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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2015-2016

Compte rendu
intégral

Première séance du mercredi 18 mai 2016

SOMMAIRE

Présidence de M. Claude Bartolone

1. Questions au Gouvernement

Soutien aux forces de l’ordre

M. Éric Ciotti

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Projet de loi Travail

M. Michel Issindou

Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

Répression des infractions routières

M. Alain Tourret

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice

Sociétés immobilières d’outre-mer

Mme Huguette Bello

Mme George Pau-Langevin, ministre des outre-mer

Tribunaux correctionnels pour mineurs

M. Guy Geoffroy

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice

Responsabilité sociale et environnementale des entreprises

Mme Brigitte Allain

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique

Troubles à l’ordre public

M. Bernard Debré

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Projet de loi travail

Mme Marie-Françoise Clergeau

Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

Bilan de la politique gouvernementale

M. Franck Reynier

M. Manuel Valls, Premier ministre

Avenir des pôles de compétitivité

M. Martial Saddier

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique

Réformes dans l’éducation nationale

M. Arnaud Richard

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche

Fiscalité

M. Jean-Claude Mathis

M. Manuel Valls, Premier ministre

Reprise dans l’industrie automobile

M. Frédéric Barbier

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique

Politique éducative

M. Vincent Ledoux

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche

Crise de la mytiliculture

M. Hugues Fourage

M. Alain Vidalies, secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche

Suspension et reprise de la séance

Présidence de M. David Habib

2. Remplacement d’un vice-président

3. Statut des magistrats et Conseil supérieur de la magistrature

Discussion des articles

Articles 1er à 4

Article 5

Amendement no 62 rectifié

Mme Cécile Untermaier, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice

Après l’article 5

Amendement no 63 rectifié

Article 6

Après l’article 6

Amendement no 19

Articles 7 à 20

Article 21

M. Guillaume Larrivé

Amendements nos 61 , 23 , 5

Après l’article 21

Amendements nos 60 , 7 , 20

Article 22

M. Guillaume Larrivé

M. Christophe Premat

M. Julien Aubert

Amendements nos 6 , 49

Article 22 bis

Amendements nos 25 , 24 , 26 , 51 , 28 , 64 (sous-amendement)

Articles 23 et 24

Article 25

M. Guillaume Larrivé

Amendement no 29

Article 25 bis

Article 25 ter

Amendement no 30

Article 26

Amendements nos 31 , 32

Articles 27 à 29

Articles 30 et 30 bis

Article 31

Avant l’article 32

Amendement no 55

Article 32

Article 32 bis

Amendement no 33

Article 33

Article 33 bis

Article 34

Amendement no 34

Article 34 bis A

Article 34 ter

Article 34 quater

Amendement no 35

Article 34 quinquies

Amendements nos 50 , 58 , 36 , 57 rectifié , 41 , 56 , 37 , 59

Après l’article 34 quinquies

Amendements nos 8 , 15

Article 34 sexies

Amendements nos 52 , 16 , 42 , 17 , 53

Article 35

Amendements nos 47 , 46 , 43 , 44 , 45

Suspension et reprise de la séance

4. Modernisation de la justice du XXIe siècle

Discussion des articles

Article 1er

Amendement no 285

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice

Amendement no 189

Après l’article 1er

Amendements nos 103 , 8 , 184

Article 2

Amendements nos 23 , 179 rectifié , 200 , 252 , 24

Après l’article 2

Amendements nos 10 , 14

M. Dominique Raimbourg, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Amendements nos 9,12, 11 , 13 , 28

Article 2 bis

Après l’article 2 bis

Amendements nos 84 , 95, 89, 90, 91, 92, 93, 94 , 196 , 17 , 16 , 153

5. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Claude Bartolone

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Questions au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Soutien aux forces de l’ordre

M. le président. La parole est à M. Éric Ciotti, pour le groupe Les Républicains.

M. Éric Ciotti. Monsieur le Premier ministre, pour la deuxième fois en quelques mois, les policiers ont manifesté dans plus de soixante villes de France, ce matin.

M. François Sauvadet. Nous y étions !

M. Éric Ciotti. C’est inédit depuis quinze ans. La première fois, en novembre, c’était pour protester contre la politique pénale du Gouvernement, qui était portée par Mme Taubira.

Ce matin, plusieurs milliers de policiers ont exprimé leur colère face au déchaînement de violence dont ils font l’objet depuis plus de deux mois : 350 policiers ont été blessés.

Notre devoir, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, en cet instant, est de témoigner notre reconnaissance, notre soutien, notre considération à ceux qui nous protègent, à ceux qui protègent nos libertés. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains, du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et sur de nombreux bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Vous l’avez fait, monsieur le Premier ministre, de façon très claire, et je vous en remercie. On ne peut pas vous soupçonner de ne pas soutenir les policiers.

M. François Rochebloine. Très bien !

M. Éric Ciotti. Pour autant, je veux le dire : les policiers ne comprennent pas une forme d’inaction qui caractérise la politique du Gouvernement. Auriez-vous reçu des consignes de l’Élysée pour vous empêcher de prendre en compte leurs légitimes revendications à la sécurité ?

Ils ne comprennent pas pourquoi, au cœur de l’état d’urgence, au cœur d’une situation de menace terroriste maximale, des manifestations ne sont toujours pas interdites. Ils ne comprennent pas pourquoi vous n’avez pas porté plainte contre les scandaleuses affiches de la CGT.

Monsieur le Premier ministre, le soutien que vous apportez ne peut se limiter à des mots. Il doit aujourd’hui se traduire par des actes. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur quelques bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Monsieur le député, merci pour votre question qui va me permettre d’apporter des précisions utiles.

Le soutien aux policiers ne peut en effet se réduire à des déclarations. Il doit aussi se traduire par des actes.

Quand on crée 9 000 emplois pendant cinq ans pour donner aux policiers français les moyens d’exercer leurs missions (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen) là où vous en avez supprimé 13 000, ce ne sont pas des déclarations. Ce sont des actes.

Lorsqu’on décide d’augmenter de 17 % les crédits de la police et de la gendarmerie qui avaient diminué d’autant pendant le précédent quinquennat, ce ne sont pas des paroles, ce sont des actes. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Jean-Claude Perez. C’est évident !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Lorsqu’on décide d’équiper les BAC – brigades anticriminalité – et les PSIG – pelotons de surveillance et d’intervention de la gendarmerie – pour que les forces de sécurité, exposées aux plus grandes violences, aient les moyens d’exercer leurs missions, alors qu’elles étaient laissées en déshérence, ce ne sont pas des paroles, ce sont des actes.

Devant cet hémicycle, je veux dire à l’ensemble des policiers de France – par-delà des actes qui se sont aussi traduits par un protocole de 800 millions d’euros de mesures catégorielles, signé, il y a quelques semaines, par quasiment toutes les organisations syndicales –, mon immense respect et mon immense gratitude pour le travail qu’accomplissent les forces de sécurité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen) afin d’assurer la protection des Français face à la menace terroriste et à la délinquance.

Monsieur Ciotti, comment laisser penser, alors qu’il y a eu 1 300 interpellations, 800 gardes à vue et cinquante et une condamnations en comparution immédiate, qu’il y aurait la moindre faiblesse à l’égard des casseurs ? Bien au contraire, j’ai donné des consignes de fermeté totale.

Je vais vous dire pourquoi : il y a quelques jours, j’étais devant les CRS qui venaient de participer à une manifestation. Ils m’ont raconté qu’ils avaient reçu des jets d’acide qui faisaient fondre leur costume, et qui les brûlaient. J’ai vu ces brûlures.

Quand on est ministre de l’intérieur et qu’on est témoin de cela, on est dans la fermeté, par respect pour le rôle que jouent les policiers dans la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

M. Bernard Accoyer. Alors interdisez les manifestations !

Projet de loi Travail

M. le président. La parole est à M. Michel Issindou, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Michel Issindou. Madame la ministre du travail, au travers des médias, au fil des manifestations, nous entendons des critiques sur le projet de loi Travail (« Ah bon ? » sur les bancs du groupe Les Républicains). Si toute contestation est légitime dans notre démocratie, il est tout aussi légitime pour les parlementaires que nous sommes de rétablir la vérité lorsqu’à longueur de journée nous entendons des contrevérités.

M. Sylvain Berrios. C’est la société qui parle !

M. Dominique Le Mèner. 49-3 !

M. Michel Issindou. Je prendrai deux exemples fréquemment entendus ces derniers jours. Il est mensonger de dire que les salariés vont travailler jusqu’à 60 heures par semaine. C’est faux : la règle restera une durée de travail maximale de 48 heures par accord collectif et ce n’est qu’avec l’accord de l’inspecteur du travail qu’elle pourra atteindre 60 heures. Ce n’est rien d’autre que la règle actuelle.

Une autre contrevérité doit être dénoncée : celle selon laquelle les heures supplémentaires ne seraient plus majorées que de 10 %. Là encore, ce ne sera possible que s’il y a un accord majoritaire dans l’entreprise, et l’on peut faire confiance aux organisations syndicales – y compris, d’ailleurs, celles qui manifestent aujourd’hui – pour apprécier la nécessité ou non d’un tel accord.

M. Sylvain Berrios. Y a-t-il un accord majoritaire au PS ?

M. Michel Issindou. À défaut, le taux de 25 % restera bien sûr applicable. La philosophie du projet de loi Travail est là : elle consiste à faire confiance au dialogue social, au plus près du terrain, en conservant le garde-fou de la loi pour ces fondamentaux que sont les 35 heures, le SMIC et le contrat à durée indéterminée. Notre majorité recherche depuis longtemps une organisation du marché du travail à la fois plus souple pour les entreprises et plus sécurisante pour les salariés. C’est possible, ce projet de loi le démontre. Et si ce texte n’a pas vocation à être la panacée pour lutter contre le chômage, il est sûrement un moyen puissant, parmi d’autres – je pense à la formation accélérée de 500 000 demandeurs d’emploi – de faire entrer sur le marché du travail ceux qui en sont exclus car là est le véritable drame.

Pouvez-vous, madame la ministre, nous confirmer le contenu du projet de loi sur les deux thèmes que je viens d’évoquer ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Vous avez raison, monsieur le député : beaucoup de contrevérités ont été énoncées sur ce projet de loi. Vous avez évoqué le cas des transporteurs routiers, dont une partie des syndicats – je dis bien une partie car ce n’est pas le cas de tous – sont actuellement mobilisés. Il existe en effet une spécificité importante dans ce secteur : la pratique des heures supplémentaires y est généralisée tant elles sont nombreuses. J’entends donc les inquiétudes qui s’expriment, car derrière celle des heures supplémentaires, c’est la question du pouvoir d’achat des salariés qui est posée. Nous y sommes bien sûr, avec Alain Vidalies, particulièrement attentifs, comme d’ailleurs pour l’ensemble des salariés.

Ces inquiétudes ne sont cependant pas fondées. D’abord le projet de loi Travail ne modifie en rien le régime des heures d’équivalence pour les routiers. Ensuite il ne modifie pas les taux de majoration des heures supplémentaires : il est faux de dire que le projet de loi entraîne une baisse mécanique de ces taux. L’accord de branche des transports n’est pas modifié par le projet de loi : les taux de majoration resteront de 25 et 50 %. Vous l’avez dit, la loi permettra, comme partout ailleurs, qu’un accord d’entreprise majoritaire, c’est-à-dire signé par des syndicats ayant recueilli 50 % des suffrages, fixe un taux différent.

M. Marc Dolez. C’est bien là le problème !

Mme Myriam El Khomri, ministre. J’insiste sur cette règle de l’accord majoritaire car elle sera une garantie extrêmement importante pour les salariés. Ce sont les représentants syndicaux pour lesquels ils auront majoritairement voté dans l’entreprise qui devront signer ces accords. En l’absence d’accord, c’est l’accord de branche qui s’appliquera.

Comment imaginer que les syndicats aujourd’hui mobilisés se précipiteront demain pour conclure des accords majoritaires réduisant le taux de majoration des heures supplémentaires ? Contrairement à ce qui a été dit, mon projet de loi n’affaiblit absolument rien sur ce point, et cette analyse est d’ailleurs partagée par la première organisation syndicale de ce secteur, à savoir la CFDT. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Répression des infractions routières

M. le président. La parole est à M. Alain Tourret, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Alain Tourret. Monsieur le garde des sceaux, les infractions routières relèvent du contentieux de masse. Il apparaît qu’en 2014, environ 30 000 Français ont été condamnés pour conduite sans permis. Cette même année, ce sont également près de 30 000 Français qui ont été condamnés pour conduite sans assurance, et on peut aisément penser que ce nombre de condamnations est bien en deçà du nombre de Français conduisant sans assurance sans pour autant avoir été condamnés. Ces chiffres nous interpellent d’autant plus que bien souvent, ceux qui conduisent sans assurance et sans permis sont responsables d’accidents de la route plus atroces les uns que les autres.

Quelles réponses judiciaires avez-vous décidé d’apporter, notamment quant à l’interdiction de conduire un véhicule non équipé d’un dispositif anti-démarrage par éthylotest électronique ou encore pour permettre de poursuivre les personnes morales disposant de flottes de véhicules ?

On doit renforcer la répression pour répondre à ce contentieux de masse. Certes, on peut envisager l’instauration d’amendes forfaitaires, mais faut-il pour autant admettre que la perte du douzième point entraîne automatiquement la perte du permis ? Ce principe d’automaticité est contraire au principe d’individualisation. Jadis, on avait adopté le principe du permis blanc, qui adaptait la suspension ou le retrait du permis à la situation professionnelle du chauffeur.

M. François Rochebloine. Eh oui !

M. Alain Tourret. Au moment où de réelles difficultés d’emploi se font sentir, ne serait-il pas bon de le rétablir ?

Alors, monsieur le garde des sceaux, quelles mesures allez-vous soutenir, dans le cadre du projet de loi sur la justice du XXIe siècle, en ce qui concerne la sécurité routière ? Admettrez-vous que l’on revienne sur l’automaticité de la perte du permis pour respecter enfin le principe d’individualisation ? (Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et sur quelques bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le député, cher Alain Tourret, nos routes doivent être des lieux de vie. La sécurité routière ne doit pas être qu’un mot : elle doit être une réalité. L’accident n’est pas une fatalité. Conduire est un acte social dont chacun doit rendre compte. Voilà pourquoi il faut soutenir une politique de lutte contre la délinquance routière.

Vous m’interrogez sur les progrès que va permettre le projet de loi sur la justice du XXIsiècle. Vous l’avez rappelé, environ 30 000 délinquants sont chaque année condamnés pour conduite sans permis et presque autant pour conduite sans assurance. En moyenne, ils sont condamnés au bout de huit mois et demi à une amende avoisinant les 256 euros. Le projet de loi sur la justice du XXIsiècle prévoit une sanction systématique et beaucoup plus sévère puisqu’il faudra, à la discrétion du procureur, payer immédiatement 500 euros. Il n’y aura pas d’autres modifications du droit puisqu’ils resteront des délits inscrits à ce titre au casier judiciaire. Nous légiférons donc à droit constant.

Par ailleurs, la commission des lois a adopté des mesures sur la généralisation des dispositifs anti-démarrage avec éthylotest automatique. J’espère que ce vote sera confirmé en séance publique. De même, vous avez voté un amendement qui facilitera l’identification des conducteurs de véhicules appartenant à des personnes morales. Quant au caractère automatique de la perte de points, je n’ai pas l’intention de revenir sur cette disposition. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Sociétés immobilières d’outre-mer

M. le président. La parole est à Mme Huguette Bello, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

Mme Huguette Bello. Madame la ministre des outre-mer, les sociétés immobilières d’outre-mer, les SIDOM, viennent de fêter leurs soixante-dix ans. Elles représentent près de la moitié des logements sociaux dans ces territoires et logent des dizaines de milliers de familles. Leur professionnalisme est reconnu et leur santé financière est jugée satisfaisante. Dotés d’un statut original où l’actionnariat public est toujours majoritaire, ces opérateurs ont su s’adapter pour répondre aux multiples évolutions qui ont accompagné la construction des logements sociaux.

L’annonce du désengagement total de l’État, c’est-à-dire du principal actionnaire, au profit d’une filiale privée de la Caisse des dépôts et consignations marquerait donc une véritable rupture, s’agissant du statut des SIDOM mais surtout de leur actionnariat. Cette reconfiguration du capital ne cesse d’inquiéter les collectivités locales concernées. Les élus sont d’autant plus inquiets qu’ils ne sont toujours pas associés aux démarches en cours et que le recours aux ordonnances est programmé. Ce scénario suscite aussi des interrogations, car la logique d’une gouvernance unique et globale qui sous-tend cette reprise est totalement à rebours de la décentralisation et de la prise en compte de la diversité des territoires.

Les collectivités s’opposent à ce que le désengagement de l’État se traduise par une privatisation. Elles veulent au contraire, comme le permet la loi de 1946, assurer la maîtrise publique des SIDOM aux côtés, le cas échéant, de personnes morales de droit public. Des précédents existent, notamment à La Réunion – je pense à la Société d’équipement du département de La Réunion, la SEDRE, ou à la Société d’aménagement de périmètres hydroagricoles de l’île de La Réunion, la SAPHIR – où l’État est minoritaire et même absent du capital. Pouvez-vous nous dire, madame la ministre, si le maintien d’un actionnariat public majoritaire est l’hypothèse privilégiée par le Gouvernement ? Loin d’une remise en cause des SIDOM, ce serait là une façon de moderniser la loi de 1946. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre des outre-mer.

Mme George Pau-Langevin, ministre des outre-mer. Madame la députée, vous savez que le logement social est, à mes yeux, un marqueur de la politique que nous voulons mener dans les outre-mer. Par conséquent, les acteurs présents sur le terrain qui peuvent mener cette politique nous apparaissent évidemment précieux. Vous savez que nous avons préservé la ligne budgétaire unique, la LBU, et que nous avons renforcé le crédit d’impôt permettant d’améliorer le financement du logement social. Votre préoccupation est donc aussi tout à fait la nôtre.

Lorsque nous réfléchissons à la modification de la situation des SIDOM, c’est dans le but d’avoir un opérateur plus fort. En adossant le logement social à la Caisse des dépôts et consignations, qui est un opérateur très solide financièrement, dont la filiale spécialisée, la Société nationale immobilière, la SNI, est le plus grand opérateur de logement social existant dans notre pays, nous consolidons la situation des SIDOM en faisant en sorte qu’elles puissent à la fois remplir leur rôle social et rester dans le sillage de l’État. L’adossement à la SNI n’est donc pas une forme de privatisation mais permet au contraire de rester aux côtés d’un acteur public important, spécialisé et doté de moyens substantiels.

Vous savez aussi que nous souhaitons que cette cession des parts de l’État se fasse d’un bloc, pour qu’il y ait un actionnariat de référence et, partant, pour éviter un éparpillement des moyens. Mais, encore une fois, il n’est absolument pas question de remettre en cause le rôle des collectivités locales. Comme vous le dites, cela irait à l’encontre de la politique de décentralisation que nous menons. Ce que nous souhaitons, c’est constituer un bloc autour duquel les collectivités vont intervenir. Je vais réunir prochainement tous les partenaires, dont les collectivités locales, pour leur rendre compte des discussions que nous avons menées avec la Caisse des dépôts et consignations. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Tribunaux correctionnels pour mineurs

M. le président. La parole est à M. Guy Geoffroy, pour le groupe Les Républicains.

M. Guy Geoffroy. Monsieur le Premier ministre, notre assemblée a débuté hier soir l’examen de vos deux projets de loi, organique et ordinaire, portant l’appellation bien pompeuse, au regard de la réalité des textes, de « justice du XXIe siècle ».

Passe encore la méthode, devenue habituelle et ordinaire de votre gouvernement, consistant à recourir à la procédure accélérée, qui ne permet qu’une seule lecture dans chacune des assemblées.

Peu importe la pratique spécifique à ce texte, qui consiste à ce que le Gouvernement introduise massivement, par voie d’amendements, des dispositions nouvelles : quatre-vingt-quatorze amendements ont ainsi été déposés devant la commission, tandis que quatorze amendements ont été déposés en vue de la séance publique et soumis à la commission au titre de la réunion dite de l’article 88 du règlement.

Tout ceci ne serait rien, tout au plus l’illustration de l’évanescence de votre gouvernance, s’il n’y avait dans le texte – du fait de l’accord que vous avez donné à des amendements proposés par ce qui reste de votre majorité – une disposition parmi d’autres qui trouble et sur laquelle, monsieur le Premier ministre, il apparaît nécessaire que vous apportiez de véritables explications. Je veux parler de la disposition qui a pour objet de supprimer les tribunaux correctionnels pour mineurs. (« Ah ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. S’il vous plaît, mes chers collègues !

M. Guy Geoffroy. Vous avez décidé de prendre cette disposition au motif unique que seuls 1 % des délits en cause seraient traités par les tribunaux correctionnels pour mineurs. C’est l’aveu d’une idéologie qui domine tout. (Mêmes mouvements.)

M. Jean Glavany. L’idéologie est de notre côté, tu as raison !

M. Guy Geoffroy. Monsieur le Premier ministre, s’agissant de la justice des mineurs, qui exige de la responsabilité, quand allez-vous quitter le terrain de l’idéologie qui déconstruit pour rester sur celui de la responsabilité, qui doit être la seule marque d’un gouvernement raisonnable ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur plusieurs bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le député, dans la mesure où nous poursuivons la discussion que nous avons entamée hier soir, souffrez que je réponde à la place du Premier ministre, que vous avez interpellé.

Je trouve votre question pour le moins prévisible. Je l’ai dit hier, le mérite que vous partagez avec certains de vos collègues, tels Éric Ciotti, est de recourir à chaque fois aux mêmes arguments…

M. Jean Glavany. Au même numéro !

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. …sans amener un élément nouveau. Il s’agit, pour ainsi dire, d’une forme de best of des Républicains. Cela présente un avantage : il n’y a plus de surprise. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Marc Dolez. Très bien !

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. De ce point de vue, je crains de vous décevoir, car je n’ai d’autres arguments à vous opposer que les faits eux-mêmes. Vous savez très bien, monsieur le député, qu’une censure du Conseil constitutionnel est intervenue le 4 août 2011 sur la disposition instituant les tribunaux correctionnels pour mineurs…

M. Jean Glavany. Eh oui !

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. …ce qui a vidé cette mesure du principal intérêt qu’on lui prêtait, c’est-à-dire la rapidité à sanctionner. Si, aujourd’hui, seules 0,8 % des condamnations de mineurs délinquants sont prononcées par les tribunaux correctionnels pour mineurs, c’est dû au fait que la mesure a été vidée de son sens par le Conseil constitutionnel. En sus, vous avez mis en place une organisation extrêmement complexe, qui impose la présence de plusieurs magistrats dans un même tribunal. Or, la plupart d’entre eux n’étant pas spécialisés en matière de jugement des enfants, cela désorganise les juridictions. Vous connaissez bien le monde de la justice, monsieur le député : je vous propose que nous allions ensemble dans n’importe quelle juridiction de France…

M. Guy Geoffroy. Chiche !

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. …et nous verrons ce que disent les magistrats sur ce tribunal correctionnel pour mineurs. Je n’ai aucune inquiétude : venez quand vous voulez, monsieur le député. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Vous allez surtout constater que la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs ne va rien changer. Au contraire, la sévérité sera plus forte, puisque les tribunaux pour enfants enferment plus – tel est, en effet, votre critère de référence. Vous serez donc rassurés, et nous aussi, car nous allons donner la priorité à l’éducatif pour combattre la délinquance des mineurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur plusieurs bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. Stéphane Saint-André. Très bien !

Responsabilité sociale et environnementale des entreprises

M. le président. La parole est à Mme Brigitte Allain, pour le groupe écologiste.

Mme Brigitte Allain. Monsieur le Premier ministre, une conférence réunit aujourd’hui même des parlementaires de vingt-trois pays de l’Union européenne autour des sujets de la responsabilité sociale et environnementale des entreprises et des travailleurs détachés. La commission des affaires européennes, présidée par ma collègue Danielle Auroi, que je salue, est à l’initiative de cette réunion.

L’objectif est de faire cesser le dumping social et environnemental, qui produit du chômage et entraîne des catastrophes écologiques, fléaux de l’humanité. Après l’affaire des Panama papers, on ne peut plus nier la réalité des stratégies élaborées par les multinationales afin d’éviter les taxations fiscales. Nous avons besoin de transparence.

Après la catastrophe du Rana Plaza au Bangladesh, où un bâtiment s’est effondré sur des ouvriers, tuant 1 138 personnes, on ne peut plus nier le cynisme de certaines entreprises. Nous devons mettre devant leurs responsabilités les multinationales et leurs filiales. Sur la question des travailleurs détachés, qui sont près de 400 000 en France, beaucoup d’irrégularités sont dénoncées, telles que le retard de paiement dans les salaires ou des conditions de travail irrégulières. Nous devons faire respecter les normes sociales.

Notre assemblée a déjà beaucoup travaillé sur ces questions. La proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre est une avancée importante mais insuffisante. Au niveau européen, sept pays soutiennent aujourd’hui la proposition dite de « carton vert » sur la responsabilité des entreprises, illustrant la mobilisation autour de cette question. La responsabilité des multinationales est un enjeu sur lequel nous ne pouvons pas faire de compromis.

Pourriez-vous nous indiquer le calendrier législatif de cette proposition de loi et préciser quelles mesures ont été inscrites dans le projet de loi Sapin pour allier performance économique et performances écologique et sociale ?(Applaudissements sur certains bancs du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique. (« Et candidat à l’élection présidentielle ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Un député du groupe Les Républicains. Il est assis au troisième rang !

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique. Madame la députée, vous avez parfaitement rappelé les enjeux. En effet, même si ce gouvernement s’est beaucoup battu pour améliorer la compétitivité des entreprises françaises, cela n’aurait pas de sens si dans le même temps nous ne travaillons pas collectivement pour créer l’ordre public économique, social et environnemental dans le cadre duquel cette compétitivité prend tout son sens.

Cet ordre public est à construire au premier chef à l’échelle européenne, vous l’avez rappelé, et l’initiative de ce matin l’illustre parfaitement. Car c’est bien à ce niveau qu’il faut édicter les règles qui, après les scandales récents, permettront de mieux réguler les entreprises. À ce titre, nous avons pris dans le cadre de divers travaux législatifs – le projet de loi Travail, la loi pour la croissance, l’activité, et l’égalité des chances, les travaux parlementaires engagés par le député Gilles Savary – des mesures importantes, en particulier pour lutter contre le travail détaché illégal. Dès demain la ministre du travail se rendra d’ailleurs à nouveau sur le terrain pour avancer dans ce sens.

Ensuite, sur le plan de la responsabilité sociale et environnementale, il faut en effet aller plus loin. Vous avez pris des initiatives en ce domaine, telles que la proposition de loi de votre collègue M. Potier, qui a fait l’objet d’une deuxième lecture à l’Assemblée nationale et qui sera soumise au vote du Sénat dans les prochaines semaines. Sur ce sujet, il importe que nous puissions continuer d’avancer pour définir le bon cadre aux niveaux tant national qu’européen, le bon rythme d’entrée en vigueur des nouvelles règles et le contenu en matière de lutte contre la corruption.

Nous proposerons aussi des dispositions dans ce sens dans le cadre du projet de la loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dit projet de loi Sapin 2.

M. Sylvain Berrios. Ce n’est pas clair !

M. Emmanuel Macron, ministre. Certaines seront proposées par la voie d’amendements, d’autres figurent déjà dans le texte, pour qu’en particulier les plus grandes entreprises puissent protéger les lanceurs d’alerte et puissent continuer à lutter contre la corruption. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Troubles à l’ordre public

M. le président. La parole est à M. Bernard Debré, pour le groupe Les Républicains.

M. Bernard Debré. Monsieur le Premier ministre, cela fait plusieurs semaines qu’à Paris, Nantes et Rennes des casseurs détruisent, pillent, lancent des cocktails Molotov et frappent des policiers au sol après avoir enlevé leur casque, comme pour les tuer. Les voici maintenant qui brûlent des voitures de police. On assiste à une véritable chasse aux policiers.

Le bilan est celui qu’on vous a rappelé tout à l’heure : des centaines de vitrines et de commerces détruits, 350 blessés parmi les forces de l’ordre. Il règne un véritable état insurrectionnel dans certaines villes de France.

Qui sont ces casseurs ? Sont-ils clairement identifiés, connus et fichés ? L’état d’urgence permet-il de tels débordements ? Que se passe-t-il ? L’État aurait-il abdiqué face à la grogne d’une extrême gauche ultra-violente, attisée par des syndicalistes qui injurient gravement les policiers ? Quelle image cela donne-t-il de notre pays sur la scène internationale, alors que l’Euro 2016 débute dans moins d’un mois ?

Monsieur le Premier ministre, toutes ces questions, la représentation nationale se les pose, tout comme la très grande majorité des Français, qui ne comprennent pas qu’on puisse ainsi laisser faire. Cela fait pourtant longtemps qu’ils ont pu constater la faiblesse du Président, ou qu’ils ont remarqué que vous parliez beaucoup lorsque vous répondez à l’opposition sans pour autant beaucoup agir, que vous injuriez les frondeurs de votre parti et qu’il n’y a plus d’unité dans le Gouvernement, notamment entre vous et votre ministre de l’économie.

M. Jean-Yves Caullet. C’est un peu primaire !

M. Bernard Debré. Or quand il n’y a plus de pouvoir, c’est la rue qui le prend, et elle le fait dans la violence.

M. Alain Marsaud. Bien sûr !

M. Bernard Debré. Faiblesse partout, État nulle part. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.) Le Président a apporté son soutien aux policiers : on n’attendait quand même pas de lui qu’il apportât son soutien aux casseurs !

M. Alain Marsaud. Il en aurait été capable ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Bernard Debré. Le ministre de l’intérieur vient de le faire également…

M. le président. Merci, monsieur le député ?

La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Monsieur le député Debré, vous êtes parfaitement au courant de ce qu’est, dans le temps long de l’histoire de la VRépublique, l’histoire des manifestations : vous savez que les casseurs ne sont pas apparus à l’occasion des dernières manifestations.

J’ai fait faire un petit bilan extrêmement précis des dégâts occasionnés par les casseurs (« Ah ! » sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains) à l’occasion par exemple de la contestation du contrat première embauche. (Vives exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.) Il y a eu alors énormément de casse.

M. Dominique Le Mèner. Zéro !

M. Bernard Debré. Et aujourd’hui ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. J’ai fait faire un bilan extrêmement précis de ce qu’a été l’action des casseurs pendant les trois semaines d’émeutes urbaines de 2005, à l’époque où officiait un ministre de l’intérieur qui semble inspirer vos questions.

M. Jean-Pierre Barbier. Faites plutôt votre travail !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. À ce moment-là, vous ne théorisiez pas la chienlit ni la faiblesse du président de la République d’alors. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen. – Vives protestations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Claude Bouchet. Ça n’a rien à voir !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Pour ma part, monsieur Debré, je demande simplement que, sur ces sujets-là, on fasse un peu moins de politique et qu’on fasse preuve de plus de responsabilité collective. (Mêmes mouvements sur les bancs du groupe Les Républicains.) Si tel était le cas, vous reconnaîtriez, en saluant leur travail, que les forces de l’ordre, depuis le début de ce mouvement, ont procédé à l’interpellation de 1 300 personnes (Nouveaux applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen), que 819 d’entre elles ont été placées en garde à vue et que les tribunaux sont en train de les juger.

M. Philippe Meunier. C’est la chienlit !

M. Christian Jacob. C’est pour cela que les policiers sont dans la rue ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Au moment où deux policiers ont été pris à partie par des casseurs qui ont brûlé leur voiture, mettant ainsi leur vie en danger, vous reconnaîtriez aussi le travail accompli par la justice et par les policiers pour mettre fin aux agissements de ces individus, qui doivent être condamnés pour ce qu’ils sont, c’est-à-dire des casseurs, et pour ce qu’ils font, c’est-à-dire des exactions.

Je veux dire devant la représentation nationale, avec la plus grande clarté, que ceux qui expliquent aujourd’hui à l’opinion publique, dans un climat de tension, que face aux casseurs il n’y a ni fermeté ni interpellation, mentent aux Français (Applaudissements nourris sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.) et ceci délibérément, pour des raisons de petite politique. (Les députés du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine joignent leurs applaudissements à ceux des députés du groupe socialiste, républicain et citoyen. – Huées sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Meunier. C’est lamentable !

Projet de loi travail

M. le président. La parole est à Mme Marie-Françoise Clergeau, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Marie-Françoise Clergeau. Ma question s’adresse à Mme la ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. La version du projet de loi travail sortie de cet hémicycle le 12 mai est bien éloignée de celle déposée le 24 mars et peut encore évoluer avant la deuxième lecture.

M. Jean-Pierre Barbier. Grâce à nous, pas à vous !

Mme Marie-Françoise Clergeau. Le texte initial a été largement amendé lors des travaux en commission. Notre rapporteur Christophe Sirugue, que je tiens à saluer ici, a déployé une énergie, une ouverture et un sens du dialogue avec le Gouvernement comme avec ses collègues pour améliorer le texte sans jamais renoncer à trouver un terrain d’entente et un point d’équilibre. Certaines dispositions ont donc été abandonnées, d’autres modifiées, d’autres enfin nouvellement introduites, ce qui est le lot de tout travail parlementaire fait de négociation et de compromis. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

M. Yves Censi. Quelles négociations ? De couloir ?

Mme Marie-Françoise Clergeau. Citons notamment l’amélioration des droits à la formation du compte personnel d’activité ; l’accompagnement des jeunes associant parcours d’accès à l’emploi et aide financière par la garantie jeune ; le renforcement de la lutte contre la fraude au travail détaché ; la consécration du principe majoritaire dans le dialogue social dès lors que les accords devront être signés par des syndicats représentant au moins 50 % des salariés alors qu’un taux de 30 % suffisait auparavant ; l’augmentation de 20 % des crédits d’heures des délégués syndicaux ; la création d’un droit à la déconnexion, chaque salarié ayant droit au repos et au respect de sa vie personnelle ; et le droit immédiat à la prise de ses congés dès le premier mois d’embauche.

M. Yves Censi. Pourquoi poser cette question s’il n’y a pas de débat ?

Mme Marie-Françoise Clergeau. Tout cela vous dérange, peut-être !

M. Christian Jacob. Pourquoi recourir au 49-3 avec une si bonne loi ?

Mme Marie-Françoise Clergeau. Madame la ministre, pouvez-vous rappeler la conviction que vous partagez avec une large majorité de notre groupe…

Un député du groupe Les Républicains. Quelle majorité ?

Mme Marie-Françoise Clergeau. …au sujet d’un texte contenant des avancées précises et concrètes en termes de droits sociaux pour améliorer la vie des Français au travail ?

M. François Rochebloine. Allo, allo !

M. le président. La parole est à Mme la ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Merci, madame la députée Clergeau, de rappeler très simplement que le projet de loi a considérablement évolué. 762 amendements y ont été intégrés lors du travail en commission et en séance publique.

M. Yves Censi. Vous plaisantez ? Et le 49-3 ?

Mme Myriam El Khomri, ministre. Je salue comme vous l’excellent travail mené par M. le rapporteur, Christophe Sirugue. Avec l’immense majorité des députés socialistes…

M. Frédéric Reiss. Pas si immense que ça !

Mme Myriam El Khomri, ministre. …et de nombreux députés écologistes et radicaux, nous croyons à la modernisation du dialogue social dans notre pays. Nous croyons que le compromis n’est pas un gros mot. Avec vous, j’assume de donner un rôle inédit aux acteurs de terrain, notamment aux représentants des salariés, aux syndicats et aux chefs d’entreprise.

Un député du groupe Les Républicains. Mais pas au Parlement !

Mme Myriam El Khomri, ministre. Avec vous, j’assume également d’affirmer que les salariés et leurs représentants sont les mieux placés pour discuter de ce qui fait leur quotidien.

M. Sylvain Berrios. Et avec les frondeurs, vous assumez ?

Mme Myriam El Khomri, ministre. Avec vous, j’assume également le choix de donner plus de place et de moyens aux organisations syndicales et de renforcer les capacités d’anticipation de nos petites et moyennes entreprises et la protection sociale des salariés. Il est vrai que nous avons entamé ce débat avec des désaccords. Le texte a été enrichi. Il est plus que jamais juste et nécessaire pour notre pays. Nous l’avons fait évoluer en matière de périmètre d’appréciation du licenciement économique, nous avons conforté l’idée de l’accord majoritaire, nous avons surtout rendu un rôle aux branches par leur restructuration, par la possibilité d’évaluer les accords d’entreprise pour éviter le dumping social et par celle d’émettre des recommandations. Mentionnons aussi les avancées favorables aux salariés que vous avez soulignées à juste titre, madame la députée. Demain, il existera un droit à la déconnexion ; demain, nous aurons l’encadrement le plus strict en matière de travail détaché ;…

M. Christian Jacob. Demain, une motion de censure sera votée !

Mme Myriam El Khomri, ministre. …demain, les personnes en situation de handicap et les salariés ultramarins jouiront de nouveaux droits ; demain, les travailleurs des plateformes collaboratives jouiront également de nouveaux droits. Je le dis,…

M. le président. Merci, madame la ministre.

Bilan de la politique gouvernementale

M. le président. La parole est à M. Franck Reynier, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Franck Reynier. Monsieur le Premier ministre, « Ça va mieux ! », a annoncé une nouvelle fois le Président de la République hier ! Ça va mieux et cela permettra même de diminuer l’impôt des Français les plus modestes. Mais cela n’effacera pas, dans la mémoire et le portefeuille des Français, les 85 milliards d’euros d’impôts supplémentaires votés lors de ce quinquennat ! Cela n’effacera pas non plus, pour les 9,5 millions de Français qui en bénéficiaient, la fin de l’allégement et de l’exonération des heures supplémentaires ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

Le Président de la République a également annoncé qu’il n’envisage aucune hausse de la TVA, qui permettrait pourtant d’alléger, au profit des entreprises et des salariés, les charges qui pèsent sur le travail. Mais peut-être François Hollande a-t-il fait cette annonce parce qu’il a déjà augmenté la TVA lors de ce quinquennat !

M. Pascal Popelin. Nous l’avons davantage baissée que ce que vous l’aviez augmenté !

M. Franck Reynier. Il a aussi annoncé que ça va mieux sur le front de l’emploi. On y constate en effet des améliorations, mais elles n’effaceront pas les 600 000 chômeurs supplémentaires créés par les gouvernements successifs de ce quinquennat ! Ça va mieux, mais après tous les renoncements de ce quinquennat, au sujet de la loi travail ou de la loi Macron adoptées grâce au 49-3 comme de l’écotaxe ou de la déchéance de nationalité, les Français voient bien que ça ne va pas mieux !

Un autre sujet nous préoccupe, parmi les membres du groupe UDI, c’est le délitement de l’ordre républicain et de l’autorité de l’État, qui a commencé par l’affaire Leonarda et continué avec l’enlisement des zadistes à Notre-Dame-des-Landes ou à Sivens. L’autorité de l’État est menacée et j’apporte une nouvelle fois notre soutien à nos policiers et à nos forces de l’ordre en général. Avec l’énergie que l’on vous connaît, monsieur le Premier ministre, qu’allez-vous désormais proposer pour dire à toutes celles et tous ceux qui… (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Votre question est très vaste, monsieur le député Reynier, et touche à de nombreux sujets. Je ne répéterai pas ce que le ministre de l’intérieur a eu l’occasion de dire il y a un instant.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Que ça va mieux ?

M. Manuel Valls, Premier ministre. J’entends la petite musique au sujet de l’autorité de l’État. J’ai la conviction…

M. Sylvain Berrios. Que ça va mieux ?

M. Manuel Valls, Premier ministre. …que créer des postes de policiers et de gendarmes, alors que vous avez soutenu ceux qui en supprimaient,…

M. Jean-Claude Bouchet. Vous n’avez rien d’autre à dire !

M. Manuel Valls, Premier ministre. …et donner davantage de moyens techniques, financiers et matériels aux policiers, aux gendarmes, aux services de renseignement et à nos forces armées fait vivre l’autorité de l’État.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Et les résultats ?

M. Manuel Valls, Premier ministre. Elle est en effet nécessaire car on voit bien que notre société connaît parfois une forme de décomposition politique, de radicalité et de violence.

M. Sylvain Berrios. Ça va mieux, alors !

M. Manuel Valls, Premier ministre. J’ai néanmoins une conviction : C’est précisément dans ces moments-là, que l’on soit dans la majorité ou dans l’opposition, qu’il faut faire preuve de responsabilité, ne pas attiser les braises et répondre ensemble à la violence et à la mise en cause des institutions de l’État.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Ça va ou ça ne va pas ?

M. Manuel Valls, Premier ministre. Vous avez également posé des questions relatives à la politique économique. Depuis que je suis Premier ministre, nous baissons chaque année l’impôt sur le revenu des ménages modestes et des classes moyennes.

M. Nicolas Dhuicq. Vous concentrez l’impôt !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Nous l’avons baissé en 2014 et en 2015 et le baisserons encore en 2016. Cette baisse bénéficie à 12 millions de ménages et concerne les classes moyennes et les catégories populaires.

M. Julien Aubert. Et le quotient familial ?

M. Patrice Verchère. Où est l’argent ?

M. Manuel Valls, Premier ministre. Il s’agit d’un engagement de 5 milliards d’euros. Je suis prêt à en débattre avec vous qui êtes au cœur des primaires de la droite et du centre. J’entends ce que l’on y propose : supprimer l’ISF, baisser l’impôt des plus fortunés de notre pays et augmenter la TVA généralement et dans des conditions que l’on ne connaît pas. Cela s’appelle l’injustice fiscale (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste.) Je suis prêt, monsieur le député, à débattre et de l’autorité de l’État, et du modèle social, et de la politique économique et de la justice fiscale ! Les Français auront alors l’occasion de juger concrètement les actes et les programmes engageant le pays pour les années à venir !(Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Avenir des pôles de compétitivité

M. le président. La parole est à M. Martial Saddier, pour le groupe Les Républicains.

M. Martial Saddier. Monsieur le Premier ministre, en 2004, sous l’impulsion du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, nous avons lancé une nouvelle politique industrielle au cœur de laquelle se trouvent les pôles de compétitivité. L’esprit qui a animé la création de cet outil est le suivant : ce n’est qu’en amenant et en soutenant l’innovation et la recherche dans nos entreprises que nous doperons la croissance et donc la création d’emplois.

Depuis, les gouvernements successifs ont toujours soutenu de façon indéfectible les pôles de compétitivité. Or, monsieur le Premier ministre, depuis quelques mois, votre gouvernement nous envoie des signaux quelque peu alarmants. En effet, les chefs d’entreprise, les entreprises, les pôles de compétitivité, mais aussi, plus largement, l’ensemble des clusters – les grappes d’entreprises – s’inquiètent quant à leur avenir et craignent un éventuel abandon de ces outils qui ont pourtant prouvé leur efficacité : en témoigne – exemple parmi tant d’autres – la belle réussite des pôles de compétitivité en région Auvergne-Rhône-Alpes.

Première source d’inquiétude : si la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République – NOTRe – a opéré, dès janvier 2017, un transfert de compétence des départements aux régions dans le domaine économique, ce texte a délibérément omis la question du financement de ce transfert, qui n’est en rien réglée à ce jour.

Seconde source d’inquiétude : depuis maintenant six mois, votre gouvernement nous annonce une nouvelle vision pour l’emploi, notamment pour les pôles de compétitivité, vision qui, pour l’heure, reste totalement floue. Que vont devenir les pôles ? Quelle est, à vos yeux, la position de l’État et le rôle des régions en ce domaine ?

Monsieur le Premier ministre, afin de lever cette grande inquiétude, pouvez-vous nous réaffirmer votre intérêt pour l’emploi, le développement économique et votre soutien sans faille en faveur des pôles de compétitivité ? Pouvez-vous éclairer la représentation nationale sur la vision de votre gouvernement et, surtout, nous assurer du maintien du financement des pôles de compétitivité ? (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique.

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique. Je reconnais avec vous, monsieur le député Saddier, toute la pertinence des pôles de compétitivité, qui a conduit les gouvernements successifs à les maintenir. Ce dispositif permet d’animer des écosystèmes d’innovation et de production industrielle : vous en avez cité un exemple parmi d’autres, et l’on pourrait évoquer, autre exemple, le pôle de la vallée de l’Arve, spécialisé en mécatronique, particulièrement important, comme vous le savez, pour toutes les PME de la vallée.

Notre intention n’est pas de supprimer cette organisation, mais vous reconnaîtrez avec nous qu’il n’est pas réaliste d’animer, au niveau du Gouvernement ou d’un ministère, plus de soixante-dix pôles de compétitivité. Cette situation résulte en quelque sorte d’une absence de choix, conforme à une habitude française : à défaut de savoir définir des priorités, nous nous dispersons.

Notre volonté est donc, en premier lieu, de définir des priorités claires. C’est ce que nous avons fait dans le cadre de la Nouvelle France industrielle, afin de conjuguer montée en gamme, différenciation, aide aux investissements et accompagnement, autour d’une matrice, l’industrie du futur, et de neuf priorités.

Nous voulons ensuite évaluer.

M. Bernard Accoyer. On l’a déjà fait !

M. Emmanuel Macron, ministre. Il n’y a pas de solution miracle, mais l’on peut tirer le bilan de dix ans de fonctionnement et regarder ce qui fonctionne et ce qui fonctionne moins avant de réorganiser les pôles.

Plusieurs évaluations ont déjà été faites.

M. Bernard Accoyer. En effet.

M. Emmanuel Macron, ministre. Celle que nous menons aujourd’hui est consensuelle, partagée avec les régions ; elle nous permet, justement, d’analyser ce qui fonctionne bien ou ce qui fonctionne moins bien.

Aucun pôle de compétitivité ne sera supprimé : notre intention est, tout au plus, de déléguer leur gestion et leur animation aux régions, avec les crédits afférents. Comme j’ai eu l’occasion de le dire il y a quelques semaines, lorsque, avec Jean-Michel Baylet, nous avons annoncé cette initiative, il s’agit d’organiser ces pôles sur le territoire, de façon que neuf ou dix d’entre eux soient coordonnés par l’État, les autres étant… (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. Merci, monsieur le ministre.

M. Bernard Accoyer. On a connu M. Macron plus brillant !

Réformes dans l’éducation nationale

M. le président. La parole est à M. Arnaud Richard, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Arnaud Richard. Madame la ministre de l’éducation nationale, le récent saccage d’une école primaire dans mon département m’amène à vous interroger.

M. Julien Aubert. À part ça, ça va mieux !

M. Arnaud Richard. Sans faire de cet acte de pur vandalisme le prétexte de conclusions générales, il traduit néanmoins, de toute évidence, une relation terriblement dégradée à cette institution des savoirs, et témoigne de ce qu’elle subit de toutes parts en termes d’humiliations et de dégradations.

Depuis 2012, le gouvernement auquel vous appartenez nous a gratifiés d’un florilège de réformes aux intitulés aussi ronflants que leurs effets étaient, au mieux, inopérants.

M. Philippe Vigier. Très juste !

M. Arnaud Richard. Qu’attendons-nous de l’école, mes chers collègues ? Qu’elle réponde à sa belle et grande vocation : éduquer, élever, bref, émanciper, quelles que soient l’origine sociale, géographique ou les confessions des uns et des autres, d’abord en s’assurant que chaque enfant dispose des savoirs fondamentaux à l’entrée au collège, puis en lui ouvrant les portes, par le travail et la méthode, de tous les épanouissements qu’offre l’accès aux connaissances.

Madame la ministre, vous ne lutterez pas contre les inégalités par l’égalitarisme.

M. François Rochebloine et M. Philippe Vigier. Très bien !

M. Arnaud Richard. À force de nivellement, de crainte de l’excellence – ce mot proscrit, et qui est pourtant une part de chacun de nous et de chacun de nos enfants –, cette part-là, vous avez décidé de l’ignorer ; d’où l’erreur dramatique de la réforme des rythmes scolaires, dont on attend toujours une évaluation. Sur tous ces bancs, nous avions dit nos réticences à ce sujet. Derrière votre silence, c’est LÉcroulement de la Baliverna.

Votre réforme du collège interdit aux plus modestes d’appréhender les savoirs qu’ils ne peuvent pas a priori atteindre et aux meilleurs de continuer à progresser. Qu’en résulte-t-il ? Un vent d’inégalités sans précédent et une carte de l’éducation nationale qui se transforme en manteau d’Arlequin, au gré de la loterie rectorale. Madame la ministre, arrêtez ce saccage de l’éducation nationale. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Je partage évidemment, monsieur le député Arnaud Richard, votre émotion face au saccage de deux classes dans votre département. Je veux bien entendu assurer les autorités locales, ainsi que le responsable de cette école, de tout mon soutien ; je l’ai d’ailleurs déjà fait. Sachez qu’une plainte a été déposée : je souhaite que les auteurs de ces actes soient arrêtés et condamnés avec la plus grande fermeté.

M. Frédéric Barbier et M. Éric Straumann. Bravo !

M. Maurice Leroy. Très bien, vous pouvez vous arrêter là ! (Sourires.)

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. À la limite je le pourrais, en effet… (Sourires.)

Pour le reste, monsieur Richard, j’ai un peu plus de mal à vous suivre. L’école, dites-vous – et nous pourrions être d’accord sur ce point –, est faite pour émanciper : c’est vrai, même si je l’entends dire assez rarement de votre côté de l’hémicycle. (Protestations sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.) L’école est faite pour émanciper et pour aider les enfants à s’insérer professionnellement, j’en suis bien d’accord.

C’est la raison pour laquelle nous devions – et nous l’avons fait dès 2012 – redonner à l’école les moyens d’assurer aux enfants un socle commun de connaissances, de compétences et de culture, qui leur permette de devenir autonomes dans leur vie personnelle, mais aussi, à la faveur de relations renforcées avec le monde professionnel, de trouver leur voie et de s’insérer professionnellement.

Qu’avez-vous donc à reprocher à nos réformes, puisqu’elles vont très exactement dans ce sens ?

M. Yves Censi. Non, justement !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Vous nous accusez d’égalitarisme ; mais, monsieur le député, si nous voulons assurer à chaque enfant de France, non un égal accès à l’école – il existe déjà puisque nous avons la chance de vivre dans un pays où cet accès est démocratisé –, mais un égal accès à la réussite, en somme assurer une égalité des chances, que trouvez-vous à y redire ? Préféreriez-vous maintenir un système dans lequel la réussite est en quelque sorte dynastique, héritée ?

Alors oui, chacune de nos réformes va dans le sens que je viens de rappeler et c’est pourquoi je vous invite à les soutenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Fiscalité

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Mathis, pour le groupe Les Républicains.

M. Jean-Claude Mathis. Monsieur le Premier ministre, hier, dans un exercice d’autosatisfaction, le Président de la République a de nouveau promis que les impôts baisseraient en 2017 « à la condition qu’il y ait des marges de manœuvre ». On devrait s’en réjouir, mais dans la situation économique et financière que nous connaissons, personne ne peut raisonnablement croire à cette promesse électoraliste.

Tout d’abord, comme le rappelle à juste titre notre collègue Gilles Carrez, les marges de manœuvre sont inexistantes. En effet, depuis 2012, la dette s’est creusée de 230 milliards d’euros pour atteindre un niveau historique de près de 2 100 milliards d’euros.

Elle continuera d’augmenter à coup sûr, compte tenu des cadeaux annoncés depuis le début de l’année, qui s’élèvent à près de 6 milliards supplémentaires non financés.

Par ailleurs, cette promesse n’est pas crédible car, depuis le début du quinquennat, le matraquage fiscal a été tel qu’il a étouffé les Français et rompu la confiance, pourtant essentielle en économie.

En faisant en 2012 des promesses qu’il ne pouvait pas tenir, M. le Président de la République a choisi d’inscrire son quinquennat dans une hausse de la fiscalité.

Ainsi, en 2017, les Français paieront pour la première fois plus de 1 000 milliards d’euros de prélèvements obligatoires.

La France devient ainsi la vice-championne du monde de la ponction fiscale dans l’OCDE, derrière le Danemark.

Les Français, en particulier les classes moyennes, les familles et les retraités, supportent de plus en plus mal cette situation.

Monsieur le Premier ministre, à quand des baisses d’impôts financées par une reprise significative de la croissance ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Yves Censi. Quelle réponse prestigieuse !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le député, s’agissant des impôts, je vous répondrai très précisément. C’est vrai, les impôts sur les entreprises et les ménages ont trop augmenté ces dernières années. (« Ah ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.)Trente milliards de plus avant 2012, trente milliards de plus après 2012. Je l’ai déjà dit.

Pour ces raisons, nous avons décidé d’engager, à partir de 2014, une baisse de l’impôt sur le revenu pour 9 millions de foyers. Cette mesure concerne aussi bien les classes moyennes que les classes populaires. Nous poursuivons ce mouvement.

Nous avons également, grâce au pacte de responsabilité et de solidarité, baissé les impôts sur les entreprises et le coût du travail pour 40 milliards. Nous avons également engagé, comme en attestent les derniers chiffres, la baisse de la dépense publique. Le Président de la République l’a encore rappelé hier matin, les ministres des finances et du budget également : nous atteindrons notre objectif de moins 3 % en 2017.

M. Jean-Pierre Barbier. Cela va donc bien mieux !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Vous nous reprochez par ailleurs de prendre des engagements, mais nous agissons aussi ! Vous-mêmes, vous profitez des primaires de la droite pour promettre des baisses d’impôts – plus exactement une hausse de la TVA et une suppression de l’impôt sur la fortune, car telle est votre conception de la justice fiscale !

M. Sylvain Berrios. Et la primaire de gauche ?

M. Manuel Valls, Premier ministre. Comment comptez-vous gager ces mesures ? Dites-le au moins dans votre question : en supprimant 300 000 fonctionnaires ! Vous voulez tailler dans les effectifs de la police, de la gendarmerie, de l’éducation nationale, des hôpitaux, des collectivités territoriales ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Philippe Meunier. C’est faux !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Quand on essaie de débattre des engagements à prendre, vous vous contentez de promesses alors que nous, nous gouvernons depuis quatre ans !

M. Julien Aubert. On voit le résultat !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Que faites-vous, de votre côté ? Vous prenez, devant les Français, des engagements qui aboutiront à remettre en cause notre modèle social.

J’en viens enfin à ce dont vous ne cessez de parler depuis quelques semaines : les cadeaux. C’est un terme, mesdames et messieurs les députés de l’opposition, particulièrement méprisant. Des cadeaux pour qui ? Les agriculteurs en difficulté à qui nous avons accordé plus d’un milliard d’euros pour les soutenir ? Les policiers et les gendarmes qui ont besoin de nous et dont nous avons augmenté le nombre de postes ainsi que le régime indemnitaire, comme vient de le rappeler Bernard Cazeneuve ? (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Yves Fromion. Mais arrêtez donc !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Les fonctionnaires dont le point d’indice était gelé depuis six ans et qui font vivre aujourd’hui le pacte républicain ? Les enseignants qui, comme le soulignait il y a un instant l’un d’entre vous, permettent aux élèves de s’émanciper ?

Cadeaux pour les fonctionnaires, les agents, ceux qui incarnent l’État au quotidien ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Oui, monsieur le député, je suis prêt à débattre avec vous de l’idée que nous nous faisons de notre modèle social, du pacte républicain et du rôle de l’État dans notre pays. Par votre politique ultralibérale, vous êtes en train d’abandonner une certaine conception de la France. Je continuerai, pour ma part, à la défendre. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et sur certains bancs du groupe écologiste.)

M. Axel Poniatowski. Zéro !

Reprise dans l’industrie automobile

M. le président. La parole est à M. Frédéric Barbier, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Frédéric Barbier. Monsieur le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique, député d’un territoire dominé par l’industrie automobile, je préside à l’Assemblée nationale le groupe d’études sur l’automobile et je suis vice-président de la mission d’information sur l’offre automobile française.

Durant les quatre premiers mois de 2016, le marché français des voitures particulières a progressé de 7,7 %, s’établissant à 698 000 unités. La compétitivité des entreprises du secteur automobile est ainsi retrouvée. La croissance revient, la consommation repart, l’investissement redémarre, les déficits publics sont maîtrisés.

Les feux passent au vert dans l’industrie automobile. Cette embellie, nous la devons aux réformes engagées par le Gouvernement – pacte de responsabilité et de solidarité, CICE.

Les deux grands constructeurs français, Peugeot-Citroën et Renault-Nissan, ont renoué avec les bénéfices grâce à la conjugaison de ces différents facteurs.

Concernant le groupe PSA, l’entrée de l’État au capital de l’entreprise, le sauvetage de la banque du groupe grâce à un prêt d’État de 6 milliards d’euros, ont permis de participer à son redressement. L’action du Gouvernement depuis 2012 a vraiment été déterminante.

Pourtant les augmentations de salaires des salariés sont restées anecdotiques en 2015 et l’emploi précaire touche aujourd’hui plus de 30 % des salariés en production.

Malgré la reprise économique, trop de Français ne constatent pas encore d’amélioration de leur situation. La reprise doit profiter à celles et ceux qui produisent les richesses. En Allemagne, un accord entre patronat et syndicat a prévu une augmentation de 4,8 % des salaires sur deux ans.

Monsieur le ministre, l’État actionnaire a un rôle à jouer pour accompagner la redistribution des richesses. Comment pouvez-vous agir auprès de la direction du groupe PSA et de son P.-D.G. qui a doublé son salaire en un an, afin que l’entreprise pérennise l’emploi et fasse un geste significatif en faveur de la rémunération salariale. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique.

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique. Monsieur le député, je ferai deux remarques générales avant d’en venir à la situation de PSA. Tout d’abord, l’industrie automobile, vous l’avez souligné, a redémarré. Les volumes ont fortement augmenté, en particulier pour le véhicule individuel, même si nous n’avons pas tout à fait retrouvé les chiffres antérieurs à la crise. Nous devons donc rester prudents.

Par ailleurs, une différence existe entre la situation française et la situation allemande. Si les syndicats de l’industrie allemande ont négocié récemment une forte augmentation de salaire, n’oublions pas que cet accord fait suite à une dizaine d’années de très forte modération salariale en Allemagne.

M. André Chassaigne. Pas dans l’industrie !

M. Emmanuel Macron, ministre. Comparer la France et l’Allemagne, c’est comparer deux économies dont les compétitivités se sont profondément écartées en raison d’une modération salariale forte en Allemagne, contrairement à la France.

Les mesures que nous avons prises, qu’il s’agisse du CICE ou du pacte de responsabilité et de solidarité, conjuguées au relâchement allemand, nous permettent de retrouver une compétitivité relative, mais si nous prenions à notre tour les mêmes mesures salariales, nous la perdrions à nouveau. Ce ne serait pas la bonne décision.

S’agissant de PSA, je répète, au cas où certains en douteraient encore, que l’État est un bon actionnaire et qu’il participe, en tant que tel, à la politique industrielle. L’entreprise PSA comptait des salariés au fort savoir-faire et des sites productifs compétitifs mais elle se trouvait dans une situation conjoncturelle difficile. Nous avons trouvé un actionnaire chinois qui offrait un marché nouveau et des compétences. Il était nécessaire de consolider son entrée au capital avec l’État, ce que nous avons fait. C’est une mesure bonne pour l’entreprise, pour le projet industriel et pour le contribuable puisque les plus-values s’élèvent à plusieurs centaines de millions d’euros.

Nous enclenchons à présent la rénovation du contrat social, et nous avons demandé en mai dernier à l’entreprise de réduire l’intérim et de pérenniser les emplois, les investissements et les sous-traitants. (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Politique éducative

M. le président. La parole est à M. Vincent Ledoux, pour le groupe Les Républicains.

M. Vincent Ledoux. Madame la ministre de l’éducation nationale, le gouvernement auquel vous appartenez sonne la fin de l’idée socialiste, désormais réduite à une étiquette politique sans contenu doctrinal. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.) Dans Comprendre le malheur français, l’historien et philosophe Marcel Gauchet en conclut que « dans ces conditions, il reste en lice la gauche morale, qui compense son vide intellectuel par la virulence de ses postures dénonciatrices…

M. Jean-Paul Bacquet. Question vide intellectuel, vous vous y entendez !

M. Vincent Ledoux. …et la gauche électorale, qui s’occupe des affaires sérieuses, c’est-à-dire la conquête du pouvoir et les carrières politiques ».

La gauche électorale, nous l’avons entendue hier à la radio. « Ça va mieux », qu’il disait !

La gauche morale, nous l’entendons ici même, lorsque, pour masquer la confusion née de l’affaire Black M, le Premier ministre distribue les mauvais points à cette droite qui a l’outrecuidance de faire primer la morale républicaine sur la création artistique.

La gauche morale c’est aussi vous, madame la ministre, qui osez ressortir des vieux concepts pour opposer la France des curés à celle des instituteurs au nom de valeurs républicaines qui sont pourtant aussi bien défendues dans le privé que dans le public. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

C’est Sarkozy qui les a opposées !

C’est ainsi près de la moitié des établissements scolaires, primaires et secondaires de ma circonscription que vous avez blessés.

Nous ne sommes plus en 1984, madame la ministre, mais nous sommes toujours prêts à marcher sur la Bastille pour défendre l’éducation nationale dans toutes ses composantes ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen. – Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.) Ainsi quand dans le Nord une différence de traitement frappe le privé dans les moyens dédiés aux classes bilangues, suite à votre réforme du collège.

Gauche morale ou gauche électorale, il vous reste moins d’un an pour répondre aux vraies questions posées par notre système éducatif, qui ne va pas mieux. Puissiez-vous apporter des vraies réponses là où, trop souvent, vous en appelez au bilan de vos prédécesseurs ! Pourtant vous n’êtes pas au Gouvernement pour faire œuvre d’historienne impartiale mais bien plutôt pour agir !

Quid du bilan des nouveaux rythmes scolaires ? Quid des actions que vous allez mener pour lever les angoisses qui étreignent la chaîne éducative, parents, enseignants, élus, de la maternelle à l’université ?

Ça ne va pas mieux, madame la ministre, et les représentants de la nation attendent de vous, non des postures mais des engagements clairs et précis. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Comment vous dire, monsieur le député ? Je rêve d’un débat sur les politiques éducatives qui serait serein et de bonne foi.

M. Sébastien Huyghe. « De bonne foi » ? Ça vous va bien de dire ça !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Je rêve vraiment d’un débat dans lequel nous partagerions des objectifs simples, communs et des analyses sérieuses, objectives. Longtemps j’ai tenté de vous entraîner sur ce terrain, considérant que l’éducation devait dépasser les clivages partisans. Mais force m’est de constater que vous avez préféré les outrances, la caricature, les contrevérités ; force m’est de constater que vous n’aurez jamais fait, depuis 2012, le moindre début de commencement de mea culpa pour le véritable sacrifice de l’école publique accompli pendant le quinquennat précédent. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen. – Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Sébastien Huyghe. Vous êtes discrédités !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Alors, monsieur le député, ne vous étonnez pas que je vous renvoie sans cesse à cette faute originelle ; ne vous étonnez pas que je ne vous estime pas les mieux placés au monde pour donner des leçons de politique éducative à ce gouvernement, qui agit depuis 2012 pour faire de l’école sa priorité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen). Ne vous étonnez pas, puisque visiblement l’égalité d’accès à la réussite de nos élèves ne vous intéresse pas, que je ne consacre plus de temps que cela à répondre à vos questions et que je mette toute mon énergie à agir. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen. – Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Plusieurs députés du groupe Les Républicains. Zéro !

M. Jean-Claude Bouchet. Vous ne pouvez traiter ainsi les élus de la nation !

Crise de la mytiliculture

M. le président. La parole est à M. Hugues Fourage, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Hugues Fourage. Ma question, monsieur le secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche, porte sur la crise de la mytiliculture dans le Grand Ouest. J’y associe mes collègues de Vendée, de Charente-Maritime, de Loire-Atlantique, du Finistère et du Morbihan siégeant sur l’ensemble des bancs de cet hémicycle.

Comme vous le savez, monsieur le secrétaire d’État, les mytiliculteurs du Grand Ouest sont confrontés de nouveau à une situation difficile. Depuis mars 2014, plusieurs épisodes de forte mortalité, très localisés, ont affecté la reproduction dans des proportions qui ont atteint par endroits 90 % la première année, 70 % la deuxième, et qui sont aujourd’hui de l’ordre de 70 à 80 %.

Vous aviez à l’époque pris cette crise en compte au travers d’un plan d’aide conséquent destiné à l’ensemble des acteurs de la filière. Les aides doivent être renouvelées dans le cadre d’un nouveau plan de soutien à la filière afin de répondre plus efficacement aux difficultés de trésorerie récurrentes que rencontrent les entreprises touchées. Il est également impératif que la ou les causes de la mortalité soient découvertes dans les plus brefs délais, d’autant que L’Aiguillon-sur-Mer, premier centre naisseur en France, est particulièrement touché.

Depuis plus de deux ans maintenant, l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer – IFREMER – travaille sur cette crise dont l’extension territoriale, l’intensité croissante et la récurrence ne cessent de nous inquiéter. Les résultats concrets se font attendre et les mytiliculteurs sinistrés jugent urgent un plan de soutien, indispensable à leur survie. Ils ont besoin de lisibilité quant à l’avenir de leur activité.

Quelles mesures le Gouvernement entend-il mettre en place, tant pour aider la filière que pour accélérer l’identification des causes de la mortalité ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Dominique Bussereau. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche.

M. Alain Vidalies, secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche. En effet, monsieur le député, les remontées du terrain font état d’une mortalité de moules principalement concentrée en Vendée, en Charente-Maritime et dans les baies de l’Aiguillon et de Bourgneuf. D’autres départements, vous l’avez dit, sont également concernés.

Avec Ségolène Royal, nous suivons attentivement une situation qui appelle aujourd’hui deux niveaux de réponse.

Pour ce qui est du court terme et compte tenu de l’urgence, je vous annonce que le Gouvernement a décidé la mise en place d’un nouveau plan d’urgence de quatre millions d’euros, qui permettra aux entreprises de faire face à leurs difficultés de trésorerie. Les préfets réuniront l’ensemble des acteurs concernés afin de calibrer les besoins et de construire le dispositif. Je salue au passage l’engagement des collectivités locales pour nous permettre d’apporter ensemble une réponse. Ce plan d’aide, comme il est logique, sera notifié à la Commission européenne et nous mobiliserons le commissaire européen sur ce sujet.

À plus long terme, nous devons travailler à un plan d’action pluriannuel de gestion des risques conchylicoles. Avec Stéphane Le Foll, nous avons nommé un coordinateur sanitaire national chargé d’étudier ces phénomènes de mortalité dans leur ensemble. Il est déjà au travail. L’IFREMER, vous le savez, est pleinement mobilisé pour déterminer avec une plus grande précision les causes de cette mortalité. Enfin, une réflexion devra être conduite avec la profession au sujet de la mise en place de mécanismes économiques de gestion des risques permettant aux entreprises de mieux faire face à ce type de situation à l’avenir.

Monsieur le député, le Gouvernement mesure la gravité et l’urgence de la situation. Il lui apporte des réponses urgentes et il souhaite que les entreprises, demain, prennent en compte leur avenir. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures vingt-cinq, sous la présidence de M. David Habib.)

Présidence de M. David Habib

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

2

Remplacement d’un vice-président

M. le président. Mes chers collègues, je vous indique que la présidente du groupe écologiste a fait savoir au président de l’Assemblée nationale que M. Denis Baupin, démissionnaire de ses fonctions de vice-président, serait remplacé par M. François de Rugy.

Cette nomination prend effet à compter d’aujourd’hui.

3

Statut des magistrats et Conseil supérieur de la magistrature

Suite de la discussion d’un projet de loi organique

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi organique, adopté par le Sénat, relatif aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats ainsi qu’au Conseil supérieur de la magistrature (no3200, 3716).

Discussion des articles

M. le président. J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles du projet de loi.

Articles 1er à 4

(Les articles 1er, 2, 3 et 4 sont successivement adoptés.)

Article 5

M. le président. La parole est à Mme Cécile Untermaier, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour soutenir l’amendement n62 rectifié.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Il s’agit par cet amendement de modifier l’une des dispositions de l’article 5 en portant de trente-et-un à douze mois le temps de scolarité des auditeurs de justice recrutés au titre du sixième alinéa.

Nous tenons tout d’abord à saluer l’initiative du Gouvernement car ce dispositif ambitieux permettra d’assouplir les exigences de nomination des auditeurs de justice, notamment les docteurs en droit.

Il nous a toutefois paru, à l’examen de cet article, qu’il créait une rupture d’égalité. En effet, un docteur en droit qui possède les diplômes requis pour le doctorat, ce qui représente quasiment dix années d’études, et justifie d’au moins trois années d’exercice professionnel, en qualité de juriste assistant, aux côtés d’un magistrat – il n’y a pas meilleure formation professionnelle – se voit obligé de suivre la totalité de la formation au sein de l’ENM, l’École nationale de la magistrature.

Ces docteurs en droit, qui sont des étudiants brillants et seront sans doute sélectionnés au vu du cursus qu’ils ont suivi à l’université, subissent un retour à la case départ, au même titre que les autres personnes concernées par l’article 5, et se voient obligés de suivre la totalité de la formation.

Je considère qu’au regard de leur formation, de l’excellence du diplôme qu’ils ont obtenu, dont la qualité ne doit souffrir aucune ambiguïté, la durée de leur scolarité à l’ENM est trop longue et peut décourager ces personnes qui, après dix années d’études et trois ans de formation professionnelle, possèdent une connaissance approfondie du droit et une expérience réelle en juridiction.

Je propose donc, pour des raisons d’économies – une formation à l’ENM n’est pas gratuite… – et pour les raisons que je viens d’indiquer, de ramener la durée de leur scolarité à douze mois de sorte qu’au bout de quatre ans ils soient en capacité d’exercer les fonctions de magistrat, au regard d’une formation en droit qui ne souffre aucune critique et d’une formation professionnelle de trois années qui valide leur capacité à exercer ces fonctions.

À titre de comparaison, comme je l’ai évoqué au début de mon propos, les personnes titulaires d’un diplôme sanctionnant une formation d’une durée de cinq ans relèvent du même régime. Il me semble que cinq ans d’études et une formation de docteur en droit et dix ans d’études, ce n’est pas la même chose. Il me paraît plus juste de prendre cela en considération et de faire en sorte que cette mesure ait une chance réelle de succès.

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice, pour donner l’avis du Gouvernement.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice. Le Gouvernement émet un avis défavorable à cet amendement.

Tout d’abord pour deux raisons de forme. Ce type de raccourcissement de la durée de la scolarité est déjà prévu pour les auditeurs recrutés au titre de l’article 18-1 de l’ordonnance n58-1270 ; par ailleurs, cette disposition relève du domaine réglementaire et doit être prévue dans une ordonnance et non dans la loi organique que nous sommes en train d’examiner, ce qui pose un problème de norme.

Surtout, ce que vous proposez ne sert pas l’intérêt de ceux qui seront recrutés parce qu’ils le seront pour une compétence particulière. Or, pendant le temps durant lequel ils exerceront en juridiction, ils ne verront pas les autres aspects de leur métier.

Or la scolarité à l’École nationale de la magistrature est composée de plusieurs séquences, de façon à donner à ses élèves une vision d’ensemble de leur métier et de ses différentes facettes. En permettant à certains auditeurs de suivre une scolarité raccourcie, on risque de fragiliser leur formation ; faute d’aptitudes à exercer toute la diversité des tâches inhérentes au métier de magistrat, ils risquent d’être mal jugés. Pour protéger ces auditeurs, l’avis du Gouvernement est donc défavorable – indépendamment du fait que cela relève du domaine réglementaire. La meilleure solution, madame la rapporteure, serait que vous retiriez cet amendement.

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Nous avons longuement discuté de cette question au sein de la commission des lois. Cette disposition nous paraît nécessaire pour garantir le succès de la jeunesse dont je parlais, qui est passée par une voie tout aussi excellente, à l’Université, que les autres élèves de l’ENM, et pour faire en sorte qu’elle soit attirée vers la magistrature comme par un appel d’air. Je maintiens donc cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. Madame la rapporteure, nous examinons ce texte en tant que législateur organique ; or ce n’est pas au législateur organique qu’il revient de fixer le régime des week-ends des élèves de l’ENM, ni de décider du nombre d’heures d’anglais ou de français dans leur programme ! Pardon d’insister : ce n’est pas du tout le rôle du législateur organique. La question que vous soulevez est intéressante, mais elle relève d’un autre domaine – quasiment le règlement intérieur de l’école.

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. La loi organique fixe déjà la durée de nombreux stages. En réalité, la durée que je propose dérange ! Vous m’expliquez qu’elle ne peut figurer dans la loi organique : j’ai du mal à l’admettre, car nous avons fixé des dispositions similaires dans des textes de même niveau. Au contraire – et nos débats l’ont montré –, il serait vraiment utile d’introduire cette disposition dans la loi organique. Sans cela, nous savons très bien que cette durée de formation ne sera jamais réduite de la sorte.

(L’amendement n62 rectifié est adopté.)

(L’article 5, amendé, est adopté.)

Après l’article 5

M. le président. La parole est à Mme Cécile Untermaier, rapporteure, pour soutenir l’amendement n63 rectifié.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. C’est un amendement de conséquence.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Il est toujours défavorable : il s’agit d’un projet de loi organique, je suis donc certain que ces amendements ne prospéreront pas devant le Conseil constitutionnel.

(L’amendement n63 rectifié n’est pas adopté.)

Article 6

(L’article 6 est adopté.)

Après l’article 6

M. le président. La parole est à M. Philippe Gosselin, pour soutenir l’amendement n19.

M. Philippe Gosselin. Cet amendement concerne, lui aussi, la formation des magistrats. Vu l’avis du Gouvernement sur les amendements précédents, je pressens qu’il sera également défavorable à celui-ci. Quoi qu’il en soit, il s’agit de préserver l’innovation, qui est un déterminant essentiel de la croissance ; c’est l’objet du droit de la propriété intellectuelle et du droit des brevets. Ils constituent une branche du droit spécifique, et sont généralement très mal connus, très mal maîtrisés. Sans tirer de conclusion hâtive, nous constatons qu’à l’ENM, il n’y a pas de formation particulière dans ce domaine. L’apprentissage des magistrats se fait donc sur le tas, en cours de carrière.

Encore une fois, je ne veux pas dire par là qu’ils seraient incompétents. Au contraire, je présente les choses de manière positive : il faut mettre en avant cette branche spécifique du droit. Pour cela, l’amendement n19 vise à améliorer le recrutement, les nominations par le Conseil supérieur de la magistrature et la formation professionnelle des magistrats, afin de garantir leurs compétences techniques, juridiques. C’est nécessaire pour que les juges protègent encore plus efficacement nos entreprises, notamment les entreprises innovantes.

Les magistrats doivent être parfaitement qualifiés pour exercer des fonctions dans les juridictions spécialisées que sont le TGI de Paris, qui s’occupe du contentieux des brevets, ou les TGI de Bordeaux, Fort-de-France, Lille, Lyon, Marseille, Nanterre, Nancy, Paris, Rennes et Strasbourg qui sont, quant à eux, compétents en matière de dessins et modèles, de marques et de propriété littéraire et artistique. Il s’agit donc d’adapter encore mieux la formation des magistrats aux réalités de ce droit très spécifique.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Je comprends tout à fait la préoccupation exprimée par M. le député Philippe Gosselin. Cette précision ne me semble cependant pas utile ; le Conseil supérieur de la magistrature peut tout à fait retenir ces recommandations, sans pour autant qu’elles soient inscrites dans la loi organique.

M. Philippe Gosselin. C’est la même chose que pour la durée de douze mois que vous avez inscrite dans le texte, madame la rapporteure !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Avis défavorable, car cela ne relève pas vraiment de la loi organique. De plus, la formation des magistrats, dont Philippe Gosselin se soucie, est déjà bien encadrée : pour les magistrats du siège, des attestations de suivi sont versées à leur dossier, et pour les magistrats du parquet, un membre du CSM fait un rapport au moment de leur nomination, qui tient compte de cette question. En outre, vous savez que les magistrats ont une obligation de formation de cinq jours par an.

Très honnêtement, je ne vois pas ce que votre amendement apporte de plus à ces dispositions. Je vous engage donc à le retirer, car le Gouvernement y est défavorable.

M. le président. La parole est à M. Julien Aubert.

M. Julien Aubert. C’est un problème de méthode : tout à l’heure, nous avons voté un amendement qui ne relevait manifestement pas du domaine de la loi organique, puisqu’il visait à fixer la durée de formation d’une partie des élèves de l’ENM. Or à présent, madame la rapporteure nous explique qu’un amendement visant à garantir la spécialisation des magistrats, à faire en sorte qu’ils soient bien formés, est inutile. Je comprends son argument, mais il y a vraiment deux poids, deux mesures ! Peut-être cette différence de traitement tient-elle à la différence entre les auteurs des amendements ?

M. Philippe Gosselin. Certainement pas ! On n’a pas le droit de le penser ! (Sourires sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Julien Aubert. À moins qu’elle soit justifiée par une autre différence, auquel cas je serais ravi de l’apprendre.

Sur le fond, j’ai bien compris votre argumentation, madame la rapporteure, mais je la trouve un peu légère, si vous me permettez. Vous ne répondez pas – non plus que M. le garde des sceaux, d’ailleurs – à la préoccupation de fond exprimée par notre collègue Philippe Gosselin.

L’exposé sommaire de l’amendement contient de nombreux éléments concernant le droit des brevets et la défense de la propriété intellectuelle. Préciser, dans la loi organique, ces éléments, serait-il contradictoire avec la politique que vous menez ? Je ne le crois pas. Je crois au contraire que cela reviendrait à nous doter d’un garde-fou supplémentaire. Je vous pose donc la question : cet amendement mérite-t-il d’être repoussé ?

Monsieur le ministre, vous avez répondu en nous donnant des éléments d’ordre général concernant la formation, mais vous n’avez pas abordé le problème précis soulevé par cet amendement : la propriété intellectuelle. Or on sait que cela a un effet important sur les entreprises.

(L’amendement n19 n’est pas adopté.)

Articles 7 à 20

(Les articles 7, 8, 9, 9 bis, 9 ter, 9 quater, 10, 11, 11 bis, 12, 13, 14, 14 bis, 15, 16, 17, 18, 19 et 20 sont successivement adoptés.)

Article 21

M. le président. La parole est à M. Guillaume Larrivé, inscrit sur l’article.

M. Guillaume Larrivé. Monsieur le ministre, lors de la discussion générale, j’ai évoqué la difficulté que posent les dispositions prévues par cet article, s’agissant du collège de déontologie qui serait institué au sein de l’autorité judiciaire. Pourriez-vous nous donner des précisions quant à l’articulation entre cette nouvelle instance, d’une part, et les fonctions dévolues par la Constitution au Conseil supérieur de la magistrature, d’autre part ?

Nous avons pris connaissance des déclarations faites par le premier président de la Cour de cassation à un grand journal du matin ; il indiquait avoir créé, au sein du CSM, un service d’aide à la déontologie composé de trois personnalités, appelé à connaître de cas individuels, et des interrogations que se poseraient les magistrats s’agissant de déontologie. Le premier président de la Cour de cassation lui-même, en sa qualité de président du Conseil supérieur de la magistrature, s’interroge sur ce que pourrait faire le législateur organique.

Il me semble que l’article 35 de la Constitution réserve clairement au CSM la compétence – et donc toute la compétence – pour connaître des questions relatives à la déontologie des magistrats. Je crains que les dispositions nouvelles créant un collège de déontologie des magistrats judiciaires parallèlement – et donc extérieurement – au CSM soient contraires à la Constitution. C’est même probable. Quoi qu’il en soit, ce ne sont pas des dispositions de bonne administration, puisque tout doublon peut causer un désordre.

M. le président. La parole est à M. Marc Dolez, pour soutenir l’amendement n61.

M. Marc Dolez. La commission a précisé, à l’article 21, que la déclaration d’intérêts ne pourra comporter « aucune mention des opinions ou des activités politiques, syndicales, religieuses ou philosophiques du magistrat, sauf lorsque leur révélation résulte de la déclaration de fonctions ou de mandats exercés publiquement. » C’est incontestablement une avancée : pour notre part, nous la saluons.

Cependant le texte reste silencieux quant au contenu précis de l’entretien déontologique. C’est pourquoi nous proposons, par cet amendement, de préciser que l’entretien, comme la déclaration d’intérêts, ne mentionne pas les opinions ou les activités politiques syndicales, religieuses ou philosophiques du magistrat.

Autrement dit, nous sommes favorables à la mise en place d’instruments de prévention et de règlement des conflits d’intérêts au sein de la magistrature judiciaire, car les règles actuelles sont insuffisantes et ne permettent pas d’empêcher des pratiques contestables, mais nous considérons aussi que ces dispositifs doivent garantir explicitement la liberté d’opinion et d’expression des intéressés.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Sur le fond, nous partageons votre préoccupation, concernant la déclaration d’intérêts. Nous avons donc inséré à l’alinéa 14 la phrase suivante : « La déclaration d’intérêts ne comporte aucune mention des opinions ou des activités politiques, syndicales, religieuses ou philosophiques du magistrat, sauf lorsque leur révélation résulte de la déclaration de fonctions ou de mandats exercés publiquement. » Voilà pour la déclaration d’intérêts : nous sommes d’accord avec vous sur ce point.

S’agissant de l’entretien, il nous est difficile d’interdire aux participants de se dire, par oral, telle ou telle chose ! Il est bien évident toutefois que l’entretien ne peut que refléter ce qui a été porté dans la déclaration d’intérêts ; de la sorte, les deux participants à cet entretien tiendront compte de votre préoccupation.

L’avis de la commission est donc défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Même avis.

(L’amendement n61 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Untermaier, rapporteure, pour soutenir l’amendement n23.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. C’est un amendement rédactionnel.

(L’amendement n23, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Lionel Tardy, pour soutenir l’amendement n5.

M. Lionel Tardy. Le Sénat a modifié de façon très intéressante et très positive l’article 21. Il est tout à fait positif, par exemple, que les déclarations de patrimoine des hauts magistrats soient envoyées à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique, et non à une commission ad hoc de recueil des déclarations de patrimoine des magistrats de l’ordre judiciaire, comme le prévoyait le projet de loi initial.

Cependant, mes chers collègues, j’appelle votre attention sur le fait que le collège de la HATVP comprend deux conseillers de la Cour de cassation en activité ou honoraires, élus par l’ensemble des magistrats du siège hors hiérarchie de la Cour. Aux termes de cet article, ces deux conseillers devront se pencher sur les déclarations de patrimoine du premier président et des présidents de chambre de la Cour de cassation. Des magistrats du siège, membres de la Cour de cassation, seraient ainsi conduits à examiner les déclarations d’autres magistrats du siège, membres de cette même juridiction. Je ne doute pas de leur probité, mais tout de même, ce problème ne s’est jamais posé depuis la création de la HATVP.

Cet amendement d’appel vise donc à résoudre ce problème, en prévoyant un déport des deux conseillers membres de la HATVP dans ce cas précis.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Votre observation est tout à fait fondée, monsieur le député, mais de mon point de vue, il n’y a pas lieu de prévoir a priori

M. Lionel Tardy. Si.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. …la manière dont la Haute autorité statuera sur les déclarations de patrimoine des membres de la Cour de cassation.

M. Lionel Tardy. Pourquoi ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. C’est au niveau interne que cette Autorité indépendante doit délibérer de la manière la plus impartiale possible quels que soient les déclarants concernés.

M. Lionel Tardy. Pour nous, c’est prévu. Les autres, ils font comme ils veulent !

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Par ailleurs, dans un souci de cohérence avec la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, le législateur n’a rien prévu à propos des déclarations de patrimoine des membres du Conseil d’État et de la Cour des comptes alors que la Haute autorité comporte deux conseillers d’État et deux conseillers maîtres à la Cour des comptes.

M. Lionel Tardy. C’est à corriger.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. L’avis de la commission est défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Mon avis est défavorable pour les mêmes raisons. J’ajoute que la loi qui a créé la Haute autorité prévoit des modalités de déport quand des personnes viendraient à se trouver dans des situations délicates à l’instar de celles que vous évoquiez.

Pour respecter le parallélisme des formes, dans la mesure où cela n’est pas prévu pour les magistrats administratifs et les magistrats financiers, nous ne souhaitons pas qu’il y ait une spécificité pour les magistrats judiciaires. J’ajoute qu’au sein de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique, les mécanismes de déport fonctionnent. Contrairement à ce que vous avez indiqué, la Haute autorité s’est déjà trouvée confrontée à cette question et le mécanisme de déport a fonctionné.

(L’amendement n5 n’est pas adopté.)

(L’article 21, amendé, est adopté.)

Après l’article 21

M. le président. La parole est à M. Marc Dolez, pour soutenir l’amendement n60 portant article additionnel après l’article 21.

M. Marc Dolez. Il s’agit par cet amendement de reformuler l’article 10 de l’ordonnance de 1958 dont la rédaction actuelle nous semble entretenir une confusion sur la possibilité pour les magistrats de s’exprimer collectivement ou de manifester.

D’une part, nous proposons de préciser que seule l’hostilité à la forme républicaine du gouvernement est un positionnement incompatible avec l’appartenance au corps judiciaire.

D’autre part, nous précisons que dans l’exercice du droit de grève, les magistrats ne peuvent faire obstacle au traitement du contentieux de la privation de liberté.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. L’avis est défavorable car cet amendement introduit une limitation : la grève ne serait interdite que si elle fait obstacle au traitement contentieux de la privation de liberté. Cette exception serait largement insuffisante en pratique. En outre, l’amendement supprimerait des dispositions en vigueur comme toute démonstration de nature politique incompatible avec la réserve que leur imposent leurs fonctions.

En tout état de cause, il ne nous semble pas opportun de modifier l’équilibre actuel. Je rappelle que certains collègues de l’opposition veulent, au contraire, limiter le droit syndical des magistrats, que le projet de loi organique vient au contraire consacrer et renforcer. Je propose que nous en restions là.

Le texte actuel de l’article 10 de l’ordonnance de 1958 précise que « Toute délibération politique est interdite au corps judiciaire. Toute manifestation d’hostilité au principe ou à la forme du gouvernement de la République est interdite aux magistrats, de même que toute démonstration de nature politique incompatible avec la réserve que leur imposent leurs fonctions. Est également interdite toute action concertée de nature à arrêter ou à entraver le fonctionnement des juridictions. » J’ai fait ce rappel en anticipant les observations qui pourraient nous être faites s’agissant du droit syndical.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le Gouvernement est défavorable à l’amendement de Marc Dolez car nous souhaitons maintenir le devoir de réserve concernant les magistrats. C’est une obligation déontologique qui ne peut reposer que sur des dispositions statutaires sur lesquelles nous ne souhaitons pas revenir. L’écriture de l’article est certes plus large, mais elle nous paraît plus opportune.

M. le président. La parole est à M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. Permettez-moi de revenir sur le point précédent car nous n’avons pas entendu la réponse de M. le ministre en ce qui concerne le collège de déontologie des magistrats. Pensez-vous, monsieur le ministre, que cette disposition est conforme à la Constitution, s’agissant des missions du Conseil supérieur de la magistrature, le CSM ? Deuxièmement, pensez-vous que l’articulation entre le nouveau service d’aide à la déontologie créé au sein du CSM et le nouveau collège de déontologie créé par la loi organique, est de bonne administration ?

Nous aimerions être éclairés avant d’avoir à nous prononcer de manière définitive mardi prochain lors du vote solennel.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Je remercie Guillaume Larrivé de sa ténacité. Dans un souci de rationalité, je donnerai mon avis ultérieurement au moment de l’examen des amendements relatifs au collège de déontologie.

M. Guillaume Larrivé. Entendu.

(L’amendement n60 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. René Dosière, pour soutenir l’amendement n7.

M. René Dosière. Comme en 2011, je propose un amendement qui interdit aux magistrats, pendant l’exercice de leurs fonctions, d’être décorés, ce qui ne peut que renforcer leur indépendance.

M. Bernard Gérard. Absolument. Bonne idée.

M. René Dosière. Dans une proposition de loi déposée le 18 décembre 1903, notre collègue républicain Léon Mirman, député de la Marne, proposait de supprimer toutes les décorations, considérant qu’il s’agissait d’un legs issu de la monarchie et que « pour une initiative utile qu’il stimule, l’espoir d’un ruban déchaîne cent convoitises ».

Le maintien des décorations sous le régime républicain en établit désormais la légitimité. Toutefois, en vertu de l’article 12 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, les parlementaires ne peuvent être nommés ni promus durant l’exercice de leurs fonctions afin de conforter leur indépendance.

La même exigence légitime devrait s’appliquer à la magistrature, soucieuse à juste titre de son indépendance. L’interdiction de recevoir certaines décorations au titre et durant leur vie professionnelle contribuerait, sans aucun doute, à renforcer cette indépendance.

Cette interdiction constitue la meilleure façon pour que le citoyen ne s’interroge pas sur les raisons d’une récompense vite supposée – abusivement bien sûr – être la contrepartie d’un service. Image dangereuse qui nous rappelle que la femme de César doit être insoupçonnable.

Bien sûr, me dira-t-on, les magistrats ne sont pas seuls dans ce cas. Mais justement, ce n’est pas parce que d’autres abusent ou sont abusés que les magistrats doivent se prêter à ce jeu.

Dans nos institutions, ils constituent le pouvoir d’équilibre, celui qui touche impartialement les litiges, celui qui ne peut interpréter la loi qu’eu égard au sens et au respect de l’intérêt général. Ils sont exemplaires et doivent le rester.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. C’est une question légitime, que vous-même avez posée à plusieurs reprises, mais qui mérite concertation et réflexion. Certes, il faut aller plus avant, mais pas dans le cadre du présent texte. Votre proposition reviendrait à montrer du doigt le corps judiciaire lequel n’a pas démérité. Une telle mesure serait extrêmement mal vécue et ressentie par le corps judiciaire. Même s’il faut un début à tout, il faut appréhender cette question par une approche globale.

M. Martial Saddier. Comme c’est dit avec élégance !

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Votre réflexion, considérée par nombre d’entre nous comme étant utile, doit prospérer, mais de façon rassembleuse et non discriminante pour le corps judiciaire. Il s’agit non de récompenser la qualité du jugement, mais la qualité du travail et du service public rempli par les magistrats dans le cadre de leurs fonctions.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Les décorations visent à reconnaître des mérites éminents. Je ne ferai pas le parallèle entre les parlementaires et les magistrats de l’ordre judiciaire. Les uns incarnent le pouvoir législatif, les autres sont une autorité judiciaire et ne suivent pas les mêmes règles, les mêmes principes.

Dans le cadre de la responsabilité que j’ai l’honneur d’exercer depuis maintenant trois mois et vingt jours…

M. Éric Ciotti. Vous comptez les jours ? C’est vrai que c’est du temps gagné ! (Sourires sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. En effet, je compte les jours pour ne pas en perdre un seul et de façon à être efficace jusqu’au bout.

M. Éric Ciotti. C’est vrai que l’échéance approche ! (Sourires.)

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Je vous remercie de vous préoccuper de mon sort, monsieur le député. Votre vigilance me va droit au cœur. (Sourires.)

Dans le cadre de mes fonctions, je vis comme un privilège le fait d’avoir à remettre des légions d’honneur. J’ai remis la Légion d’honneur au président du conseil supérieur du notariat, à la bâtonnière de l’ordre des avocats. Et je remettrai des décorations aux fonctionnaires éminents de l’institution que je dirige aujourd’hui.

Priver les magistrats de l’ordre judiciaire de cette distinction me paraîtrait recevable si cela concernait également les magistrats administratifs et les magistrats financiers. Ne viser que les magistrats judiciaires serait interprété par l’institution – à bon droit, me semble-t-il – comme une marque de défiance. Je ne crois pas, pour ces raisons, que cela soit une bonne idée.

M. Marc Dolez. Vous pouvez proposer un sous-amendement.

M. le président. La parole est à M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. Mes chers collègues, je vais voter l’amendement de M. Dosière, et j’aurais voté avec tout autant d’enthousiasme l’amendement des écologistes si celui-ci avait été défendu. Nous aurions du reste, nous-même, pu le présenter.

Pourquoi ? Si vous me permettez de citer l’adage anglais bien connu : justice must not only be done, it must also be seen to be done. Pardon, cher Julien Aubert, pour cette citation en anglais qui méconnaît la Constitution et son article 2 selon lequel « La langue de la République est le français. »

Cela dit, le fait que des membres du Gouvernement remettent des décorations à des membres de l’autorité judiciaire peut poser des difficultés. Je pense que dans la durée, et vous l’avez dit vous-même, monsieur le garde des sceaux, nous aurons à réfléchir à l’idée simple que les magistrats judiciaires, les magistrats de l’ordre administratif, les magistrats des juridictions financières affirment leur indépendance au point qu’ils n’acceptent pas de décorations remises par le pouvoir exécutif, tout au moins pendant l’exercice de leurs fonctions et sans préjudice d’une éventuelle décoration lorsque leur service aura cessé.

Je voterai donc l’amendement de M. Dosière.

M. le président. La parole est à M. Julien Aubert.

M. Julien Aubert. C’est là que l’on voit que la droite est diverse et riche parce que je ne suis pas de l’avis de mon collègue Larrivé. Peut-être du fait qu’il est fonctionnaire du Conseil d’État et que je suis magistrat de la Cour des comptes. (Sourires.)

Mme Colette Capdevielle. Non, vous êtes tous deux députés !

M. Julien Aubert. C’est en raison de la séparation des pouvoirs que les parlementaires ne peuvent pas recevoir de médaille. Or la justice n’est pas, selon la Constitution, un pouvoir, mais une autorité. À partir de là, il convient de traiter tout le monde de la même manière ou traiter différemment selon que les situations sont différentes.

Vu que la justice n’est pas un pouvoir, il est tout à fait illogique de lui appliquer le statut des parlementaires, à savoir que le pouvoir exécutif ne saurait les récompenser. D’autant que nous vivons sur une large fiction, car l’autorité judiciaire est bel et bien sous l’autorité d’un ministre et, plus largement, sous l’autorité du Président de la République.

Par conséquent, je ne partage pas l’avis de mon collègue même si je peux comprendre que cela puisse poser des problèmes. À la différence des parlementaires qui, au cours de leur carrière, peuvent perdre leur mandat et donc accéder à ces décorations, un magistrat qui par définition fera toute sa carrière dans la magistrature ne pourra à aucun moment se faire remettre une décoration.

Il ne faut pas se réfugier derrière une fiction. En clair, cela signifie qu’un magistrat ne pourra être décoré qu’au moment de la retraite, ce qui est tout de même un peu tard pour reconnaître les mérites d’un corps dont nous sommes unanimes à dire qu’il est d’une grande qualité.

M. le président. La parole est à M. René Dosière.

M. René Dosière. Bien entendu, cet amendement ne marque de ma part aucune défiance à l’égard de la magistrature. J’avais d’ailleurs déposé un amendement de ce type en 2011, la chose n’est donc pas nouvelle. À l’époque, les réactions suscitées par cet amendement – adopté en commission et repoussé en séance publique – ont été diverses. Au sein de la magistrature, certains étaient pour et d’autres contre. Une concertation aboutirait sans doute au même constat.

Au demeurant, figurent dans ce texte des amendements qui auraient mérité une concertation avant d’être déposés. Cela étant, pour répondre à M. le ministre, il est vrai que nous avons un texte sur la magistrature judiciaire et c’est la raison pour laquelle j’ai déposé cet amendement.

Bien entendu, l’on pourrait, si l’Assemblée l’acceptait, étendre cette disposition à d’autres corps de magistrats. Mais commençons par un aspect et montrons l’exemple, nous poursuivrons lorsque nous aurons les bons vecteurs, autrement dit, les textes utiles.

M. le président. La parole est à M. Yves Goasdoué.

M. Yves Goasdoué. J’aurais beaucoup aimé aider notre collègue René Dosière qui fait preuve d’une belle constance, mais pensons quelques secondes au message que nous risquons d’envoyer. Le texte qui nous occupe organise pour partie les préventions des conflits d’intérêts et la transparence au sein des magistrats de l’ordre judiciaire. Il ne s’agit pas bien entendu de marquer vis-à-vis de ces magistrats une quelconque défiance. Il s’agit de les aligner sur un droit commun qui est en train de se construire. Cela peut cependant être compris comme étant péjoratif.

Pas plus que notre groupe, je ne souhaite, cher René, que nous adoptions votre amendement et qu’il soit pris en mauvaise part par les magistrats de l’ordre judiciaire. Comme l’a dit le ministre, lorsqu’un magistrat est décoré, il l’est en raison de services éminents rendus à la République et je ne vois pas ce qu’il pourrait y avoir là de choquant ou de contraire aux dispositions que nous allons prendre dans le cadre de ce projet de loi organique.

M. le président. La parole est à M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. Monsieur Aubert, la Cour des comptes est soumise à la cassation du Conseil d’État – argument certes assez peu opérant, mais que je tenais à souligner.

Plus sérieusement, pour ce qui est du fond, je voterai l’amendement de M. Dosière, avec dans l’idée une éventuelle extension à l’ensemble des juridictions – judiciaire, administrative ou financière.

(L’amendement n7 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Éric Ciotti, pour soutenir l’amendement n20.

M. Éric Ciotti. Il est défendu.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Même avis.

(L’amendement n20 n’est pas adopté.)

Article 22

M. le président. La parole est à M. Guillaume Larrivé, premier orateur inscrit sur l’article.

M. Guillaume Larrivé. Le droit des magistrats de l’autorité judiciaire à exercer la liberté syndicale est un point important, que M. Ciotti et moi-même avons déjà évoqué lors de la discussion générale. Vous proposez, monsieur le garde des sceaux, d’inscrire expressément cette liberté dans l’ordonnance de 1958 en créant un article nouveau à cette fin. Pour ma part, si je ne conteste pas l’existence d’un droit syndical des magistrats judiciaires, qui a un fondement constitutionnel dans le préambule de la Constitution de 1946 et repose sur toute une jurisprudence, il faut cependant trouver une rédaction plus nette que celle que vous proposez, afin de bien distinguer entre ce qui relève de la défense d’intérêts professionnels des magistrats judiciaires, en tant qu’acteurs du service public de la justice, et ce à quoi ils n’ont pas le droit, à savoir une expression ou une délibération politique, une participation de nature politique au débat public.

L’article 10 de l’ordonnance de 1958 prohibe certes déjà les délibérations politiques du corps judiciaire mais, comme tout un chacun, je constate aussi – sinon chaque jour, du moins chaque année – des expressions partisanes de la part de certaines organisations syndicales de magistrats judiciaires – il n’est pas besoin de rappeler ici l’affaire bien connue du « Mur » du Syndicat de la magistrature, ni l’expression publique de l’un des syndicats de magistrats lors de la précédente campagne présidentielle. Tout cela n’est pas acceptable.

Monsieur le garde des sceaux, si nous consacrons, comme vous le souhaitez, l’exercice de la liberté syndicale des magistrats judiciaires dans l’ordonnance de 1958, il faut le faire d’une manière très encadrée, en prévoyant que le droit syndical s’exerce sous la forme non pas d’organisations syndicales de droit commun, mais d’associations professionnelles nationales, à l’exclusion de tout objet ou de toute activité de nature politique.

M. le président. La parole est à M. Christophe Premat.

M. Christophe Premat. Au contraire de M. Larrivé, je tiens pour ma part à insister sur la finesse de la rédaction du texte relatif à la liberté syndicale et à m’exprimer dès maintenant sur l’article 22 bis, relatif à la déontologie. Il y a en effet une grande cohérence entre la rédaction de cet article et ce que nous avons voté par ailleurs dans le cadre du projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires. Il est intéressant de voir comment, peu à peu, cette culture de la déontologie s’instaure et s’implante au sein de la magistrature.

Sur la question du crédit de temps syndical, il me semble qu’un bon équilibre a été trouvé entre la représentativité et les nécessités de service liées à cette mission particulière. Le retour à une appréhension dynamique de la déontologie nous préserve de devoir fixer trop lourdement dans le texte les questions de conflits d’intérêts et de représentativité syndicale.

M. le président. La parole est à M. Julien Aubert.

M. Julien Aubert. Je suis pour ma part favorable à l’amendement que défendra dans un instant M. Larrivé, car la liberté syndicale ne se découpe pas en tranches : soit on l’octroie, soit on ne l’octroie pas, mais on ne peut dire à des Français qui souhaitent se regrouper pour défendre leur liberté que cette liberté s’exercera de manière limitée.

Le problème qui se pose dans le cas de la magistrature est que les syndicats de magistrats peuvent, comme le font d’autres syndicats dans la sphère marchande, prendre des positions politiques. Ce qui, pour un grand syndicat ouvrier qui, par exemple, prendrait parti dans une élection présidentielle ou exprimerait des vues partisanes dans le débat public, est politiquement critiquable, mais tout à fait légal, est plus problématique dès lors que sont concernés des fonctionnaires astreints à un devoir de réserve plus particulier et à une indépendance telle que leur positionnement ne doit pas être entaché d’arrière-pensées partisanes.

Puisqu’il est impossible de créer dans la magistrature des syndicats limités dans leur positionnement en inscrivant dans la loi des dispositions leur interdisant de prendre certaines positions, la seule solution juridique est de s’inspirer de la pratique de la Cour des comptes – dont, je le rappelle, le juge de cassation est le Conseil d’État – et des chambres régionales des comptes, qui n’ont pas de syndicats, mais une association professionnelle des magistrats. Ce système fonctionne très bien et permet la défense d’intérêts corporatistes – ou, du moins, des intérêts de la corporation des magistrats – sans tomber dans certains travers du syndicalisme qu’a rappelés mon collègue.

Je soutiens donc cet amendement, qui permettra d’éviter ce que nous avons connu avec le fameux « Mur », qui a perturbé le fonctionnement de l’institution judiciaire.

M. le président. Je suis saisi de deux amendements, nos 6 et 49, pouvant être soumis à une discussion commune.

La parole est à M. Éric Ciotti, pour soutenir l’amendement n6.

M. Éric Ciotti. Cet amendement vise à interdire aux magistrats l’appartenance syndicale et, surtout, à renforcer l’impartialité de l’autorité judiciaire et à restaurer le lien de confiance indispensable entre nos concitoyens et la justice. Nous avons abordé ce débat hier soir dans la discussion générale et M. Guillaume Larrivé vient de le faire à nouveau.

Nous avons collectivement le devoir, si nous voulons restaurer cette confiance indispensable, légitime et nécessaire envers la justice de notre pays, de mieux garantir cette impartialité des magistrats, qui doivent pouvoir juger dans la sérénité, sans aucune influence politique ou syndicale.

Or, comme cela vient d’être rappelé, l’expérience tragique du « Mur des cons » a creusé un fossé béant entre nos concitoyens et la justice, et cela d’autant plus que ces excès, monsieur le garde des sceaux, n’ont donné lieu à aucune sanction disciplinaire par la volonté de votre prédécesseur, même si une procédure judiciaire a heureusement été ouverte à l’encontre de l’ancienne présidente du Syndicat de la magistrature. Cependant, l’attitude de ce syndicat et l’appel au vote qu’il a lancé lors de la dernière élection présidentielle obèrent aujourd’hui la confiance qu’on peut avoir globalement dans l’autorité judiciaire, du fait du comportement irresponsable d’une toute petite minorité.

Il faut donc avoir le courage de couper ce lien syndical, dans la mesure où il débouche sur une expression politique. On pourrait concevoir, comme le proposera tout à l’heure l’amendement de M. Larrivé – auquel je pourrais du reste me rallier comme à un amendement de repli –, une représentation professionnelle des magistrats, mais il est ici question d’une revendication purement politique de la part de certains syndicats, qui me semble incompatible avec la fonction de magistrat.

Vous m’opposerez, monsieur le ministre, des engagements conventionnels, mais je ne partage pas cette position. En effet, si l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme garantit la liberté syndicale, son alinéa 2 prévoit des restrictions à cette liberté, notamment pour les membres de l’administration de l’État. Comme vous savez par ailleurs, la Constitution espagnole, qui respecte la Convention européenne des droits de l’homme, interdit l’appartenance syndicale. C’est donc juridiquement possible. Il y faut une volonté politique. À nous d’avoir ensemble le courage de restituer cette indispensable impartialité.

M. le président. La parole est à M. Guillaume Larrivé, pour soutenir l’amendement n49.

M. Guillaume Larrivé. Si l’esprit des amendements nos 6 et 49, en discussion commune, est très proche, ces amendements ne sont pas identiques et leur rédaction est même, en réalité, plutôt alternative.

Mon amendement n49 tend en effet à préciser que le droit syndical « des magistrats s’exerce sous la forme d’associations professionnelles nationales ayant pour objet de préserver et de promouvoir les intérêts des magistrats en ce qui concerne l’exercice du service de la justice, à l’exclusion de tout objet de nature politique. Les magistrats peuvent librement créer de telles associations, y adhérer et y exercer des mandats. ».

Chacun des mots de cet amendement compte. Il ne s’agit pas d’interdire – ce serait du reste directement contraire à la Constitution – tout exercice de défense ou de promotion d’intérêts professionnels, ni d’interdire toute expression publique, mais de bien articuler l’exercice de cette liberté avec les dispositions maintenues de l’article 10 de l’ordonnance de 1958, qui prohibent l’expression politique.

Si on veut bien sortir de postures, cet amendement pourrait faire l’unanimité. Il ne méconnaît en effet aucune liberté, mais remet les choses dans l’ordre. Il est normal et sain que la liberté syndicale des magistrats ne s’exerce pas exactement dans les mêmes conditions que celle d’un salarié lambda, car la Constitution confère à l’autorité judiciaire une responsabilité et une mission éminentes au sein de la République française.

L’objet de cet amendement est donc de rechercher le chemin – étroit, sans doute – entre le respect de la liberté syndicale et celui qui est dû à la spécificité éminente des missions de l’autorité judiciaire.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. La question est importante, mais ce texte a précisément pour ambition de consacrer dans l’ordonnance statutaire le droit syndical des magistrats, qui existait déjà avant lui et existera encore après lui : il convient de l’encadrer et d’en préciser la mise en œuvre.

Je rappelle que la liberté syndicale est reconnue dans le préambule de la Constitution et qu’elle est garantie aux magistrats de l’ordre judiciaire par la jurisprudence du Conseil d’État, dans un arrêt – je n’en rappellerai pas la référence – qui précise que la liberté syndicale s’applique aux agents publics et également aux magistrats. Elle figure également dans le recueil des obligations déontologiques des magistrats du Conseil supérieur de la magistrature.

Tel qu’il est prévu actuellement, avec les limites apportées au droit syndical, le dispositif correspond peu ou prou à ce que vous proposez, monsieur Larrivé. Il existe bien, en effet, un droit syndical, mais avec des réserves très fortes : l’interdiction faite au corps judiciaire de toute délibération politique, que j’évoquais tout à l’heure, la nécessité de respecter le devoir de réserve et la prohibition du droit de grève.

Le « Mur des cons » a déjà été abondamment évoqué, mais le législateur que nous sommes ne doit pas faire d’un cas particulier une loi générale. Cet événement, que nous regrettons et qui fait d’ailleurs l’objet de poursuites pénales, ne doit pas être mis en avant dans la discussion d’aujourd’hui. Il s’agit au contraire de promouvoir une disposition générale et d’éclairer, avec le texte que nous vous proposons, une façon de travailler pour les magistrats. Avis défavorable, donc.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le Gouvernement émet évidemment lui aussi un avis défavorable. Je n’entrerai pas dans la controverse dont les parlementaires ont eux-mêmes évoqué les tenants et les aboutissants – il y a certes, monsieur Ciotti, l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme et son alinéa 2, et un arrêt de Grande Chambre de 2008, concernant la Turquie, a même précisé en quoi cet alinéa devait être d’interprétation stricte.

Le Gouvernement est donc favorable à l’exercice du droit syndical par les magistrats, comme il l’est pour toutes les catégories de la population. L’exercice de cette liberté syndicale n’est pas incompatible avec le serment de loyauté, de neutralité et d’impartialité que prêtent les magistrats ; au demeurant, il me semble qu’ils le démontrent tous les jours.

Il est vrai, comme l’a rappelé la rapporteure, qu’en cas de débordements – ils existent, ils sont rares –, ceux-ci font l’objet de sanctions ou de poursuites. Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur le premier de ces amendements.

Sur l’amendement de Guillaume Larrivé, pour employer une tautologie, les droits syndicaux sont attachés à l’exercice d’un syndicat. Les associations professionnelles de magistrats existent mais n’ont pas les moyens d’action collective des syndicats.

Il est donc sain de maintenir des associations professionnelles de magistrats de la jeunesse ou de magistrats instructeurs à côté des organisations syndicales, lesquelles ont la plénitude des prérogatives liées à l’exercice syndical. L’avis est donc également défavorable.

(Les amendements nos 6 et 49, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

(L’article 22 est adopté.)

Article 22 bis

M. le président. La parole est à Mme Cécile Untermaier, pour soutenir l’amendement n25.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. La préoccupation concernant le collège de déontologie, soulevée d’ailleurs par M. Larrivé, est de savoir si ce collège se trouve au sein du Conseil supérieur de la magistrature ou à côté. Selon nous, il n’y a pas d’autre possibilité que de le placer aux côtés du Conseil supérieur de la magistrature, ce dernier n’ayant pas la compétence pour traiter de cas individuels concernant la déclaration d’intérêt des magistrats.

En application de l’article 65 de la Constitution, le CSM se prononce en formation plénière « sur les questions relatives à la déontologie des magistrats ainsi que sur toute question relative au fonctionnement de la justice dont le saisit le ministre de la justice. »

Le Conseil constitutionnel a fait une lecture stricte de cet article : dans une décision du 19 juillet 2010, il a censuré le fait que la formation plénière du Conseil supérieur de la magistrature puisse se prononcer sur les questions relatives à la déontologie des magistrats sans être saisie à cette fin par le garde des sceaux.

En raison de cette décision, que nous devons prendre en considération, nous ne pouvons pas imaginer que le collège de déontologie se trouve au sein du Conseil supérieur de la magistrature. Si nous avions pu le faire, nous l’aurions fait car nous ne souhaitons pas complexifier à l’infini les dispositifs, ni créer des collèges de déontologie pour nous faire plaisir.

J’envisage donc la suppression de l’alinéa 4 afin d’éviter tout empiétement sur les compétences du Conseil supérieur de la magistrature, qui peut rendre des avis sur des questions générales en matière de déontologie en application de l’article 65 de la Constitution.

Le présent amendement a donc pour objet de supprimer la possibilité pour le collège de déontologie des magistrats de l’ordre judiciaire de formuler des recommandations de portée générale. Il ne pourra analyser que des cas personnels évoqués devant lui par les magistrats, sans empiéter sur les compétences du Conseil supérieur de la magistrature.

Dans un amendement ultérieur, nous proposerons un dispositif permettant de nourrir le Conseil supérieur de la magistrature avec les éléments d’information dont dispose le collège de déontologie.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Mme la rapporteure m’a enlevé quasiment tous les arguments que je souhaitais exposer pour donner ma réponse à la question légitime posée par Guillaume Larrivé !

Le précédent CSM avait publié un recueil déontologique – document tout à fait utile. La décision du Conseil constitutionnel, en retenant une interprétation très stricte du huitième alinéa de l’article 65, a éclairé notre échange.

L’actuel Conseil, de manière prétorienne, s’est doté d’un comité dont je pense qu’il n’a pas de fondement : c’est une difficulté. La vraie réponse est proposée par ce texte créant le collège de déontologie, dans le respect strict de la décision du Conseil constitutionnel.

Je ne méconnais pas l’intention du CSM : je la crois légitime, elle correspond d’ailleurs à celle du Gouvernement. Il était sain d’avoir un endroit où les magistrats puissent obtenir des réponses. Or la décision du Conseil constitutionnel le leur interdit puisque seules les demandes du garde des sceaux peuvent être instruites par le CSM. C’est une difficulté, mais c’est pour cette raison que le Gouvernement soutient le texte proposant la création d’un collège de déontologie.

(L’amendement n25 est adopté.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Untermaier, pour soutenir l’amendement n24.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Il a déjà été défendu.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Favorable.

M. le président. La parole est à M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. Je tenais à remercier Mme la rapporteure et M. le ministre pour la précision de leurs réponses, qui éclairent bien ce que le législateur organique veut faire.

J’en tire la conséquence, sous votre contrôle, monsieur le ministre, que l’annonce faite par le président du CSM de la création, à compter du 1erjuin, d’un service d’aide à la déontologie n’a pas, du point de vue du Gouvernement, de fondement juridique particulièrement explicite – c’est le moins qu’on puisse dire.

(L’amendement n24 est adopté.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Untermaier, pour soutenir l’amendement n26.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Il a également été défendu.

(L’amendement n26, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Untermaier, pour soutenir l’amendement n51.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Défendu.

(L’amendement n51, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n28 qui fait l’objet d’un sous-amendement n64 proposé par le Gouvernement.

La parole est à Mme Cécile Untermaier, pour soutenir l’amendement.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Le présent amendement a pour objet la composition du collège de déontologie. Il s’agit d’un amendement de conséquence de l’amendement n51, sur lequel nous sommes passés rapidement, aux termes duquel l’un des membres du collège de déontologie est un magistrat, « en fonction ou honoraire, ancien membre du Conseil supérieur de la magistrature, nommé par le Président de la République sur proposition de la formation plénière du Conseil supérieur de la magistrature (…) »

En conséquence, le présent amendement ramène de deux à un seul le nombre de magistrats élus par les membres de la Cour de cassation. Cela permet de conserver un collège de cinq membres puisque nous avons introduit un magistrat honoraire du Conseil supérieur de la magistrature.

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, pour soutenir le sous-amendement n64.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Ce sous-amendement vise à garantir la représentation de la totalité du corps judiciaire en prévoyant la présence, en toute hypothèse, d’un magistrat du siège et d’un magistrat du parquet. Le Gouvernement aura un avis favorable sur l’amendement de la rapporteure si le sous-amendement qu’il défend est accepté.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Avis favorable à ce sous-amendement.

(Le sous-amendement n64 est adopté.)

(L’amendement n28, sous-amendé, est adopté.)

(L’article 22 bis, amendé, est adopté.)

Articles 23 et 24

(Les articles 23 et 24 sont successivement adoptés.)

Article 25

M. le président. La parole est à M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. J’aimerais que la rapporteure et le Gouvernement précisent quelles sont les intentions de la majorité s’agissant du délai de prescription pour des faits motivant des poursuites disciplinaires.

Vous créez, si j’ai bien compris, un régime en deux temps : une prescription de trois ans des poursuites disciplinaires, sauf si des poursuites pénales sont engagées, auquel cas le délai de prescription est interrompu.

Pourquoi avez-vous le besoin de modifier le régime de la prescription ? Avez-vous, par hypothèse extraordinaire, un cas particulier à l’esprit ? Pourquoi ressent-on le besoin de prendre une disposition qui pourrait paraître protectrice à l’endroit de magistrats qui auraient commis certains manquements justifiant des poursuites disciplinaires et/ou pénales ?

M. Alain Tourret. Soyez plus clair : qui visez-vous ?

M. le président. La parole est à Mme Cécile Untermaier, pour soutenir l’amendement n29.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Amendement de coordination.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Avis défavorable, monsieur le président. En effet, la rapporteure a déjà prévu des dispositions transitoires dans l’article 35 du projet de loi organique : je ne vois donc pas l’intérêt du présent amendement, qui est redondant avec ce que la rapporteure nous propose déjà. Avis défavorable.

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Je retire cet amendement.

(L’amendement n29 est retiré.)

(L’article 25 est adopté.)

Article 25 bis

(L’article 25 bis est adopté.)

Article 25 ter

M. le président. La parole est à Mme Cécile Untermaier, pour soutenir l’amendement n30.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Amendement de coordination.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Avis défavorable pour les mêmes raisons. Comme la rapporteure a retiré le précédent, je pense qu’elle retirera également le présent amendement !

M. le président. Madame la rapporteure, le confirmez-vous ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Oui, monsieur le président.

(L’amendement n30 est retiré.)

(L’article 25 ter est adopté.)

Article 26

M. le président. La parole est à Mme Cécile Untermaier, pour soutenir l’amendement n31.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. C’est un amendement de précision.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Avis favorable.

M. le président. La parole est à M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. Je voudrais être plus explicite dans l’interrogation que j’ai formulée précédemment. S’agissant de l’affaire du « mur des cons », que chacun a à l’esprit et qui n’est pas anecdotique (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen), même si cela déplaît à la majorité, des poursuites pénales ont été engagées contre une personne.

L’article 25 que vous venez d’adopter a pour effet que, les poursuites pénales contre cette personne étant engagées, les poursuites disciplinaires pourront toujours l’être. En revanche, d’autres personnes qui n’auraient pas fait l’objet de poursuites pénales ne pourront plus faire l’objet de poursuites disciplinaires à raison de la prescription que vous venez de créer. Il y a là une difficulté, monsieur le garde des sceaux, que nous devons soulever.

(L’amendement n31 est adopté.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Untermaier, rapporteure, pour soutenir l’amendement n32.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Amendement de coordination.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Il s’agit d’un amendement similaire à celui auquel j’étais défavorable : je suis donc toujours défavorable.

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Je retire cet amendement.

(L’amendement n32 est retiré.)

(L’article 26, amendé, est adopté.)

Articles 27 à 29

(Les articles 27, 27 bis, 28, 28 bis et 29 sont successivement adoptés.)

Articles 30 et 30 bis

M. le président. Les articles 30 et 30 bis ont été supprimés par la commission.

Article 31

(L’article 31 est adopté.)

Avant l’article 32

M. le président. La parole est à M. Guillaume Larrivé, pour soutenir l’amendement n55.

M. Guillaume Larrivé. Cet amendement que j’ai présenté lors de la discussion générale nous invite à réfléchir collectivement sur les modalités de désignation des magistrats qui siègent au sein du CSM.

L’amendement que je présente propose d’appliquer un principe simple : un magistrat, une voix. Très concrètement, l’ensemble des magistrats du siège seraient appelés à élire au scrutin de liste, à la proportionnelle, leurs représentants au CSM ; les magistrats du parquet seraient appelés, selon les mêmes modalités, à désigner les représentants du parquet. Ce mode de scrutin simple et lisible se substituerait au mode de désignation actuel, qui est assez byzantin – indirect, avec des collèges… – et cadenassé.

En présentant cet amendement d’appel, monsieur le ministre, je vous invite à réfléchir à la manière dont nous pourrions ouvrir les fenêtres du CSM et veiller à ce que l’ensemble des magistrats, dans leur diversité, puissent y être représentés. C’est un amendement d’appel pluraliste.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. L’avis est défavorable. Si je partage le constat du caractère byzantin des modalités de désignation des membres du Conseil supérieur de la magistrature, pouvons-nous pour autant, dans le cadre de cette loi organique, sans étude d’impact ni consultation préalable des principaux intéressés, s’engager dans cette réforme ? Pour ma part, je ne m’en sens pas la légitimité. Je ne me sens pas suffisamment éclairée pour répondre favorablement à votre amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. J’ai écouté avec intérêt – et une forme de malice – le plaidoyer de Guillaume Larrivé pour la proportionnelle : c’est assez rare pour être souligné.

Au cas d’espèce, je ne suis pas certain que la proportionnelle réponde à l’ambition constitutionnelle donnée au Conseil supérieur de la magistrature, instance qui doit garantir l’indépendance du corps. Le choix a été fait de le composer en fonction des responsabilités : je ne sais pas si c’est « byzantin », mais le fait est qu’il existe plusieurs catégories, comme les magistrats hors hiérarchie, la Cour de cassation, les chefs de cour, les chefs de juridiction, les magistrats de cours et de tribunaux. Cela permet la représentation fonctionnelle de tous les magistrats, alors qu’un scrutin de liste, comme vous le proposez, araserait tout.

Je connais la revendication qui inspire cet amendement, puisqu’une organisation syndicale y est très attachée. Je crois qu’une telle disposition romprait l’équilibre qui prévaut aujourd’hui dans la composition du Conseil supérieur de la magistrature.

M. le président. La parole est à M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. Je maintiens cet amendement qui a permis d’esquisser ce débat – que nous aurons sans doute dans d’autres cadres et à un autre moment.

Permettez-moi, monsieur le garde des sceaux, de vous interroger sur une question connexe : quel est le sort réservé par le Gouvernement au projet de loi constitutionnelle relatif au Conseil supérieur de la magistrature…

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Ah ! Je le savais !

M. Guillaume Larrivé. …adopté en termes identiques par les deux assemblées, même si l’opposition ne l’a pas voté ?

Quel est le sort réservé à ce projet de loi constitutionnelle par le pouvoir exécutif ?

Le Président de la République a-t-il l’intention de solliciter la réunion du Congrès ? A-t-il l’intention de demander au peuple français, par référendum, son avis sur cette question ?

Il serait utile que le garde des sceaux éclaire la représentation nationale qui est tout ouïe, monsieur le ministre. Vous avez l’air assez enthousiaste à l’idée de vous prononcer. (Sourires.)

(L’amendement n55 n’est pas adopté.)

Article 32

(L’article 32 est adopté.)

Article 32 bis

M. le président. La parole est à Mme Cécile Untermaier, rapporteure, pour soutenir l’amendement n33.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Il vise à prévoir que les déclarations d’intérêts des magistrats, remises à leur chef de juridiction en application de l’article 21, soient également transmises au premier président et au procureur général de la Cour de cassation : ceux-ci disposeront ainsi de la totalité des déclarations d’intérêts des membres du Conseil supérieur de la magistrature.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Avis favorable à l’amendement.

Pour répondre à Guillaume Larrivé, le Gouvernement ou en tout cas le garde des sceaux estime qu’un Congrès est possible. (Sourires.)

M. Guillaume Larrivé. Un référendum ne l’est pas !

(L’amendement n33 est adopté.)

(L’article 32 bis, amendé, est adopté.)

Article 33

(L’article 33 est adopté.)

Article 33 bis

(L’article 33 bis est adopté.)

Article 34

M. le président. La parole est à Mme Cécile Untermaier, rapporteure, pour soutenir l’amendement n34.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Il est retiré.

(L’amendement n34 est retiré.)

(L’article 34 est adopté.)

Article 34 bis A

(L’article 34 bis A est adopté.)

Article 34 ter

(L’article 34 ter est adopté.)

Article 34 quater

M. le président. La parole est à Mme Cécile Untermaier, rapporteure, pour soutenir l’amendement n35.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Celui-ci est maintenu.

(L’amendement n35, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

Article 34 quinquies

M. le président. La parole est à M. Guillaume Larrivé, pour soutenir l’amendement n50.

M. Guillaume Larrivé. Il est de suppression.

À la suite de la regrettable affaire Cahuzac, la majorité de l’Assemblée nationale a adopté la loi créant une autorité administrative nouvelle, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Or, mois après mois, loi après loi et débat après débat, vous choisissez d’étendre le champ d’activité de cette administration nouvelle.

Vous vous apprêtez, par cet article, à soumettre les membres du Conseil constitutionnel au contrôle de cette administration : ce n’est quand même pas banal.

En effet, il n’est pas banal d’envisager que les membres du Conseil constitutionnel puissent faire l’objet de dénonciations par cette administration, qu’ils puissent encourir des peines de prison. Il nous semble que par construction, dans ce qu’est la Constitution, le Conseil constitutionnel est composé de personnalités éminentes, quelles qu’elles soient et par définition.

Êtes-vous certains, madame la rapporteure, mes chers collègues, de vouloir ici, à l’Assemblée nationale, jeter la suspicion sur le Conseil constitutionnel, en allant jusqu’à dire que la situation individuelle de ses membres doit être soumise au contrôle d’une administration, en l’occurrence la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique ?

Dans la discussion générale, j’ai cité la maxime de Saint-Just : « Prouvez votre vertu, ou entrez dans les prisons. » Jusqu’où ira la logique de suspicion ?

Par ailleurs, peut-être y a-t-il des amendements qui règlent le problème, mais je veux évoquer la question du président du Conseil constitutionnel. Si on suit votre logique, s’il vous paraît nécessaire de soumettre les membres du Conseil constitutionnel à ce dispositif nouveau, pourquoi en exonérer le président, alors que le vice-président du Conseil d’État, le premier président de la Cour de cassation, le premier président de la Cour des comptes sont, eux, soumis à ce dispositif ? Il s’agit aussi de la cohérence interne de l’article que vous vous apprêtez à adopter.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Je vais répondre rapidement, parce que nous nous sommes déjà exprimés longuement sur ce point en commission.

Une remarque d’abord : ouvrir le champ de la transparence, ce n’est pas ouvrir le champ de la suspicion.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Exactement !

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Il est très important de le dire : à aucun moment, dans notre réflexion en termes d’éthique politique, nous n’avons imaginé un instant montrer du doigt les personnes concernées, et pas davantage le Conseil constitutionnel. Mais pas moins non plus : l’éminence des personnalités n’a rien à voir avec la déontologie. La composition du Conseil constitutionnel est ce qu’elle est ; ses membres sont des personnalités dans lesquelles nous plaçons notre confiance, comme les personnalités appartenant au corps judiciaire ou au corps administratif, voire les élus politiques.

Évitons donc toute approche de ce type : ce serait réduire la déontologie à des règlements de compte.

S’agissant du président du Conseil constitutionnel, vous posez une bonne question et vous verrez que des amendements tiennent compte des observations que vous avez faites en commission. En particulier, un amendement de mon collègue Goasdoué résout à mon sens le problème.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Sans surprise, le Gouvernement est défavorable à l’amendement de Guillaume Larrivé et soutient pleinement l’objectif défendu par la rapporteure d’étendre les règles de transparence de la vie publique au Conseil constitutionnel.

J’en profite pour saluer le travail remarquable de la rapporteure. Le Gouvernement partage son point de vue : la transparence est justement l’ennemie de la suspicion. C’est parce qu’il y a transparence qu’il ne peut y avoir de suspicion. La recherche d’une République exemplaire est de mon point de vue le signe de la maturité de notre démocratie.

Sur les amendements qui vont venir, et qui ne sont pas sans lui poser des difficultés, après une analyse approfondie le Gouvernement est encore dubitatif : il reste à convaincre sur les arguments que M. Goasdoué va tenter de défendre tout à l’heure.

Nous nous interrogeons d’abord sur la question de savoir s’il ne s’agit pas ici d’un cavalier. En effet, le texte porte explicitement sur l’ordre judiciaire, puisqu’il vise le Conseil supérieur de la magistrature et les magistrats. Nous ne sommes pas totalement convaincus que le Conseil constitutionnel soit visé par ce texte.

Le deuxième risque – et chacun sait qu’il faut toujours rester prudent compte tenu des multiples possibilités d’interprétation – tient à la probabilité d’inconstitutionnalité d’une disposition tendant à insérer des sanctions pénales concernant le Conseil constitutionnel. À ce stade – mais je souhaite que le débat puisse avoir lieu –, le Gouvernement ne souscrit pas encore aux dispositifs qui vont lui être proposés. C’est parce qu’il est soucieux du débat qu’il émet un avis défavorable à l’amendement de suppression de Guillaume Larrivé.

M. le président. La parole est à M. Christophe Premat.

M. Christophe Premat. Monsieur Larrivé, vous n’aimez guère le terme « déontologie ». Rapprochez-le de « prévention des conflits d’intérêts » et vous verrez que tous les problèmes se résolvent.

Vous avez rappelé avec justesse le bilan de ce quinquennat en termes de culture déontologique, compte tenu de tous les textes que nous avons votés.

Il ne s’agit pas de placer l’ordre judiciaire sous la tutelle de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, mais de prévoir un entretien préalable destiné à éviter, de manière dynamique, les conflits d’intérêts.

Nous retrouvons là les débats qui ont eu lieu sur la déontologie des fonctionnaires.

En fin de compte, en vous suivant, il ne faudrait aucun contrôle, mais une sorte de gouvernement des Sages : ce n’est pas du tout l’esprit de ce texte.

Le débat rejoint par ailleurs celui de la représentativité syndicale : nous avons eu, en commission de la défense, une discussion sur la liberté syndicale des militaires. Vous voyez que dans tous ces corps, il s’agit d’instaurer une culture déontologique et je m’en félicite.

M. le président. La parole est à M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. Je tiens à remercier le garde des sceaux d’avoir en réalité apporté de l’eau à mon moulin.

En effet, monsieur le garde des sceaux, vous avez soulevé deux motifs d’inconstitutionnalité de cet article, ce qui plaide pour l’adoption d’un amendement de suppression.

Sur la forme, d’une part, vous avez dit qu’il s’agissait d’un cavalier, puisque le projet de loi initial du Gouvernement porte sur la matière judiciaire et que naturellement le Conseil constitutionnel n’est pas une autorité judiciaire.

Second motif d’inconstitutionnalité, vous avez pleinement raison : l’idée de sanctions pénales contre les membres du Conseil constitutionnel, en particulier à l’alinéa 16 de cet article, sont probablement contraires à la Constitution.

Au-delà de ces remarques, je voudrais vous inciter, mes chers collègues, à réfléchir à l’application concrète de cet article s’il devait prospérer. Imaginez-vous M. Jospin, par exemple, convoqué par M. Fabius pour un entretien de déontologie ? Imaginez-vous M. Jospin, ancien Premier ministre, que nous avons eu l’honneur d’auditionner en commission des lois – j’étais le rapporteur – sous la présidence de Jean-Jacques Urvoas, l’imaginez-vous pouvant faire l’objet de dénonciations de la part de M. Nadal, président de la Haute Autorité, auprès du parquet de Paris, à raison de je ne sais quelle déclaration ? Pardon, mais vous jetez vous-mêmes la suspicion, oui, c’est vrai, sur une autorité éminente qu’est le Conseil constitutionnel et je ne pense pas que notre devoir, en tant que législateur organique, soit de fragiliser l’institution juridictionnelle suprême, c’est-à-dire le Conseil constitutionnel.

Autant de motifs, monsieur le président, qui me font maintenir mon amendement de suppression.

(L’amendement n50 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Yves Goasdoué, pour soutenir l’amendement n58.

M. Yves Goasdoué. Monsieur le ministre, vous ne m’avez pas simplifié la tâche, mais il est bien de durcir l’affaire. (Sourires.)

Effectivement, je vais tenter de vous convaincre, mais je veux d’abord remercier Guillaume Larrivé d’être intervenu, y compris en commission, ce qui nous a permis d’affiner un dispositif inabouti.

Sur le fond, qui comprendrait que ce droit commun de la transparence et de l’exemplarité – déclaration d’intérêts, déclaration de patrimoine – puisse maintenant s’appliquer à tout le monde, à l’exception des membres du Conseil constitutionnel ? Il ne serait pas raisonnable de penser que ce soit possible.

Ceci soulève-t-il des problèmes de constitutionnalité ? Je ne discuterai pas de droit avec le garde des sceaux (Sourires) car ce ne serait pas raisonnable !

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Mais si ! (Sourires)

M. Yves Goasdoué. Comme nous débattons d’un projet de loi organique, le Conseil constitutionnel devra de toute façon se prononcer.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Singulière situation !

M. Yves Goasdoué. Je ne ferai pas ce procès-là car la décision du Conseil constitutionnel, le cas échéant, pourrait indiquer les voies et moyens pour favoriser sa modernisation juridique et la transparence à laquelle – j’en suis absolument certain – l’ensemble de ses membres aspire.

Cet amendement serait-il donc un « cavalier » en visant le Conseil constitutionnel lui-même ? Je l’ignore. En tout cas, il vise ses membres. Une vraie question se pose, que Le Canard enchaîné a d’ailleurs posée la semaine dernière : est-ce une Cour constitutionnelle ou un Conseil constitutionnel ?

La question de l’insertion de dispositions de droit pénal peut être également soulevée. Le texte sera discuté au Sénat et les sénateurs, le cas échéant, pourraient utilement l’amender.

L’amendement que je soutiens vise à permettre au président du Conseil constitutionnel de déclarer ses intérêts. Il ne le peut pas dans le texte issu de la commission des lois où il reçoit l’ensemble des déclarations d’intérêt et ne peut donc se remettre la sienne propre.

L’amélioration du texte que nous proposons fait droit à la juste remarque de M. Larrivé.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Je suis bien entendu favorable à l’adoption de cet amendement du groupe socialiste, républicain et citoyen.

Je souhaite tout de même répondre à l’argument du « cavalier », dont la validité aurait d’ailleurs besoin d’être démontrée : ce texte organique concerne tout de même la transparence. Je me souviens qu’en 2010, dans un projet concernant la magistrature, le législateur organique avait supprimé le filtrage de la Cour de cassation à propos de la question prioritaire de constitutionnalité et que le Conseil constitutionnel n’avait rien trouvé à y redire. Ce serait me semble-t-il mal venu pour lui d’arguer d’un « cavalier » parce que la déclaration d’intérêt et de patrimoine le concernerait.

Je le répète : nous mettons en place un parallélisme. Nous souscrivons donc à l’expression de M. Larrivé en actant que le président du Conseil constitutionnel doit également remplir une déclaration d’intérêt dans le cadre d’un dispositif que son concepteur exposera ensuite.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le Gouvernement pourrait-il ne pas avoir d’avis, monsieur le président (Sourires) ? Voilà qui arrangerait le modeste membre de ce dernier qui incarne ici la collégialité de l’exécutif !

En l’occurrence, le Gouvernement ne souhaitait pas inclure le Conseil constitutionnel même s’il comprend et partage la démarche parlementaire, comme je l’ai déjà dit.

Ne parvenant pas à me prononcer sur l’articulation du dispositif proposé, je m’en remets à la sagesse de l’Assemblée.

(L’amendement n58 est adopté.)

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Bravo, monsieur Goasdoué ! Un-zéro ! (Sourires)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Untermaier, rapporteure, pour soutenir l’amendement n36.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Les membres de droit du Conseil constitutionnel établissent une déclaration exhaustive, exacte et sincère de leurs intérêts. Cet amendement étend donc l’obligation de déclarer leurs intérêts à ces derniers dès lors qu’ils y siègent effectivement au moins une fois.

Là encore, nous rejoignons une observation qui avait été faite par M. Larrivé en commission des lois. Nous considérons donc que les membres de droit du Conseil constitutionnel, dès lors qu’ils siègent, doivent déposer une déclaration d’intérêt. Ce n’est pas parce que l’on est membre de droit que l’on en serait dispensé. Tout ceci, à mon sens, est très logique. Je vous demande donc de voter cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Je reste constant, monsieur le président : sagesse !

M. le président. La parole est à M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. Je remercie Mme Untermaier de me citer mais elle me fait dire exactement le contraire de ce que j’ai dit : je rappelle que j’ai déposé un amendement de suppression de cet article et que je ne suis pas favorable à l’extension de ce dispositif.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Vous l’avez fait valoir, en effet !

M. Guillaume Larrivé. Je ne voterai évidemment pas cet amendement.

M. le président. La parole est à M. René Dosière.

M. René Dosière. Pour ma part, je ne voterai pas cet amendement non plus parce que je suis fondamentalement hostile à la présence de membres de droit au Conseil constitutionnel. J’espère qu’un jour nous parviendrons à les supprimer.

M. Alain Tourret. Le mot est un peu maladroit ! (Sourires)

M. René Dosière. Je ne vois pas qu’il soit utile d’insister sur les membres de droit et je souhaite donc qu’ils disparaissent prochainement à l’occasion d’une révision constitutionnelle – que la droite a d’ailleurs toujours refusée, monsieur Larrivé.

(L’amendement n36 est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Yves Goasdoué, pour soutenir l’amendement n57 rectifié.

M. Yves Goasdoué. Je ne vais pas citer Guillaume Larrivé, monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, car il va penser que nous lui en voulons (Sourires) !

Il s’agit là encore d’un point qui avait été abordé en commission des lois de manière générale : faut-il calquer mécaniquement l’ensemble du dispositif pour le Conseil constitutionnel ? Il faut tout de même tenir compte de ses spécificités.

Il nous a semblé que l’organisation d’un entretien déontologique avec chacun de ses membres et son président n’a guère de raison d’être dans le cadre de son fonctionnement. Nous proposons donc de revenir sur cette disposition.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Avis très favorable à l’adoption de cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Sagesse !

(L’amendement n57 rectifié est adopté.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Untermaier, rapporteure, pour soutenir l’amendement n41.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Amendement rédactionnel.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Sagesse !

M. le président. Même pour un amendement rédactionnel ! (Sourires)

(L’amendement n41 est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Yves Goasdoué, pour soutenir l’amendement n56.

M. Yves Goasdoué. Amendement de conséquence.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Avis favorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Sagesse !

(L’amendement n56 est adopté.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Untermaier, rapporteure, pour soutenir l’amendement n37.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Cet amendement précise que les déclarations d’intérêts des membres du Conseil constitutionnel seront conservées par son président comme le fait le président de la Haute autorité dans le domaine qui est le sien.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ? Sagesse ? (Sourires)

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Non, monsieur le président ! Je donne un avis favorable à l’adoption de cet amendement ! Je ne voudrais pas quitter l’hémicycle en laissant une mauvaise opinion ! (Sourires)

M. le président. Jamais !

(L’amendement n37 est adopté.)

M. le président. La parole est à Mme Eva Sas, pour soutenir l’amendement n59.

Mme Eva Sas. Il est défendu.

(L’amendement n59, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

(L’article 34 quinquies, amendé, est adopté.)

Après l’article 34 quinquies

M. le président. La parole est à M. René Dosière, pour soutenir l’amendement n8.

M. René Dosière. Cet amendement précise que, pendant l’exercice de leur fonction, les membres du Conseil constitutionnel ne peuvent être nommés ou promus dans l’ordre national de la Légion d’honneur et l’ordre national du mérite ni recevoir toute autre décoration.

Compte tenu de la nature et du rôle du Conseil constitutionnel dans nos institutions – nous venons de les rappeler – il convient d’assurer une indépendance absolue de ses membres à l’égard du pouvoir exécutif.

Cet amendement est d’ailleurs directement issu du dernier ouvrage de l’ancien président du Conseil constitutionnel, Jean-Louis Debré. Il rappelle à plusieurs reprises que lorsque certains membres ont été nommés ou promus sous sa présidence, il a chaque fois considéré que ces décisions étaient inconvenantes voire inopportunes.

Lui-même, au nom du principe selon lequel un membre du Conseil constitutionnel n’a pas besoin d’être décoré ou promu, a absolument refusé toute décoration qui lui était proposée avec beaucoup d’insistance. Voilà pourquoi j’ai présenté cet amendement qui, je le répète, répond tout à fait aux vœux de notre ancien président Jean-Louis Debré.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Avis défavorable pour les mêmes raisons évoquées concernant le corps judiciaire.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. J’ai lu le livre de Jean-Louis Debré et j’ai pris connaissance de ses réactions. Je crois, en fait, que la question est posée aux membres du Conseil constitutionnel : leur interdire de recevoir une décoration ou d’être promu, d’une certaine façon, c’est faciliter leur absence de refus ! En fait d’indépendance, il est plus exigeant de laisser la porte ouverte à un refus !

M. Alain Tourret. C’est subtil !

(L’amendement n8 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à Mme Eva Sas, pour soutenir l’amendement n15.

Mme Eva Sas. Cet amendement vise à permettre une visibilité et une transparence, si j’ose dire, des « portes étroites » transmises au Conseil constitutionnel – ce sont les interventions juridiques extérieures quand le Conseil constitutionnel est saisi par les parlementaires sur l’ensemble d’une loi.

Ces interventions extérieures sont parfois nécessaires. En effet, en cas de saisine parlementaire, le Conseil doit juger des textes parfois très denses, dans des délais courts. Si, pour les QPC, les parties peuvent recourir à un avocat et des mémoires extérieurs peuvent être déposés, pour les saisines parlementaires, rien n’est prévu. Ces « portes étroites » ne sont mêmes pas prévues par le règlement du Conseil. Il faut noter que toutes les portes étroites ne sont pas prises en compte par les membres du conseil.

Ces dernières sont pourtant une voie privilégiée pour le lobbying. En 1994, Olivier Schrameck notait déjà « une corrélation plus étroite entre l’importance des intérêts économiques et financiers mis en cause et la multiplicité des documents parvenant au Conseil par cette voie dite étroite ». Le site Mediapart a également évoqué une somme de 20 000 euros payés par la Ligue de football professionnel pour la rédaction d’un mémoire contre la taxe à 75 %.

Cet amendement prévoit donc une publication systématique des mémoires qui auraient été remis au Conseil. La transparence, en effet, nous paraît nécessaire en la matière.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Cet amendement soulève en effet une très bonne question. Je souscris quant à moi à un principe de publicité systématique mais peut-on pour autant le retenir dans le cadre général et dans celui de cette loi organique ? Certainement pas en l’absence de tout élément nous permettant de connaître l’impact de cette mesure.

Il conviendrait donc de réfléchir encore à un encadrement juridique de ces interventions – je suis d’accord sur ce point – qui ne sont à ce jour pas même prévues par l’ordonnance organique de 1958, à la différence des interventions de tiers sur une question prioritaire de constitutionnalité.

Avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Cette proposition concernant le principe de publicité est intéressante mais je ne suis pas certain que cela relève d’une loi organique. Dans l’organisation du Conseil constitutionnel, une publication sur son site par le Conseil lui-même serait largement suffisante.

L’idée me séduit donc mais je doute de l’intérêt qu’il y aurait à l’inclure dans la norme organique.

(L’amendement n15 n’est pas adopté.)

Article 34 sexies

M. le président. La parole est à M. Guillaume Larrivé, pour soutenir l’amendement n52, tendant à supprimer l’article 34 sexies.

M. Guillaume Larrivé. Monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne comprends pas pourquoi vous voulez limiter la possibilité de saisir le Conseil constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité, en appel notamment. J’ai bien noté, lorsqu’il s’est exprimé devant la commission des lois, que le garde des sceaux lui-même avait des doutes quant à la constitutionnalité de la restriction de la possibilité de saisine en appel du Conseil constitutionnel en matière de QPC.

Est-ce à dire que vous allez, monsieur le garde des sceaux, vous rallier à mon amendement de suppression de l’article 34 sexies ? Je le souhaite.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Nous avons déjà eu cette discussion lors de l’examen du texte en commission. Je proposerai moi-même un amendement sur cet article, mais je ne peux pas avoir une approche aussi radicale…

M. Alain Tourret. C’est bien malheureux ! (Sourires.)

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Je pense que la question du caractère dilatoire de certaines questions prioritaires de constitutionnalité doit être posée, en tout cas au niveau du premier ressort. Mon avis sur cet amendement est défavorable, parce qu’il a un caractère trop systématique et qu’il manque de nuance.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. J’ai naturellement un avis défavorable sur l’amendement de M. Guillaume Larrivé. Je suis convaincu, et je l’avais déjà écrit lorsque j’étais président de la commission des lois, qu’il faut faire évoluer la réglementation, parce que les dépôts tardifs de QPC sont une source de désorganisation. Nous avions déjà constaté, trois ans après l’introduction des QPC, que des adaptations étaient nécessaires.

Je suis assez favorable à certains des amendements qui ont été déposés, même si je me suis interrogé, en commission, sur leur constitutionnalité. Je pense en tout cas qu’il faut faire bouger les choses, et c’est pourquoi je suis défavorable à l’amendement tendant à supprimer cet article.

(L’amendement n52 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à Mme Eva Sas, pour soutenir l’amendement n16.

Mme Eva Sas. Si vous le permettez, monsieur le président, je défendrai en même temps l’amendement n17. Comme l’a rappelé notre collègue Guillaume Larrivé, cet article, qui a été introduit en commission après adoption d’un amendement gouvernemental, limite l’usage des questions prioritaires de constitutionnalité. Cet article est problématique, car les QPC sont devenues un outil important pour le contrôle de constitutionnalité de notre droit, en particulier celle des procédures pénales.

Deux de ces restrictions ne nous paraissent pas justifiées. Il n’y a pas lieu, premièrement, de créer une restriction des QPC en matière contraventionnelle. En effet, aucun élément ne fait état de problèmes de QPC dilatoires devant les tribunaux de police, qui n’ont pas les mêmes impératifs d’organisation.

Par ailleurs, le dernier alinéa prévoit que le moyen ne pourra être soulevé en appel s’il ne l’a pas déjà été devant le tribunal correctionnel. Cette restriction importante des QPC en appel pose un problème, puisqu’elle ne prend pas en compte l’évolution de la situation et du débat juridique entre la première instance et l’appel.

(L’amendement n16, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure, pour soutenir l’amendement n42.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Cet amendement vise à rétablir l’entière possibilité de déposer une question prioritaire de constitutionnalité en appel lorsque l’affaire, de nature correctionnelle ou conventionnelle, n’a pas donné lieu à une instruction.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de l’Assemblée, s’agissant de la suppression de l’interdiction de la QPC en appel au motif qu’elle n’a pas été déposée en première instance. Mais il souhaite maintenir la règle prévoyant que, en appel, la QPC devra accompagner la déclaration d’appel, comme c’est du reste le cas devant la cour d’assises. Cette règle a d’ailleurs été proposée par un courrier adressé à Christiane Taubira, lorsqu’elle était garde des sceaux, par le premier président de la Cour de cassation et l’ancien président du Conseil constitutionnel. Le Gouvernement demande donc le retrait de cet amendement, au profit des amendements nos 17 et 53. À défaut, il émettra un avis défavorable.

M. le président. Madame la rapporteure, l’amendement n42 est-il maintenu ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Je le retire, au profit des amendements nos 17 et 53.

(L’amendement n42 est retiré.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 17 et 53.

L’amendement n17 a déjà été défendu par Mme Sas.

La parole est à M. Guillaume Larrivé, pour soutenir l’amendement n53.

M. Guillaume Larrivé. Pour l’exhaustivité du compte rendu, et pour que ceux qui nous liront lorsque nous saisirons le Conseil constitutionnel puissent être pleinement éclairés, je voudrais, monsieur le ministre, comprendre le raisonnement du Gouvernement selon lequel le deuxième alinéa de l’article 34 sexies, qui restreint fortement la QPC, serait parfaitement conforme à la Constitution, alors que vous vous apprêtez à toiletter les autres alinéas, pour les motifs constitutionnels que vous avez évoqués devant la commission des lois.

Pour le dire de manière plus simple, pourquoi une restriction vous paraît-elle anticonstitutionnelle, quand une autre restriction, très similaire, très analogue par sa nature et par sa portée, vous paraît, elle, constitutionnelle ? Qu’est ce qui fonde cette différence d’analyse et de traitement du Gouvernement et de la majorité ?

(Les amendements identiques nos 17 et 53 sont adoptés.)

(L’article 34 sexies, amendé, est adopté.)

Article 35

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure, pour soutenir l’amendement n47.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Cet amendement tend à assurer la transition rédactionnelle entre l’inspection des services judiciaires et l’inspection générale de la justice.

(L’amendement n47, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure, pour soutenir l’amendement n46.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Il s’agit d’un amendement de coordination.

(L’amendement n46, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure, pour soutenir l’amendement n43.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Il s’agit également d’un amendement de coordination.

(L’amendement n43, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure, pour soutenir l’amendement n44.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Cet amendement précise les modalités d’entrée en vigueur des déclarations d’intérêts pour les membres du Conseil constitutionnel déjà en fonction.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Sagesse constante, monsieur le président. (Sourires.)

(L’amendement n44 est adopté.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure, pour soutenir l’amendement n45.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Cet amendement précise les modalités d’entrée en vigueur des déclarations de situation patrimoniale pour les membres du Conseil constitutionnel déjà en fonction.

(L’amendement n45, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

(L’article 35, amendé, est adopté.)

M. le président. Nous avons achevé l’examen des articles du projet de loi organique.

Je rappelle que la Conférence des présidents a décidé que les explications de vote et le vote par scrutin public sur l’ensemble du projet de loi organique auront lieu mardi 24 mai après les questions au Gouvernement.

Avant d’entamer l’examen du projet de loi relatif à la modernisation de la justice du XXIsiècle, je vous propose une brève suspension de séance.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures dix, est reprise à dix-huit heures vingt.)

M. le président. La séance est reprise.

4

Modernisation de la justice du XXIe siècle

Suite de la discussion d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi, adopté par le Sénat, de modernisation de la justice du XXIe siècle (nos 3204, 3726).

Discussion des articles

M. le président. J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles du projet de loi.

Article 1er

M. le président. La parole est à M. Marc Dolez, pour soutenir l’amendement n285.

M. Marc Dolez. Cet amendement vise à rétablir les alinéas 3 et 5 de l’article 1er dans leur version initiale afin de réintroduire la notion de « service public de la justice », qui a été supprimée par la commission des lois du Sénat. Nous réfutons, pour notre part, l’idée selon laquelle la qualification de service public pourrait mettre à mal la spécificité de l’autorité judiciaire. Si celle-ci est une autorité constitutionnelle, il n’en demeure pas moins que la justice est un service public, une sphère d’intervention propre de l’État. La notion de service public de la justice, je le rappelle, est d’ailleurs consacrée par le Conseil d’État et par le Conseil constitutionnel.

Certes, la spécificité du service de la justice est réelle. Pour autant, ni l’indépendance de la magistrature ni la séparation des pouvoirs ne sont remises en cause par cette notion de service public. Dans un projet de loi qui entend rapprocher la justice du citoyen, il nous semble absolument essentiel de maintenir la référence à la notion de service public de la justice. Tel est l’objet du présent amendement.

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Nous abordons la discussion des articles du projet de loi de modernisation de la justice du XXIsiècle. Après en avoir débattu, la commission a adopté l’amendement visant à supprimer la référence au caractère public du service. Pour lever toute ambiguïté, je précise que nous partageons totalement l’opinion de M. Dolez selon laquelle le service de la justice est d’abord un service public. C’est une évidence sans laquelle, d’ailleurs, ce texte n’existerait pas, parce que l’un des objectifs du Gouvernement est précisément de replacer le justiciable au cœur de ce dispositif.

En commission, vos rapporteurs ont présenté l’amendement visant à supprimer la référence à la notion de service public au seul motif que, selon nous, l’accès au droit, érigé en principe à l’alinéa 3, devait être garanti non seulement par l’intégralité du service public de la justice mais aussi par l’autorité judiciaire. Mais je reconnais que la notion de service public apparaît dans différentes dispositions. Aussi, considérant que la sémantique peut refléter l’intention et au vu de la pertinence de l’observation de M. Dolez, nous reconnaissons l’opportunité d’une autre approche.

M. le président. La parole est à M. le garde des Sceaux, ministre de la justice.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice. Ma réflexion personnelle a aussi évolué depuis les travaux en commission, notamment à la relecture de la lettre de mission adressée en 1997 par le président Jacques Chirac au président Truche, à l’occasion de l’installation de la commission de réflexion sur la justice – comme je n’ai pas beaucoup de temps, je me nourris des rapports réalisés avant mon entrée en fonction. Je trouve qu’il est difficile de retirer la qualification de service public attachée à la justice, même si j’étais favorable à l’amendement des rapporteurs en commission. Je considérais alors comme envisageable de retirer cette référence au service public, au regard de l’exigence d’indépendance de l’autorité judiciaire et de la spécificité de son statut et de ses règles. Après réflexion et relecture de certaines dispositions, notamment issues du code de l’organisation judiciaire, faisant explicitement référence à cette notion de service public, je pense que la retirer constituerait un curieux message. Avis de sagesse donc sur l’amendement de M. Dolez.

(L’amendement n285 est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Alain Tourret, pour soutenir l’amendement n189.

M. Alain Tourret. Par cet amendement, nous proposons que les associations d’avocats médiateurs soient également membres de droit des conseils départementaux de l’accès au droit – CDAD – selon les modalités prévues au 4° de l’article 55 de la loi du 10 juillet 1991.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Cet amendement avait été présenté, puis retiré, en commission, parce que les rapporteurs avaient émis un avis défavorable. Nous considérons que, s’il existe sur le territoire des associations représentatives d’avocats exerçant des fonctions de médiation, ce qui est une excellente chose, elles peuvent bénéficier du dispositif du projet de loi qui permet l’intégration dans le CDAD des associations attachées à la médiation. L’amendement est satisfait ; il est inutile de préciser le projet de loi. Je propose à M. Tourret de retirer son amendement. À défaut, nous maintiendrons l’avis défavorable de la commission.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Avis défavorable sur l’amendement de M. Tourret, puisque les avocats sont déjà membres de droit des CDAD. Ouvrir cette instance à des associations d’avocats médiateurs créerait une surreprésentation de cette profession. Par ailleurs, cela pourrait créer une iniquité vis-à-vis des autres associations de médiateurs.

M. le président. Monsieur Tourret, retirez-vous l’amendement n189 ?

M. Alain Tourret. Je le retire.

(L’amendement n189 est retiré.)

(L’article 1er, amendé, est adopté.)

Après l’article 1er

M. le président. Je suis saisi de plusieurs amendements portant article additionnel après l’article 1er.

La parole est à Mme Marie-Jo Zimmermann, pour soutenir l’amendement n103.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Cet amendement vise à confirmer les fonctions de la cour d’appel de Metz par l’insertion de l’article suivant : « Dans la zone de défense et de sécurité Est, les chefs de la cour d’appel de Metz exercent les fonctions d’autorité, d’animation et de coordination en matière de sécurité et de défense sur l’ensemble de la zone de défense. Ils animent et coordonnent la préparation et la mise en œuvre des politiques de défense et de sécurité des activités judiciaires et veillent à leur cohérence avec le dispositif zonal. »

En effet, en vertu de la loi relative à la nouvelle organisation territoriale de la République, Strasbourg est la capitale de la nouvelle région et la cour d’appel de Colmar, dans le ressort de laquelle se trouve le chef-lieu, est amenée, en application de l’article R. 122-24 du code de la sécurité intérieure, à exercer les responsabilités particulières d’animation, de coordination en matière de défense sur l’ensemble de la zone de défense. Or, depuis le 1er janvier 2015, la cour d’appel et le tribunal de grande instance de Metz se sont vus attribuer la compétence interrégionale en matière militaire. Par cet amendement, il est précisé que la cour d’appel de Metz garde cette compétence.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Cet amendement n’ayant pas été soumis à la commission des lois, je propose d’entendre ce qu’en pense le Gouvernement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Je demande à Mme Zimmermann de retirer son amendement. Je vais lui apporter les précisions demandées mais, celles-ci relevant d’un décret en Conseil d’État, il n’y a pas lieu de les introduire dans la loi.

Il est vrai qu’en vertu de la réforme territoriale, le périmètre de la zone de défense et de sécurité Est n’a pas changé : il comprend l’Alsace, la Champagne-Ardenne, la Lorraine, la Bourgogne et la Franche-Comté. En revanche, depuis le 1er janvier 2016, Strasbourg est le chef-lieu de la région fusionnée et le préfet de la zone de défense est celui du Bas-Rhin, alors qu’auparavant cette fonction revenait au préfet de la Moselle. Aussi, en application de l’article R122-24 du code de la sécurité intérieure, les chefs de cour de Colmar sont devenues les autorités correspondantes du préfet de la zone de défense en lieu et place des chefs de cour de Metz. Ainsi, en déplaçant le chef-lieu de zone de défense et de sécurité de Metz à Strasbourg tout en maintenant cependant l’ensemble des services zonaux à Metz, l’État a créé une organisation zonale atypique en région Est, justifiée par la centralité et la forte tradition militaire de la place de Metz.

Il reste que, sur le plan juridique, la modification souhaitée relève du pouvoir réglementaire, la disposition à amender figurant dans la partie réglementaire du code de la sécurité intérieure, à l’article R. 122-24. Elle fera donc l’objet d’un décret en Conseil d’État, qui viendra corroborer les déclarations du Premier ministre lors de son déplacement à Metz.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Jo Zimmermann.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Je retire mon amendement et remercie le garde des sceaux d’avoir répondu très précisément car c’est un motif d’inquiétude pour la ville de Metz – que partage d’ailleurs notre collègue Aurélie Filippetti. Il est vrai que, comme l’a souligné M. le rapporteur, cet amendement n’a pas été déposé en commission mais en séance. Je tiens donc à le remercier, ainsi que M. le garde des sceaux, de cette réponse.

(L’amendement n103 est retiré.)

M. le président. Nous en venons à deux amendements identiques, nos 8 et 184.

La parole est à M. Éric Ciotti, pour soutenir l’amendement n8.

M. Éric Ciotti. Cet amendement vise à faire participer les personnes détenues, majeures comme mineures, aux frais de détention. Ce débat a été ouvert dans d’autres pays de l’Union européenne, notamment aux Pays-Bas. Monsieur le ministre, vous évoquez toujours, à juste titre, les difficultés budgétaires auxquelles vous êtes confronté, notamment pour ce qui concerne l’administration pénitentiaire. Il me paraîtrait logique et cohérent que les personnes placées en détention après condamnation et disposant de revenus ou d’un patrimoine importants puissent contribuer à leur frais de détention.

Le coût journalier de la détention est estimé à plus de 100 euros, à 106 euros exactement. Il peut être supérieur dans les établissements pénitentiaires pour mineurs où il atteint quelque 300 euros. Il monte à près de 700 euros pour les centres éducatifs fermés. Pour les mineurs, ce sont les responsables légaux qui seraient appelés à participer au financement.

Ce débat, qui est certes nouveau dans notre pays, j’en conviens, mériterait d’être ouvert. Lorsque nos concitoyens effectuent un séjour à l’hôpital, ils doivent, y compris les plus modestes, acquitter un ticket modérateur, quels que soient leurs revenus. Cette mesure serait encore plus pertinente pour le cas où des personnes condamnées disposeraient d’un patrimoine et de revenus très importants et qu’il pourrait être prouvé que ce patrimoine est lié au délit ou au crime qu’elles ont commis. L’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, qui a été créée par la précédente majorité, pourrait opportunément évaluer les situations patrimoniales et les revenus de ces personnes.

Je crois vous apporter là, monsieur le garde des sceaux, une solution concrète et pertinente pour régler les difficultés budgétaires auxquelles vous êtes confronté. Vous formuliez le vœu hier soir que nous votions le budget de la justice : pourquoi pas, si vous obtenez ce que vous demandez ? Je vous propose là une solution concrète qui pourra immédiatement améliorer votre budget de manière considérable.

M. le président. La parole est à M. Alain Tourret, pour soutenir l’amendement n184.

M. Alain Tourret. Alors que je m’oppose globalement à la vision de la justice de M. Ciotti et à un grand nombre des mesures qu’il propose, une fois n’est pas coutume, je lui donne la paternité de cette proposition que j’ai tenu à reprendre. Je dois avouer, en effet, que les frais de justice doivent être supportés par les personnes qui ont du patrimoine et des revenus. Du fait même qu’une personne mise en détention l’est par sa faute – sinon, elle a la possibilité d’obtenir une indemnisation de l’État –, elle a, à l’évidence, l’obligation de contribuer aux frais entraînés par sa situation. Bien sûr, un tel dispositif ne peut s’appliquer à tous les détenus : seuls ceux qui disposent d’un certain patrimoine ou d’un certain capital doivent être concernés.

Nous avons tous en tête les noms notamment de présidents de grandes entreprises de circulation des trains ou de grands responsables du football : à quel titre seraient-ils dispensés de contribuer aux frais d’entretien ?

La seule chose qui me perturbe est l’état de vétusté des bâtiments dans lesquels les détenus sont incarcérés. Il me semblerait paradoxal que l’État demande aux détenus une participation financière alors qu’il est lui-même condamné pour la vétusté et le caractère inhabitable de certains établissements. Toutefois, je pense qu’en dehors de ces cas qui ne sont pas majoritaires, il serait parfaitement normal de demander une participation. Nous n’avons pas à protéger la criminalité en col blanc.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. L’examen de ce texte nous donne la possibilité de revoir les principes fondamentaux de la justice. Je me permets de rappeler à chacun que la prison est exclusivement une privation de liberté : on n’a pas à y être malade, mal-logé ou privé d’affection et de liens. La conception de la liberté qu’ont les sociétés se juge à la manière dont elles appréhendent la privation de la liberté. Or j’ai le sentiment que notre pays a encore des leçons à recevoir sur le sujet.

Mme Elisabeth Pochon. Absolument.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Je le rappelle solennellement, sans remettre en cause les convictions de qui que ce soit : ce débat concerne le sens de la prison, qui est, je le répète, exclusivement la privation de la liberté. Lorsque nous avons eu en commission ce débat très intéressant, j’ai rappelé, en invitant au rejet de ces amendements, que plus d’un quart des détenus connaissent une situation de grande précarité et sont dépourvus de ressources. Du reste, l’administration pénitentiaire, pour tenter de « reconstituer » ces détenus dans l’éventualité de leur sortie, finance leur formation, parce qu’ils n’ont pas les moyens de le faire. Le taux d’activité en détention, vous le savez, n’est que de 52 % pour les détenus exécutant leur peine et de 28 % pour ceux qui sont en maison d’arrêt. Quant à la rémunération moyenne, elle est inférieure à 550 euros.

L’article 717-3 du code de procédure pénale, que vous n’avez pas envisagé de modifier, dispose – je l’avais également rappelé en commission – que « le produit du travail des détenus ne peut faire l’objet d’aucun prélèvement pour frais d’entretien en établissement pénitentiaire ». C’est la loi qui le dit.

En outre, nul ne peut préjuger des décisions de la Cour européenne des droits de l’homme relatives à des dispositifs de cette nature, alors même qu’elle sanctionne la France à longueur de temps sur ses conditions de détention.

Je pense que si l’hypothèse se vérifiait que des détenus, notamment en maison d’arrêt, aient les moyens de s’acquitter d’une contribution financière, il faudrait s’attacher à ce qu’ils contribuent surtout à réparer les préjudices subis par les victimes. La commission des lois a émis un avis défavorable sur ces amendements qui soulèvent des sujets de fond.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Je n’ai évidemment pas de désaccord avec le rapporteur. Si le détenu a quelques disponibilités financières, il serait plus pertinent qu’il les consacre à réparer les dommages qu’il a pu commettre, notamment à rembourser la victime ou à s’acquitter de ce qu’il doit à la société.

Le rapporteur a très justement souligné que la prison doit être ramenée à son sens. C’est à la société d’assumer la prison, qui n’est pas un espace de relégation.

Nos sociétés, aujourd’hui, ne supportent plus les prisons. Il fut un temps où on les construisait au centre des villes. On les construit aujourd’hui en périphérie, au milieu des champs de betteraves, au risque d’empêcher les familles de maintenir des liens avec les détenus, alors même que ce maintien – nul ne l’ignore – est une condition sine qua non pour une bonne réinsertion. N’allons pas plus loin que ce que prévoit déjà le code pénal, à savoir la privation de liberté. Avis défavorable à ces amendements.

M. le président. La parole est à M. Philippe Houillon.

M. Philippe Houillon. Je souhaite ajouter un point technique qu’en fin juriste M. Tourret n’ignore pas : l’amendement, en évoquant les détenus en général, vise également les personnes en détention provisoire. Voudriez-vous faire payer aux présumés innocents le montant de leur incarcération ? Ces amendements sont, au minimum, à retravailler, car ils ne me paraissent pas pouvoir être adoptés en l’état.

M. le président. La parole est à M. Joaquim Pueyo.

M. Joaquim Pueyo. Je partage évidemment l’avis du rapporteur et du garde des sceaux. Toutefois, la question des frais d’entretien est intéressante : avant 2004, on prélevait 30 % de la rémunération mensuelle, à concurrence de 300 francs par mois, des détenus qui travaillaient pour financer leurs frais d’entretien. Le débat a eu lieu dans les siècles derniers. En 1836, Moreau-Christophe, inspecteur des prisons, avait déjà soulevé le problème. En 2004, qui était Premier ministre ? M. Raffarin, me semble-t-il. Or le garde des sceaux de l’époque avait proposé de supprimer à compter de cette année-là le prélèvement des frais d’entretien au profit du Trésor public, et ce au nom du principe d’égalité.

Mes chers collègues, une telle question nécessite une étude d’impact approfondie. Il y a non seulement le cas des prévenus, mais également celui des indigents ou encore celui des détenus qui travaillent. Il faut rejeter ces amendements que nous ne pouvons pas accepter en l’état.

À quels critères obéirait le prélèvement des frais d’entretien sur les revenus des détenus ? Certains d’entre eux sont riches, dites-vous : faudra-t-il procéder à une enquête, examiner les feuilles d’impôts ? L’administration pénitentiaire n’en est pas actuellement capable. Je le répète : une étude approfondie est nécessaire avant toute décision en ce sens. Les Pays-Bas ont annoncé qu’ils se dirigeaient vers une telle mesure : or ils ne l’ont toujours pas mise en œuvre.

M. le président. La parole est à Mme Colette Capdevielle.

Mme Colette Capdevielle. Le groupe socialiste s’associe aux explications du rapporteur et du garde des sceaux. Il ne pourra absolument pas voter ces amendements, qui sont contraires à notre droit, à notre procédure et au droit européen.

Je tiens à vous rappeler que les détenus, qu’ils soient prévenus ou condamnés, participent aux frais. Ils paient la télévision, le téléphone lorsque celui-ci est autorisé, ou la cantine. Du reste, nombre de détenus, qui n’ont pas le choix, sont contraints d’acheter ce que les services de l’établissement pénitentiaire leur proposent. Ils remboursent aussi les victimes – M. le garde des sceaux l’a souligné.

Revenons à la réalité. La plupart des détenus sont des personnes particulièrement défavorisées, très précaires, à tel point que Mme Guigou, lorsqu’elle était garde des sceaux, avait mis en place une trousse d’hygiène. En effet, des détenus n’avaient même pas les moyens d’acheter du dentifrice et du savon pour assurer leur hygiène quotidienne. Je rappelle que, dans la plupart des établissements pénitentiaires, ce sont les associations caritatives qui fournissent les produits d’hygiène, des vêtements, des livres et tout ce dont les détenus peuvent avoir besoin. L’ensemble du groupe SRC, extrêmement étonné, est très défavorable à ces amendements qui braconnent quelque peu dans la gibecière du Front national.

M. le président. La parole est à M. Éric Ciotti.

M. Éric Ciotti. Je tiens à réagir aux propos du rapporteur ainsi qu’à ceux, notamment, de M. Tourret.

Ce débat mérite d’être ouvert et je remercie MM. Pueyo et Tourret d’avoir reconnu qu’il était pertinent. Les frais d’entretien existaient : la question a donc déjà été posée. Cette expérience, qui est aujourd’hui engagée aux Pays-Bas, mérite mieux qu’une réponse dilatoire qu’au demeurant, monsieur le garde des sceaux, vous n’avez pas apportée.

Même si cet amendement mérite d’être retravaillé, comme l’ont souligné certains de nos collègues, il a pour objectif d’ouvrir ce débat.

Monsieur le rapporteur, vous avez argué que le grand nombre des détenus privés de revenus s’oppose à l’application d’un tel dispositif. Or vous avez souligné vous-même, de manière contradictoire, qu’un quart des détenus sont dépourvus de revenus. Cela signifie donc, si je compte bien, que les trois quarts ont des revenus. Votre argument n’est donc pas pertinent, d’autant que mon amendement précise qu’un décret fixera les conditions de prélèvement et que, naturellement, le patrimoine et les revenus devront être évalués, comme cela se fait déjà pour certaines prestations sociales comme l’aide médicale d’État ou la couverture maladie universelle.

Vous avez également évoqué la question du travail : je tiens à la dissocier du dispositif que je prévois. Celui-ci n’a rien à voir avec le travail effectué en détention, dont les revenus doivent entrer dans l’évaluation globale du patrimoine et des revenus du détenu. Il ne s’agit pas de faire travailler de force des détenus pour les contraindre ensuite à contribuer à leurs frais d’entretien.

Vous faites enfin valoir que la prison est la privation de liberté. La prison est l’application d’une peine. Il existe des lieux de privation de liberté où un paiement est prévu. Le précédent contrôleur des lieux de privation de liberté souhaitait que les EHPAD – établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes – soient placés sous son contrôle. Les établissements psychiatriques sont, eux aussi, des lieux de privation de liberté. Or tous ces établissements donnent lieu à paiement.

M. le président. Il faut conclure, monsieur Ciotti.

M. Éric Ciotti. Les personnes âgées qui résident en EHPAD participent au forfait journalier. Ce sujet est donc bien plus complexe que vous ne le laissez entendre. Il mérite d’être abordé : c’est une question de justice pour notre société, notamment pour les victimes.

M. le président. La parole est à M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. Je voterai cet excellent amendement d’Éric Ciotti, que j’ai cosigné. Chacun sait que le coût journalier total des personnes condamnées, c’est-à-dire des détenus en établissements pour peine, est de l’ordre de 200 euros. C’est considérable. À l’heure où on cherche à réaliser des économies sur les dépenses publiques et à disposer de nouveaux moyens notamment pour construire de nouvelles places de prison, il ne serait pas absurde que les personnes condamnées participent, à la mesure de leur solvabilité, à leurs frais de détention.

Selon Mme Capdevielle, les stipulations de la Convention européenne des droits de l’homme s’opposeraient à la mesure. Si tel était le cas, pourquoi les Pays-Bas, qui appartiennent à l’Union européenne et non à je ne sais quelle autre galaxie, ont-ils pu appliquer un dispositif similaire ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Justement : aux Pays-Bas, il n’est pas mis en place !

M. Guillaume Larrivé. De manière générale, je ne crois pas que nous devions nous imposer une sorte d’autocensure, au motif qu’il faudrait anticiper des dispositions que les juges de la Convention européenne pourraient un jour nous imposer. C’est à la représentation nationale d’effectuer des choix structurants.

Je me réjouis d’ailleurs que la proposition soit soutenue au-delà du groupe Les Républicains. M. Tourret, que chacun sait très sensible à la défense des libertés publiques et des droits de l’homme, soutient un amendement identique à celui d’Éric Ciotti, ce qui devrait vous faire réfléchir. Il n’y a rien d’extrémiste ni d’extravagant à considérer que des détenus condamnés doivent participer financièrement aux frais de leur détention.

Mme Elisabeth Pochon. Si !

M. le président. La parole est à M. Alain Tourret.

M. Alain Tourret. N’en déplaise à mes amis socialistes, qui me semblent avoir une vision misérabiliste de la situation des détenus, nous ne sommes plus à l’époque des Misérables ! Certains trafiquants de drogue possèdent des dizaines de millions d’euros. Il y a aussi beaucoup de criminels en col blanc. Pourquoi vouloir à toute force préserver le patrimoine de ces gens ?

M. Guillaume Larrivé. Très bien !

M. Alain Tourret. Pour moi, ceux-ci sont beaucoup plus criminels que d’autres qui, dépourvus de moyens, connaissent en prison une situation désastreuse. Je ne comprendrai jamais qu’on accorde tant d’attentions à des gens qui, rompant avec leur milieu social, se sont enrichis à centaines de millions notamment par le trafic de drogue, ni qu’on veuille les dispenser de participer à leurs frais d’entretien.

M. le président. La parole est à Mme Elisabeth Pochon.

Mme Elisabeth Pochon. Moi, c’est l’inverse que je trouve extravagant : que l’on pense qu’une peine n’est pas personnelle et que les ayants droit ou la famille des détenus puissent avoir à régler leurs frais ! Dans cette hypothèse, que devient la peine ? Lorsqu’une personne est condamnée, présumez-vous la complicité de ses proches ? Mme Capdevielle n’a pas tort, quand elle vous accuse de braconner dans la gibecière du Front national.

M. Éric Ciotti. Oh !

Mme Elisabeth Pochon. Penser que ceux qui ont commis une faute devront payer leurs frais est une fausse bonne idée. En prison, monsieur Tourret, il n’y a pas que des gens qui ont de grands moyens.

M. Alain Tourret. Je n’ai pas dit cela !

Mme Elisabeth Pochon. D’ailleurs, que ferions-nous si les détenus refusent de payer ? Allons-nous les mettre dehors ?

M. Alain Tourret. Non ! Nous les saisirons !

(Les amendements identiques nos 8 et 184 ne sont pas adoptés.)

Article 2

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 23 et 179 rectifié.

La parole est à M. Éric Ciotti, pour soutenir l’amendement n23.

M. Éric Ciotti. L’amendement reprend la proposition du rapport Le juge du XXIe siècle remis à la garde des sceaux en décembre 2013 par Pierre Delmas-Goyon.

Il propose que les avocats puissent plaider, dans les affaires relevant de la représentation obligatoire et selon des conditions fixées par un décret pris en Conseil d’État, par visioconférence en matière civile sans avoir l’obligation de se trouver dans une salle d’audience ouverte au public.

Il s’agit par conséquent d’une mesure de simplification tendant à alléger la charge judiciaire.

M. le président. La parole est à M. Alain Tourret, pour soutenir l’amendement n179 rectifié.

M. Alain Tourret. La cour d’appel de Caen a été exemplaire en matière d’utilisation de la visioconférence. Son premier président a souhaité qu’on s’engage dans cette voie sinon pour le pénal, du moins pour le civil, ce qui a donné des résultats intéressants.

Le conservatisme ambiant a interdit d’aller plus loin. Je le regrette. Quand, en appel, on se trouve dans une juridiction très étendue, pourquoi refuser le recours à la visioconférence ? Pourquoi la modernité n’aurait-elle pas sa place dans le tribunal du futur ?

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Avis défavorable.

Bien que je ne puisse parler qu’au nom de la commission des lois, il m’arrive de m’interroger sur le cadre d’utilisation de l’article 40. Les amendements ont été déclarés recevables. Je m’en réjouis pour leurs auteurs, mais le recours à la visioconférence induirait un coût considérable en matériel.

M. Éric Ciotti. Mais non !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Outre cette considération de technique parlementaire, la visioconférence, comme l’a relevé M. Tourret, a piétiné, avant de s’épuiser. Actuellement, sa mise en place n’est pas envisageable. Une installation dans tous les tribunaux poserait des problèmes pratiques importants.

En 2006, nous avons tenté une expérience de ce type à l’Assemblée nationale lors de la commission d’enquête sur l’affaire d’Outreau, M. Houillon s’en souvient certainement. Nous avons mesuré que la visioconférence ne permet pas les mêmes liens ni les mêmes échanges que la présence physique.

Au-delà des aspects techniques, que je ne maîtrise pas suffisamment, nous ne sommes tout simplement pas capables sur le plan matériel de nous engager dans cette voie. Les auteurs de ces amendements le savent, même si, dans l’avenir, le recours à un dispositif de ce type pourra s’avérer extrêmement pertinent. Avis défavorable donc.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. La loi impose que les visioconférences aient lieu uniquement dans des lieux de justice, afin de garantir le respect de certaines règles. Je suis favorable au maintien du cadre actuel, donc défavorable à ces amendements, notamment pour des raisons de publicité.

Il n’est pas envisageable qu’un avocat puisse plaider depuis son cabinet ou dans une salle appartenant à des locaux privés. S’il y a plusieurs parties à l’audience, on rencontrera des problèmes du fait des connexions multiples. D’autre part, il sera impossible de s’assurer des conditions de l’intervention d’un avocat. Enfin, pour garantir la confidentialité de la transmission, il faudrait supporter des coûts dont je ne pense pas que, tous ici, nous soyons bien informés.

(Les amendements identiques nos 23 et 179 rectifié ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 200 et 252.

La parole est à Mme Colette Capdevielle, pour soutenir l’amendement n200.

Mme Colette Capdevielle. Dans le cadre du service d’accueil unique du justiciable, l’amendement propose que les avocats aient les mêmes possibilités d’interrogation de la base de données enregistrées par le bureau d’ordre national automatisé des procédures judiciaires, Cassiopée, ce qui facilitera la communication en temps réel sur les procédures et permettra aux greffes de se consacrer à leur cœur de métier, en leur faisant gagner du temps. On évitera en effet que les avocats ne dérangent continuellement le greffe pour connaître l’état des procédures, les dates d’enrôlement, etc. En d’autre termes, l’amendement facilitera les relations entre les auxiliaires de justice.

M. le président. La parole est à M. Denys Robiliard, pour soutenir l’amendement n252.

M. Denys Robiliard. Défendu.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Avis défavorable. Les amendements sont placés dans la partie du texte consacrée au service d’accueil unique du justiciable, le SAUJ, grande réforme que porte le texte. Celle-ci qui vise à donner à tous les justiciables, dans tous les lieux où la justice exerce ses compétences et en présence d’un personnel greffier qualifié, un accès aux renseignements concernant une procédure qui les concerne. Ils pourront en connaître l’état et saisir la juridiction concernée quel que soit le type de procédure, même si cette juridiction est différente de celle dans laquelle se trouve le SAUJ.

Ce dispositif est articulé sur deux éléments : l’accessibilité au justiciable et l’utilisation informatique de données très pertinentes. Le garde des sceaux y reviendra sans doute.

On sait que les avocats peuvent déjà accéder à des dispositifs informatiques – un grand nombre de barreaux utilisent de telles connexions pour les mises en état –, mais celui qu’utiliseront les justiciables sera nécessairement différent.

Enfin, le Gouvernement le précisera sans doute, l’accès à ces données se fera dans des conditions déterminées.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Avis défavorable. Le bureau d’ordre national automatisé des procédures judiciaires a été exclusivement conçu pour les magistrats. C’est pourquoi il figure dans le chapitre du code de procédure pénale relatif au ministère public. Compte tenu de la sensibilité des informations qu’il contient, Cassiopée ne peut être ouvert à tous ceux qui ont un intérêt, si légitime qu’il soit, dans une affaire.

Ce n’est pas parce qu’il rendrait le travail des avocats plus facile et plus rapide que l’on peut autoriser à ceux-ci l’accès à des données personnelles qui méritent d’être protégées.

M. le président. La parole est à M. Denys Robiliard.

M. Denys Robiliard. Je n’ai pas défendu l’amendement tout à l’heure, pour ne pas répéter le propos de Mme Capdevielle, mais il y a quelque chose que je ne comprends pas. Ces dispositions, qui figurent dans un chapitre consacré à l’accès à la justice, visent à permettre au justiciable, assisté d’un greffier habilité, d’accéder à des informations figurant dans un fichier.

Peut-être que je me trompe, mais on a l’impression, à vous entendre, que le justiciable qui se présentera personnellement recevra plus d’informations que n’en obtiendrait un avocat qui procéderait de l’extérieur, à partir de son cabinet.

Il me semble qu’il faut faire une mise au point. À mon sens, on ne construira pas une justice efficace en créant délibérément une inégalité entre les auxiliaires de justice et le justiciable. Ou faut-il comprendre que, pour avoir accès à l’information, l’avocat lui-même devra se présenter au guichet unique, afin d’interroger la personne habilitée ?

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Je précise pour éviter toute confusion que le justiciable n’a pas accès à Cassiopée.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Bien sûr !

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. C’est le greffier qui y a accès. De même, il y a certains aspects secrets de procédure qui ne regardent pas l’avocat. On refusera par conséquent de lui transmettre ces informations.

(Les amendements identiques nos 200 et 252 ne sont pas adoptés.)

M. le président. La parole est à M. Éric Ciotti, pour soutenir l’amendement n24.

M. Éric Ciotti. On constate aujourd’hui une pénurie d’interprètes, ainsi que des difficultés pour acquitter les frais de justice. Monsieur le garde des sceaux, je vous ai interrogé personnellement sur le cas d’une société de mon département, fabriquant des balises, à laquelle votre ministère doit 1 million d’euros, et qui se trouve de ce fait en cessation de paiement. Depuis plus d’un an, le ministère de la justice et celui de l’intérieur se renvoient la facture, ce qui, vous en conviendrez, est un scandale. Le problème n’est toujours pas réglé. Il fait partie des difficultés que vous avez évoquées avec lucidité et pertinence.

Par cet amendement, je tente une fois encore d’alléger votre fardeau, et je vous propose de mettre en place un dispositif qui facilitera le recours à l’interprétariat par téléphone. On allégerait ainsi les procédures et l’on diminuerait les frais de justice.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Avis défavorable. La présence physique de l’interprète aux côtés de la personne mise en cause, devant le magistrat qui doit l’entendre, contribue à la clarification et à la vérité des échanges. Les gestes, les mimiques que peut saisir un interprète facilitent sa compréhension et favorisent l’exactitude de la traduction.

C’est particulièrement vrai quand un interprète ne maîtrise pas totalement la langue d’une personne, et doit élargir le champ de la compréhension.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Même avis. La présence physique d’un interprète – dont le serment aura bien entendu été vérifié préalablement – est indispensable.

Quant à la question des balises, monsieur Ciotti, c’est un vrai souci, et pas seulement du point de vue des frais de justice. Nous avons obtenu le dégel de certaines sommes, qui devraient nous permettre de diminuer le montant de nos dettes, notamment vis-à-vis de nos prestataires. Mais sur les balises, il subsiste une vraie difficulté entre le ministère de l’intérieur et celui de la justice. Nous travaillons à la résoudre avec Bernard Cazeneuve. Naturellement, chacun souhaite payer sa quote-part. Pour tout vous dire, la Chancellerie souhaiterait que le ministère de l’intérieur investisse dans les balises, tandis qu’elle-même prendrait en charge leur fonctionnement. Les discussions sont en cours. Quoi qu’il en soit, vous pouvez être rassuré : c’est un sujet auquel nous sommes attentifs. Je connais l’entreprise dont vous m’avez parlé, et je serai heureux de vous apporter une réponse dans les meilleurs délais.

(L’amendement n24 n’est pas adopté.)

(L’article 2 est adopté.)

Après l’article 2

M. le président. Je suis saisi de plusieurs amendements portant article additionnel après l’article 2.

La parole est à M. Éric Ciotti, pour soutenir l’amendement n10.

M. Éric Ciotti. Monsieur le ministre, vous avez salué hier soir notre constance à défendre…

M. Denys Robiliard. L’indéfendable !

M. Éric Ciotti. …des dispositions qui nous paraissent indispensables pour donner à notre justice et à notre réponse pénale les moyens qui leur sont nécessaires pour faire respecter les lois de la République et mieux sanctionner ceux qui les enfreignent. C’est avec la même constance que nous défendons la nécessité de rétablir les peines planchers que votre prédécesseur a inopportunément supprimées, de façon d’ailleurs très idéologique.

Vous connaissez la gravité et l’ampleur des phénomènes de récidive et de réitération. Ces peines planchers, qui ne s’opposaient en rien au principe fondamental de l’individualisation des peines, auquel nous sommes attachés, posaient un principe simple : la récidive est plus sévèrement sanctionnée. Elles ont porté leurs fruits. Nous vous supplions de prendre le chemin de la rédemption et de reconnaître les fautes de celle qui vous a précédé : rétablissons ces peines planchers.

Mme Elisabeth Pochon. C’est un leitmotiv !

M. Éric Ciotti. N’attendez pas que nous les rétablissions l’année prochaine. Gagnons du temps pour la justice. Faites-le dès aujourd’hui, monsieur le ministre !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. La commission a donné un avis défavorable à cet amendement. Les peines planchers ont été supprimées par la loi du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et à la prévention de la récidive…

M. Éric Ciotti. Hélas ! Quelle faute !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. …pour des raisons tenant à leur inefficacité contre la récidive, à l’allongement de la durée des peines et à la surpopulation carcérale. Elles ont été remplacées par un dispositif très important, qui se veut plus efficace : le grand texte dont le président de notre commission fut le rapporteur.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Ayant depuis longtemps épuisé le plaisir d’essayer de convaincre Éric Ciotti qu’il était dans l’erreur, je me cantonnerai à un avis défavorable.

(L’amendement n10 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Éric Ciotti, pour soutenir l’amendement n14.

M. Éric Ciotti. Toujours avec la même constance, je souhaite revenir sur le seuil d’aménagement des peines, que la loi pénitentiaire de 2009 défendue par la précédente majorité – et à laquelle je m’étais personnellement opposé – a porté d’un à deux ans de prison ferme. De façon plus générale, le débat porte sur la question de l’aménagement des peines. Il y a là une étape essentielle pour rétablir la confiance de nos concitoyens en la justice. Aujourd’hui, ils ne comprennent pas – je pense notamment aux victimes – qu’une peine prononcée au nom du peuple français par une formation de jugement puisse être déconstruite dans l’anonymat du cabinet d’un juge d’application des peines ou par un aménagement ab initio. Une peine prononcée doit être exécutée. Bien sûr, les aménagements individuels peuvent avoir leur pertinence et leur utilité en fonction de la personnalité de chacun, et je les soutiens. Mais lorsque ces aménagements deviennent quasi automatiques, systématiques, lorsqu’ils ne sont plus rien d’autre qu’une variable d’ajustement de la population carcérale, la sanction pénale se voit finalement soumise à des contingentements matériels. Il y a là un dysfonctionnement majeur de notre système pénal et une grande hypocrisie. Individuels dans le principe, les aménagements de peine deviennent quasi automatiques dans les faits, dès que se présente une difficulté ou qu’il y a surpopulation carcérale. Or vous le savez, c’est le cas aujourd’hui, puisque votre prédécesseur a refusé de construire les 24 000 places de prison prévues par la loi de programmation relative à l’exécution des peines votée suite à mon rapport en mars 2012.

Mme Cécile Untermaier. Vous n’allez pas remettre ça !

M. Éric Ciotti. Il faut aujourd’hui revenir sur cette variable d’ajustement. La sanction doit s’appliquer, faute de quoi on déconstruit le sens de la peine.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Dominique Raimbourg, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Monsieur Ciotti, la construction de ces 24 000 places de prison a été décidée sur une impulsion de M. Sarkozy en mars 2012. Il n’y avait pas l’ombre d’un financement.

M. Éric Ciotti. C’était une loi de programmation !

M. Dominique Raimbourg, président de la commission des lois. Certes, mais elle devait les financer en s’adressant à des promoteurs privés. Cela coûtait 3,4 milliards, soit le montant annuel du budget de l’administration pénitentiaire.

M. Éric Ciotti. Sur cinq ans !

M. Dominique Raimbourg, président de la commission des lois. On peut toujours construire des places de prison comme des châteaux en Espagne, mais elles n’étaient absolument pas financées.

En ce qui concerne les aménagements de peine, vous n’avez aucune preuve de ce que vous avancez, à savoir qu’ils seraient accordés de façon automatique. Toute la difficulté de la politique pénale que nous essayons de conduire vient justement de ce que ces aménagements ne sont accordés ni de façon automatique, ni de façon individuelle, et qu’ils le sont avec une parcimonie qui nous désespère. Ce qui nous désespère, ce n’est pas du tout l’automaticité : c’est la lenteur avec laquelle l’idée qu’il vaut parfois mieux contrôler les gens à l’extérieur que les mettre en prison progresse.

Quant à l’assertion selon laquelle Mme Taubira aurait mené une politique d’un laxisme débridé, permettez-moi là encore de désespérer : il y a aujourd’hui plus de détenus qu’il n’y en avait en 2012.

M. Éric Ciotti. Grâce à M. Urvoas !

M. Dominique Raimbourg, président de la commission des lois. Non, il n’en est pas responsable. Il fait très bien les choses…

M. Éric Ciotti. Il les a améliorées !

M. Dominique Raimbourg, président de la commission des lois. Ce prétendu laxisme ne trouve aucune illustration dans une surpopulation carcérale qui est hélas repartie à la hausse. Selon les chiffres de M. Tournier, qui joue le rôle de statisticien en la matière, le nombre de détenus dormant sur des matelas dépasse aujourd’hui le millier. Vos allégations ne sauraient donc être des preuves. Vous le savez du reste aussi bien que moi, puisque vous êtes un fin connaisseur du sujet.

Mme Cécile Untermaier. Non, il ne le connaît pas !

M. Dominique Raimbourg, président de la commission des lois. Mais vous le présentez de manière totalement idéologique, ce que vous nous reprochez en permanence. Je le dis une fois, je pense que cela suffira pour la soirée. Je vous remercie de votre attention. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Marc Dolez. Très bien !

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur cet amendement ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Nous reprenons à notre compte les excellents arguments du président de la commission. L’aménagement de la peine n’est jamais automatique. Il est soumis à l’appréciation du juge de l’application des peines, en fonction des garanties que donne le condamné ou du respect d’obligations.

En outre, l’utilisation des peines aménagées n’a pas débouché sur une augmentation de la récidive chez les personnes en bénéficiant. C’est même l’inverse. L’efficacité de ces mesures se lit notamment dans les rapports qui analysent la récidive. Nous nous inscrivons donc dans la ligne du président de la commission. Avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le Gouvernement n’a rien à ajouter aux arguments qui ont été exposés avec talent.

M. le président. La parole est à M. Alain Tourret.

M. Alain Tourret. Je voudrais dire à M. Ciotti qu’il mène un mauvais combat. L’aménagement de peine n’est pas une obligation, mais une possibilité qui prend en compte l’individualisation, la personnalité, la possibilité de s’amender, l’influence de la famille, l’existence d’un domicile… Et après tout, c’est bien votre majorité qui avait porté d’un à deux ans les seuils de peine aménageable !

Vous mèneriez un meilleur combat en vous attaquant aux diminutions automatiques de peines…

M. Éric Ciotti. On va y venir !

M. Alain Tourret. …auxquelles je suis farouchement opposé – j’en ai souvent parlé avec mon ami Joaquim Pueyo – car elles sont totalement anormales et contraires au principe d’individualisation.

M. le président. La parole est à M. Éric Ciotti.

M. Éric Ciotti. Rassurez-vous, monsieur Tourret. Je ne romprai pas la belle unanimité qui nous réunit ce soir, et je défendrai dans quelques instants un amendement visant à limiter les crédits de réduction de peine.

Quant aux aménagements de peine, monsieur le président de la commission, je ne propose pas de les supprimer, mais simplement de diminuer le seuil maximal d’aménagement. Il s’agit de revenir à la situation qui prévalait avant la loi pénitentiaire de 2009. Certes, c’est notre majorité qui a porté cette loi, mais beaucoup d’entre nous ont reconnu que ce fut une erreur et qu’elle avait eu des conséquences dommageables. La condamnation à deux ans de prison ferme ne sanctionne pas un délit banal, mais des faits souvent très graves. Il y a donc une incompréhension de la société lorsqu’aucun jour de prison n’est effectué.

Ne me faites cependant pas dire ce que je n’ai pas dit. Je ne dis pas que ces aménagements sont automatiques, mais qu’ils deviennent de plus en plus une variable d’ajustement : on ne considère plus la situation individuelle de la personne pour laquelle on aménage la peine, mais les capacités d’accueil de l’établissement pénitentiaire dans lequel elle serait susceptible d’être incarcérée.

Mme Elisabeth Pochon. Qu’est-ce qui vous permet de dire cela ?

M. Éric Ciotti. Permettez-moi ensuite une rectification sur la loi de programmation relative à l’exécution des peines. C’est moi qui ai été à l’origine de ce texte au travers de mon rapport. Il appartenait aux lois de finances pour 2013, 2014 et 2015 d’appliquer cette loi de programmation, or je ne sache pas que nous ayons été aux responsabilités à l’époque… Vous n’avez pas respecté les termes de cette loi, pour des raisons idéologiques ; mais ne dites pas que nous n’avons pas prévu de moyens ! Je note d’ailleurs que dans le projet du candidat Nicolas Sarkozy, 3 milliards d’euros étaient prévus pour la création de ces places. C’était un choix, vous en avez fait un autre. Aujourd’hui, nous en payons le prix.

(L’amendement n14 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Éric Ciotti, pour soutenir l’amendement n9.

M. Éric Ciotti. Avec votre permission, monsieur le président, je défendrai en même temps les deux suivants, l’amendement n12 et l’amendement n11. En effet, ces trois amendements visent tous à donner une meilleure lisibilité à la peine pour restaurer la confiance de nos concitoyens dans la justice.

Selon les chiffres que vous nous avez donnés en commission, monsieur le garde des sceaux, quelque 90 000 peines sont aujourd’hui en attente d’exécution – selon les gouvernements, les mois ou les années, on est toujours autour de 100 000. C’est beaucoup ; c’est trop. Là encore, il me semble que nous devrions nous attaquer collectivement à cette difficulté. Je vous sais gré de votre bonne volonté, monsieur le ministre : contrairement à votre prédécesseur, vous remplissez vos fonctions avec un grand sens des responsabilités et beaucoup de pragmatisme, et vous avez identifié immédiatement les vraies difficultés et les moyens matériels à mettre en œuvre.

Il faut améliorer la chaîne de l’exécution des peines. Pour cela, je propose que toute la chaîne – qui relève aujourd’hui à la fois du parquet et du juge de l’application des peines – soit placée sous l’autorité du parquet. Celui-ci devrait pouvoir contrôler totalement la chaîne. Aujourd’hui, l’application revient au juge de l’application des peines, donc aux magistrats du siège, alors que l’exécution revient partiellement au parquet. Mettons de la cohérence dans la chaîne ! C’est ce que propose l’amendement n9.

L’amendement n12 prévoit, quant à lui, de décider des aménagements de peine dans un cadre collégial. Je le disais tout à l’heure, c’est le juge de l’application des peines, souvent confronté à une charge de travail très lourde, qui prend ces décisions dans l’anonymat de son cabinet. Je propose, comme c’est le cas pour l’appel des instances d’aménagement, que ce soit le tribunal de l’application des peines qui soit désormais responsable, en introduisant cette indispensable collégialité.

Par l’amendement n11, je propose, ainsi que M. Tourret l’avait évoqué, la suppression des crédits de réduction de peine. En ce domaine s’applique l’automaticité dans 99,9 % des cas. Là aussi, il s’agit d’une variable d’ajustement de la surpopulation carcérale. Je préférerais, pour ma part, que l’on condamne à un quantum de peine plus faible. Dans les faits, lorsque l’on prononce une peine de deux ou trois ans de prison ferme, seuls six mois, huit mois ou un an sont exécutés. Je préférerais que, même si la peine prononcée est plus faible, elle soit totalement exécutée, au jour près. Il y va de la lisibilité de la justice de notre pays. Cela n’a jamais été vraiment le cas, j’en conviens, monsieur le garde des sceaux, mais je crois que nous ferions œuvre utile en faisant progresser cette lisibilité.

M. le président. Monsieur le rapporteur, vous avez la parole pour donner l’avis de la commission sur les amendements nos 9, 12 et 11, et ce en moins de six minutes. (Sourires).

M. Éric Ciotti. Je n’ai pas pris six minutes, monsieur le président !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Je relève d’abord que le juge de l’application des peines est depuis longtemps dans le collimateur de M. Ciotti – mais M. Ciotti en a là naturellement le droit.

Par l’amendement n9, M. Ciotti veut que l’exécution des peines soit placée sous la responsabilité du parquet. Je veux, pour ma part, lui rappeler que l’article 707-1 du code de procédure pénale dispose que le parquet est chargé de l’exécution des sentences pénales. Sa proposition, dont on ne perçoit pas la pertinence, est donc parfaitement inutile.

S’agissant de la primauté que devrait avoir le parquet sur le juge de l’application des peines, aux termes de l’amendement n12, je me dois de souligner la révolution que constituerait le fait que le parquet détienne une autorité sur un juge du siège. Cela ne correspond pas tout à fait à notre organisation actuelle. Le juge de l’application des peines, je dois vous le rappeler – cette remarque vaut pour l’amendement n12 comme pour l’amendement n11 – ne travaille pas seul. En matière de détention, le chef de détention et le procureur siègent dans la commission chargée de statuer sur la mise en liberté.

Enfin, s’agissant de l’amendement n11, je voudrais préciser que les crédits de réduction de peine ne sont pas automatiquement attribués. Lorsqu’un détenu commet des fautes disciplinaires, l’établissement lui retire automatiquement des jours de crédit. Ce sont les retraits qui sont automatiques. Quant aux crédits de peine pour la réinsertion, ils sont encore moins automatiques.

M. Éric Ciotti. C’est faux !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Je partage les regrets exprimés par le président de notre commission : ces crédits sont très peu utilisés actuellement. Peu de détenus en bénéficient. L’intéressé doit en effet s’engager à suivre une formation, à pratiquer des activités culturelles, à travailler. Ce dispositif n’est pas encore assez mis en place.

Pour l’ensemble de ces raisons, je donne un avis défavorable aux trois amendements.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le Gouvernement a le même avis défavorable sur les trois amendements défendus par le député Éric Ciotti.

S’agissant de l’amendement n9, le Gouvernement estime qu’il est inutile puisque l’article 707-1 du code de procédure pénale précise déjà que le parquet est chargé de l’exécution des sentences pénales.

S’agissant de l’amendement n11, le Gouvernement a un avis tout aussi défavorable, puisque le mécanisme des crédits de réduction de peine est au contraire indispensable pour assurer la bonne conduite des condamnés en détention, simplifier les tâches du juge de l’application des peines et éviter les sorties sèches du condamné, qui, chacun le sait, sont toujours un facteur de récidive.

S’agissant de l’amendement n12, je rappelle que la collégialité est toujours possible en cas d’appel devant la chambre d’application des peines de la cour d’appel.

(Les amendements nos 9, 12 et 11, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

M. le président. La parole est à M. Joaquim Pueyo.

M. Joaquim Pueyo. Bien que l’on ait déjà voté sur ces amendements, je voudrais dire à Éric Ciotti que supprimer toute remise de peine en prison serait une grosse erreur. On ne pourrait pas gérer une détention sans remise de peine. Certes, le terme « crédits » peut gêner, mais qui l’a rétabli et substitué au terme « remises » ? Il s’agit, me semble-t-il, de M. Perben, qui était garde des sceaux en 2004 et en 2005…

M. Éric Ciotti. Vous évoquez la préhistoire !

M. Joaquim Pueyo. …et qui appartenait à votre parti, M. Ciotti. Moi qui étais, à l’époque, un praticien, je n’étais pas favorable au terme « crédits », qui est quasiment synonyme d’automaticité. Je préférais, pour ma part, que l’on conserve les termes « remises de peine ». Actuellement, des remises de peine peuvent être accordées pour bonne conduite – trois mois pour la première année d’emprisonnement – à l’issue d’un examen effectué chaque année par la commission d’application des peines, qui réunit le juge de l’application des peines, le procureur et un membre de l’établissement pénitentiaire. Dire qu’il faut supprimer toute remise de peine est une grosse erreur.

Quant aux réductions de peine supplémentaires accordées à des détenus qui manifestent une volonté de réinsertion, elles me paraissent très utiles, même si, il faut le reconnaître, elles sont très rarement accordées. Je voudrais convaincre M. Ciotti de ne pas plaider pour une suppression des réductions de peine.

Quant à la surpopulation carcérale, je crois que la création de 24 000 places supplémentaires serait excessive. J’ai toujours préconisé l’institution de 10 000 à 12 000 places supplémentaires, chiffres qui, me semble-t-il, ont été repris par le garde des sceaux. Si l’on pouvait construire 10 000 places dès maintenant, on mettrait fin, d’ici quatre ou cinq ans, à la surpopulation carcérale.

M. le président. La parole est à M. Éric Ciotti, pour soutenir l’amendement n13.

M. Éric Ciotti. Il est défendu.

(L’amendement n13, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Gérard, pour soutenir l’amendement n28.

M. Bernard Gérard. Avec mon collègue Morel-A-L’Huissier, nous défendons avec constance, depuis maintenant quelque temps, l’idée de constitutionnaliser le droit pour tout citoyen à l’assistance et à la défense devant la justice. Nous saisissons l’occasion du débat sur la justice du XXIe siècle pour proposer cet amendement d’appel et demander que le Gouvernement établisse un rapport sur la constitutionnalisation du droit de tout citoyen à l’assistance et à la défense. Je réponds par là aux observations qu’avait formulées notre collègue Le Bouillonnec en commission des lois.

Le droit pour toute personne de bénéficier d’une assistance pour assurer la défense de ses droits et libertés doit être consacré par la Constitution. C’est encore plus nécessaire à l’époque actuelle, où nous votons, par nécessité, des lois qui peuvent heurter l’idée que nous nous faisons des libertés publiques. Nous le devons à nos concitoyens. C’est une réponse importante qui fera honneur au Parlement. C’est ce qui a été fait en Allemagne, au Brésil, au Canada, aux États-Unis et, plus récemment, dans la démocratie tunisienne naissante – le Dialogue national tunisien a obtenu le prix Nobel de la paix pour avoir engagé une démarche de cette nature.

Cette mesure relève aussi du parallélisme des formes, puisque la Constitution garantit, dans ses articles 64 à 66, l’indépendance de l’autorité judiciaire et le statut des magistrats. Par réciprocité, il nous paraît essentiel de garantir à nos concitoyens l’accès à une assistance leur assurant la plénitude de l’exercice de leurs droits. C’est pourquoi nous saisissons cette opportunité pour rappeler l’importance de conférer une garantie complémentaire à nos concitoyens, en une période où il nous paraît très important de voter des lois qui, à certains égards, je le répète, heurtent l’idée que nous nous faisons des libertés publiques. Mais, nécessité faisant loi, constitutionnalisons ce droit à l’assistance et à la défense devant la justice.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. On a effectivement déjà eu ce débat. La rédaction de l’amendement a quelque peu changé, puisque vous parliez auparavant de la représentation de l’avocat ; or, l’avocat n’est pas la seule personne à pouvoir assurer les droits de la défense.

M. Philippe Houillon. Il est le seul à pouvoir l’assurer partout !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Par ailleurs, la valeur constitutionnelle des libertés individuelles est consacrée par le fait que chacun peut être défendu et assisté. Le Conseil constitutionnel a, à plusieurs reprises, affirmé que ce droit à être assisté et à être défendu participait de l’exercice des droits fondamentaux. Cela signifie qu’il n’est nullement nécessaire de le rappeler dans la loi fondamentale, puisque c’est une pratique qui est relayée par l’ensemble des grandes institutions, notamment par la cour européenne des droits de l’homme.

Si je suis naturellement d’accord avec vous pour reconnaître que le droit d’être assisté et défendu est une exigence fondamentale, je dois constater que le dispositif que vous proposez est superfétatoire. En effet, ce droit étant de facto garanti, il n’est pas besoin de le rappeler.

Quant au rapport, je parle sous l’ombre portée de l’ancien et du nouveau président de la commission des lois, dont les jurisprudences sont constantes, pour donner un avis défavorable à cette proposition. Je veux néanmoins rassurer notre collègue sur une question, il est vrai, pertinente et fondamentale.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Dès 1976, le Conseil constitutionnel avait rattaché le droit à la défense aux principes fondamentaux reconnus par les lois de la République sans préciser, d’ailleurs, quels étaient ces principes, tant les différentes républiques s’inscrivaient dans une même continuité. Il a, par la suite, fait évoluer sa jurisprudence. Dans une décision de mars 2006, me semble-t-il, il a rattaché le droit à la défense à la garantie des droits figurant à l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Le droit actuel garantissant le respect du principe que vous nous soumettez, le Gouvernement émet un avis défavorable à votre amendement.

(L’amendement n28 n’est pas adopté.)

Article 2 bis

(L’article 2 bis est adopté.)

Après l’article 2 bis

M. le président. Je suis saisi de plusieurs amendements portant article additionnel après l’article 2 bis.

La parole est à M. Bernard Gérard, pour soutenir l’amendement n84.

M. Bernard Gérard. Cet amendement, cosigné par de nombreux collègues, tend à conforter le principe de la liberté du choix de l’avocat par toute personne bénéficiant d’une assurance de protection juridique. Son texte est le suivant : « À l’article L. 127-2-3 du code des assurances, après le mot : " avocat ", sont insérés les mots : " de son choix". » En effet, un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 7 novembre 2013 a réaffirmé le principe du libre choix de l’avocat par une personne bénéficiant d’une assurance de protection juridique. Dans les faits, on constate que, si cela s’impose à l’assureur, ce n’est pas véritablement toujours appliqué. Aussi souhaitons-nous renforcer la protection du justiciable par cet ajout à l’article L. 127-2-3 du code des assurances.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Défavorable. Comme nous l’avions indiqué en commission, le code des assurances dispose déjà que les parties sont assistées d’un avocat de leur choix. La disposition que vous proposez serait donc tout à fait superfétatoire.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Avis défavorable. L’amendement est sans objet. L’article L. 127-2 du code des assurances précise déjà tout cela, comme le fait tout autant une loi du 19 février 2007.

(L’amendement n84 n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de plusieurs amendements, nos 95, 89, 90, 91, 92, 93 et 94, qui peuvent faire l’objet d’une présentation groupée.

La parole est à M. Bernard Gérard, pour les soutenir.

M. Bernard Gérard. C’est une série d’amendements sur laquelle je voudrais insister. En ma qualité de président du groupe d’études de l’Assemblée nationale sur le textile et les industries de main-d’œuvre, je me suis rendu, en février dernier, à Aubervilliers, avec notre collègue Serge Bardy et des magistrats, des représentants de la douane, des avocats, des huissiers. Nous avons été stupéfaits par ce que nous y avons vu. Nous nous sommes rendu compte qu’aux portes de Paris se trouvait le plus grand hub européen de vente de textile et d’objets manufacturés, mais aussi le plus grand temple de la contrefaçon européenne. C’est une vraie question, un sujet dramatique. Bien évidemment, cela porte atteinte aux entreprises, à l’innovation et à l’État, qui enregistre des pertes fiscales. Se pose un problème bien plus grave encore derrière tout cela, qui a été confirmé par un rapport de l’Union des fabricants, l’UNIFAB, autrement dit l’association française de lutte anti-contrefaçon. Ce rapport, qui a été remis très récemment à M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics, démontre le lien étroit existant aujourd’hui entre la contrefaçon et le financement du terrorisme. Ce document m’a interpellé, ainsi que tous les membres du groupe d’études que je préside. Nous souhaitons que soient renforcés les dispositifs légaux qui nous permettraient de mieux lutter contre la contrefaçon.

Nous proposons avec l’ensemble de ces amendements un arsenal juridique complémentaire, qui concerne notamment le recel de contrebande. Nous souhaitons élargir le champ du mécanisme de renversement de la charge de la preuve à toutes les infractions pour lesquelles la peine maximale encourue est de trois ans d’emprisonnement, au lieu de cinq ans actuellement. Nous voulons également modifier un titre du code pénal pour renforcer la lutte contre cette criminalité gravissime. L’ensemble des amendements que j’ai rédigés avec mon collègue Gosselin et d’autres collègues tendent à venir compléter le dispositif existant. Une réponse législative doit en effet être apportée le plus vite possible à ce problème catastrophique.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur l’ensemble de ces amendements ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. S’agissant de l’amendement n89, cher collègue, il me semble que c’est un cavalier législatif, car il tend à modifier le code des douanes. Il serait donc préférable de le retirer, afin d’éviter la censure du Conseil constitutionnel. Sur les autres amendements, je laisserai le Gouvernement répondre.

J’aimerais indiquer cependant qu’un certain nombre de dispositifs ont été initiés en matière de lutte contre le commerce illicite, notamment dans la loi de 2014, dispositifs qui ont étendu le champ des investigations, des contrôles et des sanctions. Le seul alourdissement de la peine n’est pas susceptible de modifier l’efficacité de ces procédures et nous pensons que le travail qui a été fait doit maintenant être mis en œuvre. C’est la raison pour laquelle l’avis de la commission est défavorable sur ces amendements.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le Gouvernement considère que l’ensemble de ces amendements sont des cavaliers, puisque certains d’entre eux tendent à modifier des dispositions de fond du code pénal. En outre, leur contenu a déjà été étudié dans le cadre du projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale. La commission mixte paritaire a d’ailleurs abouti à un texte que nous examinerons dans cet hémicycle demain jeudi, me semble-t-il. Les propositions que vous aviez déposées à bon droit au cours de l’examen de ce projet de loi ayant été rejetées, le Gouvernement ne voit pas pourquoi elles seraient reprises dans celui-ci. L’avis est donc défavorable.

M. le président. Monsieur Gérard, acceptez-vous de retirer vos amendements ?

M. Bernard Gérard. Non, je les maintiens, monsieur le président.

(Les amendements nos 95, 89, 90, 91, 92, 93 et 94, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

M. le président. La parole est à Mme Eva Sas, pour soutenir l’amendement n196.

Mme Eva Sas. Cet amendement vise à doubler le délai de prescription pour les délits constitutifs d’agression sexuelle, d’exhibition sexuelle et de harcèlement sexuel, en le faisant passer de trois à six ans.

Je m’exprime ici non seulement au nom de mes collègues signataires du groupe écologiste, mais également en tant que présidente de l’association Élu-e-s contre les violences faites aux femmes. J’aimerais d’ailleurs avant toute chose remercier la présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, Catherine Coutelle, qui dans une récente question au Gouvernement a exprimé son soutien à l’allongement du délai de prescription pour les délits en matière d’agression et de harcèlement sexuels.

Nous avons bien pris en compte la proposition de loi du député Alain Tourret qui a été votée à l’unanimité en première lecture par l’Assemblée nationale et qui propose d’allonger le délai de prescription pour tous les types de délit. Il me semble toutefois qu’il faut réagir dès à présent à la récente affaire qui implique notre collègue Denis Baupin et sécuriser la question particulière des agressions sexuelles et du harcèlement sexuel.

Comme l’a montré la récente affaire qui touche l’un de nos collègues députés, il est en effet particulièrement difficile pour les victimes de violences sexuelles, quelle que soit la catégorie de la population à laquelle elles appartiennent, de dévoiler les faits, et à plus forte raison d’engager une action en justice contre leur auteur. Une femme sur cinq a ainsi été victime de harcèlement sexuel au cours de sa vie professionnelle, alors que, en 2014, seuls 5 % des cas ont été portés devant la justice.

Pourquoi les victimes ne portent-elles pas plainte ? Pour le comprendre, il faut tenir compte des mécanismes de la violence, et des raisons qui peuvent pousser une victime à ne pas déposer plainte. Avant même de songer à poursuivre l’agresseur, la victime doit tout d’abord parvenir à mettre des mots sur la situation qu’elle est en train de vivre. Elle doit également sortir de l’emprise de l’agresseur, notion qui indique que la victime est en situation de soumission par rapport à ce dernier. C’est bien là une spécificité des violences sexistes par rapport aux autres délits visés par la proposition de loi de notre collègue Tourret. Les victimes ont donc besoin de temps…

M. le président. Veuillez conclure, chère collègue !

Mme Eva Sas. …et il peut se passer des années avant qu’elles n’envisagent de porter plainte.

M. le président. Je vous remercie, chère collègue.

Mme Eva Sas. Je n’ai pas terminé, monsieur le président !

M. le président. Certes, madame Sas, mais comme pour tous vos collègues, votre temps de parole est limité.

Mme Eva Sas. Une victime qui dévoile seule une affaire voit sa parole confrontée à celle de l’agresseur. Pour éviter ce piège,…

M. le président. Madame Sas, s’il vous plaît ! Vous avez largement dépassé le temps qui vous était imparti ! Je vous ai laissé vous exprimer beaucoup plus longtemps que les autres parlementaires !

Quel est l’avis de la commission ?

Mme Eva Sas. Ce sujet mériterait un temps de parole un peu plus long, monsieur le président !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Chère collègue, vous avez vous-même évoqué le dispositif législatif proposé par nos collègues Tourret et Fenech à l’Assemblée et adopté à l’unanimité en première lecture, qui ne ciblait pas seulement cette situation infractionnelle extrêmement grave et pour laquelle la sensibilité de tous est à nouveau exacerbée à juste titre, mais l’intégralité des dispositifs de prescription. En effet, il faut préserver la cohérence d’ensemble du dispositif de prescription pénale, sans laquelle nous manquerions nos cibles.

Cette proposition de loi, qui prévoit le doublement des délais de prescription, sera discutée au Sénat au début du mois de juin. D’après les indications que nous donne le Gouvernement, elle devrait donc aboutir rapidement si le dispositif qui a été si intelligemment porté ici est conservé à l’identique par les sénateurs.

Nous continuons de penser, et nous l’avons d’ailleurs dit ces derniers jours au cours de nos débats, qu’il ne faut surtout pas distinguer ce délit insupportable et inacceptable de l’ensemble des autres délits, car on porterait alors atteinte à la cohérence des instruments de poursuite.

L’avis de la commission est donc défavorable, non pas sur le fond, car à cet égard nous sommes tous d’accord, mais parce que ce sujet a déjà été tranché ici à l’unanimité et que ce choix sera, nous l’espérons, confirmé par le Sénat au début du mois de juin.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Avis défavorable pour les mêmes raisons.

Madame la députée, ce que vous nous proposez va dans le sens inverse du travail remarquable accompli par vos collègues Alain Tourret et Georges Fenech. Notre souci est celui de la simplification, de la clarification. Plus personne ne comprenait rien aux délais de prescription.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Très bien !

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Si nous avons décidé d’adopter un principe général, et je m’exprime ici sous le contrôle d’Alain Tourret, ce n’est pas pour y glisser ensuite des précisions comme vous souhaitez le faire, car cela affaiblirait l’ensemble. Soyons clairs ! Le droit doit être accessible, lisible, prévisible. Si on multiplie les cas, tout légitimes qu’ils soient, on va à rebours de l’objectif visé à l’unanimité par le législateur. Le Gouvernement est donc totalement défavorable à cet amendement.

M. le président. La parole est à Mme Colette Capdevielle.

Mme Colette Capdevielle. Je serai brève, monsieur le président.

Tout d’abord, je souhaite indiquer que le groupe socialiste, républicain et citoyen ne votera pas cet amendement. Ensuite, je rappelle que, la justice ayant été saisie, notre collègue Denis Baupin bénéficie de la présomption d’innocence.

Par ailleurs, puisque nous nous plaçons du point de vue de l’intérêt des victimes, et à cet égard Mme Sas a raison, il convient de faire très attention : il ne faut pas penser que le fait d’allonger les délais de prescription est nécessairement favorable aux victimes ; ce serait leur donner de faux espoirs. Ce délai a notamment été allongé de deux ans pour le viol, puisqu’on est passé de dix-huit à vingt ans. Bien souvent, en effet, il est particulièrement difficile d’apporter la preuve du délit, et plus on s’éloigne de la date des faits, plus cette difficulté s’accroît. À l’instar du rapporteur et du ministre, je vous invite à la cohérence sur ces questions. Dans l’intérêt des victimes, je vous invite à toujours faire preuve de prudence. Madame Sas, plutôt que de jouer sur le délai de prescription, travaillons ensemble sur la prévention dans tous les domaines.

M. le président. La parole est à M. Alain Tourret.

M. Alain Tourret. Il me semble que nous recherchons la solution d’un même problème. Comme mon collègue Georges Fenech et moi-même l’avons rappelé, la prescription n’est pas un principe d’impunité. Nous avons donc proposé de doubler les délais de prescription pour tous les délits et pour tous les crimes. Il n’y a aucune raison de retenir des exceptions. Seul le point de départ pouvait différer d’un cas à un autre. Et nous avons là fait des exceptions pour les crimes ou les délits multiples, si bien camouflés qu’il est de fait impossible de poursuivre toutes les infractions, comme l’a rappelé avec constance la chambre criminelle de la Cour de cassation.

À titre d’information, le Sénat, qui a déjà désigné un rapporteur, étudiera le 2 juin la proposition de loi que nous avons votée à l’unanimité. J’espère que le vote sera conforme, soit devant le Sénat, soit devant notre assemblée si le texte nous est renvoyé.

M. le président. La parole est à Mme Eva Sas.

Mme Eva Sas. Je regrette que nous manquions l’occasion de prendre position sur cette affaire qui secoue notre assemblée.

Mme Elisabeth Pochon. Nous ne légiférons pas pour notre propre compte !

Mme Eva Sas. Je me réjouis néanmoins de constater qu’il y a une volonté d’aboutir en la matière, et d’entendre réaffirmer l’engagement de doubler les délais de prescription pour l’ensemble des délits, et donc les délits d’agression, d’exhibition et de harcèlement sexuels. Je tiens seulement à faire remarquer que cet amendement n’était aucunement contradictoire avec la proposition de loi de M. Tourret, et que nous aurions pu adopter l’un et l’autre.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur et M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Non !

Mme Eva Sas. Je regrette donc que nous ne puissions adopter cet amendement dès aujourd’hui. Il sera de toute façon satisfait après l’adoption de la proposition de loi.

(L’amendement n196 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Éric Ciotti, pour soutenir l’amendement n17.

M. Éric Ciotti. Cet amendement a pour objet de permettre aux parties civiles d’interjeter appel des décisions d’acquittement ou de relaxe.

L’évolution législative que je propose est extrêmement importante et introduirait un cadre nouveau, j’en suis conscient. Il me semble cependant que le temps est venu d’apporter aux victimes des droits nouveaux, afin de permettre un meilleur équilibre entre les parties prenantes au procès. Je vous propose donc une réforme en profondeur, puisque, actuellement, une victime qui s’est constituée partie civile ne peut faire appel que d’une décision portant sur les dommages et intérêts, c’est-à-dire sur ses intérêts civils. Elle ne peut pas interjeter appel d’une décision d’acquittement ou de relaxe, la loi réservant cette faculté au parquet et à la défense. Cette limitation me paraît injustifiée. Tel est l’objet du présent amendement.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. L’avis est défavorable, pour les raisons qui ont justifié l’opposition à toute proposition de ce type depuis plus de cent ans.

Comme vous le savez, monsieur Ciotti, le principe veut que la peine, la sanction soit aux mains de la société. La peine doit bien entendu tenir compte de la gravité des faits, du préjudice subi, mais elle appartient à la société. Si vous changez cette règle, vous vous écartez du principe de l’État démocrate, de l’État républicain, selon lequel la peine correspond à la sanction infligée par la collectivité pour un manquement.

Cela ne signifie pas, et chacun ici le sait, que la peine ne tient pas compte de la situation de la victime ou des circonstances. Il n’est cependant pas permis de considérer que la peine appartient à la victime. La société confie au parquet, au procureur de la République la mission de requérir les peines ; c’est lui qui, dans notre droit, je vous le rappelle, exerce l’action publique, comme le dispose l’article 30 du code de procédure pénale. Il met en œuvre la politique pénale définie par le Gouvernement, en application de l’article 20 de la Constitution, auquel M. le garde des sceaux et moi-même aimons nous référer, et de l’article 35 du code de procédure pénale. L’opportunité des poursuites appartient au parquet, et c’est à lui qu’il revient de considérer si la nature de la peine et son quantum sont satisfaisants au regard du préjudice subi par la société ou si au contraire appel doit être interjeté. Tel est le sens de cette construction, que vous connaissez parfaitement, cher collègue.

Je rappelle simplement à l’adresse de tous que si nous allions dans le sens de l’amendement proposé par M. Ciotti, nous modifierions les principes fondamentaux de ce qu’est une peine dans un État de droit.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Même avis.

M. le président. La parole est à M. Philippe Houillon.

M. Philippe Houillon. Pour ma part, je soutiens l’amendement de M. Ciotti. Je sais bien que c’est un vieux débat, monsieur le rapporteur, et je sais bien la conclusion qui en a été tirée de manière réitérée.

Cela étant dit, il ne s’agit pas en l’occurrence de retirer au parquet l’initiative de l’action publique. C’est ce que vous avez répondu, mais ce n’est pas ce qui figure dans l’amendement, où il est question de relaxe ou d’acquittement.

Vous savez comme moi, monsieur le rapporteur, que très souvent la responsabilité civile de la personne mise en cause, dont découle l’éventuel dédommagement de la victime, dépend consubstantiellement de la responsabilité pénale. Faute de responsabilité pénale, ce qui est le cas si sont prononcés l’acquittement ou la relaxe, la victime se trouve empêchée de porter le débat sur la responsabilité devant une juridiction d’un degré supérieur, la cour d’appel en l’occurrence, et donc d’obtenir une indemnisation et en tout cas de bénéficier d’un double degré de juridiction. Cela pose un vrai problème.

Deux thèses s’opposent. Celle exposée par M. le rapporteur rappelle que l’action pénale relève de la société, mais en cas d’identité entre ces deux responsabilités, et le cas est fréquent, on empêche la victime de soumettre à un deuxième degré de juridiction, ce qui est regrettable, et ce n’est pas parce qu’il en va ainsi depuis cent ans qu’il ne faut pas évoluer !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. En effet, ce n’est pas un argument !

M. Philippe Houillon. Telle est peut-être votre façon d’agir, chers collègues socialistes, on le voit d’ailleurs aux résultats actuels ! Plus sérieusement, après cent ans, mieux vaut évoluer, croyez-moi !

M. Alain Tourret. On peut saisir sur un autre fondement !

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.

M. Dominique Raimbourg, président de la commission des lois. J’espère que ma mémoire ne me trahit pas mais la partie civile qui a vu prononcer à son encontre une décision de relaxe, mais pas d’acquittement, peut néanmoins obtenir satisfaction en appel et obtenir des dommages et intérêts. C’est tout à fait ébouriffant mais il est possible d’interjeter appel sur les intérêts civils. J’ajoute qu’en matière d’acquittement, indépendamment des questions de principe, accorder un droit d’appel à la partie civile l’expose à faire appel alors que le procureur lui-même, qui a introduit un procès en assises, y a renoncé compte tenu des débats de l’audience et en dépit du coût et de l’effort qu’un tel procès représente pour une juridiction. Cela signifie que les chances d’obtenir satisfaction en appel sont très faibles. On nourrit donc un espoir qui risque d’être déçu. La volonté de protéger les victimes risque alors de se retourner contre elles, au moins en assises.

Mme Cécile Untermaier. Très juste !

(L’amendement n17 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Éric Ciotti, pour soutenir l’amendement n16.

M. Éric Ciotti. Cet amendement vise à permettre la mise en œuvre d’un procédé de reconnaissance faciale au moyen des techniques de vidéoprotection en procédant à un recoupement avec le fichier automatisé des empreintes digitales. Il s’inscrit naturellement dans le contexte de menace terroriste maximale à laquelle est confronté notre pays, surtout à la veille des rencontres de l’Euro 2016 de football qui se dérouleront dans notre pays et doivent être protégées avec la plus grande vigilance. La municipalité de Nice a proposé l’expérimentation de cette technique de vidéoprotection et de reconnaissance faciale au moyen de son maillage de caméras de vidéoprotection. Le maire de Nice a proposé de mener une expérience en vue de la protection des matchs de l’Euro 2016, notamment dans les « fan zones ».

L’état actuel de notre droit ne permet pas le recours à ces techniques de reconnaissance faciale, même de façon temporaire, même de façon limitative ou dans le cadre de l’état d’urgence. Je soulèverai cette question demain dans le cadre du débat sur la prorogation de l’état d’urgence car elle me semble importante. Les forces de l’ordre aimeraient utiliser ce dispositif de reconnaissance faciale. Cet amendement va dans ce sens. Nous ferions œuvre utile, monsieur le garde de sceaux, en permettant cette avancée de notre droit et en favorisant un meilleur recours aux techniques existantes. La technologie française en matière de sécurité est très élaborée. Il existe des sociétés en pointe reconnues sur le plan international. Il manque un lien juridique. Je vous invite à faire la soudure entre la technologie et le droit au service de l’efficacité contre le terrorisme.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Cet amendement vise à favoriser la reconnaissance faciale grâce au croisement de la vidéosurveillance et du fichier automatisé des empreintes digitales pour lutter contre le terrorisme. La lutte contre le terrorisme est un objectif que nous partageons tous et il me semble que le Gouvernement, en la matière, met en œuvre un dispositif d’ampleur dont les nouvelles technologies ne sont pas exclues. Les technologies de reconnaissance faciale sont d’ailleurs déjà utilisées. En revanche, nous n’avons pas du tout envisagé les dispositions législatives que vous proposez, cher collègue, consistant à associer, selon des modalités d’ailleurs non définies, les deux techniques. Surtout, nous ne voyons pas l’intérêt de les inscrire dans un cadre législatif. Pour ces raisons, nous donnons un avis défavorable à votre amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Je partage cette perplexité. Le fichier évoqué n’a d’intérêt que pour les techniciens de l’identité judiciaire qui sont à même de comparer et d’interpréter les empreintes. Ce n’est pas un fichier comme les autres, comme le fichier des passeports, de la carte grise ou du permis de conduire, dont les données sont exploitables par un policier ou un gendarme. Je ne parviens donc pas à comprendre comment on peut croiser ce fichier avec des images de vidéoprotection. En quoi filmer quelqu’un et recouper les images avec ses empreintes digitales présente-t-il un intérêt ? Techniquement, ce n’est pas à la portée de n’importe qui ; en outre, je n’en comprends pas l’objet. Tout cela n’a qu’un rapport très éloigné avec le texte relatif à la justice du XXIe siècle et pourrait constituer un cavalier législatif. En outre, cette proposition comporte des risques d’atteinte aux libertés publiques, ce qui constitue un deuxième considérant. Je ne comprends pas l’intérêt de la disposition proposée et émets donc un avis défavorable.

M. le président. La parole est à M. Éric Ciotti.

M. Éric Ciotti. Je vais tenter de vous expliquer le dispositif proposé, monsieur le ministre. Chaque fiche du fichier des empreintes digitales comporte une photo prise dans un cadre normalisé et identique pour toutes, le seul exploitable par des logiciels de reconnaissance faciale. Tel n’est pas le cas des photos des autres fichiers, notamment ceux qui servent au traitement des antécédents judiciaires. Techniquement, il s’avère que ce fichier est le plus large. Conceptuellement, il serait justifié d’avoir recours au fichier des personnes recherchées mais celui-ci n’a pas la même configuration photographique normalisée que le fichier automatisé des empreintes digitales. Il s’agit donc de relier la photographie figurant systématiquement sur les fiches comportant les empreintes digitales avec le logiciel de reconnaissance faciale. Voilà pour le dispositif technique.

Par ailleurs, je ne vois pas en quoi ce dispositif serait privatif de liberté. Il me semble qu’il doit être envisagé d’étendre son utilisation. J’ai bien conscience du caractère d’urgence de cet amendement mais je le dépose et le défends car l’Euro 2016 va s’ouvrir sous peu. Certaines villes sont prêtes et certaines sociétés ont offert leur technologie à titre expérimental. La municipalité de Nice peut l’expérimenter dès demain matin si vous donnez votre accord, monsieur le ministre.

(L’amendement n16 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Luc Belot, pour soutenir l’amendement n153.

M. Luc Belot. Une fois n’est pas coutume, je vais m’inscrire dans les pas et les propos d’Éric Ciotti au sujet de la soudure entre l’efficacité et le droit, mais sur un sujet bien différent ! (Sourires sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.) Chacun ici connaît mon attachement au numérique. Vous m’avez récemment confié en tant que rapporteur la dématérialisation du Journal officiel, chers collègues. Dans le même esprit, je propose de mener une vraie réflexion sur la signification par voie électronique. Introduite par une loi en 2010 puis par décret en 2012, elle poursuit un double objectif : préserver, au plan juridique, les garanties de qualité, de sécurité et d’efficacité et mettre en place, au plan technique, un système permettant d’assurer d’une part l’authentification des acteurs et d’autre part tant la fiabilité et l’intégrité des documents que la sécurité et la confidentialité des échanges.

Pour ces raisons, le législateur a souhaité à l’époque que la signification par voie électronique ne puisse être employée si le destinataire n’a pas consenti à son usage. C’est bien légitime pour des personnes physiques, mais chacun comprendra bien qu’en 2016, compte tenu de ce que sont les personnes morales et toutes nos entreprises, c’est moins justifié. La plupart de leurs démarches sont déjà complètement dématérialisées. Cet amendement propose donc de rester dans cette logique et de dispenser uniquement les personnes morales de l’exigence du consentement préalable à la signification par voie électronique des actes judiciaires et extrajudiciaires.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Nous avons émis un avis défavorable à ce dispositif et j’en suis confus pour notre collègue, qui retirera sûrement l’amendement pour ne pas subir les foudres du rapporteur ! (Sourires.) Le dispositif actuel impose que la personne morale ait donné son consentement, ce qui fiabilise les choses, notamment parce qu’on connaît son adresse. Ne pas placer le dispositif du consentement au cœur du procédé rend celui-ci complètement aléatoire. Il faut connaître l’adresse électronique de la personne pour pouvoir procéder de manière dématérialisée. L’exigence d’acceptation préalable découle à la fois du respect de la liberté d’agir et d’être de la personne morale mais aussi de la nécessité de rechercher l’efficacité du dispositif. On ne peut donc pas supprimer le consentement sans lequel une grande partie du dispositif s’effondrerait.

En revanche, il est nécessaire de favoriser l’entrée des personnes morales dans ce dispositif, monsieur le garde des sceaux. Une technique très simple consiste à réduire le coût de la signification dématérialisée. De nombreuses personnes morales y trouveront intérêt et donneront leur consentement. La question soulevée par cet amendement est pertinente mais la solution proposée est selon nous inadéquate. Je propose donc le retrait de cet amendement et, à défaut, y émettrai un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Je suis confus de dire à peu près la même chose que M. le rapporteur, monsieur le député ! Votre amendement introduit une différence entre les personnes morales, seules concernées, et les personnes physiques. Je ne vois pas comment justifier cette différence. En outre, comme l’a excellemment dit M. le rapporteur, il soulève un problème de principe. Au regard des conséquences juridiques qui en résultent, il me semble que le consentement doit être exprès et non automatique. Vous inversez cette logique et le Gouvernement n’a pas été convaincu.

M. le président. La parole est à M. Luc Belot.

M. Luc Belot. Je propose à notre collègue rapporteur et à M. le garde des sceaux que nous poursuivions cette réflexion. Si j’entends leurs arguments, en particulier la distinction entre personne physique et personne morale, la réalité du monde de l’entreprise en 2016 rend tout cela très compliqué. Je ne doute pas que nous progressions dans le cadre de la simplification. Si nous pouvions reprendre le chantier, notamment avec la direction générale des entreprises et les services du secrétariat d’État de Jean-Vincent Placé, nous ferions œuvre utile à la simplification et au fonctionnement de nos entreprises. Je retire l’amendement.

(L’amendement n153 est retiré.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

5

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :

Suite de la discussion du projet de loi de modernisation de la justice du XXIe siècle.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures.)

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly