RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE (1)
sur L'ACTIVITE ET LE FONCTIONNEMENT DES TRIBUNAUX DE COMMERCE

TOME II
SOMMAIRE DES AUDITIONS (partie 6)

Les auditions sont présentées dans l'ordre chronologique des séances tenues par la Commission

(la date de l'audition figure ci-dessous entre parenthèses)

_ Audition de MM. Michel ROUGER et Michel GRASSEAU,
responsables du Centre d'études et de formation des juridictions commerciales (21 avril 1998)

_ Audition d'une délégation de la Caisse de garantie des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises, composée de M. Dominique GUERIN, Président, de M. Gilles PELLEGRINI, membre du conseil d'administration et de M. Denis BOUYCHOU, membre du conseil d'administration et Administrateur judiciaire (23 avril 1998)

_ Audition d'une délégation de la Caisse des dépôts et consignations, composée de M. Jean MALOCHET, Directeur du département bancaire de la direction des activités bancaires et financières et de M. Patrick TERROIR, responsable du service des professions juridiques (23 avril 1998)

_ Audition de M. Maurice LAFORTUNE, avocat général à la Cour de cassation (28 avril 1998)

_ Audition de M. Joël Rochard, Inspecteur général des finances, ancien membre de la Commission nationale d'inscription et de discipline des administrateurs judiciaires (28 avril 1998)

Audition de MM. Michel ROUGER et Michel GRASSEAU,
responsables du Centre d'études et de formation des juridictions commerciales

(procès-verbal de la séance du 21 avril 1998)

Présidence de M. François COLCOMBET, Président

MM. Rouger et Grasseau sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. À l'invitation du Président, MM. Rouger et Grasseau prêtent serment.

M. le Président : Nous avons souhaité vous rencontrer parce qu'il ressort des différentes auditions auxquelles nous avons procédé que la formation des magistrats consulaires est un élément essentiel de l'amélioration du fonctionnement des tribunaux de commerce. Nous aimerions être informés des actions menées aujourd'hui, de leur financement et des évolutions qui semblent souhaitables.

Je vous suggère une présentation du centre de formation, de son histoire, de ses difficultés financières, et de ses perspectives.

M. Michel ROUGER : Il m'appartient de répondre sur l'histoire et la stratégie. À l'origine, la loi de 1987, mise en application en 1988, confirma la structure et la forme des tribunaux de commerce. Nous étions alors quelques-uns à penser que leur avenir dépendrait essentiellement de la qualité de la formation, de la sélection et du recrutement et qu'il convenait de se rassembler pour créer un outil de formation. Ce fut fait de façon autonome par quelques parisiens et tourangeaux. Il nous semblait normal de rassembler ceux qui accepteraient de se former dans un lieu provincial, évitant de toujours mettre en avant la primauté parisienne. Mon prédécesseur en avait naturellement tenu informé la Chancellerie. Il s'agissait du président Bon qui fut le premier président du CEFJC ; j'en suis le second.

À l'époque, le garde des sceaux, Pierre Arpaillange, nous avait répondu : « J'ai l'honneur de vous faire connaître que j'attache le plus grand intérêt à la mise en place d'une instance de formation et de réflexion qui permettra aux juges des tribunaux de commerce de trouver, au sein d'une structure permanente, la possibilité de parfaire leurs connaissances pour le plus grand profit de l'institution consulaire. Afin de porter témoignage de l'intérêt que je porte à votre action, j'ai décidé d'allouer à votre association pour l'année 1990 une subvention d'un montant de 20 000 francs. Je puis vous indiquer par ailleurs que je suis favorable à ce que le directeur des services judiciaires et le directeur des affaires civiles et du sceau figurent au nombre des personnalités composant le comité de patronage de votre association.

J'ai, enfin, demandé à mes services d'étudier les modalités selon lesquelles l'École nationale de la magistrature, et plus généralement les magistrats de l'ordre judiciaire, pourraient s'associer aux travaux du centre d'études. »

Nous partagions bien évidemment cette orientation donnée par le garde des sceaux. Nous avons reçu les premiers 20 000 francs et il se trouve que les quatre successeurs de Pierre Arpaillange n'ont pas manifesté le même intérêt. Madame Guigou a rétabli l'espoir de retrouver un ministère de la justice intéressé à la formation des magistrats consulaires.

Pendant cette période, le Conseil régional du Centre a assumé pour l'essentiel les charges de fonctionnement. La formation concerne entre trois et quatre cents magistrats et se déroule par stage de deux jours et demi. Les coûts des stages sont extrêmement réduits, dans la mesure où, d'une part, les six ou sept formateurs qui interviennent à chaque stage ne sont pas payés et où, d'autre part, nous avons négocié avec l'hôtellerie locale un prix de journée de 550 francs, ce qui vous montre que nous ne pratiquons pas les châteaux relais des bords de Loire !

Notre budget est passé progressivement à sept cent mille francs. Il s'est trouvé, selon nos attentes, en déséquilibre total, puisque la subvention de la région, qui constituait l'essentiel de la recette, a été supprimée. Par précaution, nous avions mis de côté, pour faire évoluer la pédagogie, quelques crédits qui nous permettront de boucler l'année 1997, laquelle présente un déficit de 350 000 francs.

Nous avons confié à la Chancellerie les éléments de notre projet pédagogique. Demain, je dépose tout le dossier budgétaire auprès des services de la place Vendôme. Nous y précisons nos perspectives 1998 et 1999 et nous insistons dans notre lettre de transmission sur l'espoir de réaliser une école reconnue, à laquelle participeraient, non seulement des professeurs de l'université, mais aussi des magistrats professionnels aux côtés de magistrats consulaires. L'année 1998 comptera neuf stages, sauf à être obligé d'annuler le dernier pour des raisons de trésorerie. La loi permet une facturation des frais, en l'hypothèse une facturation des seuls frais d'hébergement, car aucun coût pédagogique n'est facturé, à ceux des stagiaires qui entrent dans le cadre de la loi sur la formation permanente. Le recours à cette pratique a amélioré notre budget à partir de 1994, en permettant de compléter les subventions par des conventions factures que les entreprises répercutent sur leur participation à la formation.

Nous avons fait l'objet l'an dernier d'un contrôle du ministère du Travail né d'une contestation sur la capacité des entreprises à imputer les frais d'hébergement sur la participation à la formation. Il s'est soldé par un accord avec la direction régionale du travail de l'emploi et de la formation professionnelle de la région Centre. En pratique, nous avons attendu que le Préfet fixe le montant des sommes que nous devions rembourser et nous avons constitué dans nos comptes de l'an passé la provision qui permet ce remboursement à la place des entreprises qui ont récupéré les sommes sur le paiement de leur participation à la formation professionnelle continue.

Michel Grasseau, ancien président du tribunal de commerce de Tours qui suit très régulièrement les stages peut intervenir sur le contenu de la pédagogie.

M. Michel GRASSEAU : Nous avons pris en charge, avec Michel Rouger, le CEFJC en 1995 - date qui coïncide avec le terme de nos charges présidentielles. Nous avons trouvé alors un CEFJC axé sur deux enseignements : les procédures collectives au sens large du terme d'une part, le contentieux général et la procédure d'autre part. L'enseignement s'opérait à partir du système du « questionnaire à choix multiples » qui était identique pour tous les stages, ceux des magistrats confirmés comme ceux des magistrats débutants. Nous avons diversifié ces programmes pour les adapter aux différents publics. Nous avons aujourd'hui créé des programmes de formation initiale destinés aux débutants que nous dispensons en novembre et en décembre pour les magistrats nouvellement élus et qui n'ont pas encore exercé. Nous proposons des stages de procédure et de contentieux général pour les magistrats confirmés et pour les magistrats achevant leur première ou deuxième année judiciaire. Nous lançons cette année un stage sur les contrats commerciaux et nous terminerons avec un stage pour les présidents, vice-présidents et magistrats assimilés. Chacun de ces stages propose des contenus un peu différents. Une note d'information, que nous envoyons à nos stagiaires, présente les thèmes abordés.

M. le Président : Quand la formation a-t-elle débuté ?

M. Michel GRASSEAU : Le premier stage date de 1989.

M. Michel ROUGER : Il y a eu une période intermédiaire de 1990 à 1995 durant laquelle nous avons traité la formation de deux cents ou trois cents magistrats.

M. le Président : Le besoin de formation, comme dans toute profession, est évident. Pourquoi est-il apparu si tard ?

M. Michel ROUGER : Je suis entré au tribunal de commerce de Paris en 1980 et l'une des premières questions que j'ai posée au président de l'époque a porté sur ce thème. Il m'a répondu : « Puisque cela vous intéresse, créez donc une activité de formation au Tribunal » ; je l'ai fait. J'ai mis en place un cycle de formation qui aujourd'hui se poursuit avec deux cours par semaine entre le début du mois d'octobre et Noël pour les magistrats qui viennent d'être élus. Après avoir mené ces activités jusqu'à ma nomination à la tête du Tribunal et après les avoir fait reprendre par l'un de mes collègues président de chambre, je suis parti à Tours, car développer la formation m'intéressait.

M. le Président : L'École de la magistrature a-t-elle manifesté de l'intérêt pour le centre de Tours ?

M. Michel ROUGER : Non. En revanche, à titre personnel, je suis allé donner des cours à l'ENM qui m'a ainsi honoré de sa confiance. J'ai été « intégré » dans le corps enseignant de l'École et, quelles que soient les manifestations d'intérêt que j'ai essayé de susciter, il n'y a pas été donné suite. L'un des deux magistrats de l'ordre judiciaire qui sont venus dispenser des cours à Tours est le premier président Drai.

M. Michel GRASSEAU : Le président du TGI de Tours est venu deux ou trois fois enseigner l'art du jugement.

M. le Président : Avez-vous pris contact avec M. Sapin, président de la région Centre et ancien ministre délégué à la justice ?

M. Michel GRASSEAU : Pas encore.

M. Michel ROUGER : J'ai connu M. Sapin lorsqu'il était à la Chancellerie avec M. Nallet. Mais notre sujet n'entrait pas dans le cadre de ses responsabilités.

M. le Président : Votre programme prévoit-il un enseignement sur le contrôle des mandataires de justice ?

M. Michel GRASSEAU : Oui, vous trouverez le thème des relations avec les mandataires dans le module sur les procédures collectives pour magistrats confirmés. Il existe aussi un sujet sur le contrôle des auxiliaires de justice au sens large.

M. le Président : L'une des grandes critiques faites au système est que les tarifs sont, non seulement favorables aux mandataires, mais aussi que les juges-commissaires n'exercent guère de contrôle et autorisent de nombreux dépassements.

M. Michel GRASSEAU : Lors des séminaires « procédures collectives », nous appelons leur attention sur la nécessité de contrôler les taxations et sur la nécessité pour le président de vérifier que les juges-commissaires ont bien contrôlé les taxations.

M. le Président : Procédez-vous par exercice sur cette question très compliquée des taxations ?

M. Michel GRASSEAU : Non.

M. le Président : Face à un professionnel retors, le savoir-faire s'avère indispensable. Faites-vous par ailleurs réaliser des rédactions de jugements ?

M. Michel GRASSEAU : Oui, depuis deux ans.

M. le Président : Comment cette formation était assurée auparavant ?

M. Michel GRASSEAU : Elle était prodiguée « sur le terrain » par les magistrats les plus anciens. On procède aujourd'hui à des exercices de rédaction de jugements dans le module de formation initiale et dans le module « procédure et contentieux général » pour débutants.

Nous faisons travailler les stagiaires sur un vrai dossier, duquel nous avons effacé les noms, et que nous utilisons avec l'autorisation des parties et de leurs conseils. Nous leur demandons de rédiger le jugement en leur indiquant la décision à prendre.

M. le Président : Pour le recrutement des juges professionnels, l'on procède par concours, puis une formation spécifique est dispensée ; enfin, avant d'entrer en fonction, le candidat peut en théorie être écarté. Pour les tribunaux de commerce, les juges sont élus et formés par la suite en exerçant leur fonction. Se pose donc le problème de la formation initiale.

M. Michel GRASSEAU : C'est sans doute plus vrai pour les juges provinciaux que pour les parisiens, bénéficiaires d'un système de sélection plus efficace. Le bassin de recrutement est moins large en province

M. le Président : On peut critiquer ce système de cooptation qui est contraire à l'élection prévue par la loi.

M. Michel ROUGER : Il me semble que le système actuel visant à recruter d'abord les juges pour les former ensuite à une fonction judiciaire, ne doit pas être conservé. Je crois préférable de former d'abord pour ensuite sélectionner et enfin recruter.

M. le Président : C'est une bonne idée.

M. Michel ROUGER : L'on procède à l'envers et les dispositions sur les modes de recrutement pour ce type de juridiction qui prévalent depuis un siècle continuent à s'imposer.

Avec mes collègues, nous désirions absolument créer une école. Dans nos propositions à la Chancellerie, nous avons prévu de traiter chaque année un millier de candidats juges et de juges débutants dans la fonction. Vous savez que l'on débute plusieurs fois dans la fonction : en entrant, puis, au terme de deux ans, en étant confirmé ou non, ensuite en devenant juge-commissaire, enfin en accédant à la fonction de président d'une formation de jugement. Il faut bien former tous ces candidats avant leur sélection. Cela suppose une véritable école. Mais rien de cela n'est en place, faute de budget, de la présence de l'université et du corps judiciaire. Les idées sont claires ; malheureusement, les moyens font défaut.

M. le Président : Vos propos sont très intéressants tant il est vrai qu'une des réponses aux inquiétudes et aux interrogations est la formation, initiale et permanente.

M. Michel ROUGER : J'ai été le seul président du tribunal de commerce de Paris à n'avoir jamais obtenu aucun diplôme, mais cela fait cinquante ans que je me forme ! J'ai suivi les cours du soir aux Arts et Métiers.

Nous nous interrogeons sur l'intérêt d'organiser cette formation permanente au sein des cours et tribunaux, au moyen d'un corps de formateurs qui se déplacerait. Il n'est pas nécessaire de tout centraliser à Tours. L'agrément de la centralisation à Tours réside dans la possibilité de mettre en contact plusieurs jours durant des juges d'origine très hétérogène. L'échange d'expériences apporte une valeur ajoutée supplémentaire, mais c'est un dispositif coûteux. Les cours et tribunaux, qui assurent la formation permanente de l'ensemble des membres du corps judiciaire, pourraient y intégrer les juges consulaires.

Schématiquement, pour rédiger les jugements, l'ordre judiciaire prime ; pour gérer les budgets l'ordre consulaire prime ! Il faudra bien que les représentants de la Nation décident de traiter cette dualité, gêne fondamentale du système consulaire. Pour moi, comme pour le premier président Drai, ces magistrats sont « dans l'ordre judiciaire ». Ils peuvent parfaitement y vivre avec leurs particularités de recrutement, à condition que celui-ci soit normalisé.

M. le Président : Estimez-vous normal que des salariés d'entreprises soient des juges ?

M. Michel ROUGER : Vous nous demandez une opinion sur la loi. La loi de 1987 a été votée à l'unanimité. Il m'est très difficile d'émettre une opinion sur son bien-fondé.

M. le Président : L'on pourrait élargir le vivier du recrutement. Nous traitons actuellement des informations qui arrivent de toutes les juridictions. Certaines nous ont indiqué l'âge des juges, dont la moyenne dépasse soixante ans. Soit ils sont à la retraite, soit ils sont salariés. On est bien loin de l'image du juge consulaire, patron de PME ou d'une grande société qui consacre une partie de son temps à la juridiction commerciale. L'enquête révèle une sociologie un peu inattendue des juridictions.

M. Michel GRASSEAU : Il fut un temps où le magistrat consulaire était un notable. Cette époque est révolue. Aujourd'hui, le juge consulaire doit assumer sa responsabilité judiciaire sur une très large partie de son temps. Cela explique que dans les grandes sociétés sans doute l'on demande plutôt aux cadres qu'au patronat de se porter candidats.

M. le Président : C'est une évolution.

M. Michel GRASSEAU : À laquelle la loi de 1987 ouvrait la porte.

M. le Président : Des banques fournissent des cadres alors même qu'elles sont souvent parties prenantes dans les procédures, ce qui pose tout de même question. Un directeur de banque peut présider une formation dans une ville, alors même que sa banque risque d'être intéressée indirectement à toutes les affaires.

M. Michel GRASSEAU : S'il est en exercice, la sagesse lui commande de ne pas présider le tribunal.

M. Michel ROUGER : Vous abordez un problème qui dépasse largement la compétence de président du CEFJC. J'ai consacré seize ans de ma vie, dont quatre à temps plein, à l'_uvre de justice. À mon avis, il faut partir des besoins des justiciables et, pour cela, disposer de statistiques fiables. Les besoins réels sont très faciles à identifier. Un contentieux lourd nécessite, dans les bassins économiques, cinq cents magistrats à temps plein. Les tribunaux ont fait appel à des banquiers car il fallait des juges disponibles à temps plein ! Quatre cents à cinq cents magistrats, sur trois mille sont devenus des permanents de la justice. À titre personnel, je considère que ce sont des personnes auxquelles il faudrait donner un statut. Je suis le seul à le dire avec Michel Grasseau.

M. le Président : D'autres y ont pensé. Les juges prud'homaux sont indemnisés, bénéficient d'un statut et sont élus en nombre suffisant pour que le vivier permette de faire fonctionner l'institution.

M. Michel ROUGER : La sociologie de ces tribunaux résulte du débat trop rapide de la loi de 1987 qui n'a pas pris en compte les besoins des justiciables ni l'évolution des besoins de l'économie, notamment en matière de traitement des difficultés des entreprises. J'ai profondément regretté que ma voix n'ait pas été entendue lors de la réforme de 1994 car il eût été beaucoup plus urgent à l'époque de réviser la deuxième loi de 1985, celle sur les administrateurs judiciaires et les mandataires-liquidateurs. Je l'ai déclaré en commission à l'Assemblée comme au Sénat.

M. le Président : Il apparaît effectivement que les mandataires posent beaucoup plus de problèmes que nous le croyions au début de nos travaux.

M. Michel ROUGER : J'ai passé dix ans au Tribunal et une année en chambre des faillites, car cette fonction ne me plaisait pas. Malheureusement, il n'y a jamais eu autant de faillites que pendant ma présidence, plus de 25 000. C'est un problème réel. J'appelle votre attention sur l'omission de la révision des titres V, VI et VII de la loi de 1985. Nous sommes restés sur un mécanisme anachronique de sanctions, qui produit chaque année 20 000 marginaux. Il est plus dramatique de rentrer en faillite que d'entrer en prison et plus catastrophique de sortir de faillite que de sortir de prison. J'avais alors demandé que l'on croise les fichiers de la délinquance avec ceux des sanctions des tribunaux de commerce afin de faire ressortir l'archaïsme de notre dispositif dont on ne parle jamais. Les sanctions telles qu'elles existent dans la loi de 1985 contribuent au dérèglement de notre vie sociale.

M. Michel GRASSEAU : Le scandale de la procédure collective tient dans la déperdition de la valeur des biens dès le prononcé du jugement.

M. le Président : Sans compter les ponctions opérées par la suite.

M. Michel ROUGER : Sur ce point, la loi de 1985 produit un effet désastreux par le mécanisme de sous-traitance qu'elle a introduit. L'entreprise entre dans une période d'observation et on lui demande un bilan économique et social, ce qui ne trouve un sens que pour 5000 des 60 000 entreprises qui défaillent chaque année, non pour les toutes petites entreprises qui n'ont aucune viabilité économique ou financière. Pour réaliser les bilans économiques et sociaux, les administrateurs ont recours à des prestataires extérieurs payés par l'entreprise et dont le coût s'ajoute à la taxe prélevée par les mandataires.

M. Michel GRASSEAU : Les juges consulaires stagiaires sont mis en garde contre ces experts de toute nature qui entourent les administrateurs.

M. le Président : Beaucoup ont dû échapper à la formation !

M. Michel ROUGER : Le centre de Tours forme trois cents magistrats sur trois mille.

M. le Président : La formation n'est-elle pas obligatoire ?

M. Michel GRASSEAU : Hélas, non !

La formation que nous organisons présente ceci de spécifique qu'elle s'adresse à des praticiens du monde des affaires qu'il s'agit de transformer en praticiens du droit. L'ENM transforme des théoriciens du droit en praticiens du droit. Nous nous retrouvons sur le résultat, mais au travers de deux provenances distinctes. De plus, nous formons des hommes et des femmes d'entreprises qui disposent de peu de temps, ce qui oblige à des formations fractionnées.

M. le Président : Le point commun aux deux écoles réside dans la formation permanente des magistrats, qui devrait être rendue obligatoire.

M. Christian MARTIN : Où le CEFJC est-il installé à Tours ? Est-il homologué en qualité de centre de formation ?

M. Michel GRASSEAU : Nous le sommes. Nous l'étions auparavant, mais nous avions commis des erreurs d'imputations comptables qui se sont résolues par l'arbitrage du Préfet.

Le centre d'administration est logé dans les locaux du tribunal de commerce de Tours. Nous étions autrefois dispersés sur deux sites, un site de restauration et d'hôtellerie et un site d'enseignement. Face au nombre croissant de magistrats reçus, nous avons trouvé un hébergement au Novotel de Chambray-lès-Tours, ce qui a permis de réduire les frais de stage

M. Michel ROUGER : Nous payons pour deux nuits, deux petits déjeuners et cinq repas, 1200 francs.

M. Michel GRASSEAU : Les stagiaires sont enfermés pour 17 heures de formation et rien n'est sensé les distraire !

M. le Président : Que pensez-vous du développement de la prévention ?

M. Michel GRASSEAU : Nous évoquons cette question durant une heure et demie ou deux heures à l'occasion du séminaire destiné aux présidents de tribunal.

M. le Président : À Paris, des personnes sont recrutées par le président, elles ne sont pas élues. La cooptation est poussée à un point extrême. De plus, on leur confie un démembrement du pouvoir judiciaire pour assurer une mission de prévention. Pensez-vous qu'il faille des acteurs spécialisés sur ces questions au sein de l'institution ?

M. Michel ROUGER : Je suis l'auteur de cette novation.

M. le Président : Vous êtes un président créatif.

M. Michel ROUGER : La configuration économique a évolué entre la période 1988-1991 et la période 1992-1996 marqué par l'accroissement des difficultés des entreprises. Gérer une telle situation avec les lois relatives aux faillites dont nous disposions nous incitait à nous engager sur la voie de la prévention. Notre action a contribué à sauvegarder l'essentiel du système financier français. Cependant, la véritable prévention doit fonctionner pour les entreprises moyennes qui risquent d'entrer dans une phase de défaillance financière. Vous pourrez entreprendre toute action de prévention, vous ne trouverez jamais le moyen de rétablir une entreprise dépourvue de viabilité économique, de savoir-faire ou d'argent. La plupart des PME qui passent par les tribunaux disposent encore d'une certaine viabilité économique. Le système du plan de redressement par cession, devenu l'usage pervers du dispositif...

M. le Président : Pour quelles raisons ?

M. Michel ROUGER : J'ai inventé l'expression le « marché gris de la faillite ». Le seul moyen d'empêcher la prédation générale sur les entreprises était d'anticiper et de développer la prévention. J'ai créé un corps intermédiaire de magistrats qui avaient « tombé la robe » mais qui restaient suffisamment compétents pour recevoir les chefs d'entreprise.

M. le Président : Ils n'étaient plus élus.

M. Michel ROUGER : Certes, mais ils n'exerçaient aucune autorité judiciaire. Leur rôle se cantonnait à recevoir les chefs d'entreprise, à se faire expliquer la situation et à rendre compte au président. Ils perdaient tout rôle à partir du moment où l'on entrait dans la procédure judiciaire par décision du président qui considérait que l'affaire méritait de venir en chambre du conseil.

M. le Président : Faut-il ou non institutionnaliser cette expérience, la développer, l'encadrer ?

M. Michel ROUGER : Oui, il faut l'institutionnaliser, l'encadrer et y intéresser le parquet. À cette fin, j'avais créé une commission à laquelle participaient tous les opérateurs intéressés et un représentant de la Chancellerie.

M. le Président : À l'époque, ces juges consulaires à la retraite étaient-ils rémunérés ?

M. Michel ROUGER : Non.

M. le Président : Le sont-ils aujourd'hui ?

M. Michel ROUGER : J'espère que non !

M. Michel GRASSEAU : Je pense que la prévention aboutira à un véritable plan d'apurement permettant à toute entreprise viable de survivre.

M. Michel ROUGER : Je ne voudrais pas mentir, déposant sous serment. En réponse à la question « Sont-ils rémunérés ? », je dois préciser que certains ont été rémunérés dès lors qu'ils ont été nommés conciliateurs dans le cadre de la loi de 1994. La taxation prévue est alors appliquée.

M. le Président : D'anciens juges consulaires exercent une mission de prévention à la demande du président, la juridiction peut par la suite les nommer conciliateurs et, à compter de cette nomination, ils sont rémunérés.

M. Michel ROUGER : Oui, selon les termes de la loi.

M. le Président : On nous a signalé cela comme une perversion du système.

M. Michel ROUGER : Les administrateurs judiciaires et les mandataires-liquidateurs ont été très hostiles à une telle pratique.

M. le Président : Si cette pratique correspond à une utilité sociale, il faut la légaliser, l'encadrer par des règles déontologiques précises. Les nominations doivent-elles procéder d'un pouvoir propre du président ?

M. Michel ROUGER : Je considère que cette mission de prévention, puisque la loi en a dévolu la responsabilité aux présidents des tribunaux de commerce, s'inscrit dans le cadre d'un pouvoir tutélaire du président. Le tribunal de commerce est une juridiction présidentielle à l'état pur. Je considère que la prévention trouverait bien mieux sa place dans un système d'encadrement économique. Ces questions relèvent davantage de l'économique que de la justice.

Faire gérer des opérations strictement économiques - le traitement des difficultés d'une entreprise - dans un cadre judiciaire ne sera jamais totalement satisfaisant. Cela posera toujours des problèmes, quelle que soit la nature des juges en charge du sujet.

Je suis certain qu'une fois que le Parlement aura tiré les conséquences de votre rapport, il se penchera sur la question du classement du traitement des difficultés des entreprises dans les deux grandes entités capables d'encadrer ces opérations : la justice et l'économie, la place Vendôme et Bercy.

M. le Président : Cette réflexion est tout à fait bienvenue. Face à une institution qui a pour elle d'être très ancienne, on peut se poser toute question sur son adaptation aux nécessités actuelles.

M. Michel GRASSEAU : La prévention présente une grande difficulté : la nécessité d'être fiable. Les délais demandés doivent être économiquement tenables. Il faut une expérience économique pour juger si l'entreprise est à même de respecter ces délais et, en même temps, une autorité judiciaire pour les imposer aux créanciers dont le premier réflexe, en prévention comme en procédure collective, est évidemment de les refuser.

M. Gérard GOUZES : Et une conjoncture favorable.

M. Michel GRASSEAU : C'est plus facile quand la conjoncture est bonne ! D'autant plus que les créances payées à terme ne sont pas productives de richesses et représentent une vraie charge pour l'entreprise.

M. Michel ROUGER : Je n'exerce aucune charge représentative dans le milieu des tribunaux de commerce, mais je préside une organisation non gouvernementale consultative du Conseil de l'Europe, une union européenne de magistrats qui ne compte que des magistrats étrangers et appartenant aux tribunaux échevinés d'Alsace-Lorraine. Les Belges, les Néerlandais, les Allemands, les Autrichiens, les Italiens, les Suisses, se posent les mêmes questions. Les Belges rencontrent des problèmes avec les curateurs, les Allemands s'appuient sur un système plus administratif marqué par une présence du barreau et des banques, les Hollandais pratiquent un système judiciaire unique sans juge consulaire à l'instar des Anglais.

Audition d'une délégation de la Caisse de garantie des administrateurs judiciaires

et des mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises,

composée de M. Dominique GUÉRIN, Président,
de M. Gilles PELLEGRINI, membre du conseil d'administration
et de M. Denis BOUYCHOU, membre du conseil d'administration et Administrateur judiciaire

(extrait du procès-verbal de la séance du 23 avril 1998)

Présidence de M. François COLCOMBET, Président

MM.  Guérin,  Pellegrini et  Bouychou sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. À l'invitation du Président, MM. Guérin, Pellegrini et Bouychou prêtent serment.

M. le Président : La commission s'interroge sur les conditions de fonctionnement de la profession des administrateurs et des mandataires. Elle a souhaité recueillir le point de vue de la Caisse de garantie qui a connaissance des affaires mettant en jeu la responsabilité de ces professions. Nous souhaiterions que vous nous informiez des problèmes que la Caisse relève et des solutions que vous préconisez pour éviter que des affaires comme celles qui ont récemment défrayé la chronique ne se reproduisent.

Vous avez suivi dans les médias les travaux de notre commission d'enquête. Elle s'est constituée, car les tribunaux de commerce suscitaient des interrogations. L'attention fut appelée sur leur situation par les tribunaux de commerce eux-mêmes, qui proposaient des réformes; le CNPF n'a pas manqué d'en proposer et un certain nombre de personnes - professeurs, juristes... - ont avancé des solutions. Tous les parlementaires reçoivent en assez grande quantité des correspondances de plaideurs mécontents de la manière dont se déroulent les procédures collectives. Des critiques très vives sont souvent adressées aux administrateurs.

M. Dominique GUÉRIN : Je suis président de la Caisse de garantie des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises depuis le 1er janvier 1997.

La Caisse de garantie a été créée en 1986 par la loi du 25 janvier 1985.

Sous l'empire de la loi du 13 juillet 1967, il existait, dans le cadre des procédures dites « collectives », plusieurs professions. Des différences séparaient déjà Paris - où prévalaient un corps de syndics et un corps d'administrateurs judiciaires - de la province où il n'existait que la seule profession de syndics-administrateurs judiciaires. Il existait également un corps d'administrateurs qui ne s'occupait que des affaires relevant des TGI, de l'administration provisoire, successions ou autres, et des administrateurs séquestres.

En 1985, la loi a institué deux professions : celle d'administrateur judiciaire avec une section commerciale et une section civile, étant précisé que les personnes inscrites sur une liste pouvaient l'être également sur l'autre, et un second corps de professionnels, celui des mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises. Par souci de simplicité, j'emploierai dans mon exposé les termes de « mandataires judiciaires » plutôt que ceux de « mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises ».

La loi de 1985 a donc mis en place un nouveau régime, faisant disparaître l'association nationale des syndics administrateurs judiciaires. Pourtant, la loi n'a pas mis en place d'ordre professionnel. Si la profession est divisée entre les administrateurs et les mandataires, un seul organisme professionnel, à savoir la Caisse de garantie a été créé. Celle-ci, dans les textes, n'avait aucun pouvoir relevant de ce qui incombe habituellement à un ordre professionnel, tel que le pouvoir disciplinaire ou le contrôle. Tout au plus, à l'époque - le Conseil national n'existait pas encore -, la Caisse de garantie recevait les attestations annuelles des commissaires aux comptes, unique et léger moyen de contrôle.

La création de la Caisse de garantie est d'essence exclusivement législative et réglementaire. Ce sont les textes qui régissent la Caisse de garantie et fixent son mode de fonctionnement.

Quels sont ces textes ?

Tout d'abord, l'article 34 de la loi n°85-99 du 25 janvier 1985 fixe la mission de la Caisse de garantie et lui attribue la personnalité civile. Il indique qu'elle sera gérée par ses cotisants et qu'elle est affectée au remboursement des fonds, effets ou valeurs reçus ou gérés par les administrateurs judiciaires ou les mandataires judiciaires.

Enfin, ce même texte prévoit que la Caisse de garantie se trouve dotée d'un commissaire du Gouvernement, membre du parquet et que, chaque professionnel inscrit sur les listes, y adhère obligatoirement. C'est ainsi qu'est apparu le problème des professionnels qui ne sont pas inscrits sur les listes et qui, pour autant, peuvent se voir confier des missions. J'y fais allusion, car, en 1985, les professionnels en place à l'époque avaient le choix de s'inscrire ou non sur une liste d'administrateurs ou de mandataires, de telle sorte que d'anciens syndics ne se sont pas inscrits, mais ont pourtant poursuivi les missions qui leur étaient confiées comme syndic. Il en existe encore un ou deux. Ces personnes se sont trouvées couvertes par la Caisse de garantie en vertu de ce texte.

Aux termes de l'article 35 : « Chaque professionnel doit justifier d'une garantie par l'intermédiaire de la Caisse de garantie » ; se pose le problème des mandats occasionnels, à savoir des personnes qui, à titre exceptionnel, sont désignées par une juridiction. Pour autant, le texte prévoit une garantie, qui doit être appréciée par la Caisse après avis de monsieur le commissaire du Gouvernement.

Selon l'article 71 du décret du 27 décembre 1985, le siège de la Caisse de garantie est fixé à Paris. Le conseil d'administration, de douze membres, comprend six administrateurs judiciaires et six mandataires judiciaires, élus chacun pour cinq ans, par scrutin uninominal à un tour. Ils ne sont rééligibles qu'une seule fois.

L'article 73 prévoit que le Bureau de la Caisse de garantie est composé d'un président, d'un vice-président et d'un secrétaire trésorier, ces trois membres étant élus par le conseil d'administration. Les décisions du conseil d'administration se prennent à la majorité et, en cas de partage, la voix du président est prépondérante. Le commissaire du Gouvernement est membre du parquet et est désigné par M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

L'article 74 prévoit que le conseil d'administration fixe les dépenses de gestion et gère son actif. Le bilan annuel de la Caisse de garantie est approuvé par le conseil d'administration au 1er février de chaque année et fait l'objet d'une approbation par le garde des sceaux, ministre de la justice.

L'article 75 règle un point important : « en cas de désaccord du commissaire du Gouvernement sur le montant des cotisations, celui-ci est fixé par un arrêté conjoint du ministre de l'économie et des finances et du garde des sceaux, ministre de la justice. Le non-paiement des cotisations constitue une faute disciplinaire ». Les sanctions sont mises en place à la diligence de monsieur le commissaire du Gouvernement près de la Caisse de garantie.

L'article 76 prévoit que tous les fonds que la Caisse de garantie peut détenir sont déposés à la Caisse des dépôts et consignations. Comment pourrait-il en être autrement ? Telle est du moins mon opinion personnelle.

L'article 77 prévoit qu'une franchise d'un minimum de 20 % reste à la charge de la profession en cas de non-représentation des fonds. C'est la raison pour laquelle, dans l'affaire Sauvan-Goulletquer, la profession a fait face au-delà des 20 %, du fait des circonstances.

L'article 78 du texte prévoit également un minimum de garantie que la Caisse doit assurer uniquement par rapport aux contrats « responsabilité civile professionnelle ». Rien n'est dit dans les textes quant à un minimum de garantie à souscrire en ce qui concerne la représentation des fonds. Je ne pense pas qu'il y ait eu carence du législateur. Si la profession devait être garantie par un contrat à 100 %, il faudrait prendre en compte le montant cumulé de toutes les sommes détenues par l'ensemble des professionnels, ce qui est difficilement envisageable en matière de contrat d'assurance. Il serait difficile de trouver une compagnie qui apporte une garantie pour de tels montants. La Caisse a également pour rôle de se préoccuper des possibilités de retraite complémentaire des professionnels et enfin et surtout elle a pour obligation de reprendre le passé, c'est-à-dire l'antériorité des risques existant au jour où la loi est entrée en vigueur. Une déclaration de sinistre intervient quelques années après la faute, si faute il y a, principalement après la clôture de la procédure.

Comment fonctionne la Caisse de garantie ?

Elle est dotée d'un conseil d'administration, dont j'ai l'honneur d'être le président. Maître Phillipot, vice-président, est administrateur judiciaire à Paris, et la secrétaire-trésorier, Mme Fabienne Jenner, est mandataire judiciaire à Strasbourg. Les membres en sont Maître Jean-François Aubert, mandataire judiciaire à Avignon, Maître Yves Bourgouin, administrateur judiciaire à Rouen, Maître Denis Bouychou, administrateur judiciaire à Paris, Maître Pierre Delattre, mandataire à Saint-Dié, Maître Nicole Ellouet, mandataire judiciaire à Brest, Maître Olivier Fabre, administrateur judiciaire à Montpellier, Maître Gilles Pellegrini, mandataire judiciaire à Créteil, Maître Maurice Picard, l'ancien président de la Caisse de garantie, administrateur judiciaire à Bourg-en-Bresse et Maître Bernard de Saint-Rapt qui est administrateur judiciaire à Cavaillon. Le commissaire du Gouvernement est M. Schonn, avocat général près la cour d'appel de Versailles.

Le souci de la Caisse de garantie a toujours été - les hasards du scrutin ont favorisé ce souci - de respecter un équilibre géographique. En effet, la quasi-totalité des régions de France y est représentée.

La Caisse de garantie est installée au 13, rue des Pyramides dans un immeuble, ancienne propriété de l'association nationale des syndics. Il s'agit d'un appartement de 120 mètres carrés. En outre, depuis trois ou quatre ans, la Caisse de garantie s'est rendu propriétaire afin de constituer des réserves complémentaires pour être en mesure d'offrir les garanties prévues par l'article 78 de la loi.

La mission légale de la Caisse de garantie, qui est principalement la gestion des sinistres en responsabilité civile, s'exerce de façon relativement mécanique. Lorsqu'un confrère vient à être mis en cause, cela se passe par voie d'assignation qu'il adresse à la Caisse de garantie valant déclaration de sinistre.

M. le Président : Par qui est saisie la Caisse ?

M. Dominique GUÉRIN : Par le confrère qui reçoit l'assignation. Elle est délivrée directement au professionnel mis en cause, lequel fait une déclaration de sinistre en adressant l'assignation à la Caisse de garantie. La Caisse de garantie a un avocat, puisque la maîtrise de la procédure « sinistre » échappe ensuite à la gestion directe de la Caisse de garantie et est assurée par la compagnie d'assurances. Il s'agit là d'un regret que nous éprouvons et d'une exigence que nous manifesterons dans le cadre de la mise en place d'une consultation sur des contrats nouveaux que nous avons créés. Une commission a été mise en place avec le concours de la Chancellerie et de la Caisse des dépôts. C'est un point que mon confrère Pellegrini, que le conseil d'administration a plus spécialement chargé de l'affaire, pourra vous exposer.

La Caisse de garantie a le souci de régionaliser davantage la défense des intérêts des professionnels. L'avocat de la compagnie qui est à Paris est certainement moins au fait et est moins capable de défendre un professionnel que ne le serait un pool d'avocats plus délocalisés, un par région par exemple.

Enfin et surtout, très peu de transactions se réalisent aujourd'hui, ce qui me semble tout à fait anormal, car cela induit des contentieux longs, coûteux, autant pour les plaignants que pour les professionnels et renchérit le coût du contrat d'assurance.

La Caisse de garantie gère également un contrat de retraite complémentaire auquel l'adhésion est libre, auprès de la Caisse nationale de prévoyance.

En 1996, le président Picard a voulu développer l'action de prévention, qui devait être lancée en 1997. Mais ces actions n'ont pu être lancées car la Caisse a été accaparée par l'affaire Sauvan-Goulletquer. Il n'en demeure pas moins que la Caisse de garantie souhaite aujourd'hui développer la prévention en rapport nécessairement avec le Conseil national, auquel les textes donnent compétence exclusive en matière de formation. La Caisse de garantie doit s'appuyer sur le Conseil national pour développer une action de prévention-formation et faire en sorte que les causes trop répétitives de sinistre soient abordées avec les professionnels, afin d'éviter des difficultés constantes.

La Caisse de garantie doit cesser d'être une chambre d'enregistrement des sinistres. Pendant très longtemps, les confrères qui nous ont précédés se bornaient à enregistrer des sinistres, à les transmettre aux compagnies d'assurances, à fixer une cotisation annuelle. Je pense que le rôle de la Caisse doit être actif et dynamique et non se borner à être comptable des désagréments que rencontre la profession suite aux sinistres. Avec l'accord de mon conseil d'administration, j'avais décidé, dès que je voyais apparaître une sinistralité trop importante, de communiquer l'existence de ces risques au Conseil national, qui ayant seul ce pouvoir, déclenche un contrôle pour vérifier les difficultés qui ont pu naître. C'est là un exercice très périlleux. Je m'explique : rien dans les textes ne m'autorise à le faire. Je ne suis pas sûr que si un confrère venait à m'adresser le reproche d'avoir manqué à mon obligation de réserve, il n'ait pas raison.

Enfin, la Caisse de garantie n'a aucun pouvoir disciplinaire, sauf par l'intermédiaire du commissaire du Gouvernement qui est présent à chaque conseil d'administration, voire à certains bureaux et peut alerter les commissions de discipline, qu'elles soient nationales ou régionales. Pour autant, la Caisse de garantie ne souhaite pas agir par cette voie ; en revanche elle voudrait disposer de moyens d'alerte légalement institués.

La Caisse de garantie se trouve à une croisée de chemins. Ainsi beaucoup d'informations sur le comportement des professionnels sont en sa possession. Il faut se garder de penser que le nombre de sinistres déclarés soit dû à leur comportement. On sait trop, par le développement que prend le contentieux « responsabilité civile », qu'une assignation ne signifie pas forcément une faute. Je signale à ce propos qu'un sinistre sur trois déclarés entraîne la condamnation du professionnel, ce qui est important, mais qui fausse dangereusement, par la règle des évaluations au niveau des compagnies d'assurances, tout ce que l'on peut envisager sur le plan financier.

La Caisse dispose de moyens d'information qui peuvent constituer des clignotants, telle l'évolution du chiffre d'affaires. Un confrère qui enregistrerait une diminution forte du chiffre d'affaires pourrait être potentiellement « sinistrable » sur le plan de la représentation des fonds, en raison des investissements réalisés.

M. le Président : Sont-ce les investissements qui ont créé des besoins ?

M. Dominique GUÉRIN : Dans l'affaire Sauvan-Goulletquer, ce sont certainement des investissements, mais non professionnels.

M. le Président : Imaginons deux affaires identiques et la profession n'existe plus !

M. Dominique GUÉRIN : Nous en avons conscience.

M. Dominique GUÉRIN : S'agissant des fonds détenus, nous avons instauré pour l'année 1998 une nouvelle forme de déclaration. Jusqu'alors, les professionnels ne déclaraient que le montant du chiffre d'affaires hors taxes. Après avoir beaucoup insisté depuis de nombreux mois, sinon depuis des années, nous avons obtenu qu'ils déclarent le montant des sommes détenues pour que tous les fonds soient déposés à la Caisse des dépôts, quelle que soit la nature des missions amiables et judiciaires. À ce titre, nous nous réjouissons que l'avant-projet de décret qui nous a été communiqué comporte cette clause.

M. le Président : Où sont les fonds ? Va-t-on découvrir que la pratique consistant à placer des fonds ailleurs qu'à la Caisse des dépôts est généralisée ? Des banques sont-elles spécialisées en ce domaine ?

M. Dominique GUÉRIN : Certainement. Ma surprise est née du fait que la Caisse des dépôts et consignations indiquait, dans le cadre de discussions informelles, la différence de montants déposés entre la veille et le jour où le Conseil national a demandé par voie « d'instruction » que tous les fonds soient déposés à la Caisse des dépôts. J'ai été surpris du peu de différence. Je crois qu'à 99 % les professionnels ont respecté cette instruction. Je l'avais indiqué à l'époque à la Chancellerie. Ce qui s'est passé en 1997 a engendré un traumatisme tel chez mes confrères qu'ils étaient prêts à respecter toutes les injonctions et mesures de coercition. La différence entre les fonds qui étaient à la Caisse des dépôts avant l'instruction et ceux qui y étaient après n'est pas si grande. C'est la raison pour laquelle je pense que le montant des fonds non déposés n'était guère important.

M. le Président : Nous savons d'ores et déjà que des banques étaient spécialisées.

M. le Rapporteur : Nous en connaissons au moins quatre.

M. le Président : Si les banques avaient créé la spécialité, ce n'était pas sans raison.

M. Dominique GUÉRIN : Je ne cherche nullement d'excuses; tel n'est pas et n'a jamais été mon propos. Je crois que des banques ont su profiter des carences du système bancaire. Dès lors qu'une procédure de redressement judiciaire est ouverte, les banques ont tendance à se retirer. Quelques banques se sont spécialisées dans l'aide à l'administrateur judiciaire au cours de la procédure en lui apportant immédiatement les solutions qu'il recherchait.

Je reviens à mon propos. Si le nombre de sinistres déclarés peut constituer un clignotant intéressant, il en est de même des condamnations prononcées.

Il est arrivé que des contrôles soient demandés par la Caisse de garantie à la suite de condamnations importantes, particulièrement dans le centre de la France il y a trois ans. On s'est alors rendu compte que le contrôle effectué n'apportait pas d'éléments flagrants alors que l'erreur commise était lourde de conséquences.

Nous souhaitons une communication réglementée de ces données, qui nous permettrait d'être plus rapidement au fait des risques de dérives.

Enfin, la connaissance des causes de sinistre devrait permettre d'agir en prévention-formation, ce qui serait efficace.

M. le Président : On doit pouvoir avoir une confiance absolue, jusque dans le moindre détail en cette profession. Or, l'on s'aperçoit que le savoir-faire et l'ingéniosité sont utilisés à d'autres fins.

M. Dominique GUÉRIN : Dans un contentieux judiciaire, il y a toujours un mécontent : c'est celui qui a perdu.

M. le Président : Les professions que nous évoquons ont été peu encadrées. Depuis 1985, le nombre d'affaires a été considérable, le chiffre d'affaires élevé et la marge de manoeuvre énorme. Nous constatons quelques scandales retentissants, et si certaines procédures judiciaires n'aboutiront pas, d'autres, en revanche, sont le début d'affaires délicates !

M. Dominique GUÉRIN : Nous disposons aujourd'hui du recul nécessaire pour apprécier l'efficacité du système. En 1985, n'a-t-on pas mis en place une « usine à gaz » qui, à un moment donné, a explosé ?

Je parle d'usine à gaz en raison de la multiplicité des contrôles : il est effectué par un commissaire aux comptes, par le juge-commissaire, par le tribunal, par le parquet. On peut se demander si chacun, à leur niveau, ne s'imaginait pas que le contrôle était effectué par l'autre. Le résultat est regrettable.

Nous intervenons dans une procédure où, de toute façon, le débiteur et le créancier sont mécontents de leur situation. Malgré toute la qualité de l'intervention du professionnel, un climat de suspicion naîtra. Imaginons une procédure se concluant par un plan de cession. S'il y a plusieurs propositions, une personne sera évincée, qui s'imaginera toujours, à tort ou à raison, être victime d'une connivence.

M. le Président : Le bilan est quand même déplorable. Dans l'ensemble, les juges-commissaires n'ont pas joué leur rôle et à l'exception de quelques-uns qui se sont organisés, les parquets se sont contentés d'aller aux audiences de rentrée. Le contrôle s'est donc révélé déficient.

M. Raymond FORNI : Le système est à ce point pervers que, à chaque fois que l'un de vos confrères est écarté, cela vient renforcer le nombre de dossiers traités par les autres.

Je suis d'un département de l'Est de la France où trois mandataires ont été mis successivement en détention, les affaires ayant été évoquées les unes après les autres. Une fois mis en détention, il n'en restait plus aucun !

Tout cela est le résultat d'une connivence entre les juridictions commerciales et les auxiliaires de justice. Dans les milieux économiques, la confiance a complètement disparu, car - pardonnez-moi de le dire de manière brutale - vous êtes considérés comme des dépeceurs d'entreprises. Une entreprise qui vous est confiée n'a quasiment aucune chance de se redresser. Rares sont les affaires qui sont sauvées. Ce n'est pas simplement de votre fait, puisque le système est ainsi imaginé que vous êtes paradoxalement davantage rémunérés si l'affaire est liquidée que si elle survit. Chaque fois qu'une personne vient me voir en ma qualité d'avocat pour me dire que son affaire est en difficulté et qu'elle va déposer le bilan, je réponds : « Vous déposez le bilan, cela signifie que votre affaire disparaît, car vous savez comment fonctionne, dans l'Est de la France, ce type de procédure. »

M. Dominique GUÉRIN : Il ne faut pas faire retomber le problème sur les seuls professionnels et perdre de vue que la loi incite à la liquidation. Je me demande si, à terme, la procédure ne doit pas distinguer la prévention en amont de la cessation des paiements et la liquidation en aval de la cessation des paiements. Le rôle et la place des administrateurs dans la prévention sont importants, mais engager une procédure de redressement judiciaire revient à faire - pour les professionnels du droit - « de l'article 40 ». En voulant maintenir à tout prix une activité, on rend parfois les situation pires encore !

M. Denis BOUYCHOU : Il existe deux légitimités concurrentes : celle prévalant en France, axée sur le maintien de l'emploi et la poursuite de l'exploitation et celle qui prévaut dans d'autres pays, fondée sur la satisfaction des exigences des créanciers.

Un choix a été fait en France avec la loi de 1985 qu'il nous appartient d'appliquer convenablement. Il n'en demeure pas moins que cela reste difficile et dépend fondamentalement de l'état de l'entreprise le jour où le redressement judiciaire est ouvert. Dans une procédure de redressement judiciaire, je procède immédiatement à une comparaison simple entre le montant du passif et le chiffre d'affaires. Lorsqu'une entreprise enregistre un passif représentant une fois et demie, deux, voire trois fois le chiffre d'affaires annuel, quoi que l'on puisse faire, on ne peut aboutir au mieux qu'à un plan de cession qui donnera un produit ridicule par rapport au passif. Cela permettra au moins de maintenir une activité et quelques emplois.

C'est là un point fondamental ; un problème sous-jacent concernant la création de nouvelles entreprises est celui de l'insuffisance dramatique des fonds propres et la tendance au non-paiement de l'URSSAF et de la TVA. Lorsque je souligne aux débiteurs que l'URSSAF et la TVA ne sont pas un moyen normal de financement d'une entreprise, j'ai parfois l'impression de choquer !

M. le Président : Vous abordez là des questions relevant de la loi, dont vous n'êtes pas responsables. Indépendamment de la législation, on aurait pu souhaiter que des administrateurs ne soient pas mis en examen ou condamnés.

M. Denis BOUYCHOU : Nous l'aurions également souhaité ! Cela ne concerne qu'une minorité d'entre nous. Que ces deux ou trois professionnels soient écartés, nous en sommes ravis.

M. Dominique GUÉRIN : La profession et la Caisse de garantie ne se satisfont pas de la situation actuelle et souhaitent assainir la situation.

Si on arrivait à faire en sorte que les entreprises déposent le bilan en temps opportun, on pourrait peut-être accuser les professionnels à juste titre dès lors que la preuve de l'efficacité de la loi serait apportée. Mais, aujourd'hui, malheureusement, rien n'empêche les entreprises d'atteindre un passif représentant un an et demi de chiffre d'affaires pour reprendre l'exemple de M. Bouychou.

M. le Président : Que pensez-vous de l'affaire de Bobigny ?

M. Dominique GUÉRIN : Pas de commentaires sinon qu'elle est regrettable.

M. le Président : Il s'agissait d'une énorme juridiction, de professionnels très importants, qui fréquentaient le cabinet du ministre de la justice de l'époque, et tous les notables locaux.

Je déplore qu'une enquête générale n'ait pas été engagée sur le comportement de l'ensemble des mandataires et de tous ceux ayant été mêlés à cette affaire.

M. Dominique GUÉRIN : Je ne voudrais pas que l'on juge 480 à 500 professionnels sur cinq à dix affaires qui ont défrayé la chronique.

M. le Président : Bobigny est un des plus grands tribunaux de France ; de nombreux mandataires y travaillent. Tout le monde se connaissait. Ces choses-là ne pouvaient pas être ignorées des uns et des autres.

M. Dominique GUÉRIN : Vous ne trouverez pas au sein de la Caisse de garantie des ennemis de l'éradication de ce qui est anormal. Mais je ne peux laisser accuser une grande majorité de professionnels d'être des escrocs alors que ce n'est pas le cas. Je ne voudrais pas que, par amalgame, l'opprobre soit jeté sur des professionnels qui essayent avec les moyens que les textes leur donnent de faire de leur mieux et de manière honnête.

M. Raymond FORNI : Il est certain que l'immense majorité des professionnels sont honnêtes. Tous le reconnaissent ici; le contraire serait absurde. Mais, dans votre profession, pour toute une série de raisons complexes, l'on a dépassé, à l'évidence, la cote d'alerte. Le pourcentage des comportements fautifs est trop élevé. Au-delà du comportement fautif de tel ou tel, puis-je me permettre de vous dire qu'au sein de votre profession certains essayent sans doute de gérer les dossiers qui leur sont confiés le mieux possible, mais comment peuvent-ils y parvenir quand, par exemple, il est impossible de les joindre, même lorsque vous êtes l'avocat de l'entreprise en difficulté. Certains n'ont même pas de numéro de téléphone auquel les contacter. On ne les voit jamais sur le terrain. Tout cela dans l'indifférence générale, avec la complicité des juges-commissaires et des parquets. Cela crée un climat ravageur en province, car la confiance disparaît complètement et les effets sont autrement plus destructeurs que pour les affaires de Bobigny ou de Nanterre.

M. Dominique GUÉRIN : Vous releviez la difficulté à joindre certains confrères téléphoniquement et notiez qu'ils ne sont pas présents sur le terrain. Je réponds en termes de prévention, de formation, car je crois que la Caisse de garantie a sur ce plan un rôle très important à jouer. Nos confrères se doivent de recevoir les débiteurs. Mais je reste persuadé que certains les entrevoient à peine. Nous avons conscience du problème.

M. le Rapporteur : Je pense que nous avons dépassé le stade de l'amalgame. Il est normal qu'une profession se défende et oppose des arguments à la Représentation nationale constituée en commission d'enquête, mais il est vrai, ainsi que l'ont rappelé Raymond Forni et le président, que les contrôles sont complètement défaillants, y compris ceux exercés par la profession. Personne ne peut en disconvenir.

Vous déclarez que les affaires ne concernent qu'une minorité. Malheureusement, les chiffres - au sujet desquels M. Forni parlait de cote d'alerte -, que nous a fourni la Chancellerie sur les poursuites en cours contre certains de vos confrères, hors procédures disciplinaires, sont vraiment inquiétants : trente-six poursuites pénales.

Lorsque l'on questionne Maître Laureau, président du Conseil national, il répond ignorer ces chiffres, c'est-à-dire qu'il n'a pas lui-même conscience de l'ampleur des dégâts dans sa propre profession. Que sont cinq cents personnes ? Tout le monde se connaît, se voit, se fréquente depuis des années !

L'on se trouve donc face à un président de Conseil national qui ignore que trente-six dossiers de poursuites engagées par les pouvoirs publics sont en cours.

Le président du Conseil national nous a également expliqué que la découverte de l'affaire Sauvan-Goulletquer avait été faite par la profession elle-même. Je me suis fait adresser par le Conseil national le rapport de contrôle du professionnel concerné. Quelques mois avant la découverte du sinistre, nulle trace de la moindre anomalie ! La profession organise des contrôles. Je dispose du cadre type de contrôle par la profession ; Il s'agit de questionnaires à choix multiples : « A-t-il bien fait cela ? Oui ou non ? » Il y a, à l'évidence, dans l'affaire Sauvan-Goulletquer, la marque d'une défaillance considérable de l'autocontrôle.

Je n'ai malheureusement pas achevé de brosser ce tableau difficile à entendre pour vous, car, il ne s'agit pas seulement de quelques affaires parisiennes. Si l'on se réfère à la liste fournie à la commission par la Chancellerie, on constate que tous les tribunaux, toutes les régions sont concernées.

Lorsque nous nous déplaçons sur le terrain - car ce dont nous parlons tire sa réalité du terrain -, que nous interrogeons les juges sur des dossiers concrets et que nous relevons que les administrateurs judiciaires rédigent les jugements du tribunal concerné, que les juges-commissaires ne savent pas même ce qu'ils signent, qu'ils n'effectuent aucun contrôle sur les rémunérations des mandataires...

M. Dominique GUÉRIN : Vous ne pouvez être aussi catégorique.

M. le Rapporteur : En qualité de Rapporteur et mandaté par la commission, je me suis rendu dans deux tribunaux importants pour le tissu économique local. Nous y avons relevé les mêmes anomalies : effondrement du contrôle juridictionnel sur l'activité des mandataires, grande influence de ces professionnels sur le tribunal. Le rapport de forces est inversé et pervers.

M. Dominique GUÉRIN : Vous ne pouvez nous rendre responsables...

M. le Rapporteur : Je vous le dis, car c'est là un élément positif pour votre profession.

M. le Président : On vous reproche seulement de mal utiliser vos talents.

M. le Rapporteur : C'est un constat positif, en ce sens que vous comptez des professionnels de très haut niveau qui ont une influence considérable sur le tribunal. À Saint-Brieuc, votre confrère nous a expliqué qu'il était tout à fait normal qu'à trois reprises, dans une affaire où il était lui-même mandataire-liquidateur, son associé dans des affaires personnelles ait été présent dans le capital des repreneurs. Lorsqu'on lui fait remarquer qu'il y avait confusion des genres - je n'ai pas utilisé une qualification pénale pour ne pas le froisser -, il a répondu que ce n'était pas illégal, puisqu'il n'était pas mis en examen. Nous avions affaire là à un professionnel que la commission a jugé de très haut niveau, mais non de grande rigueur sur le plan déontologique.

Pardonnez-moi de vous dresser ce panorama quelque peu désagréable, mais ce sont là les constatations de la commission tirées des auditions et de son travail sur le terrain lorsqu'elle se déplace.

Par ailleurs, le parquet faute de moyens, n'est pas présent. En France, les mandataires de justice sont davantage associés aux procédures collectives que les représentants de l'ordre public.

Que proposez-vous pour que tout cela cesse et pour que votre profession puisse présenter dans quelques années les lettres de noblesse qu'elle semble avoir perdues ?

M. le Président : La commission est partie de l'idée que les tribunaux de commerce devaient être modernisés. Elle est tombée sur cette réalité. Nous avons découvert le poids de votre profession, ce qui est tout à votre honneur, son organisation, dans beaucoup de cas sa compétence, mais aussi une évolution marquée par des pratiques tout à fait condamnables.

M. Dominique GUÉRIN : L'année dernière, j'ai indiqué à la Chancellerie que la profession était prête à un renforcement notable des contrôles. Lorsque nous avons débattu de ce qui pouvait poser difficulté, j'ai insisté sur la nécessité du dépôt des fonds à la Caisse des dépôts et consignations. Aujourd'hui, cette préoccupation a donné lieu à une instruction. Vous me demandez si tout le monde l'a respectée. Si, demain, un texte imposait la règle, les contrevenants seraient passibles de sanction. Par ailleurs, sans revenir sur l'analyse de ce qui s'est produit dans le passé, il faut que les commissaires aux comptes jouent un rôle de contrôle permanent. J'avais même été jusqu'à dire qu'il faudrait qu'à chaque dépôt d'un état trimestriel par le professionnel, c'est-à-dire le 15 du mois suivant la fin du trimestre civil, celui-ci soit accompagné d'une attestation du commissaire aux comptes sur la représentation des fonds.

N'oublions pas que les contrôles par la profession sont dits « de qualité ». Pour m'en être entretenu avec l'un des contrôleurs, je sais que les attestations des commissaires aux comptes pour les trois derniers exercices existaient dans l'étude de Maître Goulletquer. Le confrère qui réalise un contrôle dit « de qualité » demandera les attestations des commissaires aux comptes. Pour autant a-t-il le droit ou le besoin de procéder à vérification après le commissaire aux comptes ? Je ne sais pas.

M. le Président : Des textes particuliers sont-ils indispensables pour indiquer qu'il ne faut pas commettre d'infractions ?

M. Dominique GUÉRIN : Ce n'est pas ce que je veux dire.

M. le Président : Le fait de prendre des intérêts dans une société que l'on a en charge d'administrer ou de liquider est scandaleux.

M. Dominique GUÉRIN : En effet.

M. le Président : On m'a cité l'exemple d'un magistrat du tribunal de commerce d'une ville du Midi qui s'était fait assigner lui-même par un débiteur. L'avocat le lui a fait remarquer. Il a renvoyé l'affaire et, entre temps, a changé le gérant de la société, en mettant sa femme à sa place.

M. Dominique GUÉRIN : Et il restait juge !

M. le Président : Et cela se passait dans une très grande ville !

M. Dominique GUÉRIN : Il conviendrait de revenir à la vocation première des mandataires de justice qui est d'être des auxiliaires de justice, dont la tâche consiste à analyser une situation et à proposer des solutions.

M. le Président : Croyez-vous qu'il aurait fallu créer un ordre ?

M. Dominique GUÉRIN : Cela aurait peut-être évité ce que vous qualifiez de « dérives ». On a créé en 1990 un Conseil national qui a essayé de rattraper le retard. Pour autant, il n'a pas pu remplacer ce qu'aurait dû être un organe ordinal doté d'un pouvoir de discipline sur l'ensemble de la profession.

M. le Président : Dans d'autres professions, telle celle des notaires, l'assistance de l'ordre n'a pas empêché des dérives.

M. Dominique GUÉRIN : Peut-être sont-elles moins criantes ?

M. Denis BOUYCHOU : Dans le système actuel, la profession n'a pas la possibilité de saisir directement les commissions, le monopole de la saisine appartenant aux commissaires du Gouvernement devant chaque commission. De surcroît, le commissaire du Gouvernement devant la commission nationale des administrateurs - dont je connais bien le fonctionnement, dans la mesure où j'en ai été membre pendant six ans - est un magistrat à la charge de travail importante par ailleurs, la commission formant pour lui un supplément de travail. Il a, de ce fait, un temps malheureusement limité à y consacrer. Or, pour un fonctionnement efficace, il faut qu'il puisse étudier tous les dossiers sur lesquels son attention pourrait être appelée. Par ailleurs, il est nécessaire qu'il puisse les instruire convenablement pour dresser l'acte de citation.

J'ai connu un cas où le commissaire du Gouvernement a cité un confrère sur des bases qui n'étaient pas les bonnes; c'est ainsi que l'action disciplinaire n'a pas traité les vrais problèmes.

Dans cet exemple, se posent à la fois un problème de formation - il faut avoir une connaissance suffisante de la matière - et un problème de disponibilité. Enfin, il faut que la profession puisse, selon des procédures appropriées, déclencher la saisine quand elle l'estime nécessaire.

M. le Président : À partir de quel moment la profession a-t-elle commencé à réclamer plus de contrôle ? N'est-ce pas relativement récent ?

M. Denis BOUYCHOU : En effet.

M. Dominique GUÉRIN : À propos des contrôles et de la formation, il est un point sur lequel il me paraît important d'insister. L'avant-projet de décret prévoit que les professionnels procédant aux contrôles pourront se voir adjoindre un magistrat, un contrôleur. Si, personnellement, j'estime la mesure intéressante, je la considère insuffisante. Il faut des personnes formées. On décèle ce type de problème avec les magistrats - désignés par la Chancellerie - chargés de l'inspection des études. Premièrement, un seul magistrat pour cinq cents professionnel est chargé de cette mission. Deuxièmement, à chaque nomination, un temps de formation est nécessaire à ce magistrat pour connaître le fonctionnement et les rouages. Si l'on venait à créer un corps de contrôleurs, régional ou national, il conviendrait de les former sauf à alourdir les contrôles et à les rendre inefficaces, ce qui serait le contraire à l'effet recherché.

M. le Président : Il n'en reste pas moins qu'il s'agit d'une profession qui doit se rendre compte qu'elle ne peut fonctionner que si elle mérite la confiance. C'est une profession bien rémunérée qui a donc un devoir de qualité. L'on aurait pu la contrôler davantage, mais elle aurait pu également, faire preuve d'un peu plus d'autodiscipline.

M. Gilles PELLEGRINI : À titre personnel et non en tant que membre du conseil d'administration, je pense qu'il convient également de réfléchir à l'institution d'une commission indépendante chargée de la désignation des auxiliaires de justice.

M. le Président : Pour le recrutement ?

M. Gilles PELLEGRINI : Non seulement pour le recrutement, mais également pour la désignation dans les affaires.

Certains professionnels - je ne parle pas de mon tribunal -, en certaines régions, sont trop dépendants des magistrats.

M. le Président : La commission a relevé que, dans beaucoup de cas, le tribunal de commerce ne faisait pas le poids, alors qu'il s'agit d'une institution sur laquelle repose une responsabilité sociale considérable, plus grande très souvent que celle du tribunal de grande instance, tant il est vrai que la faillite d'une entreprise est plus importante qu'un divorce pour l'économie locale.

M. le Rapporteur : La profession n'est pas organisée comme ordre avec des mécanismes de sanction et de protection. Avant le terme fixé à notre commission d'enquête, il conviendrait que vous réfléchissiez à des propositions précises et concrètes pour moraliser, organiser les contrôles, extérieurs et internes, que l'on pourrait mettre en oeuvre, soit sur le plan législatif, soit sur le plan réglementaire. Je pense que mes collègues de l'opposition n'y voient pas d'inconvénient. Quelques attaques nous sont adressées, tout d'abord de la part des magistrats qui devraient avoir quelque pudeur après toutes ces années de tranquillité, de prospérité et d'impunité. Nous ne sommes pas là pour détruire, mais pour constater et améliorer. Je vous présente donc cette demande au nom de la commission.

Audition d'une délégation de la Caisse des dépôts et consignations,

composée de M. Jean MALOCHET, directeur du département bancaire de la direction des activités bancaires et financières et de M. Patrick TERROIR, responsable du service des professions juridiques

(extrait du procès-verbal de la séance du 23 avril 1998)

Présidence de M. François COLCOMBET, Président

MM. Malochet et Terroir sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. À l'invitation du Président, MM. Malochet et Terroir prêtent serment.

M. Jean MALOCHET : Je suis responsable de la direction bancaire de la direction des activités bancaires et financières, laquelle a, notamment, pour activités, la collecte des dépôts des professions juridiques. Cela fait sept ans que j'exerce, non pas à la tête de la direction, mais dans ce domaine, car j'étais auparavant le responsable des professions juridiques - notaires, administrateurs et mandataires judiciaires -, service dorénavant sous la responsabilité de Patrick Terroir.

M. le Président : Vous n'êtes pas concernés par les fonds des commissaires priseurs ?

M. Jean MALOCHET : Non, sont seuls concernés les administrateurs, mandataires judiciaires et les notaires. Les dépôts des premiers à la Caisse des dépôts dépassent largement depuis un certain temps les dépôts des seconds, alors que l'on pense plus souvent aux dépôts des notaires lorsque l'on évoque la Caisse.

Le montant de ces dépôts se situe entre 57 et 58 milliards de francs. C'est un phénomène inexorablement ascendant, quelle que soit la conjoncture économique. Lorsqu'elle est meilleure, ainsi qu'il apparaît à l'heure actuelle, un phénomène d'inertie intervient, lié au temps que mettent les affaires à se dénouer concrètement. La courbe de croissance est plus ou moins forte, mais, depuis sept ans, nous n'avons jamais vécu de période de décroissance des placements.

L'activité de la Caisse des dépôts en la matière remonte à 1985. Je ne reviens pas sur les textes législatifs que vous connaissez. À la différence des autres banques, nous n'avons pas de relations commerciales. Je ne veux pas dire que la Caisse des dépôts n'intervient jamais dans les procédures collectives, mais elle n'entretient aucune relation ni avec les tribunaux de commerce, ni avec certaines professions, sinon les relations auxquelles la loi l'oblige. Nous avons noué avec les administrateurs mandataires judiciaires une relation largement relayée par le réseau du Trésor public pour tous ceux qui ont leur activité en province. En revanche, pour des raisons historiques, les comptes des administrateurs mandataires judiciaires de Paris et des départements de la petite couronne sont tenus au siège de la Caisse des dépôts sous la responsabilité de Patrick Terroir. La décision fut prise par la direction générale de la Caisse de 1985 : tous les dépôts des professionnels parisiens sont au siège de la Caisse.

Quant au volume des dépôts, il se répartit ainsi : 11 milliards de francs au siège, 46 milliards de francs au Trésor public. Les dépôts des administrateurs judiciaires représentent 14,25 milliards de francs et ceux des mandataires judiciaires 42 milliards de francs.

Le montant des flux, autrement dit le total des encaissements pour le réseau du Trésor public, s'élève à 173 milliards de francs. Cent professionnels déposent 50% des fonds et 10 professionnels déposent plus de 500 millions de francs. Je ne suis en mesure de vous livrer que les chiffres détenus par la Caisse des dépôts, qui ne dispose pas de ceux des études elles-mêmes, ce qui du reste explique pourquoi la Caisse n'exerce aucun contrôle sur cette profession et exécute les opérations des professionnels, dès lors qu'elles sont signées par les personnes qui ont mandat pour activer les comptes suivant les règles bancaires classiques.

Depuis 1985, nous entretenons un « partenariat » avec les administrateurs et les mandataires-liquidateurs. Nous avons essayé de les aider dans toute la mesure de nos moyens et dans la transparence. La Caisse des dépôts, établissement public, se caractérise par la transparence dans ses concours, tous orientés vers les actions en faveur de la modernisation. Nous les soutenons donc au titre d'actions de formation, par exemple pour monter les « partenariats technologiques ».

M. le Président : S'agit-il de voyages ?

M. Jean MALOCHET : Non. À la différence d'autres établissements bancaires, nous ne nous « amusons » pas à cela. Nos clients ont droit aux cadeaux classiques de fin d'année, c'est-à-dire à quelques bouteilles de vin, geste traditionnel qui s'adresse à tous les clients de la Caisse des dépôts. Nous ne participons à aucune aide occulte.

M. le Président : Quel est le contenu de la formation ?

M. Patrick TERROIR : Il s'agit d'une formation professionnelle technique qui se déroule à Paris.

M. Jean MALOCHET : Il n'y a en effet pas de croisières. Les formations se déroulent en des lieux austères !

La plus forte aide apportée à la profession consiste en notre contribution à la Caisse de garantie, ce à la demande de la Chancellerie. Je ne puis apporter la preuve que c'était initialement à sa demande ; c'était il y a une dizaine d'années. En tout cas, c'est fait avec son plein accord. Vous avez auditionné le président de la Caisse de garantie. Peut-être vous a-t-il dit que nous y contribuions fortement, à hauteur de 35 millions de francs. Cette contribution est prélevée sur certains types de placements. En contrepartie de cette aide, nous nous efforçonsPatrick Terroir a mené en ce sens une action vigoureuse - à ce que la Caisse de garantie procède par appels d'offres pour donner le choix de la compagnie d'assurances. Nous estimons, dès lors qu'il y a contribution élevée à la Caisse de garantie, que les choses doivent se faire en garantissant une certaine qualité de transparence, ce qui n'est pas toujours chose aisée et qui induit parfois des discussions énergiques avec la profession, mais c'est en bonne voie.

Voilà ce que nous apportons à cette profession.

Il est à souligner que la Caisse des dépôts ne pratique pas d'activité bancaire avec les entreprises. Nous avons comme clients bancaires, non pas les entreprises, mais les professions juridiques, des caisses de retraite, des mutuelles, des établissements publics. La Caisse des dépôts n'est pas objectivement outillée pour proposer des crédits à court terme, des crédits de campagne, des « prêts Dailly », des opérations bancaires classiques avec les entreprises. Les entreprises en redressement, expriment un réel besoin de trouver auprès de l'établissement des facilités qu'elles trouvent auprès des banques mais que la Caisse des dépôts, à la fois du fait de son absence de maillage bancaire serré et de ses pratiques, n'est pas en situation de satisfaire. C'est ce qui explique que la loi a prévu que les fonds nécessaires à la poursuite de l'exploitation puissent être déposés dans les banques habituelles des entreprises. Il est tout aussi important que les banques qui connaissent les entreprises poursuivent avec elles une activité dès lors qu'elles sont susceptibles de poursuivre leur exploitation. Ce point mérite d'être souligné. Le législateur demanderait-ilje pense que ce serait utopique - à la Caisse des dépôts de gérer tout franc arrivant dans la caisse d'un administrateur mandataire judiciaire, elle serait face à de grandes difficultés.

M. le Président : Cela impliquerait des modifications de statuts.

M. Jean MALOCHET : Le statut de la Caisse des dépôts est hybride. Nous appliquons la réglementation bancaire, sans toutefois y être légalement astreints. Il s'agit moins d'une question de statuts que de pratique. Nous n'envisageons pas d'élargir notre activité aux entreprises industrielles et commerciales. Les banques sont suffisamment nombreuses en France et suffisamment bien outillées. Ce n'est pas un secteur de développement pour la Caisse des dépôts, dont le métier est tout autre. Et les différents directeurs généraux qui se sont succédé n'ont envisagé nul développement en ce domaine. C'est un point qui limite le rôle de la Caisse des dépôts vis-à-vis de ces professionnels qui doivent donc être accompagnés par des banques. Vous y avez fait allusion : certaines se sont effectivement spécialisées - sans doute font-elles payer assez cher leurs services - pour débloquer des crédits, des moyens, ce que la Caisse des dépôts n'est pas en mesure d'effectuer. En revanche, nous pouvons aller au-delà de la mission qui nous est confiée, notamment dans le cadre des commissariats au plan, faille du dispositif, mais point sur lequel la Chancellerie travaille actuellement.

M. le Président : En quoi réside le problème des commissariats au plan?

M. Jean MALOCHET : C'est ce qui a suscité l'affaire Sauvan-Goulletquer. Il s'agit des plans à la continuation d'activité.

M. Patrick TERROIR : Le commissaire à l'exécution du plan étant nommé par le juge...

M. Jean MALOCHET : Les « commissariats au plan » ont toujours juridiquement, à l'heure où nous parlons, la liberté de dépôt des fonds.

M. le Président : Déposent-ils des fonds régulièrement ? Avez-vous l'impression qu'il y a des fuites ?

M. Jean MALOCHET : Certains commissaires à l'exécution des plans, même si la loi ne les oblige pas à déposer leurs fonds à la Caisse des dépôts, nous disent les déposer librement, mais nous sommes là en situation de concurrence. Depuis des années, nos commerciaux de terrain s'efforcent d'accroître la part des commissariats au plan déposés à la Caisse des dépôts. Mais je crois que votre question visait le respect des obligations légales. Dans la mesure où nous ne disposons d'aucun moyen de contrôle, nous ne pouvons assurer à la commission d'enquête que les professionnels déposent leurs fonds.

M. Patrick TERROIR : Nous n'avons aucun indice que la réglementation ne soit pas respectée. Aucun contrôle n'a abouti à de telles conclusions. Nous avons plutôt le sentiment que certains professionnels, alors qu'ils avaient la liberté de déposer, déposaient à la Caisse des dépôts par sécurité.

M. Jean MALOCHET : Pour répondre à votre question, monsieur le Président, je ne mettrais pas ma main au feu ! Il est difficile de savoir. Nous suggérons actuellement à la Chancellerie de transposer des systèmes performants. En ce pays, on se veut imaginatif, alors que des systèmes fonctionnent bien. Pourquoi donc ne pas les copier ?

Chez les notaires, il existe un système efficace de fiches journalières dénommé « tableau de bord ». Dès qu'intervient une inspection dans une étude de notaires, il permet une vision immédiate et instantanée des fonds clients et donc de la représentation des fonds clients en opérant rapidement les rapprochements bancaires. Nous nous efforçons de faire comprendre tant aux professionnels qu'à la Chancellerie que ce système est performant chez les notaires et qu'il conviendrait de s'en inspirer.

M. le Président : Quand a-t-il été mis en place chez les notaires ?

M. Jean MALOCHET : C'est un système très ancien. La profession a des décennies de pratique. Les notaires ont rencontré un temps quelques problèmes ; je ne sais si cela remonte à cette époque.

M. le Rapporteur : Pourriez-vous livrer des éléments descriptifs concrets du fonctionnement de ces tableaux de bord ?

M. Jean MALOCHET : Cela ne pose aucun problème.

Nous sommes très admiratifs. Ce tableau de bord permet une vision immédiate des fonds clients. Dans le cadre d'un contrôle, il suffit de disposer des copies des extraits de comptes bancaires. Bien sûr, cela oblige le notaire à une comptabilité journalière vu les masses en jeu. Comme vous l'ont montré les statistiques, certains professionnels travaillent sur des sommes colossales.

Je terminerai ma déclaration en vous faisant part d'une conviction personnelle, mais je ne pense pas que ce point fasse l'objet d'un débat tant avec la profession qu'avec vous-même - il ne s'agit pas d'un plaidoyer pro domo : il serait absolument impensable que ce système soit libéralisé et que les professionnels aient ainsi loisir de déposer leurs fonds librement. Dès lors qu'une profession réglementée gère de telles sommes, ce serait folie pure que de lui en laisser libre usage.

M. le Président : Croyez-vous que la commission pourrait avoir ce genre de tentation ?

M. Jean MALOCHET : Non, je ne le pense pas. Si tel était le cas ce serait vis-à-vis des notaires. Nous plaidons pour conserver une réglementation forte des dépôts clients dès lors que des professionnels gèrent des fonds pour autrui, ce qui n'est pas le cas d'autres types de profession. Je voulais souligner cet aspect.

Vous m'avez demandé l'usage que la Caisse des dépôts faisait de ses fonds. Elle considère, les choses étant discutées avec l'État, que ce sont des fonds stables, quasi-fonds propres, tant pour les fonds des notaires que pour une bonne part des fonds des administrateurs mandataires judiciaires. Ils viennent, dans l'allocation d'actif/passif de la Caisse, porter une bonne part du portefeuille d'investissement. Il s'agit d'un élément stable et récurent et la Caisse y adosse toutes les interventions d'ampleur. C'est, en effet, pour elle un élément important. Ensuite, l'État, dans ses relations avec la Caisse, prélève ce qui lui est dû compte tenu des missions qu'il nous confie.

M. le Président : Le danger réside dans le fait que cette profession a perdu tellement de crédibilité qu'elle risque d'être totalement « chamboulée ». Après sept ans d'expérience, que pensez-vous personnellement de la profession ?

M. Jean MALOCHET : Je n'ai pas connu la profession avant la loi de 1985, qui a marqué un grand tournant.

Nous rencontrons essentiellementet c'est normal - les dirigeants de la profession, les responsables du Conseil national des administrateurs et mandataires judiciaires et ceux de la Caisse de garantie, en un mot les porte-parole de la profession. Ils nous tiennent un discours responsable. Nous voyons le travail que les organes dirigeants effectuent et pour lequel nous avons de la considération. Le travail réalisé par les professionnels est un métier très ingrat, qui comporte, il ne faut pas l'oublier, une part de stress et de difficultés dans la gestion des affaires. Je vous livre davantage l'opinion du citoyen que celle du responsable. Je ne suis pas là pour défendre la profession, mais le système ne revêt pas que des aspects négatifs. Ce sont des personnes qui visiblement travaillent personnellement beaucoup. Contrairement à d'autres professions, il leur est difficile d'être entourés de beaucoup de collaborateurs. Les magistrats, par exemple, veulent rencontrer personnellement les responsables.

Je me pose une questionc'est un point sur lequel j'ai souvent débattu avec eux et qui m'étonne : alors que l'Europe se construit à une certaine vitesse, ce domaine échappe étonnamment à la convergence européenne. Chaque État a son propre système, très différent d'un pays à l'autre. J'ignore si, globalement, le coût du système français par rapport à d'autres, par exemple celui de l'Allemagne où ces missions étaient effectuées par des sociétés d'expertise comptable ou par des avocats, est plus ou moins élevé. Je lis la presse, je rencontre les responsables de la profession. Je n'ai pas une opinion si négative du travail difficile, voire ingrat, réalisé par cette profession.

M. le Président : Confortablement rémunéré, si ingrat qu'il soit !

M. Jean MALOCHET : Est-il si grave de bien gagner sa vie quand on fait bien son métier ?

M. le Président : Non, mais, en contrepartie, on est en droit d'exiger un minimum de morale. S'agissant d'une profession qui compte environ cinq cents personnes, une quarantaine de sinistres graves - j'entends des affaires pénales - sont en cours.

M. Jean MALOCHET : Des détournements ?

M. le Président : Oui. Six cents « erreurs » ont été constatées, mais cela peut se comprendre, dans la mesure où la profession traite de dossiers compliqués. En l'occurrence, c'est l'aspect moral qui nous préoccupe grandement.

M. Jean MALOCHET : Il est une personne de la profession, installée à Marseille, qui a travaillé sur la déontologie. Je vous communiquerai son nom qui, pour l'heure, m'échappe. La commission d'enquête trouverait sans doute intérêt à l'auditionner. Je vous ai dit que nous rencontrions les responsables. Est-ce là un manteau de vertu destiné à cacher autre chose ?

M. le Président : Nous avons rencontré les responsables de la Caisse. Leur ton est agréablement positif comparé à ce que nous avons pu entendre par ailleurs. Si des dirigeants se rendent compte de la catastrophe, d'autres n'ont visiblement pas prise sur le réel.

M. Jean MALOCHET : Nous avons beaucoup insisté auprès des responsables de la profession en faveur d'une plus grande transparence dans le domaine de la communication sur les ventes. Nous travaillons avec eux sur la question. Le dernier sinistre intervenu démontre leur sens des responsabilités. Ils ont compris qu'il ne pourrait y avoir un autre sinistre de même ampleur.

M. le Président : La profession disparaîtra si deux sinistres comparables devaient intervenir.

Que représentent les fonds déposés à la Caisse des dépôts par la profession comparés à ceux des notaires ?

M. Jean MALOCHET : Les dépôts réglementés à la Caisse forment trois parts. Tout d'abord, les fonds des administrateurs judiciaires avec 57 milliards de francs, ceux des notaires avec 35 milliards de francs et les consignations à hauteur de 10 milliards de francs pour l'ensemble des dépôts réglementés. C'est une part considérable des ressources du bilan. Nos clients en situation concurrentielle nous laissent des soldes négligeables à côté de ces chiffres, le reste des fonds est placé par nos clients auprès de la Caisse des dépôts sous forme d'OPCVM. Nous n'avons pas de comptes d'entreprises, ni de particuliers en activité dans le bilan de la Caisse. Nous sommes une « banque » très spécifique.

M. le Président : C'est l'essentiel du bilan de la Caisse.

M. Michel MEYLAN :Vous avez parlé du tableau de bord des notaires. Disposez-vous d'un moyen de contrôle ? Vous rendez-vous dans les études ?

M. Jean MALOCHET : Nous n'avons aucune activité de contrôle sur les professionnels. Nous n'avons de moyens de regard que si un professionnel sollicite un financement. C'est le cas pour du financement d'informatique ou pour les achats de parts des études de notaires. Nous demandons alors des comptes, mais la Caisse des dépôts n'est pas contrôleur de ces professions.

M. Patrick TERROIR : Nous pouvons vérifier la vraisemblance de l'ordre de paiement, mais nous ne sommes pas habilitésdu reste, nous n'avons pas compétence - pour entrer dans les études, ni pour vérifier les comptes. C'est là le problème, soit de la Chancellerie, soit des experts comptables, soit de la profession elle-même.

M. Michel MEYLAN : La somme citée de 57 milliards de francs représente donc le chiffre d'affaire de la profession ?

M. Jean MALOCHET : Non, ce sont les dépôts correspondant aux fonds issus, par exemple, de la vente d'un bien en attendant la fin de la procédure.

M. Patrick TERROIR : L'origine principale des fonds déposés est la cession d'actifs, que la loi oblige à déposer ; les autres fonds sont généralement nécessaires à la poursuite de l'activité de l'entreprise.

M. le Président : Et les fonds des notaires ?

M. Patrick TERROIR : Il s'agit de cessions immobilières et de l'argent provenant des héritages.

Pour revenir aux chiffres, les flux de dépôts représentent 170 milliards de francs ; ces fonds restent en moyenne trois mois, d'où un encours moyen de 57 milliards de francs. Pour les notaires, alors que l'encours est de 35 milliards de francs, le flux est de 1000 milliards. Une autre différence fondamentale réside dans la structure de recueil des fonds : chez les notaires, un compte de dépôt est rémunéré à 1% ; chez les administrateurs mandataires il y a plusieurs catégories de comptes : le compte de dépôt à vue est un compte non rémunéré sur lequel les sommes ne restent guère plus de quelques heures, voire quelques jours ; les mandataires de justice peuvent déposer des fonds sur ce que l'on appelle « un compte de répartition », compte de passage, mais de durée plus longue et rémunéré comme les consignations à 2,5%, représentant 14 milliards de francs sur les 57 milliards cités.

M. Jean MALOCHET : Le premier compte qui vient d'être mentionné représente 7,5 milliards de francs ; le deuxième 14,2 milliards de francs.

M. Patrick TERROIR : Le reste des fonds est déposé sur des comptes à terme. Tous les produits financiers de ces comptes sont versés aux entreprises, non aux professionnels.

M. Jean MALOCHET : La Caisse des dépôts ne verse aucune rémunération à ces professionnels alors que nous versons 1%, au même titre que le Crédit agricole, aux études de notaires, qui le déclarent au titre des bénéfices non commerciaux. Je vous ai parlé des concours indirects lancés à hauteur de 35 millions de francs à la Caisse de garantie ; nous ne versons rien sur les affaires. J'ai omis de le dire, et il faut le souligner, car beaucoup de gens pensent que c'est exactement la même chose que pour les notaires.

M. le Président : L'intérêt est de comprendre le mécanisme. Apparemment, beaucoup de précautions ont été prises en ce domaine, à la Caisse des dépôts.

M. Jean MALOCHET : Nous nous sommes posé la question de savoir ce qui se serait passé si l'étude Sauvan-Goulletquer avait déposé son commissariat au plan à la Caisse des dépôts. Est-on en mesure de vérifier et de poser des questions aux professionnels ? En tant que réseau du Trésor public, dans la mesure où nous comptons peu de clients réalisant de grosses opérations, on se pose plus de questions face à un mouvement inhabituel. Récemment, à Paris, nous avons pu, grâce à un excellent réflexe de la recette générale des finances, empêcher une escroquerie par un client d'un notaire. Sans doute face à un mouvement très important, nous serions-nous interrogés. Il n'en reste pas moins que les banques sont tenues d'exécuter les mouvements. C'est la raison pour laquelle nous avions indiqué à la Chancellerie qu'une deuxième signature serait nécessaire pour les mouvements importants. Nous pensions à celle du juge-commissaire.

M. le Président : Pour ce que cela sert ! Soit le juge-commissaire tourne la tête ailleurs, soit il est incompétent, soit il est complice - hélas ! C'est une profession livrée à elle-même. Vous nous en avez dit le plus grand bien, déclarant que, stressés, ces professionnels avaient des excuses. Le résultat n'en demeure pas moins catastrophique. Les systèmes de contrôle sont inefficaces.

M. le Rapporteur : M. Malochet, pourriez-vous nous citer quelques exemples de ces professionnels qui manient, par an, des sommes qualifiées par vous de considérables ? Cent professionnels manient 50% de 56 milliards de francs.

M. Jean MALOCHET : J'ai demandé où étaient tenus les comptes des dix principaux professionnels. Huit sont à Paris ou en région parisienne, dont cinq sont tenus directement au siège de la Caisse des dépôts. Deux professionnels ont leurs comptes tenus ailleurs, l'un à Montpellier, l'autre à Avignon. Certaines affaires mettent du temps à s'achever. Lorsque j'ai pris mes fonctions il y a sept ans, j'ai la parfaite mémoire que le professionnel de Montpellier « était un gros client ». Sept ans plus tard, les fonds d'une faillite importante gérée par cette étude, sont toujours présents même si leur montant n'est pas identique.

M. le Rapporteur : Quel type d'encours avez-vous ?

M. Jean MALOCHET : Certains dépassent le milliard de francs.

M. Patrick TERROIR : Je ne dispose pas ici des statistiques, mais je sais que deux représentent plus d'un milliard de francs, dont l'un est celui de Montpellier et dont l'affaire est bloquée depuis des années.

M. le Rapporteur : Pouvez-vous nous communiquer le nom du professionnel concerné ? Dans la jurisprudence des commissions d'enquête, le secret bancaire n'est pas opposable.

M. Jean MALOCHET (après une longue hésitation) : Il s'agit de M. Pernaud-Orliac et de M. Fabre, mandataires de justice.

On trouve dans cette liste huit mandataires judiciaires et deux administrateurs judiciaires. Il est du reste assez normal que l'on trouve surtout des mandataires judiciaires.

M. le Président : Lorsqu'ils ont des cabinets secondaires, les dépôts sont-ils regroupés en un seul cabinet ou chaque cabinet a-t-il ses comptes ? Je pense à M. Goulletquer qui avait des cabinets secondaires à Montpellier, en Guyane, à la Guadeloupe, à la Martinique, à la Réunion, à Nouméa.

M. Patrick TERROIR : À ma connaissance, il n'y a pas obligation de regroupement.

M. le Président : Cela signifie que pour les personnes que vous indiquez, il convient probablement d'ajouter les sommes gérées par les cabinets secondaires...

M. Jean MALOCHET : Vous évoquez là un sujet complexe pour nous. La Caisse des dépôts a une particularité bancaire : sur les comptes de l'agence tenus au siège, nous pouvons donner toutes les informations. Le réseau du Trésor public est notre réseau préposé. Pour peu de temps encore, il a son informatique propre qui nous transmet des données globales contractées. Nous n'avons pas aujourd'hui la possibilité - nous l'aurons demain, car nous investissons beaucoup en ce domaine - de dire que tel client, comme le ferait la Société Générale ou la BNP - a dix comptes dans dix agences. À ce jour, nous ne disposons pas de données informatiques de cet ordre. C'est une défaillance du système CDC.

M. le Président : Nous allons poser la question à l'ordre, pour qu'il nous envoie la liste des cabinets secondaires.

M. Jean MALOCHET : Nous pouvons effectuer ce travail ; je ne dis pas que nous ne sommes pas en mesure de le faire.

M. Patrick TERROIR : Nous allons vérifier si nous pouvons le faire.

M. le Président : Manifestement, au sein de cette profession, certains ont un poids très grand et jouent un rôle très important. De plus, si d'aucuns ne sont pas des personnes honnêtes, la profession n'a plus de raison d'exister. M. Goulletquer avait un cabinet dans tous les départements et territoires d'Outre mer ! Comment cela fonctionne-t-il ? Le Trésor est-il également concerné ?

M. Jean MALOCHET : Oui. Dans la mesure où nous n'avons pas de représentant sur place, nous disposons encore moins d'informations que nous n'en avons sur le territoire métropolitain. Nous allons donc procéder au travail que vous souhaitez et nous vous en communiquerons les conclusions.

M. le Président : Nous voudrions une « photographie » de la profession à travers les mouvements de fonds et vos suggestions sur ce que nous pourrions faire. Vous nous dites que la Caisse des dépôts doit rester le lieu de dépôt du maximum de sommes.

M. Jean MALOCHET : Il faut un système réglementé. Je pense que la Caisse des dépôts est aujourd'hui l'établissement idoine...

M. le Président : Convenable.

M. Jean MALOCHET : ... et convenable, mais je plaide pour un système réglementé. Sinon, vous risquez de faire sauter les agences bancaires. C'est ce que nous expliquions aux notaires. Il faut imaginer ce que peuvent représenter ces sommes pour le patron d'une agence bancaire quelconque.

M. le Président : Nous souhaitons donc une « photographie » de la profession. C'est un secteur où les interrogations sont très fortes. Même si les gouvernements ne sont pas enclins à toucher à ces secteurs délicats, la demande de l'opinion publique, le courrier que nous recevons montrent que prévaut une grande inquiétude.

M. Patrick TERROIR : Je pense que l'on peut renforcer les contrôles. Nous pouvons présenter des suggestions. La situation journalière des comptes des administrateurs et mandataires judiciaires sur le mode du tableau de bord des notaires serait le minimum que l'on pourrait demander à cette profession. C'est un système qui fonctionne efficacement dans les études de notaires. Les « tableaux de bord » sont très pratiques ; c'est évidemment un sujet très technique qui peut-être n'est pas de nature à « exciter » le législateur, mais enfin...

M. le Rapporteur : Détrompez-vous, le législateur est très excitable !

Audition de M. Maurice LAFORTUNE,

avocat général à la Cour de cassation

(extrait du procès-verbal de la séance du 28 avril 1998)

Présidence de M. François COLCOMBET, Président

M. Lafortune est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. À l'invitation du Président, M. Lafortune prête serment.

M. Maurice LAFORTUNE : J'ai été commissaire du Gouvernement près la commission nationale d'inscription et de discipline des administrateurs judiciaires de 1990 à 1994. L'observation par laquelle je souhaite débuter relève d'une intuition : ce qui se passe était quasiment inscrit dans les textes. Je n'ai nullement été étonné des dérives et des dysfonctionnements.

Pendant quatre ans et demi, j'ai été commissaire du Gouvernement. Les deux premières années ont été marquées par une activité administrative fondée sur l'inscription, les deux dernières années dominées par des problèmes de discipline.

Les raisons de la situation actuelle, selon mon expérience, tiennent au fait que cette justice consulaire n'est pas impartiale, au sens de la jurisprudence de la Cour européenne, dont le dernier arrêt concerne les avocats généraux à la Cour de cassation. Elle n'est donc pas équitable.

Son défaut d'impartialité est lié à ceux qui composent les juridictions, au sens de l'article 6-1 de la Convention européenne des droits de l'homme, essentiellement parce qu'il s'agit de cadres d'entreprise qui, aux termes de l'article 1384 alinéa 5 - la responsabilité des maîtres et commettants - sont des préposés. Objectivement, un cadre doit rendre des comptes à son commettant. Que se serait-il passé si les chefs d'entreprise avaient continué à être des juges consulaires ? Nul ne le sait. Mais, au sens de cette jurisprudence européenne, la justice consulaire est une justice de dépendance.

La seconde raison des dysfonctionnements réside dans les relations entre la juridiction consulaire et les professionnels spécialisés. Les professionnels spécialisés - l'administrateur judiciaire, le liquidateur et l'expert en diagnostic - existent par la volonté du législateur. Ces professionnels, qui concourent à la justice, sont aussi inscrits dans un lien de dépendance par rapport à ceux qui composent la juridiction. Je ne sais si « dépendance sur dépendance ne vaut », mais dépendance sur dépendance, à mes yeux et au sens de la jurisprudence européenne, ne peut mener qu'à la connivence, la collusion ou la complaisance, parce que l'on est « entre soi ». Dans une telle situation, l'oublié est celui pour lequel cette justice a été organisée, autrement dit le justiciable en état de cessation de paiement.

La législation elle-même comporte des faiblesses, des insuffisances. Cette justice n'a donc ni les moyens, ni l'organisation, ni les dispositions législatives suffisantes pour être impartiale et équitable au sens de la jurisprudence européenne qui s'impose dans tous les domaines.

M. le Président : Depuis la réforme législative résultant de la loi du 16 juillet 1987, les salariés peuvent être recrutés comme magistrats. Votre remarque sur la dépendance des juges ne vaut que pour cette seule catégorie, non pour les commerçants élus.

M. Maurice LAFORTUNE : Par un phénomène de « voisinage », cette justice se trouve aujourd'hui polluée, même si, à une autre époque, elle a paru adaptée. Aujourd'hui, elle ne peut satisfaire aux besoins de tels justiciables.

M. le Président : C'est une analyse très cruelle. Pouvez-vous l'illustrer de quelques exemples ?

M. Maurice LAFORTUNE : Cette justice est captive de « l'entre soi ». Comme dans tous domaines, il se produit forcément des dérapages, des manquements, qui nécessitent des actions disciplinaires, pénales ou civiles.

Un « contrat de confiance » a prévalu sous la présidence de l'un des derniers présidents du tribunal de commerce de Paris. N'est-ce pas l'illustration la plus tangible du souhait de garder ceux qui sont chargés, ès qualités de mandataires de justice, d'apporter leur contribution technique, parfois davantage, aux procédures collectives ou de prévention ? Le « contrat de confiance » n'est qu'une enveloppe dont le contenu a pour effet d'intégrer les professionnels dans la juridiction et ainsi d'éliminer toute initiative d'indépendance.

M. le Président : Qui a inventé cette expression?

M. Maurice LAFORTUNE : Le dispositif va au-delà de l'expression ; il a été signé sous la présidence de M. Rouger en 1993 ou 1994 par tous les administrateurs judiciaires figurant sur la « liste interne » au tribunal de commerce de Paris. Les administrateurs judiciaires sont inscrits sur une liste nationale ; alors pourquoi, d'une manière illégale, chaque tribunal possède-t-il en interne « sa » liste ? Lorsque l'on n'y figure pas, on ne reçoit pas de mandat. J'ai apporté un arrêt de la première chambre de la Cour de cassation où il est question d'un mandataire-liquidateur, qui, dix ans durant, n'a jamais reçu un seul mandat dans le cadre des procédures collectives. Il a fini par attaquer l'État avec cette argumentation : « J'ai été inscrit, j'ai vu ma compétence reconnue, et je n'ai jamais été désigné. » La première chambre a cassé la décision d'appel qui le déboutait en rappelant la qualité « de collaborateur du service public »de l'intéressé.

M. le Président : A contrario, la Cour de cassation considère illégal le dispositif mis en place ?

M. Maurice LAFORTUNE : Tout à fait. Et cela vaut aussi pour les administrateurs judiciaires. Il faut nommer les mandataires inscrits et si l'un d'entre eux se révèle incompétent, il existe des procédures, notamment par intervention du parquet, du juge-commissaire ou du président, pour le faire remplacer.

M. le Président : Comment savoir combien d'administrateurs inscrits ne sont jamais nommés?

M. Maurice LAFORTUNE : La liste est nationale pour les administrateurs. Par exemple, quand l'association des Girondins de Bordeaux du président Bès a rencontré des difficultés, le président du TGI, M. Lamanda, avait désigné un administrateur judiciaire du cru, mais également deux de Paris.

M. le Président : C'est là l'exemple d'un bon fonctionnement.

M. Maurice LAFORTUNE : Dans des affaires du sud de la France, j'ai constaté la nomination d'administrateurs résidant sur les lieux où les entreprises en cause avaient leurs succursales. Mais quand chaque tribunal s'en tient à une liste officieuse, il s'agit de connivence.

M. le Président : Et l'on engage la responsabilité de l'État.

Passons à un autre problème. Avez-vous requis des sanctions contre des administrateurs ?

M. Maurice LAFORTUNE : Oui, durement.

Il suffit de se reporter aux arrêts de mises en cause de la responsabilité civile. Les condamnations sont nombreuses et très lourdes pour fautes et négligences dans l'exercice de la mission confiée. Un exemple : la poursuite autorisée d'un contrat avec un fournisseur, pour lequel l'administrateur judiciaire doit s'assurer de la présence de fonds pour payer. Elle fait naître des créances après l'ouverture de la procédure collective et qui sont privilégiées au bénéfice de l'article 40. Quelle déconvenue pour le fournisseur qui se voit imposer sa prestation - les dispositions de la loi de 1985 sont d'ordre public - et qui, au moment d'être payé, se retrouve devant une situation d'insolvabilité, dont la seule issue est d'entraîner la mise en cause de la responsabilité de l'administrateur judiciaire. C'est pourquoi, lors de la réforme du 10 juin 1994, des dispositions spécifiques ont été prises par le législateur pour imposer un paiement comptant et en espèces des prestations rendues.

En qualité de commissaire du Gouvernement, et sur la base d'une telle faute commise dans l'exercice des fonctions, j'avais saisi la commission nationale ; le corps a réagi ! J'estimais que, lors d'un manquement de cette nature, il était normal que le professionnel vienne s'expliquer devant l'institution de discipline. Il est venu, la saisine a été violemment critiquée au motif qu'il est dans la nature des choses de faire des fautes et que, de toute façon, il existe une assurance...

M. le Président : Le corps a pour réaction en cas de poursuite d'un administrateur ...

M. Maurice LAFORTUNE : d'évoquer l'assurance !

M. le Rapporteur : Avez-vous noté lors des débats devant la commission des cas où, en défendant l'administrateur comparaissant, les professionnels défendaient de fait la profession ?

M. Maurice LAFORTUNE : Je comprends vos précautions de langage, mais j'irai plus loin que vous : je suis sûr que ces professionnels arrivaient en commission avec des instructions.

M. le Rapporteur : De qui ?

M. Maurice LAFORTUNE : Certainement des institutions de défense, l'Association Syndicale Professionnelle d'Administrateurs Judiciaires (A.S.P.A.J.) sur le plan national. Je peux citer le cas d'un membre de la commission venu me demander de quelle façon agir, car il avait reçu des recommandations au sujet de l'affaire d'un administrateur ayant participé à un cambriolage. Je lui ai conseillé de se déporter, ce qu'il fit.

M. le Président : Autrement dit, le contrôle de la profession par la profession n'est pas efficace.

M. Maurice LAFORTUNE : Cette profession, réglementée par la volonté du législateur, n'est pas parvenue à créer son droit disciplinaire ou sa police interne. On peut en chercher les causes, mais ce n'est ni la faute du législateur ni celle de la conjoncture. La déontologie est inexistante et les administrateurs se sont comportés comme des agents d'affaires.

M. le Rapporteur : D'où viennent les difficultés de la commission de discipline ? De l'imperfection, des textes qui ne permettent pas des saisines conformes à vos aspirations, des pratiques, ou bien encore de sa composition ?

M. Maurice LAFORTUNE : Il existe deux lois : la loi n°85-98 du 25 janvier 1985 et la loi n°85-99 relative aux administrateurs judiciaires, mandataires-liquidateurs et experts en diagnostic d'entreprise. La loi du 10 juin 1994 a réformé la première loi, c'est-à-dire les règles de fond. La deuxième loi, celle du statut, n'a pas été modifiée. Je me pose la question de savoir s'il ne faut pas supprimer les professions spécialisées. Je ne dis pas le mandat ; j'évoque la suppression de la seule profession. Les juridictions auront toujours besoin de s'adresser à des mandataires, mais ne faut-il pas supprimer les professions spécialisées ? L'une d'entre elles, l'expert en diagnostic, est tombée en désuétude. Elle a été « phagocytée » dès le début par des administrateurs judiciaires. Reportez-vous à l'article 6 bis de la loi du 31 décembre 1971 sur la nouvelle profession d'avocat. Vous verrez que le problème est réglé, puisqu'il est écrit clairement que les avocats « peuvent recevoir des missions confiées par justice ». Ils sont assurés et rien n'empêcherait aujourd'hui un tribunal de désigner un avocat pour une mission d'administrateur judiciaire.

La première loi de 1985 est marquée par une confusion manifeste et totale entre la profession spécialisée d'administrateur, protégée par la loi, et la mission d'administrateur. Elle prévoit cependant la possibilité de nommer à titre exceptionnel toute personne compétente et l'article 140 prévoit, pour les procédures simplifiées, que l'on peut laisser le débiteur à la tête de son entreprise, ou bien nommer un administrateur professionnel ou toutes personnes spécialisées.

M. le Rapporteur : J'en reviens à ma question. Qu'est-ce qui n'a pas fonctionné ? Les poursuites pénales engagées contre les mandataires de justice frôlent la quarantaine. On ne retrouve pas ce chiffre dans les procédures disciplinaires. Les procédures de saisine sont-elles insuffisantes ? Les mécanismes de défense sont-ils trop importants ?

M. Maurice LAFORTUNE : Nous avons fait ce que nous avons pu. Manifestement, la période de la crise immobilière a vu une utilisation abusive de l'insuffisance de la réglementation statutaire, c'est-à-dire la faiblesse des contrôles. J'ai poursuivi un administrateur judiciaire qui avait son cabinet « principal » à Toulouse. Outre-mer, il avait installé un cabinet secondaire à la Martinique, puis un autre à la Réunion. Des mandats de justice sont par nature confiés intuitu personae, pour une bonne administration de la justice et pour éclairer la juridiction. Comment exercer correctement un mandat de justice Outre-mer dès lors que l'on est installé à Toulouse ?

M. le Président : Il n'est pas le seul.

M. Maurice LAFORTUNE : Oui, et la situation perdure. Cet administrateur s'est rendu compte que le parquet et le commissaire aux comptes qui doivent chaque année contrôler son activité et ses comptes sont ceux du lieu de son cabinet principal. Le procureur de Fort-de-France ou celui de Saint-Denis n'ont aucune compétence sur ses cabinets secondaires. Il appliquait à l'envers la législation, si bien que son cabinet « principal » comptait huit dossiers, son cabinet secondaire à la Martinique 600 et celui de la Réunion 400 ! La législation ne s'applique pas !

J'ai reçu un appel téléphonique du Trésorier-payeur de Cayenne qui se déclarait très soucieux des comptes des entreprises de la Guyane. Il constatait que l'administrateur judiciaire, recevant des mandats de justice du tribunal de Cayenne, rapatriait les fonds des entreprises sur Paris, lesquels auraient normalement dû être déposés à la Caisse des dépôts et consignations. De fait, il n'avait aucune maîtrise sur ces fonds. Il me demandait que faire. Il était décidé à imposer à cet administrateur judiciaire l'ouverture d'un compte spécial pour être en mesure de le contrôler.

Effectivement, les fonds étaient transmis au lieu du cabinet principal, d'où l'impossibilité de tout contrôle. Là encore, l'administrateur avait compris que les textes pouvaient s'appliquer à l'envers.

M. le Président : Une telle situation est apparemment fréquente.

M. Maurice LAFORTUNE : L'Outre-mer est le lieu où l'on ouvre un cabinet secondaire pour équilibrer les comptes de l'entreprise principale.

M. le Rapporteur : En tant que Rapporteur de cette commission, je suis submergé de courriers. Leurs auteurs se plaignent d'un administrateur condamné par la cour d'appel. Or, à ma connaissance, la présentation d'un pourvoi en cassation ne laisse pas la présomption d'innocence perdurer. Dès lors que la décision est définitive sur le fond, les faits sont avérés. Il n'a, semble-t-il, pas été suspendu. Il a été incarcéré, puis libéré. Je voudrais savoir comment situer les pouvoirs de la commission de discipline dans cette curieuse affaire.

M. Maurice LAFORTUNE : Je ne sais plus qui de Sauvan ou Goulletquer a été libéré et a reçu le lendemain de sa sortie de prison des mandats du tribunal de commerce !

M. le Président : C'est scandaleux ! Nous allons vérifier ce point auprès du procureur de la République de Nanterre. De même à Bobigny.

M. Maurice LAFORTUNE : Le cas de Bobigny est exemplaire et illustre parfaitement mes propos initiaux. Sur la connivence, la complaisance, la collusion. Avant ses déboires, Maître Schmitt était un bon professionnel. Substitut Général à Paris, j'ai suivi des procédures dans lesquelles on le retrouvait alors qu'il était en société avec un autre administrateur judiciaire dont le siège était à Versailles et qui, avant les faits, avait ressenti le besoin de sortir de cette association. Lorsque Maître Schmitt a rencontré ses difficultés, je l'ai invité à venir me voir selon l'usage. Il m'a expliqué ce qu'on lui avait demandé. Le président lui a dit : « Ne vous en faites pas, je m'entendrai avec le procureur. Vous pouvez y aller. » Je lui ai indiqué qu'il avait commis une erreur et lui ai conseillé de prendre un bon avocat, parce qu'il allait être mis en examen et qu'il aurait à répondre devant la justice pénale de ses actes.

Une fois mis en examen, il m'est revenu que, sur la place parisienne, on avançait qu'il ne lui arriverait rien, qu'il était franc-maçon, qu'il avait l'appui de la profession et qu'il se chargerait de faire nommer Lafortune à la Cour de cassation !

M. le Président : Mes compliments !

M. Maurice LAFORTUNE : Cela ne m'a pas impressionné, et j'ai réagi, en accord avec la Chancellerie, en précisant que les propos rapportés étaient inadmissibles et qu'il y avait matière à saisir la commission de discipline en vue d'apprécier une éventuelle suspension, non pour le condamner, mais pour appliquer une jurisprudence de la cour d'appel de Riom - me semble-t-il - qui définit les motifs d'une suspension provisoire en faisant un départ net entre une condamnation et une position qui lui permet de se défendre.

J'ai saisi la commission - vous en retrouverez trace - pour demander la suspension de Maître Schmitt en précisant que j'attendais la qualification juridique des faits au pénal pour engager une action disciplinaire. La commission ne m'a pas suivi.

M. le Président : Pour quelles raisons ?

M. Maurice LAFORTUNE : Je n'ai pas assisté au délibéré, mais la corporation était contre la suspension.

Aujourd'hui, globalement, une connivence généralisée permet à un administrateur judiciaire mis en examen qui, certes bénéficie de la présomption d'innocence, de continuer à exercer des mandats dans le cadre de la justice consulaire. Imagine-t-on un avocat qui, en prison, continuerait à entretenir des relations avec ses clients? Sur le plan de l'impartialité de la justice, nous nous trouvons face à une situation choquante.

Je puis vous citer un autre exemple. Un administrateur judiciaire désigné par le tribunal de Paris fut poursuivi pour des manquements professionnels - il était négligent dans le suivi de ses dossiers. Sa situation connue fut dénoncée par le président Grandjean, président du tribunal de commerce. L'institution m'a saisi en tant que commissaire du Gouvernement en énumérant des faits précis. J'ai saisi sur cette base la commission, mais la corporation entière souhaitait son départ. Elle avait même au niveau régional déclenché une procédure interne. Cela signifie que ce corps est capable de sécréter sa propre discipline.

M. le Président : Pour Maître Schmitt, c'était l'inverse ; il a bénéficié de beaucoup de protections.

M. Maurice LAFORTUNE : Il en bénéficie encore.

M. le Président : De quelle époque datent les parties de chasse avec les membres du cabinet ?

M. Maurice LAFORTUNE : La partie de chasse est sans doute ce qui a provoqué la mise en détention de Maître Schmitt, c'est-à-dire la révocation de son contrôle judiciaire.

M. le Président : Comment des membres de cabinet qui avaient été en poste à Bobigny pouvaient-ils ignorer cette histoire ?

M. Maurice LAFORTUNE : Mais ils le savaient.

M. le Président : C'était le directeur du cabinet du garde de sceaux qui avait été président du TGI de Bobigny qui s'est rendu à une partie de chasse...

M. Maurice LAFORTUNE : ... qui se déroulait chez un expert inscrit sur la liste, M. Parise.

M. le Président : Peut-être cela se passe-t-il dans l'Allier ?

M. Maurice LAFORTUNE : Exactement ! Monsieur le Président vous risquez de ne pas être impartial.

M. le Président : Il est certain que de ce genre d'événement ressort un sentiment d'impunité.

M. Maurice LAFORTUNE : Nous sommes dans une situation fausse où nous avons un corpus législatif - la loi de 1984 sur la prévention des difficultés des entreprises ou la loi du 25 janvier 1985 -, fait de règles qui peuvent être améliorées, mais qui fonctionnent (j'enseigne cette matière comme professeur associé à Paris V). Nous avons une réglementation, des procédures de prévention et de traitement assez efficaces, mais le statut professionnel que l'on trouve dans la seconde loi de 1985 n'est pas adapté et reste utilisé de manière abusive et en l'absence de toute déontologie. Il pollue l'application des règles de fond.

Un arrêt récent de la chambre commerciale relative à la rémunération d'un conciliateur désigné dans le cadre d'une procédure de prévention rappelle que les honoraires versés au conciliateur ne correspondent pas forcément aux solutions à apporter aux difficultés de l'entreprise.

M. le Président : Le développement récent de la prévention intéresse aussi les administrateurs qui se font désigner comme conciliateurs.

M. Maurice LAFORTUNE : Je citerai un arrêt pris sur mes conclusions. L'esprit de la loi est de prévenir ; mais un chef d'entreprise en difficulté s'étant adressé au président pour faire nommer un conciliateur et ayant vu les honoraires initialement fixés être réévalués en cours de mission, s'est adressé au tribunal. Un arrêt du 17 février 1998 précise que le conciliateur est dans la situation d'un mandataire occasionnel de la justice ; c'est donc au président du tribunal de fixer les honoraires. L'administrateur soutenait le contraire.

M. le Président : Est-ce pratique courante?

M. Maurice LAFORTUNE : Pas encore en région parisienne.

Mme Nicole FEIDT : Monsieur l'avocat général, vous avez parlé de professionnels compétents. Je souhaiterais connaître votre position sur la formation des mandataires, car la question reste floue.

M. Maurice LAFORTUNE : J'ai appartenu à la commission nationale d'inscription et de discipline des administrateurs judiciaires, dont l'objet consiste également à trancher les contestations des candidats à l'accès aux fonctions d'administrateurs judiciaires et donc leur inscription au registre de stage. Cela vaut également pour les liquidateurs dans le cadre des commissions régionales. Au cours des deux premières années de mon mandat, les candidats qui se présentaient souhaitaient exercer des fonctions et je n'ai pas eu à connaître de contestations, contrairement aux deux années suivantes. Des candidats, toujours intéressés à l'accès aux fonctions, cherchaient des stages, qu'ils ne trouvaient pas. La réglementation fixe un maximum de trois ans de stage avec la possibilité de réduction de la durée en cas de situations particulières. Sauf cas exceptionnels - le fils, le cousin ou l'ami intime de tel administrateur -, la récrimination principale portait sur l'impossibilité de trouver un stage. Je me suis demandé pourquoi. Il existe un numerus clausus ; les gens veulent rester entre eux.

Aux Antilles, un liquidateur est en poste auprès de la cour d'appel de Fort-de-France ; il a une compétence régionale. Il en est un autre installé sur place, compétent pour la cour d'appel de Basse Terre. Il se trouve - je me borne à constater - qu'il s'agit de sa femme.

Par ailleurs, il arrive que des étudiants en droit de l'université d'Antilles-Guyane recherchent des stages auprès de ces deux administrateurs. Un jeune est venu me voir lorsque j'étais commissaire du Gouvernement, ensuite quand j'ai cessé mes fonctions. Ce jeune Martiniquais ne fera pas son stage auprès du liquidateur judiciaire en poste à Fort-de-France, mais en métropole.

La profession souhaite rester fermée, alors que si les liquidateurs judiciaires voulaient normaliser la profession, autrement dit la rendre crédible objectivement parlant auprès des justiciables, des chefs d'entreprise, il faudrait y faire entrer de grands professionnels, des avocats, des experts comptables. Des candidatures se sont présentées. Soit elles ont été rejetées, soit la commission imposait un stage de deux ans à des avocats, des banquiers. Pour un professionnel qui a vingt années d'expérience, c'est assez vexant. En outre, ceux qui ont cherché un stage n'en ont pas trouvé.

M. le Président : Quelles sont vos propositions ?

M. Maurice LAFORTUNE : Je ne suis pas partisan de révolutions ou de réformes.

Le tribunal de commerce est un tribunal d'exception, autrement dit le tribunal de droit commun est le tribunal de grande instance. On parle d'échevinage, or je pense que c'est un faux problème. Tout d'abord, parce que cela existe Outre-mer et dans l'Est de la France. Il faut savoir que s'il n'y a pas, dans le ressort d'un tribunal de grande instance, de tribunal de commerce, le tribunal de grande instance est compétent, même à l'égard des commerçants. Par exemple, le tribunal d'Avesnes-sur-Helpe rend des décisions à ce titre. De plus, dans la mesure où le tribunal de commerce est un tribunal d'exception, la Cour de cassation a décidé qu'il ne s'agissait pas d'une compétence d'ordre public. Deux commerçants peuvent décider de manière expresse, alors que le litige est commercial, de le porter devant le tribunal de grande instance. Je pense donc que l'échevinage est un faux problème.

Deux possibilités sont donc offertes : soit la suppression de la profession ; les mandats seront donnés par le tribunal aux professionnels les plus compétents - par exemple, les avocats, les experts comptables ; soit l'on maintient ces professions et l'on offre la possibilité à celui pour qui cette justice est faite de choisir son juge, d'aller devant le tribunal de grande instance ou le tribunal de commerce.

M. le Président : Vous êtes le premier à avancer une telle proposition qui présente l'avantage de s'inscrire dans la logique de la jurisprudence avec toutefois la difficulté liée à l'existence des deux parties ; l'une devra choisir. Il se peut qu'elles ne soient pas d'accord sur la juridiction de droit commun.

M. Maurice LAFORTUNE : C'est beaucoup plus simple, dans la mesure où il n'y a pas de litige. Un commerçant qui décide de déposer son bilan en prend lui-même l'initiative.

M. le Président : On peut l'assigner.

M. Maurice LAFORTUNE : Le créancier qui a la possibilité d'assigner, ce qui est le cas aujourd'hui dans la justice consulaire, assigne devant le tribunal de grande instance. Il en va de même pour le procureur de la République.

M. le Président : Le tribunal de grande instance ne peut-il se déclarer incompétent ?

M. Maurice LAFORTUNE : Puisque la jurisprudence n'a toujours pour initiative que des avocats, sans doute conviendrait-il que l'avocat d'un créancier prenne l'initiative d'assigner son débiteur - un commerçant - en redressement judiciaire devant le tribunal de grande instance, invoque la jurisprudence de la Cour de cassation en précisant que la compétence du tribunal de commerce n'est pas une compétence d'ordre public.

M. le Président : C'est une idée brillante...

M. Maurice LAFORTUNE : Je souhaite recevoir ce dossier à la chambre commerciale. Dans mes conclusions, je défendrai cette liberté.

Dernier point : s'il faut maintenir les professions spécialisées, il conviendra de renforcer les contrôles avec la possibilité pour le chef d'entreprise en situation de cessation des paiements de choisir son professionnel, comme il choisit son avocat. Il s'agit des seules professions libérales organisées qui ne peuvent former une clientèle. Elles n'existent que dans la mesure où la juridiction consulaire souhaite qu'elles existent.

M. le Président : Il faut donc faire évoluer les institutions au mieux de l'intérêt des justiciables.

M. Maurice LAFORTUNE : Le justiciable, que ce soit en procédure collective, en prévention ou en contentieux général, souffre des règles actuelles et de cette sorte de connivence et de complaisance qui faussent l'accès à la justice.

Audition de M. Joël ROCHARD, inspecteur général des finances, ancien membre de la commission nationale d'inscription et de discipline des administrateurs judiciaires

(extrait du procès-verbal de la séance du 28 avril 1998)

Présidence de M. François COLCOMBET, Président

M.  Rochard est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. À l'invitation du Président, M.  Rochard prête serment.

M. Joël ROCHARD : Je voudrais traiter deux aspects : l'un interne au ministère des finances relatif aux problèmes de recouvrement, l'État étant l'un des créanciers principaux dans toutes les procédures collectives ; l'autre a trait à l'expérience que j'ai acquise au sein de la profession en matière disciplinaire.

M. le Président : Exercez-vous encore des fonctions au sein de la commission nationale d'inscription et de discipline des administrateurs judiciaires ?

M. Joël ROCHARD : J'ai achevé mon mandat ; j'ai assumé ces fonctions pendant sept ans, de fin 1989 à fin 1997. La commission a siégé à partir de 1986. Étant arrivé fin 1989, je n'ai pas travaillé pendant les années de mise en place de la loi de 1985, mais des décisions devaient encore être prises sur des dispositions transitoires de la loi, puisqu'il y avait des droits de repentir. Les administrateurs judiciaires pouvaient changer d'avis et certaines personnes qui avaient travaillé chez des syndics pouvaient devenir administrateurs judiciaires ; il s'agit de cas que j'ai rencontrés. Le ministère des finances est concerné au premier chef par les problèmes de recouvrement. Il y a environ 500 mandataires de justice pour s'en tenir à des chiffres ronds, 150 administrateurs judiciaires, 350 mandataires-liquidateurs. Chacun détient des fonds qui sont ceux des entreprises et non les siens. Et ces fonds sont destinés aux créanciers, dont l'État. En moyenne, les comptes d'une étude s'élèvent à 100 millions de francs. Cela va de 50 millions de francs à 250, 300 millions de francs ; il y a même une étude détenant un milliard de francs. Multiplié par le nombre de mandataires, cela fait au bas mot 50 milliards de francs. Vous comprenez tout de suite l'intérêt des établissements bancaires pour ces professions !

Le recensement de ces sommes n'a jamais été fait. Toutefois, l'exploitation des questionnaires que la Chancellerie avait diffusés au début de 1997 permettrait de connaître le total de façon précise. Sur ce total, l'État est créancier, essentiellement au titre de la taxe sur la valeur ajoutée et on peut estimer que dix à quinze milliards de francs doivent lui revenir.

La situation est souvent très mal vécue dans les services du ministère des finances. D'un côté, la recette des impôts attend pendant des années qu'un mandataire règle les sommes dues par une entreprise ; de l'autre, les vérificateurs constatent que l'étude détient, par exemple - j'évoque là un cas très précis - plus de 250 millions de francs. « Pourquoi a-t-elle autant ? Pourquoi ne nous paye-t-elle pas ? », s'interrogent alors les services de recouvrement.

Ces problèmes ont trois causes : les procédures, les méthodes et les personnes.

Pour répartir les fonds entre les créanciers, il faut connaître le montant de toutes les créances et attendre la fin de tous les procès qui portent sur les sommes dues. C'est une précaution qui entraîne des retards nombreux. Une affaire de prud'hommes suivie d'appels peut prendre six, huit ans. Pendant ce temps-là, le dossier général est bloqué. C'est encore pire pour les entreprises du bâtiment. La responsabilité décennale oblige à attendre dix ans pour voir si un litige en responsabilité apparaît. Et s'il y a procès après les dix ans, si on va jusqu'en cassation, cela peut prendre encore huit ans. En dix-huit ans, je vous laisse deviner combien de petits créanciers ont disparu... S'agissant de l'État, les fonctionnaires changent de poste et donc une procédure qui dure dix-huit ans aura été suivie par deux, trois, voire quatre comptables publics, receveurs principaux des impôts, trésoriers, ce qui ne peut que nuire à la qualité et à la continuité du travail !

Une suggestion : lorsque d'une procédure en dépendent d'autres, l'inscription des affaires sur le rôle devrait être accélérée pour ne pas superposer les délais. Je laisse les juristes imaginer ce que pourrait être une solution d'inscription de rôle accélérée - ce n'est pas une procédure d'urgence.

Il faut donc, pour terminer sur ce point, souligner que, les lenteurs reprochées à la justice produisant un effet multiplicateur, une procédure lente rend une autre procédure encore plus lente.

La deuxième source de difficultés réside dans les méthodes. La façon de travailler de nombreux mandataires pose problème. Les mandataires travaillant dans les tribunaux engagent facilement des procédures et vont facilement jusqu'en cassation, même pour un petit montant. Ne pourrait-on raccourcir les délais des procédures collectives en demandant aux mandataires de prendre l'habitude d'accepter l'arrêt de la cour d'appel, par exemple s'il est identique au jugement de première instance ? On désencombrerait au surplus la Cour de cassation !

Le deuxième problème de méthode réside dans le fait que l'on doit attendre longtemps avant de répartir la totalité des sommes dues, mais on peut aussi - la loi l'autorise - opérer des répartitions partielles. Par exemple, si les litiges ne portent pas sur les créances privilégiées, on peut répartir entre les créanciers privilégiés. C'est une solution qui n'est malheureusement pas utilisée. Il ne semble pas que la profession, les parquets ou les juges-commissaires en fassent beaucoup usage. Une activation des répartitions partielles accélérerait la solution de nombreux dossiers. Elle réduirait aussi les encaisses et par là-même les risques de détournement. Un effort est nécessaire en ce sens, mais il faut savoir que la profession aime à garder des matelas de créances. Des habitudes sont à forcer.

Je voudrais à ce sujet citer deux exemples de créances, où l'attitude de l'État est bonne dans un cas, pose des problèmes dans l'autre. Le 10 juin 1994, la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 a été modifiée. L'État a admis de retoucher le code général des impôts en son article 1740 octiès, afin que certains frais de poursuite et de pénalités fiscales soient effacés en cas de dépôt de bilan. Autrement dit, l'État accepte de ne pas trop « charger la barque » si la part principale est payée, ce qui est très positif. En revanche, beaucoup de sociétés qui déposent leur bilan, ayant eu un exercice mauvais, ont demandé le report des déficits sur les exercices précédents, ce que l'on appelle « le report en arrière » ou le carry-back, que l'on ne dénoue qu'au bout de cinq ans. Pour procéder à une répartition partielle, y compris au bénéfice de l'État, l'État doit attendre cinq ans révolus, la répartition n'étant réalisée que la sixième année.

La troisième source de difficultés tient aux personnes et aux habitudes. Dans la mesure où les procédures sont longues, les mandataires savent qu'ils ne peuvent réexaminer un dossier avant longtemps. Si l'appel des prud'hommes doit se dérouler en juin 1999, on n'étudie pas le dossier à cette date, mais trois mois, voire six mois plus tard, puisque l'on n'est pas pressé. D'où une lenteur certaine. Une liquidation judiciaire est longue. Assumant des mandats limités, les juges-commissaires se succèdent. Ils récupèrent 100, 200 procédures, ne peuvent pas suivre, ni relancer les retardataires ; le parquet ne dispose pas des instruments de suivi et la lenteur propre à certains mandataires accroît encore les délais. Certaines cours d'appel, la Cour de cassation, rendent encore des arrêts sur des procédures collectives régies par les décrets de 1955 ou les lois de 1967.

Nos fonctionnaires sont malheureux, parce que les mandataires ne peuvent être joints. Ils ne les prennent pas au téléphone. Il y a quelques années, un mandataire de province qui travaillait sur un très gros dossier suivi par le comité interministériel pour les restructurations industrielles (CIRI) s'estimait propriétaire de son dossier et ne voulait pas avoir affaire au ministère des finances. Après chaque appel infructueux, mon collègue appelait le préfet qui faisait porter une dépêche par motard.

M. le Président : Où était-ce ?

M. Joël ROCHARD : À Decazeville, il y a assez longtemps, avant la loi de 1985. Recevant la dépêche, le professionnel acceptait de téléphoner et, à l'appel suivant, mon collègue recommençait. Le jeu a ainsi duré deux à trois mois.

En outre, le courrier que nos services adressent ne reçoit pas de réponse ou fort tardivement : au bout de trois mois, parfois six. Les mandataires qui répondent trop tard au courrier risquant d'être relancés par télécopie ont trouvé un système : ils n'ont pas de télécopieur ! Si vous prenez l'annuaire de la profession, vous constatez que plus de 50 n'ont pas de télécopieur ou un numéro qui n'est pas listé ; ainsi, ils ne sont pas dérangés !

Il existe toutefois des exceptions. Dans certaines villes, où mandataires et fonctionnaires ont convenu de réunions régulières pour examiner les dossiers, cela se passe bien. J'ai essayé d'instaurer ce mode de rencontre à Paris à deux reprises, avec des résultats assez consternants. J'avais suggéré que les mandataires aillent voir le receveur général des finances, qui à Paris est le Trésorier-payeur général. J'avais même suggéré un ordre du jour leur permettant de mieux se connaître mutuellement, les services des finances expliquant la nouvelle organisation de l'impôt sur les sociétés et les mandataires les problèmes pratiques de la loi de 1994. Ce fut un échec. Les administrateurs judiciaires n'ont demandé qu'une chose : « À quelle personne pouvons-nous nous adresser pour obtenir des réductions d'impôts ? » Et donc il faudra attendre le successeur du receveur général des finances pour tenter une nouvelle expérience. L'idée d'une réunion annuelle pour balayer les dossiers - je pense aux huissiers ou aux notaires - n'est pas applicable.

Voilà donc les déboires du ministère des finances en matière de recouvrement. Nous ne sommes pas très populaires dans le milieu des mandataires et nous souffrons beaucoup alors que nos services cherchent simplement à récupérer l'argent dû à l'État, autrement dit à nous tous, et même l'argent collecté au nom de l'État. Je pense à la TVA.

Passons maintenant aux contrôles et à la commission de discipline.

Si je me réfère aux textes, il s'agit de professions éminemment contrôlées - avant, pendant, après - et on pourrait avoir le sentiment d'une efficacité totale. Il y a contrôle par le parquet, par le juge-commissaire ; des inspections sont diligentées par la Chancellerie ; des contrôles sont effectués par la profession ; s'ajoutent ceux des commissaires aux comptes.

Examinons comment fonctionnent ces contrôles.

Le parquet théoriquement contrôle, mais l'absence de circulaires ou d'instructions indiquant grosso modo les procédures à suivre et la façon de procéder est patente. Cela varie d'un parquet l'autre. S'ajoutent des problèmes géographiques. En effet, les cartes des tribunaux de grande instance et des tribunaux de commerce ne coïncident pas et quand un procureur s'intéresse au tribunal de commerce, il ne se sent pas responsable de la régularité des procédures, mais est plutôt intéressé par la possibilité que ces substituts auraient de trouver des affaires pénales au passage. Les représentants du parquet sont animés par une vision pénale et répressive, non par la volonté de suivre le fonctionnement des procédures collectives. Le travail du parquet se limite souvent aux pointages auxquels doivent procéder les mandataires ; il leur appartient d'envoyer tous les trimestres les balances des sociétés. Il ne sert strictement à rien de lire une balance si l'on ne connaît pas le dossier. C'est un travail effectué en fait par les greffiers. Une fois par an, le commissaire aux comptes certifie les soldes, le certificat devant être déposé au parquet. Le travail consiste très souvent en un simple recensement des documents. Un dossier est ouvert et on relance l'administrateur judiciaire qui n'a pas envoyé les documents.

À Paris même - c'est un paradoxe -, cette tâche a été déléguée et c'est le syndicat des mandataires qui ramasse les copies pour les confier au parquet !

Les contrôles effectués début 1997, après quelques affaires qui ont créé des secousses, ont produit des états difficiles à exploiter. Il y a 500 tableaux, il faudrait établir des totaux, les insérer dans des ordinateurs. Quatre dossiers demandés à des personnes qui en suivent 500 ou 600 constituent des échantillons extrêmement minces. Il faudrait trouver des méthodes de suivi régulier des dossiers lents en prenant des échantillons. Le travail du parquet devrait servir, non pas forcément à des affaires pénales, mais à déclencher les inspections de la Chancellerie. Or ce n'est pas véritablement le cas.

Un deuxième type de contrôle repose sur les juges-commissaires chargés de suivre la procédure et les délais prescrits par la loi, ce qui se révèle très difficile dans le cadre des liquidations. S'ils paraissent performants dans les redressements judiciaires parce que c'est la vie de l'entreprise, au-delà, ils ne le sont pas.

Autre dispositif, paradoxal, inscrit dans la loi, mais non comme un contrôle : la présence du débiteur. Le chef d'entreprise, quand il n'est pas écarté, peut protester si l'administrateur gère de façon particulière, mais, dans les liquidations, il n'y a plus de contre-pouvoir, plus de chef d'entreprise, plus de représentant des salariés et donc, au bout de douze ans, personne ne contrôlera le mandataire-liquidateur. Dans une affaire pénale récente, aucun contrôle n'a fonctionné. Ce sont les salariés qui ont manifesté leur mauvaise humeur, car, un an après la procédure, ils ont vu réapparaître le même dirigeant. Cela se passait dans l'Oise.

M. le Président : Le nom de l'affaire ?

M. Joël ROCHARD : Coencas. Ce sont les syndicalistes qui ont reconnu l'ancien patron ! En définitive, c'est la procédure de contrôle la plus simple !

Au titre des inspections, le décret n° 85-1389 du 27 décembre 1985 relatif aux administrateurs judiciaires à la liquidation des entreprises et aux experts en diagnostic d'entreprise prévoit, dans ses articles 55 à 57, un magistrat-inspecteur à la Chancellerie. Le décret est un peu paradoxal, car ce magistrat-inspecteur est désigné au singulier aux articles 55 et 56 et au pluriel à l'article 57. Actuellement, c'est Mme Devigne qui officie à la Chancellerie. Le travail réalisé consiste pour le magistrat, accompagné d'un expert-comptable, à un contrôle sur place, où il reste plus d'un mois et où tout est examiné. J'ai eu l'occasion de lire plusieurs des rapports ; c'est un travail de qualité. Nous ne pouvons que l'apprécier. Mais, plusieurs critiques peuvent lui être adressées :

- Les magistrats tournent ; il y a eu quatre magistrats-inspecteurs en huit ans. Donc pas de tradition.

- Un seul magistrat-inspecteur officie, alors qu'il en faudrait deux ou trois. Le poste de magistrat-inspecteur est resté vacant pendant près de six mois en 1997, c'est-à-dire que celui qui est parti n'a pas mis au courant son successeur.

- Le magistrat-inspecteur est pris par d'autres tâches. Il ne peut procéder qu'à deux à quatre contrôles par an et il procède sur des cas que l'on sait déjà difficiles alors qu'il devrait procéder au moins à dix sondages par an. Sur cinq cents professionnels, cela ne reviendrait jamais qu'à un taux de sondage de 2 %. Il serait également nécessaire, de temps en temps, d'inspecter des études réputées bonnes et ne pas se limiter aux seuls cas dont on sait qu'ils posent problèmes. Il est d'autant plus inutile d'aller visiter l'étude du mandataire déjà mis en examen.

Je pense donc qu'il faudrait associer deux magistrats, un jeune et un plus ancien, l'un succédant à l'autre.

- Je pense par ailleurs que les inspections ne sont pas bien dirigées. Il n'y a pas ce que l'on appellerait à la douane « l'exploitation du renseignement », autrement dit : « Les bruits sont mauvais, je vais aller voir ». Ce que le ministère des finances pratique : dès lors qu'interviennent trop de dénonciations anonymes sur un poste de douane, nous allons voir. Parfois, les dénonciations se révèlent fondées.

Si l'inspection est très bonne, elle est insuffisamment fournie, mal utilisée.

Aux termes de l'article 54 du décret précité, les contrôles par la profession - vaste rigolade ! - sont effectués par deux personnes, des gens très sérieux de la profession. On panache : l'un vient de Paris, l'autre de province. Conclusion : il y en a toujours un qui vient de loin et le contrôle ne commence jamais avant dix heures le matin. Ils travaillent jusqu'à treize heures et le contrôlé invite les contrôleurs à déjeuner. On revient de déjeuner vers quinze heures et vers seize heures, celui qui habite loin doit repartir. Le contrôle d'une journée dure quatre heures !

On prévient les personnes du contrôle trois mois à l'avance, ce qui est une technique formidable pour faire disparaître les dossiers gênants !

Si le contrôlé ne souhaite pas montrer un dossier au contrôleur - pas forcément malhonnête, mais « pagailleux » dirais-je - il l'envoie aux archives quinze jours et conserve les dossiers ne posant pas problème.

Les contrôleurs disposent d'un dossier type et cochent. Ils envoient même par avance, avant le contrôle, le dossier-type au contrôlé pour qu'il puisse remplir les cases. Le dossier fait quarante pages. Si vous retirez tout ce qui est blanc, il ne reste plus que douze pages utiles, où figurent des informations telles que : « M. X s'est installé à telle date » ; « Il habite à tel endroit, il est marié, possède tel diplôme. » Ces pages ne présentent donc que peu d'intérêt.

Les dossiers sont envoyés aux archives et quand les contrôleurs retiennent un dossier figurant sur la liste, le contrôlé s'exclame : « Oh, catastrophe ! Je l'ai envoyé aux archives. Mais, qu'à cela ne tienne, j'appelle la société d'archivage et demande immédiatement le dossier. » On sait parfaitement qu'il ne pourra revenir dans la journée et l'on peut donc parfaitement ne pas être contrôlé sur les dossiers gênants. C'est là une méthode qui marche parfaitement !

En outre, en l'espace de quatre heures, le contrôleur ne peut jeter qu'un coup d'_il formel sur le dossier. Y a-t-il bien une sous-chemise ? Le jugement figure-t-il ? Y a-t-il une autre sous-chemise ? Les correspondances sont-elles introduites ? C'est un peu comme si, pour un contrôle technique d'une voiture, on examinait la propreté de la carrosserie en oubliant les freins.

Il ne suffit pas de vérifier la cohérence juridico-administrative du dossier ; il conviendrait également d'étudier en détail les comptes, les pièces de dépenses : cette dépense était-elle utile ? N'est-ce pas une dépense personnelle passée sur l'entreprise ? Ce travail n'est pas fait.

Le summum fut le contrôle de l'étude de M. Goulletquer. Deux contrôleurs, pourtant performants dans la profession, puisque l'un est Vice-président de la Caisse de garantie et l'autre siège à la commission de discipline, par conséquent deux véritables experts, sont restés une journée à l'étude de M. Goulletquer sans s'apercevoir qu'il manquait 200 millions de francs alors que c'était la seule chose à voir. Le reste est sans aucune importance.

Les contrôles de la profession sont une catastrophe. C'est l'une des justifications des errements.

Et puis il y a les commissaires aux comptes. Le décret indique qu'ils doivent être choisis sur une liste arrêtée par le Conseil national. J'ignore pourquoi il existe une Compagnie nationale des commissaires aux comptes ! Tout commissaire aux comptes inscrit sur la liste de la compagnie devrait pouvoir être choisi. Je ne comprends pas pourquoi il existe une liste réservée à une petite équipe, qui a une chasse gardée, qui pratique des honoraires très élevés pour un travail bizarre. En son article 58, alinéa 4, le décret indique que le contrôle porte sur l'ensemble des fonds appartenant à autrui. On devrait tout regarder. Le commissaire aux comptes de Sauvan-Goulletquer n'a examiné que les seuls comptes qu'on lui a montrés - ceux-là évidemment étaient cohérents - et il n'a pas vu que 200 millions de francs faisaient défaut.

M. le Président : Selon vous, sa bonne foi a été surprise.

M. Joël ROCHARD : Dans la mesure où il effectuait un travail de routine, le commissaire aux comptes n'avait guère envie de se fatiguer.

M. le Président : Vous décrivez une malversation énorme.

M. Joël ROCHARD : Elle est gigantesque ! Le record enregistré est de 50 millions de francs.

M. le Président : Elle n'a pu se développer sans qu'un certain nombre de personnes le sachent. La question que l'on est quand même en droit de se poser est celle-ci : s'agit-il d'un fait isolé ? On peut supposer qu'il y a eu d'autres faits semblables. Les commissaires aux comptes faisaient-ils semblant de ne pas voir, étant donc un peu complices, ou bien étaient-ils tout simplement négligents ?

M. Joël ROCHARD : Négligents et copains. On les emmenait déjeuner et puis on ne fait pas de peine à un brave type !

M. le Président : De même pour les deux contrôleurs de la profession ?

M. Joël ROCHARD : Le principe de défiance n'existe pas comme il existe dans le cadre des vérifications effectuées par le ministère des finances, où l'on ignore qui l'on a en face de soi.

M. le Président : Le résultat est là !

M. Joël ROCHARD : Le bruit courrait déjà fin 1995-début 1996 que M. Goulletquer plaçait de l'argent à l'étranger.

M. le Président : Où ce bruit courrait-il ?

M. Joël ROCHARD : Dans les milieux bancaires et celui des tribunaux de commerce. À l'époque, il se disait que 80 millions de francs étaient placés aux États-Unis dans des SICAV.

M. le Président : La rumeur fut-elle avérée ?

M. Joël ROCHARD : Sur la base d'une telle information, j'aurais déclenché un contrôle.

M. le Président : Vous pensez l'information exacte ?

M. Joël ROCHARD : N'ayant pas eu accès aux éléments du dossier, je l'ignore. Le jour où il a été radié, M. Goulletquer, qui aurait dû passer devant la commission de discipline, a refusé de venir. Je n'ai, par conséquent, pas pu poser la question.

M. le Président : Malgré le bruit qui courait, le commissaire aux comptes et les professionnels ont effectué des vérifications de pure forme.

M. Joël ROCHARD : Fin 1995-1996, j'avais informé téléphoniquement la Chancellerie.

M. le Président : Nous demanderons s'il y a trace de votre démarche et si des suites lui ont été données. L'affaire de Bobigny comme celle de Nanterre...

M. Joël ROCHARD : Laquelle des affaires de Bobigny, monsieur le Président ?

M. le Président : Celle de Maître Schmitt. Ces deux affaires, celle de Nanterre et celle de Bobigny, à elles seules, déconsidèrent totalement une institution. La question que l'on peut se poser est de savoir s'il s'agit de deux faits isolés ou s'il s'agit des parties visibles d'une situation générale connue de tout le monde.

M. Joël ROCHARD : Un malin peut mettre à profit un tel système de contrôle « mou ».

M. le Président : À quelle affaire pensiez-vous ?

M. Joël ROCHARD : À ma connaissance, Maître Schmitt et trois juges au tribunal de commerce ont été condamnés en correctionnelle, peine confirmée par la cour d'appel et se sont pourvus en cassation. Cela pour la première affaire. La seconde est celle de Maître Géry, mis en examen à Reims, où il avait des dossiers. Il s'est avéré lors de l'enquête et dans le cadre de l'inspection - c'est pourquoi je plaisantais sur les inspections des mandataires mis en examen - que Maître Schmitt avait acheté un appartement et fait faire tous les travaux, les imputant en partie sur son étude, en partie sur des sociétés confiées à sa gestion.

M. le Président : S'agit-il d'une affaire pénale en cours ?

M. Joël ROCHARD : Maître Géry a été mis en examen à Reims et suspendu par la commission de discipline.

Les listes qui vous ont été fournies par la Chancellerie circulent à travers Paris. Une personne m'en a remis copie. Je les ai examinées ; elles sont notoirement incomplètes et confuses.

M. le Rapporteur : Nous avons auditionné M. Jean-Louis Laureau, qui dirige la profession ; je crois qu'il a été président du Conseil national des mandataires judiciaires.

M. Joël ROCHARD : En effet ; il a passé la main et est redevenu président. C'est une forme d'alternance circulaire !

M. le Rapporteur : Avez-vous eu connaissance du rapport de contrôle de la profession sur l'étude ?

M. Joël ROCHARD : J'ai eu connaissance du rapport de la procédure disciplinaire Sauvan-Goulletquer. Je ne l'ai pas conservé, mais je me souviens qu'il concluait en substance que l'étude Goulletquer avait trop de travail, faisait trop de choses à la fois, était débordée, d'où un problème de suivi des dossiers. Nul signal d'alarme grave n'indiquait qu'il fallait arrêter immédiatement l'activité. En avril 1996, alors que le rapport a dû être achevé en juin ou juillet 1996, les 200 millions de francs manquaient déjà. La seule conclusion aurait dû être : il faut arrêter tout, tout de suite !

M. le Rapporteur : À notre demande, Maître Laureau nous a transmis le rapport effectué par le Conseil national.

M. Joël ROCHARD : Reportez-vous à la dernière page ; vous noterez que les conclusions sont très tièdes.

M. le Rapporteur : Précisément ! Page 55 du dossier de contrôle, au septièmement, au paragraphe « Les banques », point névralgique, on peut lire : « Le professionnel fait choix d'une banque spécialisée pour recevoir les mouvements de la poursuite d'exploitation. Les banques le plus souvent sollicitées sont Rivaud, Monnod, Gallière, SDBO. Les signatures accréditées sont en général celles du professionnel, de son collaborateur et du contrôleur de gestion. »

C'est dire qu'il n'y a nulle constatation d'un quelconque manquement.

M. Joël ROCHARD : C'est ce que j'appelle « un contrôle bidon » !

M. le Rapporteur : La question que nous avons posée à M. Laureau était celle-ci « L'affaire Sauvan-Goulletquer a de quoi faire jaser. Elle engendre des cotisations élevées. Y a-t-il eu, préalablement à l'ouverture de l'information judiciaire, un contrôle de la part de la profession sur l'étude ? » Réponse : « Il n'y en a pas eu un, mais trois en l'espace de quatre ans. Le premier a été opéré dans leur structure des DOM, ce qui a d'ailleurs permis à l'époque de signaler - cela fit l'objet d'une recommandation du Conseil national - la quasi-impossibilité de gérer une affaire à huit mille kilomètres de chez soi. À ce titre, deux contrôles furent effectués. L'année qui a précédé la découverte du sinistre, l'un permit de révéler des dysfonctionnements, notamment au niveau du rendu des comptes. »

Quelqu'un repose une question : « Mais cela était postérieur au sinistre ». Réponse de Maître Laureau : « Non, antérieur à sa découverte. Ce rapport a été diffusé au parquet et à la Chancellerie. »

Avez-vous eu connaissance de ces éléments ?

M. Joël ROCHARD : Le rapport n'a été diffusé à la Chancellerie que dans le cadre de la procédure habituelle ; autrement dit, en fin d'année, le Conseil national fait un paquet de tous les rapports qu'il envoie à la Chancellerie. Le rapport ne lui a pas été envoyé en avant-première pour une mise en garde sur la gravité de la situation.

Les bruits les plus alarmistes courraient sur la situation de Maître Goulletquer, lequel avait, dès le mois de juin, annoncé qu'il comptait prendre sa retraite - il n'avait que 44 ans ! -. Il a déclaré ensuite qu'il avait envie de faire autre chose. Au mois de septembre, il a formulé une demande de départ, puisqu'il est nécessaire de demander formellement à la commission à se retirer. Il est passé devant la commission vers le 20 septembre demandant par écrit à partir à la retraite le 30 septembre. En séance, il a demandé oralement à ne partir que le 31 décembre, ce que la commission a accepté. Le commissaire du Gouvernement n'a fait mention d'aucun élément défavorable et les trois administrateurs judiciaires qui siégeaient à la commission n'ont trouvé tout cela que très normal et M. Goulletquer a déclaré, à l'époque, qu'il voulait gérer un fonds d'investissement dans les PME françaises, dans lequel les Américains souhaitaient investir de l'argent.

Il est donc parti en sentant le souffre, mais sans que personne ne lui adresse aucun reproche. C'est un administrateur judiciaire retraité à compter du 31 décembre 1996 qui a été rattrapé par la justice en avril 1997. S'il avait eu la prudence de quitter la France, il ne connaîtrait aucun problème !

M. le Président : Des conventions internationales existent.

M. Joël ROCHARD : À condition de choisir son pays, monsieur le Président !

Je voudrais maintenant parler du fonctionnement de la commission de discipline.

En matière disciplinaire, les deux professions sont organisées séparément. Les administrateurs judiciaires ont une commission nationale, dont le siège est à Paris, les mandataires-liquidateurs des commissions régionales au sens judiciaire du terme, c'est-à-dire par ressort de cour d'appel.

La cour de discipline des administrateurs judiciaires porte le nom de commission nationale d'inscription et de discipline. Elle siège en matière administrative (quelqu'un qui possède tous les titres peut s'inscrire ; il est alors inscrit sur la liste) et en matière disciplinaire.

M. le Président : Vous siégiez donc à la commission nationale avec M. Lafortune ?

M. Joël ROCHARD : Oui. M. Lafortune a été commissaire du Gouvernement pendant plusieurs années. Nous étions considérés comme les deux méchants répressifs !

La commission est composée de trois administrateurs judiciaires élus par leurs pairs, de trois magistrats désignés par les juridictions, d'un magistrat de la Cour de cassation, d'un président de chambre de cour d'appel, d'un représentant du tribunal de commerce et d'un professeur de droit. Tous les trois ans, on retient un professeur d'une autre université et toujours des professeurs de droit commercial. Font également partie de la commission, un membre de la Cour des comptes, un membre de l'Inspection des finances et deux personnalités qualifiées en matière économique. L'idée du rédacteur du décret était d'avoir des personnes qui sachent ce qu'est une entreprise. D'où un total de onze personnes.

Deux quorums sont institués : cinq membres doivent être présents pour statuer en matière administrative ; huit membres en matière disciplinaire.

La commission se caractérise par un taux d'absentéisme très élevé. Il faut battre le rappel. Il est arrivé un certain après-midi que le quorum n'ayant pas été atteint - l'administrateur judiciaire et les avocats étaient là -, il a fallu reporter la séance à dix-sept heures. Nous avons siégé de dix-sept heures à vingt-deux heures.

Les désignations des membres de la commission sont assez étranges. Les administrateurs judiciaires sont théoriquement élus ; en fait, ils sont nommés par le Conseil national. Il y a trois ans, il y avait quatre candidats pour trois sièges. Conclusion : la seule femme candidate fut écartée, et les trois hommes ont été gardés - tout simplement ! Le milieu est très machiste.

Cette année, à l'occasion du renouvellement, ce fut beaucoup plus simple : trois sièges pour trois candidats. D'autres candidats ayant voulu se présenter ont reçu des coups de téléphone du Conseil national pour les en dissuader. Parmi les candidats désignés - qui ne pouvaient qu'être élus -, figure l'un des deux contrôleurs glorieux de l'étude Goulletquer, M. Jean-Marie Becquet.

Les onze membres désignés ont tous des suppléants. Il se trouve que, dès 1986, une habitude bizarre a été instituée : les administrateurs judiciaires viennent systématiquement avec leur suppléant, qui sont donc toujours six. En matière administrative, avec un quorum réduit à cinq en séance l'après-midi, on découvre que sont présents plus d'administrateurs judiciaires dans la salle, trois seuls votant, mais les trois autres participant aux délibérés, la délibération indiquant : « M. Untel sans voix délibérante. »

Le jour où l'administrateur de Bobigny - affaire que vous évoquiez - est passé devant la commission, il a, comme pour un meeting politique, bourré la salle et fait venir les administrateurs judiciaires et suppléants. Il avait contacté les personnalités qualifiées et les suppléants. Il avait littéralement rempli la salle. La déontologie gêne peu...

Tous les administrateurs judiciaires se connaissant, il leur est difficile de se déporter s'ils connaissent quelqu'un. Un jour, une personnalité qualifiée nous a dit : « Mais je connais Maître Untel. Il a redressé mon entreprise il y a dix ans. Il est formidable ! Je suis venu pour voter pour lui. » Les seuls à s'être déportés furent le président de la commission, le commissaire du Gouvernement et moi-même.

M. le Président : Qui était le professeur de droit ?

M. Joël ROCHARD : Son nom m'échappe. L'actuel est issu de Paris II.

M. le Président : Ces professeurs de droit ont-ils une activité de conseil par ailleurs ? Font-ils de l'arbitrage ?

M. Joël ROCHARD : Un des professeurs de droit était avocat. Un jour, il s'est déporté, parce qu'il avait été amené à donner une consultation sur le sujet quelques mois auparavant !

La commission disciplinaire effectue un travail difficile. Les parquets n'envoient qu'un nombre limité d'éléments d'informations ou saisissent la commission en disant : « M. Untel est épouvantable. » Dans la mesure où nous travaillons sur pièces, il nous faut les bons documents, ce qui n'est pas toujours le cas. Les administrateurs judiciaires pratiquent de très nombreuses manoeuvres dilatoires. Un d'entre eux nous a occupés, de séance en séance, dix-huit mois durant. Il a fallu inspecter son étude. Il n'avait pas les pièces requises. On a demandé à avoir les pièces. D'où un nécessaire renvoi. Il s'est ensuite cassé le bras.

M. le Président : Son nom ?

M. Joël ROCHARD : M. Mariani.

Et nous avons mis dix-huit mois avant de lui infliger un blâme, sanction qui fut amnistiée. C'est dire que la commission applique plutôt des sanctions douces.

Nous rencontrons aussi des dossiers folkloriques. Un administrateur judiciaire a comparu devant nous pour harcèlement sexuel. En fait, il entretenait une liaison avec le représentant des salariés, ce qui n'avait gêné aucune procédure.

Les petites affaires nous arrivent solennellement et les affaires importantes sont incomplètes.

Les administrateurs judiciaires, ténors de la profession, trouvent des défenseurs, et les administrateurs judiciaires et personnalités qualifiées ont toujours des indulgences. Les administrateurs judiciaires ne sont véritablement devenus fermes qu'en 1997 quand Sauvan et Goulletquer leur ont coûté très cher. Ils ont été fermes en radiant deux personnes.

Le cas des mandataires-liquidateurs est différent, mais pose également un problème. Les commissions de discipline étant régionales, dans les petites cours d'appel, à Pau, à Agen, à Bastia, par exemple, il y a deux, trois, quatre mandataires. On inscrit un nouveau sur la liste tous les trois ans. Il n'y a pas d'affaires disciplinaires ; certaines commissions ne fonctionnent donc jamais, ce qui est regrettable. Je pense qu'il faudrait confier la discipline des mandataires à une commission parisienne pour dégager une seule politique disciplinaire. L'aspect régional ne me semble pas fondamental. C'est une prérogative de l'État, non des régions.

La commission nationale d'inscription et de discipline des administrateurs judiciaires pratique également l'inscription. Pour être inscrit, il faut avoir fait des études, un stage, passé un examen. Les inscriptions font preuve d'un très grand malthusianisme. Le bilan démographique n'est pas tenu par la Chancellerie, mais il y a plus de sorties que d'entrées. C'est une profession qui s'effrite d'une ou deux unités par an. Et ceux qui avaient quarante ans il y a dix ans partiront et bientôt se fera sentir un manque - que personne ne prévoit.

Je plaisantais sur les aspects machistes de la commission, mais si l'on est un jeune ou si l'on est une femme, l'on est bombardé de questions, pour être inscrit sur la liste, même si l'on satisfait à l'ensemble des critères et si l'on a passé l'examen.

Je conclurai sur les contrôles en disant que certains organes sont inefficaces ; ceux qui sont efficaces sont insuffisamment utilisés. On a besoin de méthodes, de procédures de contrôle, plus que de textes qui présenteraient de nouvelles lacunes. Pour cela, doit exister une véritable volonté.

À ce tableau un peu pessimiste, j'ajouterai quelques remarques.

Le Conseil national a été créé en 1990, donc après la loi de 1985. La philosophie qui a présidé à sa création est un peu surprenante. En effet, la loi n° 85-99 du 25 janvier 1985 séparait les deux professions. En créant le Conseil national, la Chancellerie a accepté que les deux professions se reconstituent en une seule. On pourrait l'appeler « le Conseil national des syndics reconstitués » !

Il travaille plus comme un lobby que comme un organe de contrôle de la déontologie de la profession. Il dirige de fait la profession, puisqu'il est présent tous les jours et que la Chancellerie a beaucoup d'autres choses à faire. Il désigne les administrateurs judiciaires à la commission nationale.

Ses productions ne sont pas de grande qualité. Le Conseil national légifère par des recommandations. Si vous consultez la collection, elles ne sont pas numérotées. Il est donc impossible de savoir que la recommandation n° 21 annule et remplace la n° 17. Elles ne sont pas datées ; on ne peut donc savoir si une chose est licite avant ou ne l'est plus après. Pour ce qui est de l'amélioration de la profession, le Conseil national ne précède pas l'événement, il le suit.

Ainsi le Conseil national a blâmé ce que l'on appelle « les études secondaires », étude(s) de l'administrateur judiciaire annexe(s) dans une autre ville, et ne les a blâmées qu'après avoir constaté les débordements outre-mer et après que la Chancellerie eut déclaré que ce n'était pas sérieux et qu'il convenait d'agir.

Le recours à des intervenants extérieurs par les administrateurs judiciaires et mandataires-liquidateurs, parfois payés par les entreprises, pose problème. Une recommandation demandant aux mandataires de faire « couvrir » cette pratique par une ordonnance du juge-commissaire a tout simplement été rédigée.

Au sujet des comptes ayant fait l'objet de détournements, la profession a recommandé ex post le versement à la Caisse des dépôts et consignations.

En revanche, lorsqu'il s'agit des intérêts de la profession, le lobby anticipe. La profession a corédigé le décret préparé par la Chancellerie avant même que les autres ministères aient eu connaissance du texte.

M. le Rapporteur : Qu'entendez-vous par « corédigé » ?

M. Joël ROCHARD : La Chancellerie a écrit un projet, l'a soumis à la profession, qui a émis ses remarques. La Chancellerie a réécrit un nouveau projet intégrant les remarques de la profession.

M. le Président : Avant, par exemple, de saisir le ministère des finances ?

M. Joël ROCHARD : Par exemple.

M. le Rapporteur : À quelle date cela s'est-il produit ?

M. Joël ROCHARD : Un projet de décret a été imaginé par la Chancellerie vers le mois d'octobre ; la profession a été consultée au mois de novembre. Un document à deux colonnes circulait : « Projet de la Chancellerie », « Projet de la profession ». Une nouvelle version du projet de la Chancellerie a été mise en circulation vers le mois de janvier. Si vous procédez au rapprochement des deux copies, vous constaterez que les suggestions de la profession sont très bien intégrées.

Le Conseil national devrait entreprendre une vaste réflexion.

Il aurait pu élaborer un code de déontologie comme il en existe chez les commissaires aux comptes. Il pourrait engager une réflexion sur les intervenants extérieurs. Quelles sont les tâches de l'administrateur judiciaire ? Quelles sont celles qui doivent être payées par l'entreprise ? Quelles sont les tâches du mandataire-liquidateur ? Celles de l'entreprise ? Qui doit payer ce que l'on appelle « le garpiste »? On aurait dû entreprendre une réflexion sur les méthodes de contrôle, imaginer un guide pratique de vérification des études, un guide pour les commissaires aux comptes. Aucun de ces travaux n'a été fait.

Je voudrais évoquer d'un mot la Caisse de garantie.

En termes d'assurances, la Caisse de garantie est une usine à sinistres. Un assureur doit savoir choisir ses clients. Le critère est l'antisélection. En l'occurrence, il faut prendre tout le monde. Il y a nécessité de contrôler les études. Cela a été fait chez les notaires, qui ont connu nombre de sinistres. Le choc Goulletquer ne paraît pas suffire. Faut-il personnaliser les responsabilités par des bonus et des malus ? Je pense que, dans quelques années, on ne trouvera plus d'assureurs et que l'État sera confronté au renflouement de la Caisse de garantie. Je vous rappelle que le Vice-président de la Caisse a contrôlé M. Goulletquer sans s'apercevoir de rien !

Le rôle que l'on a prêté à la Caisse des dépôts ces derniers temps est une fausse sécurité. Que fera-t-elle quand elle verra passer un chèque ? Elle vérifiera que le compte est provisionné, que le signataire a autorité pour signer ; elle ne peut vérifier si la dépense est licite ou illicite. La seule sécurité réside dans l'ouverture du dossier et la vérification des factures.

Se pose enfin la question du barème. Il est fixé par décret. La profession se plaint de son niveau trop bas, la Chancellerie le considère trop élevé. Il y a négociation. Je pense que si l'on négocie, la Chancellerie se fera avoir une fois de plus !

Etablissons quelques constats simples.

Les honoraires sont élevés, mais l'administrateur judiciaire et le mandataire-liquidateur doivent payer leur loyer, leurs assurances devenues très chères, ... Reste la différence : le revenu imposable. Les mandataires judiciaires se situent dans la fourchette élevée des revenus imposables et si on les compare aux autres professions libérales, ils sont mieux lotis que les avocats. Pour autant, l'existence de revenus élevés n'est pas en cause, mais on peut exiger en retour une certaine qualité.

Le deuxième constat est que le barème est conçu de telle façon qu'il n'est pas neutre, par rapport aux solutions retenues. Qu'une affaire prise en charge par un administrateur judiciaire aboutisse à une liquidation ou à un plan de continuation suite à un redressement judiciaire d'une durée de six mois, le tarif reste pour lui identique. Dans ces conditions, pourquoi essayer de sauver les emplois ? S'il procède à une cession et vend l'usine au concurrent, il est mieux payé que s'il aboutit à un plan de continuation et sauve les emplois. Ce sont là des distorsions, qui pourraient être palliées par des barèmes qui assureraient la neutralité de l'administrateur judiciaire par rapport aux solutions retenues. Reste le problème de la rémunération de mandataires qui est très élevée. J'ai vu des administrateurs exercer leur droit de repentir et changer de profession, ce qui prouve qu'on est mieux payé avec un travail moins fatigant si on est mandataire-liquidateur.

Je pense qu'il n'existe qu'une méthode pour bien fixer le barème : il faut que le magistrat-inspecteur relève tous les éléments dans les études pour procéder ensuite à des simulations. « Que se passerait-il avec tant de pour cent ? », « Que se passerait-il avec tant d'emplois? » C'est ainsi seulement que l'on pourra éviter les marchandages.

Je terminerai mon propos en citant un texte vieux de 3 000 ans, totalement cynique : « Dans l'enceinte de la justice domine l'iniquité. Au siège du droit triomphe la justice. » Je forme un seul souhait, monsieur le Président, monsieur le Rapporteur, mesdames, messieurs les commissaires : que vos travaux permettent de faire mentir cette affirmation que l'on prête au fils du roi David, le futur roi Salomon !

M. le Président : Vous n'avez pas parlé des juges-commissaires ?

M. Joël ROCHARD : Je ne les connais pas, puisque je n'ai vu que la pathologie. J'ai reçu des témoignages, notamment d'un juge-commissaire qui voulait devenir administrateur judiciaire, et qui s'était fait recaler. L'idéal est le jeune retraité parce que disponible ; celui qui est en cours d'activité ne peut suivre 50 redressements judiciaires et 200 liquidations. Il arrive ; il passe en coup de vent, il signe. Le mandataire lui prépare le travail et il n'a pas le pouvoir d'indépendance et de vérification. J'ai vu les documents que l'on présente à Paris. Le mandataire écrit : « Il y a trois solutions : on cède l'actif à l'entreprise Dubois, à l'entreprise Martin ou à l'entreprise Dupont. ». Il apparaît que sont déjà barrés au crayon deux des trois noms. Le juge-commissaire n'a plus qu'à barrer à l'encre et à signer. L'institution du juge-commissaire répond à un très bon principe, mais le travail qui lui incombe n'est pas très valorisant et je pense que nombreux sont ceux qui n'ont pas la disponibilité pour refuser de signer et demander d'autres explications.

M. le Président : Cette institution dont vous n'avez pas parlé n'exerce apparemment pas de contrôle utile, du moins en général.

M. Joël ROCHARD : Certains oui, d'autres non.

M. Christian MARTIN : Vous avez gardé l'esprit très fiscaliste - pardonnez-moi de vous le dire. Vous avez relevé ce qui ne fonctionne pas et vous avez eu raison de nous en faire part, car cela nous intéresse. Mais il est des villes où cela fonctionne bien.

M. Joël ROCHARD : Je l'ai précisé. Il y a des endroits en province où les relations nouées avec nos services sont très cordiales. Il y a de bons administrateurs judiciaires à la commission de discipline.

M. le Président : Quelles sont ces villes ?

M. Joël ROCHARD : À Bourg-en-Bresse, les services sont très contents, car les mandataires acceptent de les rencontrer régulièrement. À Lyon, la situation est quelque peu complexe et confuse, du fait du nombre élevé de services, de mandataires, de dossiers. À Annecy, la situation est simple : il ne reste plus qu'un administrateur judiciaire.

M. le Président : Et à Toulouse ?

M. Joël ROCHARD : C'est une région que je ne connais pas.

M. le Président : Le Nord ?

M. Joël ROCHARD : Non plus.

M. le Président : La Côte-d'Azur ?

M. Joël ROCHARD : L'Inspection générale des finances a fait une note au ministre sur les problèmes rencontrés par nos services dans le Var. Comme vous le savez, le Var est un département très spécifique sur la carte française !

M. le Président : À Marseille ?

M. Joël ROCHARD : Je n'ai pas eu d'échos déplorables des services.

M. le Président : Le procureur est efficace, nous a-t-on dit ?

M. Joël ROCHARD : Je pense que se pose un problème relatif à la présence du parquet un peu en amont et non en aval.

J'ai eu l'occasion de me pencher sur le tribunal de commerce de Fécamp. La ville est calme et il n'y a pas de problème au tribunal de commerce. Il est suivi par le parquet du Havre situé à 45 kilomètres de distance et cela se passe très bien.

Les difficultés surviennent lorsqu'il y a un chef d'entreprise, prêt à faire n'importe quoi, un rabatteur qui peut être avocat, expert-comptable, un administrateur judiciaire qui pense que « l'on peut s'arranger » et un juge-commissaire prêt à arranger tout le monde. C'est la conjonction de quatre personnes qui crée les débordements. Dans certains tribunaux, cela n'existe pas - comme à Noyon, où le tribunal est très bien tenu.

M. Christian MARTIN : C'est ce que je voulais vous dire : il y a beaucoup de tribunaux de commerce dans lesquels le mandataire, le juge-commissaire rencontrent assez souvent le trésorier-payeur général ou le directeur départemental des services fiscaux.

M. Joël ROCHARD : Cela vaut pour la province. Nous parlions de Bobigny.

M. le Président : Quelle vision avez-vous de la région parisienne ?

M. Joël ROCHARD : J'ai eu une conversation avec un receveur principal des impôts de Noisy-le-Sec à proximité de Bobigny. Comme je lui disais : « Dans une procédure pénale, Maître Untel peut poser problème... », il me répondit : « Mais il ne répond jamais à mes courriers. S'il est interdit d'exercer, qui répondra ? »

Dans les départements de taille moyenne, les choses sont beaucoup plus calmes.

M. Christian MARTIN : Qu'en est-il des Pays de Loire ?

M. Joël ROCHARD : Je n'ai pas le tableau général, car je me suis interdit de procéder à un sondage d'opinion au sein du ministère des finances. Je connais plutôt bien la région Rhône-Alpes, puisqu'elle figure parmi mes attributions et je la suis donc plus précisément.

M. Christian MARTIN : Il est vrai que dans les départements plus petits, les relations font que...

M. Joël ROCHARD : ... l'on accepte le principe d'une réunion annuelle de balayage. Au cours de la réunion, lorsqu'il est interrogé, le mandataire indique simplement qu'au sujet de tel dossier, il attend l'appel des prud'hommes, que ce sera à telle date et qu'il conviendra de le rappeler à ce moment-là.

Mme Nicole FEIDT : Dans mon département, la Meurthe-et-Moselle, une entreprise a été en difficulté, elle est perdue ; l'histoire dure depuis huit ans. Quel est votre pouvoir dans ce cas précis ?

M. Joël ROCHARD : Le problème se pose en deux temps. Quand elle est en redressement judiciaire, l'entreprise peut être sauvée. Cela étant, dans le cadre d'un redressement judiciaire, on peut étaler les dettes, ce que fera l'administrateur judiciaire sur huit ans. Entre-temps, l'entreprise peut avoir été remise sur les rails par un plan de continuation ou par un plan de cession. Les délais peuvent être excessifs lorsque l'entreprise est en liquidation parce que l'on ne s'occupe guère du dossier. Il n'y a plus d'entreprise, plus de salariés. Simplement, les fournisseurs attendent d'être payés et, au bout de dix-huit ans, s'entendront dire qu'on ne leur paye qu'un tiers, un quart ou rien du tout des sommes qu'on leur doit. Des entreprises seront à court de trésorerie, parce qu'elles ne seront pas payées. C'est en cela que réside la dimension dramatique de ces procédures pour les entreprises.

En Meurthe-et-Moselle, cela se passe plutôt bien ; c'est en Moselle qu'un administrateur judiciaire a été radié pour escroquerie à l'assurance.

M. Gilbert MITTERRAND : Votre exposé comme celui de votre prédécesseur est accablant. Il faut reconnaître que la situation que vous décrivez sur un ton, même parfois humoristique, pose question. Dans le même temps, on se rend compte que les critiques sont très ciblées et s'appuient sur quelques exemples catastrophiques pouvant aboutir à des conclusions telles que : « Pour que cela ne recommence plus, il faut supprimer la profession. »

M. Joël ROCHARD : Je ne l'ai pas dit.

M. Gilbert MITTERRAND : En effet, ce n'est pas vous. Mais cela nous a été suggéré. L'ampleur de la réponse au regard de l'ampleur de la question, qui porte sur des cas isolés, mérite ce type de réaction. La piste est-elle à approfondir ?

M. Joël ROCHARD : Je ne le crois pas. Que la tâche soit assumée par des avocats, par des experts-comptables ou par des administrateurs judiciaires, nous aurons toujours besoin de personnes exerçant la fonction - peut-être avec un titre différent. Nous aurons toujours besoin de mettre en place des organismes de contrôle. Je pense qu'il faut examiner les pièces comptables pour voir si les gens gèrent bien des fonds et paient bien des dépenses.

Quelle que soit la solution adoptée, nous aurons besoin de cette fonction de contrôle et si nous changeons le cadre d'exercice sans mettre en place un contrôle, l'on aboutira, comme dans la loi de 1985, à la même situation : nous serons ravis pendant trois ans et nous retrouverons les problèmes la quatrième année.

M. Gilbert MITTERRAND : Lorsque vous parlez de contrôle, vous ne proposez pas de le confier à la profession elle-même ?

M. Joël ROCHARD : Un principe de football dit que l'on ne change pas une équipe qui gagne. Je vous laisse juger !

Il faut renforcer les contrôles avec des experts-comptables. Quand il s'agit d'un collègue que l'on connaît depuis quinze ans, comment lui exprimer son désaccord et lui demander d'ouvrir son armoire !

M. le Président : Que pensez-vous d'une institution comme celle de Bobigny où le président du tribunal, Maître Schmitt, un juge et probablement un certain nombre de comparses ont trempé dans une affaire grave, et où tout, semble-t-il, continue comme si rien ne s'était passé ?

M. Joël ROCHARD : Le danger dans des villes comme Bobigny est le risque de collusion. Dès lors qu'il se produit, tout est possible. Dans un tribunal de commerce où le président est très sérieux, le parquet présent et où l'on fait attention, il n'y a pas de collusion et les choses se passent bien. J'ai cité Noyon, Bourg-en-Bresse, Fécamp.

M. le Président : Comment les choses ont-elles pu se passer à Bobigny ? Un procureur est devenu directeur de cabinet d'un ministre, qui vivait très près de cette juridiction, qui donc la connaissait. Comment a-t-on pu arriver à une situation pareille ?

M. Joël ROCHARD : Je l'ignore.

J'ai vu deux dossiers disciplinaires. Je pense que de mauvaises habitudes ont été prises au tribunal de Bobigny dès sa création ; il s'agit d'une création très récente, une des dernières en région parisienne. Ceux qui avaient de mauvaises habitudes à Pontoise sont rapidement passés à Bobigny et le tribunal a mal fonctionné dès le début. Les présidents successifs maintiennent le consensus local.

M. le Président : Avec l'accord du parquet ?

M. Joël ROCHARD : Non, mais si vous vous référez au discours que fait le président chaque année à la rentrée, il trouve toujours que son tribunal fonctionne très bien, de même que sont parfaits ses mandataires, ceux qui vous inquiètent.

M. le Président : Ils sont à nouveau désignés.

M. Joël ROCHARD : Oui, abondamment. Il faut bien qu'ils travaillent en attendant la fin des ennuis que leur veut la justice !

M. Gilbert MITTERRAND : Peut-il y avoir des contrôles préventifs ? Quel est le pouvoir d'initiative de la Chancellerie en ce domaine ?

M. Joël ROCHARD : La liberté d'initiative de la Chancellerie avec les magistrats-inspecteurs est totale. Elle pourrait parfaitement procéder à dix contrôles par an en décidant de les cibler, par exemple, sur des cas qu'on lui aurait signalés comme très mauvais ou sur lesquels elle éprouverait elle-même des doutes, tandis que d'autres inspections seraient décidées par tirage au sort pour obtenir ainsi un échantillon totalement aléatoire. La Chancellerie pourrait parfaitement orienter ses choix.

La profession quant à elle s'est engagée dans un système où tout le monde doit être contrôlé tous les trois ans. Le tour revient ; il s'agit d'un système mou, totalement routinier.

M. Gilbert MITTERRAND : Le pouvoir de la Chancellerie n'est pas juridictionnel ; c'est un pouvoir administratif. Sur le plan juridictionnel, quel est le pouvoir de la Chancellerie en matière d'alerte, d'initiative d'enquête, d'instruction ?

M. Joël ROCHARD : La Chancellerie a toujours le pouvoir d'alerter un parquet en raison des bruits qui l'inquiètent et de lui demander une enquête préliminaire. C'est parfaitement possible.

M. Gilbert MITTERRAND : Elle dispose donc de pouvoirs.

M. Joël ROCHARD : Elle a des pouvoirs, mais les effectifs de la direction des Affaires civiles et du sceau sont squelettiques alors qu'elle fait face à toutes les professions à la fois : elle les reçoit, elle se fait intoxiquer. Vous poussez le Conseil national par un bout du couloir et il revient par l'autre bout ! La direction des Affaires civiles n'a pas mis en place le système lui permettant de les tenir à distance ni les instruments de gestion. À ce titre, la Chancellerie n'a pas accompli sa mission et, apparemment, n'envisage pas de le faire.

M. Christian MARTIN : Que pensez-vous de la suppression des créances privilégiées, excepté pour les salariés, ? Tout le monde, y compris l'État, serait chirographaire, sauf les salariés.

M. Joël ROCHARD : Je vous livrerai deux raisonnements.

En tant que fonctionnaire du ministère des finances, je vous répondrai : jamais, pas question ! En tant que citoyen, je vous proposerais de regarder si des règles similaires existent dans d'autres pays et d'envisager ce qui pourrait se passer. Mais je sais que, bien souvent, les salariés étant moins armés pour faire valoir leurs privilèges, ils se retrouvent très mal en point dans les dépôts de bilan.

M. Christian MARTIN : C'est pourquoi j'ai précisé que je laissais les salariés bénéficiaires de créances privilégiées.

M. Joël ROCHARD : Il conviendrait de procéder à des simulations sur plusieurs décennies pour en tirer les conséquences.

M. le Président : Dans cette hypothèse, l'État serait conduit à déclencher les procédures beaucoup plus tôt. Très souvent, la créance de l'État est l'une des plus importantes et l'une des premières à apparaître. Pour diverses raisons, l'État ne déclenche pas la procédure.

M. Joël ROCHARD : Monsieur le Président, très souvent, pour des raisons d'ordre public, le préfet nous demande de retarder. L'État et la Sécurité sociale par ordre préfectoral pratiquent le soutien abusif !

M. le Président : En contrepartie, il n'est pas anormal que l'État ait quelques garanties, puisqu'on lui fait jouer le rôle de banquier dans certaines situations désespérées.



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