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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2015-2016

Compte rendu
intégral

Première séance du jeudi 10 mars 2016

SOMMAIRE

Présidence de Mme Catherine Vautrin

1. Démission d’un député

2. Réforme de la prescription en matière pénale

Présentation

M. Alain Tourret, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice

Discussion générale

M. Joël Giraud

M. Marc Dolez

Mme Colette Capdevielle

M. Georges Fenech

M. Jean-Christophe Lagarde

M. Sergio Coronado

Mme Anne-Yvonne Le Dain

Mme Françoise Descamps-Crosnier

M. Alain Tourret, rapporteur

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux

Discussion des articles

Article 1er

Amendements nos 1 , 7 , 11 , 8 , 10 , 9 , 12 , 14 rectifié , 3 , 2

Article 2

Amendement no 15

Article 3

Amendement no 16

Article 4

Après l’article 4

Amendement no 18

Vote sur l’ensemble

M. Alain Tourret, rapporteur

3. Rémunération du capital des sociétés coopératives

Présentation

M. Joël Giraud, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mme Martine Pinville, secrétaire d’État chargée du commerce, de l’artisanat, de la consommation et de l’économie sociale et solidaire

Discussion générale

Mme Jeanine Dubié

M. Marc Dolez

Mme Anne-Yvonne Le Dain

M. Gilles Lurton

M. Yannick Favennec

M. Paul Molac

M. Joël Giraud, rapporteur

Discussion des articles

Article unique

M. Jacques Krabal

Amendements nos 1 rectifié , 2 rectifié

Vote sur l’article unique

4. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de Mme Catherine Vautrin

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

Démission d’un député

Mme la présidente. Le président de l’Assemblée nationale a reçu de M. Étienne Blanc, député de la troisième circonscription de l’Ain, une lettre l’informant qu’il démissionnait de son mandat de député.

Acte est donné de cette démission qui sera notifiée à M. le Premier ministre.

2

Réforme de la prescription en matière pénale

Discussion d’une proposition de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de MM. Alain Tourret et Georges Fenech portant réforme de la prescription en matière pénale (nos 2931, 3540).

Présentation

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Tourret, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Alain Tourret, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, ministre de la justice, c’est une belle et grande loi que nous allons vraisemblablement voter, après l’avoir si bien travaillée pendant de très nombreux mois. Je voudrais adresser mes remerciements d’abord à vous, monsieur le garde des sceaux, qui m’avez toujours fait confiance, qui avez accepté l’établissement au préalable d’un rapport important et qui avez suggéré à M. le président de l’Assemblée nationale de saisir le Conseil d’État, pour la première fois de la législature en ce qui concerne une proposition de loi. La décision du Conseil a du reste été d’une exceptionnelle qualité.

Je voudrais également remercier Georges Fenech. C’est la deuxième fois que nous travaillons ensemble, et c’est à l’unanimité que nous avons fait passer une loi sur la révision des décisions pénales, avec votre appui, monsieur le garde des sceaux, en qualité alors de président de la commission des lois. Ayant cheminé de la même manière, j’espère que nous arriverons au même résultat.

Pourquoi fallait-il changer les règles de la prescription pénale ? La prescription pénale est un mode d’extinction de l’action publique. On peut remonter à l’empereur Auguste, et, dans l’ancien droit, à la modernité des décisions prises par Saint Louis, en 1246 si mes souvenirs sont bons. Puis est arrivé le code Napoléon, en 1808. Les choses étaient claires : il devait y avoir une prescription, laquelle devait s’appliquer d’un côté à l’action publique, de l’autre côté à la peine, en retenant la différenciation qui a toujours fait la spécificité française : la contravention, le délit, le crime.

Au fur et à mesure des ans, on s’est rendu compte que les choses étaient moins simples que cela. Une véritable schizophrénie s’est établie entre d’une part ceux qui voulaient faire appliquer la prescription et d’autre part le refus absolu de l’opinion publique, et des victimes en particulier, d’admettre la prescription. À partir de 1935, la Cour de cassation a décidé de se prononcer contra legem, contre la loi qu’elle est normalement dans l’obligation d’appliquer, mais avec une continuité dans son opposition telle qu’elle ne peut que nous interroger au bout d’un certain temps. Car après tout, qui a raison : Napoléon en 1808, ou la Cour de cassation à partir de 1935 ?

L’on conçoit fort bien que la situation a un peu explosé sous la pression de la criminalité économique, c’est-à-dire tout ce qui concerne la criminalité intelligente. Et le législateur est lui-même intervenu à de multiples reprises pour opacifier les règles. Des prescriptions de trente ans ont été inventées pour certains crimes, par exemple, et de nombreuses prescriptions ont été abrégées. Finalement plus personne ne s’y retrouve et l’opacité est devenue la règle.

Or nous avons besoin de sécurité juridique. Lorsque, avec Georges Fenech, nous avons interrogé les spécialistes – magistrats, avocats, professeurs de droit – tous nous ont dit que la situation ne pouvait plus rester en l’état. Aussi nous sommes-nous intéressés à ce qu’un certain nombre d’entre nous avaient déjà ébauché. M. Mazeaud a proposé une réforme qui est restée sans solution. En 2008, M. Hyest, désormais membre du Conseil constitutionnel, a proposé une réforme de la procédure civile et une réforme de la procédure pénale. S’il a bien réussi en matière de procédure civile, tout s’est arrêté sur la procédure pénale. Nous nous sommes également penchés sur les propositions de hauts magistrats. Tous ont échoué.

Dès lors, c’était un sacré défi qui nous était lancé. Quelles ont été les idées qui ont chevillé nos positions, à Georges Fenech et à moi-même ?

Première question : faut-il oui ou non une prescription ? Cela semble aller de soi, mais il n’en est rien car dans nombre de pays, en particulier les pays de common law, il n’y a pas de prescription. Et c’est la dernière fois, je le dis avec solennité, que nous pourrons sauver la prescription : actuellement en effet, tout va dans le sens de la disparition de cette notion.

Bref, nous avons été convaincus qu’il fallait maintenir la prescription. Pourquoi ? Au nom de la grande loi de l’oubli ? Oui et non. Oui, parce que c’est de manière incontestable son fondement même. Peut-on juger de la même manière au bout de dix, quinze, vingt, quarante ans ? À l’évidence, non. Les hommes ont changé. Comment peut-on se souvenir de ce qui s’est produit, des preuves qui existent vingt ans ou trente après ?

Une autre justification de la prescription était l’idée que celui qui a commis une infraction a supporté le poids du repentir pendant toute la durée qui le sépare du point de départ de la prescription. Cette idée du repentir ne nous a pas tellement convaincus…

Il y a aussi le problème de la disparition des preuves. C’est un problème délicat car incontestablement, les preuves ne sont pas que des preuves scientifiques. S’agissant de ces dernières, nous voyons, avec l’ADN, tout ce qui a pu changer.

Nous avons donc pensé qu’il fallait un équilibre entre le droit à la sécurité et celui à un procès équitable ; un équilibre entre le droit des victimes d’obtenir réparation après une déclaration de culpabilité de l’auteur de l’infraction et celui de chacun d’être jugé dans un délai raisonnable ; un équilibre entre la mise en œuvre des moyens techniques d’élucidation des infractions ; et, enfin, un équilibre entre les différents foyers de sens de la peine, entre le rappel de la loi et la défense de la société.

Ce que nous ne voulons pas, c’est que la prescription soit un moyen général d’impunité. On doit répondre de ses faits, avec toutes les garanties de la loi. Mais il doit bien sûr être possible de faire jouer la prescription.

Alors, nous avons estimé nécessaire de rappeler que les durées étaient insuffisantes en matière de prescription et nous avons proposé leur doublement. Certains peuvent estimer que c’est trop important, mais je rappelle que l’ensemble des législations étrangères prévoient des durées encore plus longues que celles que nous avons retenues.

Nous avons par ailleurs estimé qu’il était indispensable d’entériner la jurisprudence de la Cour de cassation, en particulier pour tout ce qui concerne les délits occultes. La délinquance économique doit être poursuivie, et cette délinquance-là n’est pas la délinquance de droit commun. Toutes les volontés antérieures de révision de la loi sont tombées parce que cet aspect n’avait pas été pris en considération. Georges Fenech et moi avons été très intéressés par les auditions de membres du Pôle financier, en particulier celle de M. le juge d’instruction Van Ruymbeke, qui nous a dit d’entériner la jurisprudence de la Cour de cassation. C’est que nous proposons.

Nous avons eu à régler le problème de l’imprescriptibilité des crimes de guerre. J’avais été très séduit, monsieur le garde des sceaux, par votre position personnelle sous une précédente législature. J’avais également été séduit par les positions de M. Bruno Cotte, mais aussi par celles de votre prédécesseur, Mme Taubira, qui voulait absolument qu’il y ait une prescription des crimes de guerre.

Finalement, nous sommes arrivés à trouver un juste milieu. Nous considérons désormais que la proposition que nous faisons avec le Gouvernement, avec vous-même, monsieur le garde des sceaux, pour faire en sorte que l’imprescriptibilité s’étende aux crimes de guerre connexes à un crime contre l’humanité est la bonne solution en la matière.

L’apport du Conseil d’État a été essentiel : il nous a notamment fait renoncer à une prescription de trois années que nous avions envisagée pour le cas où les magistrats chargés de faire une enquête ne respecteraient pas les délais normaux pour ce faire. C’était trop compliqué. Or notre objectif était de simplifier.

Cette proposition de loi, Georges Fenech et moi en sommes très fiers. Nous avons beaucoup travaillé. « Vous avez fait un véritable travail de garde des sceaux », m’avez-vous dit un jour, monsieur le ministre. Je tiens à vous remercier de cette appréciation. (Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, monsieur le vice-président de la commission des lois, mesdames, messieurs les députés, il est bien difficile de parler après Alain Tourret, surtout sur un tel sujet, qu’il connaît à la perfection, et de parler de surcroît avant Georges Fenech, qui le maîtrise tout autant. Pardonnez donc cet épisode (Rires) qui va permettre au Gouvernement de dire tout le plaisir qu’il a de partager ce moment avec l’Assemblée nationale.

Nous connaissons tous l’histoire d’Edmond Dantès, marin de dix-neuf ans, second du navire Le Pharaon et sur le point de se fiancer avec Mercedes lorsqu’il est enfermé au Château d’If, accusé à tort de bonapartisme. Après quatorze ans d’emprisonnement injuste, quel jugement ses ennemis jaloux mériteront-ils ?

Dans tout le roman d’Alexandre Dumas se lit l’étonnement de ceux qui l’ont envoyé en prison lorsqu’ils le voient revenir, lui et sa vengeance, sous les traits du Comte de Monte-Cristo. Pour eux, c’est une histoire ancienne – c’est du passé, n’en parlons plus. C’est la question même de la prescription qui se pose ici. Et lorsqu’à la fin du roman, le comte offre une île à un jeune couple, il accompagne son cadeau d’un bref message qui tient en deux verbes : « attendre et espérer ». Attendre et espérer que justice se fasse !



Nous sommes bien là au cœur de la notion de prescription, au cœur de votre texte. Dans le rapport qui l’a précédé, que vous avez réalisé tous les deux, l’un député de l’opposition et l’autre de la majorité, vous rappelez du reste la longue histoire de cette notion, qui débute en 18 ou 17 avant Jésus-Christ, sous l’empereur Auguste. Les débats qu’elle soulève mettent en question le rapport entre la justice et le temps. Le temps serait-il devenu l’ennemi de la justice ? Voilà, me semble-t-il, comment on pourrait résumer la prescription, qui est depuis plusieurs siècles la clef de voûte de notre système judiciaire.

Elle n’est d’ailleurs pas seulement, comme vous l’avez très justement souligné, cher Alain Tourret, un principe, mais presque une institution, c’est-à-dire un poteau indicateur, un repère, un moment de mémoire, une capacité d’anticipation. Elle est aussi un acteur essentiel du contrat social, car une institution permet l’action collective et coordonnée, et repose sur un consensus social implicite.

Cependant, chacun a constaté depuis des années que les règles légales et jurisprudentielles de la prescription sont devenues inadaptées aux attentes de la société et aux besoins des juges en matière de répression des infractions. Leurs incohérences et leur instabilité sont devenues, vous l’avez dit, préjudiciables à l’impératif de sécurité juridique. Tout le monde a fait ce diagnostic et observé que cette institution était mise à mal.

Il fallait donc encore réfléchir à la manière de faire évoluer les règles, écouter les juges, prendre en considération les besoins de la société quant à ce qu’elle est en droit d’attendre en matière de justice.

C’est ce travail vraiment remarquable que vous avez mené tous les deux, Georges Fenech et Alain Tourret, Alain Tourret et Georges Fenech – nos pratiques parlementaires interdisant qu’il y ait deux rapporteurs, vous avez été contraints de vous arranger, en raison d’impératifs liés au calendrier parlementaire, pour qu’un seul d’entre vous soit rapporteur, mais vous savez que, pour la commission des lois et pour le Gouvernement, vous êtes évidemment tous deux co-rapporteurs de ce travail.

Sur cette question, comme lors de l’épisode qui vous avait initialement rassemblés, vous avez su faire fi de la différence de vos convictions, de la pluralité de vos appréhensions pour transcender ces oppositions, pour vous rassembler sur le constat et proposer une solution.

J’associe à ces remerciements le président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone, qui a accepté de saisir le Conseil d’État pour nous permettre de bénéficier de son expertise juridique, lui qui conseille si bien l’État. Il nous a également permis d’enregistrer, de découvrir, d’appréhender et d’accepter les suggestions d’amélioration du Conseil d’État.

Le Gouvernement remercie également avec beaucoup de plaisir la commission de loi dans son ensemble pour son excellent travail. Vous avez su en effet, à de multiples reprises, vous rassembler pour adopter un texte avec la concorde qui sied à ce sujet.

Le Gouvernement est donc très heureux de soutenir cette proposition de loi, issue d’un travail qui montre de la manière la plus lumineuse qui soit la place que le Parlement peut et doit prendre dans la production de la loi.

Ce chantier était délicat, vous l’avez dit. Beaucoup s’y étaient essayés, et non des moindres, mais s’ils avaient réussi les diagnostics, ils avaient été beaucoup moins suivis quant à la thérapie. Vous y êtes parvenus. Vous avez réussi à nous proposer un équilibre entre l’effectivité de la peine et le souhait qu’a la société d’être certaine d’être défendue, un équilibre entre la proportionnalité et le sens éducatif de la peine et la prévention de la récidive.

Cicéron avait une recette pour appréhender et traiter les affaires délicates : selon lui, les dossiers sensibles se traitent par l’autorité, par l’accumulation des bons avis et par la prudence. Vous avez réuni les trois. Bravo !

Le Gouvernement n’a souhaité déposer qu’un amendement, visant à ce que la règle de l’imprescriptibilité ne soit pas étendue aux crimes de guerre, mais reste réservée aux crimes contre l’humanité, faisant écho à une position dont chacun reconnaîtra la sagesse, exprimée par le Sénat en 2007 et plus récemment par Robert Badinter. L’imprescriptibilité doit demeurer une règle exceptionnelle. Je me réjouis donc que la proposition alternative du Gouvernement ait été acceptée par les auteurs de la proposition de loi et par la commission des lois.

Hormis ce point de divergence, qui a trouvé une solution satisfaisante en commission, ce texte recueille évidemment l’assentiment du Gouvernement, car il constitue une réelle avancée en matière de procédure pénale. Il inscrit dans la loi les règles dégagées par la jurisprudence de la Cour de cassation en matière de prescription de délits occultes, renforce donc la lisibilité du droit et, de ce fait, assure une meilleure sécurité juridique. Chacun pourra connaître plus facilement les règles applicables en consultant la loi, sans être un expert et sans devoir analyser la jurisprudence. Ce texte rassemble dans un même code des dispositions qui étaient éparpillées et contribue ainsi à garantir la prévisibilité de la loi. Enfin, il clarifie et améliore l’efficacité des règles de prescription – durée, mode de calcul, règles de suspension et d’interruption.

Ce sujet, comme vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur, a été évoqué à de nombreuses reprises dans différents travaux législatifs, mais c’est la première fois qu’une vision d’ensemble, globale et cohérente en est présentée. Avec ce texte, vous nous permettez de faire un grand pas pour éclaircir le droit de la prescription. Le Gouvernement souhaite évidemment que ce texte soit adopté, non seulement parce qu’il répond à l’inadaptation réelle du cadre juridique mais parce que, de surcroît, il protège parfaitement les intérêts de la société tout entière.

Bravo donc, et merci pour ce travail. Espérons que la concorde se maintiendra dans la deuxième assemblée. (Applaudissements sur tous les bancs.)

M. Georges Fenech. Très bien !

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Joël Giraud.

M. Joël Giraud. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le vice-président de la commission des lois, monsieur le rapporteur – cher Alain, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui réunis pour l’examen de la proposition de loi d’Alain Tourret portant réforme de la prescription en matière pénale. Ce texte est le résultat d’un travail approfondi et transpartisan mené avec Georges Fenech sur le besoin de réforme et d’harmonisation des prescriptions en matière pénale.

En effet, comme le précisait le rapport d’information sur la réforme de la prescription pénale publié en mai 2015, l’action de la justice en droit pénal est grevée par deux formes de prescription : la prescription de l’action publique, antérieure à la condamnation définitive, et la prescription de la peine, postérieure au prononcé de la sanction par le juge.

L’action publique se trouve éteinte par l’écoulement d’un certain temps depuis le jour de la commission de l’infraction. Pour ce qui est de la peine, la puissance publique se voit empêchée, passé l’expiration d’un certain délai, d’exécuter les sanctions définitives prononcées par le juge.

En principe, la prescription en matière pénale est simple, en ce qu’elle respecte la répartition tripartite du classement des infractions. Le point de départ du délai de prescription est fixé, pour l’action publique, au jour de la commission de l’infraction. Pour la peine, la prescription court à compter de la date de la décision de condamnation définitive. Pour ce qui concerne la prescription de l’action publique, les délais sont d’un an pour les contraventions, de trois ans pour les délits et de cinq ans pour les peines. Quant à la prescription de la peine, les délais sont de trois ans pour les peines contraventionnelles, cinq ans pour les peines délictuelles et dix ans pour les peines criminelles.

Tout principe mérite cependant exception et, en matière de prescription pénale, les exceptions sont plus que nombreuses : délais allongés ou abrégés en fonction de la nature de l’infraction ou de la qualité de la victime, mais aussi computation des délais, avec report du point de départ du délai de prescription, et possibilité d’interruption ou de suspension de la prescription...

La réforme des délais de prescription de l’action publique et de la peine est donc la bienvenue.

Le dispositif de l’article 1er prévoit en ce sens que l’action publique se prescrive par vingt ans pour les crimes, six ans pour les délits et un an pour les contraventions. Pour les peines criminelles, l’article 2 prévoit un maintien des règles actuelles, c’est-à-dire une prescription par dix ans, un allongement à six ans pour les prescriptions de peines délictuelles, les peines contraventionnelles se prescrivant après une année.

Toutefois, le rapporteur ayant fait preuve de pragmatisme, certaines exceptions ont dû être consenties et des précisions ont été apportées quant à la définition des conditions d’interruption ou de suspension de la prescription.

L’article 1er de la proposition de loi ajoute ainsi un article 9-2 au code de procédure pénale prévoyant le report du point de départ de la prescription de l’action publique pour les infractions occultes ou dissimulées. Dans ce cas, la prescription court à compter du jour où l’infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant l’exercice des poursuites. L’article précise ensuite qu’« est occulte l’infraction qui, en raison de ses éléments constitutifs, ne peut être connue ni de la victime ni de l’autorité judiciaire » et qu’« est dissimulée l’infraction dont l’auteur accomplit délibérément toute manœuvre caractérisée tendant à en empêcher la découverte ».

Si le principe actuel de la prescription de l’action publique fixe le point de départ au jour où l’infraction a été commise, le juge a déjà pu décider de reporter ce point de départ au jour où elle apparaît ou peut être constatée dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique. Ce report existe en cas d’infraction dite « astucieuse », notamment dans le cas des infractions économiques et financières, en cas d’abus de confiance ou d’abus de bien social.

En effet, les infractions économiques et financières étant par nature clandestines, complexes et difficiles à démontrer, la Cour de cassation a considéré dès 1935 qu’en matière d’abus de confiance et lorsque l’auteur a dissimulé ses détournements, le point de départ du délai de prescription devait être reporté. En matière d’abus de bien social, la Cour de cassation a précisé en 1967 que le point de départ de la prescription de cette infraction devait être reporté au jour où le délit est apparu ou a pu être constaté.

Or, les impacts pécuniaires étant importants en matière d’infractions économiques et financières, la Cour de cassation a créé deux catégories d’infractions : les infractions occultes ou clandestines par nature – élément constitutif essentiel de l’infraction, la clandestinité retarde l’exercice de l’action publique – et les infractions dissimulées, commises à l’aide de manœuvres de dissimulation qui visent à empêcher la découverte de leur commission. Cette construction prétorienne consistant à retarder le point de départ de la prescription au jour de leur révélation conduisait le juge à décider, comme cela a été rappelé, contra legem.

Cet enchevêtrement des conditions et règles relatives au point de départ du délai de prescription de l’action pénale était, de l’avis de nombreux experts, de nature à affecter la sécurité juridique et l’exigence d’accessibilité au droit et de confiance légitime, constitutionnellement ou conventionnellement protégés. Il fallait donc changer la loi, puisqu’il est impossible d’enjoindre aux magistrats du siège de juger conformément à une prescription, quelle qu’elle soit, en vertu du principe de l’indépendance de l’autorité judiciaire.

Permettez-moi de terminer sur une note plus personnelle. Dans une vie antérieure à celle qui est la mienne depuis 2002 dans cette assemblée, lorsque je travaillais au service du traitement du renseignement et de l’action contre les circuits clandestins, plus connu sous l’acronyme de Tracfin, j’ai eu à connaître d’infractions complexes, occultes et dissimulées, liées parfois à des actions terroristes, souvent à des opérations mafieuses incluant le commerce d’enfants à des fins prostitutionnelles ou le commerce d’armes, et, en majorité, à des opérations complexes de délinquance en col blanc. Même si l’arme de l’article 40 du code de procédure pénale, à savoir la déclaration de soupçon, permettait effectivement la saisine du parquet, la suite était plus délicate, pour le moins, dès lors qu’elle révélait des faits prescrits. Cela devenait même très frustrant.

Je me félicite donc des précisions apportées par ce texte pour ce qui concerne tant le point de départ des délais que la définition des éléments constitutifs de ces infractions. Les impacts financiers étant colossaux dans le cadre de certaines infractions d’abus de confiance ou d’abus de bien social, une harmonisation et un renforcement des règles applicables est plus que souhaitable.

Aussi, vous l’aurez compris, groupe radical, républicain, démocrate et progressiste votera la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, fruit d’un travail de concertation et de simplification attendu et nécessaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Dolez.

M. Marc Dolez. Cette proposition de loi de MM. Alain Tourret et Georges Fenech s’inscrit dans la ligne de leur rapport d’information de mai 2015 et, au nom de notre groupe, je veux d’abord les féliciter et les remercier pour l’importance et la qualité de leur travail. Nous souscrivons à la fois à leur constat et à la nécessité qu’ils affirment de refonder le régime de la prescription pénale pour une plus grande sécurité juridique et une meilleure lisibilité du droit. Nous partageons en particulier la volonté de modifier les règles sans supprimer le principe même de la prescription, qui constitue un dispositif utile d’apaisement social et répond à des considérations évidentes de bonne administration judiciaire.

En premier lieu, nous soutenons les modifications tendant à allonger les délais de droit commun. Les délais actuels apparaissent en effet trop courts et souvent inadaptés. Le doublement du délai de prescription de l’action publique nous semble justifié et cohérent avec les évolutions scientifiques et sociales. Les nouveaux moyens scientifiques, tels que le recours aux empreintes génétiques, permettent de rendre justice de plus en plus tard et remettent partiellement en cause l’un des fondements de la prescription, à savoir la théorie du dépérissement des preuves, même si, bien sûr, les témoignages humains restent pour leur part soumis à l’usure du temps.

Pour ce qui est du point de départ du délai de prescription, nous approuvons le fait que le texte donne un fondement légal à son report en cas d’infraction occulte ou dissimulée. Il consacre ainsi au plan législatif la règle jurisprudentielle selon laquelle la prescription est suspendue lorsqu’un obstacle de droit ou de fait insurmontable rend impossible la mise en mouvement ou l’exercice de l’action publique.

Pour ce qui est de la prescription de la peine, nous souscrivons à l’harmonisation en matière criminelle, notamment des délais de prescription de l’action publique et des peines. De même, le délai de prescription des peines délictuelles passera de cinq à six ans, dans le même souci d’harmonisation.

Cela étant, nous aurions préféré, pour notre part, en rester à la volonté initiale des auteurs de la proposition de loi d’étendre aux crimes de guerre le champ de l’imprescriptibilité du crime de génocide et des autres crimes contre l’humanité. Cette extension nous paraît pleinement justifiée au regard de l’unité de régime applicable au niveau international à l’ensemble des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre, ces derniers étant considérés par la communauté internationale comme des crimes particulièrement graves, qui heurtent la conscience humaine.

Comme le souligne le rapport, le droit international a développé une conception unitaire des crimes internationaux, en soumettant au même régime juridique le crime de génocide, les autres crimes contre l’humanité et les crimes de guerre.

À cet égard, tout comme vous, monsieur le rapporteur, je ferai référence à l’analyse de M. Bruno Cotte, président honoraire de la chambre criminelle de la Cour de cassation et ancien président de chambre de jugement à la Cour pénale internationale, qui a fait observer que nombre de faits sont susceptibles de recevoir la double qualification de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre et qu’une dualité de prescription est dès lors surprenante.

Ce constat a été corroboré par Mme Mireille Delmas-Marty, professeure honoraire au Collège de France. La Commission nationale consultative des droits de l’homme s’est prononcée dans le même sens en recommandant que, conformément à l’article 29 du Statut de Rome, le principe général d’imprescriptibilité soit intégré dans le code pénal et s’applique à tous les crimes relevant de la compétence de la Cour pénale internationale. C’est pourquoi nous regrettons que, finalement, le texte ne se situe plus dans cette perspective.

Nous regrettons aussi que la question des délais de prescription spécifiques aux agressions sexuelles ne soit pas abordée. En 2011, Marie-Georges Buffet avait déposé une proposition de loi qui prévoyait de repousser le délai de prescription des agressions sexuelles de trois à dix ans. Elle relevait à juste titre que les agressions sexuelles pouvaient entraîner des traumatismes profonds et une prise de conscience tardive chez les victimes.

Nous le regrettons d’autant plus que, le 2 décembre 2014, nous avions voté en faveur d’une proposition de loi du groupe UDI modifiant le délai de prescription de l’action publique des agressions sexuelles ; une proposition de loi que la majorité avait alors repoussée dans l’attente d’une réforme plus globale du régime de prescription. C’est à l’évidence aujourd’hui une occasion manquée.

Pour conclure, et malgré ces quelques réserves, les députés du Front de gauche considèrent que cette proposition de loi répond à un besoin de clarification globale de la prescription pénale. En précisant son régime, la proposition de loi redonne au droit de la prescription sa cohérence, sa stabilité et sa lisibilité. C’est la raison pour laquelle les députés du Front de gauche voteront en sa faveur. (Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Alain Tourret, rapporteur et M. Georges Fenech. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Capdevielle.

Mme Colette Capdevielle. La prescription est au cœur du fonctionnement de la justice pénale, de l’enclenchement de l’action publique jusqu’à l’extinction de la peine.

Avant tout chose, je tiens moi aussi à saluer le travail exemplaire qui a été réalisé en amont. Sans ce travail de M. Fenech et de M. Tourret, rien n’aurait été possible. Sans cette mission parlementaire très complète, pour laquelle vous avez procédé à de très nombreuses auditions, dont l’objectif, très précis, consistait à réformer la prescription en matière pénale en modernisant notre droit actuel et en renforçant la sécurité juridique, ce texte n’aurait pas vu le jour.

J’ai beaucoup apprécié la manière dont vous avez travaillé, avec réalisme, sincérité, volontarisme et pragmatisme, mais aussi avec beaucoup de prudence, comme l’a rappelé M. le garde des sceaux. En conséquence, nous allons, sur tous les bancs de cette assemblée, voter ce texte avec beaucoup d’enthousiasme.

Vous êtes partis du constat que le système actuel est réellement à bout de souffle. En 2010, un avant-projet de réforme du code de procédure pénale présenté par Mme Alliot-Marie, qui proposait une réécriture des dispositions encadrant la prescription pénale, a échoué.

Le constat est aujourd’hui sans appel : la prescription en matière pénale est régie par des règles complètement confuses et incohérentes. Le législateur, souvent sous la pression de l’opinion publique, a sans arrêt et sans cohérence multiplié les délais de prescription dérogatoires au droit commun, qu’ils soient allongés ou abrégés, avec des règles de computation qui se sont diversifiées. Les conditions d’interruption et de suspension de la prescription ont évolué : on a déjà cité l’arrêt de principe rendu récemment par l’assemblée plénière de la Cour de cassation, qui dégage encore un nouveau motif de suspension du délai de prescription de l’action publique en matière criminelle, dès lors qu’un obstacle insurmontable rend les poursuites impossibles.

Bref, nous sommes dans une situation de total désordre et d’insécurité juridique qui n’est pas acceptable, pour les victimes, pour les auteurs présumés et pour la société.

En outre, les fondements historiques de la prescription, laquelle était fondée sur le pardon légal, sont aujourd’hui non seulement discutés, mais contestés. Dans notre société très médiatique et qui, de surcroît, cultive beaucoup la mémoire, l’oubli de l’infraction par la société et par la victime n’est plus vécu comme un facteur d’apaisement. Bien au contraire ! Enfin, les progrès réalisés dans la conservation des preuves modifient radicalement le rapport au temps.

Le moment est donc bien venu de clarifier l’ensemble des règles relatives à la prescription de l’action publique et des peines afin de parvenir à un meilleur équilibre entre l’exigence qui nous est faite de réprimer les infractions et une meilleure sécurisation du système.

Les mesures proposées dans cette proposition de loi sont fortes. Vous conservez les fondamentaux, tels que le classement tripartite des infractions – contravention, délit et crime – et le principe que le point de départ de la prescription est bien la date de la commission des faits. Mais il y a trois points majeurs dans cette proposition de loi. Tout d’abord, vous doublez les délais de prescription de l’action publique de droit commun pour les crimes et pour les délits, en maintenant des délais dérogatoires qui sont clairement énumérés dans le texte.

Deuxième point : vous clarifiez l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité, les seuls à conserver ce caractère imprescriptible, non pas pour des raisons symboliques mais parce que ces crimes touchent à l’humanité, tout simplement.

Troisièmement, vous harmonisez les délais de prescription de l’action publique et des peines en matière criminelle et délictuelle. Voilà un véritable travail de simplification et de clarification ! C’est clair : le délai de prescription de l’action publique est de vingt ans pour les crimes et six ans pour les délits. C’est vraiment un gros effort qui a été fourni, un travail de réflexion que je salue. Le texte ne touche pas aux contraventions, et c’est une bonne chose : je n’ai noté aucune demande sociale à ce sujet.

Nous avons eu des débats riches et de qualité en commission des lois. Celle-ci a également amélioré la définition des actes interruptifs de prescription et leur portée, en particulier pour les plaintes adressées par la victime à un fonctionnaire auquel la mise en mouvement de l’action publique est confiée par la loi – plaintes qui, désormais, seront interruptives du délai de prescription. C’est clair.

La commission s’est également prononcée sur la reprise de la prescription après un acte interruptif en revenant au droit en vigueur, ce qui est effectivement beaucoup plus simple, c’est-à-dire en faisant courir un nouveau délai de prescription d’une durée égale au délai initial. Elle a en outre étendu l’effet des actes interruptifs à toutes les personnes potentiellement impliquées dans une affaire, qu’elles soient co-auteures ou complices, y compris pour des infractions connexes à l’infraction principale.

Cette disposition est discutée, certains craignant des dérives, des lenteurs procédurales, des atteintes au droit d’être jugé dans un délai raisonnable. Je le comprends, mais ces craintes, pour légitimes qu’elles soient, ne sont en réalité pas fondées : l’allongement de la durée d’une procédure n’est quasiment jamais dû à la prescription mais à l’absence de célérité de l’appareil judiciaire, qui laisse dormir, qui laisse traîner, voire qui abandonne un dossier. Mais aujourd’hui, il existe dans nos textes des dispositions très contraignantes qui obligent à des délais raccourcis, principalement quand la personne en cause est privée de liberté.

Par ailleurs, le texte consacre enfin la jurisprudence abondante relative au point de départ du délai de prescription de l’action publique des infractions occultes et dissimulées. Il donne ainsi un fondement légal à une jurisprudence très touffue, très diverse et parfois contradictoire sur le report du point de départ du délai de prescription de l’action publique au jour où l’infraction est apparue et a pu être constatée.

C’est absolument indispensable pour lutter contre la délinquance « astucieuse », la délinquance « organisée », ou pour le dire de façon populaire, la délinquance « en col blanc », dans laquelle les présumés auteurs se jouent avec délectation et un sacré esprit d’équilibriste des délais de prescription et de leurs points de départ et se donnent les moyens d’échapper aux poursuites d’une part et de ne pas indemniser les victimes d’autre part.

Ce texte assure donc de nouveaux équilibres et je ne crois pas qu’il faille aller au-delà, en dépit des tentations que je vois poindre d’un côté ou de l’autre. Prenons garde à une ultra-pénalisation de la société ; prenons garde à ne pas nourrir artificiellement l’espoir tout à fait vain, dans la plupart des cas, de poursuites, hypothétiques, et de condamnations encore plus hypothétiques, en rallongeant toujours plus les délais de prescription. Il faut maintenir dans notre droit des limites. C’est justement le rôle de la prescription que de poser ces limites.

Comme l’écrit fort justement Jean Danet, la prescription est une « limitation posée par le législateur à la tentation d’une expansion sans fin de la réponse pénale. Elle est donc un choix fondamental de politique pénale ». Il semble bien que cette fonction de la prescription ne soit pas inutile aujourd’hui.

Ce texte améliore notre droit ; il améliore tant le droit des victimes que celui des présumés auteurs. Il répond à une demande sociale et rend la loi plus lisible et plus sûre. Le groupe socialiste, comme il l’a fait en commission, votera très favorablement cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

M. Alain Tourret, rapporteur et M. Georges Fenech. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Georges Fenech.

M. Georges Fenech. Une fois n’est pas coutume, je vais commencer, après vous avoir salués, mes chers collègues, en saluant aussi le directeur des affaires criminelles et des grâces présent ici pour assister le garde des sceaux, M. Robert Gelli, avec lequel j’ai des souvenirs communs bordelais puisqu’il y a trente-huit ans, nous étions ensemble auditeurs de justice à l’École nationale de la magistrature. Trente-huit ans : un temps plus long que la prescription ! (Sourires.)

Nous examinons aujourd’hui une proposition de loi portant réforme de la prescription en matière pénale, issue d’une mission d’information conduite par Alain Tourret et moi-même. Vous avez bien voulu, monsieur le ministre, me gratifier exceptionnellement du titre de « co-rapporteur », ce dont je m’honore beaucoup et dont je vous remercie. C’est effectivement la reconnaissance du travail que nous avons mené en commun avec Alain Tourret.

Parlant de remerciements, il ne faut pas oublier, sous peine de commettre une forme d’injustice, de remercier avec beaucoup de chaleur le président Roger-Gérard Schwartzenberg ici présent, sans lequel personne ne serait là aujourd’hui puisque ce texte est présenté lors d’une niche de son groupe politique. Je tenais donc à le remercier d’avoir accompagné cette volonté commune d’Alain Tourret et de moi-même.

Monsieur le ministre, dans vos précédentes fonctions de président de la commission des lois, vous aviez encouragé notre proposition de loi et obtenu du président de l’Assemblée nationale qu’elle soit soumise à l’avis du Conseil d’État, au même titre qu’un projet de loi gouvernemental.

L’accueil qui nous a été réservé par le président de section, M. Vigouroux, les travaux auxquels nous avons assisté, voire participé par le biais des avis qui nous étaient demandés, pendant de très longues heures – neuf heures d’affilée ! – ont été un très riche apport à cette proposition de loi.

Tout à l’heure, vous avez cité Edmond Dantès, monsieur le ministre : « attendre et espérer ». J’ajouterai, en ce qui concerne Alain Tourret, « s’obstiner, s’obstiner toujours ! » Une obstination fondée sur des convictions tellement fortes qu’il réussit, fait rare, à faire bouger ce qui semblait immuable : la révision des procès criminels et, aujourd’hui, la prescription.

Nous en sommes fort reconnaissants, monsieur le ministre, car le cheminement de cette procédure législative exceptionnelle se justifiait, pour vous comme pour nous, par l’importance que cette proposition de loi revêt pour la modernisation de notre justice pénale, dont vous êtes aujourd’hui le premier responsable.

Ce texte se veut équilibré, protecteur à la fois de la société et du justiciable. N’est-ce pas d’ailleurs cette recherche d’équilibre qui a conduit notre rapporteur, membre de la majorité, et moi-même, membre de l’opposition, au-delà des clivages politiques traditionnels, à parler d’une seule et même voix à l’ensemble des acteurs de la justice et des justiciables ?

Oui, nous en concevons de la fierté : fierté du rôle du Parlement, et de ce moment, rare et que nous goûtons avec plaisir, de rassemblement de la majorité et de l’opposition, du Parlement et du Gouvernement, sans oublier le Conseil d’État et les magistrats. Voyez qu’il ne faut pas désespérer d’une société qui trop souvent se déchire sur des sujets importants.

Je voudrais rappeler brièvement les circonstances qui ont présidé à la naissance de cette proposition de loi.

Nous sommes partis d’un double constat. D’abord, la perception que nous avons du temps au XXIsiècle, y compris du temps judiciaire, n’est plus celle des contemporains du code pénal napoléonien. Nous vivons à l’heure de l’Internet, de la mémoire conservée, mais également de l’allongement de l’espérance de vie – plus de quatre-vingts ans aujourd’hui quand elle n’était que de quarante-cinq ans environ sous Napoléon 1er. Dès lors, une société de la mémoire ne pouvait plus se satisfaire de l’oubli consacré par de trop courtes prescriptions, notamment pour les crimes les plus graves.



D’autre part, à l’époque des rédacteurs du code d’instruction criminelle de 1808, la police scientifique était balbutiante. On ne connaissait pas l’empreinte papillaire et encore moins la trace génétique. Ce deuxième fondement des courtes prescriptions, la disparition ou le dépérissement des preuves, ne tient plus aujourd’hui, à l’heure des formidables progrès de la preuve scientifique : expertise génétique, balistique, expertise des voix et même des odeurs…



Dès lors, que reste-t-il aujourd’hui de ces fondements pour justifier une prescription bien trop courte de dix ans en matière criminelle et de trois ans en matière délictuelle ? Il n’aura échappé à personne d’ailleurs que les magistrats cherchent, sans le dire ouvertement, tous les moyens pour éviter la prescription, notamment en cas de crime grave. Ainsi, dans l’affaire des disparues de l’Yonne, pour éviter de constater l’extinction de l’action publique, les juges ont utilisé – disons-le tout net – un subterfuge juridique en considérant qu’un soit-transmis du parquet adressé à la DDASS, soit un simple acte administratif, avait interrompu la prescription. C’est ainsi qu’Émile Louis avait été appelé à répondre de ses actes monstrueux : qui s’en plaindrait ?

Soyons-en convaincus, mes chers collègues, la grande loi de l’oubli a perdu de sa force dans une société de la mémoire, qui plus est lorsque celle-ci est entretenue par de nombreuses associations de victimes, relayées par les médias, prompts à dénoncer, parfois à juste titre, une forme de déni de justice par incapacité ou, plus grave, inaction de l’institution judiciaire.

Outre ce double constat, monsieur le ministre, force est de déplorer le grand désordre qui règne dans le régime des prescriptions en raison de réformes législatives multiples et de décisions jurisprudentielles que je qualifierai d’audacieuses. L’arrêt dit de l’octuple infanticide rendu par la Cour de cassation siégeant en assemblée plénière en est une illustration.

Il était devenu urgent que le législateur intervienne dans le cadre d’une réforme d’ensemble pour mettre fin à l’insécurité juridique et aux incohérences. C’est bien l’avis aussi de Jean-Claude Marin, procureur général près la Cour de cassation. « Il me semble opportun, nous disait-il lors de son audition, qu’une réforme législative cohérente et harmonisatrice des différentes règles s’agissant de la prescription de l’action publique soit mise en œuvre afin de lui redonner un sens et d’améliorer la prévisibilité juridique pour l’ensemble des justiciables. »

C’est précisément l’ambition de ce texte, et c’est pourquoi j’émets le vœu que l’ensemble de nos collègues sur tous ces bancs lui donnent sa pleine portée. Je remercie d’ores et déjà les précédents orateurs d’avoir, malgré quelques réserves, soutenu cette proposition de loi.

Je ne reviendrai pas sur les points qu’a excellemment développés notre rapporteur, s’agissant de l’allongement des délais de la prescription de l’action publique ou de l’imprescriptibilité de certains crimes de guerre connexes à un crime contre l’humanité, laquelle, même s’il s’agit d’une solution de repli, est loin d’être une réforme mineure.

Je voudrais pour ma part insister sur la règle jurisprudentielle définissant le point de départ de la prescription appliquée aux infractions dites « occultes » et « dissimulées », ou lorsqu’un obstacle rend impossible l’exercice des poursuites en application de la règle romaine contra non valentem agere non currit praescriptio : la prescription ne court pas contre celui qui se trouve dans l’impossibilité d’agir. C’est sans doute l’un des points le plus sensible du texte qui vous est soumis. Il concerne essentiellement, mais pas uniquement, la matière économique et financière, pour laquelle toutes les précédentes réformes ont échoué.

L’alternative était simple. Soit le législateur intervenait pour mettre un terme à cette jurisprudence qui remonte à 1935, dans le respect des articles 7 et 8 du code de procédure pénale ; soit nous consacrions la jurisprudence de la Cour de cassation. De nombreuses auditions, notamment celles des magistrats du pôle économique et financier, nous ont convaincus de la pertinence de cette dernière solution face à la complexité de certains crimes et délits à caractère financier, qui se jouent des frontières.

C’est pourquoi nous vous proposons de consacrer l’arrêt de principe rendu le10 août 1981 par la chambre criminelle de la Cour de cassation, qui énonce que le point de départ de la prescription est fixé « au jour où le délit est apparu et a pu être constaté dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique ». Si, comme je le souhaite, vous adoptiez cette disposition, nous nous inscririons en outre dans la continuité des propositions qu’avait déjà formulées, le 20 juin 2007, la mission d’information du Sénat conduite par MM. Jean-Jacques Hyest, Hugues Portelli et Richard Yung.

Je suis convaincu, mes chers collègues, qu’en adoptant cette proposition de loi, nous ferons véritablement entrer la justice dans le XXIsiècle. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde.

M. Jean-Christophe Lagarde. Si le droit de la prescription, largement hérité du code d’instruction criminelle de 1808, demeure nécessaire à notre société, ses fondements traditionnels – le dépérissement des preuves, le droit à l’oubli et au pardon – sont aujourd’hui fragilisés.

Ils sont fragilisés, d’une part, par les progrès de la science et la difficulté, légitime, à considérer comme une réalité les remords des auteurs d’infractions, en particulier ceux de délinquants « enracinés dans la marginalité », pour reprendre les termes du professeur Jean-François Renucci, cité dans le rapport de notre excellent collègue Tourret ; d’autre part, par l’incohérence des règles qui régissent la prescription, devenues en partie inadaptées aux attentes de la société en matière de répression des infractions et de sécurité juridique.

Au fil des années, les exceptions aux règles encadrant les délais et la fixation de leur point de départ se sont multipliées. Certains délais, tels que ceux qui concernent les infractions de presse et les infractions prévues par le code électoral, ont été abrégés. D’autres, notamment s’agissant des infractions commises sur les mineurs et des actes de nature terroriste, ont été allongés.

Le point de départ du délai de prescription, initialement fixé au jour de la commission de l’infraction, a également connu d’importants bouleversements. Il a notamment été décalé par le législateur lorsque la victime était mineure au moment des faits ou lorsqu’elle était vulnérable. La jurisprudence a, en outre, reporté le point de départ du délai de prescription de l’action publique de certaines infractions « astucieuses », occultes par nature ou dissimulées par des manœuvres, particulièrement en matière économique et financière.

Ces modifications ont fait perdre au droit de la prescription sa simplicité et sa clarté initiales. Notre devoir de législateur est donc d’adapter ces règles, de préciser leur rédaction dans le sens d’une plus grande sécurité juridique et d’une meilleure lisibilité du droit.

Tel est précisément l’objet de cette proposition de loi, fruit d’un long travail et largement inspirée des conclusions de la mission d’information sur la prescription en matière pénale, créée par la commission des lois de l’Assemblée nationale et conduite par Alain Tourret et Georges Fenech.

Ce texte démontre, et nous ne pouvons que nous en féliciter, que le Parlement peut encore, même si c’est malheureusement trop rare, jouer un rôle dans la conception de la loi. Il va, s’il est adopté, profondément changer les règles de prescription, inscrites de longue date dans notre code de procédure pénale.

Aujourd’hui, les délais de prescription de l’action publique pour les crimes et délits ne répondent plus aux attentes de la société quant à la répression des infractions les plus graves. Ils peuvent apparaître en décalage avec les progrès réalisés dans le domaine de la conservation des preuves, et trop courts au regard de l’espérance de vie. Le doublement des délais de droit commun de prescription des crimes et des délits proposé par ce texte semble donc nécessaire au groupe de l’UDI. Il en est de même de l’imprescriptibilité des crimes de guerre les plus graves, c’est-à-dire ceux qui sont connexes à un ou plusieurs crimes contre l’humanité.

Concernant les modalités de computation des délais de prescription, le texte a le mérite de clarifier et de préciser la notion d’acte interruptif et les causes générales de suspension du délai, dont la Cour de cassation a dû, dans le silence relatif de la loi, forger sa propre interprétation.

Une autre des avancées de cette proposition de loi est qu’elle permet de donner un fondement législatif à la jurisprudence relative au report du point de départ du délai de prescription de l’action publique en cas d’infractions occultes ou dissimulées. Le report de ce délai au jour où l’infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique serait ainsi inscrit dans le code de procédure pénale.

Le groupe UDI approuve ces différentes dispositions, mais il nous semble qu’il aurait été cohérent d’y ajouter l’allongement des délais de prescription des agressions sexuelles lorsqu’elles sont commises sur des mineurs. Ne l’oublions pas, la grande majorité de victimes de violences sexuelles sont des mineurs : en 2013, selon l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, 3 074 viols sur mineurs ont été constatés par la police nationale. Nous savons, en outre, que le nombre d’agressions sexuelles, qu’elles concernent des personnes majeures ou mineures, est bien supérieur au taux de réponse pénale. Selon l’INSEE, 191 500 agressions sexuelles sur personnes majeures seraient commises chaque année, pour seulement 9 950 réponses pénales.

Bien sûr, les explications sont multiples, mais l’une des plus déterminantes est liée aux délais de prescription de l’action publique. Ces délais, bien que déjà dérogatoires au droit commun, privent encore trop de victimes de la possibilité d’obtenir justice, notamment lorsqu’elles ont été frappées de ce que l’on nomme une amnésie traumatique, qui prive la victime de la conscience des faits qu’elle a subis et qui ne se dissipe parfois que plusieurs décennies après l’agression, trop tard donc aux yeux du code de procédure pénale.

En novembre 2014, lors de l’examen de la proposition de loi des sénatrices Muguette Dini et Chantal Jouanno, dont Sonia Lagarde était ici la rapporteure, la garde des sceaux de l’époque avait indiqué que le sujet devrait être abordé dans le cadre d’une réforme plus globale des délais de prescription en matière pénale – comme celle qui nous est proposée aujourd’hui donc. Mme Taubira avait également indiqué que les crimes sexuels étaient « une part des infractions occultes ou dissimulées » et qu’il serait « plus solide d’envisager le report du délai de prescription pour l’ensemble des crimes occultes et dissimulés, plutôt que pour cette seule catégorie de crimes ». Or tout laisse à penser que le report du point de départ du délai sera essentiellement appliqué aux infractions économiques et financières et pas aux agressions sexuelles.

Certes, la présente proposition de loi va faire bénéficier les victimes majeures d’agressions sexuelles du doublement des délais de prescription des crimes et des délits. En revanche, les délais dérogatoires au droit commun, notamment ceux qui concernent les crimes et délits sexuels ou violents contre des mineurs, vont demeurer inchangés. Cette réforme va donc créer une situation paradoxale : les délais de prescription des crimes de droit commun, portés de dix à vingt ans, seraient identiques à ceux qui s’appliquent aux crimes sexuels commis sur des mineurs. Nous vous proposerons donc de porter ces derniers à trente ans.

Nous souhaitons également que les délais applicables aux délits sexuels et violents contre des mineurs soient allongés. Les personnes ayant subi des agressions sexuelles lorsqu’elles étaient mineures doivent disposer du temps nécessaire pour intenter une action en justice. Le report du point de départ du délai à l’âge de la majorité est insuffisant au regard du faible nombre de réponses pénales en la matière.

Mes chers collègues, nous devons saisir l’occasion que nous offre l’examen de ce bon texte de répondre à la détresse des victimes d’agressions sexuelles qu’on prive d’un droit élémentaire, fondamental : celui de se tourner vers la justice, même quand la conscience de l’agression ou la capacité d’assumer le fait d’en avoir été la victime ne leur vient que bien des années plus tard, car c’est à ce moment-là qu’elles ont besoin de justice. Nous espérons donc être entendus sur ce point, monsieur le garde des sceaux, conformément à l’engagement pris par votre prédécesseur en décembre 2014.

Au-delà de cette réserve, cette proposition de loi procède aux améliorations nécessaires d’un régime de la prescription daté, inadapté aux évolutions de la société. Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe UDI votera en faveur du texte proposé par le groupe RRDP. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

M. Georges Fenech. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Cette proposition de loi relative à la réforme de la prescription pénale proposée par le groupe RRDP est en fait soutenue, cela a été dit à cette tribune, par nos deux collègues Alain Tourret et Georges Fenech, dont tout le monde salue la persévérance et la ténacité dans l’effort accompli pour mener à bien ce travail.

Vous aviez publié au mois de mai dernier un rapport, chers collègues, comprenant 14 propositions, après un travail de quatre mois et l’audition de nombreux acteurs du monde judiciaire – des magistrats, des avocats, des sociologues – dans le cadre de la mission d’information sur la prescription en matière pénale. Compte tenu de la complexité de la matière, cette réflexion sur la modernisation et la clarification de l’ensemble des règles relatives à la prescription de l’action publique et des peines était plus que nécessaire.

Votre proposition de loi ne contient que trois articles, la principale proposition des rapporteurs étant le doublement des délais de prescription. Le texte vise ainsi notamment à porter de dix à vingt ans le délai de prescription de l’action publique en matière criminelle. Notre système juridique actuel, à travers l’article 7, alinéa 1er du code de procédure pénale, prévoit qu’un crime ne peut pas faire l’objet de poursuite plus de dix ans après qu’il a été commis. Le délai de prescription de droit commun est également porté de trois à six ans pour les délits. En revanche, le texte maintient à un an le délai de prescription des contraventions, ce qui est une bonne chose.

Cet allongement tient compte, en effet, de l’augmentation de l’espérance de vie, des avancées en matière de conservation des preuves et des progrès scientifiques, comme l’identification par l’ADN qui permet de confondre l’auteur d’un crime bien plus de dix ans après les faits, cela a été dit en commission.

Tout en comprenant le désarroi des associations de victimes, qui dénoncent régulièrement l’impunité qui découle du simple fait de l’écoulement du temps, je n’oublie pas totalement la fragilité des témoignages ni la question des dépérissements de preuves lorsqu’il s’agit de poursuivre une personne vingt ans après les faits.

Ce texte entend ouvertement prendre acte des jurisprudences audacieuses de la Cour de cassation. La Cour, réunie en assemblée plénière, avait en effet rendu le 7 novembre 2014 une décision de principe au terme de laquelle « si, selon l’article 7, alinéa 1er, du code de procédure pénale, l’action publique se prescrit à compter du jour où le crime a été commis, la prescription est suspendue en cas d’obstacle insurmontable à l’exercice des poursuites ». Il s’agissait, rappelez-vous, d’une mère soupçonnée d’avoir tué huit de ses enfants à leur naissance : plus de dix ans avait été nécessaires pour que la mort des nouveaux-nés soit découverte.

On peut presque dire que la Cour de cassation avait fait en la matière ni plus ni moins qu’œuvre législative avec la notion d’« obstacle insurmontable à l’exercice des poursuites », notion qui demeure pourtant ouverte à beaucoup de débats et d’interprétations.

Le texte propose également de passer à six ans pour les délits financiers, tels que l’abus de biens sociaux, le blanchiment ou encore la fraude fiscale, aujourd’hui prescrits après trois ans. Le délai courrait non plus à partir de leur commission mais après la découverte des faits, certes souvent dissimulés par des manœuvres ourdies par les auteurs présumés. Il s’agit de nouveau de consacrer dans le code de procédure pénale la jurisprudence permettant l’exercice de poursuites pour les infractions occultes ou dissimulées au jour où elles sont découvertes, et non plus au jour de leur commission.

Pour autant, il est légitime ici de s’interroger aussi sur les risques d’atteinte aux principes de proportionnalité, puisque ce cadre donne la possibilité au ministère public de poursuivre indéfiniment un dirigeant d’une entreprise. Or, comment considérer une loi comme proportionnelle dès lors qu’elle place sous le même régime juridique de prescription le dirigeant ayant pioché dans les caisses de l’entreprise et un homme poursuivi pour avoir torturé ou tué ? La question demeure légitime.

Autre point consacré par le texte : l’imprescriptibilité des crimes de guerre connexes aux crimes contre l’humanité. Initialement, M. le garde des sceaux l’a rappelé à la tribune, le texte prévoyait de rendre imprescriptible l’ensemble des crimes de guerre. Je rappelle que, du fait d’un amendement du rapporteur adopté en commission des lois, l’imprescriptibilité de l’action publique et des peines pour lesdits crimes de guerre connexes ne s’applique qu’aux faits commis après l’entrée en vigueur du présent texte. Je crois qu’il aurait été sans doute préférable de mettre en conformité la France avec la convention de Rome en rendant les crimes de guerre imprescriptibles, au même titre que le crime de génocide et les autres crimes contre l’humanité.

Par ailleurs, ce texte contient également des dispositions relatives à l’exécution des peines. Il est en effet important de clarifier les modalités de computation des délais.

L’article 2 modifie ainsi les règles applicables à la prescription de la peine. Il regroupe au sein de deux articles du code pénal les délais de prescription de droit commun et les délais dérogatoires, aujourd’hui disséminés ; il rend imprescriptibles les peines réprimant les crimes de guerre au même titre que celles réprimant les crimes contre l’humanité ; il porte de cinq à six ans le délai de prescription des peines délictuelles ; il conserve en l’état le délai de prescription des peines criminelles – vingt ans – et contraventionnelles – trois ans.

Le groupe écologiste, vous le savez sans doute, a déposé un amendement concernant la prescription du délit de non-dénonciation de crime visant à modifier les règles lorsqu’il s’agit de crimes ou de délits commis sur des personnes de moins de quinze ans au moment des faits. Actuellement, ces délits se prescrivent selon les règles de droit commun, étant considérés comme des infractions instantanées, soit trois ans, ou six si la proposition de loi était définitivement adoptée.

Une fois de plus, l’actualité a rattrapé le cours de nos travaux et de nos débats. Vous n’êtes pas sans savoir que le parquet de Lyon a ordonné, le 4 mars dernier, une enquête préliminaire pour non-dénonciation de crime et mise en danger de la vie d’autrui en marge de l’affaire du prêtre Bernard Preynat, mis en examen pour des agressions sexuelles sur de jeunes scouts.

Cette enquête fait suite à un signalement de victimes mettant en cause plusieurs responsables du diocèse, jusqu’au plus haut d’entre eux d’ailleurs, qu’elles accusent de ne pas avoir dénoncé à la justice les agissements passés de ce prêtre alors que Bernard Preynat, qui n’a quitté ses paroisses du Roannais qu’en août 2015, n’a été mis en examen que le 27 janvier après avoir reconnu les faits d’agressions sexuelles sur mineurs de quinze ans et placé sous le statut de témoin assisté pour des viols qu’il a avoués en garde à vue.

Cette affaire illustre parfaitement que la non-dénonciation de crime concernant des enfants est régulièrement confrontée à la prescription alors même que cette non- dénonciation constitue une grave mise en danger de ces enfants, et que d’une certaine façon elle favorise l’augmentation du nombre de victimes. Dès lors, il semble nécessaire d’aménager ces règles de prescription en prévoyant que ces délits seront prescrits dix ans après la majorité de l’enfant concerné.

Chers collègues, l’entrée en vigueur du présent texte devrait bouleverser la procédure pénale. Comme l’a souligné le rapporteur en commission des lois, il s’agit d’une loi de procédure, et donc d’application immédiate. Comme Patrick Devedjian l’a fait, je crois, on peut s’interroger sur le problème de rétroactivité qui peut être pertinemment soulevé.

Pour que la justice soit crédible, il faut que nous soyons en mesure de donner une réponse dans un délai raisonnable et que cette décision soit exécutée. La prescription est commandée par les impératifs de délai raisonnable, de confiance dans la loi, de loyauté du procès et de sécurité juridique mais elle vient également sanctionner l’inaction des autorités publiques ou, parfois, des victimes.

En outre, le doublement des délais de prescription impose également une sérieuse réflexion sur la charge de travail des services d’enquête de police judiciaire ainsi que des tribunaux, dont l’engorgement est déjà criant. Je crois toutefois que le garde des Sceaux s’est engagé à maintenir son budget, à l’augmenter même et à réaliser des efforts en termes de personnels afin que la machine judiciaire fonctionne à nouveau normalement.

Il n’en reste pas moins, comme plusieurs collègues l’ont indiqué à cette tribune, que le travail accompli et l’équilibre trouvé font de ce texte une parfaite production législative. Alors, et selon la formule consacrée, chers collègues, merci pour ce moment ! (Sourires et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Yvonne Le Dain.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Nous débattons ici d’un texte étonnant qui, d’après le rapporteur Tourret et M. Fenech, témoigne qu’il est à la fois possible de se mettre d’accord et de ne pas s’étonner que la France ait construit un édifice juridique tellement varié qu’il peut entraîner des incohérences, et aussi un sentiment d’injustice, pour les victimes et également parfois même pour les coupables, dont la culpabilité est découverte longtemps après la commission des faits, alors que l’on nous parle en permanence et souvent de manière élégante du droit à l’oubli.

Julien Green disait que l’oubli est une gêne, Nietzsche, que tout acte exige l’oubli et Alphonse Allais, que j’apprécie tout particulièrement, que l’oubli, c’est la vie. Mais la loi aussi doit permettre, doit être la consécration de la vie !

M. Georges Fenech. Très bien !

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Elle doit l’honorer et lui permettre de se déployer avec un certain sens du bonheur à venir, à faire ou à construire.

Qu’est-ce que la prescription ? J’ai consulté le dictionnaire pour savoir ce qu’il en est. C’est un terme un peu étrange. Pour ce qui est de la matière judiciaire, elle vient après la prescription médicale, acte indicatif, voire impératif, qui s’impose si le patient veut bien l’appliquer. La prescription peut être aussi l’acte final qu’il faut accomplir – impératif à la fois moral et physique. Enfin, elle vise aussi l’écoulement d’un délai au terme duquel quelque chose doit s’appliquer : la prescription acquisitive, où l’on acquiert un droit ou un bien, et la prescription extinctive, où l’on ne dispose plus de ce droit ou de ce bien.

Dans le présent texte, nous sommes dans un domaine très différent puisque nous construisons une prescription qui permettra de tenir compte de ce qu’est la société d’aujourd’hui. Nous aspirons tous au droit à l’oubli dans nos vies. Tous, sauf les victimes. Les associations de victimes, qui sont progressivement montées en puissance, y compris grâce aux droits que nous leur avons conférés, n’acceptent plus que les auteurs de crimes et de délits puissent être impunis au terme d’un délai dont on ne sait plus finalement comment il a été défini ni à quel moment.

Cette question est donc à la fois très juridique et formelle, avec un dispositif d’application impérative, immédiate, puisque la loi sera prescriptive, mais également sociétale : nous sommes en effet des sociétés de mémoire. Nous n’acceptons pas, nous ne voulons pas accepter que nos mémoires disparaissent. Depuis quinze ans, nous multiplions les lois mémorielles sur à peu près tous les sujets ainsi que les journées commémoratives, qui sont d’ailleurs nécessaires pour les victimes, qui ont besoin de les vivre, de les célébrer et d’entendre ce qui s’y dit. Notre société considère que la mémoire est un droit et un dû. D’une certaine manière, ce texte sur la prescription l’affirme et le confirme.

Je regrette néanmoins que la question de la prescription des crimes sexuels concernant notamment les mineurs n’ait pas été vraiment abordée, mais nous touchons là à un problème d’une immense intimité, sur lequel il conviendra sans doute de revenir. Je tenais tout de même à souligner cet aspect-là, d’autant que la plupart de ces victimes sont des femmes et qu’elles renoncent souvent à engager des poursuites, craignant peut-être de ne pas être soutenues, ou que ce dévoilement de leur vie intime n’accroisse encore leur souffrance morale.

Ce texte défend des valeurs fondamentales. Il affirme que la victime est prioritaire et le restera longtemps, et que la vengeance ne doit pas avoir droit de cité, ni dans la rancœur, ni dans la stupeur.

La loi double les délais de prescription, ce qui constitue finalement une solution très élégante. Elle a été retenue suite à une consultation du Conseil d’État, qui a été semble-t-il de bon conseil afin d’éviter des dérives qui, oserais-je le dire, auraient pu être malsaines car possiblement vengeresses. Ce texte met fin à tout esprit de vengeance et responsabilise la société : nous, législateurs, nous, institutions – la justice, les juges, les procureurs – et nous tous, l’ensemble des citoyens.

C’est donc un joli texte, qui enfin présente l’immense avantage de consacrer l’essor de la science et de la technique qui, au-delà de la mémoire, permettent maintenant d’aller au bout des enquêtes et de retrouver des preuves physiques, chimiques, biologiques à partir de données factuelles et concrètes.

C’est ainsi que nous pouvons honorer non seulement la mémoire mais aussi la justice, et donc les victimes. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, du groupe écologiste et du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Descamps-Crosnier.

Mme Françoise Descamps-Crosnier. Depuis 2012 et plus encore depuis 2013, avec l’amorce du travail considérable accompli par cette chambre sur la question de la simplification du droit, nous avons eu à plusieurs reprises l’occasion d’avancer, pas à pas et thématique par thématique, dans la voie d’une plus grande clarté du droit.

Il s’agit là d’un principe constitutionnel que le Conseil fait découler depuis 1998 de l’article 34 de la Constitution. Ce principe a été complété depuis 2002 par deux objectifs de valeur constitutionnelle, à savoir l’accessibilité et l’intelligibilité de la loi. Comment espérer que les citoyens adhèrent à la règle de vie en commun que représente le droit s’il n’est ni connu, ni compris ? Dans la période actuelle, marquée par une certaine défiance citoyenne vis-à-vis de l’action publique, tout travail visant à clarifier le droit et à le rendre plus accessible et plus intelligible est le bienvenu.

Désormais, la quasi-totalité des textes soumis à notre examen comporte des dispositions de simplification, ou susceptibles d’en apporter à brève échéance. À titre d’exemple, le projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires va permettre au Gouvernement de procéder par ordonnance à la codification du droit relatif à la fonction publique. Et nombre de textes que nous votons sont porteurs de ce type de dispositions.

En matière judiciaire, plusieurs textes sont déjà venus amorcer ce travail nécessaire, qui n’est d’ailleurs pas le propre de notre majorité. Je pense particulièrement à loi du 17 juin 2008, évoquée notamment dans le rapport d’Alain Tourret, qui est intervenue en matière civile.

La proposition de loi rédigée par MM. Alain Tourret et Georges Fenech, à l’issue des travaux de la mission d’information sur la prescription en matière pénale, participe de ce mouvement et vient le compléter dans un domaine complexe et particulièrement important. Le droit actuel relatif à la prescription en matière pénale, en raison de son caractère épars et des modifications successives introduites par les réformes législatives ou la jurisprudence, avait perdu de sa limpidité d’origine – on rappellera que son architecture remontait tout de même à 1808.

En visant la simplification, la clarification et la sécurisation du droit, en introduisant un meilleur équilibre, cette proposition de loi, qui témoigne d’une vision globale et cohérente, entend rendre notre système pénal plus efficace, vous l’avez vous-même rappelé, monsieur le garde des sceaux. La prise en compte du temps, y compris de son effacement, fait partie intégrante d’une politique pénale. Il s’agit donc d’une initiative bienvenue, qui a pour elle de s’appuyer sur un travail important et sérieux. Le fait que le Conseil d’État ait été amené à émettre un avis sur une proposition de loi en dit suffisamment long sur la crédibilité de ce texte.

La première version du texte qui a été soumise à l’Assemblée nationale était déjà de qualité. Ses grandes orientations sont partagées et font consensus : allongement des délais de prescription de l’action publique de droit commun ; clarification des règles en matière de délais ; augmentation à six ans du délai de prescription des peines délictuelles ; consécration de l’imprescriptibilité des crimes de guerre connexes à un ou plusieurs crimes contre l’humanité, cette dernière précision résultant du travail en commission ; harmonisation, enfin, de la durée des délais de prescription de l’action publique et des peines en matière criminelle et délictuelle. Je ne détaillerai pas ces dispositions, le rapporteur et les différents orateurs l’ayant déjà fait de manière convaincante.

Le travail en commission a permis de faire progresser le texte sur des points problématiques qui avaient été soulignés par le Conseil d’État. Je pense particulièrement au nouvel article 9-1 du code de procédure pénale, introduit par l’article 1er de la proposition de loi, qui précise les modalités d’interruption du délai de prescription de l’action publique.

Les dispositions initiales prévoyaient, en matière délictuelle et criminelle, que tout acte interruptif fasse courir un nouveau délai de prescription d’une durée égale à la moitié du délai initial fixé par les articles 7 et 8 du code de procédure pénale, soit, dans le droit commun, trois ans pour les délits et dix ans pour les crimes. Cette disposition pouvait amener, à rebours de l’intention initiale de ses auteurs, à diviser par deux le délai de prescription dès le premier acte interruptif. L’amendement adopté en commission à l’initiative du rapporteur permet de redonner à tout acte interruptif de prescription sa portée actuelle, c’est-à-dire de faire courir un nouveau délai de prescription d’une durée égale à celle du délai initial. Il s’agit là d’un élément fort de consolidation du texte, que je tenais à souligner.

Nos travaux en séance doivent permettre d’affiner le texte, afin qu’il poursuive sa route parlementaire dans les meilleures conditions. Les amendements rédactionnels et de coordination du rapporteur ont été déposés dans cet esprit. D’autres amendements soulèvent des questions importantes, même si elles ne sont pas directement liées à l’objet de la proposition de loi, dont nous serons amenés à débattre. Je pense notamment à l’amendement n18, déposé par plusieurs de nos collègues du groupe socialiste, républicain et citoyen. Je comprends l’esprit qui l’a inspiré et il me semble important que des éléments de réponse soient apportés aujourd’hui aux questions qu’il soulève.

Pour l’ensemble des raisons que je viens de vous exposer, j’appelle naturellement à voter en faveur des dispositions contenues dans la présente proposition de loi.

M. Alain Tourret, rapporteur, M. Georges Fenech et M. Joël Giraud. Très bien !

Mme la présidente. La discussion générale est close.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Alain Tourret, rapporteur. Je fais miennes la plupart des observations qui viennent d’être faites. Je ne ferai que quelques remarques.

Premièrement, nous n’avons remis en cause aucune des prescriptions abrégées, comme celles qui existent en matière de droit sur la presse. Cela nous semblait important et tout le monde peut être rassuré sur ce point.

Deuxièmement, nous n’avons pas non plus remis en cause les prescriptions supérieures à dix ou vingt ans, qui atteignent actuellement trente ans dans le code, notamment en matière de terrorisme.

Troisièmement, nous avons accepté de prendre en compte la situation spécifique des enfants, en ne faisant courir la prescription qu’à partir de l’âge de dix-huit ans. Prenons le cas, monsieur Lagarde, d’un crime commis contre un enfant, en tenant compte du fait que chaque acte interruptif de prescription fait courir un nouveau délai de vingt ans : en pure théorie, nous avons donc d’abord un délai de dix-huit ans, correspondant à l’accès à la majorité, puis une prescription de vingt ans, à laquelle pourra s’ajouter un nouveau délai de vingt ans dans l’hypothèse où un acte de justice viendrait interrompre la première prescription. Nous en sommes à cinquante-huit ans – autrement dit, à la limite de l’imprescriptibilité.

Ce texte apporte une sécurité et une capacité de poursuite particulièrement importantes. Je laisserai Mme Capdevielle exposer les raisons pour lesquelles aller plus loin risquerait de créer une situation extrêmement difficile à supporter pour la victime : elle vivra toute sa vie avec ce fardeau ! Et ce serait encore pire si, comme le souhaitent certains, c’était la révélation par la victime de son propre état qui marquait le début du délai de prescription : nous en arriverions là à une imprescriptibilité de fait.

Du reste, comme l’ont souligné de nombreux représentants d’associations de victimes et d’enfants, pourquoi procéder ainsi pour les crimes sexuels, et pas pour les homicides et les assassinats ? Pourquoi des dispositions s’appliquant aux viols n’existeraient-elles pas aussi pour l’assassinat et le crime ? C’est incompréhensible ! Et de nombreuses propositions ont aussi été faites pour prendre en compte de manière spécifique les forces de l’ordre… Nous n’avons pas voulu aller jusque-là, car il nous semble que la simplification est la meilleure protection des victimes.

Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Je voudrais, comme Georges Fenech l’a fait très justement avant moi, saluer le président Roger-Gérard Schwartzenberg. En effet, sans la compréhension du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, nous n’aurions pas le plaisir de discuter de cet excellent texte. C’est la preuve qu’il est utile que le Parlement partage la fixation de l’ordre du jour avec le Gouvernement : il le fait ici à bon escient. Merci encore, monsieur le président !

Discussion des articles

Mme la présidente. J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles de la proposition de loi.

Article 1er

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 1 et 7.

La parole est à M. Jean-Pierre Decool, pour soutenir l’amendement n1.

M. Jean-Pierre Decool. Au préalable, permettez-moi de saluer la démarche éminemment collégiale des co-rapporteurs. La méthode et l’esprit qui ont présidé à l’élaboration de cette proposition de loi doivent satisfaire nos concitoyens, qui peuvent ainsi constater que les travaux de l’Assemblée nationale contribuent au renforcement de la démocratie.

Cette proposition de loi allonge les délais de prescription pénale de droit commun à vingt ans pour les crimes. Cet allongement remet toutefois en question l’échelle de gravité des crimes. Ainsi, les crimes de droit commun auraient désormais le même délai de prescription que les crimes mentionnés aux articles 706-47 du code de procédure pénale et 222-10 du code pénal, tels que le meurtre d’un mineur accompagné d’un viol.

Il convient donc d’aligner tous les délais dérogatoires mentionnés aux alinéas 2 et 3 de l’article 7 du code de procédure pénale sur la base de trente ans. Cela permettrait de conserver une prescription supérieure au droit commun pour les crimes contre les mineurs et ainsi de renforcer la cohérence des délais dérogatoires.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde, pour soutenir l’amendement n7.

M. Jean-Christophe Lagarde. L’article 1er de la proposition de loi permet d’allonger les délais de droit commun de prescription de l’action publique des crimes et des délits, ce qui constitue une avancée, notamment pour les personnes victimes de violences sexuelles à l’âge adulte.

En revanche, cet allongement remet en question l’échelle de gravité des crimes, puisque les délais dérogatoires, notamment ceux qui concernent les crimes et délits sexuels ou violents contre des mineurs, demeurent inchangés. Ainsi, les crimes de droit commun auraient désormais le même délai de prescription que les crimes mentionnés aux articles 706-47 du code de procédure pénale et 222-10 du code pénal, tels que le meurtre d’un mineur accompagné d’un viol.

Cet amendement est issu de la proposition de loi qui avait été déposée au Sénat par Mmes Muguette Dini et Chantal Jouanno pour modifier le délai de prescription de l’action publique.

Permettez-moi de vous faire observer, monsieur le rapporteur, que votre raisonnement de tout à l’heure aboutissant à un délai de cinquante-huit ans ne tient pas. S’agissant d’abord des dix-huit ans théoriques qui vont jusqu’à l’âge de la majorité, vous conviendrez qu’il est tout de même rare que l’on assiste au dévoilement d’un viol par un bébé. Cette durée est donc toujours en réalité inférieure à dix-huit ans.

Deuxièmement, vous avez dit qu’au premier délai de vingt ans pouvait s’en ajouter un nouveau, en cas d’acte juridique. Mais la difficulté, c’est justement que si cet acte juridique n’intervient pas au bout de vingt ans, mais de vingt-deux ou vingt-trois ans, la prescription est définitivement acquise. Et si un acte juridique a lieu, on ne parle plus de prescription au sens où nous l’entendons : il faudrait qu’il y ait une inertie de la justice pendant vingt ans pour qu’il y ait à nouveau prescription.

Notre amendement ne tend pas à rendre le délit imprescriptible. Ce que nous demandons, c’est que le délai soit plus long pour les mineurs, parce que la prise de conscience et le fait d’assumer ce dont on a été victime sont des processus qui prennent du temps. Nous ne demandons pas de prendre comme point de départ le moment de la prise de conscience par la victime, ce qui rendrait effectivement, dans les faits, le crime imprescriptible. Ce que nous voulons, c’est que le délai soit plus long pour les mineurs, parce que leur situation est différente de celle des adultes, qui sont mieux à même de se défendre, d’ester en justice et d’avoir conscience de ce qui leur est arrivé.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur ces amendements identiques ?

M. Alain Tourret, rapporteur. Cher collègue, je me suis expliqué tout à l’heure sur cette question, dans ma réponse à la discussion générale. Je pense qu’une prescription trop longue risque, en définitive, de se retourner contre l’intérêt des victimes, car la victime va vivre toute sa vie avec ce qui lui est arrivé, sans parvenir à faire son deuil.

Deuxièmement, les crimes mentionnés aux articles 706-47 du code de procédure pénale et 222-10 du code pénal, lorsqu’ils sont commis sur des mineurs, se prescrivent par vingt ans et le délai de prescription court à compter de la majorité de la victime. Le droit actuel permet donc à l’autorité judiciaire de poursuivre longtemps après les faits les personnes coupables de certaines infractions graves commises contre des mineurs.

Nous avons déjà pris en compte la spécificité des mineurs en ne faisant courir la prescription qu’après l’âge de dix-huit ans : c’est déjà un allongement important. Je ne pense pas possible de leur réserver un sort encore plus particulier. Et pourquoi ne pas faire de même pour d’autres cas spécifiques, d’autres catégories de la population ? Certains ont pensé, à un moment donné, à faire un sort particulier aux délits contre les femmes enceintes. Pourquoi pas ? Après tout, chaque catégorie présente un intérêt…

En l’occurrence, la plupart des personnalités que nous avons auditionnées avec Georges Fenech, notamment les responsables d’associations, ont appelé de leurs vœux le maintien en vigueur des règles applicables à la prescription des infractions commises sur les mineurs. La directrice de la protection judiciaire de la jeunesse, tout en rappelant la nécessité d’un régime dérogatoire afin de tenir compte de la spécificité des victimes mineures d’infractions sexuelles, au regard de leur très grande fragilité, n’a pas demandé de modification du délai de prescription.

Relisons les déclarations qui ont été faites par des parents dont les enfants ont été assassinés : vous voudriez que leurs agresseurs aient un sort différent de ceux qui ont commis des agressions sexuelles ? L’objectif de la proposition de loi n’est pas de multiplier les délais de prescription dérogatoire. Au contraire ! Cela mettrait à mal la lisibilité du droit de la prescription, lisibilité qui fait aujourd’hui défaut, à en croire les praticiens du droit. C’est pourquoi nous demandons le rejet de ces amendements.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le Gouvernement a évidemment le même avis que le rapporteur, dans l’intérêt même des victimes. Il ne faut pas les exposer à des espoirs illusoires de reconnaissance par la justice de leur qualité de victime, au risque, comme l’a fort bien souligné M. Tourret, d’aggraver leurs blessures et de les empêcher de soigner le traumatisme subi.

Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Capdevielle.

Mme Colette Capdevielle. Le groupe SRC, dont je suis la représentante pour ce texte, va exactement dans le même sens que le rapporteur et le garde des sceaux.

Je comprends la demande de l’UDI, qui est pétrie de bonnes intentions à l’égard des victimes. Il n’est toutefois pas possible que quelques affaires que nous connaissons puissent entraîner, par les situations humaines particulièrement douloureuses qu’elles provoquent, une modification radicale de notre droit des prescriptions. Cela reviendrait à créer une nouvelle inégalité entre les victimes majeures et les victimes mineures et, comme l’a fort bien souligné le rapporteur, une inégalité entre les catégories d’infractions – bref, une rupture d’égalité dans notre droit pénal.

Ce serait surtout rendre un très mauvais service aux victimes. Il faut en effet rappeler, comme l’a fait le garde des sceaux, ce qu’est un procès pénal criminel dans ce type d’infraction. Si la victime mineure est devenue majeure, l’auteur, lui, a considérablement vieilli. Il faut rapporter la preuve des faits, trouver des témoins, rappeler à l’envi les faits. En ouvrant la prescription, d’aucuns voudraient faire croire aux victimes qu’elles pourraient ainsi obtenir la mise en jeu de l’action publique, l’engagement de poursuites et la condamnation d’un auteur présumé. Or nous savons à quel point le procès pénal est généralement destructeur pour les victimes, quelle que soit son issue.

Il est également très illusoire de faire croire aux victimes qu’un procès pénal participe à leur reconstruction. C’est heureusement le cas lorsqu’elles ont besoin d’être reconnues comme victimes quand l’auteur conteste les faits, mais pour le reste, il faut rester prudents. Aujourd’hui, il n’est pas question d’ouvrir cette situation. Le délai actuel de vingt ans, et j’ai eu connaissance d’un très grand nombre de dossiers de ce type, laisse dans la pratique très largement le temps à la victime d’entamer une thérapie et de décider d’engager, ou pas, des procédures pénales, avec toutes leurs conséquences éventuelles. Dans la réalité, c’est très rapidement après les dix-huit ans que la plainte est déposée et l’action publique engagée. C’est pourquoi nous sommes opposés à ces amendements et voterons contre.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde.

M. Jean-Christophe Lagarde. Je ne veux pas ici briser l’esprit de large consensus qui conduira à l’adoption de ce texte. Je tiens toutefois à faire part de mon étonnement d’entendre que priver quelqu’un, vingt ans ou vingt et un ans après sa majorité, du droit de porter plainte, c’est le libérer du fardeau d’ester en justice, de vivre toute sa vie avec son problème. C’est un raisonnement que je ne partage pas. Certes, il ne faut pas multiplier les exceptions, mais celle-ci se justifie pleinement, comme le démontre le nombre de plaintes qui sont déposées in fine pour crime sexuel sur mineur, lesquels sont très, trop nombreux, et trop peu poursuivis.

Je conçois qu’un accord ait été conclu au sein de la majorité, mais je tiens à souligner que je ne suis pas d’accord avec les réponses que je viens d’entendre. En effet, je le répète, je ne saurais penser qu’empêcher une personne qui a été victime de viol alors qu’elle était mineure de porter plainte dans des délais plus longs que si elle avait alors été adulte, c’est la soulager d’un fardeau qu’elle devrait, sinon, porter toute sa vie. Je crains que ce raisonnement ne soit pas juste.

M. François Rochebloine. Très bien.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec, vice-président de la commission des lois.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Je tiens à faire une brève observation pour évoquer un point qui n’a pas été soulevé ce matin alors qu’il l’avait été en commission. La prescription n’est pas le seul élément à caractériser la gravité d’une infraction. Ce qui caractérise cette gravité, c’est la sanction. Il convient donc de replacer les enjeux de la prescription en dehors de la seule notion de gravité.

Monsieur Decool, en défendant votre amendement, vous avez affirmé que le texte compromettait l’échelle de gravité des crimes. Non, la prescription, par nature, ne met pas en cause l’échelle de gravité des faits ni l’échelle des sanctions. Elle s’attache à permettre à l’action publique de surmonter la difficulté du caractère occulte ou difficile à percevoir d’un acte, ainsi qu’à protéger certains, tout particulièrement le mineur, en lui permettant d’exercer ses droits propres par-delà la volonté de ceux qui ont l’autorité parentale. La reconnaissance de cette faculté, il y a quelques années, a représenté à mes yeux un immense progrès.

Je tenais donc à rappeler que la prescription n’est qu’un des paramètres de la gravité des faits.

(Les amendements identiques nos 1 et 7 ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement n11.

M. Alain Tourret, rapporteur. Il vise à corriger une erreur de référence.

Mme la présidente. Le Gouvernement y est-il favorable ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Naturellement.

(L’amendement n11 est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde, pour soutenir l’amendement n8.

M. Jean-Christophe Lagarde. Dans la même logique que celle que j’ai exposée à l’instant, et toujours issu de la proposition de loi de Muguette Dini et Chantal Jouanno, cet amendement vise à porter les délais de prescription de l’action publique des agressions sexuelles sur des mineurs de dix à vingt ans. Nous en avons déjà débattu, je ne rallongerai pas les débats.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Tourret, rapporteur. Le précédent amendement visait les crimes, celui-ci vise les délits. L’argumentation étant identique, c’est tout à fait logiquement que je propose son rejet.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Même avis.

(L’amendement n8 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Sergio Coronado, pour soutenir l’amendement n10.

M. Sergio Coronado. Cet amendement, comme je l’ai déjà annoncé au cours de la discussion générale, vise à modifier les règles concernant les délits d’obstruction à la justice lorsqu’ils concernent des crimes ou des délits commis sur des personnes mineures âgées de moins de quinze ans au moment des faits.

Actuellement, ces délits se prescrivent selon les règles de droit commun, étant considérés comme des infractions instantanées. Or, il arrive que la non-dénonciation de crime concernant des enfants ne soit que tardivement révélée, après la majorité de l’enfant. Dès lors, ces délits sont très régulièrement prescrits, alors même que la non-dénonciation a mis gravement en danger ces enfants, voire a pu conduire à la multiplication des victimes.

Il semble donc nécessaire d’aménager ces règles de prescription, en prévoyant que ces délits seront prescrits dix ans après la majorité de l’enfant concerné.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Tourret, rapporteur. Défavorable. J’ai bien compris que votre amendement vise à modifier les règles concernant les délits d’obstruction à la justice, lorsqu’ils concernent des crimes et des délits commis sur des personnes mineures, de moins de quinze ans. Mais ces entraves, qui constituent elles-mêmes des délits, se prescrivent dans les conditions de droit commun, soit par trois ans aujourd’hui. Demain, elles se prescriront par six ans, ce qui me semble rejoindre votre préoccupation.

M. Fenech et moi-même avons fait le choix de ne pas multiplier les délais dérogatoires, ce qui nuit à la lisibilité du droit de la prescription. Que ferions-nous des autres délits d’une gravité comparable ou supérieure qui, eux, continueraient de se prescrire par six ans ? On pourrait nous reprocher de manquer de cohérence. C’est ce reproche que nous n’avons pas voulu rencontrer.

C’est pourquoi, je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement. Faute de quoi, je le répète, j’émettrai un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. L’avis du Gouvernement est, lui aussi, évidemment défavorable dans la mesure où l’objet même de la proposition de loi est la clarification du droit de la prescription, et que cet amendement aboutit à l’inverse puisqu’il complique ce droit.

Mme la présidente. La parole est à M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Je reconnais volontiers qu’une fois le texte adopté la prescription passera à six ans, ce qui représente une amélioration. Il n’en reste pas moins que, comme le montre clairement l’actualité, cette question est loin d’être simple. La question du régime de la prescription concernant les agressions de nature sexuelle contre les mineurs, qui motive les amendements de Jean-Christophe Lagarde, comme celle de la non-dénonciation, qui motive le présent amendement, sont des questions très délicates, que le présent texte ne réglera malheureusement pas.

Je retire cet amendement.

(L’amendement n10 est retiré.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde, pour soutenir l’amendement n9.

M. Jean-Christophe Lagarde. Cet amendement, issu lui aussi de la proposition de loi de nos collègues sénatrices modifiant le délai de prescription de l’action publique des agressions sexuelles, vise à porter de vingt à trente ans les délais de prescription de l’action publique des délits notamment mentionnés à l’article 222-29-1 du code pénal, qui concerne les agressions sexuelles autres que le viol sur un mineur de quinze ans, et à son article 227-26, qui concerne l’atteinte sexuelle sans violence, contrainte, menace ni surprise sur un mineur de quinze ans, commise avec une circonstance aggravante. Je maintiens cet amendement, malgré votre opposition.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Tourret, rapporteur. Cet amendement reste dans la logique de M. Lagarde. Nous avons un avis différent, ne souhaitant pas ouvrir de nouvelles prescriptions en la matière. Nous estimons en effet que porter les prescriptions de dix à vingt ans, et à partir de la majorité de l’enfant, est déjà faire droit très largement aux propositions de M. Lagarde. Avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Même avis.

(L’amendement n9 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement n12.

M. Alain Tourret, rapporteur. Amendement rédactionnel.

(L’amendement n12, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement n14 rectifié.

M. Alain Tourret, rapporteur. Cet amendement, de portée purement formelle, fait passer les dispositions relatives au report du point de départ des infractions occultes et dissimulées immédiatement après les dispositions portant sur les différents délais et points de départ de la prescription de l’action publique. Il semble en effet plus logique de les insérer à cet emplacement plutôt qu’après les dispositions relatives aux actes interruptifs de prescription – dispositions qui seront désormais prévues au nouvel article 9-2 du code de procédure pénale. Cette modification tient compte de la remarque formulée par le Conseil d’État dans son avis du 1er octobre 2015 sur la présente proposition de loi.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Favorable.

(L’amendement n14 rectifié est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Decool, pour soutenir l’amendement n3.

M. Jean-Pierre Decool. Le dernier alinéa de l’article 9-1 du code de procédure pénale tel que rédigé par la proposition de loi précise que les causes d’interruption sont applicables aux co-auteurs et complices de l’infraction pénale. Il vise ainsi à légaliser une pratique de la Cour de cassation.

Cette précision apparaît toutefois comme inutile. En effet, la responsabilité pénale du complice est subordonnée à la démonstration de l’existence d’une infraction principale, support de son acte de complicité et donc d’une infraction non prescrite.

Cette extension des causes d’interruption aux co-auteurs d’une infraction remet également en cause l’autonomie des responsabilités pénales. La co-action ne fait en effet pas disparaître la responsabilité pénale du fait personnel, puisque les co-auteurs agissent de concert, mais que chacun accomplit son infraction propre. Leurs prescriptions doivent donc être dissociées.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Tourret, rapporteur. Défavorable. En effet, votre amendement, mon cher collègue, a pour objet de supprimer l’alinéa 18 de l’article 1er, qui étend l’effet interruptif de certains actes de procédure au co-auteur ou au complice de l’infraction poursuivie ou en cas d’infraction connexe.

Or la règle selon laquelle les actes d’enquête, d’instruction ou de poursuite ont également un effet interruptif à l’égard des personnes qui ne seraient pas impliquées dans les actes de procédure, à savoir co-auteur ou complice, figure déjà au deuxième alinéa de l’actuel article 7 du code de procédure pénale, et par renvoi au premier alinéa de l’article 8 et de l’article 9 du même code. Il s’agit donc non pas de la consécration d’une règle de nature jurisprudentielle mais de la reprise du droit existant, qui s’applique en matière criminelle, délictuelle et contraventionnelle.

Sur cette question, en revanche, la commission des lois a décidé de consacrer la jurisprudence de la Cour de cassation, laquelle a étendu l’effet interruptif des actes pris pour la poursuite d’une infraction principale aux infractions connexes à cette dernière, par exemple pour les crimes commis par des tueurs en série, les infractions de déclaration mensongère de vol et d’escroquerie à l’assurance ou les infractions de recel de cadavre et d’homicide volontaire, dans des affaires célèbres que nous avons connues.

Il s’agit donc d’une prescription utile pour renforcer la sécurité juridique qui doit s’attacher aux règles de prescription sans remettre pour autant en cause l’autonomie des responsabilités pénales.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Avis également défavorable, parce que si l’amendement de M. Decool était adopté, il serait possible de poursuivre l’homme de main sans poursuivre le cerveau, ce qui serait parfaitement inadmissible.

(L’amendement n3 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Decool, pour soutenir l’amendement n2.

M. Jean-Pierre Decool. Cet amendement vise à supprimer la notion d’obstacle de fait insurmontable, introduite dans la proposition de loi afin de prendre en compte la jurisprudence élaborée par la Cour de cassation dans son arrêt du 7 novembre 2014. Supprimer la notion d’obstacle de fait insurmontable permettra d’éviter tout risque de rupture d’égalité entre les justiciables susceptible d’être provoquée par des jurisprudences différentes et de garantir le droit à un procès équitable.

Je veux prendre pour exemple un arrêt en date du 18 décembre 2013 rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation, concernant des faits de viol. La victime, qui avait été frappée d’une amnésie traumatique à la suite d’un viol commis en 1977, avait déposé plainte en 2011 et demandé le bénéfice de la suspension du délai de l’action publique en raison de cette amnésie. La suspension de la prescription a toutefois été refusée par la chambre criminelle alors même que l’amnésie, constatée par des expertises psychologiques, pouvait recevoir la qualité d’obstacle insurmontable empêchant l’exercice des poursuites pénales.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Tourret, rapporteur. Défavorable. Le nouvel article 9-3 du code de procédure pénale, créé par la présente proposition de loi, a plusieurs objets qui justifient de ne pas modifier la définition de la notion de suspension de la prescription de l’action publique dans le sens que vous proposez, mon cher collègue.

Premièrement, cet article vient combler les insuffisances du droit existant s’agissant de la suspension de la prescription de l’action publique, laquelle n’est prévue, en matière pénale, que pour des motifs de droit ponctuels et limités – un obstacle statutaire empêchant la poursuite d’une personne, le recueil préalable d’un avis ou la consultation d’une autorité administrative avant la mise en œuvre de l’action publique. À côté de ces obstacles de droit, il existe des obstacles de fait dégagés par la jurisprudence – par exemple, la disparition des pièces d’une procédure, l’invasion du territoire, une catastrophe naturelle, ou que sais-je encore…

Deuxièmement, il s’agit de donner un fondement légal à une jurisprudence de la Cour de cassation en matière pénale appliquée de longue date à la matière civile, en vertu de l’adage « contra non valentem agere non currit praescriptio »,…

M. Paul Giacobbi. Comme on dit chez nous ! (Sourires.)

M. Alain Tourret, rapporteur. …comme mon collègue Fenech l’a fort bien rappelé tout à l’heure, avec un accent de bon latiniste. (Sourires.) Ce principe, qui signifie que la prescription ne court pas contre celui qui ne peut valablement agir, a été inscrit à l’article 2234 du code civil par le législateur en 2008, suite à l’adoption d’une proposition de loi déposée par notre collègue Hyest.

Troisièmement, il appartient au législateur, et non à la jurisprudence, de définir les contours précis de la suspension. La définition de ce motif – « obstacle de fait insurmontable rendant impossible l’exercice des poursuites » – est suffisamment restrictive pour qu’il ne soit appliqué qu’à des cas limités.

Quatrièmement, l’inscription dans la loi du report du point de départ du délai de prescription de l’action publique des infractions dissimulées de toute nature, que nous avons également souhaitée, devrait permettre de limiter le recours à la suspension de la prescription.

Pour toutes ces raisons, monsieur Decool, nous demandons que votre amendement soit repoussé, à moins que vous ne le retiriez.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Decool.

M. Jean-Pierre Decool. Je retire mon amendement, madame la présidente.

Mme la présidente. Je ne vous demande donc pas votre avis, monsieur le garde des sceaux. (Rires.)

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le Gouvernement est à la disposition du Parlement !

Mme la présidente. Il est toujours bon de le rappeler, monsieur le garde des sceaux. Merci à vous ! (Sourires.)

(L’amendement n2 est retiré.)

(L’article 1er, amendé, est adopté.)

Article 2

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Tourret, pour soutenir l’amendement n15.

M. Alain Tourret, rapporteur. Cet amendement opère, dans un nouvel article du code pénal, un renvoi vers l’article 707-1 du code de procédure pénale, lequel définit les conditions d’interruption de la prescription des peines. S’il est logique de maintenir la disposition à son emplacement actuel, dans un titre du code de procédure pénale qui traite de l’exécution des sentences pénales, il apparaît également pertinent d’en faire mention dans la section du code pénal relative à la prescription des peines.

Le présent amendement est conforme à la logique qui guide les auteurs de la proposition de loi : clarifier et rationaliser l’ordonnancement des dispositions qui encadrent la prescription de l’action publique, d’une part, et de celles qui traitent de la prescription des peines, d’autre part. Il a été accepté par la commission.

(L’amendement n15, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

(L’article 2, amendé, est adopté.)

Article 3

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Tourret, pour soutenir l’amendement n16.

M. Alain Tourret, rapporteur. Il est rédactionnel.

(L’amendement n16, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

(L’article 3, amendé, est adopté.)

Article 4

(L’article 4 est adopté.)

Après l’article 4

Mme la présidente. La parole est à Mme Valérie Rabault, pour soutenir l’amendement n18 portant article additionnel après l’article 4.

Mme Valérie Rabault. Cet amendement vise à élargir les conditions qui permettent à la justice française de juger en France les auteurs de crimes ayant affecté l’humanité.

Une loi de 2010, votée à l’initiative du Sénat et entrée en vigueur, a élargi la compétence des juridictions françaises pour connaître des faits qui font l’objet du statut de Rome. Toutefois, cette loi n’a pas institué, pour ces infractions gravissimes – permettez-moi d’insister sur ce point –, une véritable compétence universelle. En effet, elle a prévu quatre critères visant à restreindre l’universalité des compétences : la personne suspectée doit résider habituellement en France ; les faits doivent être punis par la législation de l’État où ils ont été commis ; la poursuite de ces crimes ne peut être exercée qu’à la requête du ministère public, ce qui exclut la mise en mouvement de l’action publique par le mécanisme de la constitution de partie civile ; enfin, la Cour internationale de justice doit avoir expressément décliné sa compétence.

Ces quatre conditions ont été jugées restrictives par de nombreux observateurs, ce qui a d’ailleurs conduit notre collègue sénateur Jean-Pierre Sueur à déposer, en 2013, une nouvelle proposition de loi visant à les assouplir. Cette proposition de loi a été adoptée à l’unanimité au Sénat ; elle n’a pas encore été discutée à l’Assemblée nationale. Le présent amendement vise strictement à en reprendre les dispositions.

M. Marc Dolez. Très bien !

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Tourret, rapporteur. Madame la députée, il s’agit d’un problème complexe, et je comprends parfaitement la préoccupation que vous souhaitez exprimer à travers cet amendement. J’y suis sensible.

Cependant, je ne peux qu’observer que nous venons de voter, mardi dernier, le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale. C’est dans le cadre de ce projet de loi que cette discussion aurait dû intervenir…

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. C’est vrai ! Mais le Gouvernement y aurait été défavorable.

M. Alain Tourret, rapporteur. …et être menée jusqu’au bout. Je considère donc votre amendement comme un cavalier législatif. Je crains qu’il ne vienne dénaturer le texte que nous examinons ce matin. La commission l’a donc repoussé : c’est pourquoi je vous invite à le retirer et à le redéposer lors d’une prochaine lecture du projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. L’amendement que vient de défendre Mme la rapporteure générale de la commission des finances est évidemment un cavalier : il serait donc logique qu’elle le retire.

Quant à suivre le conseil du rapporteur consistant à redéposer cet amendement dans le cadre de l’examen d’un autre texte, je ne voudrais guère laisser d’espoir à Mme Rabault.

Mme Valérie Rabault. Oh non, monsieur le garde des sceaux !

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Elle peut le faire, naturellement, mais le Gouvernement fera montre de la même prudence, pour ne pas dire de la même réserve, qui masque à peine une réticence totale. (Sourires.)

M. Paul Giacobbi. Modérez votre enthousiasme !

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. La modification proposée n’est en aucune façon demandée par le traité de Rome.

Il est vrai qu’il existe un débat, porté par Jean-Pierre Sueur devant le Sénat, lequel a adopté un texte qui a été transmis à l’Assemblée nationale. Le Gouvernement entend traiter cette proposition dans le cadre de ce texte. Celui-ci pose un certain nombre de difficultés, qui ont été soulignées par Axelle Lemaire, précédemment désignée comme rapporteure, à laquelle a succédé Jean-Yves Le Bouillonnec, éminent vice-président de la commission des lois. Ce texte est tellement sensible et engage tellement de conséquences diplomatiques qu’il est nécessaire de bien comprendre le contexte dans lequel il intervient et de ne pas le polluer par des discussions périphériques. Je vous invite donc à retirer tout amendement portant sur le domaine de compétences de la Cour pénale internationale.

Mme la présidente. La parole est à Mme Valérie Rabault.

Mme Valérie Rabault. Sur les conseils avisés de M. le garde des sceaux et de M. le rapporteur, je vais retirer cet amendement. Permettez-moi quand même de souligner qu’il est largement inspiré par les travaux de nos collègues sénateurs, en particulier de M. Sueur – votre ancien homologue, monsieur le garde des sceaux, puisqu’il a été président de la commission des lois du Sénat. Il me semble donc qu’il revêt un certain caractère de sagesse et d’équilibre, notamment au regard des relations internationales que nous pouvons nouer. Cependant, j’entends bien votre explication et je retire mon amendement.

(L’amendement n18 est retiré.)

Mme la présidente. Nous avons achevé l’examen des articles.

Je n’ai pas reçu de demande d’explication de vote.

Vote sur l’ensemble

Mme la présidente. Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi.

(La proposition de loi est adoptée.)

(Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Alain Tourret, rapporteur. L’adoption de ce texte à l’unanimité facilitera incontestablement son vote, le plus rapidement possible, par la haute chambre. Après avoir été la loi de l’empereur, j’espère que ces dispositions relatives à la prescription deviendront très vite la loi de la République. (Applaudissements.)

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Excellent !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Très bien dit !

3

Rémunération du capital des sociétés coopératives

Discussion d’une proposition de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Joël Giraud et plusieurs de ses collègues relative à la rémunération du capital des sociétés coopératives (nos 3439, 3539).

Présentation

Mme la présidente. La parole est à M. Joël Giraud, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Joël Giraud, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État chargée du commerce, de l’artisanat, de la consommation et de l’économie sociale et solidaire, monsieur le vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, mes chers collègues, la proposition de loi que je vous présente porte sur une disposition très attendue par le secteur coopératif, qui permettra de revaloriser le plafond de rémunération des parts sociales détenues par leurs sociétaires. Cette disposition ne nous est pas inconnue, puisque nous l’avons déjà examinée et adoptée dans le cadre de la discussion de la loi de finances rectificative pour 2015, avec le soutien exprès du Gouvernement. Toutefois, le Conseil constitutionnel l’a censurée, malgré son intérêt sur le fond, au motif qu’il s’agissait d’un cavalier législatif. Avec le soutien de mon groupe, j’ai donc pris l’initiative de la redéposer dans le cadre de la présente proposition de loi, qui a été adoptée à l’unanimité par la commission des lois.

Pourquoi revaloriser ce plafond de rémunération ? Le secteur coopératif nous a fait part de ses craintes quant aux conséquences de la forte baisse du plafond des rémunérations accordées aux sociétaires de coopératives. Concrètement, une baisse de rémunération trop fortement décorrélée des résultats financiers de ces sociétés pourrait entraîner un risque de report sur d’autres produits de placement et fragiliser le modèle économique des coopératives dans leur ensemble.

En effet, les sociétés coopératives reposent sur le principe d’une gouvernance démocratique, qui se traduit par l’attribution de parts à l’ensemble des sociétaires. Ces parts sont d’un faible montant – par exemple, dans le secteur bancaire, la majorité des parts détenues ont une valeur inférieure à 100 euros –, mais elles garantissent la participation des sociétaires au capital de l’entreprise.

Le caractère lucratif de ces attributions est fortement encadré puisque, contrairement à des titres de même nature comme des portefeuilles d’actions, le taux de rémunération des sociétaires est plafonné par l’article 14 de la loi du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération à un niveau au plus égal au taux moyen de rendement des obligations des sociétés privées, appelé plus communément « TMO ». Le problème est que le TMO est lui-même défini par rapport aux intérêts des obligations de long terme de l’État, qui n’ont cessé de diminuer, dans un contexte de politique monétaire très accommodante. Pour illustrer cette forte baisse, je rappellerai que le TMO était fixé à 4,7 % en 2007 et qu’il n’atteint plus que 1,2 % en 2015.

De plus, cette baisse de rémunération est intervenue concomitamment à l’alourdissement de la fiscalité pesant sur ces rémunérations. En effet, le régime fiscal appliqué aux intérêts versés par les coopératives est équivalent à celui des dividendes servis par des sociétés ne relevant pas de l’économie sociale et solidaire : ils sont donc imposés au barème de l’impôt sur le revenu et se voient appliquer des prélèvements sociaux à hauteur de 15,5 %.

Quelles sont les conséquences de cette situation ? Tout d’abord, le secteur coopératif, qui participe à l’économie sociale que nous essayons par ailleurs d’encourager, est de moins en moins attractif, alors que son chiffre d’affaires n’a cessé d’augmenter au cours des dernières années, ce qui défie toute logique économique. Il ne peut en effet verser que des rémunérations extrêmement faibles, bien en deçà de ce qui est acceptable pour respecter le principe de la lucrativité limitée. Je rappelle à ce titre que, lorsque la référence aux taux d’intérêt applicables à l’État a été adoptée en 1992, une telle baisse des taux n’avait pas été envisagée.

En outre, la faible attractivité de la détention de parts sociales de coopératives limite le maintien du capital des sociétaires dans les entreprises, notamment agricoles, et, par conséquent, leur capacité à investir. Pour le secteur bancaire coopératif, les risques encourus sont également importants. Cette faible attractivité pourrait se traduire par une diminution de leurs fonds propres, qui incluent les parts sociales, dans un contexte où les accords de Bâle III leur imposent de renforcer leurs ratios prudentiels. Sachant que ce secteur bancaire concerne 60 % des avoirs des particuliers, vous comprendrez l’importance de notre raisonnement.

À partir de ce constat, la solution proposée par la présente proposition de loi reprend la disposition adoptée par nos deux assemblées à l’automne dernier : le plafond de rémunération serait désormais égal à la moyenne des TMO constatée au cours des trois années précédant l’année de référence, majorée de deux points.

Cette évolution présente plusieurs intérêts. Elle permet de rendre plus attractif le financement de l’économie coopérative et de compenser quelque peu la hausse de la fiscalité applicable aux parts sociales. Par ailleurs, elle continue de ne fixer qu’un plafond de rémunération : les coopératives resteront libres d’augmenter ou non la rémunération de leurs parts sociales en fonction de leur situation économique et des bénéfices qu’elles réalisent. La marge de deux points proposée leur permettra d’assurer une plus grande stabilité des taux de rémunération, même si la moyenne du TMO fluctue.

Enfin, on pourrait nous faire remarquer que d’autres produits de placement ont vu leur rendement diminuer au cours des dernières années. Dans ce cas, pourquoi faudrait-il revaloriser la rémunération des parts sociales des sociétés coopératives plutôt que d’autres produits ? À nouveau, plusieurs éléments de réponse peuvent être avancés. En premier lieu, des dispositions spécifiques permettent d’assurer l’attractivité des autres produits de placement. À titre d’exemple, la fiscalité extrêmement avantageuse réservée à des produits comme les livrets réglementés ou l’assurance-vie a été intégralement préservée au cours des dernières années.

En second lieu, je rappellerai que les coopératives et leurs filiales représentent 26 millions de sociétaires, 1,2 million de salariés et qu’elles se retrouvent principalement dans le secteur de l’agriculture, qui connaît actuellement une crise importante, ainsi que dans le secteur du commerce de détail et de la banque de détail. Le secteur coopératif français est ainsi le deuxième plus dynamique au monde et défend des principes importants, à l’instar de la gouvernance démocratique et de la lucrativité limitée, qui justifient que son modèle économique soit soutenu.

Il est donc important que la détention de parts de sociétés coopératives, qui n’est pas un facteur d’enrichissement personnel puisque les montants moyens par sociétaire sont très faibles, puisse être un minimum revalorisée pour prendre en compte la participation de ces sociétaires dans leur entreprise et leurs bons résultats économiques.

Je conclurai sur les deux amendements qui ont été déposés sur ce texte. Ils concernent tous deux le secteur bancaire et visent chacun, mais de manière très différente, à apporter des garanties aux sociétaires. L’amendement du Gouvernement vise à inscrire dans la loi les obligations faites aux banques coopératives et mutualistes dans le cadre de la commercialisation de parts sociales.

Aujourd’hui, ces dispositions sont d’ores et déjà mises en œuvre par ces banques, conformément aux règlements de l’Autorité des marchés financiers qui s’imposent à elles, mais cet ajout au code monétaire et financier permettra à l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, l’ACPR, d’effectuer les contrôles nécessaires pour s’assurer qu’elles les respectent bien.

L’amendement de la rapporteure générale est intéressant, comme toujours (Sourires), en ce qu’il vise, en conditionnant la revalorisation proposée à une indexation des frais bancaires sur l’inflation, à éviter que les banques coopératives n’augmentent leurs frais bancaires pour dégager davantage de bénéfices et mieux rémunérer les sociétaires. Il me semble pourtant qu’au regard du niveau actuel du TMO, la revalorisation proposée demeure modeste et écarte a priori ce risque et qu’au contraire, cet amendement risquerait de priver de toute portée les dispositions de la présente proposition de loi. Mais nous aurons bien sûr un débat, madame la rapporteure générale.

Sur le fondement de cette présentation, je vous invite, mes chers collègues, à adopter, à la suite de la commission des lois où elle a recueilli l’unanimité, la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée du commerce, de l’artisanat, de la consommation et de l’économie sociale et solidaire.

Mme Martine Pinville, secrétaire d’État chargée du commerce, de l’artisanat, de la consommation et de l’économie sociale et solidaire. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, je me réjouis de l’examen de cette proposition de loi en séance publique après son adoption unanime en commission des lois mercredi 2 mars. Je remercie tout particulièrement le rapporteur, Joël Giraud, ainsi que les députés cosignataires et les membres de la commission, pour leurs travaux sur ce texte et leur mobilisation.

La réforme du plafonnement de l’intérêt versé sur les parts sociales des coopératives peut sembler technique, mais elle est en réalité essentielle pour le développement du secteur en France. C’est une réforme attendue par les coopératives qui souhaitent bénéficier de bonnes conditions pour stabiliser leur capital et se développer ainsi dans tous les domaines, qu’ils soient bancaire, agricole, artisanal ou encore commercial. Cette proposition de loi témoigne de notre volonté commune de soutenir le mouvement coopératif au sein de notre économie.

Permettez-moi de revenir un instant sur le contexte économique de la réforme. Les coopératives évoluent, comme le reste des acteurs économiques, dans un environnement de taux exceptionnellement bas. Cette situation prolongée conduit à une baisse mécanique de l’intérêt que ces coopératives peuvent verser aux sociétaires détenteurs de parts sociales. Les coopératives doivent en effet respecter les règles de plafonnement au niveau d’un indice économique – en l’occurrence, le taux moyen de rendement des obligations des sociétés privées – et qui dépend lui-même du taux moyen des obligations d’État.

Or, vous le savez, sous l’effet des conditions de marché et de la politique de la Banque centrale européenne, le taux moyen des obligations d’État a considérablement baissé. Il se situe à peine au-dessus de 1 % pour l’année 2015, ce qu’il faut comparer aux chiffres de 2008, lorsque le taux était supérieur à 4 %, sans compter qu’il affiche une forte volatilité. Cette situation est pénalisante pour les coopératives, notamment pour les coopératives bancaires, qui représentent 60 % du secteur bancaire français et qui ont une politique de sociétariat à grande échelle, en proposant la souscription de parts sociales à leurs clients.

Cette proposition de loi vise donc à rétablir l’attractivité des parts sociales, pour éviter un détournement des sociétaires, en adaptant le dispositif de plafonnement pour le rendre plus pertinent économiquement et moins sensible à la volatilité des conditions économiques. Pour y remédier, le dispositif proposé repose sur deux composantes.

Premièrement, la période de référence pour l’application du taux serait de trois ans, pour être moins affecté par la volatilité des conditions de marché. Deuxièmement, le plafond serait rehaussé à hauteur de 2 points, pour ouvrir la possibilité de verser une rémunération plus adaptée aux parts sociales et moins sensible à la conjoncture. Il faut bien sûr garder à l’esprit que la loi fixe les conditions de détermination d’un plafond de rémunération, mais non pas les rémunérations effectives qui sont décidées par les assemblées générales des coopératives conformément à leur statut.

La réforme concerne toutes les coopératives, mais tient aussi compte des enjeux spécifiques pour le secteur bancaire coopératif et mutualiste. Les établissements de ce secteur doivent en effet se conformer à des exigences réglementaires strictes en termes de niveau de capital à détenir. C’est un défi que les banques mutualistes et coopératives doivent pouvoir relever, sans pénaliser toutefois l’activité de financement de l’économie.

Notre objectif est donc de conforter le modèle des banques coopératives, dans le respect de la loi de 1947, en leur permettant d’avoir un capital stable et de proposer des parts sociales attractives à leurs sociétaires. C’est pour cette raison que le Gouvernement recommande l’adoption de la proposition de loi. Pour la compléter, il souhaite proposer un amendement afin d’encadrer les modalités de commercialisation des parts sociales. Je vous le présenterai durant la discussion. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Jeanine Dubié, première oratrice inscrite.

Mme Jeanine Dubié. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, chers collègues, la proposition de loi rapportée par notre collègue Joël Giraud et déposée par l’ensemble de notre groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, relative à la rémunération du capital social des sociétés coopératives, a été adoptée à l’unanimité en commission des lois le 2 mars, après quelques aménagements rédactionnels proposés par le rapporteur.

Cette proposition de loi porte sur une disposition, initialement présentée par nos collègues sénateurs, en faveur du secteur coopératif, et adoptée en loi de finances rectificative pour 2015 au mois de décembre dernier. Le Conseil constitutionnel l’avait ensuite censurée en dépit du soutien du Gouvernement et de l’ensemble des parlementaires, au motif qu’il s’agissait d’un cavalier budgétaire. Notre groupe propose donc de la rétablir au plus vite.

Si le décret, que nous saluons, pris par le Gouvernement le mois dernier permettra de maintenir à flot la rémunération des parts sociales pour l’année en cours, en proposant qu’elle soit plafonnée au niveau de la rémunération des trois années civiles précédant la date des assemblées générales des coopératives en 2016, il revient au législateur de le compléter par une mesure législative simple et pérenne.

Le plafond de la rémunération des parts sociales est défini à l’article 14 de la loi du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération comme relatif aux intérêts des obligations de long terme de l’État, qui n’ont cessé de diminuer du fait notamment de l’action de la Banque centrale européenne. La baisse de ces plafonds soulève à moyen terme un véritable risque de report de l’acquisition de parts sociales vers d’autres produits de placement et, surtout, fragilise le modèle économique du secteur coopératif.

Pour les banques coopératives, le risque pèse directement sur leurs fonds propres, dont les parts sociales font partie intégrante, dans le contexte des accords de Bâle III et des exigences accrues de renforcement des ratios prudentiels. Les sociétés coopératives se différencient des sociétés commerciales, notamment en reposant sur une gouvernance démocratique par l’attribution de parts sociales aux sociétaires qui garantissent ainsi leur participation à la vie de l’entreprise.

Malgré ce mode de gouvernance aussi précurseur qu’ancien, les coopératives se voient appliquer, pour la rémunération de leur capital social, un régime fiscal identique à celui qui est appliqué aux dividendes des sociétés qui ne relèvent pas de l’économie sociale. En effet, en plus de la baisse du plafond de rémunération imposée par la définition obsolète de celui-ci – une telle baisse des taux n’avait pas été envisagée lorsque la référence aux taux d’intérêt applicables à l’État a été adoptée en 1992 –, il faut ajouter que les parts sociales sont soumises à l’impôt sur le revenu. Leurs intérêts sont inclus dans le revenu imposable du sociétaire pour leur montant effectivement perçu et imposés au barème de l’impôt sur le revenu pour 60 % de leur montant. Ils sont également assujettis aux prélèvements sociaux au taux de 15,5 %.

On se trouve donc dans une situation doublement paradoxale, et d’ailleurs non planifiée initialement, où le traitement réservé au capital des coopératives est pénalisant : une fiscalité identique à celle des dividendes des entreprises commerciales, loin de celle appliquée à l’épargne réglementée, par exemple ; et une attractivité menacée par la référence aux taux d’intérêt des émissions de dette de l’État qui ne cessent de décroître, alors même que les résultats économiques des coopératives n’ont cessé de croître.

La progression du chiffre d’affaires cumulé des cent plus grandes coopératives françaises est constante depuis huit ans : 4 % entre 2008 et 2010 ; 17 % entre 2010 et 2012 ; 5 % entre 2012 et 2014. Nos grandes coopératives sont performantes, avec de surcroît une ancienneté moyenne de cinquante ans, sachant que neuf d’entre elles ont plus d’un siècle – principalement des coopératives de consommateurs et des banques coopératives.

Ne perdons pas de vue que le mouvement coopératif français est une référence internationale et que la France est le deuxième pays coopératif au monde, avec ses coopératives agricoles, ses banques, ses SCOP, ses coopératives de commerçants, celles de consommateurs ou encore celles d’artisans. Ce qui différence aussi nos coopératives de nos entreprises commerciales, c’est leur implantation territoriale, puisque 73 % des entreprises du top 100 coopératif français ont implanté leur siège en dehors de la région parisienne.

La mise à mal indirecte de l’attractivité du capital social des coopératives contre laquelle nous proposons d’agir, à savoir l’absence de rémunération du risque pris par le sociétaire, a tendance à limiter les capacités d’investissement des coopératives. Pourtant, les coopératives, particulièrement dans le secteur agricole, sont un acteur économique majeur et essentiel que nous devons résolument encourager. Celles-ci représentent, selon les derniers chiffres disponibles, 85,1 milliards d’euros de chiffre d’affaires global et plus de 165 000 salariés ; 90 % des coopératives agricoles sont des PME ou des TPE ; 74 % des sièges sociaux se situent en zone rurale. Notons que trois agriculteurs sur quatre adhèrent au moins à une coopérative. La coopérative agricole répond aux besoins des exploitants, principalement en amont avec l’approvisionnement des exploitations en intrants, et en aval, avec la collecte, le stockage et la commercialisation des produits ou encore des services comme l’utilisation en commun du matériel au travers des CUMA, les coopératives d’utilisation de matériel agricole.

Les coopératives agricoles doivent se conformer à des modèles de statuts homologués par le ministère de l’agriculture et se fondent sur des principes constructifs : la double qualité, la territorialité, le fonctionnement démocratique, l’a-capitalisme, l’engagement coopératif, l’équité et l’exclusivisme. Ces principes représentent un atout pour l’économie française car les coopératives agricoles ne sont ni délocalisables, ni « opéables ». De plus, dans le secteur coopératif agricole, la détention du capital social présente une spécificité dans la mesure où elle varie selon le volume d’affaires effectué entre la coopérative et l’exploitation agricole, c’est-à-dire en fonction du rapport entre les apports et les approvisionnements, ce qui conduit l’exploitation à mobiliser chaque année de manière réajustée un capital, qui doit recevoir une juste rémunération.

Dans la crise majeure que traverse le secteur agricole, nous ne pouvons pas bloquer une partie du capital des agriculteurs qui adhèrent à des coopératives et prétendre que cela n’a pas d’importance. La présente proposition de loi tend donc à reprendre la proposition consensuelle émanant de l’ensemble des acteurs du secteur, à savoir que le plafond défini à l’article 14 de la loi du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération serait désormais égal à la moyenne des taux moyens de rendement des obligations des sociétés privées constatée au cours des trois années précédant l’année de référence, majorée de deux points. Mais cette majoration, je le rappelle, ne sera pas automatique puisque les coopératives demeureront libres d’augmenter ou non la rémunération de leur capital social selon leurs bénéfices et leurs résultats. Il s’agit aussi de compenser la hausse de la fiscalité que supportent ces produits contrairement aux produits de l’épargne réglementée, par exemple ceux de l’assurance-vie.

L’économie sociale est une alternative au capitalisme actionnarial, par exemple en donnant plus de pouvoir aux salariés-associés dans les SCOP, où les réserves accumulées sont mises au service du projet collectif, ce que notre groupe et notre majorité soutiennent particulièrement. La loi du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire, défendue par notre collègue et ancien ministre Benoît Hamon, le prouve. On a reconnu l’économie sociale et solidaire, permis d’orienter davantage de financements directement vers ses structures, consolidé son réseau, redonné du pouvoir aux salariés en leur permettant de reprendre leur société sous forme de SCOP – société coopérative et participative –, et aussi décidé de mieux soutenir les initiatives locales pour encourager les emplois non délocalisables.

L’avenir de notre économie, si l’on souhaite qu’elle soit responsable et pérenne, passe par ces modèles qui doivent, eux aussi, évoluer afin de relever de façon positive les nouveaux défis qui se présentent. Cela passe principalement par une meilleure représentativité des différentes parties prenantes qui n’ont pas forcément les mêmes intérêts – salariés, bénévoles, associations, usagers ou encore collectivités –, comme c’est déjà le cas des sociétés coopératives d’intérêt collectif – SCIC –, dont le modèle a vu le jour en 2001 et qui comptent à ce jour plus de 25 000 sociétaires pour un chiffre d’affaires de 142 millions d’euros en 2014, ainsi que par une réponse aux besoins sociaux qui devra en permanence évoluer. (Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, du groupe socialiste, républicain et citoyen, et du groupe écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Dolez.

M. Marc Dolez. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je me contenterai de quelques mots sur cette proposition de loi, que notre groupe approuve et qui tend à modifier le plafonnement de la rémunération des parts sociales des sociétaires des coopératives. Un plafond est en effet en vigueur depuis la loi du 10 septembre 1947, limitant la rémunération des participations dans les coopératives puisqu’elle ne peut excéder le taux moyen de rendement des obligations des sociétés privées publié par le ministère de l’économie. Depuis 1947, le calcul de ce plafond a d’ailleurs été modifié à plusieurs reprises, en particulier ces dernières années.

Il est vrai que la situation actuelle n’est guère satisfaisante pour les coopératives car la faiblesse des taux d’intérêt des obligations affecte la rémunération des parts des sociétaires. La proposition de loi apporte une réponse que nous jugeons satisfaisante car celle améliorera les conditions de détention de participations dans les coopératives en rehaussant le plafond actuel de deux points. Il est en effet vital de consolider et de garantir la bonne santé de notre tissu coopératif. Il nous paraît également important d’encourager la pluralité des formes de propriété des entreprises. Le groupe GDR auquel j’appartiens avait déposé l’an dernier une proposition de loi qui visait à octroyer un droit de préemption aux salariés pour qu’ils puissent reprendre leur entreprise, notamment sous forme coopérative. Adoptée en commission, elle a été malheureusement rejetée en séance publique par la majorité. Nous le regrettons car le modèle économique coopératif présente bien des avantages. Les chiffres de la Confédération générale des SCOP montrent que le taux de pérennité à trois ans des entreprises du secteur coopératif est de 77 % contre 65 % pour l’ensemble des entreprises ; il en est de même à cinq ans, avec un taux de rentabilité identique, voire supérieur pour les coopératives.

Par-delà les chiffres, les coopératives sont aussi de formidables lieux d’éducation populaire, avec un modèle de gouvernance fondé sur le dialogue et la promotion de l’intérêt collectif. Les pratiques délibératives sont au cœur même du fonctionnement de l’entreprise coopérative, ce qui tranche fortement avec la prétendue démocratie actionnariale qui, elle, repose sur l’illusion de la généralisation de l’actionnariat.

Nous avons la conviction que c’est bien en accompagnant plus volontairement l’économie sociale que l’on parviendra à ce qu’elle ne soit plus vue comme un complément mais comme une puissante force d’attraction et de progrès partagé pour notre pays. C’est dans cet esprit et pour les raisons indiquées que les députés du Front de gauche voteront cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Yvonne Le Dain.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Chers collègues, oserai-je dire que c’est une belle journée ?

M. Marc Dolez. C’en est une !

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Nous travaillons de conserve sur un texte qui concerne l’économie sociale et solidaire. Cette notion accompagne la France depuis un peu plus d’un siècle : il s’agit de considérer que s’il y a certes le capital, il y a aussi le travail, la force des hommes et leur capacité à se rassembler, à s’organiser et à se mobiliser. Oserai-je rappeler que le mouvement coopératif est né dans mes deux pays, la Bretagne et le Languedoc, pour le lait et pour la viticulture ? Les forces productives travaillaient la terre et la puissance était à l’œuvre à travers le train, la SNCF, qui a permis de transporter des poids importants sur de longues distances sans trop de perte de qualité avant même que l’on puisse, comme aujourd’hui, réfrigérer, transformer et conserver.

La coopération a permis au peuple de s’émanciper et de construire son rapport au travail et au capital d’une manière intelligente. Nous sommes un des rares pays, le deuxième au monde, à avoir un système d’économie sociale et solidaire, un système de mutualisation fort dans tous les domaines. Je pense aux sociétés coopératives ouvrières de production, dont je crains qu’aujourd’hui nous ne serions plus en capacité intellectuelle, politique et internationale de les créer, mais nous les avons, sachons en profiter ! Je signale que dans ma région Languedoc-Roussillon, plus précisément à Montpellier, grâce à l’intelligence de Georges Frêche, nous avons créé la première pépinière dédiée à des entreprises de l’économie sociale et solidaire, que nous avons appelée Realis – un joli nom.

M. Marc Dolez. Bravo !

Mme Anne-Yvonne Le Dain. J’en ai été la vice-présidente chargée de l’économie. C’est à Georges Frêche qu’on doit d’avoir décidé de la créer, c’est-à-dire d’avoir agi.

Par conséquent, je suis d’autant plus fière de m’exprimer aujourd’hui ici sur ce sujet. Et aujourd’hui, nous agissons encore. Je veux remercier le groupe RRDP d’avoir déposé cette proposition de loi qui porte sur la manière dont les parts sociales sont rémunérées et qui vise à compenser le drame apparu dans le système capitalistique et financier qui a conduit aux accords de Bâle I, Bâle II, Bâle III, bientôt Bâle IV, imposant à toutes les entreprises, y compris aux coopératives, de provisionner des sommes absolument considérables, ce qui a mis en péril la rémunération des détenteurs des parts sociales. Les ratios sont dorénavant tout à fait étonnants, dans le système bancaire comme dans le système assurantiel.

La présente proposition de loi vise à fixer le plafond des intérêts pouvant être versés pour les parts sociales à la moyenne du TMO constaté au cours des trois années civiles précédentes, majorée de deux points. Il faut souligner que cette majoration pourra ne pas être approuvée par la coopérative et qu’il y aura donc liberté d’interprétation, ce qui rendra aux sociétaires un poids essentiel : ils pourront décider à bon droit en assemblée générale que ce taux reste inférieur à l’inflation et que les services bancaires ne seront donc pas facturés au-delà. Mais j’appelle l’attention sur le fait que ce texte ne le prévoit pas alors qu’il serait souhaitable que le comportement prudentiel ne soit pas uniquement financier mais tienne également compte de la réalité de ce que vivent les sociétaires – éventuellement nous en tant que clients de notre banque. À cet égard, j’ai en tête la publicité d’une société pour son secteur qui rappelle que le sociétaire n’est pas seulement un client mais aussi un partenaire et donc un décideur. Je tiens à dire aux sociétaires qu’il faut faire attention à ce que les frais bancaires n’augmentent pas plus vite que l’inflation, surtout lorsque la coopérative s’autorise à accroître la rémunération des parts sociales au niveau du TMO, majoré de deux points.

Le secteur coopératif est actif. Mes collègues ont à cet égard cité des chiffres, concernant notamment le monde agricole. Mais il y aussi le secteur de la distribution : nombre de sociétés, y compris certaines grandes surfaces, sont des coopératives. J’ai par ailleurs en tête la création de la Mutuelle des motards à Montpellier : tout le monde la connaît désormais, mais à l’époque il s’agissait tout simplement d’une initiative de gens qui ne trouvaient ni dans le privé ni dans le système coopératif de réponse à leurs besoins spécifiques.

Le système de l’économie sociale et solidaire est dynamique, puissant et inventif. Nous allons aujourd’hui lui donner les moyens de rémunérer ceux qui ont eu le courage de s’y engager et qui y ont réussi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, et du groupe écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Gilles Lurton.

M. Gilles Lurton. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le vice-président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste a souhaité inscrire dans sa journée d’initiative parlementaire une proposition de loi relative à la rémunération du capital des sociétés coopératives. Au nom du groupe Les Républicains, je me réjouis de l’opportunité qui nous est donnée d’adopter un texte attendu par le mouvement coopératif et qui devrait nous réunir sur tous les bancs si nous en jugeons l’unanimité qui a prévalu en commission des lois la semaine dernière.

Au premier abord, cette proposition de loi peut paraître uniquement technique. Elle prévoit que tous les membres d’une coopérative se voient attribuer des parts sociales dès lors qu’ils sont supposés participer au fonctionnement et à la gouvernance de la coopérative.

Ces parts sociales sont rémunérées dans des conditions définies par la loi de 1947 portant statut de la coopération, qui a mis en place un plafond fixé au regard du taux moyen de rendement des obligations des sociétés privées. Or les auteurs de la proposition de loi, au premier rang desquels notre collègue rapporteur, Joël Giraud, font le constat suivant – je cite l’exposé des motifs – : « Avec l’environnement des taux bas, l’intérêt versé aux " parts sociales " des sociétés coopératives a notoirement baissé au cours des deux dernières années ».

Ainsi, cette méthode de calcul pose désormais question dans la mesure où le TMO ne cesse de décroître et ne permet plus de rémunérer les parts sociales qu’à un maximum par exemple de 1,89 % au titre de l’année 2014. Cette tendance doit encore se renforcer en 2015, du fait de la chute des taux d’intérêt des emprunts d’État, avec un TMO qui est passé nettement sous la barre des 1 %, s’établissant à 0,91 %.

La proposition de loi du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste prévoit en conséquence de modifier le plafond prévu par la loi de 1947, en prenant comme référence les taux moyens de rendement des obligations des sociétés privées au cours des trois années civiles précédant la date de leur assemblée générale, avec une majoration de deux points.

L’aspect technique de la rédaction de la proposition de loi ne doit cependant pas masquer les conséquences pratiques de ce texte : il s’agit tout simplement de rendre plus attractif le modèle coopératif, en permettant une meilleure rémunération des parts sociales des sociétaires. Cette idée, nous l’avons déjà exprimée au moment de l’examen du projet de loi de finances rectificative pour 2015. En effet, à cette occasion, les sénateurs avaient introduit un article reprenant exactement les termes de la présente proposition de loi. L’Assemblée nationale n’avait pas remis en cause cet article.

Le Gouvernement, par la voix du secrétaire d’État au budget, Christian Eckert, et l’Assemblée nationale par celle de Gilles Carrez, président de la commission des finances, ou encore Charles de Courson, avaient clairement affiché leur soutien à cet article. Certes, lors des débats, la question de sa constitutionnalité s’était posée mais les parlementaires avaient accepté de prendre ce risque. Dans sa décision du 29 décembre 2015, le Conseil constitutionnel a malheureusement censuré cet article considérant qu’il était un cavalier budgétaire, puisqu’il ne rentrait pas dans le champ d’application d’une loi de finances.

Il fallait donc une loi ordinaire pour introduire cette disposition. C’est ce qui explique le sujet sur lequel nous travaillons aujourd’hui. Le mouvement coopératif est l’un des maillons essentiels de l’économie sociale et solidaire dans notre pays, puisque la France est le deuxième pays le plus coopératif au monde. Je reprendrai, monsieur le rapporteur, les chiffres indiqués dans votre rapport, qui permettent de mesurer l’ampleur du mouvement : 22 500 entreprises coopératives, qui interviennent dans tous les secteurs d’activité et notamment les banques de détail, l’agroalimentaire et le commerce de détail ; 1,2 million de salariés ; 26 millions de sociétaires et 307 milliards de chiffres d’affaires. Ce mouvement est en pleine expansion puisqu’entre 2008 et 2014, l’emploi salarié a augmenté de 0,9 % et le chiffre d’affaires de 15 %. Au-delà des chiffres, le mouvement coopératif permet de maintenir l’attractivité des territoires, puisque 73 % des plus grandes coopératives ont leur siège en dehors de la région parisienne.

En tant qu’élu breton, je peux témoigner de l’importance de ce mouvement et du rôle prépondérant des coopératives. Elles sont devenues des acteurs structurants de nos territoires, de l’économie agricole et agroalimentaire. C’est un phénomène qui n’est pas nouveau pour la Bretagne. En 1960, pour la première fois, l’effectif de la population urbaine de cette région a dépassé en nombre celui des campagnes. La Bretagne rurale a alors changé de visage : les agriculteurs se sont restructurés et se sont tournés vers des cultures maraîchères comme l’artichaut ou le chou-fleur et vers l’élevage. Les coopératives sont alors devenues de grandes puissances économiques et l’un des outils majeurs de cette restructuration. Aujourd’hui, elles représentent en Bretagne un chiffre d’affaires de 29 milliards d’euros, 70 000 salariés et 205 sites industriels.

Ces coopératives, qu’elles soient bretonnes ou nationales, ne se sentent pas toujours soutenues par les pouvoirs publics et sont souvent traitées de manière inéquitable. Cela a été le cas avec la loi sur la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, qui a privé les coopératives de la mesure de suramortissement qu’elle créait pour toutes les autres entreprises, au motif que les coopératives bénéficient déjà d’un régime fiscal spécifique. De même, à ce jour, les coopératives ne peuvent toujours pas bénéficier du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, alors que la loi de finances rectificative pour 2012 le prévoyait très clairement. Toutes ces dispositions ont pour effet de fragiliser les coopératives, de les appauvrir et de les priver de moyens.

Alors que notre pays traverse une grave crise en termes d’emplois, il est important que nous nous retrouvions pour encourager des secteurs économiques qui fonctionnent et des initiatives utiles.

M. Joël Giraud, rapporteur. Absolument !

M. Gilles Lurton. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, avec quelques-uns de mes collègues du groupe Les Républicains, j’ai voté sans hésiter la loi relative à l’économie sociale et solidaire. C’est aussi la raison pour laquelle j’ai approuvé la proposition de loi d’expérimentation territoriale visant à faire disparaître le chômage de longue durée, présentée par Laurent Grandguillaume. Je suis de ceux qui pensent qu’il nous faut soutenir le mouvement coopératif. C’est dans le même esprit et avec la même volonté de soutenir les acteurs économiques, que le groupe Les Républicains votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme la présidente. La parole est à M. Yannick Favennec.

M. Yannick Favennec. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le vice-président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, cher Joël, mes chers collègues, la France est le deuxième pays le plus coopératif au monde, grâce au fort développement des sociétés coopératives dans notre pays depuis le début du XXsiècle et au lendemain de la Seconde guerre mondiale. Leur poids socio-économique est important, puisqu’elles sont présentes dans tous les secteurs d’activité, qu’il s’agisse de l’artisanat, du commerce, de la culture, de l’éducation, de l’industrie, des services, des transports ou encore de la pêche. En particulier, les sociétés coopératives occupent une place déterminante dans le commerce de détail, l’agroalimentaire et, en premier lieu, dans les banques de détail, à hauteur de 60 %.

Ainsi, 22 500 entreprises coopératives et filiales étaient recensées en 2012. Elles étaient composées de 26 millions de sociétaires et employaient 1,2 million de salariés, soit 5 % de l’emploi salarié. Il est important de souligner que, dans le contexte économique atone que connaît notre pays, et contrairement à la plupart des autres secteurs, celui des entreprises coopératives a connu un développement particulièrement soutenu ces dernières années. L’emploi salarié de ces entreprises a ainsi augmenté de 0,9 % entre 2008 et 2014, tandis que leur chiffre d’affaires a crû de 15 %, pour atteindre 307 milliards d’euros.

Par ailleurs, les entreprises coopératives permettent de renforcer le maillage économique et de sauvegarder les bassins d’emploi des territoires. À titre d’exemple, soixante-treize des cent plus grandes coopératives avaient établi leur siège social en dehors de la région parisienne en 2014.

Il est donc évident que le dynamisme de ce secteur doit être soutenu et son développement encouragé, en particulier à l’heure où le chômage ne cesse d’augmenter. Or la rémunération des parts de sociétés coopératives connaît une forte baisse depuis 2007. Actuellement, l’article 14 de la loi du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération prévoit que « les coopératives ne peuvent servir à leur capital qu’un intérêt dont le taux est au plus égal au taux moyen de rendement des obligations des sociétés privées publié par le ministre chargé de l’économie ». La fixation de ce plafond vise à éviter une distribution de résultats excessive, pour protéger les réserves de la coopérative. Toutefois, compte tenu des taux d’intérêt actuels très bas, en particulier pour les obligations d’État, l’intérêt versé aux parts sociales a baissé au cours des deux dernières années, pour atteindre 0,96 % seulement au premier semestre 2015, alors qu’il était de plus de 4 % il y a dix ans.

Cette disposition nuit donc à l’attractivité et au financement des coopératives. En effet, la rémunération nette des parts sociales étant moins attractive que celle d’autres types de placement, les sociétaires sont incités à arbitrer en faveur de produits de placement plus rémunérateurs. C’est pourquoi il est nécessaire de modifier les modalités du plafonnement de la rémunération des parts sociales.

Dans cet objectif, nos collègues du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste proposent que la rémunération des parts sociales ne puisse excéder la moyenne des taux moyens de rendement des obligations des sociétés privées des trois dernières années civiles précédant la date de l’assemblée générale de la coopérative, majorée de deux points. Cette règle permettrait de prévenir une volatilité excessive, de façon que, lorsque les taux d’intérêt deviennent très bas, une prime de risque suffisante puisse être versée aux apporteurs de capitaux des coopératives.

Une telle mesure renforcerait ainsi de manière significative le modèle économique des coopératives et de l’ensemble de l’économie sociale et solidaire, auquel les députés du groupe de l’Union des démocrates et indépendants sont particulièrement attachés. Notre groupe tient ainsi à saluer l’esprit consensuel qui a prévalu sur ce sujet important, pour aboutir aujourd’hui, nous l’espérons, à l’adoption de cette proposition de loi.

En effet, ce sujet a d’ores et déjà fait l’unanimité lors de la discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2015,…

Mme Valérie Rabault. Il n’a pas fait l’unanimité !

M. Yannick Favennec. …puisqu’un amendement en ce sens avait été adopté à l’initiative des sénateurs, puis soutenu par l’Assemblée nationale.

Le Gouvernement, par la voix du secrétaire d’État au budget, avait à cette occasion indiqué y être favorable. Toutefois, cette disposition avait été censurée par le Conseil constitutionnel, en dépit de son intérêt sur le fond, au motif qu’il s’agissait d’un cavalier budgétaire. Pour corriger en partie les effets de cette censure, le Gouvernement a pris un décret le 8 février 2016 fixant le plafond des intérêts pouvant être servis par les coopératives à la moyenne du taux moyen de rendement des obligations des sociétés privées des trois années précédentes. Si la réaction rapide du Gouvernement permettra d’appliquer dès 2016 des taux d’intérêt supérieurs à ceux qui auraient résulté de l’application des règles en vigueur, elle doit toutefois être complétée par l’adoption de dispositions législatives.

La proposition de loi de nos collègues du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, qui vise à réintroduire la disposition censurée dans la loi, a été adoptée à l’unanimité par la commission des lois. Je tiens à souligner que les objectifs poursuivis par cette proposition de loi nous paraissent tout particulièrement intéressants au regard de la crise que connaît actuellement 1’agriculture française. En effet, trois agriculteurs sur quatre sont sociétaires, et le secteur agricole compte près de 15 000 entreprises coopératives, pour 160 000 salariés. Les coopératives agricoles sont celles qui génèrent un des chiffres d’affaires les plus importants, à hauteur de près de 85 milliards d’euros. Dans ce contexte, il nous semble essentiel de soutenir les sociétés coopératives, en particulier agricoles.

Mais si la proposition de loi répond à cette exigence, il nous faut aller encore plus loin. C’est pourquoi le groupe UDI avait souligné, lors de la suppression de la TVA compétitivité, à quel point cette suppression serait défavorable au monde agricole. Depuis la création du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, nous n’avons cessé de demander que ce dispositif s’applique aux coopératives agricoles, qui en sont actuellement exclues, afin de leur redonner de la compétitivité. Nous ne pouvons pas accepter qu’en 2016, le secteur de la grande distribution, qui n’est pas soumis à la même concurrence européenne et mondiale que les coopératives françaises, soit éligible à cet outil, alors que les coopératives ne le sont pas.

Mes chers collègues, les députés du groupe UDI voteront naturellement en faveur de cette proposition de loi, qui représente un pas important pour l’attractivité des sociétés coopératives. Nous considérons toutefois qu’il demeure indispensable de veiller à ce que l’économie coopérative conserve sa philosophie initiale, dont l’objectif n’est pas l’enrichissement personnel, mais la mise en commun d’un capital dont l’utilisation est bénéfique à l’ensemble de la communauté. (Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Paul Molac, dernier orateur inscrit.

M. Paul Molac. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le vice-président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, cette proposition de loi de nos excellents collègues du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, portée par un non moins excellent collègue dont on sait qu’il prend aisément de l’altitude pour dominer les problèmes et voir loin (Sourires), comporte un article unique visant à modifier la loi du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération, afin de modifier les conditions de rémunération des parts sociales des coopératives.

Actuellement cette rémunération ne peut excéder le taux moyen de rendement des obligations des sociétés privées, publié par le ministère de l’économie et assis sur les rendements des emprunts d’État à long terme. Or, dans un contexte durable de taux d’intérêt peu élevés, et sachant que la rémunération des parts sociales est soumise aux prélèvements sociaux, puis, à hauteur de 60 % de son montant, à l’impôt sur le revenu, le taux de rémunération réel est extrêmement faible, voire proche de zéro.

Les coopératives ne pouvaient servir à leur capital qu’un intérêt dont le taux était, au plus, égal à la moyenne du taux moyen de rendement des obligations du secteur privé, bref, une rémunération particulièrement faible.

Dans le projet de loi de finances rectificative, nous avions proposé une solution qui a été censurée par le Conseil constitutionnel. Le Gouvernement a donc pris ses responsabilités. Il faut maintenant que le Parlement reprenne les siennes, en quelque sorte. Il est proposé de porter le taux maximum de rémunération à 1,81 %. Cette rémunération, dont vous conviendrez qu’elle est loin d’être mirifique, se trouve en concurrence avec celle d’autres produits comme le livret A ou le livret d’épargne populaire, dont les rendements sont relativement faibles mais qui pourraient se révéler plus intéressants.

Il s’agit donc par ce texte de répondre à une préoccupation des coopératives qui veulent éviter que leurs sociétaires ne se détournent d’elles.

Il est à noter que le taux proposé est loin de faire des parts sociales un placement financier avantageux ou spéculatif. Il s’agit plutôt de faire en sorte qu’un taux de rémunération bien inférieur à celui de l’inflation n’agisse comme un repoussoir. Pour mémoire, l’inflation en France n’a cessé de diminuer puisque, de 2,1 % en 2011, elle devrait être proche de zéro en 2015. Par ailleurs, les taux directeurs de la BCE n’ont pas, eux non plus, cessé de baisser – ils sont aujourd’hui proches de zéro, voire parfois négatifs. La rémunération servie par les coopératives étant assise sur ces taux, elle ne peut augmenter.

Il convient donc, en adoptant cette proposition de loi, d’y remédier un tant soit peu et de rendre les coopératives plus attractives.

Le texte proposé par Joël Giraud au nom du groupe RRDP s’inscrit dans l’esprit de la loi relative à l’économie sociale et solidaire défendue par Benoît Hamon et adoptée durant l’été 2014. Celle-ci visait à reconnaître la place de l’économie sociale et solidaire, qui représente environ 10 % du PIB et regroupe 10 % des salariés, en lui donnant les outils nécessaires, en particulier un cadre juridique adéquat, pour consolider son développement.

Sur le volet financement, elle prévoyait que les entreprises de l’économie sociale et solidaire puissent accéder plus facilement aux financements de la Banque publique d’investissement – BPI ; que l’agrément « entreprise solidaire » devienne un agrément « entreprise solidaire d’utilité sociale » afin d’élargir le secteur à des entreprises commerciales respectant les valeurs de l’économie sociale et solidaire ; que le titre associatif, instrument de financement des associations, soit modernisé tandis qu’un nouvel outil, le titre fondatif, serait créé afin de renforcer leurs fonds propres.

Le Gouvernement propose un amendement qui fait débat et dont nous parlerons tout à l’heure avec notre collègue Valérie Rabault – dont nous saurons alors si son propre amendement est soutenu par le Gouvernement –, amendement qui vise à renforcer l’encadrement commercial des parts sociales, en particulier dans le secteur bancaire. Cet amendement me semble positif et je le soutiendrai.

L’esprit de cette proposition de loi en faveur des entreprises coopératives doit être salué car le potentiel de développement de ces dernières est très important.

Tous les orateurs qui m’ont précédé, aussi bien Mmes Dubié et Le Dain que MM. Dolez, Lurton et Favennec, ont tous souligné l’importance de la coopération, en particulier dans l’agriculture. L’ancien agriculteur que je suis le sait bien et les exemples de Triskalia ou de la coopérative, plus connue, de Limagrain dans le Sud-Ouest me sont familiers.

Mais nous allons plus loin. Ont été évoqués tout à l’heure les motards qui ne trouvaient pas à s’assurer. Sachez, chère Anne-Yvonne Le Dain, que les assurances mutuelles agricoles ont été créés par les agriculteurs au sortir de la guerre pour la simple raison qu’ils avaient besoin d’une assurance pour leur cheval – on n’en était pas encore au tracteur. Personne ne voulant assurer les chevaux, ils ont créé leur propre assurance, en particulier dans la région bretonne bien connue du Léon.

Notre tissu industriel et surtout notre tissu agricole ne seraient pas ce qu’ils sont sans les coopératives, dont a été rappelée l’excellence sur le plan social. Les coopératives offrent en effet la possibilité d’être salarié tout en étant son propre employeur par le biais de la détention de parts sociales. C’est une vieille idée, peut-être même un mythe. Je pense à la célèbre maxime de Proudhon : « La propriété, c’est le vol ! ». Sauf peut-être si l’on est propriétaire de son outil de travail, aurais-je envie de dire !

Je voterai naturellement avec enthousiasme cette proposition de loi, monsieur le rapporteur. Vous pouvez compter sur notre appui et sur le mien en particulier. (Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Joël Giraud, rapporteur. Je voulais remercier Mme la secrétaire d’État ainsi que l’ensemble des représentants des groupes qui se sont exprimés ce matin. J’ai toujours cru que le consensus était une vertu en politique, malheureusement ce n’est pas toujours le cas.

Vous avez tous souligné des points très importants. Au-delà du caractère très technique de ce texte, il s’agit de renforcer le secteur coopératif. Vous avez d’ailleurs été nombreux à vous féliciter de l’implantation du secteur coopératif dans votre territoire.

En tant que député des Hautes-Alpes, et en présence de l’autre députée de ce département…

Mme Karine Berger. Je vous remercie !

M. Joël Giraud, rapporteur. … je ne peux m’empêcher de rappeler que si nous habitons un département d’altitude, où certes l’oxygène se raréfie – je n’ai que kilomètres à parcourir pour atteindre des sommets de plus de 4 000 mètres ! –, c’est aussi le département français où l’on compte la plus forte proportion d’emplois issus de l’économie sociale et solidaire. Nous savons donc ce qu’apporte très concrètement le secteur coopératif dans des territoires fragiles. Offrant un mode de gouvernance partagée, c’est aussi un secteur clé pour l’économie de territoires fragilisés du fait de leur enclavement ou d’autres éléments naturels. Je tenais à le souligner tout en remerciant l’ensemble des groupes pour le soutien qu’ils apportent à ce texte.

Discussion des articles

Mme la présidente. J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, l’article unique de la proposition de loi.

Article unique

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Krabal, inscrit sur l’article.

M. Jacques Krabal. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, cher Joël Giraud, mes chers collègues, après l’adoption de la proposition de loi portant réforme de la prescription en matière pénale, avant le vote de la présente proposition de loi et l’examen, tout à l’heure, de celle relative à la prolongation de la période légale d’interdiction de rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur pour les femmes à l’issue de leurs congés liés à la grossesse et à la maternité, dont j’espère qu’elle sera votée, je voudrais saluer la qualité des propositions faites par mes collègues et l’esprit de consensus qui prévaut ce matin dans cet hémicycle. Cela sent bon, à un moment où l’on peut douter de l’action politique, même si les textes en question ne bouleverseront certainement pas les problématiques auxquelles nous sommes confrontés. Je voulais donc remercier toutes celles et tous ceux qui contribuent, par leur volontarisme, à faire avancer la cause politique.

J’en reviens au présent texte. Pourquoi est-il nécessaire de revaloriser le capital des sociétés coopératives ? Cela a été dit : parce que nous assistons depuis 2007 à la diminution des taux indexés, qui atteignent en 2015 un niveau très bas. L’attractivité des parts sociales des coopératives apparaît limitée et volatile, au risque de voir les sociétaires se détourner de ce type de placement et de fragiliser le modèle économique du secteur. Au-delà des aspects techniques et financiers, il convient de restaurer l’attrait des parts sociales. C’est un acte à la fois politique et économique.

Au-delà des incidences pour les banques coopératives, dont nous avons pris en compte les enjeux économiques, je veux ici rappeler, comme l’ont fait d’autres avant moi, le rôle prépondérant que jouent les coopératives dans les secteurs agricole et viticole. N’oublions pas que dans ces secteurs, c’est historiquement toujours la coopérative qui y est apparue comme une solution lorsqu’il s’est agi de survivre à une crise. En effet, c’est la coopération à laquelle on a fait appel lorsqu’il a fallu reconstruire l’agriculture après-guerre ou faire face aux terribles crises viticoles de la fin du XIXsiècle.

En ces périodes de crise, de chômage de masse, de doute, il est particulièrement important de renforcer le modèle coopératif. Il le faut car, au-delà des chiffres qui ont été rappelés tout à l’heure concernant l’emploi, les coopératives font vivre notre ruralité, nous ne le dirons jamais assez. Dans un contexte d’instabilité et de concurrence exacerbée qui nous confronte trop souvent aux résultats catastrophiques, à court terme, du capitalisme, les structures coopératives, avec un réseau fondé sur la solidarité et des activités qui ne sont pas délocalisables, présentent l’immense avantage de garantir une gestion pérenne et à long terme. J’ajoute que ce secteur ne connaît pas de problèmes de transmission, ce qui n’est pas forcément le cas des entreprises relevant d’autres statuts. Autant de raisons, en cette période de crise, de renforcer par tous les moyens le modèle coopératif.

Je soutiens les propositions qui ont été faites. Il faut aller encore plus loin parce que les coopératives sont un vecteur de progrès économique et social. C’est pourquoi je tenais à remercier mes collègues. (Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

Mme la présidente. Nous en venons aux amendements à l’article unique.

La parole est à Mme Valérie Rabault, pour soutenir l’amendement n1 rectifié.

Mme Valérie Rabault. Je voudrais à mon tour remercier notre collègue Joël Giraud qui, avec cette proposition de loi, défend les coopératives. Ardent défenseur de l’économie sociale et solidaire, il a su aller au-delà des dispositions qui avaient été adoptées en décembre dernier dans le cadre de la loi de finances.

J’ai déposé cet amendement à la suite d’un épisode que j’ai trouvé assez malheureux pour la démocratie au sein de notre assemblée. Le 14 décembre dernier, j’ai reçu à vingt-trois heures un texto du président du groupe BPCE me disant : « L’amendement que vous avez déposé tombe donc très mal ». Il s’agissait de l’amendement de suppression, en nouvelle lecture, de l’article 16 quaterdecies du projet de loi de finances rectificative, que j’avais déposé pour des raisons juridiques, et je suis ravie que le Conseil constitutionnel m’ait donné raison sur ce point. Cet épisode est éloquent. Nous ne pouvons, nous, députés, répondre ainsi à des injonctions de lobbies qui défendent des intérêts privés !

M. Marc Dolez. Excellent !

M. Sergio Coronado. Très bien !

Mme Valérie Rabault. Je peux montrer mon téléphone à ceux qui le souhaitent. Vous pourrez y vérifier le contenu de ce texto, dans lequel il est également écrit que la disposition que mon amendement proposait de supprimer était « discutée depuis neuf mois avec le Gouvernement », ce qui traduit une certaine impatience quant à son vote.

Je salue sincèrement la proposition de Joël Giraud. Il est important en effet de défendre l’économie sociale et solidaire, de défendre les coopératives et de prévoir une rémunération suffisante des parts sociales.

Mes chers collègues, 2017, qui sera une année importante à divers titres, nous le savons, sera aussi celle des soixante-dix ans de la loi de 1947. Si cette loi a vécu soixante-dix ans sans subir quasiment la moindre modification, cela signifie certainement que ses dispositions donnaient satisfaction à tous.

Aujourd’hui, on voudrait augmenter la rémunération des parts sociales sans conditions : l’amendement que je propose vise, uniquement pour le secteur bancaire – j’en exclus les coopératives agricoles, que vous avez tous citées – à faire en sorte que la majoration de 2 % ne puisse s’appliquer qu’à la condition que les tarifs bancaires – au rang desquels celui de la carte bleue ou des chèques de banque – n’augmentent pas plus vite que l’inflation. Il s’agit de protéger le pouvoir d’achat de l’ensemble des Français.

Je me permets de m’appuyer sur une note mise en ligne sur son site par la Fédération française bancaire en date du 4 janvier 2016 et indiquant que « les prix des services bancaires sont stables et évoluent moins vite que l’inflation ».

Mon amendement n’est en rien contraire à l’esprit de la proposition de loi de M. Giraud, puisqu’il est d’ores et déjà prévu que l’évolution du tarif des services bancaires soit alignée sur l’inflation. Son adoption ne dénaturerait donc pas la proposition de loi ; il s’agit simplement de mettre en place un parapluie, une protection, pour que les banques ne tentent pas de faire augmenter le tarif de leurs services beaucoup plus vite que l’inflation.

Cela nous permettrait d’atteindre deux objectifs : protéger le pouvoir d’achat des Français et favoriser une juste rémunération des parts sociales des entreprises du secteur mutualiste, des coopératives dans leur ensemble, sans répondre aux injonctions des lobbies.

Mme Karine Berger. Très bien !

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Joël Giraud, rapporteur. Avant de donner l’avis de la commission, je voudrais dire à Mme Rabault que pour ma part, je n’ai pas reçu de texto, sans doute parce que l’on sait qu’en raison de mes anciennes fonctions, mes relations avec l’expéditeur du message pourraient se dégrader. Je condamne, bien évidemment, de telles pratiques.

Vous avez dit, madame Rabault, que depuis soixante-dix ans, le référentiel pour la rémunération des parts sociales n’a pas changé. Ce n’est pas tout à fait vrai : il a été modifié trois fois. Certes, le texte de la loi du 10 septembre 1947 est resté à bien des égards immuable, mais le référentiel a changé trois fois : il a évolué pour rester adapté au marché.

J’indique tout d’abord que la commission des lois a repoussé votre amendement. Comme je l’ai dit lors de ma présentation liminaire, il tend à réserver le bénéfice de la majoration prévue par cette proposition de loi aux seules banques coopératives qui n’augmenteraient pas leurs frais bancaires au-delà de l’inflation. Cela revient, de facto, à exiger le gel de ces frais, puisque l’inflation a été nulle en 2015. Votre amendement vise ainsi à éviter que des établissements bancaires ne soient tentés d’utiliser cette nouvelle marge de manœuvre pour augmenter leur attractivité, et ce au détriment de leurs clients.

Je peux comprendre votre inquiétude mais il me semble que dans le cas d’espèce, ce risque n’est pas avéré. Tout d’abord, le montant moyen des parts sociales et le niveau actuel du TMO sont trop faibles pour que la rémunération des parts sociales connaisse une dérive, cela a été dit tout à l’heure. Ensuite, l’objectif de ce texte est avant tout de mettre fin à une aberration économique : le chiffre d’affaires du secteur coopératif augmente de manière continue depuis des années, alors que la rémunération des parts sociales s’est effondrée sur la même période.

Le problème que vous soulevez n’en demeure pas moins important, notamment dans le contexte actuel d’augmentation des tarifs bancaires, et il faut en effet inciter les banques à adopter un comportement responsable. Bien que je partage votre préoccupation, je souhaite le retrait de votre amendement, eu égard aux nombreuses difficultés que présente l’insertion de ce dispositif dans cette proposition de loi. Vu les difficultés du secteur coopératif, il vaut mieux en effet que ce texte soit adopté dans de bonnes conditions, afin qu’il le soit aussi par le Sénat, et qu’il soit appliqué le plus rapidement et le plus efficacement possible.

Je note tout de même votre appel au Gouvernement, madame la rapporteure générale. Le projet de loi dit « Sapin 2 » permettra peut-être de mieux surveiller l’activité des établissements bancaires, objectif qui me semble tout à fait louable. Quoi qu’il en soit, je demande le retrait de cet amendement. À défaut, je le regrette, l’avis sera défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Martine Pinville, secrétaire d’État. Madame la rapporteure générale, votre amendement risquerait de rendre inopérante la réforme contenue dans cette proposition de loi, qui a été – je le répète – adoptée à l’unanimité par la commission des lois. Il poserait, plus précisément, deux problèmes.

Il s’agit premièrement d’un problème d’opportunité. Cet amendement touche à des problématiques très différentes : le financement des banques coopératives et mutualistes par leurs sociétaires, la stabilité de leur capital, n’ont a priori pas de lien direct avec la question de l’évolution des tarifs bancaires, qui concerne tous les établissements de crédit, et sur laquelle le Gouvernement a déjà pris des mesures. De plus, votre amendement conduirait à traiter de manière différente les banques mutualistes et coopératives, d’une part, et les banques capitalistiques classiques, d’autre part, puisque le dispositif de conditionnalité vaudrait uniquement pour les premières, et non pour les secondes.

Un deuxième problème, plus pratique, se pose, pour faire respecter de manière opérationnelle la condition que vous envisagez. Tout d’abord, en effet, les frais bancaires n’ont pas le même périmètre dans toutes les banques. Ensuite, votre amendement fait référence à « l’année en cours ». Or, la rémunération des parts sociales doit être fixée par les assemblées générales au premier semestre. Elle ne peut donc pas dépendre des évolutions tarifaires de l’année en cours.

Enfin, de manière plus générale, je rappelle que l’objectif de la réforme proposée est d’opérer une correction nécessaire et légitime de la rémunération des parts sociales qui constituent le capital des sociétés coopératives, afin de maintenir leur attractivité. Je rappelle également que le dispositif de plafonnement envisagé par ce texte ne porte que sur le niveau de rémunération potentiel ; le niveau de rémunération effectif restera décidé par les assemblées générales des coopératives.

M. Joël Giraud, rapporteur. Absolument !

Mme Martine Pinville, secrétaire d’État. Au demeurant, les parts sociales sont proposées aux sociétaires des banques coopératives ; elles ne constituent pas des financements levés sur le marché, comme les actions.

C’est pourquoi, madame la rapporteure générale, le Gouvernement vous invite à retirer votre amendement ; dans le cas contraire, nous inviterions l’Assemblée à ne pas l’adopter.

Mme la présidente. La parole est à M. Gilles Lurton.

M. Gilles Lurton. Moi non plus je n’ai pas reçu de texto ! Je suis néanmoins étonné par cet amendement qui vient tout juste d’être déposé et n’a donc pas été examiné au fond par la commission des lois mercredi dernier.

Mme Valérie Rabault. Il a été déposé dans les délais !

M. Gilles Lurton. Cet amendement n1 rectifié de Mme Rabault ne concerne que le secteur bancaire coopératif, et pas l’ensemble du mouvement coopératif – je remarque que c’est aussi le cas de l’amendement n2 rectifié du Gouvernement. Or la proposition de loi concerne l’ensemble du mouvement coopératif.

Le présent amendement subordonne la possibilité pour un établissement de majorer de 2 % la rémunération servie aux détenteurs de parts sociales à ce que l’augmentation annuelle des tarifs de ses services bancaires ne dépasse pas l’inflation hors produits du tabac. Je crains que cela ne réponde pas aux attentes des banques mutualistes et coopératives ; je pense même qu’elles y sont totalement opposées.

Cette proposition de loi est destinée à renforcer l’attractivité du modèle coopératif français, dont j’ai dit lors de la discussion générale qu’il est une importante source de vitalité pour notre économie. Or cet amendement est doublement discriminatoire : s’il était adopté, les banques coopératives seraient les seules à voir les modalités de rémunération de leurs titres de capital conditionnées à des contraintes d’activité, ce qui n’est pas le cas pour les banques capitalistiques. Elles seraient ainsi les seules coopératives à voir le bénéfice de cette mesure générale conditionné à des contraintes d’activité.

Mme la présidente. La parole est à Mme Valérie Rabault.

Mme Valérie Rabault. Je maintiens cet amendement, car je ne suis d’accord avec aucun des arguments avancés par Mme la secrétaire d’État. Les sociétaires des coopératives n’encourent aucun risque de valeur : s’ils veulent céder une part, ils sont certains de pouvoir la céder à son prix d’achat. À l’inverse, comme vous l’avez dit, madame la secrétaire d’État, le prix des actions des sociétés capitalistiques peut fluctuer fortement. Le paiement de dividendes est donc associé à un risque : ce n’est pas du tout le même système.

Vous dites qu’il ne s’agit que d’une possibilité et qu’il ne faut pas l’assortir d’une condition. Pour ma part, puisque cette proposition de loi change l’esprit de la loi de 1947 – en tout cas, elle modifie le référentiel, dont je vous concède, monsieur le rapporteur, qu’il a quelque peu évolué depuis l’origine –, je considère que nous sommes fondés à conditionner l’avantage qu’elle vise à instituer. Ce n’est pas la première fois que je défends une telle position. D’une manière générale, lorsque le législateur institue des avantages au bénéfice des agents économiques, je suis d’avis de les soumettre à des conditions, afin de ne pas signer un chèque en blanc.

Voilà pourquoi j’ai déposé cet amendement et pourquoi je le maintiens.

(L’amendement n1 rectifié n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État, pour soutenir l’amendement n2 rectifié.

Mme Martine Pinville, secrétaire d’État. Le Gouvernement propose de compléter la proposition de loi par cet amendement, qui vise à encadrer les modalités de commercialisation des parts sociales. Plus précisément, il tend à compléter l’article L. 512-1 du code monétaire et financier, relatif aux parts sociales des banques mutualistes et coopératives. Je signale que les coopératives bancaires sont les seules concernées par la commercialisation à grande échelle de parts sociales auprès de leurs sociétaires.

Concrètement, nous partageons les objectifs des banques coopératives et mutualistes, qui souhaitent développer le sociétariat à grande échelle en proposant à leurs clients d’acquérir des parts sociales, mais nous souhaitons apporter toutes les garanties nécessaires aux souscripteurs potentiels. L’objectif est donc de s’assurer que tous bénéficient d’une bonne information quant à la nature des risques associés à la détention de parts sociales, et de conseils de la part des banques. Nous souhaitons ainsi que les produits proposés soient bien adaptés à la situation financière personnelle des souscripteurs et à leurs objectifs d’investissement.

Je rappelle que les parts sociales sont un titre de capital pour les banques coopératives et mutualistes ; elles ne présentent pas de risque de marché puisque leur valeur ne fluctue pas, à la différence des actions – vous l’avez dit tout à l’heure, madame la rapporteure générale. Leurs détenteurs sont malgré tout exposés à un risque financier, notamment en cas de procédure de liquidation ou de résolution d’un établissement en difficulté dans le contexte d’une crise bancaire.

Les parts sociales sont par ailleurs des produits financiers faiblement liquides, puisque leur cession est très encadrée. Nous proposons donc de préciser les obligations des établissements qui commercialisent les parts sociales, en s’inspirant des dispositifs en vigueur pour d’autres types de produits, par exemple les titres financiers comme les actions et obligations, ou les certificats mutualistes dans le domaine des assurances mutualistes.

L’application de ces dispositions sera contrôlée par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, le régulateur national placé auprès de la Banque de France. Les banques mutualistes et coopératives ont été informées de ce projet qui confortera les mesures qu’elles ont d’ores et déjà prises pour conseiller leurs clients de façon adéquate. Cet amendement permettra donc de renforcer l’encadrement de la commercialisation des parts sociales en renforçant les obligations d’information et de conseil, au bénéfice des sociétaires des banques mutualistes.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Joël Giraud, rapporteur. Je me suis déjà exprimé tout à l’heure à propos de cet amendement. Comme l’a dit Mme la secrétaire d’État, il s’agit d’inscrire dans la loi les règles encadrant la commercialisation des parts sociales des banques coopératives et mutualistes. Ces règles sont d’ores et déjà appliquées par les banques concernées : quand on est sociétaire d’une banque de ce type, on reçoit en général un petit livret tout à fait explicite à ce sujet. En ce sens, cet amendement pourrait paraître superfétatoire.

Néanmoins, le fait d’inscrire ces dispositions dans la loi permettra à l’ACPR de contrôler leur respect. Ce filet de sécurité permettra de protéger les sociétaires contre d’éventuelles dérives. J’y suis donc favorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Gilles Lurton.

M. Gilles Lurton. L’adoption de cet amendement du Gouvernement conduirait les banques coopératives et mutualistes à revoir tout le processus de vente des parts sociales, puisqu’elles devraient recueillir les exigences et les besoins de leurs clients, et ce dès la première part sociale. Ces dispositions sont étonnantes, car elles renversent le principe de proportionnalité : elles appliquent un traitement moins favorable à un titre peu risqué, qui ne représente pas un investissement financier majeur.

Quel choc de complexification, madame la secrétaire d’État ! Je cite le deuxième alinéa que vous voudriez ajouter à l’article L. 512-1 du code monétaire et financier : « Les banques mutualistes et coopératives s’enquièrent auprès des personnes auxquelles la souscription de parts sociales est proposée, de leurs connaissances et de leur expérience en matière financière, ainsi que de leur situation financière et de leur objectif de souscription, de manière à pouvoir recommander à ces personnes une souscription adaptée à leur situation. […] » Vraiment, je trouve que l’on complique beaucoup les choses !

Mme la présidente. La parole est à Mme Valérie Rabault.

Mme Valérie Rabault. Je trouve l’amendement du Gouvernement très opportun. Je le voterai donc.

La législation actuelle, issue notamment de la loi du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires, exige qu’une information suffisante soit fournie aux sociétaires ou aux actionnaires – en somme, à tous ceux qui achètent des produits financiers ou investissent dans des parts sociales – afin qu’ils soient bien conscients de leur acte d’achat ou de souscription.

Aujourd’hui, une signature sous la mention « bon pour accord » est requise sur l’acte d’achat de parts sociales. La Cour de cassation, dont la commission des finances a rencontré des représentants, est très vigilante sur ces mentions obligatoires car elle estime que les acheteurs doivent être bien conscients de leur acte. Je soutiens donc pleinement l’amendement du Gouvernement.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Joël Giraud, rapporteur. Les choses sont claires, monsieur Lurton. « Pour l’accomplissement de ces diligences », est-il expressément précisé, « [les banques] tiennent compte des caractéristiques des parts sociales et des montants de souscription envisagés ». Le dispositif, loin d’être une usine à gaz qui accroîtrait la complexification, est donc adapté à la situation. L’alinéa dont je viens de citer un extrait lève toute ambiguïté, s’il pouvait y en avoir.

(L’amendement n2 rectifié est adopté.)

Mme la présidente. Nous avons achevé l’examen des articles.

Je n’ai pas reçu de demande d’explication de vote.

Vote sur l’article unique

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article unique de la proposition de loi.

(L’article unique, amendé, est adopté, ainsi que l’ensemble de la proposition de loi.)

(Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Très bien !

4

Ordre du jour de la prochaine séance

Mme la présidente. Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :

Discussion de la proposition de loi de Mme Dominique Orliac et plusieurs de ses collègues visant à prolonger la période légale d’interdiction de rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur pour les femmes à l’issue de leurs congés liés à la grossesse et à la maternité ;

Discussion de la proposition de loi, adoptée par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, relative à la protection des forêts contre l’incendie.

La séance est levée.

(La séance est levée à douze heures quarante-cinq.)

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly