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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2016-2017

Compte rendu
intégral

Première séance du mardi 15 novembre 2016

SOMMAIRE

Présidence de M. Claude Bartolone

1. Questions au Gouvernement

Projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes

M. Michel Piron

M. Manuel Valls, Premier ministre

Lutte contre le terrorisme

Mme Sandrine Mazetier

M. Manuel Valls, Premier ministre

Prélèvement de l’impôt à la source

Mme Marie-Christine Dalloz

M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du budget et des comptes publics

Lutte contre le décrochage scolaire

M. Yves Durand

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche

Politique de l’emploi

M. Christian Franqueville

Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

Accords de Sécurité sociale entre la France et le Canada

M. Stéphane Claireaux

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d’État chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion

Projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes

M. Christophe Priou

M. Manuel Valls, Premier ministre

Ariane 6

Mme Geneviève Fioraso

M. Thierry Mandon, secrétaire d’État chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche

Réforme de l’éducation prioritaire

M. Olivier Marleix

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche

Énergie issue de la méthanisation

M. Paul Molac

Mme Barbara Pompili, secrétaire d’État chargée de la biodiversité

Mesures à destination des forces de l’ordre

M. Julien Dive

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Sauveteurs en mer

Mme Chantal Guittet

M. Alain Vidalies, secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche

Financement de l’archéologie préventive

Mme Catherine Vautrin

Mme Audrey Azoulay, ministre de la culture et de la communication

Traitement des déchets ménagers

M. Franck Gilard

M. Jean-Michel Baylet, ministre de l’aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales

Services postaux

M. Nicolas Sansu

M. Christophe Sirugue, secrétaire d’État chargé de l’industrie

Suspension et reprise de la séance

2. Déclaration du Gouvernement et débat sur le décret du 28 octobre 2016 autorisant la création d’un traitement de données à caractère personnel

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

M. Meyer Habib

Mme Jeanine Dubié

M. Jean-Jacques Candelier

M. Luc Belot

M. Philippe Goujon

M. Pascal Popelin

M. Sergio Coronado

Mme Cécile Untermaier, suppléant M. Dominique Raimbourg, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

M. Bernard Cazeneuve, ministre

Mme Aurélie Filippetti

M. Bernard Cazeneuve, ministre

M. Claude Bartolone, Président

Suspension et reprise de la séance

Présidence de Mme Catherine Vautrin

3. Prestation de serment de deux juges suppléants à la Cour de justice de la République

4. Projet de loi de finances pour 2017

Seconde partie (suite)

Politique des territoires

M. Jean-Michel Baylet, ministre de l’aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales

M. Jean-Pierre Maggi

M. André Chassaigne

M. Jean-Louis Bricout

M. Arnaud Viala

M. Thierry Benoit

Mme Jacqueline Maquet

M. Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports

M. Paul Salen

M. Jean-Michel Baylet, ministre

Mission « Politique des territoires » (état B)

Amendement no 479

M. Michel Vergnier, rapporteur spécial de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Amendement no 518

M. Alain Calmette, rapporteur pour avis de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

Suspension et reprise de la séance

M. Patrick Kanner, ministre

Après l’article 58

Amendement no 480

Santé

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé

M. Patrice Carvalho

M. Gérard Sebaoun

M. Gilles Lurton

M. Francis Vercamer

Mme Dominique Orliac

5. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Claude Bartolone

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Questions au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes

M. le président. La parole est à M. Michel Piron, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Michel Piron. Monsieur le Premier ministre, voilà bientôt deux ans, le 4 novembre 2014, je vous interrogeais – en vain – sur Notre-Dame-des-Landes, devenu le symbole de « l’affaissement de l’État et de l’impuissance des gouvernants ».

Hier, une énième décision de justice a validé le projet de transfert de l’aéroport de Nantes sur cette zone où même un président de Région ne peut se déplacer sans mettre en jeu sa propre sécurité.

Voilà des mois, des années, que des minorités virulentes, voire violentes, ont fait de Notre-Dame-des-Landes une zone de non-droit absolu, au mépris des élus, des juges, des citoyens : des élus qui, dans leur immense majorité, ont voté le projet d’aéroport, des juges qui l’ont donc validé 169 fois, des citoyens qui l’ont même approuvé par référendum !

Ce qui est en cause depuis trop longtemps, c’est rien moins que le respect du suffrage universel et de la capacité de ses représentants à agir. Aussi bien, monsieur le Premier ministre, alors que l’indécision demeure la règle au plus haut niveau de l’État, continuerez-vous dans votre triple renoncement : renoncement à faire respecter la loi, renoncement à faire exécuter les décisions de justice, renoncement, pour le dire en un mot, à gouverner ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le député, la cour administrative d’appel de Nantes a rejeté hier, vous venez de le rappeler, les recours déposés contre les arrêtés préfectoraux permettant l’engagement des travaux du transfert de l’aéroport de Nantes Atlantique sur le site de Notre-Dame-des-Landes. Elle a ainsi confirmé le jugement du tribunal administratif de juillet 2015.

Ce jugement qui intervient après 168 décisions de justice favorables au projet prouve une nouvelle fois, si c’était nécessaire, que ce projet est parfaitement légal et conforme aux réglementations en vigueur.

M. Sylvain Berrios. Et Mme Royal, elle en pense quoi ?

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le député, je ne vais pas polémiquer. Ce qui compte, c’est le projet.

Plusieurs députés du groupe Les Républicains. Mais Mme Royal, elle en pense quoi ?

M. Manuel Valls, Premier ministre. J’ajoute, et je vous en informe, que la clôture du précontentieux européen est envisagée au terme du dialogue engagé dès 2013 entre les autorités françaises et la Commission européenne.

M. Alain Marty. Et Mme Royal ?

M. Manuel Valls, Premier ministre. S’agissant de cette décision de justice, puisque vous interrogez le Gouvernement, ne faites pas semblant, monsieur Piron, car vous m’avez déjà entendu et vous connaissez parfaitement ma position, mes écrits et ma détermination.

M. Sylvain Berrios. Mais Mme Royal ?

M. Manuel Valls, Premier ministre. Cette décision de justice conforte la détermination du Gouvernement à mettre en œuvre un projet porté par l’ensemble des élus ainsi que par les forces économiques de ce territoire et à respecter aussi le choix des habitants clairement exprimé lors de la consultation locale organisée le 26 juin dernier avec une forte participation, un résultat net : consultation locale qui avait été annoncée quelques mois auparavant par le Président de la République.

L’État va donc poursuivre les préparatifs de reprise des travaux afin que ceux-ci interviennent dès que possible. Les personnes qui occupent illégalement les emprises doivent désormais partir. Les personnes de bonne volonté – et heureusement, il y en a – doivent désormais respecter le droit et le verdict des urnes.

M. Sylvain Berrios. Comme Mme Royal ?

M. Manuel Valls, Premier ministre. Quant à ceux qui seraient tentés de s’opposer au projet par la force, la violence – car c’est bien la menace qui est brandie – ils doivent savoir que non seulement de tels actes sont passibles de poursuite en justice, mais qu’ils trouveront face à eu la détermination de l’État.

Le peuple a parlé, la justice aussi, l’État de droit également.

M. Sylvain Berrios. Et Mme Royal aussi.

M. Manuel Valls, Premier ministre. C’est-à-dire la démocratie. Désormais, chacun doit respecter ce choix. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Lutte contre le terrorisme

M. le président. La parole est à Mme Sandrine Mazetier, pour le groupe socialiste, écologiste et républicain.

Mme Sandrine Mazetier. Monsieur le Premier ministre, deux minutes ne suffiraient pas à prononcer le nom des victimes de Montauban, de Toulouse, de Paris, Montrouge, Villejuif, de Saint-Quentin-Fallavier et Saint-Denis, de Magnanville, Nice et Saint-Étienne-du-Rouvray.

Dimanche, nous commémorions les attentats du Bataclan et de Saint-Denis. Ce soir du 13 novembre 2015, tout le monde l’a en tête. C’est le soir où tout a basculé, le soir où 130 personnes sont mortes et des centaines d’autres ont été blessées. Paris était en deuil, frappé dans sa liberté, dans sa joie de vivre, de vivre ensemble.

Mais quelques jours après, nous étions tous en terrasse. Et depuis, à chaque fois que la France a été frappée, le peuple français a montré au reste du monde un visage uni et fier pour affirmer que les terroristes ne nous briseraient pas.

Andrée Chedid disait : « J’ai ancré l’espérance aux racines de la vie. Face aux ténèbres, j’ai dressé des clartés. » C’est ce qu’ont fait des millions de nos concitoyens.

Le Gouvernement a pris les mesures qui s’imposaient. Il a décrété l’état d’urgence, qui a permis de rapidement mener les enquêtes, de perquisitionner des réseaux, d’inculper les complices.

Aujourd’hui, notre mobilisation ne doit pas cesser. Nous devons rester mobilisés ensemble pour faire face. Nous savons que la menace terroriste est toujours là. À mesure que nous combattons Daech en Syrie et en Irak, il recule, mais ses idées se propagent toujours.

L’Europe doit être responsable, la France doit être ferme. Tout – je dis bien : tout – doit être pensé pour combattre le fanatisme et l’aveuglement.

Monsieur le Premier ministre, comment déployons-nous, aux niveaux national et européen, nos outils de lutte contre le terrorisme ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et sur quelques bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Madame la députée, comme tous nos compatriotes, nous nous sommes recueillis dimanche dans le souvenir. Nous y étions avec le Président de la République, la maire de Paris, les élus de Saint-Denis et vous-même, et nous avons tous vécu cela avec beaucoup d’émotion – je ne veux que restituer ce que chacun a bien ressenti. Il y avait en effet beaucoup d’émotion, de dignité et de respect de la part des proches, des familles des victimes et des victimes elles-mêmes, des personnes blessées physiquement ou psychologiquement par ces attentats. J’ai en mémoire les mots très forts prononcés à Saint-Denis, après le magnifique concert de Sting au Bataclan dimanche matin, par le fils de celui qui a été tué dans l’attentat commis près du Stade de France. J’ai surtout en mémoire, comme sans doute Bernard Cazeneuve, les mots et les interrogations de tous ceux qui se sont retrouvés pendant un long moment devant le Bataclan.

Ce que je ressens, c’est une grande force dans le peuple français, au-delà des fractures, des divisions, des interrogations et de la demande très forte de protection. Ce que je ressens, c’est beaucoup de dignité et de force. Notre rôle à tous est d’accompagner cette dignité, cette force et ce respect pour faire face au terrorisme.

Il serait trop long de détailler ce que le ministre de l’intérieur a souvent l’occasion d’exposer à ce propos, mais faire face au terrorisme, c’est évidemment être totalement mobilisés. C’est le rôle de nos forces de sécurité, du renseignement et de la justice, dont je veux saluer le travail, ainsi que celui des services de santé et de la sécurité civile, qui étaient avec nous dimanche dernier. Je ne puis que vous dire, sous le contrôle de Bernard Cazeneuve, que tous les jours, toutes les semaines, des réseaux djihadistes sont démantelés, des personnes sont interpellées et des attentats sont régulièrement évités – vous le savez bien.

La force doit aussi consister à être lucides sur la menace. C’est la raison pour laquelle nous proposerons au Parlement de prolonger l’état d’urgence, parce que la France est aujourd’hui engagée en Irak et en Syrie, parce que nous sommes confrontés à un tel niveau de menace et aussi parce que nous entrons dans une phase électorale et que la démocratie est très directement visée par les terroristes.

La mobilisation, c’est aussi, bien sûr, la lutte contre la radicalisation. C’est l’éducation nationale, les travailleurs sociaux et la société tout entière. J’ai assisté hier à un beau débat après la projection du film Le Ciel attendra, qui montre bien la puissance de la radicalisation dans notre pays – c’était le sujet de la question posée la semaine dernière par Malek Boutih. Nous devons être conscients qu’aujourd’hui, des centaines, des milliers de jeunes sont concernés par cette radicalisation et que s’il y a évidemment d’abord une réponse sécuritaire, nous devons également prendre pleinement les choses en main et donner du sens à notre société face à ce danger qui nous guette.

Enfin, vous l’avez dit, chacun doit prendre ses responsabilités, notamment au niveau européen. La France, vous le savez bien, a pris les siennes, au Sahel comme au Levant. L’Europe doit en prendre pleinement conscience, par la protection de ses frontières, la coordination du renseignement et l’engagement sur le terrain, pour combattre le terrorisme et en finir avec Daech.

Madame la députée, en répondant à votre question, j’ai la conviction que nous vaincrons le terrorisme, car il y a assez de force dans la société française pour surmonter cette épreuve. Mais la condition, c’est la détermination et l’unité du peuple français. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Prélèvement de l’impôt à la source

M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Dalloz, pour le groupe Les Républicains.

Mme Marie-Christine Dalloz. J’aurai d’abord une pensée pour les salariés de l’entreprise Logo, dans le Jura, placée ce matin en liquidation judiciaire avec effet immédiat.

Monsieur le Premier ministre, pourquoi, en fin de mandature, vous obstinez-vous à vouloir mettre en place le prélèvement à la source ? Est-ce électoraliste ? Cette mesure s’appliquerait au 1er janvier 2018. Votre gouvernement répète sans cesse qu’un grand nombre de pays pratiquent déjà le prélèvement à la source. Certes, mais vous oubliez trop vite que notre système fiscal n’est comparable à celui d’aucun autre pays, car l’impôt français est progressif, familialisé et conjugalisé.

Je poserai trois questions. Tout d’abord, votre prélèvement à la source est-il simple ? Non (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain), car le contribuable devra toujours établir une déclaration de revenus, avec une régularisation l’année suivante. Les crédits d’impôts ne seront plus pris en compte pour l’année en cours, ce qui inquiète les professionnels du bâtiment pour l’année 2017, et vous devrez pratiquer une amnistie fiscale, avec une année blanche en 2017.

Ensuite, votre réforme est-elle neutre pour les ménages ? Certes non ! Il s’agit d’une avance de trésorerie à l’État, pénalisante pour le pouvoir d’achat des ménages. Plusieurs millions de contribuables verront leurs revenus chuter en janvier 2018, ce qui, dans un contexte d’hypersensibilité à l’impôt, nuira encore au nécessaire climat de confiance entre le citoyen et l’administration.

Enfin, est-il logique d’instaurer une complexité supplémentaire pour les entreprises, alors que vous aviez parlé d’un « choc de simplification » ? Les entreprises devront assurer la confidentialité des données fiscales et de leur transmission. Elles seront aussi l’interlocuteur entre leurs salariés – et donc vos contribuables – et l’administration fiscale. Est-ce réellement leur rôle ? Monsieur le Premier ministre, ne considérez-vous pas que la facture fiscale de votre quinquennat est déjà assez salée comme cela ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du budget et des comptes publics.

M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du budget et des comptes publics. Madame la députée, ce n’est pas parce que la droite a été incapable de mettre en œuvre une réforme qu’elle a si souvent annoncée qu’il faut énoncer des contrevérités. (Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains.) Je répondrai précisément à vos questions, mais nous aurons jeudi et vendredi l’occasion d’en discuter avec celles et ceux qui voudront bien participer aux débats.

Les crédits et réductions d’impôt, sur lesquels vous nous interrogez, seront bien évidemment maintenus.

M. Jacques Myard. C’est nous qui paierons !

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Tous les crédits et réductions d’impôt acquis au titre de l’année 2017 seront en effet perçus, comme d’habitude, l’année suivante et certains seront même perçus par anticipation – nous y reviendrons lors des débats auxquels vous participerez et des travaux sont en cours sur cette question.

Pour ce qui est de l’année de transition, les choses sont claires : les revenus ordinaires de l’année 2017, hors revenus exceptionnels, ne figureront pas dans l’assiette de l’impôt sur le revenu. Les contribuables paieront en 2017 l’impôt sur les revenus de l’année 2016 et en 2018, l’impôt sur les revenus de 2018. Il n’y a là aucune anticipation, mais il y aura une année où les revenus des salariés et des pensionnés ne seront pas assujettis à l’impôt.

Quant aux éléments de comparaison, il existe bien d’autres pays où l’impôt est progressif et familialisé et qui pratiquent le prélèvement à la source.

Cette réforme est souhaitée par l’ensemble des Français. (« Non ! » sur les bancs du groupe Les Républicains), ou du moins très majoritairement, comme le montrent toutes les études d’opinion. (Mêmes mouvements.)

M. Yves Fromion. Lesquelles ?

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Il n’y a pas lieu de mener à ce propos des combats d’arrière-garde. Nous sommes ouverts au travail et cette réforme sera, je l’espère, votée vendredi en fin d’après-midi. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain. – Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Lutte contre le décrochage scolaire

M. le président. La parole est à M. Yves Durand, pour le groupe socialiste, écologiste et républicain.

M. Yves Durand. Madame la ministre de l’éducation nationale, chacun connaît les ravages sociaux, économiques et humains du décrochage scolaire. C’est pourquoi François Hollande s’était fixé, lors de la campagne électorale de 2012, le but de réduire le nombre de décrocheurs de moitié.

Un député du groupe Les Républicains. C’est raté !

M. Yves Durand. Nous sommes sur la voie d’atteindre cet objectif. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. S’il vous plaît ! Écoutez !

M. Yves Durand. En effet, n’en déplaise à ceux qui vocifèrent, nous sommes en train d’atteindre cet objectif.

Madame la ministre, vous avez annoncé hier que le nombre de décrocheurs était passé en dessous des 100 000 alors qu’il était de 140 000 en 2010. Il y a là une baisse continue du nombre de jeunes sortant du système éducatif sans diplôme, ni qualification. Ces premiers résultats doivent nous encourager à poursuivre les actions mises en œuvre.

Il faut d’ailleurs saluer la mise en place, en son temps, par Luc Chatel, des plateformes de lutte contre le décrochage (« Ah ! » sur les bancs du groupe Les Républicains) : c’était une première action, qui n’a toutefois pas toujours obtenu les résultats attendus.

Dès 2012, la loi de refondation de l’école a mis l’accent sur la lutte contre le décrochage, mais l’école seule ne peut pas lutter contre un phénomène complexe aux causes individuelles diverses. Il faut donc rassembler tous les acteurs qui peuvent agir contre le décrochage. C’est le but du plan d’action « Tous mobilisés contre le décrochage » que vous avez initié, madame la ministre, en 2014. La lutte contre le décrochage doit être l’affaire de tous : l’école, les enseignants – formés, enfin ! – mais aussi les entreprises, les associations et les collectivités territoriales.

Ces chiffres montrent que nous sommes sur la bonne voie. Ces résultats sont une première étape et nous appellent à poursuivre notre effort. Madame la ministre, quelles actions mettre en œuvre pour lutter contre le décrochage scolaire ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le député, 98 000 décrocheurs sortis du système scolaire l’année dernière, soit 40 000 de moins qu’il y a cinq ans : voilà un chiffre qui devrait réjouir tous ceux qui, sur tous les bancs, déplorent depuis des années le nombre trop important de sorties sans qualification et leur lot de souffrances humaines mais aussi de coût économique pour notre pays.

M. Claude Goasguen. Arrêtez !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Voilà un chiffre qui devrait également répondre aux interrogations de ceux qui se demandent pourquoi, depuis 2012, nous tenons tant à une école bienveillante, inclusive et tournée vers la réussite de tous les élèves, et pas seulement de quelques-uns ; aux interrogations de ceux qui se demandent s’il était vraiment pertinent, comme nous l’avons fait, de multiplier par quatre le nombre de structures de retour à l’école et d’allouer des bourses aux anciens décrocheurs acceptant de se réinscrire dans un parcours de qualification – que n’ai-je entendu sur les bancs de la droite ! – ; aux interrogations de ceux qui se demandent s’il était utile de garantir à tout candidat malheureux au bac de pouvoir se réinscrire dans son lycée d’origine pour le repasser, ou encore à tout élève de seconde professionnelle malheureux dans son orientation de pouvoir se réorienter plutôt que de la subir. La réponse est dans ces résultats.

J’entends ce que l’on me dit : 98 000, c’est mieux mais ce n’est pas encore la division par deux promise par le Président de la République. Je rappelle qu’un quinquennat, c’est cinq ans (« Bravo ! » et applaudissements sur de nombreux bancs du groupe Les Républicains)…

M. Michel Herbillon. C’est bientôt fini : dépêchez-vous !

M. le président. S’il vous plaît !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. …et que nous ne nous reposons pas sur nos lauriers : avec la montée en puissance de toutes les réponses que nous avons mises en place, nous atteindrons bien moins de 80 000 décrocheurs en cette année 2016-2017.

En conclusion, en politique, il n’y a pas de fatalité : il n’y a que des actes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Politique de l’emploi

M. le président. La parole est à M. Christian Franqueville, pour le groupe socialiste, écologiste et républicain.

M. Christian Franqueville. Ma question s’adresse à Mme la ministre du travail, de la formation professionnelle et du dialogue social. Le 25 octobre dernier, l’on nous annonçait que plus de 66 000 Français avaient enfin retrouvé un emploi. Nous ne pouvons que nous réjouir de cette forte baisse du chômage. Elle fait suite à d’autres annonces qui laissent entrevoir, enfin, une réelle embellie pour notre pays et pour nos concitoyens.

Cette baisse du chômage n’est pas le fruit du hasard ou de calculs douteux, comme voudrait nous le faire croire la droite. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. S’il vous plaît ! Cela ne sert à rien et ternit notre image !

M. Christian Franqueville. Ce nombre important de retours vers l’emploi, nous le devons d’abord et avant tout au courage des Français qui cherchent inlassablement un travail ou une formation ; nous le devons aussi aux chefs d’entreprise et aux entrepreneurs qui recrutent et investissent.

M. Claude Goasguen. Quelle est la question ?

M. Christian Franqueville. Enfin, cette baisse du chômage est le fruit des politiques que nous menons depuis 2012. Le renforcement de notre politique de formation, le pacte de compétitivité, le crédit d’impôt compétitivité emploi,…

M. Marc Le Fur. Ça ne marche pas !

M. Christian Franqueville. …l’allégement de charges sociales pour les entreprises ont permis de créer un climat plus favorable à l’embauche et de redonner confiance à l’ensemble de nos entrepreneurs.

Madame la ministre, quand il y a de bonnes nouvelles, nous ne devons pas les cacher. La droite veut nous faire croire que cette baisse est artificielle mais les chiffres ne mentent pas ! En un an, 145 000 emplois ont été créés dans le secteur privé. Dans le secteur tertiaire, les créations d’emploi retrouvent leur niveau d’avant 2008.

Nous devons poursuivre notre combat pour la création d’emploi, pour le soutien aux entrepreneurs et pour l’accompagnement des chômeurs. Le budget pour le travail et l’emploi de 2017 est essentiel. Pouvez-vous nous dire comment vous continuerez d’accompagner les personnes en recherche d’emploi ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Oui, monsieur le député, ce fut long et ardu, parfois au prix de débats au sein même de notre propre famille politique. Dans la bataille pour l’emploi, vous avez raison, il est grand temps d’affirmer les résultats que nous obtenons.

M. Christian Jacob. Surtout si vous voulez devenir députée de Paris !

Mme Myriam El Khomri, ministre. Le premier de ces résultats est la baisse de 90 000 demandeurs d’emploi en catégorie A depuis le début de l’année. Le deuxième résultat tient aux créations nettes d’emploi, qui s’accélèrent : 52 000 emplois créés au troisième trimestre, après 30 000 au deuxième, qui s’inscrivent dans la durée.

M. Sylvain Berrios. Et Macron, qu’en pense-t-il ?

Mme Myriam El Khomri, ministre. Nous en sommes au sixième trimestre consécutif de création nette d’emploi salarié marchand. Savez-vous depuis quand l’économie française n’avait plus créé autant d’emplois en un trimestre ? (Exclamations sur quelques bancs du groupe Les Républicains.) Depuis 2007 ! Au total, 145 000 emplois salariés marchands ont été créés en un an et 210 000 au cours des six derniers trimestres de hausse.

Ces créations d’emploi témoignent à la fois d’une confiance retrouvée des chefs d’entreprise,…

M. Christian Jacob. Tout va très bien !

Mme Myriam El Khomri, ministre. …mais également des outils que nous avons mis en place : le CICE, le pacte de responsabilité, l’aide embauche PME notamment. Nous ne relâchons pas pour autant l’effort : le chômage est encore bien trop important dans notre pays, nous le savons toutes et tous.

M. Christian Jacob. C’est pour ça que vous recherchez une investiture !

Mme Myriam El Khomri, ministre. Pour cette raison, le budget 2017 marquera un effort inédit en faveur de l’emploi, et notamment de l’emploi et de l’insertion des jeunes.

Vous êtes nombreux, sur les bancs de la droite, à vouloir entretenir l’illusion d’une France qui ne se redresse pas. Vous vous dites patriotes mais vous jouez contre votre pays ! (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.) En vérité, ce pays se redresse : c’est une bonne nouvelle non pas pour la gauche ou pour la droite, mais pour les Français ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. Christian Jacob. Vous direz bonjour à M. Coué !

Accords de Sécurité sociale entre la France et le Canada

M. le président. La parole est à M. Stéphane Claireaux, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Stéphane Claireaux. Ma question s’adresse à M. le ministre des affaires étrangères et du développement international. Elle concerne les accords de coordination en matière de Sécurité sociale entre la France et le Canada.

Monsieur le ministre, alors que la ratification du nouveau protocole d’entente entre le Québec et la France, qui répare enfin l’oubli inexplicable de Saint-Pierre-et-Miquelon par l’entente précédente, est examinée en commission par l’Assemblée nationale aujourd’hui même, pouvez-vous nous préciser où en est la ratification du côté québécois et quelle date d’entrée en vigueur nous pouvons espérer pour ces dispositions tant attendues ?

Pouvez-vous par ailleurs nous préciser, monsieur le ministre, les conditions et les délais de mise en œuvre de l’aide exceptionnelle annoncée en octobre dernier par M. le Premier ministre lors de sa visite dans l’archipel concernant la prise en charge par l’État des frais de scolarité et de Sécurité sociale supportés par nos compatriotes de Saint-Pierre-et-Miquelon étudiant au Québec pour l’année scolaire et universitaire 2016-2017, dans l’attente de l’entrée en vigueur de l’entente précitée ?

Par ailleurs, compte tenu de la proximité de nos îles avec les provinces atlantiques canadiennes, je renouvelle ici la demande déjà formulée auprès de Mme la ministre des affaires sociales et de la santé par la caisse de prévoyance sociale de Saint-Pierre-et-Miquelon et par moi-même que la France négocie avec les provinces de la Nouvelle-Écosse, du Nouveau-Brunswick et de Terre-Neuve-et-Labrador des ententes en matière de sécurité sociale similaires à celles qui nous lient avec le Québec.

Enfin, l’accord de Sécurité sociale France-Canada, que vous avez vous-même signé en mai 2013, monsieur le ministre, est ratifié par la France depuis décembre 2015. Pourtant le Centre des liaisons européennes et internationales de Sécurité sociale – CLEISS – indique que les dispositions essentielles de cet accord fédéral, notamment en matière de droits à la retraite, ne sont toujours pas entrées en vigueur. Qu’en est-il côté canadien et à quelle date nos compatriotes de France métropolitaine et d’outre-mer concernés par cet accord pourront-ils bénéficier de ces avancées sociales importantes ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion.

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d’État chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion. Je vous prie tout d’abord, monsieur le député, de bien vouloir excuser la ministre des affaires sociales et de la santé, Marisol Touraine, qui participe actuellement au Sénat à la discussion du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2017.

Les avenants aux accords de Sécurité sociale signés avec le Québec en avril dernier ont déjà été ratifiés par le Parlement québécois. Le conseil exécutif québécois attend la finalisation de notre procédure parlementaire pour nous notifier l’accomplissement de sa procédure nationale. Les dispositions de ces avenants entreront en vigueur deux mois après l’échange de nos instruments de ratification.

Il importe que le projet de loi autorisant la ratification de ces avenants, en cours d’examen, soit adopté au plus vite. Le souhait du Gouvernement est que ces deux avenants entrent en vigueur aussi vite que possible et en tout état de cause avant la prochaine rentrée scolaire. S’agissant de l’année scolaire 2016-2017, je vous confirme que l’aide exceptionnelle annoncée par le Premier ministre est en cours de mise en œuvre.

Concernant l’accord de Sécurité sociale signé le 14 mars 2013 avec le Canada, la France est en attente de la notification de la procédure de ratification par le gouvernement canadien. La France a ratifié cet accord par la loi du 21 décembre 2015 autorisant son approbation. Les autorités françaises ont notifié aux autorités canadiennes le 21 janvier 2016 l’achèvement de la procédure interne requise pour l’entrée en vigueur de l’accord. La France reste donc dans l’attente de l’instrument d’approbation canadien. Cet accord entrera en vigueur quatre mois après l’échange de nos instruments de ratification.

Enfin, même si de telles discussions prennent du temps, la ministre des affaires sociales et de la santé est favorable à la conclusion d’accords de Sécurité sociale pour renforcer la protection de nos concitoyens partout dans le monde, y compris avec la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick et Terre-Neuve-et-Labrador.

Projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes

M. le président. La parole est à M. Christophe Priou, pour le groupe Les Républicains.

M. Christophe Priou. Faisant écho à celle posée par mon collègue Michel Piron, ma question s’adresse à M. le Premier ministre.

Après une trop longue bataille juridique, la cour administrative d’appel de Nantes a validé hier les arrêtés environnementaux autorisant le début des travaux de l’aéroport du Grand Ouest à Notre-Dame-des-Landes. Après que 168 décisions de justice ont été rendues, plus rien ne s’oppose désormais au lancement du chantier, conforté par la consultation du 26 juin dernier où 55 % des électeurs ont voté en faveur du transfert de l’aéroport.

Comme le précise la cour administrative d’appel de Nantes dans son arrêt, « la ministre de l’environnement, de l’énergie, et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat, par un mémoire en défense enregistré le 19 septembre 2016, a conclu au rejet des requêtes ». Tout arrive !

Monsieur le Premier ministre, vous avez promis une évacuation de la « zone à défendre », la ZAD, à l’automne. Or l’automne est déjà bien avancé. Quand allez-vous passer de la déclaration aux actes ?

Les arrêtés préfectoraux relatifs au chantier de l’aéroport sont définitivement validés. Merci de respecter la voix du peuple qui s’est clairement exprimé en faveur du projet dans le cadre du référendum organisé en juin 2016 à l’initiative de M. le Président de la République. Que répondez-vous à ceux qui entendent ne pas respecter la procédure démocratique et les décisions de justice ? Le droit ne peut pas être plus longtemps bafoué alors que la crédibilité des pouvoirs publics est déjà largement entamée.

Aujourd’hui, il n’y a plus de procédure suspensive. Confirmez-vous le démarrage des travaux ? Confirmez-vous que Mme la ministre de l’environnement va donner les instructions nécessaires à la direction générale de l’aviation civile pour qu’elle informe le concessionnaire des décisions du Gouvernement ?

Nous attendons désormais, monsieur le Premier ministre, que vous indiquiez à la représentation nationale, ici et maintenant, un calendrier précis. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur plusieurs bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Moi, monsieur le député, je suis Premier ministre ; je ne suis pas comme vous un élu de ce territoire qui soutient depuis longtemps ce projet.

M. Bernard Accoyer. C’est un élu de la nation !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Je sais que vous, les parlementaires, les présidents de région successifs, les élus de Nantes et de l’agglomération avez soutenu ce projet avec les forces économiques, considérant – ce que je crois aussi – qu’il est utile pour le département, pour la région et pour le Grand Ouest.

C’est un débat qui vient de loin, qui dure depuis des années. (« Et alors ? » sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.) Ce dossier a franchi l’ensemble des étapes administratives, je l’ai rappelé, vous venez de le redire. (Mêmes mouvements.)

M. Christian Jacob. Concrètement que comptez-vous faire ?

M. Manuel Valls, Premier ministre. Je ne sais pas si vous vous rendez compte du spectacle que vous donnez – mais c’est un avis de béotien ! (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Un député du groupe Les Républicains. Tu parles d’un béotien !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Je réponds précisément à la question précise posée par le député Priou sur le ton et avec le respect qui le caractérisent, sur ces sujets comme sur les autres, et j’y réponds simplement : oui, toutes les étapes administratives ont été franchies.

M. Guy Geoffroy. Ce n’est pas la question !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Une consultation locale a même été organisée. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.) Les élus locaux s’interrogeaient d’ailleurs sur l’opportunité de cette consultation locale annoncée par le Président de la République. Elle a donné au projet une force supplémentaire par la participation des électeurs de Loire-Atlantique et par son résultat, très clairement en faveur du projet (Mêmes mouvements) et rendu en toute connaissance de cause puisque chacun connaissait le fond du sujet.

Il faut respecter l’État de droit, les décisions de la justice administrative, la voix du peuple qui a parlé …

Un député du groupe Les Républicains. Et la voix de Mme Royal ?

M. Manuel Valls, Premier ministre. …et nous le savons, pour que ce projet se réalise, il faut engager les travaux avant que la déclaration d’utilité publique ne devienne caduque…

M. Christian Jacob. Concrètement cela veut dire quoi ?

M. Manuel Valls, Premier ministre. …– chacun comprend ce que je veux dire – et il appartient à l’État de faire respecter cette décision. Croyez encore une fois en notre volonté et notre détermination de la faire respecter. (« Quand ? » sur les bancs du groupe Les Républicains.)Je ne savais pas qu’à l’Assemblée nationale il fallait indiquer le début des travaux ou de l’intervention des forces de l’ordre. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Christian Jacob. Puisque nous vous le demandons !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Vous nous permettrez encore, dans un État de droit et conformément à l’idée que je me fais de l’autorité, de garder ça pour nous, monsieur Jacob ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Ariane 6

M. le président. La parole est à Mme Geneviève Fioraso, pour le groupe socialiste, écologiste et républicain.

Mme Geneviève Fioraso. Monsieur le président, ma question s’adresse à M. le secrétaire d’État chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Monsieur le secrétaire d’État, avec le prochain départ de notre astronaute Thomas Pesquet pour la station spatiale internationale et les premiers services du système européen de géolocalisation Galileo, cette fin d’année 2016 est riche d’événements pour la filière spatiale.

C’est une très bonne nouvelle. Dans la morosité ambiante, il est toujours bon de rappeler les grandes réussites européennes, encore plus quand la France en est le chef de file, grâce à l’excellence de son agence, du Centre national d’études spatiales – le CNES –, d’Arianespace et de ses industriels.

La filière spatiale est une filière d’avenir dont nous devons développer l’aval pour créer des emplois dans les services et les applications, comme je l’ai proposé dans le rapport remis au Premier ministre, à sa demande, en juillet dernier. Mais il fallait d’abord consolider l’autonomie de l’accès à l’espace. C’est tout l’enjeu du nouveau lanceur Ariane 6, annoncé à la « Ministérielle » de l’Agence spatiale européenne en 2012 pour rattraper le retard pris par l’Europe : confirmé au Luxembourg en 2014, ce projet a fait l’objet d’une convention que vous venez de signer.

Dans un contexte international complexe, Ariane 6 permettra à notre pays, avec l’Europe, de faire face à plusieurs enjeux : la souveraineté, avec l’observation, la surveillance et la cybersécurité ; la création d’emplois pour la science, la lutte contre le réchauffement climatique, l’accès à internet pour tous ou l’agriculture ; la modernisation du Centre spatial guyanais.

Aujourd’hui, la compétition internationale est forte, qu’elle vienne des États-Unis ou des pays émergents. L’Europe se devait d’agir pour confirmer son rayonnement. C’est l’engagement rappelé par le Président de la République hier, sur le site d’Airbus Safran Launchers aux Mureaux, où l’on développe Ariane 6.

Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous confirmer l’engagement de la France et de l’Europe pour réussir le premier vol d’Ariane 6 en 2020 et préciser les moyens prévus pour développer les services et les applications, notamment dans le domaine très porteur des télécommunications ?

Et félicitons-nous une fois de plus, collectivement, de ce très beau projet européen. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. Arnaud Richard. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche.

M. Thierry Mandon, secrétaire d’État chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche. Merci, madame la députée. Vous avez raison : dans un peu moins de 1 500 jours – 1 499 exactement –, la nouvelle fusée Ariane décollera du pas-de-tir de Kourou.

Ce sera le résultat d’un travail intense, depuis le compromis de Luxembourg en décembre 2014, auquel vous avez grandement contribué. Il a fallu passer d’un accord-cadre à un véritable accord scientifique, technologique, industriel, réunissant 13 partenaires dans toute l’Europe autour de trois partenaires industriels principaux : Airbus Safran Launchers bien sûr, mais aussi MT Aerospace pour l’Allemagne et Avio au Royaume-Uni.

La négociation fut intense, au plan industriel comme au plan diplomatique. Son aboutissement était vital pour que l’Europe, dans un marché bouleversé, puisse de manière autonome accéder à l’espace quand elle le souhaite, à des coûts compétitifs. Le pari industriel consiste à baisser de 50 % en quatre années le coût de lancement d’un satellite, ce qui constitue une véritable prouesse.

Quel est le sens de ce pari ? Il s’agit d’abord de montrer que pour de grands projets, la France, pays de tradition spatiale, a besoin de l’Europe. La France finance 50 % du projet, l’Europe les 50 % restants. La France a aussi besoin de récupérer, d’associer les meilleures technologies au niveau européen, pour garantir la fiabilité des lanceurs. Rappelons qu’Ariane a procédé à 74 lancements couronnés de succès.

Mais l’Europe aussi a besoin de la France. Sans la France en effet, il n’y a pas de projet ; sans la France, sans les femmes, les hommes et les savoir-faire industriels de ses usines, il n’y a pas de projet réussi.

Que faut-il faire, après s’être félicité du rôle de l’Agence spatiale européenne et du CNES ? Il faut travailler davantage à de nouveaux partenariats publics-privés pour les applications.

Réforme de l’éducation prioritaire

M. le président. La parole est à M. Olivier Marleix, pour le groupe Les Républicains.

M. Olivier Marleix. Madame la ministre de l’éducation nationale, il y deux ans, vous avez procédé à une refonte de la carte de l’éducation prioritaire qui était sans doute nécessaire, mais qui a laissé en suspens le cas des lycées, pour lesquels vous avez entretenu un certain flou.

Tout récemment, dans un courrier à notre collègue Sébastien Pietrasanta, vous avez semblé acter que l’éducation prioritaire ne concernait plus les lycées.

Cette annonce suscite de vives inquiétudes chez les enseignants, mais aussi chez les parents d’élèves et les lycéens eux-mêmes.

En effet, la disparition complète de l’éducation prioritaire est catastrophique pour ces lycées. Elle signifie moins de moyens pour les établissements – avec des dotations horaires qui ont d’ailleurs commencé à diminuer – et la fin, pour les enseignants, d’un système de primes mais aussi de bonifications qui a permis de stabiliser et de fidéliser le corps enseignant dans ces établissements de manière sensible et très positive.

Pourtant, vous le savez, l’éducation prioritaire au lycée a porté ses fruits, en réduisant le nombre d’élèves par classe et en proposant des options, des sorties scolaires et des projets stimulants aux élèves, ce qui s’est traduit au bout du compte par une meilleure réussite aux examens.

Comme le disent avec beaucoup de fierté les enseignants de Dreux, dans ma circonscription : « Dans nos lycées, l’ascenseur social fonctionne. » C’est une phrase qui fait du bien à entendre, madame la ministre.

Alors, pourquoi mettre en péril un système qui marche, à l’heure où les jeunes de nos quartiers ont tellement besoin de l’école de la République ?

Madame la ministre, les enseignants des lycées de ZEP ont le sentiment que finalement ce sont leurs lycées, les plus fragiles, qui vont payer l’addition des promesses inconséquentes qui ont été faites depuis 2012.

Ils vous demandent de vous saisir de ce sujet avant la fin de ce quinquennat, puisqu’il vous reste cinq mois, et attendent aujourd’hui que vous les assuriez de l’avenir de leurs lycées. Ils attendent des actes. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le député, c’est une très agréable surprise pour moi que de vous entendre soutenir avec autant d’emphase l’éducation prioritaire et, par conséquent, la réforme que nous avons conduite en faveur des écoles et des collèges, dans un premier temps. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Elle a permis d’avoir une carte plus socialement juste et des moyens d’action beaucoup plus efficaces, avec, je le rappelle, un effort budgétaire de près d’un demi-milliard d’euros pour l’éducation prioritaire.

Vous dites une chose qui est juste : c’est que notre réforme de 2014 a concerné les écoles et les collèges et qu’elle n’a pas encore concerné les lycées, qui seront à leur tour réformés, bien sûr, durant le prochain quinquennat que nous effectuerons. (Rires sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)



J’en viens à votre question. S’agissant des lycées actuellement en zones d’éducation prioritaire, je veux rassurer les personnels : en attendant cette réforme, bien entendu, les moyens dévolus à ces établissements sont entièrement maintenus pour la prochaine rentrée. J’en ai déjà informé les personnels de ces lycées et j’ai décidé par décret de maintenir pour deux années supplémentaires les indemnités liées au statut d’éducation prioritaire.

M. Marc Le Fur. On rase gratis !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Par ailleurs, un arrêté paru jeudi dernier sur la mobilité des enseignants du second degré prévoit que les lycées qui ne sont pas en éducation prioritaire mais qui présentent des caractéristiques proches – ceux qu’on appelle « établissements en affectation prioritaire à valoriser » ou APV – bénéficieront également d’une bonification à la rentrée 2017.

M. Alain Marty. C’est Noël !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. En outre, ceux qui bénéficient de ces mesures continueront d’en bénéficier dans leurs mouvements de 2018-2019.

Je conclus en vous disant que l’éducation prioritaire, ce n’est pas seulement la réforme de 2014 : c’est aussi ce qui est entré en vigueur à cette rentrée, autrement dit les parcours d’excellence qui permettent aux élèves, de la classe de troisième jusqu’à la terminale, d’être accompagnés dans le cadre d’un tutorat d’excellence. C’est je crois ce que nous souhaitons tous. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Énergie issue de la méthanisation

M. le président. La parole est à M. Paul Molac, pour le groupe socialiste, écologiste et républicain.

M. Paul Molac. Ma question s’adresse à Mme la ministre de l’environnement, de l’énergie et de la mer. Nous avons choisi de développer la méthanisation agricole qui utilise la biomasse présente dans les exploitations – déjections animales, résidus de cultures – et développe les cultures dites intermédiaires, lesquelles ne concurrencent pas celles destinées à l’alimentation humaine. La méthanisation agricole permet également de diversifier les sources de revenus des agriculteurs, en particulier des éleveurs, dont nous connaissons les difficultés actuelles. Ce type de méthanisation est vertueux, ce qui n’est pas le cas de toutes les méthanisations.

Nous avons déjà réglé un certain nombre de problèmes qui bloquaient le développement de cette filière comme l’exonération de la taxe foncière et de la cotisation foncière des entreprises – CFE. Nous avons aussi sécurisé les tarifs de rachat de la petite méthanisation, celle que nous voulons développer au plus près des territoires.

Pourtant, aujourd’hui, avec la crise agricole, la filière est assez atone et les constructeurs français qui se sont lancés dans la méthanisation à la française s’inquiètent. Le risque est de voir cette nouvelle filière vaciller.

Certains problèmes restent en suspens, dont la durée des tarifs de rachat : avec la profession, je plaide pour un tarif de rachat sur vingt ans et non quinze ans, comme c’est actuellement le cas. Le problème de la recapitalisation de certains sites se pose également.

Des propositions sont sur la table et les méthaniseurs attendent un signe fort qui, dans la crise agricole de surproduction que nous connaissons, leur donnera l’espoir, l’envie et la volonté d’investir dans cette nouvelle source d’énergie renouvelable. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de la biodiversité.

Mme Barbara Pompili, secrétaire d’État chargée de la biodiversité. Monsieur le député, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser l’absence de Ségolène Royal, qui est aujourd’hui à Marrakech pour la COP 22. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Christian Jacob. Ce n’est pas grave !

M. Michel Herbillon. Elle n’est pas à Notre-Dame-des-Landes ?

Mme Barbara Pompili, secrétaire d’État. Le secteur agricole a un rôle essentiel à jouer dans l’essor de la méthanisation. La France compte actuellement 400 installations de méthanisation, dont la moitié avec des intrants d’origine agricole et, majoritairement, en cogénération électricité-chaleur.

Comme elle s’y était engagée, Ségolène Royal a revalorisé en octobre 2015 le tarif d’achat de l’électricité produite en cogénération par les installations de méthanisation existantes dans l’objectif de donner des bases solides au développement de cette filière.

En parallèle, conformément aux lignes directrices européennes en matière d’aide d’État dans le domaine de l’énergie, la France a réformé son dispositif de soutien aux énergies renouvelables et a notifié ce nouveau dispositif à la Commission européenne à la fin de 2015.

Une fois validé par la Commission européenne, le nouveau dispositif de soutien pour les nouveaux sites de méthanisation prévoit bien que les méthaniseurs de moins de 500 kilowatts seront soutenus par un tarif d’achat de l’électricité garanti pendant vingt ans.

Par ailleurs, concernant les tarifs d’achat des méthaniseurs existants, Ségolène Royal a publié le 27 septembre dernier au Journal officiel un nouvel arrêté prolongeant le bénéfice du tarif d’achat pour les installations de méthanisation existantes de moins de 500 kilowatts.

M. Sylvain Berrios. Et que fait-elle pour l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ?

Mme Barbara Pompili, secrétaire d’État. Cet arrêté permet de sécuriser le cadre économique des méthaniseurs dans l’attente de la publication d’un nouvel arrêté tarifaire qui devra intervenir d’ici à la fin de l’année.

L’intention du Gouvernement est bien que les exploitants des méthaniseurs existants puissent bénéficier de la même période de garantie de tarif d’achat que les futurs exploitants tout en veillant, évidemment, à la sécurité juridique des nouvelles dispositions proposées. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Mesures à destination des forces de l’ordre

M. le président. La parole est à M. Julien Dive, pour le groupe Les Républicains.

M. Julien Dive. Depuis le début du mois d’octobre, des manifestations mobilisent les forces de l’ordre mais, pour une fois, ces femmes et ces hommes ne sont pas là pour encadrer les cortèges, non. Tous sont là pour défendre leur profession et l’État de droit qu’ils incarnent. Chaque semaine l’un d’entre nous, ici, vous interpelle sur ce phénomène et vous nous dites toujours la même chose. Vous allez me répondre que des effectifs ont été supprimés dans le passé.

Plusieurs députés du groupe socialiste, écologiste et républicain. Oui ! C’est vrai !

M. Julien Dive. Vous allez me répondre que votre plan prévoit un budget supplémentaire. Vous allez me répondre que je devrais regarder les programmes des candidats à la primaire. Moi, ce que je veux entendre, c’est une vision de l’avenir et des perspectives que l’État offre à nos forces de l’ordre ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. le président. S’il vous plaît ! On écoute la question !

M. Julien Dive. Au commissariat de Saint-Quentin, on m’a récemment raconté ce fait : un jeune homme de quinze ans, arrêté pour un méfait, a giflé l’un des policiers qui le ramenait chez lui. La réponse judiciaire n’a été que le rappel à la loi. Où est le respect de l’uniforme ? À travers une personne qui n’est pas respectée, à travers un uniforme qui n’est plus respecté, c’est l’autorité de l’État qui n’est plus respectée ! Une gifle, c’est la première marche de l’escalade de la violence qui nous mène au drame de Viry-Châtillon.

Vous avez annoncé un plan gouvernemental mais, avec vos annonces et vos chiffres, vous ne faites que gérer les symptômes, et non les causes. Ces policiers et gendarmes, qui n’ont pas peur de se mettre en danger pour les autres, qui quittent leur famille le matin pour faire dix ou douze heures de travail, heureusement qu’ils ne s’arrêtent pas à 35 heures par semaine ! Chacun d’entre eux mérite le respect et la reconnaissance pour le rôle fondamental qu’il joue afin de maintenir la sécurité et l’État de droit. Ils nous viennent en aide, nous protègent : qui les aide et qui les protège ?

Concrètement, comment votre plan sera-t-il décliné – en dehors de la région parisienne – dans nos commissariats de villes moyennes, dans nos zones périurbaines et rurales ? Certaines polices municipales, il faut bien le dire, sont même mieux équipées que la police nationale ! Nous devons réformer le modèle actuel, reconnaître le travail fourni par les forces de l’ordre : leur faire confiance est une priorité.

Les manifestations continuent et vous serez interrogé chaque semaine tant que le problème persistera. Tant que nos forces de l’ordre ne pourront pas poursuivre leur mission d’intérêt général, nous continuerons ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Monsieur le député, je vous remercie de votre question et de m’annoncer toutes celles à venir ; cela me permettra de me préparer à répéter inlassablement la même chose.

Le travail que nous faisons pour donner des moyens aux forces de l’ordre s’inscrit dans la durée, car depuis des décennies…

M. Christian Jacob. C’est pour cela qu’elles manifestent !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. …elles ont été laissées en déshérence. Les investissements pour la police nationale et la gendarmerie ont quant à eux diminué de 15 %. Je suis désolé de vous le dire, monsieur le député, mais si nous voulons que les forces de l’ordre puissent accomplir leur mission, il ne faut pas éradiquer leurs moyens ; il faut leur en donner.

M. Laurent Furst. Augmentez la dette !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. C’est pourquoi, au terme de ce quinquennat, nous aurons créé 9 000 emplois et augmenté de 15 % les crédits de la police et de la gendarmerie. Si vous voulez que, dans votre département, les commissariats soient rénovés, si vous voulez que les forces de l’ordre disposent de véhicules leur permettant de pénétrer dans les quartiers les plus sensibles,…

M. Sylvain Berrios. Il faut bien reconnaître que ce n’est pas le cas !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. …si vous voulez qu’elles disposent de moyens de protection et d’armes modernes, il faut qu’un effort budgétaire soit fait.

M. Christian Jacob. Vous avez eu cinq ans pour cela !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. C’est précisément ce que nous faisons pour corriger ce que vous avez fait pendant les cinq années où vous avez diminué considérablement les moyens de la police et de la gendarmerie. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Monsieur le député, je me rendrai demain au commissariat de Creil pour annoncer les travaux immobiliers qui vont y être effectués,…

M. Christian Jacob. Pour la communication, vous êtes champion !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. …tout comme, d’ici à la fin du mois de décembre, dans tous les commissariats de France, y compris à Provins, monsieur Jacob, à votre plus grande satisfaction j’en suis convaincu. Vous aurez plaisir à m’y accueillir…

M. Christian Jacob. Certainement pas !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. …et à constater que nous faisons ce que vous n’avez pas fait. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

En outre, nous allons annoncer les livraisons de matériel à venir pendant les prochaines semaines et je confirmerai que nous avançons résolument pour les policiers et les gendarmes de France en matière de légitime défense, d’anonymisation et de mise à niveau de la pénalisation des insultes aux forces de l’ordre par rapport à ce qui est en vigueur concernant les magistrats. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Sauveteurs en mer

M. le président. La parole est à Mme Chantal Guittet, pour le groupe socialiste, écologiste et républicain.

Mme Chantal Guittet. Monsieur le secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche, le Comité interministériel de la mer s’est tenu il y a quelques jours. La France, grande puissance maritime, doit faire face à des défis toujours plus nombreux pour exercer sa souveraineté, assurer la surveillance de ses espaces et contrôler les activités qui s’y déroulent.

La sûreté et la sécurité maritimes reposent notamment sur l’organisation du sauvetage en mer. Il est assuré en grande partie en France, ce qui est exceptionnel, par une association de bénévoles, la Société nationale de sauvetage en mer – SNSM. Ce sont 7 000 bénévoles, dont 5 700 sauveteurs, répartis sur tout le littoral marin et ultramarin, qui participent aux sauvetages au large et à la surveillance des plages.

À la demande de la marine, par le biais des centres régionaux opérationnels de surveillance et de sauvetage – CROSS –, ils portent assistance jour et nuit à toute personne en situation de naufrage, réel ou potentiel. Ils assurent ainsi près des deux tiers des interventions de secours en mer. Je profite de cette occasion pour leur rendre hommage et les remercier de tout ce qu’ils font au quotidien pour garantir notre sécurité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et sur quelques bancs du groupe Les Républicains.)

Le financement de la SNSM reste difficile. Il est assuré par les nombreuses manifestations que les sauveteurs organisent pour récolter des dons, par les collectivités territoriales et par l’État. Conscient de l’importance de la SNSM pour le sauvetage en mer, le Premier ministre m’a confié une mission pour trouver des solutions susceptibles de pérenniser ce beau modèle fondé sur le bénévolat et le principe de la solidarité des gens de mer.

J’ai proposé, dans mon rapport, le rehaussement de la contribution de l’État à hauteur de 25 % du budget annuel de la SNSM, pour la porter à 7,5 millions d’euros. Compte tenu de la responsabilité de l’État en matière de sauvetage en mer, un tel niveau de contribution me paraît acceptable. Pourriez-vous me dire, monsieur le secrétaire d’État, si cette proposition a été retenue et m’indiquer le montant des ressources que l’État compte affecter à la SNSM ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche.

M. Sylvain Berrios. Et l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ?

M. Alain Vidalies, secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche. Madame la députée, lors du dernier Comité interministériel de la mer à Marseille, le Premier ministre a rappelé l’attachement, que je crois partagé sur l’ensemble de ces bancs, du Gouvernement à ces milliers de sauveteurs, qui sont tout à fait irremplaçables. Ils accomplissent leur mission au sein d’une organisation propre à la France, et qui lui fait honneur, puisqu’elle conjugue le bénévolat et la force de l’État aux côtés de ces bénévoles.

Le rapport que vous avez remis le 1er  juillet ouvre un certain nombre de pistes en matière de financement, que nous avons examinées. Vous savez que la participation de l’État, qui n’était que de 1,5 million, a été portée à 3,7 millions depuis la loi de finances pour 2016, et le Premier ministre a annoncé la pérennisation de cet effort. Cette majorité a par ailleurs décidé, dans la loi sur l’économie bleue, d’affecter à la SNSM une partie de la taxe sur les casinos embarqués, ainsi qu’une taxe sur les hydroliennes. Ces mesures entreront bientôt en vigueur. En attendant, le Premier ministre a annoncé le versement exceptionnel, cette année, de 1 million d’euros supplémentaire pour passer ce cap.

Il nous faudra aussi imaginer d’autres modes de financement plus stables, tout en respectant ce qui fait l’identité de cette association. Nous travaillons en ce moment avec cette dernière et nous allons, d’ici la fin de l’année, élaborer une sorte de programme stabilisant les financements. Comme vous l’avez préconisé dans votre rapport, l’État, au travers de toutes ces initiatives, est aux côtés des sauveteurs. Et il a décidé, pour marquer cet attachement, de faire du sauvetage en mer une Grande Cause Nationale de l’année 2017. C’était sans doute la meilleure manière de montrer notre attachement collectif à la SNSM. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. Guy Teissier. Et le sauvetage du Gouvernement, c’est pour quand ?

Financement de l’archéologie préventive

M. le président. La parole est à Mme Catherine Vautrin, pour le groupe Les Républicains.

Mme Catherine Vautrin. Préserver notre patrimoine et le mettre en valeur est une mission essentielle, qu’il convient néanmoins d’articuler avec l’attractivité économique de nos territoires, surtout dans un pays qui compte 1,2 million de chômeurs de plus depuis 2012.

Accompagner les entreprises dans leur développement est un impératif quotidien pour nos collectivités. Nous le savons tous : le temps de la négociation, le temps de la compétition est long, mais celui de l’installation des entreprises, lui, est toujours compté. Malheureusement, les délais d’aménagement sont très souvent incompatibles avec les délais de diagnostic de l’Institut national de recherches archéologiques préventives – INRAP. Deux solutions s’offrent alors aux collectivités : soit attendre l’INRAP et perdre le prospect, soit créer leur propre service – c’est ce que nous avons fait à Reims.

Malheureusement, la loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine menace très gravement nos services archéologiques. En effet, la redevance payée par les entreprises aux collectivités en échange de ce diagnostic a été remplacée par une subvention payée par l’État a posteriori, au mépris de l’emploi, mais surtout des personnels de nos services.

Au mieux, les collectivités joueront un rôle de trésorier, puisqu’elles seront payées a posteriori ; au pire, elles joueront le rôle de payeur, puisque le compte n’y est malheureusement pas. En effet, quand on regarde votre budget, madame la ministre, on se rend compte qu’au titre du projet de loi de finances pour 2017, sur 81 millions d’euros, 71 millions sont affectés à l’INRAP, et seulement 10 millions aux collectivités. Cherchez l’erreur ! Vous opérez en réalité une renationalisation du diagnostic, pour sauver l’INRAP sur le dos des collectivités, au mépris des besoins des entreprises. Autrement dit : comment tuer ce qui fonctionne ?

Madame la ministre, votre collègue et voisine dans cet hémicycle vous l’a dit : en politique, on aime les actes. Quels seront vos actes pour réparer cet oubli (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de la culture et de la communication.

Mme Audrey Azoulay, ministre de la culture et de la communication. Madame la députée, la question que vous me posez a fait l’objet d’un débat intense sur ces mêmes bancs, lors de l’examen en première et en seconde lecture de la loi relative à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine, une loi qui, vous vous en souvenez, a été adoptée en commission mixte paritaire, ce dont je me réjouis.

M. Christian Jacob. Non, madame, une loi n’est jamais adoptée en commission mixte paritaire, mais dans cet hémicycle !

Mme Audrey Azoulay, ministre. S’agissant de l’archéologie préventive, des diagnostics et des fouilles, la réforme de 2003 avait été faite un peu légèrement, puisque l’ouverture du marché avait conduit à une concurrence tout à fait déloyale entre un certain nombre d’entreprises privées et l’INRAP. Nous ne sommes pas revenus sur cette ouverture du marché ; en revanche, nous avons souhaité normaliser ces conditions d’ouverture.

Mme Catherine Vautrin. C’est une renationalisation de l’INRAP !

Mme Audrey Azoulay, ministre. D’abord, nous avons voulu réaffirmer le rôle de contrôle scientifique de l’État sur l’ensemble des opérations de diagnostic et de fouilles, ce qui n’était plus le cas dans le dispositif législatif que vous nous aviez légué. Ensuite, nous avons assuré le financement de ces diagnostics et de ces fouilles par une budgétisation de l’INRAP. C’est ce qui a été fait dans le projet de loi de finances l’année dernière et, de nouveau, cette année. Enfin, nous avons redéfini la manière dont sont alloués les financements entre les collectivités locales qui ont un département d’archéologie préventive et l’INRAP : cela a été fait après consultation et avec l’accord des organismes prévus à cet effet.

Ce faisant, nous avons rétabli un peu d’équité et d’équilibre dans ce domaine important de notre politique patrimoniale. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Mme Catherine Vautrin. C’est faux !

Traitement des déchets ménagers

M. le président. La parole est à M. Franck Gilard, pour le groupe Les Républicains.

M. Franck Gilard. Monsieur le ministre de l’aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales, l’application de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République – NOTRe –, effective dans quarante-cinq jours, impose trop rapidement et à marche forcée la réorganisation des collectivités territoriales. Au 1er janvier 2017, la compétence « collecte et traitement des déchets » devient ainsi une compétence obligatoire des communautés de communes et communautés d’agglomération. Dans certains départements, ces compétences sont déléguées à des syndicats de gestion des ordures ménagères, où siègent des délégués désignés au sein de chaque collectivité membre.

Au 1er janvier 2017 – c’est-à-dire demain –, date de retrait des établissements publics de coopération intercommunale – EPCI – fusionnés, les délégués syndicaux perdront leur mandat au sein des comités syndicaux – ce qui est normal –, et par conséquent, leur mandat comme membre du bureau. Les syndicats n’auront donc plus ni président, ni vice-présidents, ni bureaux. Au 1er janvier 2017, les syndicats ne pourront pas désigner de nouveaux conseils syndicaux. En effet, chaque collectivité fusionnée devra établir sa nouvelle assemblée délibérante avant de pouvoir entamer une procédure d’adhésion ou de ré-adhésion au syndicat de gestion des déchets de leurs choix, procédure qui pourra prendre plusieurs mois. Les collectivités nouvellement créées ne pourront donc pas exercer cette compétence au 1er janvier 2017.

Ma question est simple, monsieur le ministre : comment doivent fonctionner les syndicats de collecte et traitement des déchets ménagers à partir du 1er janvier 2017 ? Pour respecter le principe à valeur constitutionnelle de continuité du service public, ne peut-on pas envisager d’ores et déjà le principe de ré-adhésion par anticipation dans les actes préparatoires des collectivités, qui se traduirait évidemment par des engagements juridiques des préfets ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales.

M. Jean-Michel Baylet, ministre de l’aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales. Monsieur le député, votre question est technique – je vais essayer d’y répondre avec précision –, et elle est double. D’une part, vous souhaitez savoir comment sera respecté le principe de continuité de service public au moment où les communautés de communes et les communautés d’agglomération seront compétentes en matière de collecte de traitement des déchets, c’est-à-dire au 1er janvier prochain. D’autre part, vous m’interrogez sur les conséquences de ce transfert de compétences sur la gouvernance des syndicats.

Tout d’abord, le transfert obligatoire de la compétence « collecte et traitement des déchets » ne signifie pas que tous les EPCI à fiscalité propre se retireront automatiquement de ces syndicats. Ainsi, les communautés de communes qui reprendront plus de 80 % des intercommunalités au 1er janvier prochain se substitueront à leurs communes membres ou aux anciennes communautés fusionnées au sein de ces syndicats. Dans ces conditions, la continuité du service assuré par ces syndicats, ainsi que celle des mandats des délégués syndicaux, est garantie. S’agissant des communautés d’agglomération, il leur sera possible de conclure une convention de prestation de service avec les syndicats concernés. Cette convention sera à même de garantir la continuité de service jusqu’à ce que la communauté d’agglomération décide de la manière dont elle exercera les compétences relatives à la collecte et au traitement des déchets.

Concernant les conséquences sur la gouvernance des syndicats de déchets, celles-ci ont été identifiées de longue date et des solutions juridiques existent pour tous les cas de figure, en fonction des catégories d’EPCI et du périmètre respectif des EPCI et des syndicats. Ces procédures ont déjà été appliquées à l’occasion de la création des métropoles ou des modifications de périmètre hors schéma. Elles avaient aussi été utilisées lors de la mise en œuvre des schémas de 2010 et sont bien connues des préfectures. Les cas étant multiples, je ne m’étendrai pas ici sur les différentes procédures, mais mes services, monsieur le député, se tiennent à votre disposition en cas de problème particulier sur votre territoire.

Services postaux

M. le président. La parole est à M. Nicolas Sansu, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. Nicolas Sansu. Monsieur le secrétaire d’État chargé de l’industrie, je tiens à appeler votre attention sur l’accélération de la réduction du réseau postal. Partout en France – c’est le cas non seulement au cœur du Cher, de Bourges à Vierzon, en passant par Nançay ou Marmagne, mais aussi dans les métropoles comme à Paris intra-muros ou en banlieue, comme à Villepinte, par exemple –, La Poste ferme des bureaux, réduit les horaires d’ouverture, supprime des emplois – 7 200 en 2015 –, tout en ayant recours à la précarisation et à des techniques managériales fragilisant les personnels. Alors que nos concitoyens ont besoin de services de proximité, aussi bien en milieu rural qu’en milieu urbain, pour la distribution du courrier et l’accessibilité bancaire notamment, les choix de rentabilité financière de court terme qui sont opérés par La Poste contreviennent à la nécessaire égalité des citoyens, valeur fondamentale de notre République.

En effet, la régression du réseau postal touche d’abord nos concitoyens les plus fragiles : c’est le retraité isolé qui attend son journal dans la matinée et qui ne l’aura qu’à quinze heures ou quinze heures trente ; c’est la personne allocataire du revenu de solidarité active – RSA – qui trouvera porte close pour faire son retrait sur son livret ; c’est le commerçant ou artisan, qui ne pourra plus effectuer ses opérations entre midi et quatorze heures. Et, dans le même temps, le bénéfice de La Poste a bondi de 23,9 % en 2015, s’établissant à 635 millions d’euros, et le chiffre d’affaires du groupe a grimpé de 4 %, s’élevant à plus de 23 milliards d’euros. La Poste a également reçu 318 millions d’euros de l’État, grâce à l’effort de tous les habitants de notre beau pays à travers le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi.

Monsieur le secrétaire d’État, si le chemin emprunté par La Poste fait gronder villes et campagnes, c’est qu’il rompt avec l’égalité territoriale et républicaine qui a fait la grandeur de ce service public et de notre pays.

M. Yves Fromion. C’est vrai !

M. Nicolas Sansu. Alors que La Poste, entreprise publique à 100 %, n’a pas de problèmes financiers, allez-vous donner des instructions pour que les nécessaires évolutions se déroulent dans le respect de nos territoires et de ses populations ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé de l’industrie.

M. Christophe Sirugue, secrétaire d’État chargé de l’industrie. Monsieur le député, La Poste est confrontée à une évolution significative de ses missions, qui tient à deux facteurs principaux, que vous connaissez : une baisse extrêmement lourde du volume du courrier, de l’ordre de 6 % par an, et une baisse tout aussi significative de la fréquentation des bureaux de postes. Dans le même temps, La Poste est soumise aux obligations légales prévues par la loi du 2 juillet 1990 : 90 % de la population de chaque département doivent être situés à la fois à moins de cinq kilomètres et à moins de vingt minutes en voiture d’un point de poste.

Dans ce contexte, et parce qu’il y a en effet une mission de service public – vous l’avez rappelé –, nous avons besoin d’accompagner La Poste dans cette évolution. Je voudrais d’ailleurs en profiter pour saluer les agents, qui participent tous les jours d’un service au quotidien fort important.

M. Gérard Sebaoun et Mme Monique Orphé. Très bien !

M. Christophe Sirugue, secrétaire d’État. Dans le même temps, cette évolution a conduit à des propositions que je crois extrêmement intéressantes pour le maillage du territoire. Parmi celles-ci figure la mutualisation de certains services existants, qu’ils soient publics ou privés. Je pense bien sûr à ce qui a été fait avec des mairies dans les agences postales communales ou avec des commerçants dans les relais « Poste-commerçant ». Je pense aussi aux maisons de services au public. Je rappelle que la convention qui nous lie avec La Poste permettra la réalisation, d’ici à la fin de l’année, de 1 000 maisons de services au public, dont 500 dans des bureaux de poste, ce qui est un élément de proximité significatif – 75 % de leurs coûts de fonctionnement seront pris en charge par l’État.

Enfin, je souligne également combien l’évolution des facteurs-guichetiers est importante, notamment dans les territoires ruraux, puisqu’elle permettra de garantir la présence à la fois des facteurs et du service. L’engagement fort de l’État en la matière me semble répondre aux attentes que vous avez mentionnées dans votre question, monsieur le député. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures vingt.)

M. le président. La séance est reprise.

2

Déclaration du Gouvernement et débat sur le décret du 28 octobre 2016 autorisant la création d’un traitement de données à caractère personnel

M. le président. L’ordre du jour appelle, en application de l’article 50 alinéa 1 de la Constitution, une déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, sur le décret du 28 octobre 2016 autorisant la création d’un traitement de données à caractère personnel relatif aux passeports et aux cartes nationales d’identité.

La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, les titres sécurisés constituent un sujet complexe, qui appelle, comme un grand nombre d’entre vous l’ont souhaité, la plus grande rigueur et la plus grande précision. Voilà pourquoi il est indispensable que nous puissions aborder ce débat dans la transparence et la sérénité. Je veux ici apporter toutes les explications relatives au décret pris par le Gouvernement le 28 octobre dernier.

Tout d’abord, l’objectif de ce décret n’est pas de créer un fichier : la création d’un fichier n’est pas une fin en soi. Il s’agit au contraire pour nous de procéder à une réforme importante des préfectures et des sous-préfectures, qui a déjà été présentée à plusieurs reprises devant le Parlement à l’occasion des discussions budgétaires et au Conseil des ministres le 16 décembre 2015. Lors des échanges, nous avons pu définir les objectifs de cette réforme.

Grâce à la réforme Plan préfectures nouvelle génération – PPNG –, nous allons modifier en profondeur les modalités d’instruction des demandes de carte nationale d’identité – CNI –, notamment en dématérialisant sous forme numérique les échanges entre d’une part, les mairies, qui accueillent le public, et d’autre part, les futures plateformes préfectorales d’instruction des demandes de carte nationale d’identité et de passeport – les vingt-sept centres d’expertise et de ressources titres –, en poursuivant trois objectifs.

Nous procédons tout d’abord à des économies. Du fait de cette réforme et grâce à la création de ces plateformes, nous libérerons 2 000 emplois. Comme le ministère des finances et des comptes publics demande au ministère de l’intérieur un effort de 1 300 emplois sur deux ans, 700 emplois pourront donc être redéployés dans les territoires, au sein des préfectures et des sous-préfectures, pour donner plus de force à l’État, et cela au moment où un grand nombre de parlementaires appellent l’attention du Gouvernement sur l’effet de la révision générale des politiques publiques – RGPP – sur l’administration déconcentrée de l’État.

Je tiens à rappeler que sous le précédent quinquennat, 3 500 emplois ont été supprimés dans les préfectures et sous-préfectures de France au titre de la RGPP. Or, comme il y a quelque 280 emplois par préfecture, c’est bien l’équivalent de treize préfectures qui a été supprimé au cours de ces cinq années. Si nous avons voulu mettre en place cette réforme structurelle, c’est précisément parce que nous ressentons le besoin de renforcer les missions de l’État dans les domaines de l’ingénierie territoriale et de l’accompagnement des collectivités locales en matière juridique ou budgétaire, ainsi que dans la lutte contre la fraude et le trafic d’armes. Et c’est parce que nous souhaitons sortir de la révision générale des politiques publiques que nous mettons en place une réforme structurelle qui, par la création de ces plateformes, permet de réinjecter des moyens humains dans les préfectures et sous-préfectures de France.

Nous souhaitons ensuite – c’est le deuxième objectif – mener une réforme de simplification pour l’usager. La dématérialisation du traitement de la carte nationale d’identité – la même que pour le passeport – nous permettra d’offrir aux Français de nouveaux services, tels que la pré-demande de carte nationale d’identité en ligne ou le paiement en ligne du timbre dématérialisé, qui n’est aujourd’hui possible que pour le passeport, et cela précisément grâce à la technologie du fichier Titres électroniques sécurisés – TES.

Enfin, le troisième objectif que nous poursuivons est de renforcer la lutte contre la fraude documentaire. Je tiens à rappeler que 800 000 Français voient chaque année leur titre d’identité volé ou transformé frauduleusement. La comparaison des éléments produits lors d’une demande de titre, y compris les éléments biométriques, doit non seulement nous permettre de mieux authentifier les titres, mais aussi d’éviter leur délivrance à des personnes susceptibles de les utiliser en vue d’usurpations d’identité : il s’agit d’un enjeu central, ces dernières étant évidemment très préjudiciables à nos concitoyens, qui peuvent dès lors faire l’objet d’un interdit bancaire ou bien d’une interdiction de se déplacer à l’étranger.

M. Marcel Rogemont. C’est très important.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Il y a, de la part des Français, une demande très forte de disposer de titres sécurisés ; et notre volonté est de leur garantir, grâce à la réforme PPNG que nous avons engagée, la mise en place de ces titres sécurisés.

M. Dominique Tian. Et la carte Vitale ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Pour atteindre ces trois objectifs, nous avons besoin de l’outil technologique adéquat. Aujourd’hui, nous disposons de deux traitements automatisés de nos titres d’identité et de voyage. Tout d’abord, une application déjà ancienne, le fichier national de gestion – FNG –, mise en service en 1987 et élaborée dans le langage informatique Cobol, qui lui-même remonte aux années 1980.

M. Régis Juanico. La préhistoire !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. A l’heure actuelle, le FNG permet de gérer les cartes nationales d’identité avec des éléments relatifs aux demandeurs, que les agents de mairie récupèrent avant de les transmettre aux agents préfectoraux sous format papier. La totalité de ces procédures non dématérialisées est donc très lourde.

Or, cette application pose deux problèmes. D’une part, nous devons faire face à une difficulté de maintenance, liée à l’obsolescence du langage Cobol. D’autre part, nous ne pouvons pas, avec le fichier national de gestion, procéder à un échange dématérialisé des dossiers des demandeurs de carte nationale d’identité entre les mairies, où les éléments sont recueillis, et les futurs centres d’expertise et de ressources titres, qui instruiront ces mêmes titres dans le cadre du Plan préfectures nouvelle génération. Voilà pourquoi nous avons impérativement besoin, pour mettre en œuvre le PPNG, d’une nouvelle application de traitement des CNI, en rapprochant leur processus de délivrance de celui des passeports biométriques, beaucoup plus moderne, en vigueur depuis dix ans et qui fonctionne déjà pour près de 29 millions de Français.

Depuis 2008 en effet, dans le cadre d’une réforme européenne, la France s’est dotée d’une application moderne, le fichier Titres électroniques sécurisés, qui permet d’instruire les passeports biométriques, conformément à la réglementation européenne dont elle respecte tous les standards. J’ajoute que dans le processus d’instruction, l’application prévoit justement la modalité de transmission dématérialisée des demandes de titres entre les agents des mairies et ceux des préfectures. Dès lors, nous avons choisi la solution à la fois la plus simple, la plus évidente et la plus économique – j’y reviendrai –, celle qui consiste à inclure les cartes nationales d’identité dans le logiciel déjà existant, de telle sorte que nous puissions utiliser une technologie que nous maîtrisons déjà et qui, jusqu’à présent, s’est révélée particulièrement fiable.

Naturellement, il ne s’agit pas de verser d’un seul coup toutes les cartes nationales d’identité dans ce nouveau logiciel. Ce processus prendra plusieurs années, au gré du renouvellement des CNI.

Contrairement à ce que j’ai pu lire ou entendre ces derniers jours, cette technologie est radicalement différente de celle qui avait été censurée en 2012. Nous avons en effet totalement repris à notre compte et intégré les remarques formulées par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 22 mars 2012 pour faire évoluer l’application.

Je souhaite rappeler les faits avec précision. En 2012, le Gouvernement avait souhaité élaborer une carte à puce appelée carte nationale d’identité électronique – CNIE –, en vue d’améliorer la lutte contre la fraude et de pouvoir remonter à l’identité des détenteurs de titres à partir de leurs données biométriques. Ce qui, à l’époque, avait fait l’objet d’une censure, ce n’était pas le fait que la carte eût une puce, ni qu’elle eût vocation à lutter contre la fraude, mais bien qu’elle donnât la possibilité de constituer un fichier d’identification des personnes à partir de leurs empreintes et de leur photographie d’identité.

Or aujourd’hui, que faisons-nous par rapport à ce qui avait été décidé en 2012 et censuré par le Conseil constitutionnel ? Tout d’abord, nous écartons la puce – j’y reviendrai. Ensuite, nous conservons la finalité de lutte contre la fraude : c’est même là un des trois objectifs principaux que nous poursuivons à travers la mise en œuvre de cette réforme. Enfin, sans la moindre ambiguïté, je le dis très solennellement, nous écartons totalement de notre projet l’identification du demandeur de titre à partir de ses données biométriques. Le texte réglementaire que nous avons pris intègre donc totalement la décision du Conseil constitutionnel : non seulement il ne reprend pas les dispositions censurées, mais il les interdit. C’est, en l’espèce, ce troisième et dernier point qui est absolument décisif.

Le fichier créé par le décret dont nous discutons aujourd’hui comprend trois compartiments. Le premier est relatif à des données alphanumériques, comme le nom et l’adresse du demandeur ou le numéro de la demande, qui figurent sur le formulaire de demande de titre CERFA, lequel demeure strictement inchangé. Le deuxième est relatif à la photographie et aux deux empreintes digitales numérisées. Enfin, le troisième conserve les pièces justificatives.

Or, si l’on peut remonter au second compartiment – le compartiment biométrique – à partir des données propres à la demande du titre, l’inverse est rigoureusement impossible : on ne peut pas, à partir des données biométriques comme la signature, la photographie ou les empreintes digitales numérisées, retrouver l’identité du demandeur. Cette impossibilité est d’abord juridique : le décret interdit une telle manipulation, et pour l’autoriser il faudrait non seulement publier un nouveau décret, mais aussi adopter une loi et même des évolutions constitutionnelles, compte tenu de la décision du Conseil constitutionnel de 2012. De surcroît, cette impossibilité est technique : pour retrouver l’identité du demandeur de titre à partir des données biométriques, il faudrait ni plus ni moins rebâtir toute l’architecture de l’application. Si j’insiste sur ce lien unidirectionnel et sur cette porosité asymétrique entre les compartiments du fichier TES, c’est bien parce que cette technique est au cœur du débat.

Pour déterminer dans quelle mesure un fichier respecte les libertés publiques, il nous faut tenir compte de trois critères essentiels : les données contenues dans le fichier, les finalités que celui-ci poursuit et l’architecture sur laquelle il repose. En l’occurrence, les données du fichier TES ne sont pas nouvelles, puisqu’elles figurent déjà dans le FNG, qui existe depuis 1987. Leur utilisation est strictement encadrée, ce qui n’est pas le cas pour le fichier de 1987, puisque nous allons déterminer plus rigoureusement les conditions d’accès à ce fichier au format papier. Il faut aussi que toutes les garanties technologiques soient apportées.

Pour élaborer le projet de décret, le Gouvernement a respecté non seulement la décision prise par le Conseil constitutionnel en 2012, mais aussi, plus largement, toutes les procédures prévues par les textes. Nous avons consulté la Commission nationale de l’informatique et des libertés – CNIL –, qui reconnaît que les finalités du décret sont « déterminées, explicites et légitimes ». Nous avons également respecté les préconisations du Conseil d’État, que nous avons même consulté à deux reprises. J’ai souhaité obtenir des garanties maximales en vérifiant en amont que la procédure réglementaire était adéquate. Après confirmation du Conseil d’État, les services du ministère de l’intérieur ont lancé les travaux d’écriture, puis ils ont à nouveau saisi le Conseil d’État du projet de décret. Nous avons également sollicité l’avis des élus dans le cadre du Comité national d’évaluation des normes. Nous avons aussi eu de nombreux échanges avec l’Association des maires de France.

Nous avons donc pleinement respecté les prérogatives respectives des pouvoirs législatif et réglementaire. Chacune des instances que je viens de citer reconnaît que le vecteur réglementaire était bien le vecteur approprié au regard de la hiérarchie des normes et des principes de l’État de droit. Il est donc de la responsabilité du Gouvernement de garantir le respect de cette séparation instaurée par la Constitution dans ses articles 34 et 37, ce qui, naturellement, n’empêche nullement le débat. Comme je l’ai déjà dit, le Gouvernement tient à ce que le Parlement puisse débattre de ce fichier dans la sérénité.

Aussi, je veux répondre avec beaucoup de précision aux trois principales interrogations exprimées ces derniers jours.

Tout d’abord, on a dit que le fichier TES constituait un « méga-fichier » inédit ayant pour but de ficher tous les Français. C’est, en réalité, totalement faux.

D’une part, comme j’ai déjà eu l’occasion de le préciser, TES n’est pas un fichier d’identification des détenteurs de titres, mais bien un fichier d’identification des titres demandés, ce qui n’est pas la même chose. D’autre part, je rappelle que l’actuel fichier FNG relatif aux CNI concerne déjà tous les Français, lesquels détiennent presque tous une carte d’identité. Grâce au FNG, 59 millions de titres ont déjà été délivrés. Par conséquent, si « méga-fichier » il y avait, ce ne serait en aucun cas le gouvernement auquel j’appartiens, ni d’ailleurs le gouvernement précédent, qui l’aurait créé, pour la simple raison qu’il existe depuis 1987.

J’ajoute que le fichier TES, qui contient des données biométriques depuis 2008, a d’ores et déjà permis de délivrer 29 millions de passeports – ce qui représente à peu près la moitié de la population – sans que personne n’en parle jamais. C’est grâce à cela que nos concitoyens peuvent voyager dans des pays comme les États-Unis, qui exigent un passeport biométrique en échange d’une exemption de visa.

Des inquiétudes ont également été exprimées au sujet des garanties permettant d’éviter le piratage du fichier. Ces interrogations sont absolument légitimes, et nous devons y répondre de façon précise. La CNIL indique elle-même, dans l’avis qu’elle a rendu, que l’importance du fichier TES, dont les données et les finalités sont incontestables en tant que telles, justifie que l’on fasse preuve de la plus grande vigilance en ce qui concerne sa protection. Le Gouvernement partage cette préoccupation. De fait, l’application TES bénéficie d’ores et déjà de protections informatiques adaptées et éprouvées, expérimentées depuis huit ans. Leur solidité et leur niveau de sécurité sont donc établis.

Face aux risques de piratage, les bases de l’application centrale sont protégées de plusieurs manières. En raison du caractère particulièrement sensible des informations contenues dans le fichier, vous comprendrez que je ne puisse pas présenter ce niveau de protection de manière exhaustive : le ministère de l’intérieur ne va tout de même pas dévoiler tous les moyens par lesquels il se protège, au risque de voir ces protections déjouées ! Néanmoins, je peux vous préciser que des outils cryptographiques de très haut niveau sont mis en œuvre pour protéger les données biométriques. Les pièces justificatives sont elles aussi cryptées. Nous avons également recours à des barrières physiques, à des pare-feu et à des HSM – hardware security modules ou modules matériels de sécurité. Le système TES bénéficie d’une bulle sécurisée, ainsi que de serveurs totalement dédiés.

Je précise que le réseau sur lequel l’application centrale est hébergée est interne au ministère de l’intérieur : il n’est donc pas possible d’y accéder par internet. Il s’agit par là même d’une application conservée à bonne distance des réseaux publics, comme l’est la base TES depuis 2008.

On me dit que le risque zéro n’existe pas, et ce serait mentir que de prétendre garantir ce risque zéro devant la représentation nationale. Néanmoins, force est de constater que le système TES et, plus généralement, les applications hébergées à distance des réseaux publics au sein du ministère de l’intérieur n’ont fait l’objet d’aucun hacking ces dernières années. Les faits parlent donc d’eux-mêmes.

Du reste, comme toute application informatique, l’application TES sera naturellement amenée à évoluer. C’est en ce sens que, pour renforcer sa protection selon les meilleurs standards, une procédure d’homologation est prévue en lien avec l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information, l’ANSSI.

Compte tenu des interrogations exprimées par un certain nombre d’acteurs et de parlementaires, j’ai souhaité apporter des garanties supplémentaires. J’ai donc pris trois nouveaux engagements, que j’ai rendus publics jeudi dernier. En premier lieu, nous proposons de ne généraliser le dispositif qu’après avoir obtenu sa ré-homologation. C’est un point central. Ensuite, nous proposons d’associer l’ANSSI et la direction interministérielle du numérique et du système d’information et de communication de l’État, la DINSIC, aux études en vue de l’homologation. Enfin, nous proposons que l’avis de l’ANSSI, qui est traditionnellement un avis simple, ait valeur d’avis conforme pour prononcer l’homologation. Ce dernier point est fondamental : il signifie que mes services s’engagent à suivre scrupuleusement l’avis de l’ANSSI, que nous rendrons public de manière à ce que le Parlement y ait accès et qu’il n’y ait aucune ambiguïté.

Je veux répondre à une autre interrogation, formulée elle aussi à plusieurs reprises : pourquoi ne pas avoir repris le système de puce proposé en 2012 et refait la carte nationale d’identité électronique, ce que la CNIL semblait pourtant suggérer dans son avis ?

Si nous avons décidé d’écarter cette option, c’est d’abord pour une raison évidente : la censure du Conseil constitutionnel en 2012. Cette censure ne portait pas sur la carte, mais sur la possibilité d’identification des personnes à partir de données biométriques. Pour autant, la CNIE était connotée. Dès lors, c’est un projet résolument différent, y compris dans son choix technologique, que nous avons initié, afin de limiter le risque de confusion avec le projet précédent et de nous en différencier sur le maximum de critères.

Vous me permettrez d’ailleurs de souligner le côté pour le moins insolite de la discussion sur ce point précis. Finalement, ce que l’on nous reproche, c’est à la fois de refaire et de ne pas refaire ce qui avait été l’objet de la censure de 2012. On nous reproche de nous éloigner du projet de 2012 relatif à la CNIE contenant une puce, sans tenir compte du fait que nous ne reprenons pas les dispositions ayant été censurées ; en même temps, on souhaite que l’expérience de 2012 soit oubliée au profit d’un dispositif garantissant un meilleur équilibre entre les exigences de sécurité et les exigences relatives aux libertés publiques.

M. Philippe Goujon. Il ne faut pas tout mélanger !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Au vu de ces injonctions contradictoires auxquelles le Gouvernement se trouve soumis, nous nous trouvons face à un questionnaire à choix multiples dont toutes les réponses seraient fausses.

La deuxième raison pour laquelle nous n’avons pas repris le système de puce renvoie à un argument de fond, lié à la réforme. En l’absence de base de données, si une personne ayant perdu sa carte à puce s’adresse aux services de l’État pour la faire renouveler, il faut recommencer toute la procédure depuis le début et reprendre toutes les empreintes. Au contraire, notre réforme va dans le sens de la simplification pour l’usager : elle permet de renouveler les cartes nationales d’identité dans des délais très brefs, grâce à la mise en place du dispositif prévu dans le cadre du PPNG. Je le répète : en cas de perte, la carte électronique n’apporte à l’usager aucune simplification ni aucun gain de temps.

Un troisième argument me paraît fondamental : la création d’une carte nationale d’identité électronique devrait être financée. Dès lors, il y a deux hypothèses. Ou bien l’on décide que cette carte est financée par l’État : dans ce cas, les économies que nous présentons sont remplacées par un surcoût de plus de 100 millions d’euros. Certes, on peut considérer que les libertés publiques n’ont pas de prix et que l’on peut donc se permettre de présenter une mesure coûteuse dans le cadre d’une réforme visant à réaliser des économies – je comprends parfaitement ce raisonnement… Ou bien l’on décide que la carte électronique est désormais payée par l’administré : de gratuite, la carte d’identité deviendrait payante. Nous avons fait un tout autre choix : nous voulons que la carte reste gratuite et qu’elle puisse être renouvelée rapidement, dans le cadre d’un processus de modernisation de l’administration et de simplification des démarches de l’administré.

Enfin, je veux insister sur le fait que le fichier TES n’est ni un fichier de police, ni un fichier judiciaire. C’est un fichier administratif d’instruction des demandes de titres d’identité et de voyage. Toutefois, comme tout fichier administratif, il est susceptible d’être mis à la disposition de la justice dans le cadre d’enquêtes et de réquisitions judiciaires. S’il est aujourd’hui indispensable, c’est pour une raison simple, que chacun doit avoir à l’esprit dans un contexte de menace extrême : seule la base centralisée offre un point de référence permettant de comparer des données trouvées dans des procédures administratives ou judiciaires, qu’il s’agisse de cas d’usurpation d’identité, de scènes criminelles, voire d’actions terroristes.

J’ajoute que TES permet, via le système d’information Schengen, d’alimenter les bases d’Interpol et, par conséquent, des polices européennes en y ajoutant les CNI perdues ou volées.

M. Guillaume Larrivé. Il permet aussi d’alimenter le système d’information Schengen lui-même !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je parle ici du fichier SLTD – Stolen or lost travel documents. Lorsque vous constatez, après consultation des données biométriques, que le passeport ou la carte d’identité présenté par une personne est volé, vous pouvez le signaler au SLTD. À l’heure où nous interrogeons ce fichier dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, nous bénéficions désormais de réponses immédiates, ce qui n’était pas le cas auparavant. Il est donc fondamental de disposer de ces outils, dans un contexte où nous sommes particulièrement menacés.

C’est donc en pleine conscience que le Gouvernement a fait ce choix plutôt que celui de la carte d’identité électronique incluant une puce. Cependant, il souhaite être parfaitement à l’écoute des inquiétudes et des interrogations, et y répondre en créant un équilibre solide entre la modernisation du service public et la protection des données personnelles.

J’entends la crainte de voir les données biométriques, bien qu’existant déjà aujourd’hui, conservées sous une forme différente de celle qui est actuellement en vigueur. J’aborde ici la question de la conservation des données biométriques dans la base. La véritable inquiétude est que les empreintes digitales recueillies au moment de la demande de CNI – comme cela a toujours été le cas depuis la création du FNG en 1987 et comme cela a été imposé dès 1955 – soient conservées sous forme numérique et puissent permettre des interrogations multiples dont la traçabilité ne serait pas prévue. Je souhaite apporter des réponses sur ce sujet : nous l’avons fait jeudi dernier, et je tiens à être extrêmement précis.

Une personne refusant que ses empreintes, jusqu’à présent prises sous forme papier, soient numérisées et transférées dans la base pourra décider de cette non-transmission…

M. Dominique Tian. À quoi cela sert-il ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Monsieur Tian, laissez-moi aller au bout du raisonnement !

Dans ce cas, elle ne pourra pas bénéficier des conditions de renouvellement et d’accessibilité au titre sécurisé en cas de perte.

En revanche, le dispositif de recueil des empreintes digitales sous format papier, dans le cadre d’un fichier jusqu’à présent national, tel qu’il est prévu depuis les décrets de 1955 et de 1987, sera maintenu. Sans cela, en effet, aucune vérification ne pourrait être opérée lorsqu’une personne demande le renouvellement de son titre, ce qui entraînerait un développement considérable de la fraude.

Supposons qu’un juge, dans le cadre d’une enquête antiterroriste, présente une requête judiciaire pour identifier des empreintes papillaires trouvées sur la scène d’un crime terroriste. Il faudra, dans ce cas, pouvoir vérifier si l’identité de la personne correspond aux traces relevées dans le dossier judiciaire. Si nous ne pouvons pas faire cela, alors nous serons totalement désarmés : nous ne pourrons pas mener très rapidement des enquêtes judiciaires pour faire face à des risques très importants.

Nous avons voulu éviter cela, car ce serait totalement irresponsable. Nous avons donc décidé de progresser malgré tout par rapport au fichier prévu par le décret de 1987. Les dispositions régissant l’usage de ce fichier n’assurent pas, en effet, une traçabilité suffisante. Nous allons l’améliorer : dans le cadre d’une enquête judiciaire, c’est le juge lui-même qui pourra accéder au dossier – cela donne toute garantie en matière de libertés publiques. Ceux dont les empreintes digitales figurent dans un dossier papier, comme c’est le cas depuis 1955, bénéficieront donc de garanties très fortes.

Par ailleurs, pour ce qui concerne les agents des préfectures, un registre définira très précisément le moment auquel l’on a accédé à ces fichiers. Dès lors que l’on accèdera aux données biométriques conservées sous forme papier dans les centres territorialisés, une trace en sera conservée. Cela représente un net progrès par rapport à l’état actuel du droit.

Voilà, mesdames et messieurs les députés, ce que je voulais vous dire concernant ce que nous avons mis en œuvre. C’est une réforme très importante pour les préfectures et les sous-préfectures, que nous accomplissons dans un contexte de modernisation du service public et d’amélioration de son accessibilité pour les citoyens, par la dématérialisation des relations entre les collectivités locales et les préfectures. Elle libérera près de 2 000 emplois équivalents temps plein, ce qui permettra de réinjecter des forces dans les préfectures et les sous-préfectures de France.

Tout cela, en améliorant considérablement la traçabilité des opérations conduites par l’administration par rapport au droit actuel. C’est ainsi que nous entendons trouver un bon équilibre entre sécurité et liberté ; en effet les éléments biométriques numérisés ne seront transmis à la base de données qu’avec l’accord du demandeur des titres numérisés en question. Nous ne voulons pas pour autant obérer la sécurité de nos compatriotes : c’est pourquoi nous avons choisi de maintenir le système de conservation des traces papillaires au format papier, afin que les juges puissent y accéder, notamment dans le cadre de la lutte antiterroriste ; mais nous avons assorti ce système d’un mécanisme permettant d’assurer la traçabilité de l’accès à ces données. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

M. le président. La parole est à M. Meyer Habib.

M. Meyer Habib. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la création du fichier des titres électroniques sécurisés répond à deux objectifs légitimes : lutter contre la fraude aux faux documents d’identité – vous le rappeliez – et optimiser le processus administratif de production des passeports et cartes nationales d’identité.

La fraude documentaire et l’usurpation d’identité sont en effet devenues de véritables fléaux. Elles sont employées tant par la criminalité organisée que par les réseaux terroristes : il est donc urgent de combattre ces deux phénomènes qui mettent la sécurité de nos compatriotes, comme la souveraineté de l’État, en péril.

Un tel projet suscite logiquement des craintes : la création d’un fichier n’est jamais un acte anodin, en particulier quand celui-ci a vocation à couvrir la quasi-totalité de la population française. L’informatique offre aujourd’hui des moyens inédits de fichage de la population : on peut craindre, dans ces conditions, l’émergence d’un État omniscient étouffant les libertés et les droits individuels, tel Big Brother dans 1984, le fameux roman de George Orwell.

Il est donc absolument nécessaire de concilier la protection des droits et libertés avec la sécurité et les prérogatives régaliennes. C’est sans doute pour cette raison que la Commission nationale de l’informatique et des libertés a donné son feu vert au fichier TES, tout en émettant des réserves de taille. Dans son avis, la CNIL affirme que « le passage à une base réunissant des données biométriques relatives à soixante millions de personnes, représentant ainsi la quasi-totalité de la population française, constitue un changement d’ampleur ». Elle ajoute, dans la même délibération du 29 septembre dernier, que « compte tenu de la nature des données traitées, les conséquences qu’aurait un détournement des finalités du fichier imposent des garanties substantielles et une vigilance particulière. »

Certes, la sécurité reste la première des libertés, mais une telle réforme, mettant en cause les droits et libertés individuels, requiert toute notre vigilance – vous l’avez rappelé, monsieur le ministre. En tout état de cause, on ne peut l’accomplir seulement par l’adoption d’un acte réglementaire, à l’issue d’une procédure administrative. Compte tenu des enjeux, une telle décision ne peut résulter que d’une procédure transparente et d’un authentique débat démocratique, pas d’une décision prise en catimini à la veille du week-end de la Toussaint. Notre débat d’aujourd’hui était donc absolument indispensable ; c’est bien le moins !

Le gouvernement auquel vous appartenez, monsieur le ministre, a choisi de procéder par décret afin de réduire le débat parlementaire au minimum. Cela soulève de vraies questions sur le fonctionnement de notre démocratie. Faut-il vous rappeler, monsieur le ministre, qu’aux termes du premier alinéa de l’article 34 de la Constitution, c’est la loi qui doit fixer les règles concernant « les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques » ? Pourquoi donc ne pas avoir choisi cette voie ? Cela aurait permis un réel débat au sein du Parlement, siège de la démocratie et premier garant des droits et des libertés.

Il est vrai que vous avez partiellement répondu à ce reproche. Toutefois cette question se pose d’autant plus que le Conseil d’État a estimé, dans un avis du 23 février 2016, que le Gouvernement pouvait parfaitement emprunter la voie législative, eu égard à l’ampleur du fichier envisagé et à la sensibilité des données contenues. Le groupe UDI déplore donc vivement le choix opéré par le Gouvernement.

Pour revenir sur le fond, et comme je l’ai déjà dit, la création du fichier TES nous semble justifiée à la fois par le souci de sécuriser la production des documents d’identité et par les impératifs de la modernisation administrative. Cette réforme s’inscrit – vous le rappeliez – dans le cadre de la refonte et de l’harmonisation des procédures d’instruction et de délivrance des cartes nationales d’identité et des passeports.

Elle est rendue nécessaire par l’obsolescence du fichier national de gestion, qui date de 1987. Mutualisant les bases de données des cartes nationales d’identité et des passeports, le fichier TES permettra de réaliser des économies d’échelle et répondra à une exigence de modernisation de l’action administrative. Cette méthode pourrait d’ailleurs être étendue, plus tard, à la carte Vitale. Mais le régime juridique prévu par le décret apporte-t-il toutes les garanties nécessaires pour assurer la protection des libertés individuelles ?

En vérité, ce débat n’est pas nouveau : il avait déjà eu lieu lors de l’examen de la loi du 27 mars 2012 relative à la protection de l’identité. Le Conseil constitutionnel avait alors déclaré anticonstitutionnelle la mise en place d’une base centralisée des données biométriques recueillies pour l’établissement des cartes nationales d’identité et des passeports. Toutefois, cette censure portait sur la possibilité qu’ouvrait la loi de consulter ou d’interroger ce fichier à des fins de police administrative – vous l’avez également rappelé.

Là réside toute la différence avec le fichier TES : il s’agit uniquement, exclusivement, d’un outil d’authentification des titres d’identité ; en aucun cas, d’un instrument d’identification et de traçage de leurs détenteurs. À cet égard, nous nous félicitons que le décret prévoie expressément que l’application de gestion du fichier TES ne comporte pas de fonctionnalité permettant l’identification à partir de l’image numérisée du visage ou des empreintes digitales – qui seront, quoi qu’il arrive, prises pour tous les citoyens. Vous avez rappelé cela, monsieur le ministre, dans votre propos liminaire.

En outre, certaines garanties complémentaires ont été récemment fournies. Le 10 novembre, monsieur le ministre, vous avez annoncé que le recueil dans le fichier TES des empreintes et de l’image numérisée du demandeur de titre d’identité serait soumis à son consentement exprès et éclairé. Concrètement, les usagers qui ne souhaiteraient pas que leurs empreintes digitales figurent dans ce méga-fichier pourront le refuser.

Nous prenons acte que vous vous êtes par ailleurs engagé à fournir au Parlement comme à la CNIL, à l’ANSSI – l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information – et à la DINSIC – la direction interministérielle du numérique et du système d’information et de communication de l’État – tous les éléments pertinents pour permettre un suivi de ce traitement de données. Vous vous êtes aussi engagé à publier un retour d’expérience sur les phases de test déjà lancées dans les Yvelines et prochainement en Bretagne.

Malgré ces utiles précautions, certains points suscitent encore des inquiétudes. Au sens du Conseil d’État, la collecte et le traitement d’informations personnelles constituent bien une ingérence dans la vie privée. Cette ingérence ne peut être autorisée que si elle poursuit un objectif d’intérêt général et si elle est mise en œuvre de manière adéquate et proportionnée à son objectif. Le régime juridique encadrant la conception et l’utilisation du fichier TES semble – nous l’avons vu – assurer une protection suffisante des droits et libertés, mais peut-on en dire autant de la sécurité du système informatique ?

C’est une question fondamentale, à laquelle vous avez répondu, monsieur le ministre, en alléguant l’impossibilité technique d’identifier une personne à partir de ses seules données biométriques, conservées dans une base distincte et séparée de celle des demandeurs de titres. Toutefois, comme l’a indiqué la CNIL, il est primordial que la mise en œuvre d’un tel traitement obéisse « à des règles de sécurité strictes » et soit « entourée de garanties assurant que les données sont utilisées aux seules fins prévues par le pouvoir réglementaire. »

Ainsi donc, comme je le disais, certaines questions fondamentales subsistent. Certes, le fichier TES ne sera déployé sur l’ensemble du territoire qu’après homologation du système et des procédures par l’ANSSI et contrôle de la DINSIC, mais comment nous prémunirons-nous contre un éventuel piratage, ou contre des actes de malveillance commis par des utilisateurs internes ? Ces actes pourraient aussi provenir de pays ou d’organisations hostiles à notre pays. Certes, il n’y a pas de sécurité absolue, mais étant donné la taille du fichier, imaginez les conséquences désastreuses de tels actes ! Quelles précautions ont été prises à cet égard ? À défaut d’être infaillibles, ces précautions sont-elles suffisantes ?

Par ailleurs, le Conseil constitutionnel n’avait pas censuré l’introduction du composant électronique sécurisé dans la carte nationale d’identité. Cette mesure n’est cependant pas mise en œuvre, ce qu’a regretté la CNIL. Pourquoi cette solution a-t-elle été écartée ?

Pour conclure, monsieur le ministre, vous aurez compris que le groupe UDI soutient ce projet, mais attend des garanties sérieuses. Nous estimons que la représentation nationale a le droit d’être parfaitement éclairée sur le volet « sécurité » du système informatique du fichier TES.

M. Philippe Goujon. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Jeanine Dubié.

Mme Jeanine Dubié. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la vice-présidente de la commission des lois, mes chers collègues, le Gouvernement a choisi, en vertu de l’article 50-1 de notre Constitution, de procéder à une déclaration suivie d’un débat à propos du décret du 28 octobre 2016 autorisant la création d’un traitement de données à caractère personnel relatif aux passeports et aux cartes nationales d’identité, comme vous l’aviez annoncé, monsieur le ministre, le 9 novembre dernier lors de votre audition par la commission des lois.

La décision a été prise le week-end dernier. Nous croyons utile que ce débat ait lieu. Nous avons cru comprendre, en effet, que la précipitation avec laquelle le décret aurait été pris vous a été reprochée au sein même du Gouvernement : je n’entrerai pas dans cette polémique. Je me contenterai de rappeler qu’aux termes de l’article 22 de la Constitution, « les actes du Premier ministre sont contresignés, le cas échéant, par les ministres chargés de leur exécution. » Si certains estiment que les secrétaires d’État doivent également le faire, alors il faudrait réviser la Constitution ; or il m’apparaît difficile d’engager une réforme constitutionnelle alors que nos travaux seront suspendus dans trois mois. (Sourires.)

Le décret en question autorise la création d’un traitement automatisé de données dans le cadre du Plan préfectures nouvelle génération, qui fait suite à la fin de la révision générale des politiques publiques dans les préfectures et qui modifie les modalités de délivrance des titres. Ceux-ci seront désormais instruits par cinquante-huit centres d’expertise et de ressources, composés d’agents préfectoraux, implantés sur l’ensemble du territoire.

Ce fichier tend à résoudre un des problèmes récurrents de transmission des demandes de délivrance des titres entre les mairies et les sites préfectoraux. Il permettra aussi de simplifier la procédure grâce à la dématérialisation des échanges, avec une pré-demande en ligne de la part des administrés. En améliorant la sécurité des échanges, cette nouvelle procédure permettra de mieux lutter contre l’usurpation d’identité. La procédure actuellement valable pour les demandes d’établissement ou de renouvellement des passeports biométriques sera ainsi étendue aux cartes nationales d’identité.

Ce décret crée donc un fichier qui va regrouper les données qui font actuellement l’objet de deux fichiers distincts : celui consacré aux demandes de carte nationale d’identité, créé par le décret du 19 mars 1987, et celui des titres électroniques sécurisés consacré aux demandes de passeport, créé par le décret du 30 décembre 2005. La compétence réglementaire pour intégrer le décret de 1987 dans celui de 2005 ne fait ainsi pas l’ombre d’un doute. Les données, en particulier biométriques, recueillies seront communes au traitement des demandes des deux titres. Ainsi que l’a estimé le Conseil d’État dans son avis rendu le 23 février 2016, « la réunion, dans une même application, des données relatives aux demandeurs de cartes nationales d’identité et de passeports aboutirait à la constitution d’un fichier de très grande ampleur visant notamment à l’authentification des personnes. Il convient donc de vérifier avec une attention toute particulière que les conditions rappelées à l’alinéa précédent [la poursuite d’un objectif d’intérêt général et une mise en œuvre adéquate et proportionnée] soient réunies ».

La légitimité de ce débat parlementaire réside dans le fait que nous devons veiller à ce que les garanties prévues à l’article 6 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés soient préservées. Que nous dit à ce propos la Commission nationale de l’informatique et des libertés dans sa délibération du 29 septembre 2016 portant avis sur le projet de décret, sachant que le Conseil d’État a considéré que l’interdiction d’utiliser les empreintes digitales numérisées pour rechercher l’identité d’une personne, seuls les agents principalement chargés des demandes et de la délivrance des titres pouvant avoir accès aux données biométriques, était satisfaisante ? La CNIL s’inquiète, c’est son rôle, « des conséquences qu’aurait un détournement des finalités du fichier », et considère que « des garanties substantielles et une vigilance particulière » s’imposent ; elle « regrette que les dispositifs présentant moins de risques pour la protection des données personnelles, tels que la conservation de données biométriques sur un support individuel exclusivement détenu par la personne, n’aient pas été expertisés ». Il s’agirait d’une puce qui serait introduite dans le document d’identité, par conséquent exclusivement détenue par la personne concernée, « qui conserverait donc la maîtrise de ses données, réduisant les risques d’une utilisation à son insu ».

Vous vous êtes expliqué, monsieur le ministre, sur le choix de ne pas retenir cette option : la technologie de la carte à puce ne serait pas suffisamment performante en matière de lutte contre la fraude, sachant que l’usurpation d’identité en est le vecteur privilégié. Lors de votre audition, la semaine dernière, vous avez évoqué l’hypothèse du détenteur dont la carte, suite à une perte ou à un vol, tombe entre les mains de quelqu’un qui lui ressemble physiquement. Celui-ci pourrait ainsi se faire renouveler son titre et disposer d’une vraie-fausse carte d’identité, alors que la nouvelle base de données biométriques permettra d’attester que le demandeur d’un titre est bien celui qui peut prétendre à son renouvellement en vérifiant que le titre qu’il présente est bien le sien. Vous avez également invoqué, et réitéré tout à l’heure, la volonté de maintenir la gratuité de la carte nationale d’identité, volonté que nous faisons nôtre puisque, faut-il le rappeler, même si la détention d’une carte nationale d’identité n’est pas obligatoire en France, elle est fortement encouragée car ne pas pouvoir justifier de son identité, lors d’un contrôle par exemple, est susceptible d’avoir des conséquences judiciaires. Rendre payante la carte nationale d’identité aurait pour conséquence de faire chuter le nombre de demandes de délivrance. Vous avez de plus estimé que le coût de la puce électronique aurait renchéri de plus de 100 millions d’euros la réforme de la délivrance des titres. Le groupe RRDP entend ces arguments.

Par ailleurs, et nous pensons que c’est le point principal, la CNIL constate l’impossibilité d’accéder à l’identité à partir des seules données biométriques. La crainte exprimée par certains que l’on puisse, par l’intermédiaire de ce fichier, remonter à l’identité des détenteurs de titres à partir de l’image numérisée de leur photographie ou de celle des empreintes digitales du demandeur renvoie à la loi du 27 mars 2012 relative à la protection de l’identité, qui avait fait l’objet d’une censure partielle du Conseil constitutionnel dans sa décision n2012-652 DC du 22 mars 2012. Il n’avait pas censuré le principe même des titres électroniques sécurisés, jugeant en effet que la création d’un traitement de données informatiques qui permettrait de recueillir et de conserver les données nécessaires à la délivrance des cartes d’identité et des passeports était justifiée. Par contre, les sages du Palais Royal avaient constaté que ce traitement, tel qu’il était alors envisagé, aurait permis non seulement de vérifier l’identité avancée par le demandeur, mais également d’identifier toute personne figurant dans le fichier à partir des données biométriques, données qui auraient pu, de surcroît, être consultées dans certains cas à titre préventif dans un cadre judiciaire. Dès lors, l’atteinte à la vie privée était disproportionnée, comme l’avait d’ailleurs déclaré à cette tribune l’actuel garde des sceaux. En effet, en 2012, il s’agissait d’une loi tendant à créer un fichier qui, par destination, était un fichier de police, ressortant ainsi à la compétence du législateur. Si un futur gouvernement voulait casser le verrou contenu dans le décret du 28 octobre 2016, il aurait le choix de prendre un nouveau décret, qui serait immanquablement considéré comme illégal par le Conseil d’État, ou de faire adopter une loi qui serait à son tour censurée par le Conseil constitutionnel.

Dans ces conditions, si nos craintes ne sont pas d’ordre juridique – encore que le champ de l’article 4 précisant quels agents relevant du code de la sécurité intérieure peuvent accéder aux données incluses dans les titres électroniques sécurisés, à l’exclusion de l’image numérisée des empreintes digitales, est discutable –, quelles peuvent-elles être ? Elles sont plutôt d’ordre technique : aucune base de données n’est inattaquable ou impiratable, et la divulgation indélicate des renseignements contenus dans une base qui va concerner soixante millions de Français, soit la quasi-totalité de la population, est un vrai risque. Et si aucune base de données n’est inattaquable, aucune n’est non plus parfaitement fiable. La CNIL rappelle que le taux de fiabilité certaine du dispositif de comparaison des empreintes digitales est d’environ 97 %… Faisons attention aux 3 % de risque de rejets erronés ou de fausses acceptations de délivrance ou de renouvellement de titres d’identité !

En conclusion, toujours soucieux du respect des libertés individuelles, le groupe RRDP comprend l’objectif du fichier des titres électroniques sécurisés créé par le décret du 28 octobre 2016, et vous fait confiance, monsieur le ministre de l’intérieur, pour lever les derniers doutes lors de ce débat. (Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Candelier.

M. Jean-Jacques Candelier. Monsieur le président, monsieur le ministre de l’intérieur, mes chers collègues, la création du fichier des titres électroniques sécurisés, gigantesque base centrale regroupant les données biométriques de la quasi-totalité de la population française, a été décidée sans concertation préalable ni évaluation précise. Rendu public, pour le moins discrètement, par la publication d’un décret le dimanche de la Toussaint, ce méga-fichier étend le fichage biométrique aux détenteurs de carte d’identité et de passeport, à l’exception des détenteurs de moins de douze ans. Soixante millions de personnes sont donc concernées ! Certes, les données du fichier TES ne sont pas comparables à celles collectées par Google, Apple, Facebook et Amazon, qui détiennent 80 % des informations personnelles numériques de l’humanité. Pour autant, les risques sont semblables et bien réels pour nos libertés individuelles, le respect de notre vie privée, et plus généralement pour notre démocratie. Figureront ainsi notamment parmi les données collectées par le fichier TES, en plus des données biométriques, la couleur des yeux, la taille, le domicile, les données relatives à la filiation ou encore le numéro de téléphone. Ces informations seront conservées pendant quinze ans pour les passeports et vingt ans pour les cartes nationales d’identité. C’est une première depuis la deuxième guerre mondiale !

Cependant, le Gouvernement n’a pas jugé opportun de consulter le Parlement avant la création de ce méga-fichier, encore moins de déposer un projet de loi et de mener une véritable étude d’impact. La CNIL avait pourtant recommandé la saisine du Parlement sur ce projet du fait de la nature de cette base, puisque celle-ci est relative aux titres d’identité, mais aussi au regard des débats qui eurent lieu à l’occasion de l’examen de la loi du 27 mars 2012 relative à la protection de l’identité créant un fichier comparable, censuré alors par le Conseil constitutionnel. Si le Gouvernement s’est finalement résolu à saisir le Parlement, reste que ce nouveau fichier n’a pas été suspendu et que l’organisation de notre débat, sans vote et dans la précipitation, atteste, une fois encore, du peu de considération accordé à la représentation nationale.

Sur le fond, les finalités affichées du fichier TES sont purement administratives. Il s’agirait seulement de simplifier les modalités d’instruction des demandes de titres d’identité et de renforcer la lutte contre la fraude documentaire. À cet égard, notons que la finalité de ce fichier est très proche de celle du fichier adopté en 2012. Si à la différence de ce dernier, la base de données TES autorise uniquement l’authentification des demandeurs et non leur identification, une question majeure demeure : la création d’un tel méga-fichier porte-t-elle atteinte au respect de la vie privée et, en ce cas, cette atteinte est-elle proportionnée au but poursuivi ? Pour les députés du Front de gauche, l’ampleur et les caractéristiques du fichier TES constituent une menace pour les libertés publiques, en particulier s’agissant du droit au respect de la vie privée. Nous considérons en effet qu’au regard de l’objectif poursuivi de simplification et de lutte contre la fraude documentaire, la collecte et la conservation des données personnelles de la quasi-totalité de la population française ne sont ni nécessaires ni proportionnées.

Ce fichier comporte intrinsèquement des risques importants.

Le premier est celui du piratage, car aucun système informatique ne peut être sécurisé à 100 %, d’autant que centraliser un fichier, c’est également centraliser les risques de piratage. Surtout, un fichier est  d’autant plus vulnérable, convoité et susceptible d’utilisations multiples qu’il est de grande ampleur et contient des informations très sensibles comme des données biométriques. Chacun sait que le risque de hackage d’un fichier centralisé d’une telle dimension ne pourra jamais être écarté.

Le second est celui des dérives, des abus potentiels. En l’état, l’exclusion annoncée de l’utilisation du fichier TES à des fins d’identification ne suffit pas à le rendre légitime. Comme le souligne l’Observatoire des libertés et du numérique, des accès privilégiés sont d’ores et déjà autorisés pour certains services de police et du renseignement, et aucune limitation n’est imposée en matière de réquisitions judiciaires. Pire, une simple modification du décret permettrait d’en modifier les finalités et l’utilisation. Les usages liberticides d’un tel fichier ne peuvent être exclus ! On ne peut ignorer notre histoire et ses pages sombres…

Par ailleurs, d’autres dispositifs présentant moins de risques pour la protection des données personnelles et plus respectueux de la vie privée auraient permis d’atteindre les objectifs poursuivis par le Gouvernement. Ainsi, nombreux sont ceux à recommander la conservation des données biométriques sur un support individuel exclusivement détenu par la personne, tels la CNIL ou le Conseil constitutionnel. Cette conservation pourrait par exemple, mais ce n’est pas l’unique possibilité, s’opérer au moyen d’un composant électronique intégré aux cartes d’identité, comme c’est le cas pour les passeports. Le Gouvernement ne saurait balayer d’un revers de main les alternatives techniques à cette base centralisée ni les garanties qui pourraient lui être apportées. Le Conseil national du numérique propose que soit engagée une réflexion ouverte impliquant les experts numériques de l’État et de la société civile.

En définitive, la décision, prise par décret, d’une architecture technique centralisée pour la conservation de données biométriques soulève un grand nombre d’inquiétudes : la CNIL, le Conseil national du numérique, l’Observatoire des libertés et du numérique et même des membres du Gouvernement ont émis des réserves légitimes sur la mise en œuvre de ce méga-fichier. Les sources d’inquiétude, je le répète, sont multiples : conditions d’élaboration et de contrôle juridique du fichier, interrogations sur sa sécurité, sur les modalités de destruction des données à la fin du délai de conservation et sur les choix techniques qui ont été effectués. Dans ce contexte, les aménagements présentés par le ministre de l’intérieur pour sécuriser le fichier apparaissent bien insuffisants.

Ni le consentement exprès et éclairé de chaque individu, ni la consultation de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information pour consolider des mesures de sécurité ne sont de nature à écarter tout risque de piratage informatique et de dérive liberticide.

Pour conclure, je citerai Jean-Jacques Urvoas, aujourd’hui garde des sceaux, qui, en 2012, alertait l’opinion sur les dangers d’un tel outil : « Aucune autre démocratie n’a osé franchir ce pas. Qui peut croire que les garanties juridiques que la majorité prétend donner seront infaillibles ? Aucun système informatique n’est impénétrable. Toutes les bases de données peuvent être piratées. Ce n’est toujours qu’une question de temps. »

Pour notre part, nous n’avons pas changé d’avis sur les risques présentés par un tel fichier monstre pour nos libertés publiques. Au contraire, alors que la droite et l’extrême droite, dont on connaît les discours de haine, sont aux portes du pouvoir, la question est simple : peut-on prendre le risque d’instituer un fichier qui recèle en lui-même un risque liberticide et discriminatoire, contraire aux valeurs de notre République ? Pour nous, c’est clairement non, et nous demandons l’abrogation du décret. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Mme Isabelle Attard. Bravo !

M. le président. La parole est à M. Luc Belot.

M. Luc Belot. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, au titre du premier alinéa de l’article 50 de notre constitution, nous débattons aujourd’hui de votre décret, monsieur le ministre, qui crée un fichier unique, numérique, biométrique, de 60 millions de Français. La publication de ce décret a suscité un certain émoi dans la sphère publique, ainsi que des interrogations et des inquiétudes, qui sont bien légitimes s’agissant d’un fichier aussi important.

Les propos que vous avez tenus, monsieur le ministre, tant à l’instant que depuis la semaine dernière, se veulent rassurants : ils donnent des explications sur vos motivations et sur le travail réalisé, notamment la réforme des préfectures. Pourtant, à chaque argument que vous avanciez, j’ai pensé : « Oui, mais ».

Oui, monsieur le ministre, vous avez parfaitement respecté le cadre juridique comme la forme du décret, et nul ne conteste votre choix d’un décret. Néanmoins, vous n’avez pas retenu l’idée de solliciter des avis techniques, en particulier sur les enjeux relatifs à la sécurité, à l’ANSSI, à la direction interministérielle du numérique et du système d’information et de communication de l’État – DINSIC –, à l’Institut national de recherche en informatique et en automatique – INRIA –, au Conseil national du numérique, voire au Parlement. La CNIL vous invitait pourtant, fin septembre, un mois avant la publication du décret, à organiser un débat parlementaire sur ce sujet.

Mme Isabelle Attard. Oui, en septembre !

M. Luc Belot. Oui, monsieur le ministre, comme à votre habitude, vous avez respecté les décisions du Conseil constitutionnel sur la loi de 2012 – nul n’affirme qu’il s’agit du même projet qu’en 2012 –, mais vous avez pourtant bien jeté le bébé de la carte nationale d’identité électronique avec l’eau du bain de cette loi anticonstitutionnelle. Cela est regrettable au regard des dispositions que peuvent prendre d’autres pays européens.

Oui, monsieur le ministre, en évoquant les données alphanumériques ou biométriques et les pièces justificatives, vous avez apporté certaines assurances, notamment sur les protections techniques, mais aujourd’hui, tout fichier peut être hacké. J’en veux pour preuve que 500 millions de comptes Yahoo, immense société du numérique, ont été piratés ;…

Mme Isabelle Attard. Exactement !

M. Luc Belot. …que les ordinateurs de Hillary Clinton, qui n’est pas la personne la moins protégée au monde, ont été piratés durant sa campagne présidentielle ;…

Mme Marie-Anne Chapdelaine. C’est vrai !

M. Luc Belot. …et qu’il y a quelques années, un fichier de l’État d’Israël, comportant les données personnelles de 9 millions de citoyens, a été piraté. La protection totale n’existe pas.

Oui, monsieur le ministre, comme vous l’assuriez, votre décret, tel qu’il est rédigé, apporte les protections conformes à la Constitution et aux observations sur la loi de 2012, mais nous avons pu voir au cours des derniers mois qu’il est possible de changer assez rapidement celles-ci, notamment sous le coup de l’émotion suscitée par des attentats.

La question de l’existence même de ce fichier et des usages qui pourraient en être faits ultérieurement se pose donc.

De cette décision, que vos services avaient certainement jugée technico-administrative, nous avons oublié de faire un vrai sujet politique, justifiant un débat dans l’hémicycle.

Je ne veux pas opposer ici la sécurité – chacun reconnaît la qualité de votre travail dans ce domaine, monsieur le ministre – à la protection des libertés fondamentales : elles se nourrissent l’une de l’autre, et ne fonctionnent que s’il existe un juste équilibre. La comparaison internationale, toujours éloquente, montre que les démocraties du Nord, par exemple, qui ont largement refusé un tel fichier, ont opté pour des solutions bien plus innovantes.

Ce débat se tient aujourd’hui, mais dans quelles conditions ! Le décret a été publié ; il n’est pas suspendu. Le débat n’est suivi d’aucun vote. Surtout, il n’est pas totalement éclairé, car les avis de la DINSIC ou de l’ANSSI, qui pourraient nourrir l’opinion des parlementaires, ne sont pas connus, bien que vous ayez accepté, monsieur le ministre, de les solliciter et de rendre leurs contributions publiques, ce dont je vous remercie.

Aussi, monsieur le ministre, je souhaiterais vous poser deux questions essentielles.

Pourriez-vous, tout d’abord, nous donner les éléments de l’étude d’impact qui vous ont conduit à ne pas retenir d’autres technologies, notamment celles des démocraties d’Europe du Nord, les plus innovantes, alors qu’elles assurent aujourd’hui la sécurité que, comme nous tous, vous appeliez de vos vœux ?

Par ailleurs, vous indiquez que, dans le cadre d’une demande ou d’un renouvellement de carte nationale d’identité, le recueil et le versement des empreintes digitales du demandeur du titre seront soumis à son consentement exprès et éclairé. Pouvez-vous, monsieur le ministre, renouveler ici cet engagement pris jeudi par le Gouvernement ?

Ce débat me semble indispensable. J’appelle donc le président de l’Assemblée nationale et le président de la commission des lois à agir pour que le Parlement puisse jouer pleinement son rôle de contrôle de l’action du Gouvernement. Nous devons nous saisir de tous les moyens mis à notre disposition – missions, enquêtes, rapports – pour assurer le suivi de ce fichier.

Notre rôle, nous en sommes tous convaincus, est d’assurer la sécurité des Français. Si vous remplissez particulièrement bien cette tâche, monsieur le ministre, je n’oublie pas – et nul ne devrait l’oublier – que notre rôle est également de protéger, aujourd’hui et demain, nos libertés fondamentales. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Mme Isabelle Attard. Excellent !

M. Sergio Coronado. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Philippe Goujon.

M. Philippe Goujon. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, après avoir refusé d’organiser un débat parlementaire sur le décret TES, comme je vous le demandais dès le 4 novembre lors de l’examen de votre budget, monsieur le ministre, nous voici convoqués en catastrophe pour tenter de faire cesser les divisions au sein de votre majorité, voire  – pire – les couacs gouvernementaux.

Depuis la parution en catimini, un dimanche de Toussaint, du décret incriminé, vous réussissez en effet le tour de force de vous mettre à dos ceux qui prétendent défendre les libertés individuelles comme ceux qui constatent la quasi-inutilité d’un fichier vidé de sa substance. Quant à votre reculade sur la prise d’empreintes, elle réduit encore l’efficacité d’un fichier déjà loin de permettre une lutte optimale contre le fléau de la fraude identitaire, puisqu’il se limite à authentifier les demandeurs sans être capable de les identifier, ni de démasquer une identité à partir d’une donnée biométrique.

Alors, à quoi bon un tel tintamarre pour si peu de résultats ? C’est finalement beaucoup de bruit pour rien !

Votre renoncement au recueil des empreintes digitales en cas de refus du demandeur, apparemment sous la pression de la secrétaire d’État au numérique, met un terme à la portée de votre réforme. Celle-ci avait pourtant franchi les étapes de la CNIL et du Conseil d’État, qui, malgré quelques réserves, avaient validé votre décret en l’état, posant une base juridique solide à partir de laquelle il aurait été possible d’aller plus loin dans l’identification des personnes.

Vous êtes alors tombé dans le piège de pures manœuvres politiciennes internes à votre majorité. Et ce débat sans vote, simulacre de consultation du Parlement, intervient trop tard après la publication du décret, devenu aujourd’hui caduc par votre volte-face.

Comme je n’ai cessé de le demander au ministre de l’intérieur chaque année depuis 2012, et comme vous l’ont d’ailleurs suggéré la CNIL et le Conseil d’État dans leur avis, vous auriez pu saisir bien plus tôt le Parlement d’un projet de loi complétant la réforme de la protection de l’identité entamée avec la loi du 27 mars 2012, dont je fus le rapporteur.

Étant donné la confusion politique que vous avez suscitée, on comprend que le Gouvernement ait décliné ma requête, au motif tout d’abord qu’un groupe de travail interne au ministère de l’intérieur, dont les conclusions ne furent jamais communiquées, examinait le sujet, puis que le coût de la réforme, évalué à 85 millions d’euros, posait problème, et enfin que la sécurisation des documents d’état civil était privilégiée à la production de titres d’identités. Je constate aujourd’hui que tout cela n’était que billevesées !

À propos de coût, nous souhaiterions savoir à combien est estimée la mise en place d’une carte d’identité électronique dotée d’une puce, prévue par la loi de 2012. Vous avez indiqué en commission que ce composant augmenterait le coût de 100 millions d’euros, mais quel serait le budget total de cette réforme ? Et combien coûte celle que vous mettez en place ?

Aujourd’hui, le fichier TES raboté ne parviendra même pas à assurer l’authentification des personnes, car les demandeurs de carte d’identité pouvant refuser le recueil de leurs empreintes, la base ne sera pas alimentée ou le sera de façon très disparate. On ne pourra même pas comparer automatiquement les empreintes de chaque demandeur avec celles précédemment enregistrées sous la même identité, alors que c’est le seul objectif utile de ce fichier administratif inerte ! Vous créez un fichier, monsieur le ministre, et le videz en même temps de sa substance : un pas en avant, deux pas en arrière !

Les fins poursuivies – l’établissement, le renouvellement, l’invalidation des titres d’identité et la prévention de leur falsification – ne seront donc plus atteintes, alors que la CNIL les avait reconnues comme légitimes et s’était même fondée sur elles pour valider votre décret. L’instruction harmonisée des cartes d’identité et passeports s’en trouvera également compromise, puisque l’enregistrement numérique des données biométriques restera obligatoire pour le passeport, mais seulement facultatif pour la carte d’identité, à rebours de la simplification administrative que vous recherchiez.

Achever la réforme de la protection de l’identité par la voie parlementaire est non seulement justifié, cette réforme entrant pleinement dans le champ de l’article 34 de la Constitution, mais elle est juridiquement possible, car si le Conseil constitutionnel a partiellement invalidé la loi du 27 mars 2012 – j’insiste sur ce « partiellement » –, il ne s’est pas prononcé contre la biométrie ou contre un fichier central, que le Conseil d’État avait d’ailleurs approuvé pour les passeports.

Votre décret lui-même vise d’ailleurs la loi de 2012 : il n’y est donc pas aussi étranger que vous le prétendez, puisque sans cette base légale, le décret n’aurait pu voir le jour. En 2012, en effet, le Conseil constitutionnel n’avait censuré que la pluralité des finalités, tout en validant l’essentiel du texte, à savoir les articles 1, 2, 4, 6, 8, 9 et 11, à l’exception de l’article 3 relatif à la signature électronique facultative, au seul motif qu’elle n’était pas suffisamment définie ; de l’article 5, qui concernait le traitement électronique des données par le fameux lien fort reliant identité biométrique et civile, au motif que seule la vérification de l’identité d’une personne devait être permise par ce fichier ; et de l’article 10 autorisant l’accès des services antiterroristes, que vous reprenez d’ailleurs largement.

Il est trop facile et inexact de figer pour l’éternité les décisions d’un Conseil constitutionnel qui sait adapter sa jurisprudence aux changements de fait et de circonstances, comme il l’a récemment démontré en matière de garde à vue. Aussi, l’état de guerre dans lequel se trouve plongé notre pays pourrait l’amener à reconsidérer aujourd’hui l’inclusion des finalités censurées à l’époque, notamment en matière d’accès au fichier des services antiterroristes et judiciaires, finalités que vous avez d’ailleurs reprises dans votre article 4 comme nécessaires à la prévention des « atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation et des actes de terrorisme ».

Le Conseil d’État lui-même, dans son avis, a reconnu que le fait de disposer d’un seul fichier réunissant toutes les informations des demandeurs de passeports et de cartes d’identité était facteur de sécurité, puisque cette base unique permettrait de restreindre le nombre de personnes pouvant y accéder et de tracer plus efficacement les consultations.

Comme vous l’avez dit, monsieur le ministre, l’actuel fichier des passeports contient les données biométriques de 29 millions de personnes, soit la moitié de la population française, sans avoir jamais posé le moindre problème. Il en est de même du fichier Carte vitale, validé par la CNIL, qui comprend lui aussi des millions de données biométriques.

Monsieur le ministre, vous savez les ravages de l’usurpation d’identité pour des milliers de personnes ; vous savez l’obsolescence de la carte d’identité dite infalsifiable, qui rend les contrôles d’identité largement inopérants ; vous savez l’utilisation des fausses pièces d’identité par les terroristes et les délinquants de tout poil ; vous savez la difficulté d’identifier les corps des victimes d’attentats et de catastrophes naturelles.

Alors, au lieu de reculer, avancez plutôt en complétant la réforme de la protection de l’identité – c’est bien de cela dont il s’agit –, en admettant l’intérêt de l’identification, assortie de toutes les garanties que notre pays est à peu près le seul à observer à un niveau aussi élevé, tant elles sont nombreuses quand il s’agit de l’État, alors que les fichiers privés savent s’en affranchir largement.

Il est temps de combler le retard technologique de la France, qui, malgré une industrie microélectronique de pointe, qui compte parmi les plus performantes au monde, est à la traîne : une vingtaine de nos voisins disposent déjà d’un fichier central biométrique et d’une carte d’identité électronique.

Vous vous êtes placé vous-même dans une situation doublement problématique : situation d’insécurité juridique, à laquelle ce décret répond mal, voire plus du tout dans sa nouvelle version, car la protection de l’identité passe par la création d’un fichier central associant identité biométrique et identité biographique, afin de permettre l’identification – c’est en tout cas mon point de vue ; situation d’insécurité matérielle, car le support même de la carte d’identité actuelle, dite infalsifiable – que Gaston Defferre, l’un de vos prédécesseurs, refusait en son temps parce qu’il la jugeait liberticide –, est aujourd’hui obsolète, datant d’une trentaine d’années.

Seule une carte d’identité électronique permettrait de sécuriser matériellement le titre, en l’associant, comme dans de nombreux pays, à une signature électronique, ce qui apporterait une protection supplémentaire pour les achats électroniques et éviterait à chacun, dans une société de plus en plus numérisée, d’avoir à confier ses données personnelles aux « GAFA » – Google, Apple, Facebook, Amazon –, qui les exploitent à leur insu, sans contrôle. Circonstance aggravante, la société Morpho vient d’être vendue aux Américains. Même l’inclusion d’une puce dans le titre aurait été possible : l’article 2 de la loi de 2012, validé par le Conseil constitutionnel, vous y autorisait ; d’ailleurs, la CNIL regrette que vous n’y procédiez pas – mais vous vous êtes expliqué à ce sujet.

Pour conclure, monsieur le ministre, nous vous enjoignons, ma collègue Marie-Louise Fort et moi, d’assumer vos responsabilités, faute de quoi vous resterez comme le ministre de l’intérieur qui n’aura pas compris les enjeux de son temps et aura renoncé, peut-être par pure tactique politicienne, à assurer à ses concitoyens la protection de leur identité par l’État de droit. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. le président. La parole est à M. Pascal Popelin.

M. Pascal Popelin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dès lors que l’on évoque la constitution d’un fichier, de surcroît informatique, les Français sont méfiants – et ils ont raison ! La France est dépositaire d’une certaine conception du droit à la vie privée, protectrice de la sphère de l’intime, qui se défie à juste titre de tout outil d’intrusion ou de contrôle. Créer un fichier n’est jamais anodin ; c’est, au contraire, un acte dont le potentiel de crispation n’a d’égal que notre attachement au strict respect des libertés individuelles.

M. Jean-Luc Laurent. Bien dit !

M. Pascal Popelin. Notre débat de cet après-midi est donc nécessaire et utile. Il permet une bonne information de la représentation nationale ; c’est aussi l’occasion d’exercer notre devoir constitutionnel de contrôle de l’action du Gouvernement, dans l’exercice de ses prérogatives réglementaires.

Deux questions méritent, à mon sens, d’être posées : la première porte sur l’opportunité et l’utilité de créer un traitement de données à caractère personnel relatif aux passeports et aux cartes d’identité ; la seconde a trait aux garanties de respect des libertés publiques qui entoureront son usage.

S’agissant des objectifs et des finalités assignés à cet outil, nous sommes tous ici convaincus, je pense, par-delà nos différences de sensibilité, de la nécessité de moderniser nos services publics et nos procédures administratives, dont la complexité et les lenteurs sont régulièrement pointées du doigt par nos concitoyens. Ce chantier, le Gouvernement l’a engagé dès 2012 avec notre soutien. Il se fonde sur la simplification, déclinée de multiples manières. La mise en place d’un tel fichier est une réponse à l’obsolescence des outils employés jusqu’à ce jour en matière d’établissement et de délivrance des titres d’identité. Il s’agit notamment de proposer aux Français un service plus rapide, plus simple d’accès, de meilleure qualité.

Dans un pays qui se doit de mieux maîtriser ses dépenses publiques, ce nouvel outil a aussi vocation à permettre la rationalisation du fonctionnement du réseau préfectoral. C’est, vous l’avez indiqué, monsieur le ministre, l’objectif visé par le Plan préfectures nouvelle génération, au cœur duquel s’inscrit le fichier dont nous parlons.

À l’heure où – tout le monde l’a dit – les usurpations d’identité connaissent une montée en charge préoccupante, il est légitime que le Gouvernement agisse afin de lutter plus efficacement contre la fraude documentaire. Le phénomène saccage chaque année la vie de milliers de victimes. Il appelle vigilance, réaction et fermeté. C’est le troisième apport de ce nouveau fichier, qui offre des possibilités d’authentification et de suivi des titres et des demandes bien plus fiables.

Ces atouts rappelés, nous avons bien évidemment le devoir de nous préoccuper du cadre réglementaire retenu, afin de nous assurer qu’il est assorti de garanties suffisantes du point de vue du respect des libertés publiques.

Monsieur le ministre de l’intérieur, la plupart de ceux qui sont ici vous donnent acte de votre attachement viscéral à l’État de droit. Je considère que votre engagement constant sur ces questions constitue, à lui seul, une garantie – je ne dis pas cela par candeur. Au-delà de cet a priori qui m’incite, personnellement, à vous faire confiance – je conçois que cela ne puisse être suffisant pour tous –, des arguments et des faits viennent appuyer cette opinion.

Le fichier dont nous parlons est un outil d’authentification des demandes, non un instrument d’identification. J’observe d’ailleurs que l’ensemble des entités que le législateur a chargé du contrôle du respect des droits n’ont émis aucune objection sur ce point, et que les principes ayant fondé la décision du Conseil constitutionnel de 2012 ont été intégralement respectés.

S’agissant des garanties relatives à la protection contre le piratage, même si le risque zéro n’existe pas – on en serait resté aux fiches anthropométriques de M. Bertillon ! –, les options techniques retenues sont probantes et ont déjà fait leurs preuves dans un passé récent.

Reste la question récurrente du risque qu’un jour, la démocratie s’égare à confier l’usage d’un tel fichier à des gouvernants peu scrupuleux.

M. Jean-Luc Laurent. La question mérite d’être posée !

M. Pascal Popelin. Techniquement et juridiquement, ceux-ci ne pourraient utiliser l’outil informatique à d’autres fins que celles qui ont prévalu à sa création : il faudrait changer la Constitution pour pouvoir changer la loi et ensuite reconstruire un nouveau système. Tout est imaginable, me direz-vous – mais la seule parade contre un tel risque, c’est le citoyen souverain qui la tient entre ses mains.

M. Jean-Luc Laurent. Pour sûr, c’est mieux qu’un décret !

M. Pascal Popelin. Car si la démocratie permettait à ceux qui veulent la détruire d’accéder au pouvoir, elle signerait sa propre fin. Aucun texte, aucune règle n’y résisterait !

Rien de tel n’est à mettre au débit de ce fichier, que j’estime être un dispositif utile, dont l’expérimentation territoriale en cours devra permettre les ajustements nécessaires à son juste emploi. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la vice-présidente de la commission des lois, chers collègues, je voudrais d’abord vous faire part de mon étonnement : il est en effet surprenant de participer, dans cet hémicycle, à un débat parlementaire sur un décret ! Je n’ai pas beaucoup d’ancienneté en tant que parlementaire, mais je crois que c’est une première.

Si nous avons ce débat nécessaire, c’est parce que le décret a été pris en catimini, monsieur le ministre. Sans les protestations de la société civile et des associations attentives aux libertés numériques, sans l’intervention de la CNIL et du Conseil d’État, sans l’intervention d’un certain nombre de parlementaires ici présents et de votre collègue Mme Axelle Lemaire, le débat n’aurait pas eu lieu. Vous avez finalement fait amende honorable, et c’est votre force, monsieur le ministre, que de tenir compte en partie des critiques, donnant l’impression d’organiser un débat que, dans un premier temps, vous avez voulu escamoter.

M. Claude Goasguen. Bravo, monsieur le ministre ! Voilà un beau soutien du Gouvernement ! (Sourires.)

M. Sergio Coronado. Cette base de données rassemblera des informations comme la photographie numérisée du visage, les empreintes digitales, la couleur des yeux, les adresses physiques et numériques. La quasi-totalité des Français y figurera, puisqu’il suffit de détenir ou d’avoir détenu une carte d’identité ou un passeport pour en faire partie ; 60 millions de personnes seront inscrites dans le fichier : voilà qui mériterait en effet, monsieur le ministre, un vrai débat parlementaire ! Néanmoins, comme l’a souligné avec force mon collègue Belot à cette même tribune, le débat que nous allons avoir n’est pas totalement éclairé et il ne se conclura pas par un vote : c’est donc loin d’être un vrai débat, comme les parlementaires le conçoivent.

M. Philippe Goujon. Si l’on doit se mettre à voter sur des décrets… !

M. Sergio Coronado. Il me semble que le véhicule pour ce type de décision, c’est-à-dire la mise en place d’un tel fichier, devrait être la loi – c’est ma conviction profonde, et je crois qu’elle est partagée par un certain nombre de parlementaires, notamment du côté gauche de l’hémicycle –, vu la préoccupation légitime que cela soulève quant à la protection des données personnelles et vu le volume des données visées par ledit fichier. En outre, et quelle que soit l’intention du Gouvernement, tout fichier comporte des risques : des risques d’abus, des risques de piratage, et aussi le risque d’une évolution par rapport aux finalités premières. Songeons au cas du FNAEG, le fichier national automatisé des empreintes génétiques, conçu au départ pour les seuls délinquants sexuels et qui recueille aujourd’hui des données sur des personnes qui ne le sont pas. Sans doute serait-il temps aussi de se pencher sur la loi de 1978, ou en tout cas de revenir aux intentions initiales du législateur s’agissant de l’avis de la CNIL : sur un tel fichier, celui-ci ne peut pas être seulement consultatif – c’est en tout cas, là encore, ma conviction profonde.

Il faut souligner que la création d’un fichier similaire avait été prévue dans une loi adoptée en 2012 par l’ancienne majorité à l’Assemblée nationale. L’objectif affiché était lui aussi similaire : la lutte contre les contrefaçons et les vols de pièces d’identité, et l’identification de personnes à partir de leurs données, notamment les empreintes digitales, dans les procédures judiciaires. Je rappelle qu’à cette époque, Jean-Jacques Urvoas avait introduit un recours auprès du Conseil constitutionnel, lequel avait censuré une partie du texte, estimant que cette base de données ne devait pas permettre l’identification de personnes. Le fichier n’avait jamais été créé.

« Le décret qui vient d’être pris ne comporte aucune fonctionnalité d’identification d’une personne à partir de ses seules données biométriques », a fait valoir mardi 1er novembre le ministère de l’intérieur. Pourtant, monsieur le ministre, ce nouveau fichier ressemble à s’y méprendre à celui que vous aviez refusé en 2012, sous la présidence de Nicolas Sarkozy !

Par ailleurs, vous avez indiqué jeudi, dans une conférence commune avec la secrétaire d’État au numérique, que le recueil et le versement des empreintes digitales du demandeur d’une carte nationale d’identité seraient soumis à « son consentement exprès et éclairé » – vous l’avez d’ailleurs répété il y a quelques minutes. Je vous cite : « Dans le cadre d’une demande ou d’un renouvellement de carte nationale d’identité, le recueil et le versement des empreintes digitales du demandeur du titre seront soumis à son consentement exprès et éclairé. Ainsi, le refus du recueil des empreintes n’empêchera pas la délivrance du titre. Toutefois, ce recueil simplifie et facilite l’émission d’un nouveau titre et permet de lutter efficacement contre l’usurpation d’identité. » Pourtant, monsieur le ministre, le texte publié le 30 octobre ne laisse pas beaucoup de place à cette latitude. Alors que vous nous avez expliqué que tout cela était en somme « optionnel », l’article 15 du décret du 28 octobre 2016 affirme sans nuance : « Lors du dépôt de la demande de carte nationale d’identité, il est procédé au recueil des empreintes digitales à plat de chacun des index du demandeur ». Les seuls qui pourront ne pas donner leurs empreintes sont les enfants de moins de douze ans – et encore. Je ne suis pas sûr qu’il y ait là « optionnalité » !

Ce matin, au Sénat, vous avez finalement annoncé que seul le versement dans la base centrale sera facultatif. Le recueil restera donc obligatoire. Petite contradiction par rapport aux déclarations précédentes !

Hier, j’ai lu que votre ministère envisagerait une simple instruction pour accompagner cette réforme, sans toucher au décret relatif au fichier TES. Une simple instruction pour concrétiser tous les engagements que vous avez pris depuis une dizaine de jours ! Pourriez-vous lever, une fois pour toutes, nos incertitudes quant aux concessions faites et à l’orientation choisie ?

Ce matin, au Sénat, vous avez en outre indiqué qu’Amesys se chargera d’une partie de la prestation concernant le fichier TES. Vous connaissez les interrogations soulevées par les activités d’Amesys. Pourrait-on en savoir davantage sur cette intervention ?

Tout fichier soulève des interrogations légitimes sur la protection des libertés et des données personnelles. Il n’est pas raisonnable de prendre des décisions de cette nature sans débat parlementaire préalable. Ce n’est pas à la hauteur d’une démocratie respectueuse des droits et des libertés.

Mme Aurélie Filippetti. Très bien !

M. Claude Goasguen. Et la Constitution, qu’en faites-vous ?

M. le président. La parole est à Mme Cécile Untermaier, vice-présidente de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, suppléant M. Dominique Raimbourg, président de la commission.

Mme Cécile Untermaier, suppléant M. Dominique Raimbourg, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour procéder à l’établissement, à la délivrance, au renouvellement et à l’invalidation des cartes nationales d’identité et des passeports, ainsi que pour prévenir et détecter leur falsification et contrefaçon, le Gouvernement a souhaité mettre en œuvre un nouveau traitement de données à caractère personnel, adossé au fichier existant, utilisé et performant des passeports, dénommé TES. Ainsi, les données personnelles et biométriques de tous les détenteurs d’une carte d’identité ou d’un passeport seront désormais compilées dans une base de données unique.

Ce décret du 28 octobre 2016 s’inscrit dans le cadre du Plan préfectures nouvelle génération, lancé en décembre 2015, qui vise à moderniser l’action publique.

Ce plan transforme les modalités de délivrance des titres : en 2017, l’instruction ne sera plus effectuée par 250 sites préfectoraux, mais par 58 centres d’expertise et de ressources titres. Le fichier accroît la dématérialisation des échanges et la lutte contre la fraude documentaire. Rapidité et efficacité sont à l’œuvre, avec redéploiement sur des missions majeures, telles que le contrôle de légalité ou l’ingénierie de développement local.

L’ensemble, très cohérent, s’inscrit dans des actions de modernisation, de simplification et d’adaptation des services de l’État : il n’y a rien à y redire. Il faut, bien au contraire, féliciter M. le ministre de l’intérieur de ce qu’il s’emploie à moderniser un dispositif défaillant, sans lisibilité et sans traçabilité, s’agissant des cartes nationales d’identité, utile à des usagers toujours prêts à dénoncer l’absence de performance d’un tel service public.

Le bien-fondé de cette réforme a été dernièrement, et de façon légitime, remis en question en ce qu’il touche à la vie privée de l’ensemble des citoyens français. À ce sujet, une inquiétude s’exprime, que vous avez entendue, monsieur le ministre, en acceptant de débattre en commission des lois, puis aujourd’hui dans l’hémicycle. Le 22 mars 2012, on l’a dit, le Conseil constitutionnel censurait un projet de la précédente majorité, dénonçant des atteintes disproportionnées susceptibles d’être portées aux libertés individuelles.

Le fichier TES permet seulement de vérifier l’identité avancée par le demandeur d’un titre, non de rechercher l’identité d’une personne à son insu grâce à sa photographie ou à ses empreintes. En effet, l’entrée dans le fichier ne pourrait s’opérer qu’à partir des données nominatives, lesquelles permettent ensuite d’accéder aux empreintes ou à la photographie, afin de vérifier l’identité du demandeur.

Des interrogations demeurent sur la possibilité d’inverser le système et de partir de la base numérique pour aller à l’authentification. La première question que je soumets à notre débat est donc de savoir si un tel fichier donne au juge la possibilité d’obtenir une authentification, par exemple à partir de la numérisation d’un visage. Dans l’affirmative, quelles sont les garanties proposées pour empêcher une telle utilisation du fichier par un utilisateur non judiciaire ?

La seconde question, souvent posée, tient au risque de piratage. Le principe de précaution en matière de libertés individuelles nous oblige à clarifier les dispositifs pris pour prévenir un tel risque. Vous avez répondu, monsieur le ministre ; mais, sur ces questions, je vous renvoie à la proposition que je formulerai à la fin de mon intervention, en accord avec le président de la commission des lois.

Le présent débat parlementaire ne se limite pas au décret dont nous parlons : il concerne la question majeure des garanties apportées aux libertés publiques dans le cadre d’actions ainsi menées, et de la place que doivent y tenir la CNIL, le Conseil du numérique, mais aussi le Parlement. De tout cela ressort une évidence, à laquelle, j’en suis sûre, vous souscrivez : la nécessité d’un débat au Parlement ; car qui dit débat parlementaire dit débat public, et nous avons besoin de réfléchir ensemble, en toute transparence, sur cette question primordiale qui touche aux droits fondamentaux. Je pense d’ailleurs qu’il faudrait, à l’avenir, imposer la voie législative lorsque le fichier touche aux droits de l’homme ou à l’identité des citoyens, et ce en modifiant la loi du 6 janvier 1978.

Enfin, pour en avoir parlé avec le président de la commission des lois, il nous semble que l’Assemblée nationale, au-delà de ce décret, doit exercer sa compétence dans le domaine du fichage. Ce débat, qui lève objectivement des doutes et des inquiétudes, pourrait être l’occasion d’envisager la création d’une commission de contrôle composée de diverses sensibilités politiques avant la fin de l’année 2017, afin de dresser, dans un premier temps, un bilan concret, technique et objectif de l’expérimentation menée dans les Yvelines, avant de la généraliser. Plus généralement, cette commission pourrait aussi examiner, de manière concrète et annuelle, la technique du fichage, tant du point de vue des garanties juridiques que des techniques informatiques, avec l’objectif partagé et assumé de sécuriser les titres et de protéger les libertés publiques.

Pour conclure, je remercie M. le ministre pour les informations qu’il a déjà données, au fil des jours, aux parlementaires sur la question dont nous parlons ; je le remercie également d’avoir satisfait à l’exigence d’un débat, comme je remercie mes collègues, qui ont œuvré au bien commun en soumettant le dispositif à l’hypothèse d’un gouvernement moins vertueux que le nôtre. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Mme Aurélie Filippetti. Monsieur le président, rappel au règlement !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je veux apporter un certain nombre de précisions quant aux interrogations qui viennent d’être formulées.

Mme Aurélie Filippetti. Monsieur le président !

M. le président. Je vous donnerai la parole quand M. le ministre aura répondu, madame Filippetti : je viens de lui donner la parole.

Mme Aurélie Filippetti. Monsieur le président, le sujet est trop grave, et j’avais demandé la parole avant que vous ne la donniez à M. le ministre. Le rappel au règlement est de droit !

M. le président. Je ne l’avais pas entendu, j’en suis désolé. M. le ministre a la parole : je vous la donnerai ensuite.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je veux répondre, disais-je, aux intervenants, de toutes sensibilités, qui se sont exprimés.

Je veux d’abord rappeler quelle doit être la nature de la relation entre le Gouvernement et le Parlement sur un sujet de cette nature. Il existe une constitution, dont les articles 34 et 37 précisent les compétences qui relèvent, respectivement, des domaines législatif et réglementaire.

M. Claude Goasguen. Eh oui !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Dans son avis, monsieur Habib, monsieur Belot, monsieur Coronado, la CNIL n’a jamais indiqué que le sujet dont nous traitons relevait du domaine législatif. Bien au contraire, elle a reconnu qu’il ressortissait au domaine réglementaire, mais que, en dépit de cela, un débat était légitime.

Bien que nous soyons donc bel et bien dans le domaine réglementaire, le débat, m’explique-t-on ensuite, devrait être suivi d’un vote. Dans l’histoire de la VRépublique, les parlementaires ont-ils une seule fois voté sur un règlement ?

M. Claude Goasguen. En effet, ce serait une nouveauté !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Cela n’est évidemment jamais arrivé : c’est impossible. Je veux bien que l’on se fasse plaisir avec certaines demandes faites au Gouvernement, qui d’ailleurs y répond toujours quand elles émanent du Parlement, où je reviendrai m’exprimer si nécessaire ; mais enfin nous sommes dans un État de droit, lequel obéit à des principes, à des règles, à une constitution. Le droit est moins important que l’ordre des choses dans le domaine numérique, je le sais bien, mais, pour moi, les règles, la Constitution, les lois, ordinaires ou organiques, tout cela existe. Le fait de demander un vote sur l’adoption, par le Gouvernement, d’un règlement relevant de sa compétence, ne laisse pas de susciter en moi, au regard des normes constitutionnelles et juridiques, des interrogations abyssales.

D’autre part, ce que nous mettons en œuvre ne ressemble en rien à ce qui a été fait en 2012, non parce que nous voudrions à tout prix nous distinguer, mais parce que, en 2012, le Conseil constitutionnel avait censuré le projet.

M. Philippe Goujon. Très partiellement !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Le Gouvernement est profondément légaliste. Ministre de l’intérieur, mais aussi des libertés publiques, je suis tout particulièrement attaché à tous les principes de droit : il eût été incongru, pour moi, d’adopter un texte réglementaire qui n’eût pas été parfaitement conforme à une décision du Conseil constitutionnel.

M. Philippe Goujon. Pourquoi visez-vous le texte de 2012 ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Ce que le règlement que nous venons d’adopter exclut totalement, monsieur Candelier, c’est la possibilité d’interroger des données biométriques afin d’identifier une personne, comme le prévoyait justement le texte de 2012, qui fut censuré pour cette raison. C’est là, monsieur Goujon, un vrai sujet de divergence entre nous, puisque vous défendez cette possibilité ; et si vous entendez adopter une telle mesure, au cours d’une législature que je souhaite la plus lointaine possible, vous aurez alors à modifier la Constitution.

Troisième point : ceux qui ont le plus grand nombre de préventions contre le texte réglementaire dont nous parlons – je pense notamment à M. Belot – déclarent avoir confiance dans le Gouvernement, rappellent que ce texte est parfaitement conforme à la Constitution et disent comprendre les dispositifs de sécurité juridique et informatique ; mais qu’adviendrait-il demain, ajoutent-ils, si un gouvernement d’une autre nature, animé de mauvaises intentions, arrivait aux affaires ?

M. Claude Goasguen. On ne voit pas de qui ils veulent parler, d’ailleurs…

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Tout d’abord, la meilleure façon d’éviter un tel gouvernement est de ne pas accorder ses suffrages à certains : que je sache, c’est la meilleure garantie politique pour éviter l’élection d’individus ayant des idées pernicieuses. (Murmures sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. Claude Goasguen. Les communistes, par exemple ? (Sourires.)

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Dès lors qu’un gouvernement serait assez liberticide pour modifier le contenu d’une structure informatique sans modifier le règlement, ou pour modifier le règlement lui-même, en contravention totale à la Constitution, alors, monsieur Belot, tous les sujets que vous évoquez représenteraient, pour ce même gouvernement, de la roupie de sansonnet, si vous me passez l’expression : il pourrait faire ce qu’il veut, et à tout moment, car nous serions dans une configuration totalitaire absolue. On ne peut donc soutenir, je le dis avec toute la rigueur intellectuelle qui s’impose, qu’un gouvernement démocratique, qui prend toutes les précautions pour assurer un service nouveau et garantit la traçabilité de son action, devrait être empêché de la mener sous prétexte qu’un autre gouvernement, étranger au respect de la règle constitutionnelle, serait capable du pire.

M. Claude Goasguen. Un gouvernement néostalinien !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Avec une telle logique, nous ne ferions plus rien de sensé en matière de progrès du service public. Je ne ferai donc pas mien votre argument.

Je veux aussi insister sur les modalités d’adoption du décret. J’entends dire, comme une litanie curieuse, que cette adoption serait intervenue à la Toussaint, en catimini, avec l’espoir que, les chrysanthèmes faisant leur œuvre, elle passerait inaperçue. On prétend aussi qu’un certain nombre d’acteurs potentiels auraient été écartés, pour cette même raison, de la signature du décret. Je veux ici apporter des précisions très claires sur la réalité du droit, qu’il serait utile de connaître avant de porter des accusations qui relèvent du pur procès d’intention. Dans notre République, c’est le Conseil d’État qui, depuis des décennies, fixe la liste des signataires des décrets lors de leur examen, au regard des attributions des décrets d’attribution des ministres.

D’autre part, c’est le secrétariat général du Gouvernement qui présente les décrets à la signature trois semaines après leur validation par le Conseil d’État, en l’espèce intervenue le 29 septembre : je vous laisse calculer à quelle date cela nous mène, dans le cas présent, pour le circuit des signatures.

Compte tenu des questions qu’affronte le ministère de l’intérieur – le terrorisme, la crise migratoire et tout le reste –, la notion de « jour férié » a peu de sens pour lui. Nous ne distinguons pas les jours fériés des autres, et nous ne choisissons pas les jours fériés pour faire signer des textes sur lesquels nous travaillons depuis des mois. Il est très pénible d’avoir à subir des procès d’intention de ce genre alors que rien, dans nos intentions, n’a dicté la date et les modalités de la signature.

Vous dites enfin, monsieur Coronado, qu’il a fallu l’intervention du Conseil d’État et de la CNIL pour obtenir la tenue de ce débat ; mais, au cas où cela vous aurait échappé, le Conseil d’État, c’est moi qui l’ai saisi, et par deux fois.

M. Sergio Coronado. Axelle Lemaire l’avait aussi saisi !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je l’ai fait, la première fois, pour l’interroger sur la nature – réglementaire ou législative – du texte ; après qu’il l’eut déclaré de nature réglementaire, nous avons rédigé ce texte, puis avons saisi le Conseil d’État, une seconde fois, sur cette rédaction. Nous avons également saisi la CNIL, sans suivre l’ensemble de ses recommandations, car son avis conforme n’est pas requis, même si nous en tenons grand compte.

S’agissant du débat, soyons clairs, là aussi. Le décret est destiné à améliorer un service public, sur la base d’un fichier déjà existant auquel vient se greffer un autre fichier, obsolescent, aux conditions de traçabilité improbables quant à son accès et insuffisantes au regard de notre conception des libertés publiques. Nous avons pris cette décision avec le souci de simplifier le service rendu aux usagers. Il aurait fallu connaître la fin du film pour imaginer l’émotion qu’il pouvait susciter, et y répondre. Ce n’est pas ce que nous avons fait, non parce que nous serions pervers, mais parce que nous ne pouvions imaginer qu’un fichier créé en 2008, qui concerne 29 millions de personnes et n’avait posé aucun problème, finirait par en poser un au regard des hypothèses que l’on a soulevées.

Nous sommes des gens convenables, désireux de la plus grande transparence : il n’y a aucune perversité dans la démarche du Gouvernement, monsieur Candelier. Si un problème se pose, nous acceptons bien entendu le débat, car nous ne le redoutons pas ; notre séance de cet après-midi le montre bien. Je suis désireux de répondre à toutes les questions, dans le détail et aussi longtemps que nécessaire.

À en croire M. Belot, le débat parlementaire serait tronqué en l’absence des avis de l’ANSSI et de la DINSIC : ces avis, je les ai sollicités, il est faux de prétendre le contraire ; et si, une fois qu’ils auront été rendus, le Parlement souhaite une nouvelle séance approfondie de la commission des lois, à laquelle pourront s’associer d’autres commissions, je l’accepterai. Je me tiens à la disposition du Parlement, aussi longtemps qu’il aura besoin des éléments nécessaires pour être éclairé. Je ne compte pas le temps que je passe devant lui, par intérêt pour lui et pour les sujets qu’on y traite. En l’occurrence, même si le Gouvernement est convaincu de ce qu’il fait, il doit, dès lors que d’autres ne le sont pas, consacrer le temps nécessaire, sinon à les convaincre, du moins à leur donner toutes les informations utiles à la clarification du débat : c’est le sens de notre démarche.

Je souhaite donc que l’on évite le procès d’intention permanent. Je comprends très bien les interrogations qui se sont exprimées, et, sans y déceler aucun sous-entendu ou volonté de nuire, j’aimerais que le Gouvernement, lorsqu’il prend des décisions sincères, bénéficie du même traitement. Comment pourrions-nous, sans cela, avoir un débat de qualité sur de tels sujets ?

Je voudrais terminer en répondant à M. Goujon sur quelques points. Premièrement, votre majorité a gouverné pendant dix ans ; elle n’a fait voter qu’une loi dans ce domaine, qui a été retoquée par le Conseil constitutionnel. En matière de progrès sur la sécurisation des titres, votre bilan est donc égal à zéro plus zéro. (Sourires sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Je ne peux donc souscrire, monsieur Goujon, à votre raisonnement : il n’est pas juste.

Deuxièmement, vous nous dites, monsieur Goujon : « en matière de sécurisation des titres, vous n’avez rien fait depuis 2013 ». C’est absolument faux, car nous n’avons pas attendu 2016 pour travailler sur ce sujet.

Depuis la fin de l’année 2013 en effet, nous avons mis en œuvre un Plan de protection de l’identité, qui comporte quatorze mesures pour lutter contre la fraude à chaque étape de l’instruction et de la délivrance des titres d’identité ; des pièces justificatives sont demandées, sécurisées et confortées en amont.

Ces mesures mettent également en œuvre des dispositifs innovants, comme l’identification des justificatifs de domicile via les codes-barres « 2D Doc » fournis par les opérateurs privés. Ces codes-barres ont été élaborés par le ministère de l’intérieur.

La réforme induite par le Plan préfectures nouvelle génération, ou PPNG, ne constitue donc pas le début de la sécurisation des titres, mais plutôt un point d’orgue sur ce sujet sur lequel nous avons grandement avancé.

Vous dites ensuite, monsieur Goujon, que nous n’allons pas au bout du dispositif : c’est faux. Je veux, sur ce point également, être extrêmement clair vis-à-vis des députés de toutes sensibilités, puisque de légitimes interrogations se sont exprimées : le Gouvernement cherche à trouver le meilleur équilibre entre les exigences de sécurité et les exigences de liberté.

À travers cette réforme de simplification, nous assurons aux citoyens, qui sont victimes pour 800 000 d’entre eux – 800 000, monsieur Candelier ! – de fraude documentaire, avec toutes les conséquences extrêmement douloureuses que cela entraîne, qu’ils pourront désormais disposer de titres sécurisés.

M. Philippe Goujon. On ne peut pas dire que cela soit très efficace !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Nous essayons qu’ils puissent en disposer dans le cadre de dispositifs simplifiés. C’est la raison pour laquelle nous mettons en place cette base. Pourquoi avoir choisi celle-ci plutôt que la carte électronique ? Tout simplement parce que lorsque celle-ci fait l’objet d’une perte, il faut recommencer toute la procédure à zéro, ce qui est extrêmement lourd pour les citoyens concernés.

C’est, je le redis, la raison pour laquelle nous n’avons pas choisi la carte électronique : elle ne nous paraît pas être une bonne solution. Par ailleurs, lorsque cette carte est perdue, nous ne disposons d’aucune base à laquelle nous référer pour conduire les enquêtes judiciaires.

Or la lutte contre le terrorisme peut justifier qu’on mette à la disposition des juges judiciaires, qui sont également garants des libertés publiques, les éléments dont ils ont besoin pour conduire les investigations. Nous avons fait cette réforme, qui sécurise les titres, précisément pour cette raison.

Comme des interrogations subsistent sur les aspects liés aux libertés, nous avons mis en place un dispositif consistant à transférer dans la base, dès lors que la personne demandeuse du titre l’a accepté, des éléments biométriques la concernant.

Cependant, nous ne pouvons dans le même temps renoncer totalement à la récupération sous forme papier de ces données biométriques : dans ce cas ne subsisteraient plus de papiers d’identité et, surtout, agir ainsi plongerait le pays dans une insécurité considérable.

Je prends un exemple concret, qui me permettra de clore mon propos en vous faisant bien comprendre quel est le problème qui se pose à nous : si demain un individu disposant de papiers d’identité français commettait un acte terroriste, et que cette personne ne figurait ni dans le fichier des personnes recherchées, le FPR, ni dans le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions terroristes, le FIJAIT, il nous faudrait alors procéder à son identification afin de vérifier s’il s’agit bien de lui. Et nous ne disposerions, en pleine crise terroriste, d’aucun moyen pour répondre à la requête d’un juge ?

Dès lors, que faisons-nous ? Est-il absolument attentatoire aux libertés que de considérer qu’un juge judiciaire puisse, dans le cadre d’une enquête judiciaire et dans des conditions très précises, et lorsqu’il s’agit d’affaires criminelles extrêmement graves, accéder à des éléments biométriques sur un support papier ? Est-ce incongru ?

Je rappelle qu’une telle procédure existe depuis 1955. C’est depuis cette date qu’il existe un fichier qui contient ces empreintes, et depuis 1987 un fichier national centralisé contenant ces empreintes. Nous n’inventons donc rien.

M. Claude Goasguen. Bien sûr, bien sûr.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. En effet, le fichier contenant 60 millions d’entrées que nous aurions créé au moyen de ce décret existe depuis 1987. Par conséquent, je veux bien que l’on nous dise, ici ou ailleurs, que la question de la sécurité n’est pas un problème, et que la lutte contre le terrorisme – puisque ces procédures sont réservées exclusivement à cette dernière – n’a pas d’importance. Je précise également, car cela n’a pas été dit, que les services de renseignement n’ont, eux, pas accès aux empreintes.

Selon les auteurs de ces propos, nous pourrions nous permettre de nous désarmer totalement, dans un contexte de menace extrêmement élevé. Mais en tant que ministre de l’intérieur, je le dis à la représentation nationale, je ne le ferai pas.

Pour répondre à M. Coronado, le Gouvernement a décidé de trouver un équilibre entre sécurité et liberté. Si la personne ne veut pas voir ses données biométriques transférées dans la base, puisque c’est sur cette dernière que porte notre débat, nous ne procéderons pas à ce transfert.

En même temps, nous devons disposer de ces éléments pour toutes les raisons que je viens d’indiquer.

M. Claude Goasguen. C’est un peu jésuite, mais c’est vrai !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Encore une fois, il ne s’agit pas d’une nouveauté : une telle base existe depuis 1987. En revanche, il n’existe aucune traçabilité de la consultation de ces données sur support papier : nous allons établir, ce qui n’était donc pas le cas auparavant, des modalités de traçabilité des conditions dans lesquelles ces éléments sont aujourd’hui examinés ou font l’objet de requêtes.

Il s’agit donc d’un net progrès par rapport à l’existant. Voilà donc ce que nous faisons, en responsabilité, en transparence et en toute franchise. Aussi longtemps que vous aurez besoin d’entendre le Gouvernement sur ce sujet, ses représentants se présenteront devant vous.

Nous le ferons, et nous vous répondrons, mais nous intervenons dans un contexte particulier pour le pays, un contexte dans lequel la sécurisation des titres est une nécessité, la lutte contre le terrorisme une exigence et la protection des libertés publiques un devoir. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

M. le président. La parole est à Mme Aurélie Filippetti, pour un rappel au règlement.

Mme Aurélie Filippetti. Je vous remercie de me donner la parole, monsieur le président. Je rappelle que nous, députés, sommes garants du libre exercice par les citoyens des libertés publiques.

En ce sens, nos inquiétudes sont légitimes : ce fichier TES pose un certain nombre de questions et suscite de grandes appréhensions. La preuve en est qu’il n’a toujours pas été homologué par les services du ministère de l’intérieur.

M. Jean-Yves Caullet. Sur quel article du règlement se fonde votre rappel au règlement ?

Mme Aurélie Filippetti. La démarche du Gouvernement est empreinte de précipitation et cela me paraît extrêmement grave, d’autant plus que les distinctions qui ont été faites entre l’identification et l’authentification que doit permettre ce fichier sont techniquement impossibles à mettre en œuvre.

M. le président. Madame Filipetti, votre intervention n’a pas le caractère d’un rappel au règlement.

M. Claude Goasguen. C’est incroyable !

Mme Aurélie Filippetti. C’est un faux débat. Je constate que les propositions qui ont été faites par la commission des lois…

M. Claude Goasguen. Si on s’amuse à commenter tous les décrets, on ne va pas s’en sortir !

M. le président. Je vous remercie, madame Filipetti : nous allons revenir à une pratique plus traditionnelle de notre règlement.

Je donne néanmoins la parole à M. le ministre de l’intérieur pour vous répondre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Madame Filipetti, pour être tout fait précis, le dispositif que nous présentons a, contrairement à ce que vous dites, été homologué en 2008. Il fait l’objet d’une ré-homologation qui sera faite par l’ANSSI.

J’ai indiqué que nous considérions que l’avis que rendra l’ANSSI sur cette ré-homologation sera un avis conforme, ce qui n’est pas le cas normalement, précisément pour faire le maximum de ce qui est en notre pouvoir afin d’assurer la sécurité nécessaire.

Par ailleurs, j’ai longuement expliqué – et il ne faut pas faire dire à ce décret le contraire de ce qu’il dit – qu’il n’était pas possible de procéder à l’identification par l’interrogation des données biométriques.

Le décret l’interdit, et les dispositifs informatiques ne le permettent pas.

Mme Aurélie Filippetti. Mais si !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Non, pas du tout.

J’ai confié à l’ANSSI et à la DINSIC des expertises qui permettront de confirmer mes propos. J’ai par ailleurs indiqué que je rendrai ces expertises publiques. Je souhaite par conséquent une nouvelle fois que sur ces débats-là soient dites des choses précises.

M. Claude Bartolone, Président. Je vous remercie, monsieur le ministre. Je pense que ce débat dans le cadre de l’article 50, alinéa premier, de la Constitution, a été utile. Il dépend désormais de la commission des lois et de son président de savoir si l’Assemblée nationale a besoin d’être plus amplement éclairée sur l’ensemble de ces dispositions. Le débat est clos.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures cinq, est reprise à dix-huit heures dix, sous la présidence de Mme Catherine Vautrin.)

Présidence de Mme Catherine Vautrin

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

3

Prestation de serment de deux juges suppléants à la Cour de justice de la République

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la prestation de serment devant l’Assemblée nationale de deux juges suppléants à la Cour de justice de la République.

Aux termes de l’article 2 de la loi organique sur la Cour de justice de la République, les juges parlementaires « jurent et promettent de bien et fidèlement remplir leurs fonctions, de garder le secret des délibérations et des votes, et de se conduire en tout comme dignes et loyaux magistrats ».

J’invite M. Alain Rodet à bien vouloir se lever et, levant la main droite, à prononcer les mots : « Je le jure ».

(M. Alain Rodet se lève et dit : « Je le jure»)

J’invite maintenant Mme Colette Capdevielle à bien vouloir se lever et, levant la main droite, à prononcer les mots : « Je le jure ».

(Mme Colette Capdevielle se lève et dit : « Je le jure»)

Acte est donné par l’Assemblée nationale des serments qui viennent d’être prêtés devant elle.

4

Projet de loi de finances pour 2017

Seconde partie (suite)

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion de la seconde partie du projet de loi de finances pour 2017 (nos 4061, 4125).

Politique des territoires

Mme la présidente. Nous abordons l’examen des crédits relatifs à la politique des territoires (n4125, annexes 34 et 35 ; n4127, tome XIII, n4131, tome IX).

La parole est à M. le ministre de l’aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales.

M. Jean-Michel Baylet, ministre de l’aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales. Madame la présidente, monsieur le ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, madame la secrétaire d’État chargée de la ville, mesdames, messieurs, je m’attacherai dans ce bref propos introductif à vous présenter les grandes lignes du budget de la mission « Politique des territoires ».

Ses deux composantes, le programme 112, relatif à la politique d’aménagement du territoire, et le programme 147, relatif à la politique de la ville, ne ciblent pas les mêmes espaces mais poursuivent le même dessein : lutter contre toutes les formes d’inégalités.

Pour y parvenir, notre action s’attache à valoriser les atouts de tous les territoires, qu’ils soient urbains, ruraux, périurbains ou de montagne, mais aussi les solidarités et les complémentarités entre eux.

Trop longtemps oubliées, les ruralités ont été remises au cœur de l’action publique. Les trois comités interministériels récents ont débouché sur 104 mesures concrètes, principalement dans quatre domaines : l’accès aux services publics, avec, par exemple, la création de 1 000 maisons de services au public d’ici à la fin de l’année ; l’accès aux soins, avec, notamment, la création de 1 000 maisons de santé d’ici à la fin de l’année également ; l’accès à la téléphonie mobile pour tous, avec la couverture en 3G de l’ensemble des centres-bourgs situés en zones blanches d’ici à mi-2017 ; enfin, la couverture en très haut débit du territoire, qui sera effective d’ici à 2022, grâce au plan France Très haut débit.

Pour mettre en cohérence l’ensemble de ces mesures et renforcer leur effet, le Gouvernement a décidé lors du dernier comité interministériel la création de contrats de ruralité. Véritables pendants des contrats de ville, ils permettront de mobiliser l’ensemble des acteurs locaux autour d’un projet de territoire partagé. Je signerai les premiers avant la fin de l’année, et une centaine de contrats seront signés au premier trimestre de 2017.

Le budget du programme 112 traduit cette innovation majeure, en prévoyant d’affecter 216 millions d’euros à leur financement.

Outre les contrats de ruralité, les crédits du programme 112 se répartissent de la manière suivante : 130 millions d’euros, soit 30 %, pour les contrats de Plan État-région, 20 millions d’euros pour la prime d’aménagement du territoire, 20 millions d’euros pour le financement des pactes métropolitains d’innovation, qui s’ajoutent aux 130 millions d’euros inscrits sur le programme 119, 20 millions d’euros pour la section générale du Fonds national d’aménagement et de développement du territoire, 20 millions d’euros pour les dépenses de fonctionnement : soutien au commissariat général à l’égalité des territoires, à Business France, et aux fonctions supports. Au total, les crédits du programme 112 seront donc portés à 426 millions d’euros pour 2017 contre 187 millions d’euros en 2016.

Concernant le budget de la politique de la ville, je me bornerai à vous en présenter les grandes orientations, laissant à Patrick Kanner le soin de répondre plus précisément à vos interrogations : 411 millions d’euros viendront conforter les capacités d’intervention de l’État, notamment pour assurer la mise en œuvre des mesures issues des comités interministériels à l’égalité et la citoyenneté ; 200 millions d’euros soutiendront 7 500 associations de proximité, s’ajoutant au CICE associations ; près de 100 millions d’euros seront consacrés aux actions en matière de réussite éducative et d’insertion ; 31 millions d’euros feront l’objet d’une mesure de dégel de la réserve de précaution pour permettre une affectation plus efficace des crédits d’intervention.

La baisse de crédits de ce programme n’est qu’apparente, car elle reflète le changement de portage opéré sur la compensation des exonérations de charges en zones franches urbaines. Par conséquent, la réfaction de 12 millions d’euros n’affecte par nos capacités d’intervention.

Par ailleurs, 66,5 millions d’euros seront consacrés à des actions de terrain en faveur du vivre et faire ensemble dans les quartiers. Ils s’ajoutent aux mesures prévues par la loi relative à l’égalité et à la citoyenneté ou par la convention tripartite signée avec Action Logement et l’ANRU pour le financement du nouveau programme national de renouvellement urbain – NPNRU.

Le Gouvernement défendra deux amendements. Le premier vise à prévoir, en programmation, 1 milliard d’euros supplémentaire au bénéfice du NPNRU…

M. François Pupponi. Très bien !

M. Jean-Michel Baylet, ministre. …conformément à l’engagement pris par le Président de la République le 27 octobre dernier. Le second concrétise, dès 2017, les autorisations d’engagement et les crédits de paiement correspondants à hauteur de 100 millions d’euros.

M. François Pupponi. Très bien !

M. Jean-Michel Baylet, ministre. Vous le voyez, ce projet de budget traduit financièrement l’ambition que porte le Gouvernement, avec l’objectif qu’aucun territoire ne soit oublié et que la République soit équitable dans le traitement qu’elle leur réserve. (Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Mme la présidente. Nous allons maintenant écouter les porte-parole des groupes.

Pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, la parole est à M. Jean-Pierre Maggi.

M. Jean-Pierre Maggi. Madame la présidente, messieurs les ministres, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la mission « Politique des territoires » revêt un caractère important, car elle a pour objectif de favoriser un développement équilibré des territoires en France.

Partout dans notre pays, on trouve cette exigence d’égalité. Pourtant, de nombreux territoires échappent parfois à la République, ceux où se concentrent les inégalités, les difficultés, les défis économiques, sociaux ou géographiques. C’est l’enjeu de cette mission de faire reculer ces inégalités géographiques. Il reste beaucoup à faire.

Il convient d’avoir en mémoire tous les échecs passés et d’aborder la question avec humilité et détermination.

Nous avons besoin d’outils pour comparer de façon plus lisible et tenter d’y voir clair sur l’effort de la solidarité nationale en direction des différents territoires. Il faut toujours garder à l’esprit que la politique des territoires est par essence transversale et que, par conséquent, de très nombreux crédits n’apparaissent pas dans cette mission. Je pense notamment à des amendements adoptés en première partie du projet de loi de finances pour 2016 et notamment à l’un d’eux, améliorant l’application de la TVA au taux de 5,5 % pour l’accession sociale à la propriété dans les quartiers prioritaires. Ainsi, monsieur le ministre de l’aménagement du territoire, il serait nécessaire de disposer d’un document transversal, comme c’est le cas sur plusieurs sujets interministériels, par exemple le tourisme.

Les crédits de la politique de la ville sont préservés, après la réforme de la loi Lamy. Nous pensons d’ailleurs qu’il faudrait faire davantage pour assurer des transitions plus douces pour les communes qui sortent du dispositif.

Je veux saluer les avancées concrètes en matière de simplification des structures et de réduction du nombre d’organismes. Le regroupement en commissariat général à l’égalité des territoires des trois structures jusqu’à présent dispersées est à mettre à l’actif de ce gouvernement. Il fallait regrouper le secrétariat général du comité interministériel des villes, la Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale et l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous dresser un bilan de cette simplification et nous donner des exemples de convergence et d’optimisation des actions de l’État ?

Le Commissariat général à l’égalité des territoires a coordonné une procédure d’évaluation et de suivi de la soixantaine de mesures décidées au cours de comités interministériels à la ruralité, des mesures touchant à tous les domaines de la vie rurale, qui vont du numérique aux maisons de services au public, des stations-service isolées à la réforme des zones de revitalisation rurale, les ZRR, des maisons de santé aux conventions ruralité en matière d’éducation, de la réforme de la dotation globale de financement à la mise en réseau des territoires, de l’augmentation de la dotation d’équipement des territoires ruraux à la politique des bourgs-centres.

Ce sont de bonnes idées, qui sont transformées en actions. Il nous semble important de les suivre, de les évaluer et, éventuellement, de les améliorer. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous donner des précisions sur ce travail pour mesurer les avancées réalisées ? On annonçait 1 000 maisons de services au public dans la ruralité à la fin de 2016. Où en est-on ? On annonçait 1 000 maisons pluridisciplinaires de santé pour 2017. Où en est-on ? Pouvez-vous nous expliquer comment ces dispositifs se traduiront dans le projet de loi de finances pour 2017 et comment ces maisons seront financées ?

En octobre, M. François Hollande a annoncé qu’un milliard d’euros supplémentaires serait alloué à l’ANRU en faveur du Nouveau Programme national de renouvellement urbain. Il s’ajoutera aux 5 milliards déjà prévus et financés à 93 % par Action Logement. Il s’agit d’une nouvelle dotation d’État, qui courra sur toute la durée du programme. Pour le projet de loi de finances pour 2017, ce sont donc 100 millions d’euros supplémentaires qui seront ajoutés. Cette rallonge ne vise pas seulement les bâtiments. Dans la logique de l’ANRU, elle doit aussi aider à développer tout ce qui fait la vie d’un quartier, les équipements sportifs, culturels, associatifs, les lieux de médiation, ou encore les lieux dits structurants comme les groupes scolaires.

Les territoires ruraux comme nos quartiers, ce sont d’abord les femmes et les hommes qui les font vivre. Ils représentent un atout pour notre pays et nous sommes nombreux à pouvoir témoigner de leur potentiel. Ils associent souvent, avec force, qualité de vie, tradition, innovation et solidarité.

Messieurs les ministres, madame la secrétaire d’État, le groupe RRDP votera les crédits de la mission, mais nous vous encourageons à redoubler d’efforts afin de lutter contre la diffusion du sentiment de déclassement et d’abandon. (Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

Mme la présidente. Pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine, la parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. Madame la présidente, messieurs les ministres, madame la secrétaire d’État, chers collègues, il faut se rendre à l’évidence, des millions de nos concitoyens ont le sentiment de vivre aujourd’hui une situation de relégation sociale et territoriale. Ils vivent dans des secteurs urbains, périurbains et ruraux, des territoires où l’égalité républicaine n’est plus respectée.

De principe fondateur et régulateur de notre pacte social, notre égalité républicaine est désormais regardée comme un slogan qui sonne creux. Il faut mesurer combien la colère grandit, alimentant le rejet de nos institutions.

Cette situation d’une extrême gravité devrait mobiliser le pays tout entier, les élus politiques que nous sommes, le Gouvernement… Au lieu de quoi nous restons dans l’incantation. Les initiatives se multiplient, mais les crédits ne suivent pas. La politique des territoires à laquelle est rattachée depuis 2015 la politique de la ville affiche des moyens bien plus modestes que ses ambitions.

Alors que nous annonçons un nouveau programme de renouvellement urbain, les crédits de la politique de la ville continuent à se réduire. Ils ont ainsi chuté de 16 % depuis 2014, passant de 496 millions d’euros à 416 millions d’euros pour 2017.

Dans nos campagnes, afin de garantir l’égalité d’accès aux services pour tous, le Gouvernement s’est certes fixé l’objectif d’implanter 1 000 maisons de services publics d’ici à la fin de l’année 2016, en s’appuyant en particulier pour la moitié sur un plan de partenariat avec La Poste. Ce projet se veut une tentative pour réparer la casse des services publics opérée par la droite sous les deux précédents quinquennats. Pourtant, ces mesures restent le paravent d’un recul généralisé des services publics de proximité, qui se matérialise dans la fermeture de postes de plein exercice, de trésoreries, de guichets SNCF, voire de petites gares, de gendarmeries et j’en passe.

D’un outil pertinent pour les plus petites communes, nous sommes passés à la normalisation d’une forme de service public intermittent sur des territoires toujours plus vastes, qui laisse aux habitants des zones rurales le sentiment d’être méprisés.

Prenons le cas de La Poste. Nous assistons à une accélération de la réduction du réseau postal, et cela en tous points du territoire. La Poste a pourtant bénéficié en 2015 de plus de 350 millions d’euros de crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi. Le service universel de la distribution du courrier, l’accessibilité bancaire, la présence postale sur l’ensemble du territoire sont des missions fondamentales de La Poste. Elles le sont d’autant plus dans un contexte marqué par l’explosion de la pauvreté et la permanence des besoins de proximité.

Ces missions de service public sont aujourd’hui directement menacées par des logiques de rentabilité financière de court terme. Au nom de l’adaptation du réseau aux contraintes économiques, les fermetures s’accélèrent dans le monde rural et désormais aussi dans les villes.

Je pourrais également évoquer le manque cruel de médecins en milieu rural et les difficultés rencontrées par les élus locaux non seulement pour rechercher de nouveaux médecins mais également, parcours du combattant, pour obtenir l’autorisation d’exercice lorsque les praticiens ne sont pas de nationalité française. Ainsi, le manque de médecins généralistes, pédiatres, gynécologues et ophtalmologistes ne cesse de s’accroître dans les territoires ruraux, en particulier dans mon département du Puy-de-Dôme.

Je souhaite aussi aborder le manque cruel d’accès au très haut débit que connaissent, non seulement les particuliers mais également les entreprises en milieu rural. Or cet accès devient incontournable pour une majorité d’entre elles. La qualité de l’accès à internet est également préoccupante. Nous sommes ainsi interpellés par des personnes ayant des gîtes ruraux qui ne peuvent pas faire de réservations, des représentants de la petite hôtellerie, des agriculteurs, qui doivent utiliser de plus en plus le numérique pour leurs déclarations multiples. Ils restent parfois des semaines sans accès à internet. C’est ça la réalité.

À l’ère du numérique, de tels dysfonctionnements à répétition entravent la vie économique.

Ces quelques exemples, que chacun d’entre nous pourrait malheureusement multiplier, soulignent, je le dis avec gravité, la nécessité de bâtir une véritable stratégie de reconquête du service public, dotée de grands moyens budgétaires. L’heure est grave. Il faut que les comités interministériels, les contrats de ville, les contrats de ruralité soient vraiment animés, au-delà des mesures d’affichage, par la volonté de répondre aux besoins concrets des populations plutôt qu’habités par le souci de rationner les dépenses.

Devant le constat alarmant que le développement équilibré des territoires et une politique de services publics ambitieuse ne comptent pas dans les priorités du Gouvernement, vous comprendrez à la fin de cette intervention que les députés Front de gauche du groupe de la Gauche démocrate et républicaine ne voteront pas les crédits de cette mission.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Louis Bricout, pour le groupe socialiste, écologiste et républicain.

M. Jean-Louis Bricout. Madame la présidente, messieurs les ministres, madame la secrétaire d’État, messieurs les rapporteurs, chers collègues, je tiens d’abord à rappeler, comme je l’ai fait en commission élargie, que les crédits inscrits, que le groupe SER votera, permettent de décliner nos objectifs pour nos territoires, dans un contexte budgétaire difficile mais maîtrisé.

Cette mission concerne nos territoires dans leur diversité : nos ruralités et nos villes. S’agissant des territoires ruraux, leur politique fait l’objet d’un vrai clivage : d’un côté, les diseux, qui ne sont pas trop nombreux, et de l’autre, les faiseux. Quand je dis diseux, je suis gentil. En observant les débats de la primaire à droite, on se rend bien compte que la ruralité est la grande absente. Je n’y vois d’ailleurs pas de candidat issu de la ruralité, sauf peut-être Bruno Le Maire, celui qui a eu la brillante idée de supprimer les quotas laitiers et nous contraint à trouver des solutions d’urgence pour accompagner nos éleveurs.

M. Thierry Benoit. Parlons plutôt de la politique des territoires !

M. Michel Vergnier, rapporteur spécial de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. On dit ce qu’on veut !

M. Jean-Louis Bricout. Je vais donner quelques preuves pour illustrer mon propos. Pour ce qui est des maisons de santé pluridisciplinaires, vous en avez parlé, nous, nous l’avons fait. Aujourd’hui, il en existe 798 et 1 000 sont prévues d’ici à la fin de l’année. Si c’est un bel outil, monsieur le ministre, il est malgré tout peut-être insuffisant, à cause du manque de médecins généralistes qui relève du problème plus global du manque d’attractivité de certains territoires.

Concernant les maisons de services au public, vous en avez parlé, nous, nous l’avons fait, en y associant les services de La Poste, essentiels pour nos territoires.

M. Arnaud Viala. Parlons-en !

M. Jean-Louis Bricout. Je veux saluer également l’expérimentation qui va être mise en place dans le département de l’Aisne, avec un service public itinérant : un camion bleu, blanc, rouge pour rappeler la présence de l’État partout, voilà qui est bienvenu.

Concernant l’école, je ne vois quasiment plus sur mon territoire d’inquiétudes ni de banderoles « non à la fermeture de ma classe » ou « de mon école ».

M. Paul Salen. Vous avez de la chance !

M. Jean-Louis Bricout. Dans les contrats de ruralité, nous prenons, nous, l’engagement de maintenir les classes, malgré la baisse du nombre d’élèves, grâce à la création des 60 000 postes. Malgré tout, nous avons une petite inquiétude, monsieur le ministre, sur la mise en place des programmes de réussite éducative. L’engagement de l’État est très fort et nécessaire, mais les communes concernées conservent un reste à charge important, qui représente une vraie difficulté pour elles.

Je voudrais rappeler aussi que la droite n’a rien fait pour les petites villes de moins de 10 000 habitants qui ne rentraient pas dans les dispositifs de politique de la ville. En tant que maire et lauréat du dispositif de revitalisation des centres-bourgs, je vois combien, grâce au soutien financier de l’État, nos efforts nous ont permis une véritable requalification urbaine au service du petit commerce et de l’attractivité de nos territoires.

S’agissant du développement durable, là aussi, vous nous avez laissé un grand vide. Aujourd’hui, grâce au dispositif des territoires à énergie positive pour la croissance verte – les TEP-CV –, nos territoires ont la possibilité de s’engager, eux aussi, en matière d’écologie et de développement durable.

Pour couronner l’action du Gouvernement, plus de 200 millions d’euros sont fléchés sur les projets de territoire dans le cadre des contrats de ruralité. Nous inscrivons nos territoires, encore une fois, grâce à ce dispositif, dans une action structurée et une logique de développement de projets. J’espère avoir l’honneur de vous recevoir, monsieur le ministre, pour en parapher l’un des premiers, en Thiérache. Vous le voyez bien, mes chers collègues, le Gouvernement et notre majorité s’engagent dans l’action, quand la droite est aux abonnés absents !

En matière de développement économique, je constate – et c’est logique – que le CICE profite de fait aux territoires ayant déjà un fort potentiel économique, puisque ce crédit est fondé sur les bas salaires. Il manque peut-être un dispositif spécifique pour mieux accompagner les TPE et les PME dans leurs investissements et leur localisation sur nos territoires.

Concernant la politique de la ville, là aussi, nos efforts sont visibles. Ce budget porte la marque de l’appropriation par les citoyens des différents outils mis à leur disposition. Ainsi, les contrats de ville se poursuivent et se coconstruisent avec les habitants et les associations. Ce budget se caractérise par un effort particulier porté sur les 1 500 quartiers les plus difficiles.

La dotation de solidarité urbaine – la DSU – est augmentée de 180 millions d’euros en vue de conforter les capacités d’investissement des collectivités concernées. Sur le volet « équipement public » du programme national de renouvellement urbain, avec la création d’une nouvelle dotation de l’État à l’ANRU, ce sont six milliards d’euros qui sont prévus.

L’égalité des territoires, c’est la promesse républicaine que nous faisons à nos concitoyens : où qu’ils vivent et d’où qu’ils viennent, ils pourront trouver partout ce socle incompressible qui nous rend fiers de faire société commune. Ce n’est pas moi qui vous dirai que cette tâche est aisée, mais nous nous y attachons, et ce budget le prouve, en venant consolider les efforts entrepris depuis quatre ans. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud Viala, pour le groupe Les Républicains.

M. Arnaud Viala. Madame la présidente, messieurs les ministres, madame la secrétaire d’État, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, cette mission du projet de loi de finances porte un nom qui suscite à lui seul beaucoup d’espoirs, tant il recouvre des attentes que nos concitoyens expriment partout, par-delà, d’ailleurs, les considérations qui agitent le Landerneau politicien quasiment quotidiennement. C’est pourquoi, je ne m’attendais pas à ce qu’elles s’invitent à cette tribune dans la bouche de l’orateur précédent…

Aujourd’hui, plus que jamais, c’est bien dans ces creusets de la vie de notre pays que s’expriment les véritables dynamiques de la France, à travers les énergies, le plus souvent fédérées, d’acteurs publics, privés et associatifs, qui n’ont d’autre dessein que celui de faire vivre leur pays et évidemment les habitants qui y résident.

C’est dans ces mêmes territoires que s’expriment les plus grandes inquiétudes, auprès des élus locaux que nous sommes encore pour la plupart d’entre nous, et dont les permanences ne désemplissent pas d’entrepreneurs lassés de l’incompréhension de l’État, de gens en recherche d’emploi désespérés, de jeunes en situation d’impasse. C’est encore dans ces territoires que se lisent les inégalités frappantes de certaines politiques publiques, quand, par exemple, les uns sont uniformément raccordés à la fibre optique, tandis que les autres accèdent péniblement au téléphone filaire, sans parler de la téléphonie mobile. C’est enfin dans ces territoires que s’élève le besoin criant de plus de considération de la part de l’État pour les besoins essentiels de la vie moderne, lesquels n’en sont pas moins évolutifs.

Face à tout cela, que propose votre projet de budget ? Je suis bien obligé d’endosser l’étiquette de diseux que vous venez de nous coller sur le dos, monsieur Bricout, pour vous répondre. Une baisse globale des crédits, pour la deuxième année consécutive, puisque les crédits inscrits pour cette mission ne sont que de 729 millions d’euros contre 770 il y a un an. Des priorités que nous partageons, pour l’essentiel, mais qui cachent des actions peu abouties.

Votre effort à l’égard de la ruralité a pris la forme des tout nouveaux contrats de ruralité sortis de vos innombrables comités interministériels de la ruralité. L’appellation est racoleuse, mais le contenu l’est bien moins : ils ne sont dotés, dans ce PLF, que de 216 millions d’euros d’autorisations d’engagement, prélevés sur des fonds déjà existants, comme c’est annoncé dans le « bleu ».

Que dire, si ce n’est qu’il s’agit là d’un recyclage, d’un énième effet d’annonce qui masque mal le fait que vous n’ayez aucune mesure nouvelle ? En témoigne d’ailleurs l’impossibilité quasi généralisée dans les préfectures d’élaborer ces contrats de ruralité, au moment même où la loi NOTRe entendait mettre un terme au principe des financements croisés. Les moyens alloués au maintien des services publics dans les zones les plus fragiles sont quasiment inexistants, ce qui explique en grande partie l’inexorable déménagement auquel on assiste jour après jour, malgré les efforts sans relâche des élus locaux.

Les contrats de plan État-région – CPER – 2015-2020 reposent sur des axes fondateurs partagés entre les régions et l’État, mais leur entrée en vigueur est sans cesse différée – aujourd’hui au prétexte de la prise en compte des conséquences des fusions de régions –, si bien que l’on s’achemine presque inévitablement vers quatre années blanches, à l’expiration du dernier contrat signé. Et je ne fais que mentionner l’absence totale d’abondement de certaines lignes, s’agissant notamment des programmes routiers structurants.

Que dire enfin de la politique de déploiement des maisons de services au public, si ce n’est qu’au-delà de l’accompagnement financier de l’investissement, l’État ne peut pas se défausser du suivi de la présence effective de services opérationnels dans ces structures, au risque de mettre en péril les équilibres déjà précaires des budgets des collectivités territoriales auxquelles elles sont adossées ?

Un autre objectif affiché de ce PLF est de desservir 100 % de la population en télécommunications fixes et mobiles et de faire du numérique une opportunité pour les territoires les plus fragiles. Là encore, on ne peut que souscrire à l’objectif, mais lorsqu’on y regarde de près, le compte n’y est pas du tout. Aucune mesure coercitive n’est prise pour amener les opérateurs à équiper ces zones en réseaux ou, a minima, pour y exploiter les réseaux déjà payés avec l’argent du contribuable local. Les plans déployés actuellement font peser sur les habitants des zones les plus défavorisées une terrible double peine qui se résume ainsi : payer beaucoup plus, infiniment plus, pour être beaucoup moins bien, infiniment moins bien servis.

De manière générale enfin, votre refus d’obstacle, pour la deuxième fois de suite, face à la réforme annoncée de la dotation globale de fonctionnement – la DGF – accroît les inégalités. Les territoires ruraux risquent ainsi d’être hors d’état non pas d’investir – tous ou presque ont déjà dû y renoncer – mais d’assurer la pérennité de services et d’équipements indispensables à la vie moderne.

Vous l’aurez compris, ce projet de budget ne nous satisfait pas. Sous couvert d’objectifs que nous pourrions en partie partager, il masque un manque d’ambition total. Il ne propose aucune vision d’un aménagement moderne du territoire national qui valorise les atouts de chaque partie de notre pays. Il n’apporte aucune correction des inégalités physiques ou démographiques. Il est une simple duplication ou, au mieux, un recyclage de mesures déjà existantes, qui n’améliorent en rien la vie de nos concitoyens.

M. Paul Salen. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Benoit, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Thierry Benoit. Madame la présidente, messieurs les ministres, madame la secrétaire d’État, messieurs les rapporteurs, après les faiseux et les diseux de M. Bricout, nous avons une belle image sur ces bancs : d’un côté, M. Kanner, le ministre de la ville, et de l’autre, M. Baylet, celui des territoires ruraux. Cela me va plutôt bien ! (Sourires.) 

Messieurs les ministres, la mission que nous examinons aujourd’hui est essentielle, car elle porte sur les moyens que se donne la France pour garantir un développement équitable de ses territoires et en préserver les forces vives. Or, il y a aujourd’hui urgence ! Urgence pour mettre fin à cette insupportable fracture territoriale qui s’aggrave entre les territoires urbains toujours plus dynamiques et les territoires périphériques et ruraux souvent plus pauvres.

Urgence aussi, pour redonner à nos campagnes et à nos quartiers sensibles de nouvelles perspectives en matière d’emplois, d’infrastructures et de télécommunications, soit de connexion au monde. Urgence, enfin, de porter un projet politique novateur autour des territoires. En cette fin de ce quinquennat, je voudrais vous dire, messieurs les ministres, que la vision exprimée par le Président de la République, par le Premier ministre et les gouvernements successifs nous a conduits à un micmac territorial.

Je suis heureux, monsieur Baylet, de pouvoir vous interpeller aujourd’hui. Le 8 avril 2014, dans son discours de politique générale, le Premier ministre, Manuel Valls, annonçait une vision claire de l’organisation territoriale, avec notamment la mise en extinction des départements à l’aune de 2020, la prééminence des intercommunalités à l’échelle des bassins de vie que sont les pays – notion qui, pour moi qui viens de Bretagne, a une vraie signification – et celle des régions calibrées sur des enjeux historiques, démographiques et culturels, comme dans le cas de la Normandie réunifiée. Je regrette d’ailleurs que nous n’ayons pas pu réunifier les cinq départements bretons et créer une belle région du Val de Loire.

C’est un micmac ! Pour moi qui suis issu d’un territoire rural, la vision que vous avez exprimée pendant ce quinquennat organise le désordre dans ces territoires. Nous sommes au milieu du gué, avec de grandes régions, et, d’un côté, des métropoles, de l’autre, des territoires ruraux dont on ne sait toujours pas trop ce que vous voulez faire, ce qui est préoccupant.

Pour revenir aux contrats de plan État-région, 70 % des moyens mobilisés dans leur cadre financent des projets en zone urbaine. Il apparaît urgent d’inverser cette tendance et de viser un objectif de parité ! Le principe est pourtant simple : c’est celui de l’égalité territoriale, mais aussi de la péréquation entre les territoires, notamment entre les zones les plus dynamiques et les zones rurales.

Je note l’importante diminution du budget alloué à la politique de la ville, qui passe de 496 millions d’euros en 2014 à 416 millions en 2017. Cette évolution est d’autant plus surprenante que le Gouvernement s’était engagé à sanctuariser les crédits. Je voudrais donner un satisfecit au ministre de la ville ; monsieur Kanner, vous avez œuvré pour préserver le dispositif « Argent de poche » dans le cadre du programme « Ville-vie-vacances ». Mais seuls 5 % des 260 millions d’euros votés en 2016 ont été réellement engagés, en raison des dysfonctionnements du système Chorus. Vous êtes certainement vigilant sur ce dossier, mais il serait vraiment temps de débloquer la situation en matière de logiciels – Osiris pour les fonds européens et Chorus pour le fonds « Argent de poche ».

S’agissant de la ruralité, le budget de la mission « Politique des territoires » n’est pas à la hauteur des enjeux : il atteint péniblement 702,5 millions d’euros, en baisse de 5 % par rapport à 2015. Surtout, il sera bien trop timoré pour enrayer la paupérisation de nos territoires ruraux. Comme l’ont souligné les orateurs précédents, il faut investir pour le maintien des services publics de proximité et un égal accès aux soins. Le groupe de l’Union des démocrates et indépendants proposera des mesures en ce sens dans le cadre de sa niche parlementaire, à travers une proposition de loi qui sera déposée par le président de notre groupe, Philippe Vigier. Il faut également investir pour le déploiement d’outils de télécommunication modernes et d’un réseau de transport adapté. Autant dire que les chantiers sont nombreux !

Pour terminer, un mot sur un dossier important : celui du numérique. En commission, messieurs les ministres, on avait évoqué l’objectif que vous assignez à notre pays : 2022. C’est un peu mieux que dans la région Bretagne, dont le président fixe l’objectif de 2030 ! On ne sait d’ailleurs pas qui croire… Selon le classement établi par la Commission européenne, la France occupe la dix-neuvième place des pays d’Europe en matière de connexion à internet. Dix-neuvième place, messieurs les ministres, c’est indigne pour un grand pays comme la France ; je dirais même que c’est un camouflet quand on sait l’importance du numérique pour notre pays. Vous pouvez encenser de la tête, monsieur Baylet…

M. Jean-Michel Baylet, ministre. Oui, ça me fait rire !

M. Thierry Benoit. C’est un classement de la Commission européenne qui situe la France à la dix-neuvième place, juste devant Malte ! Pour toutes ces raisons, messieurs les ministres, le groupe de l’Union des démocrates et indépendants ne votera pas le budget « Politique des territoires ».

M. Michel Vergnier, rapporteur spécial de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. C’est une grande déception, monsieur Benoit !

Mme la présidente. Nous en arrivons aux questions.

Je vous rappelle que la durée des questions et des réponses est fixée à deux minutes.

Nous commençons par une question du groupe socialiste, écologiste et républicain.

La parole est à Mme Jacqueline Maquet.

Mme Jacqueline Maquet. Messieurs les ministres, madame la secrétaire d’État, chers collègues, ma question porte sur l’évaluation des politiques de la ville, pour lesquelles beaucoup a été fait depuis le début de ce quinquennat. La création de l’Observatoire national de la politique de la ville, ONPV, installé par M. le Premier ministre le 19 janvier dernier, a pour objet de mettre en application l’article 1er de la loi du 21 février 2014 sur « l’observation des situations et la mise en œuvre des politiques de la ville, l’évaluation de celles-ci et l’invitation à formuler des recommandations ». Pour cela, l’ONPV peut bénéficier des travaux de ses prédécesseurs, au premier rang desquels l’Observatoire national des zones urbaines sensibles, ONZUS. S’y ajoutent les mesures prises par les différents comités interministériels à l’égalité et à la citoyenneté, CIEC, parmi lesquelles la création des conseils citoyens, le rôle nouveau des adultes relais, ou encore la rénovation urbaine visant à favoriser la mixité sociale. Le premier rapport rendu par l’ONPV indique lui-même la « nécessité de montée en puissance du rôle d’évaluation ». Pouvez-vous nous garantir que l’ONPV verra ses demandes exaucées, quel que soit le résultat des élections à venir ?

Au niveau local, 437 contrats de ville doivent aujourd’hui être évalués. Ils ont fait l’objet d’un premier rapport au mois de mai dernier, et un second rapport devrait être présenté d’ici la fin de l’année. Ces évaluations sont essentielles pour vérifier, sur le terrain, l’efficacité de la politique de la ville et pour procéder à d’éventuels ajustements. Il faut déployer tous les moyens nécessaires afin de vérifier la pérennisation des crédits alloués lors de ce quinquennat, et avoir une rigueur extrême en matière de suivi des mesures. Les dispositifs envisagés sont-ils suffisants ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre de la ville, de la jeunesse et des sports.

M. Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports. Je voudrais avant tout remercier M. Jean-Michel Baylet d’avoir présenté les crédits de ma mission. Madame Maquet, vous m’interrogez sur l’évaluation des politiques publiques de la ville et plus précisément sur la place de l’ONPV, qui a été installé par le Premier ministre le 19 janvier 2016. L’ONPV remplace l’ONZUS en fusionnant l’ensemble des outils d’observation, d’évaluation et de suivi dont disposent le ministère et ses opérateurs. Le nouvel observatoire capitalise naturellement sur les travaux antérieurs. J’en mentionnerai brièvement les ambitions : observatoire des situations et de la mise en œuvre des politiques de la ville, évaluation des politiques publiques, formulation d’avis et de recommandations dans l’indépendance. Cette dernière lui est reconnue et nous devons y veiller en permanence, l’autonomie devant permettre à l’observatoire d’être réellement critique, au sens littéral du terme, pour faire avancer nos politiques publiques.

Le rapport de I’ONPV, qui sera rendu public d’ici la fin 2016, se focalisera sur l’emploi, l’éducation et la participation. En 2017, l’objectif est d’engager des travaux d’évaluation sans se cantonner à des photographies de situations. Nous voulons faire de l’ONPV un outil de préconisation et d’expertise au service des politiques publiques de la ville. Je ne peux que partager l’une des conclusions du premier rapport rendu par l’observatoire, qui indique la « nécessité de montée en puissance du rôle d’évaluation ». Celle-ci portera aussi sur l’utilisation des crédits, et je voudrais évoquer la question de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine, ANRU, la taxe foncière sur les propriétés bâties, TFPB, les crédits budgétaires rattachés au programme 147, l’augmentation de la dotation politique de la ville, DPV, et de la dotation de solidarité urbaine, DSU, qui représentent des volumes financiers très élevés. Je rappelle qu’en cinq ans, la DSU est passée de 1,4 milliard à 2,1 milliards d’euros. Ces chiffres sont parfaitement vérifiables.

Je citais à l’instant l’augmentation des crédits alloués à la DPV ; plusieurs collègues ici présents seront intéressés d’apprendre que pour l’exercice 2017, la DPV est augmentée de 50 % et intègre plus de communes, permettant de mieux couvrir l’outre-mer et de récupérer les communes emblématiques de la politique de la ville. M. Baylet souhaitait me voir vous apporter quelques précisions : cinquante-six villes de métropole et d’outre-mer entreront dans ce dispositif rénové ; six villes en sortiront – mais elles en seraient sorties de toute façon, du fait du passage des zones urbaines sensibles, ZUS, aux quartiers prioritaires de la politique de la ville, QPV. Il y a donc plus de gagnants que de perdants.

Je conçois néanmoins que pour les villes qui ne bénéficieront plus de la DPV, la situation puisse être délicate, et je ne suis pas pour passer de tout à rien en un an. Je souhaite donc éviter tout changement brutal ; on peut imaginer un mécanisme de garantie active pour éviter ces effets de seuil dont j’entends qu’ils puissent être dommageables pour les villes concernées. Je souhaite donc que l’on profite de la navette parlementaire, en lien avec le secrétariat d’État, pour approfondir cette discussion et parvenir à une solution communément partagée, qui pourrait être mise en œuvre de manière concertée, à l’échelle locale, par les préfets – dont c’est le rôle. Notez, madame la députée, l’ouverture du ministère, qui souhaite que les augmentations effectives de crédits ne pénalisent pas les villes, mais permettent au contraire au plus grand nombre d’entre elles d’en bénéficier. La politique de la ville est une politique d’équité et de répartition juste des crédits publics de notre pays.

Mme la présidente. La parole est à M. Paul Salen, pour le groupe Les Républicains.

M. Paul Salen. Messieurs les ministres, après avoir entendu le porte-parole du groupe socialiste, écologiste et républicain, je ne comprends pas pourquoi les maires ruraux sont si en colère contre le Gouvernement, après tout ce que vous avez réalisé…

Revenons à la mission « Politique des territoires » qui a pour objectif de réduire les fractures territoriales au moyen de politiques d’aménagement du territoire, d’intervention territoriale de l’État et de politiques de la ville. Le budget de cette mission est en baisse pour la deuxième année consécutive, alors même que les fractures entre les différents territoires sont de plus en plus criantes et qu’une réforme de la dotation globale de fonctionnement se fait attendre depuis plusieurs mois. Les vrais laissés-pour-compte de la politique du Gouvernement sont les territoires ruraux où de nombreux services publics continuent de fermer, pour s’organiser uniquement autour des métropoles et des agglomérations.

Le démographe Hervé Le Bras a d’ailleurs montré, à travers la carte de la pauvreté, publiée par le Gouvernement en 2014, une désocialisation des petites villes rurales. Par manque de moyens, beaucoup d’entre elles deviennent des cités-dortoirs, marquées par la fermeture des commerces de centre-ville et des services publics, et la désertification médicale. Aujourd’hui, près d’une commune française sur trois fait partie d’une zone de revitalisation rurale, c’est-à-dire d’une zone regroupant des territoires ruraux qui présentent des difficultés économiques et sociales, notamment une faible densité démographique, un déclin de la population totale ou active, ou une forte proportion d’emplois agricoles. Ainsi, notre pays est tiraillé entre centres-villes prospères et banlieues défavorisées, zones urbaines en plein développement et zones rurales en voie de désertification, régions littorales plutôt dynamiques et régions enclavées en difficulté. Les populations qui s’installent dans ces territoires, souvent par manque de moyens financiers, ont l’impression d’être les oubliés de la République et en voie d’un déclassement encore plus important.

Enfin, s’agissant du tout numérique, de nombreuses communes de zones rurales rencontrent encore des difficultés en matière de couverture en téléphonie mobile et de réception internet haut débit. Le plan de résorption des zones blanches laissait de côté beaucoup trop de communes rurales, malgré une absence de couverture mobile. Or cette absence ou la mauvaise couverture en réseau mobile et internet entraînent une perte supplémentaire d’attractivité pour ces territoires déjà en grande difficulté. Ma question porte donc sur les aides que l’État apporte à ces territoires. Il faut reconnaître qu’il en existe déjà plusieurs, à l’efficacité plus ou moins visible ; cependant toutes les aides visant à créer de l’emploi n’auront que peu de résultats si ces zones ne deviennent pas attractives. Pour cela, elles doivent, entre autres, avoir accès à un réseau de téléphonie mobile et internet de bonne qualité. C’est pourquoi je vous demande, messieurs les ministres : quelle aide le Gouvernement compte-t-il apporter à ces communes dans ce domaine ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre de l’aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales.

M. Jean-Michel Baylet, ministre. Monsieur le député, tout ce qui est excessif est vain ! Tout d’abord – et cela vaut pour l’orateur précédent –, les crédits des programmes 112 et 162 ont augmenté et non diminué, comme vous venez tous deux de le dire. Il est vrai que ceux du programme 147 ont légèrement baissé à cause des compensations des exonérations fiscales. Il faut un minimum de précision et de vérité dans les affirmations faites à l’Assemblée nationale ! Nous le devons à nos électeurs.

Pour le reste, j’attire votre attention sur le fait qu’entre 2010 et 2014, il n’y a eu aucune réunion de comités interministériels, ni du comité interministériel d’aménagement et de développement du territoire, CIADT. Entre 2014 et aujourd’hui, en quatorze mois seulement, nous avons réuni trois comités interministériels aux ruralités, CIR.

M. Thierry Benoit. Voilà une bonne chose !

M. Jean-Michel Baylet, ministre. Nous avons adopté 104 mesures, pour la plupart entrées en application, y compris les contrats de ruralité – pendants des contrats de ville de Patrick Kanner –, que nous venons de décider au CIR de Privas et qui remportent un succès indéniable. J’ai fléché vers ce dispositif 216 millions d’euros dans le cadre du fonds de soutien à l’investissement local géré par mon ministère, qui fonctionne très bien. Nous n’oublions pas la ruralité, et ne l’opposons pas aux métropoles ou aux régions. Nous veillons à chacune des collectivités, dans le cadre d’une politique d’aménagement du territoire harmonieuse et intensive – ce qui était loin d’être le cas en d’autres temps ! Nous avons mis en place un partenariat État-régions et accordé à celles-ci des financements, y compris 2,5 points de TVA à partir de 2018 et 450 millions d’euros, votés hier, dès cette année. Nous avons signé un pacte État-métropoles pour accompagner ces dernières dans leur développement. Nous avons passé des contrats de ville et créé les contrats de ruralité.

Avec les 104 mesures adoptées, nous avons appréhendé les quatre priorités essentielles de la ruralité. D’abord, ramener les services publics dans les campagnes, au travers des maisons de services au public – qui seront mille à la fin de l’année. Ensuite, développer l’offre de soins de proximité grâce aux maisons de santé – qui seront également mille à la fin de l’année – et grâce au recrutement de jeunes médecins auxquels nous donnons une bourse pour qu’ils aillent s’installer dans ces zones. Enfin, les deux dernières priorités, c’est le développement de la téléphonie mobile et du numérique. Nous avons lancé le plan « France très haut débit », doté de 20 milliards d’euros dont 3,5 milliards mobilisés par l’État. Je vous rappelle que le plan précédent était de 900 millions d’euros, et qu’il n’a jamais été mené à bien.

Quant à la téléphonie mobile, nous sommes en train d’équiper les derniers centres bourgs et ces derniers le seront tous à la mi 2017. Indéniablement, nous avançons.

Vous avez raison, monsieur le député, de dire que la téléphonie et le numérique sont indispensables à la ruralité. Mais le péché originel repose sur ceux qui ont vendu les fréquences. Ils ont très bien négocié avec les opérateurs, mais ils ne leur ont imposé aucun contrat, aucun cahier des charges. Les opérateurs ont choisi de développer l’urbain au détriment de la ruralité qu’ils ont abandonnée. Nous sommes en train de rattraper cette situation. C’est ce à quoi nous nous employons avec efficacité et détermination.

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec les questions.

Mission « Politique des territoires » (état B)

Mme la présidente. J’appelle les crédits de la mission « Politique des territoires », inscrits à l’état B.

Sur ces crédits, je suis saisie de plusieurs amendements.

La parole est à M. le ministre, pour soutenir l’amendement n479.

M. Patrick Kanner, ministre. Au préalable, je veux répondre à M. Benoit qui s’était ému de la baisse des crédits de la mission « Politique des territoires ». Mais, M. Baylet l’a rappelé dans son propos liminaire, que cette baisse n’était qu’apparente car elle reflète le changement de portage opéré sur la compensation d’exonération de charges en zone franche urbaine. Ces 12 millions d’euros de crédits en moins n’ont pas d’effet sur la capacité d’intervention qui est la nôtre en matière de politique de la ville : je tiens à vous rassurer, monsieur le député. J’ajoute qu’en trois ans, nous avons rétabli tous les crédits qui avaient été supprimés dans une époque précédente, ce qui pénalisait le secteur associatif.

La cohérence du budget que je défends repose sur un volet « habitat » et « renouvellement urbain » très ambitieux. Notre ambition vise la transformation physique, en profondeur, des quartiers prioritaires de la politique de la ville. Le 2 octobre 2015, nous avons signé une convention avec Action logement et l’ANRU qui permet de financer ce Nouveau programme national de renouvellement urbain sur des bases consensuelles jusqu’en 2031.

Lorsque nous sommes arrivés aux affaires en 2012, je tiens à le rappeler aux députés de l’opposition ici présents, nous avons trouvé une situation extrêmement fragile s’agissant du financement de l’ANRU. Nous avons réussi à mener à bien les engagements pris par M. Borloo que je tiens à saluer pour l’action qui a été la sienne, mais dont les financements étaient pour le moins aléatoires.

Le projet de loi « Égalité et citoyenneté » en cours de discussion donne de nouveaux outils pour lutter contre les logiques de ségrégation : je citerai l’attribution de 25 % de logements sociaux en dehors des quartiers prioritaires de la ville aux 25 % des ménages les plus modestes. Il s’agit de favoriser un parcours résidentiel, de ne pas faire de ces quartiers une forme de prison sans barreaux dans lesquels les personnes ne pourraient pas évoluer naturellement.

Je souhaiterais, mesdames, messieurs les députés, vous sensibiliser sur les effets qu’auraient les modifications substantielles, envisagées en commission des finances, des dispositifs d’exonération sur la TFPB, la fameuse taxe foncière sur les propriétés bâties. J’entends les arguments financiers en défaveur de cette exonération de TFPB. Pour autant, faut-il noircir à l’excès ce dispositif, cette situation ?

Il ne s’agit pas pour nous de stigmatiser, mais uniquement de cibler les bailleurs sociaux qui ne joueraient pas le jeu. J’entends trop de maires – et j’en parlais récemment avec un maire, qui se reconnaîtra dans cette assemblée –, se plaindre de ne pas savoir ce que devient l’argent lié à cette exonération. Cet argent doit revenir aux quartiers qui ont permis sa création. À cet égard, je souhaite que nous puissions être en symbiose sur cette question importante. En tout état de cause, c’est ce que nous allons faire par le biais d’une disposition que nous avons adoptée dans le cadre du projet de loi « Égalité et citoyenneté ». Je souhaite que la concertation puisse constituer une réponse adaptée et par transposition de la méthode qui a été retenue pour réformer le dispositif des zones franches urbaines – méthode qui a permis de faire bouger les territoires entrepreneurs –, nous pouvons envisager de faire des avancées sur la bonne utilisation des fonds de cette exonération de la TFPB. C’est la proposition que nous avons faite avec Hélène Geoffroy au Premier ministre.

Il m’apparaît également important de dire que nous voulons bâtir un nouveau projet dans les quartiers populaires. Nous avons bien entendu évoqué l’appel porté par de nombreux acteurs, bailleurs, collectivités locales. Si nous sommes en mesure de porter ce programme au-delà des 5 milliards d’euros apportés par l’ANRU, c’est-à-dire au-delà des 20 milliards d’euros tous financeurs confondus en termes de travaux effectifs, nous disposerons d’une capacité accrue de répondre aux besoins des habitants des quartiers.

« Action logement » souhaite financer le logement et se plaignait de devoir utiliser son argent pour des opérations de service public et d’équipements publics qui ne relevaient pas totalement de son autorité. Nous avons entendu ce message et le 27 octobre dernier, François Hollande et le Premier ministre ont fait des annonces au congrès de l’Union sociale pour l’habitat. C’est un geste fort que nous allons engager par le biais de l’amendement n479 et l’amendement n480, qui viendra ultérieurement dans la discussion.

Le premier prévoit 1 milliard d’euros au bénéfice du Nouveau programme national de renouvellement urbain lequel sera porté de 5 à 6 milliards d’euros. Le second concrétise, dès 2017, les autorisations d’engagement et les crédits de paiement correspondants prévoyant 100 millions d’euros qui seront rattachés au programme 147 « Politique de la ville ». Voilà des moyens concrets pour permettre aux quartiers d’évoluer favorablement.

Nous revenons ainsi à l’esprit de la loi de 2009 avec un retour de l’État. Il n’était pas normal que l’État quitte la table des financeurs, en 2009, s’agissant du financement de l’ANRU. Nous voulons amplifier notre action en faveur des équipements structurants pour faire de ces quartiers, non des quartiers de ville, mais des quartiers de vie pour leurs habitants et lutter contre toute forme de stigmatisation. La rénovation des quartiers doit être complète : rénovation, réhabilitation, démolition lorsque c’est nécessaire. Il faut construire des écoles, des équipements culturels et sportifs. Bref, des outils qui permettent de vivre dans de bonnes conditions et faire en sorte que la fierté et la dignité reviennent dans ces quartiers. Aussi, je vous invite à adopter ces deux amendements qui vont dans le sens souhaité par les six millions de nos concitoyens qui habitent dans les quartiers prioritaires de la politique la ville.

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Vergnier, rapporteur spécial de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, pour donner l’avis de la commission sur l’amendement n479.

M. Michel Vergnier, rapporteur spécial de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. La commission a donné un avis favorable aux deux amendements et a été convaincue par les arguments que le M. le ministre vient de développer à l’instant. À titre personnel, je voudrais dire que s’agissant des exonérations ou des contrats qui sont conclus, notamment avec les bailleurs sociaux, cela se passe plutôt bien puisqu’il s’agit du cadre de vie et de l’environnement. Le problème de l’exonération réside dans le fait que cela correspond à un manque à gagner pour les collectivités territoriales, et c’est l’objet de notre discussion. Mais sur le fond, ce que vous avez dit, monsieur le ministre, est beaucoup plus important et c’est la raison pour laquelle nous sommes favorables aux deux amendements.

Mme la présidente. La parole est à M. François Pupponi.

M. François Pupponi. Je veux saluer la déclaration du ministre et remercier le Gouvernement et le Président de la République qui, au mois d’octobre dernier, a fait ces annonces d’importance dans le cadre du Forum national des conseils citoyens. Quant au Premier ministre, il s’était exprimé en ce sens un peu avant, à Nantes. Aussi bien Patrick Kanner que Jean-Michel Baylet ont beaucoup travaillé durant tout l’été afin que cette mesure importante soit prise : 1 milliard d’euros supplémentaire au bénéfice de l’ANRU dont 100 millions d’euros dès 2017. C’est une mesure fondamentale pour le financement de la rénovation urbaine, qui n’était pas en cause, mais dont on savait qu’il fallait rajouter des moyens afin de pouvoir aller au terme.

Globalement, les opérations de rénovation urbaine sont aujourd’hui financées. Certaines collectivités locales souhaitaient, vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, des financements plus importants, en particulier pour les équipements publics, notamment les écoles, les centres sociaux, ou les équipements sportifs et culturels. La réponse du Gouvernement va dans le bon sens, au-delà de ce que nous pouvions espérer car nous vivons aujourd’hui un moment historique. L’État revient dans le financement de l’ANRU. C’est exemplaire et mérite d’être signalé.

Mme Audrey Linkenheld. C’est en effet historique.

(L’amendement n479 est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Delphine Batho, pour soutenir l’amendement n518.

Mme Delphine Batho. La demande formulée dans le présent amendement est somme toute modeste, mais déterminante pour tout un territoire, et au-delà, pour la France tout entière. Le Marais poitevin est la deuxième zone humide de France. Nous sommes dans un pays où 70 % des zones humides ont été détruites au cours des quarante dernières années. Le Marais poitevin est un territoire remarquable, unique par sa biodiversité, ses paysages, mais aussi son patrimoine culturel et humain. Cette zone humide a fait l’objet d’un contentieux européen, levé en 2005 seulement parce que l’État a pris des engagements sur la gestion de la ressource en eau, l’agriculture, le maintien des prairies humides, et la reconquête de la biodiversité dans le cadre du programme des interventions territoriales de l’État – PITE.

Ce programme a connu une baisse de crédits de 15 % en 2015, puis de 63 % en 2016. Le projet de loi de finances pour 2017 propose de reconduire cette même baisse de 63 %. Nous avons donc les plus vives inquiétudes en particulier pour le cofinancement par le PITE des MAE – mesures agro-environnementales – en faveur des agriculteurs et des éleveurs qui, par leur travail, contribuent au maintien des prairies humides particulièrement fragiles dans le Marais poitevin.

C’est si vrai que les services de l’État, notamment le préfet de région, avaient demandé, pour 2017, une dotation de 3,4 millions d’euros en autorisations d’engagement et de 2,7 millions d’euros en crédits de paiement alors que le projet de loi de finances prévoit 1,4 million en autorisations d’engagement et 1,8 million en crédits de paiement. Le rapport du conseil général de l’environnement et du développement durable, commandé par le Gouvernement, indique que le maintien des financements de l’État, et donc le fait d’aller à l’encontre de ce désengagement, constitue une condition sine qua non à la poursuite de la dynamique de restauration du Marais poitevin.

Mon amendement propose de rétablir ces crédits conformément à la demande des services de l’État, notamment du préfet de région.

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Calmette, rapporteur pour avis de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire pour donner l’avis de la commission sur cet amendement.

M. Alain Calmette, rapporteur pour avis de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire. Je souhaite profiter de la présence des ministres pour interpeller sur le caractère bloqué du programme 162 « Interventions territoriales de l’État » ou PITE qui avait à l’origine vocation à soutenir des actions territoriales de façon éphémère, limitées dans le temps. Or les quatre actions inscrites – Bretagne, Marais poitevin, Corse, Guadeloupe – sont reportées d’année en année sans que les candidats éventuels pour rentrer dans ce programme puissent le faire. Je pense notamment à un programme « Filière bois » dans le Massif central.

Certains programmes datent d’il y a plus de quinze ans. À l’avenir, il faudrait réfléchir à des échéances permettant à d’autres territoires de présenter d’autres actions tout aussi importantes. Lorsque l’on appartient à ce programme, on y reste, mais pour y entrer, c’est beaucoup plus difficile.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur spécial.

M. Michel Vergnier, rapporteur spécial. Je partage totalement cet avis, car moi-même, je fais allusion au PITE dans mon rapport. J’entends donc le propos de Mme Batho, que je trouve, à titre personnel, justifié. Le problème posé par cet amendement, c’est qu’il veut procéder par redéploiement imputé sur le programme « Politique de la ville ». Or il n’est pas question de « déshabiller » la politique de la ville. Ce serait une affaire de vases communicants très délicate.

D’habitude, c’est le Gouvernement qui s’en remet à la sagesse du Gouvernement. Dans la mesure où la commission n’a pas examiné cet amendement, et si à titre personnel, je le trouve plutôt sympathique, je ne suis pas sûr que ma sympathie suffise. (Sourires.)

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Michel Baylet, ministre. Madame la ministre, chère Delphine Batho, vous proposez d’abonder de 2 millions d’euros en autorisations d’engagement et de 900 000 euros en crédits de paiement le programme 162 « Interventions territoriales de l’État » afin d’assurer le financement du programme consacré au Marais poitevin.

Tout cela est très respectable, très louable et peut recueillir l’assentiment de tous…

M. Thierry Benoit. Ça commence bien, mais…

M. Jean-Michel Baylet, ministre. …si ce n’est que pour ce faire vous prenez les crédits correspondants sur la politique de la ville.

M. Thierry Benoit. Comment ose-t-elle ?

M. Jean-Michel Baylet, ministre. Comme vient de le dire le rapporteur, c’est la politique des vases communicants, et pas seulement parce qu’il est ici question du magnifique Marais poitevin, que j’ai eu le bonheur de visiter voilà quelques années.

Je tiens, madame Batho, à vous rassurer quant à l’attachement du Gouvernement à ce programme et à notre volonté d’en poursuivre la mise en œuvre dans les meilleures conditions. L’action 6 du programme des interventions territoriales de l’État – PITE –, dédiée au Marais poitevin, disposera dès 2017, dans le cadre du projet de loi de finances, des moyens lui permettant de répondre aux besoins essentiels de l’action de l’État, notamment pour la gestion des niveaux d’eau et les mesures agro-environnementales que vous venez d’évoquer.

L’amendement que vous présentez répond en outre à la préoccupation de donner encore plus de moyens au préfet de région responsable de cette action – les préfets de région sont gourmands en moyens ! (Sourires.) –, afin qu’il puisse rendre encore plus ambitieuse l’action de l’État pour le Marais poitevin et, naturellement, pour sa préservation.

Sur le principe, le Gouvernement ne peut être que favorable à un tel relèvement, mais la question est, je le répète, celle de son financement dans le contexte d’ensemble des maîtrises de dépenses. Vous m’accorderez qu’il ne serait pas juste de prélever des crédits sur le programme « Politique de la ville », qui doit lui aussi répondre à des priorités sociales très importantes du Gouvernement.

Ce dernier est toutefois prêt à étudier la possibilité d’un redéploiement interne au PITE afin de donner plus de moyens à l’action en faveur du Marais poitevin, en fonction des actions concrètes qui pourront être menées pour celui-ci en 2017.

J’espère que ma réponse vous satisfait. Je me suis efforcé de la rendre équilibrée et de ne pas trop contrarier mon collègue et ami Patrick Kanner. (Sourires.) Je vous demande donc de retirer votre amendement au vu des informations et de la réponse que je viens de vous apporter. Dans le cas contraire, je serais contraint, vous le comprendrez, d’émettre un avis défavorable.

Mme la présidente. La parole est à Mme Delphine Batho.

Mme Delphine Batho. Merci, monsieur le ministre, de votre réponse. Comme vous le savez, l’article 40 de la Constitution impose aux députés de ne rédiger que des amendements se traduisant par un solde égal à zéro. Ne pouvant donc procéder à des redéploiements entre les actions du programme 162, nous sommes contraints d’imputer sur un autre programme les crédits redéployés. Mon intention n’est certes pas de déshabiller la politique de la ville pour habiller le Marais poitevin.

J’ai cependant eu depuis cet été des échanges approfondis sur cette question avec le ministre de l’intérieur et, la semaine dernière, avec le cabinet de ce dernier et avec celui du Premier ministre. Peut-être pourriez-vous donc compléter votre réponse. En effet, si elle se limite à dire qu’on étudiera la question, elle ne saurait me satisfaire.

La question ne porte pas sur le préfet de région ! Je demande une décision claire sur le fait que les agriculteurs du Marais poitevin bénéficieront des mesures agro-environnementales – MAE – qu’ils demandent. Je ne demande pas un effort supplémentaire de la part de l’État, mais que l’on revienne sur la baisse de 63 % des crédits et que les MAE soient payées afin d’assurer le maintien de prairies humides.

J’ajoute que le montant correspondant n’atteindra peut-être même pas celui qu’envisage l’amendement et qu’il pourrait en réalité être plus proche de 1 à 1,5 million d’euros. Je souhaite néanmoins être assurée qu’il n’y aura pas de blocage du financement destiné aux agriculteurs et que c’est là un engagement ferme de l’État.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre de l’aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales.

M. Jean-Michel Baylet, ministre. Madame la ministre, ces crédits n’étant pas gérés par mon ministère, je suis allé, pour aborder cette question, au contact du ministre de l’intérieur, et même du Premier ministre, lesquels m’ont donné leur accord pour que je vous confirme ce que je viens d’énoncer. C’est un engagement de leur part.

Mme la présidente. Madame Batho, retirez-vous votre amendement au vu de ces explications ?

Mme Delphine Batho. Ce n’est pas clair. Je maintiens donc mon amendement.

(L’amendement n518 est adopté.)

M. Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports. Madame la présidente, je demande une suspension de séance.

Mme la présidente. Elle est de droit.

Suspension et reprise de la séance

Mme la présidente. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt, est reprise à dix-neuf heures vingt-cinq.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

La parole est à M. le ministre.

M. Patrick Kanner, ministre. Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, en application de l’article 101 du Règlement, le Gouvernement demandera une seconde délibération sur l’amendement n518.

Le ministre de la ville que je suis ne pouvait en effet qu’être défavorable à une ponction de 2 millions d’euros opérée sur ses crédits. Je tiens en revanche, en lien avec M. Baylet, à confirmer Mme Batho qu’en gestion, elle obtiendra de 1 à 2 millions d’euros de crédits supplémentaires pour pouvoir répondre à la préoccupation du Marais poitevin.

M. Thierry Benoit. Il fallait le dire !

Mme la présidente. Monsieur le ministre, j’en prends acte mais, comme vous le savez, les secondes délibérations ont lieu à la fin de l’examen des articles rattachés, soit, au mieux, à la fin de cette semaine – si tant est que nous puissions avancer dans nos débats.

(Les crédits de la mission « Politique des territoires », modifiés, sont adoptés.)

Après l’article 58

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre, pour soutenir l’amendement n480, portant article additionnel après l’article 58.

M. Jean-Michel Baylet, ministre. Il est défendu.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Michel Vergnier, rapporteur spécial. Favorable.

(L’amendement n480 est adopté.)

Mme la présidente. Nous avons terminé l’examen des crédits de la mission « Politique des territoires ».

Santé

Mme la présidente. Nous abordons l’examen des crédits relatifs à la santé (n4125, annexe 42 ; n4129, tome II).

La parole est à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Madame la présidente, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame et monsieur les rapporteurs, mesdames et messieurs les députés, cet examen budgétaire est l’occasion pour moi de revenir sur plusieurs points. La commission élargie ayant permis d’aller au fond de plusieurs questions, je me concentrerai sur quelques éléments.

J’évoquerai tout d’abord le choix politique majeur que, comme le Gouvernement, je soutiens en matière de santé : celui de la prévention. Cet engagement passe par le Fonds d’intervention régional – FIR –, créé en 2012, qui a permis de rassembler des crédits autrefois dispersés et d’identifier une enveloppe unique répartie entre les agences régionales de santé.

L’engagement financier est au rendez-vous de cette priorité politique : les sommes affectées à la prévention et au FIR ont progressé de 227 millions d’euros en 2012 à 274 millions en 2016, si l’on conjugue les financements apportés par l’État et par l’assurance maladie.

Les ressources destinées à la prévention ont par ailleurs été renforcées par les crédits supplémentaires que les agences régionales de santé peuvent mobiliser : en 2015, c’étaient 39 millions d’euros de crédits supplémentaires alloués à la prévention, soit un apport supplémentaire de 13,6 % par rapport aux crédits délégués pour la prévention.

J’ai souhaité renforcer cette dynamique.

C’est la raison pour laquelle le projet de loi de finances pour 2017 prévoit le transfert vers l’assurance maladie de l’intégralité de la dotation de l’État au fonds d’intervention régional. Ce transfert donnera davantage de visibilité et de garantie aux ressources dédiées à la prévention. Il est évidemment adossé à une compensation intégrale par l’État de la contribution de l’assurance maladie, à savoir 116 millions d’euros. Dans le contexte budgétaire contraint que nous connaissons, la préservation de ces crédits est un choix politique fort.

L’évolution des crédits du FIR permettra de financer de nouvelles mesures en matière de prévention. Je pense par exemple à la généralisation du dépistage organisé du cancer du col de l’utérus. Je pense aussi à notre politique volontariste et ambitieuse de lutte contre le sida par la diffusion, au sein des centres d’information de dépistage, des autotests, des traitements post-exposition du VIH et de l’hépatite B ainsi que des traitements pré-exposition du VIH.

Au-delà du fonds d’intervention régional, je veux rappeler que l’effort budgétaire en faveur de la prévention figure aussi dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2017, actuellement en débat au Sénat. Nous inscrivons ainsi dans la loi le fonds de lutte contre le tabagisme, qui permettra de financer la prise en charge des dispositifs de sevrage tabagique. Les crédits de prévention sont ainsi entièrement préservés.

L’effort demandé au budget du programme 204 porte essentiellement sur les opérateurs. En 2017, les agences sanitaires participeront aux efforts d’économies à hauteur de 2,5 % de leurs crédits, à travers une dynamique structurelle déjà engagée.

À l’occasion de l’examen des crédits de la mission « Santé », le Gouvernement vous proposera un amendement relatif à l’indemnisation amiable des victimes des spécialités à base de valproate de sodium, dont la plus connue est la Dépakine. J’ai annoncé, il y a plusieurs semaines, que nous travaillons à un dispositif d’indemnisation amiable, que je souhaite le plus rapide, le plus simple et le plus sécurisant pour les victimes.

Je veux d’abord rappeler que la Dépakine est un médicament indispensable, qui sauve des vies : c’est pourquoi il n’est pas et ne peut pas être retiré du marché. Dans cette affaire, des femmes ont été victimes d’un défaut d’information sur les risques. L’IGAS – Inspection générale des affaires sociales –, que j’avais missionnée en juin 2015, a remis son rapport, lequel a été rendu public. Il indique que le principal titulaire de l’autorisation de mise sur le marché, Sanofi, ainsi que les autorités sanitaires de l’époque avaient manqué de réactivité pour informer sur les risques encourus en cas de grossesse, notamment dans la notice du médicament – nous parlons du début et du milieu des années 2000.

Je souhaite donc que l’État prenne ses responsabilités pour réparer les conséquences du passé et permettre aux victimes, les mères comme les enfants, de bénéficier d’une juste réparation. Un dispositif d’indemnisation spécifique a été mis en place après concertation. Je vous le présenterai tout à l’heure à l’occasion de la défense d’un amendement, mais je voulais d’ores et déjà vous informer que la mise en place importante de ce nouveau dispositif figurera dans ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. Gérard Bapt. Très bien !

Mme la présidente. Nous allons maintenant entendre les porte-parole des groupes.

La parole est à M. Patrice Carvalho, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. Patrice Carvalho. Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame et monsieur les rapporteurs, chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour examiner deux programmes budgétaires relatifs à la mission « Santé ».

Le premier, le programme 204 relatif à la prévention, baisse de près de 13 % par rapport au dernier projet de loi de finances. Cette évolution nous interroge puisque le Gouvernement ne cesse de mettre en avant, à juste titre, l’impérieuse nécessité de faire de la prévention une priorité absolue – comme vous venez de le faire, madame la ministre.

En commission élargie, Mme Neuville, secrétaire d’État chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion, nous a expliqué que cette baisse de crédits n’en était pas réellement une et qu’elle n’impacterait aucune action concrète de prévention pour nos concitoyens. Il s’agirait d’une baisse apparente, qui résulterait de la mise en œuvre de mesures de simplification budgétaires.

Mme Neuville a même annoncé que les agences régionales de santé pourront décider de mobiliser, en plus de l’enveloppe de financement qu’elles perçoivent du fonds d’intervention régional – le FIR –, des moyens supplémentaires en termes de prévention là où elles le jugent nécessaires.

Au-delà du débat autour des chiffres, cette mesure illustre, une fois encore, le pouvoir exorbitant donné aux ARS depuis leur création par la droite et sans cesse renforcé par ce gouvernement, alors que les expériences relayées par les personnels et des élus, partout sur le territoire, montrent à quel point les ARS ferment ou distribuent des crédits avant tout selon des critères d’économie comptable, sans se soucier des besoins des populations. Je doute que les ARS compenseraient éventuellement une partie des 65 milliards d’euros de crédits que ce gouvernement économise sur le budget de prévention. Le risque est donc réel que cela se traduise par moins d’actions publiques de prévention dans nos territoires, au détriment de nos concitoyens.

La baisse du budget dédié à la prévention résulte également d’économies attendues par la création de l’Agence nationale de santé publique, regroupant trois instituts de prévention. S’il ne s’agit que d’économies sur les fonctions support, elles ne sont pas en soi contestables, mais j’ai déjà exprimé mes craintes à ce sujet : l’expérience montre que les mutualisations sont pratiquement toujours le prétexte à une réduction des moyens et donc, in fine, à celle des effectifs.

À ce titre, je rappelle qu’entre 2010 et 2015, 65 postes équivalents temps plein ont déjà été supprimés dans l’ensemble de ces trois structures. Aussi, la baisse du budget consacré à la prévention me laisse-t-elle perplexe sur le maintien à terme des moyens pour cette nouvelle agence.

J’en viens au second programme, le 183, relatif à la protection maladie : contrairement au précédent, il est en augmentation de plus de 70 milliards d’euros. Cette hausse est due au renforcement à hauteur de plus de 10 % des crédits alloués à l’aide médicale d’État, dite AME.

Si je tiens à saluer le fait que ce gouvernement a résisté, pendant tout le quinquennat, aux assauts répétés de la droite pour supprimer ce dispositif, je dois dire mon regret de constater que cette augmentation s’effectue au détriment des crédits alloués au fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante qui, lui, est réduit de près de 40 % ! Cela s’appelle « déshabiller Pierre pour habiller Paul » et relativise sérieusement l’ampleur du geste – même si je rejoins Mme la ministre lorsqu’elle déclare que l’AME est « une mesure humaine et éthique ».

Ce dispositif honore notre pays car les bénéficiaires, toujours plus nombreux au regard de la paupérisation galopante, sont des personnes malades et en grande précarité. J’ajoute qu’il s’agit, plus largement, de protéger l’ensemble de la population en permettant d’éviter que ne se propagent des maladies infectieuses telles que la tuberculose ou le VIH. Notre collègue, Gérard Sebaoun, a eu raison de rappeler en commission que 4 827 cas de tuberculose ont été détectés en 2014, dont la moitié en Île-de-France.

Mais si l’augmentation des moyens pour l’AME est une très bonne chose, ce dispositif est efficace grâce à la présence d’établissements de santé, notamment ceux dédiés à l’accueil de ce type de population très précaire, avec leur savoir-faire adapté à ces situations.

J’insiste sur ce point car c’est le cas de l’hôpital public de Nanterre, dont l’ARS a fermé le service de pneumologie – ainsi d’ailleurs que toute la chirurgie – alors qu’il reçoit quotidiennement près d’un millier de personnes en très grande précarité, que les autres hôpitaux du territoire refusent très souvent de prendre en charge. Il y a là une contradiction de taille, d’autant plus préoccupante qu’elle met en jeu des vies.

Finalement, cette mission « Santé » en trompe l’œil reflète les choix politiques d’austérité de ce gouvernement, choix que nous avons encore dénoncés lors du dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale, quand il aurait été urgent de tout faire pour réduire la fracture sociale et répondre aux besoins de nos concitoyens.

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Sebaoun, pour le groupe socialiste, écologiste et républicain.

M. Gérard Sebaoun. Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame et monsieur les rapporteurs, chers collègues, la commission élargie du 7 novembre a adopté les crédits de la mission « Santé ». Les programmes 204 et 183 mobiliseront un budget de 1,256 milliard d’euros, 433 millions d’euros étant destinés au pilotage de la politique de la santé publique et à la prévention, et 823 millions d’euros à l’aide médicale d’État et au fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante.

S’agissant du programme 204, relatif à la prévention, la création de l’Agence nationale de santé publique a été saluée de façon unanime. Elle bénéficiera d’un financement de 151 millions d’euros, sans réduction d’effectifs après la fusion des établissements qui la composent. Un effort modéré et général a été demandé aux autres agences : il convient de rester vigilants afin qu’elles puissent assumer toutes leurs missions, devenues de plus en plus complexes.

Les crédits de ce programme sont destinés à la prévention des maladies chroniques, au cancer, à la santé mentale, aux maladies infectieuses, aux addictions, aux risques liés à l’environnement et à l’alimentation, à la couverture vaccinale devenue insuffisante. Ils sont en parfaite cohérence avec la loi de modernisation de la santé et avec les différents plans nationaux en cours d’exécution.

La culture de la santé publique dans notre pays doit être développée dans le droit fil de l’article 1er de la loi santé. Il nous faut voir la prévention comme un investissement, rendre plus lisible son architecture avec sa kyrielle d’intervenants, en rappelant ici cependant que les crédits qui lui sont consacrés ne se résument pas au programme 204.

En effet, selon le rapport de la DREES – Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques – sur les comptes nationaux de la santé de 2013, la prévention individuelle et collective représentait près de 6 milliards d’euros sur la dépense courante de santé. De plus, une grande partie de la prévention échappe à ce comptage car elle fait partie intégrante des soins courants : la DREES l’évaluait à 8,5 milliards d’euros en 2012.

La prévention nécessitera toujours davantage de crédits ciblés pour réduire les coûts exorbitants du tabac, de l’alcool, de l’obésité, des pathologies liées au vieillissement ou aux problèmes environnementaux. Un exemple moins souvent cité, mais que nous rappelle l’Agence européenne : 100 000 molécules chimiques répertoriées par cette agence risquent de causer des effets sur la santé. À ce propos, l’introduction du concept d’exposome dans la loi santé, à l’initiative de nos collègues Gérard Bapt et Jean-Louis Roumégas, est une réelle avancée.

Lors d’un colloque récent consacré à la prévention, le professeur Jean-François Toussaint, membre du Haut conseil de santé publique, invitait les participants à se projeter à l’horizon de 2050 – c’est un temps long, correspondant au temps d’exercice des jeunes médecins qui commenceraient en 2016. Il nous faut mieux former ces professionnels à la prévention, celle-ci demeurant le parent pauvre des études médicales avec moins de quinze heures d’enseignement au cours du cursus. Selon les études prospectives produites lors de ce colloque, les maladies infectieuses seraient en forte croissance – toujours à l’horizon 2050 – avec une augmentation de la mortalité à venir.

Pour nous, il est important, dès aujourd’hui, de renforcer la couverture vaccinale, qui a reculé ces dernières années dans notre pays en raison d’un scepticisme entretenu par des activistes hostiles. Je suis convaincu que Jenner et Pasteur, s’ils étaient vivants, leur feraient un mauvais sort !

La vaccination reste le moyen de prévention le plus efficace pour combattre, voire éliminer, de nombreuses maladies infectieuses. En 2015, le coût des vaccins remboursés par l’assurance maladie était de 318 millions d’euros. Face à cette réalité documentée dans le rapport de notre ancienne collègue Sandrine Hurel, la ministre a présenté un plan pour rénover notre politique vaccinale ; nous attendons d’ailleurs avec intérêt les conclusions de la concertation citoyenne sur la vaccination.

Enfin, le programme 183 est consacré quasi exclusivement à l’aide médicale d’État, à hauteur de 815 millions d’euros, 8 millions allant au fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante – je ne crois pas à un problème de vases communicants, comme l’a dit mon collègue Carvalho.

Je note que nos débats en commission ont été argumentés, évitant au mieux la caricature et la démagogie et faisant apparaître sans surprise une divergence totalement assumée. L’augmentation de 10 % des crédits de la mission s’explique par l’augmentation du nombre de bénéficiaires – plus de 316 000 fin 2015 –, avec un montant annuel de soins consommés extrêmement stable – 2 823 euros en 2014 contre 2 846 euros en 2007.

Mes chers collègues, nous devons avoir le souci de ne pas agiter les peurs, d’en rester aux principes éthiques et humanitaires qui ont fondé l’AME.

M. Dominique Tian. Ce ne sont pas les bons chiffres !

M. Gérard Sebaoun. J’entends, monsieur Tian, mais vous allez me laisser finir.

Gardons le cap de la santé publique et du pragmatisme médico-économique dans un cadre juridique contraignant, mais qui ne nous oblige pas. Madame la ministre, notre groupe est favorable à la poursuite de ce programme et votera les crédits de la mission « Santé » pour 2017. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Mme la présidente. La parole est à M. Gilles Lurton, pour le groupe Les Républicains.

M. Gilles Lurton. Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame et monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, la mission « Santé » dont les crédits sont retracés dans deux programmes, le programme 183, « Protection maladie » et le programme 204, « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins », est doté d’un budget d’un peu plus de 1,256 milliard d’euros.

Je souhaite souligner d’emblée que ces deux programmes sont loin de représenter l’effort financier global en faveur des politiques de santé publique dans la mesure où la mise en œuvre de la mission relève de multiples partenaires institutionnels qui bénéficient de financements croisés en provenance de l’État et de l’assurance maladie.

Cependant le budget qui nous a été présenté en commission élargie lundi sept novembre continue de nous inquiéter fortement. Il prévoit en effet un certain nombre de dépenses qui ne nous apparaissent pas financées et les débats que nous avons eus en commission ainsi que les réponses de Mme Neuville, qui représentait le Gouvernement, sont loin de nous rassurer.

Ces inquiétudes portent d’abord sur le programme 204. Alors que la loi de finances initiale pour 2016 prévoyait pour ce programme 496 millions d’euros au titre des autorisations d’engagement, les crédits de ce programme ne s’élèvent plus qu’à 431 millions d’euros. Vous nous avez répondu qu’à périmètre constant ce programme n’évolue quasiment pas entre 2016 et 2017 et que les crédits ne décroissent que de six millions d’euros, soit une diminution de 1,3 %.

Vous justifiez cette diminution par une rationalisation de la dépense au niveau des agences régionales de santé. Je veux bien mais il ne faudrait pas que ce soit les politiques de santé à l’échelle des territoires qui pâtissent une fois encore de ces restrictions. Le récent mouvement des infirmières et infirmiers et des personnels soignants montre à quel point ces catégories professionnelles manquent de moyens et souffrent dans leur travail d’horaires intenables et d’une absence flagrante de reconnaissance de la part des pouvoirs publics.

Nos inquiétudes portent aussi sur la pérennité des financements de l’Agence nationale de santé publique. Nous avions tous approuvé sa création, mais il était expressément prévu que Santé publique France devait être financée à la fois par l’assurance maladie et l’État. Or, à peine trois semaines après l’adoption à l’unanimité de l’ordonnance portant création de l’agence, nous apprenons que l’État sera désormais son seul financeur. Les moyens de l’agence diminuent alors même que des investissements sont nécessaires pour assurer le regroupement des trois organismes qui la composent et mettre en place une politique axée sur la prévention. Envisagez-vous de reporter les dépenses sur vos successeurs dans ce domaine également ?

Inquiétudes encore sur le niveau du reste à charge des cotisants. Là aussi Mme Neuville s’est étonnée de ma question ! Vous vous réjouissez régulièrement de la hausse de la part des dépenses prises en charge par l’assurance maladie obligatoire, mais nous savons tous qu’il s’agit de la moyenne de l’ensemble des dépenses prises en charge par l’assurance maladie obligatoire, y compris les patients souffrant d’affections de longue durée, qui sont prises en charge à 100 %. Vous savez que leur nombre ne cesse d’augmenter et vous savez aussi qu’ils impactent fortement cette moyenne. En tout cas, si vous l’ignoriez, je peux vous assurer que nos concitoyens, eux, le savent parfaitement.

Ce n’est pas ce système que je veux dénoncer, madame la ministre. Je sais qu’il est indispensable de demander aux Françaises et aux Français des efforts pour assurer le redressement de nos comptes sociaux. Je sais aussi combien les personnes les plus fragiles ont besoin que nous leur consacrions plus d’efforts et que nous faisions preuve à leur égard de plus d’attention et de solidarité. Ce que je dénonce c’est un système social très protecteur pour les uns et beaucoup moins pour les autres, au point que certains ne peuvent plus se faire soigner.

Nos inquiétudes portent enfin sur l’aide médicale d’État dont nous savons très bien que les dépenses explosent.

Oui, la France est une terre d’accueil et elle doit le rester. Je suis fier qu’elle puisse s’ouvrir à tous ceux qui sont persécutés sur leur terre d’origine, à ceux qui sont privés de ces droits essentiels que sont les droits de l’homme et qui doivent se déraciner. Dans ma circonscription, à Cancale, un centre d’accueil et d’orientation a ouvert pour accueillir des migrants de Calais. Je suis fier de la générosité des populations, des associations qui, avec un dévouement sans limite, apportent à ces personnes un réconfort et une protection à la hauteur du respect que nous leur devons.

Mais quand nous vous alertons sur l’explosion des dépenses de l’aide médicale d’État, c’est à toutes les personnes en situation irrégulière qui n’ont pas vocation à rester en France que nous pensons. Nous ne visons évidemment pas les urgences vitales auxquelles tout système de soin doit pouvoir faire face immédiatement. Non, madame la ministre, nous ne voulons pas « laisser crever » des personnes aux portes des hôpitaux sous prétexte qu’elles ne rempliraient pas les conditions pour se faire soigner, comme j’ai pu l’entendre dire en commission lundi soir.

Ce dont nous en parlons, c’est évidemment de la « gratuité » pour tous de tous les soins, des soins dentaires par exemple que bon nombre de nos concitoyens ne peuvent plus s’offrir. D’où le profond sentiment d’injustice que ressentent ceux dont les revenus sont trop élevés pour leur permettre de bénéficier des aides sociales mais pas assez pour leur permettre de s’offrir une couverture suffisamment protectrice.

Je ne sais pas si le droit de timbre dont nous proposerons la création par voie d’amendement est la bonne solution ; je suis même prêt à entendre les arguments qui plaident en faveur du contraire. Mais contrairement à ce qui m’a été opposé, la comparaison avec la CMU complémentaire ne tient pas puisque ce dispositif s’applique uniquement à nos concitoyens en situation régulière qui ont vocation à rester sur notre territoire.

Ce que je sais en revanche, c’est que ce système est devenu insoutenable et injustifiable au regard de la solidarité nationale. Si nous n’y prenons garde, il risque de faire monter encore davantage les forces extrêmes qui se développent sur le terreau de ce désarroi.

C’est contre cela que j’ai voulu vous mettre en garde mais vous ne l’entendez pas. Si vous refusez de m’écouter, écoutez pour une fois la Cour des comptes…

M. Dominique Tian. Voilà ! Très bien !

M. Gilles Lurton. …quand elle vous dit que « l’exécution du programme 183 reste caractérisée, comme les exercices précédents, par la dérive des dépenses d’AME de droit commun […] et est marquée par un défaut de qualité et de sincérité ». (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Francis Vercamer, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Francis Vercamer. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, en articulation et, je l’espère, en cohérence avec les orientations du projet de loi de financement de la Sécurité sociale, les crédits de la mission « Santé » opèrent logiquement la traduction budgétaire des orientations de la loi de modernisation de notre système de santé. Sur ces deux textes, le groupe UDI a manifesté, en dépit de propositions régulières, son désaccord avec le Gouvernement sur le choix des grands axes retenus pour notre système de santé. Il est donc tout à fait logique que nous considérions avec perplexité les crédits de la mission « Santé » pour 2017.

En l’occurrence, nos remarques s’inscrivent dans la droite ligne des réserves que nous avions exprimées les années précédentes. Si d’un côté les crédits alloués à l’aide médicale de l’État augmentent, de l’autre côté les opérateurs de la santé publique prennent toute leur part à l’effort de redressement des comptes publics. En effet, depuis 2012, les crédits destinés à la prévention, à la sécurité sanitaire et à l’offre de soins sont soumis à une contrainte budgétaire persistante.

In fine, la stagnation des crédits de l’ensemble de la mission masque les évolutions contraires des deux programmes. Les crédits du programme 204 baissent ainsi de 13 % en autorisations d’engagement et en crédits de paiement, tandis que les crédits du programme 183 croissent de près de 10 % en AE et en CP.

S’agissant du programme 183 « Protection maladie », il n’est évidemment pas question pour notre groupe d’envisager la suppression de l’aide médicale d’État. Cette aide trouve sa justification dans des valeurs qui relèvent à la fois de l’éthique, de l’humanisme et de la solidarité.

Le groupe UDI se préoccupe néanmoins de la sous-budgétisation chronique de ce programme. Le montant des crédits consommés par ce programme est depuis 2013 bien supérieur à celui des crédits ouverts initialement. Ainsi, en 2015, le montant des crédits effectivement consommés au titre de l’AME dépassait de 13 % le montant des crédits votés. Certes cette augmentation s’explique exclusivement par la hausse du nombre de bénéficiaires, qui est difficile à estimer. Reste que ce défaut de sincérité met à mal toute la construction budgétaire de ce programme.

Pour le groupe UDI, il est impératif de contenir davantage l’augmentation de ces crédits au travers de la définition d’un plan de santé publique d’ensemble, cohérent et efficace qui s’accompagne d’un plan d’accueil global des populations concernées.

En ce qui concerne le programme 204, « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins », les députés du groupe UDI se réjouissent des initiatives visant à rationaliser le paysage des agences de santé. Toutefois, l’exigence de maîtrise de la dépense publique ne doit pas porter atteinte à terme à l’efficacité des politiques de prévention et de santé publique.

La mise en place de l’Agence nationale de santé publique, issue de la fusion de trois opérateurs de la mission – l’Institut de veille sanitaire, l’InVS, l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé, l’INPES, et l’Etablissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires, l’EPRUS – est une initiative louable qui trouve sa cohérence dans le caractère complémentaire des objectifs de ces agences. À terme, la fusion des trois agences devrait permettre de réaliser des économies de fonctionnement, grâce à la mutualisation de certains moyens et le développement de synergies.

Au-delà du rassemblement des effectifs sur un site unique, le groupe UDI ne peut que souhaiter que Santé publique France dispose des moyens suffisants pour assurer le programme ambitieux qui est le sien.

Or nous notons que pour l’année 2017, le Gouvernement prévoit une diminution des crédits de près de 7 % alors que ces dernières années, du fait de la baisse substantielle des moyens de ces trois agences, les budgets de l’INPES et de l’InVS ont été déficitaires. C’est pourquoi nous craignons que la réduction des subventions et des effectifs à marche forcée ne porte atteinte aux missions tout à fait essentielles de l’ANSP, notamment en matière d’urgence sanitaire.

Mes chers collègues, alors que la loi de santé a été présentée comme la grande loi du quinquennat en matière d’organisation de l’offre de soins sur le territoire, nous constatons que ce texte ne répond en rien aux grands enjeux de l’accès aux soins. La modernisation de l’offre de soins, son organisation territoriale autour de professionnels reconnus dans leur diversité, la lutte contre la désertification médicale restent des défis à relever.

À l’image de cette loi, les PLFSS successifs et ce projet de budget manquent cruellement de perspectives et c’est pourquoi le groupe UDI ne votera pas les crédits de cette mission.

M. Dominique Tian. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Orliac, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

Mme Dominique Orliac. Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame et monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, la mission « Santé » regroupe deux programmes : le programme 204, « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins », et le programme 183, « Protection maladie », principalement consacré à l’aide médicale d’État. L’examen des crédits de cette mission intervient alors que le PLFSS pour 2017 est actuellement en navette entre le Sénat et notre Assemblée.

Si l’essentiel des actions menées en matière de santé publique est financé par les organismes de Sécurité sociale et relève de ce fait des lois de financement de la Sécurité sociale, la mission « Santé » compte dans son périmètre des politiques aussi importantes que la prévention, la réduction des inégalités territoriales et sociales de santé ou encore l’accès à la santé et à l’éducation.

En dépit d’un contexte budgétaire que nous savons contraint, 1,256 milliard de crédits sont alloués à cette mission, qui se répartissent en 433 millions destinés au pilotage de la politique de santé publique et à la prévention, à savoir le programme 204, et 823 millions à l’aide médicale d’État et au fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante, le FIVA, regroupés dans le programme 183.

Alors que nous avons pu, à diverses reprises, saluer la volonté d’améliorer l’efficience des différentes agences de santé au travers d’une démarche de simplification qui avait été annoncée par le Président de la République, nous constatons avec satisfaction que l’Agence nationale de santé publique, l’ANSP, dénommée « Santé Publique France », bénéficiera désormais de 151 millions d’euros sans réduction d’effectifs après la fusion et la stabilité des crédits pour les autres opérateurs, comme l’a rappelé notre collègue Gérard Sebaoun en commission élargie.

Toutefois notre groupe souhaite que le budget global de Santé Publique France, qui regroupe désormais l’INPES, l’EPRUS et l’InVS, reste à l’avenir équivalent aux trois anciens budgets des trois agences fusionnées afin que l’ANSP puisse continuer ses travaux en toute quiétude.

En outre, l’augmentation de certains crédits, comme ceux destinés à l’aide médicale d’État, doit être saluée.

J’aimerais également revenir sur l’action 14 du programme 204 intitulée « Prévention des maladies chroniques et qualité de vie des malades » en relation avec l’accompagnement des malades atteints d’une maladie neurodégénérative telles que la sclérose en plaque ou la maladie d’Alzheimer ou encore la prévention des addictions et la santé mentale. Nous sommes sensibles à l’argument d’une meilleure prise en charge des malades et de leurs familles. Plus de 3,8 millions d’euros viennent renforcer le budget de cette action.

Notre groupe est satisfait de l’extension du Plan national « Maladies rares » pour les années à venir. Je rappelle que le deuxième plan est arrivé à terme au mois de décembre 2014 et que le Gouvernement avait annoncé qu’il prolongeait son financement pour une durée de deux ans, le temps de dresser un bilan avant le lancement d’un troisième plan « Maladies rares ». Pour notre groupe, il est très important que l’État s’engage financièrement dans une amélioration notable de la prise en charge concrète des patients, le développement de la recherche et l’amplification des coopérations européennes et internationales. À ce titre, nous regrettons la perte d’environ 250 000 euros au détriment de la prise en charge des patients souffrant de pathologies chroniques de façon générale et de maladies rares de façon plus spécifique.

En effet, alors que le budget de la mission « Santé » comportait 1,4 million d’euros pour ces pathologies dans le projet de loi de finances pour 2016, ce ne sont plus que 1,15 million d’euros qui sont budgétés en autorisations d’engagement et en crédits de paiement. Si nous soutenons la volonté du Gouvernement de venir en aide, notamment, aux acteurs de la plateforme Maladies rares et à Orphanet pour la diffusion d’informations relatives à ces maladies, dans l’attente des nouvelles orientations du troisième plan à venir, nous espérons qu’à l’avenir, un budget plus conséquent puisse être attribué aux maladies rares.

Concernant les mesures fiscales et budgétaires non rattachées, je profite de cette intervention pour saluer l’adoption en commission de l’amendement relatif au crédit d’impôt de taxe sur les salaires pour les organismes privés non lucratifs ne pouvant pas bénéficier du CICE. Néanmoins, le groupe RRDP regrette que certains organismes mutualistes sanitaires, sociaux et médico-sociaux relevant du livre III en soient exclus. C’est la raison pour laquelle notre groupe prévoit d’ores et déjà de sous-amender cette disposition lors de sa future discussion.

J’aurais voulu aborder d’autres problématiques mais le temps m’est compté. Voilà les remarques que je souhaitais formuler, madame la ministre, concernant cette mission « Santé ». Le groupe RRDP soutiendra ces crédits.

Mme la présidente. Nous avons entendu les orateurs des groupes.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

5

Ordre du jour de la prochaine séance

Mme la présidente. Prochaine séance, à vingt et une heures trente :

Suite de la discussion de la seconde partie du projet de loi de finances pour 2017 : suite de l’examen des crédits de la mission « Santé » ; examen des crédits de la mission « Action extérieure de l’État ».

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures.)

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly