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N
° 3883

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 28 juin 2016.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord concernant les centres d’excellence mis en œuvre dans le cadre de la stratégie de rationalisation du secteur des systèmes de missiles,

PAR Guy-Michel  CHAUVEAU

Député

——

ET

ANNEXE : TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Voir le numéro :

Assemblée nationale : 3695, 3863

SOMMAIRE

___

Pages

INTRODUCTION 5

I. LE CONTEXTE : UN ACCORD DESTINÉ À FAVORISER LE DÉVELOPPEMENT DE LA COOPÉRATION FRANCO-BRITANNIQUE DANS LE DOMAINE DES MISSILES 7

A. LE CADRE GÉNÉRAL : LE DYNAMISME DE LA COOPÉRATION FRANCO-BRITANNIQUE EN MATIÈRE DE DÉFENSE 7

B. MBDA, UNE ENTREPRISE EUROPÉENNE INTÉGRÉE 9

1. La constitution d’un « champion européen » 9

2. Un groupe centré sur l’activité « missiles » 9

3. Des implantations situées principalement en France et au Royaume-Uni 10

4. Une très bonne année 2015 à l’export 10

II. LES DISPOSITIONS DE L’ACCORD 11

A. L’OBJET DE L’ACCORD : LA CRÉATION DE « CENTRES D’EXCELLENCE » FRANCO-BRITANNIQUES 11

B. LES ENGAGEMENTS DES ÉTATS 12

1. La reconnaissance de l’interdépendance industrielle et du renoncement à certaines capacités nationales 13

2. Les garanties quant à la circulation des informations et productions des centres d’excellence 13

a. Les questions de propriété intellectuelle : un accès libre et égalitaire des parties aux fruits des travaux des centres d’excellence 13

b. Un aménagement nécessaire des règles habituelles de sécurité 14

3. Les garanties de « loyauté » commerciale 15

C. LES MODALITÉS DE GOUVERNANCE ET DE SUIVI 16

D. LES DISPOSITIONS FINALES 17

CONCLUSION 19

EXAMEN EN COMMISSION 21

ANNEXE : TEXTE ADOPTÉ PAR LA COMMISSION 23

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le projet de loi qui nous est soumis a pour objet d’autoriser la ratification d’un accord franco-britannique signé le 24 septembre 2015 par le ministre de la défense Jean-Yves Le Drian et le Secretary of State for Defence Michael Fallon.

La rapidité de la procédure de ratification, déjà achevée au Royaume-Uni et donc en cours en France, montre l’intérêt pratique qu’attachent les deux parties à ce texte.

Son objet est de permettre la mise en œuvre, dans le cadre de l’entreprise MBDA, de « centres d’excellence ».

MBDA constitue aujourd’hui un bel exemple d’intégration européenne dans les industries d’armement : l’entreprise est présente en France, au Royaume-Uni, en Italie, en Allemagne et en Espagne. Le regroupement qu’elle a réalisé entre plusieurs fabricants européens de missiles permet à l’Europe de disposer d’un champion capable de concurrencer ses grands concurrents nord-américains sur le marché stratégique des missiles.

De quoi s’agit-il avec les « centres d’excellence » ? De permettre à des équipes franco-britanniques de MBDA, partagées entre des sites de recherche et de production des deux pays, de travailler ensemble efficacement, dans une logique de rationalisation industrielle. Cela implique, et c’est l’objet du présent accord, qu’un certain nombre de règles nationales en matière d’industries d’armement, concernant notamment le contrôle de la circulation des informations et celui des exportations, soient aménagées dans ce cas précis. Cela implique aussi l’acceptation d’une interdépendance accrue sur certaines technologies militaires entre la France et le Royaume-Uni, ce dont prend acte l’accord.

D’après les administrations compétentes, cet accord n’a pas de précédent dans ceux signés par la France ni d’équivalents dans d’autres pays, car il va beaucoup plus loin que les habituels accords de coopération sur des programmes d’armement. Il n’est rendu tout à la fois possible et utile que du fait du degré d’intégration franco-britannique obtenu en matière de missiles dans le cadre de MBDA.

I. LE CONTEXTE : UN ACCORD DESTINÉ À FAVORISER LE DÉVELOPPEMENT DE LA COOPÉRATION FRANCO-BRITANNIQUE DANS LE DOMAINE DES MISSILES

Le présent accord a pour objet de donner un cadre juridique aux « centres d’excellence » franco-britanniques que le groupe MBDA compte développer. Il est donc nécessaire de présenter, d’une part la coopération franco-britannique dans le domaine de l’armement, d’autre part le groupe MBDA, qui en est l’une des concrétisations. En effet, si la coopération franco-britannique n’avait pas atteint un niveau exceptionnel, en particulier dans le domaine des missiles, le présent accord serait sans objet.

A. LE CADRE GÉNÉRAL : LE DYNAMISME DE LA COOPÉRATION FRANCO-BRITANNIQUE EN MATIÈRE DE DÉFENSE

Le Royaume-Uni est notre premier partenaire bilatéral en matière de défense et de sécurité. Le Livre Blanc sur la défense de 2013 et les National Security Strategy et Strategic Defence and Security Review de 2015 mentionnent les uns et les autres l’importance de cette coopération.

Elle trouve son origine dans la fraternité des armes pendant les deux guerres mondiales et dans la proximité des statuts internationaux des deux pays depuis 1945 : tous les deux sont des puissances nucléaires, membres permanents du Conseil de sécurité des Nations-Unies, et ont conservé, de leur passé de grandes puissances coloniales, des amis et des intérêts un peu partout dans le monde, donc une perception « mondiale » de leur rôle ; tous les deux, ayant sensiblement la même taille démographique et économique, ont des budgets militaires et des formats de forces armées comparables.

Dès 1947, avec le traité de Dunkerque, les deux pays ont affirmé leur solidarité militaire dans le monde d’après la Seconde guerre mondiale. Ils se sont ensuite intégrés dans le système de sécurité « occidental », dont la pièce principale reste l’OTAN, et ont développé, dans les années 1960, un premier cycle intense de coopération sur des programmes d’armement (avion Jaguar ; hélicoptères Puma, Lynx, Gazelle), laquelle a ensuite décliné.

La coopération bilatérale a été réactivée après la chute du Mur de Berlin et la fin de l’URSS, alors que se posait la question de l’adaptation des stratégies de défense à une nouvelle donne internationale et que l’enjeu de la prise de distance française vis-à-vis de l’OTAN depuis les années 1960 devenait moins important. En 1992, les deux pays ont constitué une commission mixte sur les questions de politique et de doctrine nucléaire. Puis, les sommets de Saint-Malo (1998) et du Touquet (2003) ont progressivement mis en place une coopération étroite en matière de défense. En l’an 2000, un Memorandum of Understanding a été signé entre les deux pays concernant la coopération en matière de recherche et de technologie. Un temps freiné par les positions divergentes prises quant à l’intervention en Irak en 2003, le processus a été relancé grâce notamment à la collaboration des forces armées des deux pays en Afghanistan à partir de 2006 et dans le contexte du retour de la France dans le commandement militaire intégré de l’OTAN en avril 2009. Les deux pays ont ensuite été les deux principaux acteurs de l’intervention en Libye en 2011.

Le 2 novembre 2010 a été signé le traité de Lancaster House qui institutionnalise la coopération bilatérale en matière de défense et de sécurité. Plusieurs objectifs ont été fixés pour cette coopération :

– en matière opérationnelle, la mise en place d’une force expéditionnaire interarmées conjointe, dite CJEF (Combined Joint Expeditionary Force), qui permettrait d’intervenir dans un cadre bilatéral, mais aussi multinational (OTAN, ONU, Union européenne…). L’exercice intégré, multi-composantes et multi-sites Griffin Strike (10-23 avril 2016), précédé d’une série d’exercices partiels, a permis la déclaration de pleine capacité opérationnelle de la CJEF. 5 500 militaires dont un peu plus de 2 000 Français des trois armes ont été déployés pour tester en grandeur réelle leur interopérabilité. Il reste à valider officiellement le concept final de la CJEF, tout en définissant par accord bilatéral le niveau d’ambition (missions, volume de forces) et les hypothèses d’emploi qui lui seront assignés ;

– le développement de « capacités » communes pour divers installations, matériels ou services, qui se concrétise notamment dans une coopération pour l’entraînement des équipages de l’avion de transport A400M. En matière d’armements, la coopération franco-britannique a par exemple permis le développement et la qualification du système d’arme 40 CTA qui équipera des véhicules de combat britanniques et français. On peut aussi relever l’accord concernant le soutien logistique mutuel, signé le 25 novembre 1999 (et complété par un arrangement technique en 2001) et applicable partout dans le monde, en temps de paix comme de crise ; ce soutien peut être fourni gratuitement, ou contre paiement en numéraire ou en nature ; il a notamment été mobilisé au bénéfice de l’opération Serval.

– enfin, ce qui concerne plus directement le présent accord, le développement d’une base industrielle et technologique commune de défense, avec ce que cela implique en termes de rationalisation industrielle et d’acceptation de l’interdépendance mutuelle. Une stratégie commune « One Complex Weapon » a été élaborée. Outre la coopération en matière de missiles, dont traite le présent accord et qui donne de nombreux résultats, comme le développement par MBDA du missile de croisière SCALP/Storm Shadow, opérationnel depuis le début des années 2000 dans les forces armées des deux pays, ou celui en cours du missile ANL (anti-navire léger), on peut citer le Système de combat aérien futur (SCAF) – ou Future Combat Air System (FCAS) –, programme bilatéral de développement de drones à plus long terme (il s’agirait d’obtenir des prototypes à l’échéance 2025). Il faut enfin signaler qu’au sommet de Lancaster House un traité spécifique, dit TEUTATES, a été signé concernant la coopération en matière de dissuasion nucléaire ; il prévoit la construction et l’exploitation d’installations radiographiques et hydrodynamiques communes permettant la modélisation des performances de têtes nucléaires (installation EPURE, sur le centre CEA de Valduc, et implantation sur le centre de l’Atomic Weapons Etablishment d’Aldermaston).

B. MBDA, UNE ENTREPRISE EUROPÉENNE INTÉGRÉE

1. La constitution d’un « champion européen »

Le groupe MBDA résulte d’une volonté politique que l’on peut comparer à celle qui a conduit à la création d’Airbus.

Il est issu de plusieurs fusions ou rachats en quelques années entre des industriels européens :

– en 1996, Matra Défense et BAe Dynamics ont formé Matra BAe Dynamics (MBD), détenu pour moitiés par Matra et BAe Systems ;

– en 1999, ce sont les français Aérospatiale et Matra qui ont fusionné, créant European Aeronautic Defence and Space Company (EADS), qui est donc devenu l’actionnaire français de MBD ;

– en 1998, la fusion de la filiale de défense du britannique GEC-Marconi et de l’italien Alenia Difesa a été à l’origine d’Alenia Marconi Systems, copropriété de Finmeccanica et BAe Systems ;

– MBDA a enfin été créé en 2001 par la fusion de MBD, Alenia Marconi Systems et Aerospatiale Matra Missiles.

Le groupe MBDA a en conséquence, aujourd’hui, trois actionnaires de référence : Airbus (à 37,5 %), BAe Systems (à 37,5 % aussi) et Finmeccanica (1) (à 25 %).

En 2006, enfin, MBDA a repris l’entreprise allemande LFK GmbH.

2. Un groupe centré sur l’activité « missiles »

MBDA a été constitué en tant que « champion européen » des missiles et cette activité est bien sûr prépondérante dans celles du groupe.

Le marché mondial des missiles représente environ 16 milliards d’euros par an, dont 6 milliards sur le marché américain, en pratique inaccessible pour les industriels européens, et plus de 3 milliards pour le marché européen, le reliquat étant fortement disputé. Il correspond en fait à deux spécialités assez différentes : les missiles tactiques ; la défense anti-missiles balistiques. Le marché est partagé entre un petit nombre d’acteurs, principalement l’européen MBDA et les américains Lockheed Martin et Raytheon (qui a créé Thales Raytheon Systems avec Thales dans le domaine des radars).

3. Des implantations situées principalement en France et au Royaume-Uni

Le groupe MBDA emploie environ 10 000 personnes :

– 4 500 en France, sur les sites du Plessis-Robinson, de Bourges, Selles St Denis, Compiègne et Cazaux. 550 recrutements sont prévus sur les sites français d’ici la fin de l’année (et 800 en tout d’ici fin 2017) pour répondre au dynamisme des commandes à l’export (voir infra) ;

– 2 850 au Royaume-Uni, où d’importants recrutements sont également en cours ;

– 1 350 en Italie ;

– 1 250 en Allemagne ;

– quelques dizaines aux États-Unis et en Espagne.

4. Une très bonne année 2015 à l’export

Le chiffre d’affaires de MBDA a oscillé entre 2,4 milliards d’euros et 3 milliards durant les dernières années. En 2015, le groupe a réalisé un chiffre d’affaires de l’ordre de 2,8 milliards d’euros, soit une progression de 20 % par rapport à 2014.

Depuis 2013, les prises de commande sont régulièrement plus élevées que le chiffre d’affaires. Elles ont atteint 5,2 milliards d’euros en 2015, en croissance de 27 % par rapport à l’année précédente.

L’entreprise est largement tournée vers les marchés extérieurs : l’export (hors les pays d’implantation du groupe) a représenté 43 % du chiffre d’affaires et 73 % des commandes en 2015.

Les résultats obtenus récemment sont d’abord liés aux ventes d’avions Rafale au Qatar et en Égypte, qui représenteraient respectivement environ 2 milliards et 0,8 milliard d’euros de commandes pour MBDA, mais aussi à celle d’avions Eurofighter Typhoon au Koweït, ainsi qu’à celle d’une frégate FREMM de DCNS à l’Égypte.

MBDA s’investit fortement sur les gros marchés d’armement du Proche-et-Moyen-Orient et d’Asie. Mais la presse s’est également fait l’écho récemment de contrats de MBDA avec des pays moins « attendus », tels que la Géorgie et le Botswana, auxquels des systèmes sol-air ont été vendus. L’entreprise a donc réellement une présence mondiale tous azimuts et son activité est loin de dépendre seulement de quelques très « grands contrats » très médiatisés.

II. LES DISPOSITIONS DE L’ACCORD

A. L’OBJET DE L’ACCORD : LA CRÉATION DE « CENTRES D’EXCELLENCE » FRANCO-BRITANNIQUES

Après un article 1er consacré à la définition des termes employés dans l’accord, l’article 2 précise son objet : il s’agit, pour les deux États signataires, de prendre des engagements qui permettront la mise en œuvre de « centres d’excellence » franco-britanniques dans le cadre de l’entreprise MBDA. Ces engagements s’inscrivent, le texte le rappelle, dans le cadre des développements du traité de Lancaster House.

Selon l’article 3, ces « centres d’excellence » communs seront, « par principe, le fournisseur privilégié de MBDA-France et MBDA-UK pour la fourniture d’informations et de technologies destinées à des sous-systèmes intégrés dans tout programme de systèmes de missiles sous maîtrise d’œuvre de MBDA ». Si cette formule n’a pas une portée juridique très forte, compte tenu des termes employés, elle définit bien la mission des centres d’excellence, qui devraient unifier un certain nombre de travaux de recherche, développement et production menés par MBDA en matière de missiles, ce indépendamment des appartenances nationales des personnels et des installations et alors même qu’il s’agit d’une industrie de défense, donc de souveraineté.

D’après les informations fournies, quatre centres d’excellence fédérés seraient envisagés, consacrés aux thématiques suivantes : algorithmes ; logiciels ; senseurs de navigation ; charges militaires complexes.

Ils seront constitués d’équipes mixtes franco-britanniques, les personnels concernés restant dans leur site habituel. Les centres auront donc une implantation sur des sites de MBDA dans les deux pays :

– au Plessis-Robinson et à Bristol s’agissant des algorithmes ;

– à Bourges, au Plessis-Robinson, à Bristol, à Stevenage et à Lostock pour les logiciels ;

– au Plessis-Robinson et à Bristol et Stevenage pour les senseurs de navigation ;

– au Plessis-Robinson et à Lostock/Bolton pour les charges militaires complexes.

Environ 600 salariés français et 400 britanniques pourraient travailler pour ces centres d’excellence. Deux d’entre eux devraient avoir un responsable français et deux un responsable britannique, en application d’un principe d’« équilibre global » recherché dans l’accord.

Fin 2014, en perspective de la mise en œuvre des futurs centres d’excellence fédérés, quatre centres d’excellence spécialisés ont été mis en place à titre expérimental, sur un périmètre plus réduit et sur la base des procédures existantes :

– au Plessis-Robinson (et à Compiègne pour la production) pour les calculateurs de missiles ;

– à Stevenage et Bristol (et Lostock/Bolton pour la production) pour les liaisons de données missiles

– à Stevenage (et Lostock/Bolton pour la production) pour les actionneurs de missiles ;

– à Bourges pour les équipements de test.

Par ailleurs, l’article 12 indique que les deux États signataires acceptent que les centres d’excellence puissent être élargis à des États tiers, sous réserve de la conclusion de nouveaux accords intergouvernementaux à cette fin. C’est l’extension de la procédure des « centres d’excellence » aux autres pays européens d’implantation de MBDA (Italie, Allemagne et Espagne) qui est là envisagée.

B. LES ENGAGEMENTS DES ÉTATS

Le cœur de l’accord est constitué par les engagements pris par les deux États, France et Royaume-Uni, pour que les « centres d’excellence » puissent fonctionner. Si MBDA produisait des biens civils « banals », il n’y aurait évidemment pas besoin d’un accord intergouvernemental pour l’autoriser à mutualiser au niveau international certaines activités. Mais nous sommes ici dans une industrie de souveraineté, soumise – en France, au Royaume-Uni et partout ailleurs – à des règles nationales de contrôle par la puissance publique, règles qui concernent notamment la circulation des informations et les exportations. Il est donc nécessaire d’aménager ces règles, ce qui n’est possible que du fait du degré atteint par la coopération franco-britannique et de la confiance mutuelle qui s’est établie entre les deux partenaires.

Par ailleurs, pour que le dispositif « fonctionne », il faut aussi que l’entreprise MBDA « joue le jeu ». Il n’y a bien sûr pas de motif que cela ne soit pas le cas, puisque les centres d’excellence s’inscrivent dans une démarche d’efficience de l’entreprise. Mais cet état de fait a amené les rédacteurs de l’accord à y inclure des clauses que l’on dirait de « stipulation pour autrui » ou de « porte-fort », par lesquelles les deux gouvernements s’engagent à faire en sorte que respectivement MBDA-France et MBDA-UK rendent effectif l’accord. C’est pourquoi est jointe au projet de loi, à titre d’information du Parlement, une lettre d’engagements vis-à-vis des deux gouvernements signée de M. Antoine Bouvier, PDG de MBDA, et datée du 23 septembre 2015.

1. La reconnaissance de l’interdépendance industrielle et du renoncement à certaines capacités nationales

La logique de mutualisation propre aux centres d’excellence implique en premier lieu l’acceptation, par les deux États, d’une conséquence inévitable de celle-ci : ils deviendront mutuellement dépendants pour certaines technologies ; ils devront accepter de ne plus disposer sur leur sol de certaines capacités de recherche ou de production.

Le préambule de l’accord prend ainsi acte que « la rationalisation industrielle de MBDA-France et MBDA-UK par le biais des centres d’excellence constitue la première étape vers une interdépendance progressive et contrôlée entre les parties sur les technologies de systèmes de missiles, impliquant l’arrêt de certaines capacités industrielles nationales liées à ces technologies ».

L’article 11 en tire les conséquences, tout en ménageant des possibilités de dérogation « pour des raisons de sécurité nationale » :

– « les parties reconnaissent que toute société de défense transnationale peut répartir ses capacités industrielles en fonction d’une logique économique basée sur son appréciation commerciale » ;

– « les parties reconnaissent que la mise en œuvre des centres d’excellence de MBDA fera croître la dépendance vis-à-vis de l’autre partie pour la fourniture de certaines technologies, sauf dans le cas où les parties ont identifié qu’elles souhaitaient maintenir certaines activités, ressources et installations de défense stratégiques clés sur le territoire national pour des raisons de sécurité nationale » ;

– « les parties s’abstiennent de financer des projets ou de prendre des décisions qui contribuent à la reconstitution ou au rétablissement sur leur territoire de capacités industrielles transférées sur le territoire de l’autre partie dans le cadre des centres d’excellence ».

2. Les garanties quant à la circulation des informations et productions des centres d’excellence

a. Les questions de propriété intellectuelle : un accès libre et égalitaire des parties aux fruits des travaux des centres d’excellence

L’article 10 précise les règles de divulgation et d’utilisation des informations issues des centres d’excellence – donc des fruits des activités de recherche et développement – entre les États signataires.

Le principe est la liberté d’accès des parties à ces informations et d’utilisation de celles-ci, sur une base d’égalité et sans redevances de propriété intellectuelle.

C’est ainsi que, dans le paragraphe 1, les deux États s’engagent à ne pas empêcher l’échange d’informations et le transfert de droits de propriété intellectuelle entre MBDA-France et MBDA-UK ; ils s’accordent mutuellement des droits d’utilisation (paragraphe 2) et/ou de réutilisation pour leurs programmes militaires (paragraphe 5) équivalents des informations fournies par les centres d’excellence et des informations préexistantes qui ont permis de les générer, l’entreprise gardant cependant le contrôle sur celles relatives aux technologies de missiles (« la réutilisation d’informations préexistantes détenues par MBDA-France ou MBDA-UK dans l’intérêt de futurs programmes de systèmes de missiles impliquant les parties est déterminée par les centres d’excellence de MBDA »). Selon le paragraphe 8, en cas d’inventions donnant lieu à des brevets ou demandes de brevets, les parties s’assurent que la société MBDA octroie à chacune d’entre elles une licence d’utilisation irrévocable et exempte de redevance.

Dans sa lettre d’engagements au nom de MBDA jointe au présent projet de loi, le PDG de l’entreprise indique que « MBDA France et MBDA UK s’engagent (…) à faire leurs meilleurs efforts pour obtenir que les droits accordés par elles à l’un des Gouvernements, concernant l’accès et l’utilisation d’informations (…) soient également accordés à l’autre Gouvernement ».

b. Un aménagement nécessaire des règles habituelles de sécurité

En-dehors des questions de propriété intellectuelle, la nature des activités de MBDA oblige à prendre en compte les règles de souveraineté concernant la sécurité d’approvisionnement et les restrictions à la diffusion de certaines informations.

L’article 6 concerne la sécurité d’approvisionnement, essentielle dans le domaine des armements : il ne devra y avoir aucun obstacle à la fourniture des informations et technologies issues des centres d’excellence, y compris en temps de crise ou de conflit armé ; des mesures devront être prises pour assurer la sécurité d’approvisionnement dans l’« intérêt mutuel » des deux partie ; le cas échéant, les deux parties devront se mettre à disposition toute composante relevant (sur leurs territoires respectifs) d’un centre d’excellence.

L’article 7 porte sur les dispositions de sécurité qui s’appliqueront aux informations et technologies issues des centres d’excellence, notamment en termes de classification. Il s’agit, selon le paragraphe 1 de l’article, d’éviter que les « restrictions de sécurité nationale » n’entravent inutilement les nécessaires échanges d’informations. Pour ce faire, outre des engagements de principe de faciliter l’échange des informations, y compris classifiées, et de réviser le cas échéant les niveaux de classification, le présent article comprend surtout une disposition concrète : de manière générale, dans le cadre des centres d’excellence et pour les informations dont la diffusion doit être limitée selon la nationalité des destinataires, l’avertissement « Spécial France/Royaume-Uni » (ou « For UK/French Eyes Only ») sera substitué aux mentions plus restrictives « Spécial France » ou « For UK Eyes Only ».

Le présent article 7 renvoie à l’article 11 du traité de Lancaster House, selon lequel la France et le Royaume-Uni facilitent entre eux l’échange d’informations, y compris d’informations classifiées, pour les besoins de leur coopération de défense et protègent ces informations conformément aux dispositions de l’accord de sécurité. Cette dernière mention fait référence à l’accord franco-britannique concernant la protection réciproque des informations classifiées du 27 mars 2008, modifié par échange de notes verbales en date des 27 mai 2014 et 3 septembre 2014. Ce texte prévoit l’équivalence des classifications de sécurité des deux pays aux fins de partage de certaines informations sensibles et pose, dans le paragraphe 15 de l’annexe à l’échange de notes verbales, le principe de la classification de sécurité « Spécial France/Royaume-Uni », qui permet de limiter aux ressortissants des deux pays l’accès à des informations par ailleurs classifiées (« confidentiel », « secret » ou « très secret » défense) – la mention équivalente « Spécial France » n’étant pas en elle-même une mention de classification, mais un complément à celle-ci.

L’article 8 traite des modalités de transfert entre les États signataires d’informations et de technologies développées et fabriquées par les centres d’excellence : un objectif de facilitation de ces transferts est posé, objectif à poursuivre par les « moyens les plus appropriés, y compris les licences globales », lesquelles devront être réciproques et de même portée.

Les « licences globales » auxquelles il est fait référence sont l’une des procédures du dispositif national de contrôle des exportations de matériels de guerre. Une licence globale autorise l’expédition de tels matériels à un ou plusieurs destinataires identifiés pour une durée déterminée, sans limites de quantité ni de montant, dans le cadre d’une ou plusieurs opérations. Ce mécanisme est adapté aux programmes en coopération internationale présentant des flux continus vers de nombreux clients, ainsi qu’aux opérations caractérisées par des flux de commandes sans montant prévisible (par exemple des contrats de maintenance à bons de commande). Il est surtout utilisé concernant des destinations et/ou des produits peu « sensibles ».

Cette procédure est couramment utilisée. 139 licences globales sont actuellement en cours de validité selon l’application informatique qui les gère.

S’agissant des centres d’excellence, le recours à des licences globales réciproques entre la France et le Royaume-Uni permettra des échanges sans contrôle administratif tatillon de données, matériels, technologies, logiciels, etc., sous la seule réserve de respecter les règles et classifications de sécurité (cf. l’article 7 supra).

3. Les garanties de « loyauté » commerciale

L’article 8 supra traitant des transferts, assimilés à de l’import-export, de technologies militaires entre la France et le Royaume-Uni dans le cadre des centres d’excellence, l’article 9 concerne quant à lui les exportations vers des pays tiers des productions de MBDA issues pour tout ou partie des centres d’excellence.

Comme les exportations de matériels militaires sont soumises à un régime de licences nationales, l’on peut imaginer, en théorie, que le pays en charge de délivrer la licence (à savoir le pays d’où sera expédié le système de missiles finalisé, selon le paragraphe 4 du présent article 9) envisage alors d’utiliser la possibilité de bloquer certaines exportations pour, par exemple, favoriser sur un marché tiers une offre concurrente où son « contenu national » serait plus élevé…

Mais, en même temps, les deux pays signataires du présent accord sont soucieux de préserver la stricte indépendance de leurs choix de politique étrangère, dont les grands contrats d’armement sont indissociables.

C’est pourquoi le présent article s’efforce de concilier ces deux exigences légitimes de « loyauté commerciale » et d’indépendance des politiques étrangères. Il dispose donc qu’« aucune demande de vente [de] produits liés à la défense créés par des centres d’excellence de MBDA ne peut être refusée par l’autre partie, excepté pour des motifs de politique étrangère et de sécurité nationale. En particulier, une partie ne refuse pas à l’autre partie une demande de vente (…) alors qu’elle assure elle-même la promotion du transfert ou de l’exportation au même tiers d’un système de missiles équivalent ou d’une plateforme susceptible d’être équipée d’un système de missiles équivalent ».

De plus, pour prévenir les difficultés, le paragraphe 3 du présent article 9 instaure toute une procédure :

– MBDA devra établir pour ses produits issus des centres d’excellence des listes préliminaires de destinataires potentiels, qui seront discutées et révisées entre les deux gouvernements (sans que l’inscription d’un pays sur une liste vaille ipso facto licence d’exportation) ;

– les deux pays devront s’informer mutuellement de leurs offres concurrentes incluant des missiles et s’expliquer sur leurs décisions concernant les listes préliminaires susmentionnées et les licences.

S’agissant des engagements des deux États, il est enfin à signaler que l’article 4 stipule que l’accord ne crée aucune obligation financière pour eux.

C. LES MODALITÉS DE GOUVERNANCE ET DE SUIVI

Les engagements du présent accord étant assez complexes, les signataires ont établi un dispositif de gouvernance et de suivi. Il permettra aussi aux deux États de conserver une supervision stricte sur des activités qui sont des composantes essentielles de leurs industries de défense.

L’article 5 de l’accord institue un « comité en charge de la stratégie de rationalisation du secteur des systèmes de missiles », lequel comprendra un représentant de chaque État et des « membres associés » de MBDA-France et MBDA-UK. Ce comité constituera le cadre où seront prises les décisions concernant la mise en œuvre de l’accord et aura plus généralement une mission de supervision, de suivi et d’évaluation.

Le comité rendra compte aux directeurs nationaux de l’armement des deux pays et au Groupe de travail de haut niveau, qui lui-même rendra compte au Groupe de haut niveau. Ces instances sont définies par le traité de Lancaster House et en particulier son article 4, auquel le présent article fait référence :

– le Groupe de travail de haut niveau assure le pilotage des travaux franco-britanniques dans le domaine de l’armement. Il est co-présidé par le délégué général pour l’armement et son homologue britannique, le Minister of State for Defence Procurement. Il se réunit trois à quatre fois par an ;

– le Groupe de haut niveau est l’échelon le plus élevé dans la gouvernance de la coopération bilatérale. Il est co-présidé par le chef d’état-major particulier et le conseiller diplomatique du Président de la République et par le conseiller à la sécurité nationale du Premier ministre britannique. Il se réunit en tant que de besoin, le plus souvent avant les sommets bilatéraux et de droit au moins une fois par an.

D. LES DISPOSITIONS FINALES

Les articles 13 à 16 correspondent aux habituelles dispositions finales des accords intergouvernementaux : respect par les parties de leurs obligations internationales ; conditions de règlement des différends et d’amendement de l’accord ; entrée en vigueur et conditions de dénonciation, avec notamment un préavis de deux ans pour cette dernière.

Le Royaume-Uni a fait savoir par note verbale du 23 février 2016 qu’il avait achevé sa procédure interne de ratification. L’adoption rapide du présent projet de loi par le Parlement permettra donc l’application sans délai de l’accord qui en est l’objet. Du côté de MBDA, les démarches ont été faites pour préparer la mise en place opérationnelle des centres d’excellence. Celle-ci sera possible dès que les licences globales nécessaires à leur fonctionnement auront été délivrées.

CONCLUSION

Quelles que soient, par ailleurs, les contingences politiques, la coopération franco-britannique en matière de défense et de sécurité continue à se développer dans des conditions remarquables. Les deux pays partagent des conceptions assez proches de leur rôle international et des principaux enjeux ; par ailleurs, les formats de leurs forces armées et les moyens budgétaires qu’ils y consacrent sont comparables : tout cela fait qu’ils sont et devraient rester des partenaires « naturels » pour une coopération intense dans ce domaine. Cette coopération bilatérale n’est pas affectée, en tant que telle, par les choix britanniques par rapport à l’Union européenne.

L’entreprise MBDA constitue, dans le domaine des missiles, un bel exemple d’intégration européenne, avec des composantes française et britannique prédominantes. La poursuite du développement de cette entreprise implique qu’elle puisse faire évoluer ses structures dans une vision européenne, sans être constamment liée par les souverainetés nationales et les règles nationales de contrôle des informations ou des exportations. Ces règles doivent donc être aménagées, sans bien sûr que les États ne renoncent à une supervision solide du dispositif.

En signant le présent accord, la France et le Royaume-Uni démontrent le degré de confiance mutuelle qui s’est développé, puisque les deux pays y acceptent des dérogations à leurs règles nationales de contrôle des industries d’armement pour permettre la mise en place des « centres d’excellence » binationaux dans le cadre de MBDA. Ils y reconnaissent aussi que cela aura pour conséquence une interdépendance accrue et potentiellement la renonciation à disposer, chacun sur son sol, de certaines capacités de conception et de production.

Cet accord unique en son genre met donc en œuvre, de manière concrète, l’idée d’intégration des industries d’armement, ce d’abord dans un cadre bilatéral, mais avec une perspective d’élargissement à d’autres partenaires européens. Votre rapporteur vous invite donc à autoriser sa ratification.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission examine le présent projet de loi au cours de sa réunion du mardi 28 juin 2016.

Après l’intervention du rapporteur, un débat a lieu.

Mme Odile Saugues, présidente. Je remercie le rapporteur pour ce rapport très technique mais également très intéressant.

M. Thierry Mariani. Je trouve que cet accord est très symbolique. Il est la démonstration que, présence britannique ou non dans l’Union européenne, la collaboration industrielle peut tout à fait continuer.

Je souhaiterais savoir si, pour vendre des missiles à certains pays selon l’accord, nous aurons besoin de l’accord des deux gouvernements ? S’agissant de la pré-liste de clients possibles établie à l’avance, sera-t-il possible d’y rajouter des États ?

M. le rapporteur. La liste pourra évoluer : il suffira que les industriels présentent le dossier aux gouvernements des deux pays, qui à la fin l’accepteront ou non. De plus, il faut souligner qu’en matière de défense, il n’y a que très peu de divergences entre le Royaume-Uni et la France.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission adopte le projet de loi n° 3695 sans modification.

ANNEXE :
TEXTE ADOPTÉ PAR LA COMMISSION

Article unique

Est autorisée l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord concernant les centres d’excellence mis en œuvre dans le cadre de la stratégie de rationalisation du secteur des systèmes de missiles, signé à Paris le 24 septembre 2015, et dont le texte est annexé à la présente loi.

NB : Le texte de l’accord figure en annexe au projet de loi (n° 3695)

© Assemblée nationale

1 () Prochainement rebaptisé Leonardo.