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N
°3901

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 29 juin 2016.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION (n° 3764) DE M. FRANCOIS ROCHEBLOINE ET PLUSIEURS DE SES COLLÈGUES tendant à la création d'une commission d'enquête relative aux relations politiques, économiques et diplomatiques entre la France et l’Azerbaïdjan au regard des objectifs français de développement de la paix et de la démocratie au Sud Caucase,

par Mme Elisabeth GUIGOU,

Députée

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Voir le numéro : 3764.

SOMMAIRE

___

Pages

INTRODUCTION 5

EXAMEN EN COMMISSION 9

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

M. François Rochebloine et plusieurs de ses collègues du groupe Union des démocrates et indépendants (UDI), dont son président, M. Philippe Vigier, ont déposé la proposition de résolution n°3764 tendant à la création d’une commission d’enquête « relative aux relations politiques, économiques et diplomatiques entre la France et l’Azerbaïdjan au regard des objectifs français de développement de la paix et de la démocratie au Sud Caucase. ».

Lors de la Conférence des présidents du 14 juin dernier, le groupe UDI a indiqué qu’il ferait usage, pour cette proposition de création de commission d’enquête, du « droit de tirage » que le deuxième alinéa de l’article 141 du Règlement de l’Assemblée nationale reconnaît à chaque président de groupe d’opposition ou de groupe minoritaire. Aux termes, en effet, du deuxième alinéa de cet article 141 du Règlement, « chaque président de groupe d’opposition ou de groupe minoritaire obtient, de droit, une fois par session ordinaire, à l’exception de celle précédant le renouvellement de l’Assemblée, la création d’une commission d’enquête satisfaisant aux conditions fixées aux articles 137 à 139 »

Par ailleurs, la proposition de résolution ne sera pas soumise au vote de l’Assemblée nationale. En effet, en application du deuxième alinéa de l’article 141 précité, la Conférence des présidents « prend acte de la création de la commission d’enquête ».

Quant au rôle de notre commission, il est établi par le second alinéa de l’article 140 du Règlement qui dispose qu’il revient à la commission de vérifier si les conditions requises pour la création de la commission d’enquête sont réunies, sans se prononcer sur l’opportunité d’une telle création, ni pouvoir amender la proposition de résolution.

Les conditions requises pour la création sont présentées par les articles suivants du Règlement.

Extraits du Règlement de l’Assemblée nationale

Article 137

Les propositions de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sont déposées sur le bureau de l’Assemblée. Elles doivent déterminer avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services ou entreprises publics dont la commission doit examiner la gestion. Elles sont examinées et discutées dans les conditions fixées par le présent Règlement.

Article 138

1  Est irrecevable toute proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête ayant le même objet qu’une mission effectuée dans les conditions prévues à l’article 145-1 ou qu’une commission d’enquête antérieure, avant l’expiration d’un délai de douze mois à compter du terme des travaux de l’une ou de l’autre.

2  L’irrecevabilité est déclarée par le Président de l’Assemblée. En cas de doute, le Président statue après avis du Bureau de l’Assemblée.

Article 139

1  Le dépôt d’une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête est notifié par le Président de l’Assemblée au garde des sceaux, ministre de la justice.

2  Si le garde des sceaux fait connaître que des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition, celle-ci ne peut être mise en discussion. Si la discussion est déjà commencée, elle est immédiatement interrompue.

3  Lorsqu’une information judiciaire est ouverte après la création de la commission, le Président de l’Assemblée, saisi par le garde des sceaux, en informe le président de la commission. Celle-ci met immédiatement fin à ses travaux.

A la lumière de ces dispositions, il convient de faire les observations suivantes.

En premier lieu, il convient de vérifier si sont bien respectées les dispositions de l’article 137 précité du Règlement, suivant lesquelles les propositions de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête doivent « déterminer avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services ou entreprises publics dont la commission doit examiner la gestion ».

S’agissant de la première condition – la détermination précise des faits donnant lieu à enquête :

– l’exposé des motifs fait bien référence à des faits, en particulier les visites bilatérales, les violations du cessez-le-feu commises en avril dernier au Haut-Karabagh, des violations des droits de l’Homme ; il mentionne aussi des présomptions contre le président azéri qui serait partie prenante d’un « réseau d’évasion fiscale internationale ». Néanmoins, à l’exception des visites bilatérales, la diplomatie française n’est concernée par aucun de ces faits. Par ailleurs, ni le dispositif de la proposition de résolution, ni son intitulé ne mentionnent ces sujets.

– le dispositif de la proposition vise « les relations politiques, économiques et diplomatiques, entre la France et l’Azerbaïdjan » sans davantage de précision. La commission d’enquête aurait donc pour but d’évaluer si les relations de la France avec ce pays sont susceptibles ou non de favoriser le « développement de la paix et de la démocratie au sud-Caucase », autrement dit, de procéder à une évaluation de la pertinence de notre politique étrangère.

On observera que le dispositif de la proposition relative à la création de la commission d’enquête sur les infirmières bulgares était plus précis puisque son objet était « de connaître les conditions exactes de la libération des otages de Libye, ainsi que le contenu, la portée et les termes de la négociation des protocoles d’accord conclus par la France avec la Libye. ». Lors de l’examen en commission, le rapporteur avait souligné que l’objet de la commission d’enquête était bien circonscrit ; il s’agissait, selon lui, « de faire toute la lumière sur les contreparties que la France aurait concédées à la Libye pour obtenir la libération des infirmières et du médecin, en particulier sur le contenu et la portée des protocoles d’accord signés peu de temps après celle-ci. ».

La proposition de résolution ne répond pas à la deuxième condition posée par cet article puisqu’elle ne propose pas d’enquêter sur la gestion d’un service ou d’une entreprise public.

En deuxième lieu, la proposition de résolution satisfait le critère de recevabilité prévu au premier alinéa de l’article 138 du Règlement, suivant lequel : « est irrecevable toute proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête ayant le même objet qu’une mission effectuée dans les conditions prévues à l’article 145-1 ou qu’une commission d’enquête antérieure, avant l’expiration d’un délai de douze mois à compter du terme des travaux de l’une ou de l’autre ». Aucune des commissions d’enquête constituées dans les douze dernier mois n’a porté sur des faits qui relèveraient, partiellement ou en totalité, du domaine de la proposition.

En troisième lieu, la proposition de résolution satisfait aussi le critère prévu au deuxième alinéa de l’article 139 du Règlement suivant lequel une proposition ne peut être mise en discussion si le Garde des Sceaux « fait connaître que des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition ». Le troisième alinéa du I de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 prévoit, quant à lui, que la mission d’une commission d’enquête déjà créée « prend fin dès l’ouverture d’une information judiciaire relative aux faits sur lesquels elle est chargée d’enquêter ».

Interrogé par le Président de l’Assemblée nationale conformément au premier alinéa de l’article 139 précité, M. Jean-Jacques Urvoas, Garde des Sceaux, ministre de la Justice, lui a fait savoir, dans un courrier du 8 juin 2016, qu’« aucune des procédures dont a été informée l’administration centrale de [son] ministère ne fait ressortir de poursuites judiciaires en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition ».

On peut s’interroger sur l’intérêt de mettre en place une commission d’enquête sur un sujet aussi large qui serait probablement aussi bien traité par une mission d’information. La vocation d’une commission d’enquête est de permettre de procéder à des investigations. Pour les actions de contrôle plus générales, les missions d’information paraissent bien mieux adaptées.

Certes, rien ne s’oppose dans notre Règlement à ce qu’une commission d’enquête porte sur un sujet de politique étrangère. Il existe d’ailleurs un précédent avec la création de la commission d’enquête « sur les conditions de libération des infirmières et du médecin bulgares détenus en Libye et sur les récents accords franco-libyens ». L’exposé des motifs de la proposition de résolution précisait : « Dans une démocratie parlementaire, il est de la responsabilité du Parlement de contrôler l’action diplomatique de l’exécutif et d’en rendre compte devant les Français. Nous ne faisons aucun procès d’intention au Président de la République et au Gouvernement. Nous pouvons comprendre la nécessité de nouveaux rapports avec la Libye qui permettent à ce pays de rejoindre la communauté internationale. À la condition d’en connaître les tenants et les aboutissants et de pouvoir en débattre publiquement. ».

Cependant, les pouvoirs d’investigation accordés à une commission d’enquête sont d’un intérêt limité dans un tel domaine. Le secret diplomatique demeure opposable à ces investigations et les prérogatives spécifiques à une commission d’enquête (obligation de déférer à une convocation, serment des personnes auditionnées, obligation de communiquer des documents, pouvoir du rapporteur de procéder à des enquêtes sur pièce et sur place) ne sauraient s’appliquer à des autorités étrangères.

D’une portée pratique limitée, la création d’une commission d’enquête a en revanche une portée symbolique et donc politique qu’on ne peut ignorer, d’autant que l’exposé des motifs de la présente proposition de résolution paraît déséquilibré. Par exemple, il tient pour acquis que l’Azerbaïdjan porterait l’entière responsabilité des récentes violations du cessez-le-feu et ne prend pas en considération le fait que la question du Karabagh est une question douloureuse pour les deux parties en présence, notamment en raison des centaines de milliers d’Azéris chassés de leurs villages à la suite de la guerre de 1994. Ces partis pris sont en contradiction avec le fait que la France, en tant que membre du groupe de Minsk, se doit d’observer une stricte neutralité.

C’est pourquoi, soulignant le caractère très général de la présente proposition de résolution, votre Rapporteure exprime le vœu que cette initiative débouche sur la création d’une mission d’information de la commission des affaires étrangères sur le conflit du Haut Karabagh et la médiation du groupe de Minsk.

EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa réunion du mercredi 29 juin 2016, la commission procède à l’examen de la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête relative aux relations politiques, économiques et diplomatiques entre la France et l’Azerbaïdjan au regard des objectifs français de développement de la paix et de la démocratie au Sud Caucase (n° 3764).

M. Paul Giacobbi, président. Nous allons procéder, sur le rapport de Mme Elisabeth Guigou, rapporteure, à l’examen de la proposition de résolution de MM. François Rochebloine, Thierry Benoit et Charles de Courson et plusieurs de leurs collègues tendant à la création d'une commission d'enquête relative aux relations politiques, économiques et diplomatiques entre la France et l’Azerbaïdjan au regard des objectifs français de développement de la paix et de la démocratie au Sud Caucase (n° 3764). Le président du groupe UDI a déclaré en Conférence des Présidents qu’il exerçait son « droit de tirage » à propos de cette proposition.

Depuis la réforme du Règlement de 2014, dans ce cas de figure, la Conférence des Présidents créée directement la commission d’enquête après que la commission compétente a constaté la recevabilité de la proposition. La proposition n’est donc plus discutée en séance.

La commission compétente se prononce sur la recevabilité de la proposition et non pas sur l’opportunité, et elle ne peut amender la proposition.

Par ailleurs, le bureau de notre commission s’est réuni hier matin pour organiser notre discussion. Il a décidé que les temps de parole des orateurs seraient limités à deux minutes à l’exception de celui de l’auteur de la proposition, notre collègue François Rochebloine, qui disposera de cinq minutes

Mme Elisabeth Guigou, rapporteure. Comme l’a rappelé notre président, la commission doit se prononcer sur la recevabilité de la proposition et non sur son opportunité. Je concentrerai mon propos sur la question de la recevabilité de cette proposition.

En premier lieu, il convient de vérifier si sont bien respectées les dispositions de l’article 137 précité du Règlement, suivant lesquelles les propositions de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête doivent « déterminer avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services ou entreprises publics dont la commission doit examiner la gestion ».

S’agissant de la première condition – la détermination précise des faits donnant lieu à enquête, je relèverai que le dispositif de la proposition vise « les relations politiques, économiques et diplomatiques, entre la France et l’Azerbaïdjan » sans davantage de précision. La commission d’enquête aurait donc pour but d’évaluer si les relations de la France avec ce pays sont susceptibles ou non de favoriser le « développement de la paix et de la démocratie au sud-Caucase », autrement dit, de procéder à une évaluation de la pertinence de notre politique étrangère à l’égard de ce pays.

On observera que le dispositif de la proposition relative à la création de la commission d’enquête sur les infirmières bulgares était plus précis puisque son objet était « de connaître les conditions exactes de la libération des otages de Libye, ainsi que le contenu, la portée et les termes de la négociation des protocoles d’accord conclus par la France avec la Libye. ». Lors de l’examen en commission, le rapporteur avait souligné que l’objet de la commission d’enquête était bien circonscrit ; il s’agissait selon lui, « de faire toute la lumière sur les contreparties que la France aurait concédées à la Libye pour obtenir la libération des infirmières et du médecin, en particulier sur le contenu et la portée des protocoles d’accord signés peu de temps après celle-ci. ».

La proposition de résolution ne répond pas à la deuxième condition posée par cet article puisqu’elle ne propose pas d’enquêter sur la gestion d’un service ou d’une entreprise public.

En deuxième lieu, la proposition de résolution satisfait, en revanche, le critère de recevabilité prévu au premier alinéa de l’article 138 du Règlement, suivant lequel : « est irrecevable toute proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête ayant le même objet qu’une mission effectuée dans les conditions prévues à l’article 145-1 ou qu’une commission d’enquête antérieure, avant l’expiration d’un délai de douze mois à compter du terme des travaux de l’une ou de l’autre ». Aucune des commissions d’enquête constituées dans les douze dernier mois n’a porté sur des faits qui relèveraient, partiellement ou en totalité, du domaine de la proposition.

En troisième lieu, la proposition de résolution satisfait aussi le critère prévu au deuxième alinéa de l’article 139 du Règlement suivant lequel une proposition ne peut être mise en discussion si le Garde des Sceaux « fait connaître que des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition ». Le troisième alinéa du I de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 prévoit, quant à lui, que la mission d’une commission d’enquête déjà créée « prend fin dès l’ouverture d’une information judiciaire relative aux faits sur lesquels elle est chargée d’enquêter ».

Le Garde des Sceaux, ministre de la Justice, a fait savoir, dans un courrier du 8 juin 2016, qu’« aucune des procédures dont a été informée l’administration centrale de [son] ministère ne fait ressortir de poursuites judiciaires en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition ».

On peut s’interroger sur l’intérêt de mettre en place une commission d’enquête sur un sujet aussi large qui serait probablement aussi bien traité par une mission d’information. La vocation d’une commission d’enquête est de permettre de procéder à des investigations. Pour les actions de contrôle plus générales, les missions d’information paraissent bien mieux adaptées.

Certes, rien ne s’oppose dans notre Règlement à ce qu’une commission d’enquête porte sur un sujet de politique étrangère. Il existe d’ailleurs un précédent avec la création de la commission d’enquête « sur les conditions de libération des infirmières et du médecin bulgares détenus en Libye et sur les récents accords franco-libyens ».

Cependant, les pouvoirs d’investigation accordés à une commission d’enquête sont d’un intérêt limité en matière de politique étrangère. Le secret diplomatique demeure opposable à ces investigations et les prérogatives spécifiques à une commission d’enquête (obligation de déférer à une convocation, serment des personnes auditionnées, obligation de communiquer des documents, pouvoir du rapporteur de procéder à des enquêtes sur pièce et sur place) ne sauraient s’appliquer à des autorités étrangères.

D’une portée pratique limitée, la création d’une commission d’enquête a en revanche une portée symbolique et donc politique qu’on ne peut ignorer, d’autant que l’exposé des motifs de la présente proposition de résolution paraît déséquilibré. Par exemple, il tient pour acquis que l’Azerbaïdjan porterait l’entière responsabilité des récentes violations du cessez-le-feu et ne prend pas en considération le fait que la question du Karabagh est une question douloureuse, très douloureuse, pour les deux parties en présence, notamment en raison des centaines de milliers d’Azéris chassés de leurs villages à la suite de la guerre de 1994. Ces partis pris sont en contradiction avec le fait que la France, en tant que membre du groupe de Minsk, se doit d’observer une stricte neutralité. C’est une condition nécessaire pour exercer une telle fonction de médiation.

C’est pourquoi, soulignant le caractère très général de la présente proposition de résolution, votre Rapporteure exprime le vœu que cette initiative débouche sur la création d’une mission d’information de la commission des affaires étrangères sur le conflit du Haut Karabagh et la médiation du groupe de Minsk.

M. Axel Poniatowski. Je considère, comme presque toutes les personnes de mon groupe, que la proposition de résolution n’est pas recevable. Vous avez cité l’ordonnance de 1958, qui prévoit que la proposition de résolution doit porter soit sur des faits déterminés, soit sur une question relative aux services publics ou aux entreprises publiques nationales. La proposition que nous examinons a pour but de déterminer si la France peut maintenir ses relations économiques, politiques et autres avec l’Azerbaïdjan : il ne s’agit en rien de faits déterminés. En outre, comme l’a dit la rapporteure, la commission d’enquête, si elle était créée, porterait atteinte à la position de la France en tant que médiateur du groupe de Minsk : notre indispensable neutralité se trouverait remise en cause. Il faut souligner qu’aucune commission d’enquête n’a jamais porté sur les relations de la France avec un pays étranger. La commission d’enquête sur la libération des infirmières bulgares, dont j’étais rapporteur, portait précisément sur les conditions de la libération de ces infirmières détenues en Libye et sur les accords signés par la suite. Si nous établissons ce précédent avec l’Azerbaïdjan, rien n’empêche que nous créions des commissions d’enquête sur tous les États de l’ONU. Je pense que cela affaiblirait considérablement la position diplomatique de la France.

M. Pierre-Yves Le Borgn’. En tant que membre de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, je suis régulièrement confronté au problème de la violation des droits de l’Homme en Azerbaïdjan et je comprends les préoccupations de François Rochebloine. Le bilan de l’Azerbaïdjan en la matière est catastrophique : tous les défenseurs des droits de l’Homme dans le pays sont en prison ou à l’hôpital, à l’image d’Ilgar Mammadov, de Bayram Mammadov, d’Hiyas Ibrahimov ou encore de Leyla et Arif Yunus. J’ai été témoin des manœuvres déployées par l’Azerbaïdjan pour placer un juge complaisant dans l’institution. Comme d’autres, j’ai vu l’émission « Cash investigation » qui montrait l’influence du régime en France et les liens qu’il entretient avec certains de nos collègues. Je comprends donc la démarche de François Rochebloine. Cependant, je ne pense pas que la commission d’enquête soit l’outil adapté. Les responsables azerbaïdjanais ne manqueront pas de se réfugier derrière leur immunité diplomatique. En revanche, il me semble qu’une mission d’information serait une bonne idée. Cela permettrait de recevoir des ONG ayant voix au chapitre, ainsi que celles et ceux qui souffrent des pratiques de ce régime. Ce serait, je crois, la meilleure manière de faire la lumière sur ce scandale démocratique.

M. Pierre Lellouche. Les arguments de droit exposés par la Présidente et soutenus par Axel Poniatowski sur la recevabilité sont très clairs et fondés. J’en veux pour preuve la manière dont cette résolution est rédigée.

Il est fait allusion au fait que l’Azerbaïdjan est devenu un pays très riche sur le plan énergétique, aux relations économiques importantes que nous entretenons avec lui et à un certain nombre de visites de chefs d’Etat, même si celle à laquelle j’ai participé à la fin du quinquennat précédent n’est pas mentionnée – le Président de la République de l’époque s’était rendu une journée en Arménie et trois heures en Azerbaïdjan.

Il est également fait référence à la rupture du cessez-le-feu. Je tiens à rappeler que les événements du Haut-Karabagh sont le sous-produit de l’escalade militaire brutale entre la Russie et la Turquie, après que l’armée turque a abattu un chasseur-bombardier russe à la frontière entre la Syrie et la Turquie. Un hélicoptère turc a ensuite été abattu par des missiles livrés par des Russes à des Kurdes et on a vu s’enflammer la situation au Haut-Karabagh. La situation est donc très complexe.

Ces différentes mentions montrent bien que nous avons affaire, avec cette proposition de création d’une commission d’enquête, à un jugement sur la politique étrangère de la France. J’y vois un vrai problème. Si l’on s’engage sur cette voie, il y a bien 120 ou 130 pays qui mériteraient aussi que l’on ouvre une commission d’enquête, comme le soulignait Axel Poniatowski, soit parce qu’ils ne respectent pas les droits de l’Homme, soit parce que nous n’approuverions pas leur comportement dans tel ou tel conflit. Nous sommes sous la Ve République. Nous avons des pouvoirs de contrôle en matière de politique étrangère mais, à moins de changer complètement la nature de nos institutions, ce genre de commission d’enquête n’est pas le meilleur moyen de porter un jugement sur ce que fait le Gouvernement. Pour autant, l’opposition ne se prive pas, dans cette commission, de critiquer la position de la France là où nous pensons qu’elle n’est pas suffisante.

Il y a ensuite la question des droits de l’Homme et les accusations de malversation, avec une référence à l’affaire des « Panama Papers ». Il y a un problème de droit. En la matière, que peut faire une démocratie comme la France ?

M. Paul Giacobbi, président. Je vous prie de bien vouloir conclure.

M. Pierre Lellouche. Je veux répondre à notre collègue Rochebloine… La recevabilité d’une commission d’enquête n’est pas évidente, mais on peut donner, par la loi, une compétence universelle aux tribunaux français, ce qu’ont essayé de faire les Belges. Je ne suis pas sûr que ce soit le meilleur moyen d’agir. On peut aussi donner une portée extraterritoriale à la loi, comme le font les Américains, mais je ne suis pas non plus certain que ce soit la meilleure façon de stabiliser les relations internationales, bien au contraire. Ou bien on peut lever l’immunité souveraine et permettre à la justice française d’intervenir.

M. Paul Giacobbi, président. Je dois vous interrompre. Le bureau a limité les interventions à deux minutes.

M. Jean-Pierre Dufau. Beaucoup a déjà été dit à ce stade du débat. Je partage totalement la sensibilité de Pierre-Yves Le Borgn’ sur la question des droits de l’Homme et nous connaissons tous l’attachement de notre collègue Rochebloine à celle du Haut-Karabagh. J’ai écouté avec beaucoup d’attention l’argumentation précise de notre présidente et aujourd’hui rapporteure. La rédaction très générale de la résolution ne suffit pas à justifier une commission d’enquête. Ce serait en outre un précédent peut-être préjudiciable et qui risque de nous entraîner trop loin. Notre médiation serait mise en cause, puisque nous pourrions être considérés comme étant à la fois juge et partie. Le groupe socialiste ne souhaite donc pas donner une suite favorable à cette proposition de création d’une commission d’enquête. Mais je ne vois pas d’obstacle à la constitution d’une mission d’information sur le sujet.

M. Jean-Luc Reitzer. Nous sommes réunis aujourd’hui non pas pour faire le procès ou prendre la défense du régime de l’Azerbaïdjan - chacun a ses convictions à ce sujet - mais pour voir si la demande qui est formulée par le groupe UDI est recevable ou non. Je crois que les textes sont clairs, vous l’avez rappelé Madame la Présidente : l’ordonnance de novembre 1958 exige que ce soit sur des faits déterminés, relatifs à la gestion des services publics ou des entreprises nationales, que portent ces commission d’enquête. Pierre Lellouche l’a rappelé, ainsi que le président Poniatowski : il n’y a eu à ce jour aucune commission d’enquête qui a porté sur les relations de notre pays avec un État étranger. J’ai le sentiment qu’avec une telle commission d’enquête, « on se tirerait une balle dans le pied », pour deux raisons. D’une part parce qu’elle irait à l’encontre de l’orientation choisie par la France dans sa politique étrangère, en tant que coprésidente du groupe de Minsk et dans la mesure où elle envisage la réunion d’une grande conférence à Paris, après celles de Vienne et de Saint-Pétersbourg. D’autre part parce que l’Azerbaïdjan est notre premier partenaire économique dans le sud Caucase. Tous les éléments nous poussent à mon sens à abonder sur la non-recevabilité de cette demande de commission d’enquête.

M. Paul Giacobbi. Je rappelle que nous ne discutons pas de l’opportunité du fond mais de la recevabilité de la requête autour de trois critères, qui ont été rappelés par notre rapporteure et présidente.

M. Pierre Lequiller. Je suis tout à fait d’accord avec l’analyse et les conclusions de Madame Guigou et de mes collègues. Le critère de recevabilité ne me semble pas pouvoir être rempli. Cette commission d’enquête représenterait un précédent très grave, car cela signifierait que l’on pourrait ouvrir une commission d’enquête sur chacun des pays que nous aurions à critiquer. Cela n’enlève rien à la considération que j’ai pour le problème des droits de l’Homme en Azerbaïdjan, dont Monsieur Le Borgn’ a parlé avec beaucoup de précision et d’émotion. Je le réitère toutefois, cela ne me parait pas recevable.

M. Paul Giacobbi. La parole est à la défense.

M. François Rochebloine. Le 14 juin dernier, le président du groupe UDI, Philippe Vigier, a fait savoir à la conférence des présidents qu’il souhaitait exercer son droit de tirage sur la proposition de résolution n°3764 tendant à la création d’une commission d’enquête.

Nous sommes appelés aujourd’hui à vérifier la recevabilité de cette demande, sachant que notre commission n’a pas à se prononcer sur son opportunité. Certains ont fait un certain nombre de déclarations sur lesquelles je serai obligé de revenir. Trois conditions sont requises. Les deux premières, à savoir l’absence de commission d’enquête ou de mission d’information sur le même sujet au cours des douze mois précédents, et l’inexistence de poursuites judiciaires en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition proposition, sont l’une et l’autre remplies, comme l’a rappelé Madame la rapporteure. La troisième est contenue à l’article 137 du règlement de l’Assemblée nationale, qui requiert un objet suffisamment précis de la commission d’enquête. Je vais m’efforcer de démontrer qu’elle est également remplie.

L’exposé des motifs précise qu’il s’agit de “veiller à la cohérence de l’action diplomatique” à l’endroit de l’Azerbaïdjan “avec les objectifs généraux de la politique étrangère de la France, en particulier la promotion de la paix et de la sécurité collective, et les progrès de la démocratie dans la région du Caucase du Sud”.

L’exposé des motifs le rappelle, la France est coprésidente du groupe de Minsk avec les États-Unis et la Russie, qui tente depuis 1992 au sein de l’OSCE d’aboutir à une résolution pacifique du conflit du Haut-Karabagh opposant l’Azerbaïdjan à l’Arménie. Je rappelle que cette région du Haut-Karabagh était auparavant peuplée en grande majorité d’Arméniens. Les choses sont bien claires, cette position de la France lui fait un devoir de ne pas favoriser l’un des belligérants, par son activité diplomatique, économique ou militaire.

Les échanges commerciaux entre la France et l’Azerbaïdjan représentent chaque année près de 2 milliards euros, mais cela ne permet pas tout. Le ministère des affaires étrangères indique que “les relations franco-azerbaïdjanaises dans le domaine de la coopération et de la culture sont excellentes”.

Lorsque j’étais le rapporteur de la loi de reconnaissance du génocide arménien (la France était alors la première à le faire), j’avais entendu beaucoup de choses, et notamment qu’on allait perdre des marchés. En réalité, nous n’avons rien perdu du tout. Nous sommes aujourd’hui suivis par beaucoup d’autres (récemment par l’Allemagne) et je crois qu’on peut être heureux et fiers d’avoir été les premiers à prendre cette initiative.

D’autre part, le régime azerbaïdjanais est régulièrement dénoncé par l’ONU et les ONG en raison des atteintes répétées aux droits de l’Homme, à la démocratie et à la liberté d’expression, comme l’a rappelé très justement Pierre-Yves le Borgn’. Il a cité Leyla Yunus et son mari, qui ont été victimes de plusieurs années de prisons, et qui se trouvent aujourd’hui dans un état de santé déplorable.

L’objet des travaux de la commission d’enquête est défini avec une précision suffisante. À ce jour, la proposition de résolution répond aux conditions posées tant par l’ordonnance n°58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, que par les articles 137 à 139 du règlement de l’Assemblée nationale.

Je rappelle enfin qu’une commission d’enquête ne peut certes pas convoquer un étranger, vous l’avez rappelé Madame la Rapporteure, mais rien ne l’empêche de s’intéresser à des agissements étrangers, et de demander à des Français de témoigner.

Aussi je considère pour ma part que rien ne s’oppose à la recevabilité de cette demande de commission d’enquête. Si la recevabilité n’était pas reconnue, certains ne manqueraient pas d’interpréter ce choix comme un renoncement des parlementaires à un de leurs droits les plus fondamentaux et consubstantiels à la démocratie et à la transparence. Pour ma part, croyez bien que je n’en resterai pas là. Ce ne sont pas des menaces.

Je trouve inadmissibles les pressions qui ont été exercées dès le jour du vote de cette proposition à l’intérieur du groupe UDI. L’ambassadeur d’Azerbaïdjan a dès l’après-midi contacté le président de notre groupe, et a à plusieurs reprises exercé des pressions, puisqu’il a écrit à tous les collègues de mon groupe. Il a fallu que je rétablisse par courrier ce qui avait été écrit, qui était totalement faux.

Quand je dis que je n’en resterai pas là, je veux dire qu’il y a d’autres solutions et propositions à envisager.

Mme Elisabeth Guigou. J’ai taché dans mon rapport de m’en tenir aux considérations de droit, puisque notre commission doit apprécier en dehors de toute autre considération la recevabilité sur des points de droits. Il est vrai que l’examen des conditions qui sont évoquées dans le règlement, montre que, si deux de ces conditions sont satisfaites, la troisième ne l’est pas.

Ensuite, et je sors là des considérations de droit : nous sommes face à un conflit qui dure depuis très longtemps et notre commission est tout à fait fondée à s’intéresser à ce qui se passe notamment dans le Haut-Karabagh et au positionnement des deux pays. J’ai conclu mon rapport en disant qu’il me semble que, alors que la commission d’enquête n’est pas le meilleur moyen pour nous de travailler, une mission d’information serait en revanche pour toutes les raisons qui ont été dites tout à fait souhaitable. En tant que rapporteure, je fais la proposition d’une mission d’information.

Les échanges sur cette question difficile - dans la mesure où nous avons tous nos attachements, se sont toujours passés dans la plus grande courtoisie et pour ma part avec la plus grande considération pour le travail assidu que François Rochebloine mène dans cette commission. On ne peut être indifférent aux considérations développées par nos collègues. en particulier Pierre-Yves Le Borgn’.

M. François Rochebloine. J’ai effectivement été reçu par le ministre des affaires étrangères et par vous-mêmes, Madame la Présidente, et les échanges ont été toujours très courtois, sans aucune agressivité ni aucune pression, ce qui n’est pas le cas de tous.

Se prononçant en application de l’article 140, alinéa 2, du Règlement, la commission, adoptant le rapport, constate que ne sont pas réunies les conditions requises pour la création de la commission d’enquête demandée dans la proposition de résolution relative aux relations politiques, économiques et diplomatiques entre la France et l’Azerbaïdjan au regard des objectifs français de développement de la paix et de la démocratie au Sud Caucase (n° 3764).

M. Paul Giacobbi. Madame la Présidente, souhaitez-vous que nous mettions aux voix la proposition de mission ?

Mme Elisabeth Guigou. Je crois que ça n’est pas indispensable puisque une large majorité a reconnu que c’était la meilleure façon de procéder. Si Monsieur Rochebloine le souhaite, je n’y vois toutefois aucun inconvénient.

M. François Rochebloine. Je vais en effet étudier cette possibilité, mais il y en a d’autres, comme nous l’avons évoqué hier en bureau de commission. Il faut prendre en compte l’existence du groupe de Minsk : nous ne sommes pas là pour régler le conflit du Karabagh. Nous verrons ce que nous pouvons faire dans les jours qui viennent.

M. Pierre Lellouche. La question de recevabilité a été tranchée. En réponse à la proposition de mission d’information de la présidente, je souhaiterais m’exprimer sur le fond.

Il faut distinguer les options. S’agirait-il de centrer cette mission sur le régime de l’Azerbaïdjan, ou bien s’agirait-il de regarder l’état du conflit larvé dans le Haut-Karabagh, et que je connais bien. Je me suis rendu en Arménie au début des années 90 pour ouvrir une assistance médicale aux Arméniens qui venaient d’avoir leur indépendance. Je suis allé un certain nombre de fois en Arménie, y compris en Haut-Karabagh. Je suis allé également trois fois en Azerbaïdjan, la dernière fois avec le président de la République de l’époque. Ce conflit me touche. J’ai également une communauté arménienne dans ma circonscription. Je veux contribuer à une solution de ce conflit.

Il n’est pas absurde que la commission veuille s’intéresser à cette question, notamment à la suite de ce qui s’est passé entre la Russie et la Turquie. D’ailleurs, la cessation du cessez-le-feu vient de l’inflammation brutale entre la Russie, présente en Arménie, et la Turquie, très influente en Azerbaïdjan. Je serai favorable d’une façon ou d’une autre que la commission regarde de près ce dossier.

Néanmoins, ce qui m’a surpris, c’est la rédaction de la proposition de M. Rochebloine, car elle mélange plusieurs sujets à la fois : l’énergie, les droits de l’Homme et la violation, qu’elle attribue uniquement à l’Azerbaïdjan, alors que c’est plus compliqué, du cessez-le-feu. Mais il faut bien sûr regarder la politique de la France dans cette région, car ce conflit n’est pas sans lien avec la situation en Ukraine.

M. Paul Giacobbi. Notre commission s’est prononcée sur la recevabilité de la proposition de commission d’enquête. Une proposition différente a été présentée par la rapporteure, et le bureau de la commission en a approuvé le principe, celle de créer une mission d’information sur le conflit au Haut-Karabagh et la médiation du groupe de Minsk. Ainsi, dans le cas où la commission d’enquête ne serait finalement pas créée par la Conférence des présidents, la commission créerait une mission d’information sur ce sujet avec 4 membres issus de la majorité et 3 de l’opposition. Le plus simple serait donc de mettre aux voix cette proposition.

M. François Rochebloine. Je me suis peut être mal exprimé tout à l’heure : je ne souhaite pas la création de cette mission, mais que la Conférence des présidents créée une mission de la Conférence. Donc attendons et prenons un peu de recul.

M. Paul Giacobbi. Pour le moment, il y a une proposition du rapporteur. Un principe a été approuvé par le bureau de la commission. Donc je mets aux voix la proposition de création d’une mission d’information sur le conflit du Haut Karabagh et la médiation du groupe de Minsk.

La création de la mission d’information est adoptée, sous réserve de la décision de la Conférence des présidents.

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