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N° 3288

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 1er décembre 2015.

PROPOSITION DE LOI

relative à l’enseignement immersif des langues régionales et
à leur promotion dans l’espace public et audiovisuel,

(Renvoyée à la commission des affaires culturelles et de l’éducation, à défaut de constitution
d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Paul MOLAC, Éric ALAUZET, Brigitte ALLAIN, Danielle AUROI, Denis BAUPIN, Michèle BONNETON, Christophe CAVARD, Sergio CORONADO, Cécile DUFLOT, François-Michel LAMBERT, Noël MAMÈRE, Véronique MASSONNEAU, Barbara POMPILI, Jean-Louis ROUMÉGAS, François de RUGY et Eva SAS,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Depuis l'adoption de l'article 75-1 de la Constitution lors de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France. Cette intégration des langues régionales au patrimoine constitutionnel de la France appelle un développement législatif qui contribuera à définir, sur cette base constitutionnelle, les mesures législatives de protection et de promotion nécessaires à la sauvegarde de ces langues. Telle était l'intention initiale du pouvoir constituant dérivé, lorsqu'il décida d'insérer l'article 75-1 à la Constitution, afin de doter d'une base constitutionnelle l'adoption future d'une loi relative aux langues régionales.

Depuis cette révision constitutionnelle, plusieurs dispositions législatives concernant les langues régionales ont été adoptées par le Parlement. Il en est ainsi de la loi du 8 juillet 2013 d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République. Cette loi reconnaît pour la première fois dans notre législation l’enseignement bilingue français-langue régionale, que celui-ci doit être favorisé et que les familles seront informées des différentes offres d’apprentissage. À cela s’ajoutent cinq mentions supplémentaires situées dans l’annexe de la loi, notamment celle concernant la possibilité de s’inscrire dans une école publique d’une autre commune lorsque la commune de résidence ne propose pas d’enseignement de langue régionale. Cette disposition, à portée déclarative dans la loi du 8 juillet 2013, a trouvé une confirmation juridique concrète dans la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) : la participation financière à la scolarisation des enfants concernés doit désormais faire l'objet d'un accord entre la commune d'accueil et la commune de résidence.

L’article 104 de la loi NOTRe précitée vient par ailleurs utilement consacrer la compétence partagée des collectivités locales dans la promotion des langues régionales, tout en donnant une prééminence à la région, telle que prévue à l’article 1er de la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (MAPTAM).

Malgré ces nouvelles dispositions, force est de constater que depuis 2008, aucune loi cadre n'est venue fixer un statut législatif des langues régionales. Un pas important, attendu depuis 1999, aurait pu être réalisé grâce à la ratification par la France de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, mais celle-ci a été rejetée par le Sénat le 28 octobre 2015. Après ce rejet, il convient donc au législateur de continuer à définir les premiers éléments de ce statut législatif, en précisant quelles mesures de promotion et de protection appelle la patrimonialisation des langues régionales dans la Constitution.

Cette démarche législative s'inscrit en pleine cohérence avec les engagements internationaux pris par la République, dont ceux issus de la signature et ratification de la Convention pour la sauvegarde du patrimoine immatériel de 2003 et de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles de 2005, toutes deux de l’UNESCO.

Sans être exhaustives, les mesures présentes dans cette proposition de loi répondent entièrement au double objectif de promotion et de protection du patrimoine immatériel et de la diversité culturelle dont les langues régionales constituent l'une des expressions.

Si l'article 75-1 de la Constitution appelle un développement législatif, afin de définir les mesures de promotion et de protection dont les langues régionales doivent bénéficier, il ne saurait se traduire en des droits constitutionnels nouveaux pour les locuteurs de ces langues, selon l’interprétation faite par le Conseil constitutionnel. Toujours selon ce dernier, la langue de la République restant le français, aucun droit à l'usage des langues régionales ne saurait être reconnu à des communautés linguistiques, ou aux locuteurs appartenant à ces communautés. L'insertion des langues régionales dans le patrimoine constitutionnel s'inscrit dans une complémentarité avec l'article 2 de la Constitution. Les mesures de promotion et de protection des langues régionales prévues dans la présente proposition de loi s'inscrivent en totale cohérence avec cette complémentarité constitutionnelle. Elles visent à définir certaines mesures de promotion et de protection du patrimoine constitutionnel des langues régionales qui incombent aux collectivités publiques.

La présente proposition de loi définit trois domaines où des mesures de promotion et de protection des langues régionales peuvent être apportées : L’enseignement, la signalétique et les médias.

L'article 1er pose le principe de la reconnaissance de l'enseignement bilingue français-langues régionales quelle que soit la durée des enseignements dispensés dans ces deux langues. Comme énoncé précédemment, grâce à la loi du 8 juillet 2013 d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République, l'article L. 312-10 du code de l'éducation reconnaît l’enseignement bilingue en langue française et en langue régionale. Il n’est toutefois pas fait mention de l'enseignement bilingue dit immersif, ce à quoi propose de remédier cet article en reconnaissant dans la loi toutes les formes d'enseignement bilingue qui sont dispensés en France. Cet enseignement est dispensé en majorité par des établissements d'enseignement associatifs qui assurent un enseignement laïc. Il peut, toutefois, également être appliqué par des établissements d'enseignement confessionnel voire par des établissements publics d'enseignement de manière expérimentale, comme cela est le cas dans le département des Pyrénées-Atlantiques depuis la mise en place en 2008 par l'Éducation nationale d'un protocole d'expérimentation pédagogique à cet effet. De plus, cet enseignement bénéficie d'une reconnaissance au niveau réglementaire puisque l'arrêté du 31 juillet 2001 relatif à la mise en place d'un enseignement bilingue en langues régionales précise dans son article 2 qu'un tel enseignement peut être mis en place dans les zones d'influence des langues régionales.

Les articles 2 et 3 ouvrent aux collectivités territoriales compétentes et volontaires, des possibilités de financement des dépenses d'investissements des établissements d'enseignement général privés, laïcs, ouverts à tous, gratuits et respectant les programmes nationaux qui dispensent un enseignement bilingue français-langue régionale.

Dans sa décision n° 93-329 DC du 13 janvier 1994, le Conseil constitutionnel a eu l'occasion de rappeler que le législateur peut prévoir l'octroi d'une aide des collectivités publiques aux établissements d'enseignement privés. Le Conseil a également rappelé que cette aide pouvait être facultative, les collectivités territoriales appliquant le principe constitutionnel de libre administration. Toutefois, dans cette hypothèse, les modalités d'application de cette faculté ne doivent pas conduire à ce que les conditions essentielles d'exercice de la liberté d'enseignement ne soient pas les mêmes sur tout le territoire. Afin de vérifier que cette condition est remplie, le Conseil constitutionnel pose plusieurs critères.

Les articles 2 et 3 reprennent les conditions posées par le Conseil constitutionnel dans sa décision de 1994, afin de s'assurer que les modalités d'exercice du financement des établissements d'enseignement privés dispensant un enseignement bilingue français-langue régionale respectent la Constitution. L'article 2 ouvre la faculté de subventionner les dépenses d'investissement des établissements privés de premier degré aux collectivités territoriales disposant de cette même compétence pour les établissements publics d'enseignement : les communes et, le cas échéant, leurs groupements. L'article procède de la même manière en ouvrant la faculté d'allouer de telles subventions aux collectivités territoriales compétentes pour financer les dépenses d'investissement des établissements publics : les départements pour les collèges et les régions pour les lycées.

Ensuite, les articles 2 et 3 précisent, en conformité avec les conditions posées par le Conseil constitutionnel, que les montants des subventions sont fixés en fonction de la nature et de l'importance de la contribution des établissements aux missions d'enseignement. Ainsi, certains établissements qui se voient par leur statut imposer des obligations particulières (comme, par exemple, les établissements sous contrat d'association) se verront allouer des subventions d'un montant plus important que d'autres établissements auxquels de telles obligations ne sont pas imposées (comme, par exemple, les établissements sous contrat simple).

Les articles 2 et 3 prévoient également des dispositions qui permettent de prévenir toute rupture d'égalité entre établissements d'enseignement. Premièrement, si une collectivité territoriale décide d'allouer une subvention ou de mettre à disposition des locaux à un établissement d'enseignement privé dispensant un enseignement bilingue français-langue régionale, elle est tenue d'allouer une subvention ou de mettre à disposition des locaux à un autre établissement qui se trouve dans une situation comparable. De plus, ces articles prévoient également que l'aide dont bénéficie les établissements privés ne doit pas aboutir à ce que ces établissements se trouvent dans une situation plus favorable que les établissements publics d'enseignement compte tenu des charges et des obligations particulières qui incombent à ces derniers.

Enfin, les articles 2 et 3 fixent également des critères objectifs que les établissements d'enseignement privés doivent remplir afin de pouvoir bénéficier des aides des collectivités territoriales compétentes. Ces critères, qui sont cumulatifs, poursuivent l'objectif de limiter le pouvoir discrétionnaire des collectivités territoriales dans la décision d'octroyer des aides qui doivent poursuivre des objectifs d'intérêt général et éviter que les conditions d'exercice de la liberté d'enseignement ne soient pas les mêmes sur tout le territoire.

Parmi ces critères figure le point selon lequel les bénéficiaires de ces aides sont les établissements d'enseignement privés dispensant un enseignement bilingue français-langue régionale. En effet, ces établissements jouent un rôle majeur dans la transmission de la langue française et des langues régionales et remplissent donc la mission de promotion et de protection de ces langues par application du mandat constitutionnel posé par l'article 75-1 de la Constitution. Cette mission de promotion et de protection revêt donc un intérêt général dans la préservation du patrimoine constitutionnel de la France et justifie l'octroi d'aides par les collectivités territoriales compétentes.

Les autres critères contribuent également à définir les caractéristiques d'intérêt général que doivent remplir ces établissements afin de bénéficier des aides. Ainsi, les aides ne peuvent être versées que lorsque les établissements dispensent un enseignement à caractère laïc, ce qui a pour conséquence de s'inscrire dans la tradition de l'école républicaine et d'exclure les établissements dispensant un enseignement confessionnel. Dans la même logique, les aides ne sont versées qu'aux établissements qui dispensent un enseignement gratuit, ouvert à tous et qui respecte les programmes nationaux du premier degré et les schémas prévisionnels de formation des collèges et des lycées.

La mise en place de ces critères objectifs permet donc à la fois d'assurer que l'exercice de la liberté d'enseignement est le même sur tout le territoire et de réserver les aides aux établissements d'enseignement privés qui s'inscrivent dans les valeurs et principes de l'école républicaine (gratuité, laïcité, égal accès de tous, respect des programmes nationaux), tout en reconnaissant la spécificité de leur contribution à la protection et à la promotion des langues régionales conformément à la mission assignée par l'article 75-1 de la Constitution.

L'article 4 concerne la place et l'usage des langues régionales dans la vie publique. Il prévoit, à la demande de la région, la généralisation sur tout ou partie de son territoire de la signalétique bilingue ou plurilingue dans les services publics et l’usage de traductions dans les principaux supports de communication institutionnelle.

L'article 5 pose le principe qu'il revient au service public de l'audiovisuel de garantir l'expression en langue régionale, en respect du mandat constitutionnel posé par l'article 75-1 de la Constitution. À cette fin, la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication est modifiée. Le Conseil supérieur de l'audiovisuel est chargé de veiller à ce que les services de communication audiovisuelle attribuent une place significative à l’expression des langues régionales.

PROPOSITION DE LOI

TITRE IER

ENSEIGNEMENT DES LANGUES RÉGIONALES

Article 1er

Le 2° de l'article L. 312-10 du code de l'éducation est complété par les mots : « , quelle que soit la durée d'enseignement dans ces deux langues. »

Article 2

Après l'article L. 151-4 du même code, il est inséré un article L. 151-4-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 151-4-1. –  Les établissements d'enseignement général privés du premier degré peuvent obtenir des communes ou de leurs groupements, des locaux et une subvention d'investissement.

« Afin de pouvoir bénéficier de ces subventions et de ces locaux, dont la décision d'attribution correspond aux communes ou à leurs groupements, ces établissements :

« 1° Dispensent un enseignement à caractère laïc ;

« 2° Dispensent un enseignement bilingue en langue française et en langue régionale ;

« 3° Garantissent l'égal accès des élèves souhaitant suivre leur enseignement ;

« 4° Dispensent un enseignement gratuit ;

« 5° Et dispensent un enseignement qui respecte les programmes nationaux.

« Si une commune ou son groupement décide d'allouer une subvention à un établissement respectant les critères susmentionnés, il délivre une subvention à un autre établissement qui se trouve dans son domaine de compétence et qui respecte ces mêmes critères.

« La subvention d'investissement et les locaux sont alloués pour contribuer à l'accomplissement des missions d'enseignement des établissements. Le montant de la subvention est fixé en fonction de la nature et de l'importance de la contribution des établissements à l'accomplissement des missions d'enseignement.

« L'attribution d'une subvention ou de locaux ne doit pas aboutir à ce que les établissements d'enseignements privés bénéficiant de ces aides se trouvent dans une situation plus favorable que les établissements publics d'enseignement compte tenu des charges et des obligations particulières qui incombent à ces derniers. »

Article 3

Après l’article L. 151-4 du même code, il est inséré un article L. 151-4-2 ainsi rédigé :

« Art. L. 151-4-2. –  Les établissements d'enseignement général privés du second degré respectant les critères suivants peuvent obtenir des départements ou des régions, des locaux et une subvention d'investissement :

« 1° Dispensent un enseignement à caractère laïc ;

« 2° Dispensent un enseignement bilingue en langue française et en langue régionale ;

« 3° Garantissent l'égal accès des élèves souhaitant suivre leur enseignement ;

« 4° Dispensent un enseignement gratuit ;

« 5° Et dispensent un enseignement qui respecte les schémas prévisionnels de formation des collèges et des lycées.

« Si un département ou une région décide d'allouer une subvention à un établissement respectant les critères susmentionnés, il délivre une subvention à un autre établissement qui se trouve dans son domaine de compétence et qui respecte ces mêmes critères.

« La subvention d'investissement et les locaux sont alloués pour contribuer à l'accomplissement des missions d'enseignement des établissements. Le montant de la subvention est fixé en fonction de la nature et de l'importance de la contribution des établissements à l'accomplissement des missions d'enseignement.

« L'attribution d'une subvention ou de locaux ne doit pas aboutir à ce que les établissements d'enseignements privés bénéficiant de ces aides se trouvent dans une situation plus favorable que les établissements publics d'enseignement compte tenu des charges et des obligations particulières qui incombent à ces derniers. »

TITRE II

SIGNALÉTIQUE EN LANGUES RÉGIONALES

Article 4

À la demande de la région, les services publics assurent sur tout ou partie de son territoire l’affichage de traductions de la langue française dans la ou les langues régionales en usage sur les inscriptions et les signalétiques apposées sur les bâtiments publics, sur les voies publiques de circulation, sur les voies navigables ainsi que dans les principaux supports de communication institutionnelle.

TITRE III

PROMOTION DES LANGUES ET CULTURES RÉGIONALES DANS LES MEDIAS

Article 5

La première phrase du deuxième alinéa de l’article 3-1 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication est complétée par les mots : « et à l’attribution d’une place significative à l'expression des langues régionales ».

Article 6

La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

La charge pour les collectivités territoriales est compensée à due concurrence par la majoration de la dotation globale de fonctionnement et, corrélativement pour l’État, par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.


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