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N
° 2504

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 janvier 2015

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LA PROPOSITION DE LOI (n° 1519) DE MMES DANIELLE AUROI, BARBARA POMPILI ET M. FRANÇOIS DE RUGY ET PLUSIEURS DE LEURS COLLÈGUES, relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre,

PAR Mme Danielle AUROI

Députée

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SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION 5

I. L’EXIGENCE D’UNE RESPONSABILITÉ DES FIRMES MULTINATIONALES 7

A. UN MOUVEMENT GÉNÉRAL POUR UNE RESPONSABILITÉ ACCRUE 8

1. Une attente internationale 8

2. L’exemple d’États étrangers 11

3. Une attente également exprimée en France 13

B. L’AUTONOMIE DE LA PERSONNALITÉ JURIDIQUE, UN OBSTACLE DÉSORMAIS FRIABLE 15

1. Une condition de l’engagement de la responsabilité 15

2. Des atténuations toujours plus fréquentes 17

a. Des exceptions anciennes 17

b. Une accélération récente 18

II. UNE PROPOSITION DE LOI ADAPTÉE AUX ENJEUX 19

A. UN PRÉALABLE : LA COMPÉTENCE DE LA LOI ET DES JURIDICTIONS FRANÇAISES 20

B. UN MÉCANISME : LA RESPONSABILITÉ POUR FAUTE PRÉSUMÉE 21

a. Une obligation légale de diligence raisonnable 21

b. Le refus d’une responsabilité de plein droit 22

c. Le renversement de la charge de la preuve 24

C. UNE GARANTIE : UNE INSCRIPTION DANS TROIS CODES 25

DISCUSSION GÉNÉRALE 27

EXAMEN DES ARTICLES 41

TITRE 1ER – DU DEVOIR DE VIGILANCE DES SOCIÉTÉS DANS LE CADRE DE LEURS ACTIVITÉS ÉCONOMIQUES OU COMMERCIALES 41

Article 1er (art. L.233-41 du code de commerce [nouveau]) : Institution d’une obligation de vigilance dans le code de commerce 41

TITRE 2 – RESPONSABILITÉS DES SOCIÉTÉS DU FAIT D’UN MANQUEMENT À L’OBLIGATION DE VIGILANCE DANS LE CADRE DE LEURS ACTIVITÉS ÉCONOMIQUES OU COMMERCIALES 47

Article 2 (art. 1386-19 du code civil [nouveau]) : Institution d’une responsabilité civile des personnes morales pour manquement à l’obligation de vigilance 47

Article 3 (art. 121-3 du code pénal) : Institution d’une responsabilité pénale des personnes morales pour manquement à l’obligation de vigilance 50

TABLEAU COMPARATIF 53

PERSONNES ENTENDUES PAR LA RAPPORTEURE 57

mesdames, messieurs,

Le 12 avril 2012, quelques semaines avant son élection à la présidence de la République, M. François Hollande déclarait : « Je souhaite que soient traduits dans la loi les principes de responsabilité des maisons-mères vis-à-vis des agissements de leurs filiales à l’étranger lorsqu’ils provoquent des dommages environnementaux et sanitaires. »

Ces orientations politiques ont d’ores et déjà commencé à trouver une application dans la loi de la République. La loi n° 2014-773 du 7 juillet 2014 d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale, dite « loi Canfin », proclame ainsi dans son article 5 : « La politique de développement et de solidarité internationale prend en compte l’exigence de la responsabilité sociétale des acteurs publics et privés. La France promeut cette exigence auprès des pays partenaires et des autres bailleurs de fonds. Dans le cadre de cette exigence de responsabilité sociétale, les entreprises mettent en place des procédures de gestion des risques visant à identifier, à prévenir ou à atténuer les dommages sociaux, sanitaires et environnementaux et les atteintes aux droits de l’homme susceptibles de résulter de leurs activités dans les pays partenaires. La France encourage les sociétés ayant leur siège sur son territoire et implantées à l’étranger à mettre en œuvre les principes directeurs énoncés par l’Organisation de coopération et de développement économiques à l’intention des entreprises multinationales et les principes directeurs sur les entreprises et les droits de l’homme adoptés par le Conseil des droits de l’homme de l’Organisation des Nations unies (…). »

La présente proposition de loi vise à concrétiser l’objectif fixé par la loi Canfin. Dans une démarche collective, les quatre groupes de gauche de l’Assemblée nationale ont déposé des propositions de loi identiques visant à responsabiliser les entreprises dominantes quant aux conséquences sur les droits fondamentaux, la santé et l’environnement des activités de leurs sous-traitants (1). Cette action conjointe est apparue évidente dès lors qu’il s’agissait de lutter contre les formes les plus manifestes d’esclavage moderne et d’appeler les grandes entreprises à leurs responsabilités dans le contrôle des comportements de leurs partenaires économiques. Du naufrage de l’Erika au large des côtes françaises en 1999 (2), à l’effondrement du Rana Plaza à Dacca (Bangladesh) au printemps 2013 (3), les exemples se sont accumulés, qui démontrent que l’on ne peut plus opposer les raisonnements économiques aux questions sociales et environnementales.

Or, au moment même de la discussion en commission de la présente proposition de loi, la justice décidait le classement sans suite de deux plaintes déposées par des associations de défense des droits de l’homme contre des multinationales : l’une dénonçait l’écart entre les engagements éthiques de la société concernée et la réalité de ses pratiques illustrée par sa présence dans le dossier du Rana Plaza, l’autre se fondait sur des accusations de travail forcé et de travail d’enfants dans des usines de Chine (4). Pourtant, le président de la République réaffirmait encore dans ses vœux aux parlementaires pour l’année 2015 qu’une « justice exemplaire, c’est une justice accessible à tous ».

Il s’agit désormais d’asseoir des mesures de prévention et, le cas échéant, d’assurer un meilleur accès des victimes à la justice en cas de dommages graves, dans le droit fil des engagements français et européens en faveur de la protection des droits fondamentaux et de l’environnement. On ne peut qu’espérer que cette résolution humaniste, dans la lignée des valeurs que porte la France dans le monde depuis 1789, sera partagée par tous les Républicains sur tous les bancs de l’Assemblée nationale comme elle l’est déjà par une grande partie des entreprises françaises dans tous les pays où elles interviennent.

I. L’EXIGENCE D’UNE RESPONSABILITÉ DES FIRMES MULTINATIONALES

Les enjeux du monde moderne ne se limitent plus à la seule recherche de la croissance. Ils sont désormais ceux du développement durable, c’est-à-dire de la poursuite simultanée d’un progrès économique, d’avancées sociales et d’un respect de l’environnement. Cette préoccupation est systématique portée par la France au niveau international, et le pays peut légitimement s’enorgueillir d’accueillir en décembre 2015 la prochaine Conférence des parties sur la lutte contre le changement climatique (COP 21).

Mais le développement durable n’est pas seulement l’affaire des États. Il est aussi celle des entreprises dont il est désormais attendu une dimension socialement et environnementalement responsable. La plupart des grands groupes développent aujourd’hui des actions de RSE (5). Dès 2009, un rapport fondateur de l’ONU rappelait que « la responsabilité de respecter les droits de l’homme pour les entreprises est reconnue par presque toutes les initiatives RSE émanant d’entreprises ou de secteurs d’activité, approuvée par les plus importantes associations professionnelles au monde, affirmée dans le Pacte mondial et ses réseaux nationaux dans le monde entier, et consacrée dans des instruments de droit directifs. (6) ».

La démarche incitative et facultative semble toutefois atteindre ses limites. Si de nombreuses entreprises se sont engagées à surveiller les conséquences de leurs actions, d’autres n’entendent pas se mobiliser dans le silence de la loi, et d’autres encore ne souhaitent pas étendre leur volontarisme à leurs relations d’affaires. En l’absence d’un mécanisme de responsabilité juridique des entreprises transnationales pour les violations des droits humains commises par leurs filiales et sous-traitants – notamment hors des frontières nationales –, il est délicat pour les victimes d’obtenir réparation des préjudices subis. Les États n’ont que rarement transposé en droit interne les principes internationaux et beaucoup, avec l’assentiment des représentants des firmes multinationales, se limitent à promouvoir des guides internes non contraignants (soft law). La mise en cause de la responsabilité juridique des groupes est empêchée, en France notamment, par le principe d’autonomie de la personnalité juridique des filiales.

La déconnexion est complète entre le pouvoir économique et la responsabilité juridique, ce qui ne peut satisfaire personne. Il convient donc de faire évoluer le droit afin de généraliser et d’étendre le mouvement.

A. UN MOUVEMENT GÉNÉRAL POUR UNE RESPONSABILITÉ ACCRUE

Le débat autour de la responsabilité des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre n’est aucunement franco-français. Il a lieu dans les forums internationaux ainsi que dans des États voisins et partenaires de la France.

1. Une attente internationale

Les dernières décennies ont vu se former des attentes toujours plus fortes en faveur d’une responsabilité accrue des entreprises. Les textes et les documents internationaux, certes déclaratifs et dépourvus de force juridique, se sont accumulés pour demander une meilleure protection des droits humains et de l’environnement par le secteur économique. Ils proclament la responsabilité, pour les entreprises, de prévenir les accidents comme les abus en leur sein et, à différents degrés, dans les activités de leur chaîne de valeur (7). Il en découle une extension de la responsabilité des entreprises sur leurs relations d’affaires et leur sphère d’influence. Par ailleurs, si le comportement des sociétés est prioritairement visé, l’action des États souverains est considérée nécessaire pour veiller au respect des bonnes pratiques et pour instituer des sanctions adaptées en cas de défaut constaté sur leur territoire ou sous leur juridiction.

Parmi ces textes internationaux, qui formalisent un cadre de référence dont les différents pays sont appelés à s’inspirer pour l’élaboration de leur législation interne, on citera les plus notables.

Les Principes directeurs de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) à destination des entreprises multinationales ont été élaborés dès 1976 et révisés en 2011 (8). Normes de bonne pratique, elles proclament que les entreprises doivent « respecter les droits de l’homme, ce qui signifie qu’elles doivent se garder de porter atteinte aux droits d’autrui et parer aux incidences négatives sur les droits de l’homme dans lesquelles elles ont une part ». Ces recommandations s’étendent au-delà de l’entreprise elle-même puisque, « dans le contexte de la chaîne d’approvisionnement, si une entreprise s’aperçoit qu’il existe un risque d’incidence négative, elle devrait alors prendre les mesures nécessaires pour y mettre fin ou pour l’empêcher ». La démarche responsable envers les partenaires commerciaux, sous-traitants et fournisseurs, se trouve donc clairement explicitée.

La Déclaration de principes tripartite sur les entreprises multinationales et la politique sociale, adoptée par l’Organisation internationale du travail (OIT) en 1977 et révisée en 2006, recommande tant aux gouvernements qu’aux partenaires sociaux de respecter les droits humains notamment contenus dans la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948 (9). Bien que dépourvu de valeur contraignante, et alors même que le dépôt, auprès de l’organisation, de rapports périodiques sur les réalisations effectuées demeure de la seule volonté des États, ce texte présente l’intérêt de faire apparaître, le premier, une convergence de différentes parties prenantes sur la nécessité de garantir les droits de l’homme dans le monde de l’entreprise.

Le Pacte mondial des Nations unies a été rédigé en juillet 2000 à l’initiative du Secrétaire général d’alors, M. Kofi Annan. Regroupant 12 000 signataires répartis dans plus de 145 pays, il incite des entreprises à promouvoir et à respecter la protection du droit international relatif aux droits de l’homme « dans leur sphère d’influence » et « à adopter, soutenir et appliquer dans leur sphère d’influence un ensemble de valeurs fondamentales ». Les signataires, qui adhèrent par simple lettre adressée par leurs instances dirigeantes au secrétaire général de l’ONU, s’engagent à « aligner leurs opérations et leurs stratégies sur dix principes universellement acceptés touchant les droits de l’homme, les normes du travail, l’environnement et la lutte contre la corruption (10) ». Par la suite, trois résolutions adoptées par l’Assemblée générale des Nations unies ont apporté un soutien explicite à cette démarche (11).

L’Union européenne commence une réflexion dès 2001 avec la publication d’un livre vert sur la responsabilité sociale des entreprises (12). Si les comportements internes font l’objet de l’essentiel du document, les relations commerciales extérieures ne sont pas pour autant négligées. Elles apparaissent dans un paragraphe n° 48 : « Les grandes entreprises ont en même temps des relations commerciales avec de petites sociétés, que ce soit parmi leurs clients, fournisseurs, sous-traitants ou concurrents. Les entreprises devraient être conscientes que leurs performances sociales peuvent pâtir des pratiques de leurs partenaires et fournisseurs tout au long de la chaîne de production. Les retombées des mesures de responsabilité sociale d’une entreprise ne seront pas limitées à cette dernière, mais toucheront également ses partenaires économiques (…) ».

Les lignes directrices de la norme ISO 26 000, édictées le 12 décembre 2008 par l’Organisation internationale de normalisation (ISO), définissent les orientations de la responsabilité sociétale des entreprises. Elles mentionnent la nécessité de prendre en compte la notion de « sphère d’influence » dans une démarche RSE exhaustive : « Bien qu’une organisation ne puisse pas être tenue pour responsable des impacts d’activités qu’elle ne contrôle pas ou de décisions prises par d’autres, les impacts des activités et des décisions sur lesquelles elle exerce un contrôle peuvent être considérables. En général, l’organisation décide d’avoir ou non des relations avec une autre organisation et elle choisit également la nature ou l’étendue des relations en question. Il y aura des situations où il incombe à l’organisation, d’une part de faire preuve de vigilance vis-à-vis des impacts induits par les activités et les décisions d’autres organisations et d’autre part de prendre des mesures pour éviter ou atténuer les impacts négatifs en rapport avec les relations qu’elle entretient avec lesdites organisations (13) ».

En 2005, le Secrétaire général de l’ONU Kofi Annan désigna M. John Ruggie représentant « chargé de la question des droits de l’homme et des sociétés transnationales et autres entreprises ». Ses travaux ont abouti à l’adoption unanime par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies, en 2011, des trente et un « principes Ruggie (14) ». Ceux-ci affirment notamment l’obligation qui s’impose à chaque État de préserver les droits humains dès lors que des atteintes sont constatées sur son territoire ou sous sa juridiction (principe n° 1). Le droit à l’accès au juge doit également être assuré (principe n° 13). Enfin, une nouvelle fois, ce texte international considère que la responsabilité d’une société dépasse ses activités propres pour embrasser celles de ses partenaires économiques : « lorsqu’une entreprise contribue ou peut contribuer à une incidence négative sur les droits de l’homme, elle doit prendre les mesures nécessaires pour empêcher ou faire cesser sa contribution et user de son influence pour atténuer les incidences restantes dans la mesure du possible. On considérera qu’il y a influence lorsque l’entreprise a la capacité d’apporter des changements aux pratiques illicites d’une entité qui commet un abus (…) » (principe n° 19).

Il convient de souligner que ces textes, qui expriment des attentes relativement voisines en ce qui concerne le comportement des entreprises multinationales envers leurs relations d’affaires, s’inscrivent tous dans une démarche facultative, non contraignante et non vérifiable. Certaines institutions internationales peuvent réclamer des rapports de suivi ; rien ne vient sanctionner l’inaction d’un État et les abus d’une entreprise. Ils constituent cependant une avancée considérable en balisant le chemin des entreprises qui souhaitent s’inscrire avec sincérité dans une démarche socialement responsable.

Le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a récemment décidé de compléter son approche incitative avec une dimension juridiquement contraignante. Le 25 juin 2014, il a créé un Groupe de travail chargé d’élaborer un instrument international juridiquement contraignant pour réglementer, dans le cadre du droit international des droits humains, les activités des sociétés transnationales (15). La France, qui a émis un vote négatif sur cette proposition, a justifié sa position par une préférence pour l’action normative des États au sein de leur ordre juridique interne – ce qui est, effectivement, le sens des « principes Ruggie ». Il n’en est que plus urgent de transcrire dans la loi nationale le principe d’une responsabilité des entreprises multinationales peu regardantes des atteintes aux droits fondamentaux, à la santé et à l’environnement que pourraient commettre leurs sous-traitants, fournisseurs et filiales. D’autres États de l’OCDE se sont d’ailleurs déjà engagés en ce sens.

2. L’exemple d’États étrangers

La France peut s’inspirer de différentes législations étrangères qui, déjà, prescrivent aux entreprises multinationales un devoir de vigilance dans leurs relations avec leurs cocontractants. La protection de la santé des personnes, la préservation de la qualité de l’environnement, la prévention des pratiques de corruption sont ainsi visées, parfois pour des faits commis hors du territoire national.

Au Royaume-Uni, la loi sur la corruption (16) prévoit la responsabilité d’une entreprise dès lors qu’elle bénéficie des agissements répréhensibles d’un tiers – filiale, intermédiaire ou toute autre relation économique. La faute est présumée et l’entreprise ne peut se défendre de l’accusation qu’en justifiant avoir mis en œuvre les procédures adéquates destinées à empêcher ses partenaires économiques de se commettre de la sorte : c’est sur elle que repose la charge de la preuve (17). En outre, la loi britannique s’applique dès lors que l’entreprise dominante exerce une part de son activité au Royaume-Uni ou, a fortiori, si son siège social s’y trouve. Ainsi, « une société allemande disposant de points de vente au Royaume-Uni qui verse un pot-de-vin en Espagne peut, au moins en théorie, faire l’objet de poursuites au Royaume-Uni. (…) La section 7(2) ne permet de s’en défendre qu’en prouvant l’existence de procédures adéquates destinées à empêcher les personnes liées à la société de se comporter de la sorte. (18) » 

En Suisse, l’article 102 du code pénal dispose que, dans une série de cas, « l’entreprise est punie indépendamment de la "punissabilité" des personnes physiques s’il doit lui être reproché de ne pas avoir pris toutes les mesures d’organisation raisonnables et nécessaires pour empêcher une telle infraction. »

Au Canada, depuis 2004, une société est tenue de protéger ses employés et la population environnante contre le risque de dommage corporel et de prendre des mesures raisonnables en ce sens au titre de l’article 217.1 du code criminel (19). Sa responsabilité est engagée si elle, ou son représentant, échoue à empêcher un sinistre. La définition retenue du « représentant » étend la responsabilité de la société à ceux avec qui elle travaille. Seuls les dommages survenus au Canada tombent cependant sous le coup de cette disposition.

Enfin, aux États-Unis, une ancienne loi relative aux dommages causés aux étrangers (20) donne compétence aux juridictions américaines pour connaître des actions civiles engagées par des citoyens étrangers en cas de violation du droit des gens (21) ou d’un traité conclu par les États-Unis. Elle fut peu appliquée pendant deux siècles mais, au cours des décennies 1980, 1990 et 2000, l’interprétation jurisprudentielle s’est faite toujours plus extensive, jusqu’à affirmer la compétence de la justice américaine pour juger des actes commis hors de son territoire dès lors que ceux-ci attentaient aux droits de l’homme (22). La Cour suprême a finalement condamné cette interprétation en 2013, jugeant sa base juridique insuffisante (23). Dans l’intervalle, plusieurs victimes avaient pu obtenir réparation de la part des entreprises mises en cause (24).

Même dans un contexte de mondialisation, il est possible pour un État d’édicter une législation vouée à limiter les infractions commises par des multinationales en dehors des frontières. Ces différents précédents le montrent. Tout au plus faut-il exclure l’idée de compétence universelle (25) naguère défendue par les juridictions américaines, et veiller à l’existence d’un élément de rattachement entre une affaire et la France. Assujettir à une obligation de vigilance les seules sociétés de nationalité française répond à cette contrainte, ainsi que le montre la politique britannique de lutte contre la corruption.

3. Une attente également exprimée en France

Les discussions menées au sein de la plateforme RSE (26) n’ont pas permis d’aboutir à un consensus sur l’opportunité d’une législation française portant sur la reconnaissance de leurs responsabilités vis-à-vis de leurs filiales ainsi qu’entre donneurs d’ordres et sous-traitants. Si la totalité des syndicats a souscrit à cette perspective, y compris les syndicats de cadres, des oppositions persistent dans la sphère patronale.

Il est cependant probable que les entreprises aient beaucoup à gagner à une généralisation de l’obligation de surveillance des sociétés donneuses d’ordre. Le renforcement de la responsabilité des entreprises transnationales soulève la question de la compétitivité de l’économie française en général, et des entreprises françaises en particulier. Outre son coût humain et environnemental dans les pays où il est pratiqué, le dumping sur les droits humains et sur les normes environnementales pénalise les entreprises implantées dans nos territoires, qui demeurent soumises au droit français et à ses exigences.

De plus, un meilleur contrôle de la chaîne de valeur ne peut que profiter aux entreprises. Les coûts de réparation et de dédommagement en cas d’accident peuvent être importants et dépasser ceux liés à la prévention en amont des risques. Sans même évoquer les risques de sous-traitance dissimulée, la survenance d’une catastrophe, voire la simple révélation de mauvaises pratiques, ont généré des situations très délicates à travers le monde au cours des dernières décennies. Aucune entreprise ne souhaite être confrontée aux campagnes négatives qu’a dû affronter Nike tout au long des années 1990, lorsque les conditions de travail dans ses chaînes de montage d’Asie avaient été exposées aux consommateurs occidentaux, alors même que sa réputation de qualité et son image de marque étaient les principaux arguments de vente face à ses concurrents.

Nul ne peut admettre l’argument selon lequel une vigilance sur le respect des droits fondamentaux et de l’environnement reviendrait à obérer la compétitivité des entreprises françaises. Cette protestation ne reviendrait-elle pas à admettre qu’aujourd’hui, cette compétitivité se fonderait sur la violation des droits humains et du développement ? On ne pourrait y lire qu’un aveu, par ailleurs en contradiction avec les bonnes pratiques vantées par les supports de communication des entreprises. Ce serait prétendre que la violation des droits humains conditionne la compétitivité, et cela n’est ni vrai ni acceptable.

Fort heureusement, les entreprises françaises sont généralement conscientes des enjeux : beaucoup se sont déjà dotées de chartes éthiques, ou adhèrent volontairement à des initiatives publiques ou privées dans lesquelles elles s’engagent à mettre en œuvre certains principes extra-financiers. En majorité, elles conduisent d’ores et déjà des audits internes et externes à différents niveaux de leurs chaînes de production, et sont déjà organisées pour mettre en œuvre leur devoir de vigilance. Certaines sont également déjà soumises à des obligations de reporting extra-financier. Il est regrettable que ces bons élèves peinent trop souvent à valoriser leurs efforts et à y trouver un avantage compétitif face à des concurrents moins regardants. Les bonnes pratiques spontanées n’obligent que ceux qui les mettent en œuvre et, paradoxalement, les entreprises qui se comportent bien sont économiquement pénalisées par rapport à celles qui se comportent mal. La théorie économique admet de longue date la légitimité de la puissance publique à intervenir pour incorporer dans les calculs de rentabilité les externalités (27), que ce soit par le règlement ou par la fiscalité. Certaines entreprises l’ont bien compris et se sont déclarées favorables à la généralisation, par la loi, des précautions qu’elles s’imposent déjà d’elles-mêmes (28).

Enfin, outre les partenaires sociaux et les différentes organisations non-gouvernementales de défense des droits humains et de l’environnement, la commission nationale consultative des droits de l’homme s’est prononcée dans un avis du 24 octobre 2013. Saisie par le ministre délégué chargé des affaires européennes et le ministre délégué chargé du développement en vue de la préparation du plan d’action français de mise en application des Principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme, elle plaide sans hésitation en faveur d’une action législative : « la CNCDH, regrettant l’insuffisante prise en compte des risques relatifs aux droits de l’homme, recommande que le plan d’action français (…) impose une obligation légale de diligence raisonnable (due diligence) en matière de droits de l’homme aux entreprises pour leurs activités et celles de leurs filiales et partenaires commerciaux, en France comme à l’étranger. (…) Pour remédier au risque que des violations des droits de l’homme commises par des filiales et des entreprises sous-traitantes à l’étranger restent impunies, la CNCDH recommande d’encourager la remontée de la responsabilité vers la société-mère ou donneuse d’ordre, notamment lorsque la société liée n’est pas en mesure d’assumer ses responsabilités. (29».

Déclarations internationales, exemples étrangers, sollicitations intérieures : tout ou presque plaide en faveur de l’instauration d’une obligation de vigilance des entreprises donneuses d’ordre.

B. L’AUTONOMIE DE LA PERSONNALITÉ JURIDIQUE, UN OBSTACLE DÉSORMAIS FRIABLE

La principale difficulté rencontrée dans la voie de l’instauration d’une obligation de vigilance des entreprises donneuses d’ordre tient au principe d’autonomie de la personnalité juridique. Traditionnellement très protecteur des sociétés, hormis en cas d’abus manifeste, il connaît toutefois des exceptions toujours plus nombreuses.

1. Une condition de l’engagement de la responsabilité

Si le vocabulaire économique emploie volontiers le terme de « groupe » pour évoquer une société multinationale et ses filiales, celles-ci demeurent en droit des entités séparées. Chacune, par conséquent, assume sa responsabilité propre à l’exclusion de celle des autres. La Cour de cassation a eu l’occasion de le rappeler dans une jurisprudence récente : « un "groupe de sociétés" ne peut, faute de personnalité morale, être titulaire de droits et d’obligations et se voir infliger une condamnation (30) ».

L’autonomie de la personnalité juridique des sociétés d’un même groupe constitue donc un « voile », un « écran », un « bouclier » entre la société-mère et ses filiales. Elle empêche d’engager la responsabilité de la première pour les actes des secondes. La problématique est identique, et plus évidente encore, dans une relation de sous-traitance. Cette protection néglige la réalité économique et les impacts que les sociétés du groupe peuvent avoir sur les droits humains et sur l’environnement. Ainsi, l’absence de responsabilité spécifique de la société-mère vis-à-vis de ses filiales forme le principal obstacle à l’accès à la justice pour les victimes de dommages survenus dans le cadre de l’activité d’entreprises transnationales.

Le droit commun de la responsabilité civile, fondé sur les articles 1382 et 1383 du code civil (31), détermine trois conditions d’engagement de la responsabilité : une faute, un préjudice et un lien de causalité entre les deux. Or comment rapporter la preuve que la faute ou la négligence de la société mère a été la cause directe du dommage quand c’est la filiale, ou le sous-traitant, qui est en charge des opérations sur le terrain ? En réalité, il faudrait parvenir à établir une situation d’apparence propre à engager solidairement l’entreprise de tête (32), ce que la jurisprudence admet rarement.

La victime d’une filiale d’un groupe international ne peut donc pas engager de poursuites qu’à l’encontre de la filiale, dans le pays où elle est basée, et non mettre en jeu la responsabilité du groupe ou de la société-mère. Or certains de ces États ne permettent pas facilement d’accéder à la justice ; de surcroît, la filiale peut disparaître ou se déclarer insolvable.

La « levée du voile de la personne morale (33) » permet, en dernier recours, de contourner une conception strictement légaliste du principe de la personnalité juridique. Le législateur a, en effet, jugé utile d’aménager des exceptions pour combattre une irresponsabilité jugée inacceptable par la collectivité.

2. Des atténuations toujours plus fréquentes

Différentes branches du droit français admettent des atténuations au principe d’autonomie de la personnalité juridique. Si elles se réfèrent à des critères différents du fait d’objectifs dissemblables, ces dispositions ont le même effet : faire apparaître une cohérence de groupe en lieu et place d’une collection de sociétés.

a. Des exceptions anciennes

En droit du travail, l’article L. 2331-1 du code du travail exige qu’un comité de groupe soit « constitué au sein du groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante, dont le siège social est situé sur le territoire français, et les entreprises qu’elle contrôle dans les conditions définies [par le] code de commerce. Est également considérée comme entreprise dominante, pour la constitution d’un comité de groupe, une entreprise exerçant une influence dominante sur une autre entreprise dont elle détient au moins 10 % du capital, lorsque la permanence et l’importance des relations de ces entreprises établissent l’appartenance de l’une et de l’autre à un même ensemble économique. »

En droit commercial, l’article L. 233-16 du code de commerce indique que le « contrôle exclusif par une société résulte [soit] de la détention directe ou indirecte de la majorité des droits de vote dans une autre entreprise ; [soit] de la désignation, pendant deux exercices successifs, de la majorité des membres des organes d’administration, de direction ou de surveillance d’une autre entreprise. La société consolidante est présumée avoir effectué cette désignation lorsqu’elle a disposé au cours de cette période, directement ou indirectement, d’une fraction supérieure à 40 % des droits de vote, et qu’aucun autre associé ou actionnaire ne détenait, directement ou indirectement, une fraction supérieure à la sienne ; [soit] du droit d’exercer une influence dominante sur une entreprise en vertu d’un contrat ou de clauses statutaires, lorsque le droit applicable le permet. Le contrôle conjoint est le partage du contrôle d’une entreprise exploitée en commun par un nombre limité d’associés ou d’actionnaires, de sorte que les décisions résultent de leur accord. L’influence notable sur la gestion et la politique financière d’une entreprise est présumée lorsqu’une société dispose, directement ou indirectement, d’une fraction au moins égale au cinquième des droits de vote de cette entreprise. » Dans cette situation, un rapport de groupe et une consolidation comptable doivent être réalisés, qui s’affranchissent des règles fiscales et juridiques de séparation des patrimoines.

En matière de pratiques anticoncurrentielles, « l’Autorité de la Concurrence adopte une approche fonctionnelle des groupes de sociétés en considérant la réalité économique de l’entreprise à travers le contrôle de fait exercé sur la filiale par la mère. Cette approche vise à sanctionner la société mère pour la pratique anticoncurrentielle de sa filiale en considérant qu’elle ne constitue qu’une seule entreprise. L’Autorité de la Concurrence française présume ainsi qu’une filiale qui est contrôlée à 100 % par sa société mère applique pour l’essentiel les instructions qui lui sont données par sa société mère, sans devoir vérifier si la société mère a effectivement exercé ce pouvoir (34). » Cette approche est similaire en droit européen, où existe une présomption simple de l’influence décisive d’une société-mère sur la filiale qu’elle possède totalement (35).

b. Une accélération récente

Les exceptions anciennes au principe d’autonomie de la personne juridique répondent à des besoins anciens et désormais admis par les entreprises. Elles n’ont pas d’effet sur l’engagement de leur responsabilité. Il n’en va pas de même de modifications récentes qui ont institué des obligations de vigilance dont le mépris justifie des sanctions.

Dans le domaine de la protection de l’environnement, la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, dite « loi Grenelle 2 », a permis de percer le voile de la personnalité morale pour faire en sorte que la société contrôlante assure tout ou partie du financement des mesures de remise en état des sites en fin d’activité à la suite d’un défaut de la société contrôlée, à condition toutefois qu’il s’agisse d’installations classées pour la protection de l’environnement au sens du code de l’environnement. De plus, le même article 227 crée la possibilité d’engager des poursuites contre la société-mère en cas de « faute caractérisée commise qui a contribué à une insuffisance d’actif de la filiale » pour les pollutions générées par l’activité de cette dernière.

Quant à la protection des droits fondamentaux des travailleurs, elle a justifié l’adoption de la loi n° 2014-790 du 10 juillet 2014 visant à lutter contre la concurrence sociale déloyale, dite « loi Savary ». Ce texte instaure le principe de « responsabilité solidaire, permettant de poursuivre l’entreprise donneuse d’ordres pour les fraudes (travailleurs non déclarés, salaires incomplets, utilisation d’une société écran basée dans un autre pays de l’Union européenne pour l’emploi en France de Français sous le statut de travailleur détaché, etc.) commises par l’un de ses sous-traitants. (36) » À travers un devoir de vigilance incombant au donneur d’ordre qui sollicite des prestataires établis à l’étranger, et en renforçant la responsabilité des donneurs d’ordres et maîtres d’ouvrage vis-à-vis de leurs sous-traitants – quel que soit le pays d’établissement de ces derniers –, la France a protégé les droits fondamentaux des travailleurs détachés (37). La sanction d’éventuels manquements consiste en une amende administrative.

Les mécanismes récents de protection des droits fondamentaux et de l’environnement n’hésitent pas à remettre en question le principe d’autonomie des personnes morales, au moyen notamment d’obligations de vigilance. La présente proposition de loi suit la même voie pour réprimer les atteintes à la santé, à l’environnement et aux droits fondamentaux commises par les filiales et par les sous-traitants de firmes françaises.

II. UNE PROPOSITION DE LOI ADAPTÉE AUX ENJEUX

Il est fréquemment objecté aux tentatives de renforcements des droits et libertés dans le cadre national que celles-ci trouveraient davantage leur place dans l’espace de l’Union européenne. L’argument n’en est pas un : ce n’est pas parce que la France s’abstient que l’Europe s’engagera, bien au contraire. C’est en s’engageant que la France peut convaincre ses partenaires européens de cesser de s’abstenir. La lenteur et la complexité du processus normatif européen, ainsi que l’action des groupes de pression favorables au statu quo, rendent peu probable l’adoption de solutions courageuses sans qu’un ou plusieurs États membres n’aient préalablement éclairé le chemin.

La France peut s’enorgueillir d’un précédent important en matière de responsabilité sociétale des entreprises, ayant été précurseur dans la mise en place d’une obligation de reporting extra-financier. Existerait-il un texte continental (38) s’il n’avait pas été précédé par des prescriptions françaises (39) et encouragé, dans sa conception, par une résolution de l’Assemblée nationale (40) ?

Plus de 20 % des cinquante plus grandes entreprises européennes ont installé leur siège social en France. Une loi française aurait donc un impact significatif sur la perception par l’Union européenne de la question de la responsabilisation des sociétés donneuses d’ordre. Tel est l’objectif de cette proposition de loi, qui prévoit un dispositif adapté aux enjeux et respectueux des contraintes imposées tant par la réalité de l’économie mondiale que par le droit international (41).

A. UN PRÉALABLE : LA COMPÉTENCE DE LA LOI ET DES JURIDICTIONS FRANÇAISES

En matière de contentieux de la responsabilité, les règles de compétence des juridictions au sein de l’Union européenne sont déterminées par le règlement n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale. Son article 4.1 est explicite : « sous réserve du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre. » L’article 63.1 précise que « les sociétés et les personnes morales sont domiciliées là où est situé : a) leur siège statutaire ; b) leur administration centrale ; ou c) leur principal établissement. » La victime étrangère d’un dommage causé à l’étranger du fait d’une entreprise transnationale peut donc saisir le juge français, en pratique, dès lors que le siège social de l’entreprise visée se trouve en France.

En outre, l’article 15 du code civil établit depuis l’origine une compétence des juridictions françaises dès lors que le défendeur est un national. « Un Français pourra être traduit devant un tribunal de France, pour des obligations par lui contractées en pays étranger, même avec un étranger. »

Si le conflit de juridictions se résout rapidement au bénéfice des tribunaux français, il n’en va pas de même du conflit de lois. « La loi éventuellement applicable au fond du litige est sans effet sur la juridiction compétente », affirme la jurisprudence (42). Au contraire, en responsabilité civile prévaut normalement la lex loci delicti commissi – la loi du lieu de commission du délit (43). Par exception toutefois, une incompatibilité du droit de l’État où les violations ont été commises avec l’ordre public entraînerait le juge à écarter la disposition en cause et à s’en remettre à la loi française (44). Une législation peu protectrice des droits fondamentaux, attentatoire à la dignité humaine, ou liberticide, mais en tout cas inapte à sanctionner les opérateurs économiques fautifs, ne les protégerait pas de la loi française. Si le droit du pays du dommage est compatible avec l’ordre public français, en revanche, il sera appliqué – ce qui ne soulève aucune difficulté car il sera alors suffisamment protecteur des droits des victimes.

B. UN MÉCANISME : LA RESPONSABILITÉ POUR FAUTE PRÉSUMÉE

La proposition de loi entend assujettir les entreprises donneuses d’ordre à une obligation de vigilance, et présumer l’existence d’une faute afin de renverser la charge de la preuve afin qu’elle ne pèse plus sur des victimes souvent dénuées des moyens de l’administrer.

a. Une obligation légale de diligence raisonnable

On sait que le principe d’autonomie de la personnalité juridique s’oppose à une remontée de la responsabilité de la filiale vers la société-mère et du sous-traitant vers le donneur d’ordre. On sait aussi combien il est aléatoire de rechercher une faute de l’entreprise dominante, et combien il est difficile de la prouver, alors que la direction des opérations sur le terrain est exercée par une autre personne morale et par ses agents.

Sur le modèle des lois n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement et n° 2014-790 du 10 juillet 2014 visant à lutter contre la concurrence sociale déloyale, et conformément à la recommandation de la commission nationale consultative des droits de l’homme, la seule voie juridique de responsabilisation des sociétés mères passe par l’introduction dans la loi d’une nouvelle obligation de vigilance. Celle-ci permettra d’allier une démarche de prévention, afin de prévenir les dommages, à une possibilité de sanction en cas de manquement, par la mise en jeu de la responsabilité civile pour faute.

Il s’agit bien de protéger les victimes de violations de droits humains perpétrées par des acteurs économiques. Cette obligation devrait donc être imposée pour éviter les risques graves de sinistre, en amont du fait dommageable, ou les dommages graves, en aval de celui-ci. Ces risques ou ces dommages sont donc potentiellement générés par des acteurs qui conduisent des activités à risque pour les droits humains (industries extractives, par exemple).

Pour autant, l’objectif poursuivi par la proposition de loi ne consiste pas à faire assumer par l’entreprise-mère, ou par la société donneuse d’ordre, les conséquences de la totalité des dommages de toutes natures survenus du fait de l’activité de ses partenaires économiques. Plusieurs garde-fous sont établis :

– seuls sont visés les dommages constitutifs d’atteintes sanitaires, environnementales et aux droits fondamentaux. Des préjudices d’une autre nature n’entreront pas dans le champ de la loi ;

– seuls sont visés les « risques avérés » et les dommages d’une certaine « gravité ». Il ne revient pas à l’entreprise dominante de prévenir une simple incertitude, ni de réparer des dommages minimes ;

– l’action de l’entreprise dominante en vue de la satisfaction de son devoir de vigilance est appréciée « compte tenu du pouvoir et des moyens » dont elle dispose. Certaines atteintes aux droits fondamentaux ou à l’environnement peuvent être ouvertement pratiquées par des gouvernements étrangers ; il n’incombera bien sûr pas aux opérateurs économiques d’infléchir les choix politiques de nations étrangères. Par ailleurs, cette précision limite fortement la responsabilité des petites et moyennes entreprises, dont les moyens d’action sur les partenaires économiques sont très inférieurs à ceux de sociétés multinationales.

La notion de diligence raisonnable est avancée par le dix-septième principe directeur relatif aux entreprises et aux droits de l’homme formulé par les Nations unies : « Afin d’identifier leurs incidences sur les droits de l’homme, prévenir ces incidences et en atténuer les effets, et rendre compte de la manière dont elles y remédient, les entreprises doivent faire preuve de diligence raisonnable en matière de droits de l’homme. Ce processus devrait consister à évaluer les incidences effectives et potentielles sur les droits de l’homme, à regrouper les constatations et à leur donner une suite, à suivre les mesures prises et à faire savoir comment il est remédié à ces incidences ».

La diligence raisonnable constitue une obligation de moyen et non de résultat. Elle consiste à prendre une série de mesures appropriées dans le but de réaliser un objectif défini dans une norme nationale ou internationale, à respecter un niveau minimal de prudence dans la prise en compte d’un standard extérieur. Selon les Nations unies, son contenu fondamental se réfère au minimum « à la Charte internationale des droits de l’homme – la Déclaration universelle et les deux Pactes internationaux − ainsi qu’à la Déclaration de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail. Il y a deux raisons à cela. D’une part, les principes consacrés par ces instruments sont les plus universellement reconnus par la communauté internationale. D’autre part, c’est principalement à leur aune que les autres acteurs sociaux jugent de l’impact des entreprises sur les droits de l’homme (45) »

Les « mesures nécessaires et raisonnablement [en son pouvoir] en vue de prévenir ou d’empêcher la survenance d’un dommage ou d’un risque certain de dommage » qu’évoque la proposition de loi sont laissées à l’appréciation de l’entreprise sous le contrôle du juge.

b. Le refus d’une responsabilité de plein droit

La proposition de loi poursuit l’objectif d’une juste corrélation entre le pouvoir économique des multinationales et leur responsabilité juridique. Ceci suppose de faciliter les conditions de l’action civile à leur encontre. Pour autant, il n’a jamais été envisagé d’élargir cette responsabilité au-delà de comportements fautifs, comme cela a pu être évoqué par le passé.

La responsabilité d’une personne pour les actes commis par un tiers existe depuis l’origine dans le code civil français, à l’article 1384 (46). Dans ses réflexions sur la réforme du droit des obligations et du droit de la prescription, la commission présidée par le professeur Pierre Catala avait envisagé d’étendre sa logique aux relations entre sociétés dominantes et entreprises contrôlées. (47) Elle avait ainsi proposé la création d’un nouvel article 1360 dont le second alinéa aurait été rédigé comme suit : « De même, est responsable celui qui contrôle l’activité économique ou patrimoniale d’un professionnel en situation de dépendance, bien qu’agissant pour son propre compte, lorsque la victime établit que le fait dommageable est en relation avec l’exercice du contrôle. Il en est ainsi notamment des sociétés mères pour les dommages causés par leurs filiales ou des concédants pour les dommages causés par leurs concessionnaires. » Une note de bas de page précisait que « l’alinéa 2 vise essentiellement les rapports franchiseurs-franchisés, sociétés mères-filiales (d’où la précision "bien qu’agissant pour son propre compte"). »

C’était une véritable responsabilité sans faute à prouver qui était envisagée par l’avant-projet Catala. La seule survenance d’un dommage engageait la société-mère dès lors que son contrôle sur les activités de sa filiale était établi. Extrêmement protectrice des droits des victimes, cette disposition exposait grandement les entreprises dominantes qui n’avaient aucun moyen de s’exonérer de leur responsabilité, et dont la bonne foi et les bonnes pratiques étaient sans effet sur le risque juridique encouru. Un groupe de travail de la Cour de Cassation a critiqué cette perspective en des termes très durs : « En ce qui concerne les autres cas de dépendance économique, la mesure proposée est à ce point imprécise quant à son champ d’application qu’elle apparaît dangereuse au point de receler en germe des risques de dépaysement de holdings implantées en France et plus généralement de délocalisation des fonctions de direction et de contrôle de certains pans de l’économie. En l’état, la mesure apparaît inopportune. Sur un plan plus juridique, la disposition appliquée à la société-mère responsable du fait de ses filiales méconnaît l’autonomie de la personnalité morale dont est dotée chacune des sociétés du groupe, alors que le groupe lui-même n’est consacré dans notre droit que de manière encore très marginale (en droit du travail pour la représentation sociale, en droit des sociétés pour le contrôle des seuils de participation ou encore en droit comptable pour les comptes consolidés), trop marginale sans doute pour qu’un système de responsabilité puisse être bâti sur ce fondement. En pratique, il est à craindre que la société mère, rendue responsable du fait de sa filiale, soit tentée, si ce n’est par la délocalisation de ses activités de holding, risque déjà évoqué, par une immixtion croissante et malsaine dans la conduite des affaires de la société contrôlée. Par une ironie du sort, le système, poussé à ses extrêmes, pourrait “retomber sur ses pieds”, car la société mère peut d’ores et déjà en droit positif engager sa responsabilité du fait de sa filiale lorsque la seconde est devenue une entité fictive du fait de l’ingérence de la première. (…) Cette disposition, dans son ensemble, appelle donc de la part du groupe les plus expresses réserves. (48) »

Les réticences exprimées par le groupe de travail de la Cour de cassation sont convaincantes. Il ne semble ni opportun ni juste d’engager objectivement la responsabilité d’une entreprise dominante, de la contraindre à réparer un préjudice sans lui permettre de se défendre alors même qu’elle n’aurait commis aucune faute ni aucune négligence.

c. Le renversement de la charge de la preuve

Il n’en reste pas moins que, même en instituant une obligation de vigilance sur les violations des droits fondamentaux et les atteintes à la santé ou à l’environnement, le droit français ne laisse que peu d’espoir aux victimes de voir leur action civile prospérer. Rapporter la preuve d’un manquement d’une multinationale à son devoir, pour un salarié d’un pays tiers pour lequel l’accès au droit est généralement délicat, pourrait constituer un obstacle infranchissable. Pour résoudre cette difficulté, la proposition de loi suggère d’instituer une présomption simple de responsabilité, c’est-à-dire d’inverser la charge de la preuve.

Les principes du droit civil français exigent que la preuve incombe au demandeur. Le code civil (49) et le code de procédure civile (50) sont explicites à ce propos. Par exception toutefois, la loi peut établir des présomptions, définies par l’article 1349 du code civil comme « des conséquences que la loi ou le magistrat tire d’un fait connu à un fait inconnu. » Au titre de l’article 1352, « la présomption légale dispense de toute preuve celui au profit duquel elle existe. »

Ainsi, au cas d’espèce, si une violation des droits humains survient du fait de l’activité d’un sous-traitant ou d’une filiale d’une multinationale, il incombe au donneur d’ordre ou à la société-mère d’apporter la preuve qu’elle a satisfait à l’obligation de vigilance édictée par la loi. La présomption est simple : l’entreprise de bonne foi conserve la possibilité de se défendre et de dégager sa responsabilité. Cette architecture apparaît plus équitable que le droit commun actuellement applicable : il incomberait toujours au demandeur de prouver la causalité entre le manquement et le préjudice subi ; il reviendrait à la société de démontrer que les procédures mises en œuvre satisfaisaient à son obligation de vigilance.

C. UNE GARANTIE : UNE INSCRIPTION DANS TROIS CODES

L’obligation de vigilance des acteurs économiques instaure à la fois un principe de prévention et un nouveau régime de responsabilité afin de circonvenir le risque de déni de justice. Ce dernier doit concerner tous les acteurs économiques de taille ; il ne doit donc pas viser uniquement les sociétés commerciales mais également les entreprises publiques. Le régime de responsabilité civile qu’introduit cette proposition de loi dans le code civil à destination de toutes les personnes morales répond par anticipation à d’éventuelles objections fondées sur la nature publique d’une entreprise : aucun statut, aucune différence dans le caractère privé ou public du capital ne doit permettre de se libérer de l’obligation de vigilance.

L’insertion dans le code pénal devrait, d’une part, constituer un puissant outil de dissuasion. D’autre part et surtout, elle permet de recourir à un régime d’administration de la preuve nettement plus favorable aux victimes que celui du droit civil (51).

DISCUSSION GÉNÉRALE

La Commission procède à l’examen de la proposition de loi de Mmes Danielle Auroi, Barbara Pompili et M. François de Rugy et plusieurs de leurs collègues relatives au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre (n° 1519) (Mme Danielle Auroi, rapporteure).

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Nous avons le plaisir d’accueillir Mme Danielle Auroi pour rapporter la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, qu’elle a déposée avec ses collègues du groupe écologiste.

Mme Danielle Auroi, rapporteure. Cette proposition de loi est le résultat d’un travail mené depuis deux ans par des députés de plusieurs groupes politiques avec l’ensemble des organisations non-gouvernementales (ONG) concernées, tous les syndicats, y compris les syndicats de cadres, et certains juristes de haut vol parmi lesquels je tiens à citer M. Antoine Lyon-Caen, universitaire et avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, et M. Charley Hannoun, avocat spécialisé en droit des sociétés.

Je suis heureuse de présenter un texte qui rassemble les valeurs humanistes que nous partageons tous, et qui me paraît fondé sur les valeurs sociales et environnementales en général dévolues à la gauche. Les quatre groupes politiques de gauche de l’Assemblée nationale ont d’ailleurs déposé des propositions de loi identiques – j’en profite pour remercier tous les collègues concernés, en particulier M. Dominique Potier qui nous rejoint.

Nous avons rarement l’occasion de voter un texte qui fasse avancer de façon aussi évidente les droits de l’homme, et qui s’inscrive autant dans la lignée de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, de Victor Schœlcher et de l’abolition de l’esclavage, de Jean Jaurès et de la question sociale.

Car il s’agit bien de lutter contre une forme moderne d’esclavage organisé sous nos yeux dans le contexte de la mondialisation, par l’exploitation d’hommes et de femmes, dissimulée sous des relations de sous-traitance et de filiales. Deux exemples illustrent suffisamment notre sujet.

Le 24 avril 2013, dans un faubourg de Dacca, capitale du Bangladesh, s’effondrait le Rana Plaza, immeuble abritant plusieurs usines spécialisées dans la production textile, en particulier pour des marques occidentales. Quasiment deux ans après un drame qui a causé la mort de près de 1 200 personnes et fait des centaines de blessés, le fonds d’indemnisation n’est pas abondé à hauteur de la moitié du niveau nécessaire. À ce jour, la plupart des victimes n’ont rien perçu ! Sans pression de la loi, il est clair que les entreprises traînent les pieds.

L’exemple de la préparation de la coupe du monde de football de 2022 au Qatar est moins connu, mais il est significatif. De très nombreuses entreprises françaises et européennes ont recours à des sous-traitants qui, sur place, n’ont pas hésité à pratiquer l’esclavage moderne. Songez que le parking de l’hôtel Sheraton, qui doit accueillir le siège local de la fédération internationale de football pendant l’événement, a été construit par des Népalais auxquels on a retiré leur passeport et qui étaient contraints de travailler douze heures consécutives chaque jour dans les conditions climatiques que vous imaginez. Il y a eu des morts sur ce chantier. Ce sont les damnés de la Terre de notre temps ! Malgré cela, les multinationales donneuses d’ordre n’hésitent pas à affirmer qu’elles ne sont responsables de rien puisque la loi est muette sur le sujet.

Il est vrai que le principe d’autonomie des personnes morales les dégage de toute responsabilité quant au comportement de leurs cocontractants. On peut comprendre la logique juridique qui veut que l’on ne soit responsable que de ses actes et non de ceux des autres, mais l’on saisit surtout qu’existe un biais économique dans le cadre d’une véritable course à la rentabilité. La justice qui se veut exemplaire doit aussi être accessible à tous. La loi doit veiller à ce que cela soit bien le cas.

Tout le monde admet désormais que l’entreprise a un rôle à jouer dans la société au-delà de sa stricte activité industrielle. Les entreprises elles-mêmes se dotent de chartes et de référentiels de bonnes pratiques pour la protection des droits fondamentaux, de la santé et de l’environnement. Ces initiatives conservent toutefois une portée interne ; elles ne règlent pas la question des sous-traitants ou des filiales.

De nombreux textes internationaux issus par exemple de l’Organisation internationale du travail (OIT), des Nations unies (ONU), de l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE), ou de l’Organisation internationale de normalisation – je pense à la norme ISO 26000 –, acceptés par les entreprises et les gouvernements, promeuvent le respect de ces droits dans les relations avec les cocontractants. Ces documents n’ont cependant pas de valeur juridique : ils ne constituent que des incitations à agir que les bons élèves traduisent en actes alors que les autres s’en dispensent.

Il est aujourd’hui nécessaire d’avancer et de proclamer par la loi qu’une grande entreprise doit veiller à ce que ses partenaires ne se comportent pas en négriers des temps modernes. Le reporting extra-financier et la loi dite Savary du 10 juillet 2014 sur les travailleurs détachés ont été des initiatives françaises avant que l’Union européenne ne les reprenne. De la même façon, si la France fait un pas en avant, elle pourrait être suivie par l’Europe. D’autres pays de l’OCDE ou de l’Union européenne ont déjà de meilleures pratiques que les nôtres – on peut citer l’Allemagne, le Royaume-Uni ou le Canada qui avancent dans le sens recommandé par les Nations unies.

Cette proposition de loi est d’abord un texte de prévention qui vise à éviter les excès. Son dispositif simple assigne à l’entreprise un devoir de vigilance, et il présume sa responsabilité en cas de dommage survenu du fait de ses sous-traitants ou de ses filiales. Évidemment, des garde-fous sont prévus car personne ne peut croire qu’une entreprise peut tout surveiller, fût-elle une firme.

Seuls seront concernés les dommages graves à l’environnement, à la santé et aux droits fondamentaux. La société mère pourra prouver sa bonne foi en montrant qu’elle a pris les précautions nécessaires – les Nations unies avaient évoqué les procédures de « diligence raisonnable » – pour réduire le risque. Les efforts déployés seront appréciés en fonction des moyens de l’entreprise, ce qui protège les PME.

Je veux dissiper un malentendu : ce texte n’est pas une déclaration de guerre aux entreprises françaises…

M. Guy Geoffroy. Cela se saurait !

M. Lionel Tardy. Il s’agit sans doute d’un encouragement ?

Mme la rapporteure. …ni un moyen de les détourner de leurs marchés extérieurs. Elles ont beaucoup progressé en matière de responsabilité sociale et environnementale grâce aux discussions qui ont eu lieu au sein du Point de contact national (PCN). La proposition de loi leur demande une diligence raisonnable, pas de changer le monde ! Notez que la démonstration du lien de causalité entre le dommage subi et l’entreprise concernée est à la charge de la victime – ce qui n’est pas simple quand on sait que la plupart d’entre elles se trouvent dans des pays du Sud.

Il s’agit aussi de protéger les entreprises des dégâts causés à leur réputation par de mauvaises associations dont elles n’ont parfois pas conscience. Il est clair que la catastrophe du Rana Plaza a eu un impact négatif sur l’image des groupes Auchan et Carrefour, dont j’ai reçu des responsables. Depuis le drame, Carrefour a par exemple mené un travail considérable pour afficher son exemplarité.

Je suis fière, en tant que femme de gauche, de porter un texte si important pour les droits de dizaines de milliers de personnes à travers le monde, et pour l’environnement des générations futures. Je remercie les députés socialistes, communistes, radicaux qui ont accompagné les écologistes dans la préparation de cette proposition de loi. Je me félicite, enfin, que la Plateforme nationale d’actions globales pour la responsabilité sociétale des entreprises, créée en juin 2013 au sein du Commissariat général à la stratégie et à la prospective, propose aujourd’hui un texte proche des dispositions qui vous sont soumises.

Je suis évidemment ouverte à l’adoption d’amendements qui amélioreraient la proposition de loi d’ici à son examen en séance publique, le jeudi 29 janvier prochain. J’espère que l’Assemblée nationale s’honorera en portant haut le principe de la dignité humaine et qu’elle entraînera le monde dans la bonne direction.

Mme Geneviève Levy. Alors que les acteurs économiques ressentent le besoin d’être rassurés et qu’ils réclament plus de sécurité juridique afin de surmonter les difficultés de tous ordres auxquelles ils sont confrontés, nous aurions pu imaginer qu’une trêve serait déclarée dans la production de la réglementation asphyxiante qui les contraints. Au lieu de cela, un nouveau message de défiance leur est envoyé avec la création d’une présomption de responsabilité automatique, particulièrement surprenante dans notre droit, qui constitue un nouveau facteur d’insécurité juridique.

Le mieux est parfois l’ennemi du bien. Sur le sujet qui vous préoccupe, les entreprises françaises sont déjà très avancées. Plutôt que d’encourager leurs efforts, vous présentez un texte qui risque de décourager les entrepreneurs et de les pousser à délocaliser.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Cette proposition de loi a pour objectif louable d’introduire progressivement un peu de morale dans notre économie mondialisée. Il vise en particulier les personnes qui travaillent dans des conditions épouvantables, souvent à l’autre bout de la planète, sans que les consommateurs en soient vraiment informés, sinon après des catastrophes, comme cela s’est produit avec celle de Bhopal en décembre 1984 ou avec le drame du Rana Plaza.

Pour autant, si l’on veut légiférer, il importe d’être audible au niveau international et de mener une action qui concerne toutes les entreprises multinationales qui pourraient s’installer dans le monde ou dans notre pays, d’où qu’elles viennent. Il faut en conséquence cibler la nature des entreprises concernées, ce que ne fait pas la proposition de loi qui s’applique aux entreprises unipersonnelles et aux artisans, alors que seules devraient être visées les grandes entreprises utilisant des sous-traitants à l’étranger.

L’ajout d’une référence à l’Union européenne dans le texte permettrait, par ailleurs, de créer une dynamique de responsabilité qui, selon nous, doit être imposée à toute la chaîne de sous-traitance.

Les quatre groupes politiques de gauche ont déposé des propositions de loi identiques sur le bureau de l’Assemblée nationale. Cela devrait permettre de faire avancer le dossier et de trouver la solution afin que la voix de la France s’impose rapidement et fermement sur ce sujet majeur. Nous vous proposons de voter contre la proposition de loi de manière à en préparer une autre, dans des termes similaires, avec Mme la rapporteure.

M. Jacques Bompard. Cette proposition de loi est une belle initiative. Elle propose de poser des principes d’intérêt général dans une société qui pèche, à l’évidence, dans la défense du bien commun. Elle propose de sortir de la logique du caveat emptor, selon laquelle il revient au seul acheteur d’être vigilant, en rappelant aux entreprises, comme à tous les autres acteurs de la société, qu’à côté de chaque droit existent des devoirs afférents, et cela est vrai des droits économiques comme des autres.

L’exposé des motifs le précise à raison : cette proposition de loi serait une occasion de réduire le dumping social qui encourage les délocalisations. Elle permettrait donc, d’une certaine manière, de protéger notre économie. Puisque nous avons délaissé beaucoup des droits fondamentaux d’une nation au profit d’instances bruxelloises ou mondialistes, toute possibilité de protectionnisme, même par les normes, est à saluer.

J’ajoute qu’il s’agit d’une proposition de loi de bon sens. Elle prend en effet en compte la dissolution des responsabilités dans une économie mondialisée où les comportements, les incitations, les groupes de pression ont cherché avec assiduité à rompre l’ensemble des lois qui devaient protéger les acteurs de notre société.

Je vais même jusqu’à croire que les rédacteurs de cette proposition de loi ont laissé une chance aux entreprises d’agir elles-mêmes plutôt que de vouloir les astreindre à un cadre rigide. Voilà donc le si sain principe de subsidiarité respecté jusque dans les textes de loi écologistes ! Un cadre légal qui exige une responsabilisation instaure une régulation sans tomber dans l’étatisme. Je crois en effet que le monde économique se responsabilisera lorsque nous cesserons de fantasmer une autorégulation qui n’a eu pour conséquences que le retour à la prédation mercantile et le recours à l’importation de travailleurs.

Il me semble cependant que deux pistes de travail devraient être explorées.

La première concerne les migrations internationales. Les multinationales aiment en effet à jouer des vagues migratoires pour réduire leurs coûts, et faire primer la valeur sur les droits fondamentaux des peuples. C’est un phénomène que je dénonce en France depuis longtemps, mais la chape de plomb du politiquement correct nous interdit souvent d’aller plus avant. Peut-être quelques visites au Proche-Orient ou au Qatar permettraient-elles d’altérer les points de vue et d’admettre que des millions de travailleurs se déplacent aujourd’hui par le monde, sans que leurs droits ne soient respectés et sans qu’en réalité aucun autre choix ne leur soit proposé ? Cela conduit à des drames humains, familiaux et économiques. Il me semble que la vigilance des sociétés donneuses d’ordre devrait être exigée à ce sujet.

Une seconde piste concerne le sujet éthique de la définition de l’homme. Si cette proposition de loi est un bien indéniable, elle se concentre sur les personnes morales que sont les multinationales et sur leurs structures attenantes. Or c’est bien en cherchant à « marchandiser » les parcours de vie humains que les mondialistes sont parvenus à leurs fins. La financiarisation a réduit l’homme à l’état de matériel cristallisant non plus un don et une vocation, mais bien des possibilités d’exploitation économique. La pression expliquant la réussite personnelle par l’accomplissement de la carrière professionnelle a détruit beaucoup des cadres naturels de la société tels que la vie familiale, le rapport au corps ou les structures traditionnelles.

Il serait donc important de préciser que les sociétés donneuses d’ordre doivent être poursuivies quand elles imposent des changements heurtant le cadre de vie des individus qui doivent travailler pour elle. On connaît, en effet, de trop nombreux cas de stérilisations forcées ou de propagande n’ayant d’autre but que d’accroître la productivité des travailleurs embauchés par les filiales de société multinationales. Le cosmopolitisme financier et commercial détruit les conditions de vie et de transmission des peuples. Cette proposition de loi est un bon pas pour contraindre son avancée.

Je conclus en citant le propos d’un philosophe de gauche, M. Jean-Claude Michéa, qui montre l’urgence d’en revenir au localisme, à l’enracinement, et au bon sens de toute urgence : « c’est ce qui explique que le temps joue de plus en plus, à présent, contre la liberté et le bonheur réels des individus et des peuples. Le contraire exact, en somme, de la thèse défendue par les fanatiques de la religion du progrès. »

M. Paul Molac. Cette proposition de loi transpose en droit des engagements de la France et clarifie le paysage juridique actuel, avec l’objectif d’œuvrer au respect des droits humains et des normes environnementales dans les échanges commerciaux. Madame Levy, cette proposition de loi ne va pas provoquer des délocalisations ; ce sont plutôt les délocalisations déjà bien réelles qui nous obligent à légiférer parce que des entreprises font produire ailleurs que sur le territoire national dans les conditions que nous dénonçons. Il s’agit d’instaurer une obligation de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre à l’égard de leurs filiales, sous-traitants et fournisseurs.

Ce texte vise, en effet, à reconnaître à toute société un devoir de vigilance, qui induit qu’elle doit veiller aux impacts que son activité peut générer. Il s’agit de responsabiliser ainsi les sociétés transnationales afin d’empêcher la survenance de drames en France et à l’étranger, et d’obtenir des réparations pour les victimes en cas de dommages portant atteinte aux droits humains et à l’environnement.

Or, aux yeux du droit, chaque entité qui compose un groupe multinational est aujourd’hui considérée comme autonome et sans lien juridique avec la maison mère, ce qui empêche les victimes de saisir les juges français ou européens, alors même que ce sont parfois les décisions de la société mère ou donneuse d’ordre qui sont à l’origine du dommage. En effet, trop souvent, les sociétés mères, lorsqu’elles sont mises devant le fait accompli se retranchent derrière le caractère purement incitatif des principes directeurs internationaux de l’ONU, de l’OCDE, ou de la Commission européenne.

Pour y remédier, le devoir de vigilance que compte créer cette proposition de loi consiste en une obligation de moyens et non de résultat : une société est exonérée de responsabilité, à ce titre, si elle apporte la preuve qu’elle a mis en place des mesures nécessaires et raisonnables pour prévenir les dommages. Cela permet de prendre en compte les investissements de moyens, qu’ils soient humains, matériels ou financiers, actuellement réalisés par la majorité des entreprises. Il s’agit de créer un devoir de vigilance et de sécurité, et de laisser les entreprises libres dans leurs choix pour répondre à cette obligation.

J’ajoute que l’obligation de vigilance aujourd’hui discutée répond au principe constitutionnel de précaution. Une telle obligation existe d’ailleurs déjà pour les banquiers, pour les médecins, ou en droit de l’environnement. Il s’agirait donc d’une simple extension aux multinationales.

L’adoption de cette proposition de loi permettrait de combattre l’insécurité juridique. Aussi forte que soit la jurisprudence issue de l’arrêt de la Cour de cassation du 25 septembre 2012 reconnaissant la société mère responsable pour les agissements de l’un de ses sous-traitants dans l’affaire Erika, elle a porté sur les engagements volontaires pris par l’entreprise. Les motifs retenus pour cette condamnation ont donc surpris les entreprises à l’époque car elles n’étaient soumises à aucune obligation juridique en la matière. Après l’adoption de la proposition de loi, leur responsabilité sera mieux encadrée : les entreprises sauront que cette dernière pourra être engagée sur les mesures mises en œuvre pour lutter contre la survenance de dommages.

Cette proposition de loi est donc solide juridiquement, comme le reconnaissent d’éminents juristes et professeurs de droit, dont M. Olivier De Schutter, rapporteur spécial du Conseil des droits de l’homme à l’ONU, ou le professeur Antoine Lyon-Caen, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) et avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Cela ne doit bien évidemment pas empêcher le dialogue au sein de notre Commission, et en séance publique, en vue de l’améliorer par voie d’amendement.

L’idée selon laquelle un cadre légal pour le devoir de vigilance ne pourrait exister qu’au niveau international est fausse. Si les États qui abritent les sièges des multinationales ne prennent pas les devants, rien ne suivra, car c’est dans ces pays que le droit est le plus protecteur et qu’il est à même de réparer les dommages graves faits aux victimes.

En adoptant la proposition de loi, la France renforcerait son rayonnement économique et démocratique, comme l’ont déjà fait d’autres États membres de l’OCDE tels que les États-Unis, le Canada ou encore le Royaume-Uni et l’Italie qui disposent d’un mécanisme similaire de responsabilité pour lutter contre la corruption.

Cette proposition de loi reçoit d’ailleurs le soutien de l’ensemble des ONG impliquées sur le sujet et de nombreux juristes spécialisés. Je rappelle qu’elle a été déposée par les quatre groupes de gauche de l’Assemblée nationale, et je salue la présence parmi nous de Dominique Potier et Philippe Noguès qui ont largement participé à sa rédaction. Si nous ne commençons pas aujourd’hui à mettre un dispositif en place en votant ce texte, je crains que nous n’ayons pas le temps d’y revenir avant la fin de la législature et qu’il demeure dans les limbes. Au contraire, son adoption, devrait être perçue comme un marqueur important de notre législature.

M. Guy Geoffroy. Je ne sais pas si cette proposition de loi remplira son objectif de ressouder la majorité très à gauche ; ce dont je suis certain, c’est que pour ce qui est de l’union nationale, elle repassera !

Si ses objectifs généraux peuvent retenir l’attention de chacun d’entre nous, son adoption et sa déclinaison risqueraient d’avoir des effets tout à fait contraires au but recherché. Non, madame la rapporteure, ce texte n’est pas modéré ! Il s’agit, ni plus ni moins, que de créer une véritable présomption de responsabilité civile et pénale quasi irréfragable. L’entreprise cliente et la maison mère seront automatiquement tenues pour responsables : c’est une véritable inversion de la charge de la preuve ! Les belles paroles qui ont été prononcées ne parviendront ni à nous faire croire autre chose, ni à gommer les problèmes que cela pose.

Je reprends à mon compte les propos de Mme Le Dain car, une fois de plus, nous serions les seuls à agir pour traiter une problématique qui nous dépasse largement. En effet, contrairement à ce qui est affirmé dans l’exposé des motifs de la proposition de loi, un dispositif aussi étendu que celui qui nous est proposé n’existe dans aucun autre pays du monde.

Est-il besoin de rappeler les promesses maintes fois réitérées de laisser enfin les entreprises tranquilles ? Comme s’il n’était pas suffisant de les faire se débattre avec le compte pénibilité, vous rajoutez à l’insécurité juridique qu’elles connaissent déjà en nous soumettant une proposition de loi de portée extraterritoriale contraire aux principes du droit européen.

La responsabilisation des entreprises que vous appelez de vos vœux n’est pas un terrain vierge. Le « Grenelle II » y invitait par de multiples voies. Nous n’avons rien contre l’idée de responsabiliser les entreprises. Il faut le faire, mais certainement pas de la manière choisie, en les décourageant et en risquant de produire des résultats économiques qui seraient à l’exact opposé de ceux que prétendent atteindre les responsables de notre pays.

Vous le comprendrez : notre groupe ne pourra pas voter autrement que contre cette proposition de loi.

M. Dominique Potier. Monsieur le président, je vous remercie de m’accueillir pour participer au débat de votre commission. Je me félicite que cette proposition de loi ait pu naître dans notre assemblée, où non moins de quatre groupes politiques l’ont déposée conjointement. Avec Philippe Noguès, Danielle Auroi et une quinzaine d’autres parlementaires de tous horizons et de toutes sensibilités, je n’ai jamais désespéré qu’elle puisse recueillir des appuis au-delà des rangs de la gauche, en intéressant des républicains et des démocrates qui partagent notre passion pour « l’économie France », mais qui veulent en faire un acteur d’une mondialisation juste et respectueuse des droits humains.

Je pense que ce texte, ou sa version renouvelée, doit pouvoir les rassembler, dans l’esprit du « 11 janvier ». Portée par quatre groupes, la proposition a vocation à réunir toute l’Assemblée nationale. Elle fut d’ailleurs élaborée avec les organisations syndicales, mais aussi avec des représentants du patronat, qui ne forme pas contre elle un bloc unanimement hostile. Les organisations non gouvernementales de diverses sensibilités se sont elles-mêmes efforcées d’harmoniser leurs positions, telles qu’Amnesty International ou le Comité catholique contre la faim et pour le développement, organisations affiliées à des fédérations internationales.

Nous posons le débat dans des termes dépassés. Les grandes entreprises le savent : tant le risque couru par leur réputation, que le risque de management induit par une éventuelle absence de motivation de leurs employés, ou encore les risques commercial et juridique, sont bien supérieurs à l’effort de sécurité juridique proposé par le présent texte. Une fraction du patronat veut continuer à pratiquer un libéralisme sans foi ni loi. Mais toute une autre partie, déjà confrontée à ces problèmes, ou voulant utiliser la responsabilité sociale et environnementale au profit d’une compétitivité accrue, est plutôt favorable à une évolution législative, même si elle ne prend pas la forme exacte de la proposition de loi dans son libellé actuel.

Travailler sur cette proposition de loi, c’est travailler sur une nouvelle génération de droits dans la mondialisation. Quant au soutien exprimé par notre collègue Jacques Bompard, je crains qu’il ne repose sur un malentendu. Car nous ne partageons ni les mêmes valeurs ni la même approche. Nous ne renions ni l’entreprise ni la mondialisation, mais nous voulons inscrire, comme l’a déclaré Thierry Mandon, le principe de loyauté dans la dynamique de l’entreprise et de la mondialisation. Nous ne sommes pas contre la mondialisation ; nous sommes partisans du principe de loyauté au sein de cette mondialisation.

À la superpuissance des multinationales, il faut opposer un principe de responsabilité pour éviter de fabriquer demain des victimes à l’autre bout du monde. J’ai recueilli des témoignages directs au cours de nombreuses auditions. Les contempteurs de cette proposition de loi invoquent des principes qui font trop vite fi des victimes de l’effondrement du Rana Plaza ou de la catastrophe de Bhopal, drames connus cachant d’autres drames invisibles. À M. Bompard, je voudrais dire que nous ne défendons pas des principes nationaux, mais les principes de la République française, fondée sur la valeur universelle des droits de l’homme.

Si, par malheur, cette proposition devait être repoussée, ce ne pourrait être, à mon sens, qu’au prix de l’élaboration d’une version rassemblant non seulement les quatre groupes politiques qui en étaient à l’origine, mais encore tous les partisans d’une mondialisation à visage humain.

M. Philippe Houillon. Je voterai contre cette proposition de loi, qui accumule les contre-sens économiques et juridiques. Non seulement elle étend la responsabilité du fait d’autrui, mais elle renverse le système français de responsabilité, tant en inversant la charge de la preuve, qu’en créant une présomption irréfragable de responsabilité, tant civile que pénale, des entreprises. Si ce texte devait être adopté, le Conseil constitutionnel en serait saisi et déclarerait non conformes ces dispositions contraires à la Constitution et à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, puisqu’il reviendrait à créer une présomption de responsabilité pénale !

Mais il s’agit aussi d’un contre-sens économique, puisque ce texte ne fait qu’ajouter à la complexité et à l’insécurité juridiques, mettant à mal l’attractivité de notre territoire. Contrairement à ce qu’indique l’exposé des motifs, nous serions en effet les seuls à aller aussi loin dans le droit positif. Nos entreprises s’en trouveraient pénalisées, tandis que les sociétés étrangères se frotteraient les mains.

M. Lionel Tardy. Je suis étonné par le contenu cette proposition de loi, qui s’attaque aux entreprises sans en mesurer les conséquences. Remarquons que ce texte est soutenu par les quatre groupes de gauche.

La responsabilité sociétale des entreprises a connu un certain succès et doit être soutenue, car elle repose sur le volontariat. Dans ce texte-ci, ce sont toutes les entreprises qui sont montrées du doigt, sans discernement, en instaurant une présomption de responsabilité civile et pénale très lourde, quasi irréfragable, comme l’ont souligné mes collègues Guy Geoffroy et Philippe Houillon, vis-à-vis notamment de la société-mère. Une nouvelle épée de Damoclès pèserait ainsi au-dessus de leur tête. Ce dispositif n’existe dans aucun autre pays. En légiférant de manière isolée, nous pénalisons nos entreprises par rapport à d’autres.

L’année 2015 s’annonce difficile pour les investissements. La loi Macron ne répond pas à ce problème. Pire, cette proposition au ficelage juridique léger risque d’accroître encore l’incertitude des investisseurs, car elle relève d’un traitement hâtif du sujet. Son adoption donnerait un signal catastrophique aux entreprises françaises, qui sont pourtant parmi les plus avancées en matière de responsabilité sociale et environnementale. Plutôt que de leur imposer de nouvelles contraintes, mieux vaudrait leur demander un engagement constructif. Cette démarche aurait le mérite de ne pas être en contradiction aussi flagrante avec les prises de position du Premier ministre qui déclare dans toutes les langues « aimer les entreprises ».

M. Philippe Noguès. Comme membre de la Plateforme RSE, je peux vous assurer que nous ne nous attaquons pas aux entreprises. Aussi voudrais-je insister sur la portée économique de cette proposition de loi. Car la responsabilité des entreprises transnationales, ce n’est pas qu’une question morale, c’est aussi une question de compétitivité de notre économie et de nos entreprises, et c’est important de l’avoir en tête.

Outre son coût humain et environnemental inacceptable dans les pays où il est pratiqué, le moins-disant généralisé pénalise en effet notre compétitivité. Tout comme il existe un dumping social, il existe un dumping sur les droits de l’homme et sur les normes environnementales avec derrière, toujours en filigrane, une dilution organisée de la responsabilité.

Aujourd’hui, rien n’empêche une entreprise d’aller choisir une PME à l’étranger, avec tous les risques extra-financiers que cela comporte en matière environnementale et de droits de l’homme, plutôt qu’une PME française engagée dans une démarche de responsabilité sociale et environnementale. Les chaînes de production deviennent de plus en plus complexes et de moins en moins lisibles tant pour le consommateur que pour les autorités. Certaines entreprises peuvent alors être tentées de contourner des contraintes qu’elles jugent trop lourdes. Mais elles sont victimes d’un trompe-l’œil, car elles s’exposent ainsi à d’autres risques tels que la concurrence sauvage, le risque pesant sur leur réputation ou le risque d’une indemnisation.

Le jour où la maison-mère pourra être tenue juridiquement responsable en France pour les atteintes aux droits de l’homme commises par l’une de ses filiales à l’étranger, elle sera obligée de prendre en compte et de chiffrer le risque juridique et financier que cela implique. Et on se rendra compte, alors, que les PME françaises sont finalement assez compétitives dès lors qu’on a une approche globale du risque financier et extra-financier, et donc du ratio coût/avantage.

Ce que je dis n’a rien d’utopique. Regardez les dernières grandes crises d’entreprise. Liées à des risques extra-financiers, elles se traduisent par des conséquences matérielles pour l’entreprise, en pièces sonnantes et trébuchantes. Le risque financier et extra-financier doit donc faire l’objet d’une approche globale. Les dernières crises d’entreprise sont nées de risques extra-financiers, tel le naufrage de l’Erika en Bretagne.

C’est pourquoi j’estime que la non-responsabilité des maisons-mères est une anomalie, un non-sens moral, politique et économique qui va à l’encontre aussi bien des intérêts des populations que des intérêts français et européens.

Si je reviens à notre proposition de loi, elle a pour objet de transposer dans notre droit national les principes édictés au niveau de l’OCDE et de l’ONU. La France a approuvé ces textes élaborés au niveau international, qui ont pour objectif de créer un devoir de vigilance des entreprises, idée selon laquelle les entreprises ont la responsabilité de prévenir toute atteinte aux droits de l’homme dans le cadre de leurs activités économiques et de mettre en œuvre le cas échéant des mesures de réparation. Je rappelle au passage que ce devoir de vigilance, s’il n’est pas encore étendu à l’ensemble de nos entreprises, existe déjà par exemple pour les banquiers.

Sans entrer dans le débat entre hard law et soft law, il faut d’abord rappeler que les États signataires de ces textes sur le devoir de vigilance sont normalement tenus d’exercer leurs fonctions réglementaires. Quand il s’agit de respect des droits de l’homme sur les chaînes de production, on peut dire clairement et sans ambiguïté que le tout incitatif ne marche pas. Au vu de l’ampleur des conséquences humaines, environnementales et économiques de la situation, l’État a sur ce point la responsabilité d’agir, et c’est l’objet de ce texte.

Il se positionne, me semble-t-il, de manière très équilibrée dans le débat entre soft law et hard law. Je le vois comme une manière de mettre tout simplement les entreprises face à leurs engagements, car l’écrasante majorité des grandes entreprises ont déjà adhéré aux initiatives internationales en matière de RSE et conduisent déjà des audits sociaux. Celles qui ont adopté les meilleures pratiques seront donc valorisées par rapport aux autres.

Autrement dit, ce texte est un juste milieu entre le tout incitatif et le tout coercitif ; il place le curseur au bon endroit. Cette proposition de loi est l’opportunité pour les entreprises françaises de se positionner, d’organiser ce devoir de vigilance qui, heureusement, s’imposera inexorablement dans les années à venir.

Outre le fait que des législations comparables existent déjà dans un certain de nombre de pays occidentaux, comme le Canada ou les États-Unis, le phénomène se développe à grande vitesse sur toute la planète. Bien qu’elle soit encore en voie de développement, l’Inde vient ainsi d’imposer aux entreprises de consacrer 2 % de leur résultat imposable aux activités de RSE.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Je nourris quelques doutes intellectuels sur le présent texte, tout en saluant l’état d’esprit de ses auteurs. Je relève une contradiction dans le discours de ceux qui sont vent debout contre la proposition car, en affirmant que les entreprises françaises font déjà de nombreux efforts, ils suggèrent malgré eux qu’elles ne seraient pas pénalisées par son adoption.

À la vérité, dans notre pays dont les très grands groupes font parfois travailler à l’étranger, dans le Sud, une division s’observe entre un patronat éclairé, habitué au dialogue social et soucieux de l’avenir de l’entreprise, et un patronat corporatiste et égoïste, dont les vues de court terme trouvent malheureusement quelques échos parmi nous.

Ce ne sont pas tant les moyens juridiques retenus par le texte que son fondement qui me pose problème. Certes, la création d’une présomption quasi irréfragable fait l’objet d’un débat justifié. Si elle existe déjà dans notre droit pénal, elle s’y accroche à des blocs plus consistants et plus solides qu’un simple manquement à un devoir de vigilance. Le texte serait pour le moins perfectible sur ce point.

Mais le problème de fond est que nous serions le seul pays à adopter une telle législation. Le système européen présente de grandes défaillances en matière de responsabilité sociale et environnementale, puisqu’aucune surveillance de la concurrence ne s’exerce sur les entreprises européennes recourant à des travailleurs à bas coût, et a fortiori sur celles qui ne le sont pas. L’absence de dispositif européen, qui me paraît particulièrement dommageable, ne me surprend pas bien qu’elle me meurtrisse.

Ce qui m’empêche définitivement d’adopter la proposition est la référence implicite, dans l’article 1er, à un principe de précaution qui mettrait sur le même plan les dommages sanitaires et environnementaux et les atteintes aux droits fondamentaux des travailleurs. Le groupe écologiste se démarque en cela des députés du Mouvement républicain et citoyen (MRC), qui placent les droits de l’homme et les droits des travailleurs plus haut que les dommages causés à l’environnement. À nos yeux, le développement humain l’emporte sur le développement durable car la planète n’est pas un animal de compagnie : elle mérite d’abord et avant tout d’être sauvée parce qu’elle est habitée par des hommes et des femmes, d’ailleurs susceptibles de travailler dans des conditions inacceptables. Le MRC ne votera donc pas en faveur de cette proposition de loi.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Non moins de dix orateurs se sont exprimés.

Mme la rapporteure. Leur nombre m’incline à penser que la proposition de loi soulève de vrais problèmes. Aux orateurs de l’opposition, je répondrai que le groupe Bolloré lui-même demande une loi pour assurer la sécurité juridique en matière de responsabilité sociale et environnementale, tandis que Sanofi a désigné l’un des co-rapporteurs de la Plateforme RSE. Quant au risque d’une délocalisation, il ne s’est par exemple pas avéré lorsqu’une entreprise comme Total a été condamnée en France. Rappelons que des parlementaires, après le drame de l’Erika, voulaient pourtant qu’on évite d’ennuyer Total en invoquant précisément ce risque.

Pour la présomption de responsabilité introduite par le texte, elle ne serait pas irréfragable, comme l’ont montré des vérifications opérées par des juristes. Certains soulignent que les autres pays ne suivent pas le même chemin que la France en matière de responsabilité sociale et environnementale. Mais j’attire votre attention sur le fait que BNP Paribas s’est acquitté aux États-Unis de très fortes amendes pour corruption sans voir pourtant sa compétitivité entamée et sans renoncer à son activité sur place.

Je voudrais redire à ceux qui ont exprimé leur soutien à ce texte avec quelques réserves, et qui donc voteront contre, que ce dernier est amendable. Depuis deux ans, avec Dominique Potier et Philippe Noguès, nous rencontrons les entreprises et les parties prenantes, donnant l’occasion à tout le monde de s’exprimer. Il est légitime de se demander ce que fait l’Union européenne. L’Allemagne prépare une législation qui donnera l’exemple si nous n’adoptons pas nous-mêmes ce texte. En matière de reporting social et environnemental, notre pays a pourtant été le premier à adopter des dispositions avant d’être suivi par d’autres pays de l’Union européenne. Comme présidente de la commission des Affaires européennes, j’entends souvent que la démarche française peut inciter à l’adoption d’une directive au niveau européen. Force est par ailleurs de constater que la charte européenne des droits fondamentaux est bien connue par certaines entreprises, mais moins bien par d’autres.

Des inquiétudes se sont exprimées au sujet des PME. Dans les débats de la Plateforme RSE, il est fait explicitement référence aux entreprises de plus de 500 salariés. Nous pouvons inscrire ce seuil dans la loi. Je crois, en effet, qu’il vaut mieux avancer que recommencer toute la procédure sur la base d’une autre proposition, ce qui serait chronophage. Le groupe écologiste adopterait d’ailleurs en ce cas une simple position d’observateur.

L’article 3 est celui qui inquiète le plus les entreprises, car il modifie les règles de responsabilité pénale. Il peut être retravaillé ; c’est le code de commerce qui fixe en effet le cadre le plus important. Au MRC, j’indique que nous pouvons inverser dans le texte l’ordre d’apparition des droits environnementaux et des droits humains dès jeudi prochain, en séance publique, dans le cadre de l’ordre du jour réservé au groupe écologiste.

La Commission en vient à l’examen des articles de la proposition de loi.

EXAMEN DES ARTICLES

TITRE 1ER
DU DEVOIR DE VIGILANCE DES SOCIÉTÉS DANS LE CADRE DE LEURS ACTIVITÉS ÉCONOMIQUES OU COMMERCIALES

Le titre premier de la proposition de loi a trait à la création d’un devoir de vigilance des entreprises envers les sociétés qu’elles contrôlent par voie capitalistique ou par tout autre moyen. Il se compose d’un seul article.

Article 1er
(art. L.233-41 du code de commerce [nouveau])

Institution d’une obligation de vigilance dans le code de commerce

L’article 1er de la proposition de loi crée une nouvelle section 6 au sein du livre II du code de commerce relatif aux sociétés commerciales et aux groupements d’intérêt économique, sous le titre III abritant les dispositions communes aux diverses sociétés commerciales, au chapitre III portant sur les filiales, participations et des sociétés contrôlées. Cette nouvelle section, traitant des dommages sanitaires, environnementaux et des atteintes aux droits fondamentaux, se compose d’un unique article L. 233-41.

1. Une obligation de vigilance pesant sur les groupes de sociétés et inscrite dans le code de commerce

La proposition de loi entend créer un régime de responsabilité des sociétés à l’égard des pratiques sociales et environnementales des entreprises qui concourent à leur activité économique, que celles-ci soient placées dans une situation de subordination organique (filiales) ou dans une dépendance économique (sous-traitants). L’inscription du texte dans un chapitre du code de commerce consacré aux sociétés contrôlées répond à cette préoccupation, bien que les notions de contrôle et de sous-traitance puissent diverger.

La définition de la filiale figure à l’article L. 233-1 du code de commerce. Selon cette disposition, « lorsqu’une société possède plus de la moitié du capital d’une autre société, la seconde est considérée (…) comme filiale de la première. » Les situations économiques que recouvre la rédaction retenue dans la proposition de loi sont donc relativement limitées, puisqu’elles supposent un contrôle capitalistique d’une société par une autre pour que la responsabilité de la seconde puisse être engagée. Un arrêt de la cour d’appel de Paris, rendu en octobre 2013 (52), est venu illustrer les conséquences de cette définition. Dans cette affaire Venel, un salarié avait obtenu du tribunal des affaires de sécurité sociale de Melun une condamnation de l’entreprise Areva pour « faute inexcusable » en tant que « co-employeur ». Or le contrat de travail avait été établi par une société nigérienne en charge de l’exploitation et dont Areva n’était qu’actionnaire minoritaire, aux côtés de l’État du Niger, à hauteur de 34 %. La stricte observation du droit a conduit la cour d’appel à infirmer le jugement de première instance et à relaxer le donneur d’ordre.

Quant à la sous-traitance, elle se trouve définie à l’article 1er de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance. Celui-ci dispose : « la sous-traitance est l’opération par laquelle un entrepreneur confie par un sous-traité, et sous sa responsabilité, à une autre personne appelée sous-traitant l’exécution de tout ou partie du contrat d’entreprise ou d’une partie du marché public conclu avec le maître de l’ouvrage. » Il apparaît impératif de faire évoluer le droit afin de mieux appréhender la réalité économique contemporaine. Les entreprises multinationales fonctionnent aujourd’hui avec divers sous-traitants et fournisseurs ; elles se déchargent de leurs responsabilités par la multiplication de ce type de contrats et grâce au principe juridique d’autonomie des personnes morales. L’expérience tragique de l’effondrement du Rana Plaza de Dacca, avec près de 1 200 morts, en fournit un exemple cruel. Si la proposition de loi ne remet pas en cause l’équilibre des contrats de sous-traitance, elle devrait contribuer à la raréfaction des chaînes en cascade sans supervision effective de l’entreprise donneuse d’ordre. Celle-ci doit être en mesure d’assurer un contrôle des étapes intermédiaires de la chaîne de production lorsque celles-ci risquent de causer des dommages sanitaires ou environnementaux ou une atteinte aux droits fondamentaux. Cette responsabilisation devrait offrir au consommateur une meilleure traçabilité des produits qu’il consomme.

2. Un périmètre large d’entreprises concernées

La proposition de loi fait le choix d’employer le terme « entreprise » de préférence à celui de « société », pourtant plus volontiers utilisé au sein du code de commerce. On rappellera toutefois que le corpus législatif français n’ignore pas les « entreprises », qui apparaissent notamment dans le code du travail. C’est également le terme que privilégient généralement les dispositions internationales ainsi que les lignes directrices ISO 26000 pour une gestion socialement responsable dans le champ économique (53). Le mot est effectivement plus englobant, propre à désigner aussi bien les sociétés privées que les groupes publics. Il faut également y voir une référence au droit européen : depuis l’arrêt Höfner (54) de la Cour de Justice des Communautés européennes, la notion d’entreprise reçoit une définition particulièrement extensive, fondée sur le critère de l’activité économique : toute entité exerçant une activité économique est considérée comme une entreprise au sens du droit communautaire et ce, quel que soit son statut juridique ou son mode de financement.

En outre, la proposition de loi vise la totalité des entreprises. Elle ne prévoit aucun seuil d’exemption de ses prescriptions. Cette approche est innovante car la responsabilité sociale et environnementale des entreprises est souvent réservée aux firmes les plus importantes. Ainsi la directive 2014/95/UE du Parlement Européen et du Conseil du 22 octobre 2014, modifiant la directive 2013/34/UE en ce qui concerne la publication d’informations non financières et d’informations relatives à la diversité par certaines grandes entreprises et certains groupes, a-t-elle limité son application aux entreprises cotées, aux banques et aux compagnies d’assurance de plus de 500 salariés pour un chiffre d’affaires supérieur à 40 millions d’euros.

Ne pas fixer de tels seuils permet d’éviter une interprétation neutralisante aux termes de laquelle les holdings (ou têtes de groupe) pourraient échapper à leurs obligations grâce au très faible nombre de salariés qu’elles emploient directement. En outre, les seuils d’application que prévoit la réglementation française en matière de responsabilité sociétale des entreprises sont formulés par le décret n° 2012-557 du 24 avril 2012 relatif aux obligations de transparence des entreprises en matière sociale et environnementale. Or ce décret paraît devoir être prochainement réécrit : il serait malvenu de faire référence aujourd’hui dans la loi aux seuils qu’il édicte si ces derniers ont vocation à évoluer sous peu.

L’absence de seuil ne signifie pas que toute entreprise où se produirait un dommage tomberait sous le coup des dispositions du code de commerce. D’une part, la proposition de loi précise explicitement que sa responsabilité serait appréciée « compte tenu du pouvoir et des moyens dont elle disposait ». D’autre part, il resterait nécessaire pour le demandeur d’administrer la preuve du lien de causalité entre la faute et le dommage.

3. Une obligation de prévention

La proposition de loi fait obligation aux entreprises, non de réparer, mais de « prévenir » le dommage. C’est donc un devoir de vigilance qui se trouve formulé. La sanction n’intervient que dans un second temps, si un manquement est constaté.

Ni les principes directeurs de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), ni les conclusions présentées en 2011 par M. John Ruggie, représentant spécial chargé de la question des droits de l’homme et des sociétés transnationales et autres entreprises devant le Conseil des droits de l’homme de l’Organisation des Nations unies (ONU), ne définissent le devoir de vigilance de façon précise. Cette obligation ne constitue néanmoins une novation ni en France, ni à l’étranger.

Par exemple, l’article L. 561-5 du code monétaire et financier prévoit : « Avant d’entrer en relation d’affaires avec leur client ou de l’assister dans la préparation ou la réalisation d’une transaction, les personnes mentionnées à l’article L. 561-2 identifient leur client et, le cas échéant, le bénéficiaire effectif de la relation d’affaires par des moyens adaptés et vérifient ces éléments d’identification sur présentation de tout document écrit probant. Elles identifient dans les mêmes conditions leurs clients occasionnels et, le cas échéant, le bénéficiaire effectif de la relation d’affaires, lorsqu’elles soupçonnent que l’opération pourrait participer au blanchiment des capitaux ou au financement du terrorisme ou, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État, lorsque les opérations sont d’une certaine nature ou dépassent un certain montant. »

En Allemagne, par exemple, la loi prévoit la responsabilité des entreprises en cas de manquement dans l’exécution du contrat d’embauche : il en découle une obligation de vérification renforcée dans les relations avec les sous-traitants (55).

Par ailleurs, la loi favorisera le dialogue entre les différentes parties prenantes à l’activité économique, qui tient une place centrale dans la démarche de responsabilité sociétale des entreprises. Celui-ci peut concerner des obligations de déclaration des chaînes de sous-traitance ou des engagements de respect des droits humains. L’existence de ces clauses contractuelles et les exigences qui en découlent fournissent l’élément matériel pour juger du respect du devoir de vigilance. Ce fonctionnement est également déjà présent dans la loi française : l’article L. 8222-1 du code du travail oblige le cocontractant à s’assurer que son partenaire ne s’adonne pas au travail dissimulé.

4. Prévenir des dommages et des risques avérés pour la santé, l’environnement et les droits fondamentaux

Les entreprises sont responsables des dommages que leurs activités génèrent ; il leur revient de limiter les risques de survenue desdits dommages. L’obligation de vigilance revient à une présomption de faute simple. Des éléments précis comme le caractère préalable de l’obligation, les moyens financiers et humains consacrés par la société à son devoir de vigilance, l’existence de clauses contractuelles peuvent contribuer à l’exonérer de sa responsabilité

L’obligation de vigilance a pour objet de prévenir les graves dommages sanitaires et environnementaux ainsi que ceux résultant d’atteintes aux droits de l’homme ; il est donc cohérent de mentionner que l’entreprise est tenue de prévenir non seulement les dommages, mais aussi les risques avérés de dommage. L’obligation n’est donc pas satisfaite dès lors qu’un risque avéré subsiste, même si le dommage subséquent ne survient pas. Il appartient à l’entreprise de prévenir sa réalisation et, par conséquent, d’estimer correctement les risques de sa survenance.

Par ailleurs, il existe une distinction entre le risque « avéré » et le risque « potentiel ». Il est de jurisprudence constante qu’un dommage futur et certain ouvre droit à réparation ; en revanche une simple probabilité ne suffit pas à engager une action en responsabilité car toute activité humaine est potentiellement dangereuse. Ce sont donc bien les « risques avérés » qui doivent être prévenus par les entreprises tout au long de la chaîne de production au titre de leur obligation de vigilance.

La proposition de loi limite le devoir de vigilance aux violations touchant à l’environnement, à la santé et aux droits fondamentaux. Ces trois secteurs sont ceux dans lesquels se produisent les violations les plus graves et les plus fréquentes imputées à l’heure actuelle à des entreprises multinationales.

On admet généralement une définition formelle suivant laquelle les droits fondamentaux sont proclamés par des textes de rang constitutionnel (Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ou encore Charte de l’environnement du 1er mars 2005) ainsi que par des conventions internationales et européennes (Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948, Pactes de New York du 16 décembre 1966 sur les droits civils et politiques et sur les droits économiques, sociaux et culturels, Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ou encore Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne du 7 décembre 2000). Ils regroupent à la fois les droits de première génération et libertés publiques (droit de propriété, liberté physique, liberté de conscience, droits politiques, habeas corpus, etc.) de seconde génération (droit au travail, à l’accès aux soins, à l’éducation, droit de grève, etc.), et de troisième génération (environnement, bioéthique, etc.).

5. L’engagement de la responsabilité de l’entreprise en cas de manquement à son devoir de vigilance

Les trois conditions classiques de la responsabilité civile sont l’existence d’une faute, la survenance d’un dommage, et un lien de causalité entre la faute et le dommage.

Les dommages graves non prévenus engageront la responsabilité de l’entreprise qui devra assumer leur réparation. Une faute est exigée : c’est parce qu’elle manque à son devoir de vigilance que l’entreprise est responsable du dommage, mais la proposition de loi permet d’apporter la preuve des diligences raisonnables effectuées pour satisfaire à l’obligation. L’expression « à moins qu’elle ne prouve » institue un renversement de la charge de la preuve qui revient à l’entreprise : la faute est présumée. Pour autant, la proposition de loi n’institue pas une responsabilité de plein droit des entreprises dans la mesure où il leur est possible, par tous moyens, d’apporter la preuve de leur vigilance.

Une fois la loi adoptée, celle-ci commandera aux entreprises de mettre en œuvre les procédures adéquates pour disposer en permanence des éléments nécessaires à la protestation de leur bonne foi. Des engagements contractuels, une certification, un label, un partenariat avec une partie prenante spécialisée dans la protection de l’environnement ou dans la défense des travailleurs, seront autant d’éléments propres à satisfaire l’obligation de vigilance et à exonérer les donneurs d’ordre de leur responsabilité.

La société est tenue à une obligation de moyens et non de résultat. Les efforts pour prévenir le dommage seront appréciés au regard des « pouvoirs » et des « moyens ». Ceux-ci peuvent être matériels, humains, financiers ; ils seront appréciés in concreto par le juge au vu des bonnes pratiques reconnues dans le secteur d’activité concerné. Cette référence aux moyens et pouvoirs permet aux entreprises d’être redevables de cette obligation de vigilance à hauteur de leur capacité. De la sorte, les petites et moyennes entreprises pourront facilement démontrer qu’elles n’avaient ni les moyens ni le pouvoir d’empêcher le dommage.

L’emploi des termes de « pouvoir » et de « moyens » n’est pas sans faire écho au troisième alinéa de l’article 121-3 du code pénal : « il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait. »

6. Les positions de votre rapporteure et de la Commission

Votre rapporteure soutient le dispositif proposé à l’article 1er. Toutefois, la notion de filiale lui apparaissant insatisfaisante puisque limitée aux sociétés dont plus de la moitié du capital est détenu par une autre, aux termes de l’article L. 233-1 du code de commerce, elle a proposé un amendement lui substituant la notion d’entreprise contrôlée, conformément à l’article L. 233-16 du même code, plus large et mieux adaptée aux réalités du terrain.

La commission des Lois a rejeté cet amendement, de même que l’article 1er.

*

* *

La Commission examine l’amendement CL1 de la rapporteure.

Mme la rapporteure. L’amendement vise à substituer aux mots « des filiales », les mots « des entreprises qu’elle contrôle au sens des II et III de l’article L. 233-16 du code de commerce ». Le terme de filiale est en effet très précis. Il désigne une entreprise dont plus de la moitié du capital est contrôlé par la société-mère. C’est assez restrictif.

Dans une affaire dont je ne mentionnerai pas le nom des protagonistes dans la mesure où elle sera prochainement jugée par la Cour de cassation, une grande entreprise plaide son irresponsabilité vis-à-vis des actes d’une société dont elle est le principal actionnaire avec un tiers du capital, et dont certains détails, comme la localisation du siège social, laissent supposer une proximité significative.

Je propose donc d’élargir la sphère des entreprises concernées par la proposition de loi en mentionnant, en lieu et place des filiales, les entreprises contrôlées au sens de l’article L. 233-16 du code de commerce. L’influence dominante, la nomination de la majorité des membres de la direction, la détention directe ou indirecte de la majorité des droits de vote, me semblent caractériser un lien suffisamment solide pour fonder une obligation de vigilance.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle rejette l’article 1er.

TITRE 2
RESPONSABILITÉS DES SOCIÉTÉS DU FAIT D’UN MANQUEMENT À L’OBLIGATION DE VIGILANCE DANS LE CADRE DE LEURS ACTIVITÉS ÉCONOMIQUES OU COMMERCIALES

Le titre second de la proposition de loi tire les conséquences de la création d’un devoir de vigilance des entreprises en édictant un régime de responsabilité civile ainsi qu’une incrimination pénale en cas de manquement. Il se compose des articles 2 et 3.

Article 2
(art. 1386-19 du code civil [nouveau])

Institution d’une responsabilité civile des personnes morales pour manquement à l’obligation de vigilance

1. Un positionnement mûrement réfléchi

L’article 2 de la proposition de loi crée un nouveau titre IV ter au sein du livre III du code civil relatif aux différentes manières dont on acquiert la propriété. L’insertion à cette place du code civil s’explique par le fait que le livre III comprend déjà un titre IV bis portant sur la responsabilité du fait des produits défectueux qui s’était déjà largement éloigné du texte original.

On aurait pu imaginer de rapprocher le nouvel article 1386-19 des articles 1382 et 1383 relatifs au droit général de la responsabilité civile. Cependant, la rédaction de ces dispositions n’a pas évolué depuis la création du code civil en 1804 ; une abondante jurisprudence y est donc adossée. Il est apparu souhaitable qu’ils demeurent en l’état pour éviter les conséquences en cascade.

C’est la même préoccupation qui a conduit à renoncer à modifier l’article 1384, selon lequel « on est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l’on a sous sa garde ». Par ailleurs, il ne saurait être question d’introduire une responsabilité objective du fait d’autrui, où le demandeur doit prouver l’existence d’une faute d’imprudence. Cette option ne correspond pas à l’ambition d’instituer une présomption de faute qui revient à assigner à l’entreprise la charge de la preuve. Par ailleurs, la mention de personnes ou de choses que l’entreprise a « sous sa garde » ouvrirait un débat sur la notion de contrôle contraire à l’objectif poursuivi par la proposition de loi.

Le choix a donc été fait de créer un nouvel article 1386-19 à la suite de tous les régimes de responsabilité de droit commun. Cette option avait déjà été privilégiée par la proposition de loi n° 1043 du sénateur Alain Anziani, portant sur l’inscription de la notion de dommage causé à l’environnement dans le code civil, qui se trouve actuellement en navette après son adoption par le Sénat. Ce texte prévoyait ainsi la création d’un titre IV ter intitulé « De la responsabilité du fait des atteintes à l’environnement ». Les auteurs de la présente proposition de loi se sont inspirés de cette démarche, les objectifs poursuivis apparaissant relativement voisins.

2. Un renversement de la charge de la preuve

La charge de la preuve est renversée par l’affirmation que l’entreprise « est présumée responsable ». Cette présomption n’est cependant pas irréfragable, mais simple : il sera loisible d’apporter au juge tous les éléments permettant l’appréhension des efforts accomplis pour éviter la survenance de dommages. La mention de « mesures nécessaires et raisonnablement en son pouvoir » laisse au défendeur une opportunité de prouver sa bonne foi. L’institution d’une présomption permet de résoudre la difficulté à laquelle se heurteraient, en son absence, victimes et associations : il serait délicat de prouver un manquement au devoir de vigilance sans disposer d’un accès aux documents et aux décisions de l’entreprise. Renverser la charge de la preuve équilibre le rapport de force entre les multinationales et les individus. Par ailleurs, la violation de l’obligation de vigilance devra présenter un rapport de causalité avec le dommage, qu’il revient au demandeur d’établir.

Les termes « nécessaires » et « raisonnables » sont connus du juge de la responsabilité. « Nécessaire » fait référence à l’utilité de la mesure pour prévenir le dommage tandis que « raisonnable » apparaît désormais dans le code civil en lieu et place de la notion de « bon père de famille » – disparue avec la loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes. La mention du « pouvoir » limite également l’étendue de la responsabilité ; en effet, tous les donneurs d’ordre ne disposent pas de l’influence suffisante pour prévenir un dommage commis par un sous-traitant ou fournisseur.

La formule « de prévenir et d’empêcher » permet d’appréhender la réalisation du dommage par des mesures préventives en amont, mais aussi l’empêchement de la survenance d’un dommage qui serait imminent. Les auteurs de la proposition de loi ont envisagé un temps qu’il soit possible à l’entreprise de s’exonérer en lançant une procédure d’alerte face à un risque identifié. La perspective d’une multiplication des alarmes uniquement vouées à dégager une responsabilité juridique, et donc non suivie d’effets sur le terrain, a conduit à écarter cette hypothèse.

La responsabilité instaurée répond à un dommage ou à un risque avéré « notamment sanitaire, environnemental ou constitutif d’une atteinte aux droits fondamentaux ». Elle concerne les personnes morales dans leur ensemble, et non les seules entreprises comme l’article 1er de la proposition de loi. Cette évolution se justifie par la volonté d’embrasser l’ensemble de la sphère économique et non les seules sociétés de droit et de capitaux privés. Si le juge venait à interpréter restrictivement la notion d’entreprise figurant à l’article 1er et à écarter l’application du code de commerce pour les groupes publics, il trouverait dans le code civil une disposition propre à manifester clairement l’intention contraire du législateur. Par ailleurs, la mention immédiatement successive de « filiales » et de « sous-traitants » permet de déduire que les activités de nature économique sont particulièrement visées.

Enfin, la disposition proposée signifie que la responsabilité n’est engagée que par les dommages et atteintes dont l’entreprise « ne pouvait ignorer la gravité ». Cette précision agit comme un seuil en deçà duquel aucune action ne pourra être valablement intentée pour manquement au devoir de vigilance. Il reviendra logiquement au demandeur de prouver que l’entreprise ne pouvait ignorer la gravité du dommage. Il en résulte un rééquilibrage du point de vue de la charge de la preuve.

On relèvera que l’article 121-3 du code pénal, en son quatrième alinéa, indique que « les personnes physiques qui n’ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter, sont responsables pénalement s’il est établi qu’elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer. »

Il n’aurait donc pas été illégitime, si l’article 121-3 doit servir de modèle, d’évoquer comme lui une « particulière gravité ». Toutefois, la disposition pénale concerne des personnes physiques, donc des individus, poursuivis pour négligence. On ne saurait effectivement exiger de leur part une vigilance de tous les instants. Au contraire, la proposition de loi vise à responsabiliser les entreprises multinationales, donc des professionnels disposant de tous les moyens d’expertise juridique et technique pour contrôler au mieux les conséquences de leur activité. Il semble cohérent d’espérer de leur part un professionnalisme et une rigueur supérieurs à ceux d’un simple particulier.

3. Les positions de votre rapporteure et de la Commission

Votre rapporteure soutient le dispositif proposé à l’article 2. Toutefois, elle a proposé deux amendements, l’un de conséquence à celui déposé sur l’article 1er et l’autre éliminant une imprécision rédactionnelle.

La commission des Lois a rejeté ces deux amendements, de même que l’article 2.

*

* *

La Commission examine l’amendement CL2 de la rapporteure.

Mme la rapporteure. Il s’agit d’un amendement de conséquence.

La Commission rejette l’amendement.

La Commission examine l’amendement CL3 de la rapporteure.

Mme la rapporteure. La mention de l’adverbe « notamment » que je propose de supprimer instille plus de doute qu’il n’apporte de précision. Le devoir de vigilance porterait sur les atteintes graves aux droits fondamentaux, à la santé et à l’environnement. C’est tout et c’est bien suffisant.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle rejette l’article 2.

Article 3
(art. 121-3 du code pénal)

Institution d’une responsabilité pénale des personnes morales pour manquement à l’obligation de vigilance

1. Une responsabilité pénale en cas de manquement

L’article 3 de la proposition de loi modifie l’article 121-3 du code pénal en prévoyant une responsabilité pénale non seulement en cas de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation prévue par la loi ou le règlement en matière non seulement de prudence ou de sécurité, mais aussi désormais de vigilance.

Le droit pénal est strict quant à la nécessaire précision des incriminations créées, conformément au principe de légalité des peines. Les auteurs de la proposition de loi ont donc choisi, non de créer un nouvel article avec les risques que comporterait cette innovation, mais plus sûrement de s’appuyer sur la rédaction actuelle de l’article 121-3 qui réprime les dommages causés directement et indirectement par les personnes – physiques et morales. Comme indiqué précédemment, la responsabilité des personnes physiques n’est engagée qu’en cas de faute caractérisée alors qu’une faute simple suffit pour mettre en jeu celle des personnes morales.

Ajouter le devoir de vigilance à l’obligation de sécurité et de prudence permet d’instaurer un type d’infraction pour manquement à un devoir de vigilance envers ses propres activités et envers les activités économiques et commerciales sur lesquelles la personne morale aurait un pouvoir. L’ajout de cette mention dans l’alinéa 3 de l’article 121-3 ne change pas le régime de responsabilité des personnes physiques, puisque leur responsabilité ne sera engagée que si elles commettent un manquement caractérisé à ce devoir de vigilance, conformément à l’alinéa 4 du même article.

2. Les positions de votre rapporteure et de la Commission

Votre rapporteure soutient le dispositif proposé à l’article 3. Toutefois, la commission des Lois n’a pas souhaité l’adopter.

*

* *

La Commission rejette l’article 3.

En conséquence, l’ensemble de la proposition de loi est rejeté.

*

* *

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande de rejeter la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre (n° 1519).

TABLEAU COMPARATIF

___

Dispositions en vigueur

___

Texte de la proposition de loi

___

Conclusions de la Commission

___

 

Proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre

Proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre

 

TITRE IER

TITRE IER

 

DU DEVOIR DE VIGILANCE DES SOCIÉTÉS DANS LE CADRE DE LEURS ACTIVITÉS ÉCONOMIQUES OU COMMERCIALES

DU DEVOIR DE VIGILANCE DES SOCIÉTÉS DANS LE CADRE DE LEURS ACTIVITÉS ÉCONOMIQUES OU COMMERCIALES

 

Article 1er

Article 1er

 

Le chapitre III du titre III du livre II du code du commerce est complété par une section 6 ainsi rédigée :

Rejeté

 

« Section 6

 
 

« Des dommages sanitaires, environnementaux et des atteintes
aux droits fondamentaux

 
 

« Art. L. 233-41. – I. – Dans le cadre de ses activités, de celles de ses filiales ou de celles de ses sous-traitants, toute entreprise a l’obligation de prévenir les dommages ou les risques avérés de dommages sanitaires ou environnementaux. Cette obligation s’applique aussi aux dommages résultant d’une atteinte aux droits fondamentaux.

 
 

II. – La responsabilité de l’entreprise, dans les conditions ci-dessus définies, est engagée à moins qu’elle ne prouve qu’elle n’a pu, en dépit de sa vigilance et de ses efforts, prévenir le dommage en faisant cesser son risque ou en empêchant sa réalisation compte tenu du pouvoir et des moyens dont elle disposait. »

 
 

TITRE II

TITRE II

 

RESPONSABILITÉ DES SOCIÉTÉS DU FAIT
D’UN MANQUEMENT À L’OBLIGATION DE VIGILANCE
DANS LE CADRE DE LEURS ACTIVITÉS ÉCONOMIQUES
OU COMMERCIALES

RESPONSABILITÉ DES SOCIÉTÉS DU FAIT
D’UN MANQUEMENT À L’OBLIGATION DE VIGILANCE
DANS LE CADRE DE LEURS ACTIVITÉS ÉCONOMIQUES
OU COMMERCIALES

 

Article 2

Article 2

 

Après le titre IV bis du livre III du code civil, il est inséré un titre IV ter ainsi rédigé :

Rejeté

 

« Titre IV ter

 
 

« De la responsabilité du fait des dommages sanitaires, environnementaux et des atteintes aux droits fondamentaux

 
 

« Art. 1386-19. – Est présumée responsable la personne morale, qui dans le cadre de ses activités, de celles de ses filiales ou de celles de ses sous-traitants, ne démontre pas avoir pris toutes les mesures nécessaires et raisonnablement en son pouvoir en vue de prévenir ou d’empêcher la survenance d’un dommage ou d’un risque certain de dommage notamment sanitaire, environnemental ou constitutif d’une atteinte aux droits fondamentaux et dont elle ne pouvait préalablement ignorer la gravité. »

 

Code pénal

Article 3

Article 3

Art. 121-3. – Il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre.

 

Rejeté

Toutefois, lorsque la loi le prévoit, il y a délit en cas de mise en danger délibérée de la personne d’autrui.

   

Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait.

Au troisième alinéa de l’article 121-3 du code pénal, les mots : « ou de sécurité » sont remplacés par les mots : « , de sécurité ou de vigilance ».

 

Dans le cas prévu par l’alinéa qui précède, les personnes physiques qui n’ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter, sont responsables pénalement s’il est établi qu’elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer.

   

Il n’y a point de contravention en cas de force majeure.

   
     

PERSONNES ENTENDUES PAR LA RAPPORTEURE

Table ronde des organisations non gouvernementales (ONG)

• Forum citoyen pour la RSE

––  Mme Mathilde Dupré, CCFD-Terre Solidaire et coordinatrice du Forum citoyen pour la RSE et membre d’Ethique sur l’Etiquette

• Amnesty International France

––  Mme Muriel Treibich, coordinatrice Acteurs économiques et droits humains

• Sherpa

––  Mme Sandra Cossart, responsable du programme responsabilité sociétale des entreprises (RSE)

• Amis de la Terre

––  Mme Juliette Renaud, chargée de campagne responsabilité sociale et environnementale des entreprises (RSEE) et Industries extractives

Table ronde des syndicats représentants les entreprises

• Association française des entreprises privées (AFEP) 

––  Mme Stéphanie Robert, directrice

––  Mme Élisabeth Gambert, directeur RSE et affaires internationales (56)

• Mouvement des entreprises de France (MEDEF)

––  Mme Catherine Minard, directrice des affaires internationales

––  Mme Isabelle Tremeau, directrice adjointe à la direction droit de l’entreprise

––  Mme Emeline Touzet, chargée de mission à la direction des affaires publiques

Table ronde de juristes

––  Pr Antoine Lyon-Caen, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales, professeur émérite à l’université de Paris Ouest-Nanterre-La Défense

––  Pr Charley Hannoun, professeur à l’Université Cergy-Pontoise, avocat au barreau de Paris

––  M. Nicolas Cuzacq, maître de conférences en droit privé à l’Université Paris-Est Créteil Val-de-Marne

• Amnesty International

—  M. James Lynch, responsable business et développement

© Assemblée nationale

1 () Outre celle-ci présentée par le groupe écologiste, il s’agit des propositions de loi n° 1524 de M. Bruno Le Roux, n° 1777 de M. Jean-Noël Carpentier et n° 1897 de M. André Chassaigne.

2 () Le pétrolier battait pavillon maltais, était affrété par la société française Total, quand l’armateur et la société de classification étaient italiens. Le capitaine avait la nationalité indienne. La Cour de cassation a finalement retenu le contrôle exercé par Total sur la marche de l’Erika, et a déclaré la société coresponsable du sinistre en raison d’une faute de « témérité ». Le préjudice est chiffré à 200 millions d’euros (chambre criminelle, 25 septembre 2012, pourvoi n° 10-82.938).

3 () L’immeuble du Rana Plaza était situé à Dacca, capitale du Bangladesh. Il s’est effondré le 24 avril 2013, provoquant la mort de près de 1 200 personnes. Le bâtiment abritait des ateliers de confection travaillant pour diverses marques internationales (canadiennes, britanniques, françaises et espagnoles). Des consignes d’évacuation données la veille, après l’apparition de fissures, n’avaient pas été suivies d’effet. Le propriétaire a été interpelé alors qu’il tentait de fuir le pays.

4 () « Classement sans suite des plaintes contre Samsung et Auchan : la loi sur le devoir de vigilance des multinationales doit être adoptée sans attendre », communiqué conjoint du collectif Éthique sur l’étiquette, de Peuples Solidaires – ActionAid France, du Sherpa et de Indecosa CGT, 21 janvier 2015.

5 () La responsabilité sociale des entreprises, ou responsabilité sociétale des entreprises, ou responsabilité sociale et environnementale des entreprises, globalement désignée sous le terme RSE est un concept dans lequel les entreprises intègrent les préoccupations sociales, environnementales et économiques dans leurs activités et dans leurs interactions avec leurs parties prenantes, sur une base volontaire ou dans le cadre des lois et règlements.

6 () Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme : mise en œuvre du cadre de référence « protéger, respecter, réparer » des Nations unies, Conseil des droits de l’homme, 17e session, A/HRC/17/31, paragraphe 47.

7 () La chaîne de valeur est l’ensemble des activités interdépendantes dont la poursuite permet de créer de la valeur identifiable. Elle intègre toutes les étapes de l’approvisionnement en matières premières à la consommation finale, voire au service après-vente. Son efficacité repose essentiellement sur la coordination des différents acteurs impliqués et leur capacité à former un réseau cohérent. Les technologies de l’information ont favorisé un échange de données propice à une organisation efficiente de la chaîne.

8 () Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales, version du 25 mai 2011, http://www.oecd.org/fr/investissement/mne/48004355.pdf

9 () Les paragraphes 8 et 38 de la Déclaration affirment ainsi :

« 8. Toutes les parties que la présente Déclaration concerne devraient respecter les droits souverains des États, observer les législations et réglementations nationales, tenir dûment compte des pratiques locales et se conformer aux normes internationales pertinentes. Elles devraient respecter la Déclaration universelle des droits de l’homme et les Pactes internationaux correspondants que l’Assemblée générale des Nations Unies a adoptés, de même que la Constitution de l’Organisation internationale du Travail et ses principes en vertu desquels la liberté d’expression et d’association est une condition indispensable d’un progrès soutenu. Elles devraient contribuer à la réalisation de la Déclaration de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail et son suivi, adoptée en 1998. Elles devraient également tenir les engagements pris librement par elles, en conformité de la législation nationale et des obligations internationales acceptées. »

« 38. Les entreprises multinationales devraient maintenir les normes de sécurité et d’hygiène les plus élevées, conformément aux exigences nationales, compte tenu de leur expérience correspondante acquise dans l’entreprise tout entière, y compris la connaissance de risques particuliers. Elles devraient aussi mettre à la disposition des représentants des travailleurs dans l’entreprise et, sur leur demande, des autorités compétentes et des organisations de travailleurs et d’employeurs de tous les pays où elles exercent leur activité des informations sur les normes de sécurité et d’hygiène applicables à leurs activités locales qu’elles observent dans d’autres pays. En particulier, elles devraient faire connaître aux intéressés tous les risques particuliers et les mesures de protection correspondantes qui sont associés à de nouveaux produits et procédés. De même que les entreprises nationales comparables, elles devraient être appelées à jouer un rôle prépondérant dans l’examen des causes des risques en matière de sécurité et d’hygiène du travail et dans l’application, dans l’entreprise tout entière, des améliorations qui en découlent. »

http://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/@ed_emp/@emp_ent/documents/publication/wcms_124923.pdf

10 () Les principes du Pacte mondial sont les suivants (https://www.unglobalcompact.org/languages/french/) :

1. Les entreprises sont invitées à promouvoir et à respecter la protection du droit international relatif aux droits de l’homme dans leur sphère d’influence ; et

2. À veiller à ce que leurs propres compagnies ne se rendent pas complices de violations des droits de l’homme.

3. Les entreprises sont invitées à respecter la liberté d’association et à reconnaître le droit de négociation collective ;

4. L’élimination de toutes les formes de travail forcé ou obligatoire ;

5. L’abolition effective du travail des enfants ; et

6. L’élimination de la discrimination en matière d’emploi et de profession.

7. Les entreprises sont invitées à appliquer l’approche de précaution face aux problèmes touchant l’environnement ;

8. À entreprendre des initiatives tendant à promouvoir une plus grande responsabilité en matière d’environnement ; et

9. À favoriser la mise au point et la diffusion de technologies respectueuses de l’environnement.

10. Les entreprises sont invitées à agir contre la corruption sous toutes ses formes, y compris l’extorsion de fonds et les pots-de-vin.

11 () Résolutions A/RES/55/215 de 2001, A/RES/56/76 de 2001 et A/RES/62/211 de 2007, toutes trois intitulées « Vers des partenariats mondiaux ».

12 () « Promouvoir un cadre européen pour la responsabilité sociale des entreprises » [COM (2001) 366].

13 () http://www.iso.org/iso/fr/home/standards/iso26000.htm

14 () Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme : mise en œuvre du cadre de référence « protéger, respecter, réparer » des Nations unies, op. cit.

15 () La résolution A/HRC/RES/26/9 en ce sens, présentée par l’Équateur, l’Afrique du Sud, la Bolivie et le Venezuela, a été adoptée par 20 voix pour (Afrique du Sud, Algérie, Bénin, Burkina Faso, Chine, Congo, Côte d’Ivoire, Cuba, Éthiopie, Fédération de Russie, Inde, Indonésie, Kazakhstan, Kenya, Maroc, Namibie, Pakistan, Philippines, Venezuela, Viet Nam.), 14 voix contre (Allemagne, Autriche, Estonie, États-Unis d’Amérique, ex-République yougoslave de Macédoine, France, Irlande, Italie, Japon, Monténégro, République de Corée, République tchèque, Roumanie, Royaume-Uni.), et 13 absentions (Arabie saoudite, Argentine, Botswana, Brésil, Chili, Costa Rica, Émirats arabes unis, Gabon, Koweït, Maldives, Mexique, Pérou, Sierra Leone).

16 () Bribery Act (c.23), 8 avril 2010.

17 () Il est délicat de transcrire en termes juridiques français les dispositions d’un droit étranger, de surcroît de common law. Mais la vicarious liability qui découle de la doctrine respondeat superior (littéralement « Que le maître en réponde ! ») correspond globalement à l’idée d’une responsabilité pour négligence dans la surveillance d’un tiers contrôlé.

18 () « Therefore, a German business with retail outlets in the UK which pays a bribe in Spain could, in theory at least, face prosecution in the UK. (…) Section 7(2) provides a defence only if C can prove it had in place “adequate procedures designed to prevent persons associated with C from undertaking such conduct”. » Aaronberg David et Nichola Higgins, “The Bribery Act 2010: All Bark and No Bite...?”, Archbold Review, vol. 2010- 5, 7 juin 2010.

19 () « Il incombe à quiconque dirige l’accomplissement d’un travail ou l’exécution d’une tâche ou est habilité à le faire de prendre les mesures voulues pour éviter qu’il n’en résulte de blessure corporelle pour autrui. » Cet article, aussi connu sous le nom de « loi Westray », a été créé à la suite de la tragédie survenue à la mine de charbon Westray en Nouvelle-Écosse en 1992. Vingt-six mineurs ont été tués lorsque du méthane s’est enflammé et a causé une explosion. Malgré les graves préoccupations en matière de sécurité exprimées par les employés, les représentants syndicaux et les inspecteurs du gouvernement à l’époque, l’entreprise avait procédé à peu de changements. Après l’accident, la police et le gouvernement provincial n’ont pas réussi à faire condamner l’entreprise. (Centre canadien d’hygiène et de sécurité au travail, http://www.cchst.com/oshanswers/legisl/billc45.html#_1_2).

20 () Alien Tort Statute issu du Judiciary Act du 24 septembre 1789.

21 () Le droit des gens (du latin jus gentium) désigne soit les droits minimaux accordés aux membres des peuples étrangers pris individuellement (devenus les droits de l’homme), soit le droit des nations étrangères prises collectivement.

22 () Une cour fédérale avait ainsi condamné des firmes automobiles américaines pour leurs activités conduites en Afrique du Sud au temps de l’Apartheid. (Judicial Foreign Policy We Cannot Afford, The Washington Post, 19 avril 2009).

23 () Cour suprême des États-Unis, Kiobel v. Royal Dutch Petroleum Co., 133 S.Ct. 1659 (2013).

24 () Dans l’affaire Wiwa v. Royal Dutch Shell Co., la société pétrolière était accusée de complicité dans de graves violations des droits de l’homme commises au Nigeria (exécutions sommaires, torture, agressions, etc.). Après une plainte déposée en 1996, la compétence du tribunal américain fut contestée par Shell pendant plus de douze ans. La cour a accepté d’entendre les plaignants le 26 mai 2009. Moins de dix jours plus tard, Shell négociait leur désistement contre une indemnité de 15,5 millions de dollars.

25 () La compétence universelle est la compétence exercée par un État qui poursuit les auteurs de certains crimes, quel que soit le lieu de sa commission, et sans égard à la nationalité des auteurs ni des victimes.

26 () Créée par le Premier ministre le 17 juin 2013, la plateforme nationale d’actions globales pour la responsabilité sociétale des entreprises (dite plateforme RSE) rassemble les différents acteurs de la société française ayant un intérêt pour la RSE (représentants des entreprises, des salariés, des associations) et les représentants des pouvoirs publics (administrations centrales, parlementaires, collectivités territoriales). Sa mission prioritaire consiste à préparer la réponse à la demande de la Commission européenne que chaque État-membre se dote d’un « plan ou liste d’actions prioritaires visant à promouvoir la RSE dans le contexte de la mise en œuvre de la stratégie Europe 2020 ».

27 () L’externalité caractérise le fait qu’un agent économique crée, par son activité, un effet externe en procurant à autrui, sans contrepartie monétaire, une utilité ou un avantage de façon gratuite, ou au contraire une désutilité, un dommage sans compensation.

28 () Des travaux théoriques soutiennent, en outre, qu’un commandement par la loi montrerait une efficacité bien supérieure à une démarche volontariste, fût-elle généralisée. Voir notamment Richard Locke, Can global brands create just supply chains?, Boston Review, 21 mai 2013.

29 () http://www.cncdh.fr/sites/default/files/13.10.24_avis_entreprises_et_droits_de_lhomme_1.pdf, p. 2.

30 () Cour de cassation, chambre commerciale, 15 novembre 2011, pourvoi 10-21701.

31 () L’article 1382 prévoit que « tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer » tandis que l’article 1383 dispose que « chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence. »

32 () La « théorie de l’apparence » protège les personnes croyant légitimement contracter avec un mandataire, dont les pouvoirs se sont avérés insuffisants ou qui en était dépourvu, mais que les circonstances autorisaient à ne pas exiger qu’il produise ses pouvoirs. Son acceptation par le juge suppose un élément objectif à même de favoriser une confusion. Un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 12 juin 2012 (pourvoi n° 11-16109) a précisé que l’immixtion d’une société-mère dans les activités de sa filiale devait revêtir « une apparence trompeuse propre à (…) permettre de croire légitimement que cette société était aussi son cocontractant » pour engager sa responsabilité. Du reste, la théorie de l’apparence n’est applicable qu’en matière contractuelle, et non délictuelle.

33 () Cette procédure de common law (piercing the veil of incorporation) autorise la justice à transférer aux actionnaires la responsabilité d’une société. La Cour suprême britannique considère qu’elle doit être employée en ultime ressort à condition que d’autres voies de droit ne permettent pas de parvenir à une résolution acceptable d’un litige (Prest v. Petrodel Resources Ltd, 12 juin 2013).

34 () Amnesty international, Pour une obligation de vigilance des entreprises transnationales, janvier 2015.

35 () Cour de justice des Communautés européennes, Allgemeine Elektrizitäts-Gesellschaft AEG-Telefunken AG contre Commission des Communautés européennes, 25 octobre 1983, affaire 107/82.

36 () http://www.vie-publique.fr/actualite/panorama/texte-discussion/proposition-loi-visant-renforcer-responsabilite-maitres-ouvrage-donneurs-ordre-cadre-sous-traitance-lutter-contre-dumping-social-concurrence-deloyale.html

37 () Ils sont énumérés à l’article L. 8281-1 du code du travail.

38 () Directive 2014/95/UE du Parlement Européen et du Conseil du 22 octobre 2014, modifiant la directive 2013/34/UE en ce qui concerne la publication d’informations non financières et d’informations relatives à la diversité par certaines grandes entreprises et certains groupes.

39 () L’article 225 de la loi « Grenelle 2 » précitée et son texte d’application, le décret n° 2012-557 du 24 avril 2012 relatif aux obligations de transparence des entreprises en matière sociale et environnementale.

40 () Résolution sur la publication d’informations non financières par les entreprises, proposée par Mme Danielle Auroi (n° 1688) et adoptée par la commission du Développement durable et de l’aménagement du territoire sur le rapport de M. Philippe Noguès (n° 1764).

41 () M. Olivier De Schutter, professeur de droit international à l’Université catholique de Louvain (Belgique) et, depuis mai 2008, rapporteur spécial pour le droit à l’alimentation du Conseil des droits de l’homme à l’Organisation des Nations unies, a soutenu la « faisabilité juridique » d’une obligation de vigilance imposée aux sociétés donneuses d’ordre.

42 () Cour de cassation, chambre sociale, 6 février 1986, pourvoi n° 85-42266.

43 () C’est le sens de l’article 4.1 du règlement (CE) n° 864/2007 du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (Rome II) : « Sauf dispositions contraires du présent règlement, la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d’un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent. »

44 () Selon l’article 26 du règlement Rome II, l’application du droit de l’État où le préjudice a eu lieu est écartée « si cette application est manifestement incompatible avec l’ordre public du for », c’est-à-dire du pays de jugement.

45 () Rapport du Représentant spécial du Secrétaire général chargé de la question des droits de l’homme et des sociétés transnationales et autres entreprises, “Les entreprises et les droits de l’homme: Vers une traduction opérationnelle du cadre «Protéger, respecter et réparer»”, op. cit., paragraphe 53.

46 () « On est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l’on a sous sa garde » prévoit l’alinéa 1. Cet article fonde notamment la responsabilité solidaire du père et de la mère devant le dommage causé par le mineur dont ils ont la charge.

47 () Constituée d’universitaires et de magistrats, la commission Catala a remis ses conclusions au garde des Sceaux le 22 septembre 2005. Ses préconisations en matière de prescription ont directement inspiré la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile. Ses recommandations sur le droit des obligations sont, en revanche, restées lettre morte. L’article cité figure à la page 158 du rapport, consultable sur http://www.justice.gouv.fr/art_pix/RAPPORTCATALASEPTEMBRE2005.pdf.

48 () Rapport du groupe de travail de la Cour de cassation sur l’avant-projet de réforme du droit des obligations et de la prescription, 15 juin 2007, paragraphe 79.

49 () Article 1315 : « Celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver. »

50 () Article 9 : « Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention ».

51 () La loi réglemente cinq modes de preuve : la preuve littérale, la preuve testimoniale (le témoignage), la preuve par indice ou présomption, l’aveu et le serment. L’article 427 du code de procédure pénale dispose que : « hors les cas où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve et le juge décide d’après son intime conviction. » Le juge civil, au contraire, est assujetti au principe de la preuve légale pour une partie de son activité.

52 () Cour d’appel de Paris, 24 octobre 2013, n° 12/05650.

53 () L’Organisation internationale de normalisation, ou ISO, est un organisme de normalisation international composé de représentants d’organisations nationales de normalisation de plus de 160 États. Créée en 1947, cette instance a pour but de produire des normes internationales dans les domaines industriels et commerciaux appelées « normes ISO ». ISO 26000, publiée depuis le 1er novembre 2010, traite de la responsabilité sociétale des organisations (RSE), c’est-à-dire des moyens par lesquels elles peuvent et doivent contribuer au développement durable. ISO 26000 présente la particularité de ne pas être à proprement parler une norme et de ne pas donner lieu à certification. Elle se borne à édicter des lignes directrices.

54 () Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 23 avril 1991. Klaus Höfner et Fritz Elser contre Macrotron GmbH. Affaire C-41/90.

55 () Gesetz über zwingende Arbeitsbedingungen für grenzüberschreitend entsandte und für regelmäßig im Inland beschäftigte Arbeitnehmer und Arbeitnehmerinnen, dite loi Arbeitnehmer-Entsendegesetz (AEntG) du 1er mars 1996, notamment modifiée le 24 avril 2009, n° 810-20.

56 () Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de l’Assemblée nationale, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.