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Amendements  sur le projet ou la proposition


N
° 2614

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 4 mars 2015

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LA PROPOSITION DE LOI, ADOPTÉE PAR LE SÉNAT (n° 61), visant à étendre l'obligation de neutralité à certaines personnes ou structures privées accueillant des mineurs et à assurer le respect du principe de laïcité,

PAR M. Alain TOURRET

Député

——

Voir les numéros :

Sénat : 56 rect., 144, 145 et T.A. 48 (2011-2012).

SOMMAIRE

___

Pages

LES PRINCIPALES MODIFICATIONS APPORTÉES À LA PROPOSITION DE LOI PAR LA COMMISSION DES LOIS 5

INTRODUCTION 7

LA PORTÉE ACTUELLE DU PRINCIPE DE NEUTRALITÉ DANS LES STRUCTURES D’ACCUEIL DE MINEURS À STATUT PRIVÉ 9

A. L’OBLIGATION DE NEUTRALITÉ DANS LES SERVICES PUBLICS 9

B. L’APPLICATION INCERTAINE DE LA NEUTRALITÉ DANS LES STRUCTURES PRIVÉES 10

1. Le cas particulier des structures à mi-chemin entre le secteur privé régi par le principe de liberté religieuse et le secteur public soumis au principe de neutralité 10

2. L’insécurité juridique manifestée par l’affaire « Baby Loup » 10

3. L’absence de recours à la notion d’« entreprise de conviction » 12

II. LES CONDITIONS D’APPLICATION DU PRINCIPE DE NEUTRALITÉ AVANCÉES PAR LA PROPOSITION DE LOI 14

A. L’EXTENSION DE L’OBLIGATION DE NEUTRALITÉ, SOUS CERTAINES CONDITIONS, AUX CRÈCHES ET AUX HALTES GARDERIES 14

B. L’ASSUJETTISSEMENT, SOUS CERTAINES RÉSERVES, DES CENTRES DE VACANCES ET DES CENTRES DE LOISIRS À UNE OBLIGATION DE NEUTRALITÉ 15

C. L’APPLICATION DU PRINCIPE DE NEUTRALITÉ AUX ASSISTANTS MATERNELS 15

II. LES AMÉLIORATIONS APPORTÉES PAR LA COMMISSION DES LOIS 15

A. LA PRÉCISION APPORTÉE AU CRITÈRE DE L’AIDE FINANCIÈRE PUBLIQUE 16

B. L’EXCLUSION DES ÉTABLISSEMENTS MÉDICO-SOCIAUX 16

C. LA RENONCIATION À INSTAURER UN RÉGIME SPÉCIFIQUE POUR LES ASSISTANTS MATERNELS 16

DISCUSSION GÉNÉRALE 18

EXAMEN DES ARTICLES 23

Article 1er (art. L. 2324-1 du code de la santé publique) : Obligation de neutralité des crèches et des haltes garderies 23

1. Le régime juridique des crèches et des haltes garderies 23

a. Les principes posés par le code de la santé publique 23

2. Le dispositif envisagé dans la rédaction initiale de la proposition de loi 23

3. Le dispositif issu des travaux de la commission des Lois du Sénat 25

a. Les établissements et services qui bénéficient d’une aide financière publique 25

b. Les établissements et services qui ne bénéficient pas d’une aide financière publique 25

c. Les établissements et services qui se prévalent d’un caractère propre 26

4. Les autres dispositions de l’article premier 27

5. La position de la Commission 27

Article 1er bis (nouveau) (art. L. 214-1 et L. 214-7 du code de l’action sociale et des familles) : Coordinations opérées dans le code de l’action sociale et des familles 35

Article 1er ter (nouveau) (art. 244 quater F et 261 du code général des impôts) : Coordinations opérées dans le code général des impôts 35

Article 1er quater (nouveau) (art. L. 2324-2 et L. 2324-2-1 du code de la santé publique) : Coordinations opérées dans le code de la santé publique 36

Article 1er quinquies (nouveau) (art. L. 1271-1, L. 1271-17 et L. 7233-4 du code du travail) : Coordinations opérées dans le code du travail 36

Article 2 (art. L. 227-1-1 du code de l’action sociale et des familles) : Obligation de neutralité des centres de vacances et de loisirs 36

Article 3 (nouveau) (art. L. 423-22-1 du code de l’action sociale et des familles) : Obligation de neutralité des assistants maternels 40

PERSONNE ENTENDUE PAR LE RAPPORTEUR 45

TABLEAU COMPARATIF 47

LES PRINCIPALES MODIFICATIONS APPORTÉES
À LA PROPOSITION DE LOI PAR LA COMMISSION DES LOIS

—  Sur la proposition du rapporteur, la Commission a modifié l’article 1er, relatif aux crèches et aux haltes garderies, afin de préciser la nature de l’aide financière publique susceptible d’entraîner l’assujettissement de ces établissements au principe de neutralité.

—  À l’initiative du rapporteur, la Commission a adopté un autre amendement à l’article 1er excluant de son champ les crèches dites « familiales », dont le dispositif prévoit l’accueil des enfants essentiellement au domicile des assistants maternels.

—  La Commission, sur la proposition du rapporteur, a adopté un article 1er bis opérant des coordinations dans le code de l’action sociale et des familles.

—  La Commission, sur la proposition du rapporteur, a adopté un article 1er ter opérant des coordinations dans le code général des impôts.

—  La Commission, sur la proposition du rapporteur, a adopté un article 1er quater opérant des coordinations dans le code de la santé publique.

—  La Commission, à l’initiative encore du rapporteur, a adopté un article 1er quinquies opérant des coordinations dans le code du travail.

—  À l’article 2, la Commission a adopté un amendement du rapporteur ayant pour objet d’insérer les nouvelles dispositions créées dans un article situé non pas après l’article L. 227-1 du code de l’action sociale et des familles mais après l’article L. 227-4 du même code, afin de bien limiter aux centres de vacances et de loisirs le périmètre des structures concernées.

—  Au même article, la Commission a adopté un amendement du rapporteur renvoyant à un décret en Conseil d’État la détermination des conditions d’application du nouvel article L. 227-4-1 du code de l’action sociale et des familles afin de permettre une modulation des conditions d’application du principe de neutralité.

—  La Commission a enfin adopté un amendement de M. Philippe Doucet, supprimant l’article 3 relatif aux assistants maternels.

MESDAMES, MESSIEURS,

Votre Commission est aujourd’hui saisie, en première lecture, de la proposition de loi visant à étendre l’obligation de neutralité à certaines personnes ou structures privées accueillant des mineurs et à assurer le respect du principe de laïcité.

Déposée au Sénat le 25 octobre 2011 par Mme Françoise Laborde et les membres du groupe Rassemblement démocratique et social européen (RDSE), cette proposition de loi a été adoptée en première lecture par le Sénat le 17 janvier 2012 après avoir été profondément remaniée par la commission des Lois de cette assemblée à l’initiative de son rapporteur, M. Alain Richard.

Il convient d’aborder la présente proposition de loi en ayant à l’esprit les principes posés par la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État dans ses articles 1er et 2 selon lesquels « la République assure la liberté de conscience [et] garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées (…) dans l’intérêt de l’ordre public », d’une part, et « ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte », d’autre part. Les règles ainsi posées synthétisent la conception française de la laïcité, principe fondateur conciliant la liberté de conscience, le pluralisme religieux et la neutralité de l’État et ayant acquis un rang constitutionnel avec les Constitutions de 1946 et de 1958. S’agissant plus particulièrement de la neutralité de l’État, elle emporte l’égalité de tous, et notamment des usagers des services publics, devant la loi, « sans distinction d’origine, de race ou de religion (1) ». Elle implique aussi que l’administration et les services publics, ainsi que leurs agents, offrent toutes les garanties d’une neutralité dont les usagers ne puissent en aucun cas douter, ce qui exclue la manifestation de convictions religieuses et le port de signes religieux dans le cadre du service.

C’est à propos de structures proches du service public sans toutefois en faire partie que des difficultés en matière de neutralité se sont posées au cours des dernières années, comme l’a illustré l’affaire de la crèche dite « Baby Loup ». Une salariée de cette crèche associative, bénéficiant d’un financement très largement public, avait été licenciée pour faute grave en raison de son refus d’ôter son voile islamique sur son lieu de travail. Elle avait contesté la rupture de son contrat de travail. Dans un premier temps, la chambre sociale de la Cour de cassation, donnant tort tant au conseil de prud’hommes qu’à la cour d’appel, avait jugé ce licenciement discriminatoire et nul. Toutefois, dans un second temps, la haute juridiction, réunie cette fois en assemblée plénière, avait reconnu la validité du licenciement, en se fondant sur les dispositions du règlement intérieur de la crèche, qui restreignaient au cas particulier la liberté de manifester sa religion, eu égard à la nature des tâches accomplies par les salariés.

Les multiples rebondissements connus par cette procédure judiciaire tout au long de quatre années montrent que l’état du droit, s’agissant de l’application du principe de neutralité dans les structures d’accueil de mineurs à statut privé, est particulièrement incertain. L’arrêt de l’assemblée plénière de la Cour de cassation du 25 juin 2014 s’analyse d’ailleurs moins comme un arrêt de principe que comme un arrêt d’espèce, qui se fonde sur les obligations particulières posées par le règlement intérieur de la crèche. Il apparaît donc nécessaire d’apporter de la sécurité juridique à une matière qui en manque.

Telle est l’ambition de la présente proposition de loi qui soumet les structures d’accueil de mineurs à statut privé, dès lors qu’elles bénéficient d’un financement public, à une obligation de neutralité en matière religieuse, et les met ainsi à l’abri des risques de dérives ou de pressions de type communautariste. Les structures ne bénéficiant pas de financements publics ne sont pas soumises à une telle obligation, mais peuvent la prévoir dans leur règlement intérieur ou dans une note de service. La spécificité des structures dites « à caractère propre », c’est-à-dire à caractère religieux, est par ailleurs préservée. Les structures d’accueil visées par le texte sont essentiellement les crèches et les haltes garderies, d’une part, et les centres de vacances et de loisirs, d’autre part, le cas des assistants maternels étant traité séparément.

Ce texte a été adopté par le Sénat alors que la Cour de cassation n’avait pas encore rendu son premier arrêt dans l’affaire « Baby Loup ». Les différentes décisions judiciaires intervenues depuis lors donnent à l’Assemblée nationale le recul suffisant pour apporter un certain nombre d’améliorations ou de correctifs au texte transmis par le Sénat.

La présente proposition de loi définit les conditions d’application du principe de neutralité dans les structures d’accueil de mineurs à statut privé, en prenant comme critère principal l’existence ou non d’un financement public (I). La Commission s’est attachée à améliorer ces dispositions (II).

I. LA PORTÉE ACTUELLE DU PRINCIPE DE NEUTRALITÉ DANS LES STRUCTURES D’ACCUEIL DE MINEURS À STATUT PRIVÉ

A. L’OBLIGATION DE NEUTRALITÉ DANS LES SERVICES PUBLICS

L’application du principe de laïcité aux agents publics n’est pas aujourd’hui matière à discussion, compte tenu de la portée donnée à l’article 1er de la Constitution qui dispose que « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ». Cet article exige des institutions publiques et de leurs agents, quelle que soit leur affectation, une stricte neutralité religieuse et « fait obstacle à ce [qu’ils] manifestent dans l’exercice de leurs fonctions leurs croyances religieuses, notamment en portant un signe destiné à marquer leur appartenance à une religion » (CE, avis, 3 mai 2000, n° 217017, Melle Marteaux (2) ; CAA Versailles, 23 févr. 2006, n° 04VE03227, Rachida E. c/ Cne Guyancourt (3)). Il en va de même des organismes privés dès lors qu’ils sont chargés d’une mission de service public (CE, ass., 13 mai 1938, n° 57302, Caisse primaire aide et protection (4)).

De manière encore récente, dans un arrêt du 19 mars 2013 (CPAM de Seine-Saint-Denis(5), la Cour de cassation a rappelé que les principes de neutralité et de laïcité du service public étaient applicables à l’ensemble des services publics, y compris lorsque ceux-ci sont assurés par des organismes de droit privé. Dans cette affaire, une « technicienne de prestation maladie », embauchée par contrat à durée indéterminée, avait été licenciée, le 29 juin 2004, au motif qu’elle portait un foulard islamique en forme de bonnet, en violation des dispositions du règlement intérieur. La haute juridiction a reconnu la validité de ce licenciement. Ainsi que le souligne son communiqué, « si les dispositions du code du travail ont vocation à s’appliquer aux agents des caisses primaires d’assurance maladie, ces derniers sont toutefois soumis à des contraintes spécifiques résultant du fait qu’ils participent à une mission de service public, lesquelles leur interdisent notamment de manifester leurs croyances religieuses par des signes extérieurs, en particulier vestimentaires (6) ». Comme l’a noté l’Observatoire de la laïcité dans son avis du 15 octobre 2013 (7), « cet arrêt confirme l’extension du champ d’application du principe de laïcité ».

B. L’APPLICATION INCERTAINE DE LA NEUTRALITÉ DANS LES STRUCTURES PRIVÉES

1. Le cas particulier des structures à mi-chemin entre le secteur privé régi par le principe de liberté religieuse et le secteur public soumis au principe de neutralité

Dans son avis du 26 septembre 2013 (8), la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) note à juste titre que « si l’application du principe de laïcité dans les services publics directement gérés et pris en charge par des personnes publiques ne semble pas poser de difficultés particulières, on constate depuis quelques années que des difficultés et des incompréhensions ont pu apparaître, alors que les frontières entre secteurs public et privé sont parfois floues ». Relevant que « de nombreuses personnes morales de droit privé remplissent des missions d’intérêt général, c’est par exemple le cas dans le secteur social, médico-social et de la petite enfance », elle observe que « pour les organismes privés qui prennent en charge ces missions, la question est posée de savoir si l’intérêt général qui sert de fondement à leur action devrait conduire à l’extension des obligations de neutralité afférentes au service public, à leurs salariés et à leurs activités ».

2. L’insécurité juridique manifestée par l’affaire « Baby Loup »

La situation des structures de la petite enfance appartenant au secteur privé, mais placées sous le contrôle d’autorités publiques qui délivrent les autorisations nécessaires sur le fondement des articles L. 2324-1 et suivants du code de la santé publique, se révèle particulièrement délicate, comme l’a mis en exergue l’affaire de la crèche dite « Baby Loup » dont il convient de retracer brièvement l’historique.

En 2008, une salariée de la crèche associative, dénommée «Baby Loup », située dans le département des Yvelines, est licenciée pour faute grave, motif pris de son refus d’ôter son voile islamique sur son lieu de travail. La salariée conteste son licenciement. Il convient toutefois de noter que la salariée reconnaîtra toujours qu’en portant un foulard elle obéissait à un précepte religieux et manifestait sa volonté de se conformer strictement aux obligations de la religion musulmane (9).

Se fondant sur la vocation non-confessionnelle clairement affirmée dans les statuts de l’association ainsi que sur son financement très largement public (10), dont il conclut qu’elle assure « une activité de service public », le conseil de prud’hommes de Mantes-la-Jolie déboute la salariée par jugement du 13 décembre 2010.

La cour d’appel de Versailles, par arrêt du 27 octobre 2011 (11), confirme le jugement de première instance. Elle vise expressément dans sa décision l’article L. 1121-1 du code du travail aux termes duquel « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ». Relevant qu’en l’espèce les restrictions à la liberté d’expression confessionnelle sont prévues dans les statuts de la crèche, elle juge que les enfants accueillis « n’ont pas à être confrontés à des manifestations ostentatoires d’appartenance religieuse ».

Par arrêt du 19 mars 2013 (12), la chambre sociale de la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la cour d’appel de Versailles. La haute juridiction considère que, dès lors que l’association ne gérait pas un service public, une clause générale de laïcité et de neutralité prévue par ses statuts, applicable à tous les salariés, n’était ni justifiée par la nature de la tâche à accomplir par la salariée ni proportionnée au but recherché. Comme le souligne la doctrine, « la clause est jugée trop générale et trop floue pour tenir en échec l’exercice d’une liberté fondamentale : elle ne justifie pas de sa nécessité, ne précise ni les signes religieux concernés, ni les situations, les fonctions ou les personnes visées (13) ». Le licenciement doit donc s’analyser en l’espèce comme une sanction discriminatoire, sanctionnée par la nullité.

La décision rendue par la haute juridiction dans l’affaire « Baby Loup » suscite un certain trouble. La crèche en cause est, en particulier, l’objet de pressions remettant en cause son caractère non-confessionnel.

L’affaire est renvoyée devant la cour d’appel de Paris. Par arrêt du 27 novembre 2013 (14), la cour de renvoi confirme, à son tour, le jugement prud’homal. Elle relève que l’association Baby Loup poursuit des missions d’intérêt général consistant, aux termes de ses statuts, à développer une action orientée vers la petite enfance en milieu défavorisé et à œuvrer pour l’insertion sociale et professionnelle des femmes sans distinction d’opinion politique et confessionnelle. De façon innovante, elle qualifie l’association Baby Loup d’« entreprise de conviction » pouvant « exiger la neutralité de ses employés » afin tant de protéger la liberté de conscience de chaque enfant que de respecter la pluralité des options religieuses des femmes concernées.

Par arrêt du 25 juin 2014 (15), l’assemblée plénière de la Cour de cassation rejette le pourvoi formé contre l’arrêt de la cour d’appel de Paris. Sans retenir la qualification d’« entreprise de conviction », elle n’en estime pas moins que « la cour d’appel a pu déduire [de l’énoncé des dispositions du règlement intérieur de la crèche], appréciant de manière concrète les conditions de fonctionnement d’une association de dimension réduite, employant seulement dix-huit salariés, qui étaient ou pouvaient être en relation directe avec les enfants et leurs parents, que la restriction à la liberté de manifester sa religion édictée par le règlement intérieur ne présentait pas un caractère général, mais était suffisamment précise, justifiée par la nature des tâches accomplies par les salariés de l’association et proportionnée au but recherché ». La cour d’appel a pu à bon droit « retenir que le licenciement pour faute grave de [la salariée] était justifié par son refus d’accéder aux demandes licites de son employeur de s’abstenir de porter son voile et par [s]es insubordinations répétées et caractérisées ».

Il aura donc fallu attendre au total quatre années de procédure judiciaire et un arrêt d’assemblée plénière de la Cour de cassation pour mettre fin à l’affaire « Baby Loup », à tout le moins pour ce qui relève des voies de recours internes.

3. L’absence de recours à la notion d’« entreprise de conviction »

Dans sa formation plénière, la Cour de cassation, amenée à se prononcer pour la deuxième fois sur un pourvoi formé dans l’affaire « Baby Loup », a écarté le recours à la notion d’ « entreprise de conviction » dont avait fait usage la cour d’appel de Paris. Le recours à cette notion avait également été défendu par l’avocat général Bernard Aldigé devant la chambre sociale mais celle-ci n’avait pas souhaité se prononcer sur ce point.

Ainsi que le rappelle la doctrine (16), « le concept d’entreprise de conviction ou de tendance est depuis longtemps reconnu tant par la CEDH que par la cour de cassation même si le législateur ne lui a pas donné de base légale ». Ainsi, l’assemblée plénière de la Cour de cassation a reconnu la validité du licenciement d’une institutrice d’une école privée catholique en raison de son remariage après divorce dans la mesure où « lors de la conclusion du contrat de travail par lequel l’association Sainte Marthe s’était liée à Mme R., les convictions religieuses de cette dernière avaient été prises en considération et que cet élément de l’accord des volontés, qui reste habituellement en dehors des rapports de travail, avait été incorporé volontairement dans le contrat dont il était devenu partie essentielle et déterminante (17) ». Dans un second arrêt, la Cour de cassation a jugé que « l’article L. 122-45 du code du travail, en ce qu’il dispose qu’aucun salarié ne peut être sanctionné ou licencié en raison de ses convictions religieuses, n’est pas applicable lorsque le salarié qui a été engagé pour accomplir une tâche impliquant qu’il soit en communion de pensée et de foi avec son employeur méconnaît les obligations résultant de cet engagement (18) ».

L’Observatoire de la laïcité (19) avait opposé trois objections à l’utilisation du concept d’ « entreprise de conviction » à propos d’une structure comme la crèche « Baby Loup » : « Premièrement, cette notion, d’inspiration allemande, ne semble admise par la jurisprudence que sous réserve que la « tendance » soit directement en lien avec l’objet social de l’entreprise. De fait, il s’agit des partis politiques, des syndicats et des organismes confessionnels. Deuxièmement, comme l’a rappelé M. Jean-Guy Huglo, rapporteur de la Cour de cassation dans l’arrêt « crèche Baby-Loup », la directive européenne du 27 novembre 2000 prévoit des dispositions spécifiques pour cette dérogation particulière aux « entreprises de tendance » et institue une clause de standstill (ou de gel) qui exige que les États membres aient adopté une législation spécifique sur les entreprises de tendance à la date d’adoption de la directive, ce qui n’est pas le cas de la France. Troisièmement, la laïcité incarne la neutralité vis-à-vis du fait religieux. Or, « l’entreprise de tendance » requiert une adhésion du salarié à une idéologie, à une morale ou encore à une politique. C’est donc le contraire de la neutralité. La laïcité n’est pas une opinion ni une croyance mais une valeur commune. »

Pour écarter cette qualification dans l’affaire « Baby Loup », l’assemblée plénière de la Cour de cassation, quant à elle, a fait valoir que la crèche « avait pour objet, non de promouvoir et de défendre des convictions religieuses, politiques ou philosophiques, mais, aux termes de ses statuts, "de développer une action orientée vers la petite enfance en milieu défavorisé et d’œuvrer pour l’insertion sociale et professionnelle des femmes (…) sans distinction d’opinion politique et confessionnelle" ».

Comme l’a relevé le Conseil économique, social et environnemental (CESE) dans son avis du 26 novembre 2013 (20), « sur le fond, la Cour de cassation a considéré que la neutralité comme corollaire de la laïcité ne pouvait être assimilée à une option idéologique ou philosophique parce qu’elle constitue un principe supérieur d’organisation de l’État ».

Loin de s’analyser comme une décision de principe, l’arrêt du 25 juin 2014 apparaît bien plutôt comme un arrêt d’espèce, qui se fonde sur les obligations particulières posées par le règlement intérieur de la crèche. Cette absence de caractère de principe, ajoutée à la longueur et aux nombreux rebondissements qu’a connus la procédure judiciaire dans l’affaire « Baby Loup », montrent que l’état du droit, s’agissant de l’application de la neutralité dans les structures d’accueil de mineurs à statut privé, est particulièrement incertain. Malgré les réticences de la part tant de l’Observatoire de la laïcité (21) que de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) (22), l’intervention du législateur apparaît donc nécessaire.

II. LES CONDITIONS D’APPLICATION DU PRINCIPE DE NEUTRALITÉ AVANCÉES PAR LA PROPOSITION DE LOI

La présente proposition de loi comporte trois articles visant à donner application au principe de neutralité dans les structures d’accueil des mineurs à statut privé. Les deux premiers articles instaurent un régime juridique très proche pour les crèches et les haltes garderies, d’une part, et pour les centres de vacances ou de loisirs, d’autre part. Le troisième établit un régime distinct pour les assistants maternels.

A. L’EXTENSION DE L’OBLIGATION DE NEUTRALITÉ, SOUS CERTAINES CONDITIONS, AUX CRÈCHES ET AUX HALTES GARDERIES

L’article 1er soumet les établissements et services d’accueil des enfants de moins de six ans, c’est-à-dire les crèches et les haltes garderies, sous certaines conditions, à une obligation de neutralité en matière religieuse. Il complète pour cela l’article L. 2324-1 du code de la santé publique.

Trois situations possibles sont distinguées :

— les établissements et services bénéficiant d’une aide financière publique sont soumis à une obligation de neutralité ;

— les établissements et services qui ne bénéficient pas d’une aide financière publique ne sont pas soumis à cette obligation mais peuvent apporter, dans le règlement intérieur ou dans une note de service, des restrictions à la liberté d’expression religieuse de leurs salariés au contact d’enfants ;

— les établissements et services qui se prévalent d’un caractère propre, c’est-à-dire religieux, ne sont pas soumis à une obligation de neutralité ; cependant, lorsqu’ils bénéficient d’une aide financière publique, ils doivent accueillir tous les enfants, sans distinction d’origine, d’opinion ou de croyances de leurs représentants légaux ; leurs activités doivent par ailleurs assurer le respect de la liberté de conscience des enfants.

B. L’ASSUJETTISSEMENT, SOUS CERTAINES RÉSERVES, DES CENTRES DE VACANCES ET DES CENTRES DE LOISIRS À UNE OBLIGATION DE NEUTRALITÉ

L’article 2 porte sur les établissements et services accueillant des mineurs hors du domicile parental et protégés dans le cadre du chapitre VII du titre II du livre II du code de l’action sociale et des familles, c’est-à-dire au premier chef sur les centres de vacances et de loisirs. Contrairement à l’article 1er, il ne concerne pas seulement les enfants de moins de six ans, mais tous ceux âgés de moins de dix-huit ans.

Il insère, au sein du chapitre VII, un nouvel article L. 227-1-1 dont les dispositions reprennent étroitement celles retenues pour les crèches et haltes garderies :

— les établissements et services bénéficiant d’une aide financière publique sont soumis à une obligation de neutralité en matière religieuse ;

— les établissements et services ne bénéficiant pas d’une aide financière publique ne sont pas soumis à cette obligation mais sont libres d’apporter des restrictions à la liberté d’expression religieuse de leurs salariés au contact de mineurs, sur le fondement de l’article L. 1121-1 du code du travail ; ces restrictions doivent figurer dans le règlement intérieur ou, à défaut, dans une note de service ;

— les établissements et services se prévalant d’un caractère propre ne sont pas soumis à une obligation de neutralité mais, lorsqu’ils bénéficient d’une aide financière publique, sont tenus d’accueillir tous les mineurs, sans distinction d’origine, d’opinion ou de croyances ; leurs activités doivent en outre garantir le respect de la liberté de conscience des mineurs.

C. L’APPLICATION DU PRINCIPE DE NEUTRALITÉ AUX ASSISTANTS MATERNELS

L’article 3 étend l’obligation de neutralité aux assistants maternels, dans le cadre de leur activité d’accueil d’enfants à leur domicile. Il crée, au sein du code de l’action sociale et des familles, un nouvel article L. 423-22-1. D’après celui-ci, l’assistant maternel doit se plier à une obligation de neutralité en matière religieuse dans le cours de son activité, à moins qu’une stipulation expresse ne prévoie le contraire dans le contrat qui le lie au particulier employeur.

II. LES AMÉLIORATIONS APPORTÉES PAR LA COMMISSION DES LOIS

Votre commission des Lois a adopté treize amendements, dont douze émanant de votre rapporteur. Ceux ayant une portée purement rédactionnelle mis à part, ils ont pour objet, d’une part, de mieux délimiter le périmètre des structures concernées et, d’autre part, de supprimer l’article 3 relatif aux assistants maternels.

A. LA PRÉCISION APPORTÉE AU CRITÈRE DE L’AIDE FINANCIÈRE PUBLIQUE

À l’article 1er, la Commission a substitué à l’expression excessivement large d’ « aide financière publique » celle de « financements publics destinés à soutenir l’activité d’accueil de mineurs ». Cette rédaction permet de viser les subventions et les concours publics mais pas, en particulier, les crédits d’impôt. Par « financements publics », il faut entendre le versement de deniers publics soumis à la comptabilité publique et entrant par conséquent dans le champ du contrôle de la Cour des comptes (23).

Guidée par un même souci, la Commission a procédé à un remplacement similaire à l’article 2.

Par ailleurs, la Commission a adopté un amendement excluant du champ de l’article 1er les crèches dites « familiales » dans le cadre desquelles les enfants sont accueillis essentiellement au domicile des assistants maternels.

B. L’EXCLUSION DES ÉTABLISSEMENTS MÉDICO-SOCIAUX

À l’article 2, la Commission a adopté un amendement du rapporteur visant à placer les nouvelles dispositions créées dans un article situé, non pas après l’article L. 227-1 du code de l’action sociale et des familles, mais après l’article L. 227-4 du même code. Le périmètre des structures concernées est ainsi précisément limité aux centres de vacances et de loisirs, à l’exclusion du champ médico-social que le Sénat n’avait pas entendu inclure.

Soucieuse de permettre une modulation des conditions d’application du principe de neutralité, la Commission a adopté un autre amendement à l’article 2, renvoyant à un décret en Conseil d’État la détermination des conditions d’application du nouvel article L. 227-4-1.

C. LA RENONCIATION À INSTAURER UN RÉGIME SPÉCIFIQUE POUR LES ASSISTANTS MATERNELS

À l’initiative de M. Philippe Doucet, la Commission a adopté un amendement supprimant l’article 3. Il est en effet apparu que l’édiction d’une interdiction de principe de manifester ses convictions religieuses à son domicile (sauf stipulation contraire dans le contrat de travail) n’était conforme ni à l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ni à l’article 9 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

DISCUSSION GÉNÉRALE

Au cours de sa séance du mercredi 4 mars 2015, la Commission a examiné la proposition de loi, adoptée par le Sénat, visant à étendre l'obligation de neutralité à certaines personnes ou structures privées accueillant des mineurs et à assurer le respect du principe de laïcité (n° 61).

Après l’exposé du rapporteur, une discussion générale s’est engagée.

M. Philippe Doucet. La loi de 1905 est l’une des pépites de notre système institutionnel. Mais il n’existait pas beaucoup de crèches en 1905 ; et si cette loi demeure indépassable, il faut aussi en tirer les conséquences pour notre époque. Je regrette que ce soit un arrêt de la Cour de cassation qui ait dit le droit dans l’affaire « Baby Loup », plutôt que le législateur.

Cette proposition de loi donne un cadre juridique à l’ensemble des acteurs des crèches privées. Mais il faut souligner que même les crèches privées sont souvent financées pour plus de la moitié par de l’argent public. Il n’y a guère d’investisseurs qui choisissent de bâtir une crèche si la moitié au moins des places ne sont pas réservées par la collectivité locale – cela vaut même pour les crèches d’entreprise. Ces places sont d’ailleurs souvent attribuées par la commission municipale. Quant aux normes d’encadrement, elles s’appliquent de la même façon dans toutes les crèches, et les parents en sont tout à fait conscients. Les crèches privées exercent donc une sorte de service public délégué ; construire de telles structures d’accueil est un moyen permettant d’augmenter rapidement le nombre de places en crèche, dans un pays qui en manque encore cruellement.

Cette proposition de loi est donc bienvenue, puisqu’elle établit un équilibre permettant d’appliquer les principes de la grande loi de 1905 – j’invite d’ailleurs chacun à relire le rapport d’Aristide Briand sur cette loi. C’est l’un de nos grands rapports parlementaires.

L’article 3 me paraît aller au-delà de ce qui est souhaitable. Souvent, dans un quartier, il n’y a qu’une seule crèche ; en revanche, il y a presque toujours plusieurs assistantes maternelles. De plus, celles-ci exercent leur métier chez elles. On n’est plus dans le cadre d’un service public. J’ai donc déposé un amendement de suppression de cet article, qui m’a semblé attentatoire aux libertés, et qui présente un fort risque d’inconstitutionnalité.

Les crèches familiales, qui relèvent pour l’essentiel de la garde à domicile, avec une réunion des enfants une à deux matinées par semaine, me paraissent également devoir être exclues du dispositif.

Le groupe SRC soutiendra cette proposition de loi, sous réserve de la suppression de son article 3. Si nous avions agi plus tôt pour étendre cette obligation de neutralité, nous aurions évité beaucoup de polémiques. La laïcité est un principe qui nous permet de vivre ensemble, tranquillement, en respectant les convictions de chacun. La France d’aujourd’hui a besoin de cette sérénité.

M. Sergio Coronado. Monsieur le rapporteur, vous avez eu raison de rappeler le travail de fond mené par Alain Richard, rapporteur de cette proposition de loi au Sénat. Il a rationalisé ces dispositions, tout en respectant l’esprit du texte déposé par Mme Laborde.

Je commencerai par souligner un point oublié par notre rapporteur dans son rappel sans doute trop rapide de l’affaire « Baby Loup » : Mme Fatima Afif, la salariée licenciée, portait déjà le foulard islamique lors de son embauche en 1992. Le règlement intérieur qui a été à l’origine du feuilleton judiciaire n’a été adopté que bien plus tard, alors qu’elle se trouvait en congé de maternité. Il faut de surcroît souligner que cette affaire a été largement alimentée par les responsables politiques.

Je me méfie toujours des lois nées d’une seule affaire, quelque emblématique et quelque médiatique qu’elle soit. Celle-ci est restée très circonscrite.

Sur ces sujets, le législateur a procédé par petites touches, plutôt dans le respect de l’esprit libéral de la loi de 1905 et de ses défenseurs, parmi lesquels figuraient notamment Jean Jaurès et Aristide Briand. Mais nous avons peu à peu durci notre dispositif, d’abord avec la loi relative aux signes religieux à l’école, puis avec l’interdiction du voile intégral dans l’espace public. Ces deux lois peuvent apparaître légitimes. En revanche, la présente proposition de loi va plus loin puisqu’elle tend à s’imposer à des domiciles privés. Si l’on pousse jusqu’au bout le raisonnement de notre rapporteur, il vaudrait mieux à l’avenir créer des structures d’accueil de la petite enfance à caractère religieux pour échapper à la dureté de cette loi.

Je ne suis pas convaincu de l’intérêt de légiférer aujourd’hui sur ces questions. Sans que ce soit, sans doute, la volonté des auteurs de la proposition de loi, elle risque de stigmatiser davantage encore des populations qui le sont déjà souvent, dans l’espace public, mais aussi dans les médias et même parfois par des responsables politiques.

Le rapporteur de la proposition de loi au Sénat l’a précisé de façon extrêmement nette : les critères de service public ont été resserrés par la jurisprudence de manière assez claire – financement public, agrément… On peut avoir l’impression qu’on n’est pas loin, ici, du service public. Mais il est bien question d’activités d’intérêt social qui ne revêtent pas de caractère de service public : appliquer les critères du service public à des structures privées, même si elles accueillent des enfants de moins de six ans, ne me paraît pas opportun.

Monsieur le rapporteur, pourquoi n’avez-vous pas traité la question de l’aide sociale à l’enfance, où l’on peut rencontrer des situations similaires ?

Le groupe écologiste ne considère donc ni comme opportun, ni comme légitime de restreindre, à partir d’une seule affaire très médiatique, la liberté religieuse. Nous ne voterons donc pas ce texte, même si nous nous félicitons que semble se dessiner la suppression de l’article 3.

Mme Françoise Guégot. Ce texte comporte sans doute quelques faiblesses constitutionnelles, mais le pire serait de ne rien faire. Il est indispensable aujourd’hui de réaffirmer l’application du principe de laïcité, tout particulièrement lorsque cela concerne l’accueil de jeunes enfants. En marge de l’école maternelle, les communes mettent en place des structures d’accueil, dans lesquelles doit être interdit le port de signes religieux par des adultes qui participent à l’accompagnement éducatif de ces enfants. Je défends donc toutes les mesures allant en ce sens, car les Français ne comprendraient pas que nous ne fassions pas bouger les lignes en la matière, et les objectifs poursuivis par cette proposition de loi me paraissent tout à fait légitimes.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Si cette proposition de loi s’inscrit dans un arsenal législatif indispensable, je regrette que nous n’ayons pas opté pour un projet de loi qui aborde de manière plus globale la problématique de l’accompagnement des enfants, des adolescents ou des jeunes adultes, jusqu’à l’université, en nous inspirant, par exemple, des recommandations de l’Observatoire de la laïcité, auquel j’appartiens.

Cette initiative vient compléter nos textes sur le port des signes religieux, du voile et de la burqa. Nous la saluons car il est essentiel de clairement définir le rôle des accompagnants éducatifs. Cela ne doit pas nous dispenser néanmoins, d’ici la fin de la législature, d’avoir le courage de légiférer globalement sur cette question.

M. Éric Ciotti. J’apporte à mon tour mon soutien à cette proposition de loi, qui rejoint d’ailleurs une proposition de loi que j’avais déposée en 2013, à la suite de l’affaire de la crèche « Baby Loup » à Chanteloup-les-Vignes, où une employée refusait d’ôter son voile. L’angle d’approche de cette proposition de loi soutenue par l’UMP était un peu différent, puisqu’il s’agissait d’autoriser l’inscription dans le règlement intérieur d’une entreprise de dispositions de nature à limiter le port de signes religieux. Le champ était donc plus large que celui de la seule petite enfance, mais nous nous inscrivions dans le même esprit et poursuivions des objectifs identiques à ceux défendus aujourd’hui par le rapporteur.

Je regrette que la majorité socialiste se soit à l’époque vigoureusement opposée à ce texte, qui tentait d’endiguer la montée des communautarismes, que l’on voit s’exprimer aujourd’hui avec une force redoublée. Je rappelle que la crèche « Baby Loup » a été contrainte, à la suite de pressions subies par Mme Baleato, de quitter Chanteloup-les-Vignes pour s’installer à Conflans-Sainte-Honorine, ce qui prouve la nécessité d’ériger des garde-fous face à la montée de ces communautarismes.

M. Patrick Mennucci. En dépit de la position de mon groupe, je suis opposé à cette proposition de loi.

M. Gilbert Collard. J’ai également déposé en 2013 une proposition de loi allant dans ce sens.

M. Pierre Lequiller. En tant que député des Yvelines, je peux témoigner du drame qu’a constitué l’affaire « Baby Loup » à Chanteloup-les-Vignes. Cette proposition de loi clarifie donc les choses de façon opportune pour mettre un terme à toute forme de sectarisme, et je voterai pour. Je regrette néanmoins que ces mesures n’aient pas fait l’objet d’un projet de loi embrassant la totalité des problèmes liés à la laïcité.

M. le rapporteur. Ce texte n’est pas un texte de circonstance. Il s’inscrit dans une stratégie des petits pas, en étendant l’obligation de neutralité aux personnes et aux structures qui bénéficie d’aides financières publiques.

Ne rien faire reviendrait à favoriser la montée des communautarismes : en tant que représentant d’un parti laïque, le parti radical, je ne puis l’admettre.

Le principe de laïcité, tel que nous le défendons, est un principe respectueux des convictions de chacun mais qui s’inscrit néanmoins dans une République garante de la neutralité de l’espace public. Je ne veux heurter personne mais je veux rappeler les principes auxquels je tiens, qui sont ceux de la loi de 1905.

Nous aurions certes pu élaborer une grande loi sur la laïcité, et j’espère qu’elle verra le jour avant la fin du quinquennat, mais cela aurait nécessité beaucoup de travail. Par ailleurs, persuadés comme Edgar Faure que nous pouvons tous nous retrouver autour des grands principes de la laïcité dans le cadre de la vie publique, nous avons préféré limiter le champ d’application de ce texte, afin de lui donner toutes les chances d’être adopté à une large majorité et pour éviter que nous nous entredéchirions. Cette recherche du consensus traduit la volonté de faire progresser nos idées, en faisant front face au communautarisme.

C’est la raison pour laquelle nous n’avons pas traité de l’aide sociale à l’enfance, préférant nous en tenir au cadre délimité par le Sénat lui-même – et je rends ici hommage à la qualité du travail accompli par le rapporteur Alain Richard. Quant à la question des assistants maternels, nous avons opté pour la sagesse devant une difficulté qui n’avait pas échappé à Alain Richard, lequel a fait le choix de renvoyer au contrat les dispositions concernant l’obligation de neutralité, en inscrivant à l’article 3 qu’ « à défaut de stipulation contraire inscrite dans le contrat qui le lie au particulier employeur, l’assistant maternel est soumis à une obligation de neutralité en matière religieuse dans le cours de son activité d’accueil d’enfants ».

Nous avions songé dans un premier temps à adopter le texte conforme afin de ne pas retarder son entrée en vigueur, quitte à faire annuler ensuite l’article 3 par le biais d’une question prioritaire de constitutionnalité, mais la procédure était complexe, et nous avons préféré une solution moins risquée.

Les enfants de moins de six ans ont le droit d’être protégés contre toute tentative communautariste, ils ont le droit à bénéficier du principe de neutralité que garantit la République. Nous souhaitons donc que soient adoptés les deux premiers articles de ce texte : ils seront deux nouvelles pierres apportées à l’édifice de la laïcité.

La Commission en vient à l’examen des articles de la proposition de loi.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er
(art. L. 2324-1 du code de la santé publique)

Obligation de neutralité des crèches et des haltes garderies

Le 1° de l’article 1er de la proposition de loi a pour objet d’étendre, sous certaines conditions, le principe de neutralité aux établissements d’accueil des enfants de moins de six ans, c’est-à-dire aux crèches et aux haltes garderies.

1. Le régime juridique des crèches et des haltes garderies

a. Les principes posés par le code de la santé publique

Le régime juridique actuel des crèches et des haltes garderies est fixé par l’article L. 2324-1 du code de la santé publique, qui figure dans un chapitre consacré aux « établissements d’accueil des enfants de moins de six ans » (24).

Le premier alinéa de cet article dispose en particulier que la création des « établissements et services gérés par une personne physique ou morale de droit privé accueillant des enfants de moins de six ans » est subordonnée à une autorisation délivrée par le président du conseil général, après avis du maire de la commune d’implantation.

Quant aux « établissements et services publics accueillant des enfants de moins de six ans », leur création est décidée, aux termes du deuxième alinéa de l’article L. 2324-1, par la collectivité publique intéressée, après avis du président du conseil général.

Le quatrième alinéa du même article renvoie à un décret le soin de fixer les conditions « de qualification ou d’expérience professionnelle », de « moralité » et d’ « aptitude physique » requises des personnes exerçant leur activité dans ces établissements tant publics que privés.

2. Le dispositif envisagé dans la rédaction initiale de la proposition de loi

La proposition de loi déposée par Mme Françoise Laborde, membre de la commission de la Culture, de l’éducation et de la communication du Sénat, vise à mettre un terme aux incertitudes entourant le statut juridique des établissements et services d’accueil de la petite enfance au regard de la laïcité. Elle tend à répondre en cela au vœu formé par le collège de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE) qui, dans sa délibération n° 2011-67 du 28 mars 2011, invitait le Gouvernement à « examiner l’opportunité d’étendre aux structures privées des secteurs social, médicosocial et de la petite enfance chargées de missions de service public ou d’intérêt général, les obligations notamment de neutralité qui s’imposent aux structures publiques de ces secteurs ».

Elle fait suite à d’autres tentatives de modifier la législation concernant la neutralité dans le secteur privé, qui n’ont pas abouti. Une proposition de loi avait ainsi été déposée à l’Assemblée nationale le 24 avril 2013 par M. Christian Jacob (25). Complétant l’article L. 1121-1 du code du travail, son article 1er précisait que des restrictions visant à réglementer le port de signes et les pratiques manifestant une appartenance religieuse étaient légitimes, dès lors qu’elles étaient justifiées par la neutralité requise dans le cadre des relations avec le public ou par le bon fonctionnement de l’entreprise et proportionnées au but recherché. Son article 2 prévoyait que des restrictions similaires pouvaient être introduites, sous les mêmes réserves, dans le règlement intérieur de l’entreprise. Ces deux articles ont été rejetés par la commission des Lois, puis par l’Assemblée nationale en séance publique. Ils ont en effet suscité des réserves à la fois quant à leur possible inconstitutionnalité, en raison de leur généralité excessive, et du fait qu’ils apparaissaient comme une législation « de circonstance », élaborée trop hâtivement dans le sillage du premier arrêt rendu par la Cour de cassation dans l’affaire « Baby Loup ».

La proposition de loi déposée par Mme Françoise Laborde se distingue de la précédente en ce qu’elle ne porte que sur le secteur de la petite enfance et vient ainsi compléter un régime juridique de la laïcité qui se construit progressivement (l’un des derniers textes essentiels adoptés en la matière étant la loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics). Elle a d’ailleurs, moyennant des aménagements substantiels apportés en Commission, été adoptée de façon relativement consensuelle au Sénat. Elle présente au surplus l’avantage d’intervenir au terme de la procédure judiciaire dans l’affaire « Baby Loup », et dans la continuité de celle-ci, la Cour de cassation ayant finalement rejeté le pourvoi de la salariée licenciée.

Dans sa rédaction initiale, la proposition de loi déposée par Mme Françoise Laborde entendait, en son article 1er, ajouter la « neutralité » aux différentes conditions exigibles du personnel, énumérées par le quatrième alinéa de l’article L. 2324-1 du code de la santé publique (26). L’un des avantages de cette rédaction était, grâce à cette mention générale d’une condition de neutralité, d’inclure dans son champ l’ensemble des crèches et haltes garderies, publiques et privées, ainsi que les centres de vacances ou de loisirs dont, aux termes du troisième alinéa de l’article L. 2324-1, l’organisation est subordonnée à une autorisation délivrée par le représentant de l’État dans le département, après avis du médecin responsable du service départemental de protection maternelle et infantile.

Toutefois, par sa généralité même, cette rédaction pouvait paraître ne pas satisfaire suffisamment les exigences de la liberté d’association, de la liberté du commerce et de l’industrie et de la liberté d’expression religieuse et, de ce point de vue, présenter un risque d’inconstitutionnalité ou d’inconventionnalité. L’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, en particulier, énonce que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ». L’article 9 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales stipule, pour sa part, que « toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique (…) la liberté de manifester sa religion ou sa conviction (…) ». Ces textes s’opposent notamment à ce qu’une obligation de neutralité soit imposée aux établissements et services qui se prévalent d’un caractère religieux.

3. Le dispositif issu des travaux de la commission des Lois du Sénat

Écartant le dispositif figurant dans la rédaction originelle du texte, la commission des Lois du Sénat a préféré insérer, après le troisième alinéa de l’article L. 2324-1, trois nouveaux alinéas (constituant le « II » de cet article) :

— le premier alinéa porte sur les établissements et services accueillant des enfants de moins de six ans qui bénéficient d’une aide financière publique ;

— le deuxième concerne les établissements et services qui ne bénéficient pas d’une aide financière publique ;

— le troisième a trait aux établissements et services qui se prévalent d’un caractère propre.

a. Les établissements et services qui bénéficient d’une aide financière publique

Le premier alinéa pose le principe de la soumission des crèches et haltes garderies à une obligation de neutralité en matière religieuse dès lors qu’elles bénéficient d’une aide financière publique. La neutralité devient ainsi la règle dans le secteur de la petite enfance.

b. Les établissements et services qui ne bénéficient pas d’une aide financière publique

Aux termes du deuxième alinéa, les crèches et haltes garderies ne bénéficiant pas d’une aide financière publique peuvent, si elles le souhaitent, apporter certaines restrictions à la liberté d’expression religieuse de leurs salariés au contact d’enfants. L’intérêt de l’enfant peut en effet justifier, de la part des établissements en cause, certaines limitations à la manifestation des convictions religieuses de leurs salariés.

Ces restrictions doivent figurer dans le règlement intérieur ou, à défaut, dans une note de service. L’article L. 1121-1 du code du travail (27) leur est applicable. Elles doivent donc être « justifiées par la nature de la tâche à accomplir » et « proportionnées au but recherché ».

c. Les établissements et services qui se prévalent d’un caractère propre

Le troisième alinéa porte sur les « personnes morales de droit privé se prévalant d’un caractère propre porté à la connaissance du public intéressé ». Sont ici visées les crèches et les haltes garderies qui affichent un caractère religieux auquel renvoient les termes « caractère propre ».

Comme l’a relevé M. Alain Richard, rapporteur au nom de la commission des Lois du Sénat (28), « de nombreuses crèches privées ont une vocation religieuse affirmée » si bien que « l’application des principes constitutionnels requiert de reconnaître leur droit à professer leur croyance ». C’est pourquoi l’article 1er de la proposition de loi ne les soumet pas à une obligation de neutralité.

Toutefois, comme le souligne encore le rapporteur du Sénat, « celles d’entre elles qui bénéficient d’une aide financière publique doivent, en application des mêmes principes de niveau supra-législatif, respecter des règles républicaines d’ouverture et d’égalité de droits ». Il est par conséquent prévu que, dans une telle hypothèse, les crèches et les haltes garderies soient tenues de recevoir tous les enfants, sans distinction d’origine, d’opinion ou de croyances de leurs représentants légaux. Leurs activités doivent par ailleurs assurer le respect de la liberté de conscience des enfants.

Ces dispositions s’inspirent de celles qui existent pour les établissements d’enseignement privés sous contrat et, notamment, de l’article 442-1 du code de l’éducation aux termes duquel : « Dans les établissements privés qui ont passé un des contrats prévus aux articles L. 442-5 et L. 442-12, l’enseignement placé sous le régime du contrat est soumis au contrôle de l’État. L’établissement, tout en conservant son caractère propre, doit donner cet enseignement dans le respect total de la liberté de conscience. Tous les enfants sans distinction d’origine, d’opinion ou de croyances, y ont accès. »

4. Les autres dispositions de l’article premier

Le 2° de l’article 1er précise le redécoupage de l’article L. 2324-1, les trois premiers alinéas de celui-ci constituant désormais le « I » de cet article, et les deux derniers alinéas en constituant le « III ».

5. La position de la Commission

Sur la proposition de votre rapporteur, la commission des Lois de l’Assemblée nationale a adopté un amendement remplaçant, dans les différents alinéas de l’article 1er, la notion d’ « aide financière publique » par celle de : « financements publics destinés à soutenir l’activité d’accueil de mineurs ». Le but de cet amendement était de préciser la nature de la contribution publique visée. Sont ainsi concernés les subventions et les concours publics mais pas, à titre d’exemple, les crédits d’impôt.

Par ailleurs, outre deux amendements rédactionnels, la Commission a adopté un amendement de votre rapporteur excluant du champ de l’article 1er les crèches dites « familiales ». En effet, si celles-ci sont juridiquement des crèches, elles n’en sont pas moins très spécifiques puisque les enfants concernés y sont accueillis pour l’essentiel au domicile des assistants maternels.

*

* *

La Commission est saisie d’un amendement de suppression CL2 de M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Ayant déposé des amendements de suppression sur les trois articles de cette proposition de loi, je les défendrai ici de manière globale.

La multiplication des propositions de loi – celle de Mme Laborde au Sénat, celles de M. Ciotti, puis de M. Collard à l’Assemblée nationale – témoigne bien du consensus qui va permettre l’adoption de ce texte. Je ne me rallie pas à cette unanimité et ce, pour des raisons que partage peut-être le Gouvernement, dont les sénateurs radicaux ont déploré l’absence au banc lors des débats, signe qu’il n’est sans doute guère convaincu de l’opportunité de légiférer.

En effet, ce texte ne lève pas toutes les ambiguïtés en matière de laïcité : ni les organisations scoutes, ni les crèches religieuses, ni l’aide sociale à l’enfance – laquelle assure pourtant, dans certains endroits, 90 % de l’accueil de la petite enfance –, qui bénéficient pourtant de financements publics ne sont concernés par votre texte : il est donc faux de prétendre qu’il garantit l’application du principe de neutralité dans toutes les structures percevant de l’argent public.

Par ailleurs, les dispositions de la présente proposition de loi ont pour objet d’étendre le principe de neutralité aux établissements et services gérés par une personne physique ou morale de droit privé accueillant des enfants de moins de six ans lorsqu’ils bénéficient d’une aide financière publique. Or, selon l’article 9 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, « toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

Il ne me semble pas que les dispositions de votre proposition de loi s’inscrivent dans ce cadre. Les motifs qu’elle invoque ne sont à mes yeux ni pertinents ni suffisants. En effet, même si le but est de faire respecter les principes laïques et démocratiques de la République et d’empêcher des actes de provocation, de prosélytisme et de propagande, les personnes visées sont de simples citoyens : ils ne sont aucunement des représentants de l’État ; ils ne peuvent donc être soumis, en raison d’un statut officiel, à une obligation de discrétion dans l’expression publique de leurs convictions religieuses, a fortiori lorsqu’ils exercent à leur domicile. Il ne s’agit donc pas de la réglementation du port de symboles religieux dans des établissements publics, dans lesquels le respect de la neutralité à l’égard de croyances peut primer sur le libre exercice du droit de manifester sa religion.

Par ailleurs, l’article 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales stipule que « la jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ». Ce faisant, il interdit de traiter de manière différente, sauf justification objective et raisonnable, des personnes placées dans des situations comparables, ce qu’autorise au contraire votre texte. Une distinction est discriminatoire au sens de l’article 14 si elle ne poursuit pas un but légitime ou s’il n’y a pas de rapport de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

J’aimerais pour conclure demander à Marie-Jo Zimmermann quel courage il y a à légiférer dans le même sens depuis vingt ans, en s’en prenant toujours aux mêmes populations et aux mêmes pratiques religieuses. Je ne confonds pas pour ma part laïcité et laïcisme. C’est la raison pour laquelle je propose la suppression des trois articles de cette proposition de loi.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Je ne pourrai pour ma part voter ni l’article 1er ni son amendement de suppression.

L’amendement de suppression illustre les profondes contradictions auxquelles nous conduit le droit issu de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et de la Charte européenne des droits fondamentaux : nous sommes parvenus à un tel degré dans l’affirmation de la liberté individuelle qu’il ne nous est plus possible d’intégrer dans ce droit l’exigence collective, pourtant si forte, que constitue le principe de laïcité. Or, de même que la citoyenneté dépasse les droits de l’homme, la laïcité dépasse le droit sacré à l’expression individuelle. Cet amendement est donc tout à fait inopportun, dans la mesure où il procède d’une pensée objectivement dangereuse.

M. Sergio Coronado. Européiste et libertaire, tant que vous y êtes !

Mme Marie-Françoise Bechtel. Si vous le souhaitez, mais je me garderai ici de toute idéologie. Je veux me borner à mettre en lumière la contradiction profonde qui affecte notre tradition juridique en matière de défense des droits fondamentaux et des grandes libertés publiques, au premier rang desquelles celles inscrites dans la grande loi de 1905, véritable charte de paix publique.

Si je ne peux donc voter cet amendement, je n’approuve pour autant ni la rédaction ni le fond de l’article 1er. Je suis partagée sur le fond et pas complètement à l’aise, je l’avoue, avec ce qu’il faudrait faire. La loi aujourd’hui garantit suffisamment l’application du principe de laïcité dans nos institutions et dans nos services publics. Quant à l’espace public, la loi dite « anti-burqa » y a également apporté quelques garanties. Restent les interstices, ces structures à la marge du service public qui bénéficient, pour certaines, d’aides publiques. La meilleure solution ne serait-elle pas en la matière d’élargir la notion de service public et de spécifier que tout établissement accueillant la petite enfance entre dans le périmètre du service public ? Vous avez fait, monsieur le rapporteur, un autre choix, dont je crains qu’il ne garantisse ni la clarté de votre loi ni l’égalité de traitement, qui est pourtant un principe constitutionnel auquel elle ne saurait déroger. En voulant distinguer entre les situations, vous aboutissez, dans cet article 1er, à certaines contradictions, que risque de censurer le Conseil constitutionnel.

M. Édouard Philippe. Je ne voterai pas l’amendement de suppression de l’article 1er, mais je voudrais attirer votre attention sur le fait que, tel qu’il est rédigé, cet article pose néanmoins certains problèmes de principe mais également d’application. En effet, le champ d’application de cette loi peut se révéler aussi large qu’il y a d’établissements et de services susceptibles d’accueillir des enfants de moins de six ans. Nous sommes certes dans le code de la santé publique, mais un service de garderie au sein d’un centre commercial est-il concerné par ces mesures ? Et les associations proposant une aide aux devoirs ? Les maires subventionnent de nombreuses associations qui participent, d’une manière ou d’une autre, à l’accompagnement éducatif des enfants. Il s’agit de structures privées, confessionnelles ou non, dont il peut arriver que des membres affirment des convictions religieuses. Sont-elles visées par cette proposition de loi ? Sans être insensible aux objectifs poursuivis par l’article 1er, je voudrais donc vous mettre en garde contre d’éventuels effets pervers.

M. Patrick Mennucci. Je voterai pour ma part l’amendement de M. Coronado. Ayant eu une grand-mère italienne qui, jusqu’à sa mort, a porté un fichu sur la tête, ce qui n’a jamais posé de problème à quiconque, j’ai le sentiment qu’en interdisant le port du voile aux employées des structures accueillant la petite enfance, nous nous exposons ensuite à des problèmes avec les utilisateurs du service public. Faudra-t-il interdire l’accès à l’hôpital aux femmes voilées ?

L’accumulation de mesures que nous mettons en place ne règle rien. Si l’on interdit aux employées des crèches de porter un foulard, ces crèches s’organiseront à domicile : Marseille sait à quoi s’en tenir en matière de crèches clandestines censées pallier le manque de places dans les structures d’accueil publiques.

Il me semble que cette proposition de loi est un texte d’opportunité, qui ne résout en rien la question de la laïcité. Je voterai donc contre.

M. le rapporteur. La laïcité n’a rien à voir avec le laïcisme ; en revanche, elle a affaire au communautarisme, et les communautaristes, je les laisse entre eux !

Je suis donc défavorable à cet amendement de suppression. Il est contraire à la finalité même de la proposition de loi, qui a été rédigée avec beaucoup de soin et de précaution afin d’éviter une censure du Conseil constitutionnel. L’exposé de M. Coronado ignore le fait que l’article 1er retient un critère, celui du financement public, qui représente une garantie : dès lors que la condition de financement public est satisfaite, je ne vois pas en quoi il serait illégitime d’exiger le respect d’une obligation de neutralité en matière religieuse, sachant que les personnes morales de droit privé se prévalant d’un caractère religieux sont par ailleurs soumises à un régime distinct.

Renoncer à légiférer en la matière, ce serait, me semble-t-il, ouvrir la porte à toutes les dérives de type communautariste. Ce serait abandonner les obligations qui nous incombent, abandonner la loi de 1905, abandonner le principe de neutralité, l’un de ceux qui fondent la République, et, en tout état de cause, ouvrir la porte au communautarisme. On l’a bien vu dans l’affaire « Baby Loup » – qui, répétons-le, s’est terminée par un arrêt d’espèce, sans aucun principe, alors même qu’il s’agit d’un arrêt d’assemblée plénière ; voilà précisément pourquoi nous devons légiférer.

L’affichage d’un signe religieux par une confession encourage les autres confessions à se comporter de même, ce qui favorise le cloisonnement entre communautés, au détriment de l’unité républicaine sur laquelle je fonde pour ma part ma conception de la République. En outre, on s’expose ainsi au risque, fréquemment vérifié, d’instrumentalisation du port de ces signes et des vêtements religieux.

Enfin, la proposition de loi ne s’oppose pas au principe d’égalité puisque, précisément, elle n’opère aucune discrimination entre confessions.

Cela ne signifie pas que la rédaction de l’article 1er ne soit pas susceptible d’améliorations : j’ai déposé des amendements à cette fin.

M. Patrick Mennucci. Le rapporteur pourrait-il nous dire précisément quelles sont, dans son esprit, les structures d’accueil de la petite enfance qui ne reçoivent pas de fonds publics ? Je ne vois que les crèches clandestines, et peut-être celles qui dépendent par exemple de l’évêché, encore que je n’en sois pas certain. Bref, de quoi parle-t-on ?

M. Philippe Doucet. La sérénité dans laquelle nous avons débuté cette discussion est en train de céder le pas au registre passionnel, comme le montre l’ambiance sonore sur laquelle le président a appelé notre attention. Je reconnais bien là le talent de mon ami Patrick Mennucci.

Reprenons sereinement et tranquillement. Il convient d’écarter le problème des crèches clandestines, car les difficultés de gestion propres à telle ou telle collectivité ne doivent pas entrer en ligne de compte lorsque nous définissons le cadre de la loi : elles appellent une forme de régulation qui n’est pas du même ordre que les questions de laïcité. Quant à l’hôpital, on ne s’est jusqu’à présent jamais préoccupé de la tenue vestimentaire des personnes qui se présentent aux urgences, qu’elles portent un foulard ou des tongs ! Cette question-là aussi doit donc être évacuée.

Si l’on en revient au fond, ce n’est pas de laïcisme qu’il s’agit ici, monsieur Coronado, mais bien de laïcité. J’aime beaucoup l’expression que notre collègue Bechtel a employée pour qualifier la loi de 1905 : une « charte de paix publique ». Je le répète, le rapport Briand fait partie de nos grands rapports parlementaires. Je note au passage que Sergio Coronado approuve Jean Jaurès : on s’en souviendra ! Quoi qu’il en soit, qui pourrait croire que les débats passionnels qui nous opposent aujourd’hui sont conformes à l’esprit de cette charte ? Nous n’avons pas entrepris d’appliquer la loi de 1905 au monde d’aujourd’hui : voilà ce qui nous a conduits à ces trois ans de débat médiatique pendant lesquels nous nous sommes étripés sur l’affaire « Baby Loup », et dont je doute que la paix publique ait beaucoup profité. De plus, c’est la Cour de cassation qui a sifflé la fin de la récréation, alors que nous, législateur, avons tout intérêt à faire sereinement la loi au lieu de lui laisser cette tâche.

Les débats que suscitent ces questions traversent en permanence la société française : dès qu’un responsable public dit un mot de telle ou telle mesure concernant la laïcité, ou concernant les musulmans puisque c’est bien de cela qu’il s’agit, la température monte de vingt degrés ! On peut le regretter, mais c’est ainsi.

Il me semble donc que le Parlement se grandirait en tirant toutes les conséquences de cette grande loi de paix publique, de manière à l’appliquer à la vie d’aujourd’hui. En 1905, il n’y avait pas de crèches, ni publiques, ni privées.

Mme Colette Capdevielle. Il n’y avait pas de musulmans !

M. Philippe Doucet. Si : faut-il rappeler qu’il existait des départements français d’Algérie ? (Exclamations.)

M. Patrick Mennucci. La loi de 1905 ne leur était pas appliquée !

M. Dominique Raimbourg, président. Mes chers collègues, seul M. Doucet a la parole !

M. Philippe Doucet. Là n’est pas le sujet. Voici quelle est la position du groupe SRC – et du Gouvernement, si M. Coronado veut l’entendre… Nous sommes favorables aux articles 1 et 2, sous réserve de l’adoption des amendements du rapporteur, et nous proposons la suppression de l’article 3, qui entre dans le domaine privé des assistants maternels et des crèches familiales. Tel est le cadre qui nous épargnera une nouvelle affaire « Baby Loup » et nous permettra, sans verser dans le laïcisme mais en étendant petit à petit à chaque segment de la société et à chaque question nouvelle tout le bénéfice de cette pépite qu’est la loi de 1905, de vivre ensemble le plus sereinement possible.

La Commission rejette l’amendement.

Elle est ensuite saisie de l’amendement CL5 du rapporteur.

M. le rapporteur. Cet amendement a pour objet de préciser la nature de la contribution publique visée : il s’agira de subventions et de concours publics, à l’exclusion par exemple de crédits d’impôt. Cela permet de maintenir clairement le lien entre les subventions publiques destinées à l’accueil des enfants de moins de six ans et l’obligation de neutralité, conformément à l’esprit de la présente proposition de loi, et en accord avec le ministre de l’Intérieur.

M. Édouard Philippe. L’amendement précise un peu la formulation du premier alinéa, mais ne me semble pas répondre entièrement à la question posée par M. Mennucci : que recouvre l’expression de financement public ? Inclut-elle par exemple, dans l’esprit du rapporteur, les subventions versées par la caisse d’allocations familiales ? Je me permets de poser la question, car on a coutume de me répondre avec la même assurance tantôt par l’affirmative, tantôt par la négative. Or ce n’est pas sans conséquence sur le champ d’application de la loi.

M. Sergio Coronado. Je me pose à peu près les mêmes questions. Le rapporteur établit-il un distinguo entre le financement des collectivités et celui de la caisse d’allocations familiales ou considère-t-il que tout cela relève indistinctement du financement public ?

Pourrait-il également préciser ce qui sort du champ d’application du texte, comme cela a été fait très clairement au Sénat ? Ainsi, ne sont concernées ni l’aide sociale à l’enfance, ni les crèches d’associations religieuses qui perçoivent des financements des collectivités publiques – mairies, conseils généraux –, comme à Paris où d’importants débats ont eu lieu, surtout au sein de la majorité depuis 2001, sur le financement de crèches Loubavitch.

D’autre part, dans les haltes garderies ou chez les nourrices, le contrôle de neutralité s’appliquera-t-il aux images pieuses, au port d’un insigne religieux, par exemple d’une croix, voire d’un fichu ?

J’aimerais que le rapporteur se montre très précis et très concret dans ses réponses, afin d’éclairer la commission.

M. Gilbert Collard. Sauf erreur de ma part, nous n’avons pas de jurisprudence permettant de définir ce qu’est une aide financière publique, à la seule exception d’un arrêt qui doit dater d’une dizaine d’années. Il conviendrait de préciser cette définition.

Dans le texte, le sens de la notion de financement public reste juridiquement très large. Personnellement, cela ne me dérange pas. Mais il ne me paraîtrait pas inutile de préciser la définition jurisprudentielle de ce concept qui implique le versement de fonds d’État à une association ou à un organisme.

M. le rapporteur. Je ne serai ni très précis ni très concret, car cela supposerait que vous puissiez m’interroger sur chaque aide financière prise séparément, alors que c’est évidemment à la jurisprudence de se prononcer. Vous pouvez toujours essayer de ridiculiser le texte en demandant qu’on lui ajoute deux cents lignes pour le rendre plus précis, mais on sait bien que c’est impossible !

Monsieur Collard, c’est, je le répète, en accord avec les services du ministère de l’Intérieur que nous avons remplacé la notion d’« aide financière publique » par l’expression, plus précise, « de financements publics destinés à soutenir leur activité d’accueil » ; il appartiendra à la jurisprudence d’en tirer toutes les conséquences.

M. Gilbert Collard. Je comprends très bien votre argument. Mais cessons d’abandonner à la jurisprudence nos prérogatives de législateur ! La justice ne fait plus de la jurisprudence, elle fait le droit : c’est inacceptable ! Les tribunaux doivent s’en tenir à leur mission. La Cour de cassation fait la loi, qui plus est en imposant une rétroactivité ; en d’autres termes, le Parlement abdique ses pouvoirs. Nous devons défendre notre mission de création de la loi – voilà qui me paraît parfaitement radical, monsieur le rapporteur !

M. Dominique Raimbourg, président. Deux remarques. D’abord, oui, les tribunaux font le droit, dans les interstices que laisse – nécessairement – la loi ; c’est aussi vieux que le droit lui-même ! Plus exactement, c’est ce que l’on appelle la construction prétorienne : en précisant la loi, les tribunaux contribuent à l’élaboration du droit positif.

Ensuite, peut-être conviendrait-il, monsieur le rapporteur, de préciser dans le texte que sont visés les fonds publics ou parapublics, de manière à couvrir ceux qui ne sont pas nécessairement définis comme publics parce que ce ne sont pas des fonds d’État et qu’ils sont gérés par les partenaires sociaux.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte successivement les amendements rédactionnels CL6 et CL7 du rapporteur.

Elle en vient ensuite à l’amendement CL8 du rapporteur.

M. le rapporteur. Le présent amendement a pour objet d’exclure les crèches dites familiales du champ de l’article 1er. Certes, ce sont juridiquement des crèches, mais très spécifiques puisque les enfants sont accueillis au domicile des assistants maternels. Il est donc plus opportun d’aborder pour ces structures la question de la neutralité en faisant référence aux assistants maternels plutôt qu’aux crèches classiques.

M. Guy Geoffroy. Cet amendement, dont je comprends fort bien l’esprit, risque néanmoins de se heurter à l’évolution de la prise en charge de la petite enfance par les assistants maternels. En effet, il existe de plus en plus de maisons d’assistants maternels, qui regroupent, hors de leur domicile, des assistants maternels accueillant, dans les mêmes conditions que chez eux, chacun un nombre donné d’enfants. Cette formule présente d’ailleurs de très grands avantages, tant pour les assistants maternels que pour les parents et leurs enfants. On reste juridiquement dans le cadre applicable aux assistants maternels, mais on sort physiquement du contexte dans lequel ils exercent encore très majoritairement.

M. Michel Zumkeller. De même, les caisses d’allocations familiales commencent à développer les espaces multi-accueil. Il y en a un dans ma commune, qui réunit crèche collective et crèche familiale : deux jours par semaine, les assistantes maternelles amènent les enfants qu’elles gardent dans les locaux, qui accueillent par ailleurs la crèche collective. Comment pourrait-on faire une différence pour ces deux seuls jours ? Je comprends moi aussi la logique de l’amendement, mais il est concrètement inapplicable.

M. le rapporteur. Je n’ai pas d’autre solution à proposer dès lors que je m’apprête à soutenir la suppression de l’article 3.

M. Philippe Gosselin. La formule des maisons d’assistantes maternelles est en effet en train de prospérer, fût-ce de façon variable selon les départements. Peut-être pourrait-on résoudre la difficulté en sous-amendant l’amendement pour ajouter à la fin de l’alinéa la mention des groupements – privés – d’assistants maternels.

M. le rapporteur. Je vous invite à faire part dans la suite de la procédure de vos éventuelles observations, que j’examinerai.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article 1er modifié.

Article 1er bis (nouveau)
(art. L. 214-1 et L. 214-7
du code de l’action sociale et des familles)
Coordinations opérées dans le code de l’action sociale et des familles

La commission des Lois de l’Assemblée nationale a adopté un amendement de votre rapporteur créant un article 1er bis. L’objet de celui-ci est, dans un souci de coordination, d’introduire des modifications formelles aux articles L. 214-1 et L. 214-7 du code de l’action sociale et des familles afin de tenir compte notamment du redécoupage (opéré par l’article 1er de la proposition de loi) de l’article L. 2324-1 du code de la santé publique en un « I », un « II » et un « III ».

*

* *

La Commission est saisie de l’amendement de coordination CL9 du rapporteur.

Mme Marie-Françoise Bechtel. D’une manière générale, il y a dans ce texte une extension de la notion de caractère propre qui m’étonne de la part de tenants de la laïcité. Rappelons que cette notion a été péniblement constitutionnalisée par le Conseil constitutionnel après un débat tendu.

La Commission adopte l’amendement.

Article 1er ter (nouveau)
(art. 244 quater F et 261 du code général des impôts)

Coordinations opérées dans le
code général des impôts

La commission des Lois de l’Assemblée nationale a adopté un amendement présenté par votre rapporteur créant un article 1er ter. Celui-ci vise, dans un souci de coordination, à opérer des modifications formelles aux articles 244 quater F et 261 du code général des impôts afin de tenir compte, là encore, du redécoupage de l’article L. 2324-1 du code de la santé publique en un « I », un « II » et un « III ».

*

* *

La Commission adopte l’amendement de coordination CL12 du rapporteur.

Article 1er quater (nouveau)
(art. L. 2324-2 et L. 2324-2-1 du
code de la santé publique)
Coordinations opérées dans le code de la santé publique

À l’initiative de votre rapporteur, la commission des Lois de l’Assemblée nationale a adopté un amendement créant un article 1er quater. L’objet de celui-ci est d’opérer des modifications formelles aux articles L. 2324-2 et L. 2324-2-1 du code de la santé publique, compte tenu du redécoupage de l’article L. 2324-1 du même code.

*

* *

La Commission adopte l’amendement de coordination CL10 du rapporteur.

Article 1er quinquies (nouveau)
(art. L. 1271-1, L. 1271-17 et L. 7233-4 du code du travail)

Coordinations opérées dans le code du travail

Sur la proposition de votre rapporteur, la commission des Lois de l’Assemblée nationale a adopté un amendement créant un article 1er quinquies, opérant des modifications formelles aux articles L. 1271-1, L. 1271-17 et L. 7233-4 du code du travail, compte tenu du redécoupage de l’article L. 2324-1 du code de la santé publique.

*

* *

La Commission adopte l’amendement de coordination CL11 du rapporteur.

Article 2
(art. L. 227-1-1 du code de l’action sociale et des familles)

Obligation de neutralité des centres de vacances et de loisirs

L’article 2 de la proposition de loi tendait, dans sa rédaction initiale, à compléter les règles relatives à l’agrément accordé aux assistants maternels par le président du conseil général. Ce sujet étant désormais traité par l’article 3 de la proposition de loi dans sa rédaction issue des travaux de la commission des Lois du Sénat, cette dernière a adopté un amendement de son rapporteur réécrivant entièrement l’article 2 qui vise désormais à étendre l’obligation de neutralité aux centres de vacances et de loisirs. Le but poursuivi est, à l’instar de l’article 1er, de garantir la sécurité juridique de ces établissements au regard du principe de laïcité.

1. Le régime juridique des centres de vacances et de loisirs

Les centres de vacances et les centres de loisirs constituent des structures d’accueil collectif de mineurs, les premiers comportant un hébergement à la différence des seconds. Ils doivent respecter des obligations de déclaration, d’encadrement et de norme de conformité des locaux. Les mineurs ainsi accueillis sont placés sous la protection des autorités publiques. Cette protection s’exerce sur les conditions morales et matérielles de leur accueil en vue de protéger leur sécurité, leur santé et leur moralité.

Ces centres sont régis en particulier par le chapitre VII (« Mineurs accueillis hors du domicile parental ») du titre II (« Enfance ») du livre II (« Différentes formes d’aide et d’action sociales ») du code de l’action sociale et des familles. Ils se trouvent également assujettis aux dispositions du code de la santé publique auxquelles renvoie l’article L. 227-3 du code de l’action sociale et des familles.

Les enjeux pour ces établissements au regard de la laïcité se sont posés dans les mêmes termes que pour les crèches et les haltes garderies. Si l’obligation de neutralité exigée des agents du service public ne fait pas de doute, la situation est en revanche très incertaine pour les centres relevant du secteur privé.

2. Le dispositif issu des travaux de la commission des Lois du Sénat

Dans la rédaction initiale de la proposition de loi, aucun article n’était consacré spécifiquement aux centres de vacances et de loisirs puisque ceux-ci étaient couverts par l’introduction d’une obligation absolue de neutralité prévue à l’article 1er.

Dans sa rédaction issue des travaux sénatoriaux, l’article 2, consacré spécifiquement aux centres de vacances et de loisirs, a pour objet d’insérer, après l’article L. 227-1 du code de la santé publique, un nouvel article L. 227-1-1 relatif aux « personnes morales de droit privé qui accueillent des mineurs protégés au titre du (…) chapitre [VII] », c’est-à-dire aux centres de vacances et de loisirs.

Transposant la solution retenue à l’article 1er pour les crèches et les haltes garderies (29), l’article L. 227-1-1 est composé de trois alinéas :

—  le premier porte sur les centres bénéficiaires d’une aide financière publique ;

—  le deuxième concerne les centres dépourvus de toute aide financière publique ;

—  le troisième a trait aux centres qui se prévalent d’un caractère propre.

a. Les centres bénéficiaires d’une aide financière publique

Aux termes du premier alinéa, les centres de vacances et de loisirs du secteur privé sont soumis à une obligation de neutralité en matière religieuse dès lors qu’ils bénéficient d’une aide financière publique. La neutralité acquiert ainsi valeur de règle.

b. Les centres qui ne bénéficient pas d’une aide financière publique

Les centres du secteur privé ne bénéficiant pas d’une aide financière publique peuvent apporter certaines restrictions à la liberté d’expression religieuse de leurs salariés au contact des mineurs, sur le fondement de l’article L. 1121-1 du code du travail. Ces restrictions doivent figurer dans le règlement intérieur ou, à défaut, dans une note de service.

c. Les centres qui se prévalent d’un caractère propre

Le troisième alinéa de l’article L. 227-1-1 porte sur les « personnes morales de droit privé se prévalant d’un caractère propre porté à la connaissance du public intéressé ». Sont ici visés les centres de vacances et de loisirs qui mettent en avant un caractère religieux. Ceux-ci ne sont pas soumis à une obligation de neutralité. Toutefois, lorsqu’ils bénéficient d’une aide financière publique, ils sont tenus d’accueillir tous les mineurs, sans distinction d’origine, d’opinion ou de croyances. Leurs activités doivent par ailleurs garantir le respect de la liberté de conscience des mineurs.

Ces dispositions s’inspirent, là encore, de celles qui existent pour les établissements d’enseignement privés sous contrat.

3. La position de la Commission

Dans le cadre de l’examen du texte par la commission des Lois de l’Assemblée nationale, votre rapporteur a présenté un amendement ayant pour objet d’insérer les nouvelles dispositions dans un article situé, non pas après l’article L. 227-1 du code de l’action sociale et des familles, mais après l’article L. 227-4 du même code, qui prévoit que la protection des mineurs qui bénéficient hors du domicile parental d’un mode d’accueil collectif à caractère éducatif est confiée au représentant de l’État dans le département. Cet emplacement permet d’éviter de faire entrer dans le périmètre de la loi tout le secteur médico-social, que le Sénat n’avait pas entendu viser, mais que les dispositions adoptées par celui-ci avaient pourtant pour effet d’inclure dans le champ du texte. Cet amendement a été adopté par la Commission.

Outre deux amendements rédactionnels et de coordination, la Commission a également adopté un amendement de votre rapporteur renvoyant à un décret en Conseil d’État la détermination des conditions d’application du nouvel article L. 227-4-1 ainsi créé. Ce renvoi au pouvoir réglementaire se justifie par la diversité d’activités et de publics accueillis que recouvrent les « modes d’accueil collectif à caractère éducatif », qui rend nécessaire une modulation des conditions d’application du principe de neutralité.

*

* *

La Commission rejette l’amendement de suppression CL3 de M. Sergio Coronado.

Puis elle examine l’amendement CL13 du rapporteur.

M. le rapporteur. Le présent amendement a pour objet d’insérer le nouvel article créé, non pas après l’article L. 227-1 du code de l’action sociale et des familles, mais après l’article 227-4 du même code, aux termes duquel la protection des mineurs qui bénéficient hors du domicile parental d’un mode d’accueil collectif à caractère éducatif est confiée au représentant de l’État dans le département. Ce choix évite de faire entrer dans le périmètre de la loi l’ensemble du secteur médico-social, que le Sénat n’avait pas entendu viser mais qu’il y avait inclus de fait par les dispositions qu’il avait adoptées. Cela permet de restreindre le champ d’application du texte afin de se prémunir contre tout risque d’inconstitutionnalité.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’amendement de coordination CL14 du rapporteur.

Elle en vient ensuite à l’amendement CL15 du rapporteur.

M. le rapporteur. Cet amendement vise à tenir davantage compte de la diversité d’activités et de publics accueillis que recouvrent les « modes d’accueil collectif à caractère éducatif ». Cette diversité justifie une modulation des conditions d’application du principe de neutralité. C’est pourquoi il apparaît nécessaire de renvoyer à un décret en Conseil d’État la détermination des conditions d’application de cet article.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’amendement de coordination CL16 du rapporteur.

Elle adopte ensuite l’article 2 modifié.

Article 3 (nouveau)
(art. L. 423-22-1
du code de l’action sociale et des familles)
Obligation de neutralité des assistants maternels

L’article 3 de la proposition de loi a pour objet d’étendre l’obligation de neutralité aux assistants maternels, dans le cadre de l’activité d’accueil d’enfants à leur domicile.

1. Le régime juridique des assistants maternels

L’assistant maternel est la personne qui, moyennant rémunération, accueille habituellement et de façon non permanente des mineurs à son domicile. Ces mineurs sont confiés par leurs parents, directement ou par l’intermédiaire d’un service d’accueil mentionné à l’article L. 2324-1 du code de la santé publique (30).

Lorsqu’ils sont employés par des personnes morales de droit public, les assistants maternels (et les assistants familiaux) sont régis par le chapitre II (31) du titre II (« Assistants maternels et assistants familiaux ») du livre IV (« Professions et activités sociales ») du code de l’action sociale et des familles. Ils peuvent aussi être employés par des personnes de droit privé. C’est alors le chapitre III (32) du même titre qui leur est applicable. Dans tous les cas, l’agrément nécessaire pour exercer la profession est délivré par le président du conseil général du département où le demandeur réside.

2. Le dispositif envisagé dans la rédaction initiale de la proposition de loi

Dans sa rédaction originelle, la proposition de loi avait pour objet, en son article 2, de modifier, au sein du chapitre Ier consacré aux « dispositions générales », l’article L. 421-3 relatif à l’agrément accordé par le président du conseil général pour exercer la profession d’assistant maternel ou d’assistant familial.

Outre les conditions déjà requises des candidats (conditions garantissant « la sécurité, la santé et l’épanouissement des mineurs », « aptitudes éducatives »), elle exigeait, pour que l’agrément soit accordé, que « les conditions d’accueil et la neutralité du candidat garantissent le respect de la laïcité ».

Cette rédaction présentait l’avantage de poser un principe de neutralité englobant les assistants maternels aussi bien que les assistants familiaux, employés par des personnes de droit public comme de droit privé. Toutefois, par sa généralité même, elle pouvait sembler ne pas satisfaire suffisamment les exigences constitutionnelles ou conventionnelles en matière de liberté d’expression religieuse, mais aussi de liberté de travail et de liberté contractuelle, voire de droit au respect de la vie privée (33).

3. Le dispositif issu des travaux de la commission des Lois du Sénat

Écartant le dispositif figurant dans la rédaction initiale de l’article 2, la commission des Lois du Sénat a adopté un amendement portant article additionnel, présenté par son rapporteur. Cet amendement crée un article 3 ayant pour objet d’insérer, au sein du chapitre III précité (« Assistants maternels et assistants familiaux employés par des personnes de droit privé »), un nouvel article L. 423-22-1 dans le code de l’action sociale et des familles.

a. Le principe de la neutralité

L’article L. 423 22-1 dispose que l’assistant maternel est soumis à une obligation de neutralité en matière religieuse dans le cours de son activité d’accueil d’enfants.

Dans le silence du contrat le liant au particulier employeur, l’assistant maternel doit donc s’abstenir, dans le cadre de son activité de garde d’enfants, de toute manifestation d’appartenance religieuse. Par ces termes, il faut entendre toute expression confessionnelle (discours, prières, tenues, représentations, etc.) susceptible d’avoir une influence sur l’enfant.

b. La possibilité d’une dérogation expresse

Il ne peut en aller différemment que si une stipulation contraire le prévoit dans le contrat qui lie l’assistant maternel au particulier employeur.

Lorsque l’assistant maternel entend manifester son appartenance religieuse dans le cadre de son activité, le contrat doit le prévoir expressément, ce qui suppose que l’assistant maternel informe le particulier employeur de son intention préalablement à la signature du contrat avec celui-ci. Cette information préalable doit permettre aux parents d’apprécier dans quelle mesure ces manifestations religieuses sont compatibles avec leurs exigences éducatives et leurs propres convictions.

Ce dispositif obéit à la même inspiration que ceux figurant aux articles 1er et 2 de la proposition de loi. De la même façon que, en l’absence de caractère religieux affiché, les crèches et centres de vacances ou de loisirs sont réputés être laïques, c’est à l’assistant maternel de signaler qu’il entend manifester son appartenance religieuse dans le cadre de son activité. En l’absence d’une telle déclaration – et donc de clause expresse dans son contrat de travail – il est soumis à une obligation de neutralité.

Comme l’a souligné M. Alain Richard, rapporteur au nom de la commission des Lois du Sénat, le dispositif vise à concilier « trois garanties : les conseils généraux ne se trouvent pas impliqués dans des choix religieux, lors de l’agrément, le service public devant demeurer neutre ; les personnes concernées gardent leur liberté religieuse, même dans le cadre de leur activité professionnelle ; les parents sont suffisamment informés (34) ».

4. La position de la Commission

Lors de l’examen du texte par la commission des Lois, M. Philippe Doucet a déposé un amendement (35) de suppression de l’article 3. À l’appui de cet amendement, il a invoqué le maintien d’un risque constitutionnel et conventionnel nonobstant les modifications apportées par la commission des Lois du Sénat. Il a également fait valoir que, avant d’établir un contrat avec un assistant maternel, les particuliers employeurs étaient totalement libres du choix de la personne à qui ils entendaient confier la garde de leur enfant. Il leur était loisible, lors d’entretiens préalables à l’établissement du contrat, d’exposer aux candidats l’attitude et les comportements qu’ils devraient adopter au regard de leurs éventuelles convictions religieuses.

Votre rapporteur a réservé un avis favorable à cet amendement. Il a souligné que l’édiction d’une interdiction de principe de toute expression de convictions religieuses au domicile de la personne (sauf stipulation expresse contraire dans le contrat) pourrait apparaître contraire à la fois à l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (36) et à l’article 9 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (37). Il a rappelé par ailleurs qu’un contrôle des conditions d’accueil (qui doivent garantir la sécurité, la santé et l’épanouissement des enfants accueillis), et une vérification des aptitudes éducatives de la personne, étaient déjà exercés au moment de la délivrance de l’agrément à l’assistant maternel par le président du conseil général.

La Commission a adopté cet amendement.

*

* *

Suivant l’avis favorable du rapporteur, la Commission adopte les amendements de suppression CL1 de M. Philippe Doucet et CL4 de M. Sergio Coronado.

En conséquence, l’article 3 est supprimé.

La Commission adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

PERSONNE ENTENDUE PAR LE RAPPORTEUR

• Observatoire de la laïcité

—  M. Nicolas Cadène, rapporteur général

TABLEAU COMPARATIF

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Dispositions en vigueur

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Texte de la proposition de loi

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Texte adopté par la Commission

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Proposition de loi visant à étendre l’obligation de neutralité à certaines personnes ou structures privées accueillant des mineurs et à assurer
le respect du principe de laïcité

Proposition de loi visant à étendre l’obligation de neutralité à certaines personnes ou structures privées accueillant des mineurs et à assurer
le respect du principe de laïcité

Code de la santé publique

   

Art. L. 2324-1. – Si elles ne sont pas soumises à un régime d’autorisation en vertu d’une autre disposition législative, la création, l’extension et la transformation des établissements et services gérés par une personne physique ou morale de droit privé accueillant des enfants de moins de six ans sont subordonnées à une autorisation délivrée par le président du conseil général, après avis du maire de la commune d’implantation.

Article 1er

Article 1er

Sous la même réserve, la création, l’extension et la transformation des établissements et services publics accueillant des enfants de moins de six ans sont décidées par la collectivité publique intéressée, après avis du président du conseil général.

L’article L. 2324-1 du code de la santé publique est ainsi modifié :

(Alinéa sans modification)

L’organisation d’un accueil collectif à caractère éducatif hors du domicile parental, à l’occasion des vacances scolaires, des congés professionnels ou des loisirs, public ou privé, ouvert à des enfants scolarisés de moins de six ans est subordonnée à une autorisation délivrée par le représentant de l’État dans le département, après avis du médecin responsable du service départemental de protection maternelle et infantile.

1° Après le troisième alinéa, il est inséré un II ainsi rédigé :

1° (Alinéa sans modification)

 

« II. – Lorsqu’ils bénéficient d’une aide financière publique, les établissements et services accueillant des enfants de moins de six ans sont soumis à une obligation de neutralité en matière religieuse.

« II. – Lorsqu’ils bénéficient de financements publics destinés à soutenir leur activité d’accueil, les…

amendement CL5

     
 

« Les établissements et services ne bénéficiant pas d’une aide financière publique peuvent apporter certaines restrictions à la liberté d’expression religieuse de leurs salariés au contact d’enfants. Ces restrictions, régies par l’article L. 1121-1 du code du travail, figurent dans le règlement intérieur ou, à défaut, dans une note de service.

« Les établissements et services ne bénéficiant pas de tels financements peuvent apporter certaines restrictions à la liberté d’expression religieuse de leurs salariés amendés à travailler au contact d’enfants. Ces restrictions, soumises à l’article L. 1121-1 du code du travail, figurent dans le règlement intérieur ou, à défaut, dans une note de service.

amendement CL6

 

« Les deux alinéas précédents ne sont pas applicables aux personnes morales de droit privé se prévalant d’un caractère propre porté à la connaissance du public intéressé. Toutefois, lorsqu’elles bénéficient d’une aide financière publique, ces personnes accueillent tous les enfants, sans distinction d’origine, d’opinion ou de croyances de leurs représentants légaux. Leurs activités assurent le respect de la liberté de conscience des enfants. » ;

… bénéficient de financements publics destinés à soutenir les activités d’accueil des enfants de moins de six ans, ces personnes morales accueillent…

amendement CL7

Les seules conditions exigibles de qualification ou d’expérience professionnelle, de moralité et d’aptitude physique requises des personnes exerçant leur activité dans les établissements ou services mentionnés aux alinéas précédents ainsi que les seules conditions exigibles d’installation et de fonctionnement de ces établissements ou services sont fixées par décret.

   

Les dispositions de l’article L. 133-6 du code de l’action sociale et des familles s’appliquent aux établissements, services et lieux de vie et d’accueil mentionnés au présent chapitre.

   
   

Les trois premiers alinéas du présent II ne sont pas applicables aux établissements et services assurant l’accueil familial non permanent d’enfants de moins de six ans au domicile d’assistants maternels.

amendement CL8

 

2° Le premier alinéa est précédé de la mention : « I. – »  et le quatrième alinéa de la mention : « III. – ».

2° (Sans modification)

Code du travail

Art. L. 1121-1. – Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché.

   
   

Article 1er bis (nouveau)

   

I. – L’article L. 214-1 du code de l’action sociale et des familles est ainsi modifié :

 
   

1° Au deuxième alinéa, après la référence : « Art. L. 2324-1 », est insérée la mention : « I. – » ;

   

2° Après le quatrième alinéa, il est inséré un II ainsi rédigé :

   

« II. – Lorsqu’ils bénéficient de financements publics destinés à soutenir leur activité d’accueil, les établissements et services accueillant des enfants de moins de six ans sont soumis à une obligation de neutralité en matière religieuse.

   

Les établissements et services ne bénéficiant pas de tels financements peuvent apporter certaines restrictions à la liberté d’expression religieuse de leurs salariés amenés à travailler au contact d’enfants. Ces restrictions, soumises à l’article L. 1121-1 du code du travail, figurent dans le règlement intérieur ou, à défaut, dans une note de service.

   

Les deux premiers alinéas du présent II ne sont pas applicables aux personnes morales de droit privé se prévalant d’un caractère propre porté à la connaissance du public intéressé. Toutefois, lorsqu’elles bénéficient de financements publics destinés à soutenir les activités d’accueil des enfants de moins de six ans, ces personnes morales accueillent tous les enfants, sans distinction d’origine, d’opinion ou de croyances de leurs représentants légaux. Leurs activités assurent le respect de la liberté de conscience des enfants.

   

Les trois premiers alinéas du présent II ne sont pas applicables aux établissements et services assurant l’accueil familial non permanent d’enfants de moins de six ans au domicile d’assistants maternels. » ;

   

3° Le cinquième alinéa est ainsi rédigé :

   

« III. – Les seules conditions exigibles de qualification ou d’expérience professionnelle, de moralité et d’aptitude physique requises des personnes exerçant leur activité dans les établissements ou services mentionnés aux alinéas précédents ainsi que les seules conditions exigibles d’installation et de fonctionnement de ces établissements ou services sont fixées par décret. »

   

II. – À l’article L. 214-7 du même code, après le mot : « alinéas », sont insérés les mots : « du I ».

amendement CL9

   

Article 1er ter (nouveau)

   

Le code général des impôts est ainsi modifié :

   

1° Au premier alinéa de l’article 244 quater F, après le mot : « alinéas », sont insérés les mots : « du I » ;

   

2° Au vingt-sixième alinéa (8° bis du 4) de l’article 261, après le mot : « alinéas », sont insérés les mots : « du I ».

amendement CL12

   

Article 1er quater (nouveau)

   

Le code de la santé publique est ainsi modifié :

   

1° À l’article L. 2324-2, aux mots : « quatrième alinéa », sont substitués les mots : « premier alinéa du III » ;

   

2° À l’article L. 2324-2-1, après le mot : « alinéa », sont insérés les mots : « du I ».

amendement CL10

   

Article 1er quinquies (nouveau)

   

Le code du travail est ainsi modifié :

   

1° Au sixième alinéa de l’article L. 1271-1, après le mot : « alinéas », sont insérés les mots : « du I » ;

   

2° Au troisième alinéa de l’article L. 1271-17, après le mot : « alinéas », sont insérés les mots : « du I » ;

   

3° Au troisième alinéa de l’article L. 7233-4, après le mot : « alinéas », sont insérés les mots : « du I ».

amendement CL11

 

Article 2

Article 2

 

Après l’article L. 227-1 du code de l’action sociale et des familles, il est inséré un article L. 227-1-1 ainsi rédigé :

Après l’article L. 227-4 du code de l’action sociale et des familles, il est inséré un article L. 227-4-1 ainsi rédigé :

 

« Art. L. 227-1-1. – Lorsqu’elles bénéficient d’une aide financière publique, les personnes morales de droit privé qui accueillent des mineurs protégés au titre du présent chapitre sont soumises à une obligation de neutralité en matière religieuse.

« Art. L. 227-4-1.- Les personnes morales de droit privé ayant pour objet d’organiser l’accueil visé au premier alinéa de l’article L. 227-4, qui bénéficient de financements publics destinés à soutenir leur activité d’accueil de mineurs protégés au titre du présent chapitre, sont soumises à une obligation de neutralité en matière religieuse.

amendement CL13

Art. L. 1121-1. – Cf. supra

« Les personnes morales ne bénéficiant pas d’une aide financière publique peuvent apporter certaines restrictions à la liberté d’expression religieuse de leurs salariés au contact des mineurs. Ces restrictions, régies par l’article L. 1121-1 du code du travail, figurent dans le règlement intérieur ou, à défaut, dans une note de service.

… pas de tels financements peuvent…

…. Ces restrictions, soumises à l’article…

amendement CL14

   

« Un décret en Conseil d’État détermine les conditions d’application du présent article pour chaque catégorie de mode d’accueil collectif à caractère éducatif.

amendement CL15

 

« Les deux alinéas précédents ne sont pas applicables aux personnes morales de droit privé se prévalant d’un caractère propre porté à la connaissance du public intéressé. Toutefois, lorsqu’elles bénéficient d’une aide financière publique, ces personnes morales accueillent tous les mineurs, sans distinction d’origine, d’opinion ou de croyances. Leurs activités assurent le respect de la liberté de conscience des mineurs. »

« Les trois alinéas…

amendement CL15

… bénéficient de financements publics destinés à soutenir leur activité d’accueil de mineurs, ces personnes…

amendement CL16

 

Article 3

Article 3

 

Avant l’article L. 423-23 du code de l’action sociale et des familles, il est inséré un article L. 423-22-1 ainsi rédigé :

Supprimé

amendements CL1 et CL4

 

« Art. L. 423-22-1. – À défaut de stipulation contraire inscrite dans le contrat qui le lie au particulier employeur, l’assistant maternel est soumis à une obligation de neutralité en matière religieuse dans le cours de son activité d’accueil d’enfants. »

 
© Assemblée nationale

1 () Article 2 de la Constitution du 4 octobre 1958.

2 () JurisData n° 2000-060465 ; Rec. CE 2000, p. 169.

3 () JCP A 2006, 1165, n° 8, G. Pélissier.

4 () Rec. CE 1938, p. 417.

5 () Cour de cassation, chambre sociale, 19 mars 2013, n° 12-11.690, JurisData n° 2013-004457.

6 () Cour de cassation, communiqué, 19 mars 2013.

7 () Avis de l’Observatoire de la laïcité sur la définition et l’encadrement du fait religieux dans les structures privées qui assurent une mission d’accueil des enfants, 15 octobre 2013, p. 1.

8 () Commission nationale consultative des droits de l’homme, avis sur la laïcité, 26 septembre 2013.

9 () Semaine Juridique Édition Générale, n° 36, 1er septembre 2014, 902, « Affaire dite Baby Loup : dans quelles conditions un employeur privé peut-il limiter la liberté de manifester ses convictions religieuses ? », note sous arrêt par Jean-Claude Marin, procureur général près la Cour de cassation.

10 () À hauteur de 80 %.

11 () Cour d’appel de Versailles, 11e Chambre, 27 octobre 2011, RG 10/05642.

12 () Cour de cassation, chambre sociale, 19 mars 2013 (arrêt n° 536 ; affaire 11-28.845).

13 () JCP G 2013, 542, note D. Corrignan-Carsin, « Entre laïcité et liberté religieuse, l’art difficile du compromis ».

14 () Cour d’appel de Paris, 27 novembre 2013, RG S 13/02981.

15 () Cour de cassation, assemblée plénière, 25 juin 2014 (arrêt n° 612 ; affaire 13-28.369).

16 () Semaine Juridique Édition Générale n° 36, 1er septembre 2014, 903, « Épilogue français pour l’affaire Baby Loup : le règlement intérieur peut limiter la liberté d’expression religieuse », note sous arrêt par Danielle Corrignan-Carsin, professeur à la faculté de droit et de science politique de Rennes.

17 () Cass. ass. plén., 19 mai 1978, n° 76-41.211.

18 () Cass. soc., 20 nov. 1986, no 84-43.243.

19 () Avis précité, p. 8.

20 () Édith Arnoult-Brill, Gabrielle Simon, Le fait religieux dans l’entreprise, Avis du Conseil économique, social et environnemental (CESE), 26 novembre 2013, p. 10.

21 () Avis précité, p. 7 et 8 : « L’observatoire de la laïcité note que le principe de neutralité serait, ici, pour la première fois étendu en dehors de la sphère publique et du service public et de ses délégataires. Le risque de contrevenir à un droit fondamental et ainsi d’une condamnation de la Cour européenne des droits de l’homme voire d’une censure du Conseil constitutionnel ne peut être occulté. »

22 () Avis précité, p. 8 : « La législation et la règlementation actuelles fournissent déjà les moyens nécessaires et proportionnés pour garantir l’équilibre entre protection de la liberté de conscience des salariés et la volonté de fixer les limites nécessaires à la bonne exécution du contrat de travail et au bon fonctionnement de l’entreprise. »

23 () Article L. 111-1, alinéa 1 : « La Cour des comptes juge les comptes des comptables publics, sous réserve de la compétence que les dispositions du présent code attribuent, en premier ressort, aux chambres régionales et territoriales des comptes. »

Article L. 111-3 : « La Cour des comptes vérifie sur pièces et sur place la régularité des recettes et des dépenses décrites dans les comptabilités publiques et s’assure du bon emploi des crédits, fonds et valeurs gérés par les services de l’État et, sous réserve des dispositions de l’article L. 131-3 (…), par les autres personnes morales de droit public. »

24 () Chapitre IV du titre II (Autres établissements et services ») du livre II (« Établissements, services et organismes ») de la deuxième partie (« Santé reproductive, droits de la femme et protection de la santé de l’enfant »).

25 () Proposition de loi n° 998 relative au respect de la neutralité religieuse dans les entreprises et les associations. Rapport n° 1084 déposé le 29 mai 2013 par M. Éric Ciotti.

26 () L’article L. 2324-1, alinéa 4, du code de la santé publique renvoie à un décret le soin de définir plus précisément le contenu des conditions exigibles du personnel en termes « de qualification ou d’expérience professionnelle, de moralité et d’aptitude physique ».

27 () Article L. 1121-1 du code du travail : « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. »

28 () Rapport n° 144 (2011-2012) de M. Alain Richard, fait au nom de la commission des Lois du Sénat, déposé le 30 novembre 2011, p. 26.

29 () Cf. supra.

30 () Cf. supra.

31 () « Assistants maternels et assistants familiaux employés par des personnes morales de droit public ».

32 () « Assistants maternels et assistants familiaux employés par des personnes de droit privé ».

33 () Cf. supra.

34 () Rapport précité, p. 32.

35 () M. Sergio Coronado et M. Paul Molac ont déposé un amendement ayant le même objet.

36 () « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ».

37 () « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique (…) la liberté de manifester sa religion ou sa conviction (…) ».