Accueil > Documents parlementaires > Propositions de loi
La version en format HTML, à la différence de celle en PDF, ne comprend pas la numérotation des alinéas.
Version PDF
Retour vers le dossier législatif

N° 1251

_____

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 juillet 2013.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d’une commission d’enquête
relative à la filière EPR,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Denis BAUPIN, Barbara POMPILI, François de RUGY, Laurence ABEILLE, Éric ALAUZET, Brigitte ALLAIN, Isabelle ATTARD, Danielle AUROI, Michèle BONNETON, Christophe CAVARD, Sergio CORONADO, François-Michel LAMBERT, Noël MAMÈRE, Véronique MASSONNEAU, Paul MOLAC, Jean-Louis ROUMEGAS et Eva SAS,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

En mai 2004, notre Assemblée adoptait en première lecture la loi d’orientation sur l’énergie qui ouvrait la voie à la construction en France d’un réacteur dit « de troisième génération ». Le 31 octobre 2004 a été décidée la construction d’un réacteur nucléaire de type EPR (Evolutionnary Power Reactor) par EDF à Flamanville (Manche). Ce réacteur – et la filière dont il est le prototype français –, contesté dès le départ par l’opposition d’alors, devenue majorité aujourd’hui, connaît depuis lors des évolutions qui amènent à s’interroger sur sa pertinence et ses dérives. C’est ce qui conduit à cette demande de commission d’enquête au terme de l’article 137 et suivants du règlement.

Dérives du calendrier :

Après une enquête publique menée en 2006, le décret autorisant les travaux est signé quelques jours avant l’élection présidentielle de 2007, alors même que l’opportunité de cette construction est remise en cause dans le cadre de la campagne électorale.

Cette expérimentation grandeur nature connaît des avaries multiples, qui font dériver sans cesse le calendrier des travaux. Ce chantier accumule en effet les malfaçons et les retards d’une manière surprenante pour un projet se voulant exemplaire, dans un pays censé maîtriser les chantiers de construction nucléaire depuis des décennies. Le chantier est par exemple régulièrement arrêté du fait de graves malfaçons sur le béton de la structure même des bâtiments qui ont vocation à abriter le réacteur, sur les structures métalliques supportant les bâtiments, sur les consoles servant de point d’appui aux ponts de manutention servant au chargement du combustible.

Au démarrage du chantier, en 2007, la livraison était prévue pour 2012… soit cinq ans pour la construction. À l’heure actuelle, le calendrier prévoit une fin de travaux en 2016. Cela signifie en clair un quasi-doublement du temps de travaux.

Explosion du budget :

Pour l’EPR de Flamanville, EDF annonce à l’heure actuelle un coût final estimé à 8,5 milliards d’euros, contre 3,3 annoncés à l’origine du projet ; soit une multiplication par 2,5.

Déjà, avant même ces nouvelles augmentations, la Cour des comptes évaluait (rapport sur les coûts de la filière électronucléaire de janvier 2012) le coût du kWh produit par l’EPR entre 70 et 90 € par MWh, soit un prix supérieur à celui de l’éolien terrestre...

Précisons que ce coût au MWh n’intègre pas, comme l’a souligné la Cour des comptes pour l’ensemble de la filière, une correcte évaluation des coûts générés par le réacteur et qui devraient normalement lui être affectés : assurances en cas d’accident, coûts de raccordement, de gestion des déchets, de démantèlement, etc. qui resteront probablement à la charge de l’État.

Par ailleurs, cette évaluation est de plus basée sur des hypothèses de fonctionnement irréalistes : un EPR fonctionnant pendant 60 ans et avec un taux de disponibilité de 92 % (quand celui des centrales en service en France plafonne à 80 % en 2012).

Sans préjuger d’un nouveau dérapage futur des coûts du projet, il est légitime de s’interroger sur la pertinence qu’il y aurait à poursuivre la construction d’un réacteur qui produirait une électricité plus chère que des énergies renouvelables par définition plus pérennes et moins dangereuses.

Une sûreté incertaine :

La sûreté de cette installation si elle entrait en fonctionnement pose elle-même encore question. L’Autorité de Sûreté Nucléaire a en effet émis des recommandations dont on ne sait toujours pas de quelle manière le constructeur et le futur exploitant les ont prises en compte, si tant est que cela soit le cas.

Le chantier ayant débuté fin 2007, il est stoppé dès le milieu de l’année 2008, l’ASN déplorant un manque de rigueur inacceptable en constatant des fissures sur la plateforme de l’îlot nucléaire. Par trois fois des soucis liés au béton ont interrompu le chantier. Mieux, en 2011 la même Autorité de Sûreté demandait de nouveau la suspension des travaux en soulignant un manque de compétences, de formation à la culture de sûreté des intervenants et des lacunes d’EDF dans la surveillance des sous-traitants. Dans son rapport du 24 juin 2011, l’Autorité de sûreté nucléaire relève « treize constats » d’infraction dans le chantier EPR, dont du matériel et des équipements de secours de mauvaise qualité.

Globalement, plusieurs questions majeures de sûreté de l’EPR sont loin d’être résolues :

- système de contrôle commande remis en question par les Autorités de Sûreté britanniques, finlandaises et françaises dans une déclaration commune dans laquelle elles mettent en évidence l’inadéquation des systèmes de sûreté et le risque de défaillance simultanée des systèmes de contrôle de l’EPR ;

- non-résistance à un crash aérien mise en évidence dès 2003 dans des rapports tenus secret divulgués par le réseau Sortir du Nucléaire ;

- enseignements de la catastrophe de Fukushima, dont le Président de l’Autorité de Sûreté Nucléaire déclarait le 30 mars 2011 devant l’Office Parlementaire d’Évaluation des Choix Scientifiques et Technologiques, que « les améliorations techniques à mettre en œuvre pourraient justifier un moratoire sur le projet d’EPR à Flamanville ». Il ajoutait en septembre 2011 qu’il faudrait minimum 10 ans pour les analyser...

Des partenaires de plus en plus frileux :

Dès 2010, l’autre géant énergétique français, GDF Suez, annonçait se retirer du projet de construction avorté d’un EPR à Penly.

En 2012, l’italien ENEL a exercé son option de retrait et a quitté le projet de Flamanville, faisant suite à un énième débordement du budget et du calendrier. EDF devra à cette occasion rembourser les 613 millions d’euros investis dans le projet par son homologue italien. Ce retrait augure également de l’impossibilité, contrairement aux espoirs des promoteurs de l’EPR de Flamanville, d’une exportation de ce dernier en Italie.

En février 2013, le britannique Centrica a décidé de se retirer d’une éventuelle construction d’EPR au Royaume-Uni. Quelques mois plus tôt, les projets de construction aux États-Unis avaient dû être abandonnés pour les mêmes raisons, faute de partenaires.

Par ailleurs, le partenaire de la première heure, celui qui a conçu techniquement cette troisième génération de réacteurs, Siemens, a décidé en 2011 de se retirer de toute activité dans le secteur nucléaire. C’est pourtant Siemens qui avait développé le projet EPR avec Areva, et devait fournir les panneaux de contrôle commande, pièce névralgique de l’installation. Dès 2009, l’industriel allemand avait décidé de quitter le consortium AREVA NP, dont il détenait 34 % des parts. Mais la décision de sortie du nucléaire allemande a accéléré le processus, puisque Siemens a annoncé en 2011 se désengager totalement de l’énergie nucléaire pour se consacrer aux technologies vertes.

Les réacteurs en construction à l’étranger :

Flamanville n’est pas le seul site en construction. Un autre réacteur est en construction en Finlande, sur le site d’Olkiluoto, qui connaît peu ou prou les mêmes avaries. Ce chantier, dont la construction a débuté en 2005, devait entrer en service mi-2009. Au fil des années, la mise en service a été décalée à 2011, puis 2012. À l’heure actuelle, AREVA envisagerait un report à 2016, l’acheteur finlandais de l’EPR TVO chiffrant à 8 milliards d’euros le surcoût du chantier lié aux seuls retards.

En 2006, l’Agence finlandaise de sécurité des radiations, équivalent de l’ASN française, relevait plus de 700 dysfonctionnements et anomalies sur la sécurité du chantier, évoquant une impréparation et un laxisme d’AREVA.

Il convient également de mentionner les conditions « exceptionnelles » auxquelles il a été vendu aux Finlandais : un prix fixe de 3 milliards d’euros. Le surcoût est assumé par le vendeur, soit un dépassement de facture minimum de 3,6 milliards d’euros entièrement pris en charge par EDF selon des estimations de 2011… L’exploitant futur, TVO, serait également susceptible de demander plus de 2 milliards d’euros au titre du retard pris par le chantier.

Le processus de prix fixe, malgré les dérives connues des budgets initiaux tant en France qu’en Finlande, se répète dans les négociations en cours entre EDF et le Royaume-Uni pour l’implantation de deux EPR.

Deux autres réacteurs sont en construction en Chine où AREVA et EDF les ont vendus à un tarif défiant toute concurrence. Le Président de l’Autorité de Sûreté Nucléaire française mettait en garde le 6 juin 2012 : « Les contrats de vente de réacteurs nucléaires à l’export sont obtenus à des prix complètement bradés. Les prix acceptés par les vendeurs et obtenus par les acheteurs ne sont pas soutenables. […] C’est déjà un problème sérieux, et nous devons nous assurer qu’il ne s’y ajoute pas un dumping au détriment de la sûreté. »

Au-delà des aspects financiers, la presse s’est fait l’écho de la lutte d’influence sans merci à laquelle se livrent EDF et AREVA dans leurs relations avec leur partenaire chinois, alimentant des soupçons d’accords secrets de transfert de technologie sur lesquels les pouvoirs publics n’auraient pas été informés…

Un échec à l’export :

Malgré le bradage des prix, l’échec à l’export se poursuit.

En janvier 2009, après plus de deux ans de négociations, les autorités de l’Émirat d’Abou Dhabi ont préféré recourir à une solution sud-coréenne plutôt qu’à l’EPR développé par AREVA, et pourtant poussé par les « géants » industriels que sont EDF, Vinci, ou encore GDF Suez.

En août 2012, c’est l’aventure américaine de l’EPR qui prend fin. En effet, l’entreprise Unistar Nuclear Energy, filiale à 100 % d’EDF, qui prévoyait la construction d’un EPR à Calvert Hills dans le Maryland se voyait interdite de construction du fait que son partenaire américain, Constellation Energy Group, s’était retiré de la partie, et avait revendu ses parts à EDF.

Enfin, l’implantation d’EPR au Royaume-Uni paraît mal engagée au regard du retrait récent de Centrica.

Tous ces éléments avaient conduit l’un des plus proches conseillers de l’actuel Président de la République, à déclarer le 31 octobre 2011 dans le Monde que l’EPR était « un ratage industriel ». Dès 2006 d’ailleurs, le porte-parole du parti socialiste allait même jusqu’à déclarer que ce projet était « inutile et dangereux » tandis que sa candidate réclamait un moratoire sur toute nouvelle installation nucléaire.

Errare humanum est, perseverare diabolicum

Pour conclure, alors que de nombreux pays ont décidé de se passer d’énergie nucléaire, et que même la France a décidé d’en réduire la part dans son mix électrique, il convient de s’interroger sur la poursuite d’un chantier de plus en plus coûteux, au calendrier aléatoire, et dont les conditions de sûreté indispensable à sa mise en œuvre sont aussi peu garanties. Le Président de la République – alors candidat – avait d’ailleurs indiqué lors de la campagne présidentielle qu’il ne poursuivrait la construction de ce réacteur, que pour autant que ses coûts soient maîtrisés et sa sûreté garantie… deux conditions qui ne seront pas réunies.

Toutes les approximations dans la gestion financière et technique d’un projet comme celui de Flamanville et, au-delà de toute une filière, justifient très largement que notre Assemblée se penche, par le biais d’une commission d’enquête ad hoc, sur les errements de la troisième génération de réacteurs nucléaires. Et ce d’autant plus que l’entreprise EDF est détenue à près de 85 % par l’État Français, et à près de 80 % pour ce qui concerne AREVA. L’État est donc non seulement fondé à contrôler l’activité de ces entreprises, ainsi que les engagements hasardeux et coûteux pris à l’étranger, mais aussi à les orienter dans le cadre de sa participation au capital.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

En application des articles 137 et suivants du Règlement, est créée une commission d’enquête de trente membres relative à la filière nucléaire de troisième génération, dite EPR, pour :

– Faire le point sur les déboires techniques et retards pris par le chantier de Flamanville et les autres réacteurs de ce type en construction ;

– Évaluer les mesures d’adaptation prises par les constructeurs de ces chantiers au regard des prescriptions de sécurité ;

- Évaluer la pertinence de la poursuite des investissements, et les possibles dérives futures du calendrier et des coûts de construction ;

– Évaluer la pertinence des contrats passés (ou en cours de négociation) pour vendre l’EPR à l’étranger ;

– Auditionner un grand nombre d’experts, scientifiques, élus, associations de défenses, ONG et tout groupement en lien avec ce projet ;

– Rédiger un rapport rendu au gouvernement sur la gestion par EDF, AREVA et leurs partenaires de cette filière.


© Assemblée nationale