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PROJET DE LOI

autorisant l’approbation de l’accord sous forme d’échange de lettres entre le Gouvernement

de la République française et le Gouvernement de la Fédération de Russie sur le règlement

des obligations complémentaires liées à la cessation de l'accord du 25 janvier 2011

relatif à la coopération dans le domaine de la construction de bâtiments

de projection et de commandement

NOR : MAEJ1519480L/Bleue-1

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ÉTUDE D’IMPACT

I. - Situation de référence et objectifs de l’accord

La Russie a fait connaître à la France, à l’automne 2009, sa volonté d’acquérir des bâtiments de projection et de commandement (BPC) produits par la société française DCNS.

Fleuron de la construction navale française, les BPC combinent, sur une plate-forme unique, les fonctions de porte-hélicoptères, d’hôpital, de transport de troupes, de mise en œuvre de moyens d’assaut amphibie et enfin de commandement. Ils sont conçus pour répondre à des missions multiples telles que : la projection de forces par voie aérienne ou maritime ; la conduite d’opérations de projection de forces par voie aéroportée et/ou maritime depuis un poste de commandement de niveau opératif embarqué ; le soutien aux forces déployées et l’assistance aux populations civiles.

Dans la perspective de la vente de deux BPC, un accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Fédération de Russie relatif à la coopération dans le domaine de la construction de bâtiments de projection et de commandement a été signé le 25 janvier 2011.

Parallèlement, un contrat commercial relatif à la fourniture par DCNS des deux BPC a été signé le 10 juin 2011 entre DCNS et la société par actions de droit russe ROSOBORONEXPORT (ROE). Ce contrat prévoyait la livraison d’un premier BPC en novembre 2014 et d’un second BPC en novembre 2015.

Dans le contexte de la crise ukrainienne, le Président de la République a annoncé le 3 septembre 2014 que les conditions n’étaient pas réunies pour que la France autorise la livraison du premier BPC, le Vladivostok. Il a ensuite été décidé, en novembre 2014, de surseoir à l’examen de la demande de licence d’exportation présentée le 24 septembre 2014.

La France s’est engagée très activement dans les négociations afin de trouver une solution politique à la crise en Ukraine. Pour autant, malgré ses efforts et de vrais progrès, la situation est loin d’être réglée. Les sanctions décidées par le Conseil de l’Union européenne le 31 juillet 2014 demeurent en place.

Constatant que la livraison de ces bâtiments ne pourrait intervenir dans un avenir proche, et désireux de trouver une solution amiable, le Président de la République et le Président Poutine ont décidé en février 2015 d’engager des négociations pour aboutir à un règlement négocié de ce dossier et éviter une issue contentieuse, judiciaire ou arbitrale, forcément longue, plus aléatoire quant à ses conséquences financières et empêchant d’envisager une revente ou un réemploi rapide des BPC tant que les voies de procédure ne seraient pas épuisées.

Parallèlement, un refus de licence d’exportation est implicitement né le 25 juin 2015 s’agissant de la fourniture par DCNS du premier BPC à la Russie. Concernant le second BPC, une décision explicite de refus a été prise le 4 août 2015.

Les négociations engagées à la fin du mois de février 2015 devaient aboutir de façon urgente, dès lors que les refus de licence d’exportation pouvaient faire naître un contentieux entre les deux Gouvernements au titre de l’accord du 25 janvier 2011, d’une part, et un contentieux entre les deux entreprises, DCNS et ROE, au titre du contrat du 10 juin 2011, d’autre part.

Finalement, une solution amiable a pu être trouvée, permettant de régler l’ensemble des questions liées à la non-livraison des deux BPC et d’éviter que cette affaire ne constitue un facteur irritant majeur dans la relation entre la France et la Russie.

La solution négociée s’articule autour de deux accords intergouvernementaux, signés concomitamment le 5 août 2015 :

- d’une part, l’accord portant sur le règlement des obligations liées à la cessation de l'Accord du 25 janvier 2011 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Fédération de Russie relatif à la coopération dans le domaine de la construction de bâtiments de projection et de commandement. Il consacre notamment la reconnaissance de la pleine propriété des bâtiments à la France et la renonciation mutuelle à toute forme de recours entre les deux Gouvernements. Il abroge également l’accord de 2011 ;

- et, d’autre part, l’accord par échange de lettres, qui fait l’objet du présent projet de loi, précise le montant de la transaction et reconnaît à la France le droit de réexporter les bâtiments après information préalable de la Russie.

Parallèlement, DNCS et ROE ont résilié le contrat commercial qui les liait sous la forme d’un avenant à leur contrat initial réglant également la question des contentieux entre elles mais aussi entre leurs sous-traitants et autres entités avec lesquelles ces entreprises sont respectivement en relation. L’avenant prévoit en outre la mainlevée des garanties bancaires qui accompagnaient le contrat. Enfin, il fixe les modalités de restitution à la Fédération de Russie des fournitures gouvernementales reçues par DCNS pour la construction de ces bâtiments de guerre.

II. - Conséquences estimées de la mise en œuvre de l’accord

- Conséquences économiques et sociales

Le présent accord n’a pas de conséquence économique pour les industriels français, qui bénéficient d’une couverture de la Coface, ni par conséquent en termes d’emploi, étant entendu que les deux BPC ont d’ores-et-déjà été achevés par DCNS.

- Conséquences financières

Le présent accord prévoit le versement par le Gouvernement français au Gouvernement russe de la somme de 949,7 millions d’euros. Cette somme correspond à la restitution des sommes avancées par la Russie pour l’achat des deux BPC (893 millions d’euros) et à des dépenses occasionnées par la formation des équipages et le développement de matériels spécifiques par la Russie (56,7 millions d’euros) 

Face aux demandes de la Fédération de Russie, la Partie française a pu faire valoir qu’elle n’entendait rembourser que les seules dépenses directement liées à la construction des BPC.

Ainsi, la somme convenue ne comporte ni indemnités, ni frais financiers, ni pénalités de retard, ni dédommagement de coûts afférents à d’autres programmes, tels que la navalisation des hélicoptères Kamov Ka-52K que les BPC devaient accueillir ou l’aménagement des quais de la base navale d’Oulisse à Vladivostok. Le règlement à l’amiable entre les deux Gouvernements permet d’éviter également les frais importants liés à une éventuelle procédure arbitrale interétatique. En effet, l’accord du 25 janvier 2011 prévoyait qu’en cas de différend relatif à son application, le litige pouvait in fine être soumis à un tribunal arbitral.

La seule condition posée par la Partie russe était de percevoir cette somme dans les meilleurs délais.

- Conséquences juridiques

S’agissant des engagements internationaux de la France

Le présent accord permet, avec l’accord signé le même jour portant sur le règlement des obligations liées à la cessation de l’Accord du 25 janvier 2011, d’éteindre toutes les obligations nées de l’accord du 25 janvier 2011 relatif à la coopération dans le domaine de la construction de bâtiments de projection et de commandement, lequel est abrogé. Ainsi, chaque partie renonce à former tout recours à l’encontre de l’autre partie, au titre de l’accord du 25 janvier 2011, notamment en matière de droit de propriété ou financière.

Ces deux accords offrent également à la France toutes les garanties juridiques nécessaires pour procéder à la revente des bâtiments. En effet, d’une part, la Russie reconnaît, dans l’accord portant sur le règlement des obligations liées à la cessation de l’accord du 25 janvier 2011, qu’elle n’exerce aucun droit de propriété sur les bâtiments D’autre part, aux termes de l’accord par échange de lettres, sous réserve du versement des sommes prévues et de la restitution à la Fédération de Russie des fournitures gouvernementales russes reçues pour la construction des deux navires, la France est libre de revendre les bâtiments à un Etat tiers, après simple information préalable de la partie russe.

Enfin, afin de protéger la propriété intellectuelle des informations et technologies échangées par la France et la Russie, l’accord par échange de lettres précise que les parties ne pourront transférer, sous quelque forme que ce soit, à des tiers les savoir-faire et transferts de technologies reçus de l’autre partie au cours de la réalisation de l’accord du 25 janvier 2011 sans l’accord préalable de l’autre partie. Cette clause permet ainsi de se prémunir contre toute dissémination des savoir-faire et technologies français.

S’agissant du respect des engagements européens de la France

La décision 2014/512/PESC du Conseil de l’Union européenne, du 31 juillet 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine, telle que modifiée1, interdit la vente à la Russie de biens et matériels de guerre, ainsi que de biens à double usage. Cette interdiction n’est toutefois applicable qu’aux contrats conclus après le 1er août 2014 et n’est donc pas applicable au contrat signé le 10 juin 2011 entre DCNS et ROE. En conséquence, le Gouvernement de la République française ne pouvait se fonder valablement sur ses engagements européens pour refuser la délivrance à DCNS d’une licence d’exportation de matériels de guerre en vue de la fourniture des BPC à la Fédération de Russie.

En revanche, la décision française de ne pas accorder à DCNS de licence d’exportation pour la fourniture de bâtiments de projection et de commandement à la Russie est conforme aux principes rappelés en préambule de la décision du Conseil.

Il convient de rappeler en outre qu’en vertu du point 4 de l’article 2 de la position commune 2008/944/PESC du Conseil de l’Union européenne, du 8 décembre 2008, définissant des règles communes régissant le contrôle des exportations de technologie et d’équipements militaires2, la France au même titre que les autres Etats membres s’est engagée à « refus[er] l’autorisation d’exportation [de technologie et d’équipements militaires] s’il existe un risque manifeste que le destinataire envisagé utilise la technologie ou les équipements militaires dont l’exportation est envisagée de manière agressive contre un autre pays ou pour faire valoir par la force une revendication territoriale. Lorsqu’ils examinent ces risques, les États membres tiennent compte notamment de […] la nécessité de ne pas porter atteinte de manière significative à la stabilité régionale ».

Dès lors, en permettant de régler les conséquences des décisions françaises de refus de licence d’exportation, le présent accord, ainsi que l’accord portant sur le règlement des obligations liées à la cessation de l'accord du 25 janvier 2011, participent, dans l’esprit, à la bonne mise en œuvre des engagements européens de la France.

En outre, afin de consacrer le règlement pour solde de tout compte découlant de cet accord, il a été introduit une stipulation précisant que l’application de cet accord n’ouvrait aucun droit à indemnisation au profit des tiers.

Cette clause est destinée à prévenir l’éventuel développement de contentieux de la part de sociétés commerciales affectées par la non-livraison des navires ou d’autres tiers qui pourraient s’estimer victimes d’un préjudice.

Sa portée est cependant limitée : d’une part, elle exclut uniquement l’indemnisation des préjudices directement nés de l’application du présent accord et, d’autre part, la Fédération de Russie a fait son affaire de la répartition entre les sociétés russes intéressées de la somme versée par la France au titre de l’accord ici en cause et les sociétés françaises intéressées ont bénéficié d’une couverture de leur préjudice par la COFACE. Cette clause n’a donc pas pour effet de les priver d’un droit à indemnisation.

Elle est donc conforme à la Constitution et respecte les droits protégés par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, notamment par son article 13 et par l’article 1er de son premier protocole.

III. - Historique des négociations

Dès lors qu’il n’était plus possible d’envisager une livraison des deux BPC à la Fédération de Russie, il devenait impératif de trouver une solution à l’amiable entre les deux Gouvernements, sauf à se trouver placé dans une situation diplomatique délicate et confronté à un risque sérieux de contentieux, tant arbitral que judiciaire, dont l’issue n’aurait pas nécessairement été favorable aux intérêts français.

Le Président de la République et le Président Poutine se sont accordés sur la nécessité de trouver une solution à l’amiable pour régler le dossier des BPC et ont confié à leurs négociateurs le soin de trouver les termes d’un règlement définitif de ce dossier.

Les négociations se sont donc engagées dès la fin février 2015 pour aboutir le 5 août 2015 à la signature à Moscou de l’accord portant sur le règlement des obligations liées à la cessation de l'Accord du 25 janvier 2011 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Fédération de Russie relatif à la coopération dans le domaine de la construction de bâtiments de projection et de commandement ainsi que de l’accord sous forme d’échange de lettres entre les deux Gouvernements sur le règlement des obligations complémentaires liées à la réalisation de l'accord du 25 janvier 2011.

IV. - Etat des signatures et ratifications

Le présent accord a été signé à Moscou le 5 août 2015 et est entré en vigueur à la date de sa signature.

La Fédération de Russie a indiqué qu’aucune procédure parlementaire n’était requise en droit interne russe.

1 La décision 2014/512/PESC du Conseil du 31 juillet 2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine (JOUE L 229/13 du 31/07/2014) a été modifiée à trois reprises : par la décision 2014/659/PESC du Conseil du 8 septembre 2014 (JOUE L 271/54 du 12/09/2014), la décision 2014/872/PESC du Conseil du 4 décembre 2014 (JOUE L 349/58 du 05/12/2014) et la décision (PESC) 2015/971 du Conseil du 22 juin 2015 (JOUE L 157/50 du 23/06/2015). Une version consolidée de la décision est disponible sur le site de la direction du Trésor.

2 Position commune 2008/944/PESC du Conseil du 8 décembre 2008 définissant des règles communes régissant le contrôle des exportations de technologie et déquipements militaires (JOUE L 335/99 du 13/12/2008).


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