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N° 109

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 24 juillet 2012.

PROPOSITION DE LOI

renforçant la prévention et la répression du terrorisme,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Guillaume LARRIVÉ,

député.


EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Sous la présidence de Monsieur Nicolas Sarkozy, le conseil des ministres a adopté, le 11 avril dernier, un projet de loi renforçant la prévention et la répression du terrorisme.

Ce projet de loi ayant été retiré, il nous paraît impératif d’en soumettre à nouveau les dispositions à l’examen de l’Assemblée nationale, sous la forme de la présente proposition de loi.

Depuis 1986, en effet, la France s’est progressivement dotée, comme toutes les autres démocraties, d’un arsenal juridique particulièrement important pour lutter de façon tout à la fois efficace et respectueuse d’un État de droit, contre les actes de terrorisme qui portent une atteinte intolérable aux valeurs essentielles de notre société.

Les évènements tragiques que notre pays a connus en mars dernier, qui constituent une agression terroriste dont la violence le dispute à l’abjection, ont toutefois mis en lumière plusieurs lacunes et imperfections de notre législation, qu’il importe de réparer aussi rapidement que possible, afin de mieux prévenir et de mieux réprimer de tels actes.

La France ne peut tolérer sur son propre sol, ou à l’égard de Français qui se rendraient à cette fin dans des pays étrangers, ni embrigadement ni conditionnement idéologique qui sont de nature à conduire à la commission de tels actes.

Cela impose principalement d’améliorer sur trois points notre droit pénal et notre procédure pénale :

1° Réprimer la propagation et l’apologie d’idéologies extrémistes que constituent la provocation aux actes de terrorisme et l’apologie de ces actes par un délit figurant non plus dans la loi de 1881 sur la liberté de la presse, mais dans le code pénal, afin que les règles de procédure et de poursuites de droit commun, ainsi qu’une partie des moyens d’investigations qui sont déjà ceux de la lutte anti-terroriste puissent être applicables. Il n’est en effet pas normal que ces infractions, parce qu’elles sont actuellement soumises au régime des délits de presse, soient par exemple prescrites à l’issue d’un délai de trois mois, ou ne puissent permettre le recours à la détention provisoire. En effet, il ne s’agit pas en l’espèce de réprimer des abus de la liberté d’expression, mais de sanctionner des faits qui sont directement à l’origine des actes terroristes ;

2° Instituer un nouveau délit permettant de punir pénalement toute personne qui consultera de manière habituelle, et sans aucun motif légitime, des sites internet qui provoquent au terrorisme ou qui en font l’apologie lorsqu’ils diffusent à cette fin des images d’actes de terrorismes d’atteinte à la vie. Actuellement, ces comportements ne sont pas sanctionnés, contrairement à ceux consistant à consulter régulièrement des sites pédopornographiques, et cette différence n’est aucunement justifiée, car le fait de consulter de façon intensive de tels sites, représentant des actes barbares comme des décapitations ou des égorgements, ne saurait être justifié par l’exercice de la liberté de communication mais met en évidence un très fort risque d’auto-radicalisation de la personne ;

3° Faire en sorte que toute personne française ou résidant habituellement en France, qui se rend à l’étranger pour y suivre des travaux d’endoctrinement à des idéologies conduisant au terrorisme, en participant notamment à des camps d’entrainement, puisse être poursuivie et condamnée pénalement dès son retour en France, sans qu’il soit besoin d’attendre, comme c’est le cas actuellement, qu’elle commette des infractions de nature terroriste sur le territoire national. La loi pénale française doit pouvoir s’appliquer dans de tels cas, comme cela a déjà été prévu, par exemple, en matière de tourisme sexuel.

Cela nécessite par ailleurs de modifier la procédure de consultation de la commission départementale d’expulsion pour mieux encadrer les délais.

Tel est l’objet de la présente proposition de loi, dont certaines dispositions transposent par ailleurs la décision-cadre 2008/919/JAI du 28 novembre 2008 modifiant la décision-cadre 2002/475/JAI relative à la lutte contre le terrorisme.

Chapitre Ier : Dispositions modifiant le code pénal

L’article 1er transpose la décision-cadre précitée du 28 novembre 2008 relative à la lutte contre le terrorisme, qui exige de réprimer comme acte de terrorisme le chantage en vue de commettre des actes de terrorisme, en ajoutant à l’article 421-1 du code pénal le chantage dans la liste des infractions constituant un acte de terrorisme, lorsqu’elles sont commises dans le cadre d’une entreprise terroriste.

L’article 2 insère plusieurs articles dans le chapitre du code pénal consacré aux actes de terrorisme.

Le nouvel article 421-2-4 réprime « l’instigateur » d’actes de terrorisme, de manière très similaire à ce que prévoient les dispositions de l’article 221-5-1 de ce même code qui répriment l’instigation à commettre un assassinat. Dans un tel cas en effet, la personne n’ayant pas encore été « recrutée », il n’y a pas encore – et il n’y aura peut-être jamais – d’association de malfaiteurs. Ce texte permet ainsi de réprimer de façon spécifique l’instigation en matière de terrorisme, comme l’exige la décision-cadre précitée du 28 novembre 2008.

Le nouvel article 421-4-5 réprime la provocation et l’apologie des actes de terrorisme, qui sont actuellement punies par l’article 24 de la loi sur la liberté de la presse.

Les peines, actuellement de cinq ans d’emprisonnement, seront portées à sept ans lorsque les faits seront commis par internet.

L’insertion de ces délits dans le code pénal permettra d’appliquer les règles de procédure et de poursuites de droit commun, exclues en matière de presse, comme la possibilité de saisies, ou la possibilité de recourir au contrôle judiciaire, à la détention provisoire ou à la procédure de comparution immédiate.

Le nouvel article 421-2-6 prévoit une nouvelle infraction, le délit de consultation habituelle de sites terroristes, à l’instar de ce qui est déjà prévu par l’article 227-23 en matière de consultation habituelle de sites pédopornographiques. Seule sera sanctionnée la consultation habituelle de sites provoquant aux actes de terrorisme, ou faisant l’apologie de ces actes lorsque ces sites comportent des images montrant la commission d’actes de terrorisme consistant en des atteintes volontaires à la vie.

À la différence de ce qui est prévu pour la consultation de sites pédophiles, il paraît nécessaire de prévoir – de manière très similaire à ce que prévoit l’article 222-33-3 du code pénal réprimant l’enregistrement et la diffusion d’images de violences, faits parfois désignés sous le terme de « happy slapping » – qu’aucune infraction ne sera commise si cette consultation résulte de l’exercice normal d’une profession ayant pour objet d’informer le public, intervient dans le cadre de recherches scientifiques ou est réalisée afin de servir de preuve en justice. Ainsi, ce nouveau délit ne pourra pas entraver le travail des journalistes ou des chercheurs universitaires.

L’article 3 insère deux articles dans le chapitre du code pénal consacré aux dispositions particulières applicables en matière de terrorisme.

Le nouvel article 422-8 permet de combler une lacune de la loi en permettant de réprimer le délit d’association de malfaiteurs terroristes commis par un Français à l’étranger, ce qui est notamment le cas si la personne se rend à l’étranger pour y suivre des travaux d’endoctrinement à des idéologies conduisant au terrorisme ou une formation à la fabrication et au maniement des armes et explosifs en lien avec des activités terroristes.

En effet, ces faits étant actuellement de nature délictuelle, les dispositions des articles 113-6 et 113-8 du code pénal ne permettent des poursuites que si ces faits sont également punis par la législation du pays étranger, et s’ils font l’objet d’une dénonciation de la part des autorités de ce pays. En l’absence de ces conditions, si la personne ne commet des actes d’entente à visée terroriste qu’à l’étranger, elle échappe à la répression.

Il est donc prévu, comme cela a déjà été fait à de nombreuses reprises, non seulement en matière de tourisme sexuel mais également en matière d’excision ou d’activité de mercenaires (articles 222-16-3, 227-27-1, 436-3 du code pénal), de supprimer ces conditions.

Le texte permettra également de réprimer, comme en matière de tourisme sexuel, une personne non française mais résidant habituellement en France qui participerait à des camps d’entraînement à l’étranger.

Le nouvel article 422-9 reprend la possibilité donnée au juge des référés de bloquer les services internet diffusant des provocations aux actes de terrorisme ou faisant l’apologie de ces actes, qui est actuellement prévue par l’article 50-1 de la loi sur la liberté de la presse.

Chapitre II : Dispositions modifiant le code de procédure pénale

L’article 4 modifie ou complète les dispositions du code de procédure pénale afin que le délit de provocation aux actes de terrorisme ou d’apologie de ces actes et le délit de consultation habituelle des sites terroristes ne soient soumis qu’à certaines des règles de procédure concernant les actes de terrorisme, comme la compétence de la juridiction parisienne, la possibilité de procéder à des surveillances, des infiltrations, des écoutes téléphoniques lors de l’enquête de flagrance ou de l’enquête préliminaire, des sonorisations et des captations de données informatiques.

Il n’est en effet pas justifié que toutes les règles de procédure prévues en matière de terrorisme soient applicables à ces délits.

Les articles 706-25-1 et 706-88 du code de procédure pénale sont ainsi complétés afin de prévoir que ne seront pas applicables à ces délits les dispositions relatives à l’allongement à vingt ans du délai de prescription de l’action publique et des peines et celles relatives à la prolongation de la garde à vue au-delà de quarante-huit heures. La prescription de délit de provocation aux actes de terrorisme ou d’apologie de ces actes sera donc celle de droit commun de trois ans.

Il est créé un nouvel article 706-94-1 afin de prévoir que les dispositions relatives aux perquisitions de nuit ne seront également pas applicables.

L’article 706-25-2 fait l’objet d’une coordination afin de permettre la cyber-infiltration en matière de provocation et d’apologie des actes de terrorisme, comme actuellement, ainsi qu’en matière de consultation habituelle de sites terroristes.

Chapitre III : Dispositions diverses

L’article 5 complète l’article L. 522-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile pour préciser les conséquences du défaut d’avis de la commission d’expulsion. À l’expiration d’un délai fixé par décret en Conseil d’État, son avis est réputé rendu, et l’autorité administrative peut statuer.

L’article 6 procède à diverses coordinations dans la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse afin de tenir compte de l’insertion dans le code pénal du délit de provocation et d’apologie terroristes.

L’article 7 prévoit l’application de la loi sur l’ensemble du territoire de la République, à l’exception des dispositions modifiant le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.


PROPOSITION DE LOI

Chapitre Ier

Dispositions modifiant le code pénal

Article 1er

Au 2° de l’article 421-1 du code pénal, après le mot : « extorsions, » sont ajoutés les mots : « le chantage, ».

Article 2

Après l’article 421-2-3 du même code, sont insérés trois articles ainsi rédigés :

« Art. 421-2-4. – Le fait d’adresser à une personne des offres ou des promesses, de lui proposer des dons, présents ou avantages quelconques, de la menacer ou d’exercer sur elle des pressions, afin qu’elle participe à un groupement ou une entente prévu à l’article 421-2-1 ou qu’elle commette un des actes de terrorisme mentionnés aux articles 421-1 et 421-2, est puni, même lorsqu’il n’a pas été suivi d’effet, de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende.

« Art. 421-2-5. – Le fait, publiquement, par quelque moyen que ce soit, de provoquer directement à des actes de terrorisme ou de faire l’apologie de ces actes est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende.

« Les peines sont portées à sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende lorsque les faits ont été commis en utilisant un service de communication au public en ligne.

« Lorsque les faits sont commis par la voie de la presse écrite ou audiovisuelle ou de la communication au public en ligne, les dispositions particulières des lois qui régissent ces matières sont applicables en ce qui concerne la détermination des personnes responsables.

« Art. 421-2-6. – Est puni de deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende le fait de consulter de façon habituelle un service de communication au public en ligne mettant à disposition des messages, soit provoquant directement à des actes de terrorisme, soit faisant l’apologie de ces actes lorsque, à cette fin, ces messages comportent des images montrant la commission d’actes de terrorisme consistant en des atteintes volontaires à la vie.

« Le présent article n’est pas applicable lorsque la consultation résulte de l’exercice normal d’une profession ayant pour objet d’informer le public, intervient dans le cadre de recherches scientifiques ou est réalisée afin de servir de preuve en justice. »

Article 3

Après l’article 422-7 du même code, sont insérés deux articles ainsi rédigés :

« Art. 422-8. – Lorsque la participation à un groupement ou à une entente prévu à l’article 421-2-1 est commise à l’étranger par un Français ou par une personne résidant habituellement sur le territoire français, la loi française est applicable par dérogation au deuxième alinéa de l’article 113-6. Les dispositions de la seconde phrase de l’article 113-8 ne sont pas applicables.

« Art. 422-9. – Lorsque les faits visés par le deuxième alinéa de l’article 421-2-5 constituent un trouble manifestement illicite, l’arrêt du service de communication au public en ligne peut être prononcé par le juge des référés, à la demande du ministère public et de toute personne physique ou morale ayant intérêt à agir. »

Chapitre II

Dispositions modifiant le code de procédure pénale

Article 4

Le code de procédure pénale est ainsi modifié :

1° Le deuxième alinéa de l’article 706-16 est complété par les mots : « ou de l’article 422-8 de ce même code » ;

2° L’article 706-25-1 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Les dispositions du présent article ne sont toutefois pas applicables aux délits prévus par les articles 421-2-5 et 421-2-6 du code pénal. » ;

3° Au premier alinéa de l’article 706-25-2, les mots : « mentionnées au sixième alinéa de l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse » sont remplacés par les mots : « prévues par les articles 421-2-5 et 421-2-6 du code pénal » ;

4° L’article 706-88 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux délits prévus par les articles 421-2-5 et 421-2-6 du code pénal. » ;

5° Après l’article 706-94, il est inséré un article ainsi rédigé :

« Art. 706-94-1. – Les dispositions de la présente section ne sont pas applicables aux délits prévus par les articles 421-2-5 et 421-2-6 du code pénal. »

Chapitre III

Dispositions diverses

Article 5

L’article L. 522-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Si la commission n’a pas émis son avis dans un délai fixé par décret en Conseil d’État, cet avis est réputé rendu. »

Article 6

La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est ainsi modifiée :

1° Le sixième alinéa de l’article 24 est supprimé ;

2° Au premier alinéa de l’article 24 bis, le mot : « sixième » est remplacé par le mot : « septième » ;

3° Au premier alinéa de l’article 48-1, le chiffre : « 8 » est remplacé par le chiffre : « 7 » ;

4° Au premier alinéa des articles 48-4, 48-5 et 48-6, le mot : « neuvième » est remplacé par le mot : « huitième » ;

5° À l’article 65-3, le mot : « huitième » est remplacé par le mot : « septième ».

Article 7

Les articles 1er à 4 et 6 de la présente loi sont applicables sur l’ensemble du territoire de la République.


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