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N
° 2012

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 10 juin 2014

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI ADOPTÉ PAR LE SÉNAT, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de Géorgie relatif à la coopération en matière de sécurité intérieure,

PAR M. Thierry MARIANI

Député

——

ET

ANNEXE : TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Voir les numéros :

Sénat : 524, 698, 699 (2011-2012) et T.A. 6 (2012-2013).

Assemblée nationale : 289.

INTRODUCTION 5

I. LA GÉORGIE, UN ÉTAT QUI RESTE FRAGILE 7

A. UNE POLITIQUE ÉTRANGÈRE DICTÉE PAR LA PERMANENCE DES CONFLITS ABKHAZE ET OSSÈTE 7

1. La perte de contrôle d’une partie du territoire national 7

2. La période récente : un apaisement relatif des tensions avec la Russie 8

3. Une volonté constante d’intégration « euro-atlantique » 9

a. L’accord d’association avec l’Union européenne 9

b. Les démarches en vue d’intégrer l’Alliance atlantique 10

B. DES CHOIX POLITIQUES DÉMOCRATIQUES 10

1. Une alternance politique démocratique en 2012 et 2013 10

2. Les progrès de l’État de droit 11

C. UNE ÉCONOMIE ASSEZ DYNAMIQUE 12

II. LA FRANCE ET LA GÉORGIE : DES RELATIONS BILATÉRALES SOLIDES 15

A. DES RELATIONS POLITIQUES D’AMITIÉ 15

B. DES ÉCHANGES ÉCONOMIQUES ENCORE MODESTES 15

C. LE DÉVELOPPEMENT D’ACTIONS DE COOPÉRATION DANS PLUSIEURS CHAMPS 16

1. La coopération culturelle 16

2. La coopération dans le domaine de la défense 16

3. Une coopération déjà robuste dans le domaine de la sécurité intérieure et de la sécurité civile 16

a. Des enjeux bien réels 16

b. Une coopération déjà substantielle 18

c. Les résultats obtenus 19

III. UN ACCORD DE SÉCURITÉ INTÉRIEURE DE FACTURE CLASSIQUE 21

A. UNE NÉGOCIATION RALENTIE PAR LES ALÉAS POLITIQUES EN GÉORGIE 21

B. DES STIPULATIONS HABITUELLES DANS LES ACCORDS DE COOPÉRATION DANS LE DOMAINE DE LA SÉCURITÉ INTÉRIEURE 22

1. Le champ de la coopération policière 22

2. Les formes et les procédures de la coopération envisagée 22

3. Une originalité : l’extension de la coopération aux questions de sécurité civile 23

4. Les garanties de droit prévues 23

a. Le respect de la législation et des engagements internationaux de chaque partie 23

b. Des clauses limitatives habituelles 23

c. La protection de la confidentialité des informations échangées 24

d. Une question qui n’est pas explicitement traitée, celle des échanges de données à caractère personnel 24

5. Les dispositions finales 25

CONCLUSION 27

EXAMEN EN COMMISSION 29

ANNEXE – TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES 31

INTRODUCTION

Depuis son indépendance en 1991, la Géorgie est fragilisée par le séparatisme de deux territoires, l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud. Le soutien de la Russie aux dirigeants de ces territoires a conduit à une confrontation russo-géorgienne qui a atteint son paroxysme lors de la guerre, courte mais violente, d’août 2008.

Cependant, malgré la permanence de ces conflits non réglés, la Géorgie a fait clairement le choix de la démocratie après la « Révolution des roses » de 2003 – ce choix est attesté par l’alternance politique démocratique qui s’est opérée en 2012-2013. Elle a également fait des choix économiques libéraux qui ont donné de réels résultats. Elle a enfin, dans le contexte de confrontation avec la Russie, recherché constamment une intégration aux institutions européennes et atlantiques et notamment paraphé en novembre dernier son accord d’association avec l’Union européenne.

Dans cette optique de rapprochement avec l’Europe, la Géorgie a passé de nombreux accords bilatéraux et développé diverses coopérations avec les pays européens, dont la France. Le présent accord vient donner un cadre de droit à la coopération active qui s’est déjà mise en place entre les deux pays dans les domaines de la sécurité intérieure et de la sécurité civile. La délinquance d’origine géorgienne est en effet devenue un enjeu réel. Cet accord s’inscrit également dans la volonté de notre pays de multiplier les accords de cette nature, notamment en Europe mais aussi dans son voisinage, pour disposer d’un réseau efficace de coopération face à la criminalité transnationale (terrorisme, drogue, traite des êtres humains, organisations mafieuses…).

I. LA GÉORGIE, UN ÉTAT QUI RESTE FRAGILE

La Géorgie a recouvré son indépendance en 1991, avec la fin de l’Union soviétique. Cette indépendance s’est rapidement accompagnée de graves troubles, avec notamment l’expression de séparatismes dans les régions du pays qui, en raison de minorités ethniques, étaient dotées d’un statut spécial (républiques autonomes d’Abkhazie et d’Adjarie ; région autonome d’Ossétie du Sud). Le cœur du pays lui-même a connu des moments de guerre civile durant lesquels des mouvements politiques se sont affrontés par les armes pour le contrôle de l’État, avec là-aussi de fortes dimensions régionalistes. L’arrivée à la tête de l’État de M. Edouard Chevardnadze, qui avait déjà dirigé la Géorgie à l’époque soviétique, a permis une stabilisation à partir de 1992, mais au prix d’un régime présidentiel fort et de pratiques électorales douteuses.

En novembre 2003, la Révolution des roses a conduit au pouvoir M. Mikheïl Saakachvili (élu chef de l’État en janvier 2004), jeune président pro-occidental formé en France et aux États-Unis. Il s’agissait de la première « révolution de couleur » démocratique dans l’espace post-soviétique avant la Révolution orange d’Ukraine en décembre 2004. Avec ce nouveau pouvoir, la Géorgie a fait le choix stratégique du rapprochement avec l’Union européenne et l’OTAN. En interne, comme on y reviendra, certains résultats ont été obtenus dans le domaine économique et dans la réduction de la corruption. Mais le second mandat de M. Saakachvili, réélu en janvier 2008, a surtout été marqué par le conflit humiliant d’août 2008 avec la Russie.

A. UNE POLITIQUE ÉTRANGÈRE DICTÉE PAR LA PERMANENCE DES CONFLITS ABKHAZE ET OSSÈTE

1. La perte de contrôle d’une partie du territoire national

Les régions d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud, rattachées à la Géorgie, mais également contiguës du territoire de la fédération de Russie, disposaient d’un statut d’autonomie sous l’Union soviétique à cause de la présence de populations non-géorgiennes.

Le premier conflit d’Ossétie du Sud a été déclenché dès janvier 1991 à la suite de la décision du gouvernement géorgien de M. Zviad Gamsakhourdia de supprimer le statut d’autonomie de la région. Les autorités sud-ossètes, soutenues par la Russie, ont alors demandé leur rattachement à la république d’Ossétie du Nord, au sein de la fédération de Russie. Après dix-huit mois d’affrontements, plus d’un millier de morts et près de 70 000 déplacés (sur une population totale avant-guerre d’environ 100 000 personnes), un cessez-le-feu acté à Sotchi en juin 1992 a conduit à la création d’une force de maintien de la paix (Géorgie, Russie, Ossétie du nord) et d’une commission mixte de contrôle.

L’Abkhazie a été l’objet de violents combats en 1993-1994 (10 000 morts, 230 000 réfugiés), puis 1998, la défaite de l’armée géorgienne entraînant l’exode massif des populations de langue géorgienne qui vivaient en Abkhazie.

Du 7 au 16 août 2008, suite à divers incidents sur la ligne de cessez-le-feu en Ossétie, un violent conflit a opposé la Russie et la Géorgie, qui a vu les troupes russes déployées dans les deux régions séparatistes envahir une partie du reste de son territoire. La médiation très rapide du président Nicolas Sarkozy, exercée au nom de l’Union européenne dont la France assurait alors la présidence, a permis l’arrêt de l’avancée des troupes russes dès le 12 août 2008 et l’adoption d’un plan en six points (non-recours à la force ; cessation définitive des hostilités ; libre accès de l’aide humanitaire ; retrait des forces géorgiennes vers leurs cantonnements ; retrait des forces russes sur les lignes qu’elles occupaient avant le déclenchement des hostilités ; ouverture de discussions internationales sur les modalités de sécurité et de stabilité en Abkhazie et en Ossétie du Sud). Le 26 août 2008, à titre de rétorsion, la Russie a reconnu l’indépendance de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie (seuls le Nicaragua, le Venezuela et quelques petits États insulaires du Pacifique ont depuis lors fait de même).

Une seconde visite du président Sarkozy à Moscou et à Tbilissi, le 8 septembre 2008, a ensuite débouché sur des engagements de ses homologues russe et géorgien de mettre en œuvre l’ensemble des dispositions du plan du 12 août. Un forum de discussions a été instauré à Genève, coprésidé par les Nations-Unies, l’Union européenne et l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) ; c’est le seul lieu de contact institutionnel entre la Géorgie et la Russie, qui n’ont plus de relations diplomatiques. L’Union européenne reste investie dans le processus de règlement du conflit à travers la présence d’un représentant spécial et d’une Mission de surveillance de l’Union européenne (MSUE), dont le mandat, prolongé par le Conseil européen, court jusqu’en décembre 2014.

Cependant, la situation apparaît bloquée, en l’absence de progrès dans les pourparlers ; sur le terrain, la frontière entre la Géorgie et les entités séparatistes prend la forme d’une ligne de cessez-le-feu militarisée. La MSUE n’a toujours pas accès aux territoires séparatistes, ce que prévoit pourtant son mandat, et, pour le moment, aucun successeur n’a été désigné à M. Philippe Lefort, représentant spécial de l’Union européenne, au terme de son mandat le 31 janvier 2014. Il existe en fait un débat dans les institutions européennes sur l’opportunité de poursuivre la MSUE.

2. La période récente : un apaisement relatif des tensions avec la Russie

L’alternance politique qui a eu lieu en 2012-2013 en Géorgie (voir infra) a permis une forme d’apaisement dans ses relations avec la Russie, bien que ce soit sans aucun début de règlement des conflits majeurs évoqués supra :

– les contacts politiques de haut niveau ont repris : dès janvier 2013, le patriarche de l’église de Géorgie Ilia II a rencontré le président russe Vladimir Poutine en émissaire du nouveau gouvernement en place à Tbilissi ; dans la foulée, les premiers ministres Dmitri Medvedev et Bidzina Ivanichvili se sont rencontrés à Davos ; un canal de consultations informelles a été mis en place avec la désignation d’envoyés spéciaux par les deux pays, MM. Zourab Abachidze et Grigori Karassine ;

– l’embargo imposé par la Russie en 2006, sous des prétextes sanitaires, sur divers produits géorgiens – notamment les vins, spiritueux et eaux minérales – a été levé, permettant le rétablissement d’un circuit commercial qui était très important pour l’économie géorgienne à l’époque soviétique. Le commerce russo-géorgien a doublé en 2013, pour atteindre un montant global de 780 millions de dollars. La Russie est ainsi redevenue le 3ème partenaire économique de la Géorgie, dont elle absorbe notamment 70 % des exportations de vins ;

– un plus grand nombre de visas est désormais délivré par les autorités russes aux Géorgiens, pour qui l’émigration de travail en Russie est une source importante de revenus et de transferts vers leur pays natal.

Pour autant, on ne note guère d’autres résultats concrets, pour le moment, de cette politique d’apaisement.

3. Une volonté constante d’intégration « euro-atlantique »

À la différence de l’Ukraine, la Géorgie se caractérise par un large consensus quant à l’orientation « euro-atlantique » de sa politique étrangère, qui est le corollaire logique de sa confrontation avec la Russie. Cette orientation n’a donc pas été remise en cause par l’alternance politique de 2012-2013, même si celle-ci s’est accompagnée d’une politique d’apaisement vis-à-vis de la Russie.

a. L’accord d’association avec l’Union européenne

Le sommet du Partenariat oriental de l’Union européenne réuni à Vilnius les 28 et 29 novembre 2013 a été l’occasion pour la Géorgie de parapher le projet d’accord d’association avec l’Union. L’accord définitif devrait être signé lors du Conseil européen des 26 et 27 juin 2014. Les autorités géorgiennes souhaiteraient aller plus loin et sollicitent l’octroi d’une « perspective européenne ». Plus généralement, la Géorgie se veut solidaire de l’Europe et c’est pourquoi son Parlement a approuvé le 21 février 2014 le principe d’une participation géorgienne (156 hommes) à l’opération EUFOR en République centrafricaine.

La libéralisation du régime des visas de court séjour avec l’espace Schengen est l’objectif du Partenariat oriental le plus attendu par la population géorgienne. Alors que des accords de facilitation de la délivrance des visas et de réadmission sont déjà en vigueur depuis mars 2011, un plan d’action en deux phases a été mis en place en mars 2013 entre l’Union européenne et la Géorgie en vue d’une libéralisation des visas de court séjour, ce qui implique préalablement l’adoption et l’application effective par la Géorgie d’un certain nombre de mesures techniques. Le premier rapport de la Commission européenne (publié en novembre 2013) sur l’adoption des mesures requises dans le cadre de la première phase est positif, mais on n’est encore qu’au début du processus.

b. Les démarches en vue d’intégrer l’Alliance atlantique

La Géorgie a fait après la Révolution des roses le choix stratégique de la candidature à l’OTAN. Ce choix fait aussi au Parlement géorgien l’objet d’un consensus supra-partisan. Le pays a montré son appétence pour l’OTAN en devenant (en 2012) le plus gros contributeur non membre de l’organisation à l’intervention en Afghanistan, où il a envoyé jusqu’à 1 500 soldats, ce qui est un effort considérable pour un petit pays qui doit par ailleurs rester mobilisé sur la ligne de front avec les entités séparatistes.

La Géorgie a reçu la qualification de pays ayant « vocation à rejoindre l’Alliance atlantique » au sommet de Bucarest d’avril 2008, tandis que le sommet de Chicago de mai 2012 a franchi une étape supplémentaire en indiquant que la Géorgie « deviendrait membre (…) de l’OTAN ». Dans le contexte crée par la crise ukrainienne, la Géorgie insiste pour qu’à l’occasion du sommet de l’alliance qui aura lieu en septembre 2014, un pas supplémentaire soit fait avec la mise en place d’un « plan d’action pour l’adhésion » (MAP), programme de soutien qui ne préjuge cependant pas de l’éventuelle future adhésion. Toutefois, l’octroi prochain du MAP semble peu probable, faute de consensus entre membres de l’OTAN. Il est à noter que, le 26 mars 2014, le président Barack Obama a publiquement déclaré que ni l’Ukraine, ni la Géorgie « ne sont aujourd’hui sur le chemin d’une adhésion à l’OTAN ».

B. DES CHOIX POLITIQUES DÉMOCRATIQUES

Les dernières années ont été marquées en Géorgie par un réel engagement pour la démocratie et l’État de droit, même s’il y a des insuffisances et parfois des accidents de parcours.

1. Une alternance politique démocratique en 2012 et 2013

Il faut d’abord relever, car l’exemple récent de l’Ukraine démontre que cela ne va pas de soi dans les anciennes républiques soviétiques, que la Géorgie a connu récemment une alternance politique démocratique « normale », par la voie des urnes.

L’affaiblissement de la position du président Saakachvili après deux mandats a en effet été mis à profit par M. Bidzina Ivanichvili, mécène et milliardaire – avec sa fortune amassée en Russie, c’est l’homme le plus riche de Géorgie –, qui est parvenu à fédérer l’opposition dans la coalition du « Rêve géorgien ». Celle-ci a remporté les élections législatives d’octobre 2012 avec 55 % des suffrages, contre 40 % au parti du président Saakachvili, le Mouvement national uni.

Devenu en conséquence Premier ministre, M. Ivanichvili s’est engagé dans une année de cohabitation tendue avec le président Saakachvili, puis l’élection présidentielle d’octobre 2013 a vu la large victoire (à 62 %) de M. Giorgi Margvelachvili, candidat du Rêve géorgien, sur le candidat du Mouvement national uni.

2. Les progrès de l’État de droit

La Géorgie a réalisé en quelques années années, sous l’autorité de ses gouvernements successifs, des progrès incontestables vers l’État de droit démocratique tel que nous le concevons.

La Constitution a ainsi été modifiée dans un sens parlementaire, avec un renforcement des pouvoirs du Premier ministre aux dépens de ceux du Président

Des résultats ont également été obtenus en matière de lutte contre la corruption. La Géorgie occupe en 2013 la 55ème place (sur 175) dans le classement de la corruption ressentie qui est établi par l’ONG Transparency International. Ce score doit être apprécié par comparaison : parmi les 15 États issus du démembrement de l’Union soviétique, c’est la quatrième meilleure performance, derrière les pays Baltes ; si l’on se réfère à l’Europe, c’est un rang meilleur que ceux de 7 des 28 États membres de l’Union européenne. Les administrations sont considérées comme pas ou peu corrompues en Géorgie, résultat qui a été atteint notamment par un degré très élevé de dématérialisation des procédures : la traçabilité des opérations électroniques rend la corruption des fonctionnaires plus difficile.

Le bilan est parfois moins évident en termes de politisation des administrations, d’indépendance de la justice, de méthodes policières ou encore de gestion de l’ordre public. La Géorgie a, par exemple, été condamnée le 26 avril 2011 par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Girgvliani en raison du manque manifeste d’indépendance de sa justice, qui avait en l’espèce fait peu d’efforts pour retrouver et sanctionner l’ensemble des responsables d’un abus de pouvoir criminel commis par des policiers (1). Au demeurant, plusieurs autres affaires ont illustré ces dernières années les méthodes très contestables des services de sécurité : écoutes téléphoniques, réalisations de vidéos de rapports sexuels afin de faire chanter ou de discréditer des personnalités, espionnage d’ordinateurs à l’aide d’un virus informatique… En septembre 2012, le pays a été secoué par la diffusion de vidéos montrant des cas de torture de détenus et laissant penser que les mauvais traitements étaient généralisés dans le système carcéral géorgien, ce qui a au demeurant entraîné une réaction vigoureuse des autorités (enquêtes, arrestation de fonctionnaires de l’administration pénitentiaire…).

Quant à la justice, elle est, comme dans d’autres anciennes républiques soviétiques, l’objet d’accusations d’être « sélective » et au service du pouvoir politique, en particulier suite à la récente alternance au pouvoir : le fait est que celle-ci a débouché sur une purge du parquet et sur l’arrestation d’un certain nombre de proches de l’ancien Président (2; le fait est aussi que ces poursuites semblent souvent solidement étayées sur des abus et des détournements manifestes.

C. UNE ÉCONOMIE ASSEZ DYNAMIQUE

La Géorgie a fait des choix économiques résolument libéraux : allégement et simplification de la fiscalité, mesures d’incitation aux investissements étrangers, recours massif à l’aide financière internationale en se pliant aux conditions du FMI, privatisations… Cela lui vaut d’être classée par la Banque mondiale, dans son classement Doing Business de 2014, au 8ème rang mondial pour la « facilité à faire des affaires » (seul un pays européen se classant mieux, le Danemark).

La Géorgie a subi en 2008 à la fois la crise financière mondiale et la guerre avec la Russie, ce qui a entraîné une forte récession en 2009 (3,9 %). Mais l’économie s’est fortement redressée ensuite avec des taux de croissance annuels supérieurs à 6 % en 2010, 2011 et 2012. Le PIB par habitant atteint désormais environ 3 500 dollars. La croissance repose largement sur les investissements étrangers et les services, mais aussi désormais sur l’essor de la production industrielle et des travaux publics, auquel la construction de l’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan et du gazoduc Bakou-Tbilissi-Erzerum ont contribué ; la Géorgie valorise ainsi sa position géographique de lieu de transit des hydrocarbures de la mer Caspienne.

La bonne situation économique du pays a permis une nette amélioration de la maîtrise des finances publiques : le déficit budgétaire a été ramené de 6,6 % du PIB en 2010 à 2,8 % en 2013 ; l’endettement public est limité à 32 % du PIB.

Cependant, la balance des transactions courantes reste fortement déficitaire (plus de 8 % du PIB) et le choix d’un modèle économique très libéral suscite des critiques sur l’insuffisance d’une vision prospective de la politique économique et sur les coûts sociaux. On constate d’ailleurs depuis fin 2012 un ralentissement de la croissance : le PIB n’a augmenté que de 3 % en 2013. Le taux de chômage reste élevé (plus de 14 % des actifs), bien qu’en baisse, et une grande part de la population vit dans la pauvreté.

II. LA FRANCE ET LA GÉORGIE : DES RELATIONS BILATÉRALES SOLIDES

Les relations entre la France et la Géorgie sont traditionnellement amicales du fait de la volonté géorgienne d’adhérer aux institutions « euro-atlantiques ».

A. DES RELATIONS POLITIQUES D’AMITIÉ

Depuis 2004, la Géorgie a cherché de manière constante à se protéger de la Russie en se rapprochant des pays occidentaux. Comme on l’a vu, l’adhésion à l’OTAN et à terme à l’Union européenne sont des objectifs affichés et, dans cette optique d’intégration « euro-atlantique », la Géorgie a multiplié les contacts et les accords bilatéraux avec les pays européens, dont la France. Les contacts ont été maintenus au plus haut niveau politique : M. Chevarnadzé avait effectué une visite officielle en France en 1995 ; M. Saakachvili l’a suivi en 2010 et le président Sarkozy lui a rendu la pareille en octobre 2011. Enfin, l’actuel Président de la République s’est rendu en Géorgie en mai 2014.

B. DES ÉCHANGES ÉCONOMIQUES ENCORE MODESTES

Dans ce contexte, plusieurs accords et dispositifs visent à favoriser les relations économiques entre la France et la Géorgie : un accord de protection des investissements entré en vigueur en 2000 ; un accord visant à éviter les doubles impositions signé en 2007 ; une couverture par la Coface depuis 2009.

Cependant, les échanges commerciaux restent faibles, bien qu’en forte croissance : les flux croisés bilatéraux ont atteint 114 millions d’euros en 2011, 120 millions en 2012 et ont bondi à 176 millions en 2013. Ils sont également caractérisés par un fort excédent structurel au bénéfice de la France, puisqu’en 2013, on a décompté 156 millions d’euros d’exportations françaises vers la Géorgie pour 20 millions d’exportations géorgiennes vers la France.

En 2013, nos exportations vers la Géorgie ont été dominées, comme les années précédentes, par les produits industriels et notamment les biens d’équipement : les principaux postes ont été les produits pharmaceutiques (18 % du total), les moteurs industriels et turbines (également 18 %), enfin l’aéronautique (12 %).

Pour autant, la France reste un partenaire commercial secondaire de la Géorgie : elle a été à l’origine de 2,08 % des importations géorgiennes en 2013, ce qui en a fait le 14ème fournisseur du pays, et a absorbé 1,16 % des exportations géorgiennes, étant ainsi le 17ème client de la Géorgie. Et, du point de vue français, les exportations vers la Géorgie pesant moins de 0,04 % dans le total de nos exportations, ce pays reste un marché très peu significatif.

En dépit de la faiblesse de sa part de marché, la France est un investisseur important en Géorgie, notamment dans le secteur financier (la Société Générale a racheté la troisième banque du pays) et dans la distribution (Carrefour).

La communauté française enregistrée en Géorgie compte un peu plus de 300 personnes.

C. LE DÉVELOPPEMENT D’ACTIONS DE COOPÉRATION DANS PLUSIEURS CHAMPS

1. La coopération culturelle

La coopération culturelle s’appuie sur l’Institut français de Géorgie, ouvert en 1998, et l’École française du Caucase : cette école privée homologuée a été créée en 2006 et installée dans de nouveaux locaux en 2010 ; elle accueille 230 élèves, qui à terme seront 350. Par ailleurs, une politique de soutien à l’enseignement du français a été mise en place : un fonds ad hoc, alimenté par des entreprises, a été mis en place et permet depuis le 1er janvier 2013 l’enseignement du français dans 10 écoles secondaires publiques du pays. Les moyens consacrés annuellement à la coopération culturelle sont cependant en réduction dans le contexte budgétaire qui est celui de la France ; en 2013, ils ont représenté 292 000 euros.

2. La coopération dans le domaine de la défense

Un accord intergouvernemental concernant la coopération dans le domaine de la défense a été conclu en février 1997. Le centre de formation des troupes de montagne de Satchkéré, inauguré en août 2006, a été créé avec l’appui de la France. Des instructeurs français y dispensent des formations et des instructeurs géorgiens se rendent en stages d’immersion dans des unités militaires françaises. Plus généralement, des officiers géorgiens sont régulièrement formés dans les écoles militaires françaises et des missions d’experts accompagnent les réformes du ministère géorgien de la défense.

3. Une coopération déjà robuste dans le domaine de la sécurité intérieure et de la sécurité civile

a. Des enjeux bien réels

Les enjeux directs de la coopération policière avec la Géorgie ne doivent pas être exagérés, mais sont réels.

Le nombre de personnes de nationalité géorgienne impliquées dans des infractions en France a en effet fortement augmenté en quelques années : entre 2009 et 2012, la criminalité géorgienne, mesurée par le nombre de personnes mises en cause, a augmenté de 68 % en zone police, avec plus de 2 500 mises en cause en 2012, et même de 229 % en zone gendarmerie. Le nombre de mis en cause de nationalité géorgienne dépasse désormais celui des Arméniens ou des Russes dans la même situation. En juillet 2013, l’administration pénitentiaire française recensait 275 Géorgiens incarcérés, contre 150 en octobre 2011.

La criminalité géorgienne s’inscrit dans un modèle mafieux répandu dans l’ensemble de l’ancienne Union soviétique ; il s’agit d’une criminalité organisée, hiérarchisée, qui est souvent désignée par l’appellation « Les voleurs dans la loi » (Vori v zakone). Elle est, depuis 2005 environ, dans une phase d’implantation active en Europe occidentale (notamment en France). Une décision du Parlement géorgien a accru en 2013 l’extraversion des réseaux criminels géorgiens : la levée de l’interdiction de sortie du territoire géorgien pour les personnes condamnées pour des crimes et délits « mafieux ». Cette criminalité présente plusieurs traits distinctifs : elle privilégie en général des activités délictuelles non violentes portant atteinte aux biens (cambriolages, vols à l’étalage, etc.), se concentre souvent sur les zones péri-urbaines et rurales et évite les conflits avec les groupes criminels implantés localement.

En matière d’immigration irrégulière, la Géorgie, qui figure sur la liste des pays d’origine sûrs, n’est pas considérée comme un pays « source ». La France n’est pas la destination principale des migrants géorgiens. Les contrôles aux frontières sont réputés bons et la Géorgie ne peut pas non plus être qualifiée de pays de transit de l’immigration irrégulière. Une certaine pression migratoire géorgienne se manifeste pourtant, se traduisant par une augmentation constante des demandes de visas ainsi que des demandes d’asile déposées sur le sol français (3).

Pour les stupéfiants, les saisies pratiquées en Géorgie sont très faibles au regard de la situation géographique du pays, proche ou voisin de la Turquie, de l’Iran, de la Russie... Cela suscite donc quelques interrogations.

Plus généralement, un réseau de coopération policière, pour être efficace, doit couvrir le plus grand nombre possible de pays des zones considérées comme sensibles (car y transitent divers trafics ou y sont implantées des organisations mafieuses). La France a signé 37 accords de coopération pour la sécurité intérieure, notamment avec de nombreux pays européens, mais aussi avec la Turquie, le Liban, l’Ukraine, la Russie, plusieurs pays d’Asie centrale et de la péninsule arabique. Le présent accord s’inscrit dans cet ensemble.

b. Une coopération déjà substantielle

Une coopération significative s’est développée avec les services géorgiens avant même que le présent accord ne soit signé.

Un service de sécurité intérieure (SSI) à vocation régionale (Caucase) a été créé dès septembre 2002 à l’ambassade de France à Tbilissi. Il est constitué d’un attaché de sécurité intérieure, assisté d’un secrétaire-interprète et d’un chauffeur.

La coopération opérationnelle a réellement débuté en 2006 et les échanges se sont intensifiés depuis 2008 dans le cadre de demandes d’entraide judiciaire.

De mars 2010 à décembre 2012, dix-huit actions de coopération technique ont été effectuées. De nombreux thèmes ont été couverts, dont la lutte contre la fraude documentaire, les contrôles aux frontières, la police technique et scientifique, la lutte contre le trafic de stupéfiants, la lutte contre la délinquance itinérante et la cybercriminalité. En 2013, une formation sur les techniques d’enquête sur les scènes de crime a été dispensée et une rencontre d’experts organisée en vue d’instaurer une collaboration régulière sur les phénomènes de criminalité transnationale. En 2014, deux actions sont programmées sur les thématiques de la prévention de la délinquance des mineurs et de la lutte contre l’immigration irrégulière.

En corollaire, les demandes opérationnelles des services français ont considérablement augmenté, de même que les demandes d’assistance des enquêteurs chargés de l’exécution de commissions rogatoires internationales : on est passé d’une commission rogatoire par an de 2009 à 2012 à cinq au premier semestre 2013, auxquelles se sont ajoutées deux demandes d’extradition.

Enfin, la coopération franco-géorgienne concerne aussi la sécurité civile, avec des activités régulières : visites d’étude des responsables géorgiens des situations d’urgence ; actions de formation sur les interventions en milieu périlleux, la gestion opérationnelle des transmissions en temps de crise, le sauvetage en montagne... La direction de la protection et de la sécurité civile a conduit un jumelage relatif à la prévention et à la gestion des crises avec le département géorgien des situations d’urgence. Les actions de ce jumelage, financé par l’Union européenne à hauteur de 800 000 euros, se sont déroulées d’août 2012 à juillet 2013.

En matière de coopération multilatérale, la France est également partenaire de la Pologne dans le cadre du projet « Euro East Police », qui devrait débuter au premier semestre 2014. Ce programme de coopération, financé par l’Union européenne au bénéfice des pays du Partenariat oriental, dont la Géorgie, a trois objectifs : renforcer le travail en réseau des autorités de police dans les pays bénéficiaires, faciliter la création de partenariats avec eux et renforcer les bonnes pratiques en matière de conduite d’opérations de police contre le crime transnational.

c. Les résultats obtenus

Depuis 2009, la coopération entre les services de plusieurs pays européens et géorgiens a permis de lutter efficacement contre certaines des organisations mafieuses issues du Caucase. C’est ainsi qu’en juin 2013, la police judiciaire a démantelé un réseau géorgien de « voleurs dans la loi », rattaché au « clan de Tbilissi », procédant à l’arrestation d’une quarantaine de personnes, dont 21 ont été mises en examen et 17 écrouées. Ce réseau, qui sévissait dans plusieurs régions françaises depuis 2011, était impliqué dans de multiples infractions : cambriolages, vols, trafic de cigarettes, escroqueries aux cartes bancaires, contrefaçon, fabrication et utilisation de faux documents. Le même mois, une opération menée par la police italienne en coopération avec celles de cinq autres pays européens a de même permis l’arrestation de 19 membres du « clan de Koutaïssi ».

En matière d’immigration irrégulière, bien que la Géorgie ne soit pas considérée comme un pays « source », de nombreuses vérifications ont été réalisées. En février 2012, un passeur polonais a été interpellé avec sept personnes de nationalité géorgienne dans l’est de la France ; les passagers avaient effectué une demande d’asile auprès des autorités lettones. Les autorités géorgiennes coopèrent pleinement au retour de leurs ressortissants en situation irrégulière sur le territoire français (208 éloignements en 2012 et 144 de janvier à juin 2013).

La coopération en matière de lutte contre le trafic de produits stupéfiants est en revanche en fort ralentissement depuis 2008. De l’avis de l’administration française, les chiffres communiqués par les autorités locales ne reflètent pas la réalité des trafics ni des quantités d’héroïne et de cannabis qui transitent vers l’Europe par la Géorgie. Les saisies sont par exemple beaucoup plus importantes en Iran.

III. UN ACCORD DE SÉCURITÉ INTÉRIEURE DE FACTURE CLASSIQUE

Comme on l’a vu, une coopération significative s’est développée en matière de sécurité intérieure entre la France et la Géorgie avant même la signature du présent accord. Cette coopération, explique l’étude d’impact du présent projet de loi, ne pouvait reposer que sur deux textes généraux inadaptés aux besoins spécifiques des services chargés de cette coopération : le traité d’entente, d’amitié et de coopération du 21 janvier 1994 et l’accord de coopération culturelle, scientifique et technique du 3 février 1997. Le présent accord vise donc à donner une base juridique solide à la coopération policière avec la Géorgie, en délimitant clairement son objet et en prévoyant aussi les clauses restrictives et protectrices des libertés qui figurent classiquement dans un accord de cette nature.

Comme on l’a dit également, la France a conclu dans le monde près d’une quarantaine d’accords de coopération à vocation générale dans le domaine de la sécurité intérieure, sans même décompter les accords plus spécifiques (lutte contre le terrorisme, la criminalité organisée, projets particuliers, etc.), ceux de coopération transfrontalière en matière policière, ou encore les arrangements administratifs.

De son côté, la Géorgie a signé une quinzaine d’accords de cette nature, principalement avec certaines ex-républiques soviétiques et divers pays européens (Autriche, Bulgarie, Estonie, Italie, Lettonie, Malte, Pologne, Roumanie et Royaume Uni). D’autres seraient en négociation avec l’Allemagne, l’Espagne, la Hongrie, la Lituanie, la Norvège, la Slovénie, la Suède et la République tchèque.

Le présent accord est donc d’un type très classique et il suit, dans ses clauses, à quelques particularités près, la rédaction habituelle des accords passés par la France dans ce domaine.

A. UNE NÉGOCIATION RALENTIE PAR LES ALÉAS POLITIQUES EN GÉORGIE

La finalisation du présent accord a été retardée par les aléas de la vie politique géorgienne. La première version en a été présentée en juillet 2003, mais son examen a ensuite été bloqué par la Révolution des roses à la fin de cette année. Puis les négociations ont été suspendues entre 2005 et 2007 pendant la réorganisation des services du ministère de l’intérieur géorgien et la mise en place progressive des bases de données et des procédures d’accès aux informations.

Le processus de négociation a été relancé en 2008, à l’initiative de la France, pour aboutir le 26 novembre 2009 à la signature de l’accord.

B. DES STIPULATIONS HABITUELLES DANS LES ACCORDS DE COOPÉRATION DANS LE DOMAINE DE LA SÉCURITÉ INTÉRIEURE

1. Le champ de la coopération policière

L’article 1er de l’accord dresse une liste de dix-sept domaines dans lesquels il est prévu que les deux pays mènent, dans le champ policier, « une coopération technique et opérationnelle » et « s’accordent mutuellement assistance » : luttes contre la criminalité organisée, le trafic de stupéfiants, le terrorisme, les infractions économiques (notamment le blanchiment de fonds), la traite des êtres humains, la cybercriminalité, le trafic d’organes, l’immigration illégale, la contrefaçon des moyens de paiement et des documents d’identité, le trafic d’armes, le trafic de véhicules volés, le trafic d’objets d’art, les atteintes à l’environnement et à la santé publique et la criminalité itinérante ; sûreté des transports ; police technique et scientifique ; formation des personnels.

Il est cependant précisé que la coopération peut être étendue à d’autres domaines par accord des parties. Selon le ministère des affaires étrangères, il est d’usage, dans les accords de coopération policière signés par la France, de mentionner une liste non-exhaustive de domaines de coopération, afin notamment de marquer l’existence d’une « grammaire » commune de coopération, en fixant les concepts utilisés conjointement et en veillant à l’emploi d’une terminologie cohérente avec les grandes conventions internationales conclues dans les domaines considérés. La liste du présent accord correspond aux missions des offices centraux de la police et de la gendarmerie nationale, qui seront chargés de la mise en œuvre de l’accord pour la France.

2. Les formes et les procédures de la coopération envisagée

Les articles 2 à 5 de l’accord définissent les modalités de mise en œuvre de la coopération policière entre les deux pays. Celle-ci pourra notamment comprendre : des échanges d’informations policières ; des échanges d’expériences et des formations ; des échanges de spécialistes et d’experts ; l’organisation de rencontres d’experts ; le détachement d’officiers de liaison… Au cas où des mesures sortant de l’ordinaire – par exemple la constitution d’équipes mixtes de renseignement – seraient nécessaires, il est mentionné la possibilité d’arrangements complémentaires pour les organiser.

Il est également prévu la tenue, au moins une fois par an, de « réunions de haut niveau » pour analyser la situation en matière de sécurité intérieure et envisager des améliorations de la coopération bilatérale.

Par ailleurs, dans un souci d’efficacité, des dispositions plus détaillées sont prévues en ce qui concerne la lutte contre le trafic de stupéfiants et la lutte contre le terrorisme. Il s’agit en effet de domaines où le recueil d’informations au niveau international est particulièrement important. Or, la Géorgie se situe sur la route de l’héroïne vers l’Europe et, s’agissant du terrorisme, dans un environnement régional très sensible (Nord-Caucase, Iran, Irak, Syrie…). L’article 4 précise donc les modalités particulières de coopération en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants, notamment l’échange d’échantillons de produits et de leurs précurseurs, qui est nécessaire aux services compétents pour améliorer leur connaissance des produits stupéfiants. De même, l’article 5 précise la coopération en matière de lutte contre le terrorisme, qui portera notamment sur les actes non seulement commis mais également projetés, ainsi que sur les groupes terroristes. Là encore, il s’agit d’informations cruciales pour les services compétents.

3. Une originalité : l’extension de la coopération aux questions de sécurité civile

À la coopération policière, l’article 6 de l’accord ajoute, ce qui constitue une originalité par rapport à la plupart des accords de sécurité intérieure, une coopération dans le domaine de la sécurité civile : échange d’informations scientifiques et techniques ; échange d’experts ; formation de spécialistes. L’article 7 prévoit une assistance mutuelle en cas de catastrophes.

4. Les garanties de droit prévues

Plusieurs stipulations – au demeurant classiques dans ce type d’accords – établissent des garde-fous permettant une mise en œuvre contrôlée et respectueuse des règles de droit.

a. Le respect de la législation et des engagements internationaux de chaque partie

Les articles 8 et 13 disposent que la coopération menée dans le cadre du présent accord doit se conformer strictement à la législation nationale et aux engagements internationaux des deux parties. Cela renvoie à un corpus important d’engagements : pour la France et la Géorgie, il s’agit d’abord des conventions de l’ONU mentionnées dans le préambule du présent accord, telles que la convention sur les substances psychotropes du 21 février 1971 et la convention contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes du 19 décembre 1988. Il s’agit en outre, pour la France, du titre V du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne portant sur l’espace de liberté, de sécurité et de justice. Il s’agit enfin des conventions du Conseil de l’Europe auxquelles la France et la Géorgie ont toutes deux adhéré : convention d’entraide judiciaire en matière pénale ; convention européenne pour la répression du terrorisme ; convention relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime ; convention sur la cybercriminalité.

b. Des clauses limitatives habituelles

Le présent accord comprend deux clauses limitatives communes dans les accords de coopération policière passés par la France :

– en application de l’article 1er, la coopération en matière d’entraide judiciaire et d’extradition n’est pas couverte. Selon le ministère des affaires étrangères et en l’absence d’accords spécifiques entre les deux pays, les engagements pris par la France et la Géorgie en tant que membres du Conseil de l’Europe (convention européenne d’entraide judiciaire en matière pénale du 20 avril 1959 et son protocole additionnel du 17 mars 1978 ; convention européenne d’extradition du 13 décembre 1957) suffisent à assurer une bonne entraide judiciaire – la Géorgie a déjà accueilli des enquêteurs français dans des conditions satisfaisantes ;

– en application de l’article 8, le pays destinataire d’une demande exprimée par l’autre dans le cadre du présent accord pourra refuser d’y répondre si cela devait porter atteinte « aux droits fondamentaux de la personne » ou « à la souveraineté, à la sécurité, à l’ordre public, aux règles d’organisation et de fonctionnement de l’autorité judiciaire ou à d’autres intérêts essentiels de son État ». Il n’est en outre pas prévu d’obligation de motiver le refus opposé dans ces conditions. De ce fait et au regard de la rédaction très large des raisons de refus indiquées, qui invoquent notamment les « intérêts essentiels » des parties, il s’agit bien là d’un garde-fou discrétionnaire permettant de faire prévaloir des préoccupations politiques.

c. La protection de la confidentialité des informations échangées

L’article 9 impose le respect de la confidentialité des informations, objets, échantillons et moyens techniques échangés : interdiction de communication à des tiers sans l’accord de la partie d’origine ; interdiction d’utilisation à des fins autres que celles pour lesquelles ils ont été communiqués sans cet accord.

d. Une question qui n’est pas explicitement traitée, celle des échanges de données à caractère personnel

La question des données personnelles (nominatives) est évidemment très sensible en matière de coopération policière : leur échange est la condition d’une coopération efficace, mais ne peut s’envisager que dans un cadre de droit protecteur.

Le texte du présent accord ne mentionne pas de traitement spécifique des données personnelles qui seraient échangées, ce qui, d’après l’étude d’impact, semble résulter d’un choix délibéré de rédaction effectué en 2009. Pour autant, la formulation de certaines dispositions du texte semble impliquer un tel échange, par exemple, aux articles 4 et 5, les mentions d’informations relatives aux organisations de trafiquants de drogue et aux groupes terroristes.

En fait, si la France pourra recevoir en application du présent accord des données personnelles, elle ne pourra, sauf exceptions, en transmettre à la Géorgie en l’état actuel du droit et de la situation de ce pays.

En effet, d’éventuels transferts de données de cette nature devraient s’inscrire dans le cadre restrictif prévu par l’article 12 de la loi n° 2004-801 du 6 août 2004 relative à la protection des personnes physiques à l’égard des traitements de données à caractère personnel et modifiant la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés. Selon cette loi, « le responsable d’un traitement [fichier informatisé] ne peut transférer des données à caractère personnel vers un État n’appartenant pas à la Communauté européenne que si cet État assure un niveau de protection suffisant de la vie privée et des libertés et droits fondamentaux des personnes à l’égard du traitement dont ces données font l’objet ou peuvent faire l’objet ». La Géorgie n’est pas membre de l’Union européenne et la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), de même que la Commission européenne, ne considèrent pas à ce jour qu’elle dispose d’une législation adéquate pour assurer ce niveau de protection. Par ailleurs, il existe certes des dérogations à cette interdiction de transfert de données personnelles, mais elles sont limitées (sauvegarde de la vie de la personne concernée, intérêt public…) et complexes à mettre en œuvre.

5. Les dispositions finales

Le texte de l’accord se conclut par de classiques dispositions finales, comprenant notamment la désignation des autorités compétentes pour sa mise en œuvre – en l’espèce les ministres de l’intérieur des deux pays (article 11) –, le règlement des différends – par négociation des parties (article 14) – et l’entrée en vigueur (article 15). Celle-ci est prévue au premier jour du deuxième mois suivant la notification de sa ratification par la moins diligente des parties. En Géorgie, l’accord a été ratifié en décembre 2009, par décret présidentiel et suite à un examen parlementaire. L’accord est conclu pour trois ans, tacitement renouvelables.

CONCLUSION

Le présent accord donne un cadre de droit à une coopération policière qui est nécessaire face au développement de la criminalité transnationale et du terrorisme. Sa rédaction est conforme à celle des accords de cette nature et comporte en particulier les clauses habituelles de protection de la confidentialité des informations échangées et de faculté de refuser une demande qui porterait atteinte à un intérêt politique majeur.

Par ailleurs, il a été passé avec un pays ami de la France et qui a très clairement opté pour la démocratie et le rapprochement avec l’Europe. Il répond également à un enjeu réel, celui de la délinquance ayant ses sources en Géorgie, qui s’est implantée en France depuis quelques années.

C’est pourquoi votre rapporteur vous invite à en autoriser la ratification en adoptant le présent projet de loi.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission examine, sur le rapport de M. Thierry Mariani, le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord relatif à la coopération en matière de sécurité intérieure avec la Géorgie (n° 289), au cours de sa séance du mardi 10 juin 2014.

Un débat a lieu après l’exposé du rapporteur.

M. Jean-Pierre Dufau. Dans cet accord qui respecte le modèle classique pour ce type d’accords, des dispositions particulières ont-elles été réclamées par l’une ou l’autre des parties ?

M. Thierry Mariani, rapporteur. À ma connaissance, non.

Mme Chantal Guittet. Des bandes organisées géorgiennes sont présentes en France, notamment en Bretagne. Comment expliquer que la Géorgie, qui connaît pourtant une croissance assez élevée et se porte relativement bien économiquement, soit à l’origine de ce type de criminalité transfrontalière ? Est-ce lié aux inégalités que creuse cette croissance, ou ce phénomène peut-il s’expliquer par les conflits relatifs à l’Abkhazie et à l’Ossétie du Sud ?

M. Thierry Mariani. La question de la criminalité transfrontalière n’a rien à voir avec ces conflits. Cela renvoie plutôt à des spécificités régionales ancrées dans la tradition, qui remontent au temps de l’Union soviétique.

Par ailleurs, il est vrai que le taux de croissance de la Géorgie est important mais au prix d’inégalités considérables, en particulier entre Tbilissi et le reste du pays.

Mme la Présidente Élisabeth Guigou. La Géorgie est un pays proche de la France. Nous avons tout intérêt à développer toutes les formes de coopération possibles avec ce pays, a fortiori en matière de lutte contre la criminalité. Seule une coopération internationale intensive peut permettre de lutter contre toutes les formes de criminalité transfrontalière organisée.

Suivant les conclusions du rapporteur, la commission adopte sans modification le projet de loi (n° 289).

ANNEXE

TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Article unique

(non modifié)

Est autorisée l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de Géorgie relatif à la coopération en matière de sécurité intérieure, signé à Paris, le 26 novembre 2009, et dont le texte est annexé à la présente loi.

NB : Le texte de l’accord figure en annexe au projet de loi (n° 289).

© Assemblée nationale

1 () M. Sandro Girgvliani a été enlevé et battu à mort par des fonctionnaires du ministère de l’intérieur, en janvier 2006, après une altercation verbale avec de hauts responsables de ce ministère dans un café. Quelques policiers ont certes été jugés et condamnés ensuite, mais dans le cadre d’un procès bâclé où l’ensemble des autorités politiques, administratives et judiciaires semblent avoir agi de concert pour empêcher que justice soit réellement faite. L’État a donc été condamné par la CEDH à indemniser la famille de la victime.

2 () En particulier M. Vano Merabichvili, secrétaire général du parti de M. Saakachvili, ancien Premier ministre et ministre de l’intérieur, qui a été arrêté le 21 mai 2013 sous les accusations d’avoir détourné plusieurs millions d’euros de fonds publics, financé ainsi plusieurs milliers d’emplois fictifs pour les militants de son parti et abusé de sa position pour occuper pendant quatre ans une villa sans en indemniser le propriétaire.

3 () Une hausse de 40 % des demandes de visas a été constatée ces cinq dernières années, tandis qu’une hausse de 70 % de demandeurs d’asile était relevée en 2012.