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Amendements  sur le projet ou la proposition

OGOGRIS-22mm

N°1558

——

ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 novembre 2013.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION SPÉCIALE (1) CHARGÉE D’EXAMINER LA PROPOSITION DE LOI (N° 1437), renforçant la lutte contre le système prostitutionnel,

PAR Mme Maud OLIVIER,

Députée.

——

La Commission spéciale est composée de :

M. Guy Geoffroy, président ; Mme Marie-George Buffet, M. Charles de Courson, Mme Catherine Coutelle, Mme Ségolène Neuville, vice-présidents ; M. Sergio Coronado, Mme Virginie Duby-Muller, Mme Laurence Dumont, M. Gwendal Rouillard, secrétaires ; Mme Maud Olivier, rapporteure ; M. Élie Aboud, Mme Nicole Ameline, M. Pierre Aylagas, Mme Huguette Bello, Mme Brigitte Bourguignon, Mme Kheira Bouziane, Mme Valérie Boyer, Mme Sabine Buis, Mme Sylviane Bulteau, Mme Colette Capdevielle, M. Dino Cinieri, Mme Marie-Françoise Clergeau, M. Philip Cordery, Mme Pascale Crozon, Mme Seybah Dagoma, M. Bernard Debré, Mme Jeanine Dubié, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Daniel Fasquelle, Mme Martine Faure, Mme Marie-Louise Fort, Mme Michèle Fournier-Armand, M. Jean-Marc Germain, M. Claude Goasguen, M. Philippe Goujon, Mme Claude Greff, Mme Arlette Grosskost, Mme Edith Gueugneau, Mme Danièle Hoffman-Rispal, M. Guénhaël Huet, Mme Françoise Imbert, M. Armand Jung, Mme Marietta Karamanli, Mme Chaynesse Khirouni, Mme Bernadette Laclais, Mme Valérie Lacroute, Mme Sonia Lagarde, Mme Anne-Yvonne Le Dain, Mme Viviane Le Dissez, Mme Lucette Lousteau, M. Jean-Philippe Mallé, M. Patrice Martin-Lalande, Mme Sandrine Mazetier, M. Jacques Moignard, M. Pierre Morel-A-L’Huissier, Mme Dominique Nachury, Mme Martine Pinville, Mme Bérengère Poletti, Mme Barbara Pompili, M. Michel Pouzol, M. Patrice Prat, Mme Catherine Quéré, M. Frédéric Reiss, Mme Sophie Rohfritsch, M. Thierry Solère, Mme Sylvie Tolmont, M. Philippe Vitel, M. Éric Woerth, M. Michel Zumkeller.

SOMMAIRE

___

Pages

PRINCIPAUX APPORTS DE LA COMMISSION SPÉCIALE 7

INTRODUCTION 9

I. LA PROSTITUTION EN FRANCE : UN CONSTAT ALARMANT 13

A. UNE RÉALITÉ DIFFICILE À ÉVALUER MAIS QUI PROSPÈRE 13

1. Les chiffres disponibles 13

2. Une pratique multiforme 15

a. La prostitution de rue 15

b. La prostitution « discrète » 16

c. L’offre de prostitution par Internet 17

B. UNE LARGE DOMINATION DES RÉSEAUX D’EXPLOITATION SEXUELLE 17

1. L’augmentation du nombre de personnes prostituées étrangères en France… 17

2. … procède amplement du développement de réseaux internationaux 19

a. Une activité lucrative entre les mains de réseaux structurés 19

b. Des réseaux coupables de traite des êtres humains et de proxénétisme 21

C. DES PERSONNES PROSTITUÉES EN GRANDE DIFFICULTÉ 25

1. D’incontestables risques sanitaires 25

2. De très lourdes conséquences physiologiques et psychologiques 26

3. Un univers marqué par la violence 27

II. LA PROPOSITION DE LOI : UN DISPOSITIF INTÉGRÉ, PLURI-DIRECTIONNEL, DE LUTTE CONTRE LE SYSTÈME PROSTITUTIONNEL 29

A. UN CONTEXTE NATIONAL, MAIS AUSSI INTERNATIONAL, ABOLITIONNISTE 29

1. La marche progressive de la France vers l’abolitionnisme 30

2. Des expériences étrangères éclairantes 31

B. UN DISPOSITIF INTÉGRÉ D’ACTIONS PLURI-DIRECTIONNELLES 35

1. En direction des réseaux : la lutte contre ceux qui agissent sur Internet 35

2. En direction des personnes prostituées : un accompagnement global 36

a. La création d’un parcours de sortie de la prostitution 36

b. Une meilleure prise en compte des intérêts des victimes tout au long de la procédure judiciaire 39

c. Une meilleure coordination de l’action de l’État et un financement dédié 39

3. En direction des jeunes : des actions pédagogiques 41

4. En direction des clients de la prostitution : des mesures de responsabilisation 42

LES PRINCIPALES MODIFICATIONS APPORTÉES À LA PROPOSITION DE LOI PAR LA COMMISSION SPÉCIALE 44

1. Un parcours de sortie de la prostitution aux contours précisés 44

2. Des règles de délivrance et de renouvellement de l’autorisation provisoire de séjour prévue par le nouvel article L. 316-1-1 du CESEDA précisées 45

3. Une information et une éducation à la sexualité renforcées 45

4. Une infraction de recours à la prostitution confortée 45

5. Des personnes victimes de la traite des êtres humains, du proxénétisme ou de la prostitution mieux protégées 46

EXAMEN DES ARTICLES 47

Chapitre Ier – Renforcement des moyens de lutte contre le proxénétisme et la traite des êtres humains aux fins d’exploitation sexuelle 47

Article 1er (art. 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique) : Renforcement de la lutte contre les réseaux de traite et de proxénétisme agissant sur Internet 47

Article 1er bis (nouveau) (art. L. 451-1 du code de l’action sociale et des familles) : Extension des formations sociales aux professionnels et personnels engagés dans la prévention de la prostitution 53

Après l’article 1er bis 54

Article 1er ter (nouveau) (art. 706-34-1 [nouveau] du code de procédure pénale) : Protection des personnes victimes de la traite des êtres humains, du proxénétisme ou de la prostitution 55

Article 1er quater (nouveau) : Rapport annuel du Gouvernement au Parlement sur les actions de coopération internationale et européenne en matière de lutte contre les réseaux de traite et de proxénétisme 57

Chapitre II – Protection des victimes de la prostitution et création d’un parcours de sortie de la prostitution 58

Article 2 (supprimé) (art. 22 bis [nouveau] de la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants) : Création d’une instance en charge de l’action à destination des personnes prostituées au sein des conseils départementaux de prévention de la délinquance, d’aide aux victimes et de lutte contre la drogue, les dérives sectaires et les violences faites aux femmes 58

Article 3 (art. L. 121-9 du code de l’action sociale et des familles ; art. 42 et 121 de la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure) : Création d’un parcours de sortie de la prostitution et codification d’une disposition de la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure 59

Après l’article 3 65

Article 4 : Création d’un fonds pour la prévention de la prostitution et l’accompagnement des personnes prostituées 65

Article 5 (supprimé) (art. L. 247 du livre des procédures fiscales) : Remises fiscales gracieuses pour les personnes engagées dans un parcours de sortie de la prostitution 68

Article 6 (art. L. 316-1 et L. 316-1-1 [nouveau] du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Admission au séjour des étrangers victimes de la traite des êtres humains ou du proxénétisme 70

Article 7 (art. L. 5423-8 du code du travail) : Extension du bénéfice de l’allocation temporaire d’attente (ATA) aux étrangers titulaires d’une autorisation provisoire de séjour et engagés dans un parcours de sortie de la prostitution 82

Article 8 (art. L. 851-1 du code de la sécurité sociale) : Extension de l’allocation de logement temporaire aux associations agréées pour l’accompagnement des victimes de la prostitution 85

Article 9 (art. L. 345-1 du code de l’action sociale et des familles) : Extension aux victimes du proxénétisme et de la prostitution de l’accueil en centres d’hébergement et de réinsertion sociale dans des conditions sécurisantes 86

Article 10 (art. 706-3 du code de procédure pénale) : Droit à la réparation intégrale des dommages subis par les victimes du proxénétisme sans besoin de justifier d’une incapacité totale de travail 87

Après l’article 10 88

Article 11 (art. 2-22 du code de procédure pénale) : Admission des associations dont l’objet est la lutte contre le proxénétisme, la traite des êtres humains et l’action sociale en faveur des personnes prostituées, à exercer les droits reconnus à la partie civile 89

Article 12 (art. 306 du code de procédure pénale) : Huis clos de droit à la demande de la victime de traite ou de proxénétisme aggravé 91

Après l’article 12 92

Article 13 (art. 225-10-1 du code pénal) : Transposition de la directive européenne du 5 avril 2011 concernant la prévention de la traite êtres humains et abrogation, en conséquence, de l’article 225-10-1 du code pénal relatif au délit de racolage 92

Article 14 (art. 225-20 et 225-25 du code pénal ; art. 398-1 du code de procédure pénale) : Coordinations dans le code pénal et le code de procédure pénale liées à l’abrogation du délit de racolage 103

Après l’article 14 104

Article 14 bis (nouveau) : Rapport du Gouvernement au Parlement sur la prostitution des mineurs en France 108

Chapitre III – Prévention des pratiques prostitutionnelles et du recours à la prostitution 109

Article 15 (art. L. 312-17-1 du code de l’éducation) : Inscription de la lutte contre la marchandisation des corps parmi les thématiques relevant de l’éducation à la sexualité 109

Article 15 bis (nouveau) (art. L. 312-16 du code de l’éducation) : Amélioration de l’information et de l’éducation à la sexualité 111

Après l’article 15 bis 112

Chapitre IV – Interdiction de l’achat d’un acte sexuel 113

Article 16 (art. 225-12-1, 225-12-2 et 225-12-3 du code pénal ; art. L. 421-3 du code de l’action sociale et des familles) : Création d’une infraction de recours à la prostitution punie de la peine d’amende prévue pour les contraventions de cinquième classe 113

Après l’article 16 128

Article 17 (art. 131-16, 131-35-1 et 225-20 du code pénal ; art. 41-1 et 41-2 du code de procédure pénale) : Création d’une peine complémentaire de stage de sensibilisation à la lutte contre l’achat d’actes sexuels 130

Chapitre V – Dispositions finales 133

Article 18 : Rapport du Gouvernement au Parlement sur l’application de la présente proposition de loi 133

Article 19 (supprimé) : Application dans le temps de la présente proposition de loi 135

Article 20 : Application outre-mer de la présente proposition de loi 138

Article 21 : Gage de la présente proposition de loi 139

TABLEAU COMPARATIF 141

ANNEXE AU TABLEAU COMPARATIF 167

LISTE DES RECOMMANDATIONS DU RAPPORT D’INFORMATION DE LA DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES SUR LE RENFORCEMENT DE LA LUTTE CONTRE LE SYSTÈME PROSTITUTIONNEL 177

COMPTES RENDUS DES AUDITIONS DE LA COMMISSION SPÉCIALE 183

PRINCIPAUX APPORTS DE LA COMMISSION SPÉCIALE

Au cours de sa réunion du mardi 19 novembre 2013, la commission spéciale chargée d’examiner la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel a adopté la proposition de loi en y apportant les principales modifications suivantes :

—  À l’article 1er, elle a, sur initiative de la rapporteure, adopté un amendement prévoyant que le manquement aux nouvelles obligations imposées aux fournisseurs d’accès Internet (FAI) et aux hébergeurs de sites Internet serait passible d’un an d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende.

—  Sur l’initiative de M. Charles de Courson, la commission spéciale a introduit un nouvel article 1er bis, afin que les formations sociales mentionnées à l’article L. 451-1 du code de l’action sociale et des familles contribuent à la qualification et à la promotion des professionnels et des personnels salariés et non salariés engagés dans la prévention de la prostitution.

—  La commission spéciale a également adopté un article 1er ter, issu d’un amendement de la rapporteure, visant à mieux protéger les victimes, majeures et mineures, de la traite des êtres humains, de proxénétisme ou de la prostitution, en leur offrant notamment la possibilité de témoigner sans que leur identité apparaisse dans la procédure ou bien encore de faire usage d’une identité d’emprunt.

—  À l’article 3, la commission spéciale a adopté, sur l’initiative de la rapporteure, un amendement destiné à apporter des précisions sur le parcours de sortie de la prostitution, qui prendra la forme d’un contrat passé entre la personne prostituée, l’autorité administrative et une association constituée pour l’aide et l’accompagnement des personnes prostituées et agréée par l’État.

—  À l’article 6, sur proposition de Mme Sylvie Tolmont et des membres du groupe socialiste, républicain et citoyen, la commission spéciale a précisé que l’autorisation provisoire de séjour mentionnée au nouvel article L. 316-1-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile serait délivrée aux victimes de la traite des êtres humains ou du proxénétisme engagées dans le parcours de sortie de la prostitution mentionné à l’article L. 121-9 du code de l’action sociale et des familles. Par ailleurs, sur l’initiative de la rapporteure, la commission spéciale a indiqué que cette autorisation provisoire de séjour sera renouvelable pendant toute la durée du parcours de sortie de la prostitution, si les conditions fixées pour sa délivrance continuent d’être satisfaites.

—  Dans un souci de lisibilité et d’harmonisation, l’article 11 a été réécrit, sur proposition de la rapporteure, afin de réunir au sein d’un seul et même article du code de procédure pénale les règles relatives à la possibilité donnée aux associations reconnues d’utilité publique, dont l’objet est la lutte contre le proxénétisme, la traite des êtres humains et l’action sociale en faveur des personnes prostituées, d’exercer les droits reconnus à la partie civile.

—  L’article 14 bis, introduit par la commission spéciale sur l’initiative de M. Sergio Coronado et Mme Barbara Pompili, prévoit que le Gouvernement remette au Parlement, un an à compter de la publication de la présente proposition de loi, un rapport sur la situation, le repérage et la prise en charge des mineurs se livrant à la prostitution.

—  Sur l’initiative des membres du groupe socialiste, républicain et citoyen, la commission spéciale a adopté un article 15 bis modifiant l’article L. 312-16 du code de l’éducation afin que ce dernier prévoit expressément que seront dispensées dans les écoles, les collèges et les lycées une information et une éducation à la sexualité égalitaire et qu’elles porteront désormais aussi sur l’estime de soi, de l’autre et le respect du corps.

—  Sur proposition de la rapporteure, l’article 16 a été modifié à plusieurs égards. L’infraction de recours à la prostitution a, tout d’abord, été définie de manière plus précise, en visant les hypothèses où la relation sexuelle est aussi la contrepartie de « la fourniture d’un avantage en nature ou de la promesse d’un tel avantage ». Le régime des peines encourues a ensuite été complété par la reconnaissance explicite de la possibilité que soient également prononcées une ou plusieurs peines complémentaires. Enfin, la rédaction de l’incrimination du recours à la prostitution d’une personne mineure ou présentant une particulière vulnérabilité a été simplifiée, sans être modifiée sur le fond.

—  À l’article 17, la commission spéciale a modifié, sur la proposition conjointe de de Mmes Sylvie Tolmont et Viviane Le Dissez, la dénomination du stage de sensibilisation, qui est encouru à titre de peine complémentaire en cas de condamnation pour recours à la prostitution et dont l’objet sera la lutte contre l’achat d’actes sexuels.

—  L’article 18 a été réécrit, sur l’initiative de votre rapporteure, afin de prévoir, conformément aux recommandations faites par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, un bilan global de la mise en œuvre de l’ensemble la loi.

—  L’article 19 a, pour sa part, été supprimé, toujours sur proposition de votre rapporteure, afin de tirer les conséquences de l’impossibilité, sur le plan constitutionnel, de différer l’abrogation du délit de racolage public.

Mesdames, Messieurs

La proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel déposée par les membres du groupe socialiste, républicain et citoyen et apparentés, enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 10 octobre 2013 et renvoyée à votre commission spéciale, est le produit d’une réflexion entamée il y a plusieurs années au Parlement.

À l’Assemblée nationale, la mission d’information sur la prostitution en France, créée par la commission des Lois sous la précédente législature, a remis, au mois d’avril 2011, un rapport intitulé Prostitution : l’exigence de responsabilité. En finir avec le mythe du « plus vieux métier du monde » (2). Cette mission, dont la présidente était Mme Danielle Bousquet et le rapporteur M. Guy Geoffroy, a dressé un bilan approfondi des connaissances sur le système prostitutionnel dans notre pays et des politiques publiques mises en œuvre en France comme à l’étranger. Elle a adopté trente propositions, portant notamment sur la lutte contre la traite des êtres humains et le proxénétisme, l’accompagnement des personnes prostituées ou encore la pénalisation des clients.

Ce travail considérable s’est conclu par le dépôt, le 7 décembre 2011, de la proposition de loi n° 4057 visant à responsabiliser les clients de la prostitution et à renforcer la protection des victimes de la traite des êtres humains et du proxénétisme, ainsi que de la proposition de résolution n° 3522 réaffirmant la position abolitionniste de la France en matière de prostitution. Si la première n’a pu être inscrite à l’ordre du jour, la seconde a en revanche été examinée par l’Assemblée nationale et adoptée à l’unanimité le 6 décembre 2011.

Cette résolution s’appuyait sur plusieurs constats que votre commission spéciale a, à son tour, pu établir :

––  la prostitution est un phénomène sexué qui contrevient au principe d’égalité entre les hommes et les femmes : en effet, si 85 % des personnes prostituées en France sont des femmes, 99 % des clients sont des hommes ;

––  la prostitution est très majoritairement pratiquée par des personnes de nationalité étrangère : à ce jour et depuis les années 2000, près de 90 % des personnes prostituées ne sont pas françaises alors que cette proportion n’était que de 20 % en 1990. Principalement originaires de Roumanie, de Bulgarie, du Nigeria, du Brésil et de Chine, ces personnes sont essentiellement sous la coupe de réseaux d’exploitation sexuelle ;

––  les personnes prostituées sont victimes de violences particulièrement graves qui portent atteinte à leur intégrité physique et psychique, comme tendent à le démontrer les études réalisées sur ce sujet.

Ces constats heurtent profondément plusieurs principes fondamentaux de notre droit.

Tout d’abord, comme le souligne le préambule de la Convention des Nations unies pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui du 2 décembre 1949, ratifiée par la France le 19 novembre 1960, « la prostitution et le mal qui l’accompagne, à savoir la traite des êtres humains en vue de la prostitution, sont incompatibles avec la dignité et la valeur de la personne humaine et mettent en danger le bien-être de l’individu, de la famille et de la communauté ». Ensuite, la non patrimonialité du corps humain, garantie par l’article 16-5 de notre code civil (3), fait obstacle à ce que le corps humain soit considéré comme une source de profit.

Par ailleurs, les agressions sexuelles, physiques et psychologiques qui accompagnent souvent la prostitution, ainsi que la répétition d’actes sexuels non désirés portent atteinte à l’intégrité du corps des personnes prostituées. Ces dégâts physiques et psychiques ont encore été récemment mis en lumière par le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), paru en 2012, sur les enjeux sanitaires du phénomène (4) et par celui de nos collègues sénateurs Jean-Pierre Godefroy et Chantal Jouanno, publié en octobre 2013, consacré à la situation sanitaire et sociale des personnes prostituées (5). Enfin, la prostitution, traduction de rapports archaïques et inégalitaires entre les hommes et les femmes, porte une atteinte fondamentale au principe d’égalité entre les sexes.

Désireuse de poursuivre les travaux déjà engagés sur ce sujet majeur, la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes de l’Assemblée nationale a créé en son sein, au mois de novembre 2012, un groupe de travail sur la question, animé par votre rapporteure et composé de Mme Marie-George Buffet, M. Sergio Coronado (non-membre de la Délégation mais associé au groupe de travail), Mme Catherine Coutelle, M. Guy Geoffroy, Mme Édith Gueugneau, M. Jacques Moignard et Mme Ségolène Neuville.

Au terme de dix mois de travail, après de nombreuses auditions, plusieurs déplacements à Paris et en province, ainsi qu’un voyage à Stockholm, ce groupe de travail a présenté, au mois de septembre dernier, un rapport d’information sur le renforcement de la lutte contre le système prostitutionnel, qui a été adopté à l’unanimité par la Délégation aux droits des femmes (6).

Les quarante recommandations de ce rapport ont largement inspiré les auteurs de la présente proposition de loi qui, comme la résolution précitée de 2011, s’inscrit clairement dans la démarche abolitionniste que la France a adoptée. Cette approche, impliquant la suppression de toute disposition juridique susceptible d’encourager l’activité prostitutionnelle, sans pour autant l’interdire, suppose la mise en place d’une réelle protection des personnes prostituées, notamment par la répression de l’exploitation sexuelle d’autrui, la prévention de l’entrée dans la prostitution et l’aide à la réinsertion des victimes.

C’est pourquoi la proposition de loi, qui a reçu l’avis favorable du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (7), à l’unanimité moins une voix, comporte plusieurs articles destinés à renforcer l’accompagnement des personnes prostituées souhaitant rompre avec l’activité prostitutionnelle, mais aussi des dispositions visant à mieux lutter contre les réseaux de proxénétisme et à responsabiliser les clients de la prostitution. En ce sens, ce texte va plus loin que la proposition de loi adoptée par le Sénat le 28 mars 2013 dont la principale disposition – figurant à l’article 1er – consiste à abroger le délit de racolage public prévu à l’article 225-10-1 du code pénal (8).

Notre commission spéciale s’est naturellement beaucoup référée aux travaux réalisés aussi bien sous la précédente législature que, depuis le début de la XIVe législature, par notre Délégation aux droits des femmes. Mais elle a aussi procédé à sa propre expertise de la situation, en organisant un certain nombre d’auditions à même de l’éclairer sur la réalité de la prostitution en France et sur les moyens les plus appropriés pour, à la fois, combattre ce fléau et aider les personnes prostituées à en sortir.

Ses auditions lui ont ainsi permis : d’entendre les associations qui, sur le terrain, œuvrent aux côtés des personnes prostituées pour les accompagner et les aider ; de recueillir des témoignages de personnes qui sont sorties de la prostitution ; de mesurer les dommages physiques et psychologiques de la prostitution sur les personnes exposées à cette forme de violence particulièrement grave ; d’apprécier les actions à conduire en matière d’éducation et de prévention à la prostitution, notamment en direction des jeunes. Elle s’est également penchée sur les expériences menées par un certain nombre de pays étrangers en matière de lutte contre la prostitution : elle a ainsi entendu une procureure au parquet international de Stockholm ; un certain nombre de ses membres ont par ailleurs assisté au colloque organisé le 5 novembre dernier par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes sur le thème : « La France, l’Europe et le système prostitutionnel ». Cette rencontre a été l’occasion d’entendre la Chancelière de justice en Suède, responsable de l’évaluation, en 2010, de la loi relative à l’interdiction d’achat d’actes sexuels, ainsi qu’un commissaire de police de Stockholm en charge de l’unité luttant contre la prostitution.

Ainsi éclairée, votre commission spéciale a donc procédé à l’examen de la proposition de loi dont elle était saisie. Le présent rapport, qui en retrace les travaux, replace d’abord ce texte dans le contexte actuel de la prostitution en France, pour dresser un constat alarmant (I) ; il met ensuite en évidence, au regard de ce constat, l’objectif de la proposition de loi : mettre en place un dispositif intégré de lutte contre le système prostitutionnel, pluri-directionnel (II).

*

* *

I. LA PROSTITUTION EN FRANCE : UN CONSTAT ALARMANT

Les auditions auxquelles votre commission spéciale a procédé lui ont permis de constater que la prostitution en France restait une triste réalité que les politiques publiques menées jusqu’à présent ne sont pas parvenues à corriger substantiellement. C’est une réalité difficile à évaluer mais qui prospère (A), au profit des réseaux d’exploitation sexuelle (B) et au détriment des personnes contraintes de se livrer à la prostitution qui sont, pour beaucoup, dans une grande détresse (C).

A. UNE RÉALITÉ DIFFICILE À ÉVALUER MAIS QUI PROSPÈRE

Si les chiffres de la prostitution demeurent incertains (1), la diversité des pratiques prostitutionnelles ne fait en revanche guère de doutes (2).

1. Les chiffres disponibles

La prostitution est un phénomène difficile à mesurer avec exactitude en raison, principalement, de son évolution constante et en partie cachée, liée à son développement sur Internet. On relèvera d’ailleurs qu’elle ne fait l’objet d’aucune définition législative. Il est d’usage de se référer à la définition de la chambre criminelle de la Cour de cassation, aux termes de laquelle la prostitution est le fait « de se prêter, moyennant une rémunération, à des contacts physiques de quelque nature qu’ils soient, afin de satisfaire les besoins sexuels d’autrui » (arrêt du 27 mars 1996).

D’après les chiffres de 2010 fournis par l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH) (9), il y aurait entre 20 000 et 40 000 personnes prostituées en France, dont 85 % de femmes. Ces chiffres sont issus de données diverses telles que le nombre de personnes mises en cause pour racolage public ainsi que celui des victimes de la traite des êtres humains ou de proxénétisme identifiées dans des procédures judiciaires et sont complétés par des estimations relatives à la prostitution sur Internet, qui reste néanmoins difficile à appréhender.

Ces données sont validées par les associations travaillant auprès des personnes prostituées que votre commission spéciale a entendues dans le cadre de ses travaux préparatoires.

Les personnes prostituées sont de tous âges même s’il n’existe pas, à ce jour, de données incontestables portant sur l’âge moyen d’entrée dans la prostitution et si, plus généralement, la détermination de l’âge des personnes prostituées n’est pas toujours aisée. Selon une étude de l’Amicale du Nid, 43 % des personnes accompagnées par l’association en 2010 avaient moins de trente ans, 30 % avaient entre trente et trente-neuf ans, 17 % avaient entre quarante et quarante-neuf ans et 9 % avaient entre cinquante et soixante-dix ans.

Dans leur rapport d’information sur la situation sanitaire et sociale des personnes prostituées, précité, les sénateurs Jean-Pierre Godefroy et Chantal Jouanno font aussi le constat d’une grande diversité des âges parmi les personnes prostituées. Ils rapportent ainsi que parmi celles accueillies par l’association Grisélidis en 2012, 36 % avaient moins de trente ans, 59 % avaient entre trente et soixante ans et 5 % avaient plus de soixante ans. La prostitution des personnes vieillissantes, bien que malaisée à mesurer, est ainsi loin de représenter un phénomène négligeable, comme l’ont d’ailleurs rappelé plusieurs personnes entendues par les membres de la commission spéciale.

La difficulté à disposer de données chiffrées précises sur la prostitution des mineurs témoigne de l’impossibilité de mesurer avec exactitude le nombre de personnes prostituées dans notre pays. Ainsi, alors que les mineurs ne représentaient, en 2010, que 0,44 % des personnes mises en cause pour racolage public (6 personnes au total) d’après les chiffres de l’OCRTEH, les associations œuvrant sur le terrain faisaient quant à elles état d’une augmentation alarmante du nombre de personnes prostituées mineures. D’après les informations transmises à votre rapporteure par l’Association contre la prostitution des enfants (ACPE), il y aurait entre 6 000 et 8 000 mineurs livrés à la prostitution en France. La prostitution des mineurs est donc bien réelle et concerne tant des personnes françaises – qui représenteraient 30 % du total d’après l’ACPE – que des personnes de nationalité étrangère soumises aux réseaux de traite et de proxénétisme.

En tout état de cause, la différence entre les quelques cas que les services de police et de gendarmerie connaissent chaque année et les chiffres mis en avant par certaines associations spécialisées dans la lutte contre la prostitution des mineurs est considérable et invite à manier ces chiffres avec la plus grande prudence.

De manière générale, il apparaît que la prostitution étudiante – qui peut être le fait de majeurs comme de mineurs – augmente depuis plusieurs années. Il est regrettable, comme le faisaient déjà remarquer Mme Danielle Bousquet et M. Guy Geoffroy dans le rapport d’information sur la prostitution en France déjà cité, que les chiffres fassent tant défaut en la matière. Néanmoins, certaines enquêtes, menées notamment par les associations, apportent des éclairages utiles sur ce phénomène.

Une enquête réalisée par l’Amicale du Nid de Montpellier auprès de 651 étudiants de l’Université Montpellier III interrogés en 2010 montre par exemple que 13 d’entre eux, soit 2 % des répondants, avaient accepté de l’argent ou autre chose en contrepartie d’un acte sexuel. D’après les représentantes de l’association entendues par la commission spéciale, cette part serait désormais de 4 % (10).

De son côté, votre rapporteure, dans le département dont elle est l’élue, l’Essonne, a également engagé à la fin du mois d’avril 2013 une enquête avec le Conseil général afin de mesurer l’ampleur du phénomène prostitutionnel dans les deux universités de ce département. Les 843 réponses au questionnaire envoyé aux 34 334 étudiants inscrits dans les universités d’Évry et de Paris XI (Orsay) ont permis de constater que 2,7 % des répondants, parmi lesquels 91 % rencontraient des difficultés financières, avaient déjà eu un rapport sexuel contre de l’argent, des biens ou des services, 7,9 % déclaraient envisager de le faire et 5,4 % disaient avoir déjà proposé ou s’être vu proposer des actes sexuels en échange d’argent, de bien ou de services (11).

Ces chiffres illustrent une réalité préoccupante et pourtant relativement peu connue car peu visible : celle de la prostitution étudiante, très largement expliquée par les difficultés financières rencontrées par certains jeunes. Ils témoignent aussi de l’insuffisance des actions de prévention des pratiques prostitutionnelles dans le cadre de l’enseignement primaire puis secondaire, point sur lequel votre rapporteure souhaite apporter une réponse dans le cadre de la présente proposition de loi.

2. Une pratique multiforme

La prostitution, qui n’est « jamais un projet de vie » selon le mot de Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes (12), ne saurait être réduite à un phénomène uniforme. Au contraire, l’hétérogénéité de ses modes d’exercice invite à parler de prostitutions au pluriel.

a. La prostitution de rue

La prostitution dite « traditionnelle » concerne plutôt des femmes françaises, plus âgées que les personnes étrangères et qui revendiquent une certaine autonomie dans leur activité – qu’elles exercent de façon indépendante ou sous la coupe d’un proxénète. Il s’agit essentiellement d’une prostitution de rue dont le déclin face à la prostitution organisée par les réseaux d’exploitation sexuelle est patent, la première ayant en effet progressivement cédé la place à la seconde depuis une vingtaine d’années.

Depuis la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure, qui a introduit le délit de racolage public à l’article 225-10-1 de notre code pénal, la prostitution de rue s’est peu à peu déplacée des grands centres urbains vers la périphérie. Cette évolution a notamment eu pour conséquence de rendre plus compliqué le travail des associations venant en aide aux personnes prostituées. D’après plusieurs témoignages recueillis par votre commission spéciale, celles-ci souffrent d’une précarité accentuée et exercent à présent dans un environnement plus dangereux qu’auparavant. Il apparaît par ailleurs que l’introduction de ce délit dans le code pénal, qui devait permettre une meilleure appréhension des réseaux de traite des êtres humains et de proxénétisme, n’a pas eu l’effet escompté, ainsi que l’ont rappelé plusieurs personnes entendues par la commission spéciale.

Très majoritairement féminine, la prostitution de rue concernerait néanmoins entre 10 % et 20 % d’hommes. La prostitution des personnes transidentitaires apparaît quant à elle fort difficile à évaluer. Nombre d’entre elles, souffrant de discriminations et de grosses difficultés pour procéder à la modification de leur état civil, sont amenées à se prostituer. Votre rapporteure considère à cet égard qu’il sera important, à court terme, de stabiliser le cadre juridique de la modification de la mention du sexe à l’état civil.

b. La prostitution « discrète »

La prostitution « discrète », ainsi qualifiée en raison de la nature des lieux où elle s’exerce – salons de massage, bars à hôtesses… – ou des modes de communication entre les personnes prostituées et les clients – prostitution par Internet, utilisation de SMS… – connaît un fort développement.

Il y aurait, d’après le rapport de l’OCRTEH de 2009, 611 établissements présentant un risque de prostitution en France, dont 481 seraient situés en dehors de Paris. Nombre de bars à hôtesse, de salons de massage et de clubs à vocation sexuelle (strip-tease, échangisme…) abritent ainsi une activité prostitutionnelle. La brigade de répression du proxénétisme de la direction régionale de la police judiciaire de Paris recense ainsi près de 130 salons de massage dans la seule capitale.

L’action des services de police et de gendarmerie apparaît limitée face à cette forme de prostitution. En effet, la preuve de l’activité prostitutionnelle est souvent difficile à apporter, en raison de l’apparente légalité de ces établissements.

c. L’offre de prostitution par Internet

La prostitution par Internet fait, elle aussi, l’objet d’évaluations chiffrées qui doivent être maniées avec précaution. Le sociologue Laurent Mélito estime néanmoins qu’il existerait environ 10 000 annonces distinctes sur Internet, à destination de la France, figurant sur cinq à six sites dédiés (13). Ces « petites annonces », en nette augmentation depuis plusieurs années, ainsi que l’a souligné Mme Corinne Bertoux, cheffe de l’OCRTEH, devant la commission spéciale (14), sont d’autant plus difficiles à quantifier que se mêlent sur les sites Internet en question des annonces légales et des annonces relevant de l’activité des réseaux de traite des êtres humains ou de proxénétisme.

S’il est vrai que les sites Internet de ce type se sont multipliés au cours des dix dernières années, il n’en reste pas moins que l’évaluation de leur nombre exact semble impossible, au regard de la rapidité de création et de disparition de ces plateformes, ainsi que l’a souligné la capitaine Karine Béguin, cheffe du département investigations sur internet de la division de lutte contre la cybercriminalité de la gendarmerie nationale (15).

B. UNE LARGE DOMINATION DES RÉSEAUX D’EXPLOITATION SEXUELLE

La prostitution en France, aujourd’hui, se caractérise par une très forte majorité de personnes prostituées de nationalité étrangère (1) le plus souvent exploitées par des réseaux internationaux de traite des êtres humains et de proxénétisme (2).

1. L’augmentation du nombre de personnes prostituées étrangères en France…

Les bouleversements géopolitiques des années 1990 – de la chute du Mur de Berlin à l’effondrement de l’Union soviétique, en passant par les conflits dans les Balkans et les crises politiques en Afrique – ont considérablement favorisé le développement des trafics transfrontaliers et, en particulier, la multiplication des réseaux de traite et de proxénétisme œuvrant dans les pays d’Europe de l’Ouest.

L’ouverture des frontières et l’élargissement de l’espace Schengen ont en effet amplement facilité le développement de trafics liés à la criminalité organisée. Les chiffres relatifs aux réseaux internationaux de traite des êtres humains démantelés en 2012 indiquent que la majorité d’entre eux sont issus de pays d’Europe de l’Est dont les ressortissants, originaires de Roumanie, de Bulgarie ou de Hongrie, entrent sans visa dans l’espace Schengen. Les dispositions communautaires relatives au court séjour dans ce même espace permettent par ailleurs aux citoyens de nombreux pays non-membres de l’Union européenne d’entrer sans visa sur le « territoire Schengen » pour une durée de moins de quatre-vingt-dix jours ou pour une succession de séjours dont la durée cumulée est inférieure à quatre-vingt-dix jours par période de six mois.

L’activité des personnes prostituées de nationalité française a fortement décliné par rapport à celle des personnes de nationalité étrangère, qui représentent désormais entre 80 % et 90 % des personnes prostituées en France, ainsi que l’ont rappelé plusieurs ministres entendus par la commission spéciale (16). Aujourd’hui, celles-ci viennent principalement de Roumanie, de Bulgarie, du Nigeria, du Brésil et de Chine. Les personnes de nationalité étrangère, qui le plus souvent « subissent » la prostitution plus qu’elles ne la pratiquent, selon le mot de Mme Christiane Taubira, ministre de la justice, garde des Sceaux (17), sont d’ailleurs de loin les plus représentées parmi les personnes mises en cause pour racolage sur le fondement de l’article 225-10-1 du code pénal, la proportion s’élevant, d’après les statistiques de l’OCRTEH pour l’année 2012, à 92 %.

Ces chiffres apparaissent d’autant plus élevés lorsqu’ils sont replacés dans une perspective historique. Ainsi, de 1990 à 1995, la prostitution étrangère ne représentait qu’une faible part de la prostitution de rue dans son ensemble : d’après les auteurs du rapport d’information sur la prostitution en France d’avril 2011, environ 30 % du total des personnes prostituées à Paris n’étaient pas françaises tandis qu’en province, ce chiffre atteignait peu ou prou 15 %.

Les personnes prostituées étrangères sont, en grande majorité, soumises à des réseaux de prostitution, se distinguant du simple proxénétisme par leur structure organisée et le nombre de leurs membres, qui gèrent toute la filière prostitutionnelle, du recrutement des personnes au rapatriement des produits de la prostitution. De manière significative, il apparaît que les personnes exploitées appartiennent toujours aux groupes ethniques ou sociaux les plus précaires et les plus vulnérables. On observe ainsi par exemple que les minorités rom et turcophone sont surreprésentées parmi les personnes prostituées de nationalité bulgare, nombreuses dans les pays d’Europe de l’Ouest (18).

Les chiffres de la direction centrale de la police judiciaire indiquent que 82 % des victimes de la traite et du proxénétisme – qui sont des femmes dans 90 % des cas – sont étrangères tandis que 80 % des victimes de la traite telle que définie au premier alinéa de l’article 225-4-1 du code pénal sont, en France, utilisées à des fins d’exploitation sexuelle. Au total, depuis le début des années 2000, les femmes victimes de proxénétisme sont à plus de 70 % de nationalité étrangère. Cette proportion augmente d’ailleurs régulièrement : en 2012, les personnes originaires d’un pays ne faisant pas partie de l’Europe de l’Ouest représentent 81 % des victimes de proxénétisme alors que cette proportion s’élevait à 74 % en 2010.

À l’échelle de l’Union européenne, le nombre total de travailleurs forcés dans les États membres s’élèverait à 880 000, parmi lesquels 270 000 seraient des victimes de l’exploitation sexuelle, les femmes représentant la majorité de ces personnes, d’après le rapport du Parlement européen sur la criminalité organisée, la corruption et le blanchiment de capitaux (CRIM) du 26 septembre 2013 (19).

2. … procède amplement du développement de réseaux internationaux

a. Une activité lucrative entre les mains de réseaux structurés

Une organisation interne bien définie

Les auditions menées par la commission spéciale ont montré que le fonctionnement des réseaux, qui obéissent à une stricte hiérarchie interne à laquelle appartiennent parfois des personnes elles-mêmes prostituées, est bien rôdé. Les réseaux d’exploitation sexuelle – qui sont aussi bien souvent des réseaux d’immigration clandestine – sont d’ailleurs le plus fréquemment communautaires, les victimes et les proxénètes étant originaires de la même région, du même pays ou appartenant à la même ethnie.

La contraction d’une dette de passage pour l’arrivée en France, dont le montant atteint parfois jusqu’à plusieurs dizaines de milliers d’euros – notamment pour les personnes en provenance d’Afrique subsaharienne –, constitue généralement la première étape du processus.

Pour rembourser leur dette, les victimes de la traite – habituellement en situation irrégulière sur le territoire – sont presque toujours contraintes de se prostituer. Elles peuvent y être obligées de plusieurs façons : ainsi de l’envoûtement, de la soumission filiale, des violences physiques et psychologiques – abondamment utilisées par les réseaux d’Europe de l’Est qui ont mis au point des « parcours de dressage » (enfermement, viols collectifs, privation de nourriture, etc.) – ou encore du chantage opéré sur les familles.

Les réseaux rançonnent par la suite les personnes prostituées en récupérant l’essentiel de leurs gains, ce qui les empêche par construction de rembourser leur dette et les rend durablement captives du système.

Aussi la réalité de l’activité prostitutionnelle est-elle le plus souvent faite de contrainte et de violence, parfois extrême, d’exploitation sexuelle et de confiscation des gains, autant d’éléments qui appellent une action déterminée contre ces réseaux.

Une activité facilitée par le développement d’Internet

Les auditions menées par la commission spéciale ont montré qu’Internet est devenu l’outil le plus utilisé pour la mise en relation des personnes prostituées avec les clients.

Votre rapporteure ne peut que déplorer l’aide qu’Internet – outil caractérisé par sa discrétion et son faible coût d’utilisation – fournit plus ou moins directement aux réseaux d’exploitation sexuelle. Internet facilite en effet la prise de contact avec le client et permet aux réseaux d’exploiter de façon relativement peu visible leurs victimes par l’intermédiaire de prétendues agences d’escortes. Le développement de la monnaie électronique (comme les cartes prépayées), qu’il n’est pas question de dénoncer ici, facilite également certaines transactions que les services de lutte contre la fraude et le blanchiment d’argent peinent à combattre efficacement (20).

Internet offre également aux réseaux la possibilité d’organiser facilement ce qu’il est d’usage d’appeler des sex tours, phénomène qui tend à se développer et qui consiste à programmer le séjour de personnes prostituées étrangères dans différentes villes européennes pour plusieurs jours. Ces tournées assurent la mobilité et donc l’invulnérabilité des réseaux organisateurs qui font peser sur les personnes prostituées, souvent recrutées par des annonces trompeuses, un contrôle étroit et constant. Cette organisation, qui déjoue la surveillance des forces de sécurité, rend extrêmement difficile la prise de contact des associations avec les personnes prostituées et quasi-impossible toute sortie de la prostitution.

Lorsqu’il s’agit de réseaux de traite et de proxénétisme, les sites Internet qui permettent l’annonce de prestations sexuelles et l’organisation des rencontres avec le client sont pour la plupart basés dans des pays de l’Union européenne où la définition du proxénétisme est différente de celle qui prévaut en France. Les proxénètes utilisant Internet ne courent donc pas le risque de poursuites ou d’interpellation, pas plus que les gestionnaires de sites web. C’est pour remédier à cette limite que la présente proposition de loi prévoit l’introduction d’un dispositif destiné à bloquer l’accès du public aux sites en question.

Une activité lucrative

Plusieurs études mettent en lumière le caractère très lucratif de l’exploitation sexuelle et, plus généralement, de la traite des êtres humains. Un rapport de 2008 de l’Organisation internationale du travail (OIT) montrait par exemple que le profit annuel généré par le trafic des êtres humains s’élevait, à l’échelle planétaire, à 32 milliards d’euros. Plus récemment, une étude de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) évaluait à 3 milliards de dollars le marché potentiel de l’exploitation sexuelle en Europe (21).

En outre, d’après une étude de 2001 réalisée par l’agence Interpol, le revenu moyen d’un proxénète provenant d’une seule personne prostituée s’élèverait à environ 110 000 euros par an. Ce chiffre correspond à ceux qu’avait avancés M. Yves Charpenel, président de la fondation Scelles et avocat général à la Cour de cassation, lors de son audition devant la Délégation au droit des femmes, qui estimait qu’une personne prostituée rapporterait entre 100 000 et 150 000 euros nets d’impôts par an tandis que la prostitution en général représenterait, en France, un chiffre d’affaires annuel d’environ 3 milliards d’euros (22).

Au total, la traite des êtres humains aux fins d’exploitation sexuelle serait, d’après l’Organisation des Nations unies, le deuxième trafic le plus rentable en matière de crime organisé (23). Les profits réalisés par les réseaux de traite et de proxénétisme sont d’ailleurs en hausse en raison, notamment, de la quantité et du renouvellement de l’offre de services sexuels tarifés et de la libre circulation des personnes sur le territoire de l’Union européenne.

b. Des réseaux coupables de traite des êtres humains et de proxénétisme

La traite des êtres humains fait aujourd’hui l’objet d’une répression sévère promue par le droit international et mise en œuvre par le droit national.

Outre la Convention des Nations unies pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui du 2 décembre 1949, la France a ratifié, en mars 1984, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes adoptée le 18 décembre 1979 par l’Assemblée générale des Nations unies, dont l’article 6 invite les États parties à prendre « toutes les mesures appropriées, y compris des dispositions législatives, pour réprimer, sous toutes leurs formes, le trafic des femmes et l’exploitation de la prostitution des femmes ».

Notre pays a par la suite ratifié, en octobre 2002, le Protocole de Palerme dont le a) de l’article 3 définit la traite comme « le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes, par la menace de recours ou le recours à la force ou à d’autres formes de contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité, ou par l’offre ou l’acceptation de paiements ou d’avantages pour obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur une autre aux fins d’exploitation » avant d’ajouter que « l’exploitation comprend, au minimum, l’exploitation de la prostitution d’autrui ou d’autres formes d’exploitation sexuelle, le travail ou les services forcés, l’esclavage ou les pratiques analogues à l’esclavage, la servitude ou le prélèvement d’organes » (24).

Le Protocole de Palerme, texte de référence au plan international, prévoit :

––  des mesures de protection des victimes visant par exemple à assurer leur « rétablissement physique, psychologique et social » et à leur fournir, notamment, un logement convenable, une assistance médicale et matérielle ou encore des possibilités d’emploi, d’éducation et de formation (3 de l’article 6 du chapitre II) ;

––  des mesures de prévention et de coopération destinées, entre autres, à renforcer, sans préjudice des engagements internationaux relatifs à la libre circulation des personnes, les contrôles aux frontières nécessaires pour prévenir et détecter la traite des êtres humains (1 de l’article 11 du chapitre III).

À l’échelle européenne, la Convention de Varsovie, élaborée dans le cadre du Conseil de l’Europe, signée en mai 2005 et entrée en vigueur en France le 1er mai 2008, renforce les obligations des États parties, notamment en matière de prévention et de garantie des droits des victimes de la traite.

Son article 6 stipule ainsi qu’« afin de décourager la demande qui favorise toutes les formes d’exploitation des personnes, en particulier des femmes et des enfants, aboutissant à la traite, chaque Partie adopte ou renforce des mesures législatives, administratives, éducatives, sociales, culturelles ou autres, y compris :

« a.  des recherches sur les meilleures pratiques, méthodes et stratégies ;

« b.  des mesures visant à faire prendre conscience de la responsabilité et du rôle important des médias et de la société civile pour identifier la demande comme une des causes profondes de la traite des êtres humains ;

« c.  des campagnes d’information ciblées, impliquant, lorsque cela est approprié, entre autres, les autorités publiques et les décideurs politiques ;

« d.  des mesures préventives comprenant des programmes éducatifs à destination des filles et des garçons au cours de leur scolarité, qui soulignent le caractère inacceptable de la discrimination fondée sur le sexe, et ses conséquences néfastes, l’importance de l’égalité entre les femmes et les hommes, ainsi que la dignité et l’intégrité de chaque être humain ».

Le Conseil de l’Europe s’est doté d’un organe conventionnel, le Groupe d’experts sur la lutte contre la traite des êtres humains (GRETA), chargé de veiller à la bonne application de la Convention de Varsovie. Votre rapporteure se félicite que la France coopère activement avec celui-ci et qu’un plan national d’action de lutte contre la traite soit en cours de préparation, comme l’a évoqué Mme Najat Vallaud-Belkacem devant les membres de la commission spéciale.

De son côté, l’Union européenne a également mis en place des instruments de lutte contre la traite des êtres humains, au premier rang desquels :

––  la décision-cadre 2002/629/JAI du Conseil du 19 juillet 2002 relative à la lutte contre la traite des êtres humains ;

––  la directive 2004/81/CE du Conseil du 29 avril 2004 relative au titre de séjour délivré aux ressortissants de pays tiers qui sont victimes de la traite des êtres humains ou ont fait l’objet d’une aide à l’immigration clandestine et qui coopèrent avec les autorités compétentes ;

––  la directive 2011/36/UE du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes et remplaçant la décision-cadre 2002/629/JAI du Conseil. La portée de la décision-cadre et de la directive susmentionnées ayant été jugée insuffisante, il est apparu nécessaire d’élaborer une nouvelle directive qui définirait une politique globale de prévention, de protection et de répression. Cette directive, partiellement transposée en droit interne par la loi n° 2013-711 du 5 août 2013 portant diverses dispositions d’adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l’Union européenne et des engagements internationaux de la France, constitue à présent le texte de référence, à l’échelle de l’Union européenne, en matière de lutte contre la traite des êtres humains.

En France, l’infraction de traite des êtres humains a été introduite dans le code pénal par l’article 32 de la loi du 18 mars 2003 modifié par l’article 22 de la loi n° 2007-1631 du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile. Elle est constituée, en application du premier alinéa de l’article 225-4-1 de ce code, par le « fait, en échange d’une rémunération ou de tout autre avantage ou d’une promesse de rémunération ou d’avantage, de recruter une personne, de la transporter, de la transférer, de l’héberger ou de l’accueillir, pour la mettre à sa disposition ou à la disposition d’un tiers, même non identifié, afin soit de permettre la commission contre cette personne des infractions de proxénétisme, d’agression ou d’atteintes sexuelles, d’exploitation de la mendicité, de conditions de travail ou d’hébergement contraires à sa dignité, soit de contraindre cette personne à commettre tout crime ou délit ».

Cette infraction est punie de sept ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende mais les peines sont aggravées lorsque la traite concerne plusieurs personnes, des mineurs ou des individus vulnérables (article 225-4-2 du code pénal) ou qu’elle est pratiquée en bande organisée (article 225-4-3 du même code).

Le proxénétisme, considéré comme une dimension de la traite des êtres humains, est, aux termes de l’article 225-5 du code pénal, le fait, par quiconque et de quelque manière que ce soit :

––  d’aider, d’assister ou de protéger la prostitution d’autrui ;

––  de tirer profit de la prostitution d’autrui, d’en partager les produits ou de recevoir des subsides d’une personne se livrant habituellement à la prostitution ;

––  d’embaucher, d’entraîner ou de détourner une personne en vue de la prostitution ou d’exercer sur elle une pression pour qu’elle se prostitue ou continue à le faire.

En application du dernier alinéa de l’article précité, le proxénétisme est puni des mêmes peines que la traite des êtres humains. L’article 225-7 du code pénal prévoit néanmoins que les peines sont portées à dix ans d’emprisonnement et 1 500 000 euros d’amende lorsque l’infraction de proxénétisme est commise à l’égard de plusieurs personnes (3° de l’article 225-7), à l’égard d’une personne qui a été incitée à se livrer à la prostitution à son arrivée sur le territoire de la République (4° de cet article), avec l’emploi de la contrainte, de violences ou de manœuvres dolosives (8° du même article), ou encore grâce à l’utilisation, pour la diffusion de messages à destination d’un public non déterminé, d’un réseau de communication électronique (10° du même article).

Les réseaux d’exploitation sexuelle agissant en France pratiquent cette forme de proxénétisme aggravé lorsque le « chef » est entouré de « lieutenants » qui assurent le fonctionnement de la traite : recrutement ou embrigadement des personnes prostituées, hébergement, transfert vers la France, mise en état de prostitution et ramassage des fonds.

Comme l’a indiqué Mme Najat Vallaud-Belkacem devant la commission spéciale (25), cinquante-et-un réseaux internationaux de prostitution ont été démantelés en 2012, soit 30 % de plus qu’il y a deux ans, et 572 proxénètes ont été arrêtés (26). Les bilans d’activité font d’ailleurs état d’une augmentation constante du nombre de réseaux démantelés depuis 2008, ce qui constitue à l’évidence un motif de satisfaction mais ce qui témoigne aussi de la prégnance du phénomène et invite à durcir encore la lutte contre cette forme de criminalité organisée.

Votre rapporteure considère ainsi qu’au regard, d’une part, de l’importance prise par les réseaux de traite des êtres humains et de proxénétisme dans le système prostitutionnel et, d’autre part, des pratiques désormais bien connues de ces réseaux, il revient aux pouvoirs publics de prendre toutes les mesures susceptibles de mettre un terme à cette forme d’exploitation humaine sur notre territoire.

C. DES PERSONNES PROSTITUÉES EN GRANDE DIFFICULTÉ

De nombreuses personnes prostituées se trouvent dans une situation de précarité sociale avérée et éprouvent de réelles difficultés à accéder, entre autre, à une couverture maladie alors même qu’elles pourraient en bénéficier. Cette situation, à laquelle les auteurs de la présente proposition de loi souhaitent apporter une réponse, s’explique par de nombreux facteurs, tels que la barrière de la langue, la complexité des dispositifs administratifs, la grande méconnaissance des droits et du fonctionnement de notre système de soins, et, pour les personnes victimes des réseaux d’exploitation sexuelle, l’impossibilité d’entrer en contact avec une quelconque administration.

Éloignées des dispositifs sociaux de droit commun, les personnes prostituées apparaissent particulièrement exposées aux risques sanitaires (1), aux troubles physiques et psychologiques (2) ainsi qu’à la violence d’un système au sein duquel elles survivent plus qu’elles ne vivent (3).

1. D’incontestables risques sanitaires

Le rapport déjà cité de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur les enjeux sanitaires de la prostitution fournit une analyse approfondie sur les risques sanitaires pesant sur les personnes prostituées, tout comme le rapport des sénateurs Jean-Pierre Godefroy et Chantal Jouanno, qui rappellent à juste titre que « malgré la diversité des situations, la prostitution comporte des risques sanitaires communs à toutes les formes d’exercice ».

L’un des risques lié à l’activité prostitutionnelle a trait à ce qu’il convient d’appeler la « santé sexuelle ». Les personnes prostituées sont ainsi frappées, au premier chef, par le virus du sida et les autres infections sexuellement transmissibles (IST) ainsi que par les grossesses non désirées. Les facteurs de risque d’infection par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) identifiés dans l’étude d’avril 2013 du British Medical Journal sont l’injection de drogue par voie veineuse, les rapports sexuels non protégés, la multiplicité des clients, et la pratique de la prostitution de rue. Néanmoins, comme le montrent les dernières études internationales, la prévalence du VIH est très variable et n’augmente de manière significative que pour certaines catégories de personnes prostituées : femmes originaires d’Afrique subsaharienne, femmes consommant des drogues injectables, hommes et personnes transgenres.

La prévalence des IST n’en reste pas moins supérieure chez les personnes prostituées que dans la population générale. Ainsi, d’après une enquête de Médecins du monde, plus d’un tiers des femmes rencontrées à Paris qui se prostituent auraient dit avoir déjà été atteintes d’IST. Les chiffres de l’étude ProSanté 2010-2011 (27) font état d’une prévalence des IST légèrement inférieure puisque le quart des personnes prostituées venues en consultation médicale dans le cadre de cette enquête en auraient déjà développé une. Ces infections, qui résultent de pratiques sexuelles à risque fort souvent subies, facilitent la transmission du VIH et peuvent également entraîner stérilité, douleurs pelviennes chroniques ou grossesses extra-utérines.

L’enquête montre par exemple que 44 % des personnes transgenres, 13 % des hommes et 1,2 % des femmes interrogés déclarent être séropositifs, ces taux étant très supérieurs à ce que l’on observe dans la population générale, où le taux de prévalence du VIH est proche de 0,35 %. Il est intéressant de noter à cet égard que, comme le montre une étude du British Medical Journal, le risque de transmission du VIH est plus élevé dans les pays où les personnes prostituées sont passibles de poursuites pénales. Il n’est en tout cas pas démontré, à l’inverse de ce qu’avancent certaines associations, que les risques sanitaires augmentent lorsque l’achat de services sexuels est pénalisé.

Plusieurs études conduites auprès de femmes prostituées en Europe occidentale font par ailleurs apparaître une prévalence de papillomavirus à haut risque associée à un risque accru de lésions précancéreuses très supérieure à celle que l’on trouve dans la population générale de même âge.

2. De très lourdes conséquences physiologiques et psychologiques

La prostitution – essentiellement la prostitution de rue – favorise l’apparition de nombreuses pathologies telles que la tuberculose, les dermatoses, les pathologies hépatiques, les troubles digestifs liés au stress, les troubles musculo-squelettiques, ou encore les déséquilibres alimentaires et problèmes dentaires.

Certains troubles psychiques et problèmes de santé mentale (des troubles de somatisation aux problèmes psychiatriques) peuvent également résulter de l’activité prostitutionnelle. Les auteurs du rapport de l’IGAS constatent toutefois que le niveau de prévalence de ces troubles et la question de leur imputabilité plus ou moins directe à l’exercice de la prostitution ne font pas consensus.

Les personnes prostituées exploitées par des réseaux, principalement d’origine étrangère, connaissent une situation sanitaire particulièrement dégradée. Ces personnes ont en effet souvent déjà subi des violences physiques, parfois sexuelles, dans leur pays d’origine, notamment au cours de « parcours de dressage » organisés par certains réseaux d’Europe de l’Est et d’Afrique subsaharienne.

Cette pratique sauvage est à l’origine de séquelles physiologiques et de troubles psychiques (anxiété, prostration sociale, troubles alimentaires et du sommeil…). En outre, la grande vulnérabilité de ces personnes face à leur environnement (absence de maîtrise de la langue française, contraintes physiques et morales exercées par les membres du réseau…) influent aussi sur leur état de santé. L’obligation de rapporter quotidiennement une somme d’argent aux proxénètes diminue par exemple leur pouvoir de négociation face aux clients et les conduit à accepter toutes sortes de pratiques sexuelles à risque.

Par ailleurs, une étude de 2004 de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) sur la consommation de drogues dans les milieux de la prostitution révèle que l’usage de l’alcool et de produits stupéfiants y est fréquent : 42 % des femmes et 79 % des hommes en consommaient régulièrement à cette date. Les personnes sorties de la prostitution venues témoigner devant la commission spéciale ont confirmé que la consommation d’alcool, de drogues et de médicaments en tous genres, qui apparaissent bien souvent comme l’unique moyen de « tenir » dans un univers anxiogène et violent, est largement répandue parmi les personnes prostituées (28).

La question de savoir si cette consommation de drogues est directement liée à l’activité prostitutionnelle ou aux conditions de vie et à la précarité fait débat. Les auteurs du rapport de l’IGAS font observer qu’une part significative de personnes en situation de précarité souffrent, indépendamment de leur situation au regard de la prostitution, des pathologies mentionnées plus haut. Votre rapporteure ne conteste pas ce dernier point mais estime néanmoins que la sortie du système prostitutionnel constituerait sans doute, pour une part non négligeable des personnes prostituées, un pas décisif dans le processus de sevrage.

3. Un univers marqué par la violence

À la lumière de tous les témoignages recueillis par la commission spéciale, il ne fait aucun doute que la violence est indissociable de l’univers prostitutionnel. Pour certaines personnes entendues, comme les représentantes du Centre national d’information des droits des femmes et de la famille (CNIDFF) (29), la prostitution prend toutes les formes de violences faites aux femmes.

S’il s’agit souvent de la violence exercée par les clients eux-mêmes face à laquelle les victimes, qui ne portent pas plainte, ne peuvent pas grand-chose, la violence peut aussi être le fait des proxénètes et des réseaux, parfois des personnes prostituées entre elles pour des raisons de concurrence et de conflits de territoires, voire de voleurs ou encore de passants et de riverains. Les personnes prostituées font aussi quelquefois l’objet d’un traitement humiliant de la part des forces de l’ordre.

Les violences subies par les personnes victimes de la prostitution sont tant physiques (coups, blessures, violences sexuelles) que verbales et psychologiques (insultes, humiliations, stigmatisation). Une étude américaine citée par les auteurs du rapport de l’IGAS sur les enjeux sanitaires de la prostitution souligne que le taux de mortalité deux fois plus important que l’on observe chez les femmes prostituées exerçant dans la rue par rapport à une population d’âge, de sexe et d’origine ethnique comparable procède essentiellement, à côté de l’usage de drogues, des violences subies. Cet exemple, même s’il ne concerne pas directement notre pays, n’en reste pas moins révélateur de la prégnance de la violence au sein de l’univers prostitutionnel.

Devant la commission spéciale, la docteure Judith Trinquart, médecin légiste et secrétaire générale de l’Association mémoire traumatique et victimologie, a fait état de plusieurs études, essentiellement anglo-saxonnes, qui montrent que 60 % à 65 % des personnes prostituées subissent des viols à l’occasion de leur activité. On notera que ces mêmes études révèlent que 80 % à 95 % de ces personnes auraient déjà subi, dans leur enfance ou leur adolescence, des violences sexuelles graves (viol, inceste…) (30).

Les personnes prostituées tendent également à s’isoler de leur entourage, tant la stigmatisation sociale liée à cette activité est forte. Comme le rappellent fort justement nos collègues sénateurs Jean-Pierre Godefroy et Chantal Jouanno dans le rapport d’information déjà cité, il ne fait pas de doute que l’incrimination du délit de racolage « passif » a renforcé la stigmatisation dont les personnes prostituées sont victimes – sentiment d’être des délinquantes, augmentation des agressions, détérioration des relations avec les forces de l’ordre… – ainsi que l’isolement dont elles souffrent – sentiment de solitude, déplacement des zones de prostitution des centres urbains vers la périphérie, moindre accessibilité aux structures associatives…

Au total, il ressort des témoignages recueillis par votre rapporteure dans le cadre des différents travaux qu’elle a conduits sur ce sujet que la violence est bel et bien consubstantielle à l’univers prostitutionnel et que la prostitution, faite de rapports de domination, est une violence en elle-même, ainsi que l’ont rappelé avec force devant les membres de la commission spéciale les personnes sorties de la prostitution.

Votre rapporteure regrette que cette violence omniprésente et parfois extrême soit si peu reconnue par notre société alors même que d’autres formes de violences envers les femmes sont, elles, punies par la loi. À cet égard, il importe de rappeler ici que les pays dans lesquels l’égalité entre les hommes et les femmes est la plus avancée sont ceux qui comptent les taux les plus faibles de violences faites aux femmes (31). Face à ce constat, il apparaît impératif de faire disparaître tous les obstacles à une parfaite égalité entre les hommes et les femmes et, partant, de lutter plus efficacement contre cette forme d’inégalité qu’est la prostitution.

II. LA PROPOSITION DE LOI : UN DISPOSITIF INTÉGRÉ, PLURI-DIRECTIONNEL, DE LUTTE CONTRE LE SYSTÈME PROSTITUTIONNEL

Pour votre rapporteure, l’efficacité de tout dispositif visant à lutter contre le système prostitutionnel en France passe par la mise en œuvre d’un ensemble intégré de mesures qui s’attacheront à traiter le problème dans toutes ses dimensions. Contrairement, en effet, aux affirmations de certains, il ne suffit pas de s’attaquer, par exemple, aux seuls proxénètes pour mettre fin à la prostitution, si, dans le même temps, on ne rend pas notre territoire inhospitalier en décourageant la demande et, partant, en responsabilisant les clients ; de même, il ne suffit pas de chercher à combattre ces réseaux si on n’offre pas aux personnes victimes de ces réseaux les moyens de se sortir de la prostitution, qu’ils soient financiers, sociaux ou juridiques.

C’est donc des actions à la fois pluri-directionnelles et concomitantes que les pouvoirs publics doivent initier, dans le cadre d’un dispositif juridique intégré, sous-tendu par l’ambition abolitionniste que la France affiche depuis longtemps.

Tel est l’objet de la proposition de loi soumise à notre examen, qui s’inscrit donc dans un contexte national, mais aussi international, abolitionniste (A) et qui met en place un dispositif intégré de mesures répondant à quatre objectifs : renforcer la lutte contre les réseaux d’exploitation sexuelle ; mieux accompagner les personnes prostituées souhaitant sortir de la prostitution ; développer la prévention des pratiques prostitutionnelles comme du recours à l’achat d’actes sexuels ; responsabiliser les clients de la prostitution (B).

A. UN CONTEXTE NATIONAL, MAIS AUSSI INTERNATIONAL, ABOLITIONNISTE

L’abolitionnisme, qui vise à mettre un terme à toute forme de réglementation de la prostitution afin de ne pas l’encourager par une quelconque reconnaissance juridique, poursuit un objectif de protection des personnes prostituées, considérées comme des victimes, et un objectif de répression de l’exploitation sexuelle d’autrui. Il entend prévenir l’entrée dans la prostitution et favoriser la réinsertion des personnes qui souhaitent rompre avec cette pratique. La France s’est engagée depuis longtemps sur la voie de l’abolitionnisme (1), engagement que plusieurs pays ont également pris tandis que d’autres optaient pour le réglementarisme (2).

1. La marche progressive de la France vers l’abolitionnisme

La France a adopté une position abolitionniste au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, engagement qui s’est traduit par le vote de la loi n° 46-685 du 13 avril 1946 tendant à la fermeture des maisons de tolérance et au renforcement de la lutte contre le proxénétisme, dite loi « Marthe Richard » (32).

Malgré le vote de cette loi, la France est en partie demeurée un pays réglementarisme : en témoignent, d’une part, l’instauration par la loi du 24 avril 1946 sur la prophylaxie des maladies vénériennes d’un fichier sanitaire et social des personnes prostituées et, d’autre part, la prorogation de l’application du régime antérieur à la loi « Marthe Richard » dans les anciens territoires coloniaux.

La position abolitionniste de la France fut par la suite confirmée par la ratification, le 19 novembre 1960, de la Convention internationale des Nations unies pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui du 2 décembre 1949 dont l’article 6 stipule que « chacune des Parties à la présente Convention convient de prendre toutes les mesures nécessaires pour abroger ou abolir toute loi, tout règlement et toute pratique administrative selon lesquels les personnes qui se livrent ou sont soupçonnées de se livrer à la prostitution doivent se faire inscrire sur des registres spéciaux, posséder des papiers spéciaux, ou se conformer à des conditions exceptionnelles de surveillance ou de déclaration ».

Tirant les conséquences de cette ratification, les ordonnances n° 60-1245 et n° 60-1246 du 25 novembre 1960 durcirent la lutte contre le proxénétisme et mirent fin aux obligations de contrôle imposées aux personnes prostituées. Le fichier sanitaire et social des personnes prostituées – qui recensait alors quelque 30 000 personnes – fut par exemple supprimé. En dépit de ces avancées, la prostitution a toutefois conservé un caractère licite et est restée tolérée par l’État sous réserve de ne pas être exercée sur la voie publique.

À présent, il apparaît à votre rapporteure que la marche vers l’abolitionnisme doit prendre la forme d’une politique visant à faire disparaître non pas toute forme de réglementarisme mais bien la prostitution elle-même. Dans cette perspective, la proposition de loi prévoit, outre un volet pénal visant à lutter contre l’exploitation sexuelle sous toutes ses formes, plusieurs dispositions à caractère social destinées à aider les personnes prostituées à sortir de la prostitution. Trop longtemps, ce pan de l’action publique en faveur des personnes prostituées, pourtant essentiel dans un pays abolitionniste, a été insuffisamment exploré, ainsi que le rappelaient à juste titre nos collègues Danielle Bousquet et Guy Geoffroy dans le rapport d’information sur la prostitution en France d’avril 2011. Aussi apparaît-il aujourd’hui indispensable de poursuivre la lutte contre le système prostitutionnel en faisant toute sa place à l’accompagnement social dont les personnes prostituées, victimes à protéger et non pas coupables à poursuivre pénalement, ont cruellement besoin.

Seule une action résolue ayant pour but de décourager le recours à la prostitution et, in fine, de la voir entièrement disparaître, semble être de nature à garantir la mise en conformité de notre politique en la matière avec la Convention des Nations unies pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui de 1949, dont le préambule rappelle que « la prostitution et le mal qui l’accompagne, à savoir la traite des êtres humains en vue de la prostitution, sont incompatibles avec la dignité et la valeur de la personne humaine et mettent en danger le bien-être de l’individu, de la famille et de la communauté ».

Votre rapporteure voit dans l’abolition de la prostitution une obligation pour toute société humaniste, ainsi que le préalable indispensable à l’avènement d’une réelle égalité entre les hommes et les femmes.

2. Des expériences étrangères éclairantes

Il a paru utile à la commission spéciale de faire le point sur les expériences d’autres pays en matière de lutte contre la prostitution. L’encadrement juridique de la prostitution diffère, en effet, considérablement au sein des États membres de l’Union européenne, comme le montre l’étude de législation comparée (n° 233) sur la pénalisation de la prostitution et du racolage dans huit pays européens réalisée en mars 2013 par le Sénat (33). Ainsi, un certain nombre d’États ont mis en œuvre une politique abolitionniste, d’autres une législation réglementariste.

Les pays abolitionnistes

La Suède a adopté, le 4 juin 1998, une loi prévoyant une amende et une peine d’emprisonnement de six mois au plus à l’encontre de quiconque tenterait d’obtenir des rapports sexuels occasionnels en échange d’un paiement. Cette loi, entrée en vigueur le 1er janvier 1999, est intervenue dans le cadre d’un vaste programme de réformes visant à lutter contre les violences faites aux femmes et à instaurer une réelle égalité entre les hommes et les femmes. La peine de prison a été portée à un an par une loi adoptée le 12 mai 2011 et entrée en vigueur le 1er juillet de la même année.

Dans le modèle suédois, la prostitution est considérée comme une violence infligée aux femmes et seule sa disparition est de nature à garantir l’égalité entre les sexes. Si le proxénétisme, quelle qu’en soit la forme, est bien évidemment interdit, la vente et la proposition de services sexuels ne sont pas illégales, les personnes prostituées étant considérées comme des personnes à protéger et non pas comme des auteures d’infractions.

D’après les conclusions de l’étude du Sénat, précitée, « quelles que soient les difficultés rencontrées pour réunir des éléments sur le sujet et les précautions nécessaires dans l’interprétation des résultats, l’interdiction de l’achat de services sexuels a entraîné une diminution de moitié de la prostitution sur la voie publique en Suède alors même que cette activité a crû dans les autres pays nordiques ». Selon les estimations du ministère de la justice suédois, le nombre de personnes prostituées serait passé de 2 500 en 1999 à 1 500 en 2002. La prostitution de rue aurait même été divisée par deux en dix ans et, aujourd’hui, seules quelques centaines de personnes prostituées exerceraient encore dans les rues du pays tandis que la prostitution dans les hôtels et les restaurants aurait disparu. Ces éléments ont été confirmés devant la commission spéciale par Mme Lise Tamm, cheffe du parquet international de Stockholm. C’est ce même constat que Mme Anna Skarhed, Chancelière de justice en Suède, a dressé lors du colloque, organisé par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes le 5 novembre dernier, lorsqu’elle a présenté l’évaluation de la réforme suédoise remise au Gouvernement en 2010.

Rien n’indique par ailleurs que « la prostitution dans des lieux fermés (clubs de rencontres, hôtels...) ait augmenté du fait de l’interdiction, ni que des personnes qui se prostituaient autrefois dans la rue se soient " repliées " dans des lieux fermés pour exercer cette activité » (34). C’est, là encore, ce qu’a souligné Mme Lise Tamm à l’occasion de son audition par les membres de la commission spéciale. Il n’existe pas non plus de preuve démontrant l’existence d’un lien entre la pénalisation de l’achat d’actes sexuels et la hausse des violences subies par les personnes prostituées, contrairement à ce qu’avancent certains opposants à la présente réforme. Plus généralement, il ressort de l’évaluation de la réforme suédoise que le vote de la loi de 1998 ne s’est pas traduit par une précarisation de la situation des personnes prostituées. À l’inverse, il semble qu’il leur soit désormais plus facile d’entrer en contact avec les acteurs associatifs, ce qui est l’un des objectifs de la proposition de loi.

De manière tout à fait logique, la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle connaît en Suède un développement considérablement moindre que dans d’autres pays comparables. Face à la pénalisation de l’achat de services sexuels, mesure fortement dissuasive, les réseaux de prostitution évitent en effet d’y organiser leur activité. Devant la commission spéciale, Mme Lise Tamm a souligné que les écoutes téléphoniques mettent en évidence l’intention des chefs de réseaux de quitter le territoire suédois, jugé désormais « inhospitalier ».

Outre une diminution significative du nombre de personnes prostituées, la réforme suédoise a permis de modifier la perception du phénomène prostitutionnel par la population. Alors qu’en 1996, 67 % de la population était défavorable à la pénalisation de l’achat d’actes sexuels, 71 % y étaient favorables en 2008 (35).

D’autres pays ont par la suite adopté une législation réprimant l’achat d’actes sexuels. Au Royaume-Uni, la personne reconnue coupable de l’achat d’un tel acte auprès d’une personne prostituée soumise à la contrainte encourt une amende dont le montant maximal équivaut à 1 160 euros. Le juge fait application de cette peine de manière automatique et n’a pas l’obligation de vérifier l’état de connaissance du client quant à l’exploitation de la personne prostituée par un tiers.

La Finlande, l’Islande et la Norvège ont adopté des lois pénalisant, selon les cas, les clients de manière générale ou les clients de personnes prostituées victimes de la traite. En Norvège, en application de la loi du 12 décembre 2008, entrée en vigueur le 1er janvier 2009, l’achat d’actes sexuels est passible d’une peine d’amende et/ou d’une peine d’emprisonnement de six mois au plus (article 202 a du code pénal) (36). Plusieurs campagnes d’information, lancées aussi bien sur Internet que dans les aéroports et les taxis, ont accompagné cette réforme. Si les effets de la pénalisation de l’achat d’actes sexuels sont difficiles à mesurer à ce jour, il n’en reste pas moins que le nombre de clients identifiés par la police d’Oslo a considérablement diminué entre 2009 et 2010, passant de 128 à 67 (37).

Les pays réglementaristes

Certains États, comme l’Espagne et les Pays-Bas, ont à l’inverse choisi le réglementarisme et autorisent en conséquence le libre fonctionnement des établissements de prostitution. De manière significative, on observe que les personnes qui exercent au sein de ces établissements spécialisés sont très souvent de la même nationalité que celles qui sont, en France, victimes de la traite des êtres humains (38). En Espagne, plus de 90 % des quelque 300 000 personnes qui se prostituent sont étrangères et 90 % des personnes prostituées sont victimes de la traite des êtres humains (39). Votre rapporteure ne peut que déplorer l’absence de prise de conscience, dans ce pays, des méfaits de la prostitution et, notamment, de ses liens étroits avec la traite des êtres humains. Elle regrette également que nombre de jeunes français se rendent dans les établissements de La Jonquera (40) afin d’y « consommer des filles » selon les termes qu’ils emploient, ainsi que l’ont rapporté deux sociologues entendues par les membres de la commission spéciale (41).

L’Allemagne – qui compte aujourd’hui près de 400 000 personnes prostituées – constitue un cas particulier puisque depuis la légalisation de la prostitution par la loi du 21 décembre 2001, les exploitants de maisons closes n’encourent pas de sanctions dès lors que les personnes prostituées n’y sont pas maintenues dans un « état de dépendance personnelle ou économique ».

Cette loi, qui visait notamment à améliorer la situation sociale des personnes prostituées en les autorisant à cotiser aux régimes d’assurance santé, chômage et retraite, est aujourd’hui fortement controversée. Dès 2006, l’évaluation de l’impact de ce texte, réalisée par le ministère des familles, a montré que les objectifs sanitaires et sociaux poursuivis par la réforme n’avaient pas été atteints. Des associations de citoyens se sont rapidement constituées au plan local pour lutter contre l’ouverture d’établissements et les médias dénoncent régulièrement la forte hausse de la demande et du nombre de maisons closes ainsi que la dégradation de la situation des personnes prostituées sous l’effet conjugué de leur nombre croissant et de la concurrence entre les établissements, à l’origine d’une diminution progressive des prix favorable aux seuls clients.

D’après le ministère des familles, la loi n’a, cinq ans après son entrée en vigueur, « apporté aucune amélioration réelle mesurable de la sécurité sociale des prostituées » (42), qui n’ont pas connu d’amélioration de leurs conditions de travail. De plus, un certain nombre de communes allemandes sont aujourd’hui confrontées à une hausse très significative des nuisances sur la voie publique.

Au total, la légalisation de la prostitution est aujourd’hui mise en cause en Allemagne. Plusieurs responsables politiques, parmi lesquels Mmes Annegret Kramp-Karrenbaueur (CDU), ministre-présidente de la Sarre, et Charlotte Britz (SPD), maire de Sarrebruck, sont d’ailleurs signataires d’une pétition demandant l’interdiction « à long terme » de la prostitution (43).

D’une manière générale et d’après les nombreux témoignages recueillis par votre rapporteure, il apparaît clairement que le trafic des êtres humains ne disparaît pas dans les pays réglementaristes. Pire, les réseaux cherchent à y rendre leur activité la plus concurrentielle possible et exploitent à cette fin un nombre croissant de personnes jeunes, voire mineures.

Pour votre rapporteure, ces quelques exemples plaident clairement en faveur de la mise en place d’un système abolitionniste inspiré du modèle suédois. Si l’harmonisation des politiques des États membres de l’Union européenne en la matière n’est pas à l’ordre du jour, on ne peut toutefois que se féliciter de l’adoption par le Parlement européen, le 6 février 2013, d’une résolution incluant la prostitution dans la liste des violences et violations des droits humains devant être combattues. Cet objectif est en effet largement à l’origine de la présente proposition de loi.

B. UN DISPOSITIF INTÉGRÉ D’ACTIONS PLURI-DIRECTIONNELLES

La proposition de loi repose sur le postulat que toute politique cohérente de lutte contre le système prostitutionnel appelle des mesures spécifiques en direction des différents acteurs de ce système. Mais elles doivent s’accompagner d’une action de prévention en direction des jeunes, afin qu’ils prennent conscience, le plus tôt possible, que la prostitution est une atteinte à la liberté des femmes, à l’égalité entre les hommes et les femmes et, partant, aux droits de la personne humaine.

C’est pourquoi la proposition de loi ordonne ses dispositions autour de quatre axes, qui sont autant de directions données aux actions à mener.

1. En direction des réseaux : la lutte contre ceux qui agissent sur Internet

La protection des personnes prostituées ne peut aller sans une lutte résolue contre les réseaux coupables de traite des êtres humains et de proxénétisme qui profitent d’Internet pour organiser leur activité en France. L’exploitation sexuelle, sur le territoire français, des personnes victimes des réseaux de traite s’exerce d’ailleurs de plus en plus à la faveur d’Internet, qui permet aux proxénètes de proposer toutes sortes de services sexuels sur des sites dédiés.

L’action des services de police et de gendarmerie contre le proxénétisme peut se prolonger sur Internet mais elle se heurte à d’importants obstacles lorsque les sites sont hébergés à l’étranger, dans des pays où le proxénétisme n’obéit pas au même régime juridique qu’en France.

Votre rapporteure considère qu’il n’est pas acceptable que des sites Internet dont le contenu heurte si profondément nos principes et notre droit continuent d’être librement consultés et servent de la sorte les intérêts des proxénètes, au détriment des personnes prostituées victimes de ces réseaux. Ainsi, l’article 1er de la proposition de loi, seul article du chapitre Ier, modifie plusieurs dispositions de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique.

En premier lieu, il place la traite des êtres humains (article 225-4-1 du code pénal), le proxénétisme (article 225-5) et les infractions assimilées (article 225-6) au rang des infractions dont la diffusion doit être combattue par les fournisseurs d’accès Internet (FAI) et les hébergeurs de sites Internet.

Cette obligation existe déjà pour lutter contre la diffusion des infractions visées aux cinquième et huitième alinéas de l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse – apologie de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée – et aux articles 227-23 et 227-24 du code pénal qui répriment notamment la diffusion d’images ou de représentations de mineurs à caractère pornographique.

En second lieu, l’article 1er vise à empêcher l’accès du public aux services proposés par des sites Internet, hébergés à l’étranger, dont le contenu contrevient à la législation française sur la traite des êtres humains, le proxénétisme et les infractions assimilées, en donnant à l’autorité administrative le pouvoir de demander aux FAI de bloquer l’accès à ces sites. Cette disposition met en œuvre la recommandation n° 2 du rapport d’information sur le renforcement de la lutte contre le système prostitutionnel présenté, au nom de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, par votre rapporteure.

Cette modification s’inspire du dispositif de lutte contre les infractions de diffusion d’images ou de représentations de mineurs à caractère pornographique, réprimées par l’article 227-23 du code pénal créé par l’article 4 de la loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (44).

2. En direction des personnes prostituées : un accompagnement global

Le chapitre II de la proposition de loi vise à améliorer la protection et l’accompagnement des personnes victimes de la prostitution désirant rompre avec leur activité.

a. La création d’un parcours de sortie de la prostitution

L’article 3 met en place un parcours de sortie destiné à offrir aux personnes désireuses de sortir de la prostitution les moyens de se libérer de l’emprise de leur proxénète et d’envisager un autre avenir. C’est aux associations constituées pour l’aide et l’accompagnement des victimes du système prostitutionnel et qui auront été agréées par l’État qu’elles pourront s’adresser pour bénéficier d’un parcours de sortie.

Dans le rapport d’information qu’elle avait présenté à la Délégation aux droits des femmes, votre rapporteure avait esquissé les contours de ce parcours, qui impliquerait la conclusion d’un contrat tripartite entre la personne prostituée, l’autorité administrative et une association agréée.

En cas de conclusion d’un tel contrat, la personne prostituée se verrait reconnaître le bénéfice d’un certain nombre de droits. Pour les personnes de nationalité étrangère, la proposition de loi prévoit en outre des dispositions spécifiques. D’une manière générale, votre rapporteure voit dans la création du parcours de sortie de la prostitution un des piliers du dispositif de la présente proposition de loi et le moyen de mettre en pratique certaines dispositions de la directive du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 (45), laquelle, au 5 de son article 11, fait obligation aux États membres de prévoir des mesures d’assistance et d’aide aux victimes de la traite des êtres humains qui « leur assurent au moins un niveau de vie leur permettant de subvenir à leurs besoins en leur fournissant notamment un hébergement adapté et sûr, une assistance matérielle, les soins médicaux nécessaires, y compris une assistance psychologique, des conseils et des informations, ainsi que des services de traduction et d’interprétation, le cas échéant ».

Les droits ouverts par l’engagement dans un parcours de sortie de la prostitution

Plusieurs articles de la proposition de loi posent les règles relatives aux droits ouverts par la conclusion d’un parcours de sortie de la prostitution.

Afin d’éviter que la cessation de l’activité prostitutionnelle entraîne une perte de revenus significative et que la perspective du paiement d’impôts constitue un obstacle à la fin de cette activité, l’article 5 ouvre aux personnes prostituées engagées dans un parcours de sortie de la prostitution le bénéfice du 1° de l’article L. 247 du livre des procédures fiscales, qui dispose que l’administration peut, à la demande du contribuable, accorder « des remises totales ou partielles d’impôts directs régulièrement établis lorsque [celui-ci] est dans l’impossibilité de payer par suite de gêne ou d’indigence ». Cette mesure, qui s’inspire de la recommandation n° 30 du rapport d’information de la Délégation aux droits des femmes, vise à éviter que soit entravé le processus de réinsertion des personnes souhaitant rompre avec le système prostitutionnel.

Les articles 8 et 9 font bénéficier d’une aide à l’hébergement les personnes prostituées engagées dans un processus de réinsertion. À cette fin, le premier modifie l’article L. 851-1 du code de la sécurité sociale (CSS) afin d’étendre la liste des bénéficiaires de l’allocation de logement temporaire (ALT) aux associations ayant pour objet statutaire l’aide et l’accompagnement des personnes prostituées agréées dans les conditions définies par le décret mentionné par l’article L. 121-9 du code de l’action sociale et des familles (CASF), dans sa rédaction issue de l’article 3 de la proposition de loi. Cet article met ainsi en œuvre la recommandation n° 29 du rapport d’information de la Délégation aux droits des femmes. Le second ajoute au dernier alinéa de l’article L. 345-1 du CASF les victimes du proxénétisme et de la prostitution à la liste des personnes, aujourd’hui limitée aux seules victimes de la traite des êtres humains, qui bénéficient « dans des conditions sécurisantes » de places en centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS).

Les droits spécifiques ouverts aux personnes de nationalité étrangère

Les personnes prostituées de nationalité étrangère désirant s’engager dans un parcours de sortie de la prostitution doivent bénéficier de garanties renforcées quant à leur droit au séjour sur le territoire français.

Dans cette perspective, l’article 6 de la proposition de loi modifie le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) afin de faciliter l’obtention d’un titre de séjour par les victimes de la traite des êtres humains et du proxénétisme. À cette fin, il prévoit que la carte de séjour temporaire délivrée, en application de l’article L. 316-1 du CESEDA, aux étrangers ayant déposé plainte pour les infractions de traite des êtres humains ou de proxénétisme ou témoigné dans une procédure pénale concernant ces infractions, sera renouvelée jusqu’à la fin de la procédure pénale.

Par ailleurs, cet article vise à créer une nouvelle procédure d’admission au séjour pour les victimes de la traite ou du proxénétisme, dès lors qu’elles sont prises en charge par une association agréée pour l’aide et l’accompagnement des personnes prostituées, indépendamment de leur coopération avec les autorités judiciaires.

Ces deux réformes mettent en œuvre les recommandations n° 14 et 15 du rapport d’information de la Délégation aux droits des femmes. La seconde correspond également à l’une des propositions du rapport d’information présenté par nos collègues sénateurs, M. Jean-Pierre Godefroy et Mme Chantal Jouanno, au nom de la commission des affaires sociales du Sénat, sur la situation sanitaire et sociale des personnes prostituées.

L’article 7 complète l’article L. 5423-8 du code du travail afin d’étendre le bénéfice de l’allocation temporaire d’attente (ATA) aux étrangers victimes de la traite des êtres humains ou du proxénétisme engagés dans un parcours de sortie de la prostitution auxquels une autorisation provisoire de séjour (APS) aura été accordée en application du nouvel article L. 316-1-1 du CESEDA.

Cette extension met en œuvre la recommandation n° 18 du rapport d’information déjà cité de la Délégation aux droits des femmes et correspond également à l’une des propositions du rapport d’information sénatorial précité.

b. Une meilleure prise en compte des intérêts des victimes tout au long de la procédure judiciaire

La protection des victimes de la prostitution, du proxénétisme et de la traite des êtres humains dans le cadre des procédures judiciaires auxquelles elles participent parfois fait également l’objet d’une attention toute particulière au sein de la présente proposition de loi, qui entend la renforcer à trois égards.

En premier lieu, dans le respect du droit reconnu aux victimes d’obtenir une juste indemnisation et ce, conformément aux engagements internationaux et européens de la France, l’article 10 ouvre aux victimes de proxénétisme un droit à la réparation intégrale des dommages subis du fait de cette infraction, sans que soit nécessaire la preuve d’une incapacité permanente ou d’une incapacité totale de travail personnel égale ou supérieure à un mois. Ce faisant, il aligne le régime juridique applicable à l’indemnisation des victimes de proxénétisme sur celui des victimes de la traite, pour lesquelles la preuve d’aucune incapacité totale de travail n’est exigée.

En deuxième lieu, parce que la présence des associations aux procès est souvent d’une aide précieuse pour les victimes de proxénétisme et de traite des êtres humains, qui ne souhaitent pas toujours endurer un procès pénal relativement long et risquer de surcroît des représailles, l’article 11 reconnaît aux associations dont l’objet est la lutte contre le proxénétisme, la traite des êtres humains et l’action sociale en faveur des personnes prostituées, la possibilité d’exercer les droits reconnus à la partie civile.

Enfin, l’article 12 rend le huis clos de droit, à la demande de la victime ou de l’une des victimes, lorsque se tient, en cour d’assises ou au tribunal correctionnel, un procès du chef de traite ou de proxénétisme aggravé. Actuellement, le huis clos n’est pas de droit pour les victimes de l’une ou l’autre de ces deux infractions. Or, il peut s’avérer essentiel pour ces victimes de voir leur anonymat garanti pendant la procédure judiciaire. C’est d’ailleurs dans cette perspective que l’article 12.4 de la directive européenne du 5 avril 2011 préconise d’éviter « toute déposition en audience publique ».

c. Une meilleure coordination de l’action de l’État et un financement dédié

La coordination des services déconcentrés de l’État

L’article 2 de la proposition de loi, qui reprend une partie de la recommandation n° 8 du rapport d’information déjà cité sur le renforcement de la lutte contre le système prostitutionnel, prévoit la création, au sein des conseils départementaux de prévention de la délinquance, d’aide aux victimes et de lutte contre la drogue, les dérives sectaires et les violences faites aux femmes, d’une instance consacrée à l’organisation et à la coordination de l’action en faveur des victimes de la prostitution. Cette nouvelle instance sera notamment chargée de mettre en œuvre les dispositions de l’article L. 121-9 du code de l’action sociale et des familles (CASF), modifié par l’article 3 de la présente proposition de loi, qui organise l’action de l’État dans le département à destination des personnes prostituées, notamment en matière d’hébergement et d’action médico-sociale. Elle aura pour mission d’assurer le suivi des dossiers des personnes désirant rompre avec le système prostitutionnel et engagées pour ce faire dans un parcours de sortie de la prostitution, dispositif créé par l’article 3 de la proposition de loi.

La création d’un nouvel outil de pilotage des dépenses

Votre rapporteure ne peut que constater, pour le regretter, que les crédits affectés aux actions de réinsertion des personnes prostituées sont, à ce jour, trop peu élevés. D’après les auteurs du rapport de l’IGAS, les crédits disponibles pour les dépenses d’action sociale alloués aux associations de prévention et de réinsertion qui accompagnent les personnes prostituées sont passés de 6,7 millions d’euros en 2006 à 2,2 millions d’euros en 2011, soit un montant divisé par trois en six ans. À ce jour, le montant du soutien public annuel pour l’insertion des personnes prostituées s’élève, en moyenne, à seulement 120 euros par personne ainsi que l’a rappelé la ministre des droits des femmes devant la commission spéciale.

Il apparaît donc indispensable de renforcer les moyens financiers destinés à l’accompagnement, au sens large, des personnes prostituées. Autrement, la création du parcours de sortie de la prostitution risquerait de rester sans effet faute de crédits suffisants pour financer les dépenses induites.

Ainsi, l’article 4 de la proposition de loi crée, au sein du budget de l’État, un fonds pour la prévention de la prostitution et l’accompagnement social et professionnel des personnes prostituées, qui aura pour fonction de contribuer aux actions définies à l’article L. 121-9 du code de l’action sociale et des familles (CASF), de soutenir les initiatives relatives à l’insertion des personnes prostituées, de prévenir l’entrée dans la prostitution et de sensibiliser les populations aux effets de la prostitution sur la santé.

Le fonds bénéficiera de trois types de ressources :

––  des crédits versés par l’État dont le montant sera fixé en loi de finances ;

––  des recettes provenant de la confiscation des biens meubles ou immeubles, divis ou indivis ayant servi directement ou indirectement à commettre les infractions de traite des êtres humains et de proxénétisme, telle qu’elle est prévue au 1° de l’article 225-24 du code pénal (46) ;

––  d’un montant, déterminé annuellement par arrêté interministériel, prélevé sur le produit des amendes créées par l’article 16 de la proposition de loi, qui prévoit une contravention de la cinquième classe pour réprimer le recours à l’achat d’actes sexuels.

À l’occasion de son audition par la commission spéciale, la ministre des droits des femmes a indiqué que le fonds serait doté de crédits compris entre 10 et 20 millions d’euros chaque année.

3. En direction des jeunes : des actions pédagogiques

La disparition de la prostitution – objectif ultime dans un pays abolitionniste – ne peut aller sans une politique de prévention et d’éducation dès le plus jeune âge. Il est en effet nécessaire de tordre le cou à plusieurs idées reçues trop largement répandues, parmi lesquelles celle faisant de la prostitution un mal nécessaire pour répondre aux pulsions sexuelles des clients. Le témoignage devant les membres de la commission spéciale de la docteure Emmanuelle Piet, présidente du Collectif féministe contre le viol, selon laquelle nombre de jeunes collégiens et lycéens n’accordent aucune importance au désir sexuel féminin, laisse mesurer l’ampleur des limites de notre politique d’éducation à la sexualité et de prévention des violences faites aux femmes (47).

Plusieurs études révèlent les lacunes des plus jeunes quant à la réalité du phénomène prostitutionnel en général et de la vie des personnes prostituées en particulier. Ainsi, une enquête nationale lancée par le Mouvement du Nid en 2011 et 2012 auprès de jeunes de quatorze à vingt-cinq ans montre que seulement 51 % d’entre eux ont reçu de l’information sur la prostitution alors que 90 % en ont eu sur la sexualité et 75 % sur les relations entre les filles et les garçons.

De manière inquiétante, 40 % des jeunes ayant répondu considèrent qu’un acte sexuel en échange d’un objet ou d’un service n’est pas de la prostitution et nombreux sont ceux qui pensent que la prostitution masculine ou des mineurs n’existe pas en France (respectivement 15 % et 23 %). 28 % imaginent par ailleurs que les personnes prostituées gagnent beaucoup d’argent et 12 % qu’elles en gardent beaucoup pour elles. Un tiers des garçons interrogés pense que la prostitution n’est pas un frein à l’égalité entre les hommes et les femmes et ne doit pas être abolie.

S’il serait exagéré de considérer que les connaissances des adolescents sur le système prostitutionnel sont inexistantes, force est de constater que les informations dont ils disposent sur ce sujet sont pour le moins parcellaires.

Des mesures de sensibilisation et d’éducation apparaissent par conséquent indispensables pour déconstruire ces représentations ainsi que toutes formes de stéréotype de genre et prévenir les pratiques prostitutionnelles occasionnelles ou régulières. Beaucoup d’élèves interrogés dans le cadre de l’enquête susmentionnée ont d’ailleurs exprimé un besoin d’information plus complète notamment sur les violences sexuelles, les maladies sexuellement transmissibles et le risque prostitutionnel.

Dans cette perspective, l’article 15 de la proposition de loi complète l’article L. 312-17-1 du code de l’éducation qui prévoit qu’« une information consacrée à l’égalité entre les hommes et les femmes, à la lutte contre les préjugés sexistes et à la lutte contre les violences faites aux femmes et les violences commises au sein du couple est dispensée à tous les stades de la scolarité ».

La prévention des relations sexuelles tarifées étant une dimension fondamentale de l’éducation à la sexualité, la thématique de la marchandisation des corps sera désormais expressément mentionnée à l’article L. 312-17-1 du code de l’éducation.

Les dispositions du présent article mettent en œuvre la recommandation n° 36 du rapport d’information sur le renforcement de la lutte contre le système prostitutionnel de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes déjà cité.

4. En direction des clients de la prostitution : des mesures de responsabilisation

Il n’y aurait pas de prostitution sans clients, cela va de soi. Mais on sait aussi qu’il y aura toujours des clients de la prostitution : l’ambition qu’il faut avoir est d’essayer d’en réduire le nombre, par des actions de responsabilisation qui peuvent emprunter plusieurs voies et qui font l’objet de plusieurs dispositions dans la proposition de loi.

Il est, en premier lieu, nécessaire de poser avec fermeté et détermination l’interdit d’achat d’actes sexuels dans notre loi pénale : l’argent ne peut pas tout acheter, et en particulier le corps humain. Tel est l’objet de l’article 16 de la proposition de loi, qui introduit, à l’article 225-12-1 du code pénal, une contravention de cinquième classe destinée à sanctionner, par une peine d’amende forfaitaire de 1 500 euros, tout recours à la prostitution, qu’elle soit ou non occasionnelle.

Les objectifs poursuivis par la pénalisation des clients de personnes prostituées sont au nombre de trois. Il s’agit tout d’abord de faire régresser la traite des êtres humains et l’exploitation sexuelle, sur le modèle de l’exemple de la Suède. Pénaliser les clients, c’est également leur faire comprendre qu’ils participent à une forme d’exploitation de la vulnérabilité d’autrui : c’est pourquoi il faut poser un interdit, celui de l’achat d’actes sexuels. Enfin, la pénalisation du client constitue, à terme, la meilleure solution pour voir diminuer la prostitution en France, là où tous les pays qui ont réglementé cette activité l’ont vu augmenter, comme en Allemagne notamment.

Outre la consécration dans notre droit pénal de l’interdit de recours à la prostitution, la responsabilisation des clients doit également s’appuyer sur un travail d’information et de sensibilisation à la réalité de ce qu’est la prostitution aujourd’hui en France.

Tel est notamment l’objet de l’article 17 de la présente proposition de loi, qui complète la peine principale encourue en cas d’infraction de recours à la prostitution, par une nouvelle modalité de réponse pénale : le stage de sensibilisation aux conditions d’exercice de la prostitution. Ce stage pourra soit être prononcé à titre de peine complémentaire, soit constituer une véritable alternative aux poursuites.

L’article 19 du présent texte poursuit le même objectif, en différant de six mois l’entrée en vigueur de l’infraction de recours à la prostitution et de l’abrogation du délit de racolage. En effet, cette période de six mois doit être l’occasion de mener un travail d’information et de sensibilisation sans précédent auprès des clients et d’expliciter, à l’occasion de campagnes de communication, les objectifs recherchés avec la création de cette nouvelle infraction.

La logique d’ensemble qui sous-tend la nécessaire responsabilisation des clients de la prostitution est bien de ne plus faire porter la sanction sur les personnes prostituées, mais bien sur les clients. Dans cette perspective, l’article 13 de la proposition de loi abroge le délit de racolage public, aujourd’hui prévu à l’article 225-10-1 du code pénal, qui sanctionne les personnes prostituées sur la base d’une infraction qui reste très difficile à qualifier et est, en définitive, peu mise en œuvre par les juridictions.

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LES PRINCIPALES MODIFICATIONS APPORTÉES À LA PROPOSITION DE LOI PAR LA COMMISSION SPÉCIALE

1. Un parcours de sortie de la prostitution aux contours précisés

Sur proposition de la rapporteure, la commission spéciale a fait le choix de réécrire en partie l’article 3 de la proposition de loi – qui modifie notamment l’article L. 121-9 du code de l’action sociale et des familles (CASF) – afin que les contours du parcours de sortie de la prostitution, clé de voûte de l’accompagnement social des personnes souhaitant rompre avec la pratique prostitutionnelle, soient davantage précisés.

En premier lieu, l’article 3 prévoit désormais que le parcours de sortie se matérialisera par un contrat tripartite passé entre la personne prostituée, l’autorité administrative et une association constituée pour l’aide et l’accompagnement des personnes prostituées agréée par l’État.

En deuxième lieu, il mentionne désormais que l’engagement dans un parcours de ce type ouvrira aux victimes de la prostitution un certain nombre de droits tels que la délivrance d’une autorisation provisoire de séjour (APS) d’une durée de six mois permettant de travailler, la perception de l’allocation temporaire d’attente (ATA), dispositif qui a pour objet de procurer un revenu de subsistance à certains ressortissants étrangers et à certaines personnes en attente d’insertion, et le bénéfice d’une remise totale ou partielle d’impôts directs.

En troisième lieu, il précise que le suivi des dossiers des personnes engagées dans ce parcours sera effectué par la nouvelle instance chargée d’organiser et de coordonner l’action en faveur des victimes de la prostitution, du proxénétisme et de la traite des êtres humains et d’assurer la mise en œuvre des dispositions de l’article L. 121-9 du CASF. Celle-ci veillera à ce que l’accès aux droits et la sécurité de ces personnes soient garantis et qu’elles respectent dans le même temps leurs engagements. Dans un souci de lisibilité et de cohérence, cette instance sera désormais mentionnée à ce même article du CASF et non pas, comme dans la rédaction initiale du présent texte, dans la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants.

En quatrième lieu, il ajoute que l’autorité administrative et l’association susmentionnées tiendront compte, au moment du renouvellement du contrat, du respect par les personnes concernées de leurs engagements.

En cinquième et dernier lieu, il renvoie à un décret en Conseil d’État le soin de fixer les conditions d’agrément des associations et les conditions d’application des nouvelles dispositions introduites.

2. Des règles de délivrance et de renouvellement de l’autorisation provisoire de séjour prévue par le nouvel article L. 316-1-1 du CESEDA précisées

Sur proposition de notre collègue Sylvie Tolmont et des membres du groupe socialiste, républicain et citoyen, la commission spéciale a précisé, à l’article 6, que l’autorisation provisoire de séjour mentionnée au nouvel article L. 316-1-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) serait délivrée aux victimes de la traite des êtres humains ou du proxénétisme engagées dans le parcours de sortie de la prostitution mentionné à l’article L. 121-9 du code de l’action sociale et des familles (CASF). Cette condition est en effet plus précise que celle d’une prise en charge par une association ayant pour objet l’accompagnement des personnes soumises à la prostitution.

Par ailleurs, sur l’initiative de la rapporteure, la commission spéciale a indiqué, au même article, que cette autorisation provisoire de séjour sera renouvelable pendant toute la durée du parcours de sortie de la prostitution, si les conditions fixées pour sa délivrance continuent d’être satisfaites.

3. Une information et une éducation à la sexualité renforcées

Sur proposition des membres du groupe socialiste, républicain et citoyen, la commission spéciale a souhaité améliorer l’information et l’éducation à la sexualité dispensées dans les écoles, les collèges et les lycées.

À cette fin, le nouvel article 15 bis de la proposition de loi modifie le premier alinéa de l’article L. 312-16 du code de l’éducation afin de préciser que les élèves bénéficieront d’une information et d’une éducation à la sexualité égalitaire et que l’information et l’éducation devront désormais aussi porter sur l’estime de soi et de l’autre et le respect du corps.

Ces dispositions viendront compléter celles introduites par l’article 15 de la proposition de loi aux termes duquel une information consacrée à la marchandisation des corps sera dispensée à tous les stades de la scolarité, en application de l’article L. 312-17-1 réécrit.

4. Une infraction de recours à la prostitution confortée

Sur proposition de la rapporteure, la commission spéciale a souhaité conforter, à plusieurs égards, la portée juridique de l’article 16 de la présente proposition de loi, qui crée une contravention de cinquième classe, destinée à sanctionner tout recours à la prostitution, qu’elle soit ou non occasionnelle, d’une peine d’amende de 1 500 euros, a été modifié à plusieurs égards.

En premier lieu, la définition de l’infraction de recours à la prostitution a été définie de manière plus précise, en visant de manière exhaustive l’ensemble des hypothèses où la relation sexuelle est la contrepartie de la fourniture d’un avantage en nature ou de la promesse d’un tel avantage.

En deuxième lieu, le régime des peines encourues, en cas de condamnation pour recours à la prostitution, a été complété par la reconnaissance explicite de la possibilité pour les juridiction de prononcer, outre la peine principale d’amende forfaitaire, une ou plusieurs peines complémentaires, dont le stage de sensibilisation à la lutte contre l’achat d’actes sexuels, qui est créé par l’article 17 de la proposition de loi et dont la commission spéciale, sur la proposition conjointe de de Mmes Sylvie Tolmont et Viviane Le Dissez, a fait évoluer la dénomination, afin de mieux rendre compte de l’objectif pédagogique poursuivi par cette peine complémentaire, qui est d’informer et de faire réfléchir les acheteurs d’actes sexuels sur les conséquences de leurs agissements, en vue de faire évoluer leur regard sur leurs propres comportements.

En troisième lieu, la rédaction de l’incrimination du recours à la prostitution d’une personne mineure ou particulièrement vulnérable a été simplifiée, sans être modifiée sur le fond. Cette infraction continuera d’être un délit puni d’une peine de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende, mais elle constituera désormais une circonstance aggravante de la contravention de base de recours de à la prostitution, laquelle sera punie d’une peine d’amende forfaitaire de 1 500 euros.

En dernier lieu, l’entrée en vigueur différée de six mois de cette nouvelle infraction générale de recours à la prostitution a été supprimée, afin de tirer les conséquences de l’impossibilité constitutionnelle de différer, dans le même temps, l’abrogation du délit de racolage public. Ces deux mesures ayant vocation à s’appliquer de manière concomitante, la commission spéciale n’a pas estimé souhaitable de maintenir une période de six mois avant l’entrée en vigueur de l’infraction de recours à la prostitution.

5. Des personnes victimes de la traite des êtres humains, du proxénétisme ou de la prostitution mieux protégées

Dans un souci de lisibilité et d’harmonisation, la commission spéciale a réécrit l’article 11, sur proposition de la rapporteure, afin de réunir au sein d’un seul et même article du code de procédure pénale – en l’occurrence l’actuel article 2-22 – l’ensemble des règles relatives à la faculté reconnue aux associations reconnues d’utilité publique, dont l’objet est la lutte contre le proxénétisme, la traite des êtres humains et l’action sociale en faveur des personnes prostituées, d’exercer les droits reconnus à la partie civile.

Toujours sur l’initiative de votre rapporteure, la commission spéciale a également complété la présente proposition de loi par un nouvel article 1er ter, visant à mieux protéger les victimes, majeures et mineures, de la traite des êtres humains, de proxénétisme ou de la prostitution. Ces dernières pourront ainsi, sur autorisation judiciaire, déclarer comme domicile l’adresse du commissariat ou de la brigade de gendarmerie, témoigner sans que leur identité apparaisse dans la procédure, bénéficier de mesures destinées à assurer leur protection, leur insertion et leur sécurité ou bien encore faire usage d’une identité d’emprunt.

EXAMEN DES ARTICLES

Lors de sa réunion du mardi 19 novembre 2013, la Commission spéciale examine, sur le rapport de Mme Maud Olivier, la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel (n° 1437).

Après l’exposé de la rapporteure, la Commission spéciale en vient à l’examen des articles de la proposition de loi.

chapitre Ier
Renforcement des moyens de lutte contre le proxénétisme et la traite des êtres humains aux fins d’exploitation sexuelle

Article 1er
(art. 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique)
Renforcement de la lutte contre les réseaux de traite et de proxénétisme
agissant sur Internet

Cet article vise à renforcer la lutte contre les réseaux de traite des êtres humains et de proxénétisme qui utilisent Internet pour organiser leur activité. À cette fin, il propose, d’une part, que les fournisseurs d’accès Internet (FAI) et les hébergeurs de sites Internet concourent à la lutte contre la diffusion des infractions de traite des êtres humains, de proxénétisme et des infractions assimilées et, d’autre part, que les FAI empêchent, à la demande de l’autorité administrative, l’accès du public aux sites Internet hébergés à l’étranger dont le contenu contrevient à la législation française sur ces mêmes infractions.

Ce dernier point met en œuvre la recommandation n° 2 du rapport d’information sur le renforcement de la lutte contre le système prostitutionnel présenté, au nom de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, par votre rapporteure (48).

6. L’état du droit

En l’état actuel du droit, le premier alinéa du 7 du I de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique dispose que les FAI et les hébergeurs de sites Internet ne sont pas soumis « à une obligation générale de surveiller les informations [qu’ils] transmettent ou stockent, ni à une obligation générale de rechercher des faits ou des circonstances révélant des activités illicites ».

Néanmoins, en application du troisième alinéa du même 7, ils sont soumis à une obligation de vigilance vis-à-vis de certaines informations sensibles, « compte tenu de l’intérêt général attaché à la répression de l’apologie des crimes contre l’humanité, de l’incitation à la haine raciale ainsi que de la pornographie enfantine, de l’incitation à la violence, notamment l’incitation aux violences faites aux femmes, ainsi que des atteintes à la dignité humaine ».

Les FAI et les hébergeurs de sites Internet doivent ainsi « concourir à la lutte contre la diffusion des infractions visées aux cinquième et huitième alinéas de l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et aux articles 227-23 et 227-24 du code pénal ».

Le cinquième alinéa de l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse prévoit les sanctions encourues par les personnes reconnues coupables, notamment, d’apologie de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité ou de crimes et délits de collaboration avec l’ennemi (cinq ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende).

Le huitième alinéa du même article traite de la provocation « à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée » et fixe les peines encourues à un an d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende.

L’article 227-23 du code pénal, plusieurs fois modifié depuis l’entrée en vigueur du nouveau code pénal le 1er mars 1994, punit, notamment, la diffusion de l’image ou de la représentation de mineurs à caractère pornographique de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. Le quatrième alinéa de cet article prévoit que la consultation habituelle ou en contrepartie d’un paiement de sites Internet mettant à disposition ce type d’images ou de représentations est punie de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende.

L’article 227-24 du même code, également plusieurs fois modifié depuis la mise en place du nouveau code pénal, sanctionne d’une peine de trois ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende la fabrication, le transport et la diffusion d’un message (ou le fait de faire commerce d’un tel message), susceptible d’être vu ou perçu par un mineur, à caractère violent ou pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine ou à inciter des mineurs à se livrer à des jeux les mettant physiquement en danger.

Afin de lutter contre la diffusion de ces infractions, les FAI et les hébergeurs de sites Internet sont tenus, aux termes du quatrième alinéa du 7 du I de l’article 6, précité, de mettre en place un dispositif facilement accessible et visible permettant à toute personne de porter à leur connaissance les données en question. Ils ont aussi l’obligation d’informer les autorités publiques compétentes de toutes activités illicites qui leur seraient signalées et de rendre publics les moyens qu’ils consacrent à la lutte contre ces activités illicites.

Enfin, en application du cinquième alinéa du même 7, inséré par l’article 4 de la loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, « lorsque les nécessités de la lutte contre la diffusion des images ou des représentations de mineurs relevant de l’article 227-23 du code pénal le justifient », l’autorité administrative notifie aux FAI les adresses électroniques des sites Internet contrevenant aux dispositions de cet article et l’accès aux sites est bloqué sans délai. Ce dernier point permet donc d’empêcher le public d’accéder à des sites Internet dont le contenu heurte notre législation sur la diffusion de l’image ou de la représentation de mineurs à caractère pornographique. Toutefois, à ce jour, le décret d’application prévu par le sixième alinéa du 7 n’a pas encore été publié. Il doit notamment préciser les conditions dans lesquelles sont compensés, s’il y a lieu, les surcoûts résultant des obligations mises à la charge des opérateurs.

7. Les modifications proposées

Le a) du 1° de l’article 1er de la proposition de loi ajoute la traite des êtres humains (article 225-4-1 du code pénal), le proxénétisme (article 225-5 du même code) et les infractions qui lui sont assimilées, comme le fait de « faire office d’intermédiaire entre deux personnes dont l’une se livre à la prostitution et l’autre exploite ou rémunère la prostitution d’autrui » (article 225-6 du même code), à la liste des infractions dont la diffusion doit être empêchée par les FAI et les hébergeurs de sites Internet, en application du troisième alinéa du 7 du I de l’article 6 de la loi du 21 juin 2004.

Les obligations prévues au quatrième alinéa du même 7 s’imposant aux FAI et aux hébergeurs de sites Internet s’appliqueront donc désormais s’agissant des sites Internet proposant des offres de services sexuels tarifés en lien avec l’activité des réseaux de traite des êtres humains ou de proxénétisme.

Par ailleurs, le b) du 1° de l’article 1er insère un nouvel alinéa à ce même 7, qui vise à permettre à l’autorité administrative, lorsque les nécessités de la lutte contre le proxénétisme et la traite des êtres humains aux fins d’exploitation sexuelle relevant des articles 225-4-1, 225-5 et 225-6 du code pénal le justifient, de notifier aux FAI les adresses électroniques des services de communication au public en ligne – les sites Internet – contrevenant à ces articles. Les FAI devront alors empêcher l’accès à ces sites Internet sans délai.

Le b) du 1° de l’article 1er précise que les décisions de l’autorité administrative pourront être contestées devant le juge administratif dans les conditions de droit commun.

Tirant les conséquences de l’introduction d’un nouvel alinéa au 7 du I de l’article 6, précité, le c) du même 1° modifie, par coordination, le sixième alinéa du 7, relatif au décret d’application du dispositif, afin de prévoir que ce décret devra également préciser les modalités d’application de la nouvelle disposition.

Le dispositif proposé par le 1° de l’article 1er vient utilement compléter le cadre juridique de la lutte contre les réseaux d’exploitation sexuelle, et notamment l’article 706-81 du code de procédure pénale, aux termes duquel une opération d’infiltration peut être menée, après autorisation et sous le contrôle du procureur de la République ou, après avis de ce magistrat, du juge d’instruction, lorsque les nécessités de l’enquête ou de l’instruction concernant les crimes et délits aggravés de traite des êtres humains prévus aux articles 225-4-2 à 225-4-7 du code pénal et les crimes et délits aggravés de proxénétisme prévus aux articles 225-7 à 225-12 du même code le justifient (5° et 6° de l’article 706-73 du code de procédure pénale).

Sur proposition de votre rapporteure, la commission spéciale a complété l’article 1er de la proposition de loi par une disposition nouvelle qui modifie le huitième et dernier alinéa du 7 du I de l’article 6 de la loi du 21 juin 2004 afin d’étendre, par cohérence, au manquement aux nouvelles obligations imposées aux FAI et aux hébergeurs de sites les peines prévues pour réprimer le manquement aux obligations fixées par les quatrième, cinquième et septième alinéas du même 7 dans sa rédaction actuelle – un an d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende. De cette manière, le manquement aux différentes obligations fixées par le 7 du I de l’article 6, précité, obéira à un régime de sanctions uniforme.

En conséquence et par coordination, le premier alinéa du 1 du VI de l’article 6 de la loi du 21 juin 2004, qui dispose notamment que le fait pour « une personne morale exerçant l’une des activités définies aux 1 et 2 du I, de ne pas satisfaire aux obligations définies aux quatrième, cinquième et septième alinéas du 7 du I » est puni d’un an d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende, a été modifié par la commission spéciale afin que son contenu soit mis en conformité avec la nouvelle rédaction du huitième alinéa du 7 du I de l’article 6 réécrit et devenu le neuvième alinéa dans le nouveau dispositif.

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La Commission adopte l’amendement rédactionnel CS40 de la rapporteure.

Puis elle examine l’amendement CS21 de M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Il s’agit de supprimer les alinéas 3 à 5, qui instaurent un blocage, par les fournisseurs d’accès, des sites Internet proposant un accès à la prostitution hébergés à l’étranger, et ce par la voie administrative. Or, le blocage des sites est rarement applicable en pratique. Ainsi, après le blocage judiciaire du site Copwatch, celui-ci a été immédiatement dupliqué et démultiplié en trente-cinq sites miroirs.

Passer par la voie administrative ne me semble donc pas la solution, et je suis partisan d’un recours à la voie judiciaire. Au surplus, l’article 18 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, qui prévoyait le blocage administratif des sites, vient d’être abrogé par l’article 25 ter de la loi sur la consommation, voté conforme dans les deux assemblées. Cet article attendait en effet depuis plus de dix ans son décret d’application. Je m’étonne donc que l’on revienne à des pratiques auxquelles le législateur a choisi de mettre fin.

Seuls les sites pédopornographiques – et vous conviendrez qu’il y a une différence entre le fait de proposer des services sexuels et la pédopornographie – peuvent faire l’objet d’un blocage administratif, même si la mesure n’est toujours pas mise en place, le décret étant attendu depuis bientôt trois ans.

J’espère que mes collègues de la majorité, qui ont voté comme un seul homme l’abrogation de l’article 18, seront cohérents et adopteront notre amendement.

Mme la rapporteure. La lutte contre les sites Internet favorisant la traite des êtres humains et le proxénétisme est au cœur de notre démarche. Or, beaucoup de ces sites sont hébergés à l’étranger, et c’est la raison pour laquelle l’article 1er de la proposition de loi autorise l’autorité administrative à demander aux fournisseurs d’accès le blocage des sites qui auraient été identifiés comme permettant aux réseaux de traite et de proxénétisme d’organiser leur activité sur notre territoire. Les réseaux d’exploitation sexuelle opèrent de plus en plus sur Internet, et les pouvoirs publics doivent apporter une réponse concrète à ce problème dans les meilleurs délais.

Comme nous en a informés le ministre de l’Intérieur, un groupe de travail s’est saisi de la question, et nous examinerons avec beaucoup d’attention ses conclusions, qui devraient être rendues d’ici la fin de l’année. Nous pourrons ainsi en tenir compte lors du retour du texte en deuxième lecture à l’Assemblée nationale. Dans ces conditions, je vous invite à retirer cet amendement ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.

M. Sergio Coronado. Je partage votre souci de lutter contre les réseaux de prostitution, Mme la rapporteure, mais l’objet de mon amendement est de privilégier la voie judiciaire plutôt que la voie administrative, sachant que le blocage administratif pourrait empêcher que soit menée à bien l’enquête judiciaire.

Je rappelle également que, contrairement à la prostitution, la pédopornographie est un crime. Offrir des services sexuels ne peut donc être assimilé à de la pédopornographie.

On peut enfin s’interroger sur la nécessité de ce blocage administratif alors que, pour de nombreuses infractions en ligne – jeux d’argent illégaux, provocation au crime ou apologie du terrorisme, par exemple –, la voie judiciaire reste privilégiée.

En raison de toutes ces réserves, je maintiens mon amendement. Je ne doute d’ailleurs pas que les conclusions du groupe de travail mis en place par le ministre de l’intérieur sur le recours à la voie administrative seront pour le moins nuancées.

Mme Catherine Coutelle. La voie judiciaire est plus longue que la voie administrative, même si elle est plus efficace. Dans la mesure où un groupe de travail se penche en ce moment sur le sujet, je me rallie à la proposition de la rapporteure, qui suggère de réexaminer la question en seconde lecture.

M. Sergio Coronado. Je répète que nous avons abrogé l’article 18 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique parce que son décret d’application n’a jamais été pris. Dans ces conditions, dire que la voie administrative est plus rapide que la voie judiciaire est assez paradoxal.

Je crois à l’intérêt de la voie judiciaire pour le respect des libertés fondamentales, pour l’efficacité de l’enquête, mais aussi par souci de cohérence, eu égard aux précédents votes de la majorité sur le sujet.

M. Charles de Courson. En l’état actuel du droit français, les alinéas 3 à 5 de l’article 1er sont-ils applicables et, si ce n’est pas le cas, a-t-on l’espoir, dans les deux ou trois ans qui viennent, que des décrets d’application fassent en sorte qu’ils le soient, sachant que la capitaine de gendarmerie que nous avons entendue nous a clairement indiqué les limites du droit en la matière ?

Mme la rapporteure. M. Coronado, nous parlons de sites Internet alimentant l’activité des proxénètes et des réseaux. Or, le proxénétisme est réprimé dans notre pays.

M. de Courson, ces alinéas sont bien applicables. Les décrets n’ont certes jamais été publiés, mais le groupe de travail fera des propositions pour rendre applicables dans les meilleurs délais les dispositions figurant dans la loi, quitte à modifier certains éléments de cette proposition de loi. En attendant, il me paraît dommage de ne pas y inscrire, de manière forte et précise, cette mesure de lutte contre les réseaux de traite et de proxénétisme.

La Commission rejette l’amendement CS21.

Puis elle adopte successivement les amendements CS39 et CS38 de la rapporteure.

La Commission adopte ensuite l’article 1er ainsi modifié.

Article 1er bis (nouveau)
(art. L. 451-1 du code de l’action sociale et des familles)
Extension des formations sociales aux professionnels et personnels engagés dans la prévention de la prostitution

Issu d’un amendement de M. Charles de Courson, cet article vise à faire bénéficier les professionnels et les personnels salariés et non salariés engagés dans la prévention de la prostitution des formations sociales mentionnées au premier alinéa de l’article L. 451-1 du code de l’action sociale et des familles (CASF).

En l’état actuel du droit, ces formations « contribuent à la qualification et à la promotion des professionnels et des personnels salariés et non salariés engagés dans la lutte contre les exclusions et contre la maltraitance, dans la prévention et la compensation de la perte d’autonomie, des handicaps ou des inadaptations et dans la promotion du droit au logement, de la cohésion sociale et du développement social ».

Nombre d’études montrent que les personnes prostituées ont souvent été victimes de violences sexuelles durant leur enfance ou leur adolescence, comme l’ont aussi rappelé plusieurs personnes entendues par la commission spéciale et, notamment, les personnes sorties de la prostitution venues témoigner devant elle.

Cette disposition a donc pour objet d’améliorer la formation des travailleurs sociaux, notamment ceux qui interviennent auprès d’un public jeune, sur l’ensemble des questions liées à la prostitution.

*

* *

La Commission est saisie d’une série d’amendements portant articles additionnels après l’article 1er. Elle examine d’abord l’amendement CS8 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. On estime à 3 % le nombre d’enfants victimes de violences sexuelles – 5 % des filles et 1 % des garçons. Or, plusieurs études démontrent que les personnes prostituées ont souvent été dans ce cas. Ces violences constituent donc un terreau favorable à l’entrée dans la prostitution.

Partant de ces constats, la prévention de la prostitution exige que nous nous dotions d’outils d’intervention précoce, notamment auprès des enfants qui ont été victimes d’abus sexuels ou de violences, afin de remédier à une vulnérabilité pouvant ultérieurement conduire à des conduites à risque. Les auditions de la Commission spéciale ayant permis de constater que les travailleurs sociaux, particulièrement les personnels de l’aide sociale à l’enfance, n’étaient pas suffisamment formés sur le sujet, cet amendement propose d’intégrer à leur formation la prévention de la prostitution.

Mme la rapporteure. Je suis favorable à cet amendement, car je considère qu’il est nécessaire en effet d’améliorer sur ce point la formation des travailleurs sociaux, notamment lorsqu’ils interviennent auprès d’un public jeune.

La Commission adopte l’amendement CS8.

Après l’article 1er bis

Elle examine ensuite l’amendement CS6 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Actuellement, si la majorité civile est fixée à dix-huit ans, la majorité sexuelle l’est, elle, à seize ans. Je propose de porter l’âge de cette majorité à dix-huit ans, afin de mieux combattre la prostitution des mineurs âgés de seize à dix-huit ans.

Mme la rapporteure. Votre amendement revient à pénaliser de fait les relations consenties entre une personne de dix-huit ans révolus et une personne de dix-sept ans. Il est donc susceptible de poser problème au regard du principe de proportionnalité des peines et, au-delà, au regard du respect des droits et libertés.

D’autre part, l’article 225-12-1 du code pénal réprime spécifiquement le recours à la prostitution d’un mineur.

Je vous invite donc à retirer votre amendement.

M. Charles de Courson. S’agit-il, dans l’article 225-12-1, des jeunes n’ayant pas atteint la majorité civile, ou des mineurs de quinze ans ?

Mme la rapporteure. De ceux qui n’ont pas atteint la majorité civile.

L’amendement CS6 est retiré.

La Commission en vient à l’amendement CS7 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Le délai de prescription pour les viols sur mineur me paraît trop court, et il ne manque pas d’affaires pour conforter cette appréciation. Je propose donc de porter ce délai de dix à vingt ans et de le faire courir à compter de la mise au jour des faits.

Mme la rapporteure. Si je suis d’accord avec vous sur le fond, la mesure que vous proposez n’a qu’un lien très indirect avec la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui. En revanche, elle devrait pouvoir trouver sa place dans le projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines qui sera examiné au printemps prochain par notre assemblée et qui me paraît plus adapté pour légiférer sur les délais de prescription des viols. Je vous propose donc de retirer votre amendement.

L’amendement CS7 est retiré.

Mme Ségolène Neuville. M. de Courson, la rapporteure n’est pas seule à vous soutenir. Nombre d’entre nous seront attentifs à ce que les projets de loi à venir intègrent des dispositions concernant la prescription des viols, mais également de l’inceste.

Mme Marie-Louise Fort. Je suis moi-même l’auteure d’une loi sur l’inceste, sur laquelle la majorité actuelle s’était abstenue et que le Conseil constitutionnel a malheureusement invalidée ensuite, jugeant la notion de « membres de la famille » trop imprécise. Si une nouvelle loi est en préparation, je souhaiterais donc être associée à cette réflexion.

M. le président Guy Geoffroy. Nos échanges m’autorisent à considérer que nous pouvons demander au Gouvernement de prendre d’emblée cette question en compte dans l’élaboration de son projet de loi, sans attendre un amendement parlementaire.

M. Charles de Courson. Puisqu’une majorité d’entre nous semble favorable à mon amendement, la rapporteure serait-elle d’accord pour le représenter en séance au nom de la Commission, afin que nous puissions obtenir une déclaration du Gouvernement sur le sujet ?

M. le président Guy Geoffroy. Votre président s’en chargera, pour éviter à Mme la rapporteure de prendre une initiative qui s’éloignerait par trop de l’objet de la proposition de loi.

Article 1er ter (nouveau)
(art. 706-34-1 [nouveau] du code de procédure pénale)
Protection des personnes victimes de la traite des êtres humains,
du proxénétisme ou de la prostitution

Issu d’un amendement de votre rapporteure, le présent article crée, au sein du titre XVII du code de procédure pénale relatif à la poursuite, à l’instruction et au jugement des infractions en matière de traite des êtres humains, de proxénétisme ou de recours à la prostitution, un nouvel article 706-34-1.

Cet article entend mieux protéger les victimes, mineures ou majeures, de la traite des êtres humains, du proxénétisme ou de la prostitution, en leur offrant la possibilité de déclarer comme domicile l’adresse du commissariat ou de la brigade de gendarmerie, de témoigner sans que leur identité apparaisse dans la procédure, de bénéficier de mesures destinées à assurer leur protection, leur insertion et leur sécurité ou bien encore de faire usage d’une identité d’emprunt.

Ces mesures de protection sont graduelles et ont vocation à constituer, au profit des juridictions, un arsenal complet et cohérent, qui pourra être adapté en fonction des circonstances propres à chaque victime.

*

* *

La Commission examine ensuite l’amendement CS68 de la rapporteure.

Mme la rapporteure. Cet amendement a pour objet de mieux protéger les victimes, mineures ou majeures, de la traite des êtres humains, du proxénétisme ou de la prostitution, en leur offrant la possibilité de déclarer comme domicile l’adresse du commissariat ou de la brigade de gendarmerie, de témoigner sans que leur identité apparaisse dans la procédure, de bénéficier de mesures destinées à assurer leur protection, leur insertion et leur sécurité, ainsi que de faire usage, enfin, d’une identité d’emprunt.

Ces mesures de protection sont graduelles et ont vocation à constituer, au profit des juridictions, un arsenal complet et cohérent, qui pourra être adapté en fonction des circonstances de l’espèce.

Dans cette perspective, le présent amendement crée, au sein du titre XVII du code de procédure pénale relatif à la poursuite, à l’instruction et au jugement des infractions en matière de traite des êtres humains, de proxénétisme ou de recours à la prostitution, un nouvel article 706-34-1.

M. Sergio Coronado. Si j’avais eu connaissance de cet amendement avant son dépôt, je n’aurais sans doute pas déposé mes amendements CS11 et CS26. Cela étant, je me demande s’il n’est pas redondant avec la disposition de l’article 706-58 du code de procédure pénale autorisant déjà le témoignage « sous X ».

D’autre part, les mesures destinées à assurer la protection des victimes et de leur famille que propose cet amendement ne tombent-elles pas sous le coup de l’article 40 ? Elles induisent en effet des coûts supplémentaires, ainsi que n’aurait pas manqué de le considérer la commission des Lois, qui fait pourtant de l’article 40 une application moins stricte que la commission des Finances.

M. le président Guy Geoffroy. La commission dont il est question dans cet amendement existe déjà. La disposition n’induit donc pas de charges nouvelles, et j’ai considéré que l’article 40 ne s’appliquait pas. Il appartiendra au Gouvernement, s’il le souhaite, de revenir sur notre décision en séance.

Mme la rapporteure. M. Coronado, mon amendement met en place un régime spécifique aux victimes. Or la procédure à laquelle vous faisiez allusion s’adresse aux repentis.

La Commission adopte l’amendement CS68.

Article 1er quater (nouveau)
Rapport annuel du Gouvernement au Parlement sur les actions de coopération internationale et européenne en matière de lutte contre les réseaux de traite
et de proxénétisme

Issu d’un amendement de votre rapporteure, cet article a pour objet de demander au Gouvernement la remise au Parlement, chaque année, d’un rapport faisant le bilan des actions de coopération européenne et internationale engagées par la France dans le but de renforcer l’efficacité des moyens de lutte contre les réseaux de traite des êtres humains et de proxénétisme.

Votre rapporteure a conscience des limites de la coopération internationale en matière de lutte contre les réseaux de traite et de proxénétisme. Comme elle le rappelle dans le rapport d’information sur le renforcement de la lutte contre le système prostitutionnel qu’elle a présenté, au nom de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, la coopération judiciaire avec certains pays demeure insuffisante. C’est le cas avec la Chine, par exemple, malgré la signature, en 2005, d’un traité d’entraide judiciaire en matière pénale. La coopération avec le Nigeria repose quant à elle sur le Protocole additionnel à la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants de décembre 2000, dit Protocole de Palerme, et n’est complétée par aucun accord bilatéral d’entraide pénale.

De manière générale, il apparaît que la coopération relative à la lutte contre les réseaux de traite et de proxénétisme est plus difficile avec les États situés hors d’Europe.

Pour votre rapporteure, il ne fait pas de doute que la lutte contre le système prostitutionnel passe par un combat résolu contre les réseaux d’exploitation sexuelle agissant à l’échelle internationale. Elle appelle ainsi de ses vœux une action du Gouvernement dans ce sens et considère que le rapport mentionné au présent article devra permettre aux parlementaires de disposer d’informations exhaustives et actualisées sur les actions mises en place par la France, à l’échelle européenne comme internationale, dans ce domaine.

*

* *

Puis elle examine l’amendement CS37 de la rapporteure.

Mme la rapporteure. Nous souhaitons que le Parlement soit informé chaque année des actions engagées par le Gouvernement, à l’échelle européenne et internationale, pour renforcer la lutte contre les réseaux de traite des êtres humains et de proxénétisme.

M. le président Guy Geoffroy. Nous pourrions également demander au Gouvernement un rapport sur le nombre d’arbres abattus chaque année du fait des rapports réclamés par le Parlement…

La Commission adopte l’amendement CS37.

chapitre ii
Protection des victimes de la prostitution
et création d’un parcours de sortie de la prostitution

Article 2 (supprimé)
(art. 22 bis [nouveau] de la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants)
Création d’une instance en charge de l’action à destination des personnes prostituées au sein des conseils départementaux de prévention de la délinquance, d’aide aux victimes et de lutte contre la drogue, les dérives sectaires et
les violences faites aux femmes

Cet article, reprenant une partie de la recommandation n° 8 du rapport d’information présenté, au nom de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, par votre rapporteure, insérait un nouvel article 22 bis dans la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants.

Les dispositions créées visaient à renforcer l’action de l’État, dans le département, en faveur des personnes prostituées. Elles prévoyaient de mettre en place, au sein des conseils départementaux de prévention de la délinquance, d’aide aux victimes et de lutte contre la drogue, les dérives sectaires et les violences faites aux femmes (CDPD), une instance chargée d’organiser et de coordonner l’action en faveur des victimes de la prostitution et de la traite des êtres humains et d’assurer la mise en œuvre des dispositions de l’article L. 121-9 du code de l’action sociale et des familles (CASF) modifié par ailleurs par l’article 3 de la proposition de loi.

Dans un souci de clarification et afin de regrouper les dispositions relatives aux missions de l’État, dans le département, à destination des personnes prostituées, les dispositions de l’article 2 ont été insérées à l’article 3 de la proposition de loi et ont ainsi pu être codifiées à l’article L. 121-9 du CASF. Cette modification, issue d’un amendement de votre rapporteure, est apparue nécessaire à la commission spéciale dans la mesure où, d’une part, l’article L. 121-9 du CASF traite de l’action de l’État, en faveur des personnes prostituées, dans le département, et où, d’autre part, la nouvelle instance créée au sein des CDPD aura notamment pour mission d’assurer la mise en œuvre des dispositions de ce même article L. 121-9.

En conséquence, le présent article a été supprimé.

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La Commission examine l’amendement CS36 de la rapporteure.

Mme la rapporteure. Je propose de supprimer l’article 2 pour en transférer les dispositions à l’article suivant.

La Commission adopte l’amendement CS36. L’article 2 est ainsi supprimé.

Article 3
(art. L. 121-9 du code de l’action sociale et des familles ;
art. 42 et 121 de la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure)
Création d’un parcours de sortie de la prostitution et codification d’une disposition de la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure

Cet article, pierre angulaire du dispositif d’accompagnement des personnes prostituées proposé par le texte, met en place un parcours de sortie de la prostitution. C’est une véritable innovation : jusqu’à présent, les politiques publiques de lutte contre la prostitution n’ont jamais offert aux personnes désireuses de rompre avec cette activité une réponse aussi complète et intégrée que celle proposée par le présent texte.

L’article 3 codifie au sein de l’article L. 121-9 du code de l’action sociale et des familles (CASF) les nouvelles dispositions qui créent le parcours de sortie. Le choix de ce réceptacle législatif s’explique par l’objet de l’article L. 121-9 du CASF, qui traite de l’action de l’État, dans le département, à destination des personnes prostituées.

Dans sa rédaction initiale, l’article 3 comportait, à son alinéa 3, deux principales dispositions. D’une part, il reprenait, en le modifiant légèrement, le texte de l’article 42 de la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure pour prévoir que « toute personne victime de la prostitution doit bénéficier d’un système de protection et d’assistance, assuré et coordonné par l’administration en collaboration active avec les divers services d’interventions sociales ». Il abrogeait donc, de façon cohérente, l’article 42 de cette loi. D’autre part, il instaurait un parcours de sortie de la prostitution, en précisant qu’il serait proposé aux personnes prostituées formulant une demande en ce sens auprès d’une association constituée pour l’aide et l’accompagnement de ces personnes et agréée par l’État à cet effet.

Afin de préciser les contours du parcours de sortie de la prostitution, qui faisait l’objet d’une définition insuffisante dans la rédaction initiale de l’article 3, la commission spéciale a souhaité, sur proposition de votre rapporteure, le réécrire en grande partie. Le premier alinéa du I de l’article 3 dans sa nouvelle rédaction précise ainsi que l’article L. 121-9 du CASF est complété par sept nouveaux alinéas (présentés infra).

(1) Les dispositions relatives à la nouvelle instance en charge de l’action à destination des personnes victimes de la prostitution, du proxénétisme et de la traite des êtres humains

Le premier alinéa inséré à l’article L. 121-9 du CASF reprend, en y apportant quelques modifications formelles, les dispositions de l’article 2 de la proposition de loi, supprimé. Il prévoit ainsi la création, au sein de chaque conseil départemental de prévention de la délinquance, d’aide aux victimes et de lutte contre la drogue, les dérives sectaires et les violences faites aux femmes, d’une instance chargée d’organiser et de coordonner l’action en faveur des victimes de la prostitution, du proxénétisme et de la traite des êtres humains, et d’assurer la mise en œuvre des dispositions de l’article L. 121-9 du CASF.

En l’état actuel du droit, ce dernier article, codifié par l’ordonnance n° 2000-1249 du 21 décembre 2000 relative à la partie législative du code de l’action sociale et des familles, confie à l’État le soin, dans chaque département :

––  de rechercher et d’accueillir les personnes en danger de prostitution et de fournir l’assistance dont elles peuvent avoir besoin, notamment en leur procurant un placement dans un centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) public ou privé mentionné à l’article L. 345-1 du même code ;

––  d’exercer toute action médico-sociale en faveur des personnes prostituées.

À ce jour, les conseils départementaux cités plus haut, mentionnés au 2° de l’article 10 du décret n° 2006-665 du 7 juin 2006 relatif à la réduction du nombre et à la simplification de la composition de diverses commissions administratives, concourent à la mise en œuvre, dans le département, des politiques publiques dans les domaines de la prévention de la délinquance, de l’aide aux victimes et de la lutte contre la drogue, les dérives sectaires et les violences faites aux femmes. Dans ce cadre, ils sont notamment chargés d’élaborer des programmes de lutte contre les violences faites aux femmes, en application du 8° du I de l’article 12 de ce décret.

Aux termes du II de l’article 12, ils sont présidés par le préfet tandis que le président du conseil général et le procureur de la République en sont les vice-présidents. En application du III de ce même article, ils comprennent en outre des magistrats, des représentants des services de l’État, notamment des services de la police et de la gendarmerie nationales, de l’économie et des finances, de l’équipement, des droits des femmes et de l’égalité, des affaires sanitaires et sociales, de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, de la protection judiciaire de la jeunesse et de l’administration pénitentiaire, du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle, ainsi que des représentants des collectivités territoriales et de leurs établissements publics et des représentants d’associations.

Rappelons que les commissions départementales d’action contre les violences faites aux femmes, créées par une circulaire du 12 octobre 1989, placées sous la présidence des préfets de département et chargées de suivre la mise en œuvre départementale du plan global de lutte contre les violences envers les femmes et d’organiser et de coordonner les actions locales relatives à la formation et à la sensibilisation des représentants de l’État et des associations ainsi qu’à l’hébergement et au logement des femmes victimes de violences, ne se réunissent plus dans tous les départements alors même qu’elles en ont conservé la possibilité (49).

On constate donc aujourd’hui, dans un certain nombre de départements, une défaillance des structures administratives de l’État dédiées aux victimes de la prostitution, voire un vide très préjudiciable à la prise en charge des personnes prostituées. Au regard de l’étendue de leur champ d’intervention, les CDPD traitent de nombreux sujets sans lien avec les violences faites aux femmes et, à plus forte raison, avec la prostitution. La proposition de loi entend ainsi remédier à cette situation en faisant des services déconcentrés de l’État dans le département le moteur du dispositif de lutte contre le système prostitutionnel.

La nouvelle instance créée au sein de chaque CDPD prendra donc le relais des anciennes commissions départementales d’action contre les violences faites aux femmes en même temps qu’elle constituera un cadre entièrement consacré aux questions liées à la prostitution. La présence de représentants du secteur associatif serait souhaitable afin que cette instance dispose d’une vision globale et concrète de la situation des personnes prostituées.

8. Les dispositions relatives au parcours de sortie de la prostitution

Six nouveaux alinéas précisent par ailleurs les contours du parcours de sortie de la prostitution.

La première phrase du deuxième alinéa inséré à l’article L. 121-9 du code de l’action sociale et des familles (CASF) reprend, en le modifiant sur plusieurs points, le texte de l’article 42 de la loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure. Il apporte également quelques modifications par rapport à la version initiale de la proposition de loi et dispose que « toute personne victime de la prostitution doit bénéficier d’un système de protection et d’assistance, assuré et coordonné par l’État en collaboration avec les divers services d’interventions sociales et de santé ». De manière cohérente, le 1° du II de l’article 3 abroge l’article 42 de cette loi. La codification de ces dispositions au sein du CASF est justifiée par l’intention des auteurs de la proposition de loi de rendre plus cohérente et lisible l’action de l’État en faveur des personnes victimes du système prostitutionnel.

La seconde phrase du deuxième alinéa instaure un parcours de sortie de la prostitution, qui sera proposé aux personnes prostituées si elles en font la demande auprès d’une association constituée pour l’aide et l’accompagnement de ces personnes et agréée par l’État à cet effet.

Le troisième alinéa prévoit que l’engagement dans ce parcours se matérialisera par un contrat tripartite passé entre la personne prostituée, l’autorité administrative, après avis de la nouvelle instance créée au sein de chaque conseil départemental de prévention de la délinquance, d’aide aux victimes et de lutte contre la drogue, les dérives sectaires et les violences faites aux femmes (CDPD), et une association.

Le quatrième alinéa précise que l’engagement de la personne dans un parcours de ce type lui ouvrira un certain nombre de droits :

––  la délivrance, si elle est de nationalité étrangère, indépendamment de toute collaboration avec les autorités judiciaires et sous réserve de ne pas constituer une menace pour l’ordre public, d’une autorisation provisoire de séjour (APS) d’une durée de six mois permettant de travailler, dans les conditions prévues au nouvel article L. 316-1-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile créé par l’article 6 de la proposition de loi ;

––  la perception de l’allocation temporaire d’attente (ATA), dispositif mentionné à l’article L. 5423-8 du code du travail, qui a pour objet de procurer un revenu de subsistance à certains ressortissants étrangers et à certaines personnes en attente d’insertion (50) ;

––  le bénéfice d’une remise totale ou partielle d’impôts directs dans les conditions prévues au 1° de l’article L. 247 du livre des procédures fiscales.

L’ouverture d’un certain nombre de droits procédant de l’engagement dans un parcours de sortie de la prostitution permettra de mettre en pratique certaines dispositions de la directive du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 (51), laquelle, au 5 de son article 11, fait obligation aux États membres de prévoir des mesures d’assistance et d’aide aux victimes de la traite des êtres humains qui « leur assurent au moins un niveau de vie leur permettant de subvenir à leurs besoins en leur fournissant notamment un hébergement adapté et sûr, une assistance matérielle, les soins médicaux nécessaires, y compris une assistance psychologique, des conseils et des informations, ainsi que des services de traduction et d’interprétation, le cas échéant ».

Aux termes du cinquième alinéa inséré à l’article L. 121-9 du CASF, il reviendra à la nouvelle instance mise en place au sein des CDPD d’assurer le suivi du parcours de sortie de la prostitution et de veiller, dans ce cadre, à ce que l’accès aux droits et la sécurité de la personne engagée dans ce parcours soient garantis mais aussi qu’elle respecte les engagements qui auront été fixés au moment de la conclusion du contrat tripartite.

À l’occasion du renouvellement du contrat, l’autorité administrative, après avis de la nouvelle instance mentionnée supra, et l’association tiendront compte du respect, par la personne engagée dans le parcours de sortie, de ses engagements, en application du sixième alinéa inséré à l’article L. 121-9 du CASF.

Le septième et dernier alinéa précise que les conditions d’agrément des associations concernées ainsi que les conditions d’application des dispositions relatives au parcours de sortie de la prostitution seront fixées par décret. À cet égard, votre rapporteure émet le souhait que l’agrément puisse concerner des associations partageant l’ambition des auteurs de la proposition de loi de réduire la prostitution.

*

* *

La Commission examine l’amendement CS35 de la rapporteure.

Mme la rapporteure. Cet amendement propose en premier lieu, dans un souci de cohérence et de plus grande lisibilité du dispositif, d’inverser l’ordre des « I » et « II ».

En deuxième lieu, il complète l’article L. 121-9 du code de l’action sociale et des familles par sept alinéas.

Le premier a pour objet d’insérer dans cet article les dispositions qui figuraient à l’article 2 de la proposition de loi. Cette modification apparaît justifiée dans la mesure où, d’une part, l’article L. 121–9 traite de l’action de l’État en faveur des personnes prostituées dans le département, et où, d’autre part, la nouvelle instance créée au sein de chaque conseil départemental de prévention de la délinquance, d’aide aux victimes et de lutte contre la drogue, les dérives sectaires et les violences faites aux femmes aura notamment pour mission d’assurer la mise en œuvre des dispositions de ce même article.

De plus, cet alinéa fait l’objet d’une réécriture globale dans un souci de clarté. Enfin, il précise que la nouvelle instance sera chargée d’organiser et de coordonner l’action à destination, non plus seulement des « victimes de la prostitution et de la traite des êtres humains », mais aussi des victimes du proxénétisme.

Le deuxième alinéa apporte trois précisions à la rédaction de la disposition reprise de l’article 42 de la loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure. Il prévoit que la personne prostituée doit bénéficier d’un système de protection et d’assistance, assuré et coordonné par l’État et non par « l’administration », terme qui pourrait renvoyer aussi bien aux services du département qu’à ceux de l’État. Il indique que cette coordination par l’État se fait « en collaboration avec les divers services d’interventions sociales et de santé ». Il substitue enfin aux mots « collaboration active » le mot « collaboration », le terme « active » n’apparaissant pas utile en l’espèce.

Les alinéas suivants apportent quelques précisions relatives au parcours de sortie de la prostitution. Le troisième alinéa prévoit que ce parcours se matérialise par un contrat passé entre la personne prostituée, l’autorité administrative, après avis de la nouvelle instance, et une association constituée pour l’aide et l’accompagnement des personnes prostituées et agréée par l’État. Le quatrième mentionne les droits ouverts par la conclusion de ce parcours de sortie. Le cinquième précise que le suivi des dossiers des personnes engagées dans ce parcours sera effectué par la nouvelle instance chargée d’organiser et de coordonner l’action en faveur des victimes de la prostitution, du proxénétisme et de la traite des êtres humains et d’assurer la mise en œuvre des dispositions de l’article L. 121-9 du code de l’action sociale et des familles. Le sixième ajoute que l’autorité administrative, après avis de la nouvelle instance, et l’association susmentionnée tiennent compte du respect des engagements de la personne à l’occasion du renouvellement du contrat. Le septième et dernier alinéa renvoie à un décret en Conseil d’État le soin de fixer les conditions d’agrément des associations mentionnées au cinquième alinéa et les conditions d’application des dispositions relatives au parcours de sortie : il est ainsi proposé de fusionner les références à l’intervention du pouvoir réglementaire.

En troisième lieu, cet amendement abroge, par coordination, l’article 42 de la loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure et effectue une coordination à l’article 121 de la même loi.

Mme Marie-Louise Fort. Qui aura la charge de ce dispositif ? Les services sociaux des départements seront-ils sollicités ?

Mme la rapporteure. Ce sera à la charge de l’État, qui aura à réorganiser ses services.

M. Sergio Coronado. Je me permets d’exprimer à nouveau mes doutes sur la compatibilité de cet amendement avec l’article 40 de la Constitution. Toute création d’une nouvelle instance a un coût et même une réorganisation de l’administration donne lieu à un déploiement ou à un redéploiement de crédits. Peut-être ai-je mal compris l’explication qu’on m’a donnée à propos de l’article 40, mais je me souviens que l’irrecevabilité avait été opposée à un de mes amendements, inspiré par Mme Élisabeth Badinter, visant à transformer l’Agence française de l’adoption afin de favoriser la gestation pour autrui.

M. le président Guy Geoffroy. L’amendement suppose un réaménagement des missions de commissions existantes, et donc une réorganisation de celles-ci, mais il n’en crée pas de nouvelles. Compte tenu des propos des membres du Gouvernement lors de nos auditions, je ne considère pas qu’il y ait création de charges nouvelles.

Mme Marie-Louise Fort. Les articles 3, 5, 7 et 8 sont manifestement irrecevables au regard de l’article 40 de la Constitution. La commission des Finances s’est-elle prononcée sur le sujet ?

M. le président Guy Geoffroy. Les interventions des ministres auditionnés sont convergentes et manifestent un accord global et incontestable du Gouvernement sur l’ensemble des dispositions de la proposition de loi. Sauf avis clairement contraire qui serait émis en séance par le Gouvernement, je considère que les articles du texte ne sont pas susceptibles de tomber sous le couperet de l’article 40.

M. Charles de Courson. Le modeste membre de la commission des Finances que je suis estime que la position de notre président peut se défendre concernant l’article 3. Elle me semble en revanche plus fragile s’agissant des deux articles suivants.

La Commission adopte l’amendement CS35, puis l’article 3 ainsi modifié.

Après l’article 3

En conséquence de l’adoption de l’amendement CS68 portant article additionnel après l’article 1er, l’amendement CS51 de Mme Kheira Bouziane tombe.

L’amendement CS11 de M. Sergio Coronado est retiré.

Article 4
Création d’un fonds pour la prévention de la prostitution et l’accompagnement des personnes prostituées

Cet article met en place, au sein du budget de l’État, un fonds pour la prévention de la prostitution et l’accompagnement social et professionnel des personnes prostituées. Cette réforme s’inspire de la recommandation n° 26 du rapport d’information sur le renforcement de la lutte contre le système prostitutionnel présenté, au nom de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, par votre rapporteure.

Aux termes de l’article 4 de la proposition de loi, le fonds aurait pour fonction de contribuer aux actions définies à l’article L. 121-9 du code de l’action sociale et des familles (CASF) dans sa rédaction issue de l’article 3 de la présente proposition de loi, de soutenir les initiatives relatives à l’insertion des personnes prostituées, de prévenir l’entrée dans la prostitution et de sensibiliser les populations aux effets de la prostitution sur la santé.

Le fonds bénéficierait de trois types de financements :

––  des crédits versés par l’État dont le montant sera arrêté en loi de finances. D’après les informations transmises à votre rapporteure par le ministère des droits des femmes, la dotation de l’État pourrait provenir du redéploiement de crédits aujourd’hui affectés à plusieurs programmes budgétaires identifiés par ledit ministère : « Égalité entre les femmes et les hommes » (programme 137), « Prévention de l’exclusion et insertion des personnes vulnérables » (programme 177), « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins » (programme 204), « Accès au droit et à la justice » (programme 101), « Police nationale » (programme 176), et « Gendarmerie nationale » (programme 152). Notons par ailleurs qu’une action 15 « Prévention et lutte contre la prostitution et la traite des êtres humains » est créée au sein du programme 137 afin de donner plus de lisibilité à cette politique et de renforcer l’action à destination des personnes prostituées, notamment en matière d’accompagnement sanitaire et social. Les autorisations d’engagement comme les crédits de paiement qui lui sont alloués s’élèvent à 2,39 millions d’euros dans le projet de loi de finances pour 2014 ;

––  des recettes provenant de la confiscation des biens meubles ou immeubles, divis ou indivis ayant servi directement ou indirectement à commettre l’infraction ainsi que les produits de l’infraction détenus par les réseaux de traite et de proxénétisme, autorisée par le 1° de l’article 225-24 du code pénal (52) ;

––  d’un montant, déterminé annuellement par arrêté interministériel, prélevé sur le produit de l’amende créée par l’article 16 de la présente proposition de loi, qui modifie l’article 225-12-1 du code pénal pour sanctionner d’une contravention de la cinquième classe le recours à l’achat d’actes sexuels.

Le dispositif proposé s’inspire en partie de celui qui existe en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants : en effet, en application de l’article 1er du décret n° 95-322 du 17 mars 1995, « le produit des recettes provenant de la confiscation des biens mobiliers ou immobiliers des personnes reconnues coupables d’infractions en matière de trafic de stupéfiants est assimilé à un fonds de concours pour dépenses d’intérêt public » (53). Ce fonds de concours poursuit un double objectif : en premier lieu, priver les personnes coupables de trafic de stupéfiants du patrimoine illégalement constitué et, en second lieu, renforcer l’action des services impliqués dans la lutte contre la drogue par le biais d’un soutien financier spécifique. Le montant des recettes gérées par la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT), créée par le décret n° 82-10 du 8 janvier 1982 et placée sous l’autorité du Premier ministre, a d’ailleurs considérablement augmenté depuis plusieurs années, passant de 1,3 million d’euros en 2007 à 23 millions d’euros en 2011 (54).

Le fonds pour la prévention de la prostitution et l’accompagnement social et professionnel des personnes prostituées serait chargé de financer les actions résultant de la création du parcours de sortie de la prostitution créé par l’article 3 de la présente proposition de loi, et notamment :

––  l’accompagnement social à proprement parler, confié à des associations constituées pour l’aide et l’accompagnement des personnes prostituées et agréées par l’État à cet effet ;

––  la prise en charge des besoins sanitaires : soins préventifs et curatifs ;

––  l’aide à la recherche dun emploi en amont de l’aide traditionnelle offerte par le service public de l’emploi.

D’après les calculs du ministère des droits des femmes, communiqués à votre rapporteure, le quart des personnes prostituées en France devrait avoir bénéficié, dici trois ans, dun accompagnement financé par le fonds, ce qui représenterait une dépense nouvelle mais temporaire d’environ 13 millions d’euros par an (et donc de 40 millions d’euros sur trois ans).

Le fonds aurait cependant vocation à intervenir au-delà du seul financement des actions entrant dans le cadre du parcours de sortie de la prostitution et devrait également financer, entre autres, des actions favorisant l’accès aux droits et l’insertion des personnes prostituées, des programmes de réduction des risques sanitaires ou encore des opérations de sensibilisation des populations, et notamment des clients. Au regard des informations transmises par le ministère des droits des femmes à votre rapporteure, le montant des dépenses induites par ces actions s’élèverait à environ 7,5 millions d’euros par an.

Au total et d’après ces mêmes informations, le montant des dépenses annuelles prises en charge par le fonds peut être estimé, pour les trois premières années, à 20 millions d’euros.

*

* *

La Commission adopte successivement l’amendement rédactionnel CS42, l’amendement CS43 rectifiant une erreur matérielle et l’amendement de clarification rédactionnelle CS44, tous de la rapporteure.

Puis elle adopte l’article 4 ainsi modifié.

Article 5 (supprimé)
(art. L. 247 du livre des procédures fiscales)
Remises fiscales gracieuses pour les personnes engagées dans un parcours de sortie de la prostitution

Dans la rédaction initiale de la proposition de loi, cet article ouvrait aux personnes prostituées engagées dans le parcours de sortie de la prostitution prévu à l’article L. 121-9 du code de l’action sociale et des familles (CASF) modifié par l’article 3 de la présente proposition de loi le bénéfice des dispositions du 1° de l’article L. 247 du livre des procédures fiscales, autorisant l’administration à accorder des remises fiscales à titre gracieux.

Sur proposition de votre rapporteure, cet article a été supprimé car ses dispositions ont été reprises à l’article 3 de la proposition de loi tel qu’adopté par la commission spéciale, dans un souci de plus grande lisibilité du nouveau dispositif de parcours de sortie de la prostitution.

Ces dispositions font écho à la recommandation n° 30 du rapport d’information sur le renforcement de la lutte contre le système prostitutionnel fait, au nom de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, par votre rapporteure.

Comme le notent les auteurs du rapport d’information sur la situation sanitaire et sociale des personnes prostituées (55), les revenus perçus par les personnes prostituées sont généralement imposables au titre des bénéfices non commerciaux (BNC) sur le fondement du 1 de l’article 92 du code général des impôts (CGI) en application duquel « les bénéfices des professions libérales, des charges et offices dont les titulaires n’ont pas la qualité de commerçants et de toutes occupations, exploitations lucratives et sources de profits ne se rattachant pas à une autre catégorie de bénéfices ou de revenus » entrent dans la catégorie des BNC.

En l’état actuel du droit, le 1° de l’article L. 247 du livre des procédures fiscales dispose que l’administration peut, sur la demande du contribuable, accorder des « remises totales ou partielles d’impôts directs régulièrement établis » lorsque celui-ci est dans l’impossibilité de payer par suite de gêne ou d’indigence. D’après la doctrine en la matière, cet état peut notamment résulter :

––  de circonstances exceptionnelles telles que la faillite, le chômage, le décès du conjoint, le divorce, l’invalidité ;

––  d’événements, comme la maladie, ayant entraîné des dépenses anormalement élevées ;

––  d’une disproportion entre la dette fiscale et le niveau des revenus du contribuable.

L’article R.* 247-1 du livre des procédures fiscales précise qu’il revient au contribuable de formuler une demande tendant à obtenir, à titre gracieux, une remise d’impôts. La remise gracieuse relève néanmoins de l’appréciation discrétionnaire de l’autorité administrative. À cet égard, l’administration fiscale considère à ce jour qu’« en cas d’arrêt de l’activité prostitutionnelle et donc de diminution des revenus disponibles, il est tout à fait possible d’obtenir des modalités d’étalement du paiement dû au titre de l’année précédente, voire une remise gracieuse d’une partie de l’impôt dû » (56).

Ainsi que le rappellent M. Jean-Pierre Godefroy et Mme Chantal Jouanno dans leur rapport d’information déjà cité, les remises gracieuses sont cependant accordées à la triple condition que les personnes aient abandonné la prostitution, qu’elles aient retrouvé une activité professionnelle et qu’elles n’aient pas conservé le produit de leur activité antérieure. Les personnes prostituées ne peuvent donc pas réellement bénéficier de la possibilité ouverte par le 1° de l’article L. 247 du livre des procédures fiscales, en raison du caractère très dissuasif de cette triple condition.

Tirant les conséquences de cette limite et afin que la perspective du paiement de l’impôt après la cessation de l’activité prostitutionnelle et la perte de revenus non négligeable qu’elle est susceptible d’entraîner ne constituent pas des obstacles à la sortie de la prostitution, l’article 5 de la proposition de loi proposait un assouplissement du régime en vigueur puisque le seul engagement dans un parcours de sortie de la prostitution devait suffire à garantir aux personnes concernées le bénéfice de « remises gracieuses » d’impôts directs. C’est ce que prévoit désormais l’alinéa 5 de l’article 3 de la proposition de loi dans sa version adoptée par la commission spéciale.

*

* *

La Commission est saisie de l’amendement CS67 de la rapporteure, tendant à la suppression de l’article.

Mme la rapporteure. Cet article est devenu sans objet du fait de la nouvelle rédaction de l’article 3.

La Commission adopte l’amendement et l’article 5 est ainsi supprimé.

En conséquence, l’amendement CS45 tombe.

Article 6
(art. L. 316-1 et L. 316-1-1 [nouveau] du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile)

Admission au séjour des étrangers victimes de la traite des êtres humains ou du proxénétisme

Cet article modifie le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) afin de faciliter l’obtention d’un titre de séjour par les victimes de la traite des êtres humains et du proxénétisme. À cette fin, le présent article prévoit :

—  d’une part, le renouvellement de plein droit, jusqu’à la fin de la procédure pénale dans laquelle elles sont, le cas échéant, engagées, de la carte de séjour temporaire délivrée aux victimes de ces infractions ;

—  d’autre part, la création d’une nouvelle procédure d’admission au séjour pour ces victimes, dès lors qu’elles sont engagées dans un parcours de sortie de la prostitution, indépendamment de leur coopération avec les autorités judiciaires.

Ces deux réformes mettent en œuvre les recommandations n°s 14 et 15 du rapport d’information, déjà cité, présenté par votre rapporteure, au nom de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, sur le renforcement de la lutte contre le système prostitutionnel.

(2) Le renouvellement, jusqu’à la fin de la procédure pénale, de la carte de séjour temporaire délivrée aux victimes de la traite des êtres humains ou du proxénétisme coopérant avec les autorités judiciaires

Le prévoit que la carte de séjour temporaire délivrée, en application de l’article L. 316-1 du CESEDA, aux étrangers ayant déposé plainte pour les infractions de traite des êtres humains ou de proxénétisme ou ayant témoigné dans une procédure pénale concernant ces infractions soit renouvelée jusqu’à la fin de la procédure pénale en cause.

a. L’état du droit

Les dispositions de l’article L. 316-1 sont issues de la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure (article 76). Celle-ci avait créé une procédure spécifique de délivrance d’une autorisation provisoire de séjour (APS) à l’étranger qui dépose plainte contre une personne qu’il accuse d’avoir commis à son encontre les infractions de traite des êtres humains ou de proxénétisme ou qui témoigne dans une procédure pénale concernant une personne poursuivie pour ces mêmes infractions.

Ces dispositions de la loi du 18 mars 2003, codifiées en 2004 à l’article L. 316-1 du CESEDA (57), ont par la suite été modifiées par la loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et à l’intégration (article 39), afin de les mettre en conformité avec la directive 2004/81/CE du Conseil du 29 avril 2004 relative au titre de séjour délivré aux ressortissants de pays tiers qui sont victimes de la traite des êtres humains ou ont fait l’objet d’une aide à l’immigration clandestine et qui coopèrent avec les autorités compétentes. L’article 8 de cette directive prévoit, en effet, que les personnes concernées qui coopèrent avec la justice doivent se voir délivrer un titre de séjour valable pendant une période minimale de six mois. Or, l’autorisation provisoire de séjour délivrée en application de l’article L. 316-1 du CESEDA pouvait avoir une durée inférieure à six mois. La loi du 24 juillet 2006 lui a donc substitué une carte de séjour portant la mention « vie privée et familiale ».

L’état actuel du droit est donc fixé par l’article L. 316-1 du CESEDA, complété par les dispositions réglementaires (articles R. 316-1 à R. 316-5) introduites dans ce même code par le décret n° 2007-1352 du 13 septembre 2007 (58). Il convient également de citer la circulaire du 5 février 2009 relative aux conditions d’admission au séjour des étrangers victimes de la traite des êtres humains ou du proxénétisme coopérant avec les autorités judiciaires (59), même si, en l’absence de publication sur le site Internet www.circulaire.legifrance.gouv.fr à la date du 1er mai 2009, ce texte est réputé abrogé conformément à l’article 2 du décret n° 2008-1281 du 8 décembre 2008 relatif aux conditions de publication des instructions et circulaires.

● Le premier alinéa de l’article L. 316-1 du CESEDA prévoit qu’une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » peut être délivrée à l’étranger qui :

––  soit dépose plainte contre une personne qu’il accuse d’avoir commis à son encontre les infractions visées aux articles 225-4-1 à 225-4-6 (traite des êtres humains) et 225-5 à 225-10 (proxénétisme) du code pénal ;

––  soit témoigne dans une procédure pénale concernant une personne poursuivie pour ces mêmes infractions.

Cette délivrance est opérée sous réserve que la présence de l’étranger concerné ne constitue pas une menace à l’ordre public. Elle n’est pas subordonnée à la condition prévue à l’article L. 311-7 du même code, à savoir la production d’un visa pour un séjour d’une durée supérieure à trois mois. La carte de séjour temporaire délivrée ouvre le droit à l’exercice d’une activité professionnelle.

Le second alinéa de l’article L. 316-1 prévoit que, en cas de condamnation définitive (c’est-à-dire après épuisement de toutes les voies de recours) de la personne mise en cause, une carte de résident peut être délivrée à l’étranger ayant déposé plainte ou témoigné.

● Les articles R. 316-1 à R. 316-5 du CESEDA précisent les modalités de mise en œuvre de cette procédure.

L’article R. 316-1 prévoit que les services de police ou de gendarmerie, lorsqu’ils disposent d’éléments permettant de considérer qu’un étranger, victime d’une infraction constitutive de la traite des êtres humains ou du proxénétisme, est susceptible de porter plainte contre les auteurs de cette infraction ou de témoigner contre eux, doivent l’informer de la possibilité d’admission au séjour et du droit à l’exercice d’une activité professionnelle qui lui sont ouverts par l’article L. 316-1 du CESEDA, ainsi que des mesures d’accueil, d’hébergement et de protection prévues par les articles R. 316-6 à R. 316-10 du même code et des droits mentionnés à l’article 53-1 du code de procédure pénale (droits d’obtenir réparation du préjudice subi, de se constituer partie civile, d’obtenir une aide juridique, etc.). Ces informations peuvent être fournies, complétées ou développées par des associations spécialisées dans le soutien aux personnes prostituées ou victimes de la traite des êtres humains, dans l’aide aux migrants ou dans l’action sociale, désignées à cet effet par le ministre chargé de l’action sociale.

Ce même article indique que le service de police ou de gendarmerie concerné doit informer l’étranger qu’il dispose d’un délai de réflexion de trente jours pour choisir de bénéficier ou non de la possibilité d’admission au séjour prévue par l’article L. 316-1. S’il choisit de bénéficier de ce délai, il se voit délivrer un récépissé de même durée et aucune mesure d’éloignement ne peut être prise à son encontre durant ledit délai (article R. 316-2). Ce délai de réflexion peut cependant, à tout moment, être interrompu et le récépissé retiré si l’étranger a, de sa propre initiative, renoué un lien avec les auteurs des infractions ou si sa présence constitue une menace pour l’ordre public. L’article R. 316-6 précise que le récépissé autorise son titulaire à exercer une activité professionnelle et à accéder à certaines mesures d’assistance énumérées à l’article R. 316-7 du CESEDA (formation professionnelle, allocation temporaire d’attente, accompagnement social et, en cas de danger, protection policière pendant la durée de la procédure pénale).

L’article R. 316-3 du même code précise que la carte de séjour est délivrée pour une durée minimale de six mois. Elle est renouvelable pendant toute la durée de la procédure pénale concernée, sous réserve que les conditions prévues pour sa délivrance continuent d’être satisfaites. Elle peut être délivrée à un mineur âgé d’au moins seize ans, s’il remplit les conditions posées et s’il déclare vouloir exercer une activité professionnelle salariée ou suivre une formation professionnelle.

En application de l’article R. 316-4 du CESEDA, la carte de séjour peut être retirée :

––  si son titulaire a renoué avec les auteurs des infractions ;

––  si le dépôt de plainte ou le témoignage de l’étranger est mensonger ou non fondé ;

––  si la présence de son titulaire constitue une menace pour l’ordre public.

Les articles R. 316-6 à R. 316-10 précisent les dispositifs de protection, d’accueil et d’hébergement auxquels les étrangers victimes de la traite des êtres humains et du proxénétisme ont accès. Les titulaires de la carte de séjour temporaire délivrée en application de l’article L. 316-1 peuvent ainsi bénéficier de l’ouverture des droits à une protection sociale, de l’allocation temporaire d’attente, d’un accompagnement social destiné à les aider à accéder aux droits et à retrouver leur autonomie ainsi que, en cas de danger, à une protection policière pendant la durée de la procédure pénale. Ils bénéficient également de l’accès aux dispositifs d’accueil, d’hébergement, de logement temporaire et de veille sociale pour les personnes défavorisées mentionnés au 8° du I de l’article L. 312-1 et à l’article L. 345-2 du code de l’action sociale et des familles, ainsi qu’aux centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) mentionnés au dernier alinéa de l’article L. 345-1 du même code.

● La circulaire du 5 février 2009, qui peut être considérée comme abrogée compte tenu de son absence de reprise sur le site Internet www.circulaire.legifrance.gouv.fr, outre le rappel du dispositif législatif et réglementaire en vigueur, apporte quelques précisions relatives à des situations particulières.

Elle indique, par exemple, que si la procédure pénale n’aboutit pas à une condamnation pénale des auteurs, pour diverses raisons qui ne remettent pas en cause la réalité des faits rapportés par la personne invoquant sa qualité de victime, les préfets devront examiner avec bienveillance, dans le cadre de leur pouvoir d’appréciation, la possibilité du maintien au séjour, soit sur le fondement de l’article L. 313-11-7 du CESEDA pour des motifs tenant à la vie privée ou familiale, soit sur le fondement de l’article L. 313-14 du même code pour des raisons exceptionnelles ou humanitaires.

Par ailleurs, si la victime a elle-même été condamnée (pour racolage, par exemple) dans le cadre de la procédure judiciaire qu’elle a contribué à initier, pour des infractions mineures au regard des faits jugés et de sa contribution au démantèlement du réseau qui l’a exploitée, les préfets pourront envisager favorablement le maintien du droit au séjour accordé au titre de l’article L. 316-1 du CESEDA.

Enfin, la circulaire invite les préfets à prêter une attention toute particulière aux situations de détresse des victimes des infractions de traite ou de proxénétisme en situation irrégulière qui ne coopèrent pas avec les autorités judiciaires par crainte de représailles sur leur personne ou des membres de leur famille. Elle rappelle qu’ils ont la possibilité d’envisager la délivrance à ces victimes d’un titre de séjour, en dérogeant à l’obligation de témoignage ou de dépôt de plainte, en tenant compte des éléments permettant de caractériser leur situation de victime et des efforts de réinsertion consentis (inscription à une formation linguistique, professionnelle, exercice d’une activité professionnelle, etc.).

● Le nombre de titres de séjour délivrés au titre de l’article L. 316-1 du CESEDA reste peu élevé, mais est en augmentation, comme en atteste le tableau suivant :

NOMBRE DE TITRES DE SÉJOUR DÉLIVRÉS AU TITRE DE L’ARTICLE L. 316-1 DU CESEDA

Type de titre

2008

2009

2010

2011

2012

2013
(10 mois)

Carte de résident

créations (premiers titres)

       

5

4

Carte de résident (renouvellements)

     

16

9

4

Total cartes de résident

       

14

8

Carte de séjour temporaire créations (premiers titres)

< 1 an

1 an

Total (créations)

2

9

11

3

49

52

12

54

66

6

42

48

2

36

38

2

26

28

Carte de séjour temporaire renouvellements

< 1 an

1 an

Total (renouvellements)

1

3

4

2

33

35

3

70

73

5

115

120

10

134

144

5

105

110

Total cartes de séjour temporaires (créations + renouvellements)

15

87

139

168

182

138

Total cartes de séjour temporaires + cartes de résident (créations et renouvellements)

15

87

139

184

196

146

Source : Ministère de l’Intérieur.

● Les étrangers qui se voient délivrer une carte de séjour temporaire « vie privée et familiale » en application de l’article L. 316-1 du CESEDA doivent acquitter une taxe et un droit de timbre d’un montant cumulé de 260 euros lors de la primo-délivrance de ce titre et de 106 euros lors de son renouvellement. La délivrance de la carte de résident fait l’objet d’une taxe et d’un droit de timbre de 260 euros. Le produit de ces taxes est affecté à l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) et à l’Agence nationale des titres sécurisés (ANTS).

On notera que la suppression de ces taxes et droits de timbre est prévue par l’article 14 du projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes, adopté par le Sénat en première lecture le 17 septembre 2013 et actuellement en cours d’examen par l’Assemblée nationale.

b. La modification proposée : le renouvellement de plein droit de la carte de séjour temporaire jusqu’à la fin de la procédure pénale

La modification proposée par le 1° du présent article consiste à compléter le premier alinéa de l’article L. 316-1 du CESEDA par une phrase précisant que la carte de séjour temporaire « est renouvelée pendant toute la durée de la procédure pénale, sous réserve que les conditions prévues pour sa délivrance continuent d’être satisfaites ». La règle posée est logique et cohérente : la carte de séjour temporaire délivrée en application de l’article L. 316-1 a pour objet d’accorder à la personne étrangère victime des infractions mentionnées un droit au séjour durant toute la procédure pénale. Il convient par conséquent qu’elle soit renouvelée, si sa durée initiale ne va pas jusqu’au terme de cette procédure, jusqu’à ce que ladite procédure soit terminée.

La rapporteure a relevé plus haut une disposition similaire dans la partie réglementaire du CESEDA, à l’article R. 316-3, dernier alinéa. La rédaction proposée diffère cependant de la disposition existante sur un point important : elle substitue les mots « est renouvelée » aux mots « est renouvelable ». Ce changement aura pour effet de placer l’autorité préfectorale dans une situation de compétence liée, et non plus discrétionnaire : une fois la carte de séjour temporaire délivrée, elle sera tenue de renouveler celle-ci jusqu’au terme de la procédure pénale engagée. Le renouvellement de la carte de séjour temporaire devient par conséquent de plein droit, si les conditions prévues pour sa délivrance continuent d’être satisfaites.

Dès lors, le caractère législatif de la règle concernée ne fait aucun doute. En effet, la compétence de principe du législateur en matière de droit des étrangers n’est pas contestée. Si la ligne de partage entre la loi et le règlement en matière de droit des étrangers n’est pas tranchée directement par la Constitution, l’article 34 ne mentionnant pas cette matière parmi celles figurant dans le domaine de la loi, les principales sources du droit des étrangers qui se sont succédé, l’ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France et, depuis le 1er mars 2005, le CESEDA, sont de nature, pour l’essentiel, législative. La compétence du législateur trouve un ancrage constitutionnel indirect dans les conséquences que les règles d’entrée et de séjour des étrangers peuvent avoir sur « les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques » (60) et sur « la liberté individuelle », que les articles 34 et 66 de la Constitution font relever du domaine de la loi, et elle a été confirmée par le Conseil constitutionnel à deux reprises (61).

En l’espèce, la règle concernée, relative au renouvellement de plein droit du titre de séjour, relève donc de la compétence législative, car elle constitue une garantie fondamentale pour l’étranger en cause. Son élévation au rang législatif, outre qu’elle confortera le statut de cette règle, permettra ainsi d’assurer le respect de la hiérarchie des normes.

9. L’admission au séjour des étrangers victimes de la traite ou du proxénétisme ayant cessé l’activité de prostitution et pris en charge par une association agréée

Le du présent article vise à créer une nouvelle procédure d’admission au séjour pour les victimes de la traite ou du proxénétisme, dès lors qu’elles sont engagées dans le parcours de sortie de la prostitution mentionné par l’article L. 121-9 du code de l’action sociale et des familles (cf. article 3 de la présente proposition de loi), indépendamment de leur coopération avec les autorités judiciaires.

Ce nouveau dispositif a pour objet de prendre en compte la situation de nombreuses victimes de la traite des êtres humains ou du proxénétisme, qui ne sont pas en mesure de dénoncer les réseaux dont elles sont victimes, soit parce qu’elles craignent les représailles dont elles ou leurs familles pourraient faire l’objet, soit parce qu’elles ne sont pas encore prêtes à dénoncer un réseau qui constitue leur seul tissu social depuis leur arrivée en France.

Plusieurs instruments internationaux et européens invitent d’ailleurs la France à ne pas subordonner la protection et l’assistance accordées aux victimes de la traite des êtres humains à leur coopération dans le cadre de l’enquête, des poursuites et du procès visant le ou les auteurs de ces infractions.

L’article 11, paragraphe 3, de la directive 2011/36/UE du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes, prévoit ainsi que « les États membres prennent les mesures nécessaires pour que l’octroi d’une assistance et d’une aide à une victime ne soit pas subordonné à sa volonté de coopérer dans le cadre de l’enquête, des poursuites ou du procès pénaux […] ». Dans le même sens, l’article 18, paragraphe 4, de la convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, signée à Istanbul le 11 mai 2011 (dite « Convention d’Istanbul ») stipule que « la fourniture de services [de protection et de soutien] ne doit pas dépendre de la volonté des victimes d’engager des poursuites ou de témoigner contre tout auteur d’infraction ».

Ces dispositions ne visent, certes, pas la délivrance d’un titre de séjour (62), mais une application cohérente de ces deux instruments exige d’opérer un tel lien : une majorité de victimes de la traite des êtres humains étant étrangère, leur accès aux services d’assistance et de soutien est évidemment conditionné par l’obtention d’un titre de séjour. Si l’accès à ces services ne doit pas être subordonné à leur coopération avec les autorités policières et judiciaires, il en va évidemment de même de leur droit au séjour.

Le dispositif proposé serait inséré au sein d’un nouvel article L. 316-1-1 du CESEDA. Il s’inspire de celui prévu à l’article L. 316-1 sur plusieurs points :

––  l’admission au séjour est subordonnée à l’absence de menace à l’ordre public ;

––  la condition prévue à l’article L. 311-7 du CESEDA, à savoir la production d’un visa pour un séjour d’une durée supérieure à trois mois, n’est pas exigée ;

––  l’étranger admis au séjour disposera du droit d’exercer une activité professionnelle.

Il en diffère cependant sur deux autres points importants.

En premier lieu, comme cela a été mentionné, cette admission au séjour est ouverte aux victimes des infractions de traite des êtres humains et de proxénétisme, indépendamment de leur coopération avec les autorités judiciaires, la condition exigée étant que ces victimes soient engagées dans le parcours de sortie de la prostitution prévu par l’article L. 121-9 du code de l’action sociale et des familles (CASF), dans sa rédaction issue de l’article 3 de la présente proposition de loi. La rédaction initiale du présent article prévoyait que les victimes devaient être prises en charge par une association agréée ayant pour objet statutaire l’aide et l’accompagnement des personnes soumises à la prostitution. La commission spéciale, sur la proposition de notre collègue Sylvie Tolmont et des membres du groupe socialiste, républicain et citoyen, a substitué à cette condition, qui apparaissait insuffisamment précise, celle d’être engagé dans le parcours de sortie de la prostitution. Ce dispositif s’inspire du parcours social créé, en Italie, par l’article 18 du décret législatif n° 286-1998 du 25 juillet 1998, lequel permet la délivrance d’un titre de séjour provisoire, indépendamment de la collaboration de la victime avec la police et la justice, à condition qu’elle intègre un programme d’insertion et d’assistance sociale mis en place par une collectivité locale ou une association agréée.

En second lieu, le titre de séjour délivré ne sera pas une carte de séjour temporaire « vie privée et familiale », d’une durée minimale de six mois, mais une autorisation provisoire de séjour (APS), d’une durée de six mois.

La commission spéciale a précisé, sur l’initiative de la rapporteure, que l’autorisation provisoire de séjour délivrée sera renouvelable pendant toute la durée du parcours de sortie de la prostitution, afin de sécuriser ce parcours.

Une coordination a également été insérée à l’article L. 316-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, afin d’habiliter le pouvoir réglementaire à préciser, par décret en Conseil d’État, les conditions de délivrance, de renouvellement et de retrait de l’autorisation provisoire de séjour mentionnée au nouvel article L. 316-1-1 du même code.

*

* *

La Commission examine l’amendement CS12 de M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Pour faciliter la sortie de la prostitution, il n’y a pas lieu d’instaurer, pour la délivrance d’une carte de séjour temporaire, un traitement différent entre les victimes qui poursuivent leur activité et celles qui y ont mis fin et ont déposé plainte contre les réseaux, d’autant qu’il ne faut pas oublier que les cas de rechute sont fréquents.

Dans son avis du 18 décembre 2009 sur la traite et l’exploitation des êtres humains en France, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) recommande qu’un titre de séjour temporaire soit remis de plein droit et sans condition à toute victime de traite ou d’exploitation. Elle rappelle que « subordonner leur délivrance à la cessation d’une activité licite constitue une discrimination, en violation des textes internationaux auxquels la France est partie ».

En supprimant la condition de cessation de l’activité de prostitution, nous visons à rendre la lutte contre la prostitution plus efficace, conformément aux souhaits de Mme la rapporteure.

Mme la rapporteure. Avis défavorable. Cet amendement est contraire au but poursuivi par la proposition de loi, qui est d’inciter les personnes concernées à sortir de la prostitution. Son adoption enverrait un très mauvais signal. La délivrance d’une carte de séjour temporaire doit rester subordonnée à la rupture par les victimes de tout lien avec les auteurs de l’infraction dénoncée, comme c’est le cas actuellement.

Mme Ségolène Neuville. Il serait dangereux de revenir sur cette condition. Cela constituerait un véritable appel d’air pour les réseaux criminels, toujours prêts à exploiter les législations qui peuvent leur être favorables.

M. Sergio Coronado. Mme Neuville, contrairement aux dispositions de cette proposition de loi qui n’ont pas fait l’objet d’une étude d’impact, les recommandations émises par la CNCDH n’ont pas été adoptées sans que cette dernière ait préalablement étudié le problème et pris en considération l’argument relatif à un potentiel « appel d’air » qu’exploiteraient les réseaux de prostitution.

Si, selon la logique du texte que vous défendez, toute personne prostituée est une victime, et s’il n’existe pas de prostituée volontaire, alors elles doivent toutes bénéficier des mêmes droits. À moins qu’à vos yeux, toutes les victimes ne se vaillent pas : certaines seraient à moitié coupables, d’autres totalement victimes !

M. Charles de Courson. Si le bénéfice du titre de séjour est possible même en cas de poursuite de l’activité de prostitution, la mesure perd son caractère incitatif. La seule question qui se pose à mon sens est celle du retrait du titre de séjour en cas de reprise d’une activité de prostitution. Mme la rapporteure peut-elle nous confirmer qu’il y aura bien ce retrait ?

Mme la rapporteure. Ce sera le cas. En particulier, l’autorité administrative sera amenée à s’opposer, le moment venu, au renouvellement de la carte de séjour temporaire si elle constate que l’engagement pris par la personne bénéficiaire n’a pas été respecté.

M. Sergio Coronado. Mme la rapporteure, pouvons-nous savoir combien de prostituées ont bénéficié d’un titre de séjour leur permettant de sortir de la prostitution ?

Mme la rapporteure. En 2012, trente-huit cartes de séjour temporaires ont été attribuées pour une première fois, et cent quarante-quatre ont été renouvelées.

La Commission rejette l’amendement CS12.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel CS52 de la rapporteure.

Elle en vient ensuite à l’amendement CS59, également de la rapporteure.

Mme la rapporteure. Cet amendement dispose qu’une carte de résident permanent sera délivrée de plein droit, sous réserve de la régularité du séjour, à l’étranger ayant déposé plainte ou témoigné, sauf si sa présence constitue une menace pour l’ordre public.

Mme Ségolène Neuville. Après avoir entendu le ministre de l’intérieur, notre groupe estime que le préfet doit conserver son pouvoir d’appréciation concernant cette délivrance : c’est en effet à lui qu’il appartient de vérifier que toutes les conditions en sont réunies.

L’amendement est retiré.

La Commission est saisie de l’amendement CS19 de Mme Marie-Louise Fort.

Mme Marie-Louise Fort. Cet amendement visant à supprimer les alinéas 4 et 5 de l’article 6 constitue un amendement d’appel, afin que le dispositif qui consiste à octroyer un permis de séjour temporaire et un permis de travail aux personnes qui sont engagées dans un parcours de sortie de prostitution soit mieux défini dans la loi.

Les personnes étrangères qui entrent illégalement en France se trouvent parfois dans une telle détresse que certaines pourraient, non pas détourner le dispositif en prétendant abusivement qu’elles ont été prostituées, mais recourir sciemment à la prostitution afin, dans un second temps, d’obtenir un permis de séjour et de travail. Le dispositif pourrait être également détourné par les réseaux qui organisent l’entrée de clandestins sur le territoire. Ces risques ont-ils vraiment été mesurés ?

Mme la rapporteure. Mme Fort, votre appel a été entendu. La nouvelle rédaction de l’article 3 précise le contenu et les modalités du parcours de sortie de la prostitution. De plus, pour l’obtention de l’autorisation provisoire de séjour de six mois, l’amendement CS60 de Mme Sylvie Tolmont, que nous examinerons dans quelques instants, remplace la condition de prise en charge par une association par l’engagement dans un parcours de sortie de prostitution. L’autorité administrative sera bien évidemment amenée à statuer sur les demandes d’autorisation provisoire de séjour.

Mme Marie-Louise Fort. Mon amendement visait à prévenir un risque en amont du parcours de sortie de la prostitution. Le dispositif que vous souhaitez mettre en place pourrait constituer un appel d’air pour des personnes qui font preuve d’une imagination sans limites pour faire entrer des étrangers en France et pour ceux qui sont prêts à tout afin de bénéficier d’un titre de séjour.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CS49 rectifié de Mme Sylvie Tolmont.

Mme Sylvie Tolmont. La sortie de prostitution peut prendre largement plus de six mois. Il faut permettre que la durée du parcours dépasse cette durée afin qu’il ne soit pas interrompu. L’autorisation de séjour de six mois doit donc être renouvelable si les conditions de sa délivrance continuent d’être satisfaites. Les amendements CS60 et CS61 sont de conséquence.

Mme la rapporteure. Mme Tolmont, je vous invite à retirer votre amendement au profit du CS62, que j’ai déposé. L’objectif visé est strictement le même ; je propose seulement, dans un souci de lisibilité et de clarté, de rédiger une phrase distincte.

En revanche, j’approuverai les amendements de conséquence.

L’amendement est retiré.

La Commission adopte l’amendement de précision CS55 de la rapporteure.

Elle est saisie de l’amendement CS13 de M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Puisque le fait de se prostituer n’est pas un délit dans notre pays – même si certains considèrent qu’il s’agit d’une faute morale – et que, pour vous, toutes les personnes prostituées sont des victimes, je ne comprends pas pourquoi vous considérez que seules méritent d’être aidées celles qui dénoncent les réseaux. Pourquoi ne pas accompagner toutes les victimes dans leur sortie de prostitution, quelles qu’elles soient – d’autant qu’en laisser certaines sans papiers ne fait que les fragiliser encore davantage ? Trier les victimes est extrêmement choquant !

Mme Neuville, le préfet n’a pas toujours joué un rôle décisionnaire en matière de délivrance de cartes de séjour et de nombreuses associations, proches de nos idées, ont d’ailleurs dénoncé son intervention. Au regard de l’impératif d’accompagnement des victimes, vous feriez erreur en lui donnant le pouvoir d’apprécier le parcours de sortie de la prostitution.

Je constate que vous accumulez les obstacles et les conditions préalables qui finiront par vider la proposition de loi des avancées qu’elle pouvait contenir en matière de sortie de la prostitution. Vous faites comme si ces parcours étaient linéaires et prévisibles alors qu’ils sont chaotiques et difficiles. En définitive, il ne restera de votre texte que la pénalisation des clients.

Mme la rapporteure. Avis défavorable. Nous devons pouvoir inciter les personnes concernées à sortir de la prostitution.

M. Coronado, nous n’ignorons pas les difficultés d’une sortie de prostitution. Le rapport d’information adopté en septembre dernier par la Délégation aux droits des femmes comporte vingt-cinq recommandations sur le sujet. Les amendements que nous adoptons aujourd’hui montrent que nous souhaitons que ce parcours se déroule dans les meilleures conditions.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine les amendements CS60 et CS62 de Mme Sylvie Tolmont, pouvant faire l’objet d’une présentation commune.

Mme Sylvie Tolmont. Je les ai déjà présentés en défendant l’amendement CS49 rectifié.

Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la Commission adopte successivement ces deux amendements.

Puis elle adopte successivement l’amendement CS62, précédemment défendu, et l’amendement de coordination CS56, tous deux de la rapporteure.

Elle adopte enfin l’article 6 ainsi modifié.

Article 7
(art. L. 5423-8 du code du travail)
Extension du bénéfice de l’allocation temporaire d’attente (ATA) aux étrangers titulaires d’une autorisation provisoire de séjour et engagés dans un parcours de sortie de la prostitution

Cet article a pour objet d’étendre le bénéfice de l’allocation temporaire d’attente (ATA) aux étrangers victimes de la traite des êtres humains ou du proxénétisme, engagés dans un parcours de sortie de la prostitution et auxquels une autorisation provisoire de séjour (APS) aura été accordée en application du nouvel article L. 316-1-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA).

Cette extension met en œuvre la recommandation n° 18 du rapport d’information présenté par votre rapporteure, au nom de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, sur le renforcement de la lutte contre le système prostitutionnel, précité.

10. L’état du droit

En l’état du droit, l’allocation temporaire d’attente est versée :

––  aux étrangers âgés de plus de dix-huit ans qui sont demandeurs d’asile, pendant la durée de la procédure d’instruction de leur demande ;

––  aux étrangers bénéficiaires de la protection temporaire ou de la protection subsidiaire (63), pendant toute la durée de leur protection ;

––  aux étrangers victimes de la traite des êtres humains ou du proxénétisme titulaires d’une carte de séjour temporaire « vie privée et familiale » au titre de l’article L. 316-1 du CESEDA, pendant la durée de validité de la carte de séjour ;

––  aux apatrides, pendant une durée maximale de douze mois ;

––  à certaines catégories de personnes en attente de réinsertion (64) pendant une durée maximale de douze mois.

Son versement est soumis, pour tous les demandeurs, à une condition de ressources (celles-ci doivent être inférieures au montant du « RSA socle » (65)). Une condition de recherche d’emploi s’applique en outre aux apatrides, aux anciennes personnes détenues et aux travailleurs salariés expatriés.

En 2013, le montant de l’allocation temporaire d’attente est de 11,20 euros par jour (66). En 2014, son montant prévisionnel devrait être de 11,37 euros (67), compte tenu d’un taux de revalorisation projeté de 1,5 %. Cette allocation est versée par Pôle Emploi.

11. L’extension du bénéfice de l’ATA aux étrangers victimes de la traite ou du proxénétisme s’engageant dans un parcours de sortie de la prostitution

La modification proposée consiste à ajouter la référence au nouvel article L. 316-1-1 du CESEDA au 4° de l’article L. 5423-8 du code du travail, qui détermine la liste des bénéficiaires de l’ATA. Son effet sera d’étendre l’octroi de l’ATA aux étrangers victimes de la traite ou du proxénétisme engagés dans un parcours de sortie de la prostitution et titulaires d’une autorisation provisoire de séjour.

En effet, l’une des conditions de réussite de la sortie de la prostitution passe par la mise en place d’un soutien financier de transition, permettant aux personnes concernées de faire face à la perte de revenus résultant de la cessation de leur activité, avant leur insertion professionnelle. Or, les personnes étrangères ressortissantes d’un pays n’appartenant pas à l’Espace économique européen (EEE) ne peuvent bénéficier du revenu de solidarité active (RSA) que si elles remplissent l’une des conditions suivantes :

––  elles sont titulaires d’un titre de séjour depuis plus de cinq ans les autorisant à travailler ;

––  elles sont titulaires d’une carte de résident ;

––  elles se sont vues reconnaître le statut de réfugié ;

––  elles sont bénéficiaires de la protection subsidiaire ;

––  elles ont été reconnues apatrides.

Si elles ont moins de 25 ans, ces personnes doivent en outre avoir travaillé deux ans à temps plein sur les trois dernières années pour bénéficier du « RSA jeunes actifs ». Un grand nombre de victimes de la prostitution étrangères ne remplissent pas ces conditions et restent donc à l’écart de ce dispositif, sans relever non plus de l’une des catégories de bénéficiaires de l’ATA susmentionnées, notamment parce qu’elles ne sont pas en mesure de porter plainte ou de témoigner contre le réseau ou le proxénète dont elles ont été victimes. L’extension proposée permettra de mettre un terme à cette lacune.

On observera que cette extension de l’allocation temporaire d’attente ne s’appliquera pas aux ressortissants français ou d’un autre État membre de l’Espace économique européen, qui ne peuvent se voir délivrer une autorisation provisoire de séjour. Or, certains d’entre eux ne remplissent pas non plus les conditions exigées pour bénéficier du RSA ou du « RSA jeunes actifs », parce qu’elles ont moins de 25 ans et qu’elles ne peuvent justifier avoir exercé une activité professionnelle pendant au moins deux ans à temps plein au cours des trois années précédant leur demande. La généralisation du dispositif « garantie jeunes », actuellement expérimenté dans dix territoires (68) jusqu’au 31 décembre 2015 en application du décret n° 2013-880 du 1er octobre 2013 relatif à l’expérimentation de la « garantie jeunes », répondrait à cette difficulté.

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La Commission adopte l’amendement CS57 de la rapporteure, rectifiant une erreur matérielle.

Puis elle adopte l’article 7 ainsi modifié.

Article 8
(art. L. 851-1 du code de la sécurité sociale)
Extension de l’allocation de logement temporaire aux associations agréées
pour l’accompagnement des victimes de la prostitution

Cet article a pour objet détendre la liste des bénéficiaires de l’allocation de logement temporaire (ALT) aux associations ayant pour objet statutaire l’aide et l’accompagnement des personnes prostituées agréées dans les conditions définies par le décret mentionné à l’article L. 121-9 du code de l’action sociale et des familles, dans sa rédaction issue de l’article 3 de la présente proposition de loi.

Il met en œuvre la recommandation n° 29 du rapport d’information présenté par votre rapporteure, au nom de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, sur le renforcement de la lutte contre le système prostitutionnel, précité.

Créée par l’article 1er de la loi n° 91-1406 du 31 décembre 1991 portant diverses dispositions d’ordre social, et codifiée aux articles L. 851-1 et suivants du code de la sécurité sociale, l’allocation de logement temporaire (ALT) a pour objectif de couvrir les frais engagés par les organismes qui mettent à disposition des logements pour les personnes sans domicile. Il s’agit d’une forme d’aide substitutive aux aides habituelles (aide personnalisée au logement, allocation de logement social et allocation de logement familial), qui ne peuvent être mobilisées, certaines conditions liées au séjour (durée trop courte pour permettre la mise en place d’une aide au logement), aux caractéristiques du public (absence totale de ressources des personnes hébergées, titres de séjour temporaire, etc.) ou des logements (disponibilité sur une durée limitée, par exemple) n’étant pas remplies.

Initialement réservée aux associations à but non lucratif dont l’un des objets est l’insertion ou le logement des personnes défavorisées qui ont conclu une convention avec l’État, la liste des bénéficiaires de cette aide a été étendue :

––  aux centres communaux d’action sociale (CCAS) qui ont conclu une convention avec l’État ;

––  aux sociétés de construction dans lesquelles l’État détient la majorité du capital, pour loger à titre temporaire des personnes défavorisées ;

––  aux groupements d’intérêt public (GIP) ayant pour objet de contribuer au relogement des familles et des personnes visées au deuxième alinéa de l’article 4 de la loi n° 90-449 du 31 mai 1990 visant à la mise en œuvre du droit au logement ;

––  à l’établissement public d’insertion de la défense (EPID), pour l’hébergement des jeunes pendant la durée de leur formation.

L’allocation de logement temporaire est financée à la fois par l’État et par la caisse nationale des allocations familiales (CNAF). Le montant de l’aide attribuée à chaque organisme est déterminé de manière forfaitaire par référence, d’une part, au plafond de loyer retenu pour le calcul de l’allocation de logement et, d’autre part, aux capacités réelles et prévisionnelles d’hébergement offertes par l’organisme. Ce montant varie suivant la région et le logement occupé ; il est en moyenne de 350 euros.

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La Commission adopte l’amendement rédactionnel CS58 de la rapporteure.

Elle adopte ensuite l’article 8 ainsi modifié.

Article 9
(art. L. 345-1 du code de l’action sociale et des familles)
Extension aux victimes du proxénétisme et de la prostitution de l’accueil en centres d’hébergement et de réinsertion sociale dans des conditions sécurisantes

Cet article a pour objet d’ajouter les victimes du proxénétisme et de la prostitution à la liste des personnes, incluant actuellement les seules victimes de la traite des êtres humains, qui bénéficient « dans des conditions sécurisantes » de places en centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS).

En l’état du droit, l’article 42 de la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure prévoit que « toute personne victime de l’exploitation de la prostitution doit bénéficier d’un système de protection et d’assistance, assuré et coordonné par l’administration en collaboration active avec les divers services d’interventions sociales » (69). Dans ce cadre, le dernier alinéa de l’article L. 345-1 du code de l’action sociale et des familles (CASF) dispose que des places en centres d’hébergement et de réinsertion sociale sont réservées à l’accueil des victimes de la traite dans des conditions sécurisantes. Cet alinéa, également issu de la loi du 18 mars 2003, précitée, a été inséré dans le CASF afin de permettre aux victimes de la traite des êtres humains de trouver rapidement un hébergement dans un CHRS, dans des conditions assurant leur sécurité (notamment lorsqu’un éloignement géographique est nécessaire) et adaptées à leurs difficultés personnelles, sans pour autant créer des CHRS spécialisés, qui leur seraient exclusivement réservés.

Un dispositif national d’accueil et de protection des victimes de la traite, dénommé « Ac.Sé », a été confié à une association, l’association ALC (70), dans le cadre d’une convention pluriannuelle conclue avec le ministère chargé de l’action sociale et sous le contrôle d’un comité de pilotage actuellement coordonné par le ministère des droits des femmes. Financé principalement par la direction générale de la cohésion sociale (180 000 euros en 2010) et la ville de Paris (20 000 euros en 2010) et mentionné par l’article R. 316-8 du CESEDA, ce dispositif permet d’assurer notamment le relogement des victimes de la traite des êtres humains dans des conditions favorisant leur sécurité, en particulier en permettant un éloignement géographique de leur lieu d’exploitation. Ce dispositif repose aujourd’hui sur un réseau d’une quarantaine de CHRS partenaires, répartis sur l’ensemble du territoire national.

Rappelons que les CHRS, créés par la loi n° 74-955 du 19 novembre 1974 étendant l’aide sociale à de nouvelles catégories de bénéficiaires, sont des établissements sociaux autorisés au sens de l’article L. 312-1 du code de l’action sociale et des familles, ayant pour finalité l’accueil, l’hébergement et la réinsertion sociale des personnes en grande difficulté en vue de leur permettre d’accéder à ou de recouvrer leur autonomie personnelle et sociale. Leur financement est assuré par une dotation globale de fonctionnement versée aux établissements concernés. Les crédits prévus pour 2014 s’élèvent à 623 millions d’euros. Au 31 décembre 2012, ils représentaient 39 142 places d’hébergement.

La Commission adopte l’article 9 sans modification.

Article 10
(art. 706-3 du code de procédure pénale)

Droit à la réparation intégrale des dommages subis par les victimes du proxénétisme sans besoin de justifier d’une incapacité totale de travail

Le présent article modifie l’article 706-3 du code de procédure pénale, afin d’ouvrir aux victimes de proxénétisme (71) un droit à la réparation intégrale des dommages subis du fait de cette infraction, sans que soit nécessaire la preuve d’une incapacité permanente ou d’une incapacité totale de travail personnel égale ou supérieure à un mois.

Aux termes de l’article 706-3 du code de procédure pénale, les conditions pour obtenir une indemnisation intégrale du préjudice de la part de la commission d’indemnisation des victimes d’infraction (CIVI) sont les suivantes :

— avoir été victime de traite, sans avoir besoin de justifier d’une incapacité permanente ou d’une incapacité totale de travail, ou avoir été victime de proxénétisme et présenter une incapacité totale de travail égale ou supérieure à un mois. La preuve du dépôt d’une plainte est nécessaire ;

—  être français ou, pour des faits commis sur le territoire français, être ressortissant d’un État de l’Union européenne ou être en situation régulière.

Cet article 706-3 met donc en œuvre un traitement différencié des victimes de traite (72) et de proxénétisme, les premières étant dispensées d’apporter la preuve d’un dommage important, contrairement aux victimes de proxénétisme, qui doivent montrer que les faits ont entraîné une incapacité totale de travail égale ou supérieure à un mois. Il en résulte, pour ces dernières, de grandes difficultés pour obtenir réparation des dommages subis dans le cadre des commissions d’indemnisation des victimes d’infraction (CIVI).

Cette différence de traitement entre les victimes de proxénétisme et celles de la traite paraît peu justifiée, compte tenu de la gravité des dommages tant physiques que psychologiques subis par les personnes prostituées, victimes de proxénètes, et qui sont, hélas, très comparables à ceux subis par les victimes de la traite.

Par conséquent, dans le respect du droit reconnu aux victimes d’obtenir une juste indemnisation et ce, conformément aux engagements internationaux et européens de la France (73), le présent article aligne le régime juridique applicable à l’indemnisation des victimes de proxénétisme sur celui des victimes de la traite, pour lesquelles la preuve d’aucune incapacité totale de travail n’est demandée : dorénavant, les victimes de proxénétisme n’auront plus à prouver une incapacité de travail pour obtenir réparation.

La Commission adopte l’article 10 sans modification.

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Après l’article 10

En conséquence de l’adoption de l’amendement CS68 portant article additionnel après l’article 1er, l’amendement CS26 de M. Sergio Coronado tombe.

Article 11
(art. 2-22 du code de procédure pénale)

Admission des associations dont l’objet est la lutte
contre le proxénétisme, la traite des êtres humains et l’action sociale
en faveur des personnes prostituées, à exercer les droits reconnus à la partie civile

Dans sa rédaction initiale, le présent article insérait, dans le code de procédure pénale, un nouvel article 2-21-1, lequel reconnaissait aux associations dont l’objet est la lutte contre le proxénétisme, la traite des êtres humains et l’action sociale en faveur des personnes prostituées, la possibilité d’exercer les droits reconnus à la partie civile.

Il est vrai que la présence des associations aux procès est souvent d’une aide précieuse pour les victimes de proxénétisme et de traite des êtres humains, qui ne souhaitent pas toujours endurer un procès pénal relativement long et risquer, de surcroît, des représailles.

Les associations de lutte contre le proxénétisme ou d’aide aux personnes prostituées disposent déjà du droit de se constituer partie civile, depuis la loi n° 75-299 du 9 avril 1975 (74), dont l’article unique dispose que « toute association reconnue d’utilité publique ayant pour objet statutaire la lutte contre le proxénétisme et l’action sociale en faveur des personnes en danger de prostitution ou des personnes se livrant à la prostitution en vue de les aider à y renoncer, peut exercer l’action civile devant toutes les juridictions où cette action est recevable, en ce qui concerne les infractions de proxénétisme prévues par le code pénal ainsi que celles se rattachant directement ou indirectement au proxénétisme, qui ont causé un préjudice direct ou indirect à la mission qu’elle remplit ».

La loi précitée du 9 avril 1975 ne vise que les infractions de proxénétisme, à l’exclusion donc de la traite des êtres humains, cette incrimination ayant été introduite en droit pénal français par la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure ; la possibilité de se constituer partie civile reste, par ailleurs, soumise à la reconnaissance d’utilité publique de l’association requérante. La logique voudrait que les associations de lutte contre la traite disposent également du droit de se constituer partie civile. La présente proposition de loi vise à remédier à cette lacune.

Le I du présent article proposait, dans sa rédaction initiale, de codifier ces dispositions au sein d’un nouvel article 2-21-1 du code de procédure pénale, en en étendant le champ aux associations reconnues d’utilité publique dont l’objet statutaire est la lutte contre la traite des êtres humains.

En conséquence, la loi du 9 avril 1975 étant sans objet au regard du nouvel article 2-21 précité, le II du présent article procède à son abrogation

Cependant, la loi n° 2013-711 du 5 août 2013 (75) a introduit, dans le code de procédure pénale, un nouvel article 2-22, qui reconnaît à « toute association régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits dont l’objet statutaire comporte la lutte contre la traite des êtres humains et l’esclavage » la possibilité, avec l’accord de la victime, d’« exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les infractions de traite des êtres humains, de réduction en esclavage, d’exploitation d’une personne réduite en esclavage, de travail forcé et de réduction en servitude ».

Si cette disposition admet bien les associations dont l’objet est la lutte contre le proxénétisme et la traite des êtres humains à exercer les droits reconnus à la partie civile, elle n’ouvre pas expressément cette faculté aux associations ayant pour objet l’action sociale en faveur des personnes en danger de prostitution ou des personnes prostituées. En outre, la possibilité de se constituer partie civile est soumise à l’accord préalable de la victime et demeure, plus largement, réservée aux seules associations régulièrement déclarées depuis au moins cinq ans, la situation particulière des associations reconnues d’utilité publique dans ces domaines n’étant nullement prise en compte.

Dans un souci de lisibilité et d’harmonisation, il est apparu souhaitable de fusionner les dispositions du présent article avec celles de l’article 2-22 du code de procédure pénale, afin de réunir au sein de ce dernier article l’ensemble des règles relatives à la possibilité donnée aux associations reconnues d’utilité publique, dont l’objet est la lutte contre le proxénétisme, la traite des êtres humains et l’action sociale en faveur des personnes prostituées, d’exercer les droits reconnus à la partie civile. Dans cette perspective, la commission spéciale a adopté, sur l’initiative de votre rapporteure, un amendement modifiant le I du présent article, lequel procède désormais à la réécriture de l’article 2-22 du code de procédure pénale, afin de fusionner les dispositions envisagées en un article unique. Le II du présent article, qui abroge la loi précitée du 9 avril 1975, conserve toute sa pertinence et n’a donc pas été modifié.

*

* *

La Commission examine l’amendement CS29 de la rapporteure.

Mme la rapporteure. Dans un souci de lisibilité et d’harmonisation, cet amendement fusionne les dispositions de l’article 11 de la proposition de loi avec celles de l’article 2-22 du code de procédure pénale, afin de réunir dans cet article 2-22 les règles relatives à la possibilité donnée aux associations reconnues d’utilité publique dont l’objet est la lutte contre le proxénétisme et contre la traite des êtres humains et l’action sociale en faveur des prostituées, d’exercer les droits reconnus à la partie civile.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article 11 ainsi modifié.

Article 12
(art. 306 du code de procédure pénale)

Huis clos de droit à la demande de la victime de traite ou de proxénétisme aggravé

Le présent article modifie l’article 306 du code de procédure pénale, afin de rendre le huis clos de droit, à la demande de la victime ou de l’une des victimes, lorsque se tient, en cour d’assises ou au tribunal correctionnel, un procès du chef de traite ou de proxénétisme aggravé, réprimés respectivement par les articles 225-4-1 à 225-4-9 et 225-7 à 225-9 du code pénal.

Actuellement, le huis clos n’est pas de droit pour les victimes de l’une ou l’autre de ces deux infractions. Or, il peut s’avérer essentiel pour ces victimes de voir leur anonymat garanti pendant la procédure judiciaire. C’est d’ailleurs dans cette perspective que l’article 12.4 d’une directive européenne du 5 avril 2011 préconise d’éviter « toute déposition en audience publique » (76).

En l’état actuel du droit, le huis clos n’est de droit, en matière criminelle, qu’à la demande des victimes de viols ou de torture et d’actes de barbarie accompagnées d’agressions sexuelles, mais peut être également ordonné si la publicité est « dangereuse pour l’ordre ou les mœurs », comme le prévoit l’article 306 du code de procédure pénale.

En matière correctionnelle, le huis clos peut être ordonné si le tribunal constate « que la publicité est dangereuse pour l’ordre, la sérénité des débats, la dignité de la personne ou les intérêts d’un tiers », comme le prévoit l’article 400 du code de procédure pénale.

Cependant, le huis clos est rarement imposé, en pratique, dans les affaires de traite et de proxénétisme aggravé (77). Le présent article a pour objet de le rendre de droit à la demande des victimes de ces infractions, compte tenu du risque de « victimisation secondaire » (78), qui peut résulter, pour ces dernières, de la publicité des débats et, partant, de la médiatisation des procès.

*

* *

La Commission adopte l’amendement de précision CS30 de la rapporteure.

Elle adopte ensuite l’article 12 ainsi modifié.

Après l’article 12

La Commission est saisie d’un amendement CS20 de M. Sergio Coronado.

M. le président Guy Geoffroy. Je propose que nous réservions l’examen de cet amendement après l’article 16. Il devrait en effet être satisfait par l’adoption d’une nouvelle rédaction de celui-ci.

L’amendement est réservé.

Article 13
(art. 225-10-1 du code pénal)

Transposition de la directive européenne du 5 avril 2011 concernant
la prévention de la traite êtres humains et abrogation, en conséquence,
de l’article 225-10-1 du code pénal relatif au délit de racolage

Le présent article a pour objet de transposer la directive européenne du 5 avril 2011 concernant la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes (79).

Il abroge, en conséquence, l’article 225-10-1 du code pénal relatif au délit de racolage, défini comme « le fait, par tout moyen, y compris par une attitude même passive, de procéder publiquement au racolage d’autrui en vue de l’inciter à des relations sexuelles en échange d’une rémunération ou d’une promesse de rémunération » et puni de deux mois d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende.

L’incrimination de racolage, dont l’objet est de permettre aux forces de l’ordre d’intervenir en cas de troubles à l’ordre et à la tranquillité publics, existe dans notre droit pénal depuis le décret-loi du 29 novembre 1939. La nature de cette infraction et la peine encourue ont sensiblement varié depuis lors, « montrant l’embarras de la puissance publique, comme enserrée dans une contradiction insoluble entre d’une part, la volonté de démontrer une capacité d’intervention face aux troubles à l’ordre public vécus par les riverains des lieux de prostitution et, d’autre part, un certain malaise pour faire porter sur ces personnes la sanction découlant d’un phénomène plus large » (80).

Comme le montre le tableau figurant ci-dessous, cette infraction était initialement de nature contraventionnelle, avant de devenir un délit sanctionné de 6 mois à 5 ans d’emprisonnement et de 5 000 à 50 000 francs d’amende avec la loi du 13 avril 1946. Elle est redevenue passible d’une contravention avec le décret du 23 décembre 1958, ce dernier ayant également institué une différence entre le racolage actif, sanctionné par une contravention de cinquième classe, et le racolage passif, puni pour sa part d’une contravention de première classe. Depuis la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure, le racolage est à nouveau un délit et il a été mis fin à la différence entre racolage actif et racolage passif.

L’INCRIMINATION DE L’INFRACTION DE RACOLAGE DE 1939 À 2003

Fondement juridique

Racolage actif

Racolage passif

Décret-loi du 29 novembre 1939

Contravention

Loi n° 46-685 du 13 avril 1946

Délit puni de 6 mois à 5 ans d’emprisonnement et de 5 000 à 50 000 francs d’amende

Décret n° 58-1303 du
23 décembre 1958

Contravention

Contravention de la 1ère classe visant à condamner l’attitude indécente sur la voie publique

Décret n° 60-1248 du
25 novembre 1960

Contravention de la 5e classe réprimant « ceux qui, par gestes, paroles ou écrits ou par tout autre moyen, procéderaient publiquement au racolage de personne de l’un ou de l’autre sexe, en vue de les provoquer à la débauche »

Contravention de la 3e classe réprimant « ceux dont l’attitude sur la voie publique est de nature à provoquer la débauche ».

Loi n° 92-684 du 22 juillet 1992

Contravention de la 5e classe prévue par l’article R. 625-8 du code pénal. Le racolage est « le fait, par tout moyen, de procéder publiquement au racolage d’autrui en vue de l’inciter à des relations sexuelles ». Il est puni d’une amende de 10 000 francs.

Loi n° 2003-239 du 18 mars 2003

Délit défini par l’article 225-10-1 du code pénal comme « le fait, par tout moyen, y compris par une attitude même passive, de procéder publiquement au racolage d’autrui en vue de l’inciter à des relations sexuelles en échange d’une rémunération ou d’une promesse de rémunération » puni de deux mois d’emprisonnement
et 3 750 euros d’amende.

Source : Prostitution : l’exigence de responsabilité, rapport d’information de Mme Danielle Bousquet et de M. Guy Geoffroy, commission des Lois de l’Assemblée nationale, avril 2011, page 108.

L’objectif poursuivi par le législateur en 2003 était essentiellement de « donner aux forces de sécurité intérieure des capacités d’agir face au développement des phénomènes de prostitution » (81), en les dotant des instruments juridiques – interpellation, garde à vue, perquisition, etc. – leur permettant de lutter contre les réseaux mafieux ainsi que contre les troubles à l’ordre et à la sécurité publics, engendrés par la prostitution de rue.

Or, comme l’a rappelé la sénatrice Virginie Klès, dans son rapport sur la proposition de loi visant à l’abrogation du délit de racolage, adoptée par le Sénat le 28 mars 2013, « le bilan susceptible d’être dressé au terme de dix ans d’existence de ce délit est pour le moins nuancé. En particulier, son efficacité dans la lutte contre le proxénétisme et les réseaux de traite des êtres humains est loin d’être avérée et est, à tout le moins, limitée. En revanche, de l’avis unanime des personnels médicaux et des associations œuvrant chaque jour aux côtés des personnes prostituées, il a contribué à aggraver davantage la situation de précarité de populations déjà confrontées, par ailleurs, à de multiples fragilités » (82).

En avril 2011 déjà, Mme Danielle Bousquet et M. Guy Geoffroy avaient souligné, dans leur rapport d’information sur la prostitution en France, que « l’abrogation du délit de racolage avait été demandée par tous les acteurs associatifs rencontrés par la mission d’information, depuis les associations communautaires jusqu’aux mouvements abolitionnistes, en passant par les travailleurs sociaux » (83)

Certaines organisations, à l’instar de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), recommandent aussi l’abrogation de toute forme de pénalisation du racolage, l’ordre public pouvant être préservé sur le fondement d’autres infractions telles que l’exhibitionnisme ou le tapage nocturne (84). Les représentants des associations d’aide aux personnes prostituées entendues par la commission spéciale ont formulé la même préconisation, en se fondant tout particulièrement sur le très faible bilan du délit de racolage passif.

Pour votre rapporteure, il est aujourd’hui indispensable de ne plus faire porter la sanction sur les personnes prostituées, mais bien sur les clients de la prostitution : les personnes prostituées sont des victimes, en aucun cas des coupables. À cet effet, l’effacement de l’inscription au casier judiciaire national de ce délit devra être effectué dans les meilleurs délais.

Dans cette perspective, plusieurs facteurs plaident pour une abrogation du délit de racolage.

Ÿ  En premier lieu, le recours au délit de racolage est de moins en moins fréquent, les juridictions ayant tendance à très peu condamner sur ce fondement, les parquets privilégiant les alternatives aux poursuites et notamment la voie du rappel à la loi. Ainsi, seule une minorité de personnes interpellées pour racolage sont, chaque année, poursuivies et condamnées par les tribunaux correctionnels.

Comme le montre le tableau figurant ci-dessous, la réduction du nombre de condamnations en matière de racolage s’explique par la diminution de près de moitié, entre 2004 et 2012, tant des mises en cause que du taux de déferrement. Ainsi, le nombre de personnes mises en cause pour racolage public par les forces de sécurité n’a cessé de baisser depuis dix ans. En effet, alors qu’en 2004, 5 310 personnes prostituées étaient mises en cause pour racolage, ce chiffre est passé à 2 694 en 2012, mettant ainsi clairement en évidence l’insuffisante efficacité de l’incrimination du racolage public.

MISE EN ŒUVRE DU DÉLIT DE RACOLAGE PAR LES SERVICES DE SÉCURITÉ
EN FRANCE MÉTROPOLITAINE

 

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

Évolution 2004-2012

Faits constatés

5 152

4 333

3 080

2 730

2 657

2 315

2 130

2 473

2 679

- 48 %

Mis en cause

5 310

4 403

3 267

2 966

2 763

2 301

2 124

2 527

2 694

- 49 %

Gardes à vue

4 712

3 803

2 752

2 519

2 186

1 726

1 553

1 595

1 668

- 65 %

Personnes déférées

1 081

672

223

89

76

40

61

396

694

- 36 %

Source : rapport n° 439 (2012-2013) de Mme Virginie Klès, au nom de la commission des Lois du Sénat, sur la proposition de loi visant à l’abrogation du délit de racolage public, mars 2013, p. 17.

Dans leur rapport d’information sur la prostitution, Mme Danielle Bousquet et M. Guy Geoffroy ont mis en évidence que « c’est à la fois par idéologie et par manque de moyens que les parquets ont peu à peu rechigné à déférer les personnes mises en cause pour racolage. Cela a provoqué le découragement des services de police officiant sur le terrain, et donc la diminution des interpellations sur ce fondement. La prostitution de voie publique a dès lors repris sa place dans le paysage urbain de nombreuses agglomérations » (85).

Mais le découragement des forces de l’ordre tient également au fait que cette infraction de racolage repose sur des contours flous et reste difficile à établir dans ses trois éléments constitutifs, que sont le moyen et le caractère public de l’acte de racolage ainsi que l’incitation à la prostitution.

L’imprécision des termes utilisés et leur généralité ont pu conduire à des différences notables d’appréciation, parfois au sein d’une même juridiction. À titre d’exemples, a été considéré comme du racolage par le tribunal correctionnel de Toulouse (86), le fait de se tenir sur un parking et de s’approcher des voitures qui ralentissent pour discuter avec les conducteurs, alors que ne constitue pas un délit de racolage le fait de se tenir sous un abribus et de se pencher pour discuter avec un automobiliste qui s’arrête, avant de monter dans sa voiture (87).

Aussi l’examen de cette jurisprudence, que la doctrine n’hésite pas à qualifier d’« impressionniste » (88), illustre-t-il les difficultés considérables que rencontrent les juridictions pour qualifier le délit de racolage, en particulier dans sa composante « passive ». Les divers échanges que votre rapporteure a eus, au cours de ses travaux préparatoires à son rapport d’information présenté à la Délégation aux droits des femmes, avec les représentants des forces de sécurité et les magistrats, l’ont convaincue de cette difficulté de recourir à cette disposition du code pénal aux fins d’obtenir une condamnation.

En effet, comme elle a eu l’occasion de le rappeler au sein de la Délégation aux droits des femmes, « dans certains lieux de prostitution, les réseaux de proxénétisme et de traite se sont adaptés à la jurisprudence et il est rare que les tenues vestimentaires et les comportements sur la voie publique soient « racoleurs ». Les personnes prostituées prennent en général soin de ne pas procéder de manière ostentatoire au racolage, et leur tenue vestimentaire ne peut caractériser leur activité » (89).

La difficulté de faire confirmer par le juge la matérialité de l’infraction a naturellement conduit, comme le montre le tableau ci-dessous, à une réduction notable du nombre de condamnations en matière de racolage. En effet, si plus de 1 000 condamnations ont été prononcées sur ce fondement en 2005, soit 4 à 5 fois plus que les années antérieures, ce chiffre a régulièrement décru par la suite, comme le montre le tableau ci-dessous.

CONDAMNATIONS POUR RACOLAGE PRONONCÉES DEPUIS 2005

Année

Nombre de condamnations

2005

1 028

2006

529

2007

459

2008

336

2009

178

2010

148

2011

194

Évolution 2004-2012

- 81 %

Source : casier judiciaire national, cité par le rapport de Mme Virginie Klès, sénatrice, op. cit., p. 19.

La grande majorité des peines prononcées consiste en des amendes, d’un quantum moyen d’un peu moins de 300 euros. Entre 20 et 50 condamnations donnent lieu, chaque année, à une peine d’emprisonnement, dont la plupart sont assorties d’un sursis total. Il ressort, en effet, que les alternatives aux poursuites soient utilisées de manière privilégiée par les parquets, en matière de racolage. Ainsi, ce sont près de 92,8 % des affaires poursuivables qui font l’objet d’une alternative aux poursuites. Le rappel à la loi, en particulier, est massivement utilisé (90).

L’infraction de racolage fait donc aujourd’hui l’objet d’une application parcimonieuse par les juridictions, alors même que cette incrimination a eu des conséquences importantes sur les conditions d’exercice des personnes prostituées, sans que ses effets sur les mises en cause pour proxénétisme puissent pour autant être démontrés. En effet, comme votre rapporteure et, avant elle, Mme  Danielle Bousquet et M. Guy Geoffroy, l’ont montré, la répression du racolage a conduit à un simple déplacement des lieux de prostitution, fragilisant d’autant les personnes prostituées, à une dégradation notable des relations entre ces dernières et les forces de l’ordre ainsi que des difficultés croissantes d’accès aux soins (91).

Ÿ  En deuxième lieu, la directive européenne du 5 avril 2011 concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes, oblige, dans son article 8, les États membres à prendre « dans le respect des principes fondamentaux de leur système juridique, les mesures nécessaires pour veiller à ce que les autorités nationales compétentes aient le pouvoir de ne pas poursuivre les victimes de la traite des êtres humains et de ne pas leur infliger de sanctions pour avoir pris part à des activités criminelles auxquelles elles ont été contraintes en conséquence directe du fait d’avoir fait l’objet de l’un des actes visés à l’article 2 ».

En conséquence, sur ce fondement, le racolage effectué par des victimes de la traite ne doit plus être sanctionné, ce qui constitue indéniablement une brèche importante dans l’incrimination du délit de racolage, dans la mesure où la plupart des personnes prostituées sont aujourd’hui victimes de la traite des êtres humains. Cette directive européenne invite donc les État à revoir profondément leur manière d’envisager la question de la traite et, partant, celle de la prostitution, l’objectif étant bien désormais « de garantir aux victimes le bénéfice des droits de l’homme, de leur éviter une nouvelle victimisation et de les inciter à intervenir comme témoins dans le cadre des procédures pénales engagées contre les auteurs des infractions » (92).

Si cette directive européenne du 5 avril 2011 a bien fait l’objet d’une transposition en droit interne français, à la faveur de l’examen puis de l’adoption de la loi n° 2013-711 du 5 août 2013 (93), votre rapporteure constate que cette transposition n’a été que partielle. En effet, alors que cette directive demande aux États membres de supprimer toute victimisation supplémentaire des victimes de la traite et de la prostitution, le Parlement a maintenu, dans la législation pénale française, la répression du délit de racolage, que le présent article vise à abroger, dans le respect des engagements européens de la France.

Ÿ  En troisième et dernier lieu, l’introduction de la pénalisation des clients de la prostitution, prévue par l’article 16 de la présente proposition de loi (cf. infra), rendra sans objet la mise en œuvre du délit de racolage public. En effet, partout où elle a été mise en œuvre, cette pénalisation a entraîné une diminution importante et souvent immédiate de la prostitution de rue. Il en a été ainsi en Suède, où la prostitution de rue aurait été divisée par deux depuis 1999, comme l’a rappelé Mme Lise Tamm, procureure au parquet international de Stockholm, lors de son audition par votre commission spéciale. Ce chiffre a d’ailleurs été confirmé par l’évaluation réalisée en 2010 par la ministre de la justice de la Suède (94).

Dès lors qu’une action forte sera menée à l’encontre des clients sur la base de la contravention prévue à l’article 16 de la présente proposition de loi, l’effet sera très dissuasif et immédiat, la clientèle et donc la prostitution de rue étant appelées à diminuer de manière importante. En effet, au regard de l’expérience suédoise, tout amène à penser que la prostitution de rue diminuera fortement, rendant ainsi inutile le maintien, en droit pénal français, du délit de racolage.

En considération de ces trois réalités, le délit de racolage public a vocation à disparaître de notre législation répressive. Par conséquent, le présent article abroge le délit de racolage public prévu à l’article 225-10-1 du code pénal qui sanctionne les personnes prostituées, alors qu’il convient de protéger ces dernières plutôt que de les interpeller sur la base d’une infraction qui reste très difficile à qualifier par les juridictions.

De surcroît, l’abrogation de ce délit ne privera pas pour autant les services de police et de gendarmerie de tout moyen pour assurer l’ordre et la tranquillité publics.

En effet, d’autres dispositifs législatifs et réglementaires sont offerts aux autorités publiques pour sanctionner d’éventuels troubles à l’ordre public. Deux moyens non spécifiques à la prostitution sont utilisés depuis longtemps pour limiter les troubles à l’ordre public susceptibles de résulter de l’activité prostitutionnelle : l’incrimination de l’exhibition sexuelle et les interdictions de stationner ou de circuler édictées par les autorités détentrices de la police administrative.

L’incrimination de l’exhibition sexuelle permet ainsi de réprimer l’acte prostitutionnel effectué en public. L’outrage à la pudeur est désormais réprimé à l’article 222-32 du nouveau code pénal qui dispose que « l’exhibition sexuelle imposée à la vue d’autrui dans un lieu accessible aux regards du public est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ». Si cette infraction ne vise pas directement la prostitution, l’activité prostitutionnelle, si elle est exercée en public, peut se voir appliquer cette qualification pénale.

L’infraction d’exhibition sexuelle suppose la réunion de plusieurs éléments. L’exhibition est un acte impudique, qui peut consister en des actes suggestifs ou bien directement sexuels. Cet acte doit être susceptible de porter atteinte à la sensibilité du public, qu’il y ait des témoins ou non. La simple possibilité que cet acte soit vu par le public suffit à caractériser l’infraction. Enfin, l’intention coupable est caractérisée par la volonté de l’auteur d’imposer cet acte à la vue d’autrui.

La police administrative est également utilisée depuis longtemps pour limiter les troubles à la tranquillité et à la sécurité publiques. En effet, outre le droit pénal, le droit administratif confère également certains pouvoirs aux autorités locales, qui peuvent, en cas de besoin, les exercer en matière de prostitution. Ainsi, en vertu des pouvoirs de police municipale que l’article L. 2 212-1 du code général des collectivités territoriales (95) lui confère, le maire peut prendre des arrêtés interdisant la circulation et le stationnement des personnes prostituées et de leurs clients. Le préfet, en tant qu’autorité de police administrative générale au niveau départemental, a également ce pouvoir. Cette possibilité, ouverte par la loi du 5 avril 1884 sur l’organisation municipale (96), a ainsi permis aux maires et aux préfets de limiter, dans les faits, les lieux où le racolage peut être pratiqué.

*

* *

La Commission examine l’amendement de suppression CS17 de Mme Marie-Louise Fort.

Mme Marie-Louise Fort. Nous nous opposons à cet article qui vise à supprimer le délit de racolage tel qu’il est prévu par l’article 225-10-1 du code pénal.

Si l’objectif ainsi recherché – protéger les prostituées – est plus que louable, il n’en reste pas moins que le délit de racolage avait la même fin. Il s’agissait de créer un contact obligé avec elles, de connaître leur identité et de les défendre en les amenant à dénoncer les proxénètes et les réseaux.

La proposition de loi supprime un outil de lutte contre la traite sans en proposer un nouveau. En effet, la contravention de cinquième classe ne mènera pas les clients en garde à vue, et ces derniers n’auront aucune raison de partager des informations avec la police.

Certes, subsisteront l’article 222-32 du code pénal qui punit l’exhibition sexuelle imposée à la vue d’autrui dans un lieu accessible aux regards du public ; les articles 225-5 et suivants qui répriment le proxénétisme ; l’article L. 2212-1 du code général des collectivités territoriales qui permet à la police municipale de réprimer les atteintes à la tranquillité publique et, enfin, les pouvoirs de police générale du maire, qui lui permettent d’édicter des arrêtés municipaux afin d’interdire ou de restreindre la présence de personnes prostituées sur la voie publique. Mais il n’est pas dit que cet arsenal juridique, qui n’est pas utilisé aujourd’hui pour cet objet, le soit demain, ni qu’il appartienne aux policiers municipaux de lutter contre les réseaux. Le risque de déperdition d’informations utiles aux investigations est donc réel.

Mme Marie-George Buffet. Dès lors qu’on considère les femmes prostituées comme des victimes, nous ne pouvons pas les mettre en position d’être sanctionnées.

En utilisant l’argument de la tranquillité publique, on a repoussé ces femmes dans des lieux toujours plus isolés, leur faisant courir un danger encore plus grand.

Mme Fort met en avant l’atteinte portée aux possibilités d’investigation. Toute notre démarche vise au contraire à créer un climat de confiance qui permettra de lutter plus efficacement contre les réseaux.

Mme Catherine Coutelle. La directive européenne 2011/36 du 5 avril 2011 demande aux États membres « de ne pas poursuivre les victimes de la traite des êtres humains et de ne pas leur infliger de sanctions ». Nous l’avons transposée, il nous faut nous montrer cohérents avec notre propre droit !

Mme Fort, c’est parce que ces personnes seront regardées non plus comme coupables, mais comme victimes qu’elles chercheront refuge auprès des autorités policières.

D’autre part, les divers acteurs – commissions, associations, police – ne pourront travailler ensemble, comme nous le souhaitons, que s’il y a confiance mutuelle. Or, aujourd’hui la méfiance s’est installée entre ceux qui considèrent les prostituées comme des victimes et qui les accompagnent, et ceux qui les poursuivent parce que la loi leur en fait obligation.

L’article 13 découle du droit européen et il constitue surtout un enjeu majeur pour la cohérence de cette proposition de loi.

M. Sergio Coronado. L’excellent rapport d’information remis en 2011 par M. Guy Geoffroy et Mme Danielle Bousquet ne prenait cependant pas position fermement contre le délit de racolage. Or, la politique prohibitionniste menée par la France a fait de très graves dégâts et j’aurais souhaité qu’une réelle étude d’impact fasse le point sur le sujet – d’autant que les associations et les organisations de santé publiques craignent que la pénalisation des clients ne mène aux mêmes résultats.

Les pouvoirs du maire lui permettent, sous prétexte de préserver l’ordre public, de maintenir en quelque sorte le délit de racolage. Je rappelle à ce propos qu’une partie de la gauche s’était ralliée à cette disposition, en invoquant l’intérêt des riverains. J’invite donc mes collègues à être vigilants sur cette question.

M. Charles de Courson. Quand la France compte–t–elle transposer les dispositions de la directive du 5 avril 2011 demandant aux États de l’Union de supprimer toute pénalisation supplémentaire des personnes victimes de la traite et de la prostitution ? N’est-ce pas lors de cette transposition que l’article du code pénal relatif au délit de racolage passif devrait être abrogé ?

Mme Colette Capdevielle. Mme Fort, vous venez d’affirmer que le délit de racolage a pour objet de protéger les prostituées, de « créer un contact obligé avec elles, de connaître leur identité et de les défendre en les amenant à dénoncer les proxénètes et les réseaux ». C’est mal connaître la réalité ! Du fait de la création de ce délit, les prostituées ont été interpellées, placées en garde à vue, poursuivies devant les tribunaux correctionnels et condamnées. Jamais l’objectif de cette mesure n’a été de les protéger ; bien au contraire ! Évidemment, ce dispositif a pu permettre de « nettoyer » les quartiers chics, mais il s’agissait bien de son seul objectif.

M. le président. M. Coronado, l’auteur de « l’excellent rapport » que vous évoquiez a une excellente mémoire, et il est probablement le meilleur exégète de sa propre pensée. Mme Danielle Bousquet, qui a signé le rapport d’information, et moi-même, avons estimé, en accord avec tous les membres de la mission d’information, que la question de l’abrogation du délit de racolage se posait, mais qu’elle ne pouvait pas être réglée de manière définitive avant l’adoption de la directive en cours de rédaction en 2011. Aussi avions-nous proposé que le sujet soit réétudié un an après la mise en œuvre de la loi pénalisant le client. Nous ne voulions pas anticiper sur la directive que le Gouvernement de l’époque négociait.

M. de Courson, le délit de racolage public n’a pas été abrogé par le projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l’Union européenne et des engagements internationaux de la France, examiné par le Parlement entre février et juillet 2013. Ce projet de loi transposait pourtant la directive 2011/36 sur la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes. Malencontreusement, et je l’avais souligné, certains points du texte européen n’étaient pas repris dans le projet. Le Gouvernement avait fait savoir qu’il considérait que la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui constituerait un meilleur véhicule. Il est d’ailleurs regrettable qu’elle ne soit pas parfaitement claire sur le fait qu’elle transpose la directive. Peut-être pourrions-nous l’écrire noir sur blanc ? J’ajoute, à l’intention des collègues du groupe auquel j’appartiens, qu’il ne serait pas très cohérent d’avoir été à l’origine de la directive de 2011 et d’aujourd’hui regretter ses effets – aussi légitimes que soient les questions qu’ils nous posent.

Pour ma part, je suis favorable à l’article 13. Une partie de l’Assemblée, aujourd’hui majoritaire, souhaite depuis longtemps abroger ce délit et, en tout état de cause, cette disposition nous est imposée par la directive. Cela étant, des divergences d’appréciation existent au sein des groupes politiques, et même au-delà : la semaine dernière encore, en même temps qu’il approuvait l’esprit de la proposition de loi consistant à pénaliser le client plutôt que la victime, M. le ministre de l’Intérieur évoquait lui-même les interrogations légitimes sur les éventuelles conséquences de cette décision.

Mme Marie-Louise Fort. M. le président, je suis touchée par vos arguments et par la passion avec laquelle vous les exprimez, mais voici exactement ce que nous a dit Manuel Valls : le délit de racolage public « aide […] à la connaissance des réseaux […]. La prise d’empreintes lors de la garde à vue, les auditions, les infiltrations numériques […] permettent d’accumuler toute une série de renseignements […] indispensables ». On peut considérer que la sanction du racolage est toxique et contraire à nos objectifs, mais prenons garde de ne pas faire table rase sous prétexte de bons sentiments.

Mme la rapporteure. Avis défavorable à l’amendement CS17. Il n’est pas question d’abroger le délit de racolage sans lui substituer une autre peine : en réalité, nous inversons la charge pour la faire peser sur le client. Les forces de police seront dotées en conséquence des moyens qui leur permettront de remonter les réseaux de proxénétisme, ce qu’elles parvenaient de moins en moins à faire.

M. le président Guy Geoffroy. Que pensez-vous, Mme la rapporteure, de mon souhait de travailler dans le cadre de l’article 88 à un amendement établissant le lien cette disposition et la transposition de la directive ?

Mme la rapporteure. Pourquoi pas ? Mais ce lien est explicitement fait dans le rapport.

M. le président Guy Geoffroy. Sur une question aussi sensible, ce qui va sans dire va encore mieux en le disant.

M. Sergio Coronado. Je suis d’accord avec la rapporteure. Vous dites, M. le président, que la directive s’imposait à nous, mais, avant qu’elle n’intervienne, plusieurs parlementaires étaient déjà décidés à abroger le délit de racolage, dont les conséquences sanitaires ont été dénoncées dès son entrée en vigueur. Au-delà de la nécessité de transposer la directive, il s’agit d’une décision politique et nous devrions donc laisser le texte en l’état.

Mme Marie-Louise Fort. J’en reparlerai avec Philippe Goujon, coauteur de l’amendement, mais je reste assez partagée, car la pénalisation du client continue de me poser un problème. Je retire donc l’amendement, sans exclure toutefois de le redéposer en vue de la discussion en séance publique.

M. le président Guy Geoffroy. Je crois pouvoir affirmer que Philippe Goujon, qui était l’un des membres les plus actifs de la mission d’information, voit dans la pénalisation du client une disposition qui rétablit l’équilibre une fois supprimé le délit de racolage. Il l’a dit d’ailleurs lors d’une audition de notre commission spéciale.

M. Coronado, la directive n’affecte pas uniquement les dispositions de la loi de 2003 pour la sécurité intérieure. Raison de plus pour la lier explicitement à l’ensemble des dispositions relatives aux délits de racolage, que celui-ci soit actif ou passif. En effet, notre proposition de loi – vous voyez que je m’y associe – ne sera probablement pas déférée devant le Conseil constitutionnel, mais fera sans doute l’objet de questions prioritaires de constitutionnalité, de sorte que tout ce qui peut lui assurer une assise juridique incontestable sera bienvenu.

Pour garantir la sécurité juridique, j’inverserais donc votre proposition : il est préférable que la proposition de loi fasse référence à la directive, et que ce soient vos propos, et ceux de vos collègues de la majorité, qui attestent de votre intention de supprimer les dispositions de la loi pour la sécurité intérieure avant même l’adoption de la directive.

L’amendement est retiré.

La Commission adopte ensuite l’article 13 sans modification.

Article 14
(art. 225-20 et 225-25 du code pénal ; art. 398-1 du code de procédure pénale)

Coordinations dans le code pénal et le code de procédure pénale
liées à l’abrogation du délit de racolage

Le présent article tire les conséquences de l’abrogation, par le précédent article, du délit de racolage, actuellement prévu à l’article 225-10-1 du code pénal, et procède à ce titre aux coordinations subséquentes dans le code pénal ainsi que dans le code de procédure pénale.

Ainsi, le 1° du I du présent supprime la référence à l’article 225-10-1 du code pénal à l’article 225-20 de ce même code, relatif aux certaines peines complémentaires encourues par les personnes physiques coupables des infractions de traite des êtres humains, de dissimulation forcée du visage, de proxénétisme, d’exploitation de la mendicité ou de la vente à la sauvette et, jusqu’à présent donc, de racolage.

Le 2° du I du présent supprime la référence à l’article 225-10-1 du code pénal à l’article 225-25 de ce même code, relatif à la peine complémentaire de confiscation de tout ou partie des biens, encourue par les personnes physiques et morales coupables des infractions de traite des êtres humains et de proxénétisme.

Enfin, le II du présent article supprime cette même référence à l’article 225-10-1 du code pénal à l’article 398-1 du code de procédure pénale, lequel énumère les délits pour lesquels le tribunal correctionnel peut statuer à juge unique.

*

* *

La Commission adopte l’article 14 sans modification.

Après l’article 14

La Commission est saisie de plusieurs amendements portant articles additionnels après l’article 14. Elle commence par examiner les amendements CS27 et CS28 de M. Sergio Coronado, pouvant faire l’objet d’une présentation commune.

M. Sergio Coronado. De manière incompréhensible, une population particulièrement vulnérable a été oubliée par notre Commission spéciale : je veux parler des personnes transgenres qui, sans être victimes de la traite ni du proxénétisme, peuvent néanmoins être contraintes à se prostituer par la législation qui s’applique à elles. J’aurais aimé que nous auditionnions des associations qui interviennent auprès de ces populations. Tel n’a pas été le choix de M. le président et de Mme la rapporteure, peut-être faute de temps.

Par ailleurs, Mme la ministre des droits des femmes avait fait part, au cours du débat sur le harcèlement sexuel, de son intérêt pour les revendications dont le parcours de transformation et le changement d’état civil font l’objet depuis quelque temps. Un intérêt qui ne s’est toutefois pas concrétisé, puisque, chaque fois qu’elle est interrogée à ce sujet, la ministre renvoie le débat à une date ultérieure, sans préciser ni cette date ni le véhicule législatif qui serait utilisé. Au cours de l’examen au Sénat du projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes, elle s’est même opposée à toutes les propositions visant à y intégrer cette question, qui venaient pourtant de divers bancs de l’hémicycle, de Mme Jouanno comme de Mme Benbassa.

Lors du débat sur l’ouverture du mariage civil aux couples de même sexe, M. Mariton avait jugé scandaleux que l’on permette aux gays et aux lesbiennes de refuser une affectation dans un pays criminalisant ou pénalisant l’homosexualité, au motif que cela les obligeait à faire état de leur orientation sexuelle, alors qu’il s’agissait au contraire de les protéger. J’aimerais que l’on ne me fasse pas ici le même procès d’intention.

J’ai pris la peine, en effet, de consulter plusieurs organisations qui travaillent avec les personnes transgenres ou les représentent, à propos du véhicule législatif approprié. À leurs yeux, le scandale n’est pas le recours à tel véhicule plutôt qu’à un autre, mais bien le déni de leurs droits, le fait qu’elles ne puissent ni se loger ni travailler et soient parfois contraintes à se prostituer, sans que les pouvoirs publics, conscients du problème puisqu’il est débattu depuis plusieurs années, ne fassent ni n’annoncent quoi que ce soit pour y remédier.

Si j’avais pu choisir un véhicule législatif plus approprié, je l’aurais fait. Mais l’essentiel est de consacrer des droits, de ne pas s’accommoder des discriminations extrêmement violentes dont ces personnes sont victimes. Voilà pourquoi je propose de réformer la procédure de modification de la mention du sexe à l’état civil, aujourd’hui très lourde, longue, coûteuse et discriminatoire et qui impose une stérilisation.

Dès 2008, la HALDE recommandait « de mettre en place un dispositif réglementaire ou législatif permettant de tenir compte, durant la phase de conversion sexuelle, de l’adéquation entre l’apparence physique de la personne transsexuelle et de l’identité inscrite sur les pièces d’identité, les documents administratifs ou toutes pièces officielles, afin d’assurer notamment le droit au respect de la vie privée dans leurs relations avec les services de l’État et également le principe de non-discrimination dans leurs relations de travail, en vue d’une harmonisation des pratiques au sein des juridictions ». De même, la résolution 1728 de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe « appel[ait] les États membres […] à traiter la discrimination et les violations des droits de l’homme visant les personnes transgenres et, en particulier, à garantir dans la législation et la pratique les droits de ces personnes […] à des documents officiels reflétant l’identité de genre choisie, sans obligation préalable de subir une stérilisation ou d’autres procédures médicales comme une opération de conversion sexuelle ou une thérapie hormonale ».

Je propose par l’amendement CS27 d’autoriser le changement d’état civil sur simple déclaration. Aux termes de l’amendement de repli CS28, la déclaration devrait être homologuée par le juge aux affaires familiales, comme l’avait proposé notre ancienne collègue Michèle Delaunay.

Mme Pascale Crozon. Erwann Binet et moi-même avons repris le chantier ouvert par Mme Delaunay au cours de la précédente législature et nous travaillons activement sur ce dossier. Selon nous, le bon véhicule législatif n’est pas la présente proposition de loi, mais plutôt le projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes, ou bien un autre texte qui sera examiné en mars.

Mme Marie-George Buffet. Je comprends parfaitement qu’aux yeux des personnes transgenres le véhicule législatif importe peu dès lors que, quel que soit le texte à propos duquel on aborde cette question, on oppose que ce n’est ni le lieu ni le moment. Toutefois, nous ne devrions pas, sous prétexte de remédier aux souffrances des transgenres, en traiter en raccrochant cette question à celle de la prostitution. Ne pouvons-nous pas en revanche nous réunir, comme nous avons su le faire à propos des violences faites aux femmes ou, désormais, du système prostitutionnel, pour travailler sérieusement, avec les associations concernées, à une proposition de loi spécifique abordant tous les aspects du problème ?

Mme Ségolène Neuville. Le problème est complexe et vaste : n’oublions pas les enfants, en nombre non négligeable, qui naissent avec un sexe visible différent de leur sexe génétique et qui sont ensuite pris en charge de manière plus ou moins heureuse selon les endroits. Il serait choquant de lier la situation des personnes transgenres à une loi sur la prostitution. Mais il n’est pas plus légitime de renvoyer le débat à l’examen du projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes. Ce sujet mérite un texte séparé.

Mme Marie-Louise Fort. Permettez-moi de signaler que l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe – certes dépourvue de moyens législatifs – a examiné, lors de sa dernière partie de session, un rapport qui recommande qu’aucun enfant concerné par ce problème ne subisse avant dix-huit ans une intervention lui imposant un changement de sexe. Ce sujet délicat commence donc à être débattu non seulement au niveau national, mais aussi à l’échelle de l’Europe.

M. Sergio Coronado. Pourquoi compliquer les choses ? L’hermaphrodisme est différent du transsexualisme. Il ne s’agit ici que de simplifier une procédure extrêmement lourde du point de vue administratif et médical. Je le répète, ce que je trouve choquant, ce n’est pas le choix de tel ou tel véhicule législatif mais le sort réservé aux personnes transgenres. Mme Neuville, vous adoptez en réalité la même position que le Gouvernement, celle-là même qui justifie mon amendement : pour aborder ce problème, aucun texte de loi ne vous paraît jamais approprié. C’est au nom de cet argument que la ministre a reporté sine die l’examen de cette question, qui n’a guère de chances de trouver place dans un agenda gouvernemental déjà extrêmement chargé. Comme porte-parole de M. Hollande durant sa campagne, elle avait pourtant pris des engagements auprès de plusieurs associations qui perdent maintenant patience et confiance dans la parole ministérielle.

Je comprends les réserves de Marie-George Buffet, dont l’engagement dans ce domaine ne fait pas de doute, comme l’ont montré les débats sur l’ouverture du mariage aux couples de même sexe. Mais il faut à un moment donné exprimer concrètement notre volonté de progresser sur ces questions. Tel est le sens de mes amendements. Aujourd’hui, rien ne nous dit que le Gouvernement traitera ces problèmes. Votre bonne volonté, Mme Crozon, ne suffit pas à me redonner confiance en un Gouvernement qui recourt ainsi à l’esquive.

Mme la rapporteure. M. Coronado, vous ne pouvez pas dire que nous ne sommes pas sensibles à cette question. Les personnes transidentitaires qui veulent modifier leur état civil subissent en effet une inégalité de traitement selon les juridictions, et les expertises réclamées par certains tribunaux contribuent à prolonger la durée de la procédure. Les discriminations qui en résultent sont évidemment inacceptables.

Il ne me semble toutefois pas opportun de légiférer sur ce point par voie d’amendement à la présente proposition de loi. En effet, le rapprochement entre les personnes transidentitaires et la prostitution constitue un raccourci quelque peu dangereux. En outre, la modification de la mention du sexe à l’état civil, très complexe, nécessite une étude approfondie que nous n’avons évidemment pas effectuée puisqu’elle ne relevait pas de l’objet de nos travaux.

Contrairement à ce que vous affirmez, Mme la ministre a annoncé un projet de loi de simplification administrative pour le début de 2014. Que Mme Crozon et M. Binet fassent partie d’un groupe de travail qui étudie cette question me semble de bon augure.

J’entends vos craintes, mais je ne peux qu’émettre un avis défavorable à ces amendements qui ne concernent pas la proposition de loi.

M. Sergio Coronado. Les personnes confrontées à ces problèmes apprécieront : le bon véhicule n’est pas un projet de loi sur l’égalité, mais un texte de simplification administrative !

Je retire mon amendement, mais je le redéposerai en séance afin d’obtenir des réponses plus précises, de nature politique. Le travail dont vous parlez a déjà été fait, Mme la rapporteure, notamment par le groupe SRC, dans le cadre de la préparation de la proposition de loi déposée par Mme Delaunay. Pourquoi ne pas l’avoir repris ? Je croyais qu’au-delà de la pénalisation et de la lutte contre la traite, le texte visait à accompagner la sortie de la prostitution, qui concerne bien un certain nombre de personnes transgenres.

Mme la rapporteure. Les parcours de sortie de la prostitution sont évidemment ouverts aux personnes transidentitaires comme aux autres personnes qui souhaitent sortir de la prostitution. Je ne comprends donc pas votre remarque.

M. le président Guy Geoffroy. Je transmettrai au Gouvernement le point de vue de la Commission : aucun véhicule autre que spécifique ne paraît approprié pour traiter cette importante question. L’aborder dans un texte de simplification ne serait ni plus ni moins irrespectueux que de l’intégrer à une loi traitant de la prostitution. En effet, si des personnes transsexuelles sont livrées à la prostitution et peuvent à ce titre bénéficier de cette loi, toutes ne sont pas pour autant des prostituées ! Il faut donc dès que possible un texte spécifique, qu’il soit d’origine gouvernementale ou parlementaire.

Les amendements CS27 et CS28 sont retirés.

Article 14 bis (nouveau)
Rapport du Gouvernement au Parlement sur la prostitution des mineurs en France

Issu d’un amendement de M. Sergio Coronado et Mme Barbara Pompili, cet article prévoit que le Gouvernement devra remettre, dans le délai d’un an à compter de la promulgation de la présente proposition de loi, un rapport sur la situation, le repérage et la prise en charge des mineurs se livrant à la prostitution.

La prostitution des mineurs est un phénomène bien réel dans notre pays : d’après les informations transmises à votre rapporteure par l’Association contre la prostitution des enfants (ACPE), il y aurait entre 6 000 et 8 000 mineurs prostitués et 70 % seraient de nationalité étrangère. Néanmoins, ces chiffres doivent être maniés avec prudence.

Votre rapporteure considère que la prostitution des mineurs doit être combattue de façon résolue et doit, à ce titre, faire l’objet d’une attention toute particulière de la part des pouvoirs publics. Elle voit dans l’élaboration de ce rapport le moyen d’éclairer les parlementaires tant sur les chiffres de la prostitution des mineurs que sur les actions qui auront été mises en œuvre pour la faire reculer et mieux prendre en charge les personnes concernées.

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* *

La Commission en vient à l’amendement CS16 de M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Nous demandons que, dans un délai de six mois suivant la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remette au Parlement un rapport sur la situation, le repérage et la prise en charge des mineurs se livrant à la prostitution.

Nous l’avons constaté à plusieurs reprises au fil de nos travaux, des chiffres contradictoires circulent sur cette question méconnue, suffisamment grave pour que l’exécutif fasse en sorte de fournir au Parlement les éléments d’information nécessaires à sa réflexion.

Mme la rapporteure. Avis favorable.

Selon des chiffres que nous a tout récemment communiqués l’Association contre la prostitution des enfants, l’ACPE, il y aurait aujourd’hui entre 6 000 et 8 000 mineurs prostitués en France. En outre, de 8 à 11 % des étudiantes et étudiants, selon les territoires, se seraient déjà prostitués ou envisageraient de le faire. Il convient d’appeler l’attention des pouvoirs publics sur cette situation inquiétante.

M. le président Guy Geoffroy. Je suggère de rectifier l’amendement pour porter de six mois à un an le délai séparant la promulgation de la loi et la publication du rapport. Si nous maintenons le délai de six mois, qui n’est pas réaliste, le rapport risque, soit de n’être pas remis, comme souvent, soit de se révéler insuffisant pour traiter sérieusement la question posée.

M. Sergio Coronado. J’accepte la rectification.

M. Charles de Courson. Les mineurs visés sont-ils définis par référence à la majorité civile ou à la majorité sexuelle ?

M. Sergio Coronado. Par référence à la majorité civile.

La Commission adopte l’amendement CS16 rectifié.

Chapitre III
Prévention des pratiques prostitutionnelles et du recours à la prostitution

Article 15
(art. L. 312-17-1 du code de l’éducation)
Inscription de la lutte contre la marchandisation des corps parmi les thématiques relevant de l’éducation à la sexualité

Cet article met en œuvre la recommandation n° 36 du rapport d’information sur le renforcement de la lutte contre le système prostitutionnel présenté, au nom de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, par votre rapporteure. Il complète en effet l’article L. 312-17-1 du code de l’éducation, qui figure dans une section consacrée à l’éducation à la santé et à la sexualité.

L’article L. 312-17-1 du code de l’éducation dispose, d’une part, qu’« une information consacrée à l’égalité entre les hommes et les femmes, à la lutte contre les préjugés sexistes et à la lutte contre les violences faites aux femmes et les violences commises au sein du couple est dispensée à tous les stades de la scolarité ». Il prévoit, d’autre part, que « les établissements scolaires, y compris les établissements français d’enseignement scolaire à l’étranger, peuvent s’associer à cette fin avec des associations de défense des droits des femmes et promouvant l’égalité entre les hommes et les femmes et des personnels concourant à la prévention et à la répression de ces violences ». Notons que la circulaire n° 2003-027 du 17 février 2003 du ministère de l’éducation nationale rappelle que trois séances d’information et d’éducation à la sexualité sont tenues dans le courant de chaque année scolaire.

La modification proposée consiste, eu égard à la place que doit prendre la prévention des relations sexuelles tarifées dans l’éducation à la sexualité, à ajouter la marchandisation des corps aux thématiques déjà enseignées comme l’égalité entre les hommes et les femmes, la lutte contre les préjugés sexistes ou la lutte contre les violences faites aux femmes. Cet ajout vise à améliorer l’état des connaissances des élèves scolarisés dans les écoles, les collèges et les lycées sur le thème de la prostitution. Plusieurs études révèlent en effet les lacunes des jeunes quant à la réalité du phénomène prostitutionnel en général et de la vie des personnes prostituées en particulier.

Une étude consacrée au phénomène prostitutionnel dans l’espace catalan transfrontalier (97) met par exemple en lumière l’impact de la prostitution de masse à La Jonquera (98) sur la vie des femmes, des hommes et des enfants résidant dans les Pyrénées-Orientales. Les auteures soulignent ainsi que nombre d’habitants de la région considèrent la prostitution en club comme une prostitution majoritairement libre, volontaire et indépendante, ce qui, en réalité, est loin d’être toujours le cas. Elles ajoutent que les jeunes tiennent un discours sur la prostitution libéré, nullement tabou, exempt de tout sentiment de clandestinité et de culpabilité, qui reflète une forme de banalisation du recours à l’achat d’actes sexuels. Elles font par ailleurs observer que la prostitution entretient un clivage et une hiérarchie entre les hommes et les femmes et que les établissements abritant une activité prostitutionnelle renforcent la distinction et l’inégalité entre les sexes. Les auteures de cette étude montrent que la prostitution influe également sur le comportement des femmes vivant dans le département : nombre d’entre elles ressentent ainsi le besoin, voire l’injonction de se distinguer des personnes prostituées tandis que d’autres développent un sentiment d’infériorité ou sont parfois soumises à une forme de « chantage sexuel » de la part de leurs conjoints.

Des mesures de sensibilisation et d’éducation apparaissent par conséquent indispensables pour déconstruire les représentations erronées de nombreux jeunes sur le système prostitutionnel, prévenir les pratiques prostitutionnelles occasionnelles ou régulières et rompre avec cette dangereuse banalisation du recours à l’achat de services sexuels, plus ou moins marqué en fonction des régions.

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La Commission adopte l’amendement rédactionnel CS46 de la rapporteure.

En conséquence, l’amendement CS25 de M. Sergio Coronado tombe.

La Commission adopte ensuite l’article 15 ainsi modifié.

Article 15 bis (nouveau)
(art. L. 312-16 du code de l’éducation)
Amélioration de l’information et de l’éducation à la sexualité

Issu d’un amendement déposé par l’ensemble des membres du groupe socialiste, républicain et citoyen, cet article modifie le premier alinéa de l’article L. 312-16 du code de l’éducation consacré à l’information et à l’éducation à la sexualité dans les écoles, les collèges et les lycées.

En l’état actuel du droit, cet article se contente de prévoir qu’une « information et une éducation à la sexualité sont dispensées dans les écoles, les collèges et les lycées à raison d’au moins trois séances annuelles et par groupes d’âge homogène ». L’article 15 bis de la proposition de loi précise qu’il s’agira d’une information et d’une éducation à la sexualité égalitaire et ajoute que l’information et l’éducation devront désormais aussi porter sur l’estime de soi et de l’autre et le respect du corps.

Cette modification répond à la nécessité de transformer les représentations liées à la sexualité, trop souvent considérée comme l’expression d’une domination masculine. Or, cette représentation est en contradiction avec les principes d’égalité entre les hommes et les femmes et de respect d’autrui.

Déconstruire ces représentations, insister sur l’importance du respect de l’autre et mettre fin à toutes formes de stéréotype de genre passe par le renforcement des mesures d’éducation à l’école primaire, au collège et au lycée.

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La Commission est saisie de plusieurs amendements portant articles additionnels après l’article 15. Elle examine d’abord l’amendement CS47 de Mme Sandrine Hurel.

Mme Ségolène Neuville. Afin de prévenir la prostitution dès l’adolescence, il s’agit de préciser dans le code de l’éducation que l’éducation à la sexualité doit être une éducation « égalitaire, à l’estime de soi, de l’autre et au respect du corps ».

Mme la rapporteure. Avis favorable.

Mme Marietta Karamanli. Cosignataire de l’amendement, j’aimerais qu’avant la séance publique, l’on vérifie qu’il relève bien du domaine législatif et non du domaine réglementaire. Il conviendrait également de savoir comment le ministère de l’éducation nationale compte donner corps à cette disposition ; enfin, il serait bon de consulter le Conseil supérieur des programmes.

Mme la rapporteure. Il ne s’agit pas d’un enseignement délivré dans le cadre du programme, mais d’une information.

Mme Catherine Coutelle. Depuis 2003, le code de l’éducation prévoit qu’est dispensée chaque année, à tous les niveaux, une information sur la sexualité, à raison de trois fois deux heures. Il s’agit simplement ici d’en préciser la teneur.

Souvenons-nous des débats sans fin sur l’introduction de la théorie du genre en sciences de la vie et de la terre. Il ne s’agit pas ici d’un « cours », réservé à une discipline – et le mot devrait donc être supprimé de l’exposé sommaire –, mais d’une information, d’ailleurs souvent assurée par des associations. En tout état de cause, nous ne modifions pas les programmes.

Mme Marietta Karamanli. Je souhaite surtout que nous nous assurions de ne pas empiéter sur le domaine réglementaire, dont relèvent certains éléments du code de l’éducation. Mais il ne faudrait pas non plus ouvrir la voie à des demandes d’heures d’enseignement supplémentaires.

M. Sergio Coronado. Comme les auteurs de l’amendement, je suis convaincu de la nécessité de déconstruire les stéréotypes de genre. Mon amendement CS25 étant tombé, je me demande s’il ne serait pas possible de sous-amender l’amendement en discussion, afin que soit enseignée, au-delà de l’estime de soi, l’égalité de genre, en vue de déconstruire les stéréotypes en la matière. Cette question devrait faire l’objet d’un large consensus.

M. le président Guy Geoffroy. Mme Karamanli, je n’ai aucun doute quant au caractère législatif de la disposition proposée, puisqu’il s’agit de données de fond que le texte ne détaille pas. En outre, Mme Coutelle, le travail législatif ne saurait consister à modifier les termes de l’exposé sommaire. Mais nous pouvons être tranquilles sur ce point. Le ministère de l’éducation nationale fera son affaire en interne du contenu à donner à cette information.

La Commission adopte l’amendement CS47.

Après l’article 15 bis

Puis elle examine successivement les amendements CS9 et CS10 de M. Charles de Courson, pouvant faire l’objet d’une présentation commune.

M. Charles de Courson. Des études montrent que, pour près de 40 % des jeunes, un acte sexuel en échange d’un objet ou d’un service n’est pas de la prostitution. Afin de lutter contre cette banalisation de la prostitution et de rappeler aux jeunes que l’existence d’une prostituée suppose celle d’un client – réalité sur quoi se fonde d’ailleurs cette proposition de loi –, l’amendement CS9 tend à ajouter, à l’article L. 312-17-1 du code de l’éducation, une information consacrée « aux réalités de la prostitution », et l’amendement CS10 une information consacrée « à la prévention de la prostitution, à l’apprentissage du respect mutuel et à l’acceptation des différences ». Ces derniers termes, je le précise, sont repris de la circulaire du 2 décembre 2011 relative à la politique de santé dans les territoires académiques.

Mme la rapporteure. Je suis d’accord sur le fond, mais vos amendements me semblent satisfaits par l’amendement CS47 que nous venons de voter, ainsi que par l’ensemble de l’article 15, qui tend à inscrire la lutte contre la marchandisation des corps parmi les thématiques relevant de l’éducation à la sexualité.

M. Charles de Courson. À la différence de l’amendement CS47, mes amendements se concentrent sur l’objet du texte.

La Commission rejette successivement les amendements CS9 et CS10.

Chapitre IV
Interdiction de l’achat d’un acte sexuel

La Commission adopte l’amendement rédactionnel CS31 de la rapporteure.

Article 16
(art. 225-12-1, 225-12-2 et 225-12-3 du code pénal ;
art. L. 421-3 du code de l’action sociale et des familles)

Création d’une infraction de recours à la prostitution punie de la peine d’amende prévue pour les contraventions de cinquième classe

Le présent article entend responsabiliser les clients de la prostitution. Il réécrit, à cette fin, l’article 225-12-1 du code pénal, pour y introduire une contravention de cinquième classe sanctionnant tout recours à la prostitution, qu’elle soit ou non occasionnelle.

Aux termes de cet article 225-12-1, ne constituent actuellement des infractions pénales – en l’occurrence des délits – que le fait d’avoir recours à la prostitution d’un mineur ou d’une personne présentant une particulière vulnérabilité.

Ces deux délits sont conservés par le présent article, mais deviennent des circonstances aggravantes de l’infraction générale de recours à la prostitution, laquelle sera punie de la peine d’amende forfaitaire de 1 500 euros prévue pour les contraventions de cinquième classe.

Votre rapporteure souhaite rappeler que la responsabilisation des clients doit être multiforme et s’appuyer, par conséquent, également sur un travail d’information et de sensibilisation du grand public à la réalité de ce qu’est la prostitution aujourd’hui en France. Tel était notamment l’objet de l’article 19 de la présente proposition de loi, qui différait de six mois, dans sa rédaction initiale, l’entrée en vigueur de l’infraction de recours à la prostitution.

Néanmoins, en parallèle de ce travail qu’il convient de mener à bien, il est également nécessaire de poser avec fermeté et détermination l’interdit dans notre loi pénale : l’argent ne peut pas tout acheter, et en particulier le corps humain. Tel est l’objet du présent article.

12. Les objectifs poursuivis par la responsabilisation des clients

À ce stade, il n’est pas inutile de rappeler quels sont les grands objectifs poursuivis par la volonté de responsabiliser les clients de personnes prostituées.

Il s’agit, en premier lieu, de voir régresser la traite des êtres humains et l’exploitation sexuelle. L’exemple de la Suède est à ce titre instructif. En effet, la pénalisation des clients y a incontestablement rendu la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle bien plus difficile, entraînant sa diminution. Lors de son audition par votre commission spéciale, Mme Lise Tamm, procureure au parquet international de Stockholm, a confirmé l’existence d’écoutes téléphoniques, menées dans le cadre d’enquêtes judiciaires portant sur des réseaux de traite, dans lesquelles les trafiquants estimaient qu’il était devenu trop difficile d’exploiter des femmes à des fins sexuelles en Suède. Pénaliser les clients, en rendant plus difficile la traite aux fins d’exploitation sexuelle, permettra donc d’écarter, de manière dissuasive, une partie des réseaux de la France.

En deuxième lieu, votre rapporteure reste convaincue que la prostitution est porteuse de violences, en tant que répétition de rapports sexuels non désirés. Les effets sur la santé des personnes prostituées peuvent être mesurés et sont généralement particulièrement graves et durables. Pénaliser les clients, c’est leur faire comprendre qu’ils participent à une forme d’exploitation de la vulnérabilité d’autrui et c’est donc rendre possible un travail pédagogique sur ce point. Au contraire, il faut protéger et accompagner les personnes qui sont en situation de vulnérabilité, quelle qu’en soit la cause, et punir ceux qui en profitent. Pénaliser les clients, c’est également donner une application concrète aux grands principes qui sont les nôtres. C’est réaffirmer le principe de non-patrimonialité du corps humain et lutter contre les inégalités et les violences dont sont victimes les femmes.

Enfin, la pénalisation du client, qui participe du processus abolitionniste dans lequel la France s’est engagée, constitue, à terme, la meilleure solution pour voir diminuer la prostitution en France, là où tous les pays qui ont réglementé cette activité l’ont vu augmenter, comme en Allemagne notamment. Les données disponibles sur la Suède (99) montrent avec certitude que la prostitution de rue a été divisée par deux en dix ans, passant de 800 à 400 personnes environ, et ne laissent pas augurer que la prostitution de rue se soit reportée ailleurs.

Dans le même temps, la prostitution de rue, tant en valeur absolue que relative, a fortement augmenté aussi bien au Danemark qu’en Norvège, deux pays comparables à la Suède. Elle a ainsi été multipliée par plus de trois en Norvège entre 1999 et 2008 et par plus de deux au Danemark entre 2003 et 2008. En conséquence, ces deux pays connaissent des taux de prostitution de rue par habitant qui sont cinq à six fois supérieurs à ceux de la Suède. On observera toutefois, s’agissant de la Norvège, que depuis le 1er janvier 2009, date de l’entrée en vigueur de la loi du 12 décembre 2008, et ainsi que votre rapporteure l’a indiquée dans l’exposé général du présent rapport, le nombre de clients identifiés par la police d’Oslo a notablement diminué, passant ainsi de 128 à 67 entre 2009 et 2010.

13. Poser l’interdit de recours à la prostitution dans notre droit pénal en créant une contravention

La France a adopté, en 2002 puis en 2003 (100), une législation pénalisant certains clients seulement de la prostitution.

En premier lieu, l’article 225-12-1 du code pénal incrimine le recours à la prostitution d’un mineur ou d’une personne « présentant une particulière vulnérabilité, apparente ou connue de son auteur, due à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse ». Il s’agit d’un délit puni de trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende.

En deuxième lieu, les peines encourues pour ce délit sont alourdies en cas de circonstances aggravantes. L’article 225-12-2 du code pénal porte ainsi les peines à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende, lorsque :

—  l’infraction est commise de façon habituelle ou à l’égard de plusieurs personnes ;

—  la personne a été mise en contact avec l’auteur des faits grâce à l’utilisation d’un réseau de communication ;

—  les faits sont commis par une personne qui abuse de l’autorité que lui confèrent ses fonctions ;

—  l’auteur des faits a délibérément ou par imprudence mis la vie de la personne en danger ou a commis contre elle des violences.

Les peines sont portées à sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende, lorsqu’il s’agit d’un mineur de quinze ans.

Enfin, l’article 225-12-3 du code pénal pose, pour la répression de ces délits, commis sur un mineur ou une personne particulièrement vulnérable, un principe d’extra-territorialité. En effet, cet article dispose que, dans le cas où les délits, simples ou aggravés, sont commis à l’étranger par un Français ou par une personne résidant habituellement sur le territoire français, la loi française est applicable.

Il en résulte que l’exercice de poursuites contre un ressortissant français, recourant à l’étranger à la prostitution d’une personne mineure ou particulièrement vulnérable, est autorisé, sans qu’il soit nécessaire que ces faits soient également punis par la législation du pays où ils ont été commis. Il n’est pas non plus nécessaire, dans cette hypothèse, que la victime ou ses ayants droit porte préalablement plainte ou que les autorités du pays où le fait a été commis procèdent à une dénonciation officielle des faits. Cette disposition est identique à celle prévue, depuis 1998, à l’article 227-27-1 du code pénal en matière d’atteinte sexuelle sur mineur et délits assimilés.

Si le client de la prostitution a donc été pris en compte par la législation pénale française à partir de 2002, l’incrimination se limite actuellement au seul recours à la prostitution de personnes mineures ou présentant une particulière vulnérabilité.

Le I du présent article a pour objet d’incriminer et de sanctionner plus largement tout recours à la prostitution.

Dans cette perspective, le 1° du I modifie l’intitulé de la section 2 bis du chapitre V du titre II du livre II du code pénal, actuellement dénommé « Du recours à la prostitution de mineurs ou de personnes particulièrement vulnérables ». L’objet du présent article étant d’instituer une infraction générale de recours à la prostitution, il y supprime la référence faite aux mineurs et aux personnes particulièrement vulnérables, l’intitulé de la section 2 bis précitée devenant désormais « Du recours à la prostitution ».

Le 2° du I du présent article réécrit, pour sa part, l’article 225-12-1 du code pénal. Dans sa nouvelle rédaction, le premier alinéa de cet article crée une contravention de cinquième classe, laquelle a vocation à sanctionner tout recours à la prostitution, qu’elle soit ou non occasionnelle, d’une peine d’amende de 1 500 euros. La rédaction proposée par le présent article se fonde sur celle actuellement prévue pour incriminer la prostitution des mineurs ou des personnes particulièrement vulnérables.

Ainsi, « le fait de solliciter, d’accepter ou d’obtenir des relations de nature sexuelle d’une personne qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle, en échange d’une rémunération, d’une promesse de rémunération, de l’utilisation d’un bien immobilier, de l’acquisition ou de l’utilisation d’un bien mobilier, ou de la promesse d’un tel avantage », sera désormais puni de la peine d’amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe.

Cette rédaction présente l’avantage de pouvoir incriminer plus largement les comportements d’achat du corps humain n’impliquant pas uniquement une rémunération pécuniaire. Il est vrai que la jurisprudence est indifférente à la nature de la rémunération versée ou promise, laquelle est établie en présence soit d’une somme d’argent, soit d’avantages en nature. Dans les faits, on sait bien que l’offre ou la promesse d’offre d’un logement sert bien souvent de base à une relation prostitutionnelle, notamment à l’égard des étudiants.

L’incrimination proposée par le présent article, en visant les hypothèses où la relation sexuelle est la contrepartie, par exemple, de l’utilisation d’un bien immobilier, de l’acquisition ou de l’utilisation d’un bien mobilier, vise à lever toute ambiguïté et à inclure expressément les rémunérations et promesses de rémunération, qui ne prennent pas la forme de sommes d’argent, mais de biens ou de services offerts en échange d’un acte sexuel.

La commission spéciale, sur l’initiative de votre rapporteure, a toutefois adopté un amendement destiné à conforter, sur le plan juridique, la rédaction de cette incrimination des comportements d’achat d’actes sexuels n’impliquant pas uniquement une rémunération pécuniaire. En effet, la rédaction initiale ne visait que les hypothèses où la relation sexuelle est la contrepartie d’un bien mobilier ou immobilier, sans prendre en compte les différents services susceptibles d’être fournis ou promis en échange d’une telle relation. Afin de définir très précisément l’infraction de recours à la prostitution, la commission spéciale a retenu une nouvelle rédaction à la fois plus large et plus englobante, car visant les hypothèses où la relation sexuelle est aussi la contrepartie de « la fourniture d’un avantage en nature ou de la promesse d’un tel avantage ».

Toujours sur proposition de votre rapporteure, la commission spéciale a complété la rédaction de l’article 225-12-1 du code pénal par un deuxième alinéa, prévoyant qu’une personne physique, condamnée pour recours à la prostitution à une peine principale d’amende forfaitaire de 1 500 euros, pourra également encourir une ou plusieurs peines complémentaires dans les conditions de droit commun. Pourront ainsi être prononcées, à titre de peine complémentaire, le stage de sensibilisation à la lutte contre l’achat d’actes sexuels, créé à l’article 131-16 du code pénal par l’article 17 de la proposition de loi (cf. infra), ou bien encore la peine de travail d’intérêt général, prévue au second alinéa de l’article 131-17 de ce même code.

Le troisième alinéa de l’article 225-12-1 du code pénal, dans sa rédaction issue du présent article, définit les conditions dans lesquelles la récidive de la contravention de recours à la prostitution sera réprimée. À cette fin, il renvoie au premier alinéa de l’article 132-11 du code pénal, qui dispose que « lorsqu’une personne physique, déjà condamnée définitivement pour une contravention de cinquième classe, commet, dans le délai d’un an à compter de l’expiration ou de la prescription de la précédente peine, la même contravention, le maximum de la peine d’amende encourue est porté à 3 000 euros ». Ainsi, toute personne qui, condamnée à une contravention de recours à la prostitution, commettra dans un délai d’un an la même infraction, encourra désormais une peine d’amende de 3 000 euros. Ainsi, la récidive de l’infraction de base serait, elle aussi, punie d’une amende contraventionnelle.

Le quatrième et dernier alinéa de l’article 225-12-1 du code pénal, dans sa nouvelle rédaction, reprend, sans la modifier, l’incrimination du recours à la prostitution d’une personne mineure ou présentant une particulière vulnérabilité, qui constituera, comme aujourd’hui, un délit puni d’une peine de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. La seule innovation réside dans le fait que le recours à la prostitution d’une personne mineure ou vulnérable sera désormais une circonstance aggravante de la contravention, prévue au premier alinéa du nouvel article 225-12-1 du code pénal. Sur l’initiative de votre rapporteure, la commission spéciale a simplifié, sans la modifier sur le fond, la rédaction de l’incrimination du recours à la prostitution d’une personne mineure ou présentant une particulière vulnérabilité, qui constituera, comme aujourd’hui, un délit puni d’une peine de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. La nouvelle rédaction retenue par votre commission spéciale préserve une des innovations de la proposition de loi, consistant à faire du recours à la prostitution d’une personne mineure ou vulnérable une circonstance aggravante de la contravention de base.

En définitive, comme le montre le tableau ci-dessous, l’instauration de cette contravention de recours à la prostitution sera proportionnée avec les infractions qui existent d’ores et déjà, en s’intégrant parfaitement dans l’échelle des peines prévue par le code pénal pour la répression du délit de recours à la prostitution de mineurs ou d’une personne particulièrement vulnérable.

L’équilibre proposé par le présent article présente l’avantage de poser, dans la législation pénale française, l’interdit social de l’acte d’achat du corps humain qu’est le recours à la prostitution, tout en dessinant un dispositif graduel et dissuasif.

ÉCHELLE DES PEINES EN CAS DE CRÉATION D’UNE INFRACTION
SANCTIONNANT LE RECOURS À LA PROSTITUTION

Nature de l’infraction

Article du code pénal

Sanction

Contravention de recours
à la prostitution

Article 225-12-1

Contravention
de cinquième classe punie d’une peine d’amende de 1 500 euros

Délit de recours à la prostitution d’un mineur ou d’une personne particulièrement vulnérable

Article 225-12-1

3 ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende

Délit aggravé de recours à la prostitution d’un mineur ou d’une personne particulièrement vulnérable

Article 225-12-2,
cinq premiers alinéas

5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende

Délit aggravé de recours à la prostitution d’un mineur de quinze ans

Article 225-12-2,
dernier alinéa

10 ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende

Pour leur part, les 3° et 4° du I du présent article tirent les conséquences de la création de cette contravention de recours à la prostitution aux articles 225-12-2 et 225-12-3 du code pénal, en réservant l’aggravation des peines encourues dans certaines circonstances (101) et le bénéfice de l’extra-territorialité aux seuls délits de recours à la prostitution d’un mineur ou d’une personne présentant une particulière vulnérabilité.

Enfin, le II du présent article modifie l’article L. 421-3 du code de l’action sociale et des familles, là aussi pour tirer les conséquences formelles de la réécriture de l’article 225-12-1 du code pénal, mais sans entraîner de changement sur le fond : ainsi, le refus d’agrément pour l’exercice de la profession d’assistant maternel ou familial resterait bien limité aux seules personnes ayant fait l’objet d’une condamnation délictuelle pour recours à la prostitution d’un mineur ou d’une personne particulièrement vulnérable ; les personnes condamnées à une contravention de cinquième classe de recours à la prostitution ne seraient pas visées par le refus d’agrément. Les personnes condamnées à une contravention de cinquième classe pour recours à la prostitution ne seront donc pas visées par le refus d’agrément.

*

* *

La Commission est saisie de deux amendements, l’amendement CS14 de M. Sergio Coronado et l’amendement CS18 de Mme Marie-Louise Fort, tendant à la suppression de l’article 16.

M. Sergio Coronado. J’ai déjà fait part du scepticisme que m’inspire un dispositif d’accompagnement de la sortie de prostitution et de lutte contre la traite censé s’appliquer, selon M. le président et Mme la rapporteure, à moyens constants, c’est-à-dire sans aucun moyen supplémentaire. Il en va de même des mesures destinées à aider les prostituées sans papiers à quitter la prostitution. Quel intérêt les réseaux de traite auraient-ils à ce que les prostituées aient des papiers ? Les explications de Mme la rapporteure et de Mme Neuville sur un supposé « appel d’air » m’ont rappelé, sans m’éclairer, d’autres débats parlementaires sur l’immigration. Bref, je ne suis pas convaincu par les « quatre piliers » présentés par la rapporteure.

Nous arrivons maintenant au cœur de la proposition de loi. Le présent article vise à punir d’une contravention de cinquième classe « le fait de solliciter, d’accepter ou d’obtenir des relations de nature sexuelle d’une personne qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle, en échange d’une rémunération, d’une promesse de rémunération, de l’utilisation d’un bien immobilier, de l’acquisition ou de l’utilisation d’un bien immobilier, ou de la promesse d’un tel avantage ». Cette incrimination reste bien floue. En outre, j’ai été sensible aux réserves exprimées par Marisol Touraine, lors de son audition par la commission spéciale, en raison des conséquences sanitaires de la pénalisation. La ministre de la Santé a dit qu’elle n’avait pas les mêmes chiffres que la Commission, ni la même analyse de ces chiffres, concernant la Suède, modèle qui inspire Mme la rapporteure depuis bien longtemps et qui fonde la présente proposition de loi. La pénalisation, disait-elle, n’apporte aucune garantie aux victimes de la traite.

J’ajouterai que la pénalisation amalgame traite et prostitution, deux phénomènes fondamentalement différents. Lors des débats sur le rapport de la mission d’information sur la prostitution, notre ancien collègue Alain Vidalies, spécialiste reconnu des questions sociales, avait critiqué cette confusion, préférant parler de « prostitutions », au pluriel, et s’opposant à la pénalisation du client.

Comme le délit de racolage public, la pénalisation risque de précariser encore davantage les prostituées. Le groupe VIH/Sida du PNUD s’en inquiétait dans son rapport pour 2012. De fait, du moins selon les chiffres dont dispose Mme Touraine – mais j’imagine que le ministère de la Santé dispose de données fiables –, la santé des prostituées s’est dégradée en Suède depuis que cette mesure y est entrée en vigueur.

Christiane Taubira l’a dit à sa manière : l’instauration d’une contravention de cinquième classe n’est pas le meilleur moyen de déconstruire les stéréotypes de genre et les imaginaires inégalitaires. Concentrons nos efforts sur l’éducation, sur l’enseignement, sur les campagnes de prévention. Le prohibitionnisme a des conséquences extrêmement néfastes sur la vie des personnes prostituées.

Mme Marie-Louise Fort. Cet amendement de suppression vise à appeler l’attention sur la difficulté d’application d’un tel dispositif. Le client comme la prostituée n’auront aucun intérêt à reconnaître qu’il y a eu relation sexuelle. Comment sera appréciée l’infraction ? Comment sera–t–il prouvé qu’il y a eu relation tarifée ? En Suède, on s’appuierait notamment sur la délation par les hôteliers ou par le voisinage, qui permettrait des mises sur écoute et l’établissement de certaines preuves, mais comment cela fonctionnera-t-il en France ? S’agit-il d’une mesure plus symbolique que pratique ? Les policiers et gendarmes avec lesquels j’ai eu l’occasion d’en discuter se posent les mêmes questions.

Mme Marie-George Buffet. À la suite de l’intervention de notre collègue Coronado, je tiens à faire remarquer qu’il ne faudrait pas considérer cet article comme constituant le cœur du texte, au risque d’en occulter d’autres éléments très importants, comme le parcours de sortie de la prostitution dont nous venons de discuter.

Ensuite, de deux choses l’une : soit on regarde la prostitution comme un commerce où l’un vend son corps que l’autre achète, et il n’est pas question de sanctionner le client ; soit on considère, comme je le fais moi-même, qu’il s’agit d’un système violent dans lequel certains profitent des personnes qui en sont victimes et, dans ce cas-là, il faut sanctionner ces individus.

Ce faisant, nous indiquerons clairement ce qui est permis et ce qui est interdit. Ces dix derniers jours, ayant eu l’occasion de me rendre dans deux lycées différents, j’ai volontairement amené le débat sur la prostitution et, à chaque fois, je me suis aperçue que les jeunes en avaient une vision « d’opérette », bien éloignée de la réalité – si des femmes se prostituent, c’est qu’elles le veulent et que cela rapporte, etc. Il convient de montrer qu’il y a bien d’un côté des victimes et de l’autre des gens qui doivent être condamnés parce qu’ils profitent de la situation.

Mme Ségolène Neuville. Actuellement, en France, la situation des personnes prostituées est catastrophique du point de vue social comme du point de vue sanitaire : le rapport de l’IGAS publié en décembre 2012 l’a amplement démontré. Que faire ?

Dans le système prostitutionnel, interviennent trois acteurs : les proxénètes, les personnes prostituées et les clients. Certains pays comme les États-Unis, qui prohibent la prostitution, punissent les uns et les autres, mais particulièrement les personnes prostituées. Nous ne sommes pas favorables à cette façon de faire, dans la mesure où il a été démontré que les conséquences en sont dramatiques pour ces dernières, et c’est pourquoi nous avons choisi d’abroger le délit de racolage.

Quant aux proxénètes, la loi prévoit déjà de lourdes sanctions à leur égard. Restent les clients, dont on ne saurait se désintéresser : ce sont eux en effet qui, par leur demande, suscitent l’offre que les réseaux criminels s’emploient à constituer. Voilà pourquoi l’article 16 vise à les responsabiliser.

C’est une vraie révolution : les personnes prostituées ne sont plus coupables, tandis que les clients sont amenés à prendre la mesure de ce qu’ils font. La prostitution n’est pas un acte commercial. Ne pas y recourir est une question d’éthique.

Mme la rapporteure. Puisque vous avez posé la question des moyens, M. Coronado, je rappellerai ce qu’a annoncé Mme la ministre des Droits des femmes : un fonds de 10 à 20 millions d’euros par an sera pris sur le budget de l’État pour accompagner les personnes prostituées.

D’autre part, s’agissant d’apprécier les effets de la loi suédoise, vous n’avez cité qu’une partie des propos de Mme Touraine : elle a reconnu la difficulté de se faire une opinion en raison de rapports contradictoires et elle a fait état de certains qui n’allaient pas dans votre sens. Reste que la Chancelière pour la justice suédoise, la procureure adjointe du Tribunal international de Stockholm et un des commissaires de police de Stockholm, que nous avons auditionnés, ont été unanimes à constater qu’il n’y avait pas eu dans leur pays davantage de violences ni de prostitution cachée, et à confirmer que la prostitution de rue avait diminué.

Ce qui intéresse les réseaux, c’est de gagner beaucoup d’argent. On estime aujourd’hui que les quelque 140 000 personnes prostituées en Europe leur rapportent 3 milliards d’euros par an. Si nous nous contentons d’abroger le délit de racolage, sans assortir cette abrogation d’aucun moyen de répression, les réseaux s’engouffreront sans retenue sur le territoire français, comme ce fut le cas en Allemagne où l’on dénombre 400 000 personnes prostituées, contre 20 000 à 40 000 chez nous. Voulons-nous les attirer ? Les Suédois, qui ont réalisé des écoutes téléphoniques, ont appris que les proxénètes et les réseaux avaient l’intention de se détourner de leur pays pour aller là où les législations leur sont beaucoup plus favorables.

Ensuite, M. Coronado, je comprends les inquiétudes des personnes qui sont actuellement en situation de prostitution. C’est bien pour cela que Mme Touraine a annoncé l’élaboration d’un référentiel, de façon que les associations puissent agir en allant à la rencontre des personnes prostituées, plutôt que d’attendre que celles-ci s’adressent à elles.

Mme Taubira a eu les mêmes interrogations que Mme Touraine, mais elle s’est prononcée clairement pour la pénalisation, tout comme Mme Vallaud-Belkacem et M. Valls.

Arrêtons d’agiter le chiffon rouge ! Nous sommes conscients des risques et nous allons mettre en place des dispositifs pour éviter qu’ils ne se concrétisent. De toute façon, le client ne peut pas continuer à considérer qu’il fait ce qu’il veut du corps des femmes ou des hommes. Il n’a pas à profiter de la précarité économique de ces gens pour se satisfaire. Si nous voulons une société progressiste et humaniste, nous devons le réaffirmer.

Je répondrai enfin à Mme Fort que les Suédois ont su comment procéder. Comme je l’ai dit à M. Valls, il faut absolument faire suivre des formations à nos policiers. Plutôt que de faire des « planques » pour appréhender les prostituées qui se livrent au racolage, ils en feront pour savoir où se passe la prostitution. Et si des clients se tournent vers des sites d’offre de prostitution, la police sera dotée de moyens pour y avoir accès.

M. le président Guy Geoffroy. Il y a un peu plus de deux ans, nous avons discuté avec les autorités suédoises du bilan de l’application de leur loi. Les Suédois n’avaient relevé qu’une seule faille : la faiblesse de l’accompagnement de la sortie de la prostitution. Au bout de dix ans, ils ont, en effet, constaté amèrement que, malgré son caractère très avancé, leur système de protection sociale n’était pas suffisant et qu’il leur faudrait prendre des dispositions spécifiques pour assurer cet accompagnement. Sur tous les autres points, ils nous ont fourni des éléments incontestables – bien qu’évidemment contestés par certains – prouvant le succès de leur loi.

M. Coronado, les propos tenus par M. Vidalies sont connus. Je vous fais toutefois remarquer qu’il peut arriver à un parlementaire d’approuver une loi sans en avoir approuvé tous les articles et que, de la même manière, M. Vidalies a approuvé le rapport de la mission d’information tout en en désapprouvant un élément : l’esprit général dans lequel nous avions travaillé l’avait convaincu de le voter plutôt que de le rejeter ou de s’abstenir.

Je reprendrai enfin à mon compte les propos de Mme Buffet : l’objectif de ce travail n’est pas de faire la chasse aux clients pour le simple plaisir de trouver un coupable ou de mettre en œuvre une disposition pénale supplémentaire. Il est d’éviter au plus grand nombre possible de nos concitoyens d’entrer dans la prostitution, et au plus grand nombre possible des personnes entrées dans la prostitution d’en sortir dans des conditions de dignité retrouvée, en facilitant leur réinsertion sociale.

Le dispositif que nous devrons mettre en place pour y parvenir ira peut-être jusqu’à la pénalisation du client, mais ce n’est qu’un moyen : ce n’est pas un but en soi. Je ne peux donc pas laisser dire que notre loi serait répressive et que son unique objet serait de pénaliser les clients de la prostitution. Ce serait réducteur, et assez inconvenant à l’égard des personnes prostituées elles-mêmes, qui doivent être protégées plutôt que stigmatisées.

Mme Catherine Coutelle. Encore une fois, cette loi, qui est la première loi aussi complète sur le sujet, ne se limite pas à l’article 16.

Dans les années quatre-vingt-dix, 20 % des femmes prostituées étaient d’origine étrangère. La proportion est aujourd’hui de 90 %. Nous sommes ainsi confrontés à un phénomène de traite et de commerce sexuel – surtout de femmes, mais aussi de mineurs – d’une très grande ampleur.

Le dernier rapport d’Eurostat montre qu’entre 2008 et 2013, la traite a progressé de 17 % dans nos pays européens. Elle concerne essentiellement des femmes de sociétés du Sud, pauvres ou confrontées à des problèmes économiques majeurs, au profit de clients des pays du Nord plus riches, demandeurs d’un tel commerce. Nous ne pouvons exempter le client de ses responsabilités. Il faut lui signifier clairement qu’à partir du moment où il a recours à la prostitution, il alimente ce commerce.

J’observe que dans les pays réglementaristes, la santé des prostituées n’est pas meilleure que chez nous. Nos voisins dans ce cas s’interrogent sur leur législation et attendent de connaître nos décisions. Une pétition a été lancée en Allemagne appelant à se mobiliser en faveur d’une loi équivalente à la nôtre. Une autre l’a été cette semaine en Suisse sur le même sujet. Le maire d’Amsterdam n’arrive plus à gérer son centre ville et s’interroge sur la réglementation. À la Jonquera, les mafias se sont violemment affrontées pour conserver leur territoire. La réglementation n’est donc pas une assurance de tranquillité publique.

Pour toutes ces raisons, ce texte est très important.

M. Sergio Coronado. Mme la rapporteure, je demeure dubitatif sur les moyens qui seront déployés pour combattre les réseaux et la traite des êtres humains et pour assurer la sortie de prostitution. Vous devriez d’ailleurs bien partager ce scepticisme, Mme Buffet. Les conditions requises des prostituées sans papiers pour bénéficier d’un titre de séjour sont si rigoureuses qu’on s’apercevra dans deux ou trois ans, je le crains, que le parcours de sortie s’apparente fort à un parcours du combattant.

Je suis abolitionniste et je ne prêche donc pas en faveur du réglementarisme que d’autres pays de l’espace européen ont adopté. Inutile donc de me renvoyer à ce qui se passe en Allemagne. Et c’est en tant qu’abolitionniste que, comme la ministre de la Santé, j’émets des réserves, sans doute plus fortes, sur la tentation prohibitionniste qui transparaît dans une partie de cette proposition de loi.

À ce propos, je n’ai pas prétendu que Mme Touraine était opposée au texte, ni qu’elle avait dénoncé vos chiffres. J’ai dit qu’elle avait fait référence à d’autres chiffres. Maintenant, il ne m’est pas interdit de penser que le soutien dont vous semblez vous prévaloir de sa part est peut-être moins affirmé que vous ne le laissez entendre. Il me semble en aller de même s’agissant de la garde des Sceaux. De fait, pour moi, le soutien qu’apporte Mme Belkacem à votre texte n’est pas totalement partagé au sein du Gouvernement.

Quoi qu’il en soit, Mme la rapporteure, il m’a paru assez déplacé de qualifier de « chiffon rouge » les réserves exprimées par l’ensemble des organisations mondiales comme ONUSida et l’Organisation mondiale de la santé ou, en France, par le Bus des Femmes, le Planning familial, le Syndicat de la magistrature ou la Ligue des droits de l’Homme. Cela étant, je reconnais que vous menez depuis fort longtemps un combat d’une grande cohérence.

M. Charles de Courson. Si l’on pousse à leur terme les arguments de notre collègue Coronado, on se rend compte que sa position est celle d’un libertaire. Mais quand on est à la tête d’un État et qu’on est libertaire, on le détruit et on ouvre la porte aux extrémismes. Ce n’est donc pas une position responsable.

Vos arguments sont en fait un mélange de libertarisme et de conservatisme. Vous reprenez en effet les vieilles antiennes, selon lesquelles la prostitution serait « le plus vieux métier du monde »…

M. Sergio Coronado. Je n’ai jamais dit cela !

M. Charles de Courson. …qu’on ne peut rien y faire et qu’il ne faut fixer aucune règle. Ce sont les arguments de tous les conservateurs du monde !

Enfin, mon cher collègue, si votre amendement était voté, que resterait-il du texte ? La philosophie de cette proposition est en effet qu’il faut s’attaquer au problème des clients des prostituées – des hommes, à 99 %. Et si on ne veut pas s’attaquer au problème, on tombe dans le libertarisme.

M. Sergio Coronado. Puis-je répondre ?

M. le président Guy Geoffroy. Je ne pense pas que ce soit utile, dans la mesure où les propos de M. de Courson étaient de portée plus générale qu’il n’y paraissait. Et puis notre débat, qui est passionnant et d’une très belle tenue, pourra se poursuivre dans l’hémicycle. Nous avons tous largement eu le temps de nous exprimer.

Je vous propose d’ailleurs de considérer que les échanges que nous venons d’avoir tiennent lieu de discussion générale sur les articles 16 et 17. Ce qui signifie que je serai reconnaissant aux auteurs des amendements suivants de se montrer concis.

La Commission rejette les amendements de suppression CS14 et CS18.

La Commission adopte l’amendement de simplification rédactionnelle CS63 de la rapporteure.

Elle est ensuite saisie en discussion commune des amendements identiques CS5 de M. Charles de Courson et CS22 de Mme Colette Capdevielle et de l’amendement CS 69 du président Guy Geoffroy.

M. Charles de Courson. J’avais amorcé le débat lors des auditions : l’amende prévue est-elle cohérente au regard de la hiérarchie des sanctions existant dans le code pénal, et au regard des incriminations ? Le recours à la prostitution ne saurait être comparé à la violation de dispositions réglementant la vente ou l’échange de certains objets mobiliers, ou au fait, pour un cyclomotoriste, de circuler sur des voies ouvertes à la circulation publique, actuellement justiciables d’une contravention de cinquième classe. La sanction prévue pour les clients des prostituées apparaît donc tout à fait inadaptée et incohérente. Voilà pourquoi je propose, dans l’amendement CS5, que l’on substitue à ces contraventions de cinquième classe l’amende et la peine d’emprisonnement minimales prévues pour un délit – soit 3 750 euros d’amende et deux mois d’emprisonnement.

Je rappelle qu’il s’agit là d’un plafond et qu’en Suède, où l’emprisonnement est possible, il n’a été prononcé que dans deux ou trois cas. Pour autant, le fait d’indiquer que la personne qui a recours à la prostitution commet un délit – et non une contravention – aurait une portée symbolique.

Mme Colette Capdevielle. Les observations de M. de Courson valent aussi pour mon amendement CS22, comme d’ailleurs pour mon amendement CS24.

Pour ma part, je considère cette loi comme révolutionnaire en ce qu’elle vise à modifier les mentalités, à faire poser un nouveau regard sur les personnes prostituées et à leur venir en aide. Voilà pourquoi, selon moi, il faut s’interroger sur la qualification juridique de l’achat d’acte sexuel, et non sur la sanction car, comme on vient de le dire, aucun client n’ira en prison. Ce n’est d’ailleurs pas l’objectif de ce texte. Ne nous trompons pas de débat.

Dans la mesure où nous inscrivons dans le code pénal – au livre II, « Des crimes et ses délits contre les personnes » –, l’achat d’acte sexuel comme une atteinte à la personne humaine, il est en revanche légitime d’envisager la création d’un délit de recours à la prostitution, en particulier en cas de récidive. Il est tout à fait dans l’esprit de la loi de prendre ainsi en compte la gravité de l’acte commis – qui est une atteinte corporelle et sexuelle – et de lui donner une place plus cohérente dans l’échelle des peines de notre code pénal. C’est à quoi tend l’amendement CS22.

L’amendement CS24 présente, quant à lui, une solution de repli, dissuasive et progressive : l’achat d’acte sexuel serait considéré comme une contravention et, en cas de récidive, comme un délit. On poserait l’interdit tout en conservant l’aspect pédagogique, essentiel à cette proposition de loi. Je précise que cet amendement s’inspire très directement de la recommandation n° 39 du rapport d’information n° 1360, établi au nom de la Délégation aux droits des femmes.

M. le président Guy Geoffroy. Mon amendement rejoint pour une large part ceux qui viennent d’être présentés, mais je souhaite insister ici sur la dimension européenne et internationale du problème auquel nous nous attaquons. Or, alors que les infractions existantes en matière de recours à la prostitution d’autrui ont une portée extraterritoriale, afin de lutter contre le tourisme sexuel, et sont donc applicables aux faits commis à l’étranger par un Français ou une personne résidant habituellement sur le territoire français, cela ne pourrait pas être le cas de l’incrimination générale de recours à la prostitution si nous en restions à une simple contravention. Voilà pourquoi, dans sa deuxième partie, mon amendement donne à cette incrimination – dans la mesure où le recours à la prostitution devient un délit – une application extraterritoriale.

Cela dit, j’ai conscience, comme Mme Capdevielle et M. de Courson, que notre réflexion n’est peut-être pas encore totalement aboutie. Et je crains que si nous adoptions l’un ou l’autre de ces amendements et que nous devions revenir sur ces dispositions en séance, nous ne donnions le sentiment de reculer par rapport à la disposition adoptée en commission.

Pour ma part, je souhaite retirer l’amendement que j’ai déposé pour nous permettre, avec notre rapporteure et en relation avec le Gouvernement, d’établir la juste position sur laquelle nous n’aurons pas à revenir ensuite. Je suggère donc que nous en restions au texte de la proposition de loi et j’invite mes deux collègues à retirer eux aussi leurs amendements.

M. Charles de Courson. Ce que je souhaite, c’est que nous allions dans le sens d’un durcissement de ce qui nous est actuellement proposé. En effet, nous risquons de nous ridiculiser si nous nous en tenons à des contraventions de cinquième classe.

Un délit est défini par le quantum de la peine : en deçà de 3 750 euros, nous sommes dans le domaine de la contravention ; à partir de ce seuil, nous entrons dans celui du délit. Je pense qu’il y a une majorité dans cette commission pour franchir ce pas. Faut-il aller jusqu’à la peine d’emprisonnement ? Il n’y en a pas en cas de contravention, mais il peut ne pas y en avoir en cas de délit. Peut-être pourrait–on la réserver aux cas de récidive.

Ce qui est sûr, c’est que nous devons ménager une gradation. Pour ma part, je considère que le fait d’aller voir une prostituée s’apparente à un viol. Certains partagent mon point de vue, d’autres non. Mais j’observe que, partant d’une situation où aucune sanction n’est prévue à l’encontre du client, nous devons agir de façon progressive, quitte à durcir le dispositif dans quinze à vingt ans.

Je suis prêt, M. le président, à retirer mon amendement et à travailler avec vous tous à un autre, que nous pourrions cosigner.

Mme Colette Capdevielle. M. le président, je vais suivre votre recommandation et retirer mon amendement. Il est important que ce débat ait eu lieu ici, en commission, car le sujet est extrêmement sensible. Il nous faut trouver une solution satisfaisante, qui permette de qualifier de façon précise le recours à la prostitution, que ce soit pour le premier acte ou pour la récidive.

Je ne tiens pas particulièrement à des sanctions graves, allant jusqu’à la prison, mais la qualification juridique constitue un élément important de cet article 16 et, partant, du message que nous voulons faire passer à l’opinion publique.

Les amendements CS5, CS22, CS69 et CS24 sont retirés.

M. Sergio Coronado. Bien que ces amendements aient été retirés, je tiens à souligner la cohérence de leurs auteurs. En effet, l’idée sur laquelle se fonde ce texte est qu’il n’y a pas de prostitution volontaire ou voulue et, dès lors, le recours à la prostitution ne peut être regardé que comme un acte d’une extrême violence – sans aller peut-être jusqu’à l’assimiler à un viol, comme vient cependant de le faire notre collègue. Cette philosophie n’est pas la mienne et c’est pourquoi je ne fais miens ni l’esprit, ni la lettre de cette proposition de loi. En revanche, quand on l’adopte, il est vrai que faire du recours à la prostitution une contravention relève du ridicule et risque de faire passer votre loi pour un simple texte d’affichage.

Je terminerai par une question. Au cours de son audition, Mme la garde des Sceaux s’est déclarée satisfaite que l’on ait abandonné la piste de la sanction pénale et que Mme la rapporteure ait accepté de se borner à une contravention. Y a-t-il eu une négociation avec les ministres ? Lesquels ? Et quelle a été la demande formulée par la garde des Sceaux, si demande il y a eu ? J’ai peut-être mal compris ses propos, mais je ne le crois pas…

Mme Ségolène Neuville. Je suis tout à fait d’accord avec l’analyse du président. La question est en effet complexe et notre groupe est sensible aux arguments développés par les collègues qui ont déposé ces amendements. Je crois qu’il ne faut pas négliger la portée symbolique qu’aurait le choix du délit plutôt que celui de la contravention, d’autant que nous venons d’abroger le délit de racolage qui, jusqu’à présent, se trouvait inscrit au casier judiciaire des prostituées. Pour autant, l’objectif n’est absolument pas de mettre les clients en prison.

Vous avez raison, M. le président : nous devons retravailler la question et faire en sorte d’aboutir à un consensus.

La Commission examine alors l’amendement CS64 de la rapporteure.

Mme la rapporteure. Cet amendement est de précision, s’agissant notamment du stage de sensibilisation aux conditions d’exercice de la prostitution.

La Commission adopte l’amendement CS64.

Elle adopte ensuite, successivement, les amendements rédactionnels CS65 et CS66 de la rapporteure.

Elle adopte enfin l’article 16 ainsi modifié.

Après l’article 16 (amendement précédemment réservé)

La Commission examine l’amendement CS20 de M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Il s’agit de prendre en compte une pratique que nous avons découverte au cours des auditions : l’échange de services sexuels contre le bénéfice d’un logement. Dans le contexte de crise du logement que nous connaissons, la population jeune et étudiante est plus particulièrement concernée. Mme la rapporteure a fait état à ce sujet de l’enquête diligentée par le conseil général de son département, dont elle est vice-présidente.

Afin de mettre un frein à ces pratiques, l’amendement propose de les assimiler à du proxénétisme, de manière à rendre pénalement responsables les sites ou journaux qui publient ce type d’annonces.

Mme la rapporteure. Je crois qu’il y a une erreur d’interprétation. Publier une annonce pour un logement en contrepartie d’actes sexuels est une pratique prostitutionnelle. En effet, la personne qui fait cette offre veut bénéficier de services sexuels, rémunérés sous forme de location de logement, mais ce n’est pas un acte de proxénétisme.

M. Sergio Coronado. Je suis d’accord avec vous, s’agissant de la personne qui propose d’échanger un logement contre un service sexuel. Mais je parle de ceux qui permettent, au travers de leur publication, ce type d’annonces. Aujourd’hui, ces prestataires – petits journaux, publications Internet – ne sont pas inquiétés. Dans la mesure où ils « tolèrent » une activité de prostitution, on pourrait parler de proxénétisme.

Mme la rapporteure. Nous avons en effet entendu une commissaire de police admettre qu’on pouvait taxer de proxénétisme le fait de publier une telle annonce. Mais je vous suggère de revoir la rédaction de votre amendement. En l’état, elle donne le sentiment que vous visez la personne qui va louer son logement contre un service sexuel.

M. le président Guy Geoffroy. La question est de savoir qui est la personne incriminée : le client ou le directeur de la publication ?

M. Sergio Coronado. Je relis mon amendement : « publier ou diffuser une annonce conditionnant, de manière implicite ou explicite, la location ou le prêt d’un logement à des relations de nature sexuelle. » La personne à incriminer est celle qui publie ou qui diffuse l’annonce.

M. le président Guy Geoffroy. Vous visez donc la personne – physique ou morale – responsable de la publication.

M. Charles de Courson. Mon cher collègue, votre amendement CS20 n’est pas cohérent avec votre position sur l’article 16. En effet, vous voulez sanctionner d’une contravention de cinquième classe celui qui diffuse une annonce proposant l’échange d’un logement contre un service sexuel, mais vous ne voulez pas sanctionner celui qui est à l’origine de l’information, et qui est donc prêt à louer ce logement.

M. Sergio Coronado. On peut être à la fois abolitionniste, et donc s’attaquer au proxénétisme – c’est ce que j’essaie de faire au travers de mon amendement –, et ne pas être tenté par le prohibitionnisme. Je m’inscris ainsi dans une tradition bien française, dans laquelle s’inscrit également, par exemple, le Planning familial, qui pense que la pénalisation du client contribue à la précarité des personnes prostituées.

Je ne suis pas défavorable, bien au contraire, à la lutte contre le proxénétisme et la traite. Néanmoins, je ne pense pas que s’attaquer aux personnes prostituées, comme ce fut le cas hier avec la pénalisation du racolage, ou au client, comme vous le proposez aujourd’hui, soit le bon moyen d’atteindre l’objectif de tout abolitionniste : la fin du système prostitutionnel.

Mme la rapporteure. Pour en revenir à votre amendement, il faudrait qu’il soit bien clair que vous visez les médias dépositaires d’annonces conditionnant la location ou le prêt d’un logement à des relations de nature sexuelle. Cela étant, je n’ai jamais vu, pour ma part, d’annonces de ce genre – en tout cas explicites.

L’amendement CS20 est retiré.

Article 17
(art. 131-16, 131-35-1 et 225-20 du code pénal ;
art. 41-1 et 41-2 du code de procédure pénale)

Création d’une peine complémentaire de stage de sensibilisation
à la lutte contre l’achat d’actes sexuels

Le présent article vise à compléter la peine principale encourue en cas d’infraction de recours à la prostitution (102), par une nouvelle modalité de réponse pénale, à savoir un stage initialement dénommé, dans la proposition de loi, de sensibilisation aux conditions d’exercice de la prostitution. Lors de l’examen de cet article, la commission spéciale a adopté deux amendements, l’un de Mme Sylvie Tolmont, l’autre de Mme Viviane Le Dissez, modifiant la dénomination de cette peine complémentaire, devenue un stage de sensibilisation à la lutte contre l’achat d’actes sexuels.

Votre rapporteure reste convaincue que l’action de la justice pénale ne consiste pas uniquement à sanctionner des faits pénalement répréhensibles, mais également, dans un souci d’éducation et de responsabilisation, à prévenir la réitération des faits.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le droit pénal prévoit déjà pour un certain nombre d’infractions, aux côtés des mesures coercitives et des différentes peines susceptibles d’être prononcées, la possibilité d’astreindre l’auteur de l’infraction à accomplir un stage de sensibilisation à une problématique donnée. Cette forme de réponse pénale emprunte aujourd’hui plusieurs modalités, comme le montre le tableau figurant ci-dessous.

STAGES AUXQUELS LES AUTEURS D’INFRACTIONS SONT SUSCEPTIBLES
D’ÊTRE ASTREINTS À TITRE DE PEINE COMPLÉMENTAIRE

Nature de la peine complémentaire

Fondement législatif

Définition des modalités de mise en œuvre

Objectif de la peine complémentaire

Stage de sensibilisation
à la sécurité routière

Loi n° 2003-495 du 12 juin 2003 renforçant la lutte contre la violence routière

Article R. 131-11-1
du code pénal

Faire prendre conscience à l’auteur des faits des dangers de la route.

Stage de citoyenneté

Loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité

Articles R. 131-35 et suivants du code pénal

Rappeler à l’auteur des faits les valeurs républicaines de tolérance et de respect de la dignité humaine sur lesquelles est fondée la société et lui faire prendre conscience de sa responsabilité pénale et civile ainsi que des devoirs qu’implique la vie en société. Il vise également à favoriser son insertion sociale.

Stage de sensibilisation aux dangers de l’usage de produits stupéfiants

Loi n° 2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance

Articles R. 131-46 et suivants du code pénal

Faire prendre conscience à l’auteur des faits des conséquences dommageables pour la santé humaine et pour la société de l’usage de produits stupéfiants.

Stage de responsabilité parentale

Loi n° 2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance

Articles R. 131-48 et R. 131-49 du code pénal

Rappeler à l’auteur des faits les obligations juridiques, économiques, sociales et morales qu’implique l’éducation d’un enfant.

Dans le prolongement de ces dispositifs, l’article 15 du projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes, actuellement en cours d’examen par la commission des Lois de notre assemblée, envisage la création d’un stage de sensibilisation à la prévention et à la lutte contre les violences sexistes.

Sur le modèle de ces différents stages, la proposition de loi crée donc un stage de sensibilisation à la lutte contre l’achat d’actes sexuels. Ce stage, qui pourrait être organisé par des associations agréées, aurait pour objectif d’apporter aux clients une information sur les conditions de vie et d’exercice des personnes prostituées ainsi que sur la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle et sur le proxénétisme. Il aurait également pour vocation d’expliciter les liens existant entre prostitution et inégalité de genre ainsi que la responsabilité des clients dans la perpétuation du système prostitutionnel. On pourrait notamment envisager qu’interviennent, au cours de ces stages, des personnes prostituées ou anciennement prostituées.

Dans cette perspective, le 1° du I du présent article complète l’article 131-36 du code pénal pour prévoir qu’en matière contraventionnelle, puisse désormais être prononcée, à titre de peine complémentaire, l’obligation d’accomplir un stage de sensibilisation à la lutte contre l’achat d’actes sexuels.

Dans sa rédaction actuelle, l’article 131-36 du code pénal énumère les peines complémentaires susceptibles d’être ordonnées à l’endroit d’une personne physique. Y figurent, par exemple, la suspension du permis de conduire, l’interdiction de détenir ou de porter une arme soumise à autorisation ou bien encore l’obligation d’accomplir un stage de sensibilisation à la sécurité routière, un stage de citoyenneté ou un stage de responsabilité parentale.

Le 2° du I du présent article modifie l’article 131-35-1 du code pénal pour prévoir, à l’instar de ce qui est aujourd’hui applicable aux stages de sensibilisation à la sécurité routière, de sensibilisation aux dangers de l’usage de produits stupéfiants ou de responsabilité parentale, que l’obligation d’accomplir, à titre de peine complémentaire, un stage de sensibilisation à la lutte contre l’achat d’actes sexuels est exécutée dans un délai de six mois à compter de la date à laquelle la condamnation est définitive. Il reviendra à la juridiction de préciser si ce stage doit être exécuté aux seuls frais du condamné (103). L’accomplissement de ce stage donnera enfin lieu à la remise au condamné d’une attestation que celui-ci devra adresser au procureur de la République.

Dans sa rédaction initiale, le 3° du I du présent article insérait, dans le code pénal, un nouvel article 225-20-1, ouvrant la possibilité de prononcer, à titre de peine complémentaire, l’obligation d’effectuer ce stage de sensibilisation à la lutte contre l’achat d’actes sexuels, en cas de condamnation pour des délits, commis le cas échéant avec circonstances aggravantes ou à l’étranger, de recours à la prostitution de personnes mineures ou présentant une particulière vulnérabilité. L’amendement adopté par la commission spéciale, à l’initiative de Mme Viviane Le Dissez, a également permis de faire figurer ce stage de sensibilisation non pas au sein d’un nouvel article 225-20-1 du code pénal, mais à l’actuel article 225-20 de ce code, lequel énumère d’ores et déjà les peines complémentaires encourues pour certains délits.

Le II du présent article fait également de cette nouvelle peine une mesure susceptible de constituer une alternative aux poursuites et d’être prononcée dans le cadre d’une composition pénale.

Dans cette perspective, le 1° du II modifie l’article 41-1 du code de procédure pénale pour que le stage de sensibilisation à la lutte contre l’achat d’actes sexuels puisse être envisagé dans le cadre d’une mesure alternative aux poursuites.

En effet, le parquet dispose, entre le classement sans suite et la mise en mouvement de l’action publique, d’une autre forme de réponse pénale, plus adaptée à des infractions dont la gravité ne justifie pas toujours l’engagement d’une procédure longue et complexe : les alternatives aux poursuites. Ces mesures dites de la « troisième voie » offrent au parquet un élément de souplesse très appréciable.

L’article 41-1 du code de procédure pénale fournit ainsi au procureur de la République un large éventail de mesures. S’il lui apparaît qu’une telle mesure est susceptible d’assurer la réparation du dommage causé à la victime, de mettre fin au trouble résultant de l’infraction ou de contribuer au reclassement de l’auteur des faits, le procureur peut, par exemple, procéder au rappel des obligations résultant de la loi, orienter l’auteur des faits vers une structure sanitaire, sociale ou professionnelle, ou bien encore demander à l’auteur des faits de réparer le dommage résultant des faits. Au titre de ces mesures alternatives aux poursuites, le parquet pourra désormais aussi demander à l’auteur des faits d’accomplir un stage de sensibilisation à la lutte contre l’achat d’actes sexuels.

Le 2° du II du présent article rend, pour sa part, cette nouvelle réponse pénale applicable dans le cadre de la composition pénale. Il modifie, à cette fin, l’article 41-2 du code de procédure pénale. La composition pénale est une procédure qui permet aujourd’hui au procureur de la République, tant que l’action publique n’a pas été mise en mouvement, de proposer une ou plusieurs mesures alternatives aux poursuites à une personne ayant reconnu avoir commis certaines infractions. Le procureur de la République peut notamment proposer, dans le cadre d’une telle procédure, une amende dont le montant ne peut excéder le montant maximal de l’amende encourue, un stage de citoyenneté ou un stage de formation dans un service ou un organisme sanitaire, social ou professionnel. Le spectre des mesures envisagées au titre de la composition pénale sera désormais élargi au stage de sensibilisation à la lutte contre l’achat d’actes sexuels.

Les modalités de ce stage devront toutefois être définies et précisées par voie réglementaire et votre rapporteure se montrera particulièrement vigilante sur l’édiction rapide des décrets d’application.

*

* *

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure, la Commission rejette l’amendement CS15 de M. Sergio Coronado, tendant à la suppression de l’article.

La Commission examine ensuite l’amendement CS48 de Mme Sylvie Tolmont.

Mme Ségolène Neuville. Dans sa rédaction actuelle, le texte prévoit des stages de sensibilisation aux conditions d’exercice de la prostitution. Cette formulation nous paraît incomplète. Il nous semble important en effet de ne pas minimiser les faits reprochés au client et de renforcer l’aspect pédagogique de ces stages. Nous proposons donc de parler de « stage de sensibilisation à la lutte contre l’achat d’actes sexuels », expression plus globale qui, tout en continuant de couvrir une information sur les conditions d’exercice de la prostitution, invite à faire comprendre au client que c’est bien l’achat d’actes sexuels qui est répréhensible.

Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la Commission adopte l’amendement CS48.

Elle adopte ensuite, toujours selon l’avis favorable de la rapporteure, l’amendement de coordination CS50 de Mme Viviane Le Dissez.

Puis elle adopte l’article 17 ainsi modifié.

Chapitre V
Dispositions finales

Article 18
Rapport du Gouvernement au Parlement
sur l’application de la présente proposition de loi

Réécrit par la commission spéciale, sur proposition de votre rapporteure, le présent article prévoit, dans un délai de deux ans à compter de la promulgation de la présente proposition de loi, la transmission au Parlement d’un rapport du Gouvernement sur l’application de la présente proposition de loi.

Dans son avis rendu le 5 novembre 2013, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes s’est félicité du fait que la présente « proposition de loi aborde la question du système prostitutionnel de manière complète ». C’est pour cette raison qu’il a souhaité que « l’évaluation de l’application de la loi soit faite de manière globale, dans tous les aspects de la loi, et sans corrélation spécifique avec la situation sanitaire et sociale des personnes prostituées ». Reprenant cette recommandation, la commission spéciale a adopté un amendement de votre rapporteure réécrivant le présent article, afin de prévoir, de manière plus générale, un bilan de la mise en œuvre de l’ensemble la loi.

La commission spéciale a toutefois pris le soin de préciser que ce rapport devra notamment dresser un bilan de la création de l’infraction de recours à la prostitution, de la situation sanitaire et sociale des personnes prostituées, de l’éducation à la lutte contre la marchandisation des corps ainsi que des mesures d’accompagnement élaborées par les pouvoirs publics. Ces précisions sont pleinement justifiées compte tenu du caractère profondément novateur des dispositions contenues dans la présente proposition de loi.

Afin d’apprécier l’application qui sera faite de la loi, ainsi que les résistances éventuelles auxquelles elle pourrait se heurter, il est indispensable de procéder, à moyen terme, à cette évaluation. Le bilan prévu par le présent article se caractérise par deux paramètres :

—  la date à laquelle il est effectué. Il est prévu qu’il soit réalisé deux ans après la promulgation de la loi. Ce délai semble raisonnable pour permettre d’évaluer les progrès enregistrés en matière de lutte contre la prostitution, le proxénétisme et la traite des êtres humains, ainsi que les éventuelles difficultés rencontrées dans l’application de cette nouvelle incrimination ;

—  son contenu. Il est prévu que le bilan porte notamment sur « la création de l’infraction de recours à la prostitution et la situation sanitaire et sociale des personnes prostituées ». Il est, en effet, essentiel que l’évaluation dessine, de manière exhaustive, un bilan tant quantitatif que qualitatif de l’évolution de la prostitution en France. Il est nécessaire que ce rapport mesure précisément les effets de la loi sur le nombre de personnes prostituées en France ainsi que sur leurs conditions de vie et d’exercice de leur activité.

*

* *

La Commission examine l’amendement CS33 de la rapporteure.

Mme la rapporteure. Cet amendement demande que le Gouvernement remette au Parlement un rapport sur l’application de la loi, deux ans après sa promulgation.

La Commission adopte l’amendement CS33, puis l’article 18 ainsi modifié.

Article 19 (supprimé)
Application dans le temps de la présente proposition de loi

Dans sa rédaction initiale, le présent article définissait les conditions d’application dans le temps de la présente proposition de loi et prévoyait, dans cette perspective, une entrée en vigueur différée de six mois des articles de la proposition de loi ayant pour objet :

—  d’une part, d’abroger le délit de racolage public (article 13) et d’en tirer les conséquences dans plusieurs articles du code pénal, comme du code de procédure pénale (article 14) ;

—  d’autre part, d’instituer une infraction générale de recours à la prostitution, punie, à titre principal, d’une peine d’amende prévue pour les contraventions de cinquième classe (article 16) et, à titre complémentaire, de l’obligation d’effectuer un stage de sensibilisation aux conditions d’exercice de la prostitution (article 17).

Conformément aux préconisations formulées tant par votre rapporteure devant la Délégation aux droits des femmes (104) que par Mme Danielle Bousquet et M. Guy Geoffroy en 2011 (105), cette période de six mois précédant l’entrée en vigueur de l’abrogation du délit de racolage d’une part, et de l’infraction de recours à la prostitution d’autre part, devait être l’occasion de mener un travail de sensibilisation sans précédent auprès des clients avérés ou potentiels et d’expliciter, par exemple à l’occasion de campagnes de communication, les objectifs recherchés.

On relèvera, en outre, que cet article, dans sa rédaction initiale, ne renvoyait pas aux articles pertinents de la proposition de loi sur l’abrogation du délit de racolage et l’infraction de recours à la prostitution. Un amendement s’avère donc nécessaire pour corriger cette erreur de renvoi.

14. Prévoir une entrée en vigueur différée de l’infraction générale de recours à la prostitution

Selon certaines personnes entendues par votre commission spéciale, le vote de la loi suédoise aurait été précédé de plus de vingt années de débats au sein de la société sur la politique à adopter en matière de prostitution. Comme l’avaient souligné, à bon droit, Mme Danielle Bousquet et M. Guy Geoffroy, « le débat public et politique en la matière a eu tendance en France à se concentrer sur l’opportunité de la réouverture des maisons closes, ce qui élude totalement les questions de fond que soulève la prostitution dans une société comme la nôtre » (106).

Afin de permettre à ce débat de s’instaurer, le présent article proposait, dans sa rédaction initiale, un délai de six mois avant l’entrée en vigueur de la pénalisation des clients. Le législateur a d’ailleurs retenu cette solution à une autre occasion. Lorsqu’a été votée la loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public, il a été prévu de différer son entrée en vigueur de six mois afin que puisse avoir lieu une phase initiale de pédagogie et de médiatisation (107).

De la même manière, la pénalisation des clients ne peut être instaurée, sans être accompagnée d’une période de sensibilisation et d’information du grand public, mais aussi de publics plus ciblés, en particulier les jeunes mais aussi les clients de la prostitution.

Cependant, afin de ne pas priver les forces de police et de gendarmerie des moyens actuellement disponibles pour maintenir l’ordre public dans le domaine de la prostitution et de ne pas envoyer ainsi un mauvais signal aux réseaux de proxénétisme et de traite des êtres humains, il convient parallèlement de différer de six mois également l’entrée en vigueur de l’abrogation du délit de racolage.

Cette disposition soulevait toutefois, dans sa rédaction initiale, une difficulté juridique, le Conseil constitutionnel ayant, par sa jurisprudence, interdit de reporter l’entrée en vigueur d’une loi pénale plus douce. En effet, dans une décision du 21 février 1992 (108), le Conseil a estimé que, « dans les domaines de sa compétence, il est du pouvoir du législateur, sous réserve de l’application immédiate de mesures répressives plus douces, de fixer lui-même les règles d’entrée en vigueur des dispositions qu’il édicte ». Ainsi, par cette incidente, le juge constitutionnel a clairement indiqué que le législateur n’avait pas le droit de reporter l’entrée en vigueur de dispositions répressives plus douces.

L’abrogation du délit de racolage ne pouvant être différée de six mois, il n’est pas apparu souhaitable de maintenir une période de six mois avant l’entrée en vigueur de l’infraction de recours à la prostitution, ces deux mesures ayant vocation à s’appliquer de manière concomitante, afin de ne pas priver les forces de police et de gendarmerie de tout moyen d’action et de ne pas envoyer un mauvais signal aux réseaux de proxénétisme et de traite des êtres humains. Dans ces conditions, sur proposition de votre rapporteure, la commission spéciale a adopté un amendement supprimant le présent article.

La nécessité de mener un travail sans précédent de sensibilisation, notamment auprès des clients avérés ou potentiels, et d’expliciter, au moyen de campagnes de communication, les objectifs recherchés par le législateur n’en conserve pas moins toute sa pertinence. Ainsi, en l’absence d’entrée en vigueur différée de l’abrogation du délit de racolage comme de l’infraction de recours à la prostitution, votre rapporteure souhaite vivement que les actions d’information et de sensibilisation puissent être engagées dès à présent, sans attendre l’adoption définitive de la présente proposition de loi.

15. Mener dès aujourd’hui des actions d’information et de sensibilisation, notamment en direction des clients

En effet, sans attendre l’entrée en vigueur de l’infraction générale de recours à la prostitution, une politique de d’information et de sensibilisation doit être engagée par les pouvoirs publics, notamment à destination des clients de la prostitution.

Une telle politique, visant notamment à décourager la demande qui favorise l’exploitation et donc la traite, est d’ailleurs préconisée par l’article 6 de la Convention de Varsovie, qui prévoit que les États signataires prennent « des mesures visant à faire prendre conscience de la responsabilité et du rôle important des médias et de la société civile pour identifier la demande comme une des causes profondes de la traite des êtres humains » et mènent « des campagnes d’information ciblées, impliquant, lorsque cela est approprié, entre autres, les autorités publiques et les décideurs politiques » (109).

Comme votre rapporteure a déjà eu l’occasion de le souligner en son temps devant la Délégation aux droits des femmes, « la perception de la prostitution par les citoyens ne peut évoluer que dans la durée. Un effort de sensibilisation et d’éducation est nécessaire pour faire comprendre au public ce qui se cache derrière la prostitution, en termes d’exploitation, de violence et d’atteinte à l’intégrité de la personne qui la subit » (110). Cette campagne d’information et de sensibilisation pourrait porter en particulier sur :

—  la sensibilisation du grand public aux réalités de la prostitution, afin de mettre fin aux fausses idées concernant la prostitution et ainsi mieux faire connaître la dure réalité de ce phénomène, loin des représentations parfois « glamour » qui peuvent en être véhiculées par les médias ;

—  l’explicitation de la responsabilité des clients dans la perpétuation de la prostitution et des raisons qui ont conduit à leur pénalisation ;

—  l’information sur l’exploitation sexuelle et la traite des êtres humains, en donnant les principaux critères de reconnaissance des victimes de la traite et de proxénétisme.

À l’aune de ce constat très largement partagé aujourd’hui, votre rapporteure a estimé devant la Délégation aux droits des femmes qu’« un temps d’antenne informatif sur les radios et télévisions publiques sur les dangers de la prostitution et ses réalités pour à la fois prévenir les pratiques, mêmes occasionnelles et dissuader les clients potentiels serait important pour cela » (111).

Cette campagne d’information et de sensibilisation pourrait également s’appuyer sur des supports originaux, permettant de toucher une large part des clients potentiels de la prostitution. À titre d’exemple, en Espagne, une grande campagne en direction des clients a été lancée par le ministère de l’Égalité et la Fédération espagnole de l’hôtellerie dont le thème était « Non à l’exploitation sexuelle ». Un million de dessous-de-verre illustrés sur le thème des clients ont ainsi été distribués dans plus de 20 000 hôtels, bars et discothèques, pour un coût de fabrication de seulement quelques milliers d’euros.

En tout état de cause, la coordination, par la puissance publique, des moyens associatifs engagés en la matière s’avérera décisive pour augmenter l’efficacité et la portée des actions d’information et de sensibilisation dans ce domaine.

*

* *

La Commission examine l’amendement de suppression CS34 de la rapporteure.

Mme la rapporteure. Nous avions prévu dans cet article 19 de différer de six mois l’entrée en vigueur de l’abrogation du délit de racolage, d’une part, et de l’infraction de recours à la prostitution, d’autre part. Or le Conseil constitutionnel interdit le report de l’entrée en vigueur d’une loi pénale plus douce que le droit existant. En conséquence, je propose que ces deux mesures soient applicables immédiatement.

La Commission adopte l’amendement CS34. En conséquence, l’article 19 est supprimé.

Article 20
Application outre-mer de la présente proposition de loi

Le présent article rend expressément applicables en Nouvelle-Calédonie, dans les îles Wallis-et-Futuna et en Polynésie française, les dispositions de la présente proposition de loi.

Ces collectivités ultramarines sont régies, en application respectivement de l’article 77 de la Constitution du 4 octobre 1958 pour la Nouvelle-Calédonie et de son article 74 pour les autres collectivités précitées, par un régime de spécialité législative, en vertu duquel les lois et règlements relevant de la compétence de l’État n’y sont applicables que sur mention expresse du texte en cause.

Cette mention d’une applicabilité expresse vaut également pour toute modification d’une disposition précédemment rendue applicable. Le texte modificateur doit donc lui-même faire l’objet d’une mention d’applicabilité pour y être applicable (112). Tel est l’objet du présent article.

La Commission adopte l’article 20 sans modification.

Article 21
Gage de la présente proposition de loi

Le présent article, qui prévoit le gage financier des dispositions de la présente proposition de loi, a pour objet d’en assurer la recevabilité financière. Dans cette perspective, il compense les charges pouvant résulter pour l’État, les collectivités territoriales, les organismes de sécurité sociale et Pôle Emploi de l’application de certaines dispositions de la présente proposition de loi.

*

* *

M. Charles de Courson. Sans doute est-ce lié à mon atavisme de membre de longue date de la commission des Finances, mais il me semble qu’il conviendrait de ne pas adopter l’article 21, dans la mesure où la loi organique et la Constitution interdisent de compenser des dépenses nouvelles par des recettes nouvelles. En adoptant cet article en effet, nous plaidons coupables. Mieux vaut considérer que les mesures nouvelles seront financées par un redéploiement.

M. le président Guy Geoffroy. Cet article n’a de raison d’être que provisoire, jusqu’à ce que le Gouvernement prenne les engagements qui nous permettront de le supprimer. Au demeurant, je n’ai été saisi d’aucun amendement de suppression.

La Commission adopte l’article 21 sans modification.

Puis elle adopte l’ensemble de la proposition de loi ainsi modifiée.

*

* *

En conséquence, la Commission spéciale vous demande d’adopter la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel (n° 1437), dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.

TABLEAU COMPARATIF

Dispositions en vigueur

___

Texte de la proposition de loi

___

Texte adopté par la Commission

___

 

Proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel

Proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel

 

Chapitre Ier

Chapitre Ier

 

Renforcement des moyens de lutte contre le proxénétisme et la traite des êtres humains aux fins d’exploitation sexuelle

Renforcement des moyens de lutte contre le proxénétisme et la traite des êtres humains aux fins d’exploitation sexuelle

 

Article 1er

Article 1er

Loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique

Le 7 du I de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique est ainsi modifié :

L’article 6 …

Art. 6. – I. – 

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

 

1° Le 7 du I est ainsi modifié :

amendement 38

7. Les personnes mentionnées aux 1 et 2 ne sont pas soumises à une obligation générale de surveiller les informations qu’elles transmettent ou stockent, ni à une obligation générale de rechercher des faits ou des circonstances révélant des activités illicites.

   

Le précédent alinéa est sans préjudice de toute activité de surveillance ciblée et temporaire demandée par l’autorité judiciaire.

   

Compte tenu de l’intérêt général attaché à la répression de l’apologie des crimes contre l’humanité, de l’incitation à la haine raciale ainsi que de la pornographie enfantine, de l’incitation à la violence, notamment l’incitation aux violences faites aux femmes, ainsi que des atteintes à la dignité humaine, les personnes mentionnées ci-dessus doivent concourir à la lutte contre la diffusion des infractions visées aux cinquième et huitième alinéas de l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et aux articles 227-23 et 227-24 du code pénal.

1° Au troisième alinéa, après la dernière occurrence du mot : « aux », sont insérées les références : « 225-4-1, 225-5, 225-6 » ;

a) Au troisième alinéa, après le mot : « articles », sont insérées …

amendement 40

A ce titre, elles doivent mettre en place un dispositif facilement accessible et visible permettant à toute personne de porter à leur connaissance ce type de données. Elles ont également l’obligation, d’une part, d’informer promptement les autorités publiques compétentes de toutes activités illicites mentionnées à l’alinéa précédent qui leur seraient signalées et qu’exerceraient les destinataires de leurs services, et, d’autre part, de rendre publics les moyens qu’elles consacrent à la lutte contre ces activités illicite

   

Lorsque les nécessités de la lutte contre la diffusion des images ou des représentations de mineurs relevant de l’article 227-23 du code pénal le justifient, l’autorité administrative notifie aux personnes mentionnées au 1 du présent I les adresses électroniques des services de communication au public en ligne contrevenant aux dispositions de cet article, auxquelles ces personnes doivent empêcher l’accès sans délai (2).

2° Après le cinquième alinéa, est inséré un alinéa ainsi rédigé :

b) (Sans modification)

 

« Lorsque les nécessités de la lutte contre le proxénétisme et la traite des êtres humains aux fins d’exploitation sexuelle relevant des articles 225-4-1, 225-5 et 225-6 du code pénal le justifient, l’autorité administrative notifie aux personnes mentionnées au 1 du présent I les adresses électroniques des services de communication au public en ligne contrevenant aux dispositions de cet article, auxquelles ces personnes doivent empêcher l’accès sans délai. Les décisions de l’autorité administrative peuvent être contestées devant le juge administratif dans les conditions de droit commun. » ;

 

Un décret fixe les modalités d’application de l’alinéa précédent, notamment celles selon lesquelles sont compensés, s’il y a lieu, les surcoûts résultant des obligations mises à la charge des opérateurs.

3° Au sixième alinéa, les mots : « de l’alinéa précédent » sont remplacés par les mots : « des deux alinéas précédents ».

c) (Sans modification)

Compte tenu de l’intérêt général attaché à la répression des activités illégales de jeux d’argent, les personnes mentionnées aux 1 et 2 mettent en place, dans des conditions fixées par décret, un dispositif facilement accessible et visible permettant de signaler à leurs abonnés les services de communication au public en ligne tenus pour répréhensibles par les autorités publiques compétentes en la matière. Elles informent également leurs abonnés des risques encourus par eux du fait d’actes de jeux réalisés en violation de la loi.

   

Tout manquement aux obligations définies aux quatrième, cinquième et septième alinéas est puni des peines prévues au 1 du VI.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

 

d) Au dernier alinéa, les mots : « et septième » sont remplacés par les mots : « , sixième et huitième ».

amendement 39

VI. – 1. – Est puni d’un an d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende le fait, pour une personne physique ou le dirigeant de droit ou de fait d’une personne morale exerçant l’une des activités définies aux 1 et 2 du I, de ne pas satisfaire aux obligations définies aux quatrième, cinquième et septième alinéas du 7 du I, de ne pas avoir conservé les éléments d’information visés au II ou de ne pas déférer à la demande d’une autorité judiciaire d’obtenir communication desdits éléments.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

 

2° Au premier alinéa du 1 du VI, les mots : « et septième » sont remplacés par les mots : « , sixième et huitième alinéas »

amendement 38

Code pénal

   

Art. 225-4-1, 225-5 et 225-6. – Cf annexe

   

Code l’action sociale et des familles

 

Article 1er bis (nouveau)

Art. L. 451-1. – Les formations sociales contribuent à la qualification et à la promotion des professionnels et des personnels salariés et non salariés engagés dans la lutte contre les exclusions et contre la maltraitance, dans la prévention et la compensation de la perte d’autonomie, des handicaps ou des inadaptations et dans la promotion du droit au logement, de la cohésion sociale et du développement social.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

 

Au premier alinéa de l’article L. 451-1 du code de l’action sociale et des familles, après le mot : « maltraitance, », sont insérés les mots : « dans la prévention de la prostitution, ».

amendement 8

   

Article 1er ter (nouveau)

Code de procédure pénale

 

Le titre XVII du livre IV du code de procédure pénale est ainsi modifié :

Titre XVII : De la poursuite, de l’instruction et du jugement des infractions en matière de traite des êtres humains, de proxénétisme ou de recours à la prostitution des mineurs

 

1° Après le mot : « prostitution », la fin de l’intitulé est supprimée ;

   

2° Après l’article 706-34, il est inséré un article 706-34-1 ainsi rédigé :

Code pénal

Art. 225-4-1 à 225-4-6, 225-5 à 225-10, 225-12-1 et 225-12-2. – Cf. annexe

 

« Art. 706-34-1. – Les personnes victimes de l’une des infractions de traite des êtres humains, de proxénétisme ou de recours à la prostitution, prévues aux articles 225-4-1 à 225-4-6, 225-5 à 225-10, 225-12-1 et 225-12-2 du code pénal, peuvent, sur autorisation du procureur de la République ou du juge d’instruction, déclarer comme domicile l’adresse du commissariat ou de la brigade de gendarmerie, dans les conditions prévues aux articles 706-57 et 706-59.

Code de procédure pénale

Art. 706-57 et 706-63. – Cf. annexe

 

« Lorsque l’audition d’une personne mentionnée au premier alinéa du présent article est susceptible de mettre gravement en danger la vie ou l’intégrité physique de cette personne, des membres de sa famille ou de ses proches, le juge des libertés et de la détention, saisi par requête motivée du procureur de la République ou du juge d’instruction, peut, par décision motivée, autoriser, dans les conditions prévues aux articles 706-58 à 706-63, que les déclarations de cette personne soient recueillies sans que son identité apparaisse dans le dossier de la procédure.

Art. 706-63-1. – Cf. annexe

 

« Les personnes mentionnées au premier alinéa du présent article, les membres de leur famille et leurs proches peuvent également faire l’objet, en tant que de besoin, de mesures destinées à assurer leur protection, leur insertion et leur sécurité. Ces mesures sont définies, sur réquisitions du procureur de la République, par la commission nationale prévue à l’avant-dernier alinéa de l’article 706-63-1.

   

« En cas de nécessité, les personnes mentionnées au premier alinéa du présent article peuvent être autorisées, par ordonnance motivée rendue par le président du tribunal de grande instance, à faire usage d’une identité d’emprunt, dont la révélation est réprimée dans les conditions prévues au troisième alinéa de l’article 706-63-1. »

amendement 68

   

Article 1er quater (nouveau)

   

Le Gouvernement remet au Parlement, chaque année, un rapport faisant le bilan des actions de coopération européenne et internationale engagées par la France dans le but de renforcer l’efficacité des moyens de lutte contre les réseaux de traite des êtres humains et de proxénétisme.

amendement 37

 

Chapitre II

Chapitre II

 

Protection des victimes de la prostitution et création d’un parcours
de sortie de la prostitution

Protection des victimes de la prostitution et création d’un parcours
de sortie de la prostitution

 

Article 2

Article 2

 

Après l’article 22 de la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants, il est inséré un article 22 bis ainsi rédigé :

Supprimé

amendement 36

Art. L. 121-9. – Cf. infra art. 3

« Art. 22 bis. – Il est créé, au sein des conseils départementaux de prévention de la délinquance, d’aide aux victimes et de lutte contre la drogue, les dérives sectaires et les violences faites aux femmes, une instance chargée d’organiser et de coordonner l’action en faveur des victimes de la prostitution et de la traite des êtres humains et d’assurer la mise en œuvre des dispositions de l’article L. 121-9 du code de l’action sociale et des familles. »

 

Loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure

Article 3

Article 3

Art. 42. Cf. annexe

I. – L’article 42 de la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure est abrogé.

Alinéa supprimé

Code l’action sociale et des familles

II. – À l’article L. 121-9 du code de l’action sociale et des familles, sont ajoutés deux alinéas ainsi rédigés :

I. – L’article L. 121-9 du code de l’action sociale et des familles est complété par sept alinéas ainsi rédigés :

Art. L. 121-9. – Dans chaque département, l’Etat a pour mission :

   

1° De rechercher et d’accueillir les personnes en danger de prostitution et de fournir l’assistance dont elles peuvent avoir besoin, notamment en leur procurant un placement dans un des établissements mentionnés à l’article L. 345-1.

   

2° D’exercer toute action médico-sociale en faveur des personnes qui se livrent à la prostitution.

   
   

« Une instance chargée d’organiser et de coordonner l’action en faveur des victimes de la prostitution, du proxénétisme et de la traite des êtres humains et d’assurer la mise en œuvre du présent article est créée au sein de chaque conseil départemental de prévention de la délinquance, d’aide aux victimes et de lutte contre la drogue, les dérives sectaires et les violences faites aux femmes.

 

« Toute personne victime de la prostitution doit bénéficier d’un système de protection et d’assistance, assuré et coordonné par l’administration en collaboration active avec les divers services d’interventions sociales. Un parcours de sortie de la prostitution est proposé aux victimes de la prostitution qui en font la demande auprès d’une association constituée pour l’aide et l’accompagnement des personnes prostituées et agréé à cet effet.

… par l’État en collaboration avec les divers services d’interventions sociales et de santé. Un parcours …

   

« L’engagement de la personne dans un parcours de sortie de la prostitution prend la forme d’un contrat passé entre celle-ci, l’autorité administrative, après avis de l’instance mentionnée au quatrième alinéa, et une association mentionnée au cinquième alinéa.

Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile

Art 6. – Cf. supra art. 6

Code du travail

Art. 7. – Cf. supra art. 7

Livre des procédures fiscales

Art. L. 247. – Cf. annexe

 

« La personne engagée dans un parcours de sortie de la prostitution bénéficie de l’article L. 316-1-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, du 4° de l’article L. 5423-8 du code du travail et du 1° de l’article L. 247 du livre des procédures fiscales.

   

« L’instance mentionnée au quatrième alinéa du présent article assure le suivi du parcours de sortie de la prostitution. Elle veille à ce que l’accès aux droits mentionnés au septième alinéa et la sécurité de la personne engagée dans ce parcours soient effectivement garantis et que la personne respecte ses engagements.

   

« Lors du renouvellement du contrat, l’autorité administrative, après avis de l’instance mentionnée au quatrième alinéa, et l’association mentionnée au cinquième alinéa tiennent compte du respect, par la personne engagée dans un parcours de sortie de la prostitution, de ses engagements.

 

« Les conditions d’agrément des associations habilitées sont fixées par décret. »

« Un décret en Conseil d’État fixe les conditions d’agrément des associations mentionnées au cinquième alinéa ainsi que les conditions d’application des sixième à avant-dernier alinéas. Il détermine la durée du contrat et ses conditions de renouvellement, les actions prévues par le contrat et les conditions de suivi de ces actions. »

Loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 précitée

 

II. – La loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure est ainsi modifiée :

Art. 42. – Cf. annexe

 

1° L’article 42 est abrogé ;

Art. 121. – Les articles 1er, 8 à 13, 16 à 22, 23 (I), 24 à 42, 44, 45, 47 à 51, 53, 57, 59, 60, 63 à 65, 73, 76, 78 (I et II), 80 à 85, 90, 110, 111, 112 (I, II et V), 113 et 117 sont applicables en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis-et-Futuna sous réserve des adaptations suivantes :

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

 

2° À la première phrase de l’article 121, la référence : « 42 » est remplacée par la référence : « 41 ».

amendement 35

 

Article 4

Article 4

 

I. – Il est créé au sein du budget de l’État un fonds pour la prévention de la prostitution et l’accompagnement social et professionnel des personnes prostituées. Ce fonds contribue aux actions définies à l’article L. 121-9 du code de l’action sociale et des familles. Il soutient toute initiative visant à l’insertion des personnes prostituées, à prévenir l’entrée dans la prostitution et à sensibiliser les populations aux effets de la prostitution sur la santé.

I. – 

…visant à la sensibilisation des populations aux effets de la prostitution sur la santé, à la prévention de l’entrée dans la prostitution et à l’insertion des personnes prostituées.

amendement 42

 

II. – Les ressources du fonds sont constituées par :

II. – (Alinéa sans modification)

 

– des crédits de l’État affectés à ces actions et dont le montant est arrêté en loi de finances ;

(Alinéa sans modification)

 

– des recettes provenant de la confiscation des biens et produits réalisée dans les conditions prévues au 1° de l’article 225-24 du code pénal ;

… produits prévue au …

amendement 43

Code pénal

Art. 225-12-1. – Cf annexe

– d’un montant prélevé sur le produit des amendes forfaitaires pour recours à la prostitution prévues à l’article 225-12-1 du code pénal, déterminé annuellement par arrêté interministériel.

– d’un montant déterminé annuellement par arrêté interministériel, prélevé sur le produit des amendes prévues à l’article 225-12-1 du même code.

amendement 44

 

Article 5

Article 5

Code l’action sociale et des familles

Art. L. 121-9. – Cf. supra art.3

Livre des procédures fiscales

Art. L. 247. – Cf. annexe

Les personnes bénéficiant du parcours de sortie de la prostitution prévu à l’article L. 121-9 du code de l’action sociale et des familles sont considérées comme des personnes indigentes pour le bénéfice du 1° de l’article L. 247 du livre des procédures fiscales.

Supprimé

amendement 67

 

Article 6

Article 6

 

Le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi modifié :

(Alinéa sans modification)

Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile

1° Le premier alinéa de l’article L. 316-1 est complété par une phrase ainsi rédigée :

1° (Alinéa sans modification)

Art. L. 316-1. – Sauf si sa présence constitue une menace à l’ordre public, une carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" peut être délivrée à l’étranger qui dépose plainte contre une personne qu’il accuse d’avoir commis à son encontre les infractions visées aux articles 225-4-1 à 225-4-6 et 225-5 à 225-10 du code pénal ou témoigne dans une procédure pénale concernant une personne poursuivie pour ces mêmes infractions. La condition prévue à l’article L. 311-7 n’est pas exigée. Cette carte de séjour temporaire ouvre droit à l’exercice d’une activité professionnelle.

« Elle est renouvelée pendant toute la durée de la procédure pénale, et sous réserve que les conditions prévues pour sa délivrance continuent d’être satisfaites. » ;

… pénale, sous …

amendement 52

 

2° Après l’article L. 316-1, il est inséré un article L. 316-1-1 ainsi rédigé :

2° (Alinéa sans modification)

Art. L. 311-7. – Cf. annexe

Code pénal

Art. 225-4-1 à 225-4-6 et 225-5 à 225-10. – Cf. annexe

Code de l’action sociale et des familles

Art. L. 121-9. – Cf. annexe

« Art. L. 316-1-1. – Sauf si sa présence constitue une menace pour l’ordre public, une autorisation provisoire de séjour d’une durée de six mois peut être délivrée à l’étranger, victime des mêmes infractions qui, ayant cessé l’activité de prostitution, est pris en charge par une association agréée par arrêté du préfet du département et, à Paris du préfet de police, pour l’accompagnement des personnes soumises à la prostitution. La condition prévue à l’article L. 311-7 n’est pas exigée. Cette autorisation de séjour ouvre droit à l’exercice d’une activité professionnelle. »

« Art. L. 316-1-1. – 

… victime des infractions prévues par les articles 225-4-1 à 225-4-6 et 225-5 à 225-10 du code pénal qui, ayant cessé l’activité de prostitution, est engagé dans le parcours de sortie de la prostitution mentionné à l’article L. 121-9 du code de l’action sociale et des familles. La condition prévue à l’article L. 311-7 n’est pas exigée. Cette autorisation provisoire de séjour ouvre droit à l’exercice d’une activité professionnelle. Elle est renouvelable pendant toute la durée du parcours de sortie de la prostitution, sous réserve que les conditions prévues pour sa délivrance continuent d’être satisfaites.

amendements 55, 60, 61 et 62

Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile

 

3° L’article L. 316-2 est ainsi modifié :

Art. L. 316-2. – Un décret en Conseil d’État précise les conditions d’application de l’article L. 316-1. Il détermine notamment les conditions de la délivrance, du renouvellement et du retrait de la carte de séjour temporaire mentionnée au premier alinéa de l’article L. 316-1 et les modalités de protection, d’accueil et d’hébergement de l’étranger auquel cette carte est accordée.

 

a) À la fin de la première phrase, la référence : « de l’article L. 316-1 » est remplacée par les mots : « des articles L. 316-1 et L. 316-1-1 » ;

   

b) Après la référence : « L. 316-1 », la fin de la seconde phrase est ainsi rédigée : « et de l’autorisation provisoire de séjour mentionnée à l’article L. 316-1-1 et les modalités de protection, d’accueil et d’hébergement de l’étranger auquel cette carte ou cette autorisation provisoire de séjour est accordée. »

amendement 56

Code du travail

Article 7

Article 7

Art. L. 5423-8. – Sous réserve des dispositions de l’article L. 5423-9, peuvent bénéficier d’une allocation temporaire d’attent

   

1° Les ressortissants étrangers dont le titre de séjour ou le récépissé de demande de titre de séjour mentionne qu’ils ont sollicité l’asile en France et qui ont présenté une demande tendant à bénéficier du statut de réfugié, s’ils satisfont à des conditions d’âge et de ressources ;

   

2° Les ressortissants étrangers bénéficiaires de la protection temporaire, dans les conditions prévues au titre Ier du livre VIII du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

   

3° Les ressortissants étrangers bénéficiaires de la protection subsidiaire, pendant une durée déterminée ;

   

4° Les ressortissants étrangers auxquels une carte de séjour temporaire a été délivrée en application de l’article L. 316-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, pendant une durée déterminée ;

Au 4° de l’article L. 5423-8 du code du travail, la référence : « de l’article L. 316-1 » est remplacée par les références : « des articles L. 316-1 et L. 316-1-1 ».

… travail, les mots : « a été délivrée en application de l’article L. 316-1 » sont remplacés par les mots : « ou une autorisation provisoire de séjour a été délivrée en application des articles …

amendement 57

Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile

Art. L 316-1 et L. 316-1-1. – Cf supra art. 6

   
 

Article 8

Article 8

Code de la sécurité sociale

Le I de l’article L. 851-1 du code de la sécurité sociale est complété par un alinéa ainsi rédigé :

Alinéa supprimé

amendement 58

Art. L. 851-1. – I. – Les associations à but non lucratif dont l’un des objets est l’insertion ou le logement des personnes défavorisées ainsi que les centres communaux ou intercommunaux d’action sociale, qui ont conclu une convention avec l’Etat, bénéficient d’une aide pour loger, à titre transitoire, des personnes défavorisées ; lorsque celles-ci sont étrangères, elles doivent justifier de la régularité de leur séjour en France. Cette aide peut être attribuée, pour loger à titre temporaire des personnes défavorisées, aux sociétés de construction dans lesquelles l’Etat détient la majorité du capital, ainsi qu’aux groupements d’intérêt public ayant pour objet de contribuer au relogement des familles et des personnes visées au deuxième alinéa de l’article 4 de la loi n° 90-449 du 31 mai 1990 visant à la mise en oeuvre du droit au logement. L’aide peut également être versée à l’établissement public visé à l’article L. 3414-1 du code de la défense pour l’hébergement des jeunes visés à ce même article, pendant la durée de leur formation.

 

À la première phrase du I de l’article L. 851-1 du code de la sécurité sociale, après la première occurrence du mot : « défavorisées », sont insérés les mots : « , les associations ayant pour objet l’aide et l’accompagnement des personnes prostituées agréées en application de l’article L. 121-9 du code de l’action sociale et des familles ».

amendement 58

La convention fixe chaque année le montant de l’aide attribuée à l’organisme qui est déterminé de manière forfaitaire par référence, d’une part, au plafond de loyer retenu pour le calcul de l’allocation de logement définie respectivement par les livres V, VII et VIII du présent code et, d’autre part, aux capacités réelles et prévisionnelles d’hébergement offertes par l’organisme.

   

Pour le calcul de l’aide instituée par le présent article, ne sont pas prises en compte les personnes bénéficiant de l’aide sociale prévue à l’article L. 345-1 du code de l’action sociale et des familles et les personnes hébergées titulaires des aides prévues aux articles L. 351-1 du code de la construction et de l’habitation et L. 542-1, L. 755-21 et L. 831-1 du présent code.

   
 

« Les trois alinéas qui précèdent sont applicables aux associations constituées pour l’accompagnement et l’aide aux personnes prostituées, habilitées par l’autorité administrative dans des conditions définies par décret, dans les conditions définies à l’article L. 121-9 du code de l’action sociale et des familles. »

Alinéa supprimé

amendement 58

II. – 

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

   

Code de l’action sociale et des familles

Art. L. 121-9. – Cf. annexe

   
 

Article 9

Article 9

Art. L. 345-1. – Bénéficient, sur leur demande, de l’aide sociale pour être accueillies dans des centres d’hébergement et de réinsertion sociale publics ou privés les personnes et les familles qui connaissent de graves difficultés, notamment économiques, familiales, de logement, de santé ou d’insertion, en vue de les aider à accéder ou à recouvrer leur autonomie personnelle et sociale. Les étrangers s’étant vu reconnaître la qualité de réfugié ou accorder le bénéfice de la protection subsidiaire en application du livre VII du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile peuvent être accueillis dans des centres d’hébergement et de réinsertion sociale dénommés " centres provisoires d’hébergement ".

   

Les centres d’hébergement et de réinsertion sociale, dont les conditions de fonctionnement et de financement sont prévues par voie réglementaire, assurent tout ou partie des missions définies au 8° du I de l’article L. 312-1, en vue de faire accéder les personnes qu’ils prennent en charge à l’autonomie sociale.

   

Ce règlement précise, d’une part, les modalités selon lesquelles les personnes accueillies participent à proportion de leurs ressources à leurs frais d’hébergement et d’entretien et, d’autre part, les conditions dans lesquelles elles perçoivent la rémunération mentionnée à l’article L. 241-12 du code de la sécurité sociale lorsqu’elles prennent part aux activités d’insertion professionnelle prévues à l’alinéa précédent.

   

Des places en centres d’hébergement et de réinsertion sociale sont ouvertes à l’accueil des victimes de la traite des êtres humains dans des conditions sécurisantes.

Au dernier alinéa de l’article L. 345-1 du code de l’action sociale et des familles, après le mot : « humains », sont insérés les mots : « , du proxénétisme et de la prostitution ».

(Sans modification)

Code de procédure pénale

Article 10

Article 10

Art. 706-3. – Toute personne ayant subi un préjudice résultant de faits volontaires ou non qui présentent le caractère matériel d’une infraction peut obtenir la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne, lorsque sont réunies les conditions suivantes :

   

1° Ces atteintes n’entrent pas dans le champ d’application de l’article 53 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 (n° 2000-1257 du 23 décembre 2000) ni de l’article L. 126-1 du code des assurances ni du chapitre Ier de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation et n’ont pas pour origine un acte de chasse ou de destruction des animaux nuisibles ;

   

2° Ces faits :

   

-soit ont entraîné la mort, une incapacité permanente ou une incapacité totale de travail personnel égale ou supérieure à un mois ;

   

-soit sont prévus et réprimés par les articles 222-22 à 222-30, 224-1 A à 224-1 C, 225-4-1 à 225-4-5, 225-14-1 et 225-14-2 et 227-25 à 227-27 du code pénal ;

Au dernier alinéa du 2° de l’article 706-3 du code de procédure pénale, après la référence : « 225-4-5 », sont insérées les références : « , 225-5 à 225-10 ».

(Sans modification)

3° La personne lésée est de nationalité française ou les faits ont été commis sur le territoire national.

   

La réparation peut être refusée ou son montant réduit à raison de la faute de la victime.

   

Code pénal

   

Art. 225-4-5 et 225-5 à 225-10. – Cf annexe.

   
 

Article 11

Article 11

 

I. – Après l’article 2-21 du code de procédure pénale, il est inséré un article 2-21-1 ainsi rédigé :

I. – L’article 2-22 du code de procédure pénale est ainsi rédigé :

Code pénal

Art. 224-1 A à 224-1 C, 225-4-1 à 225-4-9, 225-5 à 225-12-2, 225-14-1 et 225-14-2. – Cf annexe

« Art. 2-21-1. – Toute association reconnue d’utilité publique ayant pour objet statutaire la lutte contre le proxénétisme et la traite des êtres humains et l’action sociale en faveur des personnes en danger de prostitution ou des personnes prostituées peut exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les infractions prévues aux articles 225-4-1 à 225-4-9 et aux articles 225-5 à 225-12-2 du code pénal, lorsque l’action publique a été mise en mouvement par le ministère public ou la partie lésée. »

« Art. 2-22.  Toute association régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits dont l’objet statutaire comporte la lutte contre l’esclavage, la traite des êtres humains, le proxénétisme ou l’action sociale en faveur des personnes en danger de prostitution ou des personnes prostituées peut exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les infractions de réduction en esclavage, d’exploitation d’une personne réduite en esclavage, de traite des êtres humains, de proxénétisme, de recours à la prostitution, de travail forcé et de réduction en servitude, réprimées par les articles 224-1 A à 224-1 C, 225-4-1 à 225-4-9, 225-5 à 225-12-2, 225-14-1 et 225-14-2 du code pénal, lorsque l’action publique a été mise en mouvement par le ministère public ou la partie lésée. Toutefois, l’association n’est recevable dans son action que si elle justifie avoir reçu l’accord de la victime. Si celle-ci est un mineur ou un majeur protégé, l’accord doit être donné par son représentant légal. »

   

« Si l’association mentionnée au premier alinéa est reconnue d’utilité publique, son action est recevable y compris sans l’accord de la victime. »

amendement 29

Loi n° 75-229 du 9 avril 1975 habilitant les associations constituées pour la lutte contre le proxénétisme à exercer l’action civile. – Cf annexe

II. – La loi n° 75-229 du 9 avril 1975 habilitant les associations constituées pour la lutte contre le proxénétisme à exercer l’action civile est abrogée.

II. – (Sans modification)

Code de procédure pénale

Article 12

Article 12

Art. 306. – Les débats sont publics, à moins que la publicité ne soit dangereuse pour l’ordre ou les moeurs. Dans ce cas, la cour le déclare par un arrêt rendu en audience publique.

   

Toutefois, le président peut interdire l’accès de la salle d’audience aux mineurs ou à certains d’entre eux.

   

Lorsque les poursuites sont exercées du chef de viol ou de tortures et actes de barbarie accompagnés d’agressions sexuelles, le huis clos est de droit si la victime partie civile ou l’une des victimes parties civiles le demande ; dans les autres cas, le huis clos ne peut être ordonné que si la victime partie civile ou l’une des victimes parties civiles ne s’y oppose pas.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Au troisième alinéa de l’article 306 du code de procédure pénale, après le mot : « sexuelles, », sont insérés les mots : « de traite des êtres humains ou de proxénétisme aggravé, ».

… aggravé réprimé par les articles 225-7 à 225-9 du code pénal, ».

amendement 30

Code pénal

Article 13

Article 13

Art 225-7 à 225-9 et 225-10-1. – Cf. annexe

L’article 225-10-1 du code pénal est abrogé.

(Sans modification)

 

Article 14

Article 14

Art. 225-20. – I. - Les personnes physiques coupables des infractions prévues par les sections 1 bis, 2,2 bis, 2 ter et 2 quater du présent chapitre encourent également les peines complémentaires suivantes :

I. – Le code pénal est ainsi modifié :

(Sans modification)

1° L’interdiction des droits civiques, civils et de famille, suivant les modalités prévues par l’article 131-26 ;

   

2° L’interdiction, suivant les modalités prévues par l’article 131-27, soit d’exercer une fonction publique ou d’exercer l’activité professionnelle ou sociale dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de laquelle l’infraction a été commise, soit, pour les infractions prévues par les articles 225-4-3 , 225-4-4, 225-5, 225-6, 225-7, 225-7-1, 225-8, 225-9, 225-10, 225-10-1, 225-12-1 et 225-12-2, d’exercer une profession commerciale ou industrielle, de diriger, d’administrer, de gérer ou de contrôler à un titre quelconque, directement ou indirectement, pour son propre compte ou pour le compte d’autrui, une entreprise commerciale ou industrielle ou une société commerciale. Ces interdictions d’exercice peuvent être prononcées cumulativement ;

1° À la première phrase du 2° du I de l’article 225-20, la référence : « 225-10-1, » est supprimée ;

 

3° L’interdiction de séjour ;

   

4° L’interdiction d’exploiter, directement ou indirectement, les établissements ouverts au public ou utilisés par le public énumérés dans la décision de condamnation, d’y être employé à quelque titre que ce soit et d’y prendre ou d’y conserver une quelconque participation financière ;

   

5° L’interdiction, pour une durée de cinq ans au plus, de détenir ou de porter une arme soumise à autorisation ;

   

6° L’interdiction, pour une durée de cinq ans au plus, de quitter le territoire de la République ;

   

7° L’interdiction d’exercer, soit à titre définitif, soit pour une durée de dix ans au plus, une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact habituel avec des mineurs ;

   

8° L’obligation d’accomplir un stage de responsabilité parentale, selon les modalités fixées à l’article 131-35-1.

   

II. – En cas de condamnation pour les infractions prévues aux sections 1 bis, 2 et 2 ter du présent chapitre, le prononcé de la peine complémentaire prévue au 5° du I est obligatoire et la durée de l’interdiction est portée à dix ans au plus.

   

Toutefois, la juridiction peut, par une décision spécialement motivée lorsque la condamnation est prononcée par une juridiction correctionnelle, décider de ne pas prononcer cette peine, en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur.

   

Art. 225-25. – Les personnes physiques et morales reconnues coupables des infractions prévues aux sections 1 bis et 2 du présent chapitre, à l’exception de celle prévue par l’article 225-10-1, encourent également la peine complémentaire de confiscation de tout ou partie des biens leur appartenant ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, dont elles ont la libre disposition, quelle qu’en soit la nature, meubles ou immeubles, divis ou indivis.

2° À l’article 225-25, les mots : « , à l’exception de celle prévue par l’article 225-10-1, » sont supprimés.

 

Code de procédure pénale

Art. 398-1. – Sont jugés dans les conditions prévues au troisième alinéa de l’article 398 :

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

   

5° Les délits prévus par les articles 222-11, 222-12 (1° à 15°), 222-13 (1° à 15°), 222-16, 222-17, 222-18, 222-32, 225-10-1, 227-3 à 227-11, 311-3, 311-4 (1° à 11°), 313-5, 314-5, 314-6, 321-1, 322-1 à 322-4-1, 322-12, 322-13, 322-14, 431-22 à 431-24, 433-3, premier et deuxième alinéas, 433-5, 433-6 à 433-8, premier alinéa, 433-10, premier alinéa, 446-1, 446-2 et 521-1 du code pénal et L. 628 du code de la santé publique ;

II. – Au 5° de l’article 398-1 du code de procédure pénale, la référence : « 225-10-1, » est supprimée.

 
   

Article 14 bis (nouveau)

   

Dans un délai d’un an suivant la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur la situation, le repérage et la prise en charge des mineurs se livrant à la prostitution.

amendement 16 rectifié

 

Chapitre III

 
 

Prévention des pratiques prostitutionnelles et du recours
à la prostitution

 

Code de l’éducation

Article 15

Article 15

   

La première phrase de l’article L. 312-17-1 du code de l’éducation est ainsi modifiée :

Art. L. 312-17-1. – Une information consacrée à l’égalité entre les hommes et les femmes, à la lutte contre les préjugés sexistes et à la lutte contre les violences faites aux femmes et les violences commises au sein du couple est dispensée à tous les stades de la scolarité. Les établissements scolaires, y compris les établissements français d’enseignement scolaire à l’étranger, peuvent s’associer à cette fin avec des associations de défense des droits des femmes et promouvant l’égalité entre les hommes et les femmes et des personnels concourant à la prévention et à la répression de ces violences.

À la première phrase de l’article L. 312-17-1 du code de l’éducation, après la seconde occurrence du mot : « femmes », sont insérés les mots : « , la marchandisation des corps, ».

1° Les mots : « aux femmes et les violences » sont remplacés par les mots : « aux femmes, les violences » ;

   

2° Après les mots : « du couple », sont insérés les mots : « et contre la marchandisation des corps ».

amendement 46

   

Article 15 bis (nouveau)

Art. L. 312-16. – Une information et une éducation à la sexualité sont dispensées dans les écoles, les collèges et les lycées à raison d’au moins trois séances annuelles et par groupes d’âge homogène. Ces séances pourront associer les personnels contribuant à la mission de santé scolaire et des personnels des établissements mentionnés au premier alinéa de l’article L. 2212-4 du code de la santé publique ainsi que d’autres intervenants extérieurs conformément à l’article 9 du décret n° 85-924 du 30 août 1985 relatif aux établissements publics locaux d’enseignement. Des élèves formés par un organisme agréé par le ministère de la santé pourront également y être associés.

 

À la première phrase du premier alinéa de l’article L. 312-16 du code de l’éducation, après le mot : « sexualité », sont insérés les mots : « égalitaire, à l’estime de soi et de l’autre et au respect du corps ».

amendement 47

Un cours d’apprentissage sur les premiers gestes de secours est délivré aux élèves de collège et de lycée, selon des modalités définies par décret.

   
 

Chapitre IV

Chapitre IV

 

Interdiction d’achat d’acte sexuel

Interdiction de l’achat d’un acte sexuel

amendement 31

 

Article 16

Article 16

Code pénal

I. – La section 2 bis du chapitre V du titre II du livre II du code pénal est ainsi modifiée :

I. – (Alinéa sans modification)

Section 2 bis : Du recours à la prostitution de mineurs ou de personnes particulièrement vulnérables.

1° Après le mot : « prostitution », la fin de l’intitulé est supprimée ;

1° (Sans modification)

 

2° L’article 225-12-1 est ainsi rédigé :

2° (Alinéa sans modification)

 

« Art. 225-12-1. – Le fait de solliciter, d’accepter ou d’obtenir des relations de nature sexuelle d’une personne qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle, en échange d’une rémunération, d’une promesse de rémunération, de l’utilisation d’un bien immobilier, de l’acquisition ou de l’utilisation d’un bien mobilier, ou de la promesse d’un tel avantage, est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe.

« Art. 225-12-1. – 

… rémunération de la fourniture d’un avantage en nature ou de la promesse d’un tel avantage ….

amendement 63

Art. 131-16 et 131-17. – Cf. annexe

 

« Les personnes physiques coupables de la contravention prévue au présent article encourent également une ou plusieurs des peines complémentaires mentionnées à l’article 131-16 et au second alinéa de l’article 131-17.

amendement 64

 

« La récidive de la contravention prévue au présent article est réprimée conformément à l’article 132-11.

… réprimée dans les conditions prévues au premier alinéa de l’article …

amendement 65

Art. 225-12-1. – Le fait de solliciter, d’accepter ou d’obtenir, en échange d’une rémunération ou d’une promesse de rémunération, des relations de nature sexuelle de la part d’un mineur qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle, est puni de trois ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende.

« Lorsque les relations de nature sexuelle sont sollicitées, acceptées ou obtenues d’un mineur ou d’une personne présentant une particulière vulnérabilité, apparente ou connue de son auteur, due à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, l’infraction prévue au premier alinéa est un délit puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende. » ;

« Est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende le fait de solliciter, d’accepter ou d’obtenir, en échange d’une rémunération, d’une promesse de rémunération, de la fourniture d’un avantage en nature ou de la promesse d’un tel avantage, des relations de nature sexuelle de la part d’une personne qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle, lorsque cette personne est mineure ou présente une particulière vulnérabilité, apparente ou connue de son auteur, due à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse. »

amendement 66

Est puni des mêmes peines le fait de solliciter, d’accepter ou d’obtenir, en échange d’une rémunération ou d’une promesse de rémunération, des relations sexuelles de la part d’une personne qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle, lorsque cette personne présente une particulière vulnérabilité, apparente ou connue de son auteur, due à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse.

   

Art 225-12-2. – Les peines sont portées à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende :

3° Aux premier et dernier alinéas de l’article 225-12-2, après le mot : « peines », sont insérés les mots : « prévues au troisième alinéa de l’article 225-12-1 » ;

3° (Sans modification)

1° Lorsque l’infraction est commise de façon habituelle ou à l’égard de plusieurs personnes ;

   

2° Lorsque la personne a été mise en contact avec l’auteur des faits grâce à l’utilisation, pour la diffusion de messages à destination d’un public non déterminé, d’un réseau de communication ;

   

3° Lorsque les faits sont commis par une personne qui abuse de l’autorité que lui confèrent ses fonctions ;

   

4° Lorsque l’auteur des faits a délibérément ou par imprudence mis la vie de la personne en danger ou a commis contre elle des violences.

   

Les peines sont portées à sept ans d’emprisonnement et 100 000 € d’amende lorsqu’il s’agit d’un mineur de quinze ans.

   

Art. 225-12-3. – Dans le cas où les délits prévus par les articles 225-12-1 et 225-12-2 sont commis à l’étranger par un Français ou par une personne résidant habituellement sur le territoire français, la loi française est applicable par dérogation au deuxième alinéa de l’article 113-6 et les dispositions de la seconde phrase de l’article 113-8 ne sont pas applicables.

4° À l’article 225-12-3, les mots : « par les articles 225-12-1 et » sont remplacés par les mots : « au troisième alinéa de l’article 225-12-1 et à l’article ».

4° (Sans modification)

Code l’action sociale et des familles

   

Art. L. 421-3. – L’agrément nécessaire pour exercer la profession d’assistant maternel ou d’assistant familial est délivré par le président du conseil général du département où le demandeur réside.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

   

Un arrêté du ministre chargé de la famille fixe la composition du dossier de demande d’agrément ainsi que le contenu du formulaire de demande qui, seul, peut être exigé à ce titre. Il définit également les modalités de versement au dossier d’un extrait du casier judiciaire n° 3 de chaque majeur vivant au domicile du demandeur, à l’exception des majeurs accueillis en application d’une mesure d’aide sociale à l’enfance.L’agrément n’est pas accordé si l’un des majeurs concernés a fait l’objet d’une condamnation pour une infraction visée aux articles 221-1 à 221-5, 222-1 à 222-18, 222-23 à 222-33, 224-1 à 224-5, 225-12-1 à 225-12-4, 227-1, 227-2 et 227-15 à 227-28 du code pénal. Pour toute autre infraction inscrite au bulletin n° 3 du casier judiciaire, il revient au service départemental de protection maternelle et infantile de juger de l’opportunité de délivrer ou non l’agrément.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

II. – À l’avant-dernière phrase du sixième alinéa de l’article L. 421-3 du code de l’action sociale et des familles, la référence : « 225-12-1 » est remplacée par les références : « au troisième alinéa de l’article 225-12-1 et aux articles 225-12-2 ».

II. – (Sans modification)

Code pénal

Article 17

Article 17

Art. 131-16. – Le règlement qui réprime une contravention peut prévoir, lorsque le coupable est une personne physique, une ou plusieurs des peines complémentaires suivantes :

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

I. – Le code pénal est ainsi modifié :

I. – (Alinéa sans modification)

9° L’obligation d’accomplir, à ses frais, un stage de responsabilité parentale, selon les modalités fixées à l’article 131-35-1 ;

1° Après le 9° de l’article 131-16, il est inséré un 9 bis ainsi rédigé :

1° (Alinéa sans modification)

 

« 9 bis L’obligation d’accomplir, le cas échéant à ses frais, un stage de sensibilisation aux conditions d’exercice de la prostitution ; »

« 9 bis 

… sensibilisation à la lutte contre l’achat d’actes sexuels ; »

amendement 48

10° La confiscation de l’animal ayant été utilisé pour commettre l’infraction ou à l’encontre duquel l’infraction a été commise ;

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

   

Art 131-35-1. – Lorsqu’elle est encourue à titre de peine complémentaire, l’obligation d’accomplir un stage de sensibilisation à la sécurité routière, un stage de sensibilisation aux dangers de l’usage de produits stupéfiants ou un stage de responsabilité parentale est exécutée dans un délai de six mois à compter de la date à laquelle la condamnation est définitive.

2° Au premier alinéa de l’article 131-35-1, après le mot : « stupéfiants », sont insérés les mots : « , un stage de sensibilisation aux conditions d’exercice de la prostitution » ;

2° 

… sensibilisation à la lutte contre l’achat d’actes sexuels ; »

amendement 48

La juridiction précise si le stage est exécuté aux frais du condamné. Le stage de sensibilisation à la sécurité routière est toujours exécuté aux frais du condamné.

   

L’accomplissement du stage donne lieu à la remise au condamné d’une attestation que celui-ci adresse au procureur de la République.

   

Art. 225-20. – Cf. supra art. 14

3° Après l’article 225-20, il est inséré un article 225-20-1 ainsi rédigé :

3° Le I de l’article 225-20 est complété par un ainsi rédigé :

 

« Art. 225-20-1. – Les personnes physiques coupables des infractions prévues à la section 2 bis du présent chapitre encourent également l’obligation d’accomplir un stage de sensibilisation aux conditions d’exercice de la prostitution, selon les modalités prévues à l’article 131-35-1. »

« 9° L’obligation d’accomplir, le cas échéant à ses frais, un stage de sensibilisation à la lutte contre l’achat d’actes sexuels, selon les modalités fixées à l’article 131-35-1. »

amendement 50

Code de procédure pénale

II. – Le code de procédure pénale est ainsi modifié :

II. – (Alinéa sans modification)

Art. 41-1. – S’il lui apparaît qu’une telle mesure est susceptible d’assurer la réparation du dommage causé à la victime, de mettre fin au trouble résultant de l’infraction ou de contribuer au reclassement de l’auteur des faits, le procureur de la République peut, préalablement à sa décision sur l’action publique, directement ou par l’intermédiaire d’un officier de police judiciaire, d’un délégué ou d’un médiateur du procureur de la République :

   

1° Procéder au rappel auprès de l’auteur des faits des obligations résultant de la loi ;

   

2° Orienter l’auteur des faits vers une structure sanitaire, sociale ou professionnelle ; cette mesure peut consister dans l’accomplissement par l’auteur des faits, à ses frais, d’un stage ou d’une formation dans un service ou un organisme sanitaire, social ou professionnel, et notamment d’un stage de citoyenneté, d’un stage de responsabilité parentale ou d’un stage de sensibilisation aux dangers de l’usage de produits stupéfiants ; en cas d’infraction commise à l’occasion de la conduite d’un véhicule terrestre à moteur, cette mesure peut consister dans l’accomplissement, par l’auteur des faits, à ses frais, d’un stage de sensibilisation à la sécurité routière ;

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

1° Au 2° de l’article 41-1, après le mot : « parentale », sont insérés les mots : « , d’un stage de sensibilisation aux conditions d’exercice de la prostitution » ;

1° 

… sensibilisation à la lutte contre l’achat d’actes sexuels ; »

amendement 48

Art. 41-2. – Le procureur de la République, tant que l’action publique n’a pas été mise en mouvement, peut proposer, directement ou par l’intermédiaire d’une personne habilitée, une composition pénale à une personne physique qui reconnaît avoir commis un ou plusieurs délits punis à titre de peine principale d’une peine d’amende ou d’une peine d’emprisonnement d’une durée inférieure ou égale à cinq ans, ainsi que, le cas échéant, une ou plusieurs contraventions connexes qui consiste en une ou plusieurs des mesures suivantes :

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

2° Après le 17° de l’article 41-2, il est inséré un 18° ainsi rédigé :

2° (Alinéa sans modification)

17° Se soumettre à une mesure d’injonction thérapeutique, selon les modalités définies aux articles L. 3413-1 à L. 3413-4 du code de la santé publique, lorsqu’il apparaît que l’intéressé fait usage de stupéfiants ou fait une consommation habituelle et excessive de boissons alcooliques. La durée de la mesure est de vingt-quatre mois au plus.

   
 

« 18° Accomplir, le cas échéant à ses frais, un stage de sensibilisation aux conditions d’exercice de la prostitution. »

18° 

… sensibilisation à la lutte contre l’achat d’actes sexuels ; »

amendement 48

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

   
 

Chapitre V

 
 

Dispositions finales

 
 

Article 18

Article 18

 

Dans un délai de deux ans à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport portant évaluation de la généralisation de l’infraction de recours à la prostitution, instituée par l’article 14, et examinant la situation sanitaire et sociale des personnes prostituées.

Le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur l’application de la présente loi deux ans après sa promulgation. Ce rapport dresse un bilan de la mise en œuvre de la présente loi, de la création de l’infraction de recours à la prostitution, de la situation sanitaire et sociale des personnes prostituées, de l’éducation à la lutte contre la marchandisation des corps ainsi que des mesures d’accompagnement élaborées par les pouvoirs publics.

amendement 33

 

Article 19

Article 19

 

Les articles 11, 12, 14 et 15 entrent en vigueur six mois après la promulgation de la présente loi.

Supprimé

amendement 34

 

Article 20

Article 20

 

La présente loi est applicable à Wallis-et-Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie.

(Sans modification)

 

Article 21

Article 21

 

I. – Les charges pour l’État sont compensées à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

(Sans modification)

 

II. – Les charges pour les collectivités territoriales sont compensées à due concurrence par la majoration de la dotation globale de fonctionnement et, corrélativement pour l’État, par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

 
 

III. – Les charges pour les organismes de sécurité sociale sont compensées à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

 
 

IV. – Les charges pour Pôle emploi sont compensées à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

 

ANNEXE AU TABLEAU COMPARATIF

Code de l’action sociale et des familles 168

Art. 121-9

Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile 168

Art. L. 311-7

Code pénal 168

Art. 224-1 A à 224-1 C, 225-4-1 à 225-4-9, 225-5 à 225-12-2, 225-14-1 et 225-14-2

Code de procédure pénale 174

Art. 706-57, 706-63 et 706-63-1

Livre des procédures fiscales 175

Art. L. 247

Loi n° 75-229 du 9 avril 1975 habilitant les associations constituées pour la lutte contre le proxénétisme à exercer l’action civile 175

Loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure 175

Art. 42

Code de l’action sociale et des familles

Art. 121-9. – Dans chaque département, l’État a pour mission :

1° De rechercher et d’accueillir les personnes en danger de prostitution et de fournir l’assistance dont elles peuvent avoir besoin, notamment en leur procurant un placement dans un des établissements mentionnés à l’article L. 345-1.

2° D’exercer toute action médico-sociale en faveur des personnes qui se livrent à la prostitution.

Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile

Art. L.  311-7. – Sous réserve des engagements internationaux de la France et des exceptions prévues par les dispositions législatives du présent code, l’octroi de la carte de séjour temporaire et celui de la carte de séjour "compétences et talents" sont subordonnés à la production par l’étranger d’un visa pour un séjour d’une durée supérieure à trois mois.

Code pénal

Art. 224-1 A. – La réduction en esclavage est le fait d’exercer à l’encontre d’une personne l’un des attributs du droit de propriété.

La réduction en esclavage d’une personne est punie de vingt années de réclusion criminelle.

Les deux premiers alinéas de l’article 132-23 relatif à la période de sûreté sont applicables à l’infraction prévue au présent article.

Art. 224-1 B. – L’exploitation d’une personne réduite en esclavage est le fait de commettre à l’encontre d’une personne dont la réduction en esclavage est apparente ou connue de l’auteur une agression sexuelle, de la séquestrer ou de la soumettre à du travail forcé ou du service forcé.

L’exploitation d’une personne réduite en esclavage est punie de vingt années de réclusion criminelle.

Les deux premiers alinéas de l’article 132-23 relatif à la période de sûreté sont applicables à l’infraction prévue au présent article.

Art. 224-1 C. – Le crime de réduction en esclavage défini à l’article 224-1 A et le crime d’exploitation d’une personne réduite en esclavage définis à l’article 224-1 B sont punis de trente années de réclusion criminelle lorsqu’ils sont commis :

1° À l’égard d’un mineur ;

2° A l’égard d’une personne dont la vulnérabilité due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse est apparente ou connue de l’auteur ;

3° Par un ascendant légitime, naturel ou adoptif ou par une personne qui a autorité sur la victime ou abuse de l’autorité que lui confèrent ses fonctions ;

4° Par une personne appelée à participer, par ses fonctions, à la lutte contre l’esclavage ou au maintien de l’ordre public ;

5° Lorsque le crime est précédé ou accompagné de tortures ou d’actes de barbarie.

Les deux premiers alinéas de l’article 132-23 relatif à la période de sûreté sont applicables aux infractions prévues au présent article.

Art. 225-4-1. – I. – La traite des êtres humains est le fait de recruter une personne, de la transporter, de la transférer, de l’héberger ou de l’accueillir à des fins d’exploitation dans l’une des circonstances suivantes :

1° Soit avec l’emploi de menace, de contrainte, de violence ou de manœuvre dolosive visant la victime, sa famille ou une personne en relation habituelle avec la victime ;

2° Soit par un ascendant légitime, naturel ou adoptif de cette personne ou par une personne qui a autorité sur elle ou abuse de l’autorité que lui confèrent ses fonctions ;

3° Soit par abus d’une situation de vulnérabilité due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, apparente ou connue de son auteur ;

4° Soit en échange ou par l’octroi d’une rémunération ou de tout autre avantage ou d’une promesse de rémunération ou d’avantage.

L’exploitation mentionnée au premier alinéa du présent I est le fait de mettre la victime à sa disposition ou à la disposition d’un tiers, même non identifié, afin soit de permettre la commission contre la victime des infractions de proxénétisme, d’agression ou d’atteintes sexuelles, de réduction en esclavage, de soumission à du travail ou à des services forcés, de réduction en servitude, de prélèvement de l’un de ses organes, d’exploitation de la mendicité, de conditions de travail ou d’hébergement contraires à sa dignité, soit de contraindre la victime à commettre tout crime ou délit.

La traite des êtres humains est punie de sept ans d’emprisonnement et de 150 000 € d’amende.

II. – La traite des êtres humains à l’égard d’un mineur est constituée même si elle n’est commise dans aucune des circonstances prévues aux 1° à 4° du I.

Elle est punie de dix ans d’emprisonnement et de 1 500 000 € d’amende. ;

Art. 225-4-2. – I. – L’infraction prévue au I de l’article 225-4-1 est punie de dix ans d’emprisonnement et de 1 500 000 € d’amende lorsqu’elle est commise dans deux des circonstances mentionnées aux 1° à 4° du même I ou avec l’une des circonstances supplémentaires suivantes :

1° À l’égard de plusieurs personnes ;

2° À l’égard d’une personne qui se trouvait hors du territoire de la République ou lors de son arrivée sur le territoire de la République ;

3° Lorsque la personne a été mise en contact avec l’auteur des faits grâce à l’utilisation, pour la diffusion de messages à destination d’un public non déterminé, d’un réseau de communication électronique ;

4° Dans des circonstances qui exposent directement la personne à l’égard de laquelle l’infraction est commise à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente ;

5° Avec l’emploi de violences qui ont causé à la victime une incapacité totale de travail de plus de huit jours ;

6° Par une personne appelée à participer, par ses fonctions, à la lutte contre la traite ou au maintien de l’ordre public ;

7° Lorsque l’infraction a placé la victime dans une situation matérielle ou psychologique grave.

II. – L’infraction prévue au II de l’article 225-4-1 est punie de quinze ans de réclusion criminelle et de 1 500 000 € d’amende lorsqu’elle a été commise dans l’une des circonstances mentionnées aux 1° à 4° du I du même article 225-4-1 ou dans l’une des circonstances mentionnées aux 1° à 7° du I du présent article.

Art. 225-4-3. – L’infraction prévue à l’article 225-4-1 est punie de vingt ans de réclusion criminelle et de 3 000 000 € d’amende lorsqu’elle est commise en bande organisée.

Art. 225-4-4. – L’infraction prévue à l’article 225-4-1 commise en recourant à des tortures ou à des actes de barbarie est punie de la réclusion criminelle à perpétuité et de 4 500 000 € d’amende.

Art. 225-4-5. – Lorsque le crime ou le délit qui a été commis ou qui devait être commis contre la personne victime de l’infraction de traite des êtres humains est puni d’une peine privative de liberté d’une durée supérieure à celle de l’emprisonnement encouru en application des articles 225-4-1 à 225-4-3, l’infraction de traite des êtres humains est punie des peines attachées aux crimes ou aux délits dont son auteur a eu connaissance et, si ce crime ou délit est accompagné de circonstances aggravantes, des peines attachées aux seules circonstances aggravantes dont il a eu connaissance.

Art. 225-4-6. – Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies à la présente section encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par l’article 131-39.

Art. 225-4-7. –La tentative des délits prévus à la présente section est punie des mêmes peines.

Art. 225-4-8. –Lorsque les infractions prévues aux articles 225-4-1 et 225-4-2 sont commises hors du territoire de la République par un Français, la loi française est applicable par dérogation au deuxième alinéa de l’article 113-6 et la seconde phrase de l’article 113-8 n’est pas applicable.

Art. 225-4-9. – Toute personne qui a tenté de commettre les infractions prévues par la présente section est exempte de peine si, ayant averti l’autorité administrative ou judiciaire, elle a permis d’éviter la réalisation de l’infraction et d’identifier, le cas échéant, les autres auteurs ou complices.

La peine privative de liberté encourue par l’auteur ou le complice d’une des infractions prévues à la présente section est réduite de moitié si, ayant averti l’autorité administrative ou judiciaire, il a permis de faire cesser l’infraction ou d’éviter que l’infraction n’entraîne mort d’homme ou infirmité permanente et d’identifier, le cas échéant, les autres auteurs ou complices. Lorsque la peine encourue est la réclusion criminelle à perpétuité, celle-ci est ramenée à vingt ans de réclusion criminelle.

Art. 225-5. – Le proxénétisme est le fait, par quiconque, de quelque manière que ce soit :

1° D’aider, d’assister ou de protéger la prostitution d’autrui ;

2° De tirer profit de la prostitution d’autrui, d’en partager les produits ou de recevoir des subsides d’une personne se livrant habituellement à la prostitution ;

3° D’embaucher, d’entraîner ou de détourner une personne en vue de la prostitution ou d’exercer sur elle une pression pour qu’elle se prostitue ou continue à le faire.

Le proxénétisme est puni de sept ans d’emprisonnement et de 150 000 € d’amende.

Art. 225-6. – Est assimilé au proxénétisme et puni des peines prévues par l’article 225-5 le fait, par quiconque, de quelque manière que ce soit :

1° De faire office d’intermédiaire entre deux personnes dont l’une se livre à la prostitution et l’autre exploite ou rémunère la prostitution d’autrui ;

2° De faciliter à un proxénète la justification de ressources fictives ;

3° De ne pouvoir justifier de ressources correspondant à son train de vie tout en vivant avec une personne qui se livre habituellement à la prostitution ou tout en étant en relations habituelles avec une ou plusieurs personnes se livrant à la prostitution ;

4° D’entraver l’action de prévention, de contrôle, d’assistance ou de rééducation entreprise par les organismes qualifiés à l’égard de personnes en danger de prostitution ou se livrant à la prostitution.

Art. 225-7. – Le proxénétisme est puni de dix ans d’emprisonnement et de 1 500 000 € d’amende lorsqu’il est commis :

1° À l’égard d’un mineur ;

2° À l’égard d’une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de son auteur ;

3° À l’égard de plusieurs personnes ;

4° À l’égard d’une personne qui a été incitée à se livrer à la prostitution soit hors du territoire de la République, soit à son arrivée sur le territoire de la République ;

5° Par un ascendant légitime, naturel ou adoptif de la personne qui se prostitue ou par une personne qui a autorité sur elle ou abuse de l’autorité que lui confèrent ses fonctions ;

6° Par une personne appelée à participer, de par ses fonctions, à la lutte contre la prostitution, à la protection de la santé ou au maintien de l’ordre public ;

7° Par une personne porteuse d’une arme ;

8° Avec l’emploi de la contrainte, de violences ou de manœuvres dolosives ;

9° Par plusieurs personnes agissant en qualité d’auteur ou de complice, sans qu’elles constituent une bande organisée ;

10° Grâce à l’utilisation, pour la diffusion de messages à destination d’un public non déterminé, d’un réseau de communication électronique.

Les deux premiers alinéas de l’article 132-23 relatif à la période de sûreté sont applicables aux infractions prévues par le présent article.

Art. 225-7-1. – Le proxénétisme est puni de quinze ans de réclusion criminelle et de 3 000 000 € d’amende lorsqu’il est commis à l’égard d’un mineur de quinze ans.

Art. 225-8. – Le proxénétisme prévu à l’article 225-7 est puni de vingt ans de réclusion criminelle et de 3 000 000 € d’amende lorsqu’il est commis en bande organisée.

Les deux premiers alinéas de l’article 132-23 relatif à la période de sûreté sont applicables à l’infraction prévue par le présent article.

Art. 225-9. – Le proxénétisme commis en recourant à des tortures ou des actes de barbarie est puni de la réclusion criminelle à perpétuité et de 4 500 000 € d’amende.

Les deux premiers alinéas de l’article 132-23 relatif à la période de sûreté sont applicables à l’infraction prévue au présent article.

Art. 225-10. – Est puni de dix ans d’emprisonnement et de 750 000 € d’amende le fait, par quiconque, agissant directement ou par personne interposée :

1° De détenir, gérer, exploiter, diriger, faire fonctionner, financer ou contribuer à financer un établissement de prostitution ;

2° Détenant, gérant, exploitant, dirigeant, faisant fonctionner, finançant ou contribuant à financer un établissement quelconque ouvert au public ou utilisé par le public, d’accepter ou de tolérer habituellement qu’une ou plusieurs personnes se livrent à la prostitution à l’intérieur de l’établissement ou de ses annexes ou y recherchent des clients en vue de la prostitution ;

3° De vendre ou de tenir à la disposition d’une ou de plusieurs personnes des locaux ou emplacements non utilisés par le public, en sachant qu’elles s’y livreront à la prostitution ;

4° De vendre, de louer ou de tenir à la disposition, de quelque manière que ce soit, d’une ou plusieurs personnes, des véhicules de toute nature en sachant qu’elles s’y livreront à la prostitution.

Les deux premiers alinéas de l’article 132-23 relatif à la période de sûreté sont applicables aux infractions prévues par les 1° et 2° du présent article.

Art. 225-10-1. – Le fait, par tout moyen, y compris par une attitude même passive, de procéder publiquement au racolage d’autrui en vue de l’inciter à des relations sexuelles en échange d’une rémunération ou d’une promesse de rémunération est puni de deux mois d’emprisonnement et de 3 750 € d’amende.

Art. 225-11. – La tentative des délits prévus par la présente section est punie des mêmes peines.

Art. 225-11-1. – Toute personne qui a tenté de commettre les infractions prévues par la présente section est exempte de peine si, ayant averti l’autorité administrative ou judiciaire, elle a permis d’éviter la réalisation de l’infraction et d’identifier, le cas échéant, les autres auteurs ou complices.

La peine privative de liberté encourue par l’auteur ou le complice d’une des infractions prévues à la présente section est réduite de moitié si, ayant averti l’autorité administrative ou judiciaire, il a permis de faire cesser l’infraction ou d’éviter que l’infraction n’entraîne mort d’homme ou infirmité permanente et d’identifier, le cas échéant, les autres auteurs ou complices. Lorsque la peine encourue est la réclusion criminelle à perpétuité, celle-ci est ramenée à vingt ans de réclusion criminelle.

Art. 225-11-2. – Dans le cas où le délit prévu par le 1° de l’article 225-7 est commis à l’étranger par un Français ou par une personne résidant habituellement sur le territoire français, la loi française est applicable par dérogation au deuxième alinéa de l’article 113-6 et les dispositions de la seconde phrase de l’article 113-8 ne sont pas applicables.

Il en est de même dans le cas où l’un des crimes mentionnés aux articles 225-7-1, 225-8 ou 225-9 a été commis sur un mineur hors du territoire de la République par un étranger résidant habituellement sur le territoire français.

Art. 225-12. – Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies aux articles 225-5 à 225-10 encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par l’article 131-39.

Art. 225-12-1. – Le fait de solliciter, d’accepter ou d’obtenir, en échange d’une rémunération ou d’une promesse de rémunération, des relations de nature sexuelle de la part d’un mineur qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle, est puni de trois ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende.

Est puni des mêmes peines le fait de solliciter, d’accepter ou d’obtenir, en échange d’une rémunération ou d’une promesse de rémunération, des relations sexuelles de la part d’une personne qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle, lorsque cette personne présente une particulière vulnérabilité, apparente ou connue de son auteur, due à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse.

Art. 225-12-2. –Les peines sont portées à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende :

1° Lorsque l’infraction est commise de façon habituelle ou à l’égard de plusieurs personnes ;

2° Lorsque la personne a été mise en contact avec l’auteur des faits grâce à l’utilisation, pour la diffusion de messages à destination d’un public non déterminé, d’un réseau de communication ;

3° Lorsque les faits sont commis par une personne qui abuse de l’autorité que lui confèrent ses fonctions ;

4° Lorsque l’auteur des faits a délibérément ou par imprudence mis la vie de la personne en danger ou a commis contre elle des violences.

Les peines sont portées à sept ans d’emprisonnement et 100 000 € d’amende lorsqu’il s’agit d’un mineur de quinze ans.

Art. 225-14-1. – Le travail forcé est le fait, par la violence ou la menace, de contraindre une personne à effectuer un travail sans rétribution ou en échange d’une rétribution manifestement sans rapport avec l’importance du travail accompli. Il est puni de sept ans d’emprisonnement et de 200 000 € d’amende.

Art. 225-14-2. – La réduction en servitude est le fait de faire subir, de manière habituelle, l’infraction prévue à l’article 225-14-1 à une personne dont la vulnérabilité ou l’état de dépendance sont apparents ou connus de l’auteur. Elle est punie de dix ans d’emprisonnement et de 300 000 € d’amende.

Code de procédure pénale

Art. 706-57. – Les personnes à l’encontre desquelles il n’existe aucune raison plausible de soupçonner qu’elles ont commis ou tenté de commettre une infraction et qui sont susceptibles d’apporter des éléments de preuve intéressant la procédure peuvent, sur autorisation du procureur de la République ou du juge d’instruction, déclarer comme domicile l’adresse du commissariat ou de la brigade de gendarmerie. Si la personne a été convoquée en raison de sa profession, l’adresse déclarée peut être son adresse professionnelle.

L’adresse personnelle de ces personnes est alors inscrite sur un registre coté et paraphé, qui est ouvert à cet effet.

Art. 706-63. – Un décret en Conseil d’État précise, en tant que de besoin, les conditions d’application des dispositions du présent titre.

Art. 706-63-1. – Les personnes mentionnées à l’article 132-78 du code pénal font l’objet, en tant que de besoin, d’une protection destinée à assurer leur sécurité. Elles peuvent également bénéficier de mesures destinées à assurer leur réinsertion.

En cas de nécessité, ces personnes peuvent être autorisées, par ordonnance motivée rendue par le président du tribunal de grande instance, à faire usage d’une identité d’emprunt.

Le fait de révéler l’identité d’emprunt de ces personnes est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende. Lorsque cette révélation a causé, directement ou indirectement, des violences, coups et blessures à l’encontre de ces personnes ou de leurs conjoints, enfants et ascendants directs, les peines sont portées à sept ans d’emprisonnement et à 100 000 € d’amende. Les peines sont portées à dix ans d’emprisonnement et à 150 000 € d’amende lorsque cette révélation a causé, directement ou indirectement, la mort de ces personnes ou de leurs conjoint, enfants et ascendants directs.

Les mesures de protection et de réinsertion sont définies, sur réquisitions du procureur de la République, par une commission nationale dont la composition et les modalités de fonctionnement sont définies par décret en Conseil d’État. Cette commission fixe les obligations que doit respecter la personne et assure le suivi des mesures de protection et de réinsertion, qu’elle peut modifier ou auxquelles elle peut mettre fin à tout moment. En cas d’urgence, les services compétents prennent les mesures nécessaires et en informent sans délai la commission nationale.

Les dispositions du présent article sont également applicables aux membres de la famille et aux proches des personnes mentionnées à l’article 132-78 du code pénal.

Livre des procédures fiscales

Art. L 247. – L’administration peut accorder sur la demande du contribuable ;

1° Des remises totales ou partielles d’impôts directs régulièrement établis lorsque le contribuable est dans l’impossibilité de payer par suite de gêne ou d’indigence ;

2° Des remises totales ou partielles d’amendes fiscales ou de majorations d’impôts lorsque ces pénalités et, le cas échéant, les impositions auxquelles elles s’ajoutent sont définitives ;

bis Des remises totales ou partielles des frais de poursuites mentionnés à l’article 1912 du code général des impôts et des intérêts moratoires prévus à l’article L. 209 du présent livre ;

3° Par voie de transaction, une atténuation d’amendes fiscales ou de majorations d’impôts lorsque ces pénalités et, le cas échéant, les impositions auxquelles elles s’ajoutent ne sont pas définitives.

Les dispositions des 2° et 3° sont le cas échéant applicables s’agissant des sommes dues au titre de l’intérêt de retard visé à l’article 1727 du code général des impôts.

L’administration peut également décharger de leur responsabilité les personnes tenues au paiement d’impositions dues par un tiers.

Aucune autorité publique ne peut accorder de remise totale ou partielle de droits d’enregistrement, de taxe de publicité foncière, de droits de timbre, de taxes sur le chiffre d’affaires, de contributions indirectes et de taxes assimilées à ces droits, taxes et contributions.

Loi n° 75-229 du 9 avril 1975 habilitant les associations constituées pour la lutte contre le proxénétisme à exercer l’action civile

Article unique. – Toute association reconnue d’utilité publique ayant pour objet statutaire la lutte contre le proxénétisme et l’action sociale en faveur des personnes en danger de prostitution ou des personnes se livrant à la prostitution en vue de les aider à y renoncer, peut exercer l’action civile devant toutes les juridictions où cette action est recevable, en ce qui concerne les infractions de proxénétisme prévues par le Code pénal ainsi que celles se rattachant directement ou indirectement au proxénétisme, qui ont causé un préjudice direct ou indirect à la mission qu’elle remplit.

Loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure

Art. 42. – Toute personne victime de l’exploitation de la prostitution doit bénéficier d’un système de protection et d’assistance, assuré et coordonné par l’administration en collaboration active avec les divers services d’interventions sociales.

LISTE DES RECOMMANDATIONS DU RAPPORT D’INFORMATION DE LA DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES SUR LE RENFORCEMENT DE LA LUTTE CONTRE LE SYSTÈME PROSTITUTIONNEL (SEPTEMBRE 2013) (113)

Recommandation n° 1 : Développer les recherches universitaires et les études qualitatives et quantitatives permettant d’évaluer l’évolution de la prostitution et de l’exploitation sexuelle en France.

Recommandation n° 2 : Demander aux fournisseurs d’accès Internet le blocage de l’accès aux sites qui portent à la connaissance du public des activités prostitutionnelles organisées par un proxénète ou rendues possibles par l’activité d’un réseau de traite. Permettre le recours contre une décision de blocage dans les conditions du droit commun.

Recommandation n° 3 : Renforcer l’action diplomatique de la France en matière de lutte contre le proxénétisme et la traite des êtres humains.

Au plan de l’Union européenne, prévoir d’intégrer la coopération en matière de lutte contre le proxénétisme et la traite des êtres humains dans tous les accords de partenariat conclus avec des pays tiers.

Recommandation n° 4 : Rendre de droit le huis clos au procès, sur la demande des victimes de traite et de proxénétisme aggravé.

Recommandation n° 5 : Abroger la loi de 1975 et insérer un nouvel article dans le code de procédure pénale qui permettra aux associations ayant pour objet la lutte contre le proxénétisme et la traite des êtres humains d’exercer l’action civile.

Recommandation n° 6 : Améliorer l’indemnisation du préjudice subi par les victimes du proxénétisme dans l’accès à la réparation des dommages subis du fait de cette infraction.

Recommandation n° 7 : Élargir la mission de la MIPROF à la coordination des services pour lutter globalement contre la prostitution.

Recommandation n° 8 : Réunir dans chaque département une commission départementale de lutte contre les violences faites aux femmes et instituer une sous-commission de lutte contre la prostitution ; leur assurer un rythme de réunion régulier.

Confier à cette sous-commission une mission d’animation et d’information réciproque des acteurs dans le domaine des actions de lutte contre la prostitution et le proxénétisme, comme de l’accompagnement des personnes prostituées.

Mettre en place une coordination au niveau local pour suivre la mise en place de parcours de sortie pour chaque personne prostituée impliquée.

Confier au/à la chargé-e de mission départemental-e aux droits des femmes et à l’égalité un rôle d’impulsion et d’animation de ce travail de coordination.

Confier à la commission départementale de lutte contre les violences faites aux femmes la coordination de la formation des acteurs intervenant dans le domaine de la prostitution.

Recommandation n° 9 : Soutenir les associations dans leur action de diffusion auprès des personnes prostituées d’une meilleure information sur l’ensemble de leurs droits.

Recommandation n° 10 : Inclure les personnes prostituées parmi les bénéficiaires de la politique nationale de lutte contre le non-recours, prévu par le Plan de lutte contre la pauvreté et pour l’insertion, de manière à ce qu’elles soient informées et orientées sur les droits et conditions d’accès aux prestations sociales.

Recommandation n° 11 : Mettre en place un plan national de formation des professionnels concernés à l’orientation des personnes prostituées en matière de santé, de droit et d’accompagnement social.

Recommandation n° 12 : Adopter une prise en compte volontariste des enjeux sanitaires de la prostitution en matière de prévention et de soins.

Assurer l’accès des personnes prostituées aux soins, dans le cadre du droit commun, et veiller en particulier à leur assurer l’accès à des soins psychologiques et de lutte contre les addictions.

Recommandation n° 13 : Faire bénéficier les agents des services de police et de gendarmerie d’une formation à la réception des plaintes des personnes prostituées et des victimes de la traite des êtres humains.

Recommandation n° 14 : Permettre la protection effective des victimes étrangères de traite et d’exploitation sexuelle en améliorant les conditions dans lesquelles elles peuvent avoir accès à un titre de séjour :

– porter d’un à trois mois le délai de réflexion et de rétablissement ;

– renouveler automatiquement le titre de séjour obtenu sur le fondement de l’article L. 316-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile tant que des poursuites pénales sont en cours ;

– prévoir une délivrance de plein droit d’une carte de résident en cas de condamnation de l’auteur de traite ou d’exploitation sexuelle, sans lier cette délivrance à la condamnation définitive.

Recommandation n° 15 : Permettre la délivrance d’un titre de séjour temporaire mention « vie privée et familiale » d’une durée de trois mois, renouvelable jusqu’à un an, aux personnes prostituées victimes de la traite ou du proxénétisme engagées dans un processus de sortie de la prostitution, dans le cadre d’un contrat lui ouvrant l’accès à un dispositif d’accompagnement mené par une association habilitée à cette fin par l’autorité administrative.

Recommandation n° 16 : Permettre aux victimes de la traite et du proxénétisme de se domicilier auprès d’une association ou de leur avocat pour leurs démarches administratives.

Recommandation n° 17 : Abaisser le coût de la première demande de délivrance de la carte de séjour temporaire pour les victimes de la traite des êtres humains au droit de timbre minimal soit 19 euros.

Recommandation n° 18 : Admettre au bénéfice de l’allocation temporaire d’attente les étrangers/ères victimes du proxénétisme ou de la traite qui s’engagent par contrat tripartite dans le « parcours de sortie » de la prostitution et bénéficient d’un titre de séjour dans ce cadre ;

Recommandation n° 19 : Expérimenter un dispositif associant formation professionnelle et octroi d’une bourse pour les personnes engagées dans le parcours de sortie et dans un processus d’insertion professionnelle.

Recommandation n° 20 : Sensibiliser les agents de Pôle emploi et les services d’insertion quant aux difficultés des parcours d’insertion des personnes prostituées.

Recommandation n° 21 : Impliquer les missions locales dans les commissions départementales de lutte contre les violences et les sous-commissions de lutte contre la prostitution, et leur permettre ainsi d’y participer et de porter des actions entrant dans le cadre de cette thématique, dans l’objectif de permettre un suivi et une prévention des pratiques prostitutionnelles chez les jeunes.

Recommandation n° 22°: Développer le dispositif « Garantie jeunes »et prévoir une sensibilisation des bénéficiaires à l’éducation à l’égalité de genre et à la sexualité, incluant la question de la prévention de la prostitution (pratique et recours).

Recommandation n° 23 : Étendre le dispositif de l’Ac.Sé, destiné aux victimes de la traite des êtres humains, aux personnes victimes de proxénétisme.

Recommandation n° 24 : Consacrer les crédits accrus aux associations pour soutenir durablement les actions d’accompagnement et à la mise en œuvre du parcours de sortie de la prostitution d’une part, et aux actions de formations des services de l’État d’autre part.

Recommandation n° 25 : Définir avec les associations des actions « parcours de sortie de la prostitution » et renforcer leur présence sur les lieux de prostitution (aussi bien les lieux traditionnels que les sites Internet susceptibles d’abriter une activité prostitutionnelle) pour tendre vers l’objectif d’une file active cumulée des associations équivalentes au nombre de personnes se prostituant en France.

Recommandation n° 26 : Créer un fonds de concours ou une attribution de produits recevant une partie du produit des saisies réalisées sur les avoirs des personnes condamnées pour traite et proxénétisme, afin de contribuer au financement des actions d’accompagnement des personnes issues de la prostitution.

Recommandation n° 27 : Assurer aux personnes prostituées des places d’hébergement dans le cadre de l’engagement pris par le Président de la République de réserver aux femmes victimes de violences un tiers des nouvelles places d’hébergement d’urgence d’ici 2017.

Recommandation n° 28 : Améliorer le dispositif d’hébergement et de logement des personnes prostituées et des victimes de la traite en indiquant que ces personnes font partie des publics prioritaires pour l’accession au logement social.

Recommandation n° 29 : Admettre les associations constituées pour l’aide et l’accompagnement des personnes prostituées, habilitées par l’autorité administrative, à conclure une convention avec l’État pour bénéficier d’une aide pour loger, à titre transitoire, les personnes prostituées qui bénéficient de leur accompagnement.

Recommandation n° 30 : Prendre en compte l’engagement de sortie de la prostitution pour accorder des remises fiscales gracieuses et mieux coordonner les décisions de remise avec les autres acteurs publics et les acteurs associatifs.

Recommandation n° 31 : Transposer les dispositions de la directive européenne du 5 avril 2011 concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes qui n’ont pas à ce jour été introduites dans notre droit et demandant de supprimer toute victimisation supplémentaire des victimes de la traite et de la prostitution. Abroger le délit de racolage prévu par l’article 225-10-1 du code pénal qui sanctionne les personnes prostituées, qu’il convient de protéger plutôt que d’interpeller.

Recommandation n° 32 : Adresser une circulaire aux parquets généraux afin qu’ils informent les directeurs de publication que leur responsabilité pénale est susceptible d’être engagée en cas de publication d’annonces à caractère prostitutionnel et que des poursuites soient, le cas échéant, engagées.

Recommandation n° 33 : Informer les hébergeurs de sites Internet de leur responsabilité pénale au regard des annonces à caractère prostitutionnel qu’ils publient et développer un partenariat avec ces derniers afin de limiter cette pratique.

Recommandation n° 34 : Prévoir un délai de six mois entre la promulgation de la loi pénalisant le recours à la prostitution et l’entrée en vigueur de la loi, afin de mener une campagne nationale d’information et de sensibilisation sur la violence inhérente à la prostitution et au proxénétisme, et leur lien avec la traite des êtres humains.

Recommandation n° 35 : Prévoir des temps de publicité sur les chaînes et radios publiques après la promulgation de la loi pour informer sur les réalités de la prostitution et déconstruire les idées reçues.

Recommandation n° 36 : Inclure, dans l’éducation à la sexualité obligatoirement dispensée dans les établissements scolaires, un volet sur la prévention de la prostitution.

Recommandation n° 37 : Entreprendre une enquête sur l’ampleur de la prostitution impliquant des mineurs et sur l’efficacité des dispositifs de prise en charge de ces mineurs.

Recommandation n° 38 : Former les acteurs éducatifs et sociaux aux réalités de la prostitution, à l’identification des pratiques prostitutionnelles, à la prévention de celles-ci et au recours à la prostitution.

Recommandation n° 39 : Créer une contravention de cinquième classe sanctionnant le recours à la prostitution.

Prévoir que la récidive de la contravention constitue un délit, puni de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende.

Prévoir la création d’une peine complémentaire consistant en un stage de sensibilisation aux conditions d’exercice de la prostitution, sur le modèle des stages de sensibilisation à la sécurité routière ou aux dangers de l’usage des produits stupéfiants.

Recommandation n° 40 : Instaurer une coordination entre les services de police et les associations afin de lier responsabilisation du client et offre d’aide et d’information à la personne prostituée.

COMPTES RENDUS DES AUDITIONS
DE LA COMMISSION SPÉCIALE

Mercredi 30 octobre 2013

— Audition de la Capitaine Karine Béguin, chef du département Investigations sur Internet, de la division de lutte contre la cybercriminalité - Service technique de recherches judiciaires et de documentation (STRJD) 185

— Table ronde réunissant M. Jean-Baptiste Carpentier, directeur de TRACFIN (Service Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins), Mme Corinne Bertoux, commissaire de police, chef de l’OCRTEH (Office central pour la répression de la traite des êtres humains) et M. Yves Charpenel, président de la Fondation Scelles 195

Jeudi 31 octobre 2013

— Table ronde réunissant Mme Franceline Lepany, présidente de l’association Les Amis du Bus des Femmes et Mme France Arnould, directrice, Maîtresse Gilda, porte-parole du STRASS - Syndicat du Travail Sexuel, Mme Cécile Lhuillier, coordinatrice droits sociaux et accès aux soins Act Up, Paris, Mme Irène Aboudaram, coordinatrice du Funambus (Nantes), M. Tim Leicester, coordinateur du Lotus Bus (Paris), Médecins du Monde, et la docteure Françoise Sivignon, vice-présidente de Médecins du Monde 209

— Audition de Mme Laurence Noëlle et de Mme Rozen Hicher, sorties de la prostitution 225

Mardi 5 novembre 2013

— Table ronde sur la prostitution comme violence faite aux femmes réunissant la docteure Emmanuelle Piet, présidente du Collectif féministe contre le viol (CFCV), la docteure Judith Trinquart, médecin légiste, secrétaire générale de l’association Mémoire traumatique et victimologie, Mme Anita Tostivint, conseillère technique, psychologue, Mme Christine Passagne, conseillère technique, juriste, Centre national d’information des droits des femmes et de la famille (CNIDFF), et Mme Claire Quidet, porte-parole de l’association Mouvement du Nid représentant le collectif Abolition 2012 233

— Audition de Mme Lise Tamm, procureure au Parquet de Stockholm 249

Mercredi 6 novembre 2013

— Table ronde réunissant M. Grégoire Théry, secrétaire général de l’association Mouvement du Nid, Mme Geneviève Duché, présidente de l’association l’Amicale du Nid, Mme Agnès Bonneau, responsable de l’établissement de l’Amicale du Nid à Grenoble et Mme Hélène de Rugy, déléguée générale 257

— Audition de Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes 269

— Table ronde sur l’éducation à la prévention de la prostitution réunissant Mme Sonia Lebreuilly, chargée de mission Égalité-Discriminations, socio-sexologue (Mairie des Ulis), Mme Sophie Avarguez, maîtresse de conférences, chercheuse à l’Institut des Méditerranées, Mme Aude Harlé, maîtresse de conférence, chercheuse à l’Institut des Méditerranées 279

— Audition de Mme Danielle Bousquet, présidente du Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes 287

Mercredi 13 novembre 2013

— Audition de Mme Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales et de la santé 295

— Audition de Mme Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la Justice 305

Jeudi 14 novembre 2013

— Audition de M. Manuel Valls, ministre de l’Intérieur 311

Audition de la Capitaine Karine Béguin, chef du département Investigations sur Internet, de la division de lutte contre la cybercriminalité - Service technique de recherches judiciaires et de documentation (STRJD)

(extrait du procès-verbal de la séance du 30 octobre 2013)

M. Pierre Aylagas, député. Mes chers collègues, nous sommes heureux d’accueillir aujourd’hui Mme la capitaine Karine Béguin, chef du département Investigations sur Internet de la division de lutte contre la cybercriminalité de la gendarmerie nationale.

La cybercriminalité est un sujet qui dépasse nos frontières, la plupart des sites Internet étant hébergés à l’étranger.

La lutte contre la cyberprostitution impose des moyens d’investigations appelés à évoluer en permanence pour s’adapter aux formes nouvelles que prend sans cesse la prostitution, par exemple l’escorting.

La Délégation aux droits des femmes s’est récemment penchée sur la question, dans un rapport d’information sur le renforcement de la lutte contre le système prostitutionnel. Sa rapporteure était Mme Olivier, qui va certainement y revenir maintenant.

Mme Maud Olivier, rapporteure. En effet, notre rapport d’information traite, notamment, de la lutte contre le proxénétisme et la traite des êtres humains.

À cet égard, nous souhaitons vous entendre sur le rôle que vous jouez dans la lutte contre la cybercriminalité et le démantèlement des réseaux de proxénétisme. Quels sont vos partenaires ? Combien de réseaux ont été démantelés au cours des dernières années ? Pouvez-vous chiffrer le nombre de réseaux existants ?

Mme la capitaine Karine Béguin, chef du département Investigations sur Internet de la division de lutte contre la cybercriminalité – Service technique de recherches judiciaires et de documentation (STRJD). À mon niveau, je ne connais pas le nombre de réseaux démantelés.

Depuis plusieurs années, mon département lutte activement contre le proxénétisme et la traite des êtres humains via Internet. Pour ce faire, mes personnels surveillent la Toile 24 heures sur 24 afin d’y détecter toutes les infractions qui peuvent s’y commettre en la matière.

Dans cette traque sur Internet, l’arsenal législatif actuel nous semble suffisant pour rechercher les auteurs d’infraction. Il s’agit, d’une part, notamment des articles 225-6 et 225-7 du code pénal. Il s’agit, d’autre part, de l’article 706-35-1 du code de procédure pénale qui permet de mener des enquêtes sous pseudonyme afin de remonter jusqu’aux proxénètes.

Mme Maud Olivier, rapporteure. Votre champ de responsabilité se cantonne-t-il au territoire national ?

Mme la capitaine Karine Béguin. Le droit français s’applique à la France. Néanmoins, un site hébergé à l’étranger ne signifie pas forcément que le titulaire du site ne se trouve pas sur le territoire français. Si le site Internet est visible de la France, nous pouvons investiguer.

Dans le cas où les éléments d’identification nous indiquent que le titulaire du site est à l’étranger, nous transmettons les renseignements aux autorités étrangères par les canaux officiels de correspondance.

Mme Maud Olivier, rapporteure. Dans ce cas, les pays hébergeant ces sites et dont la législation est différente de la nôtre sont-ils coopératifs ? Quelles réponses apportent-ils à ces transmissions de renseignements ?

Mme la capitaine Karine Béguin. Nous ne connaissons pas les suites données à ces transmissions de renseignements ou de procédures.

Mme Maud Olivier, rapporteure. Comment parvenir à une harmonisation des législations et faire en sorte que les pays hébergeant ces sites se montrent coopératifs avec la France ?

Mme la capitaine Karine Béguin. Il est très difficile d’obliger un pays qui n’a pas la même législation que la France de décider de la fermeture de tel ou tel site Internet.

Par contre, la France peut décider le blocage des sites de référencement de proxénétisme et de traite des êtres humains afin qu’ils ne soient plus visibles par les fournisseurs d’accès français.

Mme Maud Olivier, rapporteure. De quelle manière ces sites pourraient-ils être bloqués ?

Mme la capitaine Karine Béguin. Nous attendons la publication du décret d’application sur la fermeture des sites pédopornographiques en France par les fournisseurs d’accès. De la même manière, pour les sites de proxénétisme, le blocage des sites par nom de domaine (DNS) pourrait être décidé à la suite du signalement d’une entité administrative. Cette mesure engendrerait bien évidemment des coûts pour les fournisseurs d’accès.

Mme Maud Olivier, rapporteure. Avez-vous une idée du nombre de sites Internet qui proposent ce type de services sexuels tarifés ? Ce nombre a-t-il augmenté de façon significative ces dix dernières années ?

Mme la capitaine Karine Béguin. À la faveur de la démocratisation d’Internet – tous les foyers sont connectés aujourd’hui –, les réseaux ont trouvé un nouveau moyen de communication pour leur commerce. Depuis les années 2000-2003, nous constatons en effet une hausse du nombre de sites de prostitution. Pour autant, il est très difficile de l’évaluer car un site peut disparaître en quelques secondes, puis réapparaître quelque temps plus tard. Ainsi, même si nous savons qu’il existe énormément de sites de référencement de prostituées sur Internet en France et à l’étranger, ils ne sont pas quantifiables.

Mme Sandrine Mazetier. Madame la capitaine, vous êtes rattachée à la gendarmerie nationale. Où sont basés vos personnels ?

Mme la capitaine Karine Béguin. Nous sommes installés au Fort de Rosny-sous-Bois, au sein du pôle judiciaire de la gendarmerie nationale, lequel comporte deux services, dont la division de lutte contre la cybercriminalité.

Mme Sandrine Mazetier. Je suis rapporteure spéciale de la mission « sécurité ». J’ai visité il y a six mois le Fort de Rosny-sous-Bois où j’ai rencontré les équipes de lutte contre la cybercriminalité. Pour ce qui concerne la pédopornographie, ces dernières étaient plutôt demandeuses d’évolutions législatives, en particulier de techniques spéciales d’enquête comme l’utilisation de pseudonymes ou la dissimulation de leur identité afin de pouvoir appréhender plus facilement les pédophiles qui sévissent sur les réseaux.

Vous nous indiquez que, pour le système prostitutionnel, l’arsenal législatif vous semble suffisant. Cela me semble contradictoire avec ce qui m’a été dit. L’arsenal est-il différent ?

Mme la capitaine Karine Béguin. En matière de pédopornographie, les enquêteurs, qui sont formés et habilités, peuvent enquêter sous pseudonyme en se faisant passer soit pour un pédophile, soit pour un(e) mineur(e) afin d’entrer en contact avec un prédateur sexuel.

Cette technique de l’enquête sous pseudonyme est également utilisée en matière de proxénétisme et de traite des êtres humains. Elle facilite considérablement la tâche de nos enquêteurs.

Ainsi, l’enquête sous pseudonyme sur Internet est une avancée majeure pour nous. Elle gagnerait à être étendue à toutes les infractions qui sont commises via Internet, que ce soit l’escroquerie, la contrefaçon ou les dérives sectaires.

Mme Sandrine Mazetier. Si j’ai bien compris, le cadre législatif actuel sur les techniques d’infiltration vous paraît suffisant au niveau strictement national.

Mme la capitaine Karine Béguin. Oui.

M. Patrice Martin-Lalande. On entend régulièrement sur les radios des messages invitant à composer tel ou tel numéro pour se voir proposer des rencontres entre personnes consentantes… La police ou la gendarmerie mènent-elles systématiquement des enquêtes en la matière afin de vérifier qu’il ne s’agit pas d’un réseau de prostitution ou de proxénétisme ?

La proposition de loi « renforçant le la lutte contre le système prostitutionnel » vous paraît-elle devoir être précisée ? Si oui, sur quels points ?

Mme la capitaine Karine Béguin. À ma connaissance, il n’y a pas de vérification systématique. Mon département est compétent dans le domaine de la cybercriminalité : s’agissant des publicités sur les radios, nous ne pouvons pas composer chaque numéro pour vérifier la réalité d’une prestation sexuelle avec rémunération. Au demeurant, en matière d’investigation sous pseudonyme, il faut être vigilant à ne pas provoquer à la commission de l’infraction – ce n’est pas à nous d’entrer en contact avec un individu, mais à celui-ci d’entrer en contact avec nous –, faute de quoi notre procédure serait cassée devant les tribunaux.

Concernant la proposition de loi sur laquelle vous aurez à vous prononcer, je crois que la gendarmerie et la police en ont été destinataires et y ont apporté les contributions qu’elles ont jugées utiles. À mon niveau, je n’ai pas à me positionner sur les propositions de ma direction.

Mme Sylvie Tolmont. Pouvez-vous nous parler des collaborations entre les services de police judiciaire français et ceux des autres pays européens ?

Que pensez-vous de la criminalisation des sites incitant à la haine sexiste ?

Mme la capitaine Karine Béguin. Une infraction poursuivie sur le territoire français ne l’est pas forcément à l’étranger. Chacun pays applique sa propre législation. Néanmoins, nous travaillons de façon positive avec nos homologues étrangers. Des réunions au niveau d’Europol, voire d’Interpol, permettent l’échange de renseignements. À mon niveau, je ne vois pas de problématique particulière sur la transmission d’informations entre pays.

S’agissant de votre seconde question, je ne peux me positionner à l’heure actuelle, n’ayant pas encore examiné ce dossier.

M. Guénhaël Huet. Quelles sont les relations entre le service que vous dirigez et les services de la gendarmerie nationale qui travaillent sur le terrain ? Autrement dit, existe-t-il un lien entre la prostitution via Internet et la prostitution classique ?

Certes, il vous est difficile, et votre réponse à M. Martin-Lalande vous honore, de porter un jugement de valeur sur une proposition de loi. Néanmoins, d’un point de vue purement technique, pensez-vous que des sanctions contre les clients de réseaux de prostitution sur Internet seraient efficaces ?

Mme la capitaine Karine Béguin. Les unités de la gendarmerie locale peuvent démanteler des réseaux de proxénétisme dans le milieu réel. Dans ce cas, toutes les informations collectées dans le cadre de procédures remontent au niveau central et sont transmises à mon service. Nous avons déjà constaté des liens entre des réseaux de proxénétisme dans le domaine réel et des réseaux de proxénétisme dans le domaine virtuel. Comme je l’ai souligné, Internet facilite les communications entre internautes, c’est-à-dire la mise en relation entre un(e) prostitué(e) et un(e) client(e).

Techniquement, au niveau de mon service, remonter sur un client passant par Internet est impossible – sauf à le faire par le biais de la prostituée, ce que nous ne pourrons jamais faire si le délit de racolage est supprimé.

Mme Marie-Hélène Fabre. L’argument selon lequel l’abolition de la prostitution sur les routes et dans les villes entraînera un report de la prostitution par Internet vous paraît-il plausible ?

Mme la capitaine Karine Béguin. Tout est possible : il se peut que certaines personnes se tournent effectivement vers Internet, qui garantit l’anonymat. Mais nous n’avons pas assez de recul à l’heure actuelle pour l’affirmer.

Mme Maud Olivier, rapporteure. En Suède, la technique de l’enquête sous pseudonyme permet à l’enquêteur de se faire passer pour un client afin de remonter à la personne qui offre des services sexuels. Ainsi, il peut se rendre à un rendez-vous afin d’interpeller les clients potentiels qui auraient aussi répondu à l’annonce. Cela vous semble-t-il possible en France ?

Mme la capitaine Karine Béguin. Dans le cadre de nos enquêtes sous pseudonyme, nous pouvons nous faire passer pour un client ou pour un ou une prostituée afin d’obtenir des éléments d’identification sur le titulaire du site, voire sur la tête du réseau de proxénétisme.

Par contre, même si un enquêteur se fait passer pour un client et que nous avons accès à des informations sur le titulaire du site auquel s’appliquent les articles 225-6 et suivants du code pénal, nous ne pourrons pas remonter sur les clients du site. Nous pourrions le faire par le biais de la prostituée en la mettant sous écoute téléphonique, mais dans ce cas-là, le délit de racolage ne devrait pas être supprimé.

D’autre part, l’officier de police judiciaire doit constater les faits, c’est-à-dire l’acte sexuel tarifé, avant d’entamer une procédure judiciaire à l’encontre du client.

Mme Maud Olivier, rapporteure. Il s’agirait, grâce à une procédure de surveillance, d’identifier la personne qui offre des services, puis d’interpeller le client sur le lieu de la transaction. D’autres pays le font.

Mme la capitaine Karine Béguin. Il faudrait que nous nous intéressions à la personne prostituée. Or, actuellement, dans le cadre de l’enquête sous pseudonyme, nous nous intéressons plus au proxénète qu’à la victime. Certes, nous pourrions remonter de la prostituée vers le client, mais il faudra alors que l’encadrement législatif nous le permette.

Mme Marie-Louise Fort. En lisant l’article 16 de la proposition de loi, je me pose la question : comment distinguerez-vous entre les personnes qui sollicitent réellement des relations sexuelles rémunérées et celles qui ne font que se promener sur les sites concernés ?

Mme la capitaine Karine Béguin. Le libellé de l’article 16 ne permettra pas de faire quoi que ce soit contre le client sur Internet, car on ne peut pas identifier la personne qui contacte une prostituée par téléphone ou par mail pour lui proposer des actes sexuels rémunérés. Les échanges d’appels téléphoniques et de mails qui suivent l’annonce relèvent en effet de la correspondance privée.

Mme Marie-Louise Fort. C’est donc un moyen de contourner la loi.

Mme la capitaine Karine Béguin. Je vous laisse le soin d’interpréter.

Mme Marie-Louise Fort. Si l’on ne peut pas remonter au client, cela signifie que le fait de « solliciter » des actes sexuels rémunérés ne peut être retenu.

Mme la capitaine Karine Béguin. Sur Internet, en effet.

M. Charles de Courson. Quelles relations y a-t-il entre la prostitution et les sites de rencontre ?

Par ailleurs, de quels outils disposez-vous pour lutter contre la prostitution à domicile ? Comment, par exemple, la gendarmerie peut-elle établir l’infraction ?

En troisième lieu, le texte de l’article 16 de la proposition de loi pose plusieurs problèmes. En particulier avez-vous rencontré des cas où la « rémunération » était dissimulée sous la forme d’un cadeau – qui n’est pas encore interdit ? Où se situe la limite ?

Enfin, la notion de « sollicitation » ne risque-t-elle pas de soulever un important problème formel – problème de preuve, voire constitutionnel ? De fait, la rédaction de l’article ne laisse-t-elle pas penser qu’on pourrait sanctionner quelqu’un sur une simple intention ?

Mme la capitaine Karine Béguin. Nous établissons un distinguo entre les sites de référencement de prostitution et les sites de rencontres en fonction des annonces qui y figurent. Un site de référencement d’escorts affichant des annonces anodines telles que : « J’accompagne pour un dîner », sans mention de prestation sexuelle contre rémunération, ne peut être considéré comme de la prostitution, ni le prestataire de ce site comme un proxénète. En revanche, dès lors que les annonces ou les fiches descriptives de l’escort proposent des actes sexuels contre rémunération, cela tombe sous le coup de la loi et nous approfondissions nos investigations pour remonter jusqu’à la personne qui récupère les subsides de la prostitution, c’est-à-dire celle qui met en ligne ces petites annonces – le titulaire du site, voire d’autres personnes impliquées.

M. Charles de Courson. Certains sites de rencontre sont un préalable à la prostitution. Un de mes collaborateurs m’a montré un tel site – d’un niveau effarant –, où l’on voit bien que les noms de code dissimulent des personnes qui se fixent des rendez-vous et que cela peut-être le début d’une relation tarifée qui, bien évidemment, n’apparaît pas sur le site. Vous intéressez-vous à ces situations ?

Mme la capitaine Karine Béguin. Les enquêtes sous pseudonyme sont très encadrées juridiquement et se limitent au proxénétisme et à la traite d’êtres humains. En l’absence de faits réels sur le réseau Internet, la suspicion que peut parfois susciter la visite d’un site de rencontres ne suffit pas pour ouvrir une enquête judiciaire. Il faut pour cela des éléments solides démontrant que nous nous situons dans le cadre du proxénétisme ou de la traite d’êtres humains. Les échanges auxquels donnent lieu les sites de rencontres sont le plus souvent des échanges privés, par mail ou téléphone, et les enquêteurs que nous sommes n’ont en aucun cas le droit, sauf autorisation ou procédure particulière, de s’immiscer dans une correspondance privée. Si donc les fiches et renseignements mis en ligne par les protagonistes sur un site de rencontre ne caractérisent pas le proxénétisme, nous ne pouvons pas engager une enquête sous pseudonyme pour remonter vers un réseau.

M. Charles de Courson. Avez-vous le droit de mandater un gendarme pour entrer sur un site de rencontres en se présentant comme un usager ordinaire et pour prendre sur le fait les personnes cherchant à se prostituer ?

Mme la capitaine Karine Béguin. Si nous disposons d’éléments permettant de remonter vers un réseau, nous pouvons en effet nous faire passer pour un client entrant en contact avec une prostituée ou un prostitué pour aller plus avant. La disparition du délit de racolage pose cependant problème. En outre, nous n’avons pas les moyens de payer.

Devons-nous nous attaquer à la prostituée, ou au proxénète ? Dans le cas que vous envisagez, en effet, il faudrait commencer par placer la prostituée en garde à vue pour obtenir des éléments sur un éventuel réseau de proxénètes et remonter vers son proxénète. La question est de savoir si la loi permet, au titre du délit de racolage, de procéder ainsi.

M. Charles de Courson. Votre hiérarchie nous a expliqué à plusieurs reprises que vous n’aviez pas le droit de tendre des pièges et qu’une telle démarche serait cassée par le premier juge venu. Est-ce vrai ? Si c’est le cas, il faut compléter la proposition de loi en permettant à la police ou à la gendarmerie, dans le cadre de la lutte contre la cybercriminalité, de pénétrer les réseaux et de tendre des pièges.

Mme la capitaine Karine Béguin. La loi est claire : la provocation n’est pas autorisée. On peut toutefois entrer dans le réseau et attendre d’être contacté, ou envoyer un message très anodin et attendre une réponse. Les personnes procédant à des enquêtes sous pseudonyme sont habilitées et formées, puis appliquent une technique de mise en relation. Il me semble cependant qu’il sera très difficile de remonter sur un réseau de proxénétisme via des sites de rencontres qui ont pignon sur rue.

M. Charles de Courson. De quels outils disposez-vous pour démanteler les réseaux de prostitution à domicile, qui rabattent les clients par voie téléphonique ou par le biais de sites ?

Mme la capitaine Karine Béguin. Nous ne faisons pas de distinguo entre les réseaux de prostitution à domicile et les autres dès lors que c’est l’Internet qui permet la mise en contact. Si donc les éléments apparaissant sur Internet le permettent, nous pouvons remonter vers ces réseaux et les démanteler ; les unités de gendarmerie qui reprendront le dossier sur le terrain pourront alors être à même de contrer le réseau de prostitution et d’y mettre fin.

Les sites de référencement et les sites d’annonces en tout genre renvoient parfois à des sites de jeunes femmes ou de jeunes hommes qui se prostituent contre rémunération. Il s’agit alors bien de prostitution à domicile, mais l’arsenal juridique en matière d’enquêtes sous pseudonyme ne nous permettra pas de remonter vers les réseaux, car nous devrons toujours le faire via la prostituée.

Mme Kheira Bouziane. Comment sont organisés vos services sur le territoire national ? Quelle appréciation pouvez-vous porter sur les moyens dont vous disposez, en termes tant de matériel que de formation ? Quels seraient les moyens qui vous permettraient d’être plus efficaces ?

Mme la capitaine Karine Béguin. Au niveau central, où j’interviens, une trentaine de personnels sont chargés de la cybercriminalité. Nous disposons d’environ 250 enquêteurs formés aux nouvelles technologies, qui peuvent procéder à des enquêtes sur le réseau Internet et dont certains sont désignés pour réaliser des enquêtes sous pseudonyme. Certains de ces enquêteurs peuvent en particulier, s’ils ont été formés et habilités par la Cour d’appel de Paris, faire de telles enquêtes dans le domaine du proxénétisme et de la traite d’êtres humains.

En matière de formation, la gendarmerie est associée avec une université. À l’issue de tests, les personnels concernés suivent une scolarité d’un an dans le domaine des nouvelles technologies pour devenir enquêteurs dans cette matière. Ils sont alors autonomes et leur intervention va de l’enquête judiciaire à l’expertise ou à l’analyse d’une machine saisie lors d’une perquisition.

Au-delà de ces 250 enquêteurs en nouvelles technologies, nous disposons de correspondants en nouvelles technologies et d’assistants pouvant apporter leur concours à ces enquêteurs. Ce maillage national autour d’un service central permet à la gendarmerie d’intervenir dans toutes les régions de France en matière de lutte contre la cybercriminalité.

Mme Michèle Fournier-Armand. Vous avez déjà répondu en partie à ma première question, qui était de savoir combien d’enquêteurs étaient exclusivement affectés à la recherche de réseaux de prostitution.

Par ailleurs, suivez-vous automatiquement les annonces explicites de prostitution ou recherchez-vous l’existence de réseaux sur la base de soupçons suscités par des actions sur le terrain ?

Mme la capitaine Karine Béguin. Une trentaine d’enquêteurs sont dévolus à la surveillance du réseau Internet – qui ne se limite pas aux réseaux de proxénétisme ou de traite des êtres humains. Nous gérons en effet l’ensemble du panel d’infractions que l’on peut rencontrer sur Internet, comme la pédopornographie, les atteintes à un système de traitement automatisé de données, les escroqueries, la contrefaçon, la discrimination…

Pour répondre à votre deuxième question, deux modes de fonctionnement sont possibles. Le premier consiste à surveiller automatiquement le réseau Internet – nous travaillons alors sur initiative. Le maillage gendarmerie nous permet par ailleurs de récolter des informations pertinentes grâce auxquelles nous procédons à des recoupements – c’est alors un travail sur renseignement.

M. Patrice Martin-Lalande. À défaut de pouvoir nous donner votre point de vue technique sur la proposition de loi, pourriez-vous au moins nous indiquer les éléments qui, dans d’autres législations, donnent un avantage à vos collègues de l’étranger en matière de lutte contre la prostitution et le proxénétisme et que vous souhaiteriez voir figurer dans la loi française ?

J’espère par ailleurs, monsieur le président, que les supérieurs hiérarchiques du capitaine Béguin nous feront connaître assez rapidement leur point de vue, afin d’éclairer nos débats.

Mme la capitaine Karine Béguin. Comme je l’ai indiqué, nous disposons actuellement de l’arsenal législatif nécessaire en matière de lutte contre le proxénétisme et la traite des êtres humains sur Internet. Il nous faut par ailleurs respecter l’obligation de non-provocation inscrite dans le droit français. Peut-être un temps de réflexion serait-il utile pour voir s’il est possible d’ajouter à la législation des éléments qui nous permettraient d’aller plus loin dans nos investigations sur Internet.

M. Patrice Martin-Lalande. Pardonnez-moi d’insister : est-ce donc à dire que vous ne voyez pas dans les législations étrangères de procédures ou de dispositifs techniques qu’il vous semblerait souhaitable d’adopter en France ?

Mme Kheira Bouziane. Sans aller jusque-là, avez-vous connaissance d’autres méthodes ayant cours à l’étranger dans ce domaine ?

Mme la capitaine Karine Béguin. Non. Je ne connais pas les méthodes utilisées par mes homologues étrangers, il est vraisemblable que chaque pays a les siennes. L’arsenal dont nous disposons en France me paraît cohérent en matière de lutte contre le proxénétisme et la traite des êtres humains sur Internet, grâce notamment aux enquêtes sous pseudonyme. L’article 225-6 du code pénal, qui évoque l’« intermédiaire », et non pas le « proxénète », permet de poursuivre la personne qui assure simplement une mise en relation par le biais d’un site de référencement. L’article 225-7 aggrave les peines lorsqu’un réseau de télécommunications est utilisé – en l’espèce, il s’agit d’Internet.

Mme Marie-Louise Fort. La proposition de loi cherche à lutter contre la prostitution, en épargnant les prostituées. Or, je me demande si, dans le cadre de leurs investigations, vos services ne sont pas conduits, compte tenu des contraintes d’Internet, à s’intéresser davantage aux personnes prostituées qu’aux clients ou aux proxénètes.

Mme la capitaine Karine Béguin. Non. Si nous découvrons un site de référencement explicite – certains comptent plus de 1 000 fiches d’escorts, dont certaines proposent des prestations sexuelles –, nous n’engageons pas de procédures contre ces personnes. Ce qui nous intéresse, c’est le titulaire du site, la personne qui met ces fiches en ligne et récupère les subsides de la prostitution. Ce ne sont pas les personnes prostituées que nous visons.

Mme la rapporteure. Dans les régions proches de la frontière de l’Espagne, les journaux français contiennent de la publicité pour les lieux bien connus de La Jonquera, village espagnol essentiellement constitué de boîtes de nuit qu’on pourrait appeler des bordels. Ces publicités pour des activités notoires, qui gênent un grand nombre de nos concitoyens, tombent-elles sous le coup de la loi française ?

Je précise par ailleurs, en réponse à la question de M. de Courson, que la pénalisation du fait de solliciter une relation sexuelle existe déjà pour les mineurs et les personnes vulnérables. La proposition de loi ne fait que transposer aux personnes prostituées majeures ce qui est déjà applicable aux mineurs.

Mme la capitaine Karine Béguin. Selon moi, les publicités paraissant dans un journal français pour des établissements situés hors du territoire national n’ont jamais donné lieu à des poursuites à l’encontre du responsable du journal en tant qu’intermédiaire mettant en relation une prostituée et des clients. La question pourrait être posée à la hiérarchie de la police et de la gendarmerie.

Mme la rapporteure. Cela ne serait-il pas contraire à notre législation ?

Mme la capitaine Karine Béguin. La question est de savoir si l’article de la loi permet de considérer le gérant du journal comme un intermédiaire.

M. Pierre Aylagas, député Mon capitaine, je vous remercie de vos réponses.

Table ronde réunissant M. Jean-Baptiste Carpentier, directeur de TRACFIN (Service Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins), Mme Corinne Bertoux, commissaire de police, chef de l’OCRTEH (Office central pour la répression de la traite des êtres humains) et M. Yves Charpenel, président de la Fondation Scelles)

(extrait du procès-verbal de la séance du 30 octobre 2013)

M. le président Guy Geoffroy. Nous accueillons dans le cadre d’une table ronde M. Jean-Marie Carpentier, directeur du service de traitement du renseignement et d’action contre les circuits financiers clandestins (TRACFIN), Mme Corinne Bertoux, commissaire de police, chef de l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH) et M. Yves Charpenel, président de la fondation Scelles, mais aussi avocat général à la Cour de cassation.

La Commission spéciale qui vous auditionne, madame, messieurs, a été installée hier et elle doit examiner une proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel. Ce texte fait suite aux travaux menés sous la précédente législature par une mission d’information de la commission des Lois sur la prostitution, qui avait abouti au vote, à l’unanimité, d’une résolution réaffirmant la position abolitionniste de la France en matière de prostitution, et à une proposition de loi que celle que nous devons examiner approfondit et actualise à la lumière de la contribution décisive de la délégation aux droits des femmes et de sa rapporteure Maud Olivier, qui est aussi rapporteure de notre commission spéciale.

Avec vous, nous souhaitons, d’abord, recueillir le maximum de renseignements sur l’ampleur du phénomène, dont on sait qu’il a changé de volume, de forme et de cadre. Nous cherchons aussi à connaître les évolutions qu’ont connues les réseaux de proxénétisme et les méthodes pour les démanteler. Enfin, nous cherchons à cerner le plus précisément possible les profits tirés de la prostitution et les circuits de blanchiment qui sont utilisés.

Mme Corinne Bertoux, commissaire de police, chef de l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH). Monsieur le président, l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains dépend de la sous-direction de la lutte contre la criminalité organisée et la délinquance financière, elle-même rattachée à la direction centrale de la police judiciaire du ministère de l’intérieur. Cet office, à la tête duquel j’ai été nommée récemment, est chargé de coordonner au niveau national les investigations judiciaires en matière de lutte contre le proxénétisme et la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle, en partenariat avec les services d’investigation de l’ensemble du territoire, de la police et de la gendarmerie nationales.

Depuis une vingtaine d’années, une dizaine d’années surtout, la prostitution s’est transformée en apparence. Traditionnellement visible sur la voie publique, aux mains de clans ou de familles d’origine française ou européenne, de taille relativement réduite, faisant appel à des ressortissantes françaises ou européennes, elle a pris petit à petit la forme de réseaux organisés dont les victimes recensées sont à 80 % d’origine étrangère. Le phénomène s’est aggravé sous la pression des problèmes économiques rencontrés par certains pays au moment même où les transports, et donc la circulation des personnes, étaient facilités et les frontières plus faciles à passer. Parallèlement, on assiste à une nette recrudescence de la prostitution via Internet sous deux formes distinctes. D’une part, les réseaux classiques de prostitution de luxe en provenance de l’Est – Russie ou Bulgarie – organisent en quelque sorte des city tours avec des victimes qu’ils recrutent dans leur pays, avec ou sans violence. Elles vont de ville en ville, d’hôtel en hôtel, avant de repartir avec l’argent gagné. D’autre part, les petites annonces sur Internet sont utilisées par les réseaux organisés, qu’ils soient d’origine roumaine, bulgare, nigériane, africaine ou brésilienne. Bien sûr, les femmes sont visées plus particulièrement mais des hommes sont aussi concernés. Par ailleurs, autrefois concentrés surtout en région parisienne, les réseaux criminels étendent désormais leur emprise sur les grandes villes, et même les villes moyennes.

M. le président Guy Geoffroy. Comment les réseaux se créent-ils et quelle est la stratégie suivie dans les différents pays européens pour les démanteler ?

M. Yves Charpenel, président de la fondation Scelles. Notre fondation, qui exerce depuis vingt ans une veille documentaire sur l’exploitation sexuelle, corrobore la description qui vient d’en être faite et insiste sur le changement radical que constitue l’étonnante mobilité des réseaux. Je suis président de la fondation Scelles et j’interviens aussi comme expert auprès des organisations internationales en matière de crime organisé, lequel ne peut plus être dissocié de la traite des êtres humains. La Fondation publie tous les ans un rapport sur l’état des lieux qui illustre deux évolutions majeures : l’internationalisation de la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle et le recours accru aux technologies de l’information à la fois pour le démarchage, l’approvisionnement et le blanchiment. Selon l’estimation de l’ONU, il s’agit de la deuxième activité la plus rentable du crime organisé.

Aujourd’hui, les réseaux sont majoritaires dans « l’offre » de prostitution qui se déploie sur le territoire national. La soixantaine de réseaux mis à jour tous les ans révèle une origine très diversifiée, prostituant surtout de jeunes femmes étrangères en situation irrégulière, provenant des pays les plus vulnérables. Si tant est qu’une estimation soit possible, les profits sont en constante augmentation tout simplement parce que le « produit » ou la « marchandise », selon la terminologie des réseaux eux-mêmes, se renouvelle facilement et profite à plein de la libre circulation des personnes. Nos associations reçoivent quelques victimes des réseaux faisant l’objet d’un traitement judiciaire et pas plus d’une sur cent ira au bout d’une action judiciaire. Les dossiers sont complexes car toujours transnationaux et le traitement financier mériterait d’être développé. La proposition de loi va utilement dans ce sens.

Je suis, avec Mme Bertoux, chargé d’un programme de renforcement de l’action des autorités roumaines et françaises contre des réseaux dont les victimes sont des Roms. Même entre deux pays appartenant à une même communauté politique – l’Europe –, on mesure la difficulté qu’il y a à s’attaquer à des organisations extrêmement structurées, qui nouent des accords entre elles. Ainsi, le Bois de Boulogne est devenu le champ d’accords commerciaux entre des groupes roumains qui, ici, vendent des jeunes garçons équatoriens, là, des mineures bulgares ou des Roumaines majeures, selon un schéma bien établi en vue d’une optimisation des profits. Tant qu’on ne s’attaquera pas efficacement à ces profits illicites, tous les dispositifs de prévention, d’accompagnement des victimes – assurément un de nos points faibles aujourd’hui – risquent d’être vains. À cet égard, il faut savoir que le dispositif national d’aide aux victimes est en place en Roumanie. Bien qu’il soit perfectible, il existe et il est en avance par rapport au nôtre, que nous espérons voir concrétisé grâce à votre proposition de loi.

Tant qu’on n’arrivera pas à sécuriser les victimes, on n’aura pas d’informations utiles sur les réseaux. Tant qu’on n’aura pas sensibilisé les clients, on ne découragera pas non plus l’offre. Tant qu’on n’aura pas condamné sévèrement des acteurs de réseau – jugés en moyenne quatre ans après leur interpellation, avec les problèmes que cela induit en termes de coûts et de stratégie de procédure – et incité les procureurs à avoir une politique pénale cohérente sur tout le territoire, on ne gagnera pas en efficacité. Les réseaux que je décris sont, dans des proportions variables, roumains, bulgares, nigérians, chinois et brésiliens. Cette énumération vous donne une idée de la difficulté des procédures judiciaires. Dans le rapport que nous publierons début décembre, j’ai analysé les soixante réseaux qui ont été démantelés et montré la diversité étonnante des pratiques et des réponses judiciaires.

Ce qu’il faut, c’est mieux connaître la réalité – c’est l’objet de la coordination nationale créée cette année et dont nous espérons qu’elle prendra son essor – pour mieux la traiter, de façon plus cohérente et homogène. Aujourd’hui, les aléas sont trop nombreux. Vous avez tous en tête, j’imagine, le procès d’un ressortissant bosnien qui, après quatre ans d’enquête, a été condamné par le tribunal de Paris pour avoir exploité plusieurs centaines de mineurs d’origine rom à la fois en les prostituant et en les faisant mendier sur la voie publique. Même si ses profits estimés se montaient à 1,3 million d’euros par an, sa condamnation pécuniaire n’a été que de quelques milliers d’euros.

Il faut mettre à niveau à la fois la détection, le suivi des victimes et la réponse des autorités judiciaires, afin d’offrir une réponse globale. Chaque fois que l’on cible un aspect particulier, les réponses sont insatisfaisantes et le trafic se développe. La morale provisoire que la fondation Scelles tire de ses observations, c’est que le développement de l’exploitation sexuelle organisée et l’insuffisance des obstacles mis sur sa route nous laissent une marge de progression. C’est pourquoi nous soutenons les efforts de cette proposition de loi.

M. le président Guy Geoffroy. Monsieur Carpentier, pourriez-vous mettre l’accent sur, d’une part, l’évolution des profits tirés de l’activité prostitutionnelle, sur les circuits de blanchiment qu’ils suivent, d’autre part, sur les mécanismes de saisie et de confiscation et les montants qu’il est possible d’en attendre ?

M. Jean-Marie Carpentier, directeur du service de traitement du renseignement et d’action contre les circuits financiers clandestins (TRACFIN). Le service que je dirige ayant une vocation généraliste, je suis sûrement le moins compétent ici pour parler de la traite des êtres humains. TRACFIN surveille les flux financiers, et c’est de l’analyse qu’elle en fait qu’elle peut déduire une infraction sous-jacente, qui peut être, parmi d’autres, la traite des êtres humains puisqu’elle est qualifiée comme telle depuis longtemps en droit français. C’est ce qui permet d’engager les procédures liées à la lutte anti-blanchiment.

Dans ce domaine, le premier constat que nous faisons risque de vous décevoir : sur un plan strictement financier, la traite des êtres humains se fait à très bas bruit. Rares sont les dossiers que nous identifions prima facie, c’est-à-dire à notre niveau, TRACFIN étant un service administratif, et non pas un service de police. N’ayant pas de pouvoirs coercitifs, nous ne pouvons mener ni audition ni perquisition. Nous essayons seulement de comprendre et de dresser une cartographie des flux financiers, en quelque sorte de reconstituer un puzzle, dont le nombre de pièces est très variable selon la complexité de l’affaire, à partir de quelques morceaux épars, avec le risque de se tromper. Force est de constater que nous n’identifions pas souvent l’infraction sous-jacente de traite d’êtres humains dont la qualification relève, je le rappelle, du parquet. Nous ne pouvons guère raisonner qu’en termes de probabilités. En tout cas, la traite d’êtres humains est, pour nous du moins, une forme de trafic plus difficile à reconnaître.

Les causes peuvent être multiples, à commencer par une vigilance insuffisante de mon service. Plus généralement, la traite des êtres humains, comme tout ce qui relève de l’économie souterraine, donne lieu surtout à des flux monétaires en liquide, qui ipso facto échappent à nos écrans radars.

J’en profite pour reprendre une ritournelle que je vous ai déjà servie en maintes occasions sur le billet de 500 euros. Il permet la circulation et l’échange massifs d’argent en dehors de tout contrôle – j’ai fait récemment la démonstration que plusieurs années de SMIC pouvaient facilement tenir dans un poing fermé – et rend la surveillance illusoire, surtout quand les frontières se franchissent aussi facilement et que les douaniers ne contrôlent rien en dessous de 10 000 euros. Même à l’échelle de la France, les circuits sont très difficiles à surveiller.

L’apparition récente de nouvelles formes de paiement, notamment les monnaies électroniques, n’a rien arrangé. Nous avons d’ailleurs appelé l’attention du législateur et des autorités administratives sur les dangers majeurs qu’elles recèlent, au-delà de leurs bienfaits indéniables. Les cartes prépayées, quand elles sont utilisées pour des règlements qui dépassent largement 1 000 euros, rendent les transactions auxquelles elles servent totalement indétectables, qu’il s’agisse de lutte contre la traite d’êtres humains, de trafic de drogue et de fraude fiscale ou sociale. Nous voyons se développer des plates-formes d’échange de cartes prépayées qui ont l’avantage de faire circuler de l’argent de façon totalement anonyme. Elles fonctionnent comme des cartes de crédit, à ceci près qu’il n’y a pas de risque pour l’émetteur. Elles peuvent servir de réserve de monnaie et de moyen de paiement pour régler des transactions, licites souvent mais pas toujours. Le problème vient de l’impossibilité qu’il y a à les surveiller.

En anticipant un peu, je vous mets en garde contre la menace que représente le développement des monnaies virtuelles. On a beaucoup parlé de la plate-forme Liberty Reserve et des bitcoins. Il s’agit là d’un pan de l’économie que nous avons énormément de mal à déceler même si nous en discernons quelques éléments.

Des informations que nous obtenons, nous déduisons, encore une fois avec prudence et modestie, d’une part que nous avons affaire à des formes d’exploitation des êtres humains, au sens large. La traite des êtres humains s’étend et se diversifie : à côté d’une prostitution « classique », qui existe encore, notamment en province, sous forme de bars à hôtesses tenus par des réseaux très restreints, comme il y en avait dans les années soixante, ou de salons de massage, on assiste à une internationalisation très nette des réseaux de prostitution depuis le milieu des années quatre-vingt-dix, qui s’est accompagnée d’une violence inouïe que nous, je parle en tant qu’ancien magistrat, n’avions jamais vue avant, réseaux qui sont directement corrélés aux réseaux d’immigration clandestine, lien particulièrement fort s’agissant de l’Afrique subsaharienne et des pays de l’Est. En d’autres termes, la prostitution est le mode de remboursement « choisi » ou subi du passage en Europe. Dans ce cas, le niveau de violence n’est pas forcément le même, mais la prostitution traduit la domination économique des femmes qui s’y livrent, avec des pressions possibles sur les familles restées au pays. Quoi qu’il en soit, la corrélation entre traite des êtres humains et immigration clandestine est presque absolue.

D’autre part, il ne faut pas oublier une forme de prostitution « autoentrepreneuriale ». Nous décelons sur nos écrans toute une série de personnes, derrière lesquelles je ne suis pas sûr qu’il y ait un réseau, et qui se prostituent via Internet. Il nous arrive de repérer des jeunes femmes entre vingt et vingt-cinq ans qui reçoivent de nombreux flux financiers provenant d’hommes d’un certain âge… et, d’après ce que nous savons, les services de police ne mettent pas à jour une appartenance à un réseau quelconque. C’est une réalité.

Enfin, nous trouvons des réseaux très bien organisés, de call girls de luxe. Manifestement, ils se sont largement développés et démocratisés. Cela étant, TRACFIN opère à travers un prisme déformant, car les sommes en cause n’étant pas du même ordre que précédemment, ces réseaux sont plus visibles : une passe en liquide de cinquante ou cent euros laisse moins de trace que celle qui dépasse 1 000 euros, voire parfois 10 000 euros. Il semblerait que ces réseaux largement internationaux, pilotés de l’étranger, qui font appel surtout à des femmes d’origine internationale, se soient multipliés depuis dix ans, même si les prix n’ont pas forcément baissé, l’« offre » ayant créé la demande. Là où, il y a dix ans, ils opéraient dans le périmètre relativement restreint des hôtels de luxe, ils sont devenus accessibles à des cadres moyens.

En conclusion, TRACFIN n’est pas le mieux placé pour observer la traite des êtres humains à des fins sexuelles surtout que les flux monétaires non bancaires se multiplient. Il n’est pas anodin que notre instrument privilégié pour lutter contre la traite d’êtres humains, notamment contre les réseaux de call girls de luxe, soit la surveillance des cash transfers, exécutés par exemple par Western Union.

M. le président Guy Geoffroy. Avez-vous des éléments pour étayer objectivement la part relative de la traite et celle des prostituées volontaires, car c’est l’un des arguments clés dans le débat entre les partisans de notre proposition de loi et ses opposants ? Corroborez-vous, et avec quel degré de précision, le chiffre avancé de 20 000 à 30 000 personnes s’adonnant à la prostitution sur le territoire national ?

Mme Maud Olivier, rapporteure. Je m’intéresse, moi aussi, au nombre de personnes prostituées sur le territoire, et à la proportion, parmi elles, de mineurs victimes de réseaux ou non.

Par ailleurs, nous avons en France l’Agence de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC) qui pourrait servir notre projet d’accompagnement des personnes voulant sortir de la prostitution. Elle peut, sans avoir à justifier d’un quelconque soupçon de prostitution, interroger quelqu’un sur son niveau de revenu. Un tel dispositif serait-il transposable au niveau européen, en signant des conventions bilatérales ? L’Europe, qui tout entière a voté en faveur de la transposition dans les lois nationales des mesures européennes pour lutter contre le proxénétisme et la traite des êtres humains, pourrait-elle se doter des mêmes instruments de saisie des biens ?

Mme Corinne Bertoux. Il est extrêmement compliqué de vous fournir des chiffres. Ceux qui nous parviennent proviennent de sources judiciaires, ce qui constitue un biais en soi. Ils n’ont rien d’exhaustif puisqu’ils dépendent directement de notre capacité à démanteler les réseaux. En revanche, la force de l’Office vient de la centralisation qu’il opère au niveau national, facilitant ainsi l’identification des auteurs et des victimes.

Le point crucial, donc, c’est l’information. Ne pas avoir besoin d’une plainte pour agir, comme c’est le cas en France, est un atout puisque nous pouvons lancer une enquête sans intervention d’une victime. La constitution de fichiers pour les recenser serait illégale et le délit de racolage nous était bien utile pour collecter des renseignements. Loin de sanctionner les prostituées, il servait à éviter les troubles à l’ordre public, et les éventuelles gardes à vue et perquisitions qui s’en suivaient étaient pour nous de précieuses sources d’information. En outre, la discussion qui s’engageait permettait de connaître le parcours de celles à qui nous avions affaire et de rassembler les premiers éléments d’une enquête.

Comme l’a souligné M. Charpenel, le trafic d’êtres humains aux fins d’exploitation sexuelle fait l’objet d’une prise en charge multidisciplinaire, y compris par la société civile au travers des associations qui aident les victimes. La triple source policière, judiciaire et civile permet d’établir des estimations, mais ce ne sont que des estimations. L’importance des trafics transnationaux et leur extrême mobilité empêchent d’être exhaustif.

En ce qui concerne les profits, et les saisies auxquelles ils donnent lieu, force est de constater que, de plus en plus, les auteurs restent sur le territoire français (30 % environ) mais que leurs biens sont à l’étranger, là où sont les chefs de réseau, c’est-à-dire dans des pays où il n’y a pas d’harmonisation possible, d’où la faiblesse du système : les saisies sont très peu nombreuses. Il nous arrive, bien sûr, de récupérer des espèces, des traces bancaires, mais nous faisons face à une anonymisation grandissante des flux financiers dont l’importance ressort de nos enquêtes judiciaires au long cours.

Alors, oui à la saisie, mais il faut avant tout harmoniser, y compris au niveau national. Ainsi, nous poursuivons beaucoup sous le chef de proxénétisme, très peu de la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle. Il faut que nous nous appropriions cette infraction pour mieux coopérer au niveau européen et lutter plus efficacement contre les têtes de réseau, notamment en confisquant leurs biens.

M. Yves Charpenel. On n’aura jamais le nombre exact de personnes prostituées. Ensuite, si l’on parle des « victimes » de la traite, on se heurte au fait qu’en France, il n’y a pratiquement pas de condamnation prononcée à ce titre. L’infraction de traite aux fins de proxénétisme est encore récente dans notre pays, et n’a fait l’objet d’aucune démarche incitant les procureurs à la choisir plutôt que l’ancienne inculpation pour proxénétisme. Pragmatique, le magistrat préférera une incrimination classique par crainte de ne pas voir un dossier aboutir.

Les seuls chiffres certains, qui ne sont que la partie émergée de l’iceberg, sont ceux des procédures judiciaires et le seul fichier qui soit certain aussi est le casier judiciaire. Le groupe d’experts sur la lutte contre la traite des êtres humains (GRETA) procède à un recensement, mais qui ne fournit que le nombre des auteurs. Néanmoins, on peut faire une extrapolation à partir de la soixantaine de réseaux démantelés chaque année, soit environ 250 dossiers ouverts pour proxénétisme aggravé. En moyenne, cela représente entre dix et quinze auteurs et une cinquantaine de victimes. Le cas dont j’ai parlé tout à l’heure avait exploité plus de 300 victimes. Mais même si l’on s’en tient à une moyenne, on trouve des chiffres extrêmement modestes.

Ma fondation avait entrepris l’année dernière un cahier des charges d’évaluation, sur le modèle de ce qui s’était fait à Londres il y a quelques années, mais le travail n’a pu aboutir faute de financement. En somme, nous n’avons pas aujourd’hui d’outil scientifique pour évaluer le nombre de victimes de la traite, ni même celui des prostituées. L’appareil à mesurer la prostitution est de toute façon de plus en plus obsolète car les trafiquants adaptent leurs pratiques au contexte.

On ne pourra donc jamais vous fournir de réponse, et je préfère m’en tenir aux évaluations faites par ceux qui sont le moins loin de la réalité, c’est-à-dire les services spécialisés qui font des extrapolations, mais à partir de chiffres valables pour le territoire national. Elles sont à rapprocher des travaux accomplis par certaines associations qui reçoivent des personnes prostituées. Je vous fais incidemment remarquer que ce sont les termes utilisés, il n’y a pas d’association qui reçoive officiellement des victimes de la traite.

En Roumanie d’où nous revenons, il existe un fichier des victimes de la traite, très difficilement transposable en France compte tenu des exigences de la CNIL. Au bout de deux ans, il recense environ 500 noms, la plupart étant des victimes de réseaux roumains en France, rapatriées ensuite en Roumanie. Les Roumains nous envient au moins l’AGRASC, qui a commencé à fonctionner même si c’est loin d’être parfait. La coopération internationale est indispensable : sans elle il est parfaitement inutile d’envisager de récupérer les avoirs criminels, hormis l’argent liquide que la police saisit sur place chez le proxénète, en moyenne de 15 000 à 20 000 euros, soit la micro-recette de la journée. Ce chiffre peut faire sourire, quand on sait qu’Hamidovic touchait tous les jours 300 euros de ses 300 victimes, en liquide qui plus est, pour éviter d’être ennuyé par M. Carpentier !

Nous avons réussi des coopérations internationales, notamment avec la Roumanie, puisque c’est un des premiers pays avec lesquels il y a eu une équipe commune d’enquête, dispositif moderne parfaitement adapté à la problématique. Des enquêteurs français et roumains ont travaillé ensemble et interpellé les trafiquants d’un réseau très important, qui opérait en France, en Espagne et en Roumanie. Des biens ont été saisis, essentiellement des biens immobiliers, surtout des immeubles ultramodernes achetés à Bucarest par les trafiquants roumains en France. Conformément aux directives européennes, la saisie a donné lieu à une vente aux enchères dont le produit a été réparti entre la France et la Roumanie. Dans ce pays, l’argent est allé à l’agence de protection des victimes, un exemple à poursuivre chez nous. Un an plus tard, deuxième affaire avec enquête commune, mais sans équipe commune d’enquête. De nouveau, des biens sont saisis, mais ils n’ont pas trouvé acquéreur lors de la vente parce que les trafiquants ont découragé les enchérisseurs. Il y a donc un travail permanent à faire pour s’adapter.

Malgré la différence d’approche, nous travaillons aussi avec les Allemands car les réseaux criminels agissent indifféremment dans les pays abolitionnistes ou réglementaristes. Nous cherchons à nous appuyer sur les textes européens pour monter des opérations communes, avec saisie ordonnée dans un pays et récupération effectuée dans un autre. Les textes existent mais la mise en œuvre est très lourde. Elle suppose une confiance que l’on n’a pas spontanément et qui met du temps à s’établir, car la corruption n’est pas qu’un vain mot. Les expériences sont tantôt positives, tantôt négatives, mais la loi doit capitaliser sur les résultats positifs.

Les accords bilatéraux semblent la voie à suivre à condition d’identifier les pays qui pourraient être concernés, de monter avec eux des opérations concrètes et d’en faire le debriefing pour savoir si les textes sont bien appliqués, avant de faire le bilan. Or il est rarement fait de façon précise.

S’agissant des mineurs, sur les 250 dossiers jugés en France, il y a cinq ans, aucun mineur n’était concerné, exception faite de l’affaire Ambiel qui était très particulière. Aujourd’hui, d’après les dossiers que j’examine, plus de 15 % des dossiers impliquent des victimes mineures, c’est-à-dire des moins de dix-huit ans. Nous sommes partie civile dans certains dossiers, qui se comptent en dizaines, dont l’enjeu est de déterminer si le client pouvait ignorer l’âge de sa victime. Il m’est impossible de faire une extrapolation mais le fait est que nous avons de plus en plus de dossiers de cette nature, qui posent des problèmes supplémentaires de suivi puisqu’il s’agit d’apporter aide et protection à des mineurs étrangers.

Mme Marie-Louise Fort. Les réseaux de prostitution rom en France sont très importants. Un approfondissement du partenariat avec les autorités roumaines dans le cadre d’une loi permettrait-il de mieux mobiliser les fonds européens dédiés à la question rom, qui sont peu ou pas utilisés, et à trouver des solutions plus européennes ?

Madame la commissaire, la même loi peut-elle s’appliquer aussi bien aux réseaux de proxénétisme liés aux flux migratoires et à une prostitution plus traditionnelle ?

M. Yves Charpenel. Le financement de l’aide aux victimes peut provenir, d’une part, d’une source européenne puisqu’il s’agit d’une criminalité transnationale. Nos collègues allemands et néerlandais découvrent dans leurs maisons de prostitution réglementaires les mêmes victimes que nous dans nos forêts ou nos hôtels, puisqu’elles n’accueillent pas de nationaux. Une approche bilatérale est plus raisonnable à mon sens car la mobilisation des capitaux dans un cadre multilatéral est extrêmement complexe. Je connais en Roumanie une expérience financée par l’Europe qui est modeste mais prometteuse, consistant à resocialiser des mineurs roms victimes ou auteurs dans des villages rom autres que les leurs. C’est un travail de très longue haleine et très coûteux. Sans doute faut-il mobiliser les crédits au profit de ceux qui sont les premières victimes de la traite, et les plus stigmatisés.

D’autre part, l’argent criminel peut aussi venir à la rescousse. Je ne désespère pas que TRACFIN se dote de radars plus perfectionnés. Nous observons que depuis qu’on s’intéresse de plus près à Western Union et aux changeurs manuels, qui constituaient le mode de transfert de fonds illicites le plus commode, nous retrouvons les passeurs de billets, et partant l’argent de l’économie souterraine. Je me souviens de la condamnation d’un proxénète bulgare. L’annonce d’une peine de quinze ans derrière les barreaux – il avait tout de même torturé certaines de ses victimes – l’a laissé de marbre tandis qu’à l’annonce de la confiscation de sa Maserati, il a manifesté tous les stigmates de la souffrance !

Plus généralement, il faut s’en prendre au talon d’Achille des trafiquants, c’est-à-dire à leur portefeuille car un proxénète éprouve rarement de la compassion. C’est ce que l’AGRASC a commencé à faire en puisant une partie de ses financements dans l’argent récupéré. De la sorte, on pourra espérer aller au-delà du constat désespérant de profits criminels en augmentation et de saisies qui stagnent.

Mme Corinne Bertoux. Je crois beaucoup à la coopération bilatérale pour créer une base commune. Pour se parler, il faut invoquer la traite des êtres humains telle que le protocole de Palerme la définit, et non plus le proxénétisme. Ensuite, il faut échanger des informations entre services. Nous avons en France des officiers de liaison roumains et, en Roumanie, des officiers français, mais dans d’autres pays aussi. Il faut monter ensemble les procédures pour démanteler les réseaux, en partenariat avec les associations de façon à, en même temps, protéger les victimes.

La grosse difficulté réside dans la riposte quasi spontanée des réseaux. Aussitôt qu’ils ont compris que leur patrimoine risquait d’être saisi, ils se sont adaptés. Il faut absolument mener un travail européen. Mais l’arsenal juridique français est fourni, et doit s’équilibrer entre prévention et répression.

S’agissant du blocage de sites Internet, il ne sera pas facile à mettre en œuvre puisque, d’une part, les sites foisonnent et les petites annonces aussi, et que, d’autre part, les activités criminelles ont pour caractéristique de se mêler intimement à des activités légales, contrairement au trafic de stupéfiant ou la pédo-pornographie, pour lesquels il n’y a pas d’ambiguïté. Il est très difficile de faire la part entre la prostitution, qui est tolérée en France, et le proxénétisme qui ne l’est pas.

M. Jean-Baptiste Carpentier. Je souligne à mon tour la problématique posée par l’intrication entre activités légales et illégales. Ainsi, la pornographie n’est pas illégale mais certaines des prestations qu’elle offre relèvent quasiment de la prostitution, la différence tenant à la présence d’une caméra vidéo, surtout que ces prestations sont parfois suivies d’autres parfaitement illicites, et qui relèvent même de la traite. Il est très difficile de tracer une limite. Il s’agit, mutatis mutandis, de la déclinaison technologique des bars à hôtesses où celles-ci allument le client pour obtenir quelques billets et ensuite doivent, ou non, sous la pression du gérant ou d’autres, se livrer à d’autres prestations. L’ambiguïté existe tout autant sur Internet.

Mme Marietta Karamanli. Peut-on adapter nos moyens à la lutte contre la prostitution sur le net, au moins contre le racolage ? Y a-t-il eu des expériences menées par d’autres pays ? Quel bilan les Suédois font-ils de leur loi ?

M. Yves Charpenel. Contre la cybercriminalité, il y a les cyberarmes légales ! On les utilise bien contre le terrorisme et la pédopornographie. Mais le blocage du site, qui est pratiqué, ne règle pas grand-chose à cause du cloud : on peut dissiper le nuage au-dessus de la France mais pas ailleurs. Cela étant, les règles de compétence territoriale permettent de répondre puisque toute publication sur Internet accessible en France est passible de poursuites, sans que cela permette, il est vrai, d’atteindre les responsables.

À partir du moment où on fait le lien entre la traite des êtres humains et le crime organisé, le protocole de Palerme et les directives qui ont suivi offrent des procédures spéciales, notamment les cyberpatrouilles, qui sont très efficaces contre la pédopornographie. Elles peuvent, avec l’autorisation d’un juge et si la loi le prévoit – ce qui n’est pas le cas en matière de traite et de proxénétisme – infiltrer des réseaux de traite. Leur action, certes intrusive mais encadrée par la justice, permettrait, si elle était étendue, de rendre le territoire inhospitalier pour ce type de réseau. Réprimer une activité commerciale illicite en France, même si c’est par défaut, constitue déjà un début de dissuasion. Je pense que c’est ce que les Suédois diront : leur loi n’est pas parfaite, mais les réseaux mafieux trouvent la Suède inhospitalière. J’aimerais que la France le soit aussi. Classer officiellement le trafic d’êtres humains à fin d’exploitation sexuelle dans le crime organisé justifierait le recours aux moyens spéciaux d’enquête prévus par le code de procédure pénale et permettrait de mener des enquêtes très performantes, puisque de Rosny-sous-Bois, on pourrait aller fouiller dans des ordinateurs installés dans des pays très éloignés. C’est, à mes yeux, la piste la plus réaliste.

Mme Sandrine Mazetier. Au cours de l’audition précédente, il nous a été dit que l’arsenal juridique suffisait. Vous suggérez au contraire d’utiliser contre la traite des techniques spéciales d’enquête, en particulier l’infiltration. Faut-il les moduler selon que l’on s’attaque à la traite, au proxénétisme ou à l’« autoentreprenariat », qui n’est évidemment pas la cible de la proposition de loi ?

Par ailleurs, on passe beaucoup sous silence, me semble-t-il, la criminalité connexe à la traite, notamment la consommation de drogue. Il arrive que le proxénète soit aussi le dealer. Qu’en est-il dans la réalité ? Les équipes de lutte contre le trafic de stupéfiants sont-elles sensibilisées à cette problématique de la traite ?

Mme Corinne Bertoux. L’OCRTEH dépend de la sous-direction de la lutte contre la criminalité organisée et la délinquance financière, qui coiffe plusieurs offices nationaux spécialisés. Nous travaillons donc toujours en commun. La traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle est liée, on l’a dit, à l’immigration irrégulière qui est de la compétence de l’Office central pour la répression de l’immigration irrégulière et l’emploi d’étrangers sans titre – l’OCRIEST – qui dépend de la direction centrale de la police de l’air et aux frontières. Et deux offices rattachés à la gendarmerie nationale sont spécialisés, l’un dans la lutte contre le travail illégal et l’autre contre le trafic d’organes. Nous échangeons entre nous, mais cela n’est pas systématique s’agissant du trafic de stupéfiant. Cela dit, nous avons quelques cas.

M. Yves Charpenel. La prostitution en échange de drogues remonte à plus de vingt ans. Ayant été procureur en région parisienne et directeur des affaires criminelles, je sais que, quand on n’a plus que soi à vendre pour se procurer de la drogue, on se vend. Il faut d’ailleurs être conscient que les trafiquants sont les principaux chatters pour repérer les victimes potentielles et nous nous inquiétons de voir apparaître des dossiers franco-français. Il s’agit de dealers de banlieue qui montent en grade dans la criminalité organisée : après la drogue, les armes et la traite d’êtres humains qui sont souvent liées. Ils créent ainsi des réseaux avec le premier « produit » qu’ils ont sous la main, les malheureuses jeunes femmes victimes de violences sexuelles et déjà toxicomanes. Les rapports parlementaires sur le sujet l’ont souligné. L’usage de stupéfiants est généralisé parmi les prostituées parce que leur condition est insupportable. Ils leur permettent de tenir autrement qu’avec un couteau sous la gorge.

S’agissant d’une loi, nous avons déjà plus de 12 000 lois en matière pénale. C’est beaucoup, mais rajouter dans le code de procédure pénale la traite des êtres humains à fin de proxénétisme parmi les infractions éligibles aux moyens spéciaux d’enquête ne serait pas un bouleversement. Le plus important est de donner ensuite les directives de politique pénale pour expliquer les stratégies procédurales à suivre quand on a identifié la victime potentielle d’un trafic. En la matière, la dernière instruction donnée aux procureurs remonte à 2005. Depuis, les choses ont évolué. Les Roumains utilisent déjà l’infiltration, sachant qu’il leur est plus facile d’y recourir que pour nous qui avons affaire à des réseaux étrangers, mais un cybergendarme ou un cyberpolicier peut le faire. Le coût législatif serait modeste pour une avancée importante, pour peu qu’elle soit mise en œuvre ensuite.

De même, pour le recouvrement des biens, des modifications très mineures suffiraient pour donner des armes plus affûtées et mieux adaptées à cette forme de criminalité.

M. le président Guy Geoffroy. À Madrid où nous étions allés avec des collègues visiter un bordel de luxe, plusieurs personnes en situation de prostitution nous ont dit qu’il leur serait impossible de tenir de cinq heures du soir à cinq heures du matin sans recourir à des drogues multiples qui leur étaient vendues, elles n’ont pas hésité à le dire, par les personnes avec lesquelles elles « travaillaient ». Il y a un lien permanent et massif entre prostitution et consommation de stupéfiant, y compris dans des conditions qui, de l’extérieur, pourraient passer pour confortables, et qui sont vécues comme une horreur.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. À Montpellier, des mouvements organisés m’objectent que la prostitution peut être un choix et une décision personnelle, et que je risque de mettre en péril un métier. Qu’en est-il de ces « autoentrepreneures » ? Que représentent-elles ? Restent-elles autonomes ou basculent-elles dans des trafics ?

M. Yves Charpenel. C’est une question centrale. Je réfute le mot « travail » pour désigner une atteinte à la dignité de la personne. Par ailleurs, on peut douter qu’il faille des lois pour 5 % à 10 % – évaluation généreuse – d’une population. J’ai rencontré un nombre considérable de personnes qui se sont prostituées ou se prostituent, mais aucune – en dehors des plateaux télévisés qui invitent toujours les mêmes – qui l’ait fait volontairement. Il en existe certainement, mais, même si elles sont sincères, elles ne peuvent pas en sortir. Un esclave peut-il reconnaître qu’il est esclave ? La prostitution assumée étant au mieux marginale, la République doit d’abord s’adresser aux dizaines de milliers de victimes, qui sont ultra-majoritaires.

M. Guénhaël Huet. Je n’ai pas interprété les propos de Mme Karine Béguin tout à l’heure comme Sandrine Mazetier. J’ai cru comprendre que, dans le cadre de ses fonctions, le code pénal lui donnait suffisamment d’outils pour mener des investigations sur les réseaux de prostitution sur Internet, notamment en recourant à des pseudonymes. Mais peut-être n’ai-je pas compris ce point technique. Nous sommes d’accord qu’il y a suffisamment de textes pour ne pas en rajouter d’inutiles.

Par ailleurs, que pensez-vous d’éventuelles sanctions à l’encontre des clients ?

Mme Corinne Bertoux. Consentement ou pas, peu importe. À partir du moment où il y a exploitation, on tombe sous le coup de la loi quand bien même il est parfois difficile de distinguer les victimes des auteurs. Je pense notamment aux réseaux nigérians. Certaines jeunes femmes ont tôt fait de comprendre qu’on peut rembourser plus rapidement les dettes contractées pour le passage, l’hébergement, l’emplacement, en devenant soi-même proxénète.

Je reviens sur le lien entre trafic d’êtres humains et trafic de stupéfiants. Il y a, dans les banlieues sensibles, de plus en plus de victimes du proxénétisme, et qui vivent recluses dans des conditions abominables, sous la coupe de jeunes hommes à la recherche du plus grand profit possible.

En ce qui concerne la proposition de loi, elle doit, à mon sens, élargir le spectre des actions, pour intervenir en prévention comme en répression. Le décret sur le blocage de sites abritant des images pédopornographiques n’est toujours pas paru car il faut s’entendre avec les fournisseurs d’accès pour savoir ce qu’il est techniquement possible de faire. Je pense qu’il faudrait surtout, M. Charpenel l’a dit, de nouveaux instruments de prévention pour dissuader des réseaux de s’implanter.

Quant à l’infiltration, plus on a de moyens à notre disposition pour distinguer la personne autonome de celle qui est exploitée, plus ce sera facile. À cet égard, condamner le client constituera une mesure complémentaire, dans le registre préventif. Faute de demande, l’offre se tarirait. Mais cette mesure était le pendant du délit de racolage, lequel n’était pas destiné à victimiser encore la prostituée, mais à récupérer des informations pour remonter les réseaux, dans l’esprit de la loi.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Une incidente. Que deviennent les jeunes filles recrutées par les agences de mannequinat, et qui disparaissent aussi vite qu’elles sont apparues ?

Y a-t-il des différences entre pays abolitionnistes et légalistes ? Faut-il y trouver des causes autres politiques et morales, car on trouve dans chacun des camps des cultures et des traditions très variées ?

Mme Pascale Crozon. Des victimes ne sortiront jamais de la prostitution de peur de voir, dans leur pays d’origine, leur famille en butte à des représailles. Peut-on faire quelque chose pour elles, même hors d’Europe ?

M. Jean-Marie Carpentier. La saisie des avoirs criminels par l’AGRASC est indispensable sachant qu’elle n’est pas possible sans une condamnation. Sinon, l’Agence gère les biens saisis. Il ne faut toutefois pas tout en attendre. Depuis vingt ans que je travaille dans le domaine financier, j’ai perdu beaucoup d’illusions. Certains délinquants, malgré des années passées en prison et la saisie de tous leurs biens, pourront à leur sortie vivre beaucoup mieux que nous tous réunis, et sans le moindre problème. Je rappelle tout de même que certaines personnes faillies ont pu, pendant vingt ans, continuer à habiter un hôtel particulier. La saisie d’une Lamborghini peut faire très mal, mais il y a fort à parier qu’il y en a cinq autres au garage. Pardonnez-moi d’être rabat-joie, mais c’est la réalité. Sous cet angle, rien ne vaut la sévérité des sanctions encourues et prononcées. Mes amis américains et anglais sont d’ailleurs un peu revenus du « tout saisie » car, à partir d’un certain niveau de délinquance, vingt-cinq ans de prison sont plus dissuasifs qu’une saisie qui restera largement illusoire. Et je parle de sanctions effectives car, malgré le respect que j’ai pour la justice de mon pays, je ne peux m’empêcher de mettre en balance les années d’enquête, les difficultés auxquelles se heurtent les équipes de police et la sanction finale. On ne peut s’empêcher de penser : tout ça pour ça !

Je conclurai en insistant sur la diversité et l’extraordinaire porosité des réseaux. Il y a les archétypes – autoentreprenariat et gang organisé violent – mais, entre les deux, il est extraordinairement difficile de procéder à des qualifications, par exemple de savoir si une petite annonce sur Internet relève de la prostitution – qui n’est pas illégale – ou de l’autoentreprenariat, voire de la « franchise ». Il y a des jeunes et jolies filles – et des garçons aussi –, qui sont embrigadées dans un schéma, qui n’est pas une organisation au sens strict. Dans ce cas de figure, vous avez toujours quelqu’un qui est capable de se mettre en contact avec elles pour leur proposer des clients, voire les rappeler à l’ordre en cas de baisse du chiffre d’affaires. Au plan financier, on peut repérer la prostituée, mais il est très compliqué de remonter le réseau. Il y a des progrès à faire et sans doute des instruments nouveaux à trouver.

M. Yves Charpenel. De mon point de vue de procureur et de responsable d’association, je ne comprends pas qu’on puisse lutter contre le « système prostitutionnel » sans s’attaquer à la fois à l’offre et à la demande, même si ce n’est pas de la même manière. Je ne vois pas d’inconvénient à mettre vingt-cinq ans de prison et à confisquer la totalité du patrimoine d’un trafiquant, mais le client doit être découragé. Depuis plusieurs années, recourir à la prostitution de mineurs ou de personnes vulnérables est un délit. Pourtant, les condamnations sont très rares. Il faudrait commencer par appliquer la loi existante. La gradation contenue dans la proposition de loi est intéressante car il faut s’adapter à la réalité. Oublier le client serait faire preuve d’une grande hypocrisie : on se limiterait à courir après des gens très organisés et adaptables en épargnant celui qui paie.

Quant à la façon de gérer en Europe des approches différentes, je rappelle que les États-Unis et la Chine sont tous deux prohibitionnistes et ce sont les deux pays où la prostitution est la plus répandue et la plus violente. Je ne suis pas un maniaque de la prohibition mais je suis favorable à l’abolition d’un système criminel. Pour vous répondre, je vais citer le témoignage d’une jeune femme serbe qui, à vingt-six ans, avait été vendue douze fois avant d’atterrir dans mon association. Et elle avait eu le « privilège » d’avoir connu des pays abolitionnistes et des pays réglementaires. Elle s’était évadée d’une maison d’amour aux Pays-Bas – maison de débauche en Belgique – et s’était prostituée dans la rue, ou dans les hôtels en France, mais ne voyait aucune différence. La seule question qui vaille est de savoir comment faire baisser le niveau de violence qu’on laisse les gens subir. Sur ce plan, la sanction du client me paraît incontournable.

Même si la coopération est très difficile avec certains pays, je suis aussi favorable à des coopérations bilatérales sachant qu’on arrive à collaborer même avec des pays réglementaristes européens, l’Espagne ou l’Allemagne. L’incrimination de traite aide à parler la même langue mais il est vrai qu’il est plus facile de poursuivre un trafiquant en France qu’en Allemagne. La jurisprudence montre que des Français trafiquant en Allemagne ont été condamnés en France, malgré le caractère officiel de leur activité. C’est le bilatéral qui aidera à avancer.

En s’appuyant sur la notion de contrainte, on peut porter des coups sérieux à la traite car je ne connais pas de prostituée qui ne subisse pas une forme de contrainte, qu’il s’agisse d’un cutter, d’une dépendance à la drogue, voire pour les Nigérianes, du Juju, du vaudou. Cela peut prêter à sourire, tant qu’on n’a pas vu. Les Chinois aussi luttent contre les réseaux car il s’agit d’un défi à l’autorité de l’État, et ils mettent à jour les campagnes de contrainte économique menées par les trafiquants qui enrôlent des villages entiers pour financer l’exploitation de l’une des leurs. Dans les faits, il y a une contrainte, que les textes actuels ou à venir permettent de révéler, une fois avérée l’exploitation.

Il faut en somme une politique globale, qui vienne en aide aux victimes car il s’agit bien de victimes même si l’opinion publique n’est pas encore prête à l’admettre, qui s’attaque aux trafiquants qui ne comprennent que la violence institutionnelle, et qui n’épargne pas les clients. Plutôt que de signer un manifeste hallucinant, que ces derniers se rappellent plutôt que, quand ils achètent les services d’une prostituée, ils alimentent très vraisemblablement une exploitation cruelle.

Mme Corinne Bertoux. Nous redoutons, en étant privés de la possibilité d’interroger les victimes dans un cadre judiciaire, de ne plus obtenir d’informations qui peuvent servir ensuite à démanteler les réseaux.

Nous craignons ensuite que les organisations exigent des bourreaux comme des victimes qu’ils profitent de la réglementation pour obtenir des papiers en se faisant passer pour victimes d’une traite. Certes, les conventions européennes doivent être respectées mais il ne faut pas oublier que même les victimes font partie de réseaux criminels qui savent s’adapter. Si la France devient une terre d’accueil très accessible, ils sauront en tirer parti.

Mme Maud Olivier, rapporteure. Un journal du sud-ouest de la France fait paraître régulièrement une publicité pour un bordel situé à La Junquera, en Espagne. Peut-on l’en empêcher, sans l’accuser forcément de proxénétisme ?

M. le président Guy Geoffroy. Notre loi est parmi les plus dures à l’égard du proxénétisme hôtelier. J’ai donc du mal à comprendre qu’en dépit des déclarations d’intention, on obtienne, au moins avec les grandes chaînes, d’aussi maigres résultats contre les voyages à des fins de prostitution, les trop rares exemples de fermeture d’hôtel défrayant la chronique.

M. Yves Charpenel. « Liberté, que de crimes on commet en ton nom ! » Compte tenu de nos moyens, nous ne pouvons pas nous occuper de tout.

Concernant la publicité pour des maisons de prostitution, on peut agir à partir du moment où l’on peut prouver que l’organe de presse a conscience du caractère illicite de l’activité vantée dans ses pages. Il y a quatre ans, n’a-t-on pas condamné le gérant français d’une maison de prostitution située en Allemagne pour proxénétisme ? La Cour européenne l’a désavoué parce que la publicité qu’il faisait pour sa maison en Allemagne relevait du proxénétisme. C’est surtout une question de politique pénale.

Depuis certains événements fameux, des accords ont été conclus avec des groupes hôteliers. Je pense qu’il faudrait procéder comme en matière de corruption, c’est-à-dire en rédigeant des chartes en vertu desquelles des compliant officers sont désignés dans les entreprises pour alerter l’ensemble de la chaîne des employés sur les risques, y compris sur le plan pénal. J’ai été partie civile dans un dossier jugé cette année à Marseille, où des jeunes femmes étaient vendues 25 000 euros pièce au fils Khadafi dans un grand hôtel de Cannes, lequel n’avait pas été attrait à la procédure. Pourtant, il ne pouvait ignorer ce qui se tramait parce que les logiciels de réservation permettent de détecter les mouvements aberrants.

Votre plan de sensibilisation des acteurs économiques devra appeler l’attention des transporteurs, qui promènent les victimes dans toute l’Europe, et de ceux qui les hébergent et le texte prévoir que leur inaction pourrait leur valoir d’être attraits en correctionnelle.

Mme Corinne Bertoux. L’arsenal juridique est assez complet, mais j’insiste, au risque de me répéter, sur la nécessité d’avoir des moyens d’obtenir de l’information. Dans beaucoup de pays, les hôteliers tiennent des registres sur les clients étrangers ; il faut pouvoir repérer des jeunes femmes qui arrivent seules, sans bagage, pour, éventuellement, déclencher des contrôles. Tous ces dispositifs ne dispensent pas de faire des démarches de sensibilisation, et de prendre des mesures de dissuasion, mais il faut savoir que, sans faits avérés, il ne nous est pas possible de travailler, ni de remonter les réseaux.

Nous ne pouvons pas bloquer une adresse IP, ni un nom de domaine, qui abriterait à la fois des activités légales et des activités illégales. Ces précautions exigent de descendre plus loin dans le détail, au niveau de l’URL, mais c’est beaucoup plus coûteux et très difficile à automatiser.

Contrairement à M. Carpentier, je considère que tout est bon à prendre contre les trafiquants. Si on arrive à faire saisir une partie de leurs biens, ce sera toujours ça de pris. On travaille à les perturber, à leur compliquer la tâche, de façon à les dissuader d’intervenir en France.

M. le président Guy Geoffroy. Madame, messieurs, nous vous remercions.

Table ronde réunissant Mme Franceline Lepany, présidente de l’association Les Amis du Bus des Femmes et Mme France Arnould, directrice, Maîtresse Gilda, porte-parole du STRASS - Syndicat du Travail Sexuel, Mme Cécile Lhuillier, coordinatrice droits sociaux et accès aux soins Act Up, Paris, Mme Irène Aboudaram, coordinatrice du Funambus (Nantes), M. Tim Leicester, coordinateur du Lotus Bus (Paris), Médecins du Monde et la docteure Françoise Sivignon, vice-présidente de Médecins du Monde

(extrait du procès-verbal de la séance du 31 octobre 2013)

M. le président Guy Geoffroy. Merci à tous d’avoir répondu à l’invitation de cette Commission spéciale, constituée depuis quarante-huit heures pour étudier la proposition de loi, déposée récemment, qui vise à mieux lutter contre le système prostitutionnel.

Un certain nombre d’entre vous ont eu l’occasion de dialoguer avec nous dans un cadre différent, mais complémentaire. Ce travail prend en effet la suite de celui qui a été mené, il y a deux ans déjà, par la Mission d’information sur la prostitution présidée par Danielle Bousquet et dont j’ai eu l’honneur d’être le rapporteur, travail qui a abouti, en 2011, à une résolution votée à l’unanimité par l’Assemblée nationale. Cette résolution a conduit à la préparation et au dépôt d’une proposition de loi par Danielle Bousquet et moi-même. La Délégation aux droits des femmes a repris très rapidement le flambeau au début de cette nouvelle législature, avec la contribution très active de plusieurs de ses membres, dont Mme Maud Olivier, aujourd’hui notre rapporteure.

Notre Commission spéciale n’entend pas revenir sur tout ce qui a été fait précédemment, mais elle souhaite recueillir l’avis éclairé de toutes les personnes qui estiment avoir, à un titre ou à un autre, leur mot à dire sur la question de la prostitution. Voilà pourquoi nous avons organisé deux tables rondes : l’une réunissant des associations et des structures qui ont marqué leur opposition à cette proposition de loi et à celle qui l’avait précédée ; l’autre réunissant des associations et des structures réclamant depuis plusieurs années de telles dispositions. Nous recueillerons de même l’avis d’un certain nombre de personnalités d’opinions diverses, si possible de vive voix, sinon par écrit.

Nous accueillons aujourd’hui les représentants de plusieurs structures et associations. Les Amis du Bus des Femmes sont représentés par sa présidente et par sa directrice, Mmes Franceline Lepany et France Arnould ; le Syndicat du travail sexuel (STRASS) par sa porte-parole, Maîtresse Gilda ; Act Up Paris par Mme Cécile Lhuillier, coordinatrice pour les droits sociaux et l’accès aux soins, et Médecins du Monde par sa vice-présidente, le docteur Françoise Sivignon, par la coordinatrice du Funambus à Nantes, Mme Irène Aboudaram, et par le coordinateur du Lotus Bus à Paris, M. Tim Leicester.

Je vous rappelle que ces auditions sont ouvertes à la presse et qu’elles sont retransmises en direct sur le site Internet de l’Assemblée nationale, où l’enregistrement vidéo demeurera accessible pendant un certain temps.

Mme France Arnould, directrice de l’association Les Amis du Bus des Femmes. Merci de nous recevoir. Les Amis du Bus des Femmes sont une association communautaire de santé publique qui travaille avec et pour les personnes prostituées.

Dans cette association, nous faisons la différence entre prostitution choisie et prostitution subie. Pour nous, les personnes prisonnières des réseaux, malgré leur activité prostitutionnelle, ne sont pas des personnes prostituées, mais des victimes, et ne peuvent être confondues avec les personnes prostituées traditionnelles, qui possèdent les codes et savent travailler.

Les Amis du Bus des Femmes considèrent qu’il est très important de lutter contre les réseaux, mais que ce n’est pas en pénalisant les clients qu’on parviendra à éviter que certaines femmes ne s’y trouvent piégées. Nous pensons même que c’est le contraire qui va se passer : ces femmes seront davantage exclues mais elles continueront à travailler car on leur amènera des clients. De nombreux réseaux parallèles vont se mettre en place et les associations qui œuvrent sur le terrain ne pourront plus avoir accès à elles.

Quant aux personnes prostituées traditionnelles, celles qui ont choisi cette activité, elles auront moins de clients, et donc moins de moyens financiers. Elles qui n’ont plus de proxénètes depuis longtemps et qui travaillent seules, auront peut-être recours à des réseaux pour s’assurer des clients. Ce serait un retour en arrière et, pour toutes, les conditions de santé deviendront alors déplorables.

Mme Franceline Lepany, présidente de l’association Les amis du Bus des Femmes. Notre association ne cherche pas à défendre son fonds de commerce. Il est bien évident que nous n’avons nullement envie que les femmes prostituées qui sont dans la souffrance restent dans la prostitution. La sortie de la prostitution a toujours été envisagée quand les femmes la demandaient.

S’agissant de cette proposition de loi, nous sommes très inquiets : la pénalisation du client ne fera qu’accroître la stigmatisation des prostituées. C’est ce qui s’était déjà passé avec le texte créant le délit de racolage passif et actif, dont l’application s’est soldée par un échec complet, en raison du peu d’implication des policiers comme des tribunaux.

Nous avons de fortes raisons de craindre que la pénalisation du client ne soit une façon détournée de stigmatiser la prostitution sur le plan pénal, parce qu’on n’aurait pas le courage de poser la vraie question : veut-on, ou non, abolir la prostitution ?

Maîtresse Gilda, porte-parole du Syndicat du travail sexuel (STRASS). Le STRASS représente les travailleurs et les travailleuses du sexe, quel que soit leur type d’activité, quels que soient leur situation sociale ou leurs moyens d’exercer.

Je rejoins mes amis et collègues avec lesquels nous travaillons régulièrement : la pénalisation des clients est pour nous source d’inquiétude et la principale raison de notre opposition à cette proposition de loi. Vous connaissez d’ailleurs nos positions, que nous avions exprimées lorsque nous avions été auditionnés par la Mission d’information. Elles demeurent évidemment inchangées.

Nous avons constaté que l’ambiance s’était détériorée, en raison de la médiatisation de votre volonté d’accroître la pénalisation, alors même que les promesses d’abroger les dispositions qui répriment directement les travailleuses du sexe n’ont toujours pas été tenues. La proposition de loi qui a été votée en mars au Sénat n’est toujours pas inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, mais vous avez fait diligence pour installer cette Commission spéciale, afin de faire passer un texte qui réprime encore davantage le travail du sexe – sous couvert de nous protéger.

Il y a dix ans, lorsque M. Sarkozy, alors ministre de l’intérieur, avait proposé la loi réprimant le racolage passif, les arguments étaient exactement les mêmes : elle allait servir à lutter contre les proxénètes et à démanteler les réseaux, etc. Au bout de dix ans, on ne peut que constater que la précarité des travailleuses du sexe n’a jamais été aussi forte, que les entraves à l’accès aux droits et aux soins sont quasiment devenues la règle, que les violences n’ont cessé d’augmenter, tout comme la stigmatisation et les obstacles mis à l’exercice même du travail sexuel, que ce soit sur Internet ou dans l’espace public.

Si cette proposition de loi est adoptée, des « cyberflics » seront amenés à filtrer les messages et à surveiller ce qui se passe sur Internet afin de traquer, non plus les personnes prostituées, mais les clients. Reste que le résultat sera le même. Il y a dix ans, nous avions dramatiquement raison. Aujourd’hui, nous sommes là pour réaffirmer qu’on ne lutte pas contre les abus, contre les violences et contre la stigmatisation en pénalisant et en réprimant l’exercice du travail sexuel, mais en donnant des droits à ceux qui l’exercent.

Mme Cécile Lhuillier, coordinatrice pour les droits sociaux et l’accès aux soins d’Act Up Paris. Je centrerai mon intervention sur la question particulière du VIH / sida, certes particulière, mais qui rejoint des problématiques plus générales de santé publique.

Act Up s’est mobilisé depuis une dizaine d’années aux côtés des travailleurs et travailleuses du sexe dans une optique de santé publique. Nous nous sommes notamment immédiatement opposés à la création du délit de racolage public. Comme le soulignait Maîtresse Gilda, la mesure de pénalisation des clients qui figure dans la proposition de loi de Mme Maud Olivier aura de toute évidence, sur le terrain, exactement les mêmes effets, à savoir une précarisation accrue des travailleuses du sexe, stigmatisées et obligées de se faire invisibles. Pour nous, une grande partie de ce texte va à l’encontre des grands principes qui ont fait leurs preuves en trente ans de lutte contre l’épidémie du sida, à commencer par la prise en compte de la parole à la première personne, ce qui est, par exemple, totalement incompatible avec le projet affiché d’astreindre les personnes à sortir de la prostitution pour bénéficier de droits, dont celui à un titre de séjour.

La prévention est incompatible avec toute forme de répression, qu’il s’agisse d’une répression directe des prostituées, au travers du délit de racolage, ou d’une répression indirecte, via la pénalisation des clients.

Sur le terrain, les conséquences seront exactement les mêmes. Il se trouve que je suis aujourd’hui la seule représentante d’une structure de lutte contre le sida. Mes propos ne font pas que reprendre le point de vue d’Act Up. Ils ont été corroborés par de très nombreux avis, rapports ou expertises, de niveau national ou international : l’avis du Conseil national du sida de 2010 ; le rapport de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS), dont le clan abolitionniste se prévaut, mais qui renvoie pourtant fréquemment à l’avis du Conseil national du sida et au rapport du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), qui préconise également l’arrêt de toute répression pesant sur les acteurs des prestations sexuelles tarifées, prostituées comme clients ; enfin, le récent rapport Morlat, un rapport d’experts sur la prise en charge médicale des personnes vivant avec le VIH.

Malheureusement, l’aspect « santé publique » a été quelque peu éludé lors de la préparation et de l’élaboration de cette proposition de loi. Notre audition d’aujourd’hui est donc particulièrement opportune. La prostitution est aussi une question de santé publique, et la santé publique doit être au centre des réflexions.

Mme Françoise Sivignon, médecin, vice-présidente de Médecins du Monde. Médecins du Monde est une ONG de solidarité internationale, une association médicale qui, à ce titre, défend précisément l’approche de santé publique qui vient d’être évoquée et milite donc pour une réduction des risques liés à la prostitution. Nous revendiquons également pour les personnes prostituées l’accès aux droits fondamentaux – dont le droit aux soins fait partie.

Nous nous appuyons sur nos expériences de terrain, en France et dans le monde. Dans cinq villes de France, nous nous occupons, dans des unités mobiles, de personnes se prostituant. Nous le faisons également en Birmanie ou en République démocratique du Congo, par exemple, et cette expérience internationale est importante à considérer dans la mesure où il y a beaucoup de ressemblances entre ce qui se passe à l’étranger et la situation sur le sol français.

Médecins du Monde a donc une légitimité acquise sur le terrain et peut se prévaloir de son expertise en matière de réduction des risques liés aux pratiques de la prostitution – comme elle en a une, ancienne, dans un domaine qui présente de nombreuses similitudes : celui de la réduction des risques liés à l’usage des drogues.

Le travail de Médecins du Monde est un travail de proximité avec les personnes qui se prostituent : elles viennent nous consulter et se livrent à nous en toute confiance. Nous tenons fortement à cette proximité, que nous revendiquons, car tout ce qui contribuerait à éloigner ces personnes de ceux en qui elles ont confiance les éloignerait par là même du soin et contribuerait à leur exclusion et à leur stigmatisation.

Je vais maintenant laisser la parole à mes deux collègues.

M. Tim Leicester, coordinateur du Lotus Bus à Paris. Je m’occupe à Paris d’un programme d’assistance aux personnes chinoises qui se prostituent, toutes déjà extrêmement vulnérables et marginalisées. Nous avons documenté depuis dix ans tous les effets du délit de racolage, qui est un des facteurs majeurs de cette marginalisation et de cette vulnérabilité comme cela a été confirmé dans le rapport sénatorial sur la proposition de loi visant à abroger ce délit, adoptée par la Haute assemblée en mars dernier.

Pour nous, la pénalisation des clients ne peut avoir d’autre effet que d’accentuer ces effets négatifs : les personnes seront amenées à se rendre plus invisibles ou à rester dans l’invisibilité, qui est un facteur de risque ; ne pouvant plus entrer en contact avec des clients dans la rue, elles seront contraintes de recourir à des intermédiaires, qui le feront pour elles par le biais d’Internet, et qui leur organiseront des rendez-vous. La pénalisation des clients favorisera donc l’exploitation et le proxénétisme, et rendra ces personnes moins indépendantes, ce qui aura également un impact sur leur santé. En effet, moins les personnes sont indépendantes, moins elles sont en mesure d’imposer leurs conditions, comme le port de préservatif ou l’exclusion de certaines pratiques sexuelles.

Nous pensons aussi que la pénalisation aggravera l’exposition aux violences. En effet, quand les personnes sont éloignées du soin et des services de prévention ou d’accompagnement, elles sont plus vulnérables aux violences – aussi bien physiques que sexuelles – et ont plus de difficultés à accéder au droit.

Je sais que vous vous êtes inspirés du modèle suédois, mais c’est à nos yeux un contre-modèle. Nous nous sommes renseignés sur les effets de la pénalisation des clients en Suède, et le bilan est pour nous assez clair : elle n’a pas fait diminuer la prostitution, mais a accru la stigmatisation des personnes qui se prostituent. En Suède, on considère que c’est une réussite dans la mesure où cette stigmatisation décourage le recours à la prostitution. Pour ma part, je considère que c’est un des facteurs majeurs qui empêche les personnes se prostituant d’accéder aux soins et aux droits.

Mme Irène Aboudaram, coordinatrice du Funambus à Nantes. Je travaille à Nantes, dans le cadre d’un programme s’adressant à des personnes en provenance de différents pays qui travaillent essentiellement dans la rue. Nous sommes ainsi souvent témoins de ce que le rapport de l’IGAS mettait en avant, à savoir la complexité et la diversité des situations.

Pourquoi pénaliser les clients si on veut lutter contre la traite ? Je pense que c’est la question à laquelle il faudrait que l’on réponde aujourd’hui.

À Paris ou à Nantes, nous avons déjà discuté de cette proposition de loi avec les intéressées. Nous savons que certaines, pensant que le texte était déjà voté, ont pris peur et ont modifié leur stratégie, s’enfonçant encore plus dans la clandestinité. L’adoption de ce texte ne peut qu’accentuer cette évolution. Or, comment lutter contre le trafic des êtres humains et travailler en proximité sur des questions de santé si cette population n’est plus accessible ?

Nous avons travaillé à Nantes auprès de personnes qui se prostituent en recourant à Internet, et c’était déjà compliqué. Les forces de l’ordre ont également du mal à lutter contre la traite dans ces conditions, car cela réduit leur possibilité d’obtenir les informations nécessaires auprès des clients ou des personnes prostituées.

M. le président Guy Geoffroy. Avant de passer la parole à notre rapporteure, je voudrais poser deux questions, qui s’adressent à l’ensemble d’entre vous.

La première m’a été suggérée par la première intervention : comment différencier, de manière objective, une personne qui se prostitue volontairement d’une personne qui n’accepte pas sa situation prostitutionnelle ?

Ma seconde question m’est inspirée par le sondage dont nous avons eu connaissance hier : 73 % de nos concitoyens seraient favorables à l’idée de responsabiliser les clients de la prostitution, mais une majorité d’entre eux seraient néanmoins opposés à l’idée de les sanctionner par une amende, comme le prévoit cette proposition de loi. Quelle est votre opinion ?

Mme Cécile Lhuillier. Sauf erreur de ma part, ce sondage a été commandité par le ministère des droits des femmes. Quoi qu’il en soit, qu’il s’agisse de responsabiliser les clients en leur proposant des stages ou de les pénaliser en leur infligeant des amendes, le résultat sera le même : il faudra les interpeller et les forces de l’ordre se retrouveront au cœur du dispositif ; la répression prendra le pas sur tout le reste !

Je pense qu’il y a peut-être une autre solution pour impliquer les clients et leur rappeler qu’ils sont partie prenante dans l’échange sexuel tarifé : développer les campagnes de prévention. Les travailleuses du sexe elles-mêmes en avaient mis au point d’excellentes, en passant par une association communautaire de Lille, mais l’expérience a malheureusement avorté faute de moyens. Cela me permet de rappeler que les travailleurs et travailleuse du sexe sont parmi les premiers acteurs ou actrices de la prévention du VIH et des infections sexuellement transmissibles.

M. le président Guy Geoffroy. Madame, le fait que ce sondage ait été commandé par le ministère des droits des femmes ne saurait, bien sûr, jeter la suspicion sur les résultats obtenus ? Je n’ose imaginer que certains puissent penser le contraire.

Mme Cécile Lhuillier. Il n’y avait pas de suspicion dans mes propos. Mais peut-être que, commandé par le STRASS, il aurait donné des résultats différents. Mais nous n’allons pas gloser sur les sondages…

M. le président Guy Geoffroy. Une question est une question, une réponse est une réponse. Mais je suis intéressé par ce que vous venez de dire.

Mme France Arnould. Monsieur le président, vous avez demandé comment différencier les femmes qui ont choisi de se prostituer de celles qui ne l’ont pas choisi.

Dans notre association, qui est une association de santé communautaire créée par des femmes, nous appelons « femmes traditionnelles » les femmes qui ont choisi l’activité prostitutionnelle. Au sein de nos équipes, certaines d’entre elles interviennent. De ce fait, nous avons tous les codes.

Une personne prostituée dite traditionnelle a deux personnalités : une dans sa vie privée, une quand elle travaille. Quand elle travaille, elle change et prend un pseudonyme, se comportant exactement comme une actrice qui joue un rôle. Elle se transforme et met certains vêtements pour recevoir ses clients. Dans sa vie privée, c’est une tout autre personne. Ce dédoublement de personnalité est très important : celles qui n’y parviennent pas se heurtent tôt ou tard à de graves problèmes psychologiques.

Il existe encore des personnes prostituées traditionnelles : des femmes d’un certain âge, qui travaillent sans proxénète, qui exercent leur activité comme une activité normale, tels jours, de telle heure à telle heure. Elles prennent des vacances, s’occupent de leurs enfants, elles ont une vie de famille. Ce sont des femmes à part entière.

Ces femmes ont donc un certain âge. En cas de pénalisation des clients, que vont-elles devenir ? Elles ne voudront pas, ou ne pourront pas, travailler autrement. Et ce n’est pas une question de niveau d’études – certaines ont un solide bagage. Si elles ont choisi la prostitution, c’est aussi pour la liberté et les ressources financières que ce travail leur assure. Pour conforter le propos de Mme Lhuillier, je dirai que ces personnes sont les actrices de leur propre vie et elles n’ont aucun rapport sans préservatif. Leur santé et leur outil de travail, c’est le préservatif.

Si cette proposition de loi est adoptée, toutes les personnes qui sont victimes de la traite seront encore plus exposées. Les « traditionnelles », quant à elles, auront moins de clients et moins d’argent. Et il y a toutes les situations intermédiaires. En effet, on ne peut pas parler de « la » prostitution, mais seulement des différentes formes de prostitution. Chaque personne a sa propre prostitution. Voilà pourquoi la vigilance s’impose. Et ce n’est pas en pénalisant le client que l’on améliorera les choses. Je pense même que ce texte aura des conséquences plus graves encore que le texte sur le racolage passif – en particulier sur la santé de ces personnes.

Il faut certes réagir. La traite, notamment, est insupportable. Peut-être faudrait-il donner davantage de moyens à la police… Mais, pour être efficace, il faudrait accorder un statut aux prostituées. Tolérer ne signifie rien. Il faut un cadre pour les femmes prostituées qui ont voulu exercer cette activité et veulent être reconnues en tant que telles. Cela contribuerait d’ailleurs à diminuer le nombre des réseaux.

Maîtresse Gilda. Je voudrais compléter les propos de France Arnould sur la façon de déterminer qui est contrainte et qui est libre dans ce métier.

Selon moi, la question n’est absolument pas pertinente quand on évoque la pénalisation des clients des prostituées. Ce n’est pas en précarisant et en pénalisant les clients, donc en diminuant les ressources des personnes, qu’elles soient contraintes ou qu’elles soient libres, qu’on les aidera. C’est en leur donnant accès au droit pour qu’elles aient les moyens de se défendre.

Aujourd’hui, une grande partie des travailleuses du sexe, notamment les migrantes sans papiers, ne peuvent pas, n’osent pas, parce qu’elles ont peur, aller déposer plainte lorsqu’elles sont victimes d’agression, de vols ou en cas d’incidents ou d’abus policiers – dont nous avons régulièrement connaissance à la permanence du STRASS. Ces personnes-là ne savent pas qu’elles ont le droit de se défendre. Elles n’ont pas accès au droit. Ce n’est pas en pénalisant les clients, donc en aggravant la répression et en multipliant les interventions de la police sur les lieux de prostitution qu’on va les aider à se défendre contre les abus et les violences qu’elles subissent.

Je ne suis pas la seule à dire qu’en matière de prostitution, il faut se garder de tout amalgame. Dans le rapport de l’IGAS ou dans les recommandations du PNUD, on insiste sur le fait qu’il n’y a pas une prostitution, mais des prostitutions, et des réalités de terrain plurielles que les associations connaissent. On ne peut pas faire une politique fondée sur un seul aspect de la question, qu’il ne s’agit d’ailleurs pas de nier : de fait, l’exploitation et la traite existent.

Le droit français comporte des armes pour lutter contre la traite, contre l’exploitation et contre le travail forcé. Mais ces armes, on ne les utilise pas. Plus généralement, le droit commun n’est pas appliqué dès lors qu’il s’agit de travailleurs et de travailleuses du sexe. France Arnould revendiquait un cadre légal. Pour moi, le droit commun est le minimum requis. Il ne faut pas s’appuyer sur des dispositions légales qui excluent du droit commun les travailleurs et les travailleuses du sexe, mais au contraire faire en sorte que le droit commun les protège.

J’entends très peu les partisans de la pénalisation et les abolitionnistes s’offusquer du fait que les ordonnances de 1960 – qui définissent les fléaux sociaux à combattre – soient toujours en vigueur concernant les prostituées. Dans cette liste, on trouvait l’alcoolisme, la prostitution, l’homosexualité et la tuberculose. L’homosexualité a été retirée de ce texte il y a quelques années ; la tuberculose aussi, je suppose ; mais pas la prostitution. Nous sommes toujours frappés du sceau de l’infamie, un peu comme sous l’Ancien régime, où l’on flétrissait les prostituées en les marquant à l’épaule d’une fleur de lys. La loi renforce ce stigmate. Et je n’entends personne, à part Les Amis du Bus des Femmes et les associations comme la nôtre, réclamer l’abrogation de cette disposition des ordonnances de 1960.

M. le président Guy Geoffroy. Avant de passer la parole à la rapporteure, permettez-moi de vous faire remarquer que je n’ai pas le sentiment que ma question ait été impertinente.

Maîtresse Gilda. Ce n’était pas mon propos…

M. le président Guy Geoffroy. Mais c’est ce que vous avez dit ! Vous avez dit qu’essayer de savoir quelle était la frontière entre la prostitution dite choisie et la prostitution non choisie n’était pas pertinent…

Maîtresse Gilda. Quand il s’agit de légiférer dans un sens ou dans un autre, je pense en effet que ce n’est pas pertinent.

M. le président Guy Geoffroy. J’ai posé cette question pour avoir la réponse, et non pas pour avoir une réponse découlant de ce que vous pensez de la proposition de loi. Je suis un peu déçu…

Maîtresse Gilda. Je suppose que nous sommes justement là pour examiner cette proposition de loi. Je pensais que votre question était destinée à éclairer la Commission spéciale sur ce texte…

M. le président Guy Geoffroy. Ma question était : comment distinguer, d’après les éléments tirés de votre expérience et de votre analyse, la prostitution choisie, dont on nous dit qu’elle serait l’expression d’une liberté, de la prostitution non choisie ? Et je souhaitais obtenir des informations qui ne soient pas connotées par le jugement que les uns et les autres peuvent porter sur la proposition de loi que nous étudions.

Très sincèrement, je ne pense pas que ce soit impertinent.

Maîtresse Gilda. Je n’ai pas dit que c’était impertinent, j’ai dit qu’il n’était pas pertinent de fonder une disposition légale uniquement sur le fait de savoir si la prostitution est forcée ou si elle est libre.

Prenez le travail dans sa globalité. Dans quelque secteur que ce soit, le travail est bien évidemment soumis à des contraintes économiques, dont celle de se procurer des ressources. Allez dans le métro à sept heures du matin et demandez aux gens s’ils sont ravis d’aller travailler ou s’ils y vont par obligation. Ils vous diront qu’ils y sont obligés parce qu’ils ont un frigo à remplir et un loyer à payer. Le travail sexuel n’échappe pas, bien évidemment, à ces contraintes économiques.

S’il s’agit de dire qu’il faut lutter contre la traite, contre l’exploitation et contre le travail forcé, nous sommes tous d’accord, quelles que soient nos positions par ailleurs. Mais s’il s’agit de mettre au point une réglementation qui concerne l’ensemble du travail sexuel en prenant en compte le fait qu’il est contraint ou qu’il est libre, nous ne pouvons pas vous suivre : cela ne marchera pas. C’est exactement ce que l’on nous a présenté il y a dix ans, avec la loi pénalisant le racolage passif.

Mme Irène Aboudaram. La question du choix est extrêmement complexe et ne se réglera pas dans l’heure qui vient. Les programmes de Médecins du Monde s’adressent à toutes les personnes quel que soit leur choix, que ce soit celui d’un parcours migratoire ou celui d’une stratégie en réponse à une situation de précarité – le lot de la plupart des personnes que nous rencontrons. Notre travail, qui est comme on l’a dit un travail de proximité, qui demande du temps et qui repose sur la confiance, vise à faire en sorte que toutes les personnes qui s’adressent à nous puissent mener leur projet comme elles l’entendent. C’est un point qu’il me semble important d’avoir en tête quand on réfléchit à des textes de loi.

Mme Maud Olivier, rapporteure. M. Geoffroy a coutume de rappeler que les auditions nous permettent d’acquérir certaines connaissances, d’entendre diverses opinions, d’apporter éventuellement telle ou telle inflexion ou amélioration aux textes sur lesquels nous travaillons – en l’occurrence, aujourd’hui, cette proposition de loi. De fait, je serais très intéressée par les propositions que vous pourriez nous faire.

Malgré tout le mal que vous en pensez, cette proposition de loi comporte un volet extrêmement important sur l’accompagnement social et sanitaire des personnes qui veulent sortir de la prostitution. Ces dispositions pourraient probablement être améliorées et précisées. J’aimerais vous entendre à ce propos.

J’aimerais également savoir ce que vous pourriez nous suggérer pour lutter contre la traite, qui est un phénomène gravissime et la deuxième ressource mondiale de la criminalité. Je vous ai entendu dire que les forces de l’ordre n’étaient pas les bienvenues. Mais à qui s’adresser, si ce n’est à la police ou à la gendarmerie ? L’un de vous a parlé des « cyberflics ». Ils existent déjà, et heureusement car comment lutter sinon contre la pédopornographie ? J’espère que vous me rejoignez sur ce point.

Mme Cécile Lhuillier. En faisant une place centrale aux forces de l’ordre, dont le métier est la répression, votre proposition de loi, malgré toute la bonne volonté dont témoigne son volet social, compromet la réussite des mesures d’accompagnement dont elle est assortie.

Il faut savoir par exemple que, pour qualifier le délit de racolage public encore en vigueur, les forces de l’ordre se fondent sur le nombre de préservatifs trouvés en votre possession : une femme contrôlée en possession d’une capote ne risque rien ; celle qui en détient une dizaine, en revanche, sera considérée comme prostituée et inquiétée pour racolage. L’omniprésence des forces de l’ordre dans votre dispositif me pose donc problème.

M. Tim Leicester. Nous partageons tous le même objectif : faire en sorte qu’il y ait le moins possible de personnes obligées de se prostituer et que celles qui le font le fassent dans les meilleures conditions sanitaires.

À cet égard, la proposition consistant à remettre aux personnes identifiées par des associations agréées comme des victimes de la traite des titres de séjour de six mois assortis de l’allocation temporaire d’attente (ATA), à condition qu’elles arrêtent la prostitution, ne me paraît pas pertinente. Il est certes important de placer la victime au cœur de l’action contre la traite mais, en subordonnant l’octroi de ces droits administratifs et sociaux à l’arrêt de la prostitution, on risque de faire perdre à cette mesure toute son efficacité.

Il est en effet irréaliste de penser que des personnes qui, du fait de leur parcours migratoire, ont de très lourdes dettes ou des familles qui dépendent de l’argent qu’elles leur envoient vont sacrifier leurs revenus pour toucher les quelque 300 euros mensuels de l’ATA. Obligées de continuer à se prostituer, elles risquent, si elles sont prises sur le fait, de se voir retirer leur titre de séjour, ce qui compromettra leur projet de réinsertion. Certaines préfectures utilisent déjà les titres de séjour comme un moyen de pression, subordonnant leur délivrance à l’arrêt de la prostitution alors même que celle-ci n’est pas illégale.

D’autre part, la police et de la gendarmerie ont les plus grandes difficultés à impliquer les victimes dans les procédures engagées en vue de démanteler les réseaux de traite ou de proxénétisme. Ces victimes sont considérées comme des témoins indispensables, mais il est fait peu de cas de leur situation personnelle et de leur besoin de protection, ce qui ne les incite pas à témoigner. Il est donc nécessaire de tout faire pour les mettre en confiance, pour les rapprocher des associations et leur offrir un meilleur accès aux soins et aux droits fondamentaux, afin qu’elles soient en mesure de porter plainte lorsqu’elles sont victimes de violences. En pénalisant les clients, on va au contraire les replonger dans la clandestinité et renforcer leur invisibilité.

Mme la rapporteure. La proposition de loi donne pouvoir aux associations de se porter partie civile à la place de la personne prostituée et permet que celle-ci témoigne à huis clos.

Je suis consciente que l’accompagnement prévu puisse n’être pas suffisant, mais nous proposons de supprimer le délit de racolage, ce qui fait que les personnes qui se prostituent ne pourront plus être considérées par la police comme des délinquantes. Je rappelle que la prostitution n’est pas interdite et que nous ne sommes pas prohibitionnistes. Chacun fait ce qu’il veut de son corps ; en revanche, de l’avis de notre groupe de travail, on ne peut pas faire ce qu’on veut du corps de l’autre !

J’ai conscience qu’il faudra sans doute du temps pour que la confiance se réinstalle, mais ces personnes pourront désormais porter plainte plus facilement auprès de la police et se faire défendre par des associations.

Maîtresse Gilda. Ce que vous venez de dire est complètement faux. On sait aujourd’hui, avec dix ans de recul, que, contrairement à ce qui est communément admis, la Suède n’est pas un paradis pour les travailleuses du sexe.

On considère communément qu’une majorité de Suédois approuverait la loi qui pénalise l’achat de services sexuels, considérant les travailleuses du sexe comme des victimes, mais la réalité, c’est que cette majorité regarde aujourd’hui les prostituées comme des délinquantes qui devraient être poursuivies pénalement au même titre que leurs clients. La stigmatisation des travailleuses du sexe est donc massive et entrave leur accès au droit, tout comme le contrôle social qu’elles subissent, notamment pour conserver la garde de leurs enfants.

En théorie, on peut penser que le statut de victime favorise la prise en charge par la police mais, dans la vraie vie, les choses ne se passent pas ainsi. D’ailleurs, avant l’instauration du délit de racolage, les migrantes sans papiers victimes de violences n’allaient pas davantage porter plainte.

Le délit de racolage passif aggrave évidemment la situation, mais ce n’est pas en nous collant sur le dos une étiquette de victime que l’on arrangera les choses. Ce qui importe, c’est de pouvoir accéder au droit commun sans dépendre d’une association agréée, qui déterminera si vous méritez ou non d’être défendue en fonction de votre mode de vie.

M. le président Guy Geoffroy. Aucun juge de paix ne pourra, dans la demi-heure qui vient, nous départager sur la lecture du rapport de l’IGAS ou sur la valeur de l’exemple suédois. Je souhaiterais donc que l’on évite les affirmations non vérifiables.

Maîtresse Gilda. Elles sont tout à fait vérifiables !

M. le président Guy Geoffroy. Personne n’a répondu à la question de la rapporteure sur ce qu’il fallait faire pour protéger les victimes de la traite des êtres humains.

L’une d’entre vous a parlé de choix d’un parcours de migration : la formule est extraordinaire s’agissant de personnes que l’on est venu chercher chez elles, prenant leur famille en otage, et à qui l’on extorque au final le double de l’argent demandé au départ pour les faire voyager. Quelles solutions alternatives proposez-vous donc pour mieux combattre la traite des êtres humains ? Car c’est bien de cette traite que sont victimes les jeunes migrantes chinoises soumises dans notre pays à des conditions de vie dramatiques.

Si l’on récuse l’emploi de moyens légaux pour approcher prostituées et clients et que l’on récuse toute intervention des policiers et gendarmes, comment fait-on, au-delà des déclarations de principe, pour combattre sur le terrain la traite des êtres humains ? Pourriez-vous nous donner des éléments nous permettant d’avancer sur le sujet ?

Mme France Arnould. Monsieur le président, quelque chose me dérange dans vos propos. Toutes les personnes immigrées pratiquant la prostitution ne sont pas victimes de la traite des êtres humains. Il ne faut pas faire d’amalgame.

Mme Irène Aboudaram. À Nantes, où nous travaillons depuis 2000 auprès de personnes qui se prostituent, nous avons vu varier le profil de la file active, notamment avec l’arrivée de femmes originaires du Nigéria. Si, au regard de la loi, ces femmes sont en effet victimes de la traite, au sens où on les a aidées à passer les frontières puis procuré un hébergement, j’aimerais néanmoins nuancer vos propos, monsieur le président. Même si cela vous heurte, un parcours migratoire peut procéder d’un choix, celui de vivre en Europe, dans un pays offrant de meilleures perspectives que le Nigéria.

Il existe une multitude de parcours. Certaines femmes à qui l’on a promis un emploi de garde d’enfants ou un travail dans la restauration ainsi que des papiers se font complètement avoir et sont en effet victimes de la traite. Mais d’autres ont décidé librement de contracter une dette élevée pour venir en France, en disposant de certaines informations même s’il est probable qu’elles ne mesuraient pas totalement les implications d’un tel choix. Une fois en France, certaines ne parviennent pas à s’accommoder du travail dans la rue ; elles souffrent du froid, de la clandestinité, de la peur de la police, des discriminations et du manque d’accès aux soins. Ces femmes ont besoin d’aide pour s’en sortir et votre proposition de loi leur apportera peut-être quelques réponses. D’autres, en revanche, s’accommodent de la situation, parce qu’elles ont réalisé leur projet qui était d’émigrer en Europe. Ce n’est ni un jugement ni de l’idéologie, mais un constat de terrain.

J’ai conscience que cela ne répond pas à votre question, mais il me semble que les représentants des forces de l’ordre que vous avez auditionnés hier ont expliqué que la pénalisation des clients ne les aiderait pas forcément à mieux combattre la traite. Je vous renvoie d’ailleurs à la loi pour la sécurité intérieure dont on avait dit qu’elle permettrait à la police d’approcher les victimes, ce qui ne s’est pas avéré dans les faits. Ce n’est jamais la police qui arrive à faire avouer aux victimes des réseaux qu’elles sont exploitées, mais les acteurs de terrain, au terme d’un long et patient travail d’approche.

M. Jean-Marc Germain. Il est normal qu’un représentant du syndicat des travailleurs du sexe défende des femmes ou des hommes qui gagnent leur vie en faisant commerce de leur corps, mais la société a le devoir de poser des limites, notamment à ce que la pression économique peut imposer à ses membres. Un ancien président de la Banque mondiale préconisait que l’on exporte en Afrique nos centrales nucléaires et nos industries de l’amiante ; avec l’argent généré, disait-il, les Africains vivraient mieux qu’aujourd’hui. Ce n’est pas ma conception de l’organisation humaine.

Notre principale difficulté est de distinguer ce qui relève du libre choix de vie de ce qui participe de la traite humaine, fléau d’autant plus insupportable qu’il est en forte croissance. C’est pour cela que nous attendons vos retours de terrain, notamment sur la question des risques sanitaires.

Vous les relativisez, mais les rapports font état de chiffres effrayants, indiquant que le taux de prostituées victimes de traite humaine serait passé en quelques dizaines d’années de 20 % à 80 %. C’est pour mettre un terme à cette réalité inacceptable que notre proposition de loi tend à lutter en priorité contre le proxénétisme et prévoit un accompagnement des prostituées, qui ne doivent plus être considérées comme des coupables mais comme des victimes ; d’où la suppression du délit de racolage.

Il s’agit enfin, en pénalisant les clients, de leur signifier qu’en consommant des prestations sexuelles, ils contribuent à alimenter les réseaux de traite humaine. Sans nier les risques que cela comporte – les prostituées étant poussées à se cacher pour éviter les contraventions –, nous souhaitons, soit par le biais d’un stage de sensibilisation – idée à laquelle l’opinion publique semble majoritairement favorable –, soit au moyen d’une contravention, adresser un message fort aux clients potentiels.

Cela étant, nos échanges doivent nous permettre de trouver les voies et moyens permettant aux prostituées qui le souhaitent de continuer à exercer librement leur activité.

Mme Cécile Lhuillier. Monsieur le député, j’entends votre désir de défendre une société idéale dans laquelle la prostitution n’existerait pas, et votre volonté, dans cette perspective, de rappeler au client qu’il est partie prenante de ce que vous appelez le système prostitutionnel.

Au-delà cependant de ces mises en garde symboliques, comment, concrètement, allez-vous appréhender les clients sur le fait sans que les premières concernées, les travailleuses du sexe, en paient les conséquences ? On sait depuis des siècles que les rapports entre la police et les prostituées ne sont pas bons. La première fait fuir les secondes, que les associations ne parviennent plus à atteindre pour leur fournir du matériel de prévention. Les violences policières ne sont pas un mythe.

Que vous considériez les prostituées comme des victimes et que vous souhaitiez les protéger, soit, même si je pense qu’on ne protège pas les gens en les confrontant à la police et en leur faisant risquer la prison. À nos yeux, une prostituée est d’abord un sujet, et ce n’est pas parce qu’une personne est victime qu’elle ne peut pas s’exprimer et qu’on doit parler à sa place.

Pour répondre enfin à la question de Mme Olivier, nous proposons : l’abrogation du délit de racolage public, passif et actif ; l’abandon du projet de pénalisation des clients ; un accès aux titres de séjour qui ne soit plus subordonné à l’arrêt de la prostitution ; des droits inconditionnels pour les victimes de la traite. Nous rejoignons là les préconisations du Conseil national du sida en faveur d’un renforcement des droits à la protection sociale, au séjour et au logement, comme nous rejoignons les recommandations qu’il a faites en 2010 pour une mise en cohérence des politiques publiques, dans le cadre d’une concertation entre les ministères de l’intérieur, de la santé, du logement, et de la justice. Comme la lutte contre le sida, la prostitution est en effet une question transversale.

M. le président Guy Geoffroy. Nous allons auditionner les représentants de ces ministères.

M. Frédéric Reiss. Nous comprenons que, pour les participants de cette table ronde, pénalisation des clients est synonyme de stigmatisation des prostituées. Nous sommes néanmoins tous d’accord sur la nécessité de fournir à celles-ci un meilleur accès au droit et aux soins et de combattre la violence, les réseaux et la traite.

J’aurai donc deux questions : comment accompagner les victimes d’exploitation sexuelle qui souhaitent quitter la prostitution ? Croyez-vous à l’effet dissuasif d’une loi ?

Maîtresse Gilda. La traite et l’exploitation, telles qu’elles sont définies par le droit international et par le droit français, ne concernent pas uniquement le travail sexuel mais d’autres secteurs d’activité comme la restauration, le bâtiment ou le textile. Certains ont peut-être en mémoire les ateliers de confection clandestins découverts il y quelques années au cœur de Paris : il y avait là de véritables réseaux d’esclavage. Pour autant, les acheteurs de tee-shirts n’ont pas été pénalisés, car ce n’est pas en pénalisant le destinataire final des services et des biens produits de manière criminelle qu’on protège les victimes de la traite, mais en faisant usage du droit commun – du code pénal et du code du travail.

Je vous invite à vous rendre un lundi matin à la gare routière de la porte de Bagnolet. Vous y verrez un vrai trafic d’êtres humains : les travailleurs du bâtiment sans papiers y sont choisis comme du bétail pour travailler à la journée sur des chantiers qui sont parfois ceux de groupes français d’envergure internationale – je ne les citerai pas ici mais tout le monde les reconnaîtra.

Ce qui permet de lutter contre le trafic, l’exploitation et le travail forcé dans un secteur d’activité, c’est le droit, non la relégation dans la clandestinité, au nom de la morale ou d’une certaine conception de la société.

L’expression « système prostitutionnel » employée dans le titre de votre proposition de loi n’est qu’un euphémisme tiré de je ne sais quelle novlangue pour désigner la prostitution. Si votre texte s’était intitulé « Proposition de loi renforçant la lutte contre le travail forcé, l’exploitation et la traite des êtres humains », sans doute aurions-nous pu discuter sur des bases plus sérieuses, mais, en l’état, il vise à lutter contre la prostitution. Il faut appeler un chat un chat !

Mme Francine Lepany. Il ne faut pas confondre la prostitution classique, l’exploitation sexuelle, qui ne relève pas forcément d’un réseau, et la prostitution en réseau, chaque situation appelant un traitement différent.

Il est dommage à cet égard que votre proposition de loi reste très en deçà du rapport rendu par votre Commission des lois en 2011. Elle ne reprend pas certaines des recommandations assez remarquables que contenait ce rapport, en matière notamment de revenu minimum ou de logement. Son caractère répressif apparaît clairement à la lecture de l’exposé des motifs, puisque vous expliquez que la suppression du délit de racolage ne crée pas un vide juridique dans la mesure où subsistent d’autres infractions comme le proxénétisme ou l’exhibition sexuelle. Vous devez être clairs : s’il s’agit de ne plus considérer les prostituées comme des délinquantes, il faut supprimer tous les délits qui les visent comme telles.

D’autre part, on peut s’interroger sur l’efficacité de votre disposition relative aux titres de séjour, car je ne vois pas comment l’attribution de titres pour une durée de trois ou six mois permettra de régler le problème de la traite.

Quant aux mesures sociales qui doivent compléter votre lutte contre la prostitution, il est inquiétant que nos subventions soient appelées à dépendre du fait que les personnes que nous accueillons s’engagent ou non à sortir de la prostitution. En effet, quand les femmes arrivent chez nous, elles ne sont pas encore dans cet état d’esprit. Or nous sommes là pour les accompagner, y compris dans la prostitution, car elles n’ont pas toujours les moyens de s’en sortir. Si vous conditionnez les actions sociales menées en leur faveur à la sortie de la prostitution, comment allons-nous pouvoir travailler à l’avenir ?

Maîtresse Gilda. Je renvoie la Commission spéciale à l’avis de la Commission nationale consultative des droits de l’homme sur la traite et l’exploitation, notamment à ses recommandations sur les dispositions légales répressives concernant le travail sexuel. Nous sommes sur les mêmes positions et souhaitons que le travail sexuel ou la prostitution – appelez cela comme vous voudrez – ne soient pas encadrés par des dispositions spécifiques, mais qu’elles soient soumises au droit commun.

M. le président Guy Geoffroy. Voilà plusieurs fois que vous utilisez cette expression de « droit commun », comme si le droit voté par les parlementaires n’était pas le droit et comme si, dès lors que les mesures que nous adoptons ne vous plaisent pas, elles ne faisaient pas partie du droit commun.

Maîtresse Gilda. C’est un malentendu.

M. le président Guy Geoffroy. Merci de l’admettre.

Madame Lhuillier, j’espère vous avoir mal comprise lorsque vous avez dit que vous ne vouliez plus de pénalisation des prostituées, donc pas de délit de racolage ni aucune autre forme d’incrimination pénale susceptible de les inquiéter. Vous réclamez également qu’il n’y ait pas de responsabilisation ou de pénalisation du client et qu’aucune réserve ne soit posée à l’attribution de papiers à des personnes en situation irrégulière se prostituant dans notre pays. Si des responsables de réseau de prostitution ou de traite des êtres humains vous écoutent, ne sont-ils pas fondés à espérer que les parlementaires vous entendent pour leur assurer un avenir serein ?

Mme Cécile Lhuillier. Dieu me garde de me mettre dans la tête d’un proxénète ! Vous nous avez demandé de faire des propositions. J’ai donc dit que nous revendiquions l’abolition du délit de racolage public et l’abandon du projet de pénalisation des clients, ce qui équivaut en effet à renoncer aux dispositions répressives ou pénales que vous envisagez. Nous demandons également que l’accès à un titre de séjour ou aux droits sociaux ne soit pas conditionné à l’arrêt de la prostitution, et j’ai en effet employé l’expression « droits inconditionnels », puisque j’ai repris une des propositions contenues dans l’avis du CNS, qui demande des droits inconditionnels pour les victimes de la traite.

Au-delà de toute considération idéologique, l’ambition d’Act Up est que les personnes qui souhaitent vivre du travail sexuel puissent le faire dans de bonnes conditions sanitaires, sans être exposées aux violences et en ayant accès au droit. Quant aux personnes qui le font sous la contrainte, qu’il s’agisse d’une contrainte économique ou de ces formes de coercition que sont la traite, la servitude ou le travail forcé, nous souhaitons qu’elles puissent faire autre chose. Or faire autre chose, pour des migrantes, cela ne commence-t-il pas par l’obtention d’un titre de séjour et d’un permis de travail ?

Mme la rapporteure. Je ne considère pas qu’un acte sexuel tarifé soit assimilable à un travail. Je me suis fait copieusement insulter, mais je ne suis ni moralisatrice ni liberticide : chacun a, selon moi, la liberté de disposer de son corps. En revanche, je dénie à quiconque le droit d’acheter le corps de quelqu’un d’autre.

Quand nous légiférons, ce n’est pas pour une minorité. Les chiffres dont nous disposons indiquent qu’environ 80 % des personnes qui se prostituent sur notre territoire sont victimes de la traite et de réseaux qui, souvent, vont les chercher à l’étranger. Notre proposition de loi est donc bâtie pour protéger cette majorité de personnes. Encore une fois, nous sommes abolitionnistes et non prohibitionnistes. Nous n’interdisons pas la prostitution.

Mme Lepany se plaint que nous n’ayons pas tenu compte des préconisations du rapport de Danielle Bousquet et de Guy Geoffroy, mais la première de celles-ci n’était-elle pas de créer un délit sanctionnant le recours à la prostitution ? Notre proposition de loi comporte sans doute des manques, mais nous pouvons au moins nous accorder sur le fait que nous souhaitons tous voir diminuer le nombre de personnes obligées de se prostituer.

Un mot, pour conclure, sur le volet pédagogique de la loi. Parler de sanction et de responsabilisation du client, c’est en effet faire œuvre de pédagogie, envers nos jeunes générations notamment. De plus en plus de mineurs se prostituent, souvent sous l’emprise des réseaux, et il est important de lutter contre la domination masculine et d’ancrer dans les mentalités la notion d’égalité entre filles et garçons ; 99 % des clients ayant recours à des actes sexuels tarifés sont des hommes, et il est primordial de modifier le regard des jeunes sur la femme, pour qu’ils cessent de considérer son corps comme une marchandise, ce qui autorise toutes les violences possibles.

M. Tim Leicester. Faire état de pourcentages n’est pas très constructif car personne ne dispose de chiffres fiables sur la prostitution. En revanche, nous sommes certains que pénaliser les clients revient à frapper de manière indifférenciée les personnes qui se prostituent sous la contrainte et celles qui le font librement, en les poussant toutes vers la clandestinité. L’impact sera d’autant plus négatif que les prostituées sont vulnérables et marginalisées, car la pénalisation s’appliquera d’abord à la prostitution de rue : c’est en effet dans la rue qu’il sera possible d’arrêter les clients, et non sur Internet.

M. le président Guy Geoffroy. Merci à toutes et à tous. La densité de cet échange aura au moins montré qu’il était nécessaire.

Audition de Mme Laurence Noëlle et de Mme Rozen Hicher, sorties de la prostitution

(extrait du procès-verbal de la séance du 31 octobre 2013)

M. Guy Geoffroy, président de la Commission. Je vous remercie, mesdames, d’avoir bien voulu répondre à notre invitation. Les travaux de la commission spéciale visent à préparer l’examen par l’Assemblée nationale de la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel. Cette proposition de loi fait suite aux travaux menés il y a deux ans par la mission d’information de notre commission des lois sur la prostitution en France, qui avait abouti à une proposition de résolution.

Nous venons d’entendre les représentants d’associations qui ne sont pas favorables à notre proposition de loi et nous entendrons la semaine prochaine les associations qui y sont plutôt favorables. Votre audition doit nous permettre d’entendre la parole de personnes qui ont exercé une activité prostitutionnelle, en sont sorties et souhaitent exprimer le point de vue que leur expérience leur donne sur ces questions. Nous voudrions savoir ce que, d’après vous, notre pays doit faire pour mieux protéger les personnes prostituées et mieux lutter contre le système prostitutionnel.

Mme Rozenn Hicher. Je m’appelle Rozenn Hicher et j’ai vingt-deux ans de prostitution. Maman de six enfants, je me suis prostituée volontairement : je veux dire par là que je n’ai jamais été sous l’emprise de qui que ce soit ou de quoi que ce soit, hormis de l’argent. Au bout de vingt-deux années j’ai réussi à m’en sortir mais j’ai mis dix ans à trouver une porte de sortie. Pour en sortir, il faut savoir pourquoi on y est, comment on y est arrivé et comment faire pour s’en sortir. C’est le message qu’il me semble important de vous faire passer : c’est difficile de s’en sortir une fois qu’on est dedans. L’argent « rentre » tous les jours, et les sommes peuvent être importantes. Cela nous rassure d’une certaine façon, l’argent étant la priorité dans la prostitution. Comment faire ensuite pour vivre pendant un mois avec ce qu’on gagnait en une journée ? C’est traumatisant pour les femmes prostituées : elles ne voient pas comment elles pourraient y arriver sans la prostitution. La prostitution est une violence énorme, et l’argent tiré de la prostitution est marqué par cette violence extrême : toutes ces liquidités, on les prend, on les jette, on ne les respecte pas et on ne peut pas les respecter.

J’ai aujourd’hui cinquante-sept ans et je ne peux rien faire pour changer mon passé. En revanche, je peux lutter pour que cela n’arrive pas à d’autres, à toutes ces jeunes filles mises en esclavage sur le trottoir dans le monde, et d’abord dans mon pays.

Mme Laurence Noëlle. Aujourd’hui, je suis formatrice en relations humaines. Il m’aura fallu vingt-huit ans pour oser sortir de l’ombre. Adolescente, j’ai été piégée par un réseau de proxénètes et je suis tombée dans la prostitution. C’est le mouvement du Nid qui m’en a sortie et j’ai dû fuir mon propre pays pour sauver ma peau.

J’avais dix-huit ans alors et il m’a fallu toutes ces années pour sortir de l’ombre. Même le simple fait de vous parler, je le ressens comme un danger. Aujourd’hui, vingt-huit ans plus tard, alors que je donne des conférences, alors que je travaille pour le ministère de la justice, pour l’éducation nationale, rendre public mon passé dans la prostitution me rend encore physiquement malade. Cette peur d’affronter le mépris de la société fait que beaucoup de femmes restent dans l’ombre. Je vous remettrai tout à l’heure un recueil de trente témoignages de ces personnes qui ont encore trop peur pour sortir de l’ombre. C’est pour sortir leur parole de la honte, du silence et du mépris que je parle devant vous. Cela fait deux mille six cents ans que nous sommes méprisées : il faut que cela cesse.

Ce mépris, je l’ai retrouvé dans le dictionnaire, qui nous appelle « filles de mauvaise vie, catins, volailles, entraîneuses, entremetteuses, greluches, grues, morues, pétasses, pouffiasses, poules professionnelles, putains, putes, racoleuses, roulures, tapineuses, traînées » ; et quand on parle de « filles de joie » c’est du bon plaisir des hommes que l’on parle. Les synonymes du verbe « se prostituer » reflètent la même violence : « racoler, tapiner, s’aliéner, se sacrifier, s’avilir, s’humilier, se déshonorer ». Ce sont des mots qui blessent, qui frappent d’indignité. Voilà pourquoi toutes ces femmes, ces enfants, ces hommes victimes de la prostitution se cachent.

Aujourd’hui, je vais oser faire ce que je n’ai jamais osé faire jusqu’à présent, parce qu’il est important de faire connaître la réalité de la prostitution. Comme je ne suis pas encore capable de vous en parler en vous regardant, je vais, si vous me le permettez, lire un passage de mon livre Renaître de ses hontes, car il s’agit bien de honte : celle des personnes prostituées et celle de la société.

« Je me souviens avoir torturé des hommes qui me le demandaient. Le fantasme d’un de mes clients était que je lui fasse mal en lui écrasant les testicules avec mon pied armé d’une chaussure à talon aiguille. Il me demandait aussi de lui serrer très fort les testicules avec une cordelette. Un autre me payait uniquement pour être insulté et humilié. Je l’obligeais à descendre dans la rue en culotte et en soutien-gorge. Il en éprouvait beaucoup de plaisir. D’autres encore me payaient pour jouer ce qu’ils voyaient dans les films pornographiques. J’étais une actrice qui devait se conformer au désir du réalisateur et dire des choses bien précises prévues dans le scénario. D’autres étaient des voyeurs, des hommes qui aimaient regarder leur femme coucher avec une autre et qui se masturbaient pendant ce temps-là dans un coin de la pièce. Certains arrivaient même avec l’amant de leur femme.

« Une nuit, je suis tombée sur un malade mental. Il a tenté de me tuer en m’étranglant. Il était convulsé par la haine. Heureusement je payais très cher un videur dont le travail était de me protéger contre tous ces tarés. Si je n’avais pas laissé les clés à l’extérieur et si je n’avais pas crié, je serais morte.

« Le pire dans tout ce que j’ai vécu était de sodomiser certains clients avec un gode en cuir. À chaque fois je devais enfoncer cet horrible objet dans leur anus. J’avais des malaises physiques insoutenables.

« Ma plus grande souffrance physique était d’accepter de force des sexes trop gros pour mon vagin. J’ai rencontré plus d’un homme complexé par ce handicap. Ils ne pouvaient donc pas avoir de rapports sexuels dits normaux, alors ils allaient voir les prostituées.

« Tout supporter, même l’insupportable, encore et encore, sans pouvoir hurler de douleur ».

Je vais maintenant vous lire le passage dont j’ai le plus honte :

« À chaque client, je me précipitais sous la douche tellement je me sentais souillée, humiliée. Il me fallait encore un autre verre d’alcool ou un autre rail de cocaïne. Mon corps entier, en particulier mon vagin, me faisait terriblement souffrir. Mais le pire était l’état de mes dents. J’ai terriblement honte d’écrire ces détails-là, mais pourquoi faudrait-il continuer à se taire ? Pour ne pas déranger notre société, qui joue l’aveugle devant tant d’humiliations ? Bon nombre de mes clients achetaient une fellation : bien entendu, ils en voulaient pour leur argent, et j’étais obligée d’aller jusqu’au bout. J’avais donc une espèce de plaque dentaire, répugnante, qui m’était insupportable. J’en avais des haut-le-cœur, et je crachais sans cesse dans les toilettes pour m’en débarrasser. Je me brossais les dents continuellement pour retrouver un semblant de propreté et de dignité. Je sais que ce que j’écris est à la limite de l’insoutenable, mais c’est la réalité, la vraie ».

J’ai demandé à la psychiatre Muriel Salmona pourquoi j’étais encore dans un tel état vingt-huit ans plus tard, en dépit de nombreuses années de thérapie : elle m’a répondu qu’il s’agissait d’un syndrome de stress post-traumatique. Je dois accepter de vivre avec cette blessure.

Il est temps d’oser dire cette violence.

M. le président Guy Geoffroy. Certains évoquent l’existence d’une prostitution choisie et défendent la liberté de se prostituer, que nos propositions risqueraient de mettre en péril. Pour eux, la prostitution est une activité professionnelle comme une autre, où on peut trouver un épanouissement. Ce n’est pas du tout ce qui se dégage de vos propos, madame Hicher : alors même que vous n’étiez pas sous l’emprise d’un réseau, vous décrivez ce que vous avez vécu comme une violence insoutenable. Pouvez-vous nous expliquer en quoi cette activité se distingue de toute autre activité économique ? En un mot, pourquoi notre société ne doit pas accepter la prostitution, même « choisie » ?

Mme Rozenn Hicher. Je suis tombée dans la prostitution en mars 1988, après un lourd passé de violences familiales et conjugales. J’ai été abusé par un oncle à treize ans et par un ami de mon père à seize ans. Puis j’ai été mariée deux fois à des hommes extrêmement violents, dont l’un a provoqué ma chute dans la prostitution.

Moi aussi j’ai revendiqué ma liberté de faire ce que je voulais de mon corps, de ma vie, mais la réalité c’est qu’il n’y a pas de liberté : une fois qu’on est entré dans la prostitution on ne peut plus en sortir. Mais il faut bien qu’on se raconte qu’on a librement choisi, autrement on s’effondre. C’est ce qui m’est arrivé quand j’ai pris conscience de ce qui n’allait pas : j’ai fait un burn out et j’ai fait preuve d’un déchaînement de violence contre ma propriétaire. C’est là où je me suis dit qu’il fallait que j’arrête avant de tuer quelqu’un. Tant qu’on est dans la prostitution, on n’a pas d’autre solution que de se raconter qu’on l’a choisie.

En réalité on n’a pas choisi ce que Laurence a décrit tout à l’heure et que j’ai moi aussi vécu : toutes ces déviances sexuelles, c’est ça, le quotidien de la prostitution. Chaque client incruste un peu plus le traumatisme en nous. Je voulais vous raconter une anecdote pour vous expliquer pourquoi je tiens à ce que le client soit pénalisé. Parce que je lui refusais une pénétration sans préservatif, un client m’a menacée d’appeler la police ! C’est lui qui avait le droit d’appeler la police, moi j’avais seulement le droit de me taire.

Mme Laurence Noëlle. Vous m’auriez posé la question quand j’avais dix-sept ans, je vous aurais dit que j’avais choisi de me prostituer et que j’étais super-heureuse. J’appelle cela le choix désespéré. Évidemment on a toujours le choix : face à ce qui nous arrive, on a le choix de dire oui ou de dire non. Quand cela m’est arrivé, j’ai fait le choix de me laisser faire, de subir, parce que j’avais peur, parce que je n’étais qu’une gosse. Si c’est ça qu’on appelle choisir, alors j’ai choisi. C’est un comportement autodestructeur. Je me disais que j’avais fait ce choix parce que je ne pouvais pas faire autre chose de ma vie, parce que je n’étais pas grand-chose. C’est seulement aujourd’hui que j’ai le recul suffisant pour le comprendre, parce que je fais un travail qui me passionne et qui me permet de me réaliser. Que toutes les personnes qui prétendent être heureuses de se prostituer apprennent à connaître les richesses qui sont en elles et leur capacité créatrice, au lieu de se raconter des histoires. Auraient-elles envie de voir leurs propres enfants sur le trottoir ?

Les personnes qui choisissent de se prostituer ne savent pas ce qui va leur arriver. On dit qu’une épine d’expérience vaut une jungle de conseils : seule l’expérience vous apprend ce qu’est la prostitution. Comment expliquer le goût de la fraise à qui n’en a jamais mangé ? Le problème c’est qu’une fois qu’on y est, il est très difficile de s’en sortir. Je connais une femme qui, à soixante-dix ans, est encore sur le trottoir. Y a-t-il un âge où la prostitution n’est plus tolérable ? Où est la liberté de cette femme ? C’est son seul gagne-pain : elle n’aura ni retraite ni possibilité d’insertion professionnelle, rien, que dalle ! C’est pour ça qu’il est important de former des travailleurs sociaux à accueillir cette souffrance.

Quand on a honte, soit on se cache, soit on prétend que tout va bien. Cela permet de garder une belle image de soi. Prétendre qu’on est libre est un moyen de préserver sa dignité.

Mme Maud Olivier, rapporteure. Croyez-vous qu’il soit possible de tomber dans la prostitution quand on n’a pas subi des violences dans son enfance ou sa jeunesse ? Peut-on supporter la prostitution sans addictions ?

Mme Rozenn Hicher. Permettez-moi de vous raconter l’histoire de Myriam, une petite Belge que j’ai rencontrée il n’y a pas très longtemps, qui s’est prostituée en Belgique et est encore sous l’emprise de l’alcool aujourd’hui. Lorsqu’elle me raconte son histoire, elle me dit qu’elle s’est prostituée pour ses enfants, dans leur intérêt. Résultat : on les lui a retirés, et elle est tombée dans l’alcool. Malgré plusieurs cures de désintoxication, elle n’a pas réussi à s’en sortir. Aujourd’hui, elle continue à se prostituer, « librement » me dit-elle, et elle choisit ses clients. Mais elle tient debout avec les cachets, la drogue et l’alcool – comme beaucoup des femmes que je rencontre ou avec lesquelles je suis en relation sur les réseaux sociaux.

En ce qui me concerne, je n’avais pas l’impression de boire. Lorsque dix-neuf heures arrivaient, je buvais un verre, puis deux, puis trois. Je suis tombée dans l’alcool – peut-être pas très bas, mais j’en ai eu besoin. Toutes les femmes que je rencontre boivent ou se droguent, ou vivent de cachets. J’en ai connu une pour laquelle c’était un verre de whisky, une cigarette et un Lexomil. « J’en ai besoin parce que je suis en dépression », me disait-elle. En fait, elle était en dépression parce qu’elle se prostituait.

Mme Laurence Noëlle. J’invite tous ceux qui défendent la prostitution à se mettre en porte-jarretelles et à aller faire le trottoir. Puisque c’est si bien que cela, qu’ils aillent donc s’exposer comme un rosbif, un objet, en porte-jarretelles, dans la rue – rien que cela – pour voir un peu ce que l’on peut ressentir. Est-ce valorisant, ou humiliant ? Qu’ils essayent donc, ceux qui prônent la prostitution – tout cela pour garder leurs bénéfices et continuer à aller payer des prostituées.

L’alcool et les médicaments. Toutes les femmes que j’ai rencontrées connaissent cette dichotomie : il y a la personne qui se prostitue, et puis il y a l’autre. Toutes disent connaître des problèmes de frigidité et des problèmes avec l’alcool. Moi-même, je ne commençais pas ma journée par le petit-déjeuner, mais par la bouteille de rosé et le rail de cocaïne. Lorsqu’on se prostitue – je parle en mon nom et en celui de celles que je connais – on fait la morte : on ne ressent rien. Il faut le savoir, elles font toutes semblant. Ce sont des actrices. Comment dire « Tu me fais vomir » au client ? Il a payé ! Mais lui s’entête à croire qu’elle prend du plaisir. Les problèmes de frigidité, d’alcool et de drogue peuvent perdurer très longtemps. On fait tout pour ne rien ressentir. On anesthésie son corps. J’en ai pris conscience lorsque j’ai suivi une psychothérapie : lorsque j’ai commencé à ouvrir les vannes du ressenti, mon corps s’est enfin mis à parler – des nausées, des malaises, des contractures musculaires. Cela a été très pénible. Mais tant que l’on se prostitue, on ferme le ressenti du corps – c’est l’anesthésie totale – par tous les moyens possibles.

Mme Kheira Bouziane. Je vous remercie pour vos témoignages poignants.

À entendre certains des participants à la table ronde précédente, nous avions presque le sentiment que la prostitution était un métier comme un autre, un métier que l’on choisit. Votre vision est tout autre. Vous nous dites que non, la prostitution n’est pas un métier comme un autre ; même lorsqu’elle est choisie, il y a une maltraitance qui est subie. Vous l’avez dit à plusieurs reprises, madame Hicher, vous êtes « tombée dedans ». Or on choisit rarement de tomber. En fait, vous avez été prise au piège.

Pour ma part, j’aimerais savoir quel a été le déclic qui vous a permis de vous en sortir. Comment et avec quels moyens êtes-vous parvenues, sinon à en guérir, du moins à sortir de la prostitution ?

Mme Rozenn Hicher. Je vous l’ai dit, j’ai mis dix ans à m’en sortir. Il a fallu que je trouve les moyens de vivre, mais surtout d’apprendre à vivre avec ce que je touchais. J’ai la chance d’avoir un ex-mari qui me verse une pension compensatoire, et d’être atteinte d’une maladie orpheline qui me permet de toucher une pension d’invalidité. Mais la première étape a consisté à mettre en place ces moyens me permettant de vivre à peu près décemment pendant un mois, et à réorganiser mon cerveau pour être capable de me dire : « Je touche cet argent-là le 1er ou le 5 du mois, et je dois vivre trente jours avec ». Cette réorganisation de ma vie a été compliquée – et pourtant, j’ai beaucoup de chance. Car que dire de toutes les femmes dans mon cas qui sont contraintes de vivre avec le RSA ou le peu de moyens qu’on veut bien leur donner ? Aujourd’hui, je vis difficilement : j’ai encore beaucoup de mal à gérer mon budget.

Les femmes qui sont soi-disant volontaires pour se prostituer ont sans doute du mal à se mettre en tête qu’il faut réapprendre à vivre avec les moyens qui sont donnés, et « rentrer dans le cadre ». Cela n’a rien d’évident. La prostitution se vit tous les jours, et vingt-quatre heures sur vingt-quatre. On n’a pas d’argent dans son porte-monnaie : on va dehors, et l’on peut tomber sur un client. Si on a peur du client, on n’a pas peur de manquer : on sait qu’il y aura toujours de l’argent qui va rentrer. C’est ainsi que j’ai vécu pendant vingt-deux ans. Réapprendre à vivre autrement a donc été une vraie gymnastique cérébrale. Je peux vous assurer que cela n’a pas été facile.

Mme Laurence Noëlle. Avant d’en sortir, il faut comprendre comment on y rentre. Chaque fois qu’il y a prostitution, il y a vulnérabilité. Vulnérabilité économique, comme on peut le voir lorsque des réseaux de proxénètes enlèvent des femmes dans les pays de l’Est – une fois qu’elles sont là, on les menace de tuer leurs enfants pour les contraindre ; mais aussi vulnérabilité psychologique.

La mienne relevait de la seconde catégorie. J’ai eu une enfance assez violente. Je me suis convaincue que j’étais un objet méprisable, puant, et pas une petite fille. Je devais être vraiment une mauvaise fille pour que Maman ne m’aime pas ; si Papa m’avait abandonnée à ma naissance, c’est que je ne méritais vraiment pas de vivre. C’est en tout cas l’analyse que j’ai pu en faire avec le recul, au moment où j’écrivais mon livre, et qui m’a permis de comprendre pourquoi j’avais eu tant de comportements destructeurs. Pourquoi donc le hasard a-t-il voulu que je tombe sur un réseau de proxénètes ? Cela n’arrive tout de même pas tous les jours ! C’est ce manque d’amour, le mépris de moi qui ont permis que je me laisse faire lorsque c’est arrivé.

On m’a dit : « Maintenant, tu vas rue Saint-Denis, et tais-toi ! » Je travaillais la nuit, avec de faux papiers puisque j’étais mineure. En même temps, je peux aujourd’hui dire que c’est parce que je crevais d’amour que j’ai voulu m’en sortir. J’avais acheté un doberman pour me protéger – une petite chienne, que je mettais dans mon manteau. Enfin, j’avais de l’amour à donner !

J’avais une maladie vénérienne, qui m’obligeait à m’allonger ; j’avais des piqûres – dans les fesses. Mais à dix-sept ans, on est un joli rosbif bien frais, toute belle, toute jeune. C’était donc trente clients par nuit : je montais, je descendais, je montais, je descendais. Les femmes plus âgées étaient jalouses, car je montais tout le temps.

Un jour, mon proxénète m’a menacée de me prendre ma chienne. Pour la première fois de ma vie, en mon for intérieur, j’ai dit non. J’ai eu une chance dont je me rappellerai toute ma vie. Rue Saint-Denis, deux bénévoles du Nid étaient venus me voir. J’avais peur, car j’étais tout le temps surveillée. Ils m’avaient remis leur carte de visite, que j’avais conservée précieusement. Le jour où mon proxénète m’a menacée, j’ai pris le téléphone, parce que je ne voulais pas qu’on m’enlève ma chienne. Cela fera bientôt vingt-neuf ans. « Pourquoi venez-vous me voir ? » m’a demandé une voix – celle de Bernard Lemaître, ancien président du Nid. « Je viens vous parler d’amour », lui ai-je répondu – c’est un moment que je n’oublierai jamais. Il m’a écoutée attentivement, avant de me dire : « Laurence, c’est simple. Soit nous allons chercher tes affaires, soit je ne suis pas sûr de te revoir. À un moment ou à un autre, tu vas mourir. » Je lui ai dit oui, car il me rassurait – il avait du charisme, de l’amour. Nous sommes allés chercher mes affaires. J’ai pris le strict nécessaire ; le lendemain, je prenais un avion pour l’Angleterre.

Je voudrais rendre hommage à ces associations. Il y a des moments où j’ai envie de tout arrêter, de ne plus me montrer. Mais à chaque fois, je pense à la Fondation Scelles, au Nid, à l’Association contre la prostitution des enfants (ACPE) ou à Zéromacho, qui me soutiennent – encore aujourd’hui – pour faire sortir cette parole de la honte et du silence.

M. le président Guy Geoffroy. Vous avez décrit l’une et l’autre des clients que l’on peut qualifier d’un peu particuliers – bien qu’ils soient nombreux à être dans ce cas. On présente pourtant volontiers le client de la prostitution comme « Monsieur Tout-le-monde ». L’utilisation de cette formule permet de banaliser la prostitution en tant que partie intégrante, naturelle, ordinaire, et finalement souhaitable, de toute société. On va jusqu’à évoquer – formule dont l’homme que je suis n’a toujours pas compris le sens – le « besoin irrépressible » des hommes, défendant par là même l’idée que la prostitution protégerait la société contre le viol généralisé à tous les coins de rue. Qu’en pensez-vous au vu de votre expérience ?

Mme Rozenn Hicher. J’ai passé dix ans à essayer de trouver une solution, mais aussi dix ans à interroger les clients – car cette question me taraudait moi aussi. Comment pouvaient-ils se comporter ainsi ? Étaient-ils en manque, frustrés ? Trois minutes peuvent-elles remplacer des heures d’amour ou un manque affectif ? Je ne le crois pas. La prostitution n’empêchera donc jamais le viol. Au contraire, elle affirme le droit de posséder une femme – et donc de « se servir » gratuitement lorsqu’on n’a pas d’argent. Certains clients arrivaient en me disant qu’ils avaient 10 euros – autant dire rien. Pourtant, ils se donnaient le droit de coucher avec moi pour cette somme. S’ils ne les avaient pas eus, peut-être auraient-ils agressé une jeune fille dans la rue. En ce sens, la prostitution accentue le risque de viol. Je ne pense pas qu’elle puisse le limiter : un homme qui a une pulsion ne va pas appeler une prostituée ; aucun client ne m’a jamais fait part d’un désir de violer. Pour moi, les agresseurs et les violeurs ne sont pas des clients de la prostitution. Ce n’est donc pas son existence qui peut réduire ce risque.

Quant à ceux qui souffrent d’un prétendu besoin affectif, c’est qu’ils n’ont pas envie de s’embêter avec une femme chez eux : ils préfèrent « acheter » une nana qui va soi-disant satisfaire leurs pulsions sexuelles.

La prostitution n’est ni indispensable ni nécessaire. Sa disparition ne fera que remettre les choses à leur place : le client qui a l’impression d’y trouver une solution à son problème sexuel apprendra à vivre autrement. Encore une fois, la prostitution ne réduit pas le nombre de viols : mettre une fille dans chaque rue n’empêchera jamais celui qui veut violer de passer à l’acte.

Mme Laurence Noëlle. Monsieur Tout-le-monde… Je travaille en milieu carcéral : les détenus sont tous des Monsieur Tout-le-Monde, et sans doute aurais-je fui bien souvent si j’avais su ce que tel ou tel avait fait. Il n’y a guère qu’à la télévision que les méchants ont toujours une sale tête…

En ce qui concerne le rapport entre viol et prostitution, je rejoins Rozenn. Le violeur cherche le viol. S’il va voir une prostituée, il ne s’agit plus d’un viol. Or ce qui le fait fantasmer, ce qui lui donne du plaisir, c’est bien d’agresser. Étant en prise avec le terrain, je me dois tout de même de préciser – sans parler de pardon – que les agresseurs sont tous d’anciennes victimes.

Parlons maintenant de ce « besoin irrépressible ». Il y a des hommes très bien, et beaucoup – comme mon mari, par exemple, qui me respecte. Comment se fait-il que certains hommes aient un « besoin irrépressible », et pas d’autres ?

Ce « besoin irrépressible » est d’ailleurs un leurre. Car comment font les femmes, ou les hommes qui ne vont pas voir des prostituées, lorsqu’ils ne peuvent avoir de rapports sexuels ? Ils recourent à la masturbation.

Troisième facteur : la prostitution est ancrée dans la mémoire culturelle et trans-générationnelle. Un peu comme comme le fils qui a toujours entendu son père dire qu’il fallait se méfier des Noirs a tendance à se comporter de la même manière, celui qui entend parler de « besoin irrépressible » ne considère pas la prostitution comme un problème. Et cela dure depuis des siècles ! N’oublions pas que les guerres, les invasions, se sont toujours accompagnées de viols : c’était un droit du vainqueur. Nous portons aujourd’hui les stigmates de ce passé – l’homme, ce pauvre chéri, et son « besoin irrépressible »...

Il s’agit donc d’un phénomène culturel. Certains hommes sont élevés ainsi de génération en génération. Je les invite à devenir comme ceux qui respectent la femme – et les enfants, puisque certains se prostituent aussi.

Mme Maud Olivier, rapporteure. Notre proposition de loi vise notamment à responsabiliser le client. Il y a une démarche de pédagogie à mettre en œuvre, en particulier vis-à-vis des jeunes, mais pas seulement, afin que notre société comprenne tout le mal que peut faire l’achat d’un acte sexuel.

Que pensez-vous du fait de pénaliser le client ? C’est un bien grand mot : en réalité, il s’agit moins de pénalisation que de responsabilisation, pour faire comprendre à ce client qu’il est complice du proxénétisme et des réseaux, puisque son argent sert à les alimenter, et que le respect de l’autre et du corps humain – le plus souvent celui des femmes – passe par le fait que l’on ne puisse plus acheter un acte sexuel.

Mme Rozenn Hicher. Ayant moi-même quatre fils, je pense que ce travail doit commencer dès le collège, puis le lycée : il faut en parler, et surtout faire comprendre aux garçons qu’un corps ne se monnaye pas. Mais il faut aussi responsabiliser les jeunes filles, dont beaucoup sont « partantes » pour avoir une relation tarifée moyennant la possibilité de s’acheter des vêtements. La prévention devrait se faire dès la quatrième ou la troisième, puis être complétée au lycée.

Quant à ceux qui sont déjà clients de la prostitution, je pense que seule la pénalisation pourra les arrêter. On peut toujours essayer d’en discuter avec eux, comme je l’ai fait moi-même, mais je crains que cela ne soit devenu culturel. Ils vivent ainsi depuis des années ; ils ne pourront pas changer du jour au lendemain. Il faut donc les « cadrer ».

Pour les jeunes générations, il faudra leur apprendre à vivre différemment. Si la pénalisation du client et la prévention avaient existé en 1988, je ne serais jamais tombée dans la prostitution. C’est donc maintenant qu’il faut agir sur les jeunes générations et faire barrage aux clients – qui sont des violeurs. Ils viennent voir les vieilles comme des phénomènes de foire, et les jeunes parce qu’elles sont sans défense. Seule la pénalisation pourra leur faire prendre conscience de la gravité de leurs actes.

Mme Laurence Noëlle. La pénalisation consiste avant tout à poser une limite. Les lois sont faites pour cela : ce sont des garde-fous. Je suis fumeuse depuis trente-deux ans. Si je m’entête à allumer une cigarette dans un centre commercial, je serai verbalisée et devrai payer une amende de 68 euros. J’ai eu de graves problèmes avec l’alcool. Si j’avais pris ma voiture après avoir bu, il aurait été normal que je sois verbalisée. Voilà pourquoi il est important de poser une règle.

En outre, on ne sait jamais sur qui l’on tombe. Rien ne permet de dire d’emblée qu’un client est violent. La pénalisation ne consiste d’ailleurs pas à punir, mais à poser une limite symbolique. Rappelons que le client cautionne le proxénétisme : plus il y a de clients, plus le proxénète se frotte les mains et va chercher de femmes à l’étranger – 80 % des prostituées exerçant en France sont désormais étrangères. La pénalisation a donc un double rôle à jouer.

M. le président Guy Geoffroy. Nous vous remercions pour cet échange et ces propositions qui nous seront très précieuses.

Table ronde sur la prostitution comme violence faite aux femmes réunissant
la docteure Emmanuelle Piet, présidente du Collectif féministe contre le viol (CFCV), la docteure Judith Trinquart, médecin légiste, secrétaire générale de l’association Mémoire traumatique et victimologie, Mme Anita Tostivint, conseillère technique, psychologue, Mme Christine Passagne, conseillère technique, juriste, Centre national d’information des droits des femmes et de la famille (CNIDFF), et Mme Claire Quidet, porte-parole de l’association Mouvement du Nid représentant le collectif Abolition 2012

(extrait du procès-verbal de la séance du 5 novembre 2013)

Mme Marie-George Buffet, présidente. Cette audition réunit des représentantes d’associations investies dans la lutte contre les violences faites aux femmes, dont la prostitution est l’une des formes : le Collectif féministe contre le viol, représentée par sa présidente, la docteure Emmanuelle Piet ; l’association Mémoire traumatique et victimologie, représentée par sa secrétaire générale, la docteure Judith Trinquart ; le Centre national d’information des droits des femmes et de la famille, représentée par Mmes Anita Tostivint et Christine Passagne, conseillères techniques ; le collectif Abolition 2012, représenté par Mme Claire Quidet.

Il a paru important à la commission spéciale de réunir, dans le cadre d’une table ronde, des représentants de ces associations de terrain qui viennent quotidiennement en aide aux personnes victimes de la prostitution, afin d’une part, d’évaluer le contexte de violence dans lequel les personnes prostituées sont amenées à se trouver, d’autre part d’apprécier les conséquences physiques et psychologiques des violences qu’elles subissent. Il lui a paru important aussi de recueillir leur avis sur le texte de la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel. À la lumière des témoignages qu’elles reçoivent, elles pourront en effet nous dire quels enseignements elles en tirent en matière de lutte contre la prostitution.

En mettant en place une commission spéciale pour l’examen de cette proposition de loi, la présidence de l’Assemblée nationale a décidé de créer les conditions d’avancer rapidement sur ce texte. Comme y avait insisté le président Guy Geoffroy lors de la première réunion, le texte de cette proposition de loi n’est pas figé : tout notre travail est de voir s’il peut être complété et amélioré. Nos auditions ont pour but de nous y aider.

J’indique que nos travaux, ouverts à la presse, sont retransmis en direct sur le site internet de l’Assemblée, où la vidéo des auditions pourra encore être visionnée quelques mois.

Mme Anita Tostivint, conseillère technique au Centre national d’information des droits des femmes et de la famille. Le CNIDDF assure la direction nationale d’un réseau de 114 CIDDF. Répartis sur l’ensemble du territoire national, y compris les départements et territoires d’outre-mer, les CIDDF couvrent 1 387 points d’information de proximité, en milieu urbain, en milieu rural et dans les zones sensibles.

Les CIDDF exercent la mission d’intérêt général, que leur a confiée l’État, de favoriser l’autonomie sociale, professionnelle et personnelle des femmes ainsi que de promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes. Ils informent, orientent et accompagnent toutes les femmes dans les domaines de l’accès au droit, de la lutte contre les violences sexistes, de l’emploi, de l’éducation et du soutien à la parentalité.

Les violences masculines commises contre les femmes sont dénoncées depuis les années soixante-dix par les associations féministes et font l’objet d’une législation qui s’est progressivement renforcée pour ce qui est de la sanction des auteurs et de la sécurité des victimes, mais demeure insuffisante en matière de prévention.

Lors de la quatrième conférence mondiale des femmes qui s’est tenue en 1995 à Pékin, l’Organisation des Nations unies a reconnu que les violences faites aux femmes –violences au sein du couple, viols et agressions sexuelles, harcèlement sexuel, y compris au travail, mutilations sexuelles, mariages forcés et prostitution – constituent un tout et forment un continuum.

Aujourd’hui, de nombreux chercheurs et universitaires partagent l’analyse des associations féministes, selon laquelle les violences faites aux femmes ne découlent pas de la différence biologique entre les sexes ni ne relèvent d’accidents relationnels isolés entre un homme et une femme. Elles participent d’un système historiquement structuré, dans lequel les hommes et les femmes ont occupé, et occupent encore, des positions inégalitaires. Elles ont toutes pour fondement la domination masculine.

La prostitution inclut toutes les violences : violences physiques avec les actes de barbarie et la torture, violences économiques avec le racket et le vol, violences sexuelles, viol…

Dans une société encore patriarcale, elle traduit une volonté de domination et d’appropriation du corps des femmes. Comme l’a fort bien résumé le Front des Norvégiennes, que je me permets de citer : « Les garçons naissent dans une société où ils apprennent que le sexe est basé sur leurs pulsions et leurs besoins, tandis que les filles apprennent à percevoir leur corps comme un objet à façonner pour éveiller la sexualité des garçons, c’est-à-dire au bénéfice de quelqu’un d’autre. La société entraîne le garçon à être et se penser comme un sujet, et la fille à être et se penser comme un objet. »

Le CNIDFF demande donc l’abolition du système prostitueur qui non seulement constitue une violence mais est aussi un obstacle fondamental à l’égalité entre les femmes et les hommes.

Présidence de M. Guy Geoffroy, président de la commission spéciale.

Mme Christine Passagne, conseillère technique au Centre national d’information des droits des femmes et de la famille. Depuis les années quatre-vingts, les violences sexistes ont fait l’objet de plusieurs législations et politiques pénales très rigoureuses. Les politiques actuellement menées par l’État conjuguent répression et prévention, avec une volonté claire de protéger les victimes. Si des lois successives ont organisé la répression des multiples violences dont sont victimes les femmes comme les violences conjugales, les violences sexuelles, le harcèlement moral ou sexuel, aucune n’a établi le statut de victime pour les personnes prostituées.

La prohibition de l’achat d’acte sexuel et son corollaire, la répression du recours à la prostitution, nous semblent s’inscrire dans le processus législatif tendant à la répression et à la prévention des violences sexistes.

En France, le client d’une personne prostituée ne peut aujourd’hui faire l’objet de poursuites pénales, sauf si la personne est mineure ou vulnérable. Il n’y a que dans le cadre du proxénétisme que la loi considère la personne prostituée comme une victime. Nulle part n’est pris en compte le fait que l’achat d’acte sexuel s’inscrit dans un processus de violence sexiste. La légitimation du recours à la prostitution a pour effet pervers de gommer son caractère délictuel et d’occulter les violences connexes dont sont souvent victimes les personnes prostituées, comme les coups et blessures ou les vols.

Au-delà de son caractère répressif, une loi posant l’interdit du recours à la prostitution aurait un effet pédagogique, en particulier auprès des jeunes, terreau de la société future.

Si l’idée d’abroger le délit de racolage semble peu controversée, celle de réprimer le recours à la prostitution est plus polémique. Cela nous semble pourtant fondamental. Il serait paradoxal qu’un pays se déclarant officiellement abolitionniste n’interdise pas le recours à la prostitution. L’interdiction de la marchandisation de l’acte sexuel et la pénalisation des clients de la prostitution sont en effet les prémisses de toute politique abolitionniste.

Nous approuvons donc la disposition de votre proposition de loi visant à interdire l’achat d’acte sexuel. Mais alors qu’il est proposé de le punir d’une contravention de cinquième classe, étant rappelé que les contraventions relèvent d’ailleurs du seul pouvoir réglementaire, nous préférerions que soit instauré un délit.

Tout d’abord, en matière délictuelle, la procédure pénale offre plus de possibilités de prononcer des mesures alternatives aux poursuites, comme des stages de sensibilisation qui, en l’espèce, seraient adaptés. Ensuite, sur un plan symbolique, la sanction délictuelle sera plus dissuasive qu’une sanction contraventionnelle prononcée par un simple tribunal de police.

Nous ne pensons pas en revanche, qu’il soit nécessaire de sanctionner ce délit par une peine de prison. Nous proposons qu’il soit fixé, à titre de peine principale, une amende de 3 750 euros. Contrairement à ce qui a pu être dit, cela ne pose pas de problèmes sur le plan juridique : le législateur peut parfaitement ne sanctionner un délit que d’une peine d’amende, à condition que celle-ci soit au moins de 3 500 euros. Il s’agirait de la peine maximale encourue, le tribunal pouvant bien entendu prononcer une peine inférieure.

L’interdiction du recours à la prostitution ne fait pas encore partie de nos représentations sociales. Si une loi était prise en ce sens, ce serait le premier élément d’un processus d’acculturation vers une société égalitaire ne cautionnant pas la réification du corps des femmes et dans laquelle la prostitution aurait été abolie. La prostitution ne pourra commencer de diminuer, voire de disparaître, que si l’achat d’acte sexuel est considéré comme socialement répréhensible au même titre que les autres violences faites aux femmes. En posant un interdit, la loi a nécessairement un effet structurant sur les réalités sociales.

Je terminerai par cette citation de Daniel Sibony : « La loi est faite pour libérer les hommes de l’esclavage, de la violence, du chaos. Si elle les avilit ou les rend esclaves, c’est que le rapport même à la loi s’est perverti et qu’il faut le dépasser. » 

Mme Emmanuelle Piet, présidente du Collectif féministe contre le viol. Le CFCV anime la permanence téléphonique Viol Femmes Information – 0800 05 95 95 – depuis maintenant 29 ans. Plus de 45 600 victimes ont appelé cette permanence après un viol ou une agression sexuelle. Beaucoup nous ont rapporté les mots prononcés par leurs agresseurs pour les humilier : presque toutes ont été traitées de « putes » ou de « salopes ».

Plusieurs études internationales établissent que la majorité des femmes et des hommes prostitués ont été victimes de maltraitance et d’agressions sexuelles dans leur enfance ou leur jeunesse. Une étude menée auprès de 150 femmes ayant pris contact avec notre permanence et s’étant trouvées à un moment de leur parcours en situation de prostitution a montré que près de 70 % avaient été violées lorsqu’elles étaient enfants et que 60 % avaient été « mises sur le trottoir » par leurs parents – ou l’un de leurs parents. Trop de pères qui violent leur petite fille, non contents de cette exaction, sont, hélas, prêts à en faire profiter un voisin ou un ami contre un petit bénéfice : 30 % des femmes de cette étude ont dit avoir vécu cela.

Le viol se retrouve dans toutes les violences faites aux femmes – violences conjugales, mariages forcés, mutilations sexuelles et prostitution. Sans compter que l’on pourrait considérer comme un viol tout acte sexuel imposé à une personne qui ne le désire pas, même s’il a lieu contre de l’argent. Il arrive très fréquemment que des personnes prostituées soient violées au sens propre, ce qu’on leur fait allant au-delà du « contrat ». Elles sont aussi très souvent victimes de coups et blessures et le nombre de meurtres est beaucoup plus élevé parmi les prostituées que dans la population féminine en général.

La prostitution fait fi du désir de la personne prostituée. C’est comme si payer l’acte sexuel faisait oublier que celui-ci suppose deux désirs qui se rencontrent. Il est grave de laisser ainsi penser que payer autorise à passer outre le désir de l’autre.

Étant également depuis plus de trente ans médecin dans un centre de protection maternelle et infantile (PMI) en Seine-Saint-Denis, chargée de la planification familiale, j’ai constaté, lors de mes déplacements sur le terrain, que beaucoup de collégiens et de lycéens pensent encore aujourd’hui qu’il n’est pas important que la fille ait envie ou non du rapport sexuel. Autoriser la prostitution revient à leur donner raison sur un plan symbolique. J’ai constaté que les nombreux mineurs emprisonnés pour agression sexuelle que j’ai rencontrés, dans le cadre du programme de prévention des agressions sexuelles à l’encontre des enfants que je conduis également, avaient de telles idées dans la tête. Le premier endroit où ils les ont apprises, c’est souvent, hélas, dans leur chair, puisque beaucoup ont été eux-mêmes victimes d’agressions sexuelles dans leur enfance. Mais de telles idées ont pu aussi leur être inculquées sur des radios comme Skyrock ou Fun Radio. Lorsqu’on leur explique qu’une fille n’aime pas être pénétrée par plusieurs garçons « par tous les trous en même temps », ils répondent que si et qu’ils l’ont d’ailleurs entendu prôner sur Fun Radio – ce que je peux confirmer pour avoir écouté sur cette radio diverses émissions sur la sexualité destinées aux jeunes. Interdire par la loi l’achat d’une relation sexuelle aurait une puissante portée éducative.

Mme Judith Trinquart, médecin légiste, secrétaire générale de l’association Mémoire traumatique et victimologie. Je suis plus particulièrement chargée du dossier prostitution au sein de l’association Mémoire traumatique et victimologie, qui lutte contre toutes les formes de violences, notamment sexuelles.

Plusieurs études anglo-saxonnes montrent que 80 % à 95 % des personnes en situation de prostitution ont subi antérieurement des violences sexuelles, qu’il s’agisse d’inceste, d’actes de pédophilie ou de viols. Ce lien entre violences sexuelles subies et entrée en prostitution n’a d’ailleurs pas échappé aux proxénètes qui utilisent ces violences comme méthode de dressage – nous avons tous entendu parler de ces maisons de dressage en Europe de l’Est où des femmes sont violées à répétition et de manière collective pour les rendre dociles avant qu’elles ne soient envoyées se prostituer dans nos capitales.

La situation de prostitution est un continuum de violence : 60 % à 65 % des personnes prostituées ont déjà été violées en situation de prostitution, par leurs proxénètes mais surtout par leurs clients. L’idée ancestrale selon laquelle la prostitution permettrait d’éviter des viols n’a donc pas de fondement. Les personnes en situation de prostitution sont également victimes de toutes sortes d’autres violences, physiques et psychologiques : coups à main nue, coups avec objet… Selon un rapport remis en 2006 par la députée européenne Maria Carlshamre, elles ont 60 à 120 fois plus de risques de mourir que la population générale.

Lorsqu’une personne est exposée à une violence extrême, son cerveau libère des substances permettant au corps d’éviter d’en mourir à ce moment-là mais va s’ensuivre un enchaînement de mécanismes par lesquels cette personne développera ultérieurement soit des conduites d’évitement des situations de violence, soit au contraire des conduites de surexposition. En effet, les substances sécrétées agissent comme des endorphines, si bien que la personne en devient dépendante et cherche à s’exposer de nouveau. C’est ainsi que se constitue ce que nous appelons la mémoire traumatique. C’est ce mécanisme qui explique que certaines femmes vivent à répétition par exemple avec des conjoints violents. La mémoire traumatique peut se constituer durant l’enfance chez un enfant maltraité, ou plus tard chez une personne régulièrement tabassée par exemple.

Le syndrome de stress post-traumatique – post-traumatic stress disorder, PTSD –, qui recouvre de multiples symptômes, apparaît chez des individus ayant été exposés à une situation de violence extrême ou ayant vécu une catastrophe. Il a été diagnostiqué pour la première fois chez des soldats américains de retour de la guerre du Vietnam : 18 % en étaient atteints. Étudiant ce syndrome sur un échantillon de plus de 500 personnes prostituées dans cinq pays différents, la psychologue américaine Melissa Farley a constaté que 67 % en souffraient.

La pénalisation du client est importante pour la reconstruction des personnes prostituées. Comment leur expliquer que la prostitution constitue une violence si les auteurs de cette violence ne peuvent faire l’objet d’aucune sanction ? Pour les victimes de viols ou de violences conjugales, une réparation judiciaire est aujourd’hui possible. Il serait incompréhensible qu’il n’en aille pas de même pour les victimes de la prostitution.

Mme Claire Quidet, animatrice du collectif Abolition 2012 et porte-parole du mouvement du Nid. Le collectif Abolition 2012, dont les associations ici représentées font partie, regroupe plus de 55 associations qui accompagnent les victimes de toutes formes de violences faites aux femmes.

L’appel Abolition 2012, émis par ce collectif, visait à l’adoption d’une loi abolissant le système prostitueur. Celui-ci, comme toutes les violences masculines faites aux femmes, s’enracine dans des rapports archaïques et inégalitaires entre les hommes et les femmes. Il aura fallu très longtemps à nos sociétés pour que certaines de ces violences soient reconnues et, enfin, réprimées comme délits ou comme crimes. Même s’il reste beaucoup à faire, les violences faites aux femmes sont de mieux en mieux combattues, tant mieux. Mais il en reste une, où s’exerce la domination masculine et qui traduit un sexisme criant, à laquelle on n’a pas encore cherché à mettre fin et dont les auteurs en tout cas restent impunis : la prostitution. Bien qu’elle soit le lieu où s’exercent les pires formes de violence et bien qu’en 2010, année où les violences faites aux femmes avaient été déclarées grande cause nationale dans notre pays, elle ait été officiellement incluse parmi ces violences, la prostitution est encore largement tolérée, voire justifiée et même parfois promue avec complaisance, comme le débat lancé autour de votre proposition de loi a permis de le constater.

La violence existe en amont de la prostitution puisque bien souvent, cela a été dit, les personnes qui y entrent ont subi antérieurement des violences qui ont, hélas, constitué un terreau propice de vulnérabilité, les conduisant à s’exposer à des situations où elles revivront ces traumatismes, comme l’a expliqué Judith Trinquart. La violence se retrouve également dans la situation de prostitution elle-même, avec la violence des proxénètes, que ceux-ci soient dits « de proximité » – n’oublions pas qu’ils sont souvent les compagnons des personnes prostituées – ou appartiennent à des réseaux organisés, et la violence des clients. Diverses enquêtes ont montré que les premiers agresseurs des personnes prostituées étaient leurs clients. Il y a enfin la violence intrinsèque et inhérente même à la prostitution, qui est de subir à répétition des actes sexuels non désirés.

Comment continuer aujourd’hui de tolérer, d’excuser, de justifier ces violences ? Il est grand temps d’adopter une législation conforme à l’idée que nous nous faisons des relations entre les femmes et les hommes. Il serait incohérent de prétendre lutter contre toutes les violences faites aux femmes et de continuer à ignorer la prostitution, qui constitue un obstacle absolu à toute égalité réelle entre les femmes et les hommes.

La prostitution ne concerne pas seulement les personnes prostituées. Cela rejaillit sur l’ensemble de la société, notamment sur toutes les femmes puisque les personnes prostituées sont en grande majorité des femmes – nous n’oublions pas pour autant les hommes prostitués. Certaines femmes qui habitent dans des quartiers où il existe encore une prostitution de rue nous rapportent y être dix fois plus victimes d’injures à caractère sexiste que dans les quartiers où elles travaillent s’il n’y a pas de prostitution. Dans un quartier où ils voient des prostituées, certains hommes considèrent donc l’ensemble des femmes comme des prostituées potentielles à qui l’on pourrait imposer un acte sexuel en l’achetant. Des associations qui luttent contre le harcèlement sexuel au travail nous expliquent également que dans certains bars, on demande aux serveuses de s’habiller « comme des putes », parce que cela attire davantage la clientèle. Cela signifie que pour un certain nombre de personnes, des hommes majoritairement, il est rassurant de trouver encore ce genre de lieux, « où les choses sont à leur place », avec, d’un côté, des hommes qui dominent et choisissent, et, de l’autre, des femmes qui sont soumises et choisies. Si de grandes avancées ont eu lieu en matière d’égalité entre les femmes et les hommes, certains sont visiblement nostalgiques de relations inégalitaires.

Nous manquerons de cohérence tant que nous dirons lutter contre l’ensemble des violences faites aux femmes, et nous le faisons même s’il reste encore des progrès à faire, si nous n’allons pas jusqu’au bout en y incluant, de manière volontariste et sans hésitation, celle que constitue la prostitution. Des pays du Nord de l’Europe ont franchi cette étape pour que les femmes puissent vivre en paix chez elles, sur leur lieu de travail et dans l’espace public. Il est temps pour notre pays de faire lui aussi ce pari, de façon que les générations futures grandissent avec une nouvelle norme en tête et apprennent dès leur plus jeune âge que, de même qu’on ne tape pas un camarade dans la cour de récréation, on n’achète pas un acte sexuel. Par son caractère normatif, la loi peut aider à cette évolution des mentalités.

M. le président Guy Geoffroy. J’aimerais connaître votre sentiment, tout particulièrement celui de Mme Piet et de Mme Trinquart, qui sont médecins, sur l’argument utilisé par certains qui défendent la prostitution, ou plutôt qui s’opposent à la pénalisation du client, selon lequel cette pénalisation, induisant une plus grande clandestinité des personnes prostituées, risquerait d’exposer encore davantage leur sécurité et leur santé. Quelle valeur accordez-vous à cet argument, non dénué de poids du fait qu’il est défendu par le monde médical ?

Mme Emmanuelle Piet. La source d’insécurité maximale pour la personne prostituée, c’est le client. Aujourd’hui, certains paient pour ne pas porter de préservatif, au risque de contaminer la personne prostituée. D’autres paient pour violer, d’autres vont jusqu’à tuer. Pénaliser le client devrait normalement, à terme, limiter le nombre de clients et donc réduire les risques pour les personnes prostituées. La clandestinité, que l’institution du délit de racolage a contribué à accroître, n’augmente pas les risques sanitaires. C’est le client qui contamine, pas la personne prostituée.

Mme Judith Trinquart. On n’a pas constaté, en Suède, qu’après le vote de la loi pénalisant les clients, les personnes prostituées aient quitté les centres villes pour travailler de manière plus clandestine.  La clandestinité est déjà très présente : beaucoup de personnes prostituées travaillent désormais sur Internet. La pénalisation du client ne changera rien de ce point de vue. C’est le client qui est source d’insécurité pour les personnes prostituées, certainement pas sa pénalisation.

Mme Claire Quidet. Quel que soit le lieu de rencontre entre la personne prostituée et son client, le moment dangereux restera toujours celui où elle se retrouve seule face à lui, que ce soit dans une chambre, une voiture, une cave ou un bois… En revanche, là où aujourd’hui, les personnes prostituées sont en situation de fragilité parce qu’elles savent que ce sont elles qui peuvent faire l’objet de poursuites avec le délit de racolage et qu’elles sont donc réticentes à porter plainte, si elles savent que, demain, c’est le client qui peut être poursuivi et qu’il n’a plus, en tout cas, la légitimité de son côté, elles pourront plus facilement se défendre face à un client violent et dénoncer les violences. La pénalisation du client leur apporterait au contraire plus de garanties.

Mme Maud Olivier, rapporteure. On nous oppose souvent qu’il existerait une prostitution « traditionnelle », librement choisie, n’ayant rien de comparable à celle des personnes victimes des réseaux de traite. Constatez-vous des différences dans les violences subies par les victimes de ces réseaux ?

Mme Judith Trinquart. Il faut distinguer ce que nous appelons le proxénète physique et le proxénète psychique. Dans les réseaux, qu’ils viennent d’Afrique, d’Europe de l’Est, de Chine – la prostitution en provenance de ce pays se développe fortement –, il y a des proxénètes physiques qui « tiennent les filles », les ont encadrées depuis leur pays d’origine et leur ont fait subir des violences de toute nature avant de les mettre sur le trottoir. Parmi les prostituées que l’on pourrait dire « de souche », exerçant hors d’un réseau, certaines peuvent avoir un proxénète de proximité, « de souche » lui aussi, mais beaucoup disent avoir librement choisi de se prostituer et, en effet, n’ont pas de proxénète physique. Mais toujours, lorsqu’on arrive à les faire parler, au bout d’un temps très long, celui qu’il faut pour que leur carapace se fende, on s’aperçoit que l’histoire de leur vie est dramatique, qu’elles ont été victimes de maltraitance et de violences sexuelles – viol, inceste, actes de pédophilie… C’est ce que nous appelons le proxénète psychique. Certaines, qui ont totalement refoulé ces traumatismes, sont dans le déni absolu. Il faut un long travail pour que ces souvenirs resurgissent à leur conscience et qu’elles parviennent à faire le lien entre ces violences passées et l’entrée en prostitution.

Si beaucoup sont prêts à s’apitoyer sur le sort des personnes prostituées victimes des réseaux et de la traite, peu s’apitoient sur le sort de celles qui sont victimes d’un proxénète psychique puisqu’elles assurent avoir choisi librement leur situation. Il est beaucoup plus facile de faire sortir de la prostitution la victime d’un proxénète physique que celle d’un proxénète psychique.

Mme Emmanuelle Piet. Ulla, qui était à la tête du mouvement des prostituées en 1975 et clamait à l’époque qu’elle avait choisi la prostitution et n’avait pas de proxénète, demande aujourd’hui : « Comment avez-vous pu me croire ? » Les femmes victimes de violences conjugales, elles aussi, assurent pendant longtemps que leur conjoint ne les frappe pas et trouvent toujours une explication aux traces de coups qu’elles portent. Il faut d’abord qu’elles parviennent à échapper à l’emprise de celui qui les violente pour parler. Il en va de même pour les personnes prostituées. Si quelques-unes exercent la prostitution comme un métier librement consenti, elles pourront continuer : la future loi ne les en empêchera pas. Mais j’ai vraiment du mal à croire que l’on puisse choisir un métier où l’on risque sa vie souvent, la maladie en permanence et les violences toujours. – à moins d’avoir été détruit sur le plan psychologique.

Alors que le CFCV s’était porté partie civile pour une personne prostituée qui avait été violée par plusieurs clients avec notamment introduction de téléphone portable dans le vagin et autres violences extrêmes, nous avons fini par découvrir qu’alors que cette personne assurait avoir « choisi » la prostitution, elle avait été victime à l’âge de treize ans d’un viol en réunion commis par quinze jeunes. Prête à se battre pour que les prostituées ne soient pas violées – elle avait souhaité un procès aux assises qui lui fut refusé pour n’avoir lieu finalement qu’en correctionnelle –, elle n’en vivait pas moins avec un compagnon très violent, qui profitait de ce qu’elle gagnait et exigeait qu’elle continue de se prostituer.

Mme Claire Quidet. À toutes ces violences s’en ajoute une autre, redoutable. Si des personnes prostituées revendiquent si haut et si fort d’avoir choisi leur situation – je tiens à ce que l’on ne dise pas de la prostitution qu’elle est un métier –, c’est la plupart du temps qu’elles ne peuvent pas dire autre chose à ce moment-là, faute de quoi elles s’effondreraient. Mais lorsque certaines sortent de la prostitution, que la société ne reconnaisse pas la violence qu’elles ont vécue constitue une violence supplémentaire. Il est essentiel de reconnaître qu’il y a un auteur de violences et une victime de ces violences pour aider les personnes à se reconstruire après l’expérience de la prostitution.

M. Charles de Courson. Plusieurs études menées sur les prostituées femmes mais aussi les prostitués hommes établissent que ces personnes ont souvent été victimes de violences sexuelles durant leur enfance ou leur adolescence. On estime à 3 % le nombre d’enfants victimes de violences sexuelles, ce taux montant à 4 % ou 5 % chez les filles et n’étant que d’environ 1 % chez les garçons. Ces violences constituant un terreau favorable pour l’entrée dans la prostitution, c’est dire combien il y a de femmes fragiles et potentiellement exposées. Un texte législatif équilibré ne devrait-il donc pas comporter un volet sur la prévention des violences sexuelles chez les enfants ? Mais comment prévenir ces violences ? Cela paraît en effet relever de l’éducation davantage que de la loi.

Tout acte sexuel imposé à une personne qui ne le désire pas, fût-il payé, pourrait au fond être considéré comme un viol. De quoi s’agirait-il, d’ailleurs, sans la contrepartie de l’argent ? Dès lors, est-il suffisant de le sanctionner d’une peine d’amende, comme prévu dans la proposition de loi ? Vous paraîtrait-il ou non excessif, mesdames, d’assimiler à un violeur toute personne qui, comme on dit dans les milieux populaires, « va voir les putes » ?

Mme Emmanuelle Piet. Un sondage réalisé par une association d’aide aux victimes d’inceste révèle qu’on compterait deux millions de victimes dans notre pays. Le législateur a matière à travailler de nouveau puisque la loi de février 2010 tendant à inscrire l’inceste commis sur un mineur dans le code pénal a, hélas, été censurée par le Conseil constitutionnel. Aujourd’hui, il ne va pas de soi qu’un père qui couche avec sa fille ou son fils de huit ans soit un violeur. L’enfant doit prouver que l’acte sexuel a eu lieu sous la contrainte, sous la menace ou par surprise ou bien qu’il s’est accompagné de violences pour qu’il soit qualifié de viol. La plupart du temps, les pères ne sont condamnés que pour atteintes sexuelles – et encore ! Dans un procès récent, un père a été acquitté, qui avait couché plus de dix ans avec sa fille à partir de l’âge de huit ans, un enfant étant même né de cette relation. La législation actuelle ne défend pas les enfants contre l’inceste. Nous attendons vraiment que vous y remédiiez.

D’une manière générale, l’enfance n’est pas assez protégée. Deux enfants meurent tous les jours dans notre pays sous les coups de leurs parents : il semble qu’on s’en fiche ! Tous les enfants victimes d’inceste ou de viol ne sont certes pas condamnés à se prostituer plus tard : certains sont plus résilients que d’autres, certains auront la chance d’être aidés, mais c’est bien là le terreau de la prostitution. Vous avez raison, monsieur le député : il faudrait vraiment que nous protégions notre enfance.

M. Charles de Courson. Quelles sont vos propositions à ce sujet ? Il y a bien quelques cas, rares, d’enseignants auteurs de violences sexuelles, mais 80 % des violences sexuelles commises contre des enfants sont intra-familiales.

Mme Emmanuelle Piet. Plus exactement, elles sont le fait de personnes connues de l’enfant ou chargées de s’occuper de lui.

La loi de 2007 réformant la protection de l’enfance prévoit qu’il est possible de « contractualiser » la protection des enfants avec les parents maltraitants ! C’est une aberration dangereuse.

M. Charles de Courson. Je partage totalement votre avis sur ce point.

Mme Emmanuelle Piet. Cette loi a pourtant été votée à l’unanimité. C’est à l’unanimité qu’il a été décidé de remplacer les mots « enfant maltraité » par « enfant en danger » et « signalement » par « information préoccupante ». Il n’est pas neutre d’édulcorer ainsi le vocabulaire. Je m’excuse de le dire, mais le législateur a liquidé la protection de l’enfance.

J’en viens à votre deuxième question. Lorsque la loi pénalisant le client a été adoptée en Suède, cela faisait vingt ou trente ans déjà qu’on y préparait l’opinion. L’insulte à Stockholm, ce n’était pas « pute » mais « maquereau », qui désignait, non pas le proxénète, mais le client. La société avait été préparée à trouver anormale l’idée de payer un acte sexuel. C’est pourquoi, si, dans notre pays, on disait d’emblée aux hommes qui « vont voir les putes » qu’ils sont des violeurs, ils ne pourraient même pas comprendre ! Il faut être pédagogique et avancer progressivement. Cela n’aurait aucun sens de commencer trop fort.

Mme Christine Passagne. Je suis tout à fait d’accord avec Emmanuelle Piet. Il ne serait pas opportun d’assimiler l’achat d’acte sexuel à un viol. En revanche, comme je l’ai dit, un délit nous paraîtrait plus judicieux qu’une contravention de cinquième classe. Une loi actant le caractère délictuel du recours à la prostitution aura une très forte valeur symbolique.

M. Charles de Courson. Une contravention fait penser à une infraction routière…

Mme Christine Passagne. Tout à fait. Même si les infractions au code de la route ne sont pas les seules à être traitées dans le cadre réglementaire, il est vrai que pour l’opinion publique, une contravention renvoie à cela.

De manière générale, dans notre pays, le viol est très peu dénoncé par ses victimes, très peu poursuivi et très peu sanctionné. Alors qu’il est un crime et devrait être jugé aux assises, il l’est souvent en correctionnelle, où il est réprimé comme une simple agression sexuelle.

Il est fréquent que les personnes prostituées soient violées. Mais les poursuites en ce cas sont tout à fait exceptionnelles et toujours amoindries, comme dans l’exemple cité tout à l’heure par Emmanuelle Piet.

Il ne serait pas opportun de poursuivre tous les clients des personnes prostituées du chef de viol, mais il est important de sensibiliser au fait que le viol commis sur une personne prostituée doit être poursuivi de la même façon que tout autre viol.

Mme Claire Quidet. Pour la très grande majorité des associations qui composent le collectif Abolition 2012, une contravention paraît bien légère pour sanctionner les auteurs des violences profondément destructrices qui s’exercent dans le cadre de la prostitution. Un délit, qui marquerait davantage la gravité de l’acte, leur paraîtrait plus approprié.

M. Sergio Coronado. Une remarque tout d’abord, monsieur le président. Vous vous êtes repris tout à l’heure en disant « ceux qui défendent la prostitution, ou plutôt ceux qui s’opposent à la pénalisation du client. » Votre première formulation était en effet malheureuse. Il va de soi qu’on peut être abolitionniste et avoir des doutes sur la pénalisation du client, voire y être par principe opposé, mais cela va mieux en le disant.

Deux questions, mesdames. Les associations que vous représentez sont favorables à la pénalisation et estiment même que la proposition de loi ne va pas assez loin. Notre collègue de Courson, quant à lui, se demande même si tout recours à la prostitution ne devrait pas être considéré comme un viol. Le président de la commission et la rapporteure vous ont interrogées sur les arguments qu’on oppose à la pénalisation du client. Soyons clairs, derrière ce « on », on trouve des associations de lutte contre le VIH comme Aides, des associations médicales comme Médecins du monde, des associations comme le Planning familial, des associations attachées au respect des libertés fondamentales comme le Syndicat des avocats de France ou le Syndicat de la magistrature. Ce ne sont pas là des voix isolées ou marginales. Des associations de terrain, qui ne sont financées ni par les proxénètes ni par je ne sais quels défenseurs de la prostitution, s’inquiètent de la précarité accrue qui pourrait résulter pour les personnes prostituées de la pénalisation des clients. La position de ces associations ne peut pas ne pas interpeller.

Dans le rapport d’information sur la prostitution qu’il avait remis en avril 2011, le président de notre commission spéciale faisait le constat, que je partage, de l’échec du volet d’accompagnement des personnes prostituées. Or, l’un des objectifs, affichés en tout cas, de cette proposition de loi est bien que des personnes prostituées quittent la prostitution. Je souhaite donc vous interroger sur le volet social, qui semble être un échec total, de la politique abolitionniste française. Les quelques propositions du texte à ce sujet suffiront-elles ?

Mme Christine Passagne. Le principal argument avancé par les associations que vous citez, selon lequel la pénalisation du client risquerait d’accroître l’insécurité des personnes prostituées, repose sur un postulat erroné, à savoir que la situation actuelle leur garantirait la sécurité.

M. Sergio Coronado. Elles disent seulement que la pénalisation du client, comme en son temps l’instauration du délit de racolage, risque d’aggraver la précarité et la vulnérabilité des personnes. Loin d’elles de prétendre que la situation actuelle est idéale !

Mme Christine Passagne. Juriste, je ne travaille pas sur le terrain avec les personnes prostituées et ne possède pas la compétence scientifique pour établir un lien éventuel de causalité entre pénalisation du client et accroissement de l’insécurité. Pour l’instant, l’exemple de la Suède montrerait qu’un tel lien n’existe pas. La clandestinité est de toute façon une composante intrinsèque de la prostitution, l’acte prostitutionnel n’ayant pas lieu en public.

M. Sergio Coronado.  Les mêmes associations qui s’opposent aujourd’hui à la pénalisation des clients avaient en son temps dénoncé le délit de racolage. Celui-ci a conduit les personnes prostituées à s’éloigner des centres villes où la présence de riverains, voire des forces de police, susceptibles de leur porter secours en cas de danger, les rendait tout de même moins vulnérables que lorsqu’elles se trouvent seules face à leur client dans un bois.

Mme Claire Quidet. Il est fort dommage que parmi les nombreuses dispositions de la proposition de loi, les médias ne retiennent presque que la pénalisation du client, parce que c’est la nouveauté. Il faudrait parler aussi de l’abrogation du délit de racolage qui permettra que les personnes prostituées ne soient plus considérées comme des délinquantes, et des programmes qui seront mis en place pour les aider à sortir de la prostitution si elles le souhaitent. C’est l’arsenal qu’on leur donnera pour se défendre et faire valoir leurs droits qui réduira leur précarité et leur vulnérabilité.

Il n’existe jamais de solution parfaite et il n’y a pas de loi-miracle. La question est de savoir dans quelle société nous voulons vivre. Le message que nous voulons faire passer doit prévaloir sur les ajustements, parfois douloureux, que le changement induira nécessairement – il importera que nous, associations de terrain, soyons présentes pour accompagner les personnes au mieux. Mais ce dont il s’agit aujourd’hui, c’est de cesser de cautionner la violence que constitue la prostitution et de dire : « ça suffit ! ». Que chacun prenne ses responsabilités. Si au 19ème siècle, on avait pris en considération la situation individuelle de chacune des personnes se trouvant en situation d’esclavage, jamais l’esclavage n’aurait été aboli.

M. le président Guy Geoffroy. Monsieur Coronado, si je me suis repris tout à l’heure, c’est en pensant à notre table ronde de jeudi dernier où étaient représentées des associations hostiles à l’idée d’une pénalisation du client pour les raisons évoquées plus haut, mais aussi des associations favorables à la prostitution et se revendiquant comme telles. Si j’ai eu deux formulations, c’est pour ne créer d’amalgame ni dans un sens ni dans l’autre.

Mme Catherine Coutelle, présidente de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les femmes et les hommes. Nous parlons beaucoup de la pénalisation du client car tout le monde, et en premier lieu les médias, nous y ramène. Nous aimerions qu’au même titre que l’interdiction d’achat d’acte sexuel, on évoque les trois autres piliers de la proposition de loi : la lutte contre la traite, l’accompagnement de la sortie de prostitution pour les personnes qui le souhaitent, la prévention et l’information, notamment vis-à-vis des jeunes.

Nous avions souhaité au départ, entre autres par parallélisme des formes avec le délit de racolage passif qui va être abrogé, que le recours à la prostitution soit considéré comme un délit. Après des discussions, le texte ne prévoit plus qu’une contravention, sanctionnée d’une peine d’amende. Nous pouvons encore en discuter.

Vos associations de terrain, mesdames, constatent-elles une augmentation du nombre de personnes prostituées mineures ? La pénalisation des clients devrait mettre un terme au faux-fuyant souvent utilisé : « Je ne savais pas que cette personne était mineure ».

Pourriez-vous nous en dire davantage sur les propos sidérants tenus sur certaines radios et que vous avez évoqués ? A été de même diffusé en boucle sur Internet, ces derniers temps, un petit film tourné par un animateur de radio se vantant d’avoir embrassé de force sur la bouche une fille qui ne le voulait pas, sans que jamais il ne soit dit qu’il s’agissait là d’une violence. Tout cela est désastreux pour l’éducation des jeunes garçons. Comment empêcher de telles diffusions ?

Enfin, je précise que si nous n’avions pas voté en 2010 le projet de loi tendant à inscrire l’inceste dans notre code pénal, c’est que sa rédaction posait de nombreux problèmes. Mais j’en suis d’accord avec vous, madame Piet, l’inceste doit être précisément défini et figurer dans notre code pénal. Nous sommes tous conscients qu’il y a là un manque.

Mme Colette Capdevielle. Les associations que vous représentez, mesdames, sont unanimes à considérer que la sanction de l’achat d’acte sexuel par une contravention de cinquième classe n’est pas appropriée, surtout quand le racolage, lui, avait été classé en délit punissable d’une peine d’emprisonnement. Mme Passagne a toutefois dit que même si l’achat d’acte sexuel était classé en délit, il conviendrait que, de manière dérogatoire, il ne soit puni que d’une amende. Comment voyez-vous la sanction ? Sa visée est-elle exclusivement punitive ? Éducative ? Ou les deux à la fois ? Êtes-vous favorables, mesdames, à des peines alternatives, notamment à des stages de sensibilisation que des associations comme les vôtres pourraient organiser avec les clients sanctionnés ? Ces stages s’apparenteraient-ils à ceux qui existent dans le cas de violences conjugales ?

Mme Ségolène Neuville. La position d’associations comme Aides ou Médecins du monde, qui s’inquiètent d’une dégradation de la situation sanitaire des personnes prostituées si les clients sont poursuivis, ne vient-elle pas de plus loin ? En effet, notamment depuis l’épidémie de sida, les subventions publiques ont servi à financer la prévention du sida et des maladies sexuellement transmissibles plutôt que l’éducation à la sexualité et l’apprentissage du respect et de l’égalité filles-garçons. Sans contester bien sûr le bien-fondé de la prévention sanitaire, je me demande s’il n’y a pas eu une dérive hygiéniste dans la prise en charge de la prostitution par les associations.

Une excellente méta-analyse du British Medical Journal d’avril 2013, reprenant les résultats de toutes les études menées dans les années 2000 sur l’infection par le VIH chez les femmes prostituées en Europe, établit que les facteurs de risque de contamination par le VIH sont, bien entendu, l’absence de port du préservatif et l’injection de drogues par voie intra-veineuse, mais aussi que ce risque est accru dans les pays où la prostitution est criminalisée et où ce sont les personnes prostituées, et non les clients, qui font l’objet de poursuites. Avez-vous connaissance d’autres études aux conclusions concordantes ?

Mme Édith Gueugneau. Même si d’importants progrès ont été accomplis en matière d’égalité femmes-hommes, même si l’actuel gouvernement comporte de nouveau un ministère des droits des femmes de plein exercice et si une loi tendant à renforcer l’égalité entre les femmes et les hommes en tous domaines va être proposée, beaucoup reste à faire. Nous demeurons dans une société patriarcale, marquée par la domination masculine.

Quelle société voulons-nous ? Il est bienvenu de prendre une loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel, mais ce n’est qu’un élément. Beaucoup dépend aussi de la responsabilité des parents et des familles. Il faut traiter le problème à la base, et peut-être même prendre les choses dans l’ordre chronologique. Quand on sait que dans notre pays, tous les jours, deux enfants sont tués par leurs parents, ne faudrait-il pas travailler aussi sur la protection de l’enfance et la prévention de l’inceste ?

Mme la rapporteure. Le rapport de la Délégation aux droits des femmes prévoyait qu’en cas de récidive, l’achat d’acte sexuel soit un délit. Cette idée n’a pas été retenue dans la proposition de loi. Seule une contravention a été prévue, punie d’une amende. Toutefois, en cas de violences, il y a délit et cela tombe sous le coup de la loi.

Nous pensons que pour réduire la prostitution, il faut décourager la demande et dissuader les réseaux de proxénétisme de s’installer sur notre territoire. La pénalisation des clients peut y contribuer.

Mme Christine Passagne. Comme toute sanction, celle prévue ici aura une visée à la fois répressive, dissuasive et pédagogique, afin de prévenir la récidive.

Madame Capdevielle, il ne serait pas dérogatoire au droit commun de prévoir une peine d’amende pour un délit. Notre code pénal ne dispose pas qu’un délit est obligatoirement sanctionné d’une peine de prison : certaines infractions délictuelles, concernant y compris des atteintes aux personnes, sont déjà punies d’amende simple. L’argument selon lequel il ne serait pas possible d’instaurer un délit pour l’achat d’acte sexuel au motif qu’on souhaite ne le sanctionner que d’une peine d’amende, ne tient pas sur le plan juridique. La seule obligation posée pour une peine délictuelle d’amende est que son montant minimal soit de 3 500 euros.

S’agissant des peines complémentaires à la peine principale, il nous paraîtrait opportun de prévoir des stages de sensibilisation et de responsabilisation des délinquants.

L’instauration d’un délit présenterait l’intérêt de permettre de prononcer des peines alternatives aux poursuites comme un rappel à la loi ou un stage de responsabilisation, mieux adaptés, surtout pour les primo-délinquants.

Il est très important que cette proposition de loi s’inscrive dans un mouvement plus large tendant à la mise en place d’une réelle égalité hommes-femmes, en commençant par l’éducation des jeunes et leur sensibilisation à cette égalité.

M. le président Guy Geoffroy. Comme nous le rappellera la procureure au parquet international de Stockholm que nous recevons cet après-midi, le recours à la prostitution est désormais un délit en Suède, potentiellement puni d’une peine de privation de liberté, en sus d’une amende. À ma connaissance, sans que jamais il n’ait été nécessaire de prononcer une peine de prison, la prostitution a considérablement diminué dans le pays. La sanction pénale, en particulier le fait d’encourir une peine de privation de liberté, a incontestablement un effet dissuasif et pédagogique.

Mme Anita Tostivint. Le CNIDFF intervient dans les collèges et les lycées pour sensibiliser les jeunes à la question de l’égalité hommes-femmes. Si des progrès ont été accomplis, les mentalités ont du mal à évoluer et des régressions sont toujours à craindre. L’égalité en droit ne s’est pas encore traduite par une égalité de fait, et le combat doit donc continuer. Tant qu’il sera possible d’acheter les services sexuels d’une femme dans la rue, ce sera un obstacle à une égalité réelle entre les femmes et les hommes.

Les programmes scolaires comportent une éducation à la sexualité. Mais, hélas, le modèle dominant transmis à nos jeunes reste celui de la sexualité masculine, avec les pulsions et les besoins des hommes, par lesquels on finit par justifier le système prostitueur. Il faut condamner ce système et expliquer que la sexualité n’est pas qu’affaire d’hommes et que les femmes ont aussi leur mot à dire. C’est sur cela que nous travaillons avec les jeunes. Il faut avancer sur de multiples fronts à la fois en matière d’égalité hommes-femmes.

Mme Claire Quidet. Je vous remercie, monsieur le président, d’avoir rappelé combien il est important que la sanction encourue soit dissuasive. C’est pourquoi nous préférerions un délit, par nature punissable d’une peine de privation de liberté, même si dans les faits, nous ne souhaitons bien sûr pas que tous les clients de la prostitution se retrouvent derrière les barreaux. Tel n’a d’ailleurs pas été le cas en Suède après l’adoption de la loi, mais cela a permis aux clients de prendre conscience de la gravité de leur acte.

Et il faut en effet, comme le prévoit la proposition de loi, travailler parallèlement à l’évolution des mentalités, donc à la prévention et à l’éducation dès le plus jeune âge.

Mme Judith Trinquart. Depuis longtemps, le corps médical en France envisage la question de la prostitution presque exclusivement sous l’angle hygiéniste avec la prévention des MST, et plus récemment de la contamination par le VIH, alors que toutes les études, essentiellement anglo-saxonnes d’ailleurs, réalisées sur la santé des personnes prostituées montrent que la principale cause de morbidité et de mortalité réside, chez elles, dans les violences physiques et psychiques dont elles sont victimes. Sachant cela, il est incroyable qu’on continue de cibler en priorité les maladies transmissibles, et non les violences. Les pays qui ont légalisé la prostitution, comme l’Allemagne ou les Pays-Bas, connaissent des taux très élevés de contamination par le VIH et les MST, les clients ayant tous les droits, ce qui les encourage, par exemple, à refuser de mettre un préservatif. Il serait important dans notre pays que les subventions soient aussi consacrées à des actions de prévention et d’éducation plutôt qu’à la seule prévention du sida et autres MST.

Mme Emmanuelle Piet. Aider une femme à sortir de la prostitution, c’est d’abord lui garantir la sécurité. Les dispositifs de mise en sécurité devront être renforcés, vu la dangerosité des hommes sous le joug desquelles les personnes prostituées travaillent.

Mme Claire Quidet. Je voudrais terminer en parlant des personnes prostituées elles-mêmes. La proposition de loi comporte toute une série de mesures d’accompagnement pour les aider à sortir de la prostitution, si elles le souhaitent. J’estime que c’en est le volet essentiel, même si je suis très attachée à ce que soit posée l’interdiction de l’achat d’un acte sexuel. Il faut leur garantir la sécurité tout d’abord, les accompagner sur le plan psychologique pour les aider à se reconstruire et leur donner accès à des alternatives dignes à la prostitution.

Si nous nous réjouissons de cette proposition de loi et en attendons beaucoup, nous savons qu’un texte ne fait pas tout. Nous espérons donc que suivra une réelle volonté politique de mettre en œuvre tout ce qui est nécessaire pour aider les personnes qui aujourd’hui vivent la violence de la prostitution.

Mme Catherine Coutelle. Sans nourrir d’illusions, je pense tout de même que les mentalités ont évolué récemment. Les oppositions à cette proposition de loi sont moindres qu’on aurait pu l’imaginer : selon un sondage, 73 % des Français y sont aujourd’hui favorables. Beaucoup de nos concitoyens nous demandent d’agir contre la prostitution, tant elle s’exerce de manière visible dans nos villes. Le travail mené par la mission d’information en 2010 a été déterminant. Ma dernière pensée, à moi, aussi sera pour les personnes prostituées, dont nous souhaitons vraiment qu’elles s’en sortent. Reste à savoir si cette proposition de loi sera suffisante.

Mme la rapporteure. Les personnes prostituées que j’ai rencontrées étaient toutes très inquiètes de leur avenir, une fois la loi adoptée, celle-ci devant normalement diminuer le nombre de clients. Quel accompagnement serait possible ?

Mme Emmanuelle Piet. Les personnes prostituées ont les mêmes droits sociaux que tout citoyen de notre pays. Elles peuvent percevoir le RSA ou le minimum vieillesse.

Mme Claire Quidet. Il est important de le rappeler, en effet, mais ces droits ne suffisent pas. Face aux problématiques complexes et douloureuses de ces personnes, un accompagnement plus spécifique sera nécessaire.

Oui, les personnes en situation de prostitution sont inquiètes. Si elles nous disent adhérer aux dispositions du texte pour les générations futures, elles ont très peur de leurs effets pour elles aujourd’hui. Ce sera le défi à relever pour les associations, en partenariat avec l’État, que de les aider à sortir de la prostitution, parcours long, difficile, douloureux, semé d’embûches. Il faudra prévoir un accompagnement global. Tout dépendra de la volonté politique de faire vivre cette loi et du minimum de moyens indispensables qui pourront être dégagés. Mais toutes les associations de terrain, qui réalisent un travail remarquable, répondent présentes et sont prêtes, en lien avec les personnes prostituées elles-mêmes, à faire des propositions concrètes, de façon que ces personnes puissent envisager de manière plus sereine l’après-loi.

M. le président Guy Geoffroy. Mesdames, nous vous remercions. Il est incontestable que nous progressons dans la lutte contre les violences faites aux femmes. Promoteur et rapporteur de la première loi sur les violences conjugales en 2005, je me souviens qu’il n’était pas gagné d’avance de faire reconnaître qu’il pouvait exister, dans l’intimité d’un couple, des violences pénalement répréhensibles. Or, plus personne ne le nierait aujourd’hui. De la même façon, nous avons progressé depuis 2010 sur le sujet de la prostitution puisqu’on exige aujourd’hui du législateur qu’il traite d’aspects dont on estimait hier encore qu’ils ne le regardaient pas. L’idée que des interdits puissent être posés en ce domaine n’est plus rejetée, notamment parce qu’est perçue la portée éducative puissante qu’ils peuvent avoir. Reste à trouver les bons interdits.

Nous sommes sur un chemin que la Suède et quelques autres pays ont emprunté avant nous et que d’autres pays attendent que nous empruntions. Lors de déplacements en Espagne, en Belgique ou aux Pays-Bas, j’ai constaté que ces pays, qui sont allés très loin en matière de réglementation, et donc de justification de la prostitution, s’interrogent aujourd’hui et attendent que la France donne un signal. Nous sommes sur un chemin irréversible.

Audition de Mme Lise Tamm, procureure au parquet de Stockholm

(extrait du procès-verbal de la séance du 5 novembre 2013)

M. le président Guy Geoffroy. Nous recevons cet après-midi Mme Lise Tamm, procureure au parquet international de Stockholm, que je remercie d’avoir répondu à notre invitation. Il nous a paru important de vous entendre, madame, pour disposer d’un point précis sur la mise en oeuvre de la législation suédoise en matière de prostitution, pour ce qui concerne notamment la pénalisation du client. Certains pays, d’Europe en particulier, mettent en effet en avant l’exemple suédois pour justifier leur choix d’une politique abolitionniste.

Le débat est ouvert en France depuis plusieurs années. Si beaucoup pensent que l’expérience conduite en Suède depuis maintenant plus de dix ans est une réussite, certains mettent en doute cette réussite. Votre éclairage, madame, nous sera donc précieux.

Mme Lise Tamm, procureure au parquet international de Stockholm. Je suis à la fois heureuse et honorée de pouvoir m’exprimer devant vous aujourd’hui. Je suis procureure depuis 1993, chef du parquet international de Stockholm. Je le ferai en français, vous remerciant par avance de bien vouloir me pardonner si je commets quelques fautes, car j’ai quitté la France pour la Suède à l’âge de huit ans.

La loi adoptée par la Suède en 1999 vise le client, l’acheteur de sexe. Si c’est lui qui est visé, et non la prostituée, c’est que nous pensons que l’immense majorité des prostituées ne se prostituent pas par choix et qu’en ce domaine, c’est la demande qui crée l’offre. L’acheteur de sexe est le dernier maillon de la chaîne. Sans lui, il n’y aurait pas de prostitution.

Qu’est-ce que se prostituer pour une femme ? Il faut appeler les choses par leur nom : c’est être pénétrée plusieurs fois par jour par des hommes qu’elle ne connaît pas et qu’elle n’a pas choisis. Il n’y a pas de réciprocité entre deux personnes, qui se seraient choisies. Avec la lutte contre la prostitution, il en va donc de l’égalité entre les femmes et les hommes, et de manière plus générale, des droits de l’Homme. Si on trouve normal d’acheter une relation sexuelle auprès d’une femme contrainte de se vendre, c’est qu’on pense que les femmes et les hommes n’ont pas la même valeur. Si cela ne consacrait pas cette inégalité, autant d’hommes que de femmes se prostitueraient et les hommes seraient aussi nombreux que les femmes à être exposés dans les vitrines d’une ville comme Amsterdam… Tout comme on ne souhaite pas que sa fille devienne prostituée, on ne doit souhaiter que son fils devienne acheteur de sexe. Les hommes et les femmes ont en effet la même valeur et une relation sexuelle doit reposer sur un désir réciproque.

Ceux qui s’opposent à la pénalisation des clients, dans votre pays aujourd’hui comme en Suède en 1999, avancent comme argument que cela accroîtrait le danger pour les prostituées. Or, on n’a absolument pas noté d’augmentation de l’insécurité pour les prostituées depuis 1999 en Suède. Au contraire, elles sont davantage aidées par les services sociaux et la police. Que les tenants de cet argument apportent donc des preuves : je n’en ai jamais vu le début du commencement, alors même que je travaille sur le terrain.

La pénalisation réduira le nombre de clients, disent d’autres. En effet, mais n’est-ce pas ce que l’on souhaite ?

La plupart des prostituées en Suède sont étrangères. Venues de Roumanie, des pays baltes ou de Russie, elles se prostituent pour survivre. Très pauvres, originaires le plus souvent de petits villages, elles ne parlent pas le suédois, très rarement une autre langue étrangère, et sont très vulnérables. La pauvreté dans le monde ne disparaîtra pas demain d’un coup de baquette magique et il y aura donc toujours des gens qui auront besoin de se débrouiller pour survivre, en mendiant, en volant, en se prostituant. Il est donc beaucoup plus pertinent, en matière de prostitution, de changer de point de vue et de s’intéresser aux clients. La prostitution comporte toujours des violences. Celles-ci ne s’accroîtront pas parce que le client sera pénalisé. Il est bien plus important de supprimer le délit de racolage qui fait que les prostituées ont peur de la police et des services sociaux.

Un autre argument avancé par ceux qui s’opposent à la pénalisation du client est que cela renforcerait la clandestinité. J’avais tendance moi aussi à le penser en 1999 mais cela s’est révélé faux. Le proxénétisme et la traite sont, en Suède comme en France, des activités illégales relevant de la criminalité organisée, lourdement sanctionnées, et par nature clandestines. Que le client soit ou non pénalisé ne change rien. Si des prostituées étrangères se retrouvent sur nos trottoirs, c’est que quelqu’un les a recrutées, a organisé leur voyage, leur a trouvé un lieu d’exercice, a confectionné leur site Internet et leur amène des clients. Il est indifférent que les filles soient sur le trottoir ou à l’hôtel. Les prostituées indépendantes, qui font cela par choix et sans proxénète, sont très rares. Pour elles, rien ne changera car elles n’intéressent ni la police ni la justice, dont la préoccupation est de démanteler les réseaux qui exploitent des personnes vulnérables.

Un autre argument encore est que la prostitution se réfugierait sur Internet. Mais elle y est déjà, comme tout ! Et de toute façon, la police surveille aussi Internet – la police française excelle d’ailleurs en ce domaine. Et c’est grâce à cette surveillance que certains réseaux de traite peuvent être repérés. En effet, pour vendre sur Internet, il faut exposer sa marchandise, et la marchandise en l’espèce, ce sont les filles – il y a bien quelques garçons, mais cela reste tout à fait marginal, 90% des acheteurs de sexe étant des hommes.

Un autre argument avancé est que les clients, s’ils sont pénalisés, risquent d’être plus violents. Cela n’a jamais été prouvé. Ce qui importe, au contraire, est que les prostituées, elles, ne risquent pas d’être poursuivies, de façon qu’en cas de danger, elles ne craignent pas de s’adresser à la police ou aux services sociaux. La plupart d’entre elles, venant de pays où le racolage est illégal, ne savent même pas qu’en Suède, leur activité n’est pas illégale.

C’est dans les pays où les inégalités entre les hommes et les femmes sont les plus fortes que le plus de violences sont commises à l’encontre des femmes. Cela vaut aussi pour les prostituées. Chacun a entendu parler des viols épouvantables qui ont lieu en Inde ou dans certains pays d’Afrique. Des crimes aussi violents sont rarissimes en Suède.

Un autre argument est que la police aurait du mal à arrêter les acheteurs de sexe. En Suède, elle entretient d’excellentes relations avec les hôtels, et elle s’appuie sur tout un travail de renseignement. Elle met en place les écoutes nécessaires et surveille Internet pour remonter les filières. C’est en général à partir des clients, derniers maillons de la chaîne, qu’elle peut le faire.

Certains, enfin, objectent qu’en dépit de la loi pénalisant le client, les acheteurs de sexe n’ont pas disparu en Suède. Certes, mais leur nombre a considérablement diminué, et ils sont incomparablement moins nombreux que dans les pays voisins. L’interdiction et la répression de l’achat de sexe ne le feront pas disparaître du jour au lendemain, tout comme sa répression n’a pas fait cesser la consommation de stupéfiants. Mais il est important de poser certains interdits et de les assumer. Une réponse pénale ne peut à elle seule résoudre le problème de la prostitution. Il faut aussi que les mentalités évoluent et que progresse l’égalité entre les hommes et les femmes. C’est une question d’éducation. C’est dès la crèche qu’il faut apprendre aux petits garçons et aux petites filles qu’ils ont la même valeur. Si chaque homme finit par comprendre que « cela ne se fait pas » d’acheter une relation sexuelle avec une femme parce que la sexualité doit reposer sur deux désirs réciproques, on aura beaucoup progressé.

Comment répondre à la misère sexuelle si on interdit l’achat de sexe ? m’a-t-on parfois demandé. Excusez-moi, mais la question me fait rire. Se soucie-t-on de la misère sexuelle des femmes divorcées ou veuves ? Trouve-t-on des hommes prostitués en vitrine que ces femmes pourraient acheter ? La misère sexuelle ne trouvera pas de solution dans la prostitution. Si on est malheureux dans son mariage, on prend une maîtresse ou un amant, mais on ne va pas voir une prostituée.

M. le président Guy Geoffroy. Lors de notre déplacement à Stockholm il y a trois ans, dans le cadre d’une mission d’information sur la prostitution, il nous a été dit que la police suédoise, par les écoutes téléphoniques qu’elle avait mises en place, a appris « l’agacement » des réseaux de prostitution devant la difficulté croissante pour eux de travailler en Suède. Pouvez-vous nous en dire davantage ?

Certains prétendent que si la prostitution visible semble avoir reculé en Suède, c’est que les clients, de peur d’être pénalisés, passent plutôt leurs week-ends sur des navires en mer Baltique, où seraient organisées des parties fines. Est-ce vrai ? Si oui, quelle est l’importance du phénomène ?

Mme Lise Tamm. Ce qui vous a été rapporté sur les écoutes téléphoniques est tout à fait exact. Je pense à une grosse affaire que j’ai suivie, car les réseaux de criminalité organisée impliqués dans la prostitution se livrent la plupart du temps aussi au trafic de stupéfiants et à d’autres activités illégales. Il était presque amusant d’entendre les trafiquants, placés sur écoute, se plaindre de la difficulté pour eux d’opérer en Suède !

Aujourd’hui, les prostituées sont beaucoup moins nombreuses en Suède qu’au Danemark ou en Allemagne. Et les prostituées roumaines, baltes ou russes qui travaillent encore dans notre pays y sont globalement moins maltraitées qu’auparavant et que dans d’autres pays. La peur a changé de camp et la loi fait la vie difficile aux proxénètes.

Avant 1999, à la question : « Avez-vous déjà eu une relation sexuelle avec une prostituée ? », 12% des hommes suédois répondaient par l’affirmative, alors qu’ils ne sont plus que 7% aujourd’hui. La loi a donc bien eu une incidence sur le recours à la prostitution.

Vous m’interrogez sur les « joyeuses » qui seraient organisées sur des bateaux en mer Baltique. Les compagnies de bateaux entretiennent de très bonnes relations avec la police, et les bateaux ne sont que très marginalement un lieu d’exercice de la prostitution. Ceux qui souhaitent acheter du sexe doivent aller à Tallinn, en Estonie, au Danemark ou en Allemagne, ce qui leur complique la tâche. Le fantasme des parties fines sur les bateaux en Suède est probablement né du fait que les prostituées arrivent souvent dans le pays par bateau.

Mme Maud Olivier, rapporteure. Le premier chapitre de notre proposition de loi a trait à la lutte contre les réseaux de proxénétisme et de traite. Il serait utile que les polices des différents pays européens coopèrent pour lutter contre ces réseaux. La police suédoise a-t-elle des contacts avec les polices des pays limitrophes et avec la police française ? Comment faire par exemple pour saisir les biens des proxénètes ?

Mme Lise Tamm. Nous entretenons d’excellentes relations avec les polices des pays d’origine, notamment roumaine et baltes. La coopération est très efficace. Nous menons en ce moment deux grosses enquêtes, avec des filles venues pour l’une, de Roumanie, pour l’autre, d’Estonie. Les auditions ont lieu à Stockholm en vidéo-conférence, ce qui facilite les choses pour tous.

Nous cherchons bien sûr à confisquer les actifs des proxénètes, mais l’absence d’harmonisation des législations nous crée des difficultés. S’il est assez facile d’identifier les flux d’argent transitant par Western Union, organisme avec lequel nous avons de bonnes relations, ensuite, en Roumanie par exemple, la législation nationale entrave toute saisie. Avec d’autres pays, il y a moins de difficultés. La justice danoise a réussi à saisir des appartements en Bulgarie.

Mme Catherine Coutelle, présidente de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. J’ai déjà eu l’occasion, madame, de vous entendre en Suède où je m’étais rendue en déplacement avec la ministre.

Plusieurs associations de lutte contre les violences faites aux femmes, que nous avons auditionnées ce matin, nous ont dit qu’en Suède, l’opinion avait été préparée très en amont de l’adoption de la loi de 1999. Nous le confirmez-vous ? Comment cette loi a-t-elle été acceptée en 1999 et comment l’est-elle aujourd’hui ? Les relations entre les filles et les garçons se sont-elles améliorées depuis et la domination masculine de sexe a-t-elle reculé ?

Quel dispositif d’accompagnement la Suède a-t-elle mis en place pour les personnes qui souhaitent sortir de la prostitution ?

Comment la police s’y prend-elle, dans votre pays, pour repérer et arrêter les clients ? N’est-ce pas les clients qui, s’ils risquent d’être poursuivis, exigeront des prostituées qu’elles aillent dans des endroits plus reculés où ils auront moins de risques d’être pris ?

Mme Marie-George Buffet. Votre exposé liminaire, madame Tamm, nous encourage dans la voie sur laquelle nous avançons.

Plus de dix ans après la loi de 1999, comment a évolué en Suède le regard porté par les garçons et les filles sur l’achat d’une relation sexuelle ? Cela a-t-il modifié les relations entre les hommes et les femmes ?

La pénalisation des clients a-t-elle entraîné un moindre suivi sanitaire des victimes de la prostitution et, partant, une propagation de la contamination par le VIH ?

Que prévoit la loi suédoise au profit des personnes prostituées étrangères souhaitant sortir de la prostitution ? Peuvent-elles obtenir des papiers et s’installer en Suède ?

Enfin, vous avez souligné la nécessité d’une harmonisation des législations au niveau européen, en particulier avec la Roumanie. Que pensez-vous de la position de la Commission européenne à ce sujet ?

Mme Lise Tamm. Combien de temps en amont la loi de 1999 a-t-elle été préparée ? Je ne peux vous répondre. Il faudrait poser la question à des responsables politiques. Je peux seulement vous dire qu’alors qu’elle suscitait pas mal d’opposition en 1999, 70% de la population suédoise y est aujourd’hui favorable. On en attendait une évolution des mentalités, et celle-ci a bien eu lieu. De ce point de vue, la loi a été un succès. Aucun jeune homme ne se vantera aujourd’hui en Suède « d’aller voir les filles », car c’est perçu comme honteux. De même que la réprobation est désormais immédiate si on voit dans la rue un parent taper un enfant – la loi interdit depuis longtemps en Suède de donner une fessée aux enfants et chaque enfant suédois sait que ses parents n’ont pas le droit de le faire -, la réprobation de l’achat de sexe est unanime.

Au 19ème siècle, la prostitution était très répandue en Suède parce que le pays était très pauvre – un quart de sa population a émigré aux États-Unis – et que les femmes s’y livraient pour pouvoir nourrir leur famille. Aujourd’hui, dans un pays certes devenu l’un des plus riches du monde, elle y a considérablement régressé du fait de l’évolution des mentalités, à laquelle a contribué la loi de 1999. On compte d’ailleurs très peu de prostituées suédoises, et lorsqu’il y en a, ce sont toujours des filles en grande difficulté, qui vivent la plupart du temps en foyer et cumulent les problèmes.

J’en viens à l’accompagnement de la sortie de prostitution et aux possibilités de régularisation pour les prostituées étrangères. Avant d’effectuer des perquisitions dans le cadre du démantèlement de réseaux, nous prenons l’attache des services sociaux et recherchons des foyers où les filles pourront être hébergées temporairement si elles le souhaitent. Mais il est bien clair qu’elles ne sont que des victimes et qu’elles sont libres de faire ce qu’elles veulent. La police et les services sociaux ne peuvent que les inciter à rejoindre ces foyers, mais ne peuvent pas les obliger à y aller. Si elles acceptent d’être interrogées et de participer à l’enquête d’une façon ou d’une autre, elles peuvent obtenir un permis de séjour temporaire pendant le temps de la procédure – laquelle prend en général autour d’un an. Ce permis leur donne le droit d’obtenir un logement et un travail, et leur donne accès à divers droits sociaux.

Il leur est en revanche difficile d’obtenir un titre de séjour permanent, à moins qu’elles ne soient arrivées dans le pays très jeunes. Avoir été victime d’un réseau de traite ne suffit pas pour être régularisé. Si tel était le cas, cela pourrait d’ailleurs encourager les trafics. La plupart des filles souhaitent retourner dans leur pays. Il faut leur permettre de pouvoir le faire dans des conditions décentes. Les services sociaux travaillent donc en liaison avec les pays d’origine. Mais la pauvreté de ces pays est telle qu’ils n’ont pas grand-chose à proposer pour aider ces filles. Il faut éviter que celles-ci ne retombent entre les mains des trafiquants, ce qui n’est pas facile quand elles viennent de petits villages, car ce sont souvent des membres ou des amis de leur famille qui les ont vendues. On en voit d’ailleurs revenir certaines.

Comment la police fait-elle pour arrêter les clients ? Elle a tout d’abord de très bonnes relations avec les hôtels, avec les compagnies de bateaux… La police qui s’occupe de la criminalité organisée et des réseaux, et la police de proximité, présente dans la rue, travaillent en lien. La première pratique des écoutes et surveille Internet tandis que la seconde effectue des filatures sur le terrain : les hôtels, par exemple, peuvent la prévenir quand une prostituée arrive avec un client. Si celui-ci repart au bout d’une heure et qu’on trouve des capotes dans la poubelle de la chambre, on sait de quoi il retourne. Il n’est pas difficile de pister les clients, notamment sur Internet, une fois repéré un lieu de prostitution. En matière de prostitution, comme en matière de stupéfiants, là où la police enquête, elle trouve. Simplement il n’y a pas assez de policiers pour enquêter partout. Mais plus ils seront nombreux à s’intéresser à ce domaine, plus de clients se feront prendre.

La loi de 1999 a-t-elle modifié les relations entre les hommes et les femmes en Suède ? Depuis très longtemps, on inculque aux enfants, dans nos crèches et nos écoles, que les filles et les garçons ont la même valeur et on leur apprend à se respecter mutuellement. L’homme suédois « normal » ne va pas voir des prostituées : il trouve cela honteux.

La pénalisation du client ne risque-t-elle pas de favoriser la propagation du sida ? J’avoue avoir du mal à comprendre cet argument. Parce que des clients ne porteraient pas de préservatif ? Mais c’est déjà le cas aujourd’hui. Certains exigent de ne pas en mettre et acceptent même de payer davantage pour cela. La loi n’y change rien. Par ailleurs, le sida a beaucoup reculé en Suède grâce aux nouveaux médicaments qui freinent le développement de la maladie.

Mme Marie-George Buffet. Il ne recule pas en France.

Mme Ségolène Neuville. Les nouveaux médicaments réduisent considérablement, sinon empêchent, la contamination.

Mme Marie-Louise Fort. Merci, madame, de l’enthousiasme dont vous faites preuve dans la lutte contre la prostitution et la passion avec laquelle vous exercez votre métier.

Vous avez évoqué la prostitution sur Internet et les réseaux sociaux. Comment atteindre le client ou le proxénète sans viser la prostituée ? Une responsable de la gendarmerie, que nous auditionnions la semaine dernière, nous a expliqué que ce n’était pas facile, d’autant qu’en France, on est très sourcilleux quant à la préservation de la liberté des utilisateurs d’Internet. La législation suédoise permet-elle davantage d’investigations ? Les écoutes téléphoniques, également, sont très encadrées en France au nom du respect des libertés individuelles. Comment procède-t-on en Suède ? Enfin, êtes-vous confrontés, dans votre pays, à des réseaux de prostitution en provenance de Russie et d’Afrique ?

Mme Lise Tamm. Nous avons eu affaire à quelques réseaux en provenance du Nigéria, qui s’étaient installés en Norvège avant de venir en Suède, et avons bien sûr affaire à de nombreux réseaux russes. Les prostituées en provenance des pays baltes appartiennent à la minorité russe de ces pays.

Les écoutes téléphoniques sont, en Suède comme en France, très réglementées, mais il est possible d’en mettre en place sans difficulté dans le cadre de la lutte contre la criminalité organisée, dont relèvent les réseaux de traite ou les affaires de proxénétisme aggravé. C’est après tout un travail de renseignement que la surveillance peut commencer, y compris sur Internet. Une fois repérée, par exemple, une fille sur un site, un policier peut se faire passer pour un client et prendre rendez-vous. Il aura ainsi connaissance de l’adresse du lieu d’exercice. Il peut aussi l’avoir connue grâce à des renseignements fournis par des voisins ou par le personnel des hôtels. Le téléphone de la fille est ensuite placé sur écoute, car tôt ou tard, le proxénète appellera. C’est en partant ainsi des clients, dernier maillon de la chaîne, qu’on remonte les réseaux. On peut aussi travailler à partir des flux financiers. Bien sûr, la police ne mettra jamais la main sur tous les proxénètes ni sur tous les clients. Elle a plus de chances de les arrêter s’ils commettent des erreurs.

Mme Ségolène Neuville. Dans la région frontalière où j’habite, beaucoup de jeunes gens vont acheter du sexe à La Jonquère en Espagne. Certains objectent donc que, quelles que soient les dispositions de la loi que nous prenions en France, ils continueront d’aller voir les prostituées de l’autre côté de la frontière. La législation suédoise prévoit-elle que des personnes ayant acheté du sexe à l’étranger puissent être inquiétées à leur retour en Suède ? Par ailleurs, beaucoup de Suédois vont-ils faire du tourisme sexuel, en Thaïlande par exemple ?

Mme Lise Tamm. Les Suédois seraient 400 000 par an à se rendre en vacances en Thaïlande, mais ils y vont essentiellement en famille. Il y a certainement parmi tous ceux-là un petit pourcentage d’acheteurs de sexe, mais il est très faible, car, je le redis, il est honteux pour les Suédois d’acheter du sexe. On désigne d’ailleurs les acheteurs de sexe d’un mot signifiant « morue » et ils sont vraiment considérés comme de « pauvres types ». Jamais un homme suédois ne se vantera « d’aller au bordel ». Une enquête menée pendant la Coupe du monde de football en Allemagne, où il aurait été très facile aux supporters suédois d’aller voir des prostituées, a montré que dans leur très grande majorité, ils ne l’avaient pas fait. « Jamais ! Ce serait la honte ! », disaient-ils.

Il ne faut pas croire pour autant que tout est parfait en Suède ni que tous les Suédois soient irréprochables. Des pédophiles continuent d’aller commettre leurs méfaits en Thaïlande ou aux Philippines, des conjoints continuent de frapper leur femme… Et il demeure des inégalités entre les femmes et les hommes : les femmes gagnent toujours moins que les hommes, s’occupent davantage des enfants et assurent davantage de tâches domestiques. Mais il y a eu d’énormes progrès. Quant à la loi de 1999, si elle n’a pas éradiqué la prostitution, elle l’a fait diminuer. Et elle a fait évoluer les mentalités : elle a fait comprendre aux gens qu’il n’était pas normal d’acheter une relation sexuelle. Si les enfants apprennent dès l’école maternelle que les filles et les garçons ont la même valeur, il est beaucoup plus improbable que vingt ans plus tard, un garçon aille acheter une fille dans la rue ou la choisir dans une vitrine, comme s’il s’agissait d’un animal ou d’un objet.

La législation suédoise ne réprime pas l’achat de sexe à l’étranger, à moins que la relation n’ait eu lieu avec une personne mineure. De manière générale, on ne peut pas être condamné en Suède pour des actes illégaux au regard de la loi nationale mais légaux dans le pays où ils ont été commis. C’est le cas par exemple pour la consommation de drogues. Notre pays est très attaché à ce principe juridique – sur lequel je suis, pour ma part, plus sceptique.

Mme la rapporteure. Pourquoi la Suède a-t-elle relevé récemment de six mois à un an d’emprisonnement la peine prévue pour les acheteurs de sexe ?

Mme Lise Tamm. Nous le demandions depuis longtemps car notre code de procédure pénale offre plus de possibilités lorsque la peine maximale encourue est d’au moins un an de prison. Il est notamment possible alors de prolonger les gardes à vue, ce qui peut être utile pour le démantèlement d’un réseau. Cela ne signifie pas pour autant que des clients, même récidivistes, aient jusqu’à présent été condamnés à de la prison.

M. le président Guy Geoffroy. Il est question, vous le savez, de créer un parquet européen. Tous les États membres de l’Union ne sont pas d’accord sur la nature et les missions de cette institution. Pour certains, le champ de compétences de ce parquet devrait être limité aux crimes et délits commis contre les intérêts financiers de l’Union européenne. Pour d’autres, dont la France, il serait dommage de mettre en place un tel outil sans qu’il puisse engager des poursuites dans le domaine de la criminalité transnationale, donc de la traite des êtres humains. Quel est votre avis ?

Mme Lise Tamm. Je ne suis pas femme politique, mais procureure. Je suis donc indépendante – les procureurs suédois sont plus indépendants que leurs homologues français –et vous donnerai ici mon avis personnel, qui n’est pas celui de la Suède. Celle-ci est peu favorable à l’idée d’un parquet européen, alors que, comme beaucoup de magistrats, je pense que cette institution nous faciliterait beaucoup la tâche au parquet international, où nous avons souvent affaire à des réseaux criminels transnationaux.

M. le président Guy Geoffroy. Madame, nous vous remercions.

Table ronde réunissant M. Grégoire Théry, secrétaire général de l’association Mouvement du Nid, Mme Geneviève Duché, présidente de l’association l’Amicale du Nid, Mme Agnès Bonneau, responsable de l’établissement de l’Amicale du Nid à Grenoble et Mme Hélène de Rugy, déléguée générale

(extrait du procès-verbal de la séance du 6 novembre 2013)

M. le président Guy Geoffroy. Mes chers collègues, nous sommes heureux d’accueillir aujourd’hui M. Grégoire Théry, secrétaire général du Mouvement du Nid, Mme Geneviève Duché, présidente de l’Amicale du Nid, accompagnée de Mme Agnès Bonneau, responsable de l’établissement de Grenoble et de Mme Hélène de Rugy, déléguée générale.

Notre commission spéciale est chargée de préparer l’examen de la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel, prévu en séance publique à partir du mercredi 27 novembre.

Nous avons souhaité auditionner les acteurs dont le point de vue sur le sujet est véritablement pertinent. Notre commission tiendra compte dans la mesure du possible de toutes les propositions d’évolution du texte qui pourraient lui être présentées.

Mme Geneviève Duché, présidente de l’Amicale du Nid. L’Amicale du Nid, association indépendante et laïque fondée en 1946, s’est donné deux missions : l’accueil et l’accompagnement des personnes en situation de prostitution et des personnes en risque de prostitution ; la prévention, en particulier auprès des jeunes, la sensibilisation et la formation des acteurs – sociaux, éducatifs, police et justice – sur la lutte contre la prostitution.

Près de 200 salariés de notre association, dont le siège est basé à Paris, travaillent dans huit départements. Nos sept centres d’hébergement et de réinsertion sociale, les CHRS, fonctionnent en délégation de service public. Depuis sa création, notre association développe ses activités dans le cadre de l’abolitionnisme français et des ordonnances de 1960.

Chaque année, dans le cadre de notre première mission – que nous appelons l’« aller vers » –, nous rencontrons dans les rues et sur les routes près de 4 700 prostituées, et en accompagnons plus de 4 000, avec ou sans hébergement, parmi lesquelles un grand nombre de personnes étrangères et une très grande majorité des femmes.

L’année dernière, nos actions de prévention et de formation ont concerné 1 200 personnes, auxquelles peuvent être ajoutés les 1 800 étudiants montpelliérains auprès desquels nous avons mené une enquête sur la prostitution en milieu étudiant et dont les résultats seront publiés prochainement.

Nous souffrons beaucoup, en particulier les travailleurs sociaux, de la réduction de nos moyens ces dernières années – que ce soit les subventions ou la dotation globale de fonctionnement pour le financement des CHRS –, alors même que les coûts augmentent. Trois CHRS en particulier sont en situation de grande fragilité, à Lyon, en Seine-Saint-Denis et à Montpellier.

Notre accompagnement des personnes prostituées est à la fois généraliste et spécifique. Généraliste car il concerne l’accès au droit commun, en matière de logement, de santé, d’emploi, et la lutte contre la précarité et la misère. Spécifique car il s’adresse à des personnes en situation de prostitution, laquelle constitue à nos yeux une violence dont les conséquences sur la santé et la vie des personnes sont très graves. Il faut prendre acte de cette spécificité pour pouvoir réellement aider les personnes à reprendre en main leur vie, à retrouver leur autonomie, à se reconstruire. Ces actions d’accompagnement s’inscrivent forcément dans la durée et elles pèsent sur le coût des places, ce qui n’est pas toujours bien compris par le financeur. J’ajoute que nous avons aussi une obligation de protection de ces personnes. En accompagnant les personnes prostituées, en recueillant le récit de leur vie, nous comprenons le processus qui a conduit à les fragiliser et à les faire tomber sous la coupe de proxénètes.

Depuis deux ou trois ans, l’Amicale du Nid a inscrit dans ses statuts la possibilité d’accompagner les personnes prostituées adultes et mineures. Nous constatons en effet qu’un grand nombre de mineurs se prostituent. Cette problématique impose d’intervenir de toute urgence, mais nos moyens financiers ne nous le permettent pas à l’heure actuelle. La lutte contre la prostitution est indissociable de la politique de prévention et de protection de l’enfance. Très souvent, les personnes prostituées ont connu dans leur enfance et leur adolescence des violences de toutes sortes – psychologiques, physiques et sexuelles, dont l’inceste. Or nous le savons : les violences subies dans l’enfance peuvent produire à la fois des victimes et des agresseurs. Il s’agit d’un problème très important.

Il y a un an et demi, l’Amicale du Nid a révisé son projet associatif pour demander une politique abolitionniste renforcée, passant notamment par la pénalisation des clients ou des prostitueurs. À nos yeux, la prostitution est une violence de genre produite par la domination masculine et l’argent.

Ce moment est pour nous historique car, après le rapport de Mme Bousquet et M. Geoffroy, après le vote à l’unanimité par l’Assemblée nationale de la résolution rappelant l’exigence abolitionniste, votre proposition de loi, équilibrée, sera bientôt discutée au Parlement. En luttant contre le système prostitutionnel, elle permettra à la société de dire non à ce que j’appelle les « viols marchandisés », à dire non à la chosification des personnes.

Je ferai quelques remarques sur cette PPL.

Il nous semble très important que l’achat d’actes sexuels constitue un délit. Cela permettrait de rééquilibrer le droit français, qui a souvent tendance à protéger davantage les biens que les personnes, et serait un signe fort en faveur de la prise en compte de la violence que constitue la prostitution.

Il faudrait en outre revoir la protection des personnes étrangères. En effet, on ne peut pas demander à une personne étrangère de sortir immédiatement de la prostitution ; les choses sont plus complexes que cela.

Par ailleurs, nous vous alertons sur les moyens. Une loi n’est crédible que si elle est accompagnée de réels moyens – faute desquels, nous le rappelons, les ordonnances de 1960 n’ont pas été suivies de la création des services de lutte contre la prostitution dans les départements.

Enfin, il faut insister sur la prévention et la sensibilisation. Notre pays n’a peut-être pas une culture de la prévention suffisamment développée.

M. Grégoire Théry, secrétaire général du Mouvement du Nid. Je commence par un rappel historique. Fondé en 1946, le Nid a été scindé en 1971 en deux associations : l’Amicale du Nid et le Mouvement du Nid. Le Mouvement du Nid est une association présente dans 32 départements français. Porté par 450 bénévoles, appuyés par 18 salariés, il est à la fois un mouvement de société et une association de terrain.

Une association de terrain car la première action du Mouvement du Nid est la rencontre sur les lieux de prostitution. Nous rencontrons chaque année 5 000 personnes prostituées dans les 32 villes où nous sommes présents, dont certaines depuis plusieurs dizaines d’années. Une véritable confiance s’est ainsi tissée sur les lieux de prostitution ; elle nous a permis d’évaluer l’évolution du phénomène. Nous accueillons chaque année entre 1 000 et 1 500 personnes. Nous travaillons également auprès des travailleurs sociaux. Nous formons chaque année 3 000 professionnels aux réalités de la prostitution.

Nous animons des actions de prévention auprès des jeunes dans leur établissement scolaire – 17 000 jeunes en 2012. Il s’agit moins d’une action de prévention des risques prostitutionnels que d’une action de réflexion et de développement des compétences psychosociales des jeunes. Nous abordons avec eux l’estime de soi, le respect de soi et de l’autre, la liberté et la pression du groupe, les moyens de se construire librement dans le respect de soi et des autres, ce qui nous amène à aborder les questions de la marchandisation, de la déconstruction des stéréotypes sexistes, etc.

Enfin, nous menons une action d’information grâce à une revue intitulée Prostitution et société, publiée depuis plus de trente ans, et à un site Internet mis à jour toutes les semaines avec des actualités et de nombreux témoignages directs de personnes prostituées – étrangères, françaises, transsexuelles, exerçant dans la rue, par Internet, en escorting, etc.

En matière de prostitution, il importe de distinguer les principes, les réalités et les mesures. Le débat public entretient en effet une confusion permanente entre les principes et les mesures. Sur la pénalisation du client, par exemple, on ne sait plus, sur le principe ou sur l’efficacité de la mesure, si les gens sont d’accord ou contre.

À nos yeux, la prostitution est d’abord un acte sexuel imposé par la contrainte financière. Des hommes n’ont pas de scrupules à exploiter la précarité et la vulnérabilité de femmes, d’hommes, d’enfants ou de personnes transsexuelles pour leur imposer un acte sexuel par l’argent. Nul ne peut ignorer que ce sont les plus vulnérables qui finissent sur les trottoirs. Et dans tous les pays : en Inde, les femmes des plus basses castes sont surreprésentées dans la prostitution ; au Canada, ce sont les femmes autochtones amérindiennes ; et en Europe de l’Ouest, les femmes migrantes, les minorités ethniques ou les groupes discriminés. Un grand nombre de femmes bulgares sont prostituées en Europe de l’Ouest et, selon le Conseil de l’Europe, 80 % d’entre elles appartiennent à la minorité turcophone et à la minorité rom. En France, en 1937, la traite des êtres humains touchait notamment des femmes bretonnes qui étaient amenées à Paris. En 2013, les femmes exploitées sont issues de pays moins développés, en particulier de groupes déjà discriminés dans ces pays.

Ainsi, la prostitution est une violence et un obstacle à l’égalité.

Comme Geneviève Duché l’a souligné, la violence commence malheureusement bien avant la prostitution. Les violences sexuelles ou psychologiques portent une telle atteinte à l’intégrité de la personne, dégradent tant l’image que l’on a de soi qu’elles peuvent amener à l’acte prostitutionnel. Les violences ont lieu pendant la prostitution car, chacun le sait, la prostitution est un univers violent. Les violences ont lieu aussi après la prostitution parce que les stigmates perdurent et font parfois obstacle à la réinsertion. La violence, enfin, est faite d’actes sexuels répétés et sans désir. La prostitution traduit toujours un rapport inégalitaire entre une personne qui de l’argent et une autre qui en a besoin. La première a le pouvoir, la seconde fait ce qu’elle peut pour vivre ou survivre.

Le tournant historique opéré par cette proposition de loi consiste précisément à fonder désormais les politiques publiques en matière de prostitution sur le principe selon lequel elle constitue une violence et un obstacle à l’égalité entre les femmes et les hommes, comme entre les plus riches et les plus pauvres, entre les citoyens de notre pays et ceux des autres pays du monde. Et ce bouleversement se traduit dans trois mesures.

Premièrement, les victimes sont enfin reconnues comme telles et cela n’est possible que si la prostitution est considérée comme une violence. Un accompagnement social global est mis en œuvre parce que des victimes doivent être aidées pour s’en sortir. De la même manière, l’accès à l’indemnisation est favorisé car le préjudice est reconnu ; et les mesures répressives sont supprimées parce que les personnes prostituées ne sont pas des délinquantes. En France, le racolage est considéré comme une infraction depuis 1939 mais, entre 1946 et 1958, il était plus lourdement condamné que le proxénétisme. Enfin, la protection des victimes, mêmes étrangères, prime sur toutes les politiques, migratoires notamment, parce que la violence subie constitue un obstacle à l’égalité.

Deuxièmement, la fin de l’impunité pour ceux qui ont exploité cette précarité, cette vulnérabilité afin d’imposer un acte sexuel par l’argent. C’est parce que la prostitution est une violence, un obstacle à l’égalité, un obstacle au projet d’une société plus égalitaire, plus juste, que l’achat d’un acte sexuel doit être interdit. Trois raisons majeures fondent la pénalisation des clients, des « prostitueurs » ou, mieux, de l’achat d’un acte sexuel.

D’abord, dans la mesure où la loi interdit d’imposer un acte sexuel par la contrainte physique – le viol –, ou en abusant d’une position d’autorité – l’employeur sur le salarié, l’adulte sur l’enfant –, il est juste de l’interdire aussi quand il s’agit de profiter de la vulnérabilité de celles et ceux qui ont besoin de se prostituer pour survivre.

Ensuite, l’interdiction de l’achat d’un acte sexuel est la mesure la plus pragmatique pour les personnes qui vont rester dans la prostitution. D’aucuns avancent, y compris Médecins du Monde, que cette mesure risque d’accroître la précarité des personnes prostituées en les exposant davantage aux maladies sexuellement transmissibles ou à la violence. Or, selon les personnes prostituées elles-mêmes, le danger n’est pas dans la rue ou sur Internet, le danger existe lorsqu’elles se retrouvent seules avec le client, par exemple lorsqu’il tente d’imposer un acte sexuel sans préservatif. Grâce à cette PPL, la personne prostituée pourra, pour la première fois, dire au client que le simple fait pour lui de solliciter un acte sexuel suffit à le condamner. Cette mesure, qui certes ne réglera pas tout – il y aura toujours des clients qui paieront beaucoup plus cher pour imposer un acte sexuel sans préservatif – permettra de renforcer la position des personnes prostituées.

Enfin, la pénalisation des clients permettra de combattre les profits des proxénètes – qui cherchent d’abord et avant tout à gagner de l’argent. Il deviendra donc moins rentable pour eux de s’installer en France. Comme les multinationales, les proxénètes investissent dans les pays les plus rentables. Selon les Nations unies, le problème de la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle est qu’elle est trop rentable. Il faut donc, par l’intermédiaire de la demande, attaquer le modèle économique de ce crime organisé pour le faire reculer. Certes, le problème se déplacera à l’étranger, mais, à terme, l’harmonisation des législations permettra, nous l’espérons, de dissuader les criminels, qui sont guidés, non par le mal, mais par l’argent seulement, et de les pousser vers d’autres activités aux conséquences moins dramatiques.

Troisièmement, la France, pour la première fois, peut se donner les moyens de faire reculer la prostitution. Si la prostitution est considérée comme une atteinte à la dignité depuis 1960, alors elle est incompatible avec notre projet d’égalité entre les femmes et les hommes, avec notre projet de société visant à l’émancipation de chacun. Aujourd’hui, le bilan de la France est loin d’être ridicule : elle a limité le développement de la prostitution – 20 000 à 40 000 personnes sont actuellement prostituées – et son arsenal juridique est très ferme en matière de lutte contre le proxénétisme. L’Allemagne compte 200 000 à 400 000 prostituées, elle a dépénalisé le proxénétisme et accordé le statut d’entrepreneur du sexe aux proxénètes. Dans ce pays, mais aussi en Suisse et aux Pays-Bas, lorsque l’État veut durcir la législation en matière de proxénétisme, des procès sont intentés devant les tribunaux de commerce pour atteinte à la liberté d’entreprise ! Pour faire reculer la prostitution chez nous, il faut d’abord renforcer la lutte contre le proxénétisme, ce que fait la PPL en introduisant des dispositions contre le proxénétisme, y compris sur Internet grâce au blocage des sites de prostitution. Il faut ensuite, ce qui ne figure pas dans la PPL, renforcer les moyens de la politique pénale, de l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains, l’OCRTEH, des brigades spécialisées au niveau régional ou encore des groupes d’intervention régionaux. Il faut enfin – et c’est ce en quoi la PPL est cohérente – pénaliser l’achat d’un acte sexuel et améliorer la protection et l’accompagnement global des victimes.

Cette proposition de loi est issue d’un très long travail de discussions et de revendications portées par les associations. Elle est à nos yeux globale et cohérente. Nous espérons que sa mise en application permettra de réelles avancées. À cet égard, nous avons quelques revendications très précises à vous proposer.

M. le président Guy Geoffroy. La pénalisation de l’achat d’un acte sexuel suscite l’hostilité d’un certain nombre de personnes et d’institutions. En effet, les personnes en situation de prostitution, si elles approuvent le volet prévention, s’inquiètent des conséquences pour leur sécurité, leur manière de vivre au quotidien, car elles redoutent l’isolement, la clandestinité, des risques accrus. De quelle manière abordent-elles ces sujets avec vous ? Comment les convaincre que la loi nouvelle constituera pour elles une protection supplémentaire ?

Hélène de Rugy, déléguée générale de l’Amicale du Nid. Il s’agit d’une question très importante.

Depuis le vote de la résolution, il se dit sur le terrain que le client est déjà pénalisable, et des personnes que nous rencontrons nous indiquent que leur chiffre d’affaires baisse. Il me semble donc primordial d’organiser des campagnes d’information.

Il est également très important que la loi soit appliquée dans toutes ses dimensions, en particulier s’agissant de l’accompagnement des personnes prostituées. En contrepartie du coup de frein – que nous espérons – à l’achat d’actes sexuels, nous devons faire valoir auprès des personnes prostituées étrangères et françaises que nous disposerons de moyens supplémentaires pour les accompagner vers une insertion. Actuellement, environ 30 % des personnes que nous accompagnons ont été contactées par notre association sur le terrain. Les autres viennent nous voir grâce au bouche à oreille. Je pense qu’elles continueront à venir nous voir. Il serait très important pour nous de développer des actions d’« aller vers » par Internet, ce qui implique une transformation de notre travail social. Nos moyens financiers sont actuellement peu élevés, mais nous sommes prêts à créer des liens par Internet. Dans le cadre d’un projet européen, des Suédois nous ont présenté des expériences de « chat » fort intéressantes. Comme le souligne la police suédoise, à partir du moment où les acheteurs peuvent trouver les personnes prostituées, les associations et la police aussi.

Mme Agnès Bonneau, responsable de l’établissement de Grenoble de l’Amicale du Nid. La violence des clients existera toujours : si elle doit se produire, elle se produira.

S’agissant de la pénalisation du client, il ne faut pas invoquer le principe de précaution. Prétendre que la violence augmentera ou que les personnes seront plus isolées si les clients sont pénalisés ne tient pas. Il faut une politique cohérente.

Sur le terrain, les clients entendent ce qui se dit et pensent qu’ils sont d’ores et déjà pénalisables – ils arrivent en catimini ou se cachent… Nous écoutons les personnes nous parler des violences qu’elles subissent et nous leur expliquons qu’elles pourront porter plainte contre un client. Ce travail d’information doit casser les représentations.

La pénalisation du racolage passif avait déjà provoqué l’éloignement des personnes prostituées, mais les travailleurs sociaux sont allés les chercher. Et nous continuerons en changeant notre manière de procéder. Mais je le répète : le risque existera toujours.

M. Grégoire Théry. Depuis un an et demi – depuis que la pénalisation se précise –, votre question nous est posée chaque semaine sur les lieux de prostitution. Lors d’une réunion de nos 32 responsables de délégation, il y a trois semaines, nous l’avons évoquée.

Les personnes que nous rencontrons sur le terrain s’angoissent pour leur avenir. Des personnes prostituées de 55 ans n’ayant jamais cotisé se retrouveront demain dans une grande précarité – précarité qui existera de toute façon car il arrive un moment où le corps ne tient plus. Comme elles l’expliquent, si elles avaient une seule opportunité de vivre autrement, elles la saisiraient. Si certaines quittent la prostitution et réussissent à reconstruire leur vie, notamment grâce à la formation ou à l’emploi, d’autres n’y parviendront jamais.

La perspective de la pénalisation des clients ne change pas fondamentalement la situation. Par contre, elle confronte violemment les personnes à leur avenir. Certes, la proposition de loi prévoit une réparation pour les victimes de proxénétisme. Et pour les personnes étrangères, la possibilité de l’obtention d’un titre de séjour est très attendue. Mais la perspective de l’accompagnement social n’empêche pas l’angoisse à l’idée de vivre avec le minimum vieillesse. Pourtant, les prostituées le savent, la prostitution n’offre pas d’avenir. D’où l’importance des moyens à mettre en place pour assurer un accompagnement efficace.

Un sondage, que nous avions effectué il y a quelques années, a montré que les freins psychologiques à la réinsertion des personnes prostituées sont la peur du jugement par les professionnels, la peur de voir son enfant placé et la peur de l’échec. Le rapport à l’argent est une spécificité du système prostitutionnel. Les personnes savent qu’en sortant de la prostitution, elles deviendront pauvres. Pourtant, celles qui s’en sont sorties vivent mieux avec 900 euros qu’en brassant des sommes d’argent comme elles l’ont fait pendant des années. Il ne faut pas se faire d’illusion, on sort pauvre de la prostitution.

Vous le voyez, la question de la vie après la prostitution est très complexe, mais elle se posera toujours, que la pénalisation soit effective ou pas.

Mme Maud Olivier, rapporteure. Avez-vous des chiffres, madame Duché, sur la prostitution des mineurs ? Quelles sont vos relations avec l’aide sociale à l’enfance, l’ASE ? Les personnels départementaux sont-ils suffisamment sensibilisés ?

Mme Geneviève Duché. Nous nous sommes donné cette compétence récemment, mais, faute de moyens, nous n’accompagnons pas beaucoup de mineurs. L’année dernière, nous en avons rencontré une quarantaine, surtout dans la rue. Les jeunes n’avouent pas spontanément leur âge, nous les soupçonnons d’être mineurs, mais ne pouvons pas vérifier.

Il est avéré que les personnels de l’ASE ne sont pas suffisamment formés, mais c’est vrai de tous les travailleurs sociaux puisque rien n’est prévu à ce sujet dans leur formation initiale. Il y a donc tout un travail à faire, en commençant en priorité par les personnels chargés de la protection de l’enfance. Nous avons aussi le sentiment qu’à partir de seize ans, les jeunes sont en quelque sorte abandonnés. L’ASE ne les considère plus comme des enfants et ils sont lâchés dans la nature. Effectivement, il faut revoir le dispositif.

Mme Maud Olivier, rapporteure. Avez-vous affaire à des victimes de la traite ou non ? Qui sont-ils ?

Mme Hélène de Rugy. Nous avons mis en place quelques dispositifs modestes à l’intention des jeunes majeurs. Parmi eux, on trouve des jeunes gens qui ont été pris en charge dans différentes structures de l’ASE mais qui s’en sont détachés. Ils se prostituent à cause d’un manque d’estime de soi, de violences sexuelles, je pense aussi aux jeunes hommes qui ont été rejetés par leur famille pour leur homosexualité. Ils n’ont plus de repère ni dans leur famille, ni dans l’ASE où ils n’ont pas trouvé de structure qui leur convienne. Souvent, ce sont des fugueurs et nous sommes convaincus qu’il leur faut un accueil spécifique. C’est pourquoi nous expérimentons depuis bientôt trois ans à Paris des appartements partagés entre trois jeunes, avec un référent et des groupes de parole. À cet âge-là, à condition d’avoir les outils qu’il faut, ils peuvent s’en sortir, et même rapidement.

Autre type de jeunes, que nous rencontrons, mais pour lesquels nous n’avons pas encore de moyen de travail, ce sont les mineurs étrangers isolés, victimes d’une traite multiforme, parce qu’ils s’adonnent souvent à la fois à la prostitution, à la mendicité et aux cambriolages. Il faudrait aussi mettre en place des dispositifs à leur intention. En urgence.

Enfin, nous rencontrons, à l’occasion de nos interventions dans les collèges et les lycées, des mineurs en situation prostitutionnelle. À l’université aussi, mais ce ne sont plus des mineurs. Il y a un gros travail à faire avec les personnels de l’éducation nationale pour leur apprendre à déceler les signaux d’alerte et à réagir rapidement.

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité entre les hommes et les femmes. Nos questions sont peu nombreuses puisque vous approuvez notre proposition de loi. Quand donc va sortir votre étude sur la prostitution en milieu étudiant à Montpellier, que nous attendons depuis plus d’un an ? Ce type de document est quasiment unique en son genre. Pourriez-vous nous en donner par avance quelques éléments ?

Pourquoi ne nous parle-t-on jamais des instances départementales, que nous souhaitons pourtant valoriser ? Sur le terrain, les associations se méfient des policiers, qui luttent surtout contre la délinquance. En les réunissant, nous espérons faire changer le regard des uns sur les autres et réussir à faire travailler tout le monde ensemble. Je ne sais pas s’il est prévu d’associer les travailleurs sociaux, car la proposition de loi se cale sur le modèle du conseil départemental de prévention de la délinquance pour créer une sous-commission spécifique pour les violences et la prostitution. Ne faudrait-il pas que la protection de l’enfance soit représentée, sous réserve que la composition d’une telle commission relève peut-être du domaine réglementaire ?

J’ai été très intéressée par le guide que vous avez conçu à l’intention des travailleurs sociaux. Hier, les Suédois nous ont dit que, chez eux, dans leurs interventions sur les lieux de prostitution pour interpeller les clients, les policiers étaient accompagnés de travailleurs sociaux. Est-ce possible ici ?

S’agissant de l’angoisse de l’avenir, il y a sans doute matière à réflexion car celles et ceux qui se livrent à cette activité depuis longtemps n’envisagent pas d’autre futur, faute de formation. Je rappelle aussi que certains cotisent comme travailleurs indépendants, voire comme autoentrepreneurs.

Hier, au cours du colloque qui s’est tenu sur le sujet, une députée européenne a cité un chiffre d’Eurostat, et qu’il faudrait vérifier, selon lequel la traite était passée de 7 % à 30 % depuis 2008. Cette explosion en fait un enjeu prioritaire. C’est une réponse à ceux qui nous suggèrent de nous occuper plutôt du chômage. Lutter contre cette violence faite aux femmes est un véritable sujet de société.

Mme Geneviève Duché. La prostitution en milieu étudiant n’est pas différente de celle des autres jeunes en général. Signalons tout de même que, s’agissant de l’enquête dont vous parlez, elle a été faite à Montpellier, ville qui n’est pas loin de la Junquera, elle-même incitative à l’achat d’acte sexuel. Les résultats de l’enquête doivent être rendus publics à Montpellier, devant Mme Najat Vallaud-Belkacem, dont nous attendons la visite pour officialiser les résultats.

Sur les 1 800 étudiants interrogés, 4 % ont déclaré avoir au moins une fois échangé un acte sexuel contre de l’argent ou un service – un chiffre conforme à ce qu’avait annoncé un syndicat étudiant il y a quelques années et qui avait surpris en annonçant 40 000 étudiants, surtout des étudiantes, prostitués – ; et 3 % avoir été clients. C’est beaucoup aussi. À 55 ans, 25 % des hommes ont été au moins une fois clients.

Quant à l’avenir des prostituées, j’ai ressenti aussi ce que Grégoire Théry a décrit. Quand elles ont appris la prise de position du Nid, certaines ont demandé à rencontrer la présidente de l’association, notamment à Marseille, parce qu’elles n’étaient pas du tout d’accord. Nous les avons rencontrées. Parmi elles, presque aucune n’était soumise à la traite puisque celles qui le sont ne sont pas libres de prendre une demi-journée pour venir discuter. Les prostituées étaient indignées, mais on leur a demandé de décrire ce qu’elles vivent, et, très vite, elles ont expliqué les violences qu’elles subissaient de la part des clients, les pathologies dont elles souffraient et disaient à la fin qu’elles n’en pouvaient plus. Elles concluaient en demandant comment en sortir sachant qu’il leur faudrait vivre avec 300 euros par mois. Elles exprimaient leur angoisse devant la précarité profonde dans laquelle elles allaient se trouver, a fortiori si elles avaient 45 ans ou plus car les chances de reconversion reculent évidemment avec l’âge, surtout qu’elles n’ont pour la plupart aucune éducation. Le vrai problème, c’est l’accompagnement dans la recherche d’une solution alternative, sachant que le plus tôt sera le mieux pour éviter que les femmes ne s’enferment dans la prostitution.

Mme Ségolène Neuville. En ne pénalisant pas les clients qui vont acheter du sexe hors de nos frontières, ne les poussons-nous pas à aller dans les bordels étrangers ? Y avez-vous réfléchi et y a-t-il moyen d’y remédier ?

M. Grégoire Théry. Oui, nous demandons l’extraterritorialité, par simple cohérence et aussi parce qu’elle envoie un signal politique très fort. On ne pourra pas alors nous accuser de repousser le problème à l’étranger. La Norvège applique cette règle, donc c’est faisable.

Nous trouvons aussi profondément incohérent que la sanction de l’achat d’un acte sexuel soit une simple contravention. On ne peut pas, d’une part, dénoncer la gravité de l’acte, la violence, l’atteinte à la dignité de la personne, l’obstacle à l’égalité, et d’autre part, le considérer, sous l’angle de la sanction, comme un trouble mineur à l’ordre public. La contravention de cinquième classe, c’est ce dont est passible quelqu’un qui dépose ses ordures en dehors des emplacements prévus à cet effet. Une personne accusée de filouterie, par exemple parce qu’elle n’a pas payé sa canette de Coca, encourt six mois, comme celle qui passe des appels malveillants répétés, ou se rend coupable d’une agression sonore dans l’espace public en vue de troubler la tranquillité d’autrui. Le bizutage, même consenti, suit le même régime. L’échelle des peines envisagée n’est pas à la hauteur de la gravité des faits.

Privilégier la pédagogie, plutôt que la répression, a-t-on dit. À notre sens, la pédagogie passe par la dissuasion, et comparaître devant le tribunal correctionnel sera plus pédagogique que devant le tribunal de police.

Pour toutes ces raisons, nous sommes favorables à ce que l’achat d’acte sexuel soit un délit, mais nous ne confondons pas la nature de l’infraction et la nature des peines. S’il faut éviter la prison, eh bien, il existe des délits sans peine de prison. Nous serions favorables à un délit avec peine de prison, pas pour envoyer les gens en prison, mais parce qu’il faut dissuader en caractérisant la gravité des faits. Après, c’est une question de politique pénale.

Mme Hélène de Rugy. Bien sûr, les instances départementales de coordination sont indispensables, madame Coutelle. Il est très important qu’elles soient présidées par le préfet, capable d’engager une véritable politique. Elles doivent rassembler le plus de partenaires possibles, comme c’est le cas dans l’Essonne, par exemple, car cela change les choses de mettre les partenaires autour de la table.

Ce qui est vrai au niveau départemental l’est aussi au niveau interministériel. Pour défendre la spécificité des CHRS, nous devons nous battre tous les jours, et c’est une tâche ingrate, contre les financeurs, notamment le ministère du logement. Nous devons sans cesse expliquer qu’il n’y a pas d’accompagnement social sans accompagnement sanitaire. Il y a aussi un manque de convergence entre les agences régionales de santé et les directions départementales de la cohésion sociale, les DDCS. Nous devons aussi batailler contre les ministères qui se défaussent de leurs compétences parce qu’elles sont transférées à un autre ministère. Ainsi, quand la lutte contre la prostitution est passée sous la tutelle du droit des femmes, on nous a expliqué que ce n’était plus à la DDCS de la financer… Nous sommes gênés aussi par le manque de cohésion et de communication au niveau national.

Dans de nombreux départements, nous travaillons très bien avec la police. Mieux nous nous coordonnons, et à condition que chacun reste à sa place, plus on aide les personnes.

M. Patrice Prat. On met souvent en avant, et à juste titre, le principe d’égalité entre les hommes et les femmes, mais on ne parle peu de la prostitution masculine. Pour quelles raisons ? Occupe-t-elle une place plus marginale ? Est-elle moins visible ? Que pouvez-vous en dire ?

Mme Agnès Bonneau. On en parle moins, en effet. Elle semble moins courante, et aussi moins visible. Les lieux de drague, de rencontre entre gays, sont aussi des lieux de prostitution. D’où la difficulté qu’il y a à l’identifier. D’ailleurs, les personnes qui s’adonnent à ces pratiques sexuelles ne se reconnaissent pas toujours dans la prostitution, ne la nomment pas. Dès lors, l’« aller vers » ces personnes est bien différent, mais l’Amicale du Nid ne peut pas faire, faute de moyens. La prostitution des jeunes hommes passe beaucoup par les sites Internet, les sites de rencontre servant de vitrine à des sites de prostitution. Les formes sont différentes, et elles s’abritent derrière l’argument de l’orientation sexuelle, de pratiques et de liberté sexuelles. C’est une façon de cacher la réalité de la prostitution. De toute façon, le client est toujours un homme. Les transidentitaires et les travestis connaissent les mêmes difficultés que les femmes.

S’agissant des mineurs, filles ou garçons, ils ne viennent pas d’eux-mêmes à la prostitution. Souvent, ils y sont poussés par une rencontre, avec quelqu’un entre vingt-cinq et trente ans, qui se fait passer pour le petit ami alors qu’il est proxénète. On a ainsi vu en Isère trois individus organiser la prostitution d’une dizaine de jeunes filles et jeunes hommes. Il faut discuter avec les assistantes familiales et les travailleurs sociaux de l’ASE.

Mme Hélène de Rugy. L’Amicale du Nid rencontre 82 % de femmes, les hommes et les personnes transidentitaires représentant la différence.

En effet, s’agissant des hommes, il faut aller à leur rencontre. Nous organisons des « allers vers » dans les lieux de prostitution masculine ou transsexuelle, à Paris notamment, où les hommes et les transidentitaires représentent une forte minorité. Et, en effet, les clients sont massivement des hommes.

M. le président Guy Geoffroy. Nous sommes nombreux ici à avoir enseigné, et nous savons donc qu’il n’y a pas assez de jours de classe pour traiter tous les sujets qui le méritent et que le ministère demande d’ajouter aux programmes. À partir de ce constat, comment pourriez-vous aider les autorités académiques à bâtir un discours qui intègre à la fois la problématique des violences de genre et celle de la prostitution qui en fait partie ? On a franchi une étape en révélant dans la sphère publique le caractère inacceptable des violences familiales, on est en train de passer à la suivante en s’attaquant à la prostitution. Que pouvez-vous nous proposer pour amplifier encore le message ?

M. Grégoire Théry. La réponse est contenue, au moins en partie, dans la question. Il y a maintenant vingt ans que le Mouvement du Nid a décidé de ne pas faire de prévention spécifique contre les risques prostitutionnels, mais de l’inscrire dans un cadre plus global. Nous avons donc les outils : bandes dessinées et guides destinés aux collégiens ou aux lycéens, des guides existent aussi pour ceux qui les encadrent. Parfois, le discours passe mieux auprès d’eux qu’auprès des jeunes eux-mêmes. Il faut mêler éducation civique, éducation à l’égalité, au respect et à la sexualité car l’enjeu est le même, à savoir comment se construit un individu libre, émancipé et respectueux.

Nous rencontrons 17 000 jeunes par an, c’est déjà beaucoup, mais il faudrait que soit concernée toute une génération. L’enjeu pour nous est donc un changement d’échelle, et la sensibilisation doit porter sur l’estime de soi, le rapport au corps, l’image et le respect des autres.

Mme Geneviève Duché. Enseignante moi-même, je vous rejoins, monsieur le président, sur le constat que les programmes sont toujours trop chargés. Alors, précisément, il faut changer de façon de voire en introduisant dans l’enseignement la problématique de l’égalité entre les femmes et les hommes, qui parcourt pratiquement toutes les disciplines. On n’a pas besoin de cours supplémentaire, on a besoin de former à l’université des enseignants qui intégreront dans leurs enseignements, dans leurs recherches, cette préoccupation fondamentale. On aura alors gagné la bataille.

Madame Hélène de Rugy. Il faut former tous les personnels, faire passer le message, mais aussi surtout aider les jeunes à se l’approprier en leur donnant la parole.

Mme Maud Olivier, rapporteure. L’article 15 de la proposition de loi prévoit d’informer en introduisant dans le code l’éducation une information sur « la marchandisation des corps ». Que pensez-vous de cette formulation ?

Mme Geneviève Duché. Il s’agit plutôt de marchandisation des personnes.

M. le président Guy Geoffroy. Mesdames, monsieur, nous vous remercions.

Audition de Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes

(extrait du procès-verbal de la séance du 6 novembre 2013)

M. le président Guy Geoffroy. Nous recevons Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, que je remercie de sa présence parmi nous. La commission spéciale qui, dans un calendrier très serré, est pratiquement parvenue au terme de ses auditions, souhaite encore entendre la ministre des affaires sociales et de la santé, la garde des sceaux et le ministre de l’intérieur avant d’examiner, le 19 novembre, la proposition de loi tendant à renforcer le lutte contre le système prostitutionnel, dont l’examen en séance publique est prévu le 27 novembre prochain.

Dès votre entrée au Gouvernement, madame la ministre, vous avez courageusement dit votre position sur cette question très délicate, dont il faut prendre le temps de mesurer la portée avec toute l’honnêteté intellectuelle requise. Nous vous entendrons avec un intérêt tout particulier.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes. Je vous sais gré d’avoir rappelé que j’ai tenu, dès ma prise de responsabilité dans ce ministère des droits des femmes, rétabli après de trop longues années d’absence, à affirmer la position qui doit être la nôtre à l’égard de la prostitution, une violence faite aux femmes que nous devons nous donner les moyens de combattre efficacement. Pour les personnes prostituées, les principaux dangers sont le silence, l’ignorance et l’emprise des réseaux. La division partisane a trop longtemps enfermé leurs souffrances dans de vaines polémiques et, pendant des décennies, notre pays a fait l’économie d’un travail de fond sur les politiques à mettre en œuvre pour faire reculer la prostitution. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, grâce au travail inlassable de plusieurs d’entre vous : vous, monsieur Geoffroy, mais aussi Mme Danielle Bousquet, qui était alors députée, Mme la rapporteure Maud Olivier, Mme Catherine Coutelle et, de manière générale, les membres de votre délégation aux droits des femmes, dont je sais l’engagement. Vous avez tous mis vos convictions au service d’un projet dans lequel le Gouvernement se retrouve pleinement.

Souvent, les voix qui s’expriment à propos de la prostitution sont assez éloignées de la réalité et des victimes. Parfois, malgré tout, les personnes prostituées et celles qui l’ont été ont l’occasion de faire entendre leur voix. Ces témoignages me paraissent les plus importants, qu’ils soient ceux d’abolitionnistes ou d’opposants à l’abolition. J’ai été extrêmement touchée par les femmes sorties de la prostitution que j’ai rencontrées et qui m’ont décrit leur parcours, les violences, les pièges et les épreuves traversées pour reconstruire leur vie. Elles m’ont convaincue qu’il est temps d’agir.

Je suis attentive aussi à celles qui revendiquent le droit de vendre leur corps. Elles savent cependant que la réalité massive de la prostitution est celle de l’exploitation sexuelle, de l’asservissement et de la traite d’êtres humains, et que la prostitution n’est jamais le projet d’une vie. Notre responsabilité est de faire que leur avenir soit meilleur que celui auquel elles se destinent aujourd’hui et de veiller à ce que les femmes ne soient plus acculées à cet unique « choix ».

Les polémiques sont vives. On nous dit que la prostitution est « le plus vieux métier du monde ». Quel pauvre argument pour justifier la misère ! Il justifie toutes les impuissances et tous les fatalismes ; c’est une injure faite à l’action publique. La prostitution est indéniablement l’une des plus vieilles oppressions du monde, l’une des dernières résistances à l’affirmation de droits humains universels ; cette résistance historique doit précisément renforcer notre détermination à agir. Non seulement l’abolition de la prostitution est possible mais c’est une obligation pour toute société humaniste. Nos sociétés n’acceptent plus l’emploi de mercenaires, de bourreaux, de forçats ; elles doivent refuser aussi l’exploitation sexuelle des femmes et parfois des enfants.

L’idée selon laquelle le recours à la prostitution serait une fatalité est une insulte aux souffrances de ces femmes et, parfois, ces hommes, et aussi à l’Histoire car la prostitution d’aujourd’hui n’a rien à voir avec celle que l’on connaissait au 19e siècle ; elle a reculé et profondément changé. Il n’y a pas une prostitution, il y a des prostitutions, et l’une des forces de votre proposition de loi est de tenir compte de cette diversité, car il serait illusoire de donner une réponse unique à des réalités sociales, cliniques et juridiques qui n’ont rien en commun.

Il y a la prostitution visible, celle qui s’exerce dans la rue et qui est à 90 % issue de réseaux situés en dehors de notre territoire. Cette prostitution, c’est de la traite d’êtres humains, et le dire, c’est déjà ouvrir les yeux sur une réalité perceptible sur tout notre continent. Des organisations criminelles transnationales se sont aujourd’hui spécialisées dans la traite des prostituées. Ces mafias structurées recrutent les victimes dans leur pays d’origine. Ces victimes, qui vivent ensuite le plus souvent dans notre pays sans titre de séjour, doivent rembourser au réseau criminel le coût très élevé – jusqu’à 50 000 euros – de leur immigration et sont pour cela contraintes de se prostituer à des tarifs extrêmement faibles et dans des conditions sanitaires déplorables. Je pense, disant cela, aux jeunes Nigérianes et aux jeunes femmes de la communautés tzigane, qui rapatrient ensuite les profits générés dans leurs pays respectifs, par mandats, par porteurs ou par le biais de banquiers officieux. Toutes mes pensées, quand je travaille sur le sujet, vont à ces victimes qui souffrent et qui se trouvent emprisonnées dans des vies de misère et de violences. Ce sont elles que nous voulons protéger.

Il y a aussi la prostitution sur Internet. Des structures internationales plus légères, souvent domiciliées à l’étranger, se sont multipliées et diffusent dans les pays européens, via Internet, une offre extrêmement large, en exploitant la détresse financière de ressortissantes sud-américaines ou d’Europe orientale. Elles organisent des « city-tours » itinérants où les prostituées, exerçant à l’hôtel, se déplacent de ville en ville tous les trois jours en moyenne, dans une logique de grande prudence vis-à-vis des forces de l’ordre et d’adaptation à la demande locale. Pour l’essentiel, ce mode de prostitution est organisé directement sur Internet par des proxénètes demeurant en Europe de l’Est.

Ainsi, la prostitution d’aujourd’hui, c’est la traite des êtres humains et nous devons en tirer toutes les conséquences. Abolir la prostitution est un projet aux conséquences concrètes qui a deux piliers : la fermeté à l’égard des responsables et l’insertion sociale des victimes. L’un ne va pas sans l’autre, et c’est tout l’intérêt de votre proposition d’apporter cette nouvelle cohérence.

La création, en 2003, du délit de racolage passif pesant sur les prostituées a conduit à des situations inacceptables. Avec ce délit, on marche sur la tête, en punissant les victimes, et ce sont bien les victimes qui en ont subi les effets, les violences se multipliant lorsque, pour échapper à la sanction, les personnes prostituées étaient amenées à disparaître dans les zones les plus reculées. Le rapport que l’Inspection générale des affaires sociales m’a remis en décembre dernier montre que la loi pénalisant le racolage a créé des stratégies d’évitement très préjudiciables à la santé des personnes prostituées et à la santé publique. De nombreuses associations confirment ces craintes. Nous devons cesser de faire payer aux plus vulnérables le prix de leurs souffrances et c’est pourquoi je suis favorable à votre proposition d’abroger ce délit.

Certaines associations s’inquiètent des effets de votre proposition de loi sur l’accès des personnes prostituées aux structures sanitaires et sociales. Cette inquiétude est légitime, mais elle me paraît résulter d’une méconnaissance de votre texte puisque, en écartant la menace de l’arrestation qui pesait sur elles, la proposition de loi permettra précisément aux personnes prostituées d’avoir de nouveau accès à ces structures.

Abroger le délit de racolage est par ailleurs cohérent avec le changement de perspective que vous avez souhaité adopter et auquel j’adhère totalement : on ne peut continuer à poursuivre les personnes prostituées comme si elles étaient des coupables.

Cela étant, l’abrogation du délit de racolage ne doit pas signifier l’impunité pour les proxénètes et le cœur de notre politique en matière de prostitution doit demeurer l’infraction de proxénétisme, qui doit rester une infraction à large spectre. Cette abrogation ne doit pas non plus priver les municipalités d’outils de gestion de l’ordre public, laissant alors les maires en première ligne face aux réseaux. Nombre de maires, parmi vous, le savent bien, qui doivent composer entre la tranquillité publique, la sécurité des personnes prostituées, la volonté de limiter l’entrée dans la prostitution et la recherche de moyens de faciliter la sortie de la prostitution.

Je l’ai dit, cette proposition de loi propose un changement de perspective : pour lutter efficacement contre la prostitution, elle fait enfin jouer les véritables responsabilités, en créant une contravention de recours à la prostitution et une nouvelle peine de stage de responsabilisation des clients, pour leur faire prendre conscience de leur rôle dans le système prostitutionnel et prévenir la récidive. Ces modalités nous paraissent efficientes, et j’espère que vos travaux auront permis une réflexion apaisée à ce sujet.

Le client est donc l’un des acteurs du système, mais l’appréhender ne nous fait nullement oublier le combat déterminé qu’il nous faut mener contre les réseaux. Nous ne partons pas de rien, nous avons déjà entamé ce combat : c’était le sens des dispositions de la loi du 5 août 2013 que nous vous avons fait adopter, avec ma collègue Christine Taubira, pour, dans le domaine de la justice, renforcer la lutte contre la traite. De fait, nous avons intensifié cette lutte en mobilisant davantage de groupes d’intervention régionaux à ce sujet, si bien que 51 réseaux ont été démantelés en 2012, soit 30 % de plus qu’il y a deux ans, et que 572 proxénètes ont été arrêtés.

Nous travaillons aussi au renforcement de la coopération européenne dans ce domaine. Ma collègue belge Joëlle Milquet et moi-même avons ainsi réuni, le 30 septembre dernier, nos homologues d’une vingtaine d’États signataires du protocole de Palerme, pour réaffirmer l’actualité de ce texte et ses potentialités dans le cadre européen. Dans quelques jours, je participerai à la réunion du conseil d’Interpol et je ferai, au nom de la France, des propositions tendant à renforcer les échanges bilatéraux dans le cadre de la lutte contre les réseaux de traite et à amplifier la coopération internationale, notamment dans les zones transfrontalières, telle que celle de La Jonquera sur laquelle Mme Ségolène Neuville a appelé mon attention. La disparité des législations nationales et la faiblesse des réponses de l’Union européenne font des victimes : sait-on qu’il y a entre 20 000 et 40 000 prostituées en France mais 400 000 outre-Rhin ?

Ceux qui sont à la tête des réseaux suivent ce que nous faisons et guettent les failles de notre législation. Nous devons être d’une fermeté extrême à leur égard : la fermeté est le seul message qu’ils comprennent, c’est celui que contient la proposition de loi, et le Gouvernement y souscrit pleinement.

Avant la fin de l’année, je présenterai le premier plan gouvernemental de lutte contre la traite des êtres humains. Ce plan, qui a fait l’objet d’échanges nourris avec les associations concernées, est conçu pour renforcer la coopération internationale et aussi pour faciliter l’identification des victimes et l’accès des victimes à leurs droits.

Votre proposition de loi contient des nouveautés importantes, que j’approuve, en libérant les victimes des contraintes qui pèsent sur elles, notamment en reconnaissant un droit au séjour, à titre provisoire, aux personnes prostituées en parcours de sortie de la prostitution. C’est l’un des facteurs permettant véritablement une alternative : l’insertion sociale et professionnelle réelle des prostituées qui est, je le sais, l’une des grandes ambitions de cette proposition de loi.

L’IGAS, je l’ai dit, a mis en évidence l’accroissement des risques sanitaires qui menacent les femmes se prostituant, soulignant que leur taux moyen de mortalité est deux fois plus élevé que dans la population générale. Pour prévenir ces risques, rien ne remplace le travail des associations de terrain. Aussi ai-je, en ces temps budgétaires contraints, augmenté de 25 % les moyens dévolus aux associations qui accompagnent les personnes prostituées. Je fais évidemment miennes les recommandations de l’IGAS tendant à consolider le rôle de ces associations, à simplifier les conditions de leur financement. Votre proposition de loi nous invite à organiser ce soutien de façon plus pérenne, par la création d’un fonds dédié. Le Gouvernement est prêt à s’engager dans cette voie et à prévoir les redéploiements budgétaires nécessaires pour permettre à toutes les personnes prostituées qui le souhaitent de bénéficier du parcours de sortie de la prostitution. Le budget nécessaire au financement d’un accompagnement spécialisé, d’un meilleur accès aux droits et des programmes de réduction des risques devrait se situer dans une fourchette de 10 à 20 millions d’euros par an.

Les pouvoirs publics ont longtemps été piégés, pris dans leurs hésitations et dans leurs contradictions sur le sujet de la prostitution, craignant sans doute qu’un accompagnement social renforcé des prostituées ne génère un appel d’air et n’encourage la prostitution. Nous n’avons pas d’hésitations, nous sommes portés par une conviction simple : les prostituées sont des victimes, et nous devons donc les aider, lutter contre l’entrée en prostitution et démultiplier les voies de sortie de la prostitution. C’est le sens de la nouvelle organisation des services de l’État que vous proposez à l’article 2 de la proposition de loi et dans laquelle je me retrouve.

Sans doute vous rappelez-vous que Victor Schoelcher, qui avait pris la présidence de l’Association pour l’abolition de la prostitution réglementée, avait lancé les travaux d’une commission parlementaire à ce sujet. L’engagement abolitionniste est donc ancien, et ce n’est pas un hasard si cette proposition rassemble aujourd’hui l’ensemble des familles politiques de notre pays.

Je vous remercie d’avoir su faire prévaloir les arguments de raison avec sérénité dans un débat qui suscite des réactions enflammées et qui permet à certains de laisser entendre que l’action publique ne pourrait rien changer. Comme vous, je n’en crois rien. (Applaudissements)

M. le président Guy Geoffroy. Les détracteurs du texte mettent souvent en avant que le parcours d’évitement qui a suivi la pénalisation du racolage en 2003 se reproduira si le client est menacé d’amende, et que l’exercice de la prostitution dans une plus grande clandestinité entraînera un risque renforcé pour les prostituées. C’est un argument qui semble en apparence puissant : que peut-on y répondre ?

Mme Maud Olivier, rapporteure. Je me félicite d’apprendre que le Gouvernement est prêt à créer un fonds et je vous en remercie. Pourriez-vous en préciser le fonctionnement, et les types d’accompagnement auxquels il serait affecté ? J’ai participé hier à un colloque au cours duquel a été décrite l’approche suédoise du système prostitutionnel. Sachant que le produit de la prostitution d’autrui est considérable, peut-on envisager, comme cela est fait en Suède, d’abonder ce fonds avec l’argent confisqué aux proxénètes ?

Par ailleurs, des Française âgées d’une cinquantaine d’années, installées dans la prostitution depuis longtemps, s’inquiètent auprès de nous de leur avenir si la proposition de loi est adoptée. Que prévoir pour les accompagner durablement ?

Mme la ministre. Il y a une distinction d’ordre philosophique entre le délit de racolage passif et la nouvelle contravention qui frapperait les clients des prostituées. Si nous adoptons une nouvelle politique publique visant à faire reculer la prostitution, c’est que nous la considérons comme une violence notamment faite aux femmes. Il est donc inacceptable de punir celles qui en sont les victimes : c’est pourquoi l’abrogation du délit de racolage nous paraît indispensable.

Certains s’inquiètent, en effet, qu’en sanctionnant les clients, on ne conduise à éloigner la prostitution des centres-villes Mais si les prostituées ne sont plus passibles de poursuites, elles se sentiront plus en sécurité en centre-ville, ce qui ne sera pas le cas des clients, et c’est bien ce que nous recherchons : qu’ils se sentent en insécurité, et donc qu’ils soient moins nombreux. L’important est que les prostituées se sentent en sécurité et légitimes en ville. C’est le pari que nous faisons. Si la mesure a des effets problématiques à court terme, les mesures d’accompagnement permises par la création du fonds permettront d’intervenir davantage auprès des prostituées. Ce que nous voulons, c’est qu’à moyen et long termes, les moyens de cette politique publique fassent reculer la prostitution.

Vous prévoyez que les ressources du fonds dédié soient constituées pour partie des recettes provenant de la confiscation des biens et produits issus du proxénétisme. Je soutiendrai cette disposition, qui va dans le bon sens et qui sera d’ailleurs l’un des éléments importants du futur plan gouvernemental de lutte contre la traite des êtres humains.

Les crédits de l’État spécifiquement orientés vers l’insertion des personnes prostituées sont quasi-inexistants. En dépit de la réaffirmation régulière par notre pays de sa politique abolitionniste, ces crédits n’ont cessé d’être réduits et l’augmentation des moyens que j’ai décidée ne suffit pas à combler tous les besoins : on estime que le soutien public aux personnes prostituées correspond à 120 euros par an et par personne… soit un centième du coût annuel moyen d’une place en hébergement d’urgence. La faiblesse des ressources actuellement à notre disposition nous pousse à prendre nos responsabilités et à juger nécessaire la création d’un fonds dédié.

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. C’est avec une grande satisfaction que nous vous avons entendue, madame la ministre, exprimer l’entier soutien du Gouvernement à notre proposition de loi. Les associations d’accompagnement et de réinsertion des personnes prostituées, que nous avons entendues, s’inquiètent des moyens qui seront effectivement mis à leur disposition. Vous l’avez souligné, nous avons voulu un dispositif complet. Ainsi, en vertu de l’article 2 de notre proposition de loi, des commissions départementales réuniront tous les acteurs de l’accompagnement des prostituées, aux côtés des services de l’État. Mais les associations sur le terrain constatent le manque de coordination des ministères concernés. Elles redoutent en particulier que le ministère du logement, qui gère les CHRS, considérant que le ministère des droits des femmes a pris la main sur cette question, ne se défausse sur lui. Pour éviter le risque de parties de ping-pong, ne faut-il pas prévoir une action nationale coordonnée ? À Grenoble, où les associations ont réussi à faire sortir 56 personnes de la prostitution, seules 36 ont trouvé un logement… Enfin, merci si nous pouvons lever tous les gages de cette proposition de loi.

Mme la ministre. Vous avez raison, des commissions départementales sont nécessaires pour réunir tous les acteurs, comme le prévoit la proposition de loi. J’ai demandé à tous les préfets de réunir, le 25 novembre prochain, l’ensemble des acteurs de la sécurité publique, sur la question des violences faites aux femmes, dont la prostitution fera désormais partie. La logique de la proposition de loi est que la clef d’un parcours de sortie de la prostitution réussie est le rassemblement de tous les acteurs concernés au sein d’un dispositif unique, qui concernera aussi bien les soins que la recherche d’emploi, la garde d’enfant ou le logement, c’est-à-dire plusieurs ministères. C’est aussi mon opinion.

Mme Ségolène Neuville.  La prostitution n’est pas seulement un problème français. Or, la proposition de loi ne prévoit pas d’extraterritorialité de la contravention pour les acheteurs de sexe. Pour l’obtenir, il faudrait que l’infraction devienne un délit, qui pourrait n’être puni que d’une amende. Sinon, si les clients des prostituées sont sanctionnés par une contravention, on nous reprochera de favoriser l’ouverture de bordels à nos frontières pour les clients français. Pour éviter cet écueil, il faudrait donc instaurer l’extraterritorialité. Qu’en pensez-vous ?

M. le président Guy Geoffroy. Ayant eu le triste privilège de dialoguer avec des personnes prostituées dans l’un des plus sinistres bordels de La Jonquera, je m’associe à cette question.

Mme la ministre. Ce point fera partie du débat parlementaire. L’équilibre atteint dans la proposition de loi me paraît bienvenu. Jusqu’à présent, les clients n’étaient aucunement sanctionnés ; la nouveauté introduite par votre texte a donc une portée symbolique immense. Il reviendra au débat parlementaire de trancher la nature de l’infraction et le type de peine encourue. Un équilibre est nécessaire, qui n’exclut pas que le texte, une fois ses effets évalués, soit revu le cas échéant.

Mme Sandrine Mazetier. Ne faut-il pas aussi agir sur la perception que les tout jeunes ont de la prostitution et de la marchandisation de leur corps ?

Mme la ministre. La proposition de loi appréhende le sujet dans tous ses aspects, comme je l’ai déjà dit. Ne s’intéresser qu’à la responsabilité des clients mais pas aux moyens d’aider à la sortie de la prostitution n’aurait pas grand sens. L’inverse est également vrai. À cela s’ajoute la prévention de l’entrée dans la prostitution par l’éducation des filles et des garçons. J’ai parlé des formes de prostitution les plus massives mais l’on peut en effet nourrir des inquiétudes relatives à la banalisation de la commercialisation du sexe. C’est pourquoi l’éducation à la sexualité, et des campagnes de prévention de la prostitution, à l’occasion de la Journée de prévention des violences faites aux femmes par exemple, sont très utiles au développement d’une culture de l’égalité entre les femmes et les hommes et à la délégitimation de l’exploitation sexuelle des unes par les autres.

M. Sébastien Denaja. Signataire de la proposition de loi et ayant entendu M. Eric Debarbieux sur la violence à l’école dans le cadre des auditions que je mène sur le projet de loi sur l’égalité entre les femmes et les hommes, je me demande si ce texte n’appelle pas des dispositions complémentaires visant à lutter contre la prostitution à l’école, qui se développe fortement mais de manière anarchique, si bien qu’elle est difficile à quantifier et reste taboue.

Mme la ministre. Des études sont en cours à Montpellier pour tenter de quantifier ce phénomène. Nous devons faire face au défi de l’Internet : y est souvent véhiculée une vision de la sexualité qui n’est pas conforme aux valeurs de respect et d’égalité entre hommes et femmes. Le projet de loi sur l’égalité entre les femmes et les hommes que je vous présenterai très prochainement prévoit à ce sujet de renforcer les compétences du Conseil supérieur de l’audiovisuel pour lui permettre d’interdire la diffusion d’images portant atteinte à la dignité des femmes. Nous devons aussi éduquer les enfants, très tôt, à l’égalité réelle. Il ne s’agit évidemment pas de parler de sexualité aux enfants dès l’âge de 5 ans mais de parler d’égalité et de respect entre filles et garçons pour prévenir tout type de comportement violent.

J’appelle à cet égard votre attention sur le fait qu’hier, des actes de vandalisme ont été commis au Planning familial de Bordeaux par des énergumènes se réclamant de « La manifestation pour tous », qui ont apposé sur les murs des affiches dénonçant notre souhait d’introduire des enseignements scolaires sur l’égalité entre filles et garçons. Je le redis, cet enseignement est évidemment indispensable et nous poursuivrons ces politiques publiques, qu’il s’agisse du programme « Les ABCD de l’égalité » à l’école primaire ou de l’éducation à la sexualité au collège et au lycée, et dont je définis en ce moment les modalités avec mon collègue en charge de l’Éducation nationale. C’est la bonne façon de faire prendre du recul aux adolescents face aux images dont ils sont abreuvés à longueur de journée.

M. Sergio Coronado. Le groupe écologiste a dit à la rapporteure déplorer que la proposition de loi ne traite en aucune manière des transgenres et des transsexuels, une population particulièrement fragile qui n’est pas contrainte de se prostituer par des proxénètes mais en raison de difficultés sociales liées à des difficultés de reconnaissance du changement de genre. Nous espérons que cette omission malheureuse sera réparée ; si elle ne l’était pas, dans quel cadre le Gouvernement entend-il faire avancer les choses ? Lors de l’examen du projet de loi sur le harcèlement sexuel, vous aviez dit que le Gouvernement souhaitait avancer sur ce sujet. Je voulais savoir si une ouverture était possible, si Mme la rapporteure y était favorable dans le cadre de la proposition de loi.

Par ailleurs, vous considérez la proposition de loi comme équilibrée. Pourtant, vous le savez, plusieurs associations, dont le Planning familial, Les Amis du bus des femmes et Médecins du monde, expriment de sérieux doutes sur la pertinence de la pénalisation des clients des prostituées, expliquant que la mesure aura des conséquences sanitaires que le texte méconnaît. La mesure proposée ne signe-t-elle pas, en réalité, l’échec des politiques publiques d’accompagnement social et de réinsertion ? N’est-ce pas le choix de la facilité, une manière, pour les pouvoirs publics, de ne pas faire face à leurs responsabilités et de se laver les mains de leur échec ?

Mme la ministre. Il est inacceptable que des personnes engagées dans un processus de changement de sexe n’aient d’autre choix que la prostitution pour subvenir à leurs besoins ; tout doit être fait pour faciliter la transition et leur insertion professionnelle et pour combattre la stigmatisation dont elles sont l’objet. Nous devons aussi faciliter la modification de leur état-civil et je me suis engagée au Sénat à ce que des dispositions en ce sens figurent dans le projet de simplification du droit, notamment de l’état civil, que vous examinerez au premier trimestre 2014. Mais ces questions sont distinctes de celle dont nous débattons aujourd’hui. Des dispositions relatives aux transsexuels ne peuvent être envisagées dans le cadre d’un texte relatif à la prostitution – vous imaginez, si on abordait la question des trans dans le cadre de la prostitution, ce que vous pourriez dire ! Cette proposition de loi doit valoir pour tous, femmes, hommes, transsexuels et transgenres, dès lors qu’ils sont victimes de la prostitution.

Décider de responsabiliser les clients des prostituées est tout sauf un choix de facilité. Délégitimer la demande masculine de prostitution au point de poursuivre les clients n’est rien moins qu’un renversement de perspective historique, cette proposition de loi est une révolution, de ce point de vue. La pénalisation des clients signerait, dites-vous, l’échec des politiques publiques d’accompagnement social et de réinsertion des personnes prostituées – mais y en a-t-il eu ? On a plutôt vu une forme d’indifférence à leur sort, dont témoigne la diminution du financement des associations qui les accompagnent. Nombreux sont ceux qui composent sans états d’âme avec la prostitution. Le fait de mettre en lumière qu’il s’agit, à 90%, de traite d’êtres humains et de créer un outil de financement ambitieux destiné à faciliter la sortie de la prostitution marque un tournant. Mais se limiter à abroger le délit de racolage tout en augmentant les fonds destinés à l’accompagnement social, loin de faire reculer la prostitution, serait un mauvais signal donné aux trafiquants, que l’on semblerait encourager à agir. Or notre projet commun n’est pas seulement que la prostitution ne progresse pas : c’est qu’elle recule. Voilà pourquoi la proposition de loi me paraît équilibrée.

Mme Bérengère Poletti. Sur le plan philosophique, je partage entièrement votre point de vue. Sur le plan pratique, je ne suis pas certaine que l’évitement ne se poursuivra pas, notamment par le transfert des prostituées au-delà des frontières au profit des clients ayant le plus de moyens financiers ; la mesure de sanction s’appliquerait alors principalement aux autres clients, ceux ayant le moins de moyens, et qui seront plus poursuivis.

Je ne pense pas qu’il faille trop mettre l’accent sur le fait que c’est surtout un problème hommes / femmes car, s’il est vrai que les clients sont presque toujours des hommes, nombre des victimes de la prostitution sont de plus en plus souvent des hommes.

Enfin, je suis profondément gênée que des personnes handicapées demandent à pouvoir bénéficier de « services sexuels » par des professionnels, ce que j’assimile à une forme de prostitution. Qu’en pensez-vous ?

Mme la ministre. Il est vrai que ceux des clients de personnes prostituées dont les ressources financières sont suffisantes pourront aller les chercher au-delà de nos frontières. Oui, c’est un risque que nous courons.La réponse à cette stratégie d’évitement, c’est le renforcement de la coopération européenne. La position qu’adoptera le Parlement français est attendue avec beaucoup d’intérêt à l’étranger ; si la proposition de loi est adoptée, il faudra ensuite que la mesure s’étende. Sur ce point, je ne suis pas pessimiste : déjà, de nombreux maires allemands et néerlandais jugent que la dépénalisation des clients et la réouverture des maisons closes dans leur pays respectif ont été de graves erreurs. Par ailleurs, j’ai été agréablement surprise de constater qu’une vingtaine de ministres des États parties au protocole de Palerme – qui vise à prévenir et réprimer l’exploitation de la prostitution d’autrui – avaient tenu à nous rejoindre, ma collègue belge et moi-même, comme je l’ai déjà dit, pour réaffirmer leur engagement en faveur de l’application de ce texte et d’un renforcement de la coopération internationale à cet effet. Notre ambition doit être, si la proposition est adoptée, que notre position de principe s’étende dans d’autres États. Je rappelle enfin que des dispositions méconnues des directives européennes visant à réprimer les violences faites aux femmes incitent les États à adopter des mécanismes de responsabilisation des clients. C’est la meilleure réponse que l’on puisse apporter à votre inquiétude légitime.

Oui, je vous rejoins, des hommes aussi sont victimes de la prostitution. C’est pourquoi la proposition de loi porte sur les droits fondamentaux de tous les êtres humains –, même si la réalité historique est celle de l’asservissement d’un sexe par un autre. La prostitution a cela de problématique qu’elle semble légitimer les inégalités entre les hommes et les femmes, faisant de toutes les femmes des prostituées potentielles, pardon de le dire ainsi. C’est contre cette vision des relations entre hommes et femmes qu’il faut lutter, notamment auprès des plus jeunes.

Enfin, lier la lutte contre la prostitution et la situation des personnes handicapées me met mal à l’aise. On ne peut évoquer les seuls besoins sexuels des personnes handicapées et faire ainsi l’impasse sur leurs besoins affectifs ; ce sujet particulier doit être dissocié de débat qui nous réunit aujourd’hui.

Mme Catherine Coutelle. Je considère pour ma part que 99 % des clients des personnes prostituées étant des hommes, c’est bien la question de l’égalité entre les hommes et les femmes qui est posée : la prostitution est l’une des expressions de la domination masculine sur les femmes et les jeunes hommes. Je suis heureuse que la proposition de loi ait été portée par la délégation aux droits des femmes.

M. le président Guy Geoffroy. Madame la ministre, je vous remercie.

Table ronde sur l’éducation à la prévention de la prostitution réunissant
Mme Sonia Lebreuilly, chargée de mission Égalité-Discriminations, socio-sexologue (Mairie des Ulis), Mme Sophie Avarguez, maîtresse de conférences, chercheuse à l’Institut des Méditerranées, Mme Aude Harlé, maîtresse de conférence, chercheuse à l’Institut des Méditerranées

(extrait du procès-verbal de la séance du 6 novembre 2013)

M. Guy Geoffroy, président de la Commission spéciale. Nous accueillons Mme Sonia Lebreuilly, chargée de mission égalité-discriminations, socio-sexologue, et Mmes Sophie Avarguez et Aude Harlé, maîtresses de conférence, chercheuses à l’Institut des Méditerranées.

Cette table ronde se situe dans le cadre de la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel, sujet qui a donné lieu à la création de notre commission spéciale. Nous vous avons invitées, mesdames, pour aborder la prévention et l’éducation des jeunes, thème qui apparaît dans toutes nos auditions et dans les questions posées par les membres de la Commission spéciale.

Mesdames Avarguez et Harlé, vous avez réalisé une étude très précise sur le phénomène prostitutionnel dans l’espace catalan transfrontalier. J’ai eu le triste privilège de dialoguer avec des personnes prostituées dans l’un des établissements de la Jonquera. Je me trouvais avec ma collègue Danielle Bousquet, mais celle-ci, en tant que femme, n’a pas eu la permission d’entrer. Nous sommes très intéressés par tout ce que vous allez nous dire concernant l’état d’esprit de ces jeunes Français qui se rendent à la Jonquera pour acheter du sexe.

Mais nous allons laisser s’exprimer tout d’abord Mme Lebreuilly, socio-sexologue.

Mme Sonia Lebreuilly, chargée de mission égalité-discriminations à la mairie des Ulis, socio-sexologue. En tant que chargée de mission égalité-discriminations à la mairie des Ulis et socio-sexologue, j’ai pu établir, depuis trois ans, un constat éloquent.

La mairie des Ulis a, en effet, mis en place un dispositif intitulé : « Jeunes et femmes : des outils pour construire sa vie » qui nous a permis de suivre pendant un mois un groupe d’une dizaine de jeunes femmes, âgées de 16 à 25 ans, en situation de grande précarité et de fragilité sociale. Le constat était le suivant : 15 % d’entre elles se prostituaient ou étaient déjà passées par la prostitution, 75 % avaient subi des violences conjugales, 20 % avaient été victimes d’un viol, sans parler des agressions sexuelles, et 13 % avaient fait l’objet d’un mariage forcé. Nous avons ensuite étendu ce dispositif à 70 jeunes femmes sur la ville des Ulis, avant de le généraliser à l’ensemble du département de l’Essonne, ce qui représentait 100 jeunes femmes. Le constat était le même, ce qui montre la place de la prostitution et des violences faites aux femmes dans notre société.

Face à ce constat, il nous fallait agir. Nous avons donc mis en place, sur le territoire des Ulis, un processus d’éducation à une sexualité égalitaire avec les objectifs suivants : limiter les clients, rompre avec le schéma de domination masculine, qui est si prégnant dans notre société, et prévenir les jeunes femmes des dangers de la prostitution, car celle-ci est souvent en corrélation avec les violences conjugales et le manque d’estime de soi.

Nous sommes intervenus en direction de classes d’âges différentes, en commençant par les classes maternelles, où notre mission consiste à déconstruire les stéréotypes de genre et à délivrer une éducation aux sensations et au plaisir.

La déconstruction des stéréotypes de genre nécessite de détruire les schémas et les attentes qui sont transmis aux petites filles et aux petits garçons et qui ont d’importantes répercussions sur leur sexualité future. Vous connaissez bien ces schémas : on apprend aux petites filles à être patientes, attentives, sensibles et passives ; quant aux garçons, on leur demande d’être actifs, forts et de ne pas trop exprimer leurs émotions. Et cette culture se répercute dans les couples car les femmes et les hommes ont l’impression de ne pas se comprendre et souvent, les femmes ont du mal à exprimer leurs envies en matière de sexualité.

Cette culture influence également les comportements de séduction. Ainsi, dans les albums et les contes pour enfants, la princesse attend le prince et c’est lui qui vient la séduire et fait sa demande.

Éduquer les enfants aux sensations et au plaisir est indispensable. En maternelle, nous n’apprenons pas le plaisir sexuel, mais le plaisir du corps et le bien-être, à l’aide d’outils qui amènent les enfants, filles et garçons, à dire ce qui leur fait du bien, ce qu’ils aiment et ce qu’ils n’aiment pas.

Cette déconstruction doit être poursuivie au primaire et à l’adolescence, où le travail le plus important reste à faire. Je suis convaincue de la nécessité d’éduquer les jeunes à une sexualité égalitaire car lorsque des adultes parlent de sexualité à des adolescents, c’est en termes de prévention, pour leur dire de faire attention aux IST, à la grossesse et au VIH. À aucun moment, on ne leur explique que la sexualité, c’est d’abord du plaisir et du bien-être. Les jeunes évoluent avec la seule image de la sexualité véhiculée par les médias, à savoir une sexualité basée sur les performances sexuelles et la pornographie, qui montre que les garçons ont plus envie de sexe que les filles – ce qui est totalement faux. C’est la raison pour laquelle il faut éduquer les jeunes au plaisir. Aux Ulis, nous présentons dans les lycées un atelier dans lequel nous expliquons de façon très pratique aux garçons et aux filles comment ils et elles prendront du plaisir.

Je constate régulièrement, parmi les couples adultes que je vois en consultation, que les femmes reprochent à leur compagnon de ne pas leur donner de plaisir, et que les hommes se plaignent de ne pas donner de plaisir à leur femme. Mais ce n’est pas à l’homme de donner du plaisir à sa femme, car la sexualité n’est pas innée, elle est le fruit d’un apprentissage. Or, à aucun moment, on ne nous l’a apprise.

Comme chez les humains, la sexualité, chez les animaux, se transmet par l’apprentissage. Ainsi, un chaton qui n’aurait jamais vu faire un autre animal ne saurait pas se reproduire. Sauf que la sexualité animale se manifeste au vu et au su de tous, tandis que la sexualité des êtres humains est intime et cachée. Les jeunes sont obligés d’aller chercher des modèles là où ils les trouvent. Autrefois, nous pouvions voir ces modèles à la ferme, en observant les animaux, ou en consultant des images érotiques. Mais depuis dix ans, Internet permet la diffusion d’images non plus érotiques mais pornographiques. Or si l’érotisme est positif, la pornographie véhicule le modèle de domination masculine. Internet est pourtant devenu le modèle le plus commun d’apprentissage de la sexualité, et cela a des conséquences alarmantes.

Mme Sophie Avarguez, maîtresse de conférence, chercheuse à l’Institut des Méditerranées. Dans notre étude sur les représentations de la prostitution à la Jonquera, nous ne nous sommes pas intéressées directement à la prostitution, mais nous nous sommes attachées à comprendre ce qui se joue en périphérie du phénomène prostitutionnel. Nous avons ainsi étudié les effets de la zone frontière, les représentations du phénomène et les pratiques qui en découlent.

Le phénomène prostitutionnel se déploie à la Jonquera, une petite ville de 3 000 habitants et la plus proche de la frontière franco-espagnole.

Nous avons, dans le cadre d’entretiens semi-directifs, interviewé 70 personnes, concernées à des degrés divers par le phénomène prostitutionnel sans être nécessairement des clients – habitantes et habitants de la ville, jeunes du département des Pyrénées-Orientales, âgés entre 17 et 35 ans – ainsi que les deux animatrices du Planning familial de Perpignan.

Quelles sont les particularités de la prostitution de la Jonquera ? Les jeunes valorisent la prostitution en club, dont ils parlent comme d’une activité édulcorée et « euphémisée », contrairement à la prostitution de rue. Ils ne parlent pas de prostituées ou de putes mais de filles, et considèrent que le club garantit de meilleures conditions d’hygiène que la rue et que les filles y sont plus belles.

L’autre particularité de cette prostitution, c’est la banalisation du phénomène. Les jeunes en parlent sans tabou.

Mme Aude Harlé, maîtresse de conférence, chercheuse à l’Institut des Méditerranées. Voici quelques extraits de nos entretiens qui illustrent parfaitement cette banalisation. Stéphane, 17 ans, nous explique : « Depuis tout jeune, depuis le collège, ce sont des discussions qui reviennent régulièrement, au collège, entre garçons, au rugby, avec les générations plus âgées ». Et Ilana d’ajouter : « Oui, au niveau des tarifs, grâce à des connaissances, j’en ai entendu parler, je crois que c’est quelque chose comme 70 euros les 30 minutes ».

Mme Sophie Avarguez. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, nous n’avons rencontré aucune difficulté pour obtenir des entretiens avec les jeunes du département des Pyrénées-Orientales tant leur discours est libéré, décomplexé et banalisé. Les animatrices du Planning familial de Perpignan soulignent que lorsqu’elles abordent les questions liées à la sexualité avec les jeunes, ils y associent spontanément la prostitution de la Jonquera.

Mme Aude Harlé. Les jeunes ont une connaissance très précise du phénomène, ils en parlent sans tabou et très spontanément. Non seulement ils ne sont pas gênés, mais certains d’entre eux, dans leur entreprise ou la cour du lycée, se vantent d’être allés à la Jonquera. Cela a pour conséquence que les jeunes, hommes et femmes, même s’ils n’y sont jamais allés, ont une connaissance extrêmement détaillée des clubs, des tarifs, des ambiances et des prestations, comme le montrent ces quelques extraits de nos interviews.

Mme Sophie Avarguez. Magali nous dit : « Dans le club le plus proche, le Dallas, elles sont 200 filles, et je ne pensais pas qu’il pouvait y avoir autant de filles dans un même club. Il y a aussi le Moonligtht, le Madam’s et le Paradise, qui a ouvert il y a peu de temps. Au niveau des tarifs, je crois que cela doit être dans les 50 euros pour la totale… Je sais que quand tu vas dans les bordels comme le Dallas ou le Madam’s, tu entres, tu bois un coup et les filles viennent t’accoster ».

Les jeunes, qu’ils soient garçons ou filles, clients ou non, ont une connaissance très précise des clubs et de ce qui s’y passe, et les observations que nous avons recueillies par la suite ont montré que leurs descriptions étaient fidèles à la réalité.

Mme Aude Harlé. Nous avons voulu savoir comment ils avaient obtenu ces informations et nous avons identifié plusieurs vecteurs de communication.

Le premier vecteur est ce que l’on appelle trivialement le « bouche à oreille », qui émane en général de jeunes un peu plus âgés, voire d’adultes, qui informent les plus jeunes ou les initient en leur présentant les atouts de la zone frontalière. Le « bouche à oreille » intervient également dans la cour du collège ou au sein de la famille, par le père, le grand-père, l’oncle, le cousin ou le grand frère. Les filles sont aussi informées que les garçons puisqu’elles assistent à ces discussions.

L’autre vecteur de communication, ce sont les publicités organisées et orchestrées par les clubs de Catalogne sud. Les jeunes citent des exemples très précis de publicités qui peuvent être des panneaux publicitaires sur les routes, au sud comme au nord de la Catalogne et dans les Pyrénées-Orientales, des tracts distribués à la sortie des matchs de rugby ou encore des limousines à l’effigie des clubs qui circulent dans le département, plus précisément dans la ville de Perpignan. J’ai entre les mains un dépliant destiné à présenter aux jeunes les adresses à la mode, boutiques de vêtements, boîtes de nuit, et parmi ces publicités il y en a une pour le Paradise.

D’autres formes de publicité existent dans le folklore. Je pense à une chanson sur le club Dallas, chantée par un groupe de jeunes chanteurs locaux lors des cérémonies et des fêtes locales, ou encore au carnaval, dans un petit village des Pyrénées-Orientales, qui en 2011 avait pour thème le Paradise.

Les jeunes nous ont également signalé avoir entendu des publicités sur les radios destinées à leur public.

Leur dernière source d’information, ce sont les médias, en particulier certaines émissions de télévision. D’autres jeunes nous ont signalé avoir vu dans le journal local L’Indépendant ou dans d’autres journaux des articles mentionnant l’ouverture du Paradise.

Mme Sophie Avarguez. Qui s’affiche comme étant le plus grand club d’Europe !

Le rapport des jeunes à cette zone frontière qu’ils fréquentent depuis toujours se fait presque exclusivement par le biais de la consommation. Ce territoire de l’entre-deux a un statut particulier que les jeunes qualifient comme n’étant ni l’Espagne, ni la France. Ils ne considèrent pas la Jonquera comme une ville ou un village, mais comme un grand duty free et ils la voient à travers le prisme commercial. « On va à la Jonquera pour acheter des cigarettes, de l’alcool… » Il s’agit d’une consommation discount, souvent effectuée dans une temporalité courte. « On fait l’aller-retour à la Jonquera et on achète en grande quantité ».

Lorsqu’on regarde les caractéristiques de cette consommation de biens courants, on peut faire aisément le lien avec la consommation de prostituées. Les jeunes ne parlent pas de prestation ou de service sexuel tarifié, mais bien de « consommer des filles ». Comme certains nous l’ont dit, « Pour 50 euros, tu as une fille ». On peut donc aller jusqu’à dire que dans cette zone, les prostituées sont considérées comme des biens de consommation.

Les jeunes sont lucides sur un point, la pornographie ne reflète pas la réalité de leurs pratiques sexuelles, mais les clubs de prostitution, via les relations sexuelles tarifées, leur permettent de réaliser concrètement les fantasmes issus des imaginaires normés par la pornographie.

Mme Aude Harlé. Ces entretiens sont assez éloquents sur le fait que l’industrie du sexe vend une sexualité très normée à travers la pornographie, mais les jeunes savent bien que cela ne correspond pas à la réalité de leur vie sexuelle. Les clubs leur proposent de concrétiser cet imaginaire.

Voici des propos que nous avons retrouvés dans un très grand nombre de nos entretiens. Julien nous dit : « Voilà, on va payer, donc on pourra faire comme on le voit dans les films porno », et Damien précise : « Je peux faire un lien entre pornographie et ces bars-là, plus qu’avec la prostitution de rue. C’est un peu comme dans les films pornos. On prend une certaine catégorie, tu as une brune, une blonde, toutes fines, toutes des gros seins, et voilà ! Dans la prostitution de rue, tu as de tout, cela se rapproche plus de la vraie vie, tandis que dans les clubs de la Jonquera, ça se rapproche de la pornographie ».

Mme Sophie Avarguez. Notre étude permet de comprendre quelle perception les jeunes ont de la sexualité et des rapports sociaux de sexe, autant de choses qui sont à déconstruire mais que le phénomène prostitutionnel entretient et exacerbe.

Mme Aude Harlé. Le président de la Commission spéciale a insisté sur le fait que sa collègue femme n’avait pas pu entrer dans les clubs. Les discours des jeunes montrent que cette réalité a beaucoup d’importance. Nous non plus, en tant que femmes, n’avons pas pu entrer dans les clubs, à l’exception de deux d’entre eux. Les jeunes mettent en avant le fait que ces clubs sont un dernier bastion pour les hommes. Et s’ils se félicitent que les femmes pratiquent des sports masculins et se tournent vers des métiers traditionnellement réservés aux hommes, comme la police ou l’armée, le club entretient des différences que les jeunes ressentent comme étant de nature. Ils présentent le club comme un privilège, un lieu réservé aux hommes et dans lequel les femmes n’ont pas leur place.

Le club renforce l’idée d’une classe des hommes, distinguée de la classe des femmes et idéalisée. On s’y retrouve entre hommes, et il transcende toutes les classes sociales puisque l’on y rencontre des personnalités importantes du département, des sportifs connus, des grands chefs d’entreprise, des jeunes chômeurs…

Mais derrière cette image, l’idée la plus forte véhiculée par les discours est l’idée selon laquelle les hommes ont des pulsions sexuelles irrépressibles. Les clubs en sont la preuve, les hommes ont une nature spécifique. Il est intéressant de constater que dans d’autres domaines, les jeunes n’ont pas ce discours « biologisant ». Beaucoup dénoncent les inégalités et ont envie de les combattre, notamment celles qu’ils rencontrent dans le monde du travail. Ils trouvent injuste que les salaires des femmes soient inférieurs à ceux des hommes et que les tâches domestiques ne soient pas partagées. Mais dès lors qu’ils parlent de sexualité, ils mettent en avant la nature et, dès lors, la construction sociale et culturelle de la sexualité disparaît.

Mme Sophie Avarguez. Les sorties dans les clubs de la Jonquera se font généralement en groupe et ont un caractère festif. Les jeunes y vont pour faire la fête, boire un verre entre copains, consommer des filles, et par la suite ils partagent leur expérience dans différents milieux et au sein de leur famille. Quelques jeunes nous ont dit avoir annoncé à leurs parents qu’ils avaient passé la soirée de samedi dans un club, précisant que cela n’avait posé aucun problème. Cette pratique est socialement acceptée.

Mme Aude Harlé. La sortie dans un club relève parfois de l’initiation à la virilité. Un jeune arrivé récemment dans le département pour y travailler nous a cité l’une des premières phrases que lui ont adressées ses collègues : « Ici, tu verras, il y a la mer, la montagne et les clubs de la Jonquera, et on va t’y emmener ».

Si les clubs présentent distinctement le modèle de la sexualité irrépressible des hommes, ils présentent également un modèle clairement hétérosexuel, et cet aspect est très important pour les jeunes garçons. Les clientes femmes n’y ont pas leur place et il est impensable d’y rencontrer des hommes prostitués. On y va en groupe d’hommes pour rencontrer des prostituées femmes, ce qui traduit une vision à la fois sexiste et « hétérocentrée » de la sexualité.

Mme Sophie Avarguez. En disant que les clubs sont des lieux non mixtes, les hommes nient le statut de femme des prostituées.

M. le président Guy Geoffroy. Je vous remercie, mesdames, pour vos exposés.

Quelle est l’origine des personnes qui se trouvent dans ces établissements ? Car pas plus au Paradise, le plus grand bordel de la Jonquera, au sein duquel j’ai eu le triste privilège de dialoguer avec plusieurs personnes en situation de prostitution, que dans le bordel de luxe de Madrid que j’ai visité, je n’ai rencontré de femme de nationalité espagnole. Les garçons et les hommes que vous avez interrogés ont-ils évoqué ce sujet ? Si oui, était-ce pour manifester un quelconque intérêt pour l’origine des personnes qu’ils étaient venus consommer ? Se sont-ils posé des questions sur leur liberté de choix ?

Mme Aude Harlé. Les jeunes des Pyrénées-Orientales, lorsqu’ils parlent des prostituées, évoquent le fait qu’elles sont roumaines, bulgares, africaines, mais c’est pour mettre en avant la diversité ethnique, voire raciale, que propose le club. Ils se réfèrent alors à des stéréotypes racistes du type « elles viennent de tel pays, donc elles sont vénales » ou encore « elles aiment l’argent facile ». Lorsque l’origine des femmes est mise en avant, c’est plutôt pour saluer l’attractivité de l’offre – « On trouve de tout : des noires, des filles de l’Est ».

Mme Sophie Avarguez. Dans les clubs, les corps sont mis en scène de telle manière que les jeunes ne se posent pas la question de la contrainte.

Mme Maud Olivier, rapporteure. Mes premières questions s’adressent à la sexologue. Qu’en est-il des besoins irrépressibles des hommes ? Que recouvre cette expression ? Que pensez-vous de l’assistanat pour les personnes handicapées ? Pouvez-vous nous suggérer des pistes de réflexion pour que nous parvenions à prendre en compte la sexualité de ces personnes sans que cela s’apparente à de la prostitution ?

Je m’adresse à présent à vous, mesdames les sociologues. Quelles sont les retombées du phénomène prostitutionnel sur les jeunes filles françaises dont les compagnons se rendent régulièrement à la Jonquera ?

Mme Sonia Lebreuilly. S’agissant des irrépressibles besoins des hommes, il faut savoir que la sexualité n’est pas un besoin. Les seuls besoins de l’homme sont boire, dormir et manger. Perdre l’une de ces trois composantes mène à la mort. Ce n’est pas le cas de la sexualité, dont la perte, si elle engendre du mal-être, n’entraîne pas la mort.

Par ailleurs, les hommes n’ont pas plus envie de sexualité que les femmes, mais simplement on leur a appris à dire leurs envies et leurs attentes, tandis que l’on attend des femmes patience et discrétion.

La preuve se trouve dans l’enquête réalisée par l’anthropologue et sexologue Philippe Brenot. Intitulée « les hommes, le sexe et l’amour en 2011 », suivie en 2012 de son corollaire « les femmes, le sexe et l’amour » et portant sur 3 000 hommes et autant de femmes, cette enquête permet de mettre en lumière cette différence. À la question : « Êtes-vous parfois en manque de sexualité ? », 76,8 % des femmes ont répondu oui, contre 84 % des hommes. Ce qui montre que les femmes ont autant envie que les hommes de sexualité.

La question de l’assistanat sexuel pour les personnes en situation de handicap doit être traitée sur le fond car les demandes de ces personnes sont très variées, selon le type et la forme du handicap. Elles souhaitent naturellement avoir une sexualité, mais ce qu’elles veulent, plus profondément, c’est passer à l’acte une première fois, simplement pour se dire qu’elles sont devenues adultes. L’assistanat sexuel n’est donc pas forcément la solution. Il faut aider ces personnes à découvrir leur corps, à s’en servir et à prendre du plaisir. Car peu importe le handicap, tout le monde peut prendre du plaisir, selon des mécanismes très différents qui vont du plaisir purement psychique au plaisir purement mécanique.

Une personne handicapée veut passer à l’acte une première fois pour avoir confiance en elle et aller vers l’autre. Ce qu’elle souhaite, ce n’est pas qu’une personne vienne lui apporter une dose de sexualité, mais nouer une relation à deux et prendre du plaisir avec quelqu’un avec qui elle partage des sentiments. Dans certains cas d’assistanat, la personne handicapée entretient avec l’assistante sexuelle une relation très sentimentale. La demande ne relève pas de la sexualité pure mais de l’estime de soi et de la découverte du corps. Il appartient au sexologue ou au médecin d’expliquer de façon très pratique à la personne comment, en fonction de son handicap, elle peut prendre du plaisir.

M. le président Guy Geoffroy. Quel est le sentiment que ressentent les compagnes des jeunes gens qui vont acheter des rapports sexuels ?

Mme Aude Harlé. Le discours sur les clubs de la Jonquera et sur la prostitution est terriblement banalisé. À tel point que les animatrices du Planning familial ont relevé qu’en matière de sexualité, les jeunes des autres départements posent des questions sur d’autres sujets, comme la contraception ou les risques d’IST, tandis que dans les Pyrénées-Orientales, le sujet de la prostitution revient systématiquement. Or, les femmes ont accès aux discours des jeunes et des hommes.

L’étudiante qui a travaillé avec nous sur cette étude parle dans son mémoire de la « souffrance de l’être femme » qui est celle des femmes qui entendent régulièrement les hommes tenir des propos comme « c’était génial », « les filles ressemblent aux filles de la télévision et des films pornographiques », « des filles comme on n’en voit pas tous les jours », sous-entendu comme elles. Elles ressentent naturellement une souffrance, parfois une sorte de fascination pour ces femmes dont les garçons parlent tant.

Certaines femmes ont évoqué leur peur de voir leur compagnon se rendre à la Jonquera et leur sentiment d’impuissance. Ce sentiment, les animatrices du Planning familial l’ont également rencontré dans les groupes de parole composés de femmes plus âgées qui leur ont confié leur peur des infections sexuellement transmissibles.

Les jeunes femmes s’inquiètent de la facilité avec laquelle les jeunes parlent de la prostitution ainsi que de la facilité d’accès des clubs, qui sont très proches et peu chers. Quelques-unes des femmes interrogées vont jusqu’à devancer ce passage à l’acte en mettant tout en œuvre pour que leur compagnon n’y aille pas. Deux jeunes femmes ont évoqué le chantage que leur compagnon exerçait à leur égard en leur disant : « Si tu ne me fais pas ça, j’irai à la Jonquera ».

Mme Ségolène Neuville. Je vous remercie, mesdames, pour le travail que vous avez accompli. Grâce à vous, la France entière connaît l’impact des bordels de la Jonquera sur la jeunesse des Pyrénées-Orientales. Votre travail a provoqué des réactions au sein de l’éducation nationale, par exemple dans un lycée qui a entrepris de travailler sur ces questions. Notre proposition de loi met l’accent sur l’éducation et la prévention : quels types d’intervention nous proposez-vous pour éduquer les adultes ?

Dans mon département des Pyrénées-Orientales, le nouveau directeur de l’inspection académique est très sensibilisé sur les questions des stéréotypes sexués. Je lui ai offert votre ouvrage et je pense que vous aurez encore du travail !

Mme Aude Harlé. Il s’agit d’une étude universitaire, mais d’autres personnes sur le terrain sont plus à même de vous proposer des solutions. Ce qui pourrait être fait au sein de l’institution scolaire, dans le monde social ou dans d’autres sphères de la société, serait de travailler sur le genre et la construction sociale et culturelle de la sexualité. Les théories du genre sont intégrées et mieux comprises par les jeunes dans d’autres domaines, mais elles ne s’appliquent pas encore à la sexualité, qui, pour eux, relève de la biologie.

Ce qui ressort également de notre étude, c’est le rapport des jeunes à la consommation. En se rendant dans les clubs, ils ont un sentiment de liberté et d’autonomie, et ils s’affirment comme des acteurs de leur vie. Ce sont eux qui décident et qui dominent. C’est d’autant plus étonnant que lorsqu’on étudie la manière dont se passent les soirées dans ces clubs, on se rend compte que tout est organisé et que le parcours des clients est parfaitement fléché, très encadré, qu’ils sont très peu acteurs de leur soirée. Mais cette contrainte, ils ne la voient plus. Ils consomment, donc ils existent.

Ma collègue va vous parler du travail qui va être réalisé dans un lycée, à la suite de notre étude, grâce aux professeurs, au responsable de l’établissement et à une jeune artiste.

Mme Sophie Avarguez. Nous avons rencontré une artiste, Lénaïc G., qui souhaite, sur la base de notre étude, entreprendre un travail pédagogique et artistique avec des élèves de première année de sciences éco, sur différents thèmes que nous avons retenus ensemble comme les stéréotypes, le genre, la sexualité, la pulsion, l’hypermodernité, la valeur marchande, les performances, les injonctions contradictoires, thèmes qui seront mis en débat en présence du professeur et des artistes. Ce projet devrait aboutir à une publication numérique et interactive.

M. le président Guy Geoffroy. Je vous remercie pour votre importante contribution à nos réflexions.

Audition de Mme Danielle Bousquet,
présidente du Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes

(extrait du procès-verbal de la séance du 6 novembre 2013)

M. Guy Geoffroy, président de la Commission spéciale. C’est avec plaisir que nous accueillons Mme Danielle Bousquet, au titre des multiples présidences qu’elle a assurées ou assure encore. Elle fut en effet présidente de la Commission spéciale qui a conduit à l’adoption de la loi du 9 juillet 2010 relative aux violences faites aux femmes, puis présidente de la mission d’information sur la prostitution. Et depuis qu’elle a fait le choix de ne pas renouveler son mandat parlementaire, elle préside le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, qui a succédé à l’Observatoire de la parité.

Tout le monde connaît l’implication de Danielle Bousquet concernant les violences faites aux femmes, dont la prostitution est l’une des formes les plus graves.

Danielle Bousquet a présidé avant-hier la réunion du Haut conseil qui, à l’unanimité moins une voix, a donné un avis favorable, moyennant quelques recommandations, à la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel. Pour toutes ces raisons, il était important que nous l’entendions aujourd’hui.

Mme Danielle Bousquet, présidente du Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes. Je vous remercie, monsieur le président, d’avoir rappelé que le Haut conseil avait adopté lundi, à l’unanimité moins une voix, le rapport que nous avons établi sur la proposition de loi, ce qui montre l’attachement que portent les membres du Haut conseil à la lutte contre la prostitution.

Nous avons tout d’abord voulu saluer l’approche globale de la proposition de loi, qui prend en compte le système prostitutionnel dans sa globalité et ses trois types d’acteurs que sont les proxénètes et les réseaux mafieux, les personnes prostituées et les clients.

Cette proposition de loi repose sur quatre piliers afin de donner de la lisibilité à la pensée et à l’action du législateur.

Le premier a trait au renforcement de la lutte contre le proxénétisme et la traite des êtres humains.

Le deuxième améliore l’accompagnement des personnes prostituées – c’est extrêmement important si nous voulons être crédibles – et ouvre le droit au séjour des victimes du proxénétisme et de la traite des êtres humains. Car les personnes prostituées en France sont, dans une écrasante majorité, des personnes étrangères sans papiers. On ne peut guère imaginer qu’elles envisageront de sortir de la traite si on ne leur délivre pas un titre de séjour, au moins temporaire, qui leur permettra de rester sur le territoire français.

Le texte prévoit en outre d’octroyer à ces personnes un revenu de substitution, car comment une personne sortirait-elle de la prostitution si elle n’a pas un minimum de revenus pour vivre ?

Il offre également aux personnes prostituées l’accès au droit et à la santé. C’était indispensable car vous savez certainement que leur santé est extrêmement préoccupante, tant sur le plan physique que psychologique, voire psychiatrique.

Enfin, le texte leur accorde l’accès au logement d’urgence et leur ouvre la possibilité d’une réinsertion sociale. Car comment, sans logement et sans aucune perspective de réinsertion sociale, une personne pourrait-elle envisager de quitter la prostitution ?

Le troisième pilier, tout aussi important, concerne la prévention des pratiques prostitutionnelles. Il convient d’éduquer les jeunes à l’idée que, dans toute relation sexuelle, l’autre doit être respecté et que c’est dans la réciprocité et l’égalité que deux personnes peuvent se retrouver. Pour cela, il faut renforcer l’éducation sexuelle à l’école, ce qui signifie consacrer plus de moyens à l’éducation.

Le quatrième pilier a trait à la responsabilisation des clients de la prostitution qui est, selon nous, de nature à tarir la demande. Car dès lors qu’il y aura moins de clients, il y aura moins de prostitution et donc moins de traite d’êtres humains. C’est pourquoi la proposition de loi prévoit l’interdiction d’achat d’un acte sexuel.

Ce texte contient deux innovations majeures : d’une part, il met en place, pour la première fois, un véritable parcours de sortie de la prostitution, et d’autre part il interdit l’achat d’un acte sexuel et sanctionne le client qui contreviendrait à cette interdiction.

Nous avons d’emblée rendu un avis favorable à cette proposition de loi en saluant la volonté du législateur de l’inscrire dans le cadre de la lutte contre les violences faites aux femmes, car la prostitution est une violence en soi, et donc in fine dans une perspective d’égalité entre les femmes et les hommes, car chacun sait qu’il ne peut y avoir d’égalité s’il y a violence. Il est impératif de lutter contre cette violence et c’est ce qui nous avait déjà motivés lorsque nous avions élaboré la proposition de loi renforçant la protection des victimes, la prévention et la répression des violences faites aux femmes.

Nous avons également salué la cohérence globale de ce texte, qui vise à renforcer à la fois la lutte contre le système prostitutionnel et le soutien aux victimes, ainsi que la volonté du législateur d’apporter son soutien aux personnes prostituées, y compris celles qui sont étrangères et qui constituent l’immense majorité des personnes prostituées en France.

Nous vivons un moment historique d’une grande importance. Pour la première fois, je le répète, nous allons donner à ces personnes une perspective de sortie de la prostitution.

Celle-ci étant une violence, ses auteurs doivent être sanctionnés. Ce sont les proxénètes et les réseaux mafieux, qui font déjà l’objet de sanctions dans notre droit, et ce sont les clients, qui doivent donc faire l’objet de sanctions dont nous souhaitons discuter les modalités.

Cette proposition de loi ne tombe pas du ciel. Elle s’inscrit dans la continuité de la Convention des Nations Unies de 1948, que la France a fini par ratifier et qui la situe parmi les pays abolitionnistes, et de la Convention CEDAW, relative à l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, que la France a également ratifiée et dont la ministre vient d’accepter les dernières mesures qui ne l’avaient pas été dans le cadre de la ratification.

Ce texte fait enfin suite au long et patient travail législatif qui a démarré en 2010 et qui s’est poursuivi tout au long de cette mandature. Nous pouvons nous féliciter de cette continuité, qui montre la volonté des législateurs d’aller au bout de cette démarche.

J’en viens aux recommandations du Haut conseil.

L’article 1er prévoit que les fournisseurs d’accès bloquent l’accès aux sites Internet étrangers lorsque ceux-ci contreviennent à la loi française. Nous nous en félicitons, mais nous ajoutons qu’il est indispensable de donner à l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH) et aux brigades régionales spécialisées les moyens, tant humains que financiers, de travailler. Le réseau Internet n’a pas conduit à la prostitution ipso facto, mais il a permis le fantastique développement de pratiques illégales. Il faut pouvoir le contrôler.

Les articles suivants mettent en place un parcours de sortie de la prostitution pour les personnes qui en ont été victimes. Le texte associe les victimes de la prostitution, du proxénétisme et de la traite. Je vous en remercie car il s’agit bien du même fléau, comme nous l’ont expliqué hier nos amis suédois, en particulier la chancelière suédoise de la justice et la procureure du tribunal de Stockholm.

Nous souhaitons que soit demandé aux associations qui seront habilitées à aider les personnes victimes de prostitution dans leur parcours de sortie de s’engager à respecter les conditions de ce parcours. Il ne s’agit pas pour nous d’exclure les associations qui accompagnent les femmes en les maintenant dans la prostitution et en aménageant les conditions dans lesquelles elles s’y livrent, mais nous voulons qu’elles s’engagent à respecter les principes abolitionnistes qui ne sont pas forcément inscrits dans leurs statuts. Nous n’excluons personne, mais nous entendons vérifier que les associations ne feront pas n’importe quoi car il ne s’agit pas pour nous d’aménager la prostitution, mais d’en sortir. Nous demandons donc à l’État de prévoir les financements adaptés, car s’occuper de personnes qui sortent de la prostitution est une démarche longue et difficile qui exige des personnes formées.

Je félicite les parlementaires d’avoir envisagé tous les éléments indispensables pour réussir le parcours de sortie, en commençant par l’accès à l’allocation temporaire d’attente, l’ATA, mais il faudra pour cela former les personnels de Pôle Emploi. En outre, il ne sera pas exigé des personnes qu’elles dénoncent leur proxénète. C’est une bonne chose car il serait très difficile pour une personne étrangère, seule, qui parle très mal notre langue, de dénoncer la seule personne qu’elle connaît sur notre territoire. Il serait intéressant que celles qui auront eu le courage d’aller plus loin et de dénoncer les réseaux et les proxénètes puissent bénéficier du revenu de solidarité active (RSA), dont le montant est tout de même supérieur d’une centaine d’euros à celui de l’ATA.

Il est important que les femmes étrangères qui décideront de sortir de la prostitution se voient attribuer, dès lors qu’elles en auront pris l’engagement, un titre de séjour temporaire qui ne soit pas lié au pouvoir discrétionnaire du préfet. L’article 6 de la proposition de loi dispose que l’autorisation provisoire de séjour « peut » être délivrée à la victime. Nous préférons, nous, écrire qu’elle « est » délivrée. Nous n’avions pas davantage souhaité poser des conditions dans la proposition de loi renforçant la prévention des violences, s’agissant de l’ordonnance de protection. Car comment voulez-vous qu’une personne envisage de sortir de la prostitution si elle n’est pas certaine d’obtenir un titre de séjour ? Celui-ci est une condition sine qua non de réussite.

En matière d’hébergement, j’insiste sur la nécessité de former les personnels à la sécurité, car les personnes qui sortent de la prostitution s’exposent à des mesures de rétorsion de la part des réseaux et des proxénètes, et parfois elles risquent leur vie.

Comme tout le monde ici, je me félicite de la suppression du délit de racolage passif et actif, car elle est conforme à l’esprit de la Convention de 1949 pour la répression et la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui, texte qui présente les personnes prostituées comme des victimes et non comme des délinquantes. Cette suppression est également nécessaire pour assurer la sécurité des personnes prostituées, dont la situation ne relève en aucun cas de leur responsabilité.

L’article 16, qui fixe l’interdiction d’achat d’un acte sexuel et sanctionne le recours à la prostitution, constitue une avancée historique.

Cette interdiction répond à quatre motivations. Il s’agit tout d’abord de soustraire la sexualité à la violence et à la domination masculine : on ne peut pas payer en échange d’un acte sexuel.

Elle permet ensuite de dissuader les réseaux de traite et les proxénètes de s’installer sur le territoire français car les réseaux ne pratiquent la traite des êtres humains que pour une seule raison : gagner de l’argent. Si la possibilité de gagner de l’argent s’amenuise, ils trouveront des activités plus rentables.

La troisième motivation de cette interdiction est la nécessité de faire évoluer les représentations et les comportements. Éduquer les enfants, garçons et filles, dans l’idée qu’il est interdit de payer pour une relation sexuelle fera changer la représentation qu’ils en ont. Votre collègue Ségolène Neuville vous a certainement parlé des jeunes garçons, dans certains départements du sud de la France, qui soumettent leurs compagnes à une forme de chantage insupportable en les menaçant, si elles n’acceptent pas de faire telle ou telle chose, d’aller à la Jonquera. Leur représentation de la sexualité induit des comportements d’une violence extrême. Poser cet interdit dans la loi fera évoluer leurs comportements, la représentation qu’ils ont des femmes et ils comprendront qu’il n’est plus possible pour les hommes de payer pour obtenir ce qu’ils veulent.

Enfin, cette interdiction permettra aux personnes prostituées de dénoncer leurs clients, en particulier de se prémunir de violences comme le refus du port du préservatif que leur imposent certains d’entre eux.

La loi prévoit une contravention allant de 1 500 euros à 3 000 euros en cas de récidive. Je n’aime pas beaucoup ce mot-là car il contient une notion de culpabilité. Je lui préfère le mot « réitération ». Nous ne sommes pas là pour montrer les hommes du doigt, mais pour leur faire prendre conscience que ce qu’ils font n’est pas acceptable. Je dirais qu’ils sont responsables, mais pas coupables…

On ne peut prévenir les pratiques prostitutionnelles, en particulier le « devenir client » si la loi ne se positionne pas fermement sur le fait que l’achat d’un acte sexuel est inacceptable. Il faut donc éduquer les jeunes et poser son interdiction dans la loi.

Nous souhaitons que la sanction soit un délit, et non une simple contravention de cinquième classe, car selon les termes de la proposition de loi, dans l’échelle des peines, le recours à la prostitution serait sanctionné de la même manière qu’un simple trouble à l’ordre public. Or, on ne peut dire, d’un côté, qu’il est insupportable de payer pour un service sexuel, et, de l’autre, prévoir une sanction identique à celle prévue, par exemple, pour le dépôt d’ordures dans un endroit non autorisé. J’ai du mal à comprendre la cohérence de cet article. Nous aurons du mal à expliquer qu’une peine aussi peu élevée s’applique à un acte attentatoire à la dignité des personnes.

Ce n’est pas le niveau de sanction qui nous préoccupe – nous ne voulons pas forcément mettre les hommes en prison – mais nous insistons pour que la nature du délit soit reconnue et qu’il soit jugé non pas devant un tribunal de simple police, entre deux excès de vitesse, mais au tribunal correctionnel afin de donner à la sanction une certaine solennité. Il faut que le juge puisse dire à l’homme qui a commis un acte interdit que cet acte est inacceptable. Faute de quoi, le message normatif pourrait être singulièrement amoindri. J’ajoute que les moyens de la police et de la gendarmerie ne sont pas les mêmes suivant qu’il s’agit d’une contravention ou d’un délit.

Nous sommes convaincus que l’interdiction de l’achat d’acte sexuel dans la loi fera changer le regard de la société sur les violences faites aux femmes. À ce titre, je considère que les articles 16 et 17 sont révolutionnaires.

L’article 17 dispose que les clients effectueront un stage de « sensibilisation » aux conditions d’exercice de la prostitution. Nous préférons, nous, parler d’un stage de « responsabilisation », plus à même de leur révéler le caractère illégal de l’achat d’un acte sexuel.

M. le président Guy Geoffroy. Un certain nombre de personnes et d’institutions, dans notre pays, ne partagent pas notre ambition abolitionniste, au nom de deux arguments.

Le premier repose sur la liberté qu’ont les personnes de se prostituer. Que pensez-vous de cet argument ? Comment amener les personnes qui le défendent à comprendre que la liberté a toujours une limite, surtout quand elle altère gravement celle de l’autre ?

Leur second argument s’appuie sur la prévention des risques sanitaires et la garantie d’une meilleure sécurité. Certains de nos collègues parlent de risque de dérive hygiéniste. Qu’en pensent les membres du Haut conseil ? Peut-on, en la matière, faire avancer la société, sans pour autant mépriser la sécurité des personnes ?

Mme Danielle Bousquet. Celles et ceux qui évoquent la liberté de choix sont, ou bien les clients, ou bien les personnes mises en avant par le STRASS. Car ce qui n’est jamais formulé, lorsqu’on parle de liberté de choix, ce sont les violences que subissent toutes les personnes prostituées, qu’elles se disent volontaires ou non. Maîtresse Gilda, qui revendique la liberté de choix, a demandé dans des écrits internes aux membres du syndicat de ne jamais parler des violences subies.

Celles et ceux qui revendiquent la liberté de choix, ce sont aussi les clients, comme ceux qui ont écrit cet article infâme qui, de par son contenu et son titre, est une véritable ignominie. Ce sont également les personnes qui ont des visées réglementaristes et souhaitent que la loi considère la prostitution comme un métier comme un autre, ce qui règlerait la question de la traite, qui, selon eux, ne concerne que 10 % des personnes prostituées, les autres étant toutes volontaires. Leur mauvaise foi est flagrante, car la réalité est toute autre et les personnes en situation de prostitution sont, pour l’écrasante majorité d’entre elles, victimes de la traite. La meilleure preuve en est que dans les pays qui ont choisi le réglementarisme, comme les Pays-Bas, le nombre de personnes prostituées a explosé. En l’absence de frein, les proxénètes placent plus de femmes et de jeunes garçons en situation de prostitution et gagnent encore plus d’argent. Le réglementarisme ne répond en rien au problème.

Croyez-vous qu’une personne stigmatisée en tant que prostituée avoue aisément qu’elle n’est pas libre ? Vous souvenez-vous d’Ulla qui, dans les années 1970, était la porte-parole du mouvement des prostituées de Lyon et qui affirmait alors qu’elle n’avait pas de proxénète et qu’elle se prostituait de son plein gré ? Il y a quelques années, elle a avoué dans une émission de télévision que nous avions eu tort de la croire, que, bien sûr, elle avait un proxénète. Connaissez-vous une personne qui se reconnaît comme une victime ? Même les femmes victimes de violences conjugales choisissent de rester avec leur mari.

J’en viens à l’argument du risque sanitaire. Nous aussi, nous nous préoccupons de la santé des personnes prostituées, dont la santé physique, psychique et parfois psychiatrique est très détériorée. Vouloir s’occuper en priorité du sida, c’est bien, mais les personnes prostituées sont déjà dans l’illégalité. La rue ou Internet ne sont que des moyens d’entrer en relation avec les clients, mais l’acte sexuel est toujours caché. Le « tout sanitaire » ne changerait en rien la réalité. En revanche, les risques sanitaires seront moindres si la personne prostituée a la possibilité de dire à son client, si elle n’accepte pas telle ou telle pratique, qu’elle va le dénoncer à la police.

Mme Maud Olivier, rapporteure. J’ai du mal à m’expliquer la collusion entre les réglementaristes, comme Maîtresse Gilda, et certaines associations proches des personnes prostituées qui se disent abolitionnistes mais refusent la pénalisation du client. Comment peuvent-ils se retrouver ensemble pour manifester leur opinion, alors que fondamentalement on est abolitionniste ou on ne l’est pas ?

Le Haut conseil à l’égalité a-t-il un rôle à jouer dans le cadre d’un partenariat avec les autres pays d’Europe ? Peut-il participer à l’évolution de leurs législations ? Quelles actions envisagez-vous pour développer une synergie avec les pays européens sur ces questions ?

Mme Danielle Bousquet. Je répondrai à cette dernière question par une pirouette : nous ferons plus lorsque nous serons trois fois plus nombreux au Haut conseil…

Les réglementaristes et les associations qui se disent objectivement sur la même longueur d’onde que le STRASS se situent dans une logique de réduction des risques liés au sida. Cette maladie fut un tel traumatisme que les médecins qui ont eu à soigner les malades ont parlé d’une question de vie ou de mort aux personnes prostituées, qui ont intégré ce risque. C’est la raison pour laquelle des associations comme Médecins du Monde ou le Planning familial, dont la présidente est une spécialiste du sida, ont choisi d’adopter une démarche d’accommodement et non de remise en cause.

En ce qui concerne l’Europe, hier se sont tenues les Rencontres européennes de l’égalité, sur le thème La France, l’Europe et le système prostitutionnel. Nous avons compris que le reste de l’Europe attendait la décision de la France, comme l’a indiqué une journaliste allemande qui précisait qu’en Allemagne, pays pourtant réglementariste, il y a près de 400 000 prostituées.

Nous allons poursuivre nos relations avec les autres pays d’Europe. Mais le HCE n’est composé que de trois personnes, et nous croulons sous le travail…

Mme Bernadette Laclais. Je crains de n’avoir pas très bien compris : comment pouvez-vous à la fois vouloir sanctionner les clients devant le tribunal correctionnel et souhaiter dans le même temps qu’ils ne se sentent pas coupables ?

Mme Danielle Bousquet. Vous avez parfaitement raison, je n’ai pas été cohérente. Il y aura culpabilité dès lors qu’il y aura infraction à la loi. Mais il y aura nécessairement un temps d’accoutumance, car un certain nombre de jeunes hommes considèrent la prostitution comme un acte banal et un loisir. Ils « vont aux putes » comme d’autres vont voir un match de football. Il leur faudra du temps pour intégrer l’idée de culpabilité. Mais le niveau de la sanction importe peu, pourvu qu’ils comprennent la gravité de leur acte. Dans un premier temps, nous nous heurterons à leur incompréhension, tellement c’est rentré dans les moeurs. Hier, une Espagnole nous a appris que 39 % des hommes espagnols « allaient aux putes ». En Espagne, la prostitution est tolérée par tous, y compris par l’Église. Nous n’en sommes pas là en France, mais dans le sud, il arrive que les troisièmes mi-temps de rugby se terminent à la Jonquera. Ma propre belle-fille, qui est professeur de BTS dans un lycée de Perpignan, m’a raconté que ses élèves de 20 ans évoquaient des anniversaires qu’ils avaient fêtés à la Jonquera. Face à cela, il nous faudra être très pédagogues…

Mme Catherine Coutelle. Nous avons en effet besoin de faire preuve de pédagogie car il n’est pas simple de comprendre que nous sommes abolitionnistes, mais pas prohibitionnistes. Nous n’interdisons pas la prostitution, qui reste autorisée, mais nous sanctionnons les clients.

On nous traite ici ou là d’hypocrites. Nous devons donc expliquer et discuter. Des débats ont lieu, qui sont d’ailleurs plus posés que je ne l’aurais imaginé, mis à part quelques excès – je pense à ces fameux « salauds » et au slogan « Touche pas à ma pute » qui touche le fond.

Le Haut conseil devrait-il mener un débat public sur le sujet ? Est-il facile de mener un tel débat ? En avez-vous conduit un avec des associations qui ne sont pas forcément très informées du système prostitutionnel ?

Mme Danielle Bousquet. Vous avez raison, madame la députée, nous allons devoir faire preuve de pédagogie. Pour nous qui sommes au fait du problème, il paraît très logique de sanctionner les clients, mais les personnes qui ne connaissent rien à la question attendent des réponses.

Ce qui serait utile, c’est qu’une commission rédige un document expliquant notre démarche et que ce document soit diffusé partout, à Paris comme en province, dans les associations, auprès des journaux, des parlementaires, dans les préfectures. Les débats publics, nous en organisons régulièrement les uns et les autres, mais nous devons toucher un public plus large.

M. le président Guy Geoffroy. Je vous remercie.

Audition de Mme Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales et de la santé

(extrait du procès-verbal de la séance du 13 novembre 2013)

M. Guy Geoffroy, président de la Commission spéciale. Nous recevons Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé.

Je vous remercie, madame la ministre, au nom de la Commission spéciale, d’avoir accepté de nous consacrer une heure de votre temps.

Votre présence parmi nous, au même titre que celle de vos collègues Najat Vallaud-Belkacem, la semaine dernière, de Christiane Taubira tout à l’heure et de Manuel Valls demain, témoigne du fait que la question de la prostitution relève de l’ensemble des politiques publiques. D’ailleurs la proposition de loi qui nous est soumise s’appuie sur tous les aspects des politiques publiques visant à renforcer la stratégie d’abolition de la prostitution, qui a été officiellement retenue il y a plus d’un demi-siècle et qui méritait de franchir une étape supplémentaire.

Madame la ministre, nombre de sujets rejoignant la problématique de la prostitution font écho aux nombreuses et importantes responsabilités ministérielles qui sont les vôtres. L’un des volets importants de cette proposition de loi, trop souvent oublié par les observateurs, porte sur l’accompagnement des personnes qui se trouvent en situation de prostitution et de celles qui décident d’en sortir, auxquelles notre société doit donner la place et la dignité qui leur reviennent.

Nous attendons que vous nous disiez quelle est la réaction du ministère de la santé au texte de la proposition de loi. Vous n’ignorez pas que parmi celles et ceux qui ne partagent pas les objectifs de la proposition de loi, quelques institutions et les représentants éminents de certaines familles de pensée considèrent que la responsabilisation, qui pourrait aller jusqu’à sa pénalisation, du client risque de renforcer la clandestinité des personnes prostituées, ce qui aggraverait les risques sanitaires auxquels elles sont exposées. Nous avons entendu leurs arguments, mais aussi d’autres allant en sens inverse. Il était important pour nous de connaître l’opinion du Gouvernement sur cette question qui est l’une des plus préoccupantes et des plus délicates de la problématique que nous sommes en train de traiter.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Je vous remercie d’avoir sollicité ma présence dans le cadre de vos travaux, car comme vous l’avez dit, monsieur le président, il s’agit d’un sujet important et préoccupant, notamment au regard de la santé des hommes et des femmes qui se prostituent.

Je partage l’objectif de la proposition de loi et votre volonté de combattre fermement tout ce qui favorise l’exploitation des hommes et des femmes. Pour cela, nous devons admettre que la prostitution, par rapport aux modèles que l’on nous présente, a changé de visage. Aujourd’hui, on ne peut plus différencier prostitution et traite des êtres humains puisque 90 % des personnes qui se prostituent seraient d’origine étrangère.

Nous devons le dire avec beaucoup de fermeté, la prostitution, dans l’écrasante majorité des cas, renvoie à l’exploitation d’autrui, même si nous ne pouvons ignorer qu’une minorité d’hommes et de femmes se prostituent de façon volontaire et indépendante. Elle renvoie également à de nouvelles méthodes de contact puisqu’une partie croissante de la prostitution est cachée et organisée à partir de sites Internet situés à l’étranger.

Que dire de la situation sanitaire de ces personnes ?

Les données ne sont pas faciles à obtenir ; néanmoins celles dont nous disposons témoignent d’un état de santé préoccupant chez les personnes qui se prostituent. Nous constatons un nombre élevé de pathologies infectieuses, dont les infections sexuellement transmissibles (IST), les hépatites et le VIH – qui touche certaines catégories de personnes, en particulier les femmes d’Afrique subsaharienne, les hommes et les personnes trans – et de nombreux recours aux substances psycho-actives comme l’alcool, le cannabis, les hallucinogènes, la cocaïne et autres substances de nature à accompagner certaines pratiques.

C’est une population qui, plus que d’autres, souffre de problèmes d’ordre psychique. Les risques sanitaires liés aux conditions de vie précaires sont particulièrement prégnants chez ces personnes, dont l’accès à la prévention et aux soins n’est pas garanti puisque 25 % d’entre elles n’auraient pas – j’emploie le conditionnel – de couverture maladie et plus de la moitié aucune couverture complémentaire – alors même que 95 % de la population française bénéficie d’une couverture complémentaire. Je précise que ces données, dont je ne vous cite pas les sources, sont considérées par le ministère de la santé comme étant parfaitement officielles.

Naturellement, nous ne connaissons pas parfaitement l’incidence des nouvelles formes de prostitution sur la santé des personnes concernées. Mais à partir des éléments dont nous disposons et des expériences étrangères que nous avons examinées, nous pouvons considérer que la prostitution sur Internet, en éloignant les personnes prostituées de ceux qui sont susceptibles de les accompagner, accroît les risques sanitaires. Les personnes prostituées accessibles sur les sites d’échanges sexuels tarifés seraient particulièrement confrontées à des demandes de rapports non protégés, ce qui aggrave les risques d’infection.

Toutes les mesures qui accroissent la clandestinité des personnes prostituées peuvent avoir des conséquences sur leur santé. J’insiste sur ce point. De nombreuses associations relatent une dispersion des prostituées de rue depuis le vote de la loi de sécurité intérieure de 2003, qui pénalise le racolage. Cet état de fait est également rapporté par l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) dans son rapport de 2012 sur les enjeux sanitaires de la prostitution. L’activité prostitutionnelle dans la rue s’est en partie dispersée vers d’autres lieux – périphérie des villes, aires d’autoroute, forêts – et d’autres sites comme le domicile, les salons de massage et Internet.

Je le dis avec force, les exemples étrangers de la Suède et de la Norvège nous invitent à la plus grande vigilance quant à l’état de santé des personnes prostituées. Je rappelle que la pénalisation des clients est intervenue en 1999 en Suède et en 2009 en Norvège. Concernant l’expérience de ces pays, nous disposons de données contradictoires. Pour la Suède, deux rapports officiels, datant de 2003 et de 2010, se montrent plutôt positifs quant à l’impact de la loi sur la santé des personnes prostituées. Ils indiquent que l’augmentation des violences ne serait pas prouvée par les données de la police, que le développement de la prostitution sur Internet, loin d’être une conséquence de la loi, serait imputable au développement des nouvelles technologies, et enfin que le caractère dissuasif de la criminalisation de l’acte d’achat d’acte sexuel aurait un impact favorable auprès des clients. Le médiateur suédois souligne néanmoins les effets négatifs de cette criminalisation pour les personnes prostituées elles-mêmes, qui seraient davantage marginalisées.

D’autres études présentent des analyses plus négatives, notamment eu égard à la santé des personnes concernées. Un rapport de 2011 montre qu’il est difficile d’estimer si, oui ou non, la loi suédoise a entraîné la réduction de la prostitution, et met en avant les effets non intentionnels de la loi, en particulier les conséquences de la stigmatisation sur la santé des personnes prostituées. Je ne pouvais pas ne pas évoquer ce point devant vous.

Par ailleurs, selon la Commission mondiale sur le VIH et le programme des Nations Unies pour le développement, qui date de 2012, la loi suédoise aurait aggravé les conditions de vie des travailleurs du sexe et rendu plus difficile leur accompagnement sanitaire.

En Norvège, la stratégie nationale VIH 2009-2014 note une inquiétude croissante due à l’affaiblissement des actions préventives des pouvoirs publics en direction des personnes prostituées. Ceux-ci ayant « intériorisé » la disparition théorique de la prostitution, ils ont relâché leurs efforts en direction de cette population. De ce fait, ils ont eu de plus en plus de difficultés pour obtenir une vue d’ensemble des problématiques prostitutionnelles et pour avoir accès à ces populations. L’étude montre en outre que depuis l’interdiction de l’achat de service sexuel, les personnes prostituées demandent moins d’aide, notamment dans le domaine sanitaire.

Certes, il s’agit d’études parcellaires mais qui vont dans des sens différents. Dès lors, nous ne pouvons pas ne pas entendre les interrogations et les préoccupations formulées par un certain nombre d’acteurs et d’associations. Le fait d’inciter les personnes prostituées à ne pas apparaître ne leur fait-il pas courir un risque accru en termes de santé ? Ne rend-il pas plus difficile leur suivi par les pouvoirs publics et les associations ?

J’en viens aux mesures de votre proposition de loi qui me paraissent absolument nécessaires et qu’il convient de soutenir car elles permettent de lutter contre les risques que j’ai évoqués – et que je ne peux pas minorer.

Vous souhaitez abolir la pénalisation du racolage, qui a éloigné les personnes prostituées des lieux d’accès aux droits et aux soins. Cette abolition est un élément tout à fait important, comme le soulignent les rapports du Conseil national du sida en 2010, de l’IGAS en 2012 et du Sénat en 2013.

Les mesures qui figurent au chapitre II doivent être soutenues, en particulier l’article 6, qui permet de renforcer l’accompagnement des victimes et modifie l’accès à un titre de séjour, les articles 8 et 9, qui favorisent la réinsertion et l’accès au logement, et l’article 10 qui permet la réparation des dommages physiques sans fournir la preuve d’une incapacité totale de travail (ITT) égale ou supérieure à un mois.

Le Conseil national du sida indique que dans les faits, les droits spécifiques réservés aux étrangers victimes de traite ne sont pas accordés. Il est absolument indispensable que la nouvelle loi incite davantage les personnes prostituées à dénoncer tout ce qui les contraint et les éloigne des systèmes de santé.

L’interdiction d’accéder aux sites hébergés à l’étranger qui contreviennent à la loi française sur le proxénétisme me paraît également positive. Cette disposition rejoint les préconisations de l’IGAS dans son rapport sur l’état de santé des personnes prostituées, paru en décembre 2012, qui mettait en avant la nécessité de mieux encadrer l’activité prostitutionnelle sur Internet.

L’article 15 prône la prévention des comportements prostitutionnels à l’école, ce qui permettra de sensibiliser les enfants dès le plus jeune âge.

L’article 4 prévoit la création d’un fonds qui permettra de financer des actions. Je souhaite pour ma part que les actions sanitaires auprès des personnes prostituées puissent en bénéficier et se voir renforcées. Nous constatons que les crédits de santé destinés aux personnes prostituées sont beaucoup moins importants que les crédits consacrés aux actions sanitaires et sociales qui s’orientent principalement vers les actions d’insertion et de logement, au détriment de la prise en charge et de l’accompagnement sanitaire des personnes prostituées.

S’agissant de l’accompagnement sanitaire des personnes prostituées, vous me permettrez de penser qu’il est nécessaire d’aller plus loin que ce que vous proposez dans votre proposition de loi. L’enjeu principal me semble être de renforcer l’accès aux droits et leur effectivité ainsi que l’accès à la prévention et aux soins. Il s’agit de prendre en compte l’émergence de nouveaux risques et l’évolution de l’activité prostitutionnelle, qui éloigne les personnes des structures de prévention et de soins. C’est pourquoi je préconise l’adoption, dans le cadre de cette proposition de loi, d’un référentiel de réduction des risques pour les personnes prostituées, ce qui permettrait d’identifier la santé comme un enjeu à part entière. C’est un sujet qui fait l’objet d’échanges avec les associations depuis de nombreuses années.

Qu’est-ce qu’un référentiel de réduction des risques ? C’est un cadre global qui définit les orientations et les actions engagées en matière de réduction des risques pour les personnes prostituées. Ce document de référence est approuvé par décret, ce qui lui donne une certaine force et suppose une concertation avec l’ensemble des acteurs sanitaires et sociaux.

Ce référentiel, destiné aux acteurs associatifs et professionnels, a pour objectif de prévenir les infections sexuellement transmissibles, les dommages sanitaires comme les vulnérabilités gynéco-obstétricales, les addictions, les troubles psychiques, les troubles alimentaires, ainsi que les troubles sociaux et psychologiques qui sont directement liés à l’activité prostitutionnelle. Cette approche, qui permet une vision globale du phénomène – c’est ce qu’on appelle les actions d’ « aller vers » les personnes prostituées – a démontré son efficacité envers ce type de public. La mobilisation de l’ensemble des acteurs pour « aller vers » les personnes qui se prostituent est préférable à des dispositifs vers lesquels peuvent venir les personnes prostituées. Cette proposition figure dans le rapport de l’IGAS publié en décembre 2012 sur les enjeux sanitaires de la prostitution. Il existe déjà un référentiel de réduction des risques pour les usagers de drogues.

D’autres mesures peuvent être envisagées pour améliorer la santé des personnes prostituées. Il faudrait par exemple mieux coordonner les actions engagées ou mettre en place des politiques de prévention plus affirmées.

Je tenais à insister sur la nécessité d’aller plus loin que ce que prévoit la proposition de loi. Je comprends vos objectifs et vos préoccupations, mais si vous voulez qu’ils soient atteints, nous devons nous montrer exigeants quant au suivi de la santé des personnes concernées.

M. le président Guy Geoffroy. Quelle est votre position et celle de votre ministère sur un sujet que vous n’avez pas abordé, celui de la responsabilisation du client, voire, comme en Suède ou en Norvège, sa pénalisation ? Sans clients ou avec moins de clients, la prostitution intéresserait moins les réseaux de traite, qui sont l’un des facteurs aggravants de la situation des personnes prostituées.

Mme la ministre. Sur ce point précis, en tant que ministre en charge de la santé, je n’ai pas à prendre position. Vous souhaitez la responsabilisation, voire la pénalisation des clients ? Soit. Mais l’analyse de la situation en Suède et en Norvège nous amène à constater que sur le plan de la santé, la loi a produit des résultats qu’il convient d’analyser avec beaucoup de précaution. Ma démarche ne consiste pas à exprimer un avis favorable ou défavorable, mais à trouver des garanties afin que la mesure à laquelle vous êtes attachés n’accroisse pas les risques sanitaires pour la population concernée. Je ne suis pas venue devant vous pour exprimer un avis tranché sur la question, je souhaite être constructive : je veux simplement que les enjeux de santé, auxquels je suis particulièrement attentive, soient traités de façon satisfaisante.

Je vous ai dit que votre proposition de loi comportait des mesures importantes – sur lesquelles d’ailleurs ceux qui la commentent devraient insister davantage – et gagnerait, me semble-t-il, à être complétée par la proposition que je viens de vous faire.

Mme Maud Olivier, rapporteure. J’ai bien noté, madame la ministre, que vous partagiez notre objectif de combattre la prostitution. Votre position sur l’accompagnement sanitaire et social des prostituées sera prise en compte avec beaucoup d’acuité ; d’ailleurs le rapport d’information que j’ai présenté en septembre consacre 25 recommandations à ce sujet, sur les 40 qu’il contient, ce qui montre à quel point il nous préoccupe. Toutefois notre objectif est toujours de combattre la prostitution.

J’ai entendu vos propos concernant la santé préoccupante des personnes prostituées, à propos de laquelle le représentant de l’IGAS nous avait déjà alertés lors de son audition. J’ajoute que l’état de santé des personnes prostituées est également lié aux violences qu’elles subissent. Vous n’avez pas mentionné ce point, mais il est important de rappeler que les viols et les violences sexuelles ont un impact sur l’état de santé de ces personnes.

Quant au référentiel de réduction des risques que vous proposez d’adopter, nous allons étudier la possibilité de l’introduire dans la proposition de loi.

Mme Kheira Bouziane. Je vous remercie, madame la ministre, pour votre présentation. Vous avez axé votre intervention sur le volet sanitaire et social. Je souhaite, quant à moi, vous interroger sur un autre volet dont a la charge votre ministère. Au cours de nos auditions, la nécessité de mettre en place une prévention dès le plus jeune âge a souvent été évoquée, et certaines prostituées que nous avons auditionnées ont témoigné du fait qu’elles avaient été violentées dans leur enfance. N’y a-t-il pas quelque chose à faire en matière de prévention au sein de la famille pour éviter à des jeunes femmes de « tomber » dans la prostitution ?

Par ailleurs, que faire pour les personnes prostituées mineures qui se trouvent sur notre territoire ?

Mme la ministre. Les violences et les situations qui, sans être forcément du domaine de la violence, sont de nature à précipiter une jeune femme ou un jeune homme vers la prostitution doivent être suivies avec beaucoup d’attention. Nous menons des actions, en lien avec les départements et les conseils généraux, en direction des familles au sein desquelles sont identifiées des pratiques de violence ou de maltraitance, ou qui se trouvent en situation de grande précarité psychique. Certaines de ces actions doivent être réorientées, certes, mais indépendamment de la question de la prostitution. Le problème que vous soulignez est traité par Dominique Bertinotti, ministre déléguée chargée de la famille auprès de mon ministère. Il apparaît nécessaire de déployer de nouvelles actions car ces situations sont de mieux en mieux identifiées, bien que je ne sois pas en mesure de dire jusqu’à quel point il y a une relation de cause à effet entre ces situations de violence et le fait de se livrer à la prostitution.

M. Jean-Marc Germain. Permettez-moi d’insister sur la question que vous a posée le président Geoffroy car elle explique la position d’un certain nombre d’associations qui accompagnent les personnes prostituées, comme Médecins du Monde.

Cette proposition de loi aura-t-elle un effet de réduction de la prostitution ? Peut-elle entraîner des risques sanitaires ?

Vous avez fait des propositions en vue d’améliorer le texte de la proposition de loi, notamment celle d’aller au-devant des prostituées pour s’assurer de leur santé. Pensez-vous que si nous adressons un message très clair à la société pour démontrer que la prostitution est une forme de traite des êtres humains et que ceux qui en font usage participent à ce système, nous parviendrons à réduire la prostitution comme cela s’est produit dans les pays qui ont emprunté cette voie avant nous ?

Mme la ministre. Je ne peux que vous répéter ce que je vous ai déjà dit. Vous évoquez, monsieur le député, la nécessité d’envoyer un message très clair pour lutter contre le système prostitutionnel. C’est précisément notre volonté, et nous la partageons avec quelques-unes des associations qui sont impliquées au quotidien auprès des personnes prostituées. Mais il est vrai que les situations liées à la domination, à l’exploitation, à la violence et à la maltraitance sont insupportables, inacceptables, et que tout doit être fait pour qu’elles n’existent pas.

En réalité, vous vous demandez si ma démarche permettra de faire reculer dans notre pays les frontières de ce qui est acceptable. Vous posez aussi une question annexe qui est très importante à mes yeux. Il ne faudrait pas que l’éradication d’une partie de la prostitution fragilise davantage celle qui se maintiendrait, parce que, si j’en juge par les exemples étrangers, nous n’arriverons pas, dans un premier temps, à éradiquer la prostitution dans sa totalité. Ainsi, pendant une certaine période, dont je ne peux dire combien de temps elle durera, la criminalisation de l’achat d’acte sexuel sera établie mais un certain nombre d’hommes et de femmes continueront à se livrer à la prostitution. Il est de ma responsabilité de me préoccuper de ces personnes afin qu’elles ne soient pas plus fragilisées qu’elles ne le sont aujourd’hui. Cette crainte explique la mobilisation de certaines associations. Nous devons nous mobiliser collectivement pour apporter des garanties aux hommes et aux femmes qui se prostituent pour qu’ils ne redoutent pas de sortir de la clandestinité et aillent à la rencontre de ceux qui sont susceptibles de les aider.

Encore une fois, je n’ai pas de position tranchée et je fais preuve d’une grande prudence parce que les analyses des exemples étrangers m’y incitent, mais cela ne veut pas dire que ce ne sera pas possible. Aucun élément ne m’amène à dire que nous devons renoncer. Ma réponse vous a peut-être parue ambiguë, mais à partir du moment où le système sera mis en place, il faudra faire en sorte que les hommes et les femmes concernés ne soient pas confrontés à des risques accrus. Pour cela, il faut aller plus loin que ce que vous proposez.

Mme Marietta Karamanli. À propos de la Suède et de la Norvège, on a critiqué le manque d’investissements dans les programmes sociaux destinés à l’accompagnement et à la réinsertion des femmes victimes. Que préconiseriez-vous dans ce domaine ?

Mme la ministre. Il faut une approche globale qui n’établisse pas de distinction entre l’aspect sanitaire et la dimension sociale. De ce point de vue, le fonds prévu dans la proposition de loi, qui pourra financer des actions relevant du social, peut être utile. Il importe de sensibiliser les travailleurs sociaux aux risques encourus par les personnes prostituées. L’élaboration d’un outil commun est en cours, en concertation avec la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (FNARS). Les personnes chargées du suivi sanitaire devraient être formées à l’accompagnement social, et réciproquement. On pourrait imaginer que l’on s’adresse d’abord à un travailleur social, puis que l’on consulte un professionnel de santé ; en réalité, on rencontre un interlocuteur qui se trouve relever du sanitaire ou du social mais il doit pouvoir répondre aux deux types de demandes.

La politique d’accès au logement, qui ne relève pas directement de mon ministère, est également essentielle pour améliorer les politiques sociales destinées aux personnes prostituées. En effet, pour elles comme pour les autres, un logement stable sert de lieu d’identification et garantit ainsi l’accès à d’autres droits sociaux et sanitaires. À cela s’ajoutent les politiques d’insertion classiques auxquelles nous travaillons avec la FNARS.

Mme Marie-Louise Fort. Afin de lutter plus efficacement contre le système prostitutionnel, la proposition de loi envisage de sanctionner les clients, ce qui est nouveau même si des pays nordiques le font déjà. Que savez-vous de l’incidence de la prostitution sur la santé de ceux qui ont régulièrement recours à ces pratiques ?

Quel est votre point de vue dans le débat sur le recours aux travailleurs du sexe pour remédier aux problèmes sexuels de certains handicapés ? Comment s’articule-t-il au présent débat sur la prostitution ?

Mme la ministre. Sur le premier point, je ne dispose pas d’éléments plus précis que ceux que j’ai fournis dans mon intervention liminaire. On sait que l’évolution des pratiques prostitutionnelles a un effet sur la santé ou sur l’accès à certains services publics. Selon les études dont nous disposons, les personnes que l’on contacte sur Internet se voient par exemple demander des rapports sexuels non protégés, ce qui présente un risque pour leur santé. Toutefois, je demeure très prudente au sujet des données comme de leur analyse : il est possible de déceler des orientations, mais l’obtention de statistiques très précises est par définition aléatoire s’agissant de populations qui ne se laissent pas appréhender de façon officielle.

Quant à la demande d’aidants sexuels – car telle est bien l’expression consacrée –, elle est diversement appréciée par les associations représentant les personnes en situation de handicap et par ces personnes elles-mêmes. Sans écarter cette préoccupation – car le droit à une vie sexuelle épanouissante fait partie de la vie, et il est vrai que certains handicaps privent de cette dimension de la vie les personnes qui en sont porteuses –, nous restons prudents, car nous ne devons pas ouvrir la porte à la prostitution. On voit bien comment l’on peut passer de la notion d’aidant sexuel à celle d’un soutien sexuel tarifé. Voilà pourquoi, même si des discussions ont lieu, nous ne nous sommes pas engagés dans cette voie.

Mme Ségolène Neuville. Vous avez parfaitement raison, madame la ministre : la situation sociale et sanitaire des personnes prostituées est évidemment notre préoccupation à tous. Voilà pourquoi nous souhaitons abroger le délit de racolage, car s’il est une chose certaine, c’est que la criminalisation des personnes prostituées nuit à leur santé.

De ce point de vue, les études dont nous disposons montrent que la situation actuelle, en France, n’est pas satisfaisante. Le meilleur moyen de réduire les risques, c’est de réduire la prévalence de la prostitution. Pour dire les choses crûment, subir dix, vingt, trente pénétrations non désirées par jour, voire plus, c’est mauvais pour la santé. Les conséquences ne se réduisent pas aux MST : ce sont aussi les déchirures vaginales ou anales, sans compter les menaces et les coups. Le rapport de l’IGAS contient ainsi une description tout à fait éloquente des cicatrices vaginales que révèle l’examen gynécologique pratiqué sur des jeunes femmes au bout de quelques années, voire quelques mois de pratique prostitutionnelle.

Réglementer la prostitution en la cantonnant à des bordels ne fait qu’aggraver la situation, notamment sanitaire, des personnes prostituées. À La Jonquera, tout près de mon département, celles-ci ne font l’objet d’aucune surveillance sanitaire, quoi que l’on pense.

Dès lors, comment améliorer la situation en France et en Europe ? L’idée d’un référentiel – que je qualifierais plutôt de référentiel de réduction des violences – est très bonne. Pour le mettre au point, nous allons devoir mobiliser toutes les bonnes volontés ; nous allons avoir besoin de vous, madame la ministre, pour sensibiliser à cette question les professionnels de santé et les travailleurs sociaux. Mais tout cela ne dépend pas seulement de la loi. Comment pourrions-nous agir dans ce domaine avec votre ministère ?

Mme la ministre. Je n’ai pas grand-chose à ajouter à votre analyse. Je partage votre constat et vos objectifs. Loin de moi l’idée de prétendre que la situation actuelle serait satisfaisante, y compris du seul point de vue sanitaire – sans parler de la violence, de la traite, du proxénétisme, de la domination, de l’exploitation, qui sont, je le répète, inacceptables, insupportables, indignes d’une société développée.

Une mobilisation collective – des pouvoirs publics et des acteurs concernés, en particulier associatifs – est donc effectivement nécessaire. Mon ministère est tout à fait disposé à s’y impliquer. La préparation du nouveau référentiel pourrait, comme pour le référentiel relatif à l’usage de drogue, s’échelonner sur six mois environ, dont trois mois de concertation avec les acteurs, suivis de la phase d’élaboration du texte proprement dit.

M. Charles de Courson. Madame la ministre, vous nous avez parlé de l’incidence d’une éventuelle pénalisation sur les personnes qui se prostituent. Mais, pour être équilibré, il faut aussi parler des clients. Or, selon les premières évaluations des systèmes suédois et norvégien, la mesure a fait baisser leur nombre. Il y a donc une dégradation d’un côté mais une amélioration de l’autre. Lorsque l’on est responsable de la santé publique, il faut tenir compte des différents aspects du problème.

Par ailleurs, êtes-vous favorable à l’allongement de la durée de prescription des crimes et délits à caractère sexuel ? Je songe notamment aux mineurs, puisque l’on a reporté à la majorité la date à partir de laquelle court le délai de prescription. On sait que, chez certaines femmes, les drames vécus peuvent resurgir bien plus tard.

Enfin, ne faudrait-il pas reporter la majorité sexuelle de 16 à 18 ans pour mieux protéger les mineurs de la prostitution ?

Mme la ministre. La politique de santé publique se fonde sur des approches populationnelles et non pas simplement sur des balances globales. Il s’agit de faire en sorte que chaque population connaisse une amélioration de son sort. Si les risques sanitaires encourus par chacune des deux parties peuvent être liés, s’agissant par exemple des contaminations, dans le cas des violences, ce sont les personnes prostituées qui sont victimes des clients, et nous devons les aider à sortir de l’isolement ou de l’anonymat pour dénoncer les actes qu’elles ont subis. Nous ne pouvons que souhaiter que toutes les populations soient en meilleure santé. Si j’ai néanmoins témoigné une attention particulière au sort des personnes prostituées, c’est parce que ce sont elles qui sont exploitées, donc moins libres de leur parole, plus éloignées des centres où elles pourraient être soignées, alors que le client, qui peut être Monsieur Tout le Monde, bénéficie alors d’un suivi médical classique.

Concernant le délai de prescription, je n’ai pas été amenée à réfléchir à cette question et je ne veux donc pas me prononcer sur ce point.

S’agissant enfin de la majorité sexuelle, une réflexion est en cours, dans le cadre de la préparation de la loi sur la famille, sur les différents seuils qui coexistent aujourd’hui dans notre droit : on est majeur sexuellement à 16 ans, mais majeur à 18 ans, on l’est à d’autres égards dès 15 ans. Toutefois, pour la plupart des jeunes femmes et des jeunes gens, l’âge de la majorité sexuelle n’est fort heureusement pas placé sous le signe de la violence, de la contrainte ni du risque de prostitution. On peut dès lors s’interroger sur la portée d’une mesure qui, pour protéger une partie limitée de la population, aurait des conséquences significatives sur l’ensemble des jeunes.

Mme Catherine Coutelle. Le référentiel dont vous nous avez parlé est une idée intéressante, mais doit-il figurer dans la loi ou relever du domaine réglementaire ?

Pour établir son rapport, l’IGAS a étudié la santé des personnes prostituées, sans parti pris idéologique quant à l’abolition, la prohibition ou la réglementation de la prostitution. Elle a constaté que, sur le terrain, les associations qui intervenaient auprès des prostituées étaient très divisées car elles ne défendaient pas le même point de vue. Parce que nous ne voulons pas faire une loi idéologique, mais une loi pragmatique et efficace, nous créons une commission départementale destinée à réunir l’ensemble des acteurs concernés, dont la police, les associations et les services de l’État, en particulier les services de santé.

Certains d’entre nous se demandent si un parcours de santé ou un bilan de santé est nécessaire pour accompagner la sortie de la prostitution. Nous avons réfléchi hier à un amendement en ce sens. Mais cet accompagnement doit débuter en amont, pour celles et ceux qui continueront longtemps de se prostituer.

Les services de l’État pourront-ils jouer un rôle d’accompagnement et de suivi au sein de la commission départementale ?

Mme la ministre. Bien sûr. Dans cette commission, qui me paraît une bonne initiative, les agences régionales de santé auraient un rôle à jouer, en contribuant à identifier les populations et, éventuellement, les lieux où il apparaît nécessaire d’agir. En outre, au niveau national, nous devons réfléchir au moment opportun auquel proposer un bilan de santé aux personnes qui ont entrepris de sortir de la prostitution. Ces éléments pourraient d’ailleurs faire partie du référentiel pour ce qui concerne cette catégorie de personnes.

M. Sergio Coronado. Je vous remercie, madame la ministre, de la prudence et de la nuance dont votre intervention faisait preuve, dans le droit-fil des différents rapports qu’ont produits depuis de longues années l’ONUSIDA, l’OMS, le Conseil national du sida et les associations de santé communautaires qui accompagnent les personnes prostituées, notamment dans la sortie de la prostitution. Je vous sais également gré de vous être référée au rapport de l’IGAS, particulièrement riche et qui devrait guider en grande partie notre réflexion.

Dans son rapport sur le sujet, la Commission nationale consultative des droits de l’homme ne préconise pas la pénalisation de l’achat d’actes sexuels, mais d’autres mesures tout aussi fondamentales : établir une définition claire et précise de la traite et de l’exploitation – c’est en effet une urgence – et, pour ce qui vous concerne directement, garantir l’effectivité de l’accès aux droits des personnes prostituées. Vous l’avez dit vous-même, tel est sans doute le point noir de la politique française de lutte contre la prostitution. Si la proposition de loi est adoptée, comment mobiliser l’ensemble du réseau associatif, pour le moins sceptique vis-à-vis de la pénalisation, dont il craint que, comme le délit de racolage, elle ne provoque une dispersion des populations prostituées et ne complique leur accès aux services de santé, à l’aide sociale et aux droits ?

Je rappelle que, conformément à la convention pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui, adoptée en 1949 et ratifiée en 1960 par la France, la lutte contre la prostitution vise le fait de prostituer autrui et non le fait de se prostituer soi-même, que la loi française ne pénalise pas.

Mme la ministre. Je n’ai pas voulu laisser entendre que la situation sanitaire des personnes qui se prostituent serait le point noir de la politique française : c’est un sujet de préoccupation, mais ce n’est pas le seul. Toutes les personnes qui sont soustraites, volontairement ou non, au regard des pouvoirs publics sont fragilisées.

Il ne m’appartient pas de dire ce que les associations seraient prêtes à faire, mais si, comme je le préconise, nous élaborons un référentiel, elles devraient être partie prenante de la concertation requise, quelle que soit leur position. Très pragmatiques, elles sont parfaitement capables, tout en tenant un discours et, le cas échéant, en menant un combat idéologiques, de s’inscrire dans le cadre juridique existant pour tenter d’améliorer la situation des personnes dont elles s’occupent. Elles pourraient donc tout à fait prendre part à une action commune à condition que celle-ci soit clairement identifiée comme destinée à ces personnes.

M. Guénhaël Huet. Les articles 16 et 17 de la proposition de loi, relatifs à la pénalisation des clients, sont les plus problématiques. Je comprends que l’on veuille agir à la fois sur l’offre et sur la demande pour parvenir à un texte équilibré. Je sais aussi que, pour la théorie juridique – et cette expression n’a rien de péjoratif dans ma bouche –, il n’y a pas de bon texte de loi qui ne prévoie de sanction. Toutefois, je m’interroge sincèrement sur l’efficacité de la mesure. On voit bien que la pénalisation des consommateurs de drogue, en vigueur depuis des années, n’a eu que peu d’effet sur l’existence de réseaux de trafiquants. C’est peut-être une idée reçue, mais ne vaut-il pas mieux s’attaquer à ceux qui trafiquent qu’à ceux qui consomment ? Cette pénalisation n’est-elle pas un peu théorique – encore une fois, sans connotation péjorative ? En outre, ne risque-t-elle pas d’avoir des effets négatifs sur la clandestinité de la prostitution et, par là, sur la situation sanitaire des prostituées ?

Mme la ministre. Voilà une question qui s’adresse au moins autant aux membres de la commission spéciale, à son président et à sa rapporteure qu’au Gouvernement. À l’évidence, le système retenu ne devra pas renforcer la clandestinité, mais devra s’accompagner de mesures permettant d’« aller vers » les personnes concernées.

M. le président Guy Geoffroy. Merci, madame la ministre.

Audition de Mme Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la Justice

(extrait du procès-verbal de la séance du 13 novembre 2013)

M. le président Guy Geoffroy. Mes chers collègues, nous sommes heureux d’accueillir aujourd’hui Mme Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la justice. Nous étions désireux d’entendre chacun des ministres qui, à un titre ou à un autre, sont concernés par notre proposition de loi.

Madame la ministre, dans le volet pénal de notre proposition de loi « renforçant la lutte contre le système prostitutionnel », deux sujets concernent tout particulièrement votre ministère : la suppression du délit de racolage, et la responsabilisation du client de la prostitution, pouvant aller jusqu’à sa pénalisation.

Mme Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la justice. Mesdames, messieurs, je tiens d’abord à saluer le travail de toutes celles et tous ceux d’entre vous qui sont très impliqués sur ce sujet difficile. Il a été pris à bras-le-corps depuis la précédente législature, effort trans-partisan qui a permis l’adoption à l’unanimité de la résolution réaffirmant la position abolitionniste de la France en matière de prostitution.

Le sujet est également complexe au regard des arguments de part et d’autre – des tentatives d’instrumentalisation, mais aussi des arguments solides et de bonne foi d’un certain nombre d’experts.

Je commencerai par dire que nous pouvons admettre qu’il existe, sans doute de façon marginale, des personnes – femmes ou hommes – qui ont choisi ou pensent avoir choisi de pratiquer une prostitution libérale, se considérant libres de disposer de leur corps. Néanmoins, il est incontestable que la très grande majorité des personnes prostituées subissent, et là, je ne dis pas « pratiquent », la prostitution, c’est-à-dire y sont contraintes. C’est pour ces personnes que nous devons trouver des solutions. La traite des êtres humains et le proxénétisme, qui relèvent de la criminalité organisée et transfrontalière, appellent des réponses efficaces. En la matière, les positions respectives des trois acteurs concernés – la personne prostituée, le proxénète et le client – sont extrêmement inégales.

À l’heure actuelle, le proxénétisme est très sévèrement puni par le code pénal. La difficulté, c’est la réalité. Le code pénal a été enrichi grâce à la loi du 5 août 2013 transposant la directive européenne relative à la traite des êtres humains, qui comporte des dispositions sur l’esclavage et la servitude.

Parallèlement à cet arsenal répressif, l’efficacité des politiques publiques est une exigence.

La lutte contre la traite des êtres humains ne relève pas de la morale, mais de l’éthique. Ce sujet renvoie aux notions de libertés individuelles, de libre disposition de son corps. D’aucuns considèrent qu’il faut respecter la possibilité pour des personnes adultes consentantes d’avoir des rapports sexuels tarifés. Le problème est que, dans la très grande majorité des situations, le pouvoir de l’argent d’un côté, la vulnérabilité et la fragilité sociale et économique de l’autre, engendrent un rapport déséquilibré entre le consommateur d’un corps et la personne qui n’a comme richesse que ce corps à offrir.

Il faut entendre les objections des experts, afin, même de bonne foi, de ne pas aggraver le mal, – je pense notamment à Médecins du Monde, association tout à fait respectable et dont les inquiétudes sont parfaitement fondées. Tous ces experts ne sont ni des ennemis de la loi ou la puissance publique, ni des partisans de la prostitution : ils fondent leurs inquiétudes sur l’observation de la réalité, sur leur compréhension des comportements ; ils assurent un service d’intérêt public et connaissent parfaitement le marché de la prostitution, ainsi que les dimensions psychologiques et sanitaires qui s’y rattachent.

La nécessité de légiférer me semble évidente. Les dispositions contenues dans votre proposition de loi sur la responsabilisation du client seront sans aucun doute efficaces. Le client ne peut être mis à l’écart, sachant que les prostituées ont été pénalisées avec le délit de racolage, et que les proxénètes sont sévèrement punis par le code pénal. Le bout de la chaîne, c’est-à-dire le consommateur, ne peut donc pas être ignoré.

J’entends les arguments selon lesquels les nouvelles dispositions vont aggraver le mal. Nous ne pouvons pas sous-estimer les risques de dissimulation, d’éloignement, de vulnérabilité accrue des prostituées, comme nous les avons constatés à la suite de l’instauration du délit de racolage. Une fois votée, cette proposition de loi, sur laquelle le Gouvernement vous a apporté très clairement son soutien, traduira un engagement de la puissance publique. Par conséquent, poser des interdits se conçoit, sauf s’ils sont de nature à aggraver la situation des victimes. C’est pourquoi la question des politiques publiques est essentielle, et j’espère qu’elle sera abordée durant les débats parlementaires avec autant de force que le seront les normes que vous voulez introduire dans la loi.

Je pense au fonds dédié, sur lequel le Gouvernement s’est engagé, qui devra être assorti des mécanismes permettant de l’abonder, notamment pour en fixer les ressources, leur stabilité et leur pérennité. Ce fonds devra être suffisamment conséquent afin de permettre l’application effective des dispositions contenues dans votre texte. On se souvient que la loi contre l’esclavage moderne, avec toute une série de dispositions sur la prise en charge de victimes, la régularisation provisoire de leur état civil, leur hébergement, les revenus d’accompagnement, la sécurité des personnes jusqu’à la fin des procédures judiciaires, a été problématique en termes d’application.

Les moyens octroyés à la politique publique en matière d’information, de sensibilisation, de prise en charge, d’accompagnement, notamment dans le cadre du plan gouvernemental que présentera prochainement la ministre des droits des femmes, devront être au rendez-vous. Interdire peut devenir une facilité si l’on ne se soucie pas aussi de l’avenir des personnes prostituées, si l’on ne s’assure pas qu’elles auront une alternative professionnelle leur permettant de ne plus être prisonnières de leur activité et des revenus qu’elle procure.

J’insiste : il s’agit d’une question de droit et d’éthique. Celle-ci renvoie à notre conception de l’être humain, des libertés individuelles et des conditions objectives dans lesquelles celles-ci peuvent être exercées, du rapport avec le corps, du principe d’indisponibilité du corps humain, du rapport marchand, de la sexualité. La crédibilité de la puissance publique et du Parlement se traduira dans l’application des dispositions de cette proposition de loi visant à mettre un terme à la prostitution.

M. le président Guy Geoffroy. Comme l’ont montré nos auditions, un certain nombre de personnes estiment que la pénalisation du client irait à l’encontre de l’objectif poursuivi, à savoir la diminution, puis l’extinction du phénomène prostitutionnel. D’autres, à l’inverse, considèrent que la contravention de cinquième classe n’est pas à la hauteur de l’enjeu. Sans vouloir mettre en prison les clients de la prostitution, – d’ailleurs, aucun Suédois n’a été incarcéré à la suite du vote de la loi de 1999 – ils estiment que ne pas créer un délit n’est pas à la hauteur de l’enjeu. Quelle est votre position ?

Mme la garde des Sceaux, ministre de la justice. Cette question renvoie à notre capacité à agir contre cette criminalité, y compris au-delà de nos frontières. La marche était haute, mais à la suite des auditions et de votre travail avec le Gouvernement, vous avez abouti, d’une part, à la responsabilisation du client, d’autre part, à la contravention de cinquième classe.

J’entends la demande de pénalisation. Néanmoins, si vous avez décidé de rendre certaines dispositions applicables six mois après la promulgation de la proposition de loi, c’est sans doute parce que vous êtes persuadés qu’un travail de sensibilisation est nécessaire et qu’il faut se donner les moyens de l’efficacité, le couperet du délit de la sanction immédiate pouvant peut-être présenter des effets plus pervers que bénéfiques.

J’avoue que je ne saurais pas quoi ajouter. C’est vrai que le client doit être responsabilisé. Sinon, cela reviendrait à dire que l’on s’accommode de la prostitution – et certaines personnes sont capables de construire des arguments solides sur cette base. Mais dès lors qu’on considère que la situation dans laquelle se trouvent des personnes victimes de réseaux de traite, d’exploitation et de violences – en général des femmes – n’est pas compatible avec nos valeurs, on ne peut pas envoyer un message d’impunité au client, lui laisser entendre qu’il serait le seul intouchable parmi les trois acteurs de la prostitution.

Il est possible d’envisager un délit puni d’incarcération, ou encore un délit sans incarcération, la loi le permet.

Mme Maud Olivier, rapporteure. Une fois cette proposition de loi adoptée, les condamnations pour racolage seront effacées du casier judiciaire des personnes concernées. Des instructions seront-elles données en ce sens au Service du casier judiciaire national, afin que la réinsertion sociale et professionnelle de ces personnes ne soit pas retardée dans l’attente de l’entrée en vigueur de la loi ?

Actuellement, les dispositions permettant la saisie des biens des proxénètes sur un territoire étranger sont relativement limitées. Envisagez-vous de les renforcer ?

Mme la garde des Sceaux, ministre de la justice. Madame la rapporteure, je vous rassure : la circulaire d’application sera diffusée le jour même de la promulgation de la loi ; j’y veillerai personnellement.

Nous avons enrichi le code pénal grâce à l’adoption du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière. Les dispositions portent notamment sur la confiscation de l’instrument de l’infraction et la saisie de l’entier patrimoine ; les saisies seront également facilitées au niveau international. S’agissant des pays européens, les choses seront facilitées grâce aux instruments de reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires et aux contentieux ne nécessitant pas l’exequatur. Pour d’autres pays, les choses seront plus compliquées car elles relèveront de commissions rogatoires internationales.

Mme Ségolène Neuville. Je crois beaucoup au rôle pédagogique de la loi. La responsabilisation du client permettra de faire comprendre aux clients et à la population en général que l’achat d’un service sexuel n’est pas anodin.

Néanmoins, je crains que la proposition de loi n’encourage l’achat d’actes sexuels aux frontières, sachant que la France comporte des départements frontaliers avec les pays autorisant la prostitution dans les maisons closes. Le phénomène est, par exemple, très important dans la jeunesse des Pyrénées-Orientales. Ne pensez-vous pas que la responsabilisation du client pourrait être assortie d’une clause d’extraterritorialité ?

Mme la garde des Sceaux, ministre de la justice. Le Gouvernement a travaillé sur le sujet mais n’a pas encore abouti. Outre que cela est rarissime, je ne vois pas sur quoi une clause d’extraterritorialité pourrait reposer d’un point de vue juridique. Nous sommes entourés de pays souverains. Néanmoins, la mise en place d’un espace judiciaire européen prend une place croissante dans la construction européenne mais est encore en cours de construction.

Certes, l’idéal serait un dispositif pénal répressif et une politique publique à l’échelle européenne, mais le fait est que les différentes législations aboutissent à la situation que vous décrivez. Par conséquent, soit on cherche à atteindre cet idéal en travaillant pendant de nombreuses années, soit on propose des dispositions comme celles contenues dans votre proposition de loi, qui – il faut en être conscient – créera des inconvénients, engendrera des risques sur lesquels vous ont alertés notamment Médecins du Monde et auxquels il faudra remédier.

M. le président Guy Geoffroy. La pénalisation du tourisme sexuel auprès des mineurs, que nous avons votée en 2005, pourrait constituer une piste de réflexion. Mais il est vrai que le sujet est difficile.

Mme Marietta Karamanli. Une coopération entre les États ou, du moins, une réflexion plus globale au niveau européen me semble essentielle. La Suède, où la prostitution de rue a diminué de moitié grâce à la loi et qui envisage de poursuivre les crimes d’achat de sexe commis à l’étranger, est un exemple intéressant pour la poursuite de notre réflexion.

Madame la ministre, les moyens du ministère de la justice font-ils l’objet d’une adaptation pour permettre la poursuite des infractions ?

Le succès des lois étrangères serait notamment attribué au fait qu’elles s’appuient, non sur la peur de l’amende, mais plutôt sur les craintes liées à la procédure – connaissance de l’affaire par la famille et l’entourage, réputation entachée, etc. Votre ministère mène-t-il une réflexion en la matière ?

Mme la garde des Sceaux, ministre de la justice. Il me semble que c’est au ministre de l’intérieur, que vous allez auditionner demain, de répondre à votre première question. Pour ce qui est de mon ministère, il devra s’assurer de la qualité des enquêtes conduites sous la responsabilité du procureur de la République. Cet aspect devra probablement faire l’objet d’une circulaire pour mobiliser les parquets sur ces infractions et sur les modus operandi.

S’agissant de votre seconde question, je ne suis pas sûre qu’un seul paramètre, en l’occurrence la stigmatisation sociale, puisse avoir un effet dissuasif sur l’achat de services sexuels tarifés. Les choses sont plus compliquées que cela, comme en témoignent les prostituées elles-mêmes qui dressent des profils psychologiques de leurs clients – les sadiques, les masochistes, les dominateurs, les dominés… En la matière, toutes sortes de pathologies, de frustrations, de représentations entrent en jeu.

À mon sens, il ne s’agit pas de trouver un profil du consommateur pour mieux le punir. L’essentiel est d’être pénétré de la conviction que la prostitution n’est pas une situation anodine, banale, qu’elle est contraire à nos valeurs et à nos principes, et que la très grande majorité des prostituées sont des victimes. Mais les solutions seront forcément incomplètes, imparfaites. En tout cas, au moins 343 seront contents que cela se sache….

M. Jean-Marc Germain. Merci, madame la ministre, pour la clarté des principes que vous avez énoncés, en particulier en faveur de la responsabilisation du client.

Dans la mesure où, comme vous le démontrez, l’écrasante majorité de la prostitution est le fait pour certains – les clients – de disposer du corps d’autrui, d’où l’organisation planétaire de la traite d’êtres humains, il va de soi que la priorité, comme le fait la proposition de loi, doit être donnée à la lutte contre le proxénétisme et à la responsabilisation du client. Par conséquent, je vous avoue avoir du mal à comprendre les hésitations du Gouvernement. Pouvez-vous nous éclairer ?

En outre, quelle est votre appréciation de la politique pénale menée en Suède et en Norvège ? Les sanctions ont-elles été appliquées de manière systématique ? Les difficultés constatées sont-elles liées à un dysfonctionnement de la justice de ces deux pays ?

M. Sergio Coronado. Toutes les prostitutions – l’IGAS utilise le terme au pluriel – ne sont pas réductibles à la traite. D’ailleurs, dans le cadre de votre rapport d’information sur le sujet, monsieur le président, Alain Vidalies avait distingué, à juste titre, la traite et la prostitution. En outre, le nombre de condamnations pour traite est très faible. À cet égard, la Commission nationale consultative des droits de l’Homme a recommandé un effort de cohérence au regard des définitions très diverses de la traite dans les textes internationaux. Madame la ministre, comment augmenter l’efficacité des dispositifs contre les prostitutions et la traite ?

Mme Catherine Coutelle. Merci beaucoup pour votre intervention, madame la ministre.

Eurostat a publié, pour la première fois, un rapport statistique sur la traite, selon lequel le nombre de victimes de la traite des êtres humains s’est accru de 17 % ces trois dernières années. En outre, en Allemagne, une pétition circule pour demander une loi équivalente à la nôtre. Je pense donc que nous avons tout intérêt à travailler avec les pays européens en vue d’une coordination des politiques.

Mme la garde des Sceaux, ministre de la justice. Monsieur Germain, oui, il y a des débats, mais c’est normal, la matière est complexe. Comme je l’ai dit, elle renvoie non à la morale, mais à l’éthique. C’est pourquoi nous voyons bien que les libertés individuelles sont en cause. Mais nous entendons aussi les arguments sur la liberté de disposer de son corps entre adultes consentants. Pour ma part, je continue à penser que la très grande majorité de la prostitution relève des réseaux de traite.

En effet, monsieur Coronado, les chiffres sont dérisoires : 5 enquêtes préliminaires en 2011 et 9 en 2012 ; 26 informations judiciaires en 2011 et 37 en 2012. Néanmoins, environ 500 arrestations de proxénètes ont eu lieu, ce qui n’est pas négligeable mais c’est sûr, ce n’est pas à l’échelle de ce qu’on suppose être la réalité des réseaux.

Il y a des phénomènes de classes dans la prostitution. À côté de la prostitution qui parfois expose ses victimes, totalement démunies, aux pires violences, il y a la prostitution de luxe. Mais même la prostitution de luxe est concernée par le proxénétisme et la traite ! J’ai discuté de tous ces sujets avec la ministre des droits des femmes, le ministre de l’intérieur et la ministre de la santé, et je trouve sain que ces débats aient lieu au sein du Gouvernement.

Je retiens que le Gouvernement vous accompagne dans cette démarche et que le travail sérieux de concertation a été productif – vous avez accepté de « descendre de la marche ». Le débat parlementaire va enrichir le texte. Mais le débat est aussi dans la société et surtout dans les médias.

Selon le rapport de Mme la rapporteure, il n’a pas été constaté de développement de la prostitution cachée dans les pays sanctionnant le client. Pour notre part, nous disposons d’éléments indiquant des déplacements géographiques de la prostitution. Même s’ils ne se sont pas produits en Suède ou en Norvège, cela n’exclut pas le risque chez nous.

Disons-nous bien que votre travail sera davantage accompli grâce aux politiques publiques qui seront mises œuvre que par l’efficacité pénale des dispositions que vous introduirez dans la loi ! Il faut être lucide sur le risque d’aggraver la situation des personnes que nous voulons protéger. Si nous ne nous donnons pas les moyens d’apporter des réponses aux conséquences des interdits et des sanctions contenues dans votre texte, nous porterons la responsabilité d’avoir aggravé des situations. Ce risque existe objectivement et il faut donc mettre en place les moyens appropriés. Car imaginons qu’on réussisse à dissuader 80% des clients, que vont devenir les prostituées ? C’est notre premier problème. Il faut se donner les moyens d’y faire face.

M. le président Guy Geoffroy. Merci beaucoup, madame la ministre.

Audition de M. Manuel Valls, ministre de l’Intérieur

(extrait du procès-verbal de la séance du 14 novembre 2013)

M. le président Guy Geoffroy. Monsieur le ministre, nous vous remercions d’avoir répondu à l’invitation de notre Commission. Nous avons déjà auditionné Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé, et Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice, et il nous semblait indispensable de vous entendre également.

Certains aspects de la proposition de loi sont directement liés aux problèmes dont vous avez la charge. Nous devons nous préoccuper de la santé et de la sécurité des personnes prostituées, et nous interroger sur la place de la prostitution au sein de notre société et de nos institutions ; mais ce phénomène renvoie également à la question de l’ordre public, ne serait-ce que parce que plus de 80 % des personnes prostituées sont étrangères, le plus souvent en situation irrégulière.

En prévoyant leur régularisation temporaire – puis éventuellement définitive –, la proposition de loi aborde le problème de la sortie de la prostitution. Elle appréhende également l’application de la directive européenne conduisant à la suppression de facto du délit de racolage, et contient enfin une disposition – qui cristallise l’attention médiatique alors qu’elle n’a de sens qu’au sein du dispositif global – tendant à responsabiliser, et éventuellement à pénaliser, les clients. Si ces mesures sont adoptées, comment les mettrez-vous en œuvre ?

M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur. Le travail que vous avez conduit, avec l’engagement et la force des convictions que l’on vous connaît, trouve aujourd’hui un aboutissement dans le dépôt d’une proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel.

Je remercie aussi Maud Olivier et Catherine Coutelle, que j’ai eu le plaisir de rencontrer place Beauvau lors des travaux préparatoires à ce texte. Vous avez fourni tous ensemble un travail de qualité, et le débat public devra se hisser à la même hauteur afin d’éviter les pièges des divisions partisanes et des rhétoriques dépassées qui ne recoupent pas forcément les frontières traditionnelles du débat public.

Il n’est pas neutre d’avoir choisi, dans l’intitulé de votre proposition de loi, l’expression de « système prostitutionnel » plutôt que celle de « prostitution ». Cette formulation traduit toute la complexité d’un phénomène dans lequel sont étroitement imbriquées les problématiques de l’offre et de la demande, la dimension nationale et internationale, le traitement social de la prostitution et la répression de ceux qui l’exploitent, le consentement revendiqué de certaines à vendre leur corps et leur sexualité, et l’aliénation la plus totale, celle de l’esclavage dans lequel sont tenus des milliers de femmes et parfois d’hommes.

Pour le ministère de l’intérieur, la prostitution renvoie essentiellement à la lutte contre un système criminel, celui des réseaux de traite et de proxénétisme, organisations criminelles structurées de façon très intégrée et très sophistiquée. Très intégrées, ces organisations déploient une logistique importante pour recruter les futures prostituées – exploitant la misère, usant de tromperie et parfois de rapt –, les acheminer de manière le plus souvent irrégulière de leur pays vers les pays plus riches – achetant billets d’avion et faux papiers –, les conditionner, dans des conditions sordides et violentes, les contrôler et les surveiller afin de garantir le silence – au besoin par des menaces exercées contre les proches restés au pays –, les « protéger » contre d’autres réseaux, les assigner à un territoire donné pour garantir un rendement, et enfin collecter des fonds et les blanchir.

Au-delà de la maîtrise de tout un processus quasiment industriel visant à transformer le corps et le sexe en marchandise, le caractère intégré de ces organisations se mesure aussi à leur capacité à articuler les dimensions nationale et internationale de la traite et du proxénétisme. Elles profitent de la faiblesse de certains États et exploitent les failles des coopérations internationales pour conforter leurs réseaux. Nous estimons à 20 000 au moins le nombre de prostituées exerçant en France, dont 80 à 90 % d’origine étrangère, venues des pays de l’est de l’Europe, d’Afrique – notamment du Nigeria –, d’Amérique latine ou encore de Chine. Coupées de tout environnement familial ou amical, ayant reçu peu d’instruction, dépersonnalisées et souvent violentées, otages de leur condition d’irrégulières, ces femmes représentent des proies faciles et dociles qui rapporteraient aux mafias européennes plus de 2 milliards d’euros par an.

Pour parfaire ce processus d’intégration, les réseaux ont su prendre le train de l’Internet : ils ont acquis la maîtrise des nouvelles technologies, qui servent désormais à organiser de l’étranger les flux de prostitution vers toutes les villes d’Europe, notamment au moyen des « city tours » dont le fonctionnement a déjà été décrit à votre Commission. Plus simplement, c’est aussi sur la toile que se déporte aujourd’hui l’ancienne prostitution de voie publique. C’est là que se prennent désormais les rendez-vous et que s’organisent les transactions, à l’abri des risques de la rue – résultant tant du comportement des clients que des contrôles policiers.

Ces organisations criminelles se distinguent aussi par leur sophistication. Les réseaux sont structurés selon des organigrammes complexes, obéissant à des lois internes d’une rigueur absolue, articulant des fonctions très codifiées. Ils présentent souvent une grande porosité avec d’autres réseaux criminels, notamment ceux de trafiquants de stupéfiants. Disposant d’importantes ressources, ces organisations comptent dans leurs rangs des individus capables d’analyser les législations nationales afin d’optimiser les coûts des trafics et de faciliter leur implantation. Ils ont également appris à concevoir et à commercialiser les produits financiers, juridiques et fiscaux destinés à organiser le blanchiment de l’argent sale apporté par la prostitution.

Opérant du niveau le plus fin – celui du quartier, voire du hall d’immeuble – au niveau le plus global – l’Europe et le monde –, ces réseaux tiennent sous leur emprise une main-d’œuvre asservie, des intermédiaires monnayés, des hommes de mains inféodés, des territoires servant de base de repli et d’abri. C’est cette organisation qui leur permet de fonctionner et de centraliser des fonds entre les mains de quelques-uns.

Ce constat est sévère – et doit parfois être nuancé –, mais il faut le connaître pour légiférer efficacement. Au-delà de l’emprise sur des personnes, nous devons aussi lutter contre celle qui s’exerce sur des territoires ; en ce sens, il s’agit non seulement d’une question de société, mais aussi d’un enjeu démocratique.

Face à ces organisations criminelles intégrées et sophistiquées, nous menons un combat difficile et parfois inégal. Dans cette lutte, les témoignages et les plaintes de victimes de la traite des êtres humains restent essentiels pour qu’aboutissent les enquêtes et pour démanteler les réseaux. Le législateur l’a bien compris en permettant la régularisation des femmes qui osent cette démarche. Cette procédure est indispensable, elle protège des femmes et aide les forces de l’ordre et la justice à obtenir des éléments de preuve incontournables. Chaque année, une cinquantaine de femmes sont ainsi régularisées.

La proposition de loi prévoit, au 1° de l’article 6, le renouvellement de plein droit de ce titre de séjour pendant toute la procédure pénale. J’y suis bien évidemment favorable ; si le préfet doit pouvoir exercer au départ un pouvoir d’appréciation – afin d’éviter de devoir délivrer un titre alors que la plainte ou le témoignage serait fantaisiste, j’invite à éviter toute automaticité dans ce domaine –, en revanche, si la procédure pénale est enclenchée, le titre doit être renouvelé pendant toute la durée de celle-ci. C’est même une bonne chose de le préciser dans la loi, pour ne laisser aucune ambiguïté sur ce point.

Par ailleurs, la proposition de loi veut répondre au cas de personnes étrangères en situation irrégulière qui souhaitent sortir de la prostitution, mais ne peuvent ou ne veulent dénoncer le réseau dont elles ont été les victimes. C’est une situation bien différente : il ne s’agit pas ici de faciliter l’obtention de témoignages, mais de répondre humainement à des situations difficiles.

C’est en ce sens que j’y suis favorable, à deux conditions – qui me semblent respectées par la proposition de loi. Tout d’abord, le préfet doit conserver un pouvoir d’appréciation : il ne saurait suffire qu’un étranger se déclare victime d’un réseau de traite pour se voir remettre de plein droit un titre de séjour. Cela conduirait à des détournements ou, à l’inverse, aux appréciations trop restrictives des juges ou des préfectures. Il faut ensuite que le titre de séjour permette à ces personnes de se reconstruire, de trouver un emploi – mais leur droit au séjour doit rester moins favorable que celui reconnu à celles qui dénoncent les réseaux ; sinon, demain, nous n’aurons plus aucun témoignage, aucune plainte et donc aucun moyen d’agir.

La durée proposée de six mois me paraît donc raisonnable : elle permet d’enclencher un parcours vertueux de sortie de la prostitution, qui, s’il est poursuivi, permettra à l’étranger de renouveler son titre. Et si la personne souhaite, à un moment de ce parcours, témoigner contre le réseau dont elle a été victime, elle pourra alors bénéficier d’un titre de séjour d’un an, voire d’une carte de résident si la procédure pénale aboutit.

La proposition de loi marie ainsi deux exigences : assurer un droit au séjour dérogatoire et incitatif pour les personnes qui prennent le risque de dénoncer un réseau de traite ; et prendre en compte, pour la première fois, le cas des étrangers qui souhaitent sortir de la prostitution sans vouloir s’engager dans une procédure pénale contre leurs agresseurs. C’est parce qu’elle maintient cet équilibre que la proposition de loi constitue à mes yeux une avancée réelle du point de vue du droit du séjour.

La proposition de loi prévoit, en son article 7, une extension du bénéfice de l’allocation temporaire d’attente (ATA) aux personnes se déclarant victimes d’un réseau de traite. Cette mesure m’apparaît prématurée : bien qu’impossible à calculer avec précision, son coût budgétaire n’est pas neutre ; de plus, les personnes concernées ayant droit au travail, il n’est pas nécessaire de leur octroyer une allocation supplémentaire. Je suis donc sur ce point plus réservé : mettons d’abord en place cette autorisation de séjour, et évaluons, dans un an ou deux, les forces et les limites de ce dispositif, avant de décider s’il convient d’assortir le droit au séjour avec autorisation de travail d’une allocation de subsistance.

Enfin, et c’est un point fort de votre proposition de loi, considérant à juste titre que l’immense majorité des prostituées sont avant tout des victimes de la traite et de la criminalité, vous entendez responsabiliser les clients en pénalisant l’achat de services sexuels. Cette disposition s’inscrit non seulement dans un souci de justice – ne pas sanctionner celles qui sont en fait les premières victimes –, mais aussi dans une stratégie qui vise à limiter la demande pour réduire l’offre, si vous m’autorisez cette expression économique. Il y a là une forte dimension symbolique, politique et sociétale. Procédant d’une analyse du marché de la prostitution qui porte à son paroxysme la détérioration des termes de l’échange entre les pays pauvres et les pays riches, elle s’appuie sur les résultats encourageants qu’ont engendrés les mesures de même inspiration dans certains pays de l’Europe du Nord – comme la Suède – ou d’Amérique du Nord – comme le Canada ou la ville de New York. Responsabiliser les clients, rappeler que rien ne peut justifier de collaborer, à quelque niveau que ce soit – fût-ce par le seul achat d’une « passe » –, à cette vaste entreprise d’avilissement de milliers d’êtres humains : voilà des objectifs que je partage et une ambition que je fais mienne !

En même temps, vous proposez d’abroger le délit de racolage public. L’abrogation du racolage actif figure parmi les engagements du Président de la République, et le Gouvernement soutient, bien entendu, votre initiative. Avant l’entrée en vigueur du nouveau code pénal, le racolage actif était considéré comme une contravention de cinquième classe, et le racolage passif, de troisième classe. Le nouveau code pénal, entré en vigueur le 1er janvier 1994, n’a maintenu que la répression du racolage actif, en tant que contravention de cinquième classe. L’article 225-10-1 du code pénal, instauré par la loi du 18 mars 2003, réprime d’une peine de deux mois d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende le délit de racolage public qui fusionne en quelque sorte les deux précédents.

Les nombreux services enquêteurs que vous avez rencontrés durant vos travaux vous ont tous indiqué que le délit de racolage public leur était utile à deux titres. Tout d’abord, les mesures répressives qu’il autorise aident à la connaissance des réseaux, permettant paradoxalement de mieux protéger celles qui sont à la fois mises en cause et victimes. La prise d’empreintes lors de la garde à vue, les auditions, les infiltrations numériques sur la base de ce délit permettent d’accumuler toute une série de renseignements qui, sans déboucher forcément sur des enquêtes et des résultats immédiats et tangibles, se révèlent indispensables à la compréhension du fonctionnement des réseaux. Ensuite, le délit de racolage constitue un outil indispensable de gestion d’ordre public, notamment dans les centres villes ou autres lieux publics. Il permet de répondre à la demande de riverains excédés tant par le racolage lui-même que par les nuisances qui l’accompagnent : ballet de véhicules et défilé de passants, bagarres avec les clients ou entre prostituées.

Pourtant, la relation entre le nombre de racolages publics constatés et le démantèlement de réseaux de proxénétisme reste aujourd’hui incertaine. En effet, selon le rapport de la commission des lois du Sénat, publié à l’occasion de l’adoption, le 28 mars 2013, de la proposition de loi portant abrogation de ce délit, le casier judiciaire national enregistre, depuis 2003, chaque année, de façon relativement stable, environ 600 à 800 condamnations pour proxénétisme aggravé, sans lien apparent avec l’évolution du nombre de gardes à vue décidées pour racolage. Ainsi, selon l’état 4001, 5 152 faits de racolage ont été constatés en 2004 et 2 679 en 2012, ayant donné lieu à 4 712 en 2004 et 1 668 gardes à vue en 2012 ; 52 réseaux de proxénétisme liés à la criminalité organisée ont été démantelés en 2012 sur le territoire national ; 65 % des malfaiteurs sont d’origine étrangère, venant d’Europe de l’Est, d’Afrique, de Chine et d’Amérique centrale. Enfin, non seulement le nombre d’affaires poursuivies du chef de racolage public a beaucoup baissé depuis la création du délit, mais encore les peines prononcées à ce titre restent peu significatives, quand il ne s’agit pas de simples rappels à la loi.

Au regard de tous ces constats, la suppression de ce délit peut apparaître logique, la recherche de renseignements ne pouvant en justifier, à elle seule, la survivance. Cependant – j’insiste sur ce point – il nous faudra obtenir ces renseignements par d’autres moyens, avec un risque de déperdition d’informations, notamment dans le domaine des investigations sous pseudonyme sur Internet.

En outre, en tant que ministre de l’intérieur, je reste attaché à la préservation d’outils permettant de réguler les débordements de la prostitution sur l’espace public, qui dégradent le vivre ensemble et détériorent la qualité de vie de nombreux quartiers. Le préfet de police de Paris ne dirait pas autre chose ! J’ai donc toujours conditionné la suppression de ce délit au maintien d’outils de gestion de l’ordre public à disposition des forces de sécurité. Je ne peux accepter qu’aucune réponse ne soit apportée, avec tous les risques que nous connaissons, à une population excédée par des troubles réels. Faisons aussi attention au caractère symbolique de toute abrogation si l’on ne prévoit aucun outil de remplacement, permettant d’agir avec efficacité, même si ce n’est pas la même efficacité – car il peut en effet y avoir un doute sur son efficacité.

De ce point de vue, au-delà du symbole qu’elle constitue, la pénalisation de l’achat de services sexuels, censée se substituer à celle du racolage, doit être suffisamment dissuasive pour offrir aux forces de l’ordre les moyens de prévenir les troubles sur la voie publique. Ainsi, contraventionnaliser ces faits permettra de procéder aux contrôles d’identité des clients des prostituées, en les soustrayant à un anonymat auquel ils tiennent. La pénalisation de l’achat de services sexuels doit aussi devenir un signal à destination des réseaux qui ne doivent pas voir dans l’abrogation du délit de racolage un signe de libéralisation encourageant le déplacement des victimes exploitées vers la France. Il doit apparaître clairement que nous ne tolérons pas la prostitution et ne baisserons pas la garde.

Toutefois, au-delà de la gestion de l’ordre public, les forces de sécurité, j’en ai discuté avec elles, rencontreront des difficultés pour administrer la preuve d’un achat d’une relation tarifée : d’une part, celle-ci se fait rarement en public, et il est rare de la constater en flagrant délit, et d’autre part, la prostituée risque de couvrir son client, par intérêt mutuel. Mais cette difficulté, soyons honnêtes, existe aussi dans le cas du racolage.

Mesdames et messieurs les députés, nous sommes réunis autour d’un objectif commun : le démantèlement des réseaux de traite et de prostitution, la lutte contre une gestion industrielle du sexe et des corps, le refus de l’asservissement des plus pauvres et des plus faibles. Soyez assurés de mon soutien : je partage votre volonté d’avancer sans préjugés, avec le souci de la justice et de l’efficacité, et ne doute pas que dans le cadre des débats qui accompagneront ce texte, nous pourrons cheminer ensemble.

M. le président Guy Geoffroy. Merci, monsieur le ministre, pour ce propos introductif complet, qui témoigne bien de la complexité du sujet.

Vous avez évoqué la recherche d’un point d’équilibre entre l’ancien délit de racolage – qui serait abrogé aux termes de cette proposition de loi – et le nouveau dispositif, qui ne serait pas d’abord délictuel mais contraventionnel, visant la demande et l’achat de services sexuels. Dans ce domaine, l’une de nos difficultés vient du calendrier : en effet, afin de donner toute sa place au travail de sensibilisation, d’information et d’éducation, les nouvelles dispositions ne pourront entrer en vigueur que six mois après la promulgation de la loi, alors que la suppression du délit de racolage – qui découle d’ailleurs largement des dispositions de la directive européenne sur la traite des êtres humains – serait, d’après les juristes, d’application immédiate. Au-delà de l’effet d’affichage, cette période intermédiaire risque de fragiliser la crédibilité et l’efficacité des nouvelles dispositions. Vous dites souhaiter le maintien des outils permettant d’assurer l’ordre public : quelles mesures pourraient vous permettre de garantir tant l’efficacité de l’action publique que la pertinence et la crédibilité du nouveau dispositif légal ?

M. le ministre. Cela dépendra de la forme finale que vos débats donneront à ce texte de loi. La lutte contre les troubles à l’ordre public incombant avant tout aux maires et aux préfets, ceux-ci pourront prendre des d’arrêtés pour interdire la circulation et le stationnement des prostituées et de leurs clients, dans un espace et durant un temps donnés. Par ailleurs, classer l’achat de services sexuels parmi les contraventions de cinquième classe permettra de contrôler l’identité des clients et produira un effet dissuasif, si l’on en croit l’expérience étrangère. Pour la période intermédiaire, je suis prêt à considérer la possibilité de maintenir l’usage des outils existants – à abroger ou à proroger ensuite –, en dialogue avec la garde des sceaux. En tout état de cause, cette phase exigera peut-être une présence renforcée des forces de l’ordre sur le terrain, afin de décourager les abus.

Mme Maud Olivier, rapporteure. Nous n’avons pas pu auditionner le groupe de travail qui s’est intéressé à la question du blocage des sites Internet. Quel calendrier ses travaux suivent-ils ? Quelles pistes propose-t-il d’explorer afin d’obliger les opérateurs à empêcher l’accès aux sites de prostitution en ligne ?

Tant l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH) – qui, je crois, ne dispose que de 30 personnes sur le territoire national – que les juridictions interrégionales spécialisées (JIRS) semblent avoir besoin de moyens supplémentaires pour lutter efficacement contre les réseaux de proxénétisme.

Comment travaillez-vous avec les pays d’origine des personnes amenées en France pour y être prostituées ? Quel type de conventions parvenez-vous à mettre en place ? La coopération semble bien fonctionner avec la Roumanie, mais d’autres pays la refusent ; comment les amener à lutter avec nous contre les réseaux installés chez eux ?

M. le ministre. L’article 1er de la proposition de loi prévoit d’étendre aux faits de proxénétisme l’obligation de signalement qui incombe aux fournisseurs d’accès à Internet et les possibilités de blocage administratif de sites de prostitution en ligne. Si je suis évidemment favorable au premier point, le second soulève des difficultés techniques et juridiques bien connues.

Au début de l’été 2013, on a constitué un groupe de travail interministériel sur la cybercriminalité, chargé de formuler des propositions susceptibles de renforcer l’efficacité de la lutte contre la criminalité sur le net – une des priorités de mon action. Fin décembre, lorsqu’il aura rendu ses conclusions, nous disposerons d’une expertise sûre – fruit du travail conjoint des ministères des finances, de l’économie numérique, de la justice et de l’intérieur – qui nous permettra d’amender la proposition de loi afin d’en parfaire le volet répressif.

S’agissant des moyens, la Direction centrale de la sécurité publique réunit environ 800 policiers – répartis entre 50 sûretés départementales et quelques brigades de sûreté urbaine – qui luttent contre les infractions liées aux mœurs. Au sein de la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ), l’OCRTEH regroupe 16 enquêteurs, et aurait, en effet, besoin d’au moins dix policiers supplémentaires. À la préfecture de police, la Brigade de répression du proxénétisme (BRP) emploie une cinquantaine de policiers ; la police judiciaire de Marseille abrite également une BRP qui réunit actuellement une douzaine de policiers – et devra en réunir 16 ou 18 en 2014. À la Direction générale de la gendarmerie nationale, la division de lutte contre la cybercriminalité regroupe une trentaine d’enquêteurs ; la gendarmerie dispose également, sur l’ensemble du territoire, d’un réseau de 250 enquêteurs formés aux nouvelles technologies. En outre, les 1 600 gendarmes affectés à la quarantaine de sections de recherche (SR) peuvent également être amenés à traiter des affaires de proxénétisme.

Il n’en reste pas moins que nous devons renforcer nos dispositifs, car dans certaines villes, les moyens font défaut. Mon conseiller police, Jean-Paul Pecquet, connaît bien ces questions pour avoir été directeur de la sécurité publique à Grenoble – ville où la police, la justice et la municipalité sont depuis longtemps confrontées à la prostitution. Certaines sûretés départementales manquent de moyens, voire de formation pour s’attaquer à ces phénomènes. Mais vous renvoyez là au débat sur la répartition des moyens de la police et de la gendarmerie, avec, ici, une difficulté : il faut à la fois donner des moyens aux différents offices chargés de lutter contre le crime organisé mais aussi veiller à ce que les nouveaux moyens soient aussi affectés à la voie publique.

Pour ce qui est de la coopération internationale, tous les pays d’Europe occidentale sont touchés par les mêmes réseaux de criminalité organisée, à des degrés divers en fonction de leur système de prévention et de répression de la prostitution. Les réseaux d’exploitation sexuelle, quant à eux, se déplacent en fonction de la demande de prostitution et de la répression policière, selon des itinéraires plus ou moins établis. Ils exploitent les failles des différents dispositifs législatifs européens, s’appuient sur la libre circulation au sein de l’espace Schengen et s’adaptent quotidiennement aux actions policières, déplaçant leurs victimes au-delà de nos frontières.

Nous avons engagé depuis plusieurs années une coopération opérationnelle bilatérale avec des pays sources de la prostitution, en particulier avec la Roumanie et la Bulgarie qui, depuis leur entrée dans l’Union européenne en 2007, emploient efficacement les outils que sont les mandats d’arrêt européens et les équipes communes d’enquête. Cela permet, dans un contexte législatif qui n’est pas unifié, de renforcer l’efficacité des dispositifs de lutte mis en place avec ces pays et de démanteler les réseaux dans leur intégralité au-delà de nos frontières. La création d’équipes communes d’enquête coordonnées par Eurojust est aussi un axe d’investigation prioritaire, dès lors qu’une procédure est ouverte dans chacun des deux pays sur une même affaire.

Les bases d’une coopération opérationnelle avec la République populaire de Chine en matière de lutte contre les réseaux ont été posées depuis la fin de 2010 par mes prédécesseurs. La réception de plusieurs délégations chinoises depuis trois ans a permis d’asseoir la volonté commune de nos deux pays de lutter efficacement contre la criminalité organisée. Je ne doute pas qu’il existe encore des marges de progression.

Quant au Nigéria, après de très nombreuses tentatives demeurées vaines à ce jour, l’Office central a renoncé à essayer d’engager une coopération opérationnelle et stratégique avec les autorités de ce pays dont les réseaux criminels exploitent la prostitution des jeunes filles. La corruption généralisée et le manque de volonté manifeste des autorités entraînent un blocage incontournable susceptible de mettre en péril les familles des victimes exploitées en Europe.

Enfin, la coopération internationale se joue aussi, au niveau de l’Office, avec Europol, Eurojust et Interpol dans leurs domaines de compétence. L’Office alimente systématiquement le fichier Phoenix d’Europol sur la traite des êtres humains avec des données opérationnelles issues des dossiers d’enquête, et s’appuie sur Interpol pour développer des coopérations avec des pays n’appartenant pas à l’Union européenne. Il existe donc des pistes intéressantes et un travail est en cours, mais de nombreuses améliorations restent encore à réaliser, notamment dans la coopération avec certains pays sources.

Mme Ségolène Neuville. Dans les départements frontaliers de pays qui n’ont pas la même législation que la France, je pense à l’Espagne, l’adoption de la proposition de loi creuserait encore l’écart. Ainsi, la responsabilisation du client pourrait nous exposer à l’accusation d’encourager l’achat d’actes sexuels dans les bordels situés du côté espagnol de la frontière, où il n’est pas interdit. Selon la garde des sceaux, à qui j’ai posé la question hier, il serait très complexe d’ajouter une clause d’extraterritorialité, qui existe pourtant pour certains délits et crimes, notamment la pédophilie. Pourriez-vous nous aider dans notre réflexion ?

M. le ministre. Je peux vous aider et j’en prends l’engagement. J’ai déjà évoqué avec mon homologue espagnol ce sujet difficile, qui relève des politiques des États et de la législation de la Généralité de Catalogne. Sans une coopération policière – qui du reste existe déjà – et sans une harmonisation des législations avec les pays voisins, nous n’aboutirons pas. Je connais votre combat acharné et vous avez bien raison de le mener, car il est insupportable que des bordels soient installés à quelques centaines de mètres de la frontière française.

M. Philippe Goujon. Monsieur le ministre, j’ai bien senti votre embarras, pris que vous êtes entre l’engagement du Parti socialiste de supprimer le délit de racolage public et le fait que vos services soulignent l’efficacité de ce délit, qui est l’un des rares outils permettant une prise de contact avec les prostituées – à des fins qui ne sont d’ailleurs pas toujours répressives.

À Paris, l’existence de ce délit permet de contenir efficacement le développement de la prostitution de voie publique, en particulier dans des secteurs où il a tendance à prendre des proportions massives. La création du délit de racolage passif, voici quelques années, a permis de réduire encore l’intensité de l’activité prostitutionnelle. Il s’agit donc d’un outil indispensable, auquel nous avons d’ailleurs largement recouru dans les années 1990, à l’initiative d’Édith Cresson et de Jacques Chirac pour faire reculer la prostitution dans le Bois de Boulogne.

Je tiens donc à mettre en garde les pouvoirs publics : la suppression du délit de racolage public vous privera des moyens de contenir la prostitution de voie publique à Paris, dans certaines grandes villes et dans certains quartiers sensibles. La pénalisation du client, à laquelle je suis par ailleurs favorable, ne se substituera pas à cet outil, car elle ne permettra pas à la police d’exercer un contrôle sur la voie publique.

M. le ministre. Je ne suis pas « embarrassé ». Le sujet est compliqué, et j’ai honnêtement rappelé les avantages et les inconvénients du dispositif existant. Au demeurant, le délit de racolage fait l’objet d’une très faible réponse pénale, qui traduit l’ambiguïté d’une situation où la personne prostituée est à la fois auteur et victime.

La proposition de loi adopte une logique différente : la contravention de cinquième classe envisagée pour pénaliser l’achat de services sexuels permettra de contrôler l’identité du client et, si l’on en croit les expériences menées à l’étranger, aura elle aussi un effet dissuasif. Si votre assemblée différait l’abrogation du délit et la mise en œuvre de cette nouvelle disposition, des actions de formation pourraient être lancées à l’intention de l’ensemble des forces de police et de gendarmerie concernées par la lutte contre ce phénomène.

Les policiers redoutent une situation dans laquelle aucun dispositif ne s’appliquerait plus. Il faut donc aller jusqu’au bout du débat et étudier, comme vous êtes en train de le faire, l’efficacité du dispositif proposé. En tout état de cause, il est un peu rapide d’affirmer que le délit de racolage a permis d’éloigner la prostitution de nos centres-villes et de la réduire.

M. Philippe Goujon. Cela dépend de la politique pénale et du garde des sceaux.

M. le ministre. Regardons les chiffres : en 2004, on dénombrait 5 152 faits constatés, 4 712 gardes à vue et 1 081 défèrements. Depuis 2008, le nombre de faits constatés est de l’ordre 2 500, pour 1 500 gardes à vue. Quant aux personnes déférées, leur nombre est passé de 89 en 2007 à 76 en 2008 et à 40 en 2009, puis 61 en 2010, 391 en 2011 et 694 en 2012 – et, à Paris, le Parquet poursuit.

Ce débat n’est pas idéologique et ne relève pas des oppositions politiques traditionnelles. Il doit porter en revanche sur l’efficacité des mesures, présentes et à venir.

Mme Sandrine Mazetier. Merci, monsieur le ministre, pour votre exposé clair et factuel.

Les personnes auditionnées par notre commission spéciale, notamment les membres des forces de police et de la gendarmerie, ont exprimé des points de vue quelque peu contradictoires quant à la possibilité de recourir à des techniques spéciales d’enquête sur Internet, comme l’infiltration ou l’usage de pseudonymes, ou quant au fait de savoir si l’arsenal législatif applicable à l’Internet était suffisant. Ne serait-il pas possible de compléter cet arsenal dès la première lecture du texte ?

En second lieu, au vu de la difficulté avec laquelle mes collègues et moi-même obtenons des visas de court séjour pour des étrangers désireux de venir en France pour des mariages ou pour rendre visite à leurs proches, nous comprenons mal comment des réseaux peuvent faire circuler si aisément, à travers l’Europe, des personnes prostituées. Il y aurait comme des vigilances différenciées.

Je dois maintenant relayer l’inquiétude exprimée par certaines associations et personnes prostituées concernant la substitution de la responsabilisation du client au délit de racolage, non sans entendre les plaintes exprimées par le voisinage face aux troubles à l’ordre public induits par la prostitution – ma circonscription, qui couvre notamment une partie des boulevards des Maréchaux et le Bois de Vincennes, est du reste très concernée par cette question, quelles que soient les législations.

On voit coexister au Bois de Vincennes une prostitution « traditionnelle » et celle des réseaux de traite. Selon certaines associations, le délit de racolage permettait aux forces de police d’exercer une sorte de pression : il y aurait une forme d’accord avec les prostituées traditionnelles pour que la police inquiète, pour racolage en vue d’un placement en garde à vue, plutôt les prostituées victimes de la traite. La responsabilisation du client pourrait donner lieu à une nouvelle forme de pression, les policiers pouvant menacer d’inquiéter les clients de telle personne plutôt que de telle autre, en fonction de sa docilité.

En tout état de cause, monsieur Goujon, vous me semblez optimiste, car je n’ai pas observé, pour ma part, de diminution du fait prostitutionnel – loin de là. Les riverains et les usagers du Bois ne comprennent pas pourquoi il reste encore autant de personnes prostituées victimes de la traite alors que le délit de racolage pourrait permettre de procéder à des gardes à vue bien plus nombreuses.

Mme Nicole Ameline. Monsieur le président, je tiens à vous féliciter d’avoir abordé le problème de la prostitution sous l’angle de la traite des êtres humains.

Alors que, partout dans le monde, le phénomène s’amplifie, la solution réside dans la coopération internationale, pour laquelle nous disposons du processus de Palerme et d’une nouvelle directive européenne – qui n’est cependant appliquée encore que par 7 pays européens.

Je soutiens pleinement la proposition de loi, mais sans doute faudrait-il que la France prenne une initiative à l’échelle européenne pour renforcer la prise de conscience et l’application des directives en vigueur. Peut-être faudra-t-il aussi réévaluer l’incrimination et les sanctions contre les réseaux, car l’ampleur du phénomène en fait pratiquement un crime contre l’humanité. En termes économiques, la traite des êtres humains offre un retour sur investissement qui dépasse celui des trafics d’armes et de drogue, auxquels elle est d’ailleurs souvent liée.

M. le ministre. Madame Ameline, au moment même où nous parlons, Mme Vallaud-Belkacem intervient à Lyon dans le cadre de la deuxième conférence mondiale d’Interpol consacrée au trafic d’êtres humains. C’est à ce niveau international et européen que nous devons agir en effet.

Madame Mazetier, dans tous les domaines - domaines qui se confondent d’ailleurs, trafic de drogues et trafic d’êtres humains – les criminels ont un temps d’avance sur nous. Ils disposent de moyens considérables – moyens de déplacement, moyens financiers issus de la traite d’êtres humains et qui leur permettent de corrompre des administrations, dans certains pays européens. Heureusement qu’il ne vous est pas facile d’obtenir un visa ! – mais c’est parce que vous respectez la loi. Une très grande vigilance s’impose, car les réseaux criminels, très organisés, ont les moyens d’obtenir les documents qui leur permettent d’agir sur notre territoire.

Je regarderai de près ce qui se passe au Bois de Vincennes et ailleurs. Ce qui intéresse les policiers, c’est de démanteler des réseaux. Les nuisances observées à Vincennes, à Boulogne, sur les boulevards des Maréchaux ou à Grenoble, que j’évoquais, – sur l’avenue même qui part de la gare – sont une réalité insupportable, la nuit et parfois même le jour. Un travail de police se fait auprès des prostituées, qui peuvent fournir certains renseignements. Nous ne sommes pas dans un monde idéal où tout serait parfait, la réalité est complexe. Je reparlerai de cette question au préfet de police.

Certaines des personnes que vous avez auditionnées ont déclaré que l’arsenal juridique destiné à lutter contre l’exploitation de la prostitution sur Internet était globalement satisfaisant. Les freins limitant son efficacité résident dans la difficulté de mettre en œuvre une coopération internationale efficace, notamment pour le démantèlement des réseaux utilisant des sites d’escorts et d’annonces spécialisées, systématiquement hébergés dans les pays d’origine des prostituées – en Russie, en Biélorussie, en Ukraine et dans le pays baltes, avec lesquels nous travaillons, mais également en Suisse ou aux États-Unis. Les difficultés de mise en œuvre s’expliquent par la disparité des législations nationales ou par l’absence de volonté des autorités des pays concernés, notamment en raison de la corruption.

Enfin, il est actuellement impossible de quantifier la prostitution par le vecteur d’Internet. Elle doit cependant être mise en relation avec la recrudescence des agressions, des vols et des viols commis à l’encontre des prostituées effectuant leurs prestations dans des chambres d’hôtels ou des appartements, en région parisienne comme dans les villes des régions.

Notre travail doit s’inscrire dans le dispositif législatif français consacré à la répression du proxénétisme et de la traite des êtres humains, ainsi que dans les dispositions spécifiques relatives à la lutte contre la criminalité organisée, qui permettent l’enquête sous pseudonyme, les perquisitions informatiques, la captation des données informatiques, la réquisition et la saisie de données informatiques – je pense à la conservation, pour une durée ne pouvant excéder un an, du contenu des données consultées par les personnes utilisatrices des services – et le décryptage. L’infiltration peut également être étendue à d’autres infractions. Le groupe de travail que j’ai évoqué étudie cela. Il est évident que l’Internet est pour nous une priorité.

Mme Kheira Bouziane. Monsieur le ministre, la question que je voulais formuler ayant déjà été posée par Mme Olivier, je me contente de vous remercier de la sincérité avec laquelle vous y avez répondu.

Mme Catherine Coutelle. Il en est de même pour moi. Je vous remercie pour la précision de vos réponses et de vos analyses, qui nous permettent de nous sentir confortés dans le travail engagé par le Parlement. Nous partageons vos analyses de la prostitution et du système prostitutionnel et, dès lors que nous voulons une nouvelle législation, il nous faudra en mesurer l’efficacité – nous avons d’ailleurs prévu à cet effet un système d’évaluation.

Je tiens aussi à souligner qu’Eurostat vient de publier, pour la première fois, des chiffres relatifs à la traite en Europe. Bien que les pays ne puissent fournir à ce propos que des réponses incomplètes, cette traite semble avoir augmenté de 17 % entre 2008 et 2012 à l’intérieur de l’Europe et aux frontières de celle-ci. Il s’agit là d’un sujet majeur.

La procureure suédoise nous a par ailleurs fait part de l’intention de la Suède d’aller chercher les biens des mafieux, notamment dans les pays baltes et en Roumanie. Il nous faut donc savoir comment renforcer la recherche de réseaux, car nous souhaiterions alimenter un fonds d’aide à la sortie de la prostitution par la saisie des biens des réseaux, des proxénètes et des mafieux, et nous avons besoin pour cela d’argent public. Les mafieux comprennent très vite le sens d’une législation et ils s’y adaptent : il s’agit de leur donner un signal.

Nous voulons inverser la charge, en faisant des personnes prostituées des victimes et en plaçant le client du côté de l’offre. Je souligne aussi que nous avons transposé, en août 2013, une directive européenne prescrivant de ne plus considérer les personnes prostituées comme des coupables, mais comme des victimes. Notre droit devra être cohérent avec cette directive.

Il nous faut aussi faire de la formation et de l’information. Je ne suis pas certaine qu’un report de la suppression du délit de racolage serait constitutionnel, mais une campagne d’information sur le thème : « Aimeriez-vous que votre fille se prostitue ? » marquerait les esprits, comme cela a été le cas en Espagne.

Nous voulons une loi pragmatique, utile et efficace et nous entendons toutes les interrogations à cet égard.

M. Éric Woerth. Chacun cherche une réponse à ce fléau, à droite comme à gauche, et cette réponse n’est pas facile. La pénalisation des clients – et pourquoi pas, d’autres pays l’ont testée - ne revient-elle pas à interdire de fait la prostitution ? Avez-vous pu mesurer des conséquences cachées de cette mesure dans les pays qui l’ont adoptée ? La police a-t-elle fait remonter des inquiétudes dans ce sens, la solution serait alors pire que le mal. Je ne le pense pas mais cela pourrait être le cas.

Par ailleurs, le délit de racolage et la pénalisation des clients ne pourraient-ils pas coexister ? Ne serait-ce pas une manière d’agir en même temps sur l’offre et sur la demande – étant entendu, naturellement, que les prostituées doivent être considérées comme des victimes ?

M. le ministre. Madame Bouziane, je vous remercie de vos appréciations.

Madame Coutelle, la politique de saisie et de recouvrement des avoirs criminels qui s’applique en France, grâce à l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC), pourrait inspirer des dispositifs similaires chez nos voisins. Je suis très favorable à un renforcement de la coopération européenne dans la lutte contre la criminalité organisée. Cette question est du reste évoquée avec mes homologues dans le cadre des conseils des ministres sur la justice et les affaires intérieures (JAI). J’ai en outre rencontré cette semaine le ministre géorgien, et rencontrerai la semaine prochaine les ministres de l’intérieur du Kosovo et de l’Albanie à l’occasion d’un salon important. Il faut renforcer la coopération car, depuis la chute du mur de Berlin et l’ouverture des frontières dans l’espace Schengen, les réseaux criminels ont su en tirer parti.

Monsieur Woerth, les effets observés en Suède, premier pays à avoir décidé, en 1999, de criminaliser les clients, sont très intéressants. Le racolage public a été réduit de moitié et la prostitution appelée « indoor » n’a pas augmenté. La loi a en outre des effets sur le crime organisé, même si nous ne disposons pas de chiffres à ce propos. Il faut creuser cette question pour voir comment atteindre l’objectif. Cependant, la pénalisation des clients n’est pas une interdiction de la prostitution : c’est un autre débat, la prostitution est interdite « moralement ». Peut-on combiner les deux éléments ? En tout cas, quel que soit le dispositif adopté, il faut atteindre les deux objectifs de criminalisation des clients et de réduction du racolage, comme l’a fait la Suède – ce qui ne nous dispensera pas d’une présence et d’une action des forces de l’ordre sur le terrain, compte tenu des nuisances imposées aux riverains.

Je reste, comme mes services, la police, la gendarmerie et mon cabinet, à votre disposition pour poursuivre cette réflexion avec vous et avec les membres du Gouvernement.

M. le président Guy Geoffroy. Monsieur le ministre, je vous remercie pour la précision de vos réponses.

© Assemblée nationale

1 () La composition de cette Commission spéciale figure au verso de la présente page.

2 () Rapport d’information (n° 3334, XIIIe législature) de M. Guy Geoffroy au nom de la mission d’information sur la prostitution en France, avril 2011.

3 () Aux termes de l’article 16-5 du code civil, « les conventions ayant pour effet de conférer une valeur patrimoniale au corps humain, à ses éléments ou à ses produits sont nulles ».

4 () Prostitutions : les enjeux sanitaires, rapport établi par Claire Aubin, Danielle Jourdain-Menninger et le docteur Julien Emmanuelli au nom de l’Inspection générale des affaires sociales, décembre 2012.

5 () Rapport d’information (n° 46, session ordinaire de 2013-2014) de M. Jean-Pierre Godefroy et Mme Chantal Jouanno, au nom de la commission des Affaires sociales, sur la situation sanitaire et sociale des personnes prostituées, octobre 2013.

6 () Rapport d’information (n° 1360, XIVe législature) de Mme Maud Olivier, au nom de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, sur le renforcement de la lutte contre le système prostitutionnel, septembre 2013.

7 () Avis n° 2013-1104-VIO-010 sur la proposition de loi n° 1437 renforçant la lutte contre le système prostitutionnel.

8 () Proposition de loi (n° 3, session ordinaire de 2012-2013) visant à l’abrogation du délit de racolage public présentée par Mme Esther Benbassa et plusieurs de ses collègues, octobre 2012.

9 () Créé par le décret n° 58-1039 du 31 octobre 1958, l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH) est rattaché à la direction centrale de la police judiciaire et est principalement chargé de centraliser tous les renseignements sur la prostitution et le proxénétisme à l’échelle nationale et internationale, d’analyser et de mesurer l’évolution des réseaux et des comportements et de développer de nouvelles stratégies de lutte, et de mener et de coordonner les opérations tendant à la répression de la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle. L’OCRTEH est le seul organisme public qui procède à une évaluation quantitative du phénomène.

10 () Audition du 6 novembre 2013.

11 () Le nombre de réponses exploitables s’est élevé à 843, soit 2,5 % des effectifs des deux universités.

12 () Audition du 6 novembre 2013.

13 () Ces éléments sont extraits du rapport d’information n° 3334 de M. Guy Geoffroy, précité.

14 () Audition du 30 octobre 2013.

15 () Audition du 30 octobre 2013.

16 () Auditions du 6 novembre 2013 de Mme Najat Vallaud-Belkacem, du 13 novembre 2013 de Mme Marisol Touraine, et du 14 novembre 2013 de M. Manuel Valls.

17 () Audition du 13 novembre 2013.

18 () Audition du 6 novembre 2013 de M. Grégoire Théry, secrétaire général du Mouvement du Nid.

19 () Rapport de la Commission spéciale du Parlement européen sur la criminalité organisée, la corruption et le blanchiment de capitaux, septembre 2013.

20 () Audition du 30 octobre 2013 de M. Jean-Baptiste Carpentier, directeur de TRACFIN (traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins).

21 () Office des Nations unies contre la drogue et le crime, « Trafficking in persons to Europe for sexual exploitation », juin 2010.

22 () Audition du 18 décembre 2012 de M. Yves Charpenel devant le groupe de travail mis en place par la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.

23 () Audition du 30 octobre 2013 de M. Yves Charpenel.

24 () Protocole additionnel à la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, décembre 2000.

25 () Audition du 6 novembre 2013.

26 () D’après M. Yves Charpenel, il y a aurait 250 dossiers de proxénétisme aggravé jugés chaque année en France, dont 15 % concerneraient des mineurs (audition du 30 octobre 2013).

27 () Étude réalisée par la FNARS et l’Institut de veille sanitaire sur l’état de santé, l’accès aux soins et l’accès aux droits des personnes en situation de prostitution rencontrées dans des structures sociales et médicales, mars 2013.

28 () Audition du jeudi 31 octobre 2013 de Mmes Laurence Noëlle et Rosen Hicher.

29 () Table ronde du 5 novembre 2013 consacrée à la prostitution comme violence faite aux femmes.

30 () Audition du 5 novembre 2013.

31 () Audition du 5 novembre 2013 de Mme Lise Tamm, cheffe du parquet international de Stockholm.

32 () Mme Marthe Richard, ancienne prostituée, fut conseillère municipale de Paris au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

33 () Note (n° 233) sur la pénalisation de la prostitution et du racolage, réalisée par la direction de l’initiative parlementaire et des délégations du Sénat, à la demande de Mme Esther Benbassa, mars 2013. L’étude porte sur l’Allemagne, la Belgique, le Danemark, l’Espagne, l’Italie, les Pays-Bas, le Royaume-Uni (Angleterre et Pays de Galles) et la Suède. Elle est consultable à cette adresse : http://www.senat.fr/lc/lc233/lc233.pdf.

34 () Note n° 233 de la direction de l’initiative parlementaire et des délégations du Sénat sur la pénalisation de la prostitution et du racolage, précitée.

35 () Rapport du Gouvernement suédois, « The Ban against the Purchase of Sexual Services. An evaluation 1999-2008 », novembre 2010.

36 () Fondation Scelles, Évolutions juridiques en Europe : le client de la prostitution en question, décembre 2008.

37 () Groupe d’experts sur la lutte contre la traite des êtres humains, Rapport concernant la mise en œuvre de la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains par la Norvège, 7 mai 2013.

38 () Audition du 30 octobre 2013 de M. Yves Charpenel, président de la fondation Scelles et avocat général à la Cour de cassation.

39 () Ces chiffres ont été communiqués par Mme Marta Torres, avocate et membre de la coalition contre la traite des femmes, à l’occasion des rencontres européennes de l’égalité organisées par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, le 5 novembre 2013.

40 () La Jonquera est une localité d’Espagne située en Catalogne à la frontière avec la France et connue pour ses établissements abritant une activité prostitutionnelle à grande échelle.

41 () Audition du 6 novembre 2013 de Mmes Sophie Avarguez et Aude Harlé, maîtresses de conférence, chercheuses à l’Institut des Méditerranées.

42 () Ces éléments sont rapportés dans un article de Der Spiegel du 26 mai 2013.

43 () Article paru dans Le Monde le 7 novembre 2013.

44 () Ce dispositif est prévu au cinquième alinéa du 7 du I de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique.

45 () Directive 2011/36/UE du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes et remplaçant la décision-cadre 2002/629/JAI du Conseil.

46 () L’article 225-24 du code pénal dispose que « les personnes physiques ou morales coupables de l’une des infractions prévues par les articles 225-5 à 225-10 encourent également :

1° La confiscation des biens meubles ou immeubles, divis ou indivis ayant servi directement ou indirectement à commettre l’infraction ainsi que les produits de l’infraction détenus par une personne autre que la personne se livrant à la prostitution elle-même ;

2° Le remboursement des frais de rapatriement de la ou des victimes ».

47 () Audition du 5 novembre 2013.

48 () Rapport d’information (n° 1360, XIVe législature) de Mme Maud Olivier au nom de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes sur le renforcement de la lutte contre le système prostitutionnel, septembre 2013, p. 46.

49 () Ces commissions ont été fondues au sein des conseils départementaux de prévention de la délinquance, d’aide aux victimes et de lutte contre la drogue, les dérives sectaires et les violences faites aux femmes dans le cadre du programme de simplification du droit mis en œuvre par la loi n° 2003-591 du 2 juillet 2003 habilitant le Gouvernement à simplifier le droit.

50 () Aux termes de l’article 7 de la proposition de loi dans sa rédaction actuelle, seuls les ressortissants étrangers engagés dans un parcours de sortie de la prostitution pourraient bénéficier de l’allocation temporaire d’attente (ATA).

51 () Directive 2011/36/UE du Parlement européen et du conseil du 5 avril 2011 concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes et remplaçant la décision-cadre 2002/629/JAI du Conseil

52 () L’article 225-24 du code pénal dispose que « les personnes physiques ou morales coupables de l’une des infractions prévues par les articles 225-5 à 225-10 encourent également :

1° La confiscation des biens meubles ou immeubles, divis ou indivis ayant servi directement ou indirectement à commettre l’infraction ainsi que les produits de l’infraction détenus par une personne autre que la personne se livrant à la prostitution elle-même ;

2° Le remboursement des frais de rapatriement de la ou des victimes ».

53 () Décret n° 95-322 du 17 mars 1995 autorisant le rattachement par voie de fonds de concours du produit de cession des biens confisqués dans le cadre de la lutte contre les produits stupéfiants

54 () Ce chiffre est mentionné dans le rapport d’information (n° 1360, XIVe législature) de Mme Maud Olivier, précité, p. 79.

55 () Rapport d’information (n° 46, session ordinaire de 2013-2014) de M. Jean-Pierre Godefroy et Mme Chantal Jouanno, au nom de la commission des Affaires sociales, sur la situation sanitaire et sociale des personnes prostituées, octobre 2013, p. 62.

56 () Décision ministérielle du 7 septembre 1981 mentionnée dans le rapport d’information de M. Jean-Pierre Godefroy et Mme Chantal Jouanno, précité, p. 63.

57 () Ordonnance n° 2004-1248 du 24 novembre 2004 relative à la partie législative du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

58 () Décret n° 2007-1352 du 13 septembre 2007 relatif à l’admission au séjour, à la protection, à l’accueil et à l’hébergement des étrangers victimes de la traite des êtres humains et du proxénétisme et modifiant le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (dispositions réglementaires).

59 () Circulaire n° IMIM09000054C du ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire du 5 février 2009 relative aux conditions d’admission au séjour des étrangers victimes de la traite des êtres humains ou du proxénétisme coopérant avec les autorités judiciaires.

60 () Les étrangers ne sont, certes, pas des citoyens français, mais le Conseil constitutionnel a jugé que, si le législateur peut prendre à leur égard des dispositions spécifiques, « il lui appartient de respecter les libertés et droits fondamentaux de valeur constitutionnelle reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République », parmi lesquels figurent notamment la liberté individuelle et la sûreté, notamment la liberté d’aller et venir, la liberté du mariage, le droit de mener une vie familiale normale (décision n° 93-325 DC du 13 août 1993).

61 () Dans sa décision n° 93-325 DC du 13 août 1993, le Conseil a ainsi jugé « qu’il revient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels, compte tenu de l’intérêt public qu’il s’assigne, les conditions d’exercice de la liberté du séjour des étrangers en France ». Par ailleurs, dans sa décision n° 96-179 L du 14 octobre 1996, le Conseil a admis la délégalisation de certaines dispositions de l’ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 au motif qu’elles se bornaient « à désigner les autorités administratives habilitées à exercer des attributions qui, en vertu de la loi, relèvent du pouvoir exécutif », ce qui démontre, a contrario, la compétence du législateur s’agissant des règles de fond.

62 () La directive 2011/36/UE ne porte en effet pas sur les conditions de séjour des victimes de la traite des êtres humains, comme le souligne expressément son considérant 17. L’article 18, paragraphe 4, de la convention d’Istanbul porte, pour sa part, exclusivement sur les services de protection et de soutien mentionnés par son chapitre IV, parmi lesquels ne figure pas le droit au séjour.

63 () En application de l’article L. 712-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, la protection subsidiaire est accordée à toute personne qui ne remplit pas les conditions pour se voir reconnaître la qualité de réfugié et qui aurait des craintes d’être exposée à une menace grave en cas de retour dans son pays. La protection temporaire est accordée à un groupe spécifique de personnes en application de la directive 2001/55/CE du Conseil du 20 juillet 2001 relative à des normes minimales pour l’octroi d’une protection temporaire en cas d’afflux massif de personnes déplacées.

64 () Anciennes personnes détenues dont la durée de détention a été supérieure ou égale à deux mois et salariés expatriés non couverts par l’assurance chômage qui justifient, lors de leur retour en France, d’une durée de travail de 182 jours au cours des douze mois précédant la fin de leur contrat de travail.

65 () Ce montant est, par exemple, de 492,90 euros pour une personne seule sans enfant, et de 1 035,09 euros pour un couple avec deux enfants.

66 () Décret n° 2012-1496 du 28 décembre 2012 revalorisant l’allocation temporaire d’attente, l’allocation de solidarité spécifique, l’allocation équivalent retraite et l’allocation transitoire de solidarité.

67 () Projet annuel de performance 2014 de la mission Immigration, asile et intégration, annexe au projet de loi de finances pour 2014, p. 32.

68 () La liste de ces territoires a été fixée par un arrêté du 1er octobre 2013 du ministre du Travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, du ministre de l’Économie et des finances et du ministre délégué auprès du ministre de l’Économie et des finances, chargé du budget. Elle inclut les territoires suivants : la communauté urbaine de Marseille Provence Métropole, La Réunion, la communauté d’agglomération Est Ensemble, le Vaucluse, le Lot-et-Garonne, l’Allier associé au Puy-de-Dôme pour les communes de Cournon-d’Auvergne, Clermont-Ferrand, Thiers et Ambert, le Finistère, l’Eure, l’Aude et les Vosges.

69 () Article 42 dont l’article 3 de la proposition de loi codifie les dispositions au sein du code de l’action sociale et des familles.

70 () Association Accompagnement Lieux d’accueil Carrefour éducatif et social.

71 () Infraction visée aux articles 225-4-1 à 225-4-5 du code pénal.

72 () Infraction visée aux articles 225-4-1 à 225-4-5 du code pénal.

73 () Par exemple, l’article 6-6 du Protocole de Palerme prévoit « la possibilité [pour les victimes] d’obtenir réparation du préjudice ».

74 () Loi n° 75-299 du 9 avril 1975 habilitant les associations constituées pour la lutte contre le proxénétisme à exercer l’action civile.

75 () Loi n° 2013-711 du 5 août 2013 portant diverses dispositions d’adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l’Union européenne et des engagements internationaux de la France.

76 () Directive 2011/36/UE du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes et remplaçant la décision-cadre 2002/629/JAI du Conseil.

77 () CNCDH, La traite et l’exploitation des êtres humains en France, La documentation française, 2010, p. 237.

78 () Article 12.4 de la directive précitée du 5 avril 2011. On entend, par cette expression, le fait d’accroître le tort infligé aux victimes à l’occasion de la procédure judiciaire qu’elles initient.

79 () Directive 2011/36/UE du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 concernant la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes et remplaçant la décision-cadre 2002/629/JAI du Conseil.

80 () Rapport d’information (n° 1360, XIVe législature) de Mme Maud Olivier, précité, p. 83.

81 () Cf. exposé des motifs du projet de loi pour la sécurité intérieure.

82 () Rapport n° 439 (session ordinaire 2012-2013) de Mme Virginie Klès, sénatrice, au nom de la commission des Lois du Sénat, sur la proposition de loi visant à l’abrogation du délit de racolage public, mars 2013, p. 7.

83 () Rapport d’information (n° 3334, XIIIe législature) de M. Guy Geoffroy, précité, p. 244.

84 () Commission nationale consultative des droits de l’homme, La traite et l’exploitation des êtres humains en France, La documentation française, 2010, p. 209-218.

85 () Op. cit., p. 113.

86 () Tribunal correctionnel de Toulouse, 4 mars 2005.

87 () Tribunal correctionnel de Toulouse, 28 juin 2006.

88 () Voir notamment Cyrille Duvert, « Racolage public », fascicule n°20, Jurisclasseur pénal.

89 () Op. cit., p. 85.

90 () Source : Nouvelle chaîne pénale, Ministère de la justice, cité par le rapport de Mme Virginie Klès, sénatrice, op. cit., p.  18.

91 () Op. cit., p. 115 à 118.

92 () § 14 de l’exposé des motifs de la directive précitée du 5 avril 2011.

93 () Loi n° 2013-711 du 5 août 2013 portant diverses dispositions d’adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l’Union européenne et des engagements internationaux de la France.

94 () À l’occasion des dix ans de l’entrée en vigueur de la loi pénalisant les clients de la prostitution, le Gouvernement suédois a chargé le ministère de la Justice d’en dresser un bilan, qui a fait l’objet du rapport suivant : Förbud mot köp av sexuell tjänst. En utvärdering 1999-2008, Stockholm, 2010. Ce rapport est disponible à l’adresse suivante : http://www.sweden.gov.se/content/1/c6/14/91/42/ed1c91ad.pdf et comprend un résumé en anglais.

95 () « Le maire est chargé, sous le contrôle administratif du représentant de l’État dans le département, de la police municipale, de la police rurale et de l’exécution des actes de l’État qui y sont relatifs. »

96 () Article 97 : « La police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté et la salubrité publiques […] ».

97 () Sophie Avarguez (direction), Aude Harlé, Lise Jacquez, Yoshée de Fisser, Du visible à l’invisible : prostitution et effets-frontières. Vécus, usages sociaux et représentations dans l’Espace Catalan Transfrontalier, Balzac Éditeur, Baixac, 2013.

98 () La Jonquera est une ville frontalière située en Catalogne qui connaît une activité prostitutionnelle à grande échelle.

99 () Cf. http://www.sweden.gov.se/content/1/c6/14/91/42/ed1c91ad.pdf

100 () Cf. pour les mineurs, l’article 13 de la loi n° 2002-305 du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale et, pour les personnes vulnérables, l’article 50 de la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure.

101 () Sur le fondement de l’article 225-12-2 du code pénal, les peines encoures pour recours à la prostitution d’une personne mineure ou particulièrement vulnérable peuvent être portées à cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 euros d’amende en cas de circonstances aggravantes. La peine encourue est également de sept ans d’emprisonnement et de 100 000 euros d’amende lorsqu’il s’agit d’un mineur de quinze ans (cf. supra).

102 () Punie d’une peine d’amende prévue pour les contraventions de cinquième classe, sur le fondement du premier alinéa de l’article 225-12-1 du code pénal, tel que réécrit par l’article 16 de la présente proposition de loi.

103 () Aux termes du dernier alinéa de l’article 131-35-1 du code pénal, seul le stage de sensibilisation à la sécurité routière est toujours exécuté aux frais du condamné.

104 () Op. cit., p. 101.

105 () Op. cit., p. 235.

106 () Ibid.

107 () L’article 5 de la loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public prévoyait que l’interdiction entre en vigueur à l’issue d’un délai de cinq mois à compter de la promulgation de la loi.

108 () Décision n° 92-305 DC du 21 février 1992, Loi organique modifiant l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature.

109 () Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains, signée à Varsovie le 16 mai 2005.

110 () Op. cit., p. 100.

111 () Ibid.

112 () CE, 9 février 1990, Élections municipales de Lifou.

113 () Rapport d’information (n° 1360, XIVe législature) de Mme Maud Olivier, au nom de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, sur le renforcement de la lutte contre le système prostitutionnel, septembre 2013.