Groupe d'amitié France-Allemagne - Deutsch-französische Parlamentariergruppe
Compte rendu des
séances de travail
(traduction
en allemand)
(Übersetzung auf deutsch)
4ème Colloque parlementaire
PARIS-BERLIN
8 AVRIL 2005
Strasbourg
SOMMAIRE
PRÉFACE 5
ACCUEIL ET INTRODUCTION 7
I. OUVERTURE DU COLLOQUE PAR MM. YVES BUR, VICE-PRÉSIDENT DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE, PRÉSIDENT DU GROUPE D'AMITIÉ FRANCE-ALLEMAGNE, ET NORBERT LAMMERT, VICE-PRÉSIDENT DU BUNDESTAG ALLEMAND, REPRÉSENTANT M. WOLFGANG THIERSE, PRÉSIDENT DU BUNDESTAG 9
II. LES SPÉCIFICITÉS DU COUPLE FRANCO-ALLEMAND 13
Exposé de M. René LASSERRE, directeur du CIRAC (Centre d'Information et de Recherche sur l'Allemagne contemporaine) 13
III. LE RÔLE DU COUPLE FRANCO-ALLEMAND EN MATIÈRE ÉCONOMIQUE ET MONÉTAIRE 22
A. Exposé de M. Jürgen STARK, vice-président de la Bundesbank 23
B. Les points de vue des partenaires européens : sujet de méfiance ou facteur de rapprochement ? 31
Exposé de Mme Marianne HAGENHOFER, vice-présidente de la Commission des Affaires européennes du Conseil national autrichien 31
C. Débat 35
IV. LE RÔLE DU COUPLE FRANCO-ALLEMAND EN MATIÈRE DE POLITIQUE ÉTRANGÈRE 47
A. Exposé de Mme Sylvie GOULARD, universitaire, chercheur à Sciences-Po 47
B. Les points de vue des partenaires européens : sujet de méfiance ou facteur de rapprochement ? 55
Exposé de M. Patrick MORIAU, vice-président de la commission des relations extérieures de la Chambre des représentants belge 55
Exposé de Mme Dorota SIMONIDES, membre du Sénat polonais 60
Exposé de M. Egidijus VAREIKIS, membre de la commission des affaires européennes du Parlement lituanien 63
Exposé de Son Exc. M. André ERDÖS, ambassadeur de la République de Hongrie en France 65
C. Débat 68
V. LE RÔLE DU COUPLE FRANCO-ALLEMAND EN MATIÈRE DE DÉFENSE ET DE SÉCURITÉ 77
A. Exposé de M. Andreas BERG, colonel au sein de l'État-Major des armées à la division de la planification, ministère fédéral allemand de la Défense 77
B. Les points de vue des partenaires européens : sujet de méfiance ou facteur de rapprochement ? 86
Exposé de M. Daniel BACQUELAINE, président du groupe MR (libéraux francophones) de la Chambre des représentants belge 86
C. Débat 89
VI. CONCLUSIONS DU COLLOQUE PAR MM. ANDREAS SCHOCKENHOFF, PRÉSIDENT DU GROUPE D'AMITIÉ ALLEMAGNE-FRANCE ET YVES BUR, VICE-PRÉSIDENT DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE, PRÉSIDENT DU GROUPE D'AMITIÉ FRANCE-ALLEMAGNE 94
VII. LISTE DES PARTICIPANTS 101
Le colloque "Paris-Berlin" organisé chaque année par les groupes d'amitié Allemagne-France du Bundestag et France-Allemagne de l'Assemblée nationale se tient alternativement en France et en Allemagne. Cette rencontre permet de réunir des personnalités politiques mais aussi du monde économique, culturel et de la presse. Les parlementaires peuvent ainsi échanger leurs points de vue avec des personnalités de la société civile sur des sujets de société et d'actualité.
La fidélité des membres des groupes d'amitié est exemplaire. C'est grâce à leur mobilisation et à leur enthousiasme que le dialogue est constant entre nos deux assemblées. Il permet ainsi de dépasser les préjugés, les malentendus, les incompréhensions. C'est également grâce à la volonté politique et au soutien de tous les Présidents de l'Assemblée nationale et du Bundestag, qui se sont succédés, que les deux groupes d'amitié ont les moyens de travailler.
Le 8 avril 2005, le 4ème colloque Paris-Berlin s'est tenu à Strasbourg dans les locaux du Parlement européen. Un an après l'intégration de nouveaux membres, il semblait nécessaire de s'interroger sur le rôle du couple franco-allemand au sein de l'Europe élargie. C'est pourquoi le colloque a été organisé autour de ce débat politique majeur auquel ont été associées des personnalités d'autres pays européens. Ces personnalités ont pu ainsi apporter des réflexions nouvelles sur la place du couple franco-allemand qui, aujourd'hui, après le non français au référendum sur la constitution européenne, doit plus que jamais retrouver ses marques.
Au cours de ce colloque trois thèmes ont été introduits par des experts puis débattus : le rôle du couple franco-allemand en matière économique et monétaire, en matière de politique étrangère et enfin en matière de défense et de sécurité.
Le succès de cette rencontre encourage nos deux groupes d'amitié à poursuivre leurs travaux dans une cadre européen afin de mieux réfléchir ensemble sur l'Europe de demain qu'il nous faut construire. Je souhaite remercier une fois encore pour leurs contributions remarquables tous les participants réunis autour du même objectif : l'édification d'une Europe des valeurs, d'une Europe conforme aux aspirations des peuples.
Yves Bur
Vice-président de l'Assemblée nationale
Président du groupe d'amitié France-Allemagne
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M. Yves BUR, vice-président de l'Assemblée nationale, président du groupe d'amitié France-Allemagne, souhaite la bienvenue aux participants de cette quatrième édition du colloque Paris-Berlin. Il salue chaleureusement la présence de Norbert Lammert, représentant Wolfgang Thierse, président du Bundestag. Il excuse l'absence de Jean-Louis Debré, président de l'Assemblée nationale, retenu par une obligation, qui l'a chargé d'exprimer son attachement à des relations franco-allemandes particulièrement dynamiques, dont le colloque Paris-Berlin est une belle illustration. Par ailleurs, il souligne l'engagement d'Andreas Schockenhoff, président du groupe d'amitié Allemagne-France du Bundestag, pour donner sens et contenu aux échanges permanents, qui sont l'essence même de leurs groupes d'amitié.
Avant d'ouvrir les travaux, il tient à rendre hommage au pape Jean-Paul II dont les funérailles se dérouleront ce matin même à Rome, dans une ferveur exceptionnelle qui s'étend partout au monde. Il salue cette personnalité majeure de notre temps pour son engagement inlassable pour la paix entre les peuples, ainsi que sa détermination à faire progresser le dialogue et la tolérance entre les religions. Il insiste également sur son combat permanent en faveur d'un monde plus juste et plus solidaire et son refus de la misère, qui ont durablement marqué les consciences. Il propose de se recueillir quelques instants.
L'Assemblée observe une minute de silence.
I. Ouverture du colloque par MM. Yves BUR, Vice-président de l'Assemblée nationale, président du groupe d'amitié France-Allemagne, et Norbert LAMMERT, vice-président du Bundestag allemand, représentant M. Wolfgang THIERSE, président du Bundestag
M. Yves BUR rappelle que le précédent colloque s'étant tenu à Berlin, il était logique qu'il soit organisé cette année en France. En outre, le sujet retenu désignait tout naturellement Strasbourg comme lieu privilégié pour leurs réflexions, qui porteront à la fois sur le couple franco-allemand et sur la portée de son engagement au service de l'Europe élargie. Située au c_ur d'une région frontalière, il a fallu attendre que Strasbourg cesse d'être un objet de litige pour que la France et l'Allemagne puissent se rapprocher durablement, donnant naissance à l'idée du couple franco-allemand. Mais Strasbourg a aussi une vocation européenne, comme en témoigne le déroulement de cette rencontre dans l'enceinte du Parlement européen. Étant donné le lieu et l'objet de leur réunion, il n'aurait guère eu de sens de limiter le nombre des participants aux seuls Français et Allemands. Ainsi, M. Yves Bur remercie vivement l'ensemble des représentants de tous les pays de l'Union européenne qui ont accepté de prendre part au débat. Qui d'autre saurait mieux entrevoir le rôle du couple franco-allemand au sein de l'Europe élargie ? Par le passé, ce couple a joué un rôle moteur, et avec les élargissements successifs, l'Union européenne a pris une autre dimension. La volonté d'aller de l'avant est plus que jamais un enjeu crucial. Telle est l'exigence qui doit guider l'action du couple franco-allemand au sein de l'Europe élargie.
Depuis le quarantième anniversaire du Traité de l'Élysée, deux ans plus tôt, les relations franco-allemandes sont devenues plus étroites et plus fructueuses. Ce ne sont plus seulement les chefs d'État ou les ministres des Affaires étrangères qui se réunissent à dates régulières. Des Conseils de ministres franco-allemands ont lieu tous les six mois, mettant en contact les ministres allemands et français de la Justice, de l'Éducation, de la Défense, de l'Environnement. Ces rencontres font vivre la coopération dans chaque domaine de la vie nationale. Les premiers résultats sont déjà visibles, avec la publication d'une série de manuels d'histoire communs aux élèves des deux pays. Dans un autre domaine, la Brigade franco-allemande apporte son concours à l'évolution pacifique de la situation en Afghanistan, la portée de cette coopération permanente entre les deux pays ne se limitant pas au cadre bilatéral.
Les débats à la Convention sur l'avenir de l'Europe, l'ont prouvé : en travaillant côte à côte dans cette enceinte, la France et l'Allemagne se sont efforcées d'y apporter les propositions les plus constructives pour toute l'Europe. Partant d'idées assez éloignées sur la réforme institutionnelle, les deux pays ont su rapprocher leurs positions jusqu'à proposer des contributions communes conçues pour faire avancer l'ensemble du débat. Cette sorte de réquisition volontaire au service de l'intérêt général européen est la justification profonde de la coopération franco-allemande au sein de l'Europe de demain.
Issu des travaux de la Convention, le Traité constitutionnel prévoit de donner aux parlements nationaux un droit de regard nouveau sur le respect du principe de subsidiarité et un droit de suivi renforcé sur le cours des affaires européennes en général. Avec tous les autres parlements de l'Union européenne, l'Assemblée nationale et le Bundestag mettent déjà au point les mécanismes pratiques de la coopération qui sera fondamentale lorsqu'ils devront se prononcer sur la légitimité d'une intervention de l'Union dans la législation. Au-delà de cette intervention sur la subsidiarité, une coopération entre les parlements nationaux - notamment entre l'Assemblée nationale et le Bundestag - s'avère indispensable pour garder une influence directe sur les décisions prises au niveau européen. Ainsi, au mois de février, l'Assemblée nationale et le Bundestag ont-ils formé un groupe de travail sur la directive services - dite directive Bolkestein -, groupe semblable à celui qui avait déjà examiné l'année précédente la situation de l'Office franco-allemand de la jeunesse. Dans le même esprit, le mécanisme d'alerte prévu par le Traité constitutionnel ne doit pas être compris comme un frein au fonctionnement naturel de l'Union européenne. Il doit tout au contraire se concevoir comme le moyen d'apporter une contribution constructive au débat communautaire. Car ce débat se caractérise par sa large ouverture et sa volonté d'intégrer toutes les positions et toutes les propositions dans une solution de compromis, parfois imparfaite, mais toujours de vaste envergure. Ce n'est qu'en gardant cette exigence constructive à l'esprit, en la partageant avec les autres pays européens, que la coopération franco-allemande saura conserver sa capacité d'impulsion européenne. Ce n'est également qu'en gardant cette exigence à l'esprit que les débats de ce 4e colloque Paris-Berlin pourront trouver un écho utile et favorable à travers l'Union européenne.
M. Norbert LAMMERT, représentant le président du Bundestag, se penche sur les grands événements historiques européens qui se sont déroulés un 8 avril, date du présent colloque, qui est également la date choisie par les cardinaux à Rome pour les funérailles du pape Jean-Paul II. Ceux-ci ignoraient-ils que le 8 avril est une date capitale dans l'histoire de l'Église ? En effet, le 8 avril 1378, l'élection d'Urbain VI et la déclaration du roi de France de nommer Clément VII antipape à Avignon, marquent le début du Grand schisme de l'Église catholique. Dans un passé plus récent, le 8 avril 1904, l'Entente cordiale a été proclamée, laquelle a profondément marqué l'opinion européenne qui a vu Paris et Londres enterrer leurs divergences coloniales en Afrique pour une coopération politique - alliance ensuite complétée par l'adhésion de la Russie à la Triple Entente, particulièrement originale. Par ailleurs, le 8 avril 1949, les ministres des Affaires étrangères de l'Allemagne, de la France, de la Grande-Bretagne et des États-Unis décidaient du régime d'occupation de l'Allemagne. Avec la loi fondamentale allemande, ce régime a constitué la base de l'existence étatique de la République fédérale d'Allemagne, État sous tutelle pendant 10 ans. La coïncidence de ces trois dates montre à quel point l'Europe a connu un développement spectaculaire au fil des siècles. Ces transformations ont toujours porté la marque des relations franco-allemandes. Dans cette Europe, la capacité à surmonter la rivalité entre les deux pays et à la remplacer par une amitié tout aussi grande, a toujours été un élément consubstantiel du développement européen. Sans cela, l'Europe actuelle n'aurait jamais vu le jour.
L'Allemagne et la France ont été les deux moteurs déterminants et les principaux États fondateurs de la première Europe des six. Ils ont donné son visage à cette Communauté économique et politique européenne. Cela est particulièrement vrai pour les événements les plus récents, tels la Convention de Schengen, le Traité de Maastricht, l'introduction de l'euro, le Traité de Nice, l'élargissement à l'Est et le Traité constitutionnel. Ces textes n'auraient pas vu le jour sans la coopération franco-allemande.
Le Bundestag est bien évidemment déterminé à poursuivre cette coopération avec les nouveaux paramètres d'une Communauté à vingt-cinq. Si le mode de coopération franco-allemande risque de changer, son importance ne régressera pas pour autant. Cela est encore plus vrai si l'on considère que l'enjeu prioritaire reste la grande question controversée de l'approfondissement ou de l'élargissement au plus grand nombre d'États. Les faits montrent que la priorité a été donnée à l'élargissement au détriment de l'approfondissement. Quelles sont les raisons majeures de ce choix et représentait-il un bon choix ? Les historiens pourront en juger à l'avenir, mais les responsables politiques doivent aujourd'hui faire face à cette priorité qui s'est imposée. D'autant que rien ne permet de croire que les vingt-cinq États membres ratifieront ce Traité constitutionnel qui vise à l'approfondissement. Le présent colloque offre une excellente occasion de réfléchir à certains défis en toute franchise et ouverture.
Cependant, cela ne suppose pas seulement la coopération des gouvernements, basée sur la confiance. En effet, l'essentiel ne repose pas uniquement sur la coopération franco-allemande, mais sur la capacité à l'articuler avec d'autres gouvernements. Pour relever ces défis, les parlements ont un rôle incontournable à jouer. Cette affirmation est devenue une banalité, au même titre que la politique européenne est un prolongement de la politique intérieure. La politique européenne ne peut pas être réduite à un simple élément de la politique étrangère. Si l'on considère que la politique européenne se place en appui de la politique intérieure, on ne peut accepter que la première soit un sous-élément de la seconde. Des accords récents ont concerné un pacte de stabilité rénové qui n'aurait pas vu le jour si l'Allemagne et la coopération franco-allemande ne l'avaient pas rendu possible. Dans une action conjuguée des deux gouvernements, ce pacte a été modifié.
Par ailleurs, une initiative franco-allemande remarquable a permis de lever l'embargo sur les ventes d'armes à destination de la Chine. Cette réussite est étroitement liée à une certaine conception européenne et son rapport au reste du monde. Lorsque les gouvernements allemand et français ont milité pour la suspension de cet embargo européen, ils ont avancé des arguments forts, mais qui ne le sont pas plus que les contre-arguments. Cet aspect est fortement attaché à une Europe qui se considère comme une communauté. Les relations mutuelles ne se limitent pas à la traditionnelle politique étrangère développée au cours des deux siècles derniers mais il s'agit de nouer des relations entre les maillons des différentes sociétés. Cette responsabilité de définir un cap européen relève donc au moins autant des parlements que des gouvernements. Et c'est pourquoi ce colloque revêt une si grande importance.
En conclusion, M. Norbert Lammert souhaite chaleureusement la bienvenue à toutes les personnes présentes, au nom de la présidence du Bundestag, en appelant de ses v_ux des échanges fructueux et instructifs et en ajoutant qu'il mise beaucoup sur la poursuite de la coopération franco-allemande.
II. Les spécificités du couple franco-allemand
- Exposé de M. René LASSERRE, directeur du Centre d'Information et de Recherche sur l'Allemagne Contemporaine
M. René LASSERRE, directeur du CIRAC (Centre d'Information et de Recherche sur l'Allemagne Contemporaine), estime que la spécificité du couple franco-allemand, relève d'un certain « miracle ». En effet, ce lien n'était pas évident au départ. Or, aujourd'hui, au vu des progrès accomplis par les deux peuples, la fierté est légitime. Il s'agit d'un exemple singulier dans l'histoire dont il faut s'inspirer pour explorer des pistes nouvelles afin de perpétuer le travail entrepris.
Le partenariat étroit, développé entre la France et l'Allemagne depuis soixante ans, constitue un exemple sans doute unique dans l'histoire des relations internationales des temps modernes. Il n'existe aucun autre exemple de deux pays civilisés qui se soient affrontés brutalement au cours de trois générations successives, et qui devant les décombres ont construit autre chose. La France et l'Allemagne ont donné l'exemple qui doit inspirer la réunion des deux Europe. Ce pari n'était pas évident et il ne suffisait pas de vivre en paix. Les deux pays ont réussi à développer une entente profonde, alors que l'esprit de revanche restait encore très présent. Ils ont contribué ensemble, de manière décisive, à construire un nouvel espace de paix et de prospérité. Ils ont surmonté des antagonismes séculaires, des maladies chroniques comme le nationalisme, les clivages idéologiques. La ténacité de la construction européenne est venue à bout de la division est-ouest, avec la collaboration du Pape Jean-Paul II. Mais la spécificité consiste surtout en l'énergie et la persévérance qui a caractérisé l'action des responsables politiques, économiques, culturels, sociaux et scientifiques dans ce grand processus.
L'image du « moteur » s'impose, même si celle-ci est réductrice sur le plan intellectuel. Nul n'ignore l'importance de l'industrie automobile pour les deux pays. Il est heureux que ce « moteur » franco-allemand fonctionne, que ce soit un « moteur » de sécurité, qui assure un bon acheminement à une vitesse idéale. On est loin de cette « force mécanique supérieure » évoquée par le général de Gaulle dans l'appel du 18 juin, qui avait vaincu la liberté et la démocratie. Cette force s'est transformée en « moteur » qui fonctionne, qui rapproche les hommes, et elle a été transcendée dans une dynamique positive.
Différentes étapes ont été tout à fait décisives : le plan Schumann au départ, avec la mise en place du potentiel commun du charbon et de l'acier ; puis le Traité de Rome, qui a créé cet espace économique ; ainsi que le Traité franco-allemand de l'Élysée -étape plus importante qu'on ne le croit -, qui a structuré un élément essentiel et permis à la synergie franco-allemande de voir le jour. De nouveaux enjeux sont apparus ensuite, et notamment en France, le défi de la modernisation, dont mai 1968 a représenté un épisode difficile. Placée au bord du gouffre dans le cadre franco-allemand, la France a dû surmonter une première déconnexion économique importante. Quelques années plus tard, la France et l'Allemagne ont dû faire face ensemble au choc pétrolier. Là encore, deux hommes ont joué un rôle essentiel par leur lucidité et leur volonté, alors qu'ils n'étaient pas a priori destinés à cette étroite collaboration franco-allemande. Valéry Giscard d'Estaing était un grand technocrate qui se pensait international, et Helmut Schmidt s'orientait beaucoup vers le monde anglo-saxon et connaissait assez peu la France. Ces deux hommes ont construit ensemble la base de ce qui deviendra l'Union économique. Ils l'ont voulue avec beaucoup de ténacité. Il n'était pas facile de faire décrocher du dollar lorsque les monnaies flottaient et que les taux d'inflation étaient élevés. D'autres enjeux étaient singulièrement plus difficiles à maîtriser, mais pas à pas, les bases ont été jetées. L'année 1981 a également représenté une autre épreuve fondée sur une divergence de politique économique et de projet, qui s'est finalement rapidement estompée, puisqu'en 1983, la France a mis en place une politique de convergence, faisant preuve d'un courage extraordinaire. Ramener l'inflation en quelques années de 13 % à 3 ou 4 % a été un exploit considérable, fortement subi par les Français, qui l'ont accepté volontairement. En France, les discussions sur un jour férié que l'on refuse d'accorder font écho aux débats sur la désindexation des salaires qui s'est révélée particulièrement douloureuse. Les efforts des entreprises et leur internationalisation à marche forcée ont également été extraordinaires. Puis est venu le défi de l'unification, avec un double choix européen que la France et l'Allemagne ont fait ensemble, pour l'Union européenne et l'approfondissement de l'Union, et celui de la monnaie. On sait combien les positions étaient éloignées et combien les intérêts étaient antagonistes. Pourtant, à force de discipline, de conviction et de dialogue, l'indépendance de la Banque centrale a été acceptée avec force difficultés. De son côté, en Allemagne, le débat sur la convergence économique a dû surmonter nombre de doutes. Finalement, une monnaie commune a été créée, dans une période difficile, après la réunification et l'enclenchement du processus de mondialisation, et en dépit de la crise du milieu des années 1990. Bien qu'elle connaisse quelques difficultés à travers le pacte de stabilité, cette monnaie se maintient bien.
Si les obstacles n'ont pas manqué, l'Allemagne et la France ont continué à avancer. La raison des populations à faire les bons choix au bon moment peut donc représenter matière à confiance. La deuxième singularité du couple franco-allemand réside dans le fait qu'il n'a pas été seulement un couple politique. Ce n'est pas une relation d'État à État, mais de pays à pays, de peuple à peuple. Cette singularité irrite parfois les voisins, car il existe une complicité franco-allemande pour l'Europe. La spécificité tient aussi à la clairvoyance de ceux qui ont construit cette relation. Le couple franco-allemand repose ainsi sur un enracinement dans les populations, dans les groupes sociaux et les sociétés civiles des deux pays : c'est là qu'elle puise sa force. Il existe une volonté et un vécu partagé entre les deux populations. Les peuples ont imposé le choix de la raison en même temps que les hommes politiques ont tiré cet « attelage » franco-allemand. Il existe donc une interdépendance étroite qui est tout à fait singulière.
Au-delà de leur clairvoyance politique, les grands hommes politiques de l'époque - Charles de Gaulle et Konrad Adenauer - ont eu la volonté d'enraciner ce projet dans la société civile. Ce fut un choix décisif, qui a produit le Traité d'amitié franco-allemand, l'Office franco-allemand pour la jeunesse et une multiplication de liens entre les sociétés à travers les milliers de jumelages entre les deux pays. Il existe un dialogue très structuré, vivant et partagé, même s'il n'est pas toujours facile. Les Français et les Allemands ont appris à se découvrir, à se comprendre et à s'aimer, mais ils ont aussi appris à débattre, à découvrir leurs différences, à mener des querelles à tous les niveaux, telles les difficultés entre enseignants-chercheurs à se mettre d'accord et à travailler sur un projet de recherche commun. Les différences culturelles sont fortes, mais les deux pays réussissent dans un grand nombre de domaines décisifs à en faire des complémentarités. Ainsi, de grands projets franco-allemands ont vu le jour, qu'ils concernent l'espace ou des avions de toute première catégorie, qui constituent une avancée technologique extraordinaire. La France et l'Allemagne ont appris à surmonter leurs différences et à travailler et construire ensemble. C'est un acquis essentiel qui n'a pas d'équivalent dans le monde.
Les deux pays ont également commencé à comprendre leur passé commun et à le regarder différemment. Ils n'en sont plus au temps de la fascination intellectuelle mutuelle ni à celui où les Français redoutaient Hegel ou étaient fortement impressionnés par la morale de Kant. Ils n'en sont plus, non plus, au temps d'Ernest Renan et des intellectuels français qui, après la guerre de 1870, ont été envoyés en Allemagne pour comprendre les supériorités de ce pays. Ils n'en sont plus, enfin, au temps où ils créaient la Fondation des sciences politiques pour essayer de relever le défi. La France et l'Allemagne ont construit d'autres manières de travailler ensemble désormais. Ils ont commencé à reconstruire une histoire commune. Ainsi, même si la question du manuel franco-allemand a été difficile et tardive, les deux pays écrivent enfin une histoire commune. Ils ont franchi un nouveau pas, symbolique, mais important. Cette capacité à reconstruire une histoire qui ne soit plus antagonique mais une partie de l'histoire européenne est un pas décisif qui en appellera peut-être d'autres.
Une autre spécificité de la relation franco-allemande concerne la société civile. Dans ce domaine, les deux pays n'ont sans doute pas encore été à la hauteur du message annoncé dès le départ. Il existe des phénomènes inquiétants, comme le dépérissement de l'apprentissage de la langue. Le sujet est difficile, mais la France et l'Allemagne n'ont pas mis toute la volonté souhaitable, ni au niveau politique ni au niveau scolaire et pédagogique. Ce domaine montre que le partenariat franco-allemand doit être construit et réinitié en permanence. Ce principe est vrai pour toute forme de communication et de coopération, celles-ci n'étant jamais acquises une fois pour toutes. Cette difficulté à acquérir la langue de l'autre reste le grand défi qui sépare les deux pays. Tant qu'ils n'auront pas avancé dans ce domaine, ce problème constituera un frein. Cet enjeu doit absolument devenir une priorité.
La dernière singularité est relative aux responsables économiques, y compris des PME, qui représentent la colonne vertébrale de cette relation franco-allemande. Les hommes politiques n'ont pas été les seuls clairvoyants : les constructeurs du Marché commun l'ont été également. On fait parfois tenir à Jean Monnet des propos qu'il a sans doute dit par hasard, selon lesquels si c'était à recommencer, il faudrait le faire par la culture. Mais dans ce cas, cela n'aboutirait jamais ! Il a été tout à fait fondé de commencer par l'économie, en parallèle au dessein politique de la réconciliation et de la reconstruction de l'Europe. Le miracle de l'économie et du marché a imprégné les logiques respectives. Cette dynamique du libre-échange s'est révélé un moteur formidable : elle a été miraculeuse. Entre 1960 et 1970, les échanges économiques ont été multipliés par cinq ; depuis 1970, ils ont été multipliés par dix. C'est une interpénétration extraordinaire des deux sociétés.
Aujourd'hui, la relation franco-allemande n'est plus celle des grands projets, mais celle des PME, des partenariats commerciaux concrets, des échanges de cadres. La France et l'Allemagne possèdent une infrastructure du « travailler ensemble » qui est tout à fait singulière et qui n'existe pas au même niveau avec d'autres pays d'Europe, à l'exception peut-être entre la République fédérale et l'Autriche ou la Suisse. Cette interpénétration est génératrice d'intérêts communs, de conflits aussi, mais d'une saine concurrence et d'une bonne dynamique économique. L'exemple allemand sert souvent de référence. Il représente, pour les Français, un puissant aiguillon et les réussites françaises apparaissent pour beaucoup d'Allemands comme miraculeuses. Cela montre que parfois la flexibilité, l'improvisation et la libre initiative ne sont pas forcément mauvaises, que tout n'a pas besoin d'être régulé. Tout cela nourrit des pratiques et doctrines divergentes, parfois assez marquées sur certains plans - notamment dans le domaine des coopérations industrielles. Mais, finalement, par-delà les débats de politique industrielle, les projets sont parfois assez éloignés de ce qu'ils étaient au départ, et cela finit par marcher. Certes, le mérite des hommes politiques a été extraordinaire, mais sans l'économie, ceux-ci n'auraient pas pu imposer leurs politiques. Ainsi, lorsque François Mitterrand fait le choix du système monétaire en 1983, il y est contraint par le réalisme politique. Les Français se rallient à ce choix par raison partagée.
Cependant, la spécificité franco-allemande n'est pas seulement un « moteur », mais une cybernétique extrêmement complexe. Et il convient de faire en sorte qu'il fonctionne mieux. Il est indéniable que cette cybernétique repose sur des volontés politiques, mais aussi sur une dynamique économique complexe, ainsi que sur une dynamique populaire, des peuples et de la société civile qui, à côté de la volonté, de la contrainte et du besoin de l'économie, ont été la sève et l'esprit de l'entente. Il s'agit d'une interaction extrêmement complexe entre la politique (qui donne un cadre, qui fixe les objectifs), une société et une économie qui le mettent à profit, et des penseurs, une opinion publique qui structurent ce destin commun. Les politiques reprennent ensuite à leur compte ces avancées partagées par les populations.
C'est donc une mécanique d'interaction, une sorte de quasi-système politique franco-allemand qui existe et qui n'a pas encore été vraiment étudié, dont le fonctionnement reste en partie mystérieux. Il reste, en effet, à étudier cette cybernétique, pour analyser comment elle fonctionne et comment on pourrait l'améliorer, en sachant qu'il faut toujours se garder de vouloir améliorer ce qui fonctionne. Ceci constitue d'ailleurs une différence franco-allemande profonde : l'Allemagne ne cherche jamais à changer ce qui fonctionne bien, alors que la France s'attache à améliorer des choses qui risquent de moins bien fonctionner ensuite. Il faut se méfier du perfectionnisme. Néanmoins, la dynamique interne de cette cybernétique franco-allemande a besoin d'être mieux étudiée, d'autant qu'elle ne fonctionne plus aussi bien que par le passé. Quels en sont encore les ressorts ? Le système antiblocage de frein électronique bloque souvent, l'allumage électronique a des « ratés », les injections électroniques fonctionnent mal. Heureusement, ils n'ont pas encore découvert le régulateur de vitesse ! Malgré la coopération, ce triangle du politique, de l'économique et de la société et de la culture, ne fonctionne plus aussi bien qu'avant. Les rôles respectifs ne sont-ils plus si bien définis ? En tout cas, une relance politique de la relation franco-allemande s'avère nécessaire.
Les politiques devraient peut-être se garder de trop de volontarisme, et savoir redonner à la société civile un peu plus de latitude d'action sans trop d'ingérence, afin qu'elle ne se sente pas instrumentalisée par des projets de relance politique. Il conviendrait de retrouver une dynamique populaire qui soit plus naturelle. Au cours des dernières années, à force de vouloir avancer, il en a peut-être été fait trop, ce qui a finalement abouti à l'inverse de ce que devrait être la subsidiarité culturelle, en laissant les acteurs libres de leurs projets. Ainsi, les politiques doivent proposer un cadre favorable plutôt qu'intervenir directement. Cela reste cependant difficile, car dans une situation complexe, la société civile n'a pas forcément la dynamique propre pour lancer des initiatives. Le jeu est donc extrêmement compliqué, mais il convient d'y réfléchir. De ce point de vue, les parlementaires ont un rôle essentiel à jouer, à l'articulation entre la puissance publique, l'État, et à l'écoute de la société civile. Tout en réfléchissant à un droit d'alerte à la subsidiarité, une réflexion interne serait à mener sur la gestion de la politique transnationale à l'intérieur même du débat public. Il faudrait avoir un plus grand souci de retrouver cette dynamique socioculturelle interne, et essayer de faire en sorte que cette relation culturelle franco-allemande se régénère par le bas et que l'on retrouve cette extraordinaire variété que constitue l'infrastructure très riche des relations franco-allemandes, qui a parfois tendance à « ronronner ». Il existe un formidable potentiel qu'on ne sait peut-être plus exploiter ou mobiliser. C'est là que réside le sursaut possible.
L'autre élément, le moteur économique, est lui-même en perte de vitesse. Les systèmes économiques allemands et français connaissant de très graves problèmes de compétitivité ne sont plus les économies motrices de l'Europe, comme le reflètent les discussions sur le pacte de stabilité. Une réflexion commune est donc cruciale. La France et l'Allemagne ont tendance à se replier et à chercher des solutions purement nationales, alors que les problèmes sont identiques. Dans le domaine du vieillissement par exemple, ils devraient pouvoir réfléchir ensemble afin de mieux exploiter les ressources des seniors, y compris pour la relation franco-allemande. Il existe un véritable chantier à ce sujet. Des débats sont également à mener sur les politiques de compétitivité, où les problématiques sont pratiquement identiques dans les deux pays. Citoyens et responsables de la société civile devraient être mobilisés sur ces terrains de discussion. Organiser un débat public franco-allemand sur ces thèmes paraît une priorité. Cependant, ces débats ne doivent pas être uniquement franco-allemands, mais au service d'un dialogue européen. Ce qui a été mené au niveau de la « petite » Europe doit être réalisé pour l'Europe élargie, en nourrissant le dialogue européen à partir des exemples franco-allemands et de leurs tissus de relations. Responsables politiques, scientifiques, économiques, devraient chercher à mettre en œuvre ce projet qui est à leur portée. Il s'agit de créer une volonté politique franco-allemande, au service de l'Europe, avec les partenaires européens, d'organiser un dialogue franco-allemand, pour l'Europe et avec l'Europe. Il faudrait penser à définir un tel projet, un concept, mais certainement pas un plan d'action, en laissant générer et stimuler les initiatives à travers un processus assez libre, qui donne de l'initiative aux citoyens sur un certain nombre de sujets. Même s'ils n'ont pas de projet commun, les Français et les Allemands ont des visions communes de l'Europe. Par des moyens différents, ils ont la vision d'une Europe libérale, mais d'un libéralisme régulé. Ceci est partagé par les deux pays, même s'ils n'ont pas les mêmes modes de régulation. L'objectif est le même, partagé par les groupes sociaux, et largement par d'autres pays européens. S'ils apprenaient à formuler un autre projet porteur dans le secteur de la régulation sociale, après les constructions institutionnelles, après les constructions monétaires, un projet sur les mécanismes de régulation sociale ou sur la gestion des régimes sociaux pourrait devenir un objectif mobilisateur pour l'Europe. La France et l'Allemagne ont suffisamment de richesses dans leur tissu commun pour élaborer ces nouvelles frontières de l'Europe, et il reste beaucoup à faire sur ce terrain.
Ainsi, il est crucial de régénérer cette société civile franco-allemande qui s'est un peu normalisée, tout en restant fidèles à ce qui a déjà été accompli. La maxime du général de Gaulle, selon laquelle le devoir d'hier imposait d'être ennemis et le devoir d'aujourd'hui d'être frères, vaut plus que jamais. Il s'agit d'être frères, pour travailler ensemble main dans la main, à la construction de la maison commune, avec les autres. De ce point de vue, le projet franco-allemand a encore un bel avenir.
M. Andreas SCHOCKENHOFF, président du groupe d'amitié Allemagne-France du Bundestag, souligne la clarté du discours du professeur Lasserre. Sa présentation des spécificités du couple franco-allemand a montré le parcours fantastique qu'ont accompli non seulement les deux États, mais également leurs deux sociétés et leurs deux peuples, ainsi que la volonté de mutualiser leurs réponses aux problèmes contemporains. Le professeur Lasserre a également prouvé que les Français et les Allemands n'ont pas agi pour eux seuls. Dans un monde en mutation, ils doivent, dans leur propre intérêt, s'ouvrir aux autres, à un nouveau dynamisme de l'Europe, et assumer un rôle en tant qu'Européens. Il remercie Norbert Lammert pour l'ouverture de ce 4ème colloque Paris-Berlin.
III. Le rôle du couple franco-allemand en matière économique et monétaire
M. Andreas SCHOCKENHOFF présente le Docteur Jürgen Stark, vice-président de la Bundesbank. Au moment où les bases du Traité de Maastricht ont été posées, Jürgen Stark dirigeait le service d'économie extérieure des marchés financiers et de la monnaie à la Chancellerie. Il a ensuite dirigé les relations internationales et financières au ministère fédéral des Finances, puis il a été secrétaire d'État et chargé d'affaires personnel du Chancelier aux préparatifs du sommet économique au ministère des Finances. Il est aujourd'hui vice-président de la Bundesbank et à ce titre, il est indirectement membre de la Banque centrale européenne.
A. Exposé de M. Jürgen STARK, vice-président de la Bundesbank
M. Jürgen STARK, vice-président de la Bundesbank, espère pouvoir répondre à l'attente du président, en abordant ouvertement les problèmes. Pour ce présent colloque, il n'évoquera pas la position officielle de la Bundesbank, mais celle issue de ses propres expériences dans les différentes fonctions qu'il a assumées dans les divers domaines de la coopération franco-allemande. Il a été rappelé à quel point cette coopération était essentielle pour la construction européenne. Sans la réconciliation entre les deux pays après la Seconde Guerre mondiale, et sans l'amitié franco-allemande, la construction européenne n'aurait pas été concevable. Les deux pays ont agi comme le moteur de cette intégration.
Par-delà l'image du « moteur », il s'agit d'élargir la perspective. Un moteur ne peut fonctionner qu'avec une boîte de vitesses pour faire avancer un véhicule, ou pour le faire reculer. Mais le point mort existe aussi. Même si le moteur tourne à haut régime, au point mort, rien ne bouge. Pour ce qui est du moteur d'intégration franco-allemand, plusieurs phases différentes se sont succédé. Parfois, les progrès ont été fantastiques au niveau politique le plus élevé, mais au cours de certaines phases, la marche arrière semblait engagée. M. Lammert a évoqué le passé le plus récent, où l'évolution n'était pas forcément propice à la poursuite de la construction européenne. La France et l'Allemagne ont parcouru un long chemin ensemble, qui a toujours été accompagné de la volonté politique de progresser. Ce chemin était sinueux et parsemé d'obstacles.
Dans toute intégration, deux conditions apparaissent essentielles pour progresser. La première est la volonté politique, à laquelle doivent s'ajouter la volonté et la disposition d'esprit qui permet d'accepter les transferts de souveraineté nationale. Il faut, dès lors, créer les institutions correspondantes. Sans de telles institutions, aucune intégration ne peut réussir. L'euro a permis d'atteindre le plus haut niveau d'intégration concevable en Europe. Or, une monnaie commune doit pouvoir s'appuyer sur la politique. Ainsi, ce qui a déjà été atteint entre la France et l'Allemagne ne doit pas être présenté comme une évidence, et il faut travailler activement et durablement à garantir cette monnaie commune sur le plan politique. La responsabilité des politiques doit être assurée plus nettement. Par le passé, elle relevait des gouvernements nationaux, et ils ont aujourd'hui affaire à une évolution structurelle, puisqu'ils sont face une monnaie commune, avec un régime ambitieux de politique monétaire unique, mais ils continuent à prendre des décisions politiques nationales, qui restent largement décentralisées. Cet édifice ambitieux nécessite que la politique nationale s'adapte à la nouvelle situation. L'édifice comporte à ce niveau des faiblesses considérables.
Lorsqu'on évoque le chemin en commun parcouru par la France et l'Allemagne, on constate que le tandem franco-allemand n'a pas toujours fonctionné. Des différences fondamentales dans la conception de la construction européenne sont apparues et l'approche de la politique économique a parfois été très différente. Il a quelquefois fallu l'aide des petits États membres pour surmonter ces grandes divergences de vue. À cet égard, ces petits États ont un rôle à jouer et ils profitent également de cette démarche commune. Malgré les conflits nécessaires, qui sont apparus, quelle solution alternative aurait-il pu y avoir à cette coopération franco-allemande ? Quelle autre solution, que l'intégration et la construction européenne, aurait pu exister ?
À de nombreuses reprises, la France et l'Allemagne ont eu la chance d'entretenir des rapports équilibrés, ce qui a fait avancer le couple franco-allemand et l'intégration européenne. Deux grands noms y sont liés, avec le Traité de l'Élysée, signé par le général de Gaulle et Konrad Adenauer. En matière de politique économique et monétaire, deux décisions politiques importantes ont été évoquées. D'une part, la coopération entre Giscard d'Estaing et Helmut Schmidt pour la création d'un système monétaire européen, qui a jeté les conditions nécessaires pour les étapes suivantes. D'autre part, à partir de 1988 jusqu'en 1991, l'initiative de François Mitterrand et Helmut Kohl de créer la monnaie unique européenne. Tels sont les deux piliers du lancement de la coopération. Derrière cela, il existait un engagement politique des gouvernements, des parlements et des populations, qui devaient jouer leur rôle dans ce processus.
Jusqu'au début des années 1980, en matière de politique économique et monétaire, les divergences étaient importantes entre les deux pays - dans le domaine de la stabilité et de l'organisation de la politique de la concurrence notamment. D'un côté, l'Allemagne avait une position très claire en matière économique, et de l'autre côté, la France avait une tradition politique et une expérience historique différentes. Les divergences portaient également sur la politique monétaire, ce dont la Communauté européenne a souffert jusque dans les années 1980, rendant plus complexe la mise au point de politiques communes. D'une part, les conceptions étaient différentes quant à la manière dont devait se construire l'Europe. L'Allemagne, qui voulait s'intégrer dans les structures européennes, a considéré qu'il était nécessaire de s'intégrer dans des institutions supranationales. Au contraire, la France souhaitait ne pas voir empiéter sa souveraineté nationale par des structures européennes et s'est élevée contre une institutionnalisation supplémentaire de la Communauté. Dès le début des négociations sur le Traité CEE, l'Allemagne s'est engagée pour un ordre économique relevant de l'économie de marché, tandis que la France était davantage marquée par le rôle de l'État. Après l'effondrement du système de Bretton Woods, au début des années 1970, pour la première fois, la politique monétaire a trouvé son rôle en Europe, et depuis cette date, on a régulièrement constaté des divergences dans les approches respectives de la France et de l'Allemagne, quant au rôle de l'État dans le cadrage de la conjoncture, en matière de politique industrielle, vis-à-vis de la concurrence, du libre-échange, au sein de la Communauté européenne et envers les autres marchés. Une divergence fondamentale existait par ailleurs sur la stabilité monétaire interne, qui a toujours été considérée comme une priorité par les Allemands, alors qu'à l'époque la France attachait plus d'importance à la stabilité monétaire externe.
Comment ont évolué ces divergences profondes ? Des compromis réguliers ont eu lieu, qui ont souvent pu aboutir grâce à la coopération des petits États membres - notamment l'un d'entre eux, situé entre la France et l'Allemagne, qui a joué un rôle essentiel à de nombreuses reprises. Au début des années 1980, a lieu un changement de cap très net de la politique économique en France, qui attache davantage d'importance à la stabilité monétaire. Cela a constitué l'un des fondements du consensus ultérieur entre la France et l'Allemagne, qui a permis Maastricht et la création de l'Union monétaire. Ce virage profond de la France a symbolisé le début d'une coopération plus étroite avec l'Allemagne en matière économique et monétaire. Il a fallu vingt-cinq ans après la signature du Traité de l'Élysée et la création du Conseil franco-allemand de l'économie pour s'apercevoir qu'on avait besoin d'institutions et d'une coopération institutionnelle plus étroite en matière économique et monétaire.
Qu'en est-il des perspectives pour l'avenir ? Ce couple franco-allemand est-il un modèle pour l'Union à vingt-cinq ? Après être passé à la troisième étape de l'Union monétaire, le moteur franco-allemand a connu quelques échecs, avec un passage à vide, notamment du fait d'un certain nombre de malentendus. Aujourd'hui, le moteur tourne bien à nouveau, mais dans quelle direction se dirige le véhicule ? D'autres passagers sont-ils prêts à monter à bord, ou ce véhicule continuera-t-il tout seul, peut-être dans une mauvaise direction ? La coopération entre les gouvernements fonctionne mieux que pendant la période allant de 1999 à 2001-2002. Cela fonctionne très bien entre les deux Banques centrales. Il existe une différence infime, mais déterminante, par rapport à la coopération avant 1998. Lorsque le Conseil économique et financier franco-allemand se réunit, une différence marquante oppose les ministères des Finances français et allemands qui sont du même avis, et les Banques centrales. Avant 1998, il existait une position allemande, et une position française. Ce changement marque une évolution intéressante.
En ce qui concerne les problèmes actuels, au cours des derniers mois, quelques sources d'irritation ont vu le jour au sein du marché unique - celles-ci ne se sont d'ailleurs pas limitées aux frontières de la France et de l'Allemagne - vis-à-vis de l'accent mis sur les intérêts économiques nationaux. Avec une monnaie commune dans un marché unique, les intérêts nationaux ont été mis en avant, avec la recherche d'un leadership. Cela signifie-t-il que l'on se replie sur des positions antérieures et existe-t-il une convergence dans cette approche entre la France et l'Allemagne ? Hormis l'intérêt national, il convient d'aborder d'autres questions, notamment celle de l'action des deux pays contre la directive sur la libéralisation des services, dans le contexte de l'élargissement et du marché intérieur, et celle de la coopération de la France et de l'Allemagne pour la réforme du pacte de stabilité. Le terme de réforme est inadapté, et l'on constate un affaiblissement très net des règles de politique financière. Il est nécessaire de posséder des règles efficaces en matière budgétaire au sein de l'Union monétaire. Si tel n'était pas le cas, chaque État membre dans son propre intérêt devrait mener une politique monétaire prudente. L'augmentation de l'endettement signifie le report du poids sur les générations futures, avec une population vieillissante et le recul de la démographie, qui ne touche pas seulement la France et l'Allemagne. Ces éléments ont engendré des tensions quant à la direction que prenait le tandem franco-allemand. Cela doit-il conduire à un recul de l'intégration ? Si la France et l'Allemagne avancent, il est important de tenir compte de l'accueil que réservent à ces progrès les autres États membres. Il faut convaincre ces derniers que la direction engagée est la bonne, et ils doivent avoir le sentiment d'être totalement intégrés dans les décisions. Ces avancées ne doivent pas être perçues comme un diktat. La coopération franco-allemande doit être comprise comme l'impulsion donnée aux autres pour qu'ils participent aux avancées.
Que faire de cette Union européenne élargie et quel rôle doivent jouer la France et l'Allemagne ? Le premier élément consiste à garantir l'Union monétaire par une Union politique. Dans les négociations jusqu'au Traité de Maastricht, la partie allemande a toujours considéré que le parallélisme entre l'intégration monétaire et l'intégration politique devait avancer de pair. Cependant, aucune conception précise ne détermine ce que doit être cette union politique. Or, un accord technique ne suffit pas pour assurer et garantir l'union monétaire, car cela va bien au-delà. Il s'agit d'un engagement politique de vivre les conditions acceptées à travers Maastricht au niveau des gouvernements nationaux. Si ces règles ne sont pas respectées, l'on nuit à l'Union économique et monétaire, à sa stabilité et à sa pérennité.
En ce qui concerne l'élargissement, M. Lammert a évoqué les priorités retenues. Il convient de réfléchir à l'avenir, et d'élaborer des modèles. L'Europe a avancé au cours des quarante dernières années dans différents domaines, y compris dans celui de la politique économique et monétaire, grâce à la vision d'une monnaie commune et au travail investi. A l'heure actuelle, cette vision et ce leadership manquent en Europe. L'élargissement était une étape naturelle et nécessaire, alors que pendant des décennies, les pays d'Europe centrale et orientale ont été exclus. Mais pour les nouveaux membres, comme pour les anciens, cela représente un défi en raison de niveaux de prospérité très inégaux. Aucun élargissement n'a eu lieu jusque-là faisant surgir de tels écarts de richesse. Ce défi gigantesque engendre une concurrence inattendue très intense. Il faut veiller à éviter des répercussions négatives sur l'idée de l'unification de l'Europe et sur la réussite de l'Europe à vingt-cinq. À plus ou moins long terme, les dix nouveaux membres deviendront membres de l'Union monétaire : ils adopteront l'euro, avec des écarts considérables de performance économique et de richesse nationale. Des tensions vont être accrues par les écarts de salaire et de fiscalité. Mais les taux bas de fiscalité en République tchèque, le niveau des salaires dans certains États constituent un risque auquel l'Europe doit s'adapter. L'Union économique et monétaire est déjà marquée par une grande hétérogénéité, avec des écarts importants au niveau de la croissance et de l'inflation. Ce n'est pas forcément un problème politique, mais cela peut le devenir, car il sera plus difficile pour la Banque centrale européenne de mener une politique monétaire et de la faire admettre au marché et aux citoyens de tous les États. La communication risque de devenir plus difficile. A ce sujet, un débat est déjà lancé par le gouvernement allemand, le ministre des Finances rappelant régulièrement que les taux d'intérêt fixés par la Banque centrale européenne ne sont pas appropriés à l'Allemagne. Mais c'est une volonté politique et la Banque centrale européenne doit suivre le niveau moyen des États européens. Une politique monétaire peut-elle être appropriée pour toutes les régions ? En fait, il n'y a pas le choix. Cela a pour résultat que l'adaptation doit se faire au plan national à travers la flexibilité des économies nationales et des politiques budgétaires adaptées. Au niveau national, les besoins d'adaptation doivent être créés pour que l'Union monétaire puisse fonctionner sur le plan européen.
L'expérience en matière économique et monétaire montre que l'euro est une réussite. Cette intégration monétaire permet d'entrevoir un grand avenir pour le continent. L'euro a été une réponse de l'Europe à la mondialisation, mais quelles sont les orientations dans les autres domaines ? Cela conduit à la question de l'intégration politique. En 1998, l'intégration économique aurait dû conduire à une intégration politique, mais cela ne s'est pas produit. Après avoir consacré des efforts considérables à la construction de l'Europe économique et monétaire, un effet de fatigue a été constaté. Il n'existe aucun automatisme pour la construction de l'Europe politique. Ni le Traité de Nice, ni le projet de Traité constitutionnel ne fournissent des perspectives suffisantes pour un approfondissement de l'intégration politique de l'Europe. Les priorités signalées par M. Lammert restent exactes, car l'élargissement se fait au détriment de l'approfondissement. Ce processus n'est pourtant pas inéluctable, et les dirigeants politiques doivent proposer un projet permettant de faire que cette grande Union européenne élargie puisse également s'approfondir.
L'élargissement conduit-il à un recul de l'intégration ? Ce serait une évolution fatale. Une action politique, un projet à long terme sont indispensables. Quelle est la finalité de la construction européenne ? L'objectif est-il d'avoir le plus grand nombre possible d'États membres, ou, au contraire, un approfondissement ? A-t-on seulement le droit de poser cette question de la finalité ? Il existe des divergences importantes quant à la conception de l'objectif final de la construction européenne. La réponse risque-t-elle de conduire l'Union européenne à une crise du sens ? Enfin, quand la question des différentes approches de l'intégration sera-t-elle posée, avec d'un côté le renforcement des organes communautaires et la poursuite du transfert des souverainetés au niveau supranational, et d'autre part la priorité à la coopération intergouvernementale ? Après ce projet de Constitution européenne, il subsiste un problème concret car l'Union économique et monétaire constitue le domaine qui a atteint le plus haut niveau d'intégration. Dans les autres domaines, la coopération intergouvernementale prime encore. Cette asymétrie entre le secteur économique et financier et les autres reste d'actualité.
Le moteur franco-allemand de la construction européenne fonctionne bien, mais il reste à savoir à quelle vitesse. Les problèmes rencontrés au cours des derniers mois restent posés. La France et l'Allemagne ont une responsabilité pour ces projets communs et européens en matière monétaire, et l'euro a besoin d'être nourri de la politique. Dans une Europe élargie à vingt-cinq, un leadership politique est nécessaire, qu'il soit celui de la Commission ou du couple franco-allemand, pour faire avancer la construction. Se pose alors la question de l'accueil que réservent les autres États membres à ce tandem. Les succès du passé, grâce à la coopération franco-allemande, ont toujours été marqués par la participation et l'intégration des petits États membres à ces progrès. C'est un principe fondamental, qu'il serait bon de retrouver.
M. Yves BUR remercie M. Jürgen Stark pour sa contribution. Son analyse objective des conditions de réalisation de l'euro, et de la mise en _uvre de politiques compatibles au sein de la zone euro, montre qu'il faut à la fois une véritable affirmation du politique et la volonté des politiques de se donner les moyens de respecter les conditions de cette zone monétaire commune. Par ailleurs, M. Stark a appelé les politiques à débattre de la nécessité de mieux réfléchir sur la question de la finalité de l'Europe. Ces débats sous-tendent l'ensemble des réflexions concernant la ratification de la Constitution. La France n'est pas le dernier pays à y porter attention.
B. Les points de vue des partenaires européens : sujet de méfiance ou facteur de rapprochement ?
Exposé de Mme Marianne HAGENHOFER, vice-présidente de la Commission des Affaires européennes du Conseil national autrichien
Mme Marianne HAGENHOFER, vice-présidente de la Commission des Affaires européennes du Conseil national autrichien, souligne que le processus de Lisbonne du printemps 2000 était un programme attrayant. Un certain nombre d'objectifs intermédiaires de ce processus ont cependant disparu, les objectifs d'une croissance économique dynamique étant primordiaux. Mais visiblement, des stratégies performantes manquent pour atteindre ces buts. Récemment, l'économiste Markus Materbauer a lancé le débat à Vienne au travers de son ouvrage Entre le consensus bruxellois et le modèle européen. Pour cet économiste, le consensus de Bruxelles suppose une réalisation aboutie du marché intérieur, dans l'optique d'une amélioration de la compétitivité régionale et nationale. Cela suppose des réformes de l'offre économique, avec pour conséquence une plus grande flexibilité sur le marché du travail, une déréglementation de l'échange des marchandises et une politique de privatisation. Ces objectifs sont ainsi imposés aux nouveaux entrants. Dans l'autre option, qu'il appelle le modèle européen, la faible croissance économique européenne est due à la faiblesse de la consommation des ménages et à celle des investissements. Par ailleurs, on constate une vague constante de réformes qui appellent des coupes claires dans le secteur public et dans le régime de protection sociale. Ces réflexions débouchent donc sur deux conclusions. En premier lieu, il apparaît que la politique économique à l'échelon européen est plus efficace qu'à l'échelon national, en raison des liens étroits sur le marché intérieur. En second lieu, dans la situation actuelle, les entreprises et les ménages ont des attentes modestes. Ainsi, M. Materbauer préconise d'intensifier les investissements publics car ils produisent des effets plus rapides et directs en termes de politique économique que des baisses d'impôts ou des taux d'intérêt. Pour réussir dans cet espace de plus de quatre cents millions d'habitants, cette politique serait la réponse adaptée à la mondialisation. Pourquoi ne pas espérer que l'Union européenne développe un modèle dans lequel les responsables politiques, les salariés et les chefs d'entreprise prendraient en commun des mesures dans des situations défavorables, notamment lors de délocalisations ?
La question de la coordination des politiques économiques devra être posée clairement dans le débat politique au cours des années à venir. L'Union européenne n'est pas en mesure de valoriser les capacités et le potentiel des différents instruments de la politique économique : ceci s'explique par une coordination insuffisante de ces politiques. Au sein des États-nations, la coordination de la politique économique bénéficie d'une longue tradition qui permet de conjuguer les groupes d'intérêts. Cela est plus difficile dans l'Union européenne car les institutions sont jeunes. Mais il reste des marges de man_uvre pour améliorer la coordination des différents éléments de la politique économique au sein de l'Union européenne.
Ainsi, M. Bur a exposé qu'une réelle action commune devait être l'objectif principal, ce qui renvoie à l'histoire franco-allemande et à l'action conjuguée de ces deux pays. Les Autrichiens pensent que l'Allemagne et la France doivent être le moteur de l'intégration. Ce n'est pas une tâche aisée, mais il n'existe pas d'autre réponse à la faiblesse actuelle du marché intérieur. La politique économique est une prérogative des États membres, avec la nécessité d'un certain nombre de choix contraignants. L'axe franco-allemand apporterait à l'Union européenne une meilleure position, une plus grande dynamique, une économie plus forte. Ces deux pays doivent continuer de jouer le rôle de locomotive, comme ils l'assument depuis des années - même si parfois certains particularismes peuvent prendre le pas sur l'action commune.
En ce qui concerne l'aspect fiscal, il faut saluer la volonté de l'Union européenne de rapprocher l'impôt sur les sociétés entre les États-membres, mais il est nécessaire aussi de fixer un taux minimal pour l'impôt sur les sociétés - c'est notamment le souhait du patronat autrichien. La Commission estime que seule l'assiette de l'impôt doit être harmonisée, que la fixation du taux de l'impôt relève de la seule compétence des États-membres, et qu'une certaine dose de concurrence fiscale est bénéfique. Contrairement aux impôts directs, les impôts indirects, et plus particulièrement la TVA, sont largement harmonisés à l'échelon de l'Union. Cette harmonisation a pris la forme de taux minimum, en dessous desquels les États-membres n'ont pas le droit de descendre. C'est un principe que les pays devraient tous se fixer pour leurs impôts, afin de stimuler la demande sur le marché intérieur et d'améliorer la situation de la concurrence. Il faut également arriver à une harmonisation des systèmes d'impôt sur les sociétés - ce qui ne manquera pas de provoquer des débats et des controverses.
Par ailleurs, M. Stark a affirmé que l'euro conférait le plus haut degré d'intégration en Europe, mais cet objectif est très éloigné de la population. Une extension de la responsabilité vis-à-vis de la politique monétaire est nécessaire. Du fait de la polarisation exclusive sur la stabilité monétaire, on s'est privé de la possibilité d'exploiter des gisements de croissance. Voilà pourquoi la BCE devrait être tenue d'atteindre un objectif de stabilité conciliant à la fois croissance et emploi et mettant davantage l'accent sur ces deux éléments.
L'Autriche est une petite économie, mais un chiffre est intéressant : chaque année, d'après les statistiques du marché de l'emploi de la Fédération des organismes d'assurance sociale, cinq mille emplois productifs sont définitivement détruits en Autriche. Ces emplois ne peuvent pas être compensés au même rythme par d'autres types de métiers. De plus, tous les salariés productifs ne peuvent pas devenir du jour au lendemain chercheurs ou ingénieurs. En outre, le processus de Lisbonne ne reconnaît pas de marché de l'emploi pour les personnes « âgées », après 56 ou 57 ans, pas plus que pour les personnes handicapées. Le chômage est peut-être le premier « baril de poudre » social, et l'Union européenne ne survivra que si l'on réussit, tous ensemble, à donner du travail aux femmes et aux hommes.
Il a été souligné que les députés avaient un rôle à jouer dans la propagation de ces idées. Dans le cas d'un concept un peu abstrait, comme la stratégie de Lisbonne, on peut se demander si la population en a entendu parler. On doit apprendre à utiliser des termes, des concepts compréhensibles du grand public, car dans le cas contraire, on risque d'éloigner de plus en plus l'Union européenne des populations, alors que le propos est justement de les en rapprocher. Une relance du marché intérieur est nécessaire. Ainsi, l'Autriche pense qu'il faudrait investir dans les infrastructures que l'on peut qualifier de sclérosées (il est urgent d'investir dans les réseaux routiers notamment), et surtout dans le développement des réseaux transeuropéens, ce qui créera des emplois à long terme. Il convient d'unir les efforts dans ce sens.
Par ailleurs, à propos de la directive des services, deux options se dessinent : l'une consiste à offrir aux nouveaux entrants des possibilités de produire, en profitant de leurs conditions économiques plus avantageuses, ce qui n'est pas forcément bon. L'autre option envisage d'accorder des aides financières pour que ces pays puissent atteindre un certain niveau de vie et contrer ce qu'on appelle le « tourisme des subventions publiques ».
Enfin, le professeur Lasserre a encouragé à s'atteler aux questions sociales. Si les participants présents évoquent sérieusement ces questions, il conviendrait alors de compléter l'intitulé du colloque en intégrant les politiques du marché de l'emploi. À ce moment-là, l'équilibre sera respecté.
M. Yves BUR remercie Mme Marianne Hagenhofer pour sa contribution. La préoccupation d'une Europe sociale n'est pas une spécificité française, mais l'approche est peut-être différente.
Dans le débat qui suit, chacun pourra mieux connaître les conditions dans lesquelles une Europe plus proche des préoccupations des personnes, plus réactive vis-à-vis de l'économie pour lutter contre le chômage, peut donner aux populations davantage de confiance.
Mme Angelica SCHWALL-DÜREN, députée du Bundestag, relève son intérêt pour les contributions de MM. Stark et Lasserre. La question est de savoir comment permettre à l'Union européenne de se développer, notamment en se plaçant dans l'optique ouverte par M. René Lasserre, en réussissant à entraîner les sociétés civiles dans le mouvement. M. Stark a dit, à juste titre, qu'il fallait non seulement un leadership politique mais une intégration politique plus forte. Quel est le rôle franco-allemand dans ce contexte ? Cela revient à se demander si, au sein des activités de ce couple franco-allemand, des actions peuvent être menées en direction de cette intégration plus profonde, impliquant les populations qui devraient pouvoir bénéficier de cette Europe. M. Stark a abordé trois sujets sur lesquels il porte un regard critique. Concernant le pacte de stabilité et de croissance, il pense que le rôle joué par l'Allemagne et la France pendant ces derniers mois mérite un jugement critique, ce qui est la position d'un certain nombre d'États membres de l'Union. Cependant, Mme Schwall-Düren souhaite apporter un contre argument. Lors de la première négociation, les Français ont indiqué clairement qu'il fallait œuvrer pour la stabilité monétaire, sans toutefois perdre de vue la dimension « croissance ». En ce qui concerne les instruments mis en œuvre, le résultat a été assez modeste. Cela a induit non pas une réforme mais une nouvelle orientation du pacte. On a constaté que la stabilité a été réalisée avec un grand succès, si l'on se réfère aux taux d'inflation d'autrefois, qui ont été rappelés par M. Lasserre. En revanche, la consolidation budgétaire n'a pas été suffisante. Néanmoins, sur l'ensemble de l'Union européenne, des progrès ont tout de même été enregistrés à ce niveau, en comparaison avec les États-Unis et le Japon. Mais en termes de politique durable, cette consolidation budgétaire ne peut pas être écartée. Si ce domaine n'a pas été un franc succès, c'est parce que la croissance n'était au rendez-vous. Mme Hagenhofer a bien mis en exergue l'argument majeur. Dans l'ensemble de l'Union européenne, et plus particulièrement en France et en Allemagne, il n'y a pas de problème de concurrence à l'extérieur. Les problèmes sont situés à l'intérieur et ont trait au pouvoir d'achat. Dès lors, il convient de se demander quelles sont les mesures qui pourraient être prises. Il peut s'agir de réformes mises en œuvre douloureusement. Mais si elles contribuent à une baisse du pouvoir d'achat, à une diminution de la confiance des ménages et des entreprises, on ne sortira pas pour autant de la phase de stagnation.
M. Stark a signalé que les politiques nationales devaient assumer leurs responsabilités pour être intégrées dans la politique européenne. Cela signifie que, compte tenu des écarts de stabilité, des mesures différenciées doivent pouvoir être prises. La nouvelle orientation du pacte, qui permet de considérer que les réformes vont aboutir à une consolidation à moyen terme, est plutôt judicieuse. La France et l'Allemagne, qui sont deux pays moteurs, doivent réussir à sortir de l'impasse de la stagnation car ils rendront ainsi service aux économies des autres États membres.
Enfin, concernant la directive des services, il y a eu des propos critiques, notamment de la part des nouveaux entrants. Mais si face à un chômage élevé, les inquiétudes des populations ne sont pas prises au sérieux et si le marché des services est libéralisé, face à une telle disparité des réalités salariales et sociales, on verra plus encore s'amenuiser l'adhésion des populations. C'est cet éloignement qui risque de détruire le projet européen. Il faut donc réussir à coordonner les politiques européennes en intégrant les réalités nationales, dans l'optique d'un objectif européen par étapes successives - en accord avec les recommandations de M. Stark. Cependant, la grande problématique concerne les Parlements nationaux et leur manière d'appréhender ce transfert de compétences. Mme Schwall-Düren, en tant que députée nationale, a elle-même conscience de cette nécessité, qui comporte une question de légitimité démocratique. Le Traité constitutionnel européen représente un progrès, mais ne constitue pas la fin de l'évolution.
M. Loïc BOUVARD, député de l'Assemblée nationale, souhaite poser une question à chacun des trois orateurs. Il voudrait rappeler à M. Lasserre, dont l'exposé l'a passionné, qu'il a oublié de mentionner qu'à l'origine de la construction européenne, il y avait six pays et pas seulement le couple franco-allemand. En effet, l'ambition était de créer l'Europe à partir de ces six pays, avec notamment le Benelux et l'Italie, et pas seulement de rapprocher la France et l'Allemagne. Le rôle joué par le Benelux a été essentiel. Par ailleurs, ce qui a été vaincu, c'est la haine mutuelle.
M. Stark a posé le problème fondamental de la finalité de l'Europe, mais il a oublié d'évoquer l'Angleterre. Comment peut-on envisager l'avenir de l'Europe sans en parler ?
Mme Marianne Hagenhofer a parlé du « baril de poudre » que représente le chômage. Mais il en est un autre : l'extinction, en raison de la baisse de la natalité. Il s'agit d'un problème fondamental pour l'Union européenne, qui posera des difficultés sur le plan de l'immigration.
M. Ernst BURGBACHER, député du Bundestag, voudrait interpeller M. Lasserre qui a beaucoup parlé de la société civile, de la dynamique du peuple, et qui a présenté de façon admirable ce qui a fait la relation franco-allemande. Ainsi, un bouleversement fondamental a eu lieu, comme on peut le constater à travers l'évolution des jumelages de villes. Mais la génération de ceux qui l'ont fait se meurt et ceux qui entretiennent les jumelages n'ont pas vécu la nécessité de la réconciliation. Le problème de la finalité doit être posé. Les jeunes veulent savoir pour quel but ils s'engagent. M. Burgbacher sollicite M. Lasserre pour évoquer et analyser ce tournant.
Par ailleurs, M. Stark a souligné que la monnaie commune avait besoin de garanties politiques. Les défenseurs de l'Union monétaire ont toujours affirmé que celle-ci servirait à impulser l'union politique. Or, on constate qu'il en va autrement. Le rejet français de la Constitution signifierait que l'on en resterait au Traité de Nice, ce qui ne semble pas envisageable. M. Stark a exposé l'évolution en matière de politique économique et financière, notamment dans l'accord entre les deux banques centrales. Dans ce domaine, la pression commune franco-allemande pourrait-elle croître pour faire avancer l'Europe vers l'union politique ?
M. Padraic MacKERNAN, ambassadeur d'Irlande en France, voudrait évoquer l'attitude de l'Irlande vis-à-vis des relations franco-allemandes et de leur rôle moteur. Il explique que l'Irlande s'est engagée dans le projet européen car elle a choisi d'opter pour l'Europe dans le but de défendre ses propres intérêts (moderniser son économie, se soustraire à la « dépendance » vis-à-vis du marché britannique) et cela a assez bien réussi. L'attitude de l'Irlande vis-à-vis de l'intégration politique de l'Europe est ainsi influencée par la perception selon laquelle leurs intérêts communs sont de plus en plus liés sur le plan économique. Ainsi, lorsque l'Irlande a rejeté le Traité de Nice, pour des raisons internes, les différents groupes de la société ont révisé leur position en comprenant que l'engagement au projet européen était crucial pour parvenir aux objectifs qui étaient partagés par la société civile. En ce qui concerne la croissance économique et les défis irlandais mais également européens - comme le manque de croissance et le taux de chômage -, un consensus national est intervenu en Irlande entre les employeurs, les salariés et le gouvernement en vue de renoncer temporairement à des augmentations de salaire et se concentrer sur la croissance et l'emploi. Cela a été rendu possible par une approche misant sur la flexibilité, et par la volonté de rendre l'Irlande de plus en plus attrayante aux industries à forte valeur ajoutée. Les entreprises ont voulu investir en Irlande, non pas pour l'économie irlandaise, qui est petite (quatre millions d'habitants) mais parce que cela garantissait l'accès au marché intérieur européen. Il est donc crucial que ce marché soit une réussite.
Dans ce contexte, se pose la question de la fiscalité des entreprises, qui est à un faible niveau en Irlande. Il s'agit de savoir quel serait le taux minimum, alors que la base de la fiscalité sur les entreprises en Irlande est transparente. Il est intéressant de noter que l'engagement de l'Irlande vis-à-vis de ce projet et les efforts franco-allemands pour se retrouver sur la voie de la croissance se rejoignent dans un intérêt commun.
M. Pierre JANIN, directeur de la rédaction de la revue Paris-Berlin, s'interroge sur une question d'actualité. Les précédents orateurs ont beaucoup fait référence au « moteur ». Or, le 29 mai, si le « piston » français accuse un « raté », ce « moteur » continuera-t-il seul avec le « piston » allemand ou explosera-t-il ?
Mme Dorota SIMONIDES, membre du groupe d'amitié Pologne-Allemagne du Sénat polonais, adresse ses deux questions à Mme Hagenhofer. Tout d'abord, comment celle-ci comprend-elle cette « locomotive » et comment la juge-t-elle par rapport à l'idée d'une Europe à « deux vitesses », avec un noyau qui serait constitué par la France et l'Allemagne ? En second lieu, cette « locomotive » semble ralentir si l'on prend en considération l'endettement de l'Allemagne. Ainsi, dans le cas où la France n'accepterait pas le Traité constitutionnel, les wagons risqueraient peut-être d'avoir du mal à suivre.
M. Jean-Pierre BRARD, député de l'Assemblée nationale, est un fervent partisan du couple franco-allemand et estime que dans l'Europe élargie, il doit être une pierre angulaire ouverte aux autres. Si le 29 mai, la situation était celle évoquée par Pierre Janin, l'Union européenne sera obligée de mettre du « super carburant » pour sortir de cette nouvelle situation. Mais quand on ne trouve pas la solution à un problème, cela ne prouve qu'une chose : que l'on n'a pas été capable de la trouver. Cela ne signifie absolument pas qu'il n'y en a pas. Il convient donc de faire preuve d'imagination. Si les hommes politiques continuent dans le même sens, la population ne les suivra pas. Il convient de sortir de l'autocongratulation et de l'auto-intoxication.
Quant au référendum en Espagne, quel est l'élément le plus marquant : la proportion de « oui » ou celle des abstentions ? En France, contrairement à ce que l'on pouvait redouter, le débat ne porte pas sur la politique intérieure : les Français s'intéressent à l'Europe.
Ainsi, faut-il une forte volonté politique, qui doit se traduire à tous les niveaux (par exemple : enseignement de la langue allemande, etc.).
En outre, M. Brard partage l'opinion de M. Jürgen Stark sur l'enjeu de la finalité. S'il n'y a pas de finalité, le « piston » bloquera forcément. Où est le grand souffle de l'Europe, avec un grand projet qui ferait envie au monde entier ? Celui-ci n'existe pas pour le moment. Les Européens ont construit un grand espace économique où domine la règle du « business », mais il n'y a pas de projet qui donne de l'espérance à tous les peuples, y compris à ceux qui sont en difficulté.
Quant au phénomène d'auto-intoxication, comment la Confédération européenne des syndicats (CES) a-t-elle formulé son « oui » au Traité constitutionnel ? La plupart des secrétaires généraux des syndicats formant la CES étaient absents ce jour-là, et la discussion a été abordée hâtivement. Or, sans débat, les peuples acceptent l'Europe mais n'y adhèrent pas. Il est temps de discuter avec eux. De ce point de vue, quel que soit le résultat du référendum, la discussion référendaire aura au moins permis une meilleure adhésion à l'Europe, dans la mesure où les enjeux en seront mieux compris. En ce qui concerne l'élargissement, il en va de l'Europe comme de l'agriculture, avec une agriculture intensive et une agriculture extensive. Pour l'instant, c'est cette dernière qui prévaut, alors que le xxie siècle appelle l'agriculture intensive.
Enfin, les Français ont la réputation d'être très mauvais en géographie. Savent-ils que le dernier pays d'Europe, à l'Est, est l'Azerbaïdjan ? Le problème n'est donc pas la Turquie. Un vrai débat sous-jacent est en attente car la question du projet au moment de l'élargissement n'a pas été posée.
M. Klaus-Peter FLOSBACH, député du Bundestag, fait part de son expérience personnelle. En tant que nouveau membre du Bundestag, il avoue sa joie d'avoir pu participer, en janvier 2003, aux cérémonies de Versailles. Par ailleurs, il a souhaité devenir membre de la commission des Finances afin de débattre vraiment de la question du pacte de stabilité et de croissance en Allemagne. Des débats très animés à ce sujet avec la commission française, ont suscité des commentaires applaudissant le point de vue commun des gouvernements français et allemands, mais l'Allemagne n'était pas de cet avis. Si les banques centrales parlent d'une même voix, les gouvernements ne suivent pas.
Il souhaite interpeller M. Stark. Peut-il être juste que des règles concrètes qui ont été appliquées pendant plusieurs années soient modifiées au profit de déclarations d'intention, de concepts vagues (par exemple : si la situation s'améliore, on fera reculer la dette, le déficit budgétaire, etc.) ? Mme Schwall-Düren a indiqué que la croissance était indispensable, mais l'ensemble de l'Occident connaît actuellement une phase de croissance. En outre, tout accroissement de la dette, compte tenu de l'évolution démographique, est catastrophique. Huit pays en Europe ont un budget équilibré, et dix-neuf pages du Traité sont aujourd'hui consacrées à un descriptif détaillé visant à en définir les critères. Est-il souhaitable que les grands États agissent pour faire évoluer la situation et où en sera-t-on dans quelques années ? L'OCDE a clairement dit que, cette année encore, cinq pays allaient sortir des critères de stabilité. Qu'en est-il par rapport aux nouveaux membres qui veulent rejoindre la zone euro ?
Enfin, M. Flosbach voudrait apporter son soutien à Mme Hagenhofer sur la question de l'harmonisation en matière financière, notamment sur les taux d'imposition. Il est en effet urgent d'harmoniser les assiettes, bien que les experts pensent que cela prendra dix ou douze ans. On sait combien de reculs au sein de l'Europe sont liés à ces écarts financiers entre les taux d'imposition et les assiettes, et la manière de calculer les revenus. Si l'on ne parvient pas à définir une base commune, il sera encore plus difficile de procéder à l'harmonisation et cela aura une influence croissante sur le choix des entreprises.
M. Wolfram VOGEL, chercheur à l'Institut franco-allemand de Ludwigsburg (DFI), spécialisé en politique européenne, relève les propos de M. Stark qui s'interroge sur une approche intergouvernementale, ou intégrée. Il n'est pas possible de répondre à cette question car on constate qu'une part essentielle de la légitimité de l'intégration repose sur le maintien d'un certain nombre de souverainetés essentielles, notamment dans le cadre du troisième pilier. Le nouveau positionnement du rôle franco-allemand au sein de l'Union européenne ne pourrait-il pas se situer sur le principe non d'une intégration supranationale, mais d'une coopération renforcée pour parvenir à impulser des coopérations et faire suivre les vingt-cinq ? L'idée est peut-être un peu « hérétique », mais cela permettrait sans doute de se rapprocher du citoyen.
M. Yves BUR donne la parole à Mme Hagenhofer et à M. Stark pour répondre à l'ensemble des questions.
En ce qui concerne l'immigration Mme Marianne HAGENHOFER répond que cette question n'est pas pour elle chargée d'émotion. Dans la petite République autrichienne, il y a vingt-cinq ans, les entreprises renvoyaient des salariés pour embaucher des travailleurs immigrés des pays d'Europe de l'Est. Certes, il faudra tenir compte du recul de la natalité, mais il ne faut pas oublier que l'évolution de la technique et l'automatisation posent des problèmes majeurs en matière d'emploi. Il convient de trouver un équilibre entre ces différents aspects, sans se prendre dans le jeu des émotions.
Sur la deuxième question relative au taux minimum d'imposition, il serait intéressant d'en débattre. L'État, et donc les populations, vivent des impôts. Comme le professeur Lasserre, il semble à Mme Hagenhofer intéressant de parler d'un projet pour savoir quelle est l'orientation sociale d'un État et sur quelle base on peut se retrouver. À partir de là, un taux minimal peut être déterminé.
Mme Simonides lui a demandé si elle voyait dans la France et l'Allemagne le noyau de l'Europe. Mme Hagenhofer pense qu'il faut être pragmatique. Ces deux pays représentent des économies très développées qui peuvent apporter beaucoup aux autres en tant que partenaires, si toutes les possibilités offertes par l'économie sont utilisées. Il ne s'agit pas du « noyau » de l'Europe. Récemment, l'Autriche a été invitée à participer à l'alliance des pays Visegrad et lorsque ce genre d'alliance se met en place, l'Europe peut se relancer et l'économie européenne peut en profiter.
Enfin, en ce qui concerne l'interrogation de M. Flosbach, l'objectif principal de l'Union européenne était la monnaie commune. Pourquoi ne parviendrait-on pas à mettre en place une fiscalité commune si une volonté réelle motive les partenaires européens ?
M. Jürgen STARK se propose de répondre de manière thématique. En ce qui concerne la fiscalité, l'unanimité est requise au sein de l'Union européenne, et tant que le Royaume-Uni restera à part, il n'y aura pas de progrès dans ce domaine.
L'Union européenne n'est pas en bon état. Il existe une monnaie commune, mais il subsiste des faiblesses considérables. L'euro a certes été mis en place mais cette monnaie commune et l'Europe ne sont pas toujours bien acceptées. Est-ce lié au fait que les promesses politiques et les stratégies qui ont été convenues, n'ont pas été suivies d'effet ? On peut citer les objectifs en matière d'emploi, après Luxembourg en 1997, Cardiff en 1999 et la réforme des fonds structurels, auxquels l'Europe n'est pas parvenue. De même, le processus de Cologne en 1999, pourtant sous présidence allemande, ayant établi une coopération plus étroite des politiques, avec notamment la mise en place d'une table ronde réunissant des spécialistes de politique monétaire, des syndicats, des entreprises, et des hommes politiques, n'a pas abouti. La stratégie de Lisbonne s'est également soldée par un échec. En l'espace de quatre ou cinq ans, certaines initiatives ont porté un discrédit à la politique européenne. Les populations se demandent quelle est la valeur ajoutée de l'Europe. On considère que celle-ci est une évidence, or les hommes politiques ont un important travail à réaliser pour montrer la nécessité de l'intégration, sa valeur ajoutée, et pour convaincre. Il convient de parler de la paix, de la prospérité, de la manière dont on gère la question du chômage. Les États-membres, seuls, ne peuvent pas réussir dans ces domaines.
La question n'est pas un manque au niveau du processus ou des instruments de coordination avec le Traité SCE mais au niveau de sa mise en œuvre, de son contrôle, et des conséquences politiques à en tirer. Les instruments existent et les structures en place en donnent les moyens. Les États-membres sont responsables de leur politique nationale, mais dans le cadre d'une coordination plus étroite. En fait, les instruments existent mais ils ne sont pas utilisés. C'est la grande faiblesse.
En ce qui concerne le pacte de stabilité et de croissance, un sentiment d'insécurité s'installe. Il faut tenir compte de cette réalité politique. Avec les prescriptions du Traité de Maastricht en matière de politique budgétaire, et l'Union monétaire, cette responsabilité reste dans le domaine national, mais la souveraineté nationale est de facto limitée. Les engagements pris en commun doivent être tenus dans ce cadre. À quoi conduit cet ensemble de règles, ou plutôt la mise en place des prescriptions contenues dans les dix-neuf pages ? Il n'y a plus de contenu concret dans ce texte. La politique financière est soumise à l'arbitraire de chaque État.
Le pacte est à la fois de stabilité et de croissance, et il convient de renforcer cette dernière.
En outre, l'augmentation de l'endettement apporte-t-il la croissance ? C'est une interprétation, mais des budgets publics solides et stables sont la condition préalable à la croissance économique, car ils créent la confiance.
Dans le domaine du vieillissement de la population, comme l'a montré l'analyse du conseil allemand d'experts, si l'on fait une comparaison au niveau actuel d'endettement explicite et implicite, on constate qu'en Allemagne le niveau d'endettement est de 330 % du produit intérieur brut - soit sept mille milliards d'euros -, avec une population en recul et vieillissante. On augmente donc la pression sur les générations futures, ce qui ne laisse pas la conscience tranquille. L'Allemagne réussit ses exportations, mais il ne faut pas oublier que pour y parvenir, il a fallu améliorer la concurrence de l'industrie nationale sur une période de quatre à cinq années. Par ailleurs, 40 % des exportations allemandes sont liées à des importations, alors que ce pourcentage était de 25 % voici dix ans. La mise en réseau des économies nationales s'est énormément accrue.
Enfin, sur la problématique de l'Angleterre, il convient de poser la question à ce pays directement. Le Royaume-Uni continue de jouer un rôle d'observateur, ce qui est le résultat d'une situation historique. On constate cependant que ce pays profite du marché commun, qu'il bénéficie de beaucoup d'avantages du fait qu'il est membre de la Communauté sans avoir à participer à la suite de l'intégration et sans vouloir participer à l'euro - d'autant que Londres est la première place financière de l'Union européenne. Le Royaume-Uni profite donc des avantages, sans avoir à prendre d'engagements supplémentaires. La question est de savoir combien de temps les autres pays membres seront prêts à suivre. M. Stark précise que ses propos n'engagent pas son institution, mais sa seule personne.
M. Burgbacher a demandé ce que peuvent faire la France et l'Allemagne. Il existe un modèle selon lequel on réussira à dépasser l'approche intergouvernementale. M. Stark parle là aussi en son nom propre. Pourquoi n'est-il pas possible de donner un signal et de demander un siège au Conseil de sécurité des Nations Unies pour l'Union européenne ? Cela le conduit aux propos de M. Vogel au sujet de la souveraineté nationale. Personne n'est disposé, dans un certain cadre, à renoncer à sa souveraineté nationale au profit de l'Union européenne. Le Royaume-Uni n'y renoncera pas. De même, le président de la République française ne sera pas prêt à abandonner son rôle dans la politique internationale et voudra conserver un siège français au Conseil de sécurité.
M. Andreas SCHOCKENHOFF note que le débat est passionnant. La politique nationale doit-elle s'adapter au pacte de stabilité et de croissance sur le plan supranational ou ce pacte doit-il avoir suffisamment de marge de souplesse pour s'adapter aux États-nations ? Cela revient, en tout cas, pour les démocraties, à prendre des décisions à long terme en matière d'affaires sociales, d'emploi, de croissance, qui vont au-delà des prochaines échéances électorales.
Mais les élus sont-ils contraints de réagir uniquement sur le court terme à l'évolution conjoncturelle des sociétés ?
Deux éléments ont été évoqués par MM. Lasserre et Stark. Lorsque François Mitterrand, en 1983, a décidé de mettre en place la politique du franc fort, il n'a pas reçu au départ un bon accueil de la population française. Mais c'était une décision courageuse qui a permis une certaine constance à travers plusieurs législatures. En 1987 et 1988, au moment où l'on a décidé une politique de convergence, l'objectif visait à mettre en place l'euro en 1999 et la monnaie fiduciaire en 2002. Cette politique européenne a connu ses heures de gloire à partir du moment où tous étaient prêts à mettre en œuvre une stratégie sur une perspective de quinze à vingt ans, avec des étapes et des contrôles. Toute la question est de savoir si l'on s'en tient à une politique au jour le jour ou si l'Europe, qui est confrontée à des problèmes communs, est en mesure de définir des stratégies à long terme et de les décider ensemble pour continuer à avancer par rapport au reste du monde.
IV. Le rôle du couple franco-allemand en matière de politique étrangère
A. Exposé de Mme Sylvie GOULARD, universitaire, chercheur à Sciences-Po
Mme Sylvie GOULARD, universitaire, chercheur à Sciences-Po, affirme que le rôle de la France et de l'Allemagne dans la PESC est essentiel. Certes, l'Europe a changé, mais il convient de ne pas tomber dans le « politiquement correct » et le doute qui a été celui des deux pays pendant un certain nombre d'années. L'Allemagne et la France sont deux pays fondateurs sans lesquels l'Union européenne perdrait beaucoup de sa substance - ce qui n'est pas une raison pour être arrogant ou pour ne pas coopérer avec les autres États-membres car, dès le début, d'autres pays parfois considérés à tort comme « petits » ont participé à l'aventure européenne1. Le rôle de leaders de la France et de l'Allemagne est incontestable mais pour être un leader, il faut prendre ses responsabilités et rester parmi les premiers. Les critiques émises par certains partenaires sont parfois tout à fait justifiées, ainsi celle d'Alexander Stubb, jeune député européen finlandais, qui écrit dans Le Figaro de ce jour que « La France est à la fois le moteur et le frein de l'Union européenne. »
Les Français et les Allemands ont donc eu un rôle moteur dans la politique étrangère européenne et il faut rappeler le chemin parcouru depuis une dizaine d'années. Il y a encore peu de temps, l'Allemagne considérait que la constitution fédérale empêchait toute intervention hors des frontières allemandes et de la zone de l'OTAN. Compte tenu de l'histoire du XXe siècle et de la modération dont l'Allemagne a su faire preuve pendant certaines années, il faut souligner et apprécier à sa juste valeur l'évolution extrêmement positive de l'Allemagne vers davantage d'engagement, que ce soit au travers de la crise en Yougoslavie ou en Afghanistan. Quant aux Français, ils peuvent penser qu'ils ont parfois de l'influence et qu'à force d'avoir parlé d'Europe puissante, ils sont un peu parvenus à convaincre les autres sans arrogance.
Un autre progrès est intéressant si l'on se remémore la réaction du chancelier Schröder lorsqu'il est arrivé au pouvoir en 1998. L'Allemagne donnait alors l'impression de devoir choisir entre la France et le Royaume-Uni. Le temps a passé et chacun a renoncé à cette idée de faire un choix. Les avancées réalisées dans le cadre de la coopération franco-britannique, notamment à Saint-Malo, ont été rejointes par l'Allemagne.
Au cours de cette même période, des initiatives assez heureuses ont vu le jour, notamment en 2003 pendant la Convention. Les Français et les Allemands ont produit une série de contributions communes sur un certain nombre de sujets (justice, affaires intérieures, institutions, politique de sécurité et de défense). Les articles franco-allemands de décembre 2002 et janvier 2003 font ainsi apparaître certaines des modestes - mais réelles - avancées du Traité constitutionnel, notamment le rappel de la perspective d'une défense commune, l'idée d'une vision globale de la sécurité et le besoin de flexibilité. Certains considèrent que le Traité constitutionnel est sans grandes conséquences mais l'idée de faire de la coopération renforcée dans des domaines tels que la politique étrangère et la défense n'était pourtant pas acquise d'avance.
Le document sur l'architecture institutionnelle de janvier 2003 est encore plus pertinent puisqu'il reprend la notion « d'action extérieure » qui est l'un des grands apports du Traité constitutionnel, même s'il peut paraître un peu abstrait. Il définit le concept selon lequel il n'y a pas, d'un côté la politique commerciale, l'aide à la coopération communautaire, et d'un autre, un dispositif intergouvernemental qui gère la politique étrangère, mais qu'il existe une action extérieure qui peut mobiliser différents instruments. Ce document évoque également la création d'un poste de ministre des Affaires étrangères avec un service diplomatique, et l'idée - arrachée à juste titre par l'Allemagne à la France -, que les décisions en matière de PESC pourraient être prises à la majorité qualifiée. Cet effort conceptuel de la part des deux gouvernements a été couronné de succès, sans parler du rôle de Joschka Fischer dans la Convention aux côtés de Dominique de Villepin et de Valéry Giscard d'Estaing.
Au cours de cette même période, l'habitude a été prise de travailler en commun au Conseil de sécurité. Si cela peut paraître anecdotique, c'est en fait très important pour les administrations. Toutes les expériences réelles qui conduisent les administrations à travailler ensemble sont bénéfiques à la création d'une coopération.
Enfin, le rapprochement parlementaire franco-allemand est crucial dans la perspective d'une politique étrangère et de sécurité commune parce que l'un des véritables problèmes qui se posera à l'avenir sera celui de la légitimation démocratique des décisions. Il n'est en effet pas souhaitable d'avoir des groupes pionniers « suspendus en l'air » sans qu'aucune Assemblée parlementaire ne puisse parler de ce qu'ils font. En l'occurrence, Mme Goulard s'avoue très fière d'être parvenue à convaincre M. Forni de lancer les prémices de la rencontre franco-allemande de janvier 2003.
Pour conclure, il s'agit de ne pas noircir le tableau : des actions très concrètes sont réalisées. Malgré une rumeur bruissant que la France et l'Allemagne ne sont plus influentes - notamment du fait de l'élargissement -, il existe toujours une force d'impulsion tout à fait réelle.
Des aspects négatifs persistent toutefois. Il faut être très lucide et ne pas se contenter de ce qui a été fait pour l'avenir. L'Union européenne ne se porte pas bien. Dans la phase actuelle de campagne référendaire française, tout le monde considère qu'il s'agit une évidence. Ce thème constitue d'ailleurs l'objet d'un livre de Mme Goulard paru à l'automne dernier. Ainsi, lorsqu'elle a voulu tirer la sonnette d'alarme, il lui a été reproché d'exagérer et d'être pessimiste. Or si la France et l'Allemagne sont les moteurs de l'Union européenne - les premiers leaders -, ils seront les principaux responsables de cette dégradation. Il faut le répéter sans cesse, notamment en France en ce moment : il n'est pas possible d'être leader et d'avoir des états d'âme pour des raisons qui ont d'ailleurs peu à voir avec le sujet.
Le premier indice inquiétant de ce mal-être a été représenté par l'abstention aux élections européennes l'année dernière. Il est préoccupant que le taux de participation ait chuté à 50 % dans les états fondateurs et n'ait pas dépassé 20 à 25 % dans certains États-membres dont c'était la première élection au Parlement européen. Les responsables politiques doivent prendre ce phénomène au sérieux car il s'agit du premier indice d'un dysfonctionnement dans une démocratie. Le Parlement européen adopte 60 % des textes qui s'appliquent dans les États-membres. Il est dramatique de n'être pas parvenu à faire comprendre à la population que c'était un sujet important. Il serait grave de continuer à construire des listes sur la base de petites intrigues partisanes ou de considérer, comme en France l'année dernière, que « les européennes seront la poubelle des régionales ». Or nul ne peut prétendre au leadership en Europe et vis-à-vis du monde extérieur, et avoir une Europe forte, si ses éléments constitutifs sont faibles et si la population n'adhère pas au projet.
En l'occurrence, il n'y a pas eu suffisamment de discussions franco-allemandes sur la méthode. Des débats idéologiques se sont tenus sur l'aspect intergouvernemental par rapport au communautaire mais aucune analyse n'a été menée sur ce que l'Europe a fait, et sur la manière dont elle est perçue dans le monde. Pourtant, pour comprendre l'Europe, les politiques ou les chercheurs américains ou japonais s'intéressent à la méthode communautaire. Ils savent qu'il y a une valeur ajoutée dans le fait d'avoir une institution en charge de l'intérêt général. La Commission n'est pas simplement le « diable au pied fourchu » et sa création se justifie. Le contrôle par le Parlement européen, l'éventualité dans certains domaines de pouvoir aller devant la Cour européenne de justice, etc., sont également des bases prises en compte. Objectivement et indépendamment de toute idéologie, ces éléments sont-ils utiles ou non dans la politique étrangère ? Y a-t-il une différence de nature ou de degré entre la politique étrangère et la politique commerciale ?
Au cours de son expérience au ministère des Affaires étrangères, Mme Goulard a été très choquée d'entendre répéter indéfiniment qu'il existait une différence de nature entre ces deux politiques. Les sujets traités par le commissaire en charge du commerce sont extrêmement importants pour les populations afin de savoir dans quelles conditions sont fabriqués les produits (travail des enfants, normes environnementales, sociales, libre-échange, protectionnisme, etc.) Cela intéresse davantage le citoyen de base que la résolution du conflit au Nagorno-Karabakh. Il est inadmissible de considérer que la méthode utilisée pour la politique commerciale, notamment pour la gestion de crises, soit d'une autre nature que la politique étrangère. Or, il y a énormément de résistances catégorielles. Certains pouvoirs nationaux ne veulent pas lâcher leurs prérogatives indépendamment de toute considération d'intérêt général pour les populations. Cela ne signifie pas qu'il faut démanteler les ministères des Affaires étrangères et renoncer totalement à la souveraineté mais, au niveau franco-allemand et européen, il n'y a plus de réflexions basées sur la réalité.
En 2002-2003, d'un côté un bras de fer s'était engagé avec George Bush au conseil de sécurité des Nations Unies sur l'Irak. Chacun connaît le très beau discours de Dominique de Villepin et sait comment cela s'est terminé. De l'autre côté, la guerre aux subventions illégales à l'acier que George Bush avait distribuées au mépris des règles de l'OMC faisait rage. Dans ce domaine, parce que l'Union européenne était unie et qu'une personne parlait au nom de l'Europe avec un mandat qui lui venait des gouvernements représentés au Conseil, George Bush a renoncé. Le bras de fer entre Mario Monti et Microsoft est un autre exemple. Voilà ce dont l'Europe est capable lorsqu'elle s'organise pour fonctionner comme un ensemble uni et respecté.
Par ailleurs, les Japonais connaissent trois choses de l'Europe : la politique commerciale, la politique de la concurrence et l'euro, trois domaines dans lesquels existent des éléments fédéraux. Les Allemands ont su renoncer à la domination de la Bundesbank et de la zone Mark - qui était un atout considérable - afin de mettre celui-ci dans le panier communautaire ; et l'euro est devenu un instrument de puissance. Il faudrait que la France et les autres États-membres sachent en faire autant sur un certain nombre de sujets. La puissance européenne ne sera pas gratuite. Soit chacun mettra ce qu'il a de mieux dans le panier communautaire afin de le partager et l'Europe sera forte, soit chacun se comportera comme un passager clandestin en essayant de profiter au maximum du système, de prendre les subventions et les aides et cela ne fonctionnera pas longtemps. C'est ce dont les citoyens français prennent conscience en ce moment. Il est frappant de constater que beaucoup d'entre eux sont tentés de voter « non » lors du référendum parce que l'Europe ne va pas suffisamment loin. Il faut être capable de leur répondre.
En outre, l'absence de discussion s'est manifestée d'autres manières. Ainsi, il n'y a eu aucune réaction française au revirement profond de Joschka Fischer sur le but de l'Europe. En février-mars 2004, il a déclaré au cours d'interviews que « l'objectif de l'Union européenne était de faire de la stratégie, de reconstruire l'occident, de le faire dans une perspective transatlantique ». Aucun débat sur l'évolution du monde n'a non plus été engagé alors que celui-ci change sous nos yeux. Les Français semblent d'ailleurs tentés de voter « non » à l'existence de la Chine et de l'Inde et de leurs travailleurs. Ce n'est pas une politique étrangère ni une réflexion.
Un panel des Nations Unies, organisé par Kofi Annan, a rendu des conclusions très intéressantes sur la nature nouvelle des menaces qui sont très larges (pauvreté, atteinte à l'environnement, etc.). En l'occurrence, il s'agit d'un outil fantastique pour l'Union européenne qui est l'acteur multilatéral par excellence. Ce n'est pas le multipolaire qui est intéressant pour le monde de demain parce qu'il est constitué de blocs suffisamment forts pour se faire peur mutuellement. Ce qui est intéressant, c'est le multilatéral, c'est-à-dire un système dans lequel on s'organise pour prendre des décisions ensemble, qui est contrôlé par un juge, dans lequel il existe des « cordes de rappel » et des checks and balances. Mais cet outil ne parle pas franco-allemand. M. Badinter était l'un des membres de ce panel mais il n'a pas été souvent reçu en Allemagne. De plus, le rapport considère que dans la société internationale, il n'y a que les États, ce qui n'est pas le cas, car entre les États et les organisations internationales, quelque chose émerge.
De même, les propos tenus par le chancelier Schröder au sujet de l'OTAN - qui sont tout à fait différents de ce que disaient les Allemands depuis 50 ans - ont rencontré une certaine indifférence française. Il faudrait discuter plus longuement sur l'avenir de l'OTAN et la relation transatlantique.
S'exprimant en toute amitié, Mme Goulard déclare être profondément attristée par l'idée que l'Allemagne se cherche un siège au Conseil de sécurité. Elle lui pardonne néanmoins parce que la France a également sa part de responsabilité. Cela ne la gêne pas en tant que Française mais pour l'Europe. L'idée de devoir accorder un siège de plus à l'Europe suscite les moqueries du Japon ou de l'Inde qui, comme des adolescents, ont envie de prendre le pouvoir et non pas d'ajouter un « vieux » supplémentaire dans la prise de décision. La CIA et le Japon décrivent d'ailleurs les pays de l'Union européenne comme les « aging powers ». Cette démarche n'est pas forcément vouée au succès et elle s'inscrit difficilement dans la politique étrangère et de sécurité commune.
Des divergences cachées existent également. La perspective de l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne est le sujet franco-allemand qui fâche et fâchera, et dont on parle peu. Or, l'adhésion de la Turquie pose des questions fondamentales pour la construction européenne. C'est un miroir pour l'Europe. Les institutions peuvent-elles résister à l'arrivée d'un pays aussi grand et dont le PIB est aussi bas ? Cette équation signifie que si aucun argent n'est ajouté dans la caisse communautaire, il y aura moins de politiques communes. Les conclusions esquissées par le Conseil européen en décembre dernier sont un monument d'hypocrisie. Il s'agit d'ouvrir les bras à la Turquie mais d'interdire la libre circulation des personnes alors que c'est l'un des éléments constitutifs de la citoyenneté européenne au sens du Traité constitutionnel. Deuxièmement, la politique agricole commune ne s'appliquera pas à la Turquie alors qu'elle représente 45 % du budget communautaire et qu'elle est l'une des politiques fondatrices de l'Europe. Troisièmement, la Turquie est exclue des fonds structurels qui ont permis à l'Espagne, au Portugal, à la Grèce, etc., de bien s'intégrer dans l'Europe. Il n'est pas possible d'obtenir les avantages de la stabilisation de l'Espagne ou du Portugal sans en payer le prix. Une fois de plus, on veut construire l'Europe gratuitement, ce qui aboutit à la stratégie de Lisbonne. Il ne coûte rien de décréter que l'Europe sera la plus compétitive du monde, qu'elle stabilisera le Moyen-Orient, etc., mais lorsqu'il s'agit de mettre les moyens appropriés en œuvre, cela devient ridicule.
Il est d'autant plus important de discuter de ces questions que les Eurobaromètres fournissent des chiffres inquiétants. Par exemple, 42 % des Allemands et 35 % des Français déclaraient en 2004 que leur pays n'avait pas bénéficié de son appartenance à l'Union européenne.
En conclusion, Mme Goulard déclare préférer une Europe communautaire à des coopérations ponctuelles à quelques-uns, pour des raisons d'attachement profond à la démocratie et au jeu collectif qui associe tous les autres États. Il y a une Union européenne et des ersatz. Le label européen n'est pas géographique mais communautaire. C'est une méthode, l'idée que des garanties sont offertes aux citoyens, que des personnes réfléchissent en termes d'intérêt général même si la Commission n'est pas infaillible. Il ne faut pas perdre de vue l'idée que quelqu'un incarne l'intérêt général, que l'on a besoin d'un parlement où discuter.
B. Les points de vue des partenaires européens : sujet de méfiance ou facteur de rapprochement ?
Exposé de M. Patrick MORIAU, vice-président de la commission des relations extérieures de la Chambre des représentants belge
M. Patrick MORIAU, vice-président de la commission des relations extérieures de la Chambre des représentants belge, souligne faire partie de ces « petits » pays profondément attachés à l'Union européenne même si les discussions laissent parfois penser que cette dernière n'est constituée que de « grands » pays. Il partage l'essentiel des propos de Mme Goulard.
Il fait part de son plaisir à prendre la parole dans les locaux du Parlement européen de Strasbourg. Cette invitation à associer les représentants d'autres parlements nationaux de l'Union européenne afin de faire le point sur le rôle du couple franco-allemand dans une Europe élargie est des plus pertinentes. Le dernier élargissement de l'Europe, le processus de ratification actuellement en cours, les projets de traités établissant une Constitution européenne sont des événements à la fois historiques et politiques d'une importance capitale pour l'avenir de l'Union européenne au sein de laquelle le couple franco-allemand a toujours joué un rôle de premier plan en impulsant un grand nombre de réformes institutionnelles. Alors qu'un nouveau chapitre de l'histoire de l'Union s'écrit, il semble opportun de s'interroger sur la présence et l'influence actuelle de la France et de l'Allemagne sur le cours de la construction européenne et sur une possible articulation de leurs actions avec leurs partenaires européens.
La France et l'Allemagne constituent-elles toujours un couple modèle ? Comme la plupart des couples, elles connaissent des moments de parfaite entente et parfois des périodes de mésentente. Malgré les soubresauts qui rythment les relations franco-allemandes depuis quelques années, le couple résiste et exerce une réelle capacité d'attraction sur de nombreux pays membres de l'Union, notamment les pays du Benelux. Aux yeux de la Belgique, État fondateur de la Communauté européenne qui figure parmi les plus européens des membres de l'Union actuelle, l'alliance franco-allemande est davantage perçue comme un facteur de rapprochement qu'un sujet de méfiance même si le couple n'a pas toujours répondu aux attentes que certains de ses partenaires nourrissaient à son égard, alimentant de ce fait une certaine déception. La Belgique a souvent trouvé beaucoup plus d'avantages que d'inconvénients à son arrimage au couple franco-allemand. Les propositions de réforme de l'architecture institutionnelle de l'Union européenne présentées par le Benelux ont toujours trouvé un écho favorable auprès de la France et de l'Allemagne. Inversement, les propositions franco-allemandes ont souvent été accueillies avec un a priori favorable par les pays du Benelux. Les interrogations sont identiques, les réformes proposées sont largement partagées. Ainsi, en 2003, lors de la Convention sur l'avenir de l'Union européenne, les Premiers ministres et les ministres des Affaires étrangères du Benelux ont tenu à souligner qu'ils partageaient le souci de l'Allemagne et de la France de « garantir l'efficacité et le caractère démocratique de l'architecture institutionnelle de l'Union afin que cette dernière puisse, également après élargissement, réaliser ses objectifs ». Dans ce même texte, le Benelux a souscrit aux propositions franco-allemandes relatives à la création d'un ministre des Affaires étrangères et à leurs observations concernant le renforcement de la PESC tout en soulignant l'impulsion précieuse donnée aux travaux de la Convention par cette contribution franco-allemande. Dans une interview parue dans Le Monde du 31 octobre 2002, l'ancien ministre belge des Affaires étrangères, M. Louis Michel, actuel commissaire européen en charge du développement, faisait observer que « la France et l'Allemagne sont beaucoup plus rassurantes pour les Européens, à la fois sur le plan de l'intégration européenne que sur celui de la méthode communautaire ».
Lorsque l'on se penche sur les relations franco-allemandes, on évoque souvent l'axe De Gaulle-Adenauer et surtout la période faste au cours de laquelle les tandems Schmidt-Giscard d'Estaing ou Kohl-Mitterrand s'attelaient avec passion et lucidité à l'œuvre d'unification européenne. Sous leur conduite, la France et l'Allemagne ont renoncé à de nombreux aspects de souveraineté nationale. L'exemple le plus frappant est l'abandon du deutsche mark par l'Allemagne au profit d'une monnaie européenne. Les prédécesseurs du président Chirac et du chancelier Schröder étaient peut-être davantage des Européens de coeur que de raison.
La ferveur européenne a désormais fait place à l'intérêt bien compris de chacun des deux partenaires. Le combat récent mené par l'Allemagne avec le soutien de la France, en vue d'assouplir les procédures pour déficit excessif dans le pacte de stabilité et de croissance dont elle est à l'origine, illustre cette tendance. Toutefois, dans une Europe qui ne s'était pas encore étendue vers l'Est, les deux grands États fondateurs que sont la France et l'Allemagne avaient une présence nécessairement moins diluée qu'à vingt-cinq. À la suite de l'élargissement du 1er mai 2004, le rapport de force entre « grands » et « petits » pays s'est creusé au détriment des « grands ». Néanmoins, le trait marquant est une absence de rupture dans l'engagement européen de l'Allemagne (et dans une moindre mesure, de celui de la France) même si cet engagement est moins volontariste dans la pratique qu'auparavant. Ainsi, lors du sommet européen de Portschach en 1998, le chancelier Schröder a tenu d'emblée à assurer à ses collègues chefs d'État que le nouveau gouvernement allemand s'en tiendrait à la traditionnelle politique allemande européenne et étrangère qui avait fait ses preuves auparavant. Le chancelier a également plaidé pour la poursuite du processus d'élargissement sans permettre que l'on doute de l'engagement de l'Union européenne face à cette grande responsabilité. Il a en outre appelé ses collègues à poursuivre leurs efforts en vue de parvenir à davantage de démocratie en Europe, à un processus décisionnel plus compréhensible et plus transparent. Il considérait nécessaire de faire précéder les traités européens d'une charte des droits fondamentaux. Lors de ce même sommet, les chefs d'État et de gouvernement marquèrent leur accord sur la proposition visant à accorder le titre de citoyen d'honneur de l'Europe au chancelier Kohl en guise de remerciement pour ses actions en faveur de la construction européenne.
Les mésententes suscitées par le Conseil européen de Nice en 2000 et le financement de la politique agricole commune ont mis en lumière un engagement européen empreint de davantage de réalisme. La capacité à forger des compromis et à surmonter des différends est beaucoup plus laborieuse aujourd'hui qu'auparavant. Or si la passion est souvent contagieuse, le réalisme l'est beaucoup moins. La force d'entraînement de l'axe Paris-Berlin apparaît moins vigoureuse que lors des années quatre-vingt-dix. Les Européistes convaincus reprochent actuellement à la France et à l'Allemagne un manque d'audace et d'enthousiasme créatifs. Cela avait déjà pu être constaté à l'époque de la guerre civile en ex-Yougoslavie. Joachim Bitterlich, ancien conseiller du chancelier Kohl, souligne dans son ouvrage intitulé « France-Allemagne : mission impossible. Comment relancer la construction européenne ? » que la relation franco-allemande n'a jamais été conçue comme exclusive. Au coeur des initiatives bilatérales se cachait le plus souvent un noyau européen, une orientation européenne. Ils invitaient les autres à suivre leur exemple, à se joindre à eux. C'est précisément là que résidait la force de l'action franco-allemande.
Les générations ont changé. Le fondement même de la création de l'Union - la paix - s'est installé dans le confort paisible, lorsqu'il n'est pas oublié. Force est de constater que si le couple franco-allemand ne prend pas une série d'initiatives, le moteur européen a tendance à tourner moins vite. Or, à mesure que l'Europe s'élargit, le besoin de voir une série de pays (notamment le Benelux) prendre l'initiative s'accroît. Au difficile équilibre entre le nord et le sud de l'Europe est venu s'ajouter, à la suite de l'élargissement, un nouvel équilibre aussi délicat à maintenir entre l'ouest et l'est de l'Union. Les débats actuels sur les perspectives financières 2007-2013, le projet de directive sur les services, sur l'aménagement du temps de travail sont autant de dossiers qui traduisent une polarisation géopolitique grandissante du débat européen. Les résultats très tranchés lors du vote de la résolution du Parlement européen sur le programme de travail de la Commission pour 2005 reflètent cette tendance.
En matière de politique étrangère, les prises de position de la France et de l'Allemagne relatives à une intervention militaire en Irak ont certes suscité un vaste courant de sympathie auprès de l'opinion publique en Europe mais ont également révélé une polarisation, voire une fracture, entre les Européens convaincus et les tenants d'une approche plus atlantiste. La création d'un nouvel axe baptisé « AIE » (Angleterre-Italie-Espagne) par M. Moriau, peut-être éphémère mais suivi par de nouveaux États-membres, doit interpeller. Dans une Europe à vingt-cinq, il faudra mettre en place des coopérations plus étroites dans certains domaines, notamment en matière de politique de défense et de sécurité.
Le couple franco-allemand a une fonction d'exemple. Comme l'a fait observer Jeremy Rifkin dans son essai intitulé « The European Dream », la Communauté européenne est le seul espace transnational créé sur un modèle de réconciliation, celui du couple franco-allemand. Tous les grands empires de l'histoire se sont construits sur des conquêtes, des expansions militaires ou des guerres alors que le modèle européen s'est construit sur le dialogue et la concertation. Ce projet de paix et de prospérité reposant sur une démarche librement consentie constitue une référence qui pourrait utilement inspirer des initiatives dans d'autres régions du monde. Depuis 1973, l'Europe joue ainsi un rôle de pionnier au Moyen-Orient en avançant des idées qui sont souvent reprises par les États-Unis et Israël mais sans le pragmatisme qui a permis de vaincre la haine.
Il serait également utile que l'Allemagne participe pleinement, à l'instar de la France, au processus de Barcelone. Le partenariat euro-méditerranéen constitue un impératif politique et historique aussi important que le fût l'élargissement de l'Europe aux pays de l'Europe centrale et orientale. La rive sud de la Méditerranée est importante pour la stabilité en Europe et dans le monde. La lutte contre le terrorisme ou l'immigration clandestine, le développement socio-économique de la région, le renforcement de la démocratie sont autant de défis qu'il convient de relever. Au nationalisme passé et présent, il n'y a pas d'autre réponse que la poursuite d'un projet mobilisateur commun, l'intégration européenne à finalité politique en tant qu'espace de valeurs de liberté, d'égalité, de tolérance, de justice, de paix et de stabilité. Au c_ur de ce projet, le couple franco-allemand a une responsabilité primordiale à jouer. Sa stabilité est une condition nécessaire afin que l'Europe puisse jouer un rôle politique à la mesure de ses ambitions dans la société globalisée qui caractérise le monde actuel. Face à l'unilatéralisme des États-Unis, l'Europe doit peser davantage sur la scène politique internationale en mettant en exergue les bienfaits du multilatéralisme. Ainsi que l'a fait observer le journal Die Zeit le 4 janvier 2003, « si elles laissent dépérir l'Union européenne, ni la France ni l'Allemagne ne pourront tenir tête aux menaces globales et, dans le meilleur des cas, nous devrons alors nous reposer sur la surpuissante Amérique. Bien sûr, nous glisserions alors dans le rôle insignifiant et sans recours d'Athènes du temps de l'imperium romain. » Ce n'est pas de l'antiaméricanisme mais un constat réaliste qui doit amener à davantage d'audace pour davantage d'Europe afin de mobiliser sur un projet enthousiaste, l'European way of life, l'European dream. Il faut se rappeler la phrase de Jacques Delors : « on ne peut pas tomber amoureux d'un seul marché économique », aussi performant soit-il.
Exposé de Mme Dorota SIMONIDES, membre du Sénat polonais
Mme Dorota SIMONIDES, membre du Sénat polonais, affirme qu'il est très important pour certains « vieux » pays du continent européen qui ont été qualifiés de « chevaux de Troyes » dans l'Union européenne mais qui ont su prouver qu'ils étaient capables de partager la responsabilité européenne, de pouvoir participer au présent colloque.
La Pologne observe très attentivement la coopération entre la France et l'Allemagne et considère qu'il s'agit d'un modèle exemplaire. La Pologne, elle-même, a mis en place un partenariat avec l'Allemagne. Après la deuxième guerre mondiale, une amitié entre l'Allemagne et la Pologne semblait être tout à fait impossible. Pourtant une réconciliation est intervenue, que chacun continue de nourrir. Cette expérience franco-allemande est instillée dans le travail germano-polonais ainsi que dans la coopération entre la Pologne et l'Ukraine. Ainsi, l'ambassadeur polonais en Croatie a invité Mme Simonides à se rendre à Zagreb pour parler de la réconciliation germano-polonaise afin que ce modèle puisse être prolongé dans une réconciliation entre la Croatie et la Serbie. Par ailleurs, dans le cadre d'un projet intitulé « Les contes ne connaissent pas de frontières » regroupant des enfants français, allemands, polonais, ukrainiens, tous reconnaissent les contes présentés, ce qui permet de leur démontrer qu'ils ont tous les mêmes racines, qu'ils sont tous d'Europe. Et si la Pologne a davantage d'amis en Allemagne qu'en France, il est donc nécessaire de réanimer l'initiative du Triangle de Weimar qui est un peu en sommeil.
L'expérience de Mme Simonides au sein de la commission polonaise pour l'intégration européenne lui a permis de constater que les nouveaux pays entrants se sont beaucoup mieux préparés à l'approfondissement et à l'élargissement de l'Union européenne que les anciens pays membres et qu'ils ont pris cette tâche davantage au sérieux que les pays qui les avaient invités. Ils étaient résolus à être des membres de plein exercice, à partager la responsabilité. Mais lorsque l'on parle de la taille des poissons qu'on a le droit de pêcher ou du calibre des bananes, on constate que le peuple connaît peu de chose de l'Union européenne. Il faut donc être extrêmement attentif à la population. On dit qu'il faut se rapprocher du citoyen, mais ceci n'est pas toujours suivi d'effet. Certes, il est donc capital que la France et l'Allemagne jouent le rôle de locomotive, mais les nouveaux pays membres souhaiteraient savoir où ce train les conduira car il ne faudrait pas que ce soit sur une voie de garage. Chaque pays qui rejoint l'Union européenne le fait avec son passé et sa mémoire. Les nouveaux pays membres doivent s'ouvrir aux anciens pays membres et réciproquement. En l'occurrence, l'histoire est ancrée dans le c_ur des nouveaux pays membres qui s'affoleraient s'ils devaient être enjambés par un axe Paris-Berlin-Moscou. Ce serait le retour de Frédéric le Grand, de Catherine II ou de Ribbentrop-Molotov et les populations ne le comprendraient pas. Lorsque Willy Brandt s'est rendu à Moscou, il a prolongé son escale à Varsovie pour ne pas « enjamber » la Pologne. C'est un élément fondamental. Il ne s'agit pas de l'hégémonie franco-allemande ni d'avoir une Europe allemande mais il faut que les responsables politiques français et allemands le prouvent et pensent à tout cela.
Le Parlement polonais a décidé de ne pas lutter contre quelque chose mais pour une cause. Il ne s'agit donc pas de combattre George Bush mais de lutter pour faire des États-Unis ses amis. Cela ne signifie pas pour autant qu'il a trahi l'Union européenne.
S'agissant du Traité constitutionnel, il convient de pouvoir s'identifier à une constitution, et en connaître la teneur ; or la constitution européenne est un programme, en particulier le troisième volet. Une constitution est un document juridique alors que la constitution européenne est un peu floue, imprécise. Il y aura néanmoins un référendum en Pologne qui devrait aboutir à la victoire du « oui » bien que de nombreux Polonais attendent que les Français leur montrent l'exemple. La Pologne ne se réjouirait pas si le « non » l'emportait en France mais elle s'est battue pour une société des valeurs et pas pour une société des actionnaires. Robert Schuman, Konrad Adenauer, Jean Monnet et Alcide De Gasperi se retourneraient peut-être dans leur tombe s'ils savaient ce que l'on a fait de leurs rêves. La Pologne entretient néanmoins l'espoir que le train de l'Europe avancera et que l'on partagera avec d'autres la responsabilité d'une Europe commune parce qu'elle est consciente de ses responsabilités. En Pologne, dire et parler sont deux choses différentes. On peut dire beaucoup de choses mais lorsque l'on parle, il faut respecter sa parole et les Polonais tiennent parole.
Exposé de M. Egidijus VAREIKIS, membre de la commission des affaires européennes du Parlement lituanien
M. Egidijus VAREIKIS, membre de la commission des affaires européennes du Parlement lituanien, fait remarquer qu'il représente le plus petit pays de l'Union européenne, qui réussit néanmoins à peser de tout son poids, et qu'il pourra donc parler au nom des « petits » pays.
M. Vareikis rapporte qu'un de ses collègues membres du Parlement lituanien lui a dit un jour que les « grands » pays ont de la chance parce qu'ils font leur histoire alors que les « petits » pays la subissent. Il ne partage pas du tout cette appréciation de la situation parce que ce n'est pas l'histoire russe, américaine, française, allemande, chinoise ou japonaise qui a fait le XXe siècle. Aucun de ces pays ne peut dire qu'il a écrit l'Histoire et son propre scénario. Qui écrit alors les scénarii ? Le seul scénario qui a été mis en _uvre et fonctionne est celui de l'amitié franco-allemande qui a engendré l'intégration européenne. C'est peut-être le seul projet qui fonctionne encore. Au départ, ce n'était pas un scénario économique et politique mais plutôt spirituel, émotionnel. À l'époque, ce projet paraissait désespéré, incroyable et, pour certains, tout à fait illogique. La logique de l'histoire a toujours été celle des perdants et des gagnants alors que ce scénario ne visait pas à imposer une victoire mais à mettre en _uvre une amitié. M. Vareikis indique avoir écrit un livre intitulé « L'Europe des dinosaures » portant sur la spiritualité dans l'histoire européenne et qu'il continue à croire que l'Union européenne s'est construite dans les c_urs et non pas dans les esprits. Il fallait donc croire dans un projet incroyable.
Ce projet est-il unique ? Se limite-t-il à l'histoire et à la géographie ou peut-il s'appliquer à la Lituanie et sa région, ce qui serait véritablement bénéfique ? M. Vareikis affirme qu'il est applicable à son pays. La Lituanie, comme la Pologne, applique ce projet avec succès. Le XXe siècle a été dramatique dans l'histoire de la Lituanie qui a dû reconquérir l'indépendance qu'elle avait perdue contre les Russes puis contre l'Allemagne nazie, pour se libérer en 1990. La Lituanie a toujours eu l'idée un peu étrange d'être une nation de l'Europe de l'Ouest. Elle a trois objectifs stratégiques très clairs : rejoindre l'OTAN au sein de l'Europe de l'Ouest, rejoindre l'Union européenne pour l'économie européenne ; établir les meilleures relations possibles avec ses quatre pays voisins qui ont parfois été ses ennemis. Ce dernier objectif constituait une étape indispensable pour parvenir aux deux premiers. Dans l'histoire du XXe siècle, la Pologne a été le pire ennemi de la Lituanie. À l'exemple du projet franco-allemand, il faut faire de ses pires ennemis d'hier ses meilleurs alliés d'aujourd'hui et de demain. L'auteur Carl von Clausewitz a écrit que c'était une belle idée de gagner la guerre mais que le seul bon résultat de la guerre était la paix. Comme les Français, les Lituaniens peuvent-ils ne pas perdre leur dignité, leur place dans l'histoire - et leurs ressources ? Pendant de nombreuses années, la Lituanie a cherché à séparer son histoire de celle de la Russie, de la Pologne, des pays scandinaves mais lorsqu'on la sépare de ce qui est russe, polonais ou suédois, on découvre tout à coup qu'elle se résume à son seul folklore. Si la Lituanie intègre son histoire à celle de ses voisins, elle retrouve l'intégralité de son histoire et tout son héritage.
Le projet franco-allemand s'est donc appliqué de plein droit aux pays de l'Europe centrale. La Lituanie a signé des traités de bon voisinage avec la Pologne en 1994. De nombreux traités d'amitié ont été signés entre les pays d'Europe centrale et orientale. Tous ces traités ne fonctionnent peut-être pas à la perfection, voire n'ont pas encore été convertis dans les faits, mais ce sont de beaux projets. Si les pays peuvent faire quelque chose en paix, sans perdre leur honneur et leur dignité nationale, ce sera pour le plus grand bénéfice de l'Histoire, la vraie.
Que faut-il faire maintenant ? Il faut étendre son savoir, ses réussites. La Lituanie s'intéresse aux États du sud du Caucase qui veulent être intégrés dans les structures euro-atlantiques mais qui rencontrent des difficultés à être amis entre eux. Les Géorgiens refusent de faire de la Turquie leur meilleur allié avant de rejoindre l'OTAN. L'Arménie a dix fois moins d'échanges avec la Géorgie qu'avec la Belgique alors qu'ils sont voisins. En suivant l'exemple de la France et de l'Allemagne, de la Lituanie et de la Pologne, ces pays constateront qu'il n'est pas si difficile de rejoindre les structures euro-atlantiques. C'est une tache concrète.
Dans le cadre de sa mission d'expert en contrôle d'armement en sécurité internationale, M. Vareikis s'est rendu à Nairobi à l'occasion du conflit dans la région des Grands Lacs où la situation est désespérée, chaque partie ne souhaitant que gagner et déclarant qu'elle ne fera la paix qu'après la victoire. Il reste également beaucoup de travail à faire en Asie centrale et dans les Balkans. La coopération franco-allemande n'est pas applicable point par point à tout le monde mais pour vaincre la leçon de l'histoire, il faudrait faire en sorte que les pays d'Asie centrale se rapprochent sur la base du modèle franco-allemand.
Exposé de Son Exc. M. André ERDÖS, ambassadeur de la République de Hongrie en France
Son Exc. M. André ERDÖS, ambassadeur de la République de Hongrie en France, se réjouit de pouvoir apporter une contribution centre-européenne supplémentaire à ce débat politique et éclairer la manière dont les Hongrois regardent le développement des relations entre Paris et Berlin.
À l'échelle européenne, la collaboration franco-allemande évoque deux pays qui sont les fondateurs de l'idée européenne et le moteur de la construction européenne. Leur influence n'est plus à démontrer. Les positions prises par Paris et Berlin, leurs attitudes et leurs approches, malgré les difficultés inévitables d'une concertation quasiment quotidienne, affectent naturellement les activités et les choix de l'Union. On ne saurait faire abstraction du poids de ces deux pays dans la vie de l'Union.
Dans une perspective plus régionale, la Hongrie considère qu'un deuxième aspect est au moins aussi important pour le couple franco-allemand au sein d'une Europe élargie : la coopération entre deux pays qui se sont fait la guerre traditionnellement. Ils ont ouvert une nouvelle page de leur histoire, ils ont réussi à dépasser les moments sombres de leur passé commun et ont montré qu'une telle entreprise était possible. Aujourd'hui, la qualité des rapports entre gouvernements et populations français et allemands est un témoignage éloquent de la réussite de cette grande entreprise historique lancée par le général de Gaulle et le chancelier Adenauer. Dans le cercle de ce colloque, cette thèse est bien implantée mais la coopération franco-allemande est porteuse d'un message qui n'est peut-être pas pleinement ressenti par les citoyens de ce côté de l'Europe.
Il s'agit effectivement d'une grande entreprise qui représente une valeur inestimable pour toute la région de l'Europe centrale. Quiconque connaît un tant soit peu l'héritage turbulent de cette région est en mesure d'apprécier à sa juste valeur l'importance de l'expérience franco-allemande. Plus d'une fois dans l'histoire, les guerres, les conflits, les tensions politiques, ethniques et religieuses ont ravagé ses terres. Des peuples se sont confrontés, des haines se sont attisées, des gouvernements se sont acharnés les uns contre les autres, des territoires ont été occupés ou annexés, des frontières ont été sans cesse retracées. La Hongrie, entre autres, en connaît les conséquences. Après les grands changements de dimension historique du début des années quatre-vingt-dix, parmi les facteurs qui militaient dans les esprits hongrois en faveur de l'intégration européenne se trouvait cette aspiration à la solidité du système démocratique que seule l'appartenance de la Hongrie à l'Union européenne pouvait apporter au peuple magyar. Aux yeux des Hongrois, l'Union était - et reste - une garantie contre des dérapages nationalistes qui avaient fait basculer le pays et la région dans le sang et le feu avec leur cortège de souffrances humaines, économiques et psychologiques. Les perspectives mêmes de l'entrée de la Hongrie dans l'Union européenne se sont avérées génératrices de changements importants sur le plan intérieur aussi bien qu'extérieur : l'évolution pendant cette période des rapports avec ses voisins, le règlement de certains contentieux et la signature de traités de base assainissant les relations entre les pays de la région (pays qui venaient d'entamer leur processus de restructuration démocratique). L'exemple de la réconciliation et de la coopération franco-allemande montre que cela vaut la peine d'essayer parce que cela peut fonctionner dans une autre partie de l'Europe qui a également souffert des péripéties de l'Histoire. Cet exemple est une expérience à émuler, un point de repère à ne pas manquer, non seulement dans le bassin des Carpates mais aussi dans les autres régions qui s'étendent de la Baltique jusqu'à la mer Noire.
Ne serait-ce que pour des raisons historiques et symboliques, la Hongrie souhaite donc la préservation et l'approfondissement de ce lien privilégié entre Paris et Berlin, la continuation du rayonnement de l'exemple de ce lien. Car il faut constater avec une certaine amertume que l'on n'est pas encore arrivé à bon port dans ce domaine.
Il faut indubitablement adapter cette précieuse collaboration bilatérale entre Français et Allemands aux nouvelles circonstances d'une Union à vingt-cinq, notamment en tirant les enseignements nécessaires de la période récente, parfois assez houleuse, que les pays ont laissé derrière eux. Il est important qu'il y ait un dialogue entre tous sur les sujets qui préoccupent les pays membres de l'Union et non pas seulement entre deux ou trois pays et surtout pas entre les soi-disant « grands » pays de l'Union. Ce n'est pas forcément sa superficie qui détermine les positions d'un pays dans une problématique donnée mais plutôt la substance de cette problématique. Dans le même ordre d'idée, il faut éviter d'introduire une sorte d'institutionnalisation de consultations exclusives qui s'étendent uniquement aux « grands » de l'Union. Mais il faut évidemment reconnaître l'importance et l'influence des pays de l'Union dont le poids économique et les capacités internationales les distinguent des autres membres. Leurs attitudes, leurs approches, leurs prises de position, qu'elles soient concertées entre eux ou non, auront toujours un effet sur la vie intérieure de l'Union européenne. Mais il convient d'éviter que ces pays se retranchent derrière des considérations « territoriales » pour délimiter le cercle des participants face à l'écrasante majorité des États-membres. De telles consultations entre eux peuvent certes être utiles mais elles ne suffisent plus. À ce propos, l'Union ne saurait échapper au besoin de coopération renforcée que dicte indiscutablement la réalité de la situation. D'ailleurs, de telles coopérations regrouperont en leur sein des pays de dimensions très différentes qui noueront des alliances particulières sur des questions concrètes. Cela dépasse les considérations de taille pour se concentrer sur la substance de ces coopérations. Cela est parfaitement logique et raisonnable à condition que ces coopérations restent transparentes et ouvertes aux pays membres qui s'estimeraient un jour capables de s'y joindre. La France et l'Allemagne, de par leur responsabilité, de par leur position centrale dans l'Union, y jouent un rôle majeur, non seulement pour garder l'esprit de cette coopération entre Paris et Berlin et la renforcer tout en la redéfinissant en fonction des exigences nouvelles mais aussi pour orienter les débats et les mécanismes de l'Union européenne dans une direction interactive, ouverte et démocratique susceptible de créer une Europe forte et confiante capable de se faire entendre dans les affaires du monde de demain.
M. Andreas SCHOCKENHOFF, en écho aux interventions de la première séance de travail de la matinée, se demande si la monnaie européenne permettra à terme des politiques étrangères nationales. Les précédentes interventions ont mis en avant l'importance d'un processus de consultation, de la définition d'objectifs communs, mais également que le domaine de la politique étrangère se situe encore largement dans le cadre de la coopération intergouvernementale. Dans un ordre mondial multilatéral, la France, l'Allemagne, la Grande-Bretagne seront-elles toujours un centre de gravité ou un pôle dans un monde multipolaire ? Quand y aura-t-il enfin un siège européen au Conseil de sécurité des Nations Unies ? Une politique étrangère commune pourrait le permettre mais les pays membres sont-ils prêts à consentir à des abandons de souveraineté ?
M. Jean GAUBERT, député de l'Assemblée nationale, ajoute qu'il est illusoire de faire croire qu'il est possible d'avoir un ministre des Affaires étrangères européen qui compte, dans la mesure où les approches de chaque pays sont différentes. À propos de l'Irak, qu'aurait fait un ministre des Affaires étrangères européen, il y a deux ans, quand la France et l'Allemagne d'un côté, la Grande-Bretagne, l'Espagne et l'Italie de l'autre, avaient des positions totalement divergentes ? On ne pèse que lorsque l'on met tout du même côté de la balance. Pour l'instant, l'Europe pèse en mettant quasiment autant de chaque côté de la balance. Les uns et les autres ont donc, avant tout, besoin d'un approfondissement. La précipitation en matière de construction d'une unité européenne démocratique est certainement la plus mauvaise chose à faire en ce moment. Par exemple, un accord européen est signé à chaque gouvernement qui préside mais il n'est tiré aucun bilan de ces accords qui n'ont jamais été appliqués ensuite, qui ont été oubliés immédiatement, voire qui ont été reniés alors qu'ils avaient été déifiés. Comment l'Union européenne peut-elle croire qu'elle aura un poids et sera respectée sur la scène internationale si elle n'est pas capable de mettre de l'ordre dans ses idées, d'approfondir ? Il n'est pas possible d'approfondir à vingt-cinq. Sans doute faut-il que certains prennent le temps de réfléchir davantage pour ensuite faire part aux autres du fruit de leurs réflexions sans les imposer afin de pouvoir travailler. On parle d'Europe démocratique mais les citoyens lisent, entendent, et voient le triomphalisme de chaque Premier ministre, président de la République, ministre des Affaires étrangères après chaque sommet puis constatent que cela reste sans suite. Dans un état démocratique, il faut accepter de prendre davantage de temps pour convaincre et faire avancer les idées afin de pouvoir s'en sortir aussi bien sur la scène internationale que sur la scène intracommunautaire.
M. Jean FRANÇOIS-PONCET, président du groupe d'amitié France-Allemagne du Sénat français, observe que les institutions pour la politique étrangère sont encore loin de fonctionner aussi efficacement que les institutions pour la politique commerciale extérieure. Derrière les institutions, les Français et les Allemands doivent se demander s'ils se situent sur la même ligne en ce qui concerne la politique étrangère. Lorsque le Traité de l'Élysée entre le général de Gaulle et le chancelier Adenauer a été soumis au Bundestag, celui-ci l'a approuvé en le faisant précéder d'un préambule mettant l'accent sur la priorité de l'Alliance atlantique par rapport au traité, ce qui, aux yeux du général de Gaulle, vidait le traité de son contenu. Lorsque la Yougoslavie a éclaté, on a constaté des sympathies pro-serbes chez les Français et des sympathies pro-croates chez les Allemands. La situation n'est heureusement plus la même aujourd'hui. La France et l'Allemagne semblent désormais se situer sur la même ligne. La preuve en a été apportée avec ce qui s'est passé pour l'Irak. S'il est probable qu'il y avait au départ des calculs de politique intérieure dans la position prise par le chancelier Schröder, cette orientation s'est néanmoins maintenue. En prenant récemment position sur les consultations politiques au sein de l'Alliance atlantique, le chancelier Schröder a émis l'avis de bon sens que ce n'était pas au sein de l'OTAN mais dans une enceinte à créer que ces consultations devraient se développer. Les Français et les Allemands sont maintenant au coude à coude en ex-Yougoslavie et quasiment partout.
Deux questions se posent néanmoins aux Allemands. La CDU est-elle sur la même ligne que le chancelier Schröder ? Après la fin des hostilités et au moment où l'insurrection en Irak allait commencer, Mme Angela Merkel s'est rendue à Washington pour indiquer qu'elle ne partageait pas les sentiments de M. Schröder. Où en est la CDU aujourd'hui ? Elle donne le sentiment de se rapprocher du pouvoir.
Deuxièmement, la ligne franco-allemande peut-elle rassembler le reste de l'Europe ? M. François-Poncet le pense. Au moment de la déclaration de la guerre d'Irak, les gouvernements se sont effectivement séparés mais pas les opinions publiques. Les opinions publiques britannique, espagnole et italienne se situaient du côté défini par la France et l'Allemagne. Il semble donc y avoir en Europe un dénominateur commun de politique étrangère : l'Europe est devenue « wilsonienne » au moment où l'Amérique devenait « bismarckienne » - du moins sur les moyens à employer. Il existe une Europe résolument ancrée sur la défense des droits de l'homme, favorable au multilatéralisme, qui a tout entière signé le protocole de Kyoto et ratifié les statuts de la cour criminelle internationale.
En conclusion, les institutions auraient aujourd'hui un sens parce qu'elles mettraient en _uvre une orientation de politique étrangère sur laquelle il y a globalement un accord des Européens.
Son Exc. M. Klaus NEUBERT, ambassadeur d'Allemagne en France, constate que ce débat confirme ce qu'il craignait, à savoir que le poids des attentes vis-à-vis de la France et de l'Allemagne est énorme. On demande aux nouveaux pays dits « petits » de tenir bon parce que ce ne sont pas les plus anciens qui doivent porter l'ensemble du fardeau mais il n'est pas équitable d'imposer ce fardeau à ceux qui ne peuvent pas le porter. Il faut tenir compte des « petits » États membres. La réussite de la politique européenne mais également de la politique étrangère de l'Allemagne, depuis l'Ostpolitik jusqu'à la réunification, n'a pu fonctionner que parce qu'un dialogue a été instauré avec tous et que l'on a toujours veillé en amont à ce qu'il y ait un consensus. Il faut poursuivre dans cette voie.
Il ne fait pas l'ombre d'un doute que l'Europe se porte mal et il est inutile de le dissimuler. Ce qui a été dit sur la stratégie de Lisbonne et d'autres initiatives est malheureusement exact. Il y a également un pessimisme culturel de l'Europe, très marqué en Allemagne, notamment vis-à-vis de la démographie. Les enfants qui ne sont pas nés depuis vingt ans manquent à la pyramide des âges et cela vaut pour l'ensemble de l'Europe.
En outre, chacun ne s'intéresse qu'à ses propres problèmes. L'Allemagne s'intéresse à l'ADN des chiens comme s'il n'y avait pas d'autres problèmes à traiter. Ainsi que le disait Mme Goulard, certains Français et Allemands seraient soulagés si l'Inde et la Chine pouvaient être éliminées de la communauté internationale. Cela soulagerait également certains Américains et résoudrait nombre de problèmes mais est-ce souhaitable ? Il faut cesser ce débat sur le passé. Le Traité constitutionnel appartient au passé puisqu'il est imprimé. Il va falloir l'adopter, le mettre en _uvre avec un service des affaires étrangères et un président élu. Dans la carrosserie, il y aura alors un nouveau moteur qui fonctionnera mieux. Le débat mené actuellement est un combat d'arrière-garde. On tourne en rond en attendant que le référendum ait lieu en France puis on attendra encore quelques années pour savoir si les Anglais traverseront la Manche ou resteront chez eux. Pendant ce temps, le monde continue de tourner et n'attend pas l'Union européenne. Il faut donc se hâter.
Le débat interne à la France sur l'Europe (et non pas la Constitution) a une approche très prometteuse. L'Allemagne commence à en prendre conscience mais pas encore suffisamment. L'Europe a effectivement besoin d'une politique extérieure et de sécurité mais ce qui est fait en la matière ressemble à du bricolage politique de haut vol. Il faut se concentrer sur la définition de l'Europe des vingt à trente prochaines années à travers un dialogue des sociétés civiles. Les députés sont vraisemblablement la passerelle principale de ce dialogue. Cela touche à l'économie, à la croissance, à la science, à la technologie, à la manière de rester leader en matière de design, à la culture, au plurilinguisme, à l'identité mais aussi à l'organisation des systèmes politiques et sociaux. Si l'Europe veut conserver son autonomie de décision en matière sociale, il faut qu'elle relève ses manches dès maintenant sinon elle se retrouvera avec un régime social mis en place par George Bush ou par le comité central du parti communiste. Il ne faut pas s'en tenir à la directive Bolkestein mais aller au-delà.
M. Martin KOOPMANN, responsable du service des relations franco-allemandes de la Société allemande de politique étrangère, estime qu'il faut essayer de faire davantage en matière de politique extérieure et de sécurité. Comment parvenir à une européanisation de la politique extérieure et de sécurité ? Mme Goulard a évoqué une initiative franco-allemande de la Convention qui se retrouve pour partie dans le Traité constitutionnel mais, depuis, on n'a pas retrouvé cette mise en commun de la France et de l'Allemagne. Cette approche a été soutenue par la France et l'Allemagne même si tous n'y croyaient pas forcément au départ. Ce modèle d'intégration pour la politique étrangère et de sécurité étant mort, la seule voie possible, au moins à moyen terme avant de pouvoir entreprendre d'autres réformes, n'est-elle pas de rechercher une convergence, un consensus dans la politique étrangère qui serait organisée au niveau inter-étatique ? Qu'en est-il également du siège allemand au Conseil de sécurité ? Il n'existe actuellement aucun argument réellement sérieux en faveur de ce siège. Enfin, que se passera-t-il si le « non » l'emporte lors du référendum en France ?
M. Jaroslav LOBKOWICZ, membre de la commission des affaires européennes de la Chambre des députés de la République tchèque, reconnaît qu'il ne faut pas rester figé dans le passé mais il affirme que chacun a son histoire et vit avec son passé. Il s'agit d'hommes et non pas de machines. On peut avoir des idées sur ce que doit être l'avenir mais il ne faut pas pour autant abandonner son courage, son ambition et son optimisme. S'il n'y a pas de président de l'Union européenne dans deux ans, ce ne sera pas une catastrophe. Certes, il convient d'y travailler pour y parvenir un jour. Ce ne sera peut-être que dans cinq ou dix ans. Il faut réfléchir à plus longue échéance. Il est impressionnant de voir des personnes planter un arbre en sachant qu'il lui faudra 80 ans pour grandir avant d'être abattu. C'est une réalité dont il faut prendre acte. Dans l'Ancien Testament, les juifs ont traversé le désert pendant 40 ans puis est arrivée une nouvelle génération qui n'avait plus cette charge du passé. L'amitié entre la France et l'Allemagne a demandé du temps avant de devenir ce qu'elle est aujourd'hui. Les nouveaux États-membres ne savent que depuis un an ce que signifie faire partie de l'Union européenne. Jusqu'en 1989, il leur a été dit que l'Allemagne était l'ennemie, qu'il fallait lutter contre l'impérialisme. Une partie de la population le croit encore et cela vaut également pour les autres pays d'Europe centrale et orientale. Il faut donc être patient, croire en l'avenir et s'engager pour parvenir un jour à ce que l'on veut atteindre.
M. Ernst BURGBACHER, député du Bundestag, pense que le manque d'acceptation de l'Europe par la population est lié au fait que l'on reporte les responsabilités sur d'autres. En Allemagne, on discute actuellement de la loi anti-discrimination, de la directive sur la libéralisation des services. On entend dire que c'est « l'Europe » qui décide, sans savoir de qui il s'agit exactement. Au Bundestag, chaque semaine, les députés prennent connaissance de documents sans en débattre puisqu'ils ne peuvent plus rien y changer. L'implication des parlements nationaux n'est donc pratiquement pas organisée actuellement. Il est important que le Traité constitutionnel entre en vigueur parce que les partis auront davantage voix au chapitre en Europe à travers les parlements. C'est une condition préalable essentielle pour parvenir à une politique extérieure commune. Tant qu'il n'y aura pas ce contrôle démocratique, tant que les parlements nationaux ne pourront pas véritablement exercer leur rôle, la situation ne progressera pas.
Mme Sylvie GOULARD admet qu'il faut effectivement prendre le temps d'expliquer mais sans trop tarder. Le processus doit être continu. Les parlements nationaux ont effectivement un rôle à jouer mais dans les deux sens, c'est-à-dire que s'ils veulent davantage d'implication dans la manière dont les textes sont réalisés, ils doivent également se sentir impliqués dans ce qui est fait à Bruxelles et aller l'expliquer.
Mme Goulard considère que les propos actuellement tenus par certains députés français sont honteux - notamment ceux de M. Emmanuelli selon lesquels le Traité constitutionnel supprimerait le droit à l'avortement en France. Il est scandaleux qu'une personne dont le rôle est d'expliquer, qui peut avoir son opinion sur certaines dispositions du traité, dise des choses totalement fausses. C'est le principal problème de l'Union européenne aujourd'hui. Il faut que chacun se sente investi de la mission d'expliquer à la société ce qui est fait, même en critiquant. S'il faut du temps pour qu'un arbre pousse, le problème du monde actuel n'est pas celui des arbres que l'on plante mais celui des arbres que l'on arrache. En matière environnementale, le temps presse. S'il faut prendre le temps nécessaire pour commencer à s'habituer à changer ses mauvaises habitudes, la planète sera détruite. Il faut donc mettre en œuvre une démarche dans laquelle des progrès sont réalisés et expliqués. Il ne s'agit pas de faire l'un ou l'autre. Il ne semble pas que les hommes politiques français et allemands aient consacré beaucoup d'énergie à expliquer l'Europe ces dernières années. Il reste beaucoup à faire et ce qui se passe actuellement en France par rapport au référendum est l'aboutissement de plusieurs années de laxisme total sur l'Europe.
En ce qui concerne les institutions, une convergence de fond est évidemment nécessaire car sinon les institutions sont « plaquées » sur la réalité. Il ne faut toutefois pas oublier que des institutions permettent de créer de la convergence. En 1957, il n'y avait pas d'accord entre les Six pour faire une politique commerciale. Le Traité de Rome a failli ne pas être signé pour une histoire de bananes. Il ne faut donc pas être manichéen.
Comment faire de l'européanisation ? Ainsi que l'a dit M. Neubert, une étape importante a été franchie avec le traité. La population ne doit pas penser qu'il a été apporté dans un panier par une cigogne. Il faut se faire un devoir d'expliquer qu'une convention a été constituée, qu'elle a coûté de l'argent au contribuable, et qu'elle était composée essentiellement de parlementaires nationaux qui ont longuement débattu. Tout ceci est perfectible mais une étape a été franchie. L'un des enjeux de la constitution est de décider s'il y aura ou non un ministre européen des Affaires étrangères. Il s'agit également de décider si une clause de solidarité doit être prise en matière de défense, qui induit que si un pays membre est attaqué, les autres devront mourir pour lui. Ce n'est donc pas une disposition purement économique.
Mme Goulard refuse d'entendre que la charte n'a pas de valeur même si c'est l'aboutissement d'un compromis et s'il reste beaucoup à dire sur certains éléments. L'introduction dans le droit positif communautaire d'un ensemble de principes fondamentaux qui peuvent être invoqués devant le juge, que la Commission et le Conseil devront respecter, n'est pas insignifiante. Cela a été mis en place par une Convention composée de parlementaires nationaux sous la direction de l'un des plus grands constitutionnalistes de l'Europe, Roman Herzog. Certains thèmes ont été débattus pendant de longues heures. Il est inutile de se donner à chaque fois beaucoup de mal pour dire ensuite que cela n'aboutit à rien. Le grand public n'en a peut-être pas suffisamment entendu parler mais tous les documents peuvent encore être consultés sur le site web de la Convention et toutes les séances étaient publiques. Ce texte est un point d'équilibre à un instant « t » mais également un acte fondateur de l'Europe politique. Il pourra cependant être modifié si nécessaire parce qu'il n'est pas gravé dans le marbre contrairement à ce qui est dit.
M. Yves BUR conclut que le fait, pour l'Allemagne et la France, de pouvoir bénéficier du regard de leurs voisins européens est enrichissant et qu'elles doivent en tenir compte. Le débat est toutefois peut-être trop orienté vers les peurs du futur et oublie tout le chemin parcouru en faisant systématiquement des paris sur l'avenir. Il faut retrouver ce goût de faire des paris sur l'avenir. C'est peut-être cette peur de l'avenir qui conduit à demander du temps. C'est peut-être également une incapacité collective à formaliser une véritable vision de l'Europe souhaitée par ses membres. Quelle Europe veulent-ils ? Pourquoi veulent-ils l'Europe ? Ils n'ont plus le temps de tergiverser trop longuement parce que le monde bouge autour d'eux, beaucoup plus vite qu'ils ne peuvent l'imaginer. En Chine, 7 à 10 millions d'ingénieurs sont formés chaque année, certainement pas pour rester au chômage mais pour travailler, pour créer des technologies nouvelles. L'Europe a intérêt à en prendre conscience.
M. Bur remercie les participants au débat.
V. Le rôle du couple franco-allemand en matière de défense et de sécurité
A. Exposé de M. Andreas BERG, colonel au sein de l'État-major des armées à la division de la planification, ministère fédéral allemand de la Défense
M. Andreas BERG, colonel au sein de l'État-major des armées à la division de la planification, ministère fédéral allemand de la Défense, explique que la sécurité européenne se définit selon deux concepts : elle est commune et globale. Dans l'armée, il est très facile de mettre l'accent sur la collectivité. En effet, une approche individualiste ne permet pas d'assurer la sécurité sur le continent ; il est normal de s'unir. L'approche globale est également de plus en plus cruciale dans une politique de sécurité. Les conflits et les crises sont de moins en moins militaires et le militaire et le civil se mélangent. La réponse à ces crises et ces conflits doit être de nature holistique. Il ne suffit pas de donner une réponse purement civile ou strictement militaire, il faut généralement un mélange des deux. C'est ici que réside la grande force de l'Union européenne face à d'autres systèmes de défense collective, notamment l'OTAN. L'Union européenne peut apporter une valeur ajoutée et cela offre des champs de coopération et de division du travail.
Désormais, la dimension militaire n'est pas la partie la plus importante dans la gestion des crises. La responsabilité du gouvernement fédéral de la politique européenne de sécurité et de défense relève du ministère allemand des Affaires étrangères et non pas du ministère allemand de la Défense. Cela montre où le gouvernement allemand place les priorités.
La pratique quotidienne de la coopération est intense, approfondie et sans alternative. Il va sans dire que la coopération militaire avec la France est de loin la plus forte par rapport à tous les autres pays, mais d'autres partenaires dans le domaine de la politique de défense ont un regard un peu sceptique sur ce tandem leader en Europe. D'une part ils saluent les initiatives et la concertation préalable, d'autre part, lorsqu'il n'y a pas de concertation précoce avec les autres partenaires, ceux-ci ont un peu l'impression d'être mis sous tutelle. Peu de choses évoluent si Paris et Berlin ne vont pas dans le même sens mais, dans une Europe à vingt-cinq, les positions franco-allemandes communes n'ont pas le même poids qu'auparavant. Il est de plus de plus difficile au couple franco-allemand de déterminer à lui seul ce qui se passe sur la politique européenne de sécurité. Il est dans leur intérêt propre et dans l'intérêt européen d'entraîner les autres partenaires, de les faire participer, de les convaincre. Cela signifie que la coopération franco-allemande ne saurait se limiter à une simple exclusive. À Berlin, le premier interlocuteur dans toutes les questions militaires est toujours Paris mais ce n'est pas l'unique interlocuteur. Le deuxième appel téléphonique est généralement destiné à Londres. Des contacts sont ensuite rapidement pris avec les autres capitales européennes.
Certains facteurs déterminants des politiques françaises et allemandes de sécurité divergent. Il faut connaître et accepter ces différences afin de mieux se comprendre et ainsi de coopérer utilement. La préservation de sa propre souveraineté en matière de défense et de sécurité est relativement plus importante pour la France que pour l'Allemagne. Cela peut limiter un peu la volonté de placer certains moyens dans des actions communes d'intégration. Les deux pays ont pour objectif de renforcer l'Europe de la sécurité mais chacun sait que cela suppose pour la France une grande indépendance à l'égard de l'OTAN et donc des États-Unis. L'Allemagne continue de voir dans l'OTAN une épine dorsale incontournable de la sécurité transatlantique et européenne, l'OTAN garantissant sa propre intégrité territoriale et l'intégrité de l'ensemble du territoire européen. Davantage que la France, l'Allemagne mise sur le principe de la complémentarité entre l'OTAN et l'Union européenne. La France peut se prévaloir d'une longue tradition d'intervention à l'étranger, notamment militaire, qui détermine également la politique française. L'Allemagne met davantage l'accent sur le caractère de prévention civile dans sa politique de sécurité. Pour la France, la prévention en matière de politique de sécurité a plutôt une acception militaire. La France est une puissance nucléaire, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies. Elle a une politique de sécurité spécifique et des intérêts de sécurité sur quasiment tous les continents alors que la politique de sécurité allemande est principalement concentrée sur le continent européen. En outre, les normes juridiques pour l'utilisation de forces armées sont également très différentes entre les deux pays.
S'agissant des points communs, le Conseil franco-allemand de défense et de sécurité a été créé le 22 janvier 1988 lors du 25e anniversaire du Traité de l'Élysée. Cela a donné à la coopération franco-allemande en matière de sécurité et de défense une large base institutionnelle qui ne se retrouve avec aucun autre pays, même à l'état embryonnaire. Ce conseil est composé des chefs d'État et de gouvernement et se réunit deux fois par an. Le comité du conseil, composé des ministres de la Défense, des chefs d'État-major et des ministres des Affaires étrangères, émet des recommandations auprès du Conseil franco-allemand. Dans ce cadre, une vingtaine de commissions travaille dans tous les domaines de la politique militaire et de la politique de sécurité. Un secrétariat du conseil, dont le siège est à Paris, accompagne les travaux de ces instances et témoigne de leurs résultats. Les travaux de ces instances ne sont pas toujours aisés. Ce ne sont pas des clubs de campagne qui échangent les félicitations. En l'occurrence, leur rôle est d'identifier les problèmes et d'essayer de trouver des pistes de solutions.
Toute une série de développements de la PESD est due à des initiatives auxquelles la France et l'Allemagne ont fortement participé. L'Agence européenne pour la défense, qui est en cours de constitution afin de développer les capacités de défense, la recherche, l'approvisionnement et l'armement, est basée sur une telle initiative bilatérale. Cette idée commune a été exprimée pour la première fois en novembre 2002 et s'est ensuite retrouvée dans la déclaration au grand Sommet de février 2003. Il faut reconnaître que la Grande-Bretagne n'a pas été complètement absente. L'Agence, inscrite dans le Traité constitutionnel, a été réalisée en amont comme un certain nombre d'initiatives relatives à la PESD.
Depuis le début de l'année, l'Union européenne dispose des premiers battle groups (groupements tactiques). Ce conseil des groupements tactiques se fonde sur une initiative franco-britannique de 2003 à laquelle s'est ensuite associée l'Allemagne. En juin 2004, ce système a été décidé par le Conseil européen. Ces groupements tactiques ont augmenté la capacité de réaction de l'Union européenne face à des crises. Ainsi, la France et l'Allemagne se sont engagées fortement dans la mise en œuvre de ce schéma. L'année prochaine, la France participera à un groupement dirigé par l'Allemagne et inversement. En 2008, un groupement tactique sera basé sur la Brigade franco-allemande et les autres nations membres de l'Eurocorps y participeront. Dans ce domaine, la coopération franco-allemande est véritablement exemplaire.
La mise en place du Centre européen de transport aérien à Eindhoven aux Pays-Bas en juillet 2004 a été une étape majeure sur la voie de la constitution d'un commandement commun intégré du transport aérien. Une fois de plus, la France et l'Allemagne ont donné l'impulsion.
La longue tradition de coopération bilatérale fait particulièrement ses preuves dans des interventions communes sous l'égide de l'Union européenne ou de l'OTAN. Les riches expériences tirées de ces interventions peuvent ensuite être apportées au développement de conceptions communes.
C'est au travers de ces actions que l'on constate que la coopération franco-allemande est bonne mais n'est pas suffisante. Dans les opérations en ex-Yougoslavie, quasiment toutes les nations de l'OTAN ont participé ainsi que 20 à 30 États non membres de l'OTAN. L'opération Althéa dirigée par l'Union européenne n'est pas seulement importante pour la Bosnie-Herzégovine. En reprenant la responsabilité de la SFOR en Bosnie, la PSED se confronte au plus grand défi qu'elle ait jamais connu jusqu'à présent. Après la réussite de l'opération Concordia en Macédoine, Althéa est un deuxième test décisif pour la mise en œuvre pratique de l'accord « Berlin Plus » qui définit le partenariat stratégique entre l'OTAN et l'Union européenne. Depuis le début de la SFOR, la coopération franco-allemande demeure particulièrement étroite. C'est également vrai pour la KFOR (opération de l'OTAN pour stabiliser le Kosovo). Actuellement, l'Allemagne offre le contingent le plus important avec 3 300 soldats et la France détient le commandement de cette unité. Ce n'est pas un jugement négatif, telle est la situation actuelle mais cela a déjà été différent et le sera encore à l'avenir.
Entre août 2004 et mars 2005, la Brigade franco-allemande et l'État-major de l'Eurocorps ont participé à la FIAS (opération de l'OTAN en Afghanistan). La Brigade franco-allemande était présente avec la quasi-totalité de ses éléments de troupes et gardait la responsabilité de presque toute la zone de Kaboul. L'État-major de l'Eurocorps, actuellement dirigé par un Français, pilotait le quartier général de la FIAS depuis lequel l'opération était coordonnée. Cependant, la France ne prend pas encore part à la Provincial reconstruction team (PRT) de l'OTAN alors que l'Allemagne s'est engagée à étendre sa responsabilité sur l'ensemble du nord du pays. Il faut néanmoins faire confiance à la France pour se mettre aux côtés de ses partenaires européens et nord-américains dès que l'OTAN assumera la responsabilité de tout l'Afghanistan et que l'opération « Liberté immuable » des Américains perdra alors en importance.
Par ailleurs, des divergences de vues sont apparues quant à la légitimité d'une intervention en Irak, à la possibilité d'en maîtriser les conséquences, aux répercussions sur la sécurité régionale et à la possibilité de stabiliser l'après-guerre. Cette fracture ne séparait pas seulement l'OTAN et l'Union européenne, les États-Unis et l'Union européenne. Il existait également une fracture à l'intérieur de l'OTAN et au sein de l'Europe. Même les postures de Berlin et de Paris n'étaient pas unanimes jusqu'au début 2003. C'est en tout cas ce que l'on pense à Berlin. Néanmoins, les positions sont maintenant très proches. Aujourd'hui, les deux Etats sont absents des activités de l'OTAN en Irak mais il s'agit maintenant de se projeter dans l'avenir et d'aider le nouveau gouvernement. Les deux pays essaient donc de former les forces de sécurité irakiennes mais cette formation intervient en dehors de l'Irak, soit en France ou en Allemagne, soit dans les pays limitrophes de l'Irak. Le même but est poursuivi par des aides en matière d'équipement.
En outre, les deux États participeront de façon significative à l'opération civile de la PESD visant à soutenir le développement de la police et de l'État de droit en Irak - qui se déroulera également en dehors de l'Irak.
Pour l'Europe, il s'agit de tirer les enseignements du conflit. Une nouvelle fracture dans une question aussi importante en matière de politique de sécurité doit à tout prix être évitée. Pour y parvenir, il faut intensifier plus encore le dialogue, renforcer les efforts pour réduire les éventuelles différences et continuer de développer les stratégies de sécurité communes.
Quelques exemples illustrent à quel point la coopération franco-allemande est étroite dans la pratique militaire. À l'occasion du 50e sommet franco-allemand les 12 et 13 novembre 1987, il a été décidé de créer la Brigade franco-allemande qui est entrée en service le 12 janvier 1989. Elle se compose de troupes françaises, allemandes et mixtes qui sont toutes déployées dans le Bade-Wurtemberg. L'Etat-major mixte se trouve à Müllheim sur le Rhin. Au fil des quinze dernières années, la Brigade est passée d'une sorte de maquette politique avec un intérêt militaire limité au statut d'unité de grande dimension parfaitement opérationnelle qui est intervenue avec succès à plusieurs reprises dans le cadre de l'Eurocorps. Auparavant, il a fallu résoudre un certain nombre de problèmes, surmonter certaines différences et essayer de rapprocher les uns et les autres. Ces différences portaient sur la formation, l'équipement, le droit de participation, le droit de revendication, les dispositions administratives, les uniformes, les saluts, les gardes. Tout cela a dû être harmonisé mais la tâche est loin d'être terminée. À ce jour, la Brigade franco-allemande est néanmoins sans égal en termes de degré d'intégration.
En novembre 1993, l'Eurocorps est entré en service. Il participe d'une initiative franco-allemande de 1991 à laquelle plusieurs autres pays ont pris part depuis lors. Aujourd'hui, outre les pays fondateurs, la Belgique, l'Espagne et le Luxembourg ont envoyé des troupes. Le Canada, la Grèce, la Pologne, la Turquie, l'Autriche et la Finlande détachent des officiers à l'Etat-major de l'Eurocorps. La Grande-Bretagne, l'Italie et les Pays-Bas sont représentés par des officiers de liaison. Quatorze nations participent ainsi à l'Eurocorps. L'Etat-major - permanent - est situé à Strasbourg. En attendant d'être envoyées sur le terrain, les troupes restent sous responsabilité nationale. À la différence de la Brigade franco-allemande, il n'y a donc pas de troupes permanentes de l'Eurocorps.
En 1992, une unité de marine commune a été créée. À l'origine, elle n'avait qu'un objectif de man_uvres et de formation pendant 3 ou 4 semaines chaque année. Lors du sommet de 2003, il a été décidé d'en faire une unité de marine d'action rapide à laquelle d'autres pays pouvaient se rallier. En 2003, elle a participé pour la première fois à l'opération « Liberté immuable » dans la corne de l'Afrique. Une deuxième opération a eu lieu au début de cette année. Par ailleurs, l'Allemagne participera au commandement d'un corps français à Lille.
Les investissements dans la formation commune des personnels sont extrêmement féconds à long terme. Dans ce domaine, la coopération entre les deux forces armées est sans équivalent. De nombreux échanges de stagiaires sont effectués à tous les niveaux. Ainsi, après deux années de formation à l'Etat-major en Allemagne, M. BERG a lui-même passé deux années de formation à l'État-major en France. Au début des années quatre-vingt-dix, il y avait 16 participants allemands à l'école de guerre française. Autant de participants français suivent les enseignements de la Führungsakademie de la Bundeswehr. Mais cette formation continue de relever principalement de la responsabilité nationale. La mise en place de formations communes est un objectif à plus long terme. En l'occurrence, la formation commune pour le personnel technique et les équipages du nouvel hélicoptère de combat Tigre est un bon exemple. La formation au pilotage pour les pilotes français et allemands a lieu au Luc en France et la formation commune du personnel technique se déroule à Fassberg en Allemagne.
Il existe également une coopération étroite entre les services sanitaires, qui a malheureusement très souvent fait ses preuves sur le terrain. Au niveau des ministères de la Défense, des cellules de commandement, des éléments de toutes les forces armées, des structures de formation, des écoles, etc., l'échange d'expériences est extrêmement animé. Un grand nombre d'officiers de liaison y concourent mais ils servent les organisations qui les ont détachés. À l'avenir, des officiers d'échange passeront plusieurs années de service à part entière chez le partenaire. Par exemple, quatre fonctionnaires français au ministère allemand de la Défense et quatre fonctionnaires allemands au ministère de la Défense à Paris sont totalement intégrés et travaillent pour l'autre pays, non seulement dans le domaine technique mais également dans des domaines plus sensibles tels que la politique militaire. Sur le porte-avions Foch, un lieutenant allemand, pilote d'échange, est totalement intégré dans les équipages français.
La coopération franco-allemande en matière d'armement s'européanise de plus en plus. Contrairement au passé, il est de moins en moins possible de mettre en place des programmes d'armement bi-nationaux. Par conséquent, il faut développer les relations franco-allemandes dans ce domaine et des démarches multinationales telles que l'Agence européenne de la défense, car un certain nombre de projets multilatéraux ont trouvé leur origine dans des initiatives franco-allemandes.
La coopération franco-allemande dans le secteur de la politique de sécurité et de défense en général, et plus particulièrement sur le terrain de la politique militaire, est véritablement une réussite. Pour approfondir ces relations, de nouvelles institutions ou structures d'organisation ne sont pas nécessaires. La panoplie existante est largement suffisante pour traduire en actes la volonté de progrès. La coopération bilatérale doit être l'objectif commun du renforcement de l'Europe dans le domaine de la politique de sécurité mais il faut pour cela que d'autres partenaires, prêts à davantage de coopération et d'intégration, rejoignent rapidement le mouvement. Pour parvenir à un consensus à vingt-cinq, la Grande-Bretagne doit être rapidement associée. En effet, la France, la Grande-Bretagne et l'Allemagne représentent 50 % des budgets de la défense de l'Union européenne. Ce n'est qu'en partageant la charge que l'Europe pourra être un véritable leader.
L'objectif du Traité constitutionnel de créer une Union européenne de défense et de sécurité se situe plutôt sur le long terme. La voie qui y mènera n'est pas encore définie et sera longue et difficile. Même si les forces armées peuvent faire de la coopération internationale, les États-membres sont très réticents à l'idée de communautariser complètement cette grande prérogative souveraine que sont la sécurité et la défense. Il faut certes saluer l'existence de la stratégie européenne de sécurité mais celle-ci ne se substitue en rien aux approches nationales souvent très divergentes. Il s'agit néanmoins d'un important dénominateur commun qu'il faudrait élargir peu à peu.
Enfin, dans le domaine militaire, la connaissance de la langue étrangère est encore plus importante que dans d'autres secteurs. C'est une condition indispensable pour une coopération internationale positive. Si les traducteurs font un excellent travail, ils ne peuvent se substituer au dialogue direct. Dans la Brigade franco-allemande, on écrit le plus souvent en français ou en allemand mais l'anglais prend une importance croissante. C'est encore plus vrai dans l'Eurocorps. Dans le passé, les deux partenaires ont consenti avec succès d'importants efforts pour accroître la connaissance de la langue du partenaire mais il faudra continuer sans relâche à investir.
B. Les points de vue des partenaires européens : sujet de méfiance ou facteur de rapprochement ?
Exposé de M. Daniel BACQUELAINE, président du groupe MR (libéraux francophones) de la Chambre des représentants belge
M. Daniel BACQUELAINE, président du groupe MR (libéraux francophones) de la Chambre des représentants belge, remarque qu'étant lui-même député d'une circonscription qui comporte une communauté germanophone, il se sent une sympathie naturelle à la fois pour la France et l'Allemagne. Il n'en est pas pour autant naïf et constate que si la coopération franco-allemande est indispensable, elle n'est pas nécessairement le moteur de l'intégration européenne. Si, depuis 1957 et le Traité de Rome, le couple franco-allemand avait régulièrement repris les propositions diverses émises par le « petit » pays qu'est la Belgique en matière d'intégration européenne, il aurait été un moteur beaucoup plus performant en la matière. Le poids démographique, économique et financier du couple franco-allemand en fait certes des partenaires indispensables pour faire progresser l'Europe mais cela ne signifie pas qu'il est à la base de la progression de l'intégration européenne sur le plan conceptuel.
De plus, la France et l'Allemagne n'ont pas non plus le monopole de la réconciliation. La création de l'Europe des Six a englobé les pays fortement impliqués dans le dernier conflit qui ont décidé, ensemble, de mettre les haines de côté et de créer la solidarité européenne. Il s'agissait alors du Benelux, de l'Allemagne, de la France et de l'Italie et non pas de la Grande-Bretagne qui n'était alors pas plus européenne qu'elle ne l'est aujourd'hui, ni de l'Espagne ou du Portugal qui étaient en pleine dictature, ni des Etats de l'est de l'Europe qui étaient en proie au joug soviétique. Étant donné leur poids démographique, économique et financier, la France et l'Allemagne ont évidemment une importance primordiale et ont capté une attention légitime sur le plan international dans le cadre de l'intégration européenne.
Il est difficile de séparer le débat sur la politique étrangère de celui sur la défense parce que la défense dépend par essence de la politique étrangère. Il n'existe pas de défense commune sans politique étrangère commune. Cela est d'ailleurs heureux car si les forces armées pouvaient développer leurs actions en dehors d'un contrôle politique, il faudrait s'interroger sur la nature du régime. La politique étrangère est donc un facteur essentiel. Il est vrai que l'Allemagne et la France ont été précurseurs dans ce domaine, notamment par les accords de l'Élysée en 1963, la création de la Brigade franco-allemande et de l'Eurocorps. Une implication rassurante de l'Europe en Afghanistan et en Bosnie-Herzégovine a pu être constatée et elle donne matière à émulation par rapport au développement d'une politique de défense et d'une politique étrangère communes.
La Belgique se sent impliquée dans la politique de défense. Les initiatives prises par le Premier ministre Guy Verhofstadt, notamment pendant la présidence belge du Conseil européen, ont été importantes. La réunion de la défense au Palais d'Egmont avec l'Allemagne, la France, la Belgique et le Luxembourg, a été suivie d'une série d'accords très concrets, notamment en matière de capacités opérationnelles sur le plan de l'aviation, de la formation technique du personnel, de la reconnaissance satellitaire, du programme Hélios II, etc.
Le Traité constitutionnel comporte deux facteurs importants par rapport à la politique de défense. Contrairement à ce que d'aucuns disent, il implique une dimension sociale nouvelle pour l'Europe, notamment la Charte des droits fondamentaux et des droits sociaux. Deuxièmement, une avancée majeure est effectuée en matière de possibilité d'organiser la défense européenne. Les parlementaires qui ont participé à la Convention ont été encore plus audacieux que la CIG qui est revenue sur ce qu'ils proposaient, notamment sur la clause passerelle qui permettait de traiter des matières de défense avec une majorité qualifiée. Le retour à l'unanimité a été exigé par les gouvernements. Le seuil pour la formation des coopérations renforcées avait été fixé à huit Etats et a été ramené au tiers. La réintroduction du droit de veto en matière de politique de défense a également été le fait des gouvernements contre l'avis de la Convention. Il y a matière à réflexion pour ceux qui considèrent que le Traité constitutionnel ne va pas suffisamment loin parce que s'il fallait, à l'avenir, renégocier ce traité en matière de politique de défense, on irait encore moins loin que ce qu'avait prévu la Convention.
L'introduction des coopérations renforcées et plus encore des coopérations structurées en matière de défense semble néanmoins un atout extrêmement important qui doit être utilisé par les États-membres et dans lequel le couple franco-allemand a un rôle majeur à jouer. Les coopérations structurées imposent un certain nombre de conditions qui doivent être définies dans un protocole : le développement d'une capacité de défense, la fourniture d'unités de combat pour les missions communes, le renforcement de l'interopérabilité et du caractère déployable des forces. C'est également la possibilité pour le Conseil de décider à la majorité qualifiée des coopérations structurées, de la mission de nouveaux membres ou de la suspension de membres qui ne rempliraient plus les conditions requises au protocole. Le retour à l'unanimité est nécessaire lorsque la coopération structurée fonctionne et que des décisions sont à prendre à ce sujet entre les États-membres.
Quelles sont les finalités européennes ? Ceux qui feignent de ne pas les connaître exactement se mentent à eux-mêmes. Carl Popper avait défini deux types de questions à ne pas se poser : les questions dont personne ne connaît la réponse (Dieu existe-t-il ?) et celles dont tout le monde connaît la réponse (Qu'est-ce que l'amour ?). Les finalités européennes ressortent de la seconde catégorie. Chacun sait que l'Europe est avant tout un espace de paix, de liberté, de solidarité, d'entente. Pour faire fonctionner cela, il faut progressivement aller vers des coopérations mieux structurées et davantage renforcées.
En conclusion, la notion de temps évoquée précédemment n'est plus la même aujourd'hui qu'hier : l'Europe ne dispose plus vraiment de temps. Croire que l'on prendra le temps de renégocier un nouveau Traité constitutionnel est une grave erreur et consiste à jouer aux apprentis sorciers. Pendant que les discussions se tiendront dans les salons et les cénacles, la Chine, l'Inde et l'Amérique latine continueront à se développer et l'Europe fera figure de dernier wagon. La notion du temps doit être appréciée par rapport à l'évolution du monde. À cet égard, le couple franco-allemand a un rôle à jouer pour accélérer les aiguilles de l'horloge du monde européen.
M. Andreas SCHOCKENHOFF relève les propos de M. Bacquelaine selon lesquels il n'y aurait pas de politique de défense commune sans politique extérieure commune et suggère la possibilité de renverser l'argument. L'impératif d'une plus étroite coopération en matière de politique de défense peut être un catalyseur pour parvenir à une véritable diplomatie commune, à une politique extérieure commune, à un rôle international commun de l'Europe. C'est précisément dans ce domaine que les « petits » et les nouveaux États-membres constituent un modèle pour les Allemands et les Français. Dans les « petits » pays, les ressources sont naturellement plus limitées donc des décisions politiques ont dû être prises pour renoncer délibérément à un certain nombre de capacités militaires. Ces pays ont d'emblée décidé de percevoir leur contribution comme une contribution complémentaire à celle des autres, sans l'ambition de garantir par leurs seuls propres moyens la sécurité de leurs concitoyens. Aux États-Unis, des sommes gigantesques sont consacrées à la défense et à l'armement. Pour que l'Europe ait une pertinence au plan international et soit capable d'agir au plan politique, les Européens devront peut-être regrouper davantage leurs ressources et les organiser de manière beaucoup plus complémentaire afin que chacun apporte sa contribution à l'ensemble. Par exemple, les Pays-Bas ont soumis l'ensemble de leurs forces terrestres au corps germano-néerlandais et n'ont plus d'autres capacités proprement nationales.
M. Jean-Yves HUGON, député de l'Assemblée nationale, constate que le langage est clair lorsqu'il s'agit de sécurité et de défense. Il y a dix ans, l'Europe de la défense était une utopie. Elle a commencé à être évoquée, il y a cinq ans, et c'est une réalité depuis deux ou trois ans. Le couple franco-allemand est évidemment un acteur significatif dans la construction de cette Europe de la défense mais ne sera-t-il pas difficile d'y associer les nouveaux entrants ? Ces derniers ont peut-être un regard qui est encore tourné vers les relations transatlantiques privilégiées, ce qui s'explique par leur passé récent.
Par ailleurs, lorsque les députés français se rendent sur le terrain pour expliquer le bien-fondé du Traité constitutionnel, ils essaient de parler de sujets concrets à leurs interlocuteurs mais il n'est pas toujours facile de relier le texte à la vie quotidienne de la population. Cela est beaucoup plus aisé lorsqu'il s'agit de sécurité et de paix. M. HUGON souhaite savoir si c'est également le cas en Allemagne.
Mme Angelica SCHWALL-DÜREN, députée du Bundestag, répond que la question de la sécurité militaire est éminemment plus délicate en Allemagne qu'en France. Au cours des dix dernières années, des progrès importants ont toutefois été réalisés et la population comprend que cette situation contribue à sa propre sécurité. Celle-ci continue néanmoins à comparer ces dépenses avec celles consacrées à l'éducation ou à la formation. Cela reste un sujet difficile.
Par ailleurs, Mme Schwall-Düren souhaite aborder les perspectives de la politique extérieure et de sécurité. En Europe, en particulier en France, on parle d'une Europe « puissance ». Cela est lié à des concepts de politique étrangère, à la question de savoir si l'on souhaite aller vers un multilatéralisme ou un monde multipolaire dans lequel l'Europe serait un contrepoids. La France accentue plutôt sur le « contre » alors que l'Allemagne insiste sur le « poids ». Indépendamment de ces différences de conception, une question demeure : à quelle vitesse les États-membres sont-ils prêts à renoncer à une part de cette souveraineté qu'est la disposition de forces de défense nationales ? Combien de détails faudra-t-il étudier pour aboutir à un rapprochement des points de vue ? Ces progrès sont-ils réalisables pour respecter un calendrier réaliste ? Pour parvenir à une interopérabilité, les modes d'approvisionnement en matériels doivent être considérablement réorganisés. Il faut beaucoup de temps pour développer et mettre au point des systèmes d'armement.
Mme Schwall-Düren souhaite savoir comment les experts présents jugent ces perspectives à partir de leurs travaux au sein de la commission de la défense et du ministère de la Défense. Qu'en est-il de la coopération concrète entre la France et l'Allemagne sur ces programmes militaires ? Quel est le chemin restant à parcourir ? Il est important d'agir rapidement pour se rapprocher à travers des avancées très concrètes.
M. Loïc BOUVARD, député de l'Assemblée nationale, considère que la construction d'une industrie militaire européenne de la défense est l'un des fondements de la défense européenne. Il adresse trois questions à MM. Berg et Bacquelaine. Quel est l'impact de la déclaration franco-britannique lors du Sommet de Saint-Malo, et donc de la Grande-Bretagne, sur la défense européenne ? Quelle est l'évolution possible de l'OTAN ? Au sein de l'OTAN, les Français et les Allemands ne voient pas tout à fait l'avenir de la même façon. Les Américains ne souhaitent pas que l'OTAN soit construite sur deux piliers, le pilier américain et le pilier européen. Pour eux, l'OTAN est constituée de 26 pays égaux en droit alors qu'en réalité les États-Unis dominent l'organisation. L'Allemagne et la France ont-elles une approche différente de l'avenir de l'OTAN ? Les deux conférenciers constatent-ils également une différence d'approche entre l'Allemagne et la France vis-à-vis de la Russie, qui est un très grand pays européen détenant l'arme nucléaire, dans le domaine de la sécurité ?
M. Andreas BERG donne quelques exemples relatifs aux nouveaux membres. En Europe, il n'y a pas que l'Eurocorps. Il existe un corps germano-dano-polonais à Stettin. La coopération entre l'Allemagne et la Pologne est vraisemblablement l'une des plus étroites après celle entre l'Allemagne et les Pays-Bas. Dès 2010, la Pologne a accepté d'assumer la responsabilité d'un groupe de combat avec une participation allemande. Toute une série de coopérations bilatérales s'ébauche et l'Allemagne et la Pologne les prennent très au sérieux car elles ont une longue histoire commune.
En ce qui concerne les perspectives, les contrepoids, les différences et l'abandon de souveraineté, il n'y a pas d'alternative et cela a pu être constaté au cours des opérations dans les Balkans et en Afghanistan. Les engagements les plus exigeants auxquels l'OTAN peut se préparer avec sa force de réaction rapide et ses groupes de combat sont des théâtres multinationaux. Il faut évidemment prendre en compte l'efficacité militaire mais les engagements nationaux sont condamnés à l'échec.
S'agissant de la coopération en matière de développement de systèmes d'armement, la volonté politique est déterminante. Ce n'est pas un problème militaire ou économique ni celui des entreprises. Ces dernières sont plutôt en avance sur la politique et c'est une très bonne chose qu'elles puissent être exemplaires à cet égard. La question n'est pas de savoir qui est prêt à coopérer avec qui mais plutôt qui est prêt à ne rien faire. Si la France était prête à renoncer à construire des chars pour les acheter en Allemagne et si cette dernière était prête à renoncer à la construction d'avions pour les acheter en France, ce serait très simple mais est-ce le cas ?
Quant à Saint-Malo, la coopération franco-allemande est une chose utile, importante et nécessaire mais ce n'est pas une exclusive et elle ne suffira pas. Les prédécesseurs de M. Berg ont constaté sans enthousiasme le rapprochement entre la France et la Grande-Bretagne dans le cadre du processus de Saint-Malo et des rencontres qui ont suivi mais c'est le résultat qui compte. Beaucoup des acquis d'aujourd'hui ne reposent pas seulement sur la coopération franco-allemande mais sur d'autres initiatives prises par d'autres nations et pas seulement sur celle des Britanniques et des Français. Les Belges ont joué un rôle important. Il faut rappeler que c'est en Belgique que se situent le quartier général de l'OTAN et celui de l'Union européenne. Il est quasiment superflu de parler de la Belgique tant c'est une évidence.
M. Berg se gardera de parler de la Russie considérant que d'autres personnes sont plus compétentes que lui pour le faire.
M. Daniel BACQUELAINE observe que les premiers jalons d'une industrie militaire européenne ont été posés. Dans le domaine de l'armement, la coopération franco-allemande s'est déjà exprimée et s'exprime encore. L'Organisme conjoint de coopération en matière d'armement (OCCAR) a été constitué par la France, l'Allemagne, l'Italie et le Royaume-Uni en 1996 et fonctionne. Il a permis la création de l'hélicoptère franco-allemand, de plusieurs types de missiles, de l'avion militaire de transport A400M. L'ensemble de ceux qui coopèrent sur le plan de la défense en Europe accepte de se focaliser sur ces outils. Comme il y a un intérêt conjoint du politique et de l'industrie en la matière, l'évolution ne peut que se renforcer progressivement.
Sans vouloir s'exprimer au nom de la France et de l'Allemagne au sujet de l'évolution possible de l'OTAN et en se déclarant résolument euro-atlantiste, M. Bacquelaine assure qu'il n'existe pas d'incompatibilité entre le développement d'une défense européenne et la persistance de l'affiliation de chacun des pays européens à l'OTAN. Au contraire, l'OTAN a tout à gagner à ce que des accords existent entre ses membres, notamment ses membres européens.
M. Bacquelaine déclare n'être pas en mesure de parier sur l'évolution de la Russie car la destinée de ce pays est encore largement inconnue aujourd'hui. Il faut néanmoins avoir un devoir de vigilance par rapport à cette évolution.
Enfin, tous les responsables politiques sont confrontés à la perception de la population par rapport à l'argent consacré à la défense mais l'Europe offre une possibilité d'économie d'échelle. L'addition des budgets actuels des 25 pays européens en matière de défense aboutit à un résultat considérable. Il n'y a donc pas d'incompatibilité entre ce devoir d'attention vis-à-vis de la population et de l'allocation des ressources et la nécessité d'évoluer vers une défense européenne commune. Cela permet au contraire une certaine convergence et des économies d'échelle sont possibles.
VI. Conclusions du colloque par MM. Andreas SCHOCKENHOFF, président du groupe d'amitié Allemagne-France et Yves BUR, vice-président de l'Assemblée nationale, président du groupe d'amitié France-Allemagne
M. Yves BUR, vice-président de l'Assemblée nationale, président du groupe d'amitié France-Allemagne, estime que les évolutions réalisées dans le sens d'une défense européenne sont un peu trop discrètes. Tous les efforts réalisés au niveau macro-économique et au niveau des procédures montrent que c'est un problème complexe. Les États ont tout intérêt à coopérer dans un objectif d'efficacité de l'usage de l'argent public européen. Il ne faut pas non plus opposer les dépenses d'investissements qui doivent être faites en termes d'éducation ou de recherche. L'Europe pèsera dans le monde par rapport aux valeurs qu'elle incarne et doit défendre, mais le monde est ainsi fait que la seule promotion des valeurs n'est pas suffisante. Soit l'Europe pèsera à travers le poids économique, soit elle pèsera à travers sa capacité d'être un intervenant sur la scène du monde. Ce monde est encore dangereux et exige donc un certain nombre de moyens militaires. Ces dangers ne sont plus ceux connus dans le passé mais ils existent et seront certainement de nature différente dans le futur. Il faut faire en sorte d'associer davantage l'ensemble des pays européens à la table des décisions que cela ne se passe sous l'égide américaine. La réflexion doit se poursuivre pour déterminer qu'elle peut être la répartition des missions et la coordination des investissements. Ce travail est indispensable.
Les réussites connues dans le passé, que ce soit au niveau franco-allemand ou au niveau européen à travers Eurocorps, doivent incliner les États-membres à davantage d'optimisme. Ce qui nourrit souvent l'euroscepticisme, c'est l'incapacité de sentir ce qui a été réalisé. Il faut nourrir la confiance de la population à travers les réussites du passé.
M. Andreas SCHOCKENHOFF, président du groupe d'amitié Allemagne-France, en conclut que cette journée a été très fructueuse et qu'il a été positif de placer l'évolution de l'intégration européenne au centre des réflexions de ce colloque. Les faits ont montré que les États-membres ont connu des expériences différentes dans de nombreux domaines. Ainsi que l'a dit M. Stark, le plus haut niveau de l'intégration européenne a été atteint dans le domaine de la politique économique et monétaire, avec une monnaie commune. Cette intégration européenne au plus haut niveau est néanmoins parfois en friction avec les intérêts nationaux et les situations économiques conjoncturelles nationales. Il a été expliqué à quel point il était difficile d'être en harmonie dans ce secteur, non seulement en surpassant les intérêts à court terme mais en ayant toujours à l'esprit les intérêts à long terme de l'Europe.
Lors des débats relatifs au second thème consacré à la politique extérieure européenne commune, l'importance de surmonter les anciennes hostilités et animosités a été soulignée. La situation actuelle a été comparée à ce qu'était la situation entre de nombreux voisins d'Europe pour les générations précédentes jusqu'à un passé récent. Il a été considéré que la collaboration franco-allemande était un modèle pour surmonter ces animosités mais les regards n'ont peut-être pas suffisamment été portés vers l'avenir, un avenir dans lequel l'Europe doit être un acteur au sein du monde et doit réfléchir aux instruments intégrés par lesquels elle pourra effectivement être un acteur sur la scène internationale afin de faire valoir ses intérêts communs.
S'agissant du dernier sujet relatif à la défense et la sécurité, M. Schockenhoff rappelle les propos de M. Bur, selon lesquels les choses deviennent concrètes lorsqu'il s'agit de questions militaires, pour ajouter que cela est dû à la pression économique qui impose l'intégration. Le débat a montré qu'étant donné les risques existants pour la sécurité des peuples européens, les États-nations ne sont plus capables d'assumer seuls et chacun de leur côté les tâches de prise en charge de la sécurité. Même les « grands » Etats d'Europe ne le peuvent plus. C'est peut-être l'un des motifs de l'intégration européenne. Il faut tout simplement s'adapter à l'évolution de la situation dans un monde de plus en plus petit. Chacun doit prendre conscience que s'il travaille seul de son côté, il n'obtiendra pas les mêmes effets sur la scène mondiale que s'il se joint aux autres pour s'atteler ensemble à la tâche.
M. Schockenhoff relève un élément transversal aux débats : dans le processus de construction de l'Europe, il n'y a pas de simultanéité. Si le niveau d'intégration le plus élevé a été atteint avec l'euro, tous les membres de l'Union européenne ne sont pas membres de l'union monétaire. Il existe également des États neutres au sein de l'Europe qui ne participent pas aux modèles de coopération en matière de défense évoqués précédemment. Cette situation a toujours existé en Europe. L'euro et Schengen n'ont pas commencé avec tous les États-membres. Plus les membres de l'Union européenne seront nombreux et plus il sera peut-être difficile de gérer cette situation. Comment gérera-t-on ce manque de simultanéité dans le développement des modèles ? Étant donné la multiplicité des constellations géostratégiques, M. Schockenhoff envisage difficilement une défense européenne sans la Turquie. Il est néanmoins apparu aujourd'hui à quel point il est difficile d'imaginer d'intégrer la Turquie dans un certain nombre de formes de la politique commune, notamment la politique agricole et les fonds structurels.
Ce décalage dans le temps de l'intégration européenne constitue un défi important qu'il faut relever. M. Schockenhoff se dit convaincu qu'il ne peut y avoir de véritable progrès en matière de construction européenne qui soit durable et auquel la France et l'Allemagne ne participent pas ensemble. Dans le même temps, il ne peut pas non plus y avoir de progrès durable de la construction européenne s'il ne peut pas s'appliquer à tous les autres États-membres, s'il n'est pas ouvert aux autres États-membres pour qu'ils puissent rejoindre ce processus le moment venu, lorsqu'ils s'en sentiront capables.
S'exprimant également au nom de M. Bur, M. Schockenhoff observe que ce colloque a été considérablement enrichi par la perspective apportée par les voisins européens de l'Allemagne et de la France. Ainsi que cela a été dit à plusieurs reprises, l'Allemagne et la France ne peuvent pas assumer leur fonction dans la construction européenne si elles ne permettent pas à leurs partenaires d'apporter leur contribution fructueuse à un stade précoce de cette construction européenne. Ce n'est pas seulement la tâche des gouvernements, c'est également et peut-être avant tout la tâche des parlements qui doivent jouer le rôle important d'expliquer l'intégration aux Européens.
Cette journée servira de modèle pour conduire l'Allemagne et la France à réfléchir aux moyens d'intégrer beaucoup plus leurs partenaires européens à l'ensemble des réflexions qu'elles conduisent.
M. Yves BUR témoigne du plaisir des organisateurs de constater l'intensité avec laquelle les personnes présentes ont participé aux débats. Il y a de nombreux mois, lorsqu'ils avaient envisagé de placer ce colloque Paris-Berlin dans l'optique réellement européenne et de le faire se dérouler à Strasbourg, ville symbole, ils n'imaginaient pas quelles en seraient toutes les conséquences. Le débat a clairement montré qu'il ne fallait pas avoir honte du dialogue si particulier du couple franco-allemand. Il appartient aux deux pays de le poursuivre, de l'amplifier, de l'approfondir, en particulier dans les domaines de la société civile ainsi que l'a rappelé M. Lasserre. Une coopération approfondie dans les domaines de l'éducation, de la santé, de la sécurité environnementale permettrait de mettre en œuvre des avancées communes qui pourraient servir non pas de modèles mais de bases à de nouvelles orientations politiques pour l'Europe. Ainsi, le mandat d'arrêt international qui vient d'être signé par l'Allemagne, la Belgique, l'Espagne et la France est l'exemple d'une initiative intergouvernementale qui a vocation à s'élargir à d'autres pays.
Il faut être conscient que la relation franco-allemande a été une dynamique de prospérité pour l'Europe au cours des cinquante dernières années mais que, aujourd'hui, cette seule dynamique ne suffit plus. La France, l'Allemagne et certains autres pays ont peut-être été dépassés par la dynamique beaucoup plus radicale qui existe au niveau mondial. Il ne faut pas oublier que le monde est aujourd'hui un village dont l'Union européenne ne représente qu'un petit quartier. La responsabilité de l'Union européenne, notamment vis-à-vis des jeunes, est de leur proposer une ouverture sur un avenir européen, sur la rencontre avec d'autres Européens, qui serve de base à une ouverture sur le monde et à une meilleure compréhension de ce monde qui change.
Si chacun connaît les finalités européennes, des questions restent en suspens. Faut-il se contenter d'un grand marché ? La réponse n'est malheureusement pas partagée par tous. Comment retrouver durablement une croissance ? C'est un problème majeur qui détermine la question de l'emploi qui inquiète profondément les populations. Les interventions de cette journée ont permis de mesurer la nécessité de dépasser les réflexes simplement conjoncturels pour s'inscrire dans des politiques projetées dans l'avenir. Cela est très difficile lorsque chacun est confronté à des difficultés et doit s'adapter. Ce dialogue peut préfigurer ce qu'il est possible de faire en Europe, ce que les États-membres doivent peut-être apprendre à mieux faire pour que la compréhension entre les différents pays puisse se renforcer. Les échanges ont montré que ce dialogue était possible et celui-ci enrichit mutuellement les pays. Il faudra s'interroger pour déterminer si la mise en œuvre d'un colloque Paris-Berlin aura encore du sens à l'avenir ou s'il ne faudra pas plutôt l'orienter vers un colloque Paris-Berlin-Europe portant sur les différentes problématiques abordées dans le passé (l'énergie, la bioéthique, le droit des familles, etc.) qui sont des enjeux européens.
M. Bur remercie les personnes présentes de leur participation et cite une phrase de Winston Churchill : « Il y a les optimistes et les pessimistes. Pour les optimistes, les difficultés sont des opportunités. Pour les pessimistes, les opportunités sont des difficultés. » Il espère que les pays de l'Union européenne sauront se placer du côté des optimistes.
Il remercie les intervenants, dont les exposés très directs et ouverts ont évité à chacun d'utiliser la langue de bois, ainsi que ses collègues des pays voisins et les ambassadeurs. L'ensemble de ces contributions a apporté un angle nouveau et a peut-être modifié certaines idées reçues chez ceux qui douteraient encore de l'Europe, au moins en France. Il remercie par ailleurs l'équipe des interprètes ainsi que Mmes Boulay-Deilhes et Bila et leurs équipes pour l'organisation parfaite de ce colloque.
Clôture de la séance.
Participants allemands
Bundestag
- M. Norbert LAMMERT, vice-président du Bundestag
- M. Andreas SCHOCKENHOFF, président du groupe d'amitié Allemagne-France
- M. Ernst BURGBACHER (Bade-Würtemberg)
- M. Klaus-Peter FLOSBACH (Oberbergischer Kreis)
- Mme Sibylle LAURISCHK (Bade-Würtemberg)
- Mme Angelica SCHWALL-DÜREN (Rhénanie du Nord-Westphalie)
Intervenants
- M. Frank BAASNER, directeur de l'Institut franco-allemand de Ludwigsburg (DFI)
- M. Andreas BERG, expert, colonel au sein de l'Etat Major des armées à la division de la planification, ministère fédéral de la défense
- M. Martin KOOPMANN, responsable du service des relations franco-allemandes de la Société allemande de politique étrangère
- M. Andreas MAURER, directeur du groupe de recherche sur l'intégration européenne de la Stiftung Wissenschaft und Politik (SWP)
- M. Jürgen STARK, expert, vice-président de la Banque fédérale d'Allemagne
- M. Wolfram VOGEL, chercheur au DFI, spécialisé en politique européenne
Représentation diplomatique
- Son Exc. M. Klaus NEUBERT, ambassadeur d'Allemagne en France
- M. Gerhard ALMER, premier conseiller à l'ambassade d'Allemagne
Administration et autres
- Mme Jacqueline BILA, secrétaire du groupe d'amitié Allemagne-France du Bundestag
- Mme Christine SCHMATLOCH, fonctionnaire du Bundestag
- Mme Eva LENSING, Bundestag
Participants français
Assemblée nationale
- M. Yves BUR (Bas-Rhin), vice-président de l'Assemblée nationale, président du groupe d'amitié France-Allemagne
- M. Jean-Claude BATEUX (Seine-Maritime)
- M. Loïc BOUVARD (Morbihan)
- M. Jean-Pierre BRARD (Seine-Saint-Denis)
- M. Jean GAUBERT (Côtes-d'Armor)
- M. Jean-Yves HUGON (Indre)
- M. Jean-Louis IDIART (Haute-Garonne)
- M. Jean-Marie ROLLAND (Yonne)
- M. André SCHNEIDER (Bas-Rhin)
- M. Bernard SCHREINER (Bas-Rhin)
Sénat
- M. Philippe RICHERT, vice-président du Sénat, président du Conseil général du Bas-Rhin
- Mme Fabienne KELLER (Bas-Rhin), sénateur-maire de Strasbourg
- M. Jean FRANÇOIS-PONCET (Lot-et-Garonne), président du groupe d'amitié France-Allemagne
- Mme Patricia SCHILLINGER (Haut-Rhin)
Région Alsace
- M. Adrien ZELLER, président du Conseil régional d'Alsace
- M. Gilbert GROSSMANN, président de la communauté urbaine de Strasbourg
Intervenants
- Mme Sylvie GOULARD, expert, chercheur à Sciences-Po
- M. René LASSERRE, expert, directeur du CIRAC
- M. François LAVAL, directeur du 1er cycle allemand à Sciences-Po
- Mme Elsa GRIMBERG, chargée de mission à Sciences Po
- Mme Béatrice GORAWANTSCHY, directrice de la Fondation Konrad Adenauer à Paris
- M. Pierre JANIN, directeur de la rédaction de la revue «Paris-Berlin »
Administration et autres
- Mme Christine BOULAY-DEILHES, secrétaire du groupe d'amitié France-Allemagne de l'Assemblée nationale
- Mme Corinne DOUZIECH, fonctionnaire de l'Assemblée nationale
- M. Yann KITZEROW, fonctionnaire de l'Assemblée nationale
- M. Olivier ECKERT, collaborateur de M. Yves BUR
- M. Stéphanie MALZAK, collaboratrice de M. Yves BUR
- Mme Nicole MATTER, collaboratrice de M. Yves BUR
- Mme Estelle WANOU, assistante de M. Yves BUR
- Mme Philine WEYRAUCH, assistante de M. GAUBERT
- M. Stefan WITTE, assistant de M. BUR
Représentants des pays membres de l'Union européenne
Autriche
- Mme Marianne HAGENHOFER, vice-présidente de la commission européenne du Conseil national
Belgique
- M. Daniel BACQUELAINE, président du groupe MR (libéraux francophones) à la Chambre des représentants
- M. Patrick MORIAU, vice-président de la commission des relations extérieures de la Chambre des représentants
- M. Daniel LUCION, premier conseiller à la Chambre des représentants
Hongrie
- Son Exc. M. André ERDÖS, ambassadeur de la République de Hongrie à Paris
Irlande
- Son Exc. M. Pádraic MacKERNAN, ambassadeur d'Irlande en France
Lituanie
- M. Egidijus VAREIKIS, vice-président de la commission des affaires européennes du Seimas
Pologne
- Mme Dorota SIMONIDES, membre du groupe d'amitié Pologne-Allemagne du Sénat
République tchèque
- M. Jaroslav LOBKOWICZ, membre de la commission des affaires européennes de la Chambre des députés
Royaume-Uni
- M. Giles PAXMAN, ministre plénipotentiaire, ambassade du Royaume-Uni
Interprètes
- M. Marcus BROADBENT
- Mme Ingrid KIKEL
- M. Philip MINNS
- M. Pierre RICHARD
- Mme Christa VAHSEN
- M. Edgar WEISER
1 A ce sujet, à l'occasion des 40 ans du Traité de l'Élysée, Mme Goulard a publié un article intitulé « Le leadership se mérite » qui peut être consulté sur le site de la fondation Europartenaires.