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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2016-2017

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du mardi 29 novembre 2016

SOMMAIRE

Présidence de M. Claude Bartolone

1. Questions au Gouvernement

Relations entre le Président de la République et le Premier ministre

M. Christian Jacob

M. Manuel Valls, Premier ministre

2. Souhaits de bienvenue aux médaillés olympiques de l’équipe de France d’équitation

3. Questions au Gouvernement (suite)

Lutte contre le chômage

M. Michel Françaix

Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

Relations entre le Président de la République et le Premier ministre

M. Philippe Vigier

M. Manuel Valls, Premier ministre

Politique de soutien à la fonction publique

Mme Colette Langlade

Mme Annick Girardin, ministre de la fonction publique

Politique économique et sociale du Gouvernement

M. Éric Woerth

M. Michel Sapin, ministre de l’économie et des finances

Bilan de la politique environnementale

M. Christophe Bouillon

Mme Ségolène Royal, ministre de l’environnement, de l’énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat

Politique de l’emploi

M. Gérard Cherpion

Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

Carte de séjour pluriannuelle

Mme Chaynesse Khirouni

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Soutien à l’agriculture et à la ruralité

M. Guillaume Chevrollier

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement

Accès à internet et au réseau mobile dans les territoires ruraux

Mme Dominique Orliac

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État chargée du numérique et de l’innovation

Compte pénibilité

M. Guénhaël Huet

Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

Ancrage territorial de l’alimentation

M. Hervé Pellois

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement

Carte de l’éducation prioritaire pour les lycées

Mme Marie-George Buffet

M. Thierry Mandon, secrétaire d’État chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche

Avenir de la maternité d’Apt

M. Julien Aubert

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d’État chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion

Service "Bloctel"

Mme Jacqueline Maquet

Mme Martine Pinville, secrétaire d’État chargée du commerce, de l’artisanat, de la consommation et de l’économie sociale et solidaire

Suspension et reprise de la séance

Présidence de M. Marc Le Fur

4. Sociétés mères et entreprises donneuses d’ordre

Présentation

M. Michel Sapin, ministre de l’économie et des finances

M. Dominique Potier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Discussion générale

M. Jean-Noël Carpentier

M. André Chassaigne

Mme Anne-Yvonne Le Dain

M. Dominique Tian

M. Michel Piron

M. Serge Bardy

M. Jean-Marie Tétart

M. Jacques Bompard

M. Dominique Raimbourg

Mme Annick Le Loch

M. Lionel Tardy

M. Dominique Potier, rapporteur

Discussion des articles

Article 1er

M. Philippe Noguès

Mme Danielle Auroi

Mme Chaynesse Khirouni

Amendements nos 4 , 17 , 22 , 11 , 1 , 24 , 35 , 38 , 39 , 16 , 33 , 30 , 2 , 15 , 25 , 18 , 3 , 26 , 31 , 14

Article 2

Amendements nos 5 , 20 , 27 , 29

Article 3

Amendements nos 6 , 21

Article 4

Amendements nos 7 , 36

Vote sur l’ensemble

5. Victimes de la répression de la Commune de Paris

Discussion générale

M. Patrick Bloche

M. Michel Piron

M. Yannick Moreau

M. Jean-Pierre Maggi

M. Jean-Jacques Candelier

M. Yves Durand

M. Gilbert Collard

Mme George Pau-Langevin

Mme Sandrine Doucet

M. Hervé Féron

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement

Vote sur la proposition de résolution

6. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Claude Bartolone

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Questions au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Relations entre le Président de la République et le Premier ministre

M. le président. La parole est à M. Christian Jacob, pour le groupe Les Républicains.

M. Christian Jacob. Monsieur le Premier ministre, depuis le premier jour de cette législature, notre groupe parlementaire n’a cessé de combattre la politique de François Hollande et de ses gouvernements.

Vous avez conduit la France dans une impasse. Votre bilan est calamiteux. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.) Comme l’immense majorité des Français, nous pensons que cette longue parenthèse socialiste n’a que trop duré. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur quelques bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants. – Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Dimanche dernier, des millions de Français qui aspirent à l’alternance ont fait un choix clair, net et puissant : ils ont donné à François Fillon une légitimité incontestable (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains), une légitimité incontestable pour porter nos couleurs, nos valeurs et un vrai projet de rupture pour la France.

Monsieur le Premier ministre, les Français attendent cette rupture car ils ne supportent plus le spectacle affligeant que vous-même et le Président de la République donnez, à la tête de l’exécutif. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Les Républicains.)

Nous ne voulons pas que le gouvernement de la France continue d’être la risée du monde entier pendant les six mois qui nous séparent de l’élection présidentielle. Personne n’imagine en effet qu’un Premier ministre nommé par le Président de la République ne lui soit pas loyal jusqu’aux dernières minutes de son quinquennat.

MM. Yves Albarello, Jean-Pierre Door et Georges Ginesta. Très bien !

M. Christian Jacob. Dans ces conditions, et compte tenu de vos déclarations sidérantes du week-end, allez-vous déclarer votre candidature à l’élection présidentielle, en ayant, une fois n’est pas coutume, le courage d’assumer clairement vos ambitions ? Le courage, monsieur le Premier ministre, ce n’est pas le verbe mais le courage de faire. Et, si vous prenez cette décision, vous engagez-vous, dans l’intérêt supérieur de nos institutions, à démissionner immédiatement ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre. (« Ah ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Ne soyez pas impatients ! Écoutez la réponse !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le député, il y a trois semaines à peine, auriez-vous un instant imaginé que vous appelleriez à voter François Fillon, contre Alain Juppé, au deuxième tour de la primaire ? (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain. – Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Jérôme Chartier. La réponse est oui !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Auriez-vous imaginé un seul instant ce scénario ? Voilà qui devrait vous amener à nuancer sinon vos questions, du moins vos pronostics…

M. Christian Jacob. Ce n’est pas mal non plus de répondre aux questions ! Ce n’est pas idiot !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Dans votre question, je relève en tout cas un mot qui ne va pas : il n’y a pas eu de « parenthèse » socialiste – l’un de vos collègues a déjà émis la même idée en parlant d’« effraction » – mais un vote souverain des Français, qui, en 2012, ont élu le Président de la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et sur quelques bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

Respecter la démocratie, c’est cela, et c’est surtout ne pas confondre – vous le savez parfaitement – une primaire avec l’élection présidentielle. Celle-ci aura lieu dans six mois. Laissez d’abord, laissons d’abord les Français choisir ! Vous le savez, ceux qui font des pronostics dans ce domaine peuvent se tromper…

Au-delà de votre zèle de nouveau converti, qui a tant de péchés à se faire pardonner (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain), je vous réponds parce que je suis là, comme je l’ai toujours été depuis que je suis Premier ministre, et parce qu’il n’y a pas de crise institutionnelle.

M. Christian Jacob. Le Journal du dimanche a dû se tromper !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Je suis là, d’une part, pour défendre, assumer l’action gouvernementale qui est la nôtre, et désormais, d’autre part, pour critiquer et combattre, en les regardant de très près – c’est normal, c’est le jeu de la démocratie, après une primaire réussie, je tiens à le souligner –, les arguments utilisés entre les deux tours et le projet que François Fillon dit vouloir pleinement appliquer.

Je pense à la suppression de 500 000 fonctionnaires, qui, selon Alain Juppé, n’est ni possible ni crédible.

M. Christian Jacob. Êtes-vous candidat ?

M. Manuel Valls, Premier ministre. Je pense à la privatisation de la Sécurité sociale. (Vives exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Guy Teissier. Le programme, nous le connaissons ! Répondez à la question !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Je pense au déremboursement des médicaments. Autant de mesures qui concerneront les plus modestes de notre société. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. S’il vous plaît, mes chers collègues, écoutez la réponse !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Il n’y a pas de crise institutionnelle parce que, de toute façon, ma conception des institutions, c’est l’engagement et la loyauté. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Il n’y a pas de crise institutionnelle, monsieur Jacob, parce que je suis là pour critiquer le projet de François Fillon,…

Un député du groupe Les Républicains. Et la réponse ?

M. Manuel Valls, Premier ministre. …parce que je suis là aussi, avec tous les membres de la majorité, pour défendre un projet pour la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et sur plusieurs bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

2

Souhaits de bienvenue aux médaillés olympiques de l’équipe de France d’équitation

M. le président. Je salue en votre nom à tous la présence, dans les tribunes, des médaillés olympiques de l’équipe de France d’équitation – qui ont su sauter tous les obstacles –, et, à travers eux, les quarante-deux médaillés français des Jeux olympiques de Rio de Janeiro, ainsi que les vingt-huit médaillés des Jeux paralympiques. (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent et applaudissent.)

3

Questions au Gouvernement (suite)

Lutte contre le chômage

M. le président. La parole est à M. Michel Françaix, pour le groupe socialiste, écologiste et républicain.

M. Michel Françaix. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre. Elle est sans doute moins grandiloquente que la précédente, mais elle est peut-être plus utile pour les Français.

Jeudi dernier, les chiffres du chômage du mois d’octobre ont été communiqués. Depuis le début de l’année, plus de 100 000 personnes, dont 43 000 jeunes, ont retrouvé un emploi. Nous pouvons, nous tous ici présents, nous en féliciter. Il ne s’agit pas, évidemment, de se gargariser. Il faut simplement dire que les dispositifs mis en place portent leurs fruits.

M. Marc-Philippe Daubresse. Ce n’est pas vrai !

M. Michel Françaix. Ce n’est pas un hasard ! Cette avancée sur le front de l’emploi, nous la devons aux entrepreneurs, aux employeurs, aux personnes qui cherchent désespérément un emploi, mais nous la devons aussi aux dispositifs que vous avez mis en place depuis 2012. Nous avons lancé un plan de 500 000 formations prioritaires, pour que les demandeurs d’emploi puissent se former à des métiers recherchés dans leur région. Nous avons mis en place la Garantie jeunes, pour ceux qui se sont déscolarisés, ainsi que les emplois d’avenir, pour accompagner les jeunes vers l’autonomie. Le budget pour le travail et l’emploi a atteint un niveau inédit pour renforcer l’accès à la formation, pour aider à l’insertion des jeunes et pour soutenir le développement des TPE.

Au moment où la gauche française se pose une nouvelle fois la question du pouvoir, au terme d’un quinquennat marqué, parfois, par un réalisme décevant pour de nombreux Français, choisissons, même si ce n’est pas très populaire, les avancées rugueuses et frustrantes de ce gouvernement, plutôt que le confort moral d’un magnifique projet qui restera dans les cartons d’une opposition de gauche flamboyante mais toujours vaine. Avançons pas à pas. Refusons les mesures brutales et inefficaces de M. Fillon pour lutter contre le chômage. Ne laissons pas, demain, la droite extrême du Front national, au pouvoir, agir à sa guise.

Monsieur le Premier ministre, persévérons ! Ces dispositifs, lentement, trop lentement sans doute – je ne l’ignore pas – commencent à porter leurs fruits. Je vous encourage à poursuivre l’effort. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. Bruno Le Roux. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme la ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

Un député du groupe Les Républicains. Et du chômage !

Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Monsieur le député, le nombre de demandeurs d’emploi a en effet diminué de près de 0,3 %, ce qui représente une baisse de 11 700 personnes en catégorie A. Il y a deux éléments particulièrement importants à relever : c’est une baisse continue et durable depuis le début de l’année, et elle profite majoritairement aux jeunes. Une baisse continue et durable, car elle porte à 101 000 le nombre de demandeurs d’emploi en moins, en catégorie A, depuis le début de l’année, soit, en moyenne, 10 000 demandeurs d’emploi en moins chaque mois. C’est la plus forte baisse annuelle observée depuis mai 2008. Par ailleurs, elle profite majoritairement aux jeunes, vous l’avez dit : c’est la plus forte baisse annuelle depuis décembre 2007.

Notre économie recrée de l’emploi. Voilà le vrai motif de satisfaction. La reprise des créations d’emplois, et surtout de l’emploi salarié marchand, augmente pour le sixième trimestre consécutif, pour atteindre aujourd’hui 210 000 créations nettes. Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi – CICE –, pacte de responsabilité, aide embauche PME, Garantie jeunes : je le dis ici, le recul du chômage ne vient pas de nulle part, mais des mesures décidées ensemble depuis 2012. En parallèle, le plan « 500 000 actions de formation », mis en place à la fois avec les régions et les partenaires sociaux, permet d’accélérer le retour à l’emploi en permettant de mettre en œuvre de nouvelles opportunités professionnelles. Les entrées en formation sont particulièrement dynamiques, à l’exception de la catégorie D, qui stagne, car elle connaît autant d’entrées que de sorties.

Depuis un an, la baisse du chômage est nette et incontestable. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

Mme Marie-Louise Fort. Grâce aux faux stages !

Mme Myriam El Khomri, ministre. On dénombre 118 000 chômeurs de moins d’après l’INSEE, 100 000 selon Pôle emploi. Nous mettons fin à une hausse continue depuis plus de huit ans. Je reprends à mon compte votre expression : il ne faut bien évidemment pas « se gargariser » ; on peut simplement se réjouir pour les femmes et les hommes qui retrouvent un emploi et, par là même, la dignité. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Relations entre le Président de la République et le Premier ministre

M. le président. La parole est à M. Philippe Vigier, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Philippe Vigier. Monsieur le Premier ministre, depuis quatre ans et l’élection de François Hollande, la gauche est enlisée dans une interminable primaire socialiste. Après quatre années de mensonges, d’échecs et de renoncements, les Françaises et les Français veulent savoir qui les gouverne…

Un député du groupe Les Républicains. Personne !

M. Philippe Vigier. …et quelle politique est conduite. Après quatre années d’impuissance, d’immobilisme, la question du leadership et de la ligne politique n’a toujours pas été tranchée.

Emmanuel Macron, qui a défini et mis en œuvre la politique économique de François Hollande, s’oppose désormais à lui. Arnaud Montebourg et Benoît Hamon, qui ont défini la politique industrielle et la politique éducative, veulent l’affronter dans une primaire. Dimanche, monsieur le Premier ministre, vous avez vous-même défié le Président de la République, transformant la crise de la gauche en une crise de régime.

Monsieur le Premier ministre, vous le savez, alors que nous faisons face à une menace terroriste d’une ampleur inédite, alors que la France compte plus d’un million de chômeuses et de chômeurs supplémentaires par rapport à 2012, notre pays ne peut pas être l’otage d’une guerre ouverte entre le Président de la République et le Premier ministre.

M. Christian Jacob. Très bien !

M. Philippe Vigier. De fait, cette crise réduit à néant l’autorité de l’État et la capacité de l’exécutif à décider, à agir et à réussir, au service de la France. Cette situation, monsieur le Premier ministre, est intenable et inacceptable.

Ma question est simple : jusqu’où ira-t-on dans l’incapacité de l’exécutif à gouverner la France ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le président Vigier, si la situation était telle que vous la décrivez, vous auriez raison. Le problème est que votre présentation ne correspond pas à la réalité. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et du groupe Les Républicains.)

Un député du groupe Les Républicains. Tout va bien !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Vous avez raison, nous faisons face, tous ensemble, à une menace particulièrement lourde : celle du terrorisme.

Un député du groupe Les Républicains. Il a bon dos, le terrorisme !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Des arrestations ont lieu ; il y a quelques jours, ont été démantelées des cellules terroristes qui avaient prévu de frapper, sans doute cette semaine, avec la volonté de tuer, de causer des dégâts humains aussi considérables que ceux que nous avons connus il y a un an, le 13 novembre 2015. C’est cela qui, évidemment, nous mobilise les uns et les autres. Personne, ici, ne peut penser sérieusement – ce n’est d’ailleurs pas ce que vous dites – que, face à cette menace, l’autorité de l’État ne s’exprime pas, ou que l’engagement de nos forces de sécurité,…

M. Christian Jacob. Les policiers ont fait leur travail ! Ce n’est pas cela, la question !

M. Manuel Valls, Premier ministre. …de nos services de renseignement, de nos militaires, n’est pas total. Je reviens tout juste de Tunisie : la coopération dans le domaine de la lutte contre le terrorisme, pour ne prendre que cet exemple, est totale, avec ce pays comme avec bien d’autres.

Notre politique économique a été définie, je vous le rappelle, dès le début du quinquennat, et encore plus précisément en janvier 2014.

M. Christian Jacob. C’est du baratin, vous ne répondez pas à la question !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Le pacte de responsabilité a d’ailleurs donné lieu, vous le savez,…

M. Yves Nicolin. La question !

M. le président. Monsieur Nicolin, s’il vous plaît !

M. Manuel Valls, Premier ministre. …à des débats au sein de la majorité. Cette politique menée pour accroître la compétitivité donne, telle est notre conviction, des résultats – la ministre du travail vient de l’illustrer –, même s’ils sont encore trop modestes au regard du nombre de chômeurs.

Par ailleurs, il n’y a pas de crise institutionnelle ; il n’y a pas de crise de régime. Le rapport entre le Président de la République et le Premier ministre est un rapport à la fois de respect, de confiance, de franchise (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Yves Nicolin. De force !

M. Manuel Valls, Premier ministre. …comme cela existe à chaque fois. J’ai d’ailleurs lu tout ce que François Fillon avait pu dire sur ce sujet, et on peut s’y retrouver : oui, il y a forcément un rapport de respect, de confiance, de loyauté et de franchise.

M. Franck Gilard. Il a oublié l’affection !

M. Manuel Valls, Premier ministre. C’est ainsi, me semble-t-il, que les rapports politiques, dans un pays démocratique, dans un pays mûr, avec des responsables qui sont à la hauteur de la situation, doivent se faire.

Enfin, monsieur Vigier, j’entends bien que vous posiez des questions – c’est votre rôle. Pour ma part, d’une certaine manière, j’aurais aussi des questions à vous poser ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et du groupe Les Républicains.)

M. Christian Jacob. C’est l’inverse !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Vous auriez peut-être, vous-même, des questions à poser au candidat qui l’a emporté, eu égard au candidat que vous avez soutenu, sur sa conception de la société, du modèle social, de la Sécurité sociale, du soutien à ceux qui sont le plus en difficulté. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Ce débat, nous l’aurons, sereinement, projet contre projet, sans jamais oublier la menace que représente le Front national. Sur ce sujet comme sur d’autres, moi et d’autres sommes prêts à mener la discussion…

M. Laurent Furst. Et avec qui ?

M. Manuel Valls, Premier ministre. …parce que nous pensons que la gauche représente toujours ce qu’il faut pour le pays, c’est-à-dire non seulement un État ferme et républicain, mais aussi une République bienveillante et solidaire.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Très bien !

M. Manuel Valls, Premier ministre. C’est ce qui nous sépare ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Politique de soutien à la fonction publique

M. le président. La parole est à Mme Colette Langlade, pour le groupe socialiste, écologiste et républicain.

Mme Colette Langlade. Madame la ministre de la fonction publique, la fonction publique a trop longtemps été considérée comme un coût, une charge. Elle est pourtant une richesse pour la France. La révision générale des politiques publiques – RGPP – mise en œuvre par la droite a jeté l’opprobre sur les fonctionnaires, tenus pour les principaux responsables des déficits publics. Les gouvernements précédents ont supprimé plus de 150 000 postes de professeurs, de policiers, de militaires, suivant la logique aveugle de non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux. Ce fut brutal, ce fut injuste. Surtout, cela a affaibli notre pays.

Et pourtant, ils veulent continuer. La droite prévoit la suppression du statut du fonctionnaire, pour le remplacer par des contrats de cinq ans, précarisant tous les métiers. Elle veut revenir sur le rétablissement du jour de carence, allonger le temps de travail sans hausse de rémunération, supprimer 500 000 postes. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mais quels postes de fonctionnaires vont être supprimés ? Parmi nos policiers, nos pompiers, nos enseignants, nos aides-soignants ?

Un député du groupe Les Républicains. Ridicule !

Mme Colette Langlade. Dans un département rural comme la Dordogne, ce sont les fonctionnaires qui assurent la continuité du service public pour chaque habitant.

Madame la ministre, durant ce quinquennat, nous nous sommes attelés à revaloriser la fonction publique, conçue comme l’outil indispensable au développement des services publics, afin de répondre aux besoins de nos concitoyens.

Un député du groupe Les Républicains. Démagogie !

Mme Colette Langlade. C’est le devoir de l’État envers chaque Français. Nous avons recréé des postes dans l’éducation nationale, dans la police, dans l’armée, dans les douanes, non pas pour faire du chiffre,…

M. Laurent Furst. Pour faire des dettes !

Mme Colette Langlade. …mais bien parce que la France en a besoin.

Madame la ministre, quel bilan peut être dressé de notre action ? Pourquoi est-il essentiel de la perpétuer ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de la fonction publique.

Mme Annick Girardin, ministre de la fonction publique. Madame la députée, je me félicite de votre question parce que, à droite et à gauche, nous n’avons pas la même conception des choses. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. Mes chers collègues, s’il vous plaît !

Mme Annick Girardin, ministre. La droite, derrière son candidat à la présidentielle, n’a pas la même vision que la nôtre de la future société française.

En effet, tandis que nous rétablissons des postes dans l’éducation, dans la police, dans la justice,…

M. Daniel Fasquelle. Pour quels résultats ?

Mme Annick Girardin, ministre. …la droite nous annonce 500 000 suppressions de postes. Quand nous mettons fin au gel du point d’indice, le candidat de la droite propose de passer à 39 heures payées 35 ou 37 heures. Quand nous revalorisons les carrières dans le cadre du protocole PPCR – parcours professionnels, carrières et rémunérations –,…

M. Yves Censi. À la veille des élections !

Mme Annick Girardin, ministre. …on nous annonce la fin éventuelle du statut. Alors que les Français sont en demande de solidarité…

M. Patrice Verchère. Les ministres qui commentent, on en a assez ! Au boulot, les ministres !

Mme Annick Girardin, ministre. …de sécurité et de service public sur nos territoires, les plus isolés comme en outre-mer, et tous les autres – allez donc sur le terrain ! –, la droite avance des propositions à contre-courant, dangereuses pour la France, dangereuses pour les Français.

Un député du groupe Les Républicains. Pathétique !

Mme Annick Girardin, ministre. La logique strictement comptable de la droite n’est pas la nôtre, et j’en suis fière. Notre modèle social n’est pas qu’un coût, vous l’avez dit, madame Langlade. La suppression de 500 000 fonctionnaires aura un impact sur les plus fragiles des Français. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Quels postes seront supprimés ? Dans la fonction publique territoriale ? Dans la fonction publique hospitalière ? Non, ce n’est pas notre vision des choses. Je n’ai pas la fonction publique honteuse. Au contraire, je suis fière de ces femmes, de ces hommes engagés sur le territoire (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste), de ceux qui travaillent plus en fin de semaine ou la nuit ; oui, nous devons être fiers d’eux.



Je voudrais dire enfin que la fonction publique, c’est le patrimoine de ceux qui n’en ont pas. (Applaudissements plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

Politique économique et sociale du Gouvernement

M. le président. La parole est à M. Éric Woerth, pour le groupe Les Républicains.

M. Éric Woerth. Monsieur le Premier ministre, le porte-parole du Gouvernement, M. Le Foll, a déclaré ce matin : « Ce n’est pas vrai, la France n’a pas décroché. » Visiblement, votre ministre de l’agriculture s’est spécialisé dans l’élevage d’autruches. (Sourires sur les bancs du groupe Les Républicains.) Vous refusez de regarder la vérité en face, en mettant la tête dans le sable.

Votre gouvernement incarne la France de l’indécision. Oui, monsieur le Premier ministre : la France décroche et décline, c’est une réalité. Le chômage de masse perdure, la dette continue de progresser, la barre des 100 % du PIB sera bientôt atteinte. Le déficit public se réduit à la vitesse de l’escargot et les dépenses publiques repartent à la hausse. Jamais nos agriculteurs ne se sont sentis autant abandonnés. La France est aujourd’hui à la merci d’une Europe fragilisée par les crises migratoires et le Brexit.

Votre gouvernement n’a pas su repenser notre modèle social et économique pour mieux le protéger. Si les déficits de la Sécurité sociale sont moins élevés, c’est notamment parce que nous avons procédé à l’indispensable réforme des retraites.

Un député du groupe Les Républicains. Eh oui !

M. Éric Woerth. Ouvrez les yeux : la France a perdu cinq ans ! Elle subit de plein fouet une crise sociale et identitaire très forte, à laquelle vous jugez bon d’ajouter une crise institutionnelle, qui fait de notre pays la risée de l’Europe. Est-ce bien le moment d’instaurer cette pitoyable compétition entre le Premier ministre et le Président de la République en exercice ? La primaire de la gauche ne doit pas l’emporter sur le service de la France.

Seul un diagnostic réaliste et un langage de vérité permettront à la France de se réformer.

M. Marc Francina. Bravo !

M. Éric Woerth. Vous dites qu’il est impossible de faire 100 milliards d’euros d’économies, impossible de réduire le nomme d’agents publics, impossible de repousser l’âge de la retraite. Vous nous faites un procès en sorcellerie sur la protection sociale, sur la Sécurité sociale, alors même que ce sont vos décisions qui conduisent les salariés à être moins bien remboursés aujourd’hui qu’auparavant.

Mme Claude Greff. Merci Mme Touraine !

M. Éric Woerth. Vous militez pour une France faible alors que nous voulons une France forte.

Alors, monsieur le Premier ministre, quand porterez-vous un regard lucide sur la France ? Quand comprendrez-vous la colère et le désarroi des Français ? Quelle est votre feuille de route précise pour les cinq ans (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain), pardon, pour les cinq derniers mois du quinquennat ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie et des finances.

M. Michel Sapin, ministre de l’économie et des finances. Monsieur le député, votre lapsus de conclusion était-il révélateur du souhait de voir cette majorité, ce gouvernement, continuer son action ?

Mme Claude Greff. Non ! Nous avons envie que ce soit fini !

M. Michel Sapin, ministre. Car la France, évidemment, n’est pas en situation de décrochage. La France se redresse. Si vous disiez que cela se fait trop lentement ou pas assez vite par rapport à ce que vous souhaiteriez, peut-être pourrais-je l’accepter, mais ce n’est pas la façon dont vous décrivez les choses. Il me semble que, jusqu’à 2012, vous aviez quelques responsabilités dans la gestion de la France, de son budget et de son déficit, donc une responsabilité dans la hausse de la dette et la dépendance grandissante vis-à-vis des marchés internationaux, auxquels vous vous adressiez pour emprunter de l’argent à des taux beaucoup plus élevés que ceux dont nous bénéficions aujourd’hui. Si vous établissiez, avec la rigueur que l’on peut vous reconnaître par ailleurs, une comparaison entre l’état de la France telle que vous l’avez laissée et l’état de la France aujourd’hui, vous ne diriez pas que la France a décroché. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain. – Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Car la France s’est redressée.

M. Yves Censi et M. Guy Teissier. Pas du tout !

M. Michel Sapin, ministre. Elle a fait des efforts, les Français ont fait des efforts. Vous en avez d’ailleurs peut-être bénéficié, parce que les efforts suscitent parfois des incertitudes, des inquiétudes ou des douleurs. Quoi qu’il en soit, la France a fourni des efforts, et ce sont ces efforts que vous ne voulez pas reconnaître ; voilà ce que je vous reprocherai le plus. C’est une forme d’injure faite aux Français que de prétendre que la France continue de décliner, alors qu’aujourd’hui elle se redresse. (Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains.) C’est une injure faite aux entreprises françaises que de laisser penser qu’elles sont aujourd’hui dans un état pire que celui dans lequel vous les avez laissées, alors que vous savez très bien qu’elles ont retrouvé leurs marges de 2007 et un niveau d’investissement supérieur à celui que vous leur aviez permis d’atteindre.

Voilà pourquoi un débat est nécessaire, monsieur Woerth. Le débat démocratique, c’est la confrontation des points de vue ; ce n’est pas le mensonge. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Bilan de la politique environnementale

M. le président. La parole est à M. Christophe Bouillon, pour le groupe socialiste, écologiste et républicain.

M. Christophe Bouillon. Madame la ministre de l’environnement, de l’énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat, depuis 2012, nous mettons en œuvre une politique ambitieuse en faveur de l’écologie, l’énergie et la biodiversité. Les lois adoptées par le Parlement font entrer la France dans une nouvelle ère pour le développement durable. Nous mettons en place un nouveau modèle de développement décarboné à la fois créateur d’emplois non délocalisables, source d’énergie et de sûreté pour les Français et respectueux de l’environnement.

La COP21 a hissé notre pays au rang de leader mondial de la lutte pour préserver la planète afin d’assurer un avenir aux générations futures. L’accord de Paris fait référence. La programmation pluriannuelle de l’énergie propose, d’ici à 2023, une stratégie énergétique consistant à diminuer le recours aux énergies fossiles et encourager fortement les énergies renouvelables. Pourtant, j’entends dire que la droite voudrait prolonger l’exploitation des centrales nucléaires existantes de quarante à soixante ans !

M. Bernard Accoyer. Bien sûr !

M. Christophe Bouillon. Pourtant, j’entends que la droite laisserait une porte ouverte à la recherche sur l’exploitation du gaz de schiste…

M. Bernard Accoyer. Heureusement !

M. Christophe Bouillon. …alors que l’on sait combien l’extraction de cette énergie fossile serait coûteuse pour notre environnement et notre santé, les réserves étant situées précisément dans les zones à forte densité de population ! L’écologie que nous portons est une construction à long terme et un moteur pour la croissance, notre économie et la protection de tous nos concitoyens. Oui, nous sommes fermement opposés à la relance du tout nucléaire, à l’extraction dangereuse du gaz de schiste et à l’ouverture malvenue des autorisations concernant les OGM !

M. Bernard Accoyer. Obscurantiste !

M. Christophe Bouillon. Comme vous le savez, madame la ministre, ce que nous avons mis en place depuis 2012 porte ses fruits. Comment continuer à aller de l’avant pour préparer l’avenir énergétique et écologique de la France ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’environnement, de l’énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat.

Mme Ségolène Royal, ministre de l’environnement, de l’énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat. Monsieur le député, la France s’est en effet dotée, après un travail considérable, d’un nouveau modèle énergétique, celui de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte complétée par la loi pour la reconquête de la biodiversité, car il existe un lien entre les deux. Ces débats parlementaires ont été conduits par-delà les clivages politiques et il serait dommageable aux investissements industriels que certains acquis soient remis en cause. Vous avez évoqué les résultats de ces travaux. J’ai eu l’occasion d’en rendre compte devant la commission des affaires économiques de votre assemblée, à laquelle s’est jointe la commission du développement durable.

Je puis vous dire que l’ensemble des textes d’application de ces lois sont pris, en particulier ceux relatifs à la stratégie nationale bas carbone et à la programmation pluriannuelle de l’énergie. La France fait donc figure d’avant-garde, non seulement au niveau européen mais aussi au niveau mondial, comme l’ont montré la Conférence de Paris sur le climat et récemment la COP22. Très concrètement, je sais que vous voyez tous les énergies renouvelables monter en puissance sur vos territoires. En effet, au premier semestre 2016, la production d’électricité éolienne a augmenté de 20 %.

M. Yves Censi. Ça suffit !

Mme Ségolène Royal, ministre. La production solaire et éolienne représente en pointe l’équivalent de six réacteurs nucléaires. Cette dynamique irréversible est désormais lancée. Au 31 décembre 2015, la filière éolienne comptait près de 15 000 emplois sur le territoire français, soit une augmentation de 35 % par rapport à l’année précédente grâce à la création de plus de 3 600 emplois. Le cap des 100 000 véhicules électriques a été franchi. Enfin, des innovations industrielles remarquables, qui constituent des premières mondiales, peuvent être observées : la route solaire, que j’inaugurerai prochainement dans l’Orne, les satellites d’observation du climat, les hydroliennes et le lancement des quatre premiers programmes de champs d’éoliennes flottantes. La France peut être fière de cette…

M. le président. Merci, madame la ministre.

Politique de l’emploi

M. le président. La parole est à M. Gérard Cherpion, pour le groupe Les Républicains.

M. Gérard Cherpion. Monsieur le Premier ministre, la première préoccupation des Français est l’emploi. Ce n’est pas la vôtre ! Votre priorité, ce sont les petits arrangements entre amis, quitte à provoquer une crise institutionnelle. Votre priorité, c’est votre emploi, pas celui des Français ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.) Faute d’une politique cohérente, tant sur le plan économique que sur le plan social, vous avez envoyé 1,2 million de personnes supplémentaires à Pôle emploi depuis l’élection de François Hollande. La Cour des comptes a d’ailleurs analysé le catalogue des mesures mises en place depuis 2012 et le bilan est lourd. De l’échec cinglant des contrats de génération à l’explosion des contrats aidés, des emplois d’avenir qui ne sont plus financés à l’apprentissage que vous avez cassé, vous avez dépensé sans compter l’argent des Français avec pour seul objectif l’inversion artificielle de la courbe du chômage. Pourtant, là-encore, vous avez échoué.

Plusieurs députés du groupe Les Républicains. Eh oui !

M. Gérard Cherpion. Le chômage des jeunes repart à la hausse et celui des seniors poursuit sa hausse. Tout le monde paie votre échec ! La baisse de 11 700 demandeurs d’emploi en octobre serait une bonne nouvelle si Pôle emploi n’avait pas simultanément radié 52 800 personnes inscrites, soit une hausse de 30 % en un an !

Plusieurs députés du groupe Les Républicains. Eh oui !

M. Gérard Cherpion. Les Français ne sont pas dupes de vos manipulations statistiques et budgétaires. Ils l’ont démontré par leur vote massif lors de la primaire de la droite et du centre. Le débat aura lieu, monsieur le Premier ministre ! Ils attendent des réformes de fond et souhaitent sortir du marasme économique et politique dans lequel vous avez plongé la France ! Devront-ils attendre mai 2017 ou comptez-vous tirer dès maintenant les conséquences de vos échecs ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

M. Lucien Degauchy. Et du chômage !

Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Vous m’avez habituée à davantage de rigueur intellectuelle, monsieur Cherpion ! Comment pouvez-vous mélanger ainsi les chiffres des catégories A, B et C ! Si vous voulez discuter projet contre projet, il faut de l’honnêteté !

M. Yves Censi. Projet contre bilan !

Mme Myriam El Khomri, ministre. Dois-je vous rappeler qu’une commission d’enquête demandée par la droite sénatoriale a montré, d’une part, qu’il n’existe aucune manipulation statistique et, d’autre part, que près de 50 % du 1,2 million de chômeurs supplémentaires de catégorie C que vous évoquez sont actuellement à temps plein et cherchent un autre emploi ?

M. Lucien Degauchy. Tripatouillage !

Mme Myriam El Khomri, ministre. Dois-je vous rappeler également, s’agissant notamment du chômage des jeunes, que nous avons atteint le niveau de 2012 et que celui-ci a augmenté de près de 30 % lors du précédent quinquennat ? Vous êtes contre la Garantie jeunes ? Je ne crois pas : vous m’avez dit dans mon bureau que c’était un dispositif particulièrement efficace justement parce qu’il s’appuie d’abord sur l’emploi ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.) Vous êtes contre le plan « 500 000 formations » ?

M. Patrice Verchère. Quelles formations ?

Mme Myriam El Khomri, ministre. Absolument pas : le président Richert et vous-même, au sein de l’ARF – Association des régions de France – rappelez systématiquement que ce plan permet justement, en partant des besoins des entreprises, bassin d’emploi par bassin d’emploi, de répondre à la question des emplois non pourvus ! Êtes-vous contre les contrats aidés ? Je vous rappelle que leur plus haut niveau a été atteint en 1997 et que la proportion de personnes en situation de handicap qui en bénéficient est passée de 9 % à 15 %. Quant aux jeunes qui subissent des discriminations et aux seniors que vous évoquez, ces contrats leur permettent justement de retrouver un emploi et donc une dignité. Il y a deux réalités de votre discours, cher monsieur Cherpion ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Carte de séjour pluriannuelle

M. le président. La parole est à Mme Chaynesse Khirouni, pour le groupe socialiste, écologiste et républicain.

Mme Chaynesse Khirouni. Ma question, qui concerne les démarches relatives aux demandes de titre de séjour, s’adresse à M. le ministre de l’intérieur. Je souhaite y associer mon collègue Erwann Binet.

Monsieur le ministre, garantir l’accès aux services publics des étrangers en situation régulière fait partie des obligations de l’État. Vous avez remis récemment, à Vienne, les premières cartes de séjour pluriannuelles. Il s’agit d’une mesure importante, destinée notamment à alléger les démarches des étrangers en situation régulière, qui était attendue de longue date par les associations.

Il faut rappeler que l’on dénombre 5 millions de passages en préfecture par an pour le renouvellement des titres de séjours. Or force est de constater que, sur certains territoires, accéder aux guichets est devenu un véritable parcours du combattant et que de nombreuses personnes sont contraintes de passer la nuit devant les préfectures. Les délais de rendez-vous n’ont cessé de s’allonger et les conditions d’accueil ne sont plus dignes de notre pays.

Avec les titres de séjour pluriannuels, les allers-retours et les heures de files d’attente seront progressivement résorbés. En effet, après un premier titre de séjour d’un an, cette carte pluriannuelle sera d’une durée maximale de quatre ans. L’étranger devra justifier de son assiduité et du sérieux de sa participation aux formations prescrites par l’État dans le cadre du contrat personnalisé. Avec cette modification, les étrangers bénéficieront d’un cadre administratif moins contraignant. Les difficultés à obtenir le renouvellement d’un titre de séjour sont en effet des facteurs de fragilisation économique, d’instabilité et, in fine, des obstacles à l’intégration.

Aussi, monsieur le ministre, pouvez-vous préciser les mesures que le Gouvernement entend prendre pour assurer un meilleur traitement des demandes et ainsi faciliter l’intégration des étrangers dans notre pays ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Madame la députés, vous m’interrogez sur les dispositions de la loi du 7 mars 2016 relative à l’entrée, au séjour et au travail des étrangers en France. Cette loi est née d’une collaboration très étroite entre le Gouvernement et la représentation nationale ; je veux saluer le travail très efficace mené notamment par Erwann Binet, rapporteur à l’Assemblée nationale, en compagnie duquel j’ai distribué, il y a quelques jours, les premières cartes de séjour pluriannuelles.

Le premier objectif de cette loi est de faire en sorte que les migrants réguliers, qui ont vocation à bénéficier d’un titre de séjour en France, puissent l’obtenir dans des conditions de simplification et d’efficacité renforcée de l’administration. Alors que la France distribue 250 000 titres de séjour par an, ce qui nécessite 5 millions de démarches, l’objectif est de simplifier les procédures en délivrant la carte de séjour pluriannuelle, d’une durée maximale de quatre ans ; elle permettra à ses bénéficiaires de s’intégrer beaucoup plus facilement dans la vie de notre pays et d’accéder plus aisément à l’activité, à l’emploi, ce qui constitue une nécessité si l’on veut réussir l’intégration de ceux qui ont vocation à être accueillis en France.

En contrepartie de la délivrance de ce titre, il y a une exigence : celle de l’intégration. Nous substituons au contrat d’accueil et d’intégration le contrat d’intégration républicaine, qui repose sur des exigences beaucoup plus fortes en matière d’apprentissage et de pratique de la langue française, de connaissance des valeurs de la République et de nos institutions. Ainsi, ceux que nous accueillons vivront dans un pays dont ils connaissent les principes, les valeurs et les règles.

M. Marc-Philippe Daubresse. Paroles verbales !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Enfin, en accroissant les moyens des préfectures consacrés à cette politique, nous faisons en sorte de raccourcir les délais, de simplifier les procédures, afin que notre pays soit à la hauteur de sa réputation d’accueil et d’intégration, conformément aux valeurs de la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Soutien à l’agriculture et à la ruralité

M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier, pour le groupe Les Républicains.

M. Guillaume Chevrollier. Monsieur le Premier ministre, permettez à un élu de la Mayenne de répercuter les difficultés de ceux qui sont la force vive de nos territoires ruraux : les agriculteurs. Ils jouent un rôle essentiel pour le maintien de l’activité, la préservation de nos paysages et de notre tissu social. Ils participent aussi grandement à la qualité de vie qu’offre notre ruralité.

M. Marc Le Fur. Très bien !

M. Guillaume Chevrollier. Toutes les exploitations agricoles, notamment les exploitations familiales, doivent être soutenues et encouragées. Les agriculteurs n’en peuvent plus. Leur travail n’est pas justement rémunéré. Trop c’est trop ! Ils doivent faire face à des prix trop bas, dans toutes les filières, à des charges trop lourdes, à des négociations tendues et déséquilibrées avec la grande distribution, à des retards inacceptables des aides européennes, qu’il s’agisse des dossiers PAC 2015, des avances de trésorerie 2016 ou des demandes d’aides pour les mesures agro-environnementales et climatiques. Ils sont aussi confrontés aux conséquences de l’embargo russe, à des normes et à des contraintes handicapantes. Ils sont légitimement inquiets quant aux conséquences des traités de libre-échange, notamment du CETA – Comprehensive Economic and Trade Agreement – entre le Canada et l’Union européenne, pour l’élevage bovin et porcin. Enfin, ils doivent faire face aux suspicions concernant le bien-être animal, qui retentissent sur la consommation de viande.

Mais les agriculteurs ressentent aussi un sentiment d’abandon : abandon par des médias trop parisiens, qui répercutent insuffisamment leurs difficultés et leurs efforts en matière d’innovation et d’adaptation, notamment dans le domaine environnemental ; abandon par le Gouvernement, plus préoccupé par les échéances électorales que par la situation de l’agriculture française, qui possède pourtant un vrai potentiel.

M. Éric Elkouby. Ça suffit !

Mme Luce Pane. N’importe quoi !

M. Guillaume Chevrollier. C’est donc un cri d’alarme que je vous lance, monsieur le Premier ministre : la situation des agriculteurs est périlleuse ; le devoir du Gouvernement est de les aider et de les soutenir. Quelles perspectives d’avenir pouvez-vous leur apporter ? Plus globalement, que faites-vous pour soutenir la ruralité ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le député, vous avez dressé une liste de nombreux sujets qui préoccupent les agriculteurs. Je voudrais revenir sur deux ou trois points.

D’abord, pour ce qui concerne les marchés et des prix, je suis obligé de faire un constat : il y a quelques années, des décisions ont été prises par une majorité – c’est légitime –, engageant la France dans la suppression des quotas laitiers, voire sucriers.

M. Christian Jacob. Pourquoi ne les avez-vous pas rétablis ?

M. Stéphane Le Foll, ministre. La disparition des quotas, parallèlement à l’augmentation de la production laitière, a conduit à des déséquilibres de marché très importants.

M. Marc Le Fur. Le Gouvernement est resté inactif !

M. Stéphane Le Foll, ministre. Je voudrais vous rappeler, monsieur Chevrollier – et cela concerne en particulier la Mayenne –, que l’action que j’ai conduite, avec le Gouvernement, a permis de revenir à une régulation du marché laitier, qui entraîne aujourd’hui la remontée des prix du lait. Nous pourrions au moins nous accorder sur ce point et considérer que le Gouvernement a bien été à l’écoute des agriculteurs.

S’agissant de la filière porcine, après une crise majeure, il y a un an, et après avoir tenté d’organiser le Marché du porc breton de Plérin, nous avons eu affaire à une baisse des prix, qui viennent de se redresser – le marché russe a moins joué que le marché chinois, qui s’est mis à acheter de la viande française, en particulier porcine. Par ailleurs, nous avons mené une action, notamment avec l’interprofession bétail et viande, qui a conduit à la mise en place des logos Viandes de France, garantissant aux consommateurs l’origine et la traçabilité de la viande qu’ils achètent, comme le souhaitaient les éleveurs ; c’est un point qui va aussi dans le bon sens.

Enfin, nous avons mis en place de nombreuses aides à destination des agriculteurs. Je pense au PSE – plan de soutien à l’élevage –, élaboré lors de la crise de l’élevage, et au plan de consolidation, qui comprend plusieurs mesures, pour un total dépassant les 2 milliards d’euros.

Je vous alerte sur un point, monsieur le député : si la droite réalise les 100 milliards d’économies de dépenses publiques qu’elle promet, il faudra appeler les agriculteurs à être extrêmement vigilants pour l’avenir. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

Accès à internet et au réseau mobile dans les territoires ruraux

M. le président. La parole est à Mme Dominique Orliac, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

Mme Dominique Orliac. Madame la secrétaire d’État chargée du numérique et de l’innovation, le Gouvernement a mis en place une politique visant à couvrir l’ensemble du territoire en réseau mobile et internet via, notamment, le Plan France Très Haut Débit et le plan de résorption des zones blanches. Je ne peux que saluer cette initiative, indispensable au désenclavement et à l’avenir des territoires ruraux.

Pour ce qui concerne la téléphonie mobile, la règle définie par l’État dans le cas d’un marché national impose à la collectivité d’être propriétaire des ouvrages qui seront mis à disposition de l’opérateur. Cette règle engendre des dépenses importantes alors que les sites appropriés sont parfois des pylônes existants et appartenant à TDF. La réutilisation de ces ouvrages éviterait des travaux coûteux d’accessibilité, de terrassement et d’adduction en énergie. Or, TDF devrait céder ses infrastructures, ce qui va à l’encontre de sa stratégie.

Dans mon département, le Lot, cinq communes sur onze sont concernées par l’actuel programme de desserte des zones blanches et les sites les plus appropriés sont des pylônes existants appartenant à TDF.

Dès lors, madame la secrétaire d’État, une évolution du cadre national autorisant la location ou la mise à disposition à titre gratuit de sites TDF existants, comme cela avait été possible dans le cadre du plan de résorption des zones blanches de 2004, est-elle envisageable ?

Par ailleurs, le Gouvernement a bien pris conscience de la problématique majeure des zones blanches en téléphonie mobile, mais celle afférente aux zones dites « grises » insuffisamment couvertes par un seul opérateur, ne semble pas être prise en compte.

Quelles mesures le Gouvernement entend-t-il prendre afin de permettre à ces zones grises d’accéder rapidement à un réseau mobile de qualité ? (Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et sur plusieurs bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée du numérique et de l’innovation.

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État chargée du numérique et de l’innovation. Madame la députée, le Gouvernement fait beaucoup pour la couverture numérique des territoires, en particulier pour les réseaux fixes, l’internet à très haut débit. Cependant, vous avez raison, le sujet de la couverture mobile est de plus en plus important, du fait du développement d’usages nouveaux. Il fallait répondre à l’urgence à court terme, aussi avons-nous lancé ce plan national de résorption des zones blanches, pour faire disparaître les communes qui, aujourd’hui encore en France, n’ont pas du tout de couverture mobile.

Votre question m’a donné l’occasion de me renseigner.

M. Alain Marty. Heureusement que les questions existent !

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État. En effet, environ 10 % des 268 communes identifiées pour faire partie du plan de résorption ont des pylônes TDF qui pourraient être réutilisés. Aucune disposition du cahier des charges ne nous interdit aujourd’hui de le faire, à certaines conditions techniques toutefois – de l’espace pour l’antenne, absence de saturation, bonne configuration de l’antenne, etc.

Il faut également s’assurer qu’au final, l’objectif recherché, qui est d’enrichir la commune, soit bien rempli. Si l’État finance la construction d’un pylône, c’est bien pour qu’à terme, la collectivité locale puisse en avoir le plein usage en pleine propriété. Des solutions existent, comme la location pendant un certain temps, puis la cession des droits de propriété.

Quant à la suite, ce sont les zones grises. Le 12 décembre prochain, avec le sénateur Yves Krattinger, je lancerai un outil innovant. Ce sera la première fois que nous ne nous contenterons plus de résorber a priori des retards. Il s’agira d’une plateforme, France Mobile, par laquelle nous marquerons notre confiance aux élus locaux pour mettre les opérateurs face à leurs responsabilités et décider ensemble de la manière de résoudre ces problèmes. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. Olivier Audibert Troin. Vous ne répondez pas à la question !

M. Christian Jacob. Ce sera extraordinaire !

Compte pénibilité

M. le président. La parole est à M. Guénhaël Huet, pour le groupe Les Républicains.

M. Guénhaël Huet. Monsieur le Premier ministre, en 2015, près de 520 000 salariés, pour la grande majorité des hommes, ont ouvert un compte pénibilité selon les quatre critères en vigueur : travail de nuit, travail répétitif, travail en horaires alternants ou travail en milieu hyperbare. Six autres critères sont depuis entrés en vigueur, en juillet dernier.

Aujourd’hui, 32 % des travailleurs déclarent être soumis au bruit, 48 % se disent soumis aux postures douloureuses et 68 % à des mouvements répétitifs, soit autant de travailleurs pouvant prétendre au compte pénibilité.

Un rapport, que votre administration a publié très récemment mais également très discrètement, dresse un bilan négatif de la mise en application de ce dispositif, estimant qu’il est bien loin d’atteindre ses objectifs. En outre, ce rapport n’évoque à aucun moment sa mise en œuvre concrète et encore moins son financement dans la durée.

Pourtant, le Conseil d’orientation des retraites a révélé que le dispositif était clairement sous-financé en raison même de la possibilité de partir en retraite anticipée deux ans plus tôt. Cela entraînera à la fois une diminution des cotisations, et donc des recettes, et une charge supplémentaire pour les régimes de retraite.

Monsieur le Premier ministre, une nouvelle fois, vous instaurez un dispositif sans tenir compte des difficultés qu’il génère pour les entreprises. Vous avez pourtant déclaré, lors des universités d’été du MEDEF, il y a deux ans, que vous aimiez les entreprises.

M. Régis Juanico. Les salariés !

M. Guénhaël Huet. Je crois que c’est l’inverse : vous ne les aimez pas, vous les méprisez. Vous alourdissez leurs charges et leurs contraintes. Tout cela est très loin du choc de simplification que vous prônez.

Monsieur le Premier ministre, quand allez-vous comprendre que les entreprises ont besoin de souplesse pour être compétitives et quand allez-vous prendre enfin les mesures indispensables pour relancer la compétitivité de notre pays ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Monsieur le député, permettez-moi tout d’abord de vous rafraîchir quelque peu la mémoire. En 2003, c’est par un amendement de Xavier Bertrand à la loi relative à la réforme des retraites, portée par François Fillon, que fut reconnue la pénibilité au travers d’une négociation au niveau des branches. Neuf ans plus tard, cette disposition de la loi n’était toujours pas appliquée.

M. Christian Jacob. Moins de condescendance s’il vous plaît !

Mme Myriam El Khomri, ministre. Sur le fond, la main sur le cœur, tout le monde est d’accord pour reconnaître la pénibilité de certains métiers et le fait qu’un ouvrier a presque sept ans d’espérance de vie de moins qu’un cadre. En revanche, il n’y a plus personne dès qu’il s’agit de mettre en œuvre une mesure en la matière.

Pour notre part, nous nous étions engagés à l’appliquer, et nous tenons nos promesses. En effet, 500 000 salariés ont bénéficié d’une reconnaissance de la pénibilité de leur travail en fonction des quatre premiers facteurs. Où en sommes-nous aujourd’hui ? Les organisations patronales souhaitaient ne plus avoir à remplir la fiche individuelle de pénibilité, dans un souci de simplification. Nous avons tenu compte de cette demande et privilégié les référentiels de branche dans chacune d’entre elles.

D’ailleurs, la semaine dernière, j’ai signé avec Marisol Touraine quatre arrêtés d’homologation s’agissant de grosses branches – je pense au commerce de gros et international, aux écaillers - poissonniers – pour près de 265 000 salariés. À partir du 1er janvier, les six autres facteurs seront pris en compte. Mais aujourd’hui, en effet, il y a dans certaines branches professionnelles, à la demande de certaines organisations patronales, de la rétention d’informations pour que les référentiels ne sortent pas.

Je vous le dis ici très clairement : nous sommes dans un rapport de forces politique vis-à-vis de ces branches où les référentiels sont prêts ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Ancrage territorial de l’alimentation

M. le président. La parole est à M. Hervé Pellois, pour le groupe socialiste, écologiste et républicain.

M. Hervé Pellois. Monsieur le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, la semaine dernière, après maints rebondissements, l’Assemblée nationale a enfin inscrit l’ancrage territorial de l’alimentation dans la législation française. C’est une belle victoire collective, qui répond aux engagements du Président de la République et dont notre collègue Brigitte Allain a su se saisir avec brio.

Mmes Brigitte Allain, Danielle Auroi, Cécile Duflot et M. Noël Mamère. Très bien !

M. Hervé Pellois. Avec cette mesure, 40 % de produits locaux, labellisés, de saison ou issus de circuits court, dont la moitié provenant de l’agriculture biologique, seront introduits dans la restauration collective publique d’ici à 2020.

Cette loi s’inscrit dans la continuité de votre loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, et de ses projets alimentaires territoriaux, qui rencontrent déjà un grand succès sur le terrain : les collectivités territoriales ont désormais toutes les cartes en main pour être les pilotes d’un système alimentaire prospère et durable.

L’ancrage territorial de l’alimentation permet aussi de réconcilier le consommateur avec le producteur – les Français font davantage confiance aux agriculteurs qu’ils connaissent – et de développer l’emploi local.

Plus largement, la démocratie alimentaire, permise par la restauration collective, est la meilleure réponse contre la « malbouffe » et l’obésité.

Monsieur le ministre, il existe une véritable attente citoyenne, pour ne pas dire une impatience, sur cette question. Pouvez-vous nous indiquer les actions du Gouvernement qui permettront la réalisation de ces objectifs ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Mme Brigitte Allain, Mme Isabelle Attard et M. Noël Mamère. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le député, l’ancrage territorial de l’alimentation faisait partie d’un engagement pris dès 2014 dans le programme national pour l’alimentation, lequel fixait des objectifs d’accès à l’alimentation, de formation à l’alimentation et de localisation de l’alimentation. La loi d’avenir est venue compléter ce programme, en créant les projets alimentaires territoriaux.

En effet, si l’on veut développer l’alimentation et les circuits locaux, il faut pouvoir les organiser. Chaque grand acheteur public a besoin d’être sécurisé, en matière de qualité comme de quantité. Aussi notre objectif est-il d’avoir un projet alimentaire territorial par département. Pour y parvenir, pour favoriser les projets qui ont déjà été soumis l’an dernier, nous allons engager 2 millions d’euros.

Les progrès, vous l’avez rappelé, sont significatifs. Aujourd’hui, tout le monde a pris conscience que l’approvisionnement local peut se faire sans impact sur le prix des repas, tout en permettant de développer, comme vous l’avez dit, la production locale et l’organisation de la distribution locale, donc de créer de l’emploi et de favoriser une alimentation plus diversifiée.

Aux 2 millions d’euros qui seront mobilisés, s’ajoutent de nouveaux outils, grâce auxquels chaque acheteur pourra disposer des règles pour acheter au niveau local. Il s’agit notamment d’une plateforme numérique, que nous venons de lancer : baptisée « Localim », elle permettra à chaque acteur, en fonction de ce qu’il souhaite acquérir – de la viande, des légumes, des fruits –, de consulter le détail précis des procédures pour acheter au niveau local, dans le cadre des marchés publics.

Monsieur le député, comme vous l’avez rappelé, la loi d’avenir et la mesure adoptée la semaine dernière constituent des progrès très importants vers la qualité alimentaire et la localisation de l’alimentation. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Mme Brigitte Allain. Très bien !

Carte de l’éducation prioritaire pour les lycées

M. le président. La parole est à Mme Marie-George Buffet, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

Mme Marie-George Buffet. Madame la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, la journée d’action de la fonction publique est marquée par une mobilisation dans les lycées des zones d’éducation prioritaire. Les parents, personnels et élèves sont inquiets : la nouvelle carte de l’éducation prioritaire promise pour les lycées n’a toujours pas vu le jour. L’éducation prioritaire s’arrêterait donc au collège ? Vous comprendrez l’émotion suscitée par cette éventualité.

La réussite scolaire, affirmée comme un objectif essentiel de la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, ne se coupe pas en tranches ; les efforts consentis pour agir sur les inégalités dès la maternelle, puis en élémentaire et au collège, doivent se poursuivre au lycée.

Le lycée n’est plus réservé à l’élite : de 400 000 élèves en 1958, nous sommes passés à 1,5 million en 2015. C’est formidable, mais nous devons faire de cette démocratisation une réussite pour tous et toutes. L’État se doit d’assumer les moyens indispensables à la scolarité de ceux et celles qui, issus de l’éducation prioritaire, ont aujourd’hui accès au lycée.

Si nous sommes passés d’un dispositif à un autre, ce sont les mêmes enfants, les mêmes territoires. Or, pour nombre de lycées, la sortie de l’éducation prioritaire conduira à la régression des moyens auparavant mis en œuvre pour l’égalité républicaine au sein de l’éducation nationale. Je parle là de dotation horaire globale, d’effectifs par classe ou de mesures permettant l’indispensable stabilité des équipes enseignantes et d’encadrement – j’insiste sur l’encadrement, car plusieurs événements ont jeté le doute sur la sécurité de certains établissements.

Hier, madame la ministre, vous avez fait des annonces, évoquant une réforme pour 2017-2018. Mais vous comprendrez que je me fasse le relais de ce mouvement en vous demandant les intentions du Gouvernement quant à l’avenir de la carte de l’éducation prioritaire pour les lycées. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Mme Isabelle Attard. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche.

M. Thierry Mandon, secrétaire d’État chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche. Vous connaissez, madame la députée, le travail mené pour refonder la carte de l’éducation prioritaire pour l’école et le collège, sur la base d’indicateurs objectifs de difficultés sociales et scolaires ; Mme la ministre, vous venez de le rappeler, l’a encore redit hier à Marseille.

Le Gouvernement a accru de 350 millions d’euros l’effort en direction des établissements et des personnels de l’éducation prioritaire, pour améliorer les conditions d’apprentissage et renforcer la stabilité des équipes éducatives. Dans votre département, ce sont ainsi treize nouveaux établissements qui ont bénéficié de moyens renforcés.

La carte de l’éducation prioritaire a été élaborée pour l’école et le collège. Demain, en s’appuyant sur une concertation approfondie, et même sur une réflexion d’ensemble relative aux lycées, la réforme de l’éducation prioritaire au lycée, que vous souhaitez, deviendra une priorité.

Cependant, sans attendre cette réforme, nous avons agi, d’abord pour nous assurer qu’aucun établissement dont le personnel bénéficie des dispositions actuelles ne soit fragilisé. Les établissements bénéficient aujourd’hui de moyens supplémentaires. Les personnels percevant des indemnités liées au statut de ZEP – zone d’éducation prioritaire – et d’avantages spécifiques pour la mutation conservent tous leurs droits pour les années 2017, 2018 et 2019.

J’ajoute que, depuis 2015, nombre de ces lycées bénéficient de façon prioritaire de la nouvelle allocation progressive des moyens, c’est-à-dire de la répartition des moyens d’enseignement et d’éducation en faveur des établissements en grande difficulté économique, sociale et scolaire.

Pour répondre aux besoins d’établissements dont la réalité sociale correspond à l’éducation prioritaire, la ministre a décidé d’allouer une dotation exceptionnelle de 450 emplois dès la rentrée 2017.

M. le président. Merci, monsieur le secrétaire d’État.

M. Thierry Mandon, secrétaire d’État. Cette dotation pour les lycées et les lycées professionnels défavorisés s’ajoute aux postes que nous avons consacrés à la prise en compte des effectifs.

Avenir de la maternité d’Apt

M. le président. La parole est à M. Julien Aubert, pour le groupe Les Républicains.

M. Julien Aubert. Monsieur le président, ma question s’adresse à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.

Il y a quasiment deux ans, madame la ministre, le 20 novembre 2014, je vous avais interrogée sur l’avenir de la maternité d’Apt, dans le Lubéron, pour laquelle les habitants se battent depuis vingt ans. Vous m’aviez répondu que le choix du Gouvernement n’était pas de fermer les petits établissements et de pénaliser les hôpitaux de proximité, contrairement à la droite, et m’aviez expliqué que l’avenir de la maternité était lié à des enjeux de sécurité, en précisant qu’une mission composée d’experts se penchait sur le sujet et que le résultat de leur travail serait connu en décembre 2014.

Les Aptésiens ont cru en votre parole, madame la ministre, mais elle nous a manqué. Personne n’a jamais su quel était ce fameux problème de sécurité qui justifiait de repousser de six mois en six mois la décision de conserver la maternité ouverte. Jusqu’à ce que l’on nous annonce votre décision, le 9 novembre 2016, de transformer dès le 1er janvier prochain la maternité d’Apt en centre périnatal et de renvoyer les usagers vers Cavaillon. (Exclamations sur quelques bancs du groupe Les Républicains.) Évidemment les élus, dont moi-même, l’avons appris par la presse.

Vous pouvez parler de service public, d’accès à la santé, d’aménagement du territoire ou rafraîchir la mémoire de la droite… C’est aujourd’hui l’occasion de le faire.

Cette décision fait suite à la baisse du nombre d’accouchements et au manque de gynécologues obstétriciens, mais après plusieurs années d’un régime de suspicion quant à la sécurité et d’ambiguïté sur l’avenir d’une maternité, comment ne pas comprendre qu’une partie de la population ait choisi d’éviter la structure ? Comment ne pas expliquer la décision de jeunes médecins de ne pas venir s’installer en ville ?

Je vous avais proposé, en 2014, de créer un label « Hôpital de montagne ». Vous avez pris, le 4 mars 2015, un arrêté ministériel relatif au financement des activités de soins répondant à des critères d’isolement géographique. Paradoxe, la maternité d’Apt n’y figure pas, alors que seize communes sur les vingt-deux qui sont rattachées à ce territoire rural sont en zone montagne. Et, par constat d’huissier, il a été constaté que les temps de trajet pour atteindre le nouvel établissement allaient exploser.

Ma question est simple, madame la ministre : si vous aimez le service public, allez-vous réexaminer votre décision pour analyser la possibilité d’inscrire l’hôpital d’Apt parmi les établissements isolés géographiquement ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion.

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d’État chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion. Monsieur le député, je vais, au nom de Mme la ministre de la santé, m’efforcer de vous apporter des réponses précises, en dehors de toute polémique.

Le Gouvernement est très attaché aux établissements de santé de proximité et à l’hôpital d’Apt, pour une raison simple : il s’agit de l’accès aux soins pour une grande partie de nos concitoyens.

C’est la raison pour laquelle, très récemment, dans le cadre de l’organisation du GHT – groupement hospitalier de territoire –, les activités d’urgence, la chirurgie et le SMUR – Service mobile d’urgence et de réanimation – ont été durablement sécurisées et pérennisées dans votre hôpital, ce qui est une bonne nouvelle pour les populations.

Concernant la maternité, les élus locaux ont demandé une expertise à deux professeurs de médecine, et cette expertise a effectivement conclu à un défaut de sécurité pour les femmes.

Mais l’ouverture de candidatures dans le cadre du GHT pour recruter des gynécologues obstétriciens n’a pas reçu de réponse. La décision a donc été prise d’ouvrir un centre de périnatalité de proximité et, à partir du 1er janvier 2017, les femmes pourront y faire suivre leur grossesse et venir après leur accouchement.

Marisol Touraine a décidé d’attribuer 1 million d’euros à votre hôpital pour permettre la modernisation des installations.

Cela dit, je me demande comment vous pensez vous y prendre avec le programme que vous avez ! Vous prévoyez en effet de supprimer 500 000 fonctionnaires ! (Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Alain Marty. Ce n’est pas la question !

M. Bernard Deflesselles. Occupez-vous plutôt de la France !

M. le président. S’il vous plaît !

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d’État. Combien d’infirmiers allez-vous supprimer à l’hôpital public ? Combien d’aides-soignants allez-vous supprimer à l’hôpital public ?

Et une autre question me vient à l’esprit. Puisque votre champion affirme que désormais les consultations classiques n’auront plus à être remboursées par la sécurité sociale, comment fera-t-on pour rembourser les gynécologues ? Voilà les vraies questions ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Service "Bloctel"

M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Maquet, pour le groupe socialiste, écologiste et républicain.

Mme Jacqueline Maquet. Madame la secrétaire d’État chargée du commerce, de l’artisanat, de la consommation et de l’économie sociale et solidaire, le démarchage téléphonique est un fléau pour tous ceux qui souhaitent être tranquilles chez eux. Nous ne souhaitons plus recevoir des appels incessants auxquels nous sommes obligés de répondre désagréablement ou de raccrocher brutalement.

Si ces appels sont simplement agaçants pour certains, ils sont dangereux pour d’autres, notamment les personnes vulnérables qui se laissent convaincre de la nécessité, voire de l’obligation factice d’acheter. Certaines personnes âgées sont ainsi poussées à acheter des produits ou des services dont elles n’ont absolument aucun besoin. Ces procédés doivent être régulés.

Depuis le 1er juin 2016, le Gouvernement a mis en place un service gratuit de blocage de ces appels, appelé « Bloctel », qui fonctionne de manière très simple : il suffit de s’inscrire sur le site internet de Bloctel pour que, dans les jours qui suivent, votre numéro soit protégé.

Des millions de personnes se sont déjà inscrites et le dispositif fonctionne. Les Français en avaient plus qu’assez de recevoir des appels à toute heure.

La loi prévoit des sanctions pour ceux qui continueraient à appeler les personnes inscrites au dispositif. Pourtant, malgré la loi, certaines entreprises continuent d’appeler nos concitoyens. Ce n’est pas tolérable. C’est illégal, c’est intrusif, c’est agaçant et, comme je l’ai dit précédemment, c’est dangereux.

Nous ne devons pas rester inactifs. Bloctel doit fonctionner pleinement. Pouvez-vous nous dire, madame la secrétaire d’État, si ces entreprises seront sanctionnées et quelles sont les peines qu’elles encourent ? Enfin, le dispositif Bloctel va-t-il évoluer ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée du commerce, de l’artisanat, de la consommation et de l’économie sociale et solidaire.

Mme Martine Pinville, secrétaire d’État chargée du commerce, de l’artisanat, de la consommation et de l’économie sociale et solidaire. Madame la députée, Bloctel, vous l’avez rappelé, est un service simple qui permet aux consommateurs de s’opposer au démarchage téléphonique. C’est vrai, les personnes fragiles, en particulier les personnes âgées, sont souvent embêtées, pour ne pas dire fréquemment, certaines recevant jusqu’à une dizaine d’appels au cours d’une journée.

Bloctel est un droit nouveau qui était attendu par des millions de Français. Ce sont en effet 2,7 millions de Français qui se sont inscrits sur ce service, par internet ou par courrier, car c’est un service simple et accessible, et qui ont fait part de leur réclamation.

Ce nouveau service est obligatoire pour les professionnels, à savoir les entreprises effectuant des démarchages téléphoniques. Celles-ci, en cas de non respect de la consultation de la liste Bloctel, encourent de fortes pénalités allant de 15 000 à 75 000 euros.

En ce qui concerne les mesures visant à garantir le droit des consommateurs, il reste du travail à faire. Nous avons en effet pu constater que certaines entreprises, au détriment de beaucoup, ne respectaient pas encore la loi et continuaient de démarcher des particuliers inscrits sur Bloctel.

Mon message est très clair : des contrôles ont été initiés et, dès avant Noël, je vais aggraver les sanctions. Si des sociétés étrangères ne jouent pas le jeu, nous ferons usage de la possibilité de demander au juge de bloquer des numéros. J’ai demandé la même fermeté pour des sociétés qui arnaquent les consommateurs avec des appels abusifs et qui leur font subir des appels surtaxés. La tranquillité de nos concitoyens est en jeu. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures vingt-cinq, sous la présidence de M. Marc Le Fur.)

Présidence de M. Marc Le Fur

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

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Sociétés mères et entreprises donneuses d’ordre

Nouvelle lecture

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, en nouvelle lecture, de la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre (nos 4133, 4242).

Présentation

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie et des finances.

M. Michel Sapin, ministre de l’économie et des finances. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, nous allons donc examiner aujourd’hui la proposition de loi présentée par Dominique Potier, visant à instaurer un devoir de vigilance pour les sociétés mères et les entreprises donneuses d’ordre à l’égard de leurs filiales.

Ce texte porte une ambition forte. Il impose aux grandes entreprises l’obligation, d’une part, de prendre les mesures adéquates pour respecter, dans l’exercice de leurs activités, les droits fondamentaux et préserver nos ressources naturelles et, d’autre part, de rendre publiques les mesures prises.

Cet objectif est pleinement partagé par le Gouvernement, tout comme, je n’en doute pas, par une très large majorité de députés. Aujourd’hui, il n’est plus envisageable que certaines entreprises puissent utiliser les différences de législation ou de niveau de vie pour augmenter leurs profits au détriment des salariés ou de l’environnement.

La proposition de loi présentée par Dominique Potier vise à résoudre ce problème en imposant aux grandes entreprises un devoir de vigilance applicable à l’ensemble de leurs activités, en France comme à l’étranger, ainsi qu’à celles de leurs fournisseurs et sous-traitants.

L’histoire de ce texte est bien connue mais elle mérite d’être rappelée. Le drame du Rana Plaza, que nous connaissons tous, en est à l’origine. Après cette catastrophe, plusieurs parlementaires de la majorité ont légitimement souhaité réagir.

Une première proposition de loi visant à renforcer la responsabilité des entreprises multinationales a ainsi été déposée en 2013. Elle faisait écho à la mobilisation de la société civile et des organisations non gouvernementales. Elle soulevait toutefois de nombreuses questions, aux points de vue juridique et économique, auxquelles il n’était pas possible de donner une réponse satisfaisante.

Une seconde proposition de loi, présentée par Dominique Potier, a par conséquent été déposée en février 2015. C’est de celle-ci que nous débattons aujourd’hui. Malgré les modifications importantes qui ont été apportées sur le fond par rapport à la première initiative, j’ai constaté, le mois dernier, qu’elle suscitait toujours une opposition franche de la majorité sénatoriale devant laquelle je l’ai défendue. La droite sénatoriale évoque notamment le risque d’affaiblir économiquement et d’isoler notre pays avec une législation contraignante, pénalisante pour le développement de nos entreprises. Ces craintes ne me paraissent pas fondées.

L’instauration d’un devoir de vigilance pour les grandes entreprises répond à l’exigence impérieuse de responsabiliser les acteurs économiques afin qu’ils intègrent dans l’exercice de leurs activités des préoccupations supérieures, touchant à l’intérêt général. Le développement économique est un bien pour tous si ses fruits sont équitablement partagés mais il ne peut se faire au détriment de la protection de la personne, de l’environnement et de la santé publique.

En ce sens, la proposition de loi s’inscrit dans la lignée des textes que vous avez adoptés depuis 2012, avec l’entier soutien du Gouvernement, en faveur d’une plus grande moralisation de l’économie et d’une prise de conscience des entreprises en ce qui concerne leur responsabilité sociale et environnementale.

Je pense en particulier à la loi du 7 juillet 2014 d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale ; à la loi du 10 juillet 2014 visant à lutter contre la concurrence sociale déloyale ; et à la loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de l’économie, que certains appellent « loi Sapin 2 », qui prévoit une obligation de vigilance dans le domaine de la lutte contre la corruption.

Ces préoccupations ne sont d’ailleurs pas propres à la France puisque la directive européenne du 22 octobre 2014, dite « directive RSE », a renforcé les obligations des entreprises dans ce domaine.

Ces différents textes nationaux partagent une même ambition : celle d’introduire une plus grande régulation, une plus grande transparence dans la sphère économique et financière en portant la législation française aux meilleurs standards européens et internationaux.

Comme vous le savez, l’hostilité de la majorité sénatoriale et la différence d’analyse sur la finalité de ce texte n’ont pas permis à la commission mixte paritaire d’aboutir à un accord sur un texte.

Je sais que le temps qui a précédé cette nouvelle lecture a été particulièrement utile. Il a permis un travail fructueux, conduit par Dominique Potier en lien avec la société civile : je voudrais remercier votre rapporteur, auteur de ce texte, ainsi que celles et ceux avec qui il a travaillé, pour leur détermination, leur volonté d’aboutir, mais aussi leur souci – légitime – de prendre en compte un certain nombre de préoccupations pratiques ou juridiques qui sont indispensables à la réussite de cette entreprise.

Ce travail collégial, auquel le Gouvernement et mon cabinet ont participé activement, montre un large soutien et une véritable adhésion à l’ambition portée par ce texte.

Ces discussions ont permis de renforcer la sécurité juridique et de préciser le texte, ce qui a permis de lever certaines des ambiguïtés qu’il recelait et que j’avais évoquées en toute transparence au Sénat. Je tiens donc à vous remercier, les uns et les autres, d’avoir contribué à ce travail exigeant visant à améliorer la rédaction du texte.

Cela dit, il convient de demeurer vigilant sur les aspects constitutionnels. D’abord, la définition du champ d’application matériel des obligations de vigilance, qui relève de la compétence du législateur, doit être suffisamment précise.

Ensuite, la conformité au principe de proportionnalité des peines du montant des amendes civiles prévues aux articles 1er et 2 de la proposition de la loi doit être respectée.

Notre débat doit également s’intéresser aux conséquences de ces dispositions sur notre économie et sur la compétitivité – ce qui n’est pas un gros mot – de nos entreprises sur la scène internationale. Vous connaissez mon implication dans ce domaine en tant que ministre de l’économie et des finances : de ce point de vue, je voudrais apporter quelques précisions qui me paraissent nécessaires.

Cette proposition de loi n’est pas un texte punitif qui aurait vocation à stigmatiser nos entreprises, bien au contraire. Responsabiliser les grandes entreprises ne signifie pas brider l’activité économique et l’innovation : responsabiliser veut dire prévoir et réfléchir aux conséquences avant d’agir.

En outre, l’obligation d’établir un plan de vigilance, qui ne s’appliquera qu’aux plus grands groupes français, et non aux petites et moyennes entreprises, n’entravera en rien le développement et la croissance de ces sociétés : au contraire.

M. Dominique Tian. Ce n’est pas ce qu’elles disent !

M. Michel Sapin, ministre. Parlez aux grandes entreprises exportatrices françaises : cela m’arrive souvent et nous avons encore déjeuné aujourd’hui. Elles considèrent que le respect de leurs responsabilités sociales et environnementales est un élément de leur compétitivité et de leur capacité à conquérir un certain nombre de marchés.

M. Dominique Potier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Très bien !

M. Michel Sapin, ministre. Elles travaillent sur ces sujets depuis de nombreuses années et mènent des actions exemplaires dans ce domaine.

Conscientes des enjeux, elles se sont, pour beaucoup d’entre elles, dotées de chartes éthiques ou ont adhéré volontairement à des initiatives publiques ou privées qui vont dans le sens de ce texte.

C’est pourquoi, loin d’être un frein au développement économique, l’obligation de prévention des atteintes graves aux libertés fondamentales, à la sécurité, à la santé des personnes sera bénéfique à l’économie et aux entreprises elles-mêmes. La survenance d’une catastrophe dans l’usine d’un sous-traitant, comme ce fut le cas dans l’usine du Rana Plaza, ou plus généralement la mise en danger de salariés, peut endommager gravement la réputation de l’entreprise concernée, entraînant parfois – pour ne pas dire le plus souvent – une dégradation très forte de ses résultats économiques.

L’importance s’attachant à une adoption rapide de ce texte n’est donc plus à démontrer. Une nouvelle tragédie provoquée par les mêmes causes serait intolérable car nous savons que des mesures peuvent être prises pour essayer de les éviter. La proposition de loi de Dominique Potier prend en considération l’indignation et la volonté générale d’agir dans ce domaine. En refusant la passivité des pouvoirs publics, elle nous propose d’agir utilement, avec générosité, pour renforcer la morale dans le système économique actuel.

Mesdames et messieurs les députés, l’adoption de cette proposition de loi permettra de prévenir, je l’espère, autant que possible, de nouvelles tragédies humaines et environnementales et fera de la législation française un modèle en la matière. C’est une preuve supplémentaire de notre engagement sans faille depuis 2012 en faveur de la moralisation et de la transparence de la vie économique.

Ce sera une avancée significative et ambitieuse pour la France sur le chemin d’un renforcement de la responsabilité sociale des entreprises et plus largement du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Ce texte pourra également représenter un appui utile pour faire progresser cette cause dans les discussions européennes ou internationales. Nous pourrons collectivement en être fiers. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Dominique Potier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Dominique Potier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, il m’est arrivé à maintes reprises de parler de cette proposition de loi devant divers publics.

Un jour, je me suis retrouvé devant un groupe d’adolescents et j’ai dû changer de registre, trouver des mots neufs : j’ai pris l’image du boulanger. J’ai expliqué ce qu’étaient le bon et le mauvais boulanger.

Le bon boulanger, celui qui est le meilleur et qui gagne le mieux sa vie, est celui qui va se lever le plus tôt, va le mieux pétrir sa pâte, va appliquer la meilleure recette. Cela, tout le monde l’admet : vive l’esprit d’entreprise !

Et puis il y a un autre boulanger qui peut également gagner sa vie, mais en utilisant une farine de mauvaise qualité comportant des mycotoxines ; il peut embaucher des apprentis non déclarés pour les faire travailler dans des conditions indignes, en dessous de l’âge requis ; il peut également ne pas payer son loyer, sa contribution à la maison commune. Celui-ci, même s’il gagne sa vie, nous considérerons que c’est un mauvais boulanger.

Entre le bon et le mauvais boulanger, il y a une limite : ce n’est pas seulement celle de la bonne volonté, ni celle du volontarisme, mais c’est celle de la loi qui dit ce qui est possible et ce qui est impossible, ce qui est licite et ce qui est illicite.

Imaginez que ce boulanger vende 50 % du pain dans le monde.

M. Dominique Tian. Nous ne parlons pas de boulangerie !

M. Dominique Potier, rapporteur. Imaginez qu’il représente 50 % des recettes meunières de la planète et qu’il emploie des milliers de salariés. Eh bien, sa responsabilité sera la même.

Il s’agit, dans cette proposition de loi, de transposer ce que George Orwell appelait la common decency, la décence commune, aux principes de l’activité internationale.

Une partie de l’ultralibéralisme s’est bâtie sur ce voile juridique qui sépare les maisons mères de leurs filiales. Cela a pu donner des résultats probants, une certaine croissance ; cela peut créer des désordres humains et des désordres écologiques qui ne sont plus acceptables aujourd’hui.

Il s’agit donc de fixer une limite. C’est au législateur qu’il revient de le faire, ici et ailleurs – ici comme ailleurs, puisque la planète est maintenant notre village : nous vivons dans un seul monde, un monde globalisé.

Cette proposition de loi nous permet de tirer diverses leçons. La première est que nous pouvons réunir la gauche. Je voulais le dire, en ce temps particulier : quand la gauche se saisit de sujets systémiques, de réformes de fond qui engagent le long terme, au-delà de notre sol national, la gauche est au meilleur d’elle-même. Elle n’oppose pas les uns aux autres, ceux qui accepteraient le réel à ceux qui le nieraient.

Une partie de la gauche pensait qu’il fallait, dans ce texte, être plus radical, plus exigeant. Certains, au contraire, avaient la peur frileuse de décourager des entreprises, qui déménageraient à Londres à une époque, à Bruxelles ou à Amsterdam aujourd’hui. Cette logique fondée sur la peur de la désertion de ceux fuyant le sol national dès qu’une exigence est posée figure parmi les causes du désespoir actuel. Elle signe l’impuissance publique, l’incapacité des assemblées nationales et même d’une assemblée continentale européenne à délibérer et à faire progresser l’humanité.

Avec cette proposition de loi, nous affirmons qu’une autre voie est possible. Il ne s’agit pas de trancher entre la rétractation du monde et son extension sans foi ni loi, mais qu’il y a des voies de régulation, de civilisation, qui permettent d’envisager avec optimisme le monde moderne.

Au-delà de cette gauche rassemblée, qui a co-construit, qui a bâti ce texte dans un débat parfois vif et qui va l’adopter je l’espère à l’unanimité, j’appelle l’opposition à faire le même chemin que la majorité sénatoriale. Celle-ci a progressé, ne contestant plus, par une motion préjudicielle qui l’avait quelque peu exposée au ridicule, la proposition dans ses principes mêmes, mais en cherchant d’autres voies pour atteindre les mêmes finalités.

Nous avons salué ce progrès, mais il aboutit à des résultats incompatibles avec nos propres objectifs. En effet, faire du reporting après avoir agi et ne pas sanctionner, c’est se moquer du monde – et notamment du pauvre monde, de ceux qui sont les victimes de la mondialisation.

J’espère, puisqu’il y a eu un vote à l’unanimité en première lecture, que dans l’opposition, ici, des voix au centre ou chez Les Républicains s’élèveront pour dire qu’une droite humaniste est capable de nous rejoindre dans ce combat qui fait l’union de la gauche. En tout cas, je le souhaite vivement.

Je voudrais ici saluer, puisque nous sommes à la fin d’un long parcours, la société civile qui a inspiré profondément cette loi. Dans cette dernière ligne droite, je voudrais faire un petit détour en signalant que, la semaine dernière, un arrêté a été pris, sur l’initiative d’ATD Quart Monde, concernant une expérimentation en matière de lutte contre le chômage de longue durée. J’étais aux côtés de Laurent Grandguillaume dans la construction de la loi qui a rendu possible cette expérimentation.

Quand nous écoutons la société civile et les militants, ceux qui se sont engagés pour changer le monde, alors nous sommes meilleurs ; nous sommes des députés éclairés ; nous n’acceptons pas toutes les suggestions, nous négocions – et Dieu sait si les négociations sont parfois ardues –, mais nous nous inspirons de ce que nous disent ceux qui consacrent une partie de leur vie, bénévolement, à rendre le monde meilleur.

Je voudrais saluer ceux qui se battent au bout de la rue, comme ATD Quart Monde, et ceux qui se battent au bout du monde, comme le Comité catholique contre la faim et pour le développement, Amnesty International, Sherpa, Peuples solidaires, Les Amis de la Terre, Éthique sur l’étiquette. Je voudrais saluer les syndicats français qui, dans leur immense majorité, ont soutenu avec force ce texte – je n’en citerai aucun pour ne pas faire de privilégiés mais ils étaient tous rassemblés dans ce combat.

Je voudrais également saluer le monde de la recherche, du développement, qui dans les universités, en France et en Belgique, concourt à la recherche juridique sur ce que pourrait être l’entreprise au XXIsiècle.

Je voudrais aussi rendre hommage au Gouvernement. Je voudrais en premier lieu – et je vous invite à y voir un message politique très clair – saluer ici l’engagement personnel du Président de la République et celui du Premier ministre, dans ce combat qui aboutit aujourd’hui.

Je voudrais saluer la permanence de l’engagement de la chancellerie, avec Jean-Jacques Urvoas mais auparavant avec Christiane Taubira.

Et je voudrais dire la nouvelle donne qu’a constitué l’engagement de Michel Sapin dans ce combat : monsieur le ministre, vous nous avez aidés, avec vos équipes, à rendre ce texte plus précis, plus résistant sur le plan constitutionnel, plus fort, en veillant – puisque tel était le pacte politique entre le Parlement et le Gouvernement – à ne pas dénaturer le compromis édifié dans cette nouvelle version.

Nous avons donc un texte plus fort, plus précis, parce que vous y avez mis non seulement de la bonne volonté, mais le meilleur de vous-même. Merci.

Je voudrais saluer ceux qui vont maintenant être à l’œuvre dans ce combat : les Européens, les entreprises et tous ceux qui agissent dans les pays du Sud et à qui nous faisons signe aujourd’hui.

Je voudrais saluer les Européens. Entre Donald Trump et Vladimir Poutine, ils deviennent les héritiers exclusifs de l’humanisme occidental. Ils ont une immense responsabilité. Ils doivent choisir de bâtir un monde nouveau, avec des droits nouveaux. Ils doivent reprendre cette initiative française.

Je suis sollicité, nous le sommes et les ONG aussi : elles vont faire leur travail. Cette loi devra être soutenue par les chrétiens démocrates, les sociaux-démocrates, les écologistes de toute l’Europe. Parce que c’est une loi d’avenir, elle doit devenir une directive européenne, elle doit en inspirer une dans les meilleurs délais.

Nous souhaitons qu’en Europe comme en France on ne réponde pas par la candeur ou la peur à une mondialisation jugée parfois avec un peu de naïveté « heureuse » : nous devons absolument bâtir de nouveaux droits afin que ni les peuples ni le monde du travail ne désespèrent, ici comme ailleurs.

Je salue le monde de l’entreprise. Moi aussi, monsieur le ministre, il m’arrive souvent de rencontrer de grands capitaines d’industrie ou de commerce français, des responsables de services d’exportation : face-à-face, ils se montrent souvent bien plus ouverts à l’endroit de cette proposition de loi que ne le disent leurs représentants. Ils nourrissent donc en moi un certain espoir.

M. Dominique Tian. Le Front populaire !

M. Dominique Potier, rapporteur. Je leur dirai donc qu’ils ne doivent pas commettre les erreurs des maîtres de forges qui les précédèrent avec les lois concernant les accidents du travail. Un an après ces dernières, défendues par un député ouvrier, M. Nadaud – dont je me sens proche en tant que député d’origine paysanne –,…

M. Dominique Tian. C’est la lutte des classes !

M. Dominique Potier, rapporteur. …les caisses d’accidents du travail et les systèmes de prévention étaient lancés. Le monde de l’entreprise est donc capable d’imaginer des réponses modernes et performantes pour répondre aux exigences de la société et de la loi.

Je vous invite également à comprendre que la réforme de la comptabilité moderne, qui a exigé des commissaires aux comptes, a suscité à droite et de la part d’un certain patronat d’importantes résistances. Les années suivantes, elle a pourtant favorisé la loyauté commerciale et a contribué au développement du commerce. Alors, je dirai avec un peu d’humour : n’ayez pas peur !

M. Dominique Tian. Il n’y a pas une directive européenne ?

M. Dominique Potier, rapporteur. Soyez confiants ! L’entreprise peut bâtir sa prospérité sur une nouvelle donne, celle des nouvelles réglementations. Telle était l’espérance d’Henri Grégoire, député du même département que moi au début du XIXsiècle, combattant contre l’esclavage,…

M. Dominique Tian. Ce n’est pas tout à fait le sujet…

M. Dominique Potier, rapporteur. …qui rappela les principes mêmes qui nous réunissent aujourd’hui. Selon lui, le négrier n’est pas seulement le capitaine du navire qui vole, achète, enchaîne et jette à l’eau des hommes noirs ou de sang mêlé ; ce sont aussi les complices – affréteurs, colons-planteurs, gérants, contremaîtres et jusqu’au dernier des matelots. Ce principe de chaîne de responsabilité remonte aux XIXsiècle et nous en sommes les héritiers.

M. Dominique Tian. C’est Zola !

M. Dominique Potier, rapporteur. Il nous invite à penser l’éthique comme une force politique, à gauche et à droite, pour tous ceux qui aujourd’hui aiment la République. L’éthique est également une force pour l’économie, laquelle doit rompre avec un cycle de pillages et de gaspillages en inventant une nouvelle prospérité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain, et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Excellent !

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Noël Carpentier.

M. Jean-Noël Carpentier. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur – cher Dominique –, chers collègues, nous sommes à nouveau réunis pour débattre de la proposition de loi visant à demander aux grandes entreprises de s’assurer que leurs sous-traitants respectent bien les règles élémentaires en matière d’environnement et de pratique sociale – c’est le moins que l’on puisse faire.

L’origine de cette proposition de loi, nous nous en rappelons tous, fut l’effondrement de l’immeuble du Rana Plaza au Bangladesh en avril 2013, qui a causé la mort de plus de 1 000 personnes. Y étaient regroupés des ouvriers du textile travaillant dans des conditions extrêmes pour un salaire de misère, embauchés par des sous-traitants directs ou indirects de grandes marques européennes, occidentales ou américaines.

À l’époque, en réaction, les groupes de la majorité avaient déposé collectivement une première version de la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui pour répondre concrètement à l’émotion internationale considérable suscitée par ce drame.

La démarche visant à mieux encadrer la mondialisation, à la rendre plus humaine et plus solidaire, est noble. Contrairement à ce que veulent faire croire les membres de l’opposition – qui décidément succombent à tous les lobbies –, cette loi ne mettra pas l’économie française à genoux. Déjà, vous prétendiez au XIXsiècle que l’interdiction du travail des enfants serait problématique.

Bien entendu, la France n’est pas isolée du reste du monde ni de la concurrence internationale mais elle peut aider à éclairer le chemin d’une mondialisation mieux régulée, d’une mondialisation plus juste qui préfère le rapprochement des peuples à la loi du profit à tout prix, à la loi de l’argent pour l’argent, à la loi du plus fort.

Avec ce texte, les règles que nous proposons ne sont pas insurmontables, elles ne sont pas non plus des entraves à la production ni même au business. Il s’agit simplement d’encadrer la recherche du profit par des règles éthiques élémentaires. Il faut que cesse la recherche à tout prix du profit, je l’ai dit, mais aussi la pratique du dumping social et environnemental.

Malheureusement, le drame du Rana Plaza n’est pas isolé. Les récentes révélations concernant le travail forcé organisé par des patrons voyous travaillant pour le compte de grands groupes du BTP renforcent la conviction de nombreux humanistes : il faut légiférer. Il ne s’agit pas d’un débat entre la gauche et la droite mais de remettre au centre les valeurs humaines. Il faut énoncer des règles claires pour engager la responsabilité des grandes entreprises dans les agissements de leurs sous-traitants. Les multinationales doivent s’engager à faire respecter les droits de l’homme.

Heureusement, grâce à l’action des ONG et des syndicats, une prise de conscience internationale se fait jour et de nombreuses entreprises, aujourd’hui, s’engagent dans ce processus. Ce texte résulte aussi, en quelque sorte, de cette prise de conscience – je tiens d’ailleurs à féliciter le rapporteur pour son travail de longue haleine afin qu’il aboutisse.

Aujourd’hui, monsieur le ministre, avec cette nouvelle lecture, il ne s’agit pas de refaire le match…

M. Jean-Marie Tétart. Il n’y en a pas eu !

M. Jean-Noël Carpentier. …de la discussion en première lecture, ni celui de la commission mixte paritaire.

La version que nous avions adoptée il y a bientôt deux ans est désormais concrètement et immédiatement applicable. L’accord entre le Gouvernement et notre majorité est positif ; il faut maintenant voter ce texte et le faire appliquer.

Chers collègues, cette loi d’initiative parlementaire que nous nous apprêtons à adopter définitivement représente un progrès considérable en imposant aux grands groupes d’élaborer un plan de vigilance visant à contrôler les agissements de leurs sous-traitants et, ainsi, à rendre ces derniers coresponsables devant la justice en cas de non-respect, dans le cadre de leur processus de production, des règles essentielles en matière de droits de l’homme et d’environnement. Rien ne peut en effet justifier une négligence menant à la dégradation des droits de l’homme au travail ; rien ne peut justifier le travail forcé ; rien ne peut justifier des salaires de misère ; rien ne peut justifier le travail des enfants ; aucune négligence ne peut justifier des conditions de travail inhumaines.

Néanmoins, profitant de cette nouvelle lecture, le groupe RRDP a déposé des amendements visant à améliorer encore le texte, s’il est possible. Dans le même esprit que celui du texte adopté en première lecture, nous proposons de conserver la possibilité d’élaborer le plan de vigilance avec l’ensemble des parties prenantes au bon fonctionnement de l’entreprise.

Nous proposons également – et c’est fondamental – qu’une concertation ait lieu avec les organisations syndicales représentatives afin d’élaborer le dispositif d’alerte prévu par le plan.

M. Dominique Potier, rapporteur. Très bien !

M. Jean-Noël Carpentier. Enfin, un délai de trois mois a été introduit au Sénat afin de laisser à l’entreprise le temps de se mettre en conformité lorsqu’elle est mise en cause. Cette mesure est compréhensible mais nous proposons que lui incombe parallèlement la charge de prouver qu’elle n’a pas failli à ses obligations lorsqu’elle est mise en demeure.

Monsieur le rapporteur, monsieur le ministre, vous l’aurez compris, le groupe RRDP est très satisfait de cette proposition de loi. Une fois encore, monsieur le rapporteur, je tiens à vous féliciter. Je tiens à saluer l’action du Gouvernement, notamment du ministre Michel Sapin, qui a tout mis en œuvre pour accélérer l’examen de ce texte dans les deux chambres afin qu’il soit promulgué dès le début de l’année 2017.

De nombreuses entreprises ont déjà commencé à se préparer à cette législation, ce qui est tout à leur honneur. Nombre de nos concitoyens observent avec intérêt nos prochaines décisions. Rien ne justifie d’attendre plus encore et nous pouvons être fiers du travail accompli collectivement.

Avec cette loi, monsieur le ministre, la France pourra dorénavant tenter de faire partager ce principe d’une mondialisation plus humaine dans les instances internationales, en Europe mais aussi à l’ONU.

Personnellement, je suis favorable à l’instauration d’un conseil de sécurité économique, social et environnemental à l’ONU afin de faire respecter les droits humains fondamentaux ; les peuples y aspirent. (Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. le président. La parole est à M. André Chassaigne.

M. Michel Piron. Enfin, la doxa !

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Vous êtes terrible, cher collègue !

M. André Chassaigne. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, nous sommes appelés à débattre à nouveau ce soir de la proposition de loi sur le devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre.

Ce texte est certes moins ambitieux que la proposition d’initiative parlementaire – dont nous étions cosignataires – qui a été débattue dans notre hémicycle au début de l’année dernière. Certes, le texte dont nous débattons ce soir résulte en effet d’un compromis passé avec le Gouvernement, mais il marque une étape importante dans la voie de la responsabilisation des multinationales, de leurs sous-traitants et fournisseurs en matière sociale, éthique et environnementale. Nous tenons donc à saluer le travail, l’engagement et la ténacité de notre rapporteur, Dominique Potier, qui a eu le courage et l’intelligence de proposer des solutions novatrices même si nous demeurons convaincus, avec lui et sans doute avec d’autres, qu’il était possible et nécessaire d’aller plus loin.

Comme nous le savons, trois Français sur quatre estiment que les multinationales devraient être juridiquement responsables des dommages environnementaux ou des atteintes aux droits humains que les sociétés mères et les entreprises de leurs chaînes d’approvisionnement peuvent provoquer. La proposition de loi que vous nous soumettez répond à cette attente – certes partiellement, mais elle y répond.

Le texte dispose tout d’abord qu’il est obligatoire d’établir et de mettre en œuvre « de manière effective » un plan de vigilance pour toutes les sociétés employant au moins 5 000 salariés incluant ses filiales françaises directes ou indirectes, ou 10 000 salariés incluant ses filiales directes ou indirectes, françaises comme étrangères. Ce plan de vigilance devra comporter « les mesures de vigilance raisonnable propres à identifier les risques et à prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l’environnement. »

Avec ce dispositif, notre pays rend effectif le principe juridique de « diligence raisonnable » recommandé par le texte international de référence que sont les principes directeurs des Nations unies sur les entreprises et les droits de l’homme, dont la plupart des innovations ont été intégrées aux principes directeurs de l’organisation de coopération et de développement économiques – l’OCDE – à l’intention des entreprises multinationales.

De même, l’indemnisation ne dépendra plus du seul bon vouloir des entreprises et de la mobilisation des ONG. C’est une avancée significative.

Nous avons souligné lors des précédentes lectures la nécessité selon nous de modifier les seuils retenus, de prévoir un régime de sanctions plus dissuasif, de rétablir le principe selon lequel il incombe à la société-mère d’apporter la preuve qu’elle a mis en œuvre des procédures spécifiques de contrôle de ses filiales et des sous-traitants. Je ne m’attarderai pas ce soir sur ces éléments : nous en avons déjà débattu.

Si le texte ne concerne qu’une centaine de groupes et ne comporte pas non plus de dispositions suffisantes en matière d’accès à la justice pour les victimes de violations des droits de l’homme et de dommages environnementaux, il a l’immense mérite de mettre « le pied dans la porte », comme le soulignait notre collègue Philippe Noguès. Il s’agit de faire en sorte que cette porte ne se referme pas et que ce texte soit en conséquence adopté avant la fin de cette législature. C’est le vœu exprimé par les ONG, qui estiment à juste titre que le vote de cette loi serait un signal fort, manifestant la volonté française de tendre vers une mondialisation plus humaine, plus juste, conformément aux aspirations de la majorité des citoyens.

Sur le plan européen, des initiatives similaires se multiplient. Nombre d’États prennent en effet conscience de la nécessité de se doter d’instruments favorisant la mise en œuvre de ces principes et des normes existantes en alignant notamment leurs législations nationales sur les textes internationaux.

À rebours de ces évolutions, la droite française continue de défendre l’impunité des multinationales…

M. Dominique Tian. Mais non !

M. André Chassaigne. …en invoquant le risque pour la compétitivité et l’attractivité des entreprises françaises à l’échelle européenne et mondiale.

Sa philosophie – votre philosophie, chers collègues de droite –, est de laisser à l’entreprise le libre choix de déterminer les actions qu’elle souhaite conduire ou non, selon son bon vouloir, pour améliorer la vie de la communauté. Rien d’étonnant à cela : c’est cette philosophie qui inspire le programme de François Fillon, lequel veut laisser aux entreprises le soin de déterminer quels sont les droits des salariés, entend congédier le principe de précaution et supprimer un certain nombre de normes sanitaires et environnementales, au motif que celles-ci seraient nuisibles à la compétitivité de notre économie, notamment de notre agriculture.

C’est la même philosophie qui consiste à prétendre que la croissance économique favorisée par le libre marché entraîne naturellement une prospérité accrue qui bénéficie à tous. C’est une illusion qui, monsieur le rapporteur, pour reprendre les termes du pape François (Sourires), « exprime une confiance grossière et naïve dans la bonté de ceux qui détiennent le pouvoir économique ».

M. Michel Piron. Vous devenez hétérodoxe !

M. André Chassaigne. Les drames humains et environnementaux tels que ceux de Bhopal, de l’Erika, du Rana Plaza ou d’autres scandales sanitaires donnent la mesure des ravages causés par la course à la compétitivité, à l’enrichissement sans frein. Il est assez pathétique, je le note au passage, de voir tant de catholiques de droite porter leur suffrage sur un candidat dont le culte est celui du Veau d’or. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.) Racine, dans Athalie, rappelle qu’un roi sage « Sur la richesse et l’or ne met point son appui ».

L’Association française des entreprises privées, qui réunit tous les patrons du CAC 40 et des grandes sociétés françaises, a évidemment dit son opposition au texte qui nous occupe, son opposition, donc, à toute mesure législative de protection des victimes et de prévention de nouveaux drames. Pour cette association, comme pour le MEDEF, s’enrichir aux dépens d’une main-d’œuvre bon marché et vulnérable, au mépris des droits fondamentaux et des règles environnementales, ne serait donc pas un problème ? Qu’importe que la maison brûle, tant que le magot est à l’abri !

M. Serge Bardy. Ça c’est Jacques Chirac, n’est-ce pas ? (Sourires.)

M. André Chassaigne. Permettez-moi, pour finir, de faire un petit rappel historique. Il concerne la loi de 1841, cette fameuse loi qui a interdit le travail des enfants en dessous de huit ans et limité à huit heures la journée de travail pour les enfants âgés de huit à douze ans, afin qu’ils puissent se rendre à l’école. Des députés de la Chambre combattirent cette loi, au nom de la famille, se faisant les porte-parole des manufacturiers et des parents pour lesquels la perte de revenus était un véritable drame.

N’êtes-vous pas aujourd’hui, hélas, chers collègues de l’opposition, les héritiers de ces députés qui ne trouvaient rien à redire aux conditions de travail inhumaines que la révolution industrielle imposait aux ouvriers, y compris à des enfants en bas âge ?

M. Michel Piron. Oh ! Quand même !

M. André Chassaigne. Ne trouveriez-vous, au fond, rien à redire au fait qu’au Bangladesh, aujourd’hui, une ouvrière du textile meure tous les deux jours, pour fournir à bas coûts des tee-shirts ou des chemises aux grandes marques occidentales ? Ne trouveriez-vous rien à redire au fléau du dumping social et environnemental, qui prospère sur la rhétorique de la compétitivité ?

Pour notre part, nous avons une conviction, celle qu’exprimait Jean Jaurès : il faut que « tous les hommes passent de l’état de concurrence brutale et de violence à l’état de coopération » car, disait-il, « c’est la fin la plus haute ». Parce que le texte qui nous est proposé œuvre en ce sens, même timidement, nous l’approuverons. Nous ne saurions attendre qu’un nouveau scandale social ou environnemental impliquant des entreprises françaises se produise pour prendre nos responsabilités – avec détermination, avec fierté, la tête haute. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. Gérard Charasse. Très bien !

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Quelle éloquence !

M. le président. La parole est à Mme Anne-Yvonne Le Dain.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes de nouveau réunis pour examiner un texte important, grave quant à son objectif mais, je le crois, profondément heureux dans ses finalités. En cette période complexe pour l’Occident, pour nos sociétés et nos économies occidentales, il me paraît important de mettre sur la table un texte qui tente d’approcher un concept trop souvent oublié – je veux parler de la morale, tout simplement. Je sais que le droit n’est pas la morale, mais la politique, elle, doit être morale.

M. André Chassaigne. Très bien !

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Je m’exprime ici au nom du groupe socialiste, écologiste et républicain. Ce texte entend dessiner – ou esquisser – un monde dans lequel chacun serait un peu plus heureux, vivrait un peu plus en sécurité, serait un peu mieux éduqué et travaillerait pour le mieux, dans de bonnes conditions. C’est un vœu pieux, diront certains. C’est une réalité que nous tentons de construire. Sur une planète qui comptera bientôt 9 milliards d’habitants, nous pouvons faire en sorte que les enfants qui vont naître n’aient pas à travailler, que les femmes enceintes n’aient pas à travailler, que les hommes n’aient plus à grimper sur des collines, à travailler derrière un étal ou à monter des étages, épuisés, fatigués, douloureux, ou trop maigres ou trop gros – puisque l’obésité est maintenant un symptôme de pauvreté.

Nous parlons beaucoup de la planète, nous nous en soucions beaucoup d’un point de vue environnemental, mais nous oublions parfois de parler de l’avenir des êtres humains que nous sommes. Tel est l’objet de ce texte. Il nous invite à nous montrer vigilants vis-à-vis des sociétés dites mères – « société mère », le terme est très fort ! – et des sociétés qui donnent des ordres à d’autres sociétés pour assurer notre propre richesse. Il postule que si tout le monde sur la planète était un peu plus riche, le monde entier serait plus riche, y compris nous-mêmes – et que nous serions riches, aussi, de valeurs profondes.

Ce texte aborde aussi le problème de l’innovation, dont il est souvent question dans cet hémicycle. Or l’innovation ne peut pas être restreinte à la seule technologie ; elle doit également promouvoir des valeurs d’humanisme et de progrès, notamment de progrès social, au sens d’un progrès pour chacun, dans chaque société. Ce n’est pas anodin, ce n’est pas affectif : c’est concret et c’est profond.

Nous vivons dans des sociétés où la communication – la com’ – et l’image sont premières et pèsent sur l’économie. Nous avons voté plusieurs lois, qui ont déjà été évoquées, pour améliorer la condition humaine dans nos entreprises, dans nos terroirs et nos territoires. Mais nous devons maintenant veiller à ce que les choses se passent de la même façon dans le reste du monde. Et c’est là que nous rejoignons la question de la morale, dont je parlais tout à l’heure. Nous avons déjà fait un premier pas en faveur des lanceurs d’alerte dans la loi qui porte votre nom, monsieur le ministre, la loi Sapin 2, et c’est formidable. Nous l’avons dit, et nous l’avons fait.

Pendant très longtemps a prévalu l’idée, surtout à la droite de cette assemblée, selon laquelle la common law, c’est-à-dire les usages et l’habitude, parviendraient progressivement à venir à bout de ce qui ne va pas. Il est évident que nous partageons les mêmes valeurs morales, sur tous les bancs de cette assemblée…

M. Jean-Marie Tétart. Ce n’est pas ce qu’a dit M. Chassaigne !

Mme Anne-Yvonne Le Dain. …mais nous divergeons sur la manière de les faire advenir. Nous pensons, nous, que l’usage, le bon usage, la bonne foi ne suffiront pas ; que le droit de type anglo-saxon, la soft law, ne suffira pas ; et que dans les pays latins, comme la France, le droit doit imprimer une dynamique, donner un sens et dire précisément ce qu’il convient de faire, et comment. C’est donc un premier pas que nous faisons ici, et nous avons progressé depuis la première lecture du texte.

Je regrette que les sénateurs aient balayé certaines propositions d’un revers de la main au nom de l’intérêt économique, qui serait premier, alors que je sais bien que la plupart des parlementaires, hommes ou femmes, ont cette question au cœur. Je dis « hommes ou femmes », car le drame du Rana Plaza a touché massivement des femmes, des ouvrières mal payées, qui sont mortes dans des conditions dramatiques.

Nous passons ici de la soft law à une loi plus dure, mais en même temps plus claire et plus généreuse, qui pose le principe de l’assurance et qui instaure des pénalités. Ces pénalités sanctionneront l’absence de plan de vigilance et ne s’appliqueront pas seulement une fois la faute commise. Désormais, les entreprises qui n’auront pas un plan de vigilance partagé par toute l’entreprise et susceptible d’être contrôlé de l’extérieur pourront faire l’objet d’une sanction. Celle-ci sera proportionnée à la force de la société qui l’aura commise.

Le groupe socialiste, écologiste et républicain soutient évidemment cette proposition de loi, que nous sommes fiers d’avoir portée et que nous serons fiers de défendre jusqu’au bout dans cet hémicycle. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Bravo !

M. le président. La parole est à M. Dominique Tian.

M. Dominique Tian. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, avant de commencer cette intervention, et pour anticiper la réponse très indignée du rapporteur, je veux rappeler qu’il y a évidemment un consensus, au sein du groupe Les Républicains, sur le principe de la responsabilité sociale des entreprises.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Mais, malgré cela, vous ne voterez pas ce texte !

M. Dominique Tian. L’objectif de faire contribuer les entreprises françaises au respect des droits de l’homme et des normes sanitaires et environnementales est évidemment un objectif vertueux, que nous partageons. J’ai entendu tout à l’heure une envolée lyrique qui semblait vouloir distinguer les bons et les mauvais députés, et accoler à ceux de droite l’adjectif « antisocial ». Ce n’est pas le cas et, avec mon collègue Jean-Marie Tétart, nous partageons votre vision des choses.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Vraiment ?

M. Dominique Tian. Néanmoins, comme Patrick Hetzel et Jean-Marie Tétart l’ont indiqué en première lecture, et comme cela a été dit également au Sénat, notre groupe regrette que vous nous présentiez ici un texte plus dur que la directive européenne qui porte sur ce sujet et qui, de toute façon, doit être transposée avant le 6 décembre 2016. Le rapporteur, au Sénat, a indiqué qu’il valait mieux transposer cette directive, puisqu’elle existe, plutôt que de privilégier, comme souvent, une vision purement française, orgueilleuse et donneuse de leçons. C’est en effet une curieuse conception de la politique européenne que vous avez : vous voulez toujours être plus vertueux que les autres – peut-être est-ce ce qui agace un peu nos collègues européens. Le rapporteur, au Sénat, a opposé la directive, qui repose sur l’incitation, et votre proposition de loi, qui opte pour une approche coercitive et punitive. Vouloir être plus vertueux que les autres, c’est placer les entreprises françaises dans une situation intenable.

Ce nouveau texte est un nouveau signal contradictoire envoyé par le gouvernement socialiste. Alors que vous défendiez la nécessité d’une relation de confiance avec les chefs d’entreprise, vous visez ici, non pas des petits margoulins, mais des entreprises de plus de 5 000 salariés, qui ont donc une envergure internationale et qui se trouvent en concurrence directe avec des entreprises étrangères. La confiance, monsieur le ministre, se construit sur des actes, et pas seulement sur des paroles.

Qui plus est, il existe déjà un arsenal de transparence sur ces questions, structuré par la loi Grenelle II, qu’il convient d’utiliser sans tout chambouler. Par ailleurs, la France signe régulièrement des accords internationaux : principes directeurs de l’OCDE, conventions de l’Organisation internationale du travail, Déclaration universelle des droits de l’homme. Les entreprises françaises étant plutôt considérées comme extrêmement vertueuses, pourquoi les stigmatiser ? D’un point de vue économique, le risque d’atteinte à la compétitivité est réel.

Un tel texte créerait une inégalité de traitement manifeste entre les entreprises françaises et les autres entreprises européennes, compte tenu des obligations supplémentaires qu’il ferait peser sur les premières. Le texte pourrait également créer une perturbation des relations économiques et contractuelles tout au long de la chaîne de sous-traitance. Les entreprises françaises seraient ainsi directement impactées par répercussion du devoir de vigilance dans des clauses contractuelles plus contraignantes que celles auxquelles sont tenues les entreprises européennes avec lesquelles elles sont en concurrence. Ce seraient aussi de nouvelles contraintes et de nouvelles charges administratives en perspective.

Ce texte aurait aussi un impact sur les PME étrangères et sur le développement du tissu local d’entreprises des pays émergents. La proposition de loi pourrait en effet conduire les entreprises françaises à remettre en cause leurs contrats et à se retirer, en tout ou partie, de certains marchés étrangers, dans des pays qui leur apparaîtraient comme porteurs de risques. Juridiquement, ce texte ouvre des brèches dangereuses dans la stabilité juridique, dont les entreprises ont tant besoin : incertitudes concernant les normes de référence sur la base desquelles le plan de vigilance devrait être élaboré ; imprécision concernant le régime de l’amende civile et la portée incertaine du régime de responsabilité figurant dans le texte. De nombreuses questions devront donc être tranchées par le Conseil constitutionnel – et, du reste, certaines de vos interventions montrent que vous en avez parfaitement conscience.

Et c’est sans compter les risques d’instrumentalisation, dès lors que toute personne intéressée pourrait engager une action en responsabilité en cas de dommage pouvant être rattaché de manière directe ou indirecte à son activité à l’étranger.

Cet intérêt à agir extrêmement large ne peut qu’inquiéter les entreprises. Nous ne souhaitons pas que les pouvoirs publics abandonnent le contrôle du respect de la loi à des intérêts privés pour lesquels aucune transparence, représentativité et exigence d’honorabilité ne sont organisées.

En tout état de cause, il est peu probable qu’une telle législation, si elle était adoptée par la France, et uniquement par elle, améliore par elle-même la situation sociale et environnementale des pays en développement. L’enjeu principal, c’est le développement de ces pays. Il faut les aider à améliorer le sort de leurs travailleurs et à se doter d’un système juridique efficace pour sanctionner et indemniser de tels dommages sur leur territoire.

Pour toutes ces raisons, comme en première et deuxième lecture à l’Assemblée et au Sénat, le groupe Les Républicains ne votera pas cette proposition de loi imprécise juridiquement et qui fera planer l’ombre de la sanction chaque fois qu’un groupe voudra externaliser sa production dans des pays émergents.

M. Jean-Marie Tétart. Bravo !

M. le président. La parole est à M. Michel Piron.

M. Michel Piron. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, après l’échec de la commission mixte paritaire, notre assemblée est invitée à se prononcer une troisième fois sur cette proposition de loi, en nouvelle lecture. Le premier constat que l’on peut faire est que le Sénat est passé d’une position de rejet total du texte, en première lecture, à une position plus constructive en deuxième lecture. Les sénateurs ont en effet proposé une rédaction qui reprend partiellement les prescriptions de la directive du 22 octobre 2014, qui doit être transposée le 6 décembre prochain. Dans cette rédaction, la proposition de loi se limitait à imposer la publication d’informations non financières et relatives à la diversité par certaines grandes entreprises et certains groupes.

Sans surprise, les avis très divergents de nos deux assemblées n’ont pas permis de trouver un accord en commission mixte paritaire. Aussi, nous examinons aujourd’hui un texte proche de celui que notre assemblée avait adopté en deuxième lecture, en mars dernier. Il s’agit d’obliger un certain nombre de sociétés à établir, publier et mettre en œuvre un plan de vigilance. L’article 2, supprimé par le Sénat, puis rétabli par notre commission des lois, lie la responsabilité de l’entreprise au non-respect de l’obligation légale relative au plan de vigilance. L’ambition et les intentions d’un tel texte sont très louables. Les accidents qui ont marqué ces quinze dernières années – le naufrage de l’Erika en 1999 et l’effondrement du Rana Plaza en 2013 étant parmi les plus visibles – ont démontré la nécessité d’améliorer le contrôle, par les grandes entreprises, des comportements de leurs partenaires économiques.

Pour autant, l’idée de responsabiliser les entreprises pour mieux prévenir les atteintes aux droits de l’homme et à l’environnement est loin d’être inédite. Mes chers collègues, reconnaissons-le, la prise de conscience ne date pas d’aujourd’hui. La France a déjà été, par le passé, l’initiatrice de réformes en matière de responsabilité sociale des entreprises. Je pense notamment aux exceptions au principe d’autonomie de la personnalité juridique admises en droit du travail, en droit commercial, en matière de pratiques anticoncurrentielles et en matière de fiscalité. Je pense également à la loi Grenelle II, qui a réussi à imposer l’idée de poursuites contre les sociétés mères en cas de pollution généralisée par l’activité d’une filiale. Je pense, plus récemment, s’agissant de la protection des droits fondamentaux des travailleurs, à la loi dite « Savary » de 2014. En matière de RSE, la France n’est pas restée inactive, loin de là.

Au niveau international, en 2011, le Conseil des droits de l’homme des Nations unies a adopté des principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme, que l’OCDE a renforcés à l’intention des multinationales. En outre, la Commission européenne encourage vivement les États à transposer ces instruments dans leur droit interne. La norme ISO 26 000 évoque la notion de sphère d’influence, qui dépasse la relation de contrôle ou de domination qu’une entreprise peut entretenir avec ses filiales et avec sous-traitants.

Bien entendu, en dépit de ces initiatives, nous ne pouvons pas nous satisfaire de la situation existante. Pour autant, la solution que vous proposez est-elle la bonne ? Va-t-on ainsi pouvoir empêcher de nouveaux drames en France et à l’étranger ? Hélas, à nos yeux, non. Je dis bien : « hélas », car, aucun pays ne prévoyant une législation aussi étendue en matière de responsabilité des entreprises, la réforme proposée placerait la France dans une situation inédite en Europe. Penser qu’en légiférant ainsi, nous ouvrirons la voie au monde, n’est-ce pas manquer cruellement de réalisme ? En faisant le choix d’une réponse purement française, nous placerions nos entreprises dans une situation de concurrence insoutenable par rapport aux autres entreprises européennes.

C’est pourquoi nous reprochons également à cette proposition de loi son imprécision et son champ trop vaste. On peut craindre que ce texte ne soulève, en définitive, davantage d’interrogations qu’il n’apporte de réponses. La proposition de loi est d’ailleurs en contradiction avec la directive européenne de 2014 sur le reporting extra-financier et la vigilance raisonnée. Elle prévoit une obligation à la fois trop dure et trop large, éloignée des standards juridiques actuels.

L’autre point faible de cette proposition est de ne viser que des entreprises françaises, ou des entreprises d’au moins 10 000 salariés ayant une filiale en France.

Je rappelle, enfin, que l’esprit de la RSE est fondé sur la prise de responsabilité, l’initiative et la démarche volontaire. La plupart des entreprises françaises se sont ainsi dotées de chartes éthiques ou adhèrent volontairement à des initiatives publiques ou privées en vertu desquelles elles s’engagent à mettre en œuvre des principes extra-financiers. Ne trahissons pas cet esprit en contraignant les entreprises à mettre en place un plan de vigilance illusoire. Encourageons plutôt les démarches volontaires. Pour l’ensemble de ces raisons, et pour elles seules, la majorité du groupe UDI s’opposera à ce texte.

M. Dominique Potier, rapporteur. C’est dommage !

M. le président. La parole est à M. Serge Bardy.

M. Serge Bardy. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, à l’heure où les populismes invitent au repli partout en Europe, rester passif face aux dérives de la mondialisation économique serait suicidaire. Plus que jamais, nos concitoyens nous demandent de la régulation. Il faudrait être sourd pour ne pas l’entendre. C’est précisément l’objet de cette belle proposition de loi, qui nous réunit aujourd’hui pour la troisième et dernière fois. Cette fois-ci, on peut le dire, ce texte va être adopté. Enfin !

En première lecture, la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, dont je suis membre, avait alors été saisie et j’avais eu l’honneur d’être rapporteur pour avis de ce texte. Je m’exprime également en tant que représentant de l’Assemblée nationale à la Plateforme nationale d’actions globales pour la responsabilité sociétale des entreprises, qui a réalisé un travail d’auditions très important en amont de la première lecture de ce texte, et conduit en ce moment un groupe de travail sur les relations responsables, ce qu’il faut saluer.

Avant de commencer le commentaire du texte, je tiens à remercier les députés à l’origine de ce texte, sans lesquels rien n’aurait été possible. Dominique Potier, cheville ouvrière, qui, par son incroyable énergie…

M. Michel Sapin, ministre. Une énergie d’ouvrier agricole !

M. Serge Bardy. …permet de débloquer des situations et de faire avancer les choses. Je remercie Danielle Auroi et Philippe Noguès, qui ont suivi le dossier dès le stade de son élaboration, bien avant même la catastrophe du Rana Plaza au Bangladesh, ainsi qu’Annick Le Loch, rapporteure pour avis de la commission des affaires économiques en première lecture, et Anne-Yvonne Le Dain, au sein du groupe SER. Je tiens également à remercier chaleureusement la société civile, car ce texte est le fruit d’un travail de concertation étroite entre le Parlement, la société civile – ONG et syndicats – et le monde universitaire. Cette méthode devrait d’ailleurs nous inspirer et être reproduite plus souvent.

Je tiens notamment à souligner le pragmatisme dont ont fait preuve les ONG, loin de la caricature que l’on voudrait faire de la société civile, qu’on qualifie de naïve ou de « bisounours ». Elles ont su accepter les compromis et se ranger derrière un texte dont chacun s’accorde à dire qu’il est, quoi qu’on en dise, assez éloigné des idéaux de la toute première version. Je tiens également à m’associer personnellement aux remerciements exprimés par le rapporteur à l’endroit du Gouvernement et à toute l’équipe de M. le ministre, qui ont agi pour que cette proposition de loi puisse être examinée aujourd’hui.

Venons-en au fond et aux raisons qui nous poussent aujourd’hui à adopter ce texte. Je ne reviendrai pas sur son contenu, car le rapporteur l’a déjà fait. Cette proposition de loi est une première traduction législative d’une préoccupation partagée par tous les acteurs, publics comme privés : la responsabilité sociale des entreprises, qui consiste à identifier, prévenir et, le cas échéant, réparer les dommages sociaux, sanitaires et environnementaux, ainsi que les atteintes aux droits de l’homme susceptibles de résulter des activités économiques des entreprises.

La France est pionnière dans le monde sur ces sujets et nous pouvons être fiers de nos entreprises, qui, dans l’ensemble, sont souvent en avance par rapport à leurs homologues d’autres pays. En ce qui concerne les droits de l’homme et la RSE, un corpus international de normes s’est peu à peu constitué au niveau international, notamment autour des principes directeurs de l’OCDE et de l’ONU, sans oublier les conventions internationales de l’Organisation internationale du travail – l’OIT. Il appartient aux États de rendre effectifs ces principes et de leur donner toute leur portée en adaptant en conséquence les règles nationales.

C’est précisément l’objet de la présente proposition de loi. Nous pouvons nous permettre de le faire, car nos entreprises sont en avance. La grande majorité des entreprises françaises sont mûres et n’auront pas de difficultés à mettre en œuvre le plan de vigilance que cette proposition de loi les invite à élaborer. Au contraire, il est grand temps de valoriser les nombreuses entreprises engagées depuis longtemps dans des démarches vertueuses et qui ont déjà largement intégré les droits humains dans leur modèle économique.

En outre, l’économie française se distingue par un capitalisme de grandes entreprises – c’est un fait, et cela nous oblige. C’est aux pays dans lesquels les grandes entreprises européennes ont leur siège qu’il revient d’agir. Mais cette première proposition de loi est une étape sur un chemin encore long. Ce texte va-t-il permettre de régler tous les problèmes ? Assurément non. Probablement n’aurait-il d’ailleurs pas suffi à prévenir le drame du Rana Plaza, ni à mieux indemniser les victimes. Mais il envoie très clairement un message positif et va contribuer à tirer les standards des pratiques sociales et environnementales des entreprises vers le haut. C’est une étape importante, dont nous ne devons pas minimiser la portée, malgré la tentation naturelle d’en vouloir plus, dès aujourd’hui.

Avant de vous inviter à adopter ce texte, j’aimerais terminer, chers collègues, par un témoignage. Président du groupe d’amitié France-Équateur à l’Assemblée, je me suis rendu en Amazonie équatorienne, dans le cadre d’une visite officielle, en 2014. J’ai moi-même constaté les dégâts environnementaux dus à l’exploitation pétrolière de Texaco-Chevron, qui a opéré en Équateur entre 1964 et 1990. Dans la zone concernée, l’eau n’est pas potable. Il suffit, comme je l’ai fait moi-même, de passer sa main dans l’eau d’un puits pour observer la substance huileuse en surface. La justice a-t-elle été rendue ? Non ! Vingt-six ans plus tard, les populations locales attendent toujours que des mesures de dépollution soient mises en œuvre.

M. le président. Merci de conclure, mon cher collègue.

M. Serge Bardy. Je conclus, monsieur le président.

Je peux vous assurer que ce que nous sommes en train de faire aujourd’hui est très regardé à l’étranger,…

M. Dominique Tian. Surtout par les entreprises concurrentes !

M. Serge Bardy. …comme j’ai pu le constater en mars dernier, lorsque je me suis rendu à Genève, en marge de la session du Conseil des droits de l’homme de l’ONU. N’écoutons pas les sirènes qui nous enjoignent à ne rien changer. Nous traçons un chemin et jouons un rôle pionnier en faveur d’un meilleur accès à la justice et d’une mondialisation mieux régulée. Je ne doute pas que nous serons suivis par nos voisins. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Tétart.

M. Jean-Marie Tétart. Nous examinons ce texte pour la troisième fois, après que vous avez décidé, monsieur le rapporteur, de fermer la porte à toute discussion en commission mixte paritaire, alors que vous étiez favorable à certaines modifications apportées par le Sénat. Vous nous invitez à une troisième lecture, pour durcir encore ce texte.

Ces longs mois de navette parlementaire ont progressivement refroidi mon ardeur initiale à soutenir une idée et des principes auxquels je ne pouvais qu’adhérer. Comment ne pas vouloir « responsabiliser les sociétés transnationales afin d’empêcher la survenance de drames en France et à l’étranger et d’obtenir des réparations pour les victimes en cas de dommages portant atteinte aux droits humains et à l’environnement », comme l’indique l’exposé des motifs de la proposition de loi ? Les personnes que j’ai rencontrées pendant ces longs mois de navette m’ont persuadé que, dans un contexte de grande concurrence internationale, votre démarche est inadaptée et pénalisante pour les entreprises françaises, pourtant parmi les plus vertueuses du monde. M. Bardy vient d’ailleurs de souligner leur vertu, mais en tire la conséquence qu’il est possible de leur imposer des contraintes supplémentaires.

Alors que l’environnement mondial des entreprises est complexe et évolue de manière lente, selon leur taille, leur domaine d’activité, la culture d’entreprise et le pays où elles interviennent, vous considérez au contraire que toutes les chaînes de valeur et d’approvisionnement fonctionnent de manière unique et linéaire. Cette vision est caricaturale. À la différence du textile, l’électronique, par exemple, fonctionne d’une manière multipolaire : les sous-traitants fabriquent leurs propres produits, les brevettent quelquefois et choisissent eux-mêmes les groupes avec lesquels ils travaillent, en leur imposant leurs propres règles.

Je pense aussi aux entreprises de gestion des services publics – un grand domaine de l’excellence française. Ces grandes entreprises françaises ne peuvent changer de pays ou de partenaires. Elles sont liées à un territoire et ne choisissent pas leurs partenaires, qu’il s’agisse de sociétés étatiques ou de collectivités locales. Elles sont également liées à des pratiques, à des clauses imposées ou à des reprises des personnels existants. Elles ont conclu des contrats de concession ou de gestion de temps long.

Plutôt que de travailler main dans la main avec les organisations internationales, nos partenaires européens, les pays en développement et les entreprises, vous imposez à nos entreprises une vision coercitive sans délai sérieux d’adaptation tout en ignorant l’avancement de la prise en compte des objectifs au niveau international. L’OIT –, l’OCDE, le Conseil économique et social européen et l’Union européenne travaillent sur ce sujet et réalisent des avancées concrètes. La directive européenne du 22 octobre 2014 doit être transposée la semaine prochaine. Ne pouvons-nous pas attendre de connaître la position de nos partenaires avant d’opérer une fuite en avant qui risque de tant fragiliser nos entreprises ?

L’OIT, qu’on ne peut accuser de faire fi des droits de l’homme, a rendu en juin dernier ses recommandations aux États membres. Elle constate que les chaînes d’approvisionnement mondiales sont complexes, diverses et fragmentées et en tient compte. Au lieu d’une vision coercitive solitaire et figée dans un droit dur, elle préconise d’étudier les abus et d’observer les pays et les secteurs d’activité concernés et implore « cohérence politique, collaboration, coordination à un niveau global, régional, sectoriel et national ».

Or ce projet de loi fait l’inverse. Là où la souplesse et le travail collectif sont recommandés, vous rajoutez de la rigidité et voulez avancer seuls, convaincus que les résultats seront au rendez-vous par la menace de la sanction, tout en ignorant ses effets pervers.

Parmi ces derniers, je tiens à rappeler que l’avenir de l’armature économique des pays en développement dépend d’un réseau d’entreprises souvent réduites à la sous-traitance, mais capables de passer progressivement d’une économie grise à un statut d’entreprises modernes, vers une autonomie de création et de production respectant peu à peu les standards internationaux, y compris ceux qui relèvent de la responsabilité sociale des entreprises.

C’est d’ailleurs tous le sens de l’aide au développement, qui ne se réduit pas à un don d’argent ou à des prêts : il faut aider ces pays à progresser dans la constitution de leur armature économique. Or le présent texte conduira nos entreprises multinationales parmi les plus modernes à ne retenir, pour se sécuriser elles-mêmes, qu’un nombre réduit de fournisseurs et de sous-traitants parmi les plus modernes et internationalisés de ces pays : ceux qui leur garantiront le maximum de sécurité juridique. Les autres entreprises de ces pays resteront dans l’économie grise, sous-traitantes d’entreprises non vigilantes, au lieu d’être aidées progressivement à passer d’un logiciel 3.0 à un logiciel 4.0.

Pire encore : nos entreprises changeront de pays, si l’organisation politique et les pratiques ordinaires imposées dans le pays où elles sont leur font prendre un risque. Chez nous également, nous constaterons une contraction des fournisseurs et sous-traitants qui n’auront pas tous les moyens humains et financiers permettant de vérifier si un composant importé a échappé à leur vigilance.

Les entreprises françaises, reconnues par vous aussi comme « vertueuses » mais menacées par votre texte, risquent également de quitter des pays avec lesquels elles ont patiemment construit une relation commerciale constante, pour laisser la place à des entreprises étrangères beaucoup moins vertueuses.

Chers collègues, vous voulez faire de nos entreprises les éclaireurs pénalisés d’une nouvelle pratique internationale, au lieu de négocier celle-ci d’abord à un niveau multilatéral. Pourquoi ne pas accompagner nos entreprises sur le chemin d’une plus grande vertu en s’inspirant plutôt des pratiques des pays scandinaves qui mettent en place des pôles d’accompagnement des entreprises ? Pourquoi ne pas prendre la tête de négociations internationales sur le sujet ou ne pas appuyer le gouvernement des Pays-Bas, qui souhaite avancer en la matière lorsqu’il présidera l’Union européenne ?

Cher rapporteur, chers collègues, si je suis toujours aussi solidaire des politiques d’aide au développement dans le cadre de la solidarité internationale, ainsi que des objectifs de votre démarche, je ne saurais, pour les satisfaire, appuyer davantage les méthodes que vous proposez.

M. Dominique Tian. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jacques Bompard.

M. Jacques Bompard. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, chers collègues, la responsabilité est une notion cruciale, surtout dans une mondialisation libertaire où la gauche s’est ingéniée à mettre en place les desiderata du marché et où le centre a défendu tous les projets de marchandisation et de réification de l’homme. Il est heureux de voir qu’au jour où le libéralisme outrancier ne fait plus recette, quelques personnalités veulent revenir sur la dictature du « laisser-faire, laisser-aller ».

Les sociétés visées par le texte engagent l’image à la fois de notre nation, de ses familles et de son histoire. Leur imposer un cadre de fonctionnement fondé sur ses deux principes, éthique et réaliste, est une bonne chose. Mais cela ne peut se faire que si l’État fait œuvre d’introspection. Je suis au regret de revenir sur le cas syrien, mais je sais qu’au départ de la majorité socialiste et des personnalités impliquées dans cette affaire, le scandale éclatera et maculera le destin public de plusieurs de nos collègues.

Le journaliste Georges Malbrunot nous rappelait récemment que l’Espagne a missionné un consul à Damas. Le commissaire européen à la sécurité admettait dernièrement la nécessaire collaboration à venir avec tous les acteurs du Proche-Orient. Or la France s’égare toujours dans un positionnement unilatéral en faveur de l’économie et de l’armée des islamistes. Un embargo qui renforce la puissance économique de groupes barbares devrait conjointement engager la responsabilité de l’État et des sociétés.

Je tiens par ailleurs à vous prévenir des nombreux procès qui s’ouvriront automatiquement avec le vote de ce texte. La fréquence des visites des élus et des représentants français dans plusieurs États du Moyen-Orient tombera forcément sous le coup de l’alinéa 3 de l’article 1er. François Hollande ne peut pas à la fois brandir un sabre à Ryad et faire condamner des chefs d’entreprise qui n’auraient pas pris en compte la vigilance nécessaire dans ces pays.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Quel rapport ?

M. Jacques Bompard. On voit bien par ailleurs que ce texte est idéaliste, ce en quoi il n’est pas foncièrement critiquable. On voit bien aussi qu’il met en délicatesse quelques membres du système. Il eût d’ailleurs fallu lui intégrer une clause éthique, notamment après le texte que nous avons voté sur l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, l’ANSM, la semaine dernière, et qui donnera évidemment lieu à un vaste trafic de ce que la gauche a appelé des « produits de santé » et qui désigne, en réalité, des cellules et des organes humains.

Je suis tout prêt, in fine, à soutenir ce texte, tant il aura, selon mon avis, des conséquences heureuses en matière d’observation des pratiques réellement admises dans les sphères dirigeantes. Je ne pourrai cependant pas le faire si on ne lui intègre pas des clauses similaires pour les sociétés d’autres pays. Nous savons trop comment l’extraterritorialité du droit américain et l’hyperpuissance du dollar ont provoqué de véritables distorsions de concurrence au détriment des entreprises françaises.

Il s’agirait aussi de clarifier l’indépendance des organes qui décideront de la nature des violations du texte. Il n’y aurait pas de pire signal donné par la France qu’un deux poids, deux mesures dans la surveillance de tels agissements. Si, par exemple, le tropisme antirusse se perpétuait dans la même course délirante qu’actuellement ou si l’alignement de notre politique étrangère sur celle des États-Unis et des pétromonarchies se poursuivait, nous signerions simplement notre vassalisation, qui est du reste déjà bien engagée.

J’espère que ces évolutions seront possibles afin que je puisse soutenir la bonne cause sise en ce texte.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Cette intervention était risible !

M. le président. La parole est à M. Dominique Raimbourg.

M. Dominique Raimbourg. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous avons affaire là à un très beau texte, tout d’abord parce qu’il est vertueux. Vous l’avez démontré, monsieur le rapporteur, monsieur le ministre : ce texte est fondé simplement sur la certitude que de la contrainte peut jaillir de la compétitivité et que la vertu est à même de dégager du chiffre d’affaires, ce qui est une très bonne nouvelle. Vouloir travailler pour un monde plus humain, plus sûr et plus propre peut garantir à nos sociétés une image tellement forte, comme l’a souligné Mme Le Dain, qu’elle s’impose au niveau international et soit à même de garantir un développement industriel et économique important.

Monsieur le rapporteur, vous avez fourni, de l’avis de tous, un travail exceptionnel. Vous avez fait preuve d’une grande ténacité. Je sais combien votre tâche a été rendue difficile, notamment par la multiplication des obstacles que vous avez dû affronter. Avec Philippe Noguès, Danielle Auroi, Serge Bardy, Anne-Yvonne Le Dain ou Annick Le Loch, vous avez travaillé sur ce texte tout au long de la législature sans jamais abandonner. Nous arrivons aujourd’hui presque au bout : nous réussirons à inscrire ce texte dans notre droit positif avant la fin de la présente législature. Je tenais à vous en féliciter.

Mme Sandrine Mazetier. Bravo à M. Potier, en effet !

M. Dominique Raimbourg. Vous vous êtes appuyé à cette fin sur des hommes et des femmes de bonne volonté. Ce qui est rassurant, c’est qu’il en existe sur tous les bancs. L’opposition, en effet, de nos collègues de droite n’est pas féroce.

M. Dominique Tian. Nous sommes sensibles à votre propos !

M. Dominique Raimbourg. C’est une opposition de détail, qui peut être levée.

Pour réaliser ce travail commun, vous vous êtes même appuyé – c’est important – sur ceux qui, au sein du monde économique ou du patronat, ont d’ores et déjà mis en place un code de bonne conduite et de responsabilité. Nous avons là tous les éléments pour progresser. Les plus responsables de nos acteurs économiques sont d’accord pour affirmer que nous ne pouvons pas produire à bas prix à n’importe quel coût humain, environnemental ou social. Votre grand mérite, monsieur le rapporteur, est d’avoir mis ce fait en évidence, si bien qu’aujourd’hui nous pouvons tous nous retrouver sur ce texte.

Ce texte n’est pas seulement vertueux : il est aussi très habile parce qu’il se décompose en deux temps et que les obligations qu’il prévoit sont très subtilement pensées. Il rend tout d’abord obligatoire un plan de prévention et c’est l’absence ou la mauvaise qualité de ce plan qui peut être sanctionnée. Ce texte n’instaure donc pas un système de responsabilité générale : il est de la responsabilité de l’entreprise de penser un plan de prévention. Elle ne peut être sanctionnée que si elle a fait défaut en la matière. Vous avez pris la précaution de souligner qu’il s’agira non pas d’une sanction pénale mais d’une amende civile. Ce dispositif relève donc bien d’une grande habileté.

La deuxième caractéristique du texte est d’établir un lien nécessaire entre la responsabilité éventuelle de l’entreprise et la faute commise : l’entreprise est donc responsable non pas de la totalité du préjudice mais de la partie de celui-ci qui est liée à l’absence ou à la très mauvaise qualité du plan de prévention. Cette obligation morale sanctionnable sur le plan juridique n’entraîne pas une responsabilité tous azimuts, sans rapport avec la faute commise : ce texte est donc équilibré et adroit.

Une autre raison pour laquelle il s’agit d’un bon texte, c’est qu’il est charitable au bon sens du terme, c’est-à-dire non pas pour les autres mais pour nous-mêmes, du fait que nous pouvons en tirer des bénéfices très importants.

M. Gérard Charasse. Tout à fait !

M. Dominique Raimbourg. Nous pourrons en effet nous appuyer sur celui-ci pour rappeler qu’en matière de production agricole, par exemple, il ne sert à rien de faire baisser indéfiniment les prix si nous voulons conserver des agriculteurs et qu’un jour, à force de ne pas payer le lait à son juste prix, les producteurs de lait disparaîtront.

M. Dominique Potier, rapporteur. Très bien !

M. Dominique Raimbourg. Nous pourrons également nous tourner vers les multinationales, qui recourent à des subterfuges légaux pour ne pas payer l’impôt sur leur chiffre d’affaires réalisé ici.

M. Dominique Potier, rapporteur. Voilà !

M. Dominique Raimbourg. Nous pourrons dire à Google, Amazon, Facebook ou Apple : « Payez l’impôt sur les sociétés car votre refus d’honorer vos obligations en la matière vous reviendra un jour comme un boomerang. Votre image souffrira beaucoup de ce refus, et si votre image en souffre, alors c’est votre chiffre d’affaires qui y perdra, lui aussi, beaucoup. »

C’est pour toutes ces raisons que, j’en suis persuadé, nous nous apprêtons aujourd’hui à voter un très beau texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

M. le président. La parole est à Mme Annick Le Loch.

Mme Annick Le Loch. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, chers collègues, la mobilisation de la société civile et des parlementaires depuis maintenant deux ans a porté ses fruits. Après l’échec de la CMP, nous examinons aujourd’hui, en nouvelle lecture, la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre. Cette dernière étape est l’aboutissement de tout le travail d’échange et de concertation accompli sur ce texte, présenté par son rapporteur, Dominique Potier, dont je salue la pugnacité.

C’est la portée universelle de ce texte qui fait sa grandeur et son efficacité. Que ce soit en France ou ailleurs, toute atteinte aux droits de l’homme, à l’environnement et aux droits sociaux, ainsi que toute tentative de corruption, devra être prévenue, évitée ou effectivement réparée. Tel est l’objet du plan de vigilance instauré par le texte, qui devra être mis en œuvre et communiqué au public. S’il n’est pas respecté et que la responsabilité de l’entreprise est reconnue dans un dommage causé sur sa chaîne de production ou d’approvisionnement, une juridiction française pourra prononcer une amende et demander la réparation du préjudice subi, avec ou sans astreinte.

Pour prendre un exemple, une société d’extraction de minerais qui n’aurait pas tout mis en œuvre pour empêcher le déversement de substances radioactives par un de ses sous-traitants pourra être condamnée.

Nous voyons encore trop de sociétés parler d’exemplarité dans leur reporting extra-financier sans que cela se traduise dans les faits. Tout l’enjeu réside dans les moyens mis en œuvre, au-delà des simples déclarations d’intention.

Le Sénat a supprimé toute sanction en cas de manquement. Quant à nous, nous avons souhaité, pour cette dernière lecture – je l’espère – et en concertation avec le Gouvernement et les associations, rétablir le principe d’une sanction proportionnée à la situation des entreprises.

Vous le savez : sous sommes, notamment au sein de la commission des affaires économiques, très attentifs aux intérêts des entreprises françaises. Nous avons de très belles entreprises, des fleurons économiques dont nous sommes très fiers. Nous ne pensons pas que cette loi les pénalisera. Pour nous, le devoir de vigilance contribue à la responsabilisation des entreprises sans porter atteinte à leur compétitivité. Le développement économique ne peut plus se faire au détriment du progrès social, des avancées des droits de l’homme, de la santé publique ou de la protection de l’environnement. C’est une certitude.

La politique des multinationales en matière de RSE sera valorisée : les plus vertueuses d’entre elles, celles dont la stratégie est exemplaire, seront confortées. Plus globalement, cette loi protégera les plus petites entreprises, celles qui se sont engagées dans le made in France, le commerce équitable et le plus juste échange, celles qui n’ont pas sacrifié leur responsabilité pour la compétition sans foi ni loi.

Par la suite, l’Europe devra avancer et reprendre cette loi dans le cadre d’une directive européenne. C’est en tout cas ce que nous espérons tous. Mais avant, la France, si fière de son héritage, peut elle aussi envoyer un signal et traduire son discours universaliste en actes. Elle doit s’affranchir de la pression permanente des marchés financiers internationaux, qui entraîne la délocalisation de la misère.

Aujourd’hui, les parlementaires sont invités à remplir leur rôle de protecteurs des libertés individuelles et collectives, en tous lieux et en toutes circonstances. C’est pourquoi il nous faut voter cette proposition de loi de gauche et de progrès afin qu’elle soit définitivement adoptée en janvier 2017. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain, du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

M. le président. La parole est à M. Lionel Tardy.

M. Lionel Tardy. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la capacité de cette majorité à plomber la compétitivité de nos entreprises par petites touches de normes est étonnante.

M. André Chassaigne. Oh !

M. Lionel Tardy. Même en cette fin de quinquennat, je n’arrive pas à m’y faire. Pourquoi vouloir imposer des normes franco-françaises dans un environnement mondial ?

République numérique, loi Sapin 2… Les lois se suivent et nous répétons inlassablement la même chose : le niveau européen est le niveau minimal auquel de nouvelles obligations peuvent être harmonisées et appliquées. Cette proposition de loi va pourtant dans le sens inverse.

Comme le groupe Les Républicains le rappelle depuis le début, les législations étrangères comparables sont de portée ou d’ampleur plus limitées.

Le Sénat avait pourtant ouvert la voie à une vision plus réaliste. Le texte adopté par nos collègues avait le mérite de transposer directement dans le droit français la directive du 22 octobre 2014 sur la publication d’informations non financières et d’informations relatives à la diversité par certaines grandes entreprises et certains groupes. Je vous rappelle que cette directive doit être transposée avant le 6 décembre 2016, soit dans une semaine…

Au lieu de se ranger à cette position de compromis, et considérant sans doute que « faire et défaire, c’est toujours travailler », la majorité est restée fermée, s’obstinant dans une démarche solitaire. Vous pouvez donc encore moins dire qu’il y a d’un côté la gentille gauche qui défend les salariés, et de l’autre la méchante droite qui défend les entreprises.

La seule bonne nouvelle est le maintien de l’article 4, qui prévoit une entrée en vigueur différée du texte.

M. Dominique Potier, rapporteur. Vous allez être déçu !

M. Lionel Tardy. Pour le reste, même si vous ne voulez pas l’entendre, ce texte pose de vrais problèmes de constitutionnalité qui ont, là encore, été soulevés dès le début. Je rappelle qu’en première lecture, le Sénat avait rejeté la proposition de loi sur la base d’une motion préjudicielle, ce qui n’est pas rien ! Le rapporteur avait alors évoqué pas moins de trois arguments mettant en doute la constitutionnalité du texte, portant sur le principe d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi, le principe de responsabilité et le principe selon lequel « nul ne plaide par procureur », auxquels s’ajoute une possible atteinte au principe de légalité des délits et des peines.

Plus globalement, nous sommes bien loin de ce qu’est et devrait être la responsabilité sociétale des entreprises, la RSE. Cette démarche a connu un certain succès et doit être soutenue car elle s’appuie sur une action volontaire. La grosse erreur, ici, c’est que ce n’est du tout pas le cas, puisque l’ensemble de cette proposition de loi a pour objet de montrer du doigt les entreprises, sans discernement. Voilà une énième épée de Damoclès qui pèse sur les entreprises françaises. Même si cela ne concerne que les grandes entreprises, c’est tout l’écosystème qui en pâtira. Les PME françaises vont sans doute subir des clauses contractuelles plus contraignantes, par ricochet.

Il y a un léger mieux par rapport à la proposition de loi initialement déposée par le groupe écologiste, qui prévoyait rien de moins qu’une présomption de responsabilité très lourde de la société mère. Mais les propos que j’avais tenus à l’époque en matière économique sont toujours d’actualité. Le problème de fond reste le même : en légiférant dans notre coin et sans réciprocité, nous pénalisons nos propres entreprises par rapport aux autres, notamment aux autres entreprises européennes.

L’état de l’investissement des entreprises et de l’économie française ne nous permet pas ce genre d’aventure. Aucune loi votée lors du présent quinquennat n’a réussi à restaurer un climat de confiance pour les entreprises. En plein Brexit, l’attractivité de notre pays pour les entreprises est toujours en berne. Un récent classement de la Banque mondiale plaçait la France au vingt-neuvième rang des pays facilitant l’installation et la réussite des entreprises, loin derrière la Nouvelle-Zélande, Singapour, le Danemark, l’Allemagne ou le Portugal.

Ce n’est pas cette proposition de loi pleine d’incertitudes juridiques qui fera changer les choses. Elle risque au contraire de décourager les grands groupes d’investir sur notre territoire. Le signal envoyé est décidément mauvais. Au lieu d’imposer de nouvelles contraintes à l’encontre des entreprises françaises, pourquoi ne pas s’en tenir à la directive de 2014 ?

Il fut un temps où le Premier ministre – futur ex-Premier ministre – déclarait dans toutes les langues qu’il aimait l’entreprise. Peut-être faudrait-il éviter les déclarations d’amour en contradiction avec les actes et raisonner sans idéologie et dans un cadre européen.

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Dominique Potier, rapporteur. Je souhaite d’abord répondre à tous les collègues de la majorité qui se sont exprimés. Je salue l’union de tous les membres de la gauche, qui ont fait chorus aujourd’hui avec des mots chaleureux. Philippe Noguès, Danielle Auroi et moi – le trio initial – sommes particulièrement sensibles à tous les renforts que nous avons reçus. Nous avons été persévérants, mais nous avions à nos côtés une société civile elle-même extrêmement déterminée, ce qui nous a aidés. Le groupe majoritaire n’a jamais compté autant de députés mobilisés qu’autour de cette proposition de loi.

Je vous le dis très sincèrement, chers collègues de l’opposition, j’ai rêvé que nous puissions nous rassembler autour de telles dispositions, pour que vous n’ayez pas les regrets que vos prédécesseurs ont eus au XIXe et au début du XXsiècle après avoir refusé des lois qui ont aujourd’hui la force de l’évidence.

M. Jean-Noël Carpentier. C’est vrai !

M. Dominique Potier, rapporteur. Je voulais simplement vous éviter ce désagrément.

Je vais donc vous répondre rapidement, vous qui êtes pour beaucoup des collègues et parfois des amis dans le cadre de combats communs. Je pense notamment à M. Tétart, le défenseur de l’aide publique au développement – si cette dernière augmente cette année, c’est parce que des élus particulièrement impliqués dans la coopération décentralisée, siégeant sur tous les bancs de notre assemblée, se sont engagés en faveur de telles mesures de solidarité. Nous menons donc des combats communs. Je pense aussi aux convergences que nous avons avec M. Piron.

Je suis donc désolé, chers collègues de l’opposition, de vous voir rejeter globalement cette proposition de loi, même si vos propos comportent quelques nuances.

M. Piron a eu raison de souligner la filiation de ce texte avec des lois antérieures. Je pense au Grenelle de l’environnement et à toutes les dispositions relatives au reporting extra-financier. Cependant, il faut bien admettre que les principales filiations renvoient à notre majorité et que l’accélération a eu lieu lors de la présente législature. Parmi les bonnes lois qui vont améliorer les relations européennes et internationales de nos entreprises, je veux citer la loi visant à lutter contre la concurrence sociale déloyale, soutenue par Gilles Savary et relative au travail détaché, les mesures concernant les paradis fiscaux contenues dans la loi de régulation et de séparation des activités bancaires, et bien sûr le paquet de mesures de lutte contre la corruption – le reporting, les lanceurs d’alerte, l’Agence française anticorruption – contenues dans la loi dite Sapin 2.

S’agit-il de mesures trop vastes, comme l’affirme M. Piron ? En toute amitié, je lui demanderai comment hiérarchiser la pollution d’un écosystème ou d’une rivière, le travail d’un enfant, le risque sanitaire et physique encouru par un ouvrier du textile.

Il s’agit de disposer d’un plan de vigilance. Ce sera la seule spécificité française. Il faut bien admettre, d’ailleurs, que nous sommes en retard par rapport à nos voisins européens de taille et de puissance comparables. Au Royaume-Uni, le travail des enfants est très sévèrement condamné. Il en est de même en Italie et dans d’autres pays anglo-saxons qui ont adopté des mesures très sévères concernant l’origine des minerais, des bois et sur la traçabilité des matières premières.

Comme cela a été souligné à l’envi par le président de la commission des lois, que je remercie pour ses propos, ainsi que par le ministre, l’originalité française consiste donc à mettre en œuvre un plan de prévention. Il s’agit non pas de punir les entreprises mais, au-delà des questions éthiques, de prévenir un risque réputationnel et un risque conflictuel, dans la mesure où des tribunaux arbitraux peuvent sanctionner sévèrement nos entreprises ici et là.

Cette proposition de loi est donc un texte préventif, qui prend en compte l’ensemble des systèmes. Nous n’avons pas inventé ces principes : ce sont ceux de John Ruggie, qui ont été repris par l’ONU et constituent des directives de l’OCDE. Si nous ne sommes pas hypocrites, nous devons sortir des vœux pieux et mettre en œuvre ces principes dans des États nations. Je veux le dire avec simplicité : l’Europe n’avance que grâce à des États nations audacieux qui formulent des propositions.

M. Jean-Luc Laurent. Vive l’État nation ! (Sourires.)

M. Jean-Frédéric Poisson. Très bien ! Voilà des propos intelligents !

M. Dominique Potier, rapporteur. Aujourd’hui, cette initiative française inspire l’Europe. D’un point de vue intellectuel, nous devons admettre qu’il existe un écart important entre notre texte et celui des sénateurs, qui se résume à du reporting – l’entreprise rapporte ce qu’elle fait et est incitée à faire mieux.

Pouvez-vous imaginer une sécurité routière qui relève, sur les autoroutes comme sur les chemins vicinaux, de la bonne volonté des conducteurs formés par des écoles bénévoles ou des établissements d’éducation populaire de conduite ? (Sourires.) Non ! Nous avons un code de la route, et les véhicules sont soumis à un contrôle technique. Cela permet d’assurer la sécurité routière. Pour prendre la route sur le chemin de la mondialisation, nous demandons simplement à nos entreprises de prévenir les risques les plus importants qui peuvent détériorer nos biens communs et attenter à la dignité humaine. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

M. Jean-Noël Carpentier. C’est la voix de la raison !

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Excellent, comme toujours !

Discussion des articles

M. le président. J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles de la proposition de loi.

Article 1er

M. le président. Plusieurs orateurs sont inscrits sur l’article 1er.

La parole est à M. Philippe Noguès.

M. Philippe Noguès. Même si la lecture définitive de cette proposition de loi n’aura lieu qu’en janvier, nous arrivons au terme d’un parcours long, compliqué et même chaotique.

Nous avons d’abord planché durant de longs mois sur une première version du texte, avec l’aide de juristes et de plusieurs ONG – je ne les citerai pas, de peur d’en oublier, mais je veux moi aussi profiter de cette occasion pour saluer le travail qu’elles ont accompli et les remercier sincèrement pour l’aide qu’elles nous ont apportée. Dès 2012, Dominique Potier, Danielle Auroi et moi-même nous sommes retrouvés pour échanger et construire cette proposition de loi en lien avec la société civile, les ONG et les syndicats – d’emblée, l’ensemble des syndicats représentatifs nous ont apporté leur soutien.

Confrontés à des lobbies discrets mais terriblement efficaces, nous avons toutefois dû accepter de nous rabattre sur le texte que nous examinons aujourd’hui. Ce dernier marque clairement un retrait par rapport à notre volonté initiale, mais il constitue malgré tout un premier pas historique vers une prise en compte obligatoire des droits humains par les multinationales. Même si nous devons être conscients que ce texte n’apporte pas toutes les garanties que nous aurions souhaitées, j’espère qu’il contribuera à prévenir des drames humains comme celui du Rana Plaza et des catastrophes environnementales comme celle du delta du Niger, pour n’en citer qu’une.

Bref, il s’agit d’un premier pas, d’un « pied dans la porte », comme je l’ai dit à plusieurs reprises. Nous aurions aimé améliorer davantage le texte, renforcer encore plus les garanties qu’il offre, car je ne peux m’empêcher d’être un peu inquiet pour l’avenir.

Quelle que soit la prochaine majorité dans cet hémicycle,…

M. Jean-Frédéric Poisson. Il y a peu de chance qu’elle soit la même !

M. Philippe Noguès. …j’espère que le respect des droits de l’homme et des droits environnementaux restera une priorité.

Mme Anne-Yvonne Le Dain et M. Jean-Noël Carpentier. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Danielle Auroi.

Mme Danielle Auroi. À mon tour de rappeler que, depuis le début de la législature, nous avons travaillé avec les ONG et les syndicats – y compris les syndicats de cadres – sur cette proposition de loi qui, je l’espère, sera définitivement adoptée avant la fin de la législature. Son adoption enverra un signal positif, comme l’a rappelé le président de la commission des lois, au moment où, au niveau international, nous voyons bien que la mondialisation ultralibérale et dérégulée est mise en cause, avec le Brexit comme avec l’élection de Donald Trump aux États-Unis. Il faudrait peut-être y penser, mes chers collègues de la droite.

Nous ne pouvons plus accepter de fermer les yeux si des entreprises, par négligence ou par appât du gain, se retrouvent mêlées à des violations graves des droits de l’homme ou à des atteintes à l’environnement. Les maisons mères et les entreprises donneuses d’ordre doivent être rendues juridiquement responsables des agissements de leurs filiales et de leurs sous-traitants. Cela s’inscrit dans la suite du reporting extra financier, qui avait d’abord été défendu par la France, puis par l’Europe et qu’il nous revient d’adopter aujourd’hui en France – il est important de connaître le déroulement exact des événements.

Cette proposition de loi est un premier pas indispensable. Il s’agit même d’une première au niveau national, qui traduit l’esprit de la proposition d’un « carton vert » en matière de RSE, que je défends au niveau européen avec les membres de la commission des affaires européennes. Elle a d’ores et déjà reçu le soutien de neuf parlements nationaux et la Commission l’observe de très près. Mes échanges avec mes homologues européens et les ONG européennes montrent que la France peut jouer un rôle d’aiguillon. Je dirai même que ce rôle est attendu, y compris par la Commission européenne, pour faire progresser la réglementation européenne en matière de responsabilité des actions des entreprises dans le domaine des droits de l’homme et des droits de l’environnement.

Comme l’a dit Dominique Potier, il n’y a rien là que de positif et de vertueux. Il serait bienvenu que nous soutenions unanimement cette initiative. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. André Chassaigne. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Chaynesse Khirouni.

Mme Chaynesse Khirouni. Je tiens à mon tour à saluer l’action de nos collègues Dominique Potier, Danielle Auroi et Philippe Noguès, qui mènent ce combat depuis plus de trois ans. C’est avec fierté que nous allons voter cette proposition de loi. En effet, nos entreprises ne peuvent plus s’exonérer de leurs devoirs au regard des droits de l’homme, de la santé, de l’environnement ou de la justice, ici et partout dans le monde.

M. André Chassaigne. Très juste !

Mme Chaynesse Khirouni. Le Bangladesh compte près de 4 millions d’ouvriers dans le secteur textile, dont 80 % sont des femmes, pour lesquelles c’est le seul métier accessible et qui leur offre un minimum d’indépendance financière. Après la tragédie du Rana Plaza, qui a fait plus de 1 100 morts, cette proposition de loi constitue une première avancée vers la responsabilisation de nos grandes entreprises : la France se doit d’être à l’avant-garde de ce combat. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. André Chassaigne. Très bien !

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Excellent !

M. le président. La parole est à M. Dominique Tian, pour soutenir l’amendement n4, qui tend à supprimer l’article 1er.

M. Dominique Tian. Avec ce texte inutile mais politique – le rapporteur l’a rappelé –, il s’agit de réunir la gauche à quelques mois d’une échéance importante. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. Serge Bardy. Caricature !

Mme Audrey Linkenheld. Si seulement c’était vrai ! (Sourires.)

M. Dominique Tian. Ce texte, disais-je, est extrêmement politique et crée des zones d’incertitude juridique. Quoi qu’il en soit, il ne sera pas appliqué. C’est une opération de communication qui ne sert pas à grand-chose. En rejetant votre proposition de loi, le Sénat a indiqué qu’il suffisait de transposer la directive européenne de 2014, ce que, du reste, vous êtes obligés de faire avant le 6 décembre 2016.

La gauche, en déposant cette proposition de loi très politique fait preuve d’un orgueil excessif.

M. Jean-Luc Laurent. C’est du volontarisme !

M. Dominique Tian. En cela, elle cède à la manie très française de donner des leçons au reste du monde.

Vous qui ne cessez d’invoquer l’Europe et n’avez que ce mot à la bouche, vous refusez d’appliquer la directive européenne de 2014 et préférez en proposer une version française. D’une part, celle-ci n’a aucune chance d’aboutir et, d’autre part, elle pénalise inutilement nos entreprises à l’export.

M. Lionel Tardy. Eh oui !

Mme Marie-Anne Chapdelaine et M. Serge Bardy. Caricature !

M. Dominique Tian. Il s’agit d’entreprises de plus de 5 000 salariés en France et de plus de 10 000 dans le monde, monsieur le rapporteur, il ne s’agit pas de la petite PME locale. Il s’agit d’entreprises connues dans le monde entier et dont le savoir-faire est reconnu et vanté de tous et qui fait notre fierté. Lorsque le Président de la République et le Premier ministre sont en déplacement à l’étranger, ils sont entourés de chefs d’entreprise, de ces entreprises précisément car elles ne sont pas si nombreuses. Alors qu’elles sont connues et respectables, vous voulez leur imposer des contraintes financières. En dépit de ce que vous affirmez, il est prévu des amendes qui peuvent aller jusqu’à 10 millions d’euros.

M. Serge Bardy. Oui, et même 30 !

M. Dominique Tian. Si pour vous ce n’est pas une contrainte financière, de quoi s’agit-il ?

Vous voulez toujours faire mieux que les autres, être plus vertueux. Alors que nous sommes incapables de faire respecter sur le territoire national la loi sur la sous-traitance et de demander aux inspecteurs du travail et à la puissance publique de s’intéresser à tous ceux qui travaillent dans des conditions d’esclavage – chacun sait, monsieur le ministre, ce qui se passe dans certains métiers et que le monde entier vient travailler illégalement sur le territoire national et est exploité par des marchands de main-d’œuvre –,…

M. André Chassaigne. Avec le programme de Fillon, on sera servi !

M. Dominique Tian. …il est pour le moins paradoxal de vouloir donner des leçons au monde entier et de pénaliser les entreprises françaises.

Le groupe Les Républicains, à l’instar de ce qui s’est passé au Sénat, ne participera pas à cette opération de communication qui ne présente aucun intérêt,…

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Dites-le aux victimes du Rana Plaza !

M. Dominique Tian. …si ce n’est de pénaliser les entreprises françaises qui essaient de se placer au mieux dans la concurrence internationale et de créer de l’emploi. Nous nous opposerons donc à cette proposition de loi dangereuse pour les entreprises françaises.

M. André Chassaigne. Ce n’est pas glorieux !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Dominique Potier, rapporteur. La teneur de la discussion générale laissait augurer des positions plus nuancées.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Un peu plus intelligentes, vous voulez dire !

M. Dominique Tian. Ce sont celles du Sénat !

M. Dominique Potier, rapporteur. Les chiffres sont précis, monsieur Tian. Les entreprises européennes, notamment les entreprises françaises, sont championnes du monde en matière de RSE.

M. Dominique Tian. Eh bien alors, pourquoi leur infliger des règles supplémentaires ?

M. Dominique Potier, rapporteur. Il ne s’agit pas d’une opération de communication lancée il y a trois jours ; notre réflexion a commencé il y a trois ans, avant même que le drame du Rana Plaza ne se produise. Nous essayons de lutter contre tous les Rana Plaza invisibles.

Nous avons travaillé sur la question d’une RSE volontaire. Le Premier ministre Jean-Marc Ayrault avait créé une plateforme qui fonctionne bien. Or toutes les études convergent : au rythme où nous travaillons depuis trente ans, il faudra un siècle pour obtenir l’application des principes de John Ruggie. Combien de Rana Plaza, combien de drames faudra-t-il pour agir ?

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Il s’en fiche !

M. Serge Bardy. Ce n’est pas son problème !

M. Dominique Potier, rapporteur. Agir est une question de volonté. Accepteriez-vous d’avoir dix sous-traitants pour la construction de votre maison, pour la garde de vos enfants, la fabrication de vos aliments ? Ce que vous n’acceptez pas pour vous, vous le tolérez pour d’autres.

Mme Danielle Auroi. Tout à fait !

M. Dominique Potier, rapporteur. À l’autre bout du monde, on pourrait tout à fait mépriser les droits de l’homme et polluer les écosystèmes, et ce dans l’indifférence totale.

Il s’agit de lever le voile juridique interposé entre les sociétés mères et leurs filiales et faire en sorte que ce que nous souhaitons pour nous-mêmes, nous l’appliquions aussi dans les économies du Sud. Nous devons coopérer avec elles dans une perspective de co-développement et non de compétition stérile, d’ailleurs contraire aux intérêts de notre compétitivité sur le temps long.

Vous parlez des PME françaises, ce qui est hors sujet. Nous vous le répétons à chaque lecture, cela fait donc la troisième fois. Les PME doivent appliquer la loi française. Vous avez mal lu le texte. Pour ce qui concerne le travail détaché et la dureté des pénalités, la législation que vous aviez laissée prévoyait de condamner la pratique à hauteur de 2 000 euros par entreprise sanctionnée. Grâce au travail de Gilles Savary et du Gouvernement, nous en sommes à 500 000 euros, montant sans commune mesure avec vos propositions. Nous luttons également les chantiers illégaux ou encore les agences d’intérim illégales. Nous avons engagé un travail de fond dans différentes lois qui reprennent les travaux de Gilles Savary.

S’agissant des pénalités, ce sont entre 150 et 200 entreprises qui sont visées par la proposition de loi, monsieur Chassaigne. Pour les 20 premières, l’amende civile que nous prévoyons représente moins de 0,1 % de leur chiffre d’affaires. Or nous parlons bien d’atteintes graves à l’environnement et aux écosystèmes, du travail des enfants, des 20 millions d’heures de travail relevant du travail détaché.

Pouvez-vous rester indifférent à ces problèmes ?

M. Lionel Tardy. Cela n’a rien à voir !

M. Dominique Potier, rapporteur. N’aurez-vous pas l’impression, après le vote de cet après-midi, d’être passé à côté d’un texte qui s’inscrit dans le futur et qui sera une fierté pour nous tous ?

L’Europe, dans sa directive de 2014, prévoit un simple reporting et une incitation, mais pas de sanctions. Cela ne tient pas la route, cela ne suffit pas, mais vous le savez. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Mme Marie-Anne Chapdelaine et M. André Chassaigne. Excellent, monsieur le rapporteur !

M. Dominique Tian. La France ne peut pas légiférer toute seule !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. Je ne pourrais pas m’exprimer avec plus de chaleur et de passion que le rapporteur. Le Gouvernement partage évidemment l’avis de la commission et donne un avis défavorable à cet amendement. Mais, s’agissant d’un tel texte, il faut y mettre de la passion. C’est cette passion contagieuse qui nourrit la mobilisation des uns et des autres et nous oblige à réagir, à agir et à légiférer.

Nous le faisons avec un souci de rigueur et de précision juridiques. Nous qui exerçons des responsabilités, nous savons que la proclamation est une chose et que la réalisation en est une autre. Il faut marier la passion à l’efficacité juridique et technique des dispositions qui sont présentées dans ce texte.

Je suis désolé de dire que vous avancez des arguments caricaturaux qui ne correspondent pas au texte, monsieur Tian, en tout cas, ne correspondent plus au texte.

M. Serge Bardy. Ni à son esprit !

M. Dominique Tian. C’est un demi-aveu !

M. Michel Sapin, ministre. Il y a une sorte de retard dans votre lecture du texte.

Mme Chaynesse Khirouni. Il ne l’a pas lu, tout simplement !

M. Michel Sapin, ministre. Il est plus facile de caricaturer à partir d’un épouvantail qui a disparu que de regarder précisément le texte d’aujourd’hui. Or le texte actuel est sérieux, juridiquement établi, sur lequel nous nous sommes posé les questions constitutionnelles qu’il convenait de poser, de manière qu’il puisse aller jusqu’au bout de la procédure législative et du contrôle constitutionnel, lequel, si je vous ai bien compris, pourrait être exercé sur ce texte.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Ils ne vont pas faire cela !

M. Michel Sapin, ministre. Ce texte représente le plus beau des mariages entre la passion et le sérieux. C’est l’alliage de la passion charitable – au bon et plein sens du terme, dont a parlé le rapporteur – et du sérieux juridique dont tout législateur doit faire preuve. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement s’oppose à cet amendement et souhaite l’adoption du texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

(L’amendement n4 n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 17 et 22.

La parole est à Mme Anne-Yvonne Le Dain, pour soutenir l’amendement n17.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Il s’agit d’un amendement de précision. Alors que l’on a déterminé un chiffrage pour la taille des entreprises concernées – 5 000 et 10 000 –, il est prévu que le plan de vigilance s’appliquerait naturellement pour les filiales. Celles-ci n’ont pas l’obligation, chacune, d’en déposer un. C’est un point important visant à ce que les filiales de sociétés qui devraient en déposer un n’aient pas à le faire si elles dépassaient un certain seuil. Cette précision est indispensable et n’est en rien un détail.

Je veux rappeler à l’intention de nos collègues de l’opposition que les comités d’hygiène et de sécurité datent de 1926.

M. Jean-Frédéric Poisson. Exact !

Mme Anne-Yvonne Le Dain. En 1929, l’Organisation internationale du travail a considéré que c’était un sujet important à l’échelle du monde et a préconisé l’organisation de ces comités dans les entreprises. En France, pour les industries des métaux, ils sont institués en 1941. Ils deviennent obligatoires en 1947 dans les établissements industriels comptant moins de cinquante salariés et 500 dans les autres. En 1982, ces comités sont fusionnés pour constituer les CHSCT, les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Le cheminement a été long.

Sur tous les bancs, nous sommes attentifs aux conditions de sécurité au travail. La création des CHSCT a été une grande avancée. Je ne vois pas pourquoi cela n’existerait que sur le territoire français alors que cela concerne toutes les entreprises, tous les êtres humains qui sur cette planète travaillent pour nous.

M. Dominique Tian. Vaste programme !

Mme Anne-Yvonne Le Dain. C’est bien pour cela qu’il faut commencer sans attendre !

M. Serge Bardy. Il faut être ambitieux !

M. le président. La parole est à M. Dominique Potier, rapporteur, pour soutenir l’amendement n22 et donner l’avis de la commission.

M. Dominique Potier, rapporteur. Cet amendement est identique à celui, plein de bon sens, que vient de soutenir Mme Le Dain. Lorsqu’une filiale à laquelle s’appliquent les seuils que nous avons fixés dépend d’une société mère, c’est cette dernière qui satisfait à ses obligations relatives au plan de vigilance. Il fallait le préciser. Merci.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. C’est une précision très utile. Avis favorable.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Merci, monsieur le ministre !

(Les amendements identiques nos 17 et 22 sont adoptés.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Bompard, pour soutenir l’amendement n11.

M. Jacques Bompard. Il est tout à fait regrettable que la commission des finances n’ait pas accepté mon amendement relatif à la clause de non-concurrence, qui aurait éclairé cette demande de modification. Du fait de la confrontation à laquelle nous assistons entre les deux ordres juridiques anglo-saxon et européen, de nombreuses entreprises pourraient être mises en danger par l’emploi du terme : « raisonnable ». Désigne-t-on comme « raisonnable » un plan qui prendrait en compte l’intérêt national ? International ? Universel ? Ces questions seront évidemment débattues, notamment par les entreprises qui mènent des activités dans des pays connaissant des situations instables – et ils sont nombreux. Il ne faudrait pas que des puissances étrangères maximisent leur avantage en tirant profit de cette disposition légale.

Il me semblerait donc plus adapté de substituer à la notion de « raisonnable » celle de « particulière », qui sous-entend davantage l’adaptation à la situation, aux risques et aux éléments locaux. Comme nous le savons, en effet, la « raison » varie en fonction des civilisations et nous ne pouvons pas prétendre que les entreprises françaises n’ont pas besoin de s’adapter aux situations locales si elles veulent survivre.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Dominique Potier, rapporteur. Monsieur Bompard, je ne commenterai pas la dernière partie de votre propos, qui révèle votre dérive idéologique par rapport au sens qu’ont donné les Lumières à la dimension universelle des droits de l’homme. Je me contenterai de rappeler que le terme : « raisonnable » est consacré par les traités internationaux et qu’il est ici parfaitement utilisé.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. Même avis.

(L’amendement n11 n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 1 et 24.

La parole est à M. Philippe Noguès, pour soutenir l’amendement n1.

M. Philippe Noguès. Cet amendement pourrait apparaître comme une simple modification sémantique, mais la réalité est un peu plus complexe. L’amendement porte sur l’alinéa 3, qui dispose : « Le plan comporte les mesures de vigilance raisonnable propres à identifier les risques et à prévenir les atteintes graves […] résultant des activités de la société […] lorsque ces activités entrent dans le cadre de ladite relation ».

Le mot : « raisonnable » permet déjà de circonscrire le champ des mesures prises dans le cadre du plan de vigilance aux relations dans lesquelles les sociétés visées ont les moyens et le pouvoir d’agir. Ce mot empêche d’imposer à ces sociétés de prendre des mesures de vigilance pour des activités qui n’entreraient pas dans le cadre de la relation commerciale. On ne pourra donc demander à l’entreprise de prévenir des risques d’atteintes sur lesquels elle n’a aucun moyen d’agir, dès lors que ces risques sont extérieurs à ses relations d’affaires.

L’amendement tend donc à substituer, à la fin de l’alinéa 3, à l’expression : « entrer dans le cadre », la notion de « rattachement », qui suppose l’établissement d’un rapport de dépendance entre deux éléments et caractérise donc parfaitement la réalité des rapports économiques. Cette notion, plus compréhensible, répond en outre aux principes de clarté et d’intelligibilité de la loi.

M. le président. La parole est à M. Dominique Potier, rapporteur, pour soutenir l’amendement n24 et donner l’avis de la commission.

M. Dominique Potier, rapporteur. M. le ministre a souligné à quel point nous avions recherché la précision afin que cette disposition soit acceptée et puisse passer sous les fourches caudines de la Constitution. Nous voulons aussi éviter d’agiter inutilement un chiffon rouge devant les entreprises. Nous ne sommes nullement opposés à l’entreprise ni à la mondialisation, mais nous voulons seulement y apporter le principe de loyauté et les réguler. C’est ce que nous faisons avec cette proposition de loi, comme avec tant d’autres.

Cet amendement, identique au précédent, tend à prévoir que, lorsqu’une maison mère ou un donneur d’ordres travaille dans le domaine du textile avec un sous-traitant établi à l’autre bout du monde, par exemple en Asie du Sud-Est, et que ce sous-traitant exerce également une activité dans le domaine de la construction automobile, le donneur d’ordres ne peut pas être tenu responsable des dérives survenues dans cet autre domaine. Il vise donc à circonscrire le dispositif au cadre d’une relation commerciale établie dans un champ spécifique. Le rattachement à l’activité qui fait l’objet du contrat commercial est une précision certes quasi synonymique, mais plus appropriée toutefois à ce que nous souhaitions exprimer in fine.

Nous n’avons rien enlevé à la densité ni à l’objectif de la loi, mais proposons d’en préciser le dispositif pour rassurer les entreprises et éviter une insécurité juridique tout en nous assurant que le texte sera accepté par le Conseil constitutionnel. C’est là tout le sens du travail que nous avons accompli au cours du dernier mois et dont nous nous félicitons. Avis favorable.

(Les amendements identiques nos 1 et 24, acceptés par le Gouvernement, sont adoptés.)

M. le président. Je suis saisi de plusieurs amendements, nos 35, 38, 39, 16 et 33, pouvant être soumis à une discussion commune.

Les amendements nos 35, 38 et 39 sont identiques, ainsi que les amendements nos 16 et 33.

La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement n35.

M. Dominique Potier, rapporteur. Que ce soit dans le secteur de l’eau, de l’énergie ou de la manufacture, toutes les entreprises témoignent qu’un bon plan de RSE, conçu de façon volontariste par nos grandes entreprises, est un plan qui fait l’objet d’une concertation avec les parties prenantes, d’un dialogue avec les collectivités locales et les syndicats, ici et dans les pays tiers, d’une discussion avec les ONG spécialisées dans la défense des droits de l’homme ou de l’environnement. Aucune multinationale sérieuse qui réussit dans ces domaines et qui se montre compétitive ne fait fi d’une concertation avec les parties prenantes.

Nous ne pouvons cependant imposer dans le droit français une consultation obligatoire de ces dernières. La liste en est en effet indéfinie et une telle obligation ferait peser une insécurité juridique insupportable sur nos entreprises. Ce serait aussi un déni de leur capacité à mener des activités extraterritoriales, ce qui n’est pas le dessein de cette loi.

L’amendement tend donc à exprimer une suggestion forte et à donner au juge des éléments en ce sens. Un bon plan « a vocation à être élaboré en association avec les parties prenantes de la société » – il est sous-entendu qu’elles peuvent être internes ou externes à l’entreprise. Il s’agit là d’un point très important, qui est apparu lors de la deuxième lecture du texte en commission des affaires économiques.

Un bon plan s’applique avec des entreprises diverses dans la même filière : il y aura ainsi des plans dans les domaines du textile, du minerai, du bâtiment, de l’aéronautique et de l’automobile. Il existera également des plans territorialisés. Chaque multinationale n’établira pas un plan de vigilance pour chacune de ses activités et dans chacune des régions du monde, mais des coopérations tripartites ou multipartites se mettront en place au niveau territorial et au niveau des filières.

Voilà comment, dans la pratique, les multinationales préparent dès maintenant la mise en application de ce qui apparaîtra dans quelques années comme une évidence – je ne désespère toujours pas de vous en convaincre aujourd’hui, chers collègues de l’opposition. Avis favorable, donc, à cette formulation, reprise par plusieurs de nos collègues dans les mêmes termes ou sous des formes approchantes.

M. le président. La parole est à Mme Danielle Auroi, pour soutenir l’amendement n38.

Mme Danielle Auroi. Dans la nouvelle rédaction issue des travaux de la commission, le texte énumère et précise le contenu du plan de vigilance auquel devront se soumettre les entreprises françaises de plus de 5 000 salariés et les entreprises opérant en France de plus de 10 000 salariés, soit au total 150 entreprises environ. Cet amendement vient donc préciser que le plan de vigilance a vocation à être élaboré par l’entreprise en associant les parties prenantes, notamment les syndicats, mais aussi les acteurs du territoire. C’est là une condition sine qua non de la mise en œuvre d’un plan de vigilance pertinent et répondant aux attentes des acteurs concernés tout en garantissant la possibilité d’identifier correctement les principales menaces.

M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Carpentier, pour soutenir l’amendement n39.

M. Jean-Noël Carpentier. Il est défendu.

M. le président. Nous en arrivons aux amendements identiques nos 16 et 33.

La parole est à M. Jean-Noël Carpentier, pour soutenir l’amendement n16.

M. Jean-Noël Carpentier. Il est également défendu.

M. le président. La parole est à M. Dominique Potier, pour soutenir l’amendement n33.

M. Dominique Potier, rapporteur. Je le retire.

(L’amendement n33 est retiré.)

M. le président. Monsieur Carpentier, retirez-vous également l’amendement n16 ?

M. Jean-Noël Carpentier. Oui, monsieur le président, je le retire.

(L’amendement n16 est retiré.)

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. Favorable aux amendements identiques nos 35, 38 et 39, étant donné que les autres amendements en discussion commune ont été retirés.

(Les amendements identiques nos 35, 38 et 39 sont adoptés.)

M. le président. Je suis saisi de quatre amendements, nos 30, 2, 15 et 25, pouvant être soumis à une discussion commune.

Les amendements nos 2, 15 et 25 sont identiques.

La parole est à M. Jean-Noël Carpentier, pour soutenir l’amendement n30.

M. Jean-Noël Carpentier. Cet amendement vise à préciser les différentes phases du plan de vigilance, notamment pour ce qui est de son suivi et de sa mise en œuvre. On voit bien en effet que plusieurs parties sont nécessaires pour s’assurer de la bonne réalisation de ce plan. L’amendement tend à faire en sorte que les parties prenantes puissent d’emblée donner l’alerte à propos du suivi des mesures du plan de vigilance.

M. le président. La parole est à Mme Danielle Auroi, pour soutenir l’amendement n2.

Mme Danielle Auroi. Cet amendement vise à permettre de s’assurer de l’effectivité de la proposition de loi. J’ai dit tout à l’heure que nous nous apprêtions, avec ce texte, à franchir un premier pas en affirmant la responsabilité juridique des entreprises quant aux dommages que peuvent commettre leurs filiales et leurs sous-traitants.

Afin cependant que le plan ne reste pas lettre morte et s’inscrive bien dans une dynamique d’amélioration, il doit prendre place dans une démarche d’évaluation et d’amélioration permanente. L’amendement tend donc à ce qu’un dispositif de suivi et d’évaluation des mesures mises en œuvre dans le plan de vigilance soit systématiquement inclus dès l’élaboration du plan lui-même.

M. le président. La parole est à Mme Anne-Yvonne Le Dain, pour soutenir l’amendement n15.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Cet amendement est identique aux deux précédents. Il faut effectivement nous assurer de l’efficacité du dispositif. L’obligation de vigilance est assurée au fil du temps et réitérée explicitement ou reformulée en tant que de besoin, notamment au vu des changements technologiques, voire des changements de marché qui ne manquent pas d’intervenir autour des sociétés et des sites. Un dispositif n’a pas vocation à être instauré pour l’éternité, mais à être révisé régulièrement. Il importe de le préciser, afin notamment de pouvoir évaluer ce dispositif.

M. le président. La parole est à M. Dominique Potier, rapporteur, pour soutenir l’amendement n25 et donner l’avis de la commission.

M. Dominique Potier, rapporteur. La grande différence de la version actuelle de la proposition de loi avec la précédente – on peut en effet pratiquement parler aujourd’hui d’une troisième version, ou « V3 » – est que la deuxième version renvoyait tout au décret. Or, le recours au décret est une procédure longue. En outre, le décret, procédure réglementaire qui relève du Gouvernement, peut parfois être moins radical que ne l’était l’intention de la loi – je ne fais là aucun procès au Gouvernement, mais on peut imaginer que de telles situations peuvent se produire. Un décret peut aussi être modifié.

Tant pour consolider le dispositif sur le plan constitutionnel, en mettant en adéquation notre amende civile avec ce qui figurait dans la loi, que pour éviter des déformations de la loi au moyen de décrets, nous avons donc accepté la proposition d’écrire dans la loi l’essentiel de ce qu’est le plan de vigilance : il s’agit notamment d’une cartographie des risques, d’un passage au radar de l’ensemble des liens commerciaux établis avec les filiales et les sous-traitants et de mesures d’atténuation des risques.

Le cinquième point que vous proposez d’ajouter, monsieur Carpentier, madame Auroi, madame Le Dain, est vraiment bien venu et j’émets un avis très favorable. Il faut une mesure de suivi, dont il faudra démontrer l’efficience. Il faudra en effet démontrer qu’on a effectivement examiné le dispositif et que des mesures efficaces permettent au juge de sanctionner les éventuelles déficiences du contrôle du plan de vigilance. Merci donc pour cette proposition.

Pour des raisons rédactionnelles, je demanderai cependant à M. Carpentier de retirer son amendement au bénéfice des autres, mieux rédigés.

M. le président. Monsieur Carpentier, retirez-vous votre amendement n30 ?

M. Jean-Noël Carpentier. Oui, monsieur le président.

(L’amendement n30 est retiré.)

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. Avis favorable aux amendements nos 2, 15 et 25.

M. le président. La parole est à M. Dominique Tian.

M. Dominique Tian. Il faut comprendre ce qui est écrit. Il semblerait en effet qu’avec ces amendements, vous permettriez à l’ensemble des ONG, pays par pays, d’entrer dans les filiales des entreprises ou dans les entreprises elles-mêmes pour contrôler en continu l’action de ces entreprises françaises implantées sur un marché à l’étranger. Est-ce bien cela ? Aussi compliqué à comprendre que cela soit, il semblerait en effet qu’on puisse interpréter l’amendement dans le sens d’un contrôle permanent des ONG, par exemple sur les chantiers réalisés par une entreprise française l’étranger.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Dominique Potier, rapporteur. Il existe des règles très précises relatives à la propriété, régissant par exemple le droit d’entrer sur un chantier. Nous n’allons pas réécrire tout le droit et je n’ouvrirai pas de débats sur ce qu’on a le droit de faire au Bangladesh, au Mozambique ou en France, car là n’est pas la question.

La proposition de loi que nous examinons dispose précisément qu’un plan de vigilance doit être établi et publié et que toute partie prenante – syndicat, collectivité ou ONG – a le droit de mettre l’entreprise en demeure de produire ce plan de vigilance. Dans un cadre de précontentieux, un dialogue s’instaure. Si la partie prenante considère qu’elle n’est pas satisfaite par ce plan de vigilance et par sa mise en œuvre, elle peut saisir un juge.

Il ne s’agit donc pas de se rendre sur un chantier ou de faire de l’espionnage industriel – j’ignore quelles images vous avez en tête ! –, mais simplement de regarder ce qui est publié : au vu de l’expérience d’une ONG dans un pays tiers ou de ce que rapporte un syndicat en France au moyen des dispositifs d’alerte prévus dans la loi, un dialogue s’engage avec l’entreprise et un juge peut, le cas échéant, être saisi. C’est très simple.

M. le président. La parole est à M. Dominique Tian.

M. Dominique Tian. Dans le cas d’un marché en Afrique, par exemple, toute ONG d’un pays africain pourra saisir le juge local pour contraindre l’entreprise française – et elle seule, les entreprises étrangères n’étant pas visées par cette loi – au respect du plan de vigilance. L’entreprise française sera donc placée sous le contrôle continu, dans tous les pays du monde, d’une ONG locale qui se sera auto-désignée.

M. Michel Sapin, ministre. Non !

M. Dominique Tian. Il faut juger vos propositions sur le plan économique. Nous ne vivons pas dans un monde de Bisounours : la concurrence entre entreprises est extrême.

Je ne sais pas si le rapporteur s’est déjà rendu en Afrique sur des marchés où d’autres pays sont en concurrence : allez voir ce qu’il se passe quand on coupe des arbres ou quand on pêche en mer ! Les entreprises, parce qu’elles ne sont pas européennes, n’obéissent probablement pas à un certain nombre de consignes.

De son côté, l’entreprise française sera exposée au contrôle continu d’une ONG auto-désignée, qui saisira un juge local. Je ne crois pas que cela soit un grand service à rendre aux entreprises françaises. Celles-ci sont plutôt responsables : il s’agit d’entreprises de plus de 5 000 salariés, tout de même.

M. André Chassaigne. On n’est plus au temps des colonies !

M. Jean-Luc Laurent. Nostalgie, quand tu nous tiens !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Dominique Potier, rapporteur. Je vous le dis avec beaucoup respect :…

M. Dominique Tian. Moi aussi !

M. Dominique Potier, rapporteur. …je ne sais pas de quoi vous parlez – mais vous ne parlez pas de cette loi. Il faut vraiment que vous lisiez ce qui est écrit dans ce texte : nous ne parlons pas du tout de la même chose. Je ne comprends pas ce que vous racontez – aller partout, voir tout le monde, etc.

Nous affirmons que la maison mère, étant responsable de ses filiales et de ses sous-traitants, a un devoir de vigilance envers leurs actions. Elle ne peut pas être indifférente au fait que l’on fabrique un jean de telle ou telle manière : elle doit s’intéresser à la manière dont il est fabriqué.

M. Jean-Luc Laurent. C’est simple et pratique !

M. Dominique Potier, rapporteur. Êtes-vous contre l’esclavage moderne, contre le travail des enfants ? Nous demandons simplement à l’entreprise de vérifier que ses jeans et ses tee-shirts ne sont pas fabriqués par des gamins au Bangladesh, en Éthiopie ou ailleurs. C’est aussi simple que cela ! Il n’est pas question d’espionnage ni de harcèlement : simplement, puisqu’il y a un plan de vigilance, nous saisissons la maison mère.

Il ne s’agit pas d’un droit français qui aurait une vocation extraterritoriale : cela ne tiendrait pas deux minutes, vous devez le savoir en tant que législateur. La maison mère applique, au nom de sa puissance économique, un principe de responsabilité qui n’a pas de limite. C’est le sens même du droit universel : il repose sur celui qui, étant la puissance économique, a la charge de vérifier son application. Il n’y a donc pas d’ambiguïté.

Ce dispositif de suivi et de contrôle est celui de l’entreprise elle-même : elle est responsabilisée. Pour ma part, je crois à la responsabilité de l’entreprise : vous devriez y croire vous aussi. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Dominique Tian.

M. Dominique Tian. Nous n’avons sans doute pas rencontré les mêmes entreprises. Nous avons, quant à nous, rencontré les entreprises de la filière textile : elles vous demandent si vous voulez tuer complètement la filière en France. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Dominique Potier, rapporteur. Nous travaillons sur ce sujet depuis trois ans, et non depuis trois jours car, je le répète, ce n’est pas une opération de communication. Nous n’avons jamais cité dans cet hémicycle le nom d’une entreprise, donc je ne commencerai pas aujourd’hui, mais nous avons rencontré les grands de la distribution, du textile et de l’aéronautique – pas tous, certes, mais l’aristocratie des multinationales et des grandes entreprises françaises, qui font très souvent notre fierté.

Le dernier rendez-vous que mes collaborateurs et moi-même avons eu concernait l’activité de la filière textile. J’ai enfin obtenu les chiffres que j’attendais depuis longtemps : sur un tee-shirt, la différence est de 10 centimes, selon qu’il est bien ou mal fabriqué ; sur un jean, cela représente 5 euros, soit moins de 10 % de son prix de vente moyen. Quand un jean est fabriqué dans une usine où les colorants et les produits chimiques sont rejetés à la rivière ou dans la nappe phréatique, quand le travail est effectué par des enfants, quand on travaille quinze heures par jour dans des conditions infectes, cela coûte 5 euros de moins que lorsque les gens sont payés normalement.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Exactement !

M. Dominique Potier, rapporteur. Ce n’est pas le SMIC français, soyez rassurés, mais un salaire permettant de donner à manger à sa famille et d’envoyer les enfants à l’école : c’est cela, un salaire digne, aujourd’hui.

À l’inverse, le surcoût pour le traitement de l’eau et la prévention des pollutions de l’air et de l’eau est inférieur à 10 %. Je me dis parfois que si le consommateur faisait un petit effort en changeant ses modes de consommation, si les actionnaires étaient un peu moins âpres au gain, un monde un peu plus humain serait tout à fait à notre portée. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Mme Brigitte Allain et Mme Danielle Auroi. Très bien !

(Les amendements identiques nos 2, 15 et 25 sont adoptés.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Carpentier, pour soutenir l’amendement n18.

M. Jean-Noël Carpentier. Le présent amendement vise à préciser que l’élaboration du dispositif d’alerte prévu par le plan de vigilance se fasse également en concertation avec les organisations syndicales représentatives. Cela paraît indispensable. Le mécanisme sera forcément plus efficace et plus utile s’il associe les acteurs directement impliqués dans la vie quotidienne de l’entreprise. Tel est le sens de cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Dominique Potier, rapporteur. Nous n’avons pas étudié cet amendement en amont, avec les rapporteurs pour avis, car il ne faisait pas partie du subtil compromis que nous avions établi avec le Gouvernement, les ONG et le Parlement dans un dialogue tripartite très équilibré. Néanmoins, monsieur Carpentier, je suis heureux de vous dire que nous trouvons cet amendement très intelligent. Nous savons ce qu’est un syndicat représentatif en France : associer les syndicats au dispositif d’alerte nous paraît être une mesure de progrès. Nous ne l’avions pas intégrée mais nous l’acceptons très volontiers.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. Le Gouvernement est également très favorable à cet amendement.

M. le président. La parole est à Mme Chantal Guittet.

Mme Chantal Guittet. Je souhaite simplement répondre aux arguments avancés par notre collègue de droite. Je trouve très étonnant qu’un chef d’entreprise préfère préserver sa filière plutôt que des vies humaines. Je ne sais pas où vous trouvez vos chefs d’entreprise mais la présente loi a pour objet le développement, la préservation de la santé des enfants, l’environnement et donc la santé des gens. Pour ma part, je ne connais pas de chef d’entreprise préférant préserver son entreprise plutôt que les vies humaines d’un pays tiers.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Nous ne connaissons que des chefs d’entreprise citoyens !

M. le président. La parole est à M. Dominique Tian.

M. Dominique Tian. C’est inutilement agressif dans la mesure où nous n’arrêtons pas de vous dire qu’une directive européenne sera bientôt transposée. Celle-ci, de l’avis général, est équilibrée. Vous voulez renforcer les contrôles sur les entreprises françaises travaillant à l’étranger. Nous vous répondons simplement qu’il faut être vertueux, mais en faisant attention à ne pas handicaper les entreprises françaises.

M. Serge Bardy. Le sujet n’est pas là !

M. Alain Fauré. C’est la droite qui les avaient handicapés !

M. Dominique Tian. Votre rédaction est particulièrement floue et même probablement anticonstitutionnelle ; M. Sapin pourra le constater.

M. Serge Bardy. Ce n’est pas à vous d’en juger !

M. Dominique Tian. En tout cas, sur le plan juridique, un grand nombre de vos dispositions ne sont pas applicables. Prenez l’exemple de l’amendement n18 : il traite des organisations syndicales. Cela concerne-t-il le territoire national ou le lieu d’exécution du chantier ? Il fallait peut-être le préciser, parce qu’on n’en sait rien. De même, quand vous parlez d’ONG, on ne sait jamais desquelles il s’agit.

Nous partageons bien sûr les mêmes objectifs,…

Mme Chantal Guittet. Pas sûr !

M. Dominique Tian. …mais nous ne voulons pas que les entreprises françaises se retrouvent dans des situations juridiques invraisemblables. On sait bien que, selon que l’on travaille dans tel ou tel pays, les choses sont un peu plus compliquées. Vous avez parlé de la filière aéronautique tout à l’heure : vous savez que ce n’est pas si facile que cela. Il ne faut pas pénaliser les entreprises françaises qui font l’effort d’obtenir des marchés à l’étranger. Voilà pourquoi nous tentons d’apporter un éclaircissement.

(L’amendement n18 est adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 3 et 26.

La parole est à M. André Chassaigne, pour soutenir l’amendement n3.

M. André Chassaigne. Monsieur le rapporteur, vous avez souhaité, avec raison, préciser le plan de vigilance ; c’était d’ailleurs une demande du Sénat, qui l’estimait trop vague. Vous apportez ainsi des éléments très précis sur les risques et le contenu du plan de vigilance.

Il existe cependant une possibilité d’évolution : des risques nouveaux peuvent apparaître. L’objet du présent amendement est donc de permettre, dans le décret d’application, de compléter avec des mesures qui ne figureraient pas dans le plan de vigilance.

M. le président. La parole est à M. Dominique Potier, rapporteur, pour soutenir l’amendement n26 et donner l’avis de la commission.

M. Dominique Potier, rapporteur. Je remercie notre collègue André Chassaigne d’avoir déposé cet amendement. La cartographie des risques et les cinq points – le cinquième venant d’être créé sur votre initiative – que nous énonçons ne sont pas exhaustifs.

Je pense ainsi à la question de la corruption qui peut être suscitée par les groupes armés djihadistes ; nous avons eu connaissance récemment d’une affaire mettant en cause une multinationale au Levant pour du financement de terrorisme au cours de ses activités. Des phénomènes épidémiologiques peuvent surgir, avec des mesures de protection particulières. Demain, le changement climatique pourra impliquer d’autres risques.

La loi n’est pas écrite pour toujours et même si les principes que nous avons posés nous paraissent très larges, ils mériteront peut-être d’être précisés par le décret d’application ou renforcés sur des points que nous ne soupçonnons pas aujourd’hui.

Votre amendement permet d’atteindre l’équilibre entre une loi plus dure, car mieux écrite, et une ouverture assurant une certaine agilité aux gouvernements successifs pour préciser la vocation de cette loi : je vous en remercie. Avis très favorable.

M. André Chassaigne. Votre exégèse de l’amendement est très subtile !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. Très favorable à l’amendement de M. Chassaigne, identique à celui de M. le rapporteur.

M. le président. La parole est à M. Dominique Tian. (« Oh non ! » sur certains bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. Dominique Tian. Si, quand même ! C’est important parce que le texte s’enrichit d’heure en heure.

Si j’ai bien compris, vous allez adopter un amendement de M. Chassaigne qui prévoit une cartographie des zones à risque dans le monde. Est-ce bien cela ?

M. André Chassaigne. Il n’est pas encore adopté !

M. Dominique Tian. J’interviens avant qu’il ne le soit, parce qu’on ne sait jamais. Nous établirons une cartographie mondiale pour connaître les zones risquées et non risquées.

M. André Chassaigne. Non, ce n’est pas cela !

M. Dominique Tian. Vous citez pourtant les « théâtres d’opérations terroristes » ! (Exclamations sur certains bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.) Cela signifie que les entreprises ne pourront pas envoyer leurs salariés travailler, exporter ou fabriquer dans les endroits indiqués par le plan comme étant des théâtres d’opérations terroristes.

M. André Chassaigne. Le décret d’application peut le préciser !

M. Dominique Tian. Il faudra donc dire aux entreprises françaises qu’elles ne peuvent pas opérer dans tel ou tel endroit en raison de risques terroristes. Si l’on va au bout du raisonnement, auront-elles le droit d’opérer sur le territoire national ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. Alain Fauré. Mais où avez-vous lu cela ?

M. Jean-Luc Laurent. Caricatural !

Mme Chantal Guittet. Il le fait exprès !

M. le président. La parole est à Mme Danielle Auroi.

Mme Danielle Auroi. Notre collègue nous a montré, à trois reprises, qu’il n’a sans doute pas lu la directive relative au reporting extra-financier. La France doit aujourd’hui l’appliquer, après avoir rédigé une première mouture qui a d’ailleurs inspiré la Commission européenne. Ce reporting extra-financier n’a rien à voir avec le texte proposé aujourd’hui, au contraire ; il en est la suite.

Je me permets donc de répéter à nos chers collègues qu’une proposition de directive, établie à partir du texte que nous voterons, je l’espère, tout à l’heure, sera soutenue par neuf parlements ainsi que par notre assemblée. Elle invitera l’Union européenne à suivre le même chemin que celui que nous empruntons aujourd’hui ; j’espère bien que nous le ferons tous ensemble.

Mme Chantal Guittet. Il faut une locomotive !

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Voilà !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Dominique Potier, rapporteur. Monsieur Tian, je ne souhaite pas paraître ironique, mais il faut vraiment vous renvoyer à l’étude du texte. La question sur les syndicats était totalement hors sujet puisque nous traitons bien de la maison mère.

M. Dominique Tian. Nous sommes passés aux amendements suivants !

M. Dominique Potier, rapporteur. De plus, nous savons, en France, ce qu’est un syndicat représentatif : il ne s’agit pas de syndicat au Bangladesh, où cette notion serait effectivement difficile à saisir. Je vous précise donc que nous parlons bien des maisons mères. Si vous n’avez pas compris cela, vous n’avez pas saisi notre intention ni la subtilité du texte : nous faisons porter la responsabilité sur la maison mère, qui a la puissance économique. C’est à l’actionnaire de porter la responsabilité de la chaîne de fabrication au bout du monde. Comprendre cela permet d’entrer dans le texte beaucoup plus facilement.

Deuxième élément : selon vous, avec la cartographie des risques, la situation deviendrait intenable. J’ai eu l’occasion, dans le dialogue avec le MEDEF, avec l’AFEP – l’Association française des entreprises privées – et avec certaines entreprises, de côtoyer des dirigeants gérant jusqu’à 6 000 filiales et sous-traitants. Dans leur chaîne de responsabilité, pour des raisons de sécurité, notamment dans l’aéronautique, ils ne prennent aucun risque avec le droit du travail, la sécurité de la provenance, des savoir-faire, etc. Ils ne connaissent qu’une seule zone de risque : la provenance des minerais rares.

Nous nous sommes rapprochés de Marie Arena, députée européenne belge, qui a fait un travail extraordinaire sur les minerais de sang. Ceux-ci, dans la région des Grands Lacs, ont causé tant de malheurs, tant de souffrance, les mafias et les conflits armés ayant décimé des populations entières.

Pour l’entrepreneur gérant 6 000 sous-traitants et filiales, la cartographie du risque consiste en un label d’origine de ses minerais, notamment des matériaux les plus rares, car ils représentent des enjeux géopolitiques d’une violence extrême. Ce label certifie que les conditions d’exploitation ne sont pas la source de violences inutiles. La cartographie du risque, pour cette entreprise, c’est cela et quasiment uniquement cela.

Il ne faut pas diaboliser le plan de vigilance mais l’envisager de manière pragmatique : dans le textile, cela concerne surtout le travail des enfants. Chaynesse Khirouni et Anne-Yvonne Le Dain ont également rappelé à l’envi à quel point les femmes sont concernées par la souffrance au travail. Dans d’autres secteurs, cela concernera les minerais ou tout autre chose. Mais les entreprises sont responsables : à elles de dire où existent des risques.

(Les amendements identiques nos 3 et 26 sont adoptés.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Carpentier, pour soutenir l’amendement n31.

M. Jean-Noël Carpentier. Le présent amendement concerne la charge de la preuve. Au Sénat, un délai de trois mois a été introduit pour laisser à la société le temps de se mettre en conformité à la mise en demeure de répondre à ses obligations prévues au I. L’entreprise bénéficie donc d’un délai de mise en conformité, ce qui est plutôt raisonnable.

Il paraît également normal que lui incombe la charge de prouver qu’elle n’a pas failli à ses obligations lorsqu’elle est mise en demeure. En effet, il est souvent difficile pour le plaignant de récupérer l’ensemble des documents ou des éléments permettant de prouver les difficultés de la mise en place du plan de vigilance.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Dominique Potier, rapporteur. Il est défavorable, et je vous suggère de retirer l’amendement, monsieur Carpentier. De concert avec le Gouvernement, nous en avons longuement parlé avec les ONG et tous les autres acteurs : tous admettent que le texte ne prévoit pas l’inversion de la charge de la preuve.

Dès lors qu’un plan de vigilance est établi et communiqué, le syndicat, l’ONG ou la collectivité qui a interpellé une multinationale peut lui réclamer les documents, après quoi il se fait un avis puis dialogue avec la multinationale ; celle-ci dispose de trois mois pour produire les documents ou, le cas échéant, pour apporter des corrections, puisque nous sommes dans le cas d’un dialogue pré-contentieux. Nous cherchons des solutions amiables entre gens de bonne volonté.

Si l’entreprise ne satisfait pas à ses demandes, nous ne pouvons pas la poursuivre indéfiniment et nous substituer au procureur. Il faut par conséquent s’en remettre à la justice. C’est le principe même de la loi, sans quoi la toute-puissance de l’entreprise aurait pour corollaire une autre toute-puissance, née de l’insécurité juridique d’une partie, et ce n’est pas ce que nous souhaitons. Vient un moment où le juge doit trancher, selon le principe de la justice moderne et du droit : il doit décider si ce qui n’a pas été réglé au cours de la phase pré-contentieuse doit faire l’objet d’un contentieux, et donner lieu à une amende civile pouvant aller jusqu’à 10 millions d’euros, ainsi qu’à une astreinte.

Pour mémoire, je rappelle que 10 millions d’euros représentent moins de 0,01 % du chiffre d’affaires des géants de l’énergie.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. On ne saurait mieux dire. Je souhaite moi aussi le retrait de l’amendement, afin de ménager l’équilibre que nous avons trouvé sur l’ensemble du texte. Celui-ci, je le répète, est plein de passion mais aussi plein de raison, ce qui devrait permettre à ses dispositions de s’appliquer efficacement.

M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Carpentier.

M. Jean-Noël Carpentier. Je retire l’amendement. Ce texte est en effet considérable, voire historique, en dépit de quelques faiblesses, et il ne faut pas l’affaiblir. Quand, avec les collègues de mon groupe, ainsi que quelques partenaires, nous avons réfléchi à cet amendement, c’était pour poser, dans l’hémicycle, la question de la charge de la preuve, afin de pouvoir améliorer encore le texte par la suite, quand il le faudra. Pour l’heure, il est urgent de moraliser la mondialisation. Ce texte est porteur d’espoir, au sens où il annonce des évolutions législatives à venir, au niveau international.

(L’amendement n31 est retiré.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Bompard, pour soutenir l’amendement n14.

M. Jacques Bompard. Je ne comprends pas le plafonnement des amendes à 10 millions d’euros. Je citerai un exemple d’actualité, qui mérite des sanctions plus lourdes. Si l’entreprise Lafarge a vraiment commercé avec des fractions islamistes en Syrie, qu’elle les a soutenues et entretenues,…

M. Michel Sapin, ministre. Ce n’est pas le cas.

M. Jacques Bompard. …elle doit être terriblement sanctionnée financièrement, ne serait-ce que pour punir cette insulte aux intérêts suprêmes de la nation.

Parfois, nous sommes face à des sociétés mères aux moyens financiers particulièrement développés. La participation discrète à des filiales malveillantes est une technique largement utilisée dans le cadre de la mondialisation, nous le savons fort bien. Une sanction trop faible ne résisterait pas à leur calcul coût/avantages, qui prime sur toute considération morale, ce qui est regrettable.

M. André Chassaigne. Il ne rigole pas ! Un vrai bolchevique ! (Sourires.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Dominique Potier, rapporteur. Je me contenterai de rappeler la tradition nationale, à laquelle je suis très attaché, car je crois à l’enracinement dans le droit : en France, la force du droit tient aux limites qu’il se fixe ; nous ne sommes pas au Royaume-Uni ni dans un autre pays anglo-saxon.

Vous pouvez considérer, comme certains d’entre nous, qu’une amende de 10 millions est insuffisante. Dans ce cas, on pourra revenir sur le texte. Quoi qu’il en soit, en droit français, il faut une limite. En l’occurrence, nous l’avons fixée de façon raisonnable, à 10 millions d’euros.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. Avis défavorable, d’abord pour la raison juridique qui vient d’être rappelée : dès lors qu’elle crée une sanction, la loi française doit la limiter. En outre, la sanction doit être proportionnelle à la faute. Le plafond prévu respecte cette double exigence.

Au reste, monsieur Bompard, vous avez cité un cas particulier qui n’a rien à voir avec le texte. D’autres dispositions permettent, le cas échéant, de sanctionner une entreprise pour les faits que vous avez décrits, notamment le financement du terrorisme.

M. le président. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson.

M. Jean-Frédéric Poisson. Je rejoins la position du rapporteur, conforme à la tradition de notre droit.

Mais j’ajouterai, en tant que président de la mission d’information sur les moyens de Daech – sujet peut-être éloigné de notre débat –, qu’au cours de nos travaux, nous avons eu l’occasion d’examiner le cas de Lafarge. Par principe, je suis réticent à ce que l’on cite, dans l’hémicycle, le nom des grandes entreprises françaises.

M. Michel Sapin, ministre. Vous avez raison !

M. Jean-Frédéric Poisson. Mais enfin, c’est fait. Avec Kader Arif, rapporteur de la mission d’information, nous n’avons eu en main aucun élément de nature à mettre en doute, dans cette affaire, l’intégrité de la direction de Lafarge en Syrie. Je crois même pouvoir préciser que cette grande entreprise française est victime d’une instruction à charge. Les services de Bercy et ceux du ministère des affaires étrangères avaient été alertés dès l’origine des difficultés qu’elle rencontrait sur place. Je tenais à faire cette mise au point, pour éviter toute ambiguïté concernant ce très beau fleuron de notre industrie.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Merci !

(L’amendement n14 n’est pas adopté.)

(L’article 1er, amendé, est adopté.)

Article 2

M. le président. La parole est à M. Lionel Tardy, pour soutenir l’amendement n5, tendant à supprimer l’article 2.

M. Lionel Tardy. Comme je l’ai dit tout à l’heure, la méthode de la proposition de loi, imprécise, excessive dans ses modalités et répressive dans sa finalité, n’est pas la bonne pour atteindre l’objectif recherché. Alors que les législations étrangères sont plus limitées en portée et en ampleur, ce texte risque de porter une grave atteinte à la compétitivité des entreprises françaises et à l’attractivité de notre pays. Il impacte durement les grandes entreprises. En pratique, il aura également des répercussions dangereuses pour les PME françaises sous-traitantes.

C’est pourquoi nous proposons de supprimer l’article 2, qui prévoit pour les entreprises un mécanisme de responsabilité ambigu et de portée incertaine.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Dominique Potier, rapporteur. Avis défavorable. Nous n’allons pas nous répéter. Tout a été dit pour illustrer votre point de vue et nous avons répondu.

Je précise au passage à M. Poisson que, pour ma part, je n’ai cité le nom d’aucune entreprise.

M. Jean-Frédéric Poisson. Je ne parlais pas de vous !

M. Dominique Potier, rapporteur. Cela dit, lors de l’examen de la loi Sapin 2, quand nous parlions d’une multinationale du lait couvrant 60 % du commerce français, le nom n’était pas difficile à trouver. Quoi qu’il en soit, vous ne parliez pas de moi.

M. Jean-Frédéric Poisson. En effet !

M. Dominique Potier, rapporteur. En la matière, je suis très prudent, car j’attache le plus grand prix au respect de la vérité.

(L’amendement n5, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques, nos 20, 27 et 29.

La parole est à M. Dominique Potier, pour soutenir l’amendement n20.

M. Dominique Potier, rapporteur. Ce texte poursuit deux objectifs : prévenir et réparer. En cas de dommage, il faut actionner une sanction plus importante qu’en cas de défaut de prévention sans dommage.

Nous avons récrit l’article 2 pour le renforcer et le préciser.

En cas de dommage, c’est-à-dire quand survient un drame humain ou environnemental, et que l’entreprise multinationale est mise en cause, il faut observer le lien de causalité entre le défaut du plan de vigilance et les dommages. S’il est établi, les dispositions du code civil, aux titres des anciens articles 1381 et 1382, devenus les articles 1240 et 1241, sont renforcées. Si les mesures de précaution pouvaient empêcher le dommage, il existe une obligation de réparation et la responsabilité de l’entreprise est engagée. En d’autres termes, dans ce cas, le défaut ou la carence d’un plan de vigilance implique pour l’entreprise l’obligation de réparation.

Par ailleurs, en cas de dommage, le juge peut tripler l’amende civile, qui était plafonnée à 10 millions d’euros en cas de défaut sans dommage.

Enfin, n’oublions pas un point qui paraît anodin : le juge a la capacité de publier l’information. À cette phase, en effet, la présomption d’innocence ne s’applique plus. Face à une responsabilité majeure, qui a mis en cause des vies humaines ou dégradé les écosystèmes, il faut établir la vérité et nommer l’entreprise, pour que les citoyens et les consommations puissent se forger une opinion sur elle.

Tel est le but de l’article 2 : renforcer la sanction et surtout établir la chaîne de causalité pour la réparation des dommages. Sur ce second point, la rédaction proposée me semble plus précise, moins ambiguë que la précédente. Quant à la sanction, le cas échéant, elle sera plus puissante.

M. le président. La parole est à Mme Annick Le Loch, pour soutenir l’amendement n27.

Mme Annick Le Loch. Le rapporteur l’a dit, cet amendement est très important, d’abord dans un but de sécurisation juridique, ensuite parce qu’il distingue, d’une part, le défaut d’établissement et de mise en œuvre d’un plan de vigilance, pouvant être sanctionné par une amende allant jusqu’à 10 millions, et, d’autre part, la réalité du dommage en cas de sinistre, qui pourra dorénavant être sanctionnée d’un montant trois fois plus important.

M. le président. La parole est à M. Serge Bardy, pour soutenir l’amendement n29.

M. Serge Bardy. Il est défendu.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. Sagesse.

M. le président. La parole est à M. Dominique Tian.

M. Dominique Tian. Tout à l’heure, monsieur le rapporteur, vous avez prétendu que le texte n’est pas punitif. Les sanctions prévues à cet article sont plus que punitives : elles sont exorbitantes, d’autant que les responsabilités seront très difficiles à établir, les faits survenant dans des pays souvent lointains, incertains, frappés par le terrorisme, les inondations et d’autres soucis. On comprend que les entreprises françaises hésitent avant de travailler à l’international.

Vous êtes en train de créer une loi spécifiquement française, destinée aux entreprises françaises, qui ont vocation à travailler à l’étranger, et vous allez plus loin que la directive européenne.

Mme Danielle Auroi. Il n’a pas compris !

M. Dominique Tian. La démarche n’est pas seulement punitive mais carrément caricaturale. Partez plutôt du principe qu’il s’agit d’entreprises responsables, connues, qui obéissent à l’ensemble des traités internationaux et travaillent dans un milieu extrêmement concurrentiel !

Si la loi est votée, les entreprises françaises qui comptent travailler à l’étranger vont se poser beaucoup de questions avant de répondre à des appels d’offres internationaux, et leur décision ne sera pas neutre en termes d’emploi.

(Les amendements identiques nos 20, 27 et 29 sont adoptés et l’amendement n19 tombe.)

(L’article 2, amendé, est adopté.)

Article 3

M. le président. La parole est à M. Dominique Tian, pour soutenir l’amendement n6, tendant à supprimer l’article 3.

M. Dominique Tian. Défendu.

(L’amendement n6, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Dominique Potier, pour soutenir l’amendement n21.

M. Dominique Potier, rapporteur. C’est un amendement de codification.

(L’amendement n21, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

(L’article 3, amendé, est adopté.)

Article 4

M. le président. La parole est à M. Dominique Tian, pour soutenir l’amendement n7, tendant à supprimer l’article 4.

M. Dominique Tian. Défendu.

(L’amendement n7, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Dominique Potier, rapporteur, pour soutenir l’amendement n36.

M. Dominique Potier, rapporteur. Voici le dernier amendement d’un long parcours, après quoi la proposition de loi ne devrait plus évoluer. Certes, tout peut arriver, et le Sénat pourrait adopter des amendements que nous retiendrions éventuellement.

M. Romain Colas. Il ne faut pas désespérer !

M. Dominique Potier, rapporteur. Toutefois, il est probable que la Haute assemblée s’en tienne à sa logique et que nous adoptions avec fierté, en janvier, le présent texte, avec ce dernier amendement.

Notre dernière hésitation portait sur les délais d’application. Le Sénat, en cohérence avec sa logique de reporting, en application de la directive européenne de 2014, avait prévu une publication à partir d’un exercice complet – celui de l’année 2018, si le vote de la loi intervenait en 2017. Il nous a semblé choquant de devoir attendre près de vingt-quatre mois avant qu’un juge ne puisse agir à l’encontre d’une multinationale qui n’aurait pas pris de mesures de précaution. Nous ne souhaitions pas qu’en 2018, la loi ne puisse s’appliquer avant un an supplémentaire et que, dans l’intervalle, rien ne puisse être faire, quand bien même on continuerait à découvrir des enfants au travail et à subir des drames environnementaux.

Cet amendement vise donc à ce que le plan de vigilance soit mis en œuvre dès 2018. Si nous adoptons la loi en janvier, elle sera promulguée en février ou en mars, à l’issue d’une éventuelle décision du Conseil constitutionnel. Les entreprises auront dès lors neuf mois pour mettre en œuvre un plan de vigilance et, dès le 1er janvier 2018, ce plan sera appliqué. Le décret étant désormais réduit à la portion congrue, un juge pourra agir à l’encontre d’une entreprise. Le cycle du reporting et de la mise en œuvre s’appliquera à partir de 2019. Cet amendement avance donc l’application de la loi d’un an.

Je souhaiterais à nouveau remercier les uns et les autres, tout en regrettant sincèrement que le dialogue ait parfois été peu fertile avec l’opposition – une connaissance plus affirmée de ces sujets et une plus grande bienveillance quant aux intentions exprimées auraient été souhaitables. Toutefois, j’éprouve du bonheur à voir la gauche réunie, portant des valeurs universelles, qui puisent à diverses sources, notamment celle des Lumières et de la Révolution. Ce que nous voulons pour nous, nous le voulons pour d’autres, au bout du monde, nous voulons nous libérer de nos esclavages et libérer de l’esclavage, ailleurs, des hommes, des femmes et des enfants.

Je ressens à nouveau l’émotion que vous avez sûrement éprouvée si vous avez vu le film de Ken Loach que j’évoquais à propos d’ATD Quart Monde. Ce film magnifique se termine par la proclamation d’un homme détruit. C’est au Royaume-Uni, mais cela pourrait être au Bangladesh, en Éthiopie ou n’importe où ailleurs dans le monde.

M. Dominique Tian. Les entreprises françaises ne sont pour rien dans cette affaire !

M. Serge Bardy. Avec Fillon, ce sera comme avec Thatcher !

M. le président. Veuillez écouter le rapporteur, chers collègues !

M. Dominique Potier, rapporteur. Monsieur Tian, ne soyez pas caricatural ! Écoutez simplement ce que dit Ken Loach dans son film Moi, Daniel Blake. Je pense que c’est la pensée la plus profonde que nous pouvons avoir aujourd’hui. J’éprouve de la joie à l’idée que, par cette loi française, nous entraînions l’Europe et impulsions le début d’un changement – il faut rester très humble et très modeste –, en contribuant à lever le voile juridique de l’hypocrisie et de l’irresponsabilité pour développer une économie moderne, une économie éthique, un monde plus juste. Rappelez-vous la fin de ce film : moi, Daniel Blake – on pourrait le dire de tous les Daniel Blake de la terre –, « je suis un homme, pas un chien, je suis un citoyen, rien de plus, rien de moins ». (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain, du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Mme Brigitte Allain, Mme Danielle Auroi et M. Philippe Noguès. Très bien !

(L’amendement n36, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

(L’article 4, amendé, est adopté.)

M. le président. Nous avons achevé l’examen des articles de la proposition de loi.

Vote sur l’ensemble

M. le président. Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi.

(La proposition de loi est adoptée.)

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

5

Victimes de la répression de la Commune de Paris

Discussion d’une proposition de résolution

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution de M. Bruno Le Roux et plusieurs de ses collègues pour rendre justice aux victimes de la répression de la Commune de Paris de 1871 (n907).

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Patrick Bloche.

M. Patrick Bloche. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, monsieur le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, chers collègues, l’histoire peut faire son œuvre sans que justice soit rendue à ses victimes. C’est la raison pour laquelle nous sommes aujourd’hui présents dans cet hémicycle afin d’effectuer ensemble un acte solennel pour la République et notre nation. La résolution qui vous est proposée comporte en effet une charge symbolique toute particulière en raison même de son objet.

Il s’agit, pour notre assemblée, de proclamer la réhabilitation des victimes de la répression de la Commune de Paris de 1871, sur le fondement, bien sûr, des faits établis par les historiens. Le temps est désormais venu, pour la République, de rendre honneur et dignité à ces milliers de femmes et d’hommes qui, parce qu’ils étaient des communards,  furent victimes d’une répression impitoyable. Tel est l’objet de cette proposition de résolution, qui répond tout autant à un « devoir d’histoire », pour reprendre la belle et juste formule de l’historien Antoine Prost, qu’à un devoir de justice.

Les faits sont connus. Les historiens ont œuvré : de nombreux travaux ont été publiés sur la Commune de Paris et sa terrible fin, qui se déroula en deux périodes.

Ce fut d’abord la Semaine sanglante, celle des jugements prononcés de manière expéditive et des exécutions sommaires. Elle débuta le 21 mai 1871 avec l’entrée des troupes versaillaises dans la capitale et s’acheva le 28 mai avec la chute de la dernière barricade de la rue de la Fontaine-au-Roi, défendue notamment par Jean-Baptiste Clément, l’auteur du Temps des Cerises. Son bilan demeure imprécis, tant elle fut féroce, mais il y eut, selon les estimations, entre 10 000 et 20 000 morts. L’incertitude même pesant sur ce nombre montre le caractère brutal et aveugle de la répression. Les témoins mentionnent les nombreuses exécutions frappant, par exemple, ceux dont les mains semblaient porter des traces de poudre suggérant l’emploi récent d’armes à feu.

Ce fut ensuite, après l’écrasement de la Commune par les armes, l’internement de 43 522 communards et la présentation de 34 952 hommes, 819 femmes et 538 enfants devant vingt-quatre conseils de guerre, qui siégèrent pendant plus de quatre ans et condamnèrent 9 780 communards à des peines souvent très lourdes. À la mort des victimes de la première période, s’ajouta donc l’infamie attachée à ces condamnations.

Tel est le bilan connu de cette répression, dont le but était de réaliser, selon les propres termes prononcés par Adolphe Thiers à l’Assemblée nationale, le 22 mai 1871, une « expiation complète » de la Commune de Paris. Louise Michel, qui fut condamnée à la déportation en Nouvelle-Calédonie, écrira, quelques années après son retour en France, le 9 novembre 1880 : « du côté de la Commune, les victimes furent sans nom et sans nombre ». Ce terrible constat demeure, cent quarante-cinq ans après : le nombre exact des victimes de la répression reste effectivement inconnu et nombre d’entre elles seront toujours anonymes.

Pour cette raison, mais aussi parce qu’une justice d’exception, aussi expéditive qu’« expiatoire », se déchaîna sans limites, le temps est enfin venu de rendre justice à toutes les victimes. J’ai bien dit toutes les victimes, car l’amnistie partielle, intervenue le 3 mars 1879, et l’amnistie générale, décidée le 11 juillet 1880, ont seulement permis de libérer de leurs chaînes les ex-communards encore en vie, coulant par là même une chape de plomb sur cette répression.

La question qui s’est posée était donc aussi celle du moyen juridique nous permettant de rendre justice à toutes ces victimes. Pourquoi, en effet, avoir privilégié la proposition de résolution prévue par l’article 34-1 de notre Constitution ?

Plusieurs instruments juridiques pouvaient, a priori, répondre à cet objectif. Trois d’entre eux ont été rapidement écartés parce qu’à l’évidence, ils ne pouvaient pas répondre à l’objectif fixé, à savoir la réhabilitation collective des victimes de la répression de la Commune de Paris : il s’agit de l’amnistie, de la grâce et de la réhabilitation judiciaire. Ne pouvant bénéficier ou profiter utilement qu’aux personnes vivantes, ces dispositions, de fait, ne constituaient pas une solution pertinente. À cela s’ajoutaient, pour chacune d’entre elles, d’autres raisons ou incompatibilités.

Ainsi, la grâce ne peut être accordée, selon la rédaction actuelle de l’article 17 de la Constitution, qu’à titre individuel, ce qui exclut une action collective. De plus, elle ne peut rétablir les personnes dans leur honneur puisqu’elle n’efface pas leur peine. Enfin, elle ne s’applique qu’à des jugements dûment prononcés, ce qui ne fut, en général, pas le cas durant la Semaine sanglante.

Quant à l’amnistie, elle est prise par la voie législative dans un contexte particulier. Certes, elle efface les condamnations prononcées, comme le dispose l’article 133-9 du code pénal, mais elle présenterait l’inconvénient majeur de se heurter aux lois d’amnistie votées en 1879 et 1880.

Alors, pourquoi pas la réhabilitation judiciaire, puisqu’elle a pour effet d’effacer les peines prononcées ? Non plus, car, outre le fait qu’elle est destinée à des personnes vivantes, elle est soit légale, auquel cas elle opère de plein droit, soit judiciaire, ce qui nécessite une décision de la chambre de l’instruction.

Et pour quelle raison ne pas faire le choix de la requête en révision, qui permet de solliciter le réexamen d’une affaire passée en force de chose jugée ? Parce qu’il s’agit, à l’instar de la grâce, d’une procédure individuelle.

Enfin, pourquoi ne pas déposer une proposition de loi dite « mémorielle » ? Parce que, chers collègues, la mission d’information de notre assemblée sur les questions mémorielles a clairement mis en évidence les dangers et les risques d’une loi dont l’objet serait historique. Son rapport du 18 novembre 2008, solidement argumenté, reprenait les fortes réserves émises par les historiens.

A contrario, ces derniers, dont Pierre Nora, Marc Ferro et Jean Favier, tout comme le constitutionnaliste Pierre Avril, avaient indiqué que la résolution pouvait constituer un instrument à la fois pertinent et utile, à l’Assemblée nationale, pour s’exprimer sur un événement historique. C’est donc ce choix qui s’imposait et que le groupe socialiste, écologiste et républicain a fait.

Il s’agit, ici et maintenant, de débattre puis d’adopter la proposition de résolution qui vise à ce que l’Assemblée nationale « estime qu’il est temps de prendre en compte les travaux historiques ayant établi les faits dans la répression de la Commune de Paris de 1871 », « juge nécessaire que soient mieux connues et diffusées les valeurs républicaines portées par les acteurs de la Commune de Paris de 1871 », « souhaite que la République rende honneur et dignité à ces femmes et ces hommes qui ont combattu pour la liberté au prix d’exécutions sommaires et de condamnations iniques », et « proclame la réhabilitation des victimes de la répression de la Commune de Paris de 1871 ».

Avant de conclure, monsieur le secrétaire d’État – vous qui aviez d’ailleurs signé cette proposition de loi lorsque vous étiez député –, chers collègues, il ne me semble pas inutile de revenir à l’histoire et de rappeler les causes de la Commune de Paris, afin que le sens de notre vote n’échappe à personne.

Sa cause immédiate, c’est la guerre et le désastre de Sedan, qui provoqua l’insurrection du 4 septembre 1870 : des Parisiens envahirent le palais Bourbon et, suivant la suggestion de députés républicains, tel Léon Gambetta, proclamèrent la République à l’hôtel de ville de Paris. Sa cause immédiate, c’est aussi le refus de la capitulation : Paris n’acceptait pas l’armistice, signé le 28 janvier 1871 par le gouvernement de la Défense nationale, que Georges Arnold, le fondateur de la garde nationale, qualifia de « paix honteuse et hideuse ».

Mais la cause, la grande cause de la Commune de Paris, c’était, au fond, la défense de la République. Paris, en effet, se méfiait de l’Assemblée élue le 8 février 1871. Elle avait bien désigné Adolphe Thiers chef du gouvernement exécutif de la République française mais hésitait, en réalité, sur la nature du régime à instaurer. Par conséquent, lorsque, le 10 mars 1871, l’Assemblée se replia à Versailles, la confiance fut rompue et le drame s’annonçait déjà. À Paris, on réclama l’élection d’une municipalité, puis d’une Commune, comme sous la grande Révolution. Le 26 mars 1871, après l’acte fondateur du 18 mars, la Commune de Paris était enfin élue. Elle ne vivra que soixante-treize jours ; soixante-treize jours qui contribuèrent fortement, comme l’écrit l’historien Jacques Rougerie, à « l’acquiescement progressif des Français à la République ».

Le moment est donc venu que nous rendions honneur et dignité à ces milliers de femmes et d’hommes qui eurent pour seul tort, outre le fait d’être le peuple industrieux de Paris, de croire en la possibilité de bâtir une République sociale dont le fondement était notre belle devise républicaine : liberté, égalité, fraternité.

Alors oui, chers collègues, montrons, avec Victor Hugo, que « ce qui fait la nuit en nous peut laisser en nous les étoiles » et proclamons, en adoptant cette proposition de résolution, la réhabilitation des victimes de la répression de la Commune de Paris de 1871, afin que celles-ci illuminent, comme elles y ont droit, le ciel de notre République. Car, je l’affirme à cette tribune avec Eugène Pottier : non, « la Commune n’est pas morte ! » (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Mme Chantal Guittet. Vive la Commune !

M. le président. La parole est à M. Michel Piron.

M. Michel Piron. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, quand cesserons-nous de vouloir remplacer, ici et maintenant, les historiens ? Ce n’est pas sans une certaine lassitude que je vous pose cette question, pour avoir vécu d’autres débats, sur d’autres sujets, partant du même principe et l’interrogeant.

Il y a déjà plus de dix ans, en effet, le collectif Liberté pour l’histoire, qui réunissait des historiens français parmi les plus grands, avait lancé un appel sans concession, affirmant que l’histoire ne devait pas être « un objet juridique » et soutenant : « Dans un État libre, il n’appartient ni au Parlement ni à l’autorité judiciaire de définir la vérité historique. La politique de l’État, même animée des meilleures intentions, n’est pas la politique de l’histoire. »

Ainsi, que serait l’adoption, en ces lieux, je le répète, même d’une proposition de résolution, sinon un dévoiement de la fonction législative, pour laquelle nous avons été élus ? Avons-nous, chers collègues, à arbitrer une compétition victimaire ou à compartimenter l’histoire ? N’est-il pas temps d’établir une limite entre commémoration de l’histoire – procédure dans laquelle le responsable politique a toute sa place – et interprétation de l’histoire ?

L’histoire ne saurait être esclave de l’actualité ni s’écrire sous la dictée de mémoires concurrentes. Aussi bien, si nous devions rendre grâce aux communards aujourd’hui, pourquoi ne pas engager, demain, un travail sur les victimes expiatoires de la Terreur durant la Révolution française ? On voit bien que ce processus est sans fin, ces démarches mémorielles ouvrant la voie à des réinterprétations incessantes de l’histoire, à l’aune de critères moraux, politiques, éthiques, par définition subjectifs et évolutifs.

Chers collègues, vous l’aurez compris, je continue de penser qu’il faut laisser l’histoire aux historiens, qu’on ne doit pas confondre histoire, justice et mémoire. L’historien n’a pas pour rôle d’exalter ou de condamner ; il est là pour essayer de comprendre, d’expliquer, porté par l’exigence, idéale, certes, d’impartialité. Gardons-nous donc d’une lecture officielle de l’histoire, d’un seul récit écrasant tout et tous sous une seule mémoire ! On sait ce qu’il advint de ceux qui s’y prêtèrent, des régimes qu’ils servirent et auxquels ils furent finalement asservis…

Nous pouvons fort heureusement compter sur la richesse et la pluralité de nos écoles historiques françaises pour comparer, voire confronter les interprétations. Pierre Nora, éminent historien, auteur d’une œuvre magistrale sur les lieux de mémoires, a lui-même dénoncé l’écueil de ce qu’il appelle la « tyrannie de la mémoire ». Selon ses propres mots, « si l’histoire rassemble, la mémoire divise ». On pourrait même parler des mémoires, au pluriel, tant il en existe dans la mise en compétition des démarches mémorielles – celles des vainqueurs, celles des vaincus. L’histoire, elle, possède une vertu thérapeutique, en ce qu’elle constitue une des très rares possibilités de conciliation entre mémoires antagonistes. Et cette réconciliation-là ne relève surtout pas du législateur, quel qu’il soit.

J’aimerais souligner ici qu’il n’est évidemment pas question de nier la répression de la Commune de Paris, qui fût un événement tragique de notre histoire. Nous refusons simplement une résolution inopportune et, qui plus est, partisane, puisque émanant d’un parti.

En outre, faut-il rappeler que La Commune de Paris n’est pas absente des programmes d’histoire de l’éducation nationale ? À l’école primaire, elle fait partie des conflits de la République qu’il est prévu d’aborder. Au collège, elle est traitée dans le cadre de l’étude des régimes politiques au XIXsiècle. Au lycée, si elle n’est pas explicitement enseignée, elle est traitée par les professeurs en classe de première, lorsqu’est abordé le thème dit de « l’enracinement de la culture républicaine ».

Chers collègues, en septembre 1871, Victor Hugo dénonçait avec force la violence et l’injustice de cette répression, dans un poème sans concessions : « À ceux qu’on foule aux pieds » :

« Je défends l’égaré, le faible, et cette foule

Qui, n’ayant jamais eu de point d’appui, s’écroule

Et tombe folle au fond des noirs événements ;

Étant les ignorants, ils sont les incléments ;

Hélas ! combien de temps faudra-t-il vous redire

À vous tous, que c’était à vous de les conduire,

Qu’il fallait leur donner leur part de la cité,

Que votre aveuglement produit leur cécité ;

D’une tutelle avare on recueille les suites,

Et le mal qu’ils vous font, c’est vous qui le leur fîtes. »

Par le choix de tels mots, par sa poésie autant que par la puissance de son engagement, Victor Hugo a déjà contribué à la mémoire des communards. Son œuvre, immense, qui appartient, ô combien ! à notre patrimoine national, vaudra toujours mieux qu’une résolution posthume intervenant près de cent cinquante ans après les faits.

En définitive, parce que nous en récusons le principe, et uniquement pour cette raison, nous ne voterons pas la présente proposition de résolution, par laquelle le groupe socialiste, écologiste et républicain, en prenant appui sur ses représentants parisiens, prétend s’ériger en gardien de la mémoire.

M. Dominique Tian. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Yannick Moreau.

M. Yannick Moreau. Monsieur le président, chers collègues, je vais peut-être faire résonner à l’Assemblée une sonorité un peu différente.

« Je ne fais point fléchir les mots auxquels je crois ;

Raison, progrès, honneur, loyauté, devoirs, droits.

On ne va point au vrai par une route oblique.

Sois juste ; c’est ainsi qu’on sert la république ; »

Voilà ce que proclamait Victor Hugo en 1872, au lendemain de la Commune.

Le groupe socialiste, écologiste et républicain a souhaité convoquer aujourd’hui l’histoire devant le Parlement : cent quarante-cinq ans après la fin de la Semaine sanglante, cette résolution entend réhabiliter les victimes de la répression de la Commune de Paris. Il faut croire, chers collègues, que les lois d’amnistie de 1879 et 1880 n’ont pas suffi. Dans de nombreuses villes, les conseils municipaux font le choix d’honorer des figures de la Commune, comme Louise Michel, quand il ne s’agit pas, à Paris, de rebaptiser une station de métro « Commune de Paris 1871 ». On pourrait donc croire qu’il n’existe pas de nécessité d’une nouvelle forme de réhabilitation.

La résolution du groupe socialiste intervient à cinq mois de l’élection présidentielle de 2017, alors que la majorité, fragmentée à l’Assemblée, se déchire à sa tête pour savoir qui, du Président de la République ou du Premier ministre, la représentera.

Mme Sandrine Doucet et Mme Chantal Guittet. Hors sujet !

M. Yannick Moreau. N’avez-vous pas d’autres actions prioritaires à mener pour la France et les Français ?

M. Dominique Tian. Très bien !

M. Yannick Moreau. Que comptez-vous faire pour lutter contre le terrorisme islamique, qui sème la terreur dans notre pays ? Que comptez-vous faire pour les 6 millions de chômeurs, qui attendent de retrouver un emploi ?

Mme Sylvie Tolmont. C’est loin de Victor Hugo !

M. Yannick Moreau. Que comptez-vous faire pour lutter contre la pauvreté, qui gangrène notre pays ? Chers collègues, qui vous prétendez héritiers des valeurs de justice, voilà un vrai sujet d’action ! Que comptez-vous faire dans l’hémicycle durant les trois mois qu’il vous reste ? Des commémorations ? Des résolutions ? Le calendrier législatif est pourtant déjà bien chargé jusqu’à la fin de la session, la dernière de la législature. Votre proposition de résolution n’est finalement qu’une vaine opportunité politicienne, une main tendue aux électeurs de l’extrême gauche, à quelques semaines de la primaire socialiste.

À l’heure où notre société est divisée, la mémoire ne peut être l’objet d’une instrumentalisation abusive et excessive. Chers collègues, nous ne sommes pas favorables aux lois mémorielles.

M. Patrick Bloche. Ce n’est pas une loi mémorielle !

M. Yannick Moreau. Notre Parlement a légiféré de nombreuses fois sur ces questions sensibles. Si le devoir de mémoire est important pour consolider la mémoire collective, notre responsabilité de parlementaires est de ne pas alimenter une guerre des mémoires. Chers collègues, faut-il continuer à tenir dans l’hémicycle des débats relevant davantage de la controverse scientifique et historique que des missions du législateur fixées par la Constitution de 1958 ? L’histoire est un ressort trop important de la conscience nationale pour faire l’objet de forfaitures ou d’arrangements partiaux.

Certes, vous avez choisi de déposer une proposition de résolution et non une proposition de loi mémorielle ; ce choix est sage. Pour autant, la présente proposition de résolution pose le même problème de principe.

M. Patrick Bloche. Ah bon ?

M. Yannick Moreau. Elle suscite un certain nombre de questions insolubles : quels événements historiques reconnaître ? où placer le curseur, sachant que notre histoire est émaillée de multiples drames et que notre République a charrié, derrière elle, bien d’autres victimes ?

D’ailleurs, on devine que cet exercice de repentance ciblé n’est pas dénué d’arrière-pensées électorales en direction d’une gauche immature et « castrolâtre ».

M. André Chassaigne. Oh là !

M. Yannick Moreau. Or, pardon de vous le dire, chers collègues, mais la Commune n’est pas un élément historique de référence. La France, ce sont quinze siècles d’histoire, de pages souvent glorieuses, parfois sombres, traversés par notre pays. La Commune en est incontestablement une.

Dans les déchirements de la défaite française de 1870, dont le traumatisme de Sedan continue à marquer la formation de nos jeunes officiers, la Commune prend une place singulière. L’année 1871 voit apparaître la IIIRépublique et une assemblée nationale élue au suffrage universel. Certes, cette assemblée n’était pas la plus libre et la plus représentative du peuple français,…

M. Alain Fauré. C’est le moins qu’on puisse dire !

M. Yannick Moreau. …Léon Gambetta ayant cherché, par décret, à exclure bonapartistes et royalistes. Elle n’en était pas moins la représentation nationale.

L’insurrection armée qui va naître à Paris durera un peu plus de deux mois. Si, pour certains, la République naissante s’est couchée devant Bismarck, la Commune n’est pas le grand roman sentimental et pur que certains veulent nous décrire. La mémoire est d’ailleurs particulièrement sélective. Qui se souvient qu’au lendemain de la mort de Napoléon III, les communards en exil en Angleterre sont allés se recueillir sur la tombe de l’empereur ?

Oui, chers collègues, si, entre 1827 et 1849, Paris a vu huit fois les barricades se dresser, la Commune n’est pas un soulèvement comme les autres : la Commune est une guerre civile.

M. André Chassaigne. C’est Thiers réincarné !

M. Yannick Moreau. L’historien britannique Robert Tombs estime qu’il y eut, dans les rangs communards, entre 6 000 et 7 500 morts, dont environ 1 400 fusillés, quand les Versaillais déplorèrent 877 tués, 6 454 blessés et 183 disparus dans les combats livrés du 3 avril au 28 mai.

M. André Chassaigne. La réaction est revenue !

M. le président. Veuillez écouter l’orateur, mon cher collègue !

M. Yannick Moreau. Les vérités historiques ne sont pas aussi simples que vous voulez bien le dire, chers collègues. La spirale de la violence n’est jamais à sens unique. Ainsi, dès le 5 avril 1871, la Commune décide, par décret, d’instaurer la terreur des otages : « Toute exécution […] d’un partisan du gouvernement de la Commune de Paris sera, sur-le-champ, suivie de l’exécution d’un nombre triple des otages retenus […] et qui seront désignés par le sort. »

M. Jean-Pierre Allossery. Fusillés pour l’exemple !

M. Jean-Jacques Candelier. Prenez garde, monsieur Moreau !

M. Yannick Moreau. Qui sont ces otages ? Des militaires ? Des espions ? Non. La plupart sont des religieux :…

Mme Chantal Guittet. Eh bien oui !

M. Yannick Moreau. …Mgr Darboy, archevêque de Paris, arrêté avec quatre autres clercs et exécuté à la prison de la Roquette, mais aussi les dominicains d’Arcueil et des jésuites de la rue Haxo. Qui se rappelle des 200 édifices touchés par les flammes, de ce que George Sand appellera « les saturnales de la folie » ?

M. Dominique Tian. C’est vrai !

M. Yannick Moreau. Chers collègues, redonnons la parole à un historien. François Furet, qui fut membre du Parti communiste français puis du Parti socialiste unifié, nous rappelle l’exagération mémorielle autour de la Commune : « Aucun événement de notre histoire moderne, et peut-être de notre histoire tout court, n’a été l’objet d’un pareil surinvestissement d’intérêt, par rapport à sa brièveté. […] Le souvenir de la Commune a eu la chance de se trouver transfiguré par un grand événement postérieur : la Révolution russe de 1917 l’a intégré à sa généalogie, par l’intermédiaire du livre que Marx avait consacré à l’événement dès 1871. »

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement. Certes ! Et alors ?

M. Yannick Moreau. La voilà donc, la filiation que vous cherchez !

Certes, la répression menée sous les ordres de M. Thiers fut terrible, excessive, cruelle, mais elle n’est pas la seule qu’il convient de dénoncer. Sinon, foi de Vendéen, quitte à faire œuvre de repentance, pourquoi ne pas commencer par l’abrogation des lois de la Terreur dirigées contre la Vendée et par la reconnaissance de ses crimes ? Vous voulez faire de la morale ? Soit ! Alors commencez donc par abroger les lois de la Terreur ! Reconnaissez l’abjection de l’écrasement de la révolte des canuts lyonnais et plus encore des crimes commis contre les enfants, les femmes et les hommes de Vendée !

M. Dominique Tian. Très bien !

M. Yannick Moreau. Vendéen, homme de l’Ouest, je sais, y compris par la tradition orale de ma propre famille, ce que furent les persécutions des simples gens qui refusaient le centralisme jacobin, la levée en masse pour la conscription militaire et l’interdiction de leurs convictions religieuses. Le 26 juillet 1793, à la Convention nationale, Barère réclame la destruction et l’extermination de la Vendée. Savez-vous, chers collègues, que c’est une loi, datée du 1er août 1793, votée par la Convention nationale, qui prescrit l’extermination des hommes, la déportation des femmes et des enfants et la destruction du territoire de la Vendée ? Savez-vous qu’une deuxième loi, datée du 1er octobre 1794, vient renforcer l’horreur indicible ? Le massacre des Lucs-sur-Boulogne, qui fait 564 morts, enfermés dans une église incendiée, en est le tragique symbole. Parmi les victimes, on dénombre 110 enfants de moins de sept ans ; la plus jeune, Louise Minaud, n’a que quinze jours. Savez-vous que ce même pouvoir de la Terreur ordonne la mise en œuvre des noyades collectives dans la Loire, rebaptisée « grande baignoire nationale » ? Des mariages, dits « républicains », imaginés par Jean-Baptiste Carrier, consistent à enchaîner un homme et une femme nus puis à les noyer ; selon Reynald Secher, 4 800 personnes en sont victimes à l’automne 1793.

M. Patrick Bloche. Nous parlons de 1871 !

M. Yannick Moreau. Comment oublier les tristement célèbres « colonnes infernales » du général Turreau, dont le nom figure encore aujourd’hui sur l’Arc de triomphe ? Ces atrocités coûtent la vie à des dizaines de milliers de personnes. Savez-vous que c’est en Vendée que les premiers essais d’extermination industrielle sont menés ? (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. Jean-Jacques Candelier. Vous êtes hors sujet !

M. Yannick Moreau. À Noirmoutier, des camps d’extermination sont établis. Partout en Vendée, des fours à pain sont utilisés comme fours crématoires pour brûler vifs les habitants. La peau des Vendéens sert à l’élaboration de sacs ou de pantalons pour les gendarmes.

M. Patrick Bloche. On parle de la Commune de Paris, pas de la Révolution française !

M. Dominique Tian. Ce sont les mêmes !

M. Yannick Moreau. Selon le conventionnel Saint-Just, la peau humaine est « d’une consistance et d’une bonté supérieure à celle du chamois et celle des sujets féminins est plus souple mais elle présente moins de solidité ».

Reconnaissez donc, chers collègues, les erreurs et les horreurs de la Terreur, comme la loi du 10 juin 1794, qui succède à la terrible loi des suspects, votée le 17 septembre 1793, par laquelle le tribunal révolutionnaire élimine toute garantie de défense ! Pierre Chaunu, dans l’avant-propos du livre éponyme de Reynald Secher, n’a pas hésité à évoquer un « génocide franco-français ». Je citerai, pour achever de vous convaincre,…

M. Alain Fauré. Pour nous achever tout court !

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Oui, achevez !

M. Yannick Moreau. …la lettre du général Westermann, surnommé « le boucher de la Vendée », qui écrit au Comité de salut public les mots suivants : « Il n’y a plus de Vendée, citoyens républicains. Elle est morte sous notre sabre libre, avec ses femmes et ses enfants. Je viens de l’enterrer dans les marais et les bois de Savenay. Suivant les ordres que vous m’aviez donnés, j’ai écrasé les enfants sous les sabots des chevaux, massacré les femmes qui, au moins pour celles-là, n’enfanteront plus de brigands. Je n’ai pas un prisonnier à me reprocher. J’ai tout exterminé. »

Mme Chantal Guittet. Aucun rapport !

M. Yannick Moreau. Les moyens d’extermination des Vendéens mis en œuvre par le Comité de salut public et la Convention sont la matrice de ceux employés par les régimes totalitaires du XXsiècle. Voilà un sujet qui mériterait une reconnaissance nationale car, si la Vendée pardonne, elle n’oublie pas.

Mme Chantal Guittet. Alors proposez une résolution !

M. Yannick Moreau. Voyez, chers collègues, comme il est difficile de déterminer quelles commémorations doivent faire l’objet d’un devoir de mémoire ! Même si votre proposition de résolution est déclarative, il semble plus sage de ne pas raviver la guerre des mémoires.

Nul n’ignore les travers et les débordements de cette guerre civile que fut la Commune.

M. le président. Merci de conclure, cher collègue.

M. Yannick Moreau. Il convient donc de laisser ces morts en paix…

M. André Chassaigne. Et vos morts ? Vous les laissez en paix ?

M. Yannick Moreau. …au lieu de les agréger à la vaine cause d’une majorité présidentielle en lambeaux. Telles sont, chers collègues, les raisons pour lesquelles notre groupe ne votera pas ce texte, comme vous l’aurez compris.

M. Dominique Tian. Bravo !

M. Michel Ménard. C’est la position de son groupe ?

M. Alain Fauré. Eh oui !

M. André Chassaigne. C’est un avant-goût de la contre-révolution filloniste !

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Maggi.

M. Jean-Pierre Maggi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, bien qu’elle n’ait duré que trois mois à peine, du 19 mars au 28 mai 1871, la Commune de Paris occupe une place de taille parmi les mythes révolutionnaires de notre pays et du monde, comme symbole de lutte pour la liberté et l’égalité.

Après la capitulation de Sedan, le 2 septembre 1870, les Prussiens envahissent la France. Paris assiégé connaît, pendant l’hiver, les bombardements et la famine mais refuse de s’avouer vaincu, car l’occupation est vécue comme un affront. Dès lors, des manifestations réclament le rejet de l’armistice et l’instauration de la Commune, par référence à l’insurrection du 10 août 1792, au cours de laquelle Paris avait repris l’appellation de « Commune », symbole de son affranchissement vis-à-vis du pouvoir. La capitale rejette également la nouvelle Assemblée nationale, issue des élections de février 1871, majoritairement composée de monarchistes et de conservateurs, favorables à la paix avec la Prusse, tandis que les élus parisiens sont des républicains. Le Gouvernement de la République, dirigé par Thiers, qui se réunit d’abord à Bordeaux puis à Versailles, afin de ne pas risquer d’être retenu en otage par les Parisiens, veut conclure un traité de paix alors que les élus de la capitale refusent l’entrée des Prussiens dans Paris comme de se laisser désarmer. Une guerre sans merci s’engage alors entre la Commune et le gouvernement de Thiers, qui reçoit l’appui du chancelier Bismarck ; elle durera jusqu’au 28 mai.

Dès lors, la Commune entre durablement dans l’histoire, en premier lieu parce qu’elle voulut préparer une nouvelle ère politique et sociale en décrétant un ensemble de mesures importantes situées à l’avant-garde de la gauche : citons la séparation de l’Église et de l’État, l’instruction gratuite, laïque et obligatoire ou le programme de décentralisation centré sur l’autonomie des communes. Par ailleurs, notamment à cause du siège, un certain nombre de mesures à caractère social furent prises : les loyers dus définitivement remis, les retenues sur salaire supprimées, les ateliers abandonnés réquisitionnés, le travail de nuit pour les ouvriers boulangers interdit et la journée de travail de 10 heures adoptée. Enfin, l’éducation des femmes fut particulièrement prise en compte, notamment par la décision de créer des écoles professionnelles pour les jeunes filles : les distinctions sociales entre femmes mariées et concubines ainsi qu’entre enfants naturels et légitimes tombèrent, et l’égalité des salaires entre hommes et femmes fut proclamée.

La Commune de Paris marqua aussi l’histoire par les terribles affrontements qu’elle connut. En effet, les Versaillais regroupèrent rapidement leurs forces, aidés par Bismarck, qui libéra des prisonniers de guerre. En outre, les Communards surestimèrent leurs effectifs réels et organisèrent mal leur défense. Ainsi, début avril, une attaque des fédérés sur le mont Valérien et la redoute de Châtillon échoua et se conclut par l’exécution sommaire de nombre d’entre eux. À la mi-mai, les Versaillais réussirent à entrer dans un Paris aux rues couvertes de barricades, défendues quartier par quartier par les fédérés.

Ces derniers répondent aux fusillades des Versaillais par l’appel à la guerre révolutionnaire, la construction de foyers de résistance et l’exécution d’otages. La répression est féroce et n’épargne ni les femmes ni les enfants. Par ailleurs, plusieurs monuments sont incendiés, comme l’hôtel de ville ou le palais des Tuileries, par l’artillerie versaillaise ou la volonté des insurgés. Cette Semaine sanglante dura jusqu’au 28 mai, date du dernier combat au Père-Lachaise, où des communards se retranchèrent et furent bientôt vaincus par les Versaillais, qui achevèrent les blessés et fusillèrent les derniers survivants contre le mur d’enceinte, devenu depuis lors le « mur des Fédérés ».

La Semaine sanglante fit plus de 20 000 victimes, auxquelles s’ajoutèrent celles frappées par des sanctions judiciaires, notamment des enfants. En effet, les conseils de guerre prononcèrent, jusqu’en 1877, un total d’environ 40 000 jugements. Ils décidèrent de nombreuses peines de prison, d’une centaine de condamnations à mort, dont une vingtaine furent exécutées, et de plusieurs milliers de déportations, notamment en Nouvelle-Calédonie, parmi lesquelles celle de la célèbre institutrice et féministe Louise Michel, figure emblématique de la Commune. Des progressistes comme Victor Hugo plaidèrent pendant plusieurs années pour l’amnistie des communards mais il fallut attendre mars 1879 pour que l’Assemblée nationale vote une amnistie partielle, qui devint générale en juillet 1880. Or jamais les condamnés ne furent réhabilités, alors qu’aucun argument juridique n’est venu justifier ni les fusillades sommaires, ni les exécutions de masse, ni les condamnations hâtives.

Il est dès lors pleinement justifié que le Parlement, près d’un siècle et demi plus tard, veuille réhabiliter, par une résolution, ceux qui se battirent et furent réprimés pour que l’expression de la souveraineté populaire, donc de la démocratie, soit respectée. Cette proposition de résolution participe également à la reconnaissance, dans notre histoire et dans l’histoire universelle, du rôle que joua la Commune de Paris, malgré ses quelques jours d’existence, dans l’installation durable de la République et des valeurs qu’elle incarne. Par conséquent, le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste soutient cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Candelier.

M. Jean-Jacques Candelier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, nous sommes conviés à nous pencher cette après-midi sur une proposition de résolution visant à rendre justice aux victimes de la répression de la Commune de Paris. Je n’étonnerai personne en affirmant d’emblée ma satisfaction que ce débat se tienne dans notre assemblée, certains de mes collègues et moi-même ayant présenté, en mai 2013, une proposition de résolution tendant à la pleine réhabilitation de la Commune et des communards.

Cette discussion fournit l’occasion d’aborder ensemble cette page aussi tragique qu’héroïque de notre histoire. Elle nous permet également de nous interroger sur la place que la nation souhaite accorder, dans sa mémoire, à ces martyrs victimes de la répression barbare du gouvernement d’Adolphe Thiers, boucher de la Commune, dont le nom figure encore honteusement sur certaines plaques des rues de nos villes. Dommage que M. Piron ne soit plus là ! La Commune de 1871 fut l’un des plus grands épisodes de l’histoire du mouvement ouvrier français. Dans des circonstances extrêmement difficiles, les travailleurs parisiens se sont efforcés de mettre un terme à l’exploitation et à l’oppression, et de réorganiser la société sur des bases entièrement nouvelles.

M. André Chassaigne. Très bien !

M. Jean-Jacques Candelier. Aujourd’hui encore, les leçons de ces événements sont d’une importance fondamentale pour tous ceux qui aspirent à l’émancipation, en France ou ailleurs. La Commune est moderne et ses idéaux bien d’aujourd’hui. C’est donc pleinement conscients d’être dépositaires d’une mémoire ne demandant qu’à irriguer le présent qu’il nous faut aborder ce débat. Droit de vote des étrangers, démocratie dans l’entreprise, éducation et formation pour tous, laïcité, égalité hommes-femmes, réquisition des logements vides pour les mal-logés, sauvegarde et développement des services publics : ces quelques mesures illustrent à quel point les fondements solidaires et égalitaristes de notre République, que la Commune a contribué à forger, sont plus que jamais d’actualité.

M. André Chassaigne. Bravo !

M. Jean-Jacques Candelier. Les communards sont morts pour leurs idées. Pour leur rendre pleinement justice, il est donc indispensable de les réhabiliter non seulement en tant que victimes de la répression mais également en tant que promoteurs d’une forme de société libre, égalitaire et fraternelle. Par-delà la mise en lumière de la fin tragique et sanglante de l’expérience de la Commune, c’est tout le combat de ces hommes et de ces femmes qu’il convient de valoriser. Il y va de notre capacité à assumer le rôle de cette période de l’histoire dans la conquête des droits politiques et sociaux, aux fondements de notre République. Pendant deux mois, la Commune de Paris a en effet porté les valeurs universelles de liberté, de solidarité, d’égalité et de fraternité.

L’appel du 22 mars du Comité central de la garde nationale énonce que « les membres de l’assemblée municipale, sans cesse contrôlés, surveillés, discutés par l’opinion, sont révocables, comptables et responsables », et que leur mandat est impératif. Il s’agit d’une démocratie directe, reposant sur une citoyenneté active et renouant avec l’esprit de la constitution de 1793, qui fait du droit à l’insurrection « le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs ».

Les communards gèlent les loyers, placent les fabriques sous le contrôle des travailleurs, limitent le travail de nuit et mettent en place une garantie de subsistance pour les pauvres et les malades. Ils ouvrent la garde nationale, selon des principes strictement démocratiques, à tous les hommes aptes au service militaire et déclarent illégales les armées permanentes, séparées du peuple. L’Église, pour sa part, est séparée de l’État et la religion déclarée affaire privée. Les logements et les bâtiments publics sont réquisitionnés pour les sans-logis, l’éducation publique ouverte à tous, de même que les théâtres et les lieux de culture et d’apprentissage. Les travailleurs étrangers étaient considérés comme des frères et des sœurs, comme des alliés dans la lutte pour la réalisation d’une République universelle.

Des réunions avaient lieu nuit et jour, où des milliers d’hommes et de femmes discutaient de la façon dont devaient être organisés les différents aspects de la vie sociale, dans l’intérêt du bien commun. Les travailleurs avançaient en s’efforçant de trouver des solutions aux problèmes concrets que posait l’organisation de la société, dont, pour la première fois de l’histoire, ils étaient les maîtres. Quelle belle leçon de démocratie ! Je ne peux m’empêcher de citer la seule consigne que les membres du Comité central avaient donnée à leurs électeurs : « Ne perdez pas de vue que les hommes qui vous serviront le mieux sont ceux que vous choisirez parmi vous, vivant votre propre vie, souffrant des mêmes maux. Défiez-vous autant des ambitieux que des parvenus […] Défiez-vous également des parleurs, incapables de passer à l’action ».

Un si beau programme avait pourtant éclos dans un contexte de guerre et de souffrances liées au siège de la capitale par les Prussiens. Il arrive souvent que la guerre mène à la révolution ; ce n’est pas purement accidentel. La guerre arrache subitement les peuples à la routine de leur existence quotidienne et les jette violemment dans l’arène des grandes actions historiques. La population examine alors, beaucoup plus attentivement qu’en période de paix, le comportement des chefs d’État. C’est particulièrement vrai en cas de défaite. Or la campagne de Napoléon III contre la Prusse s’était soldée par un échec rapide et déshonorant, qui entraîna la fin de l’Empire et l’instauration de la IIIRépublique, le 4 septembre 1870. Cela n’empêcha pas le siège de Paris : le peuple était acculé par la famine et la pauvreté. La capitulation, secrètement préparée, est décrétée le 27 janvier 1871.

En dehors de l’armée régulière, une milice forte de 200 000 hommes se déclare pourtant prête à combattre. Le Comité central de la garde nationale élu dirige 215 bataillons, équipés de 2 000 canons et de 450 000 fusils. Ces travailleurs armés à l’intérieur de Paris constituent alors une menace bien plus grande pour la classe dominante de l’époque que l’armée étrangère prussienne. Thiers ne pouvait tolérer la situation de double pouvoir qui existait à Paris. Il ne put non plus tolérer l’élection de la Commune et l’arrivée de son programme d’émancipation sociale et économique.

L’armée de Versailles entra donc dans la ville le 21 mai 1871. Les communards combattirent avec un courage immense mais furent graduellement repoussés vers l’est de la cité et finalement vaincus le 28 mai. Les derniers communards qui résistaient furent fusillés dans le 20arrondissement, devant le mur des Fédérés. Au cours de la Semaine sanglante, les forces de Thiers massacrèrent entre 10 000 et 30 000 hommes, femmes et enfants, et firent probablement 20 000 victimes de plus dans les semaines suivantes. Les escadrons de la mort travaillaient sans relâche pendant le mois de juin, tuant toute personne suspectée d’avoir soutenu, d’une façon ou d’une autre, la Commune.

Nous avons la conviction que la connaissance de ces événements qui ont marqué l’histoire de notre pays est indispensable à la constitution d’une mémoire nationale partagée. Le Parlement doit jouer son rôle en reconnaissant ces événements constitutifs de l’identité républicaine.

Le 11 juillet 1880, la loi portant amnistie générale des communards est adoptée. Ceux-ci sortent de prison, reviennent de déportation ou d’exil. Cependant, cette loi n’est en aucun cas une révision de la condamnation ; elle constitue un pardon légal, qui vise le silence et l’amnésie.

Il est donc aujourd’hui nécessaire d’aller au-delà et d’affirmer la pleine réhabilitation de la Commune, de ses valeurs et de ses acteurs. Cela peut se manifester par toute une série de mesures concrètes, comme l’inscription de la Commune dans les programmes scolaires afin de lui donner une place à la mesure de son importance, l’instauration d’une journée de commémoration nationale ou encore la reconnaissance des communards grâce à l’inscription de leurs noms sur un nombre significatif de plaques de rues ou de monuments.

Pour conclure, je voudrai souligner l’importance de ce débat, dans une période où l’action sociale et syndicale tend à être criminalisée. Nous ne pouvons passer sous silence les attaques constantes contre l’expression citoyenne du mouvement Nuit debout ni la répression féroce de la mobilisation populaire contre la loi travail. Nous ne pouvons oublier que la grande manifestation du 23 juin 2016 a été menacée d’interdiction, fait inédit sous la VRépublique, et n’a pu être maintenue, in extremis, qu’au prix d’un dispositif policier hors norme, démesuré. Nous sommes obligés de rappeler la réquisition honteuse du parquet contre les syndicalistes de Goodyear, qui furent renvoyés au tribunal et menacés de prison ferme, alors qu’ils avaient pour seul tort d’avoir défendu l’emploi des salariés face à des patrons voyous. La logique est identique pour les syndicalistes d’Air France et tous ceux qui tentent de relever la tête face aux injustices de ce système. Aujourd’hui encore, alors que le Gouvernement évoque constamment le dialogue social, il s’applique pourtant à maintenir sous le couvercle et par la force l’expression populaire et sociale de notre pays.

Cent quarante-cinq ans après la Commune, de nouvelles voix réactionnaires sont en embuscade et des menaces se précisent contre les libertés individuelles, le droit des travailleurs et, plus largement, la démocratie. Il est donc plus que jamais nécessaire d’affirmer les valeurs de liberté, d’égalité, de dignité, de solidarité et d’antiracisme, comme étant aux fondements de notre République. Dans un tel contexte, nous nous félicitons de cette initiative de réhabilitation des victimes de la répression de la commune. Bien que nous pensions qu’elle aurait pu aller plus loin, nous soutiendrons naturellement cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Yves Durand.

M. Yves Durand. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, j’avoue ne pas bien comprendre l’émotion voire, dans certains cas, la virulence que provoque cette résolution. Car il ne s’agit pas cette après-midi de nous livrer à un sinistre et horrible concours pour déterminer quelle période de l’histoire a été la plus meurtrière ; ce n’est pas un concours de morts. À cet égard, je rappellerai à notre collègue vendéen que la répression de la Commune a fait davantage de morts que la Terreur.

M. Yannick Moreau. Pas du tout !

M. Yves Durand. Mais ce n’est pas le sujet.

M. Jean-Jacques Candelier. Exact !

M. Yves Durand. Il ne s’agit pas non plus d’une loi mémorielle. J’ai écouté avec beaucoup d’attention l’intervention de M. Piron, qui était, celle-là, étayée, mais je ne suis pas d’accord avec lui : il ne s’agit pas de réécrire l’histoire. L’histoire est déjà écrite et tous les historiens de la Commune de Paris s’accordent sur les causes du soulèvement : la défaite, la résignation, la renonciation, la volonté de défendre avant tout la nation – une nation solidaire – et de mettre en avant la République. Tous les historiens s’accordent aussi à considérer qu’il y eut, dans la Commune, une brutalité extrême, provoquée par la fracture politique et sociale, et que la répression contre les communards fut d’une extraordinaire cruauté.

Si nous devons aujourd’hui rendre justice aux victimes de la répression, ce n’est pas pour réécrire l’histoire ou la justifier, c’est parce que les communards furent des éclaireurs. S’ils ont été fauchés par la mitraille de Thiers et des Versaillais, c’est parce qu’ils ont voulu défendre jusqu’à la mort des principes qui font aujourd’hui partie de notre identité républicaine.

M. Jean-Luc Laurent. Tout à fait !

M. Yves Durand. Ils ont défendu la République et la nation, contrairement à certains, qui, au moment de la Révolution française, défendaient un régime absolu, venu le plus souvent d’ailleurs, dans les fourgons de l’étranger.

M. Jean-Luc Laurent. Très juste !

M. Yves Durand. Voilà la grande différence, voilà pourquoi l’identité nationale et républicaine est au cœur même du combat des communards. Et voilà pourquoi nous devons aujourd’hui leur rendre justice.

M. Jean-Luc Laurent. Eh oui !

M. Yves Durand. Parmi ces principes, qui sont au cœur de la République, il y a ceux que nous défendons tous aujourd’hui : l’école laïque, gratuite et obligatoire – à la fin du XIXsiècle, la connaissance était encore un privilège de la naissance, et non du mérite –, l’égalité entre les hommes et les femmes, l’abolition de la peine de mort, la séparation de l’Église et de l’État, c’est-à-dire le principe même de la laïcité, qui permet à chacun de vivre sa religion, de croire ou de ne pas croire. Ce sont ces principes, pour lesquels les communards ont été fauchés, qui fondent la République et nous rassemblent tous.

M. Michel Ménard. Manifestement pas tous !

M. Yves Durand. Voilà pourquoi, je le répète, je ne comprends ni cette émotion ni cette virulence. C’est cet appel au rassemblement sur les principes de la République, les principes d’une République solidaire, que nous devons aujourd’hui entendre ; c’est cet appel que les communards ont lancé pour la République et que nous devons aujourd’hui honorer, en leur rendant justice. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. Patrick Bloche. Bravo !

M. Jean-Luc Laurent. Excellent !

M. le président. La parole est à M. Gilbert Collard.

M. Gilbert Collard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, faut-il que nous soyons en panne d’histoire immédiate pour avoir besoin de raviver l’histoire passée ! On a l’impression – je n’arrive pas trop à comprendre le but de cette proposition de résolution – que vous êtes à la recherche d’une transfusion d’héroïsme, d’imaginaire, pour une gauche exsangue de sens politique, historique et populaire. Vous seriez prêts à chanter Le Temps des Cerises,…

M. Jean-Luc Laurent. Ce serait bien, en effet !

M. Gilbert Collard. …chant très beau et émouvant, je le reconnais volontiers, tout en ignorant qu’il fut écrit cinq ans avant l’événement. On a l’impression que vous êtes à la recherche d’un passé que vous êtes incapables de créer et qu’il vous faut une transfusion d’héroïsme pour tenir le coup.

Je peux le comprendre. Il est des prothèses historiques qui peuvent être utiles, dans les temps de froideur historique que vous vivez. Eh oui ! vous avez cent quarante-cinq ans et vous êtes des héros : dans le froid de cet hiver, vous faites face à la répression ; vous êtes armés de vos fusils et vous tirez sur Mgr Darboy, venu vers vous les mains vides. Vous décidez d’appliquer l’article 4 du décret des otages, selon lequel tous les accusés retenus par le verdict du jury d’accusation seront les otages du peuple de Paris, ainsi que son article 5 : « Toute exécution d’un prisonnier de guerre ou d’un partisan du gouvernement régulier de la Commune sera, sur-le-champ, suivie de l’exécution d’un nombre triple des otages retenus en vertu de l’article 4, et qui seront désignés par le sort. »

Moi, je ne choisis pas, voyez-vous, entre les communards et les autres. J’accorde aux communards qu’ils ont aimé la France alors que Thiers, lui, premier Président de fait de la République, nous a transmis des valeurs républicaines que nous avons bien envie, ici, de discuter. Mais vous voyez-vous, cent quarante-cinq ans en arrière, tirer sur les martyrs de Picpus et sur les victimes du mur de la rue du Borrégo, incendier les Tuileries, l’hôtel de ville, la Cour des comptes, le Conseil d’État, le Palais de justice ? Allons, laissons les morts enterrer les morts, laissons l’histoire à l’histoire, laissons la paix à l’histoire ! Ne cherchez pas à vous donner belle figure en convoquant l’histoire dans le manoir hanté et vide de la politique que vous conduisez aujourd’hui !

Oui, ils ont été réprimés. Oui, ils ont souffert, mais des deux côtés, et c’est la France, c’est l’histoire de France. Le souvenir réverbéré rend difficile toute politique d’apaisement. Nous avons l’impression que vous cherchez systématiquement, par tous les moyens, à raviver des querelles qui appartiennent à l’histoire.

M. Jean-Luc Laurent. Vous êtes mal placé pour nous donner des leçons !

M. Gilbert Collard. Henri Guillemin ! Bernanos ! Arrêtez de vous montrer debout, aux côtés de Jules Vallès, sur la barricade !

M. Jean-Jacques Candelier. Et vous, avec la guerre d’Algérie !

M. Gilbert Collard. Qui sait ce que vous feriez ! Arrêtez de vous faire des transfusions d’héroïsme ! À vous entendre, vous seriez tous des héros !

M. Jean-Jacques Candelier. Vous, vous êtes un zéro !

M. Gilbert Collard. Vous auriez tous été au mur des Fédérés, à crier : « Tirez ! Tirez ! » Un peu de modestie ! Laissez l’histoire aux historiens et laissez-moi considérer que vous êtes des héros, tous prêts à vous sacrifier demain, bien sûr ! Mais comment pouvez-vous – je pense notamment au dernier orateur – comparer cette période, cent quarante-cinq ans en arrière, avec celle que nous vivons ?

M. Yannick Moreau. Il a raison !

M. Gilbert Collard. Vous commettez une escroquerie intellectuelle, vous escroquez l’histoire, ces morts, le sens qu’ils ont donné à leur histoire. J’en ai une preuve. S’il y a une femme que j’admire, c’est Louise Michel, une vraie sainte laïque, mais je ne crois pas qu’elle aurait aimé que, parmi les députés appelant au vote de cette proposition de résolution, figurât le nom de Mme Andrieux, condamnée par la justice.

M. Yves Durand. Oh !

M. William Dumas. Pitoyable !

M. Gilbert Collard. Mais vrai !

M. le président. La parole est à Mme George Pau-Langevin.

Mme George Pau-Langevin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, les sociétés humaines préfèrent toujours célébrer les événements qui sont à leur gloire. Notre pays a mis du temps à reconnaître, à propos de la Commune comme d’autres sujets, cette part de son histoire, faite de souffrances et de désolations.

Cette révolte du peuple de Paris, écrasée et réprimée sans pitié, fut exécutée, selon le mot terrible d’Adolphe Thiers dans le discours qu’il prononça ici même et que rappelait M. Bloche, le 22 mai 1871, en vue d’une « expiation complète » des fautes commises par les communards.

Qui composait le peuple de Paris révolté ? Des ouvriers du bâtiment, des journaliers, des travailleurs du métal, des ouvriers d’atelier ou de petite fabrique, des cordonniers-savetiers, des marchands de vin et des ouvriers du livre. Les soulèvements eurent lieu à Montmartre, à Belleville, à Ménilmontant.

Souvenons-nous de cette période. En juillet 1870, Napoléon III entreprend contre la Prusse une guerre mal préparée, qui conduit rapidement la France à la défaite. Le 4 septembre 1870, à la suite d’une journée d’émeutes parisiennes, l’Empire est renversé. Le gouvernement de la Défense nationale s’installe à l’hôtel de ville de Paris, officiellement pour poursuivre la guerre contre les États allemands, mais plus sûrement pour signer la capitulation et faire accepter la défaite aux Français. Le petit peuple de Paris refuse de se soumettre à Bismarck, lui qui a perdu tant des siens pour défendre la patrie menacée : il refuse l’armistice et considère comme une insulte la reconnaissance d’une défaite que rien n’imposait, selon lui. Les principaux journaux de gauche sont alors interdits, notamment Le Cri du Peuple de Jules Vallès. Les royalistes de l’Assemblée, le 10 mars, quittent Paris pour Versailles ; ils mettent fin au moratoire sur les effets du commerce, acculant à la faillite des milliers d’artisans et de commerçants, et suppriment la solde d’1,50 franc par jour payée aux gardes nationaux. C’est ainsi que le peuple de Paris, composé de près d’un demi-million d’ouvriers, se révolte.

Au cours de la Semaine sanglante, nous avons vu que les troupes versaillaises ont massacré entre 10 000 et 20 000 Parisiens. À l’issue de la défaite de la Commune, plus de 43 000 personnes furent parquées, notamment au camp de Satory, dans des forts, des pontons portuaires et des maisons d’arrêt. Plus de 3 000 condamnations à la déportation en enceinte fortifiée furent de surcroît prononcées.

Si, le 11 juillet 1880, la République a prononcé une loi d’amnistie générale pour les victimes de la Commune, elle voulait surtout couler une chape de plomb sur des événements dont les acteurs étaient encore vivants. La Commune a été ainsi parfois effacée, oubliée.

Toutefois, pour les habitants de l’Est parisien, dont je fais partie, la Commune n’est pas morte : chaque année, nous nous rendons au mur des Fédérés pour évoquer le souvenir des communards, leur fin tragique sur les dernières barricades, mais aussi l’œuvre réalisée par la Commune en peu de temps, dont la modernité nous surprend toujours.

Je suis particulièrement touchée, dans cette déportation, par la rencontre improbable entre deux catégories de victimes de l’histoire : les communards et les Kanaks, qui étaient depuis peu aux prises avec la colonisation. Si la plupart des communards, obnubilés par le désir de retrouver leurs repaires, n’ont pas été suffisamment proches des peuples qui les entouraient, Louise Michel, la vierge rouge, s’est au contraire passionnée pour eux : elle a ouvert une école pour les enfants, elle a collationné les légendes, elle a compris le drame qui se jouait sur la Grande Terre, notamment lors de la révolte de 1878. Le souvenir des communards n’est donc pas seulement présent au mur des Fédérés et au cimetière qui leur est consacré sur l’île des Pins, il est aussi présent dans les écrits de Louise Michel sur la culture kanak.

La proposition de résolution présentée par notre collègue Patrick Bloche n’est pas une loi mémorielle mais la voie pour ne pas oublier les communards suppliciés, martyrisés. Cette résolution nous semble constituer une démarche honorable pour ceux que nous nous refusons, par l’oubli ou le désintérêt, de laisser mourir une seconde fois. « La lucidité est la blessure la plus proche du soleil », écrivait le poète et résistant René Char. Nous devons continuer à faire en sorte que la mémoire de la Commune devienne un bien commun, un patrimoine de vigilance, une manière, pour nous tous, de nous rapprocher du soleil. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. Patrick Bloche. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Sandrine Doucet.

Mme Sandrine Doucet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, nous partageons cette après-midi un moment très émouvant et c’est un grand honneur pour moi que de venir plaider la cause de toutes ces victimes et de tous ces prisonniers qui subirent la répression de la Commune de 1871. Beaucoup d’exécutions eurent lieu, beaucoup de condamnations furent prononcées, des dizaines de milliers de personnes durent fuir la France pour se réfugier dans différents pays d’Europe. Cette histoire-là n’est pas seulement parisienne, elle est aussi nationale et européenne.

Permettez-moi, à ce stade, d’aborder le sujet par un fait anecdotique donnant la preuve que nous parlons ici à l’âme des Européens. Il y a une trentaine d’années, un film danois, Le Festin de Babette, réalisé par Gabriel Axel, racontait l’histoire d’une restauratrice parisienne ayant dû fuir la répression de la Commune et se réfugier au Danemark. Ce récit est tiré d’une nouvelle de Karen Blixen, qui s’est penchée sur l’histoire de la Commune. C’est bien l’Europe intellectuelle, cultivée, qui s’est intéressée à cet événement, qui s’en est emparée, qui lui a donné une dignité. L’on trouve ici le destin d’une femme bouleversé par l’histoire, comme le fut celui d’une autre femme, citée à plusieurs reprises à cette tribune : Louise Michel, qui a poursuivi son œuvre émancipatrice d’enseignante dans la déportation, en Nouvelle-Calédonie, après avoir milité, aux côtés d’autres femmes, pour l’égalité salariale, l’éducation, l’émancipation. Nous sommes ici pour leur rendre hommage.

En tant que Bordelaise, je me sens quelque peu légitime à vous parler de la Commune. Dans un quartier populaire de Bordeaux, celui de Bacalan, deux rues se croisent : la rue Paul Lafargue et la rue Auguste Blanqui. Paul Lafargue, gendre de Karl Marx, vint à Bordeaux parler de la Commune, mais il ne croisa pas Auguste Blanqui, emprisonné très tôt, car Thiers savait que c’était lui, le chef que la Commune avait beaucoup cherché et dont elle avait besoin. Quelques années plus tard, Auguste Blanqui fut le premier député socialiste de la Gironde, et j’ai l’immense honneur de lui succéder.

Mais laissons les honneurs à ceux qui les ont mérités en subissant la répression et, hélas ! les exécutions. Nous sommes ici aujourd’hui pour leur rendre hommage. Nous sommes les humbles successeurs de ceux qui, dès 1876, parlèrent au nom de ces communards.

Évidemment, nous avons cité Victor Hugo. Résidant à Bruxelles au moment de la répression, il y accueillit tous les réfugiés parcourant toute l’Europe.

Vient ensuite Gambetta, à partir de 1876. Il a une vision plus politique car il est à la tête d’un pays à la recherche de son unité, au temps de l’exode rural et de l’industrialisation. La France est fracturée par cet épisode haineux qui a eu lieu en 1871. Il doit permettre à la République de se reconstruire, à la nation de se réconcilier, mais aussi au pays de se réunir, sous les mêmes valeurs, les mêmes intérêts. Il faut montrer une République sage, modérée, mais qui s’empare des valeurs d’émancipation et des progrès sociaux permis par l’industrialisation et le développement démocratique.

La Commune est un épisode révolutionnaire, social et urbain, dans une France rurale qui doit retrouver son unité républicaine. Les lois d’amnistie font partie de celles qui instaurent la République dans le paysage français, ce que l’historien Maurice Agulhon appelait « la République au village » : ce sont les lois relatives à l’école obligatoire, laïque et gratuite, les lois en faveur de la liberté de la presse, les lois qui obligent chaque commune à construire les lieux représentant les valeurs de la République, à savoir les mairies et les écoles.

Nous sommes ici non pas pour refaire l’histoire mais pour continuer à dire ce combat pour les valeurs. Les quatre points de la résolution que nous votons aujourd’hui nous rappellent notre devoir universel et intemporel de républicains français, inscrit dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Il s’agit évidemment de reconnaître des travaux d’historiens, et ainsi de reconnaître l’œuvre de raison et de vaincre l’obscurantisme, les préjugés, les jugements sans recul. Cette reconnaissance trouve acte dans les programmes d’histoire, notamment dans les nouveaux programmes de collège, qui ont pour thèmes la IIIRépublique, la condition féminine au XIXsiècle, bref, l’histoire de l’émancipation.

M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.

Mme Sandrine Doucet. Par cette proposition de résolution rendant justice aux victimes de la répression de la Commune de Paris de 1871 – et j’en termine là –, nous posons un regard juste, apaisé, éclairé et républicain sur notre histoire, et, à l’égard du monde, nous faisons œuvre de confiance dans notre capacité à rendre hommage aux victimes de la liberté, de l’égalité et de la fraternité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. le président. La parole est à M. Hervé Féron.

M. Hervé Féron. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, l’exposé des motifs de cette proposition de résolution nous indique que personne ne conteste plus la réalité des faits historiques ayant conduit au massacre des victimes de la répression de la Commune de Paris. Personne ne le conteste plus mais ce n’est pas suffisant. Nous venons de l’entendre : certains nient encore, comparent ou minimisent ; dans tous les cas, cette proposition de résolution les irrite.

En appui à ce texte, je souhaite apporter un témoignage, le témoignage réaliste du poète, et pas n’importe lequel : Eugène Pottier, qui écrivait en 1886 Elle n’est pas morte !

« Comme faucheurs rasant un pré,

Comme on abat des pommes,

Les Versaillais ont massacré

Pour le moins cent mille hommes !

Et les cent mille assassinats,

Voyez c’que ça rapporte…

Tout ça n’empêche pas, Nicolas,

Qu’la Commune n’est pas morte !

Tout ça n’empêche pas, Nicolas,

Qu’la Commune n’est pas morte !

[…]

Ils ont fait acte de bandits,

Comptant sur le silence,

Achevé les blessés dans leur lit,

Dans leur lit d’ambulance !

Et le sang inondant les draps

Ruisselait sous la porte !

Tout ça n’empêche pas, Nicolas,

Qu’la Commune n’est pas morte !

Tout ça n’empêche pas, Nicolas,

Qu’la Commune n’est pas morte !

Les journalistes, policiers,

Marchands de calomnies,

Ont répandu sur nos charniers

Leurs flots d’ignominie !

Les Maxime Du Camps, les Dumas

Ont vomi leur eau-forte.

Tout ça n’empêche pas, Nicolas,

Qu’la Commune n’est pas morte ! »

Alors oui, quand M. Collard, avant de se retirer, se gausse du Temps des Cerises en tentant de nous surprendre, en prétendant nous apprendre que cette magnifique chanson a été écrite cinq ans avant la Commune de Paris, rappelons-lui que, si elle fut le symbole entonné par les communards, c’est tout simplement parce que le texte leur parlait terriblement.

Et, parce que je ne comprends toujours pas pourquoi certaines de nos grandes villes ont une place Thiers, je veux dire avec Jean Édouard :

« L’hiver 71, c’est l’hiver du chaos,

L’hiver de la défaite devant les Pruscos,

L’hiver de la souffrance et l’hiver de la faim,

L’hiver des collabos, des faux républicains.

Il commence à fleurir des cocardes écarlates

Et dans la rue soudain le cri du peuple éclate.

Un matin tout Paris entre en insurrection

Et Paris doit lutter contre la réaction.

Ouvriers, paysans, armez vos chassepots,

Du haut des barricades, agitez vos drapeaux.

Agitez vos drapeaux, qu’les Versaillais canonnent,

Agitez un mouchoir rouge du sang d’un homme.

Avec la cruauté d’une bête sauvage,

Thiers a tué la Commune en un rouge carnage.

Derrière les tombes et les croix d’un cimetière

À dix contre deux cents, les révolutionnaires !

Les derniers Fédérés contre un mur sont tombé,

Ne murmurant qu’un mot, le mot : Fraternité.

Versaillais, Versaillais,

Vous avez fusillé le cœur d’une révolution,

Vous l’avez jeté en prison,

Mais il reste à Paris, l’esprit des insurgés. »

Voilà pourquoi, si longtemps après et plus que jamais, alors que plus d’un siècle s’est écoulé, cette résolution a du sens. Voilà pourquoi le groupe socialiste, écologiste et républicain votera cette proposition de résolution juste, nécessaire, indispensable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. Patrick Bloche et M. Jean-Jacques Candelier. Très bien !

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, cette proposition de résolution constitue un geste politique et symbolique fort, et, je le crois, chargé d’émotion. Ce geste rend justice aux victimes de la répression de la Commune de Paris de 1871. Monsieur Bloche, avec ce texte qui vous doit beaucoup, vous proposez à la représentation nationale d’écrire une nouvelle page de la mémoire de la Commune de Paris.

M. Yannick Moreau. Ce n’est pas le rôle de la représentation nationale !

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Rappelons les grandes étapes de cette mémoire. Dès le 23 mai 1880, un premier rassemblement avait lieu devant le mur des Fédérés. De retour d’exil, les communards eux-mêmes se sont ensuite approprié cette mémoire. Les générations suivantes s’en sont saisies, notamment les militants politiques et syndicaux, quelle que soit leur sensibilité : anarchistes, socialistes, communistes, tous ont voulu se souvenir de leurs nombreux camarades tombés, victimes de la répression versaillaise.

Contrairement à ce que nous avons entendu, la Commune de Paris fut, pendant des dizaines d’années, un symbole qui se plaçait dans la continuité de celui de la Révolution française, laquelle, monsieur le député Yannick Moreau, reste quand même la raison pour laquelle nous sommes ici : liberté, égalité, fraternité.

M. Yannick Moreau. Qui le conteste, monsieur le secrétaire d’État ?

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. J’ai écouté les propos que vous avez tenus sur ce qui fonde la Révolution française, avec tous ses drames – mais il n’y a pas de période de ce type sans drames.

M. Yannick Moreau. Là n’est pas la question !

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. En 1936, il y a quatre-vingts ans, à l’aube de la victoire du Front populaire, les forces progressistes se rassemblèrent à nouveau devant le mur des Fédérés, au cimetière du Père-Lachaise, pour rendre hommage aux communards.

Cette mémoire, la gauche a toujours su la faire vivre, c’est vrai. En 1981, Pierre Mauroy, alors Premier ministre, déposa une gerbe au mur des Fédérés. Depuis, c’est la République elle-même, quelles que soient les sensibilités, qui s’est approprié la mémoire de la Commune. Je rappellerai par exemple l’hommage rendu aux communards par Christian Poncelet, alors président du Sénat, dans le jardin du Luxembourg.

Les travaux historiques conduits au sujet de cette période permettent aujourd’hui de savoir précisément qui étaient les communards, ce qu’étaient leurs idéaux, leurs revendications, leurs moyens d’action, les divergences qui existaient entre eux mais aussi les valeurs qu’ils portaient. Comme vous l’avez rappelé, monsieur Durand, ces valeurs ont inspiré la République dans sa dimension sociale, au-delà de ses fondements institutionnels.

Eugène Varlin, Charles Delescluze, Jules Vallès, Louise Michel : ces noms ont rejoint les manuels d’histoire et les plaques des rues de Paris. Ces noms, ce ne sont pas seulement ceux de victimes de la répression versaillaise : ce sont ceux, surtout, de révolutionnaires, de républicains, d’acteurs essentiels de notre histoire nationale et de celle de la ville de Paris. En un mot, je le souligne à mon tour, ce sont d’abord les noms de patriotes.

Les communards n’ont pas été les victimes passives de l’histoire mais bien des acteurs politiques engagés dans une insurrection populaire au nom de valeurs fondamentales, d’idéaux de progrès et de liberté. C’étaient des insurgés, dont les résistants et libérateurs de 1944 furent aussi les héritiers, comme le rappela le Président de la République François Hollande à l’occasion du soixante-dixième anniversaire de la Libération de Paris. Permettez-moi de reprendre ici ses propos : « En érigeant ces barricades, les Parisiens appelaient à leur secours les insurgés magnifiques des temps anciens. Ceux de 1789 quand Paris faisait la Révolution. Ceux de 1830 quand la Restauration était renversée. Ceux de 1848 quand la République renaissait. Ceux de 1870 quand la Commune prétendait inventer un monde nouveau. »

Bien sûr, il faut se garder d’assimiler la Libération et la Commune. Il y avait cependant, chez ces femmes et ces hommes, un esprit de résistance, un patriotisme, une révolte contre l’injustice, un engagement sans faille au risque de leur vie. La force de cet engagement, le combat jusqu’à la mort pour un idéal, la tragédie sanglante qui en marqua la fin : voilà les enseignements de la Commune, voilà la mémoire que nous devons faire vivre et célébrer.

Mesdames et messieurs les députés, la mémoire de la Commune dépasse largement les frontières de la capitale. Car derrière l’insurrection parisienne se dessinait un horizon politique pour tous les Français mais aussi pour tous ceux qui, sur cette planète, sont épris de progrès. En tant qu’élu parisien, je sais combien cette mémoire est importante pour notre ville. Dans le 13arrondissement, dont je suis l’élu, nous avons tous, présente en mémoire et au cœur, la bataille de la Butte-aux-Cailles, à l’endroit où se trouve aujourd’hui la place de la Commune-de-Paris.

Le Gouvernement salue donc la présente initiative de résolution, qui valorise la transmission de cette mémoire. Je me réjouis que les députés du groupe socialiste, républicain et citoyen se la réapproprient. Je rejoins également les signataires de ce texte en ce qui concerne l’idée selon laquelle la résolution reste le meilleur outil pour le Parlement de s’exprimer politiquement sur une question mémorielle, sans recourir à la voie législative.

Cette initiative doit aussi nous conduire à aborder plus globalement la question de la mémoire de la Commune. Ainsi, l’action mémorielle ne peut se passer d’une réflexion autour des enjeux de patrimoine liés à cet événement historique. Je pense en particulier au devenir du mur des Fédérés ou à la transmission de cette mémoire aux jeunes générations.

Vous l’avez compris, le Gouvernement regarde cette initiative avec bienveillance. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Vote sur la proposition de résolution

M. le président. Je mets aux voix la proposition de résolution.

(La proposition de résolution est adoptée.)

6

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures quarante-cinq :

Discussion, après engagement de la procédure accélérée, de la proposition de loi relative aux sapeurs-pompiers professionnels et aux sapeurs-pompiers volontaires.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures vingt-cinq.)

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly