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N° 1443

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 10 octobre 2013.

PROPOSITION DE LOI

établissant une objection de conscience pour les officiers de l’état civil opposés à la célébration d’un mariage entre personnes de même sexe,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Philippe GOSSELIN, Marc LE FUR, Lionnel LUCA, Philippe MEUNIER, Philippe COCHET, Philippe GOUJON, Alain MOYNE-BRESSAND, Didier QUENTIN, Patrice MARTIN-LALANDE, Sylvain BERRIOS, Georges GINESTA, Frédéric REISS, Jacques LAMBLIN, Yannick MOREAU, Philippe Armand MARTIN, Jean-Pierre DECOOL, Céleste LETT, Dominique DORD, Étienne BLANC, Xavier BRETON, Alain MARLEIX, Nicolas DHUICQ, Josette PONS, Yves NICOLIN, Sauveur GANDOLFI-SCHEIT, Philippe VITEL, David DOUILLET, Sophie DION, Guillaume CHEVROLLIER, Jean-Marie SERMIER, Claude GOASGUEN, Annie GENEVARD, François de MAZIÈRES, François ROCHEBLOINE, Michel VOISIN, Daniel GIBBES, Hervé MARITON, Alain LEBOEUF, Michel TERROT, Véronique BESSE, Franck GILARD, Patrick OLLIER, Laurent FURST, Olivier MARLEIX, Pierre MOREL-A-L’HUISSIER, Laurent WAUQUIEZ, Guy TEISSIER, Claude STURNI, Bernard BROCHAND et Jean-Frédéric POISSON,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La procédure d’adoption de la loi n° 2003-404 du 17 mai 2013 ouvrant l’institution du mariage à des personnes de même sexe a donné lieu à une opposition d’une ampleur inédite depuis trente ans. Cette opposition a conduit à des manifestations rassemblant des millions de personnes. Elle s’est également retrouvée au sein du Parlement où des députés et sénateurs se sont opposés à la consécration d’un droit à l’enfant au détriment du droit de l’enfant.

Cette loi a créé un clivage durable au sein de la société française. Des millions de citoyens y demeurent toujours hostiles tant elle heurte leur conscience et la conception qu’ils se font du mariage, institution destinée à donner une protection et des effets juridiques à l’union d’un homme et d’une femme, fondement de la famille et cadre dans lequel peut se construire et s’épanouir la personnalité de l’enfant.

Parmi ces citoyens, se trouvent de nombreux officiers de l’état civil, maires et adjoints. Ceux-là mêmes sans lesquels la loi ne peut être appliquée y voient une véritable atteinte à leur conscience.

Or, le législateur n’a jusqu’à présent institué aucun dispositif permettant de garantir concrètement la liberté de conscience des officiers de l’état civil consacrée par l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (« Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ») et l’alinéa 5 du préambule de la Constitution de 1946 (« Nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances »).

Les officiers de l’état civil ne sauraient être les seuls à ne pas bénéficier de cette liberté fondamentale dans l’exercice de leur mission en étant contraints de faire ce que leur conscience réprouve. Cela est si vrai que, lors du 95ème Congrès des maires de France, le 20 novembre 2012, le Président de la République lui-même avait déclaré à propos de la loi à venir autorisant le mariage entre personnes de même sexe : « [...] des possibilités de délégation existent. Elles peuvent être élargies et il y a toujours la liberté de conscience [...] la loi s’applique pour tous, dans le respect néanmoins de la liberté de conscience. »

De l’aveu même du Président de la République, la possibilité donnée au maire, sur le fondement de l’article L. 2122-18 du code général des collectivités territoriales, de déléguer à un conseiller municipal la célébration d’un mariage entre personnes de même sexe n’est pas assimilable à l’exercice par celui-ci de sa liberté de conscience. En effet, celle-ci ne saurait consister, pour une personne, à faire commettre, par une autre, l’acte que sa conscience réprouve, en en assumant, qui plus est, la responsabilité. En effet, selon l’article L. 2122-18, toute délégation s’exerce au nom et sous la surveillance et la responsabilité du maire. Le mécanisme de délégation ne peut, en outre, bénéficier aux adjoints qui sont, tout comme le maire, officiers de l’état civil de plein droit en vertu de l’article L. 2122-32 du code général des collectivités territoriales.

Dès les années 70, l’objection de conscience a été reconnue à de jeunes citoyens français qui refusaient de porter les armes à l’occasion de leur service national.

Aujourd’hui, les dispositifs législatifs existants, particulièrement dans le secteur médical (articles L. 2212-8, L. 2123-1 et L. 2151-7-1 du code de la santé publique), garantissent au professionnel de santé ou au chercheur un droit à l’objection de conscience. Celui-ci n’est jamais subordonné à la désignation d’une personne qui commettra l’acte que la conscience du délégataire lui interdit de commettre. Ainsi, par exemple, le professionnel de santé qui refuse de pratiquer une interruption volontaire de grossesse, s’il doit communiquer à la patiente le nom de praticiens susceptibles de réaliser cette intervention, ne peut contraindre un confrère à le faire.

L’objection de conscience, si elle est limitativement organisée en France, est donc parfaitement légale et répond à des situations spécifiques de particulière gravité.

Au cours des débats parlementaires sur le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de même sexe, de nombreux amendements avaient été proposés afin d’introduire une clause de conscience pour les officiers d’état civil. Le Gouvernement n’a pas, hélas, souhaité qu’ils fussent adoptés. Des propositions avaient même été faites en vue de prévoir un régime transitoire, jusqu’au prochain renouvellement des conseils municipaux en mars 2014.

Depuis la publication de la loi et son entrée en vigueur, de nombreux maires font état de pressions exercées sur eux comme en attestent un certain nombre de situations qui ont été médiatisées. Cela montre, au final, que la difficulté demeure et qu’il est urgent, dans un souci d’apaisement, et conformément à l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et l’alinéa 5 du préambule de la Constitution, aux engagements internationaux de la France, de prévoir les modalités de mise en œuvre de la liberté de conscience des officiers de l’état civil.

Du reste, le Conseil d’État, par une décision du 18 septembre 2013, a accepté de transmettre au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité portant sur la question de la liberté de conscience des officiers de l’état civil, à la suite d’une saisine de plusieurs d’entre eux en juillet 2013. Le Conseil constitutionnel doit d’ailleurs statuer le 8 octobre prochain.

L’article 143 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi du 17 mai 2013, dispose désormais que « Le mariage est contracté par deux personnes de sexe différent ou de même sexe. » La célébration d’un mariage entre personnes de même sexe heurte la conscience de nombreux officiers d’état civil auxquels il appartient de célébrer les mariages en vertu de l’article 165 dans sa rédaction également issue de cette loi puisqu’aux termes de cet article : « Le mariage sera célébré publiquement lors d’une cérémonie républicaine par l’officier de l’état civil de la commune dans laquelle l’un des époux, ou l’un de leurs parents, aura son domicile ou sa résidence à la date de la publication prévue par l’article 63, et, en cas de dispense de publication, à la date de la dispense prévue à l’article 169 ci-après. »

Les officiers de l’état civil exercent cette mission, comme toutes leurs fonctions, sous le contrôle du Procureur de la République en vertu de l’article 34-1 du code civil également modifié par la loi du 17 mai 2013. Toutefois, qu’ils soient maires ou adjoints, ils agissent au nom de l’État. À cet égard, le préfet dispose, plus particulièrement à l’encontre du maire, d’un pouvoir de substitution d’action prévu à l’article L. 2122-34 CGCT (« Dans le cas où le maire, en tant qu’agent de l’État, refuserait ou négligerait de faire un des actes qui lui sont prescrits par la loi, le représentant de l’État dans le département peut, après l’en avoir requis, y procéder d’office par lui-même ou par un délégué spécial. »)

Il apparaît ainsi que si l’exercice de la mission d’officier de l’état civil est contrôlée par le Procureur, seul le préfet peut s’y substituer en agissant en ses lieu et place. L’octroi aux officiers de l’état civil d’une véritable liberté et objection de conscience nécessite donc que ces deux autorités procèdent d’un commun accord à la désignation d’un délégué spécial qui célèbrera le mariage lorsque, au sein d’une commune, aucun d’entre eux (ni le maire ni aucun de ses adjoints) n’est disposé, en conscience, à le faire.

Conformément à la règle de partage entre le domaine législatif et le domaine réglementaire, les conditions et modalités d’application du présent texte seront fixées par un décret en Conseil d’État.

Tel est l’objet de la présente proposition de loi soumise à votre examen.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

L’article 165 du code civil est complété par trois alinéas ainsi rédigés :

« Toutefois, l’officier de l’état civil qui tient cette qualité de l’article L. 2122-32 du code général des collectivités territoriales n’est jamais tenu, en conscience, de célébrer un mariage entre personnes de même sexe. Lorsque tous les officiers de l’état civil d’une commune refusent de célébrer un mariage entre personnes de même sexe, le maire de la commune, qui ne peut être tenu d’en déléguer la célébration à un conseiller municipal sur le fondement de l’article L. 2122-18 du même code, en informe le procureur de la République du ressort et le représentant de l’État dans le département. Il leur appartient de désigner un délégué spécial qui procède à la célébration du mariage.

« Un décret en Conseil d’État précise les modalités d’application du présent article, notamment les modalités de désignation conjointe, par le procureur de la République et le représentant de l’État dans le département, des délégués spéciaux, volontaires mentionnés à l’alinéa précédent qui ont la qualité de magistrat ou de fonctionnaire de l’État.

« Les délégués spéciaux percevront une vacation dont le montant est déterminé par décret ».

Article 2

La charge pour l’État est compensée à due concurrence par l’institution d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.


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