SOMMAIRE
Présidence de Mme Laurence Dumont
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux
Amendements nos 3 , 7 rectifié
Amendement no 9
Après l’article 1er (amendement précédemment réservé)
Amendement no 10
Amendement no 1
Amendement no 6
Mme la présidente. La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi relatif aux attributions du garde des sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et d’action publique (nos 845, 1047).
Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs
les députés, je vais vous présenter ce soir le projet de loi relatif aux
attributions du garde des sceaux et des magistrats du ministère public
en matière de politique pénale et d’action publique.
Ce projet de
loi s’inscrit en cohérence avec le projet de loi constitutionnelle
portant sur la réforme du Conseil supérieur de la magistrature, qui tend
à consolider les conditions d’impartialité de d’indépendance des
magistrats du ministère public et que nous avons étudié hier
soir.
Le texte que je vous ai présenté hier contient des
dispositions essentielles sur le statut des magistrats du ministère
public, notamment en matière de nominations. Le régime des nominations
par avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature sera aligné
sur les modalités de nomination des magistrats du siège. Le régime
disciplinaire sera également aligné sur celui des magistrats du siège.
C’est sans précédent, et constitue une modification tout à fait
substantielle du fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature.
L’intention, clairement annoncée par le Président de la République et
confirmée par le Premier ministre, est de garantir l’impartialité et
l’indépendance des magistrats dans l’exercice de la justice en faveur
des justiciables, et en particulier les plus vulnérables d’entre
eux.
Le projet de loi que je vous présente ce soir a pour objet de
préciser les attributions du garde des sceaux, et il réorganise les
relations du garde des sceaux avec les procureurs généraux et les
procureurs.
Nous pouvons toujours être tentés de bouleverser les
choses. Cette tentation est souvent dictée par la vanité, par le souhait
de laisser son empreinte. Mais nous considérons que nos institutions
sont solides, et du fait qu’elles portent la marque de l’histoire et
celle de la culture, elles ont pu s’installer et s’ancrer dans le temps.
Par conséquent, nous avons choisi de ne pas les bouleverser, et nous
maintenons donc le parquet « à la française », comme il est
habituellement appelé.
En clair, cela veut dire que le garde des
sceaux va veiller aux conditions dans lesquelles les magistrats du
ministère public vont pouvoir exercer leur mission, et cela en
satisfaisant à deux nécessités. La première est que ces magistrats du
ministère public rendent compte au garde des sceaux, et la deuxième est
de veiller à ce qu’ils continuent à pleinement appartenir à l’autorité
judiciaire.
S’agissant de l’obligation de rendre compte au garde des
sceaux, nous avons décidé de maintenir le principe hiérarchique posé par
l’article 5 de l’ordonnance du 22 décembre 1958. Cet article énonce
précisément : « Les magistrats du parquet sont placés sous la direction
et le contrôle de leurs chefs hiérarchiques et sous l’autorité du garde
des sceaux, ministre de la justice. »
Cette obligation se justifie
par le fait que seul le Gouvernement est légitime pour définir une
politique pénale et veiller à son application, conformément à
l’article 20 de la Constitution. De plus, le Gouvernement, et en
l’occurrence le garde des sceaux, doit rendre compte au Parlement. Il a
donc besoin de disposer des éléments qui lui permettent d’exercer
correctement cette obligation à l’égard des parlementaires.
C’est en
effet le garde des sceaux qui définit la politique pénale, qui veille à
son exécution et son application sur la totalité du territoire. C’est
une nécessité, et c’est une obligation républicaine. À défaut, des
inégalités territoriales apparaîtraient et exposeraient les justiciables
à une justice inégalitaire, et au risque d’un découpage géographique en
véritables fiefs à la tête desquels seraient placés des
procureurs.
Cette obligation à l’égard du justiciable permet
d’assurer l’égalité d’accès à la justice et l’égalité face à la justice.
Ces inégalités territoriales, si elles apparaissaient, contribueraient à
creuser des inégalités sociales. Le gouvernement a donc la
responsabilité, sous le contrôle du Parlement, de s’assurer que les
justiciables sont traités de la même façon sur l’ensemble du territoire
de la République.
La seconde nécessité est de veiller à ce que les
magistrats du ministère public continuent bien d’appartenir totalement
et pleinement à l’autorité judiciaire. Cela conduit le Gouvernement à
veiller à leur neutralité dans leurs rapports avec l’exécutif et à
s’assurer de leur totale indépendance et de leur impartialité lorsqu’ils
exercent l’action publique et qu’ils sont conduits à prendre des
décisions dans des affaires individuelles.
Je sais bien que la
question de savoir si les magistrats du parquet appartiennent bien à
l’autorité judiciaire fait l’objet de débats récurrents. À cette
question clairement et brutalement formée, deux types de réponse sont
apportés. Le Conseil constitutionnel a estimé de façon constante que le
parquet appartient bien à l’autorité judiciaire, conformément à ce qui
est inscrit dans notre Constitution. Une réponse bien différente est
apportée par la Cour européenne des droits de l’homme et par la Cour de
cassation, qui ont clairement formulé que les magistrats du ministère
public français n’appartiennent pas à l’autorité judiciaire.
En
fait, la contradiction n’est qu’apparente, malgré la différence des
réponses apportées. Il faut distinguer la conception conventionnelle de
l’autorité judiciaire de sa conception constitutionnelle. Au sens de la
Convention européenne des droits de l’homme, l’autorité judiciaire est
une autorité de jugement. C’est pour cela que la Cour européenne
considère que le magistrat public, du fait de ses relations avec
l’exécutif, ne peut pas être une autorité de jugement, c’est-à-dire
qu’il ne peut pas prononcer de décisions privatives de liberté. Au sens
de la Constitution, l’autorité judiciaire est perçue différemment, et le
magistrat du ministère public appartient bien à cette autorité
judiciaire. Cela ne signifie pas qu’il puisse prendre des décisions qui
relèvent du seul juge, mais il faut le reconnaître comme garant des
libertés individuelles. C’est assez flagrant pour les gardes à vue.
Surtout, et c’est aussi le sens de ce projet de loi, nous devons veiller
à ce que lorsqu’il exerce l’action publique, il soit autonome et
impartial.
C’est pour cela que ce projet de loi contient de telles
dispositions qui, je le répète, sont complémentaires à celles du projet
de loi constitutionnelle portant réforme du Conseil supérieur de la
magistrature. Ce projet nous permet donc d’inscrire le magistrat du
ministère public dans la permanence de l’unité de l’autorité judiciaire,
dans la permanence de l’unité du corps judiciaire. Rappelons que les
magistrats du ministère public suivent la même formation que les
magistrats du siège, ils sont recrutés de la même façon selon les mêmes
modalités, ils prêtent le même serment, ils obéissent à la même
déontologie et au cours de leur carrière, ils peuvent exercer au
ministère public ou au siège.
Cette clarification des attributions
du garde des sceaux et de ses rapports avec le parquet général et le
parquet a une seule finalité : faire en sorte que la justice soit
impartiale et efficace pour le justiciable. Comment faire en sorte que
la suspicion, qui a pesé trop longtemps sur la justice en général et sur
les magistrats du ministère public en particulier, soit éradiquée,
déracinée, et que l’on fasse disparaître toutes les causes réelles ou
fantasmées laissant croire que les magistrats du ministère public sont à
la main du pouvoir politique et exécutent ses consignes ? En clair,
comment faire en sorte que la confiance revienne à l’égard de cette
institution majeure, essentielle, qui constitue la colonne vertébrale de
la démocratie ?
Le projet de loi que je vous présente contient
quatre articles. Le quatrième énonce simplement : « La présente loi est
applicable sur l’ensemble du territoire de la République. » Le premier
article réécrit totalement l’article 30 du code de procédure pénale, qui
dispose aujourd’hui en son premier alinéa : « Le ministre de la justice
conduit la politique d’action publique déterminée par le Gouvernement.
Il veille à la cohérence de son application sur le territoire de la
République. »
L’article 35, portant sur les attributions du
procureur général, est également modifié, et nous introduisons un
article 39-1 qui concerne les attributions et l’exercice de sa mission
par le procureur.
Le premier article du projet de loi réécrit donc
l’article 30. Son premier alinéa nouveau se lira ainsi : « Le ministre
de la justice conduit la politique pénale déterminée par le
Gouvernement. Il veille à la cohérence de son application sur le
territoire de la République. »
En son deuxième alinéa, l’article 30
prévoit que le garde des sceaux adresse aux magistrats du ministère
public des instructions générales. Enfin, en son troisième alinéa, il
précise qu’il ne peut leur adresser aucune instruction dans des affaires
individuelles. En clair, il ne peut pas diligenter une enquête, il ne
pourra plus décider de poursuivre, ni requérir la relaxe dans un dossier
individuel ou donner des consignes en matière de choix de peines à
requérir.
Ces dispositions ont existé de façon inégale et variable
dans l’histoire des rapports entre l’exécutif et le ministère public et
dans le code de procédure pénale. En 1958, le code de procédure pénale
reconnaît au garde des sceaux le pouvoir d’adresser des instructions
individuelles. Les lois de janvier et d’août 1993 préciseront que ces
instructions individuelles doivent êtres écrites et versées au dossier.
J’ouvre une parenthèse très intéressante : en 1999, la garde des
sceaux, Elisabeth Guigou, a présenté au Parlement un projet de loi
visant à mettre un terme aux instructions individuelles. Toutefois, ce
projet de loi était corrélé à la réforme constitutionnelle discutée au
Parlement de 1998 à presque 2000 sans jamais être soumise au
Congrès.
Comme nous l’avons rappelé hier soir, bien que ce projet de
loi constitutionnelle eût été adopté par les trois cinquièmes des deux
chambres du Parlement, il n’a jamais été soumis au Congrès réuni à
Versailles car tel fut le choix du Président de la République. Il n’en
demeure pas moins que la garde des sceaux avait choisi, pendant tout le
quinquennat, de respecter les dispositions du projet de loi qu’elle
avait présenté en ne donnant aucune instruction individuelle. Nous
pouvons donc nous référer à un quinquennat entier pendant lequel
l’exécutif s’est interdit de donner des instructions dans les dossiers
individuels.
La loi du 9 mars 2004 a modifié le code de procédure
pénale. Elle maintient le fait que les instructions individuelles
doivent être écrites et versées au dossier, mais elle introduit
également dans le code un chapitre consacré aux attributions du garde
des sceaux, dont elle élargit les prérogatives en lui confiant la
conduite de l’action publique. L’article 30 du code de procédure pénale,
totalement réécrit, dispose que « le ministre de la justice conduit la
politique pénale déterminée par le Gouvernement ». Aux termes de
l’article 20 de la Constitution, il relève de la responsabilité du
Gouvernement de conduire cette politique publique majeure qu’est la
politique pénale. De plus, le Gouvernement doit rendre des comptes au
Parlement à longueur de session, que ce soit en répondant aux questions
écrites, lors des questions au Gouvernement ou lors des séances assez
désertiques consacrées aux questions orales sans débat. Ainsi, le
Gouvernement doit rendre compte devant le Parlement de l’application de
la loi pénale qu’il lui a proposée et que le Parlement a choisi
d’adopter. Sur la base de cette loi pénale, c’est le garde des sceaux
qui doit définir les priorités et orientations, et veiller à la mise en
œuvre des moyens pour l’application de cette loi. Pour toutes ces
raisons, le garde des sceaux doit effectivement disposer des
informations nécessaires pour les restituer chaque fois que de besoin
devant le Parlement. Le garde des sceaux dispose donc d’un certain
nombre de prérogatives, qui doivent être exercées. Le fait d’inscrire
dans la loi l’interdiction des instructions individuelles n’affaiblit
pas le rôle du garde des sceaux : au contraire, il renforce son
obligation de veiller, au nom du Gouvernement, à l’exécution et à
l’application de la politique pénale.
C’est ce que je fais,
principalement par le biais de circulaires. Dans la circulaire générale
sur la politique pénale, adoptée le 19 septembre 2012 en conseil des
ministres, j’ai rappelé que nous ne donnerions pas d’instructions
individuelles ; j’y définissais déjà une nouvelle architecture
concernant les attributions du garde des sceaux et ses relations avec le
parquet général et le parquet ; surtout, j’y ai indiqué les grands
principes de la politique pénale, notamment le principe essentiel de
l’individualisation, la nécessité d’une démarche éclairée quant aux
choix de procédure, l’importance des droits de la défense, ou encore
l’attention qu’il faut accorder aux victimes. Outre ces orientations, la
circulaire du 19 septembre 2012 comportait des dispositions pratiques et
soulignait l’importance des relations entre le parquet et les services
d’enquête.
Certes, aux termes du code de procédure pénale, c’est le
procureur qui dirige la police judiciaire. Mais j’ai aussi instauré
l’habitude, pour les procureurs, d’un retour auprès des enquêteurs de
police judiciaire au sujet des informations relatives aux procédures
dans lesquelles ils ont été impliqués. J’ai pu constater la mise en
œuvre de cette pratique au cours des divers déplacements que j’ai
effectués en juridictions. Je suis également appelée à diffuser des
circulaires de politique territoriale, lorsqu’une partie du territoire
est confrontée à un type de délinquance particulier qui appelle une
politique pénale plus ciblée. Évidemment, une circulaire de politique
territoriale reste cohérente avec la politique pénale générale, mais
elle décline un certain nombre de priorités, d’orientations ou de
procédures spécifiques au territoire concerné. Par exemple, dans la
circulaire territoriale que j’ai diffusée en Corse et dans
l’agglomération de Marseille, je demande aux procureurs de pratiquer
l’autosaisine des services d’enquête - police et gendarmerie - à chaque
fois qu’ils perçoivent que cette méthode permettrait de faciliter la
conduite des enquêtes et d’augmenter leur efficacité.
Ces
circulaires peuvent aussi concerner des thématiques particulières : je
pense par exemple à la circulaire contre le racisme et l’antisémitisme,
ou à la circulaire sur la détention des armes.
Enfin, les
circulaires peuvent accompagner une loi adoptée par le Parlement lorsque
les débats ont fait apparaître que certaines dispositions, qui ne
peuvent être inscrites dans la loi, contribueraient pourtant à une
meilleure compréhension de l’intention du législateur et, par
conséquent, à une meilleure application de cette loi. Il m’est déjà
arrivé à deux reprises de diffuser, parallèlement à la promulgation
d’une loi par le Président de la République, une circulaire
d’application de cette loi.
Voilà donc, parmi les moyens à la
disposition de l’exécutif et, plus directement, du garde des sceaux, des
prérogatives qui permettent de s’assurer de la bonne exécution de la
politique pénale et de son application cohérente sur l’ensemble du
territoire sans avoir à intervenir dans les affaires individuelles.
L’article 2 du présent projet de loi, qui modifie l’article 35 du code
de procédure pénale, précise les attributions du procureur général. De
même, l’article 3 du projet de loi introduit dans le code un nouvel
article 39-1 qui précise les attributions du procureur et les relations
entre procureur général, procureur et garde des sceaux.
J’ai rappelé
tout à l’heure l’article 5 de l’ordonnance de décembre 1958 : le
procureur général doit rendre compte au garde des sceaux, à partir des
éléments qui lui sont transmis par le procureur. Le procureur général
est chargé de décliner les orientations de la politique pénale générale
en fonction des particularismes de son ressort. Quant au procureur de la
République, il tient compte encore plus finement des circonstances
locales pour adapter cette politique pénale générale.
Le procureur
général, alimenté par les informations que lui remonte le procureur de
la République, rend compte au garde des sceaux par le biais d’un rapport
annuel de politique pénale. Ce rapport porte sur l’activité et la
gestion des parquets de son ressort, ainsi que sur l’application de la
loi et des instructions générales reçues au titre du nouvel alinéa de
l’article 30 du code de procédure pénale.
Le procureur général rend
également compte de son action par le biais de rapports particuliers.
Ceux-ci concernent des thématiques : il peut s’agir de contentieux
spécifiques ou de l’application particulière d’une disposition de la loi
sur une portion du territoire du ressort.
Par exemple, les services
du ministère de la justice étaient impliqués dès l’amont dans la mise en
place des zones de sécurité prioritaires, c’est-à-dire dès la conception
de ces zones, lesquelles sont assez fortement inspirées des groupes
locaux de traitement de la délinquance, qui sont des instances purement
judiciaires. J’ai mobilisé dès le mois d’août les procureurs et les
procureurs généraux, qui m’ont fait des propositions de périmètres
territoriaux pour ces zones de sécurité prioritaires ; ils m’ont
transmis des rapports de politique pénale à ce propos et, ensemble, nous
avons mis en place des méthodes. Le ministre de l’intérieur Manuel Valls
et moi-même avons participé à une journée d’évaluation avec eux, le 13
mai à Lyon, il y a un peu plus de deux semaines.
Ces rapports
thématiques nous permettent donc de connaître et d’analyser
l’application de la politique pénale, y compris dans une zone
géographique très clairement délimitée. Quelle est l’utilité de cette
remontée d’informations ? Les rapports annuels de politique pénale et
les rapports particuliers, qui peuvent d’ailleurs aussi concerner des
affaires particulières, servent d’abord à ajuster la politique pénale et
la répartition des moyens sur l’ensemble du territoire. Ils servent
aussi à informer la chancellerie sur le fonctionnement de l’institution
judiciaire, à lui permettre d’anticiper et de prendre des mesures
lorsqu’un contentieux particulier nécessite une concentration de moyens
provisoire pour qu’un procès se déroule correctement. Je pense, par
exemple, à des contentieux de santé publique.
Lors d’un procès qui
s’est achevé récemment à Marseille, nous avons dû faire un effort
particulier en matière de frais de fonctionnement : compte tenu du
nombre de victimes - 3 800 dans un premier temps, près de 6 000
finalement -, il a fallu délocaliser le procès, ce qui a nécessité des
moyens. Ce sont ces remontées d’informations qui permettent à la
chancellerie d’anticiper et, parfois, d’ajuster les moyens lorsque la
situation le nécessite. Je résume les principales attributions du
procureur et du procureur de la République : décliner la politique
pénale, faire remonter l’information, contribuer à une répartition
correcte des moyens sur le territoire, et s’assurer finalement que la
justice est rendue de façon équitable dans notre pays, c’est-à-dire que
les justiciables, où qu’ils se trouvent, sont égaux devant la justice.
Toutes ces considérations paraissent très abstraites si nous ne relions
pas les textes que nous examinons à la réalité dans laquelle nous vivons
et sur laquelle nous voulons agir.
Pour donner plus de chair et de
nerfs à ces mesures, je conclus mon intervention en évoquant une grande
et belle figure de magistrat du ministère public. Je remonte loin,
puisque j’évoquerai à l’affaire Dreyfus. J’ai un attachement particulier
pour cette affaire, pour ce qu’elle représente, pour ce qu’elle signifie
et pour ce que sa conclusion révèle de la société française et du
courage de la justice. C’est la figure du procureur général Jean-Pierre
Manau qui, au nom du ministère public, a défendu sa conception de la
vérité et de l’impartialité.
Je suis particulièrement sensible à
cette affaire pour ce qu’elle dit de la société française et parce que
Dreyfus a été condamné au bagne en Guyane. Dans la ville de Kourou, la
tour Dreyfus existe toujours sur le littoral. Elle servait à surveiller
ce bagnard en particulier qui se trouvait sur l’île du Diable que l’on
appelle aujourd’hui les Îles du Salut. Ce grand procureur général a eu
le courage de requérir la cassation de la première condamnation d’Émile
Zola par la cour d’assises, puis de requérir la cassation de la
condamnation de Dreyfus par le conseil de guerre en dépit du climat
politique ambiant.
Pour le président de la chambre criminelle de la
cour de cassation, ce grand magistrat représentait l’un des plus beaux
exemples du courage civil des magistrats du ministère public. En tant
que magistrat amovible, il a en effet eu le courage de préférer la
vérité et l’impartialité. Il a choisi une parole libre. En dépit d’une
situation tumultueuse, des positions du gouvernement, il a eu le courage
de requérir la cassation de deux jugements, de deux condamnations
manifestement injustes. Voilà une très belle figure qui rappelle que ce
que nous faisons n’a rien d’une chicanerie d’écriture ni d’une chimère
sur les relations entre l’exécutif et le ministère public. Nous
consolidons une institution majeure au service des justiciables afin que
ceux qui sont conduits à désespérer de la vie puissent espérer toujours
en la justice et donc en l’État. (Applaudissements sur les
bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et
RRDP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de
la législation et de l’administration générale de la
république. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers
collègues, la nuit dernière, notre Assemblée a examiné le projet de loi
constitutionnelle portant réforme du Conseil supérieur de la
magistrature.
Je n’ignore pas davantage que les magistrats du
ministère public ne disposent pas des mêmes garanties statutaires que
ceux du siège, l’indépendance des premiers ne pouvant avoir la même
portée que celle reconnue aux seconds, en raison même du principe de
subordination hiérarchique des membres du ministère public, principe que
je n’ai jamais eu l’intention de remettre en cause. Je demeure, en
effet, convaincu que, dans un État de droit comme le nôtre, c’est la
condition pour avoir une égalité des citoyens devant la loi pénale sur
l’ensemble du territoire.
Il n’en demeure pas moins que, dans le
respect de cette organisation hiérarchique, fruit de notre histoire
judiciaire et caractéristique propre au « parquet à la française », il
existe, pour reprendre les termes employés par la Cour européenne des
droits de l’homme, un intérêt général consistant à « maintenir la
confiance des citoyens dans l’indépendance et la neutralité politique
des autorités de poursuite d’un État ». Telle est l’ambition que je
traduisais en voulant inscrire dans l’article 31 du code de procédure
pénale relatif à l’exercice de l’action publique les principes
d’indépendance et d’impartialité.
Je soulignerai enfin qu’aux termes
de sa jurisprudence, le Conseil constitutionnel considère, de manière
constante, que le parquet est une autorité judiciaire indépendante et
impartiale, apte, sous certaines réserves, à garantir la liberté
individuelle, et ce nonobstant les particularités de son
statut.
C’est bien dans le prolongement de cette jurisprudence que
j’ai souhaité tirer les conséquences de l’exclusion du garde des sceaux
de l’exercice direct de l’action publique, désormais réservé aux seuls
magistrats du ministère public, en rappelant dans cet article 31 du code
de procédure pénale les principes d’indépendance et d’impartialité qui
s’appliquent, sous certaines réserves certes, aux magistrats du parquet,
membres de l’autorité judiciaire au sens de l’article 64 de la
Constitution, dans l’exercice de leur mission.
Il n’en demeure pas
moins que le « parquet à la française » a pour particuliarité une
dualité fonctionnelle : en tant que juge, le parquet est garant de la
protection de la liberté individuelle ; en tant qu’autorité de
poursuite, il constitue une partie au procès. Or cette dualité
fonctionnelle a conduit à l’émergence d’appréciations divergentes sur la
notion d’indépendance entre la jurisprudence constitutionnelle et la
jurisprudence conventionnelle, divergences dont je n’ignore rien comme
je vous l’ai dit et dont mon rapport se fait naturellement
l’écho.
Dans ces conditions, je vous proposerai, au cours de la
discussion des articles, un amendement proposant de ne pas faire figurer
à l’article 31 du code de procédure pénale la référence au principe
d’indépendance dans l’exercice de l’action publique par les magistrats
du ministère public, d’autres amendements ayant d’ailleurs été déposés
en ce sens. L’action publique se doit d’être impartiale.
En effet,
comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel dans une décision sur une
QPC du 21 octobre 2011, le parquet n’est pas une partie au procès comme
une autre, le ministère public n’étant pas « dans une situation
identique à celle de la personne poursuivie ou de la partie civile ».
N’étant pas une partie au procès comme une autre, le ministère public
doit conduire l’action publique de manière impartiale, nonobstant les
particularités de son statut. Tel est d’ailleurs tout l’objet de la
prohibition des instructions individuelles du garde des sceaux,
prohibition destinée à rendre insoupçonnable l’impartialité du parquet
aux yeux des justiciables.
Voilà, mes chers collègues, les
principaux points que je souhaitais aborder sur ce projet de loi, que je
vous demanderai, naturellement, d’adopter, afin de faire rentrer notre
justice dans une nouvelle ère d’indépendance, pour le plus grand
bénéficie de tous les justiciables. (Applaudissements sur
les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et
RRDP.)
Ce texte vise, de manière générale, à renforcer
l’autorité du CSM et plus largement à garantir l’indépendance de la
justice, afin que les magistrats rendent leurs décisions en toute
impartialité et que les citoyens aient la conviction que les décisions
prises par la justice ne le sont que dans l’intérêt de la loi et des
justiciables.
Cette réforme constitutionnelle cherche, en
particulier, à entourer la nomination des magistrats du parquet ainsi
que les conditions dans lesquelles ces derniers exercent leurs
fonctions, de nouvelles garanties statutaires - comme l’avis conforme
désormais requis pour les nominations des magistrats du parquet, comme
l’institution du CSM en réel conseil de discipline de ces magistrats :
tout cela dans le souci de rendre l’impartialité de la justice
insoupçonnable pour les justiciables.
Complétant et prolongeant
cette réforme du CSM avec laquelle il forme un « tout » cohérent, le
projet de loi relatif aux attributions du garde des sceaux et des
magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise
en œuvre de l’action publique, que nous examinons ce soir, après son
adoption par la commission des lois de notre assemblée le 21 mai
dernier, est un texte qui marquera indéniablement une évolution très
positive pour notre justice.
En effet, le présent texte entend, pour
reprendre les propos de la commission de réflexion sur la justice,
installée en 1997 et présidée par M. Pierre Truche, alors Premier
président de la Cour de cassation, ne laisser aucune « place au soupçon
de pressions partisanes qui mine la confiance des citoyens dans
l’institution judiciaire ». Ces dix dernières années ont trop souvent
été marquées - et je le regrette profondément - par la suspicion
d’interventions de l’exécutif dans telle ou telle affaire dite
sensible.
Afin, d’une part, de remédier à cette situation dont nul
ne saurait raisonnablement se satisfaire et, d’autre part, de restaurer
l’impartialité de l’autorité judiciaire, dont l’article 64 de la
Constitution consacre l’indépendance et dont les magistrats du parquet
font partie intégrante au nom même du principe d’unité du corps de la
magistrature, le projet de loi que nous examinons poursuit trois axes,
que je me propose de vous présenter brièvement.
En premier lieu, le
présent texte clarifie les attributions respectives du ministre de la
justice et des magistrats du ministère public. À cette fin, il entend
restituer au garde des sceaux la responsabilité de conduire la politique
pénale déterminée par le Gouvernement, conformément à l’article 20 de la
Constitution, et confier le plein exercice de l’action publique aux
seuls magistrats du ministère public.
Dans le cadre de sa mission,
le garde des sceaux devra veiller, comme cela est actuellement le cas, à
la cohérence de l’application de la politique pénale sur l’ensemble du
territoire de la République et pourra adresser, à cette fin, des
instructions générales de politique pénale aux magistrats du ministère
public.
Les procureurs généraux deviennent, pour leur part, les
garants de l’application effective, cohérente et homogène de la
politique pénale dans leur ressort : à cet effet, ils se voient confier
un pouvoir de déclinaison territoriale des instructions générales du
garde des sceaux et ce, afin de tenir compte du contexte propre au
ressort de la cour d’appel.
Il revient, enfin, aux procureurs de la
République de mettre en œuvre, dans leur ressort respectif, la politique
pénale définie au niveau national par les instructions générales du
ministre de la justice et adaptée au niveau régional par les procureurs
généraux. À l’instar du pouvoir de déclinaison reconnu à ces derniers,
les procureurs de la République se voient également reconnaître la
faculté d’adapter les instructions générales au contexte propre à leur
ressort.
En définitive, la lecture croisée des articles
1er à 3 du présent projet de loi nous permet de
prendre la pleine mesure de la clarification de la responsabilité de
chaque échelon en matière de conduite de la politique pénale. Les
instructions générales de politique pénale sont définies par le ministre
de la justice. Puis, elles sont précisées et, le cas échéant adaptées,
par le procureur général dans le ressort de la cour d’appel. Elles sont
enfin mises en œuvre, sous réserve d’éventuelles adaptations propres aux
circonstances locales, par le procureur de la République dans le ressort
du tribunal de grande instance.
En deuxième lieu, ce projet de loi
prohibe désormais toute instruction du garde des sceaux à l’occasion
d’une affaire individuelle. Tirant les conséquences de la restitution au
bénéfice des seuls magistrats du parquet de l’exercice de l’action
publique et conformément à l’engagement n° 53 du Président de la
République lors de la campagne de l’élection présidentielle - «
J’interdirai les interventions du gouvernement dans les dossiers
individuels » -, le projet de loi que nous examinons inscrit, à
l’article 30 du code de procédure pénale, la prohibition désormais faite
au garde des sceaux d’adresser aux magistrats du ministère public toute
forme d’instruction dans des affaires individuelles.
Cette
interdiction de toute instruction du ministre de la justice dans les
affaires individuelles revêt une valeur symbolique d’autant plus forte
qu’elle consacre la volonté indéfectible du Gouvernement, comme du
législateur, de garantir l’impartialité des décisions des magistrats du
parquet et de mettre fin au soupçon, qui trop souvent pèse sur le
déroulement des procédures judiciaires et plus particulièrement pénales,
en altérant la confiance des citoyens dans l’institution
judiciaire.
J’entends dire, ici et là, que les instructions
individuelles seraient en nombre infime et qu’il n’y aurait donc pas
lieu de les prohiber. Je rappelle que le principe même de l’instruction
individuelle constitue une immixtion directe du pouvoir exécutif dans
une procédure juridictionnelle, qui porte atteinte à la séparation des
pouvoirs.
Nul ne peut, par ailleurs, sérieusement contester
l’existence d’un soupçon lourd, tenace, et ces dernières années
amplifié.
Cette prohibition des instructions individuelles,
désormais gravée dans le marbre de la loi, a déjà été envisagée dans
l’histoire de notre justice. Entre 1997 et 2002, les gardes des sceaux
successives, Mme Élisabeth Guigou et Mme Marylise Lebranchu, auxquelles
je souhaite rendre hommage, avaient renoncé à la possibilité d’adresser
de telles instructions individuelles, de quelque nature qu’elles
soient.
Après une lecture devant chaque chambre, du projet des deux
propositions constitutionnelles, vous avez rappelé, madame la garde des
sceaux, le sort qui fut réservé au dispositif du Congrès. Dès votre
prise de fonction en mai 2012, madame la garde des sceaux, traduisant
votre volonté d’assurer l’indépendance de l’institution judiciaire, vous
avez décidé non seulement de renouer avec la pratique de vos
prédécesseurs sous le gouvernement de M. Lionel Jospin, mais vous avez
également décidé d’inscrire expressément le principe de prohibition de
toute instruction individuelle dans la loi en l’érigeant en principe de
procédure pénale. Tel est l’objet du présent projet de loi, qui
constitue une avancée majeure dans le fonctionnement indépendant et
impartial de notre justice.
En dernier lieu, ce texte organise la
remontée d’information pour la définition et la conduite d’une politique
pénale juste et cohérente sur l’ensemble du territoire. Le troisième axe
qui structure le projet de loi que nous sommes conduits à examiner ce
soir est d’organiser la remontée de l’information entre les procureurs
de la République, les procureurs généraux et le garde des sceaux, sur la
mise en œuvre et la déclinaison locale de la politique pénale définie au
niveau national.
Ainsi, il reviendra désormais aux procureurs
généraux et aux procureurs de la République d’adresser respectivement au
ministre de la justice et aux procureurs généraux, d’une part, un
rapport annuel de politique pénale sur l’application de la loi et la
mise en œuvre des instructions générales ainsi que, d’autre part, un
rapport annuel sur l’activité et la gestion du ou de leurs
parquets.
Comme aujourd’hui, la transmission de ces rapports
s’exercera sans préjudice des rapports particuliers que les procureurs
généraux et les procureurs de la République seront amenés à établir soit
d’initiative, soit sur demande respective du ministre de la justice et
du procureur général.
Plus qu’elles n’innovent, ces dispositions
tendent à conforter la pratique existante en matière de remontée
d’information et ce, dans le souci de nourrir en particulier la
réflexion du garde des sceaux dans la définition des instructions
générales de politique pénale adressées en retour aux magistrats du
ministère public. Comme l’avait souligné à juste titre le rapport Truche
de la commission de réflexion sur la justice, « la politique nationale
se nourrit des informations venues des parquets et parquets généraux à
l’occasion d’affaires particulières et par un rapport annuel ».
La
conduite de la politique pénale implique, en effet, que le garde des
sceaux, qui en assume la responsabilité au titre de l’alinéa
1er de l’article 30 du code de procédure
pénale, reçoive régulièrement des parquets généraux et des parquets une
information fiable et complète sur le fonctionnement de la
justice.
Tel est l’objet des rapports annuels et des rapports
particuliers établis par les procureurs généraux et les procureurs de la
République.
En organisant la remontée d’information, ces rapports
permettent au garde des sceaux de veiller à une application homogène,
juste et cohérente de la loi pénale sur l’ensemble du territoire de la
République et, ainsi, de garantir l’égalité des citoyens devant la loi à
laquelle nous sommes tous très attachés.
Dans le respect de
l’économie générale du texte présenté par le Gouvernement, la commission
des lois de notre assemblée s’est efforcée, sur ma proposition, de
donner à ce texte sa pleine mesure et ce, à trois égards.
Tout
d’abord, il m’est apparu nécessaire de garantir l’information annuelle
du Parlement et des magistrats sur l’application de la politique pénale.
La clarification des attributions du garde des sceaux dans la conduite
de la politique pénale est vaine, si nous, parlementaires, ne sommes pas
mis en mesure de la contrôler et de l’évaluer, conformément à la lettre
même de l’article 24 de la Constitution.
C’est pourquoi, sur mon
initiative, la commission des lois de notre assemblée a souhaité que
soit organisée une information annuelle du Parlement sur l’application
de la politique pénale déterminée par le Gouvernement, ainsi que sur la
mise en œuvre des instructions générales adressées à cette fin, par le
ministre de la justice aux magistrats du ministère public.
Il
reviendra désormais, chaque année, au garde des sceaux de publier un
rapport de politique pénale et, sur cette base, d’informer le Parlement
par une déclaration pouvant être suivie d’un débat, des conditions de
mise en œuvre de la politique pénale déterminée par le Gouvernement
ainsi que des instructions générales adressées à cette fin.
Tirant
les conséquences de l’information annuelle du Parlement au niveau
national, la commission des lois a estimé souhaitable et nécessaire que
soit organisée, par cohérence, au niveau local et chaque année,
l’information de l’ensemble des magistrats de la cour d’appel et du
tribunal de grande instance sur l’application, dans leur ressort, de la
politique pénale.
Dans cette perspective, il reviendra au procureur
général et au procureur de la République de communiquer leur rapport
annuel de politique pénale respectivement au premier président de la
cour d’appel et au président du tribunal de grande instance. Ce rapport
fera ensuite l’objet d’un débat lors de la prochaine assemblée générale
des magistrats du siège et du parquet au sein de chaque
ressort.
Ensuite, sur ma proposition, la commission des lois, a
souhaité garantir la publicité des instructions générales de politique
pénale adressées par le garde des sceaux.
Toujours dans ce souci de
transparence qui a constamment guidé nos travaux préparatoires, la
commission a donc inscrit dans la lettre même du code de procédure
pénale, le principe de la publicité des instructions générales de
politique pénale, qui sont adressées par le garde des sceaux aux
magistrats du ministère public.
Nous considérons en effet - et je
suis convaincu que tous partagent ce sentiment - que la fin du soupçon,
auquel le présent texte entend mettre fin, exige que chaque citoyen
puisse avoir connaissance des choix de politique pénale arrêtés par le
ministre de la justice et qui seront désormais débattus, chaque année,
au Parlement.
À mon initiative, la commission des lois a enfin voulu
rappeler les principes d’indépendance et d’impartialité dans l’exercice
de l’action publique par les parquets. Dans le prolongement de la
prohibition de toute instruction individuelle, j’ai estimé nécessaire
que soient rappelés, à l’article 31 du code de procédure pénale, les
principes d’indépendance et d’impartialité, dans l’exercice de l’action
publique par les magistrats du ministère public.
Cette disposition a
fait l’objet d’un débat particulièrement riche et nourri en commission,
certains collègues ayant exprimé leurs réserves sur l’opportunité de
rappeler, notamment, le principe d’indépendance.
Nous aurons
l’occasion d’y revenir au cours de la discussion des articles, mais je
n’ignore pas que la notion d’indépendance fait l’objet d’appréciations
divergentes entre la jurisprudence constitutionnelle et la jurisprudence
conventionnelle, vous l’avez rappelé, madame la garde des sceaux.
Je
n’ignore pas davantage que les magistrats du ministère public ne
disposent pas des mêmes garanties statutaires que ceux du siège,
l’indépendance des premiers ne pouvant avoir la même portée que celle
reconnue aux seconds, en raison même du principe de subordination
hiérarchique des membres du ministère public, principe que je n’ai
jamais eu l’intention de remettre en cause. Je demeure, en effet,
convaincu que, dans un État de droit comme le nôtre, c’est la condition
pour avoir une égalité des citoyens devant la loi pénale sur l’ensemble
du territoire.
Il n’en demeure pas moins que, dans le respect de
cette organisation hiérarchique, fruit de notre histoire judiciaire et
caractéristique propre au « parquet à la française », il existe, pour
reprendre les termes employés par la Cour européenne des droits de
l’homme, un intérêt général consistant à « maintenir la confiance des
citoyens dans l’indépendance et la neutralité politique des autorités de
poursuite d’un État ». Telle est l’ambition que je traduisais en voulant
inscrire dans l’article 31 du code de procédure pénale relatif à
l’exercice de l’action publique les principes d’indépendance et
d’impartialité.
Je soulignerai enfin qu’aux termes de sa
jurisprudence, le Conseil constitutionnel considère, de manière
constante, que le parquet est une autorité judiciaire indépendante et
impartiale, apte, sous certaines réserves, à garantir la liberté
individuelle, et ce nonobstant les particularités de son
statut.
C’est bien dans le prolongement de cette jurisprudence que
j’ai souhaité tirer les conséquences de l’exclusion du garde des sceaux
de l’exercice direct de l’action publique, désormais réservé aux seuls
magistrats du ministère public, en rappelant dans cet article 31 du code
de procédure pénale les principes d’indépendance et d’impartialité qui
s’appliquent, sous certaines réserves certes, aux magistrats du parquet,
membres de l’autorité judiciaire au sens de l’article 64 de la
Constitution, dans l’exercice de leur mission.
Il n’en demeure pas
moins que le « parquet à la française » a pour particuliarité une
dualité fonctionnelle : en tant que juge, le parquet est garant de la
protection de la liberté individuelle ; en tant qu’autorité de
poursuite, il constitue une partie au procès. Or cette dualité
fonctionnelle a conduit à l’émergence d’appréciations divergentes sur la
notion d’indépendance entre la jurisprudence constitutionnelle et la
jurisprudence conventionnelle, divergences dont je n’ignore rien comme
je vous l’ai dit et dont mon rapport se fait naturellement
l’écho.
Dans ces conditions, je vous proposerai, au cours de la
discussion des articles, un amendement proposant de ne pas faire figurer
à l’article 31 du code de procédure pénale la référence au principe
d’indépendance dans l’exercice de l’action publique par les magistrats
du ministère public, d’autres amendements ayant d’ailleurs été déposés
en ce sens. L’action publique se doit d’être impartiale.
En effet,
comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel dans une décision sur une
QPC du 21 octobre 2011, le parquet n’est pas une partie au procès comme
une autre, le ministère public n’étant pas « dans une situation
identique à celle de la personne poursuivie ou de la partie civile ».
N’étant pas une partie au procès comme une autre, le ministère public
doit conduire l’action publique de manière impartiale, nonobstant les
particularités de son statut. Tel est d’ailleurs tout l’objet de la
prohibition des instructions individuelles du garde des sceaux,
prohibition destinée à rendre insoupçonnable l’impartialité du parquet
aux yeux des justiciables.
Voilà, mes chers collègues, les
principaux points que je souhaitais aborder sur ce projet de loi, que je
vous demanderai, naturellement, d’adopter, afin de faire rentrer notre
justice dans une nouvelle ère d’indépendance, pour le plus grand
bénéficie de tous les justiciables. (Applaudissements sur
les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et
RRDP.)
Mme la présidente. J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe Union pour
un Mouvement Populaire une motion de rejet préalable déposée en
application de l’article 91, alinéa 5, du règlement.
La parole est à
M. Guy Geoffroy.
M. Guy Geoffroy. À vous entendre, madame la garde des sceaux, il s’agirait de garantir
enfin à l’institution judiciaire son indépendance et son impartialité,
comme si, jusqu’à la présentation de ce texte, pour reprendre un terme
utilisé par le rapporteur dès le début de son propos, il y avait matière
à soupçon, un fort soupçon, amplifié, nous a-t-il dit d’ailleurs, au
cours des dernières années.
Si nous pouvons être d’accord avec vous,
et nous le sommes volontiers, c’est sur ce qui nous réunit, nous,
parlementaires, acteurs de la vie publique, depuis très longtemps, à
savoir la nécessité d’avoir dans notre pays une institution judiciaire
marquée du double sceau de l’indépendance et de l’impartialité,
lesquelles, d’ailleurs, ne vont peut-être pas toujours si bien l’une
avec l’autre.
Quelques exemples récents nous permettent en effet de
dire que l’indépendance dont se prévalent à très juste titre les
magistrats ne les conduit pas automatiquement et obligatoirement à
exercer leurs fonctions en toute impartialité. Il aurait pu y avoir des
erreurs judiciaires si les décisions n’avaient pas été rectifiées en
cours de route. Je veux parler en particulier de cette douloureuse
affaire d’Outreau, qu’un certain nombre d’entre nous ici avons d’autant
mieux connue que nous avons fait partie de la commission d’enquête
placée sous la double houlette positive d’André Vallini, qui la
présidait, et de notre excellent collègue Philippe Houillon, qui en
rapportait les conclusions. Nous avions noté à cette époque combien,
sans que nous puissions porter un doute sur sincérité, des magistrats
pouvaient ne pas être tout à fait impartiaux dans la conduite de leur
instruction et, pourquoi pas éventuellement, s’agissant des magistrats
du siège, dans la conduite de leurs jugements.
Indépendance et
impartialité, tout le monde est donc d’accord, mais faut-il pour autant
mettre en place un nouveau dispositif comme celui que vous avez décidé
en toute cohérence, affirmez-vous et réaffirmez-vous, de concocter et de
nous présenter à travers deux projets de loi, l’un, constitutionnel, que
notre assemblée a examiné hier, et l’autre, ordinaire, celui que nous
évoquons ce soir ?
Très sincèrement, je ne le pense pas, et le texte
dont nous discutons semble à la fois, – je ne voudrais pas que le terme
soit mal compris –, relativement insignifiant et pour tout dire assez
inutile.
Le premier paragraphe de l’exposé des motifs, en lui-même,
pose un problème : « L’indépendance de la justice constitue une
condition essentielle du fonctionnement d’une démocratie respectueuse de
la séparation des pouvoirs. » Cela ressemble étrangement à un
encouragement à ce qu’il est de bon ton d’évoquer lorsque l’on parle de
la justice et de la magistrature, c’est-à-dire l’existence d’un pouvoir
judiciaire.
Pourquoi évoquer la séparation des pouvoirs en parlant
de l’institution judiciaire, si ce n’est pour laisser penser ou, pire,
penser soi-même qu’il existerait dans notre pays un pouvoir judiciaire
qui, aux côtés du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif,
constituerait le troisième pouvoir ?
Or le constituant, et cela n’a
jamais été remis en cause, a donné à l’institution judiciaire un statut
bien particulier, un statut qui en fait son originalité, sa spécificité
et qui en garantit justement l’indépendance, le statut constitutionnel
d’autorité judiciaire. Parler de séparation des pouvoirs lorsque l’on
parle de la justice est un excès de langage qui trop souvent conduit à
une vision déformée.
Au nom du Gouvernement, vous avez présenté un
projet de loi constitutionnelle qui prétend renforcer l’indépendance de
la magistrature mais qui a été sérieusement édulcoré par l’Assemblée à
la demande de son rapporteur et sur l’initiative conjointe de la
commission des lois.
Votre projet, on le sait, a été totalement
réécrit, et ce qui en ressort, ce n’est plus l’engagement du Président
de la République de redonner une majorité aux magistrats au sein du
Conseil supérieur de la magistrature, c’est tout simplement le droit
actuel issu des dispositions que nous avions proposées après l’affaire
d’Outreau.
Il s’agit pour vous de revenir à une situation qui montre
que les magistrats font leurs affaires entre eux, notamment lorsqu’il
s’agit des questions disciplinaires. Nous savons exactement ce qu’en
pensent les Français. Ils sauront vous dire ce qu’ils pensent de ce que
vous avez tenté de faire avec la révision constitutionnelle que vous
nous avez proposée et qui est loin, vous le savez vous-même, d’avoir de
grandes chances d’aboutir.
Aujourd’hui, vous nous présentez un texte
que je qualifierai, sans être inconvenant, de texte bisounours, puisque
vous enfoncez quelques portes bien ouvertes, le Gouvernement, à des
périodes différentes, comme le Parlement ayant largement eu l’occasion
de dire ce que nous devions faire.
Il y a un peu plus de vingt ans,
existaient des instructions orales sur des affaires particulières. Il a
été décidé, sous une majorité de gauche, que de telles instructions
devraient être non plus orales mais écrites. Sous une autre majorité, de
droite celle-ci, vous avez oublié de le dire, me laissant probablement
le soin de le préciser, nous sommes allés au bout de cette logique, dont
nous partageons tous l’évidence : s’il doit y avoir des instructions
particulières sur un dossier particulier, autant qu’elles soient connues
de tous les acteurs du dossier et en particulier de la défense. C’est la
raison pour laquelle, aujourd’hui, les instructions particulières
doivent être écrites et figurer dans le dossier afin que chacun sache
exactement de quoi il s’agit.
Selon l’article 30 du code de
procédure pénale, le ministre de la justice « peut dénoncer au procureur
général les infractions à la loi pénale dont il a connaissance et lui
enjoindre, par instructions écrites et versées au dossier de la
procédure, d’engager ou de faire engager des poursuites ou de saisir la
juridiction compétente de telles réquisitions écrites que le ministre
juge opportunes ».
Cela concerne une dizaine de cas par an, qui,
depuis 2004, nous l’avons vérifié, vont d’ailleurs tous dans le même
sens. Quand le ministre constate que, dans une affaire particulière, des
poursuites ne sont pas engagées alors qu’en application de la loi, elles
devraient l’être, l’article 30 du code de procédure pénale s’applique,
mais pour que des poursuites soient engagées et non l’inverse. Et c’est
cela que vous voulez modifier au motif de garantir l’impartialité de la
justice et son indépendance.
Ce n’est pas un bon chemin que vous
prenez. Vous prétendez régler une question ou laver encore plus blanc
que blanc sans véritablement donner la solution. Je me permettrai de
donner tout à l’heure un exemple qui fera probablement réfléchir un
certain nombre d’entre nous, à commencer par vous.
J’ai fait une
autre remarque en commission, et j’ai été surpris qu’elle ne soit pas
reprise. C’est une remarque de forme mais elle va toucher le fond. Elle
concerne le texte tel qu’il est issu des travaux de la commission. Le
quatrième alinéa de l’article 1er maintient une
formule qui, vous en conviendrez, est un peu embarrassante. Alors que le
troisième alinéa parle d’instructions générales, le quatrième parle
d’instructions dans des affaires individuelles. Comme je l’ai expliqué
en commission, je pensais que le pendant des instructions générales
serait les instructions de nature particulière. Le Conseil supérieur de
la magistrature, récemment sollicité par vous sur l’affaire dite du
« mur des cons » a d’ailleurs répondu qu’il ne pouvait pas se saisir, en
l’état actuel, d’une "affaire particulière". J’ai proposé de reprendre
cette notion de « particulier », qui s’opposerait à « général », mais
cela n’a pas été retenu.
Je note au passage que la lecture et
l’application strictes du texte, tel qu’il nous est présenté, pourraient
conduire à une incongruité. Que faire dans le cas d’une affaire non
individuelle mais collective, concernant plusieurs personnes ? On
pourrait penser, d’après le texte, qu’il y aurait alors la possibilité
d’instructions. Vous voyez bien, par l’absurdité relative de cet
exemple, qu’il fallait récrire le texte ; je regrette, monsieur le
rapporteur, que vous ne l’ayez pas fait. Cela ajoute à la confusion et
ôte au projet de loi la valeur que l’on pouvait en attendre.
Vous
avez insisté, de manière précise et cohérente, sur les rapports qui
devront être remis au procureur général par le procureur de la
République et au garde des sceaux par le procureur général : il s’agira
non seulement du rapport annuel de politique pénale, mais aussi de
rapports particuliers. Ces derniers pourront, d’après le texte, être
soit à l’initiative du procureur de la République ou du procureur
général, soit à la demande du garde des sceaux. Ainsi le même texte dit
ainsi qu’il ne saurait y avoir d’instructions de nature particulière du
ministre vers les parquets, mais par contre que le ministre peut
demander un compte rendu de ce qui s’est passé sur des affaires
particulières. N’y a-t-il pas là quelque incohérence ? Allez jusqu’au
bout : puisque vous ne souhaitez pas que le garde des sceaux dise par
écrit, de manière particulière, des choses sur un dossier, pourquoi lui
laisser le droit de demander des comptes rendus particuliers ?
J’en
viens aux deux raisons pour lesquelles il n’y a pas lieu de débattre de
ce texte. Tout d’abord, nous avons voté sous la précédente législature
la très belle loi du 9 juillet 2010, dont j’ai eu l’honneur d’être le
rapporteur, et qui a fait l’objet d’un consensus de l’ensemble des
groupes de notre assemblée. Je suis sûr que si nous refaisions ce
travail aujourd’hui, il donnerait lieu au même beau consensus. Cette
loi, qui améliore notre législation dans la lutte contre les violences
conjugales, a défini plusieurs nouvelles incriminations pénales, dont
celle de violence psychologique au sein du couple. Nous constatons, au
contact des juridictions, à l’écoute de celles et ceux qui ont des
choses à nous dire et des comptes à nous demander sur la manière dont
est appliquée la loi, que celle-ci est mise en œuvre de manière tout à
fait inégale dans les différentes juridictions.
Certaines se sont
emparées de l’ordonnance de protection – nous ne sommes pas, c’est vrai,
tout à fait dans le pénal – et surtout du délit de violence
psychologique, de manière spontanée et volontaire. Nous avons déjà des
débuts de résultats encourageants ; c’est le cas en particulier au
tribunal de grande instance de Bobigny. Mais il y a aussi des
juridictions qui peinent à utiliser cette nouvelle incrimination pénale,
alors que, nous le savons, les violences psychologiques au sein du
couple existent partout, dans tous les milieux, dans tous les
territoires, en province comme en région parisienne, dans les villes
comme dans les campagnes. Nous savons, nous qui accompagnons les
victimes de ces violences, combien ce droit nouveau, voté à l’unanimité
du Parlement, est insuffisamment appliqué.
Sur ces questions, ne
serait-il pas utile et efficace qu’à côté des instructions générales
transmises par la chancellerie aux parquets généraux, il y ait, quand
c’est nécessaire, quand cela paraît absolument indispensable, une prise
de responsabilité de nature politique, au sens noble du terme, visant à
ce que la loi soit effectivement appliquée, que des poursuites soient
engagées là où elles ne le sont pas, là où les instructions générales ne
suffisent pas ?
M. Étienne Blanc. Très belle pensée !
M. Guy Geoffroy. Cela devrait vous permettre de réfléchir à ce que texte prétend
apporter et qu’il n’apportera pas. Par l’abandon de l’alinéa de
l’article 30 du code de procédure pénale qui permet au garde des sceaux
de dénoncer au procureur général des faits qui ne sont pas encore
poursuivis, ce texte risque de conduire à un recul de l’application
générale de la loi et de la protection des victimes. Je tenais à vous le
dire pour vous inviter à réfléchir avant qu’il ne soit trop
tard.
Ensuite, l’adoption de ce texte risque de mettre notre
législation et nos pouvoirs publics, notamment le Gouvernement, dans une
situation bien particulière. Personne ne peut ignorer que la révision
constitutionnelle que vous nous proposez afin de modifier les
dispositions relatives au Conseil supérieur de la magistrature est loin
d’être acquise. Que se passera-t-il, quelle sera la situation de notre
droit, de l’organisation de l’institution judiciaire si le Congrès se
réunit et échoue ou si, ce qui est également possible, le Congrès ne se
réunit finalement pas, et que par conséquent la réforme du CSM n’est pas
adoptée, alors que la présente loi le serait ?
Vous venez
d’affirmer, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, que
cette révision constitutionnelle et cette loi ordinaire formaient un
tout. La réalité viendrait vous démentir ; ce tout serait morcelé, l’un
de ses éléments, la fin des instructions individuelles du ministre aux
parquets, même écrites, même versées au dossier, serait appliqué, alors
que les autres dispositions que vous estimez importantes pour la
cohérence de l’ensemble, et qui figurent dans la révision
constitutionnelle, n’auraient pas abouti.
Cette loi, pleine de
bonnes intentions mais qui peut avoir – j’espère l’avoir démontré –
quelques effets pervers, risque donc de se retrouver orpheline dans un
ensemble que vous avez voulu cohérent mais qui sera dépareillé.
N’aurait-il pas été plus raisonnable de procéder dans un premier temps à
la révision constitutionnelle et d’y ajouter ensuite, si vous le jugiez
nécessaire, cette disposition par la loi ordinaire ? Vous avez tout
voulu faire en même temps. Vous avez souhaité, au nom du sacro-saint
respect des engagements du Président de la République, tout faire
ensemble, même si cela doit conduire à un résultat disparate. Vous y
avez au passage laissé quelques plumes, eu égard aux engagements
pris.
Bref, ce texte, s’il n’est pas nocif dans son intention, peut
avoir des effets pervers dans son application ; il n’est pas à sa place
aujourd’hui dans l’ordre de notre législation. Pour toutes les raisons
que j’ai évoquées, je crois qu’il ne faut pas l’adopter, ni même en
débuter l’examen. J’espère avoir convaincu notre assemblée qu’il y avait
suffisamment de matière à voter cette motion de rejet préalable. C’est
ce que je vous invite à faire. (Applaudissements sur les bancs
du groupe UMP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur le député Guy Geoffroy, je vous ai attentivement écouté. Vous avez commencé par fustiger le concept de pouvoir judiciaire, que je n’ai pas utilisé, mais que j’ai en revanche rappelé hier soir. Nous avons passé en revue les grandes étapes de l’institution judiciaire dans la Constitution depuis 1791. Il y a eu des périodes où il était en effet question de « pouvoir judiciaire », et j’ai même rappelé que, dans les débats actuels, certains réclament un pouvoir judiciaire et un Conseil supérieur de la justice. J’ai expliqué pourquoi le Gouvernement n’avait pas fait ce choix. À cet égard, je vous rappelle les déclarations de l’ancien Président de la République devant la Cour de cassation, le 7 janvier 2009 : il parlait du pouvoir judiciaire.
M. Guy Geoffroy. Et alors ? C’était une erreur !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous avons passé en revue les grandes étapes de l’institution
judiciaire dans la Constitution depuis 1791. Il y a eu des périodes où
il était en effet question de « pouvoir judiciaire », et j’ai même
rappelé que, dans les débats actuels, certains réclament un pouvoir
judiciaire et un Conseil supérieur de la justice. J’ai expliqué pourquoi
le Gouvernement n’avait pas fait ce choix. À cet égard, je vous rappelle
les déclarations de l’ancien Président de la République devant la Cour
de cassation, le 7 janvier 2009 : il parlait du pouvoir judiciaire.
C’est juste pour rappeler qu’il s’agit d’un débat qui traverse et
travaille la société. Parfois c’est juste une question sémantique, de
l’inadvertance, mais le plus souvent c’est un débat de fond.
La
Constitution traite de l’autorité judiciaire et de son indépendance.
J’ai parlé de nécessité, mais l’on peut aussi bien parler de contrainte
ou d’obligation. Le Gouvernement a choisi de ne pas toucher à
l’ordonnance de 1958, qui indique la relation hiérarchique liant les
magistrats du parquet, donc ceux du ministère public. Cette relation,
nous avons tenu à la maintenir, car c’est la condition républicaine de
la conduite d’une politique pénale sur l’ensemble du territoire et
surtout de l’égalité devant la justice.
Nous avons choisi de ne pas
y toucher, mais nous souhaitons que dans l’exercice de l’action
publique, lorsque le magistrat traite d’un dossier particulier,
qu’appelé à prendre des décisions impartiales, en aucun cas il ne puisse
être soupçonné d’agir sur instruction de l’exécutif.
J’ai rappelé
tout à l’heure que le magistrat du ministère public était le garant des
libertés individuelles ; la seule considération de cette qualité fait
qu’il convient de le dégager des instructions individuelles. Il ne faut
pas qu’il puisse être soupçonné, dans des cas où il a à se prononcer sur
la liberté individuelle, d’avoir pris une décision contraire aux droits
fondamentaux, d’avoir exécuté des consignes de la chancellerie.
Vous
avez également évoqué les rapports. Que le procureur général fasse
remonter un rapport particulier, c’est-à-dire après une procédure, ce
n’est absolument pas la même chose que le fait qu’il reçoive une
instruction individuelle de la part d’un garde des sceaux souhaitant
intervenir dans la procédure. Ne laissez donc pas entendre qu’il y
aurait une contradiction entre la décision qu’il n’y aura plus
d’instructions individuelles et le maintien en même temps des conditions
pour que le Gouvernement assume sa responsabilité, en matière de
politique pénale mais pas seulement : en matière civile également il
faut veiller à ce que la justice soit équitable sur l’ensemble du
territoire. De même, j’ai déjà diffusé une circulaire en matière
économique ; c’est un type de contentieux sur lequel nous travaillons.
Il n’y a pas de contradiction.
Vous dites en outre qu’il s’agit
encore d’un « sacro-saint » engagement du Président de la République. Je
n’arrive pas à comprendre en quoi il serait critiquable - on a même le
sentiment à vous entendre que ce serait infamant - de respecter ses
engagements. Intellectuellement, cela me perturbe beaucoup de voir que
l’on reproche au Gouvernement de réaliser des engagements du Président
de la République.
Pour finir, j’en viens à un point qui vous tient à
cœur et que vous avez évoqué, monsieur Geoffroy : les violences faites
aux femmes. Nécessitent-elles des instructions individuelles ? Les
instructions générales donnent très précisément les orientations de la
politique pénale. Or je vous ai déjà dit que j’ai fait diffuser des
circulaires thématiques sur des contentieux particuliers – cette
situation étant particulièrement typique d’un cas pour lequel une
circulaire s’applique.
S’agissant du harcèlement sexuel, par
exemple, j’ai fait diffuser en même temps que la promulgation de la loi,
le même jour, une circulaire d’application reprenant scrupuleusement
toutes les intentions du législateur lorsque celles-ci n’avaient pas
fait l’objet d’une disposition explicite, de façon à ce que les parquets
puissent requérir.
Mme Catherine Coutelle. C’est vrai !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous avons eu des débats sur les mineurs de quinze à dix-huit ans.
Nous en avons eu également sur le risque de qualification basse en cas
de harcèlement sexuel. La circulaire a très clairement demandé sur tous
ces points de toujours veiller à requérir la qualification la plus
haute. La demande ne concerne pas un dossier individuel, mais bien
l’ensemble des parquets, lorsqu’ils sont confrontés à ce type de
contentieux. Il est inutile de donner une instruction individuelle pour
un dossier particulier.
Nous ne sommes pas désarmés, car viennent
s’ajouter aux instructions générales de ces circulaires d’autres outils.
Monsieur Geoffroy, pour connaître votre implication de longue date, je
sais que vous partagez mon avis sur ce drame qui frappe notre société et
pour lequel vous êtes comme moi convaincu qu’il faut faire tomber un
taux d’acceptabilité encore trop élevé : c’est grâce à des politiques
publiques que nous y parviendrons.
Avec Mme Vallaud-Belkacem, la
ministre du droit des femmes, nous avons lancé une politique publique
contre les violences faites aux femmes ; nous avons diligenté ensemble
une double mission sur l’ordonnance de protection, dont sont chargées
l’Inspection générale des services judiciaires et l’Inspection générale
de l’administration ; nous travaillons ensemble sur un certain nombre de
dispositions d’une loi-cadre que Mme Vallaud-Belkacem va bientôt
présenter.
Enfin, il y a deux semaines environ, à l’Assemblée
nationale, et la semaine dernière au Sénat, j’ai présenté la
transposition d’une douzaine d’instruments juridiques européens et
internationaux, parmi lesquels se trouvait la transposition de la
directive sur la traite des êtres humains qui frappe prioritairement les
femmes et fortement les enfants, mais également la transposition de la
convention d’Istanbul du 11 mai 1958.
Nous disposons donc
d’instruments qui nous permettent de conduire une politique offensive,
déterminée, résolue et efficace contre les violences faites aux femmes.
Nous devons veiller à ce que la société elle-même contribue à rendre
intolérable cette violence-là. Cela ne nécessite pas d’instructions
individuelles. Il s’agit d’un contentieux important, lourd et
insupportable, mais nous avons des instruments pour agir et rien qui ne
permette de justifier le maintien des instructions individuelles. Je
respecte votre bonne foi et ne doute pas un instant de votre conviction,
selon laquelle le Gouvernement pourrait rendre la politique pénale plus
efficace grâce à ces instructions individuelles. Cependant, vous ne
l’avez pas démontré dans cette question préalable. Il appartient au
Parlement de s’exprimer, mais je tenais auparavant à vous faire ces
observations.
Mme la présidente. Nous en venons aux explications de vote. La parole est à M. Sébastien Denaja, pour le groupe socialiste, radical et citoyen.
M. Sébastien Denaja. Un texte « Bisounours », un texte « insignifiant » et « inutile » : tels sont les arguments qui fondaient les propos de M. Geoffroy pour appuyer sa motion de rejet préalable.
M. Guy Geoffroy. Il y en a eu d’autres !
M. Sébastien Denaja. Ce qui est insignifiant, monsieur Geoffroy, c’est votre critique, tant elle est excessive - cela d’ailleurs ne vous ressemble pas. Personne ne prétend ici ce soir qu’il s’agisse d’un texte historique, mais nous pourrions convenir ensemble qu’il s’agit d’un texte important.
M. Étienne Blanc. L’ère du changement…
M. Sébastien Denaja. Ce texte est-il inutile ? Assurément, il est parfaitement et absolument inutile pour une raison simple : c’est la gauche qui gouverne et c’est Christiane Taubira la garde des sceaux. Mais nous sommes bien obligés de prévoir votre retour au pouvoir, un jour.
M. Étienne Blanc. Cela viendra !
M. Sébastien Denaja. Pour éviter que vos dérives passées ne resurgissent, (Murmures sur les bancs du groupe SRC.) nous voulons consacrer dans la loi la pratique vertueuse de la gauche : celle d’Élisabeth Guigou, celle de Marylise Lebranchu, celle de Christiane Taubira. C’est pourquoi, en bons Bisounours, nous allons commencer ce soir par rejeter votre motion. (Rires et applaudissements sur les bancs SRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Larrivé, pour le groupe union pour un mouvement populaire.
M. Guillaume Larrivé. Les députés de l’UMP ont rejeté hier votre projet de loi
constitutionnelle relatif au CSM, parce que nous considérons qu’il
éloignerait la magistrature d’un véritable contrôle démocratique. Pour
les mêmes raisons, nous sommes très sceptiques face à ce projet de loi
relatif aux attributions du garde des sceaux et des magistrats du
ministère public en matière de politique pénale. S’il s’agit seulement
d’écrire, comme vous le faites, que le ministre de la justice conduit la
politique pénale déterminée par le Gouvernement, on croit entendre M.
Jourdain ravi d’apprendre qu’il s’exprime en prose. Mais il ne s’agit
pas que de cela, bien évidemment.
L’objet principal de votre texte
est d’interdire expressis verbis les instructions
écrites versées au dossier du ministre de la justice au parquet dans des
affaires individuelles. Cela est-il raisonnable ou souhaitable ?
Assurément non.
Comme l’a brillamment démontré notre excellent collègue,
Guy Geoffroy, ce pouvoir est un pouvoir encadrant et nous pensons qu’il
demeure pleinement légitime pour mettre en œuvre la politique pénale au
service de l’intérêt général. Madame la garde des sceaux, n’ayez pas
peur de vous-même et de votre propre pouvoir. Ne soyez pas kantienne, au
sens où Charles Péguy disait que les kantiens ont les mains propres
puisqu’ils n’ont pas de mains. Il faut que le ministre de la justice,
quelle que soit la personne qui occupe ce ministère – car vous n’êtes
pas éternelle, madame –, ait, en tant qu’expression du pouvoir
démocratique, des mains pour agir au service des Français. Telle est en
tout cas notre conception : nous pensons que le pouvoir politique doit
agir (Applaudissements sur les bancs du groupe
UMP), dans le respect des règles de
l’État de droit, défendre les Français, combattre la délinquance,
s’engager et donc parfois donner des instructions individuelles écrites
au parquet. C’est pourquoi le groupe UMP votera avec détermination cette
motion de rejet. (Applaudissements sur les bancs du
groupe UMP.)
M. Philippe Houillon. Excellent !
Mme la présidente. La parole est à M. Marc Dolez, pour le groupe de la gauche démocrate et républicaine.
M. Marc Dolez. Le groupe GDR ne partage pas l’appréciation que notre collègue Guy Geoffroy a portée sur le projet de loi que nous examinons ce soir. Pour reprendre ses termes, il n’est pas insignifiant de clarifier l’architecture des relations entre la garde des sceaux et les magistrats du ministère public ; il n’est pas insignifiant de prohiber les instructions individuelles et de donner au parquet le plein exercice de l’action publique ; il n’est pas inutile dans le climat de défiance que nous connaissons en ce moment de mieux garantir l’indépendance et l’impartialité du parquet, dans le respect des exigences tant constitutionnelles que conventionnelles ; il n’est pas inutile de renforcer cette indépendance. Nous considérons qu’il y a là un impératif démocratique. C’est pourquoi nous nous opposerons à cette motion de rejet préalable.
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Tourret, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
M. Alain Tourret. Nous sommes saisis par une motion de rejet préalable et, à chaque fois, je suis un peu surpris par les arguments de l’UMP, à l’exception quelquefois de M. Larrivé. Vous devez démontrer que le texte est contraire à la Constitution.
M. Guy Geoffroy. Pas seulement ! Il n’y a pas que cela. Allez voir le règlement !
M. Alain Tourret. Si. Vous devez d’abord démontrer que le texte est contraire à la Constitution : c’est cela la motion de rejet préalable. Or vous vous retrouvez à vous demander si le projet est souhaitable ou raisonnable, ce qui est sans aucun intérêt. Vous aviez pourtant matière à réflexion. Est-ce que le fait de redéfinir les pouvoirs du garde des sceaux est contraire ou conforme à la Constitution ? Est-ce que le fait de redéfinir les pouvoirs du procureur général et du procureur de la République y est ou non contraire ? Nous pouvons nous interroger, mais je pense que cela n’est pas contraire à la Constitution. Je me serais également demandé si l’homogénéité de l’action publique sur l’ensemble du territoire de la République est conforme ou non à la Constitution : voilà qui pose problème.
M. Philippe Houillon. En effet !
M. Alain Tourret. Il n’en reste pas moins – et je le développerai tout à l’heure – que vous ne l’avez pas démontré : c’est pourquoi nous nous opposerons à votre motion.
Mme la présidente. La parole est à M. Paul Molac, pour le groupe écologiste.
M. Paul Molac. J’ai trouvé un peu durs les propos de notre collègue Guy Geoffroy et
je ne les partage vraiment pas. Les instructions officielles me semblent
venir d’un autre âge et d’une autre France. Il y a parfois dans cette
République – je salue bien sûr les pères de la République qui ont
inventé une véritable démocratie représentative à la fin du XIXe siècle,
mais dans le courant du XIXe siècle, nos pratiques n’ont pas toujours
été démocratiques, c’est le moins que l’on puisse dire – des choses qui
reviennent, comme les instructions dans les affaires individuelles. Les
proscrire me paraît une excellente décision.
J’ai cru comprendre que
l’on craignait une République des magistrats où ceux-ci seraient
parfaitement indépendants et pourraient se servir de la justice à des
fins personnelles ou politiques. Nous en sommes très loin en France.
Nous ne sommes pas dans un pays où les juges sont élus : ce changement
ne va dans ce sens. C’est pourquoi nous voterons contre cette motion de
rejet.
Mme la présidente. Les explications de vote sont terminées.
(La motion de rejet préalable, mise aux voix, n’est pas adoptée.)
Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Sébastien Denaja.
M. Sébastien Denaja. Madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois,
monsieur le rapporteur, mes chers collègues, depuis un an notre majorité
a pris des décisions qui prouvent une volonté sans faille de probité et
de respect des citoyens. Elle a en toutes circonstances respecté
l’indépendance de la justice. Aucune affaire n’a été cachée, ralentie ou
entravée. Pour édifier une république exemplaire et accomplir pleinement
l’effort de redressement de notre pays, il faut d’abord œuvrer à son
redressement moral. Pourtant, comme une marée sans cesse renouvelée,
chaque semaine nous voyons remonter à la surface une affaire ancienne
mettant en cause des personnalités du monde politique, du monde
économique ou encore ce soir une haute personnalité du monde judiciaire.
Chaque fois le soupçon de possibles interventions, de possibles
intrusions politiques dans des affaires pénales pour favoriser le sort
de puissants ou d’amis de puissants renforce chez nos concitoyens un
sentiment de suspicion durable à l’égard de nos institutions, au point
qu’a succédé à la méfiance la défiance généralisée.
Cette suspicion,
compréhensible, est parfois fondée, car des citoyens minent en
profondeur le pacte social national. Comment faire accepter à un citoyen
une amende légitime de quelques dizaines d’euros quand des millions
d’euros sont parfois en jeu dans des affaires troubles, sans que jamais
leurs acteurs ne soient inquiétés ?
Nous ne pouvons laisser perdurer
un tel soupçon. Il faut rompre avec la logique judiciaire qui a présidé
à l’avènement de la Constitution de 1958. Ses concepteurs développaient
la thèse d’une certaine droite, selon laquelle un pouvoir politique fort
doit contrôler l’appareil judiciaire, en maintenant les juges sous son
joug. Comme nous avons pu le voir ce soir, cette thèse est encore
vivace. Ce pouvoir devrait nommer les magistrats du parquet, décider de
leur carrière, promouvant les uns, placardisant les autres, en un mot
s’assurer d’une soumission complète aux intérêts politiques des
puissants du moment. Dans cette logique, le pouvoir politique a donc
souhaité également autoriser les interventions gouvernementales dans des
affaires individuelles. L’ordonnance de 1958 comme la récente loi de
2004 ont même expressément prévu la possibilité d’instructions
individuelles. La droite a toujours été partisane de la subordination
organique des parquets, elle a toujours refusé qu’il en soit autrement,
notamment lorsqu’elle s’est opposée à la réforme engagée par notre
collègue Élisabeth Guigou.
Cette logique d’un autre temps n’est pas
la nôtre. Nous, nous sommes favorables à l’ordre public, favorables tout
simplement à un ordre juste. Nous voulons donc une prohibition claire,
consacrée par la loi, de toute instruction individuelle, c’est-à-dire
nominative. C’est là le pendant essentiel de l’équilibre entre
l’opportunité des poursuites et le respect de l’intérêt général. Madame
la ministre, dès septembre 2012, vous avez très expressément mis fin aux
instructions individuelles par voie de circulaire, mettant enfin un
heureux terme à des décennies de dérives, dont les dernières sont encore
récentes et pour certaines d’une gravité sans précédent ! Nous savons
très bien que des instructions individuelles peuvent être orales, et il
est donc impératif de rendre illégale toute forme d’instruction et de
garantir l’impartialité la plus totale des procureurs. Tel est l’objet
de ce texte. Notre assemblée va enfin protéger l’impartialité en ce
domaine et permettre la préservation de l’intérêt général.
Bien
plus, nous allons établir un nouvel équilibre institutionnel entre,
d’une part, un CSM réformé, garant de l’indépendance de la justice aux
côtés du Président de la République, notamment s’agissant de la
nomination des magistrats du parquet, et, d’autre part, une meilleure
définition de la manière dont sera désormais conduite et définie la
politique pénale dans notre pays.
Plusieurs points importants
méritent d’être soulignés.
Nous réaffirmons la volonté de déterminer
et de faire appliquer une politique pénale nationale, décidée par le
Gouvernement, conduite par la ministre de la justice, mise en œuvre par
chaque procureur, mais dont la garde des sceaux assure la cohérence sur
l’ensemble du territoire de la République, que l’on soit à Neuilly ou à
Bobigny. Disons-le clairement : le Gouvernement doit disposer de la
capacité à déployer sur l’ensemble du territoire national ses grandes
orientations de politique pénale afin que la loi soit la même pour tous
et partout. C’est le sens même des instructions générales du ministère
de la justice, garantes du principe sacré d’égalité des citoyens devant
la loi.
Mais pour être efficaces, les instructions générales ne
peuvent se multiplier. Or elles sont passées d’une vingtaine par an
durant le gouvernement de Lionel Jospin à près de cent en moyenne durant
le dernier quinquennat. Mes chers collègues, comment peut-on penser
qu’un parquet recevant une feuille de route tous les quatre jours puisse
organiser sérieusement une politique efficace, lisible et cohérente ?
Mais je sais, madame la ministre, que sur ce point, votre vigilance est
entière.
Je me félicite également que le texte apporte une
définition plus claire des missions des procureurs généraux, chargés de
la mise en œuvre sur le plan local des orientations nationales. De plus,
la responsabilisation des procureurs généraux et des procureurs de la
République, l’obligation d’information et de transparence, et le
renforcement de la logique d’évaluation des résultats vont également
dans le bon sens. À ce titre, je m’inquiète des dégâts causés par des
années de défiance, d’abandon même, des gouvernements de droite à
l’égard de la justice. Les victimes doivent être sûres que leur droit à
obtenir justice sera mis en œuvre rapidement, que les peines prononcées
contre leurs agresseurs seront effectivement exécutées. À cette fin, et
je sais que la garde des sceaux doit rattraper des années de retard, des
moyens humains sont nécessaires. Ainsi, en décembre 2011, la conférence
des procureurs n’hésitait pas à appeler « solennellement l’attention sur
la gravité de la situation » en demandant les moyens nécessaires.
Un
tel appel doit être entendu car un État qui n’est plus en mesure
d’assumer ses missions régaliennes et donc de faire partager le contrat
social républicain cesse, de facto, d’exister,
laissant le champ libre à toutes les aventures populistes les plus
sombres. Pour éviter ce funeste destin, il nous faut aujourd’hui un choc
régalien parce que, plus que jamais, nous avons besoin de consolider les
piliers qui soutiennent l’édifice républicain, et la justice est l’un de
ces piliers. Paul Valéry – pardonnez au Sétois que je suis de citer cet
éminent poète natif de l’Île Singulière – : « Si l’État est fort, il
nous écrase ; s’il est faible, nous périssons. » Comme vous l’avez dit
en concluant votre propos, madame la garde des sceaux, pour espérer en
l’État, il faut encore pouvoir espérer en la justice.
En vous
épaulant, madame la garde des sceaux, nous pouvons faire de cette
législature si ce n’est un moment historique, du moins un tournant
important où le peuple français retrouvera confiance dans sa justice,
dans ses institutions, si malmenées par nos prédécesseurs.
Avec la
réforme du CSM adoptée cette nuit même par notre assemblée, la future
réforme du Conseil constitutionnel, qui aura bien lieu.
M. Guy Geoffroy. Oh, ça !
M. Sébastien Denaja. et l’adoption de la présente loi, nous posons les fondations d’un nouvel équilibre des pouvoirs plus juste et plus efficace dans notre République ; en votant ce texte ensemble, nous ferons œuvre utile. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Houillon.
M. Philippe Houillon. Madame la présidente, le projet de loi que je viens d’entendre à l’instant même qualifié d’historique…
M. Sébastien Denaja. Non, justement !
M. Philippe Houillon. … a quasiment pour seul objet de supprimer la faculté donnée au garde des sceaux par l’actuel article 30 du code de procédure pénale de dénoncer au ministère public des infractions dont il a connaissance et de lui enjoindre de les poursuivre par instruction écrite versée au dossier. Voilà l’objet de ce texte historique… C’est donc la question bien connue de la suppression des instructions individuelles voire collectives, qui, comme le prévoit la loi, ne peuvent être que des instructions de poursuivre et en aucun cas de ne pas poursuivre,…
M. Guy Geoffroy. Absolument !
M. Philippe Houillon. …la juridiction de jugement appréciant ensuite, souverainement bien
sûr, le bien-fondé de la poursuite ainsi engagée. Cela a été longtemps
un sujet de débat, jusqu’en 1993, année où la gauche a fait adopter
l’obligation que ces instructions soient écrites, puis, à la suite de
l’alternance, la droite a, la même année, ajouté qu’elles devraient être
versées aux dossiers pour assurer ainsi leur publicité et leur
communication à la défense. On pouvait donc penser que la question était
réglée, d’autant plus que l’étude d’impact jointe au projet de loi ne
recense qu’une dizaine d’instructions par an et ne relève aucun
manquement.
Mais par ce texte, de manière sans doute habile, par
amalgame, on veut donner l’impression que le Gouvernement accroît
l’indépendance des parquets en communiquant sur le fait qu’il s’agit
d’assurer aux justiciables que le gouvernement en place ne profite pas
de ses pouvoirs pour protéger ses amis – alors que, je le redis, il ne
peut s’agir que d’instructions de poursuite. A
priori, qui ne donnerait son accord à une aussi vertueuse
intention ? En revanche, il est toujours aussi difficile de s’assurer
qu’un procureur ami du pouvoir ou ami de l’opposition sera imperméable à
une intervention orale.
Mais, de mon point de vue, le vrai débat
n’est pas ici tant celui de l’indépendance que celui de l’impartialité,
notamment parce que notre système pénal repose sur le principe de
l’opportunité des poursuites et non sur celui de la légalité des
poursuites. En d’autres termes, c’est le parquet qui décide en
opportunité, celle-ci au demeurant variable d’un point du territoire à
un autre, de poursuivre ou non. En cas de carence, le garde des sceaux
ne pourra plus par conséquent enjoindre de poursuivre. En outre, il est
difficile de s’assurer qu’un procureur ne laisse pas prescrire
volontairement des infractions – même si le cas n’est pas fréquent –, ne
préfère pas ouvrir une enquête préliminaire plutôt que faire désigner un
juge d’instruction ou encore procéder à une saisine directe pour ne pas
informer davantage. Qui contrôle cela ? Les voies de recours et de
contrôle sont beaucoup moins évidentes en la matière qu’à l’égard du
siège.
Les relations entre l’exécutif et le judiciaire constituent
une problématique complexe, discutée de manière récurrente depuis
plusieurs siècles. Bien entendu, la justice doit être impartiale et l’on
a souvent soutenu à juste titre qu’il fallait pour cela qu’elle soit
indépendante. Mais indépendante de qui et de quoi ? Les esprits simples
répondent immédiatement : indépendante du pouvoir politique. Certes,
mais qu’est-ce que le pouvoir politique ?
Les mêmes répondent : le
pouvoir politique, c’est d’abord le Gouvernement. Sans doute, mais c’est
aussi bien plus. Prenons un exemple : l’avancement des magistrats, du
siège comme désormais du parquet, ne dépend pratiquement plus du
Gouvernement, mais des commissions d’avancement et du Conseil supérieur
de la magistrature, qui sont dominés par les syndicats de magistrats.
Pour avancer, il ne faut pas déplaire à ceux-ci. Il n’y a plus besoin de
courage pour résister aux politiques, c’est même le meilleur moyen
d’être considéré.
Or à plusieurs reprises, on a pu vérifier que des
syndicats de magistrats donnaient des orientations sur la manière de
juger, commentaient l’actualité, stigmatisaient certaines catégories de
justiciables, voire affirmaient leur hostilité à certaines personnes
pouvant devenir des justiciables. Contre cela, le Gouvernement ne paraît
pas décidé à agir. Saisir le Conseil supérieur de la magistrature d’une
dérive syndicale, c’est ne pas voir le conflit d’intérêts avec les
syndicalistes qui y siègent !
Le vrai devoir du magistrat, c’est de
respecter scrupuleusement la loi, dans sa lettre et dans son esprit.
Pour le siège, ce n’est pas toujours le cas, mais convenons qu’avec
trois degrés de juridiction – même si la Cour de cassation n’est pas
véritablement un troisième degré –, le système offre des garanties
sérieuses pour le justiciable. En revanche, pour les magistrats du
parquet, l’aléa est plus grand : à qui rendent-ils compte de leur choix
de poursuivre ou non ? Devant qui en sont-ils responsables ? Quand le
parquet est hiérarchisé jusqu’au garde des sceaux qui en est le chef
naturel et légal, le Gouvernement est responsable devant le Parlement et
l’opinion des décisions prises : désormais il ne le sera
plus.
Paradoxalement, au moment où le Gouvernement fait le choix de
la fausse vertu et du véritable abandon de responsabilité, il crée un
procureur financier, qui va dépouiller en particulier le parquet de
Paris, comme si le procureur de la République de Paris lui déplaisait et
que le futur procureur financier pourrait, lui, être moins
indépendant.
En résumé, il me semble que c’est évidemment habile de
vouloir faire croire qu’on assure une bonne administration de la Justice
en supprimant une disposition qui en fait n’offre aucun danger, mais je
me demande si le but n’est pas d’éluder ainsi la véritable question qui
se pose et qu’on se refuse à aborder : qui sera désormais responsable
des éventuels errements du parquet ?
Au total, on le voit bien, ce
projet de loi procède plus d’une action de communication que d’une
réflexion aboutie. On ne peut être favorable à une indépendance du
parquet vers laquelle, pas à pas, l’on semble se diriger, qu’à la
condition que les nombreuses et lourdes questions qu’elle soulève, et
que je n’ai pu qu’effleurer, soient débattues et réglées. Ce n’est pas
le cas. Ne légiférer que sur un aspect des choses sans traiter l’autre
manque de sagesse et c’est la raison pour laquelle le groupe UMP ne
votera pas ce texte en l’état. (Applaudissements sur les bancs
du groupe UMP.)
M. Étienne Blanc. Excellent !
Mme la présidente. La parole est à M. Gilles Bourdouleix.
M. Gilles Bourdouleix. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le
président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers
collègues, le débat sur la nature des relations entre le ministre de la
justice et les magistrats du parquet, plus globalement entre l’exécutif
et le judiciaire, est ancien. Déjà, en 1997, la commission Truche en
avait fait l’un de ses principaux thèmes de réflexion. Le rapport de la
commission de réflexion sur la justice évoquait alors la nécessité
« d’éliminer tout soupçon qui affecte l’indépendance de la
justice … du fait de la subordination
statutaire des magistrats du parquet au garde des sceaux ». Depuis, le
sujet a été abordé à maintes reprises au sein de notre assemblée,
notamment en 2004, lors de l’examen de la loi portant adaptation de la
justice aux évolutions de la criminalité.
La question s’articule
autour d’un principe fondamental dans une démocratie qui se veut
respectueuse de la séparation des pouvoirs : celui de l’indépendance de
la justice.
De ce principe, de cette exigence, dépendent non
seulement la crédibilité des institutions judiciaires, mais également la
confiance que chacun de nos concitoyens place en la justice de son
pays.
Or, mes chers collègues, un constat s’impose : la
justification d’une intervention du pouvoir exécutif dans les affaires
judiciaires individuelles est contestée car pèsent sur elle les soupçons
d’une éventuelle motivation politique des instructions adressées par le
garde des sceaux.
En outre, les récentes décisions de la Cour
européenne des droits de l’homme, considérant que le procureur de la
République ne peut être une autorité judiciaire en raison de son manque
d’indépendance à l’égard du pouvoir exécutif, ont relancé le débat sur
le rôle, le statut et l’indépendance de ce parquet à la française. C’est
en effet de cette subordination statutaire des magistrats du parquet au
garde des sceaux que découlent les soupçons pouvant affecter
l’indépendance de la justice.
Ainsi, tout l’enjeu réside dans la
nécessaire conciliation de deux principes, entre une organisation
hiérarchique, caractéristique propre de notre système judiciaire, et la
nécessité du respect de l’indépendance. D’un côté, l’article 20 de la
Constitution indique que le Gouvernement détermine et conduit la
politique de la nation dans tous ses aspects. De l’autre, l’action
publique est exercée par des magistrats juridiquement indépendants et
théoriquement impartiaux, bien qu’ils soient hiérarchiquement
subordonnés dans un système qui remonte jusqu’au garde des sceaux,
membre du Gouvernement.
La suppression de la possibilité pour la
chancellerie de donner des instructions individuelles aux magistrats du
parquet constitue la principale proposition du texte que nous examinons
aujourd’hui. L’éventuelle prohibition des instructions individuelles est
effectivement au cœur du débat sur les relations entre la chancellerie
et les magistrats du ministère public. Il s’agit là de consacrer la
volonté du législateur de garantir l’impartialité des décisions des
magistrats du parquet et de mettre fin aux doutes pouvant s’insinuer
dans le déroulement des procédures judiciaires.
Nous pourrions
difficilement nous opposer à une telle mesure qui relève d’une intention
louable et qui de plus revêt une portée symbolique forte.
En
revanche, nous considérons qu’il est des moments, lorsque la sécurité de
l’État est en jeu, où le garde des sceaux doit conserver la
responsabilité de la cohérence de l’action publique. De ce fait, nous
estimons que le ministre de la justice doit être en mesure de donner des
instructions individuelles aux procureurs généraux dans les seules
affaires mettant en jeu les intérêts fondamentaux de l’État.
Les
infractions relatives aux atteintes aux intérêts fondamentaux de l’État,
notamment au terrorisme, que le code pénal qualifie de "crimes et délits
contre la nation, l’État et la paix publique", touchent à la sécurité
qui est des domaines de responsabilité essentiels de l’État, dont il est
inconcevable qu’il se dessaisisse. Cette exception permettrait de
maintenir la régulation de l’action publique tout en écartant les
risques de suspicion politique.
En outre, comme l’a prévu la
commission des lois concernant les instructions générales, les
instructions individuelles devraient être non seulement écrites et
versées au dossier, comme le stipule le droit actuel, mais également
justifiées et non confidentielles, dans un souci de transparence. Tel
est le sens d’un amendement porté par les députés UDI.
Plus
généralement, ainsi que j’ai eu l’occasion de l’indiquer hier à propos
de la réforme du Conseil supérieur de la magistrature, la question de
l’indépendance de la justice et les problématiques qui l’entourent sont
vastes. Elles ne sauraient se limiter à la seule question des
instructions individuelles.
Les instructions individuelles, ainsi
que le rappelle l’étude d’impact, ne sont que de l’ordre d’une dizaine
chaque année. En outre, la ministre de la justice a mis fin aux
instructions individuelles, comme l’indique la circulaire générale du
19 septembre 2012. Il s’agit donc d’institutionnaliser une pratique dont
nous savons bien qu’elle ne suffira pas à elle seule à garantir
pleinement l’indépendance de la justice.
Par ailleurs, le projet
ambitieux, affiché par ce projet de loi, de rénover la confiance de nos
concitoyens dans leur justice, impliquerait sans doute d’entreprendre
une réforme en profondeur de celle-ci.
Notre système judiciaire ne
se résume pas aux relations entre la chancellerie et les magistrats du
ministère public. Il englobe toute une chaîne de compétences qui va de
l’agent qui reçoit les justiciables à l’accueil d’un tribunal jusqu’au
juge, en passant par tous les personnels de la chaîne juridique.
De
même, les dysfonctionnements de la justice sont nombreux : c’est le
service public de la justice lui-même qui est en cause, menacé dans sa
complexité, dans une société en pleine judiciarisation.
Nous pensons
néanmoins que les réponses qui sont apportées sont insuffisantes. Ce
dont nous avons besoin c’est de repenser en profondeur la justice en
prenant en compte l’ensemble des acteurs de notre système judiciaire et
toutes les problématiques qui l’entourent, de manière à améliorer son
fonctionnement et à préserver son indépendance.
Mes chers collègues,
en dépit de ces réserves, le groupe UDI, dans une très large majorité
votera pour ce projet de loi qui entend clarifier les rapports entre la
chancellerie et les magistrats du ministère public.
De ce principe,
de cette exigence, dépendent non seulement la crédibilité des
institutions judiciaires, mais également la confiance que chacun de nos
concitoyens place en la justice de son pays.
Or, mes chers
collègues, un constat s’impose : la justification d’une intervention du
pouvoir exécutif dans les affaires judiciaires individuelles est
contestée car pèsent sur elle les soupçons d’une éventuelle motivation
politique des instructions adressées par le garde des sceaux.
En
outre, les récentes décisions de la Cour européenne des droits de
l’homme, considérant que le procureur de la République ne peut être une
autorité judiciaire en raison de son manque d’indépendance à l’égard du
pouvoir exécutif, ont relancé le débat sur le rôle, le statut et
l’indépendance de ce parquet à la française. C’est en effet de cette
subordination statutaire des magistrats du parquet au garde des sceaux
que découlent les soupçons pouvant affecter l’indépendance de la
justice.
Ainsi, tout l’enjeu réside dans la nécessaire conciliation
de deux principes, entre une organisation hiérarchique, caractéristique
propre de notre système judiciaire, et la nécessité du respect de
l’indépendance. D’un côté, l’article 20 de la Constitution indique que
le Gouvernement détermine et conduit la politique de la nation dans tous
ses aspects. De l’autre, l’action publique est exercée par des
magistrats juridiquement indépendants et théoriquement impartiaux, bien
qu’ils soient hiérarchiquement subordonnés dans un système qui remonte
jusqu’au garde des sceaux, membre du Gouvernement.
La suppression de
la possibilité pour la chancellerie de donner des instructions
individuelles aux magistrats du parquet constitue la principale
proposition du texte que nous examinons aujourd’hui. L’éventuelle
prohibition des instructions individuelles est effectivement au cœur du
débat sur les relations entre la chancellerie et les magistrats du
ministère public. Il s’agit là de consacrer la volonté du législateur de
garantir l’impartialité des décisions des magistrats du parquet et de
mettre fin aux doutes pouvant s’insinuer dans le déroulement des
procédures judiciaires.
Nous pourrions difficilement nous opposer à
une telle mesure qui relève d’une intention louable et qui de plus revêt
une portée symbolique forte.
En revanche, nous considérons qu’il est
des moments, lorsque la sécurité de l’État est en jeu, où le garde des
sceaux doit conserver la responsabilité de la cohérence de l’action
publique. De ce fait, nous estimons que le ministre de la justice doit
être en mesure de donner des instructions individuelles aux procureurs
généraux dans les seules affaires mettant en jeu les intérêts
fondamentaux de l’État.
Les infractions relatives aux atteintes aux
intérêts fondamentaux de l’État, notamment au terrorisme, que le code
pénal qualifie de "crimes et délits contre la nation, l’État et la paix
publique", touchent à la sécurité qui est des domaines de responsabilité
essentiels de l’État, dont il est inconcevable qu’il se dessaisisse.
Cette exception permettrait de maintenir la régulation de l’action
publique tout en écartant les risques de suspicion politique.
En
outre, comme l’a prévu la commission des lois concernant les
instructions générales, les instructions individuelles devraient être
non seulement écrites et versées au dossier, comme le stipule le droit
actuel, mais également justifiées et non confidentielles, dans un souci
de transparence. Tel est le sens d’un amendement porté par les députés
UDI.
Plus généralement, ainsi que j’ai eu l’occasion de l’indiquer
hier à propos de la réforme du Conseil supérieur de la magistrature, la
question de l’indépendance de la justice et les problématiques qui
l’entourent sont vastes. Elles ne sauraient se limiter à la seule
question des instructions individuelles.
Les instructions
individuelles, ainsi que le rappelle l’étude d’impact, ne sont que de
l’ordre d’une dizaine chaque année. En outre, la ministre de la justice
a mis fin aux instructions individuelles, comme l’indique la circulaire
générale du 19 septembre 2012. Il s’agit donc d’institutionnaliser une
pratique dont nous savons bien qu’elle ne suffira pas à elle seule à
garantir pleinement l’indépendance de la justice.
Par ailleurs, le
projet ambitieux, affiché par ce projet de loi, de rénover la confiance
de nos concitoyens dans leur justice, impliquerait sans doute
d’entreprendre une réforme en profondeur de celle-ci.
Notre système
judiciaire ne se résume pas aux relations entre la chancellerie et les
magistrats du ministère public. Il englobe toute une chaîne de
compétences qui va de l’agent qui reçoit les justiciables à l’accueil
d’un tribunal jusqu’au juge, en passant par tous les personnels de la
chaîne juridique.
De même, les dysfonctionnements de la justice sont
nombreux : c’est le service public de la justice lui-même qui est en
cause, menacé dans sa complexité, dans une société en pleine
judiciarisation.
Nous pensons néanmoins que les réponses qui sont
apportées sont insuffisantes. Ce dont nous avons besoin c’est de
repenser en profondeur la justice en prenant en compte l’ensemble des
acteurs de notre système judiciaire et toutes les problématiques qui
l’entourent, de manière à améliorer son fonctionnement et à préserver
son indépendance.
Mes chers collègues, en dépit de ces réserves, le
groupe UDI, dans une très large majorité votera pour ce projet de loi
qui entend clarifier les rapports entre la chancellerie et les
magistrats du ministère public.
M. Étienne Blanc et M. Philippe Houillon. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Paul Molac.
M. Paul Molac. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers
collègues, le projet de loi que nous examinons répond à une exigence
fondamentale de notre démocratie, celle de l’indépendance de la justice.
Les philosophes des Lumières, Locke au XVIIe
siècle puis Montesquieu, lui-même magistrat au Parlement de
Bordeaux, avaient théorisé la séparation des pouvoirs et l’indépendance
de la justice.
Durant la première Révolution, vous l’avez rappelé,
madame la garde des sceaux, les magistrats étaient élus, certes au
suffrage censitaire mais tout de même, ce qui faisait que la majorité
des gens étaient exclus de cette désignation.
Ne soyez donc pas
surpris de notre attachement à une plus large indépendance du système
judiciaire et à celle de tous les magistrats, ceux du siège comme ceux
du parquet. S’ils sont chargés de mettre en œuvre la politique pénale,
les magistrats du parquet ne doivent dépendre que d’elle et non pas du
pouvoir politique.
C’est là toute l’importance de ce projet de loi
qui vise à empêcher toute ingérence de l’exécutif dans le déroulement
des procédures judiciaires et notamment des procédures pénales. L’enjeu
est important : nous avons tout intérêt à lever les soupçons de nos
concitoyens à l’égard des liens, qui ont été parfois partisans, entre le
pouvoir politique et la justice. Le lien de confiance s’est fissuré
entre la justice et les citoyens au fil des chroniques judiciaires, au
point que la cote de désamour des juges en vient à côtoyer celles des
hommes politiques et des banquiers.
C’est pourquoi il importe
d’inscrire clairement dans la loi la prohibition des instructions
individuelles du ministre de la justice aux magistrats du parquet. Nous
apportons tout notre soutien à ce projet de loi qui permet d’entrevoir
une fin à cette pratique contestable pour notre
démocratie.
Rappelons toutefois que si les instructions
individuelles sont peu fréquentes – il n’y en a eu aucune entre 1997
et 2002 et seulement une petite dizaine par an au cours des dernières
années –, les instructions orales ont pu être plus fréquentes et porter
évidemment sur des affaires délicates.
Les instructions orales, par
leur nature, ne sont pas versées au dossier, et il n’est pas totalement
fantaisiste de croire que nombre d’entre elles aient été suivies.
Plusieurs journaux ont ainsi souligné les interventions de membres du
cabinet de différents gardes des sceaux ou celles de la direction des
affaires criminelles et des grâces pour transmettre oralement des
consignes aux parquets.
Cela est permis par l’organisation très
hiérarchisée du parquet dont le ministère de la justice est maître des
carrières. Tant que l’évolution de ces dernières restera en partie entre
les mains de la chancellerie, il subsistera un doute sur la soumission,
consciente ou non, des magistrats du parquet à leur environnement
politique proche. Le fait que les substituts puissent être dessaisis à
tout moment par leur procureur pose également des problèmes pour leur
indépendance. L’affaire de l’hélicoptère envoyé dans l’Himalaya pour
récupérer un procureur de la République d’Évry afin de mettre au pas un
procureur adjoint trop indépendant est restée fameuse.
Même si cela
relève moins des liens entre la chancellerie et le parquet que de
l’organisation du parquet lui-même, il faudra veiller à ce que
l’autonomie et la protection des magistrats du parquet rejoignent à
terme celle des magistrats du siège.
La réforme du Conseil supérieur
de la magistrature, examinée hier dans notre hémicycle, prévoit des
avancées importantes dans ce domaine en confiant au CSM un rôle
substantiellement renforcé dans la nomination des magistrats du parquet.
Il est proposé que la nomination de ces derniers soit désormais
subordonnée à l’avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature,
de même que lui revienne la procédure disciplinaire qui appartient
actuellement au ministre de la justice.
La réforme du Conseil
supérieur de la magistrature est donc une nécessité si l’on souhaite que
la fin des instructions individuelles par le pouvoir exécutif ait une
réelle incidence sur l’indépendance des magistrats du parquet.
Dès
lors, nous ne pouvons que regretter le refus exprimé par l’opposition de
soutenir ce texte, car l’indépendance de la justice aurait mérité un
consensus transpartisan. L’opposition pourra ainsi continuer à s’élever
dans la presse contre les décisions de justice qui ne lui conviennent
pas, au mépris du respect le plus élémentaire de l’indépendance de la
justice, ce dont le juge Gentil a fait la triste expérience récemment.
C’est le système judiciairein extenso la démocratie
qui sont décrédibilisés par de telles critiques venant de
parlementaires.
En tout état de cause, il convient de mettre fin
dans la loi aux types de pressions qui peuvent déjà être prohibées. Les
instructions individuelles sont autorisées par le dernier alinéa de
l’article 30 du code de procédure pénale résultant de la loi du 9 mars
2004. Mettons-y fin en veillant donc à ce que le terme d’instructions
individuelles recouvre le spectre le plus large des pratiques, qu’elles
soient écrites, orales ou autres. C’est le sens de l’un de nos
amendements qui vise à renforcer le caractère impératif de
l’interdiction de toute instruction individuelle.
Il ne faudrait pas
qu’avec la suppression des instructions écrites, versées au dossier,
nous oubliions les instructions orales qui, pour être moins visibles car
non versées au dossier, n’en existent pas moins.
Nous affichons
notre satisfaction de voir exprimée la volonté d’une plus forte
publicité de ces instructions générales de politique pénale, comme l’a
souhaité le rapporteur.
Je tiens également à remercier Mme la garde
des sceaux de soutenir sans hésiter une demande de la commission des
lois : que le Gouvernement informe tous les ans le Parlement de la mise
en œuvre de sa politique pénale par le biais d’une déclaration
éventuellement suivie d’un débat. C’est la preuve de l’engagement sans
faille de Mme la garde des sceaux en faveur d’une transparence retrouvée
de l’action politique et du fonctionnement de la justice en
France.
L’organisation d’un débat autour du rapport annuel de
politique pénale établi par le procureur de la République au cours des
assemblées générales des magistrats du siège et du parquet des tribunaux
de grande instance procède de la même logique de transparence.
Pour
aller encore plus loin dans cette transparence, nous présenterons deux
amendements visant à ce que les éventuels rapports particuliers des
procureurs généraux au ministre de la justice, portant sur une ou
plusieurs affaires individuelles, puissent être versés à la procédure.
Dès lors qu’ils n’ont pas pour objet d’aboutir à une quelconque
instruction, il convient que les éventuels rapports individuels soient
donnés à la connaissance de l’ensemble des parties et des magistrats
travaillant sur le dossier, notamment pour l’exercice des droits de la
défense.
En définitive, cette réforme est emblématique des principes
directeurs qui guident la nouvelle politique pénale qu’a décidé
d’impulser notre garde des sceaux – et bien sûr le Président de la
République –, et nous la soutenons totalement dans cette voie.
Cette
réforme est également fidèle à la ligne de conduite du Gouvernement qui,
depuis le début, s’est efforcé d’être responsable et garant de
l’indépendance de la justice, comme en témoigne la création d’une
commission d’enquête parlementaire sur l’affaire Cahuzac. En instaurant
des rapports plus sains et transparents entre la Chancellerie et le
parquet, la gauche désire mettre fin aux soupçons d’une justice aux
ordres dont les citoyens ont plus qu’assez d’apprendre les ressorts dans
la presse.
Consacrer l’indépendance de la justice était un
engagement du Président de la République. Nous sommes fiers de pouvoir y
contribuer aujourd’hui. C’est donc avec enthousiasme et conviction que
nous voterons pour ce projet de loi.
M. Jean-Jacques Urvoas, Président de la commission des lois et et M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Tourret.
M. Alain Tourret. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers
collègues, l’article 20 de la Constitution est lapidaire : « le
Gouvernement détermine et conduit la politique de la nation. » C’est
simple ; cela sonne comme un coup de canon.
Cet article permet bien
évidemment, en période de cohabitation, de rappeler que le Premier
ministre n’est pas simplement le directeur de cabinet du Président de la
République. Il permet aussi d’affirmer que c’est au Gouvernement qu’il
revient de conduire la politique pénale de la nation. Pourquoi
faudrait-il qu’il n’existe qu’une exception, la justice, alors même que
les magistrats du parquet, procureurs et substituts, sont
hiérarchiquement soumis au garde des sceaux, ministre de la
justice ?
Rappelons par ailleurs qu’aux termes de la loi du 9 mars
2004, le ministre de la justice conduit la politique d’action publique
déterminée par le Gouvernement. Il revient donc, en application de
l’article 31 du code de procédure pénale, aux procureurs, au ministère
public, d’exercer l’action publique et de requérir l’application de la
loi. Quant au ministère public, il lui appartient d’exercer l’action
publique dans le respect des principes d’indépendance et d’impartialité.
Tout cela était très clair, sans doute trop dans notre
République.
Les rôles respectifs du Gouvernement, du garde des
sceaux et des procureurs étaient bien structurés. Mais depuis toujours,
en matière de justice, avec la pression des affaires, des textes
européens et de l’opinion, tout ce qui aurait dû être simple dans une
République vertueuse est devenu insupportable. Car il est bien vrai que
le citoyen, aiguillonné par la presse, soupçonne le pouvoir d’utiliser
la justice au profit de ses amis, et le peuple ne veut ni de la
République des copains ni de la République des coquins.
Alors, il a
fallu trouver, bien évidemment, un certain nombre de
responsables.
Les premières visées ont été les instructions
individuelles données par le garde des sceaux. Elles devaient pourtant,
depuis 1993, être écrites, versées au dossier, communiquées à la
défense, communiquées aux parties. C’est ce bon M. Méhaignerie, dont nul
n’oserait ici mettre en cause une quelconque intention malicieuse, et le
président de la commission des lois dira en plus que c’était un Breton,
qui était à l’origine de ce système qui, au demeurant, ne fut utilisé
qu’une dizaine de fois par an.
Mais le politiquement correct ne
pouvait supporter plus longtemps le pouvoir du garde des
sceaux.
Désormais, le garde des sceaux ne pourra plus adresser
aucune instruction dans les affaires individuelles. Il y renonce. Il ne
pourra plus – et, ça, c’est plus grave, madame la garde des sceaux –
dénoncer au procureur général les infractions à la loi pénale dont il a
eu connaissance, puisque le texte sur le fondement duquel il pouvait le
faire est supprimé.
Le garde des sceaux était jusqu’à présent un
acteur. Il devient un arbitre, avant de devenir un témoin.
Un homme
ressort renforcé de cette réforme. C’est, à l’évidence, le procureur de
la République.
Tout d’abord, si le procureur général avait, dans
l’exercice de ses fonctions, le droit de requérir directement la force
publique, en application de l’article 35 du code de procédure pénale,
c’est désormais le procureur qui pourra exercer l’action
publique.
Il sera précisé par ailleurs, aux termes de l’article 39-1
du code de procédure pénale, que le procureur de la République aura tous
les pouvoirs de l’action publique, certes dans le cadre des instructions
générales du ministre de la justice et du procureur général, mais tout
cela reste bien vague. Le procureur pourra en réalité diligenter à sa
guise, selon son bon vouloir, l’action publique. Il est même précisé
qu’il pourra tenir compte du contexte propre à son ressort.
J’ai
écouté vos explications, madame la garde des sceaux. Elles sont
subtiles, mais je n’arrive pas à être convaincu par votre subtilité. En
effet, en s’appuyant sur ce nouvel article 39-1 du code de procédure
pénale, le procureur pourra, par exemple en matière de consommation de
stupéfiants, poursuivre ou ne pas poursuivre, en estimant qu’il lui
appartient d’apprécier souverainement le contexte propre à son
ressort.
Il existe là un véritable danger de voir l’action publique
se décliner de manière différente, et en toute légalité, sur le
territoire français. Autant de procureurs, autant de baronnies !
Que
restera-t-il du principe d’égalité de chacun devant la loi pénale ? La
justice sera-t-elle appliquée et diligentée de la même façon ici en
Amérique, ici en Océanie, ici dans l’Océan indien, ici en Afrique ? Car
la France est partout. La France est une et indivisible, même dans ces
parties du monde, dans toutes les parties du monde où flotte le drapeau
français.
La justice sera sans doute indépendante du pouvoir
politique. Sera-t-elle pour autant impartiale ? Finalement, c’est la
seule chose qui compte car que demande le justiciable, s’il n’est pas
journaliste judiciaire au Monde ou à
Libération ? Ce n’est pas une justice
indépendante, c’est une justice impartiale qu’il revendique. Il ne veut
dépendre ni du gouvernement des juges ni du bon vouloir des responsables
politiques.
Le système que vous nous proposez aurait cependant pu
trouver son équilibre, à la condition que fût renforcé, paradoxalement,
le pouvoir du garde des sceaux, à condition que l’on en fît, au sein du
Gouvernement, un ministre à part, désigné pour la durée de la
législature, débarrassé des aléas politiques, débarrassé de la crainte
du remaniement. Le garde des sceaux aurait alors été incontestable.
C’eût été une personnalité de haut niveau – comme actuellement ! – de
par son statut différent de celui du simple ministre. Peut-être
parviendra-t-on à cet idéal sous la VIème République, si chère à
quelques membres du Gouvernement.
Un autre équilibre aurait pu être
trouvé si l’on avait abandonné le système de l’opportunité des
poursuites. On semble penser qu’il va de soi, mais ce n’est pas le cas.
Vous le savez bien, monsieur le rapporteur : ce système n’existe pas
dans nombre de législations en Europe et dans le monde. En effet, à ce
principe d’opportunité s’oppose le principe de légalité, qui permet une
action publique uniforme sur tout le territoire de la République. Or, en
l’occurrence, on retient à la fois le système de l’opportunité et le
système de l’action propre dans le ressort de tel ou tel
procureur.
Sous l’influence aveugle des Anglo-Saxons mais aussi
européenne, nous nous détachons de l’interprétation jacobine de
l’article 20 de la Constitution. Certes, rien n’a été parfait dans le
passé. Est-on pour autant certain que tout sera parfait à l’avenir ?
Est-ce que la République des procureurs sera une garantie pour les
justiciables ? J’en doute.
Notre conception de la République est
simple : le garde des sceaux conduit l’action publique, il doit rendre
compte au chef du Gouvernement, il doit rendre compte au Parlement. Plus
que quiconque, il doit être et vertueux et incorruptible. Il est la clé
de voûte du système républicain.
Ce projet de loi aurait donc pu
s’organiser autour du garde des sceaux, et non autour du procureur de la
République. C’eût été une garantie pour le justiciable d’avoir la même
politique pénale sur tout le territoire de la République. Nous ne sommes
donc pas convaincus par la pertinence de ce projet de loi, en dépit de
la conviction et des talents conjugués de Mme la garde des sceaux et de
M. le rapporteur.
Mme la présidente. La parole est à M. Marc Dolez.
M. Marc Dolez. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers
collègues, le renforcement des garanties d’indépendance et
d’impartialité du parquet est aujourd’hui un impératif démocratique. En
effet, ainsi que le souligne à juste titre l’exposé des motifs du projet
de loi que nous examinons ce soir, « l’indépendance de la justice
constitue une condition essentielle du fonctionnement d’une démocratie
respectueuse de la séparation des pouvoirs. »
Oui, le renforcement
de l’indépendance des magistrats du parquet est une nécessité afin que
soit levé tout soupçon sur leur impartialité. La confiance du
justiciable s’en trouvera assurément grandie. C’est d’ailleurs ce que le
premier président de la Cour de cassation a rappelé à l’occasion de
l’audience solennelle de rentrée du 7 janvier 2011 : « La justice doit
recevoir de la société autant qu’elle lui apporte. Ce qu’il lui faut
obtenir et ce qu’il lui appartient de donner, c’est de la confiance.
L’indépendance et la déontologie des magistrats en sont les ressorts
majeurs. » Les magistrats du parquet gagneraient en sérénité, car, en
l’état actuel du droit, le doute peut toujours germer sur les conditions
dans lesquelles ils travaillent.
Nous partageons donc pleinement
l’ambition de ce projet de loi qui entend, par la clarification de
l’architecture des relations entre le garde des sceaux et les magistrats
du ministère public, empêcher toute ingérence de l’exécutif dans le
déroulement des procédures pénales.
Le projet de loi restitue ainsi
au garde des sceaux la responsabilité d’animer la politique pénale du
Gouvernement sur l’ensemble du territoire, conformément à l’article 20
de la Constitution, et le parquet se voit confier le plein exercice de
l’action publique. En clair, il revient au ministre de la justice de
définir les priorités de la politique pénale et aux procureurs généraux
et aux procureurs de décliner ces orientations générales dans leur
ressort.
Le principe de subordination hiérarchique n’est aucunement
inconciliable avec l’indépendance des magistrats. Comme le souligne le
Conseil constitutionnel dans sa décision du 2 mars 2004, le pouvoir du
garde des sceaux d’adresser au ministère public des instructions de
portée générale et de l’enjoindre à exercer des poursuites ne porte
atteinte à aucune exigence constitutionnelle, notamment pas au principe
d’indépendance de l’autorité judiciaire.
Si les instructions
formulées dans le cadre de la politique d’action publique peuvent
aisément se concevoir, que ce soit pour garantir une bonne conduite de
la politique pénale de la nation ou l’égalité des citoyens devant la
loi, en revanche, les instructions individuelles ne sont pas de nature à
éloigner le spectre de la politisation du pouvoir
juridictionnel.
L’inscription explicite dans la loi de
l’interdiction des instructions du garde des sceaux dans les affaires
individuelles constitue donc une avancée importante. Cette disposition
majeure du projet de loi permet de concilier le principe selon lequel le
Gouvernement conduit la politique de la nation, en l’occurrence la
politique pénale, avec l’exercice de l’action publique par des
magistrats indépendants et impartiaux, bien que hiérarchiquement
subordonnés.
Cette interdiction explicite marque une profonde
rupture, salutaire, avec un passé récent, notamment avec la loi du
9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la
criminalité, qui avait renforcé le pouvoir hiérarchique du garde des
sceaux en maintenant les instructions individuelles et en étendant ses
prérogatives à la conduite de l’action publique, jusqu’alors réservée
aux seuls magistrats du parquet.
Les consignes particulières données
par le ministre dans le cadre d’affaires spécifiques ne relèvent pas, en
effet, d’une politique pénale légitime. Elles s’apparentent au contraire
à des pressions exercées sur l’autorité judiciaire. La séparation des
pouvoirs étant nécessaire dans tout système démocratique, l’exécutif
doit s’abstenir de s’immiscer dans les procédures judiciaires.
Sur
ce point, je veux ici rappeler la position de la Commission nationale
consultative des droits de l’homme, exprimée dans son avis de 2010 sur
la réforme de la procédure pénale : « Si la CNCDH reconnaît la nécessité
d’asseoir une politique pénale au moyen d’instructions générales
adressées au parquet, elle estime que des garanties d’indépendance du
parquet devraient être assurées, d’une part, par une nomination sur avis
conforme d’un Conseil supérieur de la magistrature rénové et, d’autre
part, par la suppression pure et simple dans les textes des instructions
individuelles. »
En lien avec la réforme du Conseil supérieur de la
magistrature, ce projet de loi, même s’il ne propose pas, à juste titre,
un statut véritablement rénové du parquet, permet de trouver un point
d’équilibre entre la compétence du ministre de la justice dans la
conduite de la politique pénale déterminée par le Gouvernement et
l’attribution au ministère public de l’exercice de l’action
publique.
J’ajoute que des améliorations apportées par notre
commission des lois à l’initiative de notre rapporteur donnent des
garanties supplémentaires en termes de transparence.
Nous
souscrivons en particulier au principe de publicité des instructions
générales de politique pénale, qui sont adressées par le garde des
sceaux aux magistrats du ministère public, afin que chaque citoyen
puisse connaître des choix du ministre de la justice en matière de
politique pénale. Dans le même esprit, nous sommes favorables à une
déclaration, chaque année, du Gouvernement devant le Parlement, qui
pourrait être suivie d’un débat, sur la mise en œuvre de sa politique
pénale.
L’interdiction désormais faite au garde des sceaux
d’adresser aux magistrats du ministère public aucune forme d’instruction
dans les affaires individuelles revêt une forte valeur symbolique. Cette
prohibition sera gravée dans le marbre de la loi, même si aucune
disposition du texte n’en garantit l’effectivité dans la pratique. L’on
pourrait également s’interroger sur l’incidence réelle de cette
interdiction sur certaines pratiques professionnelles telles que celles
relatées par le Syndicat de la magistrature dans ses observations du
16 mai 2013 sur le projet de loi. Il serait, selon lui, encore d’usage,
dans de nombreux parquets, d’imposer aux substituts de demander à leurs
supérieurs hiérarchiques l’autorisation d’ouvrir une information
judiciaire, ou de faire signer par ces mêmes supérieurs leurs
réquisitoires définitifs en matière criminelle, alors que chaque
magistrat du parquet est censé, aux termes de la loi, pouvoir choisir
les modalités des poursuite qu’il estime adaptées. La Cour de cassation
a d’ailleurs rappelé qu’un magistrat du parquet « puise en sa seule
qualité, en dehors de toute délégation de pouvoir, le droit d’accomplir
tous les actes rentrant dans l’exercice de l’action
publique. »
Au-delà de ces interrogations, nous considérons que ce
projet de loi constitue une avancée réelle et importante pour lever les
soupçons de dépendance et de partialité qui décrédibilisent
l’institution judiciaire aux yeux de nos concitoyens. C’est la raison
pour laquelle les députés du Front de gauche voteront pour ce projet de
loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe
SRC.)
M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Popelin.
M. Pascal Popelin. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le
président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers
collègues, nous poursuivons ce soir, avec l’examen de ce projet de loi
relatif aux attributions du garde des sceaux et des magistrats du
ministère public en matière de politique pénale et d’action publique, le
travail législatif engagé hier lors de l’adoption en première lecture
des articles du projet de loi constitutionnelle portant réforme du
Conseil supérieur de la magistrature.
Avec ces textes, nous portons
une ambition simple, claire et forte : consacrer par la loi - qu’elle
soit constitutionnelle ou pas - le principe de l’indépendance de la
justice dans notre pays. Il s’agit de conforter des pratiques saines,
qui - certes - se sont construites dans une progression continue au
cours des dernières décennies, mais dont la mise en œuvre demeure encore
aujourd’hui soumise à la volonté, qui peut être plus ou moins sincère,
du pouvoir exécutif du moment.
Avec la candeur qui sied au néophyte,
j’imaginais que nous saurions nous retrouver, au-delà des clivages
partisans, dans l’émotion et le plaisir qui marquent les rares moments
d’unité advenant dans cet hémicycle, autour de cette belle idée
républicaine : consacrer dans le marbre de la loi l’indépendance de la
justice en France.
En lieu et place, nous avons eu droit hier, de la
part de l’opposition, à un florilège d’arguments souvent
contradictoires : les uns jugent que nous proposons trop, les autres que
nous n’en faisons pas assez ; certains nous trouvent trop précipités,
d’autres que nous ne sommes pas assez prompts. Derrière ce tir de
barrage, assez moyennement nourri sur le fond, affleuraient en
permanence deux motifs inavoués.
Le premier motif, largement partagé
sur tous les bancs de la droite, relève d’une posture politicienne. Il
peut ainsi se résumer : « fût-ce pour une belle cause, nous ne voulons
en aucune manière vous offrir le succès de l’adoption d’une quelconque
réforme constitutionnelle. »
En lieu et place, nous avons eu droit
hier, de la part de l’opposition, à un florilège d’arguments souvent
contradictoires : les uns jugent que nous proposons trop, les autres que
nous n’en faisons pas assez ; certains nous trouvent trop précipités,
d’autres que nous ne sommes pas assez prompts. Derrière ce tir de
barrage, assez moyennement nourri sur le fond, affleuraient en
permanence deux motifs inavoués.
Le premier motif, largement partagé
sur tous les bancs de la droite, relève d’une posture politicienne. Il
peut ainsi se résumer : « fût-ce pour une belle cause, nous ne voulons
en aucune manière vous offrir le succès de l’adoption d’une quelconque
réforme constitutionnelle. »
M. Gérald Darmanin. C’est vrai !
M. Pascal Popelin. « Et puisque nous avons le pouvoir numérique de bloquer toute réforme de cette nature, quel qu’en soit le motif, nous bloquerons ! »
M. Gérald Darmanin. Tout à fait !
M. Pascal Popelin. Vous l’avouez vous-même ! Triste stratégie !
M. Guy Geoffroy. La gauche n’aurait jamais fait cela, bien entendu !
M. Pascal Popelin. Nous avons clairement compris le second motif en écoutant les interventions de nos collègues de l’UMP les plus désinhibés. Fondamentalement, l’idée même d’indépendance de la justice contrarie une partie d’entre eux. Qu’un procureur ordonne souverainement une enquête préliminaire, puis ouvre librement une information judiciaire afin de faire la lumière sur les révélations médiatiques concernant Jérôme Cahuzac, vous êtes d’accord – tout comme nous. Mais qu’un collège de juges d’instruction ose mettre en examen Nicolas Sarkozy, alors là, non !
M. Gérald Darmanin. Vous vous égarez !
M. Guy Geoffroy. Relisez l’article 30 du code de procédure pénale !
M. Pascal Popelin. Pour vous, ces magistrats « déshonorent » forcément l’institution
judiciaire, pour reprendre le terme employé par l’un de nos collègues,
qui par un prompt renfort, se vit emboîter le pas par une centaine
d’autres.
Tout le problème est malheureusement là, mes chers
collègues. Nous avons le devoir de contribuer au changement de cette
manière de penser et de réagir.
J’ignore quel sort sera réservé à la
réforme du Conseil supérieur de la magistrature, qui nécessite une
majorité des trois cinquièmes du Congrès pour voir le jour. Chacun
rendra compte de ses choix et de ses attitudes devant l’opinion. Pour ma
part, je ne désespère jamais définitivement de voir la sagesse prendre
le pas sur d’autres considérations.
En revanche, nul besoin de la
permission de l’opposition pour inscrire dans la loi les bonnes
pratiques qui caractérisent les relations que vous avez instaurées,
madame la garde des Sceaux, entre la chancellerie, et les parquets,
comme l’avaient fait avant vous certains de vos prédécesseurs, de gauche
comme de droite. Oui, nous sommes favorables à la nouvelle rédaction de
l’article 30 du code de procédure pénale, qui est d’ailleurs plus
conforme au contenu de l’ordonnance du 22 décembre 1958 que ne l’étaient
les dispositions modifiées par la loi du 9 mars 2004.
Oui, nous
pensons qu’il est opportun de confier au garde des Sceaux la
responsabilité d’animer, en toute transparence, la politique pénale du
Gouvernement sur l’ensemble du territoire de la République, conformément
à l’article 20 de la Constitution, tandis que le parquet disposera du
plein exercice de l’action publique.Oui, nous estimons qu’il est bon que
la loi interdise au ministre d’adresser aucune instruction dans des
affaires individuelles, et de ne pas laisser cette question à sa seule
appréciation.
Oui, nous pensons qu’il est important que la loi
prévoie aussi les conditions dans lesquelles le parquet informe la
chancellerie de son application et de la mise en œuvre des instructions
générales.
Voilà pourquoi, mes chers collègues, nous voterons ce
texte, qui n’en déplaise à certains, constitue d’évidence un progrès
pour notre démocratie. (Applaudissements sur les bancs du
groupe SRC.)
M. Paul Molac. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Étienne Blanc.
M. Étienne Blanc. Madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, vous nous
soumettez aujourd’hui un texte portant sur l’article 30 du code de
procédure pénale. Ce texte promeut, selon vous, une nouvelle
indépendance des magistrats du parquet. Le moins que l’on puisse dire,
monsieur le rapporteur, c’est que vous n’avez pas manqué de prétention
dans votre exposé. Vous nous avez dit que cette réforme, essentielle,
considérable, allait ouvrir une ère nouvelle : voici que cette ère
nouvelle s’ouvre devant une vingtaine de nos collègues, dans une
ambiance un peu lourde, voire un peu terne. Si réforme de fond il
devait y avoir, elle n’est en tout cas pas portée politiquement par
votre majorité !
En réalité, ce texte traduit l’échec prévisible de
votre réforme constitutionnelle sur le Conseil supérieur de la
magistrature. Tout le monde s’attend à cet échec. Le Président de la
République capitulera-t-il en rase campagne au vu de l’éclatement de sa
majorité et du peu de soutien qu’il a obtenu des autres formations
politiques sur ce texte qu’il considère essentiel ? Tentera-t-il, à
l’inverse, l’aventure de réunir le Parlement en Congrès à Versailles ?
Vous voulez pouvoir dire aux Français : « Nous avons tout fait,
regardez : nous avons même adopté un texte pour rendre les magistrats du
parquet indépendants. » Ce texte-là n’est pas un texte fondateur : c’est
une roue de secours pour pallier l’échec prévisible de votre réforme
constitutionnelle.
Par ailleurs, ce texte est inutile. Vous l’avez
écrit vous-même, monsieur le rapporteur, et l’étude d’impact que nous a
transmise Mme la garde des sceaux le montre clairement : en dix ans, de
2003 à 2013, 37 instructions individuelles ont été prises, soit moins de
quatre par an ! Et voici qu’en supprimant ces instructions
individuelles, vous modifieriez considérablement le cours des choses et
vous rendriez notre justice plus indépendante ? Non, bien
évidemment !
Ce texte aura surtout des conséquences funestes et
éminemment politiques. Madame la garde des sceaux, vous êtes légitime
aux yeux des élus du peuple car vous répondez devant eux la politique
que vous menez. Désormais, entre le peuple français et les magistrats,
vous ne jouerez plus le rôle de fusible. En cas de dysfonctionnement, le
peuple se retrouvera seul face aux juges, car vous aurez renoncé à ces
instructions individuelles. Elles sont pourtant essentielles. Qui plus
est, elles assurent, sur l’ensemble du territoire national, la cohérence
de la politique pénale. Il y a, bien sûr, des instructions générales,
mais que vaudront-elles si vous ne vous donnez pas les moyens de vous
assurer qu’elles sont mises en œuvre ? Si vous ne pouvez plus vous
assurer qu’elles sont bien appliquées sur telle ou telle portion du
territoire national ?
Enfin, madame la garde des sceaux, vous
tentez, en nous présentant ce texte, de cacher le véritable problème de
notre justice. Le problème de la justice, en France, n’est pas celui de
son indépendance. J’ai entendu M. Truche parler de la manière dont un
procureur de la République considère les instructions qui lui sont
envoyées, ou les ordres qui lui sont transmis. Les magistrats de France,
y compris ceux du parquet, font preuve de discernement, et savent faire
la part des choses lorsque l’autorité politique tente de s’immiscer de
manière excessive dans une affaire individuelle.
La réalité, madame
la garde des sceaux, c’est que notre justice souffre d’une politisation
extrême, une politisation qui jette une suspicion bien compréhensible
sur l’impartialité de nos juges.
M. Guy Geoffroy. Eh oui ! Voilà d’où vient la suspicion !
M. Étienne Blanc. Madame la garde des sceaux, je figure sur ce fameux « mur » exposé au siège du Syndicat de la magistrature, dans des locaux qui appartiennent à la chancellerie. Je peux, comme un autre, être cité à comparaître demain devant un tribunal correctionnel. Dans ce cas, j’attendrais de la justice de mon pays qu’elle soit impartiale. Bénéficierais-je de cette impartialité alors que le juge qui siégerait face à moi serait peut-être membre d’un syndicat qui aura affiché mon nom sur ce « mur des cons » ? M. le Président de la République, qui est pourtant garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire, n’est pas intervenu dans cette affaire. Vous-même, vous avez saisi le Conseil supérieur de la magistrature, qui ne vous a pas vraiment répondu, mais a fui cette question !
Mme la présidente. Merci de conclure, cher collègue.
M. Étienne Blanc. Lui avez-vous, à dessein, posé une mauvaise question ? Je ne sais. En revanche, ce que je sais c’est que vous tentez, en présentant ce texte à notre assemblée, de masquer le véritable problème de notre justice : sa politisation et sa partialité. C’est sur ce sujet, madame la garde des sceaux, que la représentation nationale vous attendait. Vous n’êtes pas au rendez-vous : vous manquez aux Français, et à la justice française. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Mme Brigitte Bourguignon. Quelle mauvaise foi !
Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert Collard.
M. Gilbert Collard. Madame la garde des sceaux, je crains fort que si cette réforme
s’applique, vous ayez toujours des sceaux mais que vous n’en ayez plus
l’usage,. ce qui serait bien dommage.
On le sait, le procureur de la
République détient d’énormes pouvoirs. Il a la possibilité d’engager
des poursuites, ce qui est une faculté extraordinaire. Il peut décider,
seul, de renvoyer quelqu’un devant le tribunal correctionnel, de
prolonger une garde à vue ; de même, il a la direction des enquêtes et
le droit de requérir.
Je ne m’élève pas contre la suppression des
instructions individuelles, qui est une bonne chose. Cependant, si le
garde des sceaux n’avait plus l’autorité nécessaire sur les procureurs
de la République, s’il ne pouvait pas indiquer, quand il le faut, que
des poursuites doivent être engagées, cela, malheureusement, reviendrait
plus ou moins à ce que l’Etat abdique. On ne peut pas concevoir l’idée
de justice sans l’idée de l’État. Le garde des sceaux est donc à sa
place quand il donne, par exemple, des instructions générales de
politique pénale dans l’intérêt supérieur de l’État. Il ne s’agit pas là
de pressions exercées sur la justice, ni d’atteinte à l’indépendance des
magistrats. Quand le garde des sceaux dit à un procureur : « Vous devez
poursuivre, car les faits commis requièrent des poursuites », il agit
conformément à sa mission de représentant de l’État. Malheureusement, ce
texte dépouillera le garde des sceaux de ses moyens, ce qui est bien
dommageable.
Qui de nous ne rêve d’une justice indépendante et
impartiale ? Or, pour passer suffisamment de temps devant les tribunaux,
je peux vous dire que ce n’est pas franchement souvent le cas ! Ce n’est
pas forcément un manque d’indépendance qui vient d’une quelconque
pression. Ce n’est pas forcément un manque d’impartialité qui vient
d’une partialité profonde ! Non, c’est plus large, c’est plus petit,
c’est plus mesquin ! Cela tient à un phénomène qui, aujourd’hui, me fait
peur. Je sais que vous ne m’entendrez pas dans ce que je vais vous dire,
mais tant pis ! Cela tient au fait qu’il y a, de tous côtés, une
politisation absolument effroyable de la justice. Je n’ai, pour ma part,
pas envie de dire que ce n’est que d’un côté, c’est de tous côtés ! Tout
à l’heure, s’est exprimé à la tribune, un décoré du mur des cons et il
n’est pas seul, car c’est aussi mon cas ! Nous sommes une grande
promotion !
Ce n’est pas forcément un manque d’indépendance qui
vient d’une quelconque pression. Ce n’est pas forcément un manque
d’impartialité qui vient d’une partialité profonde ! Non, c’est plus
large, c’est plus petit, c’est plus mesquin ! Cela tient à un phénomène
qui, aujourd’hui, me fait peur. Je sais que vous ne m’entendrez pas dans
ce que je vais vous dire, mais tant pis ! Cela tient au fait qu’il y a,
de tous côtés, une politisation absolument effroyable de la justice. Je
n’ai, pour ma part, pas envie de dire que ce n’est que d’un côté, c’est
de tous côtés ! Tout à l’heure, s’est exprimé à la tribune, un décoré du
mur des cons et il n’est pas seul, car c’est aussi mon cas ! Nous sommes
une grande promotion !
M. Guy Geoffroy. Avec le ministre de l’intérieur !
M. Gilbert Collard. Nous devrions faire un club !
Que l’on me comprenne : quand un
justiciable se présente face à des juges qui ont commis cette vilenie,
quelle idée peuvent-ils se faire de l’indépendance de la
justice ?
Dans le peu de temps dont je dispose dans cette aumône de
parole, je me contenterai de m’interroger. Comment peut-on oser parler
d’indépendance de la justice alors qu’il y a des juges que l’on décore,
alors qu’il y a des juges que l’on nomme dans des ministères pour
occuper des postes et qui, ensuite, retournent dans les tribunaux. Juges
de droite, juges de gauche, peu importe ! Ce qui compte, c’est le
justiciable. Comment peut-on parler d’indépendance quand on constate, en
dépit de tout, aujourd’hui, un tel syndicalisme ? Si on aime la justice,
commençons par dire qu’on ne les décorera plus, qu’ils n’iront plus dans
les ministères et que leur syndicalisme, pour nécessaire qu’il soit,
devra être relativement neutre pour que l’on n’ait pas peur d’être
fusillé contre le « mur d’une vraie connerie » !
Mme la présidente. La parole est à M. Sébastien Huyghe, dernier orateur inscrit.
M. Sébastien Huyghe. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le
rapporteur, mes chers collègues, le Gouvernement a présenté en conseil
des ministres, le 27 mars dernier, un projet de loi « relatif aux
attributions du garde des sceaux et des magistrats du ministère public
en matière de politique pénale et d’action publique ». Le texte qui nous
occupe est composé de quatre articles, sachant que seul l’article
1er n’est pas purement
rédactionnel.
Je ne m’attarderai pas sur l’article 2, qui modifie la
rédaction de l’article 35 du code de procédure pénale relatif aux
attributions des procureurs généraux pour préciser davantage, même si la
rédaction actuelle de l’article 35 le dit autrement, qu’ils ont pour
mission de procéder à la déclinaison locale des orientations
nationales.
Je ne m’attarderai pas non plus sur l’article 3 qui
insère un nouvel article 39-1 dans le code de procédure pénale relatif à
la mission des procureurs de la République, afin de préciser une
évidence, à savoir que le procureur de la République met en œuvre dans
son ressort la politique pénale définie par les instructions générales
du ministre de la justice et du procureur général, en tenant compte du
contexte propre au ressort, et qui rappelle également l’obligation
d’information du procureur vis-à-vis du procureur général.
Seul
l’article 1er donc, qui réécrit l’article 30 du
code de procédure pénale, constitue un véritable ajout : il a pour objet
d’interdire les instructions individuelles données par le ministre de la
justice à ses procureurs.
Je veux débusquer le préjugé idéologique
dangereux qui conduit, par pure stratégie, le Gouvernement à mettre en
discussion un projet de loi sur les instructions données au parquet. Il
s’agit, en théorie, d’assurer aux justiciables que le Gouvernement en
place ne profite pas de ses pouvoirs pour protéger ses intérêts. Je vois
mal comment l’on pourrait ne pas souscrire à cet objectif louable et à
cette belle et vertueuse déclaration de principe !
Je tiens
cependant à faire remarquer que l’étude d’impact produite par le
ministère de la justice fait état, en réalité, pour les instructions
visées, d’une moyenne de dix instructions par an ! Plus encore, ces
instructions, dans les faits, ne présentent aucune anomalie, puisque
l’examen des principales instructions données depuis 2004 révèle que
toutes les instructions données visent à diligenter des poursuites ou
des enquêtes, ou à former des recours dans l’intérêt de la loi.
Ce
projet de loi, est donc, je le regrette, empreint d’une certaine
hypocrisie de la part de la majorité. Admettez-le : la vérité, c’est que
cet article 30 du code de procédure pénale, issu d’une ordonnance de
1958, sert, depuis bien longtemps, de chiffon rouge à la gauche pour
accuser l’ancienne majorité d’avoir étouffé des affaires ! Mais vous
savez pertinemment qu’il n’y a aucune instruction qui vise à étouffer
quoi que ce soit. Soutenir le contraire serait mensonge et pure
démagogie !
Si cet article 30 a été, dans le passé, objet de
polémique, je tiens à rappeler que le 4 janvier 1993, la gauche avait –
et c’était opportun – fait adopter une disposition précisant que les
instructions individuelles devaient être écrites. Je tiens également à
rappeler que le 24 août 1993, notre majorité a voté une disposition
visant au versement automatique de ces instructions au dossier pénal et,
par conséquent, à leur communication à la défense. Vous le voyez,
l’essentiel est donc réglé depuis vingt ans. Mais cela ne garantit pas
l’absence d’instructions verbales. Cela ne garantit pas que,
verbalement, l’on s’abstienne de donner des conseils aux magistrats.
Soyez honnêtes et reconnaissez avec nous que ce projet de loi ne le
garantira pas non plus. Ce n’est pas la suppression des instructions
individuelles qui empêchera que cette pratique condamnable perdure et,
en la matière, personne n’a de leçon à recevoir de personne.
Je ne
peux que déplorer que nous soyons encore face à un projet de loi plein
de bonnes intentions, mais, somme toute, assez creux, si ce n’est de
symbole. Je ne peux que déplorer que la majorité persiste à ne donner
que de timides signaux politiques, incapable qu’elle est de remédier à
la crise profonde que traverse la justice !
La vérité, c’est
qu’au-delà des mots, vous n’avez rien à proposer aux Français, sinon
l’effet d’annonce d’une série de mesurettes inefficaces qui ne sont pas
à la hauteur des enjeux. C’est sans doute la raison pour laquelle, en
professionnels de la diversion que vous êtes, vous vous êtes saisis du
prétexte d’accorder plus d’indépendance au Parquet, pour organiser, une
fois de plus, un débat tout à fait accessoire, dans le simple but de
détourner l’attention de l’opinion, et de tenter, en vain, de lui faire
oublier la crise sans précédent que traverse la France et votre
incapacité à faire preuve du courage politique que la situation
réclame ! (Applaudissements sur les bancs du groupe
UMP.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
La parole est à Mme la garde des
sceaux.
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je souhaite remercier tous les orateurs qui se sont exprimés,
particulièrement ceux qui ont su montrer l’importance de ce projet de loi.
Il y a manifestement une convergence d’appréciation quant à l’importance de
dégager le garde des sceaux de l’exercice de la conduite de l’action
publique, de reconnaître que le procureur général doit animer et coordonner
cette action publique et de faire en sorte que le procureur l’exerce
directement. En revanche, la responsabilité du garde des sceaux est nette et
clairement assumée : il répond de la politique pénale. Nous mettons donc,
d’une certaine façon, un terme à la confusion des genres avec cet article 30
du code de procédure pénale, dont la rédaction était, en effet, confuse et
brouillonne, et qui a été réécrit sur la base de la loi d’août 2004. Les
choses sont redevenues claires : l’action publique relève des parquets et le
garde des sceaux définit la politique pénale, veille à son exécution et
s’assure de son application sur la totalité du territoire.
J’ai bien
entendu vos interrogations, monsieur Marc Dolez, sur le rapport entre le
substitut et le procureur. Il peut exister des cas d’espèce, mais la règle
n’est pas effectivement qu’ils agissent tel que vous vous en
inquiétiez.
J’ai également entendu toutes vos réserves, monsieur le
député Tourret, sur ce texte. Je peux comprendre que vous vous posiez des
questions – cela fait partie du débat. Il convient simplement de faire
preuve de responsabilité politique, donc d’accepter qu’en dépit de certains
inconvénients, nous choisissions une ligne, nous lui donnions sa cohérence
et nous l’appliquions.
Incontestablement, il y a en la matière
confrontation d’appréciations différentes : la vision de la justice qu’a
l’opposition n’est pas la même que celle que nous promouvons, sachant bien
que certains termes désagréables qu’elle a employés n’est que de l’ordre de
l’exercice parlementaire. Je ne m’y attarderai donc pas. Toutefois, nous
avons tout de même le devoir de prendre un peu de hauteur et de nous
interroger sur ce qui consolide nos institutions et sur ce qui fait qu’elles
font vivre la démocratie en nous assurant que l’égalité entre citoyens est
intrinsèquement reconnue, en particulier lorsqu’ils rencontrent des
difficultés et qu’ils ont besoin de recourir à l’État.
Je relèverai
quelques inexactitudes qui pourraient induire en erreur non les personnes
qui se trouvent dans cet hémicycle, mais certains de nos concitoyens qui
portent une attention à nos débats et qui lisent le Journal
officiel. En effet, les propos des députés de l’opposition
ont parfois été quelque peu contradictoires.
Vous vous interrogez,
ainsi, sur l’opportunité de supprimer les instructions individuelles,
puisqu’elles sont très peu nombreuses. Or dans le même temps, vous soutenez
qu’il est essentiel que le garde des sceaux conserve la possibilité de
donner des instructions individuelles. Apprécier toute la nuance de tels
propos, qui me paraissent contradictoires, exige une performance
intellectuelle que je n’ai probablement pas !
Permettez-moi, monsieur le
député Geoffroy, de vous relire l’alinéa 3 de l’actuel article 30 du code
procédure pénal, afin de bien vous montrer que c’est moi qui ai raison
lorsque je soutiens que, lorsque nous mettons un terme aux instructions
individuelles, nous mettons un terme à la capacité pour le garde des sceaux
de poursuivre mais aussi de requérir, par exemple la relaxe ou un quantum
de peine : « Il peut dénoncer au procureur général les infractions à la loi
pénale dont il a connaissance et lui enjoindre, par instructions écrites et
versées au dossier de la procédure, d’engager ou de faire engager des
poursuites », ce qui confirme ce que vous dites, sauf que cet article se
poursuit de la façon suivante :…
M. Guy Geoffroy. J’ai lu la suite !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … « ou de saisir la juridiction compétente de telles réquisitions écrites
que le ministre juge opportunes. »
En clair, cela signifie que le garde
des sceaux peut effectivement demander au procureur de poursuivre – c’est la
première partie de l’article –, mais, puisqu’il peut saisir la juridiction
compétente, il pourra, une fois que le procureur aura poursuivi, intervenir
encore en instruction individuelle, par exemple demander de requérir la
relaxe ou tel quantum de peine. Ne nous faites donc pas entendre ce que ne
dit pas l’article 30 du code de procédure pénale ! Celui-ci précise
parfaitement qu’il est possible d’intervenir en matière tant d’instruction
individuelle pour poursuivre, que de décision. Il était bon, je crois,
d’éclairer ceux qui s’intéressent à ces débats.
Je vous rappellerai,
ensuite, puisque cela semble vous inquiéter, que nous n’avons pas touché à
l’article 36 du même code. Certains d’entre vous étaient présents hier soir,
et les thèmes que vous avez développés avec constance dans toutes vos
interventions montrent bien que nous avons une vision différente de la
justice – ce n’est pas injurieux de le dire, c’est un constat. En tout cas,
je le répète, nous n’avons pas touché à cet article 36.
Vous vous êtes
inquiétés sur ce qu’il se produirait si le procureur ne poursuivait pas. Je
le rappelle, dans le texte que nous vous présentons, nous réorganisons les
attributions du garde des sceaux, celles du procureur général et celles du
procureur.
Les attributions du procureur général figurent dans le code
de procédure pénale. Il peut donner des instructions individuelles dans des
dossiers individuels, par instructions écrites et versées au dossier. Nous
éclaircissons encore les choses. Deux d’entre vous ont affirmé qu’il
appréciait « souverainement ». Non ! Nous ne sommes pas dans un État de
non-droit, nous ne sommes pas dans une addition de fiefs…
M. Alain Tourret. De baronnies !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. … ou de baronnies, comme dirait M. Tourret. Le procureur général – cela
est déjà précisé et nous le précisons encore plus fortement – décline la
politique pénale du garde des sceaux. Il ne fait pas souverainement ce qu’il
veut dans son territoire.
Monsieur le député Tourret, vous vous
demandiez s’il était normal et souhaitable que sur l’ensemble du territoire,
la politique pénale soit la même. Vous savez qu’en certaines circonstances,
le garde des sceaux peut diffuser une circulaire de politique territoriale
pour qu’il soit tenu compte d’un ressort en particulier, d’un type de
délinquance singulier, de la nécessité dans un territoire particulier
d’exécuter les peines d’une certaine façon. Cette circulaire peut ainsi
venir ajuster la politique pénale et faire en sorte que la réponse
judiciaire soit plus efficace parce qu’elle se situe au plus près du
terrain. Le procureur général la décline et le procureur tient compte
lui-même des circonstances et du contexte, en l’adaptant au mieux. Les
procureurs généraux et les procureurs se sont ainsi impliqués dans la
définition des périmètres des zones de sécurité prioritaires. Nous avons
pris en compte les types de contentieux et de réponses à prendre en compte
en la matière pour déterminer les lieux où établir ces ZSP.
Les choses
sont claires. Qu’elles ne plaisent pas, je peux le concevoir sans
difficulté. Et que l’argumentation déployée pour expliquer pourquoi elles ne
plaisent pas soit contradictoire, cela ne me paraît pas spécialement inédit
– je fréquente cette maison depuis très longtemps.
Je demande pardon aux
orateurs si je n’ai pas répondu aux questions précises qu’ils ont posées,
mais sachant que certaines questions ont été récurrentes d’un certain côté
de l’hémicycle, je crois avoir rectifié certaines inexactitudes.
Pour ce
qui nous concerne, il existe une claire différence entre l’action publique
et la politique pénale. La responsabilité, nous l’assumons pleinement. Nous
ne nous préoccupons pas de savoir si nous serons fusibles ou pas. Ici, nous
faisons le droit et non pas l’électricité ! (Applaudissements sur
les bancs des groupes SRC et écologiste.)
Mme la présidente. J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles du projet de loi.
Mme la présidente. La parole est à M. Paul Molac, pour soutenir l’amendement no 3.
M. Paul Molac. Vous avez compris, madame la garde des sceaux, notre aversion
pour les instructions individuelles. Nous nous félicitons donc
qu’il y soit mis fin. Toutefois, il nous paraît nécessaire de
renforcer cette interdiction en précisant que sont prohibées non
seulement les instructions écrites – par courrier, fax ou mail
–, mais également orales ou faites par un tiers. En effet, si le
nombre d’instructions écrites est relativement limité, comme le
montre l’étude d’impact, des consignes orales ont pu exister et
ne bénéficient pas du même encadrement.
Nous proposons donc
d’insérer à l’alinéa 4, après le mot : « instruction », les
mots : « sous quelque forme que ce soit, ».
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Nous avons bien mesuré l’intention de cet amendement qui vise
à aller le plus loin possible dans la suppression des
instructions individuelles. Toutefois il me paraît important de
respecter les traditions du code de procédure pénale. Quand une
prescription y est inscrite, elle est impérative et est d’autant
plus forte que si elle n’est pas, comme je vous l’ai indiqué en
commission, assortie de précisions. La rédaction de votre
amendement altère de ce fait votre intention. Mieux vaut
conserver son caractère impératif à la prescription.
C’est
la raison pour laquelle, monsieur le député, je vous propose de
retirer votre amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur Molac, je comprends la préoccupation que vous
exprimez. Je vous propose simplement que nous rompions avec la
période antérieure de suspicion et d’interrogation dont la
prégnance est révélée, d’une certaine façon, par certaines
interventions des députés de l’opposition qui craignent que
l’arrêt des instructions écrites n’empêche pas l’arrêt des
instructions orales. Mais depuis un an, il n’y a ni instructions
écrites ni instructions orales.
Le fait que nous inscrivions
clairement dans la loi que les instructions individuelles sont
interdites est une façon de protéger les magistrats contre des
instructions qui pourraient être aussi orales.
Tout en
entendant vos préoccupations, j’estime que la simple indication
que les instructions individuelles sont interdites se suffit à
elle-même, quelle que soit la forme que peuvent prendre ces
instructions.
Je vous suggère donc à mon tour de retirer
votre amendement.
Mme la présidente. Retirez-vous votre amendement, monsieur Molac ?
M. Paul Molac. Je suis prêt à le retirer après avoir été convaincu.
M. Gérald Darmanin. Mais c’est une instruction orale qui vient de vous être donnée !
M. Paul Molac. Si j’ai insisté, c’était pour que des précisions soient portées au compte rendu quant à l’intention qui me guidait.
M. Gérald Darmanin. Les Bretons ne sont plus ce qu’ils étaient !
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Pas de fait personnel, monsieur Darmanin ! (Sourires.)
(L’amendement no 3 est retiré.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Tourret, pour soutenir l’amendement no 7 rectifié.
M. Alain Tourret. Cet amendement vise à rappeler que le garde des sceaux peut dénoncer au procureur général les infractions à la loi dont il a connaissance et lui demander quelles poursuites il compte engager, ces instructions étant versées au dossier de la procédure.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Avis défavorable avec regret – à votre égard, monsieur Tourret, et non pas à l’égard de nos collègues de l’opposition, je le précise.
M. Guy Geoffroy. Quelle délicatesse !
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Je le dis avec le sourire, mon cher collègue.
Il est vrai
que l’article 30 dans sa rédaction nouvelle modifie l’alinéa 3
qui prévoyait des spécifications pour la dénonciation de faits.
Je rappelle cependant que le garde des sceaux, à l’instar de
toutes les personnes détentrices de l’autorité publique, est,
aux termes de l’article 40 du code de procédure pénale, dans
l’obligation de dénoncer toute infraction dont il a
connaissance : « Toute autorité constituée, tout officier public
ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert
la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner
avis sans délai au procureur de la République et de transmettre
à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes
qui y sont relatifs. »
C’est la raison pour laquelle cette
prescription rendait quasiment superfétatoire le troisième
alinéa de l’article 30. Sa suppression dans le projet de loi
n’entame en aucune manière la responsabilité du garde des sceaux
et de toute autorité publique en la matière.
Avis
défavorable donc.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je comprends votre préoccupation, monsieur Tourret : s’il y a
de façon flagrante un manquement à poursuite, comment procéder
en l’absence d’instruction individuelle ?
D’abord, il faut
rappeler que nous sommes dans une société où les choses se
disent plus qu’elles ne se taisent. Et c’est une tendance de
plus en plus marquée, grâce notamment à l’action des
journalistes, même si parfois la mesure n’y est pas toujours –
je n’en dirai pas plus, sachant qu’il est bon que la presse soit
impertinente dans une démocratie.
Ensuite, je précise qu’à
la suite de votre amendement, nous avons recherché s’il y avait
eu des situations où il était flagrant qu’il fallait poursuivre
et où ni le procureur ni le procureur général n’auraient
poursuivi. Il peut arriver que le procureur ne poursuive pas,
cela relève de la responsabilité du procureur général. Vous le
savez très bien puisque, dans votre amendement, vous proposez
que le garde des sceaux saisisse ce dernier.
Enfin, nous ne
sommes pas juridiquement totalement démunis puisque, comme vient
de le dire le rapporteur, l’article 40 du code de procédure
pénale permet à « toute autorité constituée » de procéder à la
dénonciation de certains faits auprès du procureur de la
République. Le garde des sceaux pourra donc intervenir en cas de
nécessité au titre de cet article sans qu’il soit besoin de
créer une exception à l’interdiction des instructions
individuelles comme vous le souhaitez.
Votre préoccupation
est donc satisfaite et je vous suggère, si vous en convenez, de
retirer votre amendement.
Mme la présidente. Retirez-vous votre amendement, monsieur Tourret ?
M. Alain Tourret. Je voudrais simplement poser une question pour que la réponse figure au Journal officiel : ces instructions données dans le cadre de l’article 40 seront-elles versées au dossier ?
M. Guillaume Larrivé. Non, d’où l’utilité de votre amendement !
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Il ne s’agit pas d’instructions, monsieur Tourret. Lorsqu’une
personne détentrice de l’autorité publique informe le procureur
de la République d’une infraction, elle ne lui donne aucune
injonction. Elle se contente de transmettre des informations
dont le procureur fait l’usage qu’il veut, en fonction de sa
compétence et de sa responsabilité, au moyen de tous les
éléments dont il dispose – procès-verbaux, rapports, etc. Je
vous renvoie à l’article 40.
C’est une situation que
beaucoup connaissent dans divers cadres de l’exercice de
l’autorité publique, je pense en particulier aux élus.
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Geoffroy.
M. Guy Geoffroy. Ce que nous venons d’entendre est totalement extraordinaire ! Le rapporteur – et cela figurera dans le compte rendu – nous explique que l’article 40 du code de procédure pénale aurait dû nous empêcher d’écrire le troisième alinéa de l’article 30 puisqu’il dit la même chose.
M. Pascal Popelin. Ce n’est pas ce que le rapporteur a dit !
M. Guy Geoffroy. Si, je l’ai entendu. Et Mme la garde des sceaux nous a dit la
même chose. Autrement dit, on va supprimer le troisième alinéa
de l’article 30, lequel n’était pas nécessaire parce que
l’article 40 ne nous donne pas la possibilité de dénoncer mais
exige que nous le fassions !
L’article 30 apporte une
protection grâce aux ajouts apportés par l’ancienne majorité de
1993 qui ont permis de préciser que les instructions étaient
versées au dossier. L’article 40, lui, ne le prévoit pas. Nous
sommes donc avec ce texte dans une situation absolument
extravagante.
J’estime que malgré l’imperfection de sa
rédaction, l’amendement de notre collègue Tourret est très
bénéfique. Il nous a permis de révéler la totale cacophonie dans
laquelle la majorité agit et le total surréalisme qui préside à
l’élaboration de ce texte, à sa discussion et à son éventuelle
approbation.
Franchement, si notre collègue Tourret cédait
aux amicales pressions de Mme la garde des sceaux, nous devrions
reprendre cet amendement car il faut le voter.
Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur Geoffroy, c’est votre droit d’essayer de construire une dramaturgie toute en tensions.
M. Guy Geoffroy. Pas du tout ! Je dis seulement que ce que vous faites est extravagant !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je vous invite à prendre le temps de lire l’amendement que
vous vous dites prêt à reprendre. Cela vous permettrait de
saisir l’esprit dans lequel M. Tourret l’a rédigé, sachant que
les pièces concernées seront les premières à être versées au
dossier, dans la mesure où elles auront déclenché une procédure
à l’initiative du procureur de la République.
M. Tourret
indique dans son amendement que le garde des sceaux « peut
dénoncer au procureur général » des infractions. Autrement dit,
sa démarche ne consiste pas à demander que le garde des
sceaux…
Mme Nathalie Nieson. M. Goffroy n’écoute même pas !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Cela n’a pas d’importance, car je ne crois pas que le sujet
soit de savoir si l’on se comprend ou non, ou si l’on a vraiment
le souci de construire une loi forte. Je pense que les
désaccords se situent sur un autre terrain.
L’amendement,
disais-je, indique que le ministre de la justice « peut
dénoncer au procureur général » certaines infractions. Je
comprends bien la préoccupation de M. Tourret : je le connais
depuis suffisamment longtemps pour savoir qu’il n’utilise pas
les mots de façon approximative. Mais outre que nous avons
répondu à ses questionnements, cela ne peut pas servir à nourrir
la démonstration un peu spécieuse que vient de nous faire M. le
député Geoffroy concernant un hypothétique remplacement de
l’article 40 par un article 30.
M. Guy Geoffroy. C’est ce que vient de dire le rapporteur !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. L’article 30 concerne des instructions individuelles, tandis que l’article 40 concerne des signalements. Nous sommes ici dans la maison où l’on écrit le droit ; je ne crois pas que qui que ce soit confonde les instructions individuelles avec les signalements.
Mme Nathalie Nieson. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à M. Sébastien Denaja.
M. Sébastien Denaja. Ce qui gêne les députés du groupe SRC pour voter cet
amendement, c’est la deuxième partie de la première phrase : ce
n’est pas tant le fait de porter à la connaissance du procureur
général des faits, ainsi que cela ressort de la lecture que vous
avez faite de l’article 40, monsieur Tourret, mais de préconiser
que le garde des sceaux puisse lui demander quelles poursuites
il compte engager.
En effet, cela revient à donner une
instruction, ou du moins à orienter la décision qui pourrait
ensuite être prise, contrevenant ainsi à la philosophie qui nous
anime ce soir.
(L’amendement no 7 rectifié est retiré.)
(L’article 1er est adopté.)
Mme la présidente. À la demande du Gouvernement, l’amendement n° 10 portant article additionnel après l’article 1er est réservé.
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques, nos
4 et 8.
La parole est à M. Jean-Yves
Le Bouillonnec, pour soutenir l’amendement no
4.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Je souhaite donner un éclaircissement sur le dépôt de cet
amendement. Lors du travail en commission, j’ai proposé, par
cohérence avec le dispositif législatif que nous instaurons,
mais également dans le souci de rapprocher les appréciations
constitutionnelle et conventionnelle divergentes concernant
notre parquet, que nous affirmions dans l’article 31 que le
parquet exerce l’action publique dans le respect des principes
d’indépendance et d’impartialité auxquels il est tenu.
Je
rappelle que ces principes d’indépendance et d’impartialité sont
constitutionnels puisqu’ils relèvent de l’ordonnance de 1958 qui
a construit un corps judiciaire unique, composé des magistrats
du siège et du parquet, leur conférant une égale responsabilité
de constituer l’autorité judiciaire.
Telle est
l’appréciation du Conseil constitutionnel, qui l’a d’ailleurs
réaffirmée en proclamant dans plusieurs décisions, dont une que
j’ai évoquée lors de mon intervention liminaire, que le parquet
était soumis au respect des principes d’indépendance et
d’impartialité.
Dans le même temps, la Cour européenne des
droits de l’homme dénie au parquet français la qualité
d’autorité judiciaire pour une raison importante : une autorité
judiciaire ne fait que juger et non poursuivre, au sens de la
Convention européenne des droits de l’homme. Or le parquet
assume une responsabilité dans le déclenchement de l’action
publique. Il possède d’ailleurs des instruments extrêmement
importants, qui ont été rappelés par certains d’entre vous. Il
est de ce fait en situation de participer tant à l’action de
poursuite qu’à l’action de juger.
Dans ces conditions, j’ai
estimé nécessaire de montrer que le principe constitutionnel
pouvait être intégré dans le code de procédure pénale. Tel était
le sens de la précision concernant l’indépendance et
l’impartialité encadrant l’activité du procureur de la
République, membre du parquet.
Toutefois, après le débat en
séance et afin de ne pas accentuer les questionnements que
susciterait la précision de la notion d’indépendance par rapport
au lien de subordination hiérarchique existant entre un membre
du parquet et la chancellerie, je vous propose de supprimer la
référence à l’indépendance, pour ne conserver que la référence à
l’impartialité.
Mme la présidente. Il faut conclure, monsieur le député.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Je termine, madame la présidente. Ce débat nous a beaucoup
mobilisés et constitue l’un des deux points les plus importants
de notre échange ce soir. Avec votre aimable autorisation, je
souhaiterais donc pouvoir achever mon intervention.
Rappeler
le principe d’impartialité permet aussi de donner des
instruments à toute personne concernée pour appréhender dans
quelles conditions une action de poursuite, un classement ou une
réquisition sont susceptibles d’altérer cette exigence
d’impartialité.
Tel est le sens de cet amendement qui n’est
d’ailleurs pas sans lien avec les compétences du Conseil
supérieur de la magistrature telles qu’elles sont maintenant
arrêtées.
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Tourret, pour soutenir l’amendement no 8.
M. Alain Tourret. L’impartialité est une vertu, l’indépendance une
qualité – Robespierre aurait pu le dire. Si chacun des justiciables
comprend ce qu’il attend de l’impartialité, l’indépendance en
revanche revêt deux sens, et c’est tout le problème. Le magistrat
peut être indépendant en lui-même, ce qui est reconnu comme une
qualité ; mais l’indépendance peut également signifier une volonté
de s’opposer au pouvoir politique. Dès lors, c’est très différent de
l’impartialité.
Je pense donc que l’indépendance n’avait pas à
figurer à cet endroit, contrairement à la notion
d’impartialité.
Je pense donc que l’indépendance n’avait pas à
figurer à cet endroit, contrairement à la notion
d’impartialité.
M. Étienne Blanc. Exactement !
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement sur ces deux amendements identiques ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous avons eu un premier échange en commission des lois à
propos de ces amendements.
Je partage les raisons pour
lesquelles leurs auteurs estiment qu’il faut ôter de cet article
1er
bis la périphrase concernant
l’indépendance. Je suis également préoccupée par l’impartialité
– non pas en tant que qualité, si tant est que l’indépendance
est, comme vous le disiez, monsieur Tourret, une vertu.
M. Alain Tourret. Non, une qualité.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Si donc l’impartialité est plutôt une vertu, cette vertu nous
l’attendons des magistrats du parquet comme des magistrats du
siège. C’est toute la difficulté avec cet amendement qui,
certes, améliore incontestablement la rédaction précédemment
retenue par la commission des lois, mais qui continue de poser
problème car l’impartialité est attendue tant des magistrats du
parquet - donc du ministère public - que des magistrats du
siège.
Je me pose donc la question suivante : pouvons-nous
évoquer dans cet article ce principe d’impartialité pour les
seuls magistrats du ministère public, alors que nous ne le
rappelons pas dans tous les autres articles du code où il est
simplement question du juge ?
Cette interrogation me conduit
donc à m’en remettre à la sagesse de votre assemblée, car il me
semble préférable de ne pas créer une situation dans laquelle on
pourrait considérer - avec malveillance probablement - que le
juge du siège n’exercerait pas en impartialité.
Mme la présidente. La parole est à M. Sébastien Denaja.
M. Sébastien Denaja. Puisque Mme la ministre s’en remet à la sagesse de notre
assemblée, les députés du groupe SRC se rangeront à l’avis
défendu par le rapporteur.
En effet, pour avoir également
bien suivi la discussion en commission des lois sur ce sujet,
nous lui savons gré d’avoir enlevé dans la première version
l’indication que le procureur était tenu à l’indépendance.
L’indépendance est une situation de fait. On ne peut pas être
tenu à l’indépendance : on est indépendant ou on ne l’est pas.
En revanche, on est tenu à l’impartialité.
Telle était la
précision que nous avions, de manière consensuelle, demandée à
notre rapporteur d’effectuer ; c’est désormais chose
faite.
Pour répondre aux propos de Mme la garde des sceaux
concernant les différences entre le siège et le parquet, nous
sommes là en pleine théorie des apparences, chère à la Cour
européenne des droits de l’homme - souvenons-nous de l’arrêt
Kress rendu en 2001.
M. Guillaume Larrivé. Funeste arrêt !
M. Sébastien Denaja. Cet arrêt s’appliquait certes au commissaire du Gouvernement devant les juridictions administratives. Mais l’important ici, pour le parquet davantage que pour le siège, est de donner à voir qu’il est impartial.
Mme la présidente. La parole es à M. le rapporteur.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Je vais me permettre de maintenir cet amendement, d’abord
parce qu’il s’inscrit dans le sens de nos débats en commission,
ensuite parce que nous sommes là face à une difficulté. Celle-ci
tient au fait que le parquet, dans le corps unique des
magistrats, est tenu au respect des principes d’indépendance et
d’impartialité, tout en étant dans une situation de
subordination hiérarchique instituée par l’ordonnance
constitutionnelle adoptée en 1958.
Le Conseil
constitutionnel a reconnu qu’il existait deux situations de
nature différente. L’impartialité – comme l’indépendance, je
tiens à le rappeler, même si j’ai abandonné cette notion –
appréhendée par le Conseil constitutionnel s’agissant des
magistrats du parquet, n’est pas la même que celle d’un
magistrat du siège.
De ce fait, l’impartialité d’un membre
du parquet exerçant l’action publique n’est pas appréhendée
selon les mêmes contenus et les mêmes critères que celle d’un
magistrat du siège : elle est de nature différente.
Sans
confusion sur la nature de l’impartialité des magistrats du
siège et des magistrats du parquet, il peut être rappelé que
lorsqu’il exerce l’action publique, le membre du parquet le fait
en impartialité.
M. Étienne Blanc. Voilà qui est beaucoup plus clair !
(Les amendements identiques nos 4 et 8 sont adoptés.)
(L’article 1er bis, amendé, est adopté.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Tourret, pour soutenir l’amendement no 9.
M. Alain Tourret. Cet amendement prévoit que, lorsque le ministre de la
justice, garde des sceaux, estime, en l’absence de poursuites
pénales, que l’intérêt général commande de telles poursuites, il
met en mouvement l’action publique. Il peut alors saisir par
voie de réquisitoire ou de citation directe la juridiction
compétente. Il ne peut, à cette fin, déléguer sa
signature.
J’avais déjà fait cette proposition en 1998 qui,
à l’époque, avait recueilli une forme de consensus ; c’est
pourquoi je la reprends aujourd’hui.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Avis défavorable, avec mes regrets à l’égard de notre collègue, car cet amendement ferait en réalité revenir le garde des sceaux dans la situation antérieure, que nous ne voulons justement plus conserver.
M. Marc Dolez. Bien sûr !
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. L’exercice de l’action publique appartient au ministère
public, tandis que la politique pénale relève du Gouvernement et
de la garde des sceaux. Ces deux aspects sont distincts, ce que
nous écrivons dans le code de procédure pénale.
La
suggestion de notre collègue est tout à fait honorable – comme
l’est notre collègue, d’ailleurs –, son objectif étant de
s’assurer que l’action publique sera mise en mouvement.
Toutefois, cet objectif ne peut plus relever de la
responsabilité du garde des sceaux quant à l’exercice de
l’action publique.
En revanche, il appartiendra au garde des
sceaux, lorsqu’il recevra le retour des politiques pénales,
d’indiquer à l’Assemblée nationale s’il considère qu’elles ont
été plus ou moins bien exécutées.
Par conséquent, la
confusion dans laquelle nous placerait l’amendement de notre
collègue Tourret risque de balayer le sens de cette
réforme.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je dois saluer votre constance, monsieur Tourret, car cet
amendement est dans le même esprit que les amendements
précédents que vous avez déposés.
Pour les raisons que j’ai
déjà exposées, je vous demande de retirer votre amendement. À
défaut, j’émettrai un avis défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Tourret.
M. Alain Tourret. Madame la garde des sceaux, je ne peux pas retirer cet
amendement, sinon ce serait admettre que j’accepte la position
du Gouvernement. Or ce n’est pas la mienne. J’estime qu’il faut
laisser la possibilité au ministère de la justice d’avoir un
droit propre quand il n’y a pas de poursuite.
Que fait-on,
par exemple, si un procureur décide de ne plus du tout
poursuivre les consommateurs de cannabis ? Je le dis d’autant
plus avec le sourire que mon parti a décidé de priver de
sanction pénale la consommation de cannabis.
(L’amendement no 9 n’est pas adopté.)
Mme la présidente. Nous en venons à un amendement après l’article 1er
précédemment réservé.
La parole est à M. Alain Tourret, pour
soutenir l’amendement no 10.
M. Alain Tourret. Cet amendement vise à aider le ministre de la justice puisque
je propose qu’il soit, dans chaque ressort de la cour d’appel,
représenté par un avocat, désigné pour une durée de trois années
par arrêté ministériel. Cet avocat est choisi parmi les
bâtonniers ou anciens bâtonniers du ressort de la cour d’appel.
Il agit, dans le cadre de l’action publique diligentée par le
ministère de la justice, avec les mêmes droits que le procureur
de la République.
Il faut en effet savoir que dans un
certain nombre d’actions de l’État, les ministres ont à leur
disposition des avocats.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. La commission est défavorable à cet amendement.
Une fois
de plus, monsieur Tourret, vous rappelez l’hypothèse d’une prise
en charge des intérêts de l’État par le ministère d’un avocat,
hypothèse que des professeurs, des doctriniens et des avocats
célèbres, dont vous-même, suggèrent pour remplacer le dispositif
actuel de parquet assumé par des magistrats.
Bien entendu,
chacun aura compris qu’il y aurait alors concurrence entre le
procureur de la République, le ministère public et cet avocat
dans la mesure où il est précisé que l’avocat agit dans le cadre
de l’action publique diligentée par le ministre de la justice.
Cela mettrait directement en cause les compétences et l’exercice
de l’action publique que le code de procédure pénale reconnaît à
l’initiative exclusive du ministère public.
On n’imagine pas
que, s’agissant de l’engagement de l’action publique, d’autres
que les magistrats qui en sont chargés par le code de procédure
pénale l’exercent. Cette hypothèse me paraît en totale
contradiction avec le parquet à la française que l’on essaie ici
de défendre malgré tout.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le Gouvernement est également défavorable à cet
amendement.
Monsieur Tourret, il m’est très désagréable de
vous être à ce point désagréable ce soir. Cependant, il ne me
paraît pas logique de confier au procureur l’exercice de
l’action publique et au procureur général le contrôle de cette
action publique, son animation, sa coordination et son contrôle,
et de leur substituer un avocat général. Cela reviendrait à
défaire ce que nous vous demandons de faire avec le présent
texte.
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Tourret.
M. Alain Tourret. Comme je suis un historien, ma logique était celle de la notion de l’avocat du roi. Mais comme nous sommes en République, je retire mon amendement.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Très bien !
M. Guy Geoffroy. Cela plaide en votre faveur !
(L’amendement no 10 est retiré.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement n° 5.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Il s’agit d’un amendement rédactionnel.
(L’amendement no 5, accepté par le Gouvernement, est adopté.)
Mme la présidente. La parole est à M. Paul Molac, pour soutenir l’amendement no 2.
M. Paul Molac. Madame la présidente, eu égard à l’heure tardive, je
défendrai dans le même temps mon amendement
no 1 à l’article 3.
Je propose que
les rapports particuliers qui porteraient sur des affaires
individuelles soient versés au dossier, notamment pour
l’exercice des droits de la défense.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Mme la garde des sceaux explicitera mieux encore que moi le
sens de la remontée des informations du procureur de la
République vers le procureur général et du procureur général
vers le garde des sceaux, mais, je le rappelle, nous ne nous
situons plus dans le cadre des instructions du garde des sceaux
faites dans le cadre de l’ancienne rédaction de l’article 30 du
code de procédure pénale. Nous sommes maintenant dans
l’hypothèse d’instructions générales données par le garde des
sceaux – sachant qu’il peut y avoir des instructions
spécifiques, comme cela a été évoqué tout au long de la
discussion.
En tout cas, si le procureur de la République et
le procureur général peuvent faire remonter des informations et
si celles-ci peuvent avoir des contenus totalement divers, elles
ne constituent en aucune manière des éléments susceptibles
d’influer sur l’engagement de la poursuite ni sur le sort qui a
été réservé par le ministère public à la question posée. On est
dans le cadre d’une information.
Voilà pourquoi ces deux
amendements n’entrent pas du tout dans le cadre des instructions
individuelles qui, je le rappelle, seront définitivement
prohibées.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Avis défavorable.
Je confirme que ces rapports
particuliers n’ont aucune incidence sur la procédure, ni
lorsqu’ils sont communiqués, ni compte tenu de leur nature et de
leur contenu. Voilà pourquoi il n’y a aucune raison de les
verser au dossier.
Mme la présidente. La parole est à M. Paul Molac.
M. Paul Molac. Je vais me ranger à ces arguments et retirer les amendements nos 2 et 1, en soulignant toutefois que je ne suis que partiellement convaincu.
(L’amendement no 2 est retiré.)
(L’article 2, amendé, est adopté.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Tourret, pour soutenir l’amendement no 6.
M. Alain Tourret. Je propose que le procureur de la République notifie la
décision de classement de l’affaire au plaignant ainsi qu’à la
victime lorsque celle-ci est identifiée. Lorsque l’affaire est
classée pour un motif autre que l’absence d’identification d’une
personne susceptible d’être mise en cause, la décision de
classement est motivée.
Le code de procédure pénale prévoit
à peu près la même chose, mais la rédaction que je propose me
semble plus claire.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. La question que vous posez, monsieur Tourret, comme toutes
celles que vous avez soulevées d’ailleurs, est d’une extrême
pertinence parce qu’elle concerne un problème extrêmement
important : quelle information peut avoir le justiciable sur la
décision prise par le procureur ?
Permettez-moi de vous
rappeler que l’article 40-2 du code de procédure pénale dispose
: « Le procureur de la République avise les plaignants et les
victimes si elles sont identifiées, ainsi que les personnes ou
autorités mentionnées au deuxième alinéa de l’article 40, des
poursuites ou des mesures alternatives aux poursuites qui ont
été décidées à la suite de leur plainte ou de leur signalement.
Lorsqu’il décide de classer sans suite la procédure, il les
avise également de sa décision en indiquant les raisons
juridiques ou d’opportunité qui la justifient. » Cet article
satisfait donc l’intention légitime que vous traduisez.
Je
me permets à cette occasion de m’adresser à vous, madame la
garde des sceaux. Nous savons que dans la pratique, pour des
raisons de travail, de surmenage, l’information du justiciable
se résume souvent à une lettre qui comporte exclusivement
l’indication que l’affaire a été classée sans suite pour
l’instant, la personne dont il peut être question en
l’occurrence n’ayant pas été identifiée ou retrouvée. Ce seul
élément est à mon avis insuffisant pour combler l’exigence
d’information introduite dans le code de procédure pénale. De ce
fait, il sera nécessaire de préciser les modalités d’information
du justiciable par le parquet, sachant que la question de M.
Tourret nous est posée par nombre d’administrés.
Des
expériences ont été conduites, notamment avec les correspondants
du parquet qui, interlocuteurs entre le procureur et le
justiciable dans certains territoires, ont pu expliquer à ce
dernier ce qui se passait.
Tout en donnant un avis
défavorable sur cet amendement, la pertinence de la question
posée devra à mon avis nous conduire dans les mois et les années
qui viennent…
M. Étienne Blanc. Plutôt les années !
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. … à travailler sur l’information que les procureurs de la République donnent aux justiciables.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement sur cet amendement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. le Gouvernement a émis un avis défavorable parce que le droit
actuel satisfait, avec l’article 40-2 du code de procédure
pénale issu d’une loi de 2004 que M. le rapporteur vient de
lire, la demande de M. Tourret.
Normalement, la victime peut
déposer un recours contre la décision de classement du procureur
en s’adressant au procureur général. Je cherche dans le code la
disposition qui le permet, mais je n’arrive pas à lire en
parlant ! (Sourires) Je suis sûre que
vous, vous saurez la trouver.
En tout état de cause, il y a
probablement un travail d’information à faire en direction des
victimes. Il faut qu’elles sachent que le procureur doit motiver
sa décision de classement, ce qu’il fait généralement.
M. Alain Tourret. Cette obligation de motiver la décision de classement ne figure pas dans le code de procédure pénale.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Si ! Cela figure à l’article 40-2 du code de procédure
pénale que vient de lire le rapporteur. L’alinéa 2 de cet
article précise en effet : « Lorsqu’il » – le procureur de la
République – « décide de classer sans suite la procédure, il les
avise » – il s’agit des plaignants et des victimes - « également
de sa décision en indiquant les raisons juridiques ou
d’opportunité qui la justifient. » Il est donc bien tenu de
motiver sa décision de classement.
Pour autant, nous aurons
à nous rapprocher des associations des victimes, comme nous
l’avons d’ailleurs fait s’agissant du harcèlement sexuel, pour
faire savoir que le classement doit être motivé et qu’un recours
est possible auprès du procureur général.
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Tourret.
Mme la présidente. La suspension est de droit.
(La séance, suspendue quelques instants, est immédiatement reprise à une heure.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Tourret.
M. Alain Tourret. Je tiens à préciser pour les juristes, car cela figurera
ainsi au compte rendu, que les obligations d’information qui
existent dans le code de procédure pénale sont des obligations
de motivation. J’emploie à dessein ce dernier terme pour bien
montrer qu’il y a bien en la matière une véritable obligation,
contrairement à ce qui se passe dans la pratique.
Je retire
mon amendement.
(L’amendement no 6 est retiré.)
(L’article 4 est adopté.)
Mme la présidente. J’indique à l’Assemblée que la commission a ainsi rédigé le titre du
projet de loi : « Projet de loi relatif aux attributions du garde des
sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique
pénale et de mise en œuvre de l’action publique ».
Nous avons achevé
l’examen des articles du projet de loi.
Je rappelle que la
Conférence des présidents a décidé que les explications de vote et le
vote par scrutin public sur l’ensemble du projet de loi auront lieu le
mardi 4 juin après les questions au Gouvernement.
Mme la présidente. Prochaine séance, demain, à vingt et une heures trente :
Débat en
salle Lamartine sur la sûreté nucléaire.
La séance est levée.
(La séance est levée, le jeudi 30 mai, à une heure cinq.)