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N
° 1168

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 19 juin 2013.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION tendant à la création d’une commission d’enquête sur le projet de fermeture de l’usine Goodyear d’Amiens-Nord, tant dans ses causes économiques et financières que dans ses conséquences économiques, sociales et environnementales,

PAR Mme Catherine Troallic,

Députée.

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Voir le numéro : 1018

SOMMAIRE

___

Pages

INTRODUCTION 5

I.— LA RECEVABILITÉ JURIDIQUE DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION 7

II.— LES CONDITIONS SUSPECTES DE L’ANNONCE DE LA FERMETURE DU SITE D’AMIENS-NORD 8

A.— GOODYEAR : UN GROUPE QUI DÉGAGE DES BÉNÉFICES 8

1. L’entreprise n’est pas en difficulté 8

2. Une certaine duplicité dans le discours 8

B.— UNE VOLONTÉ INAVOUÉE DE PRATIQUER DES DÉLOCALISATIONS 9

1. Goodyear veut délocaliser les activités du site d’Amiens-Nord 9

2. Et cette délocalisation est déjà commencée 9

II.— UN COMBAT JURIDIQUE COMMENCÉ DÈS 2007 10

A.— UNE NÉGOCIATION EN TROMPE-L'ŒIL 10

1. La justification du plan social de Goodyear n’a pas été reconnue par les tribunaux 10

2. Les tractations avec le groupe Titan étaient faussées dès le départ 10

3. La direction de Goodyear a rejeté le projet de SCOP sans vraiment l’étudier 11

EXAMEN EN COMMISSION 13

TEXTE ADOPTÉ PAR LA COMMISSION 19

MESDAMES, MESSIEURS,

Au terme de cinq ans de conflit, le groupe Goodyear France n’a toujours pas eu raison de la volonté des salariés du site d’Amiens-Nord de préserver leur outil de travail et leurs emplois.

La dialectique mise en œuvre est sempiternellement la même : les coûts de production sont trop élevés car les salariés coûtent trop cher. Derrière cette rhétorique qui se voudrait culpabilisatrice, se cache la seule logique du profit à court terme.

Il est curieux de constater à quel point certains groupes industriels, toujours prompts à consommer des aides de l’État, se désolent en justifiant leur soif de restructuration alors que leurs bilans financiers s’affichent au beau fixe.

Goodyear ne fait pas exception puisse qu’il a confirmé sa prévision d’un bénéfice d’exploitation pour l'ensemble l’année 2012 compris entre 1,4 et 1,5 milliard de dollars.

Sur le site Internet créé à l’occasion de cette affaire, l’entreprise livre régulièrement sa propre vision des faits et verse des larmes de crocodile. Comment oser dire qu’une usine est déficitaire alors que l’on a réduit le volume de sa production, mettant ainsi les salariés au chômage technique ?

Comment prétendre que l’on négocie avec les syndicats lorsque la seule perspective visée est la délocalisation spéculative en Europe ou mieux, au Brésil, où sont d’ores et déjà fabriqués les produits destinés à se substituer aux productions du site que l’on ne souhaite que fermer ?

N’est-ce pas assez digne d’un mauvais Tartuffe que de prétendre discuter le rachat du site par un groupe avec lequel on s’est entendu en sous-main alors que les premiers produits fabriqués au Brésil sont déjà stockés dans les locaux mêmes du site d’Amiens-Nord ?

Tous les plans « sociaux » avancés par Goodyear France ont été, sur l’initiative des salariés du site qui les ont saisis, dénoncés par les tribunaux.

Au terme de cinq années de lutte, les mêmes salariés se sont vu refuser leur proposition de création d’une société coopérative et participative, seule susceptible de sauver les emplois menacés.

La constitution d’une commission d’enquête parlementaire n’est donc pas de trop pour démêler l’écheveau des faux semblants et déterminer quelles sont les réelles intentions de l’industriel dans cette affaire.

I.— LA RECEVABILITÉ JURIDIQUE DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Ÿ Le chapitre IV du Règlement de l’Assemblée nationale (articles 137 à 144-2) fixe notamment les règles habituelles d’examen des propositions de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête.

À ce titre, les propositions de résolution doivent :

– déterminer précisément les faits devant donner lieu à enquête ou les services ou entreprises publics dont la commission doit examiner la gestion (article 137) ;

– ne pas avoir le même objet qu’une commission d’enquête – ou qu’une mission d’information bénéficiant des prérogatives d’une commission d’enquête – qui a rendu ses travaux dans les douze mois qui précèdent (article 138) ;

– ne pas porter sur des faits pour lesquels des poursuites judiciaires sont en cours (article 139).

Ces principes se conjuguent avec les objectifs que doivent poursuivre les commissions d’enquête en vertu de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.

Elles sont formées pour recueillir des éléments d’information sur :

– des faits déterminés ;

– ou la gestion des services publics ou des entreprises nationales.

Ÿ La présente proposition de résolution satisfait aux exigences des dispositions du Règlement de l’Assemblée nationale :

– L’article 137 de ce Règlement dispose que les propositions de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête doivent déterminer avec précision les faits qui donnent lieu à enquête. En l’occurrence, les faits sont amplement avérés puisqu’il s’agit d’enquêter sur la situation et les perspectives d’un site industriel appartenant à un grand groupe international et employant 2 000 personnes ;

– par ailleurs, et conformément aux dispositions de l’article 138 du même Règlement, aucune commission d’enquête ou mission effectuée dans les conditions prévues par l’article 145-1 n’a été créée sur le même sujet depuis douze mois ;

– enfin, la dernière condition de recevabilité d’une proposition de résolution concerne le respect du principe constitutionnel de séparation des pouvoirs législatif et judiciaire, lequel interdit aux assemblées parlementaires d’enquêter sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires aussi longtemps que ces poursuites sont en cours. Cette condition est satisfaite puisqu’aucune procédure en cours n’entre dans le champ d’étude proposé, ainsi que l’a indiqué par courrier, le 5 juin dernier, Mme le Garde des sceaux, ministre de la justice, au Président de l’Assemblée nationale.

II.— LES CONDITIONS SUSPECTES DE L’ANNONCE DE LA FERMETURE DU SITE D’AMIENS-NORD

A.— GOODYEAR : UN GROUPE QUI DÉGAGE DES BÉNÉFICES

1. L’entreprise n’est pas en difficulté

A la fin du mois d’avril 2013, le PDG du groupe, Richard Kramer, constatait : « Malgré un environnement économique difficile, nous continuons à enregistrer une amélioration solide de nos bénéfices ».

Goodyear a dégagé un bénéfice meilleur que prévu au premier trimestre puisque le bénéfice par action qui sert de référence sur le marché, a dépassé de 14 cents la prévision moyenne des analystes, à 45 cents.

Selon les résultats publiés, Goodyear a dégagé un bénéfice net de 26 millions de dollars au premier trimestre.

L’entreprise a d’ailleurs confirmé sa prévision d’un bénéfice d’exploitation pour l’ensemble de cette année compris entre 1,4 et 1,5 milliard de dollars.

2. Une certaine duplicité dans le discours

Sur le site Internet créé par Goodyear pour légitimer ses agissements à Amiens-Nord, on apprend que, pour sauver la compétitivité des activités tourisme et agricole du groupe en Europe, il faut s’adapter aux changements structurels intervenus sur le continent.

Aussi est-il exposé que : « le groupe se trouve dans une situation financière difficile en Europe ». La faute en revient, semble-t-il au site d’Amiens-Nord puisque : « Les pneus tourisme produits au sein de l’usine d’Amiens-Nord ne sont pas compétitifs. En 2011, la production de pneus tourisme à Amiens-Nord a généré une perte de 41 millions d’euros pour le groupe. ». Enfin : « Dans un environnement économique de plus en plus détérioré, la situation financière du groupe et de Goodyear Tires France ne leur permet pas de prendre en charge plus longtemps l’augmentation des coûts à Amiens-Nord sans mettre en péril la compétitivité du Groupe ».

Dans ces conditions, il n’est, selon la direction de l’entreprise, que temps de fermer le site.

B.— UNE VOLONTÉ INAVOUÉE DE PRATIQUER DES DÉLOCALISATIONS

1. Goodyear veut délocaliser les activités du site d’Amiens-Nord

Me Fiodor Rilov, avocat de la CGT, observe : « Ça fait cinq ans que Goodyear annonce un plan de fermeture. À chaque fois, nous avons pu démontrer qu’il n'y avait pas de justification économique valable. Quand on entend la direction expliquer que ce site est le plus coûteux, on est effaré. C’est elle-même qui a démantelé intentionnellement l’activité en divisant par trois le nombre de pneus produits à Amiens-Nord en quatre ans et en transférant en coulisse la production vers ses autres usines en Europe, en violation de décisions de justice ».

2. Et cette délocalisation est déjà commencée

Le 29 mai dernier, un huissier de justice a constaté la présence, à l’usine d’Amiens-Nord, de pneus agricoles Goodyear portant la mention « made by Titan ». D’après la CGT, le groupe Titan a donc déjà commencé à prendre le relais de la production et de la vente de pneus Goodyear agricoles en Europe à partir de ses usines d’Amérique du Nord et du Sud, telles que celle de São Paulo, au Brésil.

Ceci montre que les groupes de dimensions internationales Goodyear et Titan avaient d’ores et déjà passé un accord englobant toutes les licences y compris toutes celles de la zone EMEA (Europe, Moyen-Orient, Afrique). Dans ces conditions, il n’est pas surprenant que Titan, devenu une sorte de filiale de Goodyear ayant vocation à récupérer les bénéfices de l’activité agricole de Goodyear, ait « renoncé » à la reprise du site au mois de février dernier.

Sur le site Internet créé par le groupe Goodyear, on pouvait lire, le 31 janvier dernier, dans l’annonce de la décision de fermeture d’Amiens-Nord : « Les activités du groupe dans le domaine agricole au sein de la région EMEA sont confrontées à des pertes progressives de parts de marché, en particulier sur le marché d’équipement d’origine, et par des coûts de fabrication non compétitifs des pneus radiaux produits à Amiens-Nord. En 2011, la production de pneus agricoles à Amiens-Nord a engendré une perte de 20 millions d’euros pour le groupe.

Cette annonce intervient après cinq années de négociations infructueuses avec les instances représentatives du personnel de l’usine, portant sur des propositions visant à protéger l’avenir du site ».

Ainsi l’on apprend, qu’après le secteur touristique, le secteur agricole n’est pas rentable non plus. Quant aux « cinq années de négociations infructueuses », il y a lieu de s’interroger sur la sincérité du groupe.

II.— UN COMBAT JURIDIQUE COMMENCÉ DÈS 2007

A.— UNE NÉGOCIATION EN TROMPE-L'ŒIL

1. La justification du plan social de Goodyear n’a pas été reconnue par les tribunaux

Les salariés du site d’Amiens-Nord ont toujours mené leur action sur le plan juridique. Dès 2007, alors que les salariés avaient refusé le plan de réorganisation du travail voulu par l’entreprise, celle-ci avait répondu par la menace de suppression de 402 emplois. La justice fut saisie et, au début de l’année 2009, le groupe se vit contraint de retirer son plan de licenciement.

Un deuxième plan, prévoyant 820 licenciements, est avancé par Goodyear en décembre 2010. Une fois encore, la justice, saisie par les salariés, leur donnera raison en condamnant le plan et Goodyear transformera les licenciements projetés en départs volontaires.

Le tribunal de grande instance de Nanterre, saisi en référé par le comité central d’entreprise a examiné, lundi 3 juin dernier, la validité du plan de sauvegarde de l’emploi qui prévoit la fermeture du site, annoncé le 31 janvier dernier par la direction de Goodyear France. Celle-ci avait alors indiqué ne pas avoir trouvé de repreneur pour l’usine. Le TGI a mis sa décision en délibéré au 20 juin prochain.

2. Les tractations avec le groupe Titan étaient faussées dès le départ

Comme il a été dit plus haut, la logique de délocalisation qui anime Goodyear l’a conduit à fausser les conditions d’une éventuelle reprise du site d’Amiens-Nord par le groupe Titan. Dans un climat de menace perpétuelle, la direction a diminué le volume de travail pour ensuite stigmatiser le manque de compétitivité du site. Dans ces conditions, la négociation avec Titan devenait un jeu de rôle puisque ce groupe compensait déjà le manque de production par l’importation de pneumatiques fabriqués dans ses usines au Brésil. Il était alors facile de proposer l’inacceptable pour, en définitive, rejeter l’opprobre sur les salariés.

Il n’est d’ailleurs que de rappeler les propos insultants à l’égard des salariés tenus par le PDG du groupe Titan qui concluait avec cynisme, dans sa lettre au ministre du redressement productif : « Titan va acheter un fabricant de pneus chinois ou indien, payer moins d'un euro l'heure de salaire et exporter tous les pneus dont la France a besoin. Vous pouvez garder vos soi-disant ouvriers. Titan n'est pas intéressé par l'usine d'Amiens-nord ».

3. La direction de Goodyear a rejeté le projet de SCOP sans vraiment l’étudier

Le 26 avril dernier, la direction de Goodyear a rejeté le projet de constitution d’une société coopérative et participative proposée par la CGT destiné à maintenir l’activité de l’usine d’Amiens-Nord. La réponse fut rapide puisque le projet a été déposé le 23 avril.

La direction a répondu que ce projet de SCOP « ne constituait pas une solution de reprise viable des activités agricoles de Goodyear dans la zone Europe, Moyen-Orient et Afrique et que l’approche proposée n’était pas envisageable, Goodyear ayant clairement exprimé son intention d’arrêter son activité qui génère une perte annuelle de près de 20 millions d’euros ». Pour elle, la solution proposée par la CGT, « consiste en réalité en une simple activité de sous-traitance de production pour le compte de Goodyear » et « n’apporte donc pas de solution au problème des pertes récurrentes de l'activité ». Dans la mesure où le projet de SCOP était structurellement équivalent à ce qui était avancé dans la soi-disant discussion avec le groupe Titan, la volonté du Groupe Goodyear France de fermer le site d’Amiens-Nord n’est plus à démontrer.

Dans ces conditions, je vous demande, mes chers collègues, de répondre favorablement à l’adoption de la présente résolution tendant à la création d’une commission d’enquête.

EXAMEN EN COMMISSION

Lors de sa réunion du 19 juin 2013, la commission a examiné, sur le rapport de Mme Catherine Troallic, la proposition de résolution de Mme Pascale Boistard, M. Sergio Coronado, M. Jérôme Guedj et Mme Barbara Pompili tendant à la création d’une commission d’enquête sur le projet de fermeture de l’usine Goodyear d’Amiens-Nord, tant dans ses causes économiques et financières que dans ses conséquences économiques, sociales et environnementales (n° 1018)

M. le président François Brottes. Je salue la présence dans notre commission de Mme Pascale Boistard, qui est à l’origine de la proposition de résolution que va nous présenter Mme Catherine Troallic.

Mme Catherine Troallic, rapporteure. Le 31 janvier 2013, l’entreprise Goodyear France a présenté au comité central d’entreprise un projet de fermeture de son usine d'Amiens-Nord, où sont fabriqués des pneumatiques pour véhicules de tourisme et véhicules agricoles.

Les représentants de la société Goodyear s’expriment toujours dans les mêmes termes : les coûts de production sont trop élevés car les salariés coûtent trop cher. User de cet argument alors que la direction a intentionnellement démantelé l'activité et transféré la production en catimini est purement scandaleux. Cette rhétorique culpabilisatrice dissimule évidemment la seule logique du profit à court terme.

Force est malheureusement de constater que certains groupes industriels toujours prompts à utiliser les aides de l'État justifient ainsi d’un ton désolé leur soif de restructuration alors que leurs bilans financiers sont au beau fixe. La société Goodyear ne fait pas exception à cette règle, puisque l’entreprise a confirmé sa prévision d’un bénéfice d’exploitation pour 2012 compris entre 1,4 et 1,5 milliard de dollars. Mais, sur son site Internet, l'entreprise, livrant régulièrement sa vision des faits, se pose en victime.

Comment oser dire que l’on négocie avec les syndicats alors que la seule perspective visée par Goodyear est la délocalisation spéculative en Europe ou, mieux, au Brésil, où sont déjà fabriqués les produits destinés à se substituer aux productions du site ?

Comment oser prétendre discuter le rachat du site par un groupe avec lequel on s'est entendu en sous-main, alors que les premiers produits fabriqués au Brésil sont déjà stockés dans les locaux mêmes de l’usine d'Amiens-Nord ?

Les tribunaux, saisis par les salariés, ont empêché la mise en oeuvre de tous les plans sociaux établis par Goodyear France. M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif, l'a rappelé lors de la séance publique du 5 février dernier : « Le Gouvernement a constaté que Goodyear a échoué à démontrer la justification de son plan social, puisque celui-ci a été annulé à deux reprises, en 2009 et en 2011 ».

Au terme de cinq années de lutte, les salariés se sont même vu refuser la création d’une société coopérative et participative (SCOP), seule susceptible de sauver les emplois menacés.

La constitution d'une commission d'enquête parlementaire n'est donc pas de trop pour démêler le faux du vrai et déterminer quelles sont les intentions réelles de l'industriel dans cette affaire. Parce qu’il est question du devenir de tout un bassin d’emploi et de l’avenir de milliers de familles, je vous demande de bien vouloir adopter la présente résolution.

M. Antoine Herth. Le groupe UMP a le sentiment d’assister en spectateur à un débat interne à la majorité. Je tiens néanmoins à appeler l’attention sur les points faibles de la proposition de résolution. Pour commencer, le texte concerne une seule entreprise et un seul département, dont tous les cosignataires de la proposition sont les élus. Si nous créons une commission d’enquête à chaque fois qu’une entreprise ferme une usine et que les conditions de cette fermeture provoquent une polémique, notre emploi du temps risque d’être sérieusement embouteillé.

D’autre part, nous venons d’apprendre qu’un autre fabricant de pneumatiques, français celui-là - le groupe Michelin - s’apprête également à fermer un site de production, à Joué-lès-Tours cette fois. Il serait donc équitable d’élargir le champ d’investigation de la commission d’enquête à la situation de l’industrie du pneumatique dans son ensemble. À nous focaliser sur une entreprise étrangère, nous risquons de faire prospérer l’idée déjà très répandue que la France n’aime pas les investisseurs étrangers et qu’elle est hostile aux entreprises dont le centre de décision est situé hors ses frontières Cela diminuerait l’attractivité de notre pays au moment même où il nous faut attirer les investissements étrangers en plus grand nombre dans nos industries, car il serait illusoire de penser que nous parviendrons seuls au redressement de notre appareil productif proclamé par M. Montebourg.

La démarche est intéressante, mais l’objet de la proposition devrait être élargi pour permettre une vision plus large et probablement plus objective de la situation de ce secteur industriel. Si l’intitulé de la proposition n’était pas modifié, le groupe UMP s’abstiendrait.

M. le président François Brottes. J’avais moi-même fait quelques remarques à ce sujet aux auteurs du texte. Un amendement a été déposé que je proposerai de sous-amender dans des termes qui devraient répondre à votre préoccupation.

M. Jean Grellier. Le groupe SRC soutient la proposition. Les députés membres de la commission d’enquête sur la situation de la sidérurgie et de la métallurgie, dont je suis, peuvent témoigner que le travail de fond accompli dans ce cadre permet d’aboutir à des conclusions qui peuvent être consensuelles et mener à des propositions d’action propres à renforcer notre production industrielle.

La question se pose de notre souveraineté dans les grands secteurs industriels et nous ne pourrons en effet faire l’économie d’une réflexion à ce sujet. Il faut sans doute encourager les investissements étrangers en France, mais il faut aussi, monsieur Herth, redéfinir les conditions des partenariats entre la puissance publique et ces investisseurs pour bien cerner leur stratégie. L’ancien directeur général de l'Association européenne de l'aluminium nous a ainsi livré une analyse éclairante de la déstructuration complète de ce secteur en Europe qui peut nourrir notre réflexion et nos propositions.

Je crois comprendre que le président de notre Commission est favorable à l’extension du domaine d’investigation de la commission d’enquête, ce qui permettra d’analyser les restructurations. J’ai été témoin d’une première restructuration de Michelin, et l’on peut se demander si les autocars utilisés alors pour convoyer les salariés de Poitiers à Joué-lès-Tours vont reprendre du service pour les amener cette fois à La Roche-sur-Yon. Ces mouvements de personnels signalent des stratégies que nous devons décortiquer, car des emplois et des richesses territoriales sont en jeu. C’est en quoi cette proposition de résolution est bienvenue, éventuellement avec un périmètre élargi à l’ensemble des stratégies mises en œuvre dans le secteur des pneumatiques.

Mme Laure de La Raudière. Je comprends ce qui motive cette proposition de résolution – toute fermeture d’une usine importante suscite un grand émoi, de nombreux emplois étant supprimés d’un seul coup. Je m’interroge cependant sur l’objectif visé. D’ordinaire, une commission d’enquête tend à contrôler l’action publique ou à discerner les raisons d’un dysfonctionnement institutionnel ; les sujets sur lesquels on cherche à obtenir la vérité sont plus larges que la fermeture d’un unique site industriel.

N’ayant été avertis que très récemment du dépôt de cette proposition, nous n’avons pu déposer d’amendements ; c’est dommage, car la question des actions à mener pour cette filière industrielle mérite d’être débattue. Le sujet relève toutefois davantage d’une mission d’information que d’une commission d’enquête même si, je ne le nie pas, les pouvoirs de la seconde sont plus grands.

Enfin, je fais miennes les observations d’Antoine Herth. Le capital de l’entreprise Goodyear étant intégralement constitué de fonds privés étrangers, créer une commission d’enquête ayant cette société pour seul objet d’investigation donnerait aux acteurs privés étrangers qui investissent sur notre territoire un signal qui n’est pas forcément positif. Je regrette que nous n’ayons pas eu plus de temps pour débattre préalablement au dépôt de la proposition de résolution, car la commission d’enquête porte en réalité sur la liberté d’entreprendre en France ; il faut donc en définir l’objet avec une attention particulière. Je m’abstiendrai, malheureusement, lors du vote.

M. le président François Brottes. Nous ne maîtrisons pas ces délais : quand une proposition de résolution de ce type est déposée, il nous faut trouver, dans un emploi du temps au rythme soutenu, le moment où nous pourrons l’examiner.

M. Henri Jibrayel. M. Herth le souligne à juste titre, nous ne pouvons créer une commission d’enquête à chaque fois qu’une usine ferme. Cependant, dans ce cas précis, nous sommes face à une entreprise qui s’est moquée de son personnel, des représentants syndicaux et des pouvoirs publics. Voilà ce qui motive la proposition de résolution. La création de cette commission d’enquête peut peut-être inquiéter les futurs investisseurs, mais elle peut aussi être interprétée comme un avertissement adressé aux patrons voyous qui, au mépris des intérêts des salariés confrontés aux affres de la récession et des menaces de chômage, envisageraient de fermer des usines alors que, leur entreprise étant bénéficiaire, toutes les conditions sont réunies pour le maintien de l’activité sur les sites considérés.

Mme Michèle Bonneton. Membre comme mon collègue Jean Grellier, de la commission d’enquête sur la situation de la sidérurgie et de la métallurgie, je puis témoigner que le travail de fond accompli depuis plusieurs mois permet aux commissaires de se faire une idée précise de la situation. Aussi le groupe écologiste est-il favorable à la création de la commission d’enquête proposée. Le capital de la société Goodyear est effectivement privé, mais l’entreprise a profité d’argent public par l’utilisation des infrastructures publiques et la formation des salariés, et elle envisage avec constance de mettre en œuvre un plan de sauvegarde de l'emploi qui sera financé en partie par les deniers publics. On ne peut donc soutenir que l’État devrait se désintéresser de ce qui se passe dans cette entreprise et notamment à l’usine d’Amiens-Nord. Une commission d’enquête permet d’analyser tous les volets d’une situation et d’avancer des propositions propres à réorienter les politiques industrielles. Élargir le champ d’investigation à l’ensemble de la filière du pneumatique est une bonne idée. L’État français doit, en collaboration avec les instances européennes, redevenir un stratège en matière industrielle. La commission d’enquête contribuera à ce qu’il en soit ainsi.

Mme Pascale Boistard. Des questions légitimes ont été posées auxquelles je souhaite répondre. À mes collègues du groupe UMP, j’indique en premier lieu que j’ai tenu à associer à ce texte l’ensemble des députés de la Somme, dont M. Alain Gest. Pour des raisons qui lui appartiennent, il n’a pas souhaité co-signer la proposition de résolution mais il m’a fait savoir qu’il est favorable à la création de la commission d’enquête et désire y participer.

Ensuite, l’usine Goodyear d’Amiens-Nord est certes une usine de la filière des pneumatiques, mais c’est surtout une usine dont la direction a, depuis six ans, vu son plan de sauvegarde de l'emploi condamné deux fois par la justice, et qui n’a pu fermer le site ni en 2009 ni en 2011faute d’avoir respecté le code du travail. Les pratiques mises à l’œuvre par Goodyear à l’usine d’Amiens-Nord sont très représentatives, dans leurs différents volets, d’un certain mode opératoire : un siège d’entreprise établi à Luxembourg ; le stockage sur le site, constaté par huissier, de pneus Titan dont on soupçonne qu’ils sont fabriqués en Turquie ou à Sao Paulo alors même que des accords commerciaux l’interdisent ; le refus opposé à la proposition faite par les salariés de reprendre le site sous la forme juridique d’une SCOP au motif que le projet présenté ne garantissait pas suffisamment l’emploi, alors que l’usine va fermer, mettant 1 200 personnes à la rue. Ajoutons à cela un échange épistolaire mémorable entre un ministre français et une entreprise – Titan – qui devait prétendument reprendre la production des pneumatiques pour véhicules agricoles, avec un courrier insultant la France et ses représentants – ainsi, d’ailleurs, que le président des États-Unis. Et mentionnons pour finir ce qu’il faut bien qualifier de maltraitance des salariés, tellement poussés à bout que certains, sur le site, parlent de porter atteinte à leurs jours.

En résumé, il s’agit effectivement de la fermeture d’une usine – encore le tribunal de Nanterre doit-il se prononcer demain à ce sujet. Mais au moment où nous allons débattre d’une proposition de loi visant à encadrer la reprise des sites rentables, et de l’évasion fiscale, dont celle des entreprises, la création d’une commission d’enquête sur ce dossier emblématique permettra aux parlementaires de creuser ce sujet et d’aller beaucoup plus loin. C’est dans cet esprit que la proposition de résolution a été déposée : le dossier Goodyear est représentatif d’un modus operandi auquel nombre de nos concitoyens sont confrontés.

Mme Laure de La Raudière. Pourriez-vous préciser, monsieur le président, quelle sera l’articulation entre ce projet de résolution et la proposition de loi dont vous avez pris l’initiative ?

M. le président François Brottes. Nous souhaitons que le vote sur cette proposition de résolution en séance publique intervienne avant la fin de la session ordinaire. La proposition de loi sur la reprise des sites rentables est au programme de la session extraordinaire de juillet. Les réflexions seront donc concomitantes ; le travail de la commission d’enquête, qui se déroulera sur six mois, nous aidera à éclairer une situation générale compliquée et nous permettra d’en tirer des conclusions.

Chacun se rappellera l’audition du directeur général Opérations de Kem One, confronté à une situation inextricable. Nous avions mesuré le scandale que représentait cette affaire – dans laquelle, pour dire les choses telles que nous les avons ressenties, quelqu’un est parti avec les fonds qui lui avaient été alloués pour reprendre l’entreprise –, mais j’avais éprouvé, en l’entendant, une grande frustration car nous avions dû en rester là. Pour que ces pratiques se produisent moins souvent, il nous faut procéder à une analyse plus détaillée des procédés utilisés et des implications diverses. C’est en quoi la création d’une commission d’enquête portant sur un cas particulier, à condition que l’on garde à l’esprit le caractère emblématique de l’affaire analysée et des enseignements à en tirer, permettra de discerner les points de rupture à éviter demain et de tirer des conclusions utiles au traitement des dossiers à l’avenir. Il conviendra pour cela d’expliciter l’intitulé de la proposition ; j’y contribuerai.

La commission en vient à l’examen de l’article unique de la proposition de résolution.

Elle est saisie de l’amendement CE1 de la rapporteure

Mme la rapporteure. Il s’agit, après le mot « membres », de modifier la fin de l’article unique, qui se lirait ainsi : « relative aux causes du projet de fermeture de l’usine Goodyear d’Amiens-Nord et à ses conséquences économiques, sociales et environnementales ».

M. le président François Brottes. Pour élargir la réflexion, je propose un sous-amendement tendant à compléter l’amendement, in fine, par les mots : « et aux enseignements liés au caractère représentatif que l’on peut tirer de ce cas ».

Mme la rapporteure. Avis favorable au sous-amendement.

J’approuve les propos de mon collègue M. Henri Jibrayel : la création de la commission d’enquête doit effectivement envoyer un message clair aux investisseurs privés qui, lorsqu’ils perçoivent une aide de l’État de manière directe ou indirecte, ont des comptes à rendre à la puissance publique.

M. le président François Brottes. J’ajoute qu’il y a toujours une aide publique : même si l’indemnisation des salariés privés d’emplois est rendue possible par les cotisations des salariés et des entreprises, l’assurance chômage, mécanisme géré par l’État, résulte du choix politique de la Nation de protéger de cette manière les salariés licenciés. En France, les pouvoirs publics sont impliqués dans ce dispositif global, même quand il n’y a pas eu d’aide publique directe ; la responsabilité du pouvoir politique et celle des acteurs économiques sont imbriquées.

La commission adopte le sous-amendement du président François Brottes.

Elle adopte l’amendement CE1 ainsi sous-amendé.

La commission adopte la proposition de résolution ainsi amendée.

◊ ◊

En conséquence, la commission des affaires économiques vous demande d’adopter la proposition de résolution dont le texte suit.

TEXTE ADOPTÉ PAR LA COMMISSION

Article unique

En application des articles 137 et suivants du Règlement, il est créé une commission d’enquête de trente membres relative aux causes du projet de fermeture de l’usine Goodyear d’Amiens-Nord et à ses conséquences économiques, sociales et environnementales et aux enseignements liés au caractère représentatif qu’on peut tirer de ce cas.

© Assemblée nationale