter quelques commentaires sur votre amendement. Je souscris évidemment sans réserve aux propos du président de notre commission. J’ajoute que les secteurs éditoriaux dont nous parlons – les sciences, les techniques et la médecine, d’une part, les sciences humaines et sociales, d’autre part – présentent des caractéristiques économiques extrêmement différentes : si le premier se distingue par une forte concentration éditoriale, le second présente une structure beaucoup plus éclatée. Cela explique en partie les modifications apportées au projet de loi originel.

Par ailleurs, ma chère collègue, à notre initiative, un amendement a été adopté par la commission des lois, qui permet au ministre chargé de la recherche de fixer, par arrêté, pour certaines disciplines ou familles de disciplines, un délai d’embargo inférieur, ce qui répond à vos préoccupations tout à fait légitimes sur les travaux interdisciplinaires.

J’estime qu’il ne faut pas toucher à l’équilibre auquel ce texte est parvenu, tout en constatant qu’une partie de vos préoccupations sont satisfaites. Je vous demande donc de retirer votre amendement. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.

M. le président. Même avis de la commission saisie au fond ?

M. Luc Belot, rapporteur. Oui, monsieur le président.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État. Même avis.

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Attard.

Mme Isabelle Attard. De fait, je me félicite du travail effectué en commission, qui, comme vous l’avez dit, a permis de compléter l’article 17, en autorisant le ministre chargé de la recherche à prendre un arrêté concernant certaines disciplines ou familles de disciplines. Je craignais en effet que, dans le domaine des recherches pluridisciplinaires, nous nous heurtions à des difficultés juridiques majeures, qui auraient alourdi les procédures. Je vous remercie d’avoir fait l’effort d’ajouter cette disposition et je retire mon amendement.

(L’amendement n70 est retiré.)

M. le président. La parole est à M. Luc Belot, rapporteur, pour soutenir l’amendement n249.

M. Luc Belot, rapporteur. Il est rédactionnel.

(L’amendement n249, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Krabal, pour soutenir l’amendement n724.

M. Jacques Krabal. Les auteurs d’écrits scientifiques ne peuvent se voir imposer des dispositifs – quand bien même ils émaneraient des universités, des autres établissements d’enseignement supérieur et des établissements de recherche – ayant pour objet ou pour effet de les enjoindre à mettre leurs œuvres à disposition gratuitement, dans les conditions visées par le texte en discussion.

Toute interférence publique dans l’exercice du droit de publier menacerait la liberté des enseignants et des chercheurs de maîtriser leurs travaux de recherche, voire leur faculté de choisir un sujet d’étude. Elle les découragerait de publier et favoriserait une fuite des cerveaux.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Luc Belot, rapporteur. Nous avons eu un débat à ce sujet au cours de la nuit dernière. Le texte dont nous discutons n’est certainement pas le meilleur vecteur législatif pour traiter du droit d’auteur des fonctionnaires. Je vous demande donc de retirer votre amendement. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État. Même avis.

M. le président. Le retirez-vous, monsieur Krabal ?

M. Jacques Krabal. Oui, monsieur le président.

(L’amendement n724 est retiré.)

(L’article 17, amendé, est adopté.)

Après l’article 17

M. le président. La parole est à Mme Bernadette Laclais, pour soutenir l’amendement n499, portant article additionnel après l’article 17.

Mme Bernadette Laclais. Je souhaitais avec cet amendement compléter le texte par des dispositions relatives à la formation. En effet, l’avancée vers une République numérique doit être l’occasion de donner à tous les habitants, sur l’ensemble de notre territoire, les moyens d’accéder aux formations indispensables.

Je regrette d’ailleurs qu’aucun article ne porte véritablement sur cette question, pourtant fondamentale à mes yeux. La loi du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche ne nous a pas permis d’avancer sur ce point comme nous l’aurions souhaité.

Permettez-moi d’insister en particulier sur les territoires de montagne, dont les plus éloignés peuvent connaître des difficultés d’accès pendant plusieurs semaines, et pour lesquels on pourrait parfaitement envisager qu’une partie des formations soit dispensée à distance et permette la délivrance de diplômes universitaires.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Luc Belot, rapporteur. On connaît, madame Laclais, l’attention, la vigilance dont vous faites preuve en permanence pour ceux de nos concitoyens qui résident dans des territoires éloignés des lieux de polarité, notamment des pôles universitaires. Mon collègue Emeric Bréhier et moi-même tenons à saluer le travail largement engagé par la communauté universitaire, par les universités françaises, qui proposent déjà de nombreuses formations à distance. Votre amendement a vocation à le conforter, ce qui est une bonne chose.

Par ailleurs, je ne doute pas que cela permettra à un certain nombre d’entreprises d’accéder à de nouveaux dispositifs. Des start-up travaillent sur les cours en ligne et sur les enjeux de certification ; je songe spontanément à la plateforme d’apprentissage OpenClassrooms, qui a mené des expériences particulièrement riches, y compris en matière de reconnaissance et de validation. Je suis donc favorable à cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État. Sur le fond, vous vous en doutez, je suis très favorable à l’objectif que vous poursuivez par cet amendement, madame la députée. Le numérique représente pour l’enseignement une formidable opportunité non seulement de démocratisation, d’accès au savoir, mais aussi de développement économique. De très nombreux établissements français et étrangers l’ont compris et ont développé des offres allant dans ce sens. Je pense par exemple au MIT qui, très récemment, a décidé pour la première fois de valider officiellement certaines formations diplômantes dont le suivi se partageait entre enseignement à distance et enseignement en présentiel.

Ce que vous proposez, c’est-à-dire l’inscription dans le code de l’éducation de la reconnaissance et de l’éligibilité des enseignements sous forme numérique au sein des formations du supérieur, semble donc tout à fait pertinent. Toutefois, cette décision n’est pas de mon seul ressort…

Mme Laure de La Raudière. Vous représentez le Gouvernement !

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État. …pas plus qu’elle ne ressortit au seul ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. Pour m’être entretenue de ce sujet à de nombreuses reprises avec mon collègue Thierry Mandon, je sais néanmoins que ce dernier souhaite avancer dans la même direction que moi.

En outre, il ne serait pas souhaitable de mettre en œuvre ce dispositif par le détour d’un amendement parlementaire, dans la mesure où nous ne disposons d’aucune étude d’impact et où les acteurs de l’enseignement supérieur qui, comme vous le savez, sont autonomes, n’ont pas été associés à cette réflexion ; je pense en particulier aux conférences d’établissements d’enseignement supérieur.

Je suggère qu’à ce stade de nos débats votre amendement soit retiré ; à défaut, je serais contrainte d’y être défavorable. Je vous invite à mener avec nous et avec la direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle le travail qui permettra d’introduire cette disposition dans une phase ultérieure de l’examen parlementaire de ce texte. Sachez en tout cas que je suis tout à fait disposée à vous accompagner dans cette action.

M. le président. La parole est à Mme Laure de La Raudière.

Mme Laure de La Raudière. Une fois encore, nous nous apercevons que des amendements portant articles additionnels au texte de loi introduisent un débat extrêmement intéressant pour l’évolution vers une République numérique, madame la secrétaire d’État.

Vous ne pouvez pas nous répondre que vous ne vous êtes pas ou pas suffisamment concertée avec un de vos collègues, car au banc vous représentez le Gouvernement, et à ce titre vous devez avoir une position sur cet amendement. J’en déduis donc que vous y êtes défavorable.

Il n’a pourtant rien de révolutionnaire : il s’agit seulement d’indiquer que la mise à disposition d’enseignements sous forme numérique « peut se substituer aux enseignements dispensés en présence des étudiants », et non pas « doit se substituer ». Rendre une offre réellement accessible en ligne grâce au numérique permet une démocratisation de l’enseignement supérieur, c’est un sujet extrêmement important. Je ne comprends pas votre position : l’enjeu est celui de l’égalité des territoires, de l’égalité d’accès à l’enseignement supérieur pour toutes les familles, car on sait le budget que peut représenter pour un ménage le fait d’envoyer un enfant étudier à l’université.

Vous avez mentionné par ailleurs l’absence d’étude d’impact, madame la secrétaire d’État, mais alors que votre texte est en préparation depuis trois ans, l’étude d’impact est extrêmement laconique pour des articles entiers que nous étudierons notamment au titre II, par exemple les articles 21 ou 22. Par conséquent, cet argument-là ne tient pas non plus.

Mes chers collègues, en adoptant cet amendement, qui prévoit non pas une obligation mais une faculté, notre assemblée contribuerait à une importante avancée pour la démocratisation de l’accès à l’enseignement supérieur et en sortirait grandie. Je félicite ma collègue d’avoir suscité ce débat.

Mme Catherine Coutelle. Quel soutien !

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État. Les polémiques quant à l’incapacité du Gouvernement à répondre sur des sujets d’une telle ampleur sont inutiles. Vous vous doutez bien que la validation de certaines formations dispensées exclusivement à distance ne va pas de soi et suppose des processus d’une grande rigueur pour vérifier la qualité des enseignements proposés et la qualification des enseignants impliqués.

Mme Laure de La Raudière. Un décret est prévu pour cela !

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État. On pourrait même regretter que l’amendement n’aille pas plus loin : il traite de l’enseignement supérieur mais n’inclut pas la formation professionnelle. Le Président de la République a pourtant annoncé un grand plan de formation des chômeurs, et la formation au numérique sera dans ce cadre une priorité pour laquelle le recours à l’enseignement à distance pourrait s’avérer utile.

Cela étant dit, j’entends vos arguments, madame de La Raudière, mais vous avez compris que je souhaitais avancer sur le sujet.

Mme Laure de La Raudière. Alors allons-y !

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État. Comme gage de cette volonté politique et pour marquer l’importance du sujet de l’enseignement à distance dans une République moderne, le Gouvernement décide de s’en remettre à la sagesse de l’Assemblée sur cet amendement.

Mme Laure de La Raudière. Bravo !

M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Dalloz.

Mme Marie-Christine Dalloz. J’entends vos propos, madame la secrétaire d’État, mais nous ne sommes pas en train d’engager une polémique nouvelle sur le sujet. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.) Ce n’est pas une polémique ! Nous avons tout de même le droit de nous exprimer !

Vous avez affirmé qu’on pouvait faire évoluer le texte en matière de formation non par le biais d’un amendement parlementaire, mais plutôt en s’en remettant à la volonté de votre collègue le secrétaire d’État Thierry Mandon. Si les parlementaires ne peuvent pas enrichir un texte de loi par leurs amendements, alors je ne vois pas quelle est l’utilité du Parlement. Nous sommes bien là pour travailler sur un texte !

Sur ce sujet, je voudrais féliciter Mme Laclais, car trop souvent nos territoires ruraux sont laissés de côté, ce qui alimente aujourd’hui un sentiment d’abandon dans ces territoires, notamment dans les zones de montagne. Cet amendement est une façon de les remettre sur le devant de la scène et d’aller, grâce à ces accès, vers une égalité territoriale, ce qui me paraît essentiel.

En outre, la portée du débat peut être élargie : aujourd’hui, certains amphithéâtres sont surpeuplés, des étudiants n’ont pas accès à l’univers de la formation dans les enceintes universitaires. Pour garantir une réelle égalité entre les jeunes, peut-être faudrait-il ouvrir plus largement les formations, permettre à l’ensemble de nos étudiants d’y accéder. Ce pourrait être l’occasion de démocratiser réellement la formation continue et la formation initiale.

M. le président. La parole est à M. Emeric Bréhier, rapporteur pour avis.

M. Emeric Bréhier, rapporteur pour avis. J’aimerais ajouter quelques éléments au débat. Tout d’abord, j’aimerais remercier notre collègue Bernadette Laclais d’avoir proposé cet amendement et d’avoir ainsi ouvert la discussion. J’aimerais ensuite féliciter Mme la secrétaire d’État de s’en remettre à la sagesse de notre assemblée sur le sujet.

Permettez-moi néanmoins d’insister sur le fait que ce type de pratiques existe déjà dans nombre d’universités ; Mme Laclais l’a indiqué elle-même.

Mme Marie-Christine Dalloz. Pas partout !

M. Emeric Bréhier, rapporteur pour avis. Ne faisons donc pas comme si nous découvrions ces nouvelles pratiques universitaires, ce qui n’est d’ailleurs le cas d’aucun d’entre nous.

Mme Laure de La Raudière. Très peu de formations diplômantes sont accessibles à distance !

M. Emeric Bréhier, rapporteur pour avis. Elles répondent, les uns et les autres l’ont dit, aux questions d’accessibilité à un enseignement supérieur de qualité, et permettent également de donner droit à de nouvelles méthodes pédagogiques qui se sont développées ces dernières années au sein des universités et qu’il nous revient d’approfondir et d’encourager. L’adoption de cet amendement permettra de les légitimer et de les accompagner.

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Caullet.

M. Jean-Yves Caullet. En tant qu’élu rural très attaché à la mise en valeur de son territoire, j’aimerais souligner que cette mesure est un premier pas : il s’agit de rendre accessible un enseignement dispensé de manière localisée dans une grande métropole à des personnes qui en sont géographiquement éloignées. À cet égard, je souhaite saluer l’attention que notre collègue Bernadette Laclais porte à ces territoires de montagne, que j’ai également l’honneur de représenter.

L’enjeu est cependant plus vaste encore. L’espace rural a une capacité d’accueil, une capacité de résidence agréable, propice à la collégialité du partage des connaissances, moins coûteuse que dans les grandes villes. De ce fait, la technique numérique, en réduisant la distance, permettra sans doute non seulement de donner aux habitants un accès au savoir, mais peut-être aussi d’installer dans des lieux propices à l’acquisition de connaissances des antennes universitaires qui, alimentées de cette manière, seront libérées de la contrainte de concentration métropolitaine nécessaire à la collégialité du corps professoral. Privilégier la collégialité de la communauté enseignée et faire en sorte que les enseignants s’en rapprochent, physiquement ou virtuellement, pourrait constituer un contrepoint à la concentration de l’enseignement universitaire dans les métropoles et à l’éloignement de la ruralité. Cela peut coûter beaucoup moins cher et donner une vocation à nos territoires.

M. André Chassaigne. Excellente intervention !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Luc Belot, rapporteur. Tout le monde a bien compris l’enjeu de l’enseignement à distance, qui est déjà une réalité dans bon nombre d’universités, comme le rappelait Emeric Bréhier et comme l’a évoqué Bernadette Laclais, avec d’ailleurs des enseignements de grande qualité.

L’élément nouveau que Bernadette Laclais introduit dans son amendement est la possibilité de valider des examens à distance, sans présence physique.

Mme Laure de La Raudière. Exactement !

M. Luc Belot, rapporteur. C’est la raison pour laquelle j’évoquais OpenClassrooms et les enjeux de la certification en ligne de formations et de cours dispensés sous forme numérique. C’est sur ce point que l’apport est particulièrement important et vient compléter le dispositif existant.

Mme Laure de La Raudière. Exactement !

M. Luc Belot, rapporteur. Cette possibilité devra évidemment faire l’objet d’une expérimentation ; c’est à cette fin qu’il me semblait opportun de souligner l’importance, pour les entreprises, les start-up, d’être en mesure de développer leur offre en matière de certification, un enjeu majeur. J’emploie ce terme à dessein, car si la certification est déjà une possibilité aujourd’hui, ce sera demain le cas pour les unités de valeurs, pour des contenus diplômants. C’est vraiment cette avancée que nous devons viser.

M. le président. La parole est à Mme Bernadette Laclais.

Mme Bernadette Laclais. Je tiens simplement à remercier Mme la secrétaire d’État de s’en remettre à la sagesse de l’Assemblée.

Ce que vient de dire M. le rapporteur est extrêmement important. Cet amendement ne visait pas du tout à susciter des polémiques ou des débats qui n’ont pas lieu d’être.

Ces méthodes existent. C’est la dernière partie de la phrase qui me semble la plus importante : les conditions de validation des acquis devront être définies par décret. Je ne doute pas que nous aurons le temps, avant que ces décrets ne soient publiés, d’engager les négociations nécessaires avec le monde universitaire et avec le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, madame la secrétaire d’État.

(L’amendement n499 est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Lionel Tardy, pour soutenir l’amendement n772.

M. Lionel Tardy. Un autre sujet me tient à cœur, celui de la rémunération pour copie privée, la fameuse RCP. Que de souvenirs depuis la loi de 2011, que de problèmes surtout ! Ces deux dernières années, pas moins de trois rapports – les rapports Lescure, Maugüé et Rogemont – ont dénoncé le système et proposé de le réformer, comme les rapports Vitorino et Castex l’ont fait au niveau européen.

La plupart de mes amendements sur ce sujet ont été repoussés en première lecture du projet de loi relatif à la liberté de la création. En attendant de déposer dans les prochains jours une proposition de loi pour réformer ce mécanisme à bout de souffle, je défends à nouveau ces amendements, dans le cadre de l’examen de ce texte sur la République numérique.

Car la redevance pour copie privée – une taxe méconnue, prélevée sur les dispositifs de stockage – est un sujet très numérique.

Ce premier amendement, très simple, vise à renommer « compensation pour copie privée » la rémunération pour copie privée. Les termes « compensation équitable » sont précisément ceux utilisés par la Cour de justice de l’Union européenne dans sa jurisprudence, à laquelle il est proposé de rendre conforme le code de la propriété intellectuelle. Ils sont plus adaptés à la réalité de cette perception, puisqu’il ne s’agit pas d’une rémunération complémentaire, mais d’une compensation ayant un caractère indemnitaire et proportionnel au préjudice subi.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Luc Belot, rapporteur. Monsieur le président, je me permettrai de donner également l’avis de la commission sur les trois amendements suivants, puisque tous relèvent du même sujet, et que ma réponse sera sensiblement la même pour chacun d’entre eux.

La terminologie que vous proposez dans ce premier amendement, monsieur Tardy, est tout à fait conforme à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne. Pour autant, et vous l’avez vous-même laissé entendre, cette modification serait plus cohérente dans le cadre du projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine ou dans celui de la proposition de loi que vous avez annoncé vouloir déposer. Le projet de loi sur la République numérique, plus large, ne me semble pas être le véhicule législatif ad hoc.

Par ailleurs, la modification que vous proposez à l’amendement n773 devrait davantage porter sur le règlement intérieur de la commission pour la rémunération de la copie privée. Quant au changement introduit par l’amendement n775, dont la logique a été rejetée lors de l’examen du projet de loi relatif à la liberté de la création, il relève d’un arrêté pris par Mme la ministre de la culture pour simplifier les modalités de remboursement des professionnels. L’avis de la commission sur cet amendement et les trois suivants est défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État. Le Conseil d’État a confirmé dans deux arrêts de 2008 et 2011 qu’il s’agit d’une modalité particulière d’exploitation des droits d’auteur, fondée sur une rémunération directe et forfaitaire, qui doit être fixée à un niveau permettant de produire un revenu à partager entre les ayants droit, globalement analogue à celui que procurerait la somme des paiements d’un droit pour chaque auteur d’une copie privée, s’il était possible de l’établir et de la percevoir.

Outre cette source jurisprudentielle nationale, la notion de rémunération existe aussi en droit communautaire, puisqu’elle se trouve dans plusieurs arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne et est mentionnée dans une directive du 22 mai 2001.

Cette discussion, entamée à l’occasion des débats sur le projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, a vocation à se poursuivre dans le même cadre. Avis défavorable.

M. le président. La parole est à M. Lionel Tardy.

M. Lionel Tardy. On nous répond toujours que ça n’est pas le bon moment ! En première lecture du projet de loi relatif à la liberté de la création, on nous a expliqué qu’il fallait attendre le grand texte, extraordinaire, sur le numérique, et aujourd’hui, on nous dit que ça n’est pas le bon cadre.

Comme je le disais lors de la défense de la motion de renvoi en commission, ce gouvernement n’a pas de stratégie numérique. Ce texte ne traite ni de l’éducation numérique, ni de l’économie numérique, ni de la fiscalité, ni des droits d’auteur. Voilà un nouveau débat qui s’arrête, un sujet dont on ne peut pas parler.

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État. Ma réponse était pourtant sincère !

M. Lionel Tardy. Je continuerai à défendre ces amendements, et je déposerai une proposition de loi – mais on connaît le sort réservé aux propositions de loi de l’opposition. Ce n’est jamais le bon moment de parler des sujets importants. La copie privée en est un. Cela fait des années que cette question doit être réglée, et on en est toujours au point mort !

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État. Sur le fond, vous n’avez rien apporté !

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation.

M. Patrick Bloche, président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation. Je ne voudrais pas que l’on dise trop de contre-vérités. Nous n’avons pas écarté la question lors de l’examen du projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, dont je suis le rapporteur. Nous en avons débattu, pour finir par rejeter vos amendements, monsieur Tardy.

Mme la secrétaire d’État a raison : il a été affirmé à plusieurs reprises, et notamment par le Conseil d’État, que cette rémunération ne peut être considérée comme une compensation. Elle ne constitue pas la réparation d’un préjudice subi.

En 1985, l’hémicycle – à l’unanimité – a introduit une nouvelle exception au droit d’auteur en créant la rémunération pour copie privée. Les rapports, dont vous donnez votre propre interprétation, n’ont jamais expliqué, loin de là, que le système de la copie privée était à bout de souffle. Ils ont émis des propositions pour que, précisément, ce système de rémunération de la création puisse perdurer.

Mme Marie-Christine Dalloz. Cela fait-il avancer le débat ?

M. Patrick Bloche, président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation. Je rappelle que ce sont plus de 200 millions d’euros par an qui rémunèrent les titulaires de droits et les ayants droit, et que 25 % de cette somme sont consacrés au soutien à des activités culturelles dans nos territoires : 5 000 manifestations par an environ sont ainsi financées. Nous avons d’ailleurs souhaité, dans le projet de loi relatif à la liberté de la création, élargir ce soutien à des actions d’éducation artistique et culturelle.

Ce dispositif fonctionne. Il se réforme continuellement et a considérablement gagné en transparence. Je récuse l’idée que le débat a été remis à plus tard ; il a bien eu lieu lors de l’examen du projet de loi relatif à la liberté de la création. Nous devons rejeter ces amendements.

(L’amendement n772 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Lionel Tardy, pour soutenir l’amendement n773.

M. Lionel Tardy. Lors de l’examen du projet de loi relatif à la liberté de la création, certains ont tenté d’assujettir le cloud à la redevance pour copie privée ! Il faut donc clarifier les choses et être fidèle aux termes de l’arrêt du Conseil d’État du 17 juin 2011, qui a jugé que la commission pour la rémunération de la copie privée doit fixer les barèmes « sur la base des capacités techniques des matériels et de leurs évolutions, le type d’usage qui en est fait par les différents utilisateurs, en recourant à des enquêtes et sondages qu’il lui appartient d’actualiser régulièrement ». Le Conseil d’État a précisé que ces études doivent « toujours être fondées sur une étude objective des techniques et des comportements » et ne peuvent reposer « sur des hypothèses ou des équivalences supposées ».

Contrairement à ce qui semble être envisagé actuellement, il ne saurait donc y avoir de rémunération fixée à titre provisoire sur un nouveau support, tant que les études d’usage précitées n’ont pas été réalisées.

Par ailleurs, cet amendement procède à une rectification qui a son importance. L’article L. 311-4 du code de la propriété intellectuelle prévoit que les barèmes doivent tenir compte du « degré d’utilisation » des mesures techniques de protection. Il serait plus juste de s’en tenir au degré d’existence de ces mesures techniques de protection. En effet, même si ce point a été effacé dans la version finale de son rapport, l’eurodéputée socialiste Françoise Castex estimait que ces mesures techniques de protection « induisaient un déséquilibre dans le système de copie privée entre la liberté de copier et la compensation équitable des ayants droit ».

(L’amendement n773, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Lionel Tardy, pour soutenir l’amendement n774.

M. Lionel Tardy. Ce sont des sujets importants, mais tout le monde semble l’ignorer ! (Protestations sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Patrick Bloche, président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation. Ne prenez pas la grosse tête !

M. Lionel Tardy. Laissez-moi citer un seul chiffre. Pour tous ceux qui ont acheté ces dernières années une clé USB par exemple, et surtout pour les professionnels qui font ce type d’achat en masse, il est parlant. Compte tenu de la baisse structurelle des comportements de copie privée, les montants devraient baisser. Or, entre 2002 et 2012, les perceptions ont augmenté de 60 % en France ! Sur les 23 pays européens qui ont une redevance similaire, un tiers des montants prélevés l’est en France ! On a donc bien assisté à un dérapage.

Mme Laure de La Raudière. Tout à fait !

M. Lionel Tardy. Celui-ci est dû à plusieurs éléments, comme la composition de la commission pour la rémunération de la copie privée, qui fixe les barèmes. Il y a des questions à se poser ! Et sans même toucher à cette commission, il faut agir.

Cet amendement reprend une recommandation du rapport Lescure de 2013. Il vise, pour chaque type de support, à déterminer par décret un plafond exprimé en pourcentage du prix. Un tel plafonnement existe ailleurs en Europe. Il permet de prendre en compte la dégressivité en fonction des capacités de stockage, ce qui bénéficie au consommateur.

Afin de lancer ce nouveau dispositif, le premier décret devra être pris dans les trois mois. Cette mesure favorisera les consommateurs et l’accès au numérique. J’imagine donc, madame la secrétaire d’État, que vous y serez favorable.

(L’amendement n774, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Lionel Tardy, pour soutenir l’amendement n775.

M. Lionel Tardy. Toujours pas de réponse, y compris du président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation !

Ce dernier amendement porte sur un scandale, celui du remboursement aux professionnels. C’est le plus gros échec du système sur la copie privée.

L’arrêt du Conseil d’État de 2011, qui précise que les supports à usage exclusivement professionnel ne peuvent être assujettis à la rémunération pour copie privée, n’est, dans les faits, que très peu respecté. En 2014, 700 000 euros avaient été remboursés aux professionnels en 2014, sur les 58 millions qui leur étaient dus selon l’étude d’impact de la loi de 2011.

Il a fallu attendre le 10 décembre 2013, soit deux ans après la loi, pour qu’un décret soit publié, rendant le remboursement effectif au 1er avril 2014. Sans déduction à la source, la loi de 2011 a essayé de trouver une solution, qui n’est pas parfaite, et qu’il faut se donner les moyens d’améliorer.

Le premier point de cet amendement vise à ce que le code de la propriété intellectuelle prévoie explicitement que l’usage professionnel est un motif d’exonération à part entière, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

Le deuxième point vise à faciliter le développement des conventions d’exonérations, qui évitent le remboursement au cas par cas. Il s’agit, via un décret, d’imposer à Copie France de diffuser la liste exhaustive des distributeurs auprès desquels il est possible d’acheter sans acquitter la redevance. Cela permettrait aux personnes bénéficiaires de l’exonération d’acheter français, plutôt que d’alimenter le marché gris, comme c’est le cas actuellement. Cela rendrait aussi l’accès aux conventions plus facile pour les PME.

Enfin, le remboursement a posteriori est une galère, dans laquelle les professionnels ne s’engagent pas : il leur faut fournir plusieurs pièces, dont un extrait K bis, qui coûte entre 3 et 5,50 euros, soit parfois plus que le montant à rembourser.

Le troisième point de cet amendement vise donc à simplifier la procédure, en prévoyant la transmission par voie électronique de deux pièces seulement : la facture et un justificatif professionnel – le numéro de SIRET, par exemple –, le tout dans un délai de deux mois.

Sachez que pour les achats en masse – celui de tablettes tactiles par un collège, par exemple –, l’absence de remboursement pendant plusieurs mois constitue un manque pour la trésorerie de certains fournisseurs, un besoin pourtant vital pour ces PME.

La solution parfaite n’existe pas, mais il est urgent de mettre en œuvre cette simplification. Le statu quo n’est plus tenable, dans un texte de loi qui se veut pour une « République numérique ».

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Luc Belot, rapporteur. Défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État. Même avis.

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Attard.

M. Lionel Tardy. Toujours aucune réponse !

Mme Isabelle Attard. Je soutiens ces amendements, qui portent sur un sujet très important. J’ai bien entendu les arguments de Patrick Bloche, qui a rappelé qu’il y avait déjà eu des débats en commission des affaires culturelles et en séance publique lors de l’examen du projet de loi relatif à la liberté de création, et qui a précisé qu’une partie des sommes perçues finançait la création.

Mais cela ne peut servir à couvrir le scandale dont parle Lionel Tardy et ne nous exonère pas de réfléchir à une modernisation du système de rémunération pour la copie privée, pour plus de clarté et de transparence.

M. Lionel Tardy. C’est de la magouille !

Mme Isabelle Attard. L’argument selon lequel il ne faut pas toucher à ce dispositif car il permet de financer la création revient toujours. Ne pourrait-on pas simplement réfléchir au financement de la création, tout en évitant le scandale et le non-remboursement des professionnels ? Posez la question à n’importe quelle PME qui achète régulièrement des clés USB, ou des disques durs externes, elle vous dira qu’elle ne se fait pas rembourser de ce qui lui est dû, parce que la procédure est trop longue.

M. Lionel Tardy. Et ça n’inquiète personne !

Mme Isabelle Attard. Ces amendements posent la question de la transparence, de la simplification et de la sincérité. Moi aussi, je veux financer la création. Moi aussi, je veux que nos artistes puissent vivre de leur travail, et beaucoup mieux qu’aujourd’hui ! Nous sommes tous d’accord, mais la logique voudrait que nous soutenions la création, tout en évitant de léser un secteur entier, et en mettant un terme à ce qui est une escroquerie, voire un scandale.

(L’amendement n775 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à Mme Corinne Erhel, rapporteure pour avis de la commission des affaires économiques, pour soutenir l’amendement n683.

Mme Corinne Erhel, rapporteure pour avis de la commission des affaires économiques. Nous venons d’adopter l’article 17, qui met en œuvre une politique d’accès ouvert des publications et données scientifiques, et auquel je suis également très attachée. Les auditions auxquelles nous avons assisté ou les différentes lectures que cette disposition a suscitées ont mis en évidence des discours divergents et des chiffres contradictoires quant aux effets de cette politique sur le marché de l’édition. C’est un phénomène inhérent à toute mutation de modèle mais il fait ressortir l’importance de mettre en place un dispositif d’accompagnement – je rejoins en cela Mme la secrétaire d’État.

L’étude d’impact n’est pas suffisamment précise. Or, il me semble important que la représentation nationale dispose d’éléments objectifs. Je ferai donc une entorse à la jurisprudence établie en commission des lois sur l’initiative du président Urvoas, en demandant qu’un rapport soit remis au Parlement pour évaluer les effets de cette politique sur le marché de l’édition scientifique et sur la circulation des idées et des données scientifiques françaises. Ce sera la seule demande de rapport que nous formulerons au titre de la commission des affaires économiques, mais il est essentiel de pouvoir mener une réflexion sur le calibrage des dispositifs d’accompagnement mis en place à partir de données et de chiffres objectifs. Il faut savoir s’adapter à l’évolution d’un modèle mais les crispations sont naturelles.

Je le répète, nous ne demanderons pas d’autre rapport, mais celui-ci est indispensable pour objectiver les arguments avancés.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Luc Belot, rapporteur. Mme Erhel a rappelé notre jurisprudence relative aux demandes de rapports. Vous êtes nombreux à en demander, par voie d’amendements – j’en compte déjà plusieurs dizaines. Je l’ai dit mardi et encore hier, nous avons les moyens, à l’Assemblée nationale, au travers de missions d’information, de commissions spéciales et, plus largement, des auditions que nous pouvons mener, de réaliser ce travail.

Je n’en resterai pas à cette simple objection, qui vaudra pour d’autres rapports. Nous savons bien le travail qui a pu être consacré à ces sujets aussi bien par Emeric Brehier, Corinne Erhel ou la commission des lois, qui a procédé à de nombreuses auditions. C’est vrai, cette politique emporte des conséquences importantes pour le secteur économique français. Nous avons besoin de lisibilité et d’éléments objectifs, comme vous l’avez rappelé, Mme la rapporteure, mais les assurances que Mme la secrétaire d’État nous a données tant hier qu’aujourd’hui, sur les mesures d’accompagnement, y compris vis-à-vis des plus petits éditeurs déjà en difficulté, devraient vous rassurer.

Ce sont en tout cas des réponses à vos préoccupations. Je vous invite par conséquent à retirer cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État. Je profiterai sournoisement de l’absence du président Urvoas pour faire une entorse à sa jurisprudence anti-rapports. Appelons-le plan de soutien ou clause de revoyure, mais ne serait-ce que pour ne pas être taxée de « fossoyeur de la recherche », je suis favorable à cet amendement fort utile.

M. le président. La parole est à Mme Jeanine Dubié.

Mme Jeanine Dubié. Le groupe RRDP soutiendra cet amendement. Ces articles révèlent les conséquences importantes de cette politique sur la recherche même si elle s’inscrit dans l’évolution de la société et que les avantages du numérique sont indéniables. Il demeure que l’étude d’impact manque de précision et qu’un rapport serait nécessaire.

(L’amendement n683 est adopté.)

Article 18

M. le président. La parole est à Mme Anne-Yvonne Le Dain, première oratrice inscrite sur l’article.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Mon intervention concerne l’article 18 mais également les amendements portant articles additionnels après cet article. Depuis le début, nous abordons des questions essentielles. Les titres donnés aux différents chapitres de ce projet de loi sont d’ailleurs révélateurs. Au titre I, relatif à la circulation des données et du savoir, se rapportent deux chapitres, intitulés « Économie de la donnée » et « Économie du savoir ». Quant au titre II, il se rapporte à la protection des droits dans la société numérique.

Nous sommes face à un texte puissant, qui pose des concepts. La donnée doit circuler, tout comme le savoir, pour développer une économie – une économie de la donnée et du savoir.

Nous sommes pour le moment dans l’économie du savoir. J’ai déposé quelques amendements pour souligner l’importance des codes sources et la nécessité de leur appliquer une politique claire, en particulier pour l’effacement des mesures relatives aux personnes. Nous l’avons fait pour les données personnelles concernant les mineurs. Il faudra s’y employer plus largement et de manière concrète.

S’agissant par ailleurs de la reproduction et de la représentation, plusieurs questions essentielles se posent, que la commission des affaires culturelles a abordées : qu’est-ce qui appartient à qui, et qui peut s’en servir ? Mme Geoffroy les évoquera dans un instant, notamment la possibilité de créer de l’économie avec du droit, dans une vision rationnelle, circonstanciée, locale, qui permette d’aller du local à l’international, avec talent et simplicité.

Cet article est essentiel, il pose la question de la personne, de ses droits, de la manière dont il est référencé, dont il peut travailler, et de la façon dont l’écosystème dans lequel il vit, localement, peut avoir des conséquences sur le système international, créer de la valeur, de l’emploi et de l’économie.

Au passage, sans lien avec le sujet, je voudrais relever que seules des femmes sont inscrites à cet article et j’apprécie que l’administration ait affiché « inscrites » et non « inscrits ». C’est bien la première fois. (Sourires.)

M. le président. La parole est à Mme Hélène Geoffroy, rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales.

Mme Hélène Geoffroy, rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales. Les dispositions prévues à cet article 18 permettront de faciliter la recherche française, notamment en sciences humaines, et l’évaluation de nos politiques publiques nationales.

Dans la lignée des dispositions contenues dans la loi de modernisation de notre système de santé, cet article poursuit l’objectif d’enrichissement de la statistique publique et de simplification de la recherche scientifique. L’enjeu est de simplifier l’accès à un certain nombre de données, notamment au NIR – numéro d’inscription au répertoire national d’identification des personnes physiques –, qui s’adresse à la statistique publique composée de l’INSEE et des services statistiques ministériels, et qui permet aussi à la recherche scientifique de mieux travailler.

L’article 18 substitue par conséquent à la procédure de décret en Conseil d’État pour l’accès au NIR, aujourd’hui en vigueur, une procédure de déclaration auprès de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL.

Ces dispositions qui prévoyaient un décret en Conseil d’État pour toute recherche mise en œuvre pour le compte de l’État d’une personne morale de droit public ou d’une personne morale de droit privé, seront remplacées par cette procédure de déclaration auprès de la CNIL. Elle allège les procédures, elle permet de travailler à des appariements entre systèmes et bases de données, et donc de rapprocher des procédures et des services qui, aujourd’hui, devraient être regardés séparément.

Outre un coût financier moindre et des délais réduits par cette signification des procédures, on obtiendra aussi des résultats plus fiables, ce qui est l’enjeu de la statistique et de la recherche aujourd’hui.

La commission des affaires sociales a présenté des amendements en vue d’une protection toujours plus efficiente de la vie privée. Le NIR correspond au numéro de Sécurité sociale et il faut s’assurer que son utilisation ne porte pas atteinte à la vie privée.

Toutefois, nous avons voulu, et c’est l’amendement que je présenterai, préciser les conditions d’utilisation de ce NIR. Je salue M. le rapporteur Luc Belot qui a bien voulu soutenir les premiers travaux en ce sens en commission.

M. le président. Nous en venons aux amendements. La parole est à Mme Hélène Geoffroy, rapporteure pour avis, pour soutenir l’amendement n240.

Mme Hélène Geoffroy, rapporteure pour avis. L’article 18 porte sur la rénovation des conditions d’accès au NIR. Des garanties ont été prises dans cet article pour garantir la protection de la vie privée. Il est ainsi créé un tiers de confiance au sein de l’INSEE qui détiendra la clé de chiffrement pour assurer le passage du NIR à ce que l’on appelle un code statistique non signifiant, c’est-à-dire un numéro anonymisé.

L’opération cryptographique qui permet le passage du NIR à ce code statistique non signifiant est prévue par l’étude d’impact mais son renouvellement n’est pas inscrit dans le projet de loi.

Selon une étude de l’INSEE, la fréquence de ce renouvellement devrait être fixée entre cinq et dix ans, afin de concilier la protection des identités et la souplesse des procédures.

Cet amendement vise à inscrire dans la loi le principe d’une espérance de vie limitée de ce code statistique non signifiant tout en laissant au décret prévu à cet article toute latitude pour la préciser.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Luc Belot, rapporteur. Je profite de l’occasion pour saluer le travail accompli par la commission des affaires sociales et sa rapporteure, Hélène Geoffroy. L’étude d’impact préconise un renouvellement tous les cinq à dix ans mais l’inscription dans la loi serait une garantie supplémentaire. Avis favorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État. Avis favorable également. Introduire dans la loi ce principe d’une espérance de vie limitée du code statistique non signifiant irait dans le bon sens. Nous en avons déjà discuté en commission et la nouvelle rédaction que vous proposez est satisfaisante. Je vous remercie pour le travail que vous avez réalisé.

(L’amendement n240 est adopté.)

M. le président. La parole est à Mme Delphine Batho, pour soutenir l’amendement n602.

Mme Delphine Batho. J’espère que le rapporteur et le Gouvernement accueilleront avec bienveillance cet amendement. Je suis favorable aux dispositions de l’article 18 mais la commission des lois n’a sans doute pas mesuré tout ce que représente l’autorisation de traiter des données sensibles, celles mentionnées à l’article 8 de la loi informatique et libertés, pour des recherches scientifiques ou historiques, dans le cadre d’une simple procédure d’autorisation simplifiée de la CNIL.

Je ne suis pas favorable à ce que l’on donne une telle autorisation à la recherche scientifique ou historique, par exemple sur les questions d’origine ethnique ou raciale, et encore moins à ce que l’on prenne une décision de cette importance au détour d’un débat consacré à un projet de loi consacré au numérique. Or c’est que permet la modification opérée par le rapporteur en commission des lois.

Je propose donc de rétablir le texte initial du Gouvernement, d’autant que le Conseil d’État, au point 34 de l’avis qu’il a rendu sur le texte, mentionne expressément l’exclusion des données sensibles parmi « les conditions auxquelles sont subordonnés les assouplissements de procédure ». Bref, je souhaite que l’on maintienne l’exclusion des données sensibles dans cette procédure d’autorisation simplifiée par la CNIL.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Luc Belot, rapporteur. J’entends votre inquiétude, madame la députée, mais en l’occurrence le travail que nous avons réalisé en commission ne se rapporte qu’au droit en vigueur.

Mme Delphine Batho. Non !

M. Luc Belot, rapporteur. La possibilité de procéder à des appariements de données existe déjà pour les chercheurs, et nous en avons besoin ! Pour ma part, j’y suis particulièrement favorable, moyennant les vraies garanties sur le traitement des données personnelles que nous évoquions à l’instant. La disposition que nous avons adoptée avec l’amendement de Mme Geoffroy est bien la preuve de notre souhait à tous que ces données restent très protégées.

La modification apportée en commission n’a d’autre objectif que de maintenir une possibilité dont la recherche, je crois, a particulièrement besoin. Nous avons encadré le dispositif de manière à protéger fortement ces données. Je souhaite donc que nous en restions à la rédaction actuelle et je demande le retrait de l’amendement, faute de quoi j’émettrai un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État. Cet amendement de Mme Batho permet d’aborder un sujet très débattu dans le cadre de la consultation publique sur le projet de loi, signe de l’intérêt marqué que portent nos concitoyens à la protection des données personnelles et des données sensibles en particulier. Je ne sous-estime donc nullement l’importance de la question, mais j’aimerais apporter des précisions afin que nous sachions exactement de quoi nous parlons.

Les données sensibles, car c’est bien ce dont il s’agit, sont une catégorie particulière de données personnelles, notamment celles « qui font apparaître, directement ou indirectement, les origines raciales ou ethniques, les opinions politiques, philosophiques ou religieuses […] des personnes, ou qui sont relatives à la santé ou à la vie sexuelle de celles-ci ». Leur protection est naturellement essentielle, et c’est la raison d’être du I de l’article 8 de la loi informatique et libertés, qui pose comme principe général qu’« il est interdit de collecter ou de traiter » ce type de données.

Néanmoins, le même article prévoit ensuite une série de dérogations permettant la collecte ou le traitement de données sensibles, par exemple lorsque les personnes concernées ont expressément donné leur accord ou lorsque le traitement est justifié par un intérêt public et qu’il fait l’objet d’une autorisation expresse de la CNIL.

Tel est le régime existant, prévu dès 1978 et sur lequel nous ne revenons pas. C’est ce régime d’autorisation de la CNIL qui est ici élargi afin de permettre aux projets de recherche d’apparier des fichiers administratifs, c’est-à-dire de croiser certains fichiers provenant de bases de données distinctes, grâce à un numéro d’identification – le numéro de Sécurité sociale – qui est crypté, et j’insiste également sur cette obligation de chiffrement.

Nous sommes donc dans le régime d’autorisation prévu par l’article 25 de la loi de 1978. Concrètement, si des chercheurs veulent lancer un projet de recherche qui utiliserait de telles données sensibles, ce projet serait soumis à une double autorisation de la CNIL, à la fois pour l’utilisation du numéro d’identification des personnes concernées et pour traiter des données sensibles.

L’objectif est de permettre à notre recherche publique d’être plus efficace et d’objectiver les résultats de ses travaux. Les chercheurs français considèrent qu’ils sont aujourd’hui très bloqués dans leur accès à des données et à des informations objectives. Lorsqu’il s’agit pour les sociologues, par exemple, de travailler sur l’origine des parents des élèves scolarisés, de récents travaux de l’INED, l’Institut national d’études démographiques, montrent à quel point le parcours scolaire des élèves issus de la deuxième génération de l’immigration peut être corrélé à la nationalité des parents. Or ce type de recherche, qui apporte un éclairage important, n’est possible que grâce à des croisements de fichiers. Il en va de même pour le croisement de fichiers de santé et de fichiers liés aux politiques publiques en matière sociale. Précisons que toutes les garanties sont apportées en matière de secret, de cryptage et de confinement à la recherche publique. Il existe, je le répète, une très forte demande des chercheurs, au premier rang desquels Thomas Piketty, qui a témoigné dans le cadre de la consultation publique des blocages auxquels il était confronté du fait de l’impossibilité d’accéder à ces procédures.

Tel est l’objet de l’article 18, qui apporte toutes les garanties de protection des données personnelles. Je ne pense donc pas qu’il soit utile de revenir sur le texte de la commission.

M. le président. La parole est à Mme Karine Berger.

Mme Karine Berger. Le sujet est très important et, si je puis me permettre, madame la secrétaire d’État, l’exemple que vous avez pris soulève très précisément le problème évoqué par Mme Batho. Puisque vous avez cité Thomas Piketty, je rapporterai une autre anecdote. Nous sommes en juillet 2007. Après quelques mois de pause, je réintègre mon administration, l’INSEE. Eh bien, la première demande qui nous parvient du cabinet du ministre des finances, c’est l’établissement de statistiques ethniques !

La problématique est donc simple : au travers de cette loi, ouvrons-nous ou non une porte à certaines statistiques, y compris des statistiques publiques, qui pourraient constituer, selon moi, un vrai danger pour la description et l’unité sociales de notre pays ? C’est pourquoi je soutiens pleinement la démarche de Mme Batho. L’objection qu’elle soulève ne concerne pas la question de la liberté d’accès aux données, mais bien celle de la nature des données que l’on a le droit ou non de rassembler dans notre pays.

M. le président. La parole est à Mme Delphine Batho.

Mme Delphine Batho. Je remercie la secrétaire d’État pour son propos, qui confirme complètement mon inquiétude. Ce que je craignais, en effet, c’est que, derrière ce petit amendement du rapporteur adopté en commission des lois, se cache un débat que nous avons de façon récurrente avec un certain nombre de chercheurs de l’INED sur le fait qu’en France, parce que nous avons une certaine conception de la citoyenneté et de la nationalité, nous n’autorisons pas – et je m’en tiens à ce seul débat – les statistiques ethniques, c’est-à-dire les statistiques fondées sur l’origine des citoyens français ou sur l’origine de leurs ascendants.

Je pense que c’est une question grave et qu’on ne peut la trancher au détour de l’article 18 du projet de loi sur le numérique. Ce serait tout à fait inadapté au regard des dispositions de l’article 8 de la loi informatique et libertés.

Pour avoir réalisé deux rapports sur les fichiers de police et de gendarmerie, je connais cette loi par cœur. Le principe de l’interdiction de la collecte et du traitement des données sensibles, les dérogations très limitées dont il fait l’objet et les circonstances dans lesquelles ces dérogations peuvent intervenir, je les connais par cœur, et je connais aussi les garanties qu’il faut apporter dans ce cadre.

Je considère donc que la protection des données sensibles, notamment celles qui sont relatives à l’origine raciale et ethnique de la population, ne relève pas du rôle de décision au cas par cas de la CNIL : c’est le rôle du législateur quand il s’agit de savoir si l’on autorise des travaux de recherche historique ou scientifique sur une telle question. C’est pourquoi, très solennellement, je maintiens mon amendement et invite chacun de mes collègues à prendre ses responsabilités.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Luc Belot, rapporteur. J’aimerais que l’on soit très clair dans ce débat. Il n’y a pas, d’un côté, ceux qui seraient favorables à des statistiques ethniques en France et, de l’autre, ceux qui y seraient défavorables et protégeraient les libertés. Ceux dont nous parlons ici, ce sont les chercheurs. Le cadre est de plus très contraignant, puisque l’autorisation est double.

Pour répondre à votre intervention, madame Berger, il ne s’agit pas de la statistique pratiquée par l’INSEE et des commandes politiques que vous évoquiez, mais de capacités données à des chercheurs. J’ai la chance d’avoir dans mon équipe une thésarde en droit international et je vois combien ces données sont importantes pour la recherche. Elles existent dans d’autres pays et de toute façon, si nous ne menons pas ces recherches, d’autres le feront ailleurs. La recherche française est exemplaire et je tiens à vous alerter sur sa capacité à pouvoir le rester, y compris par l’accès à certaines données sous réserve d’une double autorisation et avec toutes les garanties sur leur utilisation. Il n’est aucunement question ici de fichage, et je ne voudrais pas que l’on retienne de ce débat des positions caricaturales. Je ne souhaite caricaturer ni votre amendement ni vos propos, madame Batho, et je ne veux pas non plus que la caricature s’exerce dans l’autre sens.

Je vous demande donc de bien considérer la réalité de la question et de l’avis défavorable formulé sur cet amendement. L’enjeu est bien de permettre à la recherche, moyennant une double autorisation, de faire ce travail-là.

M. Sergio Coronado et Mme Laure de La Raudière. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État. J’appelle votre attention, mesdames les députées, sur le danger de s’enfermer dans le débat sur les statistiques ethniques. Ce n’est pas du tout le sujet ! D’abord, il ne s’agit pas de statistiques mais de recherche publique. Sans doute l’appellation « NIR statistique » est-elle trompeuse, mais nous sommes bien dans le cadre de la recherche. Les garanties d’anonymisation des données personnelles montrent à elles seules que nous ne sommes pas dans le cadre de statistiques ethniques.

Je précise aussi que la CNIL, qui est le gardien de la protection des données personnelles – d’aucuns lui reprochent même d’être trop vigilante en la matière –, est tout à fait favorable à cette mesure. Imaginez que les fichiers de police, évoqués tout à l’heure par Mme Batho, doivent faire l’objet de la même procédure. C’est le même régime d’autorisation qui sera applicable dans les deux cas.

Mme Delphine Batho. C’est faux !

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État. Comme le rapporteur, je souhaite que les chercheurs aient la possibilité d’avoir enfin accès à ces données qui permettent de mesurer l’efficacité des politiques publiques et qui n’ont rien à voir avec le profilage ou les statistiques ethniques. Il s’agit seulement d’objectiver des situations, et partant de se donner la possibilité de prendre, en fonction des travaux de recherche publiés, les décisions de politique publique les plus éclairées possible. Aujourd’hui, nous sommes trop souvent dans le flou absolu lorsqu’il s’agit, par exemple, de mesurer l’impact d’une politique sociale sur les revenus des ménages, tout simplement parce qu’il n’est pas possible de croiser à des fins de recherche des fichiers qui émanent de plusieurs administrations.

Attention, donc : il ne s’agit aucunement d’un débat sur les statistiques ethniques, il s’agit seulement d’étendre un régime d’autorisation déjà très restrictif et exigeant pour doter les chercheurs de certaines capacités.

M. le président. Je vais donner une nouvelle fois la parole à Mme Delphine Batho, puis nous passerons au vote.

Mme Delphine Batho. Les dérogations au I de l’article 8 de la loi de 1978 sont applicables soit lorsqu’il y a consentement des personnes concernées, soit, aux termes de l’article 27, lorsqu’une autorisation est donnée par décret en Conseil d’État : c’est le cas, par exemple, des fichiers de police. Or, en l’espèce, vous voulez donner l’autorisation d’utiliser des données sensibles dans le cadre du régime d’autorisation simplifiée de la CNIL prévu à l’article 25. En termes de protection des libertés publiques, cela fait une sacrée différence !

En outre, tout ce qui vient d’être dit sur les données fiscales ou sociales est faux, puisque ces données ne sont pas visées par le I de l’article 8 de la loi de 1978, lequel mentionne les origines raciales ou ethniques, les opinions politiques, philosophiques ou religieuses, l’appartenance syndicale des personnes, la santé et la vie sexuelle. Pour ce qui est des données sociales, fiscales, je suis moi aussi totalement d’accord avec Thomas Piketty pour développer la recherche. Peut-être aurait-on pu essayer d’effectuer un tri entre les données sensibles, mais, en l’état, je maintiens mon amendement et le raisonnement sur lequel il se fonde.

(L’amendement n602 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à Mme Anne-Yvonne Le Dain, pour soutenir l’amendement n728.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Je souhaite par cet amendement introduire l’alinéa suivant : « Les codes personnels utilisés en ligne par les pouvoirs publics ou par les institutions ou sur lesquels ceux-ci exercent une tutelle, ou par toute structure publique ou privée assurant une formation ou une évaluation pour le bon suivi de la scolarité d’un élève ou d’un étudiant, par lui-même, sa famille ou par l’institution sont détruits au terme d’un délai de deux ans après la fin de la scolarité, des études ou des formations. »

Je pourrais accepter un délai légèrement supérieur, mais je tenais à poser la question. Aujourd’hui, tous les jeunes se voient attribuer par l’éducation nationale un code qui leur permet d’accéder à l’espace numérique de travail. Ce code, qui a été mis en place progressivement dans les rectorats, a vocation à se développer puisque son usage s’étend aux universités, aux écoles d’ingénieurs, et bientôt à la formation permanente dans le monde professionnel. Tout le monde aura donc un code.

Actuellement ce code est attribué pour la vie. Ce qui veut dire que les comportements, les attitudes d’un enfant de CM2, mais aussi les commentaires et les observations des enseignants pourront encore être lus lorsque cet enfant aura 35 ans, rien n’étant prévu pour qu’ils soient détruits.

Convaincue que « ce qui va sans dire va encore mieux en le disant », je pense qu’il serait utile de préciser dans la loi que les institutions, publiques ou privées, ont vocation à détruire ces fichiers, à charge pour la personne concernée de télécharger préalablement les informations qui la concernent, qui pourraient l’intéresser ou dont elle pourrait avoir besoin au cours de sa carrière.

Ce code n’est pas le NIR – numéro d’inscription au répertoire – ni le numéro de Sécurité sociale, mais un élément destiné à la numérisation et au fichage de nos données. Et je ne crois pas que ce point ait été abordé dans le texte sur la protection des données personnelles que nous avons examiné il y a quelque temps.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Luc Belot, rapporteur. L’article 18 ayant trait au NIR, le code attribué aux élèves et aux étudiants n’entre pas directement dans son champ d’application. Je crois par ailleurs que le Gouvernement peut agir en la matière par arrêté ou circulaire interne.

Je voudrais juste signaler, sans toutefois reprendre le débat sur les logiciels libres, que de grandes sociétés qui travaillent avec les universités américaines ont pris ce type d’engagement, tout comme plusieurs universités aux États-Unis, y compris pour les logiciels propriétaires, comme on les appelle habituellement – même si notre collègue Attard conteste cette appellation. Ainsi des sociétés comme Microsoft ont adopté des pratiques particulièrement vertueuses en la matière, ce qui prouve qu’il s’agit d’un sujet particulièrement sensible.

Pour autant, je ne crois pas qu’il relève de la loi, en tout cas pas de cet article. Je demande donc le retrait de l’amendement, faute de quoi j’émettrai un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État. Je remercie Mme Anne-Yvonne Le Dain d’avoir posé cette question relative aux codes personnels utilisés par les lycées et les universités et d’envisager leur destruction au terme d’un certain délai après la fin de la scolarité de l’élève.

Ce n’est pas une question sans intérêt, bien au contraire, mais il se trouve que l’amendement est satisfait. En effet, les conditions de destruction des fichiers et des données personnelles sont déjà traitées dans les arrêtés et les décrets relatifs au traitement des données au niveau de chaque lycée et de chaque université. Ces décrets et textes réglementaires définissent au cas par cas les règles de destruction en fonction d’un principe, celui de la durée de conservation. Ce principe est lui-même défini par la CNIL, qui considère que lorsque ces données ne sont plus utilisées, elles doivent être détruites. Par définition, lorsqu’un élève n’est plus scolarisé au sein d’un établissement, celui-ci n’a pas la possibilité de conserver les données qui concernent cet élève.

Je vous l’assure, madame la députée, votre intention est largement satisfaite. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement vous demande de retirer cet amendement. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.

M. le président. La parole est à Mme Anne-Yvonne Le Dain.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, j’ai entendu ce qui vient d’être dit, mais il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’un traitement au cas par cas.

Par ailleurs, mon propos ne concerne pas uniquement le système scolaire. Il concerne également le système universitaire, sous l’emprise du ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, ainsi que tous les établissements qui relèvent d’une autre tutelle, mais également la formation professionnelle, qui dépend du ministère du travail, les établissements qui se trouvent sous la tutelle du ministère chargé des sports, et enfin les grands corps de l’État, issus d’écoles qui sont souvent sous la co-tutelle de ministères techniques. Auxquels s’ajoutent parallèlement les institutions de formation soutenues par les OPCA – organismes paritaires collecteurs agréés – et les organisations professionnelles pour la formation permanente.

Il existe donc un très grand nombre de situations dans lesquelles des systèmes – qui sont, d’une manière ou d’une autre, financés par des crédits d’origine publique – ont la possibilité de conserver les données.

Or cette question est traitée au cas par cas, par arrêté ou par décret, pour chacun des ministères. Certains ne l’appliqueront pas, d’autres trop lentement ou pas de la même manière, ce qui créera des divergences.

Il me semble important, dans ce projet de loi pour une République numérique, de poser un principe. Posons-le en disant que progressivement tous les ministères seront tenus de l’appliquer. Tel doit être le sens de votre projet de loi, madame la secrétaire d’État. C’est pourquoi, monsieur le président, je ne retire pas cet amendement.

(L’amendement n728 n’est pas adopté.)

(L’article 18, amendé, est adopté.)

Après l’article 18

M. le président. Je suis saisi de quatre amendements, nos 180, 89, 382 et 616, portant article additionnel après l’article 18 et pouvant être soumis à une discussion commune.

Les amendements nos 89, 382 et 616 sont identiques.

La parole est à Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, pour soutenir l’amendement n180.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Cet amendement porte sur ce que l’on appelle le text and data mining. Il convient de sécuriser la circulation de données au sein de la communauté de la recherche, en particulier des données singulières que sont les fichiers issus du traitement des données de base et à partir desquels sont élaborées des conclusions. Ces fichiers peuvent être utilement réutilisés par d’autres chercheurs qui ainsi ne sont pas obligés de reprendre tout le travail de mise en forme et de formatage.

Il s’agit en fait de capitaliser sur le travail de curation et de formatage des données accompli par les chercheurs. Ce travail donne lieu à des fichiers intermédiaires et ce sont ceux auxquels nous voulons avoir accès et que nous voulons partager.

Il est important de donner la possibilité de mutualiser ce travail car l’accès à un matériau nouveau, directement exploitable par d’autres chercheurs, permet de gagner du temps. Il y a des pays dans lesquels c’est possible et d’autres où la mise à disposition de ces documents a été facilitée, ce qui est le cas outre-Atlantique. C’est ce que nous attendons en Europe et en France.

Je vous remercie de bien vouloir considérer avec bienveillance cet amendement : la recherche vous en sera reconnaissante.

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Attard, pour soutenir l’amendement n89.

Mme Isabelle Attard. Je souscris aux arguments de notre collègue, en ajoutant que la fouille automatique de textes et de données permet, grâce à l’automatisation, d’obtenir des résultats inaccessibles par des méthodes manuelles, quelle que soit la discipline. C’est l’un des nombreux progrès que nous devons à l’informatique.

Aujourd’hui, de gros éditeurs tentent d’imposer, par contrat, des limitations à cette pratique qui est une base du développement scientifique et n’a aucune différence fondamentale avec l’étude directe par des chercheurs humains, si ce n’est par sa rapidité et son efficacité.

Il est donc important d’autoriser de façon légale cette fouille automatique de textes et de données pour les besoins de la recherche publique, en excluant toute finalité commerciale.

M. le président. La parole est à M. André Chassaigne, pour soutenir l’amendement n382.

M. André Chassaigne. Pour compléter les deux interventions précédentes, je prendrai l’exemple précis de la recherche sur les OGM en saluant le travail réalisé par le professeur Séralini qui a été très médiatisé et est devenu un élément important de nos connaissances en matière d’OGM. Actuellement il y a dans le monde entre 200 et 300 laboratoires qui partagent leurs recherches et leurs conclusions et dont les résultats sont relayés et approfondis par d’autres laboratoires dans différents pays.

Sur le plan de la confrontation des résultats, tant qu’aucune forme d’automatisation n’est prévue dans la loi, les chercheurs se heurtent aux pires difficultés pour faire avancer leur propre chaire. L’automatisation de la fouille nous renvoie à la notion de bien commun et permet d’éviter une marchandisation extrême. Les chercheurs sont très attentifs à cet aspect de leur travail. Je sais, pour les avoir rencontrés, qu’ils entretiennent des relations au niveau international et qu’ils se déplacent souvent, en petits comités composés de cinq ou six personnes, que ce soit au Brésil, en Chine, aux États-Unis ou en France, pour échanger leurs résultats et cosigner des communications.

Réserver le caractère automatique de la fouille au seul résultat des recherches ralentit leur progression et scotche les chercheurs sur des recherches qui ne peuvent pas se développer comme elles le devraient. C’est pourquoi cet amendement est important.

M. le président. La parole est à M. Christian Paul, pour soutenir l’amendement n616.

M. Christian Paul. Avec cet amendement, qui va dans le même sens que les trois précédents, nous entrons dans une série de discussions qui nous amèneront à fixer une ligne de partage entre les intérêts privés, à savoir le droit de propriété, et l’intérêt général, c’est-à-dire l’utilisation collective des données.

Il s’agit très clairement d’autoriser les fouilles de textes et les explorations de données à des fins de recherche, ce qui répondrait à l’attente extrêmement forte du monde de la recherche.

Ces activités n’ont aujourd’hui aucun statut légal. Je vois bien la tentation, comme sur tant d’autres sujets, de mettre en place des digues provisoires pour protéger un certain nombre d’intérêts, mais sur cette question c’est l’intérêt général qui doit prévaloir. Or, mes chers collègues, l’intérêt général, c’est ici que nous le définissons.

Je ne reproche pas aux propriétaires de données de vouloir en défendre la propriété, parfois dans un esprit de rente, il faut le dire, mais c’est à nous, ici, qu’il appartient de déterminer ce qui est bon pour l’intérêt général. Je vous invite à le faire en votant ces amendements.

J’ajoute que la réflexion est engagée au niveau européen mais qu’elle prend du retard, même si un certain nombre de pays ont déjà fait des choix allant dans le sens de ce que nous proposons.

Il convient de combler le retard français et de stimuler le débat européen. Vous avez d’ailleurs, en commission, madame la secrétaire d’État, fait montre d’un réel volontarisme sur cette question. C’est maintenant à nous, parlementaires, en votant ces amendements, d’exprimer la même volonté.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Luc Belot, rapporteur. Ma réponse sera un peu longue, même si nous avons déjà eu ce débat passionnant, en commission des affaires culturelles et en commission des lois.

Tout d’abord, la directive 2001/29 relative au droit d’auteur et aux droits voisins fixe la liste exhaustive des exceptions au droit d’auteur. Or cette liste ne comporte pas, c’est une réalité qui s’impose à chacun d’entre nous, la fouille de textes à des fins de recherche. Elle autorise en revanche la fouille de données puisqu’il n’y a pas de droits d’auteur sur les données, s’il y en a sur les œuvres.

Les institutions européennes ont engagé une réflexion. Je sais que c’est un débat qui existe en France et je laisserai Mme la secrétaire d’État en dire deux mots. Reste à savoir si cette directive doit évoluer sur la base de ce que vous avez évoqué les uns et les autres, en utilisant d’ailleurs des arguments assez similaires.

Pour information, je suis, à titre personnel, plutôt confiant. Dans un communiqué de presse du 9 décembre 2015, la Commission européenne indiquait qu’elle « révisera les règles de l’Union afin de permettre aux chercheurs d’utiliser plus facilement les techniques de fouille data mining et de text mining pour analyser de grandes séries de données », et poursuivait ainsi : « L’éducation constitue une autre priorité. »

À ce stade, j’émets un avis défavorable à ces amendements, mais nous allons dans le bon sens et je m’en félicite.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État. Il y a bien un consensus pour reconnaître que le text and data mining, le TDM, représente un enjeu majeur, tant pour l’innovation que pour le positionnement concurrentiel de la recherche française dans le monde.

La question est de choisir le bon moment. Vous le savez, la directive sur les droits d’auteur entrera très prochainement dans une phase de renégociation. Il convient, dans cette optique, de préparer la position du Gouvernement français.

Je suis, à ce stade, obligée d’être défavorable aux amendements relatifs au TDM, mais je suis très heureuse de constater que les débats auxquels ce sujet a donné lieu, notamment dans le cadre de la consultation publique qui a précédé l’élaboration du projet de loi, ont permis d’avancer. Ce matin même en effet – hasard du calendrier ou non – le Gouvernement a confié à M. Charles Huot, président du Groupement français des industries de l’information, le GFII, la mission de préparer l’avènement du TDM en France et en Europe et de réunir autour de la table les acteurs concernés.

Il s’agit, vous le savez, d’un sujet sensible car si cette avancée est très attendue de la communauté des chercheurs, il est hors de question de passer en force. Cependant les choses avancent vite et la France va très prochainement devoir exprimer sa position à Bruxelles.

Parallèlement, le ministère de la culture a reçu mission du Premier ministre d’élaborer dans l’intervalle un accord-cadre avec les éditeurs scientifiques pour libéraliser dès à présent de vastes corpus de textes et de données.

C’est la raison pour laquelle le Gouvernement est, à ce stade, défavorable aux amendements qui ont été déposés sur ce sujet.

(L’amendement n180 est adopté et les amendements identiques nos 89, 382 et 616 tombent.)

(Protestations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Patrick Bloche, président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation. Non, l’amendement n180 n’est pas adopté !

M. le président. Si, mon cher collègue, il est clairement adopté et fait tomber les autres amendements, qui étaient en discussion commune.

Je suis saisi de plusieurs amendements, nos 725, 719, 12, 13, 184, 500, 152, 384, 855, 614, 615, 250, 267 et 844, pouvant être soumis à une discussion commune.

Les amendements nos 12 et 13 sont identiques, ainsi que les amendements nos 152, 384 et 855 et les amendements nos 250 et 267.

La parole est à Mme Anne-Yvonne Le Dain, pour soutenir l’amendement n725.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Monsieur le président, je défendrai simultanément l’amendement n719, qui a le même objet.

M. le président. Je vous en prie, ma chère collègue.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Je propose, à travers l’amendement n725, de créer un article posant clairement, dans un langage compréhensible pour tout un chacun – et en français –, la question des commons : « Toute reproduction ou représentation d’objets publics ou de paysages couramment visibles de tous dans l’espace public est libre de droit pour un usage privé non lucratif. Toute utilisation à titre lucratif doit faire l’objet d’une convention formelle avec le titulaire des droits d’auteur. » Cette dernière phrase ne figure pas dans l’amendement n719, que je préfère au n725.

Si je n’utilise pas le terme commons, c’est qu’il me semble important de rédiger la loi en français. Le terme commons n’existe pas en français, et on ne peut pas le traduire par l’expression « les communs », qui n’a pas du tout le même sens. Qui plus est, la problématique des commons dans l’espace public date grosso modo du sommet de Johannesburg de 2002 – cela fait quand même quelques siècles ! Il est temps que la France s’en préoccupe et je suis ravie que cet hémicycle se saisisse de ce sujet important.

Nous débattons là d’un principe très français, à peine européen, selon lequel l’auteur d’une œuvre ayant un impact visuel dans l’espace public a des droits sur sa représentation, sauf en cas d’usage privé extrêmement restreint. Cette spécificité française protège certains artistes, certes, mais il s’agit bien souvent des plus riches d’entre eux, ceux qui ont accès à l’espace public.

Or l’espace public, avec ses rues, ses jardins, ses impasses, ses clos, appartient à tout le monde, et tout le monde devrait avoir le droit de photographier et de reproduire ce qui s’y trouve.

Il me semble cependant que lorsqu’une société privée se sert d’une représentation diffusée sur un espace couramment visible, même de nature privée, il doit y avoir négociation. Pourquoi pas, mais cette question ne doit pas être traitée uniquement au motif qu’il y existerait désormais un droit des commons dans le paysage international. Nous sommes français.

M. Philippe Gosselin. Très bien !

Un député du groupe Les Républicains. La précision n’est pas inutile !

M. le président. Dans la discussion commune, nous en arrivons aux amendements identiques nos 12 et 13.

La parole est à Mme Isabelle Attard, pour soutenir l’amendement n12.

Mme Isabelle Attard. La liberté de panorama est une exception au droit d’auteur qui autorise à reproduire et diffuser l’image d’une œuvre protégée se trouvant dans l’espace public, notamment les œuvres d’architecture et de sculpture. C’est l’une des exceptions optionnelles prévues par la directive européenne relative au droit d’auteur. Celui qui choisit de construire un bâtiment dans l’espace public ne devrait pas pouvoir privatiser ce qui est à la vue de tous au nom du droit d’auteur.

De nombreux pays européens ont fait le choix d’appliquer cette exception. Je ne peux donc pas accepter l’argument selon lequel elle pénaliserait les architectes, sculpteurs, plasticiens : ces pays comptent aussi d’excellents représentants de ces professions qui exposent sur la voie publique des œuvres qui ont été financées par l’argent public et que nous sommes libres de photographier pour un usage familial. Je citerai à nouveau, comme je l’ai fait en commission, l’exemple de La Petite Sirène de Copenhague, devant laquelle je me suis fait photographier quand j’avais dix ans. Eh bien, une photographie prise devant cette statue a donné lieu récemment à un procès.

M. Patrick Bloche, président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation. Cela n’a rien à voir !

Mme Isabelle Attard. On pourrait également évoquer le viaduc de Millau. Nous sommes nombreux à trouver absurde le fait de ne pas pouvoir être photographié devant cet ouvrage d’art et je trouve absolument ridicule qu’on doive encore avoir ce genre de débat aujourd’hui. J’espère que notre discussion actuelle nous permettra d’avancer ensemble, comme elle nous a permis d’avancer en commission des affaires culturelles.

Rappels au règlement

M. le président. La parole est à Mme Marie-Anne Chapdelaine, pour un rappel au règlement.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Ce rappel au règlement, monsieur le président, ne vise pas à mettre en doute le résultat du vote qui vient d’avoir lieu, mais à appeler votre attention sur le fait que, s’il est vrai que certains collègues n’ont pas levé immédiatement la main, nous aurions aimé que vous mettiez de nouveau aux voix l’amendement n180, car il peut arriver qu’on soit un peu « lent à la détente ».

M. le président. Ma chère collègue, le résultat de ce vote est objectivement sans ambiguïté. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.) Certains députés assis derrière vous ont d’ailleurs voté en faveur de cet amendement, même si ce n’est pas le sujet.

Par ailleurs, le nouveau vote que vous avez appelé de vos vœux est tout à fait possible – par l’intermédiaire d’une seconde délibération, conformément à notre règlement.

En tout état de cause, il faut lever la main quand on veut voter ! (Sourires.)

M. Luc Belot, rapporteur. Encore faudrait-il en avoir le temps !

M. le président. Vous avez eu largement le temps de voter, et même plus que d’habitude puisque j’ai annoncé deux fois le vote pour éviter toute incertitude.

La parole est à M. Philippe Gosselin.

M. Philippe Gosselin. Hier soir nous avons assisté à des votes qui semblaient un peu « limite » alors qu’on était à une voix près. Pourtant nous n’avons à aucun moment mis en cause la présidence, pas plus que les services…

M. Luc Belot, rapporteur. Nous n’avons jamais remis en cause la présidence !

M. Philippe Gosselin. Un peu quand même.

M. le président. Mais je ne le prends pas comme tel.

M. Philippe Gosselin. Si la présidence ne le prend pas comme tel, tout va bien !

M. Emeric Bréhier, rapporteur pour avis. Ne soyez pas plus royaliste que le roi !

M. Philippe Gosselin. Cette petite polémique est d’autant plus regrettable qu’il est toujours possible pour le Gouvernement de demander une seconde délibération à la fin de nos travaux.

M. le président. La parole est à M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. La présidence n’a pas été la seule à compter les voix, nous l’avons fait nous-même, et nous avons constaté que le vote était assez net pour ne pas être contestable – mais peut-être que certains camarades socialistes n’ont pas levé la main assez vite.

Reste que le Gouvernement a la possibilité de demander une seconde délibération. Que Mme la secrétaire d’État nous dise si elle entend le faire.

En cas de seconde délibération, le groupe écologiste demandera un scrutin public sur ce vote.

M. le président. Je ne considère pas du tout qu’il y ait eu une quelconque mise en cause, ni de la présidence, ni de moi-même, mais que les choses soient bien claires : il faut lever la main au moment du vote !

M. Luc Belot, rapporteur. Nous ne vous contredirons pas sur ce point !

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État. Au-delà des polémiques, monsieur le président, et sans vouloir remettre en cause votre présidence, s’il demeure quelque incertitude que ce soit, je suggère que nous renvoyions effectivement cette question à une seconde délibération. Cela permettra d’apaiser les esprits.

M. le président. Une seconde délibération est toujours possible, sans qu’il soit d’ailleurs nécessaire qu’il y ait eu une incertitude sur le vote initial : il suffit que le Gouvernement la demande.

Il y aura donc une seconde délibération et j’ai bien noté la demande de scrutin public pour ce vote, qui interviendra, comme d’habitude, au terme de nos travaux.

Après l’article 18 (suite)

M. le président. Nous reprenons donc la discussion commune.

La parole est à M. Lionel Tardy, pour soutenir l’amendement n13, qui est donc identique à l’amendement n12.

M. Lionel Tardy. Avec plusieurs de mes collègues du groupe Les Républicains, nous défendons à nouveau cet amendement visant à créer une « exception de panorama » sans restriction. Il est temps de mettre un terme à un débat qui traîne depuis 2011 et de se caler sur la pratique et sur ce que permet la directive européenne de 2001.

La solution de compromis censée nous permettre d’avancer que vous allez nous proposer, monsieur le rapporteur, est en réalité une fausse solution. Elle revient dans les faits à exclure les usages commerciaux, même si vous évitez d’employer ce terme. Cela ne résoudra rien car il est très difficile de déterminer où commence l’usage commercial.

Prenons le cas d’un particulier qui diffuse ses photos de vacances sur son blog : il suffirait qu’il y accueille de la publicité pour être considéré comme faisant un usage commercial de ces photos. On mesure toute l’ambiguïté. Votre amendement exclurait également Wikipédia puisque sa licence permet la réutilisation à des fins commerciales. Idem des photos postées sur les réseaux sociaux.

La solution la plus simple serait la liberté de panorama pour tous. Généralement les artistes en cause, les architectes par exemple, ont d’autres sources de revenus, bien plus conséquents que ceux qu’ils pourraient tirer de ces reproductions photographiques.

Dans la plupart des pays d’Europe où elle a été instaurée, la liberté de panorama n’a pas entraîné la diminution drastique de la rémunération des artistes dont certains font planer la menace. Dans la plupart des cas en effet ce droit n’est pas exercé.

Si, comme nombre de mes collègues, je défends la liberté de panorama depuis 2011, c’est parce que je considère qu’à partir du moment où un monument est public, il appartient au public et qu’il est illogique de faire payer des droits sur une représentation qui ne génère pas de valeur ajoutée.

La liberté de panorama viendrait, sinon à renverser un ordre établi, du moins à le mettre en question. Je rappelle que la commission des affaires culturelles avait voté une liberté de panorama sans restriction. Il est donc temps que l’ensemble de l’Assemblée fasse de même.

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, pour soutenir l’amendement n184.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Cet amendement s’inscrit dans la même logique que les précédents, à savoir en faveur de la liberté de panorama. J’appelle le rapporteur et le Gouvernement à considérer que si tant d’amendements convergent dans la même direction, c’est bien qu’il y a un problème, voire une solution évidente à ce problème.

C’est un sujet autour duquel on tourne depuis de nombreuses années. J’ai bien senti en commission qu’on se rapprochait d’une issue – je vous vois sourire, madame la secrétaire d’État. On pourra peut-être ce matin atteindre le but, et d’une manière tellement unanime, compte tenu du nombre d’amendements venant de tous les bancs, qu’il n’y aura pour le coup aucune ambiguïté dans notre vote et nul besoin d’une seconde délibération.

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Attard, pour soutenir l’amendement n500.

Mme Isabelle Attard. Vous aurez compris, chers collègues, qu’il s’agit d’un amendement de repli qui limite cette liberté de panorama aux diffusions sous forme numérique ne permettant pas d’usage exclusif. Cela permettrait la diffusion en ligne tout en interdisant toute utilisation à des fins publicitaires et commerciales.

J’émets des réserves quant à la solution que vous nous proposerez, monsieur le rapporteur, en raison de la difficulté de définir la nature commerciale ou non de la diffusion d’une représentation photographique sur les réseaux sociaux ou sur le site de Wikipédia puisque ces plateformes accueillent de la publicité. C’est pourquoi la rédaction que vous allez nous proposer ne nous convient pas.

M. le président. Dans la discussion commune, nous en arrivons aux amendements identiques nos 152, 384 et 855.

La parole est à M. le rapporteur pour avis, pour soutenir l’amendement n152.

M. Emeric Bréhier, rapporteur pour avis. Je m’exprime effectivement, monsieur le président, en qualité de rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, laquelle a, en l’occurrence, adopté cet amendement contre mon avis. Il est tout à fait normal que je le défende, mais comme il sera si bien présenté par celles et ceux qui soutiennent des amendements identiques, je préfère, à ce stade, leur laisser la parole.

En revanche, monsieur le président, si vous me le permettez, je souhaite présenter d’ores et déjà l’amendement n267, identique à l’amendement n250 de M. Belot, qui prend en compte un certain nombre d’éléments proposés par plusieurs collègues afin d’avancer sur cette question de la liberté de panorama.

Cet amendement vise ainsi à donner droit à un certain nombre de remarques en introduisant dans le droit français une exception de panorama pour les particuliers reproduisant des œuvres architecturales et des sculptures qui se trouvent sur la voie publique à des fins non lucratives.

Mme Karine Berger. Excellent ! Très bien !

M. Emeric Bréhier, rapporteur pour avis. Ils pourront ainsi poster des photographies sur les réseaux sociaux ou sur leur blog, à condition de ne pas en retirer de bénéfices, ce qui, me semble-t-il, devrait convenir à l’ensemble de nos collègues.

Contrairement à ce que vient de dire Mme Attard, ils pourront également partager ces reproductions sur les sites de nombreuses plateformes comme YouTube ou Wikipédia, le problème étant en fait l’utilisation commerciale des publications – rien n’empêchera un particulier de participer à cette œuvre formidable qu’est Wikipédia puisque la loi l’y autorisera.

En revanche, l’extension de cette exception aux activités lucratives ne me semble pas pertinente. À mon sens, dans un tel cas de figure, rien ne justifie en effet que les auteurs ne puissent pas être rémunérés à juste raison.

Il me semble donc que cet amendement n267, qui a été déposé également par M. le rapporteur de la commission saisie au fond, répond à un certain nombre d’attentes de nos collègues et, plus largement, de nos concitoyens, tout en préservant la rémunération des créateurs visés par cette exception de panorama.

M. le président. La parole est à M. André Chassaigne, pour soutenir l’amendement identique n384.

M. André Chassaigne. En complément de ce qui vient d’être dit, je souhaite insister sur deux ou trois points.

Je rappelle tout d’abord que la directive européenne 2001/29 relative au droit d’auteur a prévu une exception optionnelle en faveur de la liberté de panorama, c’est-à-dire la reproduction et la diffusion de l’image d’une œuvre protégée se trouvant dans l’espace public.

Je rappelle également que certains pays ont choisi d’appliquer cette exception, notamment l’Allemagne et le Royaume-Uni.

Enfin, je rappelle que, en ce qui nous concerne, nous sommes très favorables à la reconnaissance de cette liberté de panorama. À nos yeux, il n’est en effet pas acceptable que l’image de bâtiments payés sur des fonds publics – on pourrait citer la Bibliothèque François-Mitterrand, le Stade de France, l’éclairage de la Tour Eiffel – offre une rente commerciale à leur architecte ou concepteur.

Je précise que le caractère non lucratif du dispositif envisagé ne doit pas interdire la publication de livres ou de tirages photographiques dont le sujet principal serait constitué par les monuments en question sans le consentement de leurs auteurs.

Or, le consentement peut représenter un obstacle incontournable, notamment financier, et constituer ce faisant une entrave réelle à la liberté d’expression artistique et à la possibilité, pour le photographe, de tirer des revenus légitimes de ses œuvres.

M. le président. La parole est à Mme Jeanine Dubié, pour soutenir l’amendement identique n855.

Mme Jeanine Dubié. Je ne prolongerai pas le débat en défendant cet amendement qui concerne donc toujours la liberté de panorama.

Je tiens simplement à ajouter que la liberté de panorama aurait des retombées économiques pour le tourisme, mais aussi pour les artistes, dès lors que leurs œuvres seraient ainsi mieux diffusées. Ils pourraient peut-être obtenir ainsi de nouvelles commandes.

M. le président. La parole est à M. Christian Paul, pour soutenir l’amendement n614.

M. Christian Paul. Nombre d’excellents arguments ont déjà été formulés en faveur de la liberté de panorama. Chacun a donné les exemples qui lui sont chers – nous savons désormais qu’il y a entre Mme Attard et La Petite Sirène de Copenhague…

M. Sergio Coronado. Une histoire d’amour ! (Sourires.)

M. Christian Paul. …une longue histoire, mais je crois savoir que Mme la secrétaire d’État s’intéresse aussi beaucoup à la Tour Eiffel et à ses illuminations ! (Sourires.)

Leur point commun est qu’il s’agit d’œuvres généralement issues de commandes publiques ou de monuments qui ont été financés voilà très longtemps. Nous nous approchons ainsi d’un domaine commun auquel l’exception au droit d’auteur doit s’appliquer.

Ce débat, monsieur Tardy, date d’ailleurs, non pas de 2011 comme vous le disiez, mais de 1876, année où l’Allemagne a reconnu la liberté de panorama.

Plus sérieusement et sur le fond, j’émettrai moi aussi un argument d’opportunité : je pense que nous serons plus forts, en France, dans les années à venir, pour défendre la légitimité du droit d’auteur si nous sommes capables de définir des exceptions lorsqu’il existe un vrai motif d’intérêt général.

Mme Laure de La Raudière. Tout à fait !

M. Lionel Tardy. Assurément !

M. Christian Paul. En l’occurrence, c’est le cas.

Contrairement à ce que j’entends ici ou là, il n’y a pas d’immenses préjudices : les œuvres en question sont déjà financées – il est aussi possible de leur conférer, par ce biais, une notoriété supplémentaire – et les rémunérations découlant des reproductions sont particulièrement accessoires, même s’il convient évidemment de regarder de près ce dont il s’agit.

Enfin, si je défends volontiers la liberté de panorama au sens le plus large, l’amendement n615 propose une éventuelle solution de repli.

Petit désaccord avec le rapporteur : ce n’est pas une bonne chose que de limiter la liberté de panorama à des usages strictement individuels. Il faut que les exceptions soient à des fins non lucratives, au minimum, c’est-à-dire concernent les activités associatives. Par exemple, une association de défense du patrimoine doit pouvoir user – sans en abuser – de la liberté de panorama.

Pour ma part, je le répète, je défends cette dernière dans sa dimension la plus large possible. J’ajoute que, si l’Assemblée ne suivait pas cette proposition, il serait sans doute possible de continuer à discuter.

Encore une fois, soyons animés par le souci de l’intérêt général. La révolution numérique déplace les lignes et nous devons être capables d’aborder ces questions courageusement.

M. le président. Puis-je en conclure, mon cher collègue, que vous avez également défendu l’amendement n615 ?

M. Christian Paul. Tout à fait, monsieur le président.

M. le président. Nous en arrivons donc, dans la discussion commune, aux amendements identiques nos 250 et 267.

Monsieur Belot, je pense que l’on peut considérer que l’amendement n250 a été suffisamment présenté par M. Bréhier.

M. Luc Belot, rapporteur. En effet, monsieur le président.

M. le président. Je suppose qu’il en va de même pour l’amendement n267, monsieur Bréhier.

M. Emeric Bréhier, rapporteur pour avis. Tout à fait.

M. le président. Nous en arrivons donc au dernier amendement de la série.

La parole est à Mme Karine Berger, pour soutenir l’amendement n844.

Mme Karine Berger. Cet amendement est quasiment identique à celui que notre collègue M. Bréhier a défendu.

Il vise à définir des exceptions au droit d’auteur en ce qui concerne les panoramas. Au final, nous sommes tous d’accord, dans cet hémicycle, sur le principe – la seule question est de savoir quel doit être le champ des exceptions. Nous pouvons sans doute tomber d’accord, au minimum, sur le fait que les utilisations visées doivent être à but non lucratif.

Par cet amendement, que je défends avec Valérie Rabault, nous précisons que ces reproductions et représentations doivent être effectuées par des particuliers. Par exemple – nous en avons débattu en commission des lois –, lorsque Google insère une image sur sa page d’accueil, l’entreprise estime que ce n’est pas dans un but lucratif.

Je ne sais pas si M. Paul considère que la vie de « M. Google » est plus dure que celle des internautes, mais un vrai problème ne s’en pose pas moins : l’utilisation d’images par un certain nombre de plateformes pourrait être juridiquement réalisée à des fins non lucratives alors que, nous le savons parfaitement, la vitrine d’une boutique, au final, a un impact sur le chiffre d’affaires. Une telle limitation aux particuliers est donc nécessaire, sinon, cela reviendrait à dire qu’une vitrine n’a aucun impact commercial, n’apporte aucune valeur ajoutée.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur tous ces amendements, monsieur le rapporteur ?

M. Luc Belot, rapporteur. Favorable aux amendements identiques no250 et 267 et défavorable aux autres.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État. J’ai bien entendu l’ensemble des arguments exposés sur tous les bancs et je me rends compte à quel point le volontarisme des députés est grand à ce propos.

Je ne peux que rappeler la position du Gouvernement : la construction d’une stratégie en vue de la renégociation de la directive européenne sur le droit d’auteur. Celle-ci s’approche à grands pas et les enjeux pour la France seront immenses, bien au-delà de cette seule question de la liberté de panorama. Cela nous oblige à faire preuve d’une grande prudence à ce stade. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Je renvoie à la position de la Commission européenne du 9 décembre dernier.

M. Philippe Gosselin. On n’arrête pas de renvoyer ! (Sourires.)

Mme Laure de La Raudière. Le Gouvernement « renvoie » quand cela l’arrange !

M. Lionel Tardy. On aurait mieux fait de voter notre renvoi en commission !

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État. La Commission s’est engagée à mettre cette question sur la table. Le sujet sera donc abordé à l’échelle de l’ensemble des nations européennes.

Ce n’est qu’une question de temps puisque, tout le monde en est d’accord, il faudra réduire l’incertitude juridique à ce sujet, ne serait-ce que pour les internautes qui mettent en ligne leurs photos de bâtiments ou d’œuvres d’art situés en permanence dans les lieux publics.

À ce stade, le Gouvernement reste donc défavorable à l’ensemble de ces amendements.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Luc Belot, rapporteur. Le débat sur la liberté de panorama a été important, tant en commission des affaires culturelles et en commission des lois que dans l’hémicycle, comme l’atteste le nombre d’amendements défendus mais également la qualité de nos échanges. Il s’agit d’un sujet sensible.

Quelles que soient les sensibilités des gouvernements précédents, tous ont été extrêmement clairs sur cette question et Mme la secrétaire d’État l’a également été en rappelant l’essentiel, y compris en se montrant défavorable à l’adoption des deux amendements qu’Emeric Bréhier et moi-même avons déposés, qui constituent pourtant une avancée.

Sur cette question comme sur d’autres – nous le verrons avec les commons –, le nombre d’insatisfaits sera conséquent, quelle que soit la position que nous prendrons.

Soit nous ne faisons rien et ceux qui sont favorables à la liberté de panorama de même que ceux qui y sont absolument opposés ne seront pas satisfaits, soit nous prenons l’une des deux positions assez radicales proposées par les uns et par les autres et il en sera de même pour leurs adversaires respectifs.

Mais nous ne sommes pas là pour satisfaire qui que ce soit. Nous sommes là pour écrire le droit, pour faire en sorte que nous adoptions une position qui sera finalement celle de la France sur la question de la liberté de panorama.

En complément de ce que notre collègue Emeric Bréhier a excellemment dit, je rappelle que les artistes, aujourd’hui, peuvent déjà autoriser l’utilisation gratuite de leurs œuvres et ils sont nombreux à le faire.

M. Lionel Tardy. Bien sûr !

Mme Laure de La Raudière. Heureusement !

M. Luc Belot, rapporteur. Ce n’est pas ce que nous voterons ou non ce matin qui changera cet état de fait, et c’est en effet heureux.

J’entends la conviction de Mme Le Dain s’agissant des commons et de la nécessité de défendre la francophonie, mais elle constatera comme moi que, dans le monde digital, certains éléments sont un peu plus intelligibles en anglais.

Cela a été dit : si l’un de nous sort de séance pour faire une photo devant un monument, il n’est pas censé pouvoir la publier. Les amendements no250 et 267 traitent justement de cette question. Ils résultent d’un travail important et d’une concertation entre le rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles et le rapporteur de la commission des lois.

Je souscris aux propos de M. Tardy : il s’agit d’une réelle avancée. Je ne doute pas que, selon certains, nous allons déjà beaucoup trop loin, quand d’autres diront que ce n’est pas assez. L’enjeu n’est pas de savoir où nous plaçons le curseur ; il est de savoir comment nous écrivons la loi.

Je continue donc à soutenir ces deux amendements et demande le retrait des autres.

Mme Laure de La Raudière. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Attard.

Mme Isabelle Attard. Je voudrais apporter une précision au sujet de Wikipédia, dont il a été question tout à l’heure. Contrairement à ce qu’a dit notre collègue Emeric Bréhier, la rédaction qu’il propose ne concerne pas Wikipédia, puisque ce site exige que tout ce qui s’y trouve puisse être réutilisé gratuitement, y compris dans un but commercial – cela est bien stipulé. C’est d’ailleurs pour cette raison que j’ai des réserves quant à la rédaction proposée par les rapporteurs.

Je reconnais néanmoins l’énorme travail collectif mené dans cet hémicycle pour faire avancer le débat sur la liberté de panorama, et il me semble que les amendements des deux rapporteurs représentent déjà une avancée. Je sais bien que nous ne satisferons pas forcément tout le monde, mais nous agissons dans l’intérêt général.

Nous ne sommes pas naïfs au point de croire que c’est la vente de cartes postales qui financera l’éclairage de nuit de la Tour Eiffel, mais il est important que ce débat ait lieu. Il importe également de montrer à l’Union européenne que nous avons, en France, une position unanime sur ce sujet, et j’apprécie le débat qui a lieu en ce moment. Je retire donc mon amendement.

(L’amendement n12 est retiré.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Gosselin.

M. Philippe Gosselin. À entendre la position de Mme la secrétaire d’État et à lire les propositions d’amendements, on voit bien que le débat reste assez binaire, à ce stade. Je pense pourtant qu’il doit exister une voie moyenne.

Nous sommes tous attachés au droit de la propriété artistique et architecturale, mais nous savons aussi que ce droit n’est pas absolu : il existe déjà quelques dérogations, au-delà même des textes européens. Nous pouvons donc nous mettre d’accord sur le principe d’une utilisation dans un but non lucratif. Mais doit-on se limiter aux particuliers ? C’est une vraie question. Nous pourrions ajouter un étage supplémentaire, en introduisant la notion d’utilisation à titre d’information, ce qui permettrait peut-être de couvrir Wikipédia sans difficulté.

Pour le reste, il me paraît totalement anormal que des réutilisations commerciales de magnets ou de cartes postales mettant en valeur des monuments puissent écarter les auteurs ou les ayants droit. Cela va vraiment à rebours de la tradition juridique française qui nous honore. Nous ne sommes pas obligés de tout mettre à l’encan : respectons le travail. À partir du moment où un produit génère d’autres ressources, il doit y avoir une juste et équitable rémunération. Ne pas reconnaître cela, c’est s’engager dans des débats pour le moins ubuesques.

Je vous propose donc, monsieur le rapporteur, dans un esprit constructif et pour aller dans le sens de votre proposition d’un usage privé non lucratif, d’introduire la notion d’utilisation à titre d’information. Je pense que cela pourrait dégager un peu l’horizon, en attendant l’ouverture des négociations avec l’Europe.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Anne Chapdelaine.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Comme tout le monde peut le constater, cette question donne lieu, comme ce fut déjà le cas en commission des lois, à des débats passionnés.

Je tiens à dire que le groupe socialiste, républicain et citoyen soutiendra la proposition faite conjointement par le rapporteur pour avis et le rapporteur de la commission des lois. Entre les deux positions extrêmes, il fallait trouver une position médiane, et cela supposait que chacun fasse un pas vers l’autre. Or il me semble que la position qui a été trouvée est juste.

Il conviendra évidemment de l’affiner dans le cadre des négociations européennes. Pour l’heure, la rédaction proposée par les rapporteurs – « réalisées par des particuliers à des fins non lucratives » – constitue une réelle avancée, et le groupe socialiste, républicain et citoyen votera donc les amendements de MM. Luc Belot et Emeric Bréhier.

M. le président. La parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. Je déplore d’être dans un angle mort, car j’ai beaucoup de mal à obtenir la parole – et je ne dis pas cela contre vous, monsieur le président.

M. Patrice Martin-Lalande et Mme Laure de La Raudière. Il faut vous recentrer, monsieur Chassaigne ! (Sourires.)

M. André Chassaigne. J’aimerais faire trois remarques.

Premièrement, je tiens à dire que je préfère l’amendement n267, qui parle « d’œuvres architecturales et de sculptures placées en permanence sur la voie publique », aux amendements qui évoquent des œuvres « réalisées pour être placées en permanence sur la voie publique », ce qui n’est pas tout à fait la même chose. La deuxième formulation signifie qu’il s’agit d’une commande publique, ce que la première rédaction n’implique pas. C’est une petite nuance que je tenais à souligner.

S’agissant, deuxièmement, de l’expression « réalisées par des particuliers à des fins non lucratives », je pense à la situation d’artistes photographes qui ont souvent des difficultés à vivre, et qui, en éditant des livres de photographies, entrent dans le cadre d’une activité lucrative. Il s’agit néanmoins, dans ce cas, d’une forme de création artistique, et il ne faudrait pas pénaliser ces artistes, qui bénéficient souvent, d’ailleurs, du soutien des collectivités territoriales, dont elles contribuent à valoriser le patrimoine. Il serait dommage de ne pas faire profiter ces artistes de la dérogation que nous introduisons.

Troisièmement, nous aurons beaucoup de mal à distinguer l’utilisation à but non lucratif et l’utilisation lucrative, sur internet notamment, dès lors qu’une image sera publiée sur des plateformes dédiées à la photographie, comme Facebook ou Instagram. La distinction va s’avérer très complexe dans ce cas. Voilà pourquoi je préférais le premier amendement déposé par M. Bréhier, qui était d’ailleurs identique à deux amendements déposés, l’un par mon groupe, et l’autre par le groupe des radicaux, républicains, démocrates et progressistes. Il me semblait plus large, et donc plus satisfaisant.

M. le président. Nous ne vous oublions pas, monsieur le président Chassaigne, rassurez-vous.

Je vous ai même fait passer avant le président Bloche, qui va conclure ce débat.

M. Patrick Bloche, président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation. Je vous remercie de me confier la haute mission de conclure nos débats, monsieur le président, même si je n’ai pas cette ambition.

Lors de l’examen du projet de loi relatif à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine, nous avions renvoyé à l’examen du présent projet de loi le débat sur la liberté de panorama. Je me réjouis donc, comme vous toutes et vous tous, que ce débat ait lieu de manière approfondie, mais aussi de manière maîtrisée, ce qui nous permet de légiférer sereinement, sans qu’il soit fait usage d’arguments réducteurs ou d’exemples poussés jusqu’à l’absurde.

Je rejoins ce que disait notre rapporteur au fond : nous légiférons non pas pour faire plaisir à qui que ce soit – et encore moins pour nous faire plaisir –, mais pour trouver un bon point d’équilibre, lequel, in fine, peut sembler insatisfaisant à certains. C’est cela, faire la loi, et telle est notre responsabilité.

En l’occurrence, nous devions concilier des intérêts contradictoires et trouver un bon point d’équilibre. Or il me semble que le travail réalisé conjointement par Luc Belot et Emeric Bréhier a abouti à une rédaction qui permet de protéger les titulaires de droits, en rappelant que leurs droits sont légitimes.

À ce propos, je me permettrai de vous corriger légèrement, cher André Chassaigne, car je vous ai entendu dire tout à l’heure qu’à partir du moment où une œuvre ou un ouvrage avait été financé sur fonds publics, il n’y avait pour ainsi dire plus de droits d’auteur. En réalité, l’architecte Dominique Perrault a toujours un droit sur la Bibliothèque nationale de France, même si elle a été financée sur fonds publics. Je rappelle que le droit d’auteur est un droit moral et patrimonial inaliénable.

Les amendements nos 250 et 267 contiennent des mots précis, qui encadrent cette nouvelle exception au droit d’auteur – car c’est bel et bien une nouvelle exception au droit d’auteur que nous sommes en train de créer, et ce n’est pas rien. Je songe d’abord à l’expression « en permanence », qui est essentielle, tout comme celle de « voie publique », qui évite toute vision extensive des lieux publics ou des espaces publics. La précision, enfin, qui consiste à dire que ces reproductions ou représentations sont « réalisées par des particuliers à des fins non lucratives » est essentielle, et je ne reviens pas sur les arguments qui ont été excellemment développés.

Je pense par conséquent que la représentation nationale peut, en responsabilité, voter cet amendement d’équilibre, tout en réaffirmant, madame la secrétaire d’État, son soutien au Gouvernement – qu’elle a déjà exprimé à la quasi-unanimité et à intervalles réguliers – dans le juste combat qu’il mène, au sein de l’Union européenne, pour réviser la directive sur le droit d’auteur.

Nous nous félicitons que le Gouvernement soutienne la position que notre parti défend avec vigueur et détermination, pas seulement pour protéger le droit d’auteur, mais aussi pour maintenir, face à des intérêts financiers colossaux, nos dispositifs de financement de la création et, au-delà, pour préserver la diversité culturelle, puisque c’est de cela qu’il s’agit. C’est ce à quoi, madame la secrétaire d’État, vous avez fait référence pour expliquer la position du Gouvernement, et c’était la seule raison qui pouvait justifier l’avis que vous avez donné.

Nous allons à la fois exprimer notre soutien à la politique du Gouvernement, qui se bat pour préserver nos dispositifs de financement de la création et la diversité culturelle – et nous ne sommes pas seuls dans ce combat, car nos amis allemands sont à nos côtés – et créer, de manière très encadrée, une nouvelle exception au droit d’auteur. Je pense que nous aurons ainsi fait œuvre utile et que l’intérêt général aura été bien servi.

M. Luc Belot, rapporteur. Très bien !

M. le président. Nous allons désormais procéder au vote sur ces différents amendements.

Madame Le Dain, vos amendements nos 725 et 729 sont-ils maintenus ?

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Puisque j’apprécie énormément l’effort fourni par le Gouvernement, qui vient d’être souligné par le président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, je retire mes amendements.

(Les amendements nos 725 et 719 sont retirés.)

M. le président. L’amendement n12 de Mme Attard a été retiré.

Monsieur Tardy, l’amendement n13 est-il maintenu ?

M. Lionel Tardy. Oui, je le maintiens.

(L’amendement n13 n’est pas adopté.)

M. le président. Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, maintenez-vous l’amendement n184 ?

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Je le retire.

(L’amendement n184 est retiré.)

M. le président. Madame Attard, maintenez-vous l’amendement n500 ?

Mme Isabelle Attard. Oui, monsieur le président.

(L’amendement n500 n’est pas adopté.)

M. le président. Nous en venons au vote sur les amendements identiques nos 152, 384 et 855.

J’imagine, monsieur le rapporteur pour avis, que l’amendement n152 est retiré ?

M. Emeric Bréhier, rapporteur pour avis. En effet, monsieur le président.

(L’amendement n152 est retiré.)

M. le président. Monsieur Chassaigne, maintenez-vous l’amendement n384 ?

M. André Chassaigne. Il est maintenu.

M. le président. Madame Dubié, qu’en est-il de l’amendement n855 ?

Mme Jeanine Dubié. Je le maintiens également.

(Les amendements identiques nos 384 et 855 ne sont pas adoptés.)

M. le président. Monsieur Paul, les amendements nos 614 et 615 sont-ils maintenus ?

M. Christian Paul. Oui, monsieur le président.

(Les amendements nos 614 et 615, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

(Les amendements identiques nos 250 et 267 sont adoptés et l’amendement n844 tombe.)

M. le président. Nous en avons fini avec cette affaire du panorama. (Sourires.)

La parole est à M. Lionel Tardy, pour soutenir l’amendement n776.

M. Lionel Tardy. En vue de favoriser la diffusion des œuvres et du savoir, comme le souhaite le projet de loi, cet amendement, comme le suivant, du reste, concerne le droit d’auteur des fonctionnaires.

Est-il justifié, mes chers collègues, qu’un agent public qui réalise une œuvre dans le cadre de ses fonctions puisse toucher des droits d’auteur pour celle-ci alors que ce n’est, a priori, pas le cas pour un employé du privé ? C’est la première question globale. II faudrait engager une réflexion sur le sujet.

Sans aller jusque-là, je propose dans un premier temps de revoir ce régime. J’ai en effet été alerté de certains cas où la diffusion d’œuvres culturelles avait failli être empêchée par ce droit d’auteur un peu particulier. Autrement dit, si l’État est d’accord pour la réutilisation, par exemple, d’une photographie d’un tableau, il lui faut tout de même auparavant demander l’autorisation au fonctionnaire qui a pris cette photo et qui peut très bien refuser. Tel est le genre de situation originale, voire contradictoire, dans lequel on peut se trouver.

La première solution que je propose est de modifier la rédaction de l’article L. 131-3-1 du code de la propriété intellectuelle, qui stipule : « Dans la mesure strictement nécessaire à l’accomplissement d’une mission de service public, le droit d’exploitation d’une œuvre créée par un agent de l’État dans l’exercice de ses fonctions ou d’après les instructions reçues est, dès la création, cédé de plein droit à l’État ». Il convient de supprimer les mots : « Dans la mesure strictement nécessaire à l’accomplissement d’une mission de service public », car ce critère trop restrictif est source des problèmes que j’ai évoqués. Faisons confiance à l’administration concernée pour estimer si la réutilisation envisagée entre dans une mission de service public au sens large ou, par exemple, participe à la diffusion de la culture.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Luc Belot, rapporteur. Nous avons commencé hier ce débat sur le droit d’auteur des fonctionnaires et l’avons repris en début de matinée. Je ne pense toujours pas que nous soyons en mesure de traiter, dans ce texte sur la République numérique, l’intégralité de ce sujet. C’est pourquoi je vous propose le retrait de cet amendement, qui pourra être déposé de nouveau dans le cadre du projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, dans celui d’une proposition de loi sur laquelle j’ai cru comprendre que vous travaillez, ou éventuellement encore dans le cadre du projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires. Si vous ne le retiriez pas, j’émettrais un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État. Même avis que le rapporteur.

J’entends déjà vos contre-arguments, monsieur Tardy. Vous admettrez toutefois que le sujet du droit d’auteur des agents publics, que vous soulevez, dépasse largement la thématique du numérique. Ce n’est donc pas à l’occasion du présent débat qu’il convient de le traiter. C’est pourquoi le Gouvernement demande le retrait de votre amendement, faute de quoi il y sera défavorable.

(L’amendement n776 n’est pas adopté.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures cinq, est reprise à douze heures quinze.)

M. le président. La séance est reprise.

La parole est à M. Lionel Tardy, pour soutenir l’amendement n777.

M. Lionel Tardy. Cet amendement porte, comme le précédent, sur le droit d’auteur des agents publics. Le code de la propriété intellectuelle prévoit, en son article L. 131-3-3, un décret d’application visant à définir « les conditions dans lesquelles un agent, auteur d’une œuvre, peut être intéressé aux produits tirés de son exploitation quand la personne publique qui l’emploie, cessionnaire du droit d’exploitation, a retiré un avantage d’une exploitation non commerciale de cette œuvre ou d’une exploitation commerciale dans le cas prévu par la dernière phrase du dernier alinéa de l’article L. 131-3-1 ».

Comme l’indiquait le rapport Trojette de 2013, ce décret est source de préoccupation « au regard des risques que fait peser une acception large du droit d’auteur des agents publics sur la qualification juridique d’information publique de l’article 10 de la loi CADA ». En d’autres termes, le droit d’auteur des agents publics risque de constituer une entrave à la réutilisation d’informations ou de données publiques. Vous le voyez, madame la secrétaire d’État : ce sujet a pleinement sa place dans votre projet de loi.

Ce décret n’ayant toujours pas été pris, il convient de se prémunir dès à présent de ces risques en revoyant, le cas échéant, cette rédaction, et en la mettant en conformité, notamment, avec la loi relative à la gratuité et aux modalités de la réutilisation des informations du secteur public dont nous avons débattu à l’automne.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Luc Belot, rapporteur. Les craintes que vous avez exprimées à plusieurs reprises, monsieur Tardy, sont à bien des égards justifiées. Cependant, l’article L. 131-3-3 du code de la propriété intellectuelle prévoit un décret d’application qui devra désormais être conforme à la loi relative à la gratuité et aux modalités de la réutilisation des informations du secteur public. Il me semble que votre demande est satisfaite, d’une manière générale, dans le code de la propriété intellectuelle, et que les craintes que vous avez exprimées sont levées. Je vous propose donc de retirer votre amendement ; à défaut, j’y serai défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État. Même avis. Plutôt que de pallier par la loi les effets de l’absence d’un décret, je m’engage à exercer une certaine pression pour que ce décret soit pris. Vous avez raison de le souligner, monsieur Tardy : il est anormal qu’il ne soit pas encore publié.

M. le président. La parole est à M. Lionel Tardy.

M. Lionel Tardy. Eu égard à l’engagement de Mme la secrétaire d’État, je retire mon amendement.

(L’amendement n777 est retiré.)

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Attard, pour soutenir l’amendement n88.

Mme Isabelle Attard. Le prêt de livres imprimés en bibliothèque est régi depuis 2003 par un mécanisme de licence légale. En l’état actuel du droit, ce système ne s’applique pas aux livres numériques. Ainsi, les éditeurs proposent aux bibliothèques des offres de livres numériques sur une base contractuelle, dans des conditions souvent peu satisfaisantes.

Ainsi, les bibliothèques ne peuvent acheter aujourd’hui qu’une offre réduite, qui ne représente que 14 % de l’offre commerciale disponible pour le grand public ; 86 % de la production éditoriale leur est totalement inaccessible. L’évolution de cette proportion dans les années à venir reste soumise à la volonté des éditeurs.

Le présent amendement vise à résoudre ce problème. Pour permettre aux bibliothèques de continuer à jouer leur rôle, il importe d’étendre le mécanisme de licence légale prévu par la loi de 2003.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Luc Belot, rapporteur. Cet amendement a déjà été déposé en commission, dans la même rédaction. J’avais alors longuement expliqué que je partageais vos inquiétudes et votre volonté de traiter dans ce projet de loi de la question de la place du livre numérique dans les bibliothèques. Cependant, j’avais aussi souligné la semaine dernière les difficultés rédactionnelles que posait votre amendement.

Mme Isabelle Attard. C’est vrai !

M. Luc Belot, rapporteur. Il est resté en l’état, identique, et je comprends pourquoi. J’ai moi-même cherché une nouvelle rédaction, plus appropriée, des articles L. 133-1 et L. 133-4 du code de la propriété intellectuelle, s’agissant notamment de la rémunération de l’auteur sur le modèle applicable aux livres imprimés, et je n’ai pas trouvé de solution pleinement satisfaisante. Puisque vous avez déposé en séance publique le même amendement qu’en commission, dans des termes identiques, je crois comprendre qu’il en est de même pour vous.

Même si je partage parfaitement votre objectif, je vous propose donc de retirer votre amendement à ce stade. Nous verrons alors si nous arrivons à trouver, dans le cadre de la navette, une rédaction plus adaptée, qui permette à la fois d’atteindre notre objectif en matière de diffusion du livre numérique et de résoudre les problèmes liés à la rémunération des auteurs, à laquelle je sais que vous êtes également très attachée. À défaut d’un retrait, je serai défavorable à votre amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État. Je rejoins l’avis du rapporteur. J’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer sur ce sujet : je suis naturellement très favorable au développement de la lecture sur support numérique. Il ne faudrait pas laisser penser que ces usages ne se développent pas dans notre pays, notamment dans les bibliothèques, puisque le dispositif de prêt numérique en bibliothèque compte désormais 60 000 titres, sur un total de 180 000 titres disponibles pour les particuliers.

Cette offre connaît actuellement une très forte croissance, grâce, notamment, à l’adoption d’un texte par l’ensemble des professionnels concernés : je veux parler des douze « recommandations pour une diffusion du livre numérique par les bibliothèques publiques », qui permettent la mise en place d’un cadre équilibré, propice au développement de ce type de livres. L’approche se veut plus souple et plus contractuelle qu’une obligation légale qui s’appliquerait de manière générale et absolue. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement est défavorable à votre amendement, madame Attard.

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Attard.

Mme Isabelle Attard. Je souhaite avoir une précision concernant la navette. L’engagement de la procédure accélérée permet de ne prévoir qu’une seule lecture à l’Assemblée nationale. Or, monsieur le rapporteur, vous avez mentionné la navette : à quoi faites-vous référence ? Voulez-vous parler des débats au Sénat ? (Sourires.)

Mme Marie-Christine Dalloz. Très bonne question !

Mme Isabelle Attard. J’aimerais comprendre ! Depuis une semaine, je suis dans l’incertitude. J’entends des rumeurs selon lesquelles nous aurions peut-être droit à une deuxième lecture : j’aimerais en avoir le cœur net !

M. Lionel Tardy. Nous avons déjà posé la question hier !

Mme Isabelle Attard. Si le Gouvernement renonce à la procédure accélérée, nous aurons effectivement droit à une deuxième lecture. Cela ne dépend que de vous, madame la secrétaire d’État !

M. Lionel Tardy. Eh oui !

Mme Isabelle Attard. J’aimerais donc connaître vos intentions, avant de décider si je retire ou non mon amendement.

Mme Laure de La Raudière. C’est un amendement portant article additionnel : il ne pourra donc pas être redéposé en deuxième lecture !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Emeric Bréhier, rapporteur pour avis. Je partage les remarques de notre collègue rapporteur Luc Belot.

Madame Attard, je ne me trompe pas en vous rappelant que ce texte fera l’objet d’une lecture au Sénat. Or je n’ose pas imaginer que les défauts de rédaction de votre amendement, qui ont été soulignés à la fois en commission des lois et en séance publique ce matin, ne pourront pas être corrigés par tel ou tel sénateur qui partagerait vos préoccupations. Cela vous laisse le temps d’effectuer un travail préalable, avant même une éventuelle commission mixte paritaire.

Ce point méritait d’être rappelé, avant même de savoir si le Gouvernement pourrait être amené à renoncer à la procédure accélérée. Il me semble que Mme la secrétaire d’État s’est déjà exprimée sur ce sujet hier, avec la clarté qui la caractérise.

M. Sergio Coronado. Justement, ce n’était pas clair !

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État. Je dois avouer très sincèrement que j’aimerais faire preuve d’une plus grande clarté sur ce sujet ! (Sourires.)

M. Lionel Tardy. Elle n’est pas mal, celle-là !

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État. Nous avons peu de visibilité sur le calendrier parlementaire des prochains mois, compte tenu, notamment, des circonstances exceptionnelles qui ont bousculé l’ordre du jour prévisionnel du Parlement. Dès que j’aurai moi-même une réponse à la question que vous m’avez posée, je puis vous assurer que je vous la communiquerai.

Si vous avez la volonté réelle d’avancer sur un sujet en particulier, il serait peut-être sage de vous rapprocher de vos collègues sénateurs pour trouver une position commune. De toute façon, ce travail sera fructueux, quels que soient l’issue de nos débats et le calendrier parlementaire.

M. Patrice Martin-Lalande. Qu’est-ce qui justifie la procédure accélérée ? Rien !

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État. Je vous prie de m’excuser de ne pas être, à ce stade, en mesure de répondre plus précisément à votre question.

M. le président. La parole est à Mme Laure de La Raudière.

Mme Laure de La Raudière. Le Sénat n’a pas la même configuration que l’Assemblée nationale : la majorité n’est pas la même dans les deux chambres.

M. Emeric Bréhier, rapporteur pour avis. Cela ne nous avait pas échappé !

Mme Laure de La Raudière. Il n’est donc pas toujours si évident de se coordonner, notamment, par rapport à la position du Gouvernement.

Par ailleurs, l’amendement de Mme Attard vise à insérer un article additionnel après l’article 18. Même en cas de deuxième lecture, si le sujet n’avance pas au Sénat, nous ne pourrons pas déposer d’amendement portant article additionnel.

M. Sergio Coronado. Eh oui !

Mme Laure de La Raudière. Enfin, madame la secrétaire d’État, il serait intéressant que vous nous éclairiez : pouvez-vous nous dire quel article de ce projet de loi justifie l’engagement de la procédure accélérée ? En quoi l’application de ce texte est-elle d’une urgence telle que vous nous priviez d’une deuxième lecture ?

Mme Marie-Christine Dalloz. Bravo !

M. le président. Madame Attard, maintenez-vous votre amendement ?

Mme Isabelle Attard. L’amendement est maintenu.

M. Alain Leboeuf. Très bien !

Mme Isabelle Attard. En effet, l’avenir me paraît flou, et un tiens vaut mieux que deux tu l’auras.

Par ailleurs, monsieur le rapporteur pour avis, il ne s’agit pas de défauts de rédaction mais de difficultés de rédaction. Ce n’est pas la même chose ! Compte tenu de ces difficultés, j’engagerai une discussion avec nos collègues sénateurs, qui déposeront à leur tour un amendement dont j’espère qu’il sera encore plus satisfaisant. Cela dit, je maintiens à ce stade mon amendement n88.

(L’amendement n88 n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de sept amendements, nos 4, 610, 5, 150, 392, 555 et 151, pouvant être soumis à une discussion commune.

La parole est à Mme Isabelle Attard, pour soutenir l’amendement n4.

Mme Isabelle Attard. Les sujets dont nous avons débattu jusqu’à présent n’étaient pas inintéressants – loin de là ! –, mais nous arrivons enfin aux questions relatives au domaine commun informationnel. La première version du projet de loi comprenait un article sur ce sujet, mais celui-ci a été retiré.

Il convient de donner une définition positive de ce domaine commun informationnel.

Je veux d’abord vous rassurer, très rapidement, sur un point. Là encore, un mythe est récurrent, une légende urbaine s’est répandue, et nous savons bien quels sont les lobbies qui ont intérêt à faire circuler ce genre de rumeurs. Cet amendement et cette discussion ne portent absolument pas sur la notion de droit d’auteur.

M. Patrick Bloche, président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation. Si !

Mme Isabelle Attard. Il s’agit en revanche de protéger l’après : de protéger l’œuvre soixante-dix ans après la mort de l’auteur en proposant une définition positive des domaines communs informationnels.

Il s’agit d’empêcher qu’une œuvre soit attaquée par d’autres droits alors que, de fait, celle-ci est dans le domaine public. J’ai longuement parlé du droit des marques qui empêchait, par exemple, les œuvres de Sir Arthur Conan Doyle d’être utilisées par tous en raison de l’existence d’une marque « Sherlock Holmes » déposée par les ayants droit. Il existe depuis peu la marque « Journal d’Anne Frank » déposée par le fonds Anne Frank.

Les tribunaux ont en permanence à traiter de ces affaires parce que les ayants droit, une fois les soixante-dix ans passés, veulent continuer à profiter de la poule aux œufs d’or – des millions d’euros, parfois même davantage – que représentent les droits patrimoniaux.

Il y a pourtant une différence énorme entre le droit patrimonial et le droit moral. Au bout de soixante-dix ans après la mort de l’auteur, on ne peut pas faire n’importe quoi des œuvres. Le droit moral subsiste dans notre droit français : par exemple, une collectivité qui achèterait une statue – et ne voyez dans cet exemple aucune malice (Sourires) – ne peut pas décider de repeindre une sculpture en bleu ou en rouge au motif que cela lui plairait. Dans un tel cas, les ayants droit peuvent attaquer en justice et défendre l’œuvre afin que celle-ci ne soit ni défigurée, ni attaquée, ni injuriée ou critiquée. En revanche, le droit patrimonial s’arrête au terme des soixante-dix ans.

Il n’existe aujourd’hui aucune façon de protéger le domaine commun. Ma collègue Anne-Yvonne Le Dain parlait tout à l’heure des commons. Oui, il existe dans notre pays des biens communs : l’eau, l’air ou les œuvres du domaine public, qui doivent être à la disposition de tous et non faire l’objet d’une appropriation par quelques-uns qui veulent en profiter au-delà des soixante-dix ans – ce qui, reconnaissons-le, est déjà une durée très longue.

Les droits d’auteur ont été créés pour que l’auteur vive de son travail. Or en l’espèce, on parle de soixante-dix ans après sa mort. Ce sont donc les arrière-petits-enfants qui en bénéficient – quand ce ne sont pas les petites-filles de la gouvernante, comme dans le cas du Boléro, puisque les héritiers de Ravel ne sont pas ses descendants directs ; cette histoire fait polémique et concerne des dizaines de millions d’euros chaque année.

Je comprends que l’on s’accroche à de tels bénéfices mais, à un moment donné, il faut savoir protéger nos communs, protéger le domaine public, ce qui nous permettra de créer ensuite de la richesse, de nouvelles œuvres, de nouvelles pièces de théâtre, de nouvelles bandes dessinées, de nouveaux opéras-comiques. C’est cela la richesse du domaine public ; il faut le préserver. Cela passe par sa définition, qui figurait du reste dans la première version de votre projet de loi, madame la secrétaire d’État, version que je soutiens amplement et je crois ne pas être la seule dans cet hémicycle.

Mme Laure de La Raudière. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Christian Paul, pour soutenir l’amendement n610.

M. Christian Paul. Je vais défendre brièvement cet amendement car il rejoint le précédent, que Mme Attard a remarquablement défendu. Il s’agit d’une avancée extrêmement attendue de ce texte, peut-être même l’une des principales avancées – je n’irai pas jusqu’à dire que c’est la seule.

Mme Laure de La Raudière. En l’occurrence, c’est plutôt une avancée « hors texte » !

M. Christian Paul. Disons alors que c’est une avancée introduite à l’occasion de ce texte.

Mme Laure de La Raudière. C’est toujours hors texte que c’est intéressant !

M. Christian Paul. La consultation l’a plébiscitée, et le Gouvernement ne l’a pas oubliée – rendons cette justice à Mme la secrétaire d’État. Sans le déploiement d’influences puissantes, on aurait pu avoir un véritable débat et cela aurait marqué cette période.

Mme Laure de La Raudière. C’est vrai !

M. Christian Paul. Ce n’est pas un choix politique anodin, mais un choix de civilisation. En 2016, une loi sur le numérique peut-elle passer à côté de la question des biens communs informationnels ?

Mme Marie-Christine Dalloz. Non !

M. Christian Paul. Je réponds non. Nous devons faire preuve d’audace et de raison. D’audace parce que c’est un choix de civilisation. Le commun, ce n’est pas le gratuit ; c’est ce qui se situe entre l’État et le marché. Il y a là un espace considérable dans le monde numérique. La bataille des communs – je m’adresse particulièrement à mes collègues de la majorité – est menée par la gauche depuis des décennies dans beaucoup de domaines – ceux dont nous voulons qu’ils soient inappropriables, dont nous voulons éviter la prédation permanente, l’appropriation strictement marchande.

La proposition qui est faite – Isabelle Attard l’a rappelé – ne met pas en cause le droit des auteurs. Je le dis sans polémique et personne n’est visé dans cet hémicycle, mais il y a, à l’extérieur, des réactions pavloviennes à l’égard de l’idée de biens communs. Comme si on allait faire table rase du droit des auteurs ! Cela n’est pas vrai.

D’abord, il s’agit d’œuvres informationnelles, cela ne concerne pas la propriété d’œuvres physiques. La liste qui est proposée dans les différents amendements vise à alimenter le domaine commun informationnel, avec des biens inappropriables – des idées, des faits qui ne remettent pas en cause, contrairement à ce que j’ai entendu dire, la propriété des marques. Ce sont des biens qui ont été érigés en éléments du domaine commun – Isabelle Attard en a cité, et je rends du reste hommage à son combat exemplaire pour que le Journal d’Anne Frank appartienne enfin au domaine public.

Il s’agit d’informations publiques – nous en avons abondamment parlé en commission, monsieur le rapporteur. Il s’agit également des licences en creative commons – pardon, madame Le Dain (Sourires) –, qui viennent d’outre-Atlantique mais sont aujourd’hui très largement utilisées en France.

M. le président. Merci de conclure !

M. Christian Paul. J’en termine, monsieur le président.

Le droit des auteurs n’est pas en cause. Il s’agit en revanche de protéger les biens communs informationnels contre les nombreuses appropriations possibles. Je rappelle que la commission des affaires culturelles avait souhaité soutenir cette idée que je défends avec de nombreux collègues et une totale conviction.

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Attard, pour soutenir l’amendement n5.

Mme Isabelle Attard. Il s’agit d’un amendement de repli. Je maintiens qu’il est important de définir le domaine public de façon positive afin qu’il ne soit pas attaqué. Il est défini en creux et quand tout le monde s’est servi sur le domaine public, il ne reste plus que quelques miettes. Il est donc important de le défendre.

Il ne s’agit pas de léser qui que ce soit ; il s’agit seulement d’empêcher des voleurs d’accaparer des morceaux du domaine public. Chers collègues, la justice est un combat mené par nombre d’entre nous. En l’espèce, nous voulons empêcher que des escrocs accaparent ce qui appartient à tous en utilisant le copyfraud, c’est-à-dire en faisant payer des droits sur un bien qui ne leur appartient pas.

C’est pour ces raisons que je défends ces amendements et que je les maintiendrai. Nous nous battons aujourd’hui pour empêcher des voleurs, des escrocs de continuer impunément à piller le domaine public à leur profit alors que celui-ci appartient à tous. Il ne faudrait pas que cette situation perdure pour la seule raison que nous n’aurions pas le courage, nous, parlementaires, de définir en positif ce qu’est le domaine public. Si rien n’est fait, le domaine public continuera à être se faire escroquer. Sommes-nous aujourd’hui déterminés à mettre fin à ce vol et à prendre nos responsabilités ?

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis, pour soutenir l’amendement n150.

M. Emeric Bréhier, rapporteur pour avis. Cet amendement a été adopté en commission des affaires culturelles, contre mon avis. Il convient néanmoins que je le présente, même si Mme Attard et M. Paul l’ont fait avec davantage de conviction que je ne saurais en montrer. Je leur laisse cette responsabilité.

M. Jean-Luc Laurent. On n’en croit pas un mot !

M. Emeric Bréhier, rapporteur pour avis. La gymnastique a ses limites, mon cher collègue Laurent.

Je relève néanmoins une évolution dans la présentation de l’amendement de Christian Paul par rapport à celui qui avait été déposé en commission.

Certes, nous sommes animés par des principes philosophiques qui sont à l’origine de nos engagements, mais nous sommes tout de même ici pour faire la loi et écrire le droit. Or, à ce stade, les rédactions qui sont proposées dans ces différents amendements ne lèvent pas toutes les interrogations et les inquiétudes qui peuvent exister. Elles ne sont du reste pas forcément le fait de « lobbies » ou d’« escrocs » – pour reprendre des termes qui ont été prononcés et que je ne fais pas miens.

Je rends hommage au combat mené avec constance et cohérence par un certain nombre de collègues depuis de nombreuses années. Cependant, j’estime pour ma part que nous ne sommes pas à même de faire du droit de manière précise et correcte en levant les inquiétudes qui peuvent exister.

M. Luc Belot, rapporteur. Exactement !

M. Emeric Bréhier, rapporteur pour avis. Pour reprendre une expression qu’affectionne le président de ma commission, je rappelle que, lorsque l’on touche à la loi, il ne faut le faire que d’une main tremblante. Je préfère que cette main tremble encore quelque temps avant d’y inscrire des choses qui peuvent se révéler inutiles et superfétatoires. C’est la raison pour laquelle, vous l’aurez compris, mon avis sur l’amendement n150 est défavorable, en dépit du fait que la commission des affaires culturelles l’ait adopté.

M. le président. La parole est à M. André Chassaigne, pour soutenir l’amendement n392.

M. André Chassaigne. La protection des biens communs est au cœur de notre débat. Par chez moi, on dit : « Si ça continue, ils vont nous faire payer l’air qu’on respire ! » (Sourires.) On serait en quelque sorte des buveurs d’air. Cette image montre que l’on entre dans une société où l’appropriation pour faire du profit n’a plus de limites.

Cela va des communautés amérindiennes, dont on casse les principes de fonctionnement – sans égard pour les générations et les siècles pendant lesquels elles se sont perpétuées –, au nom d’un village qui sera utilisé pour des raisons commerciales, en passant par les semences rentabilisées grâce aux manipulations génétiques. Derrière tout cela, c’est le miroir aux alouettes de la société marchande et la marchandisation de l’ensemble de notre société.

Face à cela, il faut des gestes et des signes forts. Quant aux arguments qui sont mis en avant – je le dis sans faire de provocation – pour justifier le renoncement à agir, les hésitations, pour ne pas dire les tergiversations du Gouvernement et de la commission, ils ne tiennent pas. Dans le domaine commun informationnel, il s’agit de viser des œuvres non appropriables, celles dont les droits patrimoniaux sont échus et celles pour lesquelles les auteurs ont donné des droits de reproduction et de diffusion. Or c’est sur ces œuvres que les marchands mettent la main pour faire du profit et exploiter pour des droits exclusifs telle ou telle œuvre.

M. le président. La parole est à Mme Delphine Batho, pour soutenir l’amendement n555.

Mme Delphine Batho. Je crois moi aussi que la reconnaissance et la protection des communs sont des enjeux de civilisation et, à tout le moins, des enjeux importants du XXIsiècle. Il est intéressant de noter que le numérique, en particulier la pratique collaborative, s’empare de la notion de communs – qui n’est pas nouvelle – en la renouvelant et en lui apportant une modernité qui est extrêmement porteuse et enthousiasmante.

En commission des lois, les arguments ont consisté à dire que le débat n’était pas nouveau et que, s’il n’avançait pas, c’était lié à des inquiétudes, des blocages et par absence de consensus. Mais il me semble, mes chers collègues, que nous avons déjà été amenés à légiférer sur des sujets qui ne faisaient l’objet d’aucun consensus dans la société. Il est nécessaire que nous fassions avancer cette notion de biens communs en lui donnant pour la première fois une définition positive.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis, pour soutenir l’amendement n151.

M. Emeric Bréhier, rapporteur pour avis. Il s’agit toujours du même sujet avec cet amendement adopté par la commission des affaires culturelles,…

M. André Chassaigne. Elle a eu raison !

M. Emeric Bréhier, rapporteur pour avis. …mais auquel je suis défavorable. Je ne prolongerai pas le débat, car la logique reste la même, avec cependant une nuance. Cet amendement vise à positiver ce qui existe déjà, à savoir les commons. Or le système actuel me semble fonctionner assez bien pour qu’il soit inutile de le positiver.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur cette série d’amendements ?

M. Luc Belot, rapporteur. La discussion sur les communs ne date pas d’hier et elle alimente divers débats politiques, que ce soit à l’Assemblée nationale – c’est bien légitime ! – ou ailleurs. Elle touche en effet à une conception de la manière dont nous vivons ces commons, ces biens communs, et du traitement que nous devons leur apporter dans la loi.

J’ai exprimé en commission des réserves sur la manière dont ce débat était mené dans le pays, et même quelques inquiétudes quant au traitement de ce sujet par certains. Les nombreuses études réalisées dans ce domaine par d’éminents juristes se situant d’un côté ou de l’autre sont particulièrement radicales et partisanes et, pour la plupart, manquent d’objectivité – soit elles sont en totale opposition et ne tiennent pas compte de certaines réalités, soit, avec le même mépris des réalités, elles adoptent la démarche inverse.

Le débat doit pouvoir être large et je me réjouis que la discussion de cet article nous donne l’occasion de le tenir. C’est bien, en effet, le rôle du Parlement que d’avoir un débat de qualité sur les communs.

Cependant, au moment de passer au vote des amendements et d’écrire la loi – car c’est bien ce que nous allons faire ici – nous devons être particulièrement vigilants quant à la rédaction des articles et des amendements. Je souscris à cet égard aux arguments soulevés par M. Bréhier, que nous avons évoqués en commission, et je ne prolongerai pas le débat pour les redire moins bien qu’il ne l’a fait.

Nous devons toutefois examiner avec une vigilance toute particulière les amendements nos 4 et 5 de Mme Attard, qui tendent à punir d’un an d’emprisonnement et de 100 000 euros d’amende le fait de porter atteinte au domaine commun informationnel en cherchant à restreindre l’usage commun à tous. Tout cela ne me semble guère respectueux de la réalité de l’échelle des peines et aucune étude d’impact n’a été réalisée en vue de conformer ce dispositif à cette échelle, ce qui est déjà un problème considérable au moment d’écrire la loi.

Ensuite, et c’est là sans doute le plus important, se pose la question de savoir comment qualifier l’infraction. Demain, madame Attard, la rédaction de vos amendements fera-t-elle considérer que faire payer l’entrée dans un musée serait une restriction de l’usage commun à tous ? De fait, votre rédaction permet de se poser légitimement la question. Certes, la manière dont vous avez défendu vos amendements écarte évidemment cette interprétation et je connais du reste votre position en la matière mais, sur le fond, votre texte ne l’exclut pas.

Je souhaite que nous conservions la qualité du débat philosophique et politique que nous avons eu sur les communs, mais aussi que nous gardions tous bien présent à l’esprit qu’il s’agit ici d’écrire la loi et que, dans l’ensemble, ces amendements ne me semblent pas satisfaisants.

Je souhaite donc que s’enclenche un vrai travail. J’ai dit en commission, la semaine dernière, que j’étais persuadé que nous ne pourrions parvenir à une rédaction avant l’examen du texte en séance publique et que ce travail supposait de mettre tout le monde autour de la table et de mener enfin une étude large, sans que les « pour » et les « contre » restent chacun de leur côté. Je suis même persuadé que nous ne parviendrons pas à obtenir de réponse avant l’examen du texte par le Sénat. Il faut donc engager ce travail et il y a ici assez de personnes qui connaissent bien le sujet et sont capables d’écouter et d’entendre les avis des uns et des autres pour qu’il puisse se faire.

Je précise en outre, madame Attard, afin que l’avis que je formule soit complet, que j’ai prévu de rendre un avis favorable à votre amendement n613 relatif au copyfraud, qui relève de la même logique. Cet amendement étant particulièrement bien écrit et applicable dans notre droit, je souhaite qu’il soit adopté et je ne doute pas que vous verrez là notre volonté d’avancer et que vous accepterez donc le retrait de vos amendements nos 4 et 5, à défaut de quoi j’émettrais à leur endroit un avis défavorable.

M. Jean Launay. Très bien !

M. André Chassaigne. Quelle habileté !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État. Je souscris aux arguments du rapporteur et m’efforcerai de les étayer de mon point de vue. Il se trouve que je suis, initialement, juriste de droit international et qu’en droit international, certains domaines communs, comme l’espace ou l’Antarctique, ont été reconnus au terme de négociations internationales ardues entre les États, au prix d’analyses doctrinales et juridiques qui ont duré des décennies. Je comprends tout à fait, cependant, la philosophie et l’approche politique visant à faire reconnaître un domaine des « communs ». C’est là une notion ancienne, qui existait par exemple pour le partage des terres au Moyen Âge et qui a été revitalisée dans certaines pratiques par la culture du numérique, laquelle est une culture de la diffusion, de la multitude, de l’universalité, de la co-construction et du partage. Voilà pour la philosophie et la politique.

En droit – c’est aussi la juriste qui parle, et ce n’est pas sans avoir examiné le sujet sous tous les angles –, la frontière avec les dispositions du code de la propriété intellectuelle et avec la jurisprudence existante reste très floue. Les amendements proposés évoquent des « faits », des « informations », des « idées », des « principes », des « méthodes », des « découvertes » : je vous laisse imaginer à quel point ces catégories sont vastes et susceptibles d’accueillir des réalités juridiques extraordinairement diverses et variées.

Concrètement, donc, dans la pratique, même lorsqu’il s’agit de donner une identité juridique à des phénomènes sociologiques ou économiques de « communs », nous passons par la voie contractuelle. Le meilleur exemple peut-être en la matière est la licence creative commons utilisée par Wikipédia : il s’agit d’une licence, d’un contrat passé entre deux parties, et non de la reconnaissance d’un principe général qui aurait été introduit dans le code de la propriété intellectuelle.

Le débat sur les communs a beaucoup avancé à l’occasion de l’examen de ce texte et je crois très sincèrement que nous avons fait un pas qui nous permettra de ne plus reculer sur ce sujet. J’en appelle toutefois à la sagesse juridique des députés car, à ce stade, nous n’avons pas trouvé de définition juridique satisfaisante.

M. Patrick Bloche, président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation. Absolument !

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État. J’ai reçu un engagement ferme du Premier ministre de confier une mission à deux conseillers d’État, qui associeront très étroitement les parlementaires à leurs travaux pour aboutir à un résultat susceptible de satisfaire toutes les parties prenantes. L’exercice – douloureux sans doute, laborieux peut-être – que je vous demande est de faire confiance au Gouvernement sur ce sujet.

M. Philippe Gosselin. Douloureux et laborieux, en effet !

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État. Nous avons, cela a été dit, beaucoup avancé en quelques mois sur un sujet dont on débat depuis des années. Vous aurez compris mon entêtement. Il est, selon moi, dans l’intérêt de tous d’accepter de continuer le travail sur ce sujet. Il ne s’agit pas de trouver un consensus – je crois avoir assez clairement exprimé une volonté politique en la matière, car c’est un choix que de traduire en droit une certaine philosophie –, mais l’expertise juridique n’est pas mûre et c’est la raison pour laquelle, à ce stade, je vous demande de retirer vos amendements, à défaut de quoi le Gouvernement émettra un avis défavorable.

M. le président. La parole est à M. Philippe Gosselin.

M. Philippe Gosselin. Ce débat est très intéressant, instructif et constructif. On voit bien que des points de vue très divergents peuvent s’exprimer, et je ne suis pas certain que, contrairement à ce qui se produit sur d’autres sujets, une voie médiane soit possible dans un débat aussi marqué.

Je note, madame la secrétaire d’État, qu’une mission sera confiée à deux conseillers d’État et je ne doute pas, au-delà de la boutade que j’ai lancée voici quelques instants sur la confiance que l’on peut accorder au Gouvernement, qu’il existe une envie forte de voir cette mission aboutir. Celle-ci n’est cependant pas encore enclenchée et prendra évidemment un peu de temps, ce qui – je le dis sans esprit politicien – nous mènera à une période où l’évocation législative de tels sujets est fortement hypothétique.

À titre personnel, et sans engager mon groupe afin de ne pas bousculer les choses, je suivrai le Gouvernement sur ce point. Je regrette toutefois, alors qu’on nous rebat les oreilles de la « République numérique » et de ce texte qui était censé nous donner de grandes lignes, de grandes directions et de grands principes, qu’une fois de plus, les débats en séance mettent en lumière un nouveau sujet qui n’était pas prêt. Votre texte aborde en effet de nombreux sujets intéressants, mais qui – nous le disons sans esprit de polémique – ne sont pas prêts, alors que nous l’attendions depuis de longs mois, sinon de longues années. Aurait-il fallu plus de temps, ou ce texte ne sera-t-il jamais prêt ?

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation.

Pour la suite de notre débat, j’invite chacun à la concision – qui est, avec la précision, une habitude de M. Bloche.

M. Patrick Bloche, président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation. Monsieur le président, je n’en suis qu’à ma quatrième intervention dans l’examen de ce projet de loi. Je répondrai cependant à votre demande, et le ferai d’autant mieux que nos rapporteurs et Mme la secrétaire d’État, qui viennent de s’exprimer, ont été très clairs.

Ce débat est, bien sûr, légitime. La cause est juste, personne ne le conteste, mais nous sommes législateurs et nous devons écrire la loi en adoptant une rédaction précise et sans créer d’insécurité juridique. Le problème est certes politique et Mme la secrétaire d’État a développé ce point d’une manière approfondie, mais la question tient – je le dis après d’autres – à la rédaction des amendements qui nous sont proposés, insuffisante à ce stade du débat. Ces amendements n’établissent pas de frontière entre les notions d’informations, d’idées, de principes, de méthodes ou de découvertes, qui ne peuvent être protégées, et les œuvres protégées.

Certes, ces œuvres tombent dans le domaine public au terme d’un délai de soixante-dix ans, mais je n’invoquerai, pour me conformer à la brièveté demandée par M. le président, qu’un seul exemple : celui d’un film tombé dans le domaine public et qui ne pourrait être communicable au public qu’après restauration. Compte tenu de l’investissement nécessaire, ce film devrait faire l’objet d’une exclusivité. La rédaction des amendements qui nous sont proposés empêcherait alors la restauration des films anciens et les investissements nécessaires pour que nous puissions les regarder. N’y aurait-il que ce seul exemple, je ne pourrais voter ces amendements en l’état.

Je demande, après d’autres, une étude juridique sérieuse, celle qui sera confiée à deux conseillers d’État : une étude d’impact, c’est le minimum en ce domaine. Comme Emeric Bréhier l’a dit, ma main tremble tant que je souhaite le retrait de ces amendements.

Le débat est lancé, la cause est juste mais, par pitié, écrivons bien la loi, sans ambiguïté et sans insécurité juridique.

M. Philippe Gosselin. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Patrice Martin-Lalande.

M. Patrice Martin-Lalande. Nous nous trouvons face à un dilemme. Soit nous attendons que la définition soit définitivement clarifiée, soit nous faisons comme dans beaucoup d’autres parties de ce texte : nous anticipons, quitte à réviser. Un certain nombre de dispositions de ce projet de loi sont écrites par anticipation d’autres éléments – le règlement européen en cours de discussion – qui ne sont pas encore stabilisés.

Pourquoi ne pourrions-nous pas prendre l’engagement collectif d’inscrire dans ce texte le principe de biens communs de la connaissance, prendre l’engagement collectif de compléter avec la définition qui résultera, nous en sommes convaincus, des travaux des deux éminents conseillers d’État, et prendre l’engagement collectif également de retirer cette disposition lors de la prochaine lecture de ce texte si la définition n’était malheureusement pas disponible à l’issue de ces travaux ?

Puisque nous anticipons sur beaucoup d’autres points, pourquoi ne pas anticiper sur celui-ci, en prenant les précautions que je viens de proposer ?

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Attard.

Mme Isabelle Attard. Ce débat est éminemment politique – au sens noble du terme. C’est également un vrai débat de société puisque nous devons, comme c’est notre rôle, écrire une loi équilibrée. Nous sommes très nombreux à avoir rappelé l’objectif d’une loi : arriver à un équilibre en protégeant le plus grand nombre et l’intérêt général.

Or, en n’inscrivant pas la définition positive de ce domaine public, je n’ai pas du tout la sensation de faire mon travail pour ce qui est de la notion d’équilibre : nous maintenons ainsi un univers où seuls les plus puissants continuent de décider, de faire ce qu’ils veulent. Je précise que nous sommes passés de cinquante à soixante-dix ans pour les droits d’auteur à la demande d’entreprises comme les studios Disney. Nous ne parlons pas petits budgets ou petits euros ; nous parlons gros chiffres – certains ont toujours envie de se gaver davantage.

Sur le plan juridique, depuis 2012, on nous fait patienter sur certains sujets en nous disant : « On ne légifère pas : nous attendons les conclusions du rapport Lescure », d’abord une première fois pour l’école, puis une seconde pour l’enseignement supérieur et la recherche.

On parle d’études qui n’auraient pas été faites ; mais elles existent bel et bien. Le rapport Lescure, qui a été publié, va dans le sens de la définition positive de ce domaine public. Je veux bien entendre toutes les excuses, je veux bien entendre d’autres arguments, mais ce débat a eu lieu et cela fait dix ans que cela dure.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Anne Chapdelaine.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Je souhaite exprimer la position du groupe socialiste. À l’issue de ce débat qui, on l’a vu, a été riche et sans outrance, à l’exception de quelques mots, chacun a bien vu tout l’attachement que l’on porte tant à la création, au droit d’auteur qu’au bien commun.

Nous accueillons favorablement la mission des deux conseillers d’État et, plutôt que d’inscrire dans la loi une disposition qui n’est pas juridiquement aboutie, plutôt que d’inscrire un principe, comme cela a été suggéré tout à l’heure, peut-être pourrait-on saisir l’occasion de cette mission pour attendre qu’elle rende ses conclusions afin d’obtenir une disposition qui soit unanimement partagée.

M. Philippe Gosselin. Le problème, c’est que cela ne nous rassure pas !

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Le groupe socialiste votera contre ces amendements.

M. le président. La parole est à M. Christian Paul.

M. Christian Paul. Je veux rassurer mon collègue et ami Patrick Bloche : la restauration d’un film, qui suppose un investissement significatif, crée évidemment de nouveaux droits. Cela ne dissuade donc pas ce genre d’interventions – au contraire.

M. Sergio Coronado. Bien évidemment !

M. Emeric Bréhier, rapporteur pour avis. La rédaction n’est pas claire !

M. Christian Paul. Par ailleurs, il faut affirmer le principe. Or, le temps politique étant ce qu’il est, il joue contre nous. Il faut donc vraiment mettre à profit les différentes lectures de ce texte pour l’affiner.

J’ajoute – personne ne le prendra mal – que c’est vraiment un choix politique essentiel, un choix de civilisation. En 1789, quand il s’est agi d’écrire la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, on n’a pas confié une mission à deux conseillers d’État ! (Rires.)

M. Philippe Gosselin. C’est bien envoyé !

M. Luc Belot, rapporteur. Celle-là, je la ressortirai !

(Les amendements nos 4, 610 et 5, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

M. le président. Monsieur le rapporteur pour avis, je suppose que l’amendement n150 est retiré ?

M. Emeric Bréhier, rapporteur pour avis. En effet, monsieur le président, de même d’ailleurs que l’amendement n° 151.

(Les amendements nos 150 et 151 sont retirés.)

M. le président. Monsieur Chassaigne, maintenez-vous l’amendement n392 ?

M. André Chassaigne. Absolument !

(L’amendement n392 n’est pas adopté.)

M. le président. Madame Batho, maintenez-vous également l’amendement n555 ?

Mme Delphine Batho. Je le maintiens, tout en donnant acte à Mme la secrétaire d’État de son engagement sur ce sujet. (Rires.)

(L’amendement n555 n’est pas adopté.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

2

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :

Suite de la discussion du projet de loi pour une République numérique.

La séance est levée.

(La séance est levée à treize heures cinq.)

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly