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N° 3918

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 5 juillet 2016.

PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

visant à réserver l’engagement de la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le vote d’un projet de loi ou d’une proposition de loi aux sessions ordinaires,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Laurence ARRIBAGÉ, Marine BRENIER, Marie-Christine DALLOZ, Virginie DUBY-MULLER, Arlette GROSSKOST, Marie-Jo ZIMMERMANN, Xavier BRETON, Jean-Pierre DECOOL, Julien DIVE, Dominique DORD, Daniel GIBBES, Jacques LAMBLIN, Thierry LAZARO, Philippe LE RAY, Gérard MENUEL, Pierre MOREL-A-L’HUISSIER, Alain MOYNE-BRESSAND, Guy TEISSIER,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions a permis au législateur d’encadrer l’utilisation de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution en vertu duquel le Gouvernement peut engager sa responsabilité sur un texte dans son ensemble et le faire adopter sans le vote du Parlement, sous réserve de l’adoption d’une motion de censure.

Expression de la spécificité de l’architecture institutionnelle de la Vème République, l’article 49 symbolise la nature hybride de notre régime : de tradition parlementaire d’une part, compte tenu du pouvoir de censure conféré aux assemblées (alinéa 2), mais renforçant pleinement l’exécutif d’autre part, grâce, entre autres dispositions, à l’alinéa 3 de cet article. Profondément ancré dans notre identité institutionnelle, l’alinéa 3 participe sans conteste à la stabilité de notre régime et permet, le cas échant, de dépasser les écueils du parlementarisme, et en particulier, les stratégies d’obstruction menées par l’opposition.

Pour autant, à la suite des dérives survenues notamment sous le second mandat de François Mitterrand, il est apparu nécessaire de limiter le recours à ce dispositif – dont la vocation initiale était ostensiblement exceptionnelle – aux seuls projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale, conformément aux recommandations du « Comité Balladur » de 2007, ainsi qu’à un texte unique par session, sous l’impulsion de la chambre basse.

Depuis 2008 et jusqu’en 2015, aucun Gouvernement n’avait été contraint d’engager sa responsabilité sur un texte. Aussi, la mobilisation du dispositif à trois reprises au cours de l’année 2015 sur le projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, et réitérée en 2016 sur le projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actif-ve-s, est indéniablement source d’incertitudes. Et ce, d’autant plus que ces dernières décisions concernent deux textes qui partagent la triste analogie de se positionner en rupture totale avec la tradition idéologique de la majorité parlementaire et présidentielle. Dans un tel contexte, il est légitime de redouter une forme d’instrumentalisation politicienne de la disposition.

Par cette proposition de loi constitutionnelle, nous souhaitons rappeler les fondements de l’article 49 alinéa 3 et mettre en œuvre les conditions nécessaires pour parer à la résurgence de recours excessifs, telles que les années rocardiennes en ont dénombré, alors que le Premier ministre engageait la responsabilité du Gouvernement à vingt-huit reprises entre 1988 et 1991.

En effet, la ligne de crête entre prérogatives de l’exécutif et pouvoir du Parlement, dessinée par les pères de notre Constitution, est mince mais consubstantielle à la pérennité de notre système démocratique et à l’identité de la République. Ainsi, la défense du fragile équilibre entre légitimité de la représentation nationale et légitimité présidentielle, garant de la stabilité institutionnelle de notre régime, est profondément liée au respect d’un usage exceptionnel et mesuré de l’alinéa 3 de l’article 49, et de son corollaire : la possibilité de dépôt d’une motion de censure.

À ce titre, Michel Debré qualifiait ce type de mesure d’« utile sauvegarde, jalousement gardée en réserve, pour le cas où la commission mixte n’aurait pas réussi à éviter le conflit : dangereuses pour le régime, j’en conviens, si elles étaient employées à tout instant, ces dispositions me paraissent, au contraire, essentielles pour les cas exceptionnels » (1).

Considérant la doctrine sur la question, il paraît justifié d’adresser la rédaction actuelle de l’alinéa 3 de l’article 49 qui apparaît manifestement imparfaite, notamment au regard de celle de l’alinéa précédent. En faisant abstraction de la distinction entre session ordinaire et extraordinaire, le constituant accorde au Premier ministre une latitude démesurée quant à la procédure d’engagement de la responsabilité du Gouvernement : sur la période d’une année civile, dans le cas où il est décidé de réunir deux sessions extraordinaires – comme ce fut le cas en juillet et septembre 2015 – le Premier ministre peut parfaitement faire adopter jusqu’à quatre textes distincts en refusant le vote et la délibération parlementaire.

En tout état de cause, s’il ne convient pas de remettre en question l’existence même de l’article 49 alinéa 3, il est de notre responsabilité d’en empêcher une utilisation dévoyée et chronique, synonyme de déni de démocratie et d’irrespect envers les assemblées et les citoyens qu’elles représentent.

En réservant l’usage de l’article 49 alinéa 3 aux périodes de réunions de sessions ordinaires, cette proposition de loi constitutionnelle y participe.

PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

Article unique

La dernière phrase du troisième alinéa de l’article 49 de la Constitution est complétée par le mot : « ordinaire ».

1 () Cité in « Commentaire des articles 49, 50, 51 » par Jean-Claude Colliard in « La Constitution de la République française » par François Luchaire et Gérard Conac. Economica (2008).


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