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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2016-2017

Compte rendu
intégral

Séance du mercredi 15 février 2017

SOMMAIRE

Présidence de M. Claude Bartolone

1. Questions au Gouvernement

Politique agricole

M. François Rochebloine

M. André Vallini, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement

Politique générale

M. Olivier Faure

M. Bernard Cazeneuve, Premier ministre

Bilan du quinquennat

M. Jean-Charles Taugourdeau

M. Michel Sapin, ministre de l’économie et des finances

Soutien aux forces de police

M. Jean-Yves Le Bouillonnec

M. Bruno Le Roux, ministre de l’intérieur

Création d’une police municipale à Paris

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet

M. Bruno Le Roux, ministre de l’intérieur

Politique de la ville

M. François Pupponi

Mme Hélène Geoffroy, secrétaire d’État chargée de la ville 

Égalité d’accès aux soins sur tout le territoire

M. Nicolas Sansu

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé

Vaccination

Mme Isabelle Le Callennec

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé

Reconnaissance du burn-out

M. Gérard Sebaoun

Mme Clotilde Valter, secrétaire d’État chargée de la formation professionnelle et de l’apprentissage

Candidature de Paris aux Jeux olympiques de 2024

M. David Douillet

M. Thierry Braillard, secrétaire d’État chargé des sports

Revalorisation de la fonction d’atsem

Mme Lucette Lousteau

Mme Annick Girardin, ministre de la fonction publique

Politique éducative

Mme Laurence Arribagé

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche

Délégation des politiques de l’emploi aux régions

M. Paul Molac

Mme Clotilde Valter, secrétaire d’État chargée de la formation professionnelle et de l’apprentissage

Buralistes

M. Yves Albarello

M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du budget et des comptes publics

Lutte contre les cyberattaques

M. Olivier Falorni

M. Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement international

Suspension et reprise de la séance

Présidence de M. Marc Le Fur

2. Sécurité publique

Présentation

M. Yves Goasdoué, rapporteur de la commission mixte paritaire

M. Bruno Le Roux, ministre de l’intérieur

Discussion générale

M. Meyer Habib

M. Olivier Falorni

M. Marc Dolez

M. Pascal Popelin

M. Georges Fenech

M. Dominique Raimbourg, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

M. Bruno Le Roux, ministre

Vote sur l’ensemble

Suspension et reprise de la séance

3. Ratification d’ordonnances relatives à la collectivité de Corse

Présentation

M. Jean-Michel Baylet, ministre de l’aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales

M. François Pupponi, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Discussion générale

M. André Chassaigne

M. Paul Molac

M. Camille de Rocca Serra

M. Meyer Habib

M. Jacques Bompard

M. François de Rugy

Discussion des articles

Articles 1 à 4

Vote sur l’ensemble

M. Jean-Michel Baylet, ministre

4. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Claude Bartolone

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Questions au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Politique agricole

M. le président. La parole est à M. François Rochebloine, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. François Rochebloine. Ma question, à laquelle j’associe l’ensemble de mes collègues du groupe UDI – et tout naturellement son président –, s’adresse à M. le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt.

Dans quelques jours s’ouvrira, Porte de Versailles, le 54salon de l’agriculture, rendez-vous éminemment politique qui verra sans nul doute défiler l’ensemble des candidats à l’élection présidentielle. Comme chaque année, de nombreuses promesses seront faites, mais nos agriculteurs n’en ont que faire : ils attendent aujourd’hui des actes.

Chacun sait que le monde agricole connaît une situation dramatique depuis de trop nombreuses années. Les gouvernements successifs ont tenté d’apporter des réponses, malheureusement souvent restées vaines.

Monsieur le ministre, vous connaissez les difficultés et les souffrances des agriculteurs. Le quinquennat qui s’achève aura malheureusement été marqué par une accumulation de crises touchant l’ensemble des filières. Nos paysans ne cessent, à juste titre, d’exprimer leur désarroi et leur colère face à l’absence de solutions tangibles pour sauver leurs exploitations.

Par ailleurs, les engagements pris par la grande distribution à la demande du Gouvernement n’ont nullement été tenus. La pression pour faire baisser les prix continue de s’exercer, ce qui réduit d’autant la marge des producteurs, lesquels ne peuvent plus vivre dignement de leur travail.

Il ne sert à rien de rejeter la responsabilité sur d’autres. Le monde agricole n’en a que faire : il attend des solutions.

Monsieur le ministre, face aux défis auxquels est confronté le monde agricole, cessons les oppositions stériles, car l’agriculture est un enjeu majeur en termes d’emploi, d’aménagement du territoire et de souveraineté alimentaire.

Comment pouvons-nous agir ensemble pour permettre à notre agriculture de retrouver son rang de première puissance agricole européenne, et aux agriculteurs de se tourner enfin avec confiance vers l’avenir ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. Jean Lassalle. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement.

M. André Vallini, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le député, je vous prie d’excuser l’absence de M. Stéphane Le Foll,…

Mme Claude Greff. Comme par hasard !

M. André Vallini, secrétaire d’État. …retenu au Sénat.

Puisque vous préférez les actes aux paroles, permettez-moi de vous rappeler quelques faits.

Depuis 2015, le Gouvernement a beaucoup aidé les agriculteurs en difficulté, grâce notamment à un plan de soutien qui a apporté des réponses de court terme, mais aussi en favorisant l’investissement, la promotion et l’ouverture des marchés à l’exportation.

Un allégement massif des charges a également été décidé : pas moins de 600 millions d’euros par an.

Sur le plan européen, la détermination sans faille du ministre de l’agriculture a permis d’obtenir des mesures pour réguler les marchés, notamment la réduction de la production de lait.

De nouvelles mesures ont été prises pour faire remonter les cours particulièrement bas, notamment, sur le plan fiscal, grâce à 139 millions d’euros de dégrèvements de taxes sur le foncier non bâti et à la garantie bancaire, qui permet de refinancer les exploitations qui en ont besoin.

En ce qui concerne les négociations entre industriels et distributeurs, là encore, des mesures très concrètes ont été prises.

M. François Rochebloine. Et les marges ?

M. André Vallini, secrétaire d’État. La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes a renforcé les contrôles dans chaque département : 16 000 ont ainsi été réalisés, et 255 millions d’euros d’avantages indus ont été rendus aux fournisseurs en 2016.

Les sanctions pour pratiques commerciales abusives ont été renforcées et plusieurs enseignes de grande distribution ont été assignées ou font l’objet d’une enquête.

Enfin, la loi Sapin 2, promulguée le 9 décembre dernier, renforce le poids des producteurs dans la négociation et oblige les industriels et les distributeurs à prendre en compte le prix payé aux agriculteurs dans leurs négociations.

M. François Rochebloine. Tout va bien !

M. André Vallini, secrétaire d’État. Non, monsieur Rochebloine, tout ne va pas bien mais le Gouvernement agit avec détermination et énergie pour aider l’agriculture française, en particulier les agriculteurs les plus en difficulté, et ils le reconnaissent sur le terrain. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Politique générale

M. le président. La parole est à M. Olivier Faure, pour le groupe socialiste, écologiste et républicain.

M. Olivier Faure. Monsieur le président, mes chers collègues, la semaine prochaine, nous achèverons nos travaux après cinq années d’action. Qui mieux que vous, monsieur le Premier ministre, pourrait incarner les défis auxquels nous avons été confrontés ?

Vous avez été ministre des affaires européennes pendant la crise de l’euro, ministre du budget alors que nous faisions face à la dette abyssale laissée par nos prédécesseurs,… (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Jacques Myard. Pourquoi Hollande ne se représente-t-il pas, alors ?

M. Olivier Faure. …ministre de l’intérieur au moment des attentats tragiques qui ont ensanglanté notre pays, et vous êtes désormais Premier ministre tandis que les cartes du jeu mondial se redistribuent.

Je comprends que le bilan soit l’objet d’un débat. On a tancé les amateurs, mais ce sont les amateurs qui ont rétabli les comptes publics. On a décrié les laxistes, mais ce sont les laxistes qui ont renforcé les services de renseignement, de police et de gendarmerie. On a dit que ce gouvernement n’était pas assez fidèle à l’histoire de la gauche,…

M. Éric Straumann. Pas nous !

M. Olivier Faure. …mais c’est bien sous cette législature que l’éducation est redevenue une priorité, que l’accès aux soins a été renforcé, que la question climatique a été traitée, que le capital et le travail ont été imposés au même barème.

M. Marc Le Fur. Qu’en dit Christian Paul ?

M. Olivier Faure. Monsieur le Premier ministre, nous voulons vous dire notre fierté (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains) : fierté d’avoir accompagné les pas de vos deux prédécesseurs et ceux du Président de la République ; fierté d’être à vos côtés pour que, jusqu’à l’élection présidentielle, chaque minute soit une minute utile ; fierté de vous savoir, en ce moment même, à l’œuvre dans l’élaboration d’un socle européen de droits sociaux.

Avons-nous tout réussi ? (« Non ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.) À l’évidence non. Il n’y a pas de grand soir. Il n’y en aura jamais.

M. Éric Straumann. Ça, c’est vrai.

M. Olivier Faure. Il n’y a qu’une accumulation de réformes qui, depuis un siècle, forgent le modèle français.

Monsieur le Premier ministre, vous l’aurez compris, ma question est surtout un remerciement et l’expression d’un espoir, celui de continuer ensemble à rendre l’avenir désirable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Plusieurs députés du groupe Les Républicains. Il n’est pas candidat !

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Bernard Cazeneuve, Premier ministre. Monsieur le président Olivier Faure, votre question comporte beaucoup de sujets. J’essaierai d’aller à l’essentiel.

Je veux d’abord insister devant la représentation nationale sur le moment particulier où nous nous trouvons. Dans le monde et en Europe, les populismes font une percée dont il faut bien reconnaître qu’elle représente un extraordinaire danger pour la pérennité des valeurs des pères fondateurs de l’Union européenne, auxquelles de nombreux gouvernements de toutes sensibilités en France ont manifesté leur attachement par la suite. Nous sommes également dans un moment de danger du point de vue de notre attachement à l’État de droit, qui rassemble sur ces bancs bien des républicains de toutes sensibilités.

Nous avons vécu un quinquennat particulièrement difficile en raison des défis qui se présentaient à nous : la réduction de la dette, la nécessité de redresser nos comptes publics, le terrorisme, qui nous a frappés très durement et s’en est pris aux valeurs essentielles de la République en tentant de semer l’effroi parmi nos concitoyens, avec cet incommensurable chagrin que nous avons vécu ensemble et la volonté, manifestée dans l’unité sur tous ces bancs, de faire en sorte que, malgré les épreuves, la République demeure debout.

Nous avons eu aussi, dans ce contexte particulier, la volonté de contribuer à la réorientation de l’Europe en mettant sur le métier de nouveaux sujets pour rendre l’Europe plus lisible, plus solidaire et plus protectrice. Si je devais dire en un mot quel est le principal défi qui se présente à nous et qui se présentera aux gouvernements de la France quels qu’ils soient, j’insisterais sur la nécessité, pour l’Europe, d’assurer sa mission de protection du continent et des citoyens européens.

Protection contre le terrorisme, en confortant le contrôle aux frontières extérieures de l’Union européenne grâce à la montée en puissance de Frontex, à la réforme du système d’information Schengen, à la connexion des fichiers criminels, à la mise en place de la directive de lutte contre le trafic d’armes.

Protection du continent européen au moment où les États-Unis menacent de se désengager de ce continent et notamment de l’OTAN, par laquelle ils avaient contribué à la protection de l’Europe. Nous devons renforcer l’Europe de la défense…

M. Claude Goasguen. Il fallait le faire avant !

M. Bernard Cazeneuve, Premier ministre. …à travers la mise en place du Fonds européen de défense, qui doit permettre de définir les conditions de la projection de nos forces, de la planification des opérations, de la mutualisation d’un certain nombre de financements dont les défenses des pays européens et la défense européenne ont besoin pour assurer le développement de différents processus industriels.

La protection, c’est aussi le socle de droits sociaux dont nous avons parlé ce matin en Conseil des ministres et que j’ai de nouveau évoqué juste après avec la commissaire Marianne Thyssen, qui nous rendait visite. En matière de salaire minimum européen, de lutte contre les excès du détachement de travailleurs, de reconnaissance de la mobilité des apprentis, de carte d’étudiant européenne, nous progressons pour que l’Europe sociale s’affirme avec une lisibilité équivalente à celle qui a permis à certains projets, comme Erasmus, de s’affirmer.

L’Europe, enfin, c’est la protection de nos secteurs d’excellence – je pense à nos pôles de compétitivité, à notre recherche, à notre université. Il faut porter beaucoup plus loin le plan Juncker et lui assigner des objectifs clairs.

Mesdames, messieurs les députés, c’est la dernière fois qu’il m’est donné l’occasion de m’exprimer devant votre assemblée. C’est la dernière question d’actualité à laquelle je réponds et, n’étant pas candidat aux élections législatives, je n’aurai plus l’occasion de m’exprimer dans cette enceinte.

M. Éric Straumann. Nous vous regretterons !

M. Bernard Cazeneuve, Premier ministre. C’est pour moi un moment d’émotion. Voilà près de vingt ans que je vous côtoie, pour de multiples débats où nous nous sommes opposés et où, parfois, nous avons aussi contribué à faire œuvre législative ensemble. Je voudrais, dans cette circonstance particulière, remercier l’ensemble des députés de tous les bancs pour la qualité du travail accompli (Applaudissements prolongés sur tous les bancs), dire ma grande fierté d’avoir pu contribuer à ce travail, dire aussi que, dans ces vingt années d’exercice comme député ou comme ministre, j’ai toujours essayé de faire au mieux – mais chacun sait que, face à la rudesse des choses et des défis, on n’est jamais sûr de bien faire. Ce fut, je le répète, une immense fierté pour moi d’être si longtemps à vos côtés. (Applaudissements sur tous les bancs. – Mmes et MM. les députés du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, ainsi que quelques députés du groupe de l’Union des démocrates et indépendants, se lèvent et applaudissent vivement.)

Bilan du quinquennat

M. le président. La parole est à M. Jean-Charles Taugourdeau, pour le groupe Les Républicains.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Monsieur le Premier ministre, quatre-vingt-un jours nous séparent du résultat de l’élection présidentielle. Il ne vous reste que très peu de temps à la tête de votre gouvernement, mais suffisamment pour dresser le triste bilan des méfaits de ce quinquennat. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.) Le Président de la République l’a déjà fait, me direz-vous, puisqu’il a décidé de ne pas se représenter. Quel talent de visionnaire pour lui-même ! Mais, malheureusement, quel manque de vision pour la France depuis cinq ans !

Vous pourrez toujours argumenter au soir du 7 mai, il n’empêche : vous serez comptable de toutes les conséquences des mesures que vous aurez prises – ou que vous n’aurez pas prises – durant ce quinquennat. Ce ne sera plus à cause de nous comme vous n’avez cessé de le dire pendant cinq ans.

J’ai bien observé comment a fonctionné votre majorité, à géométrie variable en fonction de vos intérêts. Votre méthode est simple : vous ne faites pas, vous défaites ; vous ne construisez pas, vous détruisez ; vous n’adaptez pas, vous déguisez ; vous ne libérez pas, vous conduisez à plus de dépendance. (Mêmes mouvements.)

M. Jean-Paul Bacquet. N’importe quoi !

M. Jean-Charles Taugourdeau. Un maître mot, en quelque sorte : le nivellement par le bas. Aucune hauteur de vue !

Nos enfants ont des difficultés en français ? Vous réduisez le temps d’apprentissage de notre langue.

Les écoliers ont des difficultés aux examens ? Vous supprimez les notes et le redoublement.

Les entrepreneurs, les agriculteurs, les artisans, les commerçants, les professions libérales se plaignent de la paperasse administrative ? Vous les emprisonnez avec le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi ou le compte pénibilité. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Les familles des classes moyennes sont en difficulté financière ? Vous supprimez l’universalité des allocations familiales.

Les masques sont tombés. Votre objectif était clair : faire du clientélisme et mettre les Français en colère par calcul politique pour garder le pouvoir.

M. Jean-Paul Bacquet. Nul !

M. Jean-Charles Taugourdeau. Finalement, avant de nous quitter, une seule question s’impose, monsieur le Premier ministre : aimez-vous vraiment la France ? (Exclamations et huées sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain. – Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

Mme Brigitte Bourguignon. C’est minable ! Inacceptable !

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie et des finances.

M. Michel Sapin, ministre de l’économie et des finances. Monsieur le député, quel contraste ! Quel contraste entre la dignité et l’émotion de l’intervention du Premier ministre et les mots que vous avez prononcés ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.) Quelle peine j’éprouve pour vous, qui ne pouvez parler de la France qu’avec ces termes-là quand le Premier ministre en a parlé si personnellement !

Monsieur le député, faisons bref et faisons simple. Dans tout exercice de la responsabilité, il y a des choses que l’on réussit et d’autres que l’on réussit moins bien ou que l’on rate. Ce fut vrai pour vous comme cela peut être le cas pour nous.

M. Jean-Luc Reitzer. Vous n’avez pas réussi grand-chose !

M. Michel Sapin, ministre. Mais on peut faire des résumés assez simples de l’action – ce que vous appelez le « bilan » – des uns et des autres.

Voulez-vous que nous regardions le PIB, c’est-à-dire, au fond, l’activité économique de la France ? En 2012, il était inférieur à celui de 2007. En 2017, et même si ç’aurait pu être plus, c’est une augmentation de 4 %.

Voulez-vous que nous regardions le déficit commercial de la France, c’est-à-dire, au fond, la capacité de nos entreprises à se battre sur le champ mondial ? Là où vous aviez creusé ce déficit de plus de 32 milliards, nous l’avons rétabli de plus de 25 milliards : 32 milliards en moins, 25 milliards en plus ! La comparaison est simple, nette, catégorique, pour vous et pour tous ceux que vous avez soutenus. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

M. Laurent Furst. Ce n’est pas honnête !

M. Michel Sapin, ministre. Voulez-vous que nous parlions de ce que l’on appelle, dans un jargon un peu hermétique, le taux de marge des entreprises ? Vous qui vous intéressez beaucoup aux entreprises, vous savez très bien de quoi je parle : c’est la capacité des entreprises à créer des emplois et à investir. Là où vous l’aviez dégradé de plus de trois points, nous avons réussi à le rétablir de trois points. En d’autres termes, nous avons effacé les effets de votre politique pendant cinq ans.

Voilà les faits tels qu’ils sont. Parlons des faits au lieu de prononcer des mots aussi durs qu’inutiles.

M. Sylvain Berrios. Allez, au revoir !

M. Michel Sapin, ministre. Soyez à la hauteur du Premier ministre quand vous lui posez des questions ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. Laurent Furst. Mensonges !

Soutien aux forces de police

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec, pour le groupe socialiste, écologiste et républicain.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’intérieur.

Depuis plusieurs années, dans les circonstances terribles que notre pays a traversées et pour répondre aux actes barbares dont il a été la cible, le peuple de France s’est à plusieurs reprises uni et dressé ; il a affirmé son attachement aux valeurs de notre République en proclamant sa soif de liberté, de justice, d’égalité et de fraternité.

Partageant la douleur des familles des victimes, traduisant à leur égard une solidarité totale, notre peuple a aussi acclamé les agents de la force publique qui, au péril de leur vie, ont défendu celles et ceux d’entre nous que les circonstances avaient placé sur le chemin des terroristes.

M. François Rochebloine. Absolument !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Nous connaissons la complexité des tâches qui incombent aux forces de l’ordre et la difficulté qu’il y a à les exercer au quotidien. Mais cela n’entame pas le caractère insupportable et inacceptable des faits dont a été victime le jeune Théo, faits qui appellent une réponse de la justice appropriée à leur qualification pénale et à leur gravité.

De nouveaux éléments évoqués publiquement aujourd’hui sont susceptibles de traduire d’autres pratiques incompatibles avec les exigences impérieuses du respect de la loi, de la déontologie, des droits individuels et de la dignité de chaque être humain.

Ces actes entament logiquement le lien de confiance entre les forces de l’ordre et la population – lequel est pourtant au cœur du pacte républicain –, même si, nous le savons, ils ne résument pas le comportement, la responsabilité et la volonté de bien servir de la plupart des agents des forces de l’ordre.

Monsieur le ministre, depuis cinq ans, revenant sur la politique désastreuse et irresponsable menée par la majorité précédente (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains), nos gouvernements ont repris la démarche de recrutement, de formation, d’équipement et d’encadrement, seule susceptible de placer ces forces de l’ordre en capacité de remplir leur mission.

M. Claude Goasguen. La preuve !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Dans ce contexte, que répondez-vous, monsieur le ministre, aux mises en cause qui sont formulées à l’égard de la police et de quelle manière entendez-vous préserver – ou, dans certains cas, rétablir – la confiance entre la police et la population ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Bruno Le Roux, ministre de l’intérieur. Monsieur le député, je veux d’abord vous remercier pour les mots que vous avez eus à l’égard de nos forces de sécurité – police et gendarmerie –,…

M. Pierre Lellouche. Il y a aussi nos soldats !

M. Bruno Le Roux, ministre. …dans leur mission quotidienne de protection de notre territoire et de nos concitoyens. Je veux bien entendu parler du risque terroriste qui pèse sur notre pays, mais aussi de la sécurité quotidienne qui, en tous points de notre territoire, doit être assurée.

Le Président de la République s’est engagé en 2012 à redonner les moyens nécessaires à notre système de sécurité. L’engagement a été tenu. Je veux parler bien entendu des 12 000 policiers et gendarmes qui ont été recrutés et qui manquaient cruellement pour que soit assurée très concrètement la sécurité de nos concitoyens…

M. Claude Goasguen. L’affaire Théo, c’était la semaine dernière !

M. Bruno Le Roux, ministre. …au cœur des quartiers, où nous avons stoppé l’hémorragie des effectifs de police, mais aussi dans les services de renseignement : nous avons rebâti un dispositif digne de ce dont a besoin aujourd’hui notre pays en recréant un renseignement territorial et une direction du renseignement, en les accompagnant d’outils législatifs que je remercie l’Assemblée nationale d’avoir voté.

M. Claude Goasguen. Ce n’est pas la question !

M. Bruno Le Roux, ministre. Une direction de la formation a également été créée, qui manquait cruellement. Car lorsqu’on parle, monsieur le député, des relations entre la police et la population, il faut être très précis : elles dépendent de la façon dont on forme les policiers. Ils sont aujourd’hui mieux formés qu’ils ne l’étaient auparavant parce que des éléments très concrets leur ont été donnés.

M. Claude Goasguen. La preuve !

M. Bruno Le Roux, ministre. Ils sont notamment formés pour intervenir dans les quartiers difficiles, en particulier les zones de sécurité prioritaires.

Une plateforme de l’IGPN – Inspection générale de la police nationale – a été mise en place pour faire en sorte que chacun de nos concitoyens puisse signaler les manquements qui pourraient se produire.

Nous avons un nouveau code de déontologie, commun à la police et à la gendarmerie. Des moyens supplémentaires sont dédiés à la formation – je viens d’en parler. Enfin, un nouveau dispositif de caméras-piétons a été mis en place aujourd’hui même.

Monsieur le député, la police a été gravement mise en cause il y a quelques années dans ses moyens, mais ceux-ci ont été restaurés par votre majorité. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. Claude Goasguen. C’est incroyable !

Création d’une police municipale à Paris

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, pour le groupe Les Républicains.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Monsieur le Premier ministre, ma question porte sur la police municipale à Paris.

Demain s’achève in extremis la navette parlementaire du projet de loi relatif au statut de Paris. Ce texte restera une illustration supplémentaire d’un sectarisme dont Paris fait les frais et dont les Parisiens paient le prix.

Au cours de la discussion de ce texte, les députés parisiens de l’opposition se sont montrés constructifs et innovants.

M. Daniel Goldberg. Ah non !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Mais aucun, je dis bien aucun des amendements qu’ils ont présentés n’a été examiné avec sérieux par le Gouvernement et sa majorité.

Plusieurs députés du groupe Les Républicains. Eh oui !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Au nom de tous mes collègues de Paris, et au-delà et de tous les élus parisiens de la droite et du centre, qui représentent, je vous le rappelle, une majorité des voix des Parisiens, je veux vous dire notre lassitude devant cette attitude.

Mme Cécile Untermaier. Il n’y a pas que Paris !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Ni sur la circulation, ni sur les compétences des arrondissements, ni même sur la sécurité nous n’avons été entendus, faute d’être seulement écoutés.

En ce qui concerne justement la sécurité, à l’heure où les forces de la préfecture de police sont légitimement mobilisées dans la lutte contre le terrorisme, on mesure tous ce qu’une police municipale pourrait faire face à la petite délinquance du quotidien qui s’accroît et dégrade la vie de tous : vols, trafics, mendicité agressive…

Paris est la seule grande ville à ne pas disposer d’une police municipale. La loi sur le statut de Paris était l’occasion de la créer, pourtant vous avez rejeté, balayé comme toutes les autres cette proposition de bon sens, quasiment sans débat.

Monsieur le Premier ministre, ma question est simple : pourquoi vous obstinez-vous, si ce n’est pour satisfaire le dogmatisme d’Anne Hidalgo (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain), à refuser à Paris une police municipale ? Comment justifiez-vous d’en priver plus longtemps les Parisiens ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur plusieurs bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Bruno Le Roux, ministre de l’intérieur. Madame la députée, l’expression « police municipale » désigne à la fois, vous le savez, les pouvoirs de police municipale et le corps des agents chargé de leur exécution.

Je vais vous répondre très précisément s’agissant de Paris. La police municipale, à Paris, a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publique. Ce qui distingue Paris des autres villes, c’est l’autorité qui exerce les pouvoirs. À Paris, le préfet de police constitue l’autorité de droit commun en lieu et place du maire, qui détient quant à lui une compétence d’attribution sur les questions de sécurité.

Le projet de loi relatif au statut de Paris dont vous parlez élargit la compétence d’attribution du maire de Paris, qui se verra confier de nouvelles responsabilités et des pouvoirs renforcés en matière de police – édifices menaçant ruine, sécurité des immeubles collectifs à usage d’habitation, baignades, rassemblements à caractère festif, récréatif ou culturel…

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Ce sont de toutes petites choses !

M. Bruno Le Roux, ministre. Ces nouvelles missions peuvent vous sembler petites, madame la députée, mais elles existent et vous avez tort de les nier.

À Paris, les missions d’exécution de la police municipale ne relèvent certes pas de policiers municipaux, mais elles sont confiées à 1 700 agents de surveillance de Paris, les ASP, qui sont chargés des mêmes missions que les agents de police municipale et que le projet de loi transfère au maire de Paris.

Il s’agit donc d’agents de la ville de Paris placés sous l’autorité du maire. Je suis heureux de vous apprendre, madame la députée, qu’il existe donc bien une police municipale à Paris (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains)…

Mme George Pau-Langevin. Tout à fait !

M. Bruno Le Roux, ministre. …et que le projet de loi a pour ambition de placer la totalité des agents qui en sont chargés sous l’autorité du maire.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Pipeau !

M. Bruno Le Roux, ministre. Le pipeau vient peut-être du fait que la situation que vous connaissiez dans l’Essonne n’est pas celle que vous découvrez à Paris. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Mme George Pau-Langevin. Très bien !

M. Éric Straumann. C’est scandaleux !

M. Bruno Le Roux, ministre. De ce point de vue, vous auriez tort de contester ce qui est la réalité d’un projet de loi débattu cette semaine à l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Politique de la ville

M. le président. La parole est à M. François Pupponi, pour le groupe socialiste, écologiste et républicain.

M. François Pupponi. Madame la secrétaire d’État chargée de la ville, depuis 2012, le Gouvernement s’est résolument engagé en faveur des quartiers populaires, conformément aux engagements pris par le Président de la République devant les Français.

À l’occasion des événements des derniers jours, des voix se sont élevées pour remettre en cause l’action que nous avons menée tout au long de la législature en faveur des banlieues au travers de la politique de la ville, et, plus grave encore, pour insinuer que rien n’aurait été fait. Ce sont des accusations qu’il nous faut balayer, tant elles sont éloignées de la réalité.

L’engagement fort du quinquennat a d’abord été la mise en œuvre d’un effort financier sans précédent en direction des communes de la politique de la ville, avec une progression de la dotation de solidarité urbaine, qui est passée de 1,4 milliard en 2012 à 2,1 milliards d’euros en 2017.

Dans le même temps et grâce à l’impulsion donnée chaque année en loi de finances, le niveau de solidarité entre communes riches et communes pauvres est passé de 360 millions d’euros en 2012 à 1,3 milliard d’euros en 2017.

Ce sont autant de moyens nouveaux qui, depuis cinq ans, ont permis aux communes de banlieue d’offrir des services publics de qualité et les politiques sociales, culturelles, éducatives ou sportives auxquelles les habitants de nos quartiers ont droit.

Le Gouvernement a également engagé une réforme majeure de la politique de la ville, sous la conduite de François Lamy, avec une nouvelle géographie prioritaire plus resserrée, permettant de concentrer des moyens exceptionnels de droit commun là où nous en avions le plus besoin.

Cette réforme a également permis de lancer un nouveau programme national de renouvellement urbain, doté de 5 milliards d’euros jusqu’en 2024, poursuivant ainsi la dynamique de rénovation urbaine engagée par Jean-Louis Borloo. Un milliard a été ajouté à cette somme, il y a quelques semaines.

Voilà quelques exemples, madame la secrétaire d’État. Je pourrais encore citer de nombreuses mesures positives en faveur de l’emploi, du développement économique ou de l’éducation. Les résultats se font sentir dans nos quartiers. Le cadre de vie des habitants a changé. Il suffit d’aller discuter avec eux – je le fais souvent en tant que président de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine – pour constater leur fierté de voir leurs quartiers changer.

Certes, de nombreux problèmes demeurent. Les difficultés sociales perdurent. La relation police-jeunesse est tendue. Mais dire que rien n’a été fait est un mensonge. Je voulais, madame la secrétaire d’État, connaître votre sentiment sur ce problème. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de la ville.

Mme Hélène Geoffroy, secrétaire d’État chargée de la ville. Vous l’avez dit, monsieur le député, dès le 21 février 2014, après une importante concertation, la loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine, dite « loi Lamy », a refondé les piliers de l’action de la politique de la ville.

Nous avons d’abord dit qu’il fallait poursuivre un programme ambitieux de renouvellement urbain, parce que personne ne doit avoir honte de l’endroit où il habite. Je serai d’ailleurs présente à Rennes demain aux côtés du Président de la République, qui engage une nouvelle phase d’un important programme de rénovation urbaine doté de 6 milliards d’euros.

Toutefois, à la politique essentiellement urbaine dont nous avions hérité, nous avons souhaité ajouter l’égalité de traitement dans toutes nos politiques publiques. La politique de la ville ne peut pas être une politique d’exception. C’est celle qui s’assure que les politiques publiques nationales sont mises en œuvre dans les quartiers populaires comme ailleurs.

De fait, chacun de mes collègues ici présent a depuis trois ans une feuille de route « Quartiers populaires ». Lorsque nous rétablissons l’égalité, nous en voyons les premiers résultats. Nos quartiers se transforment physiquement. Pour la première fois depuis huit ans, le chômage a baissé dans les quartiers populaires. Le nombre de décrocheurs scolaires diminue. Nous avons conforté le tissu associatif. Et nous avons créé les conseils citoyens : 1 100 d’entre eux sont désormais installés.

Nous nous heurtons à des difficultés, je ne le nie pas, et les derniers événements nous l’ont montré, mais nous avons créé les outils et donné le cap. C’est pour cela que je tiens particulièrement à saluer tous les acteurs qui tissent le lien dans nos quartiers populaires et travaillent au quotidien : les 4 000 adultes relais que nous avons confortés comme acteurs de la médiation sociale, les bailleurs sociaux, les 7 500 associations de proximité, les services de l’État et leurs agents, les élus de nos quartiers populaires qui font tout pour que leur territoire réussisse, les 15 000 conseillers citoyens engagés pour l’avenir de nos quartiers et de nos enfants.

Merci à eux ! Ce sont les anticorps que nos quartiers produisent eux-mêmes face à tous ceux qui prônent un développement séparé. Merci à eux, qui incarnent au quotidien les liens qui nous unissent. Merci d’incarner la promesse que la République a formulée, il y a deux cents ans ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Égalité d’accès aux soins

sur tout le territoire

M. le président. La parole est à M. Nicolas Sansu, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. Nicolas Sansu. Madame la ministre des affaires sociales et de la santé, en 2012, le Président de la République avait pris l’engagement de sécuriser l’accès aux soins de tous nos concitoyens. Cet engagement, soumis à la loi libérale Hôpital, patients, santé et territoires, adoptée sous la droite en 2009, ne sera pas tenu, même si quelques tentatives ont pu émerger, telles que les contrats d’engagement de service public ou les contrats de praticiens de médecine générale, pour inciter à l’installation dans les territoires déficitaires.

La réalité, c’est une aggravation de la fracture territoriale en matière d’accès aux soins, et c’est donc un droit de la République, le droit à la santé, qui recule, avec des renoncements aux soins absolument insupportables.

En effet, dans des départements comme le Cher – que vous connaissez bien – malgré les efforts des acteurs de terrain, notamment par la création de structures regroupées de l’exercice médical, la désertification médicale progresse et la moyenne d’âge des praticiens augmente.

À l’évidence, les territoires fragiles le sont plus aujourd’hui qu’il y a dix ans, et le fait qu’il y ait plus de médecins en France n’empêche nullement que leur répartition soit de plus en plus inégale. Cela renforce un sentiment d’abandon, né de la concentration des activités et des richesses dans les métropoles, et du recul des services publics nationaux.

En desserrant le numerus clausus des étudiants en médecine, le Gouvernement a demandé aux contribuables de participer à l’effort indispensable permettant d’améliorer l’accès aux soins. Dans ce cadre, et à défaut de s’engager dans une régulation nationale d’installation, je formule deux propositions. D’abord, pourquoi ne pas imposer à chaque interne effectuant un stage en médecine générale que celui-ci se déroule au sein d’une zone déficitaire ? Ensuite, n’est-il pas temps d’instaurer un conventionnement sélectif en fonction des zones d’installation ?

Madame la ministre, le danger, c’est la rupture d’égalité devant l’accès aux soins et la fracture territoriale qui en résulte, mettant en cause notre cohésion républicaine. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. Philippe Vigier. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Monsieur le député, vous évoquez la question du défaut de professionnels de santé dans un certain nombre de territoires. Il est vrai que le Cher, au sein de la région Centre-Val de Loire, est un des départements qui rencontrent le plus de difficultés pour installer de nouveaux médecins partout sur le territoire.

Des mesures ont été engagées dès 2012, qui ont pour ligne directrice de jouer sur des facteurs d’attractivité en direction des jeunes professionnels. C’est vrai pour des mesures d’attractivité des hôpitaux de proximité. C’est vrai pour les médecins libéraux.

Vous avez parlé des maisons de santé. Vous avez parlé des postes de praticiens territoriaux de médecine générale. Il y en a 4 dans votre département, et 720 au niveau national. Il y en aura 1 000, à l’échelle de cette année, partout sur le territoire. De la même manière, des bourses sont attribuées aux étudiants en médecine en échange de leur installation dans des territoires sous-dotés. Soixante-quatre bourses ont été souscrites dans la région Centre-Val de Loire.

Mais il faut continuer à imaginer des solutions. C’est ainsi que de nouveaux zonages vont être réalisés pour que nous puissions cibler les mesures là où elles sont vraiment nécessaires. Des arrêtés vont être pris très prochainement par les directeurs d’agences régionales de santé, dès que les concertations seront terminées.

Cela doit aller très vite, notamment afin d’anticiper les départs en retraite des médecins et d’apporter des réponses.

Pour le reste, la campagne électorale qui s’ouvre permettra d’évoquer d’autres solutions, plus contraignantes que celles que le Gouvernement a mises en place, et sur lesquelles les Français seront amenés à se prononcer. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Vaccination

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Le Callennec, pour le groupe Les Républicains.

Mme Isabelle Le Callennec. Ma question s’adresse à Mme la ministre de la santé. Il y a dix ans, 90 % des Français avaient une opinion favorable sur les vaccins. Aujourd’hui, 41 % estiment que les vaccins ne sont pas sûrs, quand l’OMS affirme pourtant que la vaccination évite chaque année 2 à 3 millions de décès dans le monde.

M. Jean-Paul Bacquet. Très juste !

Mme Isabelle Le Callennec. Dans notre pays, seules trois maladies sont à vaccination obligatoire : la diphtérie, le tétanos et la polio. Mais il est quasiment impossible de se procurer des vaccins contre ces seules maladies : ceux qui sont commercialisés en combinent plusieurs, notamment contre la coqueluche ou l’hépatite B – vaccins non obligatoires. Un kit spécifique existe bien, mais il est réservé aux enfants qui présentent des contre-indications.

À la suite d’une pétition qui a rassemblé plus d’un million de signatures et de la requête de 2 000 parents n’ayant pas réussi à obtenir le vaccin en question, le Conseil d’État a rendu une décision le 8 février. Aux termes de celle-ci, la loi, qui n’impose que trois obligations de vaccination, implique de s’y conformer en usant de vaccins qui ne contiennent que ces trois vaccinations. Le Conseil d’État vous enjoint donc, madame la ministre, de prendre des mesures pour rendre disponibles dans les six mois les vaccins DTP.

Trois options s’offrent apparemment à vous : demander aux laboratoires de respecter l’obligation d’organiser un plan de gestion des stocks, ouvrir la voie à la concurrence en faisant appel à une licence d’office ou permettre à l’agence Santé publique France d’acheter, d’importer et de distribuer les médicaments dont la commercialisation et la production sont jugées insuffisantes.

À ce stade, quelle option a votre préférence ? Comment comptez-vous rassurer les Français, notamment les jeunes parents, qui sont en droit d’attendre des informations claires et fiables ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Je partage avec vous la volonté de rappeler aux Français l’importance absolument majeure de la vaccination, madame la députée. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain, du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants, ainsi que sur quelques bancs du groupe Les Républicains.) La vaccination est un enjeu de santé publique avec lequel il ne faut pas plaisanter. Il est vrai que dans notre pays, plus qu’ailleurs, s’est installée une défiance dont les causes sont multiples, mais dont un point de fixation fut la crise de la grippe H1N1, qui a suscité des interrogations chez nombre de nos concitoyens.

Vous évoquez une décision du Conseil d’État qui enjoint au Gouvernement de permettre l’accès à des vaccins comportant seulement les trois vaccins obligatoires, alors qu’aujourd’hui, le vaccin le plus fréquent comporte six vaccinations en même temps.

Permettez-moi de rappeler qu’indépendamment de cette décision du Conseil d’État, j’ai lancé une concertation, confiée au professeur Fischer, dont les résultats m’ont été remis il y a quelques semaines. Son rapport de conclusions propose de rendre obligatoires non pas six, mais onze vaccins.

Plusieurs options sont aujourd’hui sur la table ; elles sont en cours d’expertise par mes services. Je recevrai à nouveau le professeur Fischer au début du mois de mars et j’annoncerai mes orientations. J’assumerai mes responsabilités en proposant, puisqu’il est probable qu’un texte législatif sera nécessaire, les éléments d’un dispositif législatif qu’il appartiendra de mettre en œuvre pendant la prochaine législature. J’annoncerai donc les orientations que je préconise dans quelques petites semaines. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Reconnaissance du burn-out

M. le président. La parole est à M. Gérard Sebaoun, pour le groupe socialiste, écologiste et républicain.

M. Gérard Sebaoun. Ma question s’adresse à la ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Elle porte sur l’épuisement professionnel, plus connu sous le nom de « burn-out », une situation dramatique vécue par des dizaines, voire des centaines de milliers d’actifs dans notre pays. Je viens de remettre un rapport sur ce sujet et j’associe à ma question le président de la mission d’information, mon collègue Yves Censi, du groupe Les Républicains, et les commissaires aux affaires sociales.

Au regard des mutations profondes intervenues depuis plusieurs décennies, la question cruciale de l’emploi et du chômage a supplanté celle du travail. La mondialisation des échanges, la transformation numérique, la robotisation, la tertiarisation de l’économie ont façonné un monde nouveau, un monde dans lequel l’intensification du travail ne cesse de croître au rythme des nouvelles technologies de l’information et de la communication et de méthodes d’organisation et de management délétères.

Alors que la pénibilité physique est aujourd’hui mieux prise en charge, la souffrance psychique liée à l’épuisement professionnel frappe indifféremment des salariés du secteur privé comme des agents des trois fonctions publiques, des travailleurs indépendants et des agriculteurs. Si les causes de ce phénomène sont multiples et complexes, on retrouve des éléments récurrents tels qu’une très forte implication dans son métier, une surcharge de travail et une frontière toujours plus fragile entre vie personnelle et vie professionnelle.

Les suicides sur le lieu de travail sont autant de gestes désespérés qui doivent nous alerter sur cette réalité inacceptable, sans jamais que nous ne l’instrumentalisions. Le coût humain, mais aussi le coût économique et social du burn-out sont considérables. Pour exemple, le seul coût du stress au travail avait été évalué il y a dix ans entre 2 et 3 milliards d’euros par an.

La question de la santé au travail est donc indissociable de la stratégie d’entreprise comme d’une politique de santé publique.

Madame la ministre, la mission a présenté 27 propositions, dont certaines pourraient être rapidement opérationnelles. Quel regard portez-vous aujourd’hui sur ce fléau grandissant qu’est l’épuisement professionnel dans notre pays ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de la formation professionnelle et de l’apprentissage.

Mme Clotilde Valter, secrétaire d’État chargée de la formation professionnelle et de l’apprentissage. Votre rapport, monsieur le député, apporte une utile contribution à l’appréhension de la question de l’épuisement professionnel, ces souffrances psychiques qui sont la réalité de nombre de travailleurs dans notre pays.

Pour mieux prévenir le burn-out, le ministère de la santé et le ministère du travail ont beaucoup œuvré ces dernières années.

Tout d’abord, la Direction générale du travail a publié le 26 mai 2015 un guide de prévention qui comporte des recommandations à l’intention des acteurs de l’entreprise et des professions médicales.

Ensuite, la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi, dite loi Rebsamen, permet une pleine reconnaissance du burn-out par les comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles. C’est une avancée très importante.

Enfin, la prévention des risques psychosociaux est au cœur du troisième plan de santé au travail 2016-2020, dit PST 3, à travers deux éléments : premièrement, l’amélioration de la connaissance sur le syndrome d’épuisement professionnel – la ministre de la santé a saisi la Haute autorité de santé à ce sujet ; deuxièmement, l’élaboration de supports opérationnels et de recommandations qui seront ensuite validés par la Haute autorité de santé.

L’usage croissant des outils numériques constitue un facteur d’accroissement de ces risques. Nous avons donc voulu, avec le droit à la déconnexion, garantir le droit au repos et à la vie personnelle des salariés.

Votre rapport traite d’enjeux de société majeurs. Il va nous permettre d’avancer, et je tenais à vous en remercier. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Candidature de Paris aux Jeux olympiques de 2024

M. le président. La parole est à M. David Douillet, pour le groupe Les Républicains.

M. David Douillet. Monsieur le secrétaire d’État chargé des sports, j’associe à ma question mon collègue et ami Jean-François Lamour.

Je tiens à saluer l’action du comité de candidature de Paris 2024, coprésidé par le mouvement sportif, à travers l’action conjointe de Tony Estanguet et de Bernard Lapasset, et activement soutenu par le membre français du Comité international olympique – le CIO –, Guy Drut.

Il y a dix jours, date de la remise du troisième et dernier dossier de candidature au CIO, nous avons assisté à l’ouverture de la période de promotion internationale de la candidature de Paris pour accueillir les Jeux olympiques et paralympiques de 2024. À cet égard, notre pays peut s’enorgueillir d’une longue tradition d’accueil et d’organisation d’événements sportifs internationaux ; notre savoir-faire est reconnu mondialement.

Les Jeux sont bien plus qu’une simple compétition sportive, en ce qu’ils permettent d’impulser une véritable dynamique nationale, pas uniquement économique, ni même médiatique ou touristique. N’en déplaise aux mauvaises langues, ils constituent un grand projet qui fédère toute une nation. Or, disons le franchement, nous en avons grand besoin.

Arrogance, projet autocentré, surexposition des personnalités politiques ou sous-estimation de l’importance de la promotion internationale de notre candidature : nous avons collectivement tiré les leçons des échecs passés en fédérant, pour 2024, le soutien de l’ensemble du mouvement sportif, des acteurs institutionnels et de la société civile. Je profite de l’occasion qui m’est donnée, mes chers collègues, pour vous inviter à diffuser très largement le slogan…

M. Jacques Myard. En français !

M. David Douillet. …de notre campagne de promotion internationale : en français, « Venez partager », en anglais, « Made for Sharing ».

Monsieur le secrétaire d’État, nous entrons dans la dernière ligne droite de la présentation de notre candidature. Il est très important que chacun sache où nous en sommes. Pouvez-vous nous faire un point d’étape sur les chances de la France et de la candidature parisienne et sur les grandes échéances à venir avant la décision des membres du Comité international olympique ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur plusieurs bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des sports.

M. André Chassaigne. Lui aussi en français !

M. Thierry Braillard, secrétaire d’État chargé des sports. Monsieur David Douillet, avant de vous répondre, je veux rappeler que vous êtes double champion olympique de judo et que Jean-François Lamour est double champion olympique de sabre. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Jacques Myard. Il y a des poids lourds chez Les Républicains ! (Sourires.)

M. Thierry Braillard, secrétaire d’État. La candidature de Paris est solide et placée sur de bons rails. Comme vous l’avez rappelé, le Président de la République a souhaité que le mouvement sportif porte cette candidature. C’est la raison pour laquelle Tony Estanguet et Bernard Lapasset coprésident le comité de candidature, avec le soutien affiché de Guy Drut, membre du CIO. Par ailleurs, notre pays est probablement celui qui, au cours des dernières années, a accueilli le plus d’événements sportifs internationaux ; le fait qu’ils aient donné satisfaction démontre notre attractivité et notre savoir-faire.

La candidature aux Jeux olympiques et paralympiques exige la remise de trois dossiers. Le premier, relatif au concept des Jeux, a déjà été déposé, tout comme le deuxième, concernant le montage juridique et financier. Le 3 février dernier, enfin, a été remis le dossier relatif à l’organisation de la manifestation. Thomas Bach, président du CIO, a relevé « l’unité » de cette candidature. Je veux déjà remercier l’ensemble des groupes parlementaires, qui ont décidé de soutenir, à l’unisson, Paris 2024, ainsi que Mme Anne Hidalgo, maire de Paris, pour le travail remarquable qu’elle a accompli, et Mme Valérie Pécresse, présidente du Conseil régional d’Île-de-France, pour son soutien. Le Gouvernement, quant à lui, est évidemment entièrement mobilisé en faveur de cette candidature dont, je le répète, l’unité a impressionné Thomas Bach.

Quelles sont les prochaines étapes ? Du 13 au 16 mai aura lieu la visite du comité d’évaluation. Le 23 juin, j’invite chacun à une grande mobilisation populaire à l’occasion de la journée des Jeux. Enfin, le 13 septembre, à Lima, j’espère que, de l’enveloppe, sortira le nom de Paris. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain, du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, et du groupe Les Républicains.)

Revalorisation de la fonction d’atsem

M. le président. La parole est à Mme Lucette Lousteau, pour le groupe socialiste, écologiste et républicain.

Mme Lucette Lousteau. Madame la ministre de la fonction publique, j’associe à ma question ma collègue Marie Récalde, députée de la Gironde.

À l’heure du bilan, il convient de se féliciter que les mesures significatives prises en faveur de l’école maternelle aient porté leurs fruits. Néanmoins, la situation des agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles, les ATSEM, n’a pas encore été éclaircie, alors que leurs missions ont évolué au cours des dernières années. Fatiguées de servir à tout, les ATSEM ont organisé deux journées de mobilisation afin d’exprimer leur mal-être et d’alerter les pouvoirs publics au sujet de la multiplication de leurs tâches et de la stagnation de leur carrière.

Ces agents sont nommés par les maires et affectés au sein des écoles. Elles sont donc soumises à une double hiérarchie – celle de la mairie et celle de l’éducation nationale – qui se révèle problématique. Sur leur fiche de poste, elles sont chargées de l’assistance au personnel enseignant pour l’accueil, de l’animation et de l’hygiène des jeunes enfants, ou encore de la préparation et du nettoyage des locaux et du matériel.

Les ATSEM participent également à la vie de la communauté éducative. Depuis la réforme des rythmes scolaires, elles remplissent de plus en plus de missions pédagogiques. Or leur statut n’a pas évolué depuis 1992. Le contour flou de leurs missions a conduit à ce que, dans certaines écoles maternelles, elles soient considérées comme des agents à tout faire.

Cette profession est saluée tant par la communauté éducative que par les parents. Alors que le professeur des écoles enseigne aux enfants, l’ATSEM met l’enfant dans de bonnes conditions pour apprendre.

Madame la ministre, vous qui avez souhaité rendre hommage à un « métier noble » et « humainement valorisant », pouvez-vous nous présenter le plan d’action que vous comptez mettre en œuvre pour que la situation des ATSEM s’améliore d’ici à la rentrée prochaine ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. André Chassaigne. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme la ministre de la fonction publique.

Mme Annick Girardin, ministre de la fonction publique. Madame la députée, les ATSEM ont, de fait, un besoin de reconnaissance, qu’elles ont exprimé au cours des derniers jours, et que le Gouvernement a entendu.

On dénombre 60 000 ATSEM : vous comme moi, nous employons le pronom féminin en parlant de ces agents qui, pour 99 % d’entre eux, sont des femmes : cela aussi devra évoluer. Elles exercent un métier noble, mais difficile, comme j’ai pu le constater sur le terrain. J’ai en effet souhaité, lors de la dernière prérentrée scolaire, être à leurs côtés – de fait, on oublie souvent de leur rendre hommage à cette occasion. Les membres de mon cabinet les ont également rencontrées à de nombreuses reprises au cours des dernières semaines, pour leur faire un certain nombre de propositions.

Les ATSEM sont riches de qualités humaines et, vous l’avez dit, participent tous les jours à l’accueil et à l’éducation de nos enfants. Votre constat, comme celui du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale, dont le président, Philippe Laurent, m’a remis lundi un rapport à ce sujet, est clair : leurs missions sont trop floues, leurs conditions de travail sont parfois très difficiles, et on déplore un manque de débouchés et de perspectives.

J’ai donc souhaité apporter trois réponses. D’abord, clarifier leurs missions, ce qui est le plus important, car, vous l’avez dit, les ATSEM sont ballottés entre deux hiérarchies – celle des directeurs d’école et celle des maires. Nous allons clarifier ces missions en vue de la rentrée prochaine – je peux vous assurer que, avec la ministre de l’éducation nationale, nous allons y veiller tout particulièrement.

Par ailleurs, il faut aussi répondre aux attentes de celles qui exercent ce métier éprouvant en leur conférant de meilleures conditions d’exercice et en les faisant bénéficier d’une prévention plus efficace des risques.

Enfin, il convient bien sûr de faire droit à leurs demandes légitimes d’évolution de carrière, en leur ouvrant l’accès à d’autres filières, à d’autres postes, de catégorie B. La reconnaissance est aussi financière, et ce gouvernement y a d’ores et déjà veillé, en leur assurant une augmentation de 612 euros par an, somme qui va d’ailleurs doubler dans le cadre de l’accord relatif aux parcours professionnels, aux carrières et aux rémunérations des fonctionnaires – le PPCR. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Politique éducative

M. le président. La parole est à Mme Laurence Arribagé, pour le groupe Les Républicains.

Mme Laurence Arribagé. Madame la ministre de l’éducation nationale, vous vous dites fière de votre bilan ; je veux aujourd’hui vous inviter à beaucoup plus d’objectivité et d’honnêteté.

Contrairement à ce que vous affirmez, vos réformes restent profondément désapprouvées et rejetées par le monde enseignant, les parents d’élèves, les élus locaux et plus largement par l’ensemble des Français. Votre tentative de suppression des classes bilangues est un fiasco total, en dépit de vos efforts de communication qui ne trompent personne. Supprimer un dispositif efficace et performant au motif qu’il serait réservé à une trop faible minorité, plutôt que de tenter de l’étendre, reste, pour moi, l’un des plus grands mystères du raisonnement socialiste. À vouloir poursuivre à tout prix un égalitarisme dogmatique, vous sacrifiez l’avenir des élèves de France. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Vous prétendez également réformer l’éducation prioritaire, tout en gardant les lycées hors de votre champ d’action, sans même vous rendre compte de l’urgence du secteur en termes de moyens. Vous n’avez cessé, comme vos prédécesseurs, dont un certain Benoît Hamon, de vouloir marquer l’éducation nationale de votre empreinte et de votre idéologie.

M. Pascal Terrasse. Ça y est, tous les mots du discours de droite y sont !

Mme Laurence Arribagé. Enfin, comment pouvez-vous vous satisfaire de votre bilan concernant la filière professionnelle ? Où sont passés les 500 000 apprentis annoncés par François Hollande ? L’alternance et l’apprentissage, voilà les grands oubliés de votre quinquennat. Aujourd’hui, en France, 100 000 jeunes sortent chaque année sans diplôme du système scolaire, et un jeune de moins de vingt-cinq ans sur quatre est sans emploi.

Madame la ministre, au-delà des postures politiciennes que vous affectionnez tant dans cet hémicycle (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain), que répondez-vous concrètement – et, pour une fois, sérieusement – à ces jeunes formés par l’école de la République que vous avez abandonnés sur le marché de l’emploi ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur plusieurs bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Madame la députée, je vous remercie de me donner l’occasion, grâce à votre question très large, de dresser un rapide bilan de notre action éducative au cours des cinq dernières années, même si le quinquennat est loin d’être fini.

Avons-nous, comme nous nous y étions engagés, recréé des places en maternelle pour accueillir les petits dès l’âge de deux ans ? (« Oui ! » sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.) Oui, 30 000.

Avons-nous remis le paquet sur l’apprentissage des fondamentaux ? (« Oui ! » sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.) Oui, grâce à une matinée de cours supplémentaire à l’école primaire et grâce au recentrement des programmes sur la lecture, l’écriture et l’arithmétique. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Frédéric Reiss. C’est complètement faux !

M. Laurent Furst. Tout va bien ! Hollande, reviens !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Avons-nous enrayé l’échec qui touchait trop d’élèves au collège ? (« Oui ! » sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain. – « Non ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.) Oui, grâce aux heures d’aide personnalisée, qui sont désormais de droit pour tous les élèves, et grâce à de nouvelles pratiques pédagogiques qui ont fait leurs preuves partout ailleurs.

Avons-nous modernisé notre système scolaire ? (Mêmes mouvements.) Oui, grâce à un apprentissage plus précoce des langues vivantes étrangères, à l’introduction du numérique à l’école, à l’enseignement des valeurs de la République et à l’éducation aux médias et à l’information.

Avons-nous réduit les inégalités entre les établissements ? (Mêmes mouvements.) Oui, grâce à l’octroi de moyens inédits pour l’éducation prioritaire et la ruralité.

Avons-nous facilité la vie et la réussite des élèves et des étudiants en difficulté sociale ? (Mêmes mouvements.) Oui, grâce à l’augmentation de 40 % des fonds sociaux pour les familles des collégiens et de 10 % des bourses des lycéens, ainsi qu’à la création de 130 000 bourses étudiantes.

Avons-nous rétabli la formation initiale des enseignants comme nous nous y étions engagés ? (Mêmes mouvements.) Oui, plusieurs dizaines de milliers de nouveaux enseignants en ont profité au cours de ce quinquennat.

Avons-nous revalorisé le salaire des enseignants ? (Mêmes mouvements.) Oui, nous l’avons fait, et nous continuons de le faire puisque 1 milliard d’euros y sont actuellement consacrés.

Madame la députée, je doute qu’avec votre programme vous obteniez de tels résultats ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste. – Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Délégation des politiques de l’emploi aux régions

M. le président. La parole est à M. Paul Molac, pour le groupe socialiste, écologiste et républicain.

M. Paul Molac. Madame la ministre du travail, à l’été 2015, le Parlement a voté la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe. Ce texte prévoit la possibilité d’une expérimentation de coordination par les régions, sur délégation de l’État, de certains acteurs de l’accompagnement à l’emploi. Nous devons notamment cette avancée au travail mené par notre collègue Monique Iborra. Le Parlement et votre serviteur étions prêts à aller plus loin et à régionaliser, pour plus d’efficacité, la gestion de Pôle emploi.

Pour les régions, cette délégation vise à mettre fin à l’émiettement des acteurs du service public de l’emploi, et à créer une chaîne continue entre la compétence en matière d’emploi et celles du développement économique et de la formation, dont les régions ont déjà la charge.

L’efficacité des régions n’est plus à démontrer : dans le domaine de la formation, le plan 500 000 formations supplémentaires a donné d’excellents résultats, grâce à l’implication pleine et entière des régions et de ses fonctionnaires. Par exemple, la région Bretagne a dépassé les prévisions les plus optimistes en atteignant 110 % de l’objectif fixé.

Madame la ministre, les régions qui se sont emparées de cette nouvelle compétence soulèvent la question du transfert des crédits de l’État aux régions. Si ces dernières exercent pour le compte et à la place de l’État cette coordination, il est normal que les fonds qui la concernent leur soient transférés. Sans le transfert de ces crédits, la délégation de compétence voulue par le législateur serait lettre morte, et nous serions privés d’un moyen efficace pour lutter contre le chômage. Cela contredit par ailleurs la plateforme réunissant l’État et les régions, signée à la fin du mois de mars 2016 avec le Premier ministre Manuel Valls. Madame la ministre, je pense que vous avez à cœur d’appliquer la loi votée par le Parlement : quand comptez-vous régler cette question ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de la formation professionnelle et de l’apprentissage.

Mme Clotilde Valter, secrétaire d’État chargée de la formation professionnelle et de l’apprentissage. Monsieur le député, vous avez raison : la mobilisation en faveur de l’emploi ne peut réussir sans un partenariat solide entre l’État et les régions. Le Gouvernement travaille depuis 2015 à la mise en œuvre des dispositions prévues par la loi NOTRe. Nous élaborons ensemble une stratégie commune pour l’emploi et la formation, et nous procédons avec une grande souplesse et dans le respect du quadripartisme : l’État, les régions et les partenaires sociaux sont pleinement associés au déploiement de ce dispositif.

S’agissant du périmètre de la délégation de compétence et des crédits dont vous parlez, la possibilité de délégation ouverte par la loi NOTRe porte, comme vous l’avez dit, sur la coordination des acteurs du service public de l’emploi. Des propositions concrètes et opérationnelles ont été faites de part et d’autre, monsieur le député, et des accords sont intervenus. À ce titre, il convient de citer les missions générales de coordination des maisons de l’emploi et les actions s’inscrivant dans le cadre des plans régionaux pour l’insertion des travailleurs handicapés – sujets essentiels pour nos concitoyens.

En matière de politique de l’emploi, l’État travaille également très bien avec les régions, comme l’atteste le transfert à ces dernières, le 1er janvier 2017, du dispositif de nouvel accompagnement à la création ou à la reprise d’entreprises – NACRE –, complété par un accord sur les transferts de moyens dont vous parliez.

L’enjeu de la lutte contre le chômage est trop important, monsieur le député, pour que l’on ne mette pas en œuvre la meilleure coopération possible dans les territoires. Nous travaillons dans ce sens avec les régions et nous continuerons à le faire. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Buralistes

M. le président. La parole est à M. Yves Albarello, pour le groupe Les Républicains.

M. Yves Albarello. Monsieur le Premier ministre, nous avons pris connaissance récemment du rapport de la Cour des comptes, en particulier de ses recommandations sur l’évolution des relations entre l’État et les buralistes. Il appelle à revoir de fond en comble le modèle de distribution du tabac, provoquant par là même une forte inquiétude chez les buralistes, qui restent, comme vous le savez, profondément attachés au statut de préposé de l’administration et aux responsabilités qui en découlent.

La Cour des comptes semble aussi remettre en cause, par ses recommandations, le protocole d’accord signé le 15 novembre dernier entre le secrétaire d’État au budget et la Confédération, dont les buralistes attendent avec impatience l’entrée en application intégrale. Or ce protocole d’accord cible les aides attribuées aux buralistes et vise à les rendre plus efficaces, comme le souhaite la Cour. Cet accord prévoit aussi une subvention spécifique répondant à l’objectif de modernisation que la Cour des comptes recommande fortement et que le réseau attend impatiemment.

Pouvez-vous confirmer à la représentation nationale qu’il n’est pas dans les intentions de votre gouvernement de revenir sur le protocole d’accord du 15 novembre ? Pouvez-vous également confirmer qu’il n’est pas envisagé de modifier l’équilibre des relations entre l’administration et le réseau des buralistes, dont l’existence même apporte à l’État les meilleures garanties possible pour la distribution réglementée d’un produit aussi sensible que le tabac ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du budget et des comptes publics.

M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du budget et des comptes publics. Monsieur le député, je m’étonne de la diversité des interprétations que l’on peut faire sur vos bancs des conclusions de la Cour des comptes ; je laisse cela à votre appréciation.

L’État n’a aucunement l’intention de remettre en cause le protocole que j’ai signé il y a quelques mois avec le président Montredon. Vous l’avez dit vous-même, ce protocole a répondu aux critiques de la Cour des comptes bien avant la publication de son rapport, grâce à la relation constructive que nous avons nouée : il vise à mieux cibler les aides sur les secteurs en difficulté, à moderniser les installations et à accompagner les mutations nécessaires dans cette profession.

Je vais vous faire une confidence : j’ai vu le président Montredon lundi soir. Nous avons à cette occasion travaillé à nouveau sur des détails relatifs aux décrets d’application qui seront publiés dans les tout prochains jours.

Votre deuxième question portait sur la relation de l’État avec les buralistes. Comme je viens de vous le dire, j’ai rencontré le président Montredon lundi soir, et nous avons évoqué les questions relatives aux relations des buralistes avec La Française des jeux.

M. Yves Fromion. Ils ont fumé le calumet de la paix ensemble !

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Il ne vous a pas échappé, en effet, que La Française des jeux a pour actionnaire majoritaire l’État. Nous avons travaillé sur l’implantation des nouveaux réseaux de distribution de La Française des jeux. Je vais d’ailleurs vous faire une seconde confidence : je me suis entretenu ce midi par téléphone avec Stéphane Pallez, qui rencontre cet après-midi le président de la Confédération des buralistes. Les relations sont donc constructives, exigeantes sur des sujets délicats. Tout le monde reconnaît que le réseau évolue favorablement. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Lutte contre les cyberattaques

M. le président. La parole est à M. Olivier Falorni, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Olivier Falorni. Monsieur le ministre des affaires étrangères, l’invasion du tout numérique a rendu notre société tributaire des systèmes d’information et de communication. Dans ce cadre, l’essor du monde numérique s’est accompagné d’un développement des menaces liées à de nouvelles formes de criminalité. Je pense notamment aux modes d’action cachés de la cyberguerre ou du cyberespionnage économique.

Récemment, le renseignement américain a confirmé que des hackers russes étaient intervenus dans l’élection américaine pour affaiblir la candidature d’Hillary Clinton. La France n’est pas épargnée par la menace. Près de 24 000 attaques informatiques ont été bloquées en 2016 par les dispositifs de sécurité nationaux. À l’approche de l’élection présidentielle, des piratages informatiques et une cyberdéstabilisation sont déjà à l’œuvre.

Ces attaques sont organisées et coordonnées par un groupe structuré qui pirate des milliers de documents et qui les fait publier par le site Wikileaks. Parallèlement, des informations calomnieuses de sites étrangers, pour la plupart russes, sont massivement relayées sans aucun filtre sur les réseaux sociaux.

Ces faits sont graves. Une puissance étrangère ne peut saper une élection démocratique, libre et équitable. Dès lors, il faut que les conditions de sécurité soient assurées contre les cyberattaques et ingérences afin de garantir le déroulement normal de ce scrutin.

À cette fin, un conseil de défense s’est réuni ce matin en présence du Président de la République. Monsieur le ministre, quelles mesures spécifiques de vigilance et de protection ont été prises face à ces menaces très importantes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

M. Dominique Raimbourg et M. François de Rugy. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères et du développement international.

M. Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement international. Monsieur le député, vous avez parfaitement raison d’évoquer ce point essentiel. Après ce qui s’est passé aux États-Unis, il est en effet de notre responsabilité de prendre toutes les mesures pour que l’intégrité de notre processus démocratique soit pleinement respectée ; telle est la volonté du Gouvernement.

Je l’affirme haut et fort : la non-ingérence dans les affaires intérieures d’un autre État est un principe cardinal de la vie internationale. Nous n’accepterons pas quelque ingérence que ce soit dans notre processus électoral, pas plus de la Russie que de tout autre État. Il y va de notre démocratie, il y va de notre souveraineté, il y va de notre indépendance nationale.

Que devons-nous faire ? Nous devons d’abord être vigilants sur tout ce qui relève de la désinformation des organes de presse qui sont parfois étroitement liés à des États tiers. Ensuite, nous devons faire clairement connaître les limites à ceux qui seraient tentés de porter atteinte au principe de non-ingérence, y compris en prenant des mesures de rétorsion si nécessaire.

M. Claude Goasguen. Comment ?

M. Jean-Marc Ayrault, ministre. En effet, aucun État étranger ne peut influencer le choix des Français. Aucun État étranger ne peut choisir le futur Président de la République. Et je souhaiterais que les candidats ou candidates qui se voient assurés d’une préférence par un État, en particulier s’il s’agit d’un pays que l’on connaît bien, la Russie, se révoltent contre ce type d’influence.

M. Claude Goasguen. Macron ?

M. Jean-Marc Ayrault, ministre. Pour l’heure, je ne les ai pas entendus.

M. Claude Goasguen. Parce que ce n’est pas prouvé !

M. Jean-Marc Ayrault, ministre. En tout cas, la position du Gouvernement est claire. Nous avons évoqué le sujet ce matin en conseil de défense, mais une séance exceptionnelle sera dédiée la semaine prochaine au renforcement des mesures qui ont déjà été prises contre les cyberattaques.

L’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information est à la disposition des partis politiques et des candidats pour les conseiller. Nous prendrons d’autres mesures que nous vous annoncerons pour garantir l’intégrité de cette consultation populaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures vingt, sous la présidence de M. Marc Le Fur.)

Présidence de M. Marc Le Fur

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

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Sécurité publique

Commission mixte paritaire

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, du projet de loi relatif à la sécurité publique (n4466).

Présentation

M. le président. La parole est à M. Yves Goasdoué, rapporteur de la commission mixte paritaire.

M. Yves Goasdoué, rapporteur de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, monsieur le ministre de l’intérieur, monsieur le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, chers collègues, il m’incombe de faire le point sur les travaux de la commission mixte paritaire qui s’est réunie lundi après-midi au Sénat. Nous avons, avec le rapporteur nommé par le Sénat, François Grosdidier, qui s’est beaucoup investi dans l’élaboration de ce texte, fait un bon travail. Le dialogue entre les commissions des lois de l’Assemblée et du Sénat a été constructif et cela a permis à la CMP d’être « conclusive » – ce qui signifie dans notre jargon qu’un accord a été trouvé entre les deux chambres.

Les points de désaccord qui subsistaient ont été levés. Il s’agissait notamment du champ d’application du régime d’usage des armes défini dans un projet d’article modifiant le code de la sécurité intérieure, la question étant de savoir s’il devait ou non être étendu aux policiers municipaux – je reviendrai sur ce point. Il y avait également désaccord sur la procédure d’identification administrative des enquêteurs, appellation plus juste sur le plan juridique que celle d’anonymat, ou encore sur la définition de la sécurité périmétrique des établissements pénitentiaires.

Philippe Bas, président de la commission des lois du Sénat, a proposé en commission mixte paritaire une disposition visant à rétablir le délit de consultation habituelle de sites djihadistes. Cette proposition – je dois le dire en toute objectivité – a provoqué un débat très intéressant et suscité des réserves assez vives chez certains membres de la commission mixte paritaire. Cet amendement a cependant été adopté, ou plus exactement la commission mixte paritaire ne s’est pas opposée à son adoption.

Pour mémoire, cette infraction a été introduite par la loi renforçant la lutte contre le crime organisé du 3 juin 2016, contre l’avis du rapporteur du texte, Pascal Popelin – que je salue –, et de la majorité, dans le cadre d’un accord global élaboré en commission mixte paritaire.

Le président de la commission des lois du Sénat entendait tirer les conséquences d’une décision rendue par le Conseil constitutionnel le 10 février 2017. Par celle-ci le Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité – QPC –, a jugé que la création d’un tel délit portait atteinte à la liberté de communication et qu’elle n’était ni nécessaire, ni adaptée, ni proportionnée, ce qui, vous en conviendrez, mes chers collègues, laisse assez peu de portes d’entrée pour corriger ce texte.

Le président Bas s’y est néanmoins essayé en proposant un texte très travaillé, je dois le reconnaître, qui définit l’infraction en assortissant la consultation habituelle de sites djihadistes de la condition d’une manifestation d’adhésion à l’idéologie exprimée et d’une définition plus précise du motif légitime susceptible d’empêcher sa répression – informer si l’on est journaliste ou s’informer si l’on est parlementaire, par exemple.

Ce dispositif a été accepté et je vais vous dire ce que j’en pense en toute honnêteté, comme je l’ai fait en commission mixte paritaire. Je ne suis pas certain – qui peut l’être ? – qu’il résisterait à une nouvelle QPC mais je ne m’opposerai pas à son adoption parce que les garanties qui accompagnent ce texte sont telles qu’il ne peut plus nuire à grand monde, pour parler un peu simplement. Toute négociation en commission mixte paritaire doit faire la part du dialogue et celle des concessions réciproques des deux assemblées.

J’en viens au fond, éminemment plus important à mes yeux, et d’abord à l’extension de la nouvelle législation relative à l’usage des armes aux policiers municipaux. J’ai exactement la même position que vous, monsieur le ministre : il n’est pas possible d’étendre l’intégralité du régime défini par le nouvel article du code de la sécurité intérieure aux polices municipales, en particulier les dispositions relatives au « périple meurtrier » et je tiens à expliquer pourquoi aux Françaises et aux Français qui nous regardent.

Pour qu’il y ait périple meurtrier il faut qu’il y ait danger imminent de commission d’un nouveau crime par un individu en fuite ou en déplacement après avoir commis ou tenté de commettre un assassinat. Tout cela devrait donc être connu des membres des forces de l’ordre susceptibles de faire usage de leur arme. Quand on sait que presque aucune police municipale de France n’utilise la même boucle radio que la police nationale ou la gendarmerie nationale et ne peut donc disposer de telles informations, on ne propose pas ce genre de choses, même si on peut comprendre les policiers municipaux, exposés autant que les autres et au même titre que les autres.

En revanche, conscients de la portée symbolique de cette mesure, nous avons accepté que l’alinéa 1er de ce nouvel article, qui protège l’ensemble des forces de l’ordre et reprend les dispositions relatives à la légitime défense, soit étendu aux polices municipales.

S’agissant de l’identification administrative des enquêteurs exposés à des risques de représailles, le Sénat souhaitait que tous les délits et les crimes soient concernés. J’ai exposé longuement aux syndicats de police qu’une telle disposition serait un leurre, dans la mesure où elle portait une atteinte manifestement exagérée au principe du contradictoire ainsi qu’aux droits de la défense et qu’elle ne résisterait pas à la première QPC.

Il me semblait plus respectueux à leur égard et plus conforme à leurs attentes de les protéger au travers d’une mesure inattaquable sur le plan juridique. Cette mesure a donc été limitée, avec l’accord du Sénat, aux procédures portant sur un crime ou un délit puni d’au moins trois ans d’emprisonnement ou au cas où le mis en cause serait considéré comme particulièrement dangereux. Les conditions définies par notre assemblée ont été maintenues : l’autorisation doit être délivrée par un responsable hiérarchique « d’un niveau suffisant » – chacun pense aux commandants de groupement ou aux directeurs départementaux de la sécurité publique – et elle doit être motivée.

Concernant la sécurité périmétrique des établissements pénitentiaires, les sénateurs, se rangeant avec sagesse aux observations du garde des sceaux et à celles que j’ai pu leur faire parvenir par écrit, ont conservé la notion d’emprise foncière affectée au service public pénitentiaire, à l’exclusion des abords immédiats. Autoriser de tels contrôles dans les abords immédiats des établissements – qui recouvrent, dans les zones urbaines, la voie publique – serait risquer de mettre des personnels non formés en contact direct avec des publics qui n’ont rien à voir avec la prison.

Dernier point, qui n’est pas de détail, nous nous sommes mis d’accord pour supprimer l’article 9 ter, relatif à une ordonnance portant sur le blanchiment et le financement du terrorisme. Très honnêtement, le texte était trop compliqué ; les dispositions qu’il contenait auraient mérité un projet de loi dédié et auraient dû être soumises à l’examen des commissions des finances des deux chambres.

Ce projet de loi ne se limite pas à ces dispositions. Il vise aussi à protéger les citoyens. Il permet d’examiner la situation de personnes qui risqueraient d’exposer les autres de manière très particulière dans le domaine des transports. Il permet de renforcer le contrôle des personnes de retour de Syrie ou d’Irak. Il vise à rendre plus fluides les échanges d’informations entre le monde judiciaire et les services spécialisés de renseignement. Il permet aussi de protéger les jeunes qui reviennent de Syrie ou d’Irak. Ces jeunes sont-ils perdus pour la République ? Je crois que non. Devons-nous les garder à l’œil ? je crois que oui et ce texte le permet.

Enfin, il comporte une disposition assez méconnue, qui crée un statut hybride entre le statut de militaire et celui de stagiaire de la formation professionnelle. Je crois beaucoup dans ce dispositif : arriver à placer entre 75 et 80 % des jeunes en grande difficulté qui sont visés par cette mesure, c’est une réussite qu’il faut saluer. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Bruno Le Roux, ministre de l’intérieur. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, le projet de loi relatif à la sécurité publique a été adopté aussi bien par le Sénat que par l’Assemblée nationale, à une large majorité et au terme d’un débat constructif, marqué par le sens de l’intérêt général. Je vous en remercie.

Je veux d’emblée remercier le rapporteur Yves Goasdoué pour le travail remarquable qu’il a réalisé, ainsi que le président Dominique Raimbourg et l’ensemble des membres de la commission des lois – Pascal Popelin tout particulièrement – pour leurs contributions et leurs apports importants au texte. Je veux également remercier l’ensemble des députés qui ont participé à nos échanges, les orateurs des différents groupes, pour la qualité du débat auquel ce texte a donné lieu, ainsi que la quasi-totalité des textes relatifs aux questions de sécurité ou d’organisation de nos services – je pense en particulier aux divers projets de loi sur le renseignement dont nous avons pu débattre dans cet hémicycle.

Je veux donc souligner l’esprit républicain qui a prévalu une nouvelle fois, à l’Assemblée nationale comme au Sénat. Il va permettre l’adoption d’un texte qui, tout en intégrant certaines modifications, conserve l’équilibre fondamental sur lequel le Gouvernement souhaitait qu’il repose. De cela aussi je me réjouis et je vous remercie. C’était en effet un point important du projet de loi, dans la continuité des lois précédemment votées et des mesures prises par le Gouvernement depuis 2012 afin de renforcer les moyens humains, matériels et juridiques dont disposent nos forces de sécurité pour accomplir leurs difficiles missions.

Je l’ai dit à plusieurs reprises, ce projet de loi relatif à la sécurité publique se veut une réponse adaptée aux difficultés croissantes d’exercice du métier de policier, de gendarme et, plus généralement, de dépositaire de l’autorité publique, dans un contexte où la violence qui prend pour cible les représentants de l’État a franchi un palier que nul ne saurait contester. Ce contexte, il nous fallait en tenir compte, et c’est ce que nous avons fait avec ce texte.

Les engagements pris par le Gouvernement le 26 octobre 2016 en faveur des policiers et des gendarmes en charge de la protection et de la sécurité quotidiennes de nos concitoyens ont été tenus.

C’est le plan pour la sécurité publique, qui repose sur trois piliers cohérents. D’abord un pilier matériel, avec un grand plan d’investissement de 250 millions d’euros destinés à renforcer les armements et les équipements de protection, moderniser le parc automobile et réaliser les nécessaires travaux immobiliers ; un pilier juridique, avec ce projet de loi relatif à la sécurité publique, qui vise à renforcer encore la protection des policiers et des gendarmes et à mieux sécuriser leurs interventions sur un plan juridique. Le troisième pilier, non normatif, tiendra compte des concertations inédites menées au sein de la police et de la gendarmerie et inclura plusieurs mesures concernant le management et la reconnaissance du travail accompli par les effectifs. D’ici la fin du mois, je rendrai publiques ces nouvelles mesures en faveur de la police et de la gendarmerie.

Les engagements pris par le Président de la République sont donc tenus.

C’est ainsi que nous répondrons, j’en suis convaincu, aux difficultés auxquelles les forces de l’ordre sont confrontées au quotidien. C’est ainsi que nous leur apporterons la confiance, la reconnaissance, la sérénité qu’elles méritent et dont elles ont besoin pour accomplir leur devoir de façon plus apaisée et dans le strict respect des lois de la République.

À cet égard, vous comprendrez que je dise quelques mots du contexte dans lequel nous nous trouvons depuis maintenant plusieurs jours.

À Aulnay-sous-Bois, des actes d’une gravité et d’une violence aussi intolérables qu’exceptionnelles ont été commis sur un jeune homme par des policiers dans l’exercice de leurs fonctions. Ces actes, je les ai immédiatement condamnés ; les quatre policiers incriminés ont été immédiatement suspendus. La justice a été saisie et il lui revient désormais, et à elle seule, d’établir très clairement et sans aucune ambiguïté les conditions de l’interpellation qui a donné lieu à ces actes inacceptables.

Je veux à nouveau rappeler, avec gravité et solennité, le devoir d’exemplarité qui doit guider l’action des forces de sécurité, même – et surtout – lorsque la force et la contrainte légitimes doivent être employées. C’est dans le rapport respectueux entre les forces de sécurité, les forces de l’ordre et la population que notre pacte républicain puise toute sa force. Il n’y a à cela aucune alternative.

M. Pascal Popelin. Absolument !

M. Bruno Le Roux, ministre. Cela signifie que les forces de l’ordre doivent rester exemplaires et irréprochables et tout comportement qui n’obéit pas aux règles de l’éthique et de la déontologie doit être sanctionné. Car c’est aussi cela, l’État de droit.

M. Pascal Popelin et M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Très bien !

M. Bruno Le Roux, ministre. Oui, les forces de l’ordre doivent avoir un comportement irréprochable. Mais il n’est pas question à cette tribune de faire le moindre amalgame et de jeter l’opprobre sur toute une institution, pilier de la République. Aussi, je veux réaffirmer ma confiance aux 145 000 policiers et aux 100 000 gendarmes de notre pays, qui accomplissent leurs indispensables missions dans des conditions éprouvantes, parfois au péril de leur propre vie.

M. Gérard Bapt, M. Georges Fenech et M. Meyer Habib. Très bien !

M. Bruno Le Roux, ministre. Les violences urbaines commises en région parisienne qui prennent pour cibles des policiers, des véhicules, des bâtiments publics ou des commerces sont, à cet égard, absolument intolérables et je ne veux aucunement les tolérer.

Je veux rendre hommage aux effectifs mobilisés sur les opérations de maintien de l’ordre public. Notre fermeté ne souffrira aucun relâchement, afin de préserver tout simplement la tranquillité et la sécurité auxquelles nos concitoyens aspirent, dans les quartiers concernés comme sur l’ensemble du territoire national. C’est la raison pour laquelle des dispositifs adaptés continueront à être déployés aussi longtemps que nécessaire à ces endroits.

De même, l’enquête judiciaire ouverte après les actes commis à Aulnay-sous-Bois doit se poursuivre dans la sérénité et dans un climat apaisé. C’est essentiel pour que la vérité des faits puisse être précisément établie par la justice, dans la transparence et sans la moindre ambiguïté.

Je reviens au projet de loi tel qu’il a été voté et qui respecte l’équilibre que nous souhaitions. Je n’exposerai pas dans le détail les dispositions qui restaient en débat après les lectures qui ont eu lieu à l’Assemblée et au Sénat – M. le rapporteur l’a fait avec une précision laconique. Je voudrais toutefois insister sur cette notion d’équilibre qui a été au cœur de nos discussions. Certaines prises de position sur ce projet de loi m’amènent d’ailleurs à me demander si leurs auteurs ont seulement pris la peine de lire le texte et de suivre les travaux préparatoires et les débats du Parlement.

Sans présenter à nouveau le contenu de ce texte que vous connaissez, je me contenterai de rappeler les six axes qui le structurent, lui permettant d’ajouter des éléments particulièrement utiles à notre dispositif commun de sécurité.

Le premier axe que je veux mettre en exergue, c’est la modernisation et l’unification du cadre d’usage des armes, guidées par les principes dégagés par la jurisprudence. Je n’y reviens pas, si ce n’est pour indiquer que l’application de l’article 1er aux agents de police municipale est, je crois, un point final, propre à satisfaire chacun.

C’est ensuite une protection accrue des dépositaires de l’autorité publique, au travers de la préservation de leur identité, dans des conditions strictes et sous le contrôle des autorités judiciaires saisies des procédures. C’est, là encore, une avancée très sensible pour les policiers et les gendarmes.

Le troisième élément que je souhaite mettre en exergue, c’est le renforcement des peines sanctionnant certaines atteintes à l’autorité publique et plus largement au service public, qui a bénéficié des apports conséquents introduits au Sénat et à l’Assemblée nationale, ce dont le Gouvernement se félicite.

Le quatrième point concerne l’adaptation de certaines dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, qui vient finaliser les textes adoptés au cours du quinquennat. Je pense que ce texte n’est pas un point final et qu’il nous faudra sans cesse adapter notre réponse, notre posture et nos moyens. Les majorités parlementaires qui succéderont à la majorité actuelle devront continuer à évaluer en permanence, non seulement la menace mais également les moyens qui doivent être mis en œuvre pour la juguler et faire en sorte que notre démocratie sorte toujours victorieuse de la confrontation avec le fondamentalisme et le terrorisme. Durant cette législature, et à nouveau au travers de ce texte, nous avons mis en place un dispositif qui permet à nos services de prendre en charge de la meilleure façon possible la menace qui pèse sur notre pays.

Le cinquième point que je souhaite mettre en exergue est l’évolution de certaines missions de l’administration pénitentiaire dans un souci de complémentarité avec les forces de sécurité intérieure et avec l’appui du garde des sceaux – c’est, là encore, un élément essentiel du texte qui est soumis à votre approbation.

Enfin, le sixième point concerne la complémentarité accrue des différents acteurs de la sécurité, dans le souci permanent de ne jamais induire de confusion dans les rôles et les missions de chacun. Chacun a sa place dans la production de la sécurité dans notre pays : à côté des forces qui dépendent de l’État – police, gendarmerie, forces de sécurité civile, sapeurs-pompiers –, nous reconnaissons aux polices municipales une place toute particulière dans l’exercice strict des missions qui sont les leurs. Je veux saluer le travail qu’elles mènent dans des conditions diverses sur les différents territoires de notre pays.

Pour conclure, je veux à nouveau me féliciter de l’esprit de consensus dans lequel nous avons œuvré collectivement sur ce texte de loi. Ce faisant, nous avons contribué à garantir et à sanctuariser ce que j’appelle « le socle commun de sécurité » qui est nécessaire à notre pays dans les temps présents et pour les années qui viennent. Il y a bien sûr entre nous des approches différentes mais nous pouvons nous retrouver sur l’essentiel, et c’est ce que nous avons fait avec ce texte de loi. Une nouvelle fois, je veux en remercier l’ensemble de votre assemblée. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain, du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Meyer Habib.

M. Meyer Habib. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le présent projet de loi vise à clarifier et sécuriser le régime juridique applicable à nos forces de l’ordre dans l’accomplissement de leur mission : assurer la sécurité de nos concitoyens, première des libertés.

En effet, le contexte a changé ces dernières années. Il s’est aggravé. Policiers, gendarmes mais aussi douaniers et personnels pénitentiaires font face à une menace terroriste particulièrement élevée, dont ils sont l’une des cibles privilégiée, sur fond de propagation d’un islam politique virulent. Cible privilégiée des djihadistes, policiers et gendarmes sont aussi confrontés à un crime organisé qui n’hésite plus, hélas, à ouvrir le feu. Au quotidien, ils font face à une délinquance de plus en plus violente. En témoignent, par exemple, les scènes terrifiantes qui se sont déroulées à Viry-Châtillon en octobre dernier où quatre de nos policiers ont été visés par des cocktails Molotov.

Le groupe Union des démocrates et indépendants se félicite donc que, après une lecture au sein de chaque assemblée, la commission mixte paritaire ait pu aboutir à un texte de compromis qui préserve l’essentiel du projet et loi et y apporte quelques compléments utiles.

Parmi les contributions notables du travail en commission mixte, notre groupe soutient le rétablissement du délit de consultation de sites internet djihadistes, mesure que nous avions déjà soutenue lors de l’examen du projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé. La récente décision du Conseil constitutionnel de censurer cette disposition nous laisse cependant craindre que ce texte subisse, hélas, le même sort.

S’agissant la disposition phare du projet de loi, la refonte du régime de légitime défense et l’alignement des règles applicables aux policiers et aux gendarmes, elle est indispensable si nous voulons que nos forces de l’ordre puissent assurer leur mission avec efficacité face aux évolutions du contexte dans lequel ils déploient leur action.

Amendement défendu par le groupe UDI, l’extension aux polices municipales d’une partie du cadre commun d’emploi des armes à feu par la commission mixte paritaire est accueillie avec satisfaction par notre groupe, monsieur le ministre.

C’est un fait : les polices municipales, complément indispensable des forces de police et de gendarmerie, représentent la troisième force de sécurité du pays. Les policiers municipaux doivent avoir les moyens d’intervenir en cas de menace imminente pour la sécurité de nos concitoyens. Cette extension était donc nécessaire, même si nous regrettons qu’elle se limite au premier cas prévu par l’article 1er, en excluant le cinquième, qui concerne le périple meurtrier, à rebours de ce que j’avais suggéré par un amendement en première lecture.

Notre groupe se félicite également que la commission mixte paritaire ait conservé une mesure, adoptée à l’initiative de mon collègue Francis Vercamer et du groupe UDI, qui facilite la mutualisation des polices municipales.

J’en viens à la question de la prévention des actes de terrorisme dans les transports en commun. Le projet de loi prévoit la possibilité de faire précéder d’enquêtes administratives les décisions de recrutement et d’affectation dans les entreprises de transport. Nous soutenons cette mesure utile qui contribuera à assurer la protection de nos concitoyens en permettant de détecter et de contrôler la présence de personnes dangereuses dans ces entreprises. Toutefois, nous déplorons que cette mesure reste incomplète et timide. En effet, dans sa mouture actuelle, le texte ne permet pas d’informer directement les employeurs de l’inscription de certains employés au fichier « S », à l’inverse de ce qu’a proposé le groupe UDI à plusieurs reprises.

Dans ce même objectif de protection de la population, ce projet de loi aurait pu être l’occasion d’améliorer l’indispensable partage d’informations entre maires et préfets.

À ce jour, les maires, pourtant autorités de police, n’ont pas accès à l’ensemble des informations utiles, notamment au fameux fichier « S ». Concrètement, un maire peut aujourd’hui recruter à son insu un agent radicalisé, fiché « S », dans un service municipal, une école par exemple. Notre groupe estime que c’est une faille sérieuse et regrette fortement que ses propositions, défendues par Yves Jégo en première lecture, n’aient pas été entendues.

J’en viens enfin aux dispositions relatives à l’encadrement du retour sur le territoire national de mineurs provenant de théâtres de djihad, en Syrie ou en Irak notamment, dans un contexte de recul et de défaite inéluctable, à court ou moyen terme, de l’État islamique dans les prochains mois. Je rappelle que ce sont près de quatre cents mineurs qui pourraient rentrer en France en provenance de la seule Syrie. Certes, ce projet de loi prévoit la mise en œuvre à titre expérimental d’un dispositif qui permettra aux juges pour enfants de prononcer cumulativement une décision de placement auprès de l’aide sociale à l’enfance et une mesure d’assistance éducative en milieu ouvert. Nous accueillons évidemment très favorablement cette mesure. Aucun enfant ne naît terroriste. Aucun enfant ne naît djihadiste. Chaque enfant a droit à une chance.

Le groupe UDI regrette toutefois qu’on ne soit pas allé plus loin encore dans ce domaine. Nous estimons en effet que la sécurité de nos concitoyens nécessite la mise en place d’une interdiction pure et simple de retour sur le territoire national pour les individus jugés particulièrement dangereux, assortie le cas échéant de la déchéance de nationalité. Cette proposition a été rejetée par le Gouvernement.

En conclusion, monsieur le ministre, si ce texte aurait pu et aurait dû aller plus loin, il permet des avancées certaines en renforçant les moyens de nos forces de l’ordre. À mon tour, je salue l’esprit républicain qui a présidé  l’examen  de ce texte. Aussi, le groupe UDI soutiendra le texte de la commission mixte paritaire.

M. Jacques Bompard. Très bien.

M. le président. La parole est à M. Olivier Falorni.

M. Olivier Falorni. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la menace terroriste croissante mais aussi les nombreuses violences auxquelles notre pays doit faire face imposent au législateur que nous sommes de prendre nos responsabilités, toutes nos responsabilités, et les mesures nécessaires afin d’assurer la sécurité de nos concitoyens dans le respect de leurs droits et de leurs libertés.

Nous nous retrouvons donc aujourd’hui afin d’examiner le projet de loi relatif à la sécurité publique telle qu’issu de l’accord entre sénateurs et députés trouvé  en commission mixte paritaire. Si nous ne pouvons qu’être satisfaits qu’un accord ait pu être trouvé sur un sujet aussi important et délicat pour la sûreté de notre pays et de ses habitants, de surcroît à une semaine de la suspension de nos travaux, nous ne pouvons nous empêcher d’envisager le texte dans son ensemble et d’exprimer quelques craintes sur le dispositif que nous nous apprêtons à voter.

J’ai déjà pu exprimer ma satisfaction quant au renforcement des mesures pénitentiaires, notamment des dispositions en matière de contrôle et de retenue de membres des équipes de sécurité pénitentiaire en vue de sécuriser les abords des prisons, du renforcement du délit de communication irrégulière avec un détenu, conformément à la décision du Conseil constitutionnel du 24 janvier 2017, ou encore de la clarification des conditions de mise en œuvre du renseignement pénitentiaire.

Nous nous accordons sur le fait que ce texte de cohérence, sur le modèle des textes en vigueur dans de nombreux pays voisins, permettra la mise en place d’un cadre d’usage des armes commun aux policiers et gendarmes, ainsi qu’aux douaniers et militaires déployés sur le territoire national.

L’ensemble de ces forces de l’ordre ont été mises à contribution et confrontées à des situations plus que délicates. Il est donc important de leur rendre justice à ce stade et de leur garantir, dans le cadre de l’exercice de ces fonctions, une protection renforcée, sans ignorer que la force, dont l’usage est théoriquement le monopole de la puissance publique, doit toujours être utilisé à bon escient. Rappelons-nous de la célèbre pensée de Blaise Pascal : « Tous les efforts de la violence ne peuvent affaiblir la vérité et ne servent qu’à la relever davantage. » Notre pays, nos concitoyens ont besoin de sécurité et de vérité, de vérité et de sécurité.

Monsieur le ministre, vous avez indiqué, avec raison, que vous ne cacheriez rien et que, dans le cas où des actes délictueux voire criminels auraient été commis par des policiers, ils seront sanctionnés. Cela n’empêche pas de réaffirmer, comme je le fais du haut de cette tribune, notre soutien aux forces de sécurité qui œuvrent chaque jour pour nous protéger.

Je veux enfin évoquer la réintroduction du délit de consultation des sites djihadistes. À titre personnel, j’y suis totalement favorable. Néanmoins, je veux exprimer ici une inquiétude.

Ce dispositif, qui avait été introduit par la loi du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, avait été censuré par le Conseil constitutionnel au motif que la Déclaration des droits de l’homme de 1789 prévoit « la libre communication des pensées et des opinions », principe impliquant la liberté d’accéder à l’internet.

De plus, pour le Conseil constitutionnel, cette disposition empêcherait « le citoyen d’une démocratie de se former une opinion justifiée sur l’une des menaces les plus graves qui pèsent sur notre société, sur sa nature et sur ses formes » et ne pouvait donc être déclarée conforme à la Constitution.

Je souhaite vraiment que la nouvelle proposition d’article 421-2-5-2 du code pénal puisse satisfaire au contrôle du Conseil constitutionnel, même si la condition positive – la manifestation de l’adhésion à l’idéologie – et la condition négative – l’absence de motif légitime – m’apparaissent difficiles à réunir – je souhaite me tromper.

En regrettant au nom du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste que le débat fécond que nous avons eu la semaine dernière dans cet hémicycle se soit heurté à l’inflexibilité du Sénat, je voterai toutefois, à titre personnel, en faveur de ce qui est un bon texte. À travers ce vote, je veux une nouvelle fois, monsieur le ministre, exprimer tout mon soutien à nos forces de sécurité. (Applaudissements sur tous les bancs.)

M. le président. La parole est à M. Marc Dolez.

M. Marc Dolez. Monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte élaboré par la commission mixte paritaire que nous examinons cet après-midi remet en cause, selon nous, l’équilibre du texte tel qu’il a été adopté en première lecture par notre assemblée et sur lequel notre groupe s’est abstenu.

De fait, comme je l’ai indiqué alors, nous nous interrogeons sur l’utilité et la portée d’un cadre commun d’usage des armes pour les policiers, les gendarmes, les douaniers et les militaires déployés sur le territoire national et exerçant des missions de sécurité intérieure. La jurisprudence nationale et européenne a, en effet, déjà considérablement unifié le régime applicable à la police et à la gendarmerie en exigeant notamment que soient réunis les critères d’absolue nécessité et de proportionnalité, quel que soit le cas de recours aux armes. Comme le souligne l’Union syndicale des magistrats au vu de la jurisprudence, « la différence de régime juridique apparaît purement théorique et dépourvue d’incidence pratique ».

Le dispositif proposé risque en outre de complexifier le régime juridique de l’usage des armes et de donner l’illusion aux policiers qu’ils peuvent y recourir plus facilement, alors que les principes de la légitime défense – absolue nécessité et stricte proportionnalité – restent et resteront, bien sûr, primordiaux.

Pour notre part, et c’est là le point essentiel de notre désaccord, nous restons fermement opposés à toute extension du dispositif aux fonctionnaires de police municipale et déplorons que cette disposition ait été introduite dans le texte issu de la CMP. Les missions de la police municipale et de la police nationale sont, en effet, diamétralement différentes, la police municipale n’est pas placée sous la même autorité hiérarchique que les policiers et les gendarmes et leurs régimes juridiques doivent donc, en toute logique, demeurer séparés. Malgré les explications fournies par notre rapporteur, nous estimons que cette extension à la police municipale rompt l’équilibre judicieux qui avait été trouvé par notre commission des lois. Cela conduira notre groupe à se prononcer contre l’ensemble du texte.

Pour ce qui concerne en outre la protection de l’identité des agents de la police et de la gendarmerie, nous restons tout aussi interrogatifs quant à l’extension de l’anonymat à de nombreuses procédures, alors qu’il est aujourd’hui limité aux questions de terrorisme et aux unités spécialisées. Les conditions de délivrance de l’autorisation par un supérieur hiérarchique et l’étendue du champ d’application de cette mesure ne nous semblent pas permettre de garantir réellement le caractère exceptionnel de l’anonymat, qu’exige pourtant le respect des droits de la défense.

Telles sont, monsieur le président, mes chers collègues, les raisons pour lesquelles les députés du Front de gauche voteront contre le texte élaboré par la commission mixte paritaire.

M. André Chassaigne. Excellente dernière intervention de M. Dolez !

M. Jean-Luc Laurent. Je souscris !

M. Pouria Amirshahi. Quel bouquet final !

M. le président. La parole est à M. Pascal Popelin.

M. Pascal Popelin. Monsieur le président, monsieur le ministre de l’intérieur, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous voici donc au terme du processus d’examen du projet de loi relatif à la sécurité publique, dernier grand texte d’une législature marquée par un contexte de violence terroriste inédit. Nous nous apprêtons ainsi à ajouter une pierre à l’édifice législatif que nous avons bâti, densifié et enrichi avec constance et engagement durant les cinq dernières années pour garantir à nos compatriotes les meilleures conditions de protection possibles. Nous aurons ainsi, à six reprises, approfondi notre droit pour permettre à nos forces de gagner en efficacité et en célérité.

À chaque exercice budgétaire, nous avons parallèlement renforcé les moyens humains et matériels de la police et de la gendarmerie, d’une part pour leur offrir des conditions de travail plus dignes et plus sûres et d’autre part pour leur permettre de mieux combattre toutes les formes de délinquance qui empoisonnent la vie et le quotidien de nos concitoyens. En conscience, et avec le regard de celui qui a directement participé à l’ensemble de ce travail, j’en assume l’ampleur, qui était nécessaire, et je revendique la préoccupation, qui nous a guidés en permanence, du respect de l’État de droit.

Cela m’inspire deux réflexions. La première est en forme de mise en garde : aussi riches et complets que soient les dispositifs que nous avons adoptés, aussi conséquents et inédits que soient les moyens que nous avons déployés, gardons à l’esprit que le droit fondamental à la sécurité et la restauration de l’autorité de l’État devront continuer de faire demain l’objet d’une attention renforcée.

Beaucoup reste à faire, notamment pour ce qui concerne les nécessaires liens de confiance et de respect mutuel qui, comme vous l’avez dit, monsieur le ministre, doivent unir les forces de l’ordre et une population dans toute sa diversité. Rien ne serait donc pire que de démembrer demain ce que nous avons construit et consolidé ensemble avec le souci de la cohésion et d’un consensus qui reste à conforter.

L’esprit de cohésion et de consensus, tel est précisément le second élément sur lequel je souhaite insister. Sur ces questions sensibles, au-delà de nos différences, nos débats ont toujours été commandés par la volonté d’avancer. Cet état d’esprit tranche heureusement avec les effets de tribune, que chacun devrait songer à bannir une bonne fois pour toutes.

M. Jean-Luc Laurent. Très juste !

M. Pascal Popelin. Issu de l’accord que nous avons trouvé avec les sénateurs lors de la commission mixte paritaire qui s’est tenue lundi dernier, ce texte s’inscrit dans cette continuité. La philosophie initiale proposée par le Gouvernement demeure. Le souci d’aboutir nous a toutefois conduits, comme vous l’avez précisé, monsieur le rapporteur, à intégrer certaines dispositions qui, sans nécessairement emporter la pleine adhésion du groupe socialiste, écologiste et républicain, ne constituaient pas un point d’achoppement rédhibitoire.

Je pense à cet égard à l’intégration partielle des polices municipales dans la nouvelle doctrine d’emploi des armes applicable aux agents de l’État. Nous ne pouvons mésestimer les dangers auxquels sont exposés, eux aussi, ces fonctionnaires territoriaux. L’accord trouvé prévoit d’autoriser le bénéfice de ce cadre rénové dans les seuls cas mentionnés au premier alinéa de l’article L.435-1 du code de la sécurité intérieure créé par le présent texte, c’est-à-dire « lorsque des atteintes à la vie ou à l’intégrité physique sont portées contre eux ou contre autrui ou lorsque des personnes armées menacent leur vie ou leur intégrité physique ou celles d’autrui ». Cet ajout ne produit donc, en droit, aucun élément nouveau, sinon dans son rattachement juridique. Admettons-en néanmoins la valeur symbolique.

Nous avons par ailleurs unanimement fait le choix de ne pas retenir l’amendement du Gouvernement transcrivant une ordonnance sur le blanchiment d’argent prise en application des dispositions de la loi du 3 juin 2016. La méthode retenue pour proposer une transcription de cette ampleur était, convenez-en, excessivement cavalière. Cette ratification devra être revue, avec des délais d’examen acceptables.

Nous avons enfin accepté – du bout des lèvres et après vote – de rétablir le délit de consultation habituelle de sites djihadistes, déclaré récemment non conforme à la Constitution. Nous estimons en effet que ce délit spécifique n’apporte rien, puisque cet élément est déjà constitutif du délit d’entreprise individuelle à caractère terroriste que nous avions créé dans la loi du 13 novembre 2014. Nous pensons même qu’il peut fragiliser les procédures qui s’appuieraient sur cette disposition. Nous n’avons pas été convaincus par l’utilité et la fiabilité de la nouvelle rédaction introduite. Il n’y avait néanmoins pas matière à ce que nos travaux échouent à cause de ce seul point, sur lequel il ne fait aucun doute que le juge constitutionnel sera de nouveau appelé à se prononcer.

En dépit de ces quelques réserves, qui ne chamboulent en rien l’équilibre et les progrès que réalise ce texte attendu et utile, le groupe socialiste, écologiste et républicain apporte son soutien à l’écriture finale soumise à notre vote aujourd’hui. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Georges Fenech.

M. Georges Fenech. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous nous apprêtons aujourd’hui à voter définitivement le projet de loi relatif à la sécurité publique, la commission mixte paritaire étant parvenue à trouver un accord lundi, ce dont je me félicite.

Je le dis d’emblée : le groupe Les Républicains votera en faveur de ce projet de loi.

M. Pouria Amirshahi. Rien d’étonnant.

M. Georges Fenech. Ce texte prévoit en effet des outils juridiques utiles et attendus, apportant enfin un début de réponse à la question majeure de la protection des policiers.

Il n’y a aucun mal à changer d’avis et, en l’espèce, nous sommes ravis que vous l’ayez fait à propos du cadre d’usage des armes, qui sera désormais commun aux agents de la police nationale et aux militaires de la gendarmerie nationale. Nous déplorons toutefois le temps perdu au détriment de la sécurité des Français et des forces de l’ordre elles-mêmes.

Nous sommes par ailleurs rassurés qu’une nouvelle politique pénale de la chancellerie ait enfin permis à l’autorité judiciaire de transmettre aux services spécialisés de renseignement des informations issues de procédures ouvertes en matière de terrorisme. Cela permettra de partager cette information avec l’ensemble des services de renseignement chargés de la prévention du terrorisme.

Il fallait en effet ouvrir cette fenêtre sur le secret de l’instruction pour permettre aux services de renseignement de disposer d’éléments issus même du dossier d’instruction et qui jusqu’alors ne pouvaient pas être transmis pour exploitation. C’était là l’une des demandes pressantes formulées notamment par M. Patrick Calvar, directeur général de la sécurité intérieure, lors de son audition par la commission d’enquête que j’ai présidée – et dont je tiens à saluer les membres ici présents, MM. Popelin, Falorni, Laurent et Habib, qui nous ont accompagnés durant ces travaux.

Autre motif de satisfaction, le texte prévoit des dispositions salutaires pour la protection de l’identité des enquêteurs et des agents de l’État, qui pourront agir en préservant leur anonymat pour la prévention d’actes de terrorisme.

Enfin, la CMP a prévu la réintroduction du très nécessaire délit de consultation des sites internet faisant l’apologie du terrorisme. Quand on sait que probablement 90 % de la radicalisation se produit par le biais d’Internet – c’est un ordre de grandeur mais il est certainement proche de la réalité…

M. Olivier Falorni. Eh oui !

M. Georges Fenech. … – la suppression de ce délit à la suite de la censure prononcée par le Conseil constitutionnel était véritablement regrettable. Le nouveau texte issu de la CMP répond aux objections, par ailleurs fondées, du Conseil constitutionnel en renforçant la validité juridique de ce dispositif, notamment en imposant aux enquêteurs la nécessité non seulement de démontrer la simple consultation des sites djihadistes mais aussi d’apporter des preuves de radicalisation, de prosélytisme et d’allégeance à l’idéologie de Daech.

Nous déplorons, en revanche, les lacunes de ce texte, qui nous offrait une toute dernière opportunité de donner aux forces de sécurité intérieure et aux autres acteurs de la sécurité des moyens à la hauteur de la situation exceptionnelle que notre pays traverse.

Je pense à l’extrême timidité des avancées relatives aux polices municipales, qui jouent pourtant un rôle central en matière de sécurité publique – les quelque 20 000 policiers municipaux que compte notre pays sont en effet en permanence sur le terrain. Nous étions favorables, je le rappelle, à l’extension à la police municipale du régime unifié des armes applicable à la police et à la gendarmerie mais cela n’a pas été votre choix.

Je pense également au manque d’outils permettant à l’administration pénitentiaire de faire face à la radicalisation croissante en prison et de lutter plus efficacement contre le prosélytisme islamiste radical.

Je pense aussi au volume des missions périphériques que les forces de l’ordre accomplissent au détriment de leur mission première qu’est la sécurité des Français. Je pense enfin à votre refus, que je regrette, de simplifier la procédure pénale, pourtant devenue de plus en plus complexe et chronophage, au détriment de l’efficacité des enquêtes.

Au bout du compte, monsieur le ministre, vous aurez compris que, pour nous, les faiblesses de ce texte ne tiennent pas tant à ce qu’il contient qu’à ce qu’il ne contient pas, lacunes qu’une autre majorité devra un jour combler. Toutefois, conformément à l’esprit de responsabilité qui nous a toujours guidés – je vous rappelle que nous avons voté les quatre précédentes lois renforçant la lutte contre le terrorisme –, les députés du groupe Les Républicains apporteront leur entier soutien à ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Meyer Habib. Très bien !

M. le président. La discussion générale est close.

Sur l’ensemble du projet de loi, je suis saisi par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

La parole est à M. le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Dominique Raimbourg, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. La réintroduction du délit de consultation habituelle d’un site terroriste a soulevé quelques interrogations sur la régularité de cette procédure, certains estimant qu’il ne serait pas possible d’introduire ce nouveau délit à ce stade de la procédure, en vertu ce que nous appelons dans notre jargon la « règle de l’entonnoir », selon laquelle il n’est plus possible de revenir en arrière à ce stade de la procédure.

En réalité il est toujours possible de revenir en arrière dès l’instant où cela vise à assurer la constitutionnalité d’une disposition en réponse à une censure du Conseil constitutionnel. En l’occurrence, c’est M. le président de la commission des lois du Sénat qui a rétabli ce délit. Il est, en application de nos règlements, le juge de la constitutionnalité et il a visé la jurisprudence du Conseil constitutionnel : la procédure est irréprochable.

Je le dis avec d’autant plus de détachement que je suis opposé à cette mesure et que je considère, comme l’a indiqué Pascal Popelin, que la réintroduction de ce délit est inutile. En effet, ce délit ne trouvera pas à s’appliquer parce qu’il sera très difficile de caractériser la manifestation d’adhésion de celui qui consulte ces sites. Par ailleurs, les délits d’apologie du terrorisme et d’entreprise terroriste individuelle suffisent largement pour couvrir tous ces faits.

Quoi qu’il en soit, la commission a procédé à un vote et ma position, partagée par un certain nombre de mes collègues, a été mise en minorité. Mais, bien évidemment, c’est l’ensemble du texte qui importe et je souhaitais préciser que la procédure parlementaire était parfaitement régulière.

M. Jean-Luc Laurent. On aurait dû réintroduire le récépissé !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bruno Le Roux, ministre. Je souhaite remercier chacun des orateurs des différents groupes qui ont annoncé qu’ils voteraient ce texte. Les réserves qu’ils ont formulées, et que j’ai entendues, démontrent que, si ce texte peut ne pas les satisfaire dans sa totalité, il contribuera à l’édification du socle de sécurité constitué de ce que nous avons voté durant cette législature. Je voudrais les remercier de la façon la plus sincère de leur volonté de consolider ce socle en votant ce texte.

Je ne veux pas faire comme si je n’avais pas entendu la remarque du président Chassaigne. Je souhaite donc adresser un mot particulier à celui dont vous avez dit qu’il intervenait aujourd’hui pour la dernière fois dans l’hémicycle.

En 1997, monsieur Dolez, lorsque vous êtes revenu à l’Assemblée – je venais pour ma part d’être élu –, nous siégions dans le même groupe politique.

M. Marc Dolez. Absolument !

M. Bruno Le Roux, ministre. C’est donc à titre amical plus que comme ministre de l’intérieur que je veux vous saluer – même si le ministre de l’intérieur a vocation à reconnaître les parcours de ceux qui se sont investis dans la défense de l’intérêt général.

M. Jean-Luc Laurent. Très bien !

M. Bruno Le Roux, ministre. La force de conviction et la maîtrise du droit dont vous avez fait preuve dans cet hémicycle ont beaucoup servi, et à votre département, et à vos électeurs et aux débats que nous avons eus ici. Soyez en remercié.(Applaudissements sur tous les bancs.)

Vote sur l’ensemble

M. le président. Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi, compte tenu du texte de la commission mixte paritaire.

(Il est procédé au scrutin.)

Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants40
Nombre de suffrages exprimés39
Majorité absolue20
Pour l’adoption34
contre5

(L’ensemble du projet de loi est adopté.)

M. le président. Avant de suspendre la séance pour quelques instants, je salue à mon tour mon collègue et ami Marc Dolez.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures vingt, est reprise à dix-sept heures vingt-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

3

Ratification d’ordonnances relatives à la collectivité de Corse

Nouvelle lecture

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, en nouvelle lecture, du projet de loi ratifiant les ordonnances n2016-1561 du 21 novembre 2016 complétant et précisant les règles budgétaires, financières, fiscales et comptables applicables à la collectivité de Corse, n2016-1562 du 21 novembre 2016 portant diverses mesures institutionnelles relatives à la collectivité de Corse et n2016-1563 du 21 novembre 2016 portant diverses mesures électorales applicables en Corse (nos 4468, 4478).

Présentation

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales.

M. Jean-Michel Baylet, ministre de l’aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République – cher Dominique Raimbourg –, monsieur le rapporteur – cher François Pupponi –, mesdames et messieurs les députés, le 9 février dernier, vous avez adopté, en première lecture, le projet de loi de ratification de trois ordonnances prises sur le fondement de l’article 30 de la loi n2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite « loi NOTRe », qui institue la collectivité de Corse. Cette nouvelle collectivité à statut particulier, au sens de l’article 72 de la Constitution, se substituera à la collectivité territoriale de Corse et aux deux départements de Haute-Corse et de Corse-du-Sud au 1er janvier 2018.

Le 26 janvier dernier, le Sénat a rejeté le projet de loi de ratification dans une séance pour le moins chaotique, au cours de laquelle nous avons pu assister à quelques manœuvres sur lesquelles je préfère ne pas revenir…

M. Jean-Luc Laurent. Ça le mériterait pourtant !

M. Jean-Michel Baylet, ministre. … mais dont l’intérêt de la Corse et des Corses n’étaient pas la priorité, c’est le moins que l’on puisse dire.

Le 13 février dernier, sans surprise, la commission mixte paritaire n’a donc pu que constater l’ampleur du désaccord. L’Assemblée nationale avait pourtant repris les correctifs de la commission des lois du Sénat, qui amélioraient la rédaction des articles concernés des deux ordonnances institutionnelle et financière.

Je souhaite vous dire à nouveau, mesdames et messieurs les députés, que je demeure fidèle à une ligne de conduite définie depuis le début. Je veux m’extraire de tout débat politique préélectoral pour achever, dans les meilleures conditions et, si ce n’est dans le consensus, du moins dans la sagesse, le travail législatif qui est le mien et qui se résume à ceci : la loi NOTRe a défini les principes généraux de la création d’une collectivité unique en Corse en 2018 et renvoyé à trois ordonnances les modalités pratiques, institutionnelles, financières et électorales de sa création. Tel est l’objet du projet de loi de ratification que vous examinez aujourd’hui en nouvelle lecture, après l’avoir approuvé en première lecture jeudi dernier.

Je rappelle donc que l’article 1er ratifie l’ordonnance n2016-1561 du 21 novembre 2016 complétant et précisant les règles budgétaires, financières et comptables applicables à la collectivité de Corse ; l’article 2 ratifie quant à lui l’ordonnance n2016-1562 du 21 novembre 2016 portant diverses mesures institutionnelles relatives à la collectivité de Corse ; enfin, l’article 3 ratifie l’ordonnance n2016-1563 du 21 novembre 2016 portant diverses mesures électorales applicables en Corse.

À cette étape, mesdames et messieurs les députés, je souhaite seulement insister sur deux points fondamentaux.

Le calendrier de ratification tout d’abord. Conformément à la Constitution, il est en effet indispensable de ratifier ces ordonnances qui ont été publiées dans les délais légaux, le 22 novembre 2016. Si nous ne le faisions pas, elles disparaîtraient de l’ordre juridique, ce qui interdirait la création de la collectivité unique – d’aucuns, sur certains bancs, le souhaitent peut-être. Par ailleurs, la fin de la législature nous contraint à les ratifier désormais le plus rapidement possible.

J’insiste, en second lieu, sur le contexte même de la création de cette collectivité unique. Celle-ci résulte avant tout d’une forte volonté des élus corses qui en ont voté le principe à l’Assemblée de Corse, en 2014, à une large majorité et toutes tendances confondues mais, aussi, d’une demande des Corses eux-mêmes, à l’évidence conscients de l’intérêt à concentrer sur leur territoire une gouvernance qui améliorera, à moindre coût, les services publics.

Au-delà du consensus politique – qui est toujours souhaitable, en particulier sur de tels sujets – j’ajouterai que les parlementaires corses avaient déposé un certain nombre d’amendements tendant à améliorer le fonctionnement de la collectivité territoriale, lesquels n’avaient pu être examinés lors des débats de la loi NOTRe.

Je me suis donc attaché, en 2016, à co-construire ces ordonnances avec l’ensemble des élus concernés sans les limiter au strict champ d’habilitation législative. Cela nous a permis, au cours d’un long et fructueux travail collectif, d’intégrer la plupart de ces amendements, monsieur le député Camille de Rocca Serra – puisque vous en étiez quasiment le seul auteur – lesquels, j’en suis convaincu, amélioreront effectivement le fonctionnement de l’institution et le rendront plus opérationnel et plus simple.

Ainsi, la future collectivité de Corse exercera, avec une Assemblée et un conseil exécutif légèrement plus important, les compétences des départements et de l’actuelle collectivité territoriale de Corse. Une chambre des territoires, à Bastia, permettra de mieux coordonner l’action publique et la solidarité financière entre la collectivité de Corse, les communes et leurs intercommunalités. L’équilibre des pouvoirs sera maintenu entre les deux villes-préfectures.

Enfin – j’insiste à chaque étape sur l’un des aspects les plus importants de ces ordonnances : les garanties de maintien des conditions de statut et d’emploi des personnels sont réaffirmées – les présidents de la collectivité territoriale et des conseils départementaux, qui ont tenu à rassurer les personnels sur leur avenir, l’ont publiquement rappelé et ils ont bien fait.

Voilà, mesdames et messieurs les députés, le contexte et le contenu de ce projet de loi de ratification que je vous demande, au nom du Gouvernement, de bien vouloir approuver. Si tel est le cas – ce que je souhaite – il permettra la mise en œuvre de cette nouvelle collectivité et donnera aux Corses la maîtrise de leur avenir et de celui de leur île. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

M. François Pupponi, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Très bien !

M. le président. La parole est à M. François Pupponi, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. François Pupponi, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici une nouvelle fois réunis dans cet hémicycle pour terminer – peut-être, monsieur le ministre – un long marathon qui a commencé voilà quelques années afin qu’une collectivité unique voie le jour en Corse en remplacement de l’actuelle collectivité territoriale et des deux conseils départementaux de Haute-Corse et de Corse-du-Sud.

L’aboutissement de cette ancienne revendication de nombreux Corses n’a pas été de soi : le processus a été engagé lors du fameux accord de Matignon, puis, 51 % des Corses, en 2003, ont refusé cette proposition lors d’un référendum…

M. Jean-Luc Laurent. Le peuple souverain s’est exprimé ! C’était une très bonne chose !

M. François Pupponi, rapporteur. …merci mon cher collègue…, puis, le processus a enfin repris quelques années plus tard à la demande de la collectivité territoriale de Corse dans le cadre du processus parlementaire lié à la loi NOTRe. Le Gouvernement a entendu le vœu légitime de la collectivité territoriale de Corse et a donc décidé d’introduire en son article 30 cette collectivité unique en remplacement des trois entités que j’ai citées.

Ensuite – et c’est tout à votre honneur, monsieur le ministre – il fallait respecter les délais et ce n’était pas gagné…

M. Jean-Michel Baylet, ministre. C’est sûr !

M. François Pupponi, rapporteur. …de proposer une loi de ratification pour mettre en place une telle collectivité tout en respectant bien entendu le processus parlementaire dans le cadre bien défini de la fin de cette mandature. Avec les élus corses et l’ensemble des partenaires chargés de ce dossier, vous avez redoublé d’énergie – mais nous n’étions pas inquiets – pour faire en sorte que les trois ordonnances soient rédigées, validées – elles l’ont été par l’Assemblée de Corse – puis soumises au Parlement.

Nous savons que quelques secousses se sont fait entendre il y a quelques semaines – le contexte électoral national mais, également, régional, a peut-être suscité telle ou telle prise de position mais tout cela sera rapidement oublié. Les positions des uns et des autres sont connues. Une large majorité est favorable à la création de cette collectivité unique même si ses modalités de création ont soulevé des problèmes : fallait-il la faire de suite, fallait-il attendre, fallait-il étendre la représentation des différents territoires, fallait-il répartir différemment les pouvoirs ? Telles étaient les questions posées. Le Gouvernement y a répondu, le Parlement y a répondu par l’article 30 de la loi NOTRe, auquel les ordonnances sont tout à fait conformes. Selon moi, il n’y a aucune raison de ne pas valider ce texte qui, je le répète, est tout à fait conforme à la loi d’habilitation.

Du travail doit encore être accompli, nous le savons. Nous votons aujourd’hui, le Sénat votera demain. Peut-on espérer un vote des sénateurs conforme au nôtre ? Nous en doutons un peu. S’ils réitèrent, demain, leur refus de ratifier ces ordonnances, nous nous retrouverons mardi en fin d’après-midi ou en soirée ici même. Le hasard de l’histoire fait que, le même jour, nous voterons également la proposition de loi de notre collègue Camille de Rocca Serra qui, elle, permettra de régler le problème du foncier en Corse – problème qui fait également couler beaucoup d’encre et que le Gouvernement a essayé de régler à de nombreuses reprises. Nous avons pu nous mettre d’accord en première lecture et, n’ayant pas voulu nous réunir en commission mixte paritaire, nous devrions adopter mardi soir un texte conforme avec le Sénat dans des délais une fois de plus très stricts sur un texte qui, là encore, est important et très attendu par les Corses.

À la fin de cette mandature, monsieur le ministre, je crois que le Gouvernement peut s’enorgueillir d’avoir mis en place, avec le Parlement, un cadre institutionnel permettant à la Corse de disposer des outils dont elle a besoin pour faire face aux défis à venir mais, également, de traiter les problèmes de désordre foncier, qui constituent aussi un frein au développement de cette île.

Malgré les petites oppositions actuelles, je sais que la collectivité territoriale et les deux départements travaillent ensemble à la mise en place de cette collectivité unique – il importe bien sûr de ne pas décevoir les personnels et il faut que cette collectivité puisse fonctionner le 1er janvier prochain. Chacun a fait preuve de sens des responsabilités, ce qu’il convient de saluer.

Je me permets maintenant de donner un avis plus personnel sur la création de cette collectivité unique. Certains ont demandé qu’elle soit repoussée, que l’on prenne plus de temps. J’appelle votre attention sur le fait que, dans cet hémicycle, nous avons également voté la création de la métropole du Grand Paris, qui regroupe plusieurs millions d’habitants. En quelques mois les élus franciliens ont été capables de la mettre en place dans les délais impartis. Certains étaient sceptiques – notre collègue Jean-Yves Le Bouillonnec peut en témoigner – en nous expliquant que nous n’y arriverions pas, que ce n’était pas possible, que nous n’aurions pas le temps, or, cette métropole fonctionne. Certes, des difficultés existent – on ne crée pas une entité comme celle-ci sans en rencontrer – mais elle existe, elle fonctionne et les différentes structures afférentes sont maintenant opérationnelles.

Nous aurions du mal à expliquer que ce que nous avons été capables de faire pour plusieurs millions d’habitants en Île-de-France, nous n’aurions pas été capables de le faire pour 300 000 habitants et quelques autres vivant sur cette île de Corse, qui nous est si chère. Je crois que les délais sont tout à fait raisonnables pour que cette collectivité unique voie le jour le 1er janvier.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, vous avez bien compris que la commission des lois de l’Assemblée propose de reprendre le texte tel qu’il a été voté en première lecture, y compris l’amendement du Gouvernement relatif à l’utilisation différente de la dotation de continuité territoriale – je sais que, sur certains bancs, d’aucuns s’opposent à cette manière de voir mais nous avons validé cet amendement en séance, le texte ainsi rédigé l’a quant à lui été ce matin par la commission des lois. Je vous propose donc de l’adopter tel quel. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, monsieur le rapporteur, chers collègues, ces derniers jours de législature nous entraînent dans une frénésie législative délirante. Feux d’artifice ou feux follets, pétards mouillés ou signaux avant l’écueil, les textes s’enchaînent en commission mixte paritaire, en nouvelle lecture ou lecture définitive en l’espace parfois de quelques heures à peine sans que l’on n’ait le temps de reprendre notre souffle – et quelquefois, même, sans avoir le temps de prendre connaissance des modifications apportées.

Pourtant, notre Assemblée aurait eu besoin durant ces derniers jours d’une pause démocratique. Elle aurait pu se pauser pour consulter les députés sur le CETA. Le Parlement européen, en effet, vient d’adopter cet accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada. Il doit désormais être voté par les parlements nationaux pour être ratifié définitivement ; or, notre Gouvernement a décidé de ne pas attendre cette ratification. Dans le plus grand mépris de la souveraineté du peuple, soumis aux desiderata de Bruxelles, il a en effet décidé de l’appliquer provisoirement dès le 1er mars. Ce processus anti-démocratique est d’autant plus inacceptable que, le 2 février, notre Assemblée a adopté une résolution, à l’initiative des députés de notre groupe de la Gauche démocrate et républicaine, pour demander la consultation du Parlement sur le principe même de cette application provisoire. Depuis, nous en demandons l’inscription à l’ordre du jour, demande restée sans réponse. À la suite d’un vote majoritaire des députés de cette Assemblée, on peut considérer cela comme une forme de mépris.

Tout cela peut vous sembler très éloigné du sujet. Eh bien non ! Le texte qui nous occupe aujourd’hui est empreint du même esprit : passage en force et contournement de la volonté du peuple.

En effet, le 6 juillet 2003, les Corses, consultés par référendum, s’étaient opposés à la disparition des deux départements institués en 1975. La participation à ce référendum s’élevait à 60 %. Les Corses avaient alors clairement exprimé leur refus de la création d’une collectivité unique concentrant tous les pouvoirs entre quelques mains.

Pourtant, le texte que nous examinons aujourd’hui acte la disparition de la collectivité territoriale de Corse et des départements de Corse-du-Sud et de Haute-Corse pour les remplacer par « la collectivité de Corse » – en moins de 15 jours d’examen au Parlement ! Voilà ce que nous demande le Gouvernement ! C’est à la fois court et long, monsieur le rapporteur, pour un marathon ! Ce n’est en tout cas ni sérieux, ni respectueux de la souveraineté populaire.

M. Jean-Luc Laurent. Très bien !

M. André Chassaigne. Patrice Carvalho s’est exprimé jeudi dernier sur ce projet de loi au nom de notre groupe, en première lecture. Six jours plus tard, notre analyse de ce texte, vous vous en doutez, n’a évidemment pas changé.

Mon ami Dominique Bucchini…

M. François Pupponi, rapporteur. Ah !

M. André Chassaigne. …ancien président de l’Assemblée de Corse, a résumé en quelques mots la situation avec la sagesse qu’on lui connaît…

M. Jean-Luc Laurent. Tout à fait ! Il est sage !

M. André Chassaigne. … « La seule voie pour la Corse, c’est la mobilisation populaire. Notre problème n’est pas identitaire mais économique ».

Comme l’a dit mon collègue Patrice Carvalho : « Au nom de la Corse populaire, de celle de Jean Nicoli et de Danielle Casanova, notre groupe s’opposera à ce projet de loi, tout comme l’ont fait les élus communistes de l’Assemblée de Corse. Nous dénonçons, à leurs côtés, ce passage en force qui relève d’un processus particulièrement antidémocratique. Nous réitérons notre demande commune d’un projet de loi spécifique avec ratification par référendum. » Mais on voit quel sort vous faites, hélas, aux référendums, quand le peuple s’exprime !

M. Jean-Luc Laurent. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Paul Molac.

M. Paul Molac. Pegen laouen on da vezañ amañ evit komz diwar korsika.

M. le président. Tout an dud en deus ket komprenet, cher collègue !

M. Paul Molac. Combien je suis content d’être dans ce temple de la République !

Je suis heureux d’être parmi vous, car j’ai la conviction que nous allons enfin faire un pas, aujourd’hui, vers ce que j’appelle de mes vœux : non pas la France d’antan, celle de 1789, mais bien celle de demain, c’est-à-dire vers le fédéralisme…

M. Jean-Luc Laurent. Non, la République est une !

M. Paul Molac. …dans une Europe enfin réconciliée avec elle-même, où le temps des guerres civiles européennes, qui nous ont pris tant d’enfants et qui ont ravagé nos territoires, sera enfin révolu.

M. Jean-Luc Laurent. Ce sont des chimères !

M. André Chassaigne. Quel est le rapport ?

M. Paul Molac. Le rapport, le voici : je m’oppose à votre nationalisme, celui qui s’exprime ici, et qui nous dit qu’il n’y a de destin que dans la France née il y a deux siècles ! Franchement, messieurs, réfléchissons un peu ! La France d’il y a deux siècles n’est plus la France d’aujourd’hui : il y a eu 1945 et 1956 ! La France n’est plus la grande puissance qui se permettait d’envoyer une canonnière au fin fond de l’Afrique ! C’est terminé !

M. André Chassaigne et M. Jean-Luc Laurent. Cela n’a rien à voir !

M. Paul Molac. Si, cela a à voir avec notre sujet ! Voulez-vous que je vous explique comment la Corse a été conquise ?

M. Jean-Luc Laurent. On n’est plus au temps des colonies !

M. Paul Molac. On n’est plus au temps des colonies, comme vous dites. Mais, malheureusement, les Corses et les Bretons ont parfois l’impression que si !

M. Jean-Luc Laurent. Nous sommes tous Français !

M. Paul Molac. Certainement, je n’ai pas de problème là-dessus. Mais il faut reconnaître la France dans sa diversité !

M. André Chassaigne. Vous êtes un donneur de leçon conservateur d’un autre siècle !

M. Paul Molac. Je ne me satisfais pas de cette espèce de « tout Français », qui consiste par exemple à nous dire – je tiens à donner cet exemple, parce qu’il m’amuse un peu – que pour que les Bretons s’assimilent, il faudrait qu’ils donnent des noms français à leurs enfants ! J’ai entendu ce genre de propos dans cet hémicycle ! Cette France-là, j’espère qu’elle est derrière nous !

Je suis heureux d’être parmi vous, disais-je, parce qu’il faut bien finir le travail qui a été commencé, avec la loi NOTRe. Pour ma part, j’ai évidemment soutenu la création de cette nouvelle collectivité unique de Corse, et j’ai voté l’amendement qui permettra à la Corse de former une collectivité unique d’ici le 1er janvier 2018. J’avais d’ailleurs moi-même déposé un amendement visant à créer une collectivité unique en Bretagne, par la fusion des départements et de la région. Celui-ci a été rejeté, mais je ne désespère pas que, petit à petit, les mentalités évoluant, la Bretagne emprunte le même chemin que la Corse – chemin qui a été très bien décrit par notre collègue François Pupponi.

Les Corses ont été consultés par référendum, c’est vrai. Mais les référendums ne décrivent que l’état de l’opinion à un instant « t ». Or cette opinion évolue.

M. Jean-Luc Laurent. Il faut consulter les Corses !

M. André Chassaigne. Faisons un nouveau référendum !

M. le président. Seul M. Molac a la parole, mes chers collègues !

M. Paul Molac. C’est d’ailleurs un sujet qui est porteur en Bretagne, comme dans d’autres collectivités. Je vous rappelle que la collectivité d’Alsace a fait le même chemin, que les Alsaciens ont voté en majorité pour la fusion des deux départements alsaciens, et que cette fusion a été rejetée grâce à un artifice. Les écueils sont nombreux, qui rendent toute modernisation institutionnelle difficile.

M. André Chassaigne. Vos propos sont tout à fait contradictoires !

M. Paul Molac. Vous savez que les Français sont favorables à ce que l’on enlève des couches du mille-feuille ! Et c’est bien ce que la Corse est en train de faire !

M. Jean-Luc Laurent. La République n’est pas un mille-feuille !

M. André Chassaigne. Ce qui vous intéresse, ce n’est pas le mille-feuille, mais la crème qui est à l’intérieur ! (Sourires.)

M. Paul Molac. Et le beurre et l’argent du beurre ? Non, désolé !

Par conséquent, nous demandons avec force que les régions qui le demandent, notamment la Bretagne, puissent faire vivre cette expérimentation, en permettant, en l’occurrence, la fusion des départements bretons avec le conseil régional, en vue d’une assemblée unique, dans laquelle le département de la Loire-Atlantique doit trouver sa place. Projet éminemment tourné vers l’avenir, ce plan vise à constituer une nouvelle collectivité, dans un nouvel espace, dans une France nouvelle.

Avec la redistribution des compétences en cours, la région doit relever dès aujourd’hui le nouveau défi consistant à imaginer et expérimenter une simplification du paysage institutionnel décentralisé.

M. Jean-Luc Laurent. Il faut garder la République, une et indivisible !

M. Paul Molac. Il faut alléger l’indigeste mille-feuille territorial – avec ou sans crème – là où c’est possible. En effet, les collectivités territoriales doivent prendre l’initiative de se doter d’une organisation administrative régionale simplifiée. C’est ce que fera la Corse très prochainement. Une telle gouvernance favorisera une meilleure action des services publics, au plus près des citoyens, et de nouvelles exigences démocratiques.

Cette redistribution s’articulera au mieux avec la volonté ébauchée d’affirmer la région comme collectivité « stratège », motrice du développement économique, social et environnemental, d’une part, et avec le besoin d’une gestion adaptée à la diversité de ses territoires et à un souci de proximité, d’autre part. Cette initiative de réorganisation territoriale et de redistribution des compétences permettra de prendre sans tarder un tournant décisif pour un développement régional durable. Elle ravivera le potentiel de coopération de toutes les forces vives, caractéristique des régions.

Par ailleurs, la création d’un statut de collectivité particulière pour Lyon, puis pour Paris et Marseille, continue de susciter des interrogations. Mais nous l’avons bien fait pour ces trois métropoles, et cela n’a pas posé de problèmes !

M. André Chassaigne. Cela a posé des problèmes, et nous avions voté contre !

M. le président. Monsieur Chassaigne, laissez M. Molac s’exprimer, s’il vous plaît !

M. Paul Molac. Comme par hasard, quand il s’agit de la Corse, cela pose des problèmes ! J’ai un peu de mal à comprendre !

Nous regrettons que rien n’ait été proposé pour reconnaître le principe de différenciation, permettant la création de collectivités locales à statut particulier, susceptibles d’exercer des compétences spécifiques de façon pérenne et sécurisée sur le plan juridique. Il faut souvent bricoler, comme au Pays basque, où l’on a créé une communauté urbaine englobant l’ensemble de son territoire – ce qui constitue toutefois une avancée, par rapport à ce qui existait. Les Basques ont toujours réclamé un département basque, et ils ne l’ont jamais obtenu. Ils ont essayé de faire bouger les choses. S’ils ont réclamé ce département, c’est parce qu’ils en avaient besoin pour mettre en œuvre un certain nombre de politiques publiques. Ils ont même réussi quelquefois, et ce fut un tour de force, à faire entrer toutes leurs communes dans un certain nombre de syndicats, précisément parce qu’ils ne disposaient pas d’une collectivité.

Nous concevons que le modèle corse – qui, nous l’espérons, sera bientôt aussi le modèle breton – ne soit pas exportable sur l’ensemble du territoire. Car la loi de délimitation des régions est passée par là entre-temps. Avec la constitution de méga-régions aussi grandes que la Belgique, totalement détachées des réalités territoriales, il sera parfois compliqué de supprimer l’échelon intermédiaire qu’est le département. Celui-ci reste un vecteur de proximité dans l’imaginaire de certains de nos concitoyens, même si son action se résume de plus en plus à être un guichet de l’État pour les politiques sociales.

Monsieur le ministre, même si je le regrette, je me dois de saluer votre efficacité sur ce point.

M. Jean-Michel Baylet, ministre. Pourquoi le regrettez-vous ?

M. Paul Molac. Parce qu’avec vos collègues radicaux du Sénat, vous avez réussi à sauvegarder le département ! Pour ma part, j’ai soutenu Manuel Valls lorsqu’il a proposé que le département soit mis en sommeil. Cela n’a pas été possible, et c’est ainsi. Mais peut-être cela arrivera-t-il un jour ?

Pour en revenir à ce projet de loi, il porte ratification de trois ordonnances qui parachèvent la collectivité unique de Corse. Celle-ci se substituera à la collectivité de Corse et aux deux départements de Haute-Corse et de Corse du Sud, à compter du 1er janvier 2018. Ce texte s’inscrit donc totalement dans la continuité de la loi NOTRe, dont l’article 30 habilitait le Gouvernement à prendre des ordonnances pour mettre en place cette collectivité unique. Ces ordonnances étaient destinées, selon le Gouvernement à « tirer l’ensemble des conséquences électorales, juridiques, budgétaires, financières et comptables de la création de la collectivité de Corse, ainsi que les règles relatives aux concours financiers de l’État et aux fonds nationaux de péréquation des recettes fiscales applicables à la collectivité de Corse ».

Ce texte a donné lieu à une large concertation en amont. Les ordonnances ont été co-construites avec les élus de Corse, notamment avec l’exécutif actuel de la collectivité territoriale de Corse, que je salue, et avec Paul Giacobbi, qui aurait dû être avec nous aujourd’hui. Ce texte a été rejeté par le Sénat et lors de son examen en commission mixte paritaire, en raison de postures politiciennes un peu difficiles à saisir. Le fait que des élections vont bientôt avoir lieu en Corse peut expliquer certaines attitudes – peu conciliables, à mon sens, avec l’intérêt général.

Mais l’unanimité a existé, à un moment donné. Nous avons donc intérêt à voter ce texte, majoritairement soutenu au sein de la collectivité de Corse, et majoritairement soutenu, aujourd’hui, dans le peuple corse.

La Corse joue, une fois encore, le rôle de précurseur sur la question des institutions politiques et administratives, et elle grignote peu à peu le dogme de l’État unitaire…

M. Jean-Luc Laurent. C’est bien là votre dessein !

M. Paul Molac. …qui fait fi de la nécessité d’une gestion différenciée des territoires et de leurs habitants, pour répondre le mieux possible à leurs aspirations. La Corse a souvent servi de laboratoire en matière institutionnelle. Elle a un statut spécial, loin du fédéralisme de la Nouvelle-Calédonie, mais qui permet de percevoir une évolution que j’appelle de mes vœux pour la France entière.

M. Jean-Luc Laurent. Pas nous !

M. Paul Molac. Je souhaite, en définitive, témoigner toute mon amitié au peuple corse, car, n’en déplaise à certains, il existe bien un peuple corse, partie intégrante du peuple français, comme le disait le regretté Pierre Joxe…

M. Jean-Luc Laurent. Non ! Il y a un peuple français !

M. Paul Molac. …de même qu’il existe un peuple breton, un peuple alsacien ou encore un peuple basque ! Je vous souhaite bon vent pour ce nouveau développement de la Corse ! Bon furtuna Corsica !

M. le président. La parole est à M. Camille de Rocca Serra.

M. Camille de Rocca Serra. Monsieur le ministre, nous sommes à front renversé, pour le dire très simplement. Vous êtes départementaliste, et je suis régionaliste. Vous assumez, et j’assume. Le seuil lien qui existe entre nous sur cette question, c’est qu’avant de siéger sur ce banc, vous étiez, comme moi, opposé à la loi NOTRe. Cela me rassure, d’une certaine façon, et c’est ce qui me conduit à vous dire que c’est à cause de la loi NOTRe, et non à cause de ces trois ordonnances, qu’au nom du groupe Les Républicains, dont je suis aujourd’hui l’unique représentant – quel poids sur mes épaules ! – je ne voterai pas leur ratification. Je le dis devant Mme la ministre Marylise Lebranchu, qui sait très bien pourquoi nous conservons cette position.

La collectivité unique : oui. Je le dis à notre ami Paul Molac : je ne suis pas fédéraliste – je suis gaulliste –, mais je suis régionaliste, profondément régionaliste. La collectivité unique : oui. Nous l’avons votée à l’Assemblée de Corse, et nous l’aurions votée ici, à condition qu’on y mette ce qu’il fallait. Le vice est dans la loi NOTRe. Celle-ci a instauré la collectivité unique et décidé de la fusion des deux départements. Mais cette loi comportait aussi un volet relatif à l’intercommunalité. Or là, vous êtes dans le droit commun, et c’est un problème. C’est un problème, parce qu’on crée un déséquilibre. Sur le continent, les régions sont tellement grandes, et même hypertrophiées, qu’on a maintenu les départements, parce qu’il fallait un échelon plus petit pour mettre en œuvre les politiques de proximité. Et puis on a créé une nouvelle strate, avec les métropoles, tout en maintenant l’intercommunalité – communauté d’agglomération, communauté de communes – et les communes.

En Corse, il n’y aura plus que la région, petite par la taille, mais grande par ses compétences et ses moyens financiers. En effet, tous les moyens financiers et toutes les compétences des deux départements lui sont transférés, et cela vient s’ajouter aux compétences spécifiques de la région et de la collectivité territoriale de Corse, dont j’ai eu le privilège, avant Dominique Bucchini, de présider l’assemblée. Enfin, toute la fiscalité est transférée au niveau régional : ce sont des ressources exorbitantes qui vont être concentrées entre quelques mains. Il faut savoir qu’en Corse, le financement des infrastructures et des investissements de nos collectivités locales dépend à 70, voire 80 % – il existe des dérogations pour l’assainissement de l’eau – de financements extérieurs, contre 50 %, en moyenne, dans les intercommunalités et les communes du continent.

Cela signifie que la dépendance financière à l’égard d’un ordonnateur unique, d’un guichet unique, va être considérable. Nous allons instaurer une tutelle totale. Or je pense que notre Constitution protège les collectivités, pour leur éviter d’être sous la tutelle totale d’une autre collectivité.

La tutelle totale exercée par la collectivité nouvelle, dite unique, et la concentration de tous les pouvoirs posent problème. Il aurait été plus simple d’élaborer une loi spécifique pour la Corse, mais, pour en avoir discuté avec votre prédécesseur, je sais que vous n’en aviez pas les moyens – il aurait fallu prévoir une loi concomitante à la loi NOTRe ou exclure la Corse de son périmètre d’application.

Monsieur Molac, je suis pour une collectivité nouvelle stratège en matière d’aménagement du territoire, qui bénéficierait même de compétences renforcées et de nouveaux transferts de compétences de l’État, car celui-ci doit se concentrer sur ses pouvoirs régaliens. On voit bien aujourd’hui qu’il se met en difficulté, à vouloir tout embrasser ! Dans une vraie décentralisation, non pas fédéraliste, mais achevée, la Corse aurait pu être un modèle. Elle ne le sera pas, car nous créons un déséquilibre : concentration des pouvoirs et des moyens financiers, transfert de fiscalité… Que pourront faire, demain, les intercommunalités et les communautés d’agglomération ? Je ne dis pas qu’il faut créer des métropoles, car nous sommes de trop petite taille.

De surcroît, le lien de proximité disparaîtra. Monsieur Chassaigne, il est vrai qu’en 2003, j’étais moi-même favorable à la création de la collectivité unique et au référendum. J’étais aussi favorable, en 2014, à la validation par référendum de l’ensemble de ce modèle. J’avais dit à Nicolas Sarkozy, à l’époque, que l’on ne se trompe jamais lorsque l’on écoute la voix du peuple. Le peuple aurait vraisemblablement donné son accord, cette fois-ci, à condition que les oublis de 2003 soient réparés.

Comment fallait-il organiser une représentation de proximité ? Il fallait exclure la Corse du périmètre d’application de la loi NOTRe et élaborer un texte spécifique pour la Corse, qui aurait prévu le transfert d’une partie des dotations, de la fiscalité et des compétences exercées par les deux conseils départementaux à de plus grands territoires regroupant les intercommunalités, aujourd’hui trop petites. Nous aurions même pu imaginer un mode de scrutin nouveau, fondé, non pas sur une carte régionale, mais sur quatre à six circonscriptions au maximum. Nous aurions pu, de façon quelque peu discriminante, garantir une représentation du territoire le plus fragile, le plus reculé, comme celui de l’Alta Rocca, cher à François Pupponi. Cela aurait également constitué une garantie contre l’instauration d’un guichet unique et d’une tutelle absolue.

Cela ne sera plus le cas, car le poids démographique va l’emporter. Les deux communautés d’agglomération du grand Ajaccio et du grand Bastia, qui constituent près des deux tiers de la population, seront la base de la représentation électorale. Quelques autres territoires, comme ceux qui se distinguent par la qualité de leur représentant, pourront subsister pendant un certain temps, mais la désertification de nos territoires ruraux, à laquelle certains essaient de mettre un terme depuis des décennies, risque de s’aggraver progressivement.

Monsieur le ministre, je me suis opposé à la loi NOTRe, car elle ne répond pas aux problèmes et crée un certain déséquilibre. Or, pour marcher, il faut deux jambes. Il convient d’équilibrer cette organisation fondée sur une collectivité nouvelle, stratège, disposant de compétences élargies et de moyens financiers renouvelés. Nous discutons chaque année, dans cet hémicycle, des recettes fiscales sur les produits du tabac ou de l’alcool, qui restent dynamiques mais sont menacées. Il aurait fallu élaborer un texte global comprenant des dispositions nouvelles, y compris sur le plan fiscal, et définissant les compétences, les moyens, une organisation territoriale. La chambre des territoires n’est qu’un ersatz, un outil de coordination qui ne s’est jamais réuni. Il n’a ni personnalité morale, ni moyens propres. Il n’a rien. Il se réunit simplement à Bastia, ce qui fait plaisir à la deuxième ville de Corse. Des élus seront amenés à faire la transhumance entre une ville et l’autre. Dans que but, puisque tous les pouvoirs seront concentrés ?

Je tiens à dire à la famille nationaliste, qui préside aujourd’hui l’Assemblée et l’exécutif, qu’elle est en train de commettre en Corse une erreur historique, parce qu’elle reproduit à l’échelon régional le centralisme parisien qu’elle a combattu.

M. Jacques Bompard. C’est vrai !

M. Camille de Rocca Serra. Monsieur Molac, nous allons recréer un centralisme régionalisé, qui va à l’encontre du développement harmonieux que nous souhaitions. Monsieur le ministre, l’enjeu, pour nous, n’était pas de gagner du temps, mais de faire ce que Gaston Defferre a su faire en 1982 : en six mois, il a élaboré une loi de décentralisation. Nous avons eu deux ans pour ne pas réussir. En deux ans, nous ne nous sommes pas mis d’accord.

Pourtant, la démarche que nous avons adoptée, avec François Pupponi, a été un exemple de coconstruction. La proposition de loi visant à résorber les difficultés liées au droit de propriété et au cadastre est, non pas la mienne, mais la nôtre : celle de Paul Giacobbi, de François Pupponi, de Laurent Marcangeli, de Sauveur Gandolfi-Scheit, de l’unanimité de l’Assemblée de Corse et d’une très large majorité de notre Parlement. J’aurais aimé que nous soyons capables de construire un grand texte pour la Corse. Il faudra y revenir. Nous y travaillons déjà et j’y travaillerai peut-être avec la prochaine équipe gouvernementale ou dans le cadre parlementaire, car il faudra améliorer l’organisation de la représentation et l’équilibre des pouvoirs.

Un pouvoir unique, c’est un pouvoir exorbitant, et nous savons à quoi cela peut conduire. Il faut des pouvoirs et des contre-pouvoirs. Monsieur le ministre, vos amis du parti radical de gauche ont souvent occupé les postes de présidents des conseils départementaux : ont-ils tant démérité qu’il fallait leur couper la tête aussi vite ? Aujourd’hui, contrairement à ce que l’on peut entendre, il ne s’agit pas de rationaliser. Selon le président de l’Assemblée de Corse, il est temps que les conseils généraux disparaissent, mais ce sont des élus du peuple et des représentants des départements, tout autant que nous sommes les représentants de la nation et que je suis conseiller à l’Assemblée de Corse. Nous avons tous les mêmes mérites, dépendons tous du suffrage universel, et avons tous à servir la population.

Supprimer les conseils généraux ne permet pas de résoudre les problèmes. Il aurait fallu créer une collectivité nouvelle, forte, équilibrée et des intercommunalités renforcées, à même de pallier cette concentration des pouvoirs. Tels sont nos regrets, monsieur le ministre. Des efforts restent à faire : il manque un statut fiscal, qui remédie au faible dynamisme de nos recettes budgétaires et qui réponde aux attentes de nos entreprises. J’espère que nous pourrons atteindre cet objectif, au service de la Corse et de son développement, dans le cadre de la République.

M. Jacques Bompard. Très beau discours !

M. le président. La parole est à M. Meyer Habib.

M. Meyer Habib. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, après l’échec de la commission mixte paritaire, nous sommes invités à examiner ce projet de loi de ratification en nouvelle lecture. La création d’une collectivité unique de Corse, collectivité à statut particulier au sens de l’article 72 de la Constitution, est un événement très important. Il est le fruit de la longue histoire des évolutions institutionnelles de la Corse au sein de notre République.

Depuis près de quinze ans, le sujet de l’organisation politique et administrative de la Corse a fait l’objet d’intenses débats. Le 12 décembre 2014, le principe de la création de cette collectivité a été voté par l’Assemblée de Corse, par quarante-deux voix contre huit. En 2015, lors de l’examen de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe, un amendement gouvernemental a été adopté, prévoyant la création de cette collectivité unique. À compter du 1er janvier 2018, cette collectivité, dénommée « collectivité de Corse », doit se substituer à la collectivité territoriale de Corse et aux deux départements de Haute-Corse et de Corse-du-Sud.

Quoi qu’il en soit, ainsi que cela a été rappelé, le présent projet de loi ne porte pas sur la création de cette collectivité unique, mais bien sur ses modalités pratiques, sur le plan électoral, institutionnel et financier. En effet, ce projet de loi, l’un des derniers prolongements législatifs tendant à appliquer les dispositions de la loi NOTRe, vise à ratifier trois ordonnances, prises sur le fondement de l’article 30 de cette loi, qui déterminent les modalités pratiques de la création de la collectivité unique de Corse.

La première ordonnance complète et précise les règles budgétaires, financières, fiscales et comptables applicables à la collectivité de Corse. La seconde, institutionnelle, prévoit les adaptations nécessaires au fonctionnement de la collectivité de Corse, à l’exercice de ses différentes compétences et prérogatives et à la composition des différents organismes dans lesquels elle est appelée à être représentée. La nouvelle collectivité exercera de plein droit les compétences de droit commun des départements et des régions et reprendra aussi celles de la collectivité territoriale de Corse. Une modification a été apportée à l’article 30 de la loi NOTRe : la création d’une chambre des territoires remplacera la conférence de coordination des collectivités territoriales et regroupera, à côté de l’assemblée territoriale élue, les élus locaux, les intercommunalités et les communes. Elle organisera la représentation des territoires. Enfin, la troisième ordonnance comporte diverses mesures électorales applicables en Corse, notamment celles nécessaires à l’élection des membres de l’Assemblée de Corse, qui aura lieu en décembre 2017. Elle tire, en outre, les conséquences de la suppression des mandats de conseillers départementaux en Corse.

Au Sénat, ce texte a été rejeté, en raison de l’opposition du groupe Les Républicains, qui a rendu impossible un compromis en commission mixte paritaire. La création d’une collectivité unique n’est pas un acte anodin. Il ne s’agit pas seulement d’un aménagement administratif ; c’est un acte politique au sens fort du terme. Aussi, on peut comprendre les réticences de certains élus corses – nous venons d’en entendre certaines – et leur volonté de voir un texte législatif uniquement consacré au statut de la Corse, qui comporte des avancées institutionnelles et économiques. En 1982, en 1991 ou en 2002, les évolutions statutaires propres à la Corse ont été menées dans le cadre d’un projet de loi spécifiquement dédié. Celui de 2003 a même pu bénéficier d’une consultation référendaire. Il eut été préférable que, dans le cas présent, nous puissions examiner cette réforme dans de meilleures conditions.

Pour autant, à quelques jours de la fin de la session parlementaire, l’occasion nous est donnée, à travers ce projet de loi, de parachever la création de cette collectivité unique. Le rejeter et interrompre ce processus législatif risquerait de créer une certaine insécurité juridique et pourrait avoir des conséquences néfastes pour les fonctionnaires et les agents, pour qui la ratification de ces ordonnances sera déterminante.

À l’heure des grandes intercommunalités et du redécoupage régional, l’instauration d’une collectivité unique demeure la formule institutionnelle la plus adaptée à certains territoires, notamment au fait insulaire. Nous devons nous orienter dans cette voie en adoptant ce texte. Avant de conclure, je voudrais, à mon tour, saluer fraternellement et chaleureusement le grand peuple corse, région de Justes parmi les nations, qui a été exemplaire pendant la guerre.

M. François Pupponi, rapporteur. C’est vrai !

M. Meyer Habib. Comme vous l’avez compris, le groupe UDI votera, comme en première lecture, ce projet de loi.

M. François Pupponi, rapporteur, et M. François de Rugy. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jacques Bompard.

M. Jacques Bompard. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, je regrette vivement que nous n’en soyons venus à un sujet aussi intéressant qu’en fin de session. Certes, les aléas des artifices territoriaux ne pouvaient pas nous permettre de discuter différemment, mais tout de même, en alliant problématiques locales, ambitions de bon sens et célérité notamment des élus de l’Île de Beauté, je crois que notre assemblé a pour objectif de bien travailler au bien de la Corse.

La collectivité de Corse est une œuvre d’unification territoriale : elle rappelle que le peuple corse a le droit de présider et de faire entendre ses nuances et ses particularités au sein de la nation française. Si, trop souvent, une définition idéologique et obèse de l’État ne venait contraindre cet état de fait, nous pourrions discuter paisiblement de ces sujets. Malheureusement, l’échec de la commission mixte paritaire souligne clairement les difficultés auxquelles la représentation nationale se confronte sur ces sujets.

Malgré nombre d’arguments intéressants entendus au cours des débats, je pense qu’il est souhaitable qu’une relation s’instaure entre la nouvelle région et les communes et les collectivités de manière directe, car cela revient à supprimer la strate, devenue tout à fait artificielle aujourd’hui, qu’est le département. Ce fut d’ailleurs l’immense erreur de la loi NOTRe que de soutenir toujours plus avant les conseils départementaux et de faire du centralisme délocalisé, plutôt que d’accroître partout en France l’influence des provinces et de multiplier les libertés communales.

Je pense à ces mots écrits en 1895 : « Cependant, mille choses simples s’agitent là-dessous. Des haines, des amours, des chocs de personnages très ordinaires, c’est, j’en ai peur, tout ce que pourrait fournir la psychologie, même teintée de sociologie, de la vieille ville endormie devant moi. Mais l’extraordinaire n’est peut-être que la splendeur du normal et du familier. » C’est à la splendeur du normal et du familier que nos compatriotes rendent hommage au quotidien et qu’ils voudraient que leurs assemblées rendissent hommage en retour. Ils voient le beau dans la proximité, presque dans l’incarnation de leur civilisation, et certainement pas dans des arcanes insensibles.

Que recouvrent les articles cités ? À l’article 1er, il s’agit d’adapter la loi aux nouvelles dispositions du conseil territorial de Corse. Celui-ci avait fait polémique parce qu’il osait être fier de sa langue et de son indépendance. Il est vrai qu’en comparaison avec les minimes avancées de notre chambre au sujet de la promotion des langues régionales, il y aurait de quoi envier Bastia et Ajaccio. Mais l’envie n’est pas une politique. L’envie est même un bien mauvais guide.

L’article 2 acte la nécessaire fusion de services afin de rendre l’assemblée de Corse cohérente. On ne peut que s’en réjouir. Certes, en Corse comme ailleurs, les syndicats d’initiative, les bureaux locaux, les services mixtes et autres constructions administratives forment une sorte de vie parallèle à celle du pays réel, une vie imperceptible pour nos concitoyens mais où argent, pouvoirs et prébendes s’échangent allègrement sans aucune transparence réelle pour le public. Je suis ravi que les Corses puissent bénéficier de ces avancées.

J’imagine que l’article 3 fait débat : les partis politiques font souvent faire primer les immédiatetés électorales sur le service du bien commun. Le gouvernement socialiste aussi. Toutefois, la tenue de ces élections semble nécessaire. Enfin l’article 4 procède à une répartition financière tout à fait évidente. Je ne comprends absolument pas comment un pareil texte peut soulever autant d’opposition, encore que certains discours me l’aient fait mieux comprendre.

C’est bien l’occasion de faire quelques pas en direction du localisme et d’acter quelques libertés dans la puissance de nos territoires à forte identité ! Il est enfin très bien de voir des singularités insulaires précéder la mise en œuvre de plus de subsidiarité sur notre territoire.

Je me souviens des articles accablants de la presse étatiste et jacobine à la suite de l’émancipation d’une partie de la représentation politique corse. Comme pour le Brexit et Donald Trump, des éditorialistes d’État, dans le sens où leur salaire est issu majoritairement de subventions publiques, ont évoqué des fantasmes de réveils racistes et autres. Quelles ne furent pas d’ailleurs les élucubrations après les événements de Sisco ou les assemblées spontanées de solidarité avec les pompiers après que ces derniers avaient été agressés !

Le jacobinisme provoque toujours ces effets de rétrécissement des possibilités d’intelligence des situations. Pourtant, les rapports des diverses commissions nous permettent d’espérer d’autre possibilités : économies réelles lors des fusions, vraie mise en commun et non édification de services parallèles, les pistes à travailler sont nombreuses.

Dans une lettre de 1871, Frédéric Mistral écrivait : « J’ai une foi profonde en la régénération de la France. Étant de ceux qui n’avaient pas le fanatisme de la Révolution, étant de ceux qui croient en Dieu et au châtiment du mal, j’entrevois dans le ciel de l’avenir, et d’un avenir prochain, la rédemption, la renaissance ; et j’y crois d’autant plus que je me sens en liberté plus que jamais ; et je vois qu’un grand nombre d’hommes – autant dans les lettrés comme dans les incultes – reconnaissent et confessent qu’il faut revenir aux vieilles mœurs, à l’autorité de la famille antique, à l’amour du sol natal, au culte de la patrie. Et je vois avec bonheur que la province veut revivre, et que le despotisme jacobin se sent mourir […] » Il a tout de même survécu ! « Courage, cher ami. La liberté, la liberté pour tout le monde, pour les individus, pour les communes, pour les provinces, pour la pensée comme pour la religion nous sauvera. »

Je ne peux qu’espérer dans le même programme pour que les libertés revivent.

M. le président. La parole est à M. François de Rugy, dernier orateur inscrit.

M. François de Rugy. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, chers collègues, je tiens au travers de cette dernière intervention dans la discussion générale à apporter tout mon soutien à ce texte et, plus, généralement, à cette démarche de constitution d’une collectivité unique en Corse. C’est un projet dont nous avons débattu à plusieurs reprises à l’Assemblée nationale, à l’initiative notamment de Paul Giacobbi.

M. Jean-Luc Laurent. C’est une grave erreur !

M. François de Rugy. Je suis heureux que le cheminement législatif d’un tel projet ait pu aboutir en cette fin de législature et que celui-ci puisse être mis sur les rails.

Je ferai toutefois une remarque sur la forme, qui vise le Sénat : vous qui êtes un ancien sénateur, monsieur le ministre, et alors que le Sénat se prétend parfois la chambre des territoires, ce qui est quelque peu prétentieux puisque l’Assemblée nationale représente également la diversité des territoires de France, alors qu’il se prétend aussi la chambre des collectivités locales et, surtout, la chambre des élus locaux – ce qu’il est possible de reconnaître compte tenu du mode d’élection des sénateurs directement ancré sur les élus locaux –, ne trouvez-vous pas étrange qu’il ait bloqué ce projet, pourtant soutenu par les élus locaux de Corse ? D’autant qu’il a fait l’objet de plusieurs votes dans les collectivités locales concernées, qu’il s’agisse de l’Assemblée de Corse, avant et après les élections qui ont pourtant conduit à un changement de majorité, ou des conseils départementaux. Je le dis comme je le pense : que le Sénat bloque des évolutions commence à devenir problématique. Il en a été de même des langues régionales : c’est tout de même un comble que ce soit le Sénat qui ait fait obstacle à la ratification de la charte sur les langues régionales en s’opposant à la modification constitutionnelle préalable à cette ratification, alors qu’il est censé représenter la diversité régionale.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Ce n’est pas une nouveauté.

M. François de Rugy. Je tiens aussi à regretter que des collègues de l’opposition de droite aient adopté des postures : reconnaissons-le, sur le fond, il n’existe pas de divergences majeures. D’ailleurs, je reconnais que le premier qui avait voulu, au plan national, défendre ce projet, ce fut Nicolas Sarkozy alors qu’il était ministre de l’intérieur. Nous aurions donc pu nous retrouver sur ce texte. Je suis certain que ce sera le cas à l’avenir. Nous devons être clairs sur le fond : oui ou non, voulons-nous la fusion de la collectivité territoriale de Corse et des deux conseils départementaux en une collectivité unique ? Tel est l’enjeu. Je réponds d’autant plus clairement oui à cette question de fond que j’ai plaidé en ce sens, dans tous les débats que nous avons eus à l’occasion de différents projets de loi sur le sujet, que ce soit sous l’ancienne majorité, entre 2007 et 2012, ou depuis 2012.

M. Paul Molac. C’est vrai.

M. François de Rugy. Trop de rendez-vous ont été manqués, malheureusement. Je ne prétends pas qu’il faille partout supprimer les conseils départementaux ou les fusionner de façon autoritaire ou uniforme. Mais là où une volonté coexiste avec une réalité qui s’y prête, alors il faut pouvoir le faire. Monsieur le ministre, je me rappelle que votre collègue Jean-Jacques Urvoas, le garde des sceaux, qui est, par définition, le gardien de la Constitution, a écrit un plaidoyer favorable à l’application à la Bretagne, notamment dans le cadre d’une assemblée de Bretagne, du dispositif que notre vote parachèvera aujourd’hui en faveur de la Corse,…

M. André Chassaigne. Avec un référendum ?

M. Jean-Luc Laurent. Avec un référendum sur lequel on s’assoit, comme en Corse ?

M. François de Rugy. …afin de procéder à la fusion du conseil régional et des cinq – je ne dis pas des quatre – conseils départementaux qui constituent la Bretagne. D’autres avaient plaidé la même chose pour l’Alsace – mes collègues alsaciens ne sont pas là. Rien ne l’interdit à l’avenir.

M. André Chassaigne. Avec un référendum ?

M. François de Rugy. Je souhaite que l’adoption de ce nouveau statut ouvre tout d’abord des perspectives pour la Corse, qui est une île de quelque 350 000 habitants à peine. L’insularité étant une particularité, le même statut ne sera pas nécessairement applicable à d’autres territoires. Il sera en revanche bénéfique à la Corse. Je profite d’ailleurs de mon intervention pour apporter mes encouragements à l’actuel exécutif de Corse, dirigé par Gilles Simeoni, qui a remporté les dernières élections territoriales. Or cette collectivité sera soumise à de nouvelles élections en décembre de cette année. Vous voulez des élections, mes chers collègues : c’est la seule collectivité dont le mandat n’aura duré que deux ans.

M. André Chassaigne. C’est la démocratie à géométrie variable.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Non, mais selon les besoins et la réalité.

M. François de Rugy. Un renouvellement des élus présidera à la naissance d’une nouvelle collectivité.

Ce nouveau statut doit également ouvrir des perspectives pour l’organisation territoriale de la France. Je le répète : il ne s’agit pas d’appliquer le même modèle partout. Mais il faut envisager, en fonction des aspirations des régions, une organisation différenciée des territoires, laquelle existe déjà. Personne n’est choqué de l’existence, depuis des dizaines d’années, d’un statut particulier pour Paris. Lyon a désormais un statut très intéressant, issu de la fusion de la métropole et de la collectivité départementale sur le territoire de la communauté urbaine de Lyon.

M. Jean-Luc Laurent. Ce n’est pas ce qu’on a fait de mieux.

M. François de Rugy. Je souhaite qu’on aille dans le même sens pour d’autres territoires. Je suis persuadé que d’autres régions s’inspireront du texte relatif à la Corse que nous votons aujourd’hui. Vive la Corse et vive la République française. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. le président. La discussion générale est close.

Sur l’ensemble du projet de loi, je suis saisi par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

Discussion des articles

M. le président. J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles du projet de loi.

Articles 1 à 4

(Les articles 1, 2, 3 et 4 sont successivement adoptés.)

M. le président. Je ne suis saisi d’aucune demande d’explication de vote.

M. Jean-Luc Laurent. Je demande la parole, monsieur le président.

M. le président. Je ne peux vous la donner car vous n’êtes le représentant d’aucun groupe. Or seuls les groupes s’expriment dans les explications de vote. Et, sauf erreur de ma part, j’ai cru comprendre que vous n’êtes pas « dans la ligne du parti », comme disait autrefois M. Chassaigne.

La parole est à M. le rapporteur.

M. François Pupponi, rapporteur. J’ai oublié, lors de mon intervention, de saluer Mme Lebranchu, qui a, la première, porté le texte avant que celui ne soit confié à M. Baylet. Je tiens à saluer et sa présence et le travail qu’elle a fourni pour l’adoption de ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Vote sur l’ensemble

M. le président. Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi.

(Il est procédé au scrutin.)

Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants21
Nombre de suffrages exprimés21
Majorité absolue11
Pour l’adoption17
contre4

(Le projet de loi est adopté.)

(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Jean-Michel Baylet, ministre. Je remercie l’Assemblée nationale d’avoir adopté ce projet de loi.

Je souhaite répondre globalement aux différents orateurs qui se sont exprimés lors de la discussion générale. Je les remercie pour leur implication et leur courtoisie. Je constate finalement que nul ne conteste, sur le fond, la création de la collectivité de Corse…

M. Jean-Luc Laurent. Si !

M. Jean-Michel Baylet, ministre. …si ce n’est, de manière exceptionnelle, un député.

M. Jean-Luc Laurent. Non, plusieurs !

M. Jean-Michel Baylet, ministre. J’ai bien entendu tout le monde.

M. Jean-Luc Laurent. Quatre députés ont voté contre.

M. Jean-Michel Baylet, ministre. Monsieur Laurent, permettez que je puisse m’exprimer sans être interrompu en permanence par vos interventions légèrement intempestives. (Sourires.)

M. Jean-Luc Laurent. Je suis interdit de parole !

M. Jean-Michel Baylet, ministre. Permettez-moi d’abord de remercier le rapporteur pour la qualité de son travail. Nous avons œuvré dans un calendrier contraint, mais nous avons tenu les délais. Je pense qu’après une nouvelle lecture au Sénat demain, nous nous retrouverons mardi pour l’adoption définitive du texte.

Monsieur Chassaigne, vous trouviez tout à l’heure que nous allions trop vite. Je ne pense pas que vous ayez besoin de reprendre du souffle : vous en avez, je puis en témoigner et nous en avons encore eu la démonstration ! (Sourires.) Si j’ai bien compris vos propos, le groupe communiste souhaite l’organisation d’un référendum mais n’est pas hostile à la création de la collectivité de Corse. En dehors de M. Laurent, cette disposition fait consensus sur l’ensemble des bancs de l’Assemblée nationale, même si tout le monde ne la conçoit pas de la même manière. Comme vous, je suis un républicain et un laïc. Je me méfie des référendums : je préfère m’en remettre à la démocratie représentative plutôt que d’organiser un référendum où les électeurs ne répondent généralement pas à la question posée.

Oui, monsieur Chassaigne, monsieur Laurent, la République est une et indivisible. Oui, la langue de la République est le français. Mais la République se doit de respecter ses enfants dans leur diversité. Il est vrai que les Corses, les Bretons et les Occitans sont différents.

M. Jean-Luc Laurent. C’est vrai.

M. Jean-Michel Baylet, ministre. On a vu les résultats de la politique menée sous la IIIRépublique, à l’époque controversée et critiquable de la colonisation, lorsqu’on expliquait aux Africains, aux Kanaks et à d’autres peuples l’histoire de « nos ancêtres les Gaulois » aux tresses blondes, aux yeux bleus, ayant des casques ailés sur la tête. Ils ne s’y retrouvaient pas ! Dès lors que nul ne conteste l’appartenance à la République, nous devons respecter les diversités qui nous enrichissent.

M. André Chassaigne. Je suis d’accord !

M. Jean-Michel Baylet, ministre. On peut effectivement parler de « peuple occitan », de « peuple breton » ou de « peuple corse ». Ils ont le droit de s’exprimer dans leur langue : d’ailleurs, les écoles Diwan existent en Bretagne et le corse est enseigné, dans le cadre de l’école de la République, dès l’école primaire. D’autres langues sont également parlées, en particulier l’alsacien.

Monsieur de Rocca Serra, je vous ai de nouveau entendu. Vous approuvez la création de la collectivité de Corse, mais vous voudriez que cela se fasse autrement.

M. Camille de Rocca Serra. Eh oui !

M. Jean-Michel Baylet, ministre. C’est une position qu’on adopte souvent dans l’opposition, quand on ne veut pas dire qu’on n’est pas d’accord.

M. le président. Monsieur le ministre, ne rouvrez pas le débat ! Généralement, après le vote, on adresse des remerciements… (Sourires.)

M. Jean-Michel Baylet, ministre. S’il vous plaît, monsieur le président, permettez que le Gouvernement s’exprime !

Un dernier mot, donc, pour saluer Marylise Lebranchu, qui a porté ces ordonnances avant moi. Je suis heureux de constater que c’est en sa présence qu’elles viennent d’être ratifiées. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. Jean-Luc Laurent. Hélas ! Vous procédez au dépeçage de la France !

M. le président. Je salue également Marylise Lebranchu.

4

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, demain, à neuf heures trente :

Discussion, selon la procédure d’examen simplifiée, de deux projets de loi autorisant l’approbation de conventions internationales ;

Discussion, en lecture définitive, de la proposition de loi relative à l’extension du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse ;

Discussion, en lecture définitive, du projet de loi relatif au statut de Paris et à l’aménagement métropolitain ;

Éventuellement, discussion, en lecture définitive, de la proposition de loi portant réforme de la prescription en matière pénale ;

Discussion du projet de loi ratifiant l’ordonnance n2016-1360 du 13 octobre 2016 modifiant la partie législative du code des juridictions financières.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-huit heures trente-cinq.)

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly