Accueil > Documents parlementaires > Les rapports législatifs
Version PDF
Retour vers le dossier législatif
Amendements  sur le projet ou la proposition


N
° 1551

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 14 novembre 2013.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES
SUR LE PROJET DE LOI (n° 1473), ADOPTÉ PAR LE SÉNAT,

relatif à la
programmation militaire pour les années 2014 à 2019
et portant diverses dispositions concernant
la défense
et la sécurité nationale.

TOME 2

PAR Mmes Patricia ADAM et Geneviève GOSSELIN-FLEURY

Députées

——

Voir les numéros :

Sénat : 822 (2012-2013), 50, 51, 53, 56 et T.A. 23 (2013-2014).

Assemblée nationale : 1531, 1537 et 1540.

SOMMAIRE

___

Pages

AUDITIONS DE LA COMMISSION 5

Ÿ M. Éric Trappier, président-directeur général de Dassault Aviation (mercredi 11 septembre 2013) 5

Ÿ M. Christian Giner, secrétaire général du Conseil supérieur de la fonction militaire (jeudi 12 septembre 2013) 19

Ÿ M. Jean-Paul Herteman, président de Safran (mardi 17 septembre 2013) 31

Ÿ M. Gérard Amiel, président de Renault Trucks (mardi 17 septembre 2013) 43

Ÿ M. Francis Delon, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (mercredi 18 septembre 2013) 51

Ÿ M. Patrick Boissier, président de DCNS (mercredi 18 septembre 2013) 69

Ÿ M. Antoine Bouvier, président de MBDA (mercredi 18 septembre 2013) 81

Ÿ M. Philippe Burtin, président de Nexter (mercredi 18 septembre 2013) 97

Ÿ M. Marwan Lahoud, président d’EADS France, directeur général délégué du groupe (mercredi 19 septembre 2013) 113

Ÿ M. Jean-Bernard Lévy, président de Thales, accompagné de M. Patrice Caine, directeur général (jeudi 19 septembre 2013) 127

Ÿ M. Laurent Collet-Billon, délégué général pour l’armement (mercredi 2 octobre 2013) 141

Ÿ M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense (mercredi 2 octobre 2013) 161

Ÿ M. Philippe Errera, directeur chargé des affaires stratégiques (mercredi 2 octobre 2013) 177

Ÿ M. l’amiral Édouard Guillaud, chef d’état-major des armées (jeudi 3 octobre 2013) 187

Ÿ M. le général Denis Mercier, chef d’état-major de l’armée de l’air (mardi 8 octobre 2013) 207

Ÿ M. l’amiral Bernard Rogel, chef d’état-major de la marine (mercredi 9 octobre 2013) 233

Ÿ MM. Philippe Berna, président, et Thierry Gaiffe, président de la commission Défense du Comité Richelieu (mercredi 9 octobre 2013) 249

Ÿ M. Jean-Paul Bodin, secrétaire général pour l’administration (mercredi 9 octobre 2013) 259

Ÿ M. Jacques Feytis, directeur des ressources humaines du ministère de la Défense (mardi 15 octobre 2013) 281

Ÿ M. le général Bertrand Ract-Madoux, chef d’état-major de l’armée de terre (mercredi 16 octobre 2013) 297

Ÿ M. Jean-Marc Debonne, directeur central du service de santé des armées (mercredi 16 octobre 2013) 321

Ÿ Représentants des syndicats des personnels civils de la défense (jeudi 17 octobre 2013) 341

Ÿ M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense (mardi 22 octobre 2013) 365

AUDITIONS DE LA COMMISSION

(par ordre chronologique)

Ÿ M. Éric Trappier, président-directeur général de Dassault Aviation (mercredi 11 septembre 2013)

Mme la présidente Patricia Adam. Je suis heureuse d’accueillir M. Éric Trappier, président-directeur général de Dassault Aviation, sur le projet de loi de programmation militaire – LPM. Nous débutons avec lui un cycle d’audition des industriels de la défense destiné à préparer l’examen de ce texte important, dans lequel le Rafale prend une place particulière. Je m’attends d’ailleurs à de nombreuses questions sur le dimensionnement de la construction financière de la LPM et sur les perspectives de vente du Rafale – un avion magnifique, sans doute le meilleur à l’heure actuelle.

M. Éric Trappier, président-directeur général de Dassault Aviation. Je vous remercie d’avoir organisé cette rencontre sur un sujet aussi important pour notre société qu’il l’est pour les députés. Je tenterai d’être le plus transparent possible, même si je ne pourrai entrer dans le détail des négociations en cours.

Je rappelle qu’en 2012, le chiffre d’affaires de Dassault Aviation était réalisé à 70 % dans le secteur civil et à 30 % dans le domaine militaire ; 75 % à l’exportation et 25 % en France – ce dernier marché concernant principalement le Rafale.

La société emploie un peu moins de 12 000 personnes, dont 8 000 sur le territoire national. Si l’on excepte une implantation importante aux États-Unis pour la production de Falcon, nos avions sont produits principalement en France.

La société, bâtie à l’origine pour produire des avions destinés à l’armée, a atteint un équilibre entre civil et militaire que nous souhaitons préserver. Nous voulons, en effet, à la fois vendre plus de Falcon et conserver une importante part de marché dans les avions de combat. Toutefois, nos usines sont spécialisées par type d’activité et non selon l’usage, militaire ou civil, des avions. Ainsi, l’usine de Martignas fabrique des voilures pour les deux secteurs, comme celle de Mérignac, qui assemble les appareils.

J’en viens à la future loi de programmation militaire, dont nous attendons qu’elle nous permette de maintenir la charge de notre bureau d’études – liée, dans le secteur militaire, au Rafale. Le retour d’expérience sur cet avion – l’un des meilleurs du monde, comme l’a souligné Mme la présidente – est bon : nous avons pu vérifier que ce programme était adapté aux besoins définis par les armées. Si j’en crois les militaires, l’appareil a parfaitement rempli ses missions en Libye et au Mali, et fera sans doute encore ses preuves lors d’éventuelles opérations à venir.

Pour autant, des travaux de développement restent à accomplir pour prendre en compte le retour d’expérience des opérationnels. L’avion va continuer à évoluer avec le nouveau standard, le F3R –amélioration prévue de longue date. Ce travail a débuté en 2013 et sera poursuivi dans les années à venir. Il représente une des composantes de la programmation miliaire.

En termes de développement et d’études, nous voyons également notre avenir dans les drones. S’agissant des drones de combat ou UCAV – unmanned combat air vehicle –, nous disposons d’une expérience positive avec le nEUROn : nous sommes en effet les seuls au monde, avec les Américains, à maîtriser cette technologie, grâce à une coopération entre six pays européens contributeurs. Dassault a donc également montré sa capacité à développer un modèle de coopération vertueux, au sens où, contrairement à d’autres, il n’entraîne pas d’importants surcoûts. Je rappelle que le Rafale n’a dépassé son budget initial que de 4 % ; on ne peut pas en dire autant de certains programmes développés outre-Atlantique, outre-Manche ou outre-Rhin. Une telle maîtrise des coûts, rare dans le domaine militaire, est un sujet de fierté nationale.

Selon nous, le développement des drones de combat doit s’inscrire dans le cadre du traité de Lancaster House, c’est-à-dire de la coopération franco-britannique. Une étude sur ce sujet nous a été confiée il y a un an par le ministère de la Défense. Elle s’achèvera à la fin de cette année ou au début de l’année prochaine, mais devrait naturellement conduire à un projet plus détaillé de développement de drones de combat, élaboré dans un cadre européen – car la coopération franco-britannique contribue à la défense de l’Europe.

En ce qui concerne les drones MALE – moyenne altitude, longue endurance –, Dassault est depuis de nombreuses années une force de proposition. À la suite de l’achat de Reaper américains, qui répondait à une certaine urgence, nous avons suggéré au ministère de la Défense un nouveau projet associant EADS et Finmeccanica. Nous attendons désormais de savoir si la France, l’Allemagne et l’Italie sont prêtes à développer, d’ici dix ans, la future génération des drones de surveillance.

Les technologies véhiculées à travers les drones MALE ne sont pas liées à la capacité du porteur, mais à celle du système, et en particulier à la capacité d’intégrer des liaisons de données fiables. L’expérience acquise avec le nEUROn et d’autres avions de combat nous rend aptes à développer un tel programme. Nous avons d’ailleurs, avec les deux autres groupes concernés, demandé aux institutions européennes – Agence européenne de défense, Commission – de soutenir les efforts de recherche et développement dans certains domaines tels que l’insertion dans le trafic aérien. La tenue, avant la fin de l’année, d’un conseil européen en matière de défense nous permettra, nous l’espérons, de progresser dans cette logique de développement de la technologie des drones – avec les Britanniques pour les engins de combat, et avec les Allemands et les Italiens pour ce qui concerne la surveillance. Cette coopération n’est toutefois pas exclusive : d’autres pays pourront s’y joindre.

Nos bureaux d’études et de développement bénéficieront également, je l’espère, de la signature du contrat pour la rénovation des Atlantique 2. La modernisation de ces avions, ou plus exactement de leur système, est une demande forte de la marine nationale, notamment pour faire face à la menace anti-sous-marine, mais aussi pour mener d’autres missions, comme on l’a vu au Mali. Cette modernisation fait travailler en coopération Dassault, Thalès et DCNS : elle sera donc également l’occasion de développer des nouvelles méthodes d’atelier système communes aux trois sociétés, avec en particulier l’utilisation intensive de l’outil PLM – product lifecycle management – développé par Dassault systèmes.

En ce qui concerne le Mirage 2000, dont nous avons compris qu’il allait encore vivre quelques années en parallèle avec le Rafale, nous avons également formulé des propositions, et nous attendons de savoir quelle suite leur sera donnée.

J’en viens à la production en série. Comme je l’ai déjà indiqué – et la direction générale de l’armement comme le ministère de la Défense l’ont confirmé –, nous avons besoin de construire un Rafale par mois, et onze par an, pour conserver la capacité de production de cet avion. Nous avons fait le pari de produire à cette cadence jusqu’en 2016 pour équiper l’armée française, ce qui laisserait à l’État et à l’industrie le temps de mettre en commun leurs efforts en vue d’obtenir un contrat à l’exportation dans un des pays où les négociations sont assez avancées. Cet objectif est important dans la mesure où il permettrait à Dassault Aviation et à ses sous-traitants de conserver un intérêt à produire pour le secteur militaire.

En effet, la sous-traitance est aujourd’hui très sollicitée par le secteur civil, économiquement bien plus intéressant, comme le montrent les exemples d’Airbus et du Falcon. Mais la production du Rafale relève aussi de l’intérêt national : il est donc important de maintenir un équilibre en faveur de nos sous-traitants et de préserver leur motivation.

Je finirai par le maintien en condition opérationnelle – MCO –, qui a fait l’objet de nombreuses discussions dans le cadre du livre blanc. Dans ce domaine, nous nous inscrivons dans les efforts permanents réalisés par les différents organismes concernés – DGA, SIMMAD, etc. – pour améliorer l’efficacité opérationnelle des matériels. Nous bénéficions de l’expérience acquise en soutenant environ un millier d’avions de combat et 2000 Falcon dans le monde.

Dans ce domaine, nous revendiquons pour l’industrie un certain rôle. Je ne parle pas d’externalisation complète, car il est nécessaire que les militaires conservent une capacité à opérer leurs avions partout dans le monde. Mais l’industrie doit être capable de soumettre des offres valables pour des périodes longues – seule condition pour que l’activité soit rentable. Nous avons commencé à le faire avec le Rafale, mais il faudra l’étendre à d’autres types d’avions.

M. Joaquim Pueyo. J’ai lu avec attention le compte rendu, dans Le Monde, d’une tribune que vous avez publiée avec d’autres industriels de l’armement à la veille des universités d’été de la défense. Vous y critiquez le comportement des gouvernements précédents, soulignant qu’« aucune mandature n’a vu l’exécution dans sa totalité d’une loi de programmation militaire ». Vous plaidez pour que soit recréée « une relation de confiance qui passera par le respect des engagements pris et par une sincérité budgétaire ». J’en déduis qu’à vos yeux, cette confiance n’est pas suffisamment forte à l’heure actuelle. Pourtant, les lois de programmation militaire comprenaient des clauses de sauvegarde et ont fait l’objet de bilans. Le projet de LPM que nous allons bientôt examiner prévoit d’ailleurs une clause de rendez-vous, fixée fin 2015, afin d’actualiser certaines prévisions critiques et de vérifier la bonne adéquation entre objectifs fixés et réalisations. Cette approche vous semble-t-elle de nature à rétablir la confiance ?

Par ailleurs, lors d’une audition précédente, vous disiez ceci : « À l’heure actuelle, l’État soutient l’exportation sur les plans politique et stratégique. Il serait très difficile de passer de gros contrats avec des États qui n’entretiennent aucune relation politique avec la France. La donne politique est donc nécessaire sans être suffisante. » Quel est votre sentiment sur les conséquences que la crise syrienne pourrait avoir sur votre entreprise ? Qu’en est-il de nos relations avec le Qatar et l’Arabie saoudite, qui soutiennent la rébellion, et avec la Russie, qui appuie le gouvernement en place ? Je me souviens qu’une importante délégation russe était présente au salon du Bourget.

M. Éric Trappier. La tribune que j’ai publiée avec six autres chefs d’entreprise faisait suite à l’appel lancé en début d’année au Président de la République à propos de l’élaboration du budget de la défense. Elle se voulait un commentaire positif, à la veille des universités d’été de la défense. Nous nous réjouissons, en effet, à l’idée que puisse être adoptée une version plutôt optimiste de la loi de programmation militaire, contrairement à ce que laissaient entendre certains bruits de couloir. Nos inquiétudes ont visiblement été prises en compte par le Président de la République et le ministre de la Défense, mais aussi par les commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat.

Nos commentaires ne s’adressaient donc pas au gouvernement actuel. Mais sous tous les gouvernements précédents, on a vu une application incomplète des lois de programmation militaire – en disant cela, je ne formule pas une critique, mais une inquiétude. Dès lors, l’introduction d’une clause de sauvegarde, afin de vérifier certaines hypothèses, de prendre en compte certains aléas après un ou deux ans d’application, est selon nous une bonne décision.

Notre remarque était motivée par la longueur de notre cycle industriel. Il ne s’agit pas de défiance à l’égard de l’État, mais les calendriers politique et industriel peuvent être différents. Dans l’industrie, nous dressons des plans sur dix ans, pour déterminer où doit être investi l’argent, quelles usines doivent se doter d’outils plus modernes, s’il faut acheter des terrains ou construire… S’agissant du monde civil, tout cela est notre affaire. Mais en matière militaire, nous devons aussi savoir où nous allons. Il faut donc établir un contrat moral – à défaut d’être écrit – et de long terme avec l’État. Cette préoccupation est bien entendu indépendante de la couleur politique, la défense étant un secteur trop important pour pouvoir subir des changements au gré des alternances. Ce n’est d’ailleurs pas le cas : la continuité est réelle.

Il est vrai que des aléas surviennent. Il en est ainsi sur le plan budgétaire : nous ne nions pas la nécessité de désendetter la France. Mais la pratique du « pompage » – comme on dit dans le jargon aéronautique – coûte cher et entre en contradiction avec les intérêts à long terme de l’industrie. Telle est la raison de la tribune publiée par les industriels de la défense : nous avons été entendus dans un contexte budgétaire difficile, mais nous resterons vigilants lors de l’exécution de la LPM. Si elle n’est pas appliquée complètement, en effet, certains programmes pourraient couler. Cela ne signifie pas que des sociétés vont disparaître, mais celles qui produisent à la fois pour les mondes civil et militaire devront sans doute réorienter leurs activités.

Or nous devons être vigilants, car les compétences mobilisées ne sont pas les mêmes pour les deux secteurs – même si nous tentons d’établir une synergie maximale entre eux. Par exemple, la furtivité n’est d’aucune utilité pour des avions civils. Si ces compétences ne sont pas mises à contribution dans le cadre de contrats passés avec le ministère de la Défense, il faut les consacrer à d’autres domaines, ne serait-ce que pour préserver la motivation des ingénieurs.

Plus généralement, nous sommes confrontés à un problème dont nous avons commencé à parler au sein du groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales : alors qu’il y a une dizaine d’années, le militaire attirait encore les meilleures compétences, aujourd’hui, les jeunes qui entrent dans l’industrie préfèrent le civil, où de nouveaux programmes sont lancés tous les jours. C’est d’autant plus vrai que la fin du service national a rendu la société civile moins sensible aux questions de défense.

C’est d’ailleurs aussi l’intérêt du nEUROn, un véritable challenge d’ingénieur. Nous sommes les seuls au monde, en dehors des Américains, à savoir faire voler un avion furtif et sans pilote de la taille d’un Mirage 2000. Dans un tel programme, on peut placer les meilleurs, d’autant que le résultat est tangible – ça vole. C’est donc mobilisateur. De même, la coopération avec les Britanniques permettrait de motiver les jeunes. Mais il en va autrement si on tergiverse ou si les projets sont modifiés en cours d’exécution. Le projet de LPM, dans la mesure où il prend en compte les besoins des bureaux d’études, me semble donc positif en ce sens.

J’en viens à la crise syrienne, dont je ne pense pas qu’elle puisse avoir à court terme des retombées, positives ou négatives, sur l’exportation du Rafale. Je prendrai l’exemple de nos deux prospects principaux, l’Inde et le Qatar. En Inde, le besoin de rénovation de sa flotte de combat est réel. Après une compétition dure entre six candidats, un choix a été opéré, sur le plan opérationnel tout d’abord, budgétaire ensuite : le Rafale a été déclaré gagnant, et nous sommes entrés dans la phase de négociation commerciale. Dans un tel contexte, la position de la France s’agissant de la Syrie n’a pas, à ma connaissance, de conséquence.

En ce qui concerne le Qatar, les Émirats ou l’Arabie saoudite, je n’ai pas suffisamment connaissance de l’état précis de nos relations avec ces pays – c’est l’affaire des politiques – pour évaluer l’impact de la crise syrienne. De toute façon, même si Dassault vend des Falcon à l’Arabie saoudite, notre société y a perdu le marché des avions de combat – face au Tornado.

En revanche, les opérations au Mali ont eu un impact sur le Qatar et les EAU. La capacité de la France à intervenir en premier, avec des matériels capables de traiter les cibles de manière précise – bien plus qu’en envoyant une centaine de Tomahawk dans la nature –, et d’y effectuer des missions longues – directement entre Saint-Dizier et le Mali – a été appréciée. Non seulement elle l’a été sur le plan politique – car n’importe quel pays n’a pas une telle capacité d’intervention –, mais elle l’a été aussi sur le plan des moyens matériels et de la faculté à opérer parfaitement les manœuvres. Cela s’est vu un peu partout dans le monde. L’opération au Mali a donc eu une influence positive sur l’image du Rafale, comme avant celle effectuée en Libye.

Mme la présidente Patricia Adam. Soyez assuré que la Commission suivra de près l’application, en 2015, de la clause de revoyure.

M. Philippe Folliot. Je ne suis pas d’accord avec une de vos affirmations : le Rafale n’est pas un des meilleurs avions du monde, c’est le meilleur !

M. Éric Trappier. Je disais cela par modestie…

M. Philippe Folliot. Le problème, en revanche, c’est qu’il n’est pas notre meilleur produit d’exportation.

Il est prévu de livrer 26 Rafale à l’armée française. Or, vos prédécesseurs ont toujours affirmé qu’ils avaient l’obligation de produire onze avions par an, et vous avez confirmé que cette cadence ne pouvait pas être réduite. Si la société n’obtient pas de contrats à l’export, notre armée devra donc les acheter.

Nous espérons tous que ces contrats vont être signés : il y va de l’intérêt national, mais aussi de notre intérêt financier, car l’absence de contrats déséquilibrerait fortement le financement de la loi de programmation budgétaire. Ce point fera sans doute l’objet de la clause de revoyure.

Voyons les choses de manière positive et supposons que l’export fonctionne très bien. Peut-on imaginer, dans une telle hypothèse, de livrer moins d’avions à nos armées pour dégager des marges budgétaires ? Au fond, l’essentiel pour vous est de vendre des avions, quel que soit le client.

M. Éric Trappier. Plus nous vendrons d’avions à l’export, mieux cela vaudra. Mon seul impératif est d’en produire un par mois : c’est la condition de sa viabilité industrielle. Mais nous serions très favorables à l’idée d’augmenter la cadence.

Cela étant, les 26 avions que nous devons livrer en 2016 sont en cours de construction. Or la transformation d’un avion destiné à la France en version exportable demande une adaptation qui n’a rien de simple.

En outre, le programme Rafale a été lancé pour répondre à un besoin, et ce besoin existe toujours, quelles que soient les contraintes budgétaires. La marine doit obtenir ces avions rapidement pour équiper son porte-avions, en raison du retrait de service des Super étendard en 2015. Quant à l’armée de l’air, elle est prête à faire durer plus longtemps ses Mirage 2000, mais seulement dans l’attente de la livraison des Rafale. D’ailleurs, quand elle doit opérer à la demande du chef de l’État, c’est à cet avion qu’elle recourt en premier. Il appartient donc au ministère de la Défense de déterminer exactement quels sont les besoins.

Nous avons donc la possibilité de nous adapter, mais il y a un timing à respecter. La production du Rafale n’est pas seulement liée à l’équation budgétaire : elle répond à un besoin opérationnel.

M. Jean-Jacques Candelier. Ma question porte également sur le Rafale. La commande de 26 appareils est destinée à atteindre l’objectif de 225 avions de combat en 2020, mais elle ne suffira pas à soutenir une production de 11 exemplaires par an : la différence représente 40 avions. Que se passerait-il si les pistes d’exportation ne menaient nulle part ? L’État devrait financer cette différence : quel est le coût d’un Rafale ?

M. Éric Trappier. En réalité, la commande portait sur 180 Rafale, et nous en avons déjà livré 120. La question porte sur la livraison et le paiement des 60 restants : quelles sont les préférences de l’État en la matière, compte tenu du contexte budgétaire compliqué que nous traversons ? Par ailleurs, rien n’exclut la commande d’une nouvelle tranche pour atteindre le format de 225 appareils visé par le livre blanc et les LPM successives, compte tenu du retrait de service des Super étendard – en 2015 – puis des Mirage 2000 – vers 2020. Je ne pense pas que l’on puisse envisager dans ces délais de trouver un successeur au Rafale. J’y serais favorable, mais cela demanderait un tout autre effort budgétaire. Il faudra donc faire vivre cet avion sur une longue durée.

La LPM représente donc, pour l’État et l’industrie, un pari. Sous réserve d’obtenir des contrats à l’export, que nous avons bon espoir de finaliser dans les délais – même si les discussions sont longues et compliquées –, le pari sera gagné. Dans le cas contraire, nous en discuterons dans le cadre de la clause de rendez-vous.

Quant au coût d’un Rafale, seule la DGA le connaît. Je connais le coût de la partie construite par Dassault, mais l’État achète directement le radar ou le moteur, par exemple.

Mme Marie Récalde. Dans l’hypothèse où le contrat avec l’Inde serait signé fin 2013, vous avez déjà annoncé que la commande ne pourrait être livrée qu’en 2016 ou 2017, et que les appareils concernés ne pourraient être prélevés directement sur les chaînes françaises, car ils doivent être adaptés aux conditions indiennes. Pouvez-vous nous préciser la nature des demandes de l’armée indienne ? Quelles conséquences la nécessité d’une adaptation pourrait-elle avoir sur les plans de charge des usines de Mérignac et de Martignas ?

M. Éric Trappier. Je ne peux pas, dans une réunion ouverte à la presse, entrer dans le détail des demandes particulières de l’armée indienne en termes de définitions techniques, car ces informations sont confidentielles.

Si nous parvenons à obtenir un contrat dans des conditions compatibles avec une livraison en 2017-2018, tout ira bien. Dans le cas contraire – et rappelons qu’il est difficile de signer de tels contrats –, l’alternative, pour l’État, est la suivante : soit il arrête le programme, soit il le maintient à hauteur d’un Rafale produit par mois. Dans ce cas, la question du financement devra être abordée en 2015.

Quant à l’impact sur l’emploi de l’arrêt du programme, il serait important, car la charge de travail liée à la construction d’un Rafale est le triple de celle d’un Falcon. Mais la conséquence, ce serait surtout une révision de notre modèle industriel au détriment de la fabrication d’avions de combat. Cela étant, je ne m’inscris pas, pour l’instant, dans une perspective aussi négative, même si un industriel se doit de faire face à toutes les hypothèses.

M. Gilbert Le Bris. Pouvez-vous dresser un rapide panorama de l’offre concurrente au Rafale ? J’ai eu l’occasion de visiter, au Texas, la chaîne de montage des F-35 de Lockheed Martin : de toute évidence, ce modèle constitue un rival redoutable au vu du rythme de production. Mais c’est surtout à propos des avions proposés par des nations émergentes ou des pays comme la Russie que je souhaitais connaître votre avis. Nous avons assisté à l’impressionnante démonstration du Sukhoï SU-35, au Bourget, et nous savons qu’un T-50 est en cours de développement. Ce fabricant est-il un dangereux concurrent, en général et sur vos propres prospects ?

M. Éric Trappier. Pour l’instant, les Russes sont des concurrents sur le plan général, mais on les voit peu sur nos marchés, qui concernent des pays avec lesquels la France entretient une relation politique fondée sur une compréhension particulière et s’inscrivant dans un cadre stratégique. L’Inde – où 90 % de la flotte est d’origine russe, le reste étant fourni par la France – fait figure d’exception. Mais ce pays a fait le choix de maintenir une double source d’approvisionnement : elle a acheté des Sukhoï SU-30 et réfléchit au développement avec les Russes d’un nouvel avion de combat, mais elle se prépare aussi à acheter des Rafale, s’inscrivant ainsi dans une longue tradition d’achat à la France, de l’Ouragan jusqu’au Mirage 2000. Nous ne sommes donc pas vraiment en concurrence, même si le Mig 35 faisait partie de la dernière compétition – il a été éliminé dès le premier tour.

Dans les autres pays, les Russes ne sont pas nos concurrents : ils ont été écartés de la compétition au Brésil, au Moyen Orient, en Malaisie. Les pays dans lesquels ils sont présents font partie de leur sphère traditionnelle d’influence.

Nos concurrents sont d’abord les Américains, qui bénéficient de l’effet de masse que représentent les milliards de dollars investis par l’État fédéral. En termes de dépenses budgétaires, le F-35 n’a en effet rien à voir avec le Rafale : la force des Américains est d’avoir commencé par évoquer un avion à bas prix utilisable par les trois armes, pour finir par présenter un appareil dont la conception aura coûté très cher au contribuable. Cela fait partie de la politique économique des États-Unis : en matière d’avions de combat, plus ils en dépensent, mieux c’est pour l’économie américaine, quels que soient les dérapages en termes de coût. Il faut bien comprendre que l’industrie de la défense n’est pas qu’un consommateur de crédits. Elle a un effet vertueux, puisqu’elle permet de développer des technologies utiles dans d’autres domaines. En outre, elle recourt peu à l’externalisation : en France chaque euro dépensé l’est sur le territoire national. Enfin, lorsque l’on parvient à conclure des contrats à l’export, elle contribue favorablement à l’équilibre de la balance commerciale.

Les Américains ont bien compris cela : un rapport de la Maison blanche souligne qu’un avion de combat met en jeu 17 technologies stratégiques sur les 22 qui concourent au développement d’un pays. C’est pourquoi ils n’hésitent pas à dépenser beaucoup en ce domaine, même s’ils ont réduit légèrement leur budget, ce qui les rend encore plus agressifs d’un point de vue commercial.

À l’export, ils bénéficient de nombreux avantages. Tout d’abord, nous parlons des États-Unis d’Amérique : pas un amiral, pas un général ne visite un pays sans dire « Achetez nos avions ! ». C’est un véritable rouleau compresseur. Même en Inde, où ils ont perdu la compétition, il ne se passe pas une semaine sans qu’un officier américain ne délivre un tel message. Aucun refus ne les arrête.

Par ailleurs, ils se font payer en dollars. Or, quelles que soient les difficultés économiques rencontrées en Europe, l’euro reste fort, ce qui leur donne un avantage concurrentiel.

De plus, les coûts de main-d’œuvre n’y sont pas du tout les mêmes. Je vois la différence entre l’usine que Dassault détient aux États-Unis, et qui emploie 2 500 personnes, et celle située dans la région de Bordeaux.

Enfin, le format des séries est bien plus élevé aux États-Unis, d’autant qu’en France, il a plutôt tendance à baisser. Et ce n’est pas parce que l’on nous avait promis une commande de 320 appareils il y a vingt ans que nous pouvons envoyer une facture à l’État lorsque ce dernier nous annonce qu’il n’en achètera – peut-être – que 225 ! Tout cela se fait à budget identique.

S’agissant de la concurrence européenne, nous battons systématiquement l’Eurofighter Typhoon lorsque nous sommes en compétition, soit en finale – en Inde, par exemple –, soit en demi-finale – en Corée, ou à Singapour. Quant au Gripen, les Suisses, en l’achetant, admettent eux-mêmes qu’ils se déclassent en division d’honneur. Leur choix stratégique est de faire semblant d’avoir une aviation de combat tout en achetant le modèle le moins cher. Tant que l’on ne fait pas la guerre, ce n’est pas très grave.

M. Jacques Lamblin. Vingt-six appareils commandés, à raison de 11 appareils par an, cela nous mène à la mi-2016. Dans ces conditions, une « revoyure » en 2015 ne serait-elle pas trop tardive ?

Par ailleurs, la nécessité de fabriquer des Rafale de différentes versions est-elle facilement conciliable avec une cadence de production assez modeste ?

Les premiers modèles de Rafale ont été produits il y a longtemps et doivent être modernisés. Pour que ces premiers avions soient à la hauteur de ceux qui sortent aujourd’hui des chaînes de montage, la part d’équipements fabriquée par Dassault a-t-elle besoin d’une sérieuse remise à niveau ?

M. Éric Trappier. En ce qui concerne la partie fabriquée par Dassault, il y a peu de modifications à apporter. Nous nous contentons d’améliorer les process de production des tôles de carbone. En revanche, pour tout ce qui est fabriqué par notre réseau d’industriels sous-traitants, des obsolescences doivent être traitées. Et en cas de changement du type de radar ou des contre-mesures, il est nécessaire de vérifier que tout fonctionne, ce qui implique un certain nombre de travaux. Mais ce n’est pas un sujet déterminant.

Pour répondre à la première question, le délai est en effet un peu court entre 2015 et la fin du carnet de commande. Une discussion est en cours avec le ministère de la Défense de façon à concilier l’inconciliable.

M. Philippe Meunier. Dans l’hypothèse où aucun marché ne serait remporté à l’export, quelles seront les conséquences industrielles ? Quelles mesures avez-vous prévu pour moderniser les Rafale déjà en service ? S’agissant de la génération 5, les études liées au nEUROn peuvent-elles profiter au développement, dans un futur plus lointain, d’un remplaçant au Rafale ?

M. Éric Trappier. Faute d’export, les armées françaises exprimeront, par l’intermédiaire du ministère de la Défense, leurs besoins en appareils, et nous serons en mesure de les leur fournir, sous réserve que le seuil d’un avion par mois soit respecté. En cas de rupture, il nous appartiendra de reconditionner nos capacités de production.

Quant à la modernisation des Rafale, elle concerne le bureau d’études. Dans ce domaine, les prévisions de la LPM résisteraient, me semble-t-il, à l’absence de solution à l’export. Les contrats liés au retour d’expérience permettent de proposer des améliorations et de définir des standards successifs que les militaires choisiront ou non d’appliquer aux appareils déjà en fonction. Sous réserve que le projet de LPM soit maintenu en l’état, je n’ai donc pas d’inquiétude : les bureaux d’études de Dassault, Thalès et d’autres entreprises pourront continuer à travailler à l’amélioration du Rafale.

Le nEUROn est différent du Rafale, mais son développement nous apprend différentes choses, comme la maîtrise de la furtivité. Une telle expérience pourra nous servir un jour ou l’autre, mais pas dans l’immédiat.

M. Alain Rousset. Vous avez évoqué l’engagement d’un projet de drone avec EADS et Finmeccanica. On entend dire que le modèle économique d’un drone MALE européen ne serait pas soutenable, compte tenu des faibles quantités qui pourraient être écoulées. Quel est votre sentiment à ce sujet ?

Le nEUROn, développé en coopération, est un succès. Comment envisagez-vous la suite ? Avec cet avion furtif et sans pilote, nous entrons dans la génération suivante des avions de combat. Or nous sommes très attachés à ce que l’industrie française et européenne conserve des compétences dans ce domaine.

S’agissant du Rafale, une chose est de fabriquer des avions en France pour l’armée française, et une autre de les fabriquer pour l’Inde, voire en Inde. Cela signifie une nouvelle organisation, une structuration de la supply chain, voire le déplacement des sous-traitants. Nous vous faisons confiance pour maintenir en France les éléments de technologie les plus critiques, mais qu’en est-il du reste ?

M. Éric Trappier. En matière militaire, la notion de modèle économique n’a pas grand sens. On peut se comparer à d’autres, mais il n’existe pas vraiment de business plan. Nous connaissons maintenant les conditions de développement d’un drone MALE ; les questions sont plutôt de savoir s’il faut réaliser seulement ce drone, s’il faut prévoir un nouveau radar, ou adapter au drone les radars utilisés pour la surveillance maritime, etc.

Certes, on ne peut pas envisager la construction de centaines de drones MALE. Il en allait de même, d’ailleurs, lorsque le programme Reaper a été lancé, même s’il a depuis bénéficié de la puissance américaine. De la même façon, les Israéliens, en développant leur filière de drone, n’ont pas recherché la quantité, mais la réponse à un besoin opérationnel. Cela étant, si un programme militaire vise à développer une capacité à opérer, il relève aussi de la politique industrielle.

En tout état de cause, nous avons les compétences pour réaliser un drone MALE en Europe. Le développement du porteur n’est pas la partie la plus difficile. La fabrication et l’intégration des liaisons sont plus compliquées, s’agissant d’une machine devant opérer à distance : il faut éviter que le drone soit intercepté par la force adverse, ce qui met en jeu une problématique de cybersécurité. Enfin, si l’appareil emporte des armes – pour un tir d’opportunité dans le cas du drone de surveillance –, il faut s’assurer de pouvoir bien tirer. Mais toutes ces exigences sont indépendantes d’un modèle économique.

La question est donc de savoir si la France, l’Allemagne et l’Italie ont la volonté de lancer ce programme. Nous sommes en tout cas demandeurs, car nous en avons besoin pour maintenir et développer nos compétences. Alors que l’Europe est déjà très en retard en matière de drones, nous ne devons pas manquer cette opportunité, au risque de devoir s’en remettre exclusivement aux Américains.

Il est vrai que du seul point de vue économique, il ne serait pas injustifié de s’adresser aux États-Unis, voire, demain, à la Chine. C’est ce que j’avais dit à un Britannique qui se targuait d’acheter « sur étagère » en choisissant le modèle le moins cher : dans ces conditions, autant acheter Chinois ! « Ce n’est pas possible, m’a-t-il répondu : la Chine est notre ennemi. » Cela prouve que les critères économiques ne sont pas les seuls en jeu lors de l’achat d’une arme. Il convient de savoir qui la fabrique et qui la tient. Une Europe qui se veut puissance militaire doit donc s’organiser afin de produire ses propres armements. Et les Américains, si soucieux de se désengager de leur flanc est, devraient nous y encourager plutôt que de chercher à nous concurrencer. Quoi qu’il en soit, les industriels sont prêts à s’organiser et à faire des propositions.

S’agissant du nEUROn, nous avons validé un concept technologique, mais aussi un mode de coopération, ce qui n’est pas rien. Le but est en effet de parvenir à coopérer efficacement pour multiplier les financements sans que le surcoût, par rapport à un programme développé par un seul industriel, ne soit supérieur à un certain coefficient. Rappelons que dans le cas de l’Eurofighter, chaque État a fini par payer plus cher son avion de combat que s’il l’avait développé tout seul. L’efficacité, en ce domaine, passe par le respect d’un certain nombre de règles, telles que le choix d’un sous-traitant pour ses compétences et non pour des raisons politiques, par exemple.

La suite, selon nous, réside dans la coopération franco-britannique. En effet, seuls deux pays ont la capacité de développer un tel programme et ont la volonté d’y consacrer un certain budget. L’Allemagne n’en a pas fortement les compétences, et manque de toute façon d’allant. Il convient donc de démarrer avec ces deux pays, quitte à ce que d’autres les rejoignent plus tard.

En ce qui concerne la supply chain pour la livraison de Rafale en Inde, je prendrai votre question dans l’autre sens. De nombreux sous-traitants me disent : « si nous emportons le marché en Inde, ne pourriez-vous pas faire tout fabriquer là-bas, de façon à nous débarrasser de la production de Rafale ? ». C’est vous dire à quel point la sous-traitance est démotivée. En effet, alors qu’à l’origine on lui a parlé de 320 avions, elle voit, tous les quatre ou cinq ans, les décisions systématiquement remises en question. De son côté, Airbus produit entre 50 et 100 avions par mois ! C’est un problème d’intérêt national : voulons-nous garder notre capacité à produire le Rafale ? J’y suis prêt, mais je ne suis pas tout seul : il faut également proposer des perspectives de long terme à la sous-traitance.

Quoi qu’il en soit, les contrats français m’imposent de fabriquer en France les Rafale, pour des raisons liées à la sécurité nationale. Si, demain, j’ai l’autorisation de la DGA de fabriquer tout en Inde, y compris les appareils destinés à l’armée française, je le ferai : je n’ai pas d’états d’âme. Mais tous les sous-traitants n’en feront pas autant.

Nous avons donc besoin d’une plus grande visibilité, car elle est aujourd’hui trop limitée. J’espère en tout cas que nous obtiendrons des résultats à l’export : cela remontra le moral de tout le monde.

M. Christophe Guilloteau. Vous avez déjà répondu à la question que je souhaitais poser à propos de l’Inde. Je me contenterai donc de souligner que les exportations françaises d’armement, avec un total de 4,9 milliards d’euros, représentent un élément important de notre balance commerciale. Dans un contexte difficile, l’industrie de défense est une des rares à pouvoir se targuer d’obtenir de tels chiffres.

Mme la présidente Patricia Adam. Monsieur Trappier, je vous remercie. Nous aurons l’occasion de vous recevoir à nouveau.

M. Éric Trappier. Merci de m’avoir écouté, et longue vie au Rafale !

*

* *

Ÿ M. Christian Giner, secrétaire général du Conseil supérieur de la fonction militaire (jeudi 12 septembre 2013)

Mme la présidente Patricia Adam. Monsieur le secrétaire général, soyez le bienvenu. Il m’a semblé important de vous auditionner, compte tenu des nombreuses réformes intervenues au sein du ministère de la Défense lors de la précédente loi de programmation militaire (LPM), et de celles qui s’annoncent dans le futur projet de loi de programmation militaire. Le Conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM), instance de concertation pour les personnels militaires, recueille en effet des informations autres que celles qui proviennent de l’état-major. Des modifications ont d’ailleurs été apportées suite aux dysfonctionnements du logiciel Louvois, puisque le ministre de la Défense a mis en place une instance de concertation spécifique. Hier, la présentation du rapport d’information de Mme Gosselin-Fleury et de M. Meslot nous a donné l’occasion d’aborder longuement cette affaire, que nous avions aussi évoquée lors de plusieurs auditions.

M. Christian Giner, secrétaire général du Conseil supérieur de la fonction militaire. Je vous remercie de m’accueillir au sein de votre commission. En tant que secrétaire général du Conseil supérieur de la fonction militaire, poste que j’occupe depuis le mois d’avril, j’évoquerai le projet de loi de programmation militaire à travers le prisme de la concertation au bénéfice de l’ensemble du personnel militaire, puisque tel est mon domaine de compétence actuel. Votre commission, d’ailleurs, a déjà travaillé sur le sujet, notamment dans le cadre du rapport d’information de MM. Le Bris et Mourrut.

Ce système de concertation, initialement créé, s’agissant du CSFM, par une loi de 1969, s’est développé par étapes successives et repose sur une double responsabilité : celle du ministre de la Défense, en charge des personnels de son département, et celle du chef militaire, qui lui est subordonné et auquel, selon les termes du statut général des militaires, il appartient de veiller aux intérêts de ses personnels. Il s’agit d’un système à double étage, constitué d’une part du CSFM, et de l’autre de sept conseils de la fonction militaire (CFM), pour chacune des armées, la gendarmerie et les directions et services que sont la Direction générale de l’armement (DGA), le service des essences des armées (SEA) et le service de santé des armées (SSA). L’existence de ces deux types de conseil a valeur législative puisqu’elle est inscrite dans le statut général des militaires.

Les CFM, mis en place en 1990 pour concrétiser au mieux le dialogue entre les chefs militaires et leurs personnels, sont présidés par le ministre de la Défense – à l’exception de celui de la gendarmerie, coprésidé par le ministre de la Défense et le ministre de l’Intérieur –, leurs vice-présidents, qui en assurent la plupart du temps la présidence effective – même s’il est arrivé que des ministres le fassent –, étant le chef d’état-major concerné ou le directeur de service. La composition des CFM reflète autant que possible, qualitativement et quantitativement, les effectifs concernés. Le CFM le plus nombreux est ainsi celui de l’armée de terre, qui comprend 88 membres ; le moins nombreux est celui du SEA, avec 15 membres.

Le CSFM, présidé par le ministre, comporte 79 membres en activité, issus de l’ensemble des CFM, auxquels s’ajoutent six membres issus d’organisations de retraités militaires, soit au total 85 membres.

Les membres des CFM sont désignés par tirage au sort parmi un vivier de volontaires ; ceux du CSFM sont élus par et parmi leurs camarades des CFM, au prorata de leurs effectifs.

Outre leur rôle consultatif sur les textes réglementaires, ces instances ont pour objectif de permettre un dialogue direct entre le ministre de la Défense ou les chefs militaires d’une part, et la communauté militaire de l’autre. CSFM et CFM se réunissent obligatoirement deux fois par an, lors de sessions annuelles consacrées par la réglementation. En fonction de l’actualité, le ministre peut néanmoins être amené à convoquer ces conseils en session extraordinaire, comme ce fut le cas en juillet dernier pour évoquer la question des retraites.

Lors des sessions, le CSFM exprime son avis sur les questions à caractère général dont il est saisi par le ministre de la Défense, ou qui sont inscrites à son ordre du jour à la demande d’une majorité de ses membres. Ces questions, d’ordre général, concernent l’attractivité et les conditions d’exercice du métier militaire, les conditions de vie des militaires et de leur famille, les conditions d’organisation du travail des militaires ou la fidélisation et les conditions de leur reconversion.

Le CSM se prononce également sur les projets de décret portant statut particulier des militaires, ainsi que sur les dispositions statutaires communes à plusieurs corps ou catégories de militaires. Cet avis, obligatoire, fait partie des formalités dont le Conseil d’État s’assure du respect lorsque les textes lui sont présentés.

Deux semaines en général avant la réunion du CSFM, les CFM se réunissent pour procéder à une première étude des textes et questions d’ordre général inscrits à l’ordre du jour. Les deux types de conseil fonctionnement en ce sens de façon parallèle. Les CFM ont en outre vocation à étudier toute question relative à l’armée concernée ou à la formation rattachée, sur les conditions de vie, d’exercice du métier militaire ou d’organisation du travail.

Chacune des réunions du CSFM donne lieu à des auditions, toujours d’un grand intérêt, destinées à éclairer les membres et enrichir leur réflexion. Les directeurs des services du ministère de la Défense – direction des ressources humaines ou direction des affaires juridiques, par exemple – y interviennent régulièrement, de même que des personnalités extérieures, comme ce fut le cas lors de la dernière session avec Mme Moreau, venue nous présenter son rapport sur les retraites.

La dernière journée de session est traditionnellement consacrée à la séance plénière, occasion d’un dialogue direct entre le ministre et les membres du CSFM, qui lui exposent leur avis sur les textes dont ils ont été saisis, et lui font part de leur sentiment sur les questions d’actualité touchant à la condition militaire. Cette session est aussi l’occasion, pour le ministre, de répondre directement aux questions posées par les membres, et parfois d’annoncer des mesures particulières touchant à la condition militaire. Ainsi, lors de la dernière session, le ministre a annoncé le lancement de travaux sur un nouveau plan de condition militaire.

Les travaux demandés au Conseil vont souvent au-delà de la stricte interprétation de ses compétences. Lors de la dernière session, le Conseil a ainsi rendu un avis favorable à quatre projets de texte de nature législative, relatifs aux mesures d’incitation au départ.

Bien qu’il se réunisse réglementairement deux fois par an, le Conseil voit aussi ses responsabilités se développer pendant les intersessions, avec la création de groupes de travail sur des questions relatives à la condition militaire. Rassemblant en général une dizaine de membres représentatifs de la composition du Conseil, ces groupes réalisent de premières études sur des sujets plus ou moins complexes, afin d’éclairer le Conseil qui aura à se prononcer formellement. En juillet s’est ainsi réuni un groupe de travail sur les retraites, qui avait été tout spécialement demandé par le ministre pour l’éclairer sur la position de la communauté militaire à ce sujet. Hier et avant-hier s’est tenue la réunion d’un autre groupe de travail, consacré à la condition des militaires du rang, afin de réaliser une première étude sur un projet de décret en la matière, et d’envisager des pistes d’amélioration dans des domaines tels que les conditions d’emploi, la rémunération, la formation ou la reconversion.

Enfin, afin d’assurer une information plus rapide entre lui et la communauté militaire, le ministre de la Défense a créé un groupe de liaison du CSFM de 18 membres, qui sera officiellement installé lors de la prochaine session, au mois de décembre. Sa composition est représentative du CSFM, relativement aux catégories, aux armées et aux services.

Mme la présidente Patricia Adam. Il s’agit, en somme, d’une sorte de bureau.

M. Christian Giner. En effet, madame la présidente.

M. Yves Fromion. À quelle fréquence se réunit-t-il ?

M. Christian Giner. Il peut le faire à la demande du ministre, si celui-ci souhaite informer la communauté militaire sur tel ou tel sujet ; il peut aussi, par un vote à la majorité de ses membres, demander à être entendu par le ministre afin de porter à sa connaissance des questions qu’il juge essentielles.

M. Yves Fromion. Ce n’est donc pas une structure permanente ?

M. Christian Giner. Non.

Le système de concertation au sein des forces de défense et de sécurité nationale s’appuie donc sur des institutions qui permettent l’expression des personnels militaires aux plus hauts échelons de la chaîne hiérarchique, et dans le respect des limites fixées par le statut juridique des militaires.

Toutefois, afin d’accompagner les réformes en cours au ministère et de faire face aux exigences d’une société plus ouverte et plus exigeante en matière de communication et de dialogue interne, les plus hautes autorités de l’État ont décidé d’engager un processus de rénovation de la concertation en veillant à sauvegarder ses deux fondements que sont, d’une part, le statut militaire et, de l’autre, le rôle du commandement dans sa responsabilité vis-à-vis des personnels.

Cette rénovation devrait conforter la légitimité de ces instances par une évolution de leur composition et du mode de désignation de leurs membres. L’expertise de ces derniers devrait également être développée par des actions de formation spécifiques. Enfin, le Livre blanc prévoit la création d’outils participatifs en ligne pour assurer une remontée d’informations permanente et autoriser des échanges continus sur les thèmes de la condition militaire : ce sont autant d’axes de réflexion pour le travail que vient de lancer le ministre sur l’évolution en cours.

L’étude doit se réaliser en deux temps. Une première étape, à laquelle sera associé le commandement, permettra de dégager un certain nombre de pistes qui constitueront un « cahier des charges » de la rénovation, lequel pourrait être présenté aux membres du Conseil lors de la session de décembre ; il leur appartiendrait alors d’accompagner la réflexion et de faire des propositions dans ce cadre.

À titre personnel, je vois trois pistes possibles pour rénover le système de concertation et en accroître la légitimité : l’expertise des membres, leur disponibilité et le fonctionnement du conseil.

Améliorer l’expertise des membres me paraît une nécessité, car beaucoup d’entre eux méconnaissent les bases du droit administratif, les procédures d’élaboration des textes et l’organisation de l’administration, ce qui contribue bien souvent à des incompréhensions, voire à de la défiance. L’expertise suppose aussi d’être à même de représenter efficacement ses camarades, parce que l’on a vécu les mêmes expériences professionnelles et suivi des carrières sensiblement identiques ; bref, c’est acquérir le recul nécessaire pour parler en leur nom. Les présidents de catégories, qui connaissent bien le milieu militaire, pourraient sans doute remplir un tel rôle.

Une meilleure disponibilité des membres serait également souhaitable, afin d’assurer un dialogue plus régulier avec le ministre et son administration. La création du groupe de liaison dont j’ai parlé constitue certes une innovation satisfaisante, et réclamée depuis de nombreuses années par les membres ; elle permet un dialogue direct et quasi immédiat, sans la lourdeur du système actuel ; mais il faudrait à mon sens y associer de nouveaux dispositifs pour répondre à des besoins tels que l’élaboration des textes réglementaires soumis au Conseil. Ces textes sont examinés a posteriori deux fois par an, alors qu’il serait très utile de consulter des représentants avertis de la communauté militaire dès leur élaboration.

Enfin, le fonctionnement même de l’instance mériterait d’être revu. Le nombre de membres – 85 – me paraît trop élevé pour un travail vraiment efficace : à ce niveau de la concertation, je suis partisan de membres mieux formés et moins nombreux.

Il serait également souhaitable de rationaliser la répartition des compétences entre le CSFM et les CFM : leur organisation, strictement parallèle, gagnerait à être différenciée. Cette évolution est d’autant plus nécessaire que la création de deux nouveaux CFM est prévue pour le service d’infrastructure de la défense (SID) et le service du commissariat des armées (SCA), ce qui complexifiera encore le système.

Ce sont là des pistes sont tout à fait personnelles, les réflexions du ministère en étant au stade exploratoire. En tout état de cause, l’évolution de la concertation, prévue par le Livre blanc, me paraît une nécessité, d’autant que le système actuel n’a pas connu de changements significatifs depuis la création des CFM en 1990, et la prise en compte d’une meilleure représentation des militaires du rang suite à la professionnalisation en 1999. Nos forces armées ont pourtant vécu, en vingt ans, deux transformations majeures : la professionnalisation mais aussi son corollaire, la contractualisation. Ainsi, 63 % des militaires sont aujourd’hui des contractuels. Les militaires du rang en forment une grande partie, bien entendu, mais les contractuels représentent désormais le tiers des effectifs des officiers et sous-officiers. À mon sens, cette transformation sociologique modifiera de plus en plus les rapports à l’institution, qu’elle rapprochera insensiblement de la société civile et de ses attentes, en termes de transparence ou de communication ; aussi rend-elle nécessaire la modernisation de nos instances de concertation.

M. Jean-Jacques Candelier. Je ne sais si vous serez en mesure de répondre à la question piège que je vais vous poser.

Le CSFM traite des questions relatives aux personnels militaires ; et j’estime pour ma part que les droits d’expression et de représentation des militaires doivent être améliorés. Le Président Hollande, alors candidat, avait déclaré, en mars 2012 : « Il est temps de reconnaître […] qu[e les militaires] sont des citoyens à part entière. » Pensez-vous que le projet de loi de programmation militaire va dans ce sens ?

M. Christian Giner. Il m’est difficile de vous répondre, car le ministère vient seulement d’engager la réflexion sur la rénovation du système de concertation ; je ne puis donc vous dire si le projet de loi de programmation apporte des réponses en ce domaine.

M. Jean-Jacques Candelier. Il faudra vous poser la question l’an prochain !

M. Christian Giner. C’est ce que j’allais vous proposer… (Sourires.)

Mme Geneviève Gosselin-Fleury. Je viens de comprendre que vous ne pourriez sans doute pas répondre à mes questions non plus…

J’ai été tout particulièrement intéressée par vos propos sur la modernisation de la concertation. Le projet de loi de programmation militaire prévoit d’ores et déjà une déflation des effectifs, assortie de mesures d’accompagnement pour les départs volontaires. La concertation a-t-elle commencé sur ce sujet ? Ces mesures ont-elles été évaluées ?

Le Conseil a-t-il été saisi de questions touchant aux économies liées aux objectifs de maîtrise de la masse salariale, que le projet de loi de programmation a définis afin d’éviter les problèmes constatés dans la dernière LPM ?

M. Christian Giner. De fait, je ne pourrai pas répondre à toutes vos questions.

La déflation envisagée – 24 000 postes en moins – a été abordée par le Conseil à travers les mesures d’incitation au départ, qui ont reçu son assentiment. Pour autant, le ministère n’a pas encore fait d’annonces, du moins dans le cadre de la concertation, sur les restructurations éventuelles induites par le projet de loi de programmation.

Pour l’heure, le Conseil n’a pas davantage été saisi de questions relatives aux mesures salariales. Cependant, malgré les assurances sur le maintien du budget de la défense dans les années à venir, nos camarades craignent des répercussions sur leurs conditions de travail.

M. Philippe Nauche. S’agissant de la représentativité, ne pourrait-on envisager des modes de désignation différents entre les militaires de carrière et les contractuels, dont les aspirations, avez-vous observé, convergent avec celles de la société civile ?

M. Christian Giner. Je ne puis souscrire à l’idée selon laquelle les militaires de carrière n’auraient pas la même perception du métier que les contractuels.

M. Philippe Nauche. N’est-ce pas ce que vous laissiez entendre en évoquant la cohabitation des deux catégories ?

M. Christian Giner. Je voulais dire, en premier lieu, que la société militaire tend à se rapprocher de la société civile. Cela dit, nos jeunes camarades ont une approche de l’institution sensiblement différente de celle de leurs camarades de carrière, car beaucoup d’entre eux assimilent leur engagement à un contrat de travail, au sens économique de ce terme. Cela ne signifie pas qu’ils ne partagent pas les valeurs militaires, mais ils ont sans doute davantage de recul à leur égard.

Quoi qu’il en soit, la différence entre militaires du rang, sous-officiers et contractuels est beaucoup moins marquée, chez les jeunes, qu’il y a vingt ou trente ans. La communauté militaire, qui forme un tout, verrait d’un assez mauvais œil la distinction que vous suggérez. J’ajoute que, bien souvent, les contractuels se voient offrir la possibilité de devenir militaires de carrière. La communauté militaire étant une, il ne peut à mon sens y avoir qu’une seule façon de la représenter.

M. Yves Fromion. Les rapports sur le moral, ou à tout le moins la synthèse transmise au ministre, sont-ils communiqués au CSFM ?

Le Parlement, qui doit assurer le lien entre la nation et son armée, est tenu à l’écart du système de concertation.

Mme la présidente Patricia Adam. Je souhaitais faire la même remarque.

M. Yves Fromion. Comment établir un tel lien ? On peut toujours désigner deux parlementaires qui assisteraient aux réunions du CSFM, mais on sait à quoi s’en tenir sur ce genre de mesures… Le Parlement devrait en tout cas pouvoir dialoguer avec le CSFM, selon des modalités à définir, et se tenir ainsi informé du vécu de nos forces armées.

M. Christian Giner. Les rapports sur le moral ne nous sont pas transmis, ce que l’on peut en effet déplorer. La synthèse de la Direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD) est par ailleurs assez succincte…

Il serait utile d’associer le Parlement au système de concertation, mais celui-ci, à l’heure actuelle, est ministériel.

Mme la présidente Patricia Adam. Il faudrait donc une modification législative.

Le fait est qu’il manque un lien entre les instances de concertation et le Parlement, comme l’a noté Yves Fromion. Je rappelle, à cet égard, que notre commission est la seule à assurer formellement le lien entre la nation et son armée – puisque, au Sénat, le périmètre de la commission de la défense inclut aussi les affaires étrangères. Les missions d’information ou les universités d’été de la défense ne permettent que des contacts occasionnels avec le terrain : nous n’avons pas connaissance, par exemple, des travaux de concertation en cours. Il manque donc un lien continu. Nous pouvons bien entendu auditionner les personnels militaires, mais l’usage veut que nous privilégiions le dialogue avec les responsables hiérarchiques. Il nous faudra par conséquent revenir sur cette question à plus ou moins brève échéance.

M. Daniel Boisserie. Ma question allait dans le même sens. Les comptes rendus des réunions du CSFM ne pourraient-ils être transmis aux parlementaires, qui les utiliseraient pour leurs rapports ? Il serait intéressant, par exemple, de connaître le sentiment des gendarmes sur leurs conditions de vie.

Par ailleurs, nous sommes plusieurs à nous interroger sur votre grade, monsieur le secrétaire général.

M. Christian Giner. Je suis contrôleur général des armées. Le corps du contrôle général comprend trois grades : contrôleur adjoint, contrôleur et contrôleur général. Ces grades ne sont pas assimilables aux grades militaires. Enfin, notre corps dépend directement du ministre de la Défense.

La transmission des comptes rendus des réunions du CSFM au Parlement n’est effectivement pas prévue ; mais l’on peut consulter, sur notre site Internet, le texte de l’avis présenté au ministre, ainsi que le communiqué de la session, lequel, signé par le ministre de la Défense et le secrétaire de la session, récapitule les principaux points de cette dernière. Bien que très généraux, ces documents offrent un aperçu des sessions du Conseil.

Mme Sylvie Pichot. Je vous remercie, monsieur le secrétaire général, pour votre présentation qui nous a permis de mieux comprendre le fonctionnement du CSFM.

Celui-ci doit avoir une capacité d’écoute aussi large que possible ; or vous avez évoqué une possible réduction de ses membres, au nom d’une meilleure efficience : comment concilier une telle réduction avec le maintien de cette capacité d’écoute ?

M. Christian Giner. L’expertise et la représentativité des membres du Conseil sont très variables, certains d’entre eux ayant une plus longue expérience que d’autres. Dans ces conditions, il me semble possible de réduire le collège à une cinquantaine, voire à une quarantaine de membres, tout en préservant l’expertise et la représentativité.

Les présidents de catégorie, élus par leurs pairs au sein des formations militaires, me sembleraient tout désignés pour constituer une bonne partie de ces membres. En plus d’avoir, par la nature de leurs fonctions, le sens de l’intérêt général, ils ont souvent une ancienneté qui leur confère de solides compétences, un sens du dialogue, du recul et, si vous me passez l’expression, une connaissance de la pâte humaine. L’une des difficultés résiderait néanmoins dans leur recrutement, car la concertation s’ajouterait aux tâches de la présidence de catégorie, qui, parce qu’elle demande déjà un réel investissement personnel, attire de moins en moins de candidats. Il faudrait, pour y remédier, valoriser l’expertise et les acquis de l’expérience dans les carrières.

M. Yves Fromion. Je ne partage pas votre avis, monsieur le secrétaire général. L’armée étant un monde très divers, aux spécificités fortes, la représentativité du CSFM suppose un panel suffisamment large. Le resserrement que vous suggérez, en dépit d’avantages techniques que je puis comprendre, risque d’affaiblir la représentativité du Conseil aux yeux de telle ou telle catégorie de personnel, qui y serait moins représentée.

M. Jean-Michel Villaumé. Avec 63 % de contractuels, notre armée connaît une mutation sociologique. Comment appréhender, dans ces conditions, le problème de la reconversion professionnelle ? Avez-vous analysé les propositions du Livre blanc ? Avez-vous des préconisations en la matière ?

M. Christian Giner. La reconversion professionnelle fait l’objet d’une attention particulière au ministère, car elle concerne beaucoup de militaires du rang. La question a été abordée, hier et avant-hier, par le groupe de travail dont j’ai parlé. Le ministère fait beaucoup pour assurer la transition professionnelle des jeunes.

M. Jean-Michel Villaumé. Il y a aussi les emplois réservés.

M. Christian Giner. En effet, des passerelles existent avec les trois fonctions publiques, et le centre de formation de Fontenay-le-Comte permet aux jeunes de préparer leur reconversion dans de bonnes conditions. N’oublions pas que la reconversion facilite aussi le recrutement, puisqu’elle est un argument supplémentaire pour les candidats.

Mme la présidente Patricia Adam. Les militaires, en particulier les contractuels, connaissent-ils leurs représentants ? Quels moyens ont-ils de les connaître et, au besoin, de les contacter ?

Des femmes siègent-elles au sein du CSFM ? Y a-t-il un quota et, si oui, est-il respecté ?

M. Christian Giner. Il n’y a pas de raison pour que les contractuels connaissent moins bien leurs représentants que les militaires de carrière.

Mme la présidente Patricia Adam. En principe, ils restent moins longtemps au sien de l’armée…

M. Christian Giner. Sans doute, mais le distinguo, sur ce plan, est plutôt à faire entre les militaires du rang et les autres : seuls 10 à 15 % des premiers connaissent l’existence du CSFM et des CFM, le sujet n’étant assurément pas au centre de leurs préoccupations. Ce pourcentage augmente chez les jeunes sous-officiers, contractuels inclus, même si beaucoup d’entre eux méconnaissent encore le système de concertation. Une information plus soutenue en ce domaine, au sein des formations, me semble donc nécessaire.

Il n’existe pas de quotas pour les personnels féminins, mais ceux-ci sont présents au sein du Conseil, et sont parmi les plus actifs.

M. Gilbert Le Bris. J’ai assisté, avec Étienne Mourrut, à une réunion du CSFM dans le cadre de la mission d’information que nous avons conduite sur le dialogue social dans les armées : notre rapport, rédigé après un an d’immersion dans les instances de dialogue et de concertation, est paru fin 2011. Nous avons pu, au cours de nos travaux, constater des blocages aussi bien institutionnels que psychologiques.

Bien que formalisée, la parole est assez libre au sein de cette grand-messe qu’est la réunion du CSFM ; peut-être faut-il examiner les choses plus en amont, au niveau des CFM, où des blocages demeurent. Notre rapport contient 16 propositions, dont je pense qu’elles nourriront la réflexion en cours : en matière de représentation, une évolution m’apparaît nécessaire, même si aucun système n’est parfait.

La question de la chaîne élective me tient tout particulièrement à cœur : entre le système du tirage au sort – si bien organisé que d’aucuns l’ont rebaptisé « triage au sort » (Sourires) – et celui des élections, cette chaîne est discontinue. Sans mésestimer les difficultés en ce domaine, je crois nécessaire d’assurer sa continuité de la base au sommet. L’une de nos propositions est de faire élire les membres des CFM, non seulement par les présidents de catégorie, mais aussi par les membres des commissions participatives : en réservant l’élection aux seuls présidents de catégorie, on risque de voir siéger des professionnels de la concertation, au détriment de la diversité et de l’innovation. On peut évidemment envisager des modalités différentes : il ne s’agit pas de placer chacun sur un lit de Procuste. Mais ce continuum électif me semble aujourd’hui nécessaire.

Il serait enfin utile, monsieur le secrétaire général, que notre commission vous entende une fois par an, afin que vous nous fassiez part des aspirations et des inquiétudes des personnels, dans un monde militaire en pleine évolution.

M. Jean-Louis Costes. Quelles sont, pour les personnels non titulaires, la durée moyenne des contrats, et la part respective des contrats de droit privé et de droit public ?

Les emplois réservés, notamment, s’inscrivent dans une tradition de reconnaissance pour services rendus à la nation, reconnaissance qui me semble avoir disparu. Les anciens contractuels sont-ils nombreux à trouver un travail dans une collectivité ou une administration ? Je viens de recruter l’un de ces jeunes dans ma collectivité, mais je sais que sa recherche d’emploi a été très difficile.

M. Christian Giner. S’agissant des questions de gestion du personnel, je n’ai pas les chiffres en tête.

Les contrats, pour autant que je sache, sont tous de droit public ; leur durée, variable, est en moyenne de cinq ans, avec une possibilité de prolonger la carrière jusqu’à vingt-cinq ans pour les militaires du rang, à l’exception de la marine, où elle est limitée à onze ans pour les personnels d’équipage : au terme de ce délai, les intéressés quittent donc cette armée s’ils n’ont pas passé de concours de recrutement. En tout état de cause, chaque armée a une politique de gestion différente.

Mme la présidente Patricia Adam. Monsieur le secrétaire général, je vous remercie, et prends bonne note de la proposition de M. Le Bris s’agissant de votre audition annuelle.

*

* *

Ÿ M. Jean-Paul Herteman, président de Safran (mardi 17 septembre 2013)

Mme la présidente Patricia Adam. Monsieur le président, soyez le bienvenu. Même si la part de l’activité de défense n’est pas majoritaire dans le chiffre d’affaires de votre entreprise, celle-ci est un acteur important de ce secteur : nous sommes donc heureux de pouvoir vous interroger sur les enjeux posés, pour votre groupe, par le projet de loi de programmation militaire (LPM).

M. Jean-Paul Herteman, président de Safran. Merci de nous accueillir au sein de votre commission.

Safran est un groupe en fort développement, puisque son chiffre d’affaires progresse à un rythme d’environ 10 % par an, et a même augmenté de 15 % en 2012. Ces résultats tiennent à l’essor de l’aéronautique civile et, dans une certaine mesure, à nos investissements dans le domaine de la sécurité. Notre entreprise emploie 65 000 personnes – dont près de 38 000 en France –, et son rythme d’embauches a représenté, au cours des trois dernières années, quelque 10 % de ses effectifs par an, de façon à peu près égale en France et à l’international. Le taux de démissions et de départs en cours de carrière étant très faible en France et plus élevé dans des pays tels que l’Inde ou les États-Unis, la croissance des effectifs est un peu plus rapide en France. Les résultats économiques sont aussi au rendez-vous, avec une progression d’environ 20 % par an depuis plusieurs années. La capitalisation boursière atteint aujourd’hui environ 18 milliards d’euros. L’État, premier actionnaire, détient 27 % du capital, suivi par les salariés, qui en détiennent environ 15 %. Le reste du capital est flottant.

Autre signe de la dynamique du groupe : 40 % des effectifs ont moins de trois ans d’ancienneté, soit, à peu de choses près, un score de start-up. L’intégration de ce flux exige un travail particulièrement stimulant.

Depuis les origines, notre stratégie repose sur la différenciation par les technologies. La recherche et développement représente 12 % de notre chiffre d’affaires, si bien qu’à brève échéance, ce sont deux milliards d’euros annuels qui y seront consacrés. Pour 70 %, ces investissements sont financés sur fonds propres, le reste provenant du ministère français de la Défense, de l’Union européenne – via les programmes de recherche collaboratifs –, de la Direction générale de l’aviation civile (DGAC) et, pour une part non négligeable, du programme d’investissements d’avenir (PIA). Safran occupe le vingt-et-unième rang du CAC 40 en termes de capitalisation boursière, le cinquième en termes de recherche et développement et le troisième pour le dépôt de brevets.

Les activités de défense au sens large qui représentent 21 % de notre chiffre d’affaires, correspondent à celles qui furent respectivement l’apanage de la Société nationale d’étude et de construction de moteurs d’aviation (SNECMA) et de la Société d’applications générales d’électricité et de mécanique (SAGEM) : elles concernent, d’une part, les moteurs et les équipements militaires, analogues à ceux que nous fournissons pour l’aéronautique et le spatial civils, et, de l’autre, les équipements et les armements, dans des domaines aussi variés que l’optronique ou la navigation inertielle, avec des systèmes de taille moyenne mais sophistiqués, tels que les drones tactiques (Sperwer et Patroller), l’équipement FÉLIN – fantassin à équipement et liaisons intégrés – ou les missiles AASM – armement air-sol modulaire.

Je n’ai aucune légitimité pour juger si le projet de LPM répond ou non à nos ambitions en matière de défense et de souveraineté. En tant que citoyen, je dirais plutôt oui, mais de justesse ; et en tant que citoyen encore, je conçois que ce projet représente un effort important de la nation dans le contexte que l’on sait. En tout état de cause, je me bornerai à évoquer les enjeux industriels, en particulier pour Safran.

Nous sommes conscients de ce que Safran doit aux efforts consentis par le pays, en matière de défense, depuis vingt ou trente ans ; dès lors, on est en droit de se demander si le joyau qu’il représente sera toujours ce qu’il est, au regard des orientations du projet de LPM, dans quinze ou vingt ans. J’évoquerai la recherche et technologie, l’exportation et enfin le maintien en condition opérationnelle (MCO), même si ce dernier n’est guère abordé par le texte du projet de loi.

La sanctuarisation des 700 millions d’euros annuels dédiés à la recherche et technologie est une bonne chose, même si nous estimons que le noyau dur des besoins en la matière avoisine plutôt le milliard d’euros. Quoi qu’il en soit, compte tenu du niveau de la dépense, mieux vaut veiller à sa pleine efficacité. La vision doit à cet égard aller au-delà du projet de LPM, car le développement de certains produits peut prendre vingt ans. Le projet de LPM ne contient guère de nouveaux programmes, ce que nous déplorons tout en le comprenant ; reste que, en matière de recherche et technologie, l’efficacité suppose une feuille de route claire : on ne peut se permettre ni des financements tous azimuts, ni des fléchages trop stricts.

L’efficacité de la recherche et technologie passe aussi par la pérennité des compétences, travail long et coûteux : je doute fort, de surcroît, que le groupe soit en mesure de retrouver des compétences qu’il aurait perdues. En effet, former de jeunes ingénieurs en chef pour obtenir, les savoir-faire nécessaires peut prendre jusqu’à vingt ans. En toute hypothèse, Safran aurait peut-être les capacités de compenser, par son savoir-faire dans les activités civiles, une régression de ses compétences dans le domaine militaire ; mais seule une poignée d’ingénieurs est en mesure de travailler, par exemple, sur la signature infrarouge des moteurs, sujet exclusivement militaire malgré des liens possibles avec le civil. La perte de ces compétences se répercuterait donc sur les performances de nos systèmes d’armes.

Dans un contexte budgétaire contraint, le choix des thèmes est enfin essentiel : les démonstrateurs sont indispensables, mais les développer au détriment des technologies de base risquerait de provoquer des pertes de performances et de compétitivité irréversibles. Il n’y a pas de bons avions sans bon moteur, non plus que de bons systèmes d’armes sans bons capteurs. On m’objectera qu’il est toujours possible d’acheter ces matériels, mais alors ils ne répondraient pas toujours aux besoins. Le dialogue que nous avons avec le ministère et la DGA sur l’utilisation des 700 millions de crédits est fructueux, mais il deviendra plus stratégique encore dans le contexte actuel.

D’aucuns pourraient m’objecter que nos activités civiles sont suffisamment florissantes pour autofinancer la recherche et technologie, ce qui, dans une certaine mesure, est vrai sur le plan économique, mais pas sur le plan technique : sauf à transformer l’entreprise en laboratoire de recherche fondamentale, la recherche et technologie n’a de sens qu’à partir d’une idée des futures applications, lesquelles sont très souvent militaires – puisque, dans la grande majorité des cas, ce sont elles qui sont transposées dans le civil, plutôt que l’inverse. Je vous ai apporté deux aubages de turbine, l’un en métal et l’autre en céramique composite, matériau développé pour les tuyères de missiles balistiques M4. La différence de masse atteint un facteur 4. La taille croissante des moteurs dans l’aéronautique civile nécessitant des turbines de plus en plus élancées, énergétiquement plus performantes, ce type d’objet pourra être, dans un futur assez proche, un facteur de différenciation ; or il n’aurait pu voir le jour sans les recherches menées au sein d’un laboratoire dont Safran est coactionnaire avec l’université de Bordeaux et le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), bref, sans cette dualité entre le civil et le militaire.

Sans ouvrir le débat sur les drones de combat, le démonstrateur nEUROn est équipé d’un moteur Adour piloté par un calculateur, et la dernière version de ce moteur, qui fut celui de Jaguar, équipe le Hawk de British Aerospace Systems. Doit-on cependant orienter la recherche et technologie vers ce produit qui date des années soixante, ou vers la conception d’un nouveau moteur, qui requiert des capacités technologiques qu’aujourd’hui Safran n’a pas ? Sans doute peut-on, à l’heure actuelle, se passer d’un tel moteur ; cependant, si celui du Rafale nous permet d’avoir des capacités analogues à celles de nos concurrents et partenaires – General Electric, en l’occurrence –, ce ne sera plus vrai dans cinq ans. Le positionnement du groupe Safran dans le monde dépendra aussi de certains choix, s’agissant par exemple de la fabrication de drones de combat, s’il veut acquérir ces nouvelles capacités avec un déphasage limité à cinq ou dix ans.

Notre entreprise exporte 40 % de sa production de matériels de défense, secteur dans lequel le budget des pays émergents croît à un rythme d’environ 10 % par an. Nous entrons néanmoins dans une nouvelle phase de mondialisation, puisque ces pays vont se doter d’une industrie de défense. Quant au Rafale, je n’ai rien à ajouter ni à retrancher à ce qu’a dit M. Trappier devant votre commission. L’armement air-sol modulaire, qui a fait ses preuves en Libye et au Mali, et qui est peut-être sans équivalent dans le monde, avait représenté pour SAGEM un investissement autofinancé de plus de 140 millions d’euros, avec des perspectives d’exportation d’environ 10 000 armes et un plancher indicatif de 200 armes par an pour la France. Aujourd’hui, les exportations sont presque nulles, et le projet de LPM prévoit, sur la période visée, une livraison de 500 armes. Nous sommes fiers d’avoir développé ce système pour nos forces, mais il n’est pas loin de constituer un acte anormal de gestion ! Si l’on veut qu’il continue d’être un atout pour le Rafale, il faut l’exporter, ce qui suppose un effort à la fois diplomatique, industriel et économique. L’impact social, quant à lui, reste quantitativement limité, mais il est sensible, d’autant que nous avons fait le choix d’implanter une nouvelle usine dans une zone industriellement peu favorisée, à Montluçon, pour un investissement de 53 millions d’euros.

Dernier sujet d’interrogation : le MCO. Les moteurs des avions militaires, soumis à rude épreuve et très sophistiqués, nécessitent forcément un entretien lourd. Il faut aller plus loin dans les partenariats entre forces, services de l’État et industrie, malgré les progrès observés au cours des dernières années, par exemple, pour le moteur du Transall, les moteurs d’hélicoptère – qui font l’objet de contrats globaux, y compris avec le Royaume-Uni – ou celui du Rafale. Si l’outil industriel est globalement le même que dans le civil, les conditions d’utilisation et les contraintes opérationnelles d’entretien sont très spécifiques, ne serait-ce que par la proximité physique, parfois, des zones de combat. Sur 100 moteurs d’avion vendus, 6 moteurs de rechange le sont également dans le civil, contre 75 dans l’armée : ramener ce nombre à une cinquantaine de moteurs permettrait des économies considérables. J’entends parfois dire que l’achat de telle ou telle prestation auprès d’un industriel revient plus cher ; mais il faut envisager le coût global, au regard de l’efficacité. Les industriels ne cherchent pas davantage à compenser les baisses de vente de matériels neufs par la prestation de services : notre approche n’est pas mercantiliste, d’autant que le budget est contraint, et le sera de plus en plus. L’intérêt bien compris de tous est d’œuvrer à l’efficacité du système ; c’est là, non seulement notre devoir d’entreprise citoyenne, mais aussi l’un des rares leviers pour retrouver des marges.

À court terme, le projet de LPM devrait représenter un manque à gagner d’environ 150 millions d’euros par an pour Safran, montant « absorbable » au regard du chiffre d’affaires de 14 milliards – même si pour Sagem la perte devrait représenter 7 % du chiffre d’affaires –, et se traduire par quelque 500 emplois directs en moins – chiffre à multiplier par deux ou trois, bien entendu, pour l’ensemble de la « supply chain ». La situation est gérable, mais elle peut s’avérer plus difficile localement, comme à Fougères, Poitiers, Dijon ou Montluçon.

Pour le Rafale, tout dépendra des éventuelles exportations ; il en va de même pour nos produits. La baisse des commandes pour l’A400M représente également quelques centaines d’emplois en moins, notamment si l’on y ajoute la baisse des commandes des pays réunis dans l’Organisation conjointe de coopération en matière d’armement (OCCAr) dans la période de la LPM. Nous gérerons cette situation, je le répète, mais cela exigera un dialogue avec le ministère de la Défense et la DGA.

Le projet de LPM permettra-t-il à Safran de rester ce qu’il est dans dix ou vingt ans ? Si la future loi est exécutée avec intelligence et rigueur, je répondrai par l’affirmative ; mais la marge de manœuvre est nulle. Affirmer que la loi ne sera pas rigoureusement exécutée parce qu’elle ne l’a jamais été dans le passé serait un raisonnement un peu court, même si les contraintes budgétaires pèseront sans doute longtemps encore. La probabilité d’une exécution fidèle me semble donc peu élevée en l’absence de ressources exceptionnelles dédiées, même si je conçois que ce genre de décision soit difficile. L’enjeu, au-delà des seules capacités de défense, est le maintien d’une industrie d’excellence pour notre pays, industrie d’ailleurs nécessaire à la préservation de ces capacités.

Mme la présidente Patricia Adam. Notre commission veillera à la stricte exécution de la future LPM : nous avons eu l’occasion d’en débattre lors de la dernière Université de la défense à Pau. M. le ministre de la Défense a d’ailleurs pris lui-même un engagement ferme sur ce point, avec une clause de revoyure en 2015. Nous y serons vigilants, notamment à travers des missions d’information, même si je n’ai pas d’inquiétudes à ce sujet.

M. Joaquim Pueyo. Avec six autres industriels de la défense, vous avez signé dans Le Monde un article pour rappeler le Gouvernement à ses obligations sur l’exécution des programmes militaires, relevant qu’aucun d’entre eux, dans le passé, n’avait été pleinement exécuté.

Rapporteur pour avis sur les crédits alloués aux forces terrestres, je souhaite vous interroger sur le système FÉLIN. Pour 2013, 14 206 livraisons avaient été prévues : confirmez-vous ce chiffre ? Pour 2014, ce sont 18 000 équipements qui doivent être livrés.

Les retours d’expérience après les opérations en Afghanistan, voire au Mali, vous conduiront-ils à faire évoluer cet équipement ? Certains militaires, qui l’ont apprécié, m’ont aussi parlé de son poids, qui peut poser problème dans des pays chauds.

Enfin, envisagez-vous des exportations ? Certains députés belges, que j’ai rencontrés à Pau, semblent intéressés.

M. Jean-Paul Herteman. Aux termes du projet de LPM, il y aura quatre régiments équipés de FÉLIN en moins, soit un arrêt d’activité un an plus tôt. Cela touche évidemment l’usine de Fougères, qui a connu quatre reconversions industrielles au cours des trente dernières années : elle est aujourd’hui spécialisée dans la fabrication du système FÉLIN et l’électronique appliquée à la défense et à l’aéronautique civile, après l’avoir été dans la téléphonie mobile. Nous pourrons néanmoins gérer la situation.

Mme la présidente Patricia Adam. Qu’entendez-vous par là, exactement ? Les salariés de Fougères, je pense, seront attentifs à votre réponse.

M. Jean-Paul Herteman. En 2008, j’ai décidé l’arrêt de la production de téléphones mobiles, après trois ans de pertes cumulées atteignant 20 % du chiffre d’affaires, soit un montant équivalent à l’investissement dans un nouveau moteur d’avion civil ; nous ne représentions alors, dans ce secteur, qu’1 % du marché mondial, sans reconnaissance de marque ni capacité de différenciation. Bref, il fallait arrêter l’hémorragie. Nous avons alors décidé de reconvertir l’usine. Nous en avions une autre en Chine, dans laquelle le coût de fabrication unitaire des appareils téléphoniques était un peu moins élevé, même si l’implantation de l’ensemble de notre activité dans ce secteur n’aurait pas résolu l’équation. Reste que l’usine de Fougères était trois à quatre fois plus productive, et ses personnels impliqués de façon extraordinaire. Dans le cadre du management participatif, les industriels développent des systèmes de reconnaissance d’idées issues du terrain. L’usine de Fougères en était à onze idées primées - donc appliquées - par personne et par an, contre deux idées en moyenne dans le reste du groupe, dont j’essaie d’ailleurs d’obtenir le même niveau d’implication. Il était impossible de ne pas reconvertir ce trésor qu’est l’usine de Fougères. Ce ne fut évidemment pas simple – certains salariés ont subi du chômage partiel –, mais la transition s’est faite en l’espace de dix-huit mois, et elle a été une réussite. Nous devrons trouver des relais d’activité, même si le changement ne sera pas de même ampleur. J’ajoute que, si Safran a l’image d’une société d’ingénieurs, hautement technologique, le personnel de l’usine de Fougères est composé pour beaucoup de femmes, souvent non titulaires du baccalauréat.

Même s’il appartient aux militaires d’en juger, le retour d’expérience de FÉLIN me semble globalement très positif. Les outils de communication sur le terrain sont un atout essentiel, et la capacité à voir sans être vu procure un avantage décisif. Tout système, bien entendu, est évolutif et susceptible de progrès. Il existe des perspectives pour l’exportation : celle que vous avez mentionnée et d’autres, mais cela suppose un effort collectif.

M. Jean-Jacques Candelier. On évoque l’arrêt de la production du système de drone tactique intérimaire (SDTI) en 2015 ou 2017 : pourriez-vous nous en dire plus ? Quelles sont les spécificités du système qui lui succédera ? Quelles sont les perspectives de livraison d’ici à 2019 ?

M. Jean-Paul Herteman. La phase de production, et, à moyen terme, d’opération du SDTI arrive effectivement à son terme. Ce système sera remplacé par un drone de capacité supérieure, et Safran se positionne avec un produit original et intelligent, baptisé « Patroller » : nous espérons donc lui trouver des débouchés. La France, rappelons-le, avait été le cinquième ou sixième client pour le SDTI. Safran n’est pas positionné actuellement sur le développement d’appareils plus complexes, par liaison satellite (type MALE). Cependant, le drone Patroller, d’un poids d’environ une tonne, guidé par une liaison radio VHF -, dispose d’une endurance de vol allant jusqu’à tente heures et d’une capacité de vol à une altitude de 25000 pieds. Sa plateforme est tout simplement un planeur motorisé fabriqué en Allemagne – leader pour ce type d’appareils –, équipé d’un système optronique, de contrôle de mission et d’évitement automatique des obstacles. Ce drone peut être utilisé pour des activités civiles telles que la surveillance de frontières ou l’observation d’incendies.

M. Philippe Folliot. Enfin, l’Airbus A400M vole, après toutes les difficultés rencontrées avec le TP400 dont il faut rappeler qu’il est, à ce jour, le plus gros turbopropulseur fabriqué dans le monde occidental. Cette prouesse technologique, d’abord conçue pour un usage militaire, peut-elle trouver des débouchés dans le civil ? Elle dispose en effet de la double certification, ce qui a d’ailleurs entraîné quelques retards et surcoûts.

Même si l’on parle beaucoup de l’Europe de la défense, des partenariats existent entre industriels nationaux, dans des domaines tels que les centrales inertielles ou l’optronique. Quels rapprochements peut-on envisager pour améliorer encore la compétitivité ? Y a-t-il des stratégies industrielles en ce domaine ?

M. Jean-Paul Herteman. Le moteur de l’A400M est une prouesse non seulement technique, mais aussi géopolitique. Son logiciel de contrôle, à l’origine des difficultés que vous évoquez, a reçu la double certification civile et militaire ; sa fabrication avait été, pour des raisons politiques, confiée à l’industrie allemande, qui n’avait aucune expérience en la matière : cette décision fut sans doute une bonne chose pour l’Europe, mais il ne faut pas s’étonner que la fabrication ait pris du temps, d’autant que ce logiciel est quatre fois plus complexe que celui de l’Airbus A380, qui était lui-même, jusqu’alors, le plus complexe jamais fabriqué.

La création d’une structure commune, dans laquelle nous partageons le capital avec nos partenaires allemands et dont nous assurons le contrôle opérationnel, a permis non seulement de régler à l’amiable les litiges avec Airbus, mais aussi de maintenir les emplois et l’activité à Munich. Au total, l’Europe de la défense, dans sa composante industrielle, a donc progressé, malgré un parcours un peu chaotique. Les avionneurs ne s’étaient d’ailleurs pas privés de dire que nous étions sur le chemin critique du programme, sans rappeler que nous n’étions pas forcément les seuls…

Le moteur de l’A400M est d’une puissance de 11 000 chevaux ; les turbopropulseurs ne permettent pas des vols aussi rapides et à aussi haute altitude que les turboréacteurs, mais ils ont une bien meilleure efficacité énergétique : tout porte donc à croire qu’ils auront des applications civiles, sur des avions effectuant des trajets plus courts – avions de transport régional et même de gamme un peu supérieure –, ce qui marquerait le retour de l’hélice… La puissance d’un moteur pour un avion de 100 à 130 passagers, par exemple, doit être de 6 000 chevaux, si bien qu’un seul moteur de 11 000 chevaux serait suffisant, mais pas forcément accepté en termes de sécurité. Il n’y a donc pas de perspectives civiles pour l’heure, mais cela viendra peut-être un jour pas trop lointain.

Les regroupements industriels peuvent être une solution, dans une certaine mesure, comme l’illustre l’exemple de l’optronique, pour laquelle les groupes Thales et Safran ont tous deux des compétences. Nous disposions, avec Thales et Areva, d’un laboratoire commun, issu du CEA/Leti. Thales et Safran avaient aussi chacun son propre laboratoire. Aujourd’hui, il n’existe plus qu’un seul laboratoire, détenu à parts égales par Thales et Safran. Les équipes de chercheurs ont adhéré à ce projet, qui fait de la France l’un des trois pays au monde, avec les États-Unis et Israël, à disposer de telles compétences dans le domaine des détecteurs infrarouges – le Royaume-Uni, l’Italie et l’Allemagne en ont aussi, mais pas au même niveau. Cette réalisation marque un progrès important, même si elle ne fait pas la une des journaux.

Si notre taux de pénétration du marché est très supérieur à celui de Thales dans l’entrée de gamme de l’optronique, cette tendance est inversée dans le haut de gamme ; dans le milieu de gamme, en revanche, nos deux entreprises se partagent à peu près également le marché. La compétition étant un peu dépassée dans le contexte actuel, nous avons décidé de nous associer pour répondre aux appels d’offre français et internationaux. Nous avons mis un peu de temps à accorder nos violons, mais cela avait des implications sociales, techniques et financières importantes. Reste que nous attendons toujours la première commande… Nos discussions avec la DGA inclinent à l’optimisme, s’agissant en particulier d’un programme d’études amont (PEA) sur une boule de quatrième génération. Bref, nous progressons, mais les industriels ne décident pas toujours du « timing ».

M. Yves Fromion. Votre partenariat avec General Electric avait permis la fabrication des turboréacteurs CFM56 : avez-vous d’autres perspectives de ce type, notamment au sein de l’OTAN ? Cela permettrait peut-être de surmonter les difficultés que vous avez rappelées au sujet de l’Adour ou de développer de nouveaux produits, et consoliderait le retour de notre pays au sein du commandement intégré de l’Alliance.

M. Jean-Paul Herteman. Le CFM56, fruit d’un partenariat transatlantique exemplaire, est une réussite exceptionnelle. Notre grande fierté est d’avoir réussi la transition entre les différentes générations de ce moteur, dont la première version avait vu le jour après d’âpres négociations au plus haut niveau politique – la technologie alors apportée par General Electric n’était autre que celle du cœur à haute pression du bombardier Rockwell B-1 –, conclues à Reykjavik en 1973. Ce moteur, devenu le plus vendu de l’histoire de l’aviation, assure aujourd’hui un décollage toutes les deux secondes. Près de quarante ans plus tard, il nous fallait concevoir un nouveau modèle, le LEAP, qui consomme 15 % d’énergie en moins. Il a été conçu en partenariat avec General Electric, dans les mêmes conditions, et nous en avons déjà vendu 5 500, pour une livraison prévue en 2016 : le succès s’annonce donc au rendez-vous. Le moteur a d’ailleurs effectué ses premières rotations, et atteint la poussée maximale au décollage il y a quelques jours. Technologiquement révolutionnaire, il nous a conduits à investir dans de nouvelles usines, dont une située en Lorraine – sur les lieux naguère occupés par le 61e régiment d’artillerie –, qui produira des aubes de soufflante en matériaux composites tissés en trois dimensions.

Nous avons conclu d’autres partenariats de moindre ampleur, avec des industriels russes, ainsi qu’un autre, amené à se développer, dans le domaine militaire, avec Rolls-Royce. Chacun se souvient de la concurrence entre le M88 de la SNECMA, équipant le Rafale, et le J200 de Rolls-Royce, équipant l’Eurofighter, le seul point d’accord étant, a-t-on coutume de dire, que rien n’est négociable. Les deux groupes s’associeront néanmoins sans difficulté pour équiper un futur drone ou avion de combat européen, moyennant un partage réaliste et équitable des tâches, comme ce fut le cas pour le moteur de l’A400M, à la fabrication duquel furent aussi associés un groupe allemand et un groupe espagnol.

Nous venons par ailleurs de racheter, après des négociations de quelques mois, la participation de 50 % de Rolls-Royce dans le programme de turbines équipant le NH90. Le groupe britannique a en effet souhaité se désengager de cette ligne de produits, et Eurocopter avait besoin d’un nouveau moteur. L’Europe industrielle de la défense progresse, mais elle dépend évidemment du lancement de nouveaux programmes.

M. Jacques Lamblin. La réussite de Safran, avez-vous indiqué, repose sur une synergie entre les domaines militaire et le civil, les avancées technologiques dans le premier permettant les différenciations dans le second. Sur quelle production les restrictions prévues dans le projet de LPM auront-elles le plus d’impact ? Par ailleurs, comment se déroule l’implantation de votre usine dans la Meuse ?

M. Daniel Boisserie. Quelles sont, au regard du projet de LPM, vos perspectives en matière de coopération avec les PME françaises ?

Avez-vous eu des retombées positives des récents succès opérationnels de l’armée française ?

M. Jean-Paul Herteman. Si, par malheur, la LPM n’était pas rigoureusement exécutée, Safran se verrait d’abord touché dans son cœur d’activité, les moteurs d’avion.

Dans l’acronyme « CFM56 », les lettres « CF » désignent le « Commercial fan », marque originelle de General electric, et « M56 » renvoie à l’avant-projet développé par la SNECMA. Ce moteur associe donc une idée de la SNECMA à la technologie de partie chaude, que nous ne maîtrisions pas à l’époque, du bombardier B-1. Sans le moindre transfert de technologies, selon les conditions imposées par le Gouvernement américain d’alors, Safran a acquis les capacités de produire les parties chaudes du CFM56 : cela a son intérêt dans un partenariat équilibré, même si General electric continue d’assurer cette fabrication. Nous ne serions pas en mesure, en revanche, de fabriquer les parties chaudes du moteur qui succédera au CFM. Un décalage de quelques années avec le premier industriel mondial du secteur n’est pas un drame, d’autant que le partenariat sur le CFM a été prolongé jusqu’en 2040 ; mais si la LPM, dans sa dimension recherche et technologie, n’est pas pleinement exécutée, il y a fort à parier que Safran perdra à jamais ses capacités à développer cette nouvelle technologie, ce qui creuserait une faille profonde entre lui et son partenaire.

L’usine installée dans la Meuse doit ouvrir ses portes à la fin de 2014, les premières livraisons étant prévues au début de 2016. Elle emploiera 400 personnes, et les premiers recrutements ont déjà commencé. Même si notre partenaire est américain, les métiers à tisser, alsaciens, sont de la marque Stäubli.

Safran sous-traite aux PME environ 70 % de son volume de production, et s’efforce de le faire dans le cadre de partenariats durables. Des progrès sont possibles : associer les PME plus en amont dans le développement des produits, par exemple, nous permettrait de mieux profiter de leurs capacités d’innovation. Notre partenariat avec General electric concerne les gros moteurs qui équipent les Boeing 777 d’Air France. Ces moteurs sont dotés d’aubes de soufflante en matériaux composites – moins sophistiquées que celles qui seront produites dans la Meuse – qu’une seule société au monde, installée à Marmande, est capable de produire. Les PME de l’aéronautique civile ont connu des difficultés, en termes de trésorerie comme de recrutement. Aussi souhaitons-nous nous associer à l’apprentissage, en finançant l’accueil, au sein de notre groupe, de jeunes venus des PME : jusqu’à une époque récente, la loi l’interdisait, mais c’est désormais possible.

M. Frédéric Lefebvre. Vos propos laissent transparaître une inquiétude, sans doute tempérée par votre optimisme, par rapport au projet de LPM, à l’exécution de laquelle nous serons très vigilants. Pourriez-vous nous indiquer, sur ce point, les étapes qui vous semblent essentielles pour préserver l’avenir de votre entreprise ? Quels projets entendez-vous développer à l’exportation, dans le domaine civil, pour compenser le manque à gagner de 150 millions d’euros par an dont vous avez parlé ? Quelles assurances avez-vous reçues de Bercy à ce sujet ? Rappelons qu’avec 27 000 salariés hors de nos frontières, votre groupe est une vitrine de la France à l’étranger.

M. Olivier Audibert-Troin. L’État a annoncé son intention de se désengager du capital de certaines entreprises. Avez-vous entamé des discussions avec lui, sachant qu’il détient 27 % du capital de Safran, et une proportion similaire de droits de vote ? Dans l’affirmative, quels seraient les risques, pour Safran, d’un tel désengagement et d’une entrée de certains actionnaires étrangers dans son capital ?

M. Jean-Paul Herteman. Il est important que le contrôle parlementaire sur l’exécution de la future LPM s’exerce. Safran a une sensibilité toute particulière au domaine de la recherche et technologie : la sanctuarisation des crédits qui y sont consacrés et la pertinence des plans d’action lui sont donc essentielles. Doit-on, par exemple, se préparer à la fabrication d’un drone de combat ? Si oui, faut-il l’envisager à partir des technologies les plus performantes ? Les principales questions, pour notre entreprise, concernent donc la préparation de l’avenir.

Le manque à gagner dont j’ai parlé ne représente guère plus d’1 % de notre chiffre d’affaires : il ne cassera donc pas la dynamique du groupe. Nous nous efforcerons de le compenser, non seulement par le développement d’activités civiles, mais aussi par l’exportation de matériels de défense. Pour des raisons technologiques, il serait en effet imprudent de faire passer la part de nos activités de défense sous le seuil des 20 %. La principale difficulté est de cibler au mieux les pays en développement et amis.

Pour le civil, nous avons un plan de développement agressif sur l’électrification des avions, dont nous estimons qu’elle concernera d’abord le roulage au sol. Un prototype d’Airbus A320 roulant sans utiliser les moteurs principaux a été présenté lors du dernier salon du Bourget ; cette technologie, qui entrera en service dès 2016, permettra d’économiser 5 % de carburant sur un trajet Paris-Toulouse, sans compter les bénéfices en termes de bruit et de pollution. Pour des raisons d’accès au marché et de complémentarité technologique, ce projet est conduit en partenariat avec la société américaine Honeywell. Nous avons beaucoup d’autres idées de ce genre.

En tant qu’actionnaire, l’État adhère pleinement à cette politique d’investissements – près de deux milliards d’euros en recherche et développement, autofinancés à 70 %, et de 500 à 600 millions en investissements industriels –, dont il engrange les dividendes à hauteur de 27 %, sur un total de 400 millions distribués cette année. Les discussions avec Bercy, en matière de réflexion stratégique, sont donc de très bonne qualité.

L’État s’est déjà partiellement désengagé de Safran, puisque sa participation a été ramenée de 30 à 27 %. Le marché a bien accueilli cette opération, après laquelle l’action est très vite repartie à la hausse. L’État n’a pas à m’informer de ses intentions ; s’il le faisait, je devrais à mon tour informer l’ensemble des actionnaires.

Je rappelle que notre capital est détenu à 27 % par l’État – qui dispose de 30 % des droits de vote, seuil au-dessus duquel il serait tenu de faire une offre publique d’achat –, et à 15 % par les salariés, qui disposent pour leur part de 24 % des droits de vote, ce qui fait de notre groupe le deuxième, en France, au regard de l’actionnariat salarié, le premier étant Bouygues. Le reste du capital, flottant, appartient à des actionnaires internationaux ; mais il ne faut évidemment pas y voir une prise de contrôle rampante. J’ajoute que des conventions protègent les intérêts de l’État souverain, client et agent de politique industrielle, dans le secteur de la défense, notamment pour ce qui concerne la dissuasion. Un décret de 2005 donne également au Trésor un droit de regard, validé par l’Union européenne, sur les investissements étrangers dans les industries comme la nôtre. Ce texte est analogue, bien que moins contraignant, au Control of foreign investments in the United States (CFIUS). Il ne m’appartient pas de me prononcer à la place des actionnaires, bien entendu, mais un désengagement partiel de l’État n’entraînerait pas de risques particuliers pour le pays, ni pour les personnels du groupe.

Mme la présidente Patricia Adam. Merci, monsieur le président, pour cette audition éclairante et fructueuse.

*

* *

Ÿ M. Gérard Amiel, président de Renault Trucks (mardi 17 septembre 2013)

M. Gérard Amiel, président de Renault Trucks Defense Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de m’offrir l’occasion de m’adresser à la commission de la Défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale. La loi de programmation militaire (LPM) a en effet une incidence particulièrement importante sur les matériels qui seront livrés aux armées, mais aussi sur le tissu industriel français et le maintien de la base industrielle et technologique de défense.

Le groupe Renault Trucks Defense est une filiale du groupe Volvo et s’appuie sur trois fournisseurs historiques de l’armée française : les Ateliers de Constructions Mécaniques de l’Atlantique (ACMAT), Renault Trucks Defense et Panhard. Afin d’illustrer la force du lien entre Renault Trucks Defense et l’armée de terre, je vous citerai un seul chiffre. Pendant l’opération Serval, 95 % des véhicules, des camions ou des engins blindés engagés provenaient de l’une de nos usines françaises : de Renault Trucks Defense pour les véhicules de l’avant blindés (VAB), les camions, les véhicules blindés de combat de l’infanterie (VBCI) et le camion équipé d’un système d’artillerie (CAESAR), particulièrement mobiles ; de Panhard pour les véhicules blindés légers (VBL), les petits véhicules protégés (PVP), les véhicules de patrouille des forces spéciales et les blindés légers (ERC90) ; et enfin d’ACMAT pour les véhicules légers de reconnaissance et d’appui (VLRA) et les Bastion.

Renault Trucks Defense réalise l’intégralité de sa production en France et emploie directement 1 500 personnes réparties sur sept sites, dont cinq sites industriels, en s’appuyant sur un réseau dense de petites et moyennes entreprises (PME) qui représentent 3 000 emplois et assurent le dynamisme de ces territoires.

J’ajoute que nous investissons beaucoup pour développer de nouvelles gammes de produits et travaillons, par exemple, dans le domaine des blindages, notamment pour les VAB Ultima, afin d’offrir à nos clients, et particulièrement à l’armée de terre française, le meilleur standard en termes de protection. En matière de recherche amont, nous nous appuyons sur les compétences du groupe Volvo, notre maison mère, pour proposer des solutions de propulsion hybride ou des solutions de soutien innovantes.

Par ailleurs, notre activité est aussi tournée vers l’international. Notre marque ACMAT est le principal partenaire des pays de la zone sahélienne. Et depuis le déclenchement de la crise malienne, nous avons livré plus d’une centaine de véhicules VLRA et Bastion aux pays de cette région. Nous avons, par exemple, équipé de VLRA et de PVP l’un des tous premiers bataillons de l’armée malienne formé par la Mission européenne d’entraînement au Mali (EUTM Mali). Nous avons également enregistré des succès pour Renault Trucks Defense et ACMAT dans plusieurs pays d’Asie, d’Europe et du Moyen-Orient.

Ces succès sont intimement liés à l’image que projette l’armée française dans de nombreux pays via ces opérations et montrent également, que contrairement à ce que l’on peut entendre parfois, la France n’est pas condamnée à laisser la primauté en matière d’industrie de l’armement terrestre à l’Allemagne ou aux États-Unis. Une autre voie, garantissant des emplois en France, est ainsi possible et l’armement terrestre a aujourd’hui toute sa place au sein de la base industrielle et technologique de défense, ce qui n’a pas toujours été le cas.

À ce titre Renault Trucks Defense participe avec ses trois gammes de matériels à la souveraineté de la France en demeurant un partenaire attentif aux besoins du client national.

Mon enthousiasme quant aux perspectives de Renault Trucks Defense doit toutefois être tempéré en raison des orientations du projet de loi de programmation militaire, aujourd’hui soumis à l’examen du Parlement.

J’ai lu avec beaucoup d’intérêt les documents publiés sur ce sujet et je ne peux donc qu’être assez réservé sur les options qui ont été prises par cette LPM, tout en mesurant les contraintes budgétaires qui pèsent sur les finances publiques et, si j’ai bien noté, l’effort de croissance des budgets d’équipements envisagé durant les prochaines années.

Les ambitions dans le domaine terrestre me semblent pour autant fortement réduites alors même que les retours d’expérience de l’opération Serval montrent, s’il en était encore besoin, toute l’importance des équipements terrestres. Nous avons devant nous cinq années blanches, une vraie traversée du désert ! Pourtant, le rapport d’information de cette commission relatif à la revue capacitaire des armées, pointait du doigt des insuffisances. Je cite : « les moyens de combat médians (VAB, AMX 10RC et ERC90) restent en revanche un sujet de forte préoccupation en raison de leur âge et de leur obsolescence ». Mais en tant qu’industriel, je vais rester dans mon rôle et souligner en premier lieu l’impact sur l’économie et sur l’emploi.

Pour ne citer qu’un exemple, dans le domaine des blindés, la loi de programmation en cours de discussion prévoit la livraison de 102 VBCI et de 92 véhicules blindés multi rôles (VBMR), alors que la précédente prévoyait la livraison de plusieurs centaines de VBCI et près d’un millier de PVP ! Vous comprenez au regard de l’écart entre ces deux chiffres que la LPM 2014-2019 aura un impact négatif sur l’activité des entreprises de notre secteur et sur l’emploi. Pour vous donner un ordre d’idée précis, nous réalisions un chiffre d’affaires de l’ordre de 300 millions d’euros avec le ministère de la Défense, il y a quatre ans. Ce volume d’activité est tombé à 180 millions d’euros cette année, ce qui se traduit par un impact en équivalent emploi direct de 250 personnes et de près de 500 personnes chez nos fournisseurs !

Nous avons réussi à compenser avec l’exportation, mais il ne faut pas croire aux miracles. Si le volume de l’activité devait encore se dégrader, cela aurait des conséquences sur l’emploi avec un risque très fort sur la pérennité des emplois en France. Ainsi, Panhard, que nous avons racheté l’année dernière et dont le carnet de commandes en France et à l’exportation est réduit, suscite bien des inquiétudes à partir de 2014.

Soulignons, en matière d’exportation, que nous ne sommes pas beaucoup soutenus par le système financier français : la Coface met plusieurs semaines à répondre positivement à nos sollicitations, ce qui est incompatible avec nos contraintes de délais. Par ailleurs, les banques françaises montrent une grande frilosité à l’égard de certains pays et ce sont en dernier ressort les banques allemandes qui disposent des outils les plus performants pour soutenir une entreprise de taille intermédiaire.

Pour revenir à la loi de programmation militaire, et au-delà de la problématique capacitaire des armées, nous devons avoir le courage d’explorer toutes les possibilités à notre disposition pour maintenir une activité et préserver les emplois. Les conséquences prévisibles de cette loi doivent donc nous interpeller quant au paysage industriel français mais aussi quant à la répartition des rôles dans le domaine du soutien entre les armées et l’industrie et le soutien à l’exportation.

Quelles sont les solutions et les perspectives ?

Je commencerai par le paysage industriel. Renault Trucks Defense a déjà beaucoup contribué à pérenniser le savoir-faire français dans ce domaine, en reprenant ACMAT en 2006, puis Panhard en 2012. Chacune de ces opérations a été conduite dans le respect de la sauvegarde des sites industriels, et donc de l’emploi, mais aussi celui de la préservation des compétences spécifiques, gage de la crédibilité de ces différentes marques. Panhard dispose par exemple d’un savoir-faire unique dans le domaine des blindés amphibies, alors qu’ACMAT est le spécialiste du véhicule de patrouille en zone désertique.

Cette évolution du paysage industriel doit se poursuivre, pour donner à la France les meilleures chances de conserver ses compétences et ses emplois. Au travers du remplacement du VAB par le VBMR, une alliance, dont les modalités restent à définir, doit être trouvée entre les deux derniers grands acteurs du terrestre, Renault Trucks Defense et Nexter. Le programme VBMR doit devenir structurant pour l’armement terrestre français avant de penser européen.

J’entends aujourd’hui des rumeurs dans la presse concernant un rapprochement de Nexter avec un industriel allemand. Cela me paraît prématuré et risqué. Nous devrions plutôt réunir nos forces au niveau français car Renault Trucks Defense et Nexter sont très complémentaires. Une fois unis, nous serions alors davantage en mesure de mener des opérations de rapprochement avec des acteurs européens.

Ainsi que je l’ai déjà indiqué, si le paysage industriel demeure inchangé pendant les cinq années de traversée du désert que nous impose le volet industriel de la loi de programmation, il faut s’attendre à des conséquences graves sur la pérennité des sites, sur l’emploi et sur le maintien des compétences industrielles. Je ne veux pas jouer les Cassandre, mais la représentation nationale doit avoir cet élément bien à l’esprit. Sans volonté politique de faire évoluer le statut de Nexter, l’armement terrestre français est condamné à voir ses perspectives s’assombrir.

Néanmoins, le domaine du soutien des forces peut contribuer à atténuer les conséquences négatives de la loi de programmation militaire. Il s’agit d’un domaine dans lequel nous travaillons depuis une dizaine d’années en partenariat avec les différents services de l’armée, notamment la structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres (SIMMT), avec laquelle nous entretenons d’excellentes relations. Ce partenariat a permis de transférer une partie de la charge du soutien à l’industrie, tout en offrant aux armées l’opportunité de se recentrer sur leur cœur de métier, l’opérationnel.

Ce partenariat doit être poursuivi. Renault Trucks Defense a notamment repris l’ancienne base de soutien du matériel de Fourchambault, dans la Nièvre, afin d’assurer la réparation des VAB. En cinq ans, 150 emplois directs ont été créés sur ce site ainsi qu’un nombre encore supérieur d’emplois induits qui, ensemble, permettent de pérenniser une activité industrielle dans une zone économique sensible. Les compétences de ce site ayant été validées, nous avons entrepris de diversifier ses activités, en lui confiant la réalisation de caisses de blindés pour l’exportation. L’exemple de Fourchambault pourrait être étendu à d’autres bases de soutien, si, bien entendu, les armées poursuivent le processus d’externalisation.

Enfin, et pour conclure cette intervention, l’État peut également nous aider de diverses manières dans le domaine de l’exportation. Il le fait déjà grâce à la direction du développement international de la direction générale de l’armement (DGA) qui soutient nombre de nos projets. Mais l’État peut également soutenir nos actions à l’exportation en commandant des matériels en petites quantités, ce qui permet d’obtenir un label « en service dans l’armée française » et encourage des pays alliés à se doter également des mêmes équipements. Cette solution a l’avantage d’apporter une solution à la quadrature du cercle consistant à maintenir, tout en limitant les budgets d’équipement, les industries et leur capacité d’innovation par les ventes à l’export dans l’attente de programmes nationaux pour lesquels des matériels seront prêts sur étagère.

Je voudrais citer un exemple. Le groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN), reconnu dans le monde entier pour son savoir-faire, n’a pas réussi à obtenir un budget pour acheter deux de nos véhicules équipés d’échelle d’assaut ! Pourtant cela lui aurait été bien utile pour l’accomplissement de ses missions tout en représentant une magnifique vitrine pour nos produits, tant ce groupe spécialisé bénéficie d’une véritable aura internationale.

Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, j’ai voulu brosser un tableau aussi objectif que possible des conséquences de cette future loi de programmation militaire. Je reste convaincu que sans évolution du paysage industriel français, c’est-à-dire sans un rapprochement entre Nexter et Renault Trucks Defense, les perspectives de l’armement terrestre sont assez sombres.

Je suis prêt à répondre à vos questions.

Mme la présidente Patricia Adam. Je vous remercie de cette présentation sincère. Notre commission a déjà évoqué à plusieurs reprises la question de l’avenir de Nexter, dès la précédente législature.

M. Jean-Jacques Candelier. Le Livre blanc a fixé un cap clair : le nombre de véhicules terrestres sera réduit de moitié, et vous nous avez dit les inquiétudes que cela vous causait, dans la mesure où l’exportation ne suffira pas à compenser cette perte d’activité. L’aide de l’État est donc nécessaire. Quelles sont les perspectives concernant le VBMR ?

M. Joaquim Pueyo. Lorsque vous indiquez que votre chiffre d’affaires risque de connaître une baisse de l’ordre de 20 %, tenez-vous compte des importants investissements prévus dans le cadre du programme Scorpion ?

S’agissant de vos liens avec Nexter, vous avez signé en 2011 un accord de partenariat qui court jusqu’en 2013 : sera-t-il renouvelé ?

Enfin, le président du Conseil des industries de défense (CIDEF) a jugé irréaliste la livraison dès 2018 des VBMR : qu’en pensez-vous ?

M. Gérard Amiel. La réduction de 50 % du nombre de véhicules terrestres a en effet un impact majeur sur notre activité, impact que les exportations ne suffiront pas à compenser. La perte de chiffre d’affaires, donc de richesse nationale, est inévitable.

Notre gamme est particulièrement large : elle va de véhicules de trois tonnes et demi à quarante-deux tonnes. Un tel éventail est quasiment unique dans le paysage industriel et il ne lui manque que les produits de Nexter pour être complet. Dans cette gamme, le secteur des véhicules destinés aux forces de sécurité urbaines connaît une croissance forte partout dans le monde, et Renault Trucks Defense est en avance sur ses concurrents, y compris américains. Nous produisons aussi des solutions de protection blindée pour les véhicules militaires.

Pour ce qui est de Scorpion, c’est un programme de toute première importance : s’il n’existait pas, nous n’aurions plus rien. Le problème, c’est l’étalement de ce programme dans le temps et la réduction des volumes de commandes, qui crée une sorte de trou d’air dans notre activité entre la fin de la livraison des VBCI en 2014 et le début de celle des VBMR, officiellement à partir de 2018.

Plus largement, la baisse de 20 % de notre chiffre d’affaires que j’évoquais résulte non seulement des modifications affectant les grands programmes d’armement, mais aussi de la réduction du marché de la maintenance des véhicules. Les crédits consacrés à la maintenance sont en effet sous forte pression, y compris pour les matériels qui ont été rapatriés d’Afghanistan. Ainsi, 850 véhicules de l’avant blindés (VAB) sont en attente de réparation sur les parkings de l’armée de terre…

S’agissant de nos relations avec Nexter, l’accord signé en novembre 2011 en vue de présenter une offre commune pour le VBMR avait été conclu pour une durée qui nous semblait, à l’époque, largement suffisante car les appels d’offres devaient être imminents. Il en a été autrement. Mais en tout état de cause, notre partenariat avec Nexter a vocation à durer. Par ailleurs, les modifications du programme VBMR supposent un recalibrage des rôles entre Nexter et nous, ainsi qu’avec d’autres industriels.

Le président du CIDEF juge que les délais prévus pour le programme VBMR sont courts, avec un appel d’offre lancé en 2014 pour des livraisons à compter de 2018. Pour lui, la conduite d’un tel programme demanderait plutôt huit à dix ans, comme cela a été le cas pour le VBCI. En effet, il est difficile d’imaginer une mise en production industrielle – pas seulement des prototypes – avant 2020, ce qui ne fait qu’aggraver le « trou d’air » dans notre plan de charges : il y aura plusieurs années de traversée du désert. Pour y faire face, il nous faut développer de nouveaux produits destinés à l’export, adaptés à chaque fois aux contextes locaux.

M. Alain Moyne-Bressand. La LPM ne rend pas très optimiste… Globalement, comment se porte Renault Trucks Defense ? Quelles sont vos relations avec Volvo ? L’acquisition de Panhard visait-elle à développer des synergies ? Quel est votre taux de dépendance à l’exportation, et quels sont vos principaux clients internationaux ?

M. Christophe Guilloteau. Avez-vous fusionné purement et simplement avec Panhard, ou Panhard reste-t-il une entité autonome ? Quant aux montants que vous donnez pour votre chiffre d’affaires, y incluez-vous l’ensemble de votre groupe, ou seulement Renault Trucks Defense ?

M. Gérard Amiel. Notre activité est ancienne : elle remonte au temps de Renault véhicules industriels, et nous avons agrégé au fil des ans plusieurs constructeurs, ce qui explique que vous pouvez voir les plus anciens de nos véhicules défiler le 14 juillet sous différentes marques, comme Berliet.

L’activité « défense » a été filialisée au sein du groupe Volvo, avec une structure juridique propre, depuis le 1er juin 2011.

À cette date, nous réalisions 250 millions d’euros de chiffre d’affaires, contre 500 millions en 2013, celui de Panhard compris, qui compte pour 80 millions d’euros dans ce total. En 2011, l’exportation représentait 5 % de notre chiffre d’affaires, contre 60 % en 2013. Cela s’explique principalement par la baisse des commandes françaises.

Il faut toutefois souligner que le maintien de commandes françaises est un indispensable levier pour développer nos exportations : en effet, l’image de nos véhicules est donnée par leurs utilisateurs français, qui savent les faire valoir, par exemple, à l’occasion de manœuvres conjointes avec d’autres forces.

Or les contraintes budgétaires conduisent l’armée de terre à conserver des véhicules obsolètes, comme les VAB, que nous ne commercialisons plus. Il faudrait que la France acquière, même en petites quantités, nos matériels les plus récents pour faciliter leur exportation. « Utilisé par les armées françaises » constitue un bon label à l’international…

S’agissant de la société Panhard, nous l’avons acquise dans une optique de rationalisation. Or le plan de charge de cette société a été affecté par plusieurs décalages de commandes françaises, sans qu’elle ait eu le temps de développer des modèles destinés à l’export afin de compenser la réduction du marché national. Nous devrons donc soutenir cette société quelque temps. Si nous l’avons acquise à 100 %, nous lui conservons une identité juridique à part jusqu’au 1er janvier 2015, date à laquelle elle sera intégrée dans une structure juridique unique. Celle-ci permettra d’éviter certaines redondances, mais nous conserverons tout de même la marque Panhard, comme nous avons conservé la marque ACMAT. Cette marque est en effet appréciée de certains utilisateurs, notamment en Afrique, où les Tchadiens ont engagé le Bastion, son best-seller, au Mali : désormais, toutes les forces de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) se disent désireuses de s’équiper du Bastion d’ACMAT.

M. Yves Fromion. Je voudrais vous interroger sur votre stratégie industrielle, qui dépend du groupe Volvo et d’actionnaires américains. Que comptez-vous faire avec Nexter, dans laquelle l’État français a des participations ? Votre groupe a-t-il déjà fait une proposition d’acquisition ?

M. Philippe Folliot. Je voulais tout d’abord vous remercier pour vos propos clairs, directs et sans langue de bois.

Ma question porte aussi sur votre stratégie industrielle : quelle est la nature des relations entre votre entité et vos actionnaires ? Est-ce que le groupe vous soutient dans vos stratégies d’acquisition ou devez-vous le faire sur vos fonds propres ?

Par ailleurs, qu’envisagez-vous avec Nexter ? Une fusion absorption « par le haut » ou simplement des coopérations techniques ou commerciales plus poussées, à l’image de ce que font aujourd’hui Thales et Safran ?

M. Gérard Amiel. Nous discutons avec Nexter depuis plus d’une dizaine d’années. Nos dernières discussions, qui portaient sur notre entrée au capital, datent de 2011. Elles ont naturellement été menées à trois, avec le groupe Volvo, le gouvernement français et Nexter.

Il existe en fait deux freins à cette acquisition.

Le premier est que, s’agissant d’un secteur stratégique, l’État souhaite conserver un contrôle de Nexter. Un rachat ne peut donc se faire dans les mêmes conditions que celui d’une entreprise privée, comme Panhard.

Le groupe Volvo est tout à fait favorable à cette stratégie car il souhaite développer Renault Trucks Defense. Pour répondre plus précisément à votre question, le rachat de Panhard a été fait par Renault Trucks Defense mais a été consolidé par le groupe.

Concernant les coopérations techniques, nous travaillons déjà avec Nexter sur les VBCI, les camions CAESAR et les VBMR depuis plus de dix ans. Nous n’avons en revanche pas développé nos coopérations commerciales. La présence de notre groupe dans le monde entier devrait pourtant permettre de développer des synergies avec Nexter, notamment dans le soutien.

Enfin, le second frein à cette acquisition est une complémentarité partielle de nos deux entreprises. Nexter est ainsi spécialisé dans les armements et munitions, et nous ne souhaitons pas garder ces activités au sein de notre groupe. Il faudrait donc mener d’autres rapprochements en la matière préalablement.

*

* *

Ÿ M. Francis Delon, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (mercredi 18 septembre 2013)

Mme la présidente Patricia Adam. Je suis heureuse d’accueillir Francis Delon, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale, sur le projet de loi de programmation militaire (LPM).

Je rappelle que le projet de LPM 2014-2019 comporte beaucoup d’avancées sur le plan législatif, notamment sur les services de renseignement et l’accès à de nouveaux fichiers.

M. Francis Delon, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale. Je tiens à vous remercier de me convier devant vous, pour vous apporter des précisions sur certains sujets abordés dans la loi de programmation militaire. Au regard des compétences du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) et des auditions que votre commission a déjà programmées, il me semble opportun, sauf objection de votre part, de concentrer mon propos sur la sécurité des systèmes d’information, le renseignement et la création d’une plateforme de traitement des données PNR (passenger name record).

S’agissant de la sécurité des systèmes d’information, vous savez, madame la présidente, ainsi que MM. Christophe Guilloteau et Edouardo Rihan Cypel, qui étaient membres comme vous de la commission du Livre blanc, combien ce sujet nous a occupés lors des travaux menés par celle-ci. Les dispositions que je vais vous présenter reprennent pour l’essentiel celles que vous avait exposées en juillet Patrick Pailloux, le directeur général de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI).

Au préalable, je souhaite vous rappeler en quelques mots les cybermenaces auxquelles nous sommes confrontés.

L’espionnage tout d’abord. La situation que nous observons est préoccupante. L’espionnage, souvent d’origine étatique, est massif. En matière industrielle, il atteint tous nos secteurs de souveraineté. Or ce n’est qu’une fois l’attaque réussie et le pillage accompli que les entreprises victimes comprennent la nécessité de renforcer la sécurité de leurs systèmes d’information. Nous ne voulons pas attendre que nos entreprises soient confrontées à ce pillage pour qu’elles réagissent : d’où le choix du Gouvernement de proposer au Parlement des mesures appropriées. Les efforts déployés doivent aussi contribuer à protéger la compétitivité de nos entreprises nationales.

Le deuxième objectif possible pour un attaquant est la déstabilisation. L’attaque est alors médiatisée. Il s’agit de messages de propagande ou d’hostilité placés sur des sites Internet mal protégés à l’occasion d’un conflit, armé ou non, ou bien même d’une décision politique qui suscite la controverse. On se souvient par exemple du blackout de l’Internet en Estonie en 2007, qui a privé ce pays de l’accès aux services bancaires et à l’administration en ligne.

Troisième objectif possible : le sabotage. L’attaquant cherche alors à perturber le fonctionnement d’installations connectées aux réseaux de communications électroniques – ce peut être un service bancaire, un château d’eau de l’une de nos communes ou une centrale de production d’énergie. L’exemple le plus frappant nous est donné par le ver informatique Stuxnet qui a perturbé le fonctionnement des centrifugeuses de la centrale de Natanz, détruisant un millier d’entre elles et retardant ainsi le programme nucléaire iranien.

Les précisions sur le cyberespionnage figurant dans le rapport de la société de sécurité informatique américaine Mandiant confirment le caractère méthodique d’un pillage systématique effectué à distance par des unités militaires – je rappelle que ce rapport faisait état d’attaques chinoises. Depuis quelques mois, les révélations quasiment quotidiennes issues des documents de l’ex-consultant en sécurité de la National Security Agency (NSA) Edward Snowden montrent l’ampleur de l’espionnage et les moyens considérables qui y sont alloués.

Si les protestations diplomatiques et politiques sont indispensables et pleinement justifiées, elles ne sont pas suffisantes pour nous protéger. Il est urgent de renforcer de manière significative la sécurité des systèmes d’information de nos opérateurs les plus importants.

Les dispositions proposées dans le chapitre III du projet de loi ont deux objectifs.

Le premier est politique. Il est l’affirmation de la nature interministérielle et stratégique de la sécurité et de la défense des systèmes d’information. Le Livre blanc a placé les cyberattaques parmi les menaces majeures auxquelles nous sommes exposés. Et à travers l’ANSSI qui m’est rattachée, je suis témoin, au quotidien, de la réalité de cette menace qui vise et touche tant le Gouvernement et les administrations que les entreprises. Il s’agit ici de donner un signe à tous les acteurs concernés, y compris à ceux qui nous attaquent, de notre volonté collective de faire face à cette menace en adaptant notre droit, notre organisation et nos moyens.

Le second objectif découle du premier. Il s’agit d’accroître de manière sensible le niveau de sécurité des systèmes d’information les plus critiques pour la nation.

J’en viens aux détails des dispositions qui vous sont proposées.

L’article 14 du projet de loi insère deux articles dans le chapitre consacré à la sécurité des systèmes d’information du code de la défense. Il précise les responsabilités du Premier ministre, qui a la charge de la définition de la politique en matière de défense et de sécurité des systèmes d’information et coordonne à ce titre l’action gouvernementale. Il dispose de l’ANSSI pour l’assister dans cette mission ; cette agence est chargée 24 heures sur 24 de prévenir et de réagir aux attaques contre nos infrastructures les plus importantes. Comme elle est rattachée au SGDSN, son domaine d’intervention, initialement centré sur les administrations et les organismes dépendant de l’État, s’est rapidement élargi aux opérateurs d’importance vitale (OIV) et aux entreprises indispensables à notre stratégie de sécurité nationale.

L’article 14 a aussi une vocation opérationnelle et politique.

Opérationnelle : il s’agit de mettre un terme à la situation actuelle dans laquelle l’attaquant a tous les droits et ceux qui sont chargés de la défense, à peu près aucun. L’attaquant a généralement l’avantage sur le défenseur. Les agents de l’État chargés de la sécurité et de la défense des systèmes d’information doivent être en mesure d’utiliser toutes leurs capacités pour mieux appréhender la nature et l’ampleur d’une attaque, en prévenir et en atténuer les effets ou la faire cesser lorsque les circonstances l’exigent.

Il est arrivé que, dans le cadre du traitement d’une attaque informatique en cours contre un fleuron de notre industrie, les ingénieurs de l’ANSSI soient en mesure de collecter des informations susceptibles d’anticiper les mouvements de l’attaquant. Ils auraient dû, pour cela, accéder au système d’information utilisé par celui-ci. Mais ils ne l’ont pas fait car cette intrusion aurait été illégale. Dans l’état de notre législation, les agents de l’ANSSI, comme ceux du ministère de la Défense ou d’autres administrations de l’État compétentes, ne sont pas autorisés par la loi à effectuer toutes les opérations techniques qui leur permettraient d’être pleinement efficaces dans leurs actions. Ainsi, le code pénal prohibe de manière générale la pénétration de systèmes de traitement automatisé de données. Le projet de loi vise donc à rétablir une forme d’équilibre en permettant au défenseur d’accéder aux systèmes d’information participant à l’attaque, d’en collecter les données disponibles et, en tant que de besoin, de mettre en œuvre des mesures visant à neutraliser les effets recherchés par l’attaquant.

Dans le même esprit, le deuxième alinéa de l’article L. 2321-2 du code de la défense, permet aux services désignés par le Premier ministre de détenir des programmes informatiques malveillants, d’en observer le fonctionnement et d’en analyser le comportement. Dans ce cas, il s’agit également de corriger la situation actuelle dans laquelle, en la transposant dans le monde médical, le chercheur n’aurait pas le droit de détenir ou d’étudier un virus pathogène meurtrier afin de fabriquer le vaccin correspondant.

Au-delà de ses aspects organisationnels et techniques, l’article 14 traduit la volonté du Gouvernement de ne pas rester passif face à des attaques informatiques qui portent aujourd’hui atteinte à notre compétitivité et qui demain pourraient mettre gravement en cause notre sécurité ou perturber gravement la vie des Français.

J’en viens à l’article 15 du projet de loi, qui vise à augmenter de manière significative le niveau de sécurité des systèmes d’information des opérateurs d’importance vitale, publics et privés.

Les nouvelles dispositions permettent au Premier ministre d’imposer des règles techniques à ces opérateurs. Il s’agit d’opérateurs « dont l’indisponibilité risquerait de diminuer d’une façon importante le potentiel de guerre ou économique, la sécurité ou la capacité de survie de la Nation », selon les termes de l’article L. 1332-1 du code de la défense ; ils sont environ 200. Le Premier ministre pourra également demander des audits ou des contrôles de sécurité à ces opérateurs, qui devront par ailleurs notifier les incidents affectant leurs systèmes d’information. Pour les situations de crise informatique majeure, un article précise que le Premier ministre pourra, lorsque la situation l’impose, les soumettre à des mesures d’exception.

L’expérience opérationnelle de l’ANSSI montre que le niveau de sécurité des systèmes d’information des entreprises et administrations désignées comme opérateurs d’importance vitale est en général insuffisant. Certains systèmes très critiques doivent impérativement être déconnectés de l’Internet pour garantir qu’aucun attaquant ne puisse facilement les pénétrer. Or, l’État n’est pas, à ce jour, en mesure d’imposer une telle règle aux opérateurs concernés. Il est arrivé que l’ANSSI aide une grande entreprise française à reprendre le contrôle de son système d’information et lui conseille la mise en place de règles techniques destinées à renforcer la sécurité de son réseau. Mais il est aussi arrivé qu’elle découvre un peu plus tard que cette même entreprise avait subi une nouvelle attaque car elle n’avait pas appliqué l’ensemble des mesures proposées. Si le projet est adopté, le Premier ministre disposera de la capacité d’imposer des règles de sécurité, organisationnelles ou techniques, susceptibles de renforcer la sécurité des systèmes d’information des opérateurs d’importance vitale. Il pourra par exemple imposer à l’un de ceux-ci d’installer un dispositif de détection d’attaques informatiques.

Comme le Livre blanc le souligne, la capacité à détecter des attaques informatiques relève de la souveraineté nationale. Ce dispositif devra en conséquence s’appuyer sur des équipementiers de confiance labélisés par l’ANSSI, car le concepteur d’un équipement de sécurité est toujours le mieux placé pour le contourner. L’exploitation de ces équipements devra être effectuée sur le territoire national, afin d’éviter toute interception ou compromission des données, et réalisée par les prestataires qualifiés par l’ANSSI ou par l’ANSSI elle-même.

Le projet de loi instaure aussi une obligation de notification d’incidents affectant le fonctionnement ou la sécurité des systèmes d’information des opérateurs d’importance vitale. À ce jour, la situation est contrastée : les attaques informatiques sont souvent découvertes tardivement. L’expérience acquise par l’ANSSI montre que lorsqu’un opérateur est attaqué à des fins d’espionnage, il est vraisemblable que les opérateurs appartenant au même secteur d’activité subissent, souvent au même moment, les mêmes attaques. Il est donc indispensable que l’État ait connaissance au plus vite de celles-ci afin d’en informer les autres opérateurs du secteur concerné.

Le projet de loi propose aussi d’étendre à l’ensemble des opérateurs d’importance vitale le droit pour le Premier ministre de procéder à des audits ou des contrôles de leurs systèmes d’information. Il est de la responsabilité de l’État de connaître le niveau de sécurité des systèmes d’information des infrastructures critiques de la nation. Aujourd’hui, malheureusement, l’État n’a pas la possibilité d’opérer ou de faire opérer des audits ou des contrôles chez les opérateurs du secteur privé, à l’exception du secteur des communications électroniques. Cette disposition lui permettrait donc de disposer de cette capacité.

Enfin, en cas de crise informatique majeure — par exemple une infection virale destructive touchant nos secteurs d’activité les plus sensibles —, qui exigerait la mise en œuvre de contre-mesures dans des délais courts, la loi donnerait au Premier ministre la possibilité d’imposer des mesures techniques aux opérateurs concernés. L’ANSSI aurait alors la capacité d’imposer les mesures nécessaires pour réagir. L’inscription dans la loi de cette disposition permet également, dans cette circonstance particulière et exceptionnelle, de dégager les opérateurs concernés de leurs responsabilités vis-à-vis de leurs clients.

Des dispositions d’accompagnement complètent ces articles. Elles assurent la confidentialité des informations recueillies dans le cadre des audits. L’effectivité des mesures prescrites est confortée par un dispositif de sanction en cas de manquement après mise en demeure.

En ce qui concerne le contrôle des équipements d’interception, l’article 16 du projet de loi, dont l’actualité révèle la pertinence, vise à mieux maîtriser le risque d’espionnage à grande échelle des réseaux de communications électroniques. Les opérateurs de télécommunication sont tenus de disposer de moyens d’interception afin de répondre, dans le cadre de la loi, aux réquisitions des magistrats pour des interceptions judiciaires, ou du Premier ministre pour les interceptions de sécurité. Les équipements conçus pour réaliser les interceptions présentent un risque pour le respect de la vie privée de nos concitoyens. Ils ne peuvent donc être fabriqués, importés, détenus que sur autorisation délivrée par le Premier ministre, conformément à l’article R. 226-1 et suivants du code pénal. Les interceptions des communications étaient autrefois effectuées par des équipements dédiés. Or, les évolutions technologiques montrent que de plus en plus d’équipements de réseau, sans être des moyens d’interception en eux-mêmes, possèdent des fonctions qui pourraient être aisément utilisées pour intercepter le trafic du réseau.

À cet égard, les fonctions de duplication ou de routage du trafic de certains équipements de réseau, configurables et accessibles à distance, sont susceptibles de permettre des interceptions. Par exemple, certains équipements de cœur de réseau, alors même qu’ils n’ont pas été spécifiquement conçus à des fins d’interception légale, sont susceptibles, selon leurs caractéristiques, de permettre des interceptions du trafic. N’étant pas spécifiquement conçus pour les interceptions, ces équipements ne sont pas actuellement soumis à l’autorisation prévue par l’article 226-3 du code pénal, qui ne porte que sur les appareils « conçus pour réaliser » les interceptions. Or ces équipements présentent les mêmes risques pour la sécurité des réseaux et des communications que ceux destinés spécifiquement à l’interception. La modification législative qui vous est proposée permettrait donc d’étendre la délivrance d’une autorisation à l’ensemble des équipements susceptibles de permettre ces interceptions, et ainsi d’assurer une plus grande sécurité des réseaux et des communications.

Mme la présidente Patricia Adam. Quels sont les équipements visés par cette nouvelle disposition ?

M. Francis Delon. La loi prévoit que, pour les cœurs de réseau, les équipements destinés à permettre les interceptions de communication pour les besoins légaux que j’évoquais sont soumis à autorisation ; l’ANSSI vérifie qu’ils sont suffisamment robustes pour n’être utilisés qu’à cette fin. Or de plus en plus d’équipements électroniques, qui ne sont pas des cœurs de réseau, notamment des routeurs, peuvent servir à effectuer des interceptions. La loi ne peut fixer la liste des équipements concernés. Elle renverra à des actes réglementaires le soin de le faire. L’intention du Gouvernement n’est pas de contrôler tous les équipements électroniques, ce qui serait impossible, mais de déterminer les plus sensibles. La liste de ces équipements pourra évoluer en fonction de l’évolution des techniques. Nous pourrons vous apporter par écrit des précisions à ce sujet.

Je signale que nous sommes un des rares pays à avoir ce type de dispositions, qui est très efficace, et beaucoup de pays s’y intéressent.

S’agissant du renseignement, le bilan de ces dernières années en matière de connaissance et d’anticipation et les travaux du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale ont montré la pertinence d’élever ce domaine au rang de priorité majeure. C’est ce que fait le projet de LPM dans sa partie programmatique et sa partie normative, sur laquelle je concentrerai mon propos. Les propositions qui y figurent sont la conséquence de cette démarche.

L’effort d’équipement en matière de renseignement vise à conforter nos capacités d’appréciation autonome des situations. Dans le rapport annexé au projet de loi, la priorité est donnée aux composantes spatiales et aériennes, pour l’imagerie et l’interception électromagnétique.

L’effort sur les capacités du renseignement s’accompagne, dans la partie normative du projet de loi, de dispositions visant à clarifier et à renforcer le cadre juridique de l’action des services spécialisés. Les travaux du Livre blanc ont mis en évidence le nécessaire équilibre entre l’accroissement des moyens mis à la disposition des services concernés et leur contrôle démocratique. C’est le sens du renforcement des moyens du contrôle parlementaire sur ce volet de l’activité gouvernementale. Au-delà des dispositions relatives à la Délégation parlementaire au renseignement, sur lesquelles je vais revenir, le Président de la République a souhaité la création d’une inspection du renseignement, commune à l’ensemble des services spécialisés. Les travaux sont engagés pour une mise en place prochaine de cette inspection qui se fera par le biais d’un acte réglementaire.

Le chapitre II de la partie normative du projet de LPM comporte donc diverses dispositions relatives au cadre juridique de l’activité des services de renseignement, qui traitent à la fois de l’accroissement des moyens mis à la disposition de ceux-ci et de leur contrôle démocratique.

Les mesures proposées partent d’un constat : en dépit des efforts importants réalisés, depuis le Livre blanc de 2008, le cadre juridique dans lequel ces services exercent leur activité est encore insuffisant sur plusieurs points pour leur permettre de répondre efficacement aux défis auxquels ils sont confrontés.

Le cadre juridique régissant l’activité des six services spécialisés de renseignement – la DGSE, la DCRI, la DRM, la DPSD, la DNRED et TRACFIN – a été renforcé et précisé par la création en 2007 de la Délégation parlementaire au renseignement et par la précédente loi de programmation militaire du 29 juillet 2009.

Conformément aux recommandations formulées par le Livre blanc de 2008, la gouvernance et la coordination des services de renseignement ont été réorganisées avec la création du Conseil national du renseignement et de la fonction de coordonnateur national du renseignement (CNR).

En 2010, la création de l’académie du renseignement a également permis de doter les services d’une structure de formation commune.

Ces mesures de gouvernance ont été accompagnées d’une réflexion sur les modalités d’action et les moyens mis à la disposition des services. Plusieurs outils ont été créés afin de faciliter l’action de ces derniers et de renforcer la sécurité de leurs agents.

Mais le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013 va plus loin pour traduire l’importance stratégique de la lutte contre le terrorisme et les atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation, ainsi que la contribution essentielle qu’apportent à cette lutte les services de renseignement. Il souligne que le renseignement « joue un rôle central dans la fonction connaissance et anticipation » et qu’il « irrigue chacune des autres fonctions stratégiques de notre défense et de notre sécurité nationale ». Il rappelle aussi les nouveaux défis auxquels doivent s’adapter les services de renseignement et qui les contraignent à s’intéresser à un grand nombre de menaces et à une grande variété d’acteurs aux intérêts parfois convergents – armées régulières, milices, pirates ou mercenaires notamment.

C’est pourquoi, en matière de renseignement, le projet de LPM contient des dispositions sur trois types de sujets : la protection de l’anonymat des agents des services appelés à témoigner, l’accès aux fichiers et la géolocalisation.

La protection de l’anonymat des agents est essentielle, tant pour assurer la sécurité de ceux-ci et de leur famille que pour garantir l’efficacité de leur action. La loi du 14 mars 2011, dite « LOPPSI II », a ouvert aux agents des services de renseignement la possibilité de recourir à une fausse identité ou à une identité d’emprunt. Elle a également inséré dans le code pénal un article protégeant l’identité des personnels, des sources et des collaborateurs des services de renseignement. La procédure actuelle, qui prévoit une protection de l’identité réelle des agents, est cependant, apparue insuffisante. La présence physique de ceux-ci devant une juridiction à la suite d’une convocation et leur participation à des comparutions présentent en effet le risque de dévoiler leur couverture, de mettre en danger leur sécurité et de nuire à l’efficacité de leurs missions. Il a semblé nécessaire de faire évoluer la procédure afin de faciliter la manifestation de la vérité tout en renforçant la protection de l’anonymat des agents. Le projet de loi, en son article 7, prévoit que, dans l’hypothèse où l’autorité hiérarchique de l’agent indique que l’audition comporte des risques pour ce dernier, ses proches ou son service, celle-ci pourra être effectuée dans un lieu assurant la confidentialité et son anonymat.

Par ailleurs, il est prévu d’élargir les conditions d’accès des services de renseignement à certains fichiers administratifs et de police judiciaire. Les menaces auxquelles doivent faire face les services de renseignement dépassent aujourd’hui le seul cadre de la lutte contre le terrorisme. Il s’agit de la prolifération d’armes de destruction massive, de la dissémination d’armes conventionnelles, des menaces des services d’États non coopératifs ou hostiles ou de la criminalité transnationale organisée, notamment. Plus globalement, nos services de renseignement, intérieur et extérieur, s’attachent à préserver les intérêts fondamentaux de la nation. Cette notion est clairement définie dans l’article L. 410-1 du code pénal, qui dispose que « les intérêts fondamentaux de la nation s’entendent au sens du présent titre de son indépendance, de l’intégrité de son territoire, de la forme républicaine de ses institutions, des moyens de sa défense et de sa diplomatie, de la sauvegarde de sa population en France et à l’étranger, de l’équilibre de son milieu naturel et de son environnement et des éléments essentiels de son potentiel scientifique et économique et de son patrimoine culturel ». Par ailleurs, le Conseil d’État, dans un avis du 5 avril 2007, puis le Conseil constitutionnel dans sa décision du 10 novembre 2011 sur le secret de la défense nationale, ont rappelé « les exigences constitutionnelles inhérentes à la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la nation ».

Le projet de LPM comporte, en son article 8, une disposition permettant un accès élargi des services de renseignement aux fichiers administratifs mentionnés à l’article L. 222-1 du code de la sécurité intérieure. Il s’agit des fichiers nationaux des immatriculations, des permis de conduite, des cartes nationales d’identité et des passeports, des dossiers des ressortissants étrangers en France – visa et séjour. Par ailleurs, les motifs de consultation, aujourd’hui limités à la seule prévention des actes de terrorisme, seront étendus à celle des atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation. Le texte prévoit qu’un décret en Conseil d’État déterminera les services concernés ainsi que les modalités d’accès. Il est envisagé de faire figurer parmi ces modalités le fait que tous les accès aux fichiers feront l’objet d’une traçabilité et que la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) sera en mesure de les contrôler.

Les articles 11 et 12 permettent aux services de renseignement relevant du ministre de la Défense d’accéder directement à certaines données des fichiers de police judiciaire respectivement dans un objectif de recrutement d’un agent ou de délivrance d’une autorisation aux fins de vérifier le passé pénal du candidat et dans le cadre de missions ou d’interventions présentant des risques pour les agents lorsqu’il s’agit de vérifier la dangerosité des individus approchés. Jusqu’à présent, la consultation de ces fichiers de police judiciaires était possible pour les enquêtes administratives, par l’intermédiaire de policiers ou de gendarmes spécialement habilités à cet effet. L’objectif de cette disposition est notamment de permettre une sécurisation accrue des missions ou des interventions particulièrement dangereuses menées par les services de renseignement du ministère de la Défense. Un décret en Conseil d’État encadrera les conditions d’accès aux fichiers pour s’assurer qu’elles seront adaptées et proportionnées aux besoins des services.

Enfin, l’article 13 du projet de LPM autorise expressément les services de police et de gendarmerie chargés de la prévention du terrorisme à accéder en temps réel à des données de connexion mises à jour, ce qui leur permet de géolocaliser un terminal téléphonique ou informatique et de suivre ainsi, en temps réel, certaines cibles. Cette disposition vise à lever une incertitude sur la base juridique des pratiques de géolocalisation, soulignée par la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité. Comme le rappelle le rapport de la commission des Lois sur l’évaluation du cadre juridique applicable aux services de renseignement, « les services chargés de la lutte contre le terrorisme ont besoin de pouvoir agir le plus en amont possible, au besoin pour écarter d’éventuels soupçons. En outre, il leur faut pouvoir agir en temps réel, dans l’urgence, pour vérifier des renseignements, par exemple sur l’imminence d’un attentat ». L’accès à ces données répond à un besoin opérationnel de première importance. Ces données sont cruciales pour les services compétents : elles contribuent de façon déterminante aux enquêtes.

Les mesures que je viens d’évoquer élargissent les moyens d’action et de protection des services. Elles appellent un renforcement du contrôle démocratique sur la politique du Gouvernement en matière de renseignement.

C’est pourquoi le projet de LPM, en ses articles 5 et 6, renforce les compétences de la Délégation parlementaire au renseignement (DPR) en modifiant les dispositions de l’article 6 nonies de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires ainsi que celles de l’article 154 de la loi de finances pour 2012 du 28 décembre 2011. L’élargissement des compétences de la DPR va dans le sens souhaité par les quatre parlementaires membres du groupe de travail sur le renseignement au sein de la commission du Livre blanc de 2013 et dans celui des préconisations du rapport précité de MM. Jean-Jacques Urvoas et Patrice Verchère.

La DPR avait jusqu’à présent un pouvoir d’information et de suivi. Le projet de LPM innove, en lui confiant un pouvoir de contrôle et d’évaluation de la politique du Gouvernement en matière de renseignement. Le projet de LPM confie à la DPR l’exclusivité, en matière de renseignement, des pouvoirs de contrôle et d’évaluation de l’action du Gouvernement dévolus au Parlement par l’article 24 de la Constitution. Cette disposition respecte le principe de séparation des pouvoirs dont le Conseil constitutionnel a rappelé en 2001 qu’il faisait obstacle à ce que les parlementaires interviennent dans le champ des opérations en cours.

Aujourd’hui, la Délégation peut entendre le Premier ministre, les ministres, le secrétaire général de la défense et la sécurité nationale et les directeurs des services de renseignement. Le projet de LPM permet en outre l’audition du coordonnateur national du renseignement et du directeur de l’académie du renseignement ainsi que celle, après accord des ministres dont ils relèvent, des directeurs d’administration centrale ayant à connaître des activités des services spécialisés de renseignement. Il prévoit également la présentation, par les présidents de la Commission consultative du secret de la défense nationale et de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, du rapport d’activité de leur commission. Le projet de LPM prévoit aussi que la DPR soit informée de la stratégie nationale du renseignement et du Plan national d’orientation du renseignement. Il dispose en outre que seront présentés à la Délégation un rapport annuel de synthèse des crédits du renseignement ainsi que le rapport annuel d’activité de la communauté française du renseignement.

Alors que les dispositions actuelles permettent à la DPR d’adresser des observations au Président de la République et au Premier ministre, le projet de LPM prévoit de permettre à la Délégation d’adresser également à chacun des ministres chargés de la sécurité intérieure, de la défense, de l’économie et du budget des recommandations et des observations relatives aux services spécialisés de renseignement placés sous leur autorité respective.

Le transfert au profit de la Délégation des compétences de la commission de vérification des fonds spéciaux est un point majeur du dispositif proposé par le Gouvernement. L’article 6 du projet de loi confie à la DPR les missions de cette commission. Il prévoit que ces missions seront assurées par une « formation spécialisée » de la Délégation, constituée de la moitié des députés et des sénateurs membres de celle-ci. Cette composition restreinte, proche de la composition actuelle de la commission de vérification, répond à l’impératif de stricte confidentialité des informations qui seront examinées par cette formation. Le projet maintient au profit de la formation spécialisée les pouvoirs particulièrement étendus de cette commission, notamment en matière de communication de pièces et de contrôle des documents utiles. Le rapport qu’elle établira sur les conditions d’emploi des crédits sera présenté à l’ensemble des membres de la Délégation.

S’agissant enfin de la création d’un fichier PNR, le domaine de la sûreté aérienne tient une place particulière dans la lutte contre le terrorisme. Tout particulièrement depuis les attentats du 11 septembre 2001, les menaces sur le transport aérien font l’objet d’efforts considérables en matière de sécurité dans le monde entier. Ces efforts portent sur l’ensemble de la sûreté aéroportuaire et s’appliquent aux personnes comme au fret. Comme tout un chacun, terroristes et trafiquants utilisent ce mode de déplacement. Ils savent fractionner leurs itinéraires pour concilier rapidité et discrétion. Or, la particularité du transport aérien est que chaque passager est nominativement enregistré. C’est pourquoi, dès 2004, des dispositions de sécurité ont été élaborées à l’échelle internationale. Elles concernent l’exploitation des données d’embarquement, dites API (Advance passenger information), et de réservation, dites PNR. À l’échelon européen, les transporteurs aériens ont obligation de transmettre aux autorités nationales les données API en vertu de la directive 2004/82 du Conseil. En outre, des accords sont en vigueur depuis plusieurs années entre l’Union européenne et les États-Unis, l’Australie et le Canada sur l’échange des données PNR. Nous nous trouvons donc dans la situation paradoxale où trois partenaires utilisent ces données sur des passagers européens pour surveiller les vols entrant et sortant de leur territoire et où nous autorisons leur communication par les transporteurs aériens, alors même que nous ne sommes pas encore en mesure de les exploiter pour notre propre sécurité nationale. Au sein de l’Union européenne, seul le Royaume-Uni exploite les données PNR à grande échelle avec son programme appelé e-border. D’autres États, comme les Pays-Bas, la Belgique, la Suède et le Danemark, utilisent ces données, mais sur de plus faibles volumes ou de manière moins automatisée. Comme dans notre pays, ces États sont très attentifs au respect de la vie privée et veillent à l’équilibre entre sécurité collective et libertés individuelles.

En France, la directive européenne de 2004/82 du Conseil a été transposée par la loi anti-terroriste de 2006, qui a élargi le périmètre aux données de réservation PNR, comme la directive l’autorise. En 2010, le Gouvernement a décidé de créer une plateforme d’exploitation des données API et PNR, en s’appuyant sur un projet de directive PNR déposé en février 2011 par la Commission européenne. Ce projet, qui a fait l’objet d’un consensus politique lors du Conseil Justice-Affaires intérieures d’avril 2012, est actuellement soumis à l’examen du Parlement européen. Le Gouvernement français est favorable à son adoption rapide. En attendant, notre pays ne dispose pas à ce jour de dispositif opérationnel qui permettrait d’exploiter ces données. L’article 10 du projet de loi prévoit qu’un tel dispositif soit créé et applicable jusqu’au 31 décembre 2017. Si la directive européenne PNR était adoptée avant 2017, la France la transposerait.

Il est important de préciser l’objectif du dispositif PNR proposé dans le cadre de la LPM ainsi que les garanties prévues pour préserver l’équilibre entre sécurité collective et libertés individuelles. Le dispositif envisagé a pour unique finalité la lutte contre les formes les plus graves de criminalité, à savoir le terrorisme et les crimes graves tels que définis par l’Union européenne, et de défendre les intérêts supérieurs de la nation, tels que définis dans le code pénal.

La plateforme d’exploitation des données permettra d’effectuer plusieurs opérations. D’abord, le ciblage des passagers sera fondé sur l’analyse du risque à partir de critères objectifs qui permettent de repérer en amont du départ du vol des comportements spécifiques ou atypiques de passagers. Les critères de ciblage, prédéterminés, peuvent être modifiés en fonction de l’évolution des trafics et des modes opératoires des réseaux criminels et terroristes. Les résultats de ce ciblage feront l’objet d’une analyse humaine avant qu’une action de surveillance, de contrôle ou d’interpellation soit décidée.

Le criblage permettra par ailleurs de confronter les données PNR et API aux bases de données utiles à la prévention et à la répression du terrorisme et des formes graves de criminalité, dont les bases de données concernant les personnes et les objets recherchés. Le résultat du criblage est une correspondance potentielle entre les informations croisées, qui pourra être discriminée de façon intelligente afin de réduire le risque d’erreur.

Enfin, l’inclusion des vols intracommunautaires et vers les départements et territoires d’outre-mer est indispensable en raison du fractionnement des déplacements effectués par les terroristes et les trafiquants, à l’image des candidats français au Jihad qui partent rarement directement de Roissy et préfèrent transiter par un pays européen, ou des trafiquants de drogue sud-américains qui transitent souvent par les Antilles.

Les données PNR seront transmises une première fois entre 24 et 48 heures avant le départ du vol. Pendant ce laps de temps, les services pourront exploiter ces données et préparer si nécessaire une éventuelle action de surveillance ou de contrôle. Un second envoi sera effectué à la clôture du vol avec les données API. Il permet de savoir si certains voyageurs ont réservé à la dernière minute, ce qui peut être un indice intéressant pour les services.

Le contenu des données PNR est riche : elles permettent par exemple de savoir à quel moment le passager a réservé son vol et où il a effectué sa réservation. Elles apportent des informations sur l’agence de voyage auprès de laquelle le passager a réservé : certaines de ces agences sont connues des services pour être utilisées par des groupes criminels ou terroristes. Le mode de paiement a également son utilité.

Ainsi, lors de l’enquête sur Mohamed Merah, on a relevé que le dispositif actuel n’avait pas permis d’évaluer la radicalisation de l’intéressé, malgré les informations potentiellement disponibles dans différents fichiers. Pourtant, Mohamed Merah avait suivi une évolution caractéristique en ayant passé plus de six mois au Moyen-Orient en 2010-2011, après avoir emprunté de nombreux vols. Dans ce cas précis, on peut penser que les données PNR auraient permis d’être plus efficace.

Le système envisagé prévoit de nombreuses garanties protectrices des libertés individuelles à chaque étape du traitement des données – collecte, conservation et échanges avec des États partenaires. La mise en place de ce système d’information fera l’objet d’un décret pris en Conseil d’État après avis de la CNIL, qui précisera l’ensemble de ces éléments.

Mme Geneviève Gosselin-Fleury. S’agissant de la disposition permettant au Premier ministre d’imposer des règles aux opérateurs d’importance vitale, est-il prévu, dans le cas d’une modification importante de l’actionnariat de l’un d’eux, que le nouvel actionnaire puisse être agréé par l’ANSSI ou le Premier ministre ? Ainsi, un grand groupe français spécialisé dans l’industrie nucléaire a décidé de mettre en vente sa filiale d’infogérance, qui gère la conduite informatisée des installations classées. Faut-il prévoir, dans la LPM, que l’acquéreur puisse être soumis à un tel agrément pour s’assurer que cette prise de participation ne débouche sur de l’espionnage ou des cyberattaques ?

M. Francis Delon. La question que vous évoquez est traitée par des dispositions en vigueur sur le contrôle des investissements étrangers dans des secteurs d’activité sensibles. Celles-ci, qui remontent à 2004-2006, sont législatives et réglementaires. Lorsqu’un investisseur étranger non européen veut entrer dans le capital ou prendre le contrôle d’une entreprise de ces secteurs, une procédure permet à l’État de s’y opposer ou de poser des conditions.

M. Christophe Guilloteau. Dans le projet de LPM, seulement 4 articles sur 36 concernent la défense et la plupart, de caractère normatif, intéressent davantage la commission des Lois. Jamais on est allé aussi loin dans la cyberdéfense – ce qui va dans le bon sens –, et on retrouve en matière de renseignement une grande partie du rapport de nos collègues Jean-Jacques Urvoas et Patrice Verchère que vous évoquiez.

Comment voyez-vous le partage des responsabilités en matière de cybersécurité entre l’État et les industriels ?

M. Francis Delon. La partie normative du projet de loi est effectivement ambitieuse, dans le droit fil du Livre blanc.

Si nous allons assez loin dans la sécurité des systèmes d’information (SSI), c’est en s’efforçant d’avoir un dispositif équilibré. Celui-ci ne peut fonctionner qu’avec un partenariat avec l’industrie. Je rappelle qu’il y a beaucoup d’opérateurs d’importance vitale publics et privés et que le texte auquel nous avons abouti résulte d’une concertation avec eux.

Nous avions deux possibilités : maintenir un dispositif incitatif, fondé sur un dialogue avec l’industrie, ou adopter un système plus contraignant. Or beaucoup d’opérateurs nous ont dit que cette seconde option leur rendait service pour mettre en évidence l’importance et le caractère sensible de la sécurité des systèmes d’information, ainsi que pour convaincre leur management et leurs actionnaires – lesquels, j’en suis convaincu, demanderont de plus en plus des comptes aux sociétés sur leur capacité à protéger leurs secrets et leur patrimoine.

L’autre point important dans les relations entre le public et le privé est le partage des tâches dans les opérations de contrôle. L’État ne peut pas tout faire.  Nous entendons travailler avec des entreprises françaises, souvent des PME, que nous nous efforçons d’accompagner et avec lesquelles nous avons un rapport de confiance. Cette politique se met en place.

Nous favorisons donc auprès du secteur privé une prise de conscience de l’importance du risque, de la nécessité de se protéger, tout en utilisant au maximum les compétences – nombreuses et de grande qualité – des entreprises françaises.

M. Joaquim Pueyo. Les moyens de la DPR seront-ils suffisants, compte tenu de ses nouvelles missions et de la nécessité de veiller à l’équilibre que vous évoquiez entre la sécurité collective et la protection des libertés ?

M. Francis Delon. Concernant la DPR, il s’agit d’un exercice d’équilibre entre les prérogatives de l’exécutif et celles du Parlement. On essaie de trouver de la façon la plus appropriée le rôle que chacun doit jouer, sachant qu’il faut tenir compte du principe de séparation des pouvoirs.

On donne plus de pouvoirs à la DPR : contrôle à l’égard de la politique du Gouvernement en matière de renseignement ; accès plus large aux faits et aux personnes qu’elle veut entendre. Elle aura une sorte d’exclusivité au sein du Parlement dans ce domaine – résultant notamment de l’absorption de la commission de vérification des fonds spéciaux.

Il revient ensuite au Parlement de déterminer comment et avec quels moyens la délégation travaillera.

S’agissant de l’équilibre entre la sécurité collective et la protection des libertés, le projet de loi est assez précis : on ne donne un accès aux fichiers que pour des finalités particulières et on renvoie à un décret en Conseil d’État le soin d’en préciser les modalités. La CNIL aura par ailleurs son mot à dire.

Les dispositions proposées dans ce domaine ont été pour l’essentiel largement consensuelles et ont donné lieu à assez peu d’arbitrages interministériels.

Mme la présidente Patricia Adam. Je rappelle que la DPR est constituée de huit parlementaires nommés par l’Assemblée nationale et le Sénat, parmi lesquels les présidents des commissions de la Défense et des Lois des deux chambres. Par ailleurs, dans le groupe de travail sur le renseignement de la commission sur le Livre blanc – qui a permis d’élaborer des propositions consensuelles –, quatre parlementaires étaient présents, représentant chacune de celles-ci, ainsi que la majorité et l’opposition.

Il est vrai que la question des moyens se posera. Nous n’avons pas une continuité suffisante du point de vue administratif pour suivre et mettre en place nos travaux.

M. Yves Fromion. Pour avoir été président de la commission de vérification des fonds spéciaux lors de la précédente législature et en être encore membre, j’estime qu’avec quatre parlementaires et deux administrateurs, cette instance a amplement les moyens de remplir ses missions. Mais les parlementaires doivent avoir une certaine disponibilité – en raison des déplacements et des vérifications sur place que la fonction impose –, ce qui me paraît incompatible avec la fonction de président de commission.

Mme la présidente Patricia Adam. La difficulté est qu’aujourd’hui, au sein de la DPR, certains membres font partie de la commission de vérification et d’autres non, ce qui entraîne une inégalité d’accès aux informations et a justifié la fusion entre les deux organismes.

Je pense qu’une formation de la DPR peut effectivement s’occuper de la vérification des fonds spéciaux, ce qui implique en effet de la part des parlementaires concernés une certaine disponibilité. Selon moi, il revient à la Délégation de nommer les quatre collègues chargés de cette mission en tenant compte de cette contrainte.

Quant à la composition de la DPR, j’estime important que certains présidents de commission en fassent partie de droit.

M. Olivier Audibert Troin. Sur les sept chapitres du projet de LPM, le premier est programmatique et les six autres portent davantage sur le cadre juridique à proprement parler. La cyberdéfense est affichée comme étant une, voire la priorité nationale. L’article 14 fait du Premier ministre le pivot dans ce domaine. Si, selon l’article L. 2321-1 du code de la défense, il reviendra au Premier ministre de définir et coordonner l’action gouvernementale en matière de sécurité – ce qui est conforme notamment à l’article 20 de la Constitution –, au titre de l’article L. 2321-2, les services de l’État pourront, dans les conditions fixées par le Premier ministre, engager tout type d’action pour répondre à une attaque des systèmes d’information portant atteinte au potentiel de guerre, à la sécurité ou à la capacité de survie de la nation. N’y a-t-il pas un glissement des prérogatives du Président de la République – qui est le chef des armées au titre de l’article 15 de la Constitution – vers le Premier ministre ?

M. Francis Delon. L’organisation actuelle en matière de cyberdéfense s’appuie déjà sur le Premier ministre. Outre qu’il en a constitutionnellement la responsabilité, en pratique, le SGDSN assure cette mission au travers de l’ANSSI. Le projet de loi s’inscrit donc dans la continuité du dispositif existant, permettant au Premier ministre d’avoir une vue d’ensemble sur l’ensemble des services de l’État.

Dans l’hypothèse d’une attaque majeure, il n’y aurait pas de contradiction avec les pouvoirs dévolus par la Constitution au Président de la République. On ne vise pas dans le projet une attaque militaire. Il s’agit d’une attaque informatique d’une importance telle qu’elle nécessite une action immédiate et coordonnée, qu’il incomberait au Premier ministre d’assumer au travers de l’ANSSI.

M. Jean-Jacques Candelier. Le rôle du SGDSN est très important. Mais les moyens prévus par le projet de loi seront-ils suffisants pour répondre à ses attentes dans le contexte actuel ?

Pensez-vous que ce projet renforcera la sécurité des Français ?

Enfin, disposerons-nous de moyens efficaces vis-à-vis des 150 à 200 jeunes Français partis auprès des djihadistes en Syrie, dont certains reviendront ?

M. Francis Delon. S’agissant des moyens, je ne peux me prononcer que sur la sécurité des systèmes d’information. Un effort très important est fait dans ce domaine par le Gouvernement : les effectifs de l’ANSSI passeront de 350 à 500 personnes d’ici la fin de 2014 et les crédits augmenteront également substantiellement. Il serait donc malvenu que je me plaigne !

Je pense que le projet de loi améliorera la sécurité des Français, que ce soit au travers de la sécurité des systèmes d’information, du renseignement ou des données PNR.

Quant aux filières de terroristes se dirigeant vers la Syrie, elles sont un sujet de préoccupation constant de nos services de renseignement. Nous veillons à ce qu’elles ne se développent pas et en tirons toutes les conséquences en termes de sécurité intérieure.

M. Francis Hillmeyer. Comment l’ANSSI, qui est une agence de sécurité civile, peut-elle agir dans le domaine militaire ?

M. Jacques Lamblin. Vous avez indiqué qu’un espionnage massif était pratiqué par des institutions nationales, faisant allusion à l’armée chinoise. Pouvez-vous nous dire quels sont les autres pays ou institutions s’adonnant à ce type d’activité ?

Par ailleurs, le projet de loi permettra la collecte d’un maximum de renseignements. Or, on voit qu’aux États-Unis, la masse des informations recueillies est telle qu’ils n’ont pas la capacité de les analyser. Quel équilibre doit-on trouver entre la collecte et la capacité d’analyse des renseignements ?

M. Francis Delon. L’ANSSI a une compétence globale sur l’ensemble du champ d’action de l’État, y compris le domaine de la défense. Cela étant, chaque ministère est fortement incité à avoir des capacités pour ses besoins propres. C’est le cas de celui de la défense, où existe un dispositif de cyberdéfense spécifique.

Les relations entre l’ANSSI et les ministères sont parfaitement organisées et fonctionnent bien, y compris avec le ministère de la Défense. Du fait de la croissance de ses effectifs, une partie des services de l’ANSSI vient d’ailleurs d’emménager dans de nouveaux locaux et y accueille le CALID, qui est le service de ce ministère chargé de la cyberdéfense. Cela facilite la communication entre les deux.

Monsieur Lamblin, je n’ai pas dit que l’armée chinoise nous attaquait : j’ai seulement indiqué que le rapport Mandiant parlait des attaques chinoises.

Les attaquants viennent de plusieurs pays – que je ne peux citer ici en raison de la publication du compte rendu de cette audition.

Il faut en effet bien prendre en compte à la fois les capacités de recueil et d’analyse des renseignements. Mais la France n’est pas dans la situation des États-Unis : elle dispose de bonnes capacités de collecte des informations et est, à ma connaissance, en mesure de traiter celles-ci.

M. Philippe Folliot. Les articles 17 à 20 du projet de LPM me paraissent importants, même si on en parle peu. Alors que nous connaissons une judiciarisation de notre société, ils tendent à protéger l’action militaire, qui est par définition spécifique. Vont-ils assez loin dans ce domaine, au regard notamment des suites judiciaires données aux faits survenus dans la vallée d’Uzbeen ?

Par ailleurs, certaines opérations sont menées dans un cadre juridique particulier : c’est le cas pour les actions de lutte contre l’orpaillage clandestin en Guyane, qui s’apparentent à des opérations extérieures (OPEX) alors qu’elles sont effectuées sur le territoire national en temps de paix. N’y a-t-il pas un vide juridique en la matière vis-à-vis de la protection de nos forces et de nos hommes ?

M. Yves Foulon. Quels sont les moyens concrets prévus pour s’assurer de la protection de nos concitoyens vis-à-vis des interceptions de communications ?

M. Francis Delon. Monsieur Folliot, je n’ai pas évoqué les articles 17 à 20 du projet de loi, qui portent sur le traitement pénal des affaires militaires, car il m’a semblé plus légitime qu’ils vous soient présentés par le ministère de la Défense.

Cela étant, il se trouve que j’ai présidé le groupe de travail sur les questions de judiciarisation. L’objet de ces dispositions – qui concernent tous les engagements extérieurs, y compris les opérations spéciales, et ont été débattues de façon approfondie avec les ministères de la Défense et de la Justice – est précisément d’éviter qu’il y ait un nouvel Uzbeen judiciaire. Le traitement pénal de cette affaire a créé un choc dans les armées et suscité la crainte que l’action militaire, si spécifique, soit traitée de la même manière qu’une activité professionnelle ordinaire. L’aspect exceptionnel des actions de combat nous a semblé insuffisamment pris en compte.

Je pense que nous avons trouvé le bon équilibre. Il ne s’agit pas d’introduire une immunité absolue : naturellement, si un événement tout à fait anormal se produisait dans une OPEX, il pourra donner lieu à un traitement pénal. Mais celui-ci ne sera pas systématique.

Il est vrai que l’opération Harpie en Guyane que vous évoquez n’est pas couverte par ces dispositions. Faut-il qu’elle le soit ? Nous n’avons pas étudié la question, qu’il faudra poser aux ministères de la Défense et de la Justice.

Monsieur Foulon, nous nous efforçons de faire en sorte que nos concitoyens ne puissent pas être espionnés de façon illégale en utilisant des matériels installés sur les réseaux. C’est la raison pour laquelle nous contrôlons les cœurs de réseau. Mais comme nous constatons que les matériels permettent de plus en plus d’opérer des interceptions, nous étendons le contrôle que nous exerçons sur eux.

Je ne dis pas que cela donne une garantie absolue à nos concitoyens de ne pouvoir être espionnés. Mais les dispositions proposées prennent en compte l’évolution des techniques et améliorent la protection globale de nos concitoyens.

*

* *

Ÿ M. Patrick Boissier, président de DCNS (mercredi 18 septembre 2013)

Mme la présidente Patricia Adam. Je suis heureuse d’accueillir Patrick Boissier, président de DCNS, sur le projet de loi de programmation militaire. Bien entendu, nous souhaitons bénéficier de votre analyse sur les choix proposés par le projet de LPM s’agissant des programmes navals déjà engagés (FREMM, Barracuda), mais aussi de la préparation de l’avenir, ainsi que des implications du projet sur le plan de charge de votre entreprise et le maintien de ses compétences. Sans plus attendre, je vous laisse la parole.

M. Patrick Boissier, président de DCNS. Je vais vous présenter rapidement DCNS. C’est une entreprise de droit privé dont 64 % du capital appartient à l’État, 35 % à Thales et 1 % à son personnel. Elle a effectué une transformation spectaculaire ces dix dernières années puisqu’elle est passée d’un service de l’État à une entreprise performante, dynamique, leader sur son marché.

DCNS est surtout une entreprise de très haute technologie, comme il y en a peu dans le monde – seules deux ou trois sont capables de construire des engins aussi complexes que les sous-marins nucléaires lanceurs d’engin (SNLE) que nous réalisons. Notre effectif est très qualifié puisqu’il est composé à 40 % d’ingénieurs, 30 % de techniciens supérieurs et à 30 % d’ouvriers qualifiés.

Nous avons une vision, fondée sur la conviction que la mer est l’avenir de l’humanité et peut constituer pour la France, qui dispose de nombreux atouts, un important vecteur de son développement. Nous nous sommes dotés d’un projet d’entreprise de croissance et de développement car nous ne pouvons dépendre que des commandes la marine nationale. Ce projet s’appuie sur trois piliers : le développement de notre gamme de services et de produits, le développement à l’international, l’exploration de domaines nouveaux, comme celui des énergies marines renouvelables, les centrales nucléaires sous-marines et l’exploitation des richesses des fonds marins.

Notre objectif est de doubler notre chiffre d’affaires d’ici la fin de la décennie. Celui-ci sera de plus de trois milliards d’euros cette année avec un carnet de commandes de 15 milliards d’euros – nous travaillons sur des programmes à très long terme. Il était réalisé à 80 % avec la marine nationale, notre objectif étant de l’équilibrer pour ramener cette part marine nationale à un tiers, un autre tiers au naval de défense à l’international et un dernier tiers aux métiers nouveaux que je viens d’évoquer.

Nous employons 13 800 personnes auxquelles il faut ajouter 3 000 intérimaires et sous-traitants sur nos sites et 10 000 au titre de nos fournisseurs. Nous embauchons près de 1 000 personnes par an et 98 % de notre effectif est localisé en France. Dans un contexte morose, DNCS crée donc chaque année, compte tenu de 700 départs à la retraite, 300 emplois industriels en France. Nous réalisons 40 % de notre chiffre d’affaires à l’exportation mais avec des retombées principalement en France.

Si le projet de LPM aurait pu être catastrophique pour l’industrie de défense et DCNS, je tiens à remercier les commissions chargées de la Défense de l’Assemblée nationale et du Sénat qui ont permis, aux côtés du Ministre, que les enjeux stratégiques, industriels et sociaux soient pris en compte. Je salue particulièrement l’action de Mme la Présidente, de Mme Gosselin-Fleury et de M. Rouillard, qui ont mis tout leur dynamisme au service de l’emploi sur nos sites.

La LPM préserve donc l’essentiel mais il faudra veiller à sa bonne exécution car il n’y a plus aucune marge de manœuvre.

L’activité de DCNS est aujourd’hui répartie à parts égales entre le maintien en condition opérationnelle (MCO) naval, le programme de sous-marins et les systèmes navals de surface. Le MCO étant peu touché par la LPM, je me concentrerai sur ces deux derniers points, au travers de nos deux grands programmes, les sous-marins de classe Barracuda et les frégates multi-missions (FREMM).

La LPM a maintenu le programme de construction des six sous-marins Barracuda, ce qui est une excellente nouvelle, mais en a étalé la livraison, l’achèvement du programme devant être repoussé de deux ans, de 2027 à 2029. La livraison du premier exemplaire serait décalée de six mois, celle du deuxième de 12 mois, celle du troisième de 18 mois et les trois derniers exemplaires de deux ans. Nous sommes en train de finaliser cet accord avec le Gouvernement.

Cet étalement aurait un impact sur la charge annuelle équivalent à terme à 500 emplois pour DCNS et sous-traitants sur l’ensemble des sites. Il ne s’agit naturellement pas de l’impact final sur les effectifs, qui dépendra aussi des contrats à l’exportation et du développement de notre activité en matière d’énergies marines renouvelables. À ce propos, je tiens à vous faire remarquer que notre technologie est mature et que nous pourrions devenir leaders mondiaux et créer jusqu’à un millier d’emplois à Cherbourg. !

L’étalement de la production de sous-marins nécessite aussi que nous fassions le nécessaire pour préserver nos compétences, qui sont rares, afin de garantir notre capacité à faire des sous-marins, et donc notre indépendance. L’exemple britannique est à cet égard instructif. C’est pour cela que nous espérons qu’un programme de remplacement de nos SNLE prenne rapidement la suite du programme Barracuda. Nos activités dans le domaine du nucléaire civil, avec le concept de centrales nucléaires sous-marines, nous permettront de contribuer au maintien de nos compétences.

Le deuxième programme majeur nous intéressant est naturellement celui des FREMM. L’État nous a passé une commande ferme de 11 frégates, avec une cadence de livraison d’une frégate tous les dix mois ; nous avons livré la première, l’Aquitaine, la deuxième est à l’essai et la troisième est mise à l’eau aujourd’hui même.

La LPM n’est pas très explicite : elle prévoit que six frégates auront été livrées avant 2019 et que deux, dotées de capacités de défenses anti-aériennes, le seront par la suite tandis que la décision sur les trois dernières est reportée au-delà de la LPM.

Notre première préoccupation est le rythme de production de nos frégates, qui passera, pour une livraison de frégate avant 2019, de 10 à 14 mois. Le surcoût de cet étalement serait à peu près équivalent au coût d’une frégate. À titre d’information, le coût du programme a déjà augmenté d’une frégate lorsqu’on est passé de 17 à 11 frégates et d’une deuxième frégate lorsque l’on est passé d’une frégate tous les 7 mois à une frégate tous les 10 mois. Les étalements successifs du programme FREMM ont donc déjà coûté l’équivalent de trois frégates au budget de l’État. Il faut bien avoir à l’esprit que ce n’est pas l’augmentation du coût des programmes qui conduit à étaler les commandes mais l’étalement ou la réduction du nombre qui conduit mécaniquement à augmenter le prix de chaque unité.

Cette nouvelle cadence à 14 mois se traduit par un impact à terme sur la charge de l’ordre de 500 ETP, répartis entre 100 ETP pour DCNS, 50 dans l’intérim et 350 dans la sous-traitance. Naturellement l’objectif de notre groupe est de tout faire pour préserver ces emplois en obtenant des commandes à l’exportation. Cela étant, nous saurons gérer ce nouveau délai de 14 mois.

Mais si cette cadence de livraisons devait passer à 18 mois, comme nous l’avons déjà entendu, l’impact serait catastrophique, il atteindrait 1 000 emplois dans la filière et conduirait à supprimer des emplois.

Pour ce qui est du second enjeu, c’est-à-dire le sort des trois dernières frégates, je rappelle que le contrat initial est un contrat ferme de 11 frégates et que nous avons déjà passé les commandes de 11 radars, sonars, etc. auprès de nos fournisseurs et sous-traitants. L’annulation de cette commande aurait des conséquences sociales et industrielles dramatiques : on estime que le coût serait de l’ordre de 900 millions d’euros, soit presque le coût de deux frégates.

Afin de répondre aux contraintes budgétaires du ministère de la Défense tout en garantissant cette commande, une des solutions pourrait être de mettre en place une société de leasing, sous le contrôle de l’État. Elle permettrait de disposer d’un outil à l’export pour répondre à la demande de nombreux clients. L’Allemagne travaille dès à présent à une formule de ce type pour un projet de contrat avec la Pologne. Cet outil serait un bon levier pour trouver de nouveaux clients à l’international pour nos frégates, conserver notre rythme de production et éviter à l’État de verser les 300 millions d’euros liés à l’étalement, voire les 900 millions d’euros liés à une éventuelle annulation des commandes.

Un groupe de travail efficace a été mis en place et nous travaillons très minutieusement sur ce dossier complexe. Il est composé de l’Agence des participations de l’État, de la direction générale de l’armement (DGA) et de DCNS. Le ministère de la Défense est tenu informé en permanence de ces travaux. Notre objectif est de répondre aux attentes claires de chacun : la direction du Budget, qui souhaite que ce dispositif ne constitue pas un financement de hors LPM du programme FREMM, la direction du Trésor, qui veille à ce que ce dispositif n’aggrave pas la dette et le ministère de la Défense, qui attend flexibilité et économies de cette opération. L’objectif est de trouver un accord avant la fin de l’année pour voir cette société fonctionner l’été prochain.

Pour résumer l’impact de la LMP sur nos programmes Barracuda et FREMM, je dirais que nous saurons le gérer à condition de ne pas dépasser certaines limites dans l’étalement des programmes et que nous ayons les développements export que nous souhaitons. À ce propos, notre capacité à exporter dépend pour beaucoup des programmes français et du soutien de la marine nationale et de la DGA– qui sont essentiels et qui ne nous ont jamais manqué.

Je voudrais à présent dire quelques mots sur le programme de bâtiments de soutien et d’assistance hauturiers (BSAH), prévu en partenariat public-privé (PPP). Le groupement formé par DCNS et Louis Dreyfus Armateurs (LDA) a participé activement, depuis plus de trois ans, au dialogue compétitif initié par la DGA qui devait conduire à une notification fin 2012. À l’issue de ce dialogue et suite au dépôt des offres finales des deux compétiteurs en lice, le groupement DCNS-LDA est le seul à avoir soumis dans les délais une offre conforme. Or, depuis plusieurs mois, les discussions sont gelées avec la DGA qui semble vouloir remettre en cause le processus d’acquisition suivi jusqu’alors pour s’orienter vers une acquisition patrimoniale. Cette décision aurait alors de lourdes conséquences. Cette décision entraînerait de fait une rupture de capacité pour la marine nationale car la durée d’une nouvelle procédure et les délais de construction reporteraient de trois à quatre ans l’échéance du programme. Elle aurait en outre un impact fort sur l’activité et donc l’emploi dans les chantiers bretons, déjà concernés par les évolutions du programme FREMM. Enfin, en lançant un appel d’offres européen, on menacerait très directement la solution volontairement française que nous proposons. Le contrat BSAH, de plusieurs centaines de millions d’euros, ne bénéficierait alors ni aux chantiers, ni à l’emploi français

Enfin, je voudrais terminer en parlant des partenariats entre la défense et l’industrie pour optimiser les coûts. Nous souhaitons mettre en place des formes innovantes de partenariat, à l’exemple du projet mené à Saint-Mandrier avec d’autres entreprises, destiné à la formation et à l’entraînement des marines française et étrangères. Nous proposons dans ce cas d’espèce une structure juridique innovante, fondée sur une réelle gestion commune par les partenaires publics et privés.

Mme Geneviève Gosselin-Fleury. S’agissant du programme BSAH, pensez-vous que la conjonction d’une remise en cause du PPP et d’un éventuel recours à un appel d’offres européen puisse compromettre la mise en service de huit navires en 2019, selon l’objectif énoncé dans la LPM ? Par ailleurs, êtes-vous optimiste quant à l’exportation de sous-marins Scorpène, à même de compenser l’impact sur l’emploi induit par le décalage des Barracuda ?

Par ailleurs, une dépêche de l’agence Reuters annonçait hier, mardi 17 septembre, le lancement d’un appel à manifestations d’intérêts (AMI) pour quatre fermes hydroliennes pilotes, ce dont je me félicite.

M. Philippe Vitel. Je suis heureux que mes collègues aient défendu chacun leur territoire et, à mon tour, je remercie DCNS d’avoir choisi ma circonscription pour la construction de son nouveau siège au sein du technopôle de la mer.

Nous avions, avec Patricia Adam, évoqué dans un précédent rapport les BSAH et je souhaiterais que vous leviez les incertitudes pour ce qui les concerne. Dans ce cadre, l’Adroit, construit sur fonds propres de DCNS, et mis gracieusement à la disposition de la marine nationale, fera-t-il l’objet d’une acquisition par cette dernière et des commandes ont-elles été enregistrées pour des navires de ce type ?

Il n’y aura qu’un seul Barracuda en 2019 ; il va donc falloir faire durer la classe Rubis avec les moyens de MCO correspondants. Des bruits évoquent un déplacement du MCO des SNA vers Brest, pouvez-vous me rassurer sur ce point essentiel pour l’ensemble de l’activité des acteurs économiques locaux ?

Pouvez-vous nous indiquer, quelle part représente pour DCNS l’activité de grande plaisance sur la base navale de Toulon, qui contribue à la valorisation des entreprises locales de ce secteur, et quelles sont vos ambitions dans ce domaine ?

M. Philippe Meunier. Vous avez annoncé certains chiffres très importants dont un coût de 1,2 milliard d’euros. Pouvez-vous nous indiquer de façon synthétique les surcoûts engendrés par la baisse de volume et l’étalement des programmes Barracuda et FREMM et les éventuelles conséquences pour l’emploi.

M. Patrick Boissier. Le report des commandes de FREMM peut être apprécié en équivalents frégates : ainsi, supprimer les trois dernières frégates revient au coût de deux frégates, et étaler les livraisons à quatorze mois à celui d’une frégate.

Mme la présidente Patricia Adam. Nous avions, dans un précédent rapport rédigé avec Yves Fromion, effectivement observé que les glissements de programme avaient un coût important et pénalisaient l’équipement de l’ensemble des armes.

M. Patrick Boissier. Le coût que j’évoque est l’impact des réductions et des étalements mais ne correspond pas à l’impact final sur l’emploi, qui dépend du reste de notre activité, difficile à évaluer car elle ne concerne pas des séries produites en grand nombre mais un petit nombre d’affaires très importantes. Comme vous le savez, une affaire n’est réputée faite qu’une fois le contrat signé et le premier acompte reçu. Nous avons récemment concrétisé une affaire de Corvette avec la Malaisie et nous avons aujourd’hui un certain nombre de prospects pour les sous-marins et les navires de surface. Par expérience, je reste optimiste jusqu’au dernier moment, et le contrat signé avec le Brésil pour les Scorpène, pour lequel nous n’étions pas donnés gagnants, me donne raison.

J’ai également entendu parler de l’AMI pour les fermes hydroliennes au sujet duquel je n’ai pas d’information nouvelle à apporter.

L’Adroit est un grand succès qui a donné à DCNS une visibilité sur le marché des navires d’une taille inférieure aux frégates, ce qui a certainement facilité la signature avec la Malaisie. L’Adroit a fait ses preuves en mer grâce à la marine nationale qui l’emploie dans différents endroits du globe avec des retombées très positives. Des perspectives sérieuses existent pour des navires de ce type, mais je ne peux pas vous dire avec quels pays tant que les contrats ne sont pas signés. La LPM ne prévoyant pas d’acquisition de navire de ce type, il sera donc vendu s’il trouve preneur. Le contrat de mise à disposition de trois ans signé avec la marine nationale comprend une clause permettant la vente du navire durant cette période, moyennant un préavis.

Le prolongement des Rubis aura des conséquences positives sur la charge de MCO, qui restera à Toulon ; en revanche, la question du lieu du MCO du Barracuda reste ouverte et sera tranchée par les politiques, la DGA et la marine auxquels nous avons communiqué avantages et inconvénients des différentes options envisagées.

En ce qui concerne la grande plaisance, nous avons accueilli à Toulon sept ou huit grands yachts pour entretien, dans le cadre d’un partenariat avec la société Other Angle Yachting, à la satisfaction de ses clients. Il s’agit d’une petite activité de quelques millions d’euros qui assure des emplois. Nous intervenons à Toulon mais pourrions également le faire à Marseille ou à La Ciotat.

M. Philippe Folliot. Votre entreprise représente l’excellence technologique française car elle est quasiment la seule au monde à fabriquer des SNLE, qui sont parmi les objets les plus complexes au monde.

La LPM prévoit au titre des ressources exceptionnelles la cession d’actifs d’entreprises du secteur de la défense. DCNS est détenu par l’État à environ 65 %. Pensez-vous que la part de capital de l’État puisse descendre en dessous de 50 % sans que cela affecte nos capacités et les perspectives de votre entreprise, qui intervient dans le domaine stratégique particulièrement sensible et secret de la dissuasion ?

M. Gilbert Le Bris. Les six Barracuda et les cinq FREMM prévus dans la LPM sont des programmes structurants mais j’aimerais savoir si vos capacités d’exportation, qui se situent aujourd’hui autour de 40 %, peuvent constituer une variable d’ajustement, comme c’est le cas pour le Rafale ? Par ailleurs, comment votre stratégie commerciale s’articule-t-elle entre coûts d’acquisition, dans le cas des huit BSAH qu’il convient, selon moi, d’acquérir le plus rapidement possible, et coûts de possession, dans le cas des FREMM pour lesquelles vous vous orienteriez vers un leasing à l’exportation ?

M. Jean-Pierre Fougerat. Ma question porte sur les effectifs qui, ainsi que vous nous l’avez dit, enregistrent un solde annuel positif de 300 postes depuis 2009. Ce chiffre pourra-t-il être maintenu compte tenu des reports et des étalements envisagés et quelles seront, plus particulièrement, les conséquences en matière d’emploi sur le site d’Indret en Loire-Atlantique ?

M. Patrick Boissier. Nous ne sommes pas les seuls à savoir fabriquer des SNLE, les Américains, les Russes et les Chinois ont également des compétences dans ce domaine.

DCNS est aujourd’hui détenu à 64 % par l’État, 35 % par Thales et 1 % par le personnel, part qui devrait doubler prochainement. Pour ce qui concerne la préservation du pouvoir régalien de l’État au regard de la hauteur de capital détenu, j’ai tendance à répondre par comparaison, je peux citer l’exemple de la filiale d’EADS, Astrium, fabricant des missiles de la force de frappe, dans laquelle l’État détient 12 % des parts et considère qu’il a toujours les moyens d’exercer son pouvoir de contrôle. Pour répondre à la question posée, il est possible de considérer mutatis mutandis que cette part du capital serait suffisante également chez DCNS. Par ailleurs, et sans parler de l’opportunité de le faire, des alliances au niveau européen indispensables face aux nouveaux entrants asiatiques sur le marché ne pourraient se faire sans une diminution de la part de l’État.

Il y aura bien six, et non cinq, frégates en service en 2019, dont une est livrée. Nous espérons en effet que l’étalement de la fabrication des FREMM sera compensé par l’exportation, variable d’ajustement, et même au-delà. Nos efforts en la matière sont d’ailleurs indépendants de la LPM et nous sommes présents sur les différents marchés avec l’excellent navire qu’est la FREMM. La voie du leasing semble être un facilitateur. Je ne fais toutefois pas de différence entre coût d’acquisition et coût de possession : le navire acquis en leasing serait loué sans équipage, sans munition et sans MCO, qui seraient à la charge du « locataire ».

Pour ce qui concerne l’évolution des effectifs, si le nombre de départs est appelé à rester stable en fonction de la pyramide des âges, le nombre d’embauches dépend, lui, directement des commandes et de la charge de travail. Un éventuel étalement des Barracuda et des FREMM se traduirait naturellement par un ralentissement des embauches liées à ces programmes.

M. Joaquim Pueyo. Monsieur le Président, vous avez parlé d’alliances il y a quelques minutes, et lors de votre dernière audition vous aviez beaucoup insisté sur cet axe de votre stratégie d’entreprise. Vous avez rappelé que le marché américain qui représente 10 milliards d’euros était fermé - pas définitivement mais quasiment -, et que le marché européen de huit milliards d’euros était en décroissance puisqu’il ne représente plus qu’un tiers de la totalité, alors que le Sud Est asiatique, le Moyen-Orient ou l’Amérique du Sud étaient à prendre en considération.

Nous sommes aujourd’hui à deux mois d’un Conseil européen consacré à l’Europe de la défense : quelles propositions feriez-vous pour donner à celle-ci un sens très précis pour nos industries de défense puisque, comme vous l’avez dit, il faudra rationaliser les programmes ? Les Européens n’ont pas les moyens, à l’heure actuelle, de répondre à tous les programmes, et nous savons qu’en dehors de la Grèce et de la Pologne chaque pays s’équipe en fonction de sa production intérieure.

M. Jean-Michel Villaumé. Vous nous avez exposé votre projet de développement, votre dynamisme, votre croissance, vos inquiétudes, mais j’aimerais savoir comment vous allez travailler avec les PME, comment vous allez les accompagner, notamment grâce aux partenariats encouragés par le ministère de la Défense avec le pacte PME - défense.

M. Sylvain Berrios. Je souhaiterais revenir sur deux éléments. Tout d’abord, nous avons évoqué plusieurs fois la question de la prolongation de la classe Rubis, et vous avez répondu de façon lapidaire au sujet du surcoût que représenterait cette prolongation en termes de MCO. Pourriez-vous préciser ce surcoût ?

Ensuite, vous avez rappelé au début de votre propos que vous étiez en train de rééquilibrer vos affaires, dépendant aujourd’hui à 80 % de la commande publique française. La France pourra-t-elle donc toujours bénéficier durablement et prioritairement des initiatives et des innovations de DCNS ?

M. Patrick Boissier. Sur les alliances, vous avez rappelé ce que j’avais dit lors d’une précédente audition. Or, ce que je voudrais préciser est que depuis cette dernière audition, les tendances sur les marchés internationaux n’ont fait que se renforcer. Les Américains sont toujours aussi « libéraux » en matière de fourniture d’armes ; si vous n’êtes pas américain produisant aux États-Unis vous ne pouvez pas vendre ! Le marché européen baisse encore plus vite que lorsque je suis venu la dernière fois. En revanche, les marchés exports, eux, se développent de plus en plus vite. L’apparition de nouveaux concurrents se fait donc plus rapidement que ce que l’on craignait, ce qui est encore plus dangereux.

Donc, je maintiens cette nécessité que se crée l’Europe de la défense, en tout cas l’Europe de l’industrie de la défense, à deux conditions essentielles. Tout d’abord, il ne peut y avoir une Europe de la défense en matière de fourniture de matériel que s’il y a une demande commune. Pour l’instant, en Europe, nous avons des marines nationales aux missions assez similaires, mais qui n’expriment pas leurs besoins de la même façon. Ainsi, un programme commun ne peut actuellement se développer qu’en englobant toutes les demandes dans une enveloppe commune, ou bien en s’adaptant aux spécificités de chaque marine nationale, ce qui pose de certains problèmes d’efficacité. Ensuite, la deuxième condition indispensable à la construction d’une véritable Europe de la défense en matière industrielle est qu’il y ait une offre commune, puisque si même avec une demande commune il y a des fournisseurs nationaux en concurrence, chacun voudra préserver sa base nationale, ce qui n’amènera pas à converger.

Pour moi, le meilleur exemple est celui du porte-avions : il y a quelques années on parlait d’un PA2, de plusieurs porte-avions sous forme britannique, on avait commencé à regarder ce que l’on pouvait faire ensemble et ceci s’est terminé comme vous le savez. Ce que je peux vous dire est qu’à l’époque, si chaque pays avait accepté de s’engager dans la définition d’un besoin commun, au prix de l’abandon de quelques spécificités dans chaque marine pour avoir un design commun, puis de réaliser ces porte-avions en commun en fonction de la qualité des capacités industrielles dans chaque État, ce qui aurait peut-être permis de produire un porte-avions tous les six mois pendant 18 mois sur les chantiers de Loire-Atlantique, en y mettant des moteurs Rolls Royce, aujourd’hui nous aurions ces trois porte-avions pour un coût beaucoup moins important que ce qu’engendrera la production strictement nationale. Il me semble que c’est le meilleur exemple de l’inefficacité de la façon dont nous travaillons en Europe. Il faut que nous arrivions à faire en sorte de changer cela. Le rôle des industriels dans cette démarche est alors de se regrouper, de définir une offre commune, ce qui dépend d’une part de l’amélioration des performances de chaque entreprise, et d’autre part de la volonté de s’allier.

En ce qui concerne les PME, qu’elles soient sous-traitantes ou fournisseurs, elles sont aujourd’hui totalement indispensables à DCNS. En effet, DCNS n’est que le pivot d’une entreprise élargie, seule à même de construire les navires destinés à la marine française ou à l’exportation. DCNS souhaite donc poursuivre le développement de partenariats avec ces entreprises. On choisit les meilleures entreprises pour que chaque partie y trouve son intérêt. Nous avons déjà ratifié des chartes de partenariats au sein de l’entreprise ; notamment celle du ministère de la Défense en présence du ministre. Nous travaillons également avec les PME à l’exportation puisque nos marchés internationaux sont aussi l’occasion pour elles de développer des partenariats locaux, et ainsi de s’implanter à l’étranger. Nous avons aujourd’hui de nombreux exemples de PME qui se développent en Malaisie, en Inde, au Brésil, etc.

Concernant le surcoût du MCO pour les SNA de la classe Rubis, je ne sais pas répondre à cette question ; cependant il y aura un surcoût annuel. S’agissant de l’innovation, il faut que DCNS continue d’innover parce qu’elle en a besoin pour se développer et pour perfectionner les produits à destination de la marine nationale. Je vais d’ailleurs en profiter pour faire passer un message. Nous dépensons annuellement environ 10 % de notre chiffre d’affaires en recherche et développement, en fonction de trois sources : le développement de programmes, les plans d’études amont (PEA) et la recherche autofinancée. DCNS a décidé d’augmenter considérablement ses efforts en termes de recherche autofinancée afin d’atteindre 4 % de son chiffre d’affaires, alors qu’elle était à 2,7 %. Comme en même temps le chiffre d’affaires augmente, DCNS va faire tripler son effort de recherche autofinancée sur dix ans. Cependant, il faut ensuite que les PEA suivent ; or, la part des PEA consacrée au secteur naval est extrêmement faible, bien inférieure au poids que représentent les équipements navals acquis par la DGA, et ce chiffre ne cesse de baisser. Je salue la décision du ministre de réaugmenter les crédits de R&T, et j’espère que ceci profitera au naval.

M. Christophe Guilloteau. Monsieur le Président, j’ai bien compris que les reports sur le programme Barracuda avaient une incidence sur votre entreprise, sur l’emploi, et sur la défense nationale, mais qu’à côté de cela vous êtes actifs dans de nouvelles niches civiles, notamment dans le secteur éolien.

J’aimerais revenir sur l’export, dont vous avez dit qu’il représentait 40 % de votre chiffre d’affaires ; même si vous avez développé quelques chiffres, vous n’avez pas évoqué ce que sont aujourd’hui les grands prospects. Je sais que l’Amérique du Sud en fait partie mais j’imagine qu’il y a d’autres points du globe.

M. Gwendal Rouillard. Je soutiens l’idée de créer une société de leasing : l’État stratège doit être inventif en matière de modes de financement.

Je crois aussi à la nécessité pour l’État d’accélérer le développement des énergies marines renouvelables, qu’il s’agisse de l’éolien flottant ou d’autres technologies, dont toutes les façades maritimes françaises pourraient tirer un grand profit.

Enfin, une question : où en est le projet de frégate de taille intermédiaire (FTI), appelé à prendre la suite des frégates de la classe Lafayette et dont le développement me semble crucial pour l’emploi, l’innovation et les exportations ?

M. Patrick Boissier. On a évoqué nos niches de développement : on entend généralement par là de petites activités très profitables, or il faut noter que les nôtres ne le sont pas encore : par nature, ni l’investissement en recherche et développement ni les premières commandes ne sont rentables à court terme.

Les énergies marines renouvelables font partie de nos secteurs de développement, même si l’industrie navale de défense restera notre cœur de métier.

Pour ce qui est des zones dans lesquels nous prospectons des contrats, il n’y a rien à attendre du marché américain, qui nous est fermé, et pas plus du marché européen, sur lequel la plupart des États disposent de capacités nationales de production. En revanche, l’Asie du Sud-Est est un marché prometteur, avec les craintes que suscite auprès des États de la région la montée en puissance de la Chine ; nous sommes donc présents dans tous les appels d’offres lancés par ces derniers. De même, la menace iranienne crée un besoin d’équipement important pour plusieurs États du Moyen-Orient. Nous développons ainsi nos liens avec les Émirats arabes unis, avec l’Arabie saoudite – où un contrat de rénovation de frégates pour 750 millions d’euros est en cours de finalisation – ainsi qu’avec le Quatar, le sultanat d’Oman et le Koweit.

L’Amérique du Sud représente également un marché prometteur, principalement au Brésil, mais pas uniquement. Il ne faut pas non plus oublier la Russie, qui nous a acheté deux bâtiments de projection et de commandement, et où nous continuons nos activités de prospection.

S’agissant du projet de frégate de taille intermédiaire, il en est encore à ses prémisses. Le projet de LPM ne l’intègre d’ailleurs pas. Ce projet vise à la fois à pourvoir au remplacement des frégates de classe Lafayette et à adapter notre offre à certains marchés étrangers, pour lesquels nos FREMM seraient soit surdimensionnées, soit trop automatisées.

*

* *

Ÿ M. Antoine Bouvier, président de MBDA (mercredi 18 septembre 2013)

Mme la présidente Patricia Adam. Mes chers collègues, nous accueillons aujourd’hui M. Antoine Bouvier, président de MBDA, sur le projet de loi de programmation militaire.

Monsieur Bouvier, comme pour vos confrères chefs d’entreprise intervenant dans le secteur de la défense auditionnés précédemment, nous souhaitons de votre part une analyse des conséquences du projet de LPM sur votre plan de charge, mais aussi et surtout des points de fragilisation éventuelle pour la préparation de l’avenir et le maintien des compétences.

M. Antoine Bouvier, président de MBDA. Chacun a compris combien les enjeux de cette loi de programmation militaire sont importants pour la stratégie de défense et pour les perspectives de l’industrie de défense.

Ce projet de LPM est cohérent avec les orientations du Livre blanc. Elles confortent la stratégie et le positionnement de MBDA, qu’il s’agisse du rôle de l’industrie de défense, de notre politique « produits », de nos investissements en recherche et technologie, des initiatives que nous avons prises dans le domaine de la coopération européenne ou des grandes orientations de notre stratégie. Je tiens donc à saluer les directives du Livre blanc et du projet de LPM.

Cinq grands thèmes me paraissent devoir être relevés.

Le premier est la confirmation du rôle central joué par l’industrie de défense pour contribuer à l’objectif d’autonomie stratégique. Je cite le projet de texte, qui reprend le Livre blanc : « l’industrie de défense est une composante essentielle et à part entière de notre autonomie stratégique ».

Le Président de la République avait évoqué dans sa lettre de mission à la Commission du livre Blanc trois libertés essentielles à l’autonomie stratégique : la liberté d’appréciation, la liberté de décision et la liberté d’action. Elles se déclinent dans des capacités militaires - capacité d’entrer en premier sur le théâtre d’opérations et capacités de communication ou de frappes en profondeur -, qui sont cohérentes avec les trois fonctions prioritaires dégagées par le Livre blanc et le projet de LPM : protection, dissuasion et intervention, fonctions sur lesquelles MBDA a développé une politique de produits et investi dans des programmes d’avenir.

Le deuxième thème est la priorité donnée à l’investissement dans la R&T et la R&D, priorité qui, dans un contexte budgétaire contraint, vise à préparer l’avenir et à maintenir les compétences industrielles.

Le troisième est la dissuasion avec, pour MBDA, la confirmation de ses deux composantes dans la durée, ce qui implique d’engager des actions pour la rénovation à mi-vie de la composante nucléaire aéroportée, c’est-à-dire celle de l’ASMP/A, et de poursuivre les études technologiques nécessaires à la préparation de son successeur – à un horizon certes plus lointain.

Le quatrième thème est la coopération européenne. Non seulement les objectifs de coopération ont été confirmés, mais, en cette période budgétaire difficile, ils l’ont été par une décision positive relative à un programme, qui n’a pas été le plus facile à lancer – je fais évidemment allusion à l’anti-navire léger (ANL). Ce programme a, en effet, fait l’objet, à juste titre du reste, de discussions compliquées pour des questions de calendrier - aucune décision structurante ne devait être prise avant la parution du Livre blanc - et de contrainte budgétaire. La décision positive ayant été prise par le Président de la République et le ministre de la Défense, avec le soutien de la représentation parlementaire, nous avons fait de cette difficulté un message très fort en direction de nos partenaires britanniques. Les deux volets de coopération européenne et d’intégration industrielle sont bien identifiés dans la LPM comme des objectifs qui se renforcent mutuellement. Non seulement la coopération permet, en partageant les coûts de développement, d’accélérer les programmes auxquels nous n’aurions pas accès s’ils étaient développés sur une base purement nationale - l’ANL en est un bon exemple –, mais elle nous fait également entrer dans une logique d’intégration, de consolidation et de spécialisation qui permet de maintenir des compétences que nous n’aurions pas nécessairement les moyens financiers de conserver si nous étions restés dans un cadre strictement national.

Le cinquième et dernier volet est le rappel de l’importance de l’export pour l’industrie de défense : il est nécessaire de prendre en compte les objectifs de développement de l’activité à l’export dans l’investissement R&D et la politique de produits.

Ces cinq éléments majeurs confortent, je le répète, la stratégie de MBDA et de tous les acteurs industriels de la défense en France. Ils vont dans la bonne direction pour sauvegarder l’essentiel dans cette période difficile.

J’en viens au cadrage budgétaire.

Le chiffre d’affaires de MBDA au regard de son client français a atteint, dans les années 2008-2010, une moyenne de 800 millions d’euros hors taxes, laquelle, en raison d’un pic de livraison, notamment du programme Aster, était plus élevée que celle des années précédentes. Le chiffre d’affaire moyen de la décennie 2000 de MBDA pour son client français s’élevait en effet à quelque 700 millions d’euros HT.

Nous discutons à l’heure actuelle avec la DGA des réductions de format de la plupart de nos programmes, d’étalements de livraison et de reports de paiements. Je vous donne donc aujourd’hui l’estimation de ce que pourrait être pour MBDA le résultat final de ces discussions compte tenu des hypothèses de travail qui nous ont été fournies. Dans nos échanges avec la DGA et, plus généralement, avec le ministère de la Défense relatifs au lancement de l’ANL, nous avons pris l’initiative de faire des propositions constructives sur des réductions de cadence et de format, c’est-à-dire d’échanger des budgets de production contre des budgets de développement en vue de dégager des recettes budgétaires pour financer l’ANL. Nos discussions avec la DGA sont de ce fait peut-être plus avancées que celles d’autres industriels.

Notre meilleure estimation du flux annuel moyen de la prochaine LPM s’élève à quelque 500 millions d’euros. Si on évalue l’inflation sur la période précédente à 10 %, entre la moyenne des années 2000 – 700 millions + 10 % – et les 500 millions attendus, la réduction des budgets que le client français consacrera à MBDA dans le cadre de la prochaine LPM par rapport à la précédente oscillera donc entre 30 % à 40 %. C’est considérable. Il ne s’agit pas d’un écart entre ce que l’entreprise souhaitait obtenir de la prochaine LPM et ce que celle-ci prévoit effectivement : l’écart est entre les budgets réalisés durant la précédente décennie et ce qu’ils seront dans le cadre de la prochaine LPM.

Une telle réduction du chiffre d’affaires pèse directement sur l’emploi.

Je tiens à rappeler que MBDA a perdu une annuité sur la précédente LPM et en perdra une autre sur la prochaine – d’où cette réduction de 40 % des budgets, compte tenu de l’inflation. Sur la précédente LPM, nos activités de développement ont été réduites de 20 %, et nos activités de production de plus de la moitié. S’agissant de la prochaine LPM, c’est-à-dire si on tient compte de la deuxième annuité perdue, nos activités de développement sont maintenues, avec le lancement notamment des programmes ANL et MMP. Nous perdons en revanche, en production, entre 40 % et 50 % de nos contrats en cours.

Nous comprenons les contraintes budgétaires actuelles : M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense, lorsqu’il est venu cet été dans notre centre de Bourges, où l’activité de production est importante, a tenu un discours de vérité devant l’ensemble du personnel et des organisations syndicales, rappelant que l’autonomie stratégique, c’est aussi la capacité à maîtriser la situation financière. Il a affirmé que, soutenu par la commission de la Défense et des forces armées de l’Assemblée nationale et par la commission des Affaires étrangères et de la Défense du Sénat, il a réussi à obtenir, compte tenu des contraintes budgétaires actuelles, le scénario le plus acceptable. Il a tenu à expliquer aux salariés que l’arbitrage s’était fait en faveur du développement au prix d’une réduction de la production. Maintenir les compétences et assurer l’investissement dans de nouveaux produits susceptibles de conforter l’export et de garantir le long terme étaient des choix prioritaires, que nous avons accompagnés de nos propositions au moment du lancement de l’ANL. Les arbitrages qui ont été faits sont donc, de notre point de vue, les bons, même s’ils ont un impact significatif sur la production et donc sur l’emploi, notamment dans la région Centre où sont concentrées nos activités de production. Pour la filière missiles, on peut estimer les réductions d’effectifs à 500 équivalents temps plein (ETP), réparties entre MBDA et ses sous-traitants.

Lorsqu’en 2011 nous avions défini le cadrage financier de la filière missiles, nous avions anticipé, avec l’État-major et le ministre de la Défense de l’époque, une situation budgétaire très difficile. Les industriels de la défense n’ont pas été très nombreux à le faire. En 2011, nous avons réduit de manière significative les budgets de la filière missiles dans une approche de partenariat, qui continue aujourd’hui à faire sens et qui correspond au nouveau modèle industriel qu’il convient de mettre en place entre l’industrie de défense et le client français. Si je parle de partenariat, c’est que nous partageons les objectifs de long terme en matière de maintien des compétences et de politique capacitaire. La DGA et les industriels peuvent ainsi définir ensemble une approche globale de filière. C’est ce que nous avons fait en 2011 et répété en 2012 et 2013 pour supporter le choc tout en maintenant l’essentiel : les bureaux d’études, les capacités de développement, les nouveaux produits et les capacités industrielles.

Le premier exercice de réduction budgétaire pour la filière missiles avait conduit à une réduction d’environ 400 postes sur les sites MBDA parisiens et de la région Centre à l’horizon 2015-2016 sans plan social. En effet, les perspectives de départs à la retraite permettaient à la fois d’absorber cette réduction de charges et de continuer d’embaucher des jeunes – il convient d’examiner site par site et métier par métier la pyramide des âges pour assurer le transfert les compétences. Une simple approche mathématique globale n’aurait aucun sens. J’avais donc présenté à l’époque à l’ensemble des personnels et à leurs représentants un schéma de réduction des charges qui permettait d’échapper à tout plan social.

Qu’en est-il aujourd’hui ? Il est prématuré de répondre. Si nous pouvons dépasser nos objectifs à l’export et si nos discussions avec la DGA nous laissent une marge de manœuvre, alors, la contrainte pesant sur l’emploi industriel à l’horizon 2015-2016 sera desserrée.

Ce sont ces trois éléments : partenariat en France, intégration européenne et développement à l’export, qui nous permettent d’absorber le choc de la réduction budgétaire et de trouver un nouveau modèle assurant le succès et la pérennité de MBDA.

J’en viens aux différents programmes.

Le missile moyenne portée (MMP), successeur du Milan, revient de très loin. Un premier choix avait été fait en juillet 2009 d’acquérir un nombre heureusement limité de Javelin dans une approche d’urgence opérationnelle. MBDA a réagi dès septembre 2009 en décidant de mettre des équipes de très haut niveau et les ressources financières nécessaires à la poursuite du développement d’un produit maison, sans recevoir alors le moindre encouragement de l’administration française. Nous étions confiants dans une solution française, bâtie sur les spécifications de l’armée de terre – la trame missiles/roquettes – : notre investissement et notre prise de risques ont été récompensés puisque ce produit correspond à celui dont l’armée de terre a besoin en termes de performances et de calendrier et que la DGA trouve attractive la proposition commerciale que MBDA lui a faite. Nous avons en effet proposé, sur la base d’une commande française de 3 000 missiles, de prendre à notre charge 75 % des coûts de développement, une proposition exceptionnelle compte tenu des contraintes auxquelles nous devons faire face. MBDA ne pouvait pas en effet se résoudre à ce que ce secteur du combat terrestre pour lequel le Milan a longtemps été le leader mondial et représente entre 15 % et 20 % du marché des missiles devienne un marché exclusivement américain ou israélien. L’objectif est d’avoir une signature puis une notification avant la fin de l’année, ce qui est nécessaire pour une mise en service en 2017 dans le cadre du retrait du Milan. À l’heure actuelle, une tranche ferme de 1 500 missiles est en cours de discussion avec la DGA, les 1 500 autres devant impérativement être confirmés dans les années suivantes. À Bourges, cet été, le ministre a salué la prise de risque de MBDA.

Le projet de missiles longue portée (MLP) vise à remplacer à compter de 2021 les missiles Hellfire sur le Tigre. Les deux projets – MMP et MLP – sont cohérents puisque le MMP est un premier élément d’une famille : ayant le même diamètre, le MLP sera une version aéroportée du MMP, avec une portée améliorée de huit kilomètres correspondant aux besoins du Tigre. Il serait aujourd’hui prématuré de parler du MLP en termes de programme mais nous souhaitons préparer cette deuxième étape dans un cadre européen, le MLP étant une opportunité importante de coopération avec les Britanniques ou les Allemands pour partager les coûts de développement et s’assurer de quantités de production supérieures.

S’agissant de l’ANL, notre objectif est de finaliser dans les prochains jours le document contractuel afin que le lancement du programme puisse être confirmé lors d’un sommet franco-britannique qui pourrait se tenir entre la fin du mois de novembre et le début de l’année 2014. Compte tenu de l’engagement pris au plus haut niveau politique français et de la valeur de test de ce programme – c’est ainsi qu’il a été présenté par nos partenaires britanniques –, il est tout à fait naturel que ce soit à l’occasion du prochain sommet franco-britannique qu’en soit faite l’annonce.

Une des difficultés de ce programme consistait à résoudre le décalage en termes de calendrier entre les besoins opérationnels français et britanniques. Dans un cadre budgétaire très contraint, le court terme a un poids plus important que le moyen terme. Si la France et le Royaume-Uni veulent entrer résolument dans la voie de la coopération, les deux pays doivent faire converger leurs besoins opérationnels tout en acceptant une certaine flexibilité en termes de calendrier, sous peine de ne pas réussir à lancer des programmes communs. Pour l’instant, les discussions avec la DGA n’ont porté que sur le développement. MBDA a de son côté pris l’initiative de travailler avec Eurocopter pour trouver des solutions d’intégration a minima sur le Panther, qui permettent, tout en limitant au minimum les coûts d’intégration, de conserver les fonctionnalités de base de l’ANL et de les associer à un premier lot limité de missiles de façon à obtenir, à un coût aussi réduit que possible, une première capacité sur le Panther. Compte tenu des contraintes actuelles, il paraîtrait difficile d’envisager une intégration sur le Panther ou le NH 90 de l’ANL avec toutes ses fonctionnalités dans le cadre de cette LPM.

Le premier objectif de l’Aster Block 1 NT, dont le lancement est envisagé pour 2014, est d’accroître les performances du système actuel dans ses versions terrestre et navale pour aller plus loin dans l’interception des missiles balistiques de théâtre, qui ont une portée significativement supérieure à 1 000 kilomètres et une première capacité de manœuvre. Le deuxième objectif est d’assurer la pérennité de la famille Aster sur le long terme, le troisième, plus politique, étant de poursuivre, dans le cadre de ce programme, la coopération franco-italienne. Les discussions avec la DGA sont avancées, la prochaine étape devant consister à obtenir un engagement de financement plus ferme de la part des Italiens en 2014. Plus la France sera ferme dans son engagement sur l’Aster Block 1 NT, plus les Italiens seront conduits à l’être également. Vendredi 20 septembre, les deux ministres italien et français de la défense se rencontreront avant le prochain sommet franco-italien qui se tiendra à l’automne. La coopération sur l’Aster entre ces deux pays est une des plus importantes et une des plus réussies des dernières décennies. Elle s’étend au Royaume-Uni pour l’intégration de l’Aster au destroyer T 45. De plus, Singapour vient d’annoncer qu’il avait préféré l’Aster aux systèmes américains et israéliens : nous avons donc gagné sur la performance et sur le prix dans un pays où les procédures de sélection sont particulièrement exigeantes et rigoureuses. Ce succès devrait être une motivation supplémentaire pour franchir une nouvelle étape au cours du prochain sommet franco-italien.

En ce qui concerne l’armée de l’air, la LPM mentionne le MICA-NG, qui permettra de renouveler le produit, qu’il s’agisse de la version d’équipement du Rafale ou de la version de défense aérienne – lancement vertical –, sans oublier l’adaptation aux nouvelles menaces. Nous développerons dans le cadre du MICA-NG de nouvelles technologies et de nouvelles approches industrielles permettant de réduire de manière significative les coûts.

Je tiens également à mentionner la rénovation à mi-vie de 100 missiles Scalp, qui est une étape importante dans la feuille de route franco-britannique de convergence dans les capacités de frappe en profondeur. Cet élément pèse peu sur le plan budgétaire mais il est important pour asseoir la poursuite de la coopération franco-britannique en ce domaine.

Ces nouveaux programmes correspondent à un niveau d’activités assurément en réduction de 20 % par rapport à la situation d’avant 2011 mais qui reste compatible avec le maintien des compétences de développement du bureau d’études français de MBDA. En effet l’effort d’autofinancement des nouveaux programmes a été supérieur cette année à celui de l’an passé afin que les capacités de financement de MBDA et de l’État assurent le maintien des capacités et des compétences du bureau d’études français.

Les programmes en production sont ceux pour lesquels nous avons un contrat prévoyant un nombre déterminé de missiles et un calendrier de livraison.

Le programme Aster a connu deux premières phases au cours desquelles 100 missiles ont été livrés. Nous sommes en cours de phase 3, laquelle prévoit la livraison d’un peu moins de 600 missiles, dont presque la moitié a déjà été livrée. Les discussions avec la DGA conduisent à une réduction importante du nombre des missiles restants. Les cadences de livraison seront donc très réduites les prochaines années, même si nous maintenons l’objectif de huit batteries.

La cible initiale pour les missiles de croisière navale était de 250 : elle a été une première fois réduite à 200 avant de l’être de nouveau à 150 : ils seront livrés sur la période de la prochaine LPM.

Quant à l’Exocet MM 40 Block 3 C, ce programme a été lancé en 2011 avec une cible initiale de trente-cinq unités qui serait réduite de plus de la moitié. Des missiles existants seront rénovés pour atteindre le standard Block 3 C.

Les livraisons du Meteor devraient commencer en 2019 pour un contrat initial de 200 missiles : la réduction devrait là encore être de la moitié environ.

Quant à la cible du Mistral, qui n’est pas mentionné dans le projet de LPM, elle était initialement de 1 500 : elle devrait descendre au-dessous de 1 000.

Les réductions de cibles des contrats sont donc, au total, de l’ordre de 40 % à 50 %, les réductions sur les cadences à venir étant d’autant plus significatives que les premières livraisons ont été importantes.

Dans le cadre budgétaire défini, le choix de privilégier le développement, je le répète, était le bon. Le nouveau modèle industriel que j’ai évoqué est essentiel : poursuivre avec le ministère de la Défense l’approche de partenariat et de filière, poursuivre la coopération européenne et les efforts de développement et de partenariat à l’export, seule possibilité que nous ayons de compenser les réductions de cibles de notre client français.

Il est tout aussi essentiel que les hypothèses actuelles du projet de LPM soient confirmées – je les rappelle : MMP et ANL en 2013, Aster Block 1 NT en 2014. Si nous sortons de cette épure, la situation deviendrait catastrophique puisque, après avoir perdu en termes de production, nous perdrions également en termes de développement. La situation deviendrait ingérable tant en matière d’emploi à court terme qu’en matière de perspectives stratégiques et d’activités à moyen et long termes pour l’entreprise.

Mme la présidente Patricia Adam. La suppression de 500 ETP est, si j’ai bien compris, un solde. Quel nombre d’embauches de jeunes prévoyez-vous pour y arriver ?

Par ailleurs, quelle part de votre chiffre d’affaires consacrez-vous à la R&T et à la R&D, notamment par rapport à ce qui vous apporté par la DGA ?

Quelles sont enfin les répercussions attendues sur l’emploi de l’exportation de 9 000 MMP ?

M. Antoine Bouvier. La réduction des budgets de 2011 a entraîné la réduction de 400 postes permanents chez MBDA à l’horizon 2015/2016, sans compter l’impact sur les sous-traitants in situ et les emplois dans la filière industrielle. Ce chiffre de 400 était le solde entre un potentiel de 700 départs à la retraite sur la période 2011-2016 sur les deux sites de la région Centre et de la région parisienne et l’embauche de 300 jeunes – la pyramide des âges est relativement élevée chez MBDA, d’où l’objectif d’embaucher des jeunes pour transmettre les compétences. Aujourd’hui, la réduction de la production entraîne la suppression de quelque 500 ETP dans la filière missiles, dont 200 à 300 pour la seule entreprise MBDA. Toutefois, je tiens à répéter qu’une approche purement mathématique n’a pas de sens : d’une part, pour MBDA, les réductions en production sont principalement localisées dans la région Centre, d’autre part, il est nécessaire de procéder à une analyse fine des compétences, métier par métier.

Cette équation se fonde sur les objectifs à l’exportation que nous avons définis en 2011 et que nous avons maintenus en dépit d’une concurrence de plus en plus forte des Américains et des Israéliens comme du retard pris par certains contrats – je pense notamment au contrat avec l’Inde. Il convient donc pour réussir à maintenir cette équation d’améliorer nos résultats à l’exportation et de retrouver en France des marges de manœuvre.

Nous consacrons autour de 100 millions d’euros par an à nos actions de R&D, de promotion commerciale et d’amélioration de l’efficacité, ainsi qu’au co-financement ou au préfinancement de contrats à l’export ou en direction de notre client français, comme dans le cas du MMP – pour un chiffre d’affaire de quelque 1,5 milliard d’euros, qui se réduira de manière significative en France. La composante « défense » est d’ordinaire moins élevée que la composante « sécurité ». La composante nucléaire aéroportée ou l’Aster Block 1 NT sont en effet des programmes qui touchent au cœur de la souveraineté, alors que le MMP répond à un marché plus commercial, que nous n’hésitons pas à financer. Si MBDA ne réalise pas ses objectifs à l’export, l’entreprise connaîtra des problèmes en termes d’amortissement des développements qu’elle a pris à son compte. L’objectif ne sera pas facile à remplir, compte tenu du fait que le MMP a pour concurrent le Javelin et le Spike, dont les coûts de développement ont été supportés à 100 % par le contribuable américain et le contribuable israélien, ce qui n’est pas le cas du MMP de MBDA.

M. Joaquim Pueyo. Vous avez dit que la coopération européenne avait permis d’absorber une partie de la réduction des budgets français de défense – perte de deux annuités de LPM. La contrainte budgétaire ne peut donc qu’inciter l’industrie française à renforcer cette coopération – la réussite de l’ANL est un fruit des accords de Lancaster House. Serait-il possible d’étendre à d’autres partenaires – l’Allemagne, l’Italie ou l’Espagne – la mise en place de cadres communs ?

Vous avez également indiqué que la coopération permettait de créer des sites spécialisés et de réduire les charges. Pouvez-vous nous donner quelques exemples ?

M. François André. Vous tenez les mêmes propos que de nombreux autres industriels de la défense lors de l’université d’été de la défense, à Pau, à savoir que, dans un contexte budgétaire très contraint, les arbitrages rendus pour la construction de la LPM préserveront les capacités et les savoir-faire, dès lors qu’elle sera strictement appliquée année après année. Soyez assuré que chacun, ici, veillera à ce que la LPM soit effectivement exécutée – ce qui a été rarement le cas par le passé.

Une des forces de la LPM est d’allouer une enveloppe de 730 millions d’euros aux études amont, ce qui est significatif, même si l’idéal eût été aux yeux des industriels et des parlementaires d’atteindre le milliard. Quels sont, à vos yeux, les projets prioritaires que doit servir à financer cette enveloppe ?

M. Yves Fromion. MBDA est souvent citée comme l’exemple achevé d’une entreprise européenne. Or, en vous écoutant, je n’ai pas eu le sentiment que les quatre piliers de MBDA que sont l’Allemagne, l’Italie, le Royaume-Uni et la France concouraient à quelque synergie européenne que ce soit. Vos propos – c’est la première fois que je le note – sont restés ceux d’un patron uniquement français. Que font les autres partenaires de MBDA ?

M. Antoine Bouvier. Il est vrai, monsieur Pueyo, que Lancaster House a donné un nouvel élan à la coopération franco-britannique, mais si les décisions qui ont été prises pour la filière missile sont sur le point d’être appliquées, c’est parce que, depuis le début des années 1990, le lancement du Scalp / Storm Shadow, la création de MBD et l’intégration progressive de MBDA ont permis de poursuivre une approche franco-britannique, Lancaster House représentant non pas un point de départ mais une étape supplémentaire dans cette démarche résolue de coopération. Il convient évidemment de l’étendre à l’Allemagne, à l’Italie et à l’Espagne – les opportunités de coopération sont malheureusement trop peu nombreuses avec l’Allemagne et mais elles sont importantes avec l’Italie.

Toutefois, pour aller au-delà d’une coopération programme par programme, il est nécessaire que l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne développent, comme l’ont fait la France et le Royaume-Uni depuis la fin des années 1990, une vision industrielle sur le long terme et une politique capacitaire en matière de missiles. Toute coopération suppose en effet qu’on puisse d’abord confronter des visions industrielles pour, ensuite, les faire converger. Le seul volontarisme politique est impuissant en la matière. Une coopération comme celle de Lancaster House repose sur des politiques industrielles définies sur le long terme.

Les équipes de MBDA expliquent la démarche franco-britannique aux autorités des autres pays européens en vue de promouvoir une approche globale donnant aux industriels la visibilité nécessaire et permettant d’optimiser, programme par programme, compétence par compétence, un budget annuel nécessairement contraint. Je le répète : il faut disposer d’une politique industrielle et de perspectives budgétaires claires au niveau national pour pouvoir ensuite les partager. Ne mettons pas la charrue avant les bœufs.

À la suite du sommet de Lancaster House, nous avons travaillé entre 2010 et 2012 à un plan industriel avec la DGA et le ministère britannique de la Défense, pour une mise en œuvre à compter de 2012, retardée à 2013 après l’annonce du lancement de l’ANL. Nous avons défini quatre centres spécialisés au sein de douze centres d’excellence, qui sont pour certains spécialisés, pour certains fédérés – les compétences sont gardées dans les deux pays mais nous nous arrangeons pour acquérir un certain niveau de spécialisation au sein de ces compétences et assurer une grande fluidité dans le transfert des savoir-faire et des activités entre les deux pays. En France, ces spécialisations sont les calculateurs embarqués et les bancs de tests, au Royaume-Uni les actuateurs – les parties mobiles des missiles – et les systèmes de liaisons de données. Ce qui est nouveau, c’est que ces centres d’équipement spécialisés s’appliqueront à la fois à des programmes en coopération et à des programmes nationaux. Ainsi, l’actuateur du MMP devrait être britannique et le calculateur embarqué du Spear Capability 3 devrait être français. Nous attendons encore le feu vert de l’administration française pour transférer à Stevenage les actuateurs qui sont actuellement produits à Bourges. Il faut avoir une approche globale pour donner confiance. Par souci d’efficacité, les activités ne seront évidemment transférées qu’au fur et à mesure du financement des programmes.

Monsieur André, si plusieurs industriels, dont MBDA, ont envoyé une lettre au Président de la République, c’était bien pour lui demander de veiller à appliquer strictement la LPM, sous peine d’aller au-devant de graves difficultés. En effet, le principe de stricte suffisance, qui gouverne le nucléaire, s’applique également à la politique industrielle de la défense. Comme M. Le Drian l’a affirmé au cours d’une de ses auditions, si une pierre est retirée à l’édifice, celui-ci s’écroule.

C’est vrai, nous aurions préféré que l’enveloppe des études amont soit fixée à un milliard, ce qui aurait permis de financer plus de projets. L’objectif de MBDA est d’obtenir entre 50 et 60 millions d’euros, ce qui serait cohérent avec la part des missiles dans les budgets d’équipement français et européens. Il faut prendre en compte le ratio entre les études amont et le développement. Si un développement est lancé en l’absence d’un niveau suffisant d’études amont de préparation des technologies et de réduction du risque, des difficultés techniques risquent d’enchérir in fine le coût du programme. Le bon ratio s’élève entre 10 % et 15 %. Il est un peu plus élevé pour MBDA, qui doit préparer le successeur de l’ASMP/A, qui représente une part significative de nos études amont. Notre seconde priorité est de préparer, dans le domaine de la frappe en profondeur, le successeur commun franco-britannique du Scalp et de l’Exocet et, peut-être, d’autres missiles comme le Tomahawk, le Storm Shadow ou le Taurus germano-suédois. Ce nouveau programme nous offre des opportunités considérables de coopération industrielle.

Chaque audition, monsieur Fromion, a son ordre du jour. Lorsque j’ai été auditionné sur la coopération européenne, j’ai donné le point de vue de MBDA sur le sujet. Je suis aujourd’hui auditionné sur la LPM. J’ai du reste fait référence à plusieurs occasions au modèle industriel de filières nationales, à la coopération européenne ou à l’export.

L’Europe, c’est la coopération industrielle sur des programmes. Encore faut-il qu’il y ait des programmes. Nous avons connu, il y a quinze à vingt ans, une vague importante de coopérations européennes : je pense au Scalp / Storm Shadow, à l’Aster ou au Meteor – le Meteor a représenté un milliard d’euros, l’Aster plus encore. Ces programmes ont été structurants pour l’industrie de défense. L’enjeu est aujourd’hui de maintenir cette dynamique sur un nombre plus limité de programmes plus modestes. L’ANL est un programme important qui ne représente toutefois que 25 % du développement de Meteor et moins encore de l’Aster ou du Storm Shadow. Il convient de maintenir la base européenne sur un périmètre limité tout en préparant la prochaine vague de programmes en coopération européenne, notamment en matière de frappe en profondeur – je viens de l’évoquer –, avec une extension à l’Espagne, à l’Italie et à l’Allemagne, voire à la Suède. Je tiens à ajouter que ce périmètre actuellement limité ne nous interdit pas d’approfondir la coopération puisque j’ai évoqué les centres de spécialisation qui impliquent des transferts d’activités, y compris pour des programmes nationaux : ce transfert de charges est un nouveau concept. L’intégration et la spécialisation prendront des années : il faut résoudre des problèmes difficiles de licences globales, de convergences capacitaires ou d’autorisation d’export entre la France et le Royaume-Uni. Ce transfert entraînera à terme une modification radicale du cadre réglementaire qui s’applique à l’industrie de la défense. Il convient de même de sécuriser la coopération franco-italienne.

M. Yves Fromion. Les commandes d’autres pays compensent-elles la réduction des commandes du client français ?

M. Antoine Bouvier. Si nous avions dans nos quatre pays européens des situations de surcharge et de sous-charge en production, la structure MBDA en serait optimisée. Malheureusement, les quatre pays connaissent la même pénurie. Peut-être le développement des activités de production au Royaume-Uni pourra-t-il permettre le transfert d’activités en France. En effet, alors que le Royaume-Uni a été en situation de production très faible durant de longues années, l’augmentation actuelle des budgets britanniques consacrés aux missiles va faire repartir la production. Toutefois, nous ne sommes pas en situation de gérer des plus et des moins. Nous ne gérons que des moins.

Quant à l’Aster, les Italiens n’ont toujours pas pris leur décision, alors qu’il s’agit bien d’un missile franco-italien : le sommet franco-italien devrait apporter une confirmation que les deux pays sont engagés ensemble pour poursuivre cette coopération.

MBDA permet de concrétiser une approche européenne sans laquelle aucun des quatre pays du groupe n’aurait les moyens de développer seul les missiles que le groupe produit. Si les Britanniques avaient financé seuls l’ANL – ils l’ont envisagé un moment –, c’eût été catastrophique et pour la coopération franco-britannique et pour la France, qui se serait retrouvée dans la position de l’acheteur.

M. Philippe Folliot. Quel impact a l’échec du rapprochement de vos deux principaux actionnaires, EADS et BAE, sur leur filiale commune qu’est MBDA ? A contrario, qu’est-ce qu’aurait apporté à MBDA le succès de ce rapprochement ?

M. Jean-François Lamour. La LPM fait une part importante aux ressources exceptionnelles : en 2014, sur 31,38 milliards d’euros de ressources totales, il y aura 1,77 milliard de ressources exceptionnelles, dont une partie est liée au nouveau programme d’investissements d’avenir (PIA). Or je n’ai pas vu apparaître MBDA, contrairement à d’autres industriels, parmi les programmes liés à l’industrie de la défense que M. Gallois est venu récemment présenter devant l’Assemblée nationale. Dans vos négociations avec la DGA, est-il déjà prévu qu’une partie de votre R&D pourrait faire partie d’un de ces programmes d’investissement d’avenir qui mobiliseront quelque trois milliards d’euros en 2014, puis les années suivantes ?

M. Jean-Louis Costes. Quel est l’effectif global de MBDA ?

M. Antoine Bouvier. Monsieur Folliot, MBDA avait anticipé la fusion d’EADS et de BAE dans le domaine de la défense : une société commune, où les activités sont apportées de manière exclusive sans esprit de retour et ayant le périmètre opérationnel et technique le plus efficace.

L’exemple de MBDA confirmait le sens à une telle fusion. Toutefois, puisque précisément MBDA la préfigurait, ses conséquences pour l’entreprise étaient limitées. De ce fait, l’échec de la fusion a eu également des conséquences limitées.

Nous n’avons pas été informés, monsieur Lamour, par la DGA que certains de nos programmes pourraient faire l’objet de PIA. Les critères d’éligibilité sont d’ailleurs très stricts. Le sujet n’est pas à l’ordre du jour.

La réduction de 500 ETP dans la filière missiles concerne MBDA pour un peu moins de la moitié. L’effectif de MBDA en France frise les 5 000 salariés. La réduction des activités de production concerne surtout la région Centre – les établissements de Bourges et de Selles-Saint-Denis.

M. Christophe Guilloteau. J’ai l’impression que, selon vous, tout va bien au moment même où vous nous annoncez une perte d’activités de moitié, accompagnée de pertes d’emploi. C’est un peu surprenant.

Qu’en est-il des pertes d’emplois chez vos sous-traitants ?

M. Gilbert Le Bris. Vous devez lancer dès 2014 l’Aster Block 1 NT. Or nulle part la LPM ne mentionne que le programme doit être lancé avec l’Italie. Ce serait évidemment mieux qu’il en fût ainsi, mais la France pourrait-elle le lancer seule ?

Par ailleurs, le rapport annexé au projet de LPM, page 17, précise que « l’acquisition d’un nouveau missile air-sol sera lancée à l’horizon 2021, pour remplacer les missiles air-sol Hellfire dotant les hélicoptères Tigre ». Des synergies avec l’ANL ou le MMP sont-elles possibles ?

M. Philippe Meunier. M. François André a rappelé qu’aucune LPM n’avait jamais tenu ses objectifs et vous avez vous-même précisé que vous aviez perdu une annuité lors de l’exécution de la précédente LPM et que vous en perdrez une autre dès le commencement de cette nouvelle LPM. Or cela ne semble pas vous affecter.

De plus, vous nous avez expliqué que la réduction de la commande publique de missiles aura d’autant plus d’impact sur les années à venir qu’une partie importante en a déjà été livrée. Vous avez également fait part de votre espoir que la prochaine LPM sera intégralement réalisée, sous peine de vous retrouver dans une position délicate.

Que vous resterait-il à produire, en effet ?

M. Joachim Pueyo a évoqué les conséquences de la prochaine LPM sur l’organisation de vos sites de production. N’allez-vous pas prendre prétexte des réductions de la commande publique contenue dans cette LPM pour procéder à un plan social qui ne dit pas son nom ?

M. Antoine Bouvier. Monsieur Meunier, qu’entendez-vous lorsque vous affirmez que la réduction de 30 % à 40 % des commandes et la perte d’une annuité ne semblent pas m’affecter, alors même que cela se traduira par une perte de 200 à 300 emplois ? Je suis au contraire profondément affecté par cette situation en tant que responsable de MBDA. Je ne la traite pas avec légèreté.

M. Philippe Meunier. Ce n’est pas ce que j’ai dit.

M. Antoine Bouvier. Lorsque j’ai en face de moi les personnels, les cadres et les organisations syndicales, lorsque je présente au CCE la situation de la charge et leur explique que notre équilibre dépend des exportations, croyez bien que tous les responsables de l’entreprise sont profondément affectés et impliqués.

Mon audition s’effectue dans le cadre d’une LPM dont le cadrage budgétaire est très avancé après avoir fait l’objet d’arbitrages au plus haut niveau de l’État : ma responsabilité de dirigeant d’entreprise est, sur la base de ces hypothèses, de définir la meilleure stratégie possible permettant à l’entreprise de sauvegarder les capacités technologiques et l’emploi. Le contrat avec Oman, que nous avons perdu, s’élevait à un milliard d’euros, soit deux années de notre chiffre d’affaire en France : croyez bien que l’ensemble du personnel de l’entreprise a accusé le coup ! Mais il est de la responsabilité des dirigeants de surmonter le plus rapidement possible les déceptions pour aller de l’avant.

Je vous rejoins lorsque vous insistez sur le fait que la LPM devra être effectivement appliquée année après année, faute de quoi la filière missiles s’écroulera. Dans le cadre budgétaire global de la LPM et dans celui des budgets alloués à l’industrie de défense, la filière missile subit une réduction supérieure à celle que connaissent les autres secteurs industriels, en raison de la priorité donnée aux plateformes – montée en puissance de l’A 400 M, du NH 90, du Tigre, du Rafale, des Barracuda ou des FREMM.

Non, monsieur Guilloteau, tout ne va pas bien. Ainsi, la perte de 500 ETP industriels pose un problème social majeur au centre de Bourges, qui n’a pas la même configuration en termes de départs à la retraite que celui de la région parisienne.

Non, monsieur Le Bris, nous ne sommes pas forcés de faire l’Aster B1 NT avec l’Italie. En revanche nous devons tout faire pour le produire avec l’Italie. Oui, nous avons des perspectives de coopération européenne sur l’acquisition à partir de 2021 du remplaçant du Hellfire équipant les Tigre : non pas avec l’ANL mais avec le MMP. Nous avons également la capacité d’utiliser d’autres produits de MBDA, tel que le Brimstone ou le successeur du PARS 3 aujourd’hui mis en service sur le Tigre allemand. Nous travaillons donc à tout un ensemble d’options dans le double objectif d’établir des coopérations permettant de partager le coût du développement pour le client français et de faire baisser le prix unitaire, et de relancer une coopération européenne sur les missiles de moyenne portée, un programme aujourd’hui purement national du fait que des décisions allemande et italienne d’acquérir des missiles Spike. L’objectif est bien de revenir à une perspective européenne et le MMP, successeur du Milan, est, à cet égard, un bon véhicule non seulement pour la France et l’exportation mais également pour nos partenaires européens.

M. Philippe Meunier. Ma question ne visait pas à remettre en cause vos choix stratégiques de chef d’entreprise. Je tenais simplement à relever le paradoxe entre le caractère positif de votre jugement initial sur la LPM et les conséquences de cette même LPM sur l’activité de MBDA.

M. Nicolas Bays. Pouvez-vous me confirmer que la précédente LPM avait eu pour effet de diminuer vos effectifs de 400 ETP ? L’entreprise MBDA a-t-elle été concernée par des remises en cause de programmes lors de la précédente LPM ?

M. Antoine Bouvier. J’ai rappelé en introduction les cinq grandes orientations positives de la prochaine LPM qui confortent le positionnement stratégique de MBDA. Vous avez toutefois remarqué que je n’ai alors évoqué aucun élément chiffré.

J’ai ensuite présenté les cadrages budgétaires de la précédente LPM depuis 2011 et de la prochaine pour vous montrer combien la situation globale est difficile. Il appartient à l’industriel, une fois que le cadre a été défini, de travailler au mieux au développement de son entreprise.

Ces 400 réductions de postes, comme conséquences des décisions prises en 2011, sont à l’horizon 2015-2016. Il y avait eu en 2011 des réductions significatives dans les programmes Aster et le missile de croisière naval. À l’époque également avait été prise la décision de principe de lancer le MMP, l’ANL et l’Aster Block 1 NT. Sur la base de ces décisions de principe, les industriels que nous sommes avions alors travaillé en autofinancement, pris des risques sur ces trois programmes et défini le cadrage de l’activité et des effectifs de MBDA en jouant gagnant sur l’ensemble de ces nouveaux programmes, ce qui était une hypothèse audacieuse. Nous avons continué de travailler avec les mêmes équipes et fourni le même investissement sur l’ANL tout au long de l’année 2012 et en 2013, en faisant l’hypothèse que ce programme serait lancé. Nous avons de même travaillé sur le programme MMP sans contrat depuis le début de l’année 2010, confiants que nous étions à la fois dans la qualité du produit, le travail que nous avions fourni pour l’adapter aux besoins de l’armée de terre et l’attractivité de notre proposition commerciale. Pour nous l’exercice de l’année 2011 s’est assurément traduit par une réduction des budgets de la filière missiles mais également par des décisions de principe sur des programmes sur lesquels nous avons pu travailler avec un bon niveau de visibilité.

Mme la présidente Patricia Adam. Toutes les auditions des responsables du secteur industriel de la défense confirment que notre commission aura un rôle primordial à jouer pour s’assurer de la sincérité de l’exécution de la loi de programmation militaire. Je souhaite que le bureau de la commission décide de missions d’information nous permettant de la suivre très précisément.

De plus, contrairement à ce qui se passait antérieurement, la commission de la défense devra, avec la commission des finances, qui aura, elle aussi, un rôle important à jouer, suivre de près la version actualisée du référentiel (VAR) – les décisions sont prises par l’exécutif au mois de février. Il n’était pas dans l’habitude de l’Assemblée nationale de demander des comptes sur la version actualisée : elle devra s’y résoudre. Ce sera en effet pour nous la seule façon de vérifier que la LPM est respectée. Je le dis ici publiquement : cet enjeu est important. Et je compte sur tous les bancs de cette commission pour avancer en ce sens.

Je vous remercie, monsieur Bouvier.

*

* *

Ÿ M. Philippe Burtin, président de Nexter (mercredi 18 septembre 2013)

M. Philippe Burtin. Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés, je suis très honoré et je vous remercie d’avoir bien voulu solliciter mes observations sur le projet de loi de programmation militaire (LPM) 2014-2019.

Lors de son intervention à Pau, il y a huit jours, le ministre de la Défense a souligné que ce projet de loi est fondé sur quatre grandes orientations, dont la troisième est l’impératif industriel, ce dont nous lui savons gré.

Aux côtés des forces, le secteur industriel de la défense terrestre contribue à l’autonomie de décision et d’action de l’État ; il est porteur de performance, d’innovation et d’exportation, et donc d’emploi industriel, tout autant que les autres composantes de la Défense. Cette industrie génère de l’ordre de 20 700 emplois directs très qualifiés, orientés aussi bien vers les activités de développement que vers ceux de production ou de soutien. Parmi ces emplois, quelque 15 000 sont localisés chez les petites et moyennes entreprises et les entreprises de taille intermédiaire. À peu près autant d’emplois indirects sont localisés chez les sous-traitants et coopérants. Le chiffre d’affaires du secteur, un peu plus de cinq milliards d’euros, dont 40 % à l’exportation, est dégagé par ces entreprises qui sont localisées en Île-de-France et dans les régions Centre, Rhône Alpes et Provence-Côte d’Azur.

La représentation nationale et vous-même Madame la présidente, aux côtés du président Carrère, avez aussi porté cet argument, que le Président de la République a bien voulu partager.

Je souligne donc l’impact positif que ce projet de loi de programmation militaire emporte avec lui et je salue les efforts qui ont conduit à ce projet que vous examinez aujourd’hui.

Les enjeux terrestres inclus dans ce projet de loi de programmation militaire représentent moins de 5 % des crédits alloués au programme 146, hors dissuasion, sur les six années concernées. Cet effort, modeste par rapport à celui consacré à d’autres programmes d’équipement, est cependant majeur pour les forces. En effet, cette LPM 2014-2019 permettra d’accompagner une nouvelle transformation de celles-ci, tout en continuant à moderniser les matériels et à les doter des équipements qui feront la décision. Pour l’industrie, cette loi donne une vision à moyen terme qui lui permet de continuer à investir dans le renouvellement de ses moyens, dans ses projets et donc de pérenniser l’emploi.

Je souhaite évoquer avec vous les différents programmes que ce projet de LPM inclut, pour souligner les points éventuels de vigilance, qu’ils se situent au niveau de l’équipement des forces ou à celui du maintien des compétences que nous avons créées dans notre industrie de défense terrestre.

Je commencerai en évoquant deux marchés en cours qui seront conduits à leur terme, même si certains questionnements sur leur pérennité ont pu encore être émis cet été. D’une part, le contrat d’acquisition de 630 véhicules blindés de combat d’infanterie (VBCI) sera marqué par la fin des livraisons en début 2015. La poursuite de ce programme, avec 102 livraisons en début de LPM, est importante pour l’industrie car elle apporte, ce faisant, une crédibilité à nos démarches commerciales à l’exportation, tout en permettant d’atteindre un niveau de coût de revient attractif. D’autre part, le marché de besoins complémentaires VBCI, aussi appelé « marché 32 tonnes », notifié en décembre 2010, vise principalement à adapter le VBCI au système Félin et à augmenter le poids total autorisé en charge de 29 à 32 tonnes. Il comprenait trois tranches conditionnelles de 95 véhicules, qui ont cependant été étalées dans le temps, puisque scindées en six tranches annuelles sans modification du nombre total de véhicules concernés. Ce flux d’activité, nécessaire pour aligner la définition des véhicules sur le dernier standard technique, y compris de protection, permettra aux établissements industriels du groupe Nexter de conserver un certain niveau d’emploi et de compétences autour de ce blindé, à moyen terme.

Je vais aborder maintenant les projets qui doivent être concrétisés dans les six prochaines années.

Je commencerai en adressant le sujet de l’opération d’ensemble Scorpion. Elle vise à renouveler les moyens du combat de contact terrestre dans une démarche cohérente et évolutive. Déjà en 2009, la loi de programmation militaire mettait en avant cette opération et fixait pour objectif d’équiper environ trois brigades pour 2014, objectif qui n’a pas été atteint. Alors que le Livre blanc, sans prononcer le mot de « Scorpion », évoque « la poursuite de l’effort de numérisation et la préparation opérationnelle afin de garantir la cohérence des différentes forces engagées », la communauté terrestre a constaté avec satisfaction le retour, dans ce projet de LPM, de la logique d’ensemble qui caractérise Scorpion.

Cette opération est essentielle, en effet. Elle se décline en premier lieu en deux opérations constituantes, le véhicule blindé multi-rôles (VBMR) et l’engin blindé de reconnaissance et de combat (EBRC) qui sont des projets importants pour les forces. Elle se décline aussi en un enjeu majeur de numérisation de l’espace de bataille ; celui-ci est déjà engagé, il convient maintenant d’unifier et de moderniser les équipements et les applicatifs, en parallèle de l’arrivée des nouveaux postes Contact, afin de conserver la supériorité opérationnelle et accélérer le rythme de la manœuvre.

La démarche Scorpion vise aussi à la mise en cohérence de cet ensemble de projets, et ceci autant au plan de la standardisation des équipements et interfaces, qu’au plan calendaire. Cette cohérence et cette standardisation généreront des économies de frais fixes, des économies d’échelle par effet de série, et des économies de frais de soutien.

Voici donc pourquoi le retour de Scorpion dans le cadre de cette LPM était essentiel. Il s’agissait bien de confirmer la vision d’ensemble de nos capacités de combat aéroterrestres. Le lancement effectif interviendra en 2014, même si pour tenir efficacement cet objectif, les appels à candidatures doivent être lancés dès cette fin d’année 2013. Le groupe Nexter apportera sa contribution à la maîtrise d’œuvre de Scorpion avec ses architectes systèmes et ses experts dédiés, au travers de sa participation dans la co-entreprise TNS-Mars, constituée avec Thales et Sagem.

La première opération de rénovation de la composante blindée, de par le nombre de véhicules concernés, est le VBMR. Vous le savez surement, il s’agit de remplacer les VAB que notre groupe a produit dans les années 70-80 dans son établissement de Saint-Chamond. Ce nouveau véhicule blindé multi-rôles de la classe 20 tonnes doit être robuste et capable de faire face, aussi, à des situations de fort engagement. Le projet de LPM consacre la cible de 2080 VBMR, dont 122 seraient des porteurs légers, livrables après 2020. Ce sont donc 1958 véhicules lourds dont il s’agit, et la loi de programmation militaire 2014-2019 inclut la phase de conception, à présent financée par l’État, et la livraison des premiers 92 matériels, a priori répartis sur 2018 et 2019. Le groupe Nexter se prépare techniquement depuis 2010 et a structuré en novembre 2011 un partenariat avec Renault Trucks Défense afin de remettre une offre unique sur ce programme. Cette coopération mutuellement bénéfique, reste pour Nexter un axe essentiel de son effort de préparation et peut être élargie à d’autres partenaires dans les domaines complémentaires aux compétences déjà réunies. Comme je l’ai souligné, le contrat VBCI verra ses livraisons s’achever tout début 2015. Dans ce cadre, une réussite sur le programme VBMR représenterait pour Nexter le relais souhaité pour maintenir non seulement l’expertise technique mais aussi le potentiel industriel de fabrication et d’intégration, si le VBCI n’a pas alors été sélectionné par des clients étrangers. Afin que ce programme VBMR soit une entière réussite, il apparaît qu’une grande vigilance devra être observée sur la tenue d’un juste point d’équilibre entre trois contraintes qui pourraient se conjuguer : la première est celle de répondre au mieux aux besoins spécifiques des forces françaises, la deuxième est la recherche d’un prix tiré vers le bas par le jeu d’une consultation internationale, la dernière étant enfin le souhait justifié de maintien de la capacité industrielle en France, en recherchant les équipements et composants ayant un label national.

La deuxième opération importante concernant la composante blindée est l’EBRC. Il s’agit de remplacer les AMX 10RC et ERC 90 Sagaie, chars légers à roues de moyen tonnage en service depuis les années 70/80, dont les limites techniques ont été atteintes. Sans nul doute, le programme EBRC est l’un des enjeux de la prochaine LPM. Il s’agit en effet du maintien de la compétence, unique en France, de développement d’un système d’arme blindé. Ceci se décline en premier lieu par la qualification du canon de 40 millimètres et de ses munitions, conçus par notre co-entreprise CTAI, qui doit être prononcée dans les prochains mois, dans le cadre d’une coopération franco-britannique. La deuxième déclinaison est celle de l’intégration de cette nouvelle arme dans une tourelle de nouvelle génération, qui prendra en compte le meilleur des technologies numériques d’aujourd’hui. Ce programme EBRC, est aussi, en parallèle, le vecteur du développement du missile MMP, remplaçant du Milan, ce qui souligne à nouveau son aspect essentiel pour les technologies de nos engins liées à la fonction feu. La cible est fixée à 248 véhicules et le projet de LPM précise que la commande de matériels de série interviendra en 2018 pour des premières livraisons prévues en 2020.

Le développement de cet engin doit être initié sans tarder ; la raison en est triple. D’abord, le vieillissement des matériels actuels conduit à une attrition accélérée des parcs, ce qui est mis en évidence par le projet de LPM, puisque le nombre d’AMX 10RC qui seront en service en 2019, ne sera plus que de 236, niveau inférieur à celui cité par le Livre blanc. Ensuite, la deuxième raison tient au programme Scorpion, dont l’EBRC est la deuxième grande composante. Ne lancer le développement de l’EBRC qu’après 2020 aurait privé Scorpion d’une grande partie de son intérêt puisque la désynchronisation ainsi engendrée aurait fait disparaître la mise en cohérence des interfaces et équipements et les effets d’échelles engendrés par ces mises en commun. Enfin, ce lancement dans la deuxième partie de la décennie est un signe fort de maintien de la coopération franco-britannique, puisque le 40 millimètres télescopé est le seul programme terrestre qui l’illustre, alors que le MoD a déjà commandé cette arme pour ses matériels « SV » et « Warrior revalorisé ».

Le troisième volet de Scorpion est le système d’information de combat Scorpion (SICS) qui va être développé en plusieurs versions majeures. La « version zéro » (V0) est lancée et vise à faire converger mi-2016 les différents systèmes d’information actuels de niveau 4 à 7, avec les technologies de radio actuelles.

L’enjeu majeur de la prochaine version du SICS, la « version un » (V1) inscrite dans la LPM, sera de prendre en compte l’arrivée en 2018 de la radio Contact et d’étendre les fonctionnalités permettant la tenue de situation multi-plateformes. L’objectif est de faire de SICS V1 le système de combat du groupement tactique interarmes (GTIA). Ceci est donc central pour Scorpion, puisqu’il contribuera à la supériorité opérationnelle par la bonne collaboration sur le terrain et l’accélération de la manœuvre.

Nexter est présent depuis 20 ans dans les systèmes d’informations opérationnels, embarqués à bord des blindés. Malgré la déception de ne pas avoir été choisis pour la version V0 de SICS, Nexter reste engagé dans cette activité essentielle puisqu’elle vise la cohérence des plates-formes anciennes et nouvelles, mais aussi parce que toutes les fonctions concernées sont aujourd’hui profondément imbriquées dans ce qui est appelé la « vétronique », élément essentiel de l’architecture des blindés actuels. Il est clair que l’arrivée de nouveaux acteurs duaux sur ce segment, conduit l’industrie à revoir son modèle économique et ses processus.

Les ponts désormais établis entre le réel et le numérique, entre les différents matériels opérés sur les théâtres, ouvrent un large éventail de possibilités en amont de la mission, c’est-à-dire dans la préparation opérationnelle. Il faut absolument saisir ces opportunités qui sont sources d’économie. Il faut repenser les cursus de formation et les cycles pédagogiques pour exploiter toutes les ressources offertes par la numérisation. Le projet de LPM n’intègre pas ou peu cette nouvelle dimension ; elle met en avant une formation traditionnelle sur des matériels qui seraient pourtant numérisés. Cette orientation pourrait rapidement se révéler handicapante pour le secteur français des armements terrestres et même lui faire manquer des opportunités de positionnements discriminants par rapport à la concurrence.

En effet, la simulation embarquée, si elle est intégrée dès le départ dans la conception des systèmes peut à la fois induire une économie de coût global de possession, chaque matériel pouvant instantanément devenir un simulateur de formation, et constituer un avantage concurrentiel à l’export, car peu de maîtres d’œuvre ont la maturité suffisante pour intégrer une telle fonctionnalité dans leurs matériels. La performance de la simulation embarquée résulte dans sa capacité, sur un même support, le matériel lui-même, de permettre la formation en situation de chaque membre d’équipage, mais aussi la formation intégrée de l’ensemble de l’équipage et même la formation d’un peloton en mettant en réseau plusieurs véhicules. La simulation embarquée doit donc permettre de relocaliser dans les régiments une part importante de la formation, à coût très réduit, ce qui devrait aussi permettre à ceux-ci d’en faire plus. Cette dimension apparaît peu prise en compte dans la LPM. La simulation embarquée est évoquée, mais l’approche doit être résolument ambitieuse car la démarche est structurante, et nos systèmes, dès leur conception, doivent intégrer cette fonction.

Je souhaite à présent aborder la revalorisation du char Leclerc. Le Livre Blanc a souligné le besoin pour notre pays « d’entretenir notre capacité d’action sur l’ensemble du spectre des actions possibles » et dans ce registre il énonce que « deux brigades seront aptes au combat de coercition face à un adversaire équipé de moyens lourds ». C’est dans ce cadre que les forces conserveront 200 chars lourds. Je rappelle que le développement de ce char de bataille a commencé à la fin des années 80, et que le dernier standard, dit « S XXI », a été qualifié en 2005. Utilisé, au Kosovo ou au Sud Liban, le char Leclerc reste un « outil de puissance » qu’il s’agit de maintenir à son excellent niveau d’opérationnalité grâce à cette rénovation.

En effet, les menaces continuent à évoluer et, en parallèle, les progrès en électronique et dans le numérique ont ouvert de nouvelles possibilités. La rénovation progressive du char Leclerc est inscrite dans le projet de LPM 2014-2019. Elle concerne 200 chars et les travaux débuteront en 2018, pour des livraisons à partir de 2020. Ces dates sont importantes puisqu’elles ouvrent la possibilité d’une bonne synchronisation avec les travaux sur la tourelle de l’EBRC et sur la vétronique de nouvelle génération qui sera intégrée dans les véhicules VBMR et EBRC. Pour la pérennité du char, cette rénovation est un facteur clé qui permettrait de proposer sans tarder aux Émirats Arabes Unis une vision partagée de ce programme de modernisation. Enfin il est clair que cette perspective, maintenant confirmée, permet à Nexter de préserver les compétences rares et sensibles maintenues sur ce char, qui, sans cela, auraient dû être allouées à d’autres projets.

Les récentes interventions des forces françaises ont démontré l’excellence des hommes et des systèmes qu’ils mettent en œuvre. Ceci me conduit à souligner maintenant l’importance du dernier maillon, trop souvent négligé, de l’application de la force : les munitions.

C’est un domaine de haute technologie où les spécialistes sont peu nombreux, souvent formés dans l’entreprise – chez Nexter ou chez TDA pour les obus de mortiers – sur des durées longues : pour former un technicien ou un ingénieur opérationnel il nous faut cinq ans, pour un senior 10 ans, et pour un expert 15 ans.

La dernière LPM évoquait la prise en compte de la problématique des stocks de munitions et de la sûreté d’approvisionnement. Au plan tactique elle évoquait en particulier la précision des munitions, les obus d’artillerie de précision et les munitions à guidage terminal. Le projet de LPM apparaît muet sur le sujet, ce qu’il conviendrait de corriger.

Nexter dispose aujourd’hui d’une offre complète de munitions de moyens et gros calibres – artillerie et char – correspondant aux armes en service dans l’armée française. Des contrats à l’exportation complètent les besoins propres de l’armée française et permettent de maintenir l’outil industriel de recherche et de fabrication. Il faut veiller cependant à maintenir notre outil dans le peloton de tête technologique et industriel.

Dans ce but, il faut insister à nouveau sur la nécessité de contrats pluriannuels donnant de la visibilité à l’industrie, offrant aux clients un accès à des prix plus attractifs du fait des séries, et garantissant un socle sécurisé d’approvisionnement qui positionne technologiquement et commercialement les industriels que nous sommes sur les marchés extérieurs. En priorité, un contrat de munitions pluriannuel moyen calibre est attendu en 2015, dans la continuité des deux précédents contrats pluriannuels, ainsi que des commandes de munitions d’artillerie et de char pour l’entraînement et le combat.

Le projet de loi affiche une « adaptation et une organisation de la gouvernance de la R&T par grand domaine industriel ». Vu du secteur terrestre, cette orientation apparaît très positive et devrait permettre de soutenir les efforts sur le secteur. En effet, pour Nexter, la mise en œuvre de la précédente LPM a conduit à une diminution de moitié du niveau des crédits de R&T par rapport au niveau moyen constaté précédemment. Ceci est d’autant plus pénalisant que le combat terrestre a véritablement changé de nature. La complexité des milieux terrestres, la disparité des situations, l’émergence de la 3e dimension, la contraction de l’échelle de temps du combat, nécessitent désormais de maîtriser un grand nombre de briques technologiques pour offrir aux combattants les systèmes propres à emporter la décision. Le projet de loi évoque de manière restrictive « la protection des véhicules, la surveillance des itinéraires et les nouvelles technologies munitionnaires ». Dans le domaine des véhicules, il faudrait également évoquer la fonction feu, la fonction mobilité, y compris la propulsion hybride, la maintenance prédictive, l’ergonomie, la furtivité, la réalité augmentée, l’ingénierie pédagogique... Dans le domaine des munitions, il faudrait évoquer la muni-tronique, c’est-à-dire l’électronique soumise à des conditions extrêmes d’accélération et de température, la létalité maîtrisée avec la maîtrise des effets collatéraux, la précision métrique, les explosifs insensibles… Dans le domaine technique, il faudrait évoquer les nanomatériaux, la modélisation numérique, les microsystèmes électromécaniques, ainsi que les substitutions aux interdictions de la directive Reach.

Le champ est donc vaste et ne peut être couvert uniquement par le budget étatique. Nous sommes prêts à des coopérations internationales et nous développons d’ores et déjà des coopérations avec le domaine civil qui permettent d’amortir les dépenses sur des sujets ou des programmes étendus.

Avant de vous indiquer en conclusion les premières orientations générales positives que j’ai tirées de cette finalisation du projet de loi de programmation militaire, il m’apparaît utile de vous rappeler succinctement les trois axes majeurs qui encadrent le développement de Nexter.

En premier lieu, nous continuons à consacrer de l’ordre de 15 % de notre chiffre d’affaires à la modernisation et à l’élargissement de notre gamme de produits et de services, et ceci dans les trois secteurs du groupe : les systèmes, les munitions et les équipements.

Le groupe continue en parallèle ses efforts en termes de compétitivité, mais aussi d’innovation. Nous avons mis en place dès 2010 un réexamen de nos coûts de revient dans le cadre du programme « Grand Large », qui a abouti à définir un plan d’actions permettant de réduire nos coûts de 25 %, sans avoir à rechercher des solutions de fabrication hors de France. Nous continuons à développer la conception à coût objectif. Pour ce qui concerne l’innovation, un travail d’ampleur est mené, d’une part pour structurer des partenariats avec des écoles, universités, laboratoires ou centres de recherche, mais aussi pour générer les idées et projets en interne, qui constitueront ce « pipe-line » générateur d’un flux créateur de valeur sur le long terme.

Enfin j’ai souhaité que Nexter retravaille ses méthodes, ses processus, son organisation, afin de développer son agilité et sa réactivité. À cet égard, vous vous interrogez sans doute sur notre positionnement à l’export et ce qui pourrait être, en complément de la LPM, pourvoyeur d’activité et de contrats. Les affaires sont nombreuses et l’activité commerciale est forte, aussi bien pour Nexter Systems que pour Nexter Munitions. Ainsi ce sont par exemple 142 nouvelles offres qui ont été préparées sur les six premiers mois de cette année. Cependant les cycles de décision restent très longs et la compétition dans notre secteur est à son plus haut niveau, le marché étant enrichi en permanence par l’arrivée de nouveaux matériels concurrents : les Russes avec KamAZ, les Belges avec un nouveau chenillier, etc. Nexter est en bonne position dans ces compétitions importantes et tous les efforts sont faits pour être sélectionné, le moment venu, au Canada, au Danemark, au Moyen Orient, ou encore en Inde. Le groupe travaille donc à la conclusion positive de ces affaires qui consacrerait la réussite de tous ces efforts de positionnement global et apporterait un nécessaire complément de charge aux usines à l’horizon 2015.

En effet, le projet de LPM, qui met l’accent dans un premier temps sur les activités de développement de systèmes et place seulement en fin de période l’activité générée par leur production et leur intégration, ne met pas le groupe Nexter et ses sous-traitants à l’abri de difficultés conjoncturelles de charge à la fin des livraisons des VBCI pour la France en 2015-2016.

Dans le même registre, la notification du contrat pluriannuel de munitions de gros calibre a éclairci l’avenir à cinq ans de Nexter Munitions, mais doit impérativement déboucher sur des contrats complémentaires à l’export pour conforter l’activité des sites.

Pour conclure, je souhaiterais saluer tous les efforts qui ont convergé pour aboutir à ce projet de LPM qui concilie les incontournables restrictions induites par les contraintes budgétaires et la préservation des grands enjeux du domaine terrestre. Elle permet de donner la nécessaire visibilité à moyen terme au secteur terrestre, même si la vigilance reste nécessaire sur certains aspects que j’ai développés.

Il est possible de dire que cette LPM donne à notre industrie les atouts indispensables pour maintenir les compétences nécessaires à la pérennité de l’outil industriel. C’est dans ce cadre que j’ai confirmé vendredi dernier aux partenaires sociaux que le groupe allait lancer dès à présent, en plus des 55 recrutements réalisés cette année, le recrutement de 85 CDI et de 60 contrats de qualification. Au total ces 200 recrutements de 2013 bénéficient aux territoires sur lesquels nous sommes implantés. Ils représentent 7,5 % de notre effectif cible.

L’État a donc tracé un cadre d’avenir, complet et cohérent. Dans ce cadre, Nexter dispose d’atouts importants pour saisir les opportunités de développement qui vont donc se concrétiser.

M. Yves Fromion. Vous avez, à raison, salué l’action des parlementaires. Les premières ébauches de LPM faisaient en effet l’impasse sur le programme Scorpion. Au total, l’armée de terre est sans doute celle qui aura le plus bénéficié de la mobilisation collective de l’ensemble des parlementaires. Il semblait en effet inconcevable que Scorpion fût abandonné.

Avant de passer à mes questions, je profite du temps de parole qui m’est accordé pour vous féliciter des efforts de votre groupe en termes de simulation embarquée, ainsi que nous avons pu le constater lors d’une visite de votre site à Satory.

Ma première question concerne le canon Caesar. Y a-t-il un avenir pour ce système ? La LPM 2009-2014 prévoyait une commande de 64 unités sur la période 2014-2019. Tel n’est plus le cas dans la LPM que nous allons examiner. En revanche un LRU est prévu. Êtes-vous concernés par la modification du LRM en LRU ?

Ma seconde question a trait à la consolidation industrielle. Nous avons entendu hier le Président de Renault Trucks Defense et nous avons évoqué les difficultés du secteur terrestre en la matière, sujet dont nous avons souvent parlé. Au-delà de la joint-venture mise en place pour le VBMR, y aurait-il des possibilités de consolidation industrielle plus avancées ou est-ce que Nexter continue de regarder vers l’Allemagne avec les yeux de Chimène ?

Mme Geneviève Gosselin-Fleury. Je souhaiterais vous interroger sur vos démarches à l’export. Je crois savoir que vous avez présenté ce mois-ci Titus, un nouveau blindé low cost à moins d’un million d’euros que vous développez depuis 2010 pour faire faire à la concurrence des pays émergents. J’ai cru comprendre que, pour des raisons techniques, ce blindé n’était pas éligible à l’utilisation par l’armée française. Quelle est votre cible à l’exportation ? Quel niveau d’activité attendez-vous du lancement de ce nouveau blindé ? Envisagez-vous de l’adapter pour l’armée française ?

M. Philippe Folliot. Je voudrais évoquer les chars lourds Leclerc. Vous nous avez rappelé que la LPM prévoyait la rénovation de 200 de ces chars. De mémoire, l’armée dispose d’environ 250 Leclerc. Que va-t-il advenir de la cinquantaine de chars qui ne seront pas rénovés ? Pouvez-vous par ailleurs nous indiquer le coût de rénovation d’un char Leclerc ?

Nous avons, malheureusement, connu un échec commercial au Qatar face à nos concurrents allemands. Qu’en est-il des perspectives à l’export du Leclerc ? Quel est le degré de réactivité de la chaîne de production en cas de nouvelles commandes, et à quel coût ?

M. Christophe Guilloteau. Je poserai deux questions hors LPM. Une question technique tout d’abord. Vous nous avez indiqué que les VBCI passaient de 29 à 32 tonnes. Qu’a-t-on ajouté exactement à ce matériel qui explique un tel surcroît de charge ?

Par ailleurs, tout le monde a pu constater la qualité et le succès de votre production lors de l’opération au Mali. Cela va-t-il vous ouvrir des perspectives à l’exportation ?

M. Jean-Louis Costes. Vous avez évoqué l’émergence de nouveaux concurrents comme la Russie. De façon globale, la concurrence est-elle en train de se développer ? En provenance de quels pays en particulier ?

M. Philippe Meunier. Je ne reviendrai pas sur vos propos concernant la LPM ; nous mesurons la difficulté qui est la vôtre en tant que fournisseur d’un client majeur. Concernant le programme Scorpion, une personne connaissant très bien le secteur a récemment exprimé une position très forte en affirmant qu’il était impossible d’obtenir des livraisons de VBMR à l’horizon 2018-2019, et qu’il fallait en réalité attendre 10 ans. Si un décalage s’opère, comme souvent avec les LPM, serait-il envisageable d’avoir un VBCI en version « allégée », afin de combler le gap capacitaire avant l’arrivée du VBMR ?

M. Nicolas Bays. Ma question ne concerne pas la LPM. Où en est le rapprochement avec SNPE, et selon quelles modalités l’absorption pourrait se réaliser ?

M. Philippe Burtin. Concernant les livraisons du VBMR en 2018, il faut prendre en considération le fait que nous sommes déjà « lancés ». Nous travaillons en effet, tout comme Renault Trucks Défense, sur ce sujet depuis 2010. Nous avons réalisé des travaux préliminaires et nous avons d’ores et déjà une solution technique, qui est une solution commune. Cette dernière est, certes, encore au stade de l’avant-projet, mais celui-ci est déjà relativement précis. J’ai insisté sur la rapidité avec laquelle devait être notifié l’appel à candidatures et je m’inscrivais en effet dans la perspective des premières livraisons prévues en 2018. Sans aller jusqu’à dire que ceci est atteignable facilement, l’enjeu est important et nous devons aller vite. Dans ce cadre, le prescripteur – la DGA – devrait donc, si cela est possible, lancer dès 2013 cet appel à candidatures qui est la première étape formelle dans la consultation. Une consultation dans les tout premiers mois de l’année prochaine pourrait permettre une décision au second semestre 2014.

Concernant des décalages au sein de la LPM… Je n’ose les envisager !

Sur la question d’un VBCI « allégé », je rappelle que Nexter proposera deux modèles bien différents, un VBCI 8x8 et un VBMR 6x6, qui présentent des architectures différentes et qui ont vocation à remplir des missions différentes. Combiner les deux conduirait à un projet techniquement très complexe et qui ne se concrétiserait probablement pas avant 2018, date de livraison du VBMR.

L’augmentation du poids du VBCI, adapté au système Félin, est en fait le résumé de l’augmentation de son poids total autorisé en charge (PTAC). Le passage de 29 à 32 tonnes pour le PTAC des VBCI permet d’augmenter la charge utile du véhicule, mais aussi sa protection, de manière à donner aux forces plus de capacités d’emport. Le VBCI est un succès : les forces ont réalisé cette belle opération Serval, qui a clairement été remarquée. Le chef d’état-major de l’armée de terre anglaise lui-même nous a interrogés sur ce matériel ; les Canadiens, les Danois sont également intéressés. Il est clair que ce genre d’opération et le succès rencontré sont susceptibles de remettre en question certaines doctrines établies de l’emploi de la chenille – car tel est bien le sujet. Vous savez que dans le domaine des transports tactiques, certaines forces sont encore orientées vers la chenille comme c’est le cas des forces anglaises. Après que celles-ci ont vu la rapidité et la puissance de la manœuvre, liées au véhicule et à la roue, le questionnement a été important.

En ce qui concerne le Leclerc : quid de la cinquantaine de chars non concernés par la rénovation ? Il vous faudra poser la question au chef d’état-major, mais je pense qu’ils ne seront certainement pas mis au rebut ou détruits. Ils seront probablement stockés, mis en condition pour, le cas échéant, être utilisés. En tout cas, le moment venu, si l’État souhaite que nous participions à une deuxième vie de ces matériels – par la revente par exemple – nous y sommes prêts. J’évoque la revente car nous n’avons plus de chaîne de production de Leclerc neufs en activité. Lorsque nous avons proposé ce char au Qatar, il s’agissait de 62 unités que l’armée française avait désengagées, qu’elle nous cédait pour que nous les mettions à niveau. Les Allemands disposent encore d’une chaîne de Léopard en fonctionnement tandis que nous avons des chars d’occasion. Il est possible que les Qataris aient préféré disposer de chars neufs pour équiper leurs forces. Pour Nexter, les perspectives à l’export des chars de bataille sont liées à des matériels de seconde main : nous ne nous adressons pas à la même clientèle. Par exemple l’Arabie Saoudite, qui a longtemps discuté avec les Allemands pour acquérir des chars de bataille, ne souhaitera pas de chars de seconde main. En revanche, d’autres forces peuvent être intéressées : nous menons des campagnes de présentation de ce potentiel qui est intéressant. Avec un prix équivalent à un petit peu plus du tiers du prix du Léopard neuf, nous arrivons à proposer une offre compétitive par rapport à celle des concurrents allemands.

J’en viens au Titus. Vous avez compris que nous restons sur le sujet des empereurs romains, et après Nerva, Trajan et Caesar, Titus nous apparaissait bien correspondre à l’image que nous voulons donner à la fois pour le produit et pour le groupe. En revanche, nous ne nous retrouvons pas dans le qualificatif de low-cost. Ce véhicule est conçu en France et produit en France, en dehors, il est vrai, du moteur – mais nous ne faisons plus de moteurs en France – et du châssis Tatra qui est d’un excellent niveau en termes de mobilité. C’est donc un véhicule que je qualifierais de « compétitif » et qui est le résultat de tous les travaux que nous menons depuis deux ou trois ans, mais également de toutes les adaptations que le groupe a faites. Le prix est de 700 000 euros pour la définition de base, et le groupe gagnera de l’argent sur ce tarif de base. Nous assumerons toutes les responsabilités inhérentes au produit, et à notre rôle : il n’y a pas d’impasse dans ce prix. Le Titus en effet cible avant tout l’export. Premièrement, il s’agit d’un véhicule 6x6 qui vient compléter notre gamme qui présente déjà un 8x8, le VBCI, et un 4x4, l’Aravis. Nous comblons donc dès 2015 ce trou que nous avons dans notre gamme. De plus, ce 6x6 est un véhicule tactiquement très mobile, efficace et polyvalent : il peut être protégé du niveau 2 jusqu’au niveau 4, ce qui correspond à des situations d’agressivité assez fortes, il présente une très forte mobilité tactique et il est modulaire dans son emploi. Le Titus présente plusieurs caractéristiques – hauteur du plancher, PTAC, pneus – qui ne le rendent techniquement pas éligible pour l’emploi dans l’armée de terre française. Les premiers échos sur ce véhicule sont plutôt très positifs à l’export.

La concurrence est notre milieu naturel et chez Nexter, nous aimons ce monde stimulant. Elle favorise notre créativité et notre innovation, quel que soit le milieu : systèmes, munitions, équipements… Surtout, elle pousse à l’agilité. La concurrence est très forte dans le domaine terrestre : je peux évoquer Kamaz, le grand camionneur russe, qui revient dans le domaine des blindés avec un 6x6 rustique, mais fortement protégé et de bon niveau ; je fais également référence à un bureau d’étude belge totalement inconnu il y a encore quelques semaines et qui propose une solution à chenille de 20 tonnes, qui peut intéresser ceux qui sont dotés de M113. C’est ainsi que fonctionne notre secteur industriel de défense terrestre. J’ai eu l’occasion de montrer à certains d’entre vous ce qu’est l’intensité de la concurrence dans notre domaine : sur certains segments, nous comptons en effet jusqu’à 25 produits concurrents.

Nous démontrons que la France a sa place sur ce marché et le Titus à 700 000 euros a attiré des prospects conscients de pouvoir disposer pour cette somme d’une excellente solution technique alliant pérennité du nom, qualité et surtout soutien après-vente, contrairement aux solutions émergentes.

La tranche des 64 « camions équipés d’un système d’artillerie » (Caesar) inscrite dans l’actuelle LPM pour la période 2015-2020 n’apparaît effectivement plus. Notre matériel est performant, précis, efficace et puissant et cette disparition est peut-être paradoxalement la conséquence de ces qualités. Huit Caesar engagés en Afghanistan, quatre au Mali, avec de l’ordre de 200 coups tirés sur le massif de l’Adrar des Ifoghas et le travail était fait ! Les forces possèdent déjà 77 Caesar et dans ce cadre peut-être a-t-il été jugé que des équipements supplémentaires pourraient venir dans une étape ultérieure.

Notre effort à l’exportation est soutenu : le Danemark est sur le point de formaliser sa consultation pour 21 systèmes Caesar ; nous attendons le versement de l’acompte pour la confirmation de 37 systèmes par l’Indonésie, sans parler de l’Inde pour laquelle un projet est lancé pour 814 machines. Nos discussions se poursuivent avec d’autres pays. Ce système d’artillerie est efficace et son emploi par l’armée française dans le cadre de l’opération Serval est pour nous un argument majeur.

Je reviens au paysage concurrentiel européen qui est fragmenté, chaque pays maintenant sa propre industrie, et pour lequel aucun programme européen n’est venu structurer l’industrie, à l’exception du projet du canon de 40 mm télescopé. Les concurrents des pays émergents sont de plus en plus présents et nous sommes face aux leaders transatlantiques que sont General Dynamics et BAE Systems, qui réalisent chacun un chiffre d’affaires de 4,5 milliards, alors que nous-mêmes et nos concurrents européens sommes proches du milliard.

Nexter est aujourd’hui en bonne santé et regarde l’avenir avec confiance. Il est évident que l’industrie doit se structurer à moyen terme par des rapprochements qu’ils soient franco-français et/ou européens ; si tel n’était pas le cas, le poids des programmes de renouvellement et d’élargissement des gammes, 50 millions d’euros pour une tourelle, par exemple, ou 50 à 200 millions d’euros pour une plateforme selon sa complexité, ne permettrait plus à une entreprise de la taille de Nexter de les financer sur le long terme. Ceci est encore plus vrai alors même que notre modèle économique change, les États n’ayant plus la capacité de soutenir financièrement la totalité des nouveaux programmes. L’industrie doit donc acquérir une taille lui permettant de développer ses projets par elle-même.

Nexter est un groupe systémier et munitionnaire qui bénéficie à plein de la synergie armes et munitions et qui veut maintenir cette unité. En tant que systémier d’autre part, nous ne souhaitons pas avoir à donner une préférence à un partenaire qui serait équipementier, dans l’électronique ou la mobilité. En tout cas un tel lien fort devrait être discuté et pondéré. Enfin, nous souhaitons construire un groupe industriel intégré dans lequel les intérêts français seraient soit majoritaires, soit préservés, au moins à égalité.

Des discussions sont en cours en France. Le président du groupe Thales a annoncé le 14 juin dernier qu’il ne voyait pas de synergie technique et industrielle dans un rapprochement entre nos groupes et a ainsi fermé le dossier. Mais il ne s’agit que d’une partie du projet qui a été discuté ; une autre partie reste d’actualité dans le domaine munitionnaire et je suis ouvert à toute formule de rapprochement entre Nexter Munitions et TDA qui permettrait d’avoir une industrie munitionnaire française regroupée. La trésorerie de Nexter peut, si c’est le souhait de Thales, nous permettre de racheter TDA.

Où en sommes-nous en ce qui concerne SNPE ? Il s’agit là d’un vrai sujet industriel mais aussi du regroupement de structures de défaisance. Il s’agit d’assurer pour notre groupe et pour l’État la pérennité des sources d’approvisionnement en explosifs. Les têtes militaires pour Nexter et MBDA, certaines charges pour la dissuasion proviennent de l’usine Eurenco de Sorgues. Je rappelle à cette occasion que le coût d’une requalification d’une munition pour sa poudre est de l’ordre de trois à quatre millions d’euros. C’est pourquoi la pérennité des autres sites d’Eurenco, Bergerac, PB Clermont et ses deux sites suédois et finlandais, où sont fabriquées des poudres propulsives dont nous commandons trente références, nous préoccupe. Tout comme nous préoccupe l’avenir d’Eurenco face à Nitrochemie, entreprise issue d’un rapprochement des activités poudrières de RUAG et de Rheinmetall, qui la contrôle à 55 %. Comme vous le savez, Rheinmetall est le concurrent de Nexter sur le marché des systèmes et des munitions. C’est pourquoi je suis concerné par d’éventuelles discussions entre Eurenco et Nitrochemie. Dans le but de préserver au mieux les intérêts munitionnaires français, il convient donc de faire en sorte qu’Eurenco soit dans la meilleure forme possible, afin que l’entreprise soit considérée comme un partenaire et non comme une cible dans le cadre des discussions qui auront probablement lieu à l’échelon européen. Par ailleurs SNPE et GIAT Industries travaillent à la restructuration et la dépollution de leurs anciens sites. Le projet est de rapprocher ces structures au sommet de leur organigramme. Le projet progresse, alors que le conseil de GIAT Industries ne l’a pas encore approuvé, les partenaires sociaux ont été saisis et ce cycle d’information se déroule. Le projet devrait se matérialiser fin 2013.

Bien que je n’aie pas été saisi directement, il semble que Renault Trucks Defense a de nouveau évoqué un rapprochement. Il s’agit d’un sujet important sur lequel nous avons travaillé en 2011 et à propos duquel je me suis exprimé devant vous en 2012. Nous avions alors statué quant aux contours du rapprochement et j’avais accepté d’intégrer l’activité liée aux camions militaires dans le périmètre concerné. En revanche, Renault Trucks Defense ne souhaitait pas intégrer l’activité liée aux munitions et aux armes. Cette séparation posait donc un vrai problème au regard de la vie d’un groupe unifié, Nexter, dont les bureaux d’études doivent travailler de concert. En raison de son appartenance à un groupe suédois, Renault Trucks Defense ne voulait considérer que la partie mobilité des véhicules, et seulement des véhicules à roues. Que devenait le reste des activités ? Nous ne sommes pas allés suffisamment loin dans la négociation pour apporter une réponse sur ce point. Mais l’exigence de Volvo d’avoir sous son contrôle opérationnel, depuis Göteborg, toutes les grandes fonctions du groupe, études, achats, MCO, etc. a mis un terme aux discussions, l’entreprise et l’actionnaire ne pouvaient accepter cette condition. Nous avons alors travaillé à une structuration différente du projet VBMR dans lequel chacun a sa place.

Avoir un lien fort avec un fournisseur de solutions de mobilité a certes des avantages mais peut avoir également des inconvénients pour un systémier dont le rôle est de choisir la solution de mobilité la plus adaptée au besoin du client et non de privilégier une solution de groupe. Ainsi, la France a choisi la solution RTD pour ses Caesar, mais les Saoudiens ont choisi une solution Daimler, nous travaillons par ailleurs en Inde sur une solution indienne Ashok Leyland et nous proposons au Brésil une solution tchèque, Tatra, déjà utilisée par ces forces.

Les discussions continuent en France et en Europe. L’option européenne pourrait nous permettre d’accéder à une taille supérieure par le regroupement de deux entreprises en bonne santé mettant en commun leurs compétences, leurs clients et leur marché domestique. Ceci serait, le moment venu, présenté pour approbation à l’actionnaire et à la représentation nationale.

Mme la présidente Patricia Adam. Merci pour les précisions que vous venez de donner à la commission au regard des auditions précédentes.

M. Joaquim Pueyo. Vous avez rappelé que les VBMR seraient livrés en 2018, et non en 2022 comme l’a déclaré M. Mons, président du Conseil des industries de défense (CIDEF). En tant que rapporteur pour avis du budget de l’armée de terre, j’estime que c’est important pour le programme Scorpion.

Pouvez-nous nous indiquer où en sont les négociations avec les Émirats Arabes Unis, partenaire important, avec lesquels nous avons peu avancé en matière militaire en dépit de l’implantation d’une base de défense ?

M. Philippe Burtin. Le char Leclerc est présent en 436 exemplaires aux Émirats avec une excellente disponibilité. Il s’agit d’un client très courtisé et qui a un lien fort avec les États-Unis. L’achat de VBCI ne semble pas devoir intervenir prochainement bien que nous ayons remis une offre attractive pour 700 véhicules, offre que l’on nous demande de retravailler régulièrement. Les informations recueillies localement indiquent que le moment n’est pas encore venu mais nous continuons à soutenir notre offre et à en développer tous les aspects, dont l’aspect industriel, puisqu’il s’agit d’implanter une usine d’assemblage des blindés près d’Abu Dhabi. La décision pourrait être prise en 2014.

*

* *

Ÿ M. Marwan Lahoud, président d’EADS France, directeur général délégué du groupe (mercredi 19 septembre 2013)

Mme la présidente Patricia Adam. Nous accueillons M. Marwan Lahoud, président d’EADS France. Comme celles qui ont précédé, cette audition est ouverte à la presse.

Les sujets que nous souhaitons aborder avec vous sont nombreux, monsieur le président, alors que l’Airbus A400M commence à être livré. Notre commission a beaucoup discuté de ce projet et se réjouit de sa concrétisation.

M. Marwan Lahoud, président d’EADS France. Je commencerai par quelques données. Le chiffre d’affaires du groupe EADS s’élevait à 56 milliards d’euros en 2012, dont 42 % réalisés en France. La production est exportée des « pays domestiques » à 76 %. Sur ces 56 milliards, 30 %, soit 17 milliards, concernent les domaines de souveraineté – la défense, la sécurité et l’espace –, ce qui fait d’EADS le premier acteur européen dans ces secteurs.

Le groupe a récemment décidé de réorganiser l’ensemble des activités de souveraineté en les rassemblant dans une division unique, à l’exception de l’activité de défense d’Eurocopter. Cette consolidation a pour objectif de renforcer notre efficacité pour faire face à la contraction générale des budgets européens de défense – la France faisant, de ce point de vue, figure d’exception : la prise de conscience par Paris de l’importance de l’investissement de défense n’a pas d’équivalent dans le reste de l’Europe.

Aux yeux du groupe EADS, qui est le premier fournisseur du ministère de la Défense avec trois milliards d’euros de chiffre d’affaires, le projet de loi de programmation militaire (LPM) préserve l’essentiel des capacités et confirme la place de l’industrie au cœur du dispositif de défense. Ce qu’il faut souhaiter, c’est que la performance économique du pays permette l’exécution de ce projet.

Pour l’industrie, il s’agit d’une loi de transition qui prévoit différentes productions et l’achèvement de programmes lancés auparavant, mais pas de programme nouveau. Dans ce calendrier, néanmoins, il nous faudra préparer les programmes futurs si nous voulons rester en pointe en matière de défense et préserver la capacité d’exportation de nos entreprises, laquelle est essentielle à l’équilibre de leur modèle économique.

Nous avons pris note tant des clauses de sauvegarde inscrites dans le projet de loi afin de garantir la disponibilité des ressources que de l’engagement politique clair exprimé par le Président de la République. Le modèle financier proposé par la loi est cependant fragile compte tenu du contexte économique. L’exécution est toujours un défi en matière de défense et l’industrie attache peut-être plus d’importance à ce défi qu’au contenu même du texte, voire aux prises de conscience et aux décisions politiques qu’il peut traduire.

L’idée que la technologie est au cœur de notre politique de défense est désormais partagée. Le débat sur les rôles respectifs de l’homme et de la machine est dépassé. Tous les retours d’expérience le montrent : si le succès des opérations militaires repose bien sûr sur les hommes et les femmes qui y sont engagés, il est indispensable que ceux-ci disposent des équipements les plus en pointe et les plus efficaces. La technologie est désormais partout. Même lorsque l’on combat un ennemi qui n’est pas un État organisé – ce qui est le cas de la quasi-totalité des engagements de nos forces –, les adversaires disposent du dernier état de la technologie. On ne peut donc faire l’impasse sur cet aspect.

Enfin, indépendamment de tout choix stratégique, l’approche nationale est aujourd’hui condamnée faute de moyens. Le nationalisme industriel de défense est un luxe que nous ne pouvons plus nous payer : il n’y a pas d’autre choix que de coopérer, sur la base de besoins harmonisés en amont et en tirant les leçons des coopérations difficiles que nous avons connues dans le passé.

De ma longue expérience en la matière, je conclus qu’il faut un chef au niveau des donneurs d’ordre et un chef au niveau de l’organisation industrielle. Il peut s’agir, dans le premier cas, d’un État, d’une agence européenne ou d’un bureau de programme, mais ce doit être un vrai chef qui dispose d’une délégation et n’est pas contraint de se retourner vers ses mandants chaque fois qu’il y a une décision à prendre ; dans le second, on doit laisser l’industrie s’organiser comme elle sait le faire, avec des maîtres d’œuvre, un tissu de sous-traitants national et international. Il faut éviter d’entrer dans le détail de l’organisation industrielle en amont du programme. Je comprends l’importance que revêt aux yeux de la représentation nationale le retour économique dans le pays. La France doit bien entendu être le premier bénéficiaire de l’investissement français, mais c’est à l’industrie d’assurer ce retour et non aux bureaux de l’administration qui ont parfois une approche tatillonne de l’organisation industrielle. Chaque fois que l’on a privilégié la première solution, on a remporté des succès ; chaque fois que l’on a fait l’inverse en faisant primer les retours géographiques sur l’efficacité, on a rencontré beaucoup de difficultés.

J’en viens à mes commentaires sur le projet de LPM.

D’abord, le niveau de ressources annoncé pour l’agrégat « Équipement » permet de maintenir l’ensemble des grands programmes. Mais il consacre l’abandon de la planification 2009-2020 et remet significativement en cause les cibles et les cadences de production initialement prévues.

Pour ce qui concerne EADS, les livraisons prévues d’A400M d’ici à 2020 passent de 35 à 15. Bien qu’il entre dans notre métier d’industriel de nous adapter aux besoins et aux cadences, je souhaite néanmoins attirer votre attention sur l’importance de la continuité de l’effort s’agissant de l’A400M, gage de sa crédibilité. L’entrée en service opérationnel de l’appareil est une phase très importante de la vie du programme et toutes nos équipes sont mobilisées pour la réussir, d’autant que cette phase correspond au début des prospects à l’exportation. L’équilibre du programme est construit autour de la commande initiale en Europe, bien sûr, mais aussi et surtout autour d’un potentiel élevé d’exportation.

Le projet de LPM consacre également la réduction des commandes d’hélicoptères Tigre. Cette réduction ne sera que partiellement amortie, sur le plan économique et technologique, par la reconversion d’hélicoptères d’appui protection (HAP) en hélicoptères d’appui destruction (HAD), qui sont la version la plus récente et la plus adaptée aux besoins opérationnels modernes. Les spécifications du HAP remontent en effet à une époque où les menaces se situaient plutôt à l’est de l’Europe.

Quant au programme d’hélicoptères NH90, il est préservé jusqu’à la fin de la décennie par la confirmation de la commande de 34 exemplaires TTH supplémentaires, mais au prix d’une réduction importante de la cadence de production. Là aussi, l’importance du transport – qu’il soit tactique ou stratégique – est enfin reconnue.

L’ensemble du tissu industriel concerné par les programmes devra bien entendu s’adapter. Vous connaissez ma position à ce sujet : le travail de l’industrie est de s’adapter aux besoins tels qu’ils sont exprimés, à condition toutefois que ceux-ci ne soient pas soumis à des ruptures brutales qui vont au-delà que ce que permet l’élasticité de l’outil industriel.

Les programmes de souveraineté – dissuasion, renseignement d’origine spatiale – sont préservés.

Je ne serais pas complet si je ne disais pas un mot des drones. Faire voler des objets non habités dans l’atmosphère est, de mon point de vue, une technologie de rupture pour l’aéronautique dans son ensemble. La France et l’Europe ne peuvent pas faire l’économie d’une présence industrielle forte et souveraine dans ce domaine. C’est le sens de l’appel que nous avons lancé avec Dassault Aviation et Finmeccanica pour un programme futur de drones de surveillance, sachant que les drones de combat font l’objet d’un effort par ailleurs.

Cette technologie de rupture que constitue le vol non habité, piloté à partir du sol voire autopiloté, requerra des efforts de la part des pays européens et de la France s’ils ne veulent pas se voir complètement dépassés.

Cependant, il existe des besoins opérationnels urgents. L’industrie, l’État, l’administration et les forces armées ont raté collectivement et à plusieurs reprises le rendez-vous s’agissant des drones de surveillance, ce qui explique le recours à l’achat sur étagère de drones américains Reaper. Ceux-ci ont déjà fait leur preuve en opération. Il faudra les adapter aux forces françaises, étant entendu que cela doit rester une solution de transition.

Le projet de loi de programmation militaire, je l’ai dit, est un texte de transition qui doit nous inciter à préparer le lancement de nouveaux programmes pour le futur. L’effort de recherche et développement est donc crucial. Le ministre de la Défense nous a confirmé à plusieurs reprises qu’il serait préservé. Je ne peux que souligner son importance si nous ne voulons pas perdre pied à moyen terme, alors que la situation économique est très difficile.

Le maintien en condition opérationnelle (MCO) est également un sujet de préoccupation. Les ressources qui lui sont dévolues doivent permettre à la fois d’accompagner l’entrée en service d’équipements nouveaux et d’assurer la pérennité des parcs anciens. J’avoue mon inquiétude, car je n’ai pas encore acquis la conviction que l’on puisse faire les deux avec la progression annoncée des ressources. Ce travail, partagé entre l’État et l’industrie, demande de notre part un effort considérable.

Je terminerai par un sujet qui, du fait de mon parcours, me tient à cœur. J’appelle solennellement à une rénovation de la relation entre l’État et l’industrie, dont le maître mot serait : « plus de confiance, moins de défiance ». En tant qu’entrepreneurs, nous représentons bien entendu les intérêts qui sont les nôtres, mais nous sommes aussi, pour la plupart, extrêmement préoccupés de l’intérêt général et conscients du rôle que nous jouons pour notre défense et, très concrètement, pour l’efficacité et la protection de nos soldats en opérations. Nous savons que ce que nous faisons est vital, à la fois pour notre pays et pour les jeunes filles et les jeunes garçons qui font la guerre pour nous. Toute l’industrie est prête à travailler avec l’ensemble des acteurs pour redéfinir une relation basée sur la confiance.

Mme la présidente Patricia Adam. Notre commission en est convaincue. C’est bien pourquoi nous accordons une place très importante aux industriels de défense dans nos auditions sur le projet de LPM. Nos relations sont empreintes de beaucoup de confiance et de respect.

M. Joaquim Pueyo. Cette loi de programmation préserve l’essentiel de l’essentiel, avez-vous dit, et j’en prends acte. Les responsables industriels que nous avons auditionnés hier nous ont affirmé à peu près la même chose, en dépit des difficultés que connaîtront les cadences de production et du décalage de certains programmes. L’exportation, estiment-ils, devrait absorber ces difficultés.

Dans une tribune publiée dans le journal Le Monde, vous avez souligné que les entreprises de défense affichent un solde très largement positif à l’exportation. Et vous aviez formulé l’année dernière devant notre commission une proposition consistant « à mieux organiser la coopération entre États européens en matière de soutien à l’exportation, ce qui suppose un changement complet d’état d’esprit et de culture ». Vous ajoutiez : « Il y a des propositions et des évolutions concrètes à apporter sur la manière de concevoir cette coopération. »

Dans quelques mois, un Conseil européen se réunira pour réfléchir à l’Europe de la défense. En tant que dirigeant d’une entreprise européenne importante et en tant que spécialiste de la stratégie internationale de votre groupe, que recommanderiez-vous ?

M. Marwan Lahoud. D’abord un changement d’état d’esprit. Nous ne pouvons pas à la fois coopérer et passer notre temps à nous comparer. Dans nos coopérations européennes bilatérales ou multilatérales, nous n’avons de cesse d’affirmer que nous coopérons tout en comparant nos performances avec nos partenaires : sommes-nous meilleurs que les Allemands, que les Britanniques ? De leur côté, nos partenaires font la même chose. Dès que l’on parle d’exportation, une surenchère s’établit à l’intérieur du groupe d’entreprises amenées à coopérer.

Pour provoquer un changement d’état d’esprit, on a déjà permis des évolutions – les licences globales, par exemple – pour faciliter le transfert d’équipements sensibles entre les pays participant à tel ou tel programme. Il n’empêche que nous continuons de comptabiliser les valeurs ajoutées nationales pour le calcul de la balance commerciale. Il faut arriver à sortir de ce raisonnement.

Je prendrai un exemple dans l’aéronautique : un avion Airbus, on le sait, est fabriqué par morceaux dans quatre pays européens, la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni et l’Espagne. Plutôt que de comptabiliser l’avion comme une exportation d’un des pays en fonction de l’endroit d’où il sort, c’est-à-dire l’endroit où se trouve la chaîne d’assemblage, il faudrait arriver à comptabiliser les proportions. Cette disposition ne nécessite qu’un changement logiciel dans le calcul de la balance commerciale. Mais elle permettrait de changer complètement l’état d’esprit car aujourd’hui, selon que la chaîne d’assemblage est à Toulouse ou à Hambourg, le décompte est tout différent.

Le mode de calcul actuel, j’y insiste, n’est absolument pas représentatif de la réalité : si l’on ne vend que la part française ou que la part allemande d’un Airbus, il ne vole pas ! Un ancien ambassadeur britannique à Paris l’illustrait par une boutade : les ailes des Airbus sont fabriquées au Royaume-Uni, donc sans le Royaume-Uni un Airbus n’est qu’un bus !

Le jour où nous accepterons le fait que nous sommes vraiment interdépendants et où nous cesserons de nous comparer, nous aurons vraiment progressé. Nous essayons de promouvoir des idées en ce sens dans la perspective du Conseil européen de décembre.

M. Christophe Guilloteau. Se comparer permet parfois de se rassurer !

Si je comprends bien, la baisse du nombre d’A400M livrés serait en quelque sorte compensée par une modification s’agissant des hélicoptères. Quoi qu’il en soit, quelle perte représente, pour votre groupe, le report des livraisons d’A400M ?

M. Marwan Lahoud. Je me suis sans doute mal exprimé. Il n’y a pas de compensation entre l’A400M et les programmes d’hélicoptères. En revanche, la transformation d’hélicoptères Tigre HAP en HAD permet de compenser partiellement la réduction de 80 à 60 unités du parc de l’armée de terre.

M. Christophe Guilloteau. Qu’entendez-vous par « partiellement » ?

M. Marwan Lahoud. Alors qu’en nombre d’appareils, la réduction est d’un quart, elle ne serait plus que de 10 % environ en valeur, ce que nous allons nous efforcer d’absorber.

Concernant l’A400M, la question est différente. Que le nombre de livraisons prévues d’ici à 2020 passe de 35 à 15 n’est pas un problème insurmontable en soi, puisque nous sommes au début de la montée en cadence de la chaîne d’assemblage. Il nous suffira de la modifier – ainsi que celle de l’ensemble des sous-traitants – pour y arriver. N’oublions pas que la production de l’A400M se fait dans les usines Airbus. C’est, là encore, une modification que nous allons malheureusement devoir absorber au prix de réallocations de plans de charge.

La question qui se pose est celle de l’après-2020 et de la cible finale du programme. Aujourd’hui, la France n’a pas modifié cette cible mais un point d’interrogation flotte au-dessus de l’après 2020. Des modifications de cible intervenant maintenant ou plus tard perturberaient l’équilibre du programme, puisque tous les pays européens parties prenantes pourraient soit protester, soit prendre des dispositions de même nature.

Le programme a été conçu autour d’une cible initiale et d’un potentiel à l’export. Si un doute apparaissait sur sa poursuite, ses performances à l’exportation en seraient affectées.

M. Philippe Folliot. La difficulté est de mettre en adéquation les besoins de nos forces, qui sont réels et importants – qu’il s’agisse de la capacité de transport tactique et stratégique ou de l’entraînement des régiments de parachutistes –, les moyens, qui sont très limités, et les contraintes industrielles.

Vous avez partiellement répondu s’agissant de l’A400M, mais qu’en est-il de l’A330 MRTT, avion multirôle de ravitaillement et de transport ? Le Livre blanc prévoyait 12 appareils, or seuls deux seront livrés. La montée en puissance de la production sera-t-elle différée par rapport à vos prévisions ? Sans revenir sur ce qui s’est passé avec les États-Unis, peut-on s’attendre à des contrats d’exportation ?

Concernant plus généralement le rapport entre industries civile et militaire, après l’échec des discussions avec BAE Systems – que nous regrettons –, quelles sont les autres perspectives de synergie ou de fusion ? Vous avez ouvert des pistes s’agissant des drones et de votre relation avec l’autre grand groupe français du secteur, Dassault Aviation. Pourriez-vous nous en dire plus sur la stratégie d’EADS en la matière ?

M. Marwan Lahoud. Le fait que l’activité d’EADS soit répartie entre civil à 70 % et militaire à 30 % est une chance et même une aubaine. Si nous n’étions qu’une industrie militaire, passer de 12 à deux appareils à livrer serait une catastrophe. Mais un MRTT est un A330 que l’on transforme en ravitailleur. Sachant que nous produisons en ce moment 10 A330 par mois, soit 120 par an et 600 sur cinq ans, le nombre des MRTT est faible au regard de ce volume. C’est le travail de conversion qui sera affecté. Heureusement, nous avons l’export : en l’occurrence, nous avons exporté le MRTT avant de le vendre en France, nous avons même gagné toutes les compétitions avec nos concurrents sauf pour le marché américain – que nous avons gagné puis perdu, pour être précis ! Le MRTT est dans les armées de l’air d’Abou Dhabi, d’Arabie saoudite, d’Australie, d’Inde, du Royaume-Uni… L’export vient donc compenser l’évolution de la demande française.

Cela dit, cet avantage a ses inconvénients. Lorsque les A330 sortent de la chaîne de production – ce sont alors, dans notre jargon, des « avions verts » –, la demande est très forte, si bien qu’il faut procéder à un arbitrage entre civil et militaire à chaque sortie d’avion. Parfois, il semble plus sûr de livrer un A330 à Air China que de le livrer à une éventuelle conversion pour en faire un MRTT. Mais nous allons devoir trouver des équilibres. L’avantage d’être une entreprise duale nous permet d’absorber des chocs tels que celui que vous évoquez. Une entreprise purement militaire dont les commandes passeraient de 12 à deux serait condamnée à mettre la clé sous la porte.

M. Philippe Folliot. Vous n’allez tout de même pas me dire que cette baisse vous arrange !

M. Marwan Lahoud. Loin de moi cette idée ! J’aurais préféré avoir cette commande de 12 MRTT tout de suite.

Concernant les discussions de stratégie industrielle, la page BAE Systems est tournée et nous avons adopté une logique de recentrage sur les activités qui sont dans notre ADN, la fabrication d’objets qui volent, en cherchant à être le plus performants possible en matière d’exportation, de productivité et de profitabilité.

Mme Geneviève Gosselin-Fleury. Qu’attendez-vous de la clause de revoyure que nous souhaitons inscrire dans cette LPM et qui n’existait pas dans les précédentes ?

Lors de l’université d’été de la défense à Pau, la semaine dernière, vous avez beaucoup insisté sur le climat de confiance que vous souhaitez développer avec l’administration, et vous le faites aujourd’hui encore. Estimez-vous qu’une certaine défiance et des exigences techniques « tatillonnes » de la part de l’administration et des militaires ont pu et peuvent constituer un frein à la réalisation de partenariats et de programmes de coopération, notamment au niveau européen ?

M. Marwan Lahoud. Lorsqu’une clause de revoyure est prévue, la tentation est grande de se l’approprier comme si elle était faite juste pour soi ! Il est formidable de voir cela dans un projet de loi de programmation militaire : c’est admettre et reconnaître les aléas d’exécution et prendre les dispositions pour les éviter. Le travail quotidien de l’industriel que je suis est de faire des plans. Or, un plan sans clause de revoyure est risqué. De ce point de vue, l’industrie dans son ensemble se réjouit que l’on puisse examiner l’exécution et prévoir, si l’on constate des déviations, des moyens de rattraper les choses. Les forces armées en seront bénéficiaires, mais aussi l’industrie, qui pourra ajuster ses trajectoires en fonction de l’exécution et des éventuelles ressources supplémentaires – car nous sommes bien conscients que tout dépendra de la situation économique du pays.

J’en viens à la question concernant la confiance et la défiance. Même s’il est représenté dans telle ou telle commission, le monde de l’industrie est très frustré d’être tenu à l’écart des analyses à chaque exercice de programmation ou d’élaboration d’un livre blanc, sous le prétexte qu’un industriel ne peut que plaider pour sa paroisse. C’est nous réduire à un rôle que nous essayons de dépasser. Nous ne sommes pas des marchands de tapis : nous avons conscience d’appartenir à une industrie qui contribue à la posture de défense ; si nous ne produisions que des avions de transport, que des avions de combats, ou que des satellites d’observation, le dispositif serait incomplet. Or ce qui compte, c’est la cohérence du dispositif.

Cela étant, nous arrivons toujours à faire entendre notre voix. Plus important est le travail quotidien entre les équipes de programme de la DGA et de l’état-major et nos propres équipes de programme, qui devrait pouvoir se faire en équipe intégrée. Charles Edelstenne rappelait à Pau que c’est ainsi que l’on a développé le Mirage IV. Dans cette approche, les trois parties sont proches et travaillent dans le même sens.

Je souhaite également un rapprochement entre l’industrie, qui est au bout de la chaîne, et l’utilisateur. Je serai précis sur ce point : les officiers qui, à l’état-major des armées, s’occupent des programmes d’armement, ne sont pas les utilisateurs ; ils l’ont été lorsqu’ils étaient en opérations mais ils ne le sont plus. Le retour d’expérience tel qu’il est aujourd’hui organisé doit être raccourci.

M. Philippe Meunier. Quel sera le coût de la prochaine LPM pour votre entreprise en termes de chiffre d’affaires, d’emplois détruits ou non créés, de surcoûts ? J’imagine que le coût à l’unité n’est pas le même selon que 15 ou 35 livraisons sont prévues.

Vous avez indiqué que vous adapterez la chaîne de production de l’A400M et sa « montée en puissance » en fonction des commandes. Que se passera-t-il si vous remportez un gros marché à l’export ?

Vous avez passé avec plusieurs entreprises européennes des accords en matière de drones. Quelles assurances avez-vous de la part de l’État français pour le financement de ce projet ?

M. Marwan Lahoud. Je commence par votre dernière question. L’appel pour un drone futur est un appel pour un nouveau programme. Le projet de LPM qui vous est soumis n’en comportant aucun, cela reste un appel. Le programme ne viendra, je pense, que dans la LPM suivante. Nous devons nous y préparer sur le plan technologique, d’abord par un effort de R&T classique, ensuite en étudiant la manière dont on intégrera le Reaper dans les forces françaises. EADS a déjà, pour le meilleur et pour le pire, « francisé » la charge utile et la liaison satellite du drone israélien Harfang acheté sur étagère. Si l’on prévoit une approche similaire à l’avenir, il faudra prévoir le programme correspondant.

Plus généralement, une discussion aura lieu pour allouer une partie de l’enveloppe annuelle de R&T à la poursuite du travail sur les drones.

Concernant l’A400M, l’adaptation des cadences des chaînes de production est un travail complexe mais permanent. Nous en sommes à la phase de démarrage, donc nous démarrerons moins vite que nous ne l’avions prévu avec l’échéancier précédent. Mais si une commande à l’export arrivait demain matin, nous pourrions rattraper la cadence, sachant qu’il faut environ six mois pour configurer une chaîne de production.

Pour ce qui est des coûts, je ne m’aventurerai pas à jeter des chiffres sur la table. Un changement de cadence de la production de l’A400M suppose une renégociation de contrat. L’OCCAr n’a pas été saisie. Cette renégociation n’ayant pas commencé, je ne puis vous informer de son issue !

Il est difficile également d’établir des chiffres en termes d’effectifs, puisque le groupe est en croissance dans ses autres secteurs. Il est probable que les modifications se traduiront plutôt par des transferts entre le militaire et le civil. Le regroupement des trois divisions entraînera des adaptations que nous n’avons pas encore chiffrées mais dont je peux affirmer qu’elles resteront marginales à l’échelle d’un groupe employant 140 000 personnes. Un changement dans les effectifs, quel qu’il soit, doit être traité avec toute l’attention requise, mais, à ce stade, il n’y a pas de bouleversement dans le groupe EADS, et je puis le dire, dans la sous-traitance du groupe : nous sommes, en effet, portés par la vague de l’aéronautique civile.

M. Jean-Michel Villaumé. Vous nous avez présenté en juillet la future division Airbus Défense et Espace, qui sera opérationnelle en janvier 2014. Quels nouveaux programmes envisagez-vous dans le cadre de cette réorganisation ? Quelle analyse faites-vous du paysage concurrentiel international ?

M. Marwan Lahoud. La création d’Airbus Défense et Espace est elle-même une réponse anticipée au fait qu’il n’y a pas de nouveau programme d’envergure comparable à l’A400M. L’objectif est de consolider trois activités qui suivaient une logique de croissance. Dès lors que nous abandonnons l’idée que l’on va croître dans le spatial, la défense et l’aviation militaire, nous regroupons les entités pour être plus efficaces et plus solides.

Ce regroupement se traduira par la création d’une entreprise ayant un chiffre d’affaires de 14 milliards d’euros et employant 66 000 personnes en Europe. Nous n’avons rien inventé, du reste : l’Aerospatiale des années 1990 comportait une branche Espace et Défense, à une époque comparable à la nôtre pour ce qui est de la stagnation de la dépense de défense et de la dépense spatiale institutionnelle. On peut vivre très bien, dans l’industrie, en se concentrant sur ses points forts dans l’attente de jours meilleurs. Cela étant, les domaines « Cyber » et Sécurité en général, qui représentent quelques centaines de millions sur les 14 milliards de chiffre d’affaires, sont à forte croissance.

M. Yves Fromion. Vous avez fait l’éloge de la clause de revoyure mais nous vous connaissons trop bien pour savoir que vous n’êtes pas naïf. Si nous avons toujours refusé cette clause, c’est parce que nous savons que c’est une fenêtre grande ouverte pour une révision complète de la LPM et pour des baisses de crédits. En prévoyant cette disposition, on ne s’astreint pas à une discipline.

Certes, aucune loi de programmation militaire n’a été tenue – celle qui s’achève étant tout de même celle qui a été le mieux tenue, dans un contexte économique sans précédent. Mais il y a constamment des revoyures, ne serait-ce qu’à chaque projet de loi de finances annuelle.

De notre point de vue, une loi de programmation militaire doit être conçue pour être aussi robuste que possible, même si nous n’avons pas forcément beaucoup d’illusions au total. Nous sommes donc hostiles à cette clause, qui risque de donner l’idée qu’aujourd’hui on se fait plaisir et que l’on verra plus tard pour la réalisation.

J’en viens à mes questions.

Comment l’OCCAr (organisation conjointe de coopération en matière d’armement) réagit-il aux changements dans les commandes d’A400M, dont elle est responsable ?

Combien d’emplois la commande d’un MRTT représente-t-elle ?

Le discours que vous tenez devant notre commission, le tenez-vous également aux autres États partenaires d’EADS, dont vous dépendez pour ce qui est des commandes institutionnelles ? On a le sentiment que tous ces dialogues séparés ne vont pas vraiment dans le sens d’une mutualisation ou d’un fusionnement.

S’agissant des drones, vous semblez considérer que le fiasco est collectif. J’avais pourtant rendu ici même, en 2005, un rapport d’information sur la recherche de défense et de sécurité qui préconisait le lancement d’un programme majeur de drones. Et tous les ans, à chaque discussion budgétaire, nous relançons le débat sur les drones. S’il est domaine où l’Assemblée nationale n’a pas complètement manqué l’essentiel, c’est bien celui-là !

Pour le reste, monsieur le président, je vous remercie de ce que vous faites pour l’industrie française et pour l’emploi.

Mme la présidente Patricia Adam. Je me rappelle fort bien notre débat sur les drones, et la position unanime que notre commission avait adoptée à la suite du rapport de M. Fromion. Un ministre au moins en a tenu compte, M. Jean-Yves Le Drian, qui a pris la décision que vous connaissez.

Par ailleurs, la clause de revoyure ne s’applique qu’en cas de retour à meilleure fortune. Le ministre de la Défense et le Président de la République se sont engagés sur ce point.

M. Marwan Lahoud. Concernant la clause de revoyure, je ne voudrais pas m’élever au-dessus de ma condition et entrer dans le débat politique !

L’OCCAr est en effet, monsieur Fromion, l’agence exécutive de programme pour l’A400M : après que les États lui ont notifié les changements qu’ils ont décidés, elle négocie avec nous des amendements contractuels. Les contrats comportent des clauses de compensation entre États, puisque l’accord concerne l’ensemble des pays impliqués dans le programme. Dans d’autres coopérations européennes, l’agence exécutive est beaucoup plus forte. Il peut s’agir notamment d’une des agences d’acquisition. Pour le programme Meteor de MBDA, par exemple, l’agence exécutive est la British Defence Procurement Agency, qui achète pour tout le monde, sans ces boucles d’itération entre l’agence et les États. Certes, l’OCCAr fait très bien son travail et les choses se passent bien, mais il y a là une complexité qu’il faut gérer.

Quant au discours que nous tenons devant vous, nous le tenons aussi devant la Chambre des Communes, le Bundestag, les administrations britannique et allemande. Force est de constater que, si l’Europe a progressé en matière d’offre dans le domaine de la défense, elle est toujours au point mort en matière de demande. Je l’avais souligné en son temps : l’échec de la fusion entre EADS et BAE Systems est la démonstration qu’il n’y a pas d’Europe de la défense.

J’ignore combien d’emplois représente un MRTT, ou même un A320. Ce que je puis dire, c’est que nous maintenons la cadence de production de 120 A330 par an pour les besoins civils et que nous y intégrons les besoins en matière de MRTT. Une variation de deux appareils ne perturbe pas la production. En revanche, la conversion en ravitailleur représente un travail à plein temps pour une équipe. Le travail se faisant beaucoup pour l’export, on peut là aussi compenser les variations de la commande française.

M. François André. Vous avez qualifié cette LPM de « loi de transition », dans la mesure où elle ne contient pas de nouveau programme. Cela tient peut-être aux ambitions de la précédente LPM, qui se sont traduites par des retards de livraison : certaines commandes ne seront honorées que pendant l’exercice suivant.

Le futur est néanmoins pris en compte par le texte qui nous est soumis, notamment à travers l’enveloppe des études amont, fixée en moyenne annuelle à 730 millions d’euros sur la durée de la LPM. Même si les industriels auraient préféré un montant d’un milliard, la somme prévue ouvre de larges possibilités. Outre les drones, quels sont les domaines d’investigation auxquels vous souhaiteriez consacrer ce financement ? Plus généralement, quel volume financier EADS Défense entend-il dégager à l’avenir pour la recherche et développement ?

M. Marwan Lahoud. Nous avons déjà parlé des drones. Dans le domaine spatial, nous devons faire de la R&T sur le système d’alerte avancée. Même si l’on est revenu sur l’idée de lancer le programme, il faut préparer l’avenir. En matière de missiles, nous avons aussi toute une liste d’évolutions et de produits futurs. Concernant les hélicoptères, nous réfléchissons aux appareils qui succéderont au Tigre et au NH90. L’important travail de R&T que nous devons mener à ce sujet rejoint le domaine du drone, puisque l’avenir semble être l’« hélicoptère à pilote optionnel ».

S’agissant maintenant des montants de R&D, il n’y a pas de ligne rouge en deçà de laquelle tout s’écroule et au-delà de laquelle tout va bien, mais plutôt un continuum. Plus que le montant global, c’est l’efficacité de la dépense qui importe. Que ferons-nous de ces 730 millions, arriverons-nous vraiment à un rendement proche de 1 ? Il faut que l’argent serve vraiment à faire de la R&T et non à entretenir des équipes parce qu’il faut entretenir des équipes !

EADS est relativement bien servi en la matière. Nos équipes de R&T ont des ambitions fortes et se battront pour le financement de leurs projets. Il faut néanmoins être très vigilant quant à l’efficacité de la dépense.

M. Jean-Louis Costes. Merci pour la franchise de vos réponses, monsieur le président.

Le nombre prévu d’A400M passe de 35 à 15. Combien d’emplois représente une production de 35, et combien une production de 15 ?

Je suis un peu surpris de votre appel à plus de confiance et à moins de défiance entre l’État et les industriels. Je pensais au contraire, compte tenu du poids économique et social d’EADS, que vous étiez dans une relation très privilégiée.

M. Marwan Lahoud. S’agissant de l’A400M, nous en sommes à la phase initiale du contrat, si bien qu’il n’y a pas d’impact dynamique. Chiffrer le nombre d’emplois que représente, à plein régime, la production de 35 appareils ou la production de 15 est compliqué. Il s’agit d’emplois répartis dans toute l’Europe. Cela dit, la répartition d’activité – le workshare – du programme a été construite sur la base de la cible des 50 appareils pour la France. En d’autres termes, la part de travail qui revient à la France correspond à 50/178e de la part totale de travail que représente le programme A400M. Dès lors que l’on ne change pas la cible, on ne change pas cette part de travail. En revanche, un changement de cible se traduirait par une diminution de la part de travail en France – pour peu que ce soit industriellement possible.

Mais là n’est pas le véritable risque : le risque, c’est que, si la France abaisse sa cible, tous les autres pays s’engouffrent dans la brèche et abaissent aussi la leur. Dès lors, le programme ne serait plus économiquement viable et l’export ne suffirait pas à le sauver.

J’en viens à la question sur la confiance et la défiance. La dénonciation d’un « complexe militaro-industriel » a suscité chez nos interlocuteurs un certain sentiment de culpabilité. Ils ont donc tout fait pour écarter ce soupçon. Par ailleurs, d’importantes dispositions ont été mises en place en matière de concurrence et de mise en compétition. Je n’en conteste pas le principe, bien entendu, mais leur application rigide conduit à des incohérences.

Certaines ont été néanmoins corrigées. Dans les compétitions résultant de l’application stricte du code des marchés publics, par exemple, il fut un temps où je demandais à mes équipes de R&T de répondre dans les domaines où elles n’étaient pas compétentes, puisque leur offre serait moins chère et qu’elles gagneraient de la compétence dans d’autres domaines. Cet effet pervers a perduré jusqu’à ce qu’un décret d’application du code des marchés publics dans le domaine de la défense prévoit des dispositions spécifiques à la R&T.

La concurrence est un principe sain. Il faut néanmoins exercer son jugement et éviter de tomber dans le « complexe du complexe militaro-industriel ».

M. Frédéric Lefebvre. Je vous remercie d’avoir tenu un discours responsable. À plusieurs reprises, vous avez rappelé que le rôle d’un industriel est de s’adapter à la situation.

Sur un sujet aussi essentiel que la défense, les parlementaires de tous bords ont aussi une responsabilité particulière. La loi de programmation militaire enjambe les mandats présidentiels, ce qui doit nous amener à nous dépouiller de nos oripeaux politiciens et à raisonner en fonction de la capacité de défense de notre pays et de notre industrie.

Comme l’ont dit Yves Fromion mais aussi François André dans l’excellent rapport d’exécution de la LPM qu’il a présenté avec Philippe Vitel, la question d’une loi de programmation militaire est la question de l’ambition. La précédente loi était particulièrement ambitieuse, à tel point qu’elle a rencontré des problèmes d’exécution. Ce projet de LPM est donc un texte de continuité et de rattrapage, mais il est dépourvu d’ambition.

Prenant au mot le Président de la République et le ministre de la Défense sur la clause de revoyure, je prépare un amendement visant à donner une solennité particulière à ce rendez-vous. J’y définis à la fois la dimension de la clause et son calendrier. Une LPM se déroulant sur cinq ans, je pense qu’il serait de bonne politique que nous fixions cette clause de revoyure quelques mois avant l’élection présidentielle, c’est-à-dire en 2016, un peu plus de deux ans avant le terme de la LPM.

Dans la mesure où cette clause ne pourra s’appliquer qu’à la hausse, je voudrais en faire un rendez-vous d’ambition pour éviter à notre pays de prendre du retard sur des enjeux d’avenir tels que les drones.

Vous l’avez rappelé à juste titre : les décisions du groupe ne sont pas seulement fonction de la position de la France, en dépit du poids de notre pays – 40 % du chiffre d’affaires d’EADS dans la défense est réalisé en France. Quelle est la stratégie du groupe vis-à-vis des autres pays européens ? Quelles assurances a-t-il pu obtenir de ces derniers en matière de compensation ? Peut-on escompter de leur part de nouvelles commandes ou n’existe-t-il aucun espoir de ce côté-là ?

M. Marwan Lahoud. Les perspectives sont à l’image de la situation économique des quatre pays « domestiques ». On ne peut attendre de compensation particulière venant du Royaume-Uni, où la situation est stable. L’Allemagne, en revanche, connaît une situation économique meilleure qu’au milieu des années 2000. Après une baisse continue et significative des dépenses de défense de ce pays de la fin des années 1990 à la fin des années 2000, nous assistons à une reprise, comme l’atteste la renégociation des cibles du programme franco-allemand d’hélicoptères Tigre et NH90. L’Allemagne considère que le changement stratégique auquel elle procède en diminuant le nombre d’hélicoptères NH90 terrestres – en effet, le volume de ses interventions extérieures est moindre – ne doit pas pénaliser l’industrie et elle a fait de cette dimension un élément d’entrée de la négociation, qui se traduit par un jeu de compensations à l’intérieur des commandes allemandes. Je note d’ailleurs que, sauf surprise électorale majeure, le budget de défense allemand pour 2014 sera, pour la première fois, supérieur au budget de défense français.

M. Yves Fromion. Je rappelle que l’enveloppe de 1,5 milliard d’euro apportée par Nicolas Sarkozy au titre de plan de relance était bien un retour à meilleure fortune. Pour autant, on n’a pas soumis à revoyure la loi de programmation militaire. Le Président a décidé notamment de répondre aux besoins en véhicules blindés de combat d’infanterie (VBCI).

Mme la présidente Patricia Adam. Il manque malgré tout trois milliards à l’issue de la LPM !

Merci, monsieur le président Lahoud.

*

* *

Ÿ M. Jean-Bernard Lévy, président de Thales, accompagné de M. Patrice Caine, directeur général (jeudi 19 septembre 2013)

Mme la Présidente Patricia Adam. Nous clôturons avec vous cette semaine d’auditions d’industriels de la défense, ouvertes à la presse.

M. Jean-Bernard Lévy, président de Thales. Je vous remercie de l’opportunité qui m’est offerte de présenter notre vision de la prochaine LPM et d’échanger avec vous.

Permettez-moi de commencer par une observation sur la préparation de notre avenir industriel dans le cadre géostratégique actuel.

Chacun sait ici le prix que l’industrie française a payé à la mondialisation. Nous avons vu disparaître, au cours des dix dernières années, des pans entiers de l’industrie nationale, pas seulement les emplois non-qualifiés, mais des filières technologiques entières, laminées dans la compétition internationale. Le secteur de la défense, de l’aéronautique et de l’espace, premier secteur exportateur de France, représente peut-être la dernière grande spécialisation française.

Si nous voulons que cette filière demeure une « locomotive », dépose des brevets, crée encore demain des emplois hautement qualifiés, il faut absolument lui donner les moyens de se développer, de préparer l’avenir, en un mot de se battre. La LPM est clairement l’un de ces moyens, peut-être le plus important. C’est une responsabilité collective de s’assurer que dans dix ans nous ne serons pas dépassés, là où aujourd’hui nous sommes leader européen, où nous comptons parmi les leaders mondiaux et sommes même parfois le leader mondial.

La position de Thales est aujourd’hui sans équivalent en Europe. Quel autre grand groupe peut se prévaloir d’avoir un prix Nobel dans ses murs, en l’occurrence le physicien Albert Fert ? Dans les radars, les sonars, les charges utiles de satellite, les radiocommunications et les grands systèmes de commandement, seuls les Américains font jeu égal avec nous.

Nous maîtrisons un ensemble de technologies uniques, qui nous permettent de servir l’autonomie et l’ambition stratégiques de la France.

Nous sommes d’abord au cœur de la dissuasion nucléaire. C’est Thales qui fabrique et garantit l’intégrité des systèmes de communication dont dépendent les plates-formes et les vecteurs des deux composantes de la dissuasion nucléaire, océanique et aéroportée. D’une façon plus générale, je crois qu’il n’y a pas de grand système d’armes ou de défense en service dans les armées qui ne soit littéralement « innervé » par des équipements, des logiciels ou des solutions provenant de Thales.

Nous sommes donc très conscients de nos responsabilités, et attentifs à l’évolution du contexte stratégique. Nous partageons l’analyse des menaces identifiées par le Livre blanc, en particulier la prise en compte de l’ampleur de la menace « cyber ». Nous sommes en accord avec les orientations de la LPM concernant les programmes prioritaires – la dissuasion, le renseignement, le renforcement de la cybersécurité, le spatial et les drones.

Ces priorités sont cohérentes avec nos propres priorités et sont au cœur de nos métiers : la sécurité des communications, les systèmes de commandement, les senseurs terrestres, navals, aéroportés et spatiaux – présents dans toutes les technologies, de l’optronique au radar.

Dans ce contexte, nos attentes sont liées aux réponses que le Gouvernement et la Représentation nationale, à travers la LPM et les lois de finances successives, seront en mesure d’apporter à trois grands enjeux.

Le premier enjeu, c’est bien sûr l’emploi et le maintien des savoir-faire technologiques : Thales en France, ce sont 35 000 hommes et femmes – sur 65 000 dans le monde, répartis sur 48 sites, en région parisienne, dans d’autres grandes agglomérations comme Bordeaux, Brest, Toulouse et Nice, ainsi que dans des villes comme Brive-la-Gaillarde, Laval, Vendôme, Cholet, Châtellerault, Valence, et j’en oublie.

Comme tous nos concurrents, nous sommes présents dans de nombreux pays et participons à la compétition mondiale. Mais la France reste le moteur du groupe. Les activités de défense y représentent 65 % du chiffre d’affaires de Thales. Nous faisons en France 60 % de la recherche et développement (R&D) du groupe, et 70 % de la recherche amont – que l’on appelle recherche et technologie, ou R&T.

Pour deux euros produits en France, un euro est exporté. Avec un effet positif supplémentaire sur les sous-traitants qui nous accompagnent à l’export.

Coopérant étroitement avec Thales, près de 4 000 petites et moyennes entreprises (PME) françaises forment en effet un réseau dense de fournisseurs ; notre sous-traitance industrielle représente 1,5 milliard d’euros par an, dont 75 % est réalisé dans notre pays. J’ai manifesté le soutien de Thales aux PME en signant en février, avec le ministre Jean-Yves Le Drian, la « charte PME » du ministère de la Défense.

Nous avons pleinement conscience de ce que le ministère de la Défense cherche à ne pas sacrifier l’effort de préparation de l’avenir, en essayant de maintenir les crédits destinés aux études amont à un montant proche de son niveau actuel, soit 730 millions d’euros par an.

Mais cela sera-t-il suffisant pour maintenir certaines compétences industrielles critiques déjà fragilisées, notamment par des retards dans les lancements de programme concernant les radars, les savoir-faire liés à la défense anti-missiles balistiques, l’observation spatiale et l’acoustique sous-marine ? Il y a lieu d’être préoccupé.

Deuxième sujet, sur lequel je crois que vous avez déjà entendu ces derniers jours nombre de commentaires : la continuité des programmes et la pérennité des ressources. Je joins la voix de Thales à cette expression publique.

La LPM garantit certes la poursuite ou le lancement des grands programmes déjà présents dans la LPM précédente, ce qui est en soit positif. Mais l’inquiétude réside dans le fait qu’aucune LPM n’a été intégralement respectée jusqu’ici.

Dans l’exécution, aurons-nous tous les crédits de paiement attendus ? Nous sommes préoccupés des pressions qui s’exercent chaque année pour revenir sur les engagements pris au plus haut niveau.

Nous devons prendre en compte trois risques supplémentaires : l’incertitude sur la réalisation des recettes exceptionnelles, pour lesquelles les prévisions ont été fixées à un niveau particulièrement élevé – 6,1 milliards d’euros – et les écueils budgétaires que sont les surcoûts liés aux opérations extérieures (OPEX) et les incertitudes quant à nos performances à l’export.

La pratique actuelle préoccupe déjà Thales : nous atteignons la fin 2013 avec une accumulation record de programmes en attente de notification : CONTACT, rénovation des Atlantique 2, pod de désignation laser de nouvelle génération (PDL-NG), RAFALE F3R, satellite CERES, radars (SCCOA 4). Avant même que la prochaine LPM ait commencé, nous courons déjà le risque de reports de charges de 2013 sur 2014 qui pèseront sur les capacités de financement en 2014, dès l’ouverture de l’exécution budgétaire.

Ceci m’amène à évoquer la situation sociale de l’entreprise : nous sommes déjà rentrés dans une période d’adaptation des effectifs.

La situation actuelle, où les commandes sont déjà très en deçà de nos attentes, pèse sur la charge de travail. Nous disposons depuis avril 2013 d’un instrument de dialogue social : un accord-cadre, signé avec les organisations syndicales, qui nous permet d’anticiper et de prévenir les sous-charges. Nous avons déjà commencé, avec les partenaires sociaux, à discuter des modalités des baisses d’effectifs sur certains sites.

L’export et le développement international sont le troisième enjeu, et plus qu’un enjeu, une priorité absolue dans la stratégie du groupe Thales.

Il faut aller chercher la croissance là où elle est : en Asie, au Moyen-Orient, en Amérique latine et en Afrique. Thales dispose déjà de références commerciales de premier plan. Les bonnes nouvelles récentes concernant l’export – au Brésil et aux Émirats arabes unis notamment, grâce au fort soutien du gouvernement français – ne doivent pas masquer la dureté de la concurrence. Le soutien de l’État et de la Représentation nationale nous est absolument indispensable. Les succès que je viens d’évoquer sont l’illustration de l’efficacité de « l’équipe de France export » ; je tiens ici à exprimer toute ma reconnaissance au Président de la République et au ministre de la Défense, qui ne ménagent pas leur peine pour nous apporter leur soutien, et à tous ceux d’entre vous qui sont amenés à jouer un rôle dans cette grande bataille de l’export.

Soyons clairs sur les inquiétudes que peuvent susciter les transferts de technologies : c’est un faux dilemme. Les partenariats locaux sont aujourd’hui une condition nécessaire du succès. En établissant ces coopérations, avec toute la prudence nécessaire, nous servons l’emploi en France. Un contrat d’export majeur peut représenter plusieurs milliers d’emplois sur plusieurs années dans notre pays, pour Thales et ses sous-traitants.

Sur la période de la LPM, certains contrats, s’ils se matérialisent, auront pour notre groupe une dimension structurante. Nous faisons partie de l’équipe Rafale en Inde, fédérée par Dassault Aviation, qui conduit les discussions pour répondre au mieux aux attentes du client indien. Nous sommes confiants.

Je souhaite évoquer pour terminer quelques programmes qui revêtent une importance de premier plan pour nous, compte tenu des enjeux évoqués plus haut – emploi, savoir-faire technologique, export.

En ce qui concerne les capacités aériennes et aéroportées, le nouveau standard de Rafale (dit « Rafale F3R ») représente un saut qualitatif pour l’avion, et chacun mesure bien l’importance de cette évolution pour son potentiel d’exportation. Cela permettra aussi d’amorcer la préparation du futur système de combat aérien (démonstrateur F-CAS). À partir de fin 2018, il existe cependant un risque d’interruption de la production si les perspectives d’exportation ne se concrétisent pas. Nous entrerions alors dans une période de grande incertitude pour toute la filière Rafale.

Ensuite, le lancement du programme de rénovation de l’Atlantique 2 (ATL2) est attendu depuis plusieurs mois. C’est un projet très important pour la préservation des compétences en matière de radars, de lutte anti sous-marine et d’acoustique, et pour la préparation des nouvelles générations de capteurs essentiels à notre compétitivité export.

Enfin, nous sommes prêts à lancer les travaux sur la première tranche du programme, attendue cette année, du pod de désignation laser de nouvelle génération (PDL-NG). Il procurera à la France une avance technologique dans le domaine de l’optronique aéroportée et un outil de grande précision au service de l’armée de l’air, désormais indispensable dans le contexte des opérations présentes et futures.

Concernant la politique française en matière de drones, Thales propose aujourd’hui, avec la filière Watchkeeper, une solution de drone tactique, dont l’entrée en service est imminente chez nos alliés britanniques. C’est un exemple qui permettrait dans des délais rapides à la France de se doter d’une réponse pragmatique et européenne, à un besoin vérifié dans toutes les opérations récentes. Français et Britanniques pourraient bénéficier de la mise en commun de la doctrine, de la formation et du soutien, partager les coûts d’évolution, tout en conservant la possibilité d’un emploi opérationnel autonome. Ce serait un vrai coup d’accélérateur à la force expéditionnaire franco-britannique conjointe prévue par les accords de Lancaster House.

Ce système nous paraît parfaitement adapté aux besoins de l’armée de terre pour un coût correspondant aux hypothèses budgétaires de la LPM. Il sera en outre bientôt le seul drone européen certifié pour l’insertion dans un trafic aérien civil dense. Watchkeeper n’a pas la prétention de tout faire en matière de drone mais a le mérite d’être disponible, facteur d’économies, issu d’une chaîne d’approvisionnement européenne, et sous le contrôle exclusif de nos forces, ce qui représente quatre atouts importants.

Sur la question du drone de moyenne altitude et de longue endurance (MALE), nous sommes prêts à faire des propositions sur le système transitoire – je veux parler de la « francisation » du Reaper – et, à terme, sur un système européen, si une décision est prise dans ce sens. Sur les deux enjeux-clé que sont, d’une part, les charges utiles, et d’autre part, la question de l’insertion dans le trafic aérien, nous disposons de solutions qui ont vocation à faire partie de l’offre française et européenne.

Enfin, nous préparons déjà, à l’horizon de la fin de la décennie, les travaux de développement du futur système de combat aérien.

En matière de détection, de Command and control (C2) et de défense aérienne, après les décisions de report prises en 2010, il est aujourd’hui urgent de renouveler la gamme de radars de contrôle aérien sur lesquels repose le pilier détection du système de commandement des opérations aériennes. Une première acquisition urgente de six radars fixes et de quatre radars tactiques est attendue. Pour assurer une couverture optimale, six autres radars fixes devraient suivre en 2015.

Permettez-moi de souligner l’enjeu du maintien des compétences pour Thales dans le domaine du radar multi-fonctions et multi-missions. C’est particulièrement vrai dans le domaine naval, où nous proposons le radar multifonctions à panneaux fixes SF500 pour les frégates de défense antiaérienne. Il est très difficile aujourd’hui de proposer des frégates à l’exportation sans mise à niveau préalable des systèmes électroniques, dont certains, pour la conception, remontent à plus d’une décennie.

J’en viens à la défense aérienne et anti-missile de moyenne portée. Très peu de pays maîtrisent ces technologies. Thales est l’architecte du système d’arme et un acteur-clé de la filière missile. Pour préserver cette capacité et l’adapter au contexte stratégique, nous nous préparons aujourd’hui au lancement prévu d’ici mi-2014 d’un nouveau programme en coopération, comprenant le missile B1NT, dont l’objectif sera d’augmenter les capacités opérationnelles anti-balistiques des systèmes terrestre et naval. Il manque cependant encore au système un radar associé de veille et de surveillance de l’espace aérien pour être efficace sur la partie antimissile balistique. Thales propose le GS 1000, dont le besoin pour la France est vital, et la demande de certains de nos alliés déjà manifeste.

J’en viens maintenant à l’espace. En tant que principal maître d’œuvre des satellites d’observation, de renseignement d’origine électromagnétique et de télécommunications militaires, nous sommes parfaitement en ligne avec l’analyse et les programmes prévus par la LPM. Pour le système de renseignement spatial CERES comme pour le système de télécommunications spatiales COMSAT de nouvelle génération (NG), nous sommes prêts à répondre au besoin de continuité de service. S’agissant de COMSAT-NG, je souhaite souligner qu’il y a sur ce programme à la fois un enjeu de coopération (avec l’Italie) et un fort enjeu export, compte tenu de l’accroissement des besoins alliés et mondiaux. Les récents succès de Thales à l’export, aux Emirats arabes unis, montrent l’importance de cette filière.

Enfin, en matière de radiocommunications, le programme CONTACT, lancé mi-2012, sera le centre nerveux et le support technologique de la numérisation du champ de bataille. Il assurera une avance technologique sur la radio logicielle qui permettra à Thales de maintenir sa place de leader européen dans le domaine des radiocommunications tactiques, avec un fort potentiel d’exportation – près de 40 pays. Après la première tranche lancée mi-2012, la nouvelle tranche du programme CONTACT est attendue sans délai pour conserver nos parts de marché.

Pour finir, je mesure bien la difficulté qui est la vôtre, et celle du Gouvernement, pour trouver le bon point d’équilibre.

Il y a d’un côté la réponse aux défis d’aujourd’hui – les opérations, les incertitudes du contexte stratégique, une pression budgétaire sans précédent – et de l’autre, les contraintes de l’industrie – la compétition mondiale, la longueur des cycles d’investissement, la fragilité des compétences, les risques technologiques. Il est difficile de les faire converger.

Je crois que le dialogue que nous avons noué avec l’Etat et la Représentation nationale, autour de la conduite des grands programmes et de notre développement international, nous aide à avancer vers les bonnes solutions. Cette coopération est essentielle à la poursuite du développement du groupe dont j’assume la direction. Notre stratégie d’entreprise nous amène à capitaliser sur la confiance de notre grand client français et à compléter l’amortissement des lourds investissements nécessaires par la croissance des exportations.

M. Yves Fromion. Thales s’est toujours honorée d’être une entreprise multidomestique. Je ne sais si, aujourd’hui encore, ce quasi-dogme également mis en avant par vos prédécesseurs est toujours d’actualité. Si tel est le cas, comment s’exprime-t-il dans le paysage européen sachant que les difficultés budgétaires ne sont pas l’apanage de la France ? Quels sont, parmi ceux que vous avez énumérés, les programmes qui portent cette caractéristique de multidomesticité ? Certains programmes sont-ils vulnérables du fait des décisions françaises, ou ces éventuelles difficultés peuvent-elles être compensées par les commandes attendues d’autres pays européens ?

M. Jean-Bernard Lévy. Je vais vous répondre sous deux aspects. Il est indéniable que Thales est une entreprise multidomestique. La France représente environ la moitié des forces vives de la société en matière d’emploi, 25 % du chiffre d’affaires – davantage sur le chiffre d’affaires militaire, un peu moins sur le chiffre d’affaires civil. En outre, 25 % du chiffre d’affaires est exporté à partir de la France : comme je l’indiquais, pour un euro vendu en France, nous enregistrons un euro exporté.

Nous avons une présence significative dans plusieurs de nos pays voisins, les plus importants étant le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie et les Pays-Bas. Dans ces quatre pays – auxquels je pourrais ajouter l’Australie –, nous disposons de compétences que nous n’avons pas en France. Nous nous sommes donc organisés de manière multidomestique afin d’atteindre un niveau de compétitivité et de développement technologique en misant sur les atouts d’un groupe établi de façon importante en dehors de la France. Le cœur de nos activités et la plupart de nos compétences sont en France, mais certaines se trouvent à l’étranger. Cela signifie, pour répondre à votre deuxième question, que certains de nos programmes ont dès leur conception une dimension qui va au-delà de la France, car nous utilisons différentes compétences pour les mener à bien et répartissons en conséquence l’organisation du développement technologique. Dans un certain nombre de programmes que j’ai cités, notamment dans le domaine spatial, nous utilisons des compétences internationales. Ainsi nous travaillons de façon très structurelle dans une entreprise franco-italienne, Thales Alenia Space, qui dispose de moyens industriels répartis majoritairement en France mais également de façon importante en Italie, ainsi qu’en Espagne et en Belgique. Nos programmes en matière spatiale font donc appel à cette entreprise détenue à 65 % par Thales et dont l’activité est réalisée dans les mêmes proportions en France, mais qui bénéficie également des programmes spatiaux italiens en matière de télécommunications, de radars, et d’applications spatiales civiles.

La plupart des programmes que j’ai cités seront pilotés en France, avec l’essentiel du développement dans notre pays, mais pour certains d’entre eux – en particulier dans le domaine spatial – nous bénéficions de synergies qui nous permettent d’être compétitifs.

M. Jean-François Lamour. Vous avez à juste titre évoqué les ressources exceptionnelles qui viendront compléter les ressources budgétaires classiques sur la période couverte par la LPM. Elles ne sont pas négligeables puisqu’elles représentent environ 1,7 milliard d’euros par an. Parmi les vecteurs d’abondement de ces ressources on trouve le programme d’investissements d’avenir. Louis Gallois a présenté ce plan devant la commission des Finances il y a quelques semaines et votre entreprise y apparaît à deux reprises : concernant un institut d’excellence à Toulouse, et dans le cadre du projet Génome. Quels moyens supplémentaires avez-vous retiré grâce à ces deux programmes ? Avez-vous déjà travaillé, avec la direction générale de l’armement (DGA), le ministère de la Défense ou M. Gallois directement, à la programmation d’autres ressources de ce type dans le cadre de la future LPM ? On peut en effet imaginer qu’en recherche amont voire en R&D, vous pourriez bénéficier d’un certain nombre de moyens supplémentaires.

M. Jean-Bernard Lévy. Nous sommes effectivement actifs sur plusieurs programmes d’investissement d’avenir. Certains ont déjà été lancés – je pense notamment à l’avion du futur, à l’avionique, à la filière aéronautique dans son ensemble. Vous savez que nous sommes, avec deux groupes américains, l’un des trois principaux acteurs mondiaux dans le domaine de l’avionique, c’est-à-dire les calculateurs embarqués. Les travaux dans ce secteur ont des applications aussi bien civiles que militaires, et Thales gère et organise ses développements en pensant en permanence à la filière dans son ensemble. Il s’agit du principal domaine sur lequel les programmes d’investissement d’avenir ont concerné Thales jusqu’à présent.

Quant aux programmes à venir, nous sommes intéressés par plusieurs des 34 projets sectoriels annoncés à l’Élysée la semaine dernière. Il s’agit en premier lieu de la poursuite de tout ce qui a trait à l’aéronautique. Deuxième domaine : l’espace, avec notamment la propulsion électrique qui est un domaine très important pour nous, face à des concurrents américains qui ont pris un peu d’avance en la matière. Il faut savoir que cette technologie, une fois qu’elle sera parfaitement développée, pourra produire une véritable révolution dans le coût d’accès à l’espace : en effet, lorsqu’on lance un satellite grâce à une fusée Ariane, la moitié du poids est constituée par la charge de kérosène pour passer de l’orbite intermédiaire – où la fusée va laisser le satellite – à l’orbite géostationnaire, ce qui nécessite une poussée supplémentaire apportée par le satellite lui-même. La propulsion électrique permet de réduire de façon considérable la charge qu’emporte le satellite pour aller jusqu’à l’orbite définitive. Nous nous réjouissons donc que ce domaine ait été retenu.

Le troisième domaine qui concerne Thales est la cybersécurité, qui fait l’objet de l’un des programmes annoncés la semaine dernière, et dont le pilotage, par exception, n’est pas industriel. Thales aurait d’ailleurs préféré être plus directement impliqué, au lieu de l’être via l’agence française de cybersécurité. Nous attendons effectivement des financements incitatifs, dont le montant est mal connu à ce stade, mais qui pourraient nous permettre hors LPM d’être davantage présents dans cette filière aux applications duales qui servent à protéger directement ou indirectement les intérêts de l’État, au travers notamment de la protection des opérateurs d’importance vitale dont certains sont des entreprises privées.

Tels sont les trois domaines qui intéressent principalement Thales même si, en tant que groupe aux technologies multiples, nous pourrons être présents dans d’autres projets d’investissement d’avenir.

M. Nicolas Bays. Vous nous avez indiqué que Thales était leader dans de nombreux domaines – l’espace, les sonars, les radars – ce dont la Représentation nationale se félicite. Vous avez également souligné que les dix années à venir seraient décisives pour conserver le leadership dans ces domaines. Quelles sont vos craintes particulières à ce sujet ? Vous avez évoqué la concurrence américaine, mais pensez-vous que d’autres pays pourraient investir ces champs ?

Par ailleurs, Thales est un partenaire essentiel dans le programme FREMM (frégates multi-missions), bateau conçu pour répondre aux besoins des marines française et italienne et qui n’a malheureusement pas trouvé de marché significatif à l’export, ce qui a pesé sur la rentabilité et le succès de cette filière. Pensez-vous qu’un format de frégate de taille intermédiaire devrait être développé pour obtenir un produit plus adapté à l’exportation ?

Enfin, estimez-vous que la LPM est ambitieuse en matière de drones ?

M. Jean-Bernard Lévy. Sur les menaces et l’émergence de nouveaux pays dans le paysage industriel, il est indiscutable que la concurrence américaine est très vive. Certains estiment que la réduction des budgets militaires américains va renforcer la concurrence américaine. Je ne partage pas cet avis. Malheureusement, si on regarde les chiffres d’affaires des industries d’armement à l’exportation ces dernières années, on constate que nous avons perdu des parts de marché. Partant d’un étiage assez bas, nous devons être ambitieux et ne pas nous contenter de maintenir les résultats actuels et de simplement résister à une compétition plus âpre. Nous devons faire beaucoup mieux que la moyenne des trois dernières années, qui n’est pas très bonne.

Pour ce faire, la mobilisation autour des exportations doit être sans faille et s’accompagner d’une meilleure prise en compte des demandes locales de transfert de technologie ou, dans certains cas, d’un assouplissement des contraintes en matière de performance. Pour prendre l’exemple récent du déploiement d’un système d’observation spatiale aux Émirats arabes unis annoncé par le cheikh Mohamed et le ministre Le Drian il y a deux mois environ, on voit bien que c’est la prise en compte d’autres aspects que la simple fourniture de matériels qui a permis à « l’équipe de France » de gagner face à une concurrence américaine très vive. En janvier 2013, lors du voyage du Président de la République accompagné d’une délégation d’industriels, nous avions l’impression que l’affaire était perdue. En juillet 2013, elle était gagnée car nous avons mieux compris les besoins du client, les transferts de technologie, les contraintes opérationnelles, etc.

Le message que je souhaiterais faire passer est le suivant : face à une telle présence anglo-saxonne, nous devons en examiner tous les aspects, et nous organiser pour y faire face.

Nous constatons en effet que de nouveaux pays acquièrent une certaine crédibilité sur une partie de la gamme. La France a la chance – mais c’est aussi la récompense des investissements du passé – d’être présente sur la quasi-totalité des produits et des services dont les forces armées ont besoin dans le monde. Dans certains domaines, nous sommes attaqués « par le bas » par de nouveaux pays qui, sur les performances les plus sophistiquées et les produits les plus exceptionnels, ne seraient pas capables de satisfaire le client, mais qui sont capables de répondre à ses besoins courants. Je pense notamment à des pays asiatiques tels Singapour, avec le grand groupe Singapore Technology, ou la Corée, mais également à la Turquie ou encore au Brésil.

Sur les FREMM, je partage votre point de vue. Telle qu’elle a été conçue, elle peine à trouver un marché à l’exportation. Il s’agit d’un bateau remarquable, très complet, mais nous devons nous interroger : peut-être correspond-t-il à un créneau un peu étroit du marché. Il faut peut-être s’adapter aux besoins des forces navales dans le monde. Nous serions assez favorables au développement d’une frégate de taille intermédiaire pour la marine nationale qui répondrait mieux aux besoins et aux budgets d’un certain nombre de nos clients potentiels et serait équipée des systèmes électroniques les plus développés – notamment le radar SF 500. Une telle frégate pourrait rencontrer un véritable succès en Europe mais aussi dans le reste du monde. Il serait peut-être utile que la marine française commande des frégates intermédiaires en complément des FREMM, afin de qualifier le produit et d’avoir de meilleures chances à l’exportation qu’avec la FREMM dont les résultats sont décevants.

La LPM est-elle suffisamment ambitieuse en matière de drones ? J’aurais du mal à vous répondre positivement. À ce stade nous avons nous-mêmes quelque difficulté à comprendre où nous allons. Nous espérons que dans le système de drones tactiques, très rapidement disponible et qui donne à la France une autonomie totale en matière d’emploi opérationnel pour un coût modéré, le système Watchkeeper développé par Thales en Angleterre sera bientôt commandé. Je crois que le ministre de la Défense a fait des déclarations très positives dans ce sens. Nous espérons que, au-delà de l’achat de quelques drones d’origine américaine, va se produire dans les mois à venir une reprise en main de la filière de drones MALE. Celle-ci ne doit pas se limiter à la France mais être étendue à nos principaux partenaires européens afin qu’un programme européen se dessine, cofinancé, permettant de lancer une véritable filière industrielle européenne dans ce domaine et qui nous permettra de disposer d’un produit efficace pour nos propres besoins, complètement sous notre maîtrise, et exportable.

Je ne suis pas sûr – et beaucoup ici doivent partager cette opinion – que ce projet soit en train de voir le jour. Peut-être faudrait-il mettre les bouchées doubles afin que le Conseil européen de décembre – qui, pour la première fois depuis cinq ans, va traiter de questions de défense –, soit l’occasion de lancer ce programme de drones MALE. En effet, aujourd’hui, les pays européens achètent les uns après les autres les mêmes drones américains dans une filière qui ne produit pas de retour pour eux en matière industrielle et de souveraineté. Ce sujet est un peu étranger à la LPM, mais je souhaiterais que l’on puisse trouver le financement et surtout l’opportunité européenne de lancer un tel programme.

Enfin concernant les drones de combat, je crois que la LPM prévoit des travaux préparatoires assez significatifs à ce sujet, dans un cadre franco-britannique. J’espère que les deux gouvernements arriveront à s’accorder dans les mois à venir sur un tel programme. À cet égard, je souhaiterais vous faire part d’une information nouvelle : Thales a trouvé le cadre de travail qui nous permettrait de coopérer avec nos concurrents britanniques sur les aspects électroniques de façon à répondre à une demande d’organisation industrielle en matière de drones de combat si nos deux gouvernements devaient lancer ce programme. Le cadre industriel en matière d’électronique embarquée fait l’objet de discussions très avancées entre Thales et les principaux acteurs britanniques concernés.

Mme la présidente Patricia Adam. Nous attendons tous les conclusions du Conseil européen du mois de décembre consacré aux questions de défense. En effet, depuis l’adoption de la stratégie européenne de sécurité il y a plus de dix ans à l’initiative de M. Javier Solana, l’Europe de la défense n’a pas connu de grandes avancées.

M. Philippe Folliot. Votre groupe s’est développé à l’échelle internationale, mais des rapprochements sont-ils possibles entre les industries européennes, notamment françaises, pour exploiter des synergies et créer de véritables champions européens ? Je pense notamment aux synergies qui peuvent exister avec Safran et Sagem en matière d’optronique.

Par ailleurs, le projet de loi de programmation militaire prévoit six milliards d’euros de recettes exceptionnelles, provenant pour partie de la cession de participations de l’État dans certains groupes industriels. Or, Thales est détenu pour plus de 26 % par l’État : votre stratégie de développement intègre-t-elle l’hypothèse d’un désengagement de ce dernier, et un autre actionnaire de référence est-il envisagé ? De même, Thales détient 35 % du groupe DCNS, le reste appartenant à l’État : si l’État se désengageait de DCNS, votre groupe envisagerait-il de monter en puissance au capital de DCNS ?

M. Jean-Bernard Lévy. Si des synergies entre industriels sont à exploiter, c’est avant tout entre industriels français. Pour ce qui est de Safran, Thales n’est en concurrence avec cette entreprise que pour une part très limitée de son activité, via Sagem. D’ailleurs, si 50 % de l’activité de Thales est en lien avec la défense, ce n’est le cas que pour 10 % de celle de Safran. Les zones de recouvrement dans nos activités sont donc très limitées.

Si les discussions que nous avons menées avec Safran n’ont pas permis d’aboutir à un partenariat fort dans le domaine de l’optronique, nous n’en sommes pas moins associés dans des programmes d’études amont, notamment en matière d’infrarouge : il s’agit d’investissements lourds pour lesquels nous avons créé une filiale commune, qui coopère avec le secteur public. Ainsi, en matière de recherche technologique, nous évitons déjà les redondances. La situation est donc assez satisfaisante pour ne pas rendre indispensable un rapprochement plus étroit avec Safran.

S’agissant des participations de l’État dans les groupes de défense, il s’agit à la fois de savoir quelles sont les intentions de l’État et quelles sont celles de Thales en fonction des décisions que prendra l’État. Sur le premier point, je ne peux faire aucun commentaire, si ce n’est pour rappeler qu’il est lié avec Dassault par un pacte d’actionnaires qui nous offre un cadre de travail n’appelant pas, à mon sens, de modification.

Sur le second point, compte tenu de l’importance qu’a DCNS tant comme partenaire industriel que comme client, notre groupe étudiera l’hypothèse de reprendre la participation de l’État si celui-ci envisage de céder 15 % ou plus du capital de DCNS. Il faut d’ailleurs rappeler l’histoire de DCNS : il s’agissait à l’origine de services de l’État, qui ont été transformés en société privée détenue à 100 % par l’État, avant que celui-ci ne nous cède 35 % de ses parts. En revanche, si l’État devait céder tout ou partie de sa participation dans Nexter, la question serait ouverte de savoir s’il est vraiment pertinent d’adosser Nexter à Thales, alors que nous n’avons que très peu d’activité en matière de véhicules, et aucune participation aujourd’hui au capital de Nexter.

Mme Geneviève Gosselin-Fleury. Pouvez-vous nous indiquer quel a été l’impact, sur votre activité et vos effectifs, des reports de commandes intervenues au cours de la période de programmation 2009–2014 ? Les exportations ont-elles compensé la perte d’activité qui en a résulté ?

S’agissant par ailleurs de vos axes de recherche, un véritable besoin existe en matière de cryptologie militaire : cherchez-vous à y répondre ?

M. Jean-Bernard Lévy. Concernant l’emploi, la situation était relativement satisfaisante en début d’année, mais elle s’est dégradée au fur et à mesure des retards pris dans la notification des projets du ministère de la Défense. Nous sommes en discussion avec les syndicats pour trouver les moyens de gérer cette baisse d’activité.

Les exportations peuvent permettre de compenser les baisses des commandes de l’État, mais nous n’avons pas encore intégré à nos prévisions la vente du Rafale à l’Inde.

En tout état de cause, nous nous sommes fixé plusieurs principes dans la gestion des changements à venir. D’abord, organiser en priorité la mobilité au sein du groupe et développer les formations susceptibles de qualifier des personnels pour de nouvelles missions. Il s’agit notamment de faire bénéficier nos personnels du relais de croissance que constitue pour nous l’activité d’Airbus, ainsi que la bonne tenue de notre domaine optronique. Toutefois, même si nous avons eu de bonnes nouvelles récemment en matière spatiale, les perspectives globales de charge de travail ne laissent pas présager qu’il sera possible de maintenir notre volume d’emploi total : même en comptant sur les exportations, il nous faudra procéder à des réductions d’effectifs, limitées et contrôlées. Nous avons d’ailleurs conclu une charte avec nos sous-traitants pour piloter de façon cohérente ces opérations.

M. Patrice Caine, directeur général de Thales. Concernant la cryptographie, nous considérons que cette filière est déjà rationalisée sur le marché français : ce n’est plus la consolidation de la filière qui est à l’ordre du jour, mais les façons d’éviter que de nouvelles divergences et de nouvelles duplications d’activités n’apparaissent. Cette filière doit être soutenue dans la durée : tel est l’objet du programme CONTACT.

Reste aussi à construire et à consolider une filière industrielle en matière de cybersécurité. Le projet de loi de programmation militaire tend à instituer un cadre juridique adapté. Les organismes identifiés comme des opérateurs d’importance vitale doivent se protéger : Thales le fait, et Thales peut aider d’autres opérateurs d’importance vitale à acquérir eux aussi le statut d’« acteurs de confiance ».

M. Christophe Guilloteau. Comme mon collègue Philippe Folliot, je mesure ce que représente votre entreprise en France et dans le monde : 65 000 emplois, c’est assez exceptionnel. On a pu relever dans le cadre de la mission Serval au Mali ce qu’avaient été les performances de votre entreprise en matière de renseignement. Vous regrettiez que le projet de LPM ne mette pas assez l’accent sur la rénovation de l’Atlantique 2, mais ce qui a été réalisé me semble déjà important. J’ai senti dans vos propos un certain regret concernant la posture française vis-à-vis des drones, mais je voudrais parler aussi de la cyberdéfense. Comme vous le savez, dans ce projet de loi, peu d’articles concernent purement et simplement la défense : sur 36 il n’y en a que quatre. Cependant, une grande partie est consacrée à la cyberdéfense, suivant les orientations définies par le Livre blanc. Comment envisagez-vous la répartition de l’effort entre le public et le privé dans ce domaine ?

Mme Patricia Adam. Avant de laisser la parole à M. le Président Lévy, je souhaiterais apporter une précision à ce sujet.

Ce qui est important dans une LPM, ce sont aussi les annexes, et non pas seulement les articles. Il est vrai que dans ce projet de LPM on trouve un grand nombre d’articles normatifs, et il est normal de les examiner, mais il faut également considérer ses annexes.

M. Jean-Bernard Lévy. En matière de cybersécurité, Thales a déjà une compétence indiscutable, et nous travaillons beaucoup avec l’État ; nous avons environ 1 500 ingénieurs en cybersécurité, et nous travaillons aussi bien en France que dans de nombreux autres pays. D’ailleurs, il est fréquent que nos experts soient appelés aux États-Unis pour identifier les menaces ; nous avons des solutions de surveillance, d’analyse et de réaction qui sont utilisées dans plus de 25 pays au total, par les États eux-mêmes mais aussi par exemple par leurs systèmes bancaires, soucieux de sécuriser les transactions. La cybersécurité présente donc à la fois des enjeux de protection du territoire et de protection des entreprises.

La LPM et ses décrets d’application, auxquels les industriels seront certainement largement associés, vont imposer aux opérateurs d’importance vitale de se protéger ; Thales souhaiterait être associé à la façon dont seront définies ces obligations par les agences nationales.

Le groupe Thales est également attentif aux moyens qui seront consacrés aux investissements d’avenir. Une somme globale a été annoncée par le Président de la République il y a une semaine ; Thales souhaite faire partie des acteurs industriels de référence dans le domaine de la cyberdéfense, domaine marqué par une concurrence vive et des perspectives d’exportation, pour lequel il faut structurer une véritable filière française. Il est important de prendre rapidement conscience de ces enjeux.

M. Philippe Meunier. En tant que chef d’entreprise responsable, vous avez commencé votre audition en nous indiquant que vous étiez dans l’obligation de « réduire la voilure » en matière d’effectifs, compte tenu du retard pris sur un certain nombre de projets et de commandes publiques.

J’aimerais savoir quelle est la part de la réduction d’effectifs que l’on doit associer à la LPM précédente – la réduction d’effectifs est-elle uniquement due aux conséquences de l’exécution de la LPM précédente, ou avez-vous eu par ailleurs d’autres projets de commandes qui n’ont finalement pas abouti ? –, et si la future LPM va permettre d’inverser cette tendance ou non.

M. Jean-Bernard Lévy. Je vais faire une double réponse.

Les LPM fixent des grands programmes et des grands enjeux ; elles ne tracent pas la trajectoire des différentes commandes avec des montants et des spécifications détaillées mois par mois ou trimestre par trimestre, puisque ceci relève de la compétence du ministère de la Défense après discussion avec l’État-major des armées, la DGA et les industriels.

Je dirais simplement qu’aujourd’hui le retard dans la notification des programmes est indiscutable. Cependant, je ne souhaite pas rentrer dans le débat de savoir si ces retards sont dus à une LPM ou une autre alors que nous sommes à la charnière entre deux lois. Je dirais simplement que la pression budgétaire qui s’accumule sur les finances de l’État depuis la crise de 2008 a pour effet de ralentir des notifications de programmes, avec les conséquences dont je vous ai parlé sur la charge de travail et sur le fait que malgré tous les mécanismes de solidarité, nous nous attendons à une érosion contrôlée de nos effectifs en France.

*

* *

Ÿ M. Laurent Collet-Billon, délégué général pour l’armement (mercredi 2 octobre 2013)

Mme la présidente Patricia Adam. Nous accueillons aujourd’hui M. Laurent Collet-Billon, délégué général pour l’armement, pour aborder le projet de loi de programmation militaire (LPM) et le projet de loi de finances pour 2014. Comme vous le savez, nous avons déjà reçu les principaux industriels de la défense et avons notamment évoqué avec eux deux questions essentielles : les budgets consacrés à la recherche et au développement (R&D) et la mise en œuvre des programmes d’armement.

M. Laurent Collet-Billon, délégué général pour l’armement. Je vous remercie de me recevoir aujourd’hui pour vous présenter ma perception du projet de loi de programmation militaire actuellement en cours de discussion, dont le projet de loi de finances pour 2014 constitue la première annuité.

Cette LPM traduit le maintien de nos ambitions stratégiques, en cohérence avec les orientations du Livre blanc, sur les trois missions fondamentales de dissuasion, dans ses deux composantes complémentaires, de protection du territoire et des populations, et d’intervention sur les théâtres extérieurs.

Malgré un contexte budgétaire contraint, marqué par l’impératif de redressement des finances publiques, le Président de la République a ainsi choisi de maintenir un effort de défense significatif, afin de donner à la France les moyens de mettre en œuvre un modèle d’armées ambitieux à l’horizon 2025.

Un exercice difficile, visant à conjuguer souveraineté stratégique et souveraineté budgétaire, a été demandé à la mission « Défense ».

Un autre paramètre aura occupé une place majeure, celui de la préservation de notre outil industriel. Il s’agissait d’un impératif pour le Président de la République, personnellement, et pour le ministre de la Défense.

Il a ainsi fallu trouver un équilibre financier en dépit de fortes contraintes, alors que la trajectoire de besoin financier pour les équipements conventionnels prévoyait auparavant une importante croissance, avec une hausse des crédits d’équipement d’environ un milliard d’euros par an entre 2015 et 2020 – en raison de la poursuite du renouvellement des capacités engagé avec la LPM précédente, de nombreux grands programmes étant en cours de réalisation – et que les besoins financiers de la dissuasion – dans la perspective du renouvellement des deux composantes en 2030 et de l’entretien programmé des matériels – sont en croissance, ce qui met sous pression les ressources disponibles pour le reste de nos actions.

Nous avons défini neuf secteurs industriels. Pour chacun d’entre eux, il a fallu trouver le juste équilibre entre développement et production, de façon à concilier les impératifs de viabilité de l’activité industrielle avec les contraintes calendaires d’équipement en capacités militaires.

Je considère que le travail d’élaboration de ce projet de loi de programmation militaire a conduit à un résultat équilibré. Nous aurions certainement préféré que ce soit un peu plus confortable, mais la situation est ce qu’elle est.

Pour le programme 146 « Équipements des forces », qui est le principal programme suivi par la DGA, les ressources prévues pour les grandes opérations d’armement classique, pour les autres opérations d’armement et pour la dissuasion s’élèvent à environ 10 milliards d’euros par an, soit 59,5 milliards d’euros sur la période, se répartissant en 34 milliards d’euros pour les programmes à effet majeur (PEM), 7,1 milliards d’euros pour les autres opérations d’armement (AOA) et 18,4 milliards d’euros pour la dissuasion.

Il s’agit d’un retrait sensible – de l’ordre de 30 % au total, avec 41 % pour les PEM, 18 % pour les AOA et 11 % pour la dissuasion – par rapport à la programmation précédente, devenue insoutenable budgétairement et qui prévoyait une augmentation des ressources d’un milliard d’euros par an en moyenne. Je souligne que pour les AOA cela résulte d’un arbitrage collectif rendu avec le chef d’état-major des armées (CEMA) et les différents chefs d’état-major. En effet, un maintien des AOA à un niveau plus élevé aurait donné plus de fluidité, ces opérations contribuant notamment à la cohérence et au maintien de l’interopérabilité.

Cette évolution s’avère stable, en euros courants, par rapport à la loi de finances pour 2013, ce qui représente tout de même une érosion du pouvoir d’achat égale à l’inflation.

Une part significative de ces ressources – 5,5 milliards d’euros courants, soit 9 % – doivent provenir de ressources exceptionnelles, principalement en début de période : 1,5 milliard d’euros en 2014 et 1,6 milliard en 2015.

Sous l’hypothèse des ressources prévues, le report de charges du programme 146 sera stabilisé durant la nouvelle LPM à son niveau de fin 2013, prévu à environ deux milliards d’euros, les ressources escomptées ne permettant pas de le résorber. Ce report de charges représente environ 20 % des 10 milliards d’euros de ressources annuelles, ce qui constitue une part significative. La fin de gestion de l’année 2013 sera déterminante pour la bonne exécution de la LPM et il n’existe pas de marges pour faire face à des aléas.

Les études amont font l’objet d’un effort particulier – avec un flux moyen de 0,73 milliard d’euros courants par an entre 2014 et 2019 – qui constitue l’un des marqueurs de cette LPM pour l’armement.

La recherche et technologie (R&T) a été une priorité pour le ministre de la Défense dès le début des travaux d’élaboration de la LPM sur laquelle il n’a jamais varié de position.

Ce maintien de notre investissement en recherche et technologie (R&T) est absolument critique pour le maintien de la compétitivité de nos entreprises et leur capacité à répondre aux besoins futurs de nos armées et à proposer des matériels à exporter.

Ces crédits bénéficieront à la poursuite de la préparation du renouvellement des deux composantes de la dissuasion : mise en service du futur moyen océanique de dissuasion (FMOD) en 2030 ; renouvellement incrémental des missiles balistiques ; fabrication à l’horizon 2030 du successeur du missile air-sol moyenne portée améliorée (ASMPA). Ils serviront également à la montée en puissance de la coopération franco-britannique dans le domaine de l’aéronautique de combat – FCAS DP – et des missiles ; au développement des travaux sur la cyberdéfense, qui sera, à n’en pas douter, l’un des enjeux des années à venir ; à l’augmentation de l’effort d’innovation, par le soutien des PME et PMI grâce aux dispositifs du régime d’appui aux PME pour l’innovation duale (RAPID) – qui sera pérennisé et renforcé pour atteindre progressivement 50 millions d’euros annuels – et grâce à l’accompagnement spécifique des travaux de recherches et d’innovation défense (ASTRID), porté avec le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche pour les projets de recherche animés par des laboratoires académiques et des PME ; au maintien de l’excellence des compétences industrielles dans les autres domaines, même s’il est possible que toutes ne puissent être maintenues durablement à leur niveau actuel.

Parfois, les études amont constituent un palliatif pour fournir des crédits là où il manquerait pendant un temps de l’activité de développement sur les PEM. Cela n’est pas nouveau : on pratique ainsi depuis longtemps pour soutenir la viabilité de secteurs critiques.

L’impact économique et social de l’industrie de défense, fournisseur d’emplois hautement qualifiés et non délocalisables, aura été reconnu tout au long des débats. Les modèles de rupture qui auraient pu sacrifier un secteur ont ainsi été écartés. Les 10 milliards d’euros que la DGA injectera chaque année dans l’industrie de défense devront permettre de maintenir à terme les compétences indispensables à notre autonomie stratégique.

La LPM préserve globalement les neuf grands secteurs industriels : dans le renseignement et la surveillance – sur lesquels nous mettons particulièrement l’accent –, ce sont près de 4,9 milliards d’euros qui sont prévus sur la période, avec un effort particulier pour l’espace qui recevra 2,4 milliards d’euros ; 4,6 milliards d’euros seront alloués à l’aéronautique de combat pour la poursuite de l’amélioration du Rafale et de ses livraisons ; les sous-marins disposeront également de 4,6 milliards d’euros avec la poursuite du programme Barracuda, la transformation des bâtiments actuels pour le passage du M45 au M51 et la préparation du FMOD ; 4,2 milliards d’euros seront attribués aux navires armés de surface avec la poursuite des livraisons FREMM ; 3,9 milliards d’euros seront accordés à l’aéronautique de transport et de ravitaillement pour, notamment, la poursuite des livraisons des A400M et la commande d’avions ravitailleurs MRTT l’année prochaine ; 3,7 milliards d’euros serviront à financer les hélicoptères avec la poursuite des livraisons des programmes Tigre et NH90 ; le domaine des communications et des réseaux percevra 3,2 milliards d’euros pour la poursuite de CONTACT, radio tactique de nouvelle génération, et le lancement de COMSAT NG, successeur de Syracuse III ; 2,7 milliards d’euros seront consacrés aux missiles, dont la filière sera maintenue avec une trame de programmes nouveaux comme le missile moyenne portée (MMP) – successeur du missile d’infanterie léger anti-char (MILAN) – ou le missile anti-navire léger (ANL), développé en coopération avec les Britanniques ; enfin 2,5 milliards d’euros alimenteront le secteur terrestre, qui verra le lancement de Scorpion à la fin de l’année prochaine.

Bien entendu, des ajustements sur l’outil industriel seront nécessaires.

L’impact sera ainsi limité sur les investissements du programme 146 et minimisé par rapport à ce qu’il aurait pu être dans le contexte budgétaire difficile que nous traversons et dans certains modèles de rupture qui ont été envisagés.

Il faudra redoubler d’efforts pour conquérir de nouveaux marchés à l’export afin d’assurer des plans de charge plus confortables.

Afin de dégager des marges de manœuvre pour lancer de nouveaux programmes et répondre aux besoins capacitaires, les calendriers de livraison des nouveaux matériels – avion de transport A400M, hélicoptères NH90 et Tigre, avion de combat Rafale, frégates multimissions (FREMM), sous-marin nucléaire d’attaque Barracuda – sont en cours de renégociation et seront aménagés pour permettre la poursuite du renouvellement des capacités initié par la précédente loi de programmation.

Les conditions de réalisation de certains programmes ont déjà fait l’objet d’un accord avec les industriels. Ainsi, concernant le programme Barracuda, le calendrier de livraison des sous-marins a été étiré au maximum, tout en préservant la base industrielle et technologique de défense. Un sous-marin sera livré toutes les deux années et demie en moyenne. Quant au NH90, un engagement industriel sur l’étalement a été obtenu au moment de la contractualisation des trente-quatre hélicoptères TTH en mai dernier. Pour les autres, l’ajustement des calendriers de production est en cours de discussion afin de garantir la viabilité de l’activité industrielle, sans obérer la tenue des contrats opérationnels fixés par le Livre blanc et en respectant la trajectoire financière dressée par la LPM. L’équilibre de cette dernière repose en partie sur ces renégociations. Ces discussions ne sont pas faciles, car il s’agit de sujets complexes, parfois liés entre eux, mais j’ai confiance dans la compétence et l’implication de mes équipes comme dans le réalisme et la responsabilité de nos partenaires industriels. Elles aboutiront, je l’espère, avant la fin de l’année, car leurs résultats conditionnent l’exécution du budget dès 2014.

Parallèlement à ces renégociations de contrats, nous poursuivons un effort particulier sur le soutien aux exportations.

Le projet de LPM prévoit la livraison de vingt-six avions Rafale sur la période, avec l’hypothèse de contrats à l’exportation permettant de maintenir le rythme de production. Par ailleurs, les dix Rafale marine verront leur système d’armes rénové au dernier standard fonctionnel.

Le projet prévoit également que l’intégration de nouvelles capacités - missiles air-air longue distance MIDE/METEOR et systèmes de désignation à grande distance PDL-NG - sera réalisée dans le cadre du développement d’un nouveau standard et concernera l’ensemble de la flotte Rafale air et marine déjà livrée. Pour mémoire, le Livre blanc a fixé la cible à 225 avions de combat.

Le premier A400M a été livré en août dernier, le deuxième est attendu d’ici à fin 2013 et quatre autres sont prévus en 2014. Le projet de LPM prévoit la livraison de quinze A400M d’ici à 2019. Cela permettra de poursuivre le retrait déjà engagé de la flotte Transall C-160, dont la durée de vie a été prolongée par quelques modifications en cours d’application par les ateliers industriels de l’aéronautique (AIA). À terme, le Livre blanc a fixé la cible globale à cinquante avions de transport tactique.

Le projet de LPM prévoit un étalement du rythme de livraison des FREMM : six frégates en version anti-sous-marine seront livrées d’ici à 2019, les deux suivantes possédant une capacité de défense aérienne.

Une décision devra être prise en 2016 sur les modalités de rejointe du format du Livre blanc de quinze frégates de premier rang. Aujourd’hui prématuré, ce choix devra porter sur la réalisation des trois dernières frégates du programme FREMM, le programme de rénovation des frégates La Fayette (FLF) et un nouveau programme de frégate de taille intermédiaire (FTI) en intégrant l’actualisation du besoin militaire et la situation de l’industrie sur le marché de l’export des frégates de premier rang.

La période de la LPM sera marquée par la fin des livraisons des 630 véhicules blindés de combat d’infanterie (VBCI) en 2015, dont quatre-vingt-quinze disposeront d’un niveau de protection adapté aux théâtres d’opérations les plus exigeants. Ce programme fait l’objet de nombreux prospects export et la fin des livraisons confirme la nécessité de lancer le programme Scorpion dans la continuité.

Je rappelle que le lancement des nouveaux programmes a été retardé dans l’attente du Livre blanc de 2013 et de cette nouvelle LPM, afin de ne pas en préempter les choix. Une vingtaine de programmes nouveaux seront lancés d’ici à 2019.

Dans l’aviation de combat, un nouveau standard F3R sera déployé pour le Rafale : il contribuera au maintien de l’activité des bureaux d’études, en lien avec les négociations sur l’étalement de la production des avions de la quatrième tranche de production.

Dans le domaine terrestre, le lancement du programme Scorpion, essentiel au maintien des compétences de l’industrie terrestre, est prévu en fin d’année prochaine ; il s’agit du programme majeur pour la modernisation des matériels de l’armée de terre, qui comprend trois volets : le véhicule blindé multirôles (VBMR), successeur du véhicule de l’avant blindé (VAB) ; l’engin blindé de reconnaissance au combat (EBRC), qui remplacera l’AMX 10RC et qui constitue le moyen blindé d’intervention ; enfin, les systèmes d’interconnexion de tous les pions tactiques de l’armée de terre qui, même s’ils sont moins visibles, sont fondamentaux pour l’efficacité globale de l’armée de terre et lui permettront de changer de siècle.

Le programme d’avions ravitailleurs MRTT sera lancé pour préparer le remplacement de C-135 vieillissants. C’est un programme essentiel, en particulier pour la dissuasion. Il y a différentes initiatives européennes dans le domaine du ravitaillement en vol, mais il est nécessaire pour la France de prendre en compte les particularités de la dissuasion.

Dans le renseignement, plusieurs programmes nouveaux seront développés : les drones de moyenne altitude et longue endurance (MALE), le système de drones tactiques (SDT) et la capacité de renseignement d’origine électromagnétique spatiale (CERES).

Le domaine spatial, outre CERES, connaîtra le lancement du programme COMSAT NG, successeur du système de télécommunications militaires par satellites Syracuse III. Pour le domaine naval, les principaux nouveaux programmes prévus au cours de la LPM sont les bâtiments de soutien et d’assistance hauturiers (BSAH), la rénovation des frégates de type La Fayette, le système de lutte anti-sous-marine (SLAMF), qui viendra compenser le vieillissement de nos chasseurs de mines tripartites, et les navires logistiques FLOTLOG.

Enfin, plusieurs programmes de missiles seront lancés : l’ANL prévu dès cette année, comme le MMP, et plus tard, la rénovation des missiles du système de croisière conventionnel autonome à longue portée (SCALP) et le successeur du missile d’interception, de combat et d’autodéfense (MICA). Ces programmes sont indispensables au maintien des compétences de la filière.

Plusieurs de ces nouveaux programmes seront réalisés dans le cadre d’une coopération européenne, en particulier avec notre partenaire britannique : c’est notamment le cas du SLAMF et de l’ANL. Naturellement, pour les autres programmes, nous continuerons à étudier les collaborations possibles, en particulier avec le Royaume-Uni, l’Allemagne, la Pologne, l’Italie et l’Espagne, la situation financière des autres pays étant moins favorable.

Concernant les dépenses de personnel, une économie de l’ordre de 4,5 milliards d’euros sur la période est demandée au titre de la déflation et des mesures de « dépyramidage ».

J’ai souligné à mes autorités que cette LPM n’induisait aucun abandon de capacité technique ou industrielle et qu’il était donc impossible d’abandonner le moindre secteur de la DGA. Dans le cas contraire, il faudrait accepter que l’on ne suive plus certains secteurs et qu’on laisse l’industriel faire ; ce n’est pas ma conception. Dans ces conditions, et alors que la DGA a déjà atteint un format optimisé et resserré, qu’a concrétisé une baisse des effectifs de près de 20 % depuis 2008, la part de la DGA dans les déflations prévues par la LPM entre 2014 et 2019 sera recherchée sans abandon de capacités.

Nous contribuerons néanmoins à l’effort collectif : ainsi, entre 2013 et 2019, la baisse des ressources allouées à la DGA sera de 10,1 % en fonctionnement et de 7 % si l’on prend en compte l’investissement, mais en absorbant dans cette enveloppe les 50 millions d’euros d’investissements liés à la cyberdéfense. Je suis attentif au maintien des capacités d’essais des centres, en particulier pour les essais de missiles et pour Bruz en raison de la montée en puissance de la cyberdéfense. Dans ce domaine, qui nécessite des moyens modestes, nous réussissons à recruter très facilement des candidats de très bon niveau, qui sont ravis de se mettre au service de l’État mais qu’il faut accompagner.

Enfin, sur la question du dépyramidage des officiers, il faut relever que les cadres de la DGA ne constituent pas une pyramide d’encadrement au sens militaire, mais bien un ensemble de compétences techniques et managériales adapté aux missions confiées aujourd’hui à la DGA. La DGA regroupe environ 5 000 ingénieurs, dont environ 1 500 possèdent le statut d’officier. Ils sont âgés de trente-cinq à cinquante-cinq ans et disposent de compétences affirmées : c’est une vue de l’esprit de penser qu’il serait possible de les supprimer en gardant le même niveau de compétences techniques et managériales

Mme la présidente Patricia Adam. Pourriez-vous nous fournir des éléments sur la fin de l’exercice budgétaire pour 2013 ?

M. Laurent Collet-Billon. Nous estimons le report de charges de 2013 à 2014 à deux milliards d’euros pour le programme 146 – ce montant devant s’établir à trois milliards d’euros pour l’ensemble du ministère de la Défense –, sous réserve que la fin de l’exécution budgétaire ne fasse pas apparaître une attrition supplémentaire de nos crédits de paiement. Ce programme fait l’objet d’un « surgel » de l’ordre de 215 millions d’euros et d’une mise en réserve d’environ 540 millions d’euros : si ces sommes n’étaient pas débloquées, le report de charges pourrait s’accroître de 700 millions d’euros, alors que le total des crédits de paiement s’élève à 10 milliards d’euros. Cela créerait une grande instabilité et conduirait, l’année prochaine, à devoir arrêter les paiements dès le mois de septembre ; en outre, il conviendra de régler la question du surcoût des opérations extérieures (OPEX). Dans ce contexte, j’ai proposé de freiner les engagements afin de ne pas lancer de programmes que l’on ne pourrait pas financer en 2014. L’ensemble des programmes nouveaux pour 2013 et 2014 dépasse 400 millions d’euros de crédits de paiement ; une décision absurde et brutale consistant à ne démarrer aucun nouveau programme jusqu’à la fin de l’année prochaine ne permettrait pas de compenser les reports de charges. Nous maintenons donc notre prévision de non-augmentation des reports de charges et de complète disponibilité des ressources.

Nous annoncerons prochainement le démarrage d’un programme concernant l’Atlantique 2, action impérative du fait de son usage au Sahel, et la poursuite de l’opération CONTACT, conduite avec Thales, visant le poste radio tactique de cinquième génération ; son lancement fut approuvé l’an dernier, mais son déploiement s’effectue avec précaution et de manière progressive.

Comme les années précédentes, nous tenterons en 2013 de placer en réserve un minimum de crédits de paiement – ceux-ci nous préoccupant davantage que les autorisations d’engagement – afin d’être en mesure de traiter à la fin de l’année le cas des PME et des PMI. Cette pratique se situe aux limites de la régularité et nous place dans une position inconfortable.

Mme la présidente Patricia Adam. Nous avons déjà connu ces difficultés de fin d’exercice budgétaire dans d’autres périodes et nous pourrons interroger le ministre de la Défense à ce sujet.

M. Joaquim Pueyo. L’armée de terre a consenti beaucoup d’efforts, dans la mesure où des reports et des annulations d’engagements en matière d’équipement ont été décidés en 2012 et en 2013 ; elle attend la mise en œuvre du programme Scorpion qui devrait débuter à la fin de l’année 2014. Quand les premiers véhicules blindés de nouvelle génération seront-ils livrés ?

L’armée de terre disposera-t-elle de suffisamment de crédits pour assurer la maintenance des matériels, notamment ceux revenant du Mali ?

M. Laurent Collet-Billon. Nous comptons notifier les contrats intéressant le programme Scorpion dès la fin de 2014 avec le début des travaux de développement du VBMR et de l’EBRC. Les premiers VBMR seront livrés en 2018, 608 le seront au cours de la période couverte par la LPM, la cible finale étant fixée à 2 080 appareils. Les premiers EBRC seront commandés en 2018, 248 devant être fournis au total. Nous avons également lancé le déploiement d’un système d’information unifié et nous prévoyons de moderniser les chars Leclerc.

Il convient de relativiser la réduction des crédits de l’armée de terre : ainsi, la quantité de 630 VBCI est maintenue – ne serait-ce que pour des raisons industrielles, car l’amputation d’une centaine de véhicules à ce programme n’aurait pas permis de réaliser la moindre économie du fait des dispositions du contrat ; une partie d’entre eux pourrait néanmoins être exportée.

Nous demandons aux industriels de s’associer pour répondre à nos demandes. La composante Scorpion ayant été reconnue comme stratégique, nous pouvons utiliser des dispositifs réglementaires qui permettront, sinon d’éviter, du moins de restreindre la compétition. Il faut que nous convainquions Renault Trucks Défense (RTD) et Nexter de collaborer pour ce programme, comme ils l’ont déjà fait pour les VBCI – excellent véhicule, climatisé, qui a donné pleine satisfaction au Mali.

Je ne suis pas chargé de la maintenance – et ne souhaite d’ailleurs pas l’être –, même si nous discutons avec les armées pour mieux organiser la maîtrise d’ouvrage du maintien en condition opérationnelle (MCO) dans l’aéronautique. Dans la LPM, toutes les composantes connaissent une stabilité en volume et en euros courants, à l’exception de celle dévolue à l’entretien programmé des matériels (EPM) qui, seule, progresse ; nous étudions donc la possibilité de dégager quelques marges dans ce secteur, tout en tenant compte des impératifs liés à l’entraînement des forces et aux OPEX, ainsi qu’aux lacunes de coopération qui ont longtemps caractérisé ce domaine d’action. En matière de maîtrise d’ouvrage, le Royaume-Uni et l’Allemagne ont créé des organisations intégrées – regroupant les acquisitions et le MCO –, mais ils font régulièrement évoluer leur système, car il n’existe pas d’agencement parfait.

Mme Geneviève Gosselin-Fleury. Monsieur le délégué général, à combien s’élève le coût global des programmes de modernisation des équipements prévus dans la LPM et quel en est l’impact sur la charge financière du MCO ?

Le programme BSAH restera-t-il fondé sur un projet de partenariat public privé (PPP) ou procéderons-nous à une acquisition patrimoniale ?

M. Laurent Collet-Billon. Pour le BSAH, six bâtiments militaires et quatre bâtiments civils affrétés composent la flotte de remorqueurs de haute mer ; nous avons étudié la possibilité d’obtenir huit navires – quatre pour des missions militaires et quatre pour d’autres activités – dans le cadre d’un PPP. L’intérêt économique de la seule offre reçue est nul voire négatif aujourd’hui. Nous réfléchissons à des alternatives pour l’acquisition patrimoniale de deux navires et à bénéficier de l’affrètement de six autres.

Nous avons déjà dû abandonner l’instrument du PPP pour de nombreux autres programmes – notamment dans le domaine des télécommunications –, car l’intérêt économique n’existait que pour le prestataire, et pas pour l’État.

Nous vous communiquerons, madame Gosselin-Fleury, le montant de la modernisation des équipements au titre de la LPM, nous n’avons pas constitué cet agrégat aujourd’hui. À titre d’exemples de modernisation, au-delà du Rafale F3R, nous lançons la rénovation des FLF et celle des Mirage 2000D – afin de les doter des capacités d’interception.

Ces opérations possèdent un impact sur le MCO, car la mise à jour d’équipements obsolètes a un impact positif instantané sur l’exécution du MCO. Cependant, il faut prendre en compte l’immobilisation des matériels induite par ces opérations de rénovation.

M. Gilbert Le Bris. Le marché des bâtiments multimissions (B2M) porte-t-il sur trois ou sur quatre navires neufs avec cinq ans de MCO ? Quand sera-t-il lancé : avant la fin de l’année ?

M. Laurent Collet-Billon. Les conditions initiales de conduite du programme B2M prévoyaient une contribution de l’État – hors ministère de la Défense – de 20 % pour l’acquisition et de 50 % pour le fonctionnement. D’une réunion interministérielle tenue en juillet dernier, il est apparu que ce financement n’était plus garanti. Nous révisons donc le dispositif et consultons les industriels et la marine nationale ; nous prévoyons l’exécution des travaux liés à la consultation et à la notification avant la fin du mois de décembre 2013 et une livraison du premier B2M à la fin de 2015 ou au début de 2016 – les deux suivants étant prévus un an plus tard. Par ailleurs, il nous faudra réfléchir au déploiement du complément de dispositif nécessaire vers la Polynésie, les Antilles et la Nouvelle-Calédonie.

M. Daniel Boisserie. Ces dernières années, l’État a vendu des participations qu’il détenait dans des sociétés d’armement ; cette politique, pourvoyeuse de recettes, se poursuivra-t-elle ?

Dans les collectivités locales – voire dans les services de l’État –, les gestionnaires liquident en fin d’année la totalité des crédits disponibles afin d’obtenir le même financement l’année suivante. Ne pourrait-on pas inciter à moins dépenser et à intéresser ceux qui y parviennent ?

M. Laurent Collet-Billon. Les dépenses d’investissement dans le programme 146 servent à l’équipement des armées : elles correspondent à des besoins exprimés par les états-majors des armées et approuvés par le ministre en comité ministériel d’investissement, et je n’ai donc pas à les freiner. S’agissant des crédits de fonctionnement, j’ai été témoin dans le passé de la course à la consommation à laquelle vous faites allusion, monsieur Boisserie, mais cette époque semble révolue : ces crédits sont alloués au plus juste et centralisés pour l’ensemble du ministère afin que les armées puissent toujours en disposer. Pour la DGA, les crédits d’investissement technique dans nos centres d’essais font partie des crédits de fonctionnement.

Il sera nécessaire d’obtenir des recettes extrabudgétaires comprises entre 1,5 et 1,6 milliard d’euros en 2014 et en 2015. Les programmes d’investissements d’avenir (PIA) permettront d’assurer ces crédits de paiement en 2014 : ils seront orientés très majoritairement vers la direction des applications militaires du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) – ce PIA remplaçant en grande partie la subvention attribuée au CEA, il s’agit d’une débudgétisation pour cette année – et le reste vers le programme de satellites d’observation MUSIS. Ce montant proviendra de la vente de participations de l’État – dont la conduite relève de l’Agence des participations de l’État (APE) dirigée par M. David Azéma –, le moment de leur disponibilité pour la DGA restant inconnu. En 2013, l’APE a vendu 3 % de Safran pour un montant de l’ordre de 400 millions d’euros, la participation de l’État dans cette société atteignant désormais 27 % du capital. L’État ne cédera des participations que dans des sociétés dont l’avenir stratégique s’avère parfaitement établi et conservera son poids dans les entreprises dont il veut continuer de définir l’orientation.

En revanche, l’incertitude subsiste pour 2015 : les recettes devaient provenir de la vente de fréquences de la TNT, mais il n’est pas certain que les opérateurs télécoms aient les moyens de participer à la compétition ; en raison de contraintes juridiques et administratives, il n’est pas acquis que l’on puisse percevoir cette manne avant 2016. Il faudrait donc trouver 1,6 milliard d’euros de crédits de paiement en recettes extrabudgétaires pour l’année 2015 : les ministères de l’Économie et des finances et de la Défense, sous l’autorité du Premier ministre, réfléchissent actuellement aux moyens de lever cette difficulté. Je reste confiant, car le Président de la République a indiqué que, en cas de manque de recettes extrabudgétaires, des crédits budgétaires seraient versés. Le montant de 1,6 milliard d’euros représente plus de 15 % des crédits de paiement, et nous ne pouvons pas accroître le report de charges en 2015 de 1,5 milliard d’euros, car un report de charges trop important – excédant deux milliards d’euros pour la DGA – donne au contrôleur financier le pouvoir de refuser de viser les contrats qui lui sont soumis au motif de l’absence de crédits pour les payer.

M. Jean-Yves Le Déaut. Avons-nous les moyens humains permettant de réaliser la montée en puissance de la cyberdéfense ? Les liens entre l’université ou les organismes de recherche comme l’Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA) et les employeurs sont-ils suffisamment étroits ?

La France a acheté deux drones Reaper sur étagère, type d’acquisition qui pose de nombreux problèmes – comme l’atteste l’exemple du drone Harfang – et qui nécessite donc un processus de nationalisation. Les États-Unis ont-ils accepté que nous assimilions certaines techniques de liaison satellitaire, d’optronique, de capteurs électroniques ? Cette incorporation de la technologie du drone américain ne nuirait-elle pas au programme européen que les industriels continuent d’évoquer, même si son échéance, initialement prévue entre 2020 et 2022, semble être désormais fixée entre 2022 et 2025 ?

M. Laurent Collet-Billon. L’accroissement des effectifs dévolus à la cyberdéfense n’entrera pas dans l’enveloppe budgétaire ; nous recruterons une quarantaine de personnes en 2013 et cette quantité augmentera de 50 % l’an prochain. Lorsque nous ouvrons des postes dans ce domaine – principalement des ingénieurs –, nous recevons un afflux de candidatures de haut niveau, provenant des universités et des écoles comme Polytechnique ou Normale Sup. Intégrer ces recrues nécessite de les former et de les sélectionner – pour vérifier leur équilibre et leur sens du secret. Même si nous sommes en compétition avec d’autres structures de l’État comme la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) ou avec des industriels pour attirer les candidats dans ce domaine, les postes techniques que nous proposons séduisent.

Par ailleurs, nous nouons de nombreux partenariats scientifiques avec des institutions françaises, notamment par le biais de conventions qui permettent l’exécution de programmes d’études amont (PEA) en matière de cybersécurité -  dont le montant devrait passer de 10 à 30 millions d’euros par an - ou qui financent des thèses. Dans ce domaine, l’INRIA s’avère évidemment un partenaire fondamental.

Tant que nous disposerons des moyens d’embaucher, notre montée en puissance dans la cyberdéfense s’effectuera. S’effectuera-t-elle assez vite ? La question se pose, sachant que M. Ashton Carter, le numéro deux du Pentagone, a annoncé qu’il allait embaucher 7 000 personnes d’ici à la fin de l’année. À leur échelle, les États-Unis continuent d’accélérer dans ce secteur et la cyberdéfense constitue un enjeu de la LPM, peut-être le principal – non en matière financière, mais en termes de souveraineté.

Nous avons en effet acheté deux drones sur étagère, qui seront déployés avant la fin de l’année au Sahel. La LPM prévoit que douze drones MALE seront acquis d’ici à 2019 ; nous avons demandé aux Américains la certification aéronautique permettant aux appareils de fonctionner dans l’espace aérien européen – ce qui les surprend toujours, car l’espace aérien est si étendu aux États-Unis que ses parties civile et militaire peuvent être séparées. En outre, nous souhaitons qu’une étude soit conduite sur la francisation ou l’européanisation de capteurs, de moyens de transmission et d’outils de sécurisation des communications ; cette proposition n’a pas encore été acceptée.

Trois industriels – Dassault Aviation, Finmeccanica et EADS Cassidian – ont déclaré être disposés à s’unir pour élaborer un drone MALE européen, et je dois rencontrer leurs représentants dans le courant du mois d’octobre. Nous nous sommes également entretenus la semaine dernière de ce sujet avec M. Beemelmans, secrétaire d’État au ministère allemand de la Défense, chargé de l’équipement. La question que nous devons résoudre réside dans l’articulation entre ce que l’on veut intégrer du drone américain et ce que l’on veut développer dans un drone européen : la dimension financière la tranchera. Par ailleurs, le ministre de la Défense devrait prochainement annoncer la création d’un club des utilisateurs de Reaper en Europe, réunissant les Britanniques, les Italiens et peut-être les Allemands.

S’agissant des drones tactiques, nous avons évalué le Watchkeeper de Thales Royaume-Uni et nous estimons que cet appareil manque à ce stade de maturité. Je suis en relation étroite avec mon homologue britannique pour suivre les évolutions prévues du système.

Les essais du dispositif nEUROn ont parfaitement fonctionné. Il s’agit là d’un exemple de coopération européenne réussie. Les performances de nEUROn ont impressionné bon nombre de pays du Moyen-Orient et ont agacé nos amis britanniques. Nous avons également testé la furtivité radar de nEUROn dans le moyen Solange à Bruz et les résultats s’avèrent très encourageants. Ce point est fondamental pour le maintien des compétences des bureaux d’études aéronautiques – notamment chez Dassault Aviation – en l’absence d’un programme d’avion de combat en Europe.

M. Jean-Jacques Candelier. Les problèmes de fonctionnement du logiciel Chorus tendent à disparaître ; le ministère de la Défense aurait réglé 5,6 millions d’euros d’intérêts moratoires. Ce montant est-il définitif ou augmentera-t-il encore ?

La LPM a programmé l’acquisition de vingt-six Rafale afin de porter le nombre total d’avions de combat disponibles à 225 en 2020. L’accord avec Dassault repose sur onze avions de combat par an. Que se passera-t-il en cas d’échec à l’exportation ?

On dit que le FAMAS, fusil d’assaut encore en service et très performant malgré son âge, pourrait être remplacé. Est-ce vrai, sachant qu’il était fabriqué en France, mais qu’il n’existe plus d’usine pouvant produire des fusils d’assaut ?

M. Damien Meslot. Monsieur le délégué général, vous avez fait part de votre optimisme, mais, au vu de la LPM, j’incline vers le pessimisme, car cette loi conduit à terme au déclassement stratégique de la France.

Pourriez-vous nous apporter des précisions sur le programme de livraison des lance-roquettes unitaires (LRU) ? Le calendrier prévu sera-t-il respecté ?

M. Francis Hillmeyer. Vous nous avez indiqué que quarante personnes seraient embauchées dans le domaine de la cyberdéfense, sachant que le ministre de la Défense avait annoncé que 200 agents seraient engagés d’ici à 2015. Qu’en est-il exactement dans un contexte où les Américains procèdent à des recrutements massifs ?

Lors de votre audition en 2012, vous aviez déclaré que la DGA n’aurait plus de marges d’optimisation sans abandon de capacité en 2013. En sommes-nous là ?

M. Laurent Collet-Billon. Monsieur Candelier, la mise en place de Chorus à partir de 2010 fut très laborieuse, mais nous sommes aujourd’hui plus optimistes sur ses capacités. L’un des principaux avantages de Chorus est de permettre une reprise des paiements après un changement d’année dès le 2 janvier – alors qu’elle n’avait lieu qu’à la fin du mois de mars ou au début du mois d’avril auparavant ; en revanche, certaines restitutions, utiles à la DGA, se révèlent incomplètes : Chorus est donc un outil financier et non un instrument de gestion des programmes.

Nous travaillons à la vente de 126 Rafale à l’Inde – dont dix-huit fabriqués en France – et de trente-six appareils au Qatar – même si ce chiffre n’est pas encore arrêté. Je suis persuadé que nous réussirons à conclure le marché avec l’Inde, même si nous pourrions attendre jusqu’à la fin de l’année 2014 pour des raisons de fonctionnement administratif, d’attention portée par les Indiens au respect des procédures, de calendrier politique et de nécessité d’adapter certains de leurs équipements au Rafale. Sur ce dernier point, l’intérêt de l’opération avec le Qatar réside dans la proximité de la définition technique des avions avec la nôtre. À plus long terme, le Brésil pourrait réapparaître comme un marché potentiel, car ce pays développe une ambition de souveraineté qui l’a conduit à lancer un programme de porte-avions : le Rafale aura, une fois le bâtiment construit, le F-18 pour seul concurrent – si celui-ci est toujours produit. Le même secteur de l’aviation embarquée concernera également l’Inde dans le futur.

La LPM prévoit l’acquisition de plus de 21 000 fusils. Depuis la fermeture du site de Saint-Étienne et de l’atelier du Mans – qui produisait les munitions –, la France ne dispose plus d’activité de développement et de fabrication d’armes et de munitions de guerre de petit calibre. Il nous faudra donc procéder à des achats sur étagère ne nécessitant pas d’adaptations trop importantes auprès d’industriels allemands, belges, voire suisses.

Monsieur Meslot, les treize lance-roquettes multiples (LRM) seront transformés en LRU à la fin de 2014.

Monsieur Hillmeyer, plus de 400 experts dans la cyberdéfense devraient exercer à la DGA à l’horizon de 2017. Ces personnes étant majoritairement des ingénieurs civils sous contrat, je ne peux affirmer avec certitude le nombre de recrues pour l’année 2013 qui dépend du visa du contrôleur financier. Le chiffre donné par le ministre de la Défense est global et comprend le pôle opérationnel, alors que je ne m’intéresse qu’au pôle technique.

Dans le domaine de la cybersécurité, le tissu industriel connaît un grand dynamisme depuis deux ans et de nombreuses PME et PMI sont créées. Cette activité répond à un immense besoin.

M. Jacques Lamblin. Vous nous avez expliqué que vous étiez soumis à une triple contrainte : celle liée aux finances, celle correspondant aux besoins exprimés par l’institution militaire et celle de la préservation des filières industrielles ; de toute évidence, la première prime sur les deux autres. L’ampleur de la réduction de vos moyens permet-elle la sauvegarde de l’ensemble des filières ? Certaines ne se trouvent-elles pas plus en danger que d’autres ?

Les reports engendrés par les impératifs financiers ou par les réductions de programme induisent une utilisation plus longue des équipements et une renégociation des contrats, ce qui engendre un coût – de maintenance ou d’indemnisation. Réalise-t-on vraiment des économies lorsque l’on reporte au-delà du raisonnable le lancement de certains programmes ? Si elles existent, à combien se montent-elles ?

Vous avez affirmé que les moyens de transmission de l’armée de terre devaient être améliorés : à quelles évolutions songez-vous ?

M. Jean-Michel Villaumé. Pourriez-vous faire le point sur l’état d’avancement du projet d’expérience de physique utilisant la radiographie éclair (EPURE) qui concerne notre force de dissuasion ?

Mme Nathalie Chabanne. Monsieur le délégué général, je suis surprise de vous entendre dire que le progiciel Chorus fonctionnait ; certaines directions départementales des finances publiques gèrent l’armée de terre sans difficulté, mais celles qui s’occupent de l’armée de l’air – notamment celle des Landes – rencontrent des problèmes. Si le traitement des flux s’avère satisfaisant, qu’en est-il des stocks ? Au cours d’une audition devant cette même commission, mes collègues avaient fait état d’un montant de 45 millions d’euros au titre des intérêts moratoires pour l’année 2010, alors qu’ils n’atteignaient que 18 millions d’euros l’année précédente, c’est-à-dire avant la mise en œuvre de Chorus ; quelle somme l’État a-t-il dû verser au titre de ces intérêts depuis le lancement du dispositif ?

M. Laurent Collet-Billon. Le précédent Livre blanc surestimait l’effort financier qui pouvait être consenti pour les équipements, puisqu’il l’établissait à neuf milliards d’euros pour les seuls équipements classiques – hors nucléaire et AOA. La DGA a défini neuf agrégats industriels pour lesquels nous avons cherché à préserver un niveau minimal pour les bureaux d’études et la chaîne logistique. Cette nomenclature des neuf agrégats s’est imposée dans les discussions préparant le projet de loi de programmation militaire.

Il nous faut consentir un effort colossal en matière d’exportations. C’est notamment le rôle des industriels, car l’État ne peut pas tout. Nous avions anticipé les décisions de la LPM et avions informé les grands maîtres d’œuvre industriels longtemps à l’avance, mais tous n’ont pas souhaité anticiper le nouveau contexte financier. Certains secteurs industriels – renseignement et spatial – connaissent la croissance. Nous devons disposer d’équipements exportables ; ainsi, nous voulons engager, d’ici à 2016, une réflexion sur les frégates – rénovation des FLF, poursuite du programme des FREMM, introduction d’un navire de taille intermédiaire plus moderne. Les FREMM sont de très beaux produits, mais ils sont malheureusement lourds – 5 500 tonnes – et nécessitent la présence d’un équipage hautement qualifié puisqu’il dépasse à peine 100 personnes ; ils ne correspondent donc pas vraiment aux demandes de pays potentiellement clients comme ceux du Moyen-Orient, qui souhaitent disposer d’équipages de 150 individus. Nous devons adapter notre offre à la demande.

Les renégociations ne permettent pas de dégager d’importantes économies de coûts, car, si nous essayons de respecter l’enveloppe à la fin du programme, les réaménagements des plans de production nous contraignent à raisonner en flux. Comme les programmes d’armement sont longs, ce type de variation a généralement un impact sur les coûts.

Dans les transmissions, nous avons beaucoup exporté le PR4G – plus de 100 000 exemplaires vendus – dont disposent l’armée de terre, les commandos de l’armée de l’air et la marine. Nous souhaitons renouveler ce succès grâce au programme CONTACT et passer à une gamme de matériels attendus par les pays étrangers et par notre armée de terre, qui s’appelleront « Software Defined Radio » – ou radio logicielle – et qui pourront s’adapter à différentes formes d’ondes et donc maîtriser les conditions d’interopérabilité, tant au sein de l’OTAN qu’avec des pays comme les Émirats arabes unis avec lesquels nous avons signé des accords de défense.

EPURE vise à la mise en place de moyens expérimentaux et de simulation numériques pour acquérir et valider les données physiques permettant de réaliser des têtes nucléaires. Nous avons engagé cet effort dès maintenant, car nous voulons disposer d’une tête nucléaire moderne en 2025 pour poursuivre l’amélioration de notre armement, notamment dans sa composante de sûreté. Le CEA conçoit et produit la tête nucléaire, si bien qu’il doit conserver la maîtrise de compétences rares. La première expérience d’EPURE sera exclusivement française alors que la seconde reposera sur une coopération franco-britannique. Enfin, la mise en service du laser mégajoule (LMJ) est prévue à la fin de l’année 2014.

Madame Chabanne, je vous confirme que si, vu de la DGA, Chorus ne répond pas à l’intégralité de nos besoins de restitution, le fonctionnement comptable du système ne nous pose plus de difficultés, grâce à la formation intense de nos personnels appelés à manier l’outil. Il nous permet de bénéficier d’une grande fluidité dans le traitement des opérations et d’une reprise rapide de la gestion en début d’année. C’est notamment grâce à cela que nous avons pu plafonner les intérêts moratoires à environ six millions d’euros à la fin de l’année 2012. L’exécution budgétaire de la fin de l’année déterminera le montant des intérêts moratoires, qui pourraient s’accroître en fonction du report de charges ; nous devrions faire face à des difficultés si l’on constatait, le 15 janvier prochain, que nous avons consommé l’intégralité des crédits de paiement ouverts en début d’année pour payer les reports de charges, ce qui créerait de nouveaux intérêts moratoires.

M. Nicolas Dhuicq. Vous nous parlez d’économie de flux, mais les investissements ne pourront que diminuer si nous continuons sur cette pente délétère. Faute d’opérer des choix, nous devons conserver une panoplie complète, puisque le rêve européen de mutualisation semble s’éloigner et que la dimension nationale reprend toute sa place dans la politique de défense.

Les reports accroissent le coût des équipements et empêchent la modernisation des forces, notamment pour les flottes de surface et de haute mer. Vous avez évoqué le lancement d’une réflexion à partir de 2016 pour les deux frégates anti-aériennes. Quand la marine nationale pourra-t-elle compter sur ces deux frégates ? Pendant combien de temps les coques qui doivent être rénovées pourront-elles tenir sur la mer ?

M. Yves Fromion. Dans la LPM, il n’est pas prévu de nouvelle commande du canon CAESAR – compétence industrielle de gros calibre que, avec les Allemands, nous sommes seuls à détenir en Europe – contrairement à ce qui avait été initialement envisagé dans la précédente LPM, puisqu’une deuxième tranche d’une soixantaine de canons devait être commandée, et ce n’est pas la rénovation des tubes des chars Leclerc qui permettra de faire vivre la canonnerie de Bourges. Comment pourrions-nous dès lors conserver cette compétence ? L’arrêt de cette activité ne préfigurerait-il pas le rapprochement entre Nexter et Krauss-Maffei, l’entreprise allemande restant seule capable de produire du gros calibre ?

Pourrions-nous obtenir un tableau prévisionnel des obsolescences des matériels ? Cela nous permettrait de connaître la quantité d’équipements disponibles en fin de loi de programmation militaire, en 2019.

M. Philippe Folliot. Nous avons décidé depuis quelques années de développer les équipements multifonctions – Rafale ou FREMM ; si ces instruments sont bien adaptés pour réaliser les tâches les plus complexes, on peut s’interroger sur le coût d’utilisation de ces équipements pour des opérations ordinaires. L’orientation consistant à privilégier ces outils s’avère-t-elle pertinente ? Cette question se pose notamment pour notre stratégie en termes d’exportation, car nous rencontrons de grandes difficultés à vendre des Rafale – le meilleur avion du monde – et des FREMM. Devons-nous poursuivre dans cette voie ou convient-il de produire des équipements plus spécialisés ?

M. Laurent Collet-Billon. Monsieur Dhuicq, la cible finale du programme FREMM s’établit à onze unités ; elle est cohérente avec le modèle d’armée pour 2025 qui comptera quinze frégates de premier rang. Cinq FREMM identiques seront livrées d’ici à 2019 ; elles disposent d’une autoprotection antiaérienne reposant sur l’Aster 15, mais pas sur l’Aster 30. Les deux FREMM suivantes seront réservées à la lutte antiaérienne : ces frégates de défense aérienne (FREDA) seront lancées au cours de la LPM et seront disponibles après 2019 ; elles compléteront les deux frégates Horizon, dont le poids atteint 7 500 tonnes. Nous devrons déterminer en 2016 la nature des frégates que nous construirons après ces échéances ; nous devrons notamment décider de l’opportunité de développer un nouveau bâtiment de surface, technologiquement plus évolué, avec une mâture intégrée – ce que demandent les clients à l’exportation pour cet équipement – et doté d’un gabarit plus modeste de 3 500 tonnes.

Monsieur Fromion, ce qui intéresserait Krauss-Maffei dans un partenariat avec Nexter est justement de bénéficier de la compétence en gros calibres que cette société allemande ne produit pas beaucoup. Nous cherchons à pérenniser les moyens de production de munitions, d’artillerie et de char ; nous nous renseignerons sur notre activité en matière de tubes, mais elle ne doit pas être très développée. En tout état de cause, si l’on ne raisonne pas que dans le cadre de la LPM et si l’on prend en compte l’exportation, nous n’abandonnons aucune compétence. Ainsi, Nexter est engagé, en Inde, dans une compétition qui représente 2 000 tubes de 155 millimètres ; quoi qu’il en soit, les munitions du Caesar sont très spécifiques et nous en conserverons la maîtrise sous une forme ou sous une autre.

Il vous sera transmis par ailleurs un tableau prévisionnel des retraits de service des matériels.

Monsieur Folliot, notre flotte aérienne rassemble des appareils multifonctions comme le Rafale et d’autres avions de combat plus spécialisés, comme le Mirage 2000D, même si nous prévoyons de le doter de capacités d’interception alors qu’il n’est principalement qu’un avion d’attaque au sol. Le choix des équipements multifonctions s’impose, car il s’avère le plus pertinent, surtout au moment où les flottes diminuent de taille. Si les FLF rénovées sont davantage dédiées à une fonction particulière, les frégates multimissions s’inscrivent dans le même mouvement, que suivent également nos partenaires – les Britanniques souhaitent ainsi désormais conférer aux Eurofighter des capacités air-sol, ce qui risque de leur coûter fort cher.

Mme Marianne Dubois. Monsieur le délégué général, la LPM aura-t-elle un impact sérieux sur les moyens humains dont dispose la DGA et sur l’activité dans nos provinces ?

Mme Sylvie Pichot. Les études amont sont essentielles pour préparer l’avenir et le ministre de la Défense les considère comme une priorité. Pourriez-vous nous préciser la part des PME dans les engagements des études amont et dresser un premier bilan du pacte liant les PME et le ministère de la Défense, lancé à la fin de l’année 2012 ?

M. Olivier Audibert Troin. Les 64 CAESAR qui devaient être livrés avant 2019 ont disparu de la LPM, si bien que nous continuerons pendant plusieurs années à utiliser les AUF1 et les TRF1 qui sont totalement à bout de souffle, ce qui, outre l’obsolescence, pose la question de la sécurité des personnels.

Vous avez considéré que des pertes de compétences pouvaient résulter de la LPM, mais étaient susceptibles d’être compensées grâce aux exportations ; or notre artillerie perdra en outre d’importants moyens humains. La priver d’armes qui ont contribué à son succès pose la question : est-ce la fin programmée de l’artillerie ?

M. Philippe Meunier. Dans le cadre des marchés à l’exportation, nombreux sont les États qui exigent des compensations ou des transferts de production. Suivant cette logique, le Gouvernement vous a-t-il saisi pour que vous contribuiez à la réindustrialisation de notre pays, par exemple pour le remplacement des armes de nos fantassins ?

Quand pensez-vous que les premières unités Scorpion remplaceront le VAB ?

M. Laurent Collet-Billon. Madame Dubois, la DGA contribuera à la réduction des effectifs du ministère de la Défense, fixée à 24 000 agents supplémentaires par rapport à la précédente vague de 10 000 suppressions ; j’essaie de les limiter au strict minimum pour la DGA, car nous n’abandonnons aucun domaine technique, technologique ou industriel, et que baisser forfaitairement les effectifs de la DGA de 15 % ne contribuerait que très faiblement à l’effort demandé au ministère, alors que cela amputerait dangereusement notre capacité d’action. Je suis attentif aux investissements dans les centres de la DGA afin que ceux-ci conservent un niveau d’équipement et de compétences suffisant par rapport à celui de l’industrie ; nous devons maintenir des personnels suffisamment qualifiés pour travailler avec les industriels, et nous surveillons la situation grâce à une grille de ressources humaines organisée en termes de métiers.

Madame Pichot, le dispositif RAPID, réservé aux PME, monte en puissance et permettra rapidement d’attribuer environ 50 millions d’euros pour l’innovation de ces entreprises, et ASTRID se met en place avec le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche. Le pacte entre la Défense et les PME jouit d’un réel dynamisme : nous nous demandons s’il est opportun d’installer un observatoire permettant de vérifier que les engagements de bonne pratique pris par les grands maîtres d’œuvre sont bien respectés ; cet examen ne semble pas inutile lorsque l’on songe au programme A400M où les crédits de développement affectés à Airbus Military n’ont jamais profité aux équipementiers.

Monsieur Audibert Troin, pour conserver nos compétences en artillerie, nous devons remporter des contrats d’exportation ; au cours de l’élaboration du projet de loi de programmation militaire, il a été question de ne consacrer aucun moyen à l’armement terrestre et nous revenons donc de loin. Grâce au LRU, nous continuerons de disposer d’une artillerie de bon niveau. La Colombie, le Pérou et le Danemark constituent des perspectives de vente pour le CAESAR. Le Danemark souhaitait acheter le CAESAR sans mise en compétition si le contrat était signé par les deux États ; or nous avons été incapables de mettre en œuvre une telle procédure, car elle nécessitait de nombreux accords ministériels, si bien que le CAESAR se trouve maintenant mis en concurrence pour cet achat danois. Nous réfléchissons donc à l’adaptation de nos procédures. Le contrat avec le Pérou pour des satellites liera bien nos deux États, mais il sera accompagné de trois accords intergouvernementaux, dont l’un devra être examiné par l’Assemblée nationale. Notre objectif est de construire un cadre qui s’approche du Foreign Military Sales de l’armée américaine, car la majorité des clients exige dorénavant une intervention – c’est-à-dire une garantie – étatique forte.

Mme la présidente Patricia Adam. Il faut donc faire évoluer nos textes et nos organisations.

M. Laurent Collet-Billon. Certainement. C’est pourquoi nous avons engagé une réflexion sur ce sujet. Ce changement se révèle indispensable.

La livraison des premiers VBMR est prévue en 2018, et 608 seront disponibles avant la fin de la période de la LPM. Ils ne seront véritablement opérationnels qu’à partir de 2020, car deux années sont nécessaires pour obtenir la validation des établissements de la DGA et de la section technique de l’armée de terre (STAT), et pour constituer une unité de préfiguration.

S’agissant des armes de petit calibre, nous ne disposons plus de compétences industrielles en matière d’armes et de munitions. Et nous ne pratiquons pas l’offset – ces arrangements dans lesquels l’État achetant du matériel à un industriel étranger lui demande d’investir une somme complémentaire dans son pays – en Europe, car l’Union européenne l’interdit. Par le passé, nous avons négocié quelques accords d’offset avec les États-Unis et je me demande si cette pratique ne serait pas envisageable avec la Suisse.

Mme la présidente Patricia Adam. Monsieur le délégué général, nous vous remercions d’avoir bien voulu répondre à toutes nos questions.

*

* *

Ÿ M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense (mercredi 2 octobre 2013)

Mme la présidente Patricia Adam. Nous sommes heureux de vous entendre, monsieur le ministre de la défense, après avoir auditionné ce matin le délégué général pour l’armement.

M. Jean- Yves Le Drian, ministre de la Défense. J’aborderai aussi bien le projet de loi de programmation militaire que le projet de loi de finances pour 2014, avant de répondre à vos éventuelles questions.

Le projet de loi de programmation militaire est la traduction, sous la forme d’un échéancier de six ans, des orientations arrêtées à la suite du Livre blanc. Le budget de la Défense sera maintenu au niveau actuel : 31,4 milliards d’euros courants, et cela pendant trois ans. Puis, il augmentera progressivement, de 2016 à 2019, pour atteindre 32,5 milliards d’euros courants.

Le Président de la République, qui a rendu cet arbitrage, a souligné, à la veille du 14 juillet, que « les crédits de la défense seront, à la différence de ceux de la plupart des ministères, préservés dans leur intégrité. C’est un effort que la nation fait, non pas pour les armées, mais pour sa propre sécurité ». Dans le même temps, la Défense consent un effort significatif pour le redressement des comptes publics ; cela passe notamment par la stabilisation des ressources programmées pour la période 2014-2016, et par une diminution significative des effectifs. Des ressources exceptionnelles viennent compléter les ressources budgétaires à hauteur de 6,1 milliards d’euros sur la période ; elles proviennent pour l’essentiel du programme d’investissements d’avenir (PIA), de ressources immobilières, des redevances liées à la 4G, de la vente de la bande de fréquences 700 mégahertz et, éventuellement, de cessions d’actifs additionnelles.

J’ai tenu à ce que le projet de loi de programmation militaire comporte une clause de sauvegarde comme garantie de notre vigilance sur l’obtention des ressources exceptionnelles : si les cinq sources précitées ne suffisaient pas, le recours à d’autres serait autorisé pour parvenir à l’équilibre. Si d’aventure le montant des ressources disponibles excédait les prévisions initiales, la Défense pourrait en bénéficier jusqu’à hauteur de sept milliards d’euros au total. Le Président de la République a réaffirmé aux membres du conseil supérieur de la fonction militaire sa volonté de respecter la loi de programmation au million d’euros près.

M. Yves Fromion. Nous en reparlerons !

M. le ministre. Nous souhaitons garantir à notre défense un niveau de ressources ambitieux et réaliste qui nous permettra – et nous sommes l’un des rares pays au monde à pouvoir le faire – d’assumer simultanément les trois missions fondamentales énoncées par le Livre blanc : la protection du territoire et de la population ; la dissuasion nucléaire reposant sur ses deux composantes distinctes et complémentaires ; l’intervention sur des théâtres extérieurs pour des missions de crise comme de guerre.

J’insisterai sur deux priorités : la préparation opérationnelle et l’équipement des forces.

La préparation opérationnelle est une préoccupation centrale pour moi, au moment où nous nous désengageons progressivement de l’Afghanistan et du Mali. Les crédits consacrés à l’entretien programmé des matériels progresseront en moyenne de plus de 4 % par an en valeur pour s’établir à un niveau moyen de 3,4 milliards d’euros par an sur la période, contre 2,9 milliards aux termes de la loi de finances initiale pour 2013. Il s’agit de « sanctuariser » un poste qui a trop souvent servi de variable d’ajustement.

Les crédits d’équipement seront en hausse constante au cours de la période 2014-2019. Si, en 2013, 16 milliards d’euros leur ont été consacrés, ce montant atteindra plus de 18 milliards d’euros en 2019. Le renouvellement de nos matériels sera ainsi assuré et notre base industrielle préservée. Grâce à cet effort significatif, tous les grands programmes déjà lancés sont maintenus et, afin de parer à certaines insuffisances, j’ai décidé d’en lancer de nouveaux.

Le projet de loi de programmation marque des inflexions importantes par rapport à la précédente loi en matière de renseignement, avec l’acquisition de drones MALE et de drones tactiques, dans le domaine du ravitaillement en vol, avec le renouvellement d’avions qui ont plus de cinquante-six ans d’âge, avec le lancement du programme CERES dans le renseignement spatial, ou du programme Scorpion, enfin en matière de cyberdéfense. Les forces spéciales bénéficieront également d’un effort.

Vous le voyez, nous ne manquons pas d’ambition, même si l’exercice est difficile. La réduction des personnels doit être abordée avec franchise et réalisme. Sur les 54 000 postes que la précédente loi de programmation prévoyait de supprimer, il en reste un peu plus de 10 000. Quant au présent projet, il prévoit une baisse des effectifs de 23 500 personnes. J’ai tenu à ce que cette « déflation » préserve au maximum les forces opérationnelles et qu’elle ne soit pas le fruit de mesures brutales mais de départs naturels dans le cadre d’un dispositif d’accompagnement charpenté, incitatif et s’appliquant dès la loi promulguée. Est également prévu un dispositif d’accompagnement et de compensation que j’espère efficace pour les sites destinés à fermer.

Il eût été plus facile de fermer brutalement ces derniers. J’ai fait le choix inverse : limiter la baisse des effectifs des unités opérationnelles pour la concentrer sur les états-majors, les administrations centrales et les soutiens.

Quant aux industries de défense, j’ai souhaité maintenir une enveloppe significative, pour la recherche amont, supérieure à la programmation antérieure, avec 730 millions d’euros garantis. J’ai également souhaité qu’on définisse un outil de soutien à l’exportation performant alors que déjà 30 % du chiffre d’affaires de ces industries sont liés à l’exportation.

La loi de programmation prévoit en outre l’évolution du cadre juridique de la défense dans trois domaines : le renseignement, la cyberdéfense et la judiciarisation. Il s’agit d’adapter le droit aux défis présents et à venir.

La préparation de l’avenir, c’est enfin le renforcement du lien armée-Nation par le biais, notamment, de la réserve militaire dans ses deux composantes, opérationnelle et citoyenne, mais aussi de la rénovation du parcours de citoyenneté. Le montant affecté à la réserve militaire avait tendance à baisser depuis plusieurs années ; il sera maintenu au niveau actuel, soit environ 71 millions d’euros. Parallèlement, le nombre de réservistes opérationnels devra passer de quelque 27 000 à 30 000 et le nombre de jours de réserve porté à plus de vingt par an. Pour finir, il faudra renforcer la réserve « citoyenne » - 3 000 personnes actuellement - qui permet de disposer d’experts.

J’en arrive au projet de loi de finances pour 2014.

Le budget de la mission « Défense » – le premier de la nouvelle loi de programmation militaire – est en tout point conforme aux engagements précédemment énoncé. Il s’élèvera donc à 31,4 milliards. En ce qui concerne les ressources exceptionnelles, prévues à hauteur de 1,8 milliard, elles sont composées, je l’ai dit, des crédits du nouveau programme d’investissements d’avenir au bénéfice de l’excellence technologique de l’industrie de défense, pour 1,5 milliard (sur le montant global de 12 milliards annoncés par le Premier ministre en juillet 2013), puis du produit de cessions d’emprises immobilières pour 200 millions, enfin, d’autres ressources exceptionnelles pour 70 millions, dont des redevances versées au titre des cessions de fréquences hertziennes déjà réalisées.

Les économies porteront sur le fonctionnement et sur la masse salariale. Les dépenses de fonctionnement diminuent de 100 millions d’euros, soit 11 % des 900 millions demandés à l’ensemble des services de l’État – proportion qui correspond à la part du budget de la Défense dans celui de l’État. Ces économies vont s’appuyer dans la durée sur des réformes de fond : j’ai pris en juillet dernier des mesures destinées à rationaliser les structures et à optimiser les fonctions, en particulier dans le domaine des finances et des ressources humaines ; ces mesures seront intégrées dans le plan ministériel de modernisation et de simplification.

Pour ce qui est de la masse salariale, conformément au projet de loi de programmation militaire, la défense réduira ses effectifs de 7 881 emplois en 2014. Outre la volonté déjà évoquée de préserver les forces opérationnelles et de faire peser l’essentiel de l’effort sur l’administration et le soutien, il s’agit de mener une analyse fonctionnelle pour préserver les forces nécessaires dans chacune des directions du ministère.

Dans le même temps, le projet de loi de finances permet à la Défense de rester l’un des premiers recruteurs de l’État avec 17 000 recrutements militaires et civils en 2014, dont une proportion importante de jeunes peu ou pas qualifiés. Ces nouveaux venus vont bénéficier au sein des armées de formations et d’expériences qui leur ouvriront des perspectives d’emploi et des opportunités professionnelles au sein du ministère comme, à terme, dans la vie civile.

Le PLF prévoit d’autre part une augmentation des crédits d’équipement, qui passent de 16 à 16,5 milliards d’euros. L’entretien programmé des matériels augmente de 5,5 % par rapport à 2013. Les crédits dégagés au profit des munitions et des petits équipements, alors qu’ils servent d’ordinaire de variable d’ajustement, vont augmenter de 14 %. Le financement de la recherche et développement se conformera aux engagements de la loi de programmation.

En 2014, plusieurs commandes seront passées, en particulier celle du quatrième sous-marin nucléaire d’attaque Barracuda. Seront également lancées la réalisation du programme Scorpion et la réalisation du MRTT. J’ai par ailleurs présidé lundi dernier la cérémonie de livraison du premier A400M Atlas sur la base aérienne 123 à Orléans.

Le financement des OPEX, quant à lui, a pu faire l’objet de malentendus. La France est engagée dans une vingtaine d’opérations extérieures. Les prochaines semaines verront deux inflexions significatives : la réduction de nos effectifs en Afghanistan – réalisée –, et au Mali – en cours, même si nous laissons un millier de soldats sur place ; la réorganisation, notamment en Afrique, du dispositif des forces prépositionnées, afin de les rendre plus efficaces et réactives. La somme inscrite pour financer les OPEX est de 450 millions d’euros, soit un montant inférieur aux 630 millions prévus par la loi de programmation antérieure mais adapté au nouveau Livre blanc ainsi qu’à la reconfiguration de notre dispositif. Une clause de sauvegarde couvrira, par le biais d’un financement interministériel, un dépassement éventuel des dépenses.

J’en viens aux restructurations, qui touchent avant tout l’armée de terre et l’armée de l’air. J’ai veillé à ce que chaque cas fasse l’objet d’une analyse précise et d’une concertation avec les élus.

La dissolution du 4e régiment de dragons stationné à Carpiagne résulte de la décision de supprimer une des huit brigades de l’armée de terre. Dans cette même ville de Marseille, toutefois, sera transféré le 1er régiment étranger de cavalerie, stationné actuellement à Orange. Carpiagne offre en effet des facilités d’entraînement et de tir nettement supérieures. Le maintien de la BA 115 d’Orange permet toutefois de limiter le préjudice et d’y garantir une présence militaire.

Pour l’armée de l’air, j’ai décidé de dissoudre l’escadron de défense sol-air de la BA 116 de Luxeuil-Saint-Sauveur, les autres activités de la base étant maintenues. J’ai par ailleurs décidé, dans un souci d’efficacité et de cohérence, de regrouper à Cazaux l’ensemble la flotte d’Alpha Jet actuellement à Dijon. La fermeture du détachement de Varennes-sur-Allier, qui s’achèvera en 2015, concerne près de 200 personnes. La situation de la région étant difficile, un CRDS significatif sera mis à la disposition de cette petite commune.

D’autres dispositions se traduisent par de simples baisses d’effectifs. Ainsi, il paraît logique de transférer la direction du renseignement militaire de Creil vers le site de Balard dès que celui-ci sera fonctionnel, en 2015. Le site de Creil, qui emploie 3 000 personnes, ne fermera pas pour autant. De même, nous allons dissoudre non pas le dispositif régional de l’armée de terre, mais les états-majors de soutien défense (EMSD) – doublons entraînant souvent des dysfonctionnements.

Enfin, la structure de commandement de quatre bases aériennes sera réorganisée – Ambérieu, Châteaudun, Bordeaux et Saintes. La nature ou le volume d’activité sur ces sites ne seront toutefois pas modifiés par ces mesures structurelles.

Tout cela nous permettra d’atteindre l’objectif fixé par la loi de programmation. J’ai décidé de procéder ainsi année après année : chaque cas mérite une étude particulière. C’est du reste pourquoi les mesures que je viens de vous présenter, et qui seront rendues publiques demain, ne correspondent pas au schéma initial, loin de là.

En conclusion, je vous remercie tous pour votre travail très important dans le cadre de la préparation du débat sur la programmation militaire ; les rapports que vous avez remis sont de grande qualité et de nature à m’éclairer dans des choix difficiles.

Mme la présidente Patricia Adam. Je vous remercie, monsieur le ministre. Nos collègues vont à présent vous interroger.

Mme Marie Récalde. Ma question porte sur les aménagements calendaires de commandes et de livraisons concernant les PME en bout de chaîne de production. Vous avez rappelé que plus de 102 milliards d’euros seront consacrés à l’investissement et annoncé un recrutement significatif pour les cinq prochaines années. Cet investissement reste important en période de difficulté budgétaire et il préservera notre industrie de défense, nous en sommes persuadés. Vous avez choisi de donner la priorité à l’activité opérationnelle de nos forces tout en ménageant l’avenir, notamment par la rénovation d’équipements existants mais aussi par le lancement de nouveaux programmes. L’objectif de retour à l’équilibre budgétaire a entraîné la renégociation de plusieurs contrats liés aux grands programmes en concertation avec les grands maîtres d’œuvre industriels.

Quel en est l’impact sur l’ensemble de la chaîne de production incluant les entreprises de taille intermédiaire et les PME ? Les dotations prévoient sans doute une évaluation en la matière.

Dans le même esprit, vous avez annoncé la mise en œuvre du nouveau programme d’investissements d’avenir au bénéfice de l’excellence technologique de l’industrie de défense. Pouvez-vous nous donner quelques détails sur ce PIA ?

M. Yves Fromion. Pouvez-vous faire le point, monsieur le ministre, sur l’exécution de la loi de finances d’ici à la fin de l’année en matière de reports, de gels, de réserves ? Selon les informations que nous avons pu avoir, on parle d’un report de deux milliards d’euros et d’un gel et d’un « surgel » de 700 millions d’euros.

Sur la LPM, je m’interroge et je vous interroge ensuite sur le réalisme de votre construction budgétaire, notamment sur le problème des abandons de capacités industrielles et sur le déclassement prévu de notre dispositif de défense.

Dans un entretien accordé à Ouest France, après une précédente audition d’un industriel par notre commission, vous déclariez que « la loi de programmation 2008-2014 tablait sur une remontée vertigineuse et totalement irréaliste des crédits d’investissement ». Mais, entre la première et la dernière annuité de cette LPM, il y avait un écart de 1,42 milliard. Or, entre la première année de votre LPM et l’année 2019, l’écart atteint 1,8 milliard d’euros : autrement dit, ce qui était « irréaliste » et « vertigineux » ne l’est plus quand il s’agit de votre LPM.

S’agissant de l’abandon de capacités, la LPM ne prévoit aucune commande de pièces d’artillerie : le canon Caesar, c’est terminé, si l’on en croit le délégué général pour l’armement, et aucune remise à niveau des chars n’est prévue. Qu’allons-nous donc faire de notre capacité en armements de gros calibre qui reste tout de même une spécificité que nous sommes les seuls à partager avec l’Allemagne ?

Enfin, le déclassement. Dans votre rapport annexé, vous faites le point sur les principaux équipements opérationnels de nos armées jusqu’en 2019. Aujourd’hui, en matière de cohérence interarmes, c’est-à-dire de mettre sur pied un état-major capable d’ « engerber » de grandes unités, nous disposons d’un niveau de corps d’armée (MJU en vocabulaire OTAN). Or, en 2019, nous n’aurons plus que le niveau de la division (SJO). Il s’agit donc d’un déclassement très net.

M. Alain Chrétien. La suppression de l’escadron sol-air de la base aérienne 116 de Luxeuil-Saint-Sauveur entraîne la disparition de 220 postes dans une commune, Luxeuil-les-Bains, qui compte moins de 8 000 habitants. Cela aura un impact désastreux pour la Haute-Saône et fragilisera cette base que le précédent gouvernement avait maintenue pour des motifs liés à l’aménagement du territoire. Comment justifiez-vous le maintien d’un seul escadron alors que vous supprimez un dispositif essentiel ? Plus précisément, quel est à vos yeux le défaut de pertinence de ce dispositif sol-air ? Est-il déplacé – où et pour quelle raison ? Est-il dissous ? Dans ce cas expliquez-nous pourquoi ?

M. le ministre. Le dispositif de défense sol-air basé à Luxeuil était lié à la présence sur place de la capacité de dissuasion. Or, ce n’est plus le cas. L’escadron n’a donc plus de raison d’être. La base de Luxeuil sera toutefois maintenue, essentiellement pour des raisons d’aménagement du territoire, et composée d’un escadron de Mirage 2000. En outre, un dispositif d’accompagnement est prévu.

Il va de soi, par ailleurs, madame Récalde, monsieur Fromion, que l’augmentation de la part consacrée aux équipements dans le budget de la Défense se traduira par des achats de nouveaux matériels. Chaque industriel connaît désormais son plan de route. La DGA a commencé de discuter avec les uns et les autres pour faire en sorte que le programme soit le mieux appliqué possible. Dans un communiqué, le 7 septembre dernier, sept grands industriels français mettaient en garde sur la difficulté de l’exercice. J’en suis tout à fait conscient. La loi de programmation vise en effet, d’une certaine manière, la quadrature du cercle : il fallait que la recherche et développement puisse se poursuivre, qu’il y ait des équipements nouveaux, et cela dans un contexte budgétaire contraint. Nous avons beaucoup travaillé, et atteint un équilibre tel que, si l’on enlevait une brique de l’édifice, il s’effondrerait. Les industriels le savent et reconnaissent qu’ils ont une visibilité à moyen et long terme.

Je reste par ailleurs assez confiant sur nos capacités d’exporter les matériels que nous avons déjà expérimentés, qu’il s’agisse du Rafale, du système Félin, des véhicules blindés VBCI… C’est un indéniable atout. En 2012, les exportations de l’ensemble de nos industries de défense représentaient 4,7 milliards d’euros. On sera autour de 6 milliards en 2013. Il convient de nous montrer tenaces, vigilants, dans un esprit de complémentarité entre le ministère de la Défense et les entreprises : cela nous a permis, l’été dernier, de vendre des satellites aux Émirats arabes unis, alors que ce marché semblait promis aux Américains.

Si vous lisiez Le Figaro, monsieur Fromion, vous sauriez que Patrick Boissier a déclaré qu’il n’y aurait pas d’emplois menacés à DCNS.

Mme la présidente Patricia Adam. Il l’a dit très clairement devant notre commission.

M. le ministre. J’en viens aux doutes de M. Fromion sur le réalisme de la loi de programmation.

M. Yves Fromion. Je ne faisais que citer vos propos.

M. le ministre. Je n’ai jamais polémiqué sur la loi de programmation militaire de 2008. J’ai toujours déclaré que, comme toutes les LPM, elle était optimiste et qu’en outre, elle avait la particularité d’avoir été élaborée avant la crise. Je n’accepte pas pour autant qu’on en fasse des louanges dithyrambiques au point de l’ériger en doxa. Je constate seulement qu’elle n’a pas atteint ses objectifs pour toute une série de raisons. Je m’en tiens là. Sachez néanmoins, monsieur Fromion, que si d’aventure on me contraignait à devoir en faire usage, j’ai dans ma soute de nombreuses munitions. Juste un exemple : en prenant mes fonctions, j’ai trouvé un report de charges de trois milliards d’euros !

Pour en revenir au projet de LPM, j’espère être le premier ministre de la défense à remplir le contrat.

Mme la présidente Patricia Adam. Nous aussi, monsieur le ministre.

M. Yves Fromion. Nous le souhaitons tous ardemment.

M. le ministre. Nous sommes sur une ligne de crête et ne devons tomber ni d’un côté ni de l’autre.

Je me suis déjà exprimé sur le PIA qui sera réalisé en lien avec le CNES et le CEA, avec notamment le programme d’imagerie spatiale MUSIS.

Pour l’équipement de l’armée de terre, tout est dans le texte du projet de LPM. Le nombre de canons Caesar est de 77, en cohérence avec les capacités militaires souhaitées, et les perspectives à l’exportation de ce matériel sont bonnes. Reste que ma priorité était d’engager le programme Scorpion : il est prévu par le projet de loi de finances.

M. Gwenegan Bui. J’interviens en tant que rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères.

Le Livre blanc n’avait pas vocation à aborder la dissuasion nucléaire. Or, il paraît important d’en discuter dans la perspective de la loi de programmation pour après 2020, car des décisions lourdes devront être prises, en particulier, au sujet du renouvellement des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins. Nous devons en débattre si nous voulons que la dissuasion soit soutenue. Faut-il réformer ce secteur stratégique, en s’interrogeant sur son périmètre opérationnel, sur la doctrine de son emploi, voire sur l’invulnérabilité supposée de nos deux vecteurs ? Cette question est récurrente chez les commissaires des affaires étrangères.

Ensuite, si l’OTAN estime utile la coexistence de la dissuasion et du bouclier antimissiles, nombre de nos alliés européens espèrent que le bouclier remplacera le glaive. Si ce devait être le cas, nous serions impliqués d’un point de vue budgétaire, pour une doctrine d’emploi différente. Ce risque est-il avéré, monsieur le ministre ?

M. Gilbert Le Bris. Le service du commissariat des armées (SCA) est issu du Livre blanc de 2008. Qu’on le déplore ou qu’on s’en réjouisse, il existe. Vous avez annoncé un plan ministériel de modernisation et de simplification. Pour la gestion des ressources humaines, il faudrait séparer nettement deux fonctions fondamentales : la gestion des hommes et la gestion de leurs droits. La première, concernant le pouvoir de notation, de promotion, de sanction, relève du commandement. La gestion administrative, financière et comptable devrait relever du SCA. Est-ce bien ainsi que vous l’entendez ?

Ensuite, nous disposons, si j’ose dire, de matériels French army proofs, ce qui est fort bien pour l’exportation, mais nous avons entendu ce matin qu’il y avait de plus en plus de demandes de ventes d’État à État, à savoir de ventes pouvant se prévaloir de la caution de l’État français. Envisagez-vous de nouvelles procédures permettant d’exporter plus facilement ?

M. Daniel Boisserie. La fin du bail emphytéotique administratif (BEA) est programmée. Il permettait aux collectivités de procéder à la rénovation des logements ou des bureaux des gendarmes. Or, depuis de longues années, on compte de nombreux logements vétustes et la situation n’est plus supportable pour les gendarmes qui y habitent. Votre appui serait utile pour que l’arrêt des BEA soit différé – cela ne coûterait rien à l’État puisque le loyer antérieur serait maintenu après rénovation.

M. le ministre. Comme vous savez, monsieur Boisserie, je n’ai de responsabilité directe que sur la gendarmerie maritime, de l’air et des armements nucléaires. Le reste relève du ministre de l’Intérieur. Je ne puis donc que lui faire part de votre demande et de mon soutien.

M. Daniel Boisserie. Cela répond au vœu de la commission tout entière, monsieur le ministre.

M. le ministre. J’ai souhaité, monsieur Bui, que l’on prépare l’avenir de la dissuasion ; aussi la loi de programmation prévoit-elle déjà des travaux d’élaboration de sous-marins nucléaires de troisième génération, qui seront en service à partir de 2030. Les choix du Président de la République en matière de dissuasion sont clairs. Que vous preniez l’initiative d’une réflexion sur la nature de la dissuasion dans un environnement de prolifération et dans un contexte d’après-guerre froide ne me dérange pas. En Europe, les nations qui se dotent d’un dispositif de missiles antimissiles ne disposent pas de la dissuasion. Au sommet de l’OTAN de Chicago, nous avons émis des conditions concernant notre participation à la défense antimissiles : en aucun cas nous ne participerons à un tel dispositif s’il avait pour objet de remettre en cause la dissuasion ou de se substituer à elle – cela dans la continuité de la position prise à Lisbonne par M. Sarkozy quand il était Président. Nous avons veillé à ce que des industriels français puissent participer à une partie du dispositif et nous avons fait valoir que nous devions participer au secteur commun du commandement. Nous restons donc des participants modestes et attentifs.

Le dispositif interne de la « Maison défense » sera réorganisé, monsieur Le Bris. J’ai pris mes décisions en juillet après un travail approfondi de plusieurs mois. Nous avons constaté qu’entre 2008 et 2012, les effectifs ont baissé de 10 % tandis que la masse salariale augmentait de 3 % ! J’ai donc souhaité, pour plus de cohérence, confier la gestion globale au secrétaire général pour l’administration et indirectement au DRHMD. L’autorité du SGA ne s’exercera pas sur l’emploi des personnels militaires, qui reste de la responsabilité des chefs d’état-major, mais sur la cohérence et la rigueur fonctionnelles globales. Le défaut de cohérence et de responsabilisation en la matière a pu conduire jusqu’à ce que nous avons vu avec le système Louvois. J’ai procédé de même pour les finances et pour les soutiens – la seule autorité fonctionnelle responsable étant ici le SCA. C’est la condition de la réussite.

M. Le Bris, enfin, a tout à fait raison concernant les contrats d’État à État. À la demande du Président de la République, nous en discutons avec le Quai d’Orsay et Bercy. Une discussion d’État à État devrait permettre d’éviter des dérives. Faute d’un tel dispositif, par exemple, nous avons manqué un contrat au Pérou.

M. Joaquim Pueyo. Le projet de loi de finances pour 2014, concernant l’armée de terre, est quasiment conforme à la loi de programmation, et je m’en réjouis Nous sommes satisfaits également de constater que le programme Scorpion sera enfin lancé fin 2014. Nous nous réjouissons aussi que le déroulement du programme de drone tactique Watchkeeper soit une réussite.

On peut cependant constater que certains équipements sont à bout de souffle, comme les porteurs logistiques ou certains véhicules blindés, et que l’entretien programmé des matériels va peut-être coûter davantage que les années précédentes. Il faudra absorber en effet le coût de la remise en état des matériels de retour d’OPEX. Les crédits destinés à leur entretien ne pourraient-ils pas être pris dans l’enveloppe consacrée aux OPEX ? Les militaires de l’armée de terre se posent la question.

Mme la présidente Patricia Adam. C’est un vieux débat.

M. Joaquim Pueyo. Ma seconde question concerne les effectifs, l’armée de terre poursuivant ses efforts en la matière, conformément aux recommandations du Livre blanc. Vous avez répondu sur les critères de suppression de certains régiments : les besoins opérationnels sont essentiels mais vous tenez compte de considérations géographiques. Je souhaite que nous évitions la création de déserts militaires dans les bassins de recrutement. Je n’ai pas bien vécu qu’en Basse-Normandie on ait supprimé toute présence de l’armée de terre – toute une région dans laquelle il n’y a plus un seul régiment.

En matière de ressources humaines, vous avez décidé de renforcer les forces spéciales. C’est une très bonne chose. Par ailleurs, des réinternalisations de certaines tâches sont-elles prévues ?

M. Serge Grouard. Comme vous, monsieur le ministre, j’éviterai toute polémique. Vous avez très objectivement évoqué la question des effectifs. Si mes calculs sont exacts, nous comptions, au début de la précédente loi de programmation, quelque 319 000 personnels militaires et civils ; nous sommes passés à 275 000 aujourd’hui pour arriver au terme de la prochaine loi de programmation, au chiffre de 241 000. En dix ans, les effectifs auront donc baissé de 23 %. Ce n’est pas tenable sans perte de compétences et sans perte de capacité opérationnelle.

Pour les équipements, vous optez pour la pluriannualisation – et donc, d’une certaine manière, leur sanctuarisation. En matière d’effectifs, vous préconisez une sorte de retour à l’annualisation avec la fermeture de quelques sites pour 2014, avant de prendre le temps de voir. Mais si vous n’atteignez pas vos objectifs, comment concevrez-vous les projets de loi de finances suivants ? Reviendrez-vous sur les dotations en équipements d’ores et déjà prévues par la LPM ?

M. Philippe Folliot. Une remarque de forme : comme l’avait fait remarquer l’opposition de l’époque lors de l’adoption de la précédente loi de programmation, le vote des crédits de la défense aura lieu cette fois aussi avant le vote du projet de loi de programmation.

Sur le fond, force est de constater que la défense n’est pas une priorité du Gouvernement. N’a-t-il pas affirmé que l’éducation, la justice, la sécurité étaient des priorités – donc pas la défense ?

Vous vous êtes bien battu, monsieur le ministre, pour essayer de sauver ce qui pouvait l’être. Le projet de loi de programmation repose sur des ressources budgétaires mais aussi sur des ressources exceptionnelles – votre objectif étant de mobiliser autant que possible ces dernières. J’avais noté l’année dernière une contradiction entre la volonté du ministère de la Défense de vendre un certain nombre d’emprises immobilières et le vote de la loi Duflot sur la cession gratuite d’actifs immobiliers de l’État pour faire des logements sociaux. Je constate donc avec satisfaction que, page 33 du rapport annexé de la LPM 2014-2019, on peut lire : « Afin d’atteindre le montant prévu de ressources exceptionnelles affectées à la mission « Défense », ser[a] notamment […] [mobilisée] au bénéfice de celle-ci : l’intégralité du produit de cession d’emprises immobilières utilisées par le ministère de la Défense ». Dont acte.

Concernant ces ressources exceptionnelles, si tout paraît bouclé pour 2014, des interrogations subsistent pour 2015. Ce matin, le délégué général pour l’armement nous a fait part d’interrogations quant à la vente de la bande de fréquences 700 mégahertz. Pouvez-vous nous rassurer sur ce que recouvre la clause de sauvegarde ? Il faut en effet prendre en compte le caractère aléatoire des cessions immobilières qui peuvent obéir aux lois du marché. Autre interrogation : l’équilibre du projet de LPM est fondé sur les perspectives à l’export – je pense au Rafale –, équilibre que pourrait remettre en cause un accident.

La Défense a fait des efforts très significatifs pour le rétablissement des finances publiques en termes de suppression d’effectifs ou de sacrifices financiers. Il faut en tenir compte pour éviter tout sentiment d’injustice entre administrations militaire d’un côté et civile de l’autre.

M. le ministre. La « métropolisation » des matériels terrestres, monsieur Pueyo, est déjà intégrée dans les crédits des OPEX. J’aurais du reste du mal à obtenir ce que vous demandez. Laissez-moi vous rappeler le sens des 450 millions d’euros prévus pour les OPEX. Si nous dépassons cette somme, il faudrait, à vous suivre, faire payer par les autres budgets de l’État la réparation des matériels de guerre revenant du Mali ou d’Afghanistan ; je ne suis pas sûr que mes collègues du Gouvernement verraient cela d’un bon œil. Si, en revanche, le Président de la République décidait pour demain matin d’une intervention, par exemple en République centrafricaine, on comprendrait le bien-fondé d’un partage interministériel.

Quand j’évoque la nécessité de maintien en condition opérationnelle, je pense surtout à l’armée de terre. Nos soldats doivent disposer des moyens de poursuivre leur entraînement afin de rester au niveau. C’est pourquoi le PLF pour 2014 prévoit une augmentation de 5,5 % des crédits liés au maintien en condition opérationnelle pour les matériels de tous les milieux. Je m’efforcerai d’être la vigie qui cherchera à le garantir.

Je ne reviens pas sur le modèle de l’armée de terre du futur dont on trouve le détail dans le texte, sauf pour rappeler qu’il obéit à un principe de cohérence. La répartition géographique est un sujet complexe. J’entends prendre le temps d’examiner chaque proposition qui m’est soumise. Le regroupement de plusieurs entités sur un seul site permet de réaliser des économies et donc de limiter la réduction des effectifs. Mais, d’un autre côté, on risque de créer ainsi des déserts militaires au prix du lien armée-Nation. La déflation des effectifs recouvre, d’une part, la suppression d’unités opérationnelles – que j’entends réserver à un tiers des effectifs – et, d’autre part, le repérage des postes qui peuvent être supprimés – il s’agit d’un travail chirurgical. Le recours à une manière plus brutale, surtout utilisée à la fin du quinquennat précédent, a abouti à des perturbations majeures comme celles créées par le système Louvois. Aussi vous rendrai-je compte de mon action chaque année.

Par ailleurs, deux secteurs sont en augmentation, monsieur Pueyo : les forces spéciales, dont les effectifs vont passer de 2 000 à 3 000, et la cyberdéfense qui bénéficiera de 400 recrutements. Il s’agit là d’enjeux majeurs.

En ce qui concerne la réinternalisation, je n’ai pas de doctrine. Je choisis la solution qui m’apparaît la plus performante tout en respectant les hommes.

Je suis conscient, monsieur Grouard, que le projet de LPM est un ensemble dont on ne peut distraire aucune pièce. Il a été prévu, je le répète, que je revienne devant vous chaque année pour faire le point et que, fin 2015, il soit procédé à un réexamen, mais j’entends maintenir le bloc que constitue cette LPM. La cohérence du dispositif permet d’assurer l’ensemble de nos missions, de disposer des équipements nécessaires et de réorganiser l’administration de la Défense.

Monsieur Folliot, le Livre blanc prévoit que l’aviation de chasse comptera 225 avions en 2025. Pour y parvenir, il faudra des Rafale et des Mirage 2000 D rénovés. Le projet de LPM prévoit la commande de 26 Rafale – 11 en 2014, 11 en 2015 et 4 en 2016. Il faudra bien remplacer un jour les Mirage 2000, aussi la commande de 2016 ne marque-t-elle pas la fin des commandes de Rafale. Le texte prévoit d’ailleurs que la mise au point du nouveau standard F3R du Rafale entraînera une dépense de 1,1 milliard d’euros, auxquels il faudra ajouter 700 millions pour l’avion du futur – à savoir le drone de combat qui n’en est pour l’heure qu’au stade des études.

Je suis convaincu que nous allons réussir et que, dès 2014, nous connaîtrons un succès à l’exportation. Si cela n’était pas le cas, procéderions à une révision en 2015.

Plusieurs d’entre vous sont revenus sur les ressources exceptionnelles. Elles sont validées par le Conseil de défense. Elles représentent 6,1 milliards, voire 7 milliards. Il est vrai que les ressources liées à la vente de la bande de fréquences 700 mégahertz ne seront disponibles qu’en 2016. Je m’emploie donc à mobiliser le reste de la panoplie des ressources exceptionnelles afin que nous obtenions des financements à hauteur de 1,8 milliard pour 2015. Je fais observer à M. Folliot que nous avons atteint nos objectifs en 2013 et que nous les atteindrons en 2014.

Mme la présidente Patricia Adam. Nous l’espérons tous et nous vous soutiendrons, monsieur le ministre.

M. Jean-Jacques Candelier. Le Gouvernement précédent avait programmé la suppression de 54 000 postes ; l’actuel prévoit une baisse des effectifs d’environ 23 500. J’espère que tout sera mis en œuvre pour que les territoires concernés ne soient pas abandonnés économiquement.

Vous prévoyez de fermer la 15e base de soutien matériel de Fourchambault. Or, en janvier 2007, a été signé un partenariat prévoyant l’implantation sur le site d’une unité de Renault Trucks Defense. Où en sommes-nous aujourd’hui ?

Mme Geneviève Gosselin-Fleury. Vous avez évoqué, monsieur le ministre, la nécessité d’une analyse fonctionnelle pour cibler les déflations d’effectifs. En 2014, néanmoins, un certain nombre de bases de défense ont reçu des objectifs de suppressions de postes fondés uniquement sur des calculs mathématiques et visant surtout des personnels civils des groupements de soutien des bases de défense. La mise en place d’une analyse fonctionnelle est-elle encore possible afin que ne soient pas supprimés des postes essentiels comme on a pu le déplorer par le passé ?

Enfin, pouvez-vous nous donner des précisions sur la politique de gestion des grades que vous entendez mener afin de maîtriser la masse salariale ?

Mme Édith Gueugneau. Les réserves constituent une partie intégrante du nouveau modèle d’armée. Quelle place sera accordée à la réserve opérationnelle ? Quels axes seront confortés ? Vous souhaitez, monsieur le ministre, renforcer la réserve citoyenne, composée de bénévoles : comment vont s’organiser les nouveaux recrutements ?

M. Nicolas Dhuicq. Je suis triste aujourd’hui : le rationalisme morbide des pseudo-économistes de Bercy l’a encore une fois emporté. Alors que la population française augmente et qu’on voit un flux de populations exogènes non négligeable pénétrer sur le territoire national, les Français qui servent leur pays, qui représentaient 0,5 % de la population générale il y a dix ans, ne seront plus que 0,3 % si nous continuons dans cette voie. Quand on sait que les armées sont un facteur d’intégration majeur, on peut s’interroger sur le lien armée-Nation.

Combien de temps encore, monsieur le ministre, votre modèle restera-t-il fondé sur l’export ? Cela me semble d’une grande prétention chez nos gouvernants successifs qui supposent que nous n’avons pas de concurrents, alors que ceux-ci apprennent très vite nos technologies et produisent des armements compétitifs.

Le pays baisse les bras et détruit progressivement sa défense nationale.

Quels sont les critères de suppression des régiments, en particulier ceux du génie – arme technique par excellence ?

M. le ministre. Monsieur Candelier, dès lors qu’un nombre important de personnels est touché par la fermeture d’un site, un contrat de redynamisation du site de défense (CRSD) sera mis en place sous la conduite du préfet. Ce contrat permettra la mobilisation de dispositifs comme le Fonds pour les restructurations de la défense (FRED), financé à hauteur de 150 millions, ou le Fonds national d’aménagement du territoire, sans compter les dispositifs de prêts participatifs de revitalisation. Tout un arsenal sera donc mis à disposition des collectivités concernées. Varennes-sur-Allier constitue une exception et bénéficiera d’une dérogation.

M. Alain Chrétien. Et Luxeuil ?

M. le ministre. J’ai rencontré le maire de Luxeuil, le député, le président du conseil général. Je ne prends pas ces mesures à la légère. Je rencontre les élus même si seule une diminution des effectifs est prévue sur leur site ; j’ai ainsi expliqué au maire de Creil, au président du conseil général de l’Oise, aux sénateurs de ce département les raisons pour lesquelles le site de Creil ne fermerait pas malgré le déménagement de la DRM à Balard.

M. Damien Meslot. Vos propos ont été interprétés de telle manière que nous avions compris qu’il n’y aurait aucune suppression à Luxeuil.

M. le ministre. J’ai garanti aux uns et aux autres que je ne fermerais pas la base de Luxeuil.

Mme Gosselin-Fleury m’a interrogé sur la gestion des grades. En 2008 les officiers représentaient 15,5 % des effectifs contre 17 % aujourd’hui.

M. Yves Fromion. Vous comptez l’OTAN…

M. le ministre. L’OTAN ne représente pas un nombre trop important d’officiers.

Il va donc falloir repyramider sans prendre de mesures trop violentes.

Pour ce qui concerne la suppression de postes de personnels civils, j’ai demandé la mise en place par le DRH-MD d’un référentiel d’organisation auprès du SGA. J’ai rappelé cette exigence aux organisations syndicales la semaine dernière.

La réserve opérationnelle, quant à elle, n’est pas suffisamment mise en valeur ni élargie à ceux qui ne sont pas d’anciens militaires. Je pense que des réservistes peuvent aller en OPEX ; cela arrive, mais en pratique seules certaines spécialités sont concernées, comme la médecine par exemple. Nos chefs d’état-major doivent intégrer cette donnée. Ensuite, on ne mobilisait pas les réserves parce que les malheureux 71 millions d’euros qui leur sont consacrés servaient de variable d’ajustement.

Mme la présidente Patricia Adam. Il y a même des réservistes dans cette commission.

M. le ministre. À cet égard, j’ai prévu d’assister à un exercice OTAN en Pologne où je suis invité par mon homologue, et j’aurai le plaisir de voir M. Bays parmi les forces françaises qui y participeront de manière significative.

Nous devons faire passer les effectifs de la réserve opérationnelle de 27 à 30 000, ce qui ne sera possible qu’en la rendant vraiment attrayante. Quant à la réserve citoyenne, j’ai dit le prix que j’attachais à l’expertise que ses personnels peuvent apporter, dans le domaine de la cyberdéfense notamment.

Je respecte les positions de M. Dhuicq. Mais la défense va recruter 17 000 personnes en 2014…

M. Nicolas Dhuicq. Il y a 66 millions de Français !

M. le ministre. Parmi eux, de nombreux jeunes sans formation que l’armée va elle-même former. J’ai pu le constater à l’école des mousses de Brest qui va intégrer 180 jeunes, souvent à la dérive, et qui vont recevoir une année de formation. Le SMA propose également des outils de formation exceptionnels dans les DOM-TOM. L’armée reste donc un élément fort d’intégration nationale.

En matière d’exportations, je suis plutôt confiant dans la compétence de nos industriels qui remportent des marchés contre des concurrents très compétitifs. Ils peuvent se prévaloir de niches de performance et de technicité qui les mettent à l’abri d’une certaine concurrence. C’est le cas, en particulier, dans le secteur satellitaire et pour ce qui est des véhicules blindés VBCI. Je le répète : nous aurons exporté à hauteur de 6 milliards d’euros en 2013 contre 4,6 milliards en 2012.

Mme Isabelle Le Callennec. Il devient de plus en plus difficile aux militaires de se reconvertir dans les collectivités locales, qui ne sont pas en phase de recrutement. L’armée s’est beaucoup restructurée ces dernières années et nous avons accueilli de nombreux militaires dans les administrations locales. Les sommes importantes que vous entendez consacrer aux mesures d’accompagnement sont-elles en augmentation ou en diminution ? Défense mobilité est un outil qui fonctionne très bien, sorte de Pôle emploi du ministère de la Défense.

M. le ministre. Cet outil est en effet très performant. Le plan d’accompagnement des restructurations, qu’il s'agisse de l’incitation au départ, de la réinsertion dans les fonctions publiques, de la pension afférente au grade supérieur ou de la promotion fonctionnelle, représente près d’un milliard d’euros.

La reconversion des personnels militaires au sein des fonctions publiques sera sans doute, il est vrai, moins facile qu’auparavant mais je constate que le dispositif que nous mettons en place permet des prouesses.

Le Président de la République, quand il a reçu le Conseil supérieur de la fonction militaire, a fait valoir que les services de l’État devaient se montrer solidaires les uns avec les autres pour permettre ces mutations nécessaires. En tout cas, pour ma part, j’y veillerai.

*

* *

Ÿ M. Philippe Errera, directeur chargé des affaires stratégiques (mercredi 2 octobre 2013)

M. Philippe Errera, directeur chargé des affaires stratégiques. C’est un honneur et un privilège pour le directeur chargé des affaires stratégiques de pouvoir s’exprimer devant vous. Cet honneur est d’autant plus grand, que j’ai pris mes fonctions très récemment au sein de la délégation aux affaires stratégiques (DAS) et que j’ai désormais la responsabilité du programme 144 qui, comme vous le savez, concentre l’essentiel de la fonction stratégique « connaissance et anticipation ».

Je m’exprime aujourd’hui devant vous au seuil d’une année charnière et ce à double titre.

D’abord, la DAS connaît en 2013, une période de métamorphose qui va se poursuivre jusqu’au début de l’année prochaine. Il a en effet été décidé de créer à partir de l’actuelle DAS, une direction générale d’administration centrale unique rattachée directement au ministre et chargée du pilotage de l’action internationale du ministère de la Défense et des affaires stratégiques.

Ensuite, l’année 2013 est celle du nouveau Livre blanc pour la défense et la sécurité nationale qui décrit les orientations et les perspectives stratégiques pour les cinq prochaines années déclinées et traduites dans la durée par la loi de programmation militaire (LPM) qui vous est actuellement présentée.

Comme le rappelle le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, « la fonction connaissance et anticipation a une importance particulière parce qu’une capacité d’appréciation autonome des situations est la condition de décisions libres et souveraines ». Cette fonction recouvre notamment le renseignement et la prospective, qui sont les deux grandes missions du programme 144. Ces deux missions sont renforcées grâce à la LPM selon deux voies principales : le maintien des crédits consacrés aux études amont à un niveau élevé et le renforcement des services de renseignement que sont la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD), qu’il s’agisse d’effectifs ou d’investissements.

J’aborderai en premier lieu la LPM en insistant sur les sujets qui concernent le programme 144 car je sais que vous venez d’entendre le ministre ; je présenterai ensuite les grands axes du projet de loi de finances pour 2014 concernant le programme 144, et j’évoquerai, en conclusion, la fin de la gestion 2013, dont les conditions d’exécution auront nécessairement une influence sur l’exercice qui s’ouvrira le 1er janvier prochain.

Comme vous le savez, si le choix a été fait de maintenir dans la LPM un effort de dépense significatif, avec chaque année 31,4 milliards d’euros dévolus à la mission « Défense », le ministère de la Défense porte une part des efforts d’économies sur la dépense publique. Il est donc confronté, ainsi que la quasi-totalité des départements ministériels, à une maîtrise des enveloppes dont il a la charge et cherche à faire peser les économies demandées davantage sur le soutien que sur les fonctions opérationnelles. Le programme 144 est évidemment concerné par ces efforts qui se concentrent en priorité sur les lignes de fonctionnement mais également sur les ressources accordées aux opérateurs de l’État. Celles-ci connaîtront une baisse mesurée sur la période de la LPM, conformément à la politique générale du gouvernement.

Malgré ce contexte de légitime contrainte budgétaire, les priorités du ministre ont été traduites de manière ambitieuse dans la programmation pluriannuelle que nous présentons aujourd’hui. Ainsi la LPM met l’accent sur la recherche de défense au travers des études amont, d’une part, et de la fonction stratégique « renseignement », qui voit ses effectifs se renforcer encore, d’autre part.

Les études amont visent à disposer de « briques technologiques matures », en cohérence avec les besoins des futurs systèmes d’armes. Elles représentent un enjeu de taille puisqu’elles soutiennent directement l’industrie de défense, ses bureaux d’études, de recherche et plus spécifiquement le réseau des PME/PMI. Nous savons d’ailleurs que les efforts de l’État en ce domaine ont évidemment des répercussions à plus ou moins long terme sur les technologies à usage civil. Ces crédits participent donc étroitement de la politique industrielle et de la politique de recherche conduites par le gouvernement. La part du budget consacrée aux études amont restera ainsi constante sur la période 2014-2019, à hauteur de 730 millions d’euros en moyenne, renouvelant l’effort consenti en 2013.

D’autre part, en ce qui concerne le renforcement de la fonction stratégique « renseignement », l’effort sera porté sur les ressources humaines et sur des investissements complémentaires. Le développement de nos capacités de recueil, de traitement et de diffusion du renseignement étant prioritaire, les efforts portent sur les composantes spatiales et aériennes : renseignement d’origine électromagnétique (ROEM) et renseignement d’origine image (ROIM) spatiales avec les programmes CERES et MUSIS, développement de la capacité en drones MALE et acquisition d’une capacité de recueil piloté « légère » en complément des capacités existantes. En adéquation avec les nouveaux équipements de recueil du renseignement, sont également développées les capacités de maîtrise et de traitement de l’information, qu’il s’agisse des réseaux de télécommunications ou des systèmes d’information.

Les effectifs consacrés à la fonction renseignement seront eux aussi mis en cohérence avec les nouveaux besoins, associés au renforcement de la mise en œuvre d’équipements techniques et de l’analyse de flux d’informations. Ainsi les projections pour 2014-2019, établies conformément aux orientations fixées par le Livre blanc, prévoient une hausse des effectifs des services de renseignement. Cette évolution s’inscrit dans la continuité de la LPM précédente puisque la période 2009-2014 a enregistré une hausse de 689 équivalents temps plein travaillé (ETPT). Les effectifs de la DPSD quant à eux resteront constants compte tenu de la nécessité de poursuivre une action conséquente en matière de contre-ingérence.

J’en viens maintenant au projet de loi de finances pour 2014, première annuité de la LPM. Le détail des demandes de crédits exprimées par le programme 144 figure dans le projet annuel de performance (PAP) qui vient d’être déposé sur le bureau des assemblées. Je me contenterai donc d’évoquer avec vous les points les plus marquants du prochain exercice.

La nomenclature du programme 144, inchangée cette année, se compose de trois actions la recherche et l’exploitation du renseignement intéressant la sécurité de la France (action 3) la prospective de défense (action 7) et la diplomatie de défense (action 8).

Le programme 144 enregistre, pour 2014, une perspective de croissance tant en effectifs qu’en ressource budgétaire et reste, à cet égard, une originalité au sein du ministère de la Défense. Au total, les crédits du programme 144 représenteront 1 979,5 millions d’euros en 2014 contre 1 905,5 millions d’euros en 2013, soit une augmentation de + 3,9 %.

Pour le titre 2, le schéma d’emplois présente en 2014 une variation quantitative à la hausse de 1,8 %, passant de 8 820 ETPT à 8 848 ETPT en 2014.

La politique de ressources humaines ne subira pas d’inflexion qualitative majeure en 2014: elle restera en effet axée sur l’ouverture d’emplois d’encadrement et de haute technicité requis par les besoins fonctionnels des quatre budgets opérationnels de programme (BOP) du programme 144, pour mémoire EMA/DGA/DPSD/DGSE, et sur la préservation d’un rapport de proportion de deux tiers/un tiers entre civils et militaires.

En conséquence du développement qualitatif et quantitatif des effectifs, la dotation en masse salariale croît de manière proportionnelle. Le socle financier passe d’une dotation de 633 millions d’euros en 2013 à 644 millions d’euros en 2014, soit une augmentation de 1,8 %.

Hors titre 2, les crédits du programme 144 s’élèvent en 2014 à 1 335 millions d’euros, et connaissent, à périmètre identique, une baisse de 1,08 % en autorisations d’engagement et une augmentation de 4,94 % en crédits de paiement.

Je vais maintenant revenir sur chacune des actions, au sein desquelles le programme répartit ses compétences et ses moyens.

L’action 3 concentre la fonction « recherche et exploitation du renseignement intéressant la sécurité de la France ». Les services de renseignement verront en 2014, leur action renforcée et consolidée. Outre la mutualisation de leurs moyens et une plus grande interopérabilité, ils verront leurs effectifs croître de 65 agents en 2014, afin de répondre aux besoins nouveaux, notamment l’analyse de flux d’informations accrus. Hors masse salariale, leur budget sera également augmenté de 39 millions d’euros en 2014. L’action 3 voit donc son budget augmenter de 16,57 % en crédits de paiement pour atteindre 263 millions d’euros de CP, répartis entre la DGSE (252 millions d’euros) et la DPSD (11 millions d’euros).

L’action 7, « prospective de défense » est, en volume, la plus importante du programme 144. Elle couvre en totalité l’analyse prospective qui constitue l’un des domaines majeurs de la fonction stratégique « connaissance et anticipation ». Cette action se décompose en quatre sous actions déclinant les trois catégories d’études de défense : les études prospectives et stratégiques (EPS), les études opérationnelles et technico-opérationnelles (EOTO) et enfin les études amont (EA), qui représentent le plus gros effort du programme en matière de prospective de défense.

La sous action 7.1 « analyse stratégique » rassemble les études prospectives et stratégiques. Celles-ci constituent le cœur de la mission de la DAS, mais recouvrent également une contribution au renforcement de la visibilité de l’action prospective en matière de défense au travers des aides à la publication et des programmes personnalités d’avenir et post-doctorat. Cette sous-action représente en 2014, 6,08 millions d’euros en AE et 6,89 millions d’euros en CP. Ces crédits sont en baisse de 25 % en AE et en hausse de 35 % en CP. Ces évolutions reflètent des ajustements de gestion (passations de contrats-cadre, paiement d’engagements antérieurs...).

La sous-action 7.2 « prospective des systèmes de forces » rassemble les EOTO qu’il est prévu d’engager en 2014, conformément aux orientations du plan prospectif à 30 ans (PP30). Ces études pilotées par l’état-major des armées visent à identifier les besoins militaires et préparer en conséquence les opérations d’armement. Le budget 2014 des EOTO, d’un montant de 25,35 millions d’euros est stable par rapport à celui voté en loi de finances 2013.

Les sous actions 7.3 et 7.4 forment l’agrégat « Recherche et Technologie » (R&T). Le budget de R&T prévu en 2014 pour les études amont, auxquelles s’ajoutent les subventions de recherche et technologie (R&T), s’élève à 868 millions d’euros (en CP). Il est en diminution par rapport à 2013 du fait de la baisse des crédits pour les opérateurs. On notera que cet agrégat représente aujourd’hui environ 2 % du budget de la défense française alors que les Britanniques et les Allemands y consacrent respectivement 1,5 % et un peu plus d’1 % de leur budget de défense.

Pour ce qui concerne l’action 7.3 « études amont », il est à noter qu’à compter de 2014, la gouvernance des études amont sera assurée au sein du ministère de la Défense sur la base d’une segmentation de la recherche scientifique et technologique par agrégats sectoriels présentant une cohérence en terme d’objectifs capacitaires, industriels et technologiques. De ce fait, les crédits d’études amont ne sont plus répartis par systèmes de force mais par domaines sectoriels (dissuasion, aéronautique et missiles...).

En 2014, ces études représenteront 60,6 % des AE et 56 % des CP du programme, soit respectivement 809 millions d’euros et 746 millions d’euros. Les crédits qui leur sont associés sont en hausse de 6,2 % en CP par rapport à l’année dernière.

Depuis 2009, le régime d’appui pour l’innovation duale (RAPID) permet aux PME de soumettre spontanément leurs projets technologiques innovants qui présentent des applications sur les marchés militaires ainsi que de nombreuses retombées sur les marchés civils. Ce dispositif, qui a été étendu aux entreprises de taille intermédiaire, est mis en œuvre conjointement avec le ministère chargé de l’Industrie. Dans le cadre du pacte Défense/PME, les crédits qui y seront consacrés augmenteront de 25 % pour atteindre 50 millions d’euros à l’horizon 2015. Une première étape portera ces crédits à 45 millions d’euros en 2014.

L’action 7.4 « crédits consacrés aux subventions à des opérateurs qui participent aux études et recherches en matière de défense » concerne les écoles de la DGA, comme l’école polytechnique, l’école nationale supérieure de techniques avancées (ENSTA), l’ESNSTA Bretagne (ex-ENSIETA), l’institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE), mais également l’office national d’études et de recherches aérospatiales (ONERA), ou encore l’institut Saint-Louis. Ces subventions s’élèvent en 2014 à 253 millions d’euros, ces crédits enregistrent une baisse d’environ 12 millions d’euros par rapport à 2013, cette évolution à la baisse permettant un équilibre au sein de l’agrégat R&T.

J’en viens à la troisième et dernière action du programme 144, l’action 8 « relations internationales » qui regroupe les crédits consacrés au soutien aux exportations d’armement et à la diplomatie de défense. Cette action représente 35 millions d’euros en CP, soit une baisse de 19,6 % par rapport à 2013.

La sous action 8.1 concerne le soutien aux exportations d’armement. Elle soutient les industriels exportateurs dans leurs actions, notamment à travers l’organisation de manifestations pouvant accroître leur visibilité (salon de l’aéronautique et de l’espace du Bourget, par exemple) afin de développer les exportations d’armement. Elle enregistre cette année, une baisse de 5,7 % de son budget hors titre 2 pour s’établir à un montant de 6,5 millions d’euros environ. Cette baisse est cependant cyclique et correspond à l’absence de salon de l’aéronautique et de l’espace du Bourget en 2014. La sous action 8.2 couvre les crédits nécessaires au fonctionnement et aux activités des postes permanents à l’étranger (PPE) des 88 missions de défense, l’aide versée par la France au gouvernement de la République de Djibouti, et l’implication financière au partenariat mondial contre la prolifération des armes de destruction massive et des matières connexes (PMG8).

Cette sous action voit une baisse de son budget de près de 22 %, soit 28,6 millions d’euros de dépenses pour 2014, conséquence de plusieurs mesures d’économies ou de réorganisation :

• Les dépenses d’activité des missions de défense (MDD) hors titre 2, supportées par l’action 8 du programme 144 « diplomatie de défense », représentent 6,3 millions d’euros. Le nombre des missions de défense reste à peu près constant mais pour compenser la réduction du nombre d’attachés de défense résidents, les dépenses de déplacement des attachés de défense non-résidents augmentent ;

• La contribution annuelle forfaitaire au gouvernement de la république de Djibouti, en compensation de l’implantation des forces françaises sur son sol s’élève à 21,23 millions d’euros, son montant étant en baisse par rapport à celui inscrit au PAP 2013 (- 3,32 millions d’euros).

Enfin, la part des crédits relevant du ministère de la Défense et des anciens combattants au PMG8 a été ramenée à environ un million d’euros alors qu’elle s’élevait à six millions d’euros en 2013.

J’en viens maintenant à la fin de gestion 2013, dont j’aimerais vous présenter les grandes lignes, car elle conditionne l’entrée dans la LPM 2014-2019.

Pour ce qui concerne le titre 2, l’effectif moyen réalisé prévisionnel (EMRP) cible, soit 8 682 ETPT, attribué à l’ensemble du programme 144 correspondra à peu près à sa trajectoire d’atterrissage à la fin de l’exercice 2013, soit 8 703 ETPT, trajectoire prévisionnelle calculée au 31 juillet 2013. On notera par ailleurs que les deux services de renseignement ont bénéficié en 2013 d’une progression en personnel civil d’encadrement, plus importante à la DGSE qu’à la DPSD.

S’agissant des autres titres, le programme 144 devrait engager cette année environ 1 399,3 millions d’euros (chiffre provisoire) et payer 1 204,8 millions d’euros, hors consommation de la réserve, qui représente à ce jour 88,13 millions d’euros d’AE et 83,48 millions d’euros de CP.

Comme les années précédentes, l’enjeu de la fin de gestion 2013 concernant les paiements réside donc dans la levée de la réserve organique. Une levée de la réserve complète associée à une autorisation à consommer les reports donnerait une capacité de paiement de 1 401,54 millions d’euros. La non-levée de la réserve aurait des conséquences non négligeables sur l’application initiale de la LPM et sur les objectifs fixés par le Livre blanc, une partie de la ressource 2014 étant hypothéquée par les années antérieures.

Le programme 144 va par ailleurs disposer, pour la dernière fois cette année, des ressources du compte d’affectation spéciale « Fréquences » pour un montant de 42 millions d’euros, qui, comme vous le savez, sont affectés aux études amont.

Pour conclure, le programme 144, parce qu’il concentre l’essentiel de la fonction stratégique « connaissance et anticipation », permet une connaissance juste, rigoureuse, aussi complète que possible de notre environnement international, et assure la bonne articulation entre l’expression des besoins militaires et la construction de programmes d’armement adaptés. La hauteur de la dotation de la LPM permet de répondre à cette ambition et la LFI 2014 en constitue la première illustration.

M. Jean-Michel Villaumé. Quelles économies a permis la mutualisation des moyens des différents services de renseignement ? Par ailleurs, quels liens existent entre la DAS et le ministère des Affaires étrangères, qui dispose d’un centre d’analyse et de prospective ?

M. Philippe Errera. S’agissant des services de renseignement, il est difficile de chiffrer les économies permises par leur rapprochement. Mais il est certain que ce rapprochement a permis de renforcer leurs capacités d’analyse, à effectifs constants.

Concernant le ministère des Affaires étrangères, nous travaillons en collaboration étroite avec son centre d’analyse, de prévision et de stratégie (CAPS). Il s’agit de part et d’autre d’équipes d’effectifs restreints, qui se connaissent bien et constituées pour une part d’anciens chercheurs. Nous coopérons tant pour nos activités quotidiennes que pour de grands exercices de prospective, comme la rédaction du rapport « Horizons stratégiques 2025 ». Je tiens d’ailleurs à souligner l’intérêt qu’il y a à préserver la diversité de recrutement au sein de la délégation aux affaires stratégiques, qui comprend non seulement des militaires, mais aussi des civils dont d’anciens chercheurs recrutés à titre contractuel.

M. Damien Meslot. En achetant des drones « sur étagère » aux États-Unis, la France a fait le choix de ne pas développer aujourd’hui de filière industrielle compétente en la matière. Soit. Mais je me suis laissé dire que lors des opérations au Mali, nous n’avions pas été en mesure de diriger les caméras de drones vers la frontière algérienne, car les Américains ne nous avaient pas laissé la maîtrise de tous les paramètres fonctionnels des appareils et se refusaient à le faire dans le cas d’espèce. Cela montre bien que même nos alliés ne partagent pas toujours nos buts. Dès lors, ne serait-il pas préférable que nous fabriquions nos propres drones ?

M. Philippe Errera. Les choix concernant les drones ne relèvent pas du programme 144. Sur le fond, l’autonomie d’appréciation est une composante essentielle de notre autonomie stratégique et fait partie à ce titre des préoccupations qui guident le ministère dans les discussions relatives aux conditions d’emploi de nos futurs drones et au développement de leurs senseurs.

Mme Geneviève Gosselin-Fleury. Dans le cadre de la refonte des effectifs affectés à notre dispositif de prépositionnement, il est prévu d’inverser le ratio entre personnels permanents et personnels en mission de courte durée. Quelles économies pourraient en résulter ? Concernant les crédits alloués à la diplomatie de défense et au réseau des postes permanents à l’étranger, dans quelle mesure ce réseau contribue-t-il au soutien de nos exportations ?

M. Philippe Errera. L’armement des prépositionnements fait l’objet de réflexions en cours, dans le cadre desquelles entrent des préoccupations économiques, mais pas seulement.

S’agissant de notre réseau de diplomatie de défense, son rôle va bien au-delà de la gestion des coopérations militaires bilatérales qui sont le cœur de sa mission. L’appui aux exportations en fait partie, au moins à deux titres : d’une part, notre réseau nous permet de connaître nos interlocuteurs, leurs besoins et de « sentir » le terrain, ce qui est essentiel ; d’autre part, dans certains pays auxquels nous lie une coopération en matière d’armement ou vers lesquels l’exportation est importante, nous disposons également d’attachés d’armement qui relaient la direction générale de l’armement dans l’exercice de ses compétences.

D’ailleurs, la création de la nouvelle direction générale des relations internationales que j’évoquais permettra de décloisonner au niveau central le pilotage des différentes fonctions des attachés de défense et s’inscrit dans une cohérence accrue des activités internationales de l’EMA, de la DGA et de la DAS.

M. Nicolas Dhuicq. L’Iran est appelé à devenir une grande puissance régionale ; les liens étroits que la France entretient avec le Qatar ne sont-ils pas de nature à compliquer pour nos entreprises la pénétration des marchés d’armement qui pourraient s’ouvrir en Iran ? S’agissant des services relevant du programme 144, des difficultés sont bien identifiées dans le recrutement d’interprètes : des actions significatives seront-elles menées pour y remédier ? Enfin, l’accès aux métaux rares fait-il partie des sujets sur lesquels vous avez engagé des travaux de prospective ?

M. Philippe Errera. Le suivi de la situation en Iran, qu’il s’agisse de son programme nucléaire ou de son programme balistique, fait partie des priorités de nos services. Concernant les interprètes, nous mettons en œuvre les efforts nécessaires pour que nos services disposent des compétences adéquates. Quant aux métaux rares et aux matières premières stratégiques, plus largement, la DAS a mis en réseau ses compétences avec celles de l’ensemble des organes concernés, dont le SGDSN et la DGA, pour mener des travaux d’identification des dépendances françaises, des flux commerciaux et des acteurs impliqués dans leur exportation. Il s’agit là d’un exemple utile de mise en réseau de capacités d’expertise et de prospective.

M. Jacques Lamblin. Votre délégation est chargée du pilotage des études amont ; dans cet exercice, comment la définition des besoins des armées est-elle articulée entre votre délégation et la direction générale de l’armement ? Par ailleurs, lorsque vous investissez dans les capacités de renseignement, achetez-vous des matériels existants – par exemple en matière de ROEM ou ROIM – ou développez-vous des équipements nouveaux ?

M. Philippe Errera. Il y a peu de chevauchement de compétences entre la DAS, qui pilote le budget des études amont et les études prospectives, et la direction générale de l’armement, qui pilote le contenu des études amont. Pour éviter tout hiatus dans la gouvernance du système, nous avons mis en place au sein du ministère un comité de cohérence de recherche et de prospective (CCRP) dont la DAS assure le secrétariat, et qui fonctionne véritablement bien et permet de décloisonner et d’orienter les études. Il peut certes y avoir des phénomènes de « fertilisation croisée », en matière de nanotechnologies ou de matériaux rares par exemple, entre les études prospectives et stratégiques (EPS) pilotées par la DAS, les études amont pilotées par la DGA, qui visent à identifier des briques technologiques matures, et les études opérationnelles et technico-opérationnelles (EOTO) pilotées par l’état-major des armées mais les angles d’étude restent toujours différents et il est utile que les uns et les autres soient tenus informés de leurs travaux respectifs.

S’agissant de nos investissements en matière de ROEM et de ROIM, tout ce que je puis dire publiquement est qu’ils s’appuient également sur une vision prospective.

M. Christophe Guilloteau. Je voudrais savoir si la cyberdéfense dépend de vos attributions et notamment l’Agence nationale de la sécurité et des systèmes d’information (ANSSI).

M. Philippe Errera. L’ANSSI relève du SGDSN et non du programme 144 qui lui apporte néanmoins une contribution en matière de budget et d’effectifs, sans parler des nombreux échanges intellectuels qu’entretiennent la DAS et l’ANSSI.

*

* *

Ÿ M. l’amiral Édouard Guillaud, chef d’état-major des armées (jeudi 3 octobre 2013)

Mme la présidente Patricia Adam. Je suis heureuse d’accueillir l’amiral Édouard Guillaud, chef d’état-major des armées. Nous attendons beaucoup des éclairages que vous allez nous apporter sur le projet de loi de programmation militaire (LPM) et le projet de loi de finances (PLF) pour 2014.

Amiral Édouard Guillaud, chef d’état-major des armées. Ces deux projets de loi déclinent les orientations du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, qui définit un nouveau modèle d’armée à l’horizon 2025, mais ils sont de nature différente – la loi de programmation militaire pour 2014-2019 est en effet un choix politique sur le moyen terme, alors que la loi de finances pour 2014 est un choix budgétaire sur le court terme. Mais ils traduisent tous deux la volonté de conserver des capacités aussi complètes que possible pour garantir à la France son autonomie d’appréciation, de décision et d’action, ainsi que sa capacité d’entraînement au sein de coalitions.

La stratégie militaire générale reste inchangée dans ses grandes lignes, structurée par les trois grandes missions rappelées par le Président de la République : la protection, la dissuasion et l’intervention extérieure. Mais, sous une forte contrainte budgétaire, les contrats opérationnels – et donc les formats – ont été revus à la baisse, tout en restant adaptés aux engagements les plus probables. Cette révision affecte principalement les capacités d’intervention extérieure.

Dans sa construction, le modèle 2025 est adapté à l’ambition décrite par le Livre blanc. Le critère qui a guidé ma réflexion sur ces deux projets de loi est celui de la cohérence : cohérence entre la programmation des ressources pour la période 2014-2019 et le modèle 2025, dont elle constitue une première étape ; cohérence entre le PLF et la LPM, qui conditionne l’entrée en programmation et donc la réalisation du modèle dès le départ.

Le projet de LPM qui vous est présenté prend en compte les besoins actuels et prévisibles de nos armées à l’horizon 2025, qu’il s’agisse de l’enveloppe financière retenue ou des priorités. Les ressources totales de la mission « Défense » inscrites dans le PLF sont conformes à la première annuité de la LPM, mais le diable se cache dans les détails… Dans son discours devant les membres du Conseil supérieur de la fonction militaire, lundi 30 septembre, le Président de la République a rappelé que chaque euro compte.

Cette cohérence est un point de satisfaction, mais elle ne préjuge pas des défis importants que nous aurons à relever. Je sais que le ministre de la Défense est très mobilisé sur ce front, comme vous tous ; c’est un signal positif et fédérateur pour les femmes et les hommes qui servent au sein des armées.

Ma mission de chef d’état-major des armées est de garantir au Président de la République des armées prêtes à l’emploi et capables de contribuer pleinement à la stratégie de défense et de sécurité de notre pays.

Vous le savez, la disponibilité et l’efficacité de nos armées reposent sur quatre paramètres : la cohésion des militaires et des civils des armées, la préparation opérationnelle, la disponibilité de matériels de qualité, et enfin la réactivité. Tout cela forme un capital précieux, accumulé dans le temps long des engagements opérationnels, des ressources humaines et des programmes. C’est un capital qui doit être entretenu : toute fragilisation de l’un ou l’autre de ces éléments affecterait la liberté d’action du politique.

Dans un contexte budgétaire et économique particulièrement difficile, je constate que les projets de LPM 2014-2019 et de PLF pour 2014 prennent en compte les priorités de nos armées pour le court et le moyen terme. En conséquence, des domaines jugés moins prioritaires sont mis sous tension. Enfin, le ministre, comme le délégué général pour l’armement (DGA), ne vous l’a pas caché : la mise en œuvre de la LPM sera exigeante, et elle nécessitera de relever des défis difficiles dès l’exécution de la loi de finances pour 2014.

Avant de développer ces points, je voudrais partager avec vous quelques enseignements tirés des opérations récentes, en particulier de l’opération Serval, qui restera sans doute pour les armées l’un des moments les plus marquants de cette année 2013.

Vous êtes déjà au fait de cette opération, en particulier depuis la publication du rapport d’information de MM. Christophe Guilloteau et Philippe Nauche. Mais je crois important d’y revenir : en effet, Serval a validé certaines orientations du nouveau Livre blanc, qui était en cours d’élaboration. Cette opération manifeste l’excellence de nos armées et l’engagement des femmes et des hommes qui ont choisi d’y servir : cette réalité bien concrète mérite d’être rappelée. Elle l’a d’ailleurs été le 14 juillet dernier.

Au plan stratégique, Serval a d’abord confirmé l’importance de l’aptitude de nos armées à entrer en premier, c’est-à-dire à planifier et à conduire une opération nationale, en y intégrant des soutiens fournis par d’autres nations. Cette aptitude, qui s’appuie sur des capacités de renseignement et de commandement souveraines, doit être pérennisée : sans elles, et à défaut d’autres États, alliances ou organisations volontaires, rien n’aurait été possible au Mali. Ces capacités constituent un formidable levier d’action.

De plus, l’impérieuse nécessité d’être en mesure de concevoir et de mettre en œuvre une stratégie globale, intégrant les domaines de la sécurité, de la gouvernance et de la reconstruction, est évidente. C’est, dans des interventions du type de Serval, la solution gagnante, d’autant qu’elle s’appuie sur les acteurs régionaux, les mieux à même de gagner une paix durable. Dans cet esprit, les forces d’intervention ont vocation à soutenir ces acteurs régionaux en leur fournissant les capacités qui leur manquent : renseignement, commandement, appui et logistique, principalement. Les forces d’intervention n’ont pas vocation à agir à long terme ; il faut donc passer la main dès que possible, c’est-à-dire dès que les forces locales ou régionales peuvent assurer leurs missions dans des conditions satisfaisantes. C’est ainsi qu’il faut penser nos interventions futures, et c’est en cela que nos nouveaux contrats opérationnels d’intervention extérieure me paraissent adaptés.

Au plan opérationnel, Serval a une fois encore souligné que la réactivité de nos forces est un facteur clef de succès. Cette réactivité est liée à leur prépositionnement dans la région et à l’activation de nos modules d’intervention en alerte. À l’heure où nos implantations militaires à l’étranger vont être réexaminées, je crois essentiel de viser la conservation d’un dispositif flexible, susceptible d’évolutions, mais permanent, réparti sur plusieurs sites complémentaires.

Ensuite, la polyvalence de nos forces et leur capacité d’adaptation ont permis de définir de nouvelles combinaisons opérationnelles, adaptées à la réalité du terrain. Je pense à l’intégration de tous nos aéronefs dans une seule et même manœuvre aérienne, avec un niveau d’osmose interarmées très abouti, en particulier entre chasseurs et hélicoptères, le tout concourant aux opérations terrestres en cours. Certes, l’agilité tactique et opérative, qui consiste à déployer nos ressources rares d’un point à l’autre d’un théâtre ou entre plusieurs théâtres, atteint ses limites lorsque le besoin est très supérieur à l’existant. La capacité à réaliser beaucoup avec des moyens finalement comptés – 5 000 hommes engagés au plus fort de Serval – est une caractéristique française, reposant essentiellement sur la préparation opérationnelle. C’est une priorité du Livre blanc, à laquelle le ministre tient beaucoup.

Est enfin apparue la nécessité de renforcer nos coopérations multinationales, pour pallier l’insuffisance de certaines capacités nationales. Au Mali, nous aurions pu agir seuls, mais pas aussi vite ; le concours de moyens de renseignement britanniques et américains a été précieux, et 30 % de nos besoins de transport ont été assurés par nos partenaires nord-américains et européens.

Les initiatives de type European Air Transport Command (EATC) pour l’aviation de transport doivent être soutenues dans les domaines où nos insuffisances sont les plus criantes ; c’est le sens des projets que nous portons avec nos partenaires européens pour les avions ravitailleurs ou les drones. On est tout à fait dans l’esprit des mutualisations préconisées par le Livre blanc, des mutualisations pragmatiques assumées avec ceux qui veulent – et qui peuvent.

Venons-en à l’examen des projets de LPM et de PLF.

Les ressources budgétaires inscrites au projet de LPM s’élèvent à 183,9 milliards d’euros courants sur la période 2014-2019. Ces crédits sont complétés par d’importantes ressources exceptionnelles concentrées sur les quatre premières années : 6,1 milliards d’euros courants au total. Nous compterons donc sur 190 milliards d’euros courants pour l’ensemble de la législature. Pour l’année 2014, les ressources totales de la mission « Défense » sont de 31,4 milliards d’euros, dont 1,8 milliard de ressources exceptionnelles.

Dans un contexte de maîtrise des dépenses publiques, cela représente un engagement fort de l’État. Nous en sommes pleinement conscients.

Au regard des priorités de nos armées, la LPM et le PLF permettent de conjuguer engagement opérationnel et préparation de l’avenir : ils marquent en effet un effort au profit de la préparation opérationnelle, socle de l’efficacité d’une armée. Cet effort, qui porte principalement sur l’entretien programmé des matériels (EPM), permettra dans un premier temps de disposer d’un niveau de préparation opérationnelle globalement comparable à celui de 2013 – niveau toutefois inférieur de 15 à 20 % aux standards internationaux reconnus. Il devrait ensuite – le Président de la République l’a répété cette semaine – tendre vers ces standards à partir de 2016.

Cet effort est indispensable. Ces dernières années, les indicateurs d’activité opérationnelle ont connu une érosion continue, qui s’est accentuée en 2012. Elle s’explique par des crédits d’EPM insuffisants alors que les coûts augmentaient, hausse que ni la diminution des parcs ni le prélèvement de pièces détachées dans les stocks – que l’on désigne de façon imagée comme la « cannibalisation » – n’ont permis de compenser. Les tensions créées sur de nombreux stocks ont fini par affecter la disponibilité des matériels, notamment des plus anciens. Nous devrions terminer l’année 2013 avec une disponibilité moyenne de 40 % pour les véhicules de l’avant blindé (VAB), 48 % pour les frégates, et 60 % pour les avions de combat de l’armée de l’air. Ces taux sont évidemment très supérieurs en opérations extérieures.

Les crédits consacrés à l’EPM dans le cadre de ce projet de loi progresseront en valeur de 4 % par an en moyenne sur la période 2014-2019, et de 5,5 % dès 2014. C’est un point de satisfaction. Les effets de cet effort financier devraient être renforcés par l’application du principe de différenciation, apparu formellement dans le Livre blanc, qui commande d’équiper et d’entraîner nos forces au juste besoin, et de distinguer plus finement les forces en fonction de leurs missions les plus probables. Nous n’en mesurons pas encore tous les bénéfices en termes de coût et d’organisation, et ceux-ci ne devraient pas se concrétiser avant 2016 ou 2017, mais c’est l’un des fondements du nouveau modèle, et chaque armée travaille à sa mise en œuvre.

Les projets de LPM et de PLF prennent donc en considération l’une de nos principales difficultés. Ils permettent par ailleurs d’investir dans les équipements, en cohérence avec les priorités du Livre blanc. L’agrégat « Équipements » sera doté de 102 milliards d’euros sur la période, soit 54 % des ressources totales, et de 16,5 milliards d’euros pour l’année 2014, qui verra la livraison de nombreux matériels : l’armée de terre recevra 77 véhicules blindés de combat d’infanterie (VBCI), quatre hélicoptères Tigre dans la version appui-destruction (HAD), quatre hélicoptères de transport NH-90, treize lance-roquettes unitaires, et 115 porteurs polyvalents terrestres – 250 de ces porteurs polyvalents seront par ailleurs commandés. L’armée de l’air recevra onze Rafale, quatre A400M, ainsi que le dixième et dernier système sol-air à moyenne portée terrestre (SAMP/T). La marine nationale réceptionnera sa deuxième frégate multi-missions (FREMM), trois hélicoptères de combat NH-90, et bénéficiera de la commande du quatrième sous-marin de type Barracuda. Enfin, le segment spatial des armées sera renforcé, en particulier par la livraison du satellite de télécommunications franco-italien SICRAL, et par celle de stations de communications par satellite SYRACUSE III et COMCEPT.

S’agissant de l’équipement, je voudrais souligner que, en euros 2013, la trajectoire des crédits d’équipement est quasi stable à 16,1 milliards d’euros annuels en moyenne sur la période 2014-2019, c’est-à-dire au niveau de la loi de finances initiale (LFI) pour 2013. Or le coût des facteurs – qui englobe le prix des matières premières et de la technologie ainsi que les coûts de production industrielle – est toujours supérieur à l’inflation. C’est une donnée constante dans le monde : dans tous les pays occidentaux, il faut compter un point de décalage. Nous serons donc tenus, sur la période de la LPM, de poursuivre les efforts de productivité au sein de tout le ministère de la Défense, pour compenser les effets de l’érosion inéluctable du pouvoir d’achat dans ce domaine.

En outre, l’effort d’équipement porte prioritairement sur les programmes « à effet majeur » (PEM), qui représentent 34 milliards d’euros entre 2014 et 2019, soit 5,7 milliards d’euros par an en moyenne. Il n’y aura donc ni abandon ni renoncement majeur. En revanche, avec une diminution des ressources de 41 % par rapport à la précédente programmation sur la même période, tous les programmes seront touchés : cadences de livraison revues à la baisse, échéances de lancement de programme ou de livraison de matériel décalées, ce qui reporte la question des cibles au-delà de l’horizon de cette LPM. Pour prendre un exemple emblématique, nous réceptionnerons vingt-six Rafale sur l’ensemble de la période, au lieu de onze par an lors de la LPM précédente. Ce ralentissement de cadence de près de moitié se répercute directement sur la montée en puissance des unités : il ne faudra plus deux ans pour doter un nouvel escadron de Rafale, mais cinq. Ce ralentissement est assumé, sous réserve que les solutions palliatives envisagées soient effectivement appliquées – dans ce cas précis, le prolongement de certains Mirage 2000.

Nous nous trouvons donc en situation d’équilibre instable avec très vraisemblablement – ne nous leurrons pas – la perspective de réductions temporaires de capacités. C’est l’un de mes principaux sujets de préoccupation.

Enfin, le reste de l’agrégat « Équipements » se répartit principalement sur trois domaines. Il s’agit de l’EPM, dont j’ai déjà parlé – en augmentation de 4 % par an en moyenne sur la période 2014-2019. Il s’agit de la dissuasion, pour 23 milliards d’euros, soit une progression de près de 30 % sur la période pour assurer le renouvellement des deux composantes – forte progression qui doit cependant être considérée à l’aune de ce que prévoyait la précédente programmation sur la même période ; c’est en réalité une réduction de 11 %. Le troisième domaine, pour 25 milliards d’euros, concerne des programmes d’armement moins emblématiques, mais indispensables, car gages de la cohérence organique et capacitaire des forces, ainsi que des opérations d’infrastructure et des études. Dans le contexte de vieillissement des parcs et des infrastructures, la dotation de ce domaine, stable sur la période 2014-2019, est tout juste suffisante - c’est un euphémisme. Les ressources des autres opérations d’armement (AOA) du programme 146 « Équipement des forces » sont par exemple en retrait de 18 % par rapport à ce que prévoyait la précédente programmation. Je reste optimiste, nous pouvons y arriver, mais ce ne sera pas simple.

Ce budget doit permettre de financer les priorités du Livre blanc : connaissance et anticipation, cyberdéfense et préparation de l’avenir. Le renforcement de la fonction « connaissance et anticipation » sera poursuivi, en particulier dans le domaine du renseignement spatial, avec les programmes MUSIS pour l’imagerie, CERES pour le renseignement d’origine électromagnétique et, dès l’année prochaine, avec l’acquisition d’un système de drones MALE. Au titre de la montée en puissance de la cyberdéfense, plusieurs centaines de postes seront créés sur la période 2014-2019 dans le domaine de la lutte informatique et de la sécurité des systèmes d’information ; au plan de l’équipement, 2014 mettra d’ailleurs l’accent sur ce volet de la surveillance des systèmes. Je note d’ailleurs que nous avons plutôt des difficultés à recruter dans ces domaines, car les gens qualifiés sont rares. Enfin, l’effort est marqué pour la préparation de l’avenir, soit 748 millions d’euros au titre du PLF 2014 pour les études – recherche et technologie –, et 730 millions d’euros par an en moyenne sur la période 2014-2019. C’est un point de satisfaction.

Le financement des priorités que je viens d’évoquer créera d’inévitables tensions sur les armées, en particulier dans deux domaines : le fonctionnement et la masse salariale.

S’agissant du fonctionnement, dont une part significative contribue directement à l’activité opérationnelle des forces – crédits d’entraînement et carburants opérationnels par exemple – de nouvelles économies très volontaristes sont programmées à hauteur de 600 millions d’euros sur la période 2014-2019, l’objectif étant de contenir les coûts de structure hors OPEX à environ 3,5 milliards d’euros par an en moyenne sur la période 2014-2019. Ces mesures d’économie s’appliqueront alors que le fonctionnement des armées est déjà marqué par une très forte rigidité des dépenses. L’année 2014 sera très difficile à cet égard, les économies programmées par le PLF étant supérieures de 30 millions d’euros aux 70 millions d’euros initialement prévus au titre de la LPM. Et ces 70 millions d’euros représentaient déjà un effort considérable ! Sachez, à titre d’exemple, que, pour cette année 2013, les budgets de fonctionnement de nos bases de défense auront été consommés dès novembre, et seront donc abondés en fin de gestion. Et il suffit d’aller voir pour constater que le train de vie sur ces bases n’est pas somptuaire… Les économies réalisées sur le soutien courant sont en effet absorbées notamment par la hausse du coût des fluides et de l’énergie. Ces postes représentent 40 % des dépenses des bases de défense.

Dans le format actuel de nos implantations, l’austérité budgétaire et l’exploitation de tout gisement d’économies atteignent leurs limites. Pour réduire les coûts de structure, nous devrons encore nous reconfigurer, c’est-à-dire fermer des emprises et dissoudre des unités. Ces restructurations sont indispensables pour préparer et conduire une transformation cohérente sur la durée de la LPM. Les annonces officielles pour l’année 2014 sont imminentes et très attendues.

En attendant, cette très forte contrainte sur le fonctionnement se répercutera sur les conditions de vie et de travail du personnel, d’autant que, dans le domaine de l’infrastructure, les ressources ne permettront plus de faire de maintenance préventive. Le ratio de maintenance par mètre carré restera très inférieur au ratio considéré comme satisfaisant : 4 euros par mètre carré prévus, pour 11 euros par mètre carré admis communément.

Mme la présidente Patricia Adam. Ce chiffre est celui des promoteurs immobiliers, ce n’est pas tout à fait la même chose.

Amiral Édouard Guillaud. Certes, mais nous ne sommes déjà qu’à 4,5 euros, et les infrastructures se dégradent.

Concernant les dépenses de personnel, la programmation prévoit 64 milliards d’euros sur la période 2014-2019 au profit du titre 2 hors pensions et hors OPEX, soit 34 % des ressources totales. Elle prend en compte une économie de 4,4 milliards d’euros sur la période, au titre de la déflation des effectifs et des mesures de dépyramidage. Ainsi, les crédits budgétaires programmés passent de 11,2 milliards d’euros en LFI 2013 à 10,4 milliards d’euros en 2019.

De plus, la programmation du titre 2 prend en compte une enveloppe de mesures catégorielles plafonnée à 45 millions d’euros par an, c’est-à-dire diminuée de moitié par rapport à la précédente LPM, alors que de nouveaux efforts sont demandés au personnel.

Cette réduction des dépenses de la masse salariale est un défi pour le ministère de la Défense et donc pour les armées. Le ministère devra supprimer 34 000 postes entre 2014 et 2019, et dépyramider, avec notamment un objectif de suppression de 5 800 postes d’officiers. Au titre du PLF 2014, ce sont 7 881 suppressions d’emploi qui sont prévues, ce qui en fait l’annuité de LPM connaissant la plus forte déflation ; cela représente 60 % des suppressions d’emplois de l’État cette année-là. Cela mérite de la considération !

Vous mesurez le défi à relever, dans le contexte de réforme des retraites que nous connaissons, et alors même que les reconversions dans le secteur privé sont de plus en plus difficiles en raison de la crise économique. J’observe à cet égard que le taux d’encadrement en officiers des armées mesuré ou pris stricto sensu est déjà inférieur à l’objectif moyen annoncé de 16 % – il est actuellement de 15,9 % pour l’armée de l’air, de 12,2 % pour la marine et de 11,9 % pour l’armée de terre. Cet objectif est particulièrement sensible, sauf à mettre en place des mesures drastiques de restriction de l’avancement et de recrutement de jeunes officiers, mesures qui hypothéqueraient l’avenir.

Enfin, concernant le budget des opérations extérieures, le projet de LPM prévoit une provision OPEX à hauteur de 2,7 milliards d’euros sur la période 2014-2019, soit 450 millions d’euros par an, contre 630 millions d’euros en LFI 2013. Cette provision est adaptée aux nouveaux contrats opérationnels ; elle passe par une reconfiguration du dispositif en Afrique et des forces pré-positionnées.

Pour préserver un équilibre physico-financier, la construction de la LPM et du PLF intègre des hypothèses volontaristes, sur lesquelles il convient d’être vigilant. Les ressources des projets de LPM et de PLF ont en effet été programmées dans un contexte de forte contrainte budgétaire et à partir de prévisions de croissance de 0,1 % en 2013 et de 0,9 % en 2014 pour le PLF. Cela fait peser des risques significatifs sur leur exécution si les principales hypothèses de construction ne se vérifient pas.

Les risques financiers liés aux ressources sont de deux types. Le premier concerne les conditions d’entrée en LPM : tout abattement de ressources en 2013 – annulation partielle de la réserve de précaution initiale ou autofinancement des surcoûts OPEX – amplifierait le report de charges que nous prévoyons pour la fin 2013, déjà proche de trois milliards d’euros. Une dégradation déstabiliserait de facto l’entrée en LPM. Le second risque financier est lié aux ressources exceptionnelles. La stabilité en valeur des ressources totales de la mission « Défense » au cours des trois premières années de la LPM est conditionnée par la mise à disposition effective des ressources exceptionnelles, dont le montant de 6,1 milliards d’euros pour la période représente près du double de celui de la précédente LPM. Or la mise à disposition de ces ressources doit encore être consolidée sur l’ensemble de la période et, pour commencer, dès 2014. L’article paru hier dans Le Monde à propos de la vente des fréquences hertziennes était assez inquiétant sur ce point.

Pour maintenir les ressources exceptionnelles au niveau des 1,8 milliard d’euros programmés en LPM, le PLF prévoit en effet 50 millions d’euros de cessions de matériels. Plusieurs projets sont à l’étude, dont la vente du transport de chalands de débarquement (TCD) Siroco et d’hélicoptères Tigre ; mais aujourd’hui, je ne suis pas encore totalement rassuré. De telles négociations sont toujours longues…

Dans l’hypothèse d’une non-réalisation – même partielle – de ces ressources, le projet de loi comprend une clause de sauvegarde rassurante – pour autant que les notions de « modification substantielle » ou de « conséquence significative sur le respect de la programmation » ne fassent pas l’objet d’une lecture restrictive par les services financiers de l’État. Il est par conséquent important que le texte garantisse explicitement l’obtention de l’intégralité des ressources, telles qu’elles ont été programmées dans le projet de LPM.

Le deuxième risque financier, qui est essentiel, c’est la masse salariale. La déflation des effectifs et le dépyramidage des effectifs militaires sont conditionnés par la mise en place de mesures financières d’aide au départ et par le renforcement de la reconversion, avec des dispositifs de reclassement dans les fonctions publiques pour le personnel militaire. Nul ne peut affirmer que ces mesures d’accompagnement seront suffisantes. En l’absence de dispositifs d’aide au départ, en revanche, les objectifs de maîtrise de la masse salariale risquent de ne pas être tenus, en particulier celui d’un glissement vieillesse-technicité (GVT) quasi nul. À ce titre, il est important que la LPM soit votée à temps, car elle mettra à la disposition du ministère les outils nécessaires.

Le troisième risque financier est lié aux dépenses d’équipement. Dans l’attente de la renégociation des grands contrats avec les groupes industriels, différentes hypothèses ont été retenues pour établir un référentiel de programmation des programmes à effet majeur. Ces hypothèses sont très naturellement optimistes. Ainsi, pour l’exportation du Rafale, deux contrats d’exportation à moyen terme et un à plus long terme ; s’ils ne se concrétisaient pas, la programmation serait affectée. La mort subite du négociateur indien du contrat ne va pas, vous le devinez, accélérer les négociations.

Mme la présidente Patricia Adam. Le ministre a bien indiqué qu’une « clause de revoyure » serait prévue pour 2015.

Amiral Édouard Guillaud. De même, les besoins de l’infrastructure ont été fortement contraints, en prenant en compte le décalage des livraisons et les réductions de cible des grands programmes d’armement, ce qui a réduit de facto les besoins pour certaines grandes opérations d’infrastructure. Pour autant, l’impact financier des restructurations dans ce domaine devra être consolidé lorsque les décisions politiques sur les sites concernés auront été prises.

Il existe des risques associés aux autres dépenses. Je retiens notamment les carburants opérationnels : une clause de sauvegarde est prévue par le projet de rapport annexé pour couvrir les éventuels surcoûts liés à une hausse du prix des produits pétroliers et garantir les volumes de carburants nécessaires à la réalisation de l’activité opérationnelle des forces. Je retiens également le fonctionnement : la réalisation d’importantes économies nécessitera un effort de rationalisation supplémentaire, et donc de réorganisation, alors que les réformes liées à la précédente LPM ne sont pas encore achevées.

Enfin, le projet de LPM prévoit l’élaboration d’un plan ministériel d’amélioration de la condition du personnel (PACP). Ce plan répond à une forte attente de la communauté militaire, tout comme le chantier de la nécessaire réforme du régime de rémunération des militaires. Vous savez que le maquis de primes est touffu…

S’agissant de la protection juridique du combattant et des personnels engagés, je me réjouis tout particulièrement des mesures visant à protéger les militaires en opération des risques de judiciarisation de leurs actions, et de celles destinées à améliorer la protection des familles de soldats blessés en opération. Elles constituent une avancée très positive : la préservation du moral est en effet l’une des premières conditions du succès des réorganisations qui s’annoncent. L’accumulation des réformes de structure et la nécessité de maîtriser les dépenses courantes de fonctionnement ont un impact évident sur l’état d’esprit de la collectivité militaire et de tous ceux qui servent la défense. Ces mesures manifestent la reconnaissance de l’engagement de nos militaires, ainsi que des spécificités de leurs missions : ce sont vraiment des points essentiels pour le moral et l’efficacité des armées.

Au total, ces projets de LPM 2014-2019 et de PLF pour 2014 reflètent le meilleur compromis possible, au regard de la situation économique et financière actuelle. Cette nouvelle LPM sera néanmoins particulièrement complexe à mettre en œuvre, et ce dès l’année prochaine. Le ministère s’est déjà rangé en ordre de marche, pour mener à bien trente chantiers – ressources humaines, soutien et maintien en condition opérationnelle (MCO), entre autres – qui concernent l’ensemble de son fonctionnement, afin de le rendre encore plus efficient, c’est-à-dire efficace au moindre coût. Mais, au regard du volontarisme budgétaire, et donc de l’instabilité des choix opérés, il me semble primordial de mesurer et d’évaluer les premiers résultats de l’exécution budgétaire dès 2015, pour être en mesure d’instruire de façon efficace la « clause de revoyure » prévue. Il faudra alors encore et toujours s’assurer de la cohérence des choix opérés.

Le chef des armées a pris des engagements forts. Le ministre de la Défense les porte avec détermination. Mesdames et messieurs les parlementaires, votre vigilance sur les conditions d’exécution du budget et les ressources exceptionnelles qui ont été inscrites dans la LPM sera cruciale. C’est un combat que nous devons mener ensemble, et que nous devons gagner, pour la défense de nos concitoyens, de notre pays et de ses intérêts.

Mme la présidente Patricia Adam. Les discussions et les arbitrages qui ont mené à l’actuel Livre blanc et à la LPM ont été difficiles. Il faut nous tenir à ce que nous avons obtenu : le ministre s’est formellement engagé à revenir devant la commission en 2015 pour vérifier si des réajustements étaient nécessaires. Bien sûr, nous souhaitons qu’ils ne le soient pas, sauf dans le sens de hausses budgétaires !

Mme la présidente Patricia Adam. Une exécution précise de la LPM est indispensable. Pour cela, il est dans un premier temps nécessaire de bien terminer l’exercice en cours : les discussions sont, comme tous les ans, en cours avec Bercy. Nous serons très vigilants. D’autre part, vous avez raison, pour l’entrée dans la nouvelle période de programmation, il est nécessaire que la LPM soit examinée rapidement.

Mme Geneviève Gosselin-Fleury. Vous avez parlé de la diminution du taux d’encadrement, mais vous n’avez pas évoqué la civilianisation. Comment comptez-vous mettre en œuvre cet objectif ?

Comment ont été définis les objectifs de réduction de postes dans les bases de défense pour l’année 2014 ?

Enfin, pouvez-vous nous parler des projets concernant les forces prépositionnées ?

Amiral Édouard Guillaud. S’agissant du prépositionnement, nous sommes en train d’y travailler. C’est une question importante, qui sera tranchée en conseil de défense, sans doute dans le mois qui vient. L’idée générale est de prévoir une plus grande flexibilité, en lien avec la probabilité d’opérations extérieures – la LPM précédente avait figé les emplacements, ce qui nous apparaît maintenant comme une erreur.

Mais il faut conserver ces forces prépositionnées : en leur absence, nous serions condamnés à courir après l’événement, et notre connaissance physique du terrain, comme celle des structures politico-militaires locales, serait bien moindre.

S’agissant de la civilianisation, notre problème est en réalité que de nombreux postes civils ne sont pas pourvus. Le taux de militaires augmente donc par répercussion. Et la solution de transformer un militaire en civil pour lui proposer l’un de ces postes apparaît comme un tour de passe-passe.

Quant aux bases de défense, le ministre a fixé des objectifs généraux. Vous savez qu’il existe plusieurs types de bases de défense : les plus grosses, comme Brest ou Toulon, ne posent évidemment pas les mêmes problèmes que les plus petites, comme Valence ou Brive, qui n’ont qu’un seul régiment. Les regroupements de bases ne sont pas toujours simples : ainsi, il était suggéré de ne conserver qu’une seule base en Corse, mais il me semble que ce projet se heurte à de franches contraintes géographiques ! Nous rencontrons là des problèmes difficiles.

Sur la déflation, nous prévoyons la suppression d’environ 7 400 postes civils sur l’ensemble de la durée de la LPM (2014-19), pour 26 200 postes de militaires.

M. Gwenegan Bui, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères. La France est désormais pleinement intégrée à l’OTAN : quelle stratégie de présence et d’influence y a-t-elle adoptée ? Quels postes stratégiques visons-nous ? Vaut-il mieux occuper le sommet de la hiérarchie ou des positions de second ? Faut-il être partout, et pourquoi ? En effet, les conséquences financières de cette stratégie se font sentir tant dans la LFI que dans la LPM.

La montée en puissance de la cyberdéfense met ce sujet au cœur de toutes les préoccupations, y compris au sein de l’OTAN. Quelle attitude adopter en cas d’attaque sur l’un de nos alliés ? Doit-on invoquer l’article 5 du traité de Washington ? Envisage-t-on des mutualisations de services, d’hommes et d’expériences en cette matière dans le cadre de l’OTAN ?

La lutte contre les narcotrafics représente une belle réussite, mais la pénurie de moyens constitue une faiblesse structurelle. Une allocation insuffisante d’heures de vol pour les Falcon 50 utilisés dans ces opérations, tout comme le manque d’hélicoptères – un seul pour deux frégates à Fort-de-France –, induit une perte d’efficacité opérationnelle, mais aussi une baisse de crédibilité de notre pays par rapport à nos alliés. La LFI et la LPM vous donnent-elles les moyens de répondre à ces insuffisances ?

Amiral Édouard Guillaud. S’agissant du poids de la France dans l’OTAN, nous avons procédé en deux temps. En effet, l’ensemble des postes de commandement au sein de l’OTAN sont remis en jeu tous les trois à quatre ans. Lorsque la France est revenue dans le commandement intégré de l’organisation, nos choix ont été déterminés par plusieurs facteurs : la possibilité d’accéder aux arcanes de l’OTAN que nous avions perdues de vue, l’importance stratégique des postes, ou bien leur valeur symbolique – conséquence de leur visibilité et cause de rivalités entre pays.

Trois ans plus tard, les cartes ont à nouveau été rebattues. Le système de l’OTAN a le mérite d’être simple : à chaque poste de direction correspond un certain nombre d’étoiles, de une à quatre – un général de brigade compte pour une étoile, un général de division pour deux, etc. Chaque pays se voit attribuer un nombre total d’étoiles, strictement proportionnel à son poids économique dans le budget de l’OTAN ; y pesant quelque 11 %, la France reçoit ainsi 19 étoiles. Chaque pays doit alors fournir à l’OTAN exactement 35 officiers et sous-officiers par étoile ; la France en doit actuellement quelque 692

Lors de la dernière attribution, il y a un an, nous avons beaucoup réfléchi - y compris avec le quai d’Orsay - sur les postes à garder ou à abandonner. Fort heureusement, leur nombre global diminuait, même si nous souhaitions - comme les Américains et les Britanniques - le voir baisser davantage encore. Les autres pays de l’OTAN y étaient toutefois opposés.

Mme la présidente Patricia Adam. Ils tiennent à leurs postes au sein de l’OTAN, qui représentent pour certains États-majors la seule possibilité de carrière militaire.

Amiral Édouard Guillaud. Nous avons préservé certains postes symboliques et avons obtenu, avec le soutien de nos partenaires, la création d’un nouveau poste au sein de SHAPE (Supreme Headquarters Allied Powers Europe, commandant opérationnel de l’OTAN) ce qui était indispensable pour assurer son bon fonctionnement. Au bilan, les États-Unis, la Grande-Bretagne, l’Allemagne et la France se trouvent au cœur du commandement opérationnel de l’OTAN.

L’OTAN possède deux commandements suprêmes : le SHAPE en Europe - systématiquement attribué à un Américain - et le Commandement allié Transformation aux États-Unis, à Norfolk ; autrefois attribué aux Américains, il est aujourd’hui réservé aux Français, et nous avons pris soin de le garder.

Pour tous les autres postes, nous nous sommes déterminés en fonction de notre influence réelle. Il a parfois fallu accepter de pourvoir des postes qui ne correspondaient pas à nos souhaits. On a par exemple recréé un commandement des forces terrestres en Turquie – à la demande des Turcs, et en réponse à leurs problèmes ; nous commençons déjà à réfléchir, avec nos partenaires américains et britanniques, à la prochaine étape qui interviendra dans trois ou quatre ans. Nous souhaitons continuer à alléger la structure de l’OTAN, encore trop lourde : si elle a déjà perdu 15 %, on peut encore la réduire d’autant, à efficacité constante. On se heurte cependant aux intérêts des petits pays pour lesquels l’OTAN représente la seule chance de faire une carrière militaire complète.

Mme la présidente Patricia Adam. Est-ce à nous de la payer ?

Amiral Édouard Guillaud. Au total, le résultat de la dernière attribution des postes représente indéniablement un succès – que certains commencent d’ailleurs à nous reprocher. Pour résumer, il y a toujours un Français dans les endroits importants.

La cyberdéfense – comme le renseignement – représente un domaine dans lequel les discussions restent plus aisées que le partage. Les cas de coopération les plus aboutis concernent les pays situés au même niveau que nous. L’OTAN s’est également emparée du sujet, l’attaque dont les pays baltes ont été l’objet il y a quelques années ayant provoqué une prise de conscience. En matière de défense passive – qui relève, en France, de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI), rattachée au Premier ministre et au Secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) –, nous travaillons de concert avec nos partenaires. La défense active possède des aspects plus proprement militaires ; si l’OTAN souhaite s’y investir, la coopération s’y révèle plus délicate, les joueurs les plus gros – en l’occurrence les États-Unis – ayant tendance à imposer leurs solutions à tous. Même dans la coopération bilatérale – que nous menons avec une demi-douzaine de pays – chacun joue à cartes cachées. Enfin, la cyberattaque – à des fins militaires ou économiques – constitue le dernier niveau. Il y a un an ou deux, le ministère des Finances avait par exemple fait l’objet d’une tentative de pénétration. Même si le sujet est souvent évoqué, les arrière-pensées des uns et des autres en compliquent le traitement dans le cadre de l’OTAN, car toute coopération suppose de déterminer qui prend les décisions.

Un centre d’excellence a toutefois été créé en Estonie, et nous participons à ses travaux. C’est dans le domaine juridique – et non dans l’informatique – que la coopération semble la plus précieuse. En effet, quand un ordinateur est attaqué en France – et qu’on ne sait pas toujours d’où vient l’attaque –, il est important de déterminer quel droit doit s’appliquer et jusqu’où on peut aller avant de se heurter aux barrières légales. Nos juristes envoyés en Estonie contribuent à la comparaison des juridictions des différents pays et de leurs perceptions de la menace.

Enfin, la lutte contre le narcotrafic fait partie de l’action de l’État en mer, qui représente environ un tiers de l’activité de la marine nationale. Celle-ci coopère depuis des années avec les douanes, notamment dans l’Atlantique et dans la zone des Caraïbes. Mais, si nos demandes de mutualisation interministérielle sont toujours accueillies avec enthousiasme, c’est toujours le ministère de la Défense qui se voit obligé de payer. Or non seulement nous n’avons pas assez d’heures de vol pour les Falcon 50, non seulement nous ne disposons pas d’hélicoptères en nombre suffisant, mais nous manquons parfois de bateaux. Ce qui, à la fin des années 1990, ne devait représenter qu’une réduction temporaire dure depuis près de vingt ans, sans que l’on n’ait jamais réussi à redresser la situation. Mais, alors que notre travail dans ce domaine leur est également utile, les promesses de participation des autres ministères ne sont jamais suivies d’effet.

Mme la présidente Patricia Adam. Le rapport d’information sur l’action de l’État en mer, que Philippe Vitel et moi-même avions produit sous la précédente législature, évoquait ces problèmes. En effet, malgré l’accord de principe des autres ministères, les frais restent à la charge du ministère de la Défense. C’est vrai pour l’action de l’État en mer, mais aussi pour le renseignement.

Amiral Édouard Guillaud. Tout comme pour la cyberdéfense.

Comme la lutte contre le narcotrafic est menée à l’échelle internationale, cette insuffisance de moyens peut nous desservir. L’efficacité de notre travail - sur mer ou dans les airs - nous vaut pour l’heure une crédibilité intacte ; mais pour la première fois depuis quatre siècles, les Pays-Bas – qui étaient l’un de nos principaux partenaires – suspendent la permanence de leurs navires de guerre dans les Caraïbes.

Mme la présidente Patricia Adam. En effet, Saint-Martin est le théâtre de bien des trafics. Il faut travailler sur cette question au niveau européen ; des discussions sont engagées, mais n’avancent pas beaucoup. La commission des Affaires étrangères devrait s’y intéresser.

M. Jacques Lamblin. Les opérations Harmattan et Serval montrent avec éclat l’efficacité – et donc l’utilité – de l’armée française. Le Gouvernement peut compter sur elle s’il a besoin de la faire intervenir. Si la LPM envisagée est exécutée in extenso – et le ministre de la défense a souligné combien il était important d’y veiller –, pensez-vous que, malgré les restrictions prévues, ce sera encore le cas ?

Hier, le ministre de la Défense nous a promis qu’il chercherait à préserver les unités opérationnelles, qu’il n’y aurait pas de déflation brutale d’effectifs, que toute fermeture serait compensée et que l’effort se concentrerait sur les fonctions de soutien. Mais il nous faut également compter avec notre héritage. Historiquement, les forces françaises ont été basées là où se trouvait le danger - dans l’Est, le Nord-Est et le Nord -, et l’industrie de l’armement au contraire à l’écart – dans l’Ouest, le Sud-Ouest et le Centre. Si des sites militaires en viennent à fermer, et que l’on continue à vider l’Est et surtout le Nord-Est de toute présence militaire, celle-ci finira par ne subsister que sur le littoral français. N’oublions pas, de surcroît, le poids relatif de l’armée dans l’économie locale.

Amiral Édouard Guillaud. En 2019, à l’issue de la nouvelle LPM, nous serons toujours capables de réaliser une opération comme Harmattan, suivie d’une autre comme Serval. La diminution de nos ressources affaiblira notre capacité à conduire des engagements simultanés, et limitera leur durée. Si Harmattan avait duré six mois de plus, nous aurions éprouvé des difficultés ; il aurait été plus facile de prolonger Serval. D’ailleurs, si l’essentiel des combats est terminé depuis mai 2013, aujourd’hui encore des engagements ont lieu tous les jours dans le cadre de l’opération. On en parle peu, car ils concernent de petits groupes et se déroulent dans des zones difficiles d’accès ; hier, la population a par exemple indiqué une cache d’armes aux soldats tchadiens. Toutefois, la difficulté de la prévision tient à ce que, en 2019, nous serons forcément confrontés à des défis très différents.

La simultanéité représente un enjeu particulièrement crucial pour tout gouvernement, car, à côté de l’agenda militaire, il est souvent nécessaire de régler les aspects diplomatiques et politiques. Mais la succession et le rythme des opérations dépendent largement de la situation internationale.

Le renouvellement des stocks – notamment de munitions – risque également de poser problème : s’il est rapide de fabriquer une cartouche de 12,7 mm, relancer une chaîne de fabrication de missiles prend des années.

S’agissant des choix à opérer en matière de déflation des effectifs, même si nous restons héritiers de notre histoire, l’ennemi ne se trouve plus de l’autre côté du Rhin, des Alpes, des Pyrénées ou du Quiévrain. Certes, nous ne disposons plus d’une seule unité militaire sur quelques centaines de kilomètres de littoral entre la frontière belge et Cherbourg. Mais, en comparant la densité de militaires par nombre d’habitants entre différentes régions de France en 2008-2009 et à l’issue de la révision générale des politiques publiques, on constate que par rapport à l’Ouest et à la moyenne nationale, cette densité reste encore très forte dans le Nord-Est, même si les chiffres sont en baisse. Toutefois, le département où résident le plus de militaires reste le Var.

Nous devons évidemment tenir compte du poids relatif de cette présence militaire dans l’économie locale ; mais nous sommes également confrontés à l’impérieuse nécessité de densifier nos structures afin d’en réduire le poids, surtout si l’on veut préserver les unités opérationnelles. À ce propos, la définition du « soutien » reste délicate : si l’entretien d’un hélicoptère sur une base en métropole peut être confié à un militaire comme à un civil, seul un militaire peut s’en charger à Gao, et l’on ne saurait s’en passer sur le terrain. Si nous nous battions à nos frontières, l’on pourrait facilement rapatrier les blindés, les bateaux ou les avions pour maintenance ; mais ce n’est pas le cas. C’est d’ailleurs pourquoi, lorsqu’ils ont commencé à se déployer en Méditerranée orientale, les Britanniques ont dû abandonner leur petit porte-avions pour de gros bâtiments pourvus d’ateliers de réparation à bord. Les structures de maintenance de nos hélicoptères et de nos blindés au Mali représentent certes du soutien, mais directement lié aux opérations ; il est donc difficile de tracer une frontière entre les deux. C’est pourquoi le ministre attache tant d’importance à l’accompagnement ; dans la LPM, 150 millions d’euros y sont spécialement consacrés.

Nous faisons face à des objectifs quelque peu contradictoires, la densification et la préservation de l’activité opérationnelle étant difficilement conciliables. À l’époque du pacte de Varsovie et du mur de Berlin, le 13e régiment de dragons parachutistes (RDP) – dont le premier engagement était d’aller reconnaître le saillant de Thuringe – était basé à Dieuze. Mais le pacte de Varsovie n’existe plus et l’on fête aujourd’hui même le vingt-troisième anniversaire de la réunification de l’Allemagne. Par ailleurs, les entraînements parachutistes ne pouvant avoir lieu que dans le Sud-Ouest ; le 13e RDP gâchait donc trois jours pour effectuer un saut. C’est pourquoi, malgré les protestations du maire de Dieuze, nous avons choisi de le baser à Souge, dans la banlieue bordelaise, à côté de la piste.

Mme la présidente Patricia Adam. Il est difficile de concilier aménagement du territoire et efficacité opérationnelle.

M. Yves Fromion. Amiral, je vous remercie de votre franchise ; je salue aussi votre maîtrise du langage diplomatique qui permet de dire les choses sans heurter personne.

Vous vous êtes déjà largement exprimé sur la cohérence entre les moyens de la LPM et les orientations du Livre blanc ; on voit que les choses sont complexes.

L’année dernière, lorsque nous avons auditionné les chefs d’état-major sur la loi de finances pour 2013, tous ont affirmé ne pas pouvoir imaginer davantage de réduction des effectifs. Or il reste encore près de 10 000 postes à supprimer au titre de cette première vague, alors que la deuxième arrive déjà ; la disparition d’une brigade dans l’armée de terre concernera à elle seule de l’ordre de 5 000 hommes. Comment pourrez-vous continuer à assumer cette réduction, alors qu’on semble être arrivé à un point de blocage ? La suppression d’une brigade ne peut représenter qu’un élément de la solution générale.

M. Philippe Folliot. Cette LPM propose, pour synthétiser, de « faire mieux avec moins ». Lors de la présentation de la précédente LPM, on nous avait prévenus que la diminution des moyens mettrait en péril nos objectifs généraux. Pourtant, le Livre blanc montre que l’on s’est refusé à faire des choix, préférant garder toute la panoplie de nos capacités d’intervention, sans remettre en cause la deuxième composante de la dissuasion nucléaire. Cela aurait-il permis des économies, et si oui, à quelle hauteur ?

Un jour viendra où la contrainte des moyens rendra difficile de préserver nos objectifs. Hier, le ministre de la Défense a répondu avec franchise à nos préoccupations quant au caractère exceptionnel de certaines recettes et à la mobilisation de ces crédits essentiels. Vous nous avez également parlé sans langue de bois de la situation des infrastructures, des taux inquiétants de disponibilité du matériel et du fonctionnement des bases de défense. Ayant déjà contribué de manière très significative à l’effort de redressement des comptes publics, les militaires ont un sentiment d’injustice lorsqu’on leur demande à nouveau des efforts, davantage qu’à certaines administrations civiles.

En matière de dépyramidage, comment se passera la suppression prévue des 5 800 postes d’officiers ?

Le ministre de la Défense a annoncé hier qu’un des points forts de cette LPM serait de donner plus de moyens aux forces spéciales, évoquant quelque 1 000 effectifs supplémentaires. S’agira-t-il d’une augmentation par création d’un régiment spécifique ou d’une transformation d’un régiment des forces conventionnelles en forces spéciales ?

Comment compte-t-on utiliser concrètement la réserve dans la cyberdéfense ? Combien d’effectifs seront concernés ?

Amiral Édouard Guillaud. Il y a un an, lorsque les chefs d’état-major vous ont confié être arrivés au bout de leurs possibilités en matière de réduction d’effectifs, et alors qu’il nous restait encore des postes à identifier, nous ne pouvions pas encore chiffrer toutes les conséquences de la mise en place des bases de défense. J’avais d’ailleurs dit publiquement que j’estimais les contrats de l’époque irréalistes. Depuis, les contrats ont changé, et l’on peut se permettre aujourd’hui de formuler un jugement différent.

La situation varie selon les armées, dont certaines – comme la marine avec le plan Optimar 2000 – ont commencé leur restructuration en 1995, d’autres un peu plus tard, certaines plus récemment encore. Vous avez évoqué, monsieur Fromion, la disparition totale d’une brigade, jusqu’à ses unités de combat ; je me demande pour ma part si l’on ne pourrait pas travailler sur la structure organique de nos armées. La décision de l’armée de l’air de fusionner cet été le commandement des forces aériennes et le commandement de soutien se traduit par exemple mécaniquement par un gain de quelques centaines de postes – en général d’officiers ou de sous-officiers supérieurs.

C’est donc bien notre façon de travailler que nous devons réexaminer sans tabous, sans hésiter à bousculer l’héritage des structures qui ont fait leurs preuves au cours de l’histoire. Je vous l’ai dit il y a deux ou trois ans, et je le pense encore : les bases de défense ont représenté une révolution pour l’armée de terre, car elles mettaient à mal l’autonomie régimentaire vieille de quatre siècles. C’est cette voie qu’il nous faut explorer pour réussir le dépyramidage – en espérant que cela suffira. Il n’est pas facile d’effectuer soi-même son analyse fonctionnelle ; aussi des objectifs ambitieux peuvent-ils nous servir d’aiguillon.

Enfin – plus fondamental encore –, il nous faut également remettre en cause notre modèle de ressources humaines en déterminant comment recruter, pour combien de temps, avec quelle proportion de militaires de carrière. Ce modèle date d’avant 1995 – année de la fin de la conscription. Nous devons donc nous poser des questions, au risque de trouver des réponses inattendues. Cet exercice que nous démarrons – et que le ministre de la Défense suit avec beaucoup d’attention – promet de se révéler décapant ; toujours difficile et douloureuse, l’entreprise d’introspection l’est d’autant plus que notre institution vit une contraction et non une expansion.

M. Yves Fromion. Cet exercice conditionne l’équilibre de la LPM ; il vous faut absolument le réussir, vous ne pouvez pas tergiverser !

Amiral Édouard Guillaud. Bien sûr, mais nous n’y arriverons pas sans densification. Si, comme les États-Unis, nous disposions d’un immense territoire, nous aurions pu aménager cinq grandes bases s’étendant sur des dizaines de milliers d’hectares ; mais la densité de la population ne s’élève pas aux États-Unis à 90 habitants au kilomètre carré.

En somme, le dépyramidage doit passer par l’analyse fonctionnelle et la révision du modèle de ressources humaines. Ces choix n’ont rien d’agréable ; signe des temps, 120 élèves par an sont désormais admis à Saint-Cyr, contre 185 par le passé.

M. Philippe Folliot. Les autres administrations civiles vous aideront-elles pour le reclassement des effectifs ?

Amiral Édouard Guillaud. Comme d’habitude, elles le promettent, mais ne le font pas. Lorsqu’un militaire veut changer de statut, les syndicats – pour les catégories B et C – ou les grands corps – pour la catégorie A – s’y opposent systématiquement.

M. Philippe Folliot. Il s’agit d’une perte de compétences pour la Nation !

Amiral Édouard Guillaud. Remettre en cause la deuxième composante de la dissuasion nucléaire n’aurait entraîné quasiment aucune économie. Or c’est son budget qui paie, entre autres, onze des quatorze ravitailleurs en vol de l’armée de l’air française, qui ont notamment été utilisés pour Serval et Harmattan. Sans la deuxième composante, l’armée de l’air ne disposerait pas de brouilleurs efficaces sur ses avions, car c’est sur son budget qu’on en a payé la mise au point. Ainsi, s’il est vrai que la dissuasion représente 3,5 milliards d’euros au PLF 2014, cette somme sert à toute l’armée de l’air. De plus, les investissements actuels concernent la composante sous-marine.

S’agissant des forces spéciales, je suis personnellement opposé à la création d’une unité supplémentaire. On ne peut pas à la fois densifier et créer de nouvelles structures ; mieux vaut en fortifier certaines qui existent déjà. Ainsi, le commando de marine Kieffer – dit commando technologique –, récemment créé, est actuellement le plus utilisé par les forces spéciales, ses compétences en électronique leur étant éminemment utiles. Plutôt que de transférer une unité, mieux vaut augmenter les effectifs de ce type.

Enfin, en ce qui concerne la réserve citoyenne cyber – dont un député, M. Eduardo Rihan Cypel, fait partie –, nous avons repris cette idée aux pays baltes. Si elle semble rencontrer un succès, je reste prudent quant à sa mise en œuvre.

Mme Sylvie Pichot. Amiral, vous avez déjà largement traité la question de la cohérence entre la LPM et le PLF ; madame la présidente a, pour sa part, abordé la « clause de revoyure » à l’échéance 2015.

Quelles sont les perspectives nouvelles de mutualisation à l’échelle européenne ? Au-delà des enjeux de rapprochement, quelles économies peut-on en attendre ?

M. Christophe Guilloteau. Notre rapport sur l’opération Serval a entre autres démontré la nécessité du renseignement et du prépositionnement. Si celui-ci est redimensionné dans quelques jours par le Conseil de défense, il faudra peut-être prévoir une « clause de revoyure » pour le Mali à la commission de la défense. Depuis la rédaction du rapport, la situation a évolué : le Président de la République avait évoqué le chiffre de 1 000 hommes à la fin de l’été, mais ils sont aujourd’hui plus de 3 000, sans compter le soutien.

Pensez-vous que notre prépositionnement restera le même ? Le problème de la République centrafricaine reste peu évoqué, mais l’on risque malheureusement d’en entendre parler bientôt. Vous avez parlé d’une pente raide ; notre armée sera-t-elle capable de l’emprunter à la descente et à la montée ?

Amiral Édouard Guillaud. En matière de mutualisation, les procédés qui fonctionnent sont ceux qui ne font pas prendre de risques politiques aux pays qui possèdent l’équipement ou la capacité auxquels on fait appel. Ces risques peuvent être plus ou moins élevés : il apparaît ainsi moins dangereux de fournir du transport aérien militaire que de fournir du transport aérien tactique avec largage de parachutistes au-dessus d’une zone d’opérations. De même, s’il est assez facile d’obtenir des ravitailleurs pour l’entraînement, les choses se compliquent s’il s’agit de les faire voler au-dessus du Mali. En somme, la mutualisation marche, mais avec des limites, même si certains pays peuvent parfois décider de ne pas en fixer – comme ce fut le cas pour les avions belges et danois dans l’opération Serval. Mais avoir accès au matériel mutualisé pour l’entraînement représente déjà un avantage, car cela permet de préserver du potentiel.

La mutualisation des drones est particulièrement simple, à condition de posséder le même modèle : comme ils sont commandés à partir d’une station au sol, une heure et un accord diplomatique suffisent pour faire voler un appareil sous la cocarde française. Or nous avons entrepris de nous équiper en drones Reaper, les Italiens et les Anglais utilisent le même modèle, et les Allemands y viendront sûrement aussi.

La mutualisation avec les Britanniques concerne aujourd’hui le transporteur aérien A400M et le programme de missile antinavire léger (ANL) ; elle suppose d’avoir accès aux mêmes chaînes de fabrication, voire de disposer d’un lieu de stockage unique. Des progrès restent possibles dans bien des domaines. Sans être spectaculaire, le procédé se révèle relativement efficace ; mais il exige d’avoir la garantie de pouvoir accéder à l’équipement nécessaire au moment voulu, donc de disposer d’un accord politique et – avant tout – de partager la même vision du monde.

Enfin, les lignes bougent en matière de prépositionnement. En effet, en opérations extérieures comme ailleurs, nous essayons d’alléger le poids des structures. Mais la taille du théâtre des opérations et les conditions météorologiques peuvent compliquer la tâche.

Nous devons travailler non seulement au Mali, mais sur l’ensemble de la bande sahélo-saharienne – de l’Atlantique à la mer Rouge, du Nord du Mali au Sud libyen. Nous coopérons étroitement avec les Mauritaniens, les Maliens, les Nigériens et les Tchadiens. Le Sud libyen souffre d’un problème de stabilité gouvernementale et administrative ; si les Libyens sollicitent notre aide, le changement incessant des interlocuteurs rend le travail difficile. Quant à la Tunisie, accaparée par ses problèmes intérieurs, elle s’est rapprochée de l’Algérie. Notre prépositionnement – à géométrie variable – est donc appelé à évoluer ; en 2016, il sera tout autre qu’aujourd’hui.

S’agissant de la République centrafricaine, la situation dans ce pays fait en ce moment l’objet d’une tentative de résolution auprès des Nations unies, qui pourrait devenir une première étape dans le règlement du conflit. Début décembre, les chefs d’État africains - que le Président de la République réunira au sommet de Paris - pourront aborder ensemble la question de la sécurité dans la région.

Mme la présidente Patricia Adam. Amiral, je vous remercie.

*

* *

Ÿ M. le général Denis Mercier, chef d’état-major de l’armée de l’air (mardi 8 octobre 2013)

Mme la présidente Patricia Adam. Je suis sûre que nous aurons certainement des questions sur les mesures de restructurations annoncées récemment par le ministre de la Défense et je vous cède immédiatement la parole.

Général Denis Mercier, chef d’état-major de l’armée de l’air. C’est toujours avec fierté et plaisir que je m’exprime devant la commission de la Défense de l’Assemblée nationale. Après une année passée à la tête de l’armée de l’air, j’ai pu mesurer avec beaucoup de satisfaction combien les hommes et les femmes de l’air savaient être au rendez-vous lorsque notre pays fait appel à eux quand les circonstances l’exigent. Ce fut le cas en début d’année au Mali, où la totalité nos capacités ont été mobilisées avec une extrême réactivité et une grande efficacité. C’est le cas aussi et il ne faut pas l’oublier, au quotidien lorsque nous assurons nos missions de dissuasion et de protection sur le territoire national. Partout où ils sont engagés, les aviateurs forcent mon admiration par leur motivation et leur niveau opérationnel fondé sur une formation et un entraînement de haut niveau mais aussi et surtout sur leur aptitude à toujours innover, à travailler ensemble et avec leurs partenaires des autres armées ou d’armées de l’air alliées et à s’adapter à toutes les situations. Ils sont la première capacité de l’armée de l’air et ce sont eux qui nous ont permis les nombreux succès que nous avons connus dans l’exécution de nos missions permanentes ou d’intervention.

Dans le cadre des travaux de rédaction du dernier Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale auxquels j’ai eu l’honneur de contribuer, j’ai toujours défendu l’idée que, au-delà des formats, le maintien de la cohérence entre les capacités est essentiel. Les choix que nous avons proposés et qui ont été repris dans le projet de loi de programmation militaire (LPM) 2014-2019 permettent à l’armée de l’air de maintenir cette cohérence.

Même si d’importants efforts nous sont demandés, la poursuite de la modernisation de nos équipements et la priorité donnée à l’activité opérationnelle sont les leviers qui préservent cette cohérence. Ces efforts s’accompagneront aussi d’une diminution des effectifs que le contexte budgétaire rend nécessaire pour atteindre les objectifs fixés dans la LPM. Ces trois points sont pour moi essentiels : ils concernent directement les aviateurs à travers leur aptitude à assurer leurs missions, la garantie de leurs conditions de vie et de travail et la valorisation de leurs compétences. C’est ce projet de loi de programmation et sa première déclinaison, avec le projet de loi de finances (PLF) 2014, que je souhaiterais aborder avec vous avant de répondre à vos questions.

Depuis le début des années 60, l’armée de l’air s’est structurée autour de deux missions permanentes : la protection de notre espace aérien national et la mission de dissuasion, avec la mise en œuvre de la composante aéroportée. Deux missions dont l’importance est confirmée dans le dernier Livre blanc.

Ces deux missions exécutées 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, nécessitent un système de détection performant, la mise en réseau de nos bases aériennes avec des centres de commandement et de conduite armés en permanence, une capacité d’appréciation juste et précise des situations, des équipements, des systèmes d’armes et un personnel très entraîné en raison de la complexité et de la grande réactivité des missions qui leur sont confiées.

La mission de sûreté aérienne est une mission permanente qui garantit la souveraineté de notre espace aérien national. Grâce à la couverture radar de cet espace aérien et la mise en œuvre de capacités d’intervention immédiates nous sommes en mesure de faire face à l’ensemble des situations qui peuvent se présenter comme l’interception d’un aéronef hostile ou l’assistance à des appareils en difficulté. La LPM 2008-2013 a décalé de plusieurs années la rénovation de nos radars. La 4étape du programme SCCOA (système de commandement et de conduite des opérations) a été scindée en deux phases dans la précédente LPM, avec un décalage de trois ans a minima de la livraison de nouveaux radars de surveillance et de défense aérienne. Nous ne pouvons plus décaler les livraisons de ces radars car les obsolescences profondes du parc actuel, à la disponibilité de plus en plus précaire, et aux coûts de maintenance élevés, fragilisent la protection du territoire national.

Le projet de LPM 2014-2019 a pris en compte ce besoin avec l’inscription de la poursuite du programme SCCOA qui amènera les centres français de détection et de contrôle au standard OTAN en 2015 et débutera le renouvellement indispensable des radars de défense aérienne. Dans ce cadre, le PLF 2014 prévoit la livraison de trois radars haute et moyenne altitude ainsi que la poursuite du processus de qualification de nos centres de détection et de contrôle.

Deuxième de nos missions permanentes : la mise en œuvre de la composante aéroportée de la dissuasion. C’est une mission dont nous célébrerons le cinquantième anniversaire l’année prochaine. Depuis 1964 l’armée de l’air contribue à la préservation de nos intérêts vitaux. C’est une composante, dont le coût actuel ne représente que 7 % du budget global alloué à la dissuasion et qui a été réduite d’un tiers lors de la précédente LPM, puisque nous sommes passés de trois à deux escadrons de chasse, suivant le respect du principe de stricte suffisance. La modernisation de cette composante a été inscrite dans la prochaine LPM et se traduira notamment dès l’année prochaine par le lancement de l’acquisition de la flotte d’avions ravitailleurs de type MRTT. En outre, l’année 2014 verra la poursuite des travaux liés à la rénovation à mi-vie de l’ASMP-A et les premiers travaux pour la définition de son successeur. Le PLF 2014 prévoit des mesures de modernisation des transmissions nucléaires ainsi que les livraisons de Rafale biplace destinés à remplacer nos Mirage 2000N. Ces derniers équiperont notre second escadron nucléaire qui sera transformé sur Rafale, au cours de la LPM à venir. Je souligne que les avions des forces aériennes stratégiques (FAS) ne sont pas dédiés exclusivement à la mission nucléaire. Ils sont aussi capables d’agir sur tout le spectre des missions conventionnelles. Ce fut le cas lors des opérations en Libye et au Mali où des avions et des équipages des FAS ont été engagés avec succès. La préparation et l’exécution des raids lointains de Rafale armés de missiles de croisière SCALP présentent de nombreuses similitudes avec les missions exécutées dans le cadre de la dissuasion.

Je tiens à le préciser car nos deux missions structurantes de défense aérienne et de dissuasion nous ont permis de construire, autour d’une permanence forte centrée sur la réactivité, nos capacités de planification et de conduite des opérations aériennes, notre aptitude à recueillir et à fusionner tous les types de renseignement, à travailler en réseau, à basculer instantanément du temps de paix au temps de crise et à conduire des missions longues et complexes depuis le territoire national. Agrégées, ces capacités nous permettent d’être capables d’intervenir en toute autonomie dans une vraie cohérence d’ensemble. Si une de ces capacités venait à manquer, c’est l’efficacité globale du dispositif qui serait menacée.

Aujourd’hui, l’armée de l’air dispose d’une véritable capacité d’intervention dans un large spectre de crises. Parce que nous disposons d’avions ravitailleurs nous sommes en mesure d’agir, à partir de nos bases aériennes, avec une très forte réactivité pour atteindre n’importe quel point dans la zone géographique d’intérêt définie par le Livre blanc. C’est ce que nous avons pu démontrer en Libye en 2011 et au Mali cette année. Capable de monter en puissance de façon très discrète au sein de nos bases aériennes, ou au contraire de façon visible, l’armée de l’air a démontré qu’elle pouvait offrir au décideur politique une large variété de modes opératoires, réversibles et dont la force peut être adaptée au contexte particulier de chaque crise.

La LPM 2014-2019 nous garantit le maintien de cette cohérence parce que, justement, elle préserve ces capacités socles en les modernisant, sans en privilégier une par rapport à une autre. Une modernisation qui se fera à un rythme moins rapide que nous l’avions souhaité initialement, une modernisation qui se fera sur des formats plus réduits, mais une modernisation qui privilégiera la cohérence de notre capacité opérationnelle globale. Le PLF 2014, avec les livraisons et commandes prévues, s’inscrit dans la poursuite de notre modernisation. Mais il est indispensable pour cela qu’il s’appuie sur une loi de programmation qui garantit la cohérence pour l’avenir et permet un meilleur contrôle des engagements.

L’opération Serval au Mali a démontré le potentiel et le niveau d’expertise acquis par l’armée de l’air qui, pour la première fois depuis très longtemps, a mené une opération multinationale en assumant, sous l’autorité du chef d’état-major des armées, le commandement de la composante aérienne. Nous avons pu planifier et conduire des opérations aériennes complexes à partir de la métropole, comme le 13 janvier lorsque nous avons conduit le raid aérien le plus long de l’histoire de l’armée de l’air et comme le 27 janvier avec l’opération aéroportée sur Tombouctou. Cette capacité de commandement et de contrôle sera modernisée dans la LPM avec la poursuite, que j’évoquais précédemment, de l’évolution de nos centres d’opérations et de nos centres de contrôle vers le système ACCS (Air Command and Control System) de l’OTAN, un système otanien mis en œuvre par les Européens et développé avec l’industrie européenne. L’interopérabilité avec nos partenaires de l’Alliance atlantique et européens constitue un axe majeur de la modernisation de ces moyens. La poursuite de la rénovation de nos centres de contrôle locaux et de nos avions AWACS contribuera à améliorer encore cette capacité de commandement et de contrôle. Le premier avion AWACS rénové sera livré l’année prochaine.

Ces avions AWACS participent également à notre capacité à recueillir du renseignement. Au cœur de la fonction connaissance anticipation, l’armée de l’air possède une aptitude naturelle à recueillir du renseignement parce qu’elle agit dans tout le spectre de la troisième dimension. Sur la période 2014-2019 cette capacité bénéficiera de l’acquisition de nombreux équipements comme en atteste la commande prévue de quatre systèmes de drones MALE (moyenne altitude longue endurance) représentant 12 vecteurs. Afin de répondre au besoin opérationnel immédiat, deux drones Reaper ont été commandés pour être déployés en opérations et compléter l’action de nos Harfang très sollicités sur le théâtre malien puisqu’ils viennent récemment de franchir la barre des deux mille heures de vol depuis leur engagement le 17 janvier dernier.

Des avions légers de surveillance et de renseignement, dont l’emploi répond au besoin mutualisé des services de renseignement, permettront de compléter le dispositif d’évaluation et de suivi des crises. L’acquisition d’une première capacité est inscrite dans le PLF 2014. Les capacités de renseignement d’origine électromagnétique du Transall Gabriel, appareil indispensable présent sur tous les théâtres d’opérations, seront remplacées, à l’horizon de l’arrêt de la flotte Transall, avec l’entrée en service de la charge universelle de guerre électronique (CUGE), qui sera mise en œuvre sur un vecteur à déterminer. Enfin, le domaine spatial bénéficiera de la consolidation de moyens existants de surveillance de l’espace extra-atmosphérique ainsi que de la mise sur orbite durant la LPM de deux nouveaux satellites d’observation MUSIS et du développement du programme CERES, prévu pour une mise en service au plus tard en 2020.

Comme vous pouvez le constater, la LPM nous permet d’accroître notre capacité à recueillir du renseignement. C’est pourquoi nous travaillons actuellement sur l’organisation destinée à tirer le meilleur parti de tous ces capteurs afin d’être capables de traiter la considérable quantité d’informations qu’ils permettront d’obtenir, en temps différé ou en temps réel selon la situation.

Nos capacités d’intervention vont se moderniser avec la poursuite de la montée en puissance de la flotte Rafale dont la livraison s’effectuera à un rythme différent de celui qui était prévu : 19 Rafale rejoindront l’armée de l’air sur la période de la LPM. L’année prochaine ce sont neuf avions issus de la quatrième tranche qui nous seront livrés, avec des évolutions majeures puisqu’ils seront notamment équipés du nouveau radar à antenne active, une première pour un appareil de combat en Europe, ainsi que d’une nouvelle version du système SPECTRA de guerre électronique. Parallèlement à ces livraisons, les capacités des Rafale en service vont évoluer puisque la LPM prévoit l’intégration sur cet appareil du missile air-air longue portée METEOR et du pod de désignation de dernière génération.

Le ralentissement des livraisons de Rafale sera compensé par la rénovation des Mirage 2000D et l’utilisation prolongée de flottes plus anciennes comme celle des Mirage 2000-5, ce qui nous permettra de préserver la cohérence de notre aviation de chasse en suivant le principe de différenciation des forces défini par le livre blanc. La répartition Rafale-Mirage 2000 évoluera dans le temps en fonction des besoins de remplacement de la flotte Mirage 2000 après 2020 et nous travaillons à un schéma directeur de l’aviation de combat qui éclairera l’avenir afin d’y intégrer les réflexions sur les futures évolutions du Rafale et l’arrivée des futurs systèmes de combat aériens.

Je rappelle que le format de notre aviation de chasse aura été diminué deux fois d’un tiers en deux lois de programmation. La première diminution en 2008 a été compensée par la polyvalence du Rafale. Celle à venir le sera grâce aux efforts portés sur le MCO et à la différenciation de l’entraînement possible avec la mise en place du projet « Cognac 2016 ». Cette dernière évolution est la dernière marche pour que notre aviation de chasse reste encore une capacité de combat majeure capable d’être engagée sur tous les théâtres d’opérations extérieures et sur le territoire national.

La cohérence passe nécessairement par la détention de capacités de projection qui sont essentielles à l’ensemble de nos missions.

Les avions ravitailleurs sont la clé de voûte de toutes nos opérations aériennes. Sans eux, nous ne pouvons disposer de la réactivité, de l’allonge et de l’endurance nécessaire pour assurer nos missions de dissuasion et d’intervention. Sans eux, l’emploi de notre aviation de chasse serait peu ou prou limité au territoire national. Sans eux il n’y aurait pas de composante aéroportée de la dissuasion. Le raid du 13 janvier vers le Mali a nécessité cinq ravitaillements en vol impliquant trois C135. L’âge avancé de ces 14 appareils, bientôt cinquante ans, fait peser un risque de rupture capacitaire constant et leur utilisation impose de nombreuses heures de maintenance. Leur remplacement constitue pour moi une priorité essentielle. Je suis heureux de voir que la commande de 12 avions de type MRTT (Multi Role Tanker Transport), dont deux seront livrés sur la période de la LPM, est prévue dans le PLF 2014. Il s’agit d’une avancée importante, mais qui nous impose une vigilance accrue sur nos C135 que nous allons conserver de nombreuses années encore en raison du calendrier de livraison. Si nous devions connaître une embellie budgétaire dans les années à venir, je recommande que la priorité soit donnée à l’accélération des livraisons des MRTT, projet par ailleurs porteur de belles coopérations européennes. Par leur polyvalence et leurs performances ces avions vont nous offrir de nombreuses et nouvelles perspectives d’emploi. Ils remplaceront nos C135 et ces avions nous sont indispensables pour le transport de troupes sur de très longues distances.

Dans le domaine du transport tactique nous disposerons en fin de LPM de 15 A400M. L’opération Serval a démontré combien cette composante était indispensable à la manœuvre aéroterrestre pour se poser au cœur des zones de combat sur des terrains sommaires. L’A400M va donner une nouvelle dimension à notre aviation de transport et la faire entrer dans une nouvelle ère. L’arrivée officielle du premier appareil, baptisé « ville d’Orléans » a été marquée par une cérémonie la semaine dernière en présence monsieur le ministre de la Défense. Un deuxième avion devrait bientôt rejoindre la base aérienne orléanaise ainsi que quatre autres en 2014, comme le prévoit le PLF.

Le décalage du calendrier de livraisons de ces appareils nous oblige à maintenir en service 14 C160 afin de préserver les compétences tactiques de nos équipages et notre capacité opérationnelle. C’est le même principe qui a prévalu pour l’aviation de chasse : maintenir des flottes plus anciennes pour pallier l’étalement des livraisons et préserver la cohérence d’ensemble. C’est une nécessité mais aussi un défi. Je suis également très satisfait de la rénovation des 14 C130, utilisés notamment par les forces spéciales, indispensables pour l’exécution de leurs missions dans l’avenir.

Enfin la modernisation de nos équipements prévue dans la LPM prend également en compte nos capacités d’entraînement qui sont essentielles pour que nous disposions d’équipages prêts à intervenir sans délais. Pour cela la refonte de l’entraînement et de la formation des pilotes de chasse dans le cadre du projet « Cognac 2016 » est fondamentale. Ce projet s’appuie sur l’acquisition d’avions d’entraînement turbopropulsés de dernière génération. Ils nous permettront de mieux former nos jeunes pilotes et de mettre en œuvre le principe d’un entraînement différencié qui garantira notre aptitude à soutenir les opérations dans la durée dans un format réduit. C’est une approche innovante, dont je constate qu’elle intéresse de nombreuses armées de l’air, qui permet de nous adapter de façon réaliste au contexte budgétaire tout en modernisant nos capacités de formation. Ce projet permettra en outre de diminuer significativement les coûts de fonctionnement de notre flotte école. C’est pourquoi je lui accorde tant d’importance en visant un lancement au plus tôt, pour être au rendez-vous de la livraison des appareils en 2017.

La modernisation de nos équipements constitue donc ma priorité pour préserver la cohérence de l’armée de l’air. Elle est indissociable du maintien d’une activité aérienne suffisante qui représente aussi une priorité. Une priorité essentielle parce que toutes les opérations récentes ont démontré que, pour réaliser les missions les plus difficiles, notamment l’entrée en premier sur un théâtre d’opérations, qui se joue toujours en quelques heures après la décision du Président de la République, il est indispensable de disposer d’équipages entraînés au meilleur niveau.

Notre capacité opérationnelle repose sur le maintien en conditions de nos matériels aéronautiques qui nécessite un pilotage au plus près des forces et de leur activité réelle et une dotation suffisante en entretien programmé du matériel (EPM).

Le maintien en condition opérationnelle (MCO) aéronautique est le cœur du domaine d’expertise de la Structure intégrée de maintien en condition opérationnelle de la défense (SIMMAD) et de l’armée de l’air. Nous avons réorganisé nos structures et mobilisé tous les acteurs du MCO, les forces bien sûr mais aussi l’industrie étatique et privée. La SIMMAD, aux côtés des unités de soutien aéronautique et en lien avec les industriels et la direction générale de l’armement (DGA), a ainsi fait évoluer les marchés d’une logique de disponibilité vers une logique d’activité, en préservant la flexibilité exigée par les engagements opérationnels et avec un souci constant de maîtrise et de réduction des coûts. Le plus important est de disposer du nombre suffisant d’aéronefs disponibles lorsque nous en avons vraiment besoin. La mise en place de plateaux techniques dans la dynamique du pôle de MCO aéronautique bordelais, a très rapidement porté ses fruits. L’identification des difficultés technico-logistiques et la définition en commun de solutions appropriées ont permis d’aboutir à des résultats significatifs. À Saint-Dizier par exemple, la qualité de l’activité des Rafale a été considérablement augmentée alors que la disponibilité en OPEX reste exceptionnelle. Ces résultats démontrent la pertinence et la cohérence des choix qui ont été faits dans le domaine de la gouvernance du MCO, tant au niveau de la SIMMAD qu’à celui du soutien opérationnel sur les bases aériennes. Ces succès nous encouragent à poursuivre dans cette voie mais il ne s’agit que d’une première étape, de nombreux efforts restent à faire.

Le MCO aéronautique nécessite également de disposer d’une dotation suffisante en entretien programmé du matériel, l’EPM. Cela n’a pas été le cas lors de la précédente LPM puisque la sous affectation de crédits budgétaires pour l’EPM a conduit à un déficit, sur la période 2009-2014, de plus d’un milliard d’euros de crédits d’activité par rapport au besoin. En 2013, l’armée de l’air a dû limiter l’activité des équipages et prendre des mesures affectant le niveau de formation et d’entraînement.

Les perspectives 2014-2015 conduisent à maintenir le niveau d’activité de 2013, grâce à l’effort financier important consenti sur l’EPM par la LPM, mais cette activité restera insuffisante (environ -20 % par rapport aux normes d’entraînement). Elle ne pourrait être maintenue à ce niveau dans le temps sans dégradation considérable du niveau opérationnel. C’est pour moi une préoccupation majeure car le maintien de certaines compétences est dès à présent fragilisé. Notre objectif est de remonter l’activité aérienne au niveau requis après 2016, en s’appuyant sur le développement du nouveau modèle, sur la mise en place de l’entraînement différencié et sur un plan d’optimisation du MCO élaboré par la SIMMAD en associant bien sûr la DGA.

Enfin, la dernière priorité, la plus importante, que je souhaiterais aborder devant vous, concerne les hommes et les femmes de l’armée de l’air. Au cours de la dernière LPM, ils ont su faire face avec beaucoup d’abnégation aux différentes réformes qui les ont directement touchés. Je rappelle que suite aux réformes annoncées en 2008 nous avons dû procéder à la fermeture de 12 bases aériennes et à la dissolution d’une quinzaine d’unités majeures, ainsi qu’à la diminution de nos effectifs de 15 900 personnes sur la période de la LPM précédente, ce qui correspond à une baisse du quart de nos effectifs.

De nouveaux efforts importants seront demandés aux aviateurs. Les cibles en effectifs définies dans le projet de LPM prévoient une réduction de 34 000 postes au sein du ministère sur la période 2014-2020. Pour 2014, la cible de déflation de nos effectifs est de 2 400 personnes sur les 7 881 du ministère de la Défense, soit 30 % du total.

Pour l’armée de l’air, qui vient de mener une réforme importante depuis 2008, il n’y a quasiment plus de réduction d’effectifs possibles par des réorganisations fonctionnelles. Nous les avons faites lors de la précédente LPM. Réduire les effectifs nécessite donc la mise en place d’un nouveau plan de restructurations. Les mesures à venir en 2014 ont été annoncées la semaine dernière par le ministre de la Défense et concernent de nombreuses de nos implantations. Parmi ces mesures je souligne à titre d’exemple la fin de l’activité aérienne à Dijon et le transfert à Cazaux de l’escadron d’entraînement 2/2 « Côte d’Or », la dissolution de l’escadron de défense sol/air de Luxeuil, la fermeture du détachement air de Varennes sur Allier, la transformation des bases de Saintes et de Châteaudun en éléments air. Pour parler franchement, ce plan me paraît indispensable car certains rapprochements nous permettront de mieux fonctionner avec une armée de l’air resserrée mais dont la réussite opérationnelle est conditionnée par son aptitude à engager toutes ses capacités dans une manœuvre d’ensemble.

Ces restructurations ne peuvent être conduites isolément. Elles prennent en considération les bases de défense, dont j’aime souligner qu’elles participent aux missions opérationnelles de l’armée de l’air qui opère au quotidien à partir de ses implantations, que ce soit pour les missions permanentes ou pour les missions d’intervention. Elles intègrent aussi les services et directions interarmées dans lesquels travaillent 22 % des aviateurs.

Nous conduisons une vaste réflexion sur le modèle futur de ressources humaines de l’armée de l’air intégrant notamment le recrutement, l’avancement dans le contexte de limites d’âge allongées, la mobilité, etc. C’est un chantier important qui prend en compte les aspirations de notre personnel et vise avant tout à le valoriser car comme je le soulignais au début de cette intervention, il constitue notre première capacité opérationnelle. Ce travail s’accompagne d’une réflexion sur l’identité de l’aviateur dans le contexte interarmées que nous connaissons.

Pour conclure je souhaiterais vous indiquer que les aviateurs sont conscients de l’effort que la Nation réalise à travers cette loi de programmation pour préserver leur capacité à exécuter leurs missions. Ils sont aussi conscients des efforts qui leur seront demandés pour que les objectifs de cette loi de programmation soient atteints.

Avec eux j’ai souhaité mettre en place un projet « Unis pour Faire Face » afin de ne pas subir notre destin, mais de le prendre en main. C’est un projet qui s’inscrit dans les priorités du Livre blanc et de la loi de programmation que nous venons d’évoquer : modernisation de nos capacités, activité aérienne, simplification de nos structures, ouverture vers l’extérieur, valorisation des aviateurs, sont autant d’axes d’effort portés par ce projet. Ce dernier donne à l’armée de l’air une direction cohérente avec les moyens qui nous sont alloués. Cette modernisation est lancée, elle nous permettra de nous ouvrir toujours plus vers l’extérieur car les projets qu’elle porte sont des viviers de coopération formidables, notamment au niveau européen.

L’A400M, porté par sept pays européens, va donner une dynamique encore plus forte au commandement du transport aérien européen (EATC) qui est engagé sur une voie d’ouverture et de standardisation des normes européennes. S’agissant des ravitailleurs MRTT, nous travaillons à la mutualisation de leur emploi avec six autres nations européennes dans des domaines ciblés comme la formation et la maintenance. L’acquisition de drones Reaper ouvre la voie à la création d’un groupe d’utilisateurs européens, l’évolution du SCCOA vers le système ACCS va renforcer les coopérations, la mise en œuvre de normes européennes communes est un chantier prometteur. Ces quelques exemples montrent que la future LPM ouvre de nombreuses opportunités dans le domaine aéronautique que nous devons absolument saisir pour avancer de façon réaliste et pragmatique vers une défense plus européenne, sans abandonner notre autonomie d’action et de décision.

Vous le constatez notre projet est résolument tourné vers l’avenir. Un avenir qui nous est ouvert par les perspectives de la loi de programmation. La vertu d’une loi de programmation est de fixer les engagements pour les années à venir. C’est pourquoi nous en avons tant besoin, notre modèle nécessitant ces engagements sur l’avenir qui sont ensuite déclinés par les PLF. En revanche, c’est de sa réalisation, plus tendue que les précédentes, mais je l’espère plus vertueuse, que dépendront notre cohérence et notre capacité à assurer nos missions. L’exercice est difficile mais je peux vous assurer que notre pays pourra compter sur les capacités d’adaptation et d’innovation des aviateurs pour parvenir aux objectifs fixés.

Mme la présidente Patricia Adam. Notre commission entend bien contrôler que la prochaine LPM soit effectivement exécutée dans sa totalité.

M. Serge Grouard. Je tiens à saluer le personnel militaire des armées, et en particulier de l’armée de l’air, dont il faut reconnaître le professionnalisme et le dévouement. C’est important de le souligner en cette période difficile.

Les efforts demandés aux armées ne sont pas nouveaux, puisque cela fait plus de vingt ans au moins qu’on leur en impose et de plus en plus exigeants. Il faut le conserver à l’esprit.

On demande aujourd’hui encore un effort de grande ampleur. J’ai bien compris ceux que vous faites, mon général, pour essayer de conserver la cohérence globale de votre format. Ma question porte sur les réductions d’effectifs : il ne faut pas que celle-ci soit mécanique, car elle entraînerait irrémédiablement la perte d’un certain nombre de compétences. Comment y faites-vous face ? Par ailleurs, comment gérez-vous cette absence de visibilité à long terme vis-à-vis de votre personnel, qui est un élément psychologique à ne pas négliger ?

Mme Geneviève Gosselin-Fleury. Je voudrais que vous nous indiquiez la répartition des diminutions d’effectifs entre les officiers, sous-officiers et militaires du rang, entre civils et militaires, entre forces opérationnelles et soutien.

Pouvez-vous également nous apporter des précisions sur la coopération entre l’Inde et la Russie sur le projet d’avion de chasse russe de cinquième génération, le T-50 ?

M. Yves Fromion. J’ai bien entendu vos propos sur la nécessaire préservation de la cohérence de votre format mais ne craignez-vous pas un « effet bonzaï » ? On peut certes être cohérent, mais de plus en plus petit !

J’aimerais donc que vous nous disiez si, avec une armée de plus en plus petite, vous êtes toujours en mesure de répondre à l’ensemble du contrat opérationnel. Par ailleurs, vous dites que vous avez un déficit d’un tiers en matière d’avions de combat et que vous comptez le combler grâce à vos marges de manœuvre sur le MCO. Dans la mesure où le budget 2014 n’est pas supérieur à celui de 2013, je ne vois pas très bien comment vous comptez combler ce déficit. Pouvez-vous nous l’expliquer ?

Général Denis Mercier. Je remercie M. Grouard pour ses propos sur le personnel car j’ai une grande admiration pour nos aviateurs qui font face à d’importantes restructurations tout en continuant à assurer leurs missions opérationnelles avec le plus grand dévouement.

Comment gardons-nous les compétences de nos effectifs ? C’est un vrai sujet de préoccupation pour moi. 2 400 des 7 881 suppressions de postes prévues dans les armées pour 2014 concernent l’armée de l’air. La manœuvre RH est très complexe car lorsque nous supprimons environ 250 postes sur la plateforme aéronautique de Dijon, les personnes existent toujours, il faut gérer la déflation sur l’ensemble des compétences de l’armée de l’air. Par ailleurs nous devons trouver pour chaque aviateur restructuré une solution personnalisée, quel que soit son statut, de carrière ou sous contrat ! C’est de plus en plus difficile car, afin de maintenir des compétences là où elles sont nécessaires, on pourra moins, comme par le passé, tenir compte de toutes les volontés de chacun. Il faudra à l’avenir affecter les personnes qui disposent de certaines qualifications là où on en a vraiment besoin. Mon absence de maîtrise sur les effectifs qui se situent en dehors du budget opérationnel de programme (BOP) Air renforce la difficulté de l’exercice.

Nous n’avons effectivement pas de visibilité sur le calendrier des restructurations post 2014. Il est normal que notre personnel attende ces décisions et je souhaite qu’il puisse en être informé le plus rapidement possible.

On nous demande aujourd’hui de « dépyramider » en diminuant notamment les effectifs des officiers et des sous-officiers les plus gradés. Aujourd’hui, les promotions d’officiers sont ralenties et, si nous devons continuer à recruter en nombre, nous essayons de revoir la gestion des carrières pour qu’à un certain moment, l’officier ou le sous-officier puisse avoir le choix de poursuivre sa carrière dans la défense ou d’exercer ses talents dans le civil dans un souci constant de progression. Il s’agit clairement pour nous de mettre en place un nouveau modèle RH.

Je n’ai pas d’informations récentes sur la coopération entre l’Inde et la Russie au sujet du T-50. L’Inde continue à se doter d’une aviation de combat très forte et ce contrat devrait comporter des transferts de technologie. En tout état de cause, ce projet n’entre pas en compétition avec l’acquisition de Rafale par l’Inde.

Pour répondre à M. Fromion : ce n’est pas tant le MCO qui nous permettra de trouver des marges de manœuvre pour notre aviation de combat et de diminuer le format de l’armée de l’air que la mise en œuvre du principe d’entraînement différencié de nos pilotes précédemment évoqué. En tout cas, je considère que cette diminution du format, nécessaire pour faire augmenter l’activité aérienne, est la dernière avant de changer foncièrement de modèle d’armée et de ne plus remplir l’ensemble des missions qui sont aujourd’hui les nôtres.

Nous disposons, contrairement à d’autres pays qui ont fait le choix de diminuer les heures de vol de leurs pilotes, d’une capacité d’entrée en premier sur un théâtre d’opérations, qui a été démontrée récemment en Libye ou au Mali. Pour cela, il est fondamental que ceux de nos pilotes, de Rafale notamment, qui assurent cette mission d’entrée en premier ne se contentent pas de 120 à 150 heures de vols annuelles mais en fassent 250 heures, dont 70 sur des simulateurs. Cette exigence impose de remonter à 180 heures le niveau d’activité en priorité de ceux qui assurent la mission d’entrée en premier. Il est important de souligner que nous sommes aujourd’hui arrivés à un socle.

M. Jean-Michel Villaumé. Ma question concerne la base aérienne 116 de Luxeuil. Deux escadrons ont disparu en 2010-2011 et le ministre de la Défense a annoncé récemment la dissolution d’un escadron sol-air en 2014. Quel est l’avenir de cette base, sachant qu’elle est passée en moins de dix ans de 1 900 personnes à un peu plus de 1 000 ? L’inquiétude est très forte sur l’avenir de cette base maintenue dans un format réduit.

M. Jean-Yves Le Déaut. Vous avez rappelé l’importance pour notre armée d’acquérir des drones et précisé qu’un certain nombre de nos pilotes étaient actuellement en formation aux États-Unis sur les Reaper. S’agissant des Reaper Block 1, les chaînes de pilotage et de capteur de ces drones sont imbriquées : est-ce que nous pourrons décider en complète autonomie de leurs plans de vol, notamment en zone sahélienne ?

Concernant la nouvelle génération des Reaper Block 5, qui se caractérisent par des chaînes distinctes et une capacité d’atterrissage automatique, avons-nous négocié la francisation de ces appareils ? Le coût de cette francisation est-il intégré dans le coût de 670 millions des douze appareils ? Le délégué général pour l’armement a été très évasif sur cette question. Par ailleurs, est-ce que nous ne risquons pas d’avoir des ennuis sur les certificats de navigabilité de ces appareils, comme les Allemands en ont rencontrés ? Enfin, est-ce que les incertitudes sur nos relations avec les Américains en matière de drones Reaper ne vont pas retarder voire obérer le projet de drone MALE européen ? Ne risque-t-on pas, in fine, de ne voir aboutir aucun de ces deux programmes ?

M. Philippe Vitel. Chacun sait qu’il se passe un délai de vingt à trente ans entre la conception et la mise en service d’un avion de combat et que nos avions actuels ont une durée de vie longue. D’après les industriels rencontrés, nous n’aurions entamé aucune étude amont et recherche et développement autour de nos avions de nouvelle génération – alors que la Russie, l’Inde, la Chine et le Pakistan en seraient déjà à la cinquième génération et que les États-Unis travailleraient même sur la sixième. Quel est votre avis sur ce sujet ? N’y a-t-il pas là un risque de perte d’avantage technologique et même d’éventuel décrochage ?

Général Denis Mercier. Monsieur Villaumé, la base de Luxeuil restera ouverte. Le Livre blanc a prévu de réduire de dix à huit le nombre de systèmes SAMP, et il y a une vraie logique opérationnelle à privilégier les sites nucléaires, d’où la fermeture de l’escadron de défense sol-air de Luxeuil. Luxeuil continuera néanmoins à accueillir à la fois une base aérienne et la base de défense de Luxeuil-Épinal. Nous réfléchissons actuellement aux moyens de densifier cette implantation, pour optimiser l’usage de ses infrastructures dans un cadre interarmées. En tout état de cause, les moyens mis en œuvre pour étendre de 7 000 à 9 000 heures la durée d’activité de nos Mirage 2000-5 constituent un gage de pérennité pour la composante aérienne de cette base, qui constitue en outre une base de déroutement.

Monsieur le Déaut, comme vous le soulignez, la chaîne de pilotage du drone et celle de pilotage des capteurs sont en effet imbriquées dans le Reaper Block 1, mais ces appareils pourront être « rétrofités » à partir de 2017 dans une configuration identique à celle du Reaper Block 5, ce qui permettra la francisation – ou, plutôt, l’européanisation – de ces capteurs. Nous y réfléchissons en effet en lien avec l’Italie, ainsi qu’avec le Royaume-Uni et nous pourrons y associer d’autres pays qui se doteraient du même type de drones. C’est un programme de travail qui comporte trois volets : d’abord, l’autonomie d’emploi des matériels, dans la lignée des enseignements de nos opérations au Sahel. Ensuite, l’intégration dans l’espace aérien européen, selon une démarche dont l’efficacité suppose, à mon sens, d’avancer de manière pragmatique et bilatérale, en débutant par exemple avec nos partenaires italiens. J’ajoute que le fait que nous ayons pu faire voler nos Harfang au-dessus des Champs-Élysées le 14 juillet 2012 démontre que nos capacités en matière d’intégration de drones dépassent à certains égards celles de tous nos partenaires. Enfin, nous pourrons travailler dans le futur à l’intégration de capteurs européens.

L’important pour notre autonomie, dans l’immédiat, était de pouvoir choisir librement le satellite que nous utiliserons pour nos deux premiers Reaper. Ce point essentiel est acquis. Certes, le personnel de maintenance de ces appareils est pour l’instant fourni par les États-Unis, mais il n’aura pas accès aux cabines d’opérateurs sans notre autorisation.

Si elle était décidée, la mise en place d’une véritable chaîne de drone MALE en Europe se projetterait à l’horizon 2023–2025. La constitution d’une telle chaîne, dans son ensemble, représenterait, de mon point de vue, un enjeu important, car elle permettrait de répondre à un besoin sur des marchés extra-européens – pour des pays qui ont de longues frontières à surveiller – sur lesquels, en même temps que nous vendrions des appareils européens, nous ferions partager les standards et les normes européens que nous aurions définis. C’est autant du point de vue des normes que du point de vue des vecteurs qu’il y a une véritable concurrence entre l’espace aérien américain et l’espace aérien européen. Personne ne sous-estime cet enjeu, et pourtant, les projets peinent à être mis en œuvre concrètement : les investissements ne suivent pas la prise de conscience. In fine, il faut savoir si oui ou non, on veut « vendre » des standards européens.

L’achat de drones Reaper ne nous empêche pas de poursuivre ce projet : il nous permet simplement de répondre à un besoin capacitaire immédiat. En effet, nos drones Harfang ne pourront pas raisonnablement être exploités après 2017 : le Reaper constitue ainsi une capacité indispensable dans l’attente d’un hypothétique drone européen.

Monsieur Vitel, la construction d’un nouvel avion de combat constitue un véritable enjeu, mais on ne peut pas dire que celui-ci soit totalement négligé. En effet, on finance d’ores et déjà des études sur un drone européen de combat, qui fera partie du système de combat du futur. À cet égard, je crois qu’il ne faut pas opposer avion de combat et drone de combat : les systèmes de combat du futur seront en réalité des architectures mettant en lien des capteurs – qu’il s’agisse de satellites, de drones, d’appareils embarqués sur des aéronefs ou des navires, etc. - et des vecteurs de toute nature - qu’il s’agisse d’avions, de drones ou de navires – qui attaqueront la menace. L’important est de réfléchir aujourd’hui, à l’échelon européen, à nos systèmes de combat du futur au sein d’une architecture globale où il faudra définir notamment la place de l’homme. Quant au Rafale, s’il fallait le qualifier comme relevant de telle ou telle « génération » d’avions – avec tout ce que cela a d’artificiel –, je dirais volontiers qu’il est par bien des aspects un avion de cinquième génération plutôt que de quatrième génération. On pourrait m’objecter qu’il n’est pas assez furtif, mais je ne crois guère à la pertinence de la furtivité.

Mme la présidente Patricia Adam. L’enjeu que représentent les normes en matière de systèmes de combat aérien ne pourrait-il pas utilement être discuté lors du Conseil européen de décembre prochain ?

M. Guy Chambefort. Le ministre de la Défense a annoncé récemment la fermeture du détachement air de la base de Varennes sur Allier. Les personnels civils et militaires concernés s’en doutaient, dans la mesure où aucun investissement de modernisation n’avait été entrepris sur cette base depuis longtemps. Une polémique est née autour de la date où la décision de fermeture a été réellement arrêtée. Il faudrait peut-être que les intentions des armées concernant l’avenir des bases soient annoncées plus clairement et plus tôt.

M. Nicolas Dhuicq. Vous exercez avec brio un exercice difficile ! Il ne faudrait toutefois pas croire que la réduction du format de nos armées, menée pour des raisons comptables, contribuera au redressement de notre pays : il se retrouvera simplement déclassé militairement, sans en être revigoré économiquement. C’est un cercle délétère que d’écouter seulement les comptables. L’heure est très grave, car on détruit le cœur de la Nation !

Vous souhaitez compenser la casse humaine et le blocage des carrières des officiers par des facilités de reclassement dans le secteur privé. Mais à l’heure où l’État réduit ses commandes aux industries d’armement, les perspectives d’embauches dans ces industries sont-elles vraiment importantes ? On peut en effet s’interroger sur la survie de notre industrie aéronautique à moyen terme.

Par ailleurs, nous avons mené ces dernières années des campagnes sur des théâtres où il n’y avait ni aviation de combat, ni défenses antiaériennes modernes. Mais pour le cas où nous aurions à faire à des adversaires mieux équipés, qu’en est-il de la nouvelle génération de missiles air-air transhorizon ?

Mme Marie Récalde. Je tiens à saluer la réussite de l’exercice mené récemment à Cazaux qui démontre que l’Europe de la Défense avance concrètement.

Il est prévu d’optimiser les dépenses de MCO de l’armée de l’air afin d’accroître l’activité aérienne opérationnelle à partir de 2016, dans le cadre d’un plan élaboré de façon concertée avec la SIMMAD, la DGA et les industriels. L’objectif fixé pour 2016 vous semble-t-il réaliste ? Quelles modifications sont prévues dans la gouvernance du MCO aéronautique pour atteindre cet objectif ?

Général Denis Mercier. S’agissant des restructurations, les armées ont étudié plusieurs plans, mais la décision finale appartient naturellement aux autorités politiques. S’agissant de Varennes sur Allier, nous savions qu’en cas de réduction du format de l’armée de l’air, ce site de stockage constituerait un doublon de celui de Romorantin, ce qui nous a conduits à concentrer les stocks de l’armée de l’air sur ce dernier site.

Monsieur Dhuicq, soyez sûr que ce n’est pas de gaîté de cœur que je conduis la réduction du format de l’armée de l’air ! Mais compte tenu des orientations fixées par le Livre blanc, aux travaux duquel j’ai participé, et des contraintes budgétaires qui pèsent sur nous, nous nous devons de poursuivre une démarche responsable d’adaptation de notre format qui vise avant tout à maintenir la cohérence indispensable de notre outil de défense. Les choix budgétaires sont des choix politiques, et les premières options qui avaient été évoquées, avant d’être heureusement écartées, représentaient de véritables scénarios de rupture. S’agissant de la gestion des ressources humaines, vous avez parlé de « casse humaine », terme qui ne me convient pas. Nous avons besoin de recruter en assez grand nombre des aviateurs et de les former correctement. Je note d’ailleurs que la qualité de nos formations est appréciée au-delà même du milieu militaire : ainsi, l’École de l’air, que j’ai eu l’honneur de commander, a mis en place des partenariats avec des grandes écoles de commerce notamment comme l’école des Hautes études commerciales (HEC) ou avec Sciences-Po Paris, pour partager nos savoir-faire en matière d’apprentissage du leadership, et ce avec un bilan très positif. Les écoles d’ingénieurs pourraient utilement s’inspirer de ces expériences concluantes. Notre projet consiste à la fois à ne pas diminuer la base de notre pyramide, dont la qualité est reconnue, et à offrir à certains de nos officiers de carrière, comme de nos sous-officiers, des moyens d’exercer leurs compétences en dehors des armées dans la dernière partie de leur carrière, et pas seulement dans les industries de défense. Leurs valeurs et leur aptitude au leadership sont appréciées par tous types de grandes entreprises, avec lesquelles nous tissons des liens. Mettre en place ce nouveau modèle de gestion des ressources humaines constitue une mission essentielle pour nous. Nous ne nous séparerons pas brutalement de nos officiers lorsque nous n’aurons plus besoin d’eux. Je souhaite bannir le terme de reconversion et préfère parler de progression, sachant pertinemment que nous ne pouvons pas offrir à tous nos officiers et sous-officiers une progression au sein du secteur de la Défense. Les jeunes officiers le comprennent d’ailleurs très bien, et nous avons pu le vérifier à l’occasion d’expériences que nous avons mises en œuvre, consistant à insérer des officiers prometteurs dans des entreprises partenaires – en dépit d’ailleurs du risque qu’il y a de les voir nous quitter plus tôt que nous ne le souhaitons.

Pour moi, offrir des pécules d’incitation au départ pour les personnels du haut de la pyramide n’est pas une politique d’avenir pour la gestion des ressources humaines. C’est le seul levier dont nous disposons aujourd’hui, mais je crois qu’il est plus intéressant, pour l’État comme pour nos officiers, de leur financer un MBA plutôt qu’un pécule.

S’agissant des missiles air-air, le programme Meteor est en bonne voie, et les évolutions de nos Rafale vers le standard F3R permettent de l’intégrer.

Pour ce qui est des missiles air-sol, je ne crois pas aux missiles électromagnétiques. Cette conception de la guerre aérienne remonte à la guerre du Vietnam. Aujourd’hui, les radars sont dissociés des missiles : notre système de défense doit donc viser à attaquer l’ensemble des systèmes adverses, y compris ses capteurs, par des moyens qui reposent aussi sur des outils de guerre électronique. C’est plus complexe, mais nécessaire.

Madame Récalde, l’exercice de Cazaux a vu treize nations européennes coordonner leurs forces autour d’une mission de récupération de personnes en zone hostile. Il est à noter que ce type d’opération ne fait l’objet d’aucun référentiel de l’OTAN. Les Européens ont ainsi développé une compétence, en créant en juillet dernier un centre européen et en mettant en place des standards d’interopérabilité que reprendra l’OTAN – c’est là une première.

S’agissant de la réorganisation du MCO des forces aériennes, deux propositions sont sur la table. Celle de la DGA, qui propose de reprendre une grande partie des missions de la SIMMAD en faisant valoir son expertise dans la négociation de contrats avec les industriels. Ce n’est pas notre approche car, pour nous, les activités de MCO ne relèvent pas d’une logique de contrats mais d’une logique d’activité, au plus près des forces. On peut certes déléguer le MCO de certaines flottes à la DGA, mais pas celui de toutes nos flottes. Les efforts que nous avons faits depuis un an sur la base de Saint-Dizier nous ont par exemple permis d’améliorer considérablement notre activité à coûts constants : c’est donc flotte par flotte qu’il nous faut examiner ce qui est le plus pertinent en étant au contact des problématiques de terrain.. Il faut aussi rappeler que certains opérateurs industriels du MCO n’ont pas d’activité de construction de matériels aériens : la DGA n’a pas de relation privilégiée avec eux, à la différence de la SIMMAD, dont c’est le métier. Au-delà de cette question qui doit être tranchée d’ici la fin de l’année, il me semble que le plus important est de mettre en place une véritable filière des achats au sein du ministère, au sein de laquelle les acheteurs suivraient des parcours variés, passant par la DGA comme par la SIMMAD. En résumé, il faut travailler non pas projet contre projet mais ensemble avec tous les acteurs du MCO.

Madame la présidente, la question des standards et des normes est un sujet qui me tient à cœur et pourrait certes utilement être étudiée au Conseil européen, mais je crains qu’il ne soit trop tard pour que les membres du Conseil se voient soumettre des projets concrets et suffisamment avancés d’ici le mois de décembre. Néanmoins, des progrès sont possibles : ainsi, à l’instar de ce qui se fait dans l’aviation civile, nous essayons de mettre en place, dans le cadre du soutien de l’A400M, des projets avec les Britanniques, qui nous permettent de développer ensemble des normes communes pour la mise de pièces détachées, avec l’appui de l’Agence européenne de défense (AED). Et si les Européens s’équipent tous des mêmes drones américains, cela peut également constituer une occasion d’harmoniser les normes applicables en la matière. Enfin nous devrions travailler à un « ciel unique » européen qui intègre la dimension militaire

Mme Sylvie Pichot. Merci, Général, pour votre présentation. Compte tenu des évolutions futures de notre modèle d’armée, comment envisagez-vous la cohabitation entre les avions de chasse et les drones de combat ? Ma deuxième question, à laquelle s’associe mon collègue Daniel Boisserie, a trait à la réserve opérationnelle et à la réserve citoyenne. Quels sont les effectifs actuels de la réserve au sein de l’armée de l’air ? Quelle est votre politique de recrutement et d’où viennent les réservistes ? Sont-ils des civils ou d’anciens militaires ? Comment sont-ils mis à contribution ? Participent-ils aux OPEX ?

M. Christophe Guilloteau. Mon Général, je souhaiterais revenir sur l’A400M. Le souhait de la France était d’acquérir au total 50 A400M. Or j’ai ici deux documents qui m’indiquent deux chiffres pour la LPM – l’un 14 et l’autre 15. Quel est le bon chiffre, sachant que, sauf erreur, l’année 2014 doit voir l’acquisition de quatre appareils ? Est-ce que les appareils qui viennent d’être livrés à Orléans s’ajoutent aux quatre avions prévus pour 2014 ? Par ailleurs, dès lors que vous réceptionnerez ces nouveaux avions, à partir de quand comptez-vous vous séparer des anciens équipements, Hercules et Transall ?

M. Joaquim Pueyo. Mon Général, je souhaitais vous poser une question sur l’Europe de la défense, vous y avez déjà partiellement répondu concernant les normes. Je pense qu’il est important que nous aboutissions sur ce dossier si l’on veut imaginer un véritable usage commun de l’A400M et des avions MRTT. Vous avez parlé de ciel militaire unique européen à plusieurs reprises dans votre intervention ; il est important que ce langage soit utilisé au prochain Conseil Européen.

D’après vous, peut-on encore avoir des avancées dans la mutualisation, notamment en matière de formation des pilotes de chasse ? Nous avons déjà une bonne coopération avec la Belgique : peut-on imaginer une coopération plus forte avec le reste de l’Europe ? J’ai été l’auteur, avec mon collègue Yves Fromion, d’une résolution appelant au renforcement de la coopération et de la mutualisation à l’échelle européenne. L’objet de cette résolution était de formuler des propositions qui, je l’espère, seront reprises par le ministre de la Défense au prochain Conseil Européen dans l’optique de faire avancer l’Europe de la défense.

Par ailleurs, j’étais il y a 15 jours à Pau pour une visite auprès des forces spéciales. L’armée de l’air met à disposition du commandement des opérations spéciales (COS) deux hélicoptères Caracal et trois équipages, ces derniers évoluant aux côtés de l’armée de terre au sein du 4régiment d’hélicoptères des forces spéciales. Il est actuellement prévu un regroupement de l’ensemble de la flotte d’hélicoptères Caracal : où en est-on et quelle est votre analyse sur cette question ? L’armée de terre souhaiterait pour sa part un regroupement à Pau, dans un souci de cohérence logistique.

Général Denis Mercier. La cohabitation entre les avions de combat et les drones de surveillance est d’ores et déjà clairement effective. Ainsi, le drone de surveillance Harfang est capable d’éclairer au laser des objectifs au profit de nos avions de combat – c’est ce que nous avons fait pour l’opération Serval. Cette cohabitation existe même entre des équipages éloignés, c’est-à-dire entre des équipages au sol qui pilotent le drone et des équipages de pilotes d’avions de chasse.

Tout cela sera bien plus compliqué avec les drones de combat. La difficulté est en effet qu’aucun pays n’est capable de dire quelles seront les capacités du futur drone de combat et quels seront ses concepts d’emploi. Aujourd’hui, l’industrie produit des prototypes, des démonstrateurs, qui ont ceci pour vertu qu’ils nous permettent de nous ouvrir l’esprit vis-à-vis des capacités qu’offrent les nouvelles technologies. La difficulté vient également du fait qu’à l’horizon 2025, c’est une architecture de combat complète qu’il nous incombe de concevoir, à l’intérieur de laquelle s’intégrera ce futur drone de combat.

Pour votre information, l’armée de l’air compte dans ses rangs un capitaine qui vient d’obtenir un doctorat à Salon-de-Provence, et qui a eu l’idée, dès lors que les drones de combat et les pilotes d’avions de chasse seraient amenés à collaborer ensemble, qu’il faudrait implémenter des « lois humaines » dans la réaction du drone de combat, alors que les drones sont plutôt régis aujourd’hui par des « lois d’ingénieur ». Ce capitaine a fait des évaluations sur une grande quantité de pilotes, et a modélisé avec des algorithmes leurs réactions. Tâche à nous de valoriser ce travail exceptionnel ! Ceci pour vous illustrer le fait que nous avançons progressivement sur tous ces sujets. Une réflexion éthique devra également être menée sur les drones de combat, dès lors qu’il pourrait y avoir autonomie de décision pour donner la mort. Cette problématique éthique est très différente de celle posée par les drones MALE, pour lesquels un pilote reste « dans la boucle » pour prendre lui-même la décision et qui ne diffèrent donc pas fondamentalement des autres systèmes d’armes.

La réserve citoyenne est en quelque sorte une réserve de rayonnement, qui n’a pas d’activité opérationnelle proprement dite. Les trois armées l’appréhendent différemment. L’armée de l’air compte pour sa part de nombreux réservistes issus de la société civile qui viennent de tous horizons – parlementaires, journalistes, industriels… – et qui nous aident à travailler différemment en étant parfois critiques vis-à-vis de nos manières de procéder. Ils nous apportent souvent des idées novatrices : à titre d’exemple, nous sommes en train de réaliser un projet de « base aérienne virtuelle » sur lequel ils ont contribué. En effet, nous nous sommes aperçus que de nombreux aviateurs sont en quête d’une identité propre à leur armée d’origine, notamment ceux qui sont placés dans des structures interarmées. La base aérienne virtuelle est un projet de réseau social de nouvelle génération - existant déjà dans de très grandes entreprises - qui permettra de récréer un sentiment de communauté en rapprochant les aviateurs autour de sujets d’intérêts communs, où qu’ils soient. Cet espace, nous le voulons déhiérarchisé : le caporal pourra échanger directement avec le général au travers de sujets communs.

La réserve opérationnelle de l’armée de l’air compte 4 400 membres et je considère que réviser la manière dont elle est aujourd’hui utilisée doit faire partie de notre projet. Je distingue trois types de réservistes opérationnels : le réserviste qui est utilisé pour le rayonnement de l’armée de l’air et de l’esprit de défense au travers des associations et des cérémonies, le réserviste que l’armée de l’air forme ab initio, destiné à des missions opérationnelles et le réserviste qui est souvent un ancien militaire et qui apporte ponctuellement son concours. Je souhaite personnellement que l’effort se fasse sur les réservistes ab initio. Comme toutes les armées, l’armée de l’air dispense des formations militaires initiales pour les réservistes, mais nous éprouvons des difficultés à fidéliser ceux qui les suivent. Des expériences sur les bases aériennes ont été menées, et l’on s’est aperçu que l’on obtient une bien meilleure fidélisation du réserviste dès lors que l’on lui confie des responsabilités – de formation par exemple – vis-à-vis d’un groupe. On est donc en train d’identifier des fonctions opérationnelles qui nous amèneront à fidéliser non pas un individu mais un groupe.

M. Guilloteau, la question que vous posez sur l’A400 M est celle de la cible finale et de la cible de la LPM. Le ministre l’a réaffirmé à Orléans : la cible finale n’a pas changé, c’est 50 A400M. La cible fixée par le projet de LPM est de 15 A400M, y compris celui que nous possédons déjà et celui supplémentaire que nous aurons cette année. Le calendrier de livraison est le suivant : deux avions cette année, quatre en 2014, quatre en 2015, trois en 2016, et deux en 2017. Nous connaîtrons ensuite quelques années sans livraisons, puis celles-ci reprendront avec une atteinte de la cible finale au-delà des années 2020. Au total, le projet de LPM assure une montée en puissance de 15 premiers appareils.

M. Yves Fromion. Avez-vous déjà des idées concernant les noms de baptême des avions ?

Général Denis Mercier. J’ai choisi de donner un nom de ville à chaque A400 M. Assez naturellement, le premier s’appelle « Ville d’Orléans ». Pour les autres appareils, j’attends les propositions des maires intéressés !

M. Yves Fromion. Nous en ferons !

Général Denis Mercier. Nous pourrions notamment choisir des noms de villes dont la base aérienne a été fermée, afin de maintenir un lien avec les « déserts militaires ».

M. Patricia Adam, présidente. Cela sera utile !

Général Denis Mercier. En effet Mme la Présidente, c’est nécessaire. En tout état de cause, je serais heureux de recevoir des suggestions en ce sens.

J’en viens au remplacement des C160 et C130. Initialement, nous anticipions une livraison plus rapide des A400 M pour remplacer les C160. Comme la montée en puissance des A400 M ne se produira pas aussi rapidement que prévu mais également parce que nous l’avons choisi afin de privilégier d’autres capacités – nous allons garder 14 C160 jusqu’en 2023. Nous garderons également 14 C130 mais, comme le prévoit la LPM, ces C130 seront modernisés ; il s’agira notamment d’une modernisation tactique pour les opérations spéciales.

Sur l’Europe de la défense, nous avons beaucoup de projets sur lesquels nous allons continuer à travailler. Prenons le cas du MRTT. Deux groupes travaillent sur un projet européen à ce sujet : un groupe « acquisitions » et un groupe « soutien, formation, pôle commun ». Nous avons choisi de ne pas participer au groupe « acquisitions » car nous devons à tout prix passer la commande en 2014. Par ailleurs, quant à l’expression des besoins, nous avons des spécificités liées à la dissuasion que l’on peut difficilement partager. En revanche, je suis prêt à mettre le premier MRTT en « pool » avec nos partenaires dès qu’il sera livré. Nous allons travailler avec l’EATC dans ce domaine. En effet, même si l’on commandait 20 A330 de plus au niveau européen, cela ne changerait rien en termes de coûts car Airbus enregistre les commandes des compagnies civiles par centaines d’appareils. En revanche, sur l’emploi commun des matériels, un certain nombre d’actions intéressantes peuvent être envisagées. Il convient de donner des capacités à l’EATC dans ce domaine. Je suis persuadé que si nous commandons effectivement 12 MRTT en 2014, cela aura un effet d’entraînement sur nos partenaires. Nous sommes une des plus fortes armées en Europe et il nous incombe donc de jouer un rôle moteur dans la construction de l’Europe de la défense.

La mutualisation des pilotes de chasse est un projet qui avait bien avancé à une certaine époque. Comme je l’ai précédemment indiqué, si l’on traite ces sujets par le haut, on court le risque que chaque pays avance ses propres idées nationales. Ce projet, Advanced European Jet Pilot Training (AEJPT), comportait deux volets : Euro Training et Euro Trainer.

Euro Training constituait « le syllabus » commun de formation, ce qui faisait tout son intérêt. Euro Trainer concernait les moyens. Certains pays souhaitaient proposer leurs avions dans le projet, d’autres leurs bases aériennes. Les efforts se sont focalisés sur ces sujets accessoires au détriment de l’essentiel, ce qui in fine a fait capoter le projet. Il aurait mieux valu initier les actions par le bas.

Il existe toutefois un projet, porté par l’AED, qui pourrait voir le jour : il concerne la formation des pilotes de transport et, à mon sens, son avenir est plus assuré que le projet de formation commune des pilotes de chasse, pour lequel nous continuerons de travailler avec nos partenaires belges et tous ceux qui souhaiteraient nous rejoindre. Mais à l’heure actuelle, les différentes nations intéressées adoptent, pour ce qui concerne les pilotes de chasse, des positions trop divergentes.

Sur la partie transport, je rappelle que nous allons procéder à une mutualisation de la partie soutien avec les Britanniques, et de la partie formation avec les Allemands. Il y a quelques jours, à Orléans, nous avons signé un arrangement technique avec nos partenaires allemands : ils procéderont à toutes les qualifications de type tandis que nous aurons la charge des qualifications tactiques. Certains journalistes nous ont demandé pourquoi nous n’ouvrions pas cette initiative à d’autres pays. Mais en réalité, elle est ouverte ! Nous allons débuter ce projet à deux partenaires et si cela fonctionne, d’autres nous rejoindront naturellement. En tout état de cause, nous ne pouvions pas attendre de mettre tout le monde d’accord pour lancer une telle initiative. En conclusion, dans ce domaine, je suis persuadé qu’il faut débuter avec des « briques » bilatérales ou trilatérales, et ouvrir progressivement la coopération aux pays intéressés.

Les forces spéciales constituent un vaste sujet et je vous remercie pour votre question ! Deux équipages de l’armée de l’air volent en effet à Pau. Le Livre blanc nous enjoint de faire un effort sur les forces spéciales. Nous avons la chance d’avoir, dans le Sud-Ouest, tous les ingrédients pour que les armées qui concourent aux forces spéciales puissent travailler. On y trouve le régiment d’hélicoptères de combat avec ses Tigre et ses Caracal ; l’escadron Pyrénées qui mène des actions de combat search and rescue et qui pourrait être davantage mis à disposition des opérations spéciales car son savoir-faire – y compris dans le haut du spectre – est à mon sens sous-utilisé ; le CPA 10 et l’escadron Poitou basés à Orléans, le CPA 30 à Bordeaux, etc. Même les marins sont présents, au sein de l’escadron Pyrénées. Nous réfléchissons à l’évolution de l’organisation et l’emploi de nos trois commandos parachutistes de l’air afin de les impliquer davantage aux opérations spéciales. Actuellement, l’escadron Poitou et le CPA 10 sont directement placés sous l’autorité des opérations spéciales. La marine a conservé son commandement propre, ALFUSCO, qui fournit les moyens requis par les opérations spéciales sur demande de celles-ci. Cette méthode me paraît intéressante. Je l’ai d’ailleurs évoquée avec le nouveau commandant du COS, le général de Saint-Quentin. Le but n’est en effet pas de créer une quatrième armée avec les opérations spéciales. Ce qui importe, ce n’est pas le fait d’exercer le commandement direct mais d’avoir une possibilité de « tirage » plus fort sur certaines capacités. Je vais donner à l’escadron de Rafale Normandie-Niemen de Mont-de-Marsan le rôle de « référent opérations spéciales » afin de pouvoir travailler avec les hélicoptères de combat et le 13RDP de Souges. Ils s’habitueront ainsi à travailler ensemble et pourront porter leur expérience aux autres escadrons de chasse, notamment les escadrons Rafale. Je précise par ailleurs qu’ils sont colocalisés avec le Centre d’expériences aériennes militaires. En résumé, on trouve dans le Sud-Ouest tous les outils pour augmenter considérablement la capacité de travail interarmées qui fait la force des opérations spéciales.

C’est dans ce cadre que s’inscrit le rapprochement des Caracal. L’armée de terre souhaiterait les baser à Pau. Personnellement, je préférerais les implanter à Cazaux, qui abrite déjà un escadron interarmées multi-missions. En outre, Eurocopter y est présent et mène des actions de maintenance de niveau soutien industriel. Or même si nos Caracal se retrouvent à Pau, ils devront revenir à Cazaux pour ce type de maintenance. Même si nous avons des points de vue divergents, nous abordons le sujet de façon dépassionnée avec mon homologue de l’armée de terre. La question sera tranchée, mais on peut évoquer au crédit de Cazaux la proximité d’un champ de tir qui permet de décoller et de tirer immédiatement, ou encore une base aérienne avec d’excellentes infrastructures pour les hélicoptères. Toutefois le vrai sujet n’est pas la localisation, mais la manière dont on fait travailler toutes ces unités ensemble. Nous avons des commandants remarquables à la tête de toutes les unités concernées.

M. Damien Meslot. Je souhaiterais revenir sur la base d’Abu Dhabi. Elle est idéalement placée et, manifestement, s’est avérée extrêmement utile en permettant des économies substantielles lors des opérations de désengagement de l’Afghanistan. Pourriez-vous nous apporter des précisions à ce sujet ? Plus généralement, en ce qui concerne les forces prépositionnées, j’ai cru comprendre qu’une réflexion était en cours, tendant à réorganiser l’ensemble de nos implantations. Les forces aériennes seront-elles concernées ?

M. Philippe Meunier. La loi de programmation militaire prévoit une diminution du nombre d’avions, et vous nous annoncez une diminution de la qualification pour 50 de nos pilotes, ce qui va inéluctablement affecter nos capacités. Vous avez évoqué la possibilité d’utiliser des avions « moins perfectionnés » pour intervenir en Afrique. Tout ceci ne remet-il pas en cause le choix fait par notre pays d’acquisition du Rafale multirôles ?

M. Philippe Nauche. Mon général, je vous remercie de nous faire partager vos convictions. Je souhaiterais que vous nous reparliez des processus d’entraînement différencié, que vous défendiez antérieurement à la LPM. S’agit-il d’une pure construction intellectuelle, d’une conviction, ou existe-t-il des retours d’expérience suffisamment concluants pour que vous ayez pu les faire valider dans le cadre de la LPM ?

Général Denis Mercier. M. Meslot, la difficulté à laquelle nous étions confrontés lors de la sortie d’Afghanistan était la quantité de matériel à rapatrier. Différentes voies de sortie ont été imaginées par l’EMA : par avion,  par le train et le bateau via le Pakistan, ce qui s’avérait très compliqué ; par le train via les pays d’Asie centrale et la Russie, etc. Pour finir, la voie la plus sûre et la plus rapide est restée la voie aérienne via le Golfe persique.

La réflexion sur les forces prépositionnées concerne également les forces de souveraineté, même si l’armée de l’air est davantage concernée par les premières. Cette réflexion n’est pas encore aboutie : elle consiste à déterminer si l’on peut réduire les forces pour utiliser davantage de missions de moyenne durée comme aux Émirats arabes unis, où nous avons peu de permanents et beaucoup de personnel tournant. C’est une autre méthode de travail, que l’on étudie pour Djibouti et qui a cours au Tchad depuis longtemps. La difficulté est la suivante : du fait de la réduction du format en France, il sera très difficile d’alimenter différents sites en missions de courte ou moyenne durée.

M. Meunier, il y a certes diminution du nombre d’avions, mais en aucun cas diminution de la qualification des pilotes. Simplement, nous allons les entraîner différemment. Le format de l’aviation de combat air et marine tel que déterminé par le Livre blanc est de 225 avions en parc, soit environ 185 appareils en ligne. Pour la mission la plus exigeante, nous devons en déployer 45, auxquels il faut ajouter les besoins liés à la dissuasion et à la protection du territoire. Certains s’interrogent alors : avez-vous réellement besoin de 225 avions ? La réponse est : oui car il faut tenir compte du nombre d’équipages à entraîner. Si l’on veut mener une opération dans la durée et entraîner suffisamment d’équipages, nous avons besoin de 270 avions, comme dans la précédente LPM. Nous nous sommes interrogés pour savoir si nous pouvions gagner en marge de manœuvre sur ce volet. C’est ce que nous permet le nouveau principe de l’entraînement différencié : dans un format réduit nous pouvons à la fois garantir l’entraînement de nos pilotes et assurer notre capacité à durer dans les opérations. Pour cela notre idée est de constituer deux cercles de pilotes. Le premier comprend les pilotes qui doivent être très bien entraînés sur tout le spectre des opérations. Les équipages du deuxième cercle seront issus de ce premier cercle et seront utilisés pour durer en opérations. Au quotidien ils voleront comme instructeurs sur des avions dont la configuration interne est très proche de celle du Rafale. Les pilotes du deuxième cercle feront aussi une quarantaine d’heures de Rafale, contre 180, et constitueront alors des moniteurs très expérimentés qui pourront aussi assurer la relève en opérations des équipages du premier cercle.

Mon souci est la capacité à durer sur un théâtre. Au Mali, nous avons engagé des équipages Rafale. Entre janvier et début avril, tous avaient été engagés au moins une fois, certains ayant volé plus de 90 heures sur des missions longues. Il me faut donc des pilotes pour durer. Des pilotes qui ont été opérationnels, qui continuent de voler sur Rafale et de s’entraîner régulièrement, peuvent être mobilisés à nouveau sur le terrain en un mois et demi, sur des missions plus simples que celles de l’entrée en premier. Ce faisant, on ne perd pas de capacité opérationnelle. Pour répondre concrètement à votre question : non, ce concept n’a pas encore été expérimenté. Nous avons tout de même les exemples de pilotes de chasse devenus moniteurs et qui, alors qu’ils n’avaient plus volé sur un avion de combat, redevenaient rapidement opérationnels lors de leur retour en unité de combat. Cette idée a beaucoup séduit certains de nos partenaires qui cherchent à la développer également.

M. Philippe Meunier. Je vous entends mon général, mais ce concept ne me semble valable que contre un ennemi « neutralisé », sur des missions simples. Face à un ennemi endurci, bénéficiant d’un matériel de bonne technologie, ce système ne tient plus.

Général Denis Mercier. En effet. C’est la raison pour laquelle ces pilotes ont vocation à intervenir sur un espace aérien maîtrisé. Mais je constate que la maîtrise d’un espace aérien complexe ne se fait jamais seule : elle s’opère toujours en coalition. Par ailleurs cette maîtrise se compte en mois. À l’issue de cette période, nous pourrions utiliser ce second cercle de pilote. Surtout pas au début, je suis d’accord avec vous. Ce concept est cohérent avec la zone géographique qui nous a été déterminée par le Livre blanc.

Est-ce une remise en cause du Rafale ? Au contraire cela ne remet pas en cause l’intérêt du Rafale. Sa polyvalence a été particulièrement précieuse et a été démontrée, quotidiennement, sur les différentes opérations menées ces dernières années. Ce choix est tout à fait pertinent. On a besoin d’un avion de très grande précision, capable de faire des missions de très longue durée, de varier son armement, d’emporter des pods de reconnaissance, etc. Sans le Rafale, nous aurions dû déployer deux fois plus d’appareils. L’avion multi-rôle est pertinent pour l’aviation de combat, même si nous allons conserver un peu plus longtemps des Mirage 2000 qui sont utiles pour des missions complémentaires. Le Mirage 2000D n’a pas la polyvalence du Rafale. On a pu l’utiliser intelligemment au Mali pour un certain nombre de missions mais on ne le verra plus entrer en premier sur un théâtre complexe. Enfin, l’acquisition d’avions plus légers, pour la reconnaissance notamment, est prévue par la LPM.

M. Philippe Folliot. Dans le cadre des précédentes LPM et de la diminution qu’elles prévoyaient déjà, vos prédécesseurs nous ont dit qu’il s’agissait de la dernière. Vous nous dites à votre tour que c’est la dernière, je vous félicite donc d’aller au-delà de la dernière !

Je m’interroge sur l’avenir de l’aviation tactique. Il existe en effet des inquiétudes quant à la livraison de l’A400M, avion exceptionnel, car si l’armée de l’air a des missions qui lui sont propres, elle remplit également des missions pour d’autres armées, dont l’armée de terre. Je pense notamment aux capacités d’entraînement de nos forces parachutistes qui sont souvent bloquées par l’absence d’avion disponible. Pensez-vous que les moyens mis à disposition dans le cadre de la prochaine LPM permettront de remplir le contrat d’objectif de l’armée de terre en matière d’entraînement, notamment pour la 11e brigade parachutiste ?

M. Olivier Audibert Troin. Je vous remercie pour votre exposé très complet. J’observe toutefois que vous avez été plus prolixe dans vos propos liminaires quant à la déflation des effectifs que dans les réponses aux questions qui vous ont été posées à ce sujet. Les restructurations que vous avez évoquées sont des décisions politiques et nous n’attendons certes pas de vous que vous nous présentiez un plan complet de restructurations. Néanmoins, nous sommes la représentation nationale, le lien armée-Nation, et si nous ne siégeons pas dans les organismes de concertation tels que le conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM), nous allons débattre de cette LPM pour laquelle nous avons besoin de précisions. Vous avez indiqué que vous ne pouviez pas procéder à la déflation demandée de 4 000 hommes sans plans de restructuration, êtes-vous en mesure de nous indiquer approximativement quelle en sera la répartition ?

M. Alain Moyne-Bressand. Les restructurations et les diminutions de personnels posent des problèmes humains. Existe-t-il des organes de dialogue qui permettent aux militaires de mieux comprendre la situation et de nourrir une espérance au sein de l’armée et de l’aviation en particulier ?

Général Denis Mercier. J’espère aussi que cette diminution sera la dernière ! Il n’y a toutefois pas que des diminutions, le nombre de drones va augmenter par exemple, ce dont je me félicite. En revanche, à mon sens, un socle est atteint pour l’aviation de combat. Il doit permettre de conserver une capacité opérationnelle réelle parallèlement à la montée en puissance du Rafale et de ses évolutions, dont le radar à antenne active qui équipe les deux appareils de série récemment réceptionnés et qui ouvre de grandes possibilités. L’aviation de combat aura été diminuée environ de moitié en deux LPM et il n’est pas possible d’aller plus loin sans un déclassement total vis-à-vis de nos homologues européens et de nos capacités actuelles. L’aviation de combat est en effet une capacité utile qui a été de toutes les opérations récentes.

Vous avez raison pour ce qui concerne le transport tactique. Il souffre d’un déficit que la LPM commence à combler sans toutefois nous permettre d’atteindre le niveau requis pour remplir nos contrats opérationnels, en dépit des qualités de l’A400M, qui est bien supérieur au C160. Les parachutistes du général Ract-Madoux, qui me pose la question régulièrement, devront attendre 2014 pour sauter de l’A400M. C’est pourquoi nous disposons de vingt-sept Casa, dont huit ont été acquis lors de la précédente LPM. Il s’agit d’un appareil plus petit que le C160 qui nous permet de remplir des missions variées. Mais je souhaite être en mesure de faire sauter nos camarades de l’armée de terre de l’A400M le plus vite possible. L’aviation de transport tactique, dont la capacité s’améliore lentement, restera déficitaire de nombreuses années encore au regard des missions qui nous sont dévolues.

Chaque armée a une structure différente. L’armée de l’air ne peut pas diminuer ses effectifs sans restructurations qui doivent faire l’objet d’une validation par le pouvoir politique qui prend en compte d’autres critères comme l’aménagement du territoire. Lorsque certaines de nos propositions ne sont pas acceptées, les effectifs correspondants doivent alors être défalqués des diminutions prévues.

La répartition des diminutions d’effectifs va s’échelonner, si les restructurations sont acceptées, sur les cinq ans à venir. Nous recrutions autrefois 4 000 personnes par an pour autant de départs mais nous avons limité le nombre de recrutement à 2 000 au cours des cinq dernières années. L’armée de l’air est une armée de sous-officiers qui compte environ 52 % de sous-officiers, 13 % d’officiers, 11 % de civils et 24 % de militaires du rang. Cette répartition est appelée à rester relativement stable avec une diminution du nombre d’officiers.

La communication avec le personnel est essentielle et cela représente pour moi une priorité à laquelle je consacre beaucoup de temps. En dehors des structures syndicales classiques pour le personnel civil, nous disposons de trois structures pour le personnel militaire : participation, représentation et concertation. Il existe au sein des bases aériennes des structures participatives pour quasiment tous les sujets. De plus, chaque catégorie de personnel dispose d’un représentant élu par ses pairs qui assure cette fonction en plus de son travail (certaines bases importantes ont professionnalisé cette fonction). De mon côté, j’ai, au niveau de l’état-major, un représentant officiers, un représentant sous-officiers, un représentant militaire du rang, qui travaillent au sein de mon cabinet et sont en lien avec les représentants élus afin de faire remonter les sujets directement. S’ajoutent à ce dispositif les conseils de la fonction militaire d’armée (CFM) dont sont issus les membres du conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM) qui s’adressent au ministre.

Les représentants de catégorie se réunissent durant une semaine tous les semestres afin d’évoquer les problèmes qui se posent. D’ailleurs, je tiens à rencontrer systématiquement les représentants de catégorie lorsque je me rends dans une base aérienne, ce que je fais environ une fois par mois. Je vois également les membres du CFM air tous les six mois. Mais au-delà de cela, j’organise régulièrement un repas auquel je convie tour à tour dix personnes, représentants du CFM air ou représentants de catégorie, issues des différentes bases. Au cours de ces déjeuners, la parole est libre, mes réponses sont franches et peuvent être répercutées sans filtre. Ce retour direct est très important pour moi car, dans notre système, les chefs sont pour ainsi dire les représentants syndicaux de notre personnel et il est très important de jouer ce rôle-là pour maintenir une proximité. Ce sont pour moi des moments privilégiés, au cours desquels peuvent s’exprimer des refus argumentés, des adhésions, des idées, comme ce fut le cas aujourd’hui lorsqu’un major m’a dit, à juste titre, que sa catégorie avait été négligée. Un groupe de travail sera donc consacré à cette question.

*

* *

Ÿ M. l’amiral Bernard Rogel, chef d’état-major de la marine (mercredi 9 octobre 2013)

Mme la présidente Patricia Adam. Nous avons aujourd’hui le plaisir d’accueillir l’amiral Bernard Rogel, chef d’état-major de la marine, sur le projet de loi de programmation militaire et le projet de loi de finances pour 2014.

Amiral Bernard Rogel, chef d’état-major de la marine. Je suis heureux de venir débattre à l’Assemblée nationale de ces deux projets de loi. Cette année a été riche en réflexions et orientations pour la défense et il me paraît nécessaire de pouvoir vous donner mon point de vue pour la marine.

Avant de les évoquer, je souhaiterais replacer la discussion dans le contexte opérationnel, puisque la réussite des opérations qui nous sont confiées constitue bien la finalité de notre action. Nos missions ne se limitent pas aux opérations extérieures (OPEX), les plus visibles et les plus médiatiques, qui ne sont que la face émergée de l’iceberg constitué par l’ensemble de nos activités. Elles reposent sur un trépied : les opérations permanentes, les OPEX et l’action de l’État en mer.

S’agissant des opérations permanentes, qui constituent le premier pied, citons tout d’abord la permanence de la dissuasion : cela fait plus de quarante ans que la force océanique stratégique assure la partie navale de la dissuasion nucléaire, qui garantit la défense de nos intérêts vitaux. Nos sous-marins sont également soutenus par un dispositif global aéromaritime constitué de frégates et leurs hélicoptères, d’avions de patrouille maritime et de dispositifs de sûreté contre les mines et les malveillances à partir de la mer ou de la terre. Les déploiements de nos bâtiments constituent un autre volet de nos missions permanentes dans le cadre de la fonction stratégique « connaissance et anticipation ». Ils nous confèrent, outre la capacité d’entretien de la connaissance de nos zones d’intérêt, une réactivité toujours appréciée pour intervenir dans des délais courts à tout évènement. Cela a permis, par exemple, à la frégate Latouche-Tréville de s’interposer lors de la prise en otage du pétrolier MT-Adour, dans le golfe de Guinée en juin dernier. Nous sommes également présents en Méditerranée orientale où nous entretenons depuis plus de deux ans une permanence de bâtiments qui alimentent nos renseignements, en mer comme sur terre : les capacités d’interception électromagnétiques, les radars et les systèmes d’écoute nous informent de la situation aérienne au-dessus de la Syrie. Le Chevalier Paul, frégate de défense aérienne, remplit actuellement cette mission et si nous y associons une autre frégate en mer Rouge, nous pouvons couvrir tout le Proche et Moyen-Orient. Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale a promu le principe de différenciation, qui a été bien appliqué dans cette région puisque la frégate légère furtive Aconit a été remplacée par une frégate de défense aérienne plus armée lorsque la crise syrienne s’est intensifiée. Les patrouilles dans notre immense zone économique exclusive (ZEE) se révèlent également fructueuses : ainsi, le mois dernier, la frégate de surveillance Nivôse a intercepté un bâtiment singapourien, le Pacific Falcon, qui menait sans autorisation des recherches pétrolières dans notre ZEE du canal du Mozambique.

Dans le domaine des OPEX, qui constitue le deuxième pied, la marine a pris part à l’opération Serval au Mali. Au début de la crise, cinq avions Atlantique 2 ont ainsi été déployés au Niger et ont recueilli 80 % du renseignement aérien de l’opération au cours de la période cruciale des premiers jours. Ils ont également été mis à contribution pour guider les troupes au sol et pour bombarder, ce qui constitue une première dans l’histoire de ces avions. Serval a démontré à nouveau, après l’opération Harmattan conduite en Libye, la capacité des armées françaises à s’intégrer et à offrir une boîte à outils complète à la disposition du chef d’état-major des armées. J’insiste sur ce point, car cette faculté de réaction et d’intégration interarmées est presque unique dans le monde. Les commandos de marine ont participé à l’opération Serval et se trouvaient parmi les éléments du commandement des opérations spéciales (COS) sur le terrain lorsque les djihadistes ont attaqué. Un bâtiment a également assuré la projection de nos camarades de l’armée de terre, de même que des frégates ont protégé le flux de matériel militaire affrété. Je souhaiterais également rappeler nos actions au large de la Libye, de la Côte d’Ivoire et, en 2006, l’évacuation de 13 000 ressortissants français et européens du Liban. Cela montre que nous ne pouvons jamais anticiper, au moment de l’adoption d’une LPM, les OPEX qui pourront se dérouler au cours de la période couverte par la loi. Enfin, l’opération de lutte contre la piraterie Atalanta est un succès, puisque plus aucune attaque n’a réussi depuis un an, ce qui a permis au chef d’état-major des armées de suspendre la participation de frégates à cette mission.

Notre participation à l’action de l’État en mer, qui constitue le troisième pied, est, comme les opérations permanentes, continue et souvent ignorée ; nous sauvons chaque année près de 200 vies ; nous neutralisons 2 000 engins explosifs le long de nos côtes – sachant que seulement 20 % de ceux se trouvant près de nos rives ont été remontés à ce jour et que nous devrons intensifier notre effort avec l’arrivée des parcs éoliens en mer – ; nous déroutons chaque année une quarantaine de pêcheurs en infraction et contrôlons plus de 7 000 navires par an, soit 20 navires par jour sur tous les océans. Nous obtenons des résultats spectaculaires dans le domaine de la lutte contre le narcotrafic : nous avons réalisé, il y a quelques semaines, une prise importante en mer Méditerranée en interceptant le Luna-S chargé de 22 tonnes de résine de cannabis et nous avons intercepté 500 kilogrammes de cocaïne aux Antilles. Lors des deux dernières années, la marine nationale, aidée par les services des douanes, a ainsi saisi l’énorme quantité de 35 tonnes de drogue.

Tel est le quotidien des marins. Tels sont les résultats opérationnels que nous obtenons. Je vous propose de vous donner désormais mon appréciation sur les orientations du Livre blanc, sur le projet de loi de programmation militaire et sur le projet de loi de finances pour 2014. J’avais appelé la rédaction du Livre blanc de mes vœux, car celui de la précédente période – rédigé en 2008 – commençait à s’écarter de manière trop importante de la réalité budgétaire quotidienne. Il était donc important d’aligner les ambitions de notre pays et les missions qu’il souhaite assurer sur ses capacités budgétaires. Ce travail long et difficile a débouché sur le meilleur compromis possible. La LPM et le projet de loi de finances déclinent de manière cohérente le Livre blanc et cette démarche de cohérence constitue la principale vertu de ces textes.

Le Livre blanc offre une feuille de route – à l’horizon 2025 – qui nous permet d’assurer l’autonomie stratégique de notre pays et de participer à l’effort de désendettement de l’État. Il était important de conserver l’ensemble de la palette de nos missions, décision adaptée aux enjeux auxquels nous devons faire face aujourd’hui – notamment dans le domaine maritime – et aux retours d’expérience opérationnels. Le Livre blanc impose le resserrement du format. Celui-ci est consenti et mesuré à l’aune des économies recherchées : la marine perdra 25 % de sa capacité en gros bâtiments amphibies, 25 % de ses pétroliers ravitailleurs et près de 20 % de ses frégates ; elle n’est donc ni favorisée ni épargnée par les économies. Ce resserrement de format s’inscrit – comme celui des autres armées – dans le cadre des orientations définies par le Livre blanc et dans la logique des principes de différenciation et de mutualisation. La différenciation consiste à réserver les moyens lourds pour les crises de haute intensité et à utiliser des équipements plus légers pour assurer les missions de sécurité ; la marine la mettait déjà en œuvre en mobilisant des moyens proportionnés aux missions et aux niveaux de menace, comme les frégates de premier rang et l’aviation de patrouille maritime pour les crises importantes et les frégates de surveillance, patrouilleurs et aviation de surveillance maritime pour l’action de l’État en mer. Nous pratiquions également déjà la mutualisation : ainsi, au plus fort de l’opération Harmattan, nous avons dû suspendre temporairement la participation d’avions de patrouille maritime à l’opération Atalanta ainsi qu’une partie de nos missions permanentes assurées par nos sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) ; par ailleurs, nous avons réduit notre présence dans des opérations comme celles de l’agence Frontex. Pendant l’opération Serval, nous avons dû retarder la formation initiale des équipages des avions Atlantique 2. En outre, au plus fort de la crise syrienne, nous avons allégé le dispositif Atalanta puisque la frégate Aconit est restée en Méditerranée orientale. La réduction de notre format accroîtra le recours à la mutualisation et le chef d’état-major des armées devra effectuer des choix entre les missions. Le Livre blanc nous impose de n’assurer de permanence que dans deux zones et non plus dans trois – golfe de Guinée, océan Indien et mer Méditerranée orientale.

Ces textes sont également cohérents avec la précédente LPM, qui avait repoussé au-delà de 2014 la modernisation des équipements aéromaritimes, à savoir le renouvellement de nombreux équipements de la marine – frégates, SNA, avions Atlantique, hélicoptères légers et pétroliers ravitailleurs. Cette modernisation est désormais lancée. Les nouvelles frégates multi-missions (FREMM) et les hélicoptères Caïman vont remplacer des équipements dont l’âge moyen est de trente-quatre ans, ce qui est énorme ; la deuxième FREMM sera livrée en 2014, ainsi que trois nouveaux hélicoptères NH90. Le premier sous-marin Barracuda remplacera, en 2017, le SNA Rubis qui aura servi trente-huit ans au moment de sa relève. Enfin, soixante missiles de croisière navals seront livrés l’année prochaine et équiperont la FREMM Normandie : ils marqueront un tournant pour la défense de notre pays, car ils permettront de faire peser une menace directe et instantanée maintenable dans la durée.

La cohérence – définie par le Livre blanc, déclinée par le projet de LPM et confirmée par le PLF – réside en outre dans la priorité donnée aux dépenses finançant les activités opérationnelles. En effet, ainsi que je vous l’indiquais, une grande part de notre activité est dédiée aux missions permanentes. Toute réduction d’activité aurait une répercussion directe sur leurs résultats. En outre, cette activité est indispensable pour garantir le maintien du savoir-faire des équipages sur des systèmes complexes tels que des centrales nucléaires, des centres de défense aérienne, des missiles balistiques, ou des catapultages d’avion de chasse.

Le Livre blanc l’indique, le projet de LPM le décline, le projet de loi de finance le confirme : les crédits d’entretien programmé du matériel constituent une priorité forte, et c’est essentiel.

Cette cohérence est donc décidée, actée, déclinée pour cette première annuité. Il est nécessaire désormais qu’elle soit tenue dans la durée en évitant trois écueils.

Le premier consisterait à accepter une exécution annuelle non rigoureusement conforme à la programmation de la LPM, en particulier pour les livraisons d’équipements. Le Livre blanc s’efforce de nous faire franchir le creux budgétaire actuel tout en maintenant une marine en état de remplir toutes ses missions à l’horizon 2025. Cela a induit l’étalement des programmes, mais cette politique atteint aujourd’hui ses limites et l’application des programmes doit maintenant s’exécuter au jour près. Quant à l’âge des équipements, il nous place sous la menace de ruptures capacitaires, comme nous en avons connu avec les Super Frelons, que nous avons dû arrêter avant même l’arrivée des NH90. Nous avons accepté des réductions temporaires de capacités, notamment pour les patrouilleurs outre-mer : alors qu’ils devraient être au nombre de neuf, ils sont actuellement six et ne seront plus que cinq à la fin de la période couverte par la LPM ; leur relève ne débutera qu’en 2024 par le programme BATSIMAR qui devait initialement commencer en 2017. Par ailleurs, nous avons abandonné le programme des bâtiments d’intervention et de souveraineté (BIS) qui devaient remplacer les bâtiments de transport légers (BATRAL), mais nous compensons ce renoncement par l’arrivée des bâtiments multi-missions (B2M) à partir de 2015 et de 2016. Les bâtiments de soutien et d’assistance hauturiers (BSAH) devront impérativement arriver en 2017, sinon nous aurons à gérer une rupture franche ; ces bâtiments remplacent l’ensemble des équipements de soutien et de remorquage, et ils représentent les seuls moyens anti-pollution de la marine. La moitié des hélicoptères Alouette III s’arrêteront de voler avant la fin de la période de la LPM, mais ils ne seront pas remplacés avant 2030. Tout nouveau décalage de programmes neufs se traduirait par des réductions de capacités et la perte de missions.

J’en viens maintenant au budget opérationnel de programme (BOP) « Marine ». Celui-ci se décompose en trois grands agrégats : la dissuasion, l’entretien programmé du matériel et le fonctionnement global. Toute difficulté budgétaire – hors la dissuasion qui est sanctuarisée – est absorbée par l’entretien programmé du matériel (EPM) ou par le fonctionnement ; cela implique de pouvoir procéder à des ajustements par transferts de crédits, c’est-à-dire de jouer sur la fongibilité entre lignes budgétaires. Mais, je tiens à le répéter : toute encoche budgétaire supplémentaire aura des conséquences sur le fonctionnement de la marine.

Un effort est consenti pour maintenir en 2014 et en 2015 l’activité des forces à son niveau de 2013, celui-ci se situant 15 % au-dessous des normes. Cela permettra de passer ces deux années difficiles sans casser l’outil, mais l’objectif est bien de remonter dès les années 2016-2017 au niveau d’activité normal.

En matière d’activité opérationnelle en général, c’est-à-dire pour tout ce qui concerne l’alimentation, les externalisations des plastrons utilisés pour l’entraînement – je rappelle que la formation de nos pilotes d’hélicoptère à la mer est assurée par un bateau britannique civil à Brest – et les affrètements opérés par l’Abeille Flandre, l’Abeille Bourbon, l’Abeille Languedoc et l’Abeille Liberté, les enveloppes sont correctement dotées en 2014.

Le programme des équipements d’accompagnement – matériel de sécurité, aussières, véhicules spécifiques, outillage, matière première des ateliers, munitions – a bénéficié d’un abondement qui lui permet de retrouver le niveau de ressources de 2012, mais qui reste inférieur au besoin. La diminution de 2013 a conduit par ailleurs à puiser dans les stocks, lesquels ne seront pas reconstitués.

Les crédits de fonctionnement courant – dépenses qui regroupent principalement les frais de formation et de mutation – seront réduits cette année à nouveau de 7 %. Cela me préoccupe, car nous avons déjà pris des mesures pour prolonger les affectations de certains marins et nous sommes arrivés à un plancher pour les frais de mutation et de formation. Il nous faudra de la souplesse dans la gestion des crédits pour pouvoir utiliser l’instrument de la fongibilité au sein du BOP. En effet, la marine est constituée de nombreuses populations de faible effectif, car le fonctionnement d’un bateau exige la présence de compétences très diverses ; dans un sous-marin nucléaire lanceur d’engins (SNLE), il faut ainsi des spécialistes de lancement de fusée, de centrale nucléaire, de la vie sous-marine et de la lutte anti-sous-marine. Deux ou trois officiers d’appontage sont affectés au porte-avions Charles-de-Gaulle et toute la campagne Harmattan s’est déroulée avec un seul de ces officiers, l’autre se trouvant en formation. Cette micro-gestion de micro-populations exige une grande vigilance.

Ainsi, compte tenu du format de la marine, tous les postes budgétaires contribuent directement à l’efficacité opérationnelle de la marine. Toute tension sur l’un d’eux exige un rééquilibrage qui affecte l’ensemble.

Le deuxième écueil consisterait à répartir de manière aveugle les diminutions d’effectifs. La LPM qui s’achève impose à la défense de supprimer 10 000 postes par rapport à ce qui a été déjà opéré : la marine perdra ainsi 650 postes en 2014 – dont 88 officiers – dans le cadre de la contraction en pente douce qu’elle a choisie pour arriver au chiffre de 6 000 – supérieur à celui de 4 000 décidé dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP). La nouvelle LPM prévoit une disparition de 23 500 postes, dont 8 000 dans les forces – dans ce quota, 1 300 proviendront de la marine, ce chiffre étant absorbé par le resserrement de format –, 1 100 dans les forces prépositionnées ou de souveraineté – la marine est peu concernée – et 14 400 dans le hors forces. Pour cette dernière partie, une analyse fonctionnelle poussée, que j’avais appelée de mes vœux, est conduite afin que ce soient les doublons et les modèles non vertueux qui alimentent les réductions d’effectif. Nous devons être vigilants et pratiquer la micro-gestion, car, pour la marine s’il manque un seul spécialiste dans un bâtiment, celui-ci peut être contraint de s’arrêter.

Le dernier écueil réside dans le danger de devoir faire face à des discontinuités à l’intérieur de chaque annuité. La difficulté se concentre souvent dans la gestion de la fin de l’exercice. Ainsi, nous attendons toujours la levée de la réserve de précaution, du surgel et des crédits attendus au titre des OPEX, qui représentent 15 % des ressources attendues par la marine, soit deux mois de fonctionnement. Si cette levée n’intervient pas, nous nous trouverons en cessation de paiement à la fin du mois d’octobre. Cette situation se répète chaque année et elle est de plus en plus délicate à gérer au fur et à mesure que les ressources diminuent.

Pour conclure, je voudrais insister sur le fait que nous entrons dans une nouvelle ère : ne regardons plus vers le passé, car le Livre blanc a permis de fixer des règles claires pour l’avenir. Mais nous sommes dans une période de gros temps budgétaire et nous agissons en marins : nous réduisons la voilure en resserrant le format ; nous suivons le cap défini par la LPM qui a fidèlement retranscrit le Livre blanc et nous barrons de manière stable. Il est désormais nécessaire de suivre ce cap de la manière la plus stable possible, car tout écart ou tout mouvement brusque se paye immédiatement sur la route suivie ou par des dommages irréparables sur le navire.

Les marins ne renonceront pas, car ils n’ont pas l’habitude de renoncer. C’est même leur première qualité. Mais nous faisons partie du même équipage. Si vous pouvez compter sur les marins, eux doivent pouvoir compter sur vous pour que la loi soit appliquée sans être remise en cause dans son exécution, y compris dans la durée. Dans cette tâche, nous aurons donc besoin de votre appui, mesdames, messieurs les députés.

Mme la présidente Patricia Adam. Nous vous remercions, amiral, et nous essaierons de vous aider à tenir la barre.

M. Gilbert Le Bris. À quelle hauteur la marine, armée la moins dotée en personnels et qui a déjà consenti des efforts importants en la matière, contribuera-t-elle à la diminution des effectifs ? Quel impact ce mouvement aura-t-il sur les micro-populations que vous avez évoquées – spécialistes du nucléaire ou de l’appontage sur porte-avions – et avez-vous déjà identifié des sources de tension ?

La France est un grand pays maritime qui s’ignore ; cet atout mériterait une action sur un temps long, comme nous avons su le faire jadis pour le nucléaire et le spatial. La marine a pour mission de protéger cette richesse, et nos forces de souveraineté déployées outre-mer remplissent toutes les fonctions stratégiques – à l’exception de la dissuasion ; elles maintiennent notre souveraineté dans les ZEE, et vous avez mentionné à ce titre, Amiral, la récente action de la frégate Nivôse. C’est dans ce même esprit que M. Philippe Folliot et moi-même militons pour une souveraineté sur l’île Tromelin qui ne soit pas amputée par un accord avec l’île Maurice. La perspective du programme BATSIMAR étant lointaine et les B2M et BSAH n’étant pas encore disponibles, ne risquons-nous pas une rupture capacitaire lourde ?

Enfin, dans le contexte de la tragédie de Lampedusa, menons-nous des opérations de secours en mer pour les migrants ? Au-delà de notre action dans Frontex, sommes-nous aidés par les autres pays européens ?

M. Alain Marty. N’avez-vous pas le sentiment que notre marine est engagée dans une phase de déclassement ? En 2007, nous disposions de 17 frégates de classe Aquitaine, deux frégates Forbin et cinq frégates La Fayette, ces 24 navires nous plaçant au niveau actuel de la marine indienne. En 2013, nous n’avons plus que 15 frégates : est-ce suffisant pour assurer la sécurité du groupe aéronaval, des SNLE, et pour accompagner un groupe amphibie ?

M. Philippe Vitel. Je nourris beaucoup de doutes quant à l’avenir de notre marine. Nous avons rédigé un rapport en 2012 avec Mme Patricia Adam sur l’action de l’État en mer, ces missions non militaires étant capitales pour la protection de nos compatriotes et pour la défense de notre souveraineté. Nous y soulignions le début d’une rupture capacitaire ; or aucun calendrier ferme n’a été établi depuis lors pour le remplacement des bâtiments. Nous en sommes réduits à requalifier des bateaux que nous nous sommes appropriés dans le cadre de la lutte contre la drogue ou la piraterie. Cela ne fait pas une politique et nous ne croyons plus en notre capacité à assurer toutes les missions.

Où en est-on du MCO des SNA ? La LPM prévoit la livraison d’un seul Barracuda, ce qui implique que certains éléments de la classe Rubis seront prolongés jusqu’à 2030, date de l’arrivée du sixième Barracuda. Le MCO - indisponibilités pour entretien et réparation (IPER) comprises – est assuré à Toulon ; on évoque de placer les IPER des Barracuda à l’île Longue. Les habitants de ma circonscription dans le Var et les industriels se posent des questions : pouvez-vous leur donner des éléments tangibles pour calmer leurs inquiétudes ?

Amiral Bernard Rogel. Monsieur Le Bris, nous savons que nous devons supprimer 650 postes pour atteindre notre cible de 6 000 postes imposée par la précédente LPM ; ces 650 emplois sont presque tous identifiés et nous devons encore désigner une vingtaine de postes d’officiers. En outre, à part les 1 300 postes qui concernent les forces et qui sont la conséquence mécanique de la réduction des formats et du changement du type d’équipage des nouvelles frégates, qui passe de 300 à un peu plus de 100 personnes – cette réduction s’accompagnant d’un accroissement de la technicité qui peut constituer une difficulté, et il faut rester vigilant pour conserver les compétences liées aux vieux bateaux qui vont nous aider à passer la période de l’étalement des programmes –, la marine devra participer à la compression des 14 400 postes qui doit être réalisée sur l’ensemble des structures du ministère. À quelle hauteur ? Je l’ignore, l’analyse fonctionnelle demandée par le ministre de la Défense étant en cours. La réduction de 24 000 postes répond à la nécessité d’équilibrer les équipements, l’activité et les effectifs dans un cadre budgétaire donné. J’ai fait le tour des ports pour expliquer le Livre blanc, la LPM et le PLF à mes troupes et pour leur montrer le cap, et, à cette occasion, j’ai exposé les deux moyens permettant parvenir à cette diminution des effectifs :

– le resserrement du recrutement – celui des officiers doit déjà baisser de 19 % –, qui ne doit pas être trop strict, car le vieillissement global de la population des marins augmenterait le glissement vieillissement technicité (GVT) et ne permettrait pas d’atteindre le but poursuivi alors que la marine parvient chaque année à équilibrer son titre 2 ;

–  les mesures d’accompagnement – pécule, promotion fonctionnelle – afin d’inciter au départ plutôt les officiers supérieurs pour écrêter le sommet de la pyramide de notre masse salariale et encore mieux contrôler notre titre 2 – mais ces départs doivent être contrôlés, car nous avons besoin des compétences de spécialistes qui trouvent, pour 75 % d’entre eux, du travail en moins d’un an quand ils nous quittent.

Nous voyons aujourd’hui toute l’importance de notre ZEE et l’on assiste d’ailleurs à une « territorialisation » de la mer qui tranche avec l’effacement des frontières terrestres. Ainsi, par exemple, la découverte de gisements gaziers en Méditerranée orientale attise des tensions entre les pays riverains – Chypre, Grèce, Turquie, Israël, Syrie, Liban et Égypte. Nous ne pourrons pas surveiller en permanence l’ensemble de notre ZEE qui représente plus de vingt fois le territoire métropolitain, mais nous tâchons de la contrôler au mieux, notamment pour éviter que d’autres viennent y exploiter ses richesses. Je vous avais déjà annoncé, il y a deux ans, des réductions temporaires de capacité pour les moyens en outre-mer : elles subsistent, mais les B2M – bâtiments de soutien civil qui embarqueront des armes légères – remplaceront les BATRAL, qui devaient être remplacés par le programme BIS, et les patrouilleurs continueront d’être exploités avec le risque de rupture franche. Le report de 2017 à 2024 du déploiement du programme BATSIMAR nous fait courir un vrai risque.

Au moment du naufrage de Lampedusa, la marine intervenait dans le cadre de Frontex dans l’ouest de la Méditerranée en mer d’Alboran et trouvait des migrants dans des conditions difficiles – de nombreuses personnes dans des canots pneumatiques –, avant de les remettre aux autorités algériennes. C’est hélas très courant en mer Méditerranée et, sans notre présence, des drames comme celui de Lampedusa peuvent se reproduire fréquemment.

Monsieur Marty, je ne peux en effet que constater la diminution du nombre de frégates de 24 à 15, mais la dernière LPM prévoyait 18 frégates dont cinq n’étaient pas vraiment de premier rang – frégates furtives La Fayette qui ne disposent pas de sonar et dont la capacité de défense aérienne est limitée ; nous avons d’ailleurs retiré l’une d’elle lorsque la tension s’est accrue au large de la Syrie pour la remplacer par une frégate de premier rang, le Chevalier Paul. Disposera-t-on d’une marine cohérente et capable d’assurer ses missions à l’horizon de 2025 ? La réponse est positive et nous conserverons l’une des armées les plus performantes d’Europe. Est-ce suffisant ? Tout chef d’état-major vous demandera toujours davantage pour accroître ses chances de réussir, mais, en l’occurrence, ce n’est pas réaliste compte tenu de la situation budgétaire que nous subissons. Le Livre blanc nous permettra de ne perdre aucune de nos grandes capacités et d’arriver dans de bonnes conditions dans des eaux plus calmes en 2025 afin d’être en mesure de remonter en puissance. Nous avons pris certains risques – le vieillissement des frégates notamment – et s’il est vrai que si nous restons bien placés en Europe, des pays comme la Chine, l’Inde, le Brésil et la Russie augmentent fortement leurs capacités.

Les huit BSAH remplaceront les remorqueurs du type du Tenace, les bâtiments de soutien régionaux et, dans une certaine mesure, les bâtiments actuellement affectés à la lutte contre la pollution : j’espère que ce programme très important aboutira rapidement, car, dans le cas contraire, la rupture capacitaire franche sera inévitable en 2017.

Monsieur Vitel, je ne peux vous répondre sur les arrêts techniques majeurs des SNA puisqu’un groupe de travail étudie actuellement cette question ; ses conclusions sont attendues avant la fin de l’année. Il s’agit d’un sujet complexe, car il touche l’infrastructure des ports et il convient de trouver le bon lieu pour effectuer les entretiens de longue durée. Les facteurs déterminant de choix seront financiers et la décision n’est pas arrêtée aujourd’hui : quel serait le coût des travaux à réaliser à Brest ? Quel serait l’impact humain du transfert de cette tâche de Toulon à Brest pour les personnels de la marine nationale et pour les industriels ? Quel serait l’impact opérationnel ?

Mme Geneviève Gosselin-Fleury. La partie nucléaire des anciens SNLE a été démantelée, mais un programme de déconstruction est-il prévu pour ces bâtiments qui sont dans le port de Cherbourg ?

Amiral, vous affirmez qu’il est indispensable que les premières livraisons du programme BSAH aient lieu en 2017 pour éviter une rupture capacitaire, or le délégué général pour l’armement (DGA) a indiqué qu’il était envisagé d’abandonner le projet initial et de procéder à une acquisition patrimoniale. Ne pensez-vous pas que ce choix risquerait de repousser le délai de livraison ?

M. Yves Fromion. Quel est le pourcentage de notre ZEE que vous surveillez et quel est celui que vous contrôlez ? Comment ces proportions évolueront-elles d’ici à 2017 ?

M. Jacques Lamblin. La baisse du nombre de nos patrouilleurs est inquiétante. La ZEE du Pacifique vous semble-t-elle correctement protégée ?

Le groupe aéronaval concentre des savoir-faire rares et précieux : avons-nous la garantie qu’ils soient conservés à long terme ?

M. Nicolas Dhuicq. Les capacités de notre marine la situent derrière les États-Unis, la Russie, le Japon, la Corée du Sud et l’Inde, et nous devenons une petite puissance maritime, ce que nous n’étions pas à l’époque de Louis XV, où un grand effort fut consenti. Nous abandonnons la mer alors que la majorité de nos approvisionnements s’effectuent par voie maritime ; nous deviendrons donc des prestataires de services de puissances étrangères en Méditerranée et dans la partie septentrionale de l’océan Indien. Vous réduisez le format à un moment où la tolérance à la frustration et la connaissance historique sont de plus en plus faibles dans la population et où une grande partie de vos recrutements se font dans des départements ruraux dépourvus de façade maritime : comment allez-vous faire pour imposer à vos équipages le poids de missions plus difficiles et plus longues, dans une société qui ne supporte plus l’absence ?

Amiral Bernard Rogel. Le moral des personnels constitue l’une de mes préoccupations principales : on choisit d’être marin pour partir loin, longtemps et en équipage ; les conditions ne sont pas confortables – surtout lorsque la mer est formée – et il est vrai que les demandes de lien familial s’expriment de manière plus forte aujourd’hui qu’à l’époque où je suis entré dans la marine. Il convient de veiller à l’acceptation familiale du métier de marin, si spécifique puisqu’il engendre une période d’absence du domicile supérieure à 100 jours par an, parfois dans des conditions d’isolement total – notamment pour les sous-mariniers. Mais, surtout, ce qui est important pour que le moral du marin soit bon, c’est que les missions soient intéressantes, ce qui nécessite des moyens pour que les bateaux soient en mer et non à quai.

Je ne partage pas votre constat selon lequel la France serait une petite puissance maritime, monsieur Dhuicq. Certes, des pays montent en puissance, mais nous restons une marine puissante à l’échelle de l’Europe notamment.

Monsieur Fromion, nous contrôlons toutes les approches maritimes françaises - outre-mer compris - je dirais sur une largeur de 100 kilomètres à partir des côtes et nous tâchons de surveiller le reste de notre ZEE ; il convient néanmoins de ne pas oublier que sa superficie atteint 11 millions de km² et il faudrait une flotte d’ampleur démesurée pour assurer une surveillance permanente de l’ensemble de la zone. Nous contrôlons tous les secteurs dans lesquels le trafic de drogue est développé – Caraïbes, ouest de l’Afrique et ouest de la Méditerranée. L’UE nous impose d’y assurer la lutte contre la pêche illégale, et nous avons déployé une frégate et un avion de surveillance maritime à l’occasion de la campagne européenne du thon rouge : nous ne pouvons pas nous soustraire à cette obligation, car cela nous exposerait à devoir régler des amendes d’un montant proche de celui d’un petit patrouilleur. Cette mission nous conduit aussi dans le golfe de Gascogne, bien entendu, mais également aux îles Kerguelen dont les eaux abritent un poisson rare, la légine, convoité par de nombreux pays asiatiques, ce qui incite à la pêche illégale. Nous sommes ainsi intervenus l’année dernière contre un pêcheur sud-coréen qui se trouvait en infraction. Nous nous concentrons sur les luttes contre le trafic de drogue et l’immigration illégale – dans le cadre de Frontex, en Méditerranée comme à Mayotte.

Madame Gosselin-Fleury, il existe bien un programme de démantèlement des SNLE, dont le DGA est responsable. Pour ce qui est sous ma responsabilité, c’est-à-dire les bâtiments de surface, les déconstructions requièrent des mesures de respect de l’environnement. Le traitement des dossiers est complexe. Nous disposons de 10 millions d’euros par an pour la flotte de surface hors sous-marins et les premiers bateaux sont en cours de déconstruction – notamment la Saône qui posait un vrai problème du fait de son mauvais état. Plusieurs contrats de déconstruction sont maintenant mis en œuvre, pour la Jeanne-d’Arc et le Colbert. Il faut espérer que cette opération se termine rapidement, car dès lors que les SNA du type Rubis seront désarmés, nous risquons d’être confrontés à un encombrement dans le port de Cherbourg.

Nous menons une réflexion pour déterminer la nature du cadre juridique et technique des BSAH : soit nous choisissons le partenariat public-privé (PPP) où les bâtiments sont en leasing avec quatre d’entre eux armés par des équipages militaires et quatre par des équipages civils, soit nous optons pour un mélange comptant une composante patrimoniale et une autre d’affrètement, soit nous privilégions la voie totalement patrimoniale. Nous devons prendre rapidement une décision pour ces bâtiments de soutien qui ne sont pas de combat.

Monsieur Lamblin, la zone de la Polynésie est très étendue, mais si de fortes tensions émergeaient en mer de Chine ou dans la zone Pacifique, nous pourrions affecter des moyens habituellement stationnés en métropole à ces endroits. Nous ne disposons actuellement que de deux frégates de surveillance dans le Pacifique, et nous nous concentrons sur la pêche illégale et la surveillance des zones à fort potentiel de ressources ; nous espérons pouvoir remplacer rapidement les patrouilleurs, d’où notre impatience à voir se déployer le programme Batsimar.

Mon combat quotidien est de conserver les savoir-faire. Du fait du resserrement de format, nous avons deux frégates de défense aérienne – de la classe Chevalier Paul –, deux frégates antiaériennes, quelques frégates anti-sous-marines (ASM), un groupe aéronaval, six SNA et quatre SNLE, d’où la micro-gestion de personnels disposant de compétences très spécialisées et indispensables au fonctionnement de chaque type de bâtiment – par exemple, s’il manque le chimiste sur un sous-marin, celui-ci ne peut appareiller. L’étalement des programmes rend plus difficile encore le maintien de ces savoir-faire, puisque nous faisons naviguer en même temps des flottes anciennes et modernes, et la complexité de la tâche s’accentuera si la réduction des effectifs est trop forte.

M. Daniel Boisserie. Amiral, il conviendrait sans doute de communiquer davantage sur les succès que vous rencontrez dans la lutte contre la piraterie.

Pourriez-vous nous en dire plus sur les faiblesses de la réserve opérationnelle ?

Le Président de la République a mis beaucoup de pression sur M. Bachar el-Assad : avez-vous assisté à ces manœuvres ?

M. Christophe Guilloteau. Au cours de l’opération Serval, la marine a joué un rôle important dans le renseignement et dans le transport. Amiral, vous avez beaucoup parlé du Livre blanc qui fixe à 15 le nombre de frégates de premier rang. Pour ces bâtiments, quelles sont la part du Livre blanc et celle de la LPM ?

M. Joaquim Pueyo. Le règne de Louis XV ne fut pas glorieux pour la France : le traité de Paris de 1763 consacra la perte du Canada, de l’Inde et d’autres territoires. C’est à partir de cette période que le poids international de la France a décliné.

La coopération européenne est nécessaire pour surveiller les zones maritimes sensibles. Amiral, allez-vous formuler des propositions au ministre de la Défense en vue du Conseil européen de décembre prochain, notamment dans le domaine des programmes communs comme celui des missiles anti-navires légers ? Les économies ne seraient pas visibles à court terme, mais des programmes communs bien structurés pourraient permettre à la France et à l’UE de conserver une vraie influence sur les mers.

Mme Édith Gueugneau. Dans le cadre de l’opération Serval, le bâtiment de projection et de commandement (BPC) Dixmude a acheminé des véhicules et des matériels des différentes unités composant le groupement tactique interarmes (GTIA). Le BPC a ainsi été déployé pour la première fois en mission de transport opérationnelle. Pourriez-vous nous expliquer son rôle dans le succès de l’opération Serval ?

M. Philippe Folliot. La France se croit continentale et européenne alors qu’elle est maritime et mondiale. Amiral, je doute de notre capacité à exercer juridiquement notre souveraineté à Tromelin et à assurer une présence autour de territoires comme les îles Éparses et l’île de Clipperton. Un bâtiment de la marine nationale se rendait tous les ans à Clipperton pour marquer notre souveraineté, mais la contraction des moyens devrait porter la fréquence de ce passage à deux ou trois ans. Pensez-vous que cela soit suffisant pour assurer notre souveraineté sur une ZEE dont la superficie s’élève à 450 000 km², alors que celle de la France métropolitaine n’est que de 345 000 km² ? Ce constat peut être étendu aux terres australes et antarctiques françaises (TAAF) et au premier chef aux îles Éparses.

Mme Sylvie Pichot. Amiral, pourriez-vous nous préciser le rôle de la marine dans la modernisation des Rafale ? Qui assume l’entretien de ces appareils, une fois ceux-ci livrés par les industriels ?

Amiral Bernard Rogel. Monsieur Boisserie, la lutte contre la piraterie a été couronnée de succès dans l’océan Indien, même si le fait que les attaques ne réussissent plus depuis un an ne signifie pas que le problème soit résolu. Nous n’avons actuellement plus de moyen naval engagé dans la mission Atalanta, mais la frégate Aconit se trouve dans l’océan Indien et pourrait être mobilisée si nécessaire. La situation dans le golfe de Guinée devient en revanche préoccupante, car le brigandage maritime se transforme en véritable piraterie ; nous aidons donc nos partenaires africains à se doter des moyens de surveillance et d’intervention pour lutter contre cette menace.

La réserve opérationnelle est composée de gens indispensables : sans eux, les centres opérationnels de la marine s’arrêteraient de fonctionner. En 2015, nous souhaitons que 7 500 marins réservistes puissent être disponibles 25 jours par an. Cette réserve est économique et nous regrettons que ses effectifs diminuent du fait de la compression des crédits, mais si nous atteignons notre objectif pour 2015, nos centres opérationnels pourront continuer à agir.

Monsieur Guilloteau, le Livre blanc constitue le fondement de notre politique et il a déterminé la LPM et le PLF. Je souhaite que le projet de loi de programmation militaire soit adopté, car il décline le compromis du Livre blanc. On nous reproche souvent de défendre nos périmètres, alors que nous avons réfléchi cette fois en termes d’ambition de la France et de contrainte budgétaire. C’est à partir de ce raisonnement que nous avons défini les missions de la marine, puis que nous avons déduit les capacités nécessaires à leur exercice.

D’ici à la fin de la période de la LPM – prévue en 2019 –, nous disposerons de six FREMM ; au cours des discussions préparant le Livre blanc, j’avais insisté sur la nécessité d’avoir quatre frégates de défense aérienne, et la situation en Méditerranée orientale illustre le besoin de posséder des moyens de protection antiaérienne. Les huit premières FREMM seront composées de six anti-sous-marines et de deux frégates de défense aérienne – équipées de capacités de lutte sous la mer : il s’agit d’une commande ferme et trois autres bâtiments pourraient la suivre. Une fois leur comportement évalué, nous réfléchirons à la façon d’atteindre le format de 15 frégates de premier rang, prévu pour 2025. La LPM prévoit également que les frégates légères furtives possèdent un sonar de coque.

Monsieur Pueyo, c’est aux politiques de décider d’accroître la coopération européenne ! Quand on nous demande de monter une opération comme Atalanta, on le fait en moins de quinze jours. Quels intérêts veut-on partager entre pays européens ? Voilà la question fondamentale. Pour ce qui concerne les forces, deux initiatives sont déjà en cours : l’initiative européenne amphibie, ou EAI comme european amphibious initiative, et celle des porte-avions, l’ECGII ou european carrier group interoperability initiative, qui réunissent les pays possédant de tels bâtiments. La force navale franco-allemande n’est pas permanente, mais elle est mobilisable sur ordre. Nous en avons fait la démonstration en juin dernier au large de Brest pendant un exercice majeur, SPONTEX, auquel ont participé plusieurs marines européennes. Par ailleurs, nous développons le concept de Combined Joint Expeditionary Force (CJEF) avec les Britanniques depuis 2011. Cela nous permettra de résoudre la question de la permanence d’un groupe aéronaval en Europe. Le NH90 est également un programme européen – et même international –, comme les frégates FREMM et Horizon où nous sommes associés avec les Italiens. Il y a lieu d’augmenter par ailleurs la coopération entre les chantiers navals européens, alors que nous sommes souvent concurrents à l’export aujourd’hui. Nous, chefs d’état-major, devrions être plus raisonnables en termes de spécifications et éviter des situations comme celles du NH90 pour lequel nous en sommes à quasiment la vingtième version. Plutôt que de se perdre dans ces exigences, privilégions nos objectifs communs et concentrons-nous sur des réalisations comme l’école franco-allemande du Tigre ou la mise en place d’entités de soutien et de formation.

Madame Gueugneau, le BPC Dixmude avait déjà assuré du transport opérationnel à l’occasion du déploiement de la force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL) en 2006 après avoir évacué les ressortissants. Le BPC s’apparente à un couteau suisse : il peut être un porte-hélicoptère d’attaque, comme devant la Libye, un navire-hôpital humanitaire, un navire chargé d’évacuer les ressortissants ou bien encore un transporteur opérationnel. Ce bateau a été conçu en étroite collaboration entre l’armée de terre et la marine, ce qui lui permet de remplir efficacement des missions très diverses. Le Dixmude a transporté plus de 500 hommes et du matériel lourd pour l’opération Serval. Le BPC Tonnerre vient, quant à lui, d’effectuer la relève de la composante française de la FINUL au Liban.

Monsieur Folliot, s’agissant de Clipperton, nous avons un accord avec le Mexique pour les autorisations de pêche, mais il est vrai que la marine ne peut pas être partout.

Nous achevons d’équiper en Rafale la deuxième flottille de l’aéronautique navale - celle-ci comprenant une quarantaine de Rafale à l’avenir. Nous avons progressé dans l’entretien des aéronefs de la marine, qui est dorénavant assuré par le service industriel de l’aéronautique (SIAé), organisme à vocation interarmées piloté par l’armée de l’air et qui travaille avec la structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels aéronautiques du ministère de la Défense (SIMMAD). Nous avons confié le destin technique de l’aéronautique navale à nos camarades aviateurs et nous nous en félicitons, même si les débuts furent compliqués du fait de la nouveauté d’un tel rapprochement. Ce mouvement ne doit en revanche pas altérer la capacité de la marine à embarquer, et nous devons veiller à pouvoir prélever des personnels de ces deux structures pour que les bateaux puissent prendre la mer.

Mme la présidente Patricia Adam. Nous vous remercions, Amiral.

*

* *

Ÿ MM. Philippe Berna, président, et Thierry Gaiffe, président de la commission Défense du Comité Richelieu (mercredi 9 octobre 2013)

Mme la Présidente Patricia Adam. Je suis heureuse d’accueillir MM. Philippe Berna, président du Comité Richelieu, et Thierry Gaiffe, président de la commission défense du Comité Richelieu, pour une audition ouverte à la presse sur le projet de loi de programmation militaire.

En septembre, nous avons commencé nos travaux sur le projet de LPM par l’audition des principaux industriels de la défense. Tous ont souligné l’importance du tissu de PME-PMI ; aussi nous paraissait-il absolument nécessaire d’entendre une nouvelle fois les représentants de ces entreprises.

M. Philippe Berna. Mesdames et Messieurs les députés, quelques mots de présentation pour débuter. Le Comité Richelieu regroupe 350 PME « actives », pour un réseau de plus de 4 000 entreprises. Nos membres se caractérisent par : une activité de R&D très forte, de l’ordre de 20 % du chiffre d’affaires ; un fort degré d’ouverture, avec un dynamisme à l’exportation qui concerne 85 % de nos adhérents ; un lien fort avec la défense pour 50 % d’entre eux. L’idée à l’origine de la création du Comité Richelieu est que les PME soient en prise directe avec les marchés de compensation afin qu’elles puissent bénéficier de 10 à 12 % de ceux-ci.

Fort de ce succès, nous sommes intéressés aux mécanismes vertueux qui existent dans d’autres pays. Au cours de différentes missions, nous avons notamment analysé les régimes de Small Business Act (SBA) et de Small Business Innovation Research (SBIR), pendant du SBA pour ce qui concerne l’innovation et la recherche. Nous avons travaillé à mettre en place ces dispositifs afin qu’une partie des achats publics – qu’ils soient de fonctionnement avec le SBA, ou d’innovation avec le SBIR – soient fléchés vers les PME. Il s’agit pour elles de démontrer leur savoir-faire en matière de production et d’innovation et de signer des premières références avec les grands acteurs du monde public – en l’espèce de la défense – afin d’être ensuite repérées pour être en capacité de projeter leurs produits et services à l’export.

Nous avons une relation très forte avec le secteur de la défense, particulièrement la DGA. Nous travaillons à bien cerner l’ensemble des PME qui constituent la base industrielle et technologique de défense (BITD). Nous sommes très intéressés au suivi du pacte Défense-PME, puisque nous avions initié il y a cinq ans, avec OSÉO et la DGCIS, la mise en œuvre de pactes PME visant à favoriser la relation entre grands groupes publics et privés, et PME d’innovation et de croissance. Nous sommes présents sur l’ensemble du territoire, nos adhérents sont tous des entreprises indépendantes, et le Comité Richelieu ne vit que grâce au bénévolat et à l’implication de ses dirigeants ; M. Gaiffe et moi-même sommes avant tout des dirigeants et des fondateurs d’entreprises.

M. Thierry Gaiffe. J’aimerais rappeler quelques éléments de contexte. La France compte 4 000 PME et ETI de défense qui sont des entreprises essentielles à la compétitivité du pays. En effet, la défense est l’un des rares secteurs dont la balance commerciale et positive, et ceci grâce à la conduite d’une véritable politique industrielle. Les grands groupes, qui sont des fleurons nationaux, sont portés par une innovation et une différenciation qui est essentiellement le fait de sous-traitants et d’équipementiers qui constituent ces 4 000 entreprises de la BITD, lesquelles représentent 165 000 emplois directs. Je suis chef d’une entreprise de 120 personnes qui existe depuis 1927 et consacre 13 % de son chiffre d’affaires en R&D sur fonds propres. Je travaille avec des sous-traitants qui ne font pas partie de la BITD mais qui me sont essentiels pour assurer les livraisons auprès de grands maîtres d’œuvre tels Sagem, Thales, Cassidian, etc.

Les hasards du calendrier font que, il y a une semaine, avant d’être entendu au Sénat, un sous-traitant avec qui nous travaillons depuis 20 ans m’a annoncé son dépôt le bilan. Il s’agit d’une TPE de quatre salariés dont ma société assure 50 % du chiffre d’affaires. Cette entreprise fabrique des casques communicants pour tous les blindés de l’armée de terre. Nous fournissons ces produits depuis des décennies. Ils doivent être remplacés tous les 15 à 20 ans du fait de leurs conditions d’utilisation extrêmes. Le général avec qui nous concluions pour environ trois millions d’euros de contrat par an m’a récemment annoncé qu’à son grand regret, compte tenu de la réduction des moyens à sa disposition, le contrat ne pourrait pas être reconduit. Il préférait privilégier des blindés plus ou moins opérationnels avec des casques communicants hors d’âge plutôt que nos casques flambant neufs aux normes de sécurité qui auraient équipé de véhicules remisés au garage pour défauts techniques… Cet arrêt brutal constitue un choc pour une société comme la mienne et pour ses sous-traitants.

C’est pourquoi lorsque le ministre de la Défense a annoncé, dès juin 2012, un SBA, il a créé l’espoir. Le Comité Richelieu et nos confrères des autres associations – le Groupement des industries françaises de défense terrestre (GICAT), le Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS), le Groupement industriel des constructions et armements navals (GICAN), le cluster EDEN (European Defense Economic Network) – ont immédiatement réagi en se mettant à la disposition du ministre pour mettre en place cette initiative. Nous avons soumis un certain nombre d’idées à son cabinet et, en novembre 2012, lors de l’annonce des 40 mesures par M. Le Drian, nous avons eu la bonne surprise de constater que plusieurs d’entre elles avaient été retenues. Tout était a priori parfait, cette initiative allait nous aider à survivre et à préserver des emplois, de l’innovation, de la compétitivité et des perspectives d’exportation.

Nous le savons, l’industrie française est en péril depuis 10 ans. M. Gallois l’a bien rappelé. Dans ce contexte, la défense reste un secteur qui fonctionne bien et il est important de le maintenir. Il convient maintenant de mettre en application les 40 mesures annoncées par le ministre. Nous nous sommes immédiatement portés volontaires pour aider l’État dans cette tâche, sachant que 24 d’entre elles sont consacrées aux 4 000 entreprises de la BITD, les 16 restantes étant davantage tournées vers les sous-traitants divers de la défense.

Je me dois d’être franc : nous sommes un peu inquiets, car nous avons le sentiment que le temps de la mise en œuvre administrative de ces mesures ne coïncide pas avec le temps économique relatif à la survie de nos industries de défense. Je ne mets nullement en doute la volonté du gouvernement en la matière. Je tiens à la souligner : nous ne faisons pas de politique ; nous disions la même chose en 2007 lorsque M. Morin a présenté ses propres mesures.

Par ailleurs, et c’est un autre motif d’inquiétude, peu de mesures réellement pragmatiques, qui « parlent » aux patrons de PME, sont prises. Nous avons rencontré les personnes responsables de la mise en œuvre de ces mesures en leur assurant que nous et nos confrères étions à leur entière disposition afin de concrétiser ces actions de manière efficace et dans un temps économique raisonnable. Nous sommes en attente.

Je vais vous donner quelques exemples. Parmi les 24 mesures qui nous concernent directement, j’en ai retenu trois. La première est relative aux conventions bilatérales que doivent signer l’État et nos grands maîtres d’œuvre de défense. Interviewé par Les Échos à ce sujet, j’ai indiqué n’avoir aucune idée de l’avancement de ces travaux, qu’il s’agisse de l’identité des signataires ou du contenu des conventions. Nous savons dorénavant que six grands maîtres d’œuvre ont signé et nous connaissons les grandes lignes de ces conventions. Mais le diable est dans les détails et nous ignorons tout du détail.

Par ailleurs nous faisons face à un problème de back-to-back. Lorsque l’on est sous-traitant de rang 1, le minimum que l’on puisse demander est que les conventions passées avec les maîtres d’œuvre reflètent au mieux les contrats que ceux-ci passent avec l’État, que les conditions générales d’achat de la DGA soient transposées mot pour mot vers les maîtres d’œuvre. Or ce n’est pas le cas ! Ainsi, lorsque des acomptes à la commande sont versés au maître d’œuvre, les sous-traitants de rang 1 n’en bénéficient pas. De la même manière, alors que l’État demande, via les accords de propriété intellectuelle, un simple droit d’usage sur les technologies qu’il finance, les maîtres d’œuvre exigent de leurs sous-traitants une pleine propriété ! Nous demandons simplement le bénéfice des mêmes conditions commerciales, ce qui est somme toute peu de chose. Il s’agit simplement d’égalité. En tout état de cause l’État serait en droit de l’exiger et n’en violerait pas le code des marchés publics pour autant.

Le deuxième exemple concerne la labellisation. Nous sommes conscients que l’État dispose de moins de moyens pour sa défense et nous comprenons que chacun doit consentir des efforts. Les patrons de PME ne sont ni des idiots ni des mendiants qui iraient quémander auprès des pouvoirs publics sachant que ceux-ci sont incapables de leur donner davantage. Nous sommes réalistes et cela fait déjà quelque temps que nous avons adapté nos stratégies vers, d’une part, la dualité, c’est-à-dire l’ouverture vers le marché civil, et, d’autre part, l’export. Toutefois la défense est un secteur très particulier. Les premières questions qui nous sont posées à l’export sont les suivantes : avez-vous vendu vos équipements à votre armée nationale ? Quelles sont vos références ? Lorsque l’on est incapable d’y répondre, on se retrouve immédiatement écarté du marché. La labellisation devrait permettre à la DGA de délivrer aux patrons de PME un courrier officiel attestant de la qualité de l’entreprise, de ses produits et services. Nous attendons beaucoup de ces « lettres de recommandation » susceptibles d’indiquer, par exemple, que même si tel produit n’équipe pas les forces françaises, il a été testé et fait ses preuves. Or que nous propose-t-on ? On nous rappelle qu’en vertu du code des marchés publics, un appel d’offres doit être lancé qui va mettre en compétition plusieurs entreprises désireuses de faire tester leur matériel. Mais ceci va prendre un temps déraisonnable, sans répondre aux attentes des PME. L’autre alternative consisterait à rémunérer la DGA pour qu’elle opère ces tests. Cela serait également chronophage et n’aurait qu’un intérêt limité puisque nous pourrions tout aussi bien recourir à des prestataires privés. Nous ne réclamons pas de tels tests ; nous souhaitons simplement nous voir délivrer un courrier attestant que l’entreprise est connue des services de l’État compétents. Je rappelle que 653 entreprises de la BITD ont été choisies par la DGA en tant qu’entreprises stratégiques pour notre compétitivité. Il est temps que cette liste soit utilisée pour asseoir la compétitivité de la France.

Le troisième exemple a trait à l’export. L’aide de l’État en la matière peut se matérialiser par des actions simples. Nous venons d’acheter 12 drones MALE aux Américains, sans demander de compensation. Nos alliés, eux, n’hésitent pas à le faire. Je suis actuellement porté par un grand groupe de défense pour vendre mes matériels aux Pays-Bas. Ce pays pratique les offsets, théoriquement interdits en Europe depuis 1991. La France est l’un des seuls pays des 27 à se refuser aux offsets. Il est temps de le dire et de le dénoncer car il s’agit d’un problème majeur en Europe. Si nos concurrents européens le pratiquent, pourquoi pas nous ? Si cette pratique est interdite, qu’elle le soit effectivement dans toute l’Europe. Mais utilisons-la à l’extérieur pour préserver nos PME.

Si les grandes associations de PME de défense et l’État ne se mettent pas ensemble autour de la table pour mettre en œuvre les 24 mesures BITD, cela ne fonctionnera pas. Nous vous demandons, Mesdames et Messieurs les députés, de nous aider à faire passer ce message auprès du gouvernement.

Mme la présidente Patricia Adam. Vous avez des propos très précis, cela va faciliter les questions de mes collègues. Je tenais à vous dire que nous étions tous très conscients des enjeux que vous avez évoqués pour bien connaître les PME-PMI de nos territoires respectifs. Vous avez dit qu’il fallait que tous les acteurs se mettent autour de la table : quel est selon vous l’organe le plus à même d’organiser ces rencontres ?

M. Thierry Gaiffe. Une commission chargée de la mise en œuvre des 40 mesures du pacte PME a été créée au sein du ministère de la Défense. Je pense qu’il s’agit du vecteur approprié pour mettre en place des groupes de travail avec les associations représentatives.

M. Philippe Berna. Nous voulons que cette commission soit la plus transparente possible et que le rythme de son action soit calé sur celui des PME et non sur le temps administratif. Je prends pour exemple la signature de conventions bilatérales auxquelles aucune PME n’a été invitée. Aucun indicateur, à la définition desquels les PME auraient pu participer, n’est fixé dans ces conventions.

Un an après, le bilan de la mise en œuvre effective de ce plan est difficile à faire.

M. Jean-Yves Le Déaut. Vos propos sont très justes. J’ai une suggestion à faire : pourquoi une évaluation de la mise en œuvre du pacte ne serait-elle pas faite par la commission de la Défense ?

Vous avez indiqué que le temps de la mise en œuvre de ce pacte n’était pas en phase avec le temps des industries de défense. Est-ce que le crédit d’impôt recherche (CIR) pourrait être amélioré pour mieux mettre en relation petites et grandes entreprises et favoriser la création de liens plus étroits entre elles ?

Vous avez par ailleurs parlé des normes et de la labellisation qu’on exige de vous pour que vous puissiez vendre. Il est très compliqué de les obtenir et je pense que les normes constituent aujourd’hui un des freins à l’innovation dans notre pays. Est-ce que des formes de collaboration avec les grands groupes ne sont pas envisageables pour favoriser le développement des PME-PMI ?

M. Daniel Boisserie. Je rejoins ce qui vient d’être dit sur les normes. Pourquoi, en tant que représentants des entreprises, ne faites-vous pas des propositions plus claires à l’État ? Pourquoi ne pas faire, vous aussi, votre autocritique en évitant de rejeter la responsabilité uniquement sur les pouvoirs publics ? La volonté du Président Hollande de soutenir les PME n’est plus à démontrer.

Beaucoup d’entreprises qui embauchent font leur propre formation professionnelle car elles ne trouvent pas les ingénieurs ou techniciens qu’elles recherchent. Avez-vous des idées pour améliorer cette situation ?

M. Jean-Michel Villaumé. Je vais revenir à mon tour sur le bilan du pacte PME Défense. Avez-vous des propositions précises pour l’améliorer ? Je suis tout à fait d’accord pour que l’on mette en place un comité de suivi de manière plus formelle. Par ailleurs, avez-vous des retours sur le crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) ?

M. Philippe Berna. Nous sommes très impliqués et avons fait des propositions très concrètes.

Au sujet du CIR, par exemple, nous proposons de mettre en place un CIR participatif, c’est-à-dire d’assujettir une part de l’assiette des grands groupes à une collaboration avec des PME. Cela pose naturellement des questions autour de la propriété intellectuelle. Il faut donc qu’en amont les équipes de R & D des grands groupes s’associent aux PME innovantes. Il faut avoir à l’esprit que, dans certains cas, sur le même territoire, des initiatives de recherche identiques sont menées par deux entreprises et sont donc financées par deux CIR différents !

Nous souhaitons également que soit mis en place le rescrit bienveillant, ou évolutif, pour sécuriser le financement des programmes de recherche des PME sur un CIR qui serait évalué par des experts au démarrage. Cela aurait pour conséquence d’éviter à l’entreprise une remise en cause de son attribution chaque année. Car si le CIR est mis en danger, les investisseurs refusent d’accompagner l’entreprise.

Nous souhaitons dans le même temps que, de notre côté, les dossiers de CIR soient mieux préparés et argumentés par ceux qui le demandent. Cela concerne les PME mais aussi les grands groupes. On pourrait imaginer qu’à partir d’un certain seuil, 100 000 euros par exemple, on s’oblige à expliquer son programme de R & D pas seulement sur l’année mais sur la durée du programme.

Les pôles de compétitivité n’interviennent pas assez en amont dans le processus collaboratif que nous souhaitons voir développé.

Nous avons évoqué ce sujet avec le Président de la République et la ministre déléguée chargée des PME et de l’innovation, Mme Fleur Pellerin. Nous avons beaucoup travaillé dans le cadre des assises de l’entrepreneuriat sur un certain nombre de mesures qui couvrent tout le cycle de vie de l’innovation et de la croissance. Il serait intéressant qu’une partie de ces mesures s’applique aux industries de défense.

Concernant les embauches, nous faisons face à deux problèmes : le coût du travail et le code du travail. Beaucoup de salariés ne démissionnent plus mais vont systématiquement au conflit prud'homal. Or les PME ne sont pas organisées pour à assumer ces procédures, contrairement aux grands groupes ! Cela a un impact sur le coût du travail.

Les PME n’entrent pas dans les seuils d’éligibilité du CICE pour la partie R & D. Ce n’est donc pas la mesure la plus significative pour nous.

M. Thierry Gaiffe. Je souscris tout à fait à l’idée que la commission de la Défense participe au travail d’évaluation de la mise en œuvre du pacte PME-Défense.

Mme la présidente Patricia Adam. C’est une proposition retenue.

M. Thierry Gaiffe. Nous avons travaillé, sous l’égide de la DGA, à l’élaboration d’un outil statistique qui nous permet de connaître l’opinion des 4 000 PME et ETI de la BITD.

Concernant les labels et normes, on sort du seul secteur de la défense. Les exigences normatives se durcissent dans tous les secteurs. Ces normes ne sont plus seulement françaises mais européennes et mondiales. Pour répondre à un récent appel d’offres d’Alsthom, j’ai dû m’engager pour que notre entreprise devienne écoresponsable. Le coût pour une PME devient totalement prohibitif ! Sur une PME de 120 personnes, j’ai une équipe de sept personnes dédiées à la qualité. Il y a là un vrai problème d’équité vis-à-vis des grands groupes et qui contribue à écarter de nombreuses PME des appels d’offres.

Quant aux propositions claires aux pouvoirs publics, nous les avons faites. Nous avons écrit dès décembre, puis à nouveau en février, au Gouvernement. Nous avons interrogé nos adhérents sur les 40 mesures et avons retenu les dix qui nous semblent les plus importantes. Sur ces dix mesures, nous avons proposé des indicateurs et des plans d’action très concrets. Nous sommes prêts à vous les communiquer comme nous sommes à votre disposition si vous souhaitez mettre en place un comité de suivi.

M. Jean-Jacques Candelier. Ma question porte sur la coopération avec la recherche civile. Celle-ci sera poursuivie grâce au pacte Défense-PME. Selon vous, des améliorations peuvent lui être apportées. Quelles sont vos propositions en ce sens ? Par ailleurs, êtes-vous satisfait du passage de 40 à 50 millions d’euros en trois ans du montant des crédits soutenant la recherche duale dans les PME ? Les crédits budgétaires pour les études d’amont se voient maintenus à 746 millions d’euros pendant trois ans : cela vous donne-t-il satisfaction ?

Mme Geneviève Gosselin-Fleury. Vos entreprises adhérentes ont-elles beaucoup utilisé ce dispositif pour l’innovation duale ? Quelle évaluation en faites-vous ?

M. Philippe Folliot. Je vous remercie pour la franchise et le caractère direct de vos propos. Je souhaiterais vous poser deux questions. Premièrement, vous n’avez pas abordé le sujet de l’allotissement. Je prends l’exemple d’une PME de ma circonscription qui opère dans le secteur du textile : quand le ministère de la Défense propose un marché public de 50 000 pull-overs, aucune entreprise en France n’est capable de fournir ce volume. En revanche, cinq marchés de 10 000 unités peuvent susciter des offres de la part de PME françaises.

De manière plus globale, quels types de liens et de relations entretenez-vous avec le médiateur des marchés publics, Monsieur Jean-Lou Blachier ? Une action spécifique pour le secteur de la défense a-t-elle été entreprise avec lui ? Il est regrettable qu’il n’y ait pas plus de mobilisation en faveur d’un secteur aussi compétitif et qui affiche une balance commerciale positive.

M. Thierry Gaiffe. Concernant la recherche duale, il a été effectivement stipulé dans le pacte Défense-PME que le budget du programme RAPID passerait de 40 à 50 millions d’euros. Ce budget avait déjà été augmenté de 30 à 40 millions d’euros. Nous pensons que la décision de l’État d’augmenter le budget du programme RAPID est une preuve de son bon fonctionnement – telle est du moins l’interprétation qu’en font nos adhérents. En effet, du point de vue des PME, ce programme fonctionne très bien. En voici quelques raisons : premièrement, l’engagement initial des quatre mois de réactivité pour passer le marché est respecté. Deuxièmement, ce système est très fonctionnel : nous apprécions de dialoguer avec le personnel de la DGA qui dispose d’une excellente connaissance de nos métiers. Cela nous permet d’avancer rapidement. En conséquence, nous avons proposé l’année dernière au ministre de la Défense et au délégué général pour l’armement, Monsieur Laurent Collet-Billon, de former un « club » de PME autour du programme RAPID. Ce « club » regrouperait toutes les PME ayant obtenu un financement RAPID, et permettrait, par phénomène d’accrétion, d’inciter et d’aider les autres PME à bénéficier de ce dispositif. La DGA nous a entendus et est favorable à ce projet, aussi nous pousse-t-elle à avancer en ce sens, et nous espérons qu’il se mettra rapidement en place.

Permettez-moi, dans un premier temps, de lier la question du maintien sur trois ans des plans d’études d’amont (PEA) à 746 millions d’euros et celle de l’allotissement. À ma connaissance, en dehors des financements RAPID, seuls six millions d’euros sur les 746 bénéficieront aux PME. Cela est dû à la taille des PEA demandés par la DGA. C’est pourquoi l’une des 40 mesures du pacte Défense-PME prévoit qu’il y ait au minimum 30 marchés à moins de deux millions d’euros. C’est louable, mais cela sera-t-il possible ? Le service des achats du ministère de la Défense nous indique qu’un marché à un million d’euros représente un temps de travail équivalent à celui d’un marché à 100 millions d’euros. Quoi qu’il en soit, Monsieur le député Folliot, je suis en phase avec votre propos : la stratégie de massification des marchés publics qui est conduite par la DGA depuis une quinzaine d’années, pour des raisons louables d’efficacité et à cause de contraintes très fortes sur ses effectifs, nous amène à une situation où les PME représentent aujourd’hui moins de 2 % des marchés publics du ministère de la Défense.

M. Yves Fromion. La massification des marchés publics tient également au code des marchés publics ! Celui-ci interdit au maître d’ouvrage de « saucissonner » sa demande pour éviter toutes les dérives que l’on peut imaginer.

M. Philippe Berna. Je souhaite apporter un complément de réponse sur le programme RAPID. Il serait en effet intéressant de lister systématiquement tous les récipiendaires d’un financement RAPID pour les achats préférentiels des grands groupes de défense. Dès lors que l’argent public a financé un programme d’innovation, cela implique certainement qu’il concerne l’écosystème au sens large. Et à mon sens, les grands groupes devraient s’obliger non seulement à référencer les bénéficiaires du programme RAPID, mais également les rencontrer. Des « journées de l’innovation » pourraient créer cette rencontre entre les innovateurs repérés par l’État et les grands industriels de la défense qui auraient un potentiel besoin de leurs produits.

Schématiquement, la médiation nationale est composée de la médiation inter-entreprises avec Pierre Pelouzet et de la médiation des marchés publics avec Jean-Lou Blachier. Ces deux entités opèrent en parallèle. Cependant, le sujet n’est pas clair aujourd’hui en ce qui concerne le secteur de la défense. Doit-on saisir la médiation de l’innovation, si elle existe, lors d’un problème d’accès à un marché de R&D, ou bien la médiation des marchés publics ? Cela repose essentiellement sur la compétence des uns et des autres à apprécier les sujets. Il nous semble qu’il manque un élément de convergence sur la médiation concernant la défense. Aussi, une entité spécifique, pour l’instant inexistante mais qui aurait toute sa place aux côtés de la médiation inter-entreprises, pourrait être saisie des problématiques relatives à la BITD.

Mme Sylvie Pichot. Je vous remercie pour la qualité de vos exposés et la précision de vos questionnements. Vos relations avec la DGA sont-elles bonnes ?

M. Jacques Lamblin. La gestion du temps n’est pas la même dans l’administration et dans les PME : c’est une difficulté que la création de comités de coordination ne suffit pas à résoudre complètement. Pour pallier les problèmes qui peuvent en résulter, il me semble que vous gagneriez à agir comme une sorte de syndicat, mobilisé pour la défense collective des cas individuels litigieux. S’agissant des relations entre les maîtres d’œuvre de premier rang et les PME sous-traitantes, qui sont par nature dans une position inégale, comment évoluent leurs rapports dans un contexte marqué par le durcissement des conditions d’achat négociées par l’État ? N’y a-t-il pas un risque que les grandes entreprises ne fassent peser l’effort sur les PME ?

M. Christophe Guilloteau. Dans l’ensemble, quelle appréciation portez-vous sur le projet de loi de programmation militaire ? Par ailleurs, quelles relations entretenez-vous avec le GIFAS, le GICAN et le GICAT ? Enfin, quelle appréciation portez-vous sur le cluster EDEN, qui me semble peu présent dans les travaux parlementaires ?

M. Thierry Gaiffe. Nos relations avec la DGA sont, depuis toujours, excellentes : c’est la DGA qui a suscité la création du Comité Richelieu, et celui-ci s’efforce de conduire avec les pouvoirs publics un dialogue toujours constructif. Il en va de même du « club RAPID » : c’est de concert avec la DGA que nous projetons de le mettre en place. La DGA possède d’ailleurs une sous-direction des PME, placée au sein de sa direction de la stratégie.

S’agissant en revanche des maîtres d’œuvre de premier rang, les grands groupes, nos relations ne s’améliorent pas, même depuis la signature par six d’entre eux – sous les auspices de l’État – du pacte Défense-PME. En cas d’abus de position dominante, le Comité Richelieu joue le rôle d’un syndicat. Vis-à-vis des grands groupes, nos PME restent dans une position du faible au fort. C’est particulièrement le cas lorsqu’il s’agit de nos droits de propriété intellectuelle : les grands groupes exigent le transfert des droits qu’ont acquis les PME à l’issue de recherches menées sur leurs fonds propres ou sur fonds publics, afin de pouvoir les transférer à des PME étrangères créées de toutes pièces dans les pays où leurs contrats d’exportation prévoient des clauses d’offset.

Concernant la loi de programmation militaire (LPM), il nous est difficile de porter sur le projet de loi un jugement d’ensemble. Certains grands groupes ont pu se dire déçus qu’à la différence de la précédente LPM, ce projet ne mette pas en avant de grande priorité industrielle. La réduction des commandes publiques aura pour conséquence une contrainte financière accrue sur l’ensemble des industriels, mais particulièrement sur les PME. En effet, les grands groupes étant chacun en situation de quasi-monopole dans son secteur d’activité, l’État continuera à faire appel à eux, et le risque est important qu’ils cherchent à préserver leurs marges en répercutant la contrainte financière sur leurs sous-traitants.

Pour ce qui est des groupements industriels – GIFAS, GICAT, GICAN –, chacun possède en son sein un comité dédié aux PME, avec lequel le Comité Richelieu coopère d’autant plus efficacement que nos entreprises sont elles-mêmes adhérentes de ces groupements. Quant à l’action d’EDEN, elle est pragmatique, et se traduit par des actions concrètes.

M. Philippe Berna. Comme il n’est composé que de PME, le Comité Richelieu a une liberté de parole parfois plus grande que celle des comités compétents pour les affaires concernant les PME au sein des grands groupements industriels.

Il faut aussi mentionner l’initiative prise par l’entreprise Eurocopter, qui s’attache à mettre en relation directe ses clients et les PME qui travaillent avec elle. Cette démarche a le double avantage de permettre aux PME de remporter des contrats supplémentaires, et de mettre en avant l’excellence française. Eurocopter suit en cela les méthodes de nos voisins allemands, qui ont prouvé leur efficacité.

M. Yves Fromion. Les initiatives prises par le cluster EDEN méritent d’être soutenues. Leur réseau, initialement centré en région Rhône-Alpes, s’est développé récemment en Bretagne ainsi que dans la région Centre. EDEN contribue à donner une image très positive de la profession de patron de PME.

Mme la présidente. Notre commission ne manquera pas de relayer vos demandes en matière de back-to-back.

*

* *

Ÿ M. Jean-Paul Bodin, secrétaire général pour l’administration (mercredi 9 octobre 2013)

M. Philippe Nauche, président. Nous recevons aujourd’hui M. Jean-Paul Bodin, secrétaire général pour l’administration du ministère de la Défense, pour évoquer le projet de loi de programmation militaire (LPM) et le projet de loi de finances (PLF) pour 2014.

M. Jean-Paul Bodin, secrétaire général pour l’administration (SGA). Le projet de LPM est la première et plus importante traduction concrète des orientations retenues dans le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale.

Malgré les contraintes très fortes qui pèsent sur le budget de l’État, le projet de LPM prévoit, conformément aux arbitrages rendus par le Président de la République, un effort financier important avec une enveloppe de 190 milliards d’euros courants pour la période 2014-2019 pour la mission « Défense ».

Le budget pour 2014, doté de 31,4 milliards d’euros – c’est-à-dire au même niveau qu’en 2013 –, est la première étape de la LPM. Cette stabilisation est rendue possible par la mobilisation de 29,6 milliards d’euros de crédits budgétaires et de 1,7 milliard d’euros de recettes exceptionnelles.

Je vous propose d’évoquer plusieurs questions qui concernent directement le secrétaire général pour l’administration et ses services : l’évolution des effectifs et la gestion du titre 2 relatif aux dépenses de personnel, la mobilisation des ressources financières et des recettes exceptionnelles liées aux cessions immobilières ainsi que les infrastructures.

En conclusion, je dirai quelques mots de la gouvernance du ministère, car la direction des ressources humaines, la direction des affaires financières et le service d’infrastructure de la défense, sous la responsabilité du SGA, sont directement concernés par les décisions que le ministre a prises au travers de la LPM.

La mise en œuvre de la LPM est conditionnée par la réussite de la manœuvre liée aux ressources humaines et la maîtrise de la masse salariale. Ce sera l’exercice le plus difficile de cette LPM.

La LPM prévoit une déflation de 33 675 postes équivalents temps plein (ETP), dont 10 175 au titre des réformes précédentes et 23 500 au titre de la nouvelle LPM.

L’effort de réduction des effectifs porte d’une part, sur les forces - 8 000 ETP pour les forces stationnées en métropole et environ 1 000 sur les forces prépositionnées – et d’autre part, sur l’environnement des forces – 14 500 ETP. Le taux d’effort sera de 78 % au moins pour le personnel militaire et de 22 % au plus pour le personnel civil alors que, dans la précédente LPM, le rapport était de 75/25, ce qui traduit l’effort voulu en termes de civilianisation.

Comment allons-nous trouver les effectifs hors des forces ? Nous sommes allés loin dans l’exercice de mutualisation des soutiens et de professionnalisation des différentes fonctions – avec, par exemple, la création du commissariat des armées ou des groupements de soutien de base de défense. Les marges de manœuvre restantes sont minces. Nous devons donc envisager d’autres pistes. Nous avons décidé de mettre l’accent sur la recherche de gains de productivité dans l’ensemble des fonctions que nous exerçons. Cela nécessite un travail approfondi sur l’efficacité et la simplification des processus et des modes de travail.

S’appuyant sur la politique de modernisation de l’action publique engagée par le Premier ministre et le secrétariat général pour la modernisation de l’action publique, le ministère cherche à identifier, processus par processus, les améliorations et les simplifications permettant de gagner en efficacité sans dégrader la qualité du service. Une séance de travail a été organisée pendant une journée au ministère avec l’ensemble des intervenants de la fonction achat. Nous savons que, pour la chaîne d’exécution financière et de traitement des factures, le recours à la dématérialisation permettrait d’alléger les tâches administratives. Nous travaillons aussi sur la maintenance de l’infrastructure, sur l’ensemble des processus de soutien en base de défense, mais aussi sur l’organisation des journées défense et citoyenneté – dans ce domaine, les nouveaux moyens de communication permettent d’établir le contact avec les jeunes en réduisant le volume du courrier. Les modes de fonctionnement du commandement interarmées du soutien, des structures de commandement des armées ou de l’administration centrale feront aussi l’objet d’un examen minutieux.

Trente chantiers sont ouverts, pour lesquels des lettres de mission signées du ministre fixent des calendriers et des orientations. Ces chantiers seront suivis par chacun des trois grands subordonnés du ministre. Chaque mois, le major général des armées, le délégué général pour l’armement (DGA) et le SGA feront un point de situation, éventuellement avec le directeur adjoint de cabinet du ministre, pour préparer les réunions du comité exécutif trimestriel au cours duquel le ministre fixe les orientations.

Le SGA s’appuie sur le comité de modernisation de l’administration qui réunit mensuellement les états-majors, directions et services, afin de piloter ses chantiers. Nous espérons que ces projets de modernisation permettront d’identifier les postes à supprimer.

Pour autant, la réussite de la politique de ressources humaines repose sur le départ effectif et accompagné de personnels militaires et civils pour lesquels les seuls outils classiques du recrutement et du non-renouvellement des contrats, en plus des départs naturels, sont insuffisants. C’est la raison pour laquelle la LPM prévoit une série de mesures d’aide : des mesures financières d’incitation au départ sous forme de pécule ou d’indemnité de départ volontaire pour environ 1 300 militaires et 500 civils par an. Vous savez que nous devons supprimer plus de 3 700 emplois d’ouvriers d’État pendant la période : il convient d’accompagner ces départs. La LPM prévoit aussi des mesures incitatives spécifiques aux militaires, comme la promotion fonctionnelle, la pension afférente au grade supérieur et une rénovation du dispositif de disponibilité, qui devraient concerner un millier de départs par an.

Le coût de ces mesures, qui composent le plan social d’accompagnement des restructurations, s’élève à 933 millions d’euros pour la période 2014-2019. Nous comptons aussi sur des possibilités de reclassement dans les fonctions publiques pour 2 100 militaires par an. Nous avons observé, dans le cadre de la LPM actuelle, des résultats plutôt satisfaisants en la matière, mais le nouvel objectif est ambitieux et demande une forte mobilisation.

La réduction des effectifs s’accompagne d’un objectif de « dépyramidage » qui vise à ramener, s’agissant de la population à statut militaire, la part des officiers à 16 % en fin de programmation au lieu de 16,75 % aujourd’hui. Il se traduira par la suppression de 1 000 emplois d’officier par an, soit 2,5 fois plus que dans l’actuelle LPM. Ce plan est particulièrement délicat à mettre en œuvre, car il porte sur l’ensemble du ministère, 50 % des officiers n’étant pas dans les forces mais dans les services, et il nous faut œuvrer en étroite collaboration avec les directions du personnel pour atteindre un objectif qui s’accompagne en outre d’une diminution de la proportion de grades supérieurs.

Pour y parvenir, la reconversion demeure un élément essentiel, mais elle devra désormais prendre en compte les objectifs de « dépyramidage ». L’agence de reconversion de la défense, créée en 2008 afin de rassembler les actions menées au sein de chaque armée, aura donc un défi important à relever, puisqu’elle devra s’intéresser au départ des officiers, et plus particulièrement des officiers supérieurs. Une cellule spécifique sera créée à l’instar de celle qui existe déjà pour le retour à la vie civile des officiers généraux.

Enfin, la politique en matière de ressources humaines se traduira également par un rééquilibrage des effectifs en faveur du personnel civil. Le directeur des ressources humaines du ministère de la Défense (DRH-MD) a reçu une lettre du ministre lui demandant d’identifier les postes qui pourraient relever de l’emploi civil.

Nous avons établi un diagnostic territorial des emplois. En 2012 et 2013, le mouvement de départ des personnels civils s’est ralenti. Nous avons examiné, cet été, la situation du millier d’agents civils en sureffectif sur l’ensemble du territoire afin de leur redonner des emplois. Une solution a été trouvée pour plus de 300 d’entre eux. Le DRH-MD s’appuiera sur ces éléments d’analyse pour nouer des discussions avec les employeurs et les organisations syndicales. L’exercice est également difficile, car une partie du personnel militaire mène une seconde partie de carrière dans les structures de soutien. Cela signifie qu’il faudra réduire à la fois le nombre de militaires et le nombre d’emplois.

Ces objectifs inscrits dans la LPM se traduiront dès 2014 par une diminution des effectifs à hauteur de 7 881 ETP, qui sera obtenue par les mesures de restructuration territoriale que le ministre a annoncées la semaine dernière, mais aussi par le lancement des chantiers de simplification et de réorganisation que j’ai évoqués.

Les directions et services placés sous la responsabilité du SGA devraient connaître une réduction de leurs effectifs de 15 à 20 % durant les cinq années à venir, selon les directions. Il est plus facile de les trouver dans le service d’infrastructure, qui compte 4 500 agents, que dans la direction des affaires financières, qui n’en compte que 190. Il faut donc examiner avec attention et précision les emplois et les postes vacants afin de trouver des solutions qui ne déstabilisent pas le fonctionnement des services. En 2014, 376 emplois, répartis sur l’ensemble des directions, seront supprimés sur le programme 212, et 73 sur le programme 167, c’est-à-dire au sein de la direction du service national.

La réduction des effectifs va de pair avec la maîtrise de la masse salariale. L’exécution de la LPM dans ce domaine a suscité des critiques. La Cour des comptes vient de remettre un rapport sur ce sujet, qui propose différentes pistes. Le ministre en a tiré des conclusions pour le pilotage des ressources humaines au sein du ministère. Il a ainsi décidé d’unifier dans un même programme, à partir de 2015, l’ensemble des crédits de titre 2 et de les placer sous la responsabilité du SGA. Le SGA pourra s’appuyer sur la direction des affaires financières et sur la direction des ressources humaines du ministère, cette dernière étant dotée d’une autorité fonctionnelle renforcée sur tous les organismes gestionnaires.

C’est une réforme ambitieuse et complexe, qui touche une fonction clé du ministère, au cœur des responsabilités des chefs d’état-major et des directeurs centraux, mais qui ne porte pas sur la gestion au quotidien des personnels.

Cette réforme nécessite de définir les responsabilités de chaque acteur – celle du SGA, responsable de programme, celle des DRH d’armée, gestionnaires de budget opérationnel de programme (BOP), et celle des employeurs, notamment des états-majors.

Il convient également de préciser les modalités d’exercice de l’autorité fonctionnelle de la direction des ressources humaines du ministère sur les DRH d’armée, de faire évoluer l’architecture budgétaire et de trouver une traduction réglementaire de ces changements.

Cela suppose de revoir le modèle de ressources humaines du ministère, que ce soient les équilibres entre personnels de carrière et contractuels ou la dynamique des carrières. Ce travail ne pourra pas être fait par le SGA et le DRH-MD seuls. La nouvelle organisation oblige les états-majors et les DRH d’armée, le SGA et ses services, ainsi que la DGA, à travailler ensemble de manière encore plus étroite que par le passé. Ainsi, le major général des armées et moi-même présiderons une réunion des états-majors dans quelques jours pour lancer les travaux sur le modèle de ressources humaines des armées à l’horizon 2025. Il s’agit de définir une perspective à long terme à partir de laquelle nous pourrons établir les principaux éléments de la politique des ressources humaines que nous proposerons au ministre.

La tenue de cette réunion montre que la gouvernance s’exercera à deux niveaux : un niveau politique, le ministre et le comité exécutif ministériel, validant les grandes orientations de la politique du ministère en matière de ressources humaines et donnant au SGA les directives dont il aura besoin pour piloter les crédits de titre 2 du ministère ; un niveau technique, le DRH du ministère et les DRH d’armée responsables de BOP – au sein desquels nous trouverons l’ensemble des crédits relatifs à la rémunération des militaires de chacune des armées et des personnels civils de l’ensemble du ministère.

L’autorité fonctionnelle du DRH-MD du ministère se traduira par une intervention de celui-ci dans la mise en œuvre des décisions relatives au recrutement, à l’avancement et à la gestion des aides au départ, afin de s’assurer, d’une part, qu’elles s’inscrivent bien dans les orientations générales de la politique en matière de ressources humaines du ministère et, d’autre part, en étroite relation avec la direction des affaires financières, que ces mesures sont conformes à l’évolution de la masse salariale arrêtée chaque année. Le DRH du ministère n’interviendra pas dans la gestion des carrières, la notation ou la discipline. Son travail consistera à mettre en œuvre la politique de ressources humaines, en aucun cas à faire de la gestion administrative des personnes.

Ces réformes nous permettront de mieux travailler ensemble et de corriger le dispositif actuel dans lequel les responsabilités sont dispersées entre des responsables de programme qui ont les crédits de masse salariale, mais ne disposent pas des outils de gestion. Je suis responsable du programme 212 : 3 600 militaires travaillant dans les directions placées sous mon autorité ; je passe un contrat de service avec les directions de personnel afin de disposer des personnels nécessaires, mais je n’ai aucun moyen d’agir sur leur carrière ; j’interviens seulement au moment de leur notation, mais je n’interviens pas dans leur avancement. L’objectif est de permettre aux responsables de BOP de mettre en œuvre la politique de ressources humaines globale arrêtée par le ministre.

Ces réformes nécessitent également que nous progressions rapidement dans la mise en place d’un système d’information unique en matière de ressources humaines.

Ces questions, qui sont au cœur de la LPM, sont probablement les plus sensibles et les plus difficiles à conduire.

Le succès de la prochaine LPM tient aussi à une bonne mobilisation des ressources financières. Une part importante des ressources provient de recettes exceptionnelles qui seront mobilisées au profit des dépenses d’investissement du ministère : 6,1 milliards d’euros courants sont attendus sur la période 2014-2019. Ces recettes exceptionnelles font l’objet d’une présentation très détaillée dans le projet de loi.

Nous devons pouvoir réunir les crédits provenant du Programme d’investissement d’avenir, les redevances versées par les opérateurs privés au titre des cessions de fréquences 4G déjà réalisées lors de la précédente LPM ou le produit des cessions immobilières attendues, sous réserve, s’agissant des produits de cession immobilière, de l’attention portée au respect du calendrier et de l’adoption de plusieurs dispositions du projet de loi.

À ce titre, il est indispensable de proroger jusqu’au 31 décembre 2019 les mécanismes dérogatoires. D’une part, le maintien du droit à un retour à 100 % des produits des biens cédés est indispensable. D’autre part, laisser à la Mission de réalisation des actifs immobiliers, le droit de travailler directement avec les collectivités territoriales, France Domaine intervenant dans un deuxième temps. Ensuite, nous devons être exonérés de la procédure, toujours longue, d’examen de l’éventuelle utilité du bien pour les autres services de l’État. Il convient enfin de prévoir une indemnisation au profit de la Défense du transfert d’immeubles vers d’autres services de l’État, comme cela a pu être le cas par le passé.

Dès 2014, le ministère doit trouver pour le compte d’affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l’État » 206 millions d’euros provenant de cessions immobilières. Nous devrions atteindre cet objectif en 2014, car les cessions vont porter principalement sur des immeubles parisiens : les cessions de la caserne de Reuilly ou la caserne Lourcine sont en cours, tandis que celles des immeubles Bellechasse-Penthemont, Saint-Thomas-d’Aquin et La Pépinière vont être engagées fin 2013-début 2014. Les discussions avec la ville de Paris ont permis de faire porter les obligations qui auraient pu être mises en matière de logement social sur d’autres immeubles de l’État situés à proximité, comme dans le cas du Centre marine Pépinière, qui sera vendu comme un immeuble de bureaux, ce qui devrait donner un prix de cession intéressant. S’agissant de l’îlot Saint-Germain, la ville envisage d’y appliquer les obligations en matière de logement social et d’exonérer en conséquence les autres immeubles de l’arrondissement. Trouver 206 millions d’euros en 2014 paraît faisable. En revanche, pour 2015 et 2016, les choses seront plus délicates, car la cession de l’îlot Saint-Germain peut s’avérer plus compliquée, compte tenu de la taille de cet ensemble immobilier.

En tout état de cause, la clause de sauvegarde prévue par le projet de loi permettra de tenir les objectifs fixés en matière de ressources exceptionnelles.

La mobilisation des ressources financières passe aussi par la maîtrise des dépenses de fonctionnement. Aux termes de la LPM, ces dépenses, qui recouvrent aussi bien le fonctionnement courant que des dépenses liées à l’activité des forces, devront se stabiliser à 3,5 milliards d’euros courant par an. En 2013, les dépenses pour le fonctionnement courant ont connu une baisse de 7 %, qui devrait être de 12 % pour l’ensemble de la période de programmation militaire, soit environ 100 millions d’euros par an à partir de 2014. Cela nous oblige à des économies tous azimuts. Le parc de véhicules de la gamme commerciale sera ainsi réduit en 2014 et passera de 16 000 à 12 130 véhicules. Nous devons aussi revoir nos modes d’approvisionnement et faire jouer davantage la concurrence entre fournisseurs, par exemple pour les achats d’énergie en nous associant à d’autres administrations. Enfin, nous devons envisager des mesures difficiles, telle la fermeture de services pendant une ou deux semaines en fin d’année pour alléger les dépenses de fonctionnement.

Cela nous oblige aussi – et vous savez que l’ensemble du personnel civil et militaire et les organisations syndicales sont très attentives à ce point – à réduire les budgets de fonctionnement des bases de défense et ceux de l’administration centrale. Les marges de manœuvre sont faibles. Il sera très difficile de trouver les 100 millions d’euros nécessaires sans affecter l’activité des forces ou la condition du personnel.

Le ministère ne parviendra à diminuer ses dépenses de fonctionnement qu’au prix de restructurations et d’une réduction des implantations territoriales pour densifier les emprises restantes. Nous pouvons en la matière tirer plusieurs enseignements de l’expérience passée. Premièrement, il nous faut être plus attentifs à la qualité des infrastructures. Certaines unités dont l’immobilier était en bon état ont été dissoutes ou transférées ; a contrario, des emprises dont le bâti était très dégradé ont été conservées. Les dépenses d’infrastructures pour la réinstallation des unités transférées se sont élevées globalement à 1,1 milliard d’euros au cours de l’actuelle LPM. Ce montant sera limité à 400 millions d’euros pour les trois prochaines années.

Nous devons aussi veiller à l’accompagnement des restructurations. Les plans d’accompagnement territoriaux seront reconduits, mais nous devrons être vigilants sur les actions soutenues par le Fonds pour les restructurations de la défense, car, dans certaines villes, la réutilisation des emprises abandonnées par le ministère est source de grandes difficultés. Malgré les contrats de revitalisation de sites de défense, les emprises restent à notre charge. Les mesures d’aide doivent être conditionnées à une reprise des emprises libérées pour éviter des dépenses supplémentaires.

Enfin, le ministère devra être plus actif dans l’accompagnement des personnels.

Plusieurs grands équipements, qui nécessitent des infrastructures technico-opérationnelles importantes, seront livrés durant la période de la prochaine LPM : l’A400M, les frégates FREMM, le sous-marin Barracuda en fin de période, les hélicoptères nouvelle génération.

Les années 2014 et 2015 seront importantes pour la livraison d’infrastructures. Les crédits d’infrastructures pour ces deux années s’établiront autour de 1,2 milliard d’euros chaque année. Nous prévoyons par exemple d’engager dès 2014 des travaux à hauteur de 162 millions d’euros pour l’arrivée du sous-marin Barracuda et 77 millions d’euros pour le MRTT (avion multirôle de ravitaillement en vol et de transport), dont 10 millions d’euros à Istres.

La réponse aux besoins technico-opérationnels sera d’autant plus difficile que nous devons dans le même temps faire face à d’importantes dépenses dans les deux grands ports : les réseaux électriques de Brest et de Toulon doivent être entièrement rénovés pour un coût de 82 millions d’euros en 2014 et 2015 en raison notamment de l’arrivée des FREMM qui consomment davantage d’électricité. Il faut y ajouter la rénovation de certaines installations nucléaires. Le plan de charge de l’établissement du service d’infrastructure de la défense de Toulon (ESID) de Toulon va être multiplié par deux et passer de 100 à 200 millions d’euros.

Un travail important doit également être fait sur les hôpitaux des armées : quelque 220 millions d’euros sont prévus à cet effet. Il faut en effet continuer les travaux engagés sous la précédente LPM, à Bégin notamment.

La satisfaction de ces différents besoins sera un défi important pour le service d’infrastructure, en terme de plan de charge et de ressources humaines, mais aussi au plan technique. Le service se verra également transférer les régies d’infrastructure se trouvant actuellement dans les groupements de soutien de base de défense – 4 000 personnes –, afin de maîtriser l’ensemble de la fonction infrastructure comme le prévoit la réforme de l’organisation des soutiens.

Le besoin initial des armées en matière d’infrastructures avait été évalué à sept milliards d’euros. Cette enveloppe a été ramenée à 6,1 milliards grâce à un examen très précis de l’ensemble des projets, un travail d’analyse des devis et une revue des coûts. Nous avons ainsi pris conscience que le coût des infrastructures militaires était plus élevé que celui d’infrastructures identiques dans le domaine civil.

Pour conclure, je voudrais revenir sur les réformes en cours relatives à la gouvernance du ministère. J’ai évoqué les domaines des ressources humaines et des infrastructures. Je voudrais donc m’attacher à la fonction financière. La fonction financière du ministère de la Défense a fait l’objet d’importantes réformes ces dernières années. Mais l’organisation financière du ministère demeure complexe et doit évoluer. Le ministre a donc décidé de renforcer l’autorité fonctionnelle de la direction des affaires financières sur l’ensemble des services financiers du ministère. Comment cela se traduira-t-il ? Trois principaux axes de réflexion se dégagent dès aujourd’hui.

Le premier est l’ajustement de la répartition des compétences et responsabilités entre les acteurs, pour chacun des exercices financiers, afin d’éviter les chevauchements. Il s’agit de déterminer qui doit intervenir dans la programmation pluriannuelle – à l’évidence, le chef d’état-major des armées a une responsabilité toute particulière en la matière – et qui intervient dans la préparation du budget et le suivi de gestion – cela relève plutôt du directeur des affaires financières. Il convient également de développer un contrôle interne actuellement insuffisant.

Le deuxième axe concerne les modalités d’application de l’autorité fonctionnelle de la direction des affaires financières sur les services financiers. Cette nouveauté aura des conséquences sur les systèmes d’information. Ces systèmes dans le domaine financier doivent devenir des domaines partagés. La question se pose pour les systèmes financiers liés à la réalisation des programmes d’armement. Tout système d’information nouveau en matière financière doit être piloté par la direction des affaires financières.

Le dernier axe est celui de la simplification de l’architecture budgétaire pour remédier à la dispersion des crédits et disposer d’une meilleure vision de leur utilisation et un meilleur contrôle.

En conclusion, ce projet de LPM comporte des enjeux importants pour le SGA et ses services. Ils auront des conséquences sur nos responsabilités et le champ d’intervention des services, et ne nous exonéreront pas pour autant de la réduction des effectifs, de l’ordre de 15 à 20 %, chiffre qui ne pourra être atteint sans modifier nos méthodes de travail.

Nous devons pouvoir y parvenir. Il le faut. Mais nous devons garder à l’esprit que nous sommes au service de la politique de défense, puisque le programme 212 a pour titre « Soutien de la politique de défense ». En aucun cas, nous ne devons oublier, dans l’exercice des nouvelles responsabilités qui seront les nôtres, que nous sommes avant tout là pour répondre aux besoins des armées.

M. Alain Marty. Cette année, mon rapport pour avis sur les crédits du programme « Soutien et logistique interarmées » s’intéressera plus particulièrement aux infrastructures. Pouvez-vous m’indiquer par écrit le montant des crédits initiaux dans ce domaine et leur exécution depuis 2009 ? Un décalage important a été constaté sur les deux dernières années : 744 millions d’euros n’ont ainsi pas été engagés à la suite de gels. J’aimerais disposer d’une rétrospective de la consommation des crédits d’infrastructure.

Vous inscrivez dans la LPM 6,1 milliards d’euros au titre des infrastructures alors que les besoins avaient été estimés à sept milliards. Je crains que les économies dégagées sur les devis ne comblent jamais l’écart d’un milliard. Quels arbitrages avez-vous dû rendre ? L’exercice me semble difficile, car, dans le domaine des infrastructures, vous devez prendre des engagements juridiques sur plusieurs années qui vous obligent à disposer des financements nécessaires chaque année. Quelles priorités avez-vous définies ? Quels sont éventuellement les programmes qui n’ont pas été retenus ? Les 6,1 milliards permettront-ils de financer l’ensemble des infrastructures pour accueillir les matériels prévus dans la LPM ?

Qu’en est-il du plan VIVIEN (valorisation de l’infrastructure de vie des engagés volontaires), qui est essentiel pour le moral des militaires ? Un programme de modernisation des quartiers sera-t-il poursuivi ?

Enfin, quelle appréciation portez-vous sur l’articulation entre le service d’infrastructure de la défense et les bases de défense ? Il me semble que cela fonctionne plutôt bien. Que prévoit la LPM pour le financement des bases de défense ?

Mme Geneviève Gosselin-Fleury. Vous avez évoqué l’objectif de maîtrise de la masse salariale et la nécessité de modifier la gouvernance du ministère. Quelle méthode et quels outils de suivi et de contrôle de la consommation des crédits du titre 2 comptez-vous mettre en place afin d’éviter les dérives ? L’expérience a montré que les outils d’analyse financière sont insuffisants.

Pouvez-vous évaluer précisément les conséquences sur le titre 2 des dysfonctionnements du logiciel Louvois ? Les crédits nécessaires à son remplacement éventuel sont-ils prévus par la LPM ?

M. Philippe Nauche, président. Tous les coûts liés à l’utilisation du logiciel Chorus ont-ils été évalués ?

M. Jean-Paul Bodin. L’évolution des crédits consacrés aux infrastructures depuis 2009 vous sera transmise. Nous avons établi un bilan de la LPM qui permet de répondre à votre question.

Les besoins sont toujours supérieurs aux capacités au sein de ce ministère. L’inventaire dressé par les uns et les autres a abouti au montant de sept milliards d’euros. l’EMA, la direction de la mémoire, du patrimoine et des archives (DMPA) et le service d’infrastructure de la défense ont repris chacune des grandes opérations d’infrastructure en essayant de respecter des priorités : l’accueil des nouveaux matériels et la poursuite des investissements liés à la condition des personnels. Cette dernière ainsi que l’activité opérationnelle des forces figure parmi les objectifs prioritaires fixés par le ministre dans la LPM.

Nous avons donc décidé de reporter une partie des travaux d’infrastructure : cela est vrai de la mise à niveau des plateformes aéronautiques ou des infrastructures des grands camps de l’armée de terre : ainsi, les aménagements indispensables à la sécurité, notamment dans les zones de tir, seront réalisés ; les autres seront retardés.

En outre, pour certaines dépenses liées aux infrastructures technico-opérationnelles, nous décortiquons tous les devis pour identifier des marges de manœuvre. Nous avons ainsi constaté que le service d’infrastructure avait l’habitude de prendre des provisions sur chaque devis pour financer d’éventuels surcoûts. Nous réfléchissons donc à la création, dans la dotation annuelle, d’une enveloppe de réserve en lieu et place des enveloppes de précaution prévues dans chaque devis.

Nous serons a priori capables de financer les infrastructures nécessaires pour les grands programmes d’armement, compte tenu des calendriers de ces programmes et des économies sur d’autres travaux. Sur ces programmes, le SGA, au travers du service d’infrastructure, assure, en commun avec la DGA et l’état-major concerné, le suivi des travaux. Cela permet d’affiner le calendrier de livraison des infrastructures.

Je vous remercie d’avoir salué la bonne articulation entre le service d’infrastructure et les bases de défense. La déconcentration d’une partie des crédits d’infrastructure au bénéfice des bases de défense a été engagée il y a un an et demi. Après une première année où elle n’a pas été mise en œuvre correctement, les bases de défense ont compris qu’elles disposaient d’un droit de tirage pour réaliser certaines opérations et ont pleinement utilisé cet outil. Un dialogue solide s’est noué entre le commandant de la base de défense et l’unité de soutien de l’infrastructure de la défense (USID). En outre, une programmation des travaux a été mise en place : sa réalisation fait l’objet d’une revue périodique entre les commandants des bases et le service d’infrastructure qui permet d’éventuels ajustements en cours d’année. Une planification plus rigoureuse s’est ainsi développée.

S’agissant du regroupement des crédits d’infrastructure, quelques crédits demeurent attachés au programme 178 « Préparation et emploi des forces ». Nous travaillons sur leur rapatriement dans le programme 212 afin de disposer d’une enveloppe unique sur laquelle les commandants de bases de défense bénéficieraient d’un droit de tirage plus important. L’objectif est bien de déconcentrer davantage la gestion des crédits.

Les commandants de base de défense élaborent les schémas directeurs immobiliers de la base. Ils sont donc au fait des investissements nécessaires à long terme. Ces schémas sont présentés et agréés par les états-majors. Le transfert des régies d’infrastructures des groupements de bases de défense à l’USID nous aidera également à avoir une vision complète des besoins. Le commandant de la base de défense disposera d’un outil à sa main sans devoir faire appel d’un côté à l’USID et de l’autre à la régie. Nous espérons que le climat de bonnes relations que vous avez décrit va se renforcer.

Madame la députée, vous avez raison, nous manquons d’outils de contrôle interne en matière de masse salariale. Nous y travaillons.

Le premier outil indispensable est un système d’information unique et partagé.

Il faut aussi réussir à surmonter les dysfonctionnements du logiciel Louvois. La situation pour la paie d’octobre est plus satisfaisante que celle d’août et septembre, où nous avons connu des difficultés dues aux nombreuses mutations qui interviennent à cette période. Aujourd’hui, les personnels sont payés. Mais il reste encore 150 à 200 soldes nulles chaque mois et plusieurs centaines de soldes, soit anormalement basses, soit anormalement élevées. Ce sont donc 1 500 à 2 000 soldes qui posent problème chaque mois.

Le système est instable. Il ne parvient pas à prendre en compte des événements ayant des répercussions sur les soldes de plusieurs mois en arrière. Il peine aussi à gérer les indemnités liées aux opérations et les avances de solde en opération. Mais il faut savoir qu’il existe seize mécanismes d’avance de solde et 150 indemnités et primes utilisées sur les 174 que compte notre système juridique.

Le système de secours mis en place par le ministre produit ses effets, mais entraîne un problème de remboursement d’avances. Le logiciel est capable de maîtriser le remboursement des indus. Quelque 67 000 lettres doivent être envoyées à ce sujet ; près de 13 000 l’ont déjà été et 80 % des personnels les ayant reçues sont engagés dans un processus de remboursement. Une partie des indus devrait donc être restituée fin 2013 et, pour la plus grande part, au cours de l’année 2014. Les indus ont été évalués par l’inspection générale des finances et le contrôle général des armées à 130 millions d’euros. Après nouvelle analyse, le montant serait plutôt de 70 millions d’euros en 2012 et de 65 à 70 millions d’euros en 2013. Il faut ajouter à ces indus les mécanismes d’avance auxquels nous avons eu recours dans le cadre du plan de secours, ainsi que les mécanismes de paiement direct qui représentent environ 50 millions d’euros.

Il va de soi que ces difficultés sont un élément d’incertitude permanent et empêchent de bien mesurer l’évolution de la masse salariale. Pour tenter de les surmonter, la direction du budget et la direction des affaires financières du ministère ont entrepris des travaux visant à évaluer plus précisément les conséquences de ces dysfonctionnements sur la masse salariale. Nous discutons aussi du traitement des avances que Bercy considère comme des mécanismes de trésorerie et impute sur les crédits de titre 2, ce qui pèse directement sur ces crédits.

Le remplacement éventuel du système Louvois s’inscrit dans les dépenses liées aux systèmes d’information, d’administration et de gestion. Il serait pris sur cette enveloppe.

Durant la gestion 2013, les dépenses liées aux systèmes d’information, d’administration et de gestion en matière de ressources humaines ont augmenté de 20 millions d’euros pour répondre aux difficultés posées par Louvois et aux conséquences du développement du système unique SOURCE sur l’ensemble des systèmes d’information du ministère.

Des groupes de travail animés par la direction des affaires financières et la direction des ressources humaines travaillent avec les armées sur la mise en place d’un dispositif de contrôle interne. Il devra être achevé au cours de l’année 2014 pour être pleinement opérationnel au début de 2015, puisque le regroupement des crédits se fera dans le projet de loi de finances pour 2015.

Le fonctionnement de Chorus trahit encore quelques difficultés, mais nous ne sommes plus dans la situation que nous avons pu connaître en 2010 et 2011. Les difficultés portent sur la restitution des dépenses faites dans le cadre de Chorus. Des discussions importantes sont en cours avec l’Agence pour l’informatique financière de l’État. Les difficultés dans le paiement des entreprises sont bien moindres que par le passé.

Présidence de Mme Patricia Adam, présidente de la commission.

Mme Émilienne Poumirol. Sur l’objectif n° 4 du programme 212 visant à assurer la mise en œuvre de l’action sociale dans les meilleurs délais, notamment pour les secours urgents de moins de quatorze jours, les résultats sont bons, puisque l’indicateur progresse de quatre points. Comment obtenez-vous ce résultat ? Cela va-t-il continuer ?

S’agissant des travailleurs handicapés, la loi fixe un taux d’emploi de 6 % de la masse salariale. Ce taux pour le ministère de la Défense était de 6,1 en 2011 et de 6,78 en 2013. Le projet de loi de finances prévoit pour 2014 un taux de 7,03 %, soit un point de plus que l’obligation légale. Cette démarche volontariste du ministère va-t-elle se poursuivre ? S’agit-il prioritairement de personnels militaires reclassés ?

M. Philippe Folliot. M. le ministre et vous-même, monsieur le secrétaire général, vous nous soumettez au régime de la douche écossaise sur la question des cessions immobilières. D’un côté, le ministre m’assure que le ministère de la Défense n’est pas concerné par les règles en matière de cession des biens de l’État prévues par la loi Duflot relative à la mobilisation du foncier public. De l’autre, vous indiquez qu’en 2014 le ministère en sera dispensé afin de réussir à mobiliser les 200 millions d’euros de recettes exceptionnelles nécessaires à l’équilibre du budget, mais que, en 2015, une partie de l’îlot Saint-Germain sera réservée à des logements sociaux, ce qui entraînera une décote sur le prix de vente. Pouvez-vous estimer la moins-value pour le ministère de la Défense ?

Où en est le chantier de Balard ? Quel est le calendrier et quel sera le coût final ? En 2015, date prévue pour la livraison des bâtiments, les services centraux seront confortablement installés dans un immeuble flambant neuf, tandis que, sur le terrain, les unités devront se contenter d’une certaine rusticité qui est la marque de fabrique de nos forces, comme nous avons pu le constater au Mali. La situation de certaines casernes, victimes d’années de sous-investissement, n’est pas acceptable.

J’ai récemment visité, dans ma ville de Castres, le casernement du 8e RPIMa dans le quartier Fayolle : les logements des jeunes recrues datent des années cinquante et sont très éloignés des standards actuels de confort minimal. J’ai travaillé dans le logement social et je n’aurais jamais osé loger personne dans des bâtiments aussi vétustes. À cet égard, il est essentiel de préserver le plan VIVIEN qui a pris beaucoup trop de retard.

Mme la présidente Patricia Adam. Je partage le constat de M. Folliot sur la vétusté de certains bâtiments. Quelle que soit notre tendance politique, nous pouvons tous témoigner de ce problème dont les rapports de la commission se font régulièrement l’écho.

Il ressort de deux avis publiés au Journal officiel le 9 octobre que les travaux du chantier de Balard ont nécessité de conclure des avenants au contrat de partenariat qui se traduisent par des moins-values et par un report de la date de mise à disposition des ouvrages.

La commission de la Défense souhaite vivement se rendre sur le site Balard.

M. Jean-Paul Bodin. Il va de soi qu’une visite de Balard peut être organisée. Cette visite est intéressante à double titre : elle permet de mesurer l’ampleur de l’investissement et d’imaginer les futures conditions de travail qui sont sans comparaison avec celles que nous connaissons. Le risque, M. Folliot l’a souligné, est de créer une importante distorsion entre Paris et la province, l’administration centrale s’installant dans des locaux neufs et fonctionnant bien, ce qui ne peut pas être le cas pour l’ensemble des unités dépendant du ministère.

Les deux avis publiés au Journal officiel sont le fruit de six mois de négociations pas toujours faciles avec le groupement OPALE Défense SAS. Les discussions ont porté sur plusieurs problèmes qui sont apparus au cours des travaux. Le groupement voulait faire prendre en charge par le ministère de la Défense les travaux supplémentaires que nécessitait la découverte d’amiante dans certains bâtiments détruits de la parcelle est. Au terme du compromis, le ministère finance uniquement les travaux lorsque la présence d’amiante était absolument indétectable à l’origine. En second lieu, nous avons été confrontés à des problèmes de dépollution des sols sur la parcelle ouest. Des travaux de cette nature avaient déjà été réalisés, mais l’implantation du pôle opérationnel a révélé la présence de pollutions supplémentaires en profondeur, dont la prise en charge entraîne des dépenses nouvelles. Enfin, nous avons revu nos demandes en matière de systèmes d’information et de communication.

Le point le plus délicat du projet de Balard n’est pas le bâtiment, mais la construction du système d’information et de communication. Cette mission a été confiée à Thales. Des discussions ont été menées avec la direction interarmées des réseaux d’infrastructure et des systèmes d’information de la Défense pour déterminer ce qu’elle prenait à sa charge et ce qui relevait de Thales. Le ministère a par ailleurs posé des exigences supplémentaires pour les salles blanches, qui regroupent l’ensemble des serveurs, et cela a occasionné un surcoût à sa charge.

Les discussions ont donc porté sur le calendrier de livraison et le coût des dépenses supplémentaires. Le ministère a fixé le principe selon lequel l’avenant reprenant l’ensemble des points discutés ne serait signé que si les taux d’emprunt étaient cristallisés – cela peut faire gagner quelques dizaines de millions d’euros. Le groupement considérait pour sa part que la question de l’avenant devait être réglée avant de commencer la discussion sur les taux. Il était de l’intérêt du ministère de lier les deux éléments compte tenu de l’augmentation douce, mais réelle des taux depuis plusieurs mois.

Mme la présidente Patricia Adam. Quels sont les taux actuels ?

M. Jean-Paul Bodin. Il m’est difficile de vous les communiquer. La cristallisation a lieu demain. Je préfère répondre à votre question à partir de vendredi, une fois la négociation terminée.

Les discussions sur les coûts supplémentaires du chantier ont été longues et difficiles. Finalement, le montant devrait avoisiner les 40 millions.

Le calendrier initial prévoyait une livraison en octobre 2014. Cette date a été reportée à cause des imprévus que je viens d’évoquer. La livraison de la partie neuve, la parcelle Ouest, devrait intervenir le 28 février 2015 et celle des bâtiments rénovés, la parcelle Est, à partir de la fin avril. Cela représente un décalage de quatre à cinq mois, qui est faible compte tenu de l’ampleur du chantier. Le gros œuvre devrait être terminé fin novembre. Je vous propose de venir visiter les lieux à partir de cette date.

Le calendrier devrait être respecté, sauf si des problèmes apparaissaient pour le système d’information et de communication et l’installation des salles blanches. Le SGA et les états-majors devraient déménager entre le mois de mars et l’été 2015. La DGA souhaite que le déménagement concerne l’ensemble de ses services. Il pourrait donc avoir lieu à l’automne, ce qui ne pose pas de problème puisque le bail pour leurs locaux à Bagneux court jusqu’à la fin de l’année. Tous les services centraux seront donc installés à Balard au plus tard en octobre 2015, et au mieux en juillet.

L’avenant a fait l’objet d’une publication au Journal officiel à la demande des prêteurs afin de consolider les taux. Cette question a fait partie des discussions qui auront mobilisé pendant plusieurs mois la direction des affaires juridiques, la direction des affaires financières et la délégation pour le regroupement des états-majors et des services centraux de la défense (DRESD).

La moins-value que vous avez évoquée est le résultat d’une année de négociations sur les prestations de service fournies par le groupement pendant la durée du chantier. En reprenant tous les éléments, nous sommes parvenus à diminuer la dépense pour le ministère.

Les crédits consacrés à l’action sociale augmentent dans le budget 2014. En 2013, ils avaient baissé dans le projet de loi de finances initiale. Cependant, le budget exécuté ne correspond pas à l’enveloppe qui avait été votée. Pour tenir compte du vote négatif des représentants du personnel civil et militaire sur le budget que nous leur avions présenté, des crédits supplémentaires ont en effet été dégagés pour atteindre 93 millions d’euros, soit le montant dépensé en 2012 et celui prévu pour 2014.

Dans le cadre des relations avec les partenaires sociaux, nous avons engagé des discussions sur la tarification de l’IGESA, l’opérateur social du ministère qui gère les colonies et les centres de vacances. Chacun a convenu que celle-ci pouvait être revue à la hausse tout en établissant des critères sociaux, afin de faire payer davantage les catégories les plus favorisées. À peine un tiers du coût d’un séjour dans un centre de vacances est à la charge des familles. Nous pouvons probablement réajuster la tarification sans perdre la vocation sociale de l’IGESA.

Nous espérons poursuivre notre politique en faveur de l’accueil des travailleurs handicapés. Ce sont souvent des personnels militaires reclassés, mais aussi des personnels civils. Le taux d’emploi des travailleurs handicapés est satisfaisant, grâce à une politique constante, une structure dédiée au sein de la direction des ressources humaines et un accompagnement individualisé des personnels.

En matière de logements sociaux, le ministère de la Défense n’est pas exonéré de l’application de la loi. À Paris, France Domaine et la Défense ont engagé des discussions avec la municipalité afin que les obligations de logement social ne pèsent pas sur l’ensemble des immeubles. Nous avons examiné pour chaque site comment appliquer la loi. Pour la Pépinière, nous avons réussi à faire porter l’obligation par un autre immeuble de l’État. En revanche, pour l’îlot Saint-Germain, compte tenu de la taille du site, il est vraisemblable qu’il comportera des bureaux et des logements, et donc des logements sociaux. Il est impossible, à ce stade, d’estimer la moins-value qui en résultera, car il n’existe pas, à ce jour, de repreneur. Ce site ne peut intéresser qu’un investisseur très solide, car tout est à refaire pour être aux normes en matière de bureaux. Compte tenu des travaux très lourds à prévoir, il sera probablement cédé à un groupement d’investisseurs.

Pour les autres immeubles, des investisseurs se sont manifestés, mais vous comprendrez que je ne puisse pas donner de montants. Nous espérons que les offres correspondront à nos estimations du produit de cession. Nous lançons un appel d’offres pour le site de Belllechasse-Penthemont qui représente environ 7 000 m2 – il comporte les bâtiments de la cour de l’hôtel du ministre, mais aussi un hôtel particulier rue de Grenelle et un autre à l’angle de la rue de Grenelle et de la rue de Bellechasse. Après avoir envisagé de le vendre par lots, nous avons décidé de vendre l’ensemble. Nous allons observer les réactions du marché. Le site de Saint-Thomas-d’Aquin représente quant à lui de l’ordre de 9 000 m2.

Sur le terrain, la priorité que nous a assignée le ministre est la poursuite des investissements liés à la condition des personnels, donc du plan VIVIEN. Je peux vous transmettre par écrit les crédits prévus à cet effet de manière détaillée par la LPM.

M. Jean-Michel Villaumé. Ma question porte sur les musées que gère le ministère de la Défense ? Quelles sont leur fréquentation et leurs recettes ? Quels investissements sont prévus ?

M. Sylvain Berrios. Mes questions ont trait aux ressources humaines. Nous connaissons, depuis le problème de Louvois notamment, l’importance des systèmes d’information et la nécessité de doter le ministère d’une capacité de contrôle, d’évaluation et d’accompagnement. Qu’en est-il ? Des mesures correctrices en termes d’organisation ou d’accompagnement ont-elles été prises ?

Quelle est la proportion de non-remplacement des départs en retraite au sein du ministère dans la réduction des effectifs que vous prévoyez ?

Enfin, vous avez annoncé trente chantiers dans le cadre de la modernisation de l’action publique. Quel gain en termes d’ETP escomptez-vous obtenir de la dématérialisation et de la simplification ?

M. Jean-Paul Bodin. Aucun investissement à court terme n’est prévu pour le musée de l’Armée puisque d’importants investissements ont été réalisés dans les années précédentes. En revanche, pour le musée de l’Air et de l’Espace, les investissements ont commencé cette année permettant, avec la contribution des industriels, la réfection du hall de l’aéroport du Bourget.

Pour le musée de la Marine, les investissements prévus mettent l’accent sur les ports et les réserves. Le déménagement de ces dernières à Dugny permettra de libérer le fort de Romainville qui n’est pas adapté à cette destination et que la ville souhaite récupérer de longue date. Les travaux ont commencé à Dugny sur une partie de l’emprise d’une ancienne base aérienne dans laquelle se trouvent déjà les réserves du musée de l’Air et de l’Espace.

Quant aux musées des ports, à Brest, Lorient, Rochefort et Toulon, ils sont les principaux lieux de visite dans ces villes. À Lorient, les investissements s’inscrivent dans une collaboration avec le musée de la Compagnie des Indes tandis que, à Rochefort, un partenariat a été envisagé avec la ville. Ces musées sont donc pleinement inscrits dans l’environnement local.

En revanche, le programme de rénovation du palais de Chaillot, d’un coût de 50 à 60 millions d’euros, ne pourra pas être conduit avant 2020. Le musée de la Marine a travaillé pendant un an sur ce projet, mais nous ne pourrons pas le mener à bien faute de financement et d’un projet scientifique suffisamment solide. Le conseil d’administration du musée de la Marine doit prochainement entériner le report du projet pour le palais de Chaillot et la priorité donnée aux réserves et aux ports.

Les chiffres de fréquentation sont les suivants : 1 400 000 visiteurs par an pour le musée de l’Armée – ce qui en fait le quatrième musée parisien –, 400 000 pour le musée de la Marine – dont 200 000 à Paris et 200 000 dans les ports –, 250 000 pour le musée de l’Air et de l’Espace, qui accueille gratuitement de nombreux jeunes du territoire de la région parisienne sur lequel il est implanté.

Une étude très intéressante a été menée par la direction de la mémoire, du patrimoine et des archives sur les expositions des musées. Les musées développent une politique de grandes expositions couronnées de succès. Le musée de l’Armée a présenté en 2012 une très belle exposition sur l’Algérie qui traitait sans complaisance les pages sombres de cette période. Une autre exposition sur Napoléon et l’Europe, inspirée d’une exposition en Allemagne sur le même thème, a été proposée cette année. Le ministre inaugure la semaine prochaine une exposition sur l’Indochine au musée de l’Armée. Le musée de la Marine obtient des résultats intéressants pour des expositions qu’il monte en grande partie à partir de ses propres fonds, comme cela a été le cas pour l’exposition sur Mathurin Méheut. Une réflexion doit s’engager sur la politique d’expositions et sur leur programmation.

Dans le cadre de la réorganisation de la DRH-MD, une sous-direction des systèmes d’information a été créée. Par ailleurs, les équipes chargées de piloter ces systèmes ont été profondément renouvelées, de même que celle travaillant sur Louvois, avec le recrutement d’une sous-directrice commissaire général des armées et d’un ingénieur de l’armement. Le pilotage de ces systèmes d’information est profondément revu pour le rapprocher de celui qui prévaut pour les programmes d’armement. Nous tirons ainsi les enseignements en termes d’organisation des difficultés que nous avons connues avec Louvois.

Monsieur Berrios, je vous ferai parvenir par écrit la réponse à votre question sur les flux de départs en retraite et le taux de remplacement.

Quant aux trente chantiers de modernisation, les gains en termes d’effectifs ne sont pas connus à ce jour. Notre objectif est de rendre notre copie en décembre. Aujourd’hui, nous réalisons, pour chaque fonction, l’inventaire des personnes employées, des processus et des améliorations qui pourraient être apportées. Pour certains chantiers, des objectifs de réduction des effectifs ont déjà été fixés. Ainsi, le rattachement des groupements de soutien de base de défense au commissariat des armées doit permettre de gagner plusieurs milliers d’emplois. Pour d’autres chantiers, nous sommes encore au stade exploratoire. Nous devons, en décembre avoir réussi à ventiler sur les trente chantiers les 14 000 postes qui doivent être supprimés, indépendamment de la réduction d’effectifs touchant les forces opérationnelles. Celle-ci se traduira par des fermetures d’unités et concernera 8 000 emplois en métropole et 1 000 dans les forces prépositionnées.

Nous devons être plus attentifs que par le passé à l’accompagnement du changement. Les exigences fortes en matière d’effectifs de la révision générale des politiques publiques ont pu être satisfaites. Mais, aujourd’hui, le besoin d’accompagnement est d’autant plus fort qu’il est plus difficile de trouver des emplois à supprimer en réformant les modes de fonctionnement. Une réunion avec le major général des armées et le DGA, qui s’est tenue hier, traitait de cette question. Nous nous interrogeons sur la manière de diffuser dans nos services les principaux messages de la réforme. Nous devons nous assurer que la mise en place de nouveaux modes de fonctionnement ne suscite pas de difficultés avec le personnel. Pour faire accepter la réforme, un investissement personnel du ministre est indispensable. Il a ainsi prévu des visites dans les unités et les services du ministère pour présenter la réforme.

Mme la présidente Patricia Adam. La précédente LPM n’a donc donné lieu à aucune ébauche de réorganisation ? Les 40 000 emplois supprimés l’ont à l’évidence été avec une approche plus quantitative que qualitative. Cette méthode a eu pour conséquence la désorganisation des services, des carences de personnel à certains endroits, voire des problèmes de sécurité.

M. Jean-Paul Bodin. À partir de 2010, nous sommes passés à une gestion plus qualitative des suppressions de postes. Des rencontres territoriales sur la réforme ont alors été organisées, avec des déplacements sur le terrain pour apprécier la mise en œuvre de la réforme et pour corriger certaines difficultés observées, notamment dans le fonctionnement des groupements de soutien de base de défense. Il y a eu un accompagnement des restructurations et des fermetures d’unité. La mobilisation a été forte pour s’assurer qu’un traitement individuel des agents était mis en place. En revanche, l’accompagnement de la réforme et des nouvelles structures a été beaucoup moins important. Pour les personnels des bases de défense, qui subissent des changements successifs sur une courte période, le besoin d’accompagnement est encore plus fort.

M. Serge Grouard. Je vous remercie pour votre discours factuel et votre exercice de vérité. En ce moment charnière, nous avons besoin de connaître la réalité. Mon intervention sera faite de remarques plus que de questions.

En matière d’effectifs, comme je l’ai dit au ministre, supprimer 44 000 postes, c’était déjà trop. Il était temps de faire une pause. Or on nous annonce que 34 000 nouveaux postes vont disparaître. Cela ne se fera pas sans perte de compétences et de capacités opérationnelles. Le mouvement de réduction des effectifs se poursuit depuis vingt ans et, après les restructurations successives, nous sommes aujourd’hui en dessous du seuil minimal.

Nous sommes confrontés à une équation infernale. On peut jouer sur deux variables d’ajustement : la première, les équipements qui font l’objet d’un nouvel étalement alors qu’il faudrait au contraire accélérer leur renouvellement ; la seconde, les effectifs, pour lesquels les objectifs sont impossibles à tenir, quoi qu’on en dise. En 2013, nous constatons déjà un report de charges très lourd, probablement de l’ordre de deux milliards, qui seront payables au début de l’année prochaine. À la fin de la LPM, ces deux milliards manqueront, et il en manquera sans doute davantage puisque la question du report de charges se posera tous les ans.

Ce qui me fait enrager, c’est que les armées sont seules à consentir de tels efforts. Je regrette que les administrations ne prennent pas chacune leur part. Depuis vingt ans, le bon élève obéit aux injonctions de réduction sans que les autres fassent de même. Quand va-t-on s’intéresser aux autres administrations ?

Les cessions immobilières concerneront nécessairement des sites restructurés ou fermés. Or je regrette que nous n’ayons pas connaissance, dans le projet de LPM, des fermetures envisagées au-delà de 2014. Cela me semble anormal, d’autant que des fermetures de grande ampleur risquent d’être décidées. En tant que parlementaires, nous sommes concernés, pas seulement au regard des conséquences sur le plan local ou de la répartition sur le territoire, mais parce que la politique de défense de la France est en jeu.

Les dépenses de fonctionnement courant ont connu en 2013 une baisse de 7 % qui, dites-vous, devra se poursuivre. Cela n’est plus possible. Je vous félicite de faire le maximum avec la meilleure volonté pour atteindre les objectifs qui vous sont fixés. Mais les disparités vont devenir choquantes. Notre collègue Folliot a raison quand il évoque la situation dans certains casernements. Vous ne pourrez bientôt plus demander aux personnels des efforts que les autres ne font pas. Quand on sait que le ménage n’est plus fait dans certains bâtiments… Où vont nos armées ? Vous ne pouvez pas exiger des personnels leur dévouement et parfois leur vie si vous ne pouvez pas faire vider les corbeilles… Il faut vraiment que nos concitoyens et nos collègues parlementaires se rendent compte de l’état dans lequel se trouvent nos forces armées.

M. Christophe Guilloteau. Je partage l’analyse de mon collègue. Je regrette par ailleurs que nous soyons si peu nombreux pour discuter d’un budget de 31 milliards d’euros et de ce que représente la défense pour les Français et pour les parlementaires.

La partie la plus importante de la LPM réside dans les annexes qui fixent des chiffres très précis pour la réduction des effectifs. J’espère que les objectifs seront tenus, mais je regrette que cette réduction affecte davantage les personnels militaires que les personnels civils.

Vous avez donné un chiffre abyssal d’un milliard d’euros pour le coût des transferts dans le cadre de la précédente loi de programmation.

M. Jean-Paul Bodin. Cela correspond aux dépenses d’infrastructure liées aux mouvements d’unité, par exemple le transfert du régiment de Laon-Couvron à Châlons-en-Champagne. Elles s’élèvent au total à un milliard d’euros.

M. Christophe Guilloteau. Ce montant est énorme ! Cela signifie que ces mouvements ont un coût réel qui n’est pas toujours pris en compte.

Vous annoncez des travaux pour 1,2 milliard avec 82 millions dans les ports, ce qui est colossal, et 220 millions pour les hôpitaux. Dans ce domaine, j’espère qu’aucune fermeture n’est envisagée – on avait évoqué celle de l’hôpital Laveran de Marseille.

M. Jean-Paul Bodin. L’exercice en matière de ressources humaines est certainement le plus difficile à conduire, car les différents éléments peuvent s’entrechoquer. Il faut à la fois réduire les effectifs, dépyramider et augmenter la proportion de civils dans le soutien aux forces. Cela sera nécessairement compliqué à mettre en place.

Avec le chef d’état-major des armées, nous sommes convaincus que notre modèle de ressources humaines est à repenser et à rebâtir. Nous devons déterminer, compte tenu de l’évolution des effectifs, quels personnels nous souhaitons recruter dans les écoles d’officier, avec quel volume de contractuels. De nombreuses questions doivent être abordées, mais elles peuvent conduire à remettre en cause des éléments d’identité de l’armée. Les chefs d’état-major ont dû vous faire part de leurs interrogations dans ce domaine.

Nous devons toutefois travailler dans l’enveloppe budgétaire qui a été arrêtée. J’apporte un bémol à l’intervention de M. Grouard. Il est vrai que le ministère de la Défense a consenti d’importants efforts, mais d’autres administrations de l’État connaissent des réorganisations importantes : les ministères sociaux ou l’équipement, par exemple. Vous avez par ailleurs lu dans la presse combien le personnel de Bercy vit mal les réductions d’effectifs prévues. C’est bien l’ensemble de l’État qui se réorganise.

Mme la présidente Patricia Adam. Je vous remercie, monsieur Bodin. Pour les rapporteures que nous sommes avec Geneviève Gosselin-Fleury, la partie relative aux ressources humaines de la LPM est la plus sensible. Nous y accorderons une attention particulière dans notre rapport. C’est toute l’architecture du ministère qui peut être mise à mal, et par conséquent le ministère lui-même.

*

* *

Ÿ M. Jacques Feytis, directeur des ressources humaines du ministère de la Défense (mardi 15 octobre 2013)

Mme la présidente Patricia Adam. Nous accueillons aujourd’hui M. Jacques Feytis, directeur des ressources humaines (DRH) du ministère de la Défense, pour l’entendre sur le projet de loi de programmation militaire (LPM) et le projet de loi de finances (PLF) pour 2014.

M. Jacques Feytis, directeur des ressources humaines du ministère de la Défense. Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale élabore la stratégie de défense de la France, laquelle définit un modèle d’armée qui doit remplir les contrats opérationnels et dont découle un modèle de ressources humaines.

Le projet de LPM traduit les orientations définies dans un contexte budgétaire contraint. Notre travail consiste à poursuivre l’effort de maîtrise des dépenses publiques demandé à la nation, dans le respect des contrats opérationnels et du modèle d’armée.

Lors de l’élaboration de la précédente LPM, le ministère avait lancé des audits techniques dans l’ensemble du ministère : ces analyses fonctionnelles avaient mis en évidence des postes susceptibles d’être « rendus ». Cette analyse a abouti à définir une déflation de 54 000 postes, nombre qui se révèle insuffisant compte tenu des nouvelles contraintes budgétaires qui pèsent sur nous et de l’effort demandé au ministère pour contribuer au redressement des finances publiques.

Ce n’est pas cette approche qui a été retenue pour la future LPM. La capacité que le pays pourrait consacrer à la défense et le modèle d’armée ont été déterminés en conseil de défense, et c’est sur cette base qu’a été fixé le nombre des emplois et effectifs que nous devrons atteindre en fin de LPM. Après cinq années d’effort il s’avérait nécessaire de commencer par une étape de dialogue et d’échange avant de commencer à lancer des analyses fonctionnelles. Sans doute avons-nous un peu tardé pour lancer des analyses fonctionnelles – elles aboutiront à la fin de l’année –, mais cette nouvelle méthode de travail a permis d’apaiser les tensions au sein du ministère. Il était important de ne pas se précipiter dans la construction technique de la réforme. Par exemple, nous avons pu, dès les travaux du Livre blanc, associer les organisations syndicales à la discussion sur les évolutions nécessaires.

J’aborderai le volet ressources humaines de la nouvelle LPM sous l’angle de quatre enjeux majeurs : la conduite d’une déflation, assortie d’une démarche de dépyramidage ; les restructurations nécessaires à la déflation, qui supposent un accompagnement social ; une nouvelle gouvernance pour les ressources humaines, avec un objectif de maîtrise de la masse salariale ; et le nécessaire équilibre entre personnels militaires et personnels civils.

Du point de vue des ressources humaines, la mesure la plus visible de la LPM est la déflation des effectifs. Cette déflation devra être conduite en même temps qu’une manœuvre de suppression de postes qui relève plus particulièrement des employeurs. Pour la LPM 2014-2019, la déflation est de 23 500 postes, auxquels s’ajoutent les 10 175 postes restants de l’exercice précédent, soit un total de 33 675 postes et effectifs, pour un effectif global du ministère de 235 900 personnes en 2019.

Comme pour la précédente LPM, nous souhaitons préserver autant que possible les forces opérationnelles. Par conséquent, l’effort portera sur l’environnement des forces, périmètre sur lequel se pencheront l’essentiel des analyses fonctionnelles. Sur la durée de la LPM, les forces opérationnelles contribueront à l’effort à hauteur de 8 000 emplois ; le soutien, les structures organiques et l’environnement contribueront à hauteur de 14 500 emplois ; et les forces prépositionnées et l’outre-mer contribueront à hauteur de 1 000 emplois. La répartition entre armées sera connue à la fin de l’année, lorsque les analyses fonctionnelles auront abouti. Chaque armée sera concernée au titre des forces et de l’environnement. L’administration et la Direction générale de l’armement (DGA) contribueront au titre de l’environnement.

Cette déflation s’accompagne d’un objectif ambitieux, le dépyramidage. En 2008, les officiers, tous corps confondus – officiers d’encadrement, mais aussi officiers ingénieurs de l’armement ou officiers médecins –, représentaient moins de 15,5 % de l’effectif militaire ; ils sont aujourd’hui 16,75 %. Les causes de ce pyramidage ont été décrites et expliquées dans un rapport de l’inspection générale des finances et du contrôle général des armées il s’explique essentiellement par l’envoi de nombreux officiers et sous-officiers à l’OTAN, au titre des nouvelles fonctions que la France souhaitait y remplir, mais aussi par la régulation des effectifs qui s’est effectuée de manière plus importante sur le bas de la pyramide puisqu’il s’agit d’une population servant essentiellement sous contrat ainsi que par l’allongement des limites d’âge introduit par la loi sur les retraites.

D’après l’objectif que nous ont assigné le ministre et son cabinet, nous devons parvenir en fin de LPM à un taux d’encadrement de 16 % – soit le taux constaté à la fin de l’année 2010. Les officiers sont ainsi la cible principale de la déflation, avec une diminution en valeur absolue de 5 778 postes – 1 000 en 2014, 1 050 en 2015 et 2016, 1100 en 2017 et 2018, et enfin 478 en 2019. Pour tenir cet objectif ambitieux, nous appliquerons une méthode d’analyse fonctionnelle, armée par armée ; à cet effet, une trentaine de chantiers sont d’ores et déjà animés par le secrétaire général, le major général des armées et le DGA. Cependant, nous souhaitons préserver l’encadrement des unités opérationnelles.

En veillant à une répartition équilibrée entre les cadres, nous verrons se bâtir un nouveau modèle d’armée, dont les travaux de définition ont commencé par un travail conjoint entre le SGA et le MGA.

Les restructurations ont été annoncées le 3 octobre dernier. Lors de la précédente LPM, un plan d’accompagnement a été négocié avec les organisations syndicales. Ce plan a montré son efficacité. Les organisations syndicales sont conscientes de l’appui particulier dont nous bénéficions pour pouvoir supporter cet effort. Pour la nouvelle LPM, cet effort s’élève à 933 millions d’euros pour l’ensemble des personnels du ministère.

Cet effort se traduira par un renforcement de la reconversion du personnel militaire – et tout particulièrement des officiers. Il se traduira également par des mesures financières d’incitation au départ, qui concerneront près de 1 500 militaires et 400 civils par an, ainsi que des mesures d’incitation à la mobilité.

Nous souhaitons également promouvoir les reclassements de militaires dans les fonctions publiques, avec un potentiel supérieur à 2 100 postes par an. Néanmoins, cet objectif sera difficile à atteindre dans la mesure où les autres ministères se restructurent eux-mêmes. Nous sommes donc les premiers à recruter des personnels civils anciens militaires grâce au dispositif prévu à l’article L. 4139-2 du code de la défense.

En outre, nous devrons imaginer pour nos personnels civils et militaires de nouvelles mesures, si possible peu coûteuses, visant à améliorer leurs conditions de vie. Je suis chargé de travailler avec le major général des armées pour que le ministre puisse faire des annonces lors de la prochaine session du conseil supérieur de la fonction militaire, en décembre prochain. Nous travaillons actuellement sur le logement, préoccupation très importante pour nos militaires soumis à la mobilité. Nous continuerons nos efforts en matière de garde d’enfants, particulièrement pour les familles touchées par le divorce. Nous envisageons de bâtir un compte épargne permissions, afin que les permissions non utilisées par nos militaires ne soient pas perdues. Enfin, au titre de l’amélioration de l’administration, des efforts seront entrepris en matière de dématérialisation afin de permettre aux agents civils et militaires du ministère d’accéder plus facilement à leur dossier.

Nos mesures d’incitation au départ, figurant aux articles 23 à 26 de la LMP, sont de quatre natures.

La première est le pécule d’incitation au départ. Le dispositif précédent, le pécule d’incitation à une deuxième carrière, bâti en 2007, comportait deux versements, le premier au moment du départ, le second au plus tard 24 mois après et soumis à reprise d’activité. Avec cette nouvelle mesure, les deux fractions seront versées en un seul pécule à hauteur de 90 % de l’ancien.

Cette mesure nous a semblé insuffisante, car la déflation introduite par la nouvelle LPM concerne des officiers pour une part très importante. Nous avons donc mis en place deux nouvelles mesures et modernisé une troisième.

Nous avons créé la promotion fonctionnelle, qui s’adresse à des officiers et à des sous-officiers de bon niveau, mais qui ne peuvent pas, du fait de la rétractation du volume de postes, atteindre le niveau de responsabilité qu’ils auraient pu espérer. Si, il y a quelques années, un officier breveté devenait au moins colonel en fin de carrière, c’est déjà moins le cas aujourd’hui et cela le sera certainement encore moins à l’avenir. Pourtant, le potentiel et la qualité des services rendus sont les mêmes. La nouvelle mesure permettra donc à un officier d’occuper un poste de colonel, par exemple chef de bureau dans un état-major ou une administration : en contrepartie, il devra quitter le service au bout de deux ou trois ans.

Nous avons créé la pension afférente au grade supérieur : le militaire ne changera pas de grade, mais sa pension passera, au moment de son départ, à l’équivalent de celle du grade supérieur.

Enfin, nous avons rénové le dispositif « disponibilité », peu utilisé jusqu’à présent. Il s’agit de réduire sa durée à cinq ans maximum mais en augmentant la rémunération avec notamment le versement d’une solde à 50 % la première année. Ce dispositif, particulièrement adapté aux personnes intéressées par la reprise d’entreprise ou la création d’activité, leur offre un filet de sécurité, puisque ceux qui le désirent peuvent revenir en fin de disponibilité.

Je souhaite que ces mesures soient votées à la fin de l’année, afin que les militaires puissent en bénéficier dès le début de l’année 2014. Nous espérons qu’elles nous permettront de tenir les objectifs de déflation. Le ministre et son entourage n’ont pas souhaité avoir recours à des dispositifs contraignants. Les militaires conservent donc le choix du déroulement de leur carrière, y compris des modalités de leur sortie.

La gouvernance des ressources humaines est un sujet qui fait couler beaucoup d’encre. Dans le cadre des négociations interministérielles, nos interlocuteurs de Bercy et de Matignon ne manquent jamais de critiquer notre gestion de la masse salariale. Il fallait donc faire en sorte que le ministère décide de l’évolution de sa masse salariale, au lieu de la subir. C’est cette problématique qui a justifié les évolutions dans la gouvernance du ministère. En plus, l’affaire Louvois a mis en évidence un réel problème de gouvernance : tout le monde s’interroge encore pour savoir qui en était responsable – désormais, en tout cas, on saura que c’est le DRH… Les Allemands eux-mêmes appliquent le principe « une seule cravate » : un sujet, une cravate…

Ainsi, dès l’automne 2012, il nous a été demandé de travailler à un modèle selon lequel la DRH assure directement la mission de coordination de l’ensemble des gestionnaires. À mon arrivée en juillet 2012, mon interlocuteur principal était le sous-chef ressources humaines de l’EMA, et je n’avais pas accès aux directions des ressources humaines des armées et des services. Aujourd’hui, le nouveau système me permet, grâce à un dialogue avec l’ensemble des DRH des armées, d’avoir une vision suffisamment fine de l’ensemble du ministère pour me permettre d’exercer correctement mes nouvelles responsabilités de gestion de la masse salariale. Il permet de proposer au ministre et au comité exécutif des arbitrages bâtis sur une meilleure connaissance de la réalité. Dans ce nouveau schéma dit « d’autorité fonctionnelle renforcée de la DRH », le dialogue direct avec mes homologues des armées me permet d’obtenir davantage d’informations. Nous avons ainsi pu commencer à préparer les déflations 2014 dans un bon climat.

Ainsi, le principal rôle dévolu à la DRH est un rôle de coordination. Des dispositions réglementaires devront permettre de s’assurer que notre masse salariale ne dépassera pas les prévisions – aussi les volumes de recrutement devront-ils certainement être signés par le DRH.

Nous projetons de modifier l’architecture budgétaire relative à la masse salariale, ce que l’on appelle le titre 2. Aujourd’hui ce sont les employeurs qui ont la responsabilité de la masse salariale. Ainsi, par exemple, chaque armée n’est responsable, en tant qu’employeur, que d’une partie de la masse salariale de ses militaires – uniquement ceux qui servent effectivement dans leur armée, les autres étant pris en compte par les budgets des autres employeurs, le plus souvent interarmées. Pour les mêmes raisons un employeur comme la DIRISI est responsable de la masse salariale de l’ensemble des agents civils et militaires issus des différentes armées. Demain, la responsabilité de la masse salariale reviendra à ceux qui recrutent et gèrent les femmes et les hommes. Ainsi le DRH d’une armée sera responsable de la masse salariale de l’ensemble des militaires de son armée quel que soit son employeur. Ce DRH sera responsable non seulement des leviers, mais aussi des conséquences budgétaires de ceux qu’il aura utilisés. Cette approche centrée sur les gestionnaires, souhaitée par le ministre, me semble pertinente dans la période actuelle où la rigueur est une nécessité.

Tous les budgets opérationnels de programme des divers employeurs seront regroupés au sein d’un seul programme, vraisemblablement le programme 212 « Soutien de la politique de la défense ». Dès l’année 2014, nous devrons nous efforcer de fonctionner selon ce modèle, même si l’objectif est de le mettre en place pour l’année budgétaire 2015. Il s’agira de bâtir un dialogue de gestion qui permettra, aux uns, d’exprimer clairement un besoin et, aux autres, de le traduire en effectifs et en compétences, mais aussi en impact sur la masse salariale.

Enfin, la démarche de civilianisation – l’équilibre entre personnels militaires et personnels civils du ministère – suscite, elle aussi, beaucoup de commentaires et n’est pas toujours bien comprise. Ces dernières années, le ratio personnels militaires/personnels civils du ministère est passé de 75 %/25 % avant la réforme précédente à 78 %/22 % aujourd’hui. Cette évolution s’explique par les difficultés à conduire la déflation simultanée des deux populations, mais aussi à nos difficultés à organiser correctement la mobilité du personnel civil. Je m’empresse de dire que la mobilité n’est pas prévue dans le statut du personnel civil, lequel est d’ailleurs en pratique beaucoup plus mobile qu’on ne le pense. Lors des restructurations, certains postes prévus pour le personnel civil n’ont pu être honorés, et les armées ont alors pourvu certaines places disponibles par du personnel militaire afin d’assurer le fonctionnement.

Nous souhaitons rééquilibrer les choses, mais sans fixer un ratio cible qui crisperait les relations entre les deux populations qui vivent en bonne intelligence. Comme il est écrit dans le rapport annexé de la LPM, il faut définir de manière objective les emplois ayant vocation à être exclusivement tenus par des militaires, d’une part, et des civils, d’autre part ; les emplois mixtes devront demeurer réduits en volume. Conformément à la lettre de mission que m’a confiée le ministre, je dois élaborer une méthodologie pour trouver, avec la totalité des employeurs, la bonne répartition fonction par fonction. Ensuite, nous devrons consentir des efforts en matière de formation afin que les personnes qui n’ont pas la compétence requise pour occuper un poste disponible puissent l’acquérir.

Au total, en ayant mieux défini les postes strictement militaires et ceux où le statut militaire n’est pas forcément nécessaire – on peut penser par exemple aux métiers dits d’administration générale et de soutien commun –, nous pourrons, sans dogmatisme ni brutalité, trouver un équilibre pour le fonctionnement du ministère et la réalisation du contrat opérationnel. Pour l’instant, le travail sur ce sujet est dépourvu de tensions. Certes, les inquiétudes exprimées par les chefs d’état-major, qui ne souhaitent pas que la civilianisation se traduise par un effort supplémentaire sur les militaires, sont compréhensibles. Nous travaillons, avec les armées directions et services, pour décrire au mieux les besoins.

D’autres chantiers sont en préparation, mais seront ouverts d’ici à la fin de l’année. Je pense principalement à la rénovation de la concertation.

M. Joaquim Pueyo. Monsieur le directeur, vous n’avez pas parlé des sous-officiers, dont plus de 11 000 postes devraient être supprimés. Des mesures sont-elles prévues pour eux ?

La dernière LPM avait prévu des mesures en faveur de la reconversion des militaires. Pouvez-vous en dresser un premier bilan ?

Les primes sont très nombreuses – 174 au total – et coûteuses en termes de gestion. Ne pensez-vous pas qu’un toilettage s’impose, mais qu’il ne doit avoir aucune incidence sur les bulletins de solde ?

Enfin, beaucoup d’inquiétudes s’expriment sur le terrain à propos de la nouvelle LPM. Quelles dispositions comptez-vous prendre pour bien communiquer auprès des officiers, mais aussi des sous-officiers ?

M. Damien Meslot. La clarification au sein du ministère – ce que vous avez appelé le principe d’« une seule cravate » – constitue une avancée importante : elle nous évitera probablement les déconvenues du passé.

Pouvez-vous faire le point sur le logiciel Louvois ? Il semble que des difficultés persistent.

On a évoqué la possibilité de fixer un temps limité pour qu’un officier ou un sous-officier passe au grade supérieur, et que ceux qui n’y parviennent pas soient rayés des cadres, selon un dispositif qui reste à imaginer. Cela fait-il partie des pistes qui ont été abandonnées ?

M. Jacques Feytis. Les mesures que j’ai évoquées sont applicables aux personnels de carrière, officiers comme sous-officiers. Seule la pension afférente au grade supérieur n’est pas valable pour les majors, lesquels sont déjà au sommet du grade de sous-officier. Nous enregistrons aujourd’hui de bons résultats en matière de reconversion de nos militaires du rang et de nos sous-officiers. De mémoire, les taux de retour à l’emploi sont supérieurs à 70 %. Néanmoins, dans le contexte économique actuel, nous constatons une légère augmentation de nos dépenses d’allocation chômage.

Notre centre militaire de formation professionnelle, situé à Fontenay-le-Comte, où une trentaine de métiers sont enseignés aux militaires en reconversion, s’appuie sur un partenariat avec l’Association pour la formation professionnelle des adultes (AFPA), avec laquelle nous avons conclu un accord il y a de nombreuses années. Nous avons accès aux 200 centres de l’AFPA répartis sur le territoire. En outre, nous travaillons sur la base d’une convention historique passée avec l’Association pour le développement de la formation dans les transports et la logistique-Institut de formation aux techniques d’implantation et de manutention (AFT-IFTIM). Notre offre de formation est très large et nos dispositifs statutaires permettent aux militaires d’avoir droit à un congé de reconversion sur les six derniers mois de leur parcours, qui pourra être encore prolongé grâce au futur compte épargne permissions.

L’enjeu est de bâtir une offre particulièrement adaptée aux officiers, catégorie qui a le plus de mal à se reconvertir puisqu’ils partent généralement à un âge moins favorable que les autres militaires. Les militaires du rang partent jeunes ; les sous-officiers, souvent des techniciens, partent en milieu de carrière. Les officiers avec un profil technique arrivent en général à se reconvertir sans trop de difficultés. Nous devrons en revanche faire porter l’effort sur ceux au profil plus généraliste afin de les accompagner vers une deuxième carrière en valorisant notamment leurs capacités de management. Avec l’Agence de reconversion de la défense, nous devons bâtir des programmes particuliers. À cet effet, nous travaillons, avec les DRH d’armée, à la description des profils des officiers qui partiront dans les années à venir, afin d’évaluer leurs compétences et de leur apporter la formation qui leur permettra de répondre aux besoins des entreprises.

Les 174 primes sont le fruit de l’histoire. Un toilettage s’impose, certaines étant très désuètes. Avec l’aide de la Cour des comptes, nous classerons ces primes en trois paquets. Celles qui coûtent peu et n’ont plus de sens devront être supprimées. Les primes coûteuses en termes de gestion, mais qui ont encore du sens, pourront être regroupées en fonction de leurs objectifs, par exemple celles concourant à la compensation des sujétions de l’état militaire et celles relatives à l’attractivité des métiers militaires. Il sera plus difficile de traiter les primes et indemnités liées au cœur de l’activité, mais qui peuvent être très différentes d’une armée à l’autre.

Toutes ces mesures seront d’autant plus faciles à mettre en œuvre que nos personnels comprendront le sens de l’effort qui nous est demandé. Le ministre s’est attaché à expliquer les raisons de la réforme. Il appartient maintenant au commandement d’informer les militaires des outils que je viens d’évoquer, sachant que les déflations devront être réalisées de la façon la plus harmonieuse possible.

Le système d’information Louvois, je l’avoue, a subi peu d’évolutions matérielles même si plusieurs changements de version ont été incrémentés. En revanche nos équipes techniques ont été renforcées. C’est un système que nous avons développé nous-mêmes, il a donc été conçu avec des logiques un peu anciennes et, qui plus est, il n’est pas documenté, si bien que les vingt-cinq techniciens supplémentaires doivent entrer dans le système pour bien le comprendre ! De nouvelles versions sont régulièrement déployées : les prochaines ne le seront pas avant le mois de janvier, en effet les soldes d’octobre, novembre et de décembre sont calculées en même temps à partir de maintenant afin de garantir une solde la meilleure possible pour la fin de l’année. Pour l’heure, des équipes du Commissariat et des centres d’expertise des ressources humaines et de la solde (CERHS) apprennent à mieux utiliser le système actuel. Le travail relatif aux soldes commence beaucoup plus tôt, les écarts sont mesurés, les erreurs sont constatées un mois avant le paiement des soldes et peuvent donc être corrigées. Finalement, sur 180 000 soldes, les erreurs de paiement sont au nombre de 200 par mois.

M. Damien Meslot. Qu’en est-il du stock de trop-perçus, pour lequel on a parlé de 130 millions d’euros ?

M. Jacques Feytis. L’évaluation des trop versés a été réalisée sur la base des éditions de Louvois, qui a indiqué un total d’erreurs de 106 millions d’euros sur 2012 et janvier 2013 pour 65 000 militaires. En réalité, nous pensons que 30 % environ des erreurs signalées par le système n’en sont pas – nous aurons donc sans doute moins de trop versés que ce que nous imaginions. Bien évidemment, les courriers sont envoyés pour les erreurs avérées, et non de manière automatique. C’est l’occasion pour moi de rendre hommage aux équipes qui réalisent ce travail particulièrement ardu.

Après des travaux préliminaires et des échanges interministériels, la décision politique s’est orientée vers une déflation sans mesure coercitive. La LPM n’en comporte donc pas. Deux mesures de ce type avaient été imaginées. La première visait à fixer par statut une limite de durée de service pour un grade, par exemple de quinze ans, assortie de compensations – retraite à jouissance immédiate, pécule. La seconde fixait une limite d’âge inférieure et une limite d’âge supérieure, à l’image du dispositif applicable aux sous-officiers en vigueur jusqu’en 1993. Le premier dispositif aurait pu être recevable en interministériel ; le second n’était pas suffisamment abouti d’un point de vue technique. Pour ma part, je préfère une déflation avec des mesures incitatives, et je pense que nous y parviendrons.

M. Daniel Boisserie. Monsieur le directeur, quelle est la durée des contrats des militaires du rang et quelles sont les mesures d’incitation au retour à l’emploi ? Je pense que la communication pourrait être améliorée en direction des collectivités locales ; par exemple, un sous-officier peut devenir un excellent policier municipal après formation.

Vous avez évoqué le logement. Êtes-vous affecté par la loi Duflot s’agissant de la cession de sites ? Quels sont vos problèmes de logement ?

Enfin, en matière d’évolution de carrière, les avantages sont-ils identiques chez les personnels civils et les personnels militaires ?

M. Alain Chrétien. L’idée de la gratuité du service des réservistes a été évoquée il y a quelques mois. Or il est prévu de faire passer le nombre de réservistes de 16 000 à 22 000, pour faire face à la baisse des effectifs professionnels. Pouvez-vous faire le point sur la situation ? N’y a-t-il pas une contradiction ?

M. Jacques Feytis. La durée des contrats des militaires du rang est très variable, avec des différences selon les armées, la moyenne étant comprise entre six et sept ans.

En matière d’incitation, nous avons un large éventail d’aides : des primes d’engagement, des primes pour inciter certaines personnes à partir et des primes de technicité pour en inciter d’autres à rester. Cela ne facilite pas les discussions en interministériel et suscite une certaine incompréhension chez nos interlocuteurs de la direction du Budget. Néanmoins, je pense que l’utilisation de ces leviers est pertinente et que nos DRH d’armée ont une grande expertise dans la gestion des militaires du rang sous contrat.

Nous avons parfois des difficultés à bien échanger avec les collectivités territoriales. Néanmoins, l’Agence de reconversion de la défense travaille avec les centres de gestion et le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT), sans grand rendement il est vrai. Il faut savoir que le niveau de salaire demandé par les militaires est un peu élevé – la fonction territoriale ne rémunère pas toujours comme la fonction publique d’État. Nous les incitons donc à ne pas être trop exigeants.

M. Daniel Boisserie. Maire depuis plus de trente ans, je n’ai jamais lu une lettre du ministère de la Défense nous incitant à embaucher des militaires reconvertis.

M. Jacques Feytis. Nous avons intérêt à améliorer notre dispositif à l’égard des collectivités territoriales.

Nous sommes confrontés à des problèmes de logements dans les grandes villes, avec deux zones noires, l’Île-de-France et Toulon.

En Île-de-France, ces problèmes sont aggravés par la mobilité. Une fois implanté dans cette région, le personnel civil ne veut plus partir, car il y trouve de nombreux avantages, notamment en matière d’éducation. Pour les personnels militaires, nous proposons des dispositifs d’accueil des célibataires géographiques, dont le nombre est en augmentation constante, afin de leur permettre de se loger dans des conditions décentes.

À Toulon, où la vie est chère, nous avons du mal à honorer des postes très intéressants pour le personnel civil.

Il est très difficile de comparer les évolutions de carrière des personnels militaires et des personnels civils, car ce sont deux logiques très différentes. Un officier commence comme sous-lieutenant et acquiert des qualifications qui lui permettent de progresser, avec la grande étape de l’École de guerre. Le personnel civil comporte deux corps, les attachés et les administrateurs civils, et les premiers sont sélectionnés pour passer attachés principaux, sans compter que la nomination au tour extérieur est très sélective. Par conséquent, il est fréquent que les personnels civils réalisent tout leur parcours comme attaché, puis attaché principal – ce qui pourrait correspondre au grade de commandant. Ainsi, j’ai tendance à penser que les militaires bénéficient d’une plus grande progression de carrière. En revanche, la mobilité est pour eux plus contraignante.

Je sais que les deux populations s’observent ; on entend dire que les administrateurs civils sont mieux traités que les officiers. Certes, un administrateur civil recruté par la voie de l’ENA pourra occuper immédiatement des responsabilités qu’un lieutenant-colonel ou un colonel pourrait se voir confier. Néanmoins, sur un peu plus de 200 administrateurs civils au ministère de la Défense, moins du quart est issu de l’ENA – ils sont pour l’essentiel des anciens officiers ou des anciens attachés du tour extérieur.

S’agissant des réservistes, je pense qu’il y a eu des maladresses dans la communication. Comme je l’ai indiqué devant le Conseil supérieur de la réserve militaire, nous n’avons jamais voulu faire servir les réservistes sans les rémunérer. Un réserviste est un militaire à temps partiel, mais, quand il est en activité, il est militaire comme les autres. Il est donc rémunéré, excepté lors de la formation initiale et pour les activités ne relevant pas de l’engagement à servir dans la réserve (ESR), comme les cérémonies, les conférences, les remises de prix. Le principe est clair, je l’ai rappelé récemment aux employeurs : une activité de service est un ESR et est donc rémunérée. En tant que DRH, je ne peux pas accepter que l’on joue sur le coût des réservistes : tout travail mérite salaire.

M. Alain Chrétien. La masse salariale sera la même : il y aura donc plus d’effectifs, mais moins de rémunérations.

M. Jacques Feytis. On peut jouer sur la durée… D’ailleurs, c’est l’état-major des armées qui a la responsabilité de gestion en la matière …

M. Jean-Michel Villaumé. Ma circonscription, qui comporte une base aérienne, est concernée par les restructurations. Monsieur le directeur, quels moyens complémentaires seront mis en place après la décision de dissolution d’escadrons ?

M. Jacques Lamblin. Monsieur le directeur, quel est le coût unitaire d’un militaire du rang ?

Le bruit court selon lequel on pourrait jouer sur la longueur des contrats des officiers de façon à exonérer l’institution militaire de ses obligations en matière de droit à pension anticipée. Qu’en est-il ?

Les effectifs ont diminué d’environ un sixième, mais le nombre d’officiers a augmenté dans la même proportion. Cette évolution explique-t-elle l’augmentation de la masse salariale ?

M. Jacques Feytis. S’agissant du coût des militaires du rang, nous vous ferons parvenir les éléments ultérieurement. Les annonces qui ont été faites il y a quelques jours concernant Varennes-sur-Allier ont pu être mal interprétées, notamment par l’équipe locale d’une organisation syndicale. En effet, les moyens particuliers évoqués à cette occasion sont en réalité un dispositif d’accompagnement économique. Il n’y a pas d’autres moyens supplémentaires que les 933 millions d’euros du plan d’accompagnement des restructurations dont je vous ai parlé.

Jouer sur la durée des contrats pour nous exonérer d’une obligation en matière de pension relève du fantasme. Les militaires du rang doivent être jeunes pour exercer leur métier ; c’est la raison pour laquelle nous souhaitons qu’ils partent tôt. Quelques-uns, les meilleurs, dépassent la durée de contrat qui permet de toucher la pension à jouissance immédiate, mais ce n’est pas la vocation des militaires du rang de rester longtemps. Je vais vous donner un exemple qui prouve notre bonne foi en la matière. Jusqu’en 2010, les fonctionnaires civils et les militaires bénéficiaient du droit à liquider une pension à partir de quinze ans, puis ce seuil a été abaissé à deux ans pour les fonctionnaires, alors qu’il est resté à quinze ans pour les militaires. Nous avons donc demandé que la loi portant réforme des retraites comporte une disposition afin d’aligner la situation des militaires sur celles des fonctionnaires. Vous le voyez : nous faisons notre possible pour que nos militaires puissent disposer de droits à pension et nous n’avons pas l’intention de jouer sur la durée des contrats pour essayer de nous exonérer.

M. Jacques Lamblin. Ma question portait sur les officiers sous contrat, et non sur les militaires du rang.

M. Jacques Feytis. Les officiers sous contrat peuvent aller jusqu’à vingt ans.

M. Jacques Lamblin. Certains craignent que cela puisse ne plus être le cas.

M. Jacques Feytis. Il est certain que des officiers sous contrat partiront avant d’atteindre les vingt ans. Pour l’instant, les instances de concertation ne nous ont pas fait part du point que vous évoquez, mais je vais étudier le sujet. Les politiques de gestion sont différentes selon les armées. En tout cas, sur le plan ministériel, nous n’avons donné aucune consigne pour jouer sur les limites, ce qui ne serait pas acceptable humainement.

La pente de diminution de la masse salariale est un peu moins forte que celle des effectifs sur la précédente LPM. Pourtant, comme l’a bien montré le rapport de l’inspection des finances et du contrôle général des armées, la part du pyramidage est extrêmement réduite dans la contribution à cette évolution de la masse salariale. En effet, même si le coût moyen d’un officier est supérieur au coût moyen d’un militaire du rang ou d’un sous-officier n’est pas la raison principale de cette évolution. En particulier le plan d’accompagnement des restructurations est compté sur la masse salariale et il est vraiment nécessaire ! D’autre part lors de la précédente LPM de nombreuses mesures catégorielles ont été utilisées : elles se sont élevées certaines années à 84 millions d’euros, voire à 100 millions d’euros et sont comptés bien sûr sur la masse salariale. Les mesures générales ont également eu un impact sur la masse salariale, je pense à la revalorisation du point d’indice des 300 000 agents du ministère. Ces dernières ont représenté 115 millions d’euros en 2009, 95 millions d’euros en 2010, et 53 millions d’euros en 2011. Aujourd’hui, le contexte a bien changé et il y a très peu d’évolution en la matière. !

Cela dit, je ne prétends pas que nous avons été totalement exemplaires. Le dépyramidage n’était pas engagé, ce qui contribue à une moindre baisse de la masse salariale. Enfin, si le glissement vieillissement technicité (GVT) est maîtrisé pour le personnel civil, il l’est moins pour le personnel militaire : nous avons été très dynamiques dans les parcours de carrière d’officiers et les promotions ont bénéficié à des jeunes. Cependant, les cumuls de GVT, entre 23 et 47 millions d’euros, ne trahissent pas un scandale absolu au regard d’une masse salariale annuelle de 12 milliards d’euros.

M. Philippe Folliot. Monsieur le directeur, votre fonction est très importante, mais difficile, car, avec ces 34 000 suppressions d’emploi, vous allez devoir gérer le plus grand plan social de ces prochaines années. Il fait suite à un autre plan qui avait concerné 44 000 emplois. Derrière les chiffres, il y a des réalités humaines avec des fermetures de bases, de régiments et de services dans les territoires. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur l’accompagnement ?

Lors d’une précédente audition, il a été indiqué que d’autres administrations - intérieur, justice - pourraient embaucher des officiers. Qu’en est-il de ces passerelles ? Que faut-il faire pour que ces administrations embauchent nos officiers, qui ont de grandes qualités ?

Vous avez indiqué que 1 000 emplois seraient supprimés dans les forces prépositionnées et les forces de souveraineté. Combien seront supprimés pour chacune d’elles ? J’insiste sur l’importance des forces de souveraineté, qui constituent un signal politique fort de notre volonté d’assumer nos fonctions de défense dans les territoires ultramarins.

Mme Geneviève Gosselin-Fleury. Compte tenu des difficultés de Louvois et de son éventuel remplacement, allez-vous mettre en place le système d’information des ressources humaines unique dénommé SOURCE ?

Quelle méthodologie allez-vous utiliser pour la civilianisation, notamment au regard des référentiels des effectifs en organisation (REO) ? La répartition entre postes civils et postes militaires ou entre postes opérationnels et postes non opérationnels sera-t-elle confiée aux seuls DRH d’armée, ou des civils participeront-ils à cette analyse ?

M. Jacques Feytis. Ma mission est difficile, mais j’ai servi à Castres dans un très bon régiment, et j’ai été bien formé. (Sourires.)

J’ai largement présenté les mesures d’accompagnement. S’agissant des passerelles avec les autres administrations, les trois ministères dits prioritaires le sont uniquement sur leur cœur de métier. Le ministère de l’Intérieur est prioritaire pour recruter des policiers et des gendarmes, mais pas dans le domaine qui pourrait correspondre aux compétences de nos militaires. Il doit mener des déflations dans les préfectures. Peut-être pourrions-nous y placer des officiers et des sous-officiers, mais c’est au ministère de l’intérieur de dire quels sont ses besoins.

Comme je l’ai dit à ma collègue de l’Éducation nationale, les militaires pourraient très bien être embauchés dans son ministère. Elle a besoin de recruter des enseignants, mais nous en aurons peu à proposer – certains militaires sont titulaires d’un master, mais ils sont peu nombreux. En revanche, je pourrai lui proposer des cadres supérieurs ou intermédiaires dans la gestion et l’encadrement, mais sa priorité n’est pas là, car elle doit également soutenir des efforts de restructuration. Quant au ministère de la Justice, il a besoin de gardiens de prison, mais je ne peux que constater que peu de candidats se présentent pour ce métier Bref, il n’est pas évident de trouver des volumes significatifs dans les autres ministères. Ce travail est délicat. Je consulte inlassablement mes homologues pour leur faire part des qualités de nos militaires.

Je ne suis pas compétent pour vous répondre sur la répartition de l’effort entre forces prépositionnées et forces de souveraineté. Les analyses en cours aboutiront à la fin de l’année, et je ne peux pas me permettre de porter une appréciation : ce sont les employeurs qui définissent leurs besoins. Plus on donne de compétences au DRH pour coordonner la fonction RH, plus il doit veiller à rester à sa place et ne pas vouloir jouer se substituer aux employeurs.

Dans l’éventualité d’un remplaçant à « Louvois » nous devrons bien évidemment regarder l’impact sur le système SOURCE, c’est-à-dire le système d’information RH unique qui remplacera les quatre systèmes d’information RH des armées et services et du personnel civil. J’ai un besoin absolu de SOURCE, car, pour piloter correctement la masse salariale, je dois avoir une vision fine de la réalité de l’ensemble de nos ressources humaines. Actuellement, ce n’est pas le cas, mais le système d’information unique me le permettra. Néanmoins, vous le comprendrez, il n’y a pas un mouvement d’enthousiasme généralisé pour m’aider à bâtir le système SOURCE… Il faudra que j’y mette beaucoup d’énergie.

Lorsque nous étudierons un successeur de Louvois, et comme nous avons rencontré quelques problèmes avec l’articulation entre SIRH et calculateur, nous serons très vigilants sur la préparation de cette interface. Nous ne pourrons éviter de refaire une partie du travail déjà réalisé pour la préparation de SOURCE, afin d’être bien en phase avec le futur calculateur soldes. Ainsi, SOURCE prendra certainement un peu de retard, mais ce travail est nécessaire.

S’agissant de la civilianisation, nous n’avons pas une bonne vision de l’évolution des personnels : notre information est un peu moins nette pour les militaires que pour les civils. Ce sera l’un de nos axes de travail. Nous devons également avoir une vision plus synthétique des REO, et c’est une responsabilité qui a été confiée à la DRH au titre de la nouvelle gouvernance. Pour ce faire, nous disposons d’un outil d’information, CREDO. Une autre démarche consiste à analyser les besoins métier par métier, selon huit familles professionnelles. Ainsi, CREDO indique que, dans la « famille achats », on compte 30 % de personnels militaires et 70 % de personnels civils ; c’est aux employeurs de dire ensuite si cette répartition est appropriée. Pour la fonction restauration, la proportion est inverse : il convient d’étudier cette proportion pour déterminer si elle est adaptée.

M. Yves Fromion. Y a-t-il une interaction entre civilianisation et externalisations ?

J’ai cru comprendre que, si une étude en amont a permis, dans le cadre de la précédente LPM, de déterminer la masse des postes à déflater, un a priori a prévalu sur l’enveloppe de la future LPM, si bien que vous devez à présent mener un travail d’analyse fonctionnelle pour juger si la déflation sera compatible avec les missions du ministère de la Défense. Ai-je bien compris votre propos ?

Mme Sylvie Pichot. Quelle est la politique menée en direction du corps des ouvriers d’État, en matière de recrutements, d’avancement, d’indemnités ?

M. Christophe Guilloteau. M. Feytis a parlé de la loi sur les retraites. Notre commission n’aurait-elle pas pu être saisie pour avis sur les dispositions touchant à la Défense ?

Monsieur le directeur, les militaires s’interrogent beaucoup sur le reclassement, plus particulièrement dans la fonction publique. Êtes-vous optimiste en la matière ?

Vous avez indiqué que le dépyramidage toucherait tout le monde, mais vous n’avez pas parlé du contrôle général des armées, dont les quatre-vingt-deux contrôleurs ne sont pas les plus mal lotis du ministère de la Défense… Seront-ils concernés par la déflation ?

M. Jacques Feytis. Effectivement, il y a une interaction entre civilianisation et externalisations. Néanmoins, je ne pense pas que nous soyons dans une logique d’externalisations forcenées. Il n’y a pas de projets majeurs. Dans le domaine de l’habillement, des velléités ont existé, puis nous nous sommes orientés vers une logique de régie rationalisée optimisée, dont les impacts RH sont bien moindres.

L’externalisation implique de payer la TVA sur la prestation et de couvrir la marge du prestataire. En outre, quid du personnel ? Il peut rejoindre le prestataire dans le cadre de la mise à disposition, mais cela n’a pas rencontré un franc succès. En définitive, chaque opération d’externalisation s’ajoute à la déflation. Si elle présente un intérêt sur le plan économique elle peut ne pas en avoir si on intègre le coût des personnels qui finalement resteront et que nous devrons rémunérer, alors que nous paierons le prestataire.

Externaliser une prestation qui mobilise essentiellement des personnels militaires contribuera à la manœuvre RH militaire et ne dégradera pas le ratio civils/militaires. À l’inverse, externaliser une prestation avec beaucoup de personnels civils me pose problème, car, s’ils partent, cela fait du personnel civil en moins, et s’ils ne partent pas – c’est en général le cas –, je devrai les payer alors que je ne peux plus les employer.

Les propos que j’ai tenus en préambule sont strictement techniques et traduisent une différence de méthode entre la révision générale des politiques publiques (RGPP) et la modernisation de l’action publique (MAP). La RGPP présentait l’avantage de fournir une méthodologie pour la conduite des réformes, mais elle s’est assez peu embarrassée d’un effort de communication et sans doute n’avons-nous pas suffisamment préparé le terrain pour les agents – nous avons pansé les plaies avec un grand nombre de mesures catégorielles… La MAP nécessite plus de temps. Néanmoins, les choses ont été bien comprises au sein du ministère. Il est logique que les analyses fonctionnelles ne viennent qu’après cette première étape, et cela explique un premier train de restructurations en 2014.

Le ministère de la Défense comprend 20 000 ouvriers d’État qui constituent le cœur de la compétence technique de notre personnel civil. Le ministre a souhaité redonner une visibilité à cette catégorie de personnel en autorisant des recrutements – 105 recrutements au titre de l’année 2014. Malgré les besoins en compétences, nous avions décidé de suspendre les recrutements au cours des dernières années. Il faut reconnaître que les ouvriers d’État ont un coût de rémunération élevé – leur bordereau de salaire est indexé sur l’évolution de la grille des salaires de la métallurgie parisienne –, et par ailleurs le calcul de leur pension de retraite est avantageux.

M. Yves Fromion. Et ils sont inamovibles.

M. Jacques Feytis. On ne peut pas dire qu’ils soient plus inamovibles que les fonctionnaires : les reconversions ont montré qu’ils avaient fait preuve de mobilité.

Certains prétendent qu’ils sont privilégiés, mais leur rémunération est gelée depuis quatre ans. Par conséquent, leur prime de rendement, indexée sur la rémunération de base, n’évolue pas non plus. Ainsi, depuis quatre ans, chaque année de gel du bordereau de salaire ouvrier (BSO) représente 17 millions d’euros d’économies sur la masse salariale. Le gel de la rémunération sera prolongé en 2014. On ne peut donc pas parler de gabegie.

En outre, le recrutement sera limité à quatre métiers : les opérateurs en maintenance aéronautique, les pyrotechniciens, les diésélistes et les frigoristes. Ces dernières années, nous avons recruté 300 contractuels, notamment dans la maintenance aéronautique, avec des conditions de salaire équivalentes à celles des ouvriers de l’État. Dans la mesure où les recrutements vont reprendre, nous allons proposer à ces 300 opérateurs de devenir ouvriers de l’État, mais nous mènerons cette transformation de manière raisonnable, c’est-à-dire en prenant en compte la réalité de leurs quelques années de carrière – sachant qu’il n’y aura pas d’évolution salariale !

Il est compliqué d’être totalement optimiste dans la mesure où ce sont des femmes et des hommes qui doivent quitter l’institution. Nous sommes suffisamment affectifs au ministère de la Défense pour n’être jamais vraiment satisfaits, quand bien même une manœuvre RH de ce type est réussie. Avec les gestionnaires, nous pensons pouvoir y arriver techniquement, mais en utilisant des leviers douloureux : réduction des recrutements, incitations au départ, mais aussi limitation des avancements, comme nous l’avons fait en 2013. Le véritable enjeu se situe dans l’articulation entre l’organisation et la RH, mais encore faut-il que les services fonctionnent. Les analyses fonctionnelles doivent identifier les postes où nous pouvons nous permettre des déflations et ceux que nous souhaitons conserver. Incontestablement, le ministère va encore souffrir. Nos agents, civils ou militaires, abordent avec courage et tristesse cette nouvelle étape qui est inévitable.

Enfin, la gestion des contrôleurs des armées est assurée, non par moi-même, mais par le chef du contrôle général des armées. Il est parfaitement conscient que le corps doit montrer l’exemple, car il n’y a aucune de raison qu’il ne participe pas à la déflation à la mesure de ses effectifs. Le contrôle n’est pas toujours apprécié, et c’est en un sens normal ; mais s’il n’existait pas, l’Inspection des finances ou la Cour des comptes se chargerait de son travail… Au moins sommes-nous pour la plupart d’anciens officiers des armes ou des services et connaissons-nous plutôt bien le ministère.

Mme la présidente Patricia Adam. Merci beaucoup, monsieur le directeur.

*

* *

Ÿ M. le général Bertrand Ract-Madoux, chef d’état-major de l’armée de terre (mercredi 16 octobre 2013)

Mme la présidente Patricia Adam. Je vous remercie, général, d’avoir accepté notre invitation. L’armée de terre, comme les autres armées, est concernée par le projet de loi de programmation militaire et le projet de loi de finances pour 2014. Je vous cède sans plus tarder la parole.

Général Bertrand Ract-Madoux, chef d’état-major de l’armée de terre. Je vous remercie de m’offrir une nouvelle fois l’occasion de m’adresser à la représentation nationale sur un sujet capital : le projet de loi de programmation militaire (LPM) et le projet de loi de finances (PLF) pour 2014, qui en constitue la première annuité.

Le Livre blanc de 2013 rappelle combien la protection, la dissuasion et l’intervention structurent de façon complémentaire l’action des forces de défense. Il pose également la nécessité de connaître, d’anticiper et de prévenir. En complément de l’action de ses unités de sécurité civile et de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris, l’armée de terre assure tout d’abord une présence opérationnelle permanente sur la totalité du territoire dans le cadre des missions Vigipirate, Harpie, Héphaïstos et Titan. Les hommes qu’elle mobilise pour venir au secours de nos concitoyens attestent de sa contribution et de sa réactivité.

Depuis plus de vingt ans, elle répond aussi, souvent dans l’urgence, aux objectifs militaires qui lui sont assignés, en se déployant sur tous les fronts où la France juge indispensable d’intervenir. La permanence de son dispositif outre-mer et à l’étranger renforce en outre les moyens de prévenir les crises. De plus, son ensemble cohérent de moyens de renseignement contribue à la fonction connaissance et anticipation. Enfin, l’engagement au sol de l’armée de terre, au contact d’adversaires déterminés et au profit de populations menacées, marque la détermination de la France à assumer ses responsabilités internationales. L’armée de terre contribue de fait à asseoir le rang de notre pays. La France peut, je crois, s’enorgueillir de disposer de forces terrestres capables de mener une opération telle que Serval. Mais cette détermination, qui se mesure aux sacrifices que la Nation est prête à consentir pour défendre ses valeurs, se mesure également aux efforts qu’elle accepte de fournir pour entretenir son outil de défense.

Le projet de LPM pour les années 2014 à 2019 me semble rechercher le meilleur point d’équilibre possible entre, d’une part, le redressement des comptes publics et, d’autre part, l’ambition stratégique de la France de conserver une défense forte. À cette fin, il met en avant tant l’importance des équipements que le rôle déterminant de l’entraînement pour disposer de forces opérationnelles performantes. Dans le contexte de ressources comptées qui est actuellement le nôtre, le maintien de cet équilibre fera appel au volontarisme budgétaire du pays. La manœuvre de déflation des effectifs restera, quant à elle, délicate à conduire.

Le PLF pour 2014 relance la modernisation des forces terrestres engagée en 2008. Toutefois, le rythme envisagé ne permet pas de lever tous les risques de rupture capacitaire, plaçant ainsi l’armée de terre « sur le fil du rasoir » en matière d’équipements.

Il convient en premier lieu de reconnaître que la LPM pour les années 2009 à 2014 a permis, conformément à ce qui était prévu, d’amorcer de façon significative le renouvellement d’une partie des matériels de l’armée de terre. L’arrivée en 2010 du système FÉLIN – fantassin à équipement et liaisons intégrés – a accru l’efficacité du combattant débarqué en améliorant ses capacités d’observation et d’agression, de jour comme de nuit, conférant ainsi à nos soldats une supériorité tactique, vérifiée en opérations. Le 21e régiment d’infanterie de marine de Fréjus est le douzième régiment à en être doté. La mise en œuvre du plan d’équipement, ajusté au nouveau contrat opérationnel – c’est-à-dire réduit –, sera achevée en 2014.

Mis en service opérationnel en avril 2012, le véhicule blindé de combat d’infanterie (VBCI) offre, quant à lui, un excellent compromis entre mobilité et protection, d’une part, entre précision et puissance de feu, d’autre part. Le déploiement d’une trentaine d’engins au Mali a confirmé son extraordinaire plus-value technique, déjà établie en Afghanistan et au Liban. Le 16e bataillon de chasseurs de Bitche, sixième régiment d’infanterie sur huit à en être équipé, est en cours de transformation. En 2014, après la livraison de 77 nouveaux exemplaires, un peu plus de 600 véhicules auront été réceptionnés sur une cible de 630.

Enfin, je terminerai ce tour d’horizon en évoquant l’hélicoptère d’attaque Tigre, dont les performances ont été remarquées en Afghanistan, en Libye, en Somalie et au Mali. Le Tigre est devenu incontournable sur les théâtres d’opérations. Les quarante appareils en version appui-protection (HAP) livrés à ce jour sont complétés, depuis juin 2013, par les premiers hélicoptères en version appui-destruction (HAD), qui disposent de missiles. En 2014, l’aviation légère de l’armée de terre réceptionnera quatre HAD supplémentaires, portant à quarante-huit le nombre de Tigre livrés sur une cible ramenée à soixante appareils. L’arrivée de tous ces équipements a incontestablement élevé le niveau d’équipement de l’armée de terre et renforcé sa capacité opérationnelle.

Toutefois, vous le savez, ce bilan positif mérite d’être nuancé. En effet, en raison des contraintes financières pesant sur les conditions d’exécution de la LPM, le processus de modernisation aura finalement connu un fort ralentissement en 2011 et en 2012, qui s’est accentué en 2013 avec le budget d’attente. De fait, cela a nettement modéré l’ambition que portait le Livre blanc de 2008 en matière de remise à niveau des moyens terrestres. Avant même les décisions du Livre blanc de 2013, les mesures d’économie imposées à l’armée de terre se sont ainsi traduites par une baisse de l’ordre de 14 % des investissements consacrés aux programmes à effet majeur et aux autres opérations d’armement. Ces mesures d’économie ont touché toutes les armées. Cependant, l’armée de terre, qui ne représente que 20 % du programme 146, a assumé 40 % de l’ensemble de ces économies en 2012 et 2013, ce qui a freiné la dynamique qui avait été lancée.

Je constate donc avec satisfaction que le projet de loi de finances pour 2014 traduit la volonté de relancer cette dynamique. L’enjeu de cette première annuité, et plus globalement de l’ensemble de la LPM, réside dans le respect de la programmation : il convient de ne pas amplifier les conséquences des retards accumulés dans le cadre de la précédente LPM. À ce titre, je partage pleinement la volonté de garantir une exécution fidèle de la LPM, en renforçant, au besoin, le contrôle parlementaire.

Même décalé de deux ans, avec un investissement réduit de la moitié sur la période, le lancement du programme Scorpion en 2014 est de ce point de vue un soulagement, car il constitue une obligation. Ce programme, qui a vocation à structurer les capacités de combat médianes des forces terrestres, répond parfaitement aux impératifs opérationnels et à aux objectifs d’économie que s’est fixés l’armée de terre. Il satisfait d’abord, au juste niveau, aux exigences du combat moderne en matière de protection, de mobilité, de précision des armes et, enfin, de valorisation de l’information. D’autre part, la maîtrise des coûts d’acquisition, mais aussi d’emploi et de soutien, constitue une donnée clé de cette opération d’armement. La standardisation des plateformes réduira les coûts de maintenance des engins et de formation des équipages. La reconfiguration, grâce au concept de kits additionnels communs, permettra de différencier les véhicules en fonction du type d’engagement. Enfin, la simulation embarquée améliorera les conditions d’entraînement et contribuera à l’appui aux opérations, tout en réduisant les coûts.

Compte tenu des reports qu’a déjà subis le programme et au regard de l’étalement des livraisons, les forces terrestres ne seront renouvelées par Scorpion qu’à l’horizon 2025, lorsque 50 % de ce parc aura été livré. Ma vigilance portera donc prioritairement sur le respect du calendrier. La livraison des vingt-quatre premiers véhicules blindés multirôles (VBMR) en 2018 et celle des quatre premiers engins blindés de reconnaissance et de combat (EBRC) en 2020 constituent un objectif certes ambitieux, mais surtout crucial pour une opération particulièrement attendue. Le respect de ce calendrier est d’autant plus impératif que tout nouveau report s’accompagnerait inévitablement de nouvelles opérations de vieillissement des AMX10 RC et des véhicules de l’avant blindés (VAB), dont vous connaissez déjà la vétusté. J’estime en outre qu’il serait extrêmement préjudiciable de succomber à la tentation de l’achat « sur étagère » pour remplacer une des trois opérations constituantes de Scorpion, ce qui remettrait en cause les économies d’échelle réalisées en faisant appel à une seule famille d’équipements.

Concernant les hélicoptères de manœuvre, la commande passée le 29 mai 2013 pour la seconde tranche de livraison de trente-quatre NH90 est évidemment une source de satisfaction. Mais elle ne doit pas masquer le fait que la future LPM limite à ce stade à 115 le nombre d’hélicoptères de manœuvre de l’armée de terre, affaiblissant ainsi, pour le moment et dans l’attente d’un retour à meilleure fortune, la capacité aéromobile des forces terrestres. En outre, l’étalement des livraisons des NH90 – qui seront au nombre de trente-huit en 2019 et de soixante-huit à l’horizon 2024 – repousse l’amélioration qualitative de notre flotte d’hélicoptères de manœuvre. Cela contraint donc l’armée de terre à conserver des Puma en limite d’obsolescence au-delà de 2025 – ils auront alors près d’un demi-siècle –, ainsi que des Cougar et des Caracal au-delà de 2030.

S’agissant des drones tactiques, les engagements récents ont confirmé l’apport essentiel qu’ils représentent en opérations. En offrant au chef tactique et aux forces terrestres un appui renseignement immédiat, adapté au rythme des opérations menées au sol, ils contribuent à l’efficacité et à la protection des unités engagées. Dans ce cadre, l’évaluation du système Watchkeeper, conduite avec nos amis britanniques, se poursuit avec des résultats techniques prometteurs mais encore perfectibles, qui permettent d’entrevoir sa maturité prochaine. Sa fiabilité vient d’ailleurs d’être reconnue et certifiée au Royaume-Uni. La coopération entre les deux armées de terre autour du Watchkeeper fonctionne parfaitement. Pour ma part, je considère que cet appareil offre des capacités très intéressantes d’emport combiné de moyens optiques et électromagnétiques, ainsi qu’une bonne autonomie de vol. Enfin, j’observe une forte volonté, de part et d’autre de la Manche, de lever les dernières difficultés pour faire aboutir ce projet. Sa dimension européenne constitue d’ailleurs un atout supplémentaire : elle ouvre des perspectives de mutualisation non seulement en opérations, mais aussi en matière de formation et d’entraînement.

Le programme d’équipement en missiles moyenne portée (MMP) exige, quant à lui, une vigilance particulière, afin que le marché de développement et de fabrication soit bien notifié avant le mois de novembre 2013, ce qui semble en bonne voie. L’acquisition de cet armement, qui constituera un élément majeur de nos unités de combat d’infanterie et de cavalerie, permettra de remplacer trois armements par deux. Ce programme contribue donc à l’effort général d’économie sur les moyens et de rationalisation de l’armée de terre. Il s’agit surtout de limiter l’ampleur de la réduction de capacité, inévitable à partir de 2016, du fait de l’obsolescence définitive du Milan et de son poste de tir.

Le cas du porteur polyvalent terrestre (PPT) illustre également les risques de rupture capacitaire que font peser les reports successifs d’opérations et le ralentissement des cadences de livraison. Les premières versions de ce camion logistique ont été livrées en 2013. Cent quinze exemplaires le seront en 2014, et seulement 450 avant 2020 sur une cible de 1 600 porteurs. Ceci nécessitera de procéder à nouveau au vieillissement des camions logistiques actuels : le TRM 10 000 et le véhicule de transport logistique (VTL), aujourd’hui réellement à bout de souffle. Une rupture capacitaire pourrait intervenir à partir de 2019. Elle soumettrait alors à une très forte tension la fonction logistique, dont l’importance a pourtant été confirmée au Mali et en Afghanistan, et qui est quotidiennement sollicitée en métropole pour assurer le transit interarmées et le soutien des activités d’entraînement. J’ajoute qu’une escouade de six de ces nouveaux camions PPT a embarqué hier matin pour le Mali. La projection rapide des nouveaux matériels est ainsi pratiquée depuis plusieurs années avec succès par l’armée de terre, afin de doter les hommes des matériels les mieux adaptés à leurs conditions d’engagement.

Le projet de LPM fait de l’activité opérationnelle une priorité. Cela se traduit par une augmentation des crédits dédiés à l’entretien programmé des matériels (EPM) et par le maintien de l’entraînement à son niveau de 2013. Cependant, cet effort s’accompagnera d’une forte contrainte sur les dépenses de fonctionnement et de cohérence opérationnelle, qui risque d’asphyxier progressivement l’activité et de dégrader les conditions d’exercice du métier militaire.

L’augmentation des crédits consacrés à l’EPM permet globalement de satisfaire nos besoins en entretien courant, mais elle ne couvre pas les coûts de régénération des matériels rapatriés des théâtres d’opérations extérieures. C’est pourquoi, en l’absence de financement spécifique, la remise à niveau de ces véhicules ne pourra se faire qu’au détriment de la disponibilité des parcs en service en métropole. En 2014, pour régénérer les 1 400 engins terrestres ramenés des opérations Pamir et Daman – dont près de 560 VAB –, auxquels il convient d’ajouter les équipements rentrés de l’opération Serval, le besoin est évalué à 24 millions d’euros par an sur une période de cinq ans. La couverture de ce besoin nous a été refusée à ce stade de l’élaboration du budget. En dépit des difficultés que posent le soutien simultané des matériels de nouvelle génération et l’entretien des engins d’ancienne génération, l’armée de terre sait pouvoir contenir ses besoins en EPM terrestres et aéronautiques à environ 900 millions d’euros de 2013 jusqu’en 2020, grâce à la poursuite de politiques innovantes, rigoureuses et contraignantes. Vous pouvez en tirer la conclusion que l’armée de terre est soutenable dans la durée.

En effet, l’impératif de maîtrise des coûts constituant un enjeu prioritaire, l’armée de terre a fait des choix structurants pour optimiser l’emploi de ses ressources. Elle a notamment généralisé à tous les matériels, en 2008, une politique d’emploi et de gestion des parcs différenciée par nature d’utilisation : alerte Guépard, entraînement en camps ou service permanent en garnison. Les objectifs de disponibilité technique opérationnelle sont également différenciés selon qu’ils s’appliquent aux théâtres d’opérations ou à la métropole. Toutefois, compte tenu des efforts déjà réalisés dans ce domaine et de leurs résultats, les marges de progrès me semblent dorénavant réduites.

Concernant la préparation opérationnelle, les ressources programmées devraient permettre de la maintenir à son niveau de 2013. L’insuffisance des ressources nécessaires pour atteindre les objectifs de 90 journées de préparation opérationnelle et de 200 heures de vol est, pour l’instant, compensée par les efforts d’entraînement consentis par l’armée de terre pour préparer les opérations et par son expérience capitalisée au cours de ces opérations. La préparation opérationnelle différenciée, que l’armée de terre pratique depuis 2009, a pour objectif d’adapter le niveau d’entraînement au type de mission et d’optimiser l’emploi des moyens par type de préparation. Nous avons d’ailleurs fait évoluer ce concept en 2011, en développant la préparation opérationnelle décentralisée en garnison.

Enfin, pour entretenir l’expérience de ses unités, l’armée de terre privilégie l’armement des forces prépositionnées et des forces de présence avec du personnel en mission de courte durée. Outre les économies réalisées par rapport au coût d’un personnel permanent outre-mer, cela permet chaque année à plus de soixante unités de combat de remplir des missions contribuant directement à leur préparation. Pour les mêmes raisons, nous employons nos propres soldats pour la protection de nos emprises, cette mission contribuant au maintien des compétences qu’ils mettent en œuvre dans le cadre de leur mission de protection sur le territoire national.

Toutefois, si les contraintes budgétaires devaient se maintenir au même niveau au-delà de 2015, toutes ces « bonnes pratiques » ne suffiraient pas à écarter le risque d’une dégradation progressive de l’aptitude de l’armée de terre à honorer son contrat opérationnel.

S’agissant des dépenses de fonctionnement et de cohérence opérationnelle, l’armée de terre identifie des tensions contraignant les conditions d’exercice du métier militaire et les conditions de vie. Ces tensions pourraient avoir des effets sur sa capacité opérationnelle et sur son moral. En effet, en l’état, le cadrage budgétaire comprimera les crédits dédiés aux équipements d’accompagnement et de cohérence (EAC), à l’entretien programmé du personnel (EPP) et au fonctionnement et aux activités spécifiques (FAS). Cette situation est d’autant plus préoccupante que ces dépenses sont de plus en plus rigides compte tenu de leur volume, tandis que les marges d’économie restantes sont dorénavant faibles. À titre d’exemple, afin de ne pas porter préjudice à la sécurité de nos hommes, je devrai probablement choisir de financer à hauteur d’environ 10 millions d’euros le renouvellement de nos moyens d’évacuation sanitaire et de retarder celui des chariots élévateurs, pourtant indispensables sur les théâtres d’opérations extérieures.

La tension qui s’exerce sur les dépenses liées à la mobilité du personnel retient également mon attention. Structurellement sous-dotés, ces crédits subissent depuis 2011 une érosion significative qui accroît chaque année le décalage entre les ressources programmées et les besoins de l’armée de terre. Des mesures d’économie visant à réduire la mobilité outre-mer et à l’étranger – la durée des séjours a ainsi été réduite progressivement à trois ans – et à diminuer le plan de mutation en métropole au strict minimum sont mises en œuvre pour résorber cet écart. À cette sous-dotation s’ajoute à présent l’absence préoccupante de financement des dépenses de mobilité directement liées aux restructurations à venir. Afin que nos soldats n’assument pas directement la charge des réorganisations qu’impose notre nouveau modèle d’armée, je serai très probablement amené à transférer les efforts d’une ligne budgétaire à l’autre, affectant ainsi celles qui sont déjà dotées au minimum.

J’y insiste : les coupes dans les crédits de fonctionnement, décidées par plusieurs gouvernements successifs, finissent par porter atteinte aux droits individuels des soldats – par exemple au droit au remboursement des déménagements, alors que la mobilité est inhérente à notre métier. Dans l’armée de terre, les crédits de fonctionnement servent également à financer les campagnes de communication pour le recrutement et certains aspects de la préparation opérationnelle. Le fonctionnement a été trop rationalisé par le passé pour pouvoir subir de nouvelles mesures d’économie.

J’en viens aux infrastructures. Leur qualité est un élément essentiel de la capacité opérationnelle des forces terrestres et conditionne le moral des hommes. Le régiment est à la fois un lieu de vie et d’entraînement. Or, malgré une forte rationalisation de ses besoins et en dépit d’une programmation à long terme, l’armée de terre ne peut que regretter le report de ses projets d’infrastructures et la dégradation continue des installations de vie courante de ses hommes. En effet, la modernisation des espaces d’entraînement devra être rééchelonnée dans le temps pour dégager des économies. De même, des crédits d’investissement limités seront consacrés à certaines installations d’instruction pourtant essentielles, mais considérés comme moins prioritaires. Comme vous le savez, les infrastructures de vie et les équipements sportifs sont parfois dans un état critique. Dans plusieurs régiments, comme au 121e régiment du train de Montlhéry, ils semblent avoir été laissés à l’abandon. Initialement prévue en 2013, la fin du plan d’hébergement des militaires du rang – le plan VIVIEN – a dû être reportée à 2017, obligeant certains d’entre eux à loger dans des conditions précaires. De nombreux casernements se dégradent faute de ressources pour les entretenir, et les conditions de vie et de travail du personnel deviennent de moins en moins acceptables. Je vous invite d’ailleurs à venir visiter les lieux les plus édifiants de ce point de vue.

La « clause de revoyure » de la LPM me semble donc une occasion à ne pas manquer. Elle pourrait permettre de compléter les crédits de fonctionnement et de cohérence opérationnelle avec des montants somme toute faibles – un bâtiment pour loger les troupes coûte trois millions d’euros – et d’améliorer ainsi significativement les conditions d’exercice du métier.

L’armée de terre poursuit en 2014 les déflations d’effectifs à un rythme que peut encore supporter son modèle de ressources humaines. Sa masse salariale est équilibrée, mais les objectifs de « dépyramidage », très ambitieux, méritent d’être ajustés.

En l’espace de onze ans, de 2008 à 2019, 35 000 postes auront été supprimés et 22 000 transférés. Au total, 57 000 hommes et femmes de l’armée de terre auront été touchés par les réformes. En 2013, les déflations se sont poursuivies au rythme imposé par la précédente LPM : 2 260 postes militaires ont été supprimés au titre du budget opérationnel de programme (BOP) « Terre » et environ 2 980 dans l’ensemble de l’armée de terre. Cette réduction a été obtenue par la dissolution du 8e régiment d’artillerie de Commercy et l’adoption d’une trentaine de mesures de restructuration, permettant chacune des gains variant de trois à quatre-vingt-dix postes. En 2014, 2 600 suppressions de postes sont prévues au titre du BOP « Terre ». Les mesures de restructurations ont été identifiées. Celles dont l’annonce a pu être faite à ce jour sont en cours de mise en œuvre.

L’effort de réorganisation qu’impliquent ces déflations est chaque année plus complexe. Nous avons capitalisé au fil des ans une expérience solide en termes de mise en œuvre des restructurations et d’accompagnement individualisé. Nous disposons par ailleurs d’un modèle de ressources humaines cohérent, qui a fait la preuve de son adaptabilité aux contraintes actuelles. Je considère qu’il n’est sans doute pas nécessaire, pour le moment, de le revoir en profondeur ou d’en modifier les fondements. Compte tenu de l’ampleur des efforts qui nous attendent, il convient selon moi de ne pas précipiter les réformes et de les faire se succéder à un rythme supportable tant par les organisations que par nos hommes. Avec la crise du projet Louvois, nous mesurons, hélas, les effets d’une trop grande ambition réformatrice.

À ce stade, l’armée de terre confirme donc son attachement à son modèle de ressources humaines, qui s’appuie sur un impératif de jeunesse, sur la diversité du recrutement, sur l’équilibre entre contractuels et militaires de carrière et, enfin, sur la promotion interne au mérite. En vertu de ces principes, deux tiers des sous-officiers proviennent de la troupe et 70 % des officiers sont recrutés en interne. Ainsi, l’armée de terre offre à ses hommes des perspectives de carrière attractives. Elle valorise l’expérience professionnelle et fait de « l’escalier social » une réalité. En outre, ce système permet une gestion dynamique des flux. En l’espace de dix ans, l’armée de terre a ainsi diminué son recrutement direct d’officiers de 38 %. Pour faire taire les mauvaises langues, je précise que, de 2006 à aujourd’hui, nous sommes passés de trente-neuf nouveaux généraux par an à vingt et un.

D’autre part, je précise que l’armée de terre maîtrise parfaitement sa masse salariale, signe qu’elle contrôle ses effectifs. Les difficultés liées au logiciel Louvois mises à part, la masse salariale devrait afficher, en 2013, un léger excédent d’environ six millions d’euros, après avoir été à l’équilibre en 2011 et en 2012, hors mesures exogènes telles que la refonte des grilles indiciaires ou les mesures de revalorisation des bas salaires. Je peux donc vous affirmer que, pour la catégorie du personnel militaire dont elle a la charge, l’armée de terre est un bon gestionnaire.

Cependant, l’évolution des dépenses en personnel militaire, ces dernières années, suscite des interrogations. En effet, en dépit de la baisse des effectifs, la masse salariale du personnel militaire a continué à croître. Le « repyramidage » des effectifs est avancé comme une cause probable de cette hausse. Sans porter un quelconque jugement sur cette analyse, j’observe que le titre 2 du BOP « Terre » a diminué de 10 % entre 2010 et 2012. S’agissant du « repyramidage », je constate que, au sein du ministère, entre 2008 et 2013, le nombre d’officiers a diminué de l’ordre de 5 %, tandis que celui du personnel civil de catégorie A a augmenté d’environ 25 %.

D’autre part, avec un taux d’encadrement inférieur à 12 %, et de seulement 8 % dans les forces terrestres, l’armée de terre affiche un ratio très raisonnable, notamment par comparaison avec ses homologues étrangères : ce même ratio est d’environ 14 % aux États-Unis et au Royaume-Uni. C’est pourquoi elle éprouve des difficultés à adhérer à l’objectif visant à ramener le taux d’encadrement « officiers » du ministère à 16 %, ce qui implique un effort de déflation considérable sur cette catégorie de personnel. En dépit des nouveaux leviers d’aide au départ, au demeurant plus attractifs et donc plus incitatifs que les précédents, le bilan des années passées m’a conduit à considérer que les objectifs fixés à l’armée de terre en la matière étaient déraisonnables au regard des effets déstructurants dont ils sont porteurs. Un arbitrage est attendu sur ce point.

Enfin, pour clore le sujet des effectifs, j’estime que la cible d’environ 15 000 suppressions de postes hors forces opérationnelles, c’est-à-dire essentiellement dans l’environnement et le soutien de ces forces, constitue à mes yeux un défi d’ampleur. Les économies drastiques réalisées depuis 2008 laissent peu de marges de rationalisation, dans des domaines qui conditionnent très directement tant la capacité opérationnelle que le moral des hommes. Dans l’administration générale et le soutien commun, dont la réorganisation aura de lourdes conséquences sur la vie courante de nos unités, l’effort pourrait représenter environ 40 % du total de ces déflations. Il est capital que ces nouvelles réductions ne dégradent ni le soutien aux activités opérationnelles ni leur sécurité, et qu’elles ne causent pas non plus de défauts d’administration préjudiciables à la condition du personnel. Tel est l’enjeu du travail d’identification en cours au sein du ministère, le risque étant que l’on décide de reporter in fine sur les forces les suppressions qui n’auront pas pu être réalisées. Nous passerions alors en deçà du format de 66 000 hommes projetables qui doit permettre à l’armée de terre d’honorer son contrat opérationnel.

Pour conclure, j’évoquerai les enjeux pour l’avenir : premièrement, notre capacité à mobiliser nos hommes autour de la réforme ; deuxièmement, la nécessité de confier aux chefs d’état-major les leviers d’action indispensables pour garantir le niveau de préparation opérationnelle de leur armée et le moral de leur personnel.

Les hommes et les femmes de l’armée de terre font preuve, sur les théâtres d’opérations, d’un sens de l’engagement et d’un dévouement qui forcent mon admiration. Depuis de nombreuses années déjà, ils mettent également en œuvre, avec constance, de nombreuses restructurations et conduisent le changement de leur armée, avec détermination et avec un certain succès. Le nouvel effort qui leur est demandé aura naturellement des effets sur leur moral. Plus généralement, le contexte économique national ajoute à la perception globalement pessimiste que nos concitoyens ont de leur avenir. Tout cela alimente les inquiétudes de nos hommes, leur sentiment de lassitude, voire de mécontentement. Nous devons donc veiller à ne pas affecter leur motivation et la satisfaction que leur procure leur engagement au service de notre pays, en leur donnant les moyens non seulement de bien vivre leur métier, mais aussi de vivre bien de leur métier.

S’agissant de la modernisation de la gouvernance du ministère, une clarification des responsabilités et une simplification de l’organisation sont nécessaires. Les dysfonctionnements du projet Louvois ont montré les limites d’une approche trop fonctionnelle des organisations. En dispersant les leviers de commandes entre de trop nombreuses mains, dans une logique mal comprise de recentrage sur le cœur de métier et de spécialisation des fonctions dites « en tuyaux d’orgue », cette méthode dilue finalement les responsabilités et pourrait être porteuse de déconvenues. La volonté de donner la primauté à l’opérationnel fixe une ligne directrice très compréhensible dans un ministère comme le nôtre. Celle-ci justifie que les chefs d’état-major des trois armées restent les garants de la cohérence capacitaire et opérationnelle des forces dont ils sont responsables. Il me semble donc légitime qu’ils disposent des moyens leur permettant de répondre, devant le chef d’état-major des armées, le ministre de la Défense et les commissions parlementaires, de l’atteinte des objectifs qui leur sont fixés.

Je vous ai livré avec franchise et transparence l’analyse d’un chef d’état-major dont l’armée contribuera de manière significative à l’effort de redressement budgétaire du pays. Le projet de LPM et le PLF pour 2014 me semblent se présenter aujourd’hui convenablement, à l’exception de la manœuvre de déflation des effectifs, qui restera délicate à conduire. En outre, ils supposent que notre pays fasse preuve de volontarisme pour soutenir dans la durée l’ambition stratégique qui est la sienne.

Je vous remercie chaleureusement du soutien apporté par votre commission aux hommes et aux femmes de l’armée de terre, que ce soit sur les théâtres d’opérations, aux côtés de nos familles et de nos soldats dans les moments difficiles ou, tout au long de cette année, lors des travaux du Livre blanc, de l’examen du projet de LPM et de l’université d’été de la défense.

Mme la présidente Patricia Adam. Merci, général. Nous apprécions votre franchise. Comme l’a indiqué le ministre de la Défense, la loi de programmation militaire devra être respectée, ce qui exige la vigilance de tous. Vous pouvez être assurée de celle de notre commission.

M. Joaquim Pueyo. Vous avez fait, général, une présentation très complète. Vous avez rappelé la volonté, dans le cadre de la LPM et du PLF pour 2014, de renforcer l’activité opérationnelle et d’acquérir les équipements nécessaires à cette fin, grâce à la poursuite des programmes à effet majeur tels que FÉLIN, Tigre et VBCI. Vous avez confirmé que le programme Scorpion permettrait de moderniser nos capacités d’action. Ce sont là des éléments de satisfaction. Cependant, vous avez fait état, à plusieurs reprises, de risques de rupture capacitaire. Pouvez-vous préciser quels sont ces risques ?

En matière d’effectifs, l’armée de terre a déjà fait des efforts considérables dans le cadre de la LPM précédente, mais va devoir continuer à en faire. Vous êtes très attaché aux conditions d’exercice du personnel, facteur clé de la réponse aux contrats opérationnels. Existe-t-il, selon vous, un risque de mouvement social au sein de l’armée de terre ? Comment l’éviter ? Des crédits seront consacrés à l’accompagnement social. Que pensez-vous de ces mesures d’accompagnement ?

D’autre part, l’armée de terre continuera à recruter, en particulier des jeunes de moins de vingt-six ans souvent sans formation, qui bénéficieront ainsi d’une première expérience leur ouvrant des perspectives d’emploi, y compris dans le civil. Je rappelle que la durée des contrats dans l’armée de terre est de six ans en moyenne. Comment l’état-major va-t-il communiquer sur la question des effectifs dans le cadre de la LPM ? Il conviendrait de ne pas parler uniquement de déflation.

M. Yves Fromion. Avec 6 000 suppressions de postes, l’armée de terre va devoir assumer une grande part de la déflation des effectifs. Nous comprenons que ce soit un sujet qui vous préoccupe. Lorsque nous l’avons auditionné hier, le directeur des ressources humaines du ministère de la Défense a manifesté sa volonté de centraliser la « manœuvre ressources humaines ». Sans doute avez-vous une approche plus circonspecte en la matière. Pouvez-vous nous en dire plus ?

On laisse entendre qu’une brigade entière de l’armée de terre serait supprimée pour parvenir à cette réduction de 6 000 postes. Quelles sont les premières orientations prises à ce sujet ?

Le Livre blanc a mis l’accent, à juste titre, sur les opérations de projection et sur les forces spéciales, mais semble avoir négligé les actions de force qui nécessiteraient des moyens beaucoup plus importants – blindés et artillerie sous blindage. Quel est votre sentiment sur ce point ?

M. Christophe Guilloteau. Vous avez mentionné un nouveau départ de matériel pour le Mali. Pouvez-vous faire un point sur la situation dans ce pays, indépendamment de la LPM ?

Nos collègues sénateurs ne semblent pas accorder une très grande attention au drone Watchkeeper, produit – vous l’avez rappelé – dans le cadre d’une coopération industrielle franco-britannique. Quelle est votre position à ce sujet : est-ce un équipement réellement attendu par l’armée de terre ou ce programme sacrifie-t-il à l’air du temps ?

Mme Geneviève Gosselin-Fleury. De quelle manière l’armée de terre applique-t-elle concrètement le principe de différenciation en matière de préparation opérationnelle ?

Pour répondre aux objectifs de « civilianisation » des effectifs, le ministère de la Défense réalise actuellement une étude sur les référentiels en organisation. Le directeur des ressources humaines de l’armée de terre est-il impliqué dans ce travail ? Le cas échéant, quelles propositions l’armée de terre fera-t-elle en la matière ?

M. Alain Marty. L’année dernière, notre rapporteur avait estimé que l’armée de terre avait atteint un format « tout juste suffisant ». Dans le cadre de la LPM, elle va perdre 6 000 postes supplémentaires, soit environ 8 % de ses effectifs. Comment le format pourra-t-il demeurer « tout juste suffisant » dans ces conditions ?

Le budget des infrastructures a souvent constitué une variable d’ajustement lors des réductions ou des gels budgétaires, ce qui peut se comprendre quand l’arrivée des matériels est elle-même décalée. Mais vous avez vous-même évoqué les difficultés actuelles : alors que le casernement et la qualité de vie des militaires sont toujours affichés comme une priorité, la réalité est bien différente sur le terrain. Quels seraient les moyens financiers nécessaires pour répondre aux demandes en la matière ?

Général Bertrand Ract-Madoux. La LPM couvrira en principe tout le spectre des capacités nécessaires pour honorer le nouveau contrat opérationnel. Si elle est correctement appliquée, nous devrions éviter les risques de ruptures capacitaires les plus graves. Si en revanche, comme cela s’est produit dans le cadre de la LPM précédente, nous subissons des étalements de certains programmes à effet majeur ou de nouvelles réductions de cibles – non seulement Scorpion, mais aussi d’hélicoptères de tous types, des véhicules de transport logistiques (VTL) et d’autres équipements plus spécifiques –, nous serons confrontés à un déficit de certains matériels.

Ainsi, il est impératif que le contrat de développement des missiles moyenne portée (MMP) soit notifié d’ici à la fin de l’année 2013 – il y a de bonnes chances qu’il le soit – pour que les premiers missiles nous soient livrés en 2017 ou en 2018. En effet, en 2016, nous ne disposerons plus que de 400 postes de tir Milan et ce chiffre ira ensuite en décroissant. De même, nous n’aurons plus, à partir de 2017 de missiles de cette catégorie : dans la mesure où nous ne disposons pas des crédits nécessaires à leur revalorisation, ils se périment.

D’une manière générale, les chefs d’état-major ont accepté des ruptures de capacité temporaires sur certains équipements dans le cadre de la LPM – c’est d’ailleurs un point marquant de cette loi. Dans l’armée de terre, ce sera le cas pour les blindés moyens tels que les AMX10 RC, les ERC90 Sagaie et les VAB. Nous ne pouvons donc plus nous permettre de perdre du temps. Bien sûr, encore faut-il que les lignes budgétaires soient maintenues ! À cet égard, le contrat Scorpion tel qu’il sera notifié en 2014 ne représentera que la moitié du programme prévu dans le cadre de la dernière LPM : non seulement sa réalisation a été décalée dans le temps, mais sa cible a été réduite. Néanmoins, je demeure très satisfait que ce programme soit lancé.

Les équipements me préoccupent moins que les hommes. Vous avez raison de rappeler, monsieur Pueyo, que l’armée de terre va continuer à recruter - heureusement ! Recruter, former, gérer les soldats sont des choses que nous savons très bien faire. Vous avez tous rencontré des jeunes qui, après deux ou trois mois de service dans l’armée de terre, ressemblaient déjà à de bons soldats. Quant aux risques de mouvement social, nous avons su jusqu’à présent les maîtriser, à une exception près. En mars 2012, les dysfonctionnements du système Louvois – une véritable catastrophe – ont provoqué une manifestation de six jeunes épouses de militaires place Jacques-Bainville à côté du ministère de la Défense, un samedi matin. Leurs photos ont circulé sur Internet. Cela a été un épisode très douloureux pour nous. D’autant que la crise suscitée par l’échec de Louvois est d’une infinie complexité : personne, n’a en main tous les leviers pour la résoudre. Un an à un an et demi sera encore nécessaire pour trouver une solution de secours, c’est très long.

Pour vous répondre, monsieur Fromion, je ne suis nullement opposé à une évolution des rôles de chacun au sein du ministère de la Défense en matière de gestion des ressources humaines, à condition que l’organisation conserve une certaine cohérence : en tant que chef d’état-major de l’armée de terre, je suis responsable du moral de mes hommes devant le chef d’état-major des armées et le ministre de la Défense – cela figure dans le décret qui fixe mes attributions – ; dès lors, je dois disposer de leviers en matière de gestion des carrières, de mutation, de promotion, de discipline. Si tel n’était pas le cas à l’avenir, mes successeurs ne pourraient pas assumer la plénitude de leur responsabilité quant au moral de leurs hommes ! Mais je suis persuadé qu’une bonne et saine coopération entre le directeur des ressources humaines du ministère de la Défense et les chefs d’état-major des trois armées, qui sont chacun assistés d’un directeur des ressources humaines, est possible.

Les seuls points de divergence portent aujourd’hui sur la « manœuvre ressources humaines ». Le directeur des ressources humaines du ministère de la Défense assure le suivi de la réduction des effectifs. Or les cibles de déflation sont très élevées et peuvent apparaître pour certaines excessives. C’est ce que j’ai fait remarquer à propos de la déflation des effectifs d’officiers. Pour ramener le taux d’encadrement « officiers » à 16 % à l’échelle du ministère, il est prévu de conduire une réduction drastique de leur nombre dans l’armée de terre, où ce taux n’est pourtant que de 12 %. C’est difficilement compréhensible pour mes subordonnés. Nous allons très probablement revenir, dans les jours qui viennent, à une cible plus accessible, qui restera néanmoins difficile à atteindre. C’est un sujet sensible. J’ai donc eu parfois des discussions franches avec les responsables concernés, ce qui n’enlève rien à la confiance mutuelle que nous nous manifestons et au fait que nous travaillons ensemble.

C’est non pas une brigade interarmes en tant que telle, mais l’équivalent d’une brigade interarmes qui sera supprimé. J’ai adopté une approche rationnelle au regard de nos capacités. L’effort principal portera sur l’infanterie et la cavalerie. En effet, dans le cadre de la précédente LPM, mise en œuvre par mon prédécesseur, ce sont davantage les fonctions d’appuis – artillerie, génie, train, matériel et transmissions – qui ont été touchées. Or nous avons atteint aujourd’hui un niveau « tout juste suffisant » pour ces fonctions. Il serait déraisonnable de continuer à supprimer des postes dans ces unités. Je suis donc contraint de le faire au sein des armes « de mêlée », celles que vous connaissez le mieux, car elles sont les plus visibles sur les théâtres d’opérations. Nos soldats qui rentrent d’engagements ne comprennent d’ailleurs pas que l’on puisse supprimer leur régiment. Mais il n’existe pas d’autre solution. D’où ma volonté de limiter au maximum – à quatre, je l’espère – les dissolutions de régiments.

Les actions de force n’ont pas été oubliées dans le Livre blanc, même si cela a bien failli être le cas. Nous avons d’ailleurs entendu les propositions les plus folles : réduire les effectifs de l’armée de terre à 25 % de ce qu’ils sont actuellement selon l’option A ; à 50 % selon l’option B. Finalement, j’estime que nous avons préservé l’essentiel, même s’il faudra réduire nos forces de 6 000 hommes. Mais la difficulté principale est ailleurs : comment allons-nous faire pour supprimer environ 15 000 postes dans les fonctions de soutien, alors qu’elles ont déjà été rationalisées ?

S’agissant de l’opération au Mali le niveau d’engagement de la France reste significatif, légèrement supérieur à ce qui avait été annoncé : à la fin de l’année, nous devrions encore disposer non pas de 1 000, mais plutôt de 2 000 hommes sur le terrain. Nous avons ainsi répondu à la demande du Mali et des autres pays africains, qui ne sont pas encore prêts à prendre le relais. D’autre part, nous adaptons notre dispositif militaire à l’évolution de la menace au niveau régional : nous avons mis nos forces au Tchad en vigilance ; nous renforçons notre coopération avec le Niger.

Le Watchkeeper est un programme majeur pour l’armée de terre, comme cela a été annoncé lors du dernier salon du Bourget. Il existe une vraie volonté des autorités politiques et militaires d’avancer sur ce dossier. Le 61e régiment d’artillerie – déjà équipé de drones – est actuellement en train de se former avec son équivalent britannique à l’emploi du Watchkeeper. Nous allons peut-être envoyer prochainement des officiers et des sous-officiers de ce régiment en Afghanistan, aux côtés des équipes britanniques, pour tester le comportement de l’appareil sur un théâtre d’opérations. La réalisation du programme Watchkeeper est à notre portée. C’est actuellement le seul drone tactique de cette catégorie disponible sur le marché européen et le seul à avoir reçu une certification lui permettant de voler – délivrée récemment par l’autorité britannique compétente. Il représentera un atout indispensable pour nos forces en opérations. Nous ne devons pas perdre trop de temps. Il ne faut pas reporter la livraison du Watchkeeper à 2018 ou 2019, alors que le SDTI sera très difficile à maintenir à niveau au-delà de 2017. La différenciation est un concept qui a été mis en avant au cours des travaux du Livre blanc. Bien que le terme soit relativement nouveau, l’armée de terre pratique la différenciation depuis longtemps déjà et a pu constater à quel point elle était source d’économies. Ainsi, nos brigades sont différenciées et optimisées pour certaines missions, par exemple le combat de haute intensité, l’action aéroportée ou amphibie. Mais les hommes demeurent polyvalents et d’une manière générale, toutes les unités contribuent à la protection des Français et aux opérations extérieures. La différenciation est avant tout une question d’organisation et d’adaptation aux besoins. Par exemple, si la disponibilité des équipements doit être supérieure à 90 % en opérations, on peut tolérer qu’elle ne soit que de 50 % en métropole pour certains équipements, notamment dans l’attente de leur renouvellement.

S’agissant de l’objectif de « civilianisation », l’armée de terre compte environ 9 000 civils qui lui sont très précieux. Une grande partie de son personnel administratif et de soutien a été transférée aux services interarmées avec la création des bases de défense. Lorsque j’ai pris mes fonctions, il restait, à l’issue des restructurations, un sureffectif de 500 civils qui n’avaient pas pu être mutés ou qui n’avaient trouvé aucun poste. Ce sureffectif a été ramené aujourd’hui à 130 personnes. D’un autre côté, il manque des civils dans certains domaines, comme par exemple des spécialistes dans les services de maintenance terrestre, pour remplacer ceux qui partent en retraite. D’une manière générale, le recrutement de civils par le ministère de la Défense est pratiquement bloqué depuis plusieurs années. Nous n’avons pu recruter en 2013 que 117 personnes, dont 60 surveillants pour les lycées militaires et des informaticiens sous contrat ou vacataires pour travailler en urgence sur le logiciel Louvois. Nous travaillons en lien avec la direction des ressources humaines du ministère de la Défense pour « civilianiser » certains postes administratifs de l’armée de terre qui le pourraient, n’étant pas projetables.

Cependant, il faut se garder de pousser le concept de « civilianisation » à l’extrême. L’ensemble de l’armée de terre a été surprise de lire, dans un rapport, que les militaires affectés à des postes administratifs ne travaillaient que 1 000 heures par an. Vous connaissez pourtant le dévouement de nos soldats, aussi bien en métropole que sur les théâtres d’opérations extérieures. D’autre part, le message ne passe pas très bien dans les rangs lorsque l’on dit à une armée qui voit fondre ses effectifs militaires qu’il convient de consolider les effectifs civils. La mission du ministère de la Défense est avant tout d’engager des soldats sur le terrain ! D’ailleurs, en réduisant son format à 66 000 hommes projetables, l’armée de terre comptera bientôt un nombre de militaires équivalent aux effectifs civils du ministère.

Comment le format de l’armée de terre peut-il demeurer « tout juste suffisant » ? Dans le cadre du Livre blanc de 2013 et de la LPM, les contrats opérationnels ont été revus à la baisse : dans l’hypothèse d’une opération majeure de coercition, en particulier, l’armée de terre devra être capable de projeter non plus 30 000, mais 15 00 hommes avec leur environnement.

Mme la présidente Patricia Adam. C’était déjà le cas auparavant.

Général Bertrand Ract-Madoux. Oui, mais seulement dans la pratique. Ainsi, au cours de la première guerre du Golfe, la France a déployé sur le terrain entre 15 000 et 20 000 hommes, toutes armées confondues.

Pour l’armée de terre, un effectif de 15 000 hommes correspond à deux brigades de combat, que nous formons donc en priorité – toujours au nom du principe de différenciation – aux opérations de coercition et à l’engagement en premier, nécessitant des capacités telles que les lance-roquettes unitaires (LRU), l’artillerie sous blindage et les chars. Cette formule est tout à fait acceptable. En revanche, je le répète, je n’ai pas voulu descendre en deçà du niveau « tout juste suffisant » qui avait déjà été atteint dans certaines fonctions critiques.

Les difficultés du casernement sont un de nos drames ! Elles affectent directement le moral des hommes. La plupart des militaires de l’armée de terre - dont 72 % sont sous contrat et plus de la moitié sont des engagés volontaires - vivent dans des casernes. La proportion est encore plus élevée chez les légionnaires. Tel n’est pas le cas dans les autres armées. Nous devons donc un minimum à nos soldats. Or les grands programmes d’équipement nécessitent une grande part des crédits consacrés aux infrastructures. Par comparaison, les projets de réfection d’un bâtiment, d’un stade ou d’un réfectoire apparaissent bien modestes et passent parfois au second rang des priorités. Ces projets ne sont d’ailleurs pas non plus prioritaires aux yeux des entreprises. La base industrielle et technologique du secteur terrestre a sans doute une surface moins étendue que celle des autres milieux mais ses industries fabriquent néanmoins des équipements de qualité qui se vendent : ainsi le groupe Nexter, parfois critiqué, réalise des bénéfices à l’exportation.

M. Jean-Yves Le Déaut. J’ai assisté lundi dernier, sur la base de Chaumont, à un lancement de drones SDTI – système de drone tactique intermédiaire – et j’ai pu constater le professionnalisme de nos hommes.

S’agissant du programme Watchkeeper, vous avez jugé « prometteurs » les résultats des essais réalisés à Istres. Nous avons cependant pu lire des appréciations divergentes. Pourquoi les essais ont-ils porté uniquement sur la première génération de drones et pas directement sur la deuxième, qui vient – vous l’avez rappelé – d’être certifiée au Royaume-Uni ? D’autre part, pourquoi la France a-t-elle payé seule ces essais relativement coûteux – huit millions d’euros –, alors que le Watchkeeper est développé en coopération avec le Royaume-Uni dans le cadre des accords de Lancaster House ? Un autre arrangement était-il impossible ? Enfin, vous suggérez que le contrat soit passé dans le cadre d’un marché de gré à gré. Cette procédure permet-elle de maîtriser les coûts ?

M. Serge Grouard. Comment sera-t-il possible d’appliquer correctement la LPM, alors que l’on constate déjà un report de charges d’au moins deux milliards d’euros en 2013 ?

S’agissant de la réduction des effectifs, quels régiments et quelles unités envisagez-vous de fermer après 2014 ? À ce stade, le ministre de la Défense n’a pas souhaité répondre à cette question.

Enfin, les difficultés du casernement sont scandaleuses. L’État a consacré, à juste titre, plusieurs milliards d’euros au renouvellement urbain. Par contraste, personne n’oserait proposer aujourd’hui comme logements très sociaux les logements qui sont affectés aux militaires ! Alors qu’on leur demande d’aller mourir pour la France !

Mme la présidente Patricia Adam. Il y aurait également beaucoup à dire sur le projet immobilier à Balard.

M. Yves Fromion. Ne versez pas dans la démagogie, madame la présidente !

Mme la présidente Patricia Adam. Ce n’est pas de la démagogie. Il aurait été possible de choisir un projet moins onéreux et de consacrer davantage de crédits aux logements des militaires.

M. Alain Chrétien. En matière d’équipement individuel des soldats, où en est-on du programme FÉLIN ? Quelle arme succédera au FAMAS ? Qu’en est-il de son approvisionnement en munitions ? On nous annonce des difficultés dans ce domaine.

M. Alain Moyne-Bressand. Vous avez évoqué, à plusieurs reprises, le moral des hommes. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ? Comment communiquez-vous sur les décisions prises en haut lieu, afin qu’elles soient mieux comprises à la base ?

D’autre part, vous avez évoqué des pertes de compétences liées aux départs en retraite. L’armée de terre pourrait-elle faire appel aux réservistes pour certaines de ces compétences ?

M. Jean-Pierre Fougerat. Vous êtes resté positif et diplomate, mais à mesure que vous avez égrené certains termes – optimisation, rationalisation, réorganisation, restructuration –, nous avons bien compris que la situation de l’armée de terre se dégradait. Elle est particulièrement tendue dans les fonctions d’appui. À l’instar de mon collègue, je m’interroge sur le moral des hommes.

M. Philippe Folliot. Le déploiement des forces terrestres semble avoir fait la différence entre le succès de l’opération Serval au Mali et les résultats plus mitigés de l’opération Harmattan en Libye – le sud du pays devenant une zone de non-droit. Je vous prie de transmettre nos messages d’entier soutien à vos hommes, mon général.

D’autre part, l’équipement de l’armée de l’air en A400M Atlas en remplacement des Transall sera plus lent que prévu. Les moyens actuellement mis à votre disposition par l’armée de l’air sont-ils suffisants pour assurer la préparation des parachutistes ?

Enfin, dans le cadre de la LPM, il est prévu de moderniser 200 de nos 250 chars Leclerc. Qu’allez-vous faire des 50 chars restants ?

Général Bertrand Ract-Madoux. Concernant les chars Leclerc, nous en aurons 200 au total, dont 50 qui serviront à la formation et à l’entraînement. Nous garderons sans doute les 50 chars Leclerc non rénovés comme stock de pièces de rechange – ce que l’on qualifie parfois de « salvage » ou de « cannibalisation ». Les chars constituent, avec l’artillerie et les hélicoptères, un des moyens qui nous permettrait de faire la différence sur les théâtres d’opérations en cas d’engagement majeur. C’est grâce à ses chars – mais aussi à ses hélicoptères, à ses avions et à son artillerie – que l’armée syrienne résiste aussi fermement.

Vous avez raison de souligner, monsieur Folliot, que le déploiement de forces sur le terrain, auprès des populations, facilite le règlement des crises : pour ramener la paix, il convient notamment de désarmer les belligérants. En Libye, le conseil national de la transition était opposé à une intervention terrestre, car il ne voulait pas entrer dans Tripoli sur les camions des Occidentaux. De plus, la communauté internationale se montrait elle-même très réticente à engager des troupes au sol, par crainte d’un enlisement. Au Mali, nous avons démontré que les forces terrestres étaient capables d’intervenir sans s’enliser. Nous avons neutralisé les éléments nuisibles et apporté la sécurité aux populations.

L’A400M est une excellente nouvelle pour l’armée de terre. Lors de l’université d’été de la défense à Pau, nous avons tenu à en faire voler deux simultanément au-dessus de nos forces. Toutefois, le programme A400M a connu des retards – comme tous les grands programmes – et certaines difficultés. Nous serons donc amenés à conserver encore un certain temps les Transall et les C130 Hercules, qui sont à bout de souffle. Il est donc exact que nous avons de plus en plus de difficultés à former nos parachutistes. Si nous devons continuer à faire des économies au même rythme, il n’est d’ailleurs pas exclu que les suppressions de postes touchent également, à l’avenir, les unités parachutistes.

Quant à la décision de fermer des régiments, elle revient au chef des armées, sur la base d’une multitude de critères. Pour notre part, nous fournissons toutes les données objectives – techniques, financières, opérationnelles – relevant du domaine militaire. Mais d’autres critères, notamment économiques, entrent en ligne de compte. Les critères politiques sont aussi légitimes. C’est un sujet sensible. Je ne suis d’ailleurs pas en mesure de vous indiquer quel est le régiment qui sera dissous en 2014. Je suis en outre très attaché à ce que ce genre de décision soit annoncée au régiment concerné, et donc aux hommes qui y servent, non pas par les médias, mais par moi-même ou par mes principaux collaborateurs.

Pour vous répondre, monsieur Le Déaut, les résultats des essais du Watchkeeper à Istres peuvent être interprétés de deux manières. Le drone vole et se pose parfaitement. En revanche, les liaisons entre le drone et le sol ont posé problème. En tout état de cause, les essais ne sont pas terminés. Quant au prix payé par l’armée de terre pour ces essais, il a été convenu avec la DGA. Il s’agissait en effet d’une opération conjointe avec la DGA : nous avons choisi de tester le Watchkeeper dans un de ses centres d’essais.

Le délégué général pour l’armement a déclaré, devant une commission parlementaire, que le Watchkeeper n’avait pas atteint son point de maturité. C’est en effet le cas en ce qui concerne les liaisons du drone avec le sol. Mais ses capacités de vol et d’emport ne sont pas en cause : il est prêt de ce point de vue. Je retiens de mes contacts avec la partie britannique que l’industriel a beaucoup travaillé sur les problèmes de liaisons au cours des deux derniers mois et qu’ils seraient en voie de règlement. Je souhaite d’ailleurs obtenir un ou deux drones Watchkeeper en leasing avant leur livraison prévue en 2017, tant nous en avons besoin.

Je suis heureux que vous ayez rendu visite au 61e régiment d’artillerie de Chaumont, monsieur le Déaut, et que vous ayez relevé la très grande qualité de nos hommes. Les Britanniques ont également été impressionnés par l’aisance et la rapidité avec laquelle ils ont pris en main le Watchkeeper.

La LPM a anticipé un report de charges en 2013 à hauteur de deux milliards d’euros. Il n’est pas anormal qu’il y ait des reports de charges d’une année sur l’autre, dans la mesure où certains engagements ne peuvent plus être comptabilisés à partir d’une certaine date. Mais ils doivent bien sûr demeurer d’un niveau raisonnable. Or, à ce stade, 20 % de la ressource 2013 du BOP « Terre » est encore immobilisée. Cela représente près de 260 millions d’euros. Il est indispensable de lever cette hypothèque sous peine de fragiliser fortement l’entretien programmé du matériel. La levée de l’immobilisation des crédits d’équipements du programme 146 constitue, elle aussi, un enjeu capital pour l’armée de terre.

J’espère limiter le nombre de régiments dissous à quatre : deux régiments d’infanterie, un de cavalerie, un d’artillerie. Il était également envisagé de supprimer un régiment du génie et un de transmissions, mais je souhaite préserver les fonctions d’appui qui ont été fortement touchées par la déflation des effectifs. Cependant, la fermeture de quatre régiments ne suffira pas pour atteindre les objectifs qui nous sont fixés. Je vais donc simultanément modifier l’organisation interne des régiments d’infanterie, de cavalerie et du génie : je vais réduire le nombre d’escadrons et de compagnies, tout en augmentant le nombre d’hommes au sein de chacune de ces unités. À l’échelle du régiment, il y aura bien une certaine réduction des effectifs. En définitive, les régiments dissous mis à part, nous devrions conserver sensiblement les mêmes capacités militaires.

En ce qui concerne le programme FÉLIN – qui équipe l’infanterie, la cavalerie, le génie et, plus généralement, toutes les unités engagées en première ligne aux côtés de l’infanterie –, la cible correspond à nos besoins. Elle a été légèrement revue à la baisse (18 552 équipements), ce qui est logique dans la mesure où deux régiments d’infanterie seront fermés.

Le successeur du FAMAS devrait être livré à partir de 2016. L’armée de terre devrait en être entièrement équipée vers 2018. La cible est de 90 000 armes, dont 75 000 pour l’armée de terre. Il ne s’agira pas d’un équipement français : notre pays ne produit plus, hélas, d’armes de ce type. Nous avons déjà identifié plusieurs armes possibles, que nous mettrons en concurrence. Ce besoin sera donc satisfait.

Je communique à toute occasion, ce qui n’est pas toujours chose aisée, notamment lorsqu’il est question de fermetures de régiments. J’ai fait le choix de m’adresser à l’ensemble de l’armée de terre par vidéo plutôt que par message ou par lettre, afin de toucher davantage de monde. C’est un moyen adapté. En outre, à chaque fois que je rends visite à un régiment, c’est-à-dire environ une fois par semaine, je prends la parole au moins une trentaine de minutes devant l’ensemble du personnel. Je rencontre très régulièrement les membres des commissions participatives, le conseil de la fonction militaire de l’armée de terre (CFMT) et, deux fois par an, les présidents de catégories. Je suis assisté de conseillers - officiers, sous-officiers et militaires du rang - qui sillonnent la France et sont habilités à répondre en mon nom aux questions qui leur sont posées. Enfin, les comptes rendus des auditions devant les commissions parlementaires sont très lus dans nos régiments. Les soldats qui se sacrifient au quotidien aiment leur métier. Ils se tiennent donc très informés sur les réformes.

Le Livre blanc n’a rien prévu de véritablement nouveau pour les réservistes. L’attention et les moyens qui leur sont accordés demeurent stables. Dans l’armée de terre, les restructurations sont très pénalisantes : lorsqu’un régiment ferme, nous cessons de suivre les réservistes qui y étaient rattachés. Au total, nous sommes passés de 20 000 à 15 600 réservistes. Néanmoins, nous lançons des initiatives très appréciées, telles que le dispositif Guépard réserve, qui concerne environ 500 hommes. À chaque fois que nous faisons appel aux réservistes dans ce cadre, le taux de réponse est de 95 %, ce qui est exceptionnel.

De plus, nous avons créé un bataillon de réserve d’Île-de-France à Vincennes en juin dernier. J’ai déroulé à cette occasion le drapeau du 24e régiment d’infanterie, qui avait été dissous il y a quelques années. Nous avons le projet de créer un autre bataillon de réserve, dans l’Ouest. J’attends d’autres propositions de cette nature. L’intérêt de ces bataillons est de confier à nouveau des responsabilités de commandement à des officiers de réserve – capitaines, commandants, lieutenants-colonels, voire colonels.

Cependant, nous ne pourrons guère en faire plus pour les réservistes tant que les budgets consacrés à la réserve ne seront pas consolidés et sanctuarisés et qu’une nouvelle loi ne clarifiera pas les relations entre l’armée de réserve et les entreprises. En effet, il conviendrait peut-être de dédommager les entreprises des journées d’absence des réservistes, ce qui aurait un coût. À ce stade, les réservistes sont donc essentiellement des fonctionnaires ou des salariés du privé qui prennent du temps sur leurs congés.

Au risque de vous surprendre, le moral réel des hommes n’est pas mauvais. Nous nous en rendons tous compte lorsque nous rendons visite aux régiments. Nous avons des hommes en or ! Cela rend optimiste sur la jeunesse de notre pays. D’ailleurs, les plus inquiets sont, non pas les plus jeunes, mais certains sous-officiers supérieurs qui s’épuisent à « faire tourner la machine » avec des moyens trop chichement comptés. Cette situation est imputable au fait que nous avons trop fait d’économies sur le fonctionnement. Il conviendrait de rééquilibrer les choses. D’une manière générale, nos hommes sont exaspérés par l’accumulation des réformes et par certaines mesures. Si elle était confirmée, la mesure relative à la retraite mutualiste des combattants – qui ne permettra de réaliser qu’une économie modeste – serait très impopulaire. En revanche, la LPM prévoit des mesures d’accompagnement positives. Si l’on souhaite préserver le moral des hommes, il vaut mieux ne pas remettre en cause leurs droits individuels, ni donner d’une main pour reprendre de l’autre !

Mme la présidente Patricia Adam. Lorsque les membres de la commission se rendent sur le terrain, ils constatent en effet que le moral des hommes est bon. Les jeunes, en particulier, sont enthousiastes : ils adorent leur métier et l’exercent avec compétence. Nous le vérifions à chaque fois.

Mme Émilienne Poumirol. Il a beaucoup été question, depuis un an, du logiciel Louvois. Vous avez vous-même employé le terme de « catastrophe » à son propos. Le ministre de la Défense a pris des mesures pour améliorer la situation. Où en est-on aujourd’hui ? Quels sont les problèmes qui demeurent ? Quel est l’impact sur le moral des hommes ?

M. Yves Foulon. Le PLF pour 2014 prévoit 1,8 milliard d’euros de ressources exceptionnelles, dont 50 millions d’euros au titre des cessions de matériels. Quels sont les matériels concernés ? Quelle forme les cessions prennent-elles ? Les négociations sont-elles difficiles ?

Mme Édith Gueugneau. Vous avez estimé que l’armée de terre était « soutenable » pourvu que la programmation et les calendriers soient respectés. Vous indiquez en outre avoir mis en œuvre depuis 2008 des « bonnes pratiques » qui permettent de réaliser des économies. Les coopérations avec les armées de nos partenaires européens – telles que le programme d’équipement en hélicoptères NH90 – ne peuvent-elles pas également être source d’économies ?

M. Damien Meslot. Le délégué général pour l’armement a confirmé la livraison prochaine de treize LRU sur les vingt-six prévus initialement lors de la précédente LPM. Quand les treize autres LRU seront-ils livrés ?

Le régiment dont la dissolution a déjà été annoncée fait-il ou non partie des quatre régiments qui doivent être supprimés ?

M. Francis Hillmeyer. Vous avez estimé que la LPM recherchait « le meilleur point d’équilibre possible », tout en précisant que l’armée de terre devrait renoncer à certaines capacités. Vous avez notamment indiqué avoir besoin de 120 millions d’euros pour rénover 1 400 véhicules en cinq ans. Disposerez-vous de ces crédits ? À défaut, allez-vous devoir, comme par le passé, « cannibaliser » les anciens matériels ?

D’autre part, vous avez évoqué un excès de rationalisation et des réformes permanentes, qui semblent indiquer que le budget de la Défense n’est plus un enjeu prioritaire pour le pays. Vous avez en outre souligné que l’administration prenait le pouvoir sur les responsables opérationnels à l’occasion de cette réorganisation. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?

M. Olivier Audibert Troin. L’efficacité de l’armée de terre repose sur l’interopérabilité et le soutien mutuel de trois armes : cavalerie, infanterie et artillerie. Or, dans le cadre de la LPM, l’artillerie subira non seulement une déflation de ses effectifs, mais aussi une réduction de ses commandes d’équipements. Les soixante-dix-sept canons Caesar qui devaient être fournis à l’artillerie avant 2019 n’apparaissent nulle part dans la LPM. L’artillerie va donc devoir se contenter d’équipements en fin de course : les AUF1 et les TRF1. Lorsque nous l’avons interrogé, le délégué général pour l’armement a indiqué que l’artillerie pourrait s’appuyer sur les LRU. Que restera-t-il, demain, de l’artillerie française ? L’armée de terre pourra-t-elle fonctionner avec une artillerie diminuée ? Quelles seront les conséquences pour notre capacité opérationnelle ? Une nouvelle doctrine sera-t-elle définie ?

Général Bertrand Ract-Madoux. Depuis un excellent rapport de votre commission, la lumière a été faite sur l’échec du système Louvois : alors que l’on nous soupçonnait d’en être les responsables, nous en sommes très clairement les victimes. Nous faisons le maximum, avec le soutien du ministre, pour venir en aide aux camarades à qui ont été versées des soldes incomplètes. Le logiciel Louvois continue à calculer des montants aberrants qui ne concernent pas toujours les mêmes soldats. En nous appuyant sur les régiments, les groupements de soutien de bases de défense (GSBdD) et le centre expert des ressources humaines et de la solde de Nancy, nous avons mis en place un dispositif efficace pour pallier les erreurs du logiciel. Les trop-perçus sont estimés à environ 100 millions d’euros pour 2012 – chiffre aujourd’hui revu à la baisse après examen manuel des dossiers et à 50 ou 60 millions d’euros pour 2013. À chaque fois que je me rends sur le terrain, j’invite les soldats à se mettre en règle et à rembourser dès que possible le trop-perçu, qui leur sera réclamé tôt ou tard.

M. Christophe Guilloteau. Allez-vous dissoudre des régiments de la légion étrangère ?

Général Bertrand Ract-Madoux. Non, mais la légion verra également ses effectifs diminuer comme les autres régiments.

S’agissant des cessions de matériels, l’armée de terre est principalement concernée par la vente de quelques hélicoptères Tigre à la Malaisie. Nous ne devrions pas être perdants dans cette opération : il s’agit de HAP de première génération qui seront remplacés à terme par des HAD de dernière génération. D’autre part, nous contribuons ainsi à l’obtention d’un marché important à l’exportation.

Nous recherchons en effet, madame Gueugneau, toutes les sources d’économies possibles dans le cadre de coopérations avec nos partenaires européens. C’est ce que nous avons fait pour les hélicoptères NH90 et les Tigre. Pour le LRU, nous allons essayer de profiter au maximum de l’expérience et des moyens de nos partenaires allemands. Nous avons en outre le projet de former les parachutistes français et allemands à Pau, ainsi que peut-être, à l’avenir, d’autres parachutistes européens.

S’agissant des LRU, la cible a été ramenée de vingt-six à treize, et personne n’estime prioritaire de revenir sur cette réduction de 50 %, faute de moyens. Je fais passer le programme Scorpion avant l’équipement en LRU. J’envisage d’en déployer deux au sein de nos forces prépositionnées à l’étranger pour pouvoir s’entraîner à leur portée maximale - la portée des roquettes étant de soixante-dix kilomètres, les polygones de tir français ne sont pas assez vastes.

Comme je l’ai indiqué, un régiment d’artillerie sera dissous et nous allons réorganiser nos moyens. Le Caesar est aujourd’hui le canon de base de notre artillerie : 77 exemplaires ont déjà été livrés à l’armée de terre. J’ajoute que la livraison en 2014 de 13 LRU renforcera de façon significative les capacités d’appui-feu des forces terrestres. Quant aux AUF1, même si nous ne pourrons pas les conserver indéfiniment – vous avez raison, monsieur Audibert Troin –, ce sont aujourd’hui nos seuls canons sous blindage. Ils fonctionnent et demeurent pertinents dans certaines conditions d’engagement. Ils sont en outre indispensables pour disposer, en complément des Caesar, de 109 canons de 155 mn nécessaires au contrat opérationnel La question se posera, à partir de 2020, d’acheter des canons Caesar supplémentaires, des LRU ou d’autres équipements.

M. Yves Fromion. Si l’armée de terre cesse d’acquérir des canons Caesar, les lignes de production ne fonctionneront plus que pour l’exportation. Comment fera-t-on pour les maintenir ?

Général Bertrand Ract-Madoux. Les perspectives à l’exportation sont très importantes. L’Inde, en particulier, étudie l’acquisition de plusieurs centaines de canons.

M. Damien Meslot. Le régiment dont la dissolution a été annoncée fait-il partie des quatre régiments qui seront supprimés ?

Général Ract-Madoux. Oui.

Mme la présidente Patricia Adam. Je vous remercie, général.

*

* *

Ÿ M. Jean-Marc Debonne, directeur central du service de santé des armées (mercredi 16 octobre 2013)

Mme la présidente Patricia Adam. Nous avons le plaisir d’accueillir le médecin général des armées Jean-Marc Debonne, directeur central du service de santé des armées (SSA). Nous savons, général, que vous envisagez de reconfigurer ce service – dont nous connaissons l’excellence et l’importance, récemment illustrées au Mali – suivant le double principe de concentration sur ses missions majeures et d’ouverture dynamique sur la santé publique.

M. Jean-Marc Debonne, directeur central du service de santé des armées. Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, je suis très sensible à l’honneur que vous me faites en m’invitant, à l’occasion des travaux sur le projet de loi de finances pour 2014 et le projet de loi de programmation militaire, à vous présenter le projet du SSA. Le personnel de ce service – que j’ai le privilège de diriger depuis un an – est en ce moment même très fortement engagé avec nos forces sur les théâtres d’opérations extérieures (OPEX).

Après avoir rappelé succinctement ce qu’est le SSA aujourd’hui, je présenterai les raisons du changement que j’estime nécessaire, avant d’évoquer les grandes lignes du projet de service que nous souhaitons mettre en œuvre.

En 2013, le SSA est un service interarmées efficace qui remplit pleinement sa mission. Fort de 16 000 personnes, il bénéfice d’un budget de 1,4 milliard d’euros ; sa mission première est, et demeure, le soutien santé opérationnel des forces – mission qui couvre toute la vie opérationnelle du militaire, se déclinant avant, pendant et après les opérations. Elle débute avec la préparation opérationnelle médicale du combattant, intègre les soins aux militaires blessés ou malades, et s’étend aux soins de suite et de réhabilitation jusqu’à la réinsertion professionnelle et sociale. Cette mission nécessite un ensemble parfaitement organisé et coordonné de capacités médicales, pharmaceutiques, vétérinaires, dentaires, paramédicales et médico-administratives. Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013 a de nouveau souligné le caractère indispensable du SSA pour l’engagement opérationnel de nos forces. Il n’est pas de chef militaire aujourd’hui qui ne souligne l’importance de la présence du médecin ou de l’infirmier au plus près des combattants. C’est un des éléments déterminants de leur engagement, car ils savent ainsi pouvoir bénéficier d’une prise en charge médicale efficace et rapide en cas de blessure ou de maladie.

Pour cela, le service est capable de déployer en tous temps, en tous lieux et en toutes circonstances, une chaîne santé opérationnelle complète et cohérente. Capacité quasi-unique en Europe, cette chaîne santé comprend une offre de soins, le ravitaillement en produits de santé, l’évacuation médicale, l’évaluation et l’expertise des risques sanitaires, et le commandement médical opérationnel. En charge de la santé des combattants, elle ne se réduit pas à une simple chaîne logistique : composée de personnels non combattants, elle est cependant déployée au plus près de la ligne des combats. Elle constitue ainsi une force d’appui déterminante. Priorité des éléments du soutien, elle permet l’entrée en premier, et se retire souvent en dernier des théâtres d’opérations.

La chaîne santé opérationnelle est très exigeante en termes de qualité, imposant les plus hauts niveaux de formation et d’équipement. Pour la mettre en œuvre, le service s’appuie sur cinq composantes fonctionnelles indissociables qui en conditionnent la cohérence, et donc l’efficacité : la médecine des forces - cinquante-cinq centres médicaux des armées en métropole et quatorze centres médicaux interarmées en outre-mer, qui assurent la médecine de premier recours -, neuf hôpitaux d’instruction des armées (HIA) répartis sur le territoire national, le ravitaillement sanitaire, la formation et la recherche biomédicale de défense. L’équilibre entre ces composantes garantit la qualité du soutien santé sur les théâtres d’opérations, sa réactivité et son autonomie. Les OPEX récentes, en Afghanistan comme au Mali, ont confirmé la capacité du SSA à déployer une telle chaîne dans son intégralité, et donc à remplir sa mission opérationnelle, y compris dans les formes d’engagement les plus difficiles.

Pourquoi le changement m’apparaît-il nécessaire ? Si le SSA remplit efficacement sa mission, il le fait de plus en plus sous forte tension. À son origine, en 1708, le service a probablement représenté le premier système de santé organisé en France. Entièrement dévolu au soutien des militaires, il a longtemps vécu de manière autonome vis-à-vis du système public de santé. Il a ainsi traversé trois siècles d’histoire dans un relatif isolement. Cette situation, justifiée à l’époque, lui permettait de répondre aux impératifs d’autosuffisance et d’autonomie de décision, indispensables à sa mission opérationnelle. Cependant, cet isolement l’a progressivement fragilisé en lui imposant une dispersion de ses moyens, au point de mettre en question sa capacité à remplir, à terme, la mission qui lui incombe.

Pourtant, le SSA n’a jamais cessé de s’adapter ; mais ses évolutions – qui se sont accélérées et amplifiées ces dernières années – ont souvent été initiées en réaction à diverses contraintes, et toujours conçues dans une perspective essentiellement gestionnaire, sans remettre en cause le modèle lui-même. Elles atteignent aujourd’hui leurs limites, obligeant le service à passer d’une logique d’adaptation à une logique de changement.

Depuis la révision générale des politiques publiques en 2007 et l’audit de la Cour des comptes en 2010, une tension accrue s’est en effet exercée sur le SSA. Cette tension s’est encore accentuée récemment avec la loi de programmation militaire. Tout en maintenant un haut niveau d’ambition, il s’agit pour le service de poursuivre les efforts déjà entrepris pour améliorer encore sa performance, dans un contexte de profonde évolution du monde de la santé en France. Nous ne pouvons pas ignorer la nouvelle stratégie nationale de santé qui prône le décloisonnement, les partenariats et la territorialisation de l’offre de soins. Le service veut et doit prendre en considération ces évolutions majeures.

Aujourd’hui, le SSA a clairement identifié quatre facteurs de vulnérabilité, liés à son histoire, à son organisation et aux évolutions de son environnement. En premier lieu, l’isolement – déjà évoqué – est devenu de moins en moins tenable dans un système de santé national de plus en plus organisé, souvent concurrentiel dans un contexte financier contraint. Ensuite, le service pâtit de la dispersion en matière de moyens, d’emprises, mais aussi d’activités dont certaines sont très éloignées du besoin réel des forces. Une troisième fragilité tient aux deux corpus légaux et réglementaires dont il dépend – celui de la santé et celui de la défense. Toutes les évolutions de normes et d’exigences propres au monde de la santé publique sont opposables, autant que celles liées aux missions opérationnelles ; elles entrent parfois en contradiction, obligeant le service à trouver des solutions originales. Le dernier facteur de vulnérabilité réside dans la complexité et parfois la lourdeur d’une gouvernance qui limite fortement ses marges de manœuvre et son aptitude à l’adaptation.

Ainsi, la capacité du SSA à soutenir l’engagement opérationnel des forces armées françaises pourrait être à terme menacée. En effet, le service rencontre des difficultés croissantes pour réaliser l’adéquation entre la nécessaire performance médicale et la complexité du déploiement cohérent d’une chaîne santé opérationnelle. On a pu le constater dans le cadre de l’opération Serval qui cumulait des contraintes maximales. Initiée par un engagement très rapide de nos forces, suivi d’une entrée en premier en l’absence de soutien de la nation hôte, cette opération restera marquée par un tempo très rapide, de fortes élongations et une large dispersion des troupes au sol. Il faut ajouter à ces considérations tactiques le fait que l’opération s’est déroulée à grande distance du territoire national, dans des conditions environnementales éprouvantes. Tous ces éléments ont représenté autant de contraintes majeures pour nos soldats comme pour le soutien médical.

Mais les capacités du service sont également mises à l’épreuve par la contrainte budgétaire qu’il subit à l’instar de l’ensemble de notre défense. Cette contrainte impose de concevoir un modèle qui préserve les investissements sans dégrader le fonctionnement. Il est exclu de majorer le coût de possession pour la défense, et de compromettre la soutenabilité budgétaire du service rendu. Il s’agit donc de s’organiser afin que les ambitions restent compatibles avec les moyens alloués.

Enfin, le corps social étant totalement légitime pour exiger des pertes minimales et, en cas de blessure au combat, les meilleurs soins permettant d’éviter au maximum les séquelles, le service doit répondre à un véritable défi technique. Il doit garantir au citoyen que le soldat engagé en opérations sera protégé et surtout secouru et soigné au mieux, et donc rester en mesure de déployer, en toutes circonstances, l’ensemble de ses capacités.

Pour faire face à cette situation complexe, on ne saurait se contenter d’une nouvelle adaptation ; il faut désormais envisager de changer de modèle. Résolument centré sur l’opérationnel, le nouveau modèle de service devra répondre aux ambitions stratégiques de la France. Il devra préserver la capacité des armées à entrer en premier sur un théâtre d’opérations, et pouvoir s’adapter à la diversité des formes d’engagement auxquelles les forces seront confrontées. Ce modèle pour le futur, étalonné sur le calendrier de la loi de programmation militaire, fait actuellement l’objet d’un projet de service dont l’élaboration est en cours de finalisation.

Ce projet s’appuie sur cinq principes majeurs. Le premier d’entre eux est celui de la concentration : le SSA doit concentrer ses activités sur sa mission régalienne – le contrat opérationnel –, tout en densifiant ses équipes et ses structures. Un nouvel équilibre entre ses différentes composantes devra être recherché, particulièrement entre la médecine des forces et la médecine hospitalière.

Le service devra ensuite mettre en œuvre une ouverture au service public de santé, tout autant nécessaire à la performance technique qu’à l’efficience économique du nouveau modèle de service. Cette ouverture lui permettra d’instaurer un dialogue utile avec son environnement, et de le rendre plus visible. Il pourra ainsi mieux intégrer des réseaux de soins, s’engager dans des partenariats efficaces et favoriser son interopérabilité. Les systèmes d’information et de communication seront placés au centre de cette politique d’ouverture, qui sera conduite tant au niveau local – avec les établissements de santé – que régional – avec les agences régionales de santé (ARS) – et national – entre les administrations centrales.

Le nouveau modèle de service suppose également le développement des coopérations internationales. Ce troisième principe répond à un impératif d’efficacité opérationnelle et d’économie de moyens. En effet, si l’ambition du service est d’assurer un soutien santé garantissant la capacité d’entrer en premier, il ne disposera à l’avenir que de capacités limitées pour tenir seul dans la durée. Des coopérations multinationales devront donc être développées dans un souci de complémentarité, de réciprocité et de culture médicale opérationnelle partagée, tout en tenant compte de la limite que représente l’absolue nécessité de préserver l’autonomie de la France et sa capacité à conduire seule, au moins initialement, une opération militaire.

Il faudra également renforcer les coopérations interministérielles. Ce principe est essentiel pour permettre, dans les meilleures conditions, la participation du service à la résilience de la Nation, comme cela lui est demandé. Cette participation ne peut se concevoir que sur la base de collaborations renforcées, mais sans mobilisation de capacités ou de compétences nouvelles. Le maintien et l’extension des coopérations interministérielles contribueront de surcroît à l’entraînement du personnel du SSA et à la diminution de son coût de possession pour les armées.

Enfin, le dernier principe – la simplification – s’inscrit résolument dans le programme ministériel visant à réformer la gouvernance, à clarifier la chaîne de décision, à simplifier les organisations, à alléger les échelons de commandement et à fluidifier les flux d’information, tout en générant des économies de fonctionnement.

Conformément à ces cinq principes, le service fera principalement porter son effort sur certains axes d’intervention, qui concernent l’ensemble de ses composantes. Pour trois d’entre elles – la formation, la recherche et le ravitaillement sanitaire –, il s’agit d’accentuer les mesures déjà engagées dans le cadre de la transformation en cours depuis 2008. Les efforts nouveaux viseront à concentrer ces composantes sur le soutien santé des forces en opérations, et à les ouvrir plus largement à des partenariats interministériels. Enfin, la valorisation financière des savoir-faire sera systématisée afin de préserver la capacité de progrès et d’innovation de ces composantes essentielles à la cohérence du service.

Pour la médecine des forces, la réorganisation issue de la création des centres médicaux des armées en 2011 sera poursuivie et complétée. Une attention particulière sera portée à leur insertion dans leur territoire de santé, notamment dans le cadre de la permanence des soins. Concentrées sur leur mission opérationnelle, leurs activités seront prioritairement orientées vers la pratique médicale et soignante dans des domaines d’intérêt majeur pour les armées, comme la prise en charge des urgences, mais aussi vers la prévention des risques sanitaires et l’expertise médico-militaire. Par ailleurs, un effort particulier sera consenti pour faire face aux différentes contraintes matérielles qui pèsent actuellement sur le fonctionnement quotidien de nombreux centres médicaux des armées.

La composante hospitalière, dont le périmètre ne sera pas réduit, fera cependant l’objet d’une réorganisation importante. Celle-ci adaptera l’offre de soins des hôpitaux militaires aux besoins actuels des armées et de la défense, tout en favorisant leur insertion dans les territoires de santé. L’élaboration d’un nouveau modèle hospitalier, autour de plateformes renforcées, visera à concilier les nouvelles exigences du contrat opérationnel et les contraintes qui pèsent actuellement sur tous les établissements. Une nouvelle gouvernance, locale et centrale, garantissant une plus grande souplesse en gestion sera également mise en œuvre.

Toutes ces évolutions demanderont du temps pour produire leur plein effet. Leur réussite exigera une implication et un accompagnement attentif des personnels du service de façon à impulser et à maintenir la dynamique de changement dans la durée. Elle passera aussi par une nouvelle relation entre le SSA et le service public de santé ; la solidarité accrue entre ces deux grands acteurs s’inscrira dans une optique de lien entre l’armée et la Nation. La réussite nécessitera également de revisiter en profondeur la place des réserves citoyenne et opérationnelle du SSA, dont le rôle indispensable sera amplifié et valorisé. Ces évolutions majeures supposent un dialogue au plus haut niveau entre les ministères concernés et ne pourront se faire sans une volonté politique partagée à l’échelon national et régional. Le nouveau projet ne peut se concevoir qu’ensemble, puisque c’est ensemble qu’il se déclinera, dans le respect des missions spécifiques et de l’identité de chacun des acteurs, civils comme militaires.

Enfin, je voudrais évoquer une autre ambition du SSA. Par sa position unique au sein des mondes de la défense et de la santé, il réalise la synthèse des valeurs portées par ces deux communautés, toutes deux animées par l’esprit de service. Tout au long de son histoire – et encore aujourd’hui, lorsqu’il s’engage dans l’urgence au sein des forces armées –, il a fait la preuve des aptitudes exceptionnelles que lui confèrent sa militarité et sa mission de soins : capacité de réaction immédiate, robustesse dans l’engagement opérationnel, potentiel de résistance et d’adaptation en milieu hostile, voire agressif. Toutes ces aptitudes rares, précieuses et pour certaines uniques, sont indispensables au soutien des opérations militaires. Pour autant, elles pourraient être sollicitées plus largement dans le cadre de la résilience de la Nation, à laquelle le service participe déjà. Ainsi, au-delà de l’ouverture vers le service public de santé, c’est la question de l’organisation d’un dialogue interministériel plus large qui est soulevée aujourd’hui.

En somme, le nouveau modèle proposé par ce projet de service souligne clairement le fait qu’aujourd’hui le SSA ne peut plus, et ne veut plus, décider seul de ses évolutions, ni conduire seul un tel changement. Dans le contexte économique actuel, l’importance des enjeux – militaires, sanitaires et sociaux – nous impose de rechercher ensemble une solution qui permette de garantir, d’une part, la qualité du soutien médical opérationnel des forces engagées sur les théâtres d’opérations – priorité absolue –, et d’autre part, l’utilisation pleine et entière des capacités du SSA dans le cadre de la résilience de la Nation – priorité fondamentale.

Soyez assurés, madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, de mon engagement dans cette voie, comme de celui de l’ensemble des personnels du SSA, qui en font la preuve au quotidien – tant sur le territoire national que sur les théâtres d’opérations où nos forces sont déployées.

Mme la présidente Patricia Adam. Je vous remercie, général, et passe la parole à Alain Marty, rapporteur spécial du budget pour le soutien et la logistique interarmées.

M. Alain Marty. Monsieur le directeur, l’amélioration du fonctionnement des HIA constitue l’un des objectifs fixés pour optimiser la gestion du SSA. Ces hôpitaux ont fait des efforts considérables en matière de coûts en essayant de valoriser leur activité – 472 millions d’euros pour l’année 2012 –, mais cette valorisation ne pourra se poursuivre indéfiniment. Comme vous l’avez souligné, le modèle a aujourd’hui atteint ses limites et il sera difficile d’améliorer les choses davantage.

Vous souhaitez vous recentrer sur les missions essentielles du SSA, quitte à abandonner certaines disciplines accessoires, mais sans modifier l’organisation territoriale. Le ministre ne souhaite pas non plus, dans l’immédiat, toucher au nombre des HIA. Quelle organisation nouvelle les changements envisagés impliqueront-ils ?

Aujourd’hui, les neuf hôpitaux sont gérés par une direction centrale, à travers un système lourd et complexe. Dépendant de l’ARS d’Île-de-France, ils ont du mal à instaurer un dialogue avec les territoires ; si les liens ne sont pas inexistants, les HIA ne sont pas véritablement intégrés dans l’offre de soins. Envisagez-vous, en matière de gouvernance, d’accorder davantage de liberté aux établissements ?

Comment évolueront les effectifs du SSA aux termes de la loi de programmation militaire pour 2014-2019 ? Quels efforts vous demande-t-on de consentir dans ce domaine, et comment comptez-vous les organiser ?

Au regard du rapport de la Cour des comptes, votre service – tant sous la direction de votre prédécesseur que sous la vôtre – a effectué des efforts considérables, remettant en cause le fonctionnement des hôpitaux et des centres médicaux. Je tiens à saluer ce travail de qualité.

M. Jean-Marc Debonne. En effet, beaucoup d’efforts ont été entrepris et l’on peut difficilement attendre aujourd’hui des hôpitaux qu’ils progressent encore en matière de rationalisation et d’optimisation. Nous sommes probablement arrivés au bout de ce que peuvent donner ces évolutions ; mais puisque ce n’est pas assez et que les risques pour les hôpitaux demeurent, nous ne saurions en rester là. Ne pouvant plus progresser dans le modèle actuel, nous devons passer à un nouveau modèle.

Comme l’a annoncé le ministre de la Défense, nous gardons le même périmètre hospitalier ; garder les neuf HIA apparaît comme une nécessité absolue pour la mise en œuvre du nouveau projet. Sans eux, nous n’aurions pas pu mener l’opération Serval ; ils sont indispensables pour le contrat opérationnel comme pour le soutien des militaires dans les territoires de santé, où ils jouent également un rôle dans la prise en charge des patients locaux. On ne peut pas envisager, de façon unilatérale, de se retirer de ces territoires sans une étroite concertation avec des autorités de santé locales, territoriales et régionales. En tout état de cause, les éventuels retraits de spécialités de certains hôpitaux doivent être préparés.

Cependant, les HIA sont en difficulté. Leur déficit, que la Cour des comptes avait souligné en 2010, s’est depuis réduit, atteignant aujourd’hui probablement une limite qu’il ne pourra pas dépasser. Derrière la question du déficit pointe celle du niveau d’activité des HIA, désormais lié au financement. Ces hôpitaux pourront-ils développer un niveau d’activité adapté aux nouvelles exigences, notamment pour des spécialités très importantes pour nous comme la chirurgie ? De mon point de vue, si nous ne faisons rien, nous n’y arriverons pas. Nos structures sont actuellement trop petites, divisées en de nombreux services, la taille réduite de certaines équipes – trois à cinq praticiens parfois – les rendant fragiles. Quand les équipes partent en OPEX, les HIA perdent beaucoup de patients civils, qui représentent 80 % des personnes qui y sont soignés. Ainsi, au premier semestre 2013, marqué par l’opération Serval, les HIA ont connu une période extrêmement difficile, et cela n’est pas totalement terminé.

Le problème des hôpitaux, révélé en 2010 par leurs difficultés financières, tient à leur niveau d’activité. S’il ne faut pas réduire le périmètre hospitalier, on ne peut pas non plus laisser les choses en l’état. Une réorganisation s’impose, reposant essentiellement sur deux concepts : concentration et ouverture. Pour commencer, l’offre de soins de nos hôpitaux ne répond plus aux besoins des armées. Elle représente, en partie, un héritage du passé, notamment de l’époque de la conscription ; soigner les appelés – population réellement captive – imposait alors de développer toutes les spécialités. Aujourd’hui, si l’on prend l’exemple des hémodialyses ou des radiothérapies, des centres de soins publics sont parfaitement aptes à prendre en charge les militaires malades. La mission du SSA n’est plus d’apporter cette offre de soins et de recours hospitalier, d’abord parce que les HIA ne sont pas présents sur tout le territoire, mais également parce que cela entretient la dispersion des moyens.

La première mesure consistera donc, pour nous, à construire un nouveau modèle hospitalier concentré sur des disciplines d’intérêt pour la projection et pour l’expertise de la défense. Un hôpital ne fonctionnant pas seulement sur ce type de disciplines, nous devrons y ajouter des spécialités de cohérence et de soutien. Ainsi, si un service d’urgence est vital pour un hôpital militaire, il faut disposer de spécialités capables de prendre en charge les patients qui ne doivent pas tous être opérés et qui ne relèvent pas tous du domaine d’expertise de la défense. Mais ces spécialités annexes ne seront pas développées au même niveau.

D’une façon ou d’une autre, le SSA devra contribuer aux efforts demandés à la défense, et nos moyens ne seront pas augmentés. C’est donc à enveloppe constante qu’il nous faudra conduire la réorganisation, en redéployant les moyens, en abandonnant de façon concertée et progressive certaines activités pour les transférer au service public. Les moyens dégagés seront remis sur les spécialités d’intérêt majeur.

Notre projet propose également au ministre de renforcer les équipes pour aller vers un modèle où les hôpitaux auront pour vocation de répondre intégralement au contrat opérationnel, et particulièrement à l’entrée en premier qui représente une véritable difficulté. Projeter des chirurgiens, des infirmières, des anesthésistes ou des infirmiers de bloc opératoire (IBODE) sur un théâtre d’opérations, parfois sans délai, suppose de détenir en propre cet outil pour la défense. Certains pays – comme le Canada ou le Royaume-Uni – n’ont plus la possibilité d’entrer en premier ; la France souhaite la garder et le soutien santé opérationnel doit donc être capable de partir immédiatement. Cela implique de renforcer les équipes de nos hôpitaux dont on ponctionne de façon brusque les personnels, sous peine de déstructurer complètement leur activité.

Quelques hôpitaux – dont le nombre n’est pas encore arrêté – se concentreront sur ces missions opérationnelles et verront leurs équipes densifiées. Mais dans un contexte d’enveloppe constante, voire progressivement érodée, d’autres HIA porteront une mission différente et complémentaire pour le contrat opérationnel. En effet, à côté de l’entrée en premier, le soutien santé prend également en charge la régénération qui intervient souvent au bout de quelques semaines, voire de quelques mois. Cette partie du contrat opérationnel pourra donc être assurée par des structures hospitalières beaucoup plus intégrées dans l’offre de soins des territoires. L’hôpital de Kaia, situé sur l’aéroport de Kaboul, en offre un exemple : les praticiens – dont des réservistes – qui y travaillent aujourd’hui échappent aux conditions très dures qu’on a connues au Mali. L’essentiel de la réforme actuelle consiste à progressivement construire des plateformes hospitalières en nombre réduit, prenant en charge la mission la plus dure qui incombe à l’hôpital militaire – garantir l’entrée en premier – et d’autres structures hospitalières qui auront un rôle d’appoint et de relève.

Si notre modèle actuel repose sur des hôpitaux largement identiques, le nouveau modèle implique une spécialisation : d’un côté, des hôpitaux densifiés, concentrés sur des missions opérationnelles, très visibles ; de l’autre, des hôpitaux beaucoup plus intégrés dans les territoires, insérés dans des partenariats forts avec des établissements du service public, qui contribueront d’une autre façon au contrat opérationnel et au parcours de santé des militaires. Cette évolution nous permettra de densifier les équipes des plateformes hospitalières, pour qu’elles puissent supporter les OPEX.

M. Alain Marty. Ces plateformes sont-elles les hôpitaux qui aujourd’hui reçoivent les blessés en provenance des théâtres d’opérations ?

M. Jean-Marc Debonne. Une réflexion a été conduite avec l’état-major des armées sur les critères – en partie stratégiques – qui présideront à la sélection de ces plateformes, la proximité d’aéroports en faisant assurément partie. Il y en aura une en Île-de-France et une autre dans la région PACA. Le fait que sur ces deux plateformes soient concentrés cinq hôpitaux – trois en région parisienne et deux dans le Sud – permet une résilience interne. De surcroît, ces plateformes abritent les trois hôpitaux les plus récents : Percy, Sainte-Anne – qui a cinq ans – et Bégin, qui finalise en ce moment sa rénovation. Tout converge donc aujourd’hui, tant sur le plan stratégique que sur celui de la logique des infrastructures, pour créer ces deux plateformes.

Les quatre hôpitaux hors plateforme fonctionneront différemment, mais contribueront également au contrat opérationnel. De fait, passé le pic d’engagement, tant la régénération que des contrats opérationnels longs – certains théâtres, comme l’Afghanistan, imposent, en effet, d’y durer – exigeront de compléter les plateformes par un autre type de structures.

En matière de gouvernance, le modèle très centralisé ne permet pas une bonne insertion des établissements dans leurs territoires. Celle-ci suppose, en effet, un dialogue important avec les ARS et les autres acteurs de la santé. Il faut donc donner beaucoup plus de liberté et d’autonomie de décision à nos hôpitaux. Mais une telle décision se prépare. Plutôt que de précipiter les choses, mieux vaut d’abord former nos personnels d’encadrement – directeurs d’hôpitaux, directeurs de soins – à cette nouvelle responsabilité. C’est pourquoi nous avons sollicité auprès de l’état-major des armées et du cabinet du ministre un délai pour conduire cette réforme : il nous faudrait au moins cinq à six ans, et idéalement dix à douze ans. Il s’agit, en effet, d’une réforme lourde concernant neuf hôpitaux. Mais nous sommes conscients de la nécessité d’alléger la gouvernance pour aller vers une plus grande autonomie de décision qui permettra aux établissements de s’adapter aux contraintes et aux contingences locales.

Quant à l’évolution des effectifs, l’état-major et le cabinet du ministre nous ont accordé l’essentiel : la maîtrise du tempo pour mettre en place ce nouveau modèle qui se construira en partenariat étroit avec les tutelles et les acteurs du service public. Il nous faut donc pouvoir progresser au rythme des partenaires. Sans être contraints par le tempo très serré et très anticipé, prévu dans la demande initiale, nous pourrons, après 2015, développer les coopérations locales et cadencer la contribution du service aux attentes de la loi de programmation militaire.

Mme Geneviève Gosselin-Fleury. Quelles ont été les conséquences des dysfonctionnements de LOUVOIS sur les personnels du SSA ? Le problème des indemnités de garde hospitalière a-t-il pu être pris en compte et résolu ? Où en est-on du traitement de la solde dans votre service ?

M. Philippe Folliot. On connaît l’importance de l’aide médicale aux populations (AMP) pour l’acceptation des forces en opération dans le cadre des actions civiles ou militaires. Au Mali, cette importance a peut-être été moindre, tant nos forces y étaient bien accueillies par la population ; mais l’AMP s’est révélée essentielle en Afghanistan, notamment dans la vallée de Kapisa. Auteur d’un rapport parlementaire sur ce thème, j’ai pu le constater sur le terrain. Dans le modèle futur, au regard des contraintes budgétaires et financières du service, l’AMP restera-elle prévue dans le cadre des projections ultérieures dans des zones parfois moins accueillantes que le Mali ?

En tant que député de la ville où se situe la seule école d’ingénieurs de télé-médecine en France, mais aussi plus généralement, je me demande si vous travaillez sur la question de l’e-santé ? Il s’agit d’un enjeu important puisqu’il en va de pouvoir valider des diagnostics de certains traumatismes ou pathologies.

M. Jean-Marc Debonne. Le SSA est entré très tôt dans le système LOUVOIS ; plusieurs facteurs nous ont permis d’éviter les très grands dysfonctionnements qu’ont pu connaître d’autres structures, comme l’armée de terre. D’abord, notre service ne représente que 16 000 personnes ; ensuite, adoptant d’emblée le nouveau dispositif, nous n’avons pas eu à gérer la transition de l’ancien vers le nouveau système ; enfin, le SSA a dès le départ mis en place des moyens dédiés pour contourner les difficultés. Aujourd’hui, la situation est donc stable et parfaitement contrôlée.

En revanche, l’indemnité de garde a représenté un véritable problème. Médecin-chef d’hôpital pendant cinq ans, j’ai été confronté quotidiennement, notamment durant les trois dernières années, aux retards de plusieurs mois. Des cas isolés de ce type persistent encore, mais il ne s’agit plus d’un problème de système. Nous contrôlons le système grâce à des procédures de contournement extrêmement lourdes et ne lâcherons pas la vigilance tant que nous aurons la responsabilité directe de la solde.

Le SSA a toujours été particulièrement attaché à l’AMP, qu’il est l’un des seuls services de santé au monde à pratiquer. Cet attachement répond à celui de notre pays tout entier et à la volonté politique de maintenir cette activité. Notre service ne peut que se féliciter de cet accord, car il est difficile de se trouver dans des pays tels que l’Afghanistan ou le Mali sans pouvoir apporter une aide, même modeste, aux habitants. Aussi n’imaginons-nous pas, sauf si on nous en donne l’ordre, d’arrêter l’AMP. Cependant, cette activité est très fortement encadrée ; c’est l’état-major qui décide, en fonction du contexte opérationnel, si l’on peut ou non la mettre en œuvre. Au Mali, le besoin était moins important, mais il nous a surtout été impossible d’agir en ce sens à cause de l’extrême dynamique de l’opération qui nous interdisait de nous installer. Au contraire, en Afghanistan, à l’hôpital de Kaia ou dans les bases opérationnelles avancées – forward operating bases (FOB) –, on soigne des populations civiles.

Il ne faut pas sous-estimer l’investissement que cela représente ; or nous avons le devoir de préserver les moyens pour la force que l’on soutient. Lorsque les lits sont comptés, recevoir un patient qui nécessite une réanimation peut confronter les médecins à des choix difficiles. L’exercice de l’AMP suppose donc une réflexion permanente, y compris sur le plan éthique. Mais nous ne changeons pas de position : le projet que nous présentons au ministre comporte une nouvelle fois un volet AMP, et nous souhaitons continuer à la pratiquer, tant qu’on nous le demandera. Aujourd’hui, l’AMP représente la moitié des 150 000 consultations et des 8 000 hospitalisations que l’on réalise par an en OPEX ; il s’agit donc d’une activité très importante, menée dans des conditions souvent difficiles.

M. Philippe Folliot. L’AMP est éminemment utile en matière d’acceptation de la force armée par la population.

M. Jean-Marc Debonne. L’état-major est très attentif à la question de l’acceptation de la force. Pour les soignants que nous sommes, cette activité est évidemment précieuse. Elle a été remise en cause un temps en Afghanistan pour des raisons de sécurité, et les personnels du service ont été très heureux quand elle a pu reprendre. C’est une tradition ancienne, liée à l’histoire du SSA. Aussi notre projet propose-t-il de continuer à pratiquer l’AMP et à former nos personnels, en particulier dans des domaines comme la pédiatrie ou la gynécologie-obstétrique où la demande est extrêmement forte alors qu’il ne s’agit pas de notre cœur de métier. Si l’on doit se concentrer sur les besoins des armées, il faut aussi préparer nos praticiens et infirmiers à faire face aux populations qui se trouvent souvent dans des situations de détresse sanitaire. L’AMP est donc structurante dans notre formation ; elle ne se pratique pas à la légère, mais suit des règles strictes. Ainsi, pour certaines pathologies, on ne peut rien apporter ; mais s’intéresser à la souffrance, quelle qu’elle soit, et y porter attention, n’est jamais négligeable.

Bien que notre territoire de santé soit le monde, notre service n’est pas très avancé en matière d’e-santé. Nous avons un retard à rattraper dans le domaine des systèmes d’information et de communication, en particulier pour la télétransmission. Mais ce problème est pris en compte dans le projet, puisqu’il représente un des trois grands processus supports qui font l’objet de mesures spécifiques, d’ailleurs déjà lancées. Bénéficiant de nouveaux moyens, le projet télé-santé du SSA prend un nouvel élan. Nous comptons développer l’e-santé dans les hôpitaux, mais également dans les centres médicaux des armées, qui adhèrent, les uns comme les autres, aux espaces numériques régionaux de santé. L’ensemble de la composante médecine de la défense se convertit donc à cette nouvelle culture. Le passage au dossier médical personnel exigera d’être de plus en plus connecté ; aussi cette évolution fait-elle partie des grands axes du projet qui sera présenté au ministre dans quelques jours. Nous comptons également bénéficier de la dynamique de l’e-santé qui se développe actuellement partout. Ce sujet est notamment traité dans la région PACA, dans le cadre de la collaboration avec l’Assistance publique – Hôpitaux de Marseille (APHM), ainsi qu’en Bretagne.

Mme Paola Zanetti. Vous avez évoqué la nécessité de recentrer vos activités et de développer des partenariats au service du parcours de santé des militaires. Qu’en sera-t-il du lien entre l’Institution nationale des Invalides (INI) et le SSA ? L’INI est confrontée aujourd’hui au même défi que vous : s’adapter à la réalité des besoins. Cette institution ancienne à dimension symbolique très forte compte un certain nombre d’outils importants : le centre des pensionnaires, le centre d’études et de recherche sur l’appareillage des handicapés (CERAH) et un centre médico-chirurgical très spécialisé. Malgré sa singularité, l’avenir de l’INI dépendra de ses capacités à devenir un outil complémentaire du SSA et de la santé publique.

Des partenariats sont-ils envisagés entre l’INI et le SSA ? L’INI pourra-t-il être mieux pris en compte dans l’offre de soins du SSA et dans le parcours de santé militaire tout au long de la vie ?

M. Jean-Pierre Fougerat. L’isolement et la dispersion représentent à l’évidence des difficultés majeures. Alors que l’armée ne compte plus d’appelés et que ses effectifs diminuent, les hôpitaux militaires ne doivent-ils pas se diriger vers une véritable mutualisation avec les hôpitaux classiques, tout en gardant quelques prérogatives ? Y songe-t-on dans le cadre de la coopération interministérielle que vous avez évoquée ? Puisque 80 % de vos patients sont des civils, une telle évolution paraîtrait logique.

Par ailleurs, quel est l’effectif exact du SSA ?

M. Jean-Marc Debonne. Si l’INI ne relève pas du SSA, la prise en charge des blessés de guerre et des anciens combattants constitue notre cause commune. Nos deux institutions entretiennent des relations importantes : le SSA fournit des personnels – dont le directeur –, mais également des praticiens à l’INI ; cette dernière collabore avec différents hôpitaux militaires parisiens. Mais l’INI est aujourd’hui confrontée à la question de son avenir.

C’est des anciens combattants qu’il nous faut partir pour construire le modèle futur. L’INI a pour raison d’être leur prise en charge, son cœur de métier étant le centre des pensionnaires. L’effectif de cette structure est cependant appelé à se réduire. En effet, les futurs anciens combattants – les jeunes blessés d’aujourd’hui – n’auront probablement pas la même demande que ceux issus des guerres précédentes, y compris la génération de la guerre d’Algérie. L’INI doit donc s’interroger sur les modalités de prise en charge des nouveaux pensionnaires.

Les deux autres structures de l’INI – le centre médico-chirurgical qui regroupe différentes activités, dont la rééducation, et le CERAH, centre d’excellence en matière d’appareillage – travaillent beaucoup avec le SSA ; le CERAH collabore notamment avec l’hôpital Percy. Aujourd’hui, nous sommes prêts à réfléchir ensemble et sans délai, à un projet médical commun entre l’INI et le SSA. Beaucoup d’aspects doivent être pris en considération : l’attachement très fort des anciens combattants à la maison INI, la capacité de l’Institution à évoluer favorablement malgré son environnement classé et peu commode. Le SSA se pose les mêmes questions, particulièrement depuis l’expérience de l’Afghanistan et de ses blessés graves. À ces questions, l’hôpital de Percy a apporté une réponse magistrale en montrant une capacité exceptionnelle de prise en charge du blessé de guerre dans sa globalité – y compris sur le plan social ou sportif. On y tient notamment régulièrement des réunions de consultation pluridisciplinaires, sur le modèle de ceux organisés pour les malades atteints de cancer. L’équipe de Percy a construit, autour de deux services – la rééducation et la psychiatrie –, un dispositif que l’INI, centré sur les anciens combattants, n’a pas vocation à proposer. Il faut désormais réfléchir sur la filiation entre le blessé de guerre et l’ancien combattant qu’il deviendra un jour. J’estime que puisqu’il s’agit d’une cause commune entre le SSA et l’INI, notre approche doit être globale ; il faut s’interroger non sur l’INI ou sur le SSA, mais sur l’ancien combattant. Je suis donc ouvert à la réflexion sur un projet médical partagé.

Les appelés représentaient jusqu’à 40 % des patients et 30 % des effectifs des hôpitaux militaires. En 1996, le SSA a donc subi un choc terrible et a dû repenser à la fois sa raison d’être et sa gestion de personnel. Nous avons réussi cette mutation, au prix de la fermeture de neuf hôpitaux entre 1996 et 2002. Les neuf HIA actuels resteront au même nombre, mais subiront les évolutions que j’ai exposées. La question des mutualisations y est centrale. En effet, nous ne pourrons pas acquérir seuls l’ensemble des équipements nécessaires au maintien de la qualité technique dans nos hôpitaux ; la mutualisation apparaît donc comme une condition impérative de la réussite du projet. Pendant les trois années où j’avais dirigé le Val-de-Grâce, je m’étais tourné vers l’hôpital Cochin ; avec mon homologue, nous avions alors signé le premier groupement de coopération sanitaire (GCS) de moyens entre un hôpital militaire et un hôpital civil. Comme je le souligne dans le projet soumis au ministre, en particulier en matière d’équipements, les établissements ne doivent jamais être en redondance, encore moins en concurrence ; ils doivent donc travailler de concert. Mais la mutualisation ne doit pas priver certains hôpitaux d’une activité ; il faut donc construire les conditions de l’exploitation du matériel acquis ensemble – tâche parfois délicate. En tout état de cause, le SSA ne pourra pas, même au sein des plus densifiés de ses hôpitaux, développer seul le niveau technique nécessaire. Le Val-de-Grâce a réussi à acquérir un robot ; il l’a ouvert au GCS et les urologues de Cochin travaillent désormais avec nous. Il n’est pas envisageable, demain, d’acquérir seuls tous les équipements lourds – scanners, IRM, etc. La mutualisation est donc au cœur du projet, pour les hôpitaux des plateformes et plus encore pour les hôpitaux qui n’en feront pas partie.

Les effectifs du SSA s’élèvent à 16 500 personnes, dont 8 300 travaillent dans les HIA. La composante hospitalière représente donc plus de 50 % des ressources humaines du service. L’hôpital consomme aujourd’hui de plus en plus, et nous devons y faire attention puisque notre enveloppe n’augmentera pas. Vouloir à tout prix entretenir un parc de neuf hôpitaux identiques amènerait obligatoirement à dépeupler la médecine des forces – médecine de premier recours, au plus près des combattants sur les théâtres d’opérations et sur le territoire national. À terme, si on fragilisait autant la médecine des forces, on viderait la composante hospitalière de son sens. Il faut donc veiller à ne pas déséquilibrer davantage le rapport entre le premier recours et le recours hospitalier, les effectifs de ce dernier apparaissant déjà quelque peu excessifs.

M. Joaquim Pueyo. Je mesure l’importance de la réforme des plateformes hospitalières. Quelle place la nouvelle organisation fera-t-elle aux 3 200 réservistes ? Si l’on envisage des mutualisations d’équipements avec les CHU, ne pourrait-on pas mutualiser également des personnels ?

Il y a quelques mois, une action – impliquant les états-majors, l’action sociale des armées et la sécurité sociale des militaires – a été mise en place pour mieux soutenir psychologiquement les militaires, notamment en retour d’Afghanistan. Pourriez-vous faire un point sur la situation ? Combien de militaires sont actuellement suivis au titre de soutien psychologique ?

M. Damien Meslot. Avez-vous des projets de mutualisation avec nos alliés – anglais, allemands ou autres – impliquant l’évacuation, comme en Afghanistan, ou le matériel ? Dans le cadre des restrictions budgétaires, il pourrait être utile qu’au lieu d’investir toutes dans le même matériel, les armées européennes développent leur complémentarité sur les OPEX telles que le Mali.

M. Jean-Marc Debonne. Le projet du SSA – qui repose essentiellement sur la concentration et l’ouverture – ne pourra pas être mis en place sans que la réserve n’y trouve une place nouvelle. Dès ma prise de fonction il y a un an, j’ai donc missionné un groupe de travail piloté par des réservistes, chargé de préparer l’arrimage du SSA au service public de santé. Faisant partie des deux mondes, les réservistes représentent une population idéale, qui bénéficie de notre confiance tout en connaissant bien le milieu avec lequel nous devons coopérer. Ce groupe devait également réfléchir aux différentes pistes de réorganisation du service, mais aussi penser autrement le rôle de la réserve, en faisant table rase du passé. Au bout de plusieurs mois, il a rendu un rapport dont les conclusions figureront intégralement dans le projet que je soumets au ministre.

Les réservistes se sont montrés plus qu’intéressés ; ils estiment, tout comme moi, que le rôle de la réserve pourrait dépasser celui de la simple suppléance. Des pans entiers de nos missions – comme par exemple l’odontologie – pourraient lui être confiés. En effet, les dentistes réservistes sont extrêmement dynamiques ; présents sur le territoire national dans tous les centres médicaux des armées, ils effectuent également la moitié des jours en OPEX des dentistes militaires. En même temps nous avons des difficultés à construire ce corps, à garder les personnes, à leur donner de l’intérêt professionnel. On se demande donc si l’on ne pourrait pas organiser complètement le soutien dentaire par les réservistes, ne gardant que quelques odontologues militaires.

En effet, toutes les activités ne requièrent pas le même degré de militarité : le militaire d’active est incontournable en cas d’entrée en premier sur un théâtre d’opérations ; pour la relève, le réserviste est associé ; mais pour les activités du socle, les réservistes exercent quand les médecins militaires partent en mission. Nous pourrions aller plus loin encore : plutôt que d’externaliser des fonctions, on peut les garder et les faire faire en partage par des réservistes et des acteurs du service public. En somme, le rôle de la réserve est reconsidéré dans le nouveau modèle. Actuellement, nous sommes contraints par le budget, mais la question pourrait être reposée s’il s’avérait que le service se concentre sur des aspects liés au contrat opérationnel pour les militaires d’active, et confie une part plus importante de certaines missions à des personnels de réserve – qui sont très demandeurs.

Certes, le profil du réserviste est actuellement en train d’évoluer. Ceux issus de la conscription se font de plus en plus rares, et leur renouvellement pose question. Or, pour inclure dans le projet une utilisation accrue de la réserve, il nous faut avoir la garantie de continuer à recruter. Je pense que le principe d’ouverture, qui amènera le SSA à travailler bien davantage avec des acteurs civils de la santé, créera des vocations. Ainsi, les officiers contractuels de notre service – qui occupent un poste d’internat dans nos hôpitaux – sont généralement satisfaits des conditions de travail et, lorsqu’ils nous quittent au bout de deux ans, beaucoup d’entre eux demandent à devenir réservistes. À travers cette nouvelle relation, nous pourrons reconstituer un vivier ; ce réseau sera également entretenu par nos praticiens qui travailleront davantage dans le service civil. Quand je vois des jeunes réservistes qui continuent à s’engager, avec des motivations similaires à celles de leurs aînés, je ne me sens pas inquiet pour l’avenir.

La réserve sanitaire représente un domaine où il nous faut être particulièrement vigilants. Beaucoup de réservistes le sont à la fois à l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS), chez les pompiers et au SSA. Il faut adopter une approche globale de la réserve sanitaire – à vocation civile ou militaire –, afin de savoir où iraient les personnes en temps de crise. Nous réfléchissons actuellement avec le directeur général de l’EPRUS, M. Marc Meunier, aux manières de renforcer la concertation dans la gestion de nos réserves respectives, voire d’aller vers une forme de réserve partagée. Nous pourrions mettre en commun la formation, tout comme certains emplois qui viendraient au secours de réservistes qui en sont privés. Au total, la réserve se trouve clairement au cœur du projet.

Le soutien psychologique constitue une préoccupation extrêmement forte de l’état-major des armées et du ministre de la défense. Dès 1992, le stress post-traumatique a été reconnu en tant qu’affection ; depuis, le SSA et les armées en général y voient une blessure qui doit être traitée comme telle. Cependant, c’est à l’occasion des événements dramatiques de la guerre d’Afghanistan, et particulièrement en 2007-2008, que l’enjeu a réellement gagné en visibilité. Le premier plan dans ce domaine, arrivé à échéance, couvrait la période 2011-2013 et était mené en partenariat avec d’autres acteurs tels que la Caisse nationale militaire de sécurité sociale (CNMSS). Il comportait neuf axes majeurs, déclinés en trente-trois actions ; vingt-trois d’entre elles sont réalisées, huit sont en cours et une démarre actuellement. Les actions réalisées ont notamment touché à la formation des personnels du SSA et des militaires ; grâce à elles, ce problème ne constitue plus un tabou. La direction centrale possède désormais un service d’intervention médico-psychologique des armées, piloté par un médecin psychiatre, qui fédère et coordonne l’ensemble des activités de prise en charge du stress post-traumatique.

Le deuxième plan, qui vient de débuter, est prévu sur la période 2013-2015 et concerne huit mesures du plan précédent et trois mesures nouvelles : l’extension des mesures initiales aux forces spéciales, qui exigent une approche particulière ; la prise en charge des familles, qui sont autant victimes du stress post-traumatique que les militaires eux-mêmes ; la communication, qui doit continuer à amplifier la prise de conscience du problème et faire connaître les activités du service en cette matière. Entre 2011 et 2012, le nombre de pensions d’invalidité pour stress post-traumatique a doublé, passant à 163 ou 164 dossiers.

Depuis une dizaine d’années, 900 cas ont été officiellement diagnostiqués dans les armées. Depuis 2010, on distingue le traumatisme psychique du syndrome de stress post-traumatique. Les troubles psychiques en relation avec un événement traumatisant n’évoluent pas tous vers un syndrome ; nous proposons donc deux niveaux de déclaration. En 2012, nous avons enregistré quelque 250 traumatismes psychiques, dont environ 150 ou 160 ont évolué vers un syndrome de stress post-traumatique.

Mme la présidente Patricia Adam. Que se passe-t-il pour des blessés plus anciens atteints de ce syndrome, qui n’avaient pas été diagnostiqués à l’époque des faits ?

M. Jean-Marc Debonne. Le numéro vert « Écoute défense » a permis à certaines personnes psychiquement blessées il y a très longtemps de se déclarer et de voir leur affection reconnue. En effet, la maladie se déclare parfois bien après le retour des opérations, et peut devenir chronique. Un militaire qui a subi un traumatisme psychique vient aux soins de trois façons : la moitié d’entre eux spontanément – chiffre en forte évolution –, un quart dirigés par l’entourage – famille, commandement, camarades – et un dernier quart repérés par les mesures de dépistage du SSA.

L’international est le troisième des cinq principes qui présideront au nouveau projet. Dans les années qui viennent, nous ne pourrons pas développer en permanence une chaîne santé opérationnelle en autonomie totale. L’ambition de notre SSA est de pouvoir effectuer l’entrée en premier seul ; mais quand il faut s’inscrire dans la durée, il est indispensable de mettre en place des mutualisations. Les évacuations sanitaires aériennes font notamment l’objet d’un commandement mutualisé – European Air Transport Command (EATC) – qui réunit plusieurs pays européens : l’Allemagne, la France, les Pays-Bas, le Danemark. Nous nous inscrivons totalement dans cette dynamique ; si nous gardons la main sur les Falcon, les évacuations par des moyens lourds – comme demain, le transporteur A400M – se régleront au niveau européen.

Actuellement nous avons des contacts très étroits avec le service de santé allemand ; nous avons échangé des visites et un séminaire franco-allemand sur la santé se tiendra en décembre. Nous adoptons la même démarche avec les Anglais. Ces échanges montrent que le SSA français a développé une expertise probablement unique en Europe sur la tête de chaîne santé, qui comprend le rôle 1 – en terminologie de l’OTAN, le poste de secours médicalisé où s’établit le premier contact avec un médecin – et le rôle 2 – l’antenne chirurgicale qui assure le premier contact avec un chirurgien. Les Allemands, en revanche, sont davantage spécialisés sur le rôle 3 – structures hospitalières qui permettent le contact avec un chirurgien spécialisé –, voire le rôle 3 lourd. La complémentarité est donc évidente : pour la France, il est essentiel de garder les rôles 1 et 2, qui – le Mali l’a montré – rendent possible l’entrée en premier ; mais monter un rôle 3 lourd – tel que l’hôpital de Kaia – dans la durée et en autonomie ne correspond ni à nos moyens ni à notre stratégie, puisque cela nous obligerait à déshabiller la tête de chaîne qui pour nous est vitale. Si nous devions rester sur un théâtre d’opérations – comme en Afghanistan –, nous contribuerions à un rôle 3 dans un contexte multinational, car si les rôles 1 et 2 sont difficilement mutualisables, le rôle 3 l’est beaucoup plus.

Au total, la mutualisation apparaît nécessaire lorsque nous devons durer sur un théâtre d’opérations au sein d’une coalition. Elle se déroule bien avec les Allemands grâce à notre complémentarité naturelle. Avec les Anglais, la collaboration se développe, mais davantage pour l’engagement opérationnel. Enfin, pour les évacuations, nous nous inscrivons dans l’EATC qui détient une conception commune pour l’évacuation stratégique. Quant à l’évacuation tactique, nous travaillons sur le terrain avec les États-Unis – notamment en Afghanistan –, mais le plus souvent avec les moyens de l’armée française.

Cependant, l’opérationnel ne réussit que si on l’a préparé en amont. La réflexion – avec les Anglais et surtout les Allemands – porte donc aujourd’hui sur la formation et la recherche, l’information réciproque et l’harmonisation des procédures. La standardisation que nous impose l’OTAN facilite les choses ; mais se connaître reste important, aussi faisons-nous des échanges de personnels pour préparer les interventions communes.

Mme Marianne Dubois. Dans le cadre de la réorganisation du SSA, quelle sera la place de la pharmacie centrale des armées (PCA) ? Son rôle apparaît essentiel non seulement dans le stockage, mais également dans la fabrication de produits contre les risques chimiques et nucléaires.

M. Yves Fromion. À côté de la mutualisation avec les Européens, qu’en est-il de l’utilisation des structures existantes dans les territoires d’intervention ? Par exemple, pouvez-vous vous appuyer, au Mali, sur le dispositif hospitalier, même lacunaire ?

Je voudrais également revenir sur nos grands blessés. J’ai visité Percy à plusieurs reprises, et je peux témoigner de la qualité des soins et du dévouement du personnel de cet établissement, dont on peut tirer fierté. La prise en charge des blessés – à l’hôpital, mais aussi à l’extérieur, certaines initiatives bénéficiant du soutien financier de l’industrie de la défense – apparaît exemplaire. J’avais obtenu du précédent ministre de la Défense que l’on y lance la construction d’un bâtiment pour l’accueil des familles des blessés, certains devant rester en soins durant plusieurs mois. Où en sont aujourd’hui les travaux ?

M. Jean-Marc Debonne. La PCA représente un joyau, un outil remarquable, unique en son genre puisqu’il s’agit de la seule pharmacie dont dispose l’État. Étant seule à pouvoir fournir massivement certains produits, la PCA reste indispensable, et le projet que nous remettons au ministre ne remet pas en cause la place qui lui revient. En revanche, nous réfléchissons aux manières d’optimiser ce potentiel qui n’a pas été totalement exploité et qu’il est possible de valoriser davantage. Dans le cadre de nos relations avec l’EPRUS, on pense confier à la PCA une plus grande part de production de médicaments d’intérêt national. On réfléchit également à d’autres productions qui pourraient par exemple servir à la recherche médicale en France. Il est donc impératif de garder la PCA, malgré les moyens qu’elle exige ; mais il faut la valoriser au travers de partenariats d’ouverture et de mutualisations avec d’autres acteurs, particulièrement publics.

M. Alain Marty. Qu’en est-il du centre de transfusion sanguine des armées ?

M. Jean-Marc Debonne. Cet outil remarquable n’est pas non plus remis en question.

En matière d’appui sur les structures locales, le Mali constitue un cas difficile. Malheureusement, dans les endroits où les armées interviennent, le tissu sanitaire est généralement inexistant ou détruit. En Côte d’Ivoire, à Abidjan, le SSA travaille avec une clinique locale, de manière plus ou moins fructueuse. L’appui sur les structures locales fait donc partie des possibilités – qui faisaient défaut au Mali.

L’histoire récente nous a montré qu’une attention particulière devait être portée à ce qui se passe en Afrique, et au soutien de santé des coalitions dont nous faisons partie. Si nous avons été la nation leader au Mali, nous n’y étions pas seuls, et nous avons notamment assuré le soutien pour le contingent tchadien. Le SSA a une grande culture de coopération avec ses homologues africains, entretenant des liens encore très étroits au Maghreb et en Afrique sub-saharienne, où nous avons gardé des racines. En effet, on n’efface pas un siècle d’histoire en quelques années. La situation de ce continent n’étant pas définitivement consolidée, on pourrait être à nouveau amenés à contribuer à sa stabilisation. Il est donc très important d’entretenir ces liens avec les services de santé des armées de pays comme le Sénégal, que l’on pourrait réactiver en cas de besoin. Nous partageons la même langue, mais également une culture médicale commune, comme le prouvent par exemple nos récents échanges avec nos collègues algériens. En somme, nous ne regardons pas uniquement l’Europe ; étant donné les intérêts stratégiques de la France au-delà de la Méditerranée, nous restons attentifs à ces relations, recevant et formant beaucoup de praticiens militaires africains. Ces liens favoriseraient, le cas échéant, des collaborations opérationnelles.

Quant aux blessés, je ne manquerai pas, monsieur Fromion, de transmettre votre appréciation au personnel de Percy. Il s’agit, en effet, d’un établissement exceptionnel qui fait beaucoup pour les jeunes blessés graves, notamment pour les amputés ou les brûlés, prenant en charge leur rééducation et leur réhabilitation complète – qui inclut le traitement des traumatismes psychiques. D’autres ministères – comme celui de l’Intérieur –, parfois confrontés à des blessures très importantes, notamment chez les démineurs, nous confient leurs blessés pour réhabilitation. La dimension interministérielle que pourrait un jour acquérir le service concerne également ces personnels qui, comme les pompiers, exposent leur vie dans leur travail. Percy a entièrement endossé la mission de traitement des blessures en service, militaire ou civil.

Le projet de bâtiment pour l’accueil des familles – qui répond à un véritable besoin – suit son cours. Il servira également aux militaires qui reviennent régulièrement à Percy pour des gestes chirurgicaux ponctuels ou la mise au point des prothèses.

Mme la présidente Patricia Adam. Alain Marty et moi-même avons pu constater l’avancement du projet quand nous nous sommes rendus à Percy. Comment cette structure sera-t-elle gérée ?

M. Jean-Marc Debonne. Ce ne sera pas le SSA qui s’en occupera, mais probablement l’action sociale des armées.

Mme la présidente Patricia Adam. Ce sont souvent des associations de bénévoles qui gèrent ce type de structures, car les familles ont besoin de soutien, d’écoute et de médiation.

Général, je vous remercie pour votre exposé et pour vos réponses.

*

* *

Ÿ Représentants des syndicats des personnels civils de la défense (jeudi 17 octobre 2013)

Mme la présidente Patricia Adam. Mes chers collègues, nous allons procéder à l’audition des représentants des syndicats des personnels civils de la défense sur le projet de loi de programmation militaire (LPM) et sur le projet de loi de finances pour 2014.

Il s’agit, dans l’ordre de représentativité, de MM. Gilles Goulm et Patrick Daulny, pour Force ouvrière-défense, de MM. Luc Scappini et Didier Moor, pour la CFDT Défense, de MM. Laurent Tintignac et Bruno Jaouen, pour l’UNSA-défense, de MM. Francis Dubois et Roland Denis pour Défense CGC, et de MM. Yves Naudin et Éric Archat, pour la CFTC.

Nous vous avons tous reçus avant l’été et nous étions convenus de nous revoir. Je rappelle qu’avec ma collègue Geneviève Gosselin-Fleury, co-rapporteure, nous avons auditionné chaque syndicat pour le rapport sur la LPM.

M. Gilles Goulm, secrétaire général de Force ouvrière-défense. Mon intervention portera principalement sur trois axes : d’abord sur la LPM, le budget, les équipements et les conséquences des choix effectués sur l’industrie de défense et le maintien en condition opérationnelle, ensuite sur les effectifs et le rééquilibrage des effectifs militaires-civils dans les fonctions de soutien, enfin sur les éléments budgétaires relatifs à la condition des personnels civils.

La LPM fixe un cap d’ici à 2019 et prévoit des crédits présentés comme constants, soit 189,98 milliards d’euros dont 6,1 milliards de recettes exceptionnelles. Nous émettons des réserves sur ces dernières puisque leur réalisation n’est en aucun cas garantie. Même si le projet de LPM prévoit qu’en cas de modifications substantielles, d’autres recettes exceptionnelles seraient mobilisées, nous pouvons légitimement nous interroger. Pardonnez-moi l’expression, ça ne mange pas de pain et n’engage que ceux qui y croient. N’est-ce pas le même artifice budgétaire qui explique en partie le trou de quelque trois milliards d’euros de l’actuelle LPM ?

Quand bien même ces 6,1 milliards d’euros seraient au rendez-vous, encore faudrait-il nous préciser leur répartition et, par exemple, ce que l’on entend par « produit de cessions additionnelles de participation d’entreprises publiques ». Quant au produit de cessions immobilières, permettez-nous là aussi d’être plus que dubitatifs. Du reste, si l’on se réfère au rapport d’information de votre commission sur la mise en œuvre et le suivi de la réorganisation du ministère de la Défense, qui lui-même se réfère au rapport de la Cour des comptes, il aura manqué au budget de la Défense quelque 1,14 milliard d’euros.

Mieux, nous découvrons que 29 emprises pour une valeur globale de 51,64 millions d’euros ont été cédées à l’euro symbolique. Vendre 29 euros des biens qui en coûtent presque 52 millions, vous avouerez qu’on peut mieux faire en matière de bonne gestion des deniers publics, dont de nombreux donneurs de leçons nous parlent à longueur d’année. Même si le sujet ne prête pas à l’humour, nous espérons au moins que les 29 euros ont bien été recouvrés.

Nous avons déjà abordé devant vous la question de la sous-dotation budgétaire des bases de défense et ses conséquences, tant en matière de service rendu aux forces et établissements embasés, qu’en ce qui concerne la vie quotidienne et les conditions de travail des agents, civils comme militaires. Nous dénoncions ici – même si tout ne s’explique pas par un manque de crédits, du fait d’une certaine désorganisation – l’absence de chauffage, d’eau chaude, de savon, de papier hygiénique, d’ampoules, de cartouches d’imprimantes, de stylos, d’enveloppes… Force est de constater que la situation ne s’améliore pas franchement et que, trop souvent, le minimum décent que l’on doit à tout salarié n’est même pas offert aux agents de la Défense, ce qui n’empêche nullement tel général de dépenser plusieurs millions d’euros pour construire un musée et une salle d’honneur.

Si certains dysfonctionnements s’expliquent aussi par une désorganisation découlant directement de la réforme de 2008, nous pouvons également espérer que la décision du ministre en matière de gouvernance des groupements de soutien des bases de défense permettra d’y apporter les solutions nécessaires.

Même si Force ouvrière a pour principe de ne pas s’exprimer sur la politique de défense de la France, rejetant ainsi toute forme de cogestion sur les questions opérationnelles, nous appelons votre attention sur l’importance des décisions en matière d’équipements et leurs conséquences sur l’emploi dans l’industrie d’armement notamment. C’est vrai pour le programme Scorpion pour Nexter, mais aussi pour le programme de frégates FREMM pour DCNS. Le ministre a confirmé les grands programmes prévus tout en évoquant le lissage de certains d’entre eux ; or nous savons tous que des lissages de programmes permettent d’économiser sur un exercice budgétaire mais finissent par entraîner un surcoût non négligeable sur la totalité de la durée du programme.

Les décisions en matière d’équipements ont également un impact important sur le maintien en condition opérationnelle, et par voie de conséquence sur l’emploi des personnels civils au service industriel de l’aéronautique (SIAé) ou au service de la maintenance industrielle terrestre (SMITer). Quand on aborde la situation de ces deux services, on en vient inexorablement à aborder la question des effectifs, deuxième axe de mon intervention.

En effet, combien de temps encore allons-nous demander à ce ministère de réduire ses effectifs sans mettre en péril nos capacités en matière de soutien aux forces, l’opérationnel, nous le rappelons, restant de la responsabilité des états-majors sous les ordres de l’exécutif ? Après les 54 000 suppressions d’emplois imposées par la révision générale des politiques publiques (RGPP), que le ministre actuel a maintenues, ce sont encore 24 000 postes, dont 7 400 de personnels civils, qui seront supprimés sur la période couverte par la LPM. Encore une fois, ce ministère s’apprête à faire supporter les efforts en priorité aux services de soutien et à l’administration.

Alors que nous étions 145 000 personnels civils il y a une quinzaine d’années, nous ne sommes plus que 64 000. Pour reprendre la formule consacrée, il y a longtemps que n’avons plus de gras et que nous sommes en train d’attaquer l’os. J’en reviens d’ailleurs à la situation des services industriels, notamment au SIAé auquel on demande d’adapter sa charge à ses effectifs. En effet, alors que la LPM prévoit 3 700 suppressions d’emplois d’ouvriers de l’État, soit la moitié des réductions d’effectifs, c’est la capacité des services industriels à répondre à la demande qui est remise en cause. À titre d’exemple, il faut savoir que l’armée de terre va perdre 46 % de ses effectifs d’ouvriers de l’État d’ici à 2022, ce qui mettra inévitablement en péril le SMITer.

Quand allons-nous sortir de la logique de Bercy selon laquelle les ouvriers de l’État constitueraient une catégorie de personnels à éradiquer ? Même si le ministre a annoncé 700 embauches, dont 300 consacrées à l’intégration des opérateurs de maintenance aéronautique, contractuels, c’est loin d’être suffisant pour permettre au SIAé et au SMITer d’affronter l’avenir sereinement. À moins, mais vous m’objecterez que c’est un procès d’intention, que l’on ne prévoie de placer ces deux services dans la situation de devoir recourir à l’externalisation.

Force ouvrière revendique depuis plusieurs années un rééquilibrage des effectifs entre militaires et civils dans les fonctions de soutien, expression plus proche de la réalité et moins caricaturale que le terme « civilianisation », qui ne veut pas dire grand-chose et ne sert qu’à agiter un chiffon rouge finissant par irriter la composante militaire.

Quelques chiffres parlent d’eux-mêmes : rien que sur la chaîne CPCS – centre de pilotage et de conduite du soutien –, fonctions dévolues aux personnels civils s’il en est, nous comptons 1 800 officiers pour seulement 230 civils de catégorie A, avec les conséquences que l’on sait sur la masse salariale. Cette situation que nous dénonçons depuis des années ne trouvera de règlement qu’au prix d’une volonté politique forte. Même si, là encore, nous considérons que les décisions du ministre en matière de gouvernance et de pilotage de la masse salariale vont dans le bon sens, il y a encore loin de la coupe aux lèvres, a fortiori dans une période de réduction d’effectifs.

Une solution pour parvenir à améliorer cette situation consisterait à mettre un terme à la déconnexion entre l’organisation et la gestion. En effet, l’élaboration des fameux référentiels des effectifs en organisation (REO) s’effectue aujourd’hui par les états-majors et sont validés sans recoupement ni même dialogue avec les services gestionnaires de personnels civils. C’est ainsi qu’on annonce à des agents, du jour au lendemain, que leur poste est supprimé, ou qu’il n’a jamais existé, ou encore que c’est un poste identifié « militaire » et qu’il convient de le libérer. La direction des ressources humaines du ministère de la Défense (DRH-MD) n’intervient qu’au bout de la chaîne à travers la mission d’accompagnement des restructurations (MAR) et ne fait que du traitement social pour les personnels touchés par l’application de ces REO. Il est donc crucial de faire preuve de plus de cohérence et nécessaire que la DRH-MD soit enfin capable de bâtir des parcours professionnels pour les personnels civils, ce que les militaires savent particulièrement bien faire pour leurs personnels.

Bâtir des parcours professionnels pour des agents passe aussi par des plans de requalification pour les filières administrative et technique. Hélas, si, en effet, le budget 2014 prévoit un tel plan – certes pas à la hauteur de nos attentes – pour les fonctionnaires administratifs, il n’en est rien pour les agents de la filière technique qui se voient refuser la deuxième phase d’un plan pourtant engagé il y a maintenant deux ans. Et ce n’est certainement pas la baisse des crédits alloués à la condition des personnels civils, passés en deux exercices budgétaires de 25 à 11 millions d’euros, qui permettra de remédier à cette situation.

Je terminerai par l’utilisation de la réserve opérationnelle. La LPM prévoit le maintien des efforts en la matière et le projet de loi de finances pour 2014 fixe le montant des crédits alloués à cette réserve à 71 millions d’euros, sensiblement équivalent à 2013. Soit. C’est un choix à caractère opérationnel qu’il ne nous appartient pas de remettre en cause. Encore faut-il que ces crédits soient correctement employés et que les réservistes soient affectés à des tâches opérationnelles et non à des fonctions administratives comme nous le constatons trop souvent. Nous avions souhaité, afin de lever toute ambiguïté, qu’une étude objective soit menée sur l’utilisation de cette réserve. Nous n’avons toujours pas été entendus à ce jour.

M. Luc Scappini, secrétaire général de la fédération CFDT défense. Je regrette vivement l’absence de nombreux députés membres de la commission alors que la loi de programmation militaire est en discussion au Parlement.

Pour la CFDT, le défi de « penser autrement » le long terme est posé. Si cela est vrai pour nombre de secteurs confrontés à la crise, c’est devenu crucial pour la Défense. En témoignent les débats et les arbitrages pour la préparation du projet de LPM 2014-2019. Le pire semble avoir été écarté en matière de PIB consacré, mais qu’en sera-t-il à l’avenir ? La CFDT, qui avait demandé à être auditionnée par la commission du Livre blanc, a remis l’an dernier un document regroupant son analyse et ses propositions pour la défense de demain. Consciente des enjeux géostratégiques, et l’actualité n’est pas pour nous rassurer sur ce point, elle a saisi le chef des armées sur les risques d’une réduction de la part consacrée au budget de la Défense, et, afin de préparer la défense de demain, proposé l’organisation d’états généraux rassemblant tous les acteurs concernés pour débattre de l’impact économique, industriel et social de cette réduction.

Le projet de LPM a suivi les principes posés par le Livre blanc, évitant un scénario qualifié de catastrophe, mais ajoutant 24 000 suppressions de postes au plan social en cours. Cette LPM représente des risques sociaux importants pour le ministère et ses personnels comme pour l’industrie. Pour le ministère, c’est la réduction des postes dans la poursuite de la logique de la RGPP, l’externalisation de certaines fonctions et la mise en concurrence avec le secteur privé. Pour les industriels, c’est l’abandon ou le glissement des programmes, la cession de parts de capital par l’État et la pression sur les résultats pour faire remonter du cash. La LPM 2014-2019 est synonyme d’équilibre impossible : elle entend maintenir un effort de Défense tout en dépensant moins, à l’aide de leviers virtuels et risqués comme les six milliards d’euros cumulés de recettes exceptionnelles, l’hypothèse du contrat Rafale à l’export et le pari d’une consolidation à l’échelle européenne.

L’effort demandé à la défense est considérable avec une perte de 80 000 emplois cumulés entre 2009 et 2019. En 2014, 8 000 emplois seront supprimés sur 13 000 dans les secteurs ministériels qui ne correspondent pas aux missions prioritaires. Au premier rang toujours, la défense « paye » 60 % du total alors qu’elle ne représente que 10 % des emplois publics de l’État. En dix ans, les armées ont perdu un quart de leurs effectifs.

Cette « LPM plancher » suscite la méfiance, les précédentes n’ayant jamais été pleinement exécutées. Aussi, inquiets, les PDG des groupes industriels français réclament-ils la garantie du socle minimum dessiné par la LPM, cela sans aucune dérive. Est-ce possible, les ressources de la LPM paraissant avoir été garanties au cours du débat au Sénat ? Les récentes déclarations de M. Collet-Billon, délégué général pour l’armement (DGA), ne sont guère rassurantes. Selon lui, le report de charges du programme 146, qui concerne les équipements, flirte avec la ligne rouge, sans aucune marge pour gérer les aléas sur les futures ressources. C’est la première fois qu’une LPM démarrera avec un tel niveau de report de charges : près de deux milliards d’euros. Selon les experts, ce texte qualifié d’équilibré met en danger près de 20 000 emplois issus des PME-PMI dans les années à venir, la fermeture de bases et de garnisons mettant en jeu la politique territoriale et d’aménagement du territoire.

Le ministre a reçu les fédérations syndicales en réunions bilatérales au début de l’été avant la présentation de la LPM en Conseil des ministres. La CFDT a fait part de ses inquiétudes et de ses propositions et ne partage pas l’optimisme du ministre.

En matière de dialogue social, la CFDT a pris acte de la mise en place d’un agenda social au ministère de la Défense mais attend que certains chantiers fassent preuve de plus d’ambition et d’audace au regard des enjeux, pour les ouvriers de l’État ou en matière de formation professionnelle par exemple. Il faut protéger le statut spécifique des ouvriers de l’État de la Défense face aux velléités de la fonction publique de créer un quasi-statut pour l’ensemble des personnels concernés et répartis dans plusieurs ministères. Les ouvriers de l’État de la Défense ont leur histoire et des compétences reconnues dans les secteurs techniques et stratégiques de la DGA, du SMIter, du SIAé et du service interarmées des munitions (SIMu), sans parler de DCNS ou Nexter. La CFDT souhaite poursuivre la négociation ouverte en 2010 sur la projetabilité d’ouvriers de l’État, sur la base du volontariat, afin d’étoffer les textes en vigueur.

La CFDT prend acte du lancement du chantier de « civilianisation » qui répond à une demande des syndicats depuis la réforme de 2008. La feuille de route en a été confiée au DRH-MD. La première réunion sur le sujet nous a permis de recenser les difficultés de réalisation pour le DRH-MD, qui ne dispose pas d’une véritable gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) et qui s’appuie sur des outils non stabilisés en matière d’effectifs, d’organisation et de métiers.

La CFDT a averti qu’il ne faudra pas souffler sur les braises ni provoquer de césure dans la communauté de la défense entre civils et militaires confrontés à la même réforme qui détruit l’emploi et la présence des armées sur le territoire. Si les civils doivent pouvoir légitimement prétendre participer à de nombreuses missions du soutien, la condition militaire doit également faire l’objet d’une évolution, qu’il s’agisse de la durée des contrats courts ou d’un droit d’expression et d’organisation. Sur ce dernier point, le Président de la République a demandé qu’une réflexion soit lancée sur l’évolution du dialogue social pour les militaires. Cela devient urgent car les tensions sont vives et ce n’est pas le projet de 34 000 suppressions d’emplois supplémentaires qui renforcera la cohésion au sein de la communauté de la défense.

Nous le martelons : les services du ministère de la Défense sont incontestablement en sous-effectifs et en surcharge de travail. La CFDT ne peut que contester la nouvelle saignée prévue dans les effectifs d’ici à 2019, qui ne pourra malheureusement que provoquer toujours plus de souffrance au travail et accroître les risques pour la qualité du soutien au service de nos armées.

La CFDT souhaite également appeler votre attention sur la DGA qui s’oriente vers un renforcement de sa capacité d’ingénierie. La DGA a réduit ses implantations géographiques et subi de fortes réorganisations en termes de soutien, avec des transferts vers le service infrastructure de la Défense. Les relations entre agents soutenants et soutenus se sont dégradées : les procédures sont aujourd’hui jugées trop cloisonnées et inadaptées à la réactivité attendue à la DGA. Son efficacité, autant dans la recherche que dans le soutien pour l’industrie, est déterminante, à l’exemple du pacte défense-PME qui doit soutenir l’innovation auprès de 62 projets sélectionnés. La CFDT a d’ailleurs demandé au ministre un bilan du pacte PME-PMI après un an de fonctionnement.

En matière de cyberdéfense, la DGA s’efforce d’intégrer l’ensemble des moyens techniques pour suivre les menaces et y répondre. Mais pour être à la hauteur de ces enjeux, la DGA doit maintenir ses effectifs et son soutien logistique car, depuis 2008, sa réorganisation a eu des répercussions sur le moral des personnels.

Tout n’est pas rose non plus dans le secteur aéronautique et spatial. Malgré les bons chiffres annoncés, la CFDT demeure inquiète sur l’avenir de la filière que n’épargnent pas délocalisations, poids accru des actionnaires, désengagement de l’État, vente des actifs étatiques et chasse au coût. Les savoir-faire techniques et technologiques acquis au cours de décennies ne doivent pas être délocalisés dans le seul but d’accéder à de nouveaux marchés. Entre 2005 et 2012, le chiffre d’affaires du groupe Safran a ainsi bondi de 28 %, l’activité de Thales a progressé de 3 % quand, dans le même temps, l’emploi reculait en France de 5 % et augmentait de 6 % hors du pays.

Le ministre a rassuré les fédérations syndicales sur l’avenir et l’organisation du maintien en condition opérationnelle (MCO) des aéronefs. Le MCO aéronautique, assuré notamment par les ateliers industriels de l’aéronautique (AIA), demeurera étatique. Dont acte.

Le projet de LPM laisse également apparaître des coupes franches dans les budgets affectés aux groupements de soutien de base de défense (GSBdD), qui subissent des coups de rabot sans précédent, en toute méconnaissance des besoins du terrain. Nous avons des exemples sur les bases navales où les enveloppes affectées aux transports de personnels ou le débarquement des matériels remettent en question un fonctionnement minimum. Et nous ne parlerons pas ici des économies de bouts de chandelle, qu’il s’agisse du chauffage ou des tentatives de remise en question des droits en matière de congés payés des personnels en imposant des fermetures de sites.

Dans le secteur industriel, les salariés de DCNS et de Nexter ont démontré jusqu’ici qu’une entreprise publique pouvait être performante et se développer. Mais l’État actionnaire devra montrer l’exemple et jouer pleinement son rôle en donnant les moyens à DCNS et à Nexter de construire leur avenir. Pour DCNS, les deux programmes majeurs FREMM et Barracuda sont maintenus dans leur intégralité mais avec un calendrier de livraison modifié. La CFDT souligne, avec d’autres, que le glissement des programmes aura des conséquences sur le plan de charge des établissements. Ainsi, nos équipes comptent sur l’implication du ministre pour la conclusion des contrats exports en cours ou à venir.

DCNS se positionne également dans le secteur de l’énergie – nucléaire civil et énergies marines renouvelables. Ces développements adjacents sont primordiaux pour maintenir et développer les emplois industriels sur le territoire. Il en est de même pour Nexter et ses salariés qui attendent de décrocher une vente de véhicules blindés de combat d’infanterie (VBCI) à l’export face à une concurrence acharnée. Tout le monde se pose la question de savoir où en est le contrat avec le Canada. Il semble, aux dernières nouvelles, qu’il soit repoussé, avec, encore une fois, les conséquences que cela implique pour Nexter.

Quant aux véhicules blindés multi-rôles (VBMR) et aux engins blindés de reconnaissance et de combat (EBRC) qui sous-tendent l’avenir du groupe, la CFDT attend que la notification de ces programmes coïncide avec la fin de ceux en cours pour lisser les plans de charge des établissements. Il faudra également veiller à l’inscription d’une commande pluriannuelle moyen-calibre dès 2014 ainsi que de munitions pour le char Leclerc. Dans ces deux secteurs, l’heure est au soutien de l’innovation et des études amont, aux recrutements nécessaires, ainsi qu’au développement d’activités duales. Le contexte de crise ne doit pas inciter à baisser la garde, bien au contraire. La CFDT attend de l’État actionnaire un autre comportement concernant les dividendes issus des résultats des entreprises et, surtout, s’agissant de l’implication de leurs salariés.

Enfin, un grand rendez-vous est prévu en fin d’année qui mettra sous les feux des projecteurs l’Europe et ses ambitions en matière de défense. Comme d’autres, la CFDT est favorable à une Europe de la défense concrète, synonyme de progrès, de cohésion, au service des États membres, cela sans oublier les enjeux d’emploi et de progrès social. Nous sommes conscients que le Conseil européen n’a pas évoqué la défense depuis bien longtemps et que tout ne se sera pas réglé à l’issue de ce grand rendez-vous. Or nous attendons des actes concrets à court et moyen termes. La communication de la Commission européenne, en préparation de cet événement, intègre des enjeux forts qu’il restera à lancer et à réaliser à l’avenir.

M. Bruno Jaouen, interlocuteur CMG Brest pour l’UNSA-défense. Je vais vous présenter une déclaration conjointe de l’UNSA et de la CGC.

Le projet de loi de programmation militaire 2014-2019 sur lequel vous allez vous prononcer engagera la Nation sur une durée bien plus longue que les six années à venir.

Si UNSA-défense et Défense-CGC entendent exprimer leur attachement à la préservation d’une capacité de défense assurant la souveraineté de la France, elles restent conscientes de la nécessité de préserver les finances publiques. Trouver un équilibre entre ces deux enjeux pour la Nation nécessite la mise en place de modèles de gestion modernisés et efficients. Il s’agit d’enjeux qui nécessitent de la représentation nationale, comme de toutes les parties prenantes, une réelle volonté de changement, donc des décisions courageuses, des actions volontaristes, un accompagnement à visage humain et une évaluation objective. Les conséquences de la nouvelle LPM pèsent, une fois encore, sur les structures de soutien puisque deux tiers de la déflation envisagée concerneront cette composante pourtant essentielle, indispensable par ailleurs à la qualité et la pertinence de l’opérationnel. C’est donc sur celles-ci que l’UNSA-CGC portera son attention, étant entendu que nous ne nous prononcerons pas sur les choix opérationnels ou d’équipements qui relèvent de la responsabilité du chef des armées.

Quel visage aura la défense en 2019 ?

C’est bien en ces termes que se pose la question tant la reproduction des erreurs du passé nous paraît engagée. La priorité à la déflation des effectifs, annoncée comme le préalable à une meilleure organisation de la défense, nous paraît dangereuse. La suppression de quelque 24 500 postes, sans compter les 10 000 suppressions héritées de la LPM de 2008, est posée comme le postulat, alors que le découpage des implantations de défense, le fonctionnement et l’organisation ne sont pour leur part pas clairement identifiés : c’est, d’une certaine manière, la charrue que l’on met avant les bœufs. Soyons francs : la Défense, de notre point de vue, a rogné tout ce qu’elle pouvait en termes de structures, de réorganisations, de mutualisation par le choix de l’interarmisation, à l’image de bases de défense, comme de nombreux secteurs relevant du soutien : commissariat, munitions, MCO, infrastructure…

Vous comprendrez dès lors que voir porter l’effort d’une nouvelle déflation principalement sur le soutien, à hauteur des deux tiers de la baisse totale, nous fait craindre le pire. Le pire en termes de fermetures de sites : même si la prudence semble pour l’heure de mise, qu’en sera-t-il en 2015, une fois les élections municipales et européennes passées ? Le pire aussi en matière de soutien aux forces, de sécurité et d’équipement des femmes et des hommes qui s’engagent pour la France et souvent très loin. Pour l’UNSA et la CGC, on ne peut pas puiser sans fin dans les structures de soutien sans remettre en cause, à terme, l’opérationnel lui-même. La condition d’efficacité de l’un est liée à l’existence de l’autre et, pour le coup, la volonté de faire porter l’effort à venir sur le soutien met en péril cet équilibre. Aussi appelons-nous votre attention sur vos choix au moment de voter le texte. En asphyxiant le soutien, les capacités opérationnelles ne seront plus tout à fait les mêmes.

Bien sûr, nous avons conscience de la situation budgétaire, comme de la dérive de la masse salariale de la Défense, de l’ordre d’un milliard d’euros sur l’actuelle LPM – dérive sujette à bien des lectures, certains l’imputant aux mesures catégorielles des agents civils. L’UNSA-CGC condamne cette interprétation alors que, depuis bientôt quatre ans, les salaires des personnels civils sont gelés et qu’on sait bien quelle est la teneur des enveloppes budgétaires consacrées aux mesures catégorielles.

Notre analyse s’articule autour de cinq axes et concerne tous les niveaux de décision.

La Défense a payé un lourd tribut aux restructurations, perdant une grande partie de sa capacité industrielle et réduisant à un seuil critique son niveau de compétence technique. De nombreuses emprises et établissements ont été dissous, fermés, restructurés, engendrant localement des situations sociales difficiles, très difficiles même. Dans les choix à venir, la compétence technique doit être préservée, les efforts devant porter principalement sur la réduction des coûts de structure.

La France doit conforter son industrie d’armement et ne pas la mettre en péril par des décisions prises sous le seul aspect comptable. Il en va du maintien des emplois mais aussi de la pérennité d’un secteur où la France figure parmi les leaders mondiaux.

L’armée française doit être dimensionnée, entraînée et dotée d’équipements et d’un soutien logistique opérationnel performants, adaptés à ses missions de défense et de sécurité nationale.

Les emplois à caractère non opérationnel doivent être très majoritairement « civilianisés » et valorisés grâce à des parcours professionnels attractifs. Ces derniers, par le biais d’une gestion unique des ressources humaines, devront assurer une complémentarité entre personnels militaires et civils. La « civilianisation » sera porteuse de gains significatifs sur la masse salariale du ministère que nos organisations ont estimé de l’ordre de trois milliards d’euros par an au terme de la démarche de rééquilibrage, hors gains induits sur les autres dépenses. Ce point a déjà été évoqué dans de nombreux rapports parlementaires, le dernier en date étant celui de Mme Gosselin-Fleury et M. Meslot.

Cinquième et dernier axe, le dialogue social doit être réellement modernisé et s’ouvrir sans tabou à l’organisation et au fonctionnement des services conformément à la loi sur la modernisation du dialogue social. Les comités techniques doivent avoir compétence pour traiter tous ces aspects. Pour cela, il conviendra d’abandonner la dérogation propre à la défense interdisant le dialogue à ce niveau. Enfin, comment ne pas dénoncer ici la décision du Gouvernement de mettre fin au processus de requalification des techniciens supérieurs d’études et de fabrications (TSEF) qui, avec le soutien appuyé de nombre d’entre vous, s’était concrétisé par un décret aujourd’hui remis en cause. Peut-on encore parler de dialogue social et accorder du crédit à un engagement politique fort ? Nous n’insisterons pas sur le symbole que constitue la remise en cause, par le Gouvernement actuel, d’une action de promotion sociale décidée par le Gouvernement Fillon. Nous rappellerons également le soutien dont nous avions bénéficié de la part de Bernard Cazeneuve alors qu’il était député de la Manche.

Nous appelons également votre attention sur les mesures d’externalisations, conséquence directe de la réduction de voilure de la Défense. Comme le besoin existe toujours mais que les effectifs et les compétences auront disparu, le recours à l’externalisation ne saurait valoir grille de lecture et solution universelles. Présentées de manière partiale et toujours répondant à la logique du moins-disant, ces mesures gagent de fait le fonctionnement même de l’opérationnel, ses capacités, parfois même sa sécurité. Nombre d’exemples, hélas, étayent cette assertion, à l’image de la récente délocalisation, au Portugal, du MCO des avions de transport tactique C 130 Hercules ou, plus récemment, celui des hélicoptères Puma de l’armée de terre. Cela est en totale contradiction avec le made in France et l’ambition affichée de réindustrialiser notre pays. L’UNSA-CGC attend sur ce sujet précis une intervention de votre part au plus haut niveau de décision afin de mettre un terme à la conduite des opérations industrielles exclusivement envisagées sous l’angle du « faire faire » plutôt que du « faire ». La survie du SIAé est en jeu.

Nous ne revenons pas sur la structure du budget de la Défense reposant sur d’hypothétiques recettes exceptionnelles. L’UNSA-CGC demande que la LPM sanctuarise le fait que celles-ci soient obligatoirement compensées chaque année par un abondement équivalent en crédits budgétaires si elles venaient à ne pas être réalisées en totalité ou en partie.

Sur la « manœuvre ressources humaines », l’UNSA-CGC a accueilli avec satisfaction l’autorité fonctionnelle renforcée de la DRH-MD sur l’ensemble de la chaîne RH. Mais nous exprimons notre crainte de voir la démarche dénaturée par le manque d’outils dont dispose la DRH-MD. Le dispositif doit rapidement évoluer en confiant à cette dernière le pilotage de l’ensemble des flux de personnels du ministère. Au-delà, il est important de sortir du « fléchage » par arme des postes des référentiels des effectifs en organisation. Cette doctrine est contraire à la recherche de cohérence et de compétences ; pire, elle est sclérosante. La place des personnels civils, indépendamment de l’analyse fonctionnelle des emplois du ministère demandée par le ministre au DRH, doit être réaffirmée, non par dogme de notre part, mais simplement parce que la continuité du soutien ne peut s’affranchir d’une stabilité professionnelle sur la durée, celle-ci, par nature, n’étant pas caractéristique des emplois militaires. Stabilité parfois remise en cause, les exemples sont nombreux, au gré du « mercato » des officiers en termes d’organisation et de fonctionnement, quand l’institution a besoin de lisibilité dans le temps.

M. Yves Naudin, secrétaire général de la Fédération CFTC-défense. Comme les représentants de la CFDT, nous regrettons l’absence d’un certain nombre de députés, de même que celle de nos collègues de la CGT.

La CFTC, en 2012, vous souhaitait bon courage en tant que première femme présidente de cette commission. Nous voilà tous courageux devant ces deux projets de loi traçant à court et moyen termes les moyens de l’une des meilleures armées du monde, et évitant un scénario catastrophe comme cela a pu être notre crainte au cours de la préparation du triptyque Livre blanc, projet de loi de programmation militaire et projet de loi de finances pour 2014. Les personnels, toujours les mêmes et ce depuis la chute du mur de Berlin, vont encore trinquer.

On peut souligner une relative cohérence entre la programmation des ressources pour la période 2014-2019 et le modèle 2025. « Les projets de LPM 2014-2019 et de PLF pour 2014 prennent en compte les priorités de nos armées pour le court et le moyen terme. En conséquence, des domaines jugés moins prioritaires sont mis sous tension », vous a déclaré le chef d’état-major des armées le 3 octobre dernier. Le projet de LPM prévoit que les crédits consacrés à l’entretien programmé du matériel (EPM) progresseront en valeur de 4 % par an en moyenne sur la période 2014-2019, et de 5,5 % dès 2014. Nous compterons donc sur 190 milliards d’euros courants pour l’ensemble de la législature. Pour l’année 2014, les ressources totales de la mission « Défense » sont de 31,4 milliards d’euros hors pensions, dont 1,8 milliard d’euros de ressources exceptionnelles.

Cependant, si le budget est préservé en valeur, cela signifie qu’il supporte pleinement le coût de l’inflation. Il manque en réalité un milliard d’euros. Le projet de loi comporte des incertitudes en faisant un pari risqué, unique, celui par exemple de prévoir l’exportation de 40 avions de chasse Rafale. Si ces ventes devaient se réaliser trop tard ou, pire, ne pas se réaliser du tout, ce sont près de quatre milliards d’euros que la France devra assumer.

Le ministère, et singulièrement la DGA, resteront le premier investisseur de l’État avec près de 16 milliards d’euros par an. On peut au passage déplorer que l’insuffisance de la ligne « Recherche et développement » nous laisse trop à la merci du monde industriel.

Il ne nous appartient pas de nous prononcer ici dans le détail sur le financement des programmes d’armement, même si l’on constate le coût inchangé, car sanctuarisé par le Président de la République, du maintien de notre force de dissuasion nucléaire à hauteur de quatre milliards d’euros par an.

Il reste que le Gouvernement persiste à voir deux types de ministères : les prioritaires et ceux qui ne le sont pas. Parmi ces derniers, on en relève deux en particulier : celui de la Défense et celui des Finances.

Le 25 septembre dernier, le ministre nous a dit comprendre notre absence d’enthousiasme pour la suppression de 24 000 plus 10 000 postes. Le ministre a déclaré : « C’est une loi de programmation d’équilibre ; si l’un des éléments tombe, l’édifice pourrait s’écrouler. » Nous notons la clause de sauvegarde budgétaire en cas d’une moindre réalisation des 6,1 milliards d’euros de recettes exceptionnelles sur le quinquennat.

Le ministère de la Défense, qui reste le plus gros contributeur en nombre de suppressions de postes – soit 7 881 équivalents temps plein –, subira certes, en 2014, selon le Rapporteur général du budget, M. Eckert, une restriction proportionnellement deux fois moins importante – 2,9 % des effectifs. Toutefois, la baisse de 7 400 postes de personnels civils sur la période 2014-2019 représente 21,97 % de la totalité déflatée alors que nous représentons une part de 22,85 % au bilan social 2012. Ces deux pourcentages quasi similaires ne viennent-ils pas corroborer les suggestions de votre commission, par la voix de Mme Gosselin-Fleury et de M. Meslot, selon lesquels l’une des « marges de manœuvre limitées » serait la « civilianisation » accrue des postes ? Dans le détail, on comptera 300 postes de catégorie A de moins, soit une baisse de 4 % ; 1 100 postes de catégorie B de moins, soit une baisse de 15 % ; 2 300 postes de catégorie C de moins, soit une baisse de 31 % ; et 3 700 postes d’ouvriers d’État en moins, soit une baisse de 50 %. Mme Gosselin-Fleury et M. Meslot s’étonnent que la masse salariale du ministère de la Défense ait continué d’augmenter alors que les effectifs diminuaient : « On assiste à un curieux paradoxe : moins le ministère a d’effectifs, plus il a de dépenses de personnel. Cela s’explique notamment par une tendance au repyramidage des effectifs : on supprime des emplois dans les catégories les moins payées, et fort peu de postes d’officiers généraux. »

Les explications que les représentants des armées ont données et donneront encore à la commission ne nous convainquent pas. Il en est ainsi de cette réponse de l’amiral Guillaud à Mme Gosselin-Fleury le 3 octobre : « S’agissant de la civilianisation, notre problème est en réalité que de nombreux postes civils ne sont pas pourvus. Le taux de militaires augmente donc par répercussion. Et la solution de transformer un militaire en civil pour lui proposer l’un de ces postes apparaît comme un tour de passe-passe. » Au-delà du cynisme de cette réponse, nous aurions pu lui demander combien il manque de personnels civils...

En 2014, il est prévu pour le personnel civil une contribution à hauteur de 22 % : 1 855 suppressions et 121 recrutements au titre du renseignement. Il convient par ailleurs d’ajouter le recrutement de 105 ouvriers de l’État dans quatre professions : aéronautique, pyrotechnique, diéséliste et frigoriste. La « civilianisation » des fonctions de soutien demeure un objectif. Le volume de recrutement dépendra de la situation fin 2013. Un groupe de travail sur la « civilianisation » vient d’ailleurs de se réunir sous l’égide de M. Feytis et devra rendre son rapport à M. Le Drian fin novembre. Il devra notamment prévoir une analyse fonctionnelle sérieuse des postes civils et militaires.

En ce qui concerne les mesures catégorielles pour le personnel civil prévues pour 2014, le constat est amer. Le montant des mesures catégorielles programmées est de 11,075 millions d’euros. Pour mémoire, il était de 15,8 millions d’euros en 2013, de 24,2 millions en 2012, de 25,5 millions en 2011 et de 15 millions en 2010 et en 2009. L’essentiel de l’effort sera consacré au titre des mesures statutaires et indemnitaires de la catégorie C, technique et administrative, soit 7,8 millions d’euros sur les 11 millions inscrits au budget.

« La situation budgétaire paupérisée des bases de défense conduit une large part des personnels du ministère à adhérer de moins en moins à la réforme », s’inquiétait M. Meslot. Le chef d’état-major des armées vous a déclaré le 3 octobre dernier : « Et il suffit d’aller voir pour constater que le train de vie sur ces bases n’est pas somptuaire. Les économies réalisées sur le soutien courant sont en effet absorbées, notamment par la hausse du coût des fluides et de l’énergie. Ces postes représentent 40 % des dépenses des bases de défense. »

Pour la deuxième ou troisième fois, en novembre, les budgets de fonctionnement de nos bases de défense auront été consommés. Dès lors, on retarde la mise en route du chauffage, on va jusqu’à remettre en cause l’achat de médailles du travail pour le personnel civil, on essaie de demander aux personnels de nettoyer leurs bureaux et puis on se laisse tenter à nouveau par les externalisations dans le dos de certaines autorités. Ainsi, alors que les fédérations syndicales tenaient réunion le 25 septembre dernier avec le ministre de la Défense sur le projet de LPM, notre syndicat apprenait que le GSBdD de Bourges-Avord projetait l’externalisation de la restauration sur les sites de Salbris et Neuvy-Pailloux, ainsi que du gardiennage de Neuvy-Pailloux. Certes, les travaux de construction du REO 2014 imposent une nouvelle déflation dans la chaîne du soutien. Une pétition intersyndicale a été remise au CPCS et à la DRH-MD.

Pour finir, les dépenses d’action sociale, heureusement, dans ce cinquième plan de restructuration que nous subissons, sont maintenues à 92,7 millions d’euros alors que l’année dernière le PLF prévoyait qu’elles ne seraient que de 78,4 millions d’euros, ce qui avait valu à l’époque, après un tollé des syndicats, un rectificatif du ministre.

Je vous remercie, madame la présidente, d’avoir remis à qui de droit le tract concernant notre préavis de grève des personnels soignants à l’Institution nationale des Invalides. En effet, la réforme engagée par le ministère de la santé ne paraît pas avoir touché une des catégories de personnels paramédicaux et infirmiers qui ne bénéficient pas de la catégorie active et qui ne peuvent donc pas bénéficier de la retraite à cinquante-sept ans, ce qui revient à ne pas tenir compte de la pénibilité de leur métier. Or vous avez relayé, madame la présidente, la préoccupation légitime de ces personnels, dont nous espérons qu’ils seront traités de manière équitable.

Mme la présidente Patricia Adam. Je vous remercie pour vos interventions. Comme vous l’avez rappelé, la LPM est issue du Livre blanc et ce n’est qu’au terme de nombreuses discussions que nous sommes parvenus à un équilibre fragile, au maintien duquel il nous faudra veiller. Vous avez raison d’insister sur le risque pesant sur le secteur de la Défense.

Je partage la satisfaction que vous avez exprimée à l’égard de la nouvelle organisation du personnel au sein de la DRH-MD, considérant pour ma part qu’elle correspond à une juste décision du ministre de la Défense. Eu égard à vos attentes en la matière, laissons le temps à ce service de s’installer : ses nouveaux outils lui permettront de mieux contrôler la masse salariale, sachant que bien que de nombreux emplois aient déjà été supprimés en application de la LPM en vigueur, cette masse a malgré tout augmenté.

Concernant le dialogue social, je sais que vous avez été reçus à de nombreuses reprises par le ministre de la Défense – ce qui n’a pas toujours été dans les habitudes de ce ministère. Et notre commission souhaiterait elle aussi pouvoir instaurer avec vous un dialogue et voir s’améliorer la représentation du personnel militaire au sein du Conseil supérieur de la fonction militaire – souhait que partage votre ministre de tutelle.

Enfin, nous espérons comme vous que le Conseil européen de décembre prochain se traduira par des mesures pragmatiques de façon à ce que l’Europe de la défense trouve à se concrétiser. Cela signifiera cependant également qu’il nous faudra mutualiser nos capacités car on ne peut réclamer une défense européenne tout en critiquant simultanément les accords de mutualisation et de partage conclus avec d’autres États. Le partage se justifie d’ailleurs tout particulièrement dans le domaine du soutien, où il nous permettra de réaliser des économies et à chacun des États membres d’intégrer l’Europe de la défense.

Mme Geneviève Gosselin-Fleury. La réforme de la gouvernance des ressources humaines et l’installation d’un nouvel outil de contrôle de la masse salariale au sein du ministère de la Défense lui permettront d’assurer un meilleur suivi de son personnel et de se fixer des objectifs précis. La mission de refonte du REO, confiée à M. Feytis, devrait notamment nous permettre de contribuer à la civilianisation dont mon collègue Damien Meslot et moi-même avons beaucoup parlé dans notre rapport d’information sur la mise en œuvre et le suivi de la réorganisation du ministère. Il est en effet prévu de revenir à un ratio de 75 % de personnel militaire pour 25 % de personnel civil, contre 78 % pour 22 % actuellement.

Si le code de la défense interdit par dérogation aux représentants du personnel d’aborder les questions d’organisation, êtes-vous néanmoins en mesure de formuler des propositions susceptibles d’être prises en compte dans le cadre de cette mission – dont les conclusions seront rendues à la fin du mois de novembre –, de nature à assurer une répartition plus équitable et plus réaliste entre les postes civils et militaires ?

M. Gilles Goulm. Sans vouloir attaquer de front la composante militaire, il convient d’identifier les responsables là où ils se trouvent : lorsque nous demandons un rééquilibrage entre les effectifs militaires et civils sur les fonctions de soutien, et ce, à commencer par les postes à responsabilité – dans la mesure où ce rééquilibrage est intimement lié à la capacité des personnels à être mobiles –, on nous renvoie trop souvent aux chiffres des effectifs de catégorie A. Ainsi citez-vous dans votre rapport les ratios d’un officier pour six sous-officiers et militaires du rang, et, pour les personnels civils, d’un cadre de catégorie A pour huit agents de catégorie B. Or, il me semble que vous comptez parmi les cadres de catégorie A les ingénieurs technico-commerciaux (ICT) qui, la plupart du temps, n’exercent aucune fonction d’encadrement dans la mesure où ils ont été recrutés à d’autres fins – principalement pour la DGA ! Il conviendrait donc de pondérer certains aspects car ce pyramidage a plutôt bénéficié à la composante militaire qu’à la composante civile. Ne serait-ce que sur le CPCS, on recense aujourd’hui 1 800 officiers pour 230 agents administratifs de catégorie A. Et il n’y a, au ministère de la Défense, que quelque 1 400 attachés d’administration – qui peuvent très bien occuper des postes à responsabilité d’adjoint ou de chef de groupement de soutien de base de défense (GSBdD), ou bien de chef de bureau ou de service. Or on ne le leur propose pas actuellement.

Concernant la gestion de la masse salariale et la réforme de la DRH-MD, nous avons bien compris que cette direction devait se doter d’outils tels que le référentiel des emplois du ministère (REM) ou le système d’information des ressources humaines (SIRH), afin de conférer une certaine lisibilité à la structure de nos établissements. Mais la réelle difficulté réside dans le fait que les REO sont aujourd’hui élaborés par les autorités centrales d’emploi que sont les états-majors – ce qui est bien normal dans la mesure où ce sont eux qui savent de quels effectifs ils ont besoin dans le cadre de leurs contrats opérationnels et pour exercer leurs missions. Sauf que la DRH-MD n’intervient, elle, à aucun moment dans l’élaboration des REO, mais uniquement une fois ces référentiels connus. Et l’on est en train de procéder de la même manière pour 2014. Si elle intervient dans le cadre de la mission d’accompagnement des restructurations pour régler socialement la situation des personnels qui voient leurs postes supprimés, c’est parce que les REO ont été élaborés par les états-majors, sans que la réalité de la situation ait véritablement été prise en compte. Il convient donc de mettre un terme à cette déconnexion entre les niveaux organisationnel et gestionnaire. Cela est d’ailleurs effectivement dans les intentions du ministre, qui a engagé à cette fin une réforme de la masse salariale et de la chaîne des ressources humaines. Mais il devient urgent de le faire ! Car alors que l’on établit le même constat à chaque nouvelle LPM, on continue, les bras ballants, à regarder fondre les effectifs des personnels civils plus rapidement que ne le prévoient les objectifs assignés par le Législateur. Nous supprimons même davantage de postes de personnel civil que nous ne le voudrions.

S’agissant de l’interdiction d’intervention des instances de concertation dans l’organisation des services, on se fait peur à bon compte et il conviendrait plutôt de supprimer cette disposition dérogatoire ! De fait, les états-majors étant tétanisés par une sorte de fantasme, on part du principe qu’il ne faut pas discuter de l’organisation des services avec les syndicats – de peur qu’ils n’en viennent à évoquer l’organisation de l’armement nucléaire alors qu’il est parfaitement évident qu’ils ne le feront pas ! Mais lorsque nous assistons à des comités techniques locaux dans nos bases de défense, de deux choses l’une : soit les commandants de la base ne nous disent rien, considérant qu’ils n’ont pas à aborder avec nous l’organisation des services ; soit – et c’est ce qui se produit dans la majorité des cas – ils nous réunissent pour évoquer la situation. Or, dès lors que l’on parle de restructurations, on évoque nécessairement l’organisation des services ! Une telle interdiction limite donc le champ d’intervention des syndicats qui se font trop souvent exclure des instances de concertation, alors qu’ils sont capables de discuter de l’organisation des services sans aller diffuser sur la place publique des informations qui n’ont pas à l’être !

M. Luc Scappini. Madame la présidente, vous avez souligné à juste titre le fait que nous nous félicitions de la nouvelle gouvernance des ressources humaines. Vous avez néanmoins évoqué notre regard critique sur la question, considérant que nous étions quelque peu pressés et qu’il nous fallait accorder un peu plus de temps à la DRH-MD pour mettre en application cette réforme. Cela étant, on a déjà perdu cinq ans : car lorsque, dès 2008, le ministre Morin avait annoncé aux organisations syndicales une nouvelle vague de restructurations très importante et que la CFDT – en désaccord sur ce point – avait réclamé la conclusion d’un accord de méthode de telle sorte que l’on commence à travailler de façon plus professionnelle sur ces questions au sein du ministère, cela lui a été refusé.

Sur l’accompagnement social, ont été organisées quatre ou cinq réunions à l’ancienne, c’est-à-dire sur le mode des concertations dans la fonction publique, alors que dès 2008, on ne pouvait plus continuer à procéder ainsi face à une réforme d’une telle ampleur. De la même manière, dès cette époque, la CFDT et d’autres organisations ont mis en exergue la question des compétences et des métiers : en d’autres termes, nous parlions déjà de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC).

Nous ne pouvons donc que souscrire à la volonté du ministre de réformer la gouvernance. Sauf que ce qui est exigé de M. Feytis, le directeur des ressources humaines du ministère, est mission impossible, à court terme du moins, dans la mesure où il s’appuie sur des outils du passé – SIRH, REO et REM – ne correspondant pas à la réalité. Il conviendra d’ailleurs de conserver les compétences très importantes dont dispose le ministère – ce qui aurait posé moins de problèmes dans le passé, lorsque le budget de la Défense était l’un des premiers de l’État. Aujourd’hui, nous craignons le pire pour l’avenir : c’est pourquoi nous nous montrons très exigeants vis-à-vis du directeur des ressources humaines.

Puisque vous nous demandez de formuler des propositions, sachez que la CFDT souhaiterait l’organisation d’une négociation sur la GPEC. Je rappelle en effet que lorsqu’au moment de sa prise de fonction, le ministre a reçu les organisations syndicales de façon bilatérale, nous avons immédiatement réclamé un agenda social – ce qui nous avait été refusé précédemment – afin de sortir du système des concertations de type « fonction publique ». Le fait qu’il ait enfin été établi un tel agenda dans la fonction publique nous a d’ailleurs beaucoup aidés à obtenir gain de cause. Notre agenda social porte donc sur cinq thèmes de négociation – auxquels la CFDT a demandé que l’on en ajoute un sixième relatif à l’égalité professionnelle femmes-hommes. Nous réclamons aussi une plus grande ambition concernant les ouvriers d’État et la formation professionnelle. Car encore une fois, la DRH-MD s’appuie sur des outils anciens et fonctionne sur un mode administratif très lourd alors qu’il lui faudrait adopter une démarche moderne qui soit à la hauteur des enjeux. Ainsi, dans le cadre de la civilianisation, il nous a été proposé de nous appuyer sur un SIRH, un REO et un REM pour définir un ratio : or nous voulons en finir avec les ratios ! Il serait en effet préférable d’appréhender la réforme par filières et par métiers en évaluant nos besoins en personnel civil. Dans le cadre de la réforme du régime des ouvriers de l’État qui a été lancée, la DRH-MD, s’appuyant sur son organisation à l’ancienne, s’est adressée aux autorités centrales d’emploi (ACE) alors que celles-ci ne connaissent pas les besoins sur le terrain. Autre exemple bien connu du SIAé : on a demandé à l’ACE qu’est l’armée de l’air d’évaluer les besoins nécessaires en aéronautique au lieu de s’adresser aux AIA qui seuls les connaissent ! C’est pourquoi la CFDT souhaite l’ouverture d’un septième chantier sur la GPEC.

M. Bruno Jaouen. Je partage les propos qui viennent d’être tenus par mes collègues. Quant au mandat confié au directeur des ressources humaines du ministère, on lui a demandé, d’une part, de procéder à une analyse fonctionnelle des emplois susceptibles d’être pourvus par des personnels civils et, d’autre part, de définir les moyens de pourvoir ces emplois et de jeter les bases de parcours professionnels attractifs et dynamiques.

Il conviendrait de moderniser la gestion des métiers et des compétences au sein du ministère. Cette gestion est en effet inexistante actuellement, comme l’illustre la définition des REO 2014, qui seront très affectés par les suppressions de poste sans qu’ait eu lieu la moindre discussion sur le sujet – sauf chez quelques employeurs. C’est donc probablement sur le portail de l’Intranet du ministère que l’on découvrira ces REO en début d’année ! On nous demande de ne pas en parler au motif que cette information aurait un caractère secret. Or, l’Intranet du ministère n’est pas particulièrement protégé. Cessons de flécher les postes par armée, par catégorie et par niveau dans les REO, et donc de négliger les compétences des agents et de bloquer toute évolution. Alors que de nombreux postes vacants pourraient être pourvus par du personnel touché par les restructurations, ce mode d’affectation nous en empêche.

Bref, revenons-en au mandat confié au directeur des ressources humaines mais donnons-nous aussi les moyens de faire progresser la situation, sinon les personnels risquent d’être démotivés.

M. Francis Dubois, secrétaire général adjoint de Défense CGC. J’irai dans le même sens : nous ne disposons pas des outils adaptés pour favoriser la mobilité des parcours professionnels car nous continuons à utiliser des méthodes anciennes. Et les quelques réunions auxquelles nous avons assisté avec les services des ressources humaines ne nous paraissent pas suffisantes. Souvent, parce qu’il n’y a aucun candidat aux postes de catégorie A, on y place des militaires. Or lorsqu’un agent civil se voit accorder une mobilité géographique, cela affecte directement ses moyens financiers car les personnels civils ne bénéficient pas du même régime indemnitaire que les militaires. Si nous ne réclamons pas les mêmes avantages qu’eux, il conviendrait néanmoins que les services de la DRH-MD accélèrent ce cycle de réunions afin de mettre en application nos propositions.

Par ailleurs, dans cette phase de fortes restructurations, la CGC n’est pas opposée à ce que des personnels militaires changent d’uniforme dans le courant du week-end pour devenir des civils le lundi matin. Lorsque l’on effectue des sondages auprès de sous-officiers et d’hommes du rang, ils répondent que cela ne les dérange pas d’être affectés à des postes civils non opérationnels, à condition de conserver le même niveau de rémunération. Cela permet de réaliser des économies dans la mesure où personnels civils et militaires ne peuvent demeurer le même nombre d’heures à leur poste de travail. En cette forte période de restructuration, nous nous devons d’accueillir nos camarades militaires.

Enfin, puisque l’on nous parle de civilianisation, commençons déjà par mettre un terme au gel des recrutements de personnel ICT à la DGA – comme ce fut le cas il y a une semaine.

M. Yves Naudin. Quant au fait que l’on ne puisse parler de l’organisation des services dans le cadre des comités techniques, nous avons contesté cette disposition dérogatoire propre aux agents de la défense lors de réunions de concertation ministérielles qui se sont tenues en aval des accords de Bercy – dont la CFTC, à l’instar de FO, n’est pas signataire. Il conviendrait donc de mettre un terme à cette interdiction, qu’elle relève de la loi ou du décret. Dans cette dernière hypothèse, c’est à nous qu’il reviendra de faire entendre cette revendication auprès du pouvoir exécutif. Mais relayez-nous !

Si nous en sommes aujourd’hui au cinquième plan de restructuration, à l’époque de ces accords, Hervé Morin venait d’annoncer 54 000 réductions de poste, qui se conjuguaient avec un empilement de réformes indigestes : on a supprimé des unités entières et désorganisé le travail des agents dans certains établissements. Or, la désorganisation ainsi générée est devenue toxique pour les agents, leur faisant courir des risques psychosociaux. Vous connaissez d’ailleurs le nombre de suicides consécutifs à ces restructurations déstructurantes. C’est pourquoi nous souhaiterions pouvoir évoquer au sein de nouvelles instances de dialogue social, non pas l’organisation des états-majors, mais les conséquences, sur la vie quotidienne des agents, de la désorganisation et de l’empilement des réformes intempestives auxquels nous avons assisté ces dernières années.

S’agissant de la civilianisation des personnels du ministère et de la fixation, à terme, d’un taux de 75 % de personnels militaires pour 25 % de civils, il s’agit d’un ratio global, d’autant plus hypothétique que les taux ne sont plus très à la mode aujourd’hui. Quoi qu’il en soit, concentrons-nous sur les postes d’administration générale et de soutien commun (AGSC) et que chacun retourne à son métier : l’opérationnel pour les militaires, l’AGSC pour le personnel civil. S’agissant de cette dernière, j’inverserais bien les rôles en fixant un ratio de 60 % de personnel civil et de 40 % de personnel militaire. On pourrait même aller plus loin, compte tenu de nos 1606 heures de travail annuel et des 1 000 heures que les personnels militaires peuvent offrir sur ces postes. Je regrette d’ailleurs que ce point ne soit pas repris textuellement dans le Livre blanc.

Enfin, nous tenons à votre disposition une copie du tableau des mobilités du personnel civil indemnisé – le fait qu’il s’agisse du personnel indemnisé signifiant que l’information est vérifiable. Il fait état de 15 830 mobilités sur la période 2009-2013 : que l’on cesse de nous répéter que le personnel civil est insuffisamment mobile ! Il conviendrait en revanche de nous accorder les moyens nécessaires à cette mobilité et de rendre fongible la nouvelle bonification indiciaire (NBI) afin qu’elle soit identique pour un poste à responsabilité donné – que son titulaire soit un civil ou un militaire.

M. Joaquim Pueyo. Tout d’abord, l’accompagnement social vous paraît-il suffisant ? En outre, puisque vous êtes en lien avec d’autres organisations syndicales européennes, que pensez-vous de l’Europe de la défense ? Conviendrait-il de développer les coopérations industrielle, technologique et dans le domaine de la recherche, compte tenu du fait que les budgets militaires diminuent dans la plupart des pays de l’Union européenne – même si quelques-uns résistent, tels le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne, ou encore la Pologne qui, elle, augmente légèrement ses crédits en la matière ?

M. Luc Scappini. Avant de s’engager dans une Europe de la défense qui soit intégrée, encore faudrait-il que nous ayons une politique extérieure commune – ce qui est loin d’être le cas, comme on a pu le constater dans bon nombre de situations ! Je vous remercie d’ailleurs d’avoir mentionné à cette occasion nos contacts avec d’autres organisations affiliées à la Confédération Européenne des Syndicats (CES), au sein de laquelle nous débattons et formons des groupes de travail. C’est également le cas avec la Fédération Européenne de l’Industrie (IndustriALL Trade Union) et la Fédération européenne de la fonction publique.

Quant à la nécessité, évoquée par Mme la présidente, d’accepter le partage et la coopération au niveau européen, les organisations syndicales ont opté pour une démarche offensive, jugeant surtout nécessaire de définir des programmes structurants, puisque ce ne sont pas les besoins qui manquent – pour les drones comme sur d’autres programmes. Il convient donc d’œuvrer à une mutualisation en matière de recherche et d’innovation afin de définir les besoins de demain, plutôt que d’adopter une position défensive qui consisterait à « partager la misère ». Car la plupart des États européens ont effectivement tendance à réduire leurs budgets de défense.

La CFDT s’est en outre toujours opposée dans le passé aux tentatives de rapprochement entre entreprises européennes, telles que DCNS et TKMS dans le secteur de l’armement naval, ou Krauss-Maffei et Nexter dans celui de l’armement terrestre. Car s’il n’est question que de rapprocher des entreprises sur des produits déjà construits et entretenus par celles-ci, cela se soldera immanquablement par un plan social. Ce dont l’Europe et le secteur de la défense ont besoin, c’est surtout de travailler sur l’innovation, la recherche et donc de définir très rapidement des programmes structurants pour lesquels des entreprises européennes s’engageront à mutualiser leurs efforts. De tels programmes nous mettront en position concurrentielle à l’échelle internationale et seront ainsi créateurs d’emplois.

M. Gilles Goulm. Il nous est difficile d’affirmer si les crédits alloués au plan d’accompagnement des restructurations sont suffisants ou non : ils s’élèvent à 82 millions d’euros environ pour les personnels civils et à 113 millions d’euros pour les personnels militaires, soit un total de 195 millions d’euros. Si nous avons discuté des modalités de ce plan – plus avantageux que ce qui se fait normalement dans la fonction publique –, nous aurions préféré que cette somme serve à préserver l’emploi au sein du ministère plutôt qu’à réduire les effectifs.

Quant à l’Europe de la défense, elle n’existe tout simplement pas – c’est d’ailleurs généralement navré et les bras ballants que l’on observe les situations internationales et surtout l’incapacité de l’Europe à réagir aux crises dramatiques actuelles. Cela étant, nous y sommes bien sûr favorables. Et nous sommes nous aussi membres de la Confédération européenne des syndicats, dont nous constituons l’une des organisations fondatrices. Notre syndicat est donc par définition particulièrement attaché à la construction européenne. Mais entendons-nous bien : la façon dont elle est mise en œuvre depuis plusieurs décennies ne correspond en rien à ce que nous souhaitons ! Avant d’instituer une Europe de la défense ou de l’industrie, soyons déjà en mesure de fonder une Europe sociale – ce qui suppose une harmonisation des normes sociales et de la fiscalité.

J’entends bien qu’il faille partager nos fonctions de soutien et ainsi faire progresser l’Europe de la défense, mais nous ne souhaitons pas non plus que celle-ci entraîne un sacrifice des personnels civils de notre ministère sur l’autel de Bruxelles, comme c’est le cas dans d’autres secteurs d’activité dans notre pays. Et si l’édification d’une industrie de défense à l’échelle européenne n’a d’autre but que de favoriser des alliances capitalistiques, cela ne nous intéresse pas non plus ! L’exemple des drones illustre la nécessité de former des alliances pour être capable de fournir une offre face à l’industrie écrasante des États-Unis. Mais cela ne peut se payer par des sacrifices pour l’industrie française !

Mme la présidente Patricia Adam. Je vous remercie d’autant que je ne suis pas en total désaccord avec votre propos.

M. Laurent Tintignac, secrétaire national Ouvriers de l’État de l’UNSA-défense. En matière d’accompagnement social des restructurations, nous nous trouvons face à un paradoxe. Car il est forcément excessif d’y consacrer 195 millions d’euros et nous préférerions que cet argent serve à créer de l’emploi plutôt qu’à le sacrifier. Mais dans le même temps, chaque fois qu’il y a accompagnement social, on le considère comme concrètement insuffisant pour soutenir nos agents au quotidien. Sur ce point particulier, nous souhaiterions d’ailleurs que l’ensemble des agents civils percevant des indemnités de départ volontaire (IDV) puissent bénéficier du même régime de fiscal que celui des ouvriers de l’État.

Quant à la question de l’Europe de la défense, elle nous renvoie systématiquement à celle de la souveraineté de la nation française. Et la balle est le plus souvent dans le camp des politiques. Car dans le cadre des programmes d’armement européens, chaque pays a tendance à vouloir sa propre acquisition patrimoniale et à éviter de partager. Vous avez indiqué, Madame la présidente, que dès lors qu’il y aurait des programmes européens, il faudrait aussi partager le soutien. Sauf qu’en réalité aujourd’hui, on ne le partage pas : on le délocalise ! C’est ainsi que l’on assiste à une course au moins-disant et que certains pays font dans le low cost industriel, profitant de la capacité industrielle des établissements de la Défense nationale pour augmenter leurs parts de marché sur certains matériels. Non seulement cela représente une difficulté pour le SIAé et le SMITer mais encore une fois, cette politique du moins-disant au niveau européen conduit à la délocalisation d’emplois hors de notre pays – sachant que le ministère de la Défense a créé lui-même les outils pour l’assumer. Il s’agit là d’un point sur lequel nous souhaiterions que l’ensemble des parlementaires réagissent.

Mme la présidente Patricia Adam. Nous vous avons entendu.

M. Francis Dubois. Concernant le plan d’accompagnement des restructurations, j’ajouterai à la liste des agents qui devraient bénéficier d’une équivalence de traitement fiscal les personnels contractuels. Et je consacrerai un point particulier aux personnels d’Île-de-France : depuis les premières lois de décentralisation, le code général des impôts exonère certaines indemnités afin d’inciter les agents à faire leur mobilité en province. Or, par exception, les indemnités perçues par les personnels subissant des restructurations en région parisienne sont, elles, assujetties à l’impôt. Il serait donc souhaitable de lever cette dérogation.

En matière de défense européenne, nous n’avons pas le choix ! Les coûts de développement exorbitants des programmes d’armement ne pouvant plus être supportés par des États seuls, il nous faut absolument coopérer, sinon l’outil de défense français s’effondrera. Cela étant, il ne faudrait pas que l’on aboutisse à produire du low cost, tant pour la fabrication que pour le maintien en condition opérationnelle.

M. Yves Naudin. Nous souhaiterions un accompagnement des restructurations qui soit plus ambitieux en termes de mobilité. Nous avions également déjà évoqué sous la précédente législature la nécessité de défiscaliser les IDV pour les fonctionnaires au même titre que pour les ouvriers de l’État et les personnels militaires victimes de restructurations. Toujours sous l’angle de l’égalité de traitement, il conviendrait aussi de mettre fin à l’interdiction, pour le personnel civil restructuré ayant touché l’IDV, de concourir à un emploi public pendant cinq ans, dans la mesure où l’article L. 4139-3 du code de la défense l’autorise pour les personnels militaires.

Concernant l’Europe de la défense, vous paraît-il normal d’imposer les mêmes critères de Maastricht à des pays de grande tradition de défense, tels que le nôtre ou tels que le Royaume-Uni et l’Allemagne, et aux pays de taille modeste n’ayant qu’un petit effort de défense à assurer mais qui sont néanmoins heureux, pour l’image de l’Europe, que la France soit en première ligne, usant et abusant de son propre matériel au profit de la collectivité européenne ? Le Conseil européen de décembre pourrait être l’occasion pour les chefs d’État et de gouvernement européens d’inviter la Commission de Bruxelles à y regarder à deux fois avant d’imposer les mêmes critères de convergence à tous les pays concernés.

Enfin, compte tenu de la carte des centres de recherche et d’essais européens en matière d’armement, nous ne serions pas surpris que ceux-ci fassent l’objet d’une rationalisation, sachant que la France est en pointe en ce domaine. Or nous souhaitons préserver cet outil de travail au profit de notre architecte de la défense – la DGA.

Mme la présidente Patricia Adam. Messieurs, je vous remercie. Je souhaite que nous puissions vous rencontrer régulièrement, ainsi que nous avons commencé à le faire depuis le début de cette législature.

*

* *

Ÿ M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense (mardi 22 octobre 2013)

Mme la présidente Patricia Adam. Je remercie M. le ministre d’avoir accepté de revenir devant notre Commission pour répondre à ceux qui n’avaient pu lui poser leurs questions le 2 octobre.

M. Francis Hillmeyer. Il semble que soit envisagé un retour sur le territoire français du 110e régiment d’infanterie (110e RI) de Donaueschingen, qui appartient à la brigade franco-allemande (BFA). Ce retour remettrait en cause des accords franco-allemands. Le rapatriement en France du 110e RI avait en effet déjà été envisagé il y a une dizaine d’années ; aux termes de l’accord trouvé à l’époque avec le secrétaire d’État allemand à la Défense, un bataillon allemand était venu s’installer à Illkirch-Graffenstaden – c’était la condition du maintien du 110e RI à Donaueshingen. Le retour du 110e RI en France pourrait donc susciter un contentieux politique avec nos amis allemands.

M. Damien Meslot. Lors de la dernière loi de programmation militaire (LPM) avait été évoqué un redéploiement des forces prépositionnées, en particulier en Afrique. Celui-ci n’a finalement pas eu lieu. Nous avons mesuré lors de l’intervention au Mali combien ces forces pouvaient s’avérer précieuses. Avec ma collègue Geneviève Gosselin-Fleury, nous avons par ailleurs eu l’occasion de visiter la base d’Abu Dhabi. Or des rumeurs de redéploiement de nos forces prépositionnées circulent à nouveau. Pouvez-vous nous en dire plus et faire le point sur la situation au Mali, où l’on entend parler d’une recrudescence des actes terroristes ?

M. Jacques Lamblin. Permettez-moi une question en forme de suggestion. Le Gouvernement décide en même temps de supprimer 34 000 postes dans la Défense nationale – dont 10 000 au titre de la précédente LPM – et de créer 150 000 emplois d’avenir. Le montant des économies découlant des suppressions de postes reste à déterminer ; l’expérience nous fait craindre qu’elles ne soient pas à la hauteur de nos espérances. D’un autre côté, alors que l’institution militaire est remarquable d’efficacité en matière de formation et d’intégration, voire d’éducation, il met 2,5 milliards d’euros sur la table pour créer 150 000 emplois d’avenir, ce qui suppose la mise en place de dispositifs de formation, pour un résultat dont nous ne sommes pas certains. Tout cela donne à réfléchir. N’y a-t-il pas moyen d’amortir le couperet qui menace la défense nationale ?

Par ailleurs, je tiens d’une source que je considère comme fiable qu’il y aurait eu pour la première fois dans l’armée française, il y a peu, des refus d’exécuter des ordres pour raison religieuse. Avez-vous eu vent d’incidents de ce type ? Si oui, pouvez-vous essayer de savoir où est la vérité ?

M. Christophe Guilloteau. Je rejoins la question de Damien Meslot sur la situation au Mali et la recrudescence des actes terroristes dont nous entendons parler ici ou là.

Vous avez annoncé il y a quelque temps des mesures de fermeture ou de déplacement qui concernent notamment le 1er régiment étranger de cavalerie (1er REC). Mais il se murmure aujourd’hui qu’une deuxième série de mesures de ce type – encore plus sévères – serait annoncée après le mois de mars. Si cette rumeur est fondée, je trouve anormal de ne pas la confirmer dès maintenant. Pouvez-vous nous assurer qu’il n’en est rien ?

M. Philippe Meunier. Je regrette ces auditions hachées, qui ne nous permettent pas toujours d’avoir des échanges cohérents.

Lors de votre première audition, vous avez répondu à notre collègue Fromion qu’il fallait veiller aux questions que l’on vous posait car vous aviez des munitions. Vous aviez apporté la même réponse à l’un de nos collègues dans l’Hémicycle lors de la discussion sur le Livre blanc. Il serait souhaitable que les échanges entre le ministre et les parlementaires gardent une tonalité plus raisonnable. Si vous avez des munitions, mettez-les sur la table ; si vous n’en avez pas, n’en parlez pas.

Toujours lors de votre première audition, vous nous avez dit que des opérations immobilières avaient été lancées pour financer les recettes exceptionnelles de l’année prochaine. De quelles opérations s’agit-il, et où en sont-elles ? Concrètement, quelles recettes pourront venir abonder le budget de la défense dès 2014 ?

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense. Je me rends aux invitations de votre commission, monsieur Meunier. En l’occurrence, c’est parce que je n’avais pu répondre à toutes les questions la dernière fois que je reviens aujourd’hui.

S’agissant de votre observation sur la réponse que j’ai apportée à M. Fromion, je considère que les débats sur la défense doivent sortir de la polémique outrancière. Je n’ai donc jamais critiqué mes prédécesseurs, et je n’entends pas déroger à cette ligne. Ils ont fait leurs choix et traversé des difficultés – car être ministre de la Défense est une responsabilité complexe. Je respecte ces choix. J’aurais des choses à dire, mais je ne veux pas que les questions difficiles auxquels je suis confronté fassent l’objet de polémiques. C’est tout ce que j’ai voulu dire à M. Fromion. Il peut bien sûr y avoir des divergences d’appréciation, et heureusement – mais je ne suis pas certain qu’il soit nécessaire de polémiquer sur les enjeux de défense.

Il n’est pas question de remettre en cause le concept de la BFA, monsieur Hillmeyer. Nous nous interrogeons néanmoins, avec mon homologue allemand, sur son caractère opérationnel. Depuis qu’elle a été constituée, elle est intervenue – uniquement au niveau des états-majors – une fois dans les Balkans et une fois en Afghanistan, mais dans l’ensemble de manière très modeste par rapport aux espoirs qui avaient été mis dans sa création. La question se pose de l’intégrer dans un battle group européen pour donner davantage de sens au concept. Nous n’excluons pas des réorganisations internes, y compris en ce qui concerne le 110RI, mais aucune décision n’a encore été prise formellement. Ces réorganisations devront être discutées dans le cadre d’une réflexion sur la vocation qu’il convient de donner à la BFA pour aller au-delà du simple concept. Les complications observées tiennent notamment au fait que la décision d’engagement ne répond pas à la même procédure en France et en Allemagne. Il faut donc remettre l’ouvrage sur le métier, même si cela nécessitera peut-être des réorganisations périmétriques.

Les forces prépositionnées font actuellement l’objet d’une réflexion approfondie qui conduira à des décisions du chef de l’État, monsieur Meslot. Il y a aujourd’hui deux zones majeures pour notre sécurité : la zone du Golfe et la zone sahélienne. Des forces françaises sont stationnées sur l’ensemble de cet espace ou à proximité, soit sous la forme d’opérations extérieures (OPEX), qui sont parfois maintenues contrairement à leur vocation d’origine, soit sous celle de forces prépositionnées. Ces positions se sont juxtaposées au fil des événements, si bien que nous avons aujourd’hui des forces prépositionnées qui tiennent davantage de l’OPEX, et inversement. Une réorganisation est donc nécessaire, en particulier pour favoriser une plus grande réactivité. Vous évoquez justement l’expérience du Mali : c’est parce que nous avions des forces à Ouagadougou et à Abidjan que nous avons pu faire preuve de cette réactivité et procéder à une meilleure répartition des forces déployées pour assurer nos missions de sécurité.

Cette réflexion se traduira par des mouvements et par une diminution du total des effectifs prépositionnés hors de France, qui devrait cependant rester marginale par rapport au repositionnement des forces. Mais la base d’Abu Dhabi sera maintenue en l’état – je m’y suis moi-même rendu deux fois. Pour le reste, nous allons réorganiser le dispositif pour lui donner plus d’efficacité, de force et de complémentarité. L’actualité nous montre que notre présence reste nécessaire.

J’en viens au Mali. Globalement, l’action des forces françaises ne s’inscrit plus dans le registre de la guerre, mais dans celui des opérations de contre-terrorisme. Nous maintenons néanmoins un effectif significatif sur place – près de 3 000 hommes – en raison des élections législatives qui doivent se tenir fin novembre et début décembre. Cet effectif devrait ensuite progressivement redescendre à 1 000 hommes sur le territoire malien à partir du début de l’année prochaine. Ces forces restent localisées en priorité à Gao, ce qui ne nous empêche pas de continuer nos actions de formation à Koulikoro, dans le cadre de la Mission européenne d’entraînement au Mali (EUTM Mali) : nous en sommes maintenant à la formation du troisième bataillon. Je m’y suis rendu il y a peu : cela se passe très bien ; l’ensemble des acteurs européens – dirigés par un général français – font un très bon travail.

Sur le terrain plusieurs évènements se sont produits : nous avons mené des opérations au nord de Tombouctou il y a une dizaine de jours, qui ont permis de neutraliser une dizaine de djihadistes, et d’autres opérations ponctuelles qui relèvent du contre-terrorisme.

Dans le même temps, le président Ibrahim Boubacar Keïta prend ses responsabilités. Il a eu le courage de gérer le camp de Kati, où se trouvait notamment le capitaine Sanogo – dont la carrière a connu une accélération fulgurante, puisqu’il a été promu général de corps d’armée. Le camp de Kati n’est plus aujourd’hui un problème : il n’y a plus de velléités d’autonomie militaire à l’égard des forces armées maliennes, comme cela était le cas à une époque.

Un débat doit par ailleurs s’ouvrir sur la question du Nord dans le cadre des Assises nationales du Nord et des Assises nationales de la décentralisation. Mais la situation politique ne sera stabilisée que lorsque les élections législatives auront eu lieu. On note encore quelques difficultés autour de Kidal. Même si le poids démographique de cette région doit être relativisé par rapport à l’ensemble du Mali, elle constitue depuis longtemps un abcès de fixation. Des sensibilités différentes s’expriment au sein du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), du Haut conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA) et du Mouvement arabe de l’Azawad (MAA), et les relations aux fondamentaux tribaux sont variables. Le dialogue avance doucement, mais il progresse. Souhaitons qu’il s’approfondisse après les élections législatives. L’un des enjeux sera de faire en sorte que les peuples du nord – pas seulement les Touaregs, mais aussi les Arabes du nord et les Peuls – se présentent aux élections législatives et soient reconnus et respectés. Le président Ibrahim Boubacar Keïta est conscient de l’importance de cet enjeu ; j’espère qu’il parviendra à y répondre.

J’ajoute que la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) est en train de s’étoffer. Mais elle reste à notre avis insuffisamment armée. J’ai rencontré sur place le représentant de M. Ban Ki-moon : il est déterminé à faire en sorte que les États qui ont annoncé des contributions tiennent leurs engagements ; mais pour l’instant, les choses n’ont pas suffisamment avancé.

Je porte par ailleurs un regard positif sur la manière dont l’armée malienne est en train de se reconstituer, et sur la stature politique qu’a su acquérir le président Ibrahim Boubacar Keïta devant l’opinion. C’est pour lui le moment d’agir.

Je n’ai pas à prendre position devant votre commission sur les 150 000 emplois d’avenir, monsieur Lamblin. Permettez-moi néanmoins de rappeler – car on ne le dit pas assez – que la Défense va recruter 17 000 jeunes en 2014, et que ces 17 000 jeunes – qui sont souvent issus de milieux défavorisés – seront formés et instruits. J’ai assisté avec Mme la présidente à la rentrée de l’École des mousses de Brest, qui permet à des adolescents ayant parfois connu des difficultés de retrouver, grâce à la formation militaire, une dynamique et une confiance en eux. Je tiens à ce que l’on continue à recruter au même niveau sur toute la durée de la loi de programmation, afin que le rôle de la Défense en matière de formation et d’éducation soit reconnu.

Il n’y aura pas de deuxième série d’annonces de fermetures ou de déplacements pour 2014 après le mois de mars, monsieur Guilloteau. S’agissant du dispositif de déflation, ma méthode est simple. Je regarde chaque année personnellement les propositions qui sont faites, en gardant à l’esprit plusieurs principes : éviter au maximum de toucher aux unités opérationnelles, qui ne doivent pas représenter plus du tiers des suppressions d’effectifs ; éviter le plus possible les dissolutions ; tenir compte de l’aménagement du territoire et de la cohérence des forces dans leur ensemble. J’examine ces propositions indépendamment des échéances électorales ; elles méritent d’être regardées de très près. Les annonces que j’ai faites dernièrement étaient d’ailleurs très différentes de ce qui m’avait été proposé en juin. Pour prendre un exemple dont nous avons beaucoup parlé, nous ne fermerons pas la base aérienne de Luxeuil : nous supprimons seulement un escadron de défense sol-air. Je pourrais multiplier les exemples à l’envi. Je rends ces arbitrages en m’efforçant d’être le plus objectif possible et d’alléger l’appareil administratif pour y mettre davantage de cohérence et éviter les doublons – ce qui suppose une analyse fonctionnelle de l’ensemble des chaînes d’action et de commandement sur le territoire, dans chacune des armées et à l’état-major des armées.

En ce qui concerne les cessions immobilières, nous avons inscrit 200 millions d’euros pour 2014. Je n’ai pas de raison de penser que cette prévision de recettes ne se réalisera pas. Les emprises les plus importantes sont situées à Paris. Le détail est disponible sur le site internet des Domaines.

M. Philippe Meunier. Elles sont donc mises en vente ?

M. le ministre. Pour la plus grande partie d’entre elles. Tout cela figure sur le site internet des Domaines ; je pourrai vous en donner le détail.

Je n’ai pas eu connaissance de refus d’exécuter des ordres pour raison religieuse, monsieur Lamblin. Si de tels incidents se sont produits, je n’en ai pas été informé – ce qui serait tout de même étonnant. Mais puisque vous m’interrogez, je vais demander à ce que l’on vérifie cette information.

M. Jacques Lamblin. Je précise que cela ne s’est pas passé dans ma région.

Mme Émilienne Poumirol. La prospective de défense a souligné la contribution du ministère de la Défense au financement de la recherche et de la technologie. Il faut saluer particulièrement l’effort consenti sur les études amont, dont le budget total s’élève à plus de 746 millions d’euros en autorisations d’engagement. Ce maintien à niveau des crédits, qui fait suite à une augmentation de 10 % en 2013, est indispensable pour conserver nos compétences industrielles et la maîtrise de nos technologies. Dans ce cadre, pourriez-vous nous apporter des précisions sur le soutien à l’innovation industrielle et technologique dans la LPM, et en particulier en 2014 ? Comment ce soutien sera-t-il mis en œuvre ? Surtout, quelle sera la place des PME et des PMI dans ce dispositif ? Pourriez-vous faire le point sur le pacte Défense PME ?

M. Jean-Jacques Candelier. Vous prévoyez 6,13 milliards d’euros de recettes exceptionnelles sur la durée de la LPM. Quelles seront les entreprises concernées par les cessions de participations de l’État ?

Par ailleurs, les pouvoirs de la délégation parlementaire au renseignement seraient renforcés. Seriez-vous d’accord pour que tous les groupes politiques y soient présents ?

Enfin, j’ai déjà eu l’occasion de plaider pour une amélioration des droits d’expression des militaires. Ainsi que l’avait dit le candidat François Hollande en mars 2012, « il est temps de reconnaître qu’ils sont des citoyens à part entière ». Le Livre blanc propose – sans en détailler les modalités – une rénovation des instances de concertation militaire. Le projet de LPM n’est-il pas une occasion perdue à cet égard ?

Mme Marianne Dubois. Le ministre des Affaires étrangères a évoqué il y a quelques semaines l’envoi de troupes supplémentaires en République centrafricaine. Pouvez-vous faire le point sur la situation actuelle dans ce pays et celle de nos militaires ? Quel type d’intervention prévoyez-vous ? Avons-nous vraiment les moyens de nos ambitions ?

M. Olivier Audibert Troin. On a coutume de dire que les succès de l’armée de terre reposent sur une dream team constituée de la cavalerie, de l’infanterie et de l’artillerie. Or, le projet de LPM a vu disparaître les 64 canons Caesar qui devaient être livrés à l’artillerie. Elle restera donc dotée de seulement 77 canons Caesar : il faudra utiliser jusqu’à l’usure les AUF1 et les vieux TRF1, ce qui entraîne un danger pour les personnels. La compétence artillerie gros calibre de notre pays tend donc à devenir totalement dépendante des exportations. Se pose également le problème du devenir de notre artillerie, et de l’appui apporté à la cavalerie et à l’infanterie. Le délégué général pour l’armement, que nous avons auditionné, a « botté en touche » en nous répondant que l’artillerie pourrait s’appuyer sur le lance-roquettes unitaire (LRU). Mais l’avenir de l’artillerie et l’appui qu’elle pourra demain apporter à la cavalerie et à l’infanterie sans la livraison des canons Caesar attendus sont aujourd’hui de véritables sujets d’inquiétude pour l’armée de terre.

M. Jean-Michel Villaumé. Permettez-moi d’abord de vous renouveler mes remerciements pour la décision que vous avez prise sur la base aérienne de Luxeuil. Je souhaite ensuite vous interroger sur le service de santé des armées (SSA), qui a fait l’objet d’un rapport récent de la Cour des comptes. Quel est votre sentiment sur les questions soulevées par ce rapport, notamment la situation délicate de certains hôpitaux militaires ? Quelles orientations comptez-vous prendre ?

M. le ministre. S’agissant de la recherche et de l’innovation, Mme Poumirol, j’ai décidé de maintenir les crédits destinés aux études amont au-dessus du seuil de 730 millions d’euros par an pendant toute la durée de la programmation. Vous savez que la tentation est toujours grande de piocher dans ces crédits pour boucler tel ou tel programme ; moi, je m’y refuse et j’ai souhaité qu’ils soient augmentés dès le budget 2013, et ils seront maintenus à ce niveau afin de préparer les nouvelles générations d’équipements qui seront nécessaires à moyen terme.

En ce qui concerne les relations avec les PME, le régime d’appui pour l’innovation duale, ou dispositif RAPID, qui avait été mis en place avant mon arrivée au ministère, fonctionne bien. J’ai décidé de le renforcer pour le rendre encore plus performant et de le sanctuariser à hauteur de 50 millions d’euros par an – contre 40 millions dans le budget 2013. Le concept est utile et fait l’unanimité ; la Direction générale de l’armement (DGA) est très attentive à sa mise en œuvre. J’ai par ailleurs lancé en novembre 2012 le Pacte Défense PME, afin de faire en sorte que les acteurs de la défense – à savoir le ministère et la DGA, mais aussi les grands groupes – aient constamment le « réflexe PME ». C’est en effet là que se trouvent les « pépites » et les emplois. Dans le cadre du pacte, le ministère, les grandes entreprises et les PME doivent travailler ensemble pour favoriser la présence des PME dans les marchés de Défense. Les résultats commencent à se faire sentir, y compris dans l’amélioration des dispositifs de paiement, très importante pour les PME. Nous sommes dans une démarche positive : on commence à « penser PME » dans les services achats des grands groupes et du ministère. Un premier rendez-vous entre les partenaires du Pacte Défense PME aura lieu en novembre. Ce devrait être l’occasion de confirmer ces éléments positifs.

Les 6,1 milliards de ressources exceptionnelles inscrits dans la LPM sont détaillés dans le rapport annexé, monsieur Candelier. Elles proviennent à la fois des cessions d’emprises immobilières, des cessions de fréquences hertziennes, du programme d’investissements d’avenir (PIA), et de cessions d’actifs. Pour l’instant, nous nous en tenons là. Je tiens néanmoins à faire remarquer – car c’est loin d’être secondaire – que les cessions d’actifs de l’Etat dont nous parlons ne concernent pas que les entreprises de défense. Le PIA, qui est financé par des cessions d’actifs de l’État et permet des investissements d’avenir auxquels le budget de la Défense émarge pour 1,5 milliard d’euros, n’est donc pas financé par les seules cessions d’actifs liées à la défense.

Vous savez que le projet de LPM a été adopté en première lecture par le Sénat cette nuit. Les sénateurs ont notamment décidé – avec le soutien du Gouvernement – de faire passer les dispositions portant sur les recettes exceptionnelles du rapport annexé au dispositif de la loi lui-même. Ils ont également renforcé le pouvoir de contrôle du Parlement sur les services de renseignement. Ce dernier sujet a peu été évoqué jusqu’à présent – du moins avec moi – dans votre commission. Alors que c’était aussi le cas au Sénat, une grande partie du débat en séance publique a porté sur la partie normative de la LPM, qui est nouvelle et concerne la cyberdéfense, le renseignement et la judiciarisation – trois sujets extrêmement importants pour la défense. Sont ainsi prévus un renforcement du contrôle des activités des services de renseignement par le Parlement, un renforcement des moyens techniques – qui sont un élément majeur de notre autonomie stratégique, en particulier les satellites et les drones – et des moyens juridiques, avec en particulier l’accès aux fichiers de police administrative et judiciaire pour nos services, et la création de la banque de données passagers dite PNR – passenger name record –, fournies par les compagnies aériennes, ainsi que la protection renforcée de l’anonymat des agents. Il y a donc des avancées à la fois pour la qualité du service de renseignement et pour leur contrôle par le Parlement – les deux vont de pair. Sachez en tout cas qu’il est prévu que le contrôle par le Parlement s’opère de manière pluraliste. Il appartiendra aux Assemblées de décider comment procéder.

En ce qui concerne les droits des militaires, l’engagement du Président de la République sera tenu. Le Président de la République a reçu les membres des conseils de la fonction militaire (CFM) à l’Élysée il y a quelques jours : il a demandé que ce chantier soit ouvert, et que des propositions soient faites à la fin de l’année, à l’occasion de la quatre-vingt-dixième session du Conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM), que je préside deux fois par an. Les membres du CSFM doivent nous faire des propositions qui permettraient – tout en restant dans le statut militaire – une organisation plus performante de l’expression des interrogations qui peuvent être celles des militaires dans l’exercice de leurs fonctions. Même si la parole se libère au CSFM et dans les CFM, il importe d’avoir une bonne représentation de l’ensemble des militaires pour que cette expression soit vraiment complète.

La République centrafricaine (RCA) est actuellement un non-État, Mme Dubois. C’est une longue histoire. La Seleka, qui a porté le président Djotodia au pouvoir, n’est plus en accord avec lui ; lui-même ne s’entend pas avec son Premier ministre ; tous deux sont issus d’un coup d’État. Des rapines, des meurtres se produisent ; la situation humanitaire est catastrophique. Nous ne sommes pas dans la situation du Mali, mais il faut éviter que ce non-État devienne un « ventre mou » au milieu des trois zones à risque que sont le Sahel, l’Afrique de l’est et l’Afrique centrale autour du Congo. Nous restons donc très vigilants.

Que faire ? Nous avons aujourd’hui 400 militaires sur place, dont une partie issue de l’opération BOALI, initiée pour soutenir la mise en place de la première force multinationale africaine, et une partie venue de Libreville au moment du coup d’État pour protéger nos ressortissants. Ces forces assurent aujourd’hui la protection de l’aéroport de Bangui. Une première résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies, votée il y a une dizaine de jours, va déboucher sur la présentation d’ options de soutien à la mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine (MISCA). Une deuxième résolution, vers la fin du mois de novembre ou au début du mois de décembre, permettra de mettre en œuvre ces options et de donner des capacités d’intervention plus larges aux éléments français qui interviendraient en soutien de la MISCA et dont les effectifs pourraient être renforcés. Enfin, l’objectif est de transformer la MISCA en opération de maintien de la paix, ce qui pourrait intervenir avec une troisième résolution au printemps. Les forces de la MISCA comptent aujourd’hui 2 200 hommes venus principalement du Congo, du Tchad, du Cameroun et de la Guinée. Les forces françaises soutiendront l’opération, dans des conditions à définir lorsque le mandat des Nations Unies sera devenu effectif. Nous avons bien sûr les moyens de faire cette opération – je suis toujours surpris que l’on me pose ce genre de questions. Notre armée compte 279 000 hommes, et – disons-le – nous sommes sans doute les seuls en Europe à avoir les moyens de faire ce type d’opérations.

J’en viens à l’artillerie, monsieur Audibert Troin. Vous parlez de la dream team constituée par la cavalerie, l’infanterie et l’artillerie. Pour ma part, je ne fais pas de distinction : toutes les armes sont complémentaires et cohérentes au sein de l’armée de terre. Le canon Caesar a eu un grand succès : les 77 canons prévus dans la programmation antérieure ont été livrés. Je suis convaincu que ce matériel va se vendre à l’exportation sa qualité opérationnelle devrait permettre d’aboutir assez rapidement.

La LPM prévoit de compléter le dispositif par le LRU, avec treize lanceurs en 2014. Le chef d’état-major des armées (CEMA) considère que cet ensemble d’équipements dans le domaine de l’artillerie est suffisant pour remplir le contrat opérationnel. Par ailleurs, concernant l’armée de terre, la LPM prévoit de lancer dès 2014 le programme Scorpion – ce qui avait donné lieu à de longues discussions avec le CEMA et le chef d’état-major de l’armée de terre. Nous avons finalement arbitré en faveur d’un lancement dès l’année prochaine de ce programme pour lequel 1,3 milliard d’euros est prévu sur la durée de la LPM. Cette décision a été appréciée par les unités que je visite. Le programme permettra entre autres de remplacer les véhicules de l’avant blindés (VAB) et les AMX 10 RC, qui en ont besoin ; les premiers véhicules blindés multi-rôles (VBMR) seront livrés au cours de la LPM et les premiers engins blindés de reconnaissance au combat (EBRC) – qui remplacent les AMX 10 RC – seront commandés. Une cohérence sera donc assurée dans l’ensemble de l’action des brigades de l’armée de terre.

J’en viens au service de santé, monsieur Villaumé. Votre Commission a reçu la semaine dernière le médecin général des armées Jean-Marc Debonne, directeur central du SSA. Il vous a sans doute fait part de la mission que je lui ai confiée ; vous savez donc qu’il doit me remettre au mois de décembre – ou au début de l’année prochaine – des propositions sur la bonne articulation entre le service de santé des armées et le réseau de santé publique, afin de développer une stratégie « gagnant-gagnant » sans pour autant abandonner l’efficacité opérationnelle du service de santé. Je préfère attendre cette échéance pour en reparler avec vous. Le sujet est à la fois difficile et passionnant : nous devons trouver des dispositifs imaginatifs permettant aux uns et aux autres de remplir leurs missions sans provoquer de déflation majeure des effectifs.

M. Frédéric Lefebvre. Monsieur le ministre, je n’ai pas de raison de mettre en cause votre engagement de stricte sincérité, tant sur la description de la menace que sur la définition des moyens pour y faire face. Cela n’empêche cependant ni les inquiétudes ni le désir de prendre des précautions. Vous avez refusé au Sénat un amendement visant à céder les participations de l’État dans les grandes entreprises pour abonder de 20 milliards d’euros la LPM. Seriez-vous prêt à l’accepter, en cas de nécessité, après la clause de revoyure ? J’ai cru comprendre que oui. Pour ma part, je souhaite améliorer cette clause de revoyure – qui figure désormais, comme vous l’avez dit, dans le texte lui-même et non plus dans le rapport annexé – lors de la discussion du texte par notre Assemblée. Avez-vous un accord de principe du Premier ministre et du Président de la République pour y avoir recours si nécessaire ?

M. Jean-François Lamour. Vous nous présentez cette LPM dans un environnement budgétaire extrêmement contraint. Vous conviendrez donc que chaque euro va compter. Je ne parle pas des crédits budgétaires stricto sensu, mais de la cession des participations de l’État dans un certain nombre d’entreprises publiques. Les ressources exceptionnelles vont jouer un grand rôle dans l’application de cette LPM. Vous les estimez à 1,77 milliard d’euros pour 2014, de même que pour 2015. Vous tablez essentiellement – à hauteur de 1,5 milliard – sur le PIA pour amorcer ces ressources exceptionnelles en 2014. Vous en ciblez les bénéficiaires : ce sont le CEA et la recherche spatiale qui vont être abondés. Vous créez d’ailleurs un programme budgétaire spécifique pour consommer ce 1,5 milliard. Est-ce à dire que le PIA sera largement mis à contribution pour financer ces ressources exceptionnelles, sachant que l’enveloppe globale de ce PIA est de l’ordre de 12 milliards, dont sans doute trois à quatre milliards en 2014 – dont la défense consommerait donc près de la moitié à elle seule ?

Ces ressources exceptionnelles seront également abondées par 200 millions de produits de cessions immobilières en 2014. Si je comprends bien, il s’agit de biens immobiliers de la Défense, qui devraient être cédés après la livraison du nouveau ministère, soit à la mi-2015. Ces bâtiments sont-ils vendus occupés ? Dans l’affirmative, la recette attendue ne risque-t-elle pas d’être dépréciée ?

Bref, je m’interroge sur l’architecture de ces ressources exceptionnelles et sur leur capacité à rapporter ces 6,1 milliards au cours de la LPM. Pouvez-vous nous assurer que vous serez en mesure de les financer d’une manière ou d’une autre – et non « par d’autres ressources exceptionnelles », comme l’indique le rapport annexé ?

M. Nicolas Dhuicq. Monsieur le ministre, vous êtes l’un des quelques professionnels du Gouvernement. Vous approuvez donc un gouvernement qui prévoit une dépense de deux milliards d’euros pour des contrats qui sont sans avenir pour les jeunes, cela tout en supprimant de vrais métiers et de vraies formations dans les armées. Vous appartenez à un gouvernement qui verra sans doute une augmentation de 100 millions d’euros des dépenses en faveur des demandeurs d’asile. C’est votre choix. Mais il ne peut y avoir ni cohérence ni consensus dès lors que nous considérons que le niveau de dépenses pour la Défense nationale atteint un plancher critique. La clause de revoyure de 2015 montrera sans doute que vous n’avez pu tenir les engagements que vous essayez aujourd’hui de défendre en bon soldat du Gouvernement.

Est-il raisonnable d’envisager de vendre à des entreprises allemandes – je pense bien sûr à Krauss-Maffei – une partie de nos joyaux dans le domaine des armes terrestres, comme cela a déjà été proposé ?

Vous souhaitez réduire les effectifs dans le soutien. Nous connaissons pourtant l’état du service interarmées des munitions (SIMu), le manque de chariots élévateurs et d’outils de technologie moderne, ou encore le nombre d’heures supplémentaires que les hommes ont dû effectuer dans le cadre de l’opération Serval. Où donc allez-vous donc supprimer ces effectifs ?

M. Alain Chrétien. Je souhaite évoquer le projet de Balard. J’en étais resté au contentieux qui opposait la RATP et la Ville de Paris au sujet d’un garage à bus, retardant ainsi l’ensemble du chantier, et à vos interrogations sur le mode opératoire – partenariat public-privé (PPP) ou mode de financement plus traditionnel. Pouvez-vous faire le point sur ce dossier qui commence à s’enliser ?

M. Serge Grouard. Je voudrais vous faire une proposition sur laquelle j’aimerais avoir votre sentiment. Nous savons tous que les casernements de nos militaires sont plus que vieillissants, voire vétustes. Nous savons que nos militaires – et notamment les militaires du rang – ne sont pas des gens fortunés ; je dirais même qu’ils sont pour la plupart de ces derniers éligibles au logement social. Néanmoins, la prochaine loi de programmation ne permettra pas – malgré tous vos efforts – d’engager véritablement la modernisation de ces casernements. Des choses pourront être faites, mais elles ne seront pas à la hauteur des enjeux. Or un effort très significatif a été consenti dans les dix dernières années en matière de renouvellement urbain, via l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) et les financements apportés par les collectivités locales, principalement les villes. Il va y avoir un programme national pour la rénovation urbaine (PNRU) 2. Je suggère donc – dans un esprit d’équité et de justice, et parce que nos militaires payent le prix du sang – que vous défendiez l’éligibilité du logement militaire à ce programme. Cela permettrait de bénéficier de financements complémentaires particulièrement bienvenus dans la situation de tension que nous connaissons.

M. le ministre. À MM. Lefevbre et Lamour, je dirai que je suis conscient que cette LPM est une loi d’équilibre et qu’il faut que l’ensemble des pièces du puzzle soient au rendez-vous pour assurer cet équilibre – dont font partie les ressources exceptionnelles. Le Président de la République s’est engagé en Conseil de défense sur l’ensemble financier de la LPM – à savoir 190 milliards d’euros 2013 jusqu’en 2019, avec une actualisation par année. Parmi ces 190 milliards figurent 6,1 milliards de ressources exceptionnelles, sous les différentes rubriques que j’ai énumérées à M. Candelier tout à l’heure – dont les cessions d’actifs. Ce n’est pas une nouveauté : des cessions de titres de Safran et d’EADS ont permis d’alimenter – avec d’autres – le financement du PIA, qui nous permet lui-même de financer le budget de la défense pour 2014. Je n’ai pas de position doctrinale sur le sujet, en dehors de la préservation des intérêts industriels stratégiques du pays. La clause de revoyure nous permettra de nous assurer que la trajectoire des ressources exceptionnelles est conforme à la prévision. C’est ce que j’ai répondu hier soir au sénateur Jacques Gautier – qui l’a bien compris.

Vous avez raison, monsieur Lamour : chaque euro compte, ce qui appelle de notre part à tous la plus grande vigilance.

J’en viens au financement des ressources exceptionnelles en 2014. Le PIA sera donc mobilisé à hauteur de 1,5 milliard, et le produit des cessions immobilières à hauteur de 200 millions – ce qui correspond aux chiffres enregistrés en 2013. Il ne s’agit pas seulement de l’immeuble de l’îlot Saint-Germain, situé à côté de l’Hôtel de Brienne, mais d’abord d’autres sites susceptibles d’être vendus. Le chiffre de 200 millions d’euros me paraît donc réaliste. Pour mémoire, nous l’avons fixé à 600 millions d’euros sur la durée de la LPM. Le principal souci que nous risquons de rencontrer est celui du calendrier. L’ensemble de ce qui nous est proposé permet d’assurer le financement des ressources exceptionnelles. Le problème est celui du délai dans lequel elles seront mobilisables – je pense en particulier à la vente de la bande de fréquences 700 mégahertz. Je dois donc me préoccuper dès à présent du budget 2015 – ce qui exige une opiniâtreté dont les Bretons ne manquent pas (sourires).

Nous n’avons rien vendu aux Allemands, monsieur Dhuicq. Nous avons une industrie de défense de grande qualité, capable de répondre aux besoins de nos forces, mais aussi d’exporter. En 2012, ses exportations ont atteint 4,8 milliards d’euros. Elles seront sensiblement supérieures cette année. Notre industrie de défense jouit d’une image très favorable dans de nombreux pays. C’est également vrai pour le matériel de l’armée de terre, qu’on a parfois tendance à considérer à tort comme moins performant. Nous avons aujourd’hui des contacts très intéressants – voire certains résultats – pour les canons Caesar et les véhicules blindés de combat d’infanterie (VBCI).

S’agissant de la déflation des effectifs de soutien, je dis simplement que nous entendons faire en sorte que la déflation pour le ministère s’opère aux deux tiers hors des unités opérationnelles, c’est-à-dire touche l’ensemble de l’organisation de l’appareil de défense, de l’administration centrale, des directions, des services ou des états-majors. J’ai ainsi décidé de supprimer les états-majors de soutien défense (EMSD), qui constituaient de l’avis général un échelon intermédiaire de trop. Simplifier le soutien est essentiel, non seulement en termes de capacités financières mais aussi en termes d’efficacité et pour le bien-être de nos militaires. J’effectue chaque semaine une visite complète dans les forces, de la chambrée aux champs de tir. Je constate qu’il existe de vrais problèmes d’articulation entre les unités opérationnelles et les bases de défense, auxquels nous devons remédier. Il est invraisemblable que l’on ne parvienne pas – comme je l’ai vu – à obtenir des rideaux pour une chambrée ! Je vérifie aussi ce genre de détails.

M. Alain Chrétien. Quel travail !

M. le ministre. Eh oui ! Je reste six ou sept heures dans les unités où je me déplace. Lorsqu’un soldat me dit que cela fait trois ans qu’ils ont demandé des rideaux pour une chambrée par ailleurs dépourvue de volets, et que le chef de corps me répond que la demande a été transmise à la base de défense mais qu’elle n’est toujours pas satisfaite, vous conviendrez que ce n’est pas seulement une question de crédits ! De même lorsqu’on me raconte que dans telle base d’Afghanistan, les hommes qui rentraient d’une opération de trois jours n’ont pas pu dîner parce que le restaurant – externalisé – fermait à vingt heures !

Lorsque je me rends dans une unité, je tiens des tables rondes séparées avec les officiers, les sous-officiers et les hommes du rang, de façon à permettre une plus grande liberté de parole. Cela me permet de faire avancer les choses.

En ce qui concerne Balard, monsieur Chrétien, le contentieux auquel vous avez fait allusion est réglé. Le chantier suit désormais normalement son cours.

La suggestion de M. Grouard m’intéresse particulièrement; je vais demander à mon cabinet d’en étudier la faisabilité.

M. Serge Grouard. Je connais bien le sujet. Il me semble que cela devrait être possible.

M. le ministre. J’ai annoncé un certain nombre de dispositions liées à la condition militaire, que je souhaite voir aboutir avant Noël. Il importe que nous puissions également opérer des avancées dans le domaine du logement et de la vie sociale du militaire. Cela pourrait en faire partie.

Mme la présidente Patricia Adam. Monsieur le ministre, nous vous remercions d’avoir répondu à nos questions.

*

* *

© Assemblée nationale