RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE (1)
sur L'ACTIVITE ET LE FONCTIONNEMENT DES TRIBUNAUX DE COMMERCE

TOME II
SOMMAIRE DES AUDITIONS (partie 8)

Les auditions sont présentées dans l'ordre chronologique des séances tenues par la Commission

(la date de l'audition figure ci-dessous entre parenthèses)

_ Audition de M. X (2 juin 1998)

_ Audition de MM. Jean-Luc MERCIER et de Bernard MEILLE, Président et Vice-président de l'Association syndicale professionnelle d'administrateurs judiciaires (ASPAJ) (9 juin 1998)

_ Audition d'une délégation du Syndicat des avocats de France
composée de MM. Christophe DELPLA et Alain CORNEVAUX (mardi 9 juin 1998)

_ Audition de M. Pierre LYON-CAEN, avocat général à la Cour de cassation (9 juin 1998)

Audition de M. X*, justiciable

(extrait du procès-verbal de la séance du 2 juin 1998)

Présidence de M. François COLCOMBET, Président

M.  X est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. À l'invitation du Président, M. X prête serment.

M. le Rapporteur : Je vous remercie d'avoir accepté cette audition devant notre commission d'enquête.

L'objet de notre commission d'enquête est d'éclairer le Parlement sur le fonctionnement des tribunaux de commerce. Venant d'une grande juridiction, après être passé auparavant dans d'autres, vous avez donc pu vous en faire une idée. Après vous être présenté, vous nous direz très précisément comment fonctionne à cet égard la juridiction dont vous relevez.

M. X : Je suis né le 29 août 1944. Je suis père de trois enfants et grand-père de quatre petits-enfants.

Je suis autodidacte. J'ai commencé l'apprentissage en 1957 dans l'entreprise familiale de M. B... que j'ai reprise en 1982. J'ai racheté le fonds de commerce en 1985.

L'entreprise a très bien fonctionné jusqu'en 1996, date à laquelle j'ai été conduit à déposer le bilan. Pour quelles raisons ? La conjoncture était devenue difficile. Je travaillais beaucoup pour les offices départementaux ou municipaux, sur plusieurs départements.

Mon entreprise a donc très bien fonctionné jusqu'à l'écroulement du marché public d'isolation thermique que, par ailleurs, j'avais développé. Les subventions publiques ont été supprimées pour ce type de travaux qui étaient assurés par vingt salariés de mon entreprise.

Par ailleurs, en dix, entre 1982 et 1992, j'ai dû faire face à plus d'un million de francs d'impayés, soit environ 100 000 francs par mois. Bien entendu, j'ai payé l'entreprise que j'ai reprise. J'ai dû emprunter d'abord 30 000 francs pour monter la SARL parce que je n'avais pas d'argent, ensuite pour rembourser le compte courant et, enfin, pour acheter le fonds de commerce. Je ne dois pas un sou au propriétaire de l'entreprise que j'ai rachetée que je considérais presque comme mon père puisque j'avais travaillé dans son entreprise familiale depuis 1957 et que ma mère était à l'école avec sa femme. C'était quasiment la famille !

J'ai donc déposé le bilan parce que j'ai dû faire face à des difficultés et que je devais procéder à des licenciements importants. Vu le coût d'un licenciement, je ne pouvais pas poursuivre l'activité de mon entreprise. J'ai donc rencontré des amis qui m'ont conseillé effectivement de déposer le bilan, considérant eux-mêmes qu'il s'agissait d'un « bon » dépôt de bilan tel que présenté. Je ne sais pas si l'expression est appropriée en la circonstance, mais quand on ne connaît pas le système, on ne s'imagine pas combien c'est lourd et difficile !

M. le Rapporteur : À quelle date l'avez-vous déposé ?

M. X : Le 26 juillet 1996. Maître L... a donc été nommé mandataire judiciaire.

Les choses se sont assez bien passées : j'ai été accueilli au tribunal de commerce avec un grand sourire, du moins mieux que certaines personnes parce que j'étais bien introduit par Maître L....

Ce dernier m'a reçu pour m'expliquer comment les choses allaient se passer. Etant assez direct de nature et ayant entendu dire que c'était un « requin », je lui ai demandé d'emblée combien il comptait me prendre. Je lui ai même dit que si je devais travailler pour le payer, il valait mieux que je le sache tout de suite !

Sur ce, il s'est référé au système, à la loi ; bref, je n'ai rien compris, mais j'ai préféré arrêter là car je savais que s'il le voulait, il me « cassait ». Je l'ai donc écouté. Il m'a annoncé qu'il me prendrait peut-être 50 000 francs ou 80 000 francs, me disant que je n'avais aucune raison de m'inquiéter. Peut-être, mais je voulais savoir combien j'aurais à payer : 50 000 francs ou 80 000 francs ? Il m'a répondu que le prix était fonction de certains calculs. Bref, il prétendait ne pas pouvoir me donner un prix comme moi je pouvais faire un devis.

J'ai donc été mis en redressement et les choses se sont bien passées. Puis il m'a demandé, en novembre 1996, de faire des travaux chez lui que j'ai exécutés.

M. le Rapporteur : Des travaux de quel nature ?

M. X : Je vais vous en donner la liste puisqu'une facture a été faite.

M. le Rapporteur : Comment vous l'a-t-il demandé ?

M. X : Très tranquillement et avec un grand sourire, il m'annonce que sa femme veut faire des travaux chez elle. Il me demande donc de la contacter et il me donne son numéro de téléphone personnel.

J'ai donc rencontré Mme L... qui me demandait de faire la porte d'entrée, le panneau côté et porte d'accès du vestibule, la peinture et la tapisserie de la salle-à-manger, etc. Les travaux s'élevaient à 3 381,64 francs hors taxe.

M. le Rapporteur : Un devis a-t-il été présenté ?

M. X : Bien entendu ! Une facture d'un montant de 3 381,64 francs hors taxe, en date du 16 décembre 1996, a même été enregistrée sous le numéro 96-12-11.

Puisqu'il ne me payait pas, je l'ai relancé. Sachez que lorsque vous déposez le bilan, vous passez véritablement sous le rouleau compresseur : vous n'arrêtez pas de faire des chèques ! Comme j'estimais qu'il devait lui-même donner l'exemple, je l'ai appelé pour réclamer l'argent qu'il me devait. Il me répondit que sa femme voulait me voir pour faire d'autres travaux et que nous allions nous arranger.

Par conséquent, le 1er avril 1997 - on aurait pu croire à un poisson ! - j'ai établi un devis pour les travaux qui concernaient toute la maison. C'était Hollywood ! Il était prévu de refaire la salle de billard, la salle-à-manger, le salon, la cage d'escalier, l'étage et la galerie, le dégagement de chambres, les parties hautes et soubassements de la descente d'escaliers, le dégagement vestiaire, les soubassements des salles du local piscine. Bref, le tout représentait un montant de 48 798,29 francs hors taxe. L'addition des deux factures s'élevait à 52 179,93 francs hors taxe.

Quand les travaux ont été achevés, j'ai demandé à Maître L... de me régler au moins la première facture qui était enregistrée en comptabilité depuis le 16 décembre. Il m'a répondu que nous allions nous arranger. Donc, il me convoque et m'annonce comment il avait prévu de procéder : déduisant les travaux que j'avais réalisés, soit 48 798 francs, plus 3 381,64 francs correspondant à la première facture enregistrée, il me présente une note d'honoraires de 35 273 francs hors taxe. Telle était la vraie valeur de mon dépôt de bilan !

M. Alain VEYRET : Vous a-t-il demandé de faire disparaître la première facture de votre comptabilité ?

M. X : Bien sûr ! Et il ne me l'a pas payée !

M. le Rapporteur : D'après vous, combien vous doit-il aujourd'hui ?

M. X : Puisqu'il considère ne pas m'avoir fait de facture pour mon dépôt de bilan, c'est du « troc » ! En cas de redressement fiscal, je « plonge » aussi dans la mesure où le montant de TVA disparaît. Soyons clairs ! Donc, moi aussi, je suis en faute.

M. le Rapporteur : Il vous contraint effectivement à la faute fiscale.

M. X : Dans ce cas, je suis receleur. Soyons clairs ! Si j'ai accepté de venir témoigner devant vous, c'est parce que je suis honnête...

M. le Rapporteur : Nous l'avons remarqué !

M. X : ... et si je dois payer, je paierai !

M. le Rapporteur : Quelle est la différence entre ce qu'il vous doit et ce que vous lui devez ?

M. X : Mes travaux hors taxe représentent un montant de 52 179,93 francs...

M. le Rapporteur : Moins les 35 273 francs !

M. X : Pas du tout ! Ce montant de 35 273 francs s'ajoute à celui des travaux. Le coût de mon dépôt de bilan s'élève en fait à 87 362,93 francs. Sachez que je n'ai pas perçu le moindre sou pour les travaux.

M. le Rapporteur : Autrement dit, il vous a demandé de réaliser des travaux pour 52 000 francs dont vous n'en avez pas vu la couleur...

M. X : Pas un centime !

M. le Rapporteur : ... et il vous fait une facture pour une somme inférieure qu'il a fait payer à l'entreprise.

M. X : En effet, c'est moi qui paye !

M. Alain VEYRET : Lorsque vous avez effectué les travaux, vous aviez un certain nombre de fournitures.

M. X : Bien entendu !

M. Alain VEYRET : Comment avez-vous réglé ce problème dans votre comptabilité ?

M. X : Il a fallu que je la maquille ! Plus exactement, le comptable m'a conseillé de les faire disparaître, du moins de les faire passer sur d'autres chantiers. Il n'est pas difficile de faire passer ces fournitures dont j'ai le détail, qu'il s'agisse des métrages de tissu, des rouleaux de papier peint ou de la peinture, sur d'autres chantiers. En revanche, je paye, bien entendu, la TVA sur les fournitures.

M. Alain VEYRET : Il vous a donc obligé à commettre encore une illégalité en les transférant sur d'autres chantiers.

M. X : C'est moi qui l'ai fait. Lui m'a proposé un troc !

M. Alain VEYRET : Vous appelez cela du troc, mais quand il vous a demandé de ne pas lui présenter de facture...

M. X : Bien sûr qu'il me l'a demandé !

M. Alain VEYRET : ... vous étiez toujours en situation de redressement judiciaire.

M. X : Parfaitement !

M. Alain VEYRET : La reprise de l'entreprise n'était pas déclarée, n'est-ce pas ?

M. X : C'était au début, donc j'étais sous son contrôle. Il me signait encore les chèques. Bref, j'avais les menottes aux mains !

M. le Rapporteur : C'est cela.

M. X : Quand vous déposez un bilan, je vous prie de croire que vous passez au rouleau compresseur ! Il faut être costaud physiquement et moralement. Vous avez besoin du soutien de votre famille. À défaut, vous vous suicidez ! Il fallait assurer avec le peu d'argent dont nous disposions à l'époque ! Je me versais 11 000 francs de salaire net par mois avec quarante-cinq salariés. Appréciez !

M. le Rapporteur : Où en êtes-vous maintenant ?

M. X : J'ai continué mon activité et depuis deux ans, l'entreprise se maintient avec simplement treize salariés.

M. le Rapporteur : Quelle est, juridiquement parlant, votre situation à l'heure actuelle ?

M. X : À l'issue de six mois dont trois mois d'observation, j'ai été libre.

M. Alain VEYRET : Le quitus a-t-il été obtenu après cela ?

M. X : Dans le cadre du plan de paiement, je lui ai payé en juin une somme que j'avais placée en Sicav. C'était, pour moi, un bon système parce que cela me rapportait. C'est ainsi que j'ai pu rembourser mes deux premières années. Il me sera plus difficile de rembourser la troisième. Je ne suis même pas certain de pouvoir le faire parce que j'ai été obligé de réduire mes effectifs et que mon chiffre d'affaires est nettement inférieur à ce qu'il était.

M. Alain VEYRET : Avez-vous entendu parler de situations identiques ?

M. X : En toute honnêteté, oui !

M. le Rapporteur : Avec ce liquidateur-là ou d'autres ?

M. X : Personnellement, c'est à lui que j'ai eu affaire, mais j'ai entendu parler de situations identiques avec d'autres. Celui qui était là avant lui s'enrichissait, paraît-il, sur le dos des pauvres. Mais j'ignore si cela est vrai.

M. le Rapporteur : C'est bien lui qui vous a proposé de faire des travaux chez lui ?

M. X : Bien entendu ! Je n'y suis pas allé de mon plein gré !

M. le Rapporteur : La première, puis la deuxième fois ?

M. X : Bien sûr !

M. le Rapporteur : Chaque fois, vous lui avez présenté des devis et des factures. Nous sommes bien d'accord ?

M. X : Les devis lui ont été systématiquement présentés, mais je n'ai fait qu'une facture, celle correspondant aux premiers travaux. Il m'avait dit que pour le restant, nous verrions à la fin. Mais j'étais loin de me douter de la suite ! Logiquement, moi, j'aurais dû lui présenter une facture du montant des travaux et lui me présenter sa note d'honoraires.

M. le Rapporteur : Il existe de multiples preuves que les travaux ont été effectués : les salariés, les ouvriers, les fournitures.

M. X : Bien sûr ! Je dispose là d'un document écrit de la main de ma femme, attestant des fournitures livrés chez Maître L... et des plans de décoration.

M. le Rapporteur : Une décoration à la Hollywood !

Ce n'est pas vous, n'est-ce pas, qui avez réalisé ces plans ?

M. X : Pas du tout ! Ces plans ont été faits par une décoratrice, Mme M....

M. le Rapporteur : Qui l'a choisie ? Lui ou vous ?

M. X : Mme L..., car lui ne s'occupait de rien. Nous ne le voyions jamais !

M. le Rapporteur : Mme L... vous a donc fourni les plans ?

M. X : Réalisés par Mme M..., en effet. Il fallait bien une décoratrice pour agencer ce petit Hollywood !

M. le Rapporteur : Qui a payé la décoratrice ?

M. X : Pas moi ! En tout cas, je sais qu'ils ont été assez « dégueulasses » avec elle ! Ils l'ont mal payée ou pas payée du tout. La situation était identique à la mienne !

M. Alain VEYRET : J'ose à peine vous poser la question de savoir si elle était également en situation de redressement.

M. X : Oui !

M. Alain VEYRET : C'est vrai ?

M. X : Absolument ! Mais de grâce, n'allez pas me mettre le « bordel » dans le département ! Sinon, demain, je ne travaille plus !

M. le Rapporteur : On ne mettra pas le « bordel » ! On rendra la justice, c'est différent !

M. X : Je ne sais pas comment vous allez procéder et même si je n'ai pas peur, je vous signale tout de même que je travaille pour le Conseil général et des municipalités. Surtout, j'ai une entreprise.

M. Alain VEYRET : Vous pouvez témoigner de façon anonyme. C'est votre droit !

M. le Rapporteur : Puisque vous ne mettez pas en cause vos clients...

M. X : Si ! Je vous répète que mes clients sont le Conseil général, certaines municipalités...

M. le Rapporteur : Permettez-moi de vous interrompre, car vous n'avez pas compris le sens de ma question. Vos clients, qu'il s'agisse du Conseil général ou des municipalités, tous vos pourvoyeurs de contrats, ne sont pas en cause lorsque vous mettez en cause le mandataire-liquidateur.

M. X : D'accord, mais ils sont amis avec ce dernier. Dans une ville telle que celle où je vis, le monde est petit !

M. Alain VEYRET : Pourquoi ne vous êtes-vous pas révolté au moment où les faits se sont passés ?

M. X : Comme je vous l'ai dit tout à l'heure, quand vous déposez votre bilan, vous avez les menottes aux mains. Vous ne savez pas ce qui vous tombe sur la tête ! Bien que vous n'ayez pas d'argent, vous passez votre temps à signer des chèques.

M. Alain VEYRET : Néanmoins, une fois que l'entreprise a été autorisée à poursuivre son activité et que vous ne dépendiez plus de Maître L..., pourquoi n'avez-vous pas déposé plainte ?

M. X : Je n'ai peut-être pas eu le courage de m'adresser à la justice. De toute façon, je me voyais mal porter plainte. Je vous parle librement parce que nous avions évoqué la nécessité de réformer tout cela. Que ce soit Maître L..., ou Maître L... qui exerçait précédemment, ou Maître A..., tous ont ce « droit de cuissage » et « s'engraissent » sur le dos du petit commerçant, de l'artisan ou de l'entreprise. Ils vous empêchent de poursuivre votre activité s'ils le veulent, car ils font ce qu'il veulent !

M. Alain VEYRET : Avez-vous précisément l'impression que les liens existants entre les uns et les autres et avec certains pouvoirs politiques peuvent vous gêner ensuite si à un moment donné, vous estimez que la situation n'est pas normale ?

M. X : Oui ! Comme je vous le disais tout à l'heure, une ville comme celle où je suis, c'est une petite famille ! Il en est de même pour un département.

M. le Rapporteur : Souhaiteriez-vous néanmoins qu'une enquête soit déclenchée à l'initiative de la commission ?

M. X : Soyons clairs ! Dès lors qu'il est décidé d'assainir, je suis pour ! Je me bats depuis dix ans pour qu'une réforme de l'apprentissage soit mise en oeuvre. Je vous prie de croire que je me jette la tête contre les murs, car malheureusement, ce sont les jeunes qui payent les pots cassés. Je ne peux qu'être d'accord avec une décision tendant à assainir le marché, car il s'agit bien d'un marché. Je suis pour défendre le bien, et ce sans aucune étiquette politique.

M. le Rapporteur : Votre déclaration sera donc publiée anonymement afin de vous protéger.

Audition de MM. Jean-Luc MERCIER et Bernard MEILLE,

président et vice-président de l'Association syndicale professionnelle d'administrateurs judiciaires (ASPAJ).

(extrait du procès-verbal de la séance du 9 juin 1998)

Présidence de M. Jean-Paul CHARIÉ, Vice-président

MM. Mercier et Meille sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. À l'invitation du Président, MM. Mercier et Meille prêtent serment.

M. Jean-Luc MERCIER : Nous n'adopterons pas un propos en défense. Nous exerçons, et nous allons essayer de vous le faire parfaitement comprendre, un métier qui aujourd'hui nous passionne. Quand je dis « nous », je parle non pas seulement de nous deux mais, très largement et de façon majoritaire, des membres de notre profession.

À notre syndicat composé uniquement d'administrateurs judiciaires, adhèrent aujourd'hui quelque 90 professionnels sur environ 120 couramment désignés.

Nous souhaitions être entendus pour exprimer les difficultés qui sont les nôtres au quotidien dans l'exercice de cette profession, et vous préciser quelles sont les actions que nous avons pu mener par le passé. Certes, votre commission est très importante et nous sommes donc tout à fait heureux d'y participer et de pouvoir exposer un certain nombre de choses, mais nous n'avons pas non plus attendu sa constitution pour nous « bouger », si je puis dire, sur certains points.

Nous vous ferons également part des résultats que nous avons obtenus, de la volonté et de la disponibilité qui sont les nôtres pour faire « bouger » toutes ces choses-là.

Les difficultés proviennent, pour une bonne part, d'une législation qui nous semble inadaptée sur un certain nombre de points. Ce n'est d'ailleurs pas non plus très nouveau parce que si nous pensons que sur certains points, le texte de 1994 est inadapté, nous le pensions également de celui de 1985. Par conséquent, un certain nombre de points méritent d'être modifiés.

Précisons cependant que nous sommes peut-être dans une approche très française : à force d'essayer toujours de faire mieux, on entre dans le détail ; le tout devient alors tellement compliqué à appliquer qu'au bout d'un, deux ou trois ans, on constate les insuffisances d'un texte. À ce moment-là, on réforme. Cela nous rend la tâche au quotidien parfois difficile et ne nous aide pas à travailler essentiellement sur ce qui concerne le redressement d'entreprises et la préservation de l'emploi. Disons haut et fort que nous ne sommes pas, comme j'ai pu le lire par ailleurs, des « carboniseurs » d'emplois. Cela ne nous aide pas non plus nécessairement à faire avancer les choses pour payer les créanciers.

En d'autres termes, je pense qu'il n'existe pas de droit parfait pour traiter, malheureusement, des situations extrêmement difficiles qui sont notre quotidien. Cela est tellement vrai que l'on cherche à codifier, à préciser, à nous donner les outils nécessaires à notre exploitation.

Nous nous apercevons cependant que sur certains points, notamment en matière économique, la notion de non-droit est peut-être même plus importante que celle de droit. Nous le constatons largement en matière de prévention, domaine dans lequel nos résultats sont tout de même satisfaisants : dans 60 % à 70 % des dossiers qui nous sont confiés dans des mandats ad hoc ou des conciliations, nous parvenons à mettre en place des protocoles d'accord.

D'abord, ces protocoles d'accord évitent les déclarations de cessation des paiements. Ensuite, ils permettent de traiter au mieux les problèmes d'emploi parce que l'on n'entre pas, à ce moment-là, dans les périodes de très fortes turbulences que l'on connaît en procédure collective. Enfin, ils nous permettent de traiter, non pas au mieux, mais disons le moins mal possible, la situation d'un certain nombre de créanciers. Ces derniers sont, malgré tout, consentants puisque nous discutons directement avec eux.

Cette difficulté liée à l'inadaptation de certains articles du texte est manifeste et je ne cite qu'un seul exemple, celui de l'article 40. Lorsque nous sommes désignés, nous avons très souvent à intervenir sur un certain nombre de sociétés dans lesquelles il y a inadéquation entre le chiffre d'affaires et le personnel employé. Très fréquemment aussi, même s'il ne s'agit pas d'une méthode de gestion : nous sommes parfois appelés à jouer les « pompiers » dans nos interventions. Il nous faut, par conséquent, réajuster les effectifs par rapport à ce que l'on pense pouvoir continuer à générer comme chiffre d'affaires permettant à l'entreprise de dégager une marge et de revenir à flot.

Or, dès lors que nous procédons à une restructuration dès l'ouverture d'une procédure collective, les sommes avancées par les ASSEDIC, sont payées par priorité sur les dettes d'exploitation.

Citons l'exemple d'une affaire de 300 personnes pour laquelle vous êtes contraint d'entrée de jeu à procéder à un licenciement d'un tiers de l'effectif. Il vous en coûtera 6 millions de francs, 7 millions de francs ou 8 millions de francs, sachant que le coût de licenciement par salarié représente entre 60 000 francs et 80 000 francs. Par conséquent, d'entrée de jeu dans la poursuite d'activité, vous partez avec une dette d'exploitation qui ne dépend absolument pas de votre gestion et qui devra, le moment venu, si vous allez à un plan par voie de cession ou à une liquidation, être payée en priorité par rapport à tous les autres créanciers de l'exploitation, notamment aux fournisseurs de l'exploitation.

Cela signifie que sur nombre de procédures, nous prenons des engagements, nous poursuivons des contrats, nous passons des commandes à des fournisseurs parce que nous sommes nommés pour poursuivre une activité et essayer d'élaborer un plan. Toujours dans le même exemple, si dans le cadre d'un plan par voie de cession, je vends l'affaire - éléments incorporels, corporels et reprise de contrat de travail - pour 5 millions de francs ou 6 millions de francs, cela veut dire que l'ensemble des dettes d'exploitation ne sera pas payé et c'est légal !

Sur ce point, nous avons beaucoup travaillé, notamment avec des universitaires. À une certaine époque, nous avions même demandé à M. Tricot de réfléchir avec nous sur ce problème-là.

M. Tricot nous avait, à l'époque, tenu ce langage : « Dès lors que vous prenez bien toutes les précautions, que vous suivez votre exploitation, votre trésorerie et que vous déclarez immédiatement au tribunal votre impossibilité de faire face à l'échéance future, rien ne peut vous être reproché. » Légalement, je n'en disconviens pas ! Mais dans la pratique, au quotidien, les fournisseurs ne comprennent pas qu'ils puissent éventuellement se retrouver avec des dettes d'exploitation impayées. Nous avons beau leur expliquer que cela résulte de l'application du texte et rien que le texte, ceux qui passeront pour des « voyous », si je puis m'exprimer ainsi, ce sont les administrateurs.

Telle est l'illustration d'un cas parmi d'autres de l'inadaptation du texte ! Il s'agit d'un point important.

À cette difficulté d'inadaptation du texte, s'ajoutent toutes celles que nous rencontrons au quotidien. D'abord, quand nous intervenons, nous nous adressons à des chefs d'entreprise terriblement meurtris. Celui qui s'est battu seul très longtemps, donc qui est isolé et qui ne sait pas prendre la décision de rencontrer ses conseils, avocats, experts-comptables, etc., le vit comme un échec. Pendant généralement un, deux ou trois mois, on se retrouve face à un chef d'entreprise auquel il faut essayer de redonner une certaine confiance pendant la période d'observation. Il s'agit d'une difficulté complémentaire. Certes, nous n'y pouvons rien, mais cela fait partie de notre quotidien.

Ajoutez ensuite à cela tout le travail qui est le nôtre. Je pense notamment à la mise en place de tableaux de bord nécessaires. Je ne sais pas si parmi vous, certains sont experts-comptables, mais sachez que dans 90 % ou 95 % des cas, quand nous sommes nommés, nous constatons l'absence de prévisionnel de trésorerie. Au mieux, on vous dira comment se fera l'échéance au 10 ou au 20 du mois suivant. Il nous faut donc bâtir ces tableaux de bord, les expliquer, les surveiller. Tout cela se met en place peu à peu.

Par ailleurs, s'ajoutent toutes les difficultés liées aux analyses de bilan selon que l'on a ou n'a pas passé des provisions. Il est nécessaire de déterminer les besoins financiers d'exploitation et de participer à la redéfinition de la position de l'entreprise. Etant donné que nous arrivons toujours au plus mauvais moment, à l'évidence, ce n'est jamais tâche facile.

En outre, lorsque nous n'avons pas pu mettre en place suffisamment de mesures pour aller au plan de redressement par voie de continuation, nous procédons à un appel d'offres pour éventuellement présenter un plan de redressement par voie de cession. Or nous constatons de plus en plus que le projet de reprise de telle ou telle entreprise ne fait l'objet que d'une seule offre, quand encore il y en a une ! Le tribunal n'a pas le choix. Se pose donc immédiatement le problème du rapport entre la valorisation des actifs et le nombre d'emplois repris. Compte tenu de l'importance de l'intérêt social, les tribunaux acceptent des propositions pas toujours très élevées, au nom de la préservation de l'emploi. Je ne leur en fais pas reproche, d'autant plus que nous faisons nous-mêmes des observations en ce sens.

Quelles sont les actions que nous avons essayé de mettre en oeuvre à cet égard ?

Nous avons cherché à bâtir un outil progressivement opérationnel sur Internet et sur le Minitel. Pour une somme modique de 300 francs qui ne grève pas le dossier, celui-ci est sur Internet. L'objectif est de faire connaître tous les dossiers dans lesquels on recherche des repreneurs afin d'avoir une multiplicité des offres permettant ainsi aux tribunaux d'avoir une véritable faculté de choix.

Nous avons également expliqué petit à petit aux tribunaux quel pouvait être notre rôle en matière de prévention. Comme l'a précisé le législateur, nous pouvons intervenir comme consultants. Nous sommes fréquemment nommés comme mandataires ad hoc ou comme conciliateurs. C'est une des actions que nous avons voulue et au sujet de laquelle nous avons été pressants auprès des tribunaux. Nous estimons avoir un savoir-faire, notamment en matière de négociations, et nous sommes finalement à mi-chemin du droit et du chiffre. Etant des gens de l'économie, sur bien des points, nous pouvons capter rapidement un certain nombre d'informations intéressantes et inciter à la négociation.

Ces négociations sont fondées sur un rapport de confiance. J'ai coutume de dire que lorsque nous connaissons vingt ou vingt-cinq banquiers des affaires spéciales, nous connaissons la France entière ! Cette action ayant été menée, progressivement les banquiers nous ont reconnu cette capacité à faire, ce qui marque un premier résultat.

Nous avons également obtenu des résultats en matière sociale.

M. le Président : Vous avez évoqué les difficultés et vous avez commencé à parler d'une de vos actions visant à la mise en place d'un outil opérationnel via Internet et le Minitel.

M. Jean-Luc MERCIER : Tout à fait !

M. le Président : Auparavant, je souhaiterais obtenir des précisions quant au problème de la dette d'exploitation impayée, car j'avoue ne pas avoir très bien compris, mais peut-être suis-je le seul !

M. Jacky DARNE : En cas de poursuite d'activité, l'administrateur engage un certain nombre de dettes nouvelles.

M. le Président : Et ce dès le départ, à cause du licenciement ?

M. Jacky DARNE : La poursuite d'activité entraîne, soit des actions sociales, soit des actions d'exploitation, donc d'achat. Celles-ci trouvent certes leur origine dans l'exploitation ancienne, mais elles sont nécessaires pour permettre un redressement, ce qui génère un nouveau passif. Or une opération de cession peut dégager un actif net insuffisant pour payer ce nouveau passif.

M. Jean-Luc MERCIER : Cela va même plus loin que cela !

M. le Président : Quelle en est la conséquence ?

M. Jacky DARNE : Les gens n'ont pas confiance !

M. Jean-Luc MERCIER : Tout à fait !

M. le Président : Qui sont ces gens ?

M. Jean-Luc MERCIER : Les cocontractants de l'entreprise, c'est-à-dire les fournisseurs, les sociétés de crédit-bail et de location.

M. le Président : Autrement dit, dans la situation que vous venez d'exposer en citant l'exemple concret d'une affaire dans laquelle il est procédé au licenciement d'un tiers de l'effectif, les anciens fournisseurs auxquels vous faites appel en tant qu'administrateurs refusent de continuer à travailler avec cette entreprise que vous administrez parce que la première des choses que vous faites, ce sont des dettes impayées. Ai-je bien compris ?

M. Jean-Luc MERCIER : Pas tout à fait !

Les fournisseurs nous font confiance parce que nous sommes autorisés par le tribunal à poursuivre l'activité et que nous engageons de nouvelles commandes, étant précisé que nous payons comptant. Nous payons à huit jours et non plus naturellement à 90 ou 120 jours comme dans une affaire in bonis.

Cela étant, nous avons en permanence des dettes d'exploitation générées par ces paiements effectués à huit jours aux fournisseurs au fur et à mesure des approvisionnements et, en matière fiscale et sociale, par ce mois au titre de la TVA et de l'URSSAF. Lorsque nous sommes conduits à procéder à des licenciements, les sommes correspondantes viennent primer toutes les créances d'exploitation dont je viens de vous parler : fournisseurs, TVA et URSSAFF.

M. Bernard MEILLE : Tout ce qui est le super privilège !

M. Jean-Luc MERCIER : Absolument !

Par conséquent, si l'on ne peut pas aller à un plan de redressement par voie de continuation et d'apurement du passif, mais que l'on doit aller à un plan par voie de cession ou - pis encore ! - à la liquidation, nous devons alors, en vertu de l'article 40, sur les actifs recouvrés, payer d'abord les sommes avancées par les ASSEDIC et, ensuite, les dettes de l'exploitation. Si nous avons bénéficié d'une avance de 6 millions de francs et que nous vendons les actifs pour 4 millions ou 5 millions de francs, l'ensemble des dettes de l'exploitation ne sera pas payé.

Nous faisons cet exercice au quotidien et il devient de plus en plus difficile de demander aux fournisseurs de nous faire confiance. Ces derniers nous reprochent parfois notre manque de sérieux dans certains cas compte tenu de tel ou tel engagement non respecté.

M. Jean-Luc MERCIER : Parmi les actions mises en place, je vous en ai cité deux dont l'outil qu'est Internet.

M. le Président : Combien de vos collègues l'utilisent-ils actuellement ?

M. Jean-Luc MERCIER : Environ un tiers.

M. le Président : C'est-à-dire trente ?

M. Jean-Luc MERCIER : Une trentaine, en effet ! J'ai d'ailleurs demandé à la Conférence générale des tribunaux de commerce de nous soutenir pour une utilisation accrue.

M. le Président : Tous les administrateurs de France peuvent-ils y avoir accès ?

M. Jean-Luc MERCIER : Très clairement, le site est ouvert à tous les administrateurs, même aux non-adhérents de notre syndicat.

Le site Internet lancé en février dernier est passé de 90 consultations le premier mois à 950 en mai. Il s'agit maintenant d'inciter tous nos confrères et les tribunaux à utiliser cet outil qui, le moment venu, peut être tout à fait intéressant en matière normative. Je veux parler de la possibilité d'imposer une certaine présentation d'un dossier pour lequel on recherche acquéreur et, par conséquent, de cadrer systématiquement la façon dont on présente le dossier sur le marché et dont on apporte un certain nombre d'informations au repreneur potentiel.

Quant aux résultats, permettez-moi de revenir sur le terme de « carboniseurs » d'entreprises qui m'a beaucoup heurté, comme vous l'imaginez. Nous avons procédé à une étude sur 1996 et 1997 sur le nombre d'emplois qui ont pu être préservés par nos actions dans des redressements judiciaires, et ce dans le cadre, soit de mandats ad hoc, soit de conciliations. Pour l'instant, je ne dispose que des conclusions de l'étude portant sur 1996. J'attends celles concernant l'année 1997.

Tous mes confrères n'ont pas répondu, ce qui est classique, mais les soixante-cinq réponses que j'ai reçues permettent de tirer un enseignement : en 1996, nous avons probablement contribué à préserver entre 100 000 et 150 000 emplois sur un seul exercice. Il convient d'intégrer parfaitement cet élément.

Ces emplois sont préservés au travers, soit de plans de redressement par voie de continuation et d'apurement de passif avec souvent le même actionnariat, soit de plans de redressement par voie de cession avec reprise des contrats de travail et des actifs, soit de missions de mandat ad hoc et de conciliation. Tel est le type d'action que l'on mène et le type de résultats que l'on peut obtenir. Le tout est parfaitement constaté et connu de la Chancellerie.

J'évoque maintenant notre volonté et notre disponibilité.

Notre volonté est évidemment d'améliorer les choses. Je ne vous dirai pas aujourd'hui que tout est parfait. Je ne développerai pas non plus une approche manichéenne en vous expliquant qu'excepté le cas des deux professionnels exerçant à Nanterre, Sauvan et Goulletquer, qui nous ont d'ailleurs coûté assez cher, aucun problème ne se pose dans la profession. Ce ne serait pas sérieux !

D'autres dérapages se produisent certainement, peut-être pas de la dimension de ceux causés par ces deux professionnels, mais certaines améliorations doivent, à l'évidence, être apportées.

Non seulement nous en sommes demandeurs, mais nous souhaitons très clairement qu'au niveau disciplinaire, soient renforcés les pouvoirs de contrôle et sanctionnés les éventuels « canards boiteux » en fonction de la gravité des faits. Nous sommes bien placés pour vous en parler puisque j'ai siégé à la commission de discipline et que Bernard Meille en fait partie aujourd'hui. Si vous ne l'avez pas déjà fait, vous pouvez d'ailleurs entendre les magistrats de cette commission, au moins celui qui la préside.

Vous apprendrez que sur une commission de discipline de onze membres où nous ne sommes que trois, nous ne sommes jamais intervenus en défense des professionnels qui avaient à comparaître parce que tel n'est pas notre rôle. Nous sommes toujours intervenus en défense de la profession. Quand nous avons considéré que tel ou tel confrère était conduit à s'expliquer injustement, nous avons pris position clairement en sa faveur. En revanche, lorsque nous avons considéré que tel ou tel confrère avait commis des abus, nous n'avons pas hésité à prendre position en faveur de sanction dans les mêmes termes que les autres membres de la commission.

Notre position est claire et vérifiable. C'est ainsi que nous procédons depuis sept ou huit ans. Sur ce point, ces propos ne sont pas nouveaux.

Notre volonté est également de renforcer la formation. Nous ne sommes pas équipés ou insuffisamment. Nous faisons de la formation par le Conseil national et par les syndicats, que ce soit par l'Institut français des praticiens des procédures collectives (IFPPC) ou par le nôtre, l'ASPAJ. Dans le cadre des réponses qui ont été faites sur l'avant-projet de décret, nous avons proposé que, comme pour les commissaires aux comptes, par exemple, soit prévu annuellement un nombre d'heures de formation et que chaque cabinet en justifie. Nos affaires sont trop importantes à gérer sur le plan tant social que financier pour prétendre que nous savons tout faire ou que nous l'avons nul besoin de retourner en formation, d'ajuster ou d'actualiser nos connaissances. Nous sommes tout à fait désireux que soit prévu un nombre minimal d'heures de formation par an.

Lorsque nous avons été saisis de l'avant-projet de décret, nous avons réagi et présenté, sur le plan strictement réglementaire, un certain nombre d'observations et de propositions allant parfois plus loin encore que celles préconisées par la Chancellerie. Je me suis d'ailleurs permis de transmettre à votre commission ce projet.

Nous sommes également tout à fait décidés, si l'on veut bien de nous, à travailler sur des projets de réforme sur un plan strictement légal. Sur l'article 40 dont je vous parlais à l'instant, nous avons déjà attiré l'attention de la Chancellerie à de nombreuses reprises vu les difficultés générées au quotidien.

Nous sommes prêts également à participer à une réflexion plus générale, exercice auquel nous nous sommes déjà prêtés voilà deux ans sur les aspects de prévention avec le CNPF, à sa demande. Il faut aussi réfléchir au fonctionnement des sociétés commerciales. Je pense notamment au crédit interentreprises. Lorsque votre crédit fournisseurs est de 120 jours, voire de 180 ou de 210 jours comme c'était le cas à l'époque où j'étais le collaborateur d'un des syndics de Boussac, il est évident qu'un dépôt de bilan fait d'énormes dégâts et que les créanciers sont lourdement pénalisés. Il faudra bien tout de même un jour en France traiter ce problème-là, surtout que les directives européennes incitent à un délai d'environ 45 jours. Mesurez l'écart !

Ces exemples font partie des réflexions que nous pouvons engager pour parvenir à des améliorations.

Telles sont ainsi résumées nos difficultés, les actions que nous avons mises oeuvre et celles que nous sommes prêts à lancer.

Notre métier est passionnant, parce qu'il est important sur le plan humain, ce qui est socialement fondamental, et qu'il est extrêmement difficile. Nous avons cependant la chance d'intervenir dans des domaines très différents, ce qui est réellement intéressant intellectuellement. S'agissant de ceux qui sont tentés de « déraper » et qui posent problème, assurons un contrôle pour que, demain, nous puissions éventuellement représenter une certaine forme d'élite.

M. Bernard MEILLE : Je ne voudrais pas dévaloriser les propos de mon confrère, mais il est absolument impossible de considérer qu'il a tout dit ! La matière est tellement vaste qu'il est préférable que vous nous posiez des questions pour aborder d'autres points qu'il n'aurait éventuellement pas traités. Mais je souscris totalement à ses propos !

M. le Rapporteur : J'aimerais que Maître Meille, en sa qualité de grand administrateur judiciaire - et je le dis parce que tous les observateurs de son travail le disent - nous parle de son métier.

Comment voit-il les futurs administrateurs judiciaires ? Comment obtenir, dans un pays comme le nôtre, des administrateurs judiciaires de ce niveau-là ? Où les chercher ? Comment les former ? Comment moralise-t-on cette profession qui a subi un certain nombre d'écarts dont vous souffrez aujourd'hui ? Comment procéder pour contrôler le fonctionnement d'une profession qui repose essentiellement sur le contrôle des tribunaux, des parquets, de la Chancellerie, lequel n'a pas fonctionné selon les constatations faites par la commission d'enquête ?

Pour compléter la question de monsieur le Rapporteur, que proposez-vous concrètement pour renforcer le pouvoir et le contrôle de votre profession ?

M. Bernard MEILLE : La première question qui a été posée m'intéresse vivement parce que j'aime mon métier, mais je ne suis pas le seul, et je vais vous en donner les raisons : ayant exercé deux professions dont celle d'avocat, j'aime les relations humaines. Le métier d'administrateur a pour principal intérêt son extraordinaire variété. Dès que nous sommes nommés - et nous le sommes trois, voire quatre fois par mois sur des dossiers différents -, nous rencontrons d'abord des chefs d'entreprise, puis leurs cadres et leur personnel dans le cadre des comités d'entreprise que nous sommes tenus d'organiser régulièrement. Bref, tout cela est passionnant !

Pour autant, j'en viens tout de suite, parce que nous ne pouvons pas le dissimuler à l'échec et sur aux raisons de cet échec.

Une profession aussi passionnante aurait dû normalement attirer de bons professionnels. Dans le cadre de nos missions en province, nous rencontrons et réunissons des confrères par région. Tous nous répondent toujours qu'ils s'emploient à faire ce que l'on leur dit et ce que l'on essaye de leur inculquer sur le plan déontologique : ils répondent au courrier ; ils sont présents et disponibles ; ils examinent attentivement les situations des entreprises ; ils essayent d'en dégager les forces vives, de voir quelles améliorations apporter pour parvenir au résultat final qui est notre seul propos : redresser l'entreprise et présenter un plan intéressant. Etant donné que tous nous répondent qu'ils s'y emploient, à l'évidence, cela nous « interpelle ».

Malgré ce sentiment d'avoir progressé, d'avoir employé des stagiaires de haut niveau, pourquoi le tout ne fonctionne-t-il pas ? Ces stagiaires ont des diplômes. On essaye de leur inculquer une éthique. Il n'est pas question, en effet, pour nous d'être pris dans une affaire difficile parce qu'ils auraient été malhonnêtes ou peu scrupuleux ou parce qu'ils n'auraient pas respecté la déontologie. Tel est le sens de la question qui m'a été posée par M. Montebourg.

Bien que nous ne comprenions pas très bien, il est souhaitable, comme l'a dit tout à l'heure mon confrère, Maître Mercier, de faire encore plus d'efforts de formation. L'aggravation de la situation n'est pas entièrement de notre fait. J'ai participé à la réforme de 1985 parce que j'étais favorable à une ouverture, à un rajeunissement, à une rénovation et à la division des professions pour nous rapprocher des entreprises.

En fait, que s'est-il passé pour arriver expliquer dévoiement ?

Le stage a été limité à trois ans, une mesure, selon moi, monstrueuse. Personnellement, j'ai fait douze ans de stage et nombre de confrères de ma génération en ont effectué entre sept et quinze ans. Trois ans de stages, c'est inepte ! Quelles que soient ses qualités, un jeune « lâché » après trois ans de stage est totalement incapable d'exercer ce type de profession.

Par ailleurs, la chambre de discipline a été supprimée. Personnellement, je participe à la commission à la Chancellerie, mais il faut savoir que celle-ci est saisie très tard. En cas d'incidents, seul le commissaire du Gouvernement a les pouvoirs de la saisir, si bien que le Conseil national n'a plus aucun pouvoir en matière disciplinaire. La suppression de la chambre de discipline a aggravé les choses, même si l'on pouvait déjà, à une certaine époque, lui reprocher parfois un certain laxisme à l'égard de certains errements.

Cette restriction au niveau du contrôle, ajouté à la nomination de personnes insuffisamment formées, a créé cette situation que l'on peut tous déplorer maintenant.

La semaine dernière, je me suis renseigné auprès du président de la caisse de garantie pour savoir d'où provenaient essentiellement les sinistres. Savez-vous, et là, je rejoins l'exposé de Maître Mercier, que 90 % des sinistres proviennent du non-respect des dispositions de l'article 40 ou de l'article 37 ?

Cela signifie que dans certains cas, des administrateurs ont poursuivi trop longtemps une exploitation, mais pour quelles raisons ? J'ai fait des contrôles de confrères en province. Constatant une situation excessivement détériorée et qu'il était risqué de poursuivre davantage, certains sont allés devant le tribunal. Ce dernier les a incités à poursuivre encore. À ce moment-là, on aggrave évidemment les tensions. Sachez que l'on nous reproche souvent tout et son contraire. On nous reproche parfois de poursuivre abusivement une exploitation. Mais si nous tirons très tôt la sonnette d'alarme, on nous reproche de vouloir trop tôt arrêter l'exploitation pour arriver à un plan de cession hâtif. Bref, les choses ne sont pas simples !

Certes, je n'ai pas à proposer de méthode miracle, mais il convient, me semble-t-il, de mettre l'accent sur la formation et la discipline. Nous sommes demandeurs, car cela nous a coûté trop cher !

M. le Rapporteur : Auriez-vous des propositions concrètes à formuler ?

M. Jean-Luc MERCIER : En matière de contrôle, oui !

Aujourd'hui, nous sommes contrôlés tous les quatre ans par le Conseil national, lequel est chargé d'organiser ces contrôles. Il a été proposé dans l'avant-projet de décret d'assurer un contrôle plus régulier, c'est-à-dire tous les trois, voire tous les deux ans.

La période de trois ans me paraît satisfaisante à condition d'y ajouter un contrôle inopiné de trésorerie chaque année, à l'instar de celui institué pour les notaires. Si un tel contrôle était assuré, le problème de l'étude Sauvan-Goulletquer ne se serait sans doute pas posé. Nous manions des sommes considérables, déposées à la Caisse des dépôts et consignations et qui le seront toutes pour ceux qui ne le faisaient pas. Cela est maintenant extrêmement clair. Mais nous devons aussi pouvoir justifier de la représentation des fonds à tout moment.

Ce contrôle inopiné de trésorerie pourrait être intéressant. Encore faut-il, s'il est mis en place, donner les moyens au Conseil national de payer le corps de permanents chargés de contrôler quelque 500 études ou cabinets par an.

M. le Président : Ces contrôles seraient-ils assurés par le Conseil national ?

M. Jean-Luc MERCIER : Aujourd'hui, ces contrôles sont organisés par le Conseil national. Les rapports de contrôle sont transmis à la Chancellerie.

M. le Rapporteur : Je signale à votre attention, mais vous le savez certainement, que dans les mois précédents le sinistre « Sauvan-Goulletquer », le Conseil national a dépêché un contrôle routinier qui n'a absolument rien détecté. Il manquait 250 millions de francs. Ni le commissaire aux comptes, ni vos deux confrères n'y ont vu goutte.

M. Jean-Luc MERCIER : C'est d'autant plus consternant que, comme vous venez de le rappeler, le commissaire aux comptes n'y a vu goutte mais - pis encore ! - il a certifié la représentation des fonds.

Mais je me permets de vous préciser que ceux qui ont finalement découvert la non-représentation des fonds ne sont autres que les administrateurs provisoires qui avaient été désignés chez Sauvan et Goulletquer, c'est-à-dire deux de nos confrères. Certes, il aura fallu qu'ils y aillent à deux fois pour s'en apercevoir, mais c'est nous qui avons constaté l'insuffisance et attiré l'attention du tribunal.

M. le Rapporteur : Pourquoi y avait-il des administrateurs provisoires, Maître Mercier ?

M. Jean-Luc MERCIER : Parce que l'on faisait reproche à juste titre à ces confrères d'avoir, d'abord, utilisé des banques commerciales plutôt que la Caisse des dépôts et, ensuite, perçu à leur compte des intérêts sur les sommes déposées. À cette occasion-là, ils ont été mis en examen.

M. le Rapporteur : C'était donc à la suite de leur mise en examen...

M. Jean-Luc MERCIER : Tout à fait !

M. le Rapporteur : ... que les administrateurs provisoires ont découvert la disparition des fonds.

M. Jean-Luc MERCIER : Absolument !

M. le Rapporteur : La justice avait donc déjà engagé des poursuites contre eux.

M. Jean-Luc MERCIER : Tout à fait !

Nos deux confrères administrateurs provisoires du cabinet qui, eux, fonctionnaient avec des fonds tous portés au crédit de la Caisse des dépôts, ont eu ce réflexe tout à fait normal : constatant que des comptes étaient ouverts, auprès de deux ou trois banques, outre la Caisse des dépôts, ils ont donné des instructions à la comptabilité pour que ces fonds soient tous portés au crédit de la CDC.

M. le Président : Fermons la parenthèse sur cette ancienne affaire qui certes n'est pas anodine, pour en revenir à la question du Rapporteur.

Vous avez parlé de la chambre disciplinaire, d'un contrôle qui serait assuré tous les trois ans au lieu de quatre, d'un contrôle inopiné de trésorerie. Concrètement, auriez-vous d'autres propositions à formuler pour améliorer ces contrôles ?

M. Jean-Luc MERCIER et Bernard MEILLE : Non !

M. le Président : Et sur le plan de la légalité des procédures ?

M. Bernard MEILLE : Le contrôle des commissariats aux comptes peut être renforcé, comme il est proposé d'ailleurs dans l'avant-projet de décret.

M. Jean-Luc MERCIER : Les contrôles ne sont pas une garantie contre les agissements de voyous : si vous procédiez, le 15 décembre, à un contrôle inopiné de trésorerie et qu'ils décident de partir avec la caisse le 16, il partiront ! Ne vous faites pas d'illusion !

M. Bernard MEILLE : En fait, nous parlons là d'un contrôle interprofessionnel.

Je vais vous faire part de mon sentiment, mais peut-être tous mes confrères ne le partagent-ils pas, surtout ceux dont nous souhaiterions qu'ils soient mieux repérés ! Un contrôle extérieur n'est pas mauvais non plus et nous sommes totalement prêts à en débattre. Il est extrêmement difficile d'instituer un contrôle interprofessionnel. Dès lors que l'on n'utilise pas soi-même tout son intellect, toute la journée, pour essayer de monter des magouilles ou des systèmes permettant d'échapper à un contrôle, on n'en a peut-être pas l'idée quand on va contrôler.

Par ailleurs, compte tenu de notre masse de travail, il est très difficile de passer le temps nécessaire à examiner très en détail les comptes d'un confrère. J'ai assuré des contrôles comme tous mes confrères, du reste. Je n'en fais plus depuis que je siège à la commission nationale de discipline car c'est incompatible. Toutefois, je reconnais que je peux très bien contrôler un jour ou deux une étude et ne pas déceler certaines malversations.

Par conséquent, il ne serait pas choquant qu'un contrôle soit assuré de temps en temps par des professionnels de l'audit. Certes, une recherche peut être faite à ce niveau-là, mais je ne suis pas absolument convaincu que tous mes confrères partagent ce sentiment. En fait, je n'en sais rien.

En tout cas, il ne me paraît nullement déplaisant ou agressif d'imaginer la réalisation d'audits extérieurs. Un cabinet qui examinerait, de surcroît inopinément, les comptes d'une étude ne ferait pas un autre type de travail que celui réalisé tous les ans par notre propre commissaire aux comptes. Dans l'exemple cité par mon confrère, on peut effectivement se poser la question de savoir comment le commissaire aux comptes a pu certifier chaque année les comptes. Nous nous réservons d'ailleurs de mettre en cause sa responsabilité.

M. Jacky DARNE : Dans votre exposé initial, vous avez insisté sur l'importance des désignations comme mandataires ad hoc ou conciliateurs. Ces actions de prévention sont importantes. Or nous avons constaté que certains présidents excluent systématiquement de désigner les administrateurs en tant que mandataires ou conciliateurs. Il n'existe d'ailleurs aucune liste de mandataires ou de conciliateurs puisque le choix est libre, donc aucune réglementation ni aucun texte. Le montant des honoraires est également complètement libre.

Pensez-vous que cette liberté totale doit être maintenue ? Ou faut-il pour cette partie de votre activité, qui est aussi celle d'autres professionnels, la réglementer d'une façon ou d'une autre ?

M. Jean-Luc MERCIER : La réglementer ne serait pas une bonne chose. Comme je vous l'ai dit tout à l'heure, en matière économique, la notion de non-droit est meilleure que celle de droit dans bien des cas.

Nous sommes désignés par le président du tribunal, lequel peut parfaitement encadrer notre mission dans le temps, par les rapports que nous avons à lui transmettre et par le montant des honoraires à réclamer. Cela dépend, encore une fois, du chef de la juridiction.

Quant aux différents intervenants, dans un certain nombre de régions, il est vrai que sont parfois désignés, non pas des administrateurs ou d'autres professionnels, mais des magistrats honoraires. Soyons clairs : nous y sommes opposés ! Car ils n'ont pas toujours nécessairement la pratique et les équipes permettant d'intervenir dans ce type de mission.

Comme je vous l'ai dit tout à l'heure, quand on connaît les vingt ou vingt-cinq banquiers des affaires spéciales, on connaît la France entière ! Chaque négociation se fait véritablement en confiance avec ces banquiers. Ce n'est pas en intervenant ponctuellement une fois ou deux, même si vous avez bien servi le tribunal et que vous avez une notoriété, que vous ferez nécessairement avancer les choses.

Puisque vous êtes élu du Rhône, sachez que dans la région lyonnaise en particulier, nos confrères ne sont pas désignés.

Un ancien président du tribunal de commerce de Lyon qui, semble-t-il, est couramment désigné en matière amiable, m'a expliqué selon quelle méthode il procédait : après avoir entendu les parties, il essaye, à un moment donné, de voir si un accord se dessine.

Notre action est relativement différente : on ne se contente pas d'entendre, mais on analyse la situation comme dans une procédure collective. D'abord, on dit des choses que les dirigeants n'ont peut-être pas envie d'entendre. Ensuite, on cherche à leur faire comprendre qu'il convient, si nécessaire, d'ouvrir à des partenaires. Enfin, on n'attend pas des idées de propositions, mais on suggère ces propositions jusqu'à la rédaction d'un certain nombre d'articles de protocole.

Encore une fois, il ne s'agit pas d'une critique à l'encontre des magistrats honoraires, mais nous devons être plus professionnels si nous voulons obtenir des résultats. Or quand nous sommes désignés, les résultats sont là !

M. Jacky DARNE : Pensez-vous qu'il faut une règle pour déterminer les honoraires ?

Les modes de calcul des honoraires font l'objet d'interrogations, y compris par vous d'ailleurs, puisque le barème entre les droits fixes et proportionnels est, selon vous, compliqué. Il génère des compensations discutables. Dans certaines affaires, le barème donne lieu à des rémunérations, dans certains cas, surestimées et, dans d'autres, sous-estimées. Par conséquent, le système de compensation pose problème puisque, d'une certaine façon, une entreprise est pénalisée par rapport à une autre.

Quelles pistes pourraient être, selon vous, exploitées pour parvenir à un système de calcul d'honoraires satisfaisant ?

M. Bernard MEILLE : En matière judiciaire ?

M. Jacky DARNE : D'abord, en matière préventive, pensez-vous qu'il faut un tarif ?

Ensuite, quel mode de calcul des rémunérations faudrait-il retenir dans la mission classique de procédure collective ?

M. Bernard MEILLE : En ce qui concerne les missions de procédure collective, je laisserai la parole à Jean-Luc Mercier parce que c'est lui qui a négocié et discuté ce genre de problème.

À votre première question, je réponds tout de suite par la négative. En effet, je ne pense pas qu'il faille un barème. Les missions des mandataires ad hoc et des conciliateurs sont des missions amiables. Nous sommes hors procédure. Par conséquent, dans toute mission amiable, un accord sur les honoraires est nécessaire entre les parties. Notre rôle se rapproche là beaucoup plus de celui des avocats bien que ce soit très différent, car nous ne sommes jamais le conseil d'une des parties. Notre rôle reste tout à fait particulier, spécifique.

Pour autant, s'agissant d'une mission amiable, il n'est pas concevable de fixer un tarif.

Dans de petits mandats ad hoc qui nous sont confiés pour de petites entreprises qui sont en très grande difficulté et qui ont besoin de reconstituer leurs fonds de roulement grâce à l'aide, soit de leur prêteur, soit de leur banquier, nous ne prenons pas d'honoraires. Nous exerçons certains mandats gratuitement. Je ne peux malheureusement pas illustrer mon propos, car les missions sont confidentielles.

Dans le cadre d'autres missions portant sur des groupes extrêmement importants avec un grand nombre de filiales, nous négocions les honoraires. Il s'agit là encore d'un problème d'hommes, le souci étant de ne pas dévoyer notre action.

Si cependant nous exagérions en demandant des honoraires disproportionnés par rapport au service rendu, très vite nous ne serions plus consultés. L'administrateur qui abuserait risquerait de se voir refuser les honoraires demandés. Nous en reviendrions alors à un système de taxation. Nous irions devant le président du tribunal qui nous a désignés pour voir taxer les honoraires. Il faudrait bien aussi justifier des tâches accomplies pour être rémunérés. Personnellement, je n'ai jamais eu à aller devant le président du tribunal, un accord s'étant toujours dessiné sur des honoraires légitimes, c'est-à-dire correspondant à la mission accomplie et à la plus-value.

Par conséquent, il n'est pas possible, à mon sens, dans des missions amiables et confidentielles, d'envisager des barèmes.

En revanche, en ce qui concerne nos barèmes, beaucoup reste effectivement à dire. Il est totalement absurde à cet égard de parler de la différence entre le plan de continuation et le plan de cession ! Heureusement que notre souci n'est pas que mercantile ! Si nous nous attachions uniquement à cela, nous aurions une proportion de plans de cession par rapport aux plans de continuation très importante.

Les mandats qui m'ont été confiés depuis trois ans et dont je pourrais vous donner la liste, ont donné lieu à 80 % à des plans de continuation et 20 % à des plans de cession. Nous ne nous attachons donc pas uniquement au barème, ce qui serait absurde.

M. Jean-Luc MERCIER : Chacun d'entre nous a ses pratiques dans les missions amiables. Pour ma part, chaque fois que j'interviens en mandat ad hoc ou en conciliation, j'applique des honoraires au temps passé.

M. Jacky DARNE : Quel est le tarif par jour, par exemple ?

M. Jean-Luc MERCIER : Je compte 1 000 francs de l'heure.

M. Jacky DARNE : La référence à un barème peut être aussi la fixation d'un tarif par jour de tel ordre. Un certain nombre de professions donnent ainsi des tarifs horaires indicatifs.

M. Jean-Luc MERCIER : Personnellement, je travaille sur une base de 1 000 francs de l'heure, sachant que s'ajoutent des honoraires de succès, si succès il y a. Nous avions d'ailleurs développé récemment cette conception lors d'une conférence de presse. Il convient, à un moment donné, d'intéresser les professionnels. Il est normal, selon moi, qu'un professionnel soit bien payé s'il obtient un résultat. En revanche, il n'est pas normal que, quelle que soit la sortie du dossier, liquidation ou autres, les honoraires soient identiques.

Sur l'aspect judiciaire, je peux difficilement répondre parce qu'il faudrait que j'entre vraiment dans le détail. Sachez simplement que nous avons formulé des propositions d'actualisation de nos tarifs depuis déjà un certain nombre d'années.

M. Jacky DARNE : Peut-être s'agit-il plus de méthode que d'actualisation ! C'est beaucoup plus le mécanisme de calcul qui est incriminé.

Dans votre dernier exemple sur l'intervention amiable, une convention de durée ne serait-elle pas applicable dans des procédures collectives ? À l'entrée en fonction, il suffirait de justifier, comme le prévoit la loi, d'un programme de travail assorti d'un chiffrage de temps prévisionnel sur une mission. Ce plan accompagné d'un tarif horaire serait validé par le juge. Ce dernier étant censé être un professionnel, il a aussi l'habitude de négocier avec son avocat, son expert-comptable et d'autres conseils sur des critères d'une autre nature.

Ma question est donc de savoir s'il ne serait pas préférable de changer de méthode plutôt que de procéder à une revalorisation des tarifs.

M. Bernard MEILLE : Il conviendrait peut-être de changer de méthode, mais certainement pas de retenir celle que vous venez de suggérer, en vous priant de m'excuser d'être aussi abrupt.

Précisément, il nous est reproché très fréquemment de faire durer les procédures, ce qui est absurde avec le tarif actuel ! Que l'affaire dure ou ne dure pas, nous ne sommes pas payés davantage. Par conséquent, si l'on créait ce système de durée dans le nouveau tarif, que ne dirait-on pas si la procédure durait ! On nous reprocherait de l'avoir fait intentionnellement !

M. Jacky DARNE : J'ai cependant constaté dans les dossiers des tribunaux l'absence de plan de travail. Si le juge-commissaire exerçait son contrôle sur une procédure comme il devrait le faire, c'est-à-dire s'il négociait avec vous le plan de travail et la façon de l'exécuter, il maîtriserait le délai de traitement du dossier. Or à mon avis, il ne s'y emploie pas aujourd'hui.

Certes, je n'en fais pas une généralité, car ce n'est pas le cas pour tous les juges-commissaires. Cependant, le problème que vous soulevez sur la durée de la procédure se pose naturellement de façon différente.

M. Jean-Luc MERCIER : Je comprends très bien votre propos, sauf sur un point, à mon sens, très important.

L'avocat intervient souvent en matière contentieuse. L'expert-comptable ou le commissaire aux comptes intervient a posteriori et nous, nous sommes dans le quotidien. Quand je suis saisi d'un dossier, je suis absolument incapable de vous donner un plan de travail pour vous dire ce que je vais faire un, deux ou trois mois à l'avance. Si vous trouvez quelqu'un qui soit capable de le faire, personnellement, je me retire de la profession. Ce n'est pas concevable !

M. Bernard MEILLE : Si, dans la méthode générale !

Quand nous sommes nommés, nous examinons la situation de l'entreprise - tel est le plan de travail - et nous recevons le débiteur avec son expert-comptable.

M. Jean-Luc MERCIER : Tel est le cadre général.

M. Bernard MEILLE : Ensuite, que faisons-nous ? Nous établissons avec l'expert-comptable les situations et prévisionnels de trésorerie. Dans mon étude - et tel est le plan de travail qui est le meilleur moyen d'éviter les dérives - nous convenons de nous revoir le 5 ou le 6 de chaque mois pour valider les prévisionnels établis. Au fur et à mesure que nous constatons des dérapages, nous prenons des dispositions avec le chef d'entreprise en accord avec lui ou, en cas de désaccord, après avoir consulté le juge-commissaire, pour adapter la stratégie à cette évolution qui n'a pas été conforme aux prévisions.

En dehors de ce plan de travail qui peut être établi très facilement - vous avez raison - se greffent tous les aléas quotidiens de la procédure. Citons les clauses de réserve de propriété engagées par un créancier, que nous contestons. Des négociations ont lieu parfois aussi avec certains créanciers pour modifier certains contrats trop lourds. Bref, se présentent de nombreux problèmes ponctuels qui ne peuvent pas entrer dans un plan.

M. Jacky DARNE : Je n'entre pas en discussion avec vous sur ce point, mais j'observe tout de même que les fiches de travail existent dans nombre de cabinets et que le temps peut être a priori ou a posteriori chiffré et justifié. Dans le cadre d'une mission, le temps peut être organisé, vérifiable et contrôlé, y compris la nature du travail. On ne peut pas se contenter simplement de dénoncer un tarif, sans énoncer de propositions. Tel est mon point de vue, mais je clos là la discussion.

Je reviens brièvement sur un autre point que vous avez évoqué, celui de la formation.

J'ai le sentiment, bien entendu subjectif, que la formation des administrateurs est souvent bien plus juridique, financière et axée sur la gestion générale que d'ordre commercial. Il est vrai que vous avez consenti un effort en ouvrant des sites Internet. J'ai pris connaissance avec attention de ce qui a été réalisé dans ce domaine et que je considère positif, bien sûr.

Cependant, une des faiblesses dans la recherche de solutions, en particulier pour un plan de cession, mais aussi éventuellement pour un plan de continuation avec des apports d'autres capitaux propres, est liée à un problème de compétence dans la démarche commerciale, voire technique. Il n'est pas possible, en effet, d'avoir toutes les compétences techniques. On est donc obligé d'avoir recours à des professionnels, ce qui met en exergue certaines faiblesses.

Ma question est donc double.

D'une part, quelles sont les évolutions à envisager, outre celle concernant la durée des stages, pour qu'un professionnel soit réellement considéré comme tel dans le système de concurrence aujourd'hui ?

D'autre part, s'agissant des opérations de cession, voire de continuation, quelles propositions feriez-vous sur l'environnement financier en particulier, c'est-à-dire sur la recherche de capitaux propres ? Depuis quelques années, a été mis en place un certain nombre d'outils administratifs et publics. À cet égard, auriez-vous des critiques, des observations, voire des propositions assez précises à formuler ?

M. Jean-Luc MERCIER : Sur le plan de la démarche commerciale, nous sommes tellement conscients de cette insuffisance que nous avons pris ce problème à bras le corps. Ainsi, depuis deux ans, notre syndicat fait partie des organisateurs institutionnels du Salon des entrepreneurs. Nous y étions présents en 1997 et en janvier dernier. Nous avons participé au plateau d'information des 15 000 personnes qui s'y sont intéressées cette année pour faire savoir à quel niveau nous pouvons intervenir, quel type de conseil nous pouvons offrir dans nos cabinets et quelles sont nos missions. L'objectif est d'ouvrir beaucoup plus largement ces cabinets afin de trouver aussi plus facilement des repreneurs.

Toutefois, nombre de cessionnaires, sans parler des professionnels de la reprise, cherchent à faire une affaire au meilleur prix. Ne nous le cachons pas ! Pour lutter contre cela, nous n'avons qu'une bonne solution : avoir plusieurs offres. C'est ainsi que nous ferons vivre les choses !

C'est en participant à des conférences ou au Salon des entrepreneurs que nous nous ferons connaître. C'est tellement vrai d'ailleurs qu'au cours d'une réunion avec des experts-comptables, j'ai appris que 30 % ou 40 % d'entre eux savaient précisément ce qu'était le mandat ad hoc. Je m'accorde donc à reconnaître que le problème d'information est, à cet égard, considérable, d'où cette première action menée.

M. Bernard MEILLE : On parle beaucoup de recherche de capitaux, de facilités et de reprise parce qu'il y aurait des partenaires extérieurs. Or nous nous heurtons là à une très grande difficulté sur le plan psychologique. Ne nous le dissimulons pas !

Généralement, le chef d'entreprise ne vient pas nous voir pour qu'on ouvre à tout venant ses livres. Il n'a pas tellement envie d'avoir un partenaire qui apportera de l'argent pour détenir 25 % du capital, non pas évidemment par philanthropie, mais pour en prendre le contrôle. Chercher un cessionnaire, voire un partenaire financier dans le cadre d'un plan de continuation, c'est évincer le chef d'entreprise.

Quand nous sommes nommés, nous devons impérativement, dans la mesure où la trésorerie est suffisante pour poursuivre l'activité sans créer de nouvelles dettes au titre de l'article 40, laisser le chef d'entreprise faire lui-même la preuve de son échec. C'est quasiment le seul moyen de ne pas créer d'incidents. Ce n'est qu'après avoir convaincu le chef d'entreprise, à l'issue de quelques mois d'observation, que tout seul il n'y parviendra pas, que nous devons participer à cette recherche de capitaux. Il nous faut alors lui trouver une sortie, que ce soit par un contrat d'accompagnement pendant un certain temps, par une reprise de ses cautions ou éventuellement par la conservation d'une minorité. Ce n'est pas donc pas aussi simple que cela!

Par ailleurs, sachez que nous intéressons commercialement les partenaires. Nous connaissons les banquiers de la place. Néanmoins, présenter un dossier d'entreprise en difficulté à un banquier, ce n'est pas très attractif. Nous arrivons à obtenir d'eux un soutien, parce qu'ils nous font confiance, qu'ils nous accompagnent, par de l'escompte ou du Dailly, dans la poursuite de la période d'observation. Mais de là à prêter à des tiers pour investir dans l'entreprise en difficulté, croyez-moi, ce n'est pas simple !

M. le Président : Vous mettez en valeur la difficulté de votre métier, notamment eu égard à la survie et au développement des entreprises, ce que nous apprécions vivement, messieurs. On perçoit que votre métier est difficile. Nous apprécions aussi vivement que vous nous donniez, et ce dans l'intérêt de votre profession, quelques solutions pour améliorer le contrôle et répondre aux critiques a priori.

Sur la cession des actifs, je vous pose deux questions.

En premier lieu, pensez-vous que dans certains cas, on peut organiser des appels d'offres et des ouvertures publiques, c'est-à-dire en audience, des offres de cession ? Si oui, comment concrètement cela peut-il se mettre en place ? S'agissant de biens immobiliers, par exemple, si plusieurs personnes répondent à l'offre, pensez-vous qu'il peut y avoir une surenchère et jusqu'à quel degré ? En d'autres termes, alors que tout le monde s'est mis à 100 pour l'acquisition de tel bien évalué à 300, pensez-vous qu'après les ouvertures de prix puisse se produire une surenchère pendant l'audience ?

En second lieu, une fois autorisée par le tribunal, la cession d'actifs se passe, plusieurs mois après, chez le notaire. Un contrôle est-il exercé entre la réalité de la cession et ce qui a été autorisé ? Sinon, en faudrait-il un ?

M. Jean-Luc MERCIER : Je ne suis personnellement pas favorable à l'ouverture de plis ou de propositions éventuellement en chambre du conseil parce que l'objectif des personnes se présentant devant un tribunal ou à une vente publique sur de l'immobilier est de réaliser l'opération au meilleur prix.

Nous intervenons pour vendre, non pas de l'immobilier ou de l'actif, mais un outil de travail, une entreprise avec des emplois. Je ne suis pas d'accord avec cette approche consistant à donner plus d'importance aux éléments d'actif qu'à l'emploi. J'estimerais choquant qu'un repreneur propose tant pour reprendre une affaire sans se préoccuper du nombre d'emplois à la clé et sans s'expliquer, par ailleurs, sur les moyens qu'il met en oeuvre pour la stratégie qu'il présente.

M. le Président : D'accord, mais il appartient au juge de ne pas être naïf !

M. Jean-Luc MERCIER : Mais en vente publique, le juge ne parviendra jamais à se faire une opinion sur la réalité, le sérieux et les capacités financières qui seront mises en oeuvre.

M. le Président : Vous émettez donc des réserves à cette solution ?

M. Jean-Luc MERCIER : Tout à fait !

Le problème est de vendre non pas au meilleur prix, voire éventuellement à un prix inférieur à une bonne oeuvre, mais à un candidat qui, en termes de capitaux, mettra en place les moyens financiers pour permettre à l'entreprise d'assurer sa pérennité et qui aura une véritable stratégie. Il ne s'agit pas de faire une opération et de « basculer » le lendemain, voire trois ou six mois après !

Je ne suis donc pas favorable à cette enchère qui finalement permettrait à un certain nombre de cessionnaires de ne pas exposer de façon complète leurs projets d'entreprise. Nous ne vendons pas de l'immobilier. Nous sommes non pas mandataires-liquidateurs, mais chargés, à un moment donné, d'essayer de transférer des outils.

M. Bernard MEILLE : J'irai même au-delà des propos de mon confrère !

Vous venez de faire allusion à ce dévoiement que l'on rencontre non pas devant certains tribunaux mais de la part de certains magistrats qui se prennent pour des commissaires-priseurs. Il arrive qu'en chambre du conseil, un magistrat demande à l'assistance si certains veulent augmenter les offres. Or la loi de 1985 a prévu l'inverse, empêchant la modification des offres après dépôt du rapport de l'administrateur. La jurisprudence - et en ce sens, je la critique - a considéré que le législateur n'avait pas pu vouloir qu'une proposition soit faite ne varietur et qu'elle ne puisse pas être améliorée. Ainsi, les chambres du conseil sont devenues des espèces de ventes à la bougie !

À cet égard, il conviendrait de modifier la conception qu'ont les magistrats des cessions. Lorsque des propositions nous sont faites, nous les analysons et nous déposons des rapports dans lesquels nous « disséquons » les propositions. L'article 83 de la loi de 1985, qui n'a pas été modifié mais au contraire renforcé, dispose bien qu'un certain nombre d'éléments doivent permettre au magistrat d'apprécier quelle est la meilleure offre du point de vue non pas seulement du prix mais de la qualité du plan de financement.

Ce qui compte, c'est la relation entre le magistrat et l'administrateur. Ce dernier doit faire une saine et objective analyse des plans et le magistrat doit, en chambre du conseil, se faire préciser certains éléments qui ne lui paraîtraient pas suffisamment clairs pour apprécier la meilleure offre.

Quant à votre seconde question, monsieur le Président, la loi prévoit deux modalités dont celle consistant à confier l'entreprise au repreneur pendant la période que vous évoquez, et ce dans l'attente de la signature des actes aux risques et périls de l'administrateur.

Sous notre responsabilité, nous conseillons toujours très vivement à nos confrères de ne pas se contenter de cette formule et d'utiliser le seul moyen existant, à savoir la location-gérance, pour confier tout de suite la responsabilité de la gestion de l'entreprise au candidat repreneur. Si toutefois ultérieurement il ne signait pas et n'achetait pas, il se trouverait alors lui-même en liquidation judiciaire, d'après ce qui a été prévu par le législateur. Il s'agit donc d'un moyen de lui confier immédiatement la responsabilité de l'entreprise. Personnellement, je considère et mon confrère avec moi que cette formule de location-gérance est de loin la meilleure.

M. le Président : Ma question n'est nullement, encore une fois, un jugement de valeur à votre égard, mais certains m'ont dit qu'il était difficile d'opérer des contrôles, du moins que très peu étaient assurés.

Pour en revenir à l'aspect financier, prenons l'exemple d'une entreprise cédée pour tel prix à un entrepreneur s'engageant à conserver tant d'emplois. Six mois après la cession, l'acte est signé, mais est-on sûr qu'il ne l'a pas été à un niveau inférieur à celui autorisé par le tribunal ?

M. Bernard MEILLE : Il est absolument impossible que l'acte ne soit pas parfaitement conforme au jugement puisque les notaires exigent toujours la copie du jugement. Nous sommes obligés, en cas d'erreur, de revenir en rectification d'erreur matérielle si nous nous en apercevons rapidement, puis en révision du plan avec toute la procédure prévue par la loi, même s'il faut modifier une virgule dans l'acte de cession par rapport au plan.

Audition d'une délégation du Syndicat des avocats de France
composé de MM Christophe DELPLA, président, et Alain CORNEVAUX

(Extrait du procès-verbal de la séance du mardi 9 juin 1998)

Présidence de M. François COLCOMBET, Président

MM. Delpla et Cornevaux sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. À l'invitation de M. le Président, MM. Delpla et Cornevaux prêtent serment.

Me Christophe DELPLA : Lorsque la commission « justice commerciale, droit des affaires » du Syndicat des avocats de France a appris que l'Assemblée nationale avait créé une commission d'enquête sur l'activité et le fonctionnement des tribunaux de commerce, nous avons jugé utile d'interroger nos sympathisants et nos adhérents pour connaître le fonctionnement des tribunaux auprès desquels ils exercent.

Le but de cette démarche est évidemment de saisir l'occasion de cette commission d'enquête pour brosser un tableau du paysage de la justice commerciale et de mener une réflexion sur les tribunaux consulaires et les procédures collectives.

Le Syndicat des avocats de France est placé en troisième position parmi les syndicats représentatifs de la profession lors des dernières élections du Conseil national des barreaux. Notre organisation est donc nationale. Etant dans une enceinte politique, je précise que nos confrères nous situent plutôt à gauche, ce qui n'empêche cependant pas nos adhérents de faire du droit des affaires.

Les avocats du SAF, adhérents ou sympathisants, font partie non pas des grosses structures de conseil telles que les Big Six  ou les Big Four mais plutôt de cabinets de petite ou de moyenne structure. Nous sommes donc plutôt des commercialistes de terrain.

Alain Cornevaux est avocat au barreau de Paris, ancien du conseil de l'ordre des avocats de Paris.

Moi-même, je suis avocat au barreau du Val-d'Oise et président de la commission « justice commerciale » du SAF.

Mon exposé porte, d'une part, sur les tribunaux de commerce et, d'autre part, sur les procédures collectives et les mandataires judiciaires.

S'agissant des tribunaux de commerce, j'aborderai trois thèmes : leur implantation et leur composition, la procédure devant ceux-ci et le greffe.

Le greffe du tribunal de commerce est mal perçu et il doit être modifié. Telle est l'idée majeure qui se dégage de la consultation opérée auprès de nos adhérents.

Le greffe est considéré, d'après l'information qui nous revient, comme une entreprise à but lucratif dont les tarifs n'ont pas de sens et sont souvent prohibitifs. Par exemple, le coût d'une lettre pour aviser d'une date de renvoi est de 15 francs.

On se rend compte que pour faire fonctionner la « machine », certains tribunaux rendent obligatoires des actes de procédure, ce qui est tout à fait inadmissible. Par exemple, un président de tribunal de commerce réclame aux avocats demandeurs de joindre à leur dossier un extrait Kbis de la société qu'ils représentent en demande. Avocat de La Poste, par exemple, vous devez joindre un extrait Kbis de l'entreprise La Poste.

M. le Président : Quel est ce tribunal de commerce ?

Me Christophe DELPLA : Celui de Pontoise !

On comprendrait que soit demandé un extrait Kbis du défendeur pour savoir s'il existe et si sa société n'est pas en liquidation, mais il est curieux d'en solliciter un du demandeur dans la mesure où nous sommes mandataires et que nous représentons une société. L'extrait Kbis étant évidemment délivré par le greffe, cette méthode ne consiste-t-elle pas seulement à faire fonctionner le tribunal de commerce ? On pourrait presque le penser !

La procédure devant les tribunaux de commerce semble fonctionner plutôt bien, d'après le sentiment général. Je mets de côté les procédures collectives. Je me réfère plutôt au contentieux général, essentiellement au contentieux de recouvrement.

Il en va ainsi, par exemple, de la plaidoirie devant un juge rapporteur ou de l'obligation devant certains tribunaux de déposer son dossier de plaidoirie avant d'aller voir le juge, ce qui permet un débat entre le juge et les parties.

Un bémol tout de même ! Il faudrait une unification des procédures devant les tribunaux de commerce. Chacun fait sa cuisine, si je puis dire. À Paris, Nanterre, Tulle ou Pontoise, les règles sont différentes et nous ne les connaissons pas.

M. le Président : De toute façon, c'est la procédure civile qui s'applique, notamment le respect du contradictoire.

Me Christophe DELPLA : Tout à fait !

M. le Président : Selon vous, cette procédure est-elle correctement appliquée ?

Me Christophe DELPLA : Elle l'est !

Me Alain CORNEVAUX : Le tribunal de commerce de Meaux a des audiences « sauvages » et connues exclusivement de ceux qui le fréquentent, sans convocation et sans aucune explication des parties.

Un certain nombre de confrères de l'extérieur se sont rendus à Meaux pour apprendre l'après-midi qu'une audience s'était tenue le matin et qu'on avait renvoyé l'affaire.

M. le Président : Que voulez-vous dire ?

Me Alain CORNEVAUX : Cela signifie qu'il n'y a pas de procédure !

Il faut distinguer. Pour les règles de base, le principe du contradictoire est respecté et les règles du code de procédure civile sont, en principe, applicables. En revanche, il existe un livre des procédures du tribunal de commerce de Paris qui est inconnu, je l'imagine, de votre commission et de la quasi-totalité des avocats, à l'exception de ceux qui fréquentent habituellement le tribunal de commerce de Paris.

Mon ordre et le président du tribunal de commerce ont signé une convention pour organiser cette procédure : les audiences de procédure se déroulent entre onze heures trente et quatorze heures, temps au cours duquel 400 ou 500 affaires sont passées à toute vitesse, en termes de procédure exclusivement.

Certes, tout cela n'est pas dramatique, mais il serait « sympathique » que tout le monde procède de la même façon ! Il serait « sympathique » qu'il y ait un choix, c'est-à-dire que je puisse savoir moi, parisien, quand je vais plaider au tribunal de commerce de Perpignan, comment cela se passe.

M. le Président : Les procédures de contentieux général fonctionnent plutôt bien, selon vous, n'est-ce pas ?

Me Christophe DELPLA : Oui !

M. le Président : À l'exception des procédures collectives ?

Me Christophe DELPLA : Oui et je les évoquerai dans la deuxième partie de mon exposé.

Quant aux juges consulaires, nous partons du principe que, dès lors que le juge n'est pas un magistrat professionnel, le justiciable doit savoir qui il a en face de lui, qui va le juger. Or la personne ne le sait pas si elle n'est pas dans le sérail. Le problème évident, mis en exergue dans le cadre de la consultation de nos adhérents, est celui des relations amicales ou concurrentielles entre les juges et les sociétés commerciales qui s'adressent à eux pour trancher leurs litiges, surtout dans les petits tribunaux.

Cette impression de justice de connivence est évidente. Bien entendu, il ne faut ni généraliser, ni schématiser, les conditions de fonctionnement étant satisfaisantes dans certains tribunaux. En particulier dans les petits tribunaux, nous avons vraiment l'impression très forte que si nous ne sommes pas dans le sérail, le justice qui y sera rendue ne sera pas nécessairement totalement impartiale.

Au tribunal de commerce de Tulle, et je ne fais nullement une fixation sur celui de Tulle...

M. le Président : Le dites-vous par hasard ?

Me Christophe DELPLA : Par hasard !

Donc, quand je me suis rendu au tribunal de Tulle...

M. le Président : Vous n'en parlez donc pas par hasard !

Me Christophe DELPLA : Pas vraiment, non !

...les confrères avec lesquels je discutais m'expliquaient que le président était, par exemple, le concessionnaire Renault de Tulle, qu'à côté de lui, untel était directeur du golf situé à proximité et ainsi de suite ! Bref, si vous défendez une société concurrente, vous n'êtes pas certain, même si vous croyez en la bonne foi des juges, que le résultat ne sera pas empreint d'une certaine partialité. Certes, vous pouvez déposer un recours en cour d'appel ensuite, mais il est tout de même dommage de perdre un degré de juridiction.

La consultation auprès de nos confrères a révélé un certain nombre d'irrégularités en ce qui concerne les juges consulaires. Citons l'exemple d'un président de tribunal de commerce qui signe des ordonnances d'injonction de payer, alors que le requérant est une société de recouvrement dans laquelle il a des intérêts.

M. le Président : Quel tribunal de commerce ?

Me Christophe DELPLA : Celui de Pontoise.

M. le Président : Décidément !

M. le Rapporteur : Est-ce une affaire récente ?

Me Christophe DELPLA : Elle date d'un an environ.

L'avocat consulté pour une telle affaire constate de toute évidence une irrégularité car le juge aurait dû se déporter. Il ne semble pas cependant que cela lui ait posé beaucoup de problèmes. L'affaire n'a pas été poursuivie puisque l'opposant potentiel, en l'occurrence le débiteur, n'a pas formé opposition, mais ces choses se savent. De notre point de vue, une telle situation est tout à fait inadmissible.

Quant aux tribunaux, une réforme de la carte judiciaire s'impose de toute évidence. Mon confrère, Alain Cornevaux pourra développer ce propos. Dans les petites juridictions, nous estimons que les tribunaux de commerce sont de trop et qu'un certain regroupement s'impose. Je ne préconise pas un tribunal par cour d'appel, car ce serait sans doute un peu simplificateur compte tenu des importants besoins de certaines cours. En tout cas, certains tribunaux de commerce n'ont, à notre sens, manifestement pas lieu d'être. Plus le tribunal est petit, plus l'impartialité est importante.

M. le Rapporteur : Vous qui avez la pratique des greffes publics et des greffes privés, nous nous posons la question de savoir s'il est opportun de maintenir en l'état le fonctionnement de greffes dont on nous dit partout qu'il est bien assuré pour les usagers.

Vous êtes donc les premiers - et je le dis sous le contrôle de l'opposition parlementaire - à tenir ce langage sur les greffes à but lucratif.

M. Christian MARTIN : Absolument ! C'est bien la première fois que j'entends cela !

M. le Rapporteur : Quelles comparaisons, en termes d'avantages et d'inconvénients, feriez-vous avec les greffes des juridictions civiles qui, eux, ont été nationalisés en 1965 ?

Me Alain CORNEVAUX : Tout d'abord, je ne pense pas qu'il y ait apparemment de différence fondamentale de fonctionnement pour l'usager.

M. le Président : Cela fonctionne-t-il aussi mal partout ?

Me Alain CORNEVAUX : Cela fonctionne aussi mal partout !

Faites un tour au bureau des faillites du tribunal de commerce de Paris et vous verrez que selon les journées, vous serez reçu avec le minimum de politesse ou la grossièreté la plus extraordinaire.

M. le Rapporteur : Dans quel délai ?

Me Alain CORNEVAUX : Le problème n'est pas là. Une femme vous reçoit à l'accueil, encore qu'il soit parfois nécessaire de taper du poing sur la table pour que quelqu'un vienne.

Toutefois, ce constat n'est pas extraordinaire puisque ce même type d'accueil s'observe dans les greffes publics.

La disponibilité est toute relative et il n'est pas toujours possible d'obtenir ce que l'on demande. Encore une fois, cela n'est pas spécifique aux greffes privés ou aux greffes publics.

Certains exemples sont choquants. Ainsi, je n'ai jamais réussi à comprendre pourquoi au tribunal de commerce de Bobigny, il existait tous les matins des audiences en faillite personnelle. À moins de supposer que les commerçants et entrepreneurs de Bobigny sont particulièrement malhonnêtes ! D'après ce qui m'a été expliqué, la raison tient notamment au fait que le greffe perçoit des subventions en fonction de la quantité d'affaires qui passent. Par voie de conséquence, le nombre d'audiences de faillite personnelle est démultiplié pour obtenir des financements complémentaires.

M. le Rapporteur : Des subventions de qui ?

Me Alain CORNEVAUX : Des autorités territoriales qui aident au fonctionnement des juridictions consulaires ! Vérifiez !

M. le Rapporteur : Cela paraît improbable dans la mesure où les greffes ont des marges...

Me Alain CORNEVAUX : Je parle non pas du greffe mais du tribunal...

M. Christian MARTIN : Vous avez pourtant parlé du greffe qui percevait des subventions !

M. le Rapporteur : D'autant plus que la question portait sur le greffe.

Me Alain CORNEVAUX : ... et cela fonctionne avec le greffe !

M. Jean-Paul CHARIÉ : Vous venez de dire, Maître, que le greffe perçoit des subventions en fonction du nombre d'affaires.

Me Alain CORNEVAUX : Je dis que le tribunal perçoit des subventions de fonctionnement en fonction de l'importance des affaires et que le greffe participe activement à la démultiplication des affaires. Or ce n'est pas son rôle non plus que d'accepter ces démultiplications.

M. le Président : De quelle juridiction s'agit-il ?

Me Alain CORNEVAUX : Du tribunal de commerce de Bobigny !

M. le Président : Un tribunal dont la réputation n'est plus à faire !

Me Alain CORNEVAUX : Je n'ai pas à porter une appréciation et je m'y refuse !

Est-il logique que le système Infogreffe soit réservé aux greffes et organisés par eux ? Les informations sont obligatoires et doivent être mises à disposition de l'ensemble de nos concitoyens et des divers opérateurs dans le monde économique. Il n'est pas normal que ce système soit réservé à une sorte d'initiative privée qui fonctionne de façon extraordinairement lucrative.

Comment ne pas être choqué ?

Je paye, certes pas cher, soit 223 francs environ pour déposer mes comptes annuels et lorsque je veux consulter ceux de mes concurrents, je suis également obligé d'être abonné à Infogreffe. C'est tout de même un peu anormal !

Tout le système de communications modernes que les professions du droit revendiquent entre les greffes, les tribunaux et nos cabinets est quasiment impossible à mettre en oeuvre via ces systèmes de greffe, compte tenu des spécificités et de l'indépendance qu'ils revendiquent. On ne parviendra pas à obtenir les communications sur Internet si l'on maintient les greffes commerciaux dans l'indépendance qui est la leur, alors que ces systèmes sont susceptibles de fonctionner à partir des greffes publics. Cela fonctionne d'ailleurs avec les greffes publics des tribunaux d'instance dans un certain nombre de ressorts.

M. le Rapporteur : En ce qui concerne les délais des délibérés dans le contentieux général, vos adhérents ont-ils noté des particularités ?

Me Alain CORNEVAUX : Ce n'est pas plus catastrophique qu'ailleurs !

Me Christophe DELPLA : Excepté les procédures collectives, sur le plan de la procédure ou du fonctionnement du tribunal de commerce, les délais ne sont pas plus longs et aucune difficulté majeure n'est enregistrée.

Le problème principal est celui de la transparence des décisions. Vouloir connaître, par exemple, les intérêts d'un juge consulaire dans les affaires du département ne relève pas d'un comportement maladivement suspicieux !

En ce qui concerne les tribunaux de commerce en particulier de la grande et de la petite couronne, tels que ceux de Bobigny, Nanterre et Pontoise, il semblerait que le nombre d'affaires au rôle ait plutôt tendance à baisser. Il est vrai qu'un certain nombre d'entre nous se posent la question de savoir pourquoi les dirigeants qui déposent le bilan sont, devant certains tribunaux, systématiquement poursuivis alors même que la procédure collective, elle-même, n'est pas terminée.

Le fait de poursuivre le dirigeant de société va effectivement générer un contentieux important pour le tribunal.

M. le Président : Y a-t-il des particularités concernant les injonctions de payer devant les tribunaux de commerce ? Le fait observé à Pontoise est-il, à votre connaissance, isolé ?

Me Christophe DELPLA : À notre connaissance, oui !

Il est vrai que l'ordonnance d'injonction de payer est signée du président. Un autre juge que le président peut-il signer ?

M. le Président : Sur délégation, oui !

Me Christophe DELPLA : En principe, sur délégation, en effet. Mais cela devrait être parfaitement clair. Signer une ordonnance est une décision de justice !

Le deuxième chapitre que je souhaite traiter porte sur les procédures collectives et les mandataires judiciaires.

D'après nos consultations, la tendance générale est d'assimiler les procédures collectives au règne de l'opacité. Or il y a un réel besoin de transparence comme dans nombre de domaines de notre société.

Je vais vous faire part du sentiment, non pas des avocats qui ne traitent que des procédures collectives et qui en sont des spécialistes, mais de nos adhérents et sympathisants qui sont chargés habituellement de traiter des dépôts de bilan, de suivre des débiteurs. Si vous n'êtes pas dans le sérail - le juge, l'avocat spécialiste et le mandataire, bref le trio infernal ! - vous avez vraiment l'impression que les mandataires tiennent leur juge. Tel est le danger !

Sans généraliser, car certaines chambres spécialisées dans les procédures collectives font bien leur travail, on a l'impression, surtout en province, que les juges n'y connaissent rien et qu'en revanche, les mandataires sont très pointus et très au fait de la matière, obtenant de leur juge consulaire ce qu'ils veulent !

L'opacité génère un certain nombre de scandales, mais nous ne sommes pas là pour les dénoncer. La presse et les livres s'en font largement l'écho. Lors de nos consultations, un certain nombre d'exemples tout à fait significatifs nous ont tout de même été rapportés.

Citons celui d'une société qui dépose le bilan et qui est mise en redressement judiciaire. L'administrateur arrive à monter un plan de cession parce que le débiteur failli a trouvé un acquéreur pour son fonds. Bref, tout se déroule bien ! L'acte doit être signé et puis patatras ! celui qui voulait acheter se rétracte. Etant un ami du débiteur failli, ce dernier le contacte ne comprenant pas pourquoi il a soudainement changé d'avis. Ledit ami lui répond qu'il ne peut pas lui en donner les raisons. Quelques mois plus tard, mais cette fois dans le cadre de la liquidation judiciaire, faute d'application du plan de cession, le même acquéreur potentiel rachète ledit fonds de commerce qui lui coûte, bien entendu, deux fois moins cher. Finalement, ce dernier avoue à son ami qu'il s'est arrangé, lors du redressement, avec le représentant des créanciers qui, devenu le liquidateur, lui a conseillé, parce que c'était bien plus intéressant, d'acheter plus tard, avec lui !

Autre exemple, celui du débiteur en vacances qui, certes, suit assez mal ses affaires. Placé en redressement judiciaire, il est assigné par un créancier, alors qu'il est à l'étranger. Ne se présentant pas, il est donc fautif et placé en liquidation judiciaire. De retour de l'étranger, il dit à son avocat qu'il a de l'argent pour payer sa créance. Des mois se sont écoulés pour faire admettre au liquidateur que l'argent est là ! L'avocat est menacé de poursuites pour avoir été complice d'une dissimulation d'actifs. D'après ce que m'a raconté un confrère, il a fallu des discussions devant le président du tribunal de commerce pour admettre qu'il avait effectivement l'argent, qu'il payait et que la procédure était terminée.

L'opacité est réelle dans les décisions, la procédure et la gestion du dossier.

S'agissant des décisions, il n'est tout de même pas normal que le tribunal de commerce statue sur des ordonnances du juge-commissaire qui est une émanation du tribunal de commerce, d'autant plus que ces décisions ne sont pas, pour la plupart, susceptibles de recours. Allez expliquer à un client que l'on va former un recours devant le tribunal de commerce, le juge-commissaire l'ayant débouté de sa réclamation. Heureusement, le juge-commissaire n'est pas dans la formation de jugement !

M. le Président : Cela dépend !

Me Christophe DELPLA : En effet ! En tout cas, c'est tout de même un peu gros !

On retrouve les mêmes problèmes dans la procédure ! Si le juge-commissaire veut savoir si le gérant a commis des irrégularités - et il est tout à fait normal qu'il s'en assure -, il désigne un expert-comptable. Seulement, en tant qu'avocat du débiteur failli, vous n'avez pas le droit de prendre connaissance du document qui peut pourtant vous être utile pour engager une action contre des banques qui vous ont coupé les crédits ! Alors que l'expertise a été ordonnée judiciairement, ce document ne sera connu que si des poursuites sont engagées contre le gérant.

M. le Président : Et vous dites que le principe du contradictoire est respecté !

Me Christophe DELPLA : Excepté pour les procédures collectives, comme je m'étais empressé de le préciser !

M. le Président : Quand on dit que les juges consulaires n'ont pas de formation judiciaire, par exemple, on se réfère très souvent à leur absence de connaissance de la procédure civile qui s'applique partout. En particulier, le respect du contradictoire me paraît être une règle fondamentale du droit. Or dans plusieurs tribunaux, il ne semble pas que ce soit le souci premier des juges.

Dans le cas précis que vous citez, le principe du contradictoire a été allègrement violé, c'est-à-dire que des pièces ont été écartées, pièces auxquelles n'ont eu accès...

Me Christophe DELPLA : ... bien entendu que le juge-commissaire qui l'a ordonné et le mandataire judiciaire, le liquidateur.

M. le Président : À quel tribunal faites-vous allusion ?

Me Christophe DELPLA : Celui de Pontoise....

M. le Président : Encore !

Me Christophe DELPLA :...mais vous le constatez aussi à Nanterre, à Paris, bref partout !

Ne croyez pas que je fasse une fixation sur le tribunal de Pontoise, mais il se trouve que je suis avocat à Pontoise ! Par conséquent, j'en parle en connaissance de cause.

Cela se passe partout comme cela !

La difficulté principale réside dans la possibilité d'accéder au dossier, selon le jargon pénal. Beaucoup de choses nous échappent totalement !

M. le Président : En l'occurrence, nous ne sommes pas là en matière pénale !

Me Christophe DELPLA : Non, en effet, mais « l'accès au dossier » du débiteur en faillite est un des principes du contradictoire. Il devrait être possible de savoir ce qui se passe, de connaître ce qu'a fait le mandataire dans le cadre de sa mission.

Cette transition me conduit à évoquer l'opacité dans la gestion du dossier par les mandataires.

Citons l'exemple d'une société en faillite appartenant à un artisan en liquidation judiciaire. Ce dernier a des clients très particuliers qu'il connaît depuis des années. Il lui reste quelques chantiers à terminer, c'est-à-dire des finitions qui lui demandent deux ou trois jours de travail. La facture sera alors réglée, ce qui est bon pour la liquidation. La rentrée d'argent va permettre de désintéresser quelques créanciers. Eh bien non ! Au premier rendez-vous chez le liquidateur, est présent un expert en bâtiment qui est envoyé pour se rendre chez le débiteur et les clients auxquels il expliquera que la société est en faillite et qu'il va falloir régler sous huit jours. Quel est le résultat ? Prenant peur, plus aucun client ne paye et ne règle le solde de la facture. À la suite de cela, le liquidateur vous annonce que la société est en déconfiture et qu'elle n'a pas les moyens d'engager une procédure. Qui a pris l'initiative de désigner cet expert en bâtiment ? Voilà un exemple d'opacité !

M. le Président : Par qui cet expert en bâtiment est-il désigné ? Par le juge-commissaire ?

Me Christophe DELPLA : Pas du tout ! Il s'agit d'un expert du mandataire !

M. le Président : Sans l'accord du juge-commissaire ?

Me Christophe DELPLA : On ne le sait pas !

Me Alain CORNEVAUX : Cela se fait comme cela !

Me Christophe DELPLA : Absolument !

M. le Président : Sans procédure pour la désignation ?

Me Alain CORNEVAUX : Non !

Me Christophe DELPLA : Dans l'exemple cité à l'instant, mettez-vous à la place des créanciers ! Les soldes de facture ne rentreront pas, ce qui est mauvais pour la liquidation.

Le débiteur a tout intérêt, compte tenu de cette opacité, à être bien avec le liquidateur. Lors de son premier rendez-vous chez le liquidateur, le débiteur ne va pas d'emblée s'opposer à la présence dudit expert en bâtiment en disant que c'est inadmissible et refuser de poursuivre l'entretien sans que lui soit produite l'ordonnance prouvant que l'expert en question a été régulièrement désigné. Or si les règles étaient bien claires, le débiteur devrait être informé de l'ordonnance désignant tel ou tel.

M. le Président : Il existe bien tout de même des avocats pour exiger que les règles soient appliquées ! Quel est votre rôle dans ces procédures ?

Me Alain CORNEVAUX : L'avocat du failli soutient son client pour lequel ce moment est extrêmement difficile à passer, ce que l'on imagine facilement. Le failli a en face de lui un certain nombre d'intervenants qui vont passer complètement par dessus sa tête, faire à sa place et le mépriser quelque peu. N'ayant pas été capable de réussir dans les affaires, c'est, par définition, un pauvre type !

C'est dans ces conditions que les choses vont se passer et que l'on va faire à sa place. Bien entendu, « on » sait mieux que lui ! Le mandataire-liquidateur qui passera d'une agence de voyage le matin à une société de production industrielle l'après-midi, en allant faire un peu de conseil entre les deux, lui, est un gérant d'entreprise compétent, de surcroît de n'importe quelle entreprise et dans n'importe quelles conditions. C'est clair et cela ne se discute même pas !

Le failli n'a qu'un seul souci en cas de redressement : tenter de sauver les meubles de cette entreprise dans laquelle il s'est investi depuis des mois, voire des années et si cela n'est pas possible, tenter de se sauver lui-même. Face à cette situation, des intervenants gèrent l'effondrement !

M. le Président : En clair, face à des personnes qui sont accablées, la procédure n'est pas assez protectrice. Par ailleurs, ne pas respecter les règles de procédure est particulièrement déplaisant et injuste, n'est-ce pas ?

Me Alain CORNEVAUX : Et parfois discutable !

On ne peut s'empêcher de s'interroger fortement en prenant connaissance de certains faits. Permettez-moi de relater une affaire dont a eu à connaître, voilà un ou deux ans, le tribunal de Poitiers. Il s'agissait d'une importante entreprise de transport devant faire face à des difficultés manifestement passagères.

Le président était un notable du coin. Ses affaires n'allant pas trop bien, il téléphone au président du tribunal de commerce pour savoir ce qu'il doit faire. Ce dernier lui répond : « Mon bon ami, il n'y a pas de problème ! Je vais te désigner quelqu'un de bien, tu fais un redressement et tu passes ce mauvais cap ».

Il se trouve que le soir même, j'ai au téléphone le président du tribunal de commerce en question qui me dit : « Votre client était dans mon bureau ; on va déposer le bilan ; on prolongera un peu la période de redressement et il devrait s'en sortir. Etant donné qu'il n'était pas possible de régler les salaires à la fin du mois, nous n'avions pas trop le choix » : le bilan est déposé.

Un certain Chassagnon est alors désigné comme administrateur. Je ne sais pas si vous en avez entendu parler ? Je crois qu'il n'exerce plus.

À l'issue d'un premier entretien avec le chef d'entreprise, l'expert-comptable et votre serviteur, cet administrateur décrète que la poursuite d'activité va générer de la dette au titre de l'article 40, c'est-à-dire de la dette qui doit être payée pendant la période d'administration et par l'administrateur en cas de poursuites indues.

Malgré une démonstration de l'inexactitude de cette assertion, nous sommes allés devant le tribunal de commerce pour demander la poursuite d'activité. Cet administrateur a soutenu très tranquillement devant le tribunal que tout ce qui était dit par le chef d'entreprise et surtout l'expert-comptable de l'entreprise était faux et que lui savait que l'on allait générer de la dette au titre de l'article 40. Par voie de conséquence, l'entreprise a été mise en liquidation judiciaire. On a fait appel, mais étant donné que la cour d'appel a statué trois mois après, entre temps, tout avait été consommé. L'entreprise en question a été détruite et morcelée. Je soupçonne très fort le dénommé Chassagnon d'en avoir profité. Bien entendu, je ne peux pas le prouver !

M. le Président : D'après ce que vous dites, le dénommé Chassagnon aurait disparu ?

M. le Rapporteur : J'interrogerai la Chancellerie.

Me Alain CORNEVAUX : En tout cas, nous n'avons plus une seule nouvelle de ce monsieur !

Autre exemple croustillant ! Un mandataire-liquidateur du tribunal de commerce de Paris a des intérêts extrêmement poussés dans une entreprise qui est une agence immobilière.

M. le Président : Quel est son nom ?

Me Alain CORNEVAUX : Mme Isabelle Didier.

M. le Président : Administrateur ?

Me Alain CORNEVAUX : Mandataire-liquidateur.

Ses intérêts sont extrêmement poussés puisque c'est sa mère qui est gérante et majoritaire dans l'entreprise.

L'avocat qui ose dire qu'il est choquant et discutable qu'une cession d'un élément d'actif immobilier soit effectuée par l'intermédiaire de Maître Didier alors que l'agence en question se trouve être la mieux-disante, rencontre les pires problèmes !

Il paraît qu'il aurait été demandé à Mme Didier de baisser sa participation personnelle dans l'agence immobilière en question, ce qu'elle a fait !

M. le Président : Qui lui a demandé ?

Me Alain CORNEVAUX : Je crois que c'est le président du tribunal de commerce.

Or aurait dû lui demander de n'y avoir strictement aucun intérêt, ni direct ni indirect.

Il s'agit, à notre avis, d'un des éléments de réforme essentiel si vous voulez être crédibles dans les projets qui sont les vôtres.

Les opérateurs sont et doivent être indépendants. Ils ne peuvent pas avoir l'ombre d'une relation ou de liens directs ou indirects avec des cabinets d'expertise comptable, des cabinets d'avocats, des intervenants-conseils dans le cadre de leur activité professionnelle. Il faut une réelle indépendance ! Or il existe des réseaux occultes et une sorte de chape de plomb interdit à tout un chacun de venir tenir des propos tels que ceux que nous vous rapportons aujourd'hui.

Lorsque j'ai appris l'existence de votre commission, je me suis permis d'adresser à monsieur le Rapporteur un dossier concernant une procédure devant le tribunal de commerce de Besançon. Un mandataire-liquidateur y fait la pluie et le beau temps et se paye le luxe de faire modifier les décisions de justice douze ou quinze ans après par le biais de la rectification d'erreur matérielle ou l'interprétation. Tout cela vise à couvrir une irrégularité flagrante et, je n'hésite pas à le dire, un abus de bien social caractérisé.

Puisqu'une injustice est toujours préférable à un désordre, monsieur le procureur de la République, à l'audience où cette affaire s'est plaidée, a indiqué qu'à son avis, la rectification d'erreur matérielle lui paraissait difficile à admettre, mais qu'il fallait bien, de toute façon, faire quelque chose. À défaut, des actes authentiques rédigés après le jugement pouvaient être remis en cause.

En d'autres termes, il ne faut pas trop remuer les choses parce que c'est un notaire qui allait être mis en cause, donc le tribunal lui-même, l'administrateur judiciaire, bref, toute une série de personnes qui constituent les piliers du fonctionnement social. En ébranlant tout cela, on s'attire finalement plus de difficultés que si l'on essaye de faire respecter, de manière à peu près scrupuleuse, les règles de droit les plus élémentaires.

Il y a des choix à faire, c'est vrai !

M. le Président : Comment s'est terminée cette histoire ?

Me Alain CORNEVAUX : Elle n'est pas terminée, monsieur le Président ! Elle est devant la cour d'appel et la Cour de cassation parce que je n'ai pas réussi, pas plus que mes confrères à la Cour de cassation ou que les avoués, à déterminer si c'était la cour d'appel ou la Cour de cassation qui était devenue compétente.

M. le Président : De toute façon, nous ne pouvons rien faire en raison d'une procédure pénale pendante.

Me Alain CORNEVAUX : Pas du tout : il s'agit d'une procédure non pas pénale, mais civile.

Me Alain CORNEVAUX : Le procureur a requis qu'il était souhaitable, non pas de « couvrir » le chose puisque tel n'a pas été son propos, mais de faire droit à la requête du mandataire-liquidateur pour éviter de remettre en cause les actes authentiques passés après le jugement. L'interprétation était donc demandée.

M. le Président : Cette affaire date de quand ?

Me Alain CORNEVAUX : Deux ou trois mois !

M. le Président : C'est tout récent !

Me Alain CORNEVAUX : En effet, et c'est en cours. Nous attendons qu'il se passe quelque chose dans cette affaire !

M. le Rapporteur : Comment fonctionnent, selon vous qui êtes utilisateur du service public de la justice consulaire, ces réseaux occultes ou lieux d'influence dont vous parlez ? Où les choses se passent-elles ?

Je vous pose la question, car les magistrats du parquet que nous avons auditionnés nous disent la même chose. Ils nous indiquent que cela se passe quelque part ailleurs, en dehors d'eux, qu'ils n'ont pas accès aux informations et que, quand ils arrivent, les décisions sont prises. Il est trop tard, si bien qu'ils n'ont plus qu'à utiliser l'appel.

Comme vous le confirmiez vous-même, lorsque la cour d'appel est amenée à se prononcer sur une décision de liquidation plutôt que de cession, reprise ou continuation, il est trop tard.

Comment analysez-vous donc cette espèce de « boîte noire » un peu particulière que nous cherchons tous ici à ouvrir, avec le soutien de l'opposition parlementaire ?

Me Alain CORNEVAUX : Il ne s'agit pas d'une « boîte noire », ni vraiment d'une pieuvre car cela laisserait entendre toute une série de choses, mais cela y ressemblerait beaucoup plus.

En tant qu'avocat, je connais un certain nombre de mandataires-liquidateurs, de magistrats auprès du tribunal de commerce, de banquiers. Par ailleurs, j'ai des clients qui ont envie de reprendre une affaire. Tout ce beau monde, toute cette palette d'individus ont et entretiennent entre eux des relations amicales et professionnelles que je ne critique pas à ce stade.

Si un client me dit qu'il veut s'étendre et qu'il est à la recherche d'une entreprise qui a telle et telle configuration, notamment tel chiffre d'affaires, telle situation, comment vais-je procéder ? Je vais étudier avec lui sa capacité d'investissement. Je l'emmènerai voir mon ami banquier pour lui dire que nous avons besoin de 1 million, 2 millions, 5 millions, voire 10 millions de francs. Nous allons ensuite envisager ensemble ce qu'il peut reprendre et examiner s'il existe par hasard des entreprises en situation difficile qui correspondraient à son souhait.

Comment vais-je procéder ? Je vais discuter avec ceux qui sont immédiatement « au front », c'est-à-dire des personnes du tribunal de commerce, des amis experts-comptables, des mandataires avec qui j'entretiens des relations. Lorsque l'occasion va se présenter, je vais mettre une fois de plus tout ce beau monde en relation et je vais prévenir mon client que j'ai trouvé l'entreprise. À partir de ce moment-là, la mécanique va se mettre en marche. Si mon client est effectivement intéressé après un premier examen, on va recommencer à discuter, puis établir et élaborer un plan de cession d'un élément d'actif ou de l'entreprise tout entière.

Jusque là, tout cela pourrait être parfaitement acceptable sauf sur un point : mes relations « privilégiées » avec le mandataire sont susceptibles de me donner, ce que vous ne vérifierez jamais, des informations « privilégiées » qui me permettront de formuler un plan de cession ou d'acquisition qui, comme par hasard, correspondra relativement bien, voire mieux que les autres, avec les besoins effectifs.

Ma proposition fait l'objet d'une interprétation, l'interprète étant le mandataire ou l'administrateur. On vous disait tout à l'heure que les administrateurs tenaient les juges, mais la réciprocité se vérifie, car ce sont les juges qui les désignent. Par voie de conséquence, s'instaure une sorte de phénomène de « je t'aime moi non plus ».

Le magistrat qui choisit ses administrateurs est moins compétent qu'eux. En contrepartie, ces derniers lui apportent une certaine connaissance. Tout cela fonctionne et s'articule assez bien, mais d'une manière complètement occulte et opaque. Il m'est impossible matériellement d'avoir la certitude - sauf celle de savoir que cela se fait autrement - de connaître, via ce réseau, le meilleur moyen de présenter un bon plan de reprise de manière satisfaisante pour mon client et pour la société reprise et son environnement.

M. le Président : Quel jeu joue à cet égard le parquet ?

Me Alain CORNEVAUX : Le parquet est complètement absent !

M. le Président : De quel tribunal parlez-vous ?

Me Alain CORNEVAUX : De tous les tribunaux !

M. Christian MARTIN : Le droit commun !

Me Christophe DELPLA : Tel était le point de conclusion de mon exposé ! Il faut se demander non pas où est la police, mais où est le parquet, lequel est effectivement totalement inexistant !

M. le Président : Il va aux audiences de rentrée tout de même ?

Me Christophe DELPLA : Bien entendu, d'autant que le buffet a lieu avant ! Dans nombre de tribunaux, le parquet ne siège même plus aux audiences de liquidation.

M. le Président : Quel tribunal, par exemple ?

Me Christophe DELPLA : Pontoise, par exemple !

M. le Rapporteur : C'est pourtant un gros tribunal.

M. le Président : Il ne siège pas du tout ?

Me Christophe DELPLA : Une fois sur dix !

Les parquetiers sont pleins de bonne volonté, mais ils sont absolument submergés de travail. Quand on discute avec eux, il nous répondent : « Comment voulez-vous que l'on passe une demi-journée rien que pour les audiences ! » Normalement, il faudrait qu'ils voient le dossier avant. Nous regrettons leur absence parce qu'ils ont tout de même des pouvoirs d'investigation et de contrôle.

M. le Président : À Pontoise, donc le parquet est absent. En est-il de même dans d'autres juridictions ?

Me Alain CORNEVAUX : À Besançon, j'ai eu trois audiences...

M. le Président : Mais vous avez eu un parquetier puisque vous vous en plaigniez !

Me Alain CORNEVAUX : La dernière fois seulement, lorsque j'ai plaidé ! Je m'étais quelque peu agité en m'adressant exprès au parquetier pour souligner l'intérêt de l'affaire et la nécessité de sa présence. In fine, il est donc venu ! À une audience où l'on devait plaider, il m'a salué en quittant très vite la salle. Il était, du reste, accompagné du mandataire-liquidateur en question.

Pardonnez-moi de revenir encore une fois sur Besançon mais comme vous l'imaginez, cette affaire me tient à coeur. Les confrères locaux m'ont annoncé le sens de la décision quinze jours avant le délibéré. En gros, tout le monde connaissait la décision avant le jugement.

M. le Président : Le parquet ne joue pas son rôle de contrepoids, même quand vous attirez son attention ?

Me Alain CORNEVAUX : Même à Paris, les parquetiers sont là, physiquement présents, mais ils n'ont manifestement aucune connaissance préalable de l'affaire.

M. le Président : Mais s'ils sont de bons professionnels, il réagissent bien !

Me Alain CORNEVAUX : Que les juges consulaires fassent leur travail ! Que les mandataires et les administrateurs fassent le leur ! Que les parquetiers interviennent lorsque la nécessité s'en fait sentir et que l'ordre public est intéressé !

M. le Président : Est-ce toute la chaîne de contrôle dans son ensemble qui ne fonctionne pas ?

Me Alain CORNEVAUX : Oui !

Me Christophe DELPLA : Sans oublier le contrôle que peuvent assurer également les parties.

M. le Président : Vous avez une vision noire des choses !

Me Alain CORNEVAUX : Telle est pourtant bien la réalité !

M. le Président : Pourtant les présidents de tribunaux de commerce nous assurent que tout fonctionne très bien !

Me Alain CORNEVAUX : Je n'évoquerai pas Nanterre parce qu'il vaut mieux ne pas parler des « corbillards » ! C'est pourtant bien la preuve d'une réalité puisque le tout a - enfin ! - explosé. Bien que je ne puisse malheureusement pas vous donner de noms, chacun sait que Paris est très exactement dans la même situation.

M. le Président : Vous ne pouvez pas nous parler de Nanterre puisqu'une affaire pénale est en cours, mais vous pouvez nous parler de Paris.

Me Alain CORNEVAUX : Aucune affaire n'est effectivement en cours, donc, il n'y a rien !

M. le Président : À Paris ?

Me Alain CORNEVAUX : Oui, à Paris. Il n'y a rien et tout fonctionne très bien !

Si on veut admettre cela, on arrête de débattre ! À défaut, on n'est pas objectif.

Pour avoir été au conseil de l'ordre, je sais parfaitement qu'un certain nombre de difficultés ont été rencontrées.

Je ne parlerai cependant pas de collusion, car ce serait inutilement agressif.

De deux choses l'une : ou l'on continue à fonctionner tel que nous fonctionnons, c'est-à-dire avec des déviations relativement choquantes ; ou l'on est en mesure - et quand je dis « on », c'est vous, le Parlement - de mettre en place un système susceptible d'éviter ces déviations. Dès lors, on pourra effectivement peut-être procéder à un « nettoyage ». On ne peut cependant pas casser l'existant, sans mettre en place immédiatement une solution de rechange.

M. le Président : En tant que membre du conseil de l'ordre, vous avez découvert que dans un certain nombre de cas, des problèmes apparus au tribunal de commerce avaient provoqué des difficultés pour certains avocats. Est-ce bien ce que vous nous avez dit ?

Me Alain CORNEVAUX : Il existe des difficultés et des choses que nous essayons d'arranger en interne.

Certaines opérations génèrent des doléances à l'encontre de tel ou tel avocat parce qu'ils participent à certains types d'opérations.

Nous sommes confrontés à des choix : ou bien les choses sont portées sur la place publique ou l'on essaye de les régler pour que les plaignants acceptent de bien vouloir arrondir les angles et que l'on ne parle plus de rien !

M. le Président : Vous me dites, d'une part, que tant que le système est ainsi, mieux vaut limiter les dégâts et éviter le scandale et, d'autre part, qu'un certain nombre d'avocats ont concrètement cédé à la tentation...

Me Alain CORNEVAUX : C'est clair !

M. le Président : C'est donc connu, et ce dans un nombre significatif d'affaires ?

Me Alain CORNEVAUX : Les avocats étant des gens très bien, les difficultés qu'ils rencontrent dans ce genre de situation sont relativement limitées. Ne disons pas non plus que 80 % des avocats qui opèrent au tribunal de commerce de Paris sont des « voyous » !

Un certain nombre d'affaires font l'objet d'un traitement interne pour éviter des débordements sur la place publique.

M. Roger FRANZONI : Dans ce cas-là, les avocats ont agi exactement comme le fameux procureur dont vous parliez tout à l'heure !

Me Alain CORNEVAUX : Pas du tout ! Ils se sont rendus parfaitement complices d'opérations qu'ils n'auraient pas dû accepter de faire.

M. Roger FRANZONI : Les avocats ne devraient pas le faire !

Me Alain CORNEVAUX : Mais je suis bien d'accord avec vous ! Absolument ! Je ne suis pas là pour défendre une profession.

M. Roger FRANZONI : Vous constatez que cela se passe !

Me Alain CORNEVAUX : Oui, absolument !

M. le Rapporteur : Puisque le conseil de l'ordre en a été saisi, tout cela a-t-il eu, oui ou non, des conséquences déontologiques ?

Me Alain CORNEVAUX : Il ne peut y avoir de conséquences déontologiques si l'on veut que les choses se gèrent correctement puisque toute décision professionnelle est soumise au procureur général. Par voie de conséquence, on ne peut pas procéder autrement qu'en réglant le problème en interne, c'est-à-dire en organisant les choses entre nous.

M. Alain VEYRET : À la limite, des choses parfaitement illégales sont étouffées ainsi sans le moindre problème, n'est-ce pas ?

Me Alain CORNEVAUX : C'est en tout cas la situation que je constate dans les tribunaux de commerce !

M. Alain VEYRET : Ne pouvez-vous pas nous donner des exemples plus précis ?

Me Alain CORNEVAUX : Non !

M. Alain VEYRET : Pardonnez-moi, mais l'omerta, vous la jouez aussi !

Me Alain CORNEVAUX : Personnellement, je ne joue à rien !

Me Christophe DELPLA : Comme je le disais tout à l'heure, la procédure de liquidation judiciaire est pour une part très subjective.

Le chef d'entreprise qui dépose son bilan n'est pas nécessairement un escroc. Son objectif est de sauver sa maison. S'il a laissé un passif important, il veut éviter une action en comblement du passif, c'est-à-dire éviter qu'on le poursuive sur ses biens personnels.

Sachez qu'actuellement, pour 100 000, 200 000 ou 300 000 francs de passif, des chefs de petites entreprise vont être poursuivis en comblement du passif, sur leur biens personnels.

Qui décide de cette action ? En principe, le tribunal, mais sur l'avis de qui ? Le rapport est fait par le mandataire-liquidateur. Il est difficile pour le débiteur ou l'avocat du débiteur de dénoncer les irrégularités qu'il peut constater.

M. le Président : Constatez-vous une tendance des parquets - dans la mesure où ils interviennent ! - à utiliser les sanctions commerciales plutôt que pénales ? Plusieurs nous ont dit préférer des actions en comblement de passif plutôt qu'une poursuite pénale, nous indiquant qu'ils étaient très présents devant les tribunaux de commerce et qu'ils intervenaient.

Me Christophe DELPLA : À ma connaissance, les poursuites pénales ne portent que sur de grosses affaires, mais peu sur les petites PME-PMI. En cas de passif important, l'affaire se termine par une interdiction de gérer, et ce presque au début de la procédure, pour écarter un dirigeant qui gère mal. La sanction suprême, c'est effectivement la faillite personnelle, l'action en comblement du passif, ce qui reste donc sur un plan strictement civil et commercial.

M. Jacky DARNE : Au-delà de quelques exemples, vous décrivez un milieu sociologique, une ambiance, un type de relations et de réseaux. Ce système de relations et de connivences produit donc un certain type de justice dont le défaut est d'être opaque.

À cet égard, je formule deux questions.

En premier lieu, vous vous êtes surtout placé du côté de l'avocat du failli, du débiteur. Comment voyez-vous les autres acteurs, notamment l'avocat des salariés dans les procédures collectives ?

D'après vos contacts, comment pensez-vous que l'avocat des salariés tient sa place dans cette procédure entre personnes dont l'objectif, dans le domaine de l'économie, est d'abord de détenir du capital. Les mandataires ou les administrateurs que nous interrogeons ne manquent jamais de nous dire, sans doute parce qu'ils connaissent les étiquettes politiques mais peut-être aussi parce que telle est la réalité, que leur préoccupation numéro un, c'est l'emploi.

M. Alain VEYRET : Quel emploi ?

M. Jacky DARNE : Avez-vous cette sensation à travers les procédures que vous avez à connaître ?

En second lieu, l'avocat dont les compétences sont multiples me semble souvent très démuni, à l'instar du juge-commissaire par rapport à l'administrateur.

Dans une procédure collective complexe, n'est-il pas en réalité, en situation de « démissionner » lui aussi ? Comment un avocat de base s'en sort-il face à une procédure collective ?

On peut toujours vous objecter que vous êtes, en réalité, des juristes tatillons, qu'il faut avant tout assurer la survie de l'entreprise.

Me Christophe DELPLA : L'avocat des salariés est un peu comme le procureur de la République : on le cherche ! Excepté les plans de cession ou les reprises de grosses entreprises pour lesquels un avocat intervient afin d'élaborer le plan social, dans 99 % des dossiers, peut-être un peu moins, il n'y a pas à proprement parler d'avocats des salariés. Celui qui représente les salariés, c'est le liquidateur judiciaire.

M. Jacky DARNE : Même s'ils n'ont pas d'avocat, comment percevez-vous leur présence dans les petites procédures ?

Me Christophe DELPLA : Dans la réflexion sur les procédures collectives, il est important de constater que quantitativement, il y a très peu de redressements judiciaires. A contrario, cela veut dire, étant donné que la très grande majorité des dossiers sont des liquidations judiciaires immédiates, que le premier acte du liquidateur est d'envoyer la lettre de licenciement. Il n'y a pas de négociations.

Pour les redressements judiciaires, la procédure prévoit, dès lors que l'entreprise emploie du personnel, la présence d'un représentant du personnel. Toutefois, il est vrai que lui-même n'est jamais conseillé. Il est tout seul ! Aux audiences de dépôt de bilan, le président du tribunal lui demande s'il a à dire quelque chose et il se contente de reconnaître que la société a des difficultés. Un point c'est tout ! Il n'existe pas effectivement de conseil aux salariés. Les organisations syndicales ne jouent peut-être pas leur rôle ? En tout cas, tel est le constat.

Quant à votre question, vous pensez, si j'ai bien compris, que si les avocats avaient une meilleure connaissance de la matière, l'opacité disparaîtrait.

M. Jacky DARNE : Ma question porte sur l'exercice de votre profession.

Dans le cadre d'une procédure collective, nous avons constaté jusqu'à présent - et vous même l'indiquiez - la faiblesse du juge-commissaire par rapport à l'administrateur. Ce dernier est un professionnel qui dispose de collaborateurs et de temps pour comparer les plans de cession, envisager une poursuite d'activité et il peut se faire assister d'experts. L'objet à examiner est donc avant tout économique, c'est-à-dire une entreprise avec un certain nombre de perspectives.

Cela ne rend-il pas l'exercice de votre profession particulièrement compliqué ?

Me Christophe DELPLA : Certains avocats spécialisés connaissent parfaitement bien les procédures. Il existe des spécialistes des procédures collectives, car il s'agit effectivement d'une matière très technique.

Le problème, c'est que souvent, et c'est ainsi que je le ressens comme nombre de mes confrères, la compétence ne suffit pas. Si vous ne connaissez pas le mandataire, malgré toutes vos compétences, vous n'êtes pas certain d'y arriver. À cet égard, le sentiment est unanime, mais comme dans toute profession, certains ne vous le diront pas parce qu'ils sont trop exposés en tant qu'avocats de mandataires.

La première question que les chefs d'entreprise en dépôt de bilan nous posent quand ils viennent nous voir - ils nous connaissent par réputation et ils savent que nous faisons du droit des affaires - est de savoir si l'on connaît le tribunal et les mandataires. Comment se fait-il que l'opinion publique ait ce sentiment, lequel est antérieur à la publication récente de certains livres ?

Me Alain CORNEVAUX : En guise de complément sur l'intervention du salarié ou du représentant des salariés, le dispositif est géré de telle manière que sa présence ne sert strictement à rien ! Soyons clairs : c'est un gêneur, mais la loi exigeant sa présence, on en désigne un et il est là ! Qu'il soit d'accord ou pas, peu importe ! Excepté pour ce qui concerne les grands groupes où, en cas de problème, le représentant des salariés aura la possibilité de dire quelque chose. On y fera éventuellement référence dans les jugements mais, de toute manière, son avis n'aura pas d'effet sur le sens de la décision qui sera rendue.

Les avocats ne sont que les porte-parole de celui qu'il représente. Par conséquent, en tant qu'avocat du mandataire, on défend le mandataire ; en tant qu'avocat des salariés, on essaye de s'exprimer pour eux, mais sachant que cela ne sert pas à grand chose, nous avons délaissé cette fonction, sauf dans des cas particuliers.

À quoi bon assister quelqu'un et de se présenter devant une juridiction ou devant des opérateurs si l'on sait parfaitement que, quoi que l'on dise ou que l'on fasse, cela n'aura aucun poids sur les décisions qui seront prises.

M. le Président : Telle est l'opinion dominante des membres du SAF ?

Me Christophe DELPLA : Oui !

Me Alain CORNEVAUX : J'ose espérer que ce n'est pas l'opinion des seuls membres du SAF ou alors c'est la langue de bois !

Audition de M. Pierre LYON-CAEN,

avocat général à la Cour de cassation

(extrait du procès-verbal de la séance du 9 juin 1998)

Présidence de M. François COLCOMBET, Président

M.  Lyon-Caen  est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. À l'invitation du Président, M. Lyon-Caen prête serment.

M. le Président : Nous sommes heureux, M. Lyon-Caen, de vous accueillir dans notre commission d'enquête sur l'activité et le fonctionnement des tribunaux de commerce. Vous êtes avocat général à la Cour de cassation, mais ce n'est pas précisément pour cette raison que nous souhaitions vous entendre. Dans une carrière bien remplie, votre particularité est d'avoir fait partie du cabinet de Robert Badinter et d'avoir, à ce titre, participé à l'élaboration des lois de 1985, notamment celles relatives aux administrateurs judiciaires, mandataires, liquidateurs, experts en diagnostic d'entreprises.

Par la suite, parmi les fonctions que vous avez occupées, vous avez été procureur à Nanterre et à la Cour de cassation, ce qui vous permettra de nous donner un autre type d'éclairage.

Après un bref exposé de votre part, nous nous livrerons aux questions traditionnelles.

Je vous invite d'abord à aborder la question qui nous intéresse particulièrement, c'est-à-dire le contexte dans lequel a été élaborée la loi de 1985, ainsi que les projets de réforme des tribunaux de commerce en chantier à l'époque et le sort qui leur a été réservé.

M. Pierre LYON-CAEN : Je ne suis pas un spécialiste des procédures collectives ni des tribunaux de commerce. Je n'ai été conduit à m'intéresser au sujet que lorsque j'ai été nommé en 1981 au cabinet du garde des sceaux. Ayant annoncé son intention de faire une réforme dans ce domaine, ce dernier m'a demandé d'en suivre l'élaboration pour son cabinet.

Par ailleurs, il est vrai que j'ai été procureur de la République des Hauts-de-Seine, à Nanterre pendant quatre ans. Je précise que je ne m'occupe pas du tout de droit commercial, à la Cour de cassation, et que mes souvenirs sont nécessairement un peu lointains, car j'ai suivi ces questions au cabinet du garde des sceaux dans les années 1981 à 1985. Par conséquent, voilà une bonne douzaine d'années que je ne les suis plus.

Quels projets ont-ils été élaborés à l'époque ? Pour répondre à votre question d'un mot, je dirai que le garde des sceaux a souhaité couvrir tout le champ des difficultés des entreprises, et ce en quatre volets : la prévention a abouti à la loi de 1984 ; le traitement des difficultés des entreprises a fait l'objet de la réforme de 1985 sur la « faillite », pour parler simple ; les professions ont été l'objet d'une loi à la même date et le quatrième volet devait être une réforme des tribunaux de commerce.

Si les trois premiers volets ont donné lieu à des textes que vous connaissez, en revanche, la réforme sur les tribunaux de commerce n'a pas abouti.

Cette réforme n'a pas été jusqu'au stade de l'élaboration d'un texte, mais une commission s'est réunie, a rédigé un rapport et a formulé des propositions précises. Celles-ci avaient à peu près fait l'objet d'un consensus parmi les membres de cette commission qui comprenait à la fois des magistrats, des universitaires et des membres éminents des tribunaux de commerce. J'indiquerai tout à l'heure les raisons pour lesquelles cette réforme n'a finalement pas pu être menée à son terme.

Quelles étaient les grandes lignes de la réforme issue des travaux de cette commission ?

Cette réforme, modeste dans son contenu, ne visait qu'à régir la chambre des procédures collectives, sans affecter les autres activités du tribunal de commerce. Elle prévoyait que dans cette chambre, serait introduit un magistrat professionnel qui devait avoir une certaine ancienneté, une certaine expérience de ce domaine. Pour ménager les susceptibilités, il était prévu que ce magistrat professionnel ne présiderait qu'une année sur trois cette chambre, laquelle devait donc faire l'objet d'une présidence « tournante ». Deux années sur trois, un juge consulaire devait animer cette chambre pour répondre à l'objection selon laquelle un professionnel viendrait « dominer » les travaux de la chambre en question. Non seulement il était minoritaire puisqu'il était seul sur trois, mais il n'avait la présidence qu'une année sur trois.

De plus, le reste de l'organisation des tribunaux de commerce n'était pas modifié, c'est-à-dire que la présidence du tribunal de commerce lui-même restait telle que prévue aujourd'hui.

Enfin, dernier élément de cette réforme, l'échevinage, c'est-à-dire le mélange de magistrats professionnels et non professionnels, était introduit au niveau de la chambre commerciale de la cour d'appel. Si ma mémoire est bonne, deux juges consulaires venaient compléter les trois magistrats composant la chambre commerciale. Telles étaient les grandes lignes de la réforme du tribunal de commerce quant à sa composition.

En ce qui concerne la carte des tribunaux de commerce, il était prévu de la réformer fondamentalement. Elle est intéressante actuellement dans la mesure où elle représente assez bien quelle était, au début du XIXe siècle, l'activité économique de notre pays.

M. le Président : Sur le plan historique, en somme !

M. Pierre LYON-CAEN : Sur le plan historique, elle est extrêmement intéressante. L'existence d'un tribunal de commerce qui n'a plus aucune activité nous révèle qu'une industrie, disparue depuis un siècle, était implantée à l'époque. C'est aujourd'hui la seule justification de la carte telle qu'elle est. Celle-ci n'a presque pas été modifiée depuis le début du XIXe siècle, voire sans doute depuis plus longtemps encore.

Enfin, le dernier élément était déjà une réponse à une impossibilité de réaliser cette réforme de la carte : la spécialisation de certains tribunaux de commerce dans les procédures collectives. Etait prévu le principe d'un tribunal de commerce par département, spécialisé et ayant compétence exclusive en matière de procédures collectives.

Pourquoi cette réforme modeste finalement et apparemment équilibrée n'a-t-elle pas abouti, alors qu'elle a été discutée longuement au sein de la commission dont j'ai parlé ? Dès que l'idée de la réforme de la carte a été lancée et que les premières indications ont été données, oserais-je dire ici - mais telle est la réalité !- que ce sont les élus, avec une unanimité absolue, tous partis confondus, qui ont formulé les protestations les plus vigoureuses pour le statu quo en ce qui concernait, chacun, leur circonscription. Selon eux, la réforme se justifiait pleinement, mais elle ne pouvait pas être envisagée là où ils étaient élus.

Devant le concert de protestations dont le Premier ministre a été saisi, ce dernier n'a pas estimé possible alors d'aller au-delà d'une réforme partielle, celle de la spécialisation de certains tribunaux de commerce dans les procédures collectives. C'est un arrêté qui dressa la liste des tribunaux de commerce spécialisés. Cette liste est entrée en vigueur et elle a été modifiée dès le changement de majorité, pour être élargie évidemment. J'ignore où l'on en est aujourd'hui. Je suppose que cette liste subsiste, mais elle a dû être très fortement allongée.

Quant à la modification de la composition du tribunal de commerce selon les lignes que j'ai indiquées, le garde des sceaux a reçu différentes personnalités qui ne lui ont pas caché qu'à titre personnel, ils étaient assez d'accord avec les grandes lignes de la réforme proposée par la commission. En revanche, le désaccord fondamental des milieux consulaires ne leur permettait pas de le dire publiquement.

Un concert d'hostilités a atteint tous les milieux consulaires. De proche en proche, s'y sont jointes, curieusement car elles n'étaient pas concernées, les professions libérales, puis l'opposition politique. Ainsi, cette réforme n'a pas pu aboutir, alors même qu'un certain nombre de personnalités des milieux économiques reconnaissaient en privé son caractère tout à fait raisonnable.

Telles sont résumées les raisons de cet échec. Pour l'avoir vécu d'extrêmement près, je peux vous dire que l'hostilité à l'égard de cette réforme se fondait sur une opposition nullement technique, mais politique au sens le plus large du terme, presque idéologique, où se mélaient les arrières-pensées politiques, une hostilité à l'égard de ce qui était ressenti comme une emprise nouvelle de l'État et la manifestation d'un vigoureux corporatisme. En réalité, c'était une espèce de crime de « lèse-tribunaux de commerce » que d'envisager d'y associer des personnes étrangères au milieu consulaire, sachant que les magistrats étaient ressentis comme tels. Par conséquent, s'est manifestée une hostilité foncière et tout à fait généralisée qui a conduit le Gouvernement à renoncer.

M. le Président : Qui était président du tribunal de commerce de Paris à l'époque ?

M. Pierre LYON-CAEN : Pour marquer cette hostilité, une vague de démissions collective des juges consulaires, puis des présidents de tribunaux de commerce a été annoncée, mais elle n'a pas eu lieu, à une notable exception près.

Le président du tribunal de commerce de Paris à l'époque, M. Carcassonne a, en effet, de manière tout à fait spectaculaire, démissionné de ses fonctions pour marquer son hostilité ferme à l'égard du projet de réforme, alors même qu'il avait été personnellement associé à celui-ci. Je ne veux pas trahir sa pensée d'autant qu'étant décédé, il ne pourrait pas me corriger. Mais ayant participé à ces travaux, je ne crois pas tenir un propos contraire à la réalité : il n'avait pas manifesté d'hostilité technique aux suggestions faites. Il en avait lui-même formulé toute une série et elles avaient été retenues.

Précisément, dans un premier temps, on n'avait pas songé à ce que ce ne soit pas un magistrat professionnel qui préside la chambre des procédures collectives. Ces modalités ont été ajoutées au fur et à mesure des discussions pour rendre cette réforme acceptable par les milieux consulaires et, il faut le reconnaître, parce qu'un échevinage généralisé à toutes les activités des tribunaux de commerce aurait exigé un nombre trop important de magistrats professionnels.

Cette démarche n'a pas suffi : le problème a quitté le domaine technique d'une solution équilibrée, pour un domaine en réalité tout à fait idéologique.

M. Alain VEYRET : Les oppositions étaient-elles centrées sur certains points de la réforme tels que la présence du magistrat professionnel dans la chambre des procédures collectives, ou concernaient-ils l'ensemble de la réforme ? En particulier, s'agissant de l'échevinage des cours d'appel, les tribunaux de commerce n'étaient pas d'accord avec cette position ?

M. Pierre LYON-CAEN : Ils auraient été d'accord pour l'échevinage au niveau des cours d'appel, mais à condition qu'il n'existe pas en première instance. Or, dans notre esprit, les deux étaient évidemment inséparables, l'un entraînait l'autre ; nous ne voulions pas d'un échevinage au niveau de la cour d'appel sans un échevinage au niveau de la première instance.

M. le Président : En fait, ce système aboutissait à donner beaucoup plus de pouvoirs aux commerçants qui étaient majoritaires dans toutes les formations.

M. Pierre LYON-CAEN : Bien entendu ils restaient majoritaires en première instance.

M. le Président : Il s'agissait donc apparemment d'une question de préséance.

M. Pierre LYON-CAEN : Pas tant de préséance puisque le président du tribunal de commerce restait un commerçant et conservait toutes ses attributions, que d'immixtion d'un « étranger » au sein du tribunal de commerce.

Au mois d'août 1981, un projet de loi - curieusement, l'un des premiers de la nouvelle majorité-  a été adopté pour renforcer les attributions du ministère public devant le tribunal de commerce. Ce dernier, en vertu d'un texte de 1970, y était présent comme devant toutes les juridictions, mais il n'avait pas d'attributions particulières. Or en 1981, alors que l'affaire Willot défrayait la chronique, on s'est aperçu que les pouvoirs publics étaient complètement démunis. Ainsi ont été donnés au parquet des pouvoirs, non pas de décision, mais lui permettant d'intervenir comme partie jointe, voire principale au sein des procédures collectives devant le tribunal de commerce. Ce fut un tollé !

Au terme d'une évolution, en 1985, s'est opéré un renversement de tendance. Un accord s'est finalement dessiné en faveur de la présence du parquet, mais l'opposition subsistait quant à la participation d'autres personnes aux activités de la juridiction.

Après avoir été assez mal reçus, les membres du parquet qui, en vertu des nouveaux textes, venaient assister aux audiences et s'exprimer normalement dans toutes les procédures collectives, ont été finalement admis, même bien admis, puis même presque revendiqués comme remparts pour se protéger contre la venue de juges au sein de la formation de jugement. J'ai assisté à cette évolution.

M. le Président : Les années 1984-1985 sont vos dates de référence, n'est-ce pas ?

M. Pierre LYON-CAEN : La commission a été mise en place à l'automne 1981, si bien que ces travaux ont commencé dès 1981, mais je ne pourrais pas vous dire exactement à quelle date ils ont été achevés. Au bout de huit mois ou un an, la commission a remis son rapport au garde des sceaux.

Par la suite, lorsque la question de l'élaboration éventuelle d'un projet de loi s'est posée au vu des travaux de cette commission, s'est manifestée cette hostilité foncière qui n'a cessé de s'amplifier avec toutes sortes d'arguments.

Il convient de rappeler qu'aucun des pays européens occupés par les troupes de Napoléon qui avaient mis en place des tribunaux de commerce analogue à ceux que nous avions et que nous avons toujours n'a maintenu ce système. Tous les pays européens ont introduit l'échevinage. Certes, ils ont gardé l'aspect positif de la présence de personnes expérimentées, connaissant bien la vie des affaires et pouvant apporter, par conséquent, quelque chose d'irremplaçable au fonctionnement des tribunaux de commerce. Ils y ont ajouté cependant un magistrat professionnel, en général président de la juridiction consulaire, qui apporte, d'abord, sa déontologie et, ensuite, sa connaissance de la procédure et du droit. Telle est la situation notamment en Belgique et en Allemagne.

Quand on faisait valoir cet argument, on nous répondait que dans ces pays, les assesseurs n'étaient que des « pots de fleurs » et ne jouaient aucun rôle, ce qui était d'ailleurs contesté. Je crois me souvenir que la commission a entendu un membre d'un tribunal de commerce de Belgique ou d'Allemagne qui contestait tout à fait cette vision.

Permettez-moi de rappeler que nous sommes, à cet égard, un pays assez original puisque trois systèmes y coexistent : d'abord, le système alsacien-lorrain, celui de l'Allemagne, qui n'a pas été modifié après 1918, une chambre du tribunal de commerce étant présidée par un magistrat professionnel avec deux échevins consulaires ; ensuite, le système des tribunaux de commerce que vous connaissez ; enfin, là où il n'y avait aucune industrie au XIXe siècle et donc pas de tribunaux de commerce, le tribunal de grande instance a une chambre dans sa composition de droit commun qui statue en matière commerciale.

M. le Président : Sans parler des départements et territoires d'outre-mer.

M. Pierre LYON-CAEN : Sans parler, en effet, des départements d'outre-mer où s'applique, me semble-t-il, un système mixte comme en Alsace.

M. le Rapporteur : Quinze années plus tard, chacun a finalement des éléments personnels pour dresser un bilan du statu quo qui a été décidé à cette époque.

M. Pierre LYON-CAEN : Il vaudrait mieux dire que l'on s'est « résigné » au statu quo !

M. le Rapporteur : C'est vrai ! Nous le ressentons. Au vu de l'évolution de ces juridictions et de ces auxiliaires qui gravitent autour de la décision juridictionnelle, pensez-vous parfois à ce qu'aurait pu être un combat politique qui n'a pas été mené mais que vous auriez peut-être pu engager ? Bien entendu, je m'adresse au collaborateur du garde des sceaux de l'époque et non pas à l'avocat général à la Cour de cassation d'aujourd'hui. Finalement, le jeu n'en aurait-il pas valu rétrospectivement la chandelle ?

M. Pierre LYON-CAEN : Je ne peux que m'exprimer à titre personnel et davantage comme citoyen que comme magistrat. Je pense, en effet, que le jeu en valait la chandelle. Je le dis d'autant plus que jusqu'à 1981, je n'avais pas eu l'occasion de m'intéresser particulièrement aux tribunaux de commerce. J'avais certes un sentiment, mais très lointain et je n'avais pas d'informations particulières. Je les ai acquises au cours des réunions des travaux de cette commission. J'ai entendu des avocats qui avaient eu l'occasion de plaider devant ces juridictions, notamment de petites juridictions de province, et qui avaient eu à souffrir de conditions qui ne leur paraissaient pas normales dans un pays démocratique.

Ma conviction s'est acquise très fermement que cette réforme était nécessaire et ne procédait pas à un bouleversement complet. On aurait pu songer à un bouleversement beaucoup plus radical. Cette juridiction qui n'a pas été modifiée quasiment depuis Michel de L'Hospital a survécu de manière assez extravagante à toute l'histoire de notre pays, alors qu'il s'agit d'une juridiction uniquement corporatiste. En dépit des apparences, son système est davantage de cooptation que d'élection et cette juridiction est faite par les commerçants et pour les commerçants, ce qui n'est pas très conforme à notre philosophie générale d'une justice égale pour tous sur laquelle existe un consensus en principe assez grand dans notre pays.

Il s'agit donc d'une exception qui, paradoxalement, s'est trouvée aggravée par les textes de 1985 élaborés dans la perspective d'une réforme des tribunaux de commerce. Celle-ci semblait aller de soi et elle était très avancée lors de l'adoption de ces textes. Cette exception a consisté à accroître de manière sensible les pouvoirs des tribunaux de commerce, notamment à l'égard des salariés qui, eux, ne participent en rien à l'élection et sont jugés par une juridiction corporatiste dont ils sont exclus. Par conséquent, c'est encore plus aberrant et, sur le plan des principes, tout à fait étonnant.

À cela une seule explication : nous étions, à l'époque, absolument convaincus que le quatrième volet de cette réforme, celui des tribunaux de commerce, allait tout naturellement suivre les trois autres. Pour ma part, je n'ai pu que constater avec tristesse, en cette circonstance, la faiblesse de l'État qui, en dépit d'une volonté politique à l'origine très déterminée, a du s'incliner devant la force d'un lobby résolu à s'opposer à tout changement qui n'avait pas son agrément.

M. le Président : Le refonte de la carte se serait traduite par la suppression de combien de tribunaux de commerce ? Vous en souvenez-vous ?

M. Pierre LYON-CAEN : Non.

De mémoire, je sais qu'il y a environ 230 tribunaux de commerce, 180 tribunaux de grande instance ! Je sais qu'il y a trop de tribunaux de grande instance et que l'on envisage à juste titre d'en supprimer un certain nombre. On en parle d'ailleurs depuis bien longtemps ! Il ne serait donc pas très raisonnable qu'il y ait davantage de tribunaux de commerce que de tribunaux de grande instance, une fois la réforme de la carte des tribunaux de grande instance effectuée. L'idée qui était à l'origine de la réforme Debré de 1958, d'un tribunal de grande instance par département - et qui à l'époque n'a pu être appliquée totalement - devait à nouveau être retenue et étendue aux tribunaux de commerce.

En toute hypothèse, si l'on ne pouvait pas aller très loin ou aussi loin qu'il serait souhaitable dans l'élaboration d'une nouvelle carte - encore faudrait-il appliquer des critères objectifs afin d'éviter toute difficulté excessive - l'idée de donner compétence exclusive à certains tribunaux de commerce pour les procédures collectives, point qui figure dans le droit positif actuel, mais pour laquelle il y aurait certainement matière à « resserrage », est intéressante et devrait être maintenue.

M. le Président : En effet, l'existence de juridictions spécialisées va tout à fait dans le sens de ce que vous disiez tout à l'heure, c'est-à-dire que l'on travaillait surtout sur les procédures collectives.

M. Pierre LYON-CAEN : C'est cela ! Ce sont celles pour lesquelles les problèmes sont les plus importants. D'abord, ce sont les procédures collectives qui mettent le plus en jeu l'intérêt général. En effet, dans toutes les procédures collectives, des créances très importantes de l'État et de la sécurité sociale sont à recouvrer. De plus, beaucoup de ces procédures ont des conséquences économiques et sociales d'importance régionale et parfois nationale.

Ensuite, ce sont dans ces procédures que l'on peut craindre le plus des interférences douteuses entre les membres de cette juridiction et la nature de l'affaire qu'ils ont à traiter par le jeu des reprises ou des transferts de propriétés imposés par le tribunal de commerce. De toute évidence, il est difficile de demander à un commerçant garagiste de ne pas porter intérêt à une affaire dans laquelle un garagiste concurrent est en difficulté et pour laquelle il faut choisir le repreneur. On peut penser que ce garagiste aura du mal à être objectif et qu'il parvienne à une justice impartiale. En toute hypothèse, au regard de l'apparence, un doute subsistera dans l'esprit des justiciables.

M. le Président : Vous avez été procureur de Nanterre.

M. Pierre LYON-CAEN : Oui.

M. le Président : Qu'auriez-vous à nous dire sur le tribunal de Nanterre ?

M. Pierre LYON-CAEN : Sur la carte, il n'y avait rien à dire ! Il y avait un tribunal pour le département. C'était donc un très gros tribunal. Il n'y avait donc pas de problème à cet égard.

Quant au fonctionnement, le procureur ayant à s'occuper d'énormément de choses, il ne peut pas tout savoir et tout connaître. Ce qui m'a cependant le plus frappé, c'est la méconnaissance par un certain nombre de juges consulaires de ce que j'appellerai la déontologie professionnelle.

À plusieurs reprises, j'ai dû m'élever contre le fait qu'un juge ne s'était pas « déporté », comme nous disons dans notre jargon, c'est-à-dire qu'il n'avait pas refusé de siéger dans une affaire, alors qu'il était le créancier, à titre personnel, d'une des parties ou bien parce qu'il avait eu des problèmes avec la partie en question. Évidemment, le justiciable écrivait au procureur de la République pour lui faire part de son étonnement de voir siéger son concurrent dans la formation qui l'avait jugé. Effectivement, cela nous paraît, à nous, magistrats professionnels, assez extraordinaire.

M. le Président : Aux justiciables aussi !

M. Pierre LYON-CAEN : Bien entendu, aux justiciables concernés !

M. le Président : Il n'y avait qu'à ces juges que cela ne paraissait pas extraordinaire.

M. Pierre LYON-CAEN : Effectivement, ce qui nous paraissait extraordinaire ne leur semblait nullement extravagant.

M. le Président : Cela s'est-il produit plusieurs fois ?

M. Pierre LYON-CAEN : Plusieurs fois, en effet.

M. le Président : Quelles en ont été les suites ?

M. Pierre LYON-CAEN : Le président du tribunal de commerce auquel je faisais part de mon vigoureux étonnement m'a dit en effet que cela n'aurait pas dû se produire. Il m'a dit que l'intéressé aurait dû en tenir compte et qu'il lui ferait les plus sévères observations. Je ne pouvais pas, en ce qui me concernait, aller plus loin. Il y a eu plus grave, et je pense pouvoir en faire état puisque je ne citerai pas de noms...

M. le Président : Sauf si on vous le demande !

M. Pierre LYON-CAEN : Même si vous me le demandez, je ne suis pas obligé de répondre nécessairement à toutes les questions.

M. le Président : Vous avez prêté serment de dire toute la vérité ! Veuillez poursuivre.

M. Pierre LYON-CAEN : J'ai appris avec beaucoup d'étonnement, mais je ne sais plus très bien comment, que celui qui était à l'époque président du tribunal de commerce avait donné instruction par écrit aux mandataires de ce tribunal, dans toutes les affaires de procédure collective dans lesquelles un mandat était confié par le tribunal de commerce à ces mandataires, d'avoir systématiquement recours à une société ou une personne chargée d'expertiser la qualité des assurances souscrites dans l'entreprise prise en charge par le mandataire en question. Le principe était tout à fait justifié. En effet, l'administrateur doit savoir si l'affaire qu'il administre est convenablement assurée.

L'ennui, c'est qu'il était dit dans ces instructions qu'il fallait avoir recours à une personne déterminée, laquelle n'était autre que le fils du président en question.

M. le Président : Inutile de nous dire le nom ! On le retrouvera très facilement.

M. Pierre LYON-CAEN : Je ne le dirai pas. J'ai convoqué les administrateurs pour leur demander si sur la place de Paris, au sens large, le personnage en question était le seul à pratiquer cette activité. Ils m'ont répondu que ce n'était pas le cas. Quand je leur ai demandé pourquoi ils pratiquaient ainsi, ils m'ont répondu qu'ils en avaient instruction.

M. le Président : Ecrite ?

M. Pierre LYON-CAEN : Ecrite.

Je leur ai donc demandé de mettre fin immédiatement à cette pratique qui était, à l'évidence, contraire à tous les principes. J'ai convoqué le président en question pour lui faire part également de ma manière de penser. Il a bien voulu me dire qu'il donnerait lui-même instruction de mettre fin à cette pratique. Je lui ai également indiqué que j'allais faire connaître à ma hiérarchie cette pratique qui me semblait contraire à la loi. C'est ce que j'ai fait et cela a conduit à l'ouverture d'une instruction pénale qui s'est terminée, cependant, par un non-lieu.

M. le Président : Un non-lieu récent ? Etiez-vous encore procureur ?

M. Pierre LYON-CAEN : Il a été rendu peu de temps après mon départ.

M. le Rapporteur : En quelle année avez-vous quitté le tribunal ?

M. Pierre LYON-CAEN : En mai 1994.

Quand je dis que les magistrats consulaires n'ont pas toujours une connaissance parfaite de la déontologie professionnelle...

M. le Président : C'est un euphémisme !

M. Pierre LYON-CAEN : ... c'est, en effet, un peu un euphémisme.

M. le Président : Parler de « vigoureux étonnement » n'est pas suffisant.

M. Pierre LYON-CAEN : Je cite un troisième exemple. Quand j'ai pris mes fonctions de procureur, j'ai tenu à recevoir les mandataires du tribunal de commerce et mes collègues les plus proches m'ont indiqué qu'il serait tout à fait inopportun que j'invite tous les administrateurs en même temps, car l'un d'entre eux était mis à l'index et ne pouvait pas, par conséquent, être reçu en même temps que les autres.

Je n'ai pas du tout compris ce que cela pouvait vouloir dire. J'ai donc suivi les conseils de mes collègues en recevant les administrateurs sans cet administrateur que j'ai reçu ensuite, seul. J'ai compris qu'elle n'était saisie d'aucun dossier et je lui en ai demandé les raisons. Elle m'a répondu qu'elle faisait, en effet, l'objet d'un ostracisme de la part du tribunal de commerce et qu'elle allait devoir mettre fin à ses fonctions parce qu'elle n'avait aucun dossier, donc aucune activité. Elle ne pouvait plus payer sa secrétaire, après avoir licencié les quelques personnes qu'elles avait recrutées. Elle ne pouvait plus payer son bail.

J'ai fait venir le président du tribunal de commerce pour lui dire qu'il devait y avoir à l'encontre de cette personne des « cadavres dans des placards », qu'elle avait sans doute commis des fautes gravissimes expliquant ce comportement. J'ai ajouté que la situation ne pouvait subsister en l'état et que s'il avait des griefs graves à l'égard de cette personne, il fallait m'en faire part pour la faire radier purement et simplement de la liste des administrateurs. Au contraire, s'il n'avait pas de griefs dont il pouvait faire état, il fallait qu'elle soit traitée comme les autres.

Il m'a expliqué qu'en réalité, il n'avait pas grand chose à lui reprocher. D'ailleurs, comme personne ne l'avait pratiquement jamais saisie de quoi que ce soit, il ne pouvait pas porter une appréciation précise sur ses compétences.

M. le Président : C'était le même président, celui qui n'avait pas une connaissance parfaite de la déontologie ?

M. Pierre LYON-CAEN : Le même, en effet.

J'ai dû me « gendarmer » très fort pour obtenir, en me faisant notamment communiquer des statistiques mensuelles, que cet administrateur soit traité comme les autres. En réalité, une petite enquête m'a révélé que lorsque cette administrateur avait été candidate, l'ensemble des autres administrateurs ne voulaient pas d'un administrateur supplémentaire. Ils avaient donc tout fait pour essayer d'empêcher cette désignation. Ils n'avaient pas obtenu satisfaction puisque la commission avait finalement décidé de son inscription. Avant la réforme de 1985, l'autorité compétente ne pouvait inscrire sur la liste des syndics de faillite que sur proposition du tribunal de commerce, lequel ne proposait que si les syndics en place étaient d'accord. La loi de 1985 a fait sauter ce verrou.

Cette affaire me paraît révélatrice d'une réalité, aujourd'hui évidente pour moi : celle d'une espèce d'inversion de situation, en ce sens que les mandataires sont en réalité les mandants et les mandants en réalité les mandataires. Il n'y a pas de subordination du mandataire à l'égard du mandant !

M. le Président : Et ce devant une des plus grandes juridictions de France ?

M. Pierre LYON-CAEN : Elle est en effet considérée comme la deuxième de France.

De fait, cet administrateur n'était saisi d'aucun dossier tout simplement parce que les autres administrateurs ne voulaient pas qu'elle le soit. C'est tout !

J'ai pu obtenir qu'il en soit différemment parce que nous avions introduit dans le texte de la loi de 1985 sur les administrateurs une disposition prévoyant, dans cette perspective, que le parquet pouvait faire appel des désignations et que, pour une bonne administration de la justice, il pouvait demander à la cour d'appel qu'un autre administrateur que celui désigné par le tribunal de commerce le soit. Menaçant donc d'user de cet article, j'ai obtenu, de guerre lasse, car ce ne fut pas immédiat, qu'elle soit saisie d'affaires qui lui rapportent, car d'après ce qu'elle m'avait expliqué, ce n'était pas d'abord le cas. Ensuite, sur protestation de ma part, j'ai obtenu qu'elle ait quelques affaires, puis un nombre un peu plus important et qu'elle soit traitée, au bout de plusieurs mois, à peu près comme les autres.

Cette affaire me paraît très révélatrice d'une réalité. Par la nature même des choses, les administrateurs qui sont des professionnels compétents, des permanents non seulement parce que c'est leur profession à titre principal, exclusif, mais aussi parce qu'ils l'exercent toute leur vie professionnelle, ont une position dominante par rapport à des juges consulaires. Ces derniers ne le sont qu'à titre accessoire d'une profession principale, pour une durée déterminée de cinq ou dix ans, en tout cas pas toute leur vie. Dans ces conditions, ils ont besoin des administrateurs, ce qui ne leur permet pas, sauf exception, de jouer pleinement comme il serait naturel qu'ils le jouent, leur rôle de mandants surveillant, contrôlant, imposant aux mandataires ce qui doit être.

M. le Président : Saviez-vous que des mandataires de Nanterre avaient des établissements secondaires dans les DOM-TOM ?

M. Pierre LYON-CAEN : Non. Je n'ai eu connaissance d'irrégularités graves concernant un administrateur judiciaire que quelques semaines avant mon départ. J'ai eu un signalement de la commission de lutte contre la corruption qui venait d'être créée auprès du garde des sceaux. Son nom exact m'échappe. Je ne sais d'ailleurs pas si elle continue d'avoir une activité. Ce signalement mettait en cause un administrateur du tribunal. Il s'agissait d'une affaire pénale de détournement pur et simple de fonds. Je n'avais pas d'éléments me permettant d'ouvrir une information, faute de source citée par cette autorité officielle, puisqu'il s'agissait d'un renseignement anonyme parvenu à sa connaissance. J'ai cependant saisi aussitôt les services les plus compétents de la police judiciaire. J'ai suivi de très près le début de cette première affaire. D'autres administrateurs ont été mis en cause par la suite, mais je n'avais pas eu sur eux de renseignements précis.

M. le Président : Il semble qu'une des pratiques de certains administrateurs français opulents est d'avoir des établissements secondaires dans toutes sortes de pays. On s'en aperçoit en allant à la « pêche » aux affaires. Le procureur qui devrait les surveiller est celui de l'endroit où ils sont nommés...

M. Pierre LYON-CAEN : Oui.

M. le Président : ... mais en réalité, il n'y a aucun moyen de le savoir.

M. Pierre LYON-CAEN : Oui. Mais là, il faut voir les choses en face. Certes, le procureur a, dans ses attributions, la surveillance de tous les auxiliaires de justice au sens large, c'est-à-dire les huissiers de justice, les notaires, les commissaires-priseurs, les administrateurs, les mandataires-liquidateurs, etc.

Mais il est parfaitement illusoire de penser qu'un parquet, si important qu'il soit, peut réellement opérer une surveillance, car les magistrats du parquet n'ont pas la compétence pour inspecter la comptabilité d'un administrateur et ils n'en ont certainement pas le temps. Ayant le plus grand mal à suivre un certain nombre de procédures devant le tribunal de commerce, il ne peuvent pas, de toute évidence, exercer un contrôle sérieux sur les administrateurs.

M. le Président : Il n'y a pas de magistrats spécialisés à Nanterre ?

M. Pierre LYON-CAEN : Il y a des magistrats spécialisés.

M. le Président : Que faisaient-ils alors ?

M. Pierre LYON-CAEN : Ils avaient le plus grand mal à suivre les procédures collectives devant le tribunal de commerce. À certains moments, ils n'y parvenaient pas.

Par ce biais, ils pouvaient peut-être recueillir des renseignements, mais rien de sérieux. En tout cas, pendant que j'étais procureur, le parquet n'a jamais eu la possibilité d'exercer un contrôle quelconque à l'égard des administrateurs. Ce n'est pas ainsi que le contrôle peut être fait utilement.

En revanche, la loi de 1985 avait créé une mission d'inspection. Mais j'ai appris avec la plus grande tristesse que cette mission n'a jamais comporté plus d'un seul magistrat. Que peut faire un magistrat pour toute la France ? Comment peut-il contrôler 350 ou 400 mandataires ? C'est dire qu'aucun contrôle n'était assuré et que cette partie de la loi est restée lettre morte. Avant que la loi de 1985 ne crée cette mission d'inspection permanente, celle-ci était confiée à une sorte d'ordre professionnel intitulé « association » mais dont tous les professionnels devaient être adhérents. La loi de 1985 avait dissout cette « association ». Malheureusement, sur la pression des professionnels concernés, elle a de nouveau été instituée et chargée du contrôle des administrateurs judiciaires. L'alibi pour laisser les professionnels se contrôler eux-mêmes était à nouveau en place, en dépit d'un certain nombre de précautions prises.

M. le Président : Vous nous dites donc que les contrôles n'étaient pas suffisants pour des raisons de moyens.

M. Pierre LYON-CAEN : Il est illusoire de penser que dans ce domaine, les parquets puissent exercer un contrôle autrement que de manière ponctuelle. Encore une fois, ils n'ont ni la compétence technique pour se plonger dans la comptabilité complexe d'un administrateur, ni la disponibilité pour pouvoir le faire autrement que de manière exceptionnelle, sur une affaire, dans un cas particulier.

M. Roger FRANZONI : Finalement donner compétence sur les procédures collectives aux grands tribunaux de commerce n'apporterait pas grand chose ! Nanterre est un grand tribunal de commerce et qu'est-ce que cela donne ?

M. Alain VEYRET : Le problème est lié au tribunal de commerce lui-même !

M. le Président : Un tribunal de commerce non écheviné.

M. Pierre LYON-CAEN : Il ne faudrait pas tirer de mes propos que rien ne fonctionne et que le scandale est partout. Il existe tout de même, surtout dans les grands tribunaux de commerce, des juges consulaire de qualité qui mettent leur très grande expérience professionnelle au service du fonctionnement des juridictions.

M. le Président : Nous vous en donnons acte. Ils se chargent d'ailleurs de nous le rappeler !

M. Pierre LYON-CAEN : J'en suis convaincu ! Mais je ne voudrais pas que l'on puisse penser que mon opinion est uniquement négative.

M. le Président : Non, rassurez-vous !

M. Pierre LYON-CAEN : Certains éléments sont incontestablement positifs. Ce serait aussi une erreur de se passer complètement de l'expérience acquise par un certain nombre de juges consulaires dans leur vie professionnelle et dans les affaires.

M. Alain VEYRET : Ma question porte sur la loi de 1985 et la mise en place des administrateurs. Comment avez-vous, à l'époque, traité la question de la rémunération des administrateurs, qui aujourd'hui pose tout de même un certain nombre de problèmes à en croire les justiciables qui s'en plaignent ?

M. Pierre LYON-CAEN : Le problème des tarifs des professions tarifées est extrêmement complexe.

À la chancellerie, il y avait un spécialiste. Je ne suis pas sûr que le résultat auquel on est parvenu à la suite des modifications intervenues - car nombreuses ont été les modifications tarifaires pour les professions réglementées - soit excellent. Je ne suis pas un spécialiste de ce domaine. Je n'ai pas eu personnellement à examiner la question (le décret tarifaire n'a été définitivement mis au point que plusieurs mois après mon départ du cabinet du garde des sceaux), mais je crois en effet que nous ne sommes pas parvenus à une solution satisfaisante et équilibrée, ce qui est cependant possible.

M. Alain VEYRET : À l'époque, jamais n'a été évoquée la possibilité qu'un service public d'administrateurs puisse se mettre en place ?

La philosophie de la loi de 1985 visait tout de même à préserver au maximum l'emploi et peut-être d'éviter d'avoir, en contrepartie, des frais très importants associés à l'administration judiciaire.

M. Pierre LYON-CAEN : Le problème a été évoqué dans le cadre des réflexions qui ont été menées sur la réforme des administrateurs et mandataires des tribunaux de commerce. Mais cette solution a été très rapidement écartée pour des raisons purement et simplement budgétaires. L'idée de créer un corps de fonctionnaires a très vite été mise de côté sans que la réflexion de fond ait été approfondie. Il n'était pas question d'accroître les charges publiques.

Il en a été de même pour les greffiers des tribunaux de commerce. Il s'agit d'une survivance, car ce sont les derniers officiers publics qui subsistent. Manifestement, dans la suite des réformes qui datent maintenant de plus de trente ans sur la fonctionnarisation des greffiers des juridictions de droit commun, on a oublié, volontairement ou non, les greffiers des tribunaux de commerce. Il est certain que la question a été posée. Mais là aussi, le problème de l'indemnisation et de son financement a conduit à considérer que ce n'était pas prioritaire.

M. le Rapporteur : Nous avons reçu le CNPF qui est venu s'exprimer à la place qui est la vôtre aujourd'hui. Il nous a expliqué que les représentants des créanciers qui se transforment en liquidateurs dans la phase liquidative de la procédure, sont finalement payés par l'entreprise en difficulté avec l'argent des créanciers, d'ailleurs, et ce pour les trahir.

La représentation des créanciers posait dans la bouche de celui qui l'exprimait le problème de la représentation fidèle des intérêts des créanciers.

Les porte-parole du CNPF se demandaient s'il ne fallait pas salarier ou faire salarier par les créanciers eux-mêmes les représentants des créanciers, puis les liquidateurs ? Ces derniers agissent finalement dans le cadre de la période d'observation ou de redressement, uniquement pour le compte des créanciers, puis dans la phase liquidative, exclusivement pour valoriser les actifs et satisfaire les intérêts, si c'est possible, de tous les créanciers.

Compte tenu de cette forme d'absence de contrôle, de cette relation perverse que vous décriviez très bien entre le mandataire et le juge-commissaire qui ne contrôle rien - c'est le mandataire qui obtient ce qu'il désire - ne faudrait-il pas finalement faire surveiller le mandataire par son véritable mandant qui serait la communauté des créanciers ? Cette question renvoie à la remise en cause d'un certain nombre de concepts qui se sont retrouvés dans la loi du 25 janvier 1985.

Un certain nombre de pistes qui intéressent la commission, ont été évoquées par M. Verny, vice-président de la commission juridique du CNPF. Ce dernier souhaiterait qu'un représentant soit payé par la communauté des créanciers. Il est vrai que les créanciers privilégiés n'ont pas les mêmes intérêts que les créanciers chirographaires. Par conséquent, peut-être en faudrait-il deux pour multiplier les protagonistes dans la procédure, faire en sorte qu'ils représentent exclusivement ceux pour qui ils sont là et pour multiplier les occasions de débat contradictoire.

Cette question est complexe mais j'estime qu'elle est importante.

M. Pierre LYON-CAEN : Le problème n'est pas facile et il n'existe pas de solution idéale. Vous avez parlé de trahison de l'intérêt des créanciers. J'avoue ne pas avoir très bien compris. Théoriquement, un mandataire qui n'a pas d'intérêts personnels dans l'affaire devrait se spécialiser dans la défense des intérêts des créanciers précisément, et ce par opposition à l'administrateur. On a voulu justement éviter la confusion qui existait avant. Cette dualité paraissait une solution a priori équilibrée pour que l'un défende les intérêts de tous les créanciers pendant que l'autre ne s'occupe que d'administrer, sans « polluer » son administration par le problème des créanciers.

La dialectique devait exister du fait de cette dualité professionnelle que l'on nous a reprochée en nous disant que l'on allait accroître le coût. Il est vrai en effet qu'il ne faut pas créer trop d'intervenants parce que nécessairement, il faudra les payer.

Théoriquement, la situation aurait donc dû être, là aussi, équilibrée et satisfaisante.

M. le Rapporteur : C'était la théorie.

M. Pierre LYON-CAEN : C'était, en effet, la théorie.

Se pose le problème des tribunaux de commerce, de leur composition et de leur poids réel à l'égard de ces professionnels. L'échevinage peut être une des solutions. En tout cas, il est certain que des professionnels qui sont amenés à gérer des fonds d'autrui sans être soumis à un contrôle réel et effectif peuvent se laisser aller aux résultats que l'on a pu constater.

J'en donnerai un exemple. Nous avions prévu - et Dieu sait que cela a été difficile à mettre en place - l'obligation pour les administrateurs de verser à la Caisse des dépôts et consignations les fonds qu'ils pouvaient détenir, bien entendu en comptes de dépôt et non pas en comptes de consignation. Nous avons d'ailleurs eu les plus grandes difficultés à le faire accepter aussi bien par la Caisse des dépôts que par les professionnels eux-mêmes.

Choisir le support du compte de dépôt avait bien entendu pour objectif de permettre aux administrateurs judiciaires de pouvoir disposer de ces fonds avec facilité pour qu'ils puissent être utilisés dans l'intérêt de l'entreprise ou des créanciers.

Une sanction financière était prévue : l'administrateur devait personnellement supporter les intérêts des sommes en cause, s'il ne les déposait pas dans les vingt-quatre heures, au taux légal, plus cinq points. Comme vous, j'ai lu dans les journaux que les fonds n'étaient pas toujours déposés à la Caisse des dépôts. Sans contrôle, la loi peut contenir les meilleures dispositions, assorties des sanctions les plus efficaces. Si, faute de vigilance, on laisse s'instaurer des pratiques contra legem, toutes les fraudes sont possibles. Par conséquent, il est inutile de légiférer, si l'on ne se donne pas les moyens de faire respecter la loi.



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