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N° 4254

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 24 novembre 2016.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 146-3, alinéa 6, du Règlement

PAR LE COMITÉ D’ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE DES POLITIQUES PUBLIQUES

sur la consultation citoyenne relative à l’égalité entre les femmes
et les hommes

TOME I - RAPPORT

ET PRÉSENTÉ PAR

MM. SÉbastien DENAJA et Guy GEOFFROY

Députés

——

SOMMAIRE

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Pages

SYNTHÈSE 5

INTRODUCTION 17

I. UNE EXPÉRIMENTATION INTÉRESSANTE QUI SOULÈVE DES QUESTIONS DE MÉTHODE 21

A. LA CONSULTATION CITOYENNE EST-ELLE UN BON OUTIL D’ÉVALUATION D’UNE POLITIQUE PUBLIQUE ? 21

1. Les points de vue contrastés exprimés par les personnalités qualifiées 21

a. Mmes Dominique Méda et Hélène Périvier adoptent une position réservée en pointant les biais qui apparaissent dans les motivations des répondants 21

b. M. Loïc Blondiaux et l’association Regards citoyens défendent une logique différente 23

2. Pour les rapporteurs, une consultation citoyenne doit se concevoir comme un élément parmi d’autres de la « boîte à outils de l’évaluation » 24

a. Les motivations déclarées par les répondants ne montrent pas de biais évidents 25

b. L’outil de la consultation citoyenne vient en complément des autres outils mobilisés dans l’évaluation des politiques publiques 27

c. L’expérimentation a révélé la nature particulière de la consultation comme outil d’évaluation 30

B. COMMENT CONCEVOIR LE QUESTIONNAIRE ? 31

1. Les questions méthodologiques soulevées par la rédaction du questionnaire 31

2. Les questions techniques posées par les internautes 33

C. COMMENT RECUEILLIR LES CONTRIBUTIONS ? 34

1. Une participation correcte mais diversement perçue 34

a. 967 participants, près des trois quarts s’étant enregistrés comme femmes 34

b. Une appréciation variée sur la publicité faite à la consultation 35

2. Faut-il mettre en place une « aide à répondre » ? 36

3. Pour les rapporteurs, la communication doit s’ajuster aux ambitions poursuivies 40

D. COMMENT ANALYSER LES RÉPONSES REÇUES ? 42

1. Une analyse statistique à adapter aux particularités de l’outil retenu 42

2. D’autres prismes d’analyse propres à la consultation en ligne, à étudier 43

a. L’analyse textuelle, dépendante de l’ampleur des contributions libres 43

b. La méthode d’analyse communautaire, aussi novatrice que débattue 44

3. Pour les rapporteurs, des progrès possibles en vue de consultations futures 47

II. L’APPRÉCIATION PORTÉE SUR L’ACTION PUBLIQUE EN FAVEUR DE L’ÉGALITÉ ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES 49

A. LA DÉFINITION DES OBJECTIFS 49

B. LA PLACE ET L’IMAGE DES FEMMES DANS LES MÉDIAS ET SUR INTERNET 51

1. Le poids des préjugés sexistes dans la représentation des femmes dans les programmes audiovisuels 52

2. L’obligation de diffuser des programmes audiovisuels sur la lutte contre les préjugés sexistes et contre les violences faites aux femmes 54

3. Le contrôle des contenus illicites sur Internet 56

C. LE PARTAGE DES RESPONSABILITÉS PARENTALES 58

1. L’instauration de la prestation partagée d’éducation de l’enfant (PREPARE) 59

2. L’autorisation d’absence donnée au conjoint d’une femme enceinte pour assister aux examens médicaux liés à la grossesse 61

D. LA GARANTIE PUBLIQUE CONTRE LES IMPAYÉS DE PENSIONS ALIMENTAIRES 62

E. LA PROTECTION CONTRE LES VIOLENCES CONJUGALES 67

1. L’ordonnance de protection 68

2. Le téléphone « grand danger » 72

EXAMEN PAR LE COMITÉ 75

SYNTHÈSE

INTRODUCTION

Le Président Claude Bartolone a chargé le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC) d’évaluer l’action publique en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes, à travers l’expérimentation d’une consultation citoyenne sur l’impact de la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes. Cette expérimentation répond à une demande de M. Dominique Raimbourg, président de la commission des Lois. Elle s’inscrit dans la perspective du volet parlementaire du sommet du Partenariat pour un gouvernement ouvert qui se tiendra à Paris le 8 décembre 2016.

Après trois expériences portant respectivement sur la proposition de loi créant de nouveaux droits en faveur des personnes en fin de vie (février 2015), sur les propositions du groupe de travail sur l’avenir des institutions (octobre 2015) et sur l’avenir de l’Union européenne (avril 2016), les citoyens ont ainsi été, pour la première fois, mis à contribution par l’Assemblée nationale pour évaluer une politique publique, élargissant ainsi leur association au travail parlementaire.

Le CEC a désigné MM. Sébastien Denaja et Guy Geoffroy rapporteurs de cette consultation. Chargé d’élaborer le questionnaire et d’analyser les réponses, un comité de pilotage a été constitué, composé de députés désignés par les commissions concernées par le thème étudié et, afin de garantir la transparence de la démarche, de personnalités qualifiées choisies parmi les spécialistes de l’égalité entre les femmes et les hommes ou des méthodes de « gouvernement ouvert ».

Le comité de pilotage était ainsi composé de :

– Mme Catherine Coutelle, présidente de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, membre du CEC ;

– Mmes Marie-George Buffet, Claude Greff, Gilda Hobert, Sonia Lagarde et Maud Olivier, membres de la commission des Affaires culturelles et de l’éducation ;

– Mmes Monique Iborra, Geneviève Lévy et Dominique Orliac, membres de la commission des Affaires sociales ;

– Mmes Pascale Crozon et Françoise Guégot et M. Dominique Raimbourg, membres de la commission des Lois.

En outre, quatre personnalités qualifiées ont apporté leur concours :

– Mme Dominique Méda, philosophe et sociologue, professeure à l’université Paris Dauphine et directrice de l’Institut de recherches interdisciplinaires en sciences sociales, spécialiste des questions d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et de compatibilité entre vie familiale et vie professionnelle ;

– Mme Hélène Périvier, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques, spécialiste des inégalités entre les femmes et les hommes et co-responsable du programme de recherche et d’enseignement des savoirs sur le genre ;

– M. Loïc Blondiaux, politologue, professeur à l’université Paris I Panthéon Sorbonne, spécialiste de l’ingénierie de la concertation, responsable de plusieurs projets de démocratie participative ;

– l’association Regards citoyens, représentée par MM. Tanguy Morlier et François Massot, dont l’objet est de proposer un accès simplifié au fonctionnement des institutions à partir des informations publiques et qui est notamment à l’initiative du site « Nos-députés.fr ».

Ces personnalités qualifiées ont participé à l’élaboration du questionnaire et à l’exploitation des réponses et ont remis, pour trois d’entre elles, une contribution écrite qui est annexée au présent rapport. Les rapporteurs tiennent à les remercier pour l’aide qu’elles ont apportée à la réalisation de cette consultation.

Pour être exploitable, la consultation devait être circonscrite à un nombre limité de thèmes, choisis à partir des 77 articles de la loi du 4 août 2014. Trois critères ont guidé ce choix. En premier lieu, les thèmes retenus devaient être suffisamment représentatifs des enjeux de la politique publique en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes pour justifier le fait d’interroger les citoyens. Ils devaient également se prêter à la consultation, en étant accessibles et compréhensibles par le citoyen pour ne pas cantonner la consultation aux experts, et en concernant un nombre important de personnes pour garantir un volume suffisant de réponses. Ils devaient enfin entrer dans les compétences du CEC, instance chargée d’évaluer les politiques publiques, en faisant intervenir des outils et des acteurs appartenant à la sphère publique. Conformément à la mission du CEC, la consultation s’inscrivait en effet dans une démarche d’évaluation d’une politique publique, son objectif étant de permettre aux citoyens de donner leur appréciation sur l’efficacité de dispositifs placés sous la responsabilité de personnes publiques.

Sur la base de ces critères, ont été retenues cinq thématiques, emblématiques des principaux enjeux de la loi du 4 août 2014 :

– les objectifs de la politique en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes, définis à l’article premier ;

– la place et l’image des femmes dans les médias audiovisuels et sur Internet : renforcement des prérogatives du Conseil supérieur de l’audiovisuel et des obligations des télévisions et radios nationales en matière d’égalité entre les femmes et les hommes dans la programmation audiovisuelle (article 56) ; extension du dispositif de signalement de contenus illicites sur Internet à l’incitation à la haine à l’égard des personnes en raison de leur sexe (article 57) ;

– le partage des responsabilités parentales : instauration de la prestation partagée d’accueil de l’enfant (article 8) ; octroi d’une autorisation d’absence au conjoint d’une femme enceinte pour assister aux examens médicaux dans le cadre de la surveillance médicale de la grossesse et des suites de l’accouchement (article 11) ;

– la lutte contre les impayés de pension alimentaire : mise en place d’une garantie publique contre les impayés de pensions alimentaires (article 27) ;

– la protection contre les violences conjugales : réforme de l’ordonnance de protection (article 32) ; généralisation du téléphone « grand danger » (article 36).

La consultation s’est déroulée du 4 au 17 octobre 2016. Lors de leur inscription, les internautes ont été invités à cocher soit « Mme », soit « M. », soit « Ne souhaite pas indiquer son sexe ». Les résultats de la consultation ont ainsi pu être ventilés en fonction du sexe déclaré.

Le questionnaire soumis aux participants est annexé au présent rapport. Il comportait des questions « fermées » (les internautes étant guidés dans le choix de leurs réponses) et des questions « ouvertes » (les internautes étant invités à déposer leurs observations dans des espaces de contribution libre). S’ils le souhaitaient, les participants pouvaient ne pas répondre à une question en passant à la suivante.

Les réponses étaient accessibles de manière « anonymisée » : un identifiant a été attribué à chaque questionnaire et, si l’internaute a donné son accord pour être recontacté, il est possible de remonter jusqu’à son adresse mail. Les données issues des réponses ont été déposées sur le site Opendata de l’Assemblée nationale.

Le comité de pilotage s’est réuni le 25 octobre 2016 lors d’une table ronde destinée à analyser les résultats de la consultation du point de vue de la méthode utilisée et du thème traité.

Les rapporteurs souhaitent dégager les enseignements qui peuvent être tirés de cette expérimentation innovante, à la fois sur la forme et sur le fond. Ils se sont ainsi attachés à mettre en avant les questions de méthode soulevées par cette consultation et à rendre compte de l’appréciation que les citoyens ont portée sur l’action publique en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes.

I. UNE EXPÉRIMENTATION INTÉRESSANTE QUI SOULÈVE DES QUESTIONS DE MÉTHODE

Comme l’ont montré les réunions du comité de pilotage qui se sont tenues au stade de l’élaboration du questionnaire et à l’issue de la consultation en ligne, l’intérêt essentiel de cette expérimentation réside dans la réflexion « en vraie grandeur » qu’elle permet sur les atouts et les limites d’une association des internautes à l’évaluation d’une politique publique, via un questionnaire s’appuyant sur une loi votée afin d’en apprécier la portée.

Quatre interrogations ont ainsi émergé, qui serviront à éclairer les parlementaires qui souhaiteraient, dans un avenir plus ou moins proche, renouveler l’exercice. La première porte sur la pertinence de la consultation citoyenne, telle qu’elle a été organisée, en tant qu’outil d’évaluation d’une politique publique. Indépendamment de la réponse – forcément provisoire et contingente – apportée à cette première question, les trois autres sujets méritant aux yeux des rapporteurs un retour d’expérience ont trait aux modalités techniques de la consultation : la conception du questionnaire tout d’abord, le recueil des contributions ensuite, l’analyse des réponses, enfin.

A. LA CONSULTATION CITOYENNE EST-ELLE UN BON OUTIL D’ÉVALUATION D’UNE POLITIQUE PUBLIQUE ?

Alors que les personnalités qualifiées associées à l’expérimentation ont porté sur sa conception même un regard critique pour certaines, plus bienveillant pour d’autres, la position des rapporteurs est ouverte mais lucide.

1. Les points de vue contrastés exprimés par les personnalités qualifiées

Reflétant à la fois la qualité des échanges et les interrogations suscitées par la nouveauté de l’exercice, un débat fondamental a préoccupé les personnalités qualifiées que l’Assemblée nationale avait souhaité convier à participer à la réflexion collective : celui de la légitimité de la parole citoyenne sur l’impact d’une politique publique, lorsque cette parole ne fait l’objet d’aucun filtre, sinon celui de l’enregistrement anonyme sur un portail internet.

a. Mmes Dominique Méda et Hélène Périvier adoptent une position réservée en pointant les biais qui apparaissent dans les motivations des répondants

● Pour Mme Dominique Méda comme pour Mme Hélène Périvier, c’est plutôt à la consultation d’un panel ou d’un échantillon représentatif de citoyens qu’il aurait fallu procéder afin de donner aux opinions émises un minimum de crédibilité. C’est à cette seule condition qu’il aurait été possible d’analyser les résultats, exprimés en pourcentage, comme un reflet significatif du jugement porté par les citoyens sur la politique publique sous-tendue par la loi du 4 août 2014, et non pas comme l’agrégation circonstancielle de réponses n’étant, au mieux, que le fruit du hasard, et au pire, la proie de biais massifs impossibles à mesurer.

À tout le moins aurait-on pu, selon ces personnalités qualifiées, cerner de plus près le profil des répondants en leur demandant non seulement d’indiquer leur sexe – ou refuser de fournir cette indication – mais aussi leur âge, leur niveau d’éducation, leur catégorie socio-professionnelle, leur lieu de résidence, la composition de leur foyer, etc.

Or ici, en ne disposant, pour étudier les réponses obtenues, que de l’indication du sexe des répondants – et encore de manière déclarative –, on est réduit à commenter des écarts de pourcentage qui semblent faire apparaître telle tendance ou telle corrélation. D’une part, on se prive de l’analyse plus fine qui aurait été permise par une meilleure connaissance des caractéristiques des internautes intéressés ; d’autre part et surtout, on risque d’être aveuglé par la surreprésentation, au sein des répondants, de telle ou telle population spécifique. Par exemple, à une question portant sur le dispositif de signalement de certains contenus à caractère sexiste sur Internet, on n’obtiendra évidemment pas les mêmes pourcentages de réponses selon que l’on aura procédé à un sondage auprès d’un échantillon représentatif de la population française âgée de quinze ans et plus ou bien à une consultation ouverte qui aura, peut-être et sans que l’on ait les moyens de le savoir, vu s’exprimer essentiellement des hommes « geeks » âgés de vingt à trente ans, ou alors essentiellement des militantes d’associations féministes. De même, des réponses à des questions relatives aux impayés de pensions alimentaires ne s’interprèteront pas de la même façon selon qu’elles émaneront d’un échantillon connu ou bien d’une population indéterminée de répondants au sein de laquelle les hommes divorcés hostiles à toute législation contraignante sur le sujet sont surreprésentés – voire les mères de tels hommes dont elles soutiennent le point de vue. Le seul prisme d’analyse « répondante femme / répondant homme » ne permet pas de caractériser suffisamment les résultats de la consultation en mettant au jour de possibles biais. Selon Mme Hélène Périvier, l’observation des réponses obtenues, notamment des réponses aux questions ouvertes, laisse justement supposer de tels biais dans les motivations des personnes ayant répondu à la consultation.

● Si l’on envisage la question sous l’angle des objectifs poursuivis par la consultation, Mmes Dominique Méda et Hélène Périvier convergent pour en demander la clarification, avant de pouvoir répondre à la question de la pertinence de cette consultation citoyenne comme outil d’évaluation d’une politique publique.

Dans l’hypothèse où il s’agissait de mesurer la connaissance, au sein de la population française, des principales mesures contenues dans la loi du 4 août 2014, alors l’obstacle de la composition de l’échantillon ou de la caractérisation des répondants est dirimant. S’il s’agissait d’évaluer l’efficacité de ces mesures, ou bien la perception par les citoyens de cette efficacité, alors l’outil à utiliser doit plutôt consister en une enquête quantitative et qualitative de grande ampleur menée scientifiquement par des professionnels tels que ceux des services de la statistique publique. S’il ne s’agissait « que » de consulter les citoyens, alors pour Mme Hélène Périvier, « la démarche était exploratoire et mérite d’être poursuivie. Cette expérience pilote permet de mettre au jour les difficultés d’une telle consultation pour se doter dans l’avenir d’un outil plus adapté à la démarche ». Et selon Mme Dominique Méda, « l’idée de consulter les citoyens sur la connaissance d’une loi est évidemment excellente et contribue à l’évaluation d’une politique, même si elle ne peut exclusivement en servir lieu ».

Davantage familières de la démarche des consultations citoyennes, les autres personnalités qualifiées en ont défendu la philosophie mais n’en ont pas pour autant nié les limites.

b. M. Loïc Blondiaux et l’association Regards citoyens défendent une logique différente

● L’association Regards citoyens, dès le stade de la conception de l’expérimentation, a plaidé pour que la consultation revête le moins possible l’allure d’un sondage d’opinion et fasse la plus large place à des contributions libres émanant de citoyens appelés à faire valoir leur propre expertise sur les sujets traités.

En effet, pour ce collectif, l’évaluation de la politique publique mise en œuvre par la loi du 4 août 2014 consiste à mobiliser cette « expertise citoyenne » qui n’est jamais entendue ni même repérée dans les processus « classiques » d’évaluation parlementaire, et qui doit permettre de faire émerger, d’une part, certains problèmes rencontrés dans l’application de la politique à évaluer, mais aussi de bonnes idées d’amélioration de la réglementation.

Une telle démarche est conçue par ses promoteurs – cela a été réaffirmé avec force au cours de la table ronde consacrée à l’analyse de la restitution des résultats de la consultation – comme une manière d’aider les députés à entretenir un lien de proximité avec les citoyens tout au long de leur mandat, y compris dans les aspects les plus techniques de l’exercice de celui-ci : cela avait déjà été expérimenté récemment en amont de la discussion et du vote de la loi dans le cadre de la préparation du projet de loi pour une République numérique (1) ; il convenait de s’attacher cette fois à l’aval du processus législatif avec une évaluation ex post.

● Poursuivant dans cette veine de la mobilisation des grands principes, M. Loïc Blondiaux, qui compte parmi ses sujets d’expertise à la fois les sondages et la démocratie participative, a estimé que l’exercice de la consultation citoyenne consistait à faire vivre l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, aux termes duquel « Tous les citoyens ont le droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à [l]a formation » de la loi, expression de la volonté générale.

En donnant à chaque citoyen l’occasion de faire entendre sa voix à propos d’une loi, on dépasse à la fois la logique de la représentation – qui voudrait que cette voix ne soit entendue que si elle est représentative – et la logique scientifique selon laquelle une évaluation en bonne et due forme ne devrait pouvoir être conduite que selon les canons de la recherche en sciences sociales. La démarche est différente, elle s’ajoute à l’existant. Elle est également polyphonique et elle permet, comme le défendent l’association Regards citoyens et d’autres acteurs comparables, de capter l’expression de ceux que l’on n’entend habituellement pas.

Au cas d’espèce toutefois, la méthode semble perfectible à M. Loïc Blondiaux. En effet, le format de la consultation a emprunté à la « logique sondagière » – avec le recours à de nombreuses questions fermées – sans la représentativité de l’échantillon de population interrogé qui va en principe de pair avec un sondage. D’un autre côté, comme on le constate souvent aujourd’hui dans le cadre des initiatives qui fleurissent sous l’appellation de civic tech, et qui sont autant de manières de mettre les nouvelles technologies au service de la démocratie participative, il est parfois difficile de se résoudre à admettre que la parole ne soit donnée qu’à des collectifs non identifiés – que M. Loïc Blondiaux nomme « collectifs amorphes » (2). Bien plus fructueuse – mais plus onéreuse également – est l’organisation de jurys citoyens ou, de manière un peu moins ambitieuse, la consultation de collectifs existants mais dont on sait qu’ils sont concernés par le sujet traité ; par exemple, dans le cadre de la consultation s’appuyant sur la loi du 4 août 2014, on aurait pu imaginer, sur le thème de la lutte contre les violences conjugales, la constitution de panels de personnes ayant été confrontées au phénomène.

L’ensemble de ces critiques constructives émises par les personnalités qualifiées associées à l’expérimentation de la consultation citoyenne comme outil d’évaluation d’une politique publique ont permis aux rapporteurs de se forger une opinion et de proposer pour l’avenir une doctrine d’emploi.

2. Pour les rapporteurs, une consultation citoyenne doit se concevoir comme un élément parmi d’autres de la « boîte à outils de l’évaluation »

Avant d’indiquer comment la consultation citoyenne peut venir prendre place parmi les outils d’évaluation, les rapporteurs souhaitent indiquer brièvement en quoi les résultats de la consultation citoyenne menée du 4 au 17 octobre méritent attention, au-delà des limites de méthode.

a. Les motivations déclarées par les répondants ne montrent pas de biais évidents

En réponse aux préoccupations exprimées en amont de la consultation, en particulier par l’association Regards citoyens, avaient été incluses en fin de questionnaire deux questions (numérotées 35 et 36) destinées, sinon à cerner le profil des personnes ayant répondu, du moins à comprendre leurs motivations.

Question 35. Pour préciser les raisons qui vous ont incité-e à répondre à ce questionnaire, merci d’indiquer dans quel domaine vous pouvez par votre information ou votre expérience aider à améliorer l’égalité entre les femmes et les hommes ?

Conçue en « miroir » de la question 1 de la consultation (cf. infra) en ce qu’elle propose la même liste de thèmes d’inégalités entre les femmes et les hommes reprise textuellement de l’article premier de la loi du 4 août 2014, la question 35 fait apparaître une distribution des réponses bien différente, indiquant que les internautes ont fait la part des choses entre les thèmes considérés comme prioritaires dans la lutte contre les inégalités et leurs motivations pour s’exprimer sur ce sujet. Le thème des préjugés sexistes se détache ici nettement puisqu’il est retenu par les trois quarts des internautes, suivi par le thème de l’égalité professionnelle et salariale et celui des violences. La question de la prostitution est nettement en dernière position.

Si le profil général des réponses entre internautes respectivement enregistrés comme femmes et comme hommes est similaire, quelques écarts sont significatifs. Ainsi, la question des violences est moins présente chez les hommes et ce thème y fait jeu égal, en pourcentage, avec celui du partage des responsabilités parentales. Chez les hommes toujours, le thème de la maîtrise de la sexualité et celui de la précarité sont moins fréquemment cités, tandis que la rubrique « autre » l’est davantage que chez les femmes.

Or parmi les motivations indiquées à la rubrique « autre », sont principalement cités :

– la question du partage de la garde des enfants entre parents après leur séparation, surtout pour souligner qu’elle se ferait systématiquement au détriment des pères ;

– plus largement le thème des discriminations à l’égard des hommes ;

– dans une moindre mesure, le rôle et la place de l’école en matière d’égalité entre les femmes et les hommes.

Par conséquent, si Mme Hélène Périvier peut à bon droit estimer que ces dernières réponses tendent à faire ressortir des préoccupations d’hommes d’une manière qui lui paraît excessive au regard de l’état des inégalités entre les femmes et les hommes dans notre société, on peut lui répondre que, d’une part, ces préoccupations ne pèsent que de façon marginale dans le total des réponses, et que d’autre part, le choix de demander aux internautes d’indiquer leur sexe permet justement d’affiner l’analyse des réponses en fonction de ce critère.

La question 36 était surtout destinée à repérer d’éventuelles « expertises citoyennes » particulièrement dignes d’intérêt, dans l’hypothèse où il serait décidé, à l’issue de la consultation et pour prolonger celle-ci, de faire venir en audition certains des internautes ayant participé à la consultation. À cette fin, la question 37 demandait aux participants s’ils accepteraient d’être recontactés : 76 % ont répondu oui.

Question 36. Vous pouvez aider à améliorer le ou les problèmes identifiés à la question 35 car :

Il est intéressant de noter ici que prévaut ce que l’on peut appeler la « motivation citoyenne » puisque l’expression d’une opinion est la raison le plus souvent mise en avant pour motiver une prise de position, devant l’expérience personnelle, directe ou indirecte. C’est encore beaucoup plus flagrant chez les internautes enregistrés en tant qu’hommes, où l’expérience personnelle directe est le dernier critère cité.

Donc là encore, on ne note pas de biais manifeste qui invaliderait l’ensemble des réponses obtenues dans le cadre de cette consultation, mais des choix de conception de la consultation qui aident à interpréter les résultats, sans pour autant que l’on puisse en conclure qu’une telle consultation aurait vocation à se substituer à l’ensemble des outils utilisés pour évaluer les politiques publiques.

b. L’outil de la consultation citoyenne vient en complément des autres outils mobilisés dans l’évaluation des politiques publiques

Les débats du comité de pilotage sur le bien-fondé du recours à la consultation citoyenne comme outil d’évaluation ont aussi le mérite de rappeler ce que fait déjà le Parlement en ce domaine, et spécialement l’Assemblée nationale avec, en son sein, la structure ad hoc du CEC créé en 2009 et directement rattaché à la présidence de l’Assemblée. Quatre modalités d’enrichissement du travail d’évaluation des députés par l’apport de compétences externes, qui recoupent directement les préoccupations des personnalités qualifiées mentionnées plus haut, peuvent être citées.

En premier lieu, le CEC mobilise des experts sur tous ses sujets d’évaluation, notamment ceux qui ont été cités par Mme Dominique Méda faisant référence aux statisticiens et analystes rattachés aux ministères sociaux, qui travaillent au sein de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) et de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES). Les deux rapporteurs de la mission d’évaluation de l’accès aux droits sociaux ont, tout au long de leurs travaux entamés en janvier 2016 et qui viennent de s’achever (3), utilisé l’enquête de référence de la DARES sur le non-recours aux minima sociaux réalisée pour le compte du comité national d’évaluation du RSA, ainsi que les nombreuses publications et les riches compétences de la DREES afin d’éclairer leur propre travail d’analyse sur un sujet méconnu et pourtant fondamental.

Le CEC mobilise également les travaux d’évaluation menés par des experts hors du champ social, par exemple lorsqu’il s’est agi en 2015 de travailler de manière approfondie sur la mixité sociale dans l’éducation nationale (4), autrement dit les conséquences de la carte scolaire et de son contournement sur la composition sociale des établissements, en faisant appel non seulement à la science des corps d’inspection compétents – Inspection générale de l’éducation nationale et Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche –, mais aussi aux travaux pointus de l’École d’économie de Paris.

Deuxièmement, la réalisation de sondages dans les règles de l’art, supposant la composition d’un échantillon représentatif et le redressement des résultats, fait aussi partie des outils mobilisés par le CEC, qui a par exemple commandé à l’IFOP une enquête d’opinion intitulée « Les Français, l’impact du tabac sur la santé et les mesures publiques s’y rapportant », dans le cadre de l’évaluation de la politique publique de lutte contre le tabagisme réalisée en 2013 (5). Cette mission d’évaluation a également fait appel à l’assistance de la Cour des comptes.

Troisièmement, le recours à des experts extérieurs pour leur commander des travaux statistiques afin de disposer de données de première main issues de la collecte et de l’analyse d’informations de terrain fait partie des pratiques du CEC. C’est ainsi que la mission d’évaluation déjà mentionnée sur la carte scolaire a donné lieu à la conclusion d’un marché public avec un prestataire spécialisé en évaluation de politiques publiques comprenant un volet quantitatif qui a nécessité la construction d’un indice statistique ad hoc.

Évaluation de l’impact de la carte scolaire sur la mixité sociale des établissements d’enseignement : création d’un indice statistique pour le CEC

Dans le cadre de la mission qui lui avait été confiée par le CEC pour évaluer l’impact de la carte scolaire sur la mixité sociale des établissements d’enseignement dans deux agglomérations, le cabinet prestataire a eu recours aux services de deux experts statisticiens afin de créer, pour les besoins propres du CEC, un indice statistique particulier.

Il s’agit d’un indice original conçu pour mesurer l’écart de mixité sociale entre un établissement et son quartier d’implantation, dénommé « indice d’écart normalisé ». Plus précisément, cet indice exprime un écart de composition en pourcentage entre ces éléments. L’échelle géographique retenue est celle du grand quartier, au sens de l’INSEE. L’appréciation de la composition sociale s’appuie sur un découpage de la population en quatre catégories : A (très favorisée), B (favorisée), C (moyenne) et D (très défavorisée).

L’indice d’écart normalisé teste l’existence de liens entre la composition sociale des grands quartiers et celle des établissements d’enseignement qu’ils hébergent. L’encadré suivant en précise les modalités de calcul et d’interprétation.

Source : annexe n° 5 au rapport précité de MM. Yves Durand et Rudy Salles, pp. 19-20.

Déjà mentionné également, le rapport de la mission d’évaluation de l’accès aux droits sociaux a lui aussi donné lieu à des travaux statistiques réalisés dans le cadre d’un marché conclu avec un prestataire qui s’est adjoint les compétences d’une experte statisticienne afin d’approcher la mesure locale du non-recours à certains minima sociaux.

Évaluation de l’accès aux droits sociaux et mesure du non-recours aux prestations : une modélisation des taux de couverture par département

Les rapporteurs du CEC chargés de l’évaluation de l’accès aux minima sociaux et aux soins souhaitaient disposer d’une méthode permettant de mesurer localement le non-recours à ces prestations dans deux départements, c’est-à-dire l’écart entre la population bénéficiaire de ces prestations et la population éligible. Ils ont mandaté un cabinet prestataire à cette fin.

Devant le manque de données de terrain directement disponibles, l’experte statisticienne recrutée par le prestataire pour les besoins de cette analyse quantitative a mis au point un modèle de régression linéaire permettant d’estimer l’ampleur du phénomène de non-recours par département métropolitain et par prestation, à partir d’une comparaison entre le taux de couverture (6) de cette prestation dans le département considéré et le taux de couverture attendu ou théorique pour ce département, compte tenu de ses caractéristiques socio-démographiques.

Quatrièmement et enfin, pour répondre aux suggestions relatives à des modalités différentes de recueil d’expériences personnelles de citoyens anonymes, utiles à l’évaluation d’une politique publique, le cahier des charges des marchés que le CEC conclut régulièrement avec les prestataires qu’il mandate dans le cadre des évaluations qui le justifient, comprend toujours un volet qualitatif d’entretiens de terrain, qui peuvent prendre différentes formes, des simples interviews aux « focus groupes ».

La consultation citoyenne n’est donc que le plus récent des outils mobilisés par le CEC dans le cadre de l’évaluation d’une politique publique, et un outil encore en phase de rodage.

c. L’expérimentation a révélé la nature particulière de la consultation comme outil d’évaluation

Nettement distincte des modalités déjà utilisées dans l’évaluation de politiques publiques mise en œuvre par le CEC, comme on vient de le voir, la consultation citoyenne n’est pas seulement différente de par les techniques utilisées, qui suscitent des interrogations particulières (cf. infra) ; elle est plus fondamentalement différente de par sa nature même.

Elle s’affranchit en effet délibérément de toute prétention à une quelconque valeur scientifique dans la mesure des résultats obtenus, tranchant en cela avec la pratique des enquêtes d’opinion, mais aussi avec les travaux « classiques » d’expertise statistique ou économétrique. Pour autant elle ne se limite pas à un banal recueil désordonné d’opinions triviales car elle suppose beaucoup de rigueur dans sa conception, dans sa mise en œuvre ainsi que dans l’exploitation de ses résultats, qui fait appel à des data scientists ou spécialistes de la donnée.

Il semble donc aux rapporteurs que tout l’enjeu de la consultation citoyenne mise au service de l’évaluation d’une politique publique réside dans cette tension entre absence de réelle valeur probante dans une vision purement quantitative, et sophistication de l’analyse qualitative issue de l’exploitation d’une masse de données complexes et subjectives.

Si les sondages ou les enquêtes approfondies de services statistiques ministériels sont irremplaçables dans ce qu’ils apportent à l’évaluation de politiques publiques, la consultation citoyenne, à condition d’être rigoureusement conçue et menée, se révèle d’une utilité indéniable dans la mesure, économe en temps et en moyens, de la perception de l’efficacité d’une politique publique par les citoyens. Or, la manière dont l’action publique est perçue joue sur son efficacité, même si elle n’en est pas l’unique déterminant. On comprendra ainsi que, du point de vue des parlementaires, l’intérêt porté à l’outil de la consultation citoyenne soit soutenu.

Outil intéressant au sein de la palette des modalités d’évaluation des politiques publiques, la consultation citoyenne en ligne est aussi un outil très nouveau. Voilà qui pose une série de questions pratiques à chaque stade de la consultation, à commencer par la mise au point du questionnaire à mettre en ligne.

B. COMMENT CONCEVOIR LE QUESTIONNAIRE ?

La conception du questionnaire support de la consultation citoyenne pose à la fois des questions de méthode et des questions techniques.

1. Les questions méthodologiques soulevées par la rédaction du questionnaire

Indépendamment du choix des thèmes à aborder pour parvenir à apprécier au mieux la « perception citoyenne » de l’action publique en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes, le comité de pilotage a eu à se pencher sur l’équilibre à trouver entre questions ouvertes et questions fermées, ainsi que sur le degré de technicité des questions posées.

● Sur le premier point, la démarche a concrètement consisté à compléter la trame initiale de questions fermées par des champs de contributions libres. En effet, même si de tels champs n’étaient pas absents de la première version de travail du questionnaire – celle-ci comportait une question finale invitant les internautes à ajouter dans un espace de contribution libre des observations pour compléter leurs réponses et bon nombre de questions fermées comprenaient la possibilité de s’abstraire de la liste de choix proposés pour cocher une case « autre » et remplir le champ correspondant –, il manquait la possibilité de s’exprimer plus longuement et plus globalement sur chacun des thèmes abordés. Quelques internautes ont fait part de leur satisfaction de pouvoir disposer de tels espaces de libre expression.

Qu’elles se soient montrées, en amont de la consultation, très désireuses de proposer un maximum d’espaces de contributions libres ou au contraire plus circonspectes devant cette modalité de questionnement fort éloignée de la logique du sondage, toutes les personnalités qualifiées se sont accordées en définitive, au stade de la discussion sur la restitution des résultats de la consultation, pour reconnaître – certes à des degrés divers – l’utilité de ce mode opératoire. Les rapporteurs sont sur la même ligne et considèrent que, dans le cadre de la présente expérimentation, l’équilibre entre questions fermées et questions ouvertes – un espace de contribution libre sur chacun des cinq thèmes traités ainsi qu’un espace supplémentaire in fine sur la consultation elle-même – s’est révélé tout à fait satisfaisant.

Au-delà, peut-être pourrait-on, dans le cadre d’une future consultation du même type, souscrire à la suggestion de Mme Hélène Périvier, à laquelle s’est associée Mme Dominique Méda, consistant à instaurer des « filtres » réservant la réponse à certaines questions aux citoyens les plus concernés. Par exemple : « Vivez-vous ou avez-vous vécu telle situation ? si oui, que pensez-vous de tel dispositif ? ». Bien sûr, une telle modalité serait à réserver à l’approfondissement ponctuel d’un thème du questionnaire et non à systématiser, au risque sinon de perdre de vue l’aspect « citoyen » de la consultation au sens de l’article 6 précité de la Déclaration de 1789.

● Le problème du niveau de technicité des questions a suscité des débats au sein du comité de pilotage et des remarques de la part des internautes lorsqu’ils étaient interrogés sur la consultation elle-même (question 38, cf. infra).

Lorsque les internautes se sont exprimés, c’était, sans surprise, pour souligner le caractère exigeant du questionnaire de par le langage utilisé ou la complexité des dispositifs soumis à la consultation, sinon pour les répondants eux-mêmes, du moins pour des répondants potentiels qui auraient pu être découragés de ce fait.

Au sein des personnalités qualifiées, c’est surtout Mme Dominique Méda qui a plaidé pour que le langage utilisé soit plus accessible et estimé que le questionnaire définitif ne tenait pas assez compte de ce plaidoyer. En revanche, Mme Hélène Périvier a considéré qu’il n’était ni possible ni souhaitable de descendre en-dessous d’un certain niveau de technicité : la loi est ainsi écrite, la technicité étant souvent le reflet de la précision et de la complexité des dispositifs organisés par les textes, et trop simplifier reviendrait à dénaturer l’objet même de la consultation. Évaluer une prestation sociale comme la prestation partagée d’éducation de l’enfant (cf. infra) suppose de comprendre comment elle fonctionne. Cela ne veut pas dire que chaque citoyen doit tout connaître de la législation en vigueur pour pouvoir répondre à une consultation citoyenne sur une politique publique donnée, mais que l’on peut lui demander son avis sur une politique ou une loi qu’il connaît bien en raison de sa situation personnelle – son avis sera alors particulièrement éclairé –, ainsi que sur une politique ou une loi qu’il connaît peu voire pas du tout – à charge pour les auteurs du questionnaire de donner les clefs de compréhension minimale de l’objet de la consultation.

Mme Hélène Périvier a ainsi souscrit à la démarche qui a été retenue par les rapporteurs, consistant, pour chaque thème phare de la loi du 4 août 2014, à présenter succinctement les mesures contenues dans la loi sous la forme d’un encadré liminaire – présentation assortie d’un lien hypertexte vers les dispositions législatives correspondantes –, avant de soumettre une liste de questions fermées, auxquelles il est loisible à l’internaute de ne pas répondre en passant directement à la question suivante, puis d’ouvrir un champ de contribution libre.

À la charnière entre questions méthodologiques et questions techniques, la longueur du questionnaire a également été débattue. Aux yeux des rapporteurs, les trente-huit questions posées dans le cadre de cette consultation sont probablement proches de la borne haute de ce qu’il est possible de demander aux internautes.

2. Les questions techniques posées par les internautes

Les internautes, plus ou moins familiers, manifestement, de la consultation en ligne, ont formulé au stade de leur dernière réponse certaines remarques ou certaines propositions d’amélioration des modalités techniques de l’exercice.

Des participants ont ainsi fait état de difficultés à accéder au questionnaire et à s’enregistrer, ce qui serait évidemment un grave défaut structurel si de telles difficultés prenaient des proportions significatives ; cela n’a pas été le cas.

À propos de la longueur du questionnaire évoquée à l’instant, quelques internautes ont suggéré l’indication préalable du temps moyen estimé nécessaire pour répondre à l’ensemble. Une suggestion de bon sens aux yeux des rapporteurs, de même que celle consistant à permettre de revenir en arrière au fil du questionnaire pour corriger ou compléter ses réponses.

Assez nombreux ont été les internautes regrettant de ne pouvoir cocher une case « ne se prononce pas » en réponse aux questions fermées. Il était pourtant très clair aux yeux des rapporteurs, évidemment soucieux de laisser cette possibilité aux internautes sans opinion, qu’il suffisait en pareille hypothèse, comme cela était indiqué au début du questionnaire, d’éluder la question et de passer à la suivante, comme l’ont d’ailleurs fait ponctuellement beaucoup de participants. Ce type de remarque renvoie à la question du degré de concentration de l’internaute consulté, ce qui est évidemment inhérent à l’outil lui-même ; on pourrait en dire autant des – rares – remarques du type « Une fois que l’on a lu l’encadré présentant une mesure, il n’est plus possible de répondre par la négative à la question “ connaissez-vous cette mesure ? ”, même si on ne la connaissait pas auparavant »…

Enfin, d’autres suggestions renvoient à des points déjà débattus plus haut : la demande d’une présentation et d’un langage plus accessibles pour toucher un plus large public, ou le souhait de l’enrichissement du profil des personnes interrogées.

Sans revenir sur ces sujets, mentionnons la suggestion formulée par M. Loïc Blondiaux d’avoir recours à des plates-formes de consultation citoyenne plus élaborées que celle présentement utilisée, certaines technologies étant disponibles en accès libre sur Internet. Le débat est tout à fait actuel et ne manque pas d’intérêt, à en croire l’article récent déjà mentionné du Monde sur le sujet (7), qui renvoie au blog de la mission Etalab (8), l’entité chargée, au sein du Secrétariat général pour la modernisation de l’action publique, de piloter la politique d’ouverture et de partage des données publiques. Un débat qui n’est pas non plus sans lien avec le mode de recueil des contributions des citoyens internautes.

C. COMMENT RECUEILLIR LES CONTRIBUTIONS ?

L’une des toutes premières réactions de l’ensemble des membres du comité de pilotage une fois connus les résultats définitifs de la consultation a consisté à porter un jugement sur le nombre de contributions reçues. Les appréciations divergentes sur ce point ont conduit à débattre d’améliorations possibles en vue d’un renouvellement de l’expérience.

1. Une participation correcte mais diversement perçue

L’exploitation des données de connexion permet d’arrêter à 967 le nombre total d’internautes s’étant enregistrés pour répondre à la consultation, ce qui a semblé peu à certains et beaucoup à d’autres, compte tenu du caractère relativement exigeant de l’exercice.

a. 967 participants, près des trois quarts s’étant enregistrés comme femmes

Le tableau suivant récapitule les totaux des réponses reçues, ventilées entre internautes enregistrés comme femmes, comme hommes ou n’ayant pas souhaité indiquer leur sexe.

PARTICIPATION À LA CONSULTATION

 

Total

Dont femmes

Dont hommes

Dont sexe non indiqué

Nombre de personnes ayant participé à la consultation

967

717

201

49

Nombre de personnes ayant répondu à au moins une question de la thématique 1 « La définition des objectifs de la politique publique en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes »

901

669

185

47

Nombre de personnes ayant répondu à au moins une question de la thématique 2 « La place et l’image des femmes dans les médias et sur Internet »

936

705

186

45

Nombre de personnes ayant répondu à au moins une question de la thématique 3 « Le partage des responsabilités parentales »

875

662

169

44

Nombre de personnes ayant répondu à au moins une question de la thématique 4 « La lutte contre les impayés de pensions alimentaires »

842

633

166

43

Nombre de personnes ayant répondu à au moins une question de la thématique 5 « La protection contre les violences conjugales »

838

629

166

43

Nombre de personnes ayant répondu à au moins une des questions finales

835

626

167

42

Nombre de personnes ayant répondu à au moins une question ouverte

477

350

97

30

Un premier résultat notable est la disproportion massive entre femmes et hommes parmi les participants ; si elle interdit d’extrapoler les pourcentages de réponses obtenues à l’ensemble de la population française comme dans le cadre d’un sondage classique, une telle asymétrie n’est guère surprenante dans le cadre d’une consultation citoyenne et elle n’invalide pas l’exercice.

Assez logiquement, la participation est grosso modo décroissante au fur et à mesure que s’allonge le temps passé à répondre aux questions relatives aux différents thèmes proposés. On peut néanmoins noter que l’intérêt reste soutenu jusqu’au bout et d’ailleurs, un bon indice de la motivation des répondants est leur réponse massivement affirmative à la question de savoir s’ils souhaitent être recontactés à l’issue de la consultation.

Question 37. Accepteriez-vous d’être recontacté-e ?

L’appréciation globale à porter sur le nombre de réponses reçues renvoie en réalité à la réflexion à mener sur le bon niveau et les bons canaux de publicité que nécessite une telle consultation citoyenne.

b. Une appréciation variée sur la publicité faite à la consultation

De manière assez marquée, au sein des réponses libres à l’ultime question qui portait sur les suggestions d’amélioration de la consultation elle-même, les commentaires laudatifs félicitant l’Assemblée nationale pour l’organisation de cette expérimentation se sont souvent accompagnés de regrets quant à une diffusion jugée insuffisante de l’appel à y participer. Selon eux, il aurait fallu faire davantage de publicité à cette consultation citoyenne, certains soulignant en avoir eu connaissance par hasard ou grâce à leur suivi attentif de l’actualité parlementaire.

Parmi les personnalités qualifiées, Mme Dominique Méda a déploré ce qu’elle a considéré comme une faible participation, compte tenu notamment de la diffusion locale de l’information via le réseau territorial du Service des droits des femmes et de l’égalité entre les femmes et les hommes, composé de délégations régionales et départementales. À l’inverse, au vu du caractère ambitieux du questionnaire, Mme Hélène Périvier a considéré qu’avoir mobilisé près de mille contributeurs était un succès.

S’agissant d’une première, ce résultat constituera une référence pour les consultations futures du même type et, quoi qu’il en soit, toute comparaison avec les consultations citoyennes déjà mentionnées sur la proposition de loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie ou sur le projet de loi pour une République numérique serait très hasardeuse, précisément en raison de la nature différente de ces deux précédents, uniquement destinés à recueillir des commentaires libres sur la rédaction de textes non encore adoptés par le législateur.

2. Faut-il mettre en place une « aide à répondre » ?

Une question a inopinément surgi en cours de consultation, du fait de l’initiative envisagée par deux associations, de susciter des réponses à la consultation de la part de populations considérées comme « éloignées du débat public » afin de les aider à « faire entendre leur voix au Parlement ».

Ce projet, dénommé « Fais ta loi », était une initiative des associations PbSolving Lab et Ouvrons le Champ des possibles. D’après les informations figurant sur le site Internet consacré à ce projet, la première de ces associations a été créée en mai 2014 et est implantée dans le sud de la Seine-et-Marne. Son objectif est de donner à des publics exclus ou éloignés du débat démocratique et des décisions publiques les moyens méthodologiques et techniques de construire, à la fois individuellement et collectivement, une pensée et des analyses propres, de les confronter à d’autres et de les diffuser dans l’espace public. Outre le développement de projets philosophiques dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville, cette association était déjà engagée dans la participation des citoyens à l’élaboration des lois.

Quant à l’association Ouvrons le Champ des possibles, il s’agit d’une « association d’éducation populaire et citoyenne » créée en 2015. Elle intervient dans le sud de la Seine-et-Marne avec une équipe composée de deux éducateurs de prévention, d’un intervenant artistique spécialisé en street art, d’un animateur de réseaux et d’une personne spécialisée en gestion de projet.

La démarche imaginée par ces deux associations a consisté à élaborer un « kit d’interview » ayant pour but d’aider des citoyens de bonne volonté à recueillir sous une forme simplifiée des contributions de ces « publics éloignés » pour les retranscrire en leur nom sur le site Internet « officiel » de la consultation, dans les champs de libre expression ouverts sur chacun des thèmes du questionnaire. Voici reproduite ci-après, à titre d’exemple, la fiche correspondant au thème rebaptisé « Pensions alimentaires ».

On voit bien à la fois le caractère louable de la démarche en première intention, mais aussi toutes les limites que celle-ci comporte. Les rapporteurs en identifient trois :

– il semble inopportun de sortir de la consultation institutionnelle menée par l’Assemblée nationale en en déléguant une partie à des tiers alors que le choix de la consultation en ligne vise à supprimer tout intermédiaire ;

– le questionnaire forme un tout et il ne paraît pas de bonne méthode d’en extraire certaines questions, en les reformulant de surcroît, pour créer des profils de répondants très partiels ;

– le choix non contrôlé des intervieweurs et des personnes interviewées risque d’introduire des biais supplémentaires dans les réponses à la consultation.

Plus pertinente serait une démarche de diffusion du questionnaire et d’explicitation de son contenu, voire une forme de médiation neutre, consistant à assister physiquement une personne risquant d’être découragée à la lecture du questionnaire pour l’inciter à y répondre le plus complètement possible, en fonction de son expérience, de ses centres d’intérêt et de son opinion personnelle.

3. Pour les rapporteurs, la communication doit s’ajuster aux ambitions poursuivies

Au terme de cette consultation, la leçon principale que tirent les rapporteurs est qu’une attention toute particulière doit être portée à la communication mise en place au moment du lancement de la consultation citoyenne, assortie le cas échéant d’un ou de plusieurs rappels en cours de consultation selon la durée de celle-ci.

● Pour la présente consultation, l’Assemblée nationale a déployé un dispositif comparable à celui adopté dans le cadre de la consultation sur la proposition de loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, ou encore à propos du questionnaire diffusé par le Groupe de travail sur l’avenir des institutions co-présidé par le Président Claude Bartolone et par M. Michel Winock :

– un communiqué de presse du Président de l’Assemblée nationale adressé aux journalistes le 4 octobre, jour du lancement de la consultation ;

– pendant toute la durée de la consultation, du 4 au 17 octobre, l’annonce et un lien vers la plateforme Internet en haut de la page d’accueil du site de l’Assemblée, emplacement réservé aux deux ou trois points forts de l’ordre du jour de la semaine ;

– sur Facebook et Google +, trois articles postés les 4, 10 et 17 octobre avec le résultat suivant pour Facebook : le 4 octobre, 22 203 personnes atteintes ; le 10 octobre, 7 443 personnes atteintes ; le 17 octobre, 9 953 personnes atteintes ;

– sur Twitter, trois tweets les 4, 14 et 17 octobre.

En outre, un « flyer » a été composé pour l’occasion et diffusé dans le réseau territorial du Service des droits des femmes et de l’égalité entre les femmes et les hommes :

● Pour l’avenir, il convient de compléter ce dispositif sur trois points :

– s’efforcer de prévoir, à un moment qui soit le plus proche possible du lancement de la consultation, une mention dans au moins un grand média national – télévision, radio ou presse écrite, le cas échéant moyennant l’organisation d’une conférence de presse ad hoc ;

– encourager chaque député à se faire le relais local de la consultation, dans sa circonscription, y compris en se proposant comme médiateur pour aider les citoyens à répondre ;

– prévoir une durée de consultation plus longue que quinze jours.

Les rapporteurs partagent en outre les propositions émises par M. Dominique Raimbourg, président de la commission des Lois, visant à réaliser un travail de repérage des « personnes ressources » et des « réseaux d’appui » qui peuvent aider à transmettre largement l’information, et à procéder à une communication bien en amont de la consultation en direction de ces personnes ressources, afin de leur donner le temps de partager l’information.

À titre subsidiaire, peut-être serait-il utile d’ajouter systématiquement au questionnaire une demande portant sur la manière dont l’internaute a eu connaissance de la consultation. Les réponses spontanées obtenues sur ce point dans le cadre de la réponse à la question 38 qui portait sur la consultation elle-même ont en effet été instructives. Cette petite information supplémentaire aiderait, certes modestement, à la meilleure analyse des réponses reçues.

D. COMMENT ANALYSER LES RÉPONSES REÇUES ?

À l’analyse statistique des réponses aux questions fermées – dans la seule mesure où elle demeure possible en dépit des limites méthodologiques exposées plus haut – on peut ajouter d’autres manières de faire « parler » les réponses, en particulier celles apportées aux questions ouvertes. L’association Regards citoyens s’est illustrée dans ces deux dimensions de l’analyse, en s’adjoignant des compétences spécifiques et en suscitant le débat au sein du comité de pilotage.

1. Une analyse statistique à adapter aux particularités de l’outil retenu

Bien que l’exploitation statistique immédiate des résultats obtenus aux questions fermées ne puisse être réalisée qu’avec d’importantes précautions liées aux biais méthodologiques étudiés plus haut, il est néanmoins possible de tirer des enseignements « intéressants », pour reprendre un qualificatif utilisé à plusieurs reprises par Mme Dominique Méda. C’est à ce travail d’analyse que se livrent plus loin les rapporteurs, thème par thème (cf. infra II).

Cette première approche peut être complétée par une analyse statistique un peu plus élaborée, par « populations » de répondants telles qu’identifiées par l’association Regards citoyens au moyen d’une méthode dénommée « clusterisation k-mean » (9). Comme l’indique l’association, cette méthode permet de faire émerger, dans le cadre des réponses à chaque thème, des groupes de personnes ayant un comportement similaire. En effet, grâce à l’analyse des données intégralement rendues disponibles sur la plateforme Opendata de l’Assemblée nationale, il est possible d’établir un suivi de chaque répondant repéré par son identifiant anonymisé et d’établir ainsi un lien entre ses différentes réponses aux questions portant sur un même thème ; en rapprochant les parcours de l’ensemble des répondants de façon à faire émerger des groupes significatifs, on parvient à établir des profils de répondants. C’est ainsi qu’ont pu être identifiées entre deux et huit populations par thème.

Ce que, par principe, on s’était interdit de demander aux citoyens internautes lors de leur inscription sur le site support de la consultation, à savoir les grandes données susceptibles d’expliquer le type de réponses fournies, peut ainsi être en partie retrouvé par l’analyse des données, sans lever l’anonymat des internautes. Pour chaque thématique de la consultation, les groupes de population identifiés sont décrits dans la seconde partie du présent rapport.

Cette analyse statistique des réponses aux questions fermées a été complétée par l’association Regards citoyens, en réponse aux objections méthodologiques formulées lors de la réunion du comité de pilotage, par une analyse quantitative des réponses aux questions ouvertes, visant selon l’association « à mesurer le degré de qualification et d’engagement des contributeurs ». Le degré de qualification renvoie à l’analyse des questions 35 et 36 sur les motivations des répondants (cf. supra) et le degré d’engagement à la question 37 sur le fait d’accepter d’être recontacté. En croisant les réponses à ces questions avec l’analyse du nombre de réponses aux questions ouvertes sur chaque thème – que l’analyse soit effectuée globalement, en fonction du sexe déclaré, en fonction du nombre de questions ou en fonction du thème abordé –, Regards citoyens parvient à formuler et à étudier diverses hypothèses quant au profil des répondants.

La démonstration est donc faite que, même dans le cadre d’une consultation citoyenne fort éloignée de la méthodologie propre aux enquêtes d’opinion, il est possible de tirer par l’analyse statistique des conclusions utiles... à la condition toutefois de ne pas solliciter à l’excès les résultats obtenus pour caractériser des populations qui n’existeraient que dans l’imagination de l’analyste.

2. D’autres prismes d’analyse propres à la consultation en ligne, à étudier

Les deux autres méthodes mobilisées par l’association Regards citoyens sont bien distinctes mais toutes deux centrées sur les seules réponses aux questions ouvertes, qui constituent le cœur de la démarche de consultation citoyenne.

a. L’analyse textuelle, dépendante de l’ampleur des contributions libres

Classique dans la mise en œuvre de l’extraction de données à partir d’un texte, la méthode dite TF-IDF (10) a été utilisée, ainsi qu’un logiciel libre ad hoc, ce qui a permis de mesurer le poids de tel terme ou de telle expression au sein des documents analysés.

Thème par thème, les membres de l’association Regards citoyens qui se sont penchés sur l’ensemble des réponses fournies par les internautes au sein des champs de libre expression qui leur étaient ouverts ont ainsi fait ressortir une série de mots-clefs regroupés par champs lexicaux. De manière plus ou moins convaincante selon les regroupements opérés, ont été identifiés des problèmes liés au thème commenté, des publics types ou des solutions suggérées aux difficultés rencontrées.

Cela étant, lorsque les réponses aux questions ouvertes sont formulées en nombre relativement limité, surtout si de surcroît leur contenu est succinct, l’intérêt de cette technique d’analyse textuelle se trouve mécaniquement réduit. Il convient donc de la réserver à une consultation au sein de laquelle le volume de texte à « fouiller » serait plus important qu’au cas d’espèce.

b. La méthode d’analyse communautaire, aussi novatrice que débattue

● Le travail le plus original et le plus abouti accompli sous l’égide de l’association Regards citoyens l’a été en lien avec deux autres collectifs citoyens que sont l’association PbSolving – déjà mentionnée – et l’association DemocracyOS France, qui se présente comme une plateforme open source, c’est-à-dire « libre, gratuite, indépendante et réplicable » inventée en 2012 par des développeurs et politologues désireux de favoriser grâce aux nouvelles technologies la participation de tous à la fabrique des décisions politiques. On retrouve ici la caractérisation des initiatives dites de civic tech.

Ce travail a consisté en une « production participative » ou une analyse communautaire, équivalents possibles en français de l’expression crowdsourcing qui désigne le recours à l’intelligence, au savoir-faire et à la créativité du plus grand nombre pour sous-traiter ce qu’une seule entité n’a pas les moyens de faire seule. Cette méthode, déjà utilisée pour le projet de loi pour une République numérique, a mobilisé environ 400 internautes chargés d’analyser les contributions soumises par les personnes ayant répondu aux questions ouvertes du questionnaire.

Ces 400 internautes bénévoles et anonymes mobilisés par les trois associations précitées ont passé au tamis l’ensemble des contributions libres, chacun en analysant au moins une, le plus disponible en ayant analysé pas moins de 230. Le tamis en question se présentait de la façon suivante sur le site support de cette opération d’analyse communautaire.

Outre cette forme de mobilisation citoyenne via Internet, a été organisée une soirée réunissant physiquement, pour se livrer au même exercice, une vingtaine de personnes, baptisée « crowdsourcing party ».

Les résultats globaux obtenus aux trois questions contenues dans la grille d’analyse reproduite ci-dessus sont retracés dans le tableau suivant.

RÉSULTATS DE L’ANALYSE COMMUNAUTAIRE

 

En %

Catégorisation générale des réponses (question 1 : que contient la contribution ?)

Des propositions de nouvelles mesures

34

Des analyses ou propositions de caractère général

34

La description d’un problème

23

L’évocation d’expérience(s) personnelle(s)

12

Une analyse des causes du problème

9

Des prises de position contre les mesures existantes

4

Des questions ou demandes d’information

1

Des prises de position en faveur d’une mesure existante

0

Originalité des propositions (question 2 : avez-vous entendu un tel propos dans le débat public ?)

Taux de réponses jugées originales

28

Usage conseillé aux députés (question 3 : si vous étiez député, que feriez-vous de cette contribution ?)

Convier l’auteur à une réunion de la mission d’évaluation

4

Citer les propos dans le rapport du député

11

Prendre en compte les propos dans le travail du député

55

Rien

23

Source : Contribution de l’association Regards citoyens.

L’analyse communautaire fait ainsi ressortir, pour chaque thème, une vingtaine de contributions repérées comme particulièrement originales ou particulièrement « recommandées » aux députés pour leur permettre, le cas échéant, d’en auditionner les auteurs, sous réserve qu’ils aient accepté d’être recontactés.

● La présentation par l’association Regards citoyens de sa méthode d’analyse communautaire et des résultats auxquels elle avait abouti a suscité quelques interrogations parmi les autres personnalités qualifiées, qu’il est possible de synthétiser en trois points.

Le premier écueil, identifié notamment par Mmes Dominique Méda et Hélène Périvier, a trait à la population des citoyens se chargeant de l’analyse communautaire. Il s’agit d’une population d’anonymes plus anonymes encore que les citoyens participant à la consultation dont ils doivent analyser les réponses. Par conséquent, on ne peut exclure que cette population présente des biais de nature à vicier le processus d’analyse communautaire. Comment éviter, par exemple, que l’analyse ne soit le fait que d’internautes particulièrement peu avertis qui n’auraient pas la capacité de jugement ou l’intérêt suffisant pour remplir consciencieusement la grille d’analyse qui leur est imposée ? Symétriquement mais de manière tout aussi préoccupante, comment éviter le risque de détournement de la consultation par la mobilisation de quelques internautes malveillants décidés à saboter l’exercice en sapant délibérément le travail d’analyse communautaire (la même remarque vaudrait pour un groupe d’intérêt déterminé à imposer son point de vue) ?

À ces deux objections symétriques, l’association Regards citoyens, soutenue par M. Loïc Blondiaux, répond qu’une analyse d’une contribution donnée – ces contributions étant soumises à l’analyse communautaire de manière aléatoire – n’est validée que lorsque trois internautes ont émis un jugement convergent. L’association Regards citoyens a d’ailleurs fait valoir qu’au cas particulier, certaines contributions avaient pu faire l’objet d’onze analyses croisées (11).

Deuxième interrogation : qui établit la grille d’analyse et détermine les seuils à partir desquels une contribution devient digne d’être distinguée ? Une procédure transparente et garantissant la plus grande objectivité possible est nécessaire pour cette partie de l’exercice également, faute de quoi il s’agira d’un maillon faible dans l’analyse des résultats et partant, dans l’utilisation de la consultation citoyenne elle-même comme outil d’évaluation d’une politique publique.

Troisième et dernière interrogation, la plus fondamentale sans doute : pourquoi ce « détour » par l’analyse communautaire des contributions citoyennes, détour qualifié de « périlleux » par Mme Dominique Méda ? Faut-il nécessairement s’en remettre à l’avis d’au moins trois citoyens anonymes pour objectiver l’analyse des réponses d’un quatrième citoyen anonyme ? Cette mobilisation citoyenne « au carré » n’est certes pas dépourvue d’intérêt, à la condition toutefois d’être au clair sur les objectifs poursuivis :

– s’il s’agit de déléguer à des citoyens mobilisés de manière aléatoire le travail d’analyse et de restitution des résultats d’une consultation ouverte, ce travail d’analyse communautaire ne devra être que l’un des moyens utilisés pour rendre compte de la teneur des réponses aux questions ouvertes, à compléter par exemple par une analyse statistique rigoureuse et une analyse textuelle approfondie. Et ce n’est plus un collectif de citoyens qui sera chargé d’effectuer la synthèse globale de ce travail d’analyse ;

– s’il s’agit de faire émerger, au sein d’un très vaste ensemble de contributions anonymes, une expertise citoyenne décelée grâce à l’analyse communautaire qui aura permis de repérer de manière objective l’acuité ou l’originalité du propos d’une vingtaine de participants disposés à venir s’exprimer publiquement devant des parlementaires, alors la méthode semble bien adaptée au but recherché.

3. Pour les rapporteurs, des progrès possibles en vue de consultations futures

Au terme du passage en revue des atouts et des limites des différentes techniques d’analyse déployées en un bref laps de temps pour tirer toute la substance de la consultation citoyenne sur la politique publique en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes, les rapporteurs considèrent que des progrès sont possibles pour exploiter au mieux les réponses obtenues, dans la perspective d’une nouvelle consultation qui conserverait à peu de choses près le format qui a été expérimenté ici – notamment en termes de longueur, de technicité et d’équilibre entre questions ouvertes et questions fermées.

Ils formulent trois propositions :

– doter l’Assemblée nationale des outils statistiques d’analyse lui permettant de procéder à la détermination de « populations » et de leurs motivations au sein des répondants, en s’inspirant de la méthode à laquelle a eu recours l’association Regards citoyens ;

– doter l’Assemblée nationale d’une méthode d’analyse des contributions libres utilisant les techniques de repérage de champs lexicaux prédominants comme a pu le faire en l’occurrence l’association Regards citoyens, ce qui ne nécessite pas de faire appel à une technologie particulièrement sophistiquée. Mais les rapporteurs y insistent : il convient de réserver ce traitement à une consultation produisant un volume de texte suffisant pour que l’analyse ait quelque pertinence, le seuil d’utilité de cette technique se situant quelque part entre les 150 à 300 réponses libres enregistrées dans le cadre de chaque thématique de la présente consultation et les presque 12 000 contributions sur la proposition de loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie ;

– pour les consultations les plus importantes – là encore un seuil est à déterminer, qui pourrait être un peu plus élevé que celui évoqué au point précédent –, constituer un collectif d’internautes bénévoles chargés par l’Assemblée d’étudier les contributions sous forme d’analyse communautaire encadrée. Les grands principes de l’analyse communautaire utilisés dans le cadre de la présente expérimentation seraient conservés, mais les possibles écueils mentionnés plus haut devraient être évités autant que faire se peut. Ainsi en particulier faudrait-il poser un minimum de conditions pour la constitution de ce collectif d’internautes, au nombre desquelles devrait figurer l’acceptation d’un code de déontologie emportant une obligation de neutralité et une obligation de déport en fonction du thème traité. Les rapporteurs sont disposés à y travailler en lien avec le Déontologue de l’Assemblée nationale, si cette proposition lui agrée.

Les questions de méthode qui viennent d’être exposées ont d’autant plus de poids que les rapporteurs posent ici les jalons de futures consultations du même type. Ces considérations ne doivent pas pour autant faire perdre de vue le fond de la consultation et, à cet égard, les quelque mille internautes ayant pris la peine de répondre au questionnaire détaillé qui leur était soumis sur la politique publique en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes ont adressé un certain nombre de messages que les rapporteurs vont à présent s’attacher à restituer, à la lumière de leurs propres analyses et de celles qu’ont bien voulu leur fournir les personnalités qualifiées invitées à s’exprimer.

II. L’APPRÉCIATION PORTÉE SUR L’ACTION PUBLIQUE EN FAVEUR DE L’ÉGALITÉ ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES

Les internautes étaient invités à donner leur appréciation de l’action publique en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes, en répondant à des questions portant sur cinq thématiques de la loi du 4 août 2014 : la définition des objectifs de la politique en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes ; la place et l’image des femmes dans les médias audiovisuels et sur Internet ; le partage des responsabilités parentales ; la lutte contre les impayés de pensions alimentaires ; la protection contre les violences conjugales. L’ensemble des résultats chiffrés des réponses apportées par les internautes figure dans le tome II du présent rapport.

A. LA DÉFINITION DES OBJECTIFS

Dans son article premier, la loi du 4 août 2014 identifie les dix actions mises en œuvre par l’État, les collectivités territoriales et leurs établissements publics pour garantir l’égalité entre les femmes et les hommes. Le législateur a ainsi affirmé la dimension transversale de la lutte contre l’inégalité entre les sexes, afin qu’elle soit prise en compte dans l’ensemble des composantes de l’action publique.

La première thématique du questionnaire invitait les internautes à se prononcer, à partir des dix actions inscrites dans la loi du 4 août 2014, sur la définition des objectifs de l’action publique en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes. 901 personnes ont répondu à au moins une question de cette première thématique, dont 669 enregistrées en tant que femmes et 185 en tant qu’hommes.

Les internautes souscrivent au caractère transversal de l’action publique et considèrent que tous les domaines énoncés par la loi correspondent à des sujets sur lesquels il est urgent d’agir. Les trois quarts d’entre eux jugent prioritaires la lutte contre les violences faites aux femmes et les atteintes à leur dignité, la garantie de l’égalité professionnelle et salariale ainsi que la lutte contre les préjugés sur la place des femmes et des hommes dans la société. Entre 40 et 60 % d’entre eux plaident pour une politique publique volontariste en faveur de l’accès des femmes à la contraception et à l’interruption volontaire de grossesse, d’un égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux responsabilités professionnelles et sociales, d’un meilleur partage des responsabilités parentales et d’actions remédiant à la précarité des femmes. Un tiers à un peu moins d’un quart des internautes considèrent comme prioritaires la diffusion des recherches sur la construction sociale des rôles sexués, l’accès des femmes à la création et à la production culturelle et la lutte contre la prostitution.

Dans son analyse des résultats de la consultation, Mme Dominique Méda relève que la présence, en tête des priorités des internautes, de la lutte contre les violences faites aux femmes et les atteintes à leur dignité est de nature à interpeller.

Les priorités énoncées par les femmes et les hommes sont du même ordre – les femmes citant cependant davantage de priorités que les hommes ; la proportion des hommes ayant renseigné le champ « autre » est, en revanche, plus élevée.

Dans le champ « autre », certains internautes – majoritairement des femmes – précisent la manière dont il conviendrait de lutter contre les violences (sanctionner plus lourdement les auteurs de violences, créer des juridictions spécialisées, apporter un soutien aux victimes, lutter contre le harcèlement), violences dont plusieurs hommes font valoir qu’ils peuvent également être victimes. Plusieurs internautes – souvent des femmes – voient dans l’éducation, dispensée dans le cadre scolaire ou familial, le moyen de lutter contre les stéréotypes sexistes et l’inégalité entre les femmes et les hommes. D’autres – majoritairement des hommes – plaident pour une coparentalité en cas de séparation des parents, notamment par un recours accru à la résidence alternée. L’interdiction des images dégradantes ou sexistes dans les médias audiovisuels est également demandée, ainsi que la lutte contre les discriminations. Certaines femmes plaident pour une action simultanée dans tous les domaines cités.

Question 1. Quels sont selon vous les domaines où il est le plus urgent d’agir pour réduire les inégalités entre les femmes et les hommes ?

B. LA PLACE ET L’IMAGE DES FEMMES DANS LES MÉDIAS ET SUR INTERNET

La deuxième thématique de la consultation citoyenne portait sur deux dispositifs destinés à faire reculer les préjugés sur la place et l’image des femmes dans la société : d’une part, l’obligation faite aux télévisions et radios nationales de contribuer à la lutte contre les violences faites aux femmes et contre les préjugés sexistes, en diffusant des programmes spécifiques à ces sujets ; d’autre part, le dispositif de signalement des contenus sur Internet incitant aux violences faites aux femmes ou à la haine à l’égard des personnes en raison de leur sexe.

936 personnes ont répondu à au moins une question de cette deuxième thématique, dont 705 enregistrées en tant que femmes et 186 en tant qu’hommes. Regards citoyens s’est livré à une analyse statistique de ces personnes, identifiant les groupes présentés dans l’encadré ci-dessous.

Populations identifiées par l’analyse statistique réalisée par Regards citoyens

Deux groupes de personnes ont été identifiés : celles qui savent que les fournisseurs d’accès à Internet et les hébergeurs doivent mettre en place des dispositifs de signalement (414 personnes) et celles qui ne le savent pas (522 personnes).

Au-delà de cette distinction, il apparaît que 325 personnes ont apporté une contribution libre, tandis que 611 personnes ne l’ont pas fait. Ces dernières semblent avoir une vision plus critique de la capacité des chaînes audiovisuelles à lutter contre les inégalités femmes-hommes et de l’efficacité du dispositif de signalement sur Internet (+ 10 points pour la réponse « pas du tout respectée » aux questions 4 et 7 de la consultation citoyenne).

Enfin, les réponses sur le dispositif de signalement sur Internet permettent de distinguer deux autres groupes de personnes : d’une part, celles qui pensent que ce dispositif de signalement n’est pas du tout respecté (447 personnes), qui sont globalement plus sévères sur la pertinence de ce dispositif pour lutter contre les contenus sexistes (65 % pour les réponses « peu adapté » ou « pas du tout adapté » à la question n° 8) et sur les dispositions relatives aux médias (question n° 4) ; d’autre part, celles qui pensent que ce dispositif de signalement n’est que peu respecté (489 personnes) et qui jugent un peu moins sévèrement les dispositions applicables aux médias.

1. Le poids des préjugés sexistes dans la représentation des femmes dans les programmes audiovisuels

Pour 50 % des personnes ayant répondu à la question 2, la représentation des femmes dans les programmes audiovisuels souffre avant tout d’une vision stéréotypée de la place et du rôle des femmes dans la société. Ce constat est partagé par les femmes et par les hommes ayant participé à la consultation citoyenne : 46 % des hommes et 51 % des femmes ayant répondu à cette question considèrent en effet que les stéréotypes sexistes sont le facteur d’explication le plus important.

Question 2. Selon vous, la place et l’image des femmes dans les programmes audiovisuels souffrent avant tout de :

   

Selon les commentaires laissés par les internautes, cela peut par exemple se traduire par une répartition inégalitaire des rôles et des sujets audiovisuels. Les femmes seraient cantonnées à des sujets dits « féminins » et à des rôles qui peuvent tenir du « faire-valoir » : plusieurs internautes ont ainsi dénoncé le déséquilibre d’un binôme associant un homme chargé de présenter une émission et une femme chargée d’accompagner le déroulement de cette émission.

La diffusion de messages au contenu sexiste est également dénoncée par 18 % des internautes ; mais seulement par 13 % des hommes contre 20 % des femmes ayant participé à la consultation citoyenne. Cet écart entre les réponses des femmes et celles des hommes pourrait être interprété comme étant le signe d’une mauvaise appréhension de ce que sont les contenus sexistes, qui recouvrent une très large réalité, allant du propos ouvertement misogyne à la présentation d’une information avec un biais genré, souvent inconscient (appeler un homme politique par son nom de famille et une femme politique par son prénom par exemple).

Si peu d’internautes (4 %) considèrent que les femmes sont sous-représentées parmi les présentateurs-trices, animateurs-trices, journalistes et chroniqueurs-euses, ils sont toutefois plus nombreux (13 %) à dénoncer une sous-représentation des femmes parmi les personnes invitées dans les émissions audiovisuelles. Cette difficulté revient également dans plusieurs contributions libres qui appellent à faire intervenir davantage d’expertes sur l’ensemble des thématiques dans les émissions audiovisuelles.

Les espaces de contribution libre donnaient la possibilité d’identifier des problèmes autres que ceux mis en avant à la question 2. Ont été principalement cités :

– l’objectivation et l’hypersexualisation des femmes, dont le corps est trop souvent utilisé comme faire-valoir ou argument de vente ;

– le traitement réservé aux femmes sur les plateaux de télévision (commentaires sur les tenues vestimentaires, voire l’apparence physique ; propos souvent interrompus ; attribution de sujets stéréotypés) ;

– le poids de certains supports audiovisuels particulièrement défavorables à l’image des femmes (clips vidéos, publicités, téléréalités).

Plusieurs commentaires font valoir que la place et l’image des femmes dans les programmes audiovisuels souffrent simultanément de l’ensemble des difficultés mises en avant dans la question 2.

À l’inverse, certains commentaires considèrent que la représentation des femmes dans les programmes audiovisuels ne pose pas de problème.

2. L’obligation de diffuser des programmes audiovisuels sur la lutte contre les préjugés sexistes et contre les violences faites aux femmes

La connaissance de l’obligation

Une large proportion d’hommes et de femmes (70 % de l’ensemble des personnes ayant répondu à la question 3) ne connaît pas l’obligation de diffusion de programmes spécifiques afin de lutter contre les violences faites aux femmes et les préjugés sexistes. Parmi les hommes ayant répondu à cette question, la proportion de personnes connaissant ce dispositif est légèrement supérieure (34 %).

Le respect de l’obligation

89 % d’internautes considèrent que cette obligation est peu (66 %) ou pas du tout (23 %) respectée.

Ces pourcentages importants pourraient être interprétés comme un manque de visibilité de ce type de programmes, voire comme une insuffisance du nombre de programmes sur ces sujets ; plusieurs contributions libres des internautes signalent d’ailleurs que, selon eux, ces programmes ne sont pas suffisamment nombreux et proposent de les développer.

Les propositions des internautes

Selon les internautes ayant répondu à la question 5, les deux principales mesures qu’il faudrait mettre en œuvre pour améliorer la représentation des femmes dans les médias audiovisuels sont, pour 53 % d’entre eux, la diffusion de davantage de programmes sur les inégalités (plébiscitée par 63 % des hommes, contre 51 % des femmes) et, pour 46 % d’entre eux, le lancement d’une campagne sur les droits des femmes (souhaitée par 49 % des femmes contre seulement 38 % des hommes).

Deux autres mesures sont également mises en avant par les internautes, cette fois dans le même ordre de grandeur pour les femmes et pour les hommes : augmenter le nombre d’invitées dans les programmes audiovisuels et diffuser plus d’œuvres réalisées par des femmes.

Enfin, il est intéressant de noter que, proportionnellement, davantage d’hommes ont choisi de remplir la rubrique « autre » pour répondre à cette question.

Question 5. Parmi les propositions suivantes, quelles seraient selon vous les deux principales mesures qu’il faudrait mettre en œuvre pour améliorer la représentation des femmes dans les médias audiovisuels ?

Parmi les propositions, autres que celles mises en avant à la question 5, citées par les internautes dans les espaces de contribution libre, on relève :

– la formation systématique de l’ensemble des professionnels de l’audiovisuel pour éviter la reproduction, parfois inconsciente, de stéréotypes sexistes ;

– la mise en place de sanctions à l’encontre de tout professionnel de l’audiovisuel tenant un propos sexiste, complétées par des sanctions financières visant les télévisions et radios ne faisant pas respecter cette obligation ;

– le rééquilibrage entre les rôles joués par les femmes et ceux joués par les hommes, afin notamment de ne pas limiter les femmes à des rôles de « potiche » laissant de côté leurs compétences.

Plusieurs commentaires font valoir que l’amélioration de la place et de l’image des femmes dans les programmes audiovisuels nécessite de jouer simultanément sur l’ensemble des leviers mis en avant dans la question 5.

À l’inverse, certains commentaires considèrent que cette amélioration n’est pas utile, la représentation des femmes dans les programmes audiovisuels ne posant pas de problème.

3. Le contrôle des contenus illicites sur Internet

La connaissance du dispositif

Plus de 40 % des internautes ayant participé à la consultation citoyenne connaissent le dispositif d’alerte des contenus illicites sur Internet. Ce dernier semble donc relativement bien connu.

Le respect du dispositif et son adaptation à ses objectifs

Toutefois, une très large majorité des personnes ayant répondu aux questions 7 et 8 semblent faire le constat de l’inefficacité du dispositif de signalement des contenus sur Internet, considérant que celui-ci est à la fois mal respecté (86 % des internautes le jugent peu ou pas du tout respecté) et mal adapté (79 % des internautes le jugent peu ou pas du tout adapté).

Si les ordres de grandeur des réponses des femmes et des hommes ayant participé à la consultation ne sont pas très éloignés, il est néanmoins intéressant de remarquer que les femmes semblent avoir un avis plus négatif que les hommes sur l’efficacité de ce dispositif. Elles ne sont que 10,4 % à considérer que ce dispositif est très bien ou assez bien respecté et 20 % à considérer qu’il est adapté ou parfaitement adapté, contre 28 % des hommes ayant répondu à ces deux questions.

Dans les contributions libres, de nombreux internautes font état d’une forte inefficacité de ce dispositif de signalement des contenus dans le cadre des réseaux sociaux. Plusieurs soulignent aussi l’importance de protéger la jeunesse sur les réseaux sociaux et sur Internet en général. Ils dénoncent notamment les contenus pornographiques, qui sont trop faciles d’accès alors qu’ils peuvent porter atteinte à l’image des femmes, véhiculer des stéréotypes sexistes, banaliser les violences faites aux femmes, voire mettre en avant une « culture du viol ».

Les propositions des internautes

Selon la majorité des internautes ayant répondu à la question 9, la principale mesure qu’il faudrait mettre en œuvre pour améliorer l’efficacité de ce dispositif de signalement est l’attribution de plus de moyens pour les services destinataires de ces signalements (51 % des réponses). Cette proposition est davantage soutenue par les femmes (53 % de leurs réponses) que par les hommes (46 % de leurs réponses). Les hommes soutiennent davantage la promotion du rôle des lanceurs d’alerte (33 % d’entre eux, contre 26 % des femmes), mais sont moins nombreux (12 %) que les femmes (16 %) à considérer qu’il faut mieux juger le caractère illicite des contenus.

Question 9. Parmi les propositions suivantes, quelle serait, selon vous, la principale mesure qu’il faudrait mettre en œuvre pour améliorer l’efficacité de ce dispositif de signalement ?

Les espaces de contribution libre donnaient la possibilité d’émettre des propositions différentes de celles mises en avant à la question 9. Ont été principalement citées les pistes suivantes :

– prévoir des sanctions à l’encontre des fournisseurs d’accès et des hébergeurs de sites qui ne supprimeraient pas les contenus sexistes signalés ;

– former les professionnels chargés de l’analyse des signalements à mieux appréhender les différents comportements et propos sexistes ;

– mieux informer les usagers sur la possibilité et la procédure de signalement des contenus.

De nombreux commentaires mettent en avant la faible efficacité du système actuel de signalement, notamment sur les réseaux sociaux, en dénonçant la rareté des retraits de contenus signalés.

L’analyse communautaire mise en place par Regards citoyens a sélectionné une vingtaine de contributions libres qui sont synthétisées dans l’encadré ci-dessous.

Contributions libres sélectionnées par l’analyse communautaire mise en place par Regards citoyens

Parmi la vingtaine de contributions sur la thématique 2 « La place et l’image des femmes dans les médias audiovisuels et sur Internet » mises en avant par les citoyens ayant participé à l’analyse communautaire mise en place par Regards citoyens, plusieurs points de vigilance et voies de progrès sont soulignés.

La plupart de ces vingt contributions insistent sur la nécessité de lutter contre les représentations sexistes dans les médias et sur Internet, par exemple en contrôlant davantage les contenus des programmes audiovisuels et les comportements dans les émissions audiovisuelles (propos sexistes, banalisation du sexisme et des violences faites aux femmes, etc.), en restreignant plus efficacement l’accès aux contenus pornographiques sur Internet ou encore en renforcant le dispositif de signalement des contenus sexistes, notamment dans le cadre des réseaux sociaux.

L’enjeu de la sensibilisation aux problématiques sexistes revient à plusieurs reprises. D’une part, les internautes soulignent la nécessité de former les professionnels des médias à une communication non sexiste, par exemple en créant un lexique non sexiste ou encore une charte de bonne conduite. D’autre part, les internautes indiquent l’importance de la sensibilisation du public et des usagers, par exemple en s’appuyant sur de jeunes « youtubers », ce qui permettrait sans doute de mieux toucher les publics adolescents.

C. LE PARTAGE DES RESPONSABILITÉS PARENTALES

Deux mesures, emblématiques de l’action publique en faveur d’un meilleur partage des responsabilités parentales, faisaient l’objet de la troisième thématique de la consultation citoyenne : l’instauration de la prestation partagée d’éducation de l’enfant (PREPARE) et le droit, pour le conjoint d’une femme enceinte, de bénéficier d’une autorisation d’absence de son lieu de travail pour assister à trois des examens médicaux dans le cadre de la surveillance médicale de la grossesse et des suites de l’accouchement.

875 personnes ont répondu à au moins une question de cette troisième thématique, dont 662 enregistrées en tant que femmes et 169 en tant qu’hommes. L’analyse statistique de ces personnes faite par Regards citoyens identifie les groupes présentés dans l’encadré ci-dessous.

Populations identifiées par l’analyse statistique réalisée par Regards citoyens

Deux groupes de personnes ont été identifiés : celles informées sur l’autorisation d’absence des conjoints de femmes enceintes (357) et celles qui ne le sont pas (518). Le groupe des personnes informées de l’autorisation d’absence a également connaissance de la PREPARE et évoque de manière moins significative que les autres le rôle dissuasif de l’entourage ou de l’employeur dans le non-recours à cette prestation.

Sans prendre en compte la connaissance des dispositifs, il est possible d’identifier huit catégories de personnes : celles qui ont répondu à la question ouverte (109), celles dont l’avis exprimé correspond à la moyenne (218), celles qui se considèrent suffisamment informées sur les autorisations d’absence et qui attribuent davantage le non-recours au dispositif aux visions stéréotypées du couple (50), celles qui sont favorables à la PREPARE mais qui pointent la perte de revenu au sein du couple (146), celles qui pensent que celle-ci ne permet pas aux femmes un retour plus rapide à la vie professionnelle (92), celles qui estiment le contraire et imputent le non-recours aux stéréotypes (134), celles qui ont moins répondu à cette thématique (47) et celles qui estiment la prestation inadaptée.

1. L’instauration de la prestation partagée d’éducation de l’enfant (PREPARE)

La connaissance de la prestation

Si une majorité des internautes (57 %) indique connaître le principe du partage de la prestation d’éducation de l’enfant, ils sont encore nombreux, quel que soit leur sexe, à juger l’information sur la PREPARE insuffisante. Le défaut d’information auprès des salariés et des employeurs fait en effet l’objet d’un constat quasi unanime : 87 % des internautes considèrent que cette prestation ne fait pas l’objet d’une information suffisante pour sensibiliser les parents et les employeurs.

Parmi les suggestions formulées par les internautes dans les espaces de contribution libre pour renforcer l’information sur la PREPARE, sont proposées : la diffusion d’un guide à destination des parents portant sur le partage des responsabilités parentales et comportant des données sur l’inégalité en la matière et des adresses utiles ; la valorisation des entreprises favorisant le partage des responsabilités parentales par exemple sous forme d’un label.

L’adaptation de la prestation à ses objectifs

Les internautes sont partagés sur le caractère adapté de la PREPARE pour inciter l’autre parent à prendre un congé parental : ils sont 45 % à trouver le dispositif adapté alors que 55 % l’estiment peu ou pas adapté. Les hommes sont deux fois plus nombreux (9 %) que les femmes (4 %) à trouver la PREPARE parfaitement adaptée.

Qu’ils soient femmes ou hommes, près de 60 % des internautes estiment le partage de la prestation d’éducation de l’enfant peu ou pas adapté pour favoriser le retour rapide des femmes à la vie professionnelle.

Si, pour près de 40 % des internautes, la perte de revenu explique les réticences de l’autre parent à bénéficier de la PREPARE – cette raison est avancée par une proportion supérieure de femmes , la vision stéréotypée de la répartition des tâches au sein du couple apparaît, pour les femmes autant que les hommes, comme le premier facteur de non-recours à la PREPARE. Les hommes sont, en revanche, presque deux fois plus nombreux que les femmes à considérer que les contraintes professionnelles sont à l’origine du renoncement de l’autre parent à la prestation partagée.

Dans son analyse, Mme Dominique Méda relève la référence marquée des internautes aux stéréotypes, ceux-ci étant considérés par ces derniers comme suffisamment importants pour justifier, en partie, une évolution trop lente des comportements.

Les raisons avancées par les internautes ayant rempli les espaces de contribution libre rejoignent souvent les items proposés : la vision stéréotypée du rôle des pères, mais aussi parfois le refus de certains de prendre un congé à cette fin ; les réticences, réelles ou supposées, de l’employeur ou du salarié ; la perte de revenu pour le couple. Certains internautes considèrent que les trois éléments sont simultanément à l’origine du peu de succès du dispositif, tandis que d’autres regrettent le montant trop faible de l’indemnité versée ou disent redouter que les pères sollicitant le bénéfice de la PREPARE soient considérés comme peu motivés ou fassent l’objet de discriminations dans l’entreprise.

Question 15. Selon vous, quel est le principal facteur qui dissuade l’autre parent de bénéficier de sa part de la prestation partagée d’éducation de l’enfant ?

Parmi les suggestions formulées par les internautes dans les espaces de contribution libre pour favoriser un meilleur partage des responsabilités parentales, l’éducation dès le plus jeune âge, dans le cadre scolaire, social, familial et institutionnel, apparaît comme un levier déterminant. La nécessaire sensibilisation des personnels encadrants et enseignants est également demandée : ne plus assimiler l’heure de sortie des enfants à « l’heure des mamans » ou solliciter davantage les pères pour les sorties scolaires et manifestations internes aux établissements paraissent, à certains, de nature à lutter contre les stéréotypes. Plusieurs internautes estiment qu’un nombre et une amplitude horaire accrus des modes de garde collectifs seraient de nature à faciliter la reprise du travail des femmes, tandis que d’autres plaident pour un allongement de la durée du congé de paternité, certains faisant référence à la politique volontariste menée par plusieurs pays scandinaves (Suède, Norvège) pour encourager le partage des responsabilités parentales.

Plusieurs internautes appellent de leurs vœux une adaptation de l’organisation du travail en entreprise aux contraintes parentales, en proscrivant les réunions tardives, en développant le télétravail ou en partageant équitablement entre les deux parents les jours de congés consacrés à la garde d’un enfant malade et les sorties de bureau adaptées aux horaires scolaires. Un investissement plus significatif des syndicats sur ces questions est également suggéré.

2. L’autorisation d’absence donnée au conjoint d’une femme enceinte pour assister aux examens médicaux liés à la grossesse

La connaissance de l’autorisation d’absence

L’autorisation d’absence accordée au conjoint d’une femme enceinte pour assister à trois examens médicaux liés à la grossesse est mal connue des internautes ayant répondu à la consultation, quel que soit leur sexe : plus de 60 % en ignorent l’existence. Ils sont presque unanimes pour considérer que l’information sur cette disposition est insuffisante.

L’application de l’autorisation d’absence

Les quatre cinquièmes des internautes jugent ce dispositif peu ou pas appliqué, appréciation plus accentuée chez les femmes que chez les hommes.

Les réticences d’ordre professionnel sont considérées par une très large majorité des internautes (64 %) comme le principal facteur dissuadant le conjoint d’une femme enceinte d’accompagner celle-ci aux examens médicaux précités. Cet avis est exprimé par près de 70 % des femmes et par 55 % des hommes. Près d’un quart des internautes – sans distinction de sexe – attribuent la réticence du conjoint à une vision stéréotypée du rôle du père.

Parmi les réponses formulées dans les espaces de contribution libre, une proportion importante d’internautes attribue le non-recours à ce nouveau droit à un défaut d’information. Quelques-uns font valoir le choix personnel de l’un ou l’autre parent de ne pas participer ou de ne pas souhaiter être accompagnée à ce type de consultation médicale.

Question 19. Selon vous, quel est le principal facteur qui dissuade le conjoint d’une femme enceinte de bénéficier de cette mesure ?

La vingtaine de contributions libres sélectionnées par l’analyse communautaire mise en place par Regards citoyens sont synthétisées dans l’encadré ci-dessous.

Contributions libres sélectionnées par l’analyse communautaire mise en place par Regards citoyens

La vingtaine de contributions libres sur la thématique 3 « Le partage des responsabilités parentales » sélectionnées par les citoyens ayant participé à l’analyse communautaire mise en place par Regards citoyens rassemblent des propositions parfois formulées à la lumière d’expériences personnelles manifestement difficiles. Elles concernent notamment :

– l’égalité parentale en cas de séparation des parents, en particulier un recours accru à la résidence alternée ;

– la lutte contre les stéréotypes dès la petite enfance ainsi que dans la vie professionnelle (nécessité de lutter contre la stigmatisation et la discrimination au retour d’un congé parental, besoin d’information des jeunes parents sur le partage des responsabilités parentales) ;

– les difficultés liées à l’organisation du travail (congés de paternité trop courts au regard de congés de maternité parfois longs, manque de solutions de gardes collectives qui contraint l’un des parents à prendre un congé, horaires inadaptés).

D. LA GARANTIE PUBLIQUE CONTRE LES IMPAYÉS DE PENSIONS ALIMENTAIRES

La mise en place d’un dispositif de pension alimentaire minimale garantie au travers de l’allocation de soutien familial (ASF), ainsi que d’une aide au recouvrement des impayés de pensions alimentaires, le tout regroupé sous l’acronyme « GIPA » – pour « garantie contre les impayés de pension alimentaire » – constitue un volet de la loi du 4 août 2014 qui confrontait les internautes consultés à la question des conséquences de la séparation des conjoints s’agissant des dépenses nécessaires à l’entretien et à l’éducation de leurs enfants. Les contributions libres sont ainsi très marquées par les expériences personnelles de séparation ou celles vécues par des proches. Quant aux réponses aux questions fermées, elles témoignent d’une connaissance limitée d’un dispositif relativement technique, mais d’une appréciation positive sur son contenu et sa portée.

842 personnes ont répondu à au moins une question de cette quatrième thématique, dont 633 enregistrées en tant que femmes et 166 en tant qu’hommes. L’analyse statistique de ces participants réalisée par Regards citoyens donne les résultats présentés dans l’encadré ci-dessous.

Populations identifiées par l’analyse statistique réalisée par Regards citoyens

Huit populations émergent :

– 73 personnes n’ayant pas d’opinion sur les mesures à mettre en œuvre en matière de recouvrement ;

– 169 personnes n’ayant pas entendu parler de la GIPA mais trouvant la mesure adaptée. Elles pensent plus que les autres que la mesure à mettre en œuvre est de simplifier et accélérer le versement de l’ASF ;

– 130 personnes qui connaissent la GIPA dans ses deux volets. Elles pensent plus que les autres que c’est un système adapté, qu’il faut augmenter le montant de l’ASF et simplifier son versement. Les femmes sont plus nombreuses dans cet échantillon.

– 122 personnes qui ont une opinion moyenne ;

– 120 personnes qui n’ont pas entendu parler de la GIPA mais qui trouvent plutôt la mesure peu adaptée. Les femmes sont plus nombreuses dans cet échantillon ;

– 100 personnes qui ne connaissent que le recouvrement des pensions alimentaires impayées ;

– 73 personnes qui connaissent les deux volets et qui trouvent le niveau d’information plutôt bon. Elles sont moins nombreuses que la moyenne à estimer qu’il faut simplifier les procédures de versement. Les hommes sont plus nombreux dans cet échantillon ;

– 55 personnes qui ont peu répondu à cette partie du questionnaire.

La connaissance du dispositif

Dispositif généralisé par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 au terme d’une expérimentation de 18 mois dans vingt départements prévue par la loi du 4 août 2014, la GIPA ne se laissait pas aisément synthétiser, notamment en raison de son caractère dual.

De manière similaire à ce qui est constaté pour les autres thèmes faisant l’objet de la consultation, la méconnaissance du dispositif est assez répandue. Elle est même majoritaire si l’on raisonne volet par volet : 65 % des internautes ayant répondu ne connaissent pas la pension minimale garantie (61 % pour ceux qui se sont enregistrés en tant qu’hommes), et 56 % ne connaissent pas l’aide au recouvrement des pensions alimentaires impayées (57 % pour les femmes, 50 % pour les hommes). La remarque aurait encore plus de poids dans l’hypothèse où les internautes ayant répondu seraient des personnes particulièrement concernées par le sujet de la consultation.

Quant à l’information sur le dispositif, elle est massivement jugée insuffisante, même si ce caractère massif est – à peine – moins marqué chez les répondants enregistrés en tant qu’hommes. Ce résultat est d’autant plus préoccupant que la question portait bien sur la connaissance de la GIPA par les personnes en ayant besoin, même si l’on ne peut exclure que les internautes aient voulu critiquer un défaut d’information en général.

L’adaptation du dispositif à ses objectifs

Sur le terrain de l’efficacité, la GIPA est plutôt jugée plus favorablement que d’autres mesures de la loi.

Le total des réponses jugeant la GIPA « parfaitement adaptée » ou « adaptée » représente près des deux tiers de l’ensemble. Tout juste peut-on noter que les internautes s’étant enregistrés en tant qu’hommes sont, en proportion, deux fois plus nombreux (12 % contre 6 %) à estimer le dispositif « pas du tout adapté ». On peut relier ce résultat à la proportion d’hommes (12 % également, contre 7 % de femmes) ayant coché la case « autre » parmi les propositions d’amélioration de la GIPA, les champs de réponse libre sur ce thème ayant fait ressortir assez nettement les griefs d’internautes enregistrés comme hommes à l’encontre d’une justice des affaires familiales qui serait par construction défavorable aux hommes dans le cadre des jugements de séparation.

Les propositions des internautes

Les deux pistes d’amélioration qui se détachent parmi les six proposées sont, à égalité, une amélioration procédurale concernant l’ASF – simplification et accélération – et un certain durcissement dans la gestion des impayés de pensions alimentaires, avec la facilitation de l’accès aux informations sur le débiteur défaillant. Sur cette question d’ailleurs, on note un écart de huit points entre les internautes selon qu’ils se sont enregistrés comme homme ou comme femme : c’est ce qui explique que ce souci de recherche d’une plus grande responsabilisation des mauvais payeurs de pension alimentaire arrive en tête des propositions de modification du dispositif chez les femmes, alors que pour les hommes le sujet vient – certes de peu – en deuxième position. Tout cela est vraisemblablement à relier au fait que les hommes sont très majoritaires parmi les débiteurs de pensions alimentaires.

Pour le reste, l’analyse sexuée des réponses ne fait pas ressortir de différence notable, hormis sur un point qui n’arrive qu’au cinquième rang des préconisations : la mise sous plafond de ressources du versement de l’ASF. Les internautes enregistrés en tant qu’hommes sont ici deux fois plus nombreux à estimer un tel plafonnement justifié.

Question 24. Parmi les propositions suivantes, quelles seraient selon vous les deux principales mesures qu’il faudrait mettre en œuvre pour mieux garantir le paiement des pensions alimentaires ?

Au sein des espaces de contribution libre qui donnaient la possibilité de faire des propositions différentes de celles mises en avant à la question 24, on peut distinguer, parmi les 225 réponses, des propositions émergeant de manière répétée et d’autres plus ponctuelles. Les propositions qui ressortent le plus sont de deux ordres :

– le paiement contraint systématique, y compris en cas d’insolvabilité organisée, le cas échéant sans attente de jugement. Il est à noter qu’une proportion significative des personnes proposent le prélèvement direct sur la rémunération du débiteur défaillant, qui existe déjà (c’était d’ailleurs rappelé dans l’encadré introductif de la thématique) ;

– la mise en place de poursuites et de sanctions (intérêts de retard ou amendes le plus souvent, mais aussi privation des droits parentaux) à l’égard du débiteur défaillant.

Quant aux propositions moins fréquentes, elles font apparaître :

– des mesures de soutien au parent créancier – l’information sur les recours possibles, un meilleur accès à l’aide juridictionnelle, le maintien du droit à l’ASF même lorsque le créancier est de nouveau en couple ;

– des mesures d’aménagement du paiement de la pension :

• la prise en compte de la situation pécuniaire du débiteur (plutôt pour suspendre le paiement ou le ramener à un montant raisonnable avec compensation éventuelle de la différence par la collectivité, mais aussi pour moduler le montant à la hausse comme à la baisse) ;

• le recours à la médiation pour comprendre la cause des impayés ;

• le versement de la pension à un intermédiaire (par exemple la CAF) (12), le cas échéant sous la forme d’un prélèvement à la source généralisé (c’est-à-dire non réservé aux cas d’impayés) ;

• le versement sur un compte distinct propre à l’enfant ;

– des mesures alternatives ou plus globales : le paiement de factures (de cantine, d’habillement, etc.) plutôt que d’une pension alimentaire, ou bien le meilleur équilibre entre père et mère dans la garde des enfants pour répartir la charge financière de leur entretien et de leur éducation.

L’analyse communautaire mise en place par Regards citoyens aboutit à une sélection de contributions libres qui en donnent un reflet différent.

Contributions libres sélectionnées par l’analyse communautaire mise en place par Regards citoyens

Parmi les dix-huit contributions libres sélectionnées comme étant les plus originales ou les plus dignes d’intérêt par les internautes ayant participé à l’analyse communautaire sur le thème de la lutte contre les impayés de pensions alimentaires, on note que les contributions longues et faisant état d’expériences personnelles douloureuses sont privilégiées.

Ces expériences sont à plusieurs reprises l’occasion de formuler un avis sur le fonctionnement de la justice familiale, considérée comme trop présente ou au contraire pas assez.

L’approche répressive apparaît, mais très peu. Les solutions suggérées comprennent plutôt des modalités procédurales comme le prélèvement à la source de la pension, l’instauration de la CAF comme intermédiaire dans le paiement, l’utilisation d’un barème évolutif pour le calcul de la pension ou le recours à la médiation familiale.

E. LA PROTECTION CONTRE LES VIOLENCES CONJUGALES

Consacrée à la protection contre les violences conjugales, la cinquième thématique de la consultation citoyenne invitait les internautes à porter une appréciation sur deux dispositifs : d’une part, la procédure – créée par la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants – qui permet au juge aux affaires familiales de décider par ordonnance des mesures de protection concrètes de la victime ; d’autre part, la généralisation du téléphone « grand danger ».

838 personnes ont répondu à au moins une question de cette cinquième thématique, dont 629 enregistrées en tant que femmes et 166 en tant qu’hommes. Elles se décomposent en plusieurs groupes identifiés par l’analyse statistique faite par Regards citoyens.

Populations identifiées par l’analyse statistique réalisée par Regards citoyens

Deux groupes de personnes ont été identifiés :

− celles qui ne connaissent pas le téléphone grand danger (502 personnes) : ces personnes ont tendance à donner un peu plus d’importance à l’aide juridictionnelle et aux violences psychologiques ;

− celles qui connaissent le téléphone grand danger (336 personnes) : ces personnes ont moins l’impression qu’il existe un déficit d’information sur ce dispositif, approuvent davantage la géolocalisation des victimes et connaissent mieux l’ordonnance de protection à laquelle elles sont plus favorables.

Au-delà de la question du téléphone grand danger, quatre groupes de populations se distinguent : les personnes sans avis notable (95 personnes) ; celles qui pensent que le niveau d’information sur l’ordonnance de protection est adapté (114 personnes) ; celles qui pensent que l’ordonnance est un dispositif adapté, mais qu’elle fait l’objet d’un déficit d’information et qui considèrent que la dissimulation du domicile et la géolocalisation sont des mesures adaptées (276 personnes) ; celles qui pensent que l’ordonnance de protection est un dispositif peu adapté, qui soulignent le manque d’information au sujet de ce dispositif, ainsi que pour le téléphone grand danger, et qui valorisent le fait de mieux prendre en compte les violences psychologiques (353 personnes).

1. L’ordonnance de protection

La connaissance de la procédure

Si les personnes ayant participé à la consultation citoyenne connaissent majoritairement l’ordonnance de protection (57 % des internautes), elles considèrent néanmoins très largement (86 %) que ce dispositif ne fait pas l’objet d’une information suffisante pour être connu de toutes les personnes qui en ont besoin. Dans son analyse, Mme Dominique Méda souligne d’ailleurs que cette forte proportion de réponses considérant que l’information est insuffisante se retrouve dans le cas de plusieurs dispositifs de la loi du 4 août 2014, comme la PREPARE, et tendrait à montrer que la loi n’est pas suffisamment connue. Ce constat est toutefois nuancé par Mme Hélène Périvier qui affirme que ces réponses ne peuvent pas être interprétées comme une méconnaissance de la loi, car les citoyens connaissent surtout les dispositifs qui les concernent directement ou indirectement.

Il est intéressant de noter que les femmes connaissent davantage ce dispositif que les hommes (59 % des femmes ayant répondu contre 47 % des hommes). Paradoxalement, les hommes connaissent moins ce dispositif, mais sont plus nombreux que les femmes à considérer qu’il fait l’objet d’une information suffisante (21 % des hommes contre 12 % des femmes).

L’adaptation de la procédure à ses objectifs

Les réponses à la question 28 sont très partagées, puisque 50 % des internautes considèrent que l’ordonnance de protection est adaptée ou parfaitement adaptée pour protéger les victimes de violences conjugales, tandis que 50 % considèrent que ce dispositif est peu ou pas du tout adapté.

Les hommes sont, proportionnellement, un peu plus nombreux à considérer que l’ordonnance de protection est un dispositif adapté (54 % des hommes considèrent qu’elle est adaptée ou parfaitement adaptée contre 50 % des femmes) ; pourtant ils sont également plus nombreux à juger qu’elle est un dispositif totalement inadapté (11 % des hommes contre 6 % des femmes). Parallèlement, les femmes sont donc plus nombreuses à penser que ce dispositif est « peu adapté » (44 % d’entre elles, contre 35 % des hommes).

Selon les internautes, les mesures les plus efficaces dans le cadre de l’ordonnance de protection sont la dissimulation du lieu de résidence de la victime (selon 63 % d’entre eux), l’éloignement du conjoint du logement commun (selon 40 % d’entre eux) et l’interdiction au conjoint de tout contact avec certaines personnes (selon 35 % d’entre eux).

L’interdiction de certains contacts et l’éloignement du conjoint du logement font l’objet de réponses similaires de la part des femmes et des hommes.

Toutefois, les autres propositions font apparaître des différences de point de vue. Si la dissimulation du lieu de résidence de la victime reste dans les deux cas la mesure la plus mise en avant par les internautes, elle est davantage une priorité pour les femmes que pour les hommes (64 % des femmes et 56 % des hommes ont désigné cette mesure comme l’une des deux mesures les plus efficaces). De la même manière, l’attribution de l’aide juridictionnelle à la victime est davantage mise en avant par les femmes que par les hommes (33 % des femmes contre 25 % des hommes).

À l’inverse les hommes semblent attacher plus d’importance à l’interdiction faite au conjoint de détenir une arme (il s’agit d’une des deux mesures les plus efficaces pour 26 % des hommes contre 12 % des femmes) et à la précision de l’exercice de l’autorité parentale (19 % des hommes et 15 % des femmes).

Question 29. Parmi les mesures que le juge aux affaires familiales peut prendre par ordonnance de protection, quelles sont les deux mesures que vous jugez les plus efficaces ?

Les propositions des internautes

Selon les internautes ayant répondu à la question 30, les principales mesures qu’il faudrait mettre en œuvre pour améliorer l’efficacité de l’ordonnance de protection sont la prise en compte des violences psychologiques (pour 61 % d’entre eux), l’accélération de la délivrance de l’ordonnance (pour 50 % d’entre eux) et le renforcement de l’accompagnement des victimes (pour 47 % d’entre eux).

Ce sont ces trois mesures qui ont principalement été choisies dans les réponses des femmes comme dans celles des hommes. Si les ordres de grandeur sont globalement les mêmes, il est toutefois intéressant de noter les divergences qui peuvent exister. La prise en compte des violences psychologiques est davantage mise en avant par les femmes (62 % d’entre elles ont désigné cette mesure dans leurs réponses, contre 56 % des hommes), de la même manière que l’accélération de la délivrance de l’ordonnance (52 % des femmes et 46 % des hommes ayant répondu). À l’inverse, les hommes sont proportionnellement plus nombreux à avoir choisi le renforcement de l’accompagnement des victimes (52 % des hommes contre 46 % des femmes ayant répondu).

Question 30. Parmi les propositions suivantes, quelles seraient selon vous les deux principales mesures qu’il faudrait mettre en œuvre pour améliorer l’efficacité de l’ordonnance de protection ?

Les autres propositions citées dans les espaces de contribution libre portent essentiellement sur les mesures suivantes :

– mieux former et informer les professionnels des instances judiciaires, policières et sociales sur les violences conjugales, pour éviter toute stigmatisation des victimes et pour assurer une meilleure compréhension de ces situations, par exemple dans les cas d’emprises psychologiques, encore mal connues aujourd’hui ;

– développer l’offre d’hébergement d’urgence, condition nécessaire pour garantir la sécurité des victimes et conduire une procédure judiciaire ;

– mettre en place un suivi, notamment psychologique, de l’auteur des violences ;

– approfondir la protection des victimes par la mise en œuvre d’un système électronique « anti-rapprochement » (géolocalisation à la fois de la victime et de l’auteur des violences), sur le modèle des programmes développés au Portugal et en Espagne.

Plusieurs commentaires font valoir que les hommes peuvent être victimes de violences, rappelant ainsi l’importance de communiquer sans tabou au sujet des violences conjugales pour encourager toutes les victimes à porter plainte.

2. Le téléphone « grand danger »

La connaissance du dispositif

À l’image de l’ordonnance de protection, le téléphone « grand danger » est relativement bien connu par les personnes ayant répondu à la consultation citoyenne (plus de 40 % d’entre elles), mais une très large majorité (90 %) déclare que ce dispositif ne fait pas l’objet d’une information suffisante pour être connu de toutes les personnes qui en ont besoin.

À la lecture des contributions libres sur la thématique « La protection contre les violences conjugales », le dispositif du téléphone grand danger paraît pertinent, mais ne semble pas encore suffisamment développé.

La possibilité de géolocalisation de la victime grâce au téléphone grand danger

La possibilité de géolocaliser la victime, sous réserve de son accord, apparaît pour les trois quarts des personnes ayant répondu à la question 33 comme un dispositif adapté ou parfaitement adapté pour protéger contre les violences conjugales. Les opinions des femmes et des hommes convergent sur l’efficacité de ce dispositif.

En outre, dans les contributions libres, plusieurs points de vue reviennent sur le système de géolocalisation, insistant sur l’importance de géolocaliser également l’auteur des violences. Trois personnes ont d’ailleurs fait directement référence au système « anti-rapprochement » mis en œuvre en Espagne et au Portugal, qui permet, par une double géolocalisation de l’agresseur et de la victime, d’empêcher tout nouveau contact, fortuit ou volontaire, entre eux et ainsi d’assurer une protection efficace des victimes de violences conjugales.

La vingtaine de contributions libres sélectionnées par l’analyse communautaire mise en place par Regards citoyens sont synthétisées dans l’encadré ci-dessous.

Contributions libres sélectionnées par l’analyse communautaire mise en place par Regards citoyens

Parmi la vingtaine de contributions sur la thématique 5 « La protection contre les violences conjugales » mises en avant par les internautes ayant participé à l’analyse communautaire mise en place par Regards citoyens, plusieurs points de vigilance et voies de progrès sont soulignés.

La plupart de ces vingt contributions insistent sur la difficulté d’obtenir une ordonnance de protection et dénoncent de grandes difficultés lors des dépôts de plainte auprès des forces de l’ordre. Les internautes appellent à une meilleure formation des policiers, des gendarmes, mais aussi des magistrats et des médecins sur les problématiques spécifiques liées aux violences conjugales.

D’autres difficultés sont également évoquées dans ces contributions libres, comme les violences psychologiques et les situations d’emprise, les viols conjugaux, les difficultés spécifiques aux milieux ruraux, la faible prise en compte des violences conjugales faites aux hommes…

Plusieurs solutions sont mises en avant, notamment : signalement des auteurs pour tout acte de violence, développement du suivi thérapeutique des auteurs de violences, création de « lieux ressources » adaptés à l’accueil et à l’accompagnement des victimes de violences, campagne de sensibilisation sur les violences conjugales…

EXAMEN PAR LE COMITÉ

Au cours de sa réunion du 24 novembre 2016, le Comité examine le présent rapport.

M. Régis Juanico, président. L’Assemblée a organisé, du 4 au 17 octobre dernier, une consultation citoyenne sur l’impact de la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes.

Cette consultation répond à une demande de Dominique Raimbourg, président de la commission des lois, qui est parmi nous ce matin. Elle s’inscrit dans la perspective du volet parlementaire du sommet du Partenariat pour un gouvernement ouvert qui se déroulera à Paris le 8 décembre prochain.

Cette expérimentation a permis, pour la première fois, d’associer les citoyens à l’évaluation d’une politique publique. Elle a été confiée au Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC) qui a constitué un groupe de travail associant les trois commissions concernées, les commissions des lois, des affaires sociales et des affaires culturelles, ainsi que la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.

Nous allons examiner aujourd’hui le rapport sur cette consultation citoyenne dont les deux rapporteurs sont Sébastien Denaja, pour la majorité, et Guy Geoffroy, pour l’opposition.

Messieurs les rapporteurs, vous avez la parole.

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Monsieur le président, mes chers collègues, il s’agit d’un moment inédit dans l’histoire de l’Assemblée nationale que de rendre compte d’une consultation citoyenne sur une loi votée. Je me réjouis de le faire aux côtés de Guy Geoffroy, avec qui nous avons beaucoup travaillé sur les questions relatives à l’égalité entre les femmes et les hommes au-delà des clivages.

Le CEC a été chargé de réaliser une consultation citoyenne destinée à évaluer la politique publique en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes, en appréciant l’impact des principales dispositions de la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes.

Un groupe de travail a été constitué, composé de Dominique Raimbourg, président de la commission des lois, qui est à l’initiative de la démarche, de Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes, et de députées membres des trois commissions concernées – commissions des affaires culturelles, des affaires sociales et des lois.

Après les expériences menées en février 2015 sur la proposition de loi relative à la fin de vie et en avril 2016 sur l’avenir de l’Union européenne – il s’agissait de consultations avant l’adoption de textes législatifs –, les citoyens ont été associés à l’évaluation d’une politique publique, portée par les dispositions d’un texte législatif adopté.

Comme vous l’avez souligné, monsieur le président, l’objectif est de présenter cette consultation lors du volet parlementaire du sommet du Partenariat pour un gouvernement ouvert qui se tiendra à Paris le 8 décembre prochain.

Cette démarche inédite s’est heurtée à quelques difficultés puisqu’elle a été conduite dans des délais très courts. Toutefois, nous avons pu travailler sérieusement sur le choix des thématiques, la rédaction du questionnaire, la mise en œuvre et le déroulement de la consultation, en associant chercheurs, universitaires, associations citoyennes.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. À mon tour, je veux dire tout le plaisir que j’ai eu à participer à ce travail aux côtés de Sébastien Denaja. Je tiens à remercier l’ensemble des administrateurs, dont la compétence au service de l’Assemblée nationale doit être rappelée. Ils nous ont aidés à construire la méthode, ce qui n’était pas simple, et à la mener pour nous permettre de l’exploiter, sous le regard attentif et bienveillant des initiateurs de cette consultation, en particulier Mme Catherine Coutelle et M. Dominique Raimbourg.

Comme nous souhaitions que cette démarche soit totalement transparente, nous nous sommes entourés d’un comité de pilotage composé de personnalités qualifiées, pour l’essentiel connues et reconnues comme spécialistes des questions liées à l’égalité entre les femmes et les hommes et pour leur capacité à mener des actions, des réflexions et des investigations en utilisant des méthodes dites de « gouvernement ouvert ».

Ont ainsi été associés à ces travaux : Mme Dominique Méda, professeure à l’université Paris-Dauphine, spécialiste des questions d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ; Mme Hélène Périvier, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), spécialiste des inégalités entre les femmes et les hommes ; M. Loïc Blondiaux, professeur à l’université Paris Panthéon-Sorbonne, spécialiste de l’ingénierie de la concertation ; l’association Regards citoyens, spécialisée dans la confection d’outils numériques destinés à comprendre le fonctionnement de nos institutions et qui se penche beaucoup sur l’activité des parlementaires. Sébastien Denaja et moi-même remercions chaleureusement ces personnalités pour le précieux concours qu’elles nous ont apporté à toutes les étapes de la consultation.

Nous les avons réunies à l’occasion d’une table ronde qui a permis de finaliser la démarche. Elles ont porté des jugements différents sur la méthode utilisée. Mmes Méda et Périvier ont estimé que, pour être significative et dépourvue de biais, une évaluation citoyenne nécessitait de sélectionner un panel représentatif de citoyens ou à défaut, de connaître le profil des répondants. De leur côté, l’association Regards citoyens et M. Blondiaux ont souligné l’intérêt de dépasser la logique traditionnelle de l’enquête d’opinion statistique et supposée objective pour adopter une logique de délibération collective en sollicitant le public le plus large possible – c’est ce qui a été fait en l’occurrence – afin de faire émerger des points de vue et des propositions éventuellement innovants.

Suivant cette logique de délibération collective, c’est l’association Regards citoyens qui a procédé, à notre demande, à un important travail consistant en une triple analyse : une analyse statistique des réponses, avec toutes les limites de l’exercice s’agissant du panel en question – qui est plus un panel « constaté » qu’un panel « orchestré » –, afin de déterminer la diversité des profils des contributeurs et leur degré de qualification, une analyse sémantique des réponses afin de déterminer de manière automatique les champs lexicaux utilisés, enfin une lecture collective des réponses – deuxième panel utilisé – consistant à les faire analyser par les citoyens eux-mêmes.

Vous pouvez consulter, en annexe à notre rapport, la contribution écrite remise par trois des personnalités qualifiées qui ont souhaité nous apporter, en plus des échanges que nous avons eus avec elles, quelques éléments de réflexion.

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Quelques mots sur les grandes étapes de la consultation. Pour être exploitable, la consultation devait être limitée à quelques thèmes choisis parmi les soixante-dix-sept articles de la loi du 4 août 2014.

Pour opérer notre choix, nous avons retenu trois critères : d’abord, les thèmes retenus devaient être suffisamment représentatifs des enjeux de la politique publique en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes pour justifier le fait d’interroger les citoyens ; ensuite, ils devaient être accessibles et compréhensibles par le citoyen pour ne pas cantonner la consultation aux experts – il s’agit là d’une recommandation des personnalités qualifiées et plus précisément de Dominique Méda qui nous a beaucoup aidés à perfectionner les intitulés des questions afin qu’elles soient parfaitement intelligibles ; enfin, ils devaient entrer dans les compétences du CEC en faisant intervenir des outils et des acteurs appartenant à la sphère publique.

Sur la base de ces critères, cinq thématiques, emblématiques des principaux enjeux de la loi du 4 août 2014, ont été retenues.

La première thématique portait sur les objectifs de la politique en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes, tels qu’ils ont été définis à l’article 1er de la loi. Nous avons interrogé nos concitoyens sur les priorités qui devaient être celles des pouvoirs publics en ce domaine.

La deuxième thématique concernait la place et l’image des femmes dans les médias audiovisuels et sur internet, à travers deux dispositifs : d’une part, le renforcement des obligations des télévisions et radios nationales en matière d’égalité entre les femmes et les hommes dans leur programmation ; d’autre part, l’extension du signalement de contenus illicites sur l’Internet à l’incitation à la haine à l’égard des personnes en raison de leur sexe.

La troisième thématique portait sur le partage des responsabilités parentales, autre volet de la loi du 4 août 2014, avec deux mesures : l’instauration de la prestation partagée d’accueil de l’enfant, et l’octroi d’une autorisation d’absence au conjoint d’une femme enceinte pour assister aux examens médicaux dans le cadre de la surveillance médicale de la grossesse et des suites de l’accouchement.

La quatrième thématique concernait le mécanisme de garantie publique contre les impayés de pensions alimentaires (GIPA) instauré par la loi du 4 août 2014.

Enfin, la cinquième thématique portait sur le renforcement de la protection contre les violences conjugales avec la réforme, en tout cas le perfectionnement de l’ordonnance de protection et la généralisation du téléphone « grand danger ».

On le voit, il ne s’agit pas simplement d’apprécier, d’évaluer la loi du 4 août 2014, mais aussi de la mettre en perspective avec la politique publique en la matière, notamment parce qu’elle était précédée d’une loi importante de 2010 relative aux violences faites aux femmes.

Les questions concernaient la connaissance du dispositif évalué, l’appréciation de son efficacité, les raisons susceptibles d’expliquer des entraves à sa mise en œuvre et les mesures qui permettraient de l’améliorer. Outre des questions fermées, des questions ouvertes étaient posées car nous souhaitions une contribution citoyenne.

Des questions complémentaires étaient également destinées à mieux connaître le profil des internautes et à leur permettre d’émettre des suggestions pour améliorer ce type de consultation.

Le questionnaire comptait au total trente-huit questions.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. La consultation s’est déroulée sur une période relativement courte, du 4 au 17 octobre 2016.

Lors de leur inscription sur la plateforme mise en ligne sur le site de l’Assemblée nationale, les internautes qui souhaitaient participer à cette consultation ont été invités à cocher soit la case « Mme », soit la case « M. », soit la case « Ne souhaite pas indiquer son sexe », ce qui a permis de ventiler les résultats de la consultation en fonction du sexe déclaré.

Les réponses ont été « anonymisées » par l’attribution d’un identifiant à chaque questionnaire et ont été déposées sur le site open data de l’Assemblée nationale.

Les réponses au questionnaire ont été étudiées par les députés membres du groupe de travail, par les services de l’Assemblée nationale et par les personnalités qualifiées et toutes les contributions libres des 477 personnes ayant pris le temps de répondre aux questions ouvertes ont été analysées.

Le comité de pilotage s’est ensuite réuni le 25 octobre 2016 pour analyser les résultats de la consultation du point de vue de la méthode utilisée et des thèmes traités.

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Au total, 967 personnes ont participé à la consultation dont 717 femmes, 201 hommes et 49 personnes qui n’ont pas souhaité indiquer leur sexe.

La participation s’est sensiblement érodée au fil du questionnaire mais elle est restée soutenue, témoignant ainsi de l’engagement des internautes ayant répondu.

Plusieurs d’entre eux ont salué cette initiative tout en regrettant qu’elle n’ait pas fait l’objet d’une publicité plus importante. Nous nous associons à cette remarque.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Il serait totalement dépourvu de pertinence de prétendre livrer des résultats chiffrés de cette consultation qui vaudraient sondage en bonne et due forme et qui traduiraient le sentiment des Français par rapport aux questions qui leur ont été posées. Cela ne veut pas dire que les réponses apportées ne présentent pas d’intérêt pour l’analyse et l’évaluation de la manière dont certaines personnes, pour la plupart directement intéressées, ont réagi aux questions, car c’est à un autre travail que le CEC s’est livré. Il ne prétendait pas résumer le travail d’évaluation de la loi ni remplacer l’ensemble des autres outils d’évaluation. Pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté, il faut rappeler que nous avons souhaité présenter ce rapport en deux tomes. Le premier est consacré aux enseignements de méthode à tirer de la consultation ainsi qu’aux principaux éléments d’analyse des réponses reçues. Le second reprend de manière formelle le questionnaire et les résultats chiffrés présentés graphiquement, ainsi que les contributions des experts membres du comité de pilotage.

Ces précautions essentielles étant prises, nous avons choisi de témoigner des principaux résultats obtenus en agrégeant les réponses à la consultation des quelque mille personnes y ayant participé. J’en profite pour dire que, lors du débat que nous avons organisé entre les personnalités qualifiées, les avis ont été très partagés sur l’interprétation de ce nombre. Certains ont estimé que mille, ce n’était pas beaucoup, tandis que d’autres ont considéré que, compte tenu du volume du questionnaire et du temps qu’il fallait accepter de consacrer à répondre aux trente-huit questions, ce n’était pas du tout négligeable.

Ce sont donc les services du CEC et l’association Regards citoyens qui ont procédé au travail d’analyse de l’ensemble des contributions. Cela permet de dégager quelques tendances. Sur chacune des cinq thématiques, quelques lignes fortes sont apparues.

S’agissant de la prestation partagée d’accueil de l’enfant, sujet extrêmement important qui constitue un apport de la loi du 4 août 2014, nous pouvons affirmer que le dispositif est considéré par 55 % des personnes interrogées comme encore insuffisamment adapté pour inciter l’autre parent à prendre un congé parental, et par 58 % comme insuffisamment adapté pour permettre un retour rapide des femmes à la vie professionnelle.

En ce qui concerne l’ordonnance de protection qui, comme l’a rappelé Sébastien Denaja, est un travail au long cours puisque ce dispositif a été créé par la loi du 9 juillet 2010 puis amélioré grâce à la loi du 4 août 2014, on note un partage égal entre les internautes qui la jugent adaptée ou parfaitement adaptée à ses objectifs et ceux qui ne souscrivent pas à cette appréciation.

Je n’insisterai pas sur l’ensemble des autres items, car ils peuvent être aisément saisis dans le corps de notre rapport dont la lecture est facile et relativement brève. Le tableau d’ensemble doit être accueilli par les législateurs que nous sommes avec une infinie humilité parce que, je le répète, cette consultation n’est pas un sondage et qu’elle ne peut pas, à elle seule, tenir lieu d’évaluation d’une politique publique telle qu’elle ressort de nos observations sur la loi du 4 août 2014.

M. Sébastien Denaja, rapporteur. La méthode elle-même est intéressante pour évaluer une politique publique, à condition d’être envisagée comme un outil complémentaire, en raison des impasses méthodologiques auxquelles on se heurte ; cependant il serait totalement irrespectueux de ne pas rendre compte de ce qu’ont répondu les internautes, bien qu’ils ne constituent pas un échantillon parfaitement représentatif de la population. En tout cas, je tiens à insister sur l’intérêt de l’aspect qualitatif de la démarche à travers l’analyse de l’ensemble des contributions libres qui ont été faites sur la base des questions ouvertes.

Avant d’examiner comment l’exercice particulier de la consultation citoyenne peut s’insérer parmi les différents outils de l’évaluation, arrêtons-nous un instant pour en souligner l’intérêt intrinsèque. Comment, sinon par une consultation citoyenne, recueillir le point de vue de celles et ceux que nous n’aurions jamais su ou pu convier à participer à nos travaux classiques d’évaluation et de contrôle ? Quelle meilleure réponse que la consultation citoyenne à celles et ceux qui se plaignent souvent, sans doute à juste titre, de l’éloignement des lieux de délibération et de décision ? Quel meilleur usage des technologies numériques au service de l’amélioration du fonctionnement de notre démocratie, dans le champ du contrôle et de l’évaluation, que la consultation citoyenne ? Poser ces questions, c’est évidemment y répondre.

Nous nous sommes essayés à l’exercice, et pensons avoir ouvert une voie. Les difficultés soulignées, les limites rencontrées constitueront des éléments d’enseignement qui permettront de perfectionner la méthode et la démarche dans les mois et les années à venir.

Je tiens à souligner la richesse de nos échanges avec l’association Regards citoyens, avec laquelle nous avons pu croiser nos analyses. Je veux aussi mettre en exergue quelques contributions citoyennes parmi celles que nous avons reçues, car il y a là un apport, une expertise, des propositions réelles. J’en cite quelques-unes : éduquer dès le plus jeune âge, dans le cadre scolaire, social, et familial, à la lutte contre les stéréotypes sexistes et à un meilleur partage des responsabilités parentales – on sait à quel point cette question est essentielle ; adapter l’organisation du travail – horaires, congés, télétravail – aux contraintes parentales, en impliquant les organisations syndicales ; améliorer l’équilibre entre les ex-conjoints après leur séparation pour l’exercice de leurs responsabilités parentales ; prélever à la source les pensions alimentaires, éventuellement selon un barème évolutif ; remplacer le paiement de la pension par le paiement direct de factures de cantine ou d’habillement – j’y suis personnellement opposé ; sanctionner systématiquement les mauvais payeurs de pensions alimentaires ; sanctionner les professionnels de l’audiovisuel tenant des propos sexistes ; former les professionnels de l’audiovisuel tenant des propos sexistes à une meilleure appréhension des comportements et propos sexistes ; développer la géolocalisation des auteurs de violences conjugales et le suivi thérapeutique de ces derniers.

Il a donc bien été possible de faire émerger, en quelque sorte, une expertise citoyenne, en tout cas une volonté de contribution citoyenne à l’enrichissement de cette politique publique, au-delà même de son évaluation.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Il n’est pas inutile de s’interroger sur la place d’une telle consultation citoyenne parmi les outils de l’évaluation. Il convient d’en apprécier les limites et d’en tirer les principaux enseignements. L’intérêt que peuvent susciter les résultats de cette consultation, singulièrement les réponses aux questions ouvertes, qui permettent de faire émerger de la « parole experte », est incontestable.

Il n’est évidemment pas question de substituer la consultation citoyenne aux autres modes d’évaluation existant aujourd’hui : dans un esprit de complémentarité, il s’agit d’ajouter un mode d’analyse nouveau et riche, devant être croisé avec les autres outils dont nous disposons.

Les instruments dont je suis persuadé qu’ils demeureront incontournables sont pour les députés évaluant une politique publique les auditions, les déplacements ainsi, que de façon plus ponctuelle, l’assistance de la Cour des comptes, instance incontestable avec laquelle, depuis sa création, le CEC entretient une relation privilégiée. Au sein du CEC, nos travaux d’évaluation font toujours la part qui leur revient aux travaux réalisés par des experts, aussi bien sur le plan quantitatif que qualitatif. Nous recourons encore régulièrement aux statistiques des ministères comme des corps d’inspection, que nous sollicitons régulièrement. Nous faisons aussi appel à des experts indépendants comme les chercheurs de l’École d’économie de Paris, et bien d’autres.

Par ailleurs, les enquêtes d’opinion réalisées « dans les règles de l’art » ne sont pas inconnues de notre Comité, qui a eu l’occasion de commander une étude à l’Institut français d’opinion publique (IFOP) sur l’impact de la lutte contre le tabagisme et d’exploiter, conjointement d’ailleurs avec la Cour des comptes, les résultats de cette enquête.

Certains travaux du CEC ont justifié la construction d’outils statistiques pour les besoins de l’évaluation, et l’on peut citer deux exemples récents.

En 2015, nos collègues Yves Durand et Rudy Salles ont formulé un certain nombre d’observations et de propositions portant sur la carte scolaire ; à cette occasion, un indice statistique a été créé afin de comparer la composition sociale des collèges et lycées et celle de leur quartier d’implantation.

En 2016, le CEC a procédé à une modélisation du recours aux minima sociaux dans deux départements, dans le cadre du rapport de nos collègues Gisèle Biémouret et Jean-Louis Costes sur l’accès aux droits sociaux.

Enfin, il serait erroné de croire que les citoyens seraient systématiquement les grands oubliés des travaux d’évaluation : à chaque fois que cela nous est possible, nous mandatons des cabinets spécialisés en évaluation des politiques publiques afin d’avoir la meilleure connaissance de l’opinion et des réactions de ceux de nos concitoyens qui sont concernés par ces politiques.

Cet outil nouveau de la consultation citoyenne nous semble donc receler un potentiel important. Il faut le promouvoir en s’appuyant sur les enseignements de cette première expérience et, de façon plus large, promouvoir l’évaluation elle-même.

Nous le disons fréquemment à nos concitoyens, un parlementaire est chargé de trois missions : une mission de représentation, une mission de législation, et, celle qui donne le plus d’ampleur aux deux premières, une mission de contrôle. Et, pour contrôler et évaluer, il faut se saisir de tout ce que les sciences et les technologies sont susceptibles de fournir.

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Je souhaite maintenant aborder la question du dispositif de communication déployé pour cette consultation : les outils utilisés doivent être adaptés afin d’obtenir la meilleure participation possible de nos concitoyens.

Au titre des outils classiques, nous avons recouru à un communiqué de presse du Président de l’Assemblée nationale ainsi qu’à un affichage sur la page d’accueil du site Internet de l’Assemblée, et les réseaux sociaux ont été mobilisés, comme cela avait été le cas pour la consultation sur la fin de vie, et pour le groupe de travail sur l’avenir des institutions, présidé par Claude Bartolone et Michel Winock.

De façon plus originale, un flyer a été conçu ; il a notamment été diffusé au sein du réseau territorial du service des droits des femmes et de l’égalité entre les femmes et les hommes, qui nous semblait constituer un point de relais singulièrement adapté.

Au-delà de l’appréciation pouvant être portée sur le nombre d’un millier de contributions, nous considérons qu’un nombre plus important de réponses aurait pu être obtenu. Aussi formulons-nous, Guy Geoffroy et moi-même, un certain nombre de propositions que nous jugeons propres à amplifier la mobilisation citoyenne.

Afin de donner une plus forte impulsion à la consultation, il serait utile de recourir à une information diffusée par au moins un grand média national de la presse écrite ou audiovisuelle.

Il serait possible d’encourager davantage nos collègues à se faire le relais local de la consultation, en leur donnant des outils leur permettant, dans leur circonscription, d’être des médiateurs. Car la démarche peut apparaître trop technique et complexe, notamment du fait du recours au numérique.

Par ailleurs, la faiblesse de la participation trouve sa principale explication dans la durée trop courte de la consultation, car, en seulement quinze jours, celle-ci était presque terminée avant même que nous ayons le temps de la faire connaître. Aussi, sans aller jusqu’aux douze semaines pratiquées à l’échelon européen, un « certain temps » doit être donné, qui ne saurait être inférieur à un mois, voire deux.

Enfin, en reprenant une idée formulée par le président Dominique Raimbourg, qui a suivi nos travaux de très près puisqu’il en était à l’origine, il faut réaliser en amont un travail de repérage plus fin des « personnes ressources » et des « réseaux d’appui » qui peuvent aider à transmettre largement l’information. La diffusion du flyer au sein du réseau territorial du service des droits des femmes et de l’égalité entre les femmes et les hommes répondait à cet impératif, en raison du caractère relativement ciblé du thème traité. Or les prochaines consultations susceptibles de porter sur des questions de législation concerneront un public plus vaste ; d’où notre proposition.

Nous pensons donc que l’application de ces propositions devrait aboutir à un niveau de participation bien plus important.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Nous devons trouver le moyen d’exploiter le mieux possible le matériau que constituent les données collectées afin d’y trouver les bonnes lignes d’évaluation, tout en tenant compte des limites et des difficultés méthodologiques auxquelles nous avons été confrontés au cours de nos travaux.

Même si certains spécialistes ont pu émettre des doutes sur le bien-fondé de notre démarche, nous avons tous trouvé un intérêt profond à ce travail conduit avec l’association Regards citoyens, et avons beaucoup appris.

C’est pourquoi nous formulons, à l’attention de l’Assemblée nationale, quelques propositions concrètes.

Nous recommandons, premièrement, que l’Assemblée nationale se dote des outils d’analyse statistique permettant de procéder, de manière un peu plus fine qu’avec un simple tableur Excel, au traitement de données en vue d’identifier des « profils » des contributeurs.

En second lieu, nous préconisons le recours aux outils d’analyse lexicale des réponses formulées pour les questions ouvertes en texte libre. Ces outils d’analyse lexicale existent, et il convient de se les procurer. Ceux que l’association Regards citoyens a utilisés sont des logiciels libres, donc gratuits ; par conséquent ils ne sont pas de nature à grever le budget de l’Assemblée nationale. Bien évidemment, ce type d’analyse ne peut être appliqué qu’aux consultations produisant un volume de texte suffisant.

La proposition sans doute la plus novatrice de toutes celles que nous formulons dans notre rapport réside dans la constitution d’un collectif d’internautes qui serait chargé de dépouiller les contributions en texte libre selon une méthode dite « d’analyse communautaire », inspirée de celle que l’association Regards citoyens et ses partenaires ont mise en œuvre. Les universitaires que nous avons consultés ont considéré que l’important travail bénévole effectué par 400 internautes sur les mille réponses à notre questionnaire soulevait des interrogations, voire des critiques. Aussi nous revient-il de limiter les critiques et de répondre aux interrogations.

L’analyse communautaire serait de nature à améliorer la qualité du résultat, et nous pourrions la considérer comme proche d’un travail scientifique, compte tenu des limites de l’exercice. Il s’agit de la promouvoir en la rendant la plus véridique et la plus utilisable possible, afin que nos analyses produisent l’évaluation la plus efficace que l’on puisse souhaiter.

À l’intention de l’ensemble du CEC, je dirai qu’il me semble que nous n’avons pas à rougir de ce premier exercice de « consultation citoyenne évaluative ». En effet, les difficultés ont été nombreuses, en raison de la nature même de l’exercice, mais aussi des contraintes de temps. Elles ne doivent toutefois pas nous conduire à poser un regard suspicieux sur ce type de consultations, mais, au contraire, nous aider à libérer les futurs travaux de leur carcan, notamment temporel.

Nous sommes convaincus que ce type d’exercice, s’ajoutant aux autres outils d’évaluation, permettra d’ouvrir des perspectives intéressantes aux futurs travaux d’évaluation du CEC, mais aussi à ceux des commissions permanentes de notre assemblée.

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Cet exercice, conduit à l’initiative du président Dominique Raimbourg, aura été enrichissant. Je souhaite à mon tour remercier les administrateurs et les collaborateurs pour leur concours. Par-delà les aléas méthodologiques, je souhaiterais exprimer le regret que j’éprouve à constater le désintérêt manifesté par un trop grand nombre de nos collègues. Si nous voulons rétablir la confiance entre les élus et les citoyens, il conviendrait de leur marquer plus de respect. Ils sont en effet souvent troublés de voir les bancs désertés dans l’hémicycle ou les salles de commission.

M. Régis Juanico, président. Merci, messieurs les rapporteurs, pour la qualité des travaux que vous nous avez menés. Par ailleurs, je ne peux que partager les dernières réflexions de mon collègue Sébastien Denaja.

Vos travaux permettront d’élargir notre palette d’évaluation et de contrôle, au sein non seulement du CEC, mais aussi des commissions permanentes, puisque notre Règlement autorise désormais les rapporteurs des textes de loi à procéder, au bout de trois ans, à leur évaluation. Cette possibilité constitue un progrès, et j’espère qu’elle sera largement utilisée.

Le Comité autorise la publication du présent rapport.

1 () Loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.

2 () Au demeurant, les interrogations aussi fleurissent ; cf. Claire Legros, « “ Civic Tech ” : vers une boîte à outils de la démocratie numérique », Le Monde, chronique « Pixels », 25 octobre 2016.

3 () Rapport de Mme Gisèle Biémouret et de M. Jean-Louis Costes, n° 4158, 26 octobre 2016.

4 () Rapport de MM. Yves Durand et Rudy Salles, n° 3292, 1er décembre 2015.

5 () Rapport de MM. Denis Jacquat et Jean-Louis Touraine, n° 764, 28 février 2013.

6 () Le taux de couverture rapporte le nombre de bénéficiaires d’une prestation à la population générale.

7 () Claire Legros, article cité, Le Monde, 25 octobre 2016.

8 () « Une démarche ouverte visant à déployer une plateforme de consultation libre pour les acteurs publics », article publié le 16 septembre 2016.

9 () Ce qui peut se traduire par « partitionnement en k-moyennes ».

10 () Acronyme de l’expression anglaise Term Frequency – Inverse Document Frequency.

11 () Néanmoins, la contribution écrite de Regards citoyens indique page 39 que « Le problème de critères “objectifs” permettant de faire émerger une synthèse plus fidèle aux propos recueillis n’a pas réellement pu être résolu lors de l’expérimentation que nous avons menée. Malgré notre travail pour proposer une grille d’analyse tentant d’objectiver l’analyse, le fait qu’il ne soit possible que pour 30 % des contributions de trouver trois analyses identiques montre que le risque de biais lors de l’écriture de la synthèse des contributions est important. »

12 () Les rapporteurs notent incidemment que le projet de loi de financement pour 2017 comporte, en son article 27 relatif, selon l’évaluation préalable jointe au projet, à l’amélioration du service rendu par les caisses d’allocations familiales pour le recouvrement des créances alimentaires impayées, les dispositions législatives ouvrant la voie à la création d’une Agence de recouvrement des pensions alimentaires, conformément à l’annonce formulée par le Président de la République le 8 mars 2016 à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes.


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