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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2016-2017

Compte rendu
intégral

Première séance du jeudi 13 octobre 2016

Présidence de M. François de Rugy

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

Lutte contre le terrorisme

Discussion d’une proposition de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Christian Jacob et plusieurs de ses collègues renforçant la lutte contre le terrorisme (nos 3997, 4080).

Présentation

M. le président. La parole est à M. Éric Ciotti, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Éric Ciotti, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, en moins de deux ans, la barbarie islamique a fait près de 240 victimes sur le territoire national. Loin de s’estomper, la menace qui pèse sur notre pays n’a jamais été aussi vive. La France est une cible, sans doute l’une des premières au monde. Tous les spécialistes s’accordent à dire que la menace est maximale.

Cette situation, mes chers collègues, exige des responsables politiques une détermination sans faille pour adapter de façon globale et durable notre cadre légal de lutte contre le terrorisme. C’est dans ce contexte que, le 7 octobre dernier, le Président de la République estimait pourtant que notre arsenal pénal était complet. Nous ne partageons pas cette forme de résignation. Nous ne partageons pas cette fatalité de l’impuissance. Nous, nous considérons que face au terrorisme, on n’a pas tout essayé.

Non, tout n’a pas été essayé contre le terrorisme. Monsieur le ministre, peut-on estimer que notre arsenal pénal est complet, alors que 40 % des individus revenus des théâtres de guerre, en Syrie et en Irak, ne peuvent faire l’objet d’une judiciarisation immédiate, faute d’éléments suffisants pour caractériser l’infraction ? Ces chiffres nous ont été cités par le procureur Molins lors de son audition. Pouvons-nous nous satisfaire du statu quo, alors que le nombre de terroristes potentiels n’a jamais été aussi élevé ?

M. Pascal Popelin. Et les dispositions de la loi du 3 juin 2016, qu’en faites-vous ?

M. Éric Ciotti, rapporteur. Les chiffres, vous les connaissez comme moi. Ils sont alarmants : en juillet 2016, 2 147 ressortissants français étaient impliqués dans les filières syro-irakiennes ; 15 000 personnes sont inscrites au FSPRT, le fichier des signalés pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste – ces chiffres ont été donnés dimanche dernier par le ministre de l’intérieur. Nous savons par ailleurs que l’affaiblissement de Daech en zone irako-syrienne va renforcer le risque de retours, et par conséquent le risque d’attentat. C’est donc maintenant qu’il faut agir, et agir avec détermination et avec force – pas dans six mois, pas demain, quand il sera peut-être trop tard.

Non, notre arsenal pénal n’est pas complet. De nombreuses lacunes demeurent. Monsieur le ministre, il faut désormais de l’audace, et du courage : donnons à la justice, aux forces de l’ordre, à l’administration pénitentiaire, les moyens pérennes, stables, adaptés, d’agir, sur le long terme.

La présente proposition de loi, déposée par le groupe Les Républicains, a précisément pour objet de dessiner un dispositif ambitieux, global, exhaustif, pérenne, pour réprimer le phénomène djihadiste. L’État de droit, convoqué à chaque discours de la majorité ou du Gouvernement, n’est pas un État d’impuissance – ne saurait être un État d’impuissance. Nous sommes là, mes chers collègues – c’est notre mission, notre vocation –, pour faire évoluer le droit, pour le faire évoluer afin de mieux protéger les Français. Si nous sommes en guerre, comme le répète le Premier ministre, alors il faut en tirer toutes les conclusions et nous donner les moyens de gagner cette guerre en adaptant notre dispositif de lutte.

Je veux d’abord rappeler, s’agissant de ce débat sur l’État de droit, que notre droit nous offre un cadre juridique pour répondre à la situation et à l’état de guerre. Le Conseil d’État, dans le célèbre arrêt « Dames Dol et Laurent », qui date de 1919, estimait que « les limites des pouvoirs de police dont l’autorité publique dispose […] ne sauraient être les mêmes dans le temps de paix et pendant la période de guerre où les intérêts de la défense nationale donnent au principe de l’ordre public une extension plus grande et exigent pour la sécurité publique des mesures plus rigoureuses ». Tout est dit : c’est la théorie des circonstances exceptionnelles. Nous sommes dans un moment exceptionnel, et notre droit doit s’adapter à ce moment et à ces circonstances exceptionnelles. Cela a toujours été le cas en temps de guerre : si nous sommes en temps de guerre, assumons-en les conséquences !

M. Philippe Goujon. Bien sûr !

M. Éric Ciotti, rapporteur. Dans cet esprit, la proposition de loi vise quatre objectifs fondamentaux.

Le premier est de mieux contrôler les individus présentant une menace grave pour la sûreté de l’État. L’article 1er crée un contrôle administratif à l’encontre des individus qui présentent, par leur comportement, une menace grave pour la sécurité et l’ordre public, mais pour lesquels il n’existe pas assez d’éléments pour ouvrir une enquête judiciaire. Dans ce cas, le ministre de l’intérieur pourra prononcer trois mesures majeures : l’assignation à résidence, le placement sous surveillance électronique mobile ou le placement en centre de rétention spécialisé. Nous voulons ce faisant imposer un simple principe de précaution, afin d’agir avant que l’acte terroriste ne se produise.

Nous sommes aujourd’hui dans une situation parfaitement incompréhensible pour nos concitoyens : nous connaissons la dangerosité d’individus ; nous savons qu’ils constituent une menace très grave pour la société ; et nous refusons de prendre les mesures de précaution qui s’imposent pour prévenir leur passage à l’acte. Oui, nous voulons changer de paradigme ; oui, nous voulons changer de cadre, et faire en sorte que cette menace soit anticipée, et non subie. C’est ce qui nous guide dans cette approche – qui est conforme aux prescriptions de l’article 66 de la Constitution, puisque, avec Guillaume Larrivé, nous prévoyons qu’un juge des libertés et de la détention sera compétent pour connaître du maintien de l’assignation en centre de rétention ou du placement sous surveillance électronique au-delà de quinze jours.

À titre de comparaison, je rappelle que lorsqu’un malade psychiatrique compromet la sûreté des personnes ou porte gravement atteinte à l’ordre public – Jean Leonetti le sait bien en tant que maire –, le préfet peut prononcer son hospitalisation au vu d’un certificat médical. Cette hospitalisation se poursuit après autorisation du juge des libertés et de la détention.

Afin de parfaire le dispositif, je vous proposerai un amendement de réécriture, prévoyant entre autres, comme l’a souhaité Georges Fenech, l’information du procureur de la République.

Deuxième objectif, celui d’éloigner les étrangers menaçant l’ordre public. La préservation de l’ordre public exige de revoir le droit actuel, afin d’étendre les cas dans lesquels une peine complémentaire d’interdiction du territoire ou une mesure d’expulsion peuvent être prononcées à l’encontre des étrangers menaçant l’ordre public et, naturellement, à l’encontre des étrangers en relation avec une entreprise terroriste ou en relation avec un réseau terroriste ou se livrant à l’apologie du terrorisme. Il est là encore insupportable, intolérable, inconcevable qu’un étranger qui a souhaité venir en France et qui se livre à des actions terroristes ou présente une menace dans ce cadre soit conservé sur le territoire national.

M. Alain Marsaud. En plus, ils perçoivent le RSA ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. Éric Ciotti, rapporteur. Ces étrangers n’ont rien à faire ici ; ils doivent être immédiatement éloignés, sans faiblesse et sans défaillance !

Troisième objectif, consolider notre législation pénale et pénitentiaire de lutte contre le terrorisme.

Monsieur le ministre, dans l’état actuel du droit, quelles réponses sont apportées à la question des criminels terroristes qui continuent de présenter une dangerosité alors qu’ils ont purgé leur peine ? C’est une question essentielle. Aucune réponse fiable, concrète, n’est apportée. Et pourtant, sans mesures spécifiques à leur sortie de détention, il est à craindre que certains d’entre eux passent de nouveau à l’acte : leur dangerosité est extrême, nous le savons. Nous proposons donc la mise en place d’une mesure de rétention de sûreté, comme la précédente majorité, à l’invitation du président Sarkozy, l’avait fait à l’encontre des criminels sexuels.

Parallèlement, les articles 8 à 11 ont trait au régime pénitentiaire. Nous savons que la situation des prisons est explosive. On nous l’a dit en audition : la principale menace en matière terroriste, aujourd’hui, se situe en prison. Cela est lié non seulement, naturellement, à la constitution de réseaux, mais aussi à ce qui peut s’y produire : on a ainsi assisté à l’agression insupportable d’un gardien à Osny, et d’autres faits encore plus graves ont failli se passer cet été – vous le savez bien, monsieur le garde des sceaux.

M. Xavier Breton. Bien sûr. La situation est explosive !

M. Éric Ciotti, rapporteur. Pour remédier à cette situation, la proposition de loi prévoit notamment d’assouplir les modalités de fouille et de renforcer le régime de détention au sein des unités dédiées.

Enfin, l’article 12 prévoit d’améliorer le cadre juridique de la légitime défense des policiers. Cette mesure, que nous sommes plusieurs à réclamer avec force depuis 2012, et que vous avez toujours refusé de prendre,…

M. Dominique Raimbourg, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Ce n’est pas vrai : nous l’avons fait !

M. Éric Ciotti, rapporteur. …trouve une acuité particulière après ce qui s’est passé à Viry-Châtillon et à Grigny. Le temps n’est plus aux atermoiements. Le Gouvernement doit réagir, maintenant, car il y va de la vie de ceux qui sont chargés de défendre l’intérêt public. Notre devoir est de protéger ceux qui nous protègent.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est devenu urgent de doter notre pays d’une législation globale et pérenne. Le temps perdu depuis 2012 suscite, à juste titre, une profonde colère dans le pays. Ce texte nous offre l’occasion – sans doute la dernière avant la fin de la législature – de légiférer. Nous vous le demandons solennellement. Écoutez-nous enfin, sortez du cadre étroit de l’idéologie ! Les Français vous regardent ; ils nous attendent ; ils savent où sont les bonnes réponses. (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Jacques Bompard. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, l’identité, c’est moins ce que l’on est que ce que l’on fait. Ce sont nos actes qui nous définissent, et c’est d’ailleurs pour cela que nous sommes libres. C’est ainsi que je comprends les mots de Jean Jaurès lorsqu’il disait, le 13 novembre 1906 : « La République n’est pas un dogme, je dirais presque qu’elle n’est pas une doctrine ; elle est avant tout une méthode. »

Aussi les prochaines générations ne nous pardonneraient-elles pas d’avoir douté de nos institutions et de nos valeurs, d’avoir pris des dispositions les remettant en cause. Oui, monsieur le rapporteur, avec le terrorisme, le pire est possible, partout et à tout moment. Vous avez raison, il n’y a plus de fronts, plus d’arrières, plus de champ de bataille, et les objets les plus civils qui rapprochent les hommes peuvent tout à coup être utilisés pour les séparer. Les coups portés par nos ennemis sont des agressions qui ne provoquent rien d’autre que notre propre sidération, ou d’autres coups qui ne seront que leur duplication.

Les attentats sont imaginés et conçus pour traumatiser l’opinion et pour atteindre chaque citoyen dans son imaginaire, quand ce n’est pas dans son corps. Aussi, l’enjeu de notre combat collectif n’est pas seulement d’éradiquer le terrorisme, mais aussi et surtout de ne pas lui donner raison, de ne pas consacrer sa logique perverse, de ne pas tomber dans le mimétisme destructeur ou, comme aurait dit Camus, le mimétisme de la violence.

Qu’avons-nous fait, jusqu’à présent, en matière de lutte contre le terrorisme ? Tous nos textes s’organisent autour d’une volonté propre à notre État de droit : prévenir l’action tout en organisant la répression, de la création des assises spéciales en 1982 à la création de l’infraction pour « association de malfaiteurs terroristes » en 1996, en passant par la définition de l’acte terroriste et son traitement judiciaire, la centralisation parisienne des poursuites, des enquêtes et des jugements, et la spécialisation des policiers et des magistrats en 1986.

C’est cette même logique que l’on retrouve dans les textes adoptés au cours de la présente législature : la loi du 21 décembre 2012, qui a introduit la compétence universelle en matière de lutte contre le terrorisme ; la loi du 13 novembre 2014, qui, en ce domaine, a renforcé de très nombreuses dispositions en matière de police judiciaire et administrative ; la loi, enfin, du 3 juin de cette année.

Cette loi a très largement repris les mesures contenues dans la proposition de loi de Philippe Bas, président de la commission des lois du Sénat, présentée le 2 février dernier : je pense notamment aux perquisitions de nuit, au suivi sociojudiciaire en cas de condamnation pour terrorisme ou à la captation de données informatiques. L’issue positive de la commission mixte paritaire – CMP –, réunie sous l’égide de la commission des lois de l’Assemblée nationale – dont je salue le président – et de celle du Sénat, a témoigné d’une volonté partagée de rassemblement. Les débats publics avaient tracé le chemin puisque le projet du Gouvernement avait été voté par votre assemblée à 474 voix contre 32. Le Sénat, lui, l’avait approuvé par 299 voix contre seulement 29.

Alors oui, nous pouvons être fiers d’avoir uni nos efforts au service de la sécurité et des garanties apportées à nos concitoyens, pour renforcer les moyens des magistrats et introduire une série de simplifications procédurales. Ce texte est venu consolider le modèle français de lutte contre le terrorisme, modèle qui confie à l’autorité judiciaire un large spectre d’actions s’étendant de la prévention à la répression. Ce que nous avons recherché, c’est l’efficacité.

Nous avons renforcé l’État de droit : cette dernière expression revient souvent dans nos débats, mais peut-être n’est-elle pas suffisamment définie. Simple en apparence, elle relève aussi, pour certains de nos concitoyens, de la tautologie – tout État serait de droit. Et si elle est simple, sa réalité l’est encore plus. Un État de droit est un État dans lequel les libertés publiques font l’objet d’une protection juridique et judiciaire ; c’est un État dans lequel l’État lui-même accepte de se limiter dans ses prérogatives afin de respecter des principes qui lui sont supérieurs.

Ces principes sont inscrits dans nos textes fondateurs, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, le préambule de la Constitution de 1946 et la Constitution de 1958 ; mais ils figurent aussi dans les conventions internationales que la France a librement ratifiées : la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales de 1950, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne de 2000.

Concrètement, quatre éléments sont indispensables pour qu’existe un État de droit : l’indépendance des tribunaux, la garantie des libertés fondamentales – liberté de conscience et d’expression notamment –, la responsabilité des gouvernants face à leurs actes, la soumission de l’administration et de la juridiction aux lois.

L’État de droit n’est donc pas seulement un cadre défini par des lois. Ce n’est pas une accumulation de règles autour de principes généraux ; ce sont aussi des traditions, au service de l’efficacité, et pas seulement des normes que l’on peut tordre au gré des besoins et des convenances.

Aujourd’hui, monsieur le rapporteur, la notion d’« État de droit » vous gêne ; au point qu’il vous arrive d’opposer l’État de droit à l’efficacité, appelant les défenseurs du premier des « idéologues » et les tenants de la seconde des « pragmatiques ». Vous estimez qu’il n’est plus temps de se préoccuper du droit, que c’est trop long, que cela exige trop de précautions, et surtout que, au final, ces précautions sont dérisoires face à l’ampleur du défi. Vous nous reprochez de n’avoir pas tout essayé. Vous avez raison, monsieur le député : nous n’avons pas essayé le bagne, la torture ou la réhabilitation de la peine de mort. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Georges Fenech. Caricature !

M. Jean Leonetti. Jusqu’à présent c’était bien ! Restez calme !

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Il n’y a aucune caricature dans mon propos : les moyens que je viens d’énumérer, nous les avons utilisés au cours de l’histoire.

M. Philippe Goujon. Il n’y a pas de débat sur ce point, vous le savez bien !

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Je ne dis pas que vous les prônez, chers députés de l’opposition, je dis seulement qu’ils ont existé en France, et que nous n’avons pas choisi d’y revenir, pour les mêmes raisons que nous avons signé les conventions que je rappelais. Je ne vous accuse pas de vouloir rétablir le bagne, mais d’oublier les raisons pour lesquelles nous l’avons refusé, à savoir le respect d’un État de droit.

L’État de droit est efficace. L’article 7 de la du 3 juin 2016 a allongé à six mois renouvelables la durée du mandat de dépôt en matière délictuelle pour fait de terrorisme, tout en conservant les durées maximales actuellement prévues pour la détention provisoire, lesquelles sont déjà les plus élevées dans notre code de procédure pénale.

De même, l’article 12 de la loi du 21 juillet relative à l’état d’urgence a porté la durée totale de détention provisoire applicable aux mineurs âgés de seize à dix-huit ans à deux ans pour l’instruction du délit d’association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste – contre un an auparavant –, et à trois ans pour l’instruction des crimes terroristes d’atteinte volontaire à la vie – contre deux ans auparavant.

Parallèlement, vous avez voté la peine obligatoire d’interdiction du territoire français pour des étrangers ayant des activités en lien avec le terrorisme. Cette peine est désormais applicable, à titre définitif ou temporaire, aux personnes condamnées pour acte de terrorisme, sauf décision contraire du juge.

Faut-il souligner que le maintien de la fermeture des lieux de culte et la suppression des réductions de peine automatiques pour les condamnés pour terrorisme font partie, maintenant, de notre arsenal législatif ? Faut-il aussi rappeler que la retenue administrative pour vérification de la situation de la personne dont le comportement peut être lié à des activités terroristes figure désormais dans notre arsenal législatif ?

Pour faire face à ce que le président du tribunal de grande instance de Paris, Jean-Michel Hayat, appelle « la déferlante terroriste », la justice s’organise ; et je tiens à saluer le travail remarquable et l’investissement constant des magistrats et des enquêteurs spécialisés. Nous avons d’ailleurs, depuis deux ans, renforcé leurs effectifs afin de leur donner tous les moyens d’exercer leurs missions. Ainsi, la section C1 de lutte contre le terrorisme du parquet de Paris a été renforcée récemment, passant de sept à treize magistrats au 1er septembre 2016. Le pôle d’instruction antiterroriste du TGI de Paris également été renforcé, ses effectifs étant portés, au cours l’année 2015, de huit à dix magistrats, dont un premier vice-président coordonnateur.

Au siège, un dixième cabinet d’instruction dédié à l’antiterrorisme sera prochainement créé. Selon des chiffres en date d’hier, plus de 355 enquêtes sont en cours, dont 195 enquêtes préliminaires en matière terroriste, suivies au parquet de Paris, et 160 informations judiciaires en cours au pôle antiterroriste. En 2015, 132 personnes ont été écrouées pour infractions terroristes graves ; au 1eroctobre 2016, ce nombre s’élève déjà, malheureusement, à 192.

Aujourd’hui notre arsenal est complet, conforme à l’État de droit et efficace.

M. Philippe Goujon. Mais non il n’est pas complet ! Cette affirmation est gratuite !

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Que propose votre texte ? Des mesures qui existent déjà, et que vous avez votées ; des mesures inutiles, qui selon nous fragiliseraient l’efficacité de notre arsenal juridique ; des mesures qui ignorent l’État de droit, conduiraient à un régime de suspicion et à un affaiblissement de notre démocratie, ce qui correspond exactement aux buts de guerre des terroristes.

Que signifie, monsieur le rapporteur, de « permettre, même hors état d’urgence […], l’assignation à résidence […], le placement sous surveillance électronique mobile » et « le placement en centre de rétention », avec contrôle du juge des libertés et des peines « au-delà de quinze jours » ? Cela signifie tout simplement un emprisonnement sur la seule base de la suspicion ; cela signifie le retour à une forme de légalisation de l’arbitraire, la transformation de l’état d’exception en un état permanent, et la transformation de l’État de droit en ce que les juristes appellent un État de police.

À quoi servirait de créer un nouveau fichier des individus radicalisés ? Outre qu’elle contreviendrait à l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme – relatif au droit à la liberté et à la sûreté –, cette disposition repose sur une méconnaissance, non seulement de l’utilisation qui est faite du dispositif des fiches dont il vise à s’affranchir, mais aussi du fichier FSPRT – Fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste. Au regard de l’existence de ce dernier fichier et de l’utilisation qui en est faite, quel est l’apport de votre proposition ? À nos yeux, elle n’aurait aucune plus-value.

En devenant le support d’une décision, ce fichier perdrait très largement sa finalité de renseignement, lequel suppose que les personnes ciblées ne soient pas informées du contenu de la surveillance dont elles font l’objet. Non seulement cette proposition est inutile et dangereuse, mais elle se heurte à des obstacles que vous connaissez parfaitement puisqu’ils sont de nature constitutionnelle, la notion de « personne radicalisée » n’étant définie nulle part, et l’absence de critères objectifs sur les personnes étant de nature à l’entacher d’incompétence négative.

Par l’article 4 de votre proposition de loi, vous demandez l’expulsion des étrangers menaçant l’ordre public, faisant l’objet d’une fiche S ou inscrits au nouveau fichier des personnes radicalisées. Or il existe déjà des dispositions qui permettent l’expulsion immédiate d’un étranger qui constituerait une menace grave pour l’ordre public, y compris dans le cadre d’une procédure d’urgence. Le Gouvernement, d’ailleurs, n’hésite pas à y recourir : depuis 2012, quatre-vingt-six mesures d’expulsion ont ainsi été prononcées à l’encontre d’étrangers radicalisés constituant une menace pour l’ordre public, dont seize depuis le début de l’année 2016.

L’article 9 est tout aussi inutile. Il tend à permettre la fouille des détenus condamnés pour terrorisme ou de ceux qui font preuve de prosélytisme en prison, sans qu’il soit besoin de motiver cette fouille ni d’en faire un rapport spécial auprès du parquet ou de l’administration centrale. Cette proposition est inutile, disais-je, pour deux raisons. En premier lieu, vous avez, par votre vote, introduit dans notre arsenal législatif la possibilité de recourir à des fouilles non individualisées en cas de suspicions sérieuses quant à l’introduction de substances ou d’objets interdits en prison, ou constituant une menace pour la sécurité des personnes ou des biens. Cette disposition satisfait aux nécessités pratiques de la détention.

Conformément aux obligations internationales de notre pays – notamment la Convention européenne des droits de l’homme, la CEDH –, cette possibilité est assortie de la nécessaire traçabilité, elle-même indispensable en cas de poursuites judiciaires.

En outre, aux termes de la jurisprudence du Conseil d’État, le premier alinéa de l’article 57 de la loi pénitentiaire permet des fouilles individualisées systématiques pour des personnes détenues, notamment pour faits de terrorisme. Aucun besoin juridique ne justifie donc la disposition que vous proposez.

Si j’ai mentionné ces quelques articles de votre texte – et j’aurais pu en mentionner d’autres –, c’est pour vous montrer que, si j’en comprends les motivations, vos propositions me semblent parfaitement inutiles. Depuis le début du quinquennat, notre action repose sur la conviction que l’État de droit n’est pas un obstacle à la sécurité, que l’on peut avoir des valeurs et être efficace, que l’on peut être pragmatique et suivre le chemin que nous indique la boussole du droit.

Mme Sophie Errante. Très bien !

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Les mesures que vous prônez, nous les avons, pour l’essentiel, déjà prises, car vous les avez votées.

Face au terrorisme, il convient d’avoir une colonne vertébrale, de la garder, de la protéger, de la renforcer. Notre droit est cette colonne vertébrale : c’est grâce à lui, grâce à elle, que nous nous tenons debout. C’est en conservant cette ligne de conduite dans la lutte contre le terrorisme que nous éviterons ce que Camus appelait « un avenir irréparable ». (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, ministre de la justice, monsieur le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, monsieur le rapporteur, chers collègues, notre rapporteur Éric Ciotti s’est exprimé avec précision, détermination et conviction pour exposer chacune des raisons qui nous ont conduit, avec le président Christian Jacob et l’ensemble des députés membres du groupe Les Républicains, à déposer cette proposition de loi renforçant la lutte contre le terrorisme islamiste.

Nous la soumettons à l’Assemblée nationale dans l’esprit de responsabilité qui, sur ces questions régaliennes vitales pour notre pays, est le nôtre depuis le début de la législature.

Depuis bientôt cinq ans, sans relâche, devant la commission des lois, au sein de la commission d’enquête relative aux moyens mis en œuvre par l’État depuis le 7 janvier 2015 pour lutter contre le terrorisme présidée par Georges Fenech comme dans l’hémicycle, nous sommes une force de proposition.

Année après année, mois après mois, nous auditionnons les différents acteurs opérationnels de la sécurité. Nous nous rendons sur le terrain, en France et à l’étranger, et nous proposons des avancées utiles pour améliorer la sécurité des Français.

Le plus souvent, le Gouvernement et les députés socialistes ont bruyamment écarté nos propositions. Vous ne vous y êtes ralliés, monsieur le garde des sceaux, que rarement et discrètement.

Ainsi, madame Taubira avait prétendu – des années durant – qu’il était totalement impossible de supprimer les réductions de peine automatiques accordées aux détenus terroristes mais, après des années d’hésitation ou d’obstruction, vous avez enfin accepté, cet été, de commencer à corriger le code pénal en ce sens.

De même, le garde des sceaux avait, en 2015, rejeté nos amendements tendant à créer dans les prisons un vrai service de renseignement, avant que la majorité ne finisse, cette année, par se rallier à notre proposition.

De même, vous aviez rejeté nos amendements tendant à créer une perpétuité réelle pour les criminels terroristes, avant de les voter au printemps dernier. Messieurs Valls et Cazeneuve, quant à eux, nous ont doctement expliqué – des années durant – qu’il était totalement anticonstitutionnel et inconventionnel de créer un délit de consultation habituelle des sites internet djihadistes. Or, après quatre ans d’hésitations, vous avez oublié vos propres arguments supposés définitifs et vous avez – enfin – accepté d’inscrire cette incrimination dans le code pénal.

M. Pascal Popelin. Je ne suis pas certain que constitutionnellement ça passera !

M. Guillaume Larrivé. Je pourrais citer d’autres exemples de mesures proposées par Les Républicains, refusées par les socialistes avant que ceux-ci ne soient rattrapés par le principe de réalité et acceptent, en définitive, de les voter en se pinçant le nez.

La proposition de loi que nous vous présentons ce matin subira probablement le même sort : vous allez assurément la rejeter aujourd’hui, pour peut-être vous y rallier à moitié, demain, ou après-demain, si vous parvenez enfin à ouvrir les yeux sur la réalité.

Lorsque la gauche refuse d’adopter des mesures nécessaires, au seul motif qu’elles sont proposées par la droite, ce sont autant d’occasions manquées de mieux protéger les Français. C’est une faute contre l’intérêt national, alors même que la menace terroriste islamiste n’a jamais été aussi élevée.

Que proposons-nous ? De réarmer l’État de droit. Car nous avons, monsieur le garde des Sceaux, une conviction : l’État de droit, ce n’est pas l’état de faiblesse. Qu’est-ce que l’État de droit ? Pour le définir, la doctrine juridique peut disserter à l’infini, en évoquant le rule of law des Britanniques, le Rechtsstaat des Allemands et le principe de légalité des Français.

Retenons ici la définition qu’en propose le doyen Carbonnier : « un État qui a des lois et, pour les appliquer, des juges administratifs ou judiciaires, des lois et des juges qui, en le ligotant, l’empêchent de mal faire ».

C’est une notion à la fois formelle – il y a un droit de l’État, c’est-à-dire des normes définies et des organes de contrôle – et substantielle, voire morale : empêcher l’État de mal faire, c’est viser le bien commun et protéger les personnes contre les abus du droit de l’État.

Depuis une quarantaine d’années, en France, la notion d’État de droit tend à se confondre avec l’idée que la loi votée ici, au Parlement, doit respecter le bloc de constitutionnalité – c’est-à-dire la Constitution et les diverses décisions du Conseil constitutionnel qui en interprètent le champ et la portée – et des normes conventionnelles, au premier rang desquelles les stipulations de la Convention européenne des droits de l’homme et la jurisprudence de la Cour de Strasbourg.

Mais, contrairement aux dix commandements reçus par Moïse au Mont Sinaï, l’État de droit n’est pas gravé pour l’éternité dans des tables de pierre.

Mme Elisabeth Pochon. La référence à Moïse est surprenante !

M. Guillaume Larrivé. Ce n’est pas une norme absolue et transcendante, détachée de l’histoire, mais une notion relative et vivante, qui doit être adaptée aux nécessités de l’époque, telles qu’elles sont comprises par le peuple souverain, directement ou par l’intermédiaire de ses représentants.

Autrement dit, c’est à nous, Français de 2016, de dire quelles sont les règles de l’État de droit qui nous paraissent adaptées au temps présent. Aussi, plutôt qu’un débat théorique, voire polémique, sur ce qu’est l’État de droit, nous revendiquons ici la nécessité d’un débat démocratique et technique sur les modalités juridiques du combat que doit mener la France, sur le sol national, pour vaincre nos ennemis islamistes.

C’est tout le sens de l’article 1er de cette proposition de loi, qui donnerait au ministre de l’intérieur le pouvoir de placer provisoirement, dans un centre de rétention fermé, tout individu à l’égard duquel il existe des raisons sérieuses de penser qu’il constitue, par son comportement, une grave menace pour la sécurité et l’ordre public.

Ce placement en rétention serait placé sous un double contrôle juridictionnel : d’une part, la juridiction administrative serait compétente pour connaître, quant au fond, de la légalité de ces décisions qui, par leur nature préventive, ont bien un caractère de police administrative.

D’autre part, conformément au principe défini à l’article 66 de la Constitution, un juge des libertés et de la détention spécialisé, c’est-à-dire l’autorité judiciaire, serait compétent pour connaître du maintien en centre de rétention.

J’admets bien volontiers que les paramètres procéduraux de cette rétention antiterroriste, s’agissant de sa durée et des modalités d’intervention des diverses autorités juridictionnelles, peuvent être affinés : c’est toujours le cas lorsqu’on rédige la loi.

Mais je n’accepte pas que cette proposition fasse l’objet d’une sorte d’excommunication préalable et définitive, pour les motifs les plus invraisemblables. Je le répète : nous n’entendons aucunement écarter le juge pénal de la matière antiterroriste.

Ce serait évidemment une erreur puisque les auteurs de crimes et de délits terroristes doivent faire l’objet d’un traitement pénal permettant leur mise à l’écart de la société, c’est-à-dire leur enfermement en prison.

Nous cherchons, non pas à substituer un régime de rétention administrative au régime de détention judiciaire, mais à créer un dispositif complémentaire, ciblé sur cette zone grise des individus déjà repérés par les services de renseignement comme présentant un danger pour la sécurité nationale, mais dont le dossier n’est pas à ce stade suffisamment caractérisé pour faire l’objet d’un traitement pénal. C’est précisément le cas, à l’heure où nous nous exprimons, des quelque quatre-vingt-dix individus faisant l’objet d’une assignation à résidence conformément aux mesures de police administrative spécialement créées sous l’empire de l’état d’urgence.

Nos critiques feignent d’oublier que le droit français connaît actuellement des dispositifs analogues, dans leur principe, à la rétention antiterroriste que nous proposons : les centres de rétention administrative pour les étrangers en situation irrégulière en instance d’éloignement et les mesures d’hospitalisation sous contrainte.

La gauche pseudo-morale invoque pêle-mêle, avec des trémolos dans la voix, l’Ancien régime et les lettres de cachet, mais aussi – tant qu’on y est – la Terreur et la loi des suspects !

D’autres répètent Guantanamo sur tous les tons, comme s’ils ne savaient pas que les caractéristiques de ce camp de détention militaire extra-territorial et extra-juridictionnel n’ont aucune – aucune ! – similitude avec le dispositif très encadré que nous proposons.

La vérité est que, si le législateur le veut, il peut, dès aujourd’hui et dans le cadre de l’État de droit, créer un régime de rétention antiterroriste assorti de garanties juridiques.

La loi nouvelle serait soumise, il est vrai, au double regard du Conseil constitutionnel et de la Cour européenne des droits de l’homme, qui diront ce qu’ils choisiront d’en dire.

Et leur réponse n’est pas certaine. La Cour européenne des droits de l’homme elle-même a – on l’ignore trop souvent – admis, dans un arrêt Lawless contre Irlande de 1961, la création d’un régime de rétention antiterroriste similaire dans son principe à ce que nous vous proposons aujourd’hui.

Mais c’est bien au pouvoir politique, in fine, qu’il reviendrait de décider, par l’intermédiaire des députés ou, directement, par référendum. Admettons, par hypothèse, que le Conseil constitutionnel, sous la présidence de Laurent Fabius, censure une loi créant la rétention antiterroriste.

Il faudrait alors rappeler l’avertissement de Georges Vedel : « si les juges ne gouvernent pas, c’est parce que, à tout moment, le souverain, à la condition de paraître en majesté comme constituant peut, dans une sorte de lit de justice, briser leurs arrêts ».

Le même raisonnement doit être tenu à l’endroit des juges de Strasbourg. La France est un État souverain, fondé à refuser toute tutelle supranationale. Nous avons – vous avez, monsieur le garde des sceaux – déjà invoqué l’article 15 de la Convention européenne des droits de l’homme pour déroger à certaines de ses stipulations pendant la durée de l’état d’urgence.

Nous pourrions parfaitement, demain, renégocier la Convention, demain, si un arrêt de la Cour nous empêchait de lutter contre les ennemis qui veulent nous détruire.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, que chacun assume ses responsabilités. Le pouvoir doit exercer le pouvoir, pour sauvegarder la nation et sauver des vies. C’est dans cet esprit responsable, et avec une certaine gravité, que nous appelons l’Assemblée nationale à adopter cette proposition de loi renforçant la lutte contre le terrorisme islamiste. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Meyer Habib.

M. Meyer Habib. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, ministre de la justice, monsieur le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, monsieur le rapporteur, chers collègues, la terrible vague d’attentats qui a frappé notre pays ces dernières années a fait de la lutte contre le terrorisme la première préoccupation des Français. Le groupe de l’Union des démocrates et indépendants a, depuis longtemps, pris conscience de l’ampleur et de la gravité de la menace djihadiste.

Depuis 2012, au-delà des quatre prorogations de l’état d’urgence votées depuis le 18 novembre 2015, nous avons donc systématiquement soutenu les différentes mesures qui nous ont été proposées, qu’elles aient visé à renforcer le suivi et le contrôle des individus radicalisés, à lutter contre la radicalisation en prison ou à permettre de mieux encadrer la légitime défense des policiers.

À notre sens, pour faire simple, le Gouvernement reste en permanence dans une posture de réaction dictée par l’urgence, au lieu d’adopter une logique d’anticipation.

Les Français attendent aujourd’hui que nous prenions, une fois pour toutes, les devants et que nous n’attendions pas une prochaine tragédie pour adapter une énième fois notre législation.

Nous devons disposer d’un arsenal législatif complet, hors état d’urgence, qui nous permette de lutter contre le terrorisme et contre ce phénomène extrêmement préoccupant de la radicalisation qui concernerait à ce jour plus de 15 000 personnes.

Notre rapporteur, Éric Ciotti, a raison quand il a appelle à la reconnaissance d’un principe de précaution en matière de terrorisme : c’est pourquoi le groupe UDI soutient sans hésitation cette proposition de loi.

Elle se décline en cinq chapitres thématiques : le premier, composé des articles 1er et 2, porte sur le suivi et le contrôle des individus radicalisés. L’article 1er crée un régime de contrôle administratif, hors état d’urgence, des individus qui constituent, par leur comportement, une menace grave pour la sécurité et l’ordre public, sans que les éléments disponibles puissent justifier l’ouverture d’une enquête judiciaire. Nous soutenons évidemment cet article.

Nous soutenons également l’article 2 qui propose la création d’un « fichier des personnes radicalisées constituant une menace à la sécurité publique ou à la sûreté de l’État » permettant notamment de leur imposer une assignation à résidence ou un placement sous surveillance électronique mobile.

Il est acquis aujourd’hui que les fichiers sont trop dispersés et les critères trop diffus – sans parler d’une concurrence inter-services souvent nuisible – pour assurer un suivi efficace et centralisé des personnes radicalisées.

Le groupe UDI a dénoncé cet état de fait à plusieurs reprises. Il avait d’ailleurs formulé des propositions analogues lors de l’examen de la loi du 21 juillet 2016 prorogeant l’application de la loi n55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et portant mesures de renforcement de la lutte antiterroriste. Hélas, en vain !

Le chapitre II, qui comporte les articles 3 à 5, porte sur un ensemble de mesures applicables aux étrangers menaçant l’ordre public. Si de nombreux djihadistes ont la nationalité française, certains sont, comme nous l’avons vu à Nice le 14 juillet dernier, étrangers. Ceux-là n’ont rien à faire sur le territoire national. C’est pourquoi nous soutenons ce chapitre car il élargit les critères d’interdiction du territoire et d’expulsion, dans une logique de prévention des actes terroristes.

Le chapitre III, qui comporte les articles 6 et 7, concerne la possibilité de mettre en rétention des individus repérés comme dangereux. Le constat est sans appel : en l’état, le champ d’application de la rétention de sûreté est beaucoup trop restreint et inadapté à la lutte contre le terrorisme.

En bref, la rétention de sûreté a surtout été conçue pour les délinquants sexuels multirécidivistes. Or les Français ne comprendraient pas qu’on ne mette pas des individus identifiés comme dangereux hors d’état de nuire. Ils attendent un système qui empêche efficacement les individus radicalisés de passer à l’acte, ceci, évidemment, dans un cadre compatible avec l’État de droit.

Monsieur le ministre, il existe un pays…

Mme Martine Lignières-Cassou. Il y vient !

M. Meyer Habib. … qui est confronté depuis soixante-dix ans au terrorisme et qui utilise, avec une grande efficacité et dans un cadre juridique préservant les droits et libertés…

Mme Martine Lignières-Cassou. Ah non !

M. Meyer Habib. … et depuis près de quarante ans la rétention administrative dans la lutte anti-terroriste : Israël.

Sur ma recommandation, nous sommes allés, d’abord avec la commission d’enquête présidée par Georges Fenech et dont le rapporteur était Sébastien Pietrasanta, puis avec MM. Ciotti et Larrivé, conduire des auditions en Israël en mai dernier. Or elles indiquent que cet instrument constitue un élément essentiel du dispositif de lutte anti-terroriste.

Ouvrons les yeux : la France et Israël sont confrontés au même terrorisme, à la même idéologie djihadiste anti-laïque, anti-occidentale, anti-démocratique, homophobe, sexiste et antisémite.

Les résultats sont là : en Israël, on est passé de 500 victimes au début des années 2000 à moins de trente aujourd’hui et évité des milliers d’attentats, sans remettre en cause les principes de l’État de droit.

Mme Martine Lignières-Cassou. Ça, c’est faux !

M. Meyer Habib. Il suffit de se promener un après-midi dans les rues de Jérusalem ou de Tel-Aviv pour voir une société où se côtoient juifs, musulmans, chrétiens, hommes, femmes, laïcs, religieux, qui n’ont pas peur de prendre les transports en commun, de bavarder aux terrasses de café, d’aller au concert.

Mme Martine Lignières-Cassou. Il rêve !

M. Meyer Habib. C’est le vrai visage des libertés publiques !

Alors que le terrorisme djihadiste a fait 244 morts dans notre pays depuis 2012, je ne cesse depuis des années de répéter qu’il est grand temps que nous nous inspirions des méthodes qui marchent. C’est donc une erreur, monsieur le ministre, comme je vous l’ai d’ailleurs écrit, d’avoir raillé dans un tweet le système israélien, car Israël est modèle dans ce domaine, y compris sur les libertés publiques.

Mme Elisabeth Pochon. Il n’y a plus d’attentats ?

M. Meyer Habib. Je vous invite et j’invite le ministre de l’intérieur à se rendre sur le terrain en Israël, où les officiels seraient très heureux de vous rencontrer.

À la quatrième partie du texte, les articles 8 à 11, qui visent à durcir le volet pénitentiaire.

Alors que le droit actuel pose le principe que les détenus condamnés pour terrorisme ne bénéficient en principe pas de réduction de peine, certains en bénéficient de facto.

L’article 8 exclut clairement toute réduction ou aménagement de peine des individus condamnés pour terrorisme.

Les articles 9 à 11 prévoient aussi des mesures intéressantes en matière pénitentiaire, notamment en permettant l’encellulement individuel des détenus radicalisés et en posant le principe légal de l’interdiction en détention des téléphones portables, ce qui paraît tellement évident, et des terminaux de connexion à internet. Nous les soutenons eux aussi.

Enfin, à la cinquième partie, l’article 12 vise à renforcer le régime de légitime défense des policiers.

Ce régime a été récemment amélioré par la loi du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé et le terrorisme. Il y a un an, j’avais pris la parole au nom du groupe UDI pour dire qu’il fallait aller plus loin, qu’entre le système américain, terrifiant, et le système français, il y avait un juste milieu.

L’article 12 vise à sécuriser davantage encore le régime en précisant les cas d’utilisation de la force armée. C’est pourquoi nous le soutenons.

La France doit adapter son arsenal législatif pour lutter efficacement contre le terrorisme. C’est pourquoi, mes chers collègues, nous soutenons sans hésitation cette proposition de loi.

Monsieur le ministre, votre gouvernement, votre majorité ont souvent été convaincus, mais hélas tardivement, de l’opportunité de certaines mesures urgentes proposées par l’opposition. Dépassons nos clivages politiques et adoptons ce texte. La lutte contre le terrorisme n’est ni de droite, ni de gauche.

Je ferai enfin trois remarques avant de rendre la parole.

Première remarque, l’essentiel qu’il ne faut pas perdre de vue, aussi attachés que nous puissions être aux libertés fondamentales, c’est qu’il ne peut exister de libertés publiques sans sécurité, il ne peut exister d’État de droit sans sécurité, il ne peut exister de démocratie sans sécurité.

Oui, nous devons repenser le logiciel de notre État de droit. C’est pourquoi j’ai déposé une proposition de loi constitutionnelle et une résolution visant à créer à l’Assemblée nationale une commission permanente, dont les compétences seront exclusivement ciblées sur la lutte contre le terrorisme et son impact sur l’État de droit.

Deuxième remarque, il faut être beaucoup plus vigilant sur toutes les formes d’islam politique.

Certaines associations professent un islam politique au grand jour, l’UOIF, le CCIF, les Indigènes de la République, sans parler de certaines mosquées salafistes, et, sans prôner le terrorisme, offrent des portes d’entrée dans l’univers de la radicalité. Là aussi, les autorités doivent être très vigilantes et appliquer toute la loi avec la plus grande rigueur.

Troisième remarque, si nous, politiques, devons faire évoluer notre logiciel, nous ne pouvons le faire sans l’aide de la population. Un véritable sursaut citoyen s’impose et une vigilance collective doit se mettre en place.

À l’instar, encore une fois, de ce qui se passe en Israël, chacun doit participer à la surveillance, se sentir impliqué et responsable. Chaque citoyen doit devenir un véritable partenaire de la lutte antiterroriste, signaler les véhicules, les activités, les individus suspects. Il s’agit évidemment de mettre en place non pas un système de délation mais une société de la vigilance et de la solidarité.

Nous ne gagnerons la guerre contre le djihadisme qu’en mobilisant les Français autour d’une politique de civilisation centrée sur nos valeurs humanistes. Un travail considérable reste à accomplir dans le champ de l’éducation. « Ouvrez une école, vous fermerez une prison », disait Victor Hugo. C’est là dessus que je voudrais clore mon propos : un enfant, quel qu’il soit, ne naît jamais terroriste, jamais djihadiste, il ne naît, hélas, pas non plus citoyen.

C’est pourquoi toute stratégie de prévention efficace commence en amont, à l’école, creuset de la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jérôme Lambert.

M. Jérôme Lambert. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous nous retrouvons aujourd’hui à l’occasion de la journée réservée au groupe Les Républicains pour examiner un texte visant à renforcer la lutte contre le terrorisme.

Ce texte, rejeté en commission des lois la semaine dernière, vise à renforcer le suivi et le fichage des individus radicalisés identifiés comme constituant une menace grave à la sécurité nationale grâce à des critères objectifs et listés. Il prévoit une interdiction du territoire français de principe pour les étrangers qui menaceraient l’ordre public ou se seraient rendus coupables de délits ou de crimes passibles de cinq ans de prison et tend à limiter les aménagements de peine. Il s’agit également de faciliter la fouille des détenus et de renforcer leur isolement électronique, ce qui est déjà prévu, ou encore d’aligner la légitime défense des policiers sur celle des gendarmes, cheval de bataille de notre rapporteur depuis fort longtemps.

Ces propositions entendent apporter des réponses aux attaques terroristes, qui sont par nature imprévisibles, soudaines et incontrôlables, et l’attentat de Nice du 14 juillet dernier, aux victimes duquel il sera rendu un hommage national demain, en est malheureusement un tragique exemple.

Pour lutter contre ces assassins barbares, sans que nous ayons attendu ces propositions, il existe un arsenal législatif en matière de lutte contre le terrorisme grâce à différents textes que nous avons adoptés depuis 2012, et que le groupe Les Républicains a par ailleurs votés.

Il y a ainsi la loi du 21 décembre 2012 relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme, qui permettait aux services de police ou de gendarmerie, en particulier les services de renseignement, de recueillir des données relatives aux télécommunications et à internet, de renforcer les contrôles d’identité dans de nombreuses circonstances, d’accéder à certains fichiers administratifs, mais également de renforcer les possibilités d’expulsion et de poursuivre devant les juridictions pénales françaises les Français et les personnes résidant habituellement sur le territoire français ayant commis à l’étranger un délit en lien avec le terrorisme. Ce qui semble être l’une de vos préoccupations premières est donc déjà largement satisfait, mes chers collègues.

Il y a ensuite la loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, qui a mis en place un dispositif d’interdiction de sortie du territoire lorsqu’il existe des raisons sérieuses de croire que les déplacements visent à participer à des activités terroristes, renforcé les peines encourues en cas d’infraction, mais aussi créé un dispositif d’interdiction administrative du territoire pour tout ressortissant d’un État membre de l’Union européenne ou d’un autre État membre de l’Espace économique européen ainsi que tout membre de sa famille lorsqu’il constitue une menace sérieuse pour un intérêt fondamental de la société. Ces interdictions valent, cela va de soi, pour tout étranger non ressortissant de l’Union européenne.

La loi de 2014 a également introduit un dispositif de blocage administratif des sites internet appelant au terrorisme ou en faisant l’apologie, renforcé les mesures d’assignation à résidence en cas de comportement lié au terrorisme, créé un délit d’entreprise terroriste individuelle en cas de trouble grave à l’ordre public par l’intimidation ou la terreur puni de dix ans d’emprisonnement.

Il y a encore de la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement, qui vise à réorganiser et à encadrer les services spécialisés de renseignement.

La Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, responsable du contrôle administratif, pourra contrôler la mise en œuvre des techniques du renseignement, notamment l’expertise des données informatiques. Cette loi a également encadré les dispositifs de captation de proximité permettant de recueillir des données d’identification des individus. Enfin, les recours à la sonorisation de lieux ou de véhicules, la captation d’images ou de données informatiques, et l’intrusion domiciliaire sont permis et encadrés.

De la même manière, le renforcement des effectifs de police et de gendarmerie atteste l’implication des pouvoirs publics dans la lutte contre le terrorisme et pour la sécurité des Français.

Vous l’aurez donc compris, de nombreuses mesures ont été prises afin de lutter contre le terrorisme, et nous ne pouvons laisser planer un doute quant à l’implication de tous les parlementaires et du Gouvernement sur l’ensemble de ces sujets.

L’adoption des différents textes relatifs au dispositif de l’état d’urgence sur le territoire est encore un signe de cette détermination sans faille.

En outre, je reviendrai sur l’avis du Conseil d’État du 17 décembre 2015 sur la constitutionnalité et la compatibilité avec les engagements internationaux de la France de certaines mesures de prévention du risque de terrorisme.

Cet avis, rendu à la suite d’une saisine du ministre de l’intérieur, précise que, s’il « appartient aux autorités de police administrative, afin d’assurer la protection de l’ordre public, de prendre des mesures à caractère préventif qui peuvent comporter des mesures affectant ou restreignant des libertés, […] elles ne peuvent prendre à ce titre des mesures privatives de liberté » et qu’ainsi, « au plan constitutionnel et au plan conventionnel, il n’est pas possible d’autoriser par la loi, en dehors de toute procédure pénale, la rétention, dans des centres prévus à cet effet, des personnes radicalisées, présentant des indices de dangerosité et connues comme telles par les services de police, sans pour autant avoir déjà fait l’objet d’une condamnation pour des faits de terrorisme ». C’est clair.

Le Conseil d’État précise que « seule une assignation à résidence qui se bornerait, pour les personnes radicalisées et présentant des indices de dangerosité, à restreindre leur liberté de circulation avec des modalités d’exécution laissant à l’intéressé une liberté de mouvement conciliable avec une vie familiale et professionnelle normale, pourrait, le cas échéant, être envisagée dans un cadre administratif » mais qu’en revanche, pour ce qui concerne le placement sous surveillance électronique, seule « cette mesure de surveillance renforcée des personnes radicalisées et présentant des indices de dangerosité ne paraît pas devoir porter une atteinte disproportionnée à la liberté personnelle de l’intéressé, et en particulier au respect de sa vie privée ».

Le Conseil d’État a récemment donné son avis sur la constitutionnalité d’un certain nombre de mesures qui figurent dans le texte. Il n’est donc pas possible de les adopter dans le cadre de notre État de droit. Ainsi mes chers collègues, nous ne pouvons revenir sur le débat de l’internement préventif des personnes fichées S, même si elles présentent un risque. Tout est dit. Nous sommes dans un État de droit et la loi doit répondre, nous le savons, à des principes constitutionnels. Le Gouvernement fait tout ce qu’il est possible de faire, et nous serions sans doute mieux inspirés de faire bloc sur ces questions plutôt que de laisser planer le doute sur les intentions des uns ou des autres.

Je reviendrai maintenant sur la méthode employée par nos collègues.

Hasard du calendrier sans doute, effet d’aubaine peut-être, nous notons que cette proposition de loi, cosignée par une large majorité des parlementaires du groupe Les Républicains, est examinée le jour même du premier débat entre les candidats à la primaire de votre parti politique.

Vous comprendrez, mes chers collègues, qu’en dépit de tout le respect que nous avons pour votre travail et de l’importance que nous accordons à l’initiative législative venant des parlementaires eux-mêmes plutôt que du Gouvernement, qui, je le rappelle, organise l’essentiel de l’ordre du jour de notre assemblée, nous ne sommes pas dupes. Le débat parlementaire ne peut être l’avant-show du débat des primaires qui vous réunira ce soir.

Le groupe RRDP, en tant que groupe minoritaire, est sensible au fait qu’il faut reconnaître le droit au débat parlementaire pour l’ensemble des sensibilités, et nous nous sommes opposés à de nombreuses reprises aux motions de procédure déposées par le groupe majoritaire. Toutefois, dans le cas précis qui nous occupe, en raison de la date choisie, parce que nous refusons d’être les otages des débats internes à la primaire de la droite, vous comprendrez que nous ne puissions soutenir un tel texte…

M. Pascal Popelin. En effet !

M. Jérôme Lambert. …et que nous nous résolvions à voter la motion de rejet préalable déposée par le groupe socialiste. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Sébastien Pietrasanta.

M. Sébastien Pietrasanta. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, à la lecture de votre proposition de loi, le groupe socialiste, écologiste et républicain s’est interrogé. Quelle est la véritable finalité de cette proposition de loi défendue par une partie du groupe les Républicains ? Recycler tous les amendements que vous avez présentés et qui n’ont pas été retenus par le Parlement ? Cette compilation de vieux disques usagés tourne en boucle à chaque débat sur le terrorisme au sein de notre assemblée.

Mais cette rengaine, même si elle peut avoir un certain écho auprès de l’opinion publique, sonne faux. Faux, car elle ne respecte pas la Constitution ; faux, parce qu’elle ne respecte pas la Convention européenne des droits de l’homme ; faux, car elle est même contre-productive ; faux, enfin, car tous les articles que vous présentez ont déjà été refusés par notre parlement.

Quelle est la finalité de cette proposition de loi, alors même que votre leader – enfin, le leader de certains d’entre vous –, Nicolas Sarkozy, ne croit même pas à l’adoption par notre chambre de votre proposition de loi ? Sinon, il ne demanderait pas un référendum sur la principale mesure de votre proposition de loi, l’article 1er sur l’assignation dans un centre de rétention des fichés S les plus dangereux.

Plusieurs députés du groupe socialiste, écologiste et républicain. Exactement !

M. Éric Ciotti, rapporteur. Si on la vote, il n’y aura pas de référendum !

M. Sébastien Pietrasanta. Alors, quel est le but ? Faire de la gesticulation, de l’agitation et de la surenchère…

M. Jacques Myard. De notre part, jamais !

M. Sébastien Pietrasanta. …pour exister notamment dans le cadre de vos primaires ? Je n’ose le croire. Et pourtant, vous-mêmes ne savez pas très bien dans quelle direction vous souhaitez aller.

M. Jacques Myard. Il y en a d’autres !

M. Sébastien Pietrasanta. Si j’aurai l’occasion d’y revenir lorsque je défendrai la motion de rejet, je voulais déjà dire quelques mots sur l’article 1er. Monsieur le rapporteur, vous faites semblant, parce que je connais votre expertise sur le sujet, de ne pas comprendre ce qu’est une fiche S, qui n’est qu’un outil parmi tant d’autres permettant de recueillir du renseignement. Il ne s’est jamais agi d’un fichier recensant les individus dangereux.

Or, il y a quelques mois, vous préconisiez de mettre les 1 000 individus fichés S les plus dangereux dans des centres de rétention. Il y a quelques semaines, votre leader, dans son interview au Journal du dimanche, Nicolas Sarkozy, ne parlait plus que d’une centaine. Mille ou une centaine ? Sur quel critère ?

M. Pascal Popelin. Au pif !

M. Sébastien Pietrasanta. Par qui ? Comment ? Soit nous avons des éléments matériels prouvant la dangerosité de ces individus et, dans ces cas-là, ils peuvent être judiciarisés ; soit nous n’avons pas ces éléments et les interner relève de l’arbitraire. Vous proposez également une assignation de 150 jours, mais que faisons-nous au cent cinquante et unième jour, lorsqu’un individu que vous auriez considéré comme dangereux retrouve sa liberté ?

Pour résumer votre article 1er : vous ne savez pas combien de personnes vous souhaitez assigner, vous ne savez pas sur quels critères vous allez vous fonder, vous allez prévenir les 10 500 fichés S pour islamisme radical qu’ils sont surveillés, en mettant fin à de nombreuses enquêtes, vous allez les regrouper et leur permettre de se mettre en réseau, et enfin, au cent cinquante et unième jour, vous ne saurez pas qu’en faire.

M. Pascal Popelin. La théorie de l’éléphant dans un magasin de porcelaine !

M. Sébastien Pietrasanta. Votre proposition ressemble à de la politique au doigt mouillé ! Et la politique du doigt mouillé en matière de lutte contre le terrorisme, c’est dangereux pour notre démocratie et inefficace contre ces barbares.

D’ailleurs, même au sein de votre propre famille politique, vous ne faites pas l’unanimité. Permettez-moi, exceptionnellement, de citer Alain Juppé qui le dit assez clairement sur son site internet au sujet de l’assignation des fichés S : « La lutte farouche que nous devons mener contre le terrorisme ne saurait se résumer à la situation des fichés S. Nos services de renseignement, sur l’efficacité desquels repose principalement cette lutte, ont souvent besoin de remonter des filières suspectes et pour cela doivent pouvoir surveiller les personnes fichées sans forcément les mettre en détention. Pour les fichés S considérés comme potentiellement dangereux, la justice peut engager des poursuites ; l’état d’urgence permet des placements en résidence surveillée ; il ne faut pas exclure le placement en centre de rétention, à la condition qu’il se fasse avec intervention du juge judiciaire. Là est la ligne rouge de l’État de droit. Si elle n’est pas franchie, il n’est pas nécessaire ni même utile de recourir au référendum. Montesquieu écrivait que les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires ». Il en est de même des référendums.

Permettez-moi également de citer un autre responsable de votre famille politique, Patrick Devedjian, qui déclarait hier dans L’Opinion : « Je crois à l’Habeas corpus et je ne veux pas que mon pays ressuscite la loi des suspects en permettant à la police de détenir sans jugement des personnes pour une durée variable et indéterminée. »

Mes chers collègues, vous le voyez bien, nous avons un profond désaccord avec un certain nombre d’entre vous. Ce désaccord n’est pas sur le fond, qui est de combattre avec force et détermination le terrorisme et l’islamisme radical, mais sur la méthode. Nous considérons qu’il faut utiliser notre État de droit, les armes de la démocratie et de notre République pour lutter contre le terrorisme. L’État de droit, Jean-Jacques Urvoas l’a très bien dit, ce n’est pas un état d’impuissance, c’est notre force, c’est ce qui fait la grandeur de la France. Nous refusons de tomber dans l’arbitraire, tel que vous nous le proposez. Nous ne sommes ni dans le renoncement ni dans le fatalisme.

M. Dominique Baert. Très bien !

M. Sébastien Pietrasanta. Depuis 2012, nous avons légiféré comme jamais, réorganisé nos services de renseignement comme jamais, là où vous les aviez déstabilisés, notamment avec la destruction des renseignements généraux.

Nous avons augmenté les effectifs des forces de l’ordre comme jamais, là où vous les aviez diminués de 13 000 hommes.

Nous avons débloqué des moyens sans précédent, là où vous les aviez diminués de 18 %. Vous voyez qu’en matière de lutte contre le terrorisme, nous n’avons décidément aucune leçon à recevoir de votre part. Monsieur le rapporteur, nous avons beaucoup fait, mais je suis de ceux qui considèrent que nous avons encore à faire en matière de terrorisme.

M. Éric Ciotti, rapporteur. Quand même !

M. Sébastien Pietrasanta. Dans mon rapport de la commission d’enquête, je formulais quarante propositions pour améliorer la lutte contre le terrorisme. Mais faire encore, ce n’est pas faire n’importe quoi, ce n’est pas faire du bruit. Or, votre proposition de loi se limite à occuper bruyamment le terrain pendant les primaires pour faire croire que vous avez des réponses. Cette agitation pré-électorale ne me paraît pas une attitude digne. Vos incessantes surenchères nous conduisent à débattre aujourd’hui d’un texte qui n’apporte aucune mesure nouvelle et ne règle aucune des questions auxquelles il prétend s’attaquer.

Mme Cécile Untermaier. Très bien !

M. Sébastien Pietrasanta. Mes chers collègues, notre nation doit faire corps face à cette menace redoutable et faire front. Nous devons le faire tous ensemble, unis, pour signifier que la République ne cède pas à ce fanatisme meurtrier qu’est le terrorisme. Nous devons le faire avec sérieux et efficacité. C’est malheureusement l’opposé de ce que vous proposez. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Goujon.

M. Philippe Goujon. Nous allons rétablir quelques vérités.

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, monsieur le ministre, mes chers collègues, de la fusillade de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher aux massacres du Bataclan et de Nice, des meurtres de policiers, d’enfants juifs à ceux de prêtres ou de gardiens de prison, le terrorisme a fait 238 morts sur notre sol depuis 2015. Dans le même temps, la France reste la principale filière alimentant le djihad syrio-irakien : près de 700 Français l’ont rejoint, tandis que l’on compte près de 15 000 individus radicalisés sur notre territoire.

Les prisons, qu’on a pu qualifier d’écoles du crime, deviennent celles du terrorisme – plus de 15 % des terroristes s’y sont radicalisés. Chérif Kouachi et Amedy Coulibaly, mais aussi Mohamed Merah, auteur des attentats de Toulouse, ou Mehdi Nemmouche, le tueur du musée juif de Bruxelles, pour ne citer qu’eux, ont tous été incarcérés pour des délits de droit commun avant de se radicaliser en prison.

Alain Bauer l’a confirmé : ce terrorisme est pluriel, perpétré à l’international comme en France par des délinquants fanatisés ou des « lumpenterroristes » au lourd profil psychiatrique. Pour tenter de répondre à cette menace, notre assemblée a déjà examiné depuis 2012 une dizaine de lois antiterroristes. Par esprit de responsabilité, nous les avons toutes adoptées, même si elles étaient très insuffisantes.

Aussi ne prétendez pas, quand les rapports des commissions d’enquête parlementaires en pointent les considérables lacunes, que notre arsenal juridique ne peut être amélioré, car si c’était le cas une seule grande loi aurait suffi. Et, si nous ne proférions que des inepties, comme vous essayez de le faire croire, comment qualifier la palinodie de la déchéance de nationalité ? Vous ne reprendriez pas certains de nos amendements dans les lois ultérieures, avec un temps de retard, quand il faut avoir un temps d’avance sur les terroristes.

La France représentant la première cible de Daech, mieux vaut prévenir l’attentat, hélas, à venir, que le précédent. Face à la menace terroriste, notre arsenal pénal n’est pas complet, contrairement aux assertions du Président de la République, de même que l’on a pu dire que, contre le chômage, on avait déjà tout essayé. Un seul chiffre, mais très inquiétant : 40 % des individus revenus de Syrie ne peuvent faire l’objet d’une judiciarisation immédiate, faute d’éléments suffisants pour caractériser l’infraction. Adoptez enfin les mesures fortes adaptées à l’état de guerre que vous reconnaissez, même s’il s’agit d’une guerre asymétrique.

L’état d’urgence ne pourra pas nous protéger indéfiniment d’une menace devenue permanente. Aussi faut-il envisager les dispositifs qui en prendront le relais dans le cadre du droit commun. Les individus représentant une menace pour la sécurité nationale doivent être placés sous très haute surveillance, par une assignation à résidence ou un placement en centre de rétention administrative, assortis bien sûr de toutes les garanties avec le contrôle du juge des libertés et de la détention. La plupart de ceux qui ont commis des attentats, ne l’oublions pas, étaient fichés S.

Le juge constitutionnel sait adapter sa jurisprudence au changement de circonstances dans le cadre de son contrôle de proportionnalité : il a ainsi déjà validé la rétention de sûreté, l’hospitalisation d’office ou les peines planchers. Quant au Conseil d’État, il tient compte également, depuis l’arrêt Dames Dol et Laurent de 1919, des nécessités provenant de l’état de guerre.

Trois mois après leur publication, et alors que le comité de suivi n’est toujours pas en place, nous vous offrons ici le véhicule législatif adéquat pour appliquer plusieurs propositions de la commission d’enquête sur les attentats, qui a fait un travail tout à fait remarquable, comme la création d’une base de données commune à l’ensemble des services, du fichier unique des radicalisés ou d’un délit de séjour sur un théâtre d’opérations terroristes, permettant le traitement judiciaire du bas du spectre. Ce sont des propositions de la commission d’enquête Fenech-Popelin, et non pas des élucubrations.

M. Georges Fenech. Fenech-Pietrasanta !

M. Pascal Popelin. Il faut rendre à César ce qui est à César !

M. Jacques Myard. César, c’est beaucoup !

M. Philippe Goujon. Pietrasanta, pardon !

Pour autant, cette proposition de loi ne vous exonérera pas de l’urgence de réformer notre dispositif antiterroriste, en reconfigurant l’organisation de nos services ou en envisageant la création d’une agence nationale de lutte antiterroriste, comme l’a recommandé cette même commission d’enquête. Nous vous engageons à aller plus loin dans la mise en œuvre d’un troisième plan de lutte antiterroriste, avec des postes de policiers et de gendarmes et un recrutement dédié aux juridictions spécialisées dans les affaires de terrorisme, même si certains recrutements ont déjà eu lieu.

Parce que la démocratie doit être intransigeante avec ceux qui la menacent, les étrangers fichés S et même les auteurs de tout délit ou crime passible de cinq ans de prison doivent pouvoir être expulsés, comme le prévoyait déjà une proposition de loi que nous avions défendue avec Éric Ciotti. Adoptée en première lecture sous la précédente législature, vous ne l’avez pas menée jusqu’à son terme.

Comment, d’autre part, les victimes pourraient-elles tolérer que des terroristes voient leur peine réduite après que la justice s’est prononcée ? Didier Le Bret, coordinateur national du renseignement, jusqu’à ce qu’il soit candidat du PS aux législatives, a regretté que 200 terroristes actuellement emprisonnés n’effectueraient en réalité à droit constant que la moitié de leur peine en détention et seraient libérés entre 2017 et 2020.

Pour les victimes, mais aussi afin de mieux nous protéger, il faudra donc non seulement supprimer totalement les réductions de peine pour les terroristes, comme cela a été acquis, grâce à l’opposition, lors de la troisième prorogation de l’état d’urgence pour les réductions automatiques de l’article 721 du code de procédure pénale, mais au-delà, empêcher toute possibilité même de réduction ou d’aménagement, soumettre les criminels à la rétention ou à la surveillance de sûreté et enfin adapter les obligations prononcées sur le fondement de l’article 138 du code de procédure pénale, dans le cadre du contrôle judiciaire, au profil des personnes mises en examen pour terrorisme.

Cela implique bien évidemment de construire des prisons. On ne peut que regretter qu’il ait fallu attendre les derniers mois du quinquennat pour que vous vous ralliez à notre proposition de construire des places de prison, monsieur le garde des sceaux.

Enfin, voilà exactement un an, vous rejetiez ma proposition de loi visant à améliorer le renseignement pénitentiaire et à isoler électroniquement les détenus. Depuis le changement de garde des sceaux, le Gouvernement a accepté son intégration au second cercle de la communauté du renseignement et son accès aux techniques spécialisées et doté les unités d’isolement d’une base légale, ce qui n’a toutefois pas empêché le sinistre Abdeslam de communiquer avec un autre détenu.

Il est vrai que le renseignement pénitentiaire, qui mériterait d’être rattaché au ministère de l’intérieur, est le parent pauvre du renseignement français, même si des effectifs supplémentaires sont en cours de recrutement. C’est vous, monsieur le garde des sceaux, qui en parlez le mieux : « Depuis ma nomination comme ministre de la justice, je n’ai été destinataire d’aucun élément à en-tête du renseignement pénitentiaire. » La situation est grave.

Il faut aujourd’hui aller plus loin, durcir et élargir le régime de l’isolement aux détenus non seulement condamnés pour terrorisme, mais aussi aux prosélytes condamnés pour des délits de droit commun, leur imposer des fouilles régulières, vidéosurveiller les parloirs dont le manque de contrôle ne peut perdurer, même si mon amendement en ce sens est tombé sous le coup de l’article 40, et interdire certaines visites.

Rappelez-vous, chers collègues : dans l’affaire Mehdi Nemmouche, il est avéré que le terroriste a été approché pendant sa détention, puis mis en condition par des visiteurs qui ont largement contribué à sa radicalisation.

Enfin, pour que des drames comme celui d’Osny – où, tout comme Mehdi Nemmouche, le djihadiste ayant agressé le surveillant communiquait avec Daech depuis sa cellule d’isolement – ne se reproduisent pas, je suggère de poser dans la loi l’interdiction, actuellement seulement réglementaire, des téléphones portables et terminaux de connexion à Internet, dont Mmes Hazan et Taubira, elles, suggéraient la légalisation. Le nombre des saisies annuelles de téléphones – plus de 30 000 – permet de supposer que tout détenu en dispose, alors même qu’ils les utilisent dans au moins 20 % des cas à des fins malveillantes. Élever cette interdiction au rang législatif renforcerait la base légale des écoutes des communications clandestines, dont à peine 1 % est contrôlé par les services spécialisés.

Alors que partout en France, les forces de l’ordre payent le prix du sang pour leur dévouement à la République – ces faits, dont nous avons eu hélas encore un exemple récemment, sont en hausse de 14 % selon l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, ONDRP –, il est plus qu’urgent de leur donner les moyens de se défendre. Après les récents événements dramatiques et inédits de la Grande Borne, la réponse de l’État ne peut se cantonner à améliorer la sécurisation passive, mais doit aller vers le renforcement de la légitime défense, comme nous vous le proposons pour la quatrième fois depuis le début de la législature. Nous entendrez-vous enfin ? Vous en avez l’occasion avec l’article 12.

Le pire serait que ce débat soit censuré et ne puisse se tenir, alors que la sécurité de nos concitoyens en est l’enjeu. Je vous appelle donc, majorité et Gouvernement, à faire, comme nous, preuve d’esprit de responsabilité et à adopter ces mesures de bon sens sans attendre un nouvel attentat qui vous forcerait une fois encore à réagir dans l’urgence, mais trop tard. Pour une fois, anticipez les attentats futurs au lieu de vous apitoyer seulement sur ceux que vous n’avez pu éviter ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Colette Capdevielle.

Mme Colette Capdevielle. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chères et chers collègues, avec la droite française, le populisme pénal a encore de beaux jours devant lui.

M. Georges Fenech. Ça commence bien !

M. Élie Aboud. C’est brutal !

Mme Colette Capdevielle. De manière très compulsive, je dirais même monomaniaque, hier, aujourd’hui et probablement encore demain, vous voulez vous affranchir des règles de droit, contourner le juge judiciaire gardien des libertés individuelles, voire l’évincer quand il vous gêne, pour proposer des mesures dont vous savez pertinemment qu’elles ne peuvent être mises en place. Le procureur de Paris, François Molins – éminent juriste –, vous l’a dit, mais vous persévérez ; des députés de votre groupe vous ont mis en garde, mais rien n’y fait. Monsieur le rapporteur, errare humanum est, perseverare diabolicum !

M. Jacques Myard. Socialistum ! (Rires sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme Colette Capdevielle. En droit français, il n’est pas possible, pour des raisons constitutionnelles et conventionnelles, de priver de liberté un être humain pendant quinze jours sans le contrôle d’un juge. La version initiale de la proposition de loi, la deuxième version, que vous avez tenté de nous proposer en commission des lois après l’avoir complètement réécrite, comme la troisième, que vous nous proposez aujourd’hui, montrent toutes que vous n’y arrivez pas, et vous le savez très bien.

Les dispositions que vous proposez à l’article 1er portent atteinte à deux dispositions, et non des moindres : l’article 66 de la Constitution du 4 octobre 1958 et l’article 8 de la Convention des droits de l’homme et du citoyen. De grâce, cessez cette comparaison sans raison avec l’hospitalisation d’office ! Cette pratique obéit à un régime juridique complètement différent et n’a rien à voir avec la rétention administrative. C’est encore une atteinte à nos principes généraux du droit que cette proposition baroque qui consisterait à créer un nouveau fichier des personnes radicalisées, dont on voit mal la finalité, la plus-value et surtout les contours, et dont les critères seraient parfaitement arbitraires. Les autres dispositions de ce texte visent spécifiquement et uniquement les personnes de nationalité étrangère, pour des infractions de droit commun, en aggravant les peines complémentaires d’interdiction du territoire français à l’encontre des étrangers déclarés coupables d’un crime ou d’un délit puni d’une peine d’au moins cinq ans d’emprisonnement, c’est-à-dire, dans la pratique, la plupart des délits. En demandant aux juges de motiver leur décision dans le cas où ils n’auraient pas recours à cette peine complémentaire, vous leur donneriez encore plus de travail. C’est une mesure populiste et discriminatoire puisqu’en ciblant spécifiquement les personnes étrangères, vous portez atteinte au principe d’égalité devant la loi.

Comme hier, avec la motion de rejet que le groupe Les Républicains avait déposée lors de la dernière lecture du texte relatif à la justice du vingt et unième siècle, nous perdons notre temps.

M. Jean Leonetti. Pas de mépris, madame !

M. Jean-Pierre Door. Un peu de respect !

Mme Colette Capdevielle. Nous perdons notre temps avec cette proposition de loi de circonstance, située sans hasard au cœur de votre primaire, le jour du premier débat télévisé, telle une petite répétition. Personne n’est dupe des raisons du choix d’inscrire ces deux textes à l’ordre du jour de notre assemblée.

M. Jean Leonetti. Respectez l’opposition !

Mme Colette Capdevielle. Vous n’avez même pas tenté de faire œuvre de création puisque la proposition de loi n’est qu’une mauvaise compilation des amendements rejetés lors de l’examen de différents textes. Malgré tous vos efforts, monsieur le rapporteur, votre rapport probatoire est totalement défaillant. J’attends toujours la démonstration de l’utilité et de l’efficacité de vos propositions dans la lutte contre le terrorisme.

M. Philippe Goujon. Mais bien sûr, tout va bien ! Attendons le prochain attentat !

Mme Colette Capdevielle. Certaines dispositions sont plus qu’inutiles : elles sont contre-productives. C’est le cas des fichiers, comme des spécialistes vous l’ont indiqué lors des auditions. Il est irresponsable de continuer à flatter les bas instincts et de faire campagne pour les primaires en bafouant les textes de loi qui gouvernent notre État de droit.

M. Élie Aboud. Caricature !

Mme Colette Capdevielle. M. Larrivé a fait référence à Moïse ; il doit sûrement préparer sa tenue de dimanche pour la Manif pour tous !

M. Philippe Goujon. Mais quel est le rapport ?

Mme Colette Capdevielle. Nous avons beaucoup et bien légiféré depuis 2012 : état d’urgence, renseignement, terrorisme… Nous avons aujourd’hui, ne vous en déplaise, un arsenal juridique abouti, tant pour la prévention que pour la répression.

M. Luc Belot. Eh oui !

Mme Colette Capdevielle. Nous avons même accepté vos amendements quand ils étaient recevables juridiquement et bien fondés. Nous disons la vérité à nos compatriotes. Nous ne faisons pas d’essais ou d’expérimentations sur un sujet aussi grave. Entre 2012 et 2017, nous avons créé 9 341 postes au sein des forces de l’ordre. C’est un texte inutile et dangereux, qui porte atteinte aux fondamentaux de notre État de droit ; nous ne le voterons pas. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Bompard.

M. Jacques Bompard. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, chers collègues, le terrorisme islamiste a frappé lourdement notre sol. Il a montré que nous vivions dans un monde qui exige réalisme et courage pour affronter ceux qui ne sont plus des adversaires, mais bien des ennemis. Devant ce genre de périls, l’union doit être de mise. Qu’est-ce que l’union ? Des rassemblements sans critique ? Non. Des aménités entre gens de pouvoir ? Certainement pas. L’union, c’est l’abandon des querelles de faction pour un retour au strict service de la France et de son peuple.

Mais l’abandon des querelles ne peut revenir au refus de nommer les choses. Oui, la première des libertés, c’est la sécurité et sans sécurité, il n’y a plus aucune liberté réelle. Oui, des failles béantes dans la prévention et la lutte contre le terrorisme sont apparues après que notre pays a été victime d’attentats commis au nom de l’islam. Oui, un gouvernement ne devrait pas pouvoir rester en place après avoir essuyé plusieurs échecs graves dans la défense de notre peuple. Oui, les politiques étrangères criminelles menées au nom de la France en Syrie et ailleurs au Proche-Orient sont une trahison non seulement de notre intérêt, mais aussi de la sécurité de notre peuple. Qui détruit la Libye par philosophes publicitaires interposés, qui se range aux côtés des rebelles islamistes syriens qui violent et décapitent au quotidien, qui calque sa politique sur celle des États du Golfe, n’a plus aucune légitimité à dicter la bonne conduite au peuple et au monde.

Une fois ces vérités énoncées, il faut en venir au précis du texte, dont il ressort beaucoup de bien. Je tiens à en féliciter M. Ciotti et ses collègues, qui ont rompu avec une part du politiquement correct pour avancer des réponses qui contredisent le prêt-à-penser. Ainsi je tiens à vous dire que les articles 8 à 11 sur les islamistes en prison me conviennent parfaitement. J’ai déposé par ailleurs une proposition de loi permettant le retour de la perpétuité réelle dans notre pays. Je reste ainsi dans le cadre de l’État de droit, mais je tiens à vous rappeler ma conviction : face à l’islamisme politique caractérisé par une intensité idéologique très importante et une violence extraordinaire, nous devrions traiter les islamistes comme de véritables hors la loi.

Je suis beaucoup plus circonspect sur l’article 12. Évidemment, votre réforme propose un progrès. Mais enfin, après Viry-Châtillon, après les scandales de la loi travail en plein état d’urgence, une tout autre considération devrait s’imposer. Nous devons maintenant inverser la relation que les forces de l’ordre entretiennent avec l’utilisation de leurs armements. Quand un terroriste ou un malfrat met la vie des forces de l’ordre en danger, ces dernières devraient avoir le devoir de faire usage de leur arme. Nous ne devrions plus accepter de voir, en Europe, des scènes semblables à Cologne où les policiers allemands durent laisser des femmes être violentées par des hordes sans les défendre efficacement.

Par ailleurs, les articles 4 et 5 ne me semblent pas aller assez loin. Comme mon ami Philippe de Villiers, je me demande si les cloches sonneront demain en France, et je crains qu’elles ne sonneront pas tant que la représentation nationale n’établira pas clairement qu’un étranger criminel doit être immédiatement expulsé du territoire, tant que nous ne mettrons pas fin à l’accueil des migrants et tant que nous n’inverserons pas les flux migratoires. Chers collègues, nous devons porter une politique de civilisation. Et les civilisations française et européenne font aujourd’hui face à des barbares qui, pour des milliers d’entre eux, furent élevés dans nos villes, avec nos impôts et la bienveillance du politiquement correct. Je ne veux pas que le Camp des saints dépasse le stade de la fiction. L’islamisme politique doit être chassé de France, et dans les plus brefs délais.

M. le président. La parole est à M. Jean Leonetti.

M. Jean Leonetti. Monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, monsieur le président, chers collègues, depuis deux ans, la France est frappée par les attentats terroristes les plus meurtriers de son histoire. En janvier 2015, les attaques de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher, le 13 novembre, l’attaque du Bataclan et des terrasses de l’est parisien, jusqu’au tragique attentat de Nice, le 14 juillet dernier, suivi de l’assassinat d’un prêtre dans l’église de Saint-Étienne-du-Rouvray, pour ne citer que les plus meurtriers. Ces attentats ont fait 243 morts depuis 2012, hommes, femmes et enfants, victimes innocentes frappées de manière aveugle par des fanatiques au nom d’un islamisme radical.

Dans ce contexte dramatique, le Gouvernement a proposé diverses mesures pour lutter plus efficacement contre le terrorisme, que nous avons toutes approuvées, dans un esprit d’unité nationale. De la même façon, lorsque le Gouvernement nous a demandé de voter l’état d’urgence et de le prolonger, nous avons été à vos côtés, apportant notre soutien à ce dispositif. Aujourd’hui, alors que la menace est persistante et – le Gouvernement en convient – d’un niveau très élevé, nous devons nous interroger ensemble : peut-on faire mieux, peut-on faire plus pour lutter contre le terrorisme ? Notre réponse est oui !

Certaines mesures concernent les moyens et ne sont pas d’ordre législatif. Il s’agit d’abord de redonner toute leur place aux services de renseignement territorial et d’augmenter les effectifs de la police et de la gendarmerie qui font face aujourd’hui à une augmentation considérable de leurs missions. Sur le plan législatif, nous avons fait plusieurs propositions que vous n’avez pas retenues ; elles sont pour l’essentiel reprises dans la proposition de loi d’Éric Ciotti et Guillaume Larrivé, que nous vous présentons ce matin. Plutôt que de les balayer d’un revers de main, nous devrions les discuter et avancer ensemble.

Je reste pour ma part persuadé que le suivi et le contrôle des individus radicalisés, identifiés comme étant menaçants pour la sécurité de l’État, doivent être renforcés dans le respect de l’État de droit. Pour cela, il est nécessaire de permettre non seulement la surveillance ou l’assignation à résidence de ces individus particulièrement dangereux, mais également une période de rétention administrative sous le contrôle du juge. La sécurité est la première des libertés, mais on ne peut envisager qu’en France, l’on puisse priver des suspects de liberté de manière prolongée sans l’intervention d’un juge garant des libertés individuelles. On ne peut pas défendre la présomption d’innocence et instaurer un dispositif qui s’en affranchirait. Par ailleurs, connaissant la porosité qui existe entre la délinquance de droit commun et le terrorisme, il est nécessaire de prendre des mesures fortes en milieu carcéral, renoncer à tout aménagement de peine et revenir sur la suppression de la double peine pour les délinquants étrangers.

Enfin, il est nécessaire de se pencher sur les possibilités qu’offre aujourd’hui le code pénal. Son article 411-4 dispose en effet que le « fait d’entretenir des intelligences avec une puissance étrangère, avec une entreprise ou une organisation étrangère ou sous contrôle étranger en vue de susciter des hostilités ou des actes d’agression contre la France est puni de trente ans de détention criminelle ». Vous nous expliquez régulièrement que le terrorisme ne rentre pas dans le champ de cet article, qui ne concerne que l’espionnage et la guerre classique. Mais sommes-nous, oui ou non, en état de guerre ? Et s’il y a un problème d’interprétation de cet article, pourquoi ne pas le modifier afin de faire rentrer le terrorisme dans son champ d’application ?

Par ailleurs, le fait de préparer des actes terroristes est sanctionné, par notre code pénal, de dix ans d’emprisonnement. On peut s’étonner alors qu’un terroriste, assassin de deux policiers, n’ait été préalablement condamné qu’à trois ans de prison – dont six mois avec sursis – pour association de malfaiteurs en vue de préparer des actes terroristes. Il faut que la justice prenne la mesure de la dangerosité de ces individus, autant dans le prononcé des peines que dans la possibilité de rétention de ces individus, pour les maintenir en détention à l’issue de leur peine lorsqu’ils restent dangereux.

La prison, on le sait, peut être un lieu de radicalisation : c’est pourquoi nous proposons un certain nombre de mesures qui pourraient aboutir, à terme, à la création à terme d’une véritable police carcérale dotée de moyens supplémentaires, tant au niveau de ses attributions, fixées par la loi, qu’au niveau de ses effectifs.

Enfin, la question de la légitime défense des policiers revient cruellement au premier plan de l’actualité, après l’attaque barbare de Viry-Châtillon, dont le but était de tuer des policiers. Il faut que la peur change de camp : pour cela, les représentants du peuple que nous sommes doivent donner à ceux qui nous défendent avec honneur et courage les moyens de se défendre eux-mêmes.

Vous le voyez, monsieur le garde des sceaux, nous ne vous proposons ni le bagne, ni la torture. Dans un esprit de rassemblement républicain, nous vous demandons seulement, mais fermement, de discuter et d’adopter ces mesures pour préserver la sécurité des Français, dans le respect de l’État de droit. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Yves Goasdoué.

M. Yves Goasdoué. L’impérieuse nécessité de lutter contre le terrorisme nous a conduits à étudier la proposition de loi qui nous est soumise avec la plus grande attention, et force est de constater que les dispositions qu’elle contient ne sont guère novatrices : tout ce catalogue a été mainte et mainte fois présenté devant cette assemblée.

Chacun voit bien quel arrière-plan politique vous a conduits à inscrire un tel texte à l’ordre du jour. Il s’agit de démontrer que tout n’a pas été fait – ce qui est sans doute vrai.

M. Jean Leonetti. Voilà ! Vous le reconnaissez vous-même !

M. Yves Goasdoué. Il s’agit surtout de démontrer qu’il faut plus de sévérité, de rigueur, de volonté, que sais-je encore !

Mais ce n’est en réalité qu’une posture : ce texte n’est qu’une compilation de dispositions qui, pour certaines, sont notoirement inconstitutionnelles, pour d’autres, existent déjà dans notre droit – ce que vous feignez d’ignorer – et pour d’autres encore sont séduisantes mais dangereuses.

M. Éric Ciotti. Vous reconnaissez qu’elles sont séduisantes : c’est déjà ça !

M. Yves Goasdoué. Je vais prendre quelques exemples. L’article premier de cette proposition de loi prévoit que le ministre de l’intérieur pourrait assigner à résidence, ou placer en rétention, un individu dont il y aurait lieu de penser qu’il constitue une menace grave pour la sécurité et l’ordre public. La mesure pourrait durer soixante-quinze jours renouvelables ; un juge des libertés et de la détention spécialisé interviendrait au bout de quinze jours. Outre que cette procédure mélange curieusement intervention du juge judiciaire et police administrative, elle est notoirement inconstitutionnelle : les rédacteurs de ce texte, qui sont de fins limiers – notamment M. le rapporteur –, le savent parfaitement. Chacun sait que la privation de liberté sans intervention d’un magistrat de l’ordre judiciaire, au-delà d’une durée de cinq jours, est contraire à l’article 66 de la Constitution.

L’avis du Conseil d’État du 17 décembre 2015 porte exactement sur l’objet de l’article premier de cette proposition de loi. Je le cite : « En dehors de toute procédure pénale, la détention de personnes présentant des risques de radicalisation est exclue sur le plan constitutionnel. » Et encore : « Sur le plan conventionnel, elle est également contraire à l’article 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et du citoyen. » Il vous faudrait donc, avant d’agir par la loi ordinaire, réviser la Constitution et dénoncer les engagements internationaux de la France.

Ce serait, mesdames et messieurs les députés, non seulement une faute, mais également une erreur opérationnelle, car chacun sait que nos services de renseignement sont eux-mêmes opposés à ces mesures administratives de prévention, car elles avertissent les filières du degré de surveillance auquel elles sont soumises et entravent, en réalité, leur démantèlement.

Une autre mesure de cette proposition de loi est censée durcir notre arsenal juridique : la rétention de sûreté pour personne condamnée pour crime terroriste. Bien entendu, il ne faut pas laisser les criminels terroristes sortir de prison, même après l’exécution de leur peine, s’ils restent dangereux : nous sommes tous d’accord sur ce point.

M. Jacques Myard. Que faut-il faire, alors ?

M. Yves Goasdoué. Mais les rédacteurs de ce texte savent très bien qu’une rétention de sûreté pour les criminels terroristes condamnés ne serait pas appliquée dans la pratique ; en effet la loi du 3 juin 2016 a institué une peine de sûreté de trente ans quand la perpétuité est encourue, et la perpétuité réelle quand elle est prononcée. Cela n’a donc pas de sens !

M. Jean Leonetti. Tous les terroristes ne sont pas condamnés à perpétuité !

M. Yves Goasdoué. Aucun individu condamné pour crime terroriste ne sortira de prison : ce n’est pas la peine d’essayer de faire croire que c’est possible.

J’en viens à la mesure que j’ai qualifiée, tout à l’heure, de séduisante mais dangereuse. Avant de la décrire, je veux rendre hommage à la policière et au jeune adjoint de sécurité qui ont été lâchement agressés à Viry-Châtillon. Cette fausse bonne idée consisterait à aligner la doctrine d’emploi du feu des policiers sur celle des gendarmes. Le code de la défense prévoit, au-delà des situations de légitime défense et des cas de périple meurtrier – régime que nous avons institué il y a peu –, quatre cas d’ouverture du feu en situation d’absolue nécessité. Aucun de ces cas n’est praticable ni pratiqué, car ils contreviennent à la notion même de légitime défense, telle que la Cour de cassation l’entend.

En qualité de rapporteur pour avis de la commission des lois sur les crédits de la mission « Sécurité », laquelle inclut la police et la gendarmerie, j’auditionne depuis des semaines des policiers et des gendarmes. Je les interroge systématiquement sur ce point : les gendarmes me disent que le texte est obsolète, dangereux, source d’une grande insécurité juridique, qu’il est inapplicable et donc inappliqué ; les policiers, quant à eux, n’en veulent en aucun cas.

Plusieurs députés du groupe Les Républicains. Nous avons parlé à des policiers d’un avis bien différent des vôtres !

Mme Elisabeth Pochon. Non, ils n’en veulent pas !

M. Yves Goasdoué. C’est donc une fausse bonne idée, qu’il faut vite écarter. Tout cela n’épuise pas, j’en conviens, le débat sur la légitime défense, et plus précisément sur la manière d’en apporter la preuve, mais en toute hypothèse, cette proposition est plus dangereuse qu’efficace. Pour toutes ces raisons, je voterai la motion de rejet préalable. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Pascal Popelin.

M. Pascal Popelin. Le combat contre le terrorisme et pour la préservation des intérêts supérieurs de notre Nation est un enjeu pour lequel toutes les énergies et toutes les bonnes volontés méritent d’être mobilisées, singulièrement face à la menace élevée qui pèse sur la France. Cela nous oblige à faire preuve d’écoute, d’ouverture et de respect. C’est dans cet esprit que j’ai abordé le contenu de la proposition de loi dont vous êtes l’auteur, monsieur Ciotti, avec quelques-uns de vos collègues du groupe Les républicains.

Je l’ai aussi abordé, vous le comprendrez, avec le regard particulier de celui qui a contribué à la construction législative de la quasi-totalité des textes relatifs à la sécurité des Français depuis le début de cette législature, dont quelques-uns en tant que rapporteur. Je crois donc pouvoir témoigner ici de la détermination du Gouvernement et de la majorité à trouver des voies de concordance entre nous sur ces questions : quand c’est possible, c’est à la fois utile et nécessaire.

Cette volonté de rassemblement nous a conduits à intégrer dans la loi, à chaque fois que nous l’avons estimé possible, des mesures proposées par l’opposition, parce qu’elles nous paraissaient fondées, applicables et respectueuses des principes fondamentaux de notre droit. Nourri de cette expérience, animé par le souci la sincérité et de l’honnêteté intellectuelle, la lecture de votre texte ne m’inspire malheureusement que des regrets.

Je regrette, tout d’abord, que votre discours remette sans cesse en question la volonté de notre majorité d’avancer avec vous, ensemble, sur ces questions, guidés par un même esprit de responsabilité et de vérité. Voilà pourquoi, compte tenu de ce que nous avons fait depuis 2012, il m’est insupportable de vous entendre, monsieur Ciotti, oser qualifier notre action de laxiste.

Je regrette, ensuite, que votre proposition ne soit qu’un recyclage de fausses solutions qui ne résistent pour la plupart ni à l’analyse juridique, ni à la réalité opérationnelle, ce dont nous avons déjà maintes fois débattu. Cela vous a été rappelé, par des exemples concrets, lors de cette discussion générale.

Nous ne nous étions pas concertés, et Colette Capdvielle l’a déjà dit : Errare humanum est, perseverare diabolicum ! Et ce n’est pas l’abus de titres et de sous-titres tout à la fois vendeurs, mais aussi à fort potentiel de crispation, qui contribuera à rassurer nos compatriotes, et apportera l’apaisement dont j’estime que notre société a le plus grand besoin après les drames qu’elle a vécus.

Je regrette, encore, que votre perpétuelle volonté de vous distinguer, votre perpétuelle recherche de visibilité sur ces sujets d’importance, vous pousse sans cesse à une improbable surenchère, dont vous ne semblez pas mesurer qu’elle ne profite même pas à la droite républicaine, mais qu’elle sert des intérêts dangereux pour la pérennité de notre démocratie.

Malheureusement, votre texte s’inscrit pleinement dans la tradition de ces lois d’affichage, dont l’habillage est plus soigné que la qualité juridique de leur contenu. Les mesures que vous proposez ont pour ambition de faire appel à ce fameux « bon sens », que vous vous plaisez à qualifier de populaire – sans doute pour faire oublier que l’histoire de votre famille politique ne s’inscrit pas dans la tradition populaire – mais elles sont en réalité soit inapplicables, soit inopérantes, soit contraires aux principes protecteurs consacrés par notre constitution.

J’ai bien compris que vous n’accordiez plus crédit aux arguments de droit. Certains, au sein de votre famille politique, se disent même prêts à balayer d’un revers de main l’héritage de deux siècles de construction démocratique. Je considère, pour ma part, que cela reviendrait en fait à tomber dans le piège que nous tendent nos agresseurs, qui n’aiment ni la démocratie, ni la liberté.

Vous ne semblez pas davantage sensibles à l’expertise des professionnels de terrain qui sont aux avant-postes dans la lutte contre la nébuleuse terroriste, au premier rang desquels les magistrats et les représentants de l’ordre. Je n’en ai pas trouvé beaucoup pour juger votre assemblage utile à leur pratique quotidienne. J’en ai entendu quelques-uns, en revanche, dont la parole publique est pourtant toujours neutre et mesurée, en souligner les limites et les dangers.

Parce que notre pays est exposé à une menace terroriste élevée, parce que notre démocratie est attaquée, parce que certains de nos compatriotes doutent d’elle, comme ils doutent depuis bien longtemps de leurs élus quels qu’ils soient, j’aurais aimé que cesse le temps de la caricature dans le débat public,…

M. Philippe Goujon. Commencez donc par respecter cet axiome vous-même !

M. Pascal Popelin. …au moins pour cette question si importante : la sécurité des Français. Pour ne pas céder à ce penchant qui ronge notre démocratie, voter la motion de rejet proposée par le groupe socialiste, écologiste et républicain, que Sébastien Pietrasanta défendra dans quelques instants, me semble un devoir. C’est, en conscience, ce que je ferai. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à M. le rapporteur, pour répondre aux orateurs qui se sont exprimés.

M. Éric Ciotti, rapporteur. Tout d’abord, je répondrai à certains propos concernant l’organisation de cette journée. Certains orateurs l’ont faite correspondre avec le calendrier électoral. Je tiens à rappeler qu’ainsi que l’a décidé la Conférence des présidents, cette séance d’initiative parlementaire est réservée au groupe Les Républicains depuis le printemps dernier. Si nous avons choisi de défendre, au cours de cette journée, ce projet de loi, c’est qu’il nous paraît essentiel.

Les orateurs de la majorité ont employé des arguments marqués soit par l’arrogance, soit par le fatalisme.

M. Philippe Goujon. Le sectarisme aussi !

M. Éric Ciotti, rapporteur. Les propos arrogants, animés par une forme d’idéologie, tels ceux de Mme Capdevielle, ne méritent pas qu’on s’y attarde : nous y sommes habitués. Ils n’ont que peu d’importance, et seront de toute manière bientôt sanctionnés par les Français.

M. Éric Ciotti, rapporteur. En revanche, sur les arguments de fond que certains ont exposés, notamment s’agissant de l’État de droit, je veux dire ici une nouvelle fois qu’il n’y a pas d’un côté de l’hémicycle ceux qui prétendent le défendre et, de l’autre, ceux qui y seraient hostiles. Nous sommes tout autant que vous, mes chers collègues, attachés au respect de l’État de droit.

Mme Elisabeth Pochon. Ce n’est pas ce qu’on a entendu !

M. Éric Ciotti, rapporteur. Les dispositions que nous proposons s’inscrivent totalement dans l’État de droit. Croire le contraire, c’est penser que notre droit est figé, immobile, ignorer ce qui s’est passé depuis le 7 janvier 2015 dans notre pays, ignorer que 240 de nos concitoyens sont morts.

J’ai souvent entendu revendiquer un bilan qui serait parfait. Mais regardons les conséquences de la situation actuelle,…

Mme Elisabeth Pochon. Vous !

M. Éric Ciotti, rapporteur. … faisons-le de chaque côté de cet hémicycle avec beaucoup d’humilité. Si vous considérez que vous avez tout fait, tout réussi, je ne crois pas que c’est ce que pensent les Français. Nous disons pour notre part que face à cette impuissance et à ce fatalisme, nous pouvons modifier nos règles de droit pour les adapter dans un moment exceptionnel à des circonstances exceptionnelles – l’arrêt Dames Dol et Laurent a été rappelé –, dans une situation de guerre – ce n’est pas nous qui l’avons dit, mais le Président de la République –, aller plus loin pour mieux protéger les Français. Et mieux protéger les Français, c’est garantir la protection de nos libertés fondamentales, au premier rang desquelles figure la sécurité – j’ai rappelé comment.

Je voudrais dire aussi, puisque vous avez caricaturé très souvent nos propos, notamment s’agissant de la mise en place de la rétention administrative, que celle-ci doit pouvoir s’appliquer. Notre proposition de loi prévoit que cet outil soit mis à la disposition du ministre de l’intérieur dans des moments exceptionnels, en cas par exemple de menaces d’attentats multiples, à l’encontre de personnes dont les services et le ministre de l’intérieur connaissent la dangerosité. Il ne s’agirait pas de 15 000 personnes, celles inscrites au fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste, le FSPRT : il s’agit de viser les personnes les plus dangereuses, celles qui sont suivies notamment par la DGSI, soit environ 2 000 personnes, ce chiffre devant évidemment être adapté aux circonstances. Dans des moments d’extrême dangerosité, il faut avoir la possibilité d’agir massivement de façon préventive pour éviter que certains ne passent à l’acte. C’est ce principe de précaution qui nous guide. Comment peut-on justifier aujourd’hui devant les Français que l’on connaisse la dangerosité de certains individus, qu’ils risquent de passer à l’acte, mais que nous n’agissions pas ? Nos concitoyens ne pourront jamais comprendre les arguments que vous nous opposez pour justifier une telle inaction. Il faut changer de cadre, et le faire en toute responsabilité. Je suis convaincu, mes chers collègues de la majorité, que vous y viendrez. Vous avez déjà tellement évolué, que ce soit sur la déchéance de la nationalité, sur nombre de domaines à notre initiative – je pense au renseignement pénitentiaire, même si, j’en conviens, l’actuel garde des sceaux l’a toujours soutenu contre l’avis de Mme Taubira.

M. Jacques Myard. Ah oui ! C’est vrai !

M. Éric Ciotti, rapporteur. Vous y êtes venus en adoptant l’amendement que nous avons défendu sur le renseignement pénitentiaire. Il en va de même pour la pénalisation de la consultation des sites qui font l’apologie du terrorisme, que nous vous réclamions depuis 2012, et sur nombre d’autres sujets. Je pense en particulier au délit d’entrave, mais aussi à l’allongement de l’assignation à résidence, à la perpétuité réelle, à la suppression des aménagements de peine, aux contrôles d’identité et aux fouilles de véhicules pendant l’état d’urgence. Autant de dispositions auxquelles vous étiez farouchement opposés…

M. Meyer Habib. Absolument !

M. Éric Ciotti, rapporteur. … et que vous avez fini, sous la pression tragique des événements, par accepter. Mais il faut agir avant que les attentats n’aient lieu, et pas uniquement après, sous la pression de l’émotion. Voilà ce qui nous différencie…

M. Meyer Habib. Exactement !

M. Éric Ciotti, rapporteur. … et ce qui guide cette proposition de loi.

Autre élément de réponse, plus technique, sur le fichier que nous voulons créer à l’article 2. Vous nous dites qu’il n’aurait aucune utilité, mais ce n’est pas l’avis du procureur Molins qui, en audition, y a vu une utilité très importante puisque aujourd’hui, les individus fichés « S » au sein du FPR – le fichier des personnes recherchées – recouvrent des cas extrêmement disparates. Il y a en effet dans ce fichier des mineurs qui ont contesté la minute de silence en hommage aux victimes des attentats du 7 janvier comme des personnes qui ont décapité, des vidéos en font foi, en Irak ou en Syrie. Les profils sont différents et le traitement doit être différencié. C’est pourquoi notre texte propose de mettre en place ce fichier pour les individus qui présentent un risque grave de trouble à l’ordre public, et c’est grâce à un tel dispositif que pourraient être activées des rétentions administratives dans des circonstances extrêmement graves et en cas de menaces extrêmement graves contre l’ordre public.

De même, s’agissant de la rétention de sûreté, comment pouvez-vous légitimement dire que cette mesure serait contraire à nos principes constitutionnels ou aux traités que la France a ratifiés ? Le Conseil constitutionnel l’a déjà validée pour les criminels sexuels, et nous demandons qu’il en soit également ainsi pour les criminels terroristes. Comment concevoir que des individus sortent de prison sans suivi ni contrôle alors qu’on sait qu’ils ne sont pas déradicalisés et qu’ils constituent une menace majeure pour nos concitoyens ? Il y en a aujourd’hui, selon le chiffre même du garde des sceaux qui a été cité ici, plus de 1 400.

Nous vous invitons à évoluer, chers collègues de la majorité. Nous prenons date aujourd’hui. Nous avons toujours été dans l’unité nationale contre le terrorisme, votant systématiquement les neuf textes qui nous ont été proposés depuis 2012, chaque fois au fil de l’évolution tragique du terrorisme en France. Nous avons répondu à la nécessité de l’unité nationale. Mais vous, vous commettez une erreur et même une faute en refusant d’écouter aujourd’hui l’opposition. Nous, nous voulons mieux protéger les Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. Jacques Myard. C’est du grand Ciotti !

Motion de rejet préalable

M. le président. J’ai reçu de M. Bruno Le Roux et des membres du groupe socialiste, écologiste et républicain une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 10, du règlement.

La parole est à M. Sébastien Pietrasanta.

M. Jacques Myard. En matière d’inutilité !…

M. Sébastien Pietrasanta. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, j’ai l’honneur de défendre devant vous, au nom du groupe socialiste, écologiste et républicain, cette motion de rejet préalable. Beaucoup a déjà été dit lors de la discussion générale. Certes, nous partageons tous le même objectif : lutter efficacement contre le terrorisme. Cette motion de procédure n’est donc pas un refus systématique de principe de tout ce que l’opposition peut proposer en ce domaine. Nous avons ainsi, par le passé, régulièrement intégré dans nos lois antiterroristes des amendements que vous avez soutenus, et non pas sous la pression, monsieur le rapporteur, mais par volonté d’unité nationale, avec une seule ligne de conduite : s’inscrire dans la logique de l’État de droit.

Mais si nous défendons aujourd’hui une motion de rejet préalable, c’est parce que nous considérons que votre proposition de loi ne respecte pas la Constitution ni la Convention européenne des droits de l’homme. Par ailleurs, elle ne serait pas opérante ; elle serait même parfois contre-productive. Ce n’est d’ailleurs pas seulement notre groupe qui le pense, mais aussi de nombreux collègues de votre propre famille politique – je l’ai rappelé tout à l’heure. C’est aussi ce que vous a dit le procureur de la République de Paris, les yeux dans les yeux, lors de son audition.

Cette double incompatibilité avec la Convention européenne des droits de l’homme et avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel est manifeste dès l’article 1er. Vous le savez parfaitement, car nous en avons déjà débattu lors de l’examen du dernier texte prorogeant l’état d’urgence à l’occasion de l’un de vos amendements. Vous le savez d’autant plus que le procureur de la République de Paris vous a expressément rappelé, lors de son audition, que nous ne pouvons pas assigner à résidence, placer sous surveillance mobile, voire en rétention, un individu en dehors de toute commission d’infraction. Le Conseil constitutionnel considère en effet que la rétention administrative est une mesure privative de liberté, et qu’au-delà de cinq jours, seul le juge judiciaire peut l’autoriser. De plus, le Conseil d’État a rappelé, dans son avis du 17 décembre 2015, qu’il n’est pas possible d’autoriser par la loi la rétention des personnes radicalisées qui n’ont pas fait l’objet au préalable d’une condamnation pour des faits de terrorisme. Les dispositions de l’article 1er sont également contraires à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, relatif au droit au respect de la vie privée et familiale.

Un député du groupe Les Républicains. Cet article ne porte pas sur le terrorisme !

M. Sébastien Pietrasanta. Je vous rappelle, mes chers collègues, le scepticisme et l’hostilité à ce genre de mesure des experts, des magistrats et des policiers que nous avons auditionnés inlassablement lors de nos différents travaux : selon eux, prévenir des individus qu’ils sont surveillés et qu’ils vont être placés en centre de rétention pourrait empêcher de mener à leur terme certaines enquêtes sensibles et de démanteler des réseaux. Comme je vous l’ai dit et répété en discussion générale, regrouper en un même lieu des individus considérés comme dangereux revient à les faire vivre en réseau, puisqu’ils se parleront et s’organiseront avant de sortir de ces centres. Comment ne pas voir que leur dangerosité en sera aggravée ? Je note d’ailleurs que vous n’avez pas apporté de réponse à ma question : que ferions-nous des individus internés car considérés comme dangereux au bout des 150 jours d’assignation ?

Dans votre proposition de loi, d’autres mesures nous interpellent tant elles apparaissent totalement injustifiées et contre-productives au regard des finalités et des objectifs poursuivis.

Concernant l’incrimination du séjour ou de l’intention de séjourner sur un théâtre d’opérations terroristes prévue par l’article 10, cette disposition, proposée à maintes reprises depuis 2014, a toujours été rejetée par le Parlement. Là encore, le procureur de la République de Paris a été très clair : l’association de malfaiteurs en vue d’une entreprise terroriste est suffisamment large pour incriminer tous ceux qui reviennent de Syrie ou d’Irak. On le voit bien : nombre de vos propositions seraient inefficaces et contre-productives. D’autres sont inutiles, étant déjà satisfaites par notre dispositif actuel de lutte contre le terrorisme. Il en va ainsi, à l’article 3, de la peine obligatoire d’interdiction du territoire français pour les étrangers condamnés pour une infraction passible d’au moins cinq ans de prison, sauf décision spécialement motivée du tribunal, puisque cette peine complémentaire d’interdiction du territoire français a déjà été introduite par la loi du 21 juillet 2016 à l’article 422-4 et est prononcée par le juge à chaque fois qu’il l’estime nécessaire. Il n’est donc aucunement indispensable de la rendre automatique. Près de 2 000 interdictions du territoire français sont émises chaque année par les tribunaux, dont près de 500, rien qu’en 2016, à titre définitif.

S’agissant des peines plancher, nous en avons déjà débattu dans cet hémicycle en 2014. Nos discussions ont abouti à leur suppression, inscrite dans la loi du 15 août de la même année, au motif qu’elles portaient une atteinte injustifiée au principe républicain d’individualisation des peines. Elles procédaient en réalité d’une défiance infondée et démagogique envers les juges, pour qui nous avons un profond respect, et n’étaient d’aucun effet pour lutter contre la récidive ou la violence.

D’autres mesures que vous soumettez à l’approbation de notre Assemblée sont tout aussi vaines. Je citerai d’abord celle qui permettrait l’expulsion des étrangers menaçant l’ordre public faisant l’objet d’une fiche « S », ou encore l’inscription à votre nouveau fichier des personnes radicalisées. La loi prévoit déjà de telles expulsions, et les exceptions ont été restreintes par la loi du 7 mars 2016. Il n’y a donc plus de raison de légiférer en cette matière, d’autant que le Gouvernement n’hésite pas à y recourir. Depuis 2012, cela a été rappelé hier lors de la séance des questions au Gouvernement, quatre-vingt-six mesures d’expulsion ont été prononcées à l’encontre d’étrangers radicalisés, dont seize depuis le début de cette année.

Vous voulez également étendre l’expulsion aux étrangers coupables d’un délit ou d’un crime passible de cinq ans de prison minimum. Là encore, c’est déjà prévu dans notre législation pour tout étranger dès lors qu’il constitue une menace grave à l’ordre public, et il n’est nul besoin d’une condamnation pénale préalable. Une autre mesure inutile figure à l’article 9, à savoir la fouille des détenus condamnés pour terrorisme et des prosélytes en prison, sans qu’il soit besoin de la motiver ou d’en faire un rapport spécial auprès du parquet ou de l’administration centrale. Mes chers collègues, nul n’a oublié que cette mesure, votée récemment, est déjà en application : c’est la loi du 3 juin 2016, qui permet le recours à des mesures de fouilles non individualisées en cas de suspicion d’introduction d’objets ou de substances interdits en détention ou constituant une menace pour la sécurité des personnes ou des biens.

En outre, vous le savez, la jurisprudence du Conseil d’État permet des fouilles individualisées systématiques pour des personnes détenues, notamment pour des faits de terrorisme. Cette même loi offre la possibilité d’isoler les personnes qui portent atteinte au bon ordre de l’établissement pénitentiaire, ce qui rend également inutile votre article 10.

J’en viens à l’application de la rétention et de la surveillance de sûreté aux personnes condamnées pour terrorisme à une peine de quinze ans ou plus, proposée à l’article 6. Ce dispositif, créé dans une logique de soins, a été introduit par la loi du 25 février 2008. Il consiste dans le placement de la personne dont la dangerosité est jugée importante « en centre socio-médico-judiciaire de sûreté dans lequel il lui est proposé, de façon permanente, une prise en charge médicale, sociale et psychologique destinée à permettre la fin de cette mesure ».

Or, dans le cadre de la discussion du projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale, qui a abouti à la loi du 3 juin 2016, un amendement de Guillaume Larrivé a permis d’empêcher qu’une telle situation ne se présente. Les terroristes ne sortiront pas de prison, puisque l’Assemblée a porté la peine de sûreté à trente ans et a instauré la perpétuité réelle à l’article 421-7 du code pénal.

Contre-productive, inutile et inconstitutionnelle, cette proposition de loi n’est pas à la hauteur des enjeux. Nous ne cédons pas à la terreur. Nous la combattons avec nos armes, celles de la République, le respect du droit et de la loi. Nous avons le devoir de construire une législation respectueuse de nos valeurs, au bénéfice de notre peuple et de tous ceux que nous accueillons en France.

En conséquence, mes chers collègues, je vous invite à soutenir cette motion de rejet préalable, qui traduit notre opposition formelle à une telle proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. Jacques Myard. Ah ça, non, alors !

M. le président. Sur le vote de la motion de rejet préalable, je suis saisi par le groupe Les Républicains d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Éric Ciotti, rapporteur. Je m’oppose naturellement au vote de cette motion de rejet préalable. Au contraire, nous devons débattre des douze articles, qui sont autant de points essentiels pour améliorer notre arsenal de lutte contre le terrorisme. Les arguments que vous avez soulevés, monsieur Pietrasanta, méritent naturellement d’être débattus. Vous convoquez le Conseil constitutionnel à chaque argument. Mais pour qu’il se prononce, encore faut-il qu’il soit saisi. Vous ne pouvez préjuger de la décision qui serait la sienne dans le cadre des circonstances exceptionnelles que nous vivons.

C’est pourquoi je vous invite à débattre de ce texte, argument contre argument. La proposition comporte des mesures essentielles. La rétention de sûreté à la sortie de détention, la rétention administrative pour prévenir le passage à l’acte, le traitement de la situation pénitentiaire, extrêmement préoccupante, ou l’expulsion des délinquants étrangers, sont autant de points que vous refusez d’évoquer. Nous voulons avancer, concrètement, pour mieux protéger les Français, pour garantir leurs libertés, et non pas pour leur porter atteinte. Notre texte vise à défendre les libertés des Français ; il ne vise pas à protéger les droits des terroristes. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Les Républicains.)

M. Jacques Myard. Bravo !

M. le président. Dans les explications de vote sur la motion de rejet préalable, la parole est à M. Georges Fenech, pour le groupe Les Républicains.

M. Georges Fenech. Je ne reviendrai pas sur les explications de vote, car notre rapporteur les a déjà fournies. Je salue à cet égard le travail d’Éric Ciotti et de Guillaume Larrivé.

Monsieur le ministre, je ressens une profonde émotion au moment où je m’adresse à vous, garde des Sceaux, sous le contrôle d’une ancienne garde des Sceaux, Mme Lebranchu, que je salue. Un livre sort aujourd’hui,…

M. Bernard Accoyer. Il y en avait déjà un hier !

M. Georges Fenech. …intitulé Un président ne devrait pas dire ça

Il y a eu le mur des cons ; il y a aujourd’hui le mur des lâches : le Président de la République a taxé l’institution judiciaire de lâcheté, accusé les magistrats de se planquer, de jouer les vertueux. Il a ajouté que la justice n’aimait pas la politique.

Mme Elisabeth Pochon. Ce n’est pas le sujet !

M. Georges Fenech. C’est un véritable scandale ! À tel point que, fait sans précédent, le Président de la République a reçu hier le premier Président de la Cour de cassation et le procureur général.

M. Dominique Baert. Ils n’ont rien à dire !

M. Georges Fenech. Il semblerait, monsieur le ministre, que vous ayez assisté à cette réunion. Il semblerait également que le Président de la République n’ait pas renié ses propos. En mon ancienne qualité de magistrat, je ressens une offense terrible. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.) Et la gronde monte. Il y a là une atteinte insupportable à l’indépendance de la justice et à sa dignité.

M. Pascal Popelin. Ah !

M. Georges Fenech. Monsieur le ministre, vous ne pouvez pas, aujourd’hui sur ce banc, rester silencieux. Je vous demande donc, en tant que garde des Sceaux, d’intervenir et de jouer votre rôle, celui de protecteur des magistrats. (« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Paul Giacobbi, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Paul Giacobbi. Ce débat est important ; il est même fondamental. Nous ne pouvons pas balayer d’un revers de main les arguments qui nous sont présentés,…

M. Jacques Myard. C’est vrai ! En Corse, on sait ça !

M. Paul Giacobbi. …en disant par exemple qu’une grande partie des mesures ici proposées figurent déjà dans le droit positif et que l’autre violerait les principes généraux de notre droit. D’abord, parce que la réalité est beaucoup plus complexe. L’analyse juridique n’est pas aussi caricaturale. Ensuite, parce qu’il existe déjà dans notre droit de nombreuses mesures qui pourraient s’assimiler à celles proposées. Par conséquent, l’argument mérite bien sûr d’être soulevé, mais il ne saurait suffire à aller jusqu’au bout.

Nous sommes tous choqués par le terrorisme. Nous sommes tous tentés par des mesures d’urgence, d’exception, de gravité, qui, nécessité faisant loi, contreviendraient aux principes généraux dont nous avons tendance à nous exonérer en pareilles circonstances.

Je pose deux questions simples. Premièrement, la violation des principes généraux du droit par les États démocratiques, en raison de la guerre ou du terrorisme, a-t-elle eu la moindre efficacité ? Les États-Unis d’Amérique, en particulier, bien que très attachés à ces principes, les ont violés, à deux reprises au moins, de manière forte, systématique.

La réponse est non. À part jeter un peu d’opprobre sur des comportements scandaleux, l’internement, durant la seconde guerre mondiale, des citoyens américains d’origine japonaise n’a pas changé quoi que ce soit au sort de la guerre.

M. Jacques Myard. On n’en sait rien !

M. Paul Giacobbi. Deuxièmement, Guantánamo a-t-il servi à quelque chose dans la lutte contre le terrorisme ? À rien ! Au ridicule ! Pas un seul acte à Guantánamo n’a permis d’œuvrer à la prévention du terrorisme. Vous pouvez regarder dans le détail, mes chers collègues, lire les arrêts de la Cour suprême des États-Unis : cela n’a servi à rien.

Mais le plus grave, c’est que les penseurs du terrorisme appellent de leurs vœux ces mesures excessives, injustes, prises par les nations victimes. La meilleure des analyses du terrorisme, celle du lieutenant-colonel Galula, Français installé aux Etats-Unis, démontre très clairement que les terroristes veulent que ce type de mesures soient prises, car elles font perdre aux nations qui les prennent leurs valeurs et leur sens commun. Finalement, elles renforcent le terrorisme.

Pour l’ensemble de ces raisons, qui ne sont pas exactement celles qui sont toujours soulevées, le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste votera la motion de rejet. (Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Erwann Binet.

M. Erwann Binet. Monsieur Fenech, l’humiliation qu’a subie la justice, c’est vous qui l’avez infligée, en la contraignant à mettre un genou à terre. Nous n’avons de cesse, depuis 2012, de lui faire relever la tête. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain. – Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Jacques Myard. Mais non !

M. Erwann Binet. Avoir des valeurs, monsieur Ciotti, ce n’est pas être faible. Être attaché à l’État de droit, ce n’est pas être « résigné », un mot que vous avez souvent employé. Comme l’ont rappelé le garde des Sceaux et Sébastien Pietrasanta, l’arsenal juridique antiterroriste est extrêmement important : il permet de surveiller, de contrôler, d’expulser, de protéger, de prévenir, bien sûr, de punir, naturellement.

Vous nous proposez l’arbitraire, l’État d’exception, l’État de police, et vous n’apportez aucune réponse aux nombreux effets indésirables et limites qui ont été décrits, notamment par notre collègue Pietrasanta. La tentation de renoncer à nos principes – M. Larrivé nous propose même de renégocier les droits de l’homme – est une faiblesse.

L’État de droit, les droits de l’homme, la démocratie ne nous encombrent pas : ils nous protègent, ils nous renforcent. C’est vrai, les terroristes ont touché durement, violemment, amèrement la France et les Français. Ne leur permettez pas de toucher nos principes !

Le groupe socialiste, écologiste et républicain votera évidemment cette motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. le président. Je mets aux voix la motion de rejet préalable.

(Il est procédé au scrutin.)

Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants120
Nombre de suffrages exprimés120
Majorité absolue61
Pour l’adoption72
contre48

(La motion de rejet préalable est adoptée.)

M. le président. En conséquence, la proposition de loi est rejetée.

La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le député Georges Fenech m’ayant interpellé sur un sujet qui n’a pas directement à voir avec la proposition de loi ici débattue, je souhaite lui répondre, tant par correction que parce que le Gouvernement est à la disposition du Parlement.

Monsieur le député, vous connaissez comme moi l’article 64 de la Constitution, qui fait du Président de la République le garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire. Donnez-moi un mot public que le Président de la République aurait prononcé depuis 2012 pour ne serait-ce que faire un commentaire sur une décision de justice !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Bien sûr !

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Vous n’en trouverez pas : pas un mot, encore moins une insulte ; pas un acte ; pas une demande d’intervention pour interférer dans une procédure (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains – Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.) ; pas un jugement sur tel ou tel magistrat porté publiquement à l’occasion d’une émission télévisée.

M. Christian Jacob. C’est vrai, il n’insulte pas, il traite de lâche !

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. En tant que garde des Sceaux, monsieur le député, je ne me suis jamais proclamé chef des procureurs, contrairement à l’une de mes prédécesseurs.

Cette majorité a fait l’inverse : elle a voté des lois, notamment celle de 2013, qui interdit au garde des Sceaux de donner des instructions individuelles pour respecter la magistrature (Mêmes mouvements.).

Cette majorité, monsieur le député, vous a proposé de voter l’indépendance de l’autorité judiciaire par la modification du Conseil supérieur de la magistrature. Et c’est vous, monsieur le député, qui avez refusé de la voter (Mêmes mouvements.).

Cette majorité a donné des budgets pour permettre aux magistrats d’agir dans l’intérêt de la chose publique. Et, monsieur le député, vendredi dernier, pour la première fois depuis 1958, le Président de la République s’est exprimé lors du congrès de l’Union syndicale des magistrats, à l’invitation de sa présidente.

Jamais un président de la République n’avait été invité dans une telle structure, parce que jamais un président de la République dans l’exercice de sa fonction n’avait autant respecté l’indépendance de l’autorité judiciaire.

M. Pierre Lequiller. « Lâche », c’est quoi « lâche » ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Ce que vous avez dit, monsieur le député, n’est pas corroboré par les faits. Vos propos ne sont corroborés ni par les actes du Président de la République, ni par les lois votées par cette majorité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à onze heures quarante-cinq, est reprise à onze heures cinquante-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

2

Prédication subversive

Discussion d’une proposition de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet pénalisant la prédication subversive (nos 4016, 4079).

Présentation

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que j’ai l’honneur de vous présenter part d’un constat simple : la réponse sécuritaire au terrorisme est nécessaire, mais elle n’est pas suffisante. Le terrorisme prospère sur le terreau de la radicalité politico-religieuse. Il est d’abord un terrorisme de la pensée, qui nous menace tous et dont les musulmans sont les premières cibles. Nous n’avons pas suffisamment engagé la lutte contre l’idéologie salafiste radicale. Nous ne pouvons pas continuer à combattre les méfaits de cette radicalité sans en combattre les causes. La radicalité politico-religieuse est prêchée, enseignée et diffusée par des prédicateurs promouvant un système de pensée basé sur l’exclusion et même l’excommunication de l’autre dont découle la ségrégation identitaire et communautaire, ce qui est contraire aux valeurs de notre République et incompatible avec le vivre ensemble.

La ségrégation identitaire prédispose au basculement dans la violence physique. Ces comportements insidieux se situent en amont du processus de radicalisation extrême qui peut mener jusqu’au terrorisme. Le plus gravement emblématique de cet endoctrinement est l’encouragement à ne pas fréquenter les « mécréants », mais je pourrais aussi mentionner les prosélytes qui sévissent dans certaines associations de cours d’arabe ou les propos prônant la soumission de la femme qui sont tenus dans certains Salons de la femme musulmane.

Au cours de l’examen du texte en commission des lois, puis lors des questions au Gouvernement en séance publique, Pascal Popelin et le ministre de la justice ont argué que ces comportements sont déjà sanctionnés par le droit en vigueur, d’une part, et que cette proposition de loi méconnaîtrait l’exigence de précision de la loi pénale ainsi que la liberté d’expression et de conscience, d’autre part.

Pourtant, les débats en commission ont démontré que nous partagions tous ce diagnostic. Ainsi, notre collègue Popelin a évoqué « le rôle tristement significatif des prêcheurs de haine, en matière d’endoctrinement au service d’une idéologie qui érige les pires abjections en méthode et incite au passage à l’acte ». Ils ont également montré que nous adhérions tous – et je cite à nouveau notre collègue – à « l’objectif consistant à mieux lutter contre toutes les formes de discours qui portent les germes d’une atteinte grave à l’ordre public, dans le respect […] des libertés fondamentales ». Je regrette donc vivement que la majorité socialiste ait refusé de travailler avec nous à l’élaboration d’un dispositif susceptible de donner suite à ce diagnostic et d’atteindre cet objectif pourtant partagés.

M. Jean-Pierre Decool. Très bien !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, rapporteure. Le droit positif permet-il de réprimer les prédications salafistes, comme l’ont affirmé certains orateurs lors du débat en commission ? Non ! La législation actuelle fourmille d’angles morts. Nos policiers et nos gendarmes témoignent régulièrement des difficultés qu’ils rencontrent sur le terrain dans la lutte contre la radicalisation. Ils nous le disent. On m’a opposé la loi de 1881 sur la liberté de la presse, mais elle est à la fois lacunaire et inadaptée aux contenus véhiculés par les idéologies salafistes radicales. D’une part, elle ne permet pas de poursuivre tous les contenus, mais seulement ceux qui s’inscrivent dans le cadre des incriminations de provocation directe à la commission d’infractions, d’apologie de ces infractions ou de provocation à la haine ou à la violence. Or les prédicateurs dont nous parlons ont récemment policé leur attitude et véhiculent des propos moins directs, plus insidieux et plus sournois. D’autre part, elle fait bénéficier les auteurs de tels propos du régime procédural très favorable des infractions de presse excluant la comparution immédiate et la détention provisoire et jouissant d’une prescription abrégée.

On a également argué de l’article 35 de la loi de 1905 relative à la séparation des Églises et de l’État, par lequel est puni le ministre du culte qui appelle directement dans le lieu de culte « à résister à l’exécution des lois ou aux actes légaux de l’autorité publique » ou « à soulever ou à armer une partie des citoyens contre les autres ». Cette disposition n’est pas plus opérante : elle ne concerne que la provocation directe et ne vise pas les moyens de communication modernes, largement utilisés par les prédicateurs salafistes.

M. Pascal Popelin. C’est couvert par d’autres textes.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, rapporteure. On m’a enfin opposé plusieurs dispositions du code pénal. L’article 421-2-5 réprime la provocation à commettre des actes de terrorisme ou leur apologie, en aggravant les peines encourues lorsque ces comportements s’opèrent en ligne. Cet article est inadapté puisque les prédicateurs les plus radicaux ont pris soin, depuis l’attentat perpétré contre Charlie Hebdo en janvier 2015, de ne plus appeler ouvertement à la commission d’actes terroristes. L’article 227-24, relatif à la mise en péril des mineurs, ne sanctionne que la fabrication ou la diffusion de messages violents, incitant au terrorisme ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine lorsque ces messages sont susceptibles d’être vus par des mineurs. Cet article est donc inopérant pour réprimer, par exemple, le fait d’enseigner aux enfants qu’écouter de la musique les transformera en « cochons ».

Mes chers collègues, vous le constatez vous-mêmes : il existe bien « un trou dans la raquette pénale ». Le dispositif initial de la proposition de loi visait à le combler, mais soulevait certaines difficultés juridiques, comme l’ont montré les auditions que nous avons menées. C’est la raison pour laquelle, comme je l’avais fait en commission, j’ai déposé un amendement de rédaction globale de l’article 2, plus conforme aux exigences constitutionnelles et conventionnelles.

Laissez-moi vous présenter succinctement ce dispositif alternatif qui me paraît nécessaire, adapté et proportionné à l’objectif poursuivi.

Nous sommes en présence de deux séries d’exigences qu’il nous faut parvenir à concilier : d’une part, la liberté de conscience, la liberté religieuse et la liberté d’expression et, d’autre part, la sauvegarde de la dignité de la personne humaine, l’égalité homme-femme, la sécurité publique et ce que notre ancien collègue Jean-Paul Garraud a appelé, lors de la discussion de la loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public, l’ordre public « immatériel », qui a fait son entrée dans notre jurisprudence.

Au sens de la Cour européenne des droits de l’homme, le but légitime poursuivi par ce dernier texte est la « préservation des conditions du vivre ensemble en tant qu’élément de la protection des droits et libertés d’autrui ». C’est-à-dire le respect des exigences minimales de la vie en société : l’égalité entre les hommes et les femmes, le respect de la dignité des personnes, etc.

Les libertés de conscience, de religion et d’expression ne protègent pas n’importe quel acte motivé ou inspiré par une religion ou des convictions. L’État peut assortir ces libertés de limitations de nature à concilier les intérêts des divers groupes et à assurer le respect des convictions de chacun. Autrement dit, on ne peut pas se draper dans la religion pour prêcher n’importe quoi.

Dans ces conditions, le dispositif que je vous propose me paraît d’abord nécessaire, pour réprimer certaines prédications salafistes insidieuses, compte tenu des angles morts de notre législation.

Ce dispositif me paraît ensuite adapté et proportionné, étant donné son périmètre et les modalités de la répression des infractions que je vous propose de créer.

D’une part, l’infraction de prédication subversive est encadrée. Seuls seraient concernés des paroles ou des écrits publics et réitérés, se revendiquant de principes religieux et ayant pour effet de troubler l’ordre public ou de provoquer à des comportements manifestement incompatibles avec trois principes constitutionnels et conventionnels : la sauvegarde de la dignité humaine, la liberté et l’égalité.

D’autre part, en lieu et place du délit de complicité qui figurait dans le texte initial, je vous propose de réprimer le seul fait d’assister habituellement à des prédications subversives ou de consulter habituellement un site internet mettant à disposition des messages de prédication subversive. Seraient expressément exclus du champ de la répression quatre comportements : la participation et la consultation effectuées de bonne foi, résultant de l’exercice normal d’une profession ayant pour objet d’informer le public, intervenant dans le cadre de recherches scientifiques ou réalisées afin de servir de preuve en justice.

Dans tous les cas, les peines encourues sont alignées sur celles prévues pour d’autres infractions de gravité comparable ou de même nature : la provocation à commettre des actes de terrorisme ou leur apologie, la provocation directe non suivie d’effet à commettre des infractions, la consultation habituelle de sites internet terroristes, la participation à des groupes de combat, etc.

Je conclurai en observant que notre pays, en adoptant en 2001 l’infraction d’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de faiblesse, est parvenu à se doter d’un dispositif juridique et administratif qui fait figure de modèle en matière de lutte contre les dérives sectaires, qui constituent une autre forme d’endoctrinement néfaste pour les individus et la société.

Dans le même esprit, le texte que je vous propose vise à doter notre pays de nouveaux outils pour lutter contre la radicalité politico-religieuse, non pas seulement par les discours mais aussi par la force de la loi.

Pour qu’en France, en 2016, une femme ne puisse plus être considérée comme la moitié d’un homme, pour qu’un prédicateur ne puisse plus impunément encourager à ne pas fréquenter les mécréants ou faire croire à des enfants qu’écouter de la musique les transformera en cochons.

Je vous remercie par avance de contribuer à mettre fin à cette insupportable impunité. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, madame la rapporteure, monsieur le président de la commission des lois, mesdames et messieurs les députés, depuis le XVIIIe siècle, notre législation a progressivement renforcé ses outils afin de lutter contre les discours de haine susceptibles de porter atteinte à l’ordre public.

Nous avons ainsi construit des digues de plus en plus efficaces, tout en restant dans l’esprit de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Ce processus s’est toujours inscrit dans la conception française de la laïcité, la protection de tous les cultes et le respect de la liberté de conscience.

Même durant cette législature, d’importantes avancées ont été réalisées, parce que nous l’avons voulu, l’ensemble des textes ayant été votés par une écrasante majorité, je l’ai rappelé tout à l’heure.

Ainsi, la loi du 13 novembre 2014, relative à la lutte contre le terrorisme, a renforcé la lutte contre l’apologie du terrorisme, en transférant ce délit de la loi sur la presse de 1881 vers le code pénal.

Son double avantage était de le faire échapper aux règles procédurales dérogatoires de la loi de 1881 et de permettre les poursuites en comparution immédiate.

Puis ce fut la loi du 3 juin 2016, qui a incriminé la consultation régulière de sites faisant l’apologie du terrorisme.

Enfin, en ce moment, le projet de loi Égalité et citoyenneté en cours d’examen tend à renforcer la lutte contre les discriminations, notamment en raison de l’appartenance ou de la non-appartenance à une religion.

L’outillage est donc conséquent, mais à vos yeux insuffisant, madame la rapporteure, puisque vous nous proposez de pénaliser la prédication subversive.

Comme je vous l’ai indiqué la semaine passée, lors des questions au Gouvernement, si nous pouvons comprendre ou partager votre intention, nous estimons que vos propositions sont doublement problématiques. Soit les mesures proposées figurent déjà dans notre arsenal juridique, soit elles se situent en dehors de l’État de droit et confinent au délit d’opinion.

En d’autres termes, non seulement nous sommes convaincus que notre arsenal est efficace, mais en plus, nous avons tendance à considérer qu’aller au-delà serait disproportionné.

Je rappellerai simplement ce que je vous ai déjà dit la semaine dernière. Notre arsenal juridique, aujourd’hui, nous donne les moyens de lutter contre l’apologie du terrorisme, de sanctionner la mise en péril des mineurs par des messages incitant au terrorisme par le biais de l’article 227-24 du code pénal, qui punit la fabrication ou la diffusion, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, d’un message à caractère violent, incitant au terrorisme ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine, lorsque ce message est susceptible d’être vu par un mineur.

Notre arsenal nous permet également de poursuivre la provocation directe à commettre un crime ou un délit suivie d’effet, délit déjà prévu à l’article 23 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. La provocation publique à commettre des infractions non suivie d’effet est un autre délit, prévu par l’article 24 de la même loi.

Puis-je encore évoquer la provocation non publique à la haine ou à la discrimination, la diffamation ou l’injure non publique, prise en compte par un décret du 25 mars 2005 ?

La provocation par le ministre du culte à la résistance à l’exécution des lois ou aux actes de l’autorité publique est également prévue, par l’article 35 de la loi de 1905.

Rappelons par ailleurs, mesdames et messieurs les députés, que l’outrage ou la diffamation par un ministre du culte envers un citoyen en charge d’un service public est un délit, en vertu de l’article 34 de la loi de 1905.

Oui, il a déjà été prévu de réprimer tout ministre d’un culte qui, dans les lieux où s’exerce ce culte, aura publiquement, par des discours, des lectures, des écrits distribués ou des affiches apposées, outragé ou diffamé un citoyen chargé d’un service public.

Même les pressions exercées pour déterminer une personne à exercer ou à s’abstenir d’exercer un culte ont déjà été prises en considération par l’article 31 de la loi de 1905. Elles peuvent donner lieu à une contravention de cinquième classe, lorsqu’elles sont commises, notamment par violences ou par menaces, contre un individu.

Aller plus loin serait disproportionné.

La répression des manifestations ou des discours religieux prônant la supériorité des lois religieuses sur les lois de la République doit s’exercer dans le respect des libertés fondamentales, et notamment de la liberté d’expression et du principe de laïcité.

En outre, la rédaction de la proposition de loi présente un risque important d’inconstitutionnalité au regard de l’exigence de précision de la loi pénale.

Il conviendrait de définir de façon précise la notion de « prédication subversive ». Or vous conviendrez avec moi qu’il s’agit d’une notion fluctuante, aux contours indéterminés, susceptible de renvoyer à un nombre exponentiel d’expressions de la pensée.

À ce titre, cette notion peut porter une atteinte importante à la liberté d’expression et à la liberté de religion.

Cela me permet de rappeler la chose suivante. Le sens profond de la parole religieuse, quelle qu’elle soit, consiste la plupart du temps à faire prévaloir, dans la conscience des fidèles, la règle religieuse sur la règle civile, sans pour autant appeler à la désobéissance à la loi. L’infraction projetée par votre proposition de loi autoriserait donc une pénalisation particulièrement étendue de l’enseignement et de la pratique de la religion. À titre d’exemple, l’Église catholique condamne ouvertement le divorce, l’avortement ou la contraception, qui sont pourtant autorisés par les lois de la République !

Enfin, l’incrimination de « prédication subversive » s’avère contraire au principe constitutionnel de responsabilité personnelle en matière pénale.

Pourquoi ? Parce qu’elle prétend punir, comme complice, la personne qui aura simplement assisté au prêche dit subversif.

Or, comme l’acte de complicité que l’on veut incriminer n’a aucune matérialité, il s’analyse en réalité en tant que tentative de pénaliser des personnes au titre des actes commis par autrui, en l’espèce l’auteur du prêche.

Je citais déjà Portalis la semaine dernière, mais je vais recommencer : « Les lois ne sont pas de purs actes de puissance ; ce sont des actes de sagesse, de justice et de raison ».

Je ne crois pas que votre texte soit sage, et je suis convaincu que l’adopter serait perdre le sens de la raison. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Christian Kert.

M. Christian Kert. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, chers collègues, « Il est temps de se réveiller quand ce sont les mauvais qui triomphent » a écrit quelqu’un sur les pages de sagesse d’un pays du Maghreb. Oui, il est temps de nous réveiller et de rester éveillés après les attentats qui ont marqué si durement la France, ces derniers mois. Et, disons-le d’entrée au ministre de l’intérieur, qui redoute que les propositions de l’opposition ne représentent « une forme d’abaissement de la parole publique » ou que, « sur les sujets complexes et sérieux, les contre-vérités soient convoquées systématiquement et blessent la démocratie, rendant parfois plus difficile la mise en œuvre de solutions pertinentes » – je cite une interview parue dans le Journal du dimanche du 9 octobre dernier : la proposition de Mme Kosciusko-Morizet est à l’inverse de ce risque. Elle vise justement à s’attaquer à la racine du mal, et non pas à la gestion de sa crise.

Votre propos, monsieur le ministre, vient conforter l’affirmation du Premier ministre selon laquelle « la lutte contre le djihadisme est sans doute le grand défi de notre génération ». Si tel est le cas, si vous êtes d’accord, chers collègues de la majorité, avec le Premier ministre, alors je ne vois pas quel écran, quel frein vous interdirait d’approuver un texte qui n’a pas vocation à stigmatiser les musulmans pratiquants, comme vous pourriez le croire ou comme eux-mêmes pourraient le redouter. Les individus que vise cette proposition sont ceux qui tiennent des propos violents, contraires aux lois de la République. Représentent-ils une minorité ? Oui, mais une minorité dont il nous est difficile d’imaginer, de mesurer même le pouvoir sur son auditoire. Or un pouvoir peut être décisif dans le passage à l’acte.

Le constat est donc partagé par tous sur cette forte tendance à la radicalisation. Ce sont les moyens à mettre en œuvre afin de la prévenir qui sont frappés du sceau de l’interdit, une sorte de tétanie bloquant toute initiative concrète.

Pourtant, nous l’avons dit et vous l’avez dit, monsieur le ministre, la République fait face à une radicalité politico-religieuse multiforme qui se diffuse par différents moyens, dont la prédication itinérante et la prédication sur site. Lorsque l’on sait que la majorité des radicalisés est constituée de garçons de dix-huit à vingt-cinq ans, issus des quartiers périphériques des grandes villes, on mesure mieux l’impact de ces « prêcheurs du malheur » sur ces cibles plus malléables que d’autres catégories sociales ou générationnelles.

Voulons-nous, oui ou non, couper la racine du mal ? Si oui, nous ne pouvons plus nous contenter d’empiler des textes qui traitent la crise et non pas ses causes.

Les causes, quelles sont-elles ? Un contenu de prédications qui atteint une dimension proprement subversive, quand, en défendant la supériorité, voire la suprématie des lois religieuses sur les principes de la République, il appelle à la désobéissance civile ou à la sédition. Ce contenu peut également inciter à la haine d’autrui et de la société, les raisons invoquées étant l’impiété, l’impureté ou la différence religieuse, et inciter au désordre public, à la violence, au terrorisme enfin. Oui, monsieur le ministre, c’est cela qui se passe en France !

Ne cherchons pas de faux-semblants, juridiques ou moraux, comme j’en ai entendu professer quelques-uns lors de la réunion de la commission des lois où vous avez bien voulu m’accueillir, monsieur le président Raimbourg. La liberté de croyance et d’opinion n’est nullement remise en cause par ce texte. Et c’est bien au législateur qu’il appartient de combattre cette menace qui porte atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation et à la sécurité de sa population.

Nous le disions déjà en commission : nous sommes à un moment où certaines études démontrent que près de 28 % des musulmans de France seraient susceptibles d’adhérer à l’idée que la charia prévaut sur la loi de la République. Cette charia est conservée en l’état par certains, sans tenir compte des développements de la société depuis l’avènement de ce texte, lequel reflète – prenons-en bien conscience – les conditions sociales et économiques des premiers Abbassides, c’est-à-dire des concepts qui remontent à la dynastie musulmane qui régna sur le califat abbasside de l’an 750 à l’an 1260. Des recommandations d’un monde englouti, où je vous laisse imaginer la place que peut occuper la femme !

C’est pourquoi il est nécessaire de viser expressément dans la loi la prédication subversive telle qu’elle est définie dans l’article 2 de la proposition de loi, qui crée un nouveau délit répréhensible pour l’auteur des propos et qui est corrigé par un amendement que vient de proposer Mme la rapporteure.

Certains d’entre vous ont pu estimer – et vous l’avez rappelé, monsieur le garde des sceaux – que, depuis la dernière prorogation de l’état d’urgence et le vote d’un article additionnel qui facilite, dans le cadre de cet état d’exception, la fermeture de certains lieux de culte appelant à la haine, l’office était dit et le problème réglé. Il n’en est rien. C’était, certes, une avancée indispensable, mais devant l’ampleur de la menace, il convient ici de renforcer davantage notre arsenal législatif. C’est le rôle de l’article 3, lequel autorise la dissolution des associations responsables de lieux de culte où le phénomène de prédication subversive s’exprime pleinement – avec, il est vrai, un champ plus large que l’incitation à la haine ou à la violence prévue dans notre droit positif.

Enfin, il convient d’étendre aux sites qui diffusent cette prédication subversive l’interdiction de perdurer et de permettre au juge des référés d’ordonner leur fermeture comme il peut le faire pour les sites terroristes. La tâche est immense. Sur la toile, une recherche Google du mot « salafisme » fait remonter 431 000 sites internet. Il faut séparer le bon grain de l’ivraie.

Certains ont pu dire ou penser : « Ce ne sont là que des mots. » Oui, certes. Mais les mots ne valent que par les idées qu’ils portent.

M. Jacques Myard. Très juste !

M. Christian Kert. Nous voulons lutter contre les mots qui fanatisent. L’Histoire, on le sait, est faite de l’utilisation, souvent effrayante, par les religions de fanatiques qui échappent parfois à leurs propres créateurs. Ceux qui, en ce début de XXIsiècle, professent le concept de djihad veulent une guerre sainte dont le but ultime est de convertir le monde entier pour y faire régner une seule religion. Nous sommes là à l’inverse des valeurs constitutives de la civilisation française. D’ailleurs la communauté musulmane dite « modérée » ne s’y trompe pas, qui entreprend souvent des « reconquêtes » de mosquées tombées aux mains d’imams dangereux qui ont pu prendre le pouvoir par effet de surprise ou par tromperie.

Vous le voyez, il n’est pas question ici d’hystériser le débat comme certains le souhaitent ou d’autres le craignent. Il est seulement question de s’attaquer aux origines de la violence terroriste, de viser les sources de la menace pour permettre de la neutraliser en amont par la mise en œuvre de moyens efficaces et nécessaires, tels que les rappelle Nathalie Kosciusko-Morizet dans son exposé, et tels que nous veillerons à ce qu’ils ne portent pas atteinte à nos libertés fondamentales.

Monsieur le ministre, vous avez exprimé dans votre propos le souci de ne pas porter atteinte aux libertés fondamentales et à la laïcité. Et il est vrai que, parmi ces libertés fondamentales, parmi ces idéaux républicains, il y a la laïcité. Je rappelle simplement que celle-ci suppose qu’aucune religion ne puisse imposer ses prescriptions à la République, qu’aucun principe religieux ne puisse conduire à ne pas respecter la loi. À celles et ceux d’entre vous qui hésitent à voter ce texte, je voudrais remettre en mémoire l’avertissement – déjà ! – de Jaurès : « Tout recul et toute somnolence de la République a été une diminution ou une langueur de la laïcité. »

Il est temps de se réveiller, vous disais-je en préambule, pour faire écho à Jaurès. Montrons l’exemple et, pour cela, renforçons en amont les pouvoirs des autorités publiques et judiciaires au-delà de l’état d’urgence. À mes collègues de la majorité, je rappelle la petite musique des paroles du Premier ministre : « La lutte contre le djihadisme est sans doute le grand défi de notre génération. » Voilà pourquoi le groupe Les Républicains votera très volontiers et avec beaucoup de conviction le texte présenté par Nathalie Kosciusko-Morizet. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Folliot.

M. Philippe Folliot. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mes chers collègues, la mémoire des victimes de la barbarie, l’imminence et l’ampleur de la menace terroriste, nous imposent hauteur de vue, pragmatisme et efficacité. Notre groupe s’y est astreint, ces dernières années et ces derniers mois, en s’associant à l’unité nationale qui a suivi les attentats, en votant les quatre lois de prorogation de l’état d’urgence et en soutenant les récentes évolutions de notre arsenal, notamment législatif, de lutte contre le terrorisme.

Notre législation a ainsi été enrichie de mesures visant à mieux armer notre société face à cette terrible menace. Je pense notamment à la création du délit d’entreprise terroriste individuelle, à l’interdiction administrative de sortie du territoire, ou encore à la possibilité de blocage des sites faisant l’apologie du terrorisme.

Pouvons-nous, pour autant, nous satisfaire de l’arsenal législatif dont nous disposons à ce jour ? Non, assurément. Je tiens donc à rendre hommage à notre collègue Nathalie Kosciusko-Morizet pour avoir pris cette initiative et pour avoir porté à la discussion un sujet essentiel. J’espère, monsieur le ministre et mes chers collègues de la majorité, que nous saurons tout à l’heure nous retrouver tous ensemble pour nous engager dans cette direction, qui est une bonne direction. Nous répondrons ainsi à une attente de nos concitoyens.

Nous en sommes bien conscients, le volet répressif, pour complet qu’il soit, ne permettra jamais d’éradiquer totalement la menace. Pour autant, le groupe UDI considère que nous pouvons aller plus loin en la matière. C’est dans cet esprit que nous vous avions fait d’autres propositions lors des débats et que nous sommes favorables à la proposition de loi renforçant la lutte contre le terrorisme que nous avons examinée tout à l’heure.

Il est vrai que beaucoup de propositions ont été formulées et examinées en matière de lutte contre le terrorisme, mais le présent texte a le mérite de proposer une solution nouvelle qui pallie un vrai manque juridique. En effet, il tend à permettre aux autorités administratives et judiciaires d’intervenir plus largement en amont. Combattre le terrorisme, c’est aussi et surtout prévenir la commission d’actes terroristes en s’attaquant aux racines du mal, en agissant aux origines du phénomène, en l’occurrence en luttant contre la prolifération d’idéologies salafistes radicales.

Bien évidemment, la radicalité politico-religieuse n’est pas l’unique cause du passage au terrorisme, mais c’est une cause importante et nous devons impérativement la prendre en considération. Les discours et les enseignements prônant la supériorité des lois religieuses sur les principes constitutionnels et fondamentaux de la République sont, pour une part, responsables du phénomène extrêmement préoccupant de la radicalisation, qui concerne, semble-t-il, bon nombre de nos concitoyens et de personnes résidant en France, jeunes ou moins jeunes. Ils s’opposent frontalement au principe de laïcité auquel nous sommes très attachés.

Sous des apparences trompeuses, difficilement décelables, sous des propos parfois lissés, ainsi que l’a évoqué Mme la rapporteure, les prédicateurs incitent à la haine qui peut mener au passage à l’acte. Ces prédicateurs diffusent leur idéologie via la création de salles de prière et d’associations, en dirigeant des lieux de culte, voire en en prenant le contrôle, ou en propageant leurs idées radicales dans des ouvrages et sur des sites internet.

Les outils juridiques à notre disposition pour lutter contre la diffusion de cette idéologie mortifère sont parcellaires et inadaptés. Le présent texte prévoit donc la création d’un délit dont l’appellation ne figure pas à ce jour dans le code pénal : celui de prédication subversive. Ce terme couvrirait le prêche, l’enseignement et la propagande, par des paroles ou des écrits réitérés, d’une idéologie qui fait prévaloir l’interprétation d’un texte religieux sur les principes constitutionnels et fondamentaux de la République.

Dans le droit en vigueur, l’exercice d’influences néfastes sur le public est essentiellement réprimé dans le cadre d’incriminations de provocation à la commission d’actes ou d’apologie. Il peut être sanctionné dans le cadre du régime des infractions de presse s’il se fait par un moyen de diffusion publique de la parole, de l’image ou de l’écrit. Il peut l’être également sur le fondement de la provocation à la commission d’actes terroristes et de l’apologie du terrorisme, grâce au transfert de ces incriminations, en 2014, de la loi du 29 juillet 1881 vers le nouvel article 421-2-5 du code pénal, qui en fait non plus des délits de presse mais des délits terroristes.

Mais qu’en est-il alors des propos subversifs lissés ou ambigus, qui n’appellent pas explicitement à commettre des actes de terrorisme ?

Les prédicateurs des idéologies salafistes peuvent également être incriminés par la loi de 1905, mais le dispositif que prévoit ce texte vise la seule provocation directe et ne mentionne pas, bien entendu, les communications électroniques en ligne. Il nous apparaît donc essentiel d’être particulièrement vigilants et proactifs en la matière afin de nous protéger mieux qu’aujourd’hui.

Le droit occulte ainsi tout un pan, celui de la radicalité politico-religieuse, souvent à l’origine du passage à l’acte terroriste.

La création d’un délit de prédication subversive, puni d’une peine de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende, semble donc combler utilement ce vide juridique. Cette mesure permettrait de poursuivre les auteurs de propos ou de contenus illégaux qui, jusqu’à ce jour, n’étaient pas inquiétés.

En outre, la dissolution administrative d’associations ou de groupements n’est possible qu’en cas de provocation à la discrimination, à la haine, à la violence et à des actes de terrorisme.

Quant à la fermeture des lieux de culte, l’autorité administrative ne peut intervenir qu’en vue de faire respecter l’ordre public.

L’article 3 vise donc à donner aux autorités administratives la possibilité de fermer un lieu de culte en cas de prédication subversive et de dissoudre les associations responsables d’un tel lieu.

Enfin, l’article 4 prend en compte le rôle primordial joué par internet dans le phénomène de radicalisation. Il étend ainsi aux sites de prédication subversive la possibilité pour le juge des référés d’ordonner leur fermeture, cette possibilité n’étant aujourd’hui prévue que pour les sites provoquant à la commission d’actes terroristes ou d’infractions telles que la discrimination, la haine, la contestation de crimes contre l’humanité.

Il est en effet nécessaire de prendre en compte le rôle décisif que joue internet dans nombre de trajectoires d’individus basculant dans le terrorisme : c’est le phénomène d’auto-radicalisation dont nous parlons souvent.

Mes chers collègues, en adoptant cette proposition de loi, nous pourrons inquiéter ceux qui, à ce jour, ne sont pas visés par le droit positif alors même qu’ils représentent, par leurs actes et leurs propos, un risque majeur pour la sécurité publique.

Nous devons faire en sorte de nous doter de nouveaux moyens de façon à éviter que notre pays ne se trouve de nouveau en proie à la barbarie, et ce dans le respect des libertés fondamentales.

Parce qu’elle vise à mieux lutter contre toutes les formes de discours qui portent les germes d’une atteinte grave à l’ordre public, le groupe de l’Union des démocrates et indépendants votera en faveur de cette proposition de loi.

Pour autant, nous insistons sur ce point : lutter contre le terrorisme, agir contre la radicalisation impliquent bien plus que cela. Nous ne pourrons remporter cette guerre contre le terrorisme qu’en mobilisant toutes les sphères de la société et en adoptant une politique fondée sur l’éducation, la culture, le partage de l’Histoire et la transmission de nos valeurs. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Olivier Marleix.

M. Olivier Marleix. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors de l’examen en commission, la semaine dernière, nous avons malheureusement pu constater que le temps des discours courageux du Premier ministre Manuel Valls invitant à lutter contre l’islamisme radical était désormais derrière nous. Nous sommes désormais dans le temps de la complaisance électorale et du renoncement.

M. Pascal Popelin. Cela commence bien !

M. Olivier Marleix. Pourtant, comment ne pas reconnaître que cette action subversive que la proposition de loi de Nathalie Kosciusko-Morizet veut rendre répréhensible est l’un des visages du radicalisme que vous avez, pendant un temps, prétendu combattre.

La réalité de certains de nos quartiers – ceux que le Premier ministre avait, je crois, qualifiés de « ghettos » –, c’est ce glissement subreptice du communautarisme vers le rejet de notre société, puis du rejet de notre société vers la haine de celle-ci. Et quand on est dans la haine, toutes les évolutions, y compris les plus violentes, deviennent possibles. C’est à tout ce qui fait ce glissement subreptice que nous devons nous attaquer.

La nouvelle incrimination qu’entend instituer cette proposition de loi vise donc à combler un vide dans notre droit afin de réprimer cette zone grise que constitue la prédication subversive.

À écouter le camp du renoncement, à travers son porte-parole en commission Pascal Popelin…

M. Pascal Popelin. Le renoncement, jamais ! La démagogie non plus !

M. Olivier Marleix. …le droit positif offrirait d’ores et déjà tous les outils permettant de réprimer de tels propos. Il n’y aurait donc, sur ce point aussi, rien à faire. Il cite notamment l’article 421-2-5 du code pénal qui réprime toute provocation ou apologie publique d’actes de terrorisme.

Si j’osais, je dirais que vous êtes, cher collègue, « dans l’amalgame », parce que les propos visés par cette proposition de loi, justement, ne relèvent pas de l’apologie du terrorisme. Si tel était le cas, évidemment, nous n’en discuterions même pas.

Il s’agit de viser des propos qui, au nom d’une interprétation totalement dévoyée de textes religieux, combattent des principes constitutionnels et fondamentaux de notre République. L’enjeu est donc bien différent.

De même, les dispositions de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ne sont pas forcément opérantes pour la prédication subversive.

D’abord, il y a la question bien connue du délai de prescription de trois mois pour les infractions commises par le biais d’un média qui rend vaines, la plupart du temps, les poursuites pénales.

Certes, l’article 24, qui réprime l’incitation à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes en raison de leur origine ou de leur appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ou encore en raison de leur sexe, pourrait être le support de poursuites pénales. Mais je n’ai pas entendu le garde des sceaux nous livrer de chiffres – en la matière, sans doute ne sont-ils guère convaincants…

Et puis ces dispositions ne permettent pas d’inquiéter les auteurs de certains propos, comme le fameux imam de Brest qui affirmait que les enfants qui écoutent de la musique risquent d’être transformés en cochons, ou ceux qui affirment qu’il est interdit à une jeune femme de faire du sport parce que le corps de la femme serait diabolique…

On serait tenté de sourire, mes chers collègues, si ces propos émanaient de fous.

Mme Elisabeth Pochon. Cela ne me fait pas sourire !

M. Olivier Marleix. Malheureusement, ils dictent et régissent aujourd’hui la vie de milliers d’enfants de notre pays, de milliers de jeunes filles qui, dans certains quartiers, sont privées du droit de faire du sport. Cette réalité devrait faire passer toute envie de sourire...

Enfin, s’agissant du recours à la notion de trouble à l’ordre public, celle-ci peut permettre la fermeture des lieux où de tels propos seraient régulièrement proférés, mais elle ne permet pas de condamner pénalement les faits de prédication qui s’y déroulent.

Je pense donc qu’il faut aller plus loin et définir précisément une nouvelle incrimination. Il ne s’agit pas de demander au juge d’être un docteur de la foi, mais simplement de faire en sorte qu’il puisse juger les atteintes à nos principes fondamentaux, comme nous avons su le faire dans le cadre de la loi Gayssot.

Face aux attaques contre notre société et nos valeurs, nous ne devons pas renoncer. La bataille idéologique doit être menée sur plusieurs fronts, celui de la répression des prêcheurs de haine, d’une part – c’est l’objet de ce texte – et de façon complémentaire, d’autre part, à travers le soutien des expressions alternatives. Je pense à l’appel publié cet été par quarante-deux de nos compatriotes musulmans, dont Mme Bariza Khiari, sénatrice du groupe socialiste et républicain, et Mme Naïma M’Faddel, adjointe au maire du groupe Les Républicains à Dreux, qui invitait à mener enfin la bataille culturelle contre l’islamisme radical.

Mme Elisabeth Pochon. Est-ce vraiment une bataille culturelle ?

M. Olivier Marleix. Dans les conclusions du rapport qu’il a remis au Premier ministre en février 2015, notre collègue Malek Boutih tirait lucidement la sonnette d’alarme : « Nous n’avons plus le droit de douter, de pinailler, de calculer » – ces mots sont particulièrement choisis –, « l’heure est à l’action déterminée pour imposer le projet républicain ». C’est cette lucidité, et non le renoncement, qui devrait nous guider aujourd’hui.

Je puis vous citer un auteur plus grand encore, puisque le Président de la République lui-même a reconnu, au cours d’un entretien avec des journalistes du journal Le Monde, qui a valeur publique, en parlant de la loi de 1881 : « Ce qui peut poser problème, c’est si les musulmans ne dénoncent pas les actes de radicalisation, si les imams se comportent de manière antirépublicaine… ». C’est à ce problème-là, monsieur le ministre, qu’il faut apporter une réponse. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jérôme Lambert.

M. Jérôme Lambert. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mes chers collègues, nous examinons maintenant un texte visant à pénaliser la prédication subversive.

Je peux comprendre l’émotion suscitée par ce sujet, mais notre responsabilité est ici d’apporter des réponses législatives, et  non émotionnelles.

Ce texte prévoit d’insérer dans le code pénal l’infraction de prédication subversive, qui se définit par « le prêche, l’enseignement et la propagande, par des paroles ou des écrits publics et réitérés, d’une idéologie qui fait prévaloir l’interprétation d’un texte religieux sur les principes constitutionnels et fondamentaux de la République ».

L’auteur de cette prédication subversive serait puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende, tandis que son complice serait puni de trois ans d’emprisonnement et de 50 000 euros d’amende.

L’article 3 de la proposition de loi vise quant à lui à créer un nouveau chapitre dans le code de la sécurité intérieure, relatif à la fermeture des lieux de culte et qui reconnaîtrait au ministre de l’intérieur ou au préfet dans le département la possibilité d’ordonner la fermeture provisoire des lieux de culte où la prédication serait subversive.

Enfin, le quatrième article permet au juge des référés de prononcer l’arrêt d’un site internet se faisant le relais de prédications subversives.

Ce texte a été, à raison, rejeté en commission des lois la semaine dernière.

En effet, comme notre collègue Pascal Popelin a déjà pu le dire à Mme la rapporteure et comme nous l’avons expliqué à l’occasion de l’examen du texte précédent, les dispositions existantes dans notre droit positif permettent déjà de condamner de tels actes et d’apporter des réponses appropriées.

M. Alain Marleix. Si c’était le cas, nous n’en serions pas là !

M. Jérôme Lambert. La loi du 21 décembre 2012 relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme et la loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme ont créé un délit d’entreprise terroriste individuelle, prévu une interdiction administrative de sortie de territoire, un dispositif de blocage des sites faisant l’apologie du terrorisme et un délit de provocation à la commission d’actes terroristes et leur apologie.

De plus, l’ancienne loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse sanctionne la provocation à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes, à raison de leur origine, de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion.

Notre opposition à ce texte tient aussi à ce qu’il constituerait un risque pour la liberté d’expression des individus.

Vous pourrez m’objecter que ce texte concerne l’interprétation d’un texte religieux. Naturellement, nous ne pouvons qu’être opposés à l’expression de toute forme de prédication ou de prosélytisme dans l’espace public. Comme vous le savez, le groupe auquel j’appartiens, très sensible à la question de la laïcité, en est un fervent défenseur, comme nous tous ici, comme il est le défenseur des principes fondamentaux de la République et de ses intérêts. Nous ne pouvons donc soutenir ce type de prêche et les condamnons fermement.

Par ailleurs, vous relevez que « le terrorisme prospère souvent sur un terreau de radicalité politico-religieuse ». Nous sommes fortement interpellés, en effet, par la montée des haines, des atteintes à l’ordre public et par l’endoctrinement croissant de certains de nos concitoyens. Tout cela est vrai, mais en partie seulement car la pratique religieuse de plusieurs auteurs d’attentats sanglants n’a pas toujours été démontrée.

Que cela soit clair : nous ne pouvons tolérer la remise en cause des interdictions prévues par la loi – je pense aux personnes soutenant le mariage forcé ou la polygamie, pourtant interdits par le code civil et condamnés pénalement ; je pense à ces religieux qui condamnent violemment le mariage entre les couples de même sexe voté dans la loi du 17 mai 2013.

J’éprouve cependant quelques craintes, et j’émets des réserves quant à la condamnation de la prédication subversive, redoutant que l’expression d’une opinion publique considérée comme dangereuse ou contraire à l’État de droit puisse à terme être interdite. Il serait alors interdit d’exprimer des opinions politiques extrémistes qui remettent en cause l’ordre établi !

M. Jacques Myard. Ce n’est pas ce que dit le texte !

M. Jérôme Lambert. Peut-être, cher collègue. Nous traitons aujourd’hui de la question religieuse ; mais après tout, pourquoi s’arrêter en si bon chemin ?

M. Jacques Myard. J’y penserai lorsque je serai dictateur !

M. Jérôme Lambert. Pourquoi une expression religieuse qui remet en cause l’ordre établi serait-elle plus dangereuse qu’une expression extrémiste d’ordre politique ? Nous pourrions établir un parallèle. C’est là, à mon sens, l’un des dangers qui pourraient découler de l’interprétation et de l’évolution d’un tel texte s’il devait un jour être voté en l’état.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Non !

M. Jérôme Lambert. Mais au-delà de l’objet du texte, je pose également une question procédurale.

Comme j’ai déjà pu le dire lors de l’examen du texte précédent, nous sommes en principe opposés aux motions de procédure déposées contre les propositions de loi d’initiative parlementaire. Cependant, nous ne pouvons occulter le fait que ce texte soit examiné le jour même du premier débat entre les candidats à la primaire de votre parti politique, à laquelle la rapporteure est candidate.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, rapporteure. Si l’on avait pu l’éviter, cela m’aurait arrangée !

M. Jérôme Lambert. Il s’agit d’une heureuse coïncidence, nous n’en doutons pas,…

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, rapporteure. Plutôt malheureuse !

M. Jérôme Lambert. …ou d’une coïncidence malheureuse, selon vous.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Les deux choses n’ont rien à voir !

M. Jérôme Lambert. En tout état de cause, mes chers collègues, vous nous permettrez, malgré toute la considération que nous éprouvons pour votre travail, de refuser de laisser davantage la place à ce pré-débat de la primaire des Républicains, et par conséquent de ne pas poursuivre l’examen du texte.

De toute façon, le débat se prolongera entre les candidats à la primaire de la droite, ce soir, à une heure de grande écoute.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Évidemment !

M. Jérôme Lambert. Aussi, nous voterons la motion de procédure présentée par le groupe socialiste.

M. le président. La parole est à M. Jacques Bompard.

M. Jacques Bompard. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je suis extrêmement dérangé par ce texte. Je reconnais en effet à Mme Kosciusko-Morizet le courage d’avoir porté quelques propositions cinglantes sur l’interdiction du salafisme et la lutte contre les prêches islamistes. C’est un point de départ courageux, dont nous savons qu’il a valu des persécutions insupportables à nombre de penseurs audacieux du Proche-Orient et même à quelques pamphlétaires en Europe.

Je tiens d’ailleurs à partager avec vous une pensée pour Nahed Hattar, chrétien jordanien assassiné à son sortir du tribunal d’Amman pour avoir critiqué le djihad. C’est aussi en solidarité avec ces minorités orientales abandonnées à l’explosion de leur région que nous devons agir et légiférer.

Pour le reste, ce texte n’est pas satisfaisant. Il n’est pas satisfaisant par son titre même : « Proposition de loi pénalisant la prédication subversive ». Reportons-nous à la définition du mot « prédication » : « La prédication est l’action de parler publiquement des choses de Dieu aux non-croyants et d’enseigner les croyants ». Si l’on fait un instant d’histoire religieuse, le simple fait de prêcher sa religion fut de tout temps subversif. Le Christ est subversif en Palestine, Luther fut subversif pour l’unité catholique européenne, mais Siddhartha et Bouddha le furent également.

Subvertir, c’est s’attaquer à la vertu d’un temps et d’un monde donné. Je dois l’avouer : je pense que le nouvel ordre moral imposé à notre société et notre monde politique aurait grand besoin de subversion.

Madame la rapporteure, pourquoi utilisez-vous ce terme ? Vous l’avez dit au cours des auditions : par volonté de ne pas discriminer entre les religions. Mais c’est l’islamisme politique qui s’en prend à notre pays. Ce n’est pas la radicalisation qui pose problème, mais la radicalisation islamiste. Ce n’est pas l’exclusion sociale. Ce n’est pas un traumatisme post-colonial. C’est l’adoption fanatique par des jeunes gens des imprécations guerrières d’une partie du Coran.

En refusant de nommer l’ennemi, nous en arrivons à des dispositions particulièrement dangereuses. Je rappelle que le préambule de la Constitution de la Ve République n’est pas neutre, et que nombre de philosophes et d’intellectuels n’hésitent pas à en disputer. Faudrait-il les enfermer, les interdire ? Faudrait-il envoyer Éric Zemmour en prison quand il revendique la volonté de sortir de l’État de droit pour combattre l’islamisme ?

M. Pascal Popelin. Ne nous tentez pas !

M. Jacques Bompard. Encore une fois, je ne discute pas de votre bonne volonté. Je la salue, au contraire. Ainsi, vous allez dans le bon sens à l’article 3 en cherchant à faciliter la fermeture de certains lieux de culte. Je rappelle à cet égard que le groupe socialiste a voulu faire tomber mon immunité parlementaire quand j’ai demandé un moratoire sur la construction de mosquées en France. Tous les rapports parlementaires sérieux sur la question pointent pourtant l’énorme problème que pose le financement et l’animation de ces lieux de culte.

La laïcité européenne consiste à rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. Il ne s’agit pas de poursuivre les haines pathétiques qui animèrent une partie de la gauche française entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe et qui, hélas, perdurent. La sécularisation forcée de nos pays a trop détruit de nos cadres de vie et de nos civilisations pour qu’il ne soit pas évident que c’est par le retour à nos racines et à notre matrice chrétienne que l’on renforcera notre pays face à l’islamisme politique.

J’ai déposé une série d’amendements qui visent à préciser le texte, que je serais ravi de voter s’il se détournait d’un amalgame entre toutes les religions et toutes les philosophies pour dire le vrai.

Le vrai, c’est que l’islamisme politique s’est ancré en France par l’immigration et par les facilités procurées depuis Mitterrand aux associations communautaristes, mais aussi par la déchristianisation. Le vrai, c’est d’affronter dès maintenant une situation qui risque de faire disparaître notre civilisation.

M. Jean Leonetti. Rien que ça !

M. le président. La parole est à M. Pierre Morel-A-L’Huissier.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, madame la rapporteure et chère Nathalie, mes chers collègues, André Malraux disait : « Le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas ». Aujourd’hui, en France, en 2016, nous faisons tous le même constat, d’un bout à l’autre de l’hémicycle, ou du moins je l’espère : la radicalité religieuse, qui gagne chaque jour du terrain, porte en elle les germes du terrorisme.

Je veux affirmer très fortement que notre République laïque, profondément attachée aux libertés et aux droits de l’homme, ne peut accepter que, sur son sol, se développe une idéologie politico-religieuse prônant la haine et menaçant les intérêts fondamentaux de la Nation.

Pour contrer cette menace, nous devons avoir une exigence de fermeté absolue. Permettez-moi de reprendre les propos de notre collègue Malek Boutih, selon lequel, face à la dérive communautaire, « nous n’avons plus le droit de douter, de pinailler, de calculer. L’heure est à l’action déterminée pour imposer le projet républicain ».

M. Jacques Myard. Très bien !

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Mais pour lutter efficacement contre la radicalité politico-religieuse qui fait le lit du terrorisme, nous devons faire un examen attentif de ce phénomène, en comprendre les subtilités et ne pas mettre dans le même panier l’appel explicite au terrorisme et les prêches fondamentalistes qui, sans aller aussi loin ou de manière plus subtile, sèment les graines du terrorisme.

Comme l’a rappelé notre collègue Pascal Popelin en commission des lois, il existe déjà un délit de provocation à la commission d’actes terroristes et à leur apologie, que la loi du 13 novembre 2014 a transféré de la loi de 1881 vers le code pénal, pour le rendre plus opérationnel. Mais en brandissant cet argument pour nous convaincre que le texte est inutile, il confond apologie du terrorisme et prédication subversive, cette dernière étant constituée par la diffusion de l’idéologie anti-républicaine, la plupart du temps de nature islamiste salafiste.

Cette forme de prédication se situe dans une zone grise sur le plan juridique. Elle ne tombe sous le coup d’aucune infraction. Elle est insidieuse, comme l’a dit la rapporteure. Pour condamner les faits de prédication subversive, et ainsi affirmer la primauté des lois de la République sur tout dogme religieux, la notion de trouble à l’ordre public s’avère également insuffisante, car elle ne cible pas précisément le phénomène.

Il faut bien comprendre que nous avons affaire à un phénomène nouveau et insidieux, qui se joue du flou juridique pour instiller dans l’esprit des plus vulnérables, en toute légalité, des idées contraires aux principes fondamentaux de notre nation.

Est-il normal que l’on puisse dire en France, sans être inquiété, que la femme doit rester ancrée dans sa maison, comme un bateau qui jette l’ancre ? Que sa première maison doit-être son hijab ? Que ceux qui aiment la musique écoutent le diable ? Non.

Est-il normal que, pour fermer une mosquée salafiste qui diffuse des idées nauséabondes, on doive recourir à des contorsions juridiques en invoquant le droit de l’urbanisme ou la sécurité des établissements ? Non.

Est-il normal de permettre à 28 % de la population musulmane en France d’affirmer que la charia doit primer sur la loi de la République ? Encore non.

Nous devons refuser d’acheter la paix sociale par le communautarisme et la reconnaissance du primat du religieux sur le politique. Comme le dit très justement Élisabeth Badinter, taxer d’islamophobie ceux qui ont le courage de dire : « Nous voulons que les lois de la République s’appliquent à tous et à toutes » est une infamie. Ce n’est pas bafouer la liberté de conscience et de croyance que de dire cela. Ce n’est pas non plus nier la diversité culturelle et religieuse de la France, qui fait sa force.

Je tiens à féliciter mon excellente collègue Nathalie Kosciusko-Morizet : elle a eu l’intelligence, à travers cette proposition de loi, d’aller plus loin que les dispositifs visant uniquement le terrorisme, mis en place au lendemain des attentats, de s’attaquer aux origines du mal, de traquer les atteintes aux valeurs républicaines dans les moindre recoins où elles peuvent s’immiscer.

La femme brillante, clairvoyante et moderne que vous êtes, madame la rapporteure,…

M. Jean Leonetti. Bravo !

M. Jacques Myard. Quelle déclaration !

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. …sait combien la défense des valeurs républicaines de laïcité et d’égalité entre homme et femme est une lutte sans relâche, dans notre société qui s’effrite sous le poids du communautarisme grimpant.

Lors de l’examen de la proposition de loi en commission, de nombreux collègues de la majorité nous ont assuré qu’ils partageaient notre constat quant au rôle significatif des prêcheurs salafistes en matière de terrorisme et quant à la nécessité d’agir sur la question de la prédication subversive. Nous sommes tous animés par un même souci, celui de défendre nos valeurs et d’assurer la sécurité de nos compatriotes.

Mes chers collègues, céder du terrain aux ennemis de la République par calcul politicien, c’est désavouer nos valeurs communes. Se cacher derrière des arguments juridiques discutables pour renoncer à légiférer sur la question, c’est donner raison à ceux qui cherchent à nous faire reculer.

Incriminer la prédication subversive, définir juridiquement cette notion aux contours encore flous en créant dans le code pénal un nouvel article 412-3, donner une compétence élargie aux représentants de l’État sur l’ensemble du territoire pour fermer les lieux de culte radicalisés, permettre au juge des référés de prononcer rapidement l’arrêt des sites internet illégaux, voilà des mesures justes et adaptées à la gravité de la situation.

Nous devons nous donner une chance d’en discuter aujourd’hui, pour trouver un point d’équilibre qui puisse nous rassembler. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jean Leonetti.

M. Jacques Myard. Allez, Jean ! De la modération, mais de la fermeté !

M. Jean Leonetti. M. Myard a raison : la modération et la fermeté sont les alliés de la République.

Monsieur le Président, monsieur le ministre, chers collègues, je salue vigoureusement l’initiative de Nathalie Kosciusko-Morizet visant, par cette proposition de loi, à pénaliser la prédication subversive. Elle a le mérite d’aborder – ce qui est rare – le problème de l’islam radical, qui, dans notre pays, combat de toute évidence les valeurs fondamentales de la République. Certains propos tirés d’un obscurantisme d’un autre âge sont en contradiction manifeste avec le respect de la règle de vie en commun propre à notre démocratie, et des fondamentaux de la République.

Ils remettent en cause l’égalité homme/femme, interdisent l’ouverture d’esprit, la tolérance, enferment une partie de la population dans un communautarisme identitaire et font le lit ou la justification des actes terroristes.

La France laïque a des lois, et ces lois sont les lois pour tous. Aucune loi religieuse ne peut contester, enseigner ou combattre les lois de la République.

On voit sur internet des prédicateurs interdire à des enfants l’écoute de la musique, mais on passe de la consternation à l’indignation lorsqu’on entend des propos subversifs ou haineux contre les « mécréants », et destinés à remettre en cause l’ordre républicain.

La réponse du Gouvernement sera sans doute que l’on peut trouver dans notre code pénal toutes les mesures nécessaires pour lutter contre ce phénomène. Alors comment se fait-il que des lieux de prière dans lesquels ces propos menaçants sont proférés ne soient pas fermés ? Comment se fait-il que, dans certains territoires de France, on interdise à une femme de s’asseoir à la terrasse d’un café, voire de sortir de chez elle ? Comment se fait-il qu’une partie de notre jeunesse en difficulté reste la proie facile de ce prosélytisme sans qu’aucune sanction ne tombe sur les prophètes de la peur et de la haine ?

Avant de balayer ces propositions d’un revers de main, le Gouvernement devrait aborder ce problème avec sérieux et réalisme. Cette situation – nous le savons aussi – nuit considérablement aux Français de confession musulmane, ceux qui majoritairement respectent les lois de la République. La tolérance coupable de la France fait le lit du terrorisme, mais aussi de la xénophobie, du racisme et du rejet de l’autre.

L’islam de France doit montrer un autre visage que celui de la violence. Si nous n’agissons pas avec fermeté, nous verrons se créer une fracture majeure entre les Français musulmans et le reste de la population. Certains affirment déjà que l’islam est incompatible avec la République...

La République Française, quant à elle, rappelle ses valeurs de manière classique. Elle rappelle la laïcité, l’égalité, la liberté de croire ou de ne pas croire, l’égalité entre les hommes et les femmes, mais elle se refuse à intervenir, au nom d’une certaine conception de la laïcité, au nom de la séparation de l’Église et de l’État.

J’entends déjà les accusations d’islamophobie planer sur des propositions qui ne viseraient qu’une religion. Nous devons simplement imposer à l’islam les mêmes règles qu’aux autres religions.

M. Jacques Myard. Très bien !

M. Jean Leonetti. Or sans hiérarchie, sans unité, le monde musulman en France n’est pas suffisamment organisé pour répondre de manière adaptée, cohérente à cette situation et l’appel régulier que nous faisons aux musulmans modérés n’a que peu d’effets visibles.

La majorité des Français musulmans, qui se reconnaissent dans les valeurs de la France, sont inquiets de ces dérives, eux qui prônent l’islam des Lumières par opposition à l’islam d’internet.

C’est à l’État de reprendre le chantier inachevé de l’organisation de l’islam. Cette démarche sera longue et difficile, car elle n’appartient ni à notre culture républicaine, qui ne reconnaît aucun culte, ni à la culture de l’islam, qui ne reconnaît aucun chef. Cela paraît cependant la seule voie pour éviter une fracture et un climat de guerre civile larvée.

C’est la République qui doit dicter sa loi, comme elle l’a fait en 1905 envers le catholicisme, alors que la religion musulmane n’existait pas en France. Le Conseil français du culte musulman, tentative modeste d’organisation de l’islam, doit être renouvelé, être indépendant des pays étrangers et s’engager sur un pacte républicain.

La République doit conclure un accord avec le culte musulman, imposant la formation obligatoire des imams, l’utilisation de la langue française pour les prêches et la transparence totale du financement des lieux de culte.

M. Jacques Myard. Très bien !

M. Jean Leonetti. Les mosquées salafistes doivent être fermées et les imams étrangers, expulsés, lorsqu’ils y prêchent des propos contre la République.

Enfin, il est nécessaire de créer un délit d’entrave à la laïcité pour sanctionner les demandes de plus en plus agressives que subissent les agents publics dans les hôpitaux, les écoles et les espaces sportifs.

Comme l’évoquait M. Myard, qui est un adepte de ces principes, la France a une tradition de tolérance et de fermeté…

M. Jacques Myard. Absolument !

M. Jean Leonetti. …qui permet aux Français musulmans de vivre leur foi dans la République. À un islam en France incontrôlé et massivement rejeté par nos populations, ce qui constitue une réelle source d’inquiétude, devra se substituer un islam de France respecté et tolérant. Il n’est pas trop tard. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Jacques Myard. Les trompettes de la renommée sonnent pour Jean Leonetti !

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, rapporteure. Monsieur le garde des sceaux, vous évoquiez les avancées de notre droit, que nul ne conteste, et qui ont notamment été rappelées par Christian Kert et Philippe Folliot. Mais vous en concluez que notre législation est efficace. Je voudrais redire, en présence de tous ceux qui se sont exprimés, que ce n’est pas le cas. Jean Leonetti a cité à l’instant des exemples de prédication problématiques et persistants, en dépit de notre droit. Par ailleurs, vous nous parlez des dispositions réprimant l’appel au terrorisme, mais, comme l’a souligné Olivier Marleix, ce n’est pas le sujet. Vous n’apportez aucune réponse au problème soulevé par tous ces enseignements, qui constituent aujourd’hui le terreau de la radicalisation politico-religieuse. Encore aujourd’hui, des prêcheurs diffusent, pour ne citer qu’un exemple, l’idée qu’une femme vaut la moitié d’un homme, ce qui – nous sommes tous d’accord pour le reconnaître – contrevient à nos principes fondamentaux. Vous nous dites, en substance, que ces personnes sont dans leur droit puisqu’elles s’expriment au nom de la religion. Comment, dans ces conditions, va-t-on continuer à lutter contre les discriminations ? À vous suivre, les autorités devront encore longtemps s’appuyer sur des législations du type de celle sur les établissements recevant du public pour fermer des salles de prière, comme l’a signalé tout à l’heure Pierre Morel-A-L’Huissier.

Jérôme Lambert nous dit, pour sa part, que cela participe du débat de la primaire, donc du débat entre les Républicains. Non ! Voilà un sujet sur lequel nous sommes tous d’accord, et je regrette – sentiment que je crois partagé par les collègues de mon groupe – que les socialistes en restent à un accord de principe, qui ne les conduit pas jusqu’à l’action. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Motion de rejet préalable

M. le président. J’ai reçu de M. Bruno Le Roux et des membres du groupe socialiste, écologiste et républicain une motion de rejet préalable, déposée en application de l’article 91, alinéa 10, du règlement.

La parole est à M. Pascal Popelin.

M. Pascal Popelin. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mes chers collègues, la proposition de loi que vous soumettez à notre appréciation, avec quelques-uns de vos collègues du groupe Les Républicains, est légitime dans son objet. Faciliter la poursuite et la répression d’individus qui entretiennent et alimentent, par leur discours, un sentiment de haine à l’égard de notre nation et de ses valeurs est un objectif qui ne fait pas débat parmi nous dans son principe, tout particulièrement après les événements tragiques qui ont touché notre pays dans sa chair durant ces derniers mois.

Toutefois, la douleur des tragédies qui nous ont endeuillés et meurtris, pas davantage que l’ambition de pourchasser et de neutraliser tous nos agresseurs, ne peuvent à elles seules garantir la pertinence des textes que nous produisons. Elles sont encore moins garantes de leur qualité. Or, le dispositif qui nous est proposé pour combattre les prêches susceptibles d’inciter à la violence et au basculement dans l’action terroriste comporte deux défauts majeurs, qui n’inclinent pas à son adoption.

La première difficulté tient à son champ d’application. Il couvre en effet, comme cela a été dit, un pan de notre législation déjà fourni, cohérent et efficace.

M. Jean Leonetti. Non, impuissant !

M. Pascal Popelin. Les excès que vous dénoncez, et que nous souhaitons tous ici combattre avec la plus grande fermeté, sont en effet déjà appréhendés par plusieurs qualifications pénales. Quelles sont ces dispositions, qui permettent aujourd’hui très concrètement de stopper les entreprises destructrices des prêcheurs de haine ? Par goût de la chronologie, commençons par la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse. Elle réprime, depuis 134 ans, la provocation à « […] la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion […] »

Vient ensuite l’article 35 de la loi du 9 décembre 1905 portant séparation des Églises et de l’État, qui a posé clairement, il y a bientôt 111 ans, un cadre qui demeure totalement d’actualité, opérationnel et adapté à la préoccupation qui nous anime aujourd’hui.

M. Olivier Marleix. Qui a donné lieu à quelles condamnations ?

M. Pascal Popelin. Je veux, comme je l’ai fait lors de nos débats en commission, rappeler le contenu de cet article, à l’intention de ceux qui pensent qu’il est nécessaire chaque jour de réinventer l’eau chaude, mais aussi de ceux qui suivent nos débats, et à qui l’on veut faire croire chaque jour que la France serait amollie et dépourvue de tout moyen juridique de protection : « Si un discours prononcé, ou un écrit affiché ou distribué dans les lieux ou s’exerce le culte, contient une provocation directe à résister à l’exécution des lois ou aux actes légaux de l’autorité publique, ou s’il tend à soulever ou à armer une partie des citoyens contre les autres, le ministre du culte qui s’en sera rendu coupable sera puni d’un emprisonnement de trois mois à deux ans (…) ». Le sujet n’est donc finalement pas si récent que cela, même s’il recouvrait, bien évidemment, à l’époque, des réalités différentes. C’est l’occasion d’avoir une pensée pour Aristide Briand, qui fut le rapporteur de ce texte, si important pour l’identité de la République française.

Le dernier texte que je souhaite évoquer est bien plus récent : il fut adopté au cours de cette législature. La loi antiterroriste du 13 novembre 2014, issue d’un projet de loi que le Gouvernement a présenté quelques semaines avant les attentats de janvier 2015, a consacré le transfert du délit d’apologie du terrorisme, inscrit dans la loi sur la presse de 1881, vers le code pénal. Pour mémoire, ce délit est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende, soit le même quantum de peine que celui que vous proposez d’instituer, madame la rapporteure, pour l’infraction de prédication subversive que vous suggérez de créer.

Si les lois existent, parfois depuis longtemps, mais que le problème subsiste – nul ne le nie –, ce n’est pas en ajoutant de la loi aux lois que l’on gagnera en efficacité, mais plutôt en les appliquant dans toute leur rigueur. Sans doute faut-il, s’agissant des textes les plus anciens – je pense à l’article 35 de la loi de 1905 –, rafraîchir quelque peu les mémoires, pour que le ministère public s’appuie pleinement sur l’ensemble de la palette de ces possibilités légales, afin d’engager des poursuites chaque fois que nécessaire. Je vous sais très attentif à cette préoccupation, monsieur le garde des Sceaux.

Pour l’application pleine et entière des dispositions de la loi du 13 novembre 2014, en tout cas, la piqûre de rappel au moyen d’une circulaire d’application de la politique pénale ne semble pas nécessaire, si l’on veut bien considérer l’évolution des statistiques. Le nombre de poursuites intentées pour apologie du terrorisme est passé de six en 2014 – pour une période d’application de seulement six semaines –, à 385 en 2015 ; pour le seul premier trimestre 2016, on en dénombre déjà 219. Notre droit positif contient donc des outils conséquents pour poursuivre et sanctionner toutes les formes de discours qui portent les germes d’un trouble grave à l’ordre public, y compris ceux tenus dans un lieu de culte, mais pas seulement.

Faut-il aller au-delà ? Parce que nous sommes d’accord avec la finalité de votre démarche, parce que nous avons conscience que, dans un contexte d’attentats récurrents, lorsqu’un micro est tendu à un responsable public, c’est pour lui demander quelle mesure nouvelle il entend prendre ou considère qu’il faudrait prendre, parce que nous mesurons les attentes de nos compatriotes imprégnés de ce mode de pensée, notre réponse première fut : pourquoi pas ? Après tout, ce ne serait pas la première fois que l’on réécrirait, dans la loi, ce qui est déjà écrit ailleurs dans la loi. Et si, au passage, cela nous permettait d’élargir les outils pour en finir avec ce fléau ?

Mais « élargir », c’est précisément le second écueil. Élargir, du point de vue du droit, c’est souvent perdre en précision, risquer d’atteindre des cibles que l’on ne visait pas. Il est apparu que ce que nous pouvions considérer, de prime abord, comme un complément utile à notre arsenal légal, qui, au pire, n’apporterait rien de plus, mais rien de moins, était en fait de nature complexifier inopportunément le droit existant, ce qui aurait pour conséquence d’en affaiblir la portée. Il arrive en effet que l’abus de loi soit préjudiciable à l’efficacité du droit. Il peut aussi s’avérer dangereux, à l’insu de son auteur, pour la stabilité des principes fondamentaux qui fondent depuis deux siècles notre capacité à vivre ensemble.

Telle est, de notre point de vue, l’autre grande faiblesse de cette proposition, dont la fragilité juridique n’est pas apparue qu’à moi, ni aux seuls membres du groupe socialiste, écologiste et républicain. Vous-même, madame la rapporteure, en avez pris pleinement conscience, en déposant, en commission des lois, plusieurs amendements à votre propre texte, qui visaient à introduire des modifications substantielles, à défaut d’être réellement satisfaisantes. Même si nous prenions en considération ces apports, comme vous ne manqueriez pas de nous y inviter si nous poursuivions la discussion jusque-là, il n’en demeurerait pas moins une définition extrêmement large et extensive de la nouvelle infraction que vous ambitionnez de créer pour sanctionner les prédications subversives. Ce manque de précision se heurte à plusieurs exigences à valeur constitutionnelle. En matière pénale, l’application de notre droit repose sur un impératif inscrit depuis 1789 dans la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, et sans cesse conforté par la jurisprudence du Conseil constitutionnel : on ne peut être condamné qu’en vertu d’un texte précis et clair. Lors de la séance des questions au Gouvernement du 5 octobre, répondant à une question que vous lui posiez, madame la rapporteure, au sujet de votre proposition de loi, le garde des Sceaux a opportunément rappelé à nos mémoires une pensée de Portalis, qui considérait que « les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires ». Pour ne pas être en reste, je citerai un autre mot de cet éminent architecte de notre code civil : « En matière criminelle, il faut des lois précises et point de jurisprudence ».

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. C’est cela !

M. Pascal Popelin. Or, à quoi l’adoption de votre texte nous conduirait-elle ? Comme l’a fort justement observé, lors du débat en commission, notre collègue Georges Fenech, dont il me semble inutile de préciser qu’il n’est pas membre de mon groupe, mais du vôtre, madame la rapporteure, « Comment pourriez-vous demander à des juges de s’ériger en docteurs de la foi ? Qui va pouvoir émettre un avis autorisé sur tel ou tel précepte religieux ? ». Il poursuivait en rappelant, à juste titre, que « chacun peut croire personnellement à la supériorité de ses convictions religieuses sur l’ordre républicain : cela relève de la liberté de croyance et vous ne pouvez, sans risquer l’arbitraire, confier aux juges le soin de déterminer si ce que vous croyez est bon ou pas ». Seul doit être sanctionné, en effet, le trouble à l’ordre public.

M. Jacques Myard. Je préfère l’injustice au désordre !

M. Pascal Popelin. Mais, en cas de trouble à l’ordre public, il est évident, je viens de le rappeler, que nous disposons déjà de tous les textes de nature à qualifier pénalement les choses.

L’exigence de précision de la loi pénale n’a pas été établie à des fins d’esthétisme juridique. Elle a pour but de protéger de l’arbitraire en limitant les marges d’interprétation laissées à la seule appréciation du juge. Elle constitue, à ce titre, l’un des piliers de notre République. Elle est aussi, dans la pratique, un point de référence utile autant qu’indispensable aux magistrats pour leur permettre de rendre un verdict juste et efficace.

Où s’arrête le propos acceptable ? Où commence celui qui doit être condamné et sévèrement sanctionné ? Rien ne l’indique dans votre proposition de loi. Vous avez, parmi d’autres exemples, évoqué la question de l’égalité entre les hommes et les femmes, qui tient à cœur à notre majorité : nous lui avons consacré de nombreuses avancées, récemment, dans une belle loi. Devrait-on considérer, au nom de ce principe, qu’un juge pourrait décider d’empêcher, demain, les femmes et les hommes d’être séparés dans les synagogues, où nous étions hier nombreux à venir entendre la prière pour la République française, à l’occasion de Kippour ?

Certains discours politiques, dont je n’approuve pas personnellement qu’ils soient prononcés dans des lieux de culte, pourraient également, au moyen du texte que vous proposez, être aisément assimilés à un prêche subversif pour peu qu’ils paraissent à tel ou tel magistrat plus ou moins contraires aux valeurs de notre démocratie.

M. Jacques Myard. Tu dérapes !

M. Pascal Popelin. Commandés par certaines convictions religieuses, que l’on pourrait sans trop se forcer estimer incompatibles avec le principe constitutionnel d’égalité, quelques-uns de nos collègues ont, au début de cette législature, publiquement appelé à faire obstacle à l’application d’une loi de la République. L’expression de leur refus de permettre que deux personnes du même sexe se marient ne risquerait-elle pas de tomber sous le coup de l’infraction que vous envisagez de créer ? Même si certains d’entre nous pourraient se trouver par là tentés de vous suivre par esprit facétieux, la raison commande de considérer qu’une telle évolution serait tout sauf souhaitable pour tous ceux qui sont attachés à la liberté de conscience et d’expression.

M. Jean Leonetti. Tout va bien, tout va très bien ! Il ne faut rien faire !

M. Pascal Popelin. Je ne vous prête bien évidemment pas cette intention, madame la rapporteure, mais puisque nous sommes plongés dans les matières religieuses, gardons à l’esprit que l’enfer est pavé de bonnes intentions.

M. Jacques Myard. C’est chouette, l’enfer !

M. Jean Leonetti. On ne l’avait jamais entendue, celle-là !

M. Pascal Popelin. Voilà pourquoi, mes chers collègues, je vous invite à joindre vos voix à celles du groupe socialiste, écologiste et républicain, qui vous propose d’adopter cette motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, rapporteure. Cette motion de rejet préalable est particulièrement malvenue. Si vous contestiez l’existence du problème ou si vous ne partagiez pas notre constat sur la gravité de la situation et l’urgence d’agir, elle aurait du sens, et nous pourrions comprendre que vous l’ayez déposée. Vous avez au contraire dit d’emblée que l’objet de cette proposition de loi était légitime ; vous ne contestez donc guère que la manière.

M. Christian Jacob. On pourrait au moins en débattre !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, rapporteure. En outre, je me suis montrée ouverte à des modifications de mon propre texte pour que nous puissions atteindre ensemble l’objectif fixé.

M. Jacques Myard. On va émettre une fatwa !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, rapporteure. L’idée était donc que nous y travaillions ensemble, que nous amendions le texte ensemble ; pour cela, il faut néanmoins passer à la discussion.

M. Christian Jacob. Eh oui !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, rapporteure. Or, avec cette motion de rejet préalable, vous rendez la discussion impossible, dévoilant ainsi votre vraie nature : tout dans le discours, rien dans l’action. Il est temps que cela change. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Le Roux. Si vous croyiez autant à ce texte, vous seriez plus nombreux sur les bancs de l’opposition !

M. le président. Au titre des explications de vote sur la motion de rejet préalable, la parole est à M. Christian Kert, pour le groupe Les Républicains.

M. Christian Kert. Monsieur Popelin, il y a une grande différence entre nous : vous nous avez fait un cours magistral de droit, vous êtes dans vos livres, tandis que pour notre part, nous voulons traiter un problème humain, une menace terroriste, des drames humains. Il y a donc le livre et le cœur, et vous n’avez parlé qu’au livre, monsieur Popelin. Et nous tentons, nous, de vous faire comprendre l’existence d’un drame humain, et notre volonté de lutter à la source même de ce qui le provoque.

Le texte de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet ne porte pas atteinte aux libertés fondamentales. Nous sommes fidèles au principe de laïcité. Pour ma part, j’ai le sentiment que M. Popelin a une grande connaissance livresque, mais qu’il méconnaît un peu la noirceur obscurcissant parfois la nature humaine.

M. Pascal Popelin. Venez dans la circonscription dont je suis l’élu avant de donner des leçons !

M. Olivier Marleix. Ne rien faire, c’est se rendre coupable !

M. Christian Kert. C’est à ce phénomène-là que nous voulons répondre. Telle est la grande différence entre nous. Voilà pourquoi je pense que vous devriez vous ranger à cette proposition de loi, car elle parle d’un véritable problème de société, un peu éloigné, il est vrai, du cours de droit. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Razzy Hammadi, pour le groupe socialiste, écologiste et républicain.

M. Razzy Hammadi. Vous évoquez la différence entre le livre et le cœur, mais la gauche et la droite s’opposent sur un autre point. Dans vos rangs mêmes, ceux qui ont travaillé sur ces sujets, notamment dans le cadre de la législation relative aux sectes, ont passé des mois, des années à examiner la façon dont on pouvait lutter en droit contre l’embrigadement, la perversion ; vous parliez de noirceur dans les cœurs, et vous avez raison.

M. Jean Leonetti. Nous avons raison, mais vous ne votez pas, et vous ne discutez pas !

M. Razzy Hammadi. Ce qui se manifeste ici, c’est l’opposition entre la raison et la pulsion. Le brillant exposé de notre collègue Popelin…

M. Jean Leonetti. N’en rajoutez pas ! Il a déjà la tête qui gonfle !

M. Razzy Hammadi. … s’appuie sur la raison. Que recherchent les terroristes ? Ils recherchent notamment et précisément l’éveil des pulsions qui surgissent de cette noirceur du cœur que vous évoquiez.

Cette proposition de loi est inefficace parce que, nous venons de le voir, dans de nombreux cas, nous sommes en mesure de répondre, et nous l’avons fait, avec des condamnations et des instructions.

M. Jean Leonetti. Cela ne se voit pas beaucoup !

M. Razzy Hammadi. Cette proposition de loi contrevient à un certain nombre de principes constitutionnels. Pis, et je conclurai par là, elle est contre-productive. Je crois en effet qu’ensemble, en dépit de l’opposition entre droite et gauche, nous devons avoir conscience de notre responsabilité quant au sens de nos débats et à la façon dont ils sont perçus à l’extérieur. Quelquefois, ce qui caractérise la noirceur du cœur, c’est le cynisme de lancer un débat dont on connaît la courte portée dans nos textes mais le puissant effet à l’extérieur. Nos concitoyens musulmans, ainsi qu’une grande partie des non-musulmans, n’en peuvent plus de cette attitude qui consiste à instrumentaliser des sujets sans apporter aucune réponse concrète au terrorisme.(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. Jean Leonetti. Ce n’est pas de cela qu’ils n’en peuvent plus !

(La motion de rejet préalable, mise aux voix, est adoptée.)

M. le président. En conséquence, la proposition de loi est rejetée.

3

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :

Proposition de loi relative au défibrillateur cardiaque.

La séance est levée.

(La séance est levée à treize heures vingt.)

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly