Accueil > Documents parlementaires > Les rapports législatifs
Version PDF
Retour vers le dossier législatif
Amendements  sur le projet ou la proposition

ogo2003modif

N° 3757

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 18 mai 2016.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LA PROPOSITION DE LOI visant à encadrer les rémunérations dans les entreprises,

Par M. Gaby CHARROUX,

Député.

——

Voir le numéro :

Assemblée nationale : 3680.

SOMMAIRE

___

Pages

PRINCIPALES MODIFICATIONS APPORTÉES PAR LA COMMISSION 5

INTRODUCTION 7

I. L’AUGMENTATION DES INÉGALITÉS DE REVENUS EN FRANCE REPRÉSENTE AUJOURD’HUI UN PROBLÈME POLITIQUE AUSSI BIEN QUE SOCIAL 9

A. LES INÉGALITÉS DE REVENU ONT PROGRESSÉ, PARTICULIÈREMENT CES DERNIÈRES ANNÉES 9

B. LE POUVOIR D’ACHAT DES SALARIÉS FRANÇAIS A PROGRESSÉ À UN RYTHME TRÈS LENT 11

C. L’AUGMENTATION RAPIDE DES RÉMUNÉRATIONS DES DIRIGEANTS D’ENTREPRISE LES PORTE AUJOURD’HUI À DES NIVEAUX INDÉCENTS 12

D. ÉCONOMIQUEMENT MAIS ÉGALEMENT SOCIALEMENT ET ÉCOLOGIQUEMENT, RIEN NE JUSTIFIE QUE CES DIRIGEANTS SOIENT PAYÉS L’ÉQUIVALENT DE 600 À 860 FOIS LE MONTANT DU SMIC ANNUEL 15

E. LES CITOYENS SONT FAVORABLES À UNE LIMITATION DES ÉCARTS DE REVENUS 17

II. LES MESURES DESTINÉES À ENCADRER LES ÉCARTS DE RÉMUNÉRATION ONT MONTRÉ LEURS LIMITES 18

A. LE PLAFONNEMENT DES RÉMUNÉRATIONS DES DIRIGEANTS DES ENTREPRISES PUBLIQUES OU SAUVÉES PAR L’ÉTAT N’EST PAS SUFFISANT 18

1. Les États-Unis n’ont pas hésité à plafonner les rémunérations dans les entreprises aidées par l’État fédéral 18

2. La Suisse a envisagé de limiter les écarts de rémunération au sein de l’entreprise 19

3. La France a mis en place un encadrement des rémunérations des dirigeants qui n’est applicable qu’aux entreprises publiques 19

B. LE RECOURS À L’AUTORÉGULATION EST UN ÉCHEC 20

1. Le renoncement du Gouvernement à légiférer pour le secteur privé 20

2. Une autorégulation qui n’a pas fonctionné 21

III. UNE PROPOSITION DE LOI POUR METTRE FIN AUX ÉCARTS INDÉCENTS DE RÉMUNÉRATION AU SEIN DE CHAQUE ENTREPRISE 23

A. LIMITER DE UN À VINGT LES ÉCARTS DE RÉMUNÉRATION DANS L’ENTREPRISE 24

1. Le dispositif envisagé par la proposition de loi initiale 24

2. La suppression de cet article par la Commission 26

B. LIMITER LE CUMUL DES MANDATS D’ADMINISTRATEUR DE SOCIÉTÉS ANONYMES 26

1. Le dispositif de la proposition de loi 26

2. Les compléments apportés par la commission des Affaires sociales 27

C. PRÉVOIR UN VOTE DÉCISIONNEL DE L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES SOCIÉTÉS ANONYMES SUR LA RÉMUNÉRATION DES MANDATAIRES SOCIAUX 27

TRAVAUX DE LA COMMISSION 29

DISCUSSION GÉNÉRALE 29

EXAMEN DES ARTICLES 51

Article 1er [supprimé] (Chapitre préliminaire [nouveau] du titre III du livre II de la troisième partie et art. L. 3230-1 à L. 3230-4 [nouveaux] du code du travail) : Limitation de un à vingt des écarts de rémunération dans l’entreprise 51

Article 2 (art. L. 225-21 du code de commerce) : Limitation du cumul des mandats d’administrateur de sociétés anonymes 57

Article 3 [nouveau] (art. L. 225-45, L. 225-47, L. 225-53, L. 225-63, L. 225-83 et L. 227-6 du code de commerce) : Approbation par l’assemblée générale des rémunérations et indemnisations des mandataires sociaux de sociétés anonymes 62

ANNEXE : PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR 67

PRINCIPALES MODIFICATIONS
APPORTÉES PAR LA COMMISSION

Lors de sa réunion du mercredi 18 mai 2016, la commission des Affaires sociales a adopté la proposition de loi visant à encadrer les rémunérations dans les entreprises, en y apportant les modifications suivantes :

– l’article 1er, visant à introduire une limitation de un à vingt des écarts de rémunération dans l’entreprise, a été supprimé ;

– l’article 2, limitant le cumul des mandats d’administrateur de sociétés anonymes, a été complété à l’initiative du rapporteur afin d’étendre aux sociétés anonymes dotées de conseil de surveillance le même abaissement de cinq à deux le nombre des mandats pouvant être exercés par une même personne physique ;

– au même article, un délai d’un an a été introduit par un amendement du rapporteur pour permettre aux personnes concernées de se démettre de leurs mandats excédentaires ;

– toujours à l’initiative du rapporteur, a été introduit l’article 3 prévoyant l’approbation par l’assemblée générale des rémunérations et indemnisations des mandataires sociaux de sociétés anonymes.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Les inégalités de revenus sont devenues aujourd’hui dans notre pays un problème politique aussi bien qu’un problème social. La stagnation du niveau de vie des salariés depuis plusieurs années va de pair avec une hausse continue des rémunérations les plus élevées, comme si les dirigeants des grandes entreprises mais aussi certains salariés se voyant attribuer des bonus ne vivaient plus dans la même société que celle de nos compatriotes.

Au Vème siècle avant notre ère, Platon estimait déjà que « le législateur doit établir quelles sont les limites acceptables à la richesse et à la pauvreté » et proposait alors un rapport de un à quatre.

De la même manière qu’il a vocation à exiger la fixation d’un salaire minimum, afin de garantir que les travailleurs puissent vivre dignement de leur salaire, le législateur a vocation à encadrer les écarts de rémunération entre les membres d’une même communauté de travail. Il ne s’agit nullement de plafonner les rémunérations ou de porter atteinte aux droits de l’entrepreneur à tirer les fruits de son entreprise : il s’agit de s’assurer que les résultats de l’entreprise, et donc du travail de tous, soient répartis selon un écart qui ne soit pas indécent.

Longtemps, les dirigeants ont eu conscience de cet écart et modéraient leurs prétentions, mais l’évolution récente des pratiques nous oblige aujourd’hui à réagir. Une échelle des rémunérations de l’ordre de 1 à 20 a donc bien existé il n’y a pas si longtemps : cela était encore le cas en 1965 aux États-Unis. Cependant, les rémunérations des patrons américains ont augmenté depuis 1978 de près de 1 000 %, contre 10,9 % pour les salariés : le rapport entre ce que gagne un dirigeant d’entreprise et ses salariés est aujourd’hui de 1 à 303 (1). En France, les dirigeants des entreprises du CAC 40 ont perçu l’année dernière en moyenne 4,2 millions d’euros, soit l’équivalent de 238 fois le salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) annuel.

Preuve que ce problème éthique est désormais un problème politique mais aussi un souci économique pour les investisseurs, ceux-ci commencent à se préoccuper de cette inflation du montant des rémunérations des dirigeants : rien, et surtout pas les prétendues performances de certains managers, ne justifie ces écarts. Le principe du « say on pay », voulant que les actionnaires se prononcent sur les rémunérations des mandataires sociaux des entreprises, les encourage à s’intéresser à l’intérêt économique de ces rémunérations. Le fonds souverain norvégien, présent au capital de plus de 9 000 entreprises dans le monde et qui gère 750 milliards d’euros d’actifs, a décidé le 3 mai 2016 d’édicter prochainement des principes sur le niveau des rémunérations ; en France, l’Établissement de retraite additionnelle de la fonction publique (ERAFP) a demandé en 2012 qu’elles soient limitées à l’équivalent de 100 fois le SMIC.

Plus qu’à déterminer un revenu plafonné ou un écart maximal de rémunération défini a priori, la présente proposition de loi vise à instituer dans la loi le principe selon lequel certains écarts de rémunération sont socialement inacceptables pour le maintien de notre pacte social.

Aussi l’augmentation des inégalités de revenus en France représente aujourd’hui un problème politique aussi bien que social. Face à ce constat, les mesures destinées à encadrer les écarts de rémunération, en fixant un plafond dans le secteur public ou en faisant appel à l’autorégulation, ont montré leurs limites.

C’est pourquoi la présente proposition de loi vise à mettre fin aux écarts indécents de rémunération au sein de chaque entreprise en les limitant à un écart de un à vingt et à restreindre l’entre soi et la cooptation qui favorisent la fixation de rémunérations indécentes en limitant le cumul des mandats d’administrateur de sociétés anonymes par les mêmes personnes.

*

* *

I. L’AUGMENTATION DES INÉGALITÉS DE REVENUS EN FRANCE REPRÉSENTE AUJOURD’HUI UN PROBLÈME POLITIQUE AUSSI BIEN QUE SOCIAL

A. LES INÉGALITÉS DE REVENU ONT PROGRESSÉ, PARTICULIÈREMENT CES DERNIÈRES ANNÉES

Selon un rapport de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) publié le 13 novembre 2015 et intitulé « Tous concernés : Pourquoi moins d’inégalité profite à tous », la situation de la France vis-à-vis des inégalités ne cesse de s’aggraver.

Si les inégalités en France sont proches de la moyenne de l’OCDE, entre 2007 et 2011, elles ont augmenté plus nettement en France que dans les autres pays de l’OCDE. Le coefficient de Gini de la France, qui mesure les écarts de patrimoine et de revenus entre les individus, est passé de 0,293 à 0,309 sur cette période. « Il s’agit d’une rupture importante par rapport à la tendance de long terme, puisque depuis les années 1980, les inégalités étaient relativement stables en France, alors qu’elles étaient en augmentation dans un certain nombre de pays, comme l’Allemagne ou les États-Unis », constatent les auteurs. En 2013, la situation s’est légèrement améliorée, l’indice ayant reculé à 0,306.

Concrètement, pendant la crise, les inégalités en termes de « revenus marchands », c’est-à-dire avant impôts et prestations sociales, ont augmenté de 2,9 %. Il s’agit de la cinquième hausse la plus importante parmi les 36 pays de l’OCDE. La France se place non loin derrière le trio de tête – l’Espagne, l’Irlande et la Grèce, durement touchées par la crise. Le système de redistribution à la française, en particulier les hausses de prestations sociales déployées dès 2009, ont toutefois atténué cette hausse. Aussi, en termes de revenu disponible des ménages, les inégalités ont augmenté de 1,6 %. La France se situe toujours parmi les plus fortes hausses.

« Les 10 % de personnes ayant les revenus les plus faibles ont plus sévèrement subi la crise », relève l’OCDE. Leur revenu a baissé de 1 % par an en moyenne. Dans les pays de l’OCDE, les revenus des 10 % de personnes les plus pauvres ont en moyenne baissé de 2 %.

À l’inverse, les 10 % de personnes ayant les revenus les plus élevés ont vu leur revenu augmenter de 2 % par an en moyenne entre 2007 et 2011, soit une cadence deux fois plus rapide que dans l’ensemble de l’OCDE (+1 %).

Les inégalités de patrimoine renforcent les inégalités de revenus. Les 10 % les plus aisés en termes de patrimoine détiennent la moitié du patrimoine net des ménages, ce qui coïncide avec la moyenne au sein de l’OCDE. Les 40 % les plus pauvres détiennent moins de 2 % du patrimoine, ce qui est inférieur à la moyenne dans l’OCDE (3,3 %).

L’OCDE explique ainsi ce creusement : « les inégalités des revenus primaires, dont la principale source sont les revenus du travail, ont augmenté [...] davantage sous la pression des salaires que de celle de la montée du chômage ». Le marché du travail s’est totalement redessiné durant la crise, avec l’émergence des « emplois non standards », c’est-à-dire des contrats temporaires, du temps partiel et des travailleurs indépendants. Un tiers de la population en emploi en France était dans l’une de ces situations en 2013, d’après le rapport. De manière plus précise, 88,5% des 28,6 millions d’actifs sont salariés : plus de 85 % sont en contrat à durée indéterminée (CDI) y compris les emplois temporaires ou à temps partiel, près de 10 % sont en contrat à durée déterminée (CDD), 2,4% en intérim et 1,6% en apprentissage (2).

Ces personnes, ajoute l’OCDE, « sont pénalisées en termes de rémunération par rapport aux personnes occupant des emplois standards ». Par exemple, un travailleur temporaire gagne en moyenne annuelle 40 % de moins qu’un travailleur à temps plein en contrat à durée indéterminée.

La part des CDD dans le total des embauches atteint en 2013 84,2 %, niveau le plus haut de ces quinze dernières années (3). Malgré la forte hausse des embauches en CDD ces dernières années, la part du CDI dans l’emploi salarié en France n’a que peu diminué, parce que les nombreuses embauches en CDD se font sur des durées de plus en plus courtes : 70 % des contrats signés ont concerné, en 2015, des durées inférieures à un mois – avec une part majoritaire de réembauche. Si bien qu’aujourd’hui, la France est le deuxième pays d’Europe, derrière la Suède, à embaucher en CDD de moins d’un mois (4).

Ces formes d’emploi atypiques, et plus particulièrement l’emploi temporaire, présentent la particularité en France d’être plus rarement un tremplin vers un emploi standard, et la chance de se sortir de cette forme de précarité est assez restreinte. Ainsi, 20 % des employés en intérim ou contrat à durée déterminée en 2008 avaient évolué vers un emploi à durée indéterminée en 2011, alors que ce taux atteint 30 % en Autriche et 48 % en Grande-Bretagne.

Outre les travailleurs précaires, les femmes souffrent particulièrement de ces inégalités. D’abord parce qu’elles occupent la grande majorité (à 63 %) de ces emplois non standards. La moyenne est plus équilibrée au sein de l’OCDE : 55 % de femmes pour 45 % d’hommes. Le contingent de ces travailleurs en France est également plus jeune, 46 % étant âgés de 15 à 29 ans. « L’écart salarial entre femmes et hommes ne s’est pas réduit en France depuis 2000 », relève par ailleurs le rapport de l’OCDE. Les femmes gagnent 14 % de moins que les hommes en France, soit un écart beaucoup plus important qu’en Norvège (7 %), au Danemark (8 %), en Espagne (9 %) ou en Italie (11 %).

B. LE POUVOIR D’ACHAT DES SALARIÉS FRANÇAIS A PROGRESSÉ À UN RYTHME TRÈS LENT

Parallèlement, le pouvoir d’achat des salariés a stagné durant les dernières années.

Selon une étude de l’INSEE (5), le revenu disponible brut des ménages a augmenté de 1,1 % en valeur en 2014, après 0,5 % en 2012 et 0,7 % en 2013.

Sur l’ensemble de l’année 2015 en revanche, le pouvoir d’achat a bénéficié d’une légère accélération (+1,8 %). Mesuré par unité de consommation pour le ramener à un niveau individuel, il croît de 1,3 % en 2015 après 0,7 % en 2014.

Sur une plus longue période, les données de l’INSEE permettent de déterminer que le pouvoir d’achat du salaire moyen n’a progressé que de 6,7 % entre 2001 et 2013, celui du SMIC pour 35 heures progressant de 17,3 % :

ÉVOLUTION DU SALAIRE MOYEN ET DU SALAIRE MINIMUM DE 1982 À 2013

Source : INSEE, Évolution du salaire moyen et du salaire minimum jusqu’en 2013.

Les économistes de l’INSEE rappellent toutefois que tous les Français ne sont pas logés à la même enseigne. Les catégories socioprofessionnelles les plus élevées, dont les salaires augmentent plus rapidement que ceux des travailleurs les plus pauvres depuis la crise, en ont profité davantage.

Cette évolution laisse ainsi beaucoup de travailleurs près du seuil de pauvreté.

En 2013, en France métropolitaine, le niveau de vie médian de la population s’élève à 20 000 euros annuels ; il est quasiment inchangé en euros constants par rapport à celui de 2012. L’évolution est différente selon la position dans l’échelle des niveaux de vie : en hausse dans le bas de l’échelle, le niveau de vie diminue dans le haut. Les 10 % des personnes les plus modestes ont un niveau de vie inférieur à 10 730 euros. Les 10 % les plus aisées ont un niveau de vie supérieur à 37 200 euros, soit 3,5 fois plus.

Le seuil de pauvreté, qui correspond selon la définition d’Eurostat et de l’Insee à 60 % du niveau de vie médian de la population, s’établit à 1 000 euros mensuels – soit à peine 120 euros de moins que le SMIC net, qui s’élevait à 1 121 euros en 2013. Ce salaire minimum concerne près de 1,7 million de salariés (hors apprentis et intérimaires) des entreprises du secteur concurrentiel (6) soit 11,1 % des salariés de ces entreprises (7). Par ailleurs, comme le rappelle la Cour des comptes, « le tassement de l’échelle des rémunérations autour du SMIC, observé au cours des années 2000, suggère que le phénomène de "trappe à bas salaires", prévu par la théorie économique, se manifeste pour partie : une évaluation plus précise de cet effet et de son lien éventuel avec les allègements généraux de cotisations sociales serait donc également indispensable » (8).

La pauvreté concerne ainsi 8,6 millions de personnes, soit 14 % de la population.

Au total, la récente hausse du pouvoir d’achat reste à relativiser, la France est encore très loin de la progression constatée en 2007 (+2,3 %).

C. L’AUGMENTATION RAPIDE DES RÉMUNÉRATIONS DES DIRIGEANTS D’ENTREPRISE LES PORTE AUJOURD’HUI À DES NIVEAUX INDÉCENTS

Parallèlement, les rémunérations des dirigeants d’entreprise ont connu une progression bien supérieure, pour atteindre aujourd’hui des niveaux indécents.

Aux États-Unis, les rémunérations des patrons américains ont augmenté depuis 1978 de près de 1 000 %, contre 10,9 % pour les salariés : le rapport entre ce que gagne un dirigeant d’entreprise et ses salariés est aujourd’hui de 1 à 303 (9).

En France, dans son rapport sur la rémunération des dirigeants de sociétés cotées publié en septembre 2015, le cabinet de conseil aux actionnaires Proxinvest a ainsi déterminé que « la rémunération totale moyenne des présidents exécutifs du CAC 40 repasse la barre des quatre millions d’euros pour atteindre 4 210 000 € en 2014, soit une hausse de 6 % ».

Alors que ces dirigeants mettent en avant les performances de leurs entreprises pour justifier ces montants, il apparaît que la part des éléments liés à la performance économique reste limitée : « 40 % des présidents exécutifs n’ont pas de rémunération à long-terme. En effet, la structure type de rémunération fait toujours la part belle aux rémunérations de court-terme, peu risquées : la moyenne des rémunérations fixes (1 042 000 €) et des rémunérations variables annuelles (1 308 000 €) restent à des niveaux élevés mais stables dans le CAC 40 ».

La hausse de 6 % s’explique principalement par certaines rémunérations exceptionnelles de départ significatives et par le boom des actions gratuites de performance, favorisées par les allégements fiscaux récents, celles-ci représentant désormais 29,1 % de la rémunération d’un président exécutif du CAC 40 et ayant totalement supplanté les stock-options qui ne pèsent plus que 4,1 % de leur rémunération (10).

En effet, comme le décrit le professeur Philippe Villemus, la rémunération des dirigeants est aujourd’hui un « mille-feuille » qui comprend toujours plus d’éléments : « le salaire fixe n’est qu’une part du gâteau. Il comprend ou peut comprendre une prime de bienvenue, une "prime de rideau", un salaire variable, la participation, l’intéressement, les avantages en nature, les stock-options, les actions gratuites, les dividendes, les jetons de présence... Sans compter le parachute doré et la retraite chapeau ! » (11).

Parmi les 120 présidents exécutifs du SBF 120 (regroupant les 40 sociétés du CAC 40 et 80 valeurs des premier et second marchés les plus liquides cotés à Paris parmi les 200 premières capitalisations boursières françaises), le rapporteur observe que les trois plus hautes rémunérations ont été attribuées sans que les indicateurs de performance de ces dirigeants d’entreprises soient particulièrement définis.

Selon Proxinvest, Carlos Ghosn, PDG de Renault-Nissan, est en tête du classement pour 2014 avec 15,2 millions d’euros, soit une hausse de 56 %. Carlos Ghosn bénéficie d’une double rémunération puisqu’il préside Renault et Nissan (dont Renault détient 43 %).

Au titre de 2015, le conseil d’administration de Renault a décidé de lui verser 7,2 millions d’euros, soit une part fixe de 1,23 million, une part variable attribuée sur des critères décrits par Proxinvest comme « des conditions de performance peu exigeantes » comprenant 0,44 million d’euros en numéraire, 1,33 million en actions réglés en 2020 sous conditions et 4,18 millions sous forme d’actions de performance et soumis à conditions sur les exercices 2015, 2016 et 2017. Dans le même temps, un accord de compétitivité signé en 2013 au sein du groupe a abouti à un gel des salaires des salariés de Renault.

En deuxième position vient Christopher Viehbacher, ancien directeur général de Sanofi avec 12,5 millions d’euros de rémunération totale dont 4,26 millions en indemnisation de son départ, « alors que les conditions d’octroi de son indemnité de départ, préalablement approuvées par l’assemblée générale, n’étaient pas remplies, les administrateurs lui octroyèrent tout de même début 2015 une nouvelle indemnité transactionnelle de départ de 2 961 000  € et un engagement de non-concurrence jusqu’au 30 juin 2015 de 246 750 € par mois, soit un montant estimé à 1 305 390 €. En sus, la condition de présence sur les actions de performance et stock-options fut levée. ». Lors de la même assemblée générale, le 2 février 2016, Sanofi a annoncé son intention de supprimer environ 600 postes sur les trois prochaines années en France, via des départs volontaires et des congés de fin de carrière, soit 2 % de ses effectifs français (12). Au fil des cessions et plans de réorganisation, Sanofi a supprimé ces dernières années plusieurs milliers d’emplois en France (5 000 depuis 2008 selon la CGT) Si l’on tient compte des recrutements et acquisitions opérés en parallèle par le groupe, 1300 emplois ont été perdus sur l’Hexagone entre fin 2008 et fin 2014, d’après les bilans annuels (13).

La troisième plus haute rémunération est celle de Bernard Charlès président de Dassault Systèmes qui a perçu 11,1 millions d’euros grâce à la politique d’attributions massives d’actions en vigueur dans le groupe, « dont les conditions de performance ne sont toujours pas jugées suffisamment exigeantes ».

Comme l’on décrit les économistes auditionnés par le rapporteur, les rémunérations des dirigeants sont aujourd’hui véritablement des biens positionnels, qui permettent à ceux-ci de se situer et de se classer les uns par rapport aux autres, en laissant croire que leur valeur et leur compétence sont caractérisées par une rémunération supérieure à leurs homologues. Elles ne sont plus la contrepartie d’un travail ou d’une compétence.

D. ÉCONOMIQUEMENT MAIS ÉGALEMENT SOCIALEMENT ET ÉCOLOGIQUEMENT, RIEN NE JUSTIFIE QUE CES DIRIGEANTS SOIENT PAYÉS L’ÉQUIVALENT DE 600 À 860 FOIS LE MONTANT DU SMIC ANNUEL

Certains économistes ont tenté de justifier la progression et le montant de ces rémunérations.

Selon Xavier Gabaix et Augustin Landier (14), depuis le début des années 80, les salaires des dirigeants aux États-Unis ont été multipliés par 6 ; dans le même temps, la capitalisation boursière des entreprises a elle aussi été multipliée par 6. Ils ont conçu un modèle dans lequel des entreprises sont en concurrence pour recruter un nombre limité de dirigeants classés par compétence décroissante. Ils cherchent à montrer que, dans ces circonstances, la hausse de la capitalisation boursière des entreprises fait mécaniquement augmenter les salaires des dirigeants. Lorsque la capitalisation boursière augmente, les enjeux financiers des décisions de gestion sont d’autant plus importants ; dans ces conditions, des différences minimes de compétences entre dirigeants provoquent des écarts de rémunération énormes, car même une toute petite différence de compétence peut avoir un effet se chiffrant en millions de dollars dans une entreprise à très forte capitalisation boursière.

Cependant, si l’on admet que la hausse des salaires des dirigeants provient de la capitalisation boursière, pourquoi les salaires des autres employés des entreprises n’ont-ils pas fait de même ?

Par ailleurs, le lien entre la rémunération des dirigeants et le développement des entreprises n’est pas acquis : selon une étude de Jean Gatty, portant sur les entreprises des 90 petites capitalisations boursières de l’indice SBF 250 (Small 90), les patrons qui ont été les mieux rémunérés en moyenne en 2008 (fixe, variable, options et actions gratuites) sont aussi ceux dont l’action a le plus baissé, en moyenne, depuis 2001 (15).

Le rapporteur reste par ailleurs dubitatif devant l’idée qu’il existerait un marché international des hauts dirigeants : peu de dirigeants français ont été recrutés pour poursuivre leur carrière au sein d’entreprises étrangères. Il réfute l’idée de toute perte éventuelle de compétitivité des entreprises françaises, alors qu’il faut prioritairement mettre un terme à la concurrence salariale mondiale illimitée, exacerbée par les projets actuels de traités de libre-échange.

L’encadrement des rémunérations présente des vertus économiques incontestables, comme le rappellent Gaël Giraud et Cécile Renouard (16) : « tant que perdureront les inégalités de revenus que nous connaissons, la demande intérieure européenne – française en particulier – risque de rester durablement faible. Ceci, pour deux raisons. Tout d’abord parce qu’un euro dans les mains d’un ménage aisé n’est pas dépensé de la même manière, en moyenne, qu’un euro entre les mains d’un ménage modeste. Là où ce dernier dépensera la totalité de cet euro pour vivre, le premier n’en dépensera qu’une fraction. Une fraction d’autant plus petite qu’il est riche. Le reste ira s’additionner à son épargne, elle-même placée dans l’immobilier ou sur les marchés financiers. Si c’est dans l’immobilier, cette épargne alimentera la bulle immobilière qui pénalise tous les revenus faibles et condamne beaucoup d’autres à la précarité de logement. Si c’est sur les marchés financiers, cette épargne sera, en général, allouée de manière très inefficace […] et aura toutes les chances de migrer vers les pays émergents ».

Les effets des inégalités sur le fonctionnement des marchés financiers sont un autre aspect important. Les origines de la crise financière de 2007-2008 appellent la mise en place d’un encadrement des rémunérations au sein des entreprises. En effet, Jean Gadrey montre que la crise des subprimes est aussi le fruit « de la richesse excessive des riches en quête de rendements élevés pour leur énorme épargne disponible et de la pauvreté des conditions de vie de millions de ménages qui avaient facilité la mise au point de produits financiers à très hauts risques, selon des mécanismes où les riches du monde entier prêtaient à des taux usuraires, via des institutions financières sous leur contrôle, à des ménages surendettés croyant à la hausse continue de la valeur de leurs logements » (17). L’encadrement des rémunérations dans les entreprises permettrait ainsi de corriger les écarts de richesse comme facteur de crise financière potentielle.

Comme le rappelle Emmanuel Faber, directeur général du groupe Danone, la pyramide des revenus est « un enjeu social mondial » qu’il faut faire évoluer, citant dans son livre cet exemple chiffré : si les rémunérations pour 1 % des salariés les mieux payés des multinationales étaient de 30 % inférieurs, on pourrait doubler la rémunération des 20 % des salaires les plus faibles, pour l’essentiel dans des pays en voie de développement (18).

Par ailleurs, un tel encadrement aurait des vertus écologiques : selon une étude canadienne citée par Gaël Giraud et Cécile Renouard, « L’impact des consommations des ménages y est mesuré en termes d’empreinte écologique. L’empreinte écologique d’une population et la surface de la planète dont cette population dépend, compte tenu de son mode de vie et des techniques actuelles, pour ses besoins en produits du sol (agriculture, sylviculture) et en zones de pêche, en terrains bâtis et aménagés (routes et infrastructures) et en forêts capables de recycler le CO2 émis. […] L’empreinte écologique augmente nettement avec les revenus. […] La hausse la plus nette en termes d’empreinte écologique se situe entre le neuvième décile et le dernier décile. Pour les deux tiers de la population, les écarts restent modérés […] » (19).

E. LES CITOYENS SONT FAVORABLES À UNE LIMITATION DES ÉCARTS DE REVENUS

Les jugements des Français sur les salaires « justes » ne sont pas loin de la norme de un à quatre avancée par Platon il y a 25 siècles.

Dans une enquête menée en 1998 par Thomas Piketty on demandait aux personnes interrogées quels « devraient être » selon eux les revenus mensuels respectifs d’un cadre supérieur d’une grande entreprise et d’une caissière de supermarché, les réponses moyennes étaient respectivement de 27 300 francs et 7 477 francs, soit un rapport de 1 à 3,6 (alors que l’écart réel des salaires moyens de ces deux catégories était au moins de 1 à 9) (20). Contre toute attente, cet écart variait assez peu selon le revenu du répondant. Il n’existe donc pas de « fracture morale » en France sur cette question.

Dans une autre enquête menée en 2004 par le sociologue François Dubet, le montant au-dessus duquel les salaires mensuels étaient jugés « indécents » était de 6 000 euros selon les ouvriers interrogés, et de 10 000 euros selon les cadres et chefs d’entreprises, ce qui revient à 6,6 fois le SMIC (de 2004) selon les ouvriers, et 11 SMIC selon les chefs d’entreprises (21).

Les enquêtes sur les relations entre inégalités de revenu et bien-être individuel, citées par Mme Claudia Senik, professeure à l’Université Paris-Sorbonne, lors de son audition (22), confirment que ce n’est pas tant le montant que les écarts de revenu dans l’entreprise qui engendrent des pertes de satisfaction. Les salaires des autres salariés jouent positivement pour le bien-être des personnes, qui apprécient mieux de travailler dans une entreprise où le salaire médian – ou même le salaire du quartile le plus élevé – est haut, même si leur rémunération propre est inférieure, car cela renforce leur espoir de faire une carrière dans l’entreprise. Ce n’est que l’augmentation du salaire des 1 % les mieux payés qui peut les démotiver : l’augmentation de l’écart-type de 2,9 à 3,9 correspondrait, pour les autres salariés, à une baisse de leur satisfaction comparable à une diminution de 9 % de leur propre salaire. Dans un sens, les salariés se sentent valorisés quand ils travaillent dans une entreprise où l’écart des salaires est limité, et dégradé lorsque seuls 1 % des salariés bénéficient d’une forte augmentation de rémunération.

Comme le décrit Eric Olszak, « Une trop forte rémunération des dirigeants peut entraîner un dysfonctionnement organisationnel parmi les cadres supérieurs qui ne font pas partie des dirigeants et qui ne bénéficient pas des stock-options et d’autres avantages. Un tel dysfonctionnement organisationnel peut se révéler très néfaste pour l’entreprise » (23).

II. LES MESURES DESTINÉES À ENCADRER LES ÉCARTS DE RÉMUNÉRATION ONT MONTRÉ LEURS LIMITES

A. LE PLAFONNEMENT DES RÉMUNÉRATIONS DES DIRIGEANTS DES ENTREPRISES PUBLIQUES OU SAUVÉES PAR L’ÉTAT N’EST PAS SUFFISANT

1. Les États-Unis n’ont pas hésité à plafonner les rémunérations dans les entreprises aidées par l’État fédéral

Ainsi dans le cadre du Troubled Asset Relief Program, l’administration Obama a imposé à partir de 2009 un plafond de rémunération globale maximale de 500 000 dollars (384 000 euros) aux patrons et aux équipes de directions des établissements renfloués par l’État fédéral, donc en premier lieu, à des banques (Citigroup, Bank of America, AIG) et à des constructeurs automobiles (General Motors et Chrysler) (24). Dans ce cadre, les dirigeants concernés ont dû renoncer à tout bonus et tout élément de rémunération variable autre que les dividendes de leurs actions et à tout parachute doré représentant plus d’un an de rémunération.

Par ailleurs, ces sociétés ont dû rendre publiques toutes les dépenses somptuaires pouvant être offertes à leurs dirigeants, tels que le recours à l’aviation privée, les travaux dans les sièges sociaux ou les conférences et événements organisés, et expliquer aux contribuables et aux actionnaires en quoi ces dépenses étaient justifiées (25).

En août 2015, la Securities and Exchange Commission a voté le principe de comparaison des rémunérations, pour tenter de dissuader les conseils d’administration d’avaliser des montants en dehors de tout référent. Ainsi, à partir de 2017, les sommes accordées aux patrons des 3 800 plus grosses entreprises américaines cotées devront être publiées et mises en regard avec le salaire médian de leurs salariés (26). Ce baromètre non contraignant reste toutefois très édulcoré. Les entreprises ne seront pas obligées d’établir les statistiques sur l’ensemble de leur personnel, mais seront libres de choisir un échantillon représentatif. Ensuite, elles pourront exclure 5 % des effectifs qui ne travaillent pas aux États-Unis. Des ajustements tenant compte du coût de la vie locale peuvent aussi faire partie du calcul. Par ailleurs, les sociétés choisissent le moment de la « photographie » salariale qu’elles pourront prendre, en excluant, par exemple, les périodes où les salariés saisonniers, touchant traditionnellement des bas salaires, sont les plus nombreux.

2. La Suisse a envisagé de limiter les écarts de rémunération au sein de l’entreprise

Le 21 mars 2011, une initiative populaire fédérale proposée par la Jeunesse socialiste suisse a été déposée devant la Chancellerie fédérale suisse avec le soutien de 113 000 citoyens. Elle proposait d’insérer dans la Constitution fédérale helvétique une disposition interdisant, dans une même entreprise, que le salaire le plus élevé puisse être plus de douze fois supérieur au salaire le plus bas. Soumise au vote des citoyens le 24 novembre 2013, cette initiative a cependant été refusée par 65,3 % des suffrages exprimés.

Le 3 mars 2013, le peuple suisse avait en effet d’ores et déjà adopté le principe d’un vote de l’assemblée générale sur les rémunérations du conseil d’administration, de la direction et du comité consultatif et de l’interdiction des indemnités de départ, des rémunérations anticipées (dites primes d’entrée) ainsi que des primes d’achat ou de vente d’entreprise pour les membres de ces organes, sous peine de trois ans de prison au plus et d’une amende pouvant atteindre six fois la rémunération annuelle.

3. La France a mis en place un encadrement des rémunérations des dirigeants qui n’est applicable qu’aux entreprises publiques

Mettant en œuvre un engagement du président de la République d’imposer « aux dirigeants des entreprises publiques un écart maximal de rémunérations de 1 à 20 », le conseil des ministres a approuvé le 26 juillet 2012 le décret n° 2012-915 du relatif au contrôle de l’État sur les rémunérations des dirigeants d’entreprises publiques.

Il modifie le décret n° 53-707 du 9 août 1953 relatif au contrôle de l’État sur les entreprises publiques nationales et certains organismes ayant un objet d’ordre économique ou social afin d’instituer un dispositif de plafonnement de la rémunération fixe et variable des dirigeants mandataires sociaux des établissements et entreprises se trouvant dans le champ du décret.

Ce décret est ainsi applicable aux dirigeants de la quinzaine d’entreprises publiques dont l’État possède la majorité du capital et d’établissements publics à caractère industriel ou commercial (EDF, la SNCF, La Poste, Areva, Aéroports de Paris, France Télévisions, La Française des jeux, etc.).

Le plafond brut annuel est fixé à 450 000 euros et peut être modifié par décret simple. Les décisions des ministres chargés de l’économie et du budget fixant les rémunérations des dirigeants mandataires sociaux sont rendues publiques.

Ce plafond correspond à vingt fois la rémunération des 10 % des salariés les moins bien payés (le premier décile) de toutes les entreprises contrôlées par l’État – et non pas vingt fois le plus bas salaire dans chaque entreprise concernée, comme prévu initialement –, afin d’éviter que certains dirigeants soient mieux payés que d’autres, parce que dans leur entreprise le salaire le plus bas est plus élevé qu’ailleurs.

Si cette mesure coercitive va dans le bon sens, il n’en reste pas moins que la promesse n’est pas strictement respectée puisque le montant fixé est l’équivalent de 25 SMIC.

En sus, le périmètre du décret est particulièrement restreint, s’appliquant à un nombre réduit d’entreprises et se limitant aux rémunérations des seuls mandataires sociaux.

B. LE RECOURS À L’AUTORÉGULATION EST UN ÉCHEC

1. Le renoncement du Gouvernement à légiférer pour le secteur privé

Parallèlement, dans un entretien aux Échos du 25 mai 2013, Pierre Moscovici, ministre de l’Économie et des finances, a annoncé qu’après plusieurs mois de concertation, le Gouvernement « a décidé de concentrer l’action législative sur la contribution de 75 % sur la part des rémunérations dépassant 1 million d’euros, qui sera acquittée par l’employeur » et renoncé à un projet de loi spécifique sur la gouvernance des entreprises.

Prenant acte des engagements de Laurence Parisot, présidente du Mouvement des entreprises de France (Medef) et de Pierre Pringuet, président de l’Association française des entreprises privées (Afep), il a ainsi déclaré s’en remettre à « un renforcement ambitieux de leur code de gouvernance » et « préféré miser sur une autorégulation exigeante ».

À cet égard, le rapporteur conteste la légitimité du Medef à édicter ses propres règles, en dehors de tout contrôle citoyen ou démocratique. Comme le remarque Francoise Deceunier-Defossez, « Les recommandations du rapport de l’Afep-Medef semblent avoir été acceptées […] pourtant je doute que leurs principes soient conformes aux règles démocratiques et aux aspirations de Montesquieu » (27).

2. Une autorégulation qui n’a pas fonctionné

L’engagement des représentants du patronat a reposé essentiellement sur la mise en place du principe du « say on pay » dans une version augmentée du code de gouvernance élaboré par le Medef et l’Afep. Il consiste à demander aux actionnaires réunis lors de leur assemblée générale de se prononcer par un vote, le plus souvent uniquement consultatif, sur le mécanisme de rémunération des dirigeants de leur entreprise.

Une telle consultation est inspirée du droit des sociétés anglo-saxonnes : elle est ainsi prévue au Royaume-Uni depuis le Companies Act de 1862 ; depuis 2012, ce vote est contraignant et non plus consultatif au sein des entreprises britanniques. La pratique de la consultation des actionnaires a été recommandée en 2002 par la Commission européenne (28) et a été mise en œuvre dans au moins neuf pays au sein de l’Union européenne (Royaume-Uni, Espagne, Portugal, Belgique, Allemagne, Italie, Pays-Bas, Suède et Danemark). Par ailleurs, en adoptant par référendum d’initiative populaire le 3 mars 2013 à 67,9 % l’initiative populaire « contre les rémunérations abusives », le peuple suisse a intégré dans sa constitution le principe d’une approbation obligatoire par les actionnaires des rémunérations des dirigeants des entreprises.

En matière de droit français des sociétés, le rapporteur rappelle que le code de commerce prévoit actuellement que, si l’assemblée générale d’une société anonyme vote le montant global des jetons de présence que le conseil d’administration répartit entre ses membres, la rémunération des mandataires sociaux (président, directeur général et directeurs généraux délégués) est déterminée librement par le conseil d’administration. L’article L. 225-37 du code de commerce prévoit en outre que le rapport annuel des sociétés anonymes présente « les principes et les règles arrêtés par le conseil d’administration pour déterminer les rémunérations et avantages de toute nature accordés aux mandataires sociaux ».

Suivant les exemples anglo-saxons, le code de gouvernement d’entreprise des sociétés cotées élaboré par l’Afep et le Medef a intégré en 2013 le principe du « say on pay ». Ce code de gouvernance n’a pas de valeur impérative ; simplement, en application de l’article L. 225-37 du code de commerce précité, lorsqu’une société « se réfère volontairement à un code de gouvernement d’entreprise élaboré par les organisations représentatives des entreprises », le rapport annuel précise les dispositions qui ont été écartées et les raisons pour lesquelles elles l’ont été.

Ce code d’application volontaire prévoit désormais à son paragraphe 23.4. que :

« Le conseil doit présenter à l’assemblée générale ordinaire annuelle la rémunération des dirigeants mandataires sociaux. Cette présentation porte sur les éléments de la rémunération due ou attribuée au titre de l’exercice clos à chaque dirigeant mandataire social :

« - la part fixe ;

« - la part variable annuelle et, le cas échéant, la partie variable pluriannuelle avec les objectifs contribuant à la détermination de cette part variable ;

« - les rémunérations exceptionnelles ;

« - les options d’actions, les actions de performance et tout autre élément de rémunération de long terme ;

« - les indemnités liées à la prise ou à la cessation des fonctions ;

« - le régime de retraite supplémentaire ;

« - les avantages de toute nature.

« Cette présentation est suivie d’un vote consultatif des actionnaires. Il est recommandé de présenter au vote des actionnaires une résolution pour le directeur général ou le président du directoire et une résolution pour le ou les directeurs généraux délégués ou les autres membres du directoire.

« Lorsque l’assemblée générale ordinaire émet un avis négatif, le conseil, sur avis du comité des rémunérations, délibère sur ce sujet lors d’une prochaine séance et publie immédiatement sur le site internet de la société un communiqué mentionnant les suites qu’il entend donner aux attentes exprimées par les actionnaires lors de l’assemblée générale. »

En 2016, ces dispositions ont été volontairement appliquées par la plupart des grandes entreprises françaises pour la seconde fois. Force est de constater que cela n’a pas eu pour conséquence une autolimitation du montant des rémunérations proposées aux actionnaires par le conseil d’administration.

Dans le cas récent de la rémunération du président-directeur général de Renault, ce système « consultatif » a montré ses limites : le 29 avril dernier, quelques heures après le vote de l’assemblée générale ayant rejeté à 54,12 % les éléments de rémunérations dus ou attribués à M. Carlos Ghosn, président-directeur général, « Le Comité des Rémunérations et le Conseil d’administration de Renault se sont réunis, hors la présence du Président-Directeur Général, afin de prendre connaissance du détail du vote exprimé et de délibérer définitivement sur cette question, conformément au Code AFEP/MEDEF. Sur proposition de son Comité des Rémunérations, le Conseil d’administration de Renault a approuvé le maintien de la rémunération décidée pour le Président-directeur Général pour l’année 2015. »

Devant cette attitude pourtant conforme à la lettre du code Afep-Medef, le président du Medef s’est déclaré publiquement « un peu choqué » et le Haut comité de gouvernement d’entreprise, chargé du suivi de l’application du code Afep-Medef, a publié un communiqué de presse pour indiquer s’être saisi de cette situation. Le 3 mai dernier, devant l’Assemblée nationale, le ministre de l’Économie a menacé de légiférer si le conseil d’administration de Renault, qui a maintenu la rémunération du PDG du groupe, malgré l’opposition de la majorité des actionnaires, dont l’État, ne « tirait pas les conséquences » de cette décision.

Cette menace de recourir à la loi, et donc bien à une norme impérative s’appliquant à tous, montre bien que les promesses et les codes de bonne conduite ne sauraient à eux seuls, constituer une réponse utile au problème de société que constituent les écarts de rémunérations dans notre pays.

III. UNE PROPOSITION DE LOI POUR METTRE FIN AUX ÉCARTS INDÉCENTS DE RÉMUNÉRATION AU SEIN DE CHAQUE ENTREPRISE

La présente proposition de loi prévoit un dispositif simple d’encadrement des rémunérations au sein de l’entreprise, afin que les écarts restent contenus dans la fourchette de un à vingt.

Elle n’a donc vocation qu’à s’appliquer dans les très grandes entreprises : elle ne modifierait en rien la situation actuelle des patrons des PME et TPE dont l’écart de rémunérations avec leurs salariés dépasse rarement un rapport de 1 à 4.

Cet écart maximal reprend celui proposé il y a plus d’un siècle par le milliardaire John Pierpont Morgan Senior, fondateur de la banque portant son nom, qui avait pour règle de ne pas prêter d’argent à une société dont le dirigeant était payé plus de 20 fois le salaire de ses ouvriers.

Par ailleurs, afin de limiter les connivences entre dirigeants d’entreprise, notamment dans la détermination de leurs rémunérations, cette proposition de loi limite à deux – au lieu de cinq actuellement – le nombre de postes d’administrateur de société anonyme pouvant être exercé par une même personne physique.

A. LIMITER DE UN À VINGT LES ÉCARTS DE RÉMUNÉRATION DANS L’ENTREPRISE

1. Le dispositif envisagé par la proposition de loi initiale

L’article 1er proposait d’encadrer les écarts de rémunération au sein d’une même entreprise par un rapport allant de un à vingt. À cette fin, il insérait au sein du code du travail un chapitre comportant quatre articles.

Dans chaque entreprise, quel que soit son statut juridique – que celle-ci soit une société privée ou toute autre forme de personne morale, mais également dans les établissements publics à caractère industriel et commercial, c’est-à-dire les établissements publics dont l’objet est la production et la commercialisation de biens et services et dont les ressources sont essentiellement constituées par les redevances payées par les usagers – le salaire annuel le moins élevé pratiqué ne pourrait être plus de 20 fois inférieur à la rémunération annuelle globale la plus élevée, que celle-ci soit celle versée à un salarié ou à un dirigeant mandataire social non salarié. Cet encadrement aurait ainsi vocation à remplacer le plafond de rémunération de 450 000 euros mis en place dans les entreprises publiques.

Le respect de cet écart serait assuré en comparant le « salaire minimal annuel appliqué dans une entreprise » au total annuel des éléments de rémunération versés à une même personne – comprenant, au sens du code Afep-Medef, les rémunérations fixes et variables, les options d’actions ou actions gratuites, les indemnités liées à la prise ou à la cessation des fonctions, le régime de retraite supplémentaire et les avantages de toute nature.

À titre d’exemple, dans les entreprises où le salaire minimal correspondrait au salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) annuel, soit 1 466,62 euros bruts par mois et 17 599 euros bruts par an, la rémunération maximale annuelle ne pourrait dépasser 351 989 euros bruts.

Si cette rémunération globale la plus élevée venait à être supérieure à 20 fois le salaire le plus bas pratiqué dans l’entreprise, les décisions et contrats fixant cette rémunération maximale seraient nuls de plein droit.

Ce mécanisme ne constitue cependant pas un plafonnement des rémunérations : il permettrait le cas échéant à l’entreprise de relever le salaire annuel le moins élevé pour rendre légale une rémunération maximale qui se retrouverait au-delà du plafond fixé, notamment du fait des modalités de calcul des éléments variables.

Dans ce sens, le rapporteur considère qu’un tel encadrement ne s’oppose à aucun principe constitutionnel.

La liberté d’entreprendre, principe dégagé de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 par le Conseil constitutionnel en 1981 (29) n’est pas atteinte par la présente proposition de loi. Celle-ci ne conduit nullement à plafonner les rémunérations de certains salariés ou mandataires sociaux ou à porter atteinte aux droits de l’entrepreneur à tirer les fruits de son entreprise : il s’agit de s’assurer que les résultats de l’entreprise, et donc du travail de tous, soient répartis selon un écart qui ne soit pas indécent. En cela, elle n’est pas d’une nature différente des autres règles légales de protection des conditions d’emploi des salariés, et notamment de celle prévoyant l’existence d’un salaire minimal afin de garantir que chaque travailleur puisse vivre dignement de son salaire.

Par ailleurs, si l’on considérait que l’encadrement ainsi proposé des conditions de rémunération au sein de la même communauté de travail qu’est l’entreprise constituait une atteinte à la liberté d’entreprendre, le Conseil constitutionnel a eu l’occasion de rappeler que « la liberté d’entreprendre n’est ni générale, ni absolue » (30) et pouvait faire l’objet de limitations, lorsque celles-ci étaient « liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi » (31). Dans ce cadre, en rétablissant une échelle de proportionnalité des rémunérations au sein de cette communauté de vie et de travail, sans limiter de manière fixe et autoritaire le montant maximal de ces rémunérations, la présente proposition de loi apporte une solution adaptée et proportionnée à un réel problème d’inégalité portant atteinte à la cohésion sociale et poursuit, aux yeux du rapporteur, un objectif justifié par l’intérêt général et par le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, par lequel la Nation « garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs ».

Ainsi, lorsque la bonne santé et les performances de l’entreprise justifieraient le versement de bonus aux personnes les mieux payées, cette proposition de loi permettrait donc aux salariés de voir leur salaire augmenter à due concurrence, permettant ainsi une meilleure répartition des richesses produites dans l’entreprise au profit du travail et donc, indirectement, de notre système de protection sociale.

Une telle disposition, estime M. Sam Pizzigati, chercheur associé à l’Institute for Policy Studies, « encouragerait et nourrirait presque immédiatement une forme d’économie solidaire : pour la première fois, les plus riches auraient un intérêt personnel et direct au bien-être des moins riches » (32).

Par ailleurs, elle serait également l’occasion de mettre en place une rémunération de la performance qui ne repose pas uniquement sur le cours de bourse ou les valeurs financières, mais également sur le respect de critères de responsabilité sociétale de l’entreprise (RSE), comme le défend le livre vert de la Commission européenne de 2011 :

– la RSE couvre les matières sociales et environnementales.

– la RSE n’est pas et ne devrait pas être séparée de la stratégie et des opérations commerciales : puisqu’il s’agit d’intégrer les préoccupations sociales et environnementales dans ces stratégies et opérations.

– la RSE est un concept volontaire.

– un aspect important de la RSE est la manière dont les entreprises interagissent avec leurs parties prenantes internes et externes (employés, clients, voisins, ONG, autorités publiques, etc.).

Afin de permettre le contrôle de la bonne application de cette mesure, un décret en Conseil d’État déterminerait les conditions d’information et de consultation du comité d’entreprise sur les écarts de rémunération pratiqués dans l’entreprise, dans le cadre de la consultation annuelle sur la politique sociale de l’entreprise, les conditions de travail et l’emploi.

Enfin, l’article 1er laisserait aux entreprises concernées un délai d’un an après la promulgation du présent texte pour mettre leur politique de rémunération en accord avec les dispositions ainsi définies.

2. La suppression de cet article par la Commission

À l’occasion de son examen, prenant en compte les risques constitutionnels soulevés par différents orateurs, la commission des Affaires sociales a supprimé l’article 1er.

B. LIMITER LE CUMUL DES MANDATS D’ADMINISTRATEUR DE SOCIÉTÉS ANONYMES

1. Le dispositif de la proposition de loi

L’article 2 propose de limiter à deux le nombre de conseils d’administration au sein desquels une même personne peut siéger, au lieu de cinq dans le droit actuellement en vigueur.

La pratique française de mandats d’administrateur croisés, et de cooptation entre membres des mêmes sphères et réseaux d’influence, favorise les échanges de bons procédés, chacun approuvant comme membre du conseil d’administration la rémunération proposée pour son président. Dans les faits, un nombre important des administrateurs de ces sociétés sont passés par les mêmes grandes écoles et les mêmes réseaux, voire les mêmes grands corps de l’État. Le bassin de recrutement de cette élite est donc extrêmement étroit.

Cette proposition s’inscrit dans un mouvement interrompu de limitation du cumul des mandats d’administrateur par une même personne, qui était limité à huit mandats en 1966, puis cinq mandats en 2001, tout en prévoyant des exceptions permettant d’exercer en plus des mandats dans les sociétés filiales contrôlées et au sein des groupes.

Une telle limitation aurait vocation à s’appliquer également au sein des sociétés anonymes dotées de directoire et de conseil de surveillance.

2. Les compléments apportés par la commission des Affaires sociales

À l’initiative du rapporteur, cet article a été complété afin d’étendre aux sociétés anonymes dotées de conseil de surveillance le même abaissement de cinq à deux le nombre des mandats pouvant être exercés par une même personne physique au sein des conseils d’administration ou des conseils de surveillance.

Par ailleurs, un délai d’un an a été introduit afin de permettre aux personnes concernées de se démettre de leurs mandats excédentaires ; à l’issue de ce délai, si elles ne prenaient pas les mesures nécessaires, elles se verraient privées de la totalité de leurs mandats exercés au sein des sociétés anonymes.

C. PRÉVOIR UN VOTE DÉCISIONNEL DE L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES SOCIÉTÉS ANONYMES SUR LA RÉMUNÉRATION DES MANDATAIRES SOCIAUX

En adoptant un amendement défendu par le rapporteur, la commission des Affaires sociales a prévu que les assemblées générales des sociétés anonymes devraient dorénavant approuver les éléments de rémunération des mandataires sociaux (président, membres du directoire, directeur général et directeurs généraux délégués).

Le code de commerce prévoit actuellement que le conseil d’administration ou le conseil de surveillance est seul compétent pour déterminer cette rémunération au sein des sociétés anonymes.

Le code de gouvernement d’entreprise des sociétés cotées élaboré par l’Afep et le Medef a intégré en 2013 le principe du « say on pay » et prévoit désormais que l’ensemble des éléments de rémunération des mandataires sociaux font l’objet d’un vote consultatif de l’assemblée générale à l’issue de l’exercice comptable.

Cependant ce dispositif volontaire n’ayant pas mis fin à l’inflation des rémunérations de certains dirigeants de grandes entreprises, le nouvel article 3 prévoit que si le conseil d’administration ou le conseil de surveillance restera chargé de définir « les éléments, dus ou susceptibles d’être dus, constituant la rémunération ou l’indemnisation » des mandataires sociaux, il devra préalablement les soumettre à l’approbation de l’assemblée générale. Par ailleurs, l’assemblée générale devra également approuver la répartition entre administrateurs des jetons de présence rémunérant leur activité.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

DISCUSSION GÉNÉRALE

Au cours de sa réunion du 18 mai 2016, la commission des affaires sociales examine la proposition de loi de M. Gaby Charroux visant à encadrer les rémunérations dans les entreprises (n° 3680) (M. Gaby Charroux, rapporteur).

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je souhaite la bienvenue à M. Gaby Charroux qui a rejoint notre commission afin de rapporter la proposition de loi visant à encadrer les rémunérations dans les entreprises.

Le groupe Gauche démocrate et républicaine a souhaité faire usage des dispositions des alinéas 5 et 9 de l’article 48 de notre Règlement ; en conséquence, cette proposition de loi sera examinée en séance publique le jeudi 26 mai prochain à neuf heures trente. Il est prévu que notre commission tienne juste avant une réunion au titre de l’article 88 afin d’examiner les amendements déposés en vue de la séance publique.

M. Gaby Charroux, rapporteur. J’évoquerai pour commencer la progression des inégalités et les problèmes politiques et sociaux qu’elle peut poser. Je comparerai la progression de la rémunération et du pouvoir d’achat des salariés à celle des dirigeants. J’étudierai encore la justification qui est donnée de ces inégalités, et l’opinion des citoyens, que nous connaissons à travers les médias et les sondages.

Je rappellerai ensuite les mesures d’encadrement qui ont déjà été mises en place dans plusieurs pays, dont la France, tant dans le secteur public que dans le secteur privé, et j’exposerai leurs limites. J’évoquerai par ailleurs l’échec de l’autorégulation qu’avaient promis de mettre en place les organisations patronales.

Au cours de nos travaux, nous avons rencontré diverses personnalités qu’il nous semblait important d’entendre.

Pour les représentants des entreprises, nous avons entendu le directeur général, M. Michel Guilbaud, et Mme Ophélie Dujarric, la directrice des affaires publiques du Mouvement des entreprises de France (MEDEF) ainsi que M. Pascal Durand-Barthez, secrétaire général du Haut Comité du gouvernement d’entreprise (HCGE) chargé du suivi du code de gouvernance de l’Association française des entreprises privées et du MEDEF, dit code AFEP-MEDEF. Ces auditions très instructives m’ont permis de mesurer les avancées et les limites de ce fameux code.

Au cours d’une deuxième table ronde, nous avons reçu les représentants de certaines organisations syndicales représentatives des salariés : Mme Marylise Léon, secrétaire nationale, et M. Nicolas Fourmont, secrétaire permanent de la Confédération française démocratique du travail (CFDT) ; Mme Marie-Alice Medeuf-Andrieu, secrétaire confédérale, et son assistante, Mme Valérie Pontif, de Force Ouvrière (FO) ; M. Alain Giffard, secrétaire national à l’économie et à l’industrie, et Mme Francine Didier, chargée d’études économiques et fiscales de la Confédération française de l’encadrement-Confédération générale des cadres (CFE-CGC). Trois syndicats ont donc répondu à notre invitation, et les échanges ont été particulièrement enrichissants.

Une dernière table ronde a regroupé un certain nombre d’économistes : M. Frédéric Fréry, professeur à l’École supérieure de commerce de Paris (ESCP) ; M. Gaël Giraud, économiste et Mme Cécile Renouard, professeure, coauteurs de l’ouvrage Le Facteur 12 : pourquoi il faut plafonner les rémunérations ; Mme Claudia Senik, professeure, et M. Loïc Dessaint, directeur général de Proxinvest. Les analyses de ces experts nous ont été précieuses.

Les inégalités de revenus sont devenues aujourd’hui dans notre pays un problème politique aussi bien qu’un problème social. La stagnation du niveau de vie des salariés depuis plusieurs années va de pair avec une hausse continue des rémunérations les plus élevées, comme si les dirigeants des grandes entreprises et certains salariés qui se voient attribuer des bonus ne vivaient plus dans la même société que leurs compatriotes.

Au Ve siècle avant notre ère, Platon estimait déjà que « le législateur doit établir quelles sont les limites acceptables à la richesse et à la pauvreté », et proposait alors un rapport de un à quatre.

De même qu’il lui revient d’exiger la fixation d’un salaire minimum, afin de garantir que les travailleurs puissent vivre dignement, le législateur doit encadrer les écarts de rémunération entre les membres d’une même communauté de travail. Il ne s’agit nullement de plafonner les rémunérations ou de porter atteinte aux droits de l’entrepreneur à tirer les fruits de son entreprise : il s’agit de s’assurer que les résultats de l’entreprise, et donc du travail de tous, soient répartis selon un écart qui ne soit pas indécent.

Longtemps, les dirigeants ont eu conscience de cet écart et modéraient leurs prétentions, mais l’évolution récente des pratiques nous oblige aujourd’hui à réagir. Une échelle des rémunérations de l’ordre de un à vingt a bien existé, il n’y a pas si longtemps. Cependant, en France, les dirigeants des entreprises du CAC 40 ont perçu l’année dernière en moyenne 4,2 millions d’euros, soit l’équivalent de 238 fois le SMIC annuel.

Preuve que ce problème éthique est désormais un problème politique, mais aussi un motif d’inquiétude économique pour les investisseurs, ceux-ci commencent à se préoccuper de cette inflation du montant des rémunérations des dirigeants : rien, et surtout pas les prétendues performances de certains managers, ne justifie ces écarts. Le principe du « say on pay », voulant que les actionnaires se prononcent sur les rémunérations des mandataires sociaux des entreprises, les encourage à s’interroger sur l’intérêt économique de ces rémunérations. Le fonds souverain norvégien a décidé, le 3 mai dernier, d’édicter des principes sur le niveau des rémunérations.

Face à ce constat, les mesures destinées à encadrer les écarts de rémunération, en fixant un plafond dans le secteur public ou en faisant appel à l’autorégulation, ont montré leurs limites.

C’est pourquoi la présente proposition de loi vise à mettre fin aux écarts indécents de rémunération au sein de chaque entreprise en les limitant à un écart de un à vingt et à restreindre l’entre soi et la cooptation qui favorisent la fixation de rémunérations indécentes en limitant le cumul par les mêmes personnes des mandats d’administrateur de sociétés anonymes.

L’augmentation des inégalités de revenus en France représente aujourd’hui un problème politique aussi bien que social, car elles ont singulièrement progressé au cours des dernières années. Selon un rapport de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) publié le 13 novembre 2015 et intitulé Tous concernés : Pourquoi moins d’inégalité profite à tous, la situation de la France vis-à-vis des inégalités ne cesse de s’aggraver. Si les inégalités en France sont proches de la moyenne de l’OCDE, entre 2007 et 2011, elles y ont augmenté plus nettement que dans les autres pays de l’OCDE.

Concrètement, pendant la crise, les inégalités en termes de « revenus marchands », c’est-à-dire avant impôts et prestations sociales, ont augmenté de 2,9 %. Il s’agit de la cinquième hausse la plus importante parmi les trente-six pays de l’OCDE. Le système de redistribution à la française, en particulier les hausses de prestations sociales déployées dès 2009, a toutefois atténué cette hausse. Aussi, en termes de revenu disponible des ménages, les inégalités ont augmenté de 1,6 %. La France se situe toujours parmi les plus fortes hausses. Les 10 % de personnes ayant les revenus les plus faibles ont plus sévèrement subi la crise, relève l’OCDE. Leur revenu a baissé de 1 % par an en moyenne. À l’inverse, les 10 % de personnes ayant les revenus les plus élevés ont vu leur revenu augmenter de 2 % par an en moyenne entre 2007 et 2011, soit une cadence deux fois plus rapide que dans l’ensemble de l’OCDE.

Les inégalités de patrimoine renforcent les inégalités de revenus. Les 10 % les plus aisés en termes de patrimoine détiennent la moitié du patrimoine net des ménages, ce qui coïncide avec la moyenne au sein de l’OCDE. Les 40 % les plus pauvres détiennent moins de 2 % du patrimoine, ce qui est inférieur à la moyenne dans l’OCDE, qui est de 3,3 %.

Durant la crise, avec l’émergence des « emplois non standards », c’est-à-dire des contrats temporaires, du temps partiel et des travailleurs indépendants, le marché du travail s’est totalement redessiné. D’après le rapport, un tiers de la population disposant d’un emploi en France était dans l’une de ces situations en 2013. Ces personnes, ajoute l’OCDE, « sont pénalisées en termes de rémunération par rapport aux personnes occupant des emplois standards ». Ces formes d’emploi atypiques, et plus particulièrement l’emploi temporaire, présentent en France la particularité d’être plus rarement un tremplin vers un emploi standard, et la chance de sortir de cette forme de précarité est assez restreinte. Ainsi, 20 % des employés en intérim ou contrat à durée déterminée en 2008 avaient évolué vers un emploi à durée indéterminée en 2011, alors que ce taux atteint 30 % en Autriche et 48 % en Grande-Bretagne.

Parallèlement, le pouvoir d’achat des salariés a stagné durant les dernières années. Selon une étude de l’INSEE, le revenu disponible brut des ménages a augmenté de 1,1 % en valeur en 2014, après 0,5 % en 2012 et 0,7 % en 2013. Sur l’ensemble de l’année 2015, en revanche, le pouvoir d’achat a bénéficié d’une légère augmentation de 1,8 %. Mesuré par unité de consommation pour le ramener à un niveau individuel, il croît de 1,3 % en 2015, après 0,7 % en 2014.

Les économistes de l’INSEE rappellent toutefois que tous les Français ne sont pas logés à la même enseigne. Les catégories socioprofessionnelles les plus élevées, dont les salaires augmentent plus rapidement que ceux des travailleurs les plus pauvres depuis la crise, en profiteront davantage.

Parallèlement, les rémunérations des dirigeants d’entreprise ont connu une progression bien supérieure, pour atteindre aujourd’hui des niveaux indécents. Dans son rapport sur la rémunération des dirigeants de sociétés cotées, publié en septembre 2015, le cabinet de conseil aux actionnaires Proxinvest a ainsi déterminé que « la rémunération totale moyenne des présidents exécutifs du CAC 40 repasse la barre des 4 millions d’euros pour atteindre 4,2 millions en 2014, soit une hausse de 6 % ».

Alors que ces dirigeants mettent en avant les performances de leurs entreprises pour justifier ces montants, il apparaît que la part des éléments liés à la performance économique reste limitée : « 40 % des présidents exécutifs n’ont pas de rémunération à long terme. » Votre rapporteur observe que les trois plus hautes rémunérations parmi les plus grandes entreprises françaises ont été attribuées sans que les indicateurs de performance de ces dirigeants d’entreprises soient particulièrement bien définis.

Selon Proxinvest, le président-directeur général de Renault-Nissan est en tête du classement pour 2014 avec 15,2 millions d’euros, soit une hausse de 56 %. Il bénéficie d’une double rémunération puisqu’il préside Renault et Nissan, dont Renault détient 43 %. Au titre de 2015, le conseil d’administration de Renault a décidé de lui verser 7,2 millions d’euros, soit une part fixe de 1,23 million, une part variable attribuée sur des critères décrits par Proxinvest comme « des conditions de performance peu exigeantes ». Dans le même temps, un accord de compétitivité signé en 2013 au sein du groupe a abouti à un gel des salaires des salariés de Renault.

Économiquement, mais également socialement, rien ne justifie que ces dirigeants soient payés l’équivalent de 600 à 860 fois le montant du SMIC annuel. Certains économistes ont tenté de justifier la progression et le montant de ces rémunérations en montrant que la hausse de la capitalisation boursière des entreprises fait mécaniquement augmenter les salaires des dirigeants. Lorsque la capitalisation boursière augmente, les enjeux financiers des décisions de gestion sont d’autant plus importants ; dans ces conditions, des différences minimes de compétences entre dirigeants provoquent des écarts de rémunération énormes, car même une toute petite différence de compétence peut avoir un effet se chiffrant en millions de dollars dans une entreprise à très forte capitalisation boursière.

Cependant, si l’on admet que la hausse des salaires des dirigeants provient de la capitalisation boursière, pourquoi les salaires des autres employés des entreprises n’ont-ils pas fait de même ?

L’encadrement des rémunérations présente des vertus économiques incontestables, notamment en termes de soutien à la consommation. Les origines de la crise financière de 2007-2008 appellent la mise en place de cet encadrement au sein des entreprises. En effet, la crise des subprimes est aussi le fruit de la richesse excessive des riches, en quête de rendements élevés pour leur énorme épargne disponible, et de la pauvreté des conditions de vie de millions de ménages qui avaient facilité la mise au point de produits financiers à très haut risque.

Les citoyens sont favorables à une limitation des écarts de revenus, et les jugements des Français sur les salaires « justes » ne sont pas loin de la norme de un à quatre avancée par Platon il y a vingt-cinq siècles. Dans une enquête menée en 1998 par Thomas Piketty, on demandait aux personnes interrogées quels devraient être, selon eux, les revenus mensuels respectifs d’un cadre supérieur d’une grande entreprise et d’une caissière de supermarché : les réponses moyennes étaient un rapport de 1 à 3,6, alors que l’écart réel des salaires moyens de ces deux catégories était au moins de 1 à 9. Contre toute attente, cet écart variait assez peu selon le revenu du répondant. Il n’existe donc pas de « fracture morale » en France sur cette question.

Je souhaite maintenant montrer que les mesures destinées à encadrer les écarts de rémunération ont atteint leurs limites.

Le plafonnement des rémunérations des dirigeants des entreprises publiques ou sauvées par l’État n’est pas suffisant. Les États-Unis n’ont pas hésité à plafonner les rémunérations dans les entreprises sauvées par l’État fédéral. Ainsi, l’administration Obama a imposé à partir de 2009 un plafond de rémunération globale maximale de 500 000 dollars, soit 384 000 euros, aux patrons et aux équipes de direction des établissements renfloués par l’État fédéral, c’est-à-dire, en premier lieu, à des banques et à des constructeurs automobiles. Dans ce cadre, les dirigeants concernés ont dû renoncer à tout bonus et à tout élément de rémunération variable autre que les dividendes de leurs actions, et à tout parachute doré représentant plus d’un an de rémunération.

Par ailleurs, un principe de comparaison des rémunérations a été établi afin de tenter de dissuader les conseils d’administration d’avaliser des montants établis en dehors de tout référent. Ainsi, à partir de 2017, les sommes accordées aux patrons des 3 800 plus grosses entreprises américaines cotées devront être publiées et mises en regard avec le salaire médian de leurs salariés.

De son côté, la France a mis en place un encadrement des rémunérations des dirigeants qui n’est applicable qu’aux entreprises publiques. Mettant en œuvre un engagement du Président de la République d’imposer « aux dirigeants des entreprises publiques un écart maximal de rémunérations de un à vingt », le conseil des ministres a approuvé le 26 juillet 2012 un décret sur les rémunérations des dirigeants d’entreprises publiques, les plafonnant à 450 000 euros. Ce plafond n’est pas strictement ce qui avait été promis, puisque le montant fixé est l’équivalent de vingt-cinq SMIC.

Dans le secteur privé, le recours à l’autorégulation a échoué. En 2013, le Gouvernement a renoncé à légiférer pour le secteur privé au profit de la taxe de 75 %, dont on connaît le destin, d’« un renforcement ambitieux du code de gouvernance » et « d’une autorégulation exigeante ». L’engagement des représentants du patronat a reposé essentiellement sur la mise en place du principe inspiré du droit des sociétés anglo-saxonnes du « say on pay ». Il consiste à demander aux actionnaires réunis lors de leur assemblée générale de se prononcer par un vote, le plus souvent uniquement consultatif, sur le mécanisme de rémunération des dirigeants de leur entreprise. Le code de commerce prévoit actuellement que, si l’assemblée générale d’une société anonyme vote le montant global des jetons de présence que le conseil d’administration répartit entre ses membres, la rémunération des mandataires sociaux – président, directeur général et directeurs généraux délégués – est déterminée librement par le conseil d’administration.

En 2016, ces dispositions ont été volontairement appliquées par la plupart des grandes entreprises françaises pour la seconde fois. Force est de constater que cela n’a pas eu pour conséquence une autolimitation du montant des rémunérations proposées aux actionnaires par le conseil d’administration.

Dans le cas récent de la rémunération du président-directeur général de Renault, ce système consultatif a montré ses limites : le 29 avril dernier, quelques heures après le vote de l’assemblée générale ayant rejeté à 54,12 % les éléments de rémunérations dus ou attribués à M. Carlos Ghosn, le conseil d’administration de Renault a « approuvé le maintien de la rémunération décidée pour le président-directeur général pour l’année 2015. »

Devant cette attitude pourtant conforme à la lettre du code de l’AFEP-MEDEF, le président du MEDEF s’est déclaré publiquement « un peu choqué » et le Haut Comité de gouvernement d’entreprise, chargé du suivi de l’application du code AFEP-MEDEF, a publié un communiqué de presse pour indiquer s’être saisi de cette situation. Le 3 mai dernier, devant l’Assemblée nationale, le ministre de l’économie a menacé de légiférer si le conseil d’administration de Renault, qui a maintenu la rémunération du PDG du groupe, malgré l’opposition de la majorité des actionnaires, dont l’État, ne « tirait pas les conséquences » de cette décision.

Cette menace de recourir à la loi, et donc à une norme impérative s’appliquant à tous, montre bien que les promesses et les codes de bonne conduite ne sauraient à eux seuls constituer une réponse utile à ce problème de société que sont les écarts de rémunération. Cela justifie une proposition de loi ayant pour objet de mettre fin aux écarts indécents de rémunération au sein de chaque entreprise. C’est pourquoi le texte présenté prévoit un dispositif simple d’encadrement des rémunérations au sein de l’entreprise.

L’article 1er propose d’encadrer les écarts de rémunération au sein d’une même entreprise par un rapport allant de un à vingt. Cet écart maximal reprend celui proposé il y a plus d’un siècle par le milliardaire John Pierpont Morgan Senior, fondateur de la banque portant son nom, qui avait pour règle de ne pas prêter d’argent à une société dont le dirigeant était payé plus de vingt fois le salaire de ses ouvriers.

Dans chaque entreprise, quel que soit son statut juridique – société privée ou toute autre forme de personne morale, mais également établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC) –, le salaire annuel le moins élevé ne pourrait être plus de vingt fois inférieur à la rémunération annuelle globale la plus élevée, que celle-ci soit versée à un salarié ou à un dirigeant mandataire social non salarié. À titre d’exemple, dans les entreprises où le salaire minimal correspondrait au SMIC annuel, soit 17 599 euros bruts, la rémunération maximale annuelle ne pourrait dépasser 351 989 euros bruts.

Si cette rémunération globale la plus élevée venait à dépasser ce montant, les décisions et contrats fixant cette rémunération maximale seraient nuls de plein droit. Ce mécanisme ne constitue cependant pas un plafonnement des rémunérations : le cas échéant, il permet à l’entreprise d’augmenter le salaire annuel le moins élevé pour rendre légale une rémunération maximale qui se retrouverait au-delà du plafond fixé, notamment du fait des modalités de calcul des éléments variables. Ainsi, lorsque la bonne santé et les performances de l’entreprise justifieraient le versement de bonus aux personnes les mieux payées, cette proposition de loi permettrait aux salariés de voir leur salaire augmenter à due concurrence, garantissant ainsi une meilleure répartition des richesses produites dans l’entreprise au profit du travail et donc, indirectement, de notre système de protection sociale.

Afin de permettre le contrôle de la bonne application de cette mesure, un décret en Conseil d’État déterminera les conditions d’information et de consultation du comité d’entreprise sur les écarts de rémunération pratiqués dans l’entreprise, dans le cadre de la consultation annuelle sur la politique sociale de l’entreprise, les conditions de travail et l’emploi.

Par ailleurs, afin de limiter les connivences entre dirigeants d’entreprise, notamment dans la détermination de leurs rémunérations, l’article 2 limite à deux, au lieu de cinq actuellement, le nombre de postes d’administrateur de société anonyme pouvant être exercé par une même personne physique. La pratique française de mandats d’administrateur croisés, et de cooptation entre membres des mêmes sphères et réseaux d’influence, favorise les échanges de bons procédés, chacun approuvant la rémunération proposée pour son président.

Enfin, je défendrai un amendement posant le principe d’un vote contraignant de l’assemblée générale des actionnaires sur les rémunérations des dirigeants des entreprises, comme cela existe notamment au Royaume-Uni ou en Suisse. Cela permettrait que les rémunérations indécentes et ne reposant pas sur des critères de réussite satisfaits puissent être refusées par les actionnaires.

Mme Marie-Thérèse Le Roy. La question de la rémunération des dirigeants d’entreprise constitue un sujet majeur qui provoque souvent l’émoi de nos concitoyens : le patron le moins bien payé du CAC 40 perçoit 1,32 million d’euros par an, ce qui représente 76 SMIC. Les fortes réactions à l’augmentation de la rémunération d’un patron du CAC 40 démontrent qu’il est temps d’agir.

La proposition de loi présentée par notre collègue Gaby Charroux veut légiférer en réponse aux dérives constatées en matière de rémunération des dirigeants de sociétés. À cette fin, le texte propose que, dans toutes les entreprises, qu’elles soient privées ou publiques, sous quelque forme qu’elles soient constituées, le salaire annuel le moins élevé ne puisse être plus de vingt fois inférieur à la rémunération annuelle globale la plus élevée dans la même entreprise.

Il est aussi prévu de limiter à deux le nombre de conseils d’administration dans lesquels une même personne peut siéger, au lieu de cinq aujourd’hui, alors qu’il était de huit auparavant.

Avant de revenir sur les dispositions proposées par notre collègue, je voudrais rappeler les progrès importants introduits depuis 2012 par notre majorité, qui lutte contre ces dérives. Dès 2012, les revenus des dirigeants d’entreprises publiques ont été plafonnés, les dispositions du code de gouvernance des entreprises privées AFEP-MEDEF ont été renforcées. À l’échelon européen, les bonus ne peuvent plus excéder les salaires annuels fixes dans le secteur bancaire ; et le système des retraites chapeau des mandataires sociaux a été encadré.

Bien loin des déclarations d’intention, notre majorité n’est donc pas restée les bras croisés et elle agit pour un juste encadrement des rémunérations ; hier, le Président de la République a d’ailleurs évoqué le sujet lors d’un entretien radiophonique en indiquant que le Gouvernement serait prêt à intervenir si le code AFEP-MEDEF n’était pas respecté.

L’article 1er de la proposition de loi encadre les écarts de rémunération ; il comporte toutefois un important risque d’atteinte au principe de la liberté d’entreprendre permettant à chacun d’exercer l’activité souhaitée, ainsi qu’au principe de liberté contractuelle. En effet, aux termes de la Constitution et de la jurisprudence constitutionnelle, ces libertés ne sauraient être limitées que dans l’intérêt général et à condition qu’il n’en résulte pas d’atteinte disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi.

Or la réduction des inégalités comme seul motif d’intérêt général invoqué ne me semble pas suffisante au regard du contrôle de proportionnalité de l’atteinte constatée par le juge constitutionnel. Je veux également souligner le fait que cet article 1er ne s’appliquerait qu’aux contrats conclus postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi, en vertu du droit constitutionnel au maintien de l’économie des conventions légalement conclues.

L’article 2 prévoit de limiter à deux le nombre de conseils d’administration au sein desquels une personne peut siéger, au lieu de cinq aujourd’hui, afin de lutter contre la consanguinité des conseils de surveillance et des conseils d’administration. La loi du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques avait déjà abaissé de huit à cinq le nombre maximal de mandats d’administrateur et de membre du conseil de surveillance qu’une personne physique peut exercer.

Nous partageons l’objectif poursuivi par cet article, qui va dans le sens d’une plus grande transparence et d’un meilleur équilibre. Nous partageons aussi le souci d’encadrer plus strictement les écarts de rémunération dans les entreprises. Cependant, en l’état, la rédaction proposée ne nous paraît pas satisfaisante, notamment sur le plan de la constitutionnalité.

C’est pourquoi le groupe socialiste, républicain et citoyen ne soutiendra pas l’article premier dans sa rédaction actuelle, mais votera l’article 2, ainsi que l’amendement du rapporteur tendant à introduire un article additionnel après l’article 2.

M. Arnaud Viala. Les récents débats relatifs à la loi sur le travail, même tronqués et amputés de l’essentiel de leur substance par le recours à l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, ont souligné une nouvelle fois qu’on ne peut pas parler travail sans parler rémunération ; ce qui renvoie à l’adage voulant que tout travail mérite salaire. Il convient donc de se poser la question de la juste rémunération des tâches effectuées et des responsabilités exercées dans le cadre de l’exercice de toute activité professionnelle.

Par ailleurs, de récentes polémiques ont défrayé la chronique au sujet de la rémunération des patrons de PSA, de Renault ou de Sanofi. De très grands dirigeants d’entreprise semblent avoir perdu pied avec la réalité en s’octroyant, ou en se faisant octroyer, des émoluments qui dépassent l’entendement et qui, à juste titre, choquent.

Toutefois, il nous semble que ces éléments de contexte méritent d’être considérablement nuancés. En premier lieu, il va de soi que ces quelques exemples répondent sans aucun doute à la redoutable loi de la rumeur publique : on ne parle que des trains qui sont en retard. Personne ne conteste que des rémunérations de plusieurs millions, parfois plusieurs dizaines de millions d’euros par an, sont anormales et doivent être bannies. En revanche, personne ne parle des centaines de milliers de patrons en France qui ne se rémunèrent pas, qui sont moins bien payés que le moins payé de leurs salariés, souvent pendant plusieurs années, afin de garantir la pérennité de leur entreprise. Ceux-là n’ont pas besoin qu’une loi soit votée pour encadrer leurs rémunérations et sont largement majoritaires dans notre pays.

Cela pose d’ailleurs la question fondamentale soulevée par ce texte : faut-il encore légiférer pour encadrer les rémunérations ? Beaucoup de dispositions existent déjà, notamment dans le secteur public. N’est-il pas préférable de donner plus de pouvoir en la matière aux actionnaires des grands groupes, de régler définitivement la question des indemnités de départ et de s’appuyer ensuite sur l’autorégulation au sein des entreprises, plutôt que d’alourdir le stock législatif ? C’est ce que nous pensons.

En second lieu – les récents débats et, surtout, le mécontentement exprimé partout dans notre pays le soulignent avec force –, les entreprises ont besoin de souplesse pour s’adapter à la réalité de leur activité, de leur marché, de leur environnement socio-économique.

L’essentiel de votre proposition, monsieur le rapporteur, repose sur un rapport d’échelle : l’écart de rémunération au sein d’une entreprise, quelle qu’elle soit, ne doit pas être supérieur à un rapport de 1 sur 20. Nous ne doutons pas qu’il puisse se trouver quelques entreprises pour lesquelles ce texte corresponde à la réalité, mais, en l’espèce, votre proposition est inapplicable de manière uniforme. Elle ne conduirait d’ailleurs qu’à accentuer le clivage entre salariés et patrons, dont chacun sait qu’il est délétère. Notre pays doit revenir à une considération simple : il ne peut pas y avoir de salarié sans patron ; 99,99 % des patrons se soucient naturellement du bien-être et des conditions les plus justes pour leurs salariés, sans avoir besoin de cadre législatif contraignant. La même proportion de patrons prend des risques financiers, professionnels, personnels et de santé afin de réussir dans leur activité, que leur rémunération ne compensera jamais.

Enfin, ce texte pose à nos yeux la question de l’orientation que nous souhaitons donner à notre société. Hasard du calendrier peut-être, fleurissent en ce moment, en marge du texte de Mme El Khomri, quantité de propositions concourant toutes au même résultat : la déresponsabilisation totale de l’individu dans notre fonctionnement collectif. J’assistais hier, avec certains de nos collègues, à une audition de la commission spéciale sur la citoyenneté et la laïcité où l’on nous demandait de légiférer afin de rétribuer les activités bénévoles. Ici même, il y a quelques semaines, a été examinée une proposition de loi visant à étendre les droits de la femme enceinte au père géniteur. Je me permets de le dire sans excès et sans aucune volonté de provocation : ces mesures, dont le périmètre peut paraître anodin parce que très circonscrit, font évoluer les mentalités dans le mauvais sens, car elles poussent à l’abandon de toute notion de responsabilité individuelle, de conscience même. Concernant les rémunérations, nous sommes favorables à des dispositifs empêchant les excès manifestes et régulant les montants des indemnités de départ, mais nous considérons que l’autorégulation est tout à fait à même de prévenir l’immense majorité des excès, et qu’elle le fait déjà. C’est pour ces raisons que nous ne soutiendrons pas cette proposition de loi.

Mme Dominique Orliac. La proposition de loi présentée aujourd’hui par nos collègues du groupe Gauche démocrate et républicaine s’inscrit dans le contexte de situations parfois intolérables qui font les gros titres de la presse. Il s’agit des rémunérations très élevées de dirigeants d’entreprise, qui, comme l’explique clairement l’exposé des motifs, jouissent parfois d’un revenu pouvant être considéré comme exorbitant au regard de la pénibilité du travail et des salaires des autres personnes employées par la même société.

Alors que l’exposé des motifs cite également l’interdiction des parachutes dorés, qui ne sont toutefois pas concernés par cette proposition de loi, nous sommes en présence d’un texte allant vers plus de justice sociale et qui vise à lutter contre les inégalités et l’accroissement des écarts de salaire. Ce phénomène aggrave, chez une large partie de nos concitoyens, un sentiment d’injustice sociale.

L’idée d’imposer un écart maximal de rémunération entre le plus haut et le plus bas salaire dans une même entreprise n’est pas nouvelle. À ce titre, nous pouvons évoquer cette votation populaire qui a eu lieu en Suisse en 2013 et qui portait sur la création d’un article constitutionnel fixant à douze fois l’écart entre le plus haut et le plus bas salaire d’une entreprise. Cette initiative, qui émanait de la Jeunesse socialiste suisse, a été rejetée par 65,3 % du corps électoral, mais une autre, qui interdisait les parachutes dorés, avait été acceptée. Ainsi, rien n’est utopique et tout peut se concevoir, même au sein d’États paraissant très libéraux.

Le Président de la République avait formulé un engagement de campagne, le vingt-sixième, consistant à imposer aux dirigeants d’entreprises publiques un écart maximal de rémunération de un à vingt. En 2011 déjà, un sondage réalisé par l’Institut français d’opinion publique (IFOP) donnait 75 % d’avis favorables à un encadrement des hauts salaires ; deux ans après, en 2013, un sondage effectué par l’Institut BVA donnait un chiffre de 76 % d’avis favorables. Il s’agit donc d’une idée qui convainc vraiment les Français.

Si, depuis 2012, la majorité actuelle a plafonné la rémunération fixe et variable annuelle des dirigeants mandataires sociaux du secteur public à 450 000 euros, ce qui équivaut à vingt-cinq SMIC, la présente proposition de loi vise à réduire ce point de 25 à 20, tout en imposant ce plafonnement dans les entreprises publiques et privées.

L’article 2 de la proposition de loi tend à limiter à deux au lieu de cinq le nombre de conseils d’administration au sein desquels une personne peut siéger.

J’ai bien noté que le rapporteur a déposé une dizaine d’amendements. Le groupe Radical, républicain, démocrate et progressiste attendra par conséquent de voir quelle sera la rédaction issue des travaux de la Commission avant de prendre une décision au sujet de ce texte. Mais, de prime abord, l’idée nous paraît très intéressante.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Les parachutes dorés sont souvent évoqués, mais on oublie trop les « golden hellos », ces primes de bienvenue attribuées avant même que les intéressés n’aient atteint le moindre objectif, et dont les montants, que révèle parfois la presse, sont assez insupportables.

Mme Jacqueline Fraysse. Ce texte se trouve au cœur de l’actualité. Vous avez peut-être entendu ce matin que le PDG du groupe Capgemini a augmenté son salaire de 18 %, ce qui suscite un mouvement de protestation de la part des salariés.

Nous constatons d’indécentes inégalités de rémunérations, incompatibles avec une quelconque cohésion sociale, et qui suscitent la colère légitime de salariés dont les rémunérations sont bloquées depuis de nombreuses années. On imagine l’effet que peut produire sur ces salariés et leurs familles la publication dans la presse du montant des rémunérations des dirigeants, alors que la précarité gagne du terrain et que le chômage augmente.

M. Charroux a fort bien évoqué les justifications apportées à ces revenus exorbitants. Si ces performances sont réalisées par les entreprises, c’est sans doute parce que le PDG est compétent, mais c’est surtout parce que des salariés travaillent. Dès lors, lorsque des bénéfices sont enregistrés par l’entreprise, ceux-ci devraient aussi aller aux salariés.

On peut comprendre que nos concitoyens soient choqués par ces excès, et nous constatons tous que les tentatives d’encadrement actuelles n’ont pas produit leurs effets. C’est pourquoi je considère que cette proposition de loi visant à limiter l’écart entre les salaires les plus élevés et les plus bas – dans un rapport de un à vingt –, et à lier la progression de la rémunération des dirigeants à celle des salariés est de nature à introduire un peu d’équité ainsi qu’à assainir les modes de réflexion, particulièrement celle des syndicats.

Naïvement, je pensais que tout un chacun pouvait partager les objectifs de cette proposition de loi et la soutenir, mais je constate que cela n’est pas le cas. J’entends expliquer que certains patrons connaissent des situations difficiles. Je le concède volontiers, mais ce n’est pas de ceux-là que nous parlons. La proposition de loi concerne les excès, pas les hommes et les femmes qui sont dans la normalité, ce qui est le cas de l’immense majorité de nos concitoyens.

L’autorégulation a été évoquée, et certains chefs d’entreprise s’y astreignent, mais, nous le voyons bien, il y a encore des excès : ce sont leurs auteurs, et eux seuls, qui sont concernés par ce texte.

J’entends aussi le raisonnement portant sur l’augmentation du volume législatif : il vous faut affûter vos arguments si vous souhaitez vraiment soutenir des inégalités aussi criantes, mes chers collègues. Pour ma part, je considère que la loi pourrait nous aider dans notre démarche.

Nos collègues du groupe Socialiste, républicain et citoyen semblent considérer que la réduction des inégalités ne constitue pas un argument suffisant : cela m’étonne, certes, mais, au regard du projet de loi sur le travail ainsi que du recours à l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, je suis de moins en moins surprise. Il va donc falloir que je m’habitue à cet état de fait.

J’espère toutefois que le débat permettra à nos concitoyens de constater que, dans cette assemblée, des députés essaient d’organiser la société avec un minimum d’équité et d’efficacité. Chacun pourra alors être jugé en fonction de ses prises de position, étant entendu que nos concitoyens nous regardent et que tous sont choqués par certains excès.

M. Arnaud Richard. La rémunération des dirigeants constitue un sujet de débat récurrent dans l’opinion publique. La question est éminemment politique et médiatique, mais nous estimons que la réponse ne peut être seulement législative. Force est de constater que, malgré la crise que traverse notre pays, la rémunération moyenne des dirigeants des sociétés cotées françaises a considérablement augmenté ces quinze dernières années. Dans le même temps, on a pu observer une décorrélation entre la rémunération de ces dirigeants et la performance à moyen et long terme de leurs entreprises.

En réponse à la publication des montants de rémunérations particulièrement élevés de certains dirigeants ces derniers mois, la proposition de loi du groupe Gauche démocrate et républicaine prévoit d’encadrer les rétributions dans les entreprises afin que la plus haute ne soit pas supérieure à vingt fois le salaire le plus bas.

Si nous pouvons entendre les raisons qui ont conduit le groupe Gauche démocrate et républicaine à déposer un tel texte, nous estimons que légiférer n’est pas la solution à privilégier aujourd’hui. Bien que ces excès en matière de rémunération soient dommageables tant pour l’image des entreprises que pour la paix sociale interne de notre pays, il nous apparaît préférable de laisser sa place au droit souple – « soft law » –, dans la mesure où la rémunération des dirigeants obéit à des règles de marché, ainsi qu’à des principes de gouvernance.

De même, si la limitation du cumul des mandats va dans le sens d’un rééquilibrage des pouvoirs, il ne nous semble pas nécessaire d’en limiter le nombre ; nous suggérons plutôt la mise en place d’outils qui permettront aux administrateurs de jouer pleinement leur rôle.

Par ailleurs, l’expérience étrangère nous apprend qu’il n’est pas pertinent de réglementer à l’excès les entreprises, mais qu’il faut plutôt agir sur plusieurs plans en imposant à la fois des règles générales et en favorisant les bonnes pratiques. Nous sommes bien conscients que les attentes et l’environnement évoluent sous l’influence de grands investisseurs et de sociétés spécialisées qui les conseillent sur ces questions. Aussi, un code de bonne pratique a l’avantage d’être plus souple que la loi.

Aujourd’hui, l’enjeu se situe pour nous autour d’un encadrement plus rigoureux de l’application du code AFEP-MEDEF via un renforcement du rôle du Haut Comité de gouvernement d’entreprise, l’autorégulation, étant la condition de sa crédibilité et de son maintien.

M. Michel Liebgott. Contrairement au représentant du groupe Les Républicains, je ne crois pas un instant à l’autorégulation : cela renverrait à une question de vertu ; or, comme le rapporteur l’a rappelé, la nature humaine n’a guère progressé depuis Platon.

Il faut donc des règles, et la première à mettre en œuvre, comme cela se pratique dans les pays scandinaves, consiste à exiger une plus grande transparence ainsi que la publicité des rémunérations. Je suis persuadé que Philippe Varin et Michel Combes n’auraient pas renoncé aux montants pharaoniques qu’ils devaient percevoir au titre de leurs retraites chapeau et de leurs primes de départ, si ces sommes n’avaient pas été rendues publiques. Ce qui fait scandale, ce sont ces montants et les effets qu’ils produisent sur ceux qui sont pris dans des difficultés quotidiennes.

Évoquer le sujet constitue une première publicité. Mais les membres des conseils d’administration étant astreints au silence, personne n’ose en parler, ce qui est particulièrement grave. Trop rares sont d’ailleurs les administrateurs salariés siégeant dans ces cénacles ainsi qu’au sein de l’entreprise – la CFE-CGC les estime à 56 % – pour pouvoir influer sur ces rémunérations.

Ce phénomène n’est pas nouveau. Originaire d’une région de sidérurgie, je sais que les maîtres de forges ont longtemps perçu des rémunérations dont les montants sont difficiles à concevoir, y compris quand on les compare avec ce que perçoivent aujourd’hui certains grands patrons. Certes, il n’y a rien de nouveau sous le soleil, mais, si nous voulons que l’égalité progresse dans notre société, nous devons agir. Il faut donc plus de publicité, plus d’interventions des administrateurs salariés, et il faut également vérifier si des situations similaires ne prévalent pas dans les professions libérales, chez les footballeurs et chez les artistes, car le monde de l’entreprise n’a pas l’apanage de ces excès. Nous devons donc poursuivre ce débat utile et réguler ce qui doit l’être.

M. Dominique Dord. Je suis quelque peu choqué par le caractère tardif de cette proposition de loi, qui, au mieux, sera applicable en 2017 : nous aurons donc connu cinq années de majorité de gauche sans aucune réglementation, à part, comme vous l’avez indiqué dans votre propre rapport, des vœux pieux. Nos concitoyens découvrent d’ailleurs qu’après cinq ans d’une majorité de gauche, le patron de Renault continue de percevoir des rémunérations pharaoniques.

Comme vous, je suis choqué par le niveau de rétributions qui dépassent l’entendement. Toutefois, à l’instar de M. Liebgott, je me demande s’il n’y a pas en France plus de footballeurs milliardaires que de patrons du CAC 40, mais, comme par hasard, c’est sur ces patrons que vous insistez, alors que nous devrions pouvoir nous interroger au sujet des professions libérales.

À mes yeux, cette proposition de loi ne pourra que manquer sa cible parce qu’elle est prisonnière de vos propres contradictions : vous détestez le capitalisme familial que vous taxez de toutes parts ; par là, vous favorisez le capitalisme financier. Or la rémunération de ces patrons n’est que la conséquence des pratiques du capitalisme financier que, d’une certaine manière, vous encouragez au détriment du capitalisme familial.

M. Christophe Sirugue. Chacun a bien conscience qu’une entreprise est constituée de salariés et d’un employeur. Tout ce qui participe de l’éloignement de ces deux composantes est nuisible au bon fonctionnement de l’entreprise. La question de la rémunération excessive qui émaille régulièrement le débat public et politique mérite que nous la prenions en considération.

Cette proposition de loi a pour objet de limiter ces excès, et elle est la bienvenue, car elle souligne que des engagements avaient été pris par le MEDEF et les organisations patronales. À M. Dord, je rappellerai qu’il nous avait été expliqué qu’il ne fallait pas légiférer, car le patronat allait adopter une sorte de code de bonne conduite. Nous sommes habilités aujourd’hui à vérifier comment les prescriptions de ce code ont été observées, et cela nous conduit à constater que nous sommes toujours confrontés à ces situations inacceptables.

Nous ne sommes pas placés devant une confrontation opposant l’entreprise familiale à une entreprise qui serait d’une autre nature : la réalité de la mondialisation a passé bien au-delà de celle de nos propres lois.

Comme l’a souligné l’oratrice de mon groupe, nous soutiendrons ce texte, particulièrement l’article 2 et l’article additionnel après l’article 2. Nous ne sommes pas opposés à l’article 1er, mais l’obstacle constitutionnel est réel. En outre, certains pourraient succomber à la tentation d’externaliser les bas salaires pour éviter d’être soumis à cette fourchette de rémunérations. Nos bonnes intentions ne doivent pas entraîner un contournement des règles que nous souhaitons mettre en place.

Mon groupe est par ailleurs déterminé à demander que, dans le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, nous puissions reprendre la question posée par cet article 1er et adopter une rédaction plus pertinente. Il n’y a donc pas de désaccord de fond ; nous souhaitons simplement trouver une meilleure assise juridique à cette disposition.

M. Bernard Perrut. Dans la période difficile que connaît notre pays, avec 6,5 millions de demandeurs d’emploi et beaucoup de nos concitoyens dans la difficulté, nous ne pouvons que nous interroger sur les inégalités et les écarts de rémunération qui nous choquent tous, quel que soit le degré de compétence et de responsabilité des dirigeants concernés.

On peut effectivement être choqué de voir un président de directoire totaliser un gain annuel de 5 millions d’euros, et un autre percevoir 12,5 millions d’euros, alors même que son entreprise réorganise son activité et procède à des licenciements.

Cette volonté d’encadrer les rémunérations intervient dans un contexte de défiance envers quelques patrons, mais tous ne sont pas dans cette situation : je pense à tous les dirigeants qui se battent pour faire vivre nos entreprises. Mais je pense aussi à tous ces sportifs, à tous ces artistes, adulés par les Français, et qui sont pourtant dans la même situation que ces dirigeants d’entreprise.

Si le problème soulevé par la proposition de loi est réel, la réponse proposée n’est ni totalement satisfaisante ni efficace. L’encadrement d’un écart de un à vingt de la rémunération que vous suggérez sera contourné par la stratégie des entreprises, les meilleurs dirigeants quitteront la France, et votre texte trouvera vite ses limites ; pour cela, je me demande même si je partage votre objectif.

Ne pourrions-nous pas imaginer que l’autorégulation et le code de gouvernance permettent l’application des principes de bon fonctionnement et de transparence ? Il faut effectivement mettre un terme à la surenchère aux primes d’accueil et de sortie, qui se comptent en millions et témoignent de la dérive du système. Il faut promouvoir le principe de juste rémunération, augmenter le pouvoir des actionnaires et les responsabiliser, régler la question des indemnités de départ et réfléchir à la nature des objectifs économiques – voire sociaux et environnementaux – susceptibles de conditionner la part de rémunération variable des dirigeants. Par ailleurs, il faut certes prendre en compte la performance, mais aussi la formation des salariés.

Nous devons faire de l’éthique une priorité de l’entreprise, car c’est bien là le sujet : éthique des dirigeants, éthique des pratiques financières, éthiques des marchés, des recrutements et de la formation, et, bien évidemment, éthique des rémunérations. Nous pourrions peut-être même aller plus loin dans ce dernier domaine et poser la question : ce qui est légal est-il toujours moral ?

M. Gérard Bapt. L’entreprise anglo-saxonne Exxon vient d’adopter un plan social conduisant au licenciement de 1 200 salariés dans le monde, dont 400 en France : ceux-ci ont d’ailleurs manifesté devant le siège français d’Exxon, situé en région parisienne. Le PDG, Américain résidant aux États-Unis, vient d’augmenter ses émoluments dans une proportion considérable.

Des actions législatives peuvent intervenir, telle celle qui nous est proposée aujourd’hui afin de limiter ce type de licenciements boursiers, mais des initiatives à caractère administratif peuvent aussi procéder de l’exécutif.

Puisque nous parlons d’éthique, je souhaite évoquer la question de la protection des données personnelles de santé : l’entreprise IMS Health a pour activité le traitement des données, notamment celles relatives à la santé. Il est, à mes yeux, choquant de constater que, dans le cadre du suivi des prescriptions médicales, un organisme administratif confie à cette société le chantier résultant de la charte passée avec l’industrie pharmaceutique.

La responsabilité sociale de l’entreprise ne pourrait-elle pas constituer un critère des appels d’offres de l’administration afin d’éviter que les entreprises qui adoptent de tels comportements – remettant par là en cause notre éthique, et celle de l’Europe, de la protection absolue des données personnelles de santé – puissent être retenues ?

M. Frédéric Barbier. Les rémunérations de plusieurs millions d’euros attribuées à certains patrons du CAC 40, dont la presse s’est fait l’écho ces dernières semaines, nous ont tous fait réagir. Elles sont exagérées en leur montant et souvent déconnectées des résultats des entreprises concernées, notamment quand celles-ci procèdent à des licenciements massifs. Si l’objectif tendant à instaurer un système plus éthique nous semble louable, force est de constater que la présente proposition n’est pas de nature à remettre en cause les rémunérations démesurées dont il a été question récemment, puisqu’elle ne vise qu’à plafonner la rémunération la plus élevée à un niveau vingt fois supérieur à celui du salaire minimal appliqué au sein de la même entreprise : le texte va donc concerner des entreprises dont le dirigeant percevra un salaire compris entre 25 000 euros et 30 000 euros – un montant certes élevé, mais qui n’a rien à voir avec les sommes démentielles citées dans les médias.

J’aimerais savoir ce qui a conduit à retenir un coefficient de vingt entre la rémunération la plus basse et la plus haute : est-ce le résultat d’une étude ? Avez-vous envisagé les conséquences de l’application de ce facteur pour l’économie française ? Savez-vous combien d’entreprises seront touchées ? Par ailleurs, quelles solutions pratiques devront être appliquées aux entreprises concernées : les dirigeants devront-ils diminuer leurs salaires, ou augmenter les salaires les plus bas – ce qui risque d’aboutir à de nouveaux licenciements ? S’il est évident que ce texte part d’une bonne intention, il ne me semble pas de nature à atteindre l’objectif qu’il affiche, car il s’appliquera à des salaires très inférieurs à ceux figurant dans son exposé des motifs.

M. Gérard Sebaoun. Je ne reprendrai pas les arguments exposés par Christophe Sirugue au sujet de la fragilité constitutionnelle de l’article 1er de cette proposition de loi, qui me paraissent tout à fait pertinents.

Pour ce qui est de la proposition numéro 26 du candidat François Hollande en 2012, elle consistait à imposer aux dirigeants des entreprises publiques, et non privées, un écart maximal de rémunération de un à vingt, et c’est bien ce qui a été mis en œuvre par le Gouvernement. En revanche, le programme du parti socialiste pour l’élection présidentielle proposait d’appliquer la même mesure aux grandes entreprises privées, en renvoyant à l’assemblée générale des actionnaires la possibilité d’agir sur la rémunération de leurs dirigeants. Cela implique que le principe du say on pay, appliqué dans de nombreux pays mais essentiellement consultatif, devienne obligatoire en France – c’est le sens de l’un des amendements du rapporteur –, car, en l’état actuel des choses, la charte élaborée par l’AFEP et le MEDEF peut facilement être contournée.

Par ailleurs, il me semble que nos collègues du groupe Les Républicains ont la mémoire courte. En 2008, Nicolas Sarkozy, Président de la République, s’était ému de la dérive des rémunérations des grands patrons, et si l’excellent rapport rédigé par Philippe Houillon et Jean-Luc Warsmann en 2009 a proposé différentes solutions visant à améliorer la situation, aucune n’a été mise en application. Il était ainsi suggéré de limiter la déductibilité de l’assiette de l’impôt sur les sociétés à un million d’euros ; de modifier le statut des comités de rémunération ; de limiter à trois le nombre de mandats sociaux – une mesure qui, pas plus que les deux précédentes, n’a été retenue en 2009, et que le rapporteur reprend dans l’un de ses amendements. Comme vous le voyez, le texte qui nous est soumis rejoint des préoccupations exprimées depuis des années par les parlementaires, toutes sensibilités politiques confondues.

M. Renaud Gauquelin. Alors que l’écart de rémunération entre les Français moyens et les plus démunis est de l’ordre de un à sept ou huit, les sommes versées à certains grands patrons semblent ne connaître aucune limite. Même si elle ne concerne directement qu’une infime partie de la population – cette minorité de patrons percevant des rémunérations d’un montant indécent –, la question dont nous débattons aujourd’hui intéresse une majorité de Français de droite comme de gauche, qui attendent une proposition du Parlement. Afin de préserver le vivre ensemble et la moralité dans une société où les inégalités sont déjà présentes dans nombre de domaines tels que l’accès aux soins ou au logement, il devient nécessaire de s’attaquer au problème, que ce soit au moyen du projet de loi « Sapin 2 » ou de l’article 1er de cette proposition de loi, une fois « verrouillé » pour ne plus poser de problème d’ordre constitutionnel.

Ne rien faire aurait pour conséquence de créer une distorsion de concurrence entre le service public et les entreprises privées, qui se traduirait par la fuite de certains dirigeants du public vers le privé.

Je conclurai en disant que, si le fait qu’un patron gagne vingt fois le SMIC peut se justifier par sa bonne gestion, permettant à l’entreprise qu’il dirige d’afficher d’excellents résultats, et par les énormes responsabilités qu’il doit assumer, notamment vis-à-vis de ses salariés, qui peuvent être plusieurs milliers, la présente proposition aurait à mon sens tout à fait vocation à s’appliquer également à certains avocats, architectes, experts-comptables, chirurgiens esthétiques et radiologues, qui gagnent bien plus de vingt fois le SMIC dans le secteur privé – par le biais des dépassements d’honoraires en ce qui concerne le secteur médical. Il me paraîtrait choquant de légiférer sur les dirigeants du secteur privé sans que les professions libérales, ayant à assumer des responsabilités moins importantes, soient également concernées en cas d’excès.

M. Christophe Cavard. Le groupe Écologiste considère avec bienveillance cette proposition dans l’esprit de la loi relative à l’Économie sociale et solidaire qui, adoptée en 2014, retenait un écart maximal de rémunération de un à dix au sein des entreprises du secteur concerné – avec quelques exceptions, notamment pour ce qui est des médecins travaillant pour la Croix-Rouge.

Comme nous l’avons fait dans le cadre de l’examen de la loi Travail, il importe de bien distinguer l’économie réelle de l’économie virtuelle. Dans la première, 98 % des entreprises – essentiellement des très petites entreprises (TPE) et petites et moyennes entreprises (PME) – ne sont pas concernées par ce texte, car la rémunération de leurs dirigeants par rapport à celle de leurs salariés s’y inscrit dans un rapport bien plus faible que l’écart de 1 à 20 que le présent texte propose de retenir : il est même assez fréquent que, lors de la création d’une entreprise, certains dirigeants s’attribuent une rémunération moindre que celle versée aux salariés. En fait, cette proposition de loi a pour objectif principal de combattre les pratiques de l’économie virtuelle, où l’entreprise n’est utilisée que comme un moyen de se livrer à la spéculation.

Chacun s’accorde à reconnaître que certaines situations, notamment celle du PDG de Renault, ne sont plus admissibles. Le chef de l’État lui-même a affirmé hier que, si le patronat ne prenait pas les mesures qui s’imposent, il serait nécessaire de légiférer. Sans doute cette proposition de loi constituée de deux articles ne suffira-t-elle pas à régler le problème, mais elle va dans le bon sens et les propositions qu’elle contient auront vocation à être reprises dans un dispositif législatif plus important. Nous la soutenons donc pour le principe, et dans l’espoir qu’elle incite certains dirigeants à faire évoluer leurs pratiques.

M. Fernand Siré. Cette proposition de loi me semble arriver bien tard, et fait abstraction de la mondialisation de l’économie : si l’on impose en France des contraintes qui n’existent pas ailleurs, on risque de provoquer des délocalisations.

Quand vous parlez des patrons, il s’agit la plupart du temps de grands employés. Il faut rendre le pouvoir aux vrais patrons : je pense aux membres des conseils d’administration, et aux personnes qui prennent le risque d’investir leur argent dans une entreprise.

Enfin, si la situation que vous dénoncez est fréquente dans les pays socialistes ou dans les anciens pays communistes – la Chine ou la Russie, par exemple –, elle reste exceptionnelle en France. Or il me semble qu’il n’est jamais bon de légiférer en réaction à des cas particuliers, comme vous proposez de le faire.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Il est un peu choquant d’entendre dire que la majorité n’a rien fait au cours des quatre années qui viennent de s’écouler : en réalité, des avancées importantes ont été accomplies, notamment en termes de transparence de la vie publique.

Au-delà du problème d’ordre constitutionnel qu’il pose, je pense que l’article 1er de cette proposition de loi présente le risque de pouvoir être contourné. Ainsi, il sera possible de surévaluer le golden hello venant s’ajouter à la rémunération fixe perçue par les dirigeants. Récemment, le nouveau dirigeant d’un grand groupe pharmaceutique, recruté pour mener à bien la mission consistant à restructurer le groupe, c’est-à-dire procéder à des licenciements, s’est vu attribuer à son arrivée une prime de 2,1 millions d’euros et de 65 000 actions gratuites. Malheureusement, le texte qui nous est soumis aujourd’hui n’empêcherait en rien qu’une telle pratique se perpétue.

Par ailleurs, s’il ne faut pas confondre les hauts cadres dirigeants et les patrons des petites entreprises qui font le tissu économique de nos territoires – des entreprises que l’on qualifie trop facilement de « familiales », alors que ce critère n’a rien de pertinent –, je pense que notre rapporteur fait parfaitement la distinction entre ces deux situations.

M. le rapporteur. On mesure, lorsqu’on occupe cette place, à quel point le travail des rapporteurs est long et compliqué : face à la multitude de remarques et de propositions suscitées par la présentation du texte que l’on défend, on voudrait disposer de plus de temps pour pouvoir répondre dans le détail à chacun.

Vous avez eu raison de dire, madame la présidente, que je ne confondais pas les patrons de petites entreprises et les cadres dirigeants de grands groupes du CAC 40 : ce sont bien ces derniers, et eux seuls, qui sont visés par la présente proposition de loi.

Cette proposition est justifiée par un sentiment qui semble unanimement partagé : l’exaspération inspirée par une situation indécente, qui ne saurait durer davantage. De ce point de vue, je comprends mal que l’on me reproche de faire cette proposition de loi aujourd’hui : en tant que député de l’opposition, je saisis l’occasion qui m’est donnée de déposer ce texte dans le cadre d’une niche parlementaire et, si cette proposition devait être adoptée et produire ses effets dans les années à venir, j’en serais ravi. Quand on annonce que le nombre de chômeurs de catégorie A a diminué de 60 000 au mois de mars, je me réjouis à l’idée que ce sont autant de personnes qui échappent à la précarité. De même, si nous pouvons aboutir à davantage de transparence et à une réduction des inégalités sociales grâce à cette proposition, je me féliciterai d’avoir obtenu ce résultat.

Pour ce qui est du facteur 20 – en utilisant cette expression, je fais référence au livre de Gaël Giraud et Cécile Renouard, Le Facteur 12 : pourquoi il faut plafonner les revenus –, il s’agit d’une valeur d’appel : si l’on veut mettre fin à la situation actuelle en matière d’écarts de salaires, que chacun s’accorde à trouver insupportable, il faut bien formuler une proposition. J’admets que nous aurions pu retenir une autre valeur, que ce soit vingt-cinq
– comme cela a été le cas en 2012, avec le décret en conseil des ministres plafonnant la rémunération des dirigeants d’entreprises publiques à 450 000 euros – trente, ou même davantage. Ce n’est pas une question de degré, mais de nature de l’entreprise : face au comportement de certains dirigeants qui semblent agir comme s’ils n’avaient aucune conscience, il importe de se demander si l’entreprise ne doit pas être vue avant tout comme une communauté de destins au sein de laquelle le cadre dirigeant serait lié aux salariés de son entreprise.

Lors de son audition, hier, l’économiste Gaël Giraud a évoqué l’idée selon laquelle la rémunération des grands patrons constitue un bien positionnel, c’est-à-dire qu’elle n’a pas seulement une valeur absolue, mais aussi et surtout une valeur relative, celle résultant de la comparaison avec les rémunérations des autres chefs d’entreprise. De ce point de vue, ce n’est pas tant l’argent que l’on perçoit qui compte, que le fait de pouvoir obtenir autant ou plus que les autres. Ainsi un footballeur vedette – qui, en sa qualité de salarié d’un club, aurait vocation à se voir appliquer les dispositions que je propose – mettra-t-il souvent un point d’honneur à obtenir une rémunération au moins aussi importante que celle perçue par tel ou tel autre joueur, motivé en cela par des considérations d’ordre positionnel – le salaire qu’on est disposé à lui accorder constitue un témoignage de la valeur qu’on lui reconnaît en tant que joueur – plus que par le fait de toucher quelques dizaines de milliers d’euros supplémentaires, qui ne changeront pas grand-chose à son train de vie.

Une étude a été menée auprès d’étudiants de grandes écoles : quand on leur a demandé s’ils préféraient gagner 50 000 euros par mois et percevoir ainsi le salaire le plus élevé de l’entreprise, ou gagner 80 000 euros en devant accepter le fait que des salaires plus élevés soient versés à d’autres personnes dans l’entreprise, ils ont majoritairement répondu qu’ils préféraient la première offre : cela montre que c’est avant tout la position dans l’entreprise qui importe.

La question de la constitutionnalité de l’article 1er a été évoquée. Comme je l’ai indiqué dans mon rapport, l’objet de cette proposition ne consiste nullement à plafonner les rémunérations ou à porter atteinte au droit de l’entrepreneur à tirer les fruits de son entreprise. Dès lors qu’un salaire minimum a été fixé au niveau constitutionnel, conformément à l’intérêt général, pourquoi le fait de fixer un salaire maximum serait-il anticonstitutionnel, alors que cet objectif relève, à mon sens, tout autant de l’intérêt général ? En tout état de cause, peut-être est-il possible de corriger par voie d’amendement le risque d’inconstitutionnalité que certains voient dans l’article 1er : si c’est le fait de retenir un écart de un à vingt qui pose problème, je répète que là n’est pas le plus important.

La Commission en vient à l’examen des articles de la proposition de loi.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er [supprimé]
(Chapitre préliminaire [nouveau] du titre III du livre II de la troisième partie et art. L. 3230-1 à L. 3230-4 [nouveaux] du code du travail)

Limitation de un à vingt des écarts de rémunération dans l’entreprise

Le présent article propose d’encadrer les écarts de rémunération au sein d’une même entreprise par un rapport allant de un à vingt.

À cette fin, le I insère au sein du code du travail un chapitre comportant quatre articles, qui déterminent les conditions d’applicabilité de cette règle aux salariés comme aux dirigeants de l’entreprise (nouvel article L. 3230-1), ainsi que les modalités de calcul de cet encadrement (nouvel article L. 3230-2) et prévoient la nullité des conventions contrevenant à cette règle (nouvel article L. 3230-3) et l’information et la consultation du comité d’entreprise sur les écarts de rémunération dans le cadre de la consultation annuelle sur la politique sociale de l’entreprise, les conditions de travail et l’emploi (nouvel article L. 3230-4).

Le II prévoit un délai d’un an à compter de la promulgation du présent texte pour que les entreprises concernées se mettent en conformité avec la règle d’encadrement ainsi déterminée.

1. Un encadrement applicable aux salariés et aux dirigeants des entreprises exerçant leurs fonctions en France

Le nouvel article L. 3230-1 fixe les conditions d’applicabilité de la règle d’encadrement des rémunérations.

a. Les entreprises entrant dans le champ d’application de cette règle sont ainsi définies :

– dans le secteur privé, les « sociétés, groupements ou personnes morales, quel que soit leur statut juridique » : dans les faits, seront ainsi concernées :

● les sociétés à but lucratif organisées par le code de commerce (sociétés en nom collectif, sociétés en commandite simple, sociétés à responsabilité limitée, sociétés anonymes, sociétés en commandite par actions, sociétés par actions simplifiées et sociétés européennes immatriculées en France)

● mais également les personnes morales constituées dans un but non lucratif, notamment les associations et fondations et les groupements relevant de l’économie sociale et solidaire, comme les mutuelles et les coopératives.

– dans le secteur public, les établissements publics à caractère industriel et commercial, c’est-à-dire les établissements publics dont l’objet est la production et la commercialisation de biens et services et dont les ressources sont essentiellement constituées par les redevances payées par les usagers, quel que soit leur statut juridique (entreprise publique, société d’économie mixte à participation publique majoritaire, etc.).

b. Les personnes concernées par l’encadrement des rémunérations sont les « personnels » et les « dirigeants » de ces entreprises :

– les personnels sont les salariés de droit privé, les contractuels de droit privé mais également les agents publics qui exercent leurs fonctions au sein de ces entreprises : à titre d’exemple, on rappellera que certains salariés, comme les traders, peuvent, par le biais de dispositifs de primes, être mieux rémunérés que les dirigeants de la banque qui les emploie ;

– les dirigeants regroupent l’ensemble des mandataires sociaux ayant autorité pour représenter l’entreprise (gérants majoritaires de société anonyme à responsabilité limitée, présidents et directeurs généraux de sociétés anonymes, etc.) les administrateurs et les membres du conseil de surveillance, qui exercent leurs fonctions sans être obligatoirement liés avec l’entreprise par un contrat de travail. Cette notion de « dirigeants » est ainsi distincte de celle de « cadres dirigeants », qui sont des cadres salariés « auxquels sont confiées des responsabilités dont l'importance implique une grande indépendance dans l'organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement » selon l’article L. 3111-2 du code du travail.

En l’absence de précision, ces dispositions sont applicables à toutes les personnes exerçant leurs fonctions en France (33), même si l’entreprise est immatriculée dans un autre pays ou relève d’un statut juridique de droit étranger.

Cependant, en l’absence de mention expresse, ces dispositions ne sont pas applicables aux filiales de l’entreprise : ainsi les rémunérations des mandataires sociaux d’une holding ou société de portefeuille ne sont pas encadrées par le montant des salaires versés aux employés de leurs entreprises filiales.

2. La mise en œuvre de l’encadrement par l’interdiction de pratiquer des salaires inférieurs au vingtième de la rémunération la plus élevée dans l’entreprise

Le nouvel article L. 3230-2 détaille le mécanisme d’encadrement des rémunérations. Plutôt que de limiter les rémunérations les plus élevées, il interdit à l’entreprise de pratiquer des salaires annuels d’un montant inférieur au vingtième (5 %) de la rémunération annuelle la plus élevée perçue dans l’entreprise.

Cette rémunération annuelle maximale comprend « tous les éléments fixes, variables ou exceptionnels de toute nature ».

En application de l’article L. 242-1 du code de la sécurité sociale, pour le calcul des cotisations de sécurité sociale, « sont considérées comme rémunérations toutes les sommes versées aux travailleurs en contrepartie ou à l'occasion du travail, notamment les salaires ou gains, les indemnités de congés payés, le montant des retenues pour cotisations ouvrières, les indemnités, primes, gratifications et tous autres avantages en argent, les avantages en nature, ainsi que les sommes perçues directement ou par l'entremise d'un tiers à titre de pourboire. La compensation salariale d'une perte de rémunération induite par une mesure de réduction du temps de travail est également considérée comme une rémunération ». Le même article prévoit un régime spécifique pour les cotisations aux régimes de retraite complémentaire et pour les attributions d’actions ou d’options d’actions.

Cependant, l’application du présent article repose sur une base plus large, pouvant être rapprochée du paragraphe 24.3. du code de gouvernement d’entreprise des sociétés cotées Afep-Medef de novembre 2015 qui prévoit que la présentation des éléments de la rémunération due ou attribuée aux dirigeants mandataires social comprend :

– la part fixe ;

– la part variable annuelle et, le cas échéant, la partie variable pluriannuelle avec les objectifs contribuant à la détermination de cette part variable ;

– les rémunérations exceptionnelles ;

– les options d’actions, les actions de performance et tout autre élément de rémunération de long terme ;

– les indemnités liées à la prise ou à la cessation des fonctions ;

– le régime de retraite supplémentaire ;

– les avantages de toute nature.

Alors que cette rémunération maximale comprend toutes les composantes de rémunération, le présent article définit le minimum comme le « salaire minimal appliqué dans l’entreprise » : l’article L. 3221-3 du code du travail distingue ainsi « le salaire ou traitement ordinaire de base ou minimum » et la rémunération qui comprend en outre « tous les autres avantages et accessoires payés, directement ou indirectement, en espèces ou en nature, par l’employeur au salarié en raison de l’emploi de ce dernier ».

Le salaire minimal pratiqué dans l’entreprise doit ainsi être interprété comme le moins élevé des salaires, hors éléments variables, versé annuellement aux salariés accomplissant un travail à temps plein, que ce soit dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée ou d’un contrat à durée déterminée. Cette garantie n’est donc pas applicable aux mandataires sociaux qui ne sont pas salariés de l’entreprise.

Ainsi à titre d’exemple, dans les entreprises où le salaire minimal correspondrait au salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) annuel, soit 1 466,62 euros bruts par mois et 17 599 euros bruts par an, la rémunération maximale annuelle ne pourrait dépasser 351 989 euros bruts.

3. La conséquence d’un non-respect de l’écart maximal de rémunération : la nullité des décisions d’attribution de la rémunération excédant vingt fois le salaire minimal pratiqué dans l’entreprise

Le nouvel article L. 3230-3 prévoit les conséquences du dépassement par la rémunération la plus élevée du plafond de vingt fois le salaire minimal annuel, que ce soit lors de sa fixation ou lors de la détermination du montant des éléments variables.

Dans ce cas, la décision ou le contrat fixant cette rémunération à un niveau illégal serait nulle de plein droit.

Cependant, à l’occasion de la détermination de cette rémunération la plus élevée, il resterait loisible à l’entreprise d’augmenter à due concurrence le salaire minimal annuel pratiqué dans l’entreprise, afin de rétablir l’écart maximal de un à vingt. Dans l’esprit du rapporteur, ce salaire minimal annuel ne comprenant pas les « autres avantages et accessoires payés », il serait nécessaire de revoir la grille des salaires et non de verser aux salariés les moins bien rémunérés une prime exceptionnelle.

4. L’information annuelle du comité d’entreprise sur les écarts de rémunération au sein de l’entreprise

Le nouvel article L. 3230-4 renvoie à un décret en Conseil d’État la définition des modalités d’information et de consultation du personnel sur les écarts de rémunération pratiquée dans l’entreprise, organisée dans le cadre de la consultation annuelle du comité d’entreprise sur la politique sociale de l’entreprise, les conditions de travail et l’emploi.

En ce qui concerne les dirigeants mandataires sociaux, on rappellera qu’en application de l’article L. 225-42-1 du code de commerce, dans les sociétés dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé, les engagements pris au bénéfice de leurs présidents, directeurs généraux ou directeurs généraux délégués, par la société elle-même ou par toute société contrôlée ou qui la contrôle et correspondant à des éléments de rémunération, des indemnités ou des avantages dus ou susceptibles d’être dus à raison de la cessation ou du changement de ces fonctions, ou postérieurement à celles-ci, ou des engagements de retraite à prestations, doit faire l’objet d’une décision du conseil d’administration rendue publique et approuvée par l’assemblée générale. Par ailleurs, le paragraphe 24.3. du code de gouvernement d’entreprise des sociétés cotées AFEP-MEDEF de novembre 2015 prévoit que « le conseil doit présenter à l’assemblée générale ordinaire la rémunération des dirigeants mandataires sociaux » et doit soumettre cette présentation à un vote consultatif.

En ce qui concerne les salariés, la consultation annuelle sur la politique sociale de l’entreprise, les conditions de travail et l’emploi prévue par l’article L. 2323-15 du code du travail permet au comité d’entreprise d’être informé de la politique de rémunération de l’entreprise. Dans les entreprises de plus de trois cents salariés, cette consultation porte également sur le bilan social de l’entreprise qui doit comporter « des informations sur l’emploi, les rémunérations et charges accessoires » (article L. 2323-22), dont le « montant global des dix rémunérations les plus élevées » (article R. 2323-17).

5. Un délai d’un an laissé aux entreprises pour s’assurer du respect de cet encadrement

Enfin, le II du présent article laisse aux entreprises au sein desquelles les écarts de rémunération seraient actuellement supérieurs aux règles fixées un délai de douze mois pour prendre les mesures nécessaires à la réduction de cet écart, en modifiant la rémunération annuelle maximale ou le salaire minimal appliqué dans l’entreprise pour les rendre conforme aux dispositions du I.

*

La Commission est saisie de l’amendement AS1 du rapporteur.

M. le rapporteur. Je rappelle que l’article 1er a pour objet de limiter de un à vingt les écarts de rémunération dans l’entreprise. L’amendement AS1 vise à améliorer la rédaction de l’alinéa 3 de cet article.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement AS2 du rapporteur.

M. le rapporteur. Cet amendement vise à préciser que le salaire minimal de référence pour l’encadrement des rémunérations les plus hautes correspond au salaire annuel pratiqué pour un emploi à temps plein en France, que ce soit pour un contrat à durée indéterminée ou un contrat à durée déterminée.

La Commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement AS3 du rapporteur.

M. le rapporteur. Cet amendement étend le dispositif d’encadrement des rémunérations des dirigeants aux sociétés holding. En effet, certaines entreprises cotées en bourse, comme Renault SA, n’emploient aucun salarié directement : ceux-ci sont employés par leurs filiales – Renault SAS, Nissan Motor ou Dacia, par exemple. Aussi la rémunération des dirigeants de la société holding n’est-elle pas limitée par le dispositif d’encadrement défini par cette proposition de loi. Le présent amendement prévoit donc que le salaire minimal de référence est celui pratiqué dans l’entreprise ou dans une entreprise qu’elle contrôle au sens du code du commerce. Il répond à la crainte, exprimée tout à l’heure par M. Sirugue, d’assister à une externalisation massive des emplois les moins rémunérés – un phénomène que l’on observe déjà, notamment en matière d’emplois industriels.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement AS4 du rapporteur.

M. le rapporteur. L’amendement AS4 a pour objet de préciser la définition de la rémunération la plus élevée, qui doit également prendre en compte les éléments de rémunération différée attribués au titre de l’exercice comptable, tels que les retraites complémentaires. Cela permet d’inclure les golden hello dans cette définition.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle est saisie de l’amendement AS5 du rapporteur.

M. le rapporteur. L’attribution d’éléments variables de rémunération
– part variable en fonction des performances, rémunération exceptionnelle, attribution d’actions ou d’options d’actions, indemnité liée à la prise ou à la cessation de fonctions – peut porter le total de la rémunération la plus élevée à un niveau dépassant celui de l’encadrement proposé par le présent texte – le facteur 20 – sans que ce dépassement puisse être attribué à une décision ou à un contrat dont les clauses ont été déterminées avant le début de l’exercice comptable.

Cet amendement de précision organise une vérification du respect de l’encadrement a posteriori, après application des formules de détermination des éléments variables. Si ces formules ne prévoient pas de limites respectant le plafonnement légal, l’ensemble des décisions et contrats attribuant des éléments de rémunération seront annulés et devront être renégociés pour respecter le plafond – à moins que le salaire minimal annuel ne soit augmenté à due concurrence. Je rappelle que, pour rester dans le rapport de un à vingt, le choix est laissé de limiter le salaire le plus haut ou d’augmenter le salaire le plus bas.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement AS6 du rapporteur.

M. le rapporteur. Cet amendement d’amélioration légistique intègre le sujet des écarts de rémunération au sein de la liste des informations à fournir par l’employeur dans le cadre de la consultation annuelle du comité d’entreprise sur la politique sociale de l’entreprise, les conditions de travail et l’emploi. Il va dans le sens d’une plus grande transparence vis-à-vis des membres des comités d’entreprise et des comités de rémunération.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle rejette l’article 1er.

*

* *

Article 2
(art. L. 225-21 du code de commerce)

Limitation du cumul des mandats d’administrateur de sociétés anonymes

Le présent article propose de limiter à deux le nombre de conseils d’administration au sein desquels une même personne peut siéger, au lieu de cinq dans le droit actuellement en vigueur.

Comme le développe l’exposé des motifs de la proposition de loi, « La "consanguinité" des conseils d’administration et des conseils de surveillance est l’une des facettes fondamentales de l’explosion de la rémunération des dirigeants des sociétés cotées. Nombreuses sont les sociétés du CAC 40 partageant des administrateurs avec d’autres sociétés. ». Cette pratique française de mandats d’administrateur croisés favorise les échanges de bons procédés, chacun votant la rémunération proposée par ses collègues par le conseil dont ils assurent la présidence.

Cette proposition s’inscrit dans un mouvement interrompu de limitation du cumul des mandats d’administrateur par une même personne.

1. L’évolution des règles de cumul des mandats d’administrateur

Les articles 92, 111, 127, 136 et 151 de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales, codifiés au sein du code du commerce par l’ordonnance n° 2000-912 du 18 septembre 2000, fixaient le nombre maximal de mandats susceptibles d’être détenus par une même personne physique de la façon suivante :

– huit mandats pour les mandats d’administrateur ou de membre du conseil de surveillance, c’est-à-dire les mandats de gestion, détenus dans des sociétés anonymes ayant leur siège social en France métropolitaine ;

– deux pour les mandats de président du conseil d’administration, de membre du directoire ou de directeur général unique, c’est-à-dire les mandats de direction exercés dans les sociétés susvisées.

Une série de dérogations était par ailleurs prévue pour :

– les représentants permanents des personnes morales,

– les mandats exclusifs de toute rémunération lorsque cette interdiction résulte de la loi ou du règlement,

– les mandats détenus dans des sociétés d’études et de recherche non encore parvenues au stade de l’exploitation,

– les mandats détenus dans des sociétés de développement régional,

– les mandats détenus dans des instituts régionaux de participation et non rémunérés,

– ainsi que les mandats exercés dans diverses sociétés d’assurance ayant la même dénomination sociale.

Afin de faciliter le contrôle des filiales, étaient également neutralisés pour le décompte du nombre maximal de mandats, dans la limite toutefois de cinq mandats supplémentaires, ceux exercés dans d’autres sociétés détenues à concurrence de 20 % au moins par la société où la personne concernée exerce déjà un mandat. Les plafonds ainsi définis et les dérogations prévues étaient applicables à chaque catégorie de mandat, de manière disjointe.

La loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques, qui a par ailleurs posé le principe de la dissociation des fonctions de président du conseil d’administration et de directeur général, a abaissé ces plafonds et remanié le régime des dérogations. Elle a limité le nombre de mandats susceptibles d’être exercés simultanément dans les sociétés anonymes ayant leur siège sur le territoire français – et non plus seulement en France métropolitaine – par catégorie de mandat mais également tous types de mandats confondus. Ainsi, le plafond a été abaissé à cinq pour les mandats de gestion (administrateur, membre du conseil de surveillance) et tout cumul interdit concernant les mandats de direction (directeur général, directeur général unique, membre du directoire). En outre, le nombre de mandats qu’une même personne physique peut exercer simultanément, quelle que soit la nature desdits mandats, a été limité à cinq.

L’article 110 de la loi du 15 mai 2001 précitée a par ailleurs opéré une refonte du régime des exceptions. À l’énumération en vigueur précédemment, elle a substitué la règle selon laquelle les mandats de gestion détenus dans les sociétés contrôlées au sens de l’article L. 233-16 (référence au périmètre de consolidation comptable) ne sont pas pris en compte dès lors que ces sociétés ne sont pas cotées. Elle a par ailleurs exclu du bénéfice de cette dérogation de groupe le mandat de président du conseil d’administration, en dépit du fait qu’avec la dissociation des fonctions de président du conseil d’administration et de directeur général le président n’assume plus de mission exécutive opérationnelle. Enfin, la loi a admis qu’un second mandat de direction générale puisse être détenu sous réserve qu’il le soit dans une société contrôlée non cotée.

Avant l’expiration du délai de trois ans prévu par l’article 129 de la loi du 15 mai 2001 pour que les conseils d’administration et conseils de surveillance se mettent en accord avec ses dispositions, une proposition de loi, devenue la loi n° 2002-1303 du 29 octobre 2002 modifiant certaines dispositions du code de commerce relatives aux mandats sociaux, est venue atténuer la portée de ce dispositif.

Elle a ainsi précisé que pour l’application de la limite globale fixée à cinq mandats, les mandats d’administrateur et de directeur général devraient être décomptés pour un seul mandat et elle a permis des dérogations croisées, le second mandat détenu dans une société contrôlée par une personne physique exerçant un mandat de directeur général dans la société mère pourra ainsi être un mandat de directeur général unique ou de membre du directoire, et inversement.

Ce texte a ainsi doublement assoupli le champ de la dérogation :

– en neutralisant la prise en compte des mandats d’administrateur détenus dans les sociétés contrôlées, que ces sociétés soient ou non cotées ;

– en appliquant la dérogation de groupe non seulement au mandat d’administrateur, mais également au mandat de président du conseil d’administration.

La loi n° 2011-103 du 27 janvier 2011 relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance et à l’égalité professionnelle a notamment prévu que les conseils d’administration des entreprises cotées sur un marché réglementé, employant plus de cinq cents salariés permanents et présentant un montant net de chiffre d'affaires ou un total de bilan d'au moins 50 millions d'euros est composé « en recherchant une représentation équilibrée des femmes et des hommes », et doit comporter au moins 20 % en 2014 et 40 % en 2017 d’administrateurs de chaque sexe. Cette obligation d’ouverture va favoriser l’entrée de l’ordre de 900 nouveaux administrateurs de sexe féminin au sein des conseils d’administration (34).

2. L’applicabilité de ces règles au sein des sociétés anonymes dotées de conseil de surveillance

En application de l’article L. 225-94 du code de commerce, «  la limitation du nombre de sièges d’administrateur ou de membre du conseil de surveillance qui peuvent être occupés simultanément par une même personne physique, en vertu des articles L. 225-21 et L. 225-77, est applicable au cumul de sièges d’administrateur et de membre du conseil de surveillance. »

En effet, l’article L. 225-77 du code de commerce prévoit actuellement pour les sociétés anonymes à directoire et conseil de surveillance la même limitation à cinq mandats de membre de conseil de surveillance, ainsi que le même régime d’exceptions, que ceux prévus pour les sociétés anonymes dirigées par un conseil d’administration. En l’absence de modification de cet article, une même personne physique pourrait disposer de cinq mandats sociaux au sein de conseils de surveillance, mais ne pourrait cumuler un mandat d’administrateur qu’avec un seul mandat de membre d’un conseil de surveillance.

L’article L. 225-94-1 applique au cumul entre mandat d’administrateur et mandat de membre de conseil de surveillance les mêmes règles et exceptions ; cependant, l’article 221 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques a prévu que le nombre de mandats sociaux – de directeur général, de membre du directoire, de directeur général unique, d’administrateur ou de membre du conseil de surveillance – « est réduit à trois pour les mandats sociaux exercés au sein de sociétés dont les titres sont admis à la négociation sur un marché réglementé par les personnes exerçant un mandat de directeur général, de membre du directoire ou de directeur général unique dans une société dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé et qui emploie au moins cinq mille salariés permanents dans la société et ses filiales, directes ou indirectes, dont le siège social est fixé sur le territoire français, ou au moins dix mille salariés permanents dans la société et ses filiales, directes ou indirectes, dont le siège social est fixé sur le territoire français et à l’étranger. »

3. L’application de ces règles au cumul de mandats au sein de sociétés étrangères par le code Afep-Medef

Le paragraphe 19 du code de gouvernement d’entreprise des sociétés cotées Afep-Medef de novembre 2015 applique les règles prévues pour les sociétés anonymes françaises par le code de commerce au cumul de mandats de dirigeants de sociétés étrangères, en prévoyant que :

– « un dirigeant mandataire social ne doit pas exercer plus de deux autres mandats d'administrateur dans des sociétés cotées extérieures à son groupe, y compris étrangères » ;

– « un administrateur ne doit pas exercer plus de quatre autres mandats dans des sociétés cotées extérieures au groupe, y compris étrangères ».

Par ailleurs, l’administrateur doit tenir informé le conseil d’administration des mandats exercés dans d’autres sociétés, y compris sa participation aux comités du conseil de ces sociétés françaises ou étrangères.

4. La limitation à deux mandats d’administrateur proposée par le présent article

Dans sa version initiale, le présent article abaissait de cinq à deux le nombre de mandat d’administrateur pouvant être exercés par une même personne physique au sein des sociétés anonymes ayant leur siège sur le territoire français.

Afin de rétablir la cohérence du dispositif, la commission des Affaires sociales a adopté un amendement présenté par le rapporteur, appliquant le même principe au cumul des mandats au sein des conseils de surveillance et limitant ainsi à deux au lieu de cinq le nombre de mandats pouvant être exercés au sein des conseils de surveillance.

En application du texte adopté par la Commission, toute personne physique ne pourra exercer plus de deux mandats de membre d’un conseil d’administration ou d’un conseil de surveillance d’une entreprise française.

Il ne remet pas en cause le reste du dispositif existant, et notamment le régime d’exceptions pour les mandats exercés au sein des sociétés contrôlées par la société-mère.

De la même manière, les mandats d’administrateur des sociétés dont les titres ne sont pas admis aux négociations sur un marché réglementé et contrôlées continueraient à ne compter que pour un seul mandat, sous réserve que le nombre de mandats détenus à ce titre n’excède pas cinq.

5. Un délai d’un an pour se conformer aux nouvelles règles

En l’absence de délais spécifiques prévus par la version initiale du présent article, les personnes concernées disposeraient, en application du dernier alinéa de l’article L. 225-21 du code de commerce, de trois mois à compter de la publication du présent texte pour se démettre des mandats excédentaires, sans qu’il puisse être déterminé lesquels seraient concernés.

Aussi un amendement du rapporteur adopté par la commission des Affaires sociales prévoit-il un délai d’un an, à compter de la promulgation du présent texte, pour que les personnes concernées par le cumul des mandats d'administrateur ou de membre de conseil de surveillance se mettent en conformité avec le texte.

À l'expiration de ce délai, si certaines personnes n’ont pas fait le nécessaire, elles seront réputées s’être démises de la totalité des mandats d’administrateur ou de membre du conseil de surveillance qu’elles exercent ; elles devront alors restituer les rémunérations perçues à compter de cette date, sans que soit remise en cause la validité des délibérations auxquelles elles ont pris part.

*

La Commission est saisie de l’amendement AS7 du rapporteur.

M. le rapporteur. Le présent article propose de limiter à deux le nombre de conseils d’administration au sein desquels une même personne peut siéger, au lieu de cinq dans le droit actuellement en vigueur.

Comme le développe l’exposé des motifs de la proposition de loi, la pratique française des mandats d’administrateur croisés favorise les échanges de bons procédés, chacun votant la rémunération proposée par le conseil dont il assure la présidence.

Le présent amendement applique le même principe aux sociétés anonymes régies par un directoire et un conseil de surveillance, en ramenant de cinq à deux le nombre de mandats pouvant être exercés au sein des conseils de surveillance.

La Commission adopte l’amendement.

Elle examine l’amendement AS8 du rapporteur.

M. le rapporteur. Le présent amendement prévoit un délai de un an à compter de la promulgation du présent texte pour que les personnes concernées par le cumul des mandats d’administrateur ou de membre de conseil de surveillance se mettent en conformité avec le texte. À l’expiration de ce délai, elles seront réputées s’être démises et devront restituer les rémunérations perçues, sans que soit remise en cause la validité des délibérations auxquelles elles ont pris part.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article 2 modifié.

*

* *

Article 3 [nouveau]
(art. L. 225-45, L. 225-47, L. 225-53, L. 225-63, L. 225-83 et L. 227-6 du code de commerce)

Approbation par l’assemblée générale des rémunérations et indemnisations des mandataires sociaux de sociétés anonymes

Inséré par la commission des Affaires sociales à l’initiative du rapporteur, le présent article prévoit de rendre décisionnel le vote de l’assemblée générale sur les rémunérations des mandataires sociaux.

1. Une rémunération des mandataires sociaux actuellement librement fixée par le conseil d’administration

On rappellera que le code de commerce prévoit actuellement que si l’assemblée générale d’une société anonyme vote le montant global des jetons de présence que le conseil d’administration répartit entre ses membres (article L. 225-45), la rémunération des mandataires sociaux (président, directeur général et directeurs généraux délégués) est déterminée librement par le conseil d’administration (article L. 225-47).

2. L’instauration en 2013 d’un « say on pay » consultatif

Suivant les exemples anglo-saxons, le code de gouvernement d’entreprise des sociétés cotées élaboré par l’Afep et le Medef a intégré en 2013 le principe du « say on pay » et prévoit désormais à son paragraphe 23.4. que :

« Le conseil doit présenter à l’assemblée générale ordinaire annuelle la rémunération des dirigeants mandataires sociaux. Cette présentation porte sur les éléments de la rémunération due ou attribuée au titre de l’exercice clos à chaque dirigeant mandataire social :

« - la part fixe ;

« - la part variable annuelle et, le cas échéant, la partie variable pluriannuelle avec les objectifs contribuant à la détermination de cette part variable ;

« - les rémunérations exceptionnelles ;

« - les options d’actions, les actions de performance et tout autre élément de rémunération de long terme ;

« - les indemnités liées à la prise ou à la cessation des fonctions ;

« - le régime de retraite supplémentaire ;

« - les avantages de toute nature.

« Cette présentation est suivie d’un vote consultatif des actionnaires. Il est recommandé de présenter au vote des actionnaires une résolution pour le directeur général ou le président du directoire et une résolution pour le ou les directeurs généraux délégués ou les autres membres du directoire.

« Lorsque l’assemblée générale ordinaire émet un avis négatif, le conseil, sur avis du comité des rémunérations, délibère sur ce sujet lors d’une prochaine séance et publie immédiatement sur le site internet de la société un communiqué mentionnant les suites qu’il entend donner aux attentes exprimées par les actionnaires lors de l’assemblée générale. »

Ce dispositif a été mis en œuvre par la plupart des sociétés anonymes cotées en France pour la détermination des rémunérations dues au titre de 2014 et au titre de 2015, qui ont fait l’objet de vote consultatif a posteriori lors des assemblées générales suivants la fin de ces exercices comptables.

Mais à l’occasion du premier vote négatif sur une rémunération proposée par un conseil d’administration, ce système « consultatif » a montré ses limites : le 29 avril 2016, quelques heures après le vote de l’assemblée générale de Renault SA ayant rejeté à 54,12 % les éléments de rémunérations dus ou attribués à M. Carlos Ghosn, président-directeur général, « le comité des rémunérations et le conseil d’administration de Renault se sont réunis, hors la présence du président-directeur général, afin de prendre connaissance du détail du vote exprimé et de délibérer définitivement sur cette question, conformément au code Afep/Medef. Sur proposition de son comité des rémunérations, le conseil d’administration de Renault a approuvé le maintien de la rémunération décidée pour le président-directeur général pour l’année 2015 » et chargé son comité des rémunérations « d’examiner et de proposer au conseil d’administration des évolutions utiles de la structure de rémunération pour l’année 2016 et les suivantes ».

Devant cette attitude pourtant conforme à la lettre du code Afep-Medef, le président du Medef s’est déclaré « un peu choqué » et le Haut comité de gouvernement d’entreprise, chargé du suivi de l’application de ce code, s’est saisi de cette situation. Le 3 mai dernier, devant l’Assemblée nationale, le ministre de l’Économie a menacé de légiférer si le conseil d’administration de Renault, qui a maintenu la rémunération du PDG du groupe, malgré l’opposition de la majorité des actionnaires, dont l’État, ne « tirait pas les conséquences » de cette décision. Interrogé sur Europe 1 le 17 mai 2016, le président de la République a déclaré que « la première décision qui sera prise, s’il n’y a pas une intervention vigoureuse de ce conseil du patronat, c’est que toutes les décisions d’assemblée générale seront immédiatement exécutoires. C'est-à-dire que le conseil d’administration ne pourra pas défaire ce que l’assemblée générale d’actionnaires aura fait ».

À ce jour, aucune réaction n’a eu lieu : aussi le présent article additionnel tire-t-il les conséquences de cette épisode, en mettant fin à l’hypocrisie d’un vote consultatif et en donnant à l’assemblée générale des actionnaires un vote d’approbation de l’ensemble des éléments de rémunération ou d’indemnisation des mandataires sociaux, ainsi que sur les indemnités des membres du conseil d'administration.

3. L’inscription dans la loi du principe de l’approbation par l’assemblée générale des modalités de rémunération des mandataires sociaux définies par le conseil d’administration

Dans le détail, le conseil d’administration restera chargé de définir « les éléments, dus ou susceptibles d’être dus, constituant la rémunération ou l’indemnisation » du président du conseil d’administration (2° du présent article), du directeur général et des directeur généraux délégués () et devra les soumettre à l’approbation de l’assemblée générale. Par ailleurs, l’assemblée générale devra également approuver la répartition entre administrateurs des jetons de présence rémunérant leur activité (1° du présent article).

Au sein des sociétés anonymes dotées d’un directoire et d’un conseil de surveillance, la même procédure sera applicable à la détermination de la rémunération de leurs membres (4° et 5° du présent article).

Enfin, le prévoit qu’au sein des sociétés par actions simplifiées, la rémunération des mandataires sociaux devra également être approuvée par les associés.

*

La Commission est saisie de l’amendement AS9 du rapporteur.

M. le rapporteur. Le récent exemple de Renault ayant montré les limites du vote consultatif des actionnaires, le présent amendement propose de rendre décisionnel le vote de l’assemblée générale sur les rémunérations des mandataires sociaux, et fixe les éléments de la rémunération de chaque dirigeant devant faire l’objet d’une présentation à l’assemblée générale ordinaire par le conseil.

La Commission adopte l’amendement.

*

* *

Enfin, la Commission adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

*

* *

Mme la présidente Catherine Lemorton. Vous avez, monsieur le rapporteur, comparé la limitation des hauts revenus à l’instauration du SMIC, mais je rappelle que la création du salaire minimum répondait à l’exigence figurant dans le préambule de la Constitution de 1946 auquel la Constitution de 1958 se réfère, selon lequel « la Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement ».

Les dispositions que vous aviez prévues à l’article 1er méritent que l’on y revienne ultérieurement. Sans doute faudra-t-il, comme le prévoit l’article L. 1 du code du travail pour les projets du Gouvernement portant sur les relations individuelles et collectives du travail, associer les partenaires sociaux à la suite de la discussion de ce texte qui concerne les dirigeants, mais aussi les salariés, représentés ou non.

Je vous remercie, monsieur le rapporteur, d’avoir déposé cette proposition de loi qui constitue une réelle avancée.

ANNEXE :
PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR

(par ordre chronologique)

Ø Table ronde d’organisations représentant les entreprises :

– Mouvement des entreprises de France (MEDEF) (*) – M. Michel Guilbaud, directeur général, et Mme Ophélie Dujarric, directrice des affaires publiques

Haut Comité de gouvernement d’entreprise (HCGE) chargé du suivi de l’application du code AFEP-MEDEF – M. Pascal Durand-Barthez, secrétaire général

Ø Table ronde d’organisations syndicales représentatives des salariés :

Confédération française démocratique du travail (CFDT) (*) – Mme Inès Minin, secrétaire nationale, et M. Nicolas Fourmont, secrétaire confédéral

– Confédération française de l'encadrement – Confédération générale des cadres (CFE-CGC– M. Alain Giffard, secrétaire national à l’économie et à l’industrie, et Mme Francine Didier, chargée d’études économiques au service économie

– Force ouvrière (FO) – Mme Marie-Alice Medeuf-Andrieu, secrétaire confédérale, et Mme Valérie Pontif, assistante confédérale

Ø Table ronde d’économistes et de spécialistes de la gouvernance d'entreprise :

M. Frédéric Fréry, professeur à ESCP Europe

M. Gaël Giraud, économiste en chef de l’Agence française de développement (AFD), professeur à l’École nationale des ponts et chaussées, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), directeur de la chaire Énergie et Prospérité

Mme Cécile Renouard, professeure à l’École supérieure des sciences économiques et commerciales (ESSEC)

Mme Claudia Senik, professeure à l’Université Paris-Sorbonne

M. Loïc Dessaint, directeur général de Proxinvest

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de l’Assemblée nationale, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.

© Assemblée nationale

1 () Lawrence Mishel et Alyssa Davis, « Top CEOs Make 300 Times More than Typical Workers: Pay Growth Surpasses Stock Gains and Wage Growth of Top 0.1 Percent », Economic Policy Institute, 21 juin 2015.

2 () INSEE, «  Tableaux de l’économie française - Édition 2016 », mars 2016.

3 () Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES), DARES Indicateurs, novembre 2014.

4 () INSEE, «  Tableaux de l’économie française - Édition 2016 », mars 2016.

5 () INSEE, « Revenu disponible brut des ménages et évolution du pouvoir d’achat en 2014 ».

6 () qui ne comprend pas le secteur agricole, le secteur associatif et le secteur public.

7 () DARES, DARES Analyses n° 77, octobre 2015.

8 () Cour des comptes, référé relatif au pilotage et au suivi des allègements généraux de cotisations sociales patronales sur les bas salaires, en tant qu'instruments de la politique de l'emploi, 5 février 2015.

9 () Lawrence Mishel et Alyssa Davis, « Top CEOs Make 300 Times More than Typical Workers: Pay Growth Surpasses Stock Gains and Wage Growth of Top 0.1 Percent », Economic Policy Institute, 21 juin 2015.

10 () L’article 135 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques a revu les modalités d’acquisition et la taxation des actions gratuites dont l’attribution gratuite est autorisée par une décision de l’assemblée générale. Les durées d’acquisition et de conservation des actions gratuites sont désormais réduites de moitié, passant de 4 ans à 2 ans minimum, soit un an pour chaque période. L’écart entre le nombre d’actions attribuées à chaque salarié ne peut être supérieur à un rapport de un à cinq. Désormais, cette règle ne concerne que les plans portant sur plus de 15 % du capital social pour les sociétés non cotées ou sur plus de 10 % pour les autres entreprises. Les bénéficiaires d’actions gratuites peuvent réaliser deux types de gain : un « gain d’acquisition », égal à la valeur des actions au jour de leur attribution définitive, c’est-à-dire à la fin de la période d’acquisition, et une plus ou moins-value de cession, égale à la différence entre le prix de vente des actions et leur valeur au moment de leur attribution définitive. Les dispositions de la loi conduisent à imposer le gain d’acquisition et de cession, selon les modalités applicables aux plus-values de cession de valeurs mobilières et non plus comme des traitements et salaires. Par conséquent, le gain d’acquisition réalisé par le salarié est toujours soumis, lors de la cession des actions gratuites, au barème progressif de l’impôt sur le revenu, mais il sera réduit d’un abattement pour durée de détention égal, dans le cas général, à 50 % en cas de conservation des actions gratuites pendant au moins 2 ans et à 65 % si les actions sont gardées au-delà de 8 ans. Sur le plan social, le gain d’acquisition est désormais soumis aux prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine, au taux global de 15,5 %, lors de la cession des actions. En outre, la contribution salariale spécifique de 10 % applicable aux gains d’acquisition est supprimée.

11 () Philippe Villemus, Le Patron, le footballeur et le smicard, Editions-dialogues.fr, 2011.

12 () « Sanofi annonce la suppression de plus de 600 postes en trois ans », Le Monde, 2 février 2016.

13 () Armelle Bohineust « Sanofi supprimera 600 emplois en France sans licenciements », Le Figaro, 2 février 2016.

14 () Xavier Gabaix et Augustin Landier, « Why Has CEO Pay Increased So Much? », Quarterly Journal of Economics, vol. 123,‎ 2008, p. 49-100.

15 () « Évolution de la rémunération du dirigeant et du cours de Bourse : parfois le grand écart », Les Échos, 16 janvier 2010.

16 () Gaël Giraud et Cécile Renouard, Le Facteur 12 Pourquoi il faut plafonner les revenus, Carnets Nord, 2012.

17 () Jean Gadrey, « Quand les écarts de revenus furent enfin plafonnés », La Vie des idées, 28 octobre 2011.

18 () Emmanuel Faber, Chemins de traverse ; vivre l’économie autrement, Albin Michel 2011

19 () Hugh Mackenzie, Hans Messinger, Rick Smith, Size Matters. Canada’s Ecological Footprint, by Income, Etude du Canadian Center for Policy Alternatives, juin 2008.

20 () Thomas Piketty, « Attitudes vis-à-vis des inégalités de revenu en France : existerait-il un consensus ? » Comprendre, PUF, octobre 2003.

21 () Jean Gadrey, « Les riches ne connaissent pas la crise », Revue Projet 2/2011 (n° 321) , p. 28-35.

22 () Audition par le rapporteur le 17 mai 2016.

23 () Sous la direction de Sophie Moreil et Franck Ludwiczak, La rémunération des dirigeants, actes du colloque du 25 février 2010, L'Harmattan, 2013.

24 () Edmund L. Andrews and Vikas Bajajfeb, « U.S. Plans $500,000 Cap on Executive Pay in Bailouts », New York Times, 3 février 2009.

25 () Communiqué de presse de la Maison Blanche, « Treasury Announces New Restrictions On Executive Compensation », 4 février 2009.

26 () Eric Albert et Stéphane Lauer, « Les actionnaires enragent, les patrons anglo-saxons engrangent », le Monde, 17 mai 2016.

27 () Sous la direction de Sophie Moreil et Franck Ludwiczak, La rémunération des dirigeants, actes du colloque du 25 février 2010, L'Harmattan, 2013.

28 () Rapport final du Groupe de haut niveau d’experts en Droit des Sociétés sur un cadre réglementaire moderne pour le droit européen des sociétés, 4 novembre 2002.

29 () Décision n° 81-132 DC du 16 janvier 1982, Loi de nationalisation.

30 () Décision n° 89-254 DC du 4 juillet 1989, Loi modifiant la loi n° 86-912 du 6 août 1986 relative aux modalités d’application des privatisations.

31 () Décision n° 2000-439 DC du 16 janvier 2001, Loi relative à l’archéologie préventive.

32 () Sam Pizzigati, « Renaissance d’une exigence : plafonner les revenus », Le Monde diplomatique, février 2012.

33 () À l’exception des collectivités d’outre-mer de Polynésie française, de Wallis-et-Futuna et de la Nouvelle-Calédonie, disposant de la compétence en matière de droit du travail et au sein desquelles le code du travail ne s’applique pas, sauf dispositions spécifiques en ce sens.

34 () Yann Le Galès, « 900 femmes doivent entrer dans les conseils d’administration », Le Figaro Économie, jeudi 14 février 2013.